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Des femmes afghanes chantent lors d'une manifestation à Kaboul, en Afghanistan, en octobre 2021. (AP Photo/Ahmad Halabisaz)

Un an après la prise de pouvoir des talibans, les Afghanes refusent de garder le silence

Le 15 août a marqué le premier anniversaire de la deuxième prise de pouvoir par la force des talibans en Afghanistan.

Au cours de cette dernière année, nous avons été témoins d’un retour rapide à un règne religieux conservateur et à la violation des droits des femmes, comme l’avait déjà vécu la population afghane entre 1996 et 2001. Comme on le redoutait, les talibans sont revenus sur divers acquis obtenus en matière de droits des femmes et des filles, notamment en limitant l’accès des femmes à l’emploi, à l’éducation et à la représentation politique, et même en restreignant leur liberté de mouvement.

Les violences que subissent les femmes et les filles sont également en hausse, alors que les talibans ignorent toutes les normes internationales en matière de droits de la personne. Ces droits avaient été reconnus et intégrés à la législation nationale à la suite d’efforts soutenus déployés par beaucoup au cours des deux dernières décennies.

Ce que les femmes réclament

Cependant, les Afghanes — qu’elles se trouvent au pays ou aient été contraintes de fuir depuis août 2021 — refusent de garder le silence face aux atteintes à leurs droits.

En tant que membres du réseau Femmes sous lois musulmanes, nous avons parlé à des militantes, des leaders et d’anciennes figures politiques féminines, maintenant exilées dans des pays comme le Canada, l’Allemagne ou encore la Grèce. Nous en avons appris davantage sur leur combat sans relâche pour les droits des femmes en Afghanistan et leurs diverses stratégies de résistance.

Malgré leurs divergences politiques, beaucoup sont déterminées à s’unir pour faire front commun dans la lutte contre les talibans et leur position conservatrice sur les droits des femmes, la démocratie et les droits de la personne.

Une militante et ancienne femme politique afghane nous a confié :

En cette période sombre de notre histoire, nous avons deux objectifs principaux : soutenir l’opposition des femmes au sein du pays et élaborer un message unifié pour que la communauté internationale ne manifeste aucun soutien envers les talibans.

Alors qu’elles doivent faire face au traumatisme du retour des talibans au pouvoir et à leur propre déplacement soudain, beaucoup de ces femmes continuent de se considérer comme des représentantes des Afghanes.

Des femmes en burqa passent devant un homme armé
Des Afghanes circulent dans un marché gardé par un combattant taliban dans le centre-ville de Kaboul, en Afghanistan, en mai 2022. (AP Photo/Ebrahim Noroozi)

Elles travaillent en réseau avec d’autres femmes et d’autres groupes de femmes pour exhorter collectivement la communauté internationale à prendre des mesures en faveur des droits des Afghanes.

Ces efforts s’inscrivent dans la lignée du travail accompli par les femmes en Afghanistan, où, grâce au quota de femmes adopté en 2004 en vertu de la constitution, au moins 27 % des sièges parlementaires sont réservés aux femmes. Cela a permis qu’un nombre déterminant de femmes occupent des fonctions politiques de haut niveau.

Une autre militante nous a expliqué :

Les quotas parlementaires nous ont ouvert les portes de la politique et nous ont donné la confiance nécessaire pour nous considérer comme des citoyennes à part entière ayant les mêmes droits que les hommes, du moins légalement. Cela a marqué un virage important par rapport à l’ère des talibans, qui voyaient davantage les femmes comme une menace que comme des personnes. »

L’ouverture de la vie publique aux femmes en tant que membres de la société civile, du gouvernement et du parlement a changé l’Afghanistan, et les femmes sont déterminées à ne pas laisser ces acquis disparaître.

Trois priorités

Le militantisme des femmes exilées comporte trois axes majeurs :

  1. Soutenir les femmes et les forces favorables à la démocratie au sein du pays.

  2. Veiller à ce que la communauté internationale et les grandes puissances occidentales ne considèrent pas le régime antidémocratique et extrémiste des talibans comme un gouvernement légitime et ignorent les atrocités perpétrées à l’encontre des femmes, des minorités et des organisateurs de la société civile.

  3. Continