tag:theconversation.com,2011:/uk/topics/prix-nobel-20616/articlesPrix Nobel – The Conversation2024-03-11T16:13:04Ztag:theconversation.com,2011:article/2251402024-03-11T16:13:04Z2024-03-11T16:13:04Z« Extérieurs : Annie Ernaux et la photographie » : quand la littérature rencontre ses images<p>Que se passe-t-il lorsque des formes d’art tranchantes et abrasives se rencontrent ? Le frottement peut les faire résonner, éventuellement grincer, ou les aiguiser encore plus. C’est ce qui se passe avec l’exposition dense et fascinante que l’écrivain Lou Stoppard a montée avec la <a href="https://theconversation.com/nobel-prize-in-literature-annie-ernaux-and-writing-from-experience-192050">lauréate du prix Nobel Annie Ernaux</a> à la <a href="https://www.mep-fr.org/event/exterieurs-annie-ernaux-et-la-photographie/">Maison européenne de la photographie</a> (MEP) de Paris.</p>
<p>Stoppard a été écrivaine en résidence à la MEP en 2022 et « Extérieurs » représente l’aboutissement de cette résidence. L’exposition reprend des pages du mince volume de 1993 d’Ernaux, <em>Journal du dehors</em>, et les place à côté de photographies de la collection de la MEP, suggérant des liens possibles, des résonances, des affinités.</p>
<p><em>Le Journal du dehors</em>, traduit vers l’anglais par Tanya Leslie sous le titre <a href="https://fitzcarraldoeditions.com/books/exteriors"><em>Exteriors</em></a> et publié chez Fitzcarraldo en 2021, se présente sous la forme d’entrées de journal aléatoires s’étalant sur sept ans, dans les années 1980 et au début des années 1990. Il donne à voir des rencontres fugaces ou récurrentes qui jalonnaient le trajet qu’Ernaux faisait alors très régulièrement entre Paris et son domicile en banlieue parisienne.</p>
<p>Le montage d’images et de pages découpées du volume intensifie l’écriture, happant les visiteurs par la concentration d’informations. Mais l’effet ajoute aussi de l’espace à la routine des déplacements quotidiens, aux couloirs souterrains immuables avec leurs mendiants familiers, au même parking devant le même supermarché, aux schémas de déplacements qui racontent notre façon de vivre et de travailler, qui donnent au Journal d’Ernaux sa corrosivité particulière.</p>
<p>Le texte d’Ernaux acquiert une clarté supplémentaire et une immobilité proprement photographique lorsqu’il est lu sous forme de panneaux accrochés au mur. Ses scènes du Paris des années 1980 nous parlent avec la force du « ça a été », avec leur paradoxale combinaison de tragédie sans fin et de fugacité : ce moment, cette robe, ces mots, ces chaussettes…</p>
<h2>Imagerie tranchante</h2>
<p>Ernaux veut depuis longtemps faire de son écriture un <a href="https://theconversation.com/annie-ernaux-french-feminist-who-uses-language-as-a-knife-wins-nobel-prize-for-literature-192084">couteau</a>. Son style est court, dépouillé, non lyrique. Elle va droit au cœur des choses sur lesquelles elle écrit, chaque mot étant nécessaire. Et l’organisation équilibrée et réfléchie de cette exposition est une extension de cette habileté à trancher. Elle nous montre que tout est dans le détail s’il est saisi avec suffisamment d’acuité pour en révéler l’importance. De nombreuses photographies sont, à cet égard, éblouissantes.</p>
<p>Elles sont presque toutes caractérisées par ce que le photographe français Henri Cartier-Bresson appelait des <a href="https://www.henricartierbresson.org/en/expositions/henri-cartier-bresson-images-a-la-sauvette/">« images à la sauvette »</a> : des scènes aperçues et saisies dans la rue, capturant des personnes à leur insu, saisissant leur présence singulière dans leurs moments d’absence. L’un des effets de la scénographie, faisant dialoguer deux ensembles de photographies, démontre combien cette approche peut générer des images merveilleusement différentes.</p>
<p>D’un côté de la galerie, étroite et semblable à un couloir, nous voyons une succession de petites images distinctes du photographe américain <a href="https://www.icp.org/browse/archive/constituents/harry-callahan">Harry Callahan</a>, tirées de sa série « Archives françaises » des années 1950. Ces tirages presque noirs sont traversés par des bandes de lumière du soleil ou par des taches minimales de luminosité. Des figures apparaissent énigmatiquement gravées dans la lumière, entrant et sortant du champ du visible.</p>
<p>Nous nous tournons ensuite vers l’autre mur où se trouve un fabuleux montage du photographe américano-japonais <a href="https://www.nytimes.com/2021/08/18/style/hiro-dead.html">Hiro</a>. Ces images, grandeur nature et continues, montrent les usagers d’un train de Tokyo des années 1960, exposés comme en vitrine et malgré eux à travers les fenêtres du wagon, leurs regards et leurs doigts pressés contre la vitre, s’adressant à nous et à d’autres passagers.</p>
<p>D’un côté, un profond sentiment de solitude. De l’autre, la pression des gens autour.</p>
<p>En dialoguant, ces deux sélections d’images mettent en lumière la qualité étrange du journal d’Ernaux, tout à la fois proche et détachée de la vie ordinaire. Elle regarde toujours depuis l’extérieur, même lorsqu’elle imagine, comme le soulignent les textes de l’exposition, qu’elle pourrait tout aussi bien être en train de se regarder elle-même.</p>
<h2>Un spectateur détaché</h2>
<p>L’inclusion de plusieurs séries d’œuvres de photographes japonais est frappante à cet égard, car elle crée un sentiment d’éloignement là où Ernaux a si systématiquement embrassé la familiarité de la vie française ordinaire. Les photographies de l’époque parisienne plus récente produisent un peu le même effet, en particulier dans la salle où se trouvent deux grandes œuvres de Mohamed Bourouissa et une œuvre de Marguerite Bornhauser, une des seules à ne pas inclure de figures humaines.</p>
<p>Les deux œuvres de Bourouissa montrent des scènes de la vie « des quartiers » en France. L’une d’elles représente un groupe de quatre jeunes autour d’une voiture brûlée dans une ruelle sale. L’un des membres du groupe se tient sur le toit, le haut du torse et la tête coupés par l’encadrement.</p>
<p>L’autre photo montre un homme qui se fait arrêter. Il est menotté, presque nu, et fixe du regard une femme, peut-être sa petite amie, debout devant lui, jambes nues, habillée seulement d’un long t-shirt. Le policier et la femme sont également décapités par le cadrage de Bourouissa.</p>
<p>Quant à la photographie de Bornhauser, elle montre l’impact d’une balle sur une vitre quelque part près du <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/attentats-du-13-novembre-2015-le-recit-d-une-nuit-d-horreur-par-ceux-qui-l-ont-vecue-2606892">Bataclan en 2015</a> après les attaques terroristes.</p>
<p>Ce sont des scènes d’une violence toute contemporaine. Elles nous suggèrent que même la mobilité sociale somme toute limitée de la génération d’Ernaux, et les formes fétiches de la vie moderne comme la voiture, ont débouché sur un échec.</p>
<p>Ces quelques images en couleur ne diminuent pas la violence évidente dans les autres œuvres plus calmes de cette salle, mais elles mettent en lumière une autre facette de l’écriture, sa qualité prémonitoire, en particulier dans les pages accrochées à côté des images extraordinaires de Bourouissa. Ces pages sont moins des notations de ce qui est que des extrapolations de ce qui pourrait être. Elles parlent de peur, d’espaces vides où la violence (voire le viol) pourrait ne pas être entendue, et les misères de l’ambition parentale qui annoncent une adolescence malheureuse.</p>
<p>Le spectateur en ressort avec le sentiment du pouvoir extraordinaire de ces images de la vie quotidienne. Et pour ceux qui admirent déjà Ernaux, « Extérieurs » est l’occasion de voir plus clairement comment elle a aiguisé son œil et son oreille contre la routine de ses trajets quotidiens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225140/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anna-Louise Milne ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’exposition qui se tient à la Maison européenne de la photographie célèbre la relation entre la photographie et l’écriture d’Annie Ernaux, à travers des textes de son « Journal du dehors » (1993).Anna-Louise Milne, Director of Graduate Studies and Research, University of London Institute in ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2196352023-12-28T17:09:48Z2023-12-28T17:09:48Z« L’Archipel du Goulag » : trois tomes qui ont ébranlé le communisme<p>Il y a exactement cinquante ans, fin décembre 1973, un livre paraissait en russe à Paris : <em>L’Archipel du Goulag</em>, d’Alexandre Soljénitsyne.</p>
<p>Publié en traduction dans de nombreux pays occidentaux dès mai 1974, vendu en France à 600 000 exemplaires en moins de trois mois, ce premier tome a été suivi de deux autres.</p>
<p>Peu de livres au XX<sup>e</sup> siècle auront eu un tel impact politique.</p>
<h2>Alexandre Soljénitsyne, écrivain et ancien détenu du Goulag</h2>
<p>Né le 11 décembre 1918, <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Aleksandr_Issa%C3%AFevitch_Soljenitsyne/144751">Alexandre Soljénitsyne</a> est le produit de l’éducation soviétique de son temps. Enseignant, il participe comme officier à la Seconde Guerre mondiale et est décoré pour bravoure en 1943.</p>
<p>Le 9 février 1945, il est arrêté pour avoir critiqué Staline dans une lettre privée. Suivront huit ans de camp – pendant lesquels il trouve la foi –, un cancer et le début d’une relégation au Kazakhstan qui est abrégée par la mort de Staline : réhabilité en 1956, Soljénitsyne peut retourner en République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=494&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=494&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=494&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=621&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=621&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=621&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le détenu Soljénitsyne fouillé par un garde, 31 décembre 1952.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archives familiales d’Alexandre Soljénitsyne</span></span>
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<p>Déterminé à témoigner, il écrit sur les camps, mais cache ses œuvres, attendant le moment de les montrer. Le dégel officialisé par Nikita Khrouchtchev lui en fournira l’occasion. Son premier texte publié, <a href="https://www.fayard.fr/livre/une-journee-divan-denissovitch-9782213726458/"><em>Une Journée d’Ivan Dénissovitch</em></a>, paraît en novembre 1962 dans la revue <em>Novyï Mir</em>, avec l’autorisation personnelle de Khrouchtchev, et porte déjà sur les camps : l’écrivain y raconte une journée dans la vie d’un « zek », un prisonnier ordinaire, et démontre ainsi que, contrairement aux <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-marche-de-l-histoire/1956-le-rapport-khrouchtchev-1532077">allégations de Khrouchtchev en 1956</a>, les répressions n’ont pas touché que des communistes. Ce récit est lu par des millions de Soviétiques et permet à ses lecteurs occidentaux de saisir la réalité des purges staliniennes. C’est pourquoi la publication de textes sur les camps est presque aussitôt interdite en URSS.</p>
<p>Soljénitsyne devient alors le symbole et le repère de ceux qui, dans la société soviétique, s’opposent à un possible retour des répressions. Néanmoins, ceux qui ont acquis pouvoir et privilèges sous Staline défendent les règles du jeu qui leur ont réussi, et bénéficient en cela du soutien du KGB. L’affrontement entre ces deux camps marque les années 1960 en URSS, mais les nationalistes pro-Staline l’emportent : dès 1963-1964, Soljénitsyne ne peut plus être publié. Il est exclu de l’Union des écrivains en 1969. La consécration vient d’Occident : le prix Nobel de littérature est décerné à l’écrivain en 1970, mais celui-ci <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1970/11/30/soljenitsyne-ne-se-rendra-pas-a-stockholm-pour-recevoir-le-prix-nobel_2658842_1819218.html">ne peut se rendre à Stockholm pour le recevoir en mains propres</a>.</p>
<h2>Publier <em>L’Archipel du Goulag</em> en Occident</h2>
<p>Ce que ses adversaires ne savent pas, c’est que, dès 1968, Soljénitsyne a fait passer en Occident l’œuvre majeure de sa vie, <em>L’Archipel du Goulag</em>, ce texte-fleuve dans lequel il dresse l’histoire du système concentrationnaire soviétique de 1918 à 1956. Il l’a rédigé entre 1958 et février 1967, et n’a jamais eu l’ensemble du manuscrit sous les yeux : comme il en a pris l’habitude en camp, il écrit sur de minuscules feuilles de papier, qu’il enterre dans des jardins.</p>
<p>Nikita Struve, universitaire et directeur de la <a href="https://www.editeurs-reunis.fr/notre-histoire">maison d’édition YMCA Press</a>, a reçu l’un des deux exemplaires transmis. Cette maison d’édition en langue russe a été fondée par des émigrés en 1921 à Prague et a déménagé en 1925 à Paris où, surtout depuis le début des années 1960, elle publie, outre des émigrés, des auteurs soviétiques qui ne peuvent l’être en URSS : le <a href="https://ceupress.com/book/written-here-published-there">« tamizdat »</a> – la publication « là-bas », en Occident, de textes soviétiques, à ne pas confondre avec le <a href="https://www.u-bordeaux-montaigne.fr/fr/actualites/nouvelles-publications/samizdat-publications-clandestines-et-autoedition-en-europe-centrale-et-orientales-1950-1990.html">samizdat</a>, publication « par soi-même », qui désigne le fait de diffuser clandestinement des textes en URSS, essentiellement en les recopiant à la machine – prend de l’ampleur.</p>
<p>Pendant l’été 1973, parce que les pressions se renforcent contre lui et qu’une femme ayant tapé à la machine <em>L’Archipel du Goulag</em>, Elizaveta Voronianskaïa, <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/nivat_georges/soljenitsyne/Soljenitsyne_avec_photos.pdf">s’est pendue</a> après avoir été interrogée par le KGB pendant cinq jours et cinq nuits, Soljénitsyne lance l’ordre de préparer, à Paris, la publication de ce texte.</p>
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<p>Le 28 décembre 1973, il apprend par la BBC la sortie du premier tome ; le 14 janvier, la <em>Pravda</em> traite l’écrivain de <a href="https://biography.wikireading.ru/52393">« renégat »</a>. Dans la foulée, des journaux publient de nombreuses lettres dans lesquelles des écrivains officiels très connus – dont Sergueï Mikhalkov et Constantin Simonov – condamnent l’auteur de <em>L’Archipel du Goulag</em>, cette campagne aussi étant supervisée par le KGB. Arrêté le 12 février et accusé de trahison, Soljénitsyne est poussé, le lendemain, dans un avion qui le dépose en RFA. Il a été déchu de sa citoyenneté soviétique.</p>
<h2>Un « essai d’investigation littéraire »</h2>
<p><em>L’Archipel du Goulag</em>, ce long « essai d’investigation littéraire » – c’est son sous-titre –, dresse un tableau sociologique et historique détaillé des camps et des répressions soviétiques, et décrit les parcours et le quotidien des prisonniers au sein de cet « archipel » qui regroupait des myriades de camps, comme autant d’îles au sein du pays.</p>
<p>Soljénitsyne évoque aussi la « relégation », celle qui suivait le camp ou celle à laquelle ont été directement condamnés des centaines de milliers de paysans et des peuples entiers, dont les <a href="http://www.editionsducygne.com/editions-du-cygne-deportation-tchetchenes-ingouches.html">Tchétchènes</a> et les <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2007-4-page-151.htm">Tatars de Crimée</a>. Pour lui, les prisonniers du Goulag peuvent être comparés aux serfs de l’Ancienne Russie, même si le sort de ces derniers était plus confortable.</p>
<p>Le Goulag, souligne-t-il, s’inscrit dans la logique du système soviétique : conçu et initié par Lénine, il ne peut être vu comme une déviation stalinienne. L’écrivain réfléchit aussi à l’impact de ces camps sur les individus et sur la société : le Goulag provoquerait et accentuerait la peur, la méfiance, le mensonge et une « psychologie d’esclaves ». Comment ne pas y repenser aujourd’hui, alors que la Russie poutinienne a renoué avec certaines pratiques répressives impitoyables ?</p>
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<figcaption><span class="caption">« L’archipel du goulag, le courage de la vérité », documentaire de Jean Crépu et Nicolas Milétitch.</span></figcaption>
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<p>Ce qui est sidérant, c’est que, pour réaliser cet énorme travail, Soljénitsyne n’a utilisé aucune archive – celles sur le Goulag étaient fermées – ni pratiquement aucune source publiée – il n’y en avait guère. Il s’est appuyé sur les récits, les mémoires et les lettres de deux cent vingt-sept anciens détenus que lui, ou certains de ses proches, avaient contactés.</p>
<p>Là est l’immense force du livre, et c’est pourquoi son auteur affirmera le considérer « comme au-dessus de [lui-même] ». Déjà, dans sa <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/soljenitsyne_alexandre/le_cri_prix_nobel/le_cri_prix_nobel_texte.html"><em>Lecture du Nobel</em></a>, rédigée alors que <em>L’Archipel</em> n’était pas encore publié, Soljénitsyne se disait porteur de la parole des personnes mortes au Goulag, « accompagné par les ombres de ceux qui y sont restés », et s’inscrivait ainsi, à sa façon, dans la même démarche qu’Anna Akhmatova avec son <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Requiem-1473-1-1-0-1.html"><em>Requiem</em></a>.</p>
<p>Par la suite, il rappellera sans cesse avoir parlé au nom de ceux auxquels toute parole a été confisquée : c’est la voix d’un peuple réduit au silence qu’il veut faire entendre. Et c’est pourquoi non seulement il dédie <em>L’Archipel du Goulag</em> « à ceux à qui la vie a manqué pour raconter ces choses. Et qu’ils me pardonnent de n’avoir pas tout vu, de n’avoir pas tout retenu, de n’avoir pas tout deviné », mais <a href="https://www.solzhenitsyncenter.org/solzhenitsyn-fund">il consacrera l’ensemble des droits de ce livre</a> – des sommes énormes – à l’aide aux prisonniers politiques soviétiques.</p>
<h2>Un passé qui ne « passe » toujours pas</h2>
<p><em>L’Archipel du Goulag</em> a circulé sans discontinuité en URSS grâce au samizdat et a marqué un tournant net dans la complaisance des intellectuels occidentaux pour le régime soviétique. Sa publication en France, où le Parti communiste restait très puissant et aligné sur l’URSS, a entraîné des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-fabrique-de-l-histoire/histoire-du-communisme-ii-2-4-9000900">débats passionnés</a>. En effet, ce livre posait une « question énorme, considérable, écrasante » que Jean Daniel, rédacteur en chef du <em>Nouvel Observateur</em>, a résumée ainsi : « L’univers concentrationnaire, qui a été inséparable du stalinisme, peut-il être séparé du socialisme ? » Rapidement, Marx aussi a été mis en cause, et une gauche se voulant antitotalitaire a émergé.</p>
<p>Le PCF a, lui, parlé de campagne organisée contre l’URSS, tandis que des rumeurs initiées par les idéologues soviétiques ont prétendu que l’écrivain soutenait des régimes d’extrême droite, et l’ont <a href="https://www.editeurs-reunis.fr/post/ambiguites-face-dissidence-sovi%C3%A9tique-1">assimilé à Laval, Doriot et Déat</a>. Soljénitsyne restera assigné à la droite, voire à l’extrême droite, d’un champ politique qui n’était pourtant pas le sien, mais même le PCF a été obligé de prendre un peu ses distances avec l’URSS. Trop tard : <em>L’Archipel du Goulag</em> est l’une des raisons qui expliquent l’effondrement électoral durable de ce parti.</p>
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<figcaption><span class="caption">Alexandre Soljénitsyne invité de l’émission « Apostrophes », Antenne 2, 9 décembre 1983.</span></figcaption>
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<p>Ce livre est <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1989/07/04/urss-oeuvre-majeure-de-soljenitsyne-l-archipel-du-goulag-va-etre-publie-par-l-union-des-ecrivains-sovietiques_4142839_1819218.html">publié en URSS</a> pendant la pérestroïka, à partir d’août 1989 et beaucoup croient à un tournant définitif. Comme le formule alors le critique Igor Vinogradov, « un pays qui lit <em>L’Archipel</em> et ensuite tout Soljénitsyne […] sera, dans sa vie de l’esprit, un pays considérablement différent de ce qu’il était avant ». Connaître le passé pourrait empêcher son retour et permettre à la société de guérir des violences subies, pensait-on.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1994/05/28/russie-le-retour-d-alexandre-soljenitsyne-trop-tard_3830661_1819218.html">Soljénitsyne est rentré en Russie en 1994</a>, mais ses compatriotes l’ont trouvé coupé des réalités. Il demeurait cependant le symbole vivant de la dénonciation des camps, et c’est pourquoi ceux qui géraient l’image de Vladimir Poutine ont tenu à ce que celui-ci <a href="https://desk-russie.eu/2023/05/27/ils-ont-fait-le-poutinisme-gleb-pavlovski-lapprenti-sorcier-au-blouson-vert-suite.html">rencontre publiquement l’ancien détenu</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567285/original/file-20231222-21-u3a2gt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567285/original/file-20231222-21-u3a2gt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567285/original/file-20231222-21-u3a2gt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567285/original/file-20231222-21-u3a2gt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567285/original/file-20231222-21-u3a2gt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567285/original/file-20231222-21-u3a2gt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567285/original/file-20231222-21-u3a2gt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une deuxième rencontre entre Soljénitsyne et Poutine, après celle de septembre 2000, eut lieu le 12 juin 2007.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Kremlin.ru</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>L’écrivain est mort le 3 août 2008. Peu après, <em>L’Archipel</em> a été inscrit au programme des lycées et une version raccourcie a été diffusée. Déjà, pourtant, des attaques visaient son auteur. En octobre 2016, Soljénitsyne a été <a href="https://www.academia.edu/38735094/_Solj%C3%A9nitsyne_aujourd_hui_en_Russie_un_h%C3%A9ritage_instrumentalis%C3%A9_Histoire_and_Libert%C3%A9_num%C3%A9ro_sp%C3%A9cial_pour_le_centenaire_de_Solj%C3%A9nitsyne_n_67_d%C3%A9cembre_2018_p_53_62">pendu en effigie</a> aux portes du musée du Goulag, à Moscou, une <a href="https://lenta.ru/news/2016/10/11/gulag/">pancarte le traitant de « traître » et d’« ennemi de la Patrie »</a> ; des statues, des portraits de lui ont été <a href="https://tvernews.ru/news/260212/">vandalisés en Russie</a>. Une guerre violente opposait, et oppose toujours, ceux qui lui rendent hommage et ceux qui ne lui pardonnent pas d’avoir dénoncé les répressions soviétiques. Le passé « ne passe pas », et la situation actuelle en Russie en témoigne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219635/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cécile Vaissié ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur la genèse et l’impact, en URSS et en Occident, de l’un des livres les plus importants du XXᵉ siècle, publié à Paris il y a exactement 50 ans.Cécile Vaissié, Professeure des universités en études russes et soviétiques, Université de Rennes 2, chercheuse au CERCLE (Université de Lorraine), Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2189432023-11-30T14:25:36Z2023-11-30T14:25:36ZHenry Kissinger, promoteur d’une « realpolitik » aux résultats largement controversés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/562729/original/file-20231130-21-mwj3np.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C1021%2C683&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Henry Kissinger a été conseiller à la sécurité nationale des États-Unis (1969-1975) et secrétaire d’État (1973-1977).
</span> <span class="attribution"><span class="source">Gerald R. Ford White House Photographs </span></span></figcaption></figure><p>Henry Kissinger, <a href="https://www.nytimes.com/2023/11/29/us/henry-kissinger-dead.html">décédé le 29 novembre 2023 à l’âge de 100 ans</a>, a exercé son influence sur la politique étrangère américaine pendant près d’un demi-siècle. En tant que <a href="https://scholar.google.ca/citations?user=7b6xo3QAAAAJ&hl=en">spécialiste de la politique étrangère américaine</a>, j’ai particulièrement travaillé sur <a href="https://doi.org/10.1017/S0020818311000324">l’action de Kissinger de 1969 à 1977</a>, période durant laquelle il fut conseiller à la sécurité nationale et secrétaire d’État sous les administrations Nixon et Ford. Tenant d’une vision étroite de l’intérêt national des États-Unis, il a mis en œuvre une <a href="https://theconversation.com/lessons-in-realpolitik-from-nixon-and-kissinger-ideals-go-only-so-far-in-ending-conflict-in-places-like-ukraine-179979">realpolitik</a> qui consistait principalement à tout faire, sur chaque dossier de politique étrangère, pour maximiser la puissance économique et militaire de Washington.</p>
<p>Cette approche transactionnelle a produit une série de résultats destructeurs. Sous la férule de Kissinger, l’action internationale des États-Unis a notamment été marquée par la fomentation de coups d’État aboutissant à la mise en place de dictatures meurtrières <a href="https://nsarchive.gwu.edu/briefing-book/chile/2020-11-06/allende-inauguration-50th-anniversary">comme au Chili</a> ; par des bombardements massifs se soldant par la mort de très nombreux civils <a href="https://gsp.yale.edu/sites/default/files/walrus_cambodiabombing_oct06.pdf">comme au Cambodge</a> ; ou encore par l’aliénation d’alliés potentiels <a href="https://www.nytimes.com/2020/09/03/opinion/nixon-racism-india.html">comme l’Inde</a>.</p>
<h2>Au diable les valeurs</h2>
<p>Dans sa <a href="https://www.worldcat.org/title/world-restored-metternich-castlereagh-and-the-problems-of-peace-1812-1822/oclc/964314724">thèse (qui deviendra le premier des nombreux ouvrages qu’il aura publiés)</a> consacrée au Congrès de Vienne de 1815, Kissinger affirme que l’action des responsables de la politique étrangère doit être mesurée à l’aune de leur capacité à identifier les changements politiques, militaires et économiques à l’œuvre dans le système international, puis à faire en sorte que ces changements jouent en faveur de leur pays.</p>
<p>Dans ce modèle de politique étrangère, les valeurs politiques comme l’attachement à la démocratie et aux droits de l’homme qui sont censées faire des États-Unis un acteur distinctif du système international ne jouent strictement aucun rôle.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/sODx0yE-mY4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Cette vision des choses, présentée comme étant réaliste et pragmatique, ainsi que la place de Kissinger au sommet de l’establishment de la politique étrangère en tant que conseiller à la sécurité nationale et secrétaire d’État pendant près d’une décennie, ont fait de « Dear Henry » une sorte d’<a href="https://nypost.com/2022/07/09/henry-kissinger-every-president-but-biden-invites-me-to-white-house/">oracle de la politique étrangère</a> pour les décideurs politiques américains de tous bords.</p>
<p>Or l’examen de son bilan permet de mettre en évidence les problèmes posés par une conception si étroite de l’intérêt national. Son passage au gouvernement s’est caractérisé par des décisions politiques qui ont, pour la plupart, nui aux positions internationales des États-Unis.</p>
<h2>Carnage au Cambodge</h2>
<p>En arrivant à la Maison Blanche en 1968, Richard Nixon avait <a href="https://www.youtube.com/watch?v=5HBON-ZIyUE">promis une fin honorable</a> à la guerre du Vietnam. Toutefois, il a rapidement été confronté à un problème majeur lorsqu’il a cherché à s’assurer le contrôle de la situation sur le terrain : la porosité des frontières du Vietnam avec le Cambodge. Les soldats et les équipements militaires du Nord-Vietnam étaient en effet acheminés en grand nombre vers le Sud à travers le territoire cambodgien.</p>
<p>Pour résoudre ce problème, <a href="https://rowman.com/ISBN/9780815412243/Sideshow-Kissinger-Nixon-and-the-Destruction-of-Cambodia-Revised-Edition">Nixon a très significativement intensifié la campagne de bombardements</a> visant le Cambodge entamée par son prédécesseur Lyndon Johnson. Il a ensuite lancé une invasion terrestre du Cambodge pour couper les voies d’approvisionnement du Nord-Vietnam.</p>
<p>Comme l’explique William Shawcross dans <a href="https://rowman.com/ISBN/9780815412243/Sideshow-Kissinger-Nixon-and-the-Destruction-of-Cambodia-Revised-Edition">son livre de référence</a> sur le sujet, Kissinger a entièrement soutenu la politique cambodgienne de Nixon.</p>
<p>Bien que Phnom Penh n’ait pas été partie prenante au conflit vietnamien, les <a href="https://gsp.yale.edu/sites/default/files/walrus_cambodiabombing_oct06.pdf">bombardements américains sur le Cambodge</a> auraient été supérieurs en tonnage à l’ensemble de toutes les bombes larguées par les États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, y compris les bombes nucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki.</p>
<p>La campagne a causé la mort de plusieurs dizaines de milliers de Cambodgiens et en a déplacé des millions. Les destructions causées par les bombardements et l’occupation partielle par les Américains en 1970 ont <a href="https://www.nybooks.com/articles/1979/06/28/the-crime-of-cambodia/">joué un rôle déterminant</a> dans la déstabilisation politique et sociale du pays, qui a facilité l’instauration du <a href="https://gsp.yale.edu/case-studies/cambodian-genocide-program">régime génocidaire des Khmers rouges</a>, lequel aurait en <a href="https://www.economist.com/books-and-arts/2013/09/25/blood-meridian">quelques années au pouvoir, tué environ 2 millions de Cambodgiens</a>.</p>
<h2>Soutien à un leader génocidaire</h2>
<p>En 1970 et 1971, Nixon, conseillé et encouragé par Kissinger, a <a href="https://books.openedition.org/editionscnrs/13369?lang=fr">soutenu le dictateur pakistanais Muhammad Yahya Khan</a> dans sa <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/212279/the-blood-telegram-by-gary-j-bass/">répression génocidaire des nationalistes bengalis</a> et sa guerre contre l’Inde. On estime qu’<a href="https://www.smithsonianmag.com/history/genocide-us-cant-remember-bangladesh-cant-forget-180961490/">entre 300 000 et 1 million de Bengalis auraient été tués lors de ce conflit</a>. Khan souhaitait une éviction complète des Hindous du Pakistan oriental, une région qui allait, à l’issue d’une guerre sanglante, finalement obtenir son indépendance sous le nom de Bangladesh.</p>
<p>Des millions de réfugiés en provenance du Pakistan oriental fuirent alors vers l’Inde, qui tenta de faire valoir auprès de l’administration américaine que cet afflux massif représentait pour elle un fardeau colossal. Irrité par ces demandes, Kissinger acquiesça quand Nixon lui dit qu’il fallait peut-être que l’Inde – pourtant un pays démocratique comme les États-Unis – <a href="https://www.thedailystar.net/backpage/news/the-indians-need-mass-famine-nixon-2098869">subisse une « famine de masse »</a> pour apprendre à rester à sa place.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/502559/original/file-20221222-10182-ra4l8i.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="A tent crowded with people and their belongings" src="https://images.theconversation.com/files/502559/original/file-20221222-10182-ra4l8i.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502559/original/file-20221222-10182-ra4l8i.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502559/original/file-20221222-10182-ra4l8i.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502559/original/file-20221222-10182-ra4l8i.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502559/original/file-20221222-10182-ra4l8i.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502559/original/file-20221222-10182-ra4l8i.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502559/original/file-20221222-10182-ra4l8i.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Réfugiés dans un camp de fortune à Bongaon, fuyant les combats à la frontière entre l’Inde et le Pakistan, 26 juin 1971.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/refugees-in-a-makeshift-camp-at-bongaon-fleeing-fighting-on-news-photo/831668538?phrase=refugee%20india%20fleeing%20camp%201971&adppopup=true">Mark Edwards/Keystone Features/Getty Images</a></span>
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<p>Durant la troisième guerre indo-pakistanaise (décembre 1971), le duo est allé jusqu’à envoyer un porte-avions américain dans le golfe du Bengale pour intimider l’Inde, qui avait subi une série d’attaques transfrontalières de la part du Pakistan. La politique de soutien au Pakistan menée par Nixon et Kissinger à cette période a été pour beaucoup dans le <a href="https://indianembassy-moscow.gov.in/pdf/Indo%20Soviet%20Treaty_2021.pdf">rapprochement entre l’Inde et l’Union soviétique</a>. La diplomatie indienne s’est alors imprégnée d’une profonde méfiance envers Washington ; la plus ancienne et la plus grande démocraties du monde se sont donc éloignées l’une de l’autre pour des décennies. </p>
<h2>Au soutien de Saddam Hussein contre les Kurdes</h2>
<p><a href="https://www.csmonitor.com/1996/1018/101896.opin.column.1.html">En 1972</a>, Kissinger a accédé à la demande du chah d’Iran de fournir une aide militaire aux Kurdes d’Irak qui cherchaient à obtenir une patrie indépendante. L’objectif de l’Iran était de faire pression sur le régime irakien contrôlé par Saddam Hussein, tandis que <a href="https://history.state.gov/historicaldocuments/frus1969-76v27/d24">Kissinger cherchait avant tout à maintenir les Soviétiques hors de la région</a>. Le projet, <a href="https://history.state.gov/historicaldocuments/frus1969-76v27/d25">comme l’a souligné le chah</a>, reposait sur la conviction des Kurdes que les États-Unis soutenaient leur indépendance.</p>
<p>Mais les États-Unis ont abandonné les Kurdes à leur sort à la veille d’une offensive irakienne en 1975, <a href="https://archive.org/details/PikeCommitteeReportFull">Kissinger commentant froidement à cet égard que</a> « les opérations secrètes ne doivent pas être confondues avec un travail de missionnaire ».</p>
<p>En fin de compte, la défaite irakienne contre les Kurdes renforcera Saddam Hussein, qui durant les décennies suivantes continuera à déstabiliser la région, à tuer des centaines de milliers de personnes et à <a href="https://www.cairn.info/la-guerre-iran-irak--9782262043551-page-59.htm">déclencher des guerres</a>.</p>
<h2>« Pragmatique » jusqu’au bout</h2>
<p>Après son départ du gouvernement en 1977, à la suite de la défaite de Gerald Ford face à Jimmy Carter, Kissinger a fondé <a href="https://www.henryakissinger.com/">Kissinger Associates</a>, une société de conseil en géopolitique. Jusqu’à la fin de ses jours, il a <a href="https://www.henryakissinger.com/speeches/opening-statement-by-dr-henry-a-kissinger-before-the-senate-armed-services-committee/">toujours conseillé aux décideurs politiques américains</a> d’adapter leur politique aux intérêts des grandes puissances étrangères telles que la Russie et la Chine.</p>
<p>Ces positions étaient cohérentes avec sa conviction, maintes fois démontrée, que les intérêts des États-Unis prévalaient sur toute autre considération, à commencer par les droits des autres pays et peuples. C’est probablement aussi du fait de cette posture que Kissinger Associates a toujours pu bénéficier d’un accès privilégié aux élites politiques des grandes puissances non démocratiques.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/562731/original/file-20231130-27-a7apjl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/562731/original/file-20231130-27-a7apjl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/562731/original/file-20231130-27-a7apjl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/562731/original/file-20231130-27-a7apjl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/562731/original/file-20231130-27-a7apjl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/562731/original/file-20231130-27-a7apjl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/562731/original/file-20231130-27-a7apjl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Henry Kissinger continuera bien longtemps après son départ de la vie politique d’être reçu par divers responsables étrangers, comme ici en juin 2017 par Vladimir Poutine au Kremlin. Ce dernier a réagi à l’annonce du décès de l’ancien secrétaire d’État américain en saluant la mémoire d’un homme « sage et visionnaire ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://en.kremlin.ru/events/president/news/54910/photos/49206">Archives photographiques du Kremlin</a></span>
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<p>En mai 2022, Kissinger a <a href="https://www.nytimes.com/2022/05/25/world/europe/henry-kissinger-ukraine-russia-davos.html">publiquement affirmé</a> que l’Ukraine, victime d’une agression non provoquée de la part de la Russie, devrait céder les portions de son territoire internationalement reconnu dont s’étaient emparés la Russie elle-même (à savoir la Crimée) ou des mandataires de Moscou (cas des « Républiques populaires » de Donetsk et de Lougansk).</p>
<p>Kissinger a également soutenu que les États-Unis devaient s’adapter aux exigences de la Chine, <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-11-16/kissinger-warns-biden-of-u-s-china-catastrophe-on-scale-of-wwi?leadSource=uverify%20wall">et mis en garde</a> contre tout effort concerté des démocraties qui viserait à contrer la puissance et l’influence croissantes de Pékin.</p>
<p>La politique étrangère est, bien sûr, un univers extrêmement complexe et imprévisible. Mais la vision dite « réaliste » de Kissinger ne représente certainement pas la panacée en la matière, y compris pour les États-Unis. Des décennies durant, l’imposition de cette vision dénuée de la moindre considération morale a provoqué de nombreux désastres – une réalité que les responsables américains, ainsi que les simples citoyens, auraient intérêt à garder à l’esprit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218943/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jarrod Hayes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Henry Kissinger a profondément influencé la politique étrangère des États-Unis. Il a notamment soutenu sans états d’âme des dictateurs étrangers, y compris des auteurs de crimes de masse.Jarrod Hayes, Associate Professor of Political Science, UMass LowellLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2158462023-10-25T16:01:45Z2023-10-25T16:01:45ZOù en est la lutte de la population iranienne un an après la mort de Mahsa Amini ?<p>Le 16 septembre 2022, à Téhéran, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/17/en-iran-la-mort-d-une-jeune-femme-arretee-par-la-police-des-m-urs-suscite-des-protestations_6142073_3210.html">Mahsa Jina Amini décède sous les coups de la police des mœurs</a> (<em>gasht-e-ershâd</em>) après avoir été arrêtée pour port incorrect du voile (<em>bad hedjâbi</em>). Elle devient l’étendard d’une vague de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/iran/manifestations/4.html">protestations inédites en République islamique d’Iran</a>.</p>
<p>Ces protestations évoluent rapidement en un véritable processus révolutionnaire à travers lequel, dans plusieurs villes du pays, des femmes s’opposent au <a href="https://theconversation.com/le-controle-du-corps-des-femmes-un-enjeu-fondamental-pour-la-republique-islamique-diran-192157">port obligatoire du voile</a>. Elles sont <a href="https://theconversation.com/iran-quand-la-revolte-des-femmes-accueille-dautres-luttes-192156">rejointes par une grande partie de la population, y compris de nombreux hommes</a>. Les contestataires se battant pour leurs droits, dénoncent le régime et réclament sa fin.</p>
<p>La réponse des autorités, <a href="https://www.lepoint.fr/monde/iran-le-bilan-de-la-repression-monte-a-537-morts-depuis-septembre-04-04-2023-2514924_24.php">sanglante</a> et sans états d’âme, ne se fait pas attendre. Depuis, les arrestations, les morts et les assassinats ne se comptent plus : <a href="https://www.tf1info.fr/international/iran-un-an-apres-la-mort-de-mahsa-amini-les-chiffres-pour-comprendre-la-mobilisation-2269779.html">selon différentes sources</a>, on dénombre plus de 500 morts, dont de nombreux mineurs, et plus de 20 000 arrestations, sans compter les disparus, les « suicidés », les exécutions sous d’autres prétextes, les morts non déclarées et les personnes décédées dans les représailles visant les <a href="https://www.osar.ch/publications/news-et-recits/iran-les-minorites-ethniques-et-religieuses-sont-sous-pression">minorités ethniques et religieuses</a> s’étant jointes au mouvement général.</p>
<p>Aujourd’hui, quand le prix Nobel de la paix a été décerné à la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/prix-nobel/le-prix-nobel-de-la-paix-est-attribue-a-la-militante-iranienne-narges-mohammadi-pour-sa-lutte-contre-l-oppression-des-femmes_6105279.html">militante emprisonnée Nargues Mohammadi</a> pour « sa lutte contre l’oppression des femmes en Iran et son combat pour promouvoir les droits humains et la liberté pour tous », et quand la France célèbre la <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/la-chercheuse-fariba-adelkhah-de-retour-en-france-apres-quatre-annees-de-retention-en-iran-20231018_U4W2LMGZ5VBHPM6A4QTKI6YJFE/">libération de la chercheuse Fariba Adelkhah</a> après des années d’emprisonnement à Téhéran pour avoir notamment travaillé sur les femmes de ce pays où en sont la lutte des Iraniennes – et des Iraniens – et le mouvement connu sous le nom de son principal <a href="https://www.lemonde.fr/un-si-proche-orient/article/2022/10/09/femme-vie-liberte-un-slogan-qui-vient-de-loin_6145039_6116995.html">slogan « Femme, Vie, Liberté »</a> ?</p>
<h2>De la révolte des femmes à une lutte multiforme de tous les Iraniens</h2>
<p>Les Iraniennes ont été les premières à s’insurger, enlevant leur voile, le <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-62981497">brûlant</a> ou <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/18/iran-se-couper-des-meches-de-cheveux-un-geste-symbolique-qui-mobilise-les-rebelles-au-pouvoir-islamiste_6146232_3232.html">se coupant des mèches de cheveux</a>.</p>
<p>Très vite, les militantes prennent conscience que si elles sortent tête nue et contestent, elles peuvent être arrêtées, emprisonnées, torturées, <a href="https://www.bfmtv.com/international/moyen-orient/iran/iran-comment-les-forces-de-securite-utilisent-le-viol-pour-reprimer-les-protestations_AV-202211230375.html">violées</a> et, depuis peu, perdre tous leurs droits, dont ceux de travailler ou de voyager, dans la mesure où leur passeport est confisqué, leur inscription à l’université peut être suspendue ou annulée, et elles risquent de ne plus avoir accès à des services bancaires. Pourtant, rien ne les arrête.</p>
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<p>Aujourd’hui, la lutte et la résistance sont celles des Iraniens dans leur ensemble : femmes et hommes de tous bords et de toutes origines. Des femmes voilées participent aux manifestations. <a href="https://www.lefigaro.fr/international/iran-des-hommes-portent-le-voile-pour-soutenir-les-femmes-contre-la-politique-stricte-du-regime-20230314">Des jeunes hommes portent le voile</a> en signe de soutien et de solidarité avec leurs sœurs. Des <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20221207-manifestations-en-iran-cette-r%C3%A9volution-a-commenc%C3%A9-dans-les-universit%C3%A9s">grèves</a> sont organisées dans tous les secteurs, en particulier dans l’industrie pétrolière et gazière ou dans la métallurgie. Dans les régions où vivent des minorités ethniques, entre autres celles du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/31/en-iran-les-kurdes-premieres-victimes-de-la-repression_6159913_3210.html">Kurdistan</a> et du <a href="https://www.rts.ch/info/monde/13465898-le-sistanbaloutchistan-province-martyre-de-la-repression-iranienne.html">Baloutchistan</a>, ignorées et abandonnées depuis longtemps par le régime, la colère ne faiblit pas.</p>
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<p>Dans ce cadre, les motivations des contestataires ne sont pas identiques : discriminations ethniques et religieuses, <a href="https://www.letemps.ch/monde/je-mets-en-vente-mon-rein-en-iran-une-crise-economique-qui-risque-d-embraser-le-pays">situation économique désastreuse</a>, inflation <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/24/en-iran-de-plus-en-plus-de-menages-ne-peuvent-plus-payer-leur-loyer-en-raison-de-l-inflation-galopante_6183242_3210.html">atteignant les 50 %</a>, salaires insuffisants, <a href="https://www.courrierinternational.com/dessin/dessin-du-jour-en-plein-hiver-l-iran-frappe-par-une-severe-penurie-de-gaz">pénuries de toutes sortes</a> – dont le gaz et le pétrole, dans un pays qui dispose des quatrièmes réserves mondiales de pétrole et des deuxièmes réserves de gaz, un comble… Toutes les catégories sociales se retrouvent dans un même élan contre le régime.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1635359924686561284"}"></div></p>
<h2>De la contestation ouverte à la désobéissance civile</h2>
<p>Après plus d’un an de luttes, face à la répression et probablement en raison de l’épuisement des participants, les manifestations et la résistance ont pris de nouvelles formes. Les grandes processions, en dehors du Baloutchistan et à l’exception de sursauts ponctuels partout dans le pays, ont diminué et l’opposition est devenue plus discrète et, surtout, s’est transformée en désobéissance civile.</p>
<p>En ce qui concerne les femmes, le rôle de certaines figures publiques et surtout des réseaux sociaux, qui relaient les événements dans un contexte de répression et de censure, est devenu central.</p>
<p>Des prisonnières libérées refusent de porter le voile à leur libération. C’est le cas, par exemple, de la journaliste <a href="https://www.20minutes.fr/monde/4049383-20230818-iran-journaliste-publie-nouvelle-photo-voile-sortie-prison">Nazila Maroufian</a> ou de l’actrice <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20221110-iran-au-nom-des-femmes-la-star-de-cin%C3%A9ma-taraneh-alidoosti-%C3%B4te-son-voile">Taraneh Alidousti</a>.</p>
<p>Des femmes scientifiques s’affirment également, comme Zainab Kazempour qui quitte une conférence en jetant son voile à terre, ce qui lui vaut d’être <a href="https://www.bfmtv.com/replay-emissions/le-choix-d-angele/en-iran-une-ingenieure-condamnee-a-74-coups-de-fouet-pour-avoir-jete-son-voile_VN-202309080128.html">condamnée à 74 coups de fouet</a>. Des jeunes filles chantent, dansent et se filment, toujours sans voile.</p>
<p>Des actrices prennent la parole sans voile et publient leurs photos sur les réseaux sociaux. Des sportives invitées à des compétitions à l’étranger se passent du <em>hedjâb</em>. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/19/iran-elnaz-rekabi-la-grimpeuse-disparue-depuis-sa-participation-sans-voile-a-une-competition-reapparait-a-teheran_6146470_3210.html">Elnaz Rekabi</a>, championne d’escalade, grimpe lors de la finale des championnats d’Asie sans voile. La championne d’échecs <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/apres-avoir-joue-sans-voile-la-championne-dechecs-iranienne-sara-khademalsharieh-sest-exilee-en-espagne-20230122_JOPXKFYTE5FONBQPZZU2OUYA5M/">Sara Khademalsharieh</a> apparaît tête nue lors d’un tournoi international. Exilée en Espagne peu après, elle met ses pas dans ceux de <a href="https://www.ouest-france.fr/gaming/jeux-de-societe/a-30-ans-mitra-hejazipour-est-sacree-championne-de-france-dechecs-38f0b714-4580-11ee-a014-fc15152f6424">Mitra Hejazipour</a>, qui avait quitté le pays en 2019 dans des circonstances similaires et vient d’être sacrée championne de France.</p>
<p>Un an après le début des contestations, un grand nombre de femmes continuent à braver le régime et à transgresser l’interdiction de sortir tête nue. Certaines, par prudence, préfèrent se promener en groupe car les altercations et les maltraitances sont plus compliquées que face à une femme seule.</p>
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<p>Les femmes incarcérées multiplient les messages vers l’extérieur. Récemment, <em>Le Monde</em> a publié les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/08/cinq-iraniennes-ecrivent-depuis-leur-prison-nous-sommes-coupables-du-desir-de-vivre_6188463_3232.html">textes écrits et transmis clandestinement</a> par des militantes iraniennes des droits humains dont celui de Nargues Mohammadi (prix Nobel de la paix 2023, voir plus bas).</p>
<p>Enfin, des chanteurs populaires relaient le mécontentement général. <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20230827-iran-le-chanteur-mehdi-yarrahi-poursuivi-pour-avoir-contest%C3%A9-le-voile-obligatoire">Mehdi Yarrahi</a> a soutenu sur Instagram le mouvement « Femme, vie, liberté ». Son morceau « Soroode Zan » (« Hymne de la femme »), était devenu un hymne pour les manifestants, notamment dans les universités, tout comme l’avait été celui de <a href="https://csdhi.org/actualites/repression/39618-le-chanteur-iranien-shervin-hajipour-risque-la-prison-mais-remporte-un-grammy-pour-son-hymne-de-protestation/">Shervin Hajipour</a> « Baraye » (« Pour »). Finalement, la chanson « Enlève ton foulard » de Yarrahi a <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20230827-iran-le-chanteur-mehdi-yarrahi-poursuivi-pour-avoir-contest%C3%A9-le-voile-obligatoire">mené à son arrestation</a>.</p>
<h2>Une répression multiforme</h2>
<p>En parallèle, la répression n’a pas faibli, au contraire. Les tribunaux se sont mis à condamner celles qui transgressent les lois à des peines de type « rééducation morale », à travers des <a href="https://www.lejdd.fr/international/en-iran-les-femmes-refusant-le-voile-sont-condamnees-pour-trouble-mental-et-envoyees-en-psychiatrie-137590">internements psychiatriques</a>, des obligations d’assister à des séances de conseil pour « comportement antisocial » ou des <a href="https://www.smh.com.au/world/middle-east/iranian-women-forced-to-wash-corpses-for-refusing-to-wear-veil-20230809-p5dvar.html">lavages de cadavres à la morgue</a>. Les médias renchérissent en les qualifiant de dépravées sexuelles et de porteuses de « maladies sociales ».</p>
<p>Depuis septembre 2023, la répression s’est dotée d’un nouvel outil juridique : la loi <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/les-histoires-du-monde/histoires-du-monde-du-jeudi-14-septembre-2023-6669871">« <em>hedjâb</em> et chasteté »</a>, qui assimile le fait de se dévoiler à une menace pour la sécurité nationale. Des sanctions financières pour « promotion de la nudité » ou « moquerie du hedjâb » dans les médias et sur les réseaux sociaux sont prévues, ainsi que des privations importantes de droits, voire des peines d’emprisonnement du quatrième degré, soit entre cinq à dix ans.</p>
<p>Cette loi va plus loin encore en condamnant également, entre autres, à des amendes et à des interdictions de quitter le pays les propriétaires d’entreprises dont les employées ne portent pas de voile. Il va sans dire que les athlètes et les artistes et toutes les autres personnalités publiques sont visés par des interdictions de participer à des activités professionnelles et, souvent, à des amendes voire à des <a href="https://women.ncr-iran.org/fr/2022/12/22/flagellationflagellation/">flagellations</a>. Au-delà, les retombées des transgressions touchent toute la société. Ainsi, à Machhad, un grand parc aquatique, a été fermé <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/04/en-iran-un-parc-aquatique-ferme-pour-avoir-permis-a-des-femmes-d-entrer-sans-voile_6187777_3210.html">pour avoir laissé entrer des femmes dévoilées</a>.</p>
<p>Dans la répression généralisée, le <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/iran-des-cameras-intelligentes-pour-sanctionner-les-femmes-non-voilees-20230408">recours à l’intelligence artificielle</a> est devenu un nouvel instrument aux mains du régime. Des millions de femmes sont ainsi photographiées, puis identifiées, menacées voire arrêtées.</p>
<p>Enfin, les plus jeunes, dans les écoles et les lycées de filles – tous les établissements éducatifs sont non mixtes –, ont été nombreuses à être touchées par des <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/vague-dintoxications-dans-les-ecoles-en-iran-qui-veut-nuire-leducation-des-filles">attaques chimiques</a> visant à <a href="https://www.ei-ie.org/fr/item/27836:iran-les-attaques-chimiques-a-repetition-menees-contre-les-ecoles-mettent-en-evidence-la-violence-fondee-sur-le-genre-et-les-obstacles-a-leducation-des-filles">semer la terreur</a> et, probablement, à les dissuader de rejoindre le mouvement de contestation, même si le régime évoque vaguement « certains individus voulant fermer les écoles de filles ».</p>
<h2>L’octroi du prix Nobel de la paix à Nargues Mohammadi</h2>
<p>Le 15 septembre 2023, vingt ans après <a href="https://www.lejdd.fr/International/Shirin-Ebadi-une-vie-de-combat-813184-3150128">Shirin Ebadi</a>, Nargues Mohammadi <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/la-militante-iranienne-narges-mohammadi-fiere-de-ses-codetenues-2667765">s’est vu décerner le prix Nobel de la paix</a> pour sa lutte contre l’oppression des femmes – et pas seulement des femmes – en Iran. La lauréate se trouve derrière les barreaux, où <a href="https://actualitte.com/article/112922/international/en-iran-pres-de-11-ans-de-prison-pour-l-autrice-narges-mohammadi">elle purge une peine d’onze ans de prison</a>. Il y a peu de chances qu’au-delà de la signification symbolique, cette récompense puisse avoir des répercussions sur sa situation ou sur celle des Iraniennes en général. Téhéran a aussitôt réagi en qualifiant ce choix de <a href="https://edition.cnn.com/2023/10/06/world/nobel-peace-prize-winner-2023-intl/index.html">« politique et partial »</a> et d’acte interventionniste impliquant certains gouvernements européens. Il en est de même du <a href="https://www.letemps.ch/societe/egalite/le-prix-sakharov-recompense-mahsa-amini-et-le-mouvement-des-femmes-en-iran">prix Sakharov accordé le 19 octobre à Mahsa Amini et au mouvement « Femme vie liberté »</a>.</p>
<p>Un an après la révolte des Iraniennes et des Iraniens, aucune amélioration n’est visible. Au contraire, le gouvernement fait fi des critiques internationales et consolide ses liens à l’international, notamment <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/05/la-russie-livre-des-avions-a-l-armee-de-l-air-iranienne_6187893_3210.html">avec la Russie</a>, mais aussi <a href="https://theconversation.com/iran-arabie-saoudite-un-compromis-diplomatique-sous-legide-de-pekin-201828">avec l’Arabie saoudite</a>.</p>
<p>Enfin, dernièrement, les massacres perpétrés en Israël par le Hamas et dans la préparation desquels l’Iran est <a href="https://www.lopinion.fr/international/comment-liran-a-aide-le-hamas-a-attaquer-israel">largement soupçonné d’avoir été impliqué</a>, tout comme les bombardements de Gaza qui se sont ensuivis ont fait passer la situation intérieure en Iran, le prix Nobel de la paix et la question des femmes au second plan de l’attention de la communauté internationale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215846/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Firouzeh Nahavandi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De très nombreuses Iraniennes, et de très nombreux Iraniens, continuent de défier le régime, malgré une répression impitoyable.Firouzeh Nahavandi, Professeure émérite, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2155672023-10-12T17:26:59Z2023-10-12T17:26:59ZFaut-il se réjouir du « Nobel » d’économie attribué à Claudia Goldin ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/553529/original/file-20231012-22-4qedpe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C381%2C2123%2C1114&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Claudia Goldin a apporté des thèmes nouveaux à la science, mais avec des méthodes plutôt standard.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Claudia_Goldin#/media/Fichier:Claudia_Goldin_(cropped).jpg">Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le prix de la Banque Centrale de Suède, communément appelé <a href="https://theconversation.com/topics/prix-nobel-20616">« prix Nobel »</a> d’économie, vient tout récemment d’être attribué à Claudia Goldin pour avoir mis en lumière les <a href="https://www.kva.se/en/news/the-prize-in-economic-sciences-2023/">« principaux facteurs de différences entre les hommes et les femmes sur le marché du travail »</a>.</p>
<p>L’économie, en tant que discipline, est connue pour son sexisme, à la fois dans son organisation interne et dans sa manière de comprendre et d’influencer le monde. Le métier d’économiste reste à <a href="https://women-in-economics.com/index/">dominance masculine</a> et le champ scientifique <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100423030">invisibilise</a> les contributions des économistes femmes, pourtant <a href="https://www.jstor.org/stable/2117818">nombreuses</a> depuis les travaux fondateurs. Après Elinor Ostrom en 2009 et Esther Duflo en 2019, Claudia Goldin n’est que la troisième femme à remporter cette prestigieuse récompense, sur 93 lauréats depuis la création du prix en 1968.</p>
<p>Primer des travaux focalisés exclusivement sur les <a href="https://theconversation.com/topics/inegalites-hommes-femmes-136794">inégalités de genre</a> est par ailleurs inédit dans l’histoire de ce prix. De ce point de vue, le prix semble donc plutôt une bonne nouvelle. Les <a href="https://theconversation.com/topics/science-economique-33724">méthodes</a> sur lesquels ils reposent invitent néanmoins à nuancer l’idée.</p>
<h2>Courbe en U et travail cupide</h2>
<p>À 77 ans, Claudia Goldin est toujours professeure au prestigieux département d’économie de l’Université d’Harvard, où elle est d’ailleurs la première femme à avoir été titularisée, en 1989. Elle a pour particularité de combiner une approche néoclassique de l’économie et une perspective historique. Rendre justice à une œuvre prolifique qui s’étend sur près de cinq décennies est évidemment vain. Donnons simplement un aperçu de deux résultats saillants.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1711800007601652192"}"></div></p>
<p>Le premier consiste à avoir modélisé la <a href="https://www.nber.org/papers/w4707https://www.nber.org/papers/w4707">« courbe en U »</a> de l’emploi féminin en fonction des degrés de « développement » des pays et à proposer une interprétation. Cette courbe montre que l’emploi féminin est élevé dans les économies de subsistance ; il décline lorsque les économies commencent à se monétariser et se marchandiser mais n’offrent que des emplois manuels, fortement stigmatisés pour les femmes ; puis il remonte lorsque les femmes ont accès à des emplois « à col blanc », plus respectables.</p>
<p>La transformation des normes familiales et l’accès à la pilule contraceptive amorcent une autre étape. Les jeunes femmes puis les futures mères peuvent désormais planifier leur avenir, et donc s’engager dans des études puis des métiers, perçus désormais comme de véritables carrières professionnelles et non comme un simple adjuvant au revenu familial. Exhumant de nombreuses archives, compilant diverses bases de données, Claudia Goldin retrace cette évolution pour les États-Unis mais aussi dans d’autres contextes, y compris postcoloniaux, suggérant l’universalité de cette courbe en U et de son interprétation.</p>
<p>Le second résultat, plus récent, porte sur la notion de « travail cupide » (<a href="https://www.nber.org/reporter/2020number3/journey-across-century-women"><em>greedy work</em></a> en anglais). Elle s’interroge ici non plus sur les taux d’emploi des femmes mais sur la persistance des inégalités de salaire au sein d’un même métier. À l’issue de travaux économétriques sophistiqués visant à isoler différents facteurs explicatifs, elle conclut que les inégalités relèvent moins de discrimination que de ce « travail cupide », qui consiste à exiger des travailleurs une grande flexibilité horaire, laquelle pénalise les femmes du fait de leurs responsabilités domestiques.</p>
<p>Les emplois les plus exigeants en termes de longues heures de travail et les moins flexibles sont rémunérés de manière disproportionnée, tandis que les revenus des autres emplois stagnent. C’est ainsi qu’elle explique la persistance de fortes inégalités de salaires femme-homme, notamment dans les métiers hautement diplômés.</p>
<h2>Thèmes nouveaux, méthode <em>mainstream</em> ?</h2>
<p>Loin de se cantonner à ses écrits et enseignements académiques, Claudia Goldin s’engage sur de multiples fronts, y compris pour l’égalité dans sa propre profession. D’abord en faisant office de modèle, puisqu’elle reconnaît <a href="https://freakonomics.com/podcast/the-true-story-of-the-gender-pay-gap/">gagner davantage que son mari</a> Lawrence Katz, lui-même économiste et avec qui elle a régulièrement collaboré (tout en soulignant avoir davantage d’ancienneté). Ensuite en promouvant des <a href="https://scholar.harvard.edu/goldin/UWE#:%7E:text=The%20Undergraduate%20Women%20in%20Economics,aimed%20at%20fulfilling%20this%20goal">programmes spéciaux</a> incitant les jeunes femmes à étudier l’économie.</p>
<p>Les travaux de Claudia Goldin ont eu l’immense mérite d’attirer l’attention de la discipline sur des thématiques longtemps impensées. Ils sont toutefois circonscrits à une méthode et une conception du travail et de l’économie qui limitent nécessairement leur portée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1712434997091578147"}"></div></p>
<p>Claudia Goldin reste fidèle à une approche néoclassique des phénomènes économiques, considérant l’emploi comme un choix et un calcul économique rationnel individuel, influencé par une série de contraintes, d’incitations ou de chocs externes, dont l’origine ne mérite pas d’être questionnée. Elle appuie ses démonstrations sur des analyses économétriques visant à isoler les effets de différents facteurs, dont les non observables et/ou incommensurables sont écartés. Raisonner « toute chose égale par ailleurs » occulte l’entremêlement inextricable de certains facteurs.</p>
<p>La courbe en U, à portée prétendument universelle, s’applique certainement à plusieurs régions du monde et certains groupes sociaux, beaucoup moins à d’autres. Citons le <a href="https://blog.courrierinternational.com/bombay-darling/2021/05/24/en-inde-les-femmes-travaillent-de-moins-en-moins/">cas de l’Inde</a>, où l’emploi des femmes ne cesse de décliner dans une économie pourtant florissante.</p>
<p>Outre le fait de rendre justice à des trajectoires hétérogènes, reconnaître et explorer cette diversité visent surtout à complexifier l’analyse des <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/135457097338799">structures de hiérarchie sociale</a> et de la manière dont les inégalités de genre s’articulent avec d’autres rapports de pouvoir, afin de mieux penser leur dépassement. Même au sein des contextes occidentaux, il existe une diversité de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/095892879200200301">régimes de genre</a>, avec des modalités très inégales dans la manière dont État, marché, famille et milieu associatif se partagent les responsabilités. Entrent en jeu ici les droits sociaux, les questions fiscales, les réglementations relatives aux temps et horaires de travail ou encore les normes de masculinité, féminité et parentalité.</p>
<p>Plus encore, l’arbitrage emploi/soin aux enfants se révèle être un processus <a href="https://www.librairie-des-femmes.fr/livre/9782721004680-de-la-difference-des-sexes-en-economie-politique-nancy-folbre/">complexe et ambivalent</a> où s’entremêlent des aspirations, des obligations et des contraintes multiples, mais aussi des sentiments et des affects, extraordinairement variables selon les lieux, les contextes et les groupes sociaux.</p>
<h2>« Membres productifs de l’économie »</h2>
<p>Dans son ouvrage de vulgarisation sur l’idée de « greedy work », paru en 2021, en contexte post-pandémique, Claudia Goldin plaide par ailleurs pour des mesures de soutien aux parents et aux prestataires de soin afin de leur permettre, suggère-t-elle, d’être de <a href="https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691201788/career-and-family">« meilleurs membres productifs de l’économie »</a>. Comme l’ont cependant montré de nombreuses recherches, y compris en économie, cette course à la productivité est précisément <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/E/bo28638720.html">l’épicentre des inégalités comme de l’insoutenabilité</a> de nos systèmes économiques, puisque la productivité des uns se nourrit de la prétendue non-productivité des autres.</p>
<p>On n’insistera jamais assez sur l’immense responsabilité du savoir économique dominant dans la fabrique d’un monde profondément <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/030981689706200111">inégalitaire et insoutenable</a>, les deux allant de pair. En cantonnant l’économie (comme réalité) et la richesse à la production de biens et services échangeables sur un marché, le savoir économique dominant a entériné et justifié scientifiquement la <a href="https://www.bloomsbury.com/us/patriarchy-and-accumulation-on-a-world-scale-9781350348189/">dévalorisation d’activités, de personnes et de régions du monde</a>, supposées improductives et sans valeur.</p>
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<p>Il en va ainsi des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/quotidien_politique-9782348069666">activités de soin et de subsistance</a>, principalement assumées par des femmes. C’est bien cette dévalorisation qui explique la persistance du <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2006-1-page-27.htm">« salaire féminin d’appoint »</a> : les femmes seraient par essence dépendantes de leur époux et leurs besoins seraient donc moindres. En France, c’est bien cette dévalorisation qui explique une partie du <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/un_quart_en_moins-9782707179104">« quart en moins »</a>, référence au 25 % de décalage entre les revenus moyens des femmes et des hommes.</p>
<p>C’est bien cette dévalorisation qui explique la persistance de secteurs entiers féminisés, sous-payés, et souvent racisés. Majoritairement dédiés aux soins ou à l’éducation, ces secteurs d’activité sont pourtant déterminants pour la survie et le bien-être de nos sociétés. Cette hiérarchisation des activités et des revenus féminins et masculins est gravée dans les normes sociales et les croyances, des hommes comme des femmes, mais aussi dans la réglementation, le droit et son interprétation, notamment le <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_genre_du_capital-9782348044380">droit du travail</a> ou le <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_genre_du_capital-9782348044380">droit sur les successions</a>.</p>
<p>En somme, si l’on peut se réjouir de cette nomination, gardons la tête froide : sa capacité à infléchir les modes dominants de pensée et d’action vers plus d’égalité et de soutenabilité semble, hélas, limitée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215567/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Guérin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La néo-nobélisée a été pionnière en économie pour l’étude des inégalités entre hommes et femmes. Néanmoins, et paradoxalement peut-être, à partir de méthodes qui en sont aussi pour partie à l’origine.Isabelle Guérin, Directrice de recherche à l'IRD-Cessma (Université de Paris), affiliée à l’Institut Français de Pondichéry, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2153762023-10-11T17:24:49Z2023-10-11T17:24:49Z« Nobel » d’économie : Claudia Goldin et l’émancipation des femmes américaines<p>La <a href="https://theconversation.com/taux-demploi-des-femmes-une-stagnation-apres-plusieurs-decennies-de-forte-progression-203263">participation des femmes au marché du travail</a> est l’un des faits économiques et sociaux les plus marquants du XX<sup>e</sup> siècle pour les sociétés riches et démocratiques. Il aura pourtant fallu attendre 2023 pour que le <a href="https://theconversation.com/topics/prix-nobel-20616">comité Nobel</a> récompense les travaux d’une économiste qui, toute sa carrière durant, a cherché à documenter et quantifier cette dynamique : Claudia Goldin.</p>
<p>Selon la lauréate, le comportement d’activité des femmes a été le moteur de l’<a href="https://theconversation.com/topics/marche-du-travail-63182">économie du travail</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il n’est pas exagéré de dire que les femmes ont donné naissance à l’économie du travail moderne, en particulier celle portant sur l’offre de travail. Les économistes ont besoin de variance pour analyser les changements de comportement, et les femmes en sont de grandes pourvoyeuses. »</p>
</blockquote>
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<p>Le parcours académique de Claudia Goldin, première femme titularisée au département d’économie de Harvard (en 1990), est marqué par son acharnement à chercher et formater des données pour produire des analyses inédites. Elle s’appuie sur des approches historiques, générationnelles pour comprendre les tendances de fond, des approches sectorielles fondées sur des études de cas pour mettre au jour les mécanismes de réduction des inégalités entre les sexes. De la révolution tranquille des femmes américaines au pouvoir libérateur de la pilule contraceptive, en passant par le recrutement par audition à l’aveugle dans les orchestres, Goldin est là où on ne l’attend pas, là où les données sont rares ou insuffisamment exploitées. L’ensemble de ses travaux statistiques nous conte le récit de l’émancipation économique des femmes étatsuniennes.</p>
<h2>L’analyse d’une lame de fond</h2>
<p>Au début du XX<sup>e</sup> siècle, aux États-Unis la pratique voulait qu’un employeur licencie une employée qui venait de se marier et n’embauche pas de femmes mariées. On appelait cela le « marriage bar ». Goldin analyse ce processus dans un <a href="https://www.nber.org/papers/w2747">article pionnier</a> publié en 1988 dans la revue <em>Economic History</em>. Elle y montre comment cette pratique, renforcée par la grande récession des années 1930, a disparu après la Seconde Guerre mondiale.</p>
<p>Elle s’est ensuite intéressée au <a href="https://scholar.harvard.edu/files/goldin/files/the_quiet_revolution_that_transformed_womens_employment_education_and_family.pdf">processus irréversible</a> qui s’est mis en place au cours du XX<sup>e</sup> siècle : d’une génération à l’autre, les femmes investissent la sphère publique. Si les générations de femmes nées au début du siècle travaillaient pour gagner un salaire d’appoint pour la famille, celles nées dans les années 1950 envisagent d’embrasser une carrière. Ce mouvement est rendu possible par le recul de l’âge au mariage, à la maternité et du nombre d’enfants. Ce bouleversement identitaire, cette <em>quiet revolution</em>, n’a pas concerné que les femmes très éduquées selon Goldin, même si son analyse statistique se concentre sur l’Amérique blanche et plutôt aisée.</p>
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<p>Cette lame de fond qu’a été l’émancipation économique des femmes durant le XX<sup>e</sup> siècle aux États-Unis a été confortée par l’accès à la contraception orale dans les années 1970. En 2006, Goldin et son confrère Lawrence Katz, également professeur à Harvard, mesurent le <a href="https://dash.harvard.edu/bitstream/handle/1/2624453/Goldin_PowerPill.pdf">pouvoir émancipateur de la pilule contraceptive</a> : en permettant aux femmes de choisir le timing d’une grossesse, la pilule a été un levier de l’accès des femmes à l’éducation supérieure et au marché du travail, leur ouvrant la voie de l’émancipation économique.</p>
<p>Plus récemment, dans un <a href="https://pubs.aeaweb.org/doi/pdfplus/10.1257/jep.31.1.161">article</a> co-écrit en 2017 avec Joshua Mitchell, spécialiste de théorie politique à l’université de Georgetown, elle analyse les variations subtiles des taux de participation des femmes sur le cycle de vie selon les générations en croisant effet année et niveau d’éducation. Alors que dans les années 2000, certains interprétaient la légère baisse du taux de participation des femmes d’âge intermédiaire par un mouvement de retour au foyer, elle montre que cela est principalement dû à un effet de cohorte d’une génération de femmes qui a décalé l’âge au premier enfant.</p>
<h2>Les femmes et les discriminations à l’embauche</h2>
<p>On ne peut enfin parler des travaux de Claudia Goldin sans mentionner <a href="https://pubs.aeaweb.org/doi/pdfplus/10.1257/aer.90.4.715">« Orchestrating impartiality »</a>, papier co-écrit avec Cécilia Rouse et publié dans la prestigieuse American Economic Review en 2000. Les deux économistes y montrent l’effet des recrutements à l’aveugle sur le profil des personnes embauchées dans les orchestres symphoniques aux États-Unis.</p>
<p>Quoi de plus génial que de prendre le secteur de l’interprétation musicale pour pointer les processus discriminatoires ? Dans cette profession, il est possible, a priori, d’évaluer la qualité de la performance du candidat sans le voir, simplement en l’écoutant jouer son instrument. Il est donc tout à fait envisageable de recruter une personne sans jamais la voir. La structure de l’emploi d’un orchestre symphonique, de plus, est stable ce qui facilite la mesure statistique de l’effet de l’usage des auditions à l’aveugle. Or, à partir des années 1970, les orchestres symphoniques aux États-Unis ont progressivement généralisé les auditions derrière paravent sur l’ensemble du processus de recrutement de leurs musiciens.</p>
<p>Les autrices montrent que cela a permis à de nombreuses musiciennes d’intégrer ces orchestres prestigieux. Cette pratique de recrutement expliquerait un quart de la féminisation des formations musicales aux États-Unis durant les années 1970 et 80. Ce travail a inspiré une recherche similaire sur la France.</p>
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<p>Dans un premier projet, nous avions analysé <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf-articles/actu/Rapport-ARDIS.pdf">l’effet de l’usage d’un paravent</a> durant les recrutements au sein d’orchestres franciliens. Celui-ci n’intervient pas à tous les tours de sélection car, selon un avis majoritaire de la profession, il masque une dimension d’appréciation pourtant importante du métier : la présence scénique des candidats. Notre objectif était de comprendre pourquoi peu de femmes sont recrutées in fine (18 % de femmes sur notre période d’observation) par rapport au vivier initial de candidates (41 % du total). Cependant, les données collectées qui portaient sur seulement 40 concours, ne permettaient pas de pousser l’analyse statistique.</p>
<p>Dans un nouveau projet financé par l’ANR, le <a href="https://anr.fr/Projet-ANR-17-CE41-0010">« Projet de Recherche sur les Orchestres, les Discriminations et le Genre »</a> (PRODIGE) avec une équipe pluridisciplinaire composée d’économistes, de musicologues et de sociologues (Audrey Étienne, Reguina Hatzipetrou-Andronikou, Maxime Parodi, Hyacinthe Ravet et Hélène Périvier), nous avons élargi la base de données à plus 340 concours grâce à une collaboration avec 13 orchestres partenaires situés dans toute la France. Nos résultats prometteurs montrent que les biais cognitifs sont fortement corrélés à l’instrument : sans paravent le jury choisira plus souvent un musicien (une musicienne) si l’instrument est majoritairement joué par des hommes (des femmes). Le paravent corrige ces biais genrés. Les résultats détaillés sont à paraître.</p>
<p>À la suite de sa nomination, Claudia Goldin a déclaré à l’Agence France-Presse :</p>
<blockquote>
<p>« C’est un prix très important, pas seulement pour moi, mais pour beaucoup de personnes qui travaillent sur ce thème. »</p>
</blockquote>
<p>Qu’elle en soit remerciée. Celles, et les quelques-uns, qui produisent des connaissances sur ce thème sont nombreuses et depuis longtemps. Pensons aux travaux pionniers des économistes féministes comme Nancy Folbre, Julie Nelson, Marianne Ferber, ou encore Bina Agarwal qui, avec d’autres perspectives théoriques et d’autres outils, ont, elles aussi, contribué à mettre au jour les inégalités femmes/hommes et les discriminations.</p>
<hr>
<p><em>Le projet <a href="https://anr.fr/Projet-ANR-17-CE41-0010">PRODIGE</a> est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215376/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hélène Périvier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le jury du « Nobel » d’Économie récompense cette année Claudia Goldin qui, toute sa carrière durant, a documenté les facteurs de participation des femmes au marché du travail.Hélène Périvier, Economiste à l'OFCE, directrice du programme PRESAGE, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2150882023-10-05T17:49:31Z2023-10-05T17:49:31ZNobel de chimie : les boîtes quantiques témoignent de notre capacité à bâtir la matière à l’échelle atomique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/552296/original/file-20231004-19-i1snbm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=143%2C24%2C3655%2C2727&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les boîtes quantiques fluorescent de plaisir à l'annonce du prix Nobel de chimie 2023.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/laboratory-flasks-are-used-for-explanation-during-the-news-photo/1705001725">Jonathan Nackstrand/AFP via Getty Images</a></span></figcaption></figure><p>Le prix Nobel de chimie 2023 <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/chemistry/2007/summary/">n’est pas le</a> <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/physics/1986/summary/">premier Nobel</a> <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/chemistry/2010/summary/">décerné pour</a> la <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/chemistry/2016/summary/">recherche en</a> <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/chemistry/1996/summary/">nanotechnologies</a>. Mais c’est sans doute leur application la plus colorée, qui est célébrée cette année.</p>
<p>Le prix récompense <a href="https://scholar.google.com/citations?user=8086TkwAAAAJ&hl=en">Moungi Bawendi</a>, <a href="https://scholar.google.com/citations?user=GT0oh5QAAAAJ&hl=en">Louis Brus</a> et <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/chemistry/2023/ekimov/facts">Alexei Ekimov</a> pour la <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/chemistry/2023/press-release/">découverte et le développement de boîtes quantiques</a> – souvent appelées « quantum dots ». Depuis de nombreuses années, ces <a href="https://doi.org/10.1021/acsanm.0c01386">particules construites avec précision et de taille nanométrique</a> – leur diamètre ne dépasse pas quelques centaines de millièmes de la largeur d’un cheveu humain – sont mises en avant dans toutes les présentations sur les nanotechnologies. En tant que <a href="https://scholar.google.com/citations?user=b8NhWc4AAAAJ&hl=en">chercheur</a> et <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Andrew_D._Maynard">conseiller scientifique sur les nanotechnologies</a>, j’<a href="https://2020science.org/wp-content/uploads/2009/01/maynard-ucla-090417-handouts.pdf">utilise ces images régulièrement</a> lors de discussions avec des développeurs technologiques, des décideurs politiques, des militants, entre autres, sur les promesses et les dangers des nanotechnologies.</p>
<p>Les nanotechnologies sont antérieures aux travaux de Bawendi, Brus et Ekimov sur les points quantiques : le <a href="http://calteches.library.caltech.edu/1976/">physicien Richard Feynman a spéculé sur ce qui pourrait être possible grâce à l’ingénierie à l’échelle nanométrique dès 1959</a>, et des ingénieurs comme <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/42881/engines-of-creation-by-k-eric-drexler/">Erik Drexler ont spéculé sur les possibilités de fabrication à l’échelle atomique dans les années 1980</a>. Mais le trio de lauréats du prix Nobel de cette année a fait partie des premiers <a href="https://andrewmaynard.substack.com/p/living-in-a-material-world">à mettre en pratique les percées réalisées en science des matériaux</a>, et à réaliser la première vague de nanotechnologies modernes.</p>
<p>Les points quantiques sont fortement <a href="https://www.britannica.com/science/fluorescence">fluorescents</a> : ils absorbent de la lumière d’une couleur particulière, et réémettent cette énergie presque instantanément… dans une autre couleur. Un flacon de boîtes quantiques, lorsqu’il est éclairé par une lumière blanche (à large spectre), brille d’une seule couleur vive. Mais ce qui les rend vraiment spéciaux, c’est que cette couleur est déterminée par leur taille : s’ils sont petits, la fluorescence est d’un bleu intense ; plus grands, mais toujours à l’échelle nanométrique, leur couleur vire au rouge.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/552172/original/file-20231004-26-sy0ozo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="diagramme de cercles colorés de différentes tailles" src="https://images.theconversation.com/files/552172/original/file-20231004-26-sy0ozo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552172/original/file-20231004-26-sy0ozo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=186&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552172/original/file-20231004-26-sy0ozo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=186&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552172/original/file-20231004-26-sy0ozo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=186&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552172/original/file-20231004-26-sy0ozo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=234&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552172/original/file-20231004-26-sy0ozo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=234&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552172/original/file-20231004-26-sy0ozo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=234&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La longueur d’onde de la lumière émise par une boîte quantique dépend de sa taille.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://doi.org/10.3389/fnins.2015.00480">Maysinger, Ji, Hutter, Cooper</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette propriété donne des images saisissantes de rangées de flacons contenant des points quantiques de différentes tailles, allant d’un bleu vif à une extrémité à un rouge vibrant à l’autre, en passant par des verts et des oranges. Cette démonstration des possibilités des nanotechnologies est tellement accrocheuse qu’au début des années 2000, les boîtes quantiques sont devenues l’emblème de l’étrangeté et de la nouveauté des nanotechnologies.</p>
<p>Mais, bien sûr, les boîtes quantiques ont d’autres attraits. Elles sont le siège d’interactions uniques entre la matière et la lumière – des interactions que l’on peut contrôler et exploiter en modifiant l’architecture de ces nano-objets – en jouant sur leur taille, leur forme, ou leur structure par exemple – plutôt qu’en modulant les liaisons chimiques entre les atomes ou molécules, comme en chimie classique. La distinction est importante et se trouve au cœur des nanotechnologies modernes.</p>
