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Ukraine : comment les équipes médico-légales enquêtent sur les atrocités de Boutcha

Boutcha, le 8 avril 2022. Genya Savilov/AFP

Des enquêteurs internationaux seraient déjà à l’œuvre à Boutcha, une ville située au nord-ouest de Kiev, pour examiner d’éventuelles preuves de crimes de guerre commis par les troupes russes pendant leur occupation de la région.

L’importance des enquêtes médico-légales

Les troupes ukrainiennes, qui ont repris plusieurs villes autour de la capitale, ont fait constater par des journalistes la présence de corps de civils, les mains liées, qui ont visiblement été exécutés, ainsi que des preuves attestant que des femmes ont été violées avant d’être assassinées. Si cela est confirmé, il serait définitivement établi que les forces russes ont commis des crimes de guerre. Il appartient aux enquêteurs de le déterminer.

Boutcha : Des corps de civils et fosses communes découverts dans la ville d’Ukraine.

Des enquêteurs spécialisés dans l’extraction de restes humains en conformité avec les exigences médico-légales s’attachent à rechercher et identifier les corps des victimes afin que leurs familles puissent les enterrer dignement. Mais dans de nombreux cas, il se révèle difficile de déterminer la cause du décès. Cette question est pourtant essentielle pour assurer la justice transitionnelle après une guerre comme celle qui sévit en Ukraine.

La recherche des personnes disparues

La recherche des corps des victimes commence généralement, avant tout travail physique, par la fouille d’une zone. Cela peut passer par le recueil de témoignages, l’étude d’anciennes cartes ou photographies, l’utilisation de la télédétection et de la photographie aérienne, ainsi que l’examen des données numériques disponibles, comme les images géolocalisées et datées provenant de téléphones portables. Les enquêteurs recherchent également tout changement dans le paysage qui pourrait indiquer la présence d’une fosse fraîchement creusée. Une fois qu’une zone suspecte a été identifiée – il peut s’agir de champs, de grottes, de puits, de forêts, de bâtiments ou de plans d’eau –, la priorité est de trouver la fosse elle-même.

La récente découverte de fosses communes en Ukraine a été réalisée à l’aide d’images satellite de télédétection. Cette technologie est couramment utilisée pour retrouver des victimes depuis la découverte de fosses communes en Irak creusées dans les années 1990. Les chiens spécialisés dans la recherche de victimes, les drones et les études géophysiques peuvent tous contribuer à la détection des fosses. La géophysique non invasive peut détecter les victimes cachées derrière des murs et même sous le béton. Mais tout ce travail d’exploration, qui vise à identifier les restes humains, est laborieux et lent.

La recherche de corps dans l’eau est également possible grâce à des sonars modernes et des systèmes radars pénétrant l’eau. Mais cette méthode est coûteuse en temps, alors qu’il s’agit d’un enjeu crucial. En effet, selon les spécificités du site, tels que la profondeur de l’eau, les courants et la teneur en oxygène de l’eau, les restes se désagrègent après de longues périodes d’immersion.

Récupération des corps

Une fois que les zones anormales dans le sol ont été identifiées, elles sont fouillées à la main ou à l’aide d’une pelleteuse, sous la supervision de professionnels formés à l’extraction des corps et d’autres experts. Les techniques d’extraction peuvent varier, mais elles visent toujours à recueillir le plus de données possible sur la position des corps et leur emplacement, ainsi que sur tout objet associé au corps qui permettrait de l’identifier. L’objectif est également de découvrir toute preuve utile aux enquêtes criminelles, comme la date à laquelle la fosse a été creusée.

Des outils de capture numérique, comme des scanners au sol ou des drones, sont utilisés pour enregistrer les preuves médico-légales au fur et à mesure de leur découverte, afin qu’elles puissent être présentées ultérieurement devant un tribunal. Il peut s’agir d’éléments de contexte, tels que des mégots de cigarettes, des douilles et des balles, qui peuvent aider à déterminer quand une victime a été tuée et fournir des preuves balistiques pour l’identification des responsables. Tout cela doit suivre les protocoles standards de médecine légale, y compris concernant la chaîne de traçabilité.

Identifier les personnes décédées

Une fois à l’institut médico-légal, les experts en anthropologie médico-légale, les dentistes et les médecins légistes examinent les restes retrouvés pour déterminer le nombre d’individus présents et aider à les identifier.

Lors des grands conflits du XXe siècle, les anthropologues médico-légaux ont souvent été sollicités pour examiner les restes de squelettes humains et évaluer l’âge au moment du décès, le sexe biologique et tout autre élément d’identification. De nos jours, ils sont encore sollicités pour effectuer ce travail. Mais l’identification tend plutôt, désormais, à reposer sur l’ADN, les empreintes digitales, les soins dentaires ou toute autre caractéristique unique de l’individu.

Il est important, au regard des limites liées aux méthodes médico-légales, du temps nécessaire à l’analyse et des pratiques éthiques, culturelles et religieuses, de bien comprendre ce processus et les attentes de la famille.

Les équipes médico-légales recherchent également des preuves de traumatismes corporels liés à des combats, à des blessures par explosion ou à des exécutions (par exemple, des blessures par balle à l’arrière de la tête). Cette analyse peut être compliquée par les manipulations du corps après la mort – comme des tentatives de brûler le cadavre – mais celles-ci peuvent généralement être détectées de toute façon.

Il est important que ce travail soit entrepris par des professionnels afin de maximiser les preuves récupérées et d’éviter autant que possible toute erreur d’identification.

Dans tous les cas, la dignité de la dépouille du défunt reste de première importance, tout comme le fait d’informer les familles des victimes sur ce qui s’est passé. Il est également primordial que les proches de la personne décédée puissent offrir à celle-ci une sépulture digne de ce nom.

Ces scènes de guerre sont absolument insoutenables. Il n’en est que plus indispensable de continuer à les documenter.

This article was originally published in English

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