<h2>Oublier un peu les liaisons chimiques pour s’appuyer sur la physique quantique</h2>
<p>Les longueurs d’onde de la lumière qu’un matériau absorbe, reflète ou émet sont généralement déterminées par les liaisons chimiques qui lient les atomes qui le constituent. En <a href="https://www.sciencedirect.com/topics/engineering/synthetic-dye">jouant sur la chimie d’un matériau</a>, on peut moduler ces liaisons chimiques et obtenir les couleurs souhaitées. Par exemple, certains des premiers colorants ont été dérivés d’une <a href="https://thedreamstress.com/2013/09/terminology-what-are-aniline-dyes-or-the-history-of-mauve-and-mauveine/">substance transparente, comme l’aniline</a>, transformée par des réactions chimiques pour obtenir la teinte souhaitée.</p>
<p>C’est un moyen efficace de travailler avec la lumière et la couleur, mais cela conduit aussi à des produits qui <a href="https://www.sciencemuseum.org.uk/objects-and-stories/chemistry/colourful-chemistry-artificial-dyes">s’estompent avec le temps car ces liaisons se dégradent</a>. Cette stratégie implique aussi souvent l’utilisation de produits chimiques qui sont <a href="https://doi.org/10.1016/B978-0-12-822850-0.00013-2">nocifs pour l’homme et l’environnement</a>.</p>
<p>Les boîtes quantiques fonctionnent différemment. Plutôt que de dépendre de liaisons chimiques pour déterminer les longueurs d’onde de la lumière qu’ils absorbent et émettent, ils s’appuient sur de minuscules agrégats d’atomes semi-conducteurs. C’est la <a href="https://www.britishcouncil.org/voices-magazine/what-quantum-dot">physique quantique de ces amas d’atomes</a> qui détermine les longueurs d’onde de la lumière émise, en fonction de la taille de l’agrégat.</p>
<p>Pouvoir ajuster le comportement d’un matériau en modifiant seulement sa taille change vraiment la donne. En ce qui concerne l’intensité et la qualité de la lumière émise, plus facilement ajustable, mais aussi pour la résistance au blanchiment ou à la décoloration, pour dégager des moyens de les adapter à de nouvelles applications et – s’ils sont conçus intelligemment – pour gérer leur potentielle toxicité.</p>
<p>Bien entendu, peu de matériaux sont totalement non toxiques, et les boîtes quantiques ne font pas exception à la règle. Les premières boîtes quantiques étaient souvent basées sur le séléniure de cadmium, par exemple, dont les composants sont toxiques. Cependant, la <a href="https://theconversation.com/are-quantum-dot-tvs-and-their-toxic-ingredients-actually-better-for-the-environment-35953">toxicité potentielle des points quantiques doit être contrebalancée</a> par les probabilités de rejet dans l’environnement et d’exposition des êtres vivants, et comparée avec la toxicité des matériaux alternatifs.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/552185/original/file-20231004-21-o7term.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="des gesn marchent devant des écrans colorés lors d’un salon" src="https://images.theconversation.com/files/552185/original/file-20231004-21-o7term.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552185/original/file-20231004-21-o7term.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552185/original/file-20231004-21-o7term.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552185/original/file-20231004-21-o7term.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552185/original/file-20231004-21-o7term.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552185/original/file-20231004-21-o7term.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552185/original/file-20231004-21-o7term.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les boîtes quantiques, ou quantum dots (QD), font partie de certains objets technologiques, comme les télévisions.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/trade-visitors-walk-past-televisions-with-quantum-dots-news-photo/1040134228">Soeren Stache/picture alliance via Getty Images</a></span>
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<p>Depuis ses débuts, la technologie des boîtes quantiques a beaucoup évolué en termes de sécurité et d’utilité. Elle a trouvé sa place dans un nombre croissant de produits, des <a href="https://www.wired.com/2015/01/primer-quantum-dot/">écrans</a> et <a href="https://doi.org/10.1021/acs.chemrev.2c00695">éclairages</a> aux <a href="https://doi.org/10.1016/B978-0-323-88431-0.00025-9">capteurs</a>, <a href="https://doi.org/10.2147/IJN.S357980">applications biomédicales</a>, entre autres. Au fil du temps, leur caractère novateur s’est peut-être estompé. Il peut être difficile de se rappeler à quel point la technologie utilisée dans la <a href="https://www.cnet.com/tech/home-entertainment/this-top-secret-prototype-display-will-blow-your-mind/">dernière génération de téléviseurs tape-à-l’œil</a>, par exemple, est novatrice.</p>
<p>Pourtant, les points quantiques constituent un élément essentiel d’une transition technologique qui révolutionne la façon dont les gens travaillent avec les atomes et les molécules.</p>
<h2>Le « codage de base » au niveau atomique</h2>
<p>Dans mon livre <a href="https://andrewmaynard.net/films-from-the-future/"><em>Films from the Future : The Technology and Morality of Sci-Fi Movies</em></a>, je parle du concept de <a href="https://andrewmaynard.substack.com/p/how-our-mastery-of-biological-physical-and-cyber-base-code-is-transforming-how-we-think-about-b2eae9d589d0">« codage de base »</a>. L’idée est simple : si on peut manipuler le code le plus élémentaire qui définit le monde dans lequel nous vivons, on peut envisager de le redessiner et de le remanier.</p>
<p>Ce concept est intuitif dans le domaine de l’informatique, où les programmeurs utilisent des 0 et des 1 comme « code de base » (à travers des langages de plus haut niveau). Il est également transparent en biologie, où les scientifiques deviennent de plus en plus habiles à lire et à écrire le code de base de l’ADN et de l’ARN en utilisant les bases chimiques adénine, guanine, cytosine et thymine, comme caractères de codage.</p>
<p>Cette capacité à travailler avec des codes de base s’étend également au monde matériel. Dans ce cas, le code est constitué d’atomes et de molécules : la manière dont ils sont agencés donne naissance à leurs propriétés.</p>
<p>Les travaux de Bawendi, Brus et Ekimov sur les boîtes quantiques sont un parfait exemple de cette forme de codage de base dans le monde matériel. En agençant avec précision des atomes bien choisis pour former des agrégats sphériques (les « <em>dots</em> »), ils ont dévoilé et exploité des propriétés quantiques autrement inaccessibles. Leurs travaux démontrent la puissance du « codage de base »… directement avec des atomes.</p>
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<img alt="alt" src="https://images.theconversation.com/files/552183/original/file-20231004-25-wr0i0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552183/original/file-20231004-25-wr0i0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552183/original/file-20231004-25-wr0i0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552183/original/file-20231004-25-wr0i0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552183/original/file-20231004-25-wr0i0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=646&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552183/original/file-20231004-25-wr0i0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=646&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552183/original/file-20231004-25-wr0i0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=646&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un exemple de « codage de base » utilisant des atomes pour créer un matériau aux propriétés nouvelles est une « nanocar » à molécule unique fabriquée par des chimistes qui peut être contrôlée lorsqu’elle « roule » sur une surface.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://news.rice.edu/news/2020/rice-rolls-out-next-gen-nanocars">Alexis van Venrooy/Rice University</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ainsi, ces chercheurs ont ouvert la voie à un codage de base à l’échelle nanométrique de plus en plus sophistiqué, qui débouche aujourd’hui sur des produits et des applications qui n’auraient pas été possibles sans eux. Ils ont également inspiré une <a href="https://www.nature.com/articles/d41586-022-02146-4">révolution nanotechnologique</a> qui se poursuit encore aujourd’hui. La réorganisation du monde matériel par ces moyens novateurs dépasse de loin ce qui peut être réalisé par des technologies plus conventionnelles.</p>
<p>Cette possibilité a été évoquée dans le rapport de 1999 du Conseil national des sciences et technologies des États-Unis (le <em>U.S. National Science and Technology Council</em>), intitulé <a href="https://trid.trb.org/view/636880">Nanotechnology : Shaping the World Atom by Atom</a>. Bien que ce rapport ne mentionne pas explicitement les boîtes quantiques – une omission dont je suis sûr que les auteurs se mordent les doigts aujourd’hui, il montre à quel point la capacité de concevoir des matériaux à l’échelle atomique pourrait être transformatrice.</p>
<p>Ce façonnage du monde à l’échelle atomique est ce à quoi Bawendi, Brus et Ekimov aspiraient dans leurs travaux novateurs. Ils ont été parmi les premiers « codeurs de base » de matériaux, en utilisant une ingénierie atomique précise pour exploiter la physique quantique des petits agrégats atomiques – la reconnaissance de l’importance de ce travail par le comité Nobel est bien méritée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215088/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Andrew Maynard a par le passé reçu des financements pour ses travaux sur les nanotechnologies du National Institutes of Health, de la National Science Foundation, et du Pew Charitable Trusts.</span></em></p>Les boîtes quantiques, ou « quantum dots », sont une nanotechnologie dont les applications sont déjà répandues, dans les téléviseurs par exemple.Andrew Maynard, Professor of Advanced Technology Transitions, Arizona State UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2149682023-10-04T18:40:42Z2023-10-04T18:40:42ZNobel de physique : qu’est-ce qu’une attoseconde ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/552042/original/file-20231003-27-fn9thz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C3%2C2295%2C1292&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les électrons bougent et se réorganisent à des vitesses folles. Pour les observer, rendez-vous chez les attosecondes.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/photo/image-of-an-atomic-structure-consisting-of-protons-royalty-free-image/1337003441?phrase=electron">Oselote/iStock via Getty Images</a></span></figcaption></figure><p>Trois chercheurs ont reçu le <a href="https://www.nobelprize.org/uploads/2023/10/popular-physicsprize2023.pdf">prix Nobel de physique 2023</a> pour des travaux qui ont révolutionné la façon dont les scientifiques étudient l’électron, en illuminant des molécules avec des éclairs de lumière d’une durée d’une attoseconde. Mais combien de temps au juste dure une attoseconde ? En quoi ces impulsions infiniment courtes aident-elles les chercheurs à explorer la nature de la matière ?</p>
<p>J’ai découvert ce domaine de recherche lorsque j’étais étudiant en chimie physique. Le groupe de mon directeur de thèse avait un projet consacré à l’étude des <a href="http://bromine.cchem.berkeley.edu/atto.htm">réactions chimiques avec des impulsions attosecondes</a>.</p>
<p>Pour comprendre pourquoi ces recherches autour de l’attoseconde méritent cette prestigieuse récompense scientifique, il faut comprendre ce qu’est une impulsion lumineuse attoseconde.</p>
<h2>Combien de temps dure une attoseconde ?</h2>
<p>« Atto » est le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9fixes_du_Syst%C3%A8me_international_d%27unit%C3%A9s">préfixe de notation scientifique</a> qui représente 10<sup>-18</sup>, c’est-à-dire un point décimal suivi de 17 zéros et d’un 1. Un éclair de lumière d’une durée d’une attoseconde, soit 0,000000000000000001 d’une seconde, est donc une impulsion lumineuse extrêmement brève.</p>
<p>En fait, il y a approximativement autant d’attosecondes dans une seconde qu’il y a de secondes dans l’<a href="https://81018.com/universeclock/">âge de l’univers</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/551859/original/file-20231003-21-rkpekw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un diagramme montrant une attoseconde, représentée par une collection orange d’hexagones, à gauche, l’âge de l’univers, représenté par un vide sombre à droite, et un battement de cœur, représenté par un cœur humain, au milieu." src="https://images.theconversation.com/files/551859/original/file-20231003-21-rkpekw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/551859/original/file-20231003-21-rkpekw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/551859/original/file-20231003-21-rkpekw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/551859/original/file-20231003-21-rkpekw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/551859/original/file-20231003-21-rkpekw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/551859/original/file-20231003-21-rkpekw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/551859/original/file-20231003-21-rkpekw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Une attoseconde est incroyablement petite comparée à une seconde.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.nobelprize.org/prizes/physics/2023/press-release/">Johan Jarnestad/The Royal Swedish Academy of Sciences</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Auparavant, les scientifiques pouvaient étudier le mouvement de noyaux atomiques plus lourds et plus lents à l’aide <a href="https://www.sciencedirect.com/topics/biochemistry-genetics-and-molecular-biology/femtosecond-laser">d’impulsions lumineuses d’une femtoseconde</a>, soit 10<sup>-15</sup> secondes : mille attosecondes sont comprises dans une femtoseconde. Mais les chercheurs ne pouvaient pas voir les mouvements à l’échelle de l’électron avant de réussir à générer des impulsions lumineuses de l’ordre de l’attoseconde, car les électrons se déplacent trop rapidement pour que l’on puisse déterminer exactement ce qu’ils font à l’échelle de la femtoseconde.</p>
<h2>Impulsions attosecondes</h2>
<p>Le réarrangement des électrons dans les atomes et les molécules guide de nombreux processus en physique et sous-tend pratiquement tous les aspects de la chimie, ce qui explique pourquoi les chercheurs ont déployé tant d’efforts pour comprendre comment les électrons se déplacent et se réarrangent.</p>
<p>Les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Spectroscopie">scientifiques utilisent la spectroscopie pour étudier ces processus physiques et chimiques</a>, une méthode qui consiste à examiner comment la matière absorbe ou émet de la lumière. Mais comme les électrons se déplacent très rapidement, il faut être particulièrement rusé pour les étudier en détail, de façon « résolue » dans le temps. En gros, pour <a href="https://doi.org/10.1146/annurev-physchem-040215-112025">suivre les électrons en temps réel</a>, il faut une impulsion lumineuse plus courte que le temps nécessaire aux électrons pour se réarranger.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/mFKmmR5Hh5s?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La spectroscopie « pompe-sonde » est une technique courante en physique et en chimie et peut être réalisée avec des impulsions lumineuses d’une attoseconde.</span></figcaption>
</figure>
<p>Par analogie, imaginons un appareil photo qui ne pourrait prendre que des poses longues, d’une durée d’environ une seconde. Les choses en mouvement, comme une personne courant vers l’appareil photo ou un oiseau volant dans le ciel, apparaîtraient floues, et il serait difficile de voir exactement ce qui se passe.</p>
<p>Imaginez ensuite que vous utilisiez un appareil photo avec une exposition d’une milliseconde. Les mouvements qui étaient auparavant flous seraient alors joliment résolus en des clichés clairs et précis…</p>
<p>Voilà comment l’échelle de l’attoseconde, plutôt que celle de la femtoseconde, peut éclairer le comportement des électrons.</p>
<h2>La recherche à l’échelle de l’attoseconde</h2>
<p>Les impulsions attosecondes peuvent répondre à différents types de questions de recherche.</p>
<p>D’une part, la rupture d’une liaison chimique est un processus fondamental dans la nature, au cours duquel les électrons partagés entre deux atomes se répartissent pour former des atomes non liés. Les électrons précédemment partagés se réorganisent ultrarapidement au cours de ce processus, et les <a href="https://doi.org/10.1126/science.aax0076">impulsions attosecondes</a> ont permis aux chercheurs de suivre la rupture d’une liaison chimique en temps réel.</p>
<p>La <a href="https://doi.org/10.1038/nphys620">capacité à générer des impulsions attosecondes</a> – recherche pour laquelle trois chercheurs ont reçu le <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/physics/2023/press-release/">prix Nobel de physique 2023</a> – est devenue possible pour la première fois au début des années 2000, et le domaine a <a href="https://phys.org/news/2010-04-electrons-science-attosecond-scale.html">continué à se développer rapidement</a> depuis lors. En fournissant des instantanés des atomes et des molécules à des échelles de temps très courts, la spectroscopie attoseconde a aidé les chercheurs à comprendre le comportement des électrons dans les molécules individuelles, comme la façon dont la <a href="https://doi.org/10.1038/s41467-022-32313-0">charge électronique migre</a> et la façon dont les <a href="https://doi.org/10.1063/5.0086775">liaisons chimiques</a> entre les atomes se brisent.</p>
<p>À plus grande échelle, la technologie attoseconde a également été appliquée à l’étude du comportement des électrons dans <a href="https://doi.org/10.1126/science.abb0979">l’eau liquide</a> ainsi qu’au <a href="https://doi.org/10.1038/s42005-021-00635-y">transfert d’électrons dans les semi-conducteurs à l’état solide</a>. En améliorant encore nos capacités à produire des impulsions lumineuses de l’ordre de l’attoseconde, les chercheurs parviendront à mieux comprendre les particules qui composent la matière.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214968/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aaron W. Harrison ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En une attoseconde, soit une minuscule fraction de seconde, les électrons se réorganisent dans les molécules. Avec des pulses laser ultracourts, on peut les étudier - et obtenir le Nobel de physique 2023.Aaron W. Harrison, Assistant Professor of Chemistry, Austin CollegeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2090872023-09-27T20:14:32Z2023-09-27T20:14:32ZPeut-on imposer l’autonomie aux salariés d’une entreprise ?<p>« L’unique responsabilité sociale de l’entreprise est d’accroître ses profits ». C’est uniquement comme cela, si l’on en croit <a href="https://www.nytimes.com/1970/09/13/archives/a-friedman-doctrine-the-social-responsibility-of-business-is-to.html">ce que disait Milton Friedman en 1970</a>, six ans avant qu’il ne reçoive le <a href="https://theconversation.com/topics/prix-nobel-20616">Nobel d’économie</a>, que l’on pourra atteindre l’optimum social que dessine la <a href="https://theconversation.com/topics/neoliberalisme-64628">philosophie politique néo-libérale</a>. Ce n’est pas aux firmes de se soucier de l’intérêt général.</p>
<p>Au tournant des années 1970 se développe aussi une <a href="https://theconversation.com/mener-une-politique-rse-ne-serait-ce-pas-avant-tout-se-comporter-en-bon-voisin-206879">autre pensée</a>, celle du <a href="https://lafabrique.fr/la-societe-ingouvernable/">managérialisme éthique</a>, dans la lignée d’auteurs comme <a href="https://www-cairn-info.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/la-responsabilite-sociale-de-l-entreprise--9782130626640-page-7.htm?contenu=resume">Howard Bowen</a>. Puisque les managers ne sont pas actionnaires, pourquoi auraient-ils intérêt à maximiser le profit ? Pour Bowen, c’est bien dans la mesure où ils ne gèrent pas les entreprises pour elles-mêmes qu’ils sont fondés à le faire. Cela leur permet notamment de prendre en charge le bien-être social.</p>
<p>Les décideurs publics, notamment Ronald Reagan insisteront davantage dans la voie néolibérale dessinée par <a href="https://www.jstor.org/stable/1829527">Henry Manne</a>. En favorisant les OPA, ils pensent obliger les dirigeants à maximiser le profit, sans quoi ils seront sanctionnés en bourse par un changement de propriétaire qui leur coûtera leur emploi.</p>
<p>Une autre voie a été suivie par d’autres politiques depuis deux décennies, que nous avons nommée l’<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/03/05/il-est-temps-de-changer-en-profondeur-la-maniere-de-penser-le-perimetre-d-action-des-entreprises_5266016_3232.html">« entreprise-providence »</a> : favoriser les démarches de <a href="https://theconversation.com/topics/responsabilite-societale-des-entreprises-rse-21111">responsabilité sociétale des entreprises (RSE)</a>, renforcer l’autonomie des salariés et leur bien-être dans la conduite des entreprises. L’entreprise serait alors le siège de la quête de l’intérêt général et de l’émancipation individuelle. Cette perspective aboutira en France à des propositions légales avec la <a href="https://www.economie.gouv.fr/loi-pacte-croissance-transformation-entreprises">loi Pacte</a> de 2018, inspirée directement du rapport <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/demarches-ressources-documentaires/documentation-et-publications-officielles/rapports/article/rapport-l-entreprise-objet-d-interet-general">Notat-Sénard</a>, qui pousse les entreprises à inscrire dans leur statut une <a href="https://theconversation.com/topics/entreprises-a-mission-50865">« raison d’être »</a> qui soit autre que la maximisation du profit.</p>
<p>L’ambition de cette philosophie n’est pas mince : il s’agit non seulement de dépasser l’idée que l’entreprise ne serait que gouvernée par des impératifs financiers, mais aussi l’idée que celle-ci est un lieu de conflits d’intérêts et de rapports de pouvoirs entre forces antagonistes. Une dimension politique de l’entreprise est ainsi assumée : une organisation a un impact politique. Mais celui-ci se voit aussi extériorisé : l’entreprise est nativement armée pour résoudre des problématiques sociales au-delà de son périmètre économique usuel.</p>
<h2>Injonctions à l’autonomie</h2>
<p>Parmi les intentions politiques de l’entreprise-providence on en trouvera une qui revêt un caractère paradoxal : dépasser des formes classiques de pouvoir, de contrôle ou de hiérarchie. Elle fut pendant un certain temps l’adage de ce que la communauté académique en sciences de gestion a appelé <a href="https://scholar.google.fr/scholar?q=2017+Revue+internationale+de+psychosociologie+et+de+gestion+des+comportements+organisationnels,+23(56),&hl=fr&as_sdt=0&as_vis=1&oi=scholart">l’entreprise libérée</a> qui serait tout à fait capable de décréter, encourager, initier et développer l’autonomie, voire même l’auto-organisation des collectifs subalternes.</p>
<p>Elle ne présente certes rien de nouveau (on l’observe déjà depuis des années dans les entreprises coopératives, par exemple) mais son expression contemporaine pose de nombreuses questions. Une organisation néo-libérale qui hérite de préceptes managériaux tayloristes, industriels et de formes de travail contrôlées peut-elle penser à son propre dépassement ? L’autonomie et l’auto-organisation peuvent-elle se décréter depuis les sphères de pouvoir de l’entreprise ou de l’actionnariat ? Et en retour : les salariés obéissent-ils à ces injonctions à l’autonomie ?</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Peu d’études se sont intéressées aux formes d’auto-organisation qui émergent spontanément dans des organisations qui promeuvent justement l’autonomie et la responsabilisation. C’est dans cette perspective que s’inscrivent nos <a href="https://www-cairn-info.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/revue-rimhe-2022-3-page-3.htm">récents travaux</a>. Notre enquête prend racine dans un grand groupe industriel français engagé depuis les années 2000 dans des réflexions managériales autour de la responsabilisation et de l’autonomie. Nous avons pu y observer des formes locales d’auto-organisation n’obéissant ni à une rationalité unique ni à une aspiration de construire un contre-pouvoir.</p>
<h2>« On va réfléchir collectivement »</h2>
<p>Un des premiers éléments qui ressort d’entretiens menés auprès d’un collectif d’assistants est la capacité des acteurs à s’emparer d’espaces d’autonomie non préalablement concédés. C’est dans le cadre du départ à la retraite de l’une des collaboratrices, que le collectif, pourtant relativement en retrait des injonctions de responsabilisation au sein du groupe, a pris l’initiative de s’auto-organiser. Une assistante détaille la genèse de ce mouvement :</p>
<blockquote>
<p>« Dans le cadre de réduction des coûts, on m’a annoncé qu’on n’allait pas remplacer ma collègue et que nous devrions donc faire ce qui était prévu pour trois à deux personnes. On a convoqué les trois dirigeants concernés et on a demandé : lesquelles de nos activités quotidiennes êtes-vous prêts à sacrifier ? ».</p>
</blockquote>
<p>Émerge ainsi d’une forme d’auto-organisation que nous pouvons qualifier de « conquise » et qui semble répondre aux besoins opérationnels de l’organisation de leur travail. Elle se manifeste notamment lorsqu’une décision vient de la hiérarchie. Si celle-ci ne semble pas optimale, les équipes vont l’accepter mais n’hésiteront pas à proposer une alternative qu’elles jugent plus adéquate :</p>
<blockquote>
<p>« Récemment, on était inquiets parce qu’on a senti qu’on allait subir une décision qui allait contre notre projet. Donc j’ai dit “pas de soucis” : l’entreprise a pris cette décision-là, on prend acte. En revanche, on va revenir avec une autre solution, mais on ne va pas tout de suite braquer l’entreprise en disant “on ne le fera pas”. On va réfléchir collectivement […]. Avant, on nous imposait des choses qui ne correspondaient pas avec notre vision du métier ; aujourd’hui, on n’a plus du tout la même vision, on devient acteur ».</p>
</blockquote>
<p>Il paraît en outre bien difficile de décider et contrôler le périmètre de l’autonomie. Nos entretiens auprès d’ouvriers d’un atelier de production témoignent par exemple de la capacité des salariés à réorganiser leur manière de travailler en vue de s’entraider, là où on les invitait à avancer individuellement. Si une personne est en avance dans son travail, elle va épauler son collègue en retard et contrecarrer ainsi les effets délétères d’une mise en concurrence entre opérateurs. Un salarié l’a remarqué :</p>
<blockquote>
<p>« Dans un groupe de 12-13 personnes qui font le même travail, il y en a forcément un qui est plus fort et plus rapide que l’autre. Même en donnant des primes individuelles, l’équipe essaie de faire en sorte que chacun touche sa prime. C’est ça qui m’a impressionné ».</p>
</blockquote>
<h2>« Arts de faire »</h2>
<p>Cela n’empêche pas l’entreprise, dans sa démarche affichée de responsabilisation, de donner des clés pour assurer le déploiement de l’autonomie. C’est dans ce cadre que les collectifs se réapproprient certains espaces d’autonomie, notamment ceux en lien direct avec leur activité opérationnelle.</p>
<blockquote>
<p>« C’est l’équipe qui décide ce qu’elle fait. En tout cas, elle se permet de proposer quelque chose. Le plan est établi par les collaborateurs et non pas par des responsables hiérarchiques. Après, on a le droit aussi de nous challenger, de nous souffler de bonnes idées. Ce n’est pas clandestin, c’est officiel ».</p>
</blockquote>
<p>Cette autonomie cognitive reconquise ouvre à de nouvelles formes de socialisation et d’agir collectif. À travers ces tactiques d’auto-organisation, il s’agit moins de « battre le système » que d’introduire des « arts de faire » en faisant perdurer un quotidien soutenable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209087/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Un article de recherche montre que les formes d’auto-organisation tendent à émerger spontanément, quelles que soient les politiques de management retenues.Diego Landivar, Enseignant Chercheur en Economie, Directeur d'Origens Media Lab, ESC Clermont Business SchoolBrigitte Nivet, Enseignante chercheuse en Management des Ressources Humaines (Labo CleRMa et Cereq), ESC Clermont Business SchoolPhilippe Trouvé, Professeur en sociologie des entreprises et en Management des Ressources Humaines, ESC Clermont Business SchoolSophie Marmorat, Enseignante-chercheuse en comptabilité et en finance d’entreprise, ESC Clermont BS, labo CleRMa, ESC Clermont Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2045032023-04-26T17:01:48Z2023-04-26T17:01:48ZLe rôle des scientifiques canadiens dans le projet du génome humain montre pourquoi il est crucial de financer la recherche<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/522819/original/file-20230425-2394-800nf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C1917%2C1003&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La recherche et la vision des scientifiques canadiens ont été fondamentaux dans le projet du génome humain. Aujourd'hui, le manque de financement menace la recherche sur les découvertes au Canada.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Pixabay)</span></span></figcaption></figure><p>Le 25 avril, le monde a célébré la <a href="https://www.unige.ch/biblio/fr/infos/sites/cmu/actus/journee-de-ladn/#:%7E:text=Le%2025%20avril%20se%20c%C3%A9l%C3%A8bre,Maurice%20Wilkins%20et%20Rosalind%20Franklin.">Journée de l’ADN</a> qui coïncide cette année avec le 70<sup>e</sup> anniversaire de la découverte de la structure en double hélice, et le 20<sup>e</sup> anniversaire de l’achèvement du <a href="https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/projet-human-genome">Projet du génome humain</a>.</p>
<p>Les Canadiens ont été au premier plan de ce Projet. En 1986, le Montréalais <a href="https://lebulletel.mcgill.ca/a-la-memoire-de-charles-r-scriver/">Charles Scriver, un éminent généticien de l’Université McGill</a> récemment décédé, avait convaincu le célèbre Howard Hughes Medical Institute (HHMI), aux États-Unis, de réunir les groupes qui pourraient financer et exécuter le projet du génome humain. Les lauréats du prix Nobel Walter Gilbert et James Watson ont assisté à cette réunion <a href="https://books.google.ca/books/about/The_Book_of_Man.html?id=ys5qAAAAMAAJ&redir_esc=y">et cela a été déterminant pour la suite</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/TCnG7R50IlU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le séquençage du génome.</span></figcaption>
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<p>Charles Scriver était bien conscient de <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK234203/">l’importance du séquençage du génome humain</a> sur la génétique clinique et son impact sur la santé humaine. La réunion a été un catalyseur majeur <a href="https://books.google.ca/books/about/The_Book_of_Man.html?id=ys5qAAAAMAAJ&redir_esc=y">pour le développement du projet du génome humain</a>.</p>
<p>S’inspirant de Charles Scriver, un projet pour établir une preuve de concept, ou validation de principe, était nécessaire. Elle a été fournie par la découverte du gène de la <a href="https://www.inserm.fr/dossier/mucoviscidose/">mucoviscidose</a>, une maladie génétique qui touche l’appareil respiratoire et digestif, par Lap-Chee Tsui et Jack Riordan, alors à l’Université de Toronto, et Francis Collins, alors à l’Université du Michigan. En 1990, ils ont écrit : </p>
<blockquote>
<p><a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/21548331.1990.11704019">Plus largement, le clonage du gène CF fournit un démarrage rapide dans l’effort international pour cloner et cartographier l’ensemble du génome humain</a></p>
</blockquote>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/resoudre-le-casse-tete-de-la-mucoviscidose-et-de-ses-traitements-une-percee-digne-dun-prix-nobel-175486">Résoudre le casse-tête de la mucoviscidose et de ses traitements, une percée digne d’un prix Nobel</a>
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<p>Ces pionniers avaient accompli la <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.2475911">tâche herculéenne d’identifier le gène chez les sujets normaux porteurs d’une seule mutation causant la mucoviscidose chez les patients homozygotes</a>. Aujourd’hui, grâce à ces découvertes scientifiques canadiennes, les <a href="https://www.fibrosekystique.ca/uploads/RapportsDeDonneesAnnuel2021-WEB.pdf">patients atteints de mucoviscidose ont une experience de vie de 57 ans</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/DpOA94FA4H4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Dr Charles Scriver, Lauréat du Temple de la renommée médicale canadienne. 2001.</span></figcaption>
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<h2>Les formidables possibilités de l’ADN</h2>
<p>Un seul de ces pionniers, cependant, a été en mesure de diriger le projet extrêmement difficile du génome humain. <a href="https://www.gairdner.org/winner/francis-s-collins">Francis Collins a reçu le prix Gairdner International du Canada en 2002</a> pour son leadership exceptionnel dans ce projet, et en particulier pour l’effort international visant à cartographier et séquencer les génomes humains et autres espèces.</p>
<p>Un autre lauréat du prix Gairdner International, reconnu pour son leadership dans le projet du génome humain, est <a href="https://www.gairdner.org/winner/james-d-watson">James Watson</a>. Sa découverte de la double hélice lui a valu un <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/medicine/1962/watson/facts/">prix Nobel en 1962</a>.</p>
<p>Il y a cependant eu controverse : les données expérimentales sur la double hélice étaient en fait une radiographie d’un cristal d’ADN faite par la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rosalind_Franklin">physicochimiste britannique Rosalind Franklin</a>, morte prématurément à l’âge de 38 ans, et privée de la reconnaissance de ses recherches.</p>
<p>Les conséquences de la découverte de l’ADN et du séquençage du génome humain ont été fondamentales pour la recherche médicale à l’échelle mondiale. Comme le <a href="https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMp2030694">résume Francis Collins en 2021</a>, les gènes de plus de 5 000 maladies rares ont été découverts, de même que pour l’Alzheimer, la schizophrénie, les maladies cardiaques et le cancer.</p>
<p>C’est aussi grâce à l’ADN que nous pouvons retracer les origines de nos familles, grâce à la généalogie génétique. Le prix Nobel en 2022 a été décerné à Svante Pääbo, de l’Institut Max Planck, de Leipzig, pour le <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/medicine/2022/press-release/%22%22">nouveau domaine de la paléogénomique</a>. Ses découvertes impliquant le séquençage complexe de l’ADN génomique de nos ancêtres disparus ont conduit à la découverte d’une nouvelle branche d’humains primitifs, maintenant connue sous le nom de Dénisoviens.</p>
<p>Aujourd’hui, la généalogie génétique des humains modernes et anciens a été développée par l’analyse de l’ADN de plus de 7 000 génomes différents. Ces nouvelles études ont défini la <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC10027547/">localisation géographique du cheminement de nos ancêtres</a>, remontant à plus de 800 000 ans ! </p>
<h2>La Journée de l’ADN peut-elle avoir une importance au Canada ?</h2>
<p>Le dévouement de nos remarquables chercheurs, Lap-Chee Tsui, Jack Riordan et Charles Scriver, a inspiré et conduit au projet du génome humain. Cependant, le projet n’impliquait pas le Canada. La principale raison en était le financement. Le projet du génome humain a été largement financé par les National Institutes of Health (NIH) des États-Unis, pour les laboratoires du <a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.042692499?url_ver=Z39.88-2003&rfr_id=ori:rid:crossref.org&rfr_dat=cr_pub%2520%25200pubmed">Dr Waterston, à l’Université de Washington, et du Dr Eric Lander, au MIT</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/des-scientifiques-canadiens-ont-contribue-au-vaccin-arnm-mais-la-recherche-fondamentale-est-en-peril-au-pays-190942">Des scientifiques canadiens ont contribué au vaccin ARNm. Mais la recherche fondamentale est en péril au pays</a>
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<p>L’un des éminents journalistes et commentateurs politiques du Canada, Paul Wells, a récemment déploré la <a href="https://paulwells.substack.com/p/building-pyramids-from-the-top-down">détérioration, depuis des décennies, du financement de la recherche au Canada</a>.</p>
<p>Le pays continuera de perdre le talent dont il était fier. En 2019, le Canada se classait au 18<sup>e</sup> rang mondial pour le nombre de chercheurs par 1 000 habitants, alors qu’il était au 8<sup>e</sup> rang en 2011. Une telle perte est insoutenable pour relever les défis d’une inévitable prochaine pandémie, des changements climatiques et des ravages des maladies.</p>
<p>Charles Scriver, Lap-Chee Tsui et Jack Riordan ont démontré la valeur de la recherche exploratoire au Canada. Elle sauve des vies humaines à l’échelle mondiale. Le Canada devrait se souvenir de son héritage.</p>
<p><em>John Bergeron remercie Kathleen Dickson en tant que co-auteure et Francis Glorieux (Hôpital Shriners pour enfants de Montréal et le Centre universitaire de santé McGill) pour ses idées, corrections et modifications.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204503/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>John Bergeron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les chercheurs canadiens ont été à l’avant-plan de la recherche sur l’ADN. Cependant, le manque de financement menace leur capacité à relever les défis de l’avenir.John Bergeron, Emeritus Robert Reford Professor and Professor of Medicine, McGill UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2022782023-03-22T23:53:25Z2023-03-22T23:53:25ZGarantir les dépôts bancaires de façon illimitée : une nouvelle arme contre les crises ?<p>C’est principalement un mouvement massif de retrait des dépôts combiné à l’illiquidité évidente de la Silicon Valley Bank (SVB) qui a entraîné sa faillite le vendredi 10 mars. Seizième banque américaine en matière de taille de bilan, elle comptait parmi sa clientèle la moitié des start-up américaines et 44 % des entreprises du pays entrées en bourse en 2022 dans les secteurs de la technologie et des soins de santé.</p>
<p>Lorsque sa base de dépôts est passée de 62 milliards au premier trimestre 2020 à 198 milliards de dollars au premier trimestre 2022, elle a choisi d’investir dans des bons du Trésor américains à 1 % lorsque les taux directeurs étaient bas, voire négatifs. Un placement a priori peu risqué, mais en pratique difficilement restituable : ces anciens titres intéressent peu dans un contexte de hausse généralisée des taux où les obligations nouvellement émises sur le marché sont beaucoup plus rémunératrices (<a href="https://investir.lesechos.fr/marches-indices/devises-taux/la-fed-releve-ses-taux-directeurs-de-25-points-de-base-dans-la-fourchette-de-45-475-1902789#:%7E:text=Comme%20largement%20anticip%C3%A9%20par%20le,la%20Fed%20depuis%20mars%202022.">4,5 %</a> pour les <em>Federal Funds Rates</em>).</p>
<p>Or, dans le même temps, avec le resserrement de la politique monétaire, les dépôts se sont amenuisés. Les principaux clients de la banque, les start-up, ont répondu à leurs obligations courantes, loyers, salaires et autres emprunts, tout en attirant moins d’investissements, notamment en provenance des fonds de capital-risque.</p>
<p>La SVB a alors été contrainte de vendre ses actifs avec une décote de 1,8 milliard de dollars. La banque entendait compenser cette perte par une augmentation de capital mais l’opération a échoué. S’est au contraire enclenché un mouvement de panique bancaire : les déposants ont accéléré leurs retraits pour l’équivalent de 42 milliards de dollars le 9 mars, conduisant à un défaut de liquidités qui a mis la banque en faillite. Étudiés depuis longtemps par la science économique, pareils mouvements font, avec ces derniers événements, l’objet de réflexions nouvelles.</p>
<h2>De retour dans l’actualité</h2>
<p>Plus sporadique aujourd’hui dans les pays développés, les paniques bancaires, ou <em>bank run</em>, était revenue dans l’actualité avec la remise fin 2022 du <a href="https://theconversation.com/gestion-des-crises-financieres-des-nobels-deconomie-entre-deja-vu-et-revolution-192574">« Nobel » d’économie</a> à Douglas Diamond et Philip Dybvig. Leur risque, enseignent leurs travaux, est <a href="https://theconversation.com/des-paniques-bancaires-sont-elles-toujours-a-craindre-195066">inhérent à la raison d’être des banques</a>.</p>
<p>Leur modèle construit dans les années 1980 se demandait comment gérer pareilles situations dans laquelle chacun veut retirer son dépôt à la banque car il redoute sa faillite. Il concernait les banques en situation d’illiquidité, c’est-à-dire celles qui ont un bilan solide mais qui ne peuvent pas immédiatement restituer les dépôts à leurs épargnants car ils ont été prêtés à d’autres agents.</p>
<p>Les auteurs imaginaient alors deux solutions : faire intervenir la banque centrale, ou bien penser un système d’assurance des dépôts. C’est au renforcement de ce second mécanisme avec la mise en place d’une garantie illimitée des dépôts que des acteurs se sont mis à réfléchir après la faillite de la SVB.</p>
<h2>Garantir les dépôts pour contenir l’hémorragie</h2>
<p>Au-delà du manque de diversification évident de la banque, c’est surtout la vitesse de la faillite de la banque qui est inédite, lui valant le qualificatif de premier <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/svb-premier-swipe-crash-de-lhistoire-1915811">« swipe crash »</a> de l’histoire. Viralité des réseaux sociaux oblige, la divulgation des mauvais résultats de la SVB s’est répandue <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9co-tech/20230313-faillite-de-la-silicon-valley-bank-une-panique-dop%C3%A9e-aux-r%C3%A9seaux-sociaux">comme une traînée de poudre</a> sur Twitter et Slack, entraînant une multiplication des appels à retirer les fonds. La vague de panique a été notamment amplifiée par le <a href="https://www.lecho.be/les-marches/actu/general/peter-praet-le-traumatisme-de-2008-est-encore-present/10453793.html">traumatisme de la crise de 2008</a> qui a déjà fragilisé la confiance des déposants envers leur banque.</p>
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<p>En outre, la course aux retraits bancaires a été beaucoup plus rapide qu’à l’accoutumée, puisque la clôture d’un compte peut désormais se faire en quelques heures depuis une application. Cela n’est pas sans rappeler le <em>bank run</em> subi par la banque britannique <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2008/02/18/londres-se-resout-a-nationaliser-la-banque-northern-rock_1012730_3234.html"><em>Northern Rock</em></a> en 2008, ayant conduit à sa nationalisation. Cela pose surtout la question de savoir si nous nous dirigeons vers une nouvelle crise bancaire.</p>
<p>Dans la situation actuelle, la SVB a surtout souffert d’un contexte qui a exacerbé ses faiblesses et l’a conduite à une perte de confiance rapide et incontrôlable de sa clientèle. Les banques américaines du même rang subissant de plein fouet cette nouvelle défiance de leurs clients, il apparaît donc nécessaire pour ces dernières de contenir le risque d’hémorragie de leur clientèle en maintenant durablement la confiance des dépositaires.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1637201680377819136"}"></div></p>
<p>Pour cette raison, la <em>Mid-Size Bank Coalition of America</em>, coalition de banques de taille moyenne, adressait jeudi à la <em>Federal Deposit Insurance Corporation</em> (FDIC) – l’instance qui assure actuellement les dépôts – une <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/des-banques-americaines-demandent-une-protection-des-depots-de-leurs-clients-1463357">lettre</a> dans laquelle elle arguait de la nécessité de garantir pendant deux ans tous les dépôts de leurs clients, au-dessus de la limite habituelle des 250 000 dollars.</p>
<p>Le but de cette opération est de rassurer les dépositaires quant à la disponibilité de leur fond, quelle que soit la situation financière dans laquelle se trouve leur banque. Si ce mécanisme ne permet pas de restaurer la confiance des clients immédiatement, il permet aux banques de conserver les dépôts en réduisant le risque de retraits massifs. Le mécanisme contribuerait à temporiser l’hémorragie, le tout permettant à la banque de se stabiliser et retrouver la confiance de ses clients.</p>
<h2>Une arme ultime ?</h2>
<p>Dimanche 12 mars, la FDIC et la Fed ont donc annoncé que toutes les catégories de déposants (assurés et non assurés) pourront <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/banques-finance/silicon-valley-bank-les-clients-pourront-retirer-l-integralite-de-leurs-depots-3f1dc488-e12b-43f3-8f98-84445bcc3abf">récupérer l’entièreté du montant déposé</a>. Cette annonce et la communication autour du mécanisme sont d’autant plus importantes qu’elles ont manqué lors de la crise de 2008. C’est ce manque de communication à l’époque qui avait accéléré l’effet domino, et marqué la population. Cela est d’autant plus important que la situation de la SVB n’est pas unique et risque de concerner <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/03/14/apres-la-faillite-de-la-silicon-valley-bank-le-spectre-d-une-nouvelle-crise-financiere_6165356_3234.html">plusieurs autres banques</a> dans des situations similaires.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1635043886409326594"}"></div></p>
<p>On peut se poser la question de savoir si la mise en place de cette garantie des dépôts illimitée représente une solution de long terme pour le système bancaire. La réponse n’est pas si évidente.</p>
<p>Elle a, certes, le mérite de restituer la confiance des investisseurs à court terme. Elle risque également de développer des comportements opportunistes des banques. La présence d’une garantie incite en effet à prendre plus de risques, sachant qu’il existe une couverture en cas de défaut. Or, qui garantit n’est pas toujours informé des intentions et comportements de l’autre partie. C’est ce qu’on appelle l’<a href="https://theconversation.com/particuliers-pme-petit-guide-des-bonnes-pratiques-pour-obtenir-un-pret-pendant-la-crise-156713">aléa moral</a>. Or cet aléa n’est pas viable sur le long terme pour le système bancaire, entraînant trop d’incertitude, pouvant mener à une nouvelle crise.</p>
<p>En attendant, la Fed a lancé une nouvelle arme appelée <a href="https://www.federalreserve.gov/monetarypolicy/bank-term-funding-program.htm"><em>Bank Term Funding Program</em></a> (BTFP), qui constitue une facilité de prêt d’un an pour les banques contre garantie. Ce dernier pourrait représenter une nouvelle solution suffisamment importante pour couvrir tous les dépôts non assurés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202278/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Plusieurs banques l’ont proposé à la Fed. Le mécanisme néanmoins pourrait avoir des effets particulièrement néfastes sur le long terme.Caroline Perrin, Doctorante en sciences de gestion, Université de StrasbourgAurore Burietz, Professeur de Finance, LEM-CNRS 9221, IÉSEG School of ManagementJérémie Bertrand, Professeur de finance, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1950662022-11-28T19:03:19Z2022-11-28T19:03:19ZDes paniques bancaires sont-elles toujours à craindre ?<p>Le prix de la Banque centrale de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred <a href="https://theconversation.com/fr/topics/prix-nobel-20616">Nobel</a> a été décerné le mois dernier aux économistes américains Peter Diamond et Philip Dybvig, aux côtés de Ben Bernanke, ancien président de la Réserve fédérale (Fed) des États-Unis (2006–2014). Le choix des lauréats a remis dans l’actualité un phénomène qui pourrait paraître daté, celui des ruées bancaires (« bank run »), des moments de panique qui nous conduisent à nous précipiter pour retirer l’argent déposé sur nos comptes.</p>
<p>Mi-novembre, un tel mouvement s’est notamment produit dans le domaine des cryptomonnaies, lorsque plusieurs plates-formes ont été contraintes de bloquer les prêts et le retrait de leurs clients paniqués face à la plongée des cours après la <a href="https://theconversation.com/ftx-une-liquidation-entre-speculation-effrenee-gouvernance-defaillante-et-pratiques-delictuelles-195331">faillite du géant américain FTX</a>.</p>
<p>Certes, ces épisodes sont devenus plus sporadiques aujourd’hui, du moins dans les pays développés. Un argument suffisant pour dire qu’il n’y a plus rien à craindre ? La grande leçon des travaux des néo-nobélisés est bien la suivante : la raison d’être des banques implique nécessairement l’existence de ce <a href="https://theconversation.com/fr/topics/risque-42755">risque</a>.</p>
<p>Des dispositifs ont été imaginés pour s’en prémunir. Cependant, leur rôle reste difficile à évaluer du fait de la faible occurrence de ces événements. C’est ce à quoi s’est intéressée notre <a href="https://www.jstor.org/stable/10.1086/503650#metadata_info_tab_contents">expérience</a> menée en laboratoire. Elle montre notamment l’importance cruciale de l’assurance des dépôts, à condition que tout le monde soit bien couvert.</p>
<h2>Leur raison d’être, leur fragilité</h2>
<p>Qu’est-ce qu’une ruée bancaire ? Dans ces phénomènes, les déposants se précipitent au guichet pour retirer leurs avoirs. Ils peuvent être qualifiés « d’auto-réalisateurs » pour deux raisons, non opposées, mais distinctes. Les déposants entrent dans un double raisonnement : « je pense que les autres vont paniquer donc je panique » et tous se ruent au guichet de leur banque ; « je pense que si les autres paniquent la banque fera faillite, je panique et donc la banque fait faillite ».</p>
<p>Ils provoquent ainsi la défaillance de leur <a href="https://theconversation.com/fr/topics/banque-22013">banque</a> qui n’a pas assez de ressources disponibles immédiatement pour répondre à leurs demandes simultanées. Non pas qu’elle se soit rendue coupable d’une mauvaise gestion ou qu’elle ait réalisé des pertes. C’est simplement que l’argent des déposants a été prêté et n’est donc pas immédiatement disponible. On parle d’un problème d’« illiquidité ».</p>
<p>Concilier les attentes des déposants, qui demandent leur argent à court terme pour consommer, et celles des emprunteurs qui investissent pour des échéances plus lointaines, telle est économiquement la raison d’être des banques dans le <a href="https://www.jstor.org/stable/1837095">modèle</a> de Diamond et Dybvig développé en 1983. Telle est donc aussi la source d’une fragilité intrinsèque.</p>
<h2>Mais alors, est-ce probable ?</h2>
<p>Tout se passe bien tant que les déposants retirent leur argent normalement, au gré de leurs besoins d’achats. Dans ce cas, la ressource de dépôts demeure stable et prévisible pour les banques. En revanche, s’ils se précipitent en même temps, « seuls les premiers arrivés seront les premiers servis » et les autres perdront tout. On comprend la dangerosité du phénomène.</p>
<p>Insistons bien sur le fait qu’il n’est nul besoin de craindre que la banque ait pris des risques avec l’argent qu’on y a déposé. Ces ruées sont liées à une perte de confiance entre déposants sur ce que sera le comportement de l’autre. Aucune information particulière n’est nécessaire pour entraîner ce type de ruées. On ne sait pas véritablement pourquoi et quand ces ruées peuvent se produire, elles sont donc non seulement dangereuses, mais encore imprévisibles.</p>
<p>Comment alors les appréhender empiriquement ? Et comment répondre à la question de savoir quelle est la probabilité de leur occurrence à notre époque ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/gestion-des-crises-financieres-des-nobels-deconomie-entre-deja-vu-et-revolution-192574">Gestion des crises financières : des « Nobels » d’économie entre déjà-vu et révolution</a>
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<p>Nous l’avons dit, les paniques bancaires demeurent des événements relativement rares et l’étude historique de ces phénomènes, comme les économistes <a href="http://spinup-000d1a-wp-offload-media.s3.amazonaws.com/faculty/wp-content/uploads/sites/20/2020/11/The-origins-of-banking-panics-models-facts-and-bank-regulation.pdf">Charles Calomiris et Gary Gorton</a> l’ont par exemple effectuée pour les États-Unis entre 1800 et 1914 (douze paniques bancaires), conduit parfois à travailler sur des données anciennes dont on peut s’interroger sur la qualité.</p>
<p>Nos travaux ont tenté d’aborder le sujet à partir d’une expérience de laboratoire. Nous y avons analysé le comportement de participants dans un environnement contrôlé et reproductible grâce à un protocole qui cherchait à retranscrire fidèlement le cadre théorique de Diamond et Dybvig. Il a été situé dans une perspective dynamique pour étudier la possible propagation dans le temps d’une ruée bancaire. Dans le cadre de la théorie des jeux, on dira que l’expérience s’est déroulée en plusieurs « parties ». On observe à chaque partie qui panique.</p>
<h2>« Auto-réalisatrices »</h2>
<p>Différents paramètres ont été amenés à varier comme le degré d’illiquidité de la banque. On comprend en effet intuitivement que moins la banque est capable de rembourser de déposants simultanément parce que leur argent a été placé dans des actifs difficiles à liquider rapidement et plus la probabilité de survenance d’une ruée bancaire est forte.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/496527/original/file-20221121-24-2uway7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496527/original/file-20221121-24-2uway7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496527/original/file-20221121-24-2uway7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=746&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496527/original/file-20221121-24-2uway7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=746&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496527/original/file-20221121-24-2uway7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=746&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496527/original/file-20221121-24-2uway7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=938&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496527/original/file-20221121-24-2uway7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=938&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496527/original/file-20221121-24-2uway7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=938&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Panique bancaire en 1907 : la foule se rue sur Wall Street.</span>
<span class="attribution"><span class="source">New York Public Library</span></span>
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<p>La première leçon de l’expérience est que les ruées totales de « panique pure » où tous les déposants se ruent au guichet, telles que formalisées par Diamond et Dybvig, sont des phénomènes rares.</p>
<p>Les ruées partielles et persistantes dans le temps, où la perte de confiance est élevée (une large majorité des participants se ruent), constituent, en revanche, un cas plus général dans des environnements expérimentaux variés. Elles ont été observées notamment en l’absence de toute information sur la santé de la banque. Cela ne signifie pas pour autant que des ruées « informées » ne puissent pas se produire.</p>
<p>Plusieurs outils ont également été imaginés en prévention de ce risque. Nous les avons testés dans notre expérience.</p>
<h2>Ne pas annihiler l’utilité des banques</h2>
<p>Il y a tout d’abord la possibilité de suspendre pour plus ou moins longtemps la convertibilité des dépôts en monnaie, c’est-à-dire de la possibilité de retirer de l’argent à sa banque. Ainsi, après la faillite aux États-Unis de près de 800 établissements bancaires durant la crise débutée en 1929 et une situation de panique bancaire généralisée, le président Franklin Delano Roosevelt, fraîchement élu, avait décidé de la fermeture de toutes les banques américaines en mars 1933 pour une semaine. Cette mesure aura été dans ce cas un succès car, à la réouverture des banques, les clients étaient revenus redéposer rapidement leur argent. La panique est ainsi endiguée mais pas évitée.</p>
<p>Il peut aussi s’agir d’adosser les dépôts bancaires sur des actifs suffisamment liquides pour pouvoir être récupérés très rapidement. C’est la solution dite du « narrow banking » (banque étroite). Cela élimine théoriquement toute ruée ou panique, mais, dans sa forme extrême, la solution annihile aussi ce qui fait en partie l’utilité des banques, à savoir concilier des intérêts de court et de long termes.</p>
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<p>Diamond et Dybvig proposaient plutôt la mise en place d’un système d’assurance des dépôts qui permet d’indemniser les déposants en cas de faillite de leur banque. Il sera d’autant plus efficace dans la prévention des paniques bancaires qu’il est protecteur (avec un fort niveau de couverture) et crédible, c’est-à-dire mis en place par une institution qui rassure. Le système fédéral américain d’assurance des dépôts (FDIC), créé en 1933 et toujours existant, en est un bon exemple.</p>
<h2>Couvrir à 100 % les petits déposants</h2>
<p>Notre expérience tend à montrer que la possibilité d’une suspension suffisamment longue de la disponibilité des dépôts ne permet pas d’empêcher dès le départ toute panique de se produire, mais permet de la faire disparaître au bout de quelques « parties ».</p>
<p>Le fait d’assortir cette suspension à un « narrow banking », permet de mieux prévenir les paniques, sans toutefois les faire disparaître totalement, dès le départ. En revanche, une propagation de la panique au long de la session expérimentale est toujours évitée.</p>
<p>Nous montrons enfin que la prévention des paniques nécessite, pour être efficace, une indemnisation totale des déposants et donc un système très protecteur. En effet, une couverture à 75 % des avoirs de chaque déposant ne permet ni de prévenir l’apparition d’une ruée ni de diminuer le nombre de parties où elle se produit par rapport au cas où les déposants ne sont pas du tout couverts. Néanmoins, une baisse du taux de couverture de 75 % à 25 % accroît de manière significative la propension des individus à paniquer, surtout lorsque la précédente session s’est terminée sur une situation de panique.</p>
<p>C’est peut-être pour cela que ces phénomènes se sont raréfiés au sein des pays développés. La quasi-totalité des pays développés dispose en effet d’un système d’assurance des dépôts généralement financé par les banques. Dans l’Union européenne, il a été rendu <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A31994L0019">obligatoire depuis 1994</a>. En cas de faillite bancaire généralisée, l’État jouera le rôle d’assureur ultime. La Banque centrale peut aussi soutenir, comme prêteur en dernier ressort, les banques victimes de ruées et en situation d’illiquidité.</p>
<p>C’est aussi pour se prémunir d’une panique que le <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2008/09/26/je-n-accepterai-pas-qu-un-seul-deposant-perde-un-seul-euro_1099948_823448.html">président français Nicolas Sarkozy déclarait en septembre 2008</a>, après la faillite de la banque Lehmann Brothers, qu’il n’accepterait pas « qu’un seul déposant perde un seul euro parce qu’un établissement financier se révélerait dans l’incapacité de faire face à ses engagements ».</p>
<p>Les risques ne doivent pas pour autant être minimisés car quelques ruées bancaires peuvent se transformer rapidement en panique bancaire et tout écroulement du système bancaire bloque immédiatement tout paiement et une large partie du financement de l’économie. La succession de crises bancaires et financières dans les pays émergents dans les années 1990 et au début des années 2000, au Mexique, en Asie et en Argentine notamment, en ont été de belles piqûres de rappel.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195066/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Madiès ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Même si le phénomène d’un retrait massif aux guichets reste rare, le risque reste inévitable. Une expérience de laboratoire met en évidence les solutions pour s’en prémunir au mieux.Philippe Madiès, Professeur des universités en Banque et Finance, Grenoble IAE Graduate School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1926532022-10-25T16:19:59Z2022-10-25T16:19:59ZLes transfuges de classe dans la littérature : le cas d’Annie Ernaux<p>Écrivaine au succès public grandissant en dépit des controverses critiques qui accompagnent régulièrement la parution de chaque nouveau récit, Annie Ernaux vient d’obtenir le prix Nobel de Littérature 2022. Publiée dans la <a href="https://www.gallimard.fr/Contributeurs/Annie-Ernaux">collection Blanche chez Gallimard</a> depuis le premier opus, un roman autobiographique paru en 1974 (<em>Les Armoires vides</em>), elle avait auparavant déjà été plusieurs fois distinguée par des prix littéraires : par exemple du Renaudot et du prix Maillé-Latour-Landry en 1984 pour <em>La Place</em>, du prix Marguerite-Duras et du prix François-Mauriac pour <em>Les Années</em> en 2008, ainsi que le Prix de la langue française (2008) et le prix Marguerite Yourcenar (2017) pour l’ensemble de son œuvre.</p>
<p>Née en 1940, fille d’ouvriers normands devenus petits commerçants propriétaires d’une épicerie-café à Yvetot, elle est devenue, grâce au capital culturel acquis par le biais de l’école, <a href="http://editions.ehess.fr/ouvrages/ouvrage/33-newport-street/">« une métis sociale »</a>, une <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Culture_du_pauvre-2122-1-1-0-1.html">« déclassée par le haut »</a>, ou encore une « transfuge de classe », comme <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio/L-ecriture-comme-un-couteau">elle aime souvent à se définir elle-même</a>.</p>
<h2>« Venger sa race »</h2>
<p>Se fondant sur sa propre expérience d’une trajectoire sociale improbable de très forte mobilité sociale ascendante, nourrie de lectures sociologiques, notamment celle des travaux du sociologue Pierre Bourdieu, ou encore du britannique Richard Hoggart, elle décrit dans ses récits autosociobiographiques le monde et les représentations des petits commerçants en zone rurale dans la période de l’après-guerre, et cherche à rendre <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio/L-ecriture-comme-un-couteau">« la culture du monde dominé »</a> dont elle est issue, pour « venger sa race ».</p>
<p>Elle tend aussi à saisir les effets des déplacements – parfois de grande ampleur – dans l’espace social sur les perceptions que les personnes concernées par la mobilité sociale ascendante ont du monde social et politique au sens large du terme, les effets de la <a href="https://extra.u-picardie.fr/outilscurapp/medias/revues/33/gerard_mauger.pdf_4a07eb535d35b/gerard_mauger.pdf">confrontation à la culture légitime diffusée par l’école</a>, la rupture souvent douloureuse que la scolarisation introduit avec le milieu familial d’origine, enfin les conversions d’habitus et les malaises que de telles trajectoires créent chez les individus qui les expérimentent : tiraillés entre deux fidélités irréconciliables, toujours « déplacés », ces « transfuges » ont le plus grand mal à trouver leur place dans l’espace social.</p>
<p>Toutefois, écrire sur les effets d’une telle <a href="http://apu.univ-artois.fr/Revues-et-collections/Etudes-litteraires/Serie-Manieres-de-critiquer/Annie-Ernaux-une-aeuvre-de-l-entre-deux">posture de « l’entre-deux »</a>, et sur la honte sociale qu’elle génère (honte des origines sociales, honte des parents, honte d’avoir honte) ne va pas de soi : ayant intériorisé « l’indignité » culturelle de ses origines populaires, Annie Ernaux a ainsi longtemps estimé que la réalité triviale qu’elle vivait était indicible, inconvenante et qu’elle ne méritait pas d’être racontée, de devenir <a href="https://hal-u-picardie.archives-ouvertes.fr/hal-03688930/document">« objet littéraire »</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Quand j’étais enfant et adolescente, je nous sentais (ma famille, le quartier, moi) hors littérature, indignes d’être analysés et décrits, à peu près de la même façon que nous n’étions pas très sortables. »</p>
</blockquote>
<h2>Trouver la forme juste</h2>
<p>Qui plus est, elle n’a pas su immédiatement comment en rendre compte littérairement sans trahir ses origines. La quête de la « forme juste » sera donc placée au cœur de sa réflexion stylistique tout au long de son œuvre, et l’amènera, à partir de <em>La Place</em>, à privilégier une « écriture au couteau », <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/La-place">qu’elle qualifie de « plate » ou de « blanche »</a>, une « langue des choses », dépouillée des attributs habituels en littérature, la seule tenable selon elle pour rendre compte d’existences « soumises à la nécessité ».</p>
<p>Une telle tension entre les deux mondes était déjà perçue par Annie Ernaux enfant à l’école, bien avant l’entrée en écriture. On trouve notamment dans <em>La Place</em> des indications qui permettent de reconstituer l’univers familier de références de l’autrice à l’époque, et les contradictions dans lesquelles la fillette scolarisée était prise :</p>
<blockquote>
<p>« Dans les rédactions, j’essayais d’utiliser ce qui fait bien, c’est-à-dire ce qui se rapprochait de mes lectures, “tapis jonché de feuilles”, etc. […] Et comme la littérature que je connaissais ne parlait pas d’une mère qui s’endormait à table de fatigue après souper ou de repas d’inhumation où l’on chante, je jugeais qu’il ne fallait pas en parler. […] Quand j’ai commencé à écrire, je me désespérais de ne pas faire de la beauté à chaque phrase. » (p. 10)</p>
</blockquote>
<p>Fascinée et déférente envers ce nouveau monde, c’est dorénavant à son aune que l’enfant va jauger et juger toutes les valeurs et pratiques en vigueur dans le milieu familial d’origine. L’école symbolise en effet le basculement dans l’univers des livres et de la culture, avec le cortège de contraintes que ce mode d’accession aux études implique : contrôle de l’hexis corporelle et des affects, déni des goûts, des comportements et du langage qui ont cours dans la famille, bannissement de l’accent et du patois, rectification de l’intonation…</p>
<p>Ainsi s’exprime Denise Lesur, le « double » d’Annie Ernaux dans <em>Les Armoires vides</em> :</p>
<blockquote>
<p>« [J’ai] la tête bruissante de mots, dominus, le maître, the cat is on the table, à côté les dettes des clients, les livraisons d’huile en retard font figure de choses sans importance. […] Comment aurais-je pu faire pour ne pas retenir, jusqu’à l’intonation même, ces mots de la maîtresse qui ouvraient à deux battants sur l’inconnu, sur tout ce qui n’était pas la boutique couverte de pas boueux, les criailleries du souper, les humiliations… […] Chez moi, j’étais libre de puiser dans les bocaux et les pots de confiote, d’agacer les vieux soûlots, de parler comme les mots me venaient, du popu et du patois […]. Toutes ces remarques, ces ricanements, non, les choses de mon univers n’avaient pas cours à l’école. […] Les profs […] ils ne tiendraient pas une journée chez moi, ils seraient dégoûtés, continuellement ils disent qu’ils ont horreur des gens vulgaires, ils font les dégoûtés si on éternue fort, si on se gratte, si on ne sait pas s’exprimer. […] Il n’y a peut-être jamais eu d’équilibre entre mes mondes. Il a bien fallu en choisir un, comme point de repère, on est obligé. Si j’avais choisi celui de mes parents, de la famille Lesur, encore pire, la moitié carburait au picrate, je n’aurais pas voulu réussir à l’école, ça ne m’aurait rien fait de vendre des patates derrière le comptoir, je n’aurais pas été à la fac. Il fallait bien haïr toute la boutique, le troquet, la clientèle de minables à l’ardoise. […] Étrangère à mes parents, à mon milieu, je ne voulais plus les regarder. […] Le pire, c’était que la classe […] ce n’était pas non plus mon vrai lieu. Pourtant, j’y aspirais de toutes mes forces. […] Il faut encore creuser l’écart, semer définitivement le café-épicerie, l’enfance péquenaude, les copines à indéfrisable… Entrer à la fac. » (p. 66, 67, 75, 78, 83, 94, 100, 119 et 161).</p>
</blockquote>
<h2>Le langage des dominants</h2>
<p>C’est donc essentiellement le langage qui vient cristalliser la rupture entre les deux mondes – et lui qu’il faudra sans cesse travailler pour rendre compte littérairement de cette dernière : celui de l’école, châtié et constamment contrôlé, qui invalide brutalement les pratiques linguistiques qui ont cours dans le milieu familial. « Tout ce qui touche au langage est dans mon souvenir motif de rancœur et de chicanes douloureuses, bien plus que l’argent », note ainsi Annie Ernaux dans <em>La Place</em> (p. 64).</p>
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<p>Les remarques sur l’apprentissage du langage normé des dominants, sans référent dans l’expérience réelle – « pire qu’une langue étrangère », écrit-elle dans <em>Les Armoires vides</em> (p. 53) –, et la séparation d’avec « le monde d’en bas » qu’il signifie, abondent dans l’œuvre de l’écrivaine : « Enfant, quand je m’efforçais de m’exprimer dans un langage châtié, j’avais l’impression de me jeter dans le vide », se souvient-elle dans <em>La Place</em> (p. 64) ; ou encore :</p>
<blockquote>
<p>« Il se trouve des gens pour apprécier le “pittoresque du patois” et du français populaire. Ainsi Proust relevait avec ravissement les incorrections et les mots anciens de Françoise. Seule l’esthétique lui importe parce que Françoise est sa bonne et non sa mère. Que lui-même n’a jamais senti ces tournures lui venir aux lèvres spontanément. Pour mon père, le patois était quelque chose de vieux et de laid, un signe d’infériorité. […] Il lui a toujours paru impossible que l’on puisse parler “bien” naturellement. Toubib ou curé, il fallait se forcer, s’écouter, quitte chez soi à se laisser aller. […] Toujours parler avec précaution, peur indicible du mot de travers, d’aussi mauvais effet que de lâcher un pet. » (p. 62-63)</p>
</blockquote>
<p>Dans <em>La Honte</em> (1997) en particulier, Annie Ernaux évoque longuement les effets ataviques du premier langage :</p>
<blockquote>
<p>« Parler bien suppose un effort, chercher un autre mot à la place de celui qui vient spontanément, emprunter une voix plus légère, précautionneuse, comme si l’on manipulait des objets délicats. […] Mon père dit souvent “j’avions” et “j’étions”, lorsque je le reprends, il prononce “nous avions” avec affectation, en détachant les syllabes, ajoutant sur son ton habituel, “si tu veux”, signifiant par cette concession le peu d’importance qu’a le beau parler pour lui. En 52, j’écris en “bon français” mais je dis sans doute “d’où que tu reviens” et “je me débarbouille” pour “je me lave” comme mes parents, puisque nous vivons dans le même usage du monde. » (p. 54-55)</p>
</blockquote>
<p>Parlant comme ses parents, elle intériorise pourtant progressivement le modèle linguistique dominant, qu’elle décrit dans <em>Les Armoires vides</em> comme un « système de mots de passe pour entrer dans un autre milieu » (p. 78).</p>
<p>Soumise aux catégories d’entendement professoral, elle commence à écrire « comme ses lectures » :</p>
<blockquote>
<p>« Je comprenais à peu près tout ce qu’elle disait, la maîtresse, mais je n’aurais pas pu le trouver toute seule, mes parents non plus, la preuve, c’est que je ne l’avais jamais entendu chez eux. […] [Les livres de lecture, de vocabulaire et de grammaire] ne parlent pas comme nous, ils ont leurs mots à eux, leurs tournures qui m’avertissent d’un monde différent du mien. […] Langage bizarre, délicat, sans épaisseur, bien rangé et qui prononcé, sonne faux chez moi. […] C’est pour ça que je n’employais mes nouveaux mots que pour écrire, je leur restituais leur seule forme possible pour moi. Dans la bouche, je n’y arrivais pas. Expression orale maladroite en dépit de bons résultats, elles écrivaient, les maîtresses sur le carnet de notes… Je porte en moi deux langages. […] La faute, c’est leur langage à eux [ses parents], malgré mes précautions, ma barrière entre l’école et la maison, il finit par traverser, se glisser dans un devoir, une réponse. J’avais ce langage en moi […]. Toutes les humiliations, je les mets sur leur compte, ils ne m’ont rien appris, c’est à cause d’eux qu’on s’est moqué de moi. Leurs mots dont on me dit qu’ils sont l’incorrection même, “incorrect”, “familier”, “bas”, mademoiselle Lesur, ne saviez-vous pas que cela ne se dit pas ? […] Maintenant, j’ai l’impression que je ne pourrai plus revenir en arrière, que j’avance, ruisselante de littérature, d’anglais et de latin, et eux, ils tournent en rond dans leur petit boui-boui. […] Même si je voulais, je ne pourrais plus parler comme eux, c’est trop tard. » (p. 53, 76, 77, 115, 158 et 181)</p>
</blockquote>
<h2>Symboliser l’expérience du « transfuge de classe »</h2>
<p>On saisit bien toute l’importance sociale et les implications politiques de ces thèmes, rarement abordés de manière aussi directe et systématique en littérature. Récits réflexifs d’une expérience individuelle, mais aussi et surtout narration d’une forme de destin épistémique, celui de la mobilité sociale ascendante de celles et ceux qui sont nés dans les années 1940-1950, les livres d’Annie Ernaux constituent une offre singulière de symbolisation de l’expérience du « transfuge de classe », fondée sur un pacte de lecture lui-même spécifique, « littéraire » mais sociologiquement instruit. Ils vont rapidement trouver un écho important chez des lectrices et lecteurs caractérisés par des formes d’identification projective avec l’autrice, leur permettant de mettre en mots, en particulier dans les lettres qu’elles-ils adressent en nombre à l’écrivaine, leur propre trajectoire et les déchirures sociales qui lui sont liées, souvent vécues jusqu’à lors sur le registre du cas singulier, de l’isolement et de la honte.</p>
<p>Au-delà de l’œuvre de la lauréate du prix Nobel de Littérature 2022, marquée par l’influence de ses connaissances sociologiques, il semble que les trajectoires de migration de classe prédisposent celles et ceux qui les expérimentent – et qui décident de les publiciser en les publiant sous forme de textes littéraires – à développer une sensibilité et une lucidité sociales aiguës, qui les amène à devenir de (très) bons « sociologues spontanés » d’eux-mêmes et d’un monde social où, pour eux, rien « ne va de soi ». Une sorte de « privilège de classe » inversé…</p>
<hr>
<p><em>Cet article reprend des réflexions initiées dans une thèse de doctorat de science politique portant sur les conditions de production et sur les réceptions de l’œuvre d’A. Ernaux. Voir Charpentier (I.), <a href="https://www.theses.fr/1999AMIE0052">Une Intellectuelle déplacée. Enjeux et usages sociaux et politiques de l’œuvre d’Annie Ernaux (1974-1998)</a>, Amiens, Université de Picardie–Jules Verne, 1999.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192653/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Charpentier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Fille d’ouvriers normands devenus petits commerçants propriétaires d’une épicerie-café à Yvetot, Annie Erneaux est devenue une « métis sociale ».Isabelle Charpentier, Professeure de Sociologie, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1925562022-10-19T17:09:27Z2022-10-19T17:09:27ZPénurie d’essence : ce que nous enseignent les travaux des prix « Nobel » d’économie de 2022<p>Depuis plus d’une semaine, les automobilistes français font face à une situation de pénurie de carburant à la suite de mouvements de grève dans plusieurs raffineries. L’actualité de la semaine passée a également été marquée, de manière beaucoup plus discrète, par la remise du prix de la Banque de Suède en l’honneur d’Alfred Nobel à trois économistes américains pour leurs <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/prix-nobel/le-prix-nobel-d-economie-est-attribue-aux-americains-ben-bernanke-douglas-diamond-et-philip-dybvig-pour-leurs-travaux-sur-les-banques-et-les-crises-financieres_5408788.html">travaux sur les banques et la stabilité financière</a>. </p>
<p>Si ces deux évènements n’ont a priori rien en commun, les travaux de Douglas Diamond et Philip Dybvig, récipiendaires du prix au côté de Ben Bernanke, ancien président de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/reserve-federale-etats-unis-120711">Réserve fédérale américaine (Fed)</a>, apportent un éclairage intéressant sur la situation actuelle en France.</p>
<p>En 1983, Diamond et Dybvig ont écrit un article fondateur qui a permis de comprendre que ce qui fait la <a href="https://partageonsleco.com/2021/03/15/le-modele-de-diamond-et-dybvig-1983/">raison d’être des banques est aussi une source de leur fragilité</a>. L’existence des banques s’explique par leur rôle d’intermédiaires entre épargnants et emprunteurs. Les premiers cherchent à placer leur épargne dans des placements sûrs et liquides, c’est-à-dire disponibles à tout moment. Les emprunteurs ont besoin de fonds, mobilisés pour une durée assez longue, afin d’investir.</p>
<p>En l’absence de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/banque-22013">banque</a>, il est impossible de transférer le surplus d’épargne vers les emprunteurs en raison de temporalité différente. Les banques assurent cette intermédiation en collectant l’épargne disponible à court terme pour la prêter à long terme. En opérant cette transformation de maturité, les banques contribuent à l’investissement et donc à l’activité économique.</p>
<p>Diamond et Dybvig ont mis en évidence que cette activité d’intermédiation est aussi ce qui rend les banques intrinsèquement fragiles. Les banques sont structurellement en position d’illiquidité car une partie de l’épargne est non disponible à court terme puisqu’elle est prêtée à long terme. En temps normal, cette situation ne pose pas de problème. Seule une part limitée de l’épargne totale est retirée tous les jours. Les banques ne sont donc pas dans l’obligation de disposer de toute l’épargne placée par les déposants.</p>
<h2>Prophéties autoréalisatrices</h2>
<p>Diamond et Dybvig s’intéressent aux situations de ruées vers les guichets (« bank runs ») au cours desquelles de nombreux épargnants vont vouloir retirer leur épargne au même moment mettant les banques, voire le système bancaire, en difficulté. Les origines de ces paniques bancaires sont multiples, allant de doute sur la solvabilité d’une banque à des décisions politiques comme <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2013/03/18/chypre-ou-le-risque-d-une-panique-bancaire_1849913_3232.html">à Chypre en 2013</a> lorsque le gouvernement a souhaité taxer les dépôts.</p>
<p>Le point intéressant de l’analyse de Diamond et Dybvig est de montrer que même si les retraits ne concernent initialement qu’un nombre limité d’épargnants, ils peuvent induire une ruée vers les guichets de l’ensemble des déposants en raison des prophéties autoréalisatrices et d’absence de coordination. Supposons qu’une proportion des épargnants décident de vouloir retirer leurs dépôts. Si les autres déposants commencent à douter de la capacité de la banque à faire face aux demandes de retraits, il est alors rationnel pour eux d’aller retirer leurs dépôts. Si ces déposants arrivent trop tard, ils ne pourront plus accéder à leur argent dans la mesure où le principe de retrait étant celui de la file d’attente (premiers arrivés, premiers servis).</p>
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<p>À partir de ce moment-là, tous les déposants vont se ruer sur les guichets bancaires pour retirer leurs dépôts. La banque ne pourra servir toutes ces demandes et elle se retrouvera face à une situation d’illiquidité qui peut même se transformer en un risque de solvabilité (si la banque doit vendre ses actifs en urgence pour obtenir de la liquidité). Il est possible que le phénomène se diffuse rapidement aux autres banques, par exemple si les déposants qui ont des comptes dans plusieurs banques vont retirer leurs fonds dans les autres banques.</p>
<p>Bien que ce modèle soit très simple, il permet d’éclairer en partie la pénurie actuelle de carburants. La pénurie s’explique en premier lieu par les grèves qui ont impacté plusieurs raffineries. Néanmoins, les grèves ne permettent pas d’expliquer les ruptures observées dans plusieurs stations-service, notamment dans des zones initialement non servies par les raffineries fermées. Une explication des pénuries tient aux phénomènes de prophéties autoréalisatrices, mises à jour dans le modèle de Diamond et Dybvig.</p>
<h2>Les solutions des « Nobel »…</h2>
<p>Comme dans le cas des banques, les stations-service n’ont qu’une quantité limitée d’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/essence-54214">essence</a> et le principe qui s’applique est celui de la file d’attente. Face aux nouvelles alarmantes, de nombreux automobilistes ont anticipé une incapacité des stations à pouvoir servir tout le monde. Ils se sont rués vers les pompes même si leurs besoins étaient limités, épuisant les stocks et créant de fait une situation de pénuries.</p>
<p>Il est utile de pousser l’analogie un peu plus loin en étudiant les propositions de solutions avancées (ou ignorées) par Diamond et Dybvig pour voir comment elles pourraient s’appliquer dans le cas de pénurie des carburants. Les deux économistes proposent deux solutions pour contrer la ruée vers les guichets.</p>
<p>La première solution est un système d’assurance qui permet à chaque citoyen d’avoir une couverture de son épargne en cas de faillite de sa banque (<a href="https://www.ecb.europa.eu/ecb/educational/explainers/tell-me-more/html/deposit_guarantee.fr.html">100 000 euros par banque et par déposant</a> au sein de l’Union européenne). L’objectif de ce dispositif est surtout préventif, pour éviter qu’une panique apparaisse, mais s’avère inutile dès que la crise s’est matérialisée.</p>
<p>La seconde solution est plus utile en cas de panique. Elle consiste à empêcher les agents à retirer de l’argent au-delà d’un certain seuil. En pratique, cette solution a pris la forme d’un montant de plafond de retrait. Une solution similaire a été appliquée dans certaines stations-service en limitant la capacité maximale lors de chaque plein ou en interdisant le remplissage de réservoirs annexes. Le risque est alors que les automobilistes « paniqués » multiplient les passages à la pompe.</p>
<p>Une solution plus proche du modèle de Diamond et Dybvig serait de mettre en œuvre des « bons carburant » qui seraient rattachés à chaque automobiliste ou véhicule et pourraient être modulés selon les activités (prioritaires ou non), voire avec la possibilité d’être échangés. Cette solution est peut-être théoriquement attrayante mais reste techniquement très difficile à mettre en œuvre dans un délai aussi court.</p>
<h2>… et les autres</h2>
<p>Il est également intéressant d’étudier des solutions non envisagées par Diamond et Dybvig. Les auteurs ignorent dans leur analyse le rôle de la création monétaire (ce qui est une limite de leur modèle). Face à des crises de liquidité, la banque centrale peut injecter de la liquidité dans le système bancaire afin de <a href="https://blocnotesdeleco.banque-france.fr/billet-de-blog/comprendre-la-croissance-du-bilan-des-banques-centrales">donner de l’oxygène aux banques</a>.</p>
<p>En ce qui concerne l’essence, le gouvernement a ainsi commencé à <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/penurie-de-carburants/direct-penurie-de-carburant-la-greve-est-reconduite-chez-totalenergies-et-exxonmobil-annonce-la-cgt_5406946.html">recourir aux stocks stratégiques</a> afin de réduire la tension. Néanmoins, l’analogie avec le système bancaire a ses limites. Contrairement à la monnaie de banque centrale, le carburant ne se crée pas ex nihilo. Cette solution implique donc de réduire ces stocks avec le risque de se trouver dépourvu si la crise perdure.</p>
<p>Enfin, il est utile de se demander pourquoi des économistes n’ont pas pensé à la régulation par les prix. Une solution aux deux problèmes serait de modifier le mode d’allocation de la ressource selon un principe de prix plutôt que de rationnement (file d’attente). Concrètement, les banques pourraient facturer les retraits en proportion du montant retiré ou alors jouer sur le prix des carburants.</p>
<p>Il ressort d’ailleurs que les prix à la pompe ont connu une hausse depuis le début de la pénurie, notamment dans les <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/transports/penurie-de-carburant/penurie-des-carburants-la-ou-il-n-y-a-pas-de-rupture-les-prix-ont-tendance-a-grimper-7185c46c-4a2b-11ed-9784-e9ad79cbd945">zones les plus tendues</a>.</p>
<p>Cette solution a deux limites essentielles. D’une part, augmenter les prix est politiquement explosif dans la situation actuelle d’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/inflation-28219">inflation</a>. Ce choix reviendrait à donner la priorité aux plus aisés au risque d’accroître les tensions et donc l’origine du problème. D’autre part, on peut douter que la régulation par les prix soit le meilleur outil en situation de panique, lorsque les incitations économiques perdent de leur efficacité.</p>
<p>L’expérience vécue pourrait servir pour anticiper les futures crises afin de juguler au plus vite les phénomènes d’anticipations autoréalisatrices qui sont au cœur des difficultés actuelles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192556/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Florian Léon est membre de la Fondation pour les Etudes et Recherches sur le Développement International (fondation reconnue d'utilité publique). </span></em></p>Les lauréats ont étudié les ruées vers les banques pour effectuer des retraits en période de crise. Des situations qui présentent des similitudes avec les files d’attente devant les stations-service.Florian Léon, Research officer à la Fondation pour les Etudes et Recherches sur le Développement International, Agence Universitaire de la Francophonie (AUF)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1925742022-10-19T17:09:12Z2022-10-19T17:09:12ZGestion des crises financières : des « Nobels » d’économie entre déjà-vu et révolution<p>C’est donc <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/10/10/prix-nobel-d-economie-triple-recompense-pour-la-science-des-crises-bancaires_6145236_3234.html">l’économie monétaire et bancaire</a> qui aura été mise à l’honneur cette année. Les économistes américains Ben Bernanke, Douglas Diamond et Philip Dybvig sont les lauréats 2022 du prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred <a href="https://theconversation.com/fr/topics/prix-nobel-20616">Nobel</a>.</p>
<p>Si ses homologues restent moins connus du grand public, Ben Bernanke a lui été président de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/reserve-federale-etats-unis-120711">Réserve fédérale américaine (Fed)</a> entre 2006 et 2014 et a marqué les esprits pour sa gestion de la crise des subprimes de 2008, reposant en large partie sur des <a href="https://www.lepoint.fr/economie/ben-bernanke-l-homme-qui-a-amene-la-fed-en-territoire-inconnu-29-01-2014-1785465_28.php">pratiques non conventionnelles</a>. Son parcours a également été marqué par un célèbre <a href="https://ideas.repec.org/p/fip/fedgsq/77.html">discours de 2005</a> qui a changé les regards sur le déficit américain : il n’était peut-être pas causé par une mauvaise gestion interne mais par un surplus d’épargne dans le reste du monde. On retiendra également un <a href="https://books.google.fr/books/about/Inflation_Targeting.html?id=MryLRLgkjGQC&redir_esc=y">ouvrage</a> de 1999, réédité depuis, sur la façon d’utiliser les taux d’intérêt pour juguler <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/entendez-vous-l-eco/nobel-d-economie-2022-qu-apprend-t-on-des-crises-4188260">l’inflation</a>.</p>
<p>Certes, il s’est retrouvé à un poste décisionnaire dans une situation parallèle aux années 1930 qui était son objet d’étude, celle d’une crise financière qui s’est propagée à l’ensemble de l’économie. C’est cependant bien pour une série d’articles prolongeant un <a href="https://fraser.stlouisfed.org/files/docs/publications/aer/aer_1983_bernanke_nonmonetary_effects.pdf">article</a> datant de 1983 qu’il reçoit aujourd’hui cette récompense prestigieuse.</p>
<p>Comme Diamond et Dybvig, qui publient leur <a href="https://www.bu.edu/econ/files/2012/01/DD83jpe.pdf">article</a> de référence la même année, les idées énoncées ne sont pas fondamentalement nouvelles. En caricaturant, on pourrait presque dire qu’il s’agit d’un Nobel post mortem remis à Walter Bagehot et Irving Fisher, des auteurs respectivement décédés en 1877 et 1947, alors que le prix a, lui, été décerné à partir de 1969. Néanmoins, il ne faut pas oublier l’importance du travail de modélisation qu’ils ont entrepris et qui a donné à leur modèle une certaine postérité. Il faut également saluer l’intuition forte qu’était alors de ressortir ces vieux auteurs : cela n’allait pas du tout de soi au début des années 1980 de travailler leur sujet. C’est ce que nous voudrions suggérer ici.</p>
<h2>À jamais les premiers ?</h2>
<p>Le modèle de Diamond et Dybvig emprunte donc largement aux écrits de Bagehot. Leur enjeu était d’expliquer de façon théorique à la fois la raison d’être des banques mais aussi le risque qui leur est inhérent. Le problème est le suivant : il y a dans le monde ceux qui sont capables de prêter leur argent mais qui souhaitent aussi que leurs sous soient disponibles assez rapidement pour consommer ; il y a ceux qui veulent emprunter et qui le font en général pour plusieurs années. Il a donc fallu inventer un acteur, la banque qui puisse faire l’intermédiaire entre ces catégories de personnes qui ne se projettent pas aussi loin dans le temps les unes que les autres.</p>
<p>Que se passe-t-il cependant si tout le monde veut retirer son dépôt ? La situation semble ingérable non pas parce que la banque aurait eu des pertes, mais simplement car elle ne peut pas accéder à des dépôts qui ont été prêtés et qu’elle n’a pas immédiatement sous la main. Deux solutions alors sont imaginées par les auteurs : soit il s’agit de penser un système d’assurance sur les dépôts, soit d’avoir recours à un autre acteur, la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/banque-centrale-45337">banque centrale</a>, qui puisse prêter aux banques de dépôts temporairement en manque de liquidité en tant que « prêteur en dernier ressort ».</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/489871/original/file-20221015-22-nwk672.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/489871/original/file-20221015-22-nwk672.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/489871/original/file-20221015-22-nwk672.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=744&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/489871/original/file-20221015-22-nwk672.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=744&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/489871/original/file-20221015-22-nwk672.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=744&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/489871/original/file-20221015-22-nwk672.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=935&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/489871/original/file-20221015-22-nwk672.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=935&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/489871/original/file-20221015-22-nwk672.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=935&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Walter Bagehot (1826-1877), journaliste du XIXᵉ siècle, est à l’origine des premières réflexions sur la gestion des crises bancaires.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Norman Hirst</span></span>
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<p>Ces préoccupations datent en fait de la deuxième moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, à une époque où les banques de détails commençaient à se développer. Walter Bagehot, éditorialiste de The Economist les avait formulées dans son ouvrage <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/lombard-street-a-description-of-the-money-market/">Lombard Street</a>. Il interrogeait la finance et la gestion des crises qui pourraient apparaître. Il donnait alors son nom à une doctrine selon laquelle il faudrait prêter aux banques en situation d’illiquidité, le cas étudié par Diamond et Dybvig, mais pas à une banque en situation d’insolvabilité, c’est-à-dire qui ne peut pas tenir ses engagements car elle a réalisé des pertes.</p>
<p>L’accélérateur financier, au cœur de l’article de Bernanke, c’est, lui, en toile de fond le schéma dette-déflation décrit par <a href="https://www.persee.fr/doc/rfeco_0769-0479_1988_num_3_3_1188">Irving Fisher</a> en 1933. Celui-ci pensait quelques jours avant la crise de 1929 que les prix avaient atteint un « plateau permanent élevé ». Mais voilà qu’un krach financier survient et chamboule toute l’économie. Des bulles éclatent et c’est alors que l’on se rend compte combien les agents étaient endettés. Ils vont vendre leurs biens pour y faire face, mais puisqu’ils sont beaucoup à vendre, les prix chutent. Les actifs perdent en valeur, les difficultés à rembourser les dettes augmentent donc et c’est une véritable spirale.</p>
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<p>Bernanke va croiser tout cela avec des <a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2001.joumady_o&part=46597">articles</a> plus contemporains, ceux de Joseph Stiglitz (prix Nobel 2001) et de son co-auteur Andrew Weiss. L’intuition est qu’un prêteur va sans doute prêter moins qu’il le devrait quand il ne se sait pas s’il peut avoir confiance en celui qui emprunte : va-t-il vraiment me rembourser ou vais-je me faire avoir ? </p>
<p>Il y a donc moins de crédits accordés et à un taux d’intérêt plus bas que dans une situation optimale (on parle de « rationnement du crédit »), d’où suivent des investissements moins nombreux, et donc une croissance moins stimulée. Cela joue aussi en retour sur la valeur de ce que possèdent les emprunteurs. Or, c’est en principe, ce qui fait que l’on a ou non confiance en eux : plus facile par exemple pour un ménage d’obtenir un crédit lorsqu’il est propriétaire d’un logement.</p>
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<figcaption><span class="caption">Irving Fisher aux actualités quelques heures après le krach boursier de 1929 évoque déjà le problème des dettes.</span></figcaption>
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<p>Le mécanisme s’autoalimente et l’effet devient encore plus intense dans le cas d’une crise bancaire systémique. C’est pour cela que Bernanke affirme que la propagation de la crise des années 1930 a à voir avec une réponse trop timide des banques centrales. Elles auraient dû, selon lui, rajouter de la monnaie dans le système pour stimuler le crédit et, par suite, l’investissement et la croissance.</p>
<h2>Quelques équations élégantes</h2>
<p>Est-ce à dire que Diamond, Dybvig et Bernanke ont juste eu le mérite de vivre à une époque plus « nobélisable » que leurs prédécesseurs ? Il n’y a tout d’abord aucune malhonnêteté : dans ses articles, Bernanke cite volontiers Fisher. Surtout, répondre oui serait négliger l’importance qu’il y a en économie de passer d’une intuition à sa formalisation.</p>
<p>Le grand mérite de ces trois auteurs, auquel on peut ajouter Mark Gertler, binôme et co-auteur pendant de longues années de Ben Bernanke, est d’avoir, d’une part, choisi de faire revivre ces questions importantes dans le débat académique contemporain, et, d’autre part, d’avoir traduit en quelques équations élégantes ce qui était alors une intuition formulée de manière plus littéraire.</p>
<p>Le succès d’un modèle est de rester simple à enseigner tout en permettant à une communauté de chercheurs de construire un très grand nombre de variantes afin d’expliquer une variété de phénomènes économiques.</p>
<p>Concernant Diamond et Dybvig, c’est ce que nous avions pu faire dans une certaine mesure avec Bruno Amable et Olivier de Bandt. Dans un <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00118635">article de 1997</a>, nous levions certaines hypothèses pour comprendre les limites de la finance et leurs impacts sur la croissance. Nous interrogions la place des banques centrales comme prêteur en dernier ressort en cas de crise systémique.</p>
<p>Le modèle original ne prend, par exemple, pas en compte le cas où la concurrence entre les banques commerciales n’est pas parfaite. Or, ce que nous observions notamment au Canada est qu’un oligopole d’une petite dizaine de banques avait été bien plus résiliant aux crises financières qu’un système très concurrentiel comme aux États-Unis.</p>
<p>De la même manière, nous avons utilisé des résultats de l’accélérateur financier de Bernanke pour étudier les effets des contraintes financières sur les <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00118639/">prix</a>, pour estimer l’ampleur du <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00119489v2/">canal du crédit</a> de la politique monétaire dans la zone euro, ou le <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2006-4-page-523.htm">nantissement</a> des brevets pour le crédit aux entreprises innovantes.</p>
<h2>Un peu effronté</h2>
<p>Se référer à Fisher en 1983 et reparler de la crise des années 1930 un demi-siècle plus tard avait en outre quelque chose de presque révolutionnaire que ce soit du point de vue de l’histoire des faits comme de l’histoire des idées. Quand il choisit de retravailler sur la crise des années 1930, ce n’était plus à la mode, et il ne semblait pas y avoir de raison que ça le redevienne. Milton Friedman (prix Nobel 1976) et Anna Schwartz avaient écrit un <a href="https://larspeterhansen.org/wp-content/uploads/2019/02/Lucas-Review.pdf">ouvrage considéré comme la référence</a> sur le sujet vingt ans avant en 1963.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/489872/original/file-20221015-26-slalnu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/489872/original/file-20221015-26-slalnu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/489872/original/file-20221015-26-slalnu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/489872/original/file-20221015-26-slalnu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/489872/original/file-20221015-26-slalnu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/489872/original/file-20221015-26-slalnu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/489872/original/file-20221015-26-slalnu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/489872/original/file-20221015-26-slalnu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>L’impact des travaux de Bernanke, en particulier, n’a pas été immédiat. Ses articles qui lui valent aujourd’hui un « Nobel » sont appréciés mais relativement peu cités jusqu’à la fin des années 1990. Il faudra attendre 2008 pour que ce que faisait Bernanke dans les années 1980 devienne la norme en macroéconomie. En France, de rares publications abordaient le sujet tel que le livre <a href="https://www.jstor.org/stable/3501626">La Dette, le boom, la crise</a> de 1985 signé Vivien Lévy-Garboua et Gérard Maarek, futur secrétaire général de l’Insee.</p>
<p>Au début des années 1980, on n’avait en fait quasiment pas vu de faillites bancaires d’importance dans les pays occidentaux depuis l’après-guerre. Pointées du doigt durant la crise des années 1930 puis soumises à des années d’économie de guerre et de reconstruction très dirigistes, les banques s’étaient de facto retrouvées mises sous tutelle réglementaire des États avec, par exemple, la séparation stricte entre banques d’investissement et banques de dépôt aux États-Unis (Glass-Steagall act de 1933), les restrictions des flux de capitaux internationaux (accords de Bretton Woods en 1944), des nationalisations ou le soutien à des banques coopératives.</p>
<p>Les économistes se pensaient donc à des années-lumières d’assister à une crise systémique telle que celle qui a suivi la faillite de Lehman Brothers en 2008. Ils ne voyaient pas de raisons de s’en préoccuper, mis à part d’un point de vue d’historien des crises financières comme <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/histoire-mondiale-de-la-speculation-financiere-de-1700-a-nos-jours/2-une-approche-historique/">Kindleberger en 1978</a>.</p>
<p>Le système de Bretton Woods avait pourtant disparu depuis 1971, une forme de dérégulation faisait son apparition et une inflation forte commençait à poindre. Cependant, avec des taux d’intérêt nominaux inférieurs au taux d’inflation et aux taux de croissance des salaires, la dette semblait pouvoir augmenter sans risque.</p>
<p>Ceci dura jusqu’au second semestre 1979, début du mandat de Paul Volcker en tant que président de la Fed. La hausse forte et durable des taux directeurs de la Fed maintenus très au-dessus du taux d’inflation a conduit à une récession mondiale associée à une désinflation brutale. Un nouveau régime monétaire venait de naître où les dettes des États souverains, des entreprises, des banques et des ménages devenaient des préoccupations importantes.</p>
<p>Commencer à sentir que le sujet des dettes et du crédit allait redevenir majeur pour longtemps, comme Ben Bernanke, demandait donc d’avoir du talent, et même d’être un peu franc-tireur. Au même moment, les macro-économistes qui attiraient l’attention dans le monde académique étaient Finn Kydland et Edward Prescott (prix Nobel 2004). Leur théorie des cycles d’affaires réels, exposée dans un <a href="https://www.jstor.org/stable/1913386">article de 1982</a> fait en effet des fluctuations de l’économie la conséquence d’événements aléatoires qui lui sont extérieurs (un choc pétrolier ou une nouvelle invention par exemple).</p>
<p>Non seulement le crédit, mais aussi la monnaie et les politiques monétaire et budgétaire étaient censées, d’après eux, n’avoir eu aucun effet sur les cycles de l’activité économique dans l’après-guerre aux États-Unis. Dans ce contexte académique à contretemps du nouveau régime monétaire, oser revenir sur l’ouvrage de Milton Friedman et Anna Schwartz sur la crise des années trente et remettre au goût du jour la dette-déflation d’Irving Fisher, c’était alors être un peu effronté.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192574/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Bernard Chatelain est membre du Centre Cournot. </span></em></p>Ben Bernanke, Douglas Diamond et Philip Dybvig ont été récompensés pour des travaux de 1983 sur la gestion des crises financières qui résonnent différemment dans le contexte actuel qu'à l'époque.Jean-Bernard Chatelain, Professeur des universités en Sciences économiques, Paris School of Economics, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1919942022-10-11T14:52:41Z2022-10-11T14:52:41ZLes récipiendaires de prix Nobel sont des personnes créatives qui sortent des sentiers battus<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/488358/original/file-20221005-26-yktx34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C17%2C5657%2C3763&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Carolyn Bertozzi, professeure à Stanford, discute de ses recherches lors d'une entrevue, peu après avoir appris qu'elle avait reçu le prix Nobel de chimie, le 5 octobre dernier. </span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Noah Berger)</span></span></figcaption></figure><p>Les experts recommandent souvent que pour <a href="https://www.forbes.com/sites/joshbersin/2012/03/09/why-leaders-must-be-experts-keys-to-success-from-ge/?sh=26db7fd12cf3">maximiser ses chances de réussite</a>, une personne devrait se <a href="https://hbr.org/2011/07/the-big-idea-the-age-of-hyperspecialization">spécialiser ou faire ses recherches dans un domaine en particulier</a>. Pourtant, nos travaux récemment publiés révèlent que le succès des visionnaires passe par une approche plus large.</p>
<p>Nous avons examiné les carrières des <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/lists/all-nobel-prizes/">lauréats du prix Nobel</a>, qui comptent sans doute parmi les individus les plus innovants au monde. Nous avons constaté qu’ils sont <a href="https://doi.org/10.1080/10400419.2020.1751545">particulièrement susceptibles</a> d’être ce que nous appelons des « polymathes créatifs ». En d’autres termes, ils <a href="https://doi.org/10.1080/10400419.2022.2051294">intègrent délibérément des expertises formelles et informelles</a> provenant de disciplines très variées pour produire des idées et des pratiques nouvelles et utiles.</p>
<p>En fait, le témoignage de scientifiques primés qui ont été les élèves de lauréats précédents suggère que la polymathie créative est une compétence qui s’apprend. Nous nous sommes penchés sur certains d’entre eux dans nos livres <a href="https://worldcat.org/title/25233880">« Discovering »</a> et <a href="https://worldcat.org/title/47906414">« Sparks of Genius »</a>.</p>
<p>Nombre de ces lauréats décèlent des problèmes en abordant des sujets de manière nouvelle, ou les résolvent en transférant des compétences, des techniques et des matériaux d’un domaine à un autre. Ils utilisent souvent des <a href="https://worldcat.org/title/47906414">outils conceptuels</a> tels que les analogies, reconnaissance de formes, la cognition incarnée, l’interprétation de rôles et la modélisation. Dans un exemple notoire, <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/medicine/1912/carrel/facts/">Alexis Carrel</a> a remporté son prix Nobel de médecine en 1912 en adaptant des <a href="https://www.thedailybeast.com/organ-transplantation-owes-a-great-debt-to-this-19th-century-french-embroiderer">techniques de dentelle et de broderie à la chirurgie de transplantation</a>.</p>
<h2>Un psychologue, inventeur et économiste</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/485692/original/file-20220920-9768-362gpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un homme en costume assis derrière un bureau couvert de livres et de papiers" src="https://images.theconversation.com/files/485692/original/file-20220920-9768-362gpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485692/original/file-20220920-9768-362gpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485692/original/file-20220920-9768-362gpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485692/original/file-20220920-9768-362gpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485692/original/file-20220920-9768-362gpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485692/original/file-20220920-9768-362gpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485692/original/file-20220920-9768-362gpb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Herbert Simon, lauréat du prix Nobel d’économie en 1978.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://newsroom.ap.org/detail/HERBERTSIMONECONOMIST/21e580304ee1da11af9f0014c2589dfb/photo">AP Photo</a></span>
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<p>Herbert Simon a reçu le prix Nobel d’économie en 1978 pour « ses recherches avant-gardistes sur le <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/economic-sciences/1978/summary/">processus de prise de décision au sein des organisations économiques</a> ».</p>
<p>Il était professeur dans <a href="http://diva.library.cmu.edu/Simon/">plusieurs départements de l’université Carnegie Mellon</a>. Ses collègues le qualifiaient souvent d’ <a href="https://publisher.abc-clio.com/9780313017049/">« esprit universel »</a> en raison de son vaste éventail d’intérêts et de sa grande curiosité. Au cours de sa carrière, il a apporté des contributions majeures à la recherche en informatique, en intelligence artificielle, en psychologie et en philosophie, ainsi qu’en économie.</p>
<p>Outre ses travaux universitaires, Simon s’intéressait également <a href="https://mitpress.mit.edu/9780262691857/models-of-my-life/">au piano, à la composition musicale</a>, au dessin, à la peinture et aux échecs.</p>
<p>Il faisait souvent référence à la stimulation intellectuelle, au plaisir émotionnel et aux nouvelles idées qu’il tirait de l’intégration de ses nombreux passe-temps dans son travail.</p>
<p>« <a href="https://mitpress.mit.edu/9780262691857/models-of-my-life/">Je peux rationaliser toute activité dans laquelle je m’engage</a> comme étant simplement une autre forme de recherche sur la cognition », a-t-il déclaré dans son autobiographie de 1996. Il a ajouté : « <a href="https://mitpress.mit.edu/9780262691857/models-of-my-life/">Je peux toujours considérer mes passe-temps</a> comme faisant partie de mes recherches. »</p>
<h2>Une généticienne, illustratrice et auteure de livres de cuisine</h2>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/485693/original/file-20220920-15-cz6ne9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme assise devant un ordinateur dans un bureau rempli d’illustrations et de livres" src="https://images.theconversation.com/files/485693/original/file-20220920-15-cz6ne9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485693/original/file-20220920-15-cz6ne9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485693/original/file-20220920-15-cz6ne9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485693/original/file-20220920-15-cz6ne9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485693/original/file-20220920-15-cz6ne9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485693/original/file-20220920-15-cz6ne9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485693/original/file-20220920-15-cz6ne9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Christiane Nüsslein-Volhard, lauréate du prix Nobel de physique en 1995.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/july-2020-baden-wuerttemberg-t%C3%BCbingen-christiane-n%C3%BCsslein-news-photo/1227734046">Marijan Murat/picture alliance via Getty Images</a></span>
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<p>Christiane Nüsslein-Volhard a réuni des compétences tout aussi diverses pour décrocher le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1995, qui lui a été décerné pour ses <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/medicine/1995/nusslein-volhard/facts/">« découvertes concernant le contrôle génétique du développement embryonnaire précoce »</a>.</p>
<p><a href="https://www.nobelprize.org/prizes/medicine/1995/nusslein-volhard/interview">« Je suis très curieuse et j’aime comprendre les choses »</a>, a-t-elle déclaré lors d’une interview en 2003, « et pas seulement en sciences… ». J’ai aussi fait de la musique et j’ai étudié les langues et la littérature, entre autres. »</p>
<p>Cela inclut des incursions en tant qu’<a href="https://thenode.biologists.com/interview-christiane-nusslein-volhard/interview/">illustratrice, conceptrice de casse-têtes et auteure</a> d’un livre de cuisine très populaire.</p>
<p>Quand elle était étudiante en sciences, Nüsslein-Volhard s’est montrée tout aussi ouverte d’esprit, passant par la physique, la physicochimie et la biochimie avant de choisir l’embryologie. Ses nombreux intérêts professionnels et personnels se sont avérés utiles pour imaginer de nouvelles questions et techniques, et pour produire des résultats inédits. Elle <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/medicine/1995/nusslein-volhard/interview/">conseille aux chercheurs de faire preuve d’autant de souplesse et d’idiosyncrasie</a>.</p>
<p>Dans une interview de 2017, elle a déclaré : « <a href="https://thenode.biologists.com/interview-christiane-nusslein-volhard/interview/">Vous devriez, dans la mesure du possible, éviter les sujets traditionnels</a> et changer de domaine après votre doctorat afin de pouvoir développer un profil individuel et travailler sur un sujet original, que vous aurez vous-même choisi. »</p>
<h2>L’importance de la polymathie créative</h2>
<p>Ce que nous avons constaté, c’est que Carrel, Nüsslein-Volhard et Simon correspondent au profil type des lauréats du prix Nobel, mais pas du tout à celui de la plupart des professionnels. Dans le cadre de <a href="https://scholar.google.com/citations?user=_a_E9pgAAAAJ&hl=en&oi=ao">notre recherche sur la créativité</a> au cours des 20 dernières années, nous avons rassemblé des informations sur le travail, les loisirs et les intérêts de 773 lauréats d’économie, littérature, paix, physique, chimie et physiologie ou médecine entre 1901 et 2008.</p>
<p>Notre constat est que la grande majorité de ces personnes reçoivent ou ont reçu une éducation formelle – et souvent aussi informelle – dans <a href="https://doi.org/10.1080/10400419.2020.1751545">plus d’une discipline</a>, qu’ils pratiquent de manière soutenue ou extensive et changent couramment de domaine. Plus important encore, nous avons découvert qu’ils ont <a href="https://doi.org/10.1080/10400419.2022.2051294">intentionnellement recherché des liens utiles</a> entre leurs diverses activités comme stratégie formelle pour stimuler la créativité.</p>
<p>Notre analyse révèle que les scientifiques qui remportent un prix Nobel sont environ <a href="https://doi.org/10.1080/10400419.2020.1751545">neuf fois plus susceptibles</a> de posséder une formation dans des métiers tels que le travail du bois et du métal ou les beaux-arts que le scientifique type.</p>
<p>Et contrairement à la plupart des experts en sciences sociales ou autres étudiants en sciences humaines, les <a href="https://doi.org/10.1080/10400419.2020.1751545">lauréats du prix Nobel d’économie</a> ont presque tous une formation en mathématiques, en physique ou en astronomie. Ceux du prix Nobel de littérature sont environ <a href="https://doi.org/10.1080/10400419.2020.1751545">trois fois plus enclin</a> à être des artistes et 20 fois plus à être des acteurs que les membres du grand public.</p>
<p>À la différence des <a href="https://arxiv.org/abs/2108.12759v2">professionnels types</a> qui <a href="https://doi.org/10.1207/s15326934crj0802_2">considèrent leurs loisirs comme non pertinents</a> ou même nuisibles à leur travail, les lauréats du prix Nobel perçoivent leurs intérêts et leurs passe-temps variés comme d’importantes sources de stimulation.</p>
<p>Comme l’a dit le dramaturge et acteur Dario Fo, lauréat du prix Nobel de littérature en 1997, et également peintre, dans une interview : « <a href="https://donaldfriedman.com/books/the-writers-brush/">Parfois, je dessine mes pièces de théâtre</a> avant de les écrire, et d’autres fois, lorsque j’ai des difficultés avec une pièce, j’arrête d’écrire pour pouvoir illustrer l’action en images afin de résoudre le problème. »</p>
<p>Nous avons constaté que la plupart des lauréats du prix Nobel ont fait des déclarations équivalentes.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/485699/original/file-20220920-18-xy06q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un médaillon en métal sur lequel est reproduit le profil d’un homme en relief" src="https://images.theconversation.com/files/485699/original/file-20220920-18-xy06q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485699/original/file-20220920-18-xy06q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=577&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485699/original/file-20220920-18-xy06q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=577&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485699/original/file-20220920-18-xy06q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=577&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485699/original/file-20220920-18-xy06q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=725&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485699/original/file-20220920-18-xy06q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=725&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485699/original/file-20220920-18-xy06q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=725&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Léonard de Vinci, représenté sur ce médaillon, était un célèbre polymathe de la Renaissance européenne.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/medalion-depicting-leonardo-da-vinci-leonardo-di-ser-piero-news-photo/1414123095">Universal History Archive/Universal Images Group via Getty Images</a></span>
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<h2>Favoriser la polymathie créative</h2>
<p>Nous pensons qu’il est possible de favoriser l’interaction fructueuse d’intérêts très variés. Une étude a révélé que les <a href="https://www.researchgate.net/publication/279985369_Double_Majors_Influences_Identities_and_Impacts">gens qui ont une double spécialisation à l’université</a> sont plus disposés à adopter des comportements créatifs ou à devenir des entrepreneurs que ceux qui ne se consacrent qu’à une seule matière.</p>
<p>Une autre étude a démontré que le <a href="https://doi.org/10.1207/s15326934crj1202_1">fait d’avoir un passe-temps régulier et intellectuellement stimulant</a> – comme la musique, le théâtre, les expositions d’art visuel, les échecs de compétition ou la programmation informatique – constitue un meilleur indicateur de réussite professionnelle dans n’importe quel domaine que les notes, les résultats aux tests normalisés ou le QI. De même, nos propres recherches ont montré que les <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.1807189116">scientifiques de carrière se consacrant à des loisirs manuels réguliers</a> sont nettement <a href="https://doi.org/10.21300/20.3.2019.197">plus susceptibles de déposer des brevets</a> et de <a href="https://doi.org/10.1177/0891242413486186">créer de nouvelles entreprises</a> que les autres.</p>
<p>Selon nous, un monde de plus en plus complexe et varié a besoin non seulement d’experts spécialisés, mais aussi de généralistes créatifs, c’est-à-dire les polymathes qui se spécialisent dans la diversité et l’intégration, et qui poussent les connaissances au-delà de ce que les gens croient déjà possible.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191994/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les prix Nobel sont décernés à certaines des personnes les plus innovantes au monde. Les chercheurs qui étudient la créativité recensent ici leurs points communs ; ils expliquent ce que les gens ordinaires peuvent apprendre d’eux et comment ils peuvent les imiter.Robert Root-Bernstein, Professor of Physiology, Michigan State UniversityMichele Root-Bernstein, Adjunct Professor of Theater, Michigan State UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1919012022-10-04T14:58:47Z2022-10-04T14:58:47ZPrix Nobel de médecine 2022 : les découvertes de Svante Pääbo sur l’ADN ancien révèlent ce qui fait de nous des êtres humains<p>Le <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/medicine/2022/press-release/">prix Nobel</a> de médecine 2022 a été attribué à Svante Pääbo, du <em>Max Planck Institute for Social Anthropology</em> à Leipzig, en Allemagne, « pour ses découvertes relatives aux génomes des hominines disparus et l’évolution humaine ».</p>
<p>En d’autres termes, Pääbo s’est vu décerner ce prestigieux prix pour avoir séquencé les génomes de nos parents éteints, les Néandertaliens et les Dénisoviens, et pour le fait que ces découvertes ont permis d’obtenir des informations inédites sur l’évolution humaine.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1576867617536503808"}"></div></p>
<p>Pääbo est largement considéré comme le pionnier de l’<a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.86.6.1939?url_ver=Z39.88-2003&rfr_id=ori%3Arid%3Acrossref.org&rfr_dat=cr_pub++0pubmed">ADN ancien</a>, un domaine de recherche consacré à la récupération et à l’analyse de l’ADN des vestiges historiques et préhistoriques.</p>
<p>Svante Pääbo a obtenu son doctorat en sciences médicales à l’Université d’Uppsala en Suède au <a href="https://fof.se/artikel/2005/7/han-laser-forntidens-dna/">début des années 1980</a>, et il a également étudié l’égyptologie pendant ses études. Ce bagage lui a permis d’utiliser les outils de la biologie moléculaire, tirés de son expertise en sciences médicales, pour mieux comprendre la préhistoire humaine.</p>
<h2>Extraire l’ADN des os anciens</h2>
<p>À partir des années 1980, Pääbo a étudié <a href="https://academic.oup.com/nar/article/16/20/9775/2378566">l’ADN ancien</a> dans des matériaux allant des humains momifiés aux <a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.86.6.1939">paresseux terrestres éteints</a>. Ce travail était <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC309938/pdf/nar00065-0302.pdf">difficile d’un point de vue technique</a>, car l’ADN ancien se dégrade très facilement et peut être contaminé.</p>
<p>Au cours de la décennie qui a suivi, il a mis au point une série de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/8020612/">méthodes et de lignes directrices</a> pour récupérer et interpréter l’ADN ancien et réduire au minimum le risque de contamination par des sources modernes, notamment par des humains contemporains.</p>
<p>Au début des années 1990, la possibilité de récupérer de l’<a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.7973705">ADN de dinosaures</a> suscite un vif intérêt dans le domaine. Toutefois, compte tenu de ses connaissances sur la façon dont l’ADN se <a href="https://www.cell.com/fulltext/S0092-8674(00)80306-2">dégrade avec le temps</a>, Pääbo doutait que l’ADN puisse survivre aussi longtemps. On lui a par la suite donné raison.</p>
<p>Pour beaucoup de ses collègues, il était clair que l’objectif de Pääbo était de récupérer l’ADN de Néandertalien. Mais il a pris son temps, et a soigneusement développé les méthodes de récupération et d’authentification de l’ADN ancien jusqu’à ce que ces méthodes soient suffisamment matures pour atteindre cet objectif.</p>
<p>Enfin, en 1997, Pääbo et ses collègues ont publié les premières <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0092867400803104">séquences d’ADN néandertaliennes</a>. En 2010, ils ont publié l’intégralité du <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.1188021">génome de Néandertal</a> (c’est-à-dire toute l’information génétique stockée dans l’ADN d’un Néandertalien).</p>
<p>Quelques années plus tard, le groupe a également publié le génome d’un type d’humain inconnu jusqu’alors, les <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.1224344">Dénisoviens</a>, apparentés de loin aux Néandertaliens. Ce séquençage était basé sur un fragment d’os vieux de 40 000 ans, découvert dans la grotte de Denisova, en Sibérie.</p>
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<img alt="Représentation d’une famille néandertalienne errant dans la jungle" src="https://images.theconversation.com/files/487855/original/file-20221003-12-wwstjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487855/original/file-20221003-12-wwstjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487855/original/file-20221003-12-wwstjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487855/original/file-20221003-12-wwstjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487855/original/file-20221003-12-wwstjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487855/original/file-20221003-12-wwstjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487855/original/file-20221003-12-wwstjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les découvertes de Pääbo nous montrent que les séquences génétiques de nos parents éteints influencent la physiologie des humains modernes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/tribe-huntergatherers-wearing-animal-skin-holding-1595953543">(Shutterstock)</a></span>
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<p>Grâce à la possibilité de comparer ces séquences avec les génomes humains, l’un des résultats les plus importants des travaux de Pääbo est que de nombreux humains modernes sont porteurs d’une petite proportion d’ADN provenant des Néandertaliens et des Dénisoviens. Les humains modernes ont acquis ces bribes d’ADN par hybridation, lorsque les humains modernes et archaïques se sont mélangés, lors de l’expansion des humains modernes en Eurasie au cours de la dernière période glaciaire.</p>
<p>Par exemple, certains gènes néandertaliens influent sur la façon dont notre système immunitaire <a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2026309118">réagit aux infections</a>, dont la Covid-19. La version dénisovienne d’un gène appelé EPAS1, quant à elle, aide les gens à survivre en haute altitude. Elle est fréquente chez les Tibétains des temps modernes.</p>
<p>Parallèlement, en comparant les génomes des Néandertaliens et des Dénisoviens avec ceux des humains modernes, Pääbo et ses collègues ont pu mettre en évidence des mutations génétiques qui <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24679537/">ne sont pas partagées</a>.</p>
<p>Une grande partie d’entre elles sont liées à la façon dont le cerveau se développe.</p>
<p>En révélant les différences génétiques qui distinguent les êtres humains vivants de leurs ancêtres disparus, les découvertes influentes de Pääbo constituent la base de l’exploration de ce qui fait de nous des êtres humains uniques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191901/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Love Dalén a reçu des financements du Conseil suédois de la recherche. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anders Götherström a reçu des financements du Conseil suédois de la recherche.</span></em></p>Le prix Nobel de physiologie ou de médecine pour 2022 a été attribué à Svante Pääbo, dont les découvertes ont été déterminantes pour la compréhension de notre histoire évolutive.Love Dalén, Professor in Evolutionary Genetics, Centre for Palaeogenetics, Stockholm UniversityAnders Götherström, Professor in Molecular Archaeology, Department of Archaeology and Classical Studies, Stockholm UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1909422022-09-20T13:36:34Z2022-09-20T13:36:34ZDes scientifiques canadiens ont contribué au vaccin ARNm. Mais la recherche fondamentale est en péril au pays<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/485346/original/file-20220919-3936-x562fz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=37%2C0%2C5000%2C2806&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le financement de la recherche est essentiel pour relever les défis futurs en matière de santé.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le prix Nobel de physiologie ou médecine sera décerné le 3 octobre. Le Canada sera de nouveau à l’honneur grâce à la participation de scientifiques canadiens au développement d’un vaccin à ARNm.</p>
<p>Le <a href="https://gairdner.org/laureats/laureats-actuels/?lang=fr">prix international Canada Gairdner</a>, offert à cinq chercheurs qui ont excellé dans les sciences médicales, est souvent considéré comme un prédicteur du prix Nobel.</p>
<p>Or, cette année, ce prix a récompensé un de nos chercheurs, <a href="https://gairdner.org/laureats/laureats-actuels/?lang=fr#Pieter_Cullis">Pieter Cullis</a>, de l’Université de Colombie-Britannique, ainsi que ses collègues Katalin Karikó, de BioNTech, en Allemagne, et Drew Weissman, de l’Université de Pennsylvanie. Cullis a été reconnu pour la mise au point de l’emballage de nanoparticules lipidiques enveloppant l’ARNm conçu par Karikó, ainsi que par Weissman, pour les composantes du vaccin de la Covid-19.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/22op-qa7xBc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">The 2022 Canada Gairdner International Awards.</span></figcaption>
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<h2>Développement d’un vaccin à ARNm</h2>
<p>La contribution du Canada au développement de vaccins à ARNm fonctionnels comprend également Nahum Sonenberg, un <a href="https://www.mcgill.ca/gci/article/sante-gala-road-rna-therapies">pionnier de la recherche sur l’ARNm</a> qui a été consulté en lien avec le développement du vaccin à ARNm de Moderna. Sonenberg a reçu un <a href="https://gairdner.org/award_winners/nahum-sonenberg/">Prix international Gairdner en 2008</a> pour avoir découvert comment l’ARNm est construit pour permettre la synthèse des protéines.</p>
<p>Moderna a elle-même été cofondée par <a href="https://www.utoronto.ca/news/lab-saving-lives-moderna-co-founder-derrick-rossi-becoming-serial-entrepreneur">Derrick Rossi de l’Université de Toronto</a>, et <a href="https://mcgillnews.mcgill.ca/s/1762/news/interior.aspx?gid=2&pgid=2347">Noubar Afeyan de l’Université McGill</a>.</p>
<h2>Vaccins contre les adénovirus</h2>
<p>En 2021, le Canada avait approuvé non seulement les vaccins à ARNm de BioNTech et Moderna, mais également le vaccin d’Oxford utilisant un virus connu sous le nom d’adénovirus. Ce vaccin utilise un adénovirus pour insérer le gène de la protéine de pointe du virus Covid-19. La vaccination conduit à l’immunité au Covid-19.</p>
<p>C’est le biologiste moléculaire <a href="https://brighterworld.mcmaster.ca/articles/analysis-how-the-puzzle-of-viral-vector-vaccines-was-solved-leading-to-todays-Covid-19-shots/">Frank Graham</a> qui a été le pionnier de l’utilisation de l’adénovirus pour générer ce type de vaccins.</p>
<p>La recherche a estimé que <a href="https://doi.org/10.1016/S1473-3099(22)00320-6">19,8 millions de vies ont été sauvées grâce aux vaccins en 2021</a>, avec plus de 310 000 vies au Canada seulement.</p>
<h2>Sous-estimer l’importance de la recherche</h2>
<p>La reconnaissance de scientifiques exceptionnels par le comité du prix Nobel n’est malheureusement pas une valeur partagée par notre gouvernement fédéral aujourd’hui. En 2017, la <a href="http://www.revuescience.ca/eic/site/059.nsf/fra/accueil">ministre des Sciences Kirsty Duncan</a> a souligné la nécessité d’augmenter le financement des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) et le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) pour inverser le déclin de la recherche canadienne.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-financement-de-la-recherche-scientifique-fondamentale-est-crucial-pour-faire-face-a-la-pandemie-de-coronavirus-134719">Le financement de la recherche scientifique fondamentale est crucial pour faire face à la pandémie de coronavirus</a>
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<p>En 2017, le financement des IRSC ne représentait que 2,5 % de celui des National Institutes of Health (NIH) correspondants aux États-Unis. En 2022, le financement des IRSC était proportionnellement inférieur, à <a href="https://cihr-irsc.gc.ca/f/52798.html">2,3 %</a> à celui des <a href="https://www.aip.org/fyi/2022/nih-budget-fy22-outcomes-and-fy23-request">NIH</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1392118457861386241"}"></div></p>
<p>Les États-Unis reconnaissent l’importance de la recherche en investissant cinq fois plus par habitant que le Canada. Au fur et à mesure que chaque budget fédéral est annoncé, tous les scientifiques du Canada attendent avec impatience une augmentation des budgets à des niveaux compétitifs à l’échelle internationale. Malheureusement cette croissance ne vient jamais.</p>
<p>L’écart entre le Canada et les autres pays du G7 et de l’OCDE, signifie que <a href="https://www.timeshighereducation.com/news/large-surpluses-post-lockdown-blip-say-canadian-universities">nos futurs scientifiques canadiens formés en recherche fondamentale iront ailleurs pour poursuivre des opportunités de carrières fructueuses</a>.</p>
<p>La perte de nos scientifiques aura un effet nuisible sur la santé des Canadiens et sur l’économie.</p>
<h2>La culture scientifique au Canada</h2>
<p>Pendant la pandémie, les Canadiens ont suivi les mises à jour et les nouvelles concernant les messages de santé publique qui affectent leur vie quotidienne. Nous avons observé et examiné comment la recherche scientifique est menée et communiquée.</p>
<p>La pandémie semble avoir suscité une soif et une curiosité pour la science. Plus les gens s’informent, plus ils sont protégés des fausses informations qui pourraient leur nuire ainsi qu’à leurs proches.</p>
<p>Jamais il n’a été aussi nécessaire de promouvoir la pertinence de la science auprès de tout le Canada et particulièrement auprès de nos décideurs aux niveaux fédéral et provincial.</p>
<p>La pandémie de Covid-19 nous a ouvert les yeux sur le fait que le Canada n’était pas préparé pour contrer les grandes pandémies. Du <a href="https://www.nature.com/articles/s41586-020-2012-7">premier séquençage de l’ARN viral du SARS-CoV-2</a> à la <a href="https://www.england.nhs.uk/2020/12/landmark-moment-as-first-nhs-patient-receives-Covid-19-vaccination/">première inoculation du vaccin requis pour atténuer la menace</a>, la rapidité de la réponse des scientifiques fondamentaux et appliqués du monde entier, a démontré pourquoi la recherche scientifique est si pertinente pour tous. Avec de multiples menaces sanitaires, investir dans la recherche ne doit plus être considéré comme un luxe.</p>
<h2>Compétition mondiale</h2>
<p>Alors que l’inflation apparemment incontrôlable et les problèmes économiques s’installent, les <a href="https://www.theglobeandmail.com/canada/article-student-scientists-demand-action-on-federal-scholarships/">scientifiques canadiens, leurs étudiants et leurs postdoctorants sont gravement touchés par le manque de financement pour soutenir les laboratoires</a>. Sans un investissement accru dans les budgets des trois organismes subventionnaires de la recherche scientifique, le <a href="https://montrealgazette.com/opinion/opinion-montreal-aids-conference-steeped-in-legacy-and-hope">Canada ne pourra pas être compétitif sur le plan scientifique</a>. Cette situation est une menace pour la santé et l’économie du Canada.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/prix-nobel-les-chercheurs-canadiens-aspirent-a-plus-148417">Prix Nobel : les chercheurs canadiens aspirent à plus</a>
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<p>Avec la compétition mondiale pour recruter des chercheurs, il nous faut retenir, recruter et soutenir nos scientifiques de grands talents. Le Canada se doit de relever les défis qui proviendront de nouvelles pandémies, de l’augmentation de la résistance aux antibiotiques contre les infections bactériennes, du traumatisme et de la dévastation du cancer, de la crise des pathologies liées à l’âge, y compris la maladie d’Alzheimer et d’autres neurodégénératives, et bien sûr, contre le diabète. Cette dernière est un exemple de réussite. C’est en effet la découverte de l’insuline qui nous a valus <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/medicine/1923/summary/">notre premier prix Nobel de physiologie ou médecine</a> en 1923.</p>
<p>La recherche sauve les vies.</p>
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<p><em>John Bergeron remercie Kathleen Dickson en tant que coauteure et Michel L. Tremblay (Université McGill) pour la lecture du texte.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190942/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>John Bergeron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les scientifiques canadiens ont contribué à la lutte contre la Covid-19, notamment dans le développement des vaccins. Mais le sous-financement de la science au pays menace son futur.John Bergeron, Emeritus Robert Reford Professor and Professor of Medicine, McGill UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1827292022-05-19T19:27:56Z2022-05-19T19:27:56ZTimor oriental : une démocratie tenace, 20 ans après l’indépendance<p>Le Timor oriental – officiellement Timor Leste –, qui a proclamé son indépendance le <a href="https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2009/10/default-title-36">20 mai 2002</a>, offre vingt ans plus tard une lueur d’espoir ténue mais rare et réconfortante dans un monde bien sombre, gangrené par le déclin de la démocratie et la montée du national-populisme autocratique sous toutes les latitudes.</p>
<p>Premier pays à acquérir son indépendance au XXI<sup>e</sup> siècle, il est en effet résolument resté dans le <a href="https://redtac.org/asiedusudest/2020/05/14/le-timor-oriental-un-etat-democratique-en-construction/">camp des démocraties</a>, malgré ses énormes handicaps de départ, les conflits récurrents qui ont marqué sa vie politique et les <a href="https://www.letelegramme.fr/une/timor-oriental-un-etat-pacifie-face-au-defi-de-son-developpement-31-12-2012-1960144.php">difficultés économiques</a> durables rencontrées au fil des ans. Les principales sources concordent toutes pour confirmer ce bilan positif.</p>
<h2>Une remarquable performance démocratique</h2>
<p>Ainsi, dans le <a href="https://freedomhouse.org/countries/freedom-world/scores">classement annuel sur la liberté</a> dans le monde établi par <em>Freedom House</em>, le Timor oriental est le seul pays d’Asie du Sud-Est considéré comme entièrement libre en 2021 avec un score de 72, alors que l’Indonésie, le grand voisin sous la botte duquel il a vécu pendant près d’un quart de siècle, de 1975 à 1999, arrive en deuxième position mais loin derrière, avec un score de 59, le cantonnant dans la catégorie des pays partiellement libres.</p>
<p>En termes de liberté de la presse, le Timor oriental est aussi en tête des pays de la région <a href="https://rsf.org/fr/classement">selon <em>Reporters sans Frontières</em></a> qui lui attribue en 2022 un indice de 81,9 et une 17<sup>e</sup> place mondiale, loin devant l’Indonésie, à la 117<sup>e</sup> place avec 49,2.</p>
<p>Cette performance remarquable est corroborée par le fait que le pays vient de tenir la quatrième élection présidentielle au suffrage universel de son histoire en <a href="https://www.rfi.fr/fr/en-bref/20220420-timor-oriental-jos%C3%A9-ramos-horta-remporte-l-%C3%A9lection-pr%C3%A9sidentielle">réélisant à sa tête</a> le 19 avril dernier <a href="https://fr.humanrights.com/voices-for-human-rights/ramos-horta.html">José Ramos Horta</a>, l’infatigable porte-parole de la cause indépendantiste sur la scène internationale pendant toute la durée de l’occupation indonésienne, prix Nobel de la paix en 1996, ministre des Affaires étrangères de 2002 à 2006, premier ministre de 2006 à 2007 et déjà président du pays de 2007 à 2012.</p>
<iframe frameborder="0" marginheight="0" marginwidth="0" scrolling="no" src="https://sites.ina.fr/nobel-de-la-paix/export/player/I19084371/360x270" width="100%" height="450" allowfullscreen=""></iframe>
<p>Ayant obtenu 62,1 % des voix contre 37,9 % à <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2017/03/20/01003-20170320ARTFIG00242-timor-oriental-les-ex-guerilleros-s-affrontent-dans-les-urnes.php">Francisco Guterres</a>, le président sortant auquel il était opposé au second tour d’une consultation qui s’est déroulée sans anicroche aucune, avec une participation de 75 % des quelque 860 000 Timorais en âge de voter au sein d’une population de 1,3 million de personnes, il a pris ses fonctions à l’occasion de ce 20<sup>e</sup> anniversaire de l’indépendance.</p>
<h2>Le passé colonial du Timor oriental</h2>
<p>Le fait que le Timor oriental soit toujours une démocratie, même si elle est imparfaite et non exempte d’âpres luttes de pouvoir, constitue un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/06/comment-le-timor-oriental-est-devenu-un-petit-miracle-democratique_5507192_3210.html">petit miracle</a>. Les difficultés auxquelles le pays a été confronté au cours de son histoire sont en effet immenses et auraient fort bien pu l’entraîner dans la direction opposée, sur la voie de l’autoritarisme et de la dictature.</p>
<p>Colonisé dès le début du XVI<sup>e</sup> siècle par le Portugal, première puissance européenne arrivée en Insulinde dans la course aux épices avec la prise de Malacca en 1511, le Timor a en effet subi la <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/timor-oriental/2-histoire/">double malédiction</a> d’être soumis à la domination d’une métropole en déclin et d’un pays vite devenu pauvre. Le Portugal n’a donc pratiquement rien fait pendant plus de quatre siècles pour développer cet arrière-poste le plus éloigné de son empire colonial. Quand il l’a brutalement abandonné à son sort en 1974, à la suite de la <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/revolution-des-oeillets-il-y-a-45-ans-un-putsch-abolissait-la-dictature-au-portugal-20190424">révolution des œillets</a> ayant renversé la dictature de Salazar à Lisbonne, la lutte pour le pouvoir a – comme partout ailleurs dans les colonies lusitaniennes de la Guinée-Bissau à l’Angola et au Mozambique – déclenché un conflit entre des forces politiques antagonistes en pleine période de guerre froide.</p>
<p>C’est le <a href="https://www.britannica.com/topic/Revolutionary-Front-of-Independent-East-Timor">FRETILIN</a> (Front révolutionnaire de Timor oriental indépendant), aux sympathies marxisantes, qui a rapidement pris le dessus et proclamé l’<a href="https://www.sciencespo.fr/mass-violence-war-massacre-resistance/fr/document/trois-siacles-de-violences-et-de-luttes-au-timor-oriental-1726-2008.html">indépendance de la République démocratique du Timor oriental</a> le 28 novembre 1974.</p>
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<figcaption><span class="caption">« East Timor independence : a short history of a long and brutal struggle » (<em>The Guardian</em>, 30 août 2019).</span></figcaption>
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<p>L’Indonésie voisine, à laquelle appartient la partie occidentale de l’île, dirigée depuis 1966 par le régime militaire dictatorial et viscéralement anticommuniste du général Suharto, ne pouvait pas accepter cette menace. Le 7 décembre 1975, l’<a href="https://www.monde-diplomatique.fr/mav/49/A/55565">armée indonésienne envahissait le Timor oriental</a>, avec l’<a href="https://ips-dc.org/east_timor_us_gave_green_light_to_invasion/">aval des États-Unis</a> (dont le président Gerald Ford, accompagné du secrétaire d’État Henry Kissinger, avait visité Jakarta la veille !), et l’approbation tacite de l’Australie qui tremblait, six mois après la chute de Saïgon, à l’idée de voir une tête de pont aux sympathies communistes prendre racine à une heure d’avion de Darwin.</p>
<h2>L’occupation militaire indonésienne</h2>
<p>Les combattants pour l’indépendance se replient alors dans les zones montagneuses de l’île, à partir desquelles ils vont mener une farouche guérilla contre l’occupant. Malgré leur résistance, l’Indonésie annexe en juillet 1976 le Timor oriental, qui devient sa 27<sup>e</sup> province.</p>
<p>Pendant près d’un quart de siècle, l’armée indonésienne va faire <a href="https://www.amnesty.org/fr/documents/asa21/006/1985/fr/">régner une terreur aveugle</a> dans sa nouvelle province et commettre une litanie de crimes de guerre et contre l’humanité <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1999/10/CHOMSKY/3310">encore impunis à ce jour</a>. Cela va se solder par la mort de quelque 200 000 personnes, un tiers de la population, tuées par les armes ou décédées à cause des exactions, des maladies et de la famine.</p>
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<figcaption><span class="caption">Timor-Leste : Petit, lointain et au cœur de préoccupations stratégiques (Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine, 1ᵉʳ mai 2020).</span></figcaption>
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<p>Mais le gouvernement de Jakarta va aussi consacrer d’importantes ressources financières pour promouvoir le développement de la province, en investissant dans l’éducation, la santé ou les infrastructures, afin de gagner le cœur des habitants – sans succès du fait de la répression atroce qui sévit.</p>
<p>Puis, dans la foulée de la crise financière asiatique de 1997-1998, le régime autoritaire indonésien s’effondre et <a href="https://www.erudit.org/en/journals/ei/1900-v1-n1-ei3075/703958ar.pdf">Suharto démissionne</a> en mai 1998, laissant le pouvoir à <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/indonesie-l-ex-president-habibie-est-mort-a-83-ans_2097008.html">Bacharuddin Jusuf Habibie</a>, son vice-président. Devant la révolte qui s’étend et amène l’archipel au bord de l’implosion, ce dernier adopte dans l’urgence toute une série de réformes de type démocratique parmi lesquelles la décision courageuse d’organiser un <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-reportage-de-la-redaction/il-y-a-22-ans-le-timor-oriental-votait-pour-son-independance-malgre-la-campagne-de-terreur-orchestree-par-l-indonesie-7832702">référendum d’autodétermination au Timor oriental</a> pour que la population choisisse entre l’indépendance ou l’autonomie au sein de la République d’Indonésie.</p>
<h2>L’indépendance du Timor oriental supervisée par l’ONU</h2>
<p>Le référendum aura bien lieu le 30 août 1999, avec la participation enthousiaste de 98,6 % de l’électorat, qui décidera à une énorme majorité de 78,5 % d’<a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1999/09/05/le-timor-oriental-a-vote-massivement-en-faveur-de-l-independance_3572771_1819218.html">opter pour l’indépendance</a>.</p>
<p>Rendue furieuse par ce résultat, l’armée indonésienne et ses supplétifs locaux vont alors déchaîner une <a href="https://www.levif.be/international/timor-leste-le-souvenir-est-encore-vif-mais-les-est-timorais-ont-la-volonte-de-se-tourner-vers-le-futur/">véritable stratégie de terre brulée</a> afin de rendre aux Timorais leur petit pays dans le pire état possible. Cela fera encore près de 1 400 morts et entraînera le déplacement de 400 000 réfugiés.</p>
<p>Pour faire cesser ces exactions, l’ONU se décidera enfin à envoyer une force armée d’interposition et organisera une <a href="https://peacekeeping.un.org/sites/default/files/past/etimor/etimor.htm">mission civile pour la préparation de l’indépendance</a> (UNTAET) qui supervisera notamment les élections présidentielles organisées en avril 2002 dont sortira vainqueur <a href="http://timor-leste.gov.tl/?p=3&lang=en">Kay Rala Xanana Gusmão</a>, le chef charismatique du FRETILIN, qui avait été arrêté en 1992 et <a href="https://www.liberation.fr/planete/1999/02/10/un-pas-vers-la-liberte-pour-le-leader-timorais-xanana-gusmao-doit-quitter-sa-prison-de-djakarta-pour_264610/">libéré de sa prison</a> de Jakarta en 1999. C’est lui qui présidera aux cérémonies de la proclamation d’indépendance du Timor oriental le 20 mai 2002.</p>
<h2>Les rivalités entre les cinq principaux leaders</h2>
<p>Le fait que ce petit pays isolé au bout du monde soit resté dans le camp de la démocratie depuis son indépendance est d’autant plus méritoire que la vie politique a été marquée par de graves conflits et que les principaux problèmes économiques auxquels il est confronté n’ont pas été réglés.</p>
<p>Sur le plan politique, ce sont les <a href="https://journals.openedition.org/echogeo/13241">rivalités entre cinq des principaux leaders</a> du combat pour l’indépendance – Xanana Gusmão, José Ramos Horta, Mari Alkatiri, Francisco Guterres et José Maria Vasconcelos – qui ont été au centre du jeu. Ils se sont en effet combattus, allié et succédé aux postes de président et de premier ministre depuis 2002.</p>
<p>Une première crise grave a <a href="https://www.lalibre.be/international/2006/06/26/le-premier-ministre-se-retire-pour-desamorcer-la-crise-BJ6ME3NJCZEBLH7JOKBTSTVH3Y/">éclaté dès 2006</a> entre le séduisant héros national et président Xanana Gusmão et son ombrageux premier ministre <a href="https://www.letemps.ch/monde/mari-alkatiri-lhomme-toutes-divisions-timororiental">Mari Alkatiri</a> à propos de l’épineux problème de la démobilisation des forces armées révolutionnaires. Elle s’est soldée par la démission de ce dernier, remplacé par <a href="https://ramoshorta.com/">José Ramos Horta</a>, qui a ensuite été élu à la présidence en 2007 alors que Xanana Gusmão, en rupture avec le FRETILIN dirigé par Mari Alkatiri, créait son propre parti, le CNRT (Congrès National pour la Reconstruction Timoraise) et s’emparait au terme des élections législatives de 2007 du poste de premier ministre, qu’il occupera jusqu’en 2015.</p>
<h2>Une vie politique encore mouvementée</h2>
<p>Mais l’événement le plus grave qui aurait pu entraîner le pays dans une guerre civile et mettre un terme à la démocratie survient en février 2008, quand un quarteron de rebelles de l’armée, mécontents du sort réservé aux anciens combattants, organise un <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2008-02-12-Confusion-a-Timor">attentat contre le tandem exécutif</a>, dans lequel <a href="https://www.britannica.com/biography/Jose-Ramos-Horta">Ramos Horta</a> est grièvement blessé. Il survivra, terminera son mandat et briguera en 2012, en candidat indépendant, un second mandat présidentiel, comme le lui permet la constitution.</p>
<p>Mais il ne se qualifiera pas pour le second tour qui verra José Maria Vasconcelos, soutenu par le CNRT de Xanana Gusmão, <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2012/04/17/l-ex-guerillero-taur-matan-ruak-elu-president-du-timor-oriental_1686394_3216.html">battre</a> Francisco Guterres, le candidat du FRETILIN dirigé par Mari Alkatiri. En 2017, Francisco Gutteres prendra sa revanche et <a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20170325-timor-oriental-defis-nouveau-president-francisco-guterres-lu-olo-figure-resi">sera élu président</a>, cette fois-ci avec le soutien du CNRT et de Xanana Gusmão, qui, après s’être fâché avec José Maria Vasconcelos et avoir démissionné de son poste de premier ministre en 2015, tente un rapprochement avec le FRETILIN.</p>
<p>Toutefois, dès 2018, le conflit entre les deux grands partis politiques rivaux et leurs leaders respectifs, Mari Alkatiri et Xanana Gusmão, resurgit et débouche en 2020 sur la mise à l’écart de ce dernier et la <a href="https://missionsetrangeres.com/eglises-asie/demission-de-taur-matan-ruak-premier-ministre-est-timorais-apres-limpasse-de-sa-coalition-face-au-budget-2020/">démission de tous les ministres issus du CNRT</a> du gouvernement dirigé par José Maria Vasconcelos, laissant le pouvoir exécutif au FRETILIN, rendu impuissant face à un Parlement dominé par l’opposition.</p>
<h2>Le problème du développement économique</h2>
<p>Depuis lors, la situation politique du pays est <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2021/01/20/timor-oriental">restée bloquée</a>, entravant notamment l’adoption du budget, ce qui a empêché l’adoption des décisions urgentes requises pour développer une économie vulnérable qui a <a href="https://www.macaubusiness.com/east-timor-parliament-approves-urgent-measures-to-respond-to-covid-19-crisis/">beaucoup souffert de la pandémie de Covid-19</a>, prise entre la flambée du virus en Indonésie et la fermeture hermétique de l’Australie.</p>
<p>Or les problèmes économiques ne sont pas simples à résoudre car les opportunités du Timor oriental sont réduites. Possédant d’importantes <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/06/timor-oriental-un-territoire-convoite_5507291_3210.html">réserves de pétrole et de gaz</a>, le pays a vécu de cette rente depuis son indépendance mais il est victime de la malédiction des ressources naturelles – que les Anglo-Saxons désignent par le terme <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/syndrome-hollandais-dutch-disease-effet-de-groningue"><em>Dutch Disease</em></a> – et peine à diversifier son économie.</p>
<p>L’exploitation des nouvelles réserves en hydrocarbures découvertes en mer de Timor et rendue possible par la <a href="https://redtac.org/asiedusudest/2020/02/17/le-timor-et-laustralie-la-valse-des-traites-petroliers-sacheve-t-elle/">signature en 2018 d’un traité de partage des eaux territoriales</a> enfin équitable avec l’Australie risque d’aggraver encore la situation de déséquilibre et de dépendance économique du pays.</p>
<p>C’est d’autant plus le cas que cela implique la construction d’infrastructures portuaires et routières pour lesquelles la Chine est bien évidemment prête à lui octroyer les crédits requis qui risquent de l’endetter durablement. Et les perspectives de diversification dans l’agriculture, largement dominée par la <a href="https://journals.openedition.org/com/191">production de café</a>, principale denrée d’exportation du pays, ou dans le tourisme, sont limitées et n’offrent pas assez d’emplois à une population très jeune, dont 70 % est âgée de moins de 30 ans, beaucoup de Timorais devant donc s’expatrier pour gagner leur vie et faire vivre leur famille.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1468252983926263812"}"></div></p>
<p>Car la pauvreté affecte toujours <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SI.POV.NAHC ?locations=TL">40 % des Timorais</a> et reste surtout très répandue dans les campagnes où ils vivent encore pour 70 % d’entre eux et où les problèmes de santé et de malnutrition sont responsables d’une mortalité maternelle et d’un taux de rachitisme des enfants très élevés. Les <a href="https://fr.unesco.org/countries/timor-leste">besoins en matière d’éducation</a> ne sont pas moindres, avec un taux d’analphabétisme toujours très haut (35 %), alors que 45 % des jeunes n’ont pas accès à l’éducation secondaire.</p>
<p>Bref, beaucoup reste à faire pour assurer une vie meilleure à la population timoraise et éviter qu’elle ne commence à être déçue des promesses non tenues de la démocratie et soit séduite à terme, comme ailleurs dans la région et dans le monde, par les sirènes du national-populisme.</p>
<h2>Quel avenir pour le Timor oriental après l’élection de José Ramos Horta ?</h2>
<p>L’<a href="https://www.swissinfo.ch/fre/toute-l-actu-en-bref/ramos-horta-remporte-l- %C3 %A9lection-pr %C3 %A9sidentielle-au-timor-oriental/47530528">élection de José Ramos Horta</a> le 20 avril 2022 à la présidence est sûrement la meilleure chance pour sortir le pays de l’ornière politique et y relancer une dynamique démocratique. Ayant toujours gardé son indépendance envers les deux grands partis du FRETILIN et du CNRT, il est le <a href="https://www.nouvelles-du-monde.com/ramos-horta-doit-trouver-un-equilibre-pour-faire-avancer-le-timor-leste/">moins mal placé</a> des cinq dirigeants historiques, tous septuagénaires comme lui, qui se sont livrés depuis vingt ans au petit jeu de chaises musicales qui commence à affaiblir la démocratie timoraise.</p>
<p>Élu comme candidat indépendant mais avec le soutien du CNRT de Xanana Gusmão, qui reste l’homme le plus populaire et le plus influent du pays, il doit désormais s’assurer une majorité au Parlement en formant une coalition gouvernementale qui associera aussi les plus petits partis dirigés par des leaders politiques plus jeunes comme <a href="https://www.parlamento.tl/node/866">Armanda Berta dos Santos</a>, la dirigeante du KHUNTO, arrivée en troisième position au premier tour de la présidentielle, avec 8,7 % des suffrages.</p>
<p>En fait, il devrait avoir à cœur d’être l’artisan d’une transition politique et du passage de témoin aux représentants de cette nouvelle génération dont il est temps qu’elle arrive au pouvoir. Pour ce qui est de l’économie, il faudra aussi trouver des compromis entre ceux qui, comme lui, sont partisans de la réalisation des grands projets pétroliers et d’une collaboration étroite avec la Chine, au risque d’envenimer les relations avec les États-Unis et l’Australie, et les autres, qui sont favorables à une plus grande diversification et à la recherche d’une indépendance économique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Timor-Leste’s Inclusion in Asean Membership Could Begin After March 2022 (EAC News, 15 février 2022).</span></figcaption>
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<p>Tous sont en revanche d’accord pour que le Timor oriental <a href="https://asia.nikkei.com/Editor-s-Picks/Interview/East-Timor-s-president-elect-says-Asean-membership-a-top-priority">rejoigne enfin les rangs de l’Asean</a>, ce qui romprait son grand isolement, stimulerait les investissements et accélérerait son développement. Incidemment, cela permettrait aussi de renforcer le camp de la démocratie au sein d’une association où elle n’est pas majoritaire. Le fait que Dili ait réussi à établir de très bonnes <a href="https://journals.openedition.org/conflits/401 ?lang=en">relations avec Jakarta</a>, en dépit des souffrances atroces que l’Indonésie a infligées à la population, largement grâce à l’admirable capacité de pardon de personnalités aussi magnanimes et tolérantes que Ramos Horta et Xanana Gusmão, devrait faciliter cette adhésion.</p>
<p><a href="https://thepressfree.com/jose-ramos-horta-declare-une-victoire-eclatante-a-lelection-presidentielle-au-timor-leste/">Déclarant</a> qu’il avait reçu son mandat de la nation « dans une démonstration écrasante de l’engagement de notre peuple envers la démocratie », le nouveau président semble confiant sur ses possibilités d’apaiser les divisions du passé. Interrogé à ce sujet après son élection, il a répondu :</p>
<blockquote>
<p>« Je ferai ce que j’ai toujours fait tout au long de ma vie… Je poursuivrai toujours le dialogue, patiemment, sans relâche, pour trouver un terrain d’entente et des solutions aux défis auxquels ce pays est confronté. »</p>
</blockquote>
<p>Tout ce que l’on peut souhaiter à cette petite nation exemplaire pour son 20<sup>e</sup> anniversaire est qu’il y arrive et que le Timor oriental continue à progresser sur le chemin de la démocratie et de la prospérité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182729/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Luc Maurer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après avoir obtenu l’indépendance, survécu aux crimes de guerre de l’Indonésie, et réussi à maintenir son régime démocratique, le Timor Leste saura-t-il aussi vaincre ses problèmes économiques ?Jean-Luc Maurer, Professeur honoraire en études du développement, affilié au Albert Hirschman Center on Democracy, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1754862022-01-26T15:04:02Z2022-01-26T15:04:02ZRésoudre le casse-tête de la mucoviscidose et de ses traitements, une percée digne d’un prix Nobel<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/442370/original/file-20220124-27-6ei8li.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=30%2C10%2C6629%2C4416&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La découverte du gène de la mucoviscidose, en 1989, a conduit à des traitements et à la survie à long terme des patients.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La date limite de proposition de candidats - sur invitation seulement - pour le prix Nobel de physiologie ou de médecine, <a href="https://www.nobelprize.org/nomination/medicine/">fixée au 31 janvier</a>, est désormais passée.</p>
<p>Outre les avancées liées aux vaccins contre la Covid-19 qui sauvent de vies, plusieurs autres candidatures de personnes dont les travaux ont permis d’importantes découvertes en physiologie ou médecine seront soumises à l’évaluation du comité de sélection des prix Nobel 2022. Sur la liste des nominés pourraient figurer <a href="https://dx.doi.org/10.3390/genes11060589">les noms des chercheurs ayant identifié le gène impliqué dans la mucoviscidose</a> (aussi appelée fibrose kystique) et mis au point les médicaments utilisés pour traiter cette affection. Grâce à eux, cette maladie <a href="https://doi.org/10.1164/rccm.200505-840OE">décrite pour la première fois en 1938</a> n’est plus de nos jours une cause de décès quasi certaine pour les enfants qui en sont atteints.</p>
<p>C’est au Canada, et plus précisément à Toronto, que la <a href="http://www.science.ca/scientists/scientistprofile.php?pID=19">recherche sur la mucoviscidose a connu une percée majeure en 1989, lorsque le gène et la mutation - responsable de la fibrose kystique ont été identifiés</a> par le généticien Lap-Chee Tsui, en collaboration avec le biochimiste Jack Riordan et le médecin et généticien Francis Collins, alors chercheur à l’Université du Michigan. Aujourd'hui, le Canada est le chef de file mondial dans le traitement de la fibrose kystique : l’âge médian de survie des patients souffrant de cette maladie y est de 52 ans.</p>
<h2>Une maladie due à la mutation d’un seul gène</h2>
<p>La fibrose kystique affecte la fluidité des sécrétions des poumons, du pancréas, du foie, des glandes sudoripares et d’autres organes, les rendant plus épaisses et plus collantes. L’anomalie génétique récessive à l’origine de la maladie est causée par une mutation au niveau d’un seul gène. Tsui avait initialement découvert, en 1989, que ce gène mutant était <a href="https://doi.org/10.1126/science.2570460">abrité dans un segment du chromosome 7</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme tenant un enfant portant un masque facial nébuliseur pour inhaler des médicaments" src="https://images.theconversation.com/files/441819/original/file-20220120-9603-8vm4zp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/441819/original/file-20220120-9603-8vm4zp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/441819/original/file-20220120-9603-8vm4zp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/441819/original/file-20220120-9603-8vm4zp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/441819/original/file-20220120-9603-8vm4zp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/441819/original/file-20220120-9603-8vm4zp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/441819/original/file-20220120-9603-8vm4zp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Lorsque la maladie a été identifiée pour la première fois en 1938, la fibrose kystique a tué la plupart des patients en bas âge. Maintenant, beaucoup vivent dans la cinquantaine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://doi.org/10.1126/science.2772657">Collins développé une méthode innovante</a> pour cibler cette zone et réduire l'ADN en fragments. Puis il a utilisé des marqueurs de cartographie génétique pour déterminer quelles séquences d'ADN abritaient le gène de la fibrose kystique. À l’aide de ces marqueurs, l’équipe a récupéré dans des cellules provenant de glandes sudoripares de patients les fragments d’ADN correspondant au gène.</p>
<p>Les glandes sudoripares des patients atteints de mucoviscidose sont incapables de réabsorber les sels lors de la transpiration. Riordan a utilisé ces échantillons de tissus, facilement accessibles chez les malades, pour développer des cultures ex-vivo de cellules de glandes sudoripares. <a href="https://www.inserm.fr/c-est-quoi/secret-fabrication-c-est-quoi-arn-messager-%F0%9F%93%83-%F0%9F%8F%AD/">L’ARN</a> extrait de ces cellules a ensuite été utilisé pour obtenir une copie d’ADN, exactement comme nous le faisons aujourd’hui avec les tests RT-PCR <a href="https://theconversation.com/covid-19-comment-fonctionnent-les-tests-et-quelles-sont-leurs-utilites-135398">destinés à détecter la présence du coronavirus qui cause la Covid-19</a>.</p>
<p>Le séquençage de cet ADN correspondant à l’ARN provenant de cellules de glandes sudoripares de malades a permis aux chercheurs de déduire la séquence du gène présente chez les patients. Grâce à l’informatique, ils ont ensuite déterminé quelle protéine cette séquence permettait de produire. Les protéines sont constituées de longues séquences d’acides aminés. Ces travaux ont permis à Tsui, Riordan et Collins de déduire que ladite protéine <a href="https://doi.org/10.1126/science.2475911">était constituée de 1 479 acides aminés</a>.</p>
<h2>Comparaison des protéines séquencées</h2>
<p>Les chercheurs ont également appliqué l’ingénieux design de leur expérimentation à des cellules de glandes sudoripares isolées chez les parents de patients atteints de mucoviscidose (donc des cellules non malades). En comparant la séquence d’acides aminés de la protéine provenant de patients souffrant de mucoviscidose à celle de la protéine normale provenant de leurs parents, les chercheurs ont découvert que toutes deux ne différaient que par un seul acide aminé (la phénylalanine). Celui-ci était absent de la protéine mutante. Cette mutation est majoritairement impliquée dans la fibrose kystique, puisqu’elle concerne environ 70 % des malades.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Fhro0JlR9Pc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Lap-Chee Tsui, Lauréat du Temple de la renommée médicale canadienne 2012.</span></figcaption>
</figure>
<p>La fonction de la protéine ainsi découverte était inconnue à l’époque. Cependant, certains indices révélaient qu’elle présentait une similitude avec d’autres protéines capables de transporter des substances, y compris des ions, à l’intérieur et hors des cellules. Aujourd’hui, on sait que <a href="https://www.cff.org/research-clinical-trials/basics-cftr-protein">cette protéine fonctionne comme un canal permettant aux ions chlorure de quitter les cellules</a>.</p>
<p>Grâce à ces ions chlorures, la surface des poumons, du pancréas, des glandes sudoripares et du foie, ainsi que les reins et l’appareil reproducteur masculin, demeure recouverts de sécrétions fluides, qui ne provoquent pas d’obstruction.</p>
<h2>Percées thérapeutiques</h2>
<p>Les patients et les membres de leurs familles ont été à l’avant-garde du processus qui a mené à ces découvertes. Les parents impliqués ont été tout à la fois les avocats de la cause de leurs enfants, leurs aidants, et ils ont également fourni les tissus qui ont rendu possible cette découverte scientifique. Au-delà de l'amélioration du diagnostic et de la prise en charge des patients, une autre avancée a été la mise au point de médicaments pour traiter la mucoviscidose. Ces nouvelles thérapies ont eu un effet spectaculaire, doublant l’espérance de vie des malades, qui aujourd’hui devenir adulte et vivre plus longtemps.</p>
<p>Deux types de médicaments sont disponibles : les potentialisateurs et les correcteurs. Les potentialisateurs aident la protéine produite par le gène impliqué dans la mucoviscidose à maintenir un canal fonctionnel pour les ions chlorure, ce qui contribue à baigner de sécrétions fluides la surface des poumons et d’autres organes.</p>
<p>Les médicaments correcteurs stabilisent quant à eux la protéine mutante. Il faut savoir que celle-ci est plus fragile que la protéine normale, ce qui fait qu’elle est la cible de la machinerie impliquée dans le « contrôle qualité » cellulaire, qui l’évacue comme un déchet (elle est détruite par le protéasome, sorte de système d’évacuation des déchets de la cellule). Les correcteurs augmentent la stabilité des protéines mutantes, permettant à une quantité suffisante d’entre elles d’échapper à la destruction et d’atteindre la surface des cellules.</p>
<p>La combinaison des médicaments correcteurs (qui permettent à la protéine mutante d’accéder à la surface des cellules des poumons, du pancréas, du foie et des glandes sudoripares) et des médicaments potentialisateurs (qui maintiennent ouvert le canal ionique) permettent à la protéine déficiente de remplir sa fonction malgré tout.</p>
<p>Dans les poumons, les canaux chlorure permettent de maintenir la fluidité du mucus. Si tel n’était pas le cas, les bactéries infectieuses s’y accumuleraient et empêcheraient le fonctionnement normal des poumons, compromettant la respiration.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/OoAJqxxSRgY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Au cœur des organes : La mucoviscidose.</span></figcaption>
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<p>Fait remarquable, le gène responsable de la mucoviscidose a été découvert sans que l’on sache quel rôle cellulaire jouait la protéine qu’il codait. De même, les médicaments utilisés pour traiter cette maladie ont été mis au point sans connaître leur mode d’action précis.</p>
<p>Des milliers de laboratoires dans le monde ont contribué à mettre en lumière le fonctionnement des protéines telles que celles impliquées dans la formation des canaux chlorure, leur mode de fabrication, la façon dont la machinerie cellulaire de contrôle de la qualité est capable de détecter une modification aussi subtile que la perte d'un seul acide aminé pour cibler les protéines mutantes en vue de leur dégradation, les conséquences de la fragilité accrue qui résulte de cette perte d’acide aminé, ou encore le fonctionnement des médicaments potentialisateurs et correcteurs… C'est toute la splendeur de la recherche scientifique fondamentale qui est ici révélée.</p>
<h2>Applications de ces découvertes</h2>
<p>Les conséquences de la percée de Tsui, Riordan et Collins en 1989 ont rapidement dépassé les limites du domaine de la mucoviscidose. Forts de leur preuve de concept qui a mené à l’identification du gène de la fibrose kystique, <a href="https://doi.org/10.1080/21548331.1990.11704019">ils ont proposé en 1990 d’appliquer cette méthode à l’ensemble du génome humain</a>.</p>
<p>Collins a quitté l’Université du Michigan pour piloter ce projet « génome humain » en tant que directeur de l’Institut national de recherche sur le génome humain aux « National Institutes of Health » (NIH) des États-Unis. En 2009, il a été nommé au poste de directeur général du NIH, qu’il a occupé jusqu’en décembre 2021.</p>
<p>Les découvertes de médicaments destinés à lutter contre la mucoviscidose ont été dues au talent de chercheurs du secteurs académiques et de l’industrie des biotechnologies, lesquels ont non seulement mis au point les processus de fabrication, mais aussi élucidé les mécanismes d’action. Ces efforts remarquables se poursuivent : en janvier 2022, une équipe a <a href="https://www.cell.com/cell/fulltext/S0092-8674(21)01447-1">publié des résultats</a> <a href="https://www.hhmi.org/news/cystic-fibrosis-drugs-can-be-life-changing-patients-new-images-reveal-how-these-molecules-work">décrivant le mode d’action de deux médicaments correcteurs</a>.</p>
<p>Le fait qu’aujourd’hui encore, de nouvelles découvertes résultent des percées réalisées par Tsui, Riordan et Collins témoigne de leur importance et de leur pertinence pour la recherche scientifique et médicale. L’allongement considérable de l’espérance de vie des personnes atteintes de mucoviscidose témoigne quant à lui de la portée de ces découvertes pour les patients et leurs familles.</p>
<hr>
<p><em>John Bergeron remercie Kathleen Dickson en tant que coauteure et Michel L. Tremblay (Université McGill) pour la lecture du texte final.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175486/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>John Bergeron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La découverte du gène de la mucoviscidose et l’identification de traitements ont permis de faire passer le pronostic d’une mort quasi certaine en bas âge à une survie médiane de 52 ans au Canada.John Bergeron, Emeritus Robert Reford Professor and Professor of Medicine, McGill UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1742422021-12-27T17:05:21Z2021-12-27T17:05:21ZDesmond Tutu, le père de la « nation arc-en-ciel » d’Afrique du Sud<p>L’archevêque Desmond Mpilo Tutu est mort à l’âge de 90 ans.</p>
<p>L’homme, affectueusement surnommé « the Arch » (en référence à sa charge de prélat) par ses compatriotes, a gagné le respect et l’amour de millions de Sud-Africains et du monde entier, se taillant une place permanente dans les cœurs et les esprits.</p>
<p>Lorsque les Sud-Africains sont descendus dans la rue, le 7 avril 2017, pour protester contre la <a href="https://www.jeuneafrique.com/423651/politique/afrique-sud-jacob-zuma-limoge-ministre-finances/">destitution</a> du respecté ministre des Finances, Pravin Gordhan, par le président Jacob Zuma, l’archevêque Tutu <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/afrique-du-sud/les-sud-africains-dans-la-rue-reclament-le-depart-de-zuma-4913949">s’est joint aux protestations</a>, quittant sa maison de retraite pour l’occasion. Âgé de 86 ans à l’époque, sa santé était fragile. Mais il avait la contestation dans le sang. Selon lui, aucun gouvernement n’est légitime s’il ne représente pas bien l’ensemble de sa population. Il le rappela avec justesse le jour même :</p>
<blockquote>
<p>Nous allons prier pour la chute d’un gouvernement qui nous représente mal.</p>
</blockquote>
<p>Ces mots faisaient écho à ses engagements à propos de l’intégrité éthique et morale ainsi que de la dignité humaine. C’est sur la base de ces principes qu’il a lutté vaillamment contre le système d’apartheid et qu’il est devenu, comme <a href="http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:Vm3v7l-pz7wJ:www.tutufoundationusa.org/our-founder/+&cd=3&hl=fr&ct=clnk&gl=fr">l’affirme</a> à juste titre la Fondation Desmond Tutu, « un ardent défenseur des droits de l’homme et un militant des opprimés ».</p>
<p>Mais l’archevêque Tutu n’a pas cessé de lutter pour les droits de l’homme après la fin officielle de l’apartheid en 1994.</p>
<p>De même, son combat pour les droits humains ne s’est pas restreint à l’Afrique du Sud. Il a non seulement continué à critiquer les politiciens qui abusaient de leur pouvoir mais a aussi apporté son soutien à diverses causes dans différentes régions du monde, soutenant ainsi avec force le <a href="https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Finventerre.canalblog.com%2Farchives%2F2009%2F03%2F15%2F12974343.html">Dalaï Lama face à la répression chinoise</a> ou le <a href="https://www.jeuneafrique.com/46356/politique/gaza-ce-que-le-sud-africain-desmond-tutu-a-dit-isra-l/">peuple palestinien</a>. Il s’est aussi beaucoup engagé dans la <a href="https://www.unaids.org/fr/resources/presscentre/pressreleaseandstatementarchive/2011/may/20110503prrobbenislandhivprev">lutte contre le sida</a>, la pauvreté, le racisme, <a href="https://tetu.com/2021/12/27/desmond-tutu-racisme-lgbtphobie-vih/">l’homophobie et la transphobie</a>.</p>
<p>Il était également devenu un soutien important du Dalaï-Lama, qu’il considère comme son meilleur ami, et avait vertement critiqué le gouvernement sud-africain qui avait <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20110829-faute-visa-sud-africain-le-dalai-lama-prive-fete-80-ans-desmond-tutu">refusé un visa</a> au chef spirituel tibétain en exil qui devait venir prononcer la <a href="https://www.tutu.org.za/programmes/peace-lectures/">« Desmond Tutu International Peace Lecture »</a> en 2011.</p>
<h2>Débuts</h2>
<p>Desmond Tutu est issu d’un milieu modeste. Il est né le 7 octobre 1931 à Klerksdorp, dans la province du nord-ouest de l’Afrique du Sud, où son père, Zachariah, était directeur d’une école secondaire. Sa mère, Aletha Matlare, était employée de maison.</p>
<p>L’une des personnalités les plus influentes de ses premières années est le père <a href="https://www.sahistory.org.za/people/father-trevor-huddleston">Trevor Huddleston</a>, un militant anti apartheid acharné. C’est leur amitié qui amène le jeune Tutu à être introduit dans l’Église anglicane.</p>
<p>Après avoir terminé ses études, il enseigne brièvement l’anglais et l’histoire au lycée Madibane de Soweto, puis au lycée Krugersdorp, à l’ouest de Johannesburg, où son père était directeur. C’est là qu’il rencontre sa future épouse, Nomalizo Leah Shenxane.</p>
<p>Bien qu’anglican, il accepte de se marier selon la cérémonie catholique romaine. Cet acte œcuménique, à un stade très précoce de sa vie, nous donne un aperçu de son engagement dans les années suivantes.</p>
<p>Desmond Tutu quitte l’enseignement à la suite de l’introduction de la loi sur <a href="https://www.britannica.com/event/Bantu-Education-Act">l’éducation bantoue</a>, en 1953. Cette nouvelle loi stipule que l’éducation de la population africaine autochtone doit se limiter à faire de celle-ci un réservoir de main-d’œuvre non qualifiée.</p>
<p>Deux ans après ces changements, il entre au service de l’église en tant que sous-diacre, puis s’inscrit à une formation théologique en 1958. Il est ordonné diacre de la cathédrale Saint Mary’s de Johannesburg en 1960, et en devient le premier doyen noir en 1975.</p>
<p>En 1962, il se rend à Londres pour poursuivre sa formation théologique grâce à un financement du Conseil œcuménique des Églises. Il y obtient une maîtrise en théologie et, après avoir servi dans diverses paroisses à Londres, il retourne en Afrique du Sud en 1966 <a href="http://www.sahistory.org.za/people/archbishop-emeritus-mpilo-desmond-tutu">pour enseigner</a> au Séminaire théologique fédéral d’Alice, dans la province du Cap-Oriental.</p>
<p>S’intéressant par ailleurs particulièrement à l’étude de l’islam, il souhaite s’y concentrer dans le cadre de ses études doctorales mais sa vie prend un tour qui l’en empêche.</p>
<p>Ses activités du début des années 1970, durant lesquelles il fait le tour de l’Afrique, enseignant au Botswana, au Lesotho et au Swaziland avant de visiter de nombreux pays du continent en tant que <a href="https://www.tutu.org.za/founders-journey/">directeur associé pour l’Afrique</a> au <a href="https://www.presbyterianfoundation.org/tef/">Theological Education Fund</a>, l’amènent à découvrir la <a href="http://www.scielo.org.za/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0259-94222016000100033">théologie noire</a> (un courant de pensée théologique qui articule le christianisme et les questions de droits civils) et jettent les bases de son engagement politique contre l’apartheid. Il revient finalement à Johannesburg en tant que doyen de la ville et recteur de la paroisse anglicane St Mary en 1976.</p>
<h2>Activisme politique</h2>
<p>C’est à cette période que Tutu entre en conflit pour la première fois avec le premier ministre de l’apartheid de l’époque, John Vorster, en lui écrivant une <a href="https://www.sahistory.org.za/archive/letter-desmond-tutu-p-w-botha-letter-pretoria">lettre</a> en 1976, pour dénoncer l’état déplorable dans lequel les Noirs devaient vivre.</p>
<p>Le 16 juin de la même année, <a href="https://www.jeuneafrique.com/175602/politique/16-juin-1976-bain-de-sang-soweto/">Soweto s’enflamme</a>. Des lycéens noirs protestent contre l’utilisation forcée de l’afrikaans comme langue d’enseignement et sont massacrés par la police de l’apartheid.</p>
<p>L’évêque Tutu se retrouve de plus en plus impliqué dans la lutte et prononce l’un de ses discours les plus passionnés et enflammés <a href="https://www.jeuneafrique.com/124975/archives-thematique/mort-de-steve-biko-martyr-de-la-lutte-antiapartheid/">après la mort en détention</a> du leader militant noir, Steve Biko, en 1977.</p>
<p>En tant que <a href="http://sacc.org.za/history/">secrétaire général du Conseil sud-africain des églises</a>, puis en tant que recteur de l’église Saint-Augustin à Soweto, il devient un ardent critique des aspects les plus scandaleux de l’apartheid, notamment des expulsions forcées des Noirs des zones urbaines <a href="http://www.citego.org/bdf_fiche-document-1531_en.html">considérées comme des zones blanches</a>.</p>
<h2>Une cible</h2>
<p>Du fait de son activisme politique croissant, « the Arch » devient la cible de la répression à grande échelle du gouvernement de l’apartheid et fait l’objet de menaces de mort et d’alertes à la bombe dans les années 1980. Son passeport lui est <a href="https://www.upi.com/Archives/1981/04/16/South-Africa-revokes-bishops-passport/8490356245200/">retiré</a> en mars 1980 bien qu’un « document de voyage limité » lui soit octroyé deux ans plus tard suite à de nombreuses protestations et pressions internationales, lui permettant de voyager à l’étranger.</p>
<p>Reconnu dans le monde entier, son engagement lui vaut le <a href="https://www.liberation.fr/international/afrique/le-jour-ou-desmond-tutu-a-recu-le-nobel-20211226_ILMXKAHE4RBUBFBXYSPKPGPXAY/">prix Nobel de la paix 1984</a> et il devient l’évêque de Johannesburg en 1984, puis l’archevêque du Cap en <a href="http://www.sahistory.org.za/people/archbishop-emeritus-mpilo-desmond-tutu">1986</a>.</p>
<p>Au cours des quatre années qui ont précédé la libération de Nelson Mandela après 27 ans de prison, « the Arch » a fort à faire. Il fait campagne sans relâche pour que la pression internationale s’exerce sur l’apartheid et que le régime subisse des sanctions.</p>
<h2>Prolongation de son engagement sous la démocratie</h2>
<p>Après 1994, il dirige la <a href="http://www.justice.gov.za/trc/">Commission de la vérité et de la réconciliation</a>, dont l’objectif principal est de donner à ceux – pour ou contre l’apartheid – qui ont commis des violations des droits humains l’occasion d’avouer leur culpabilité, d’offrir une amnistie légale à ceux qui la mérite et de permettre aux coupables de faire amende honorable auprès de leurs victimes.</p>
<p>Deux des plus grands moments de sa vie personnelle ont porté la vision théologique de Desmond Tutu au-delà des limites de l’Église. L’un d’eux est survenu lorsque sa fille Mpho a déclaré qu’elle était homosexuelle et que l’Église a refusé son mariage. « The Arch » <a href="http://www.capetownmagazine.com/whats-the-deal-with/desmond-tutu/125_22_17533">a alors proclamé</a> son désaccord :</p>
<blockquote>
<p>Si, comme ils le disent, Dieu était homophobe, je ne le vénérerais pas.</p>
</blockquote>
<p>Le second fut lorsqu’il déclara sa <a href="http://www.telegraph.co.uk/news/2016/10/07/archbishop-desmond-tutu-asks-for-the-right-to-an-assisted-death/">préférence pour la mort assistée</a>.</p>
<p>L’Afrique du Sud est bénie d’avoir eu un homme aussi brave et courageux que « the Arch » qui a autant incarné l’idée que le pays est une <a href="https://www.bbc.com/news/world-africa-10734471">« nation arc-en-ciel »</a>. L’Afrique du Sud ressentira la perte de sa boussole morale pour les générations à venir. <em>Hamba kahle</em> (portez-vous bien) Arch.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174242/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>P. Pratap Kumar ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Mort le 26 décembre 2021, l’archevêque Desmond Tutu n’a pas cessé de lutter pour les droits humains après la fin de l’apartheid en 1994, continuant à se battre pour les opprimés toute sa vie.P. Pratap Kumar, Emeritus Professor, School of Religion, Philosophy and Classics, University of KwaZulu-NatalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1699002021-11-16T18:51:14Z2021-11-16T18:51:14ZAbdulrazak Gurnah, une biographie indocéanique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/426241/original/file-20211013-13-6e8uav.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C3%2C1182%2C794&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'écrivain et lauréat du prix Nobel de littérature 2021 Abulrazak Gurnah.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:AbulrazakGurnahHebronPanel.jpg">Wikimedia Commons / PalFest</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Nous sommes en 1963 et Rashid, un jeune homme originaire de l’île de Zanzibar, arrive à Londres, la métropole coloniale par excellence, poussé par un rêve : étudier dans une université anglaise qui lui permettra de se plonger dans les méandres d’une littérature anglaise forgée sur des bases impérialistes. Son intention est d’acquérir des connaissances afin de retourner dans sa patrie et de commencer une nouvelle vie dans un nouveau pays – après tout, Zanzibar a obtenu l’indépendance.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/425350/original/file-20211007-27-vgxxmq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/425350/original/file-20211007-27-vgxxmq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/425350/original/file-20211007-27-vgxxmq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=930&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/425350/original/file-20211007-27-vgxxmq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=930&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/425350/original/file-20211007-27-vgxxmq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=930&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/425350/original/file-20211007-27-vgxxmq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1168&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/425350/original/file-20211007-27-vgxxmq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1168&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/425350/original/file-20211007-27-vgxxmq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1168&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Couverture du roman <em>Désertion</em>.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.bloomsbury.com/uk/desertion-9780747578956/">Bloomsbury</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais ses plans échouent dès qu’il pose le pied sur le sol anglais : après 11 mois d’indépendance, Zanzibar est engloutie dans l’une des révolutions <a href="https://es.wikipedia.org/wiki/Revoluci%C3%B3n_de_Zanz%C3%ADbar">les plus sanglantes de l’histoire africaine récente</a> et Rashid, poussé par son père qui pressent le sombre avenir de l’île, prend la terrible décision de rester en Angleterre.</p>
<p>Et je dis « terrible » car à ce moment-là, Rashid, comme il le perçoit lui-même, devient un exilé. Dans un roman qui se déroule au XIX<sup>e</sup> siècle, nous dirions que nous contemplons le moment précis où le protagoniste « grandit » émotionnellement et rationnellement, c’est-à-dire que le jeune Rashid devient un adulte. Mais le roman qui donne vie à Rashid n’est pas un roman à l’ancienne : il doit se dérouler dans les eaux troubles d’un monde postcolonial qui, comme le suggère le titre même du roman, <a href="https://www.bloomsbury.com/uk/desertion-9780747578956/"><em>Desertion</em></a>, est truffé d’abandons, d’absences et de trahisons.</p>
<p>Publié en 2005, <em>Desertion</em> est une <a href="https://experts.udl.cat/display/UDL-AR029930">tentative ratée de roman historique</a>, car l’histoire que raconte Rashid n’a pas sa place dans les annales de l’Empire britannique. À partir de l’expérience poignante de l’exil, Rashid dévoile la romance interdite entre Martin Pearce, un Anglais, et Rehana, une histoire d’amour qui se déroule à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle et qui s’attaque avec force à la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00111619.2018.1459456?journalCode=vcrt20">croyance impérialiste en l’inexistence de relations interraciales « sérieuses »</a>.</p>
<h2>Prix Nobel de littérature 2021</h2>
<p>Pourquoi commencer cet article sur <a href="https://www.casafrica.es/es/persona/abdulrazak-gurnah">Abdulrazak Gurnah</a>, le tout nouveau – et inattendu – <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/literature/2021/summary/">lauréat du prix Nobel de littérature 2021</a>, par le protagoniste de l’un de ses romans les plus élégants, les plus magnifiques ?</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/425358/original/file-20211007-17-o83az0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/425358/original/file-20211007-17-o83az0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/425358/original/file-20211007-17-o83az0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/425358/original/file-20211007-17-o83az0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/425358/original/file-20211007-17-o83az0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/425358/original/file-20211007-17-o83az0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/425358/original/file-20211007-17-o83az0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/425358/original/file-20211007-17-o83az0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Abdulrazak Gurnah.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.nobelprize.org/prizes/literature/2021/gurnah/facts/">Niklas Elmehed/Nobel Prize Outreach</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Je crois fermement qu’il y a beaucoup de Gurnah dans Rashid. Abdulrazak Gurnah est né à Zanzibar en 1948 et a quitté son Zanzibar natal avec son frère alors qu’il n’avait que 17 ans. Comme Gurnah, un professeur retraité de l’université du Kent, Rashid finit par travailler comme chargé de cours en littérature postcoloniale dans une université anglaise.</p>
<p>J’ai souvent spéculé sur les parallèles entre ses personnages exilés et sa propre vie, car aucun autre auteur, à ma connaissance, n’a réussi à saisir avec un tel brio affectif ce que signifie être loin de son propre peuple et devoir affronter jour après jour le mépris constant d’un monde occidental qui se considère comme supérieur.</p>
<h2>L’exil des personnages</h2>
<p>Comme l’écrivain l’avoue dans une <a href="https://www.routledge.com/Writing-Across-Worlds-Contemporary-Writers-Talk/Nasta/p/book/9780415345675">interview de 2004</a>, après des années de vie en Angleterre, son apparence physique suscite toujours le rejet et il ne peut s’empêcher de se sentir « étrange » face aux regards insultants des passants qui ne le connaissent pas du tout. C’est sans doute ce sentiment qui conduit Latif Mahmud, l’un des protagonistes de <a href="https://www.bloomsbury.com/uk/by-the-sea-9780747557852/"><em>By the Sea</em></a> (<em>On the Shore</em>), par ailleurs professeur d’université, à se lancer dans une longue diatribe sur la signification de l’expression « grinning blackamoor », <a href="https://www.jstor.org/stable/10.2979/ral.2010.41.2.74">après avoir été ainsi insulté dans la rue</a>.</p>
<p>Les exils de Rashid et de Latif Mahmud rejoignent ceux de Saleh Omar, l’autre protagoniste de <em>By the Sea</em> (2001), de Hassan dans <a href="https://www.bloomsbury.com/uk/memory-of-departure-9781408883983/"><em>Memory of Departure</em></a> (1987), de Daud dans <a href="https://www.bloomsbury.com/uk/pilgrims-way-9781408885697/"><em>Pilgrim’s Way</em></a>_ (1988), de Dottie Balfour dans le roman du même nom, <a href="https://www.bloomsbury.com/uk/dottie-9781408885659/"><em>Dottie</em></a> (1990), le narrateur sans nom de <a href="https://www.bloomsbury.com/uk/admiring-silence-9781408883969/"><em>Admiring Silence</em></a> /<em>Precario silencio</em> (1996), Abbas dans <a href="https://www.bloomsbury.com/uk/last-gift-9781408821855/"><em>The Last Gift</em></a> (2011) et Salim dans <a href="https://www.bloomsbury.com/uk/gravel-heart-9781408881309/"><em>Gravel Heart</em></a> (2017).</p>
<p>L’œuvre de Gurnah doit être située dans une géographie définie par les contours de l’océan Indien. Parler de Gurnah comme d’un auteur tanzanien revient à minimiser l’essence cosmopolite d’un littoral indo-océanique qui se distingue précisément par sa fluidité et son animosité à l’égard des frontières nationales. Suivant la route tracée par la langue véhiculaire de l’Afrique de l’Est, le swahili, les textes en anglais de Gurnah naviguent dans l’histoire de cette zone géographique, révélant un monde fascinant qui, enveloppé dans un récit captivant, met au jour et dénonce la présence endémique de l’esclavage.</p>
<h2>Le monde fictif de Gurnah</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/425354/original/file-20211007-18619-3psvw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/425354/original/file-20211007-18619-3psvw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/425354/original/file-20211007-18619-3psvw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=925&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/425354/original/file-20211007-18619-3psvw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=925&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/425354/original/file-20211007-18619-3psvw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=925&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/425354/original/file-20211007-18619-3psvw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1163&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/425354/original/file-20211007-18619-3psvw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1163&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/425354/original/file-20211007-18619-3psvw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1163&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Couverture du roman <em>Paradise</em>.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.bloomsbury.com/uk/paradise-9780747573999/">Bloomsbury</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est l’histoire de Yusuf, qui à l’âge de 12 ans est vendu par ses parents à un riche marchand qu’il appelle « Oncle Aziz ». Aux côtés de l’oncle Aziz, Yusuf s’initie à la vente d’êtres humains. Le voyage de Yusuf, de la côte à l’intérieur des terres, en tant que membre de l’expédition dirigée par l’oncle Aziz, constitue un récit détaillé, douloureux et émouvant de pure survie.</p>
<p>Le « paradis » qui donne son titre au roman – <a href="https://www.bloomsbury.com/uk/paradise-9780747573999/"><em>Paradise</em></a> –, qui accueille l’histoire de Yusuf, est le mirage ininterrompu des aspirations d’un jeune Africain qui veut être libre et heureux. L’aventure de Yusuf se termine brusquement avec l’arrivée de l’armée allemande qui se prépare à la Première Guerre mondiale. Il faut rappeler ici une chose que l’histoire oublie souvent et que la fiction de Gurnah souligne avec insistance, à savoir que l’Afrique de l’Est fut un champ de bataille pendant la Première Guerre mondiale et que de nombreux Africains ont perdu la vie dans une guerre qui, franchement, <a href="https://www.academia.edu/38994665/The_Scramble_for_Home_World_War_I_in_the_East_African_Imagination">n’avait pas grand-chose à voir avec eux</a>.</p>
<p><em>Paradise</em>, publié en 1994, a été nominé la même année pour le <a href="https://thebookerprizes.com/the-booker-library/books/paradise">prestigieux Booker Prize</a>, sans doute le prix littéraire le plus prestigieux décerné au Royaume-Uni.</p>
<p>Le personnage ne disparaît pas pour autant du monde fictionnel de Gurnah, puisqu’il le reprend dans son dernier roman, <a href="https://www.bloomsbury.com/uk/afterlives-9781526615893/"><em>Afterlives</em></a>, publié en 2020, dans lequel nous avons accès à la vie de Yusuf, rebaptisé Hamza, après son enrôlement dans l’armée allemande.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/425355/original/file-20211007-23-1xpp4e0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/425355/original/file-20211007-23-1xpp4e0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/425355/original/file-20211007-23-1xpp4e0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=924&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/425355/original/file-20211007-23-1xpp4e0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=924&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/425355/original/file-20211007-23-1xpp4e0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=924&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/425355/original/file-20211007-23-1xpp4e0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1162&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/425355/original/file-20211007-23-1xpp4e0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1162&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/425355/original/file-20211007-23-1xpp4e0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1162&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Couverture de <em>After Lives</em>.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.bloomsbury.com/uk/afterlives-9781526615893/">Bloomsbury</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La présence des mêmes personnages dans plusieurs romans est un signe distinctif de Gurnah, formant un réseau littéraire qui nous transporte dans le monde imaginaire des Mille et une Nuits, un texte indo-européen emblématique qui est d’ailleurs cité à plusieurs reprises dans son œuvre.</p>
<p>Ainsi, imprégné de l’esprit indo-océanique qui se dégage de l’œuvre de Gurnah, telle Schéhérazade, je conclus cet article avec la conviction absolue que l’expérience de vie de Gurnah, dans sa projection la plus humanitaire, prévaut dans son œuvre, la dotant d’une sensibilité esthétique qui mérite bien le prix littéraire le plus important au monde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169900/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Esther Pujolràs Noguer reçoit un financement du ministère espagnol des Sciences, de l'Innovation et des Universités pour le projet de recherche Myths of Belonging in the Indian Ocean World / Comunidades rizomáticas: mitos de integración en el mundo Indoceánico (PGC2018-095648-B-I00).</span></em></p>Qui est le lauréat du prix Nobel de littérature 2021, Abdulrazak Gurnah ? Exilé au Royaume-Uni, son travail s’inscrit dans une géographie marquée par les contours de l’océan Indien.Esther Pujolràs Noguer, Profesora Serra-Húnter en Literatura Poscolonial , Universitat de LleidaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1717032021-11-14T16:43:00Z2021-11-14T16:43:00ZFrédérik De Klerk, héros de la fin de l’apartheid malgré lui ?<p>Rares sont les figures historiques d’Afrique du Sud qui suscitent autant d’opinions divergentes que <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/frederik-willem-de-klerk/">Frederik Willem De Klerk</a>, qui vient de mourir à l’âge de 85 ans. Président du pays de 1989 à 1994, il est vu par certains comme l’un des principaux artisans de la fin du système de l’apartheid, ayant su éviter que l’effondrement de ce régime s’accompagne d’un bain de sang. Mais, pour beaucoup d’autres, il aura seulement été le dernier chef d’un <a href="https://www.news24.com/news24/southafrica/news/his-hands-are-dripping-with-blood-calls-to-cancel-fw-de-klerk-talk-in-us-on-racism-rule-of-law-20200620">système intrinsèquement violent et injuste</a>.</p>
<p>En reconnaissance de son rôle dans la disparition de l’apartheid officiel, Frederik De Klerk a reçu le prix Nobel de la paix en <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/peace/1993/award-video/">1993</a>, aux côtés de <a href="https://fr.unesco.org/courier/november-1995/nelson-mandela-homme-leternite">Nelson Mandela</a>, lequel allait devenir un an plus tard le premier président sud-africain de l’ère démocratique. De nombreux historiens ont souligné l’inhabituel <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/21528586.2000.10419009">renoncement au pouvoir</a> de la minorité blanche de l’époque, qui permit de mettre fin à l’apartheid. Frédérik De Klerk a sans doute joué un rôle important à cet égard.</p>
<p>Il ne faut toutefois pas oublier que, quelques années plus tôt, Mandela avait <a href="https://www.theguardian.com/world/1999/jan/15/nelsonmandela">qualifié</a> De Klerk de « chef d’un régime minoritaire illégitime discrédité […] et amoral » – des mots qui traduisent non seulement l’animosité entre les deux dirigeants, mais aussi les sentiments de beaucoup, sinon de la plupart, des Sud-Africains.</p>
<p>Le fait que Frederik De Klerk ne se soit jamais vu et n’ait jamais vu le régime du <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9780429033308-1/south-africa-national-party-government-lawrence-schlemmer">Parti national</a> ainsi est paradoxalement ce qui lui a permis de conduire le parti à renoncer au pouvoir de l’État. Bien que ce ne fut pas son intention première.</p>
<p>La fin de la <a href="http://www.irenees.net/bdf_fiche-experience-172_en.html">guerre froide</a> a eu deux conséquences majeures pour l’Afrique du Sud : d’une part, l’Union soviétique a cessé de soutenir les organisations anti-apartheid ; d’autre part, l’Occident n’a plus eu besoin de s’appuyer sur le régime de l’apartheid pour renforcer ses positions sur le continent africain.</p>
<p>Dans le même temps, les <a href="https://thecommonwealth.org/media/news/archive-sanctions-agreed-against-apartheid-era-south-africa">sanctions internationales</a> adoptées à l’égard du régime de l’apartheid, le coût des <a href="https://www.erudit.org/en/journals/ei/1900-v1-n1-ei3045/702845ar.pdf">opérations militaires conduites en Afrique australe</a> et une insurrection populaire <a href="https://omalley.nelsonmandela.org/omalley/index.php/site/q/03lv02167/04lv02264/05lv02335/06lv02357/07lv02372/08lv02379.htm">toujours aussi intense</a> ont plongé le pays dans une crise économique.</p>
<p>Dans ce contexte, l’apartheid a perdu son emprise hégémonique sur l’intelligentsia <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/afrikaner/19206">afrikaner</a>, le monde des affaires, les médias et les Églises : partout, des doutes de plus en plus forts se faisaient jour quant à la moralité et l’applicabilité du régime.</p>
<h2>Un idéologue convaincu de l’apartheid</h2>
<p>Frederik De Klerk sera principalement retenu pour son célèbre <a href="https://www.courrierinternational.com/article/2010/02/03/le-jour-ou-de-klerk-a-change-l-histoire">discours du 2 février 1990</a>, dans lequel il annonçait la levée de l’interdiction du Congrès national africain (ANC) et d’autres mouvements de libération.</p>
<p>Mais il ne faut pas y voir une conversion miraculeuse au principe de la majorité noire.</p>
<p>L’annonce a plutôt été faite par pragmatisme. Frederik De Klerk prenait un risque stratégique pour reprendre l’initiative, dans une situation où les options autres que l’intensification de la répression militaire se réduisaient rapidement.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/O66rjpcGFkg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Frédérik De Klerk annonce la fin de l’Apartheid et la libération de Nelson Mandela, INA, archive du 2 février 1990.</span></figcaption>
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<p>De fait, au regard de sa vie, le président sud-africain blanc ne sembler guère destiné à être le maître d’œuvre d’un tel processus.</p>
<p>Né le 18 mars 1936 à Johannesburg, il est issu d’une lignée de dirigeants du Parti national, qui est arrivé au pouvoir en <a href="https://www.cairn.info/l-afrique-du-sud-des-afrikaners--9782870274521-page-177.htm">1948</a> en tant que porte-étendard de la politique d’apartheid. Son oncle, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Johannes_Strijdom">Johannes Strijdom</a>, a été le deuxième premier ministre de l’apartheid tandis que son père, <a href="https://www.sahistory.org.za/people/johannes-jan-de-klerk">Jan De Klerk</a>, a été ministre sous trois gouvernements de ce régime.</p>
<p>Frédérik De Klerk était associé à l’aile conservatrice du Parti national. Actif dans les organisations nationalistes afrikaners <a href="https://www.sahistory.org.za/people/frederik-willem-de-klerk">dès son plus jeune âge</a>, il a été élu au Parlement au début des années 1970.</p>
<p>Sa carrière politique confirme son engagement en faveur du système en place. Après avoir accédé à un poste ministériel du Parti national à la fin des années 1970, il a enchaîné les portefeuilles clés, contribuant à la domination exercée sur les Noirs.</p>
<p>Ainsi, il a été le principal responsable politique en charge de la mise en œuvre de « <a href="https://www.sahistory.org.za/article/bantu-education-and-racist-compartmentalizing-education">l’éducation bantoue</a> » en tant que ministre de l’Éducation entre 1984 et 1989. Ce système a été dévastateur, renforçant la hiérarchie raciale par la limitation des opportunités accessibles aux Noirs dès leur plus jeune âge.</p>
<p>Frédérik De Klerk a toujours défendu l’idée que l’apartheid avait pour but de répondre à la complexité de la diversité sud-africaine. Dans sa <a href="https://www.justice.gov.za/trc/hrvtrans/submit/np2.htm">déclaration</a> devant la <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2007-2-page-313.htm">Commission Vérité et Réconciliation (CVR)</a> (créée pour examiner les violations des droits humains pendant la période de l’apartheid) à la fin des années 1990, il a protesté contre la qualification juridique internationale, en 1973, de l’apartheid comme <a href="https://legal.un.org/avl/pdf/ha/cspca/cspca_f.pdf">crime contre l’humanité</a>.</p>
<p>Devant la Commission, il a insisté sur le fait que les crimes contre l’humanité sont liés à « l’extermination délibérée de centaines de milliers – parfois de millions – de personnes » et que les Blancs, à l’inverse, partageaient de plus en plus les ressources de l’État avec les Noirs au cours des dernières années de l’apartheid.</p>
<p>Sa position n’avait pas changé vingt ans plus tard, comme en témoigne cette <a href="https://www.youtube.com/watch?v=VBE844vDkx4">déclaration de 2020</a>, qu’il a <a href="https://www.fwdeklerk.org/index.php/en/latest/news/984-statement-by-fw-de-klerk">minorée quelques jours plus tard</a> après une intervention de la Fondation Desmond et Leah Tutu, en reconnaissant la <a href="https://legal.un.org/avl/pdf/ha/cspca/cspca_f.pdf">définition du Statut de Rome de la Cour pénale internationale</a>, qui considère l’apartheid comme un crime contre l’humanité. Toutefois, sa rétractation est restée <a href="https://www.news24.com/news24/SouthAfrica/News/fw-de-klerk-foundation-withdraws-apartheid-statement-apologises-to-sa-20200217">très ambiguë</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Ce n’est pas le moment d’ergoter sur le degré d’inacceptabilité de l’apartheid. »</p>
</blockquote>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/BmE57LbH3qU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les derniers mots de Frédérik De Clerk : il refuse toujours de qualifier l’apartheid de crime contre l’humanité..</span></figcaption>
</figure>
<h2>De Klerk et les forces de sécurité</h2>
<p>Le déni de De Klerk à propos de la violence de l’État sous l’apartheid provient en partie de son insistance à affirmer qu’il n’était pas personnellement au courant des abus commis par ses forces de sécurité. Il ne faisait pas partie du cercle restreint de son prédécesseur « sécurocratique » <a href="https://www.jeuneafrique.com/128360/archives-thematique/botha-raciste-jusqu-au-bout/">Pieter Willem Botha</a>, qui avait créé le répressif <a href="https://open.uct.ac.za/bitstream/handle/11427/25748/Seegers_SA%E2%80%99s%20National%20Security_1991.pdf;jsessionid=C7FEFF2E957BA1FE3BF17BE6B4DE274A?sequence=1">National Security Management System</a>.</p>
<p>Cependant, il était membre du Conseil de sécurité de l’État, la structure au sommet du système de gestion de la sécurité nationale. En conséquence, la Commission <a href="https://sabctrc.saha.org.za/reports/volume6/section1/chapter4/subsection3.htm">a considéré que</a></p>
<blockquote>
<p>« Sa déclaration selon laquelle aucun de ses collègues du cabinet du Conseil de sécurité de l’État ou des comités du cabinet n’a autorisé d’assassinat, de meurtre ou d’autres violations flagrantes des droits de l’homme est indéfendable. »</p>
</blockquote>
<p>Pendant sa présidence, la violence politique a atteint des <a href="https://omalley.nelsonmandela.org/omalley/index.php/site/q/03lv02167/04lv02264/05lv02335/06lv02357/07lv02372/08lv02379.htm">niveaux jamais vus</a>. Toutefois, il a tenté diverses actions pour <a href="https://fas.org/irp/world/rsa/com15e.htm">neutraliser les sécurocrates</a>, ce qui suggère qu’un fossé s’était creusé au sein du gouvernement du Parti national entre ceux qui étaient déterminés à maintenir l’apartheid et ceux qui pensaient qu’il n’était plus possible de continuer sans changement.</p>
<p>Mais le groupe de Frédérik De Klerk n’avait certainement pas pour objectif d’établir l’actuelle démocratie constitutionnelle fondée sur la dignité humaine, l’égalité et la liberté. Au début des négociations multipartites, le parti était convaincu qu’il pouvait poursuivre le simple réformisme de l’apartheid appelé « <a href="https://static.pmg.org.za/working-democracy-FINAL.pdf">partage du pouvoir</a> » entamé par Pieter Botha dans les années 1980.</p>
<p>Le partage du pouvoir proposé impliquait l’intégration d’un « veto blanc » dans la représentation parlementaire, comme contrepoids à l’émancipation de la majorité noire. Mais l’intensification des violences politiques a interrompu les négociations, réduisant de plus en plus les possibilités d’une solution politique.</p>
<p>De plus, la création d’une <a href="https://www.ru.ac.za/perspective/2013archive/thedayin1993whentherewasnoturningbackforsa.html">alliance</a> entre les réactionnaires blancs et noirs de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Afrikaner_Volksfront">Afrikaner-Volksfront</a>, de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_Inkatha_de_la_libert %C3 %A9">Inkatha Freedom Party</a> et du <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1977/12/07/le-bantoustan-du-bophuthatswana-devient-independant_2855202_1819218.html">bantoustan du Bophuthatswana</a>, alors indépendant, a relancé l’urgence de trouver un terrain d’entente.</p>
<p>Ce processus fut grandement facilité par des <a href="http://www.ethikundmilitaer.de/en/full-issues/20181-strategic-foresight/kahane-transformative-scenario-planning-working-together-to-change-the-future/">exercices de planification</a> qui ont rassemblé les factions opposées pour envisager ensemble les futurs possibles de l’Afrique.</p>
<p>Plus que le fond, c’est la forme de ces exercices qui fut déterminante. Pour la première fois, les négociateurs du Parti national se retrouvaient face à leurs ennemis pour discuter. Cet exercice a fait disparaître chez eux le stéréotype du « terroriste communiste noir ». En tant que parties principales des discussions, ces interactions ont permis au Parti national et à l’ANC d’établir une compréhension mutuelle, et, finalement, une confiance, en particulier entre leurs négociateurs principaux respectifs, <a href="https://www.rfi.fr/fr/hebdo/20171222-election-anc-longue-marche-cyril-ramaphosa-conference-parti-zuma-corruption">Cyril Ramaphosa</a> et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Roelf_Meyer">Roelf Meyer</a>.</p>
<h2>Un élan irrépressible</h2>
<p>De Klerk et ses négociateurs ont été emportés par le <a href="https://repository.nwu.ac.za/bitstream/handle/10394/6402/VEREENIGING_APRIL_2012.pdf ;jsessionid=AC1026386C486DDB8CD604D4286D40C8 ?sequence=1">flot des événements</a>. Ils se sont rendu compte que l’instauration d’une démocratie dont la Constitution est fondée sur le respect des droits humains et dont les citoyens sont égaux devant la loi indépendamment de leur « race » représentait, pour eux, le meilleur moyen de conserver leur électorat.</p>
<p>En ce qui concerne la transformation économique, le Parti national et les intérêts du capital blanc qu’il représentait n’ont pas réussi à bloquer une clause constitutionnelle prévoyant expressément l’expropriation de la propriété dans <a href="https://www.gov.za/documents/constitution/chapter-2-bill-rights#25">l’intérêt public</a>. Cette clause comprenait toutefois un avenant stipulant que cette expropriation devait faire l’objet d’une indemnisation. La clause stipule également qu’un « équilibre équitable » doit être trouvé entre les intérêts du public et ceux du propriétaire.</p>
<p>Suivant une ligne très proche des grandes orientations de son parti, De Klerk a poursuivi sur la voie du réformisme de l’apartheid proposé par Botha, y compris par le biais de pourparlers. Mais, contrairement à lui, il n’était pas un sécurocrate et en est donc venu à considérer que le partage du pouvoir ne pouvait finalement <em>pas</em> être imposé par la violence d’État.</p>
<p>Là où Botha avait failli, De Klerk a su prendre des chemins alternatifs. En tant que leader conservateur du Parti national, il pouvait rallier à lui la majeure partie de son personnel et de son électorat. Mais ce n’est pas une soudaine réalisation de l’ignominie de l’apartheid qui a poussé De Klerk à y mettre fin. C’est la force des choses. Une fois le processus lancé, il était entré dans une véritable tempête postcoloniale, sans retour possible.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171703/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christi van der Westhuizen ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Prix Nobel de la Paix 1993 avec Nelson Mandela pour sa participation à la dissolution de l’apartheid, Frédérik De Klerk n’a jamais cessé d’entretenir le flou sur sa position vis-à-vis de ce régime.Christi van der Westhuizen, Associate Professor, Centre for the Advancement of Non-Racialism and Democracy (CANRAD), Nelson Mandela UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1704082021-10-26T18:27:38Z2021-10-26T18:27:38ZLes prix Nobel de la paix controversés, signe d’une réforme nécessaire ?<p>Le prix Nobel de la paix 2021 a été décerné à deux journalistes, le Russe Dmitri Mouratov et la Philippine Maria Ressa, récompensés pour « leur combat courageux pour la liberté d’expression ». Une surprise, car ces deux militants étaient assez peu connus du grand public. On peut saluer le fait que ces deux lauréats, courageux militants pour la liberté d’expression dans des pays où celle-ci n’est pas garantie, sont tous deux issus de pays non occidentaux. En effet, longtemps, le prix a récompensé essentiellement des Européens et des Nord-Américains.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-fermeture-de-la-nova-a-gazeta-dernier-clou-dans-le-cercueil-de-la-liberte-dexpression-en-russie-170029">La fermeture de la Novaïa Gazeta, dernier clou dans le cercueil de la liberté d’expression en Russie</a>
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<p>Créé en 1901, le prix Nobel de la paix, selon le testament manuscrit d’Alfred Nobel, exposé au musée Nobel de Stockholm depuis 2015, récompense chaque année « la <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/271285-le-prix-nobel-de-la-paix">personnalité ou la communauté ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples</a>, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour la paix ». La liberté d’expression est parmi les causes les plus fréquemment récompensées par le Nobel depuis les années 1970, avec par exemple en 1975 le dissident soviétique Andrei Sakharov et en 1977 l’ONG Amnesty International.</p>
<p>Alfred Nobel aurait, selon l’écrivain autrichien Stefan Zweig dans ses mémoires <em>Le monde d’hier</em>, créé ce prix pour compenser les conséquences néfastes de son invention de la dynamite, brevetée en 1866._</p>
<p>Ainsi, des hommes et des femmes ayant oeuvré à la paix mondiale, milité pour les droits humains, ou agi pour l’aide humanitaire et la liberté dans le monde, sont récompensés par cette prestigieuse distinction. Ils sont choisis par un comité nommé par le parlement norvégien.</p>
<p>Au fil du temps, des grandes personnalités pacifistes et humanistes ont été distinguées, comme <a href="https://www.croix-rouge.fr/Actualite/henry-dunant-1219">Henry Dunant</a>, le fondateur de la Croix-Rouge, en 1901, la femme pacifiste autrichienne <a href="https://histoireparlesfemmes.com/2013/11/11/bertha-von-suttner-premiere-prix-nobel-de-la-paix/">Bertha von Suttner</a> en 1905, le chirurgien missionnaire français <a href="http://museeskaysersberg.e-monsite.com/pages/musees/musee-du-docteur-schweitzer/qui-est-albert-schweitzer.html">Albert Schweitzer</a> en 1952, le Suédois <a href="https://www.un.org/fr/memorial/hammarskjold50.shtml">Dag Hammarskjöld</a>, Secrétaire général de l’ONU, en 1961, le militant américain des droits civiques <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-ephemeride/10-decembre-1964-martin-luther-king-recoit-le-prix-nobel-de-la-paix_1770603.html">Martin Luther King</a> en 1964, la religieuse humanitaire d’origine albanaise <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A8re_Teresa">Mère Teresa</a> en 1979, ou encore, plus récemment, le militant des droits de l’homme chinois <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/chine/qui-etait-liu-xiaobo-dissident-chinois-et-nobel-de-la-paix-mort-apres-huit-ans-de-detention_2281971.html">Liu Xiaobo</a> en 2010.</p>
<h2>Critiques et polémiques</h2>
<p>Plusieurs critiques ont été formulées à l’encontre de ce prix.</p>
<p>Tout d’abord, il a été longtemps donné qu’à des Occidentaux, et bien davantage à des hommes qu’à des femmes. Cependant, avec 18 femmes lauréates, le Nobel de la Paix est le Nobel qui totalise le plus de récipiendaires féminines. Parmi ces rares femmes, on peut citer par exemple en 1992 la militante autochtone guatémaltèque Rigoberta Menchu, récompensée pour ses efforts en faveur « de <a href="https://clubquetzal.org/decouvrir-le-club-quetzal/rigoberta-menchu-sa-vie-son-oeuvre/">la justice sociale et de la réconciliation ethnoculturelle</a> basée sur le respect pour les droits des peuples autochtones ».</p>
<p>On a pu aussi relever d’injustifiables absences, comme Gandhi. Icône de la lutte pacifiste et non violente pour <a href="https://www.herodote.net/15_ao%C3%BBt_1947-evenement-19470815.php">l’indépendance de l’Inde</a>, il n’a jamais reçu le prix. Toutefois, assassiné en 1948, il est possible qu’il l’aurait obtenu s’il avait vécu plus longtemps.</p>
<p>Surtout, plusieurs prix Nobel de la Paix ont été <a href="https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-monde/20121012.RUE3108/retour-sur-cinq-prix-nobel-de-la-paix-controverses.html">controversés</a>. Ainsi, le président américain <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-nord/theodore-roosevelt-ou-la-naissance-de-l-empire-americain_2131747.html">Theodore Roosevelt</a> l’a reçu en 1906, pour saluer ses efforts en faveur de la fin de la guerre russo-japonaise de 1904-1905, alors qu’il était un militariste convaincu, adepte de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Doctrine_du_Big_Stick">doctrine du « Big Stick »</a>, c’est-à-dire de la pression exercée par la menace militaire.</p>
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<figcaption><span class="caption">Theodore Roosevelt, la présidence au pas de charge (1901–1909), France Inter, 2 novembre 2020.</span></figcaption>
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<p>Il n’a d’ailleurs pas hésité à tancer son successeur le Démocrate <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Thomas_Woodrow_Wilson/149909">Woodrow Wilson</a> pour avoir ébauché le projet de <a href="https://www.un.org/fr/about-us/history-of-the-un/predecessor#:%7E:text=Pr%C3%A9curseur%20de%20l%E2%80%99Organisation%20des,la%20paix%20et%20la%20s%C3%A9curit%C3%A9%20%C2%BB.">« Société des Nations »</a>, futur temple du multilatéralisme et du pacifisme, et préfiguration de l’ONU, durant son discours d’acceptation du prix en 1910. Theodore Roosevelt était en effet hostile au multilatéralisme.</p>
<h2>1973, le scandale Kissinger : le prix Nobel de la Paix décerné à un criminel de guerre ?</h2>
<p>En 1973, c’est un autre Américain, le secrétaire d’État <a href="https://www.liberation.fr/culture/livres/henry-kissinger-diplomate-de-fer-20211021_FJOAPM4PFZB6FLS4LBKLZPOTXA/">Henry Kissinger</a>, qui est lauréat du prix. C’est sans doute le cas le plus choquant et scandaleux, étant donné sa responsabilité dans l’<a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2001/05/ABRAMOVICI/1729">« opération Condor »</a>, campagne secrète d’assassinats de leaders démocrates et de coups d’État militaires conduite sous l’égide de la CIA dans plusieurs pays d’Amérique latine (Chili, Argentine, Bolivie, Paraguay, Uruguay notamment) pendant la guerre froide et en particulier dans les années 1970.</p>
<p>Kissinger est ainsi l’un des maîtres d’œuvre du <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20210911-au-chili-le-11-septembre-marque-le-coup-d-%C3%A9tat-militaire-de-pinochet-en-1973">coup d’État du 11 septembre 1973</a> au Chili, qui a vu le renversement – et la mort – du président socialiste Salvador Allende et la prise de pouvoir par le général Pinochet qui a instauré alors une sanglante dictature d’extrême droite qui a duré jusqu’en 1990.</p>
<p>Kissinger est aussi responsable de <a href="https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2018-3-page-63.htm">bombardements meurtriers au Cambodge</a> pendant la guerre du Vietnam. C’est donc un véritable scandale qu’il ait été récompensé par le prix Nobel de la Paix, car selon certains il est bien plutôt un <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2001/10/WARDE/7946">« criminel de guerre »</a>, responsable de <a href="https://www.letemps.ch/opinions/henry-kissinger-juge-crimes-contre-lhumanite">« crimes contre l’humanité »</a>. D’ailleurs, le diplomate nord-vietnamien Le Duc Tho, récompensé la même année pour avoir été l’un des négociateurs des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Accords_de_paix_de_Paris">accords de paix de Paris</a> mettant fin à la guerre du Vietnam, a refusé sa part du prix, par mesure de protestation.</p>
<p>En 1991, la femme d’État birmane Aung San Suu Kyi, militante de l’opposition <a href="https://ras-nsa.ca/fr/publication/la-non-violence-comme-strategie-de-resistance-au-myanmar/">non violente</a> à la dictature militaire de son pays, devient à son tour lauréate du prix Nobel de la paix. Or, plus tard, alors qu’elle est <em>de facto</em> chef du gouvernement, de 2016 à 2021, la presse va lui reprocher son inaction et son absence de condamnation des discriminations et des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/09/deux-ex-soldats-birmans-avouent-des-crimes-contre-les-rohingya_6051476_3210.html">massacres commis par l’armée birmane à l’encontre des Rohingyas</a>, minorité musulmane persécutée de Birmanie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-birmanie-la-junte-militaire-renoue-avec-ses-vieux-demons-154430">En Birmanie, la junte militaire renoue avec ses vieux démons</a>
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<p>Ces massacres sont même <a href="https://news.un.org/fr/story/2019/09/1051712">qualifiés de « génocide » par l’ONU</a>. <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-58828791">Des appels ont alors été lancés pour qu’elle soit privée de son prix</a>, mais les règles régissant les prix Nobel ne permettent pas une telle démarche.</p>
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<figcaption><span class="caption">Nobel de la Paix : à quel prix ? France 24, 10 décembre 2019.</span></figcaption>
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<h2>1994, polémique autour du choix de Yasser Arafat</h2>
<p>Trois ans plus tard, en 1994, le prix Nobel de la paix a été attribué conjointement aux deux hommes politiques israéliens <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/shimon-peres-ancien-president-israelien-et-dernier-pere-fondateur-d-israel_1834965.html">Shimon Peres</a> et <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Yitzhak_Rabin/140127">Yitzhak Rabin</a> et à l’homme politique palestinien <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Muhammad_Abd-al_Rauf_Arafat_dit_Yasser_Arafat/105896">Yasser Arafat</a>, fondateur de <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Organisation-de-Liberation-de-la-Palestine-OLP.html">l’Organisation pour la libération de la Palestine</a> (OLP), pour leur rôle à tous les trois dans la signature des <a href="https://www.amnesty.fr/focus/accords-oslo">accords d’Oslo</a>, étape importante en direction d’une paix dans le conflit israélo-palestinien. Plusieurs observateurs ont critiqué le choix d’Arafat, le considérant comme un terroriste en raison de l’action violente menée par l’OLP. <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/K %C3 %A5re_Kristiansen">Kare Kristiansen</a>, homme politique norvégien, membre du comité Nobel a ainsi <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-58828791">démissionné en signe de protestation</a>.</p>
<p>En 2004, la militante kényane Wangari Mathai, aujourd’hui décédée, est devenue la première femme africaine à recevoir un prix Nobel. Or, <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-58828791">elle a ensuite été critiquée pour ses propos sur les origines du VIH</a>. En effet, elle a laissé entendre que le virus du VIH aurait été créé artificiellement comme une arme biologique, conçue pour détruire les Noirs, ce qui n’est en aucune manière étayé scientifiquement.</p>
<h2>2009, Barack Obama : un prix Nobel pour rien ?</h2>
<p>En 2009, c’est Barack Obama qui se voit attribuer la précieuse distinction. Il a lui-même été très surpris, comme il le confie dans le premier tome de <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/une-terre-promise-9782213706122">son autobiographie</a>, étant alors au pouvoir depuis moins d’un an. Il a même cru à une blague au début. En réalité, le comité Nobel a, en choisissant de distinguer Obama, eu l’intention de récompenser <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2009/10/09/barack-obama-prix-nobel-de-la-paix_1251573_3222.html">« le nouveau climat dans la politique internationale »</a> créé par l’arrivée d’Obama au pouvoir, et sa « vision pour un monde sans arme nucléaire ».</p>
<p>Cette attribution a suscité des critiques, car Obama représentait les États-Unis, qui étaient alors en guerre à la fois en Afghanistan et en Irak, et qui maintenaient le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/11/les-20-ans-du-11-septembre-guantanamo-l-impasse-du-non-droit_6094265_3210.html">camp de Guantanamo</a> en service, dans lequel des prisonniers étaient <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/press-release/2021/01/usa-report-human-rights-violations-guantanamo/">torturés et incarcérés sans jugement et sans avocat dans des conditions indignes des droits humains</a>, comme l’ont dénoncé de nombreuses ONG et notamment Amnesty International.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1204305549900296193"}"></div></p>
<p>En 2011, le Prix Nobel de la Paix a été décerné à <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/ellen-johnson-sirleaf/">Ellen Johnson Sirleaf</a>, Présidente du <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/pays/Liberia/129821">Liberia</a> (ainsi qu’à deux autres personnalités). Dans son pays, ce prix a divisé la population.</p>
<p>Selon certains, cette récompense serait <a href="http://www.slateafrique.com/52395/ellen-johnson-sirleaf-Liberia-nobel">« inacceptable et non méritée »</a> car cette femme politique aurait « commis de la violence dans ce pays » et aurait été corrompue, offrant à ses enfants des postes très lucratifs.</p>
<p>Confirmant ces soupçons, la <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Commission_V %C3 %A9rit %C3 %A9_et_R %C3 %A9conciliation/185922">Commission vérité et réconciliation</a>, responsable de faire la lumière sur la guerre civile libérienne, a recommandé qu’il soit interdit à Ellen Johnson Sirleaf d’exercer tout mandat politique pendant trente ans en raison du rôle négatif qu’elle a joué dans ce conflit.</p>
<p>Enfin, en 2019, le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a été distingué à son tour par le prix Nobel de la Paix, pour saluer ses efforts en vue de résoudre le conflit frontalier de longue date avec l’Érythrée voisine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/tigre-tombeau-de-lethiopie-151082">Tigré : tombeau de l’Éthiopie ?</a>
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<p>Pourtant, peu après, la communauté internationale a critiqué le déploiement de troupes par Abiy Ahmed dans la région du Tigré, dans le nord de l’Éthiopie, qui a engendré des combats qui ont provoqué des milliers de morts et ont été <a href="https://news.un.org/fr/story/2021/10/1106172">dépeints par l’ONU comme une terrible dévastation, ayant de plus entraîné une famine</a> et une situation humanitaire catastrophique pour les habitants.</p>
<h2>Un prix impossible ?</h2>
<p>À l’aune de tous ces cas, il apparaît que le prix Nobel de la Paix est l’un des prix les plus controversés depuis sa création en 1901. Mais en cela, il est bien à l’image des relations internationales.</p>
<p>Il reflète le fait que chaque acteur des relations internationales comporte plusieurs facettes, et a parfois à son actif à la fois des actions très louables et des actions répréhensibles.</p>
<p>Cela dit, au vu de l’évident scandale qu’a constitué l’attribution du Prix à Henry Kissinger – aujourd’hui âgé de 98 ans –, ainsi que des autres attributions controversées, il apparaît souhaitable que le comité Nobel adopte une disposition permettant de retirer la récompense <em>a posteriori</em>, afin de corriger les erreurs les plus notables et de lui permettre de conserver une certaine légitimité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170408/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Chloé Maurel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Kissinger, Abyi Ahmed, Obama, Aung San Suu Kyi, Theodore Roosevelt… La liste des Nobel de la paix polémiques est longue, bien plus que pour tout autre prix. Peut-être est-il temps de le réformer ?Chloé Maurel, SIRICE (Université Paris 1/Paris IV), Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1700292021-10-20T19:30:09Z2021-10-20T19:30:09ZLa fermeture de la Novaïa Gazeta, dernier clou dans le cercueil de la liberté d’expression en Russie<p>L’information est tombée ce 28 mars : la <em>Novaïa Gazeta</em>, qui était l’un des derniers journaux russes indépendants et critiques envers le Kremlin, <a href="https://www.letemps.ch/monde/journal-novaia-gazeta-suspend-publication">vient de suspendre sa publication</a>, en raison d’un second avertissement du régulateur russe des communications, le Roskomnadzor. Le quotidien, qui tirait encore à 100 000 exemplaires, ne dissimulait pas son opposition à la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine, pudiquement qualifiée d’« opération spéciale » par les autorités. Mais officiellement, c’est un manquement à l’obligation de signaler qu’une ONG citée dans l’un de ses articles avait été identifiée comme « agent de l’étranger » qui lui a valu ce second avertissement – dernière étape avant fermeture définitive. Le journal a donc décidé de prendre les devants.</p>
<p>Le monde entier avait découvert la <em>Novaïa Gazeta</em> il y a quelques mois, quand son rédacteur en chef, Dmitri Mouratov, avait été récompensé par le prix Nobel de la paix. On avait pu espérer, un temps, que cette notoriété internationale protégerait la « NG ». Cette protection n’a pas résisté à l’ambiance plus délétère que jamais qui règne en Russie depuis le début de l’invasion de l’Ukraine le 24 février.</p>
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<figcaption><span class="caption">Russie : le titre de presse indépendant Novaïa Gazeta suspend sa publication sous la pression (France 24, 29 mars 2022).</span></figcaption>
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<p>Que le Nobel de la Paix ait été décerné, en 2021, à deux journalistes – <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/17/maria-ressa-prix-nobel-de-la-paix-nous-sommes-entres-dans-l-ere-des-autoritarismes-numeriques_6098698_3210.html">Maria Ressa</a> (Philippines) et Dmitri Mouratov (Russie) – travaillant dans des pays très différents indique que c’est avant tout un type de combat qui a été salué : celui de journalistes luttant pour la liberté d’informer dans des États où cette liberté est de plus en plus réduite.</p>
<p>Dmitri Mouratov – troisième Russe à obtenir ce Nobel, après le dissident Andreï Sakharov en 1975 et Mikhaïl Gorbatchev en 1990, tous deux encore à l’époque soviétique – incarne ce combat en Russie, mais il insiste sur la dimension collective de la récompense. Le Nobel a été selon lui attribué « à la rédaction » de la <em>Novaïa Gazeta</em> (littéralement « Le Nouveau journal »), que Mouratov a cofondée en 1993 et dont il est le rédacteur en chef : <a href="https://meduza.io/feature/2021/10/08/eto-premiya-moih-pogibshih-kolleg-a-chto-pishut-v-sotssetyah-mne-pofigu">à l’en croire</a>, « 130 lauréats du prix Nobel parcourent ses couloirs ».</p>
<h2>Trente-cinq années de bouleversements dans le journalisme</h2>
<p>Au-delà de cette équipe, Mouratov est l’un des symboles d’une profession qui, dans la Russie des trente-cinq dernières années, a été particulièrement bousculée par les évolutions politiques, a aussi tenté d’influer sur celles-ci, s’est parfois laissé instrumentaliser et corrompre… et compte aujourd’hui ses <a href="http://www.owlapps.net/owlapps_apps/articles?id=10005698&lang=en">tués</a>.</p>
<p>La liberté de la presse a été l’un des enjeux et des succès de la <em>perestroïka</em> – on parlait de <em>glasnost’</em> (transparence) pour désigner cette possibilité nouvelle d’aborder les problèmes soviétiques les plus aigus, des crimes du stalinisme aux échecs économiques. Une nouvelle génération de journalistes est alors apparue, étonnamment compétente dans cette URSS finissante. Dans les années 1990, elle s’est heurtée à des crises économiques et sociales violentes, mais a aussi bénéficié de libertés inexistantes auparavant.</p>
<p>Dès son arrivée à la présidence en 2000, Vladimir Poutine – tout en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=uourVV8tBSU">assurant</a> être « profondément convaincu qu’il ne [pouvait] y avoir le moindre développement en Russie et que le pays n’[aurait] pas le moindre avenir » si « les libertés civiques et la presse » y étaient victimes de pressions – cherche à prendre le contrôle des médias.</p>
<p>Les méthodes employées sont diverses : pousser à l’exil des oligarques-patrons de presse comme <a href="https://www.liberation.fr/planete/2001/02/19/un-magnat-russe-en-exil_355188/">Vladimir Goussinski</a> ou <a href="https://www.liberation.fr/planete/2013/03/24/oligarque-favori-sous-eltsine-et-banni-sous-poutine_890962/">Boris Berezovski</a> ; faire acquérir des médias par des proches, à commencer par <a href="https://investir.lesechos.fr/actions/actualites/gazprom-etend-encore-son-empire-mediatique-en-russie-932369.php">Gazprom</a> ; effrayer les uns, acheter les autres, <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2007/04/27/des-medias-de-plus-en-plus-controles_902723_3214.html">imposer des règles de plus en plus strictes</a>. Parallèlement, le développement d’Internet donne à une partie de la population accès à des informations démultipliées, et une jeunesse ayant à peine connu l’URSS se passionne à son tour pour le journalisme.</p>
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<figcaption><span class="caption">Oleg Kachine, journaliste russe passé à tabac (TV5 Monde, 9 novembre 2010).</span></figcaption>
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<p>Les pressions politiques se sont encore accentuées après l’échec des <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2012/03/02/russie-manifestations-poutine-moscou-contestation_n_1316798.html">manifestations de 2011-2012</a>. De nouveau, des journalistes sont <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2012/04/05/97001-20120405FILWWW00787-une-journaliste-agressee-en-russie.php">attaqués physiquement</a>, interpellés <a href="https://www.lepoint.fr/monde/russie-un-journaliste-d-investigation-repute-arrete-07-06-2019-2317600_24.php">sous de faux prétextes</a>, voire accusés d’<a href="https://www.eurotopics.net/fr/243758/un-grand-journaliste-russe-arrte-pour-d-espionnage">espionnage</a>.</p>
<p>Si certains s’adaptent, de plus en plus émigrent et tentent de travailler dans des médias russophones basés à <a href="https://www.rferl.org/">Prague</a>, dans les <a href="https://meduza.io/en">pays baltes</a> ou à <a href="https://www.youtube.com/c/OstWestTV/videos">Berlin</a>. En Russie, une grande partie des médias indépendants a disparu et ceux qui persistent (comme la chaîne de télévision TV <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2021/08/kremlin-designates-dozhd-tv-foreign-agent-in-yet-another-attack-on-press-freedom-2/">Dojd’</a>) se voient accoler l’étiquette, aussi humiliante que fausse et dangereuse, d’« agents de l’étranger ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1349557185303502849"}"></div></p>
<p>Le classement de la Russie en matière de liberté de la presse est le reflet de ces évolutions. D’après l’ONG <a href="https://freedomhouse.org/sites/default/files/FOTP%202003%20Full%20Report.pdf">Freedom House</a>, la Russie a rejoint en 2003 le groupe des pays considérés comme « non libres », alors qu’elle faisait jusque-là partie des pays « partiellement libres ». Cette année-là, elle était 148<sup>e</sup> sur 166 dans le <a href="https://rsf.org/fr/deuxieme-classement-mondial-de-la-liberte-de-la-presse-octobre-2003.">classement établi par Reporters sans frontières</a>. En 2021, dans ce même classement, elle est <a href="https://rsf.org/en/ranking#.">150ᵉ sur 180</a>, coincée entre la République démocratique du Congo et le Honduras.</p>
<h2>La <em>Novaïa Gazeta</em>, une habituée des sujets risqués</h2>
<p>Entre tempêtes et tentations, la <em>Novaïa Gazéta</em> a <a href="https://www.facebook.com/novayafilm/videos/385621568810322">tenu le cap</a>. Sortant trois fois par semaine, elle vise un lectorat instruit et partisan d’une démocratisation. Peu diffusée dans sa version papier (environ 80 000 exemplaires), elle est surtout lue sur son site (<a href="https://www.la-croix.com/Dmitri-Mouratov-Novaia-Gazeta-enquete-journalistique-prix-sang-2021-10-08-1301179555">17 millions de visiteurs en septembre</a>). 76 % de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/09/les-journalistes-maria-ressa-et-dmitri-mouratov-un-double-prix-nobel-de-la-paix-pour-defendre-la-liberte-d-informer_6097701_3210.html">ses actions</a> appartiennent à la rédaction, 14 % à l’homme d’affaires Alexandre Lebedev et 10 % à Mikhaïl Gorbatchev.</p>
<p>La <em>Novaïa Gazeta</em> publie des enquêtes approfondies, parfois un peu austères, sur des sujets sensibles. Elle a ainsi dévoilé de nombreuses violations des droits de l’homme en Tchétchénie et notamment, en 2017, les arrestations, dans cette république, d’<a href="https://novayagazeta.ru/articles/2017/04/01/71983-ubiystvo-chesti">homosexuels</a>, enfermés dans une <a href="https://novayagazeta.ru/news/2017/10/16/136184-geroy-rassledovaniya-novoy-gazety-publichno-rasskazal-o-pytkah-v-sekretnoy-tyurme-dlya-geev-v-chechne">« prison secrète »</a> et <a href="https://novayagazeta.ru/news/2017/10/16/136184-geroy-rassledovaniya-novoy-gazety-publichno-rasskazal-o-pytkah-v-sekretnoy-tyurme-dlya-geev-v-chechne">torturés</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1083971912924123136"}"></div></p>
<p>C’est elle, aussi, qui a signalé en août 2014 que des parachutistes russes, basés à Pskov, venaient d’être <a href="https://novayagazeta.ru/articles/2014/08/26/60865-desant">enterrés dans cette ville</a> : ils auraient été tués au combat en Ukraine, ce que les autorités militaires russes ont nié. Elle a continué à enquêter sur la <a href="https://novayagazeta.ru/articles/2015/03/02/63241-voyna-obratnaya-svyaz">présence russe en Ukraine</a> pendant les années ayant précédé la guerre, et cherché à établir comment et par qui y avait été abattu l’avion du <a href="https://novayagazeta.ru/articles/2021/07/18/vse-o-sbitom-malaziiskom-boinge.">vol MH17</a>. Elle a révélé des <a href="https://novayagazeta.ru/articles/2019/11/20/82805-golovorezy-21">crimes commis par des mercenaires russes en Syrie</a> et suit sans relâche les actions de l’opposition russe, ainsi que les répressions subies par celle-ci. Et, jusqu’à hier, elle faisait son possible pour alerter ses lecteurs sur la réalité de la guerre en Ukraine.</p>
<p>La <em>Novaïa Gazeta</em> demande régulièrement aux autorités russes <a href="https://novayagazeta.ru/articles/2020/04/21/85017-golovorezy-2-0">d’enquêter sur des crimes qu’elle leur signale</a>, et cela a donné certains résultats dans le cas de l’assassinat d’Anna Politkovskaïa. Mais elle fait souvent l’objet de menaces, notamment de la <a href="https://www.youtube.com/watch ?app=desktop&v=Pfbjnpfj3ZE">part de militaires tchétchènes</a>. Les six personnes tuées que Mouratov associe à son Nobel, en <a href="https://www.bbc.com/russian/news-58841807.">citant leurs noms presque dans chaque déclaration</a>, témoignent de la réalité de ces menaces.</p>
<h2>Anna Politkovskaïa… et les autres</h2>
<p>La plus célèbre d’entre elles est <a href="https://www.franceculture.fr/politique/je-dois-raconter-ce-que-jai-vu-anna-politkovskaia-aurait-eu-60-ans">Anna Politkovskaïa</a>, qui écrivait des articles remarquablement courageux sur la guerre de Tchétchénie et sur la dégradation des droits et libertés en Russie. Elle a été assassinée dans son immeuble à Moscou le 7 octobre 2006. Le 7 octobre 2021, à la veille de l’attribution du Nobel, la <em>Novaïa Gazeta</em> lui rendait une nouvelle fois hommage, en inaugurant dans ses locaux un <a href="https://twitter.com/FranceEnRussie/status/1446162733695737859">musée à son nom</a> et en rendant public un film de presque deux heures, <em>Comment ils ont tué Anna</em>, sur l’enquête menée par le journal pour découvrir les véritables commanditaires de ce meurtre.</p>
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<figcaption><span class="caption">The assassination of Anna Politkovskaya : The first detailed account of a murder investigation (Novaïa Gazeta, 7 octobre 2021, sous-titres anglais disponibles dans le player).</span></figcaption>
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<p>Ce film montre les faiblesses de l’enquête officielle et l’implication dans ce crime d’au moins un officier de police, ainsi que d’agents et d’officiers du FSB associés à des autorités criminelles. Mouratov y affirme que « l’État sait qui est le commanditaire de l’assassinat d’Anna Politkovskaïa » et, aussi, qui a commandité le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2017/06/29/meurtre-de-boris-nemtsov-cinq-hommes-juges-coupables-mais-les-commanditaires-restent-dans-l-ombre_5153205_3210.html">meurtre de l’opposant Boris Nemtsov</a>.</p>
<p>Il faut un vrai et grand courage pour dire de telles choses, aujourd’hui, en Russie.</p>
<p>Parmi les six tués cités par Mouratov, il y a aussi :</p>
<ul>
<li><p>Le journaliste <a href="https://cpj.org/data/people/igor-domnikov/">Igor Domnikov</a>, battu à mort à coups de marteau par un tueur à gages à Moscou en 2000. Si l’assassin a été arrêté et condamné, les commanditaires (Domnikov enquêtait sur la corruption de plusieurs hauts fonctionnaires) n’ont jamais été réellement inquiétés malgré <a href="https://humanrightshouse.org/articles/new-investigation-into-murder-of-novaya-gazeta-journalist/">l’ouverture d’une enquête en 2009</a>, qui ne donnera rien.</p></li>
<li><p><a href="https://www.letemps.ch/monde/letrange-mort-dun-derniers-romantiques-politique-russe">Iouri Chtchekotchikhine</a>, journaliste et député, adjoint et ami de Mouratov, qui <a href="http://maxima-library.org/knigi/year/b/496260">explorait la corruption dans les structures du pouvoir</a> et du maintien de l’ordre. Il cherchait notamment à savoir ce qu’était devenu « l’or du PCUS » et si des membres du KGB n’avaient pas été chargés de transférer d’énormes sommes en Occident – un sujet au cœur du livre de la journaliste britannique Catherine Belton, <a href="https://us.macmillan.com/books/9780374238711">Putin’s People</a>, actuellement <a href="https://apnews.com/article/sports-government-and-politics-business-europe-russia-7d9a08ab67d7a3a14bfaa5c7a9ed478d">attaqué en justice</a> à Londres par l’oligarque Roman Abramovitch. Chtchekotchikhine a été « empoisonné par quelque chose comme du Novitchok », a <a href="https://echo.msk.ru/programs/personalno/2915882-echo/">rappelé Mouratov</a>. C’était en 2003. Avant Litvinenko. Avant Navalny.</p></li>
</ul>
<ul>
<li><p>L’avocat <a href="https://www.nytimes.com/2009/01/20/world/europe/20chechnya.html">Stas Markelov</a> qui enquêtait sur l’extrême droite russe et a péri d’une balle dans la tête en plein Moscou en 2009, aux côtés de la toute jeune journaliste de la « NG » <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2011/03/17/anatomie-d-un-crime_1494676_3214.html">Anastasia Babourova</a> qui a tenté de le protéger. Markelov recevait constamment des menaces de mort, mais ne bénéficiait d’aucune sécurité. L’assassin, un militant ultra-nationaliste, ainsi que sa compagne, ont été condamnés à de lourdes peines de prison quelques années plus tard.</p></li>
<li><p><a href="https://www.hrw.org/fr/news/2019/07/15/russie-dix-apres-le-meurtre-de-natalia-estemirova-la-justice-na-toujours-pas-ete">Natalia Estemirova</a>, qui aidait Politkovskaïa pour ses enquêtes en Tchétchénie et a été assassinée dans le Caucase également en 2009. Douze ans plus tard, la Cour européenne a <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/la-russie-condamnee-pour-manquement-dans-l-enquete-sur-l-assassinat-d-une-militante-des-droits-humains-20210831">condamné</a> la Russie pour « manque d’enquête appropriée » dans cette affaire qui, à ce jour, n’a donné lieu à aucune interpellation.</p></li>
</ul>
<h2>Des déçus du Nobel</h2>
<p>Que Mouratov reçoive le prix Nobel de la paix a surpris et ravi beaucoup de ses compatriotes. Certains ont toutefois été déçus : ils espéraient que ce prix récompenserait Alexeï Navalny ou la Biélorusse <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/06/en-bielorussie-la-figure-de-l-opposition-maria-kolesnikova-condamnee-a-onze-ans-de-prison_6093583_3210.html">Maria Kolesnikova</a>, tous deux en détention. Ils ont estimé que le Comité Nobel avait manqué de courage ; les mêmes ont parfois souligné amèrement que le Kremlin avait félicité Mouratov – pourtant, <a href="https://www.ndtv.com/world-news/kremlin-congratulates-courageous-russian-nobel-prize-winner-muratov-2568487">du bout des lèvres</a> – et que le journaliste promettait de remettre une partie de son prix à un <a href="https://www.bbc.com/russian/news-58841807">fonds d’aide aux enfants malades créé par Vladimir Poutine</a>. Il ne serait donc pas en si mauvais termes avec le pouvoir, ce qui expliquerait que ni lui, ni son journal n’aient été déclarés « agents de l’étranger », alors que <a href="https://www.rferl.org/a/russia-foreign-agents-clampdown/31443242.html">ce statut a été imposé à nombre d’autres médias</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1449117924908838912"}"></div></p>
<p>Un <a href="https://www.proekt.media/narrative/liberal-sergey-chemezov/.">article publié en 2019</a> a été de nouveau cité à cette occasion : selon Proekt, un site indépendant <a href="https://www.euronews.com/2021/07/15/proekt-russia-outlaws-investigative-media-outlet-and-labels-journalists-foreign-agents">dont cinq journalistes ont été qualifiés d’« agents de l’étranger » et qui a été labellisé « organisation indésirable » en Russie</a>, la <em>Novaïa Gazeta</em> a reçu des contributions financières mensuelles de la part de <a href="https://bivol.bg/en/the-insider-russian-millionaire-adoniev-investigated-by-fbi-for-trafficking-of-1-ton-of-cocaine.html">Sergueï Adoniev</a>, riche entrepreneur et mécène de projets artistiques d’avant-garde, qui a jadis été condamné aux États-Unis pour escroquerie, est soupçonné par le FBI d’avoir trafiqué une tonne de cocaïne et semble avoir le soutien de Poutine lui-même, ce qui pourrait expliquer l’origine obscure de sa fortune. Et, poursuit Proekt, certains au sein de la <em>Novaïa Gazeta</em> soupçonnent que les contributions d’Adoniev proviennent, en fait, de <a href="https://www.lecourrierderussie.com/2019/10/serguei-tchemezov-le-patron-du-complexe-militro-industriel/">Sergueï Tchemezov</a>, vieil ami de Poutine et patron de Rostec, entreprise publique qui coiffe le marché de l’armement russe – ce que réfute résolument Mouratov et que rien ne prouve formellement.</p>
<p>Si c’était vrai, cela signifierait que deux « anciens » officiers du KGB ont apporté des financements à la <em>Novaïa Gazeta</em>, l’un comme actionnaire (<a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-7436901/Ex-KGB-colonel-turned-banker-ALEXANDER-LEBEDEV-making-billions-Putins-wild-west-Russia.html">Lebedev</a>), l’autre (Tchemezov) à travers un intermédiaire. Bref, comme le formulent presque tous ceux qui évoquent cet article de Proekt, la situation serait « complexe ».</p>
<p>Complexe, car des proches du régime aident parfois, semble-t-il, des activités de l’opposition, ne serait-ce que pour tenter de maintenir l’illusion d’une démocratie russe. Complexe car ces proximités s’expliquent aussi, dans certains cas, par des trajectoires individuelles qui, d’abord voisines, se sont ensuite éloignées. En tout cas, ce qu’expriment ces déçus du Nobel 2021, c’est le désarroi d’une partie de l’opposition russe, son sentiment d’être abandonnée et de ne pouvoir, au bout du compte, se fier ni « aux siens », ni à un Occident qui ne comprendrait rien à la situation.</p>
<p>Élégant, Dmitri Mouratov a déclaré que <a href="https://meduza.io/feature/2021/10/08/eto-premiya-moih-pogibshih-kolleg-a-chto-pishut-v-sotssetyah-mne-pofigu">lui-même aurait voté pour Alexeï Navalny</a> – lequel vient par ailleurs, ce 20 octobre, d’obtenir le <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20211014IPR14915/alexei-navalny-recoit-le-prix-sakharov-2021-du-parlement-europeen">prix Sakharov attribué par le Parlement européen</a>. Le 11 octobre, Navalny, depuis son camp, a félicité « de tout cœur Dmitri Mouratov et la <em>Novaïa Gazeta</em> » pour cette « récompense méritée », décernée au lendemain du quinzième anniversaire de l’assassinat d’Anna Politkovskaïa. Le soir même de l’annonce du Nobel, le Kremlin avait <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-58840084">rendu publics les noms de douze autres « agents de l’étranger »</a>, dont plusieurs journalistes. Mouratov et son équipe semblaient encore protégés. Mais le nouveau tour d’écrou imprimé par le régime vient d’avoir raison de ce dernier bastion de la liberté d’expression en Russie…</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170029/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cécile Vaissié reçoit des financements - un salaire ! - de la part du ministère français de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, via l'Université Rennes 2. </span></em></p>Le prix Nobel de la paix récompense, à travers Dmitri Mouratov, l’ensemble des journalistes russes d’investigation, dont plusieurs sont morts assassinés.Cécile Vaissié, Professeure des universités en études russes et soviétiques, Université de Rennes 2, chercheuse au CERCLE, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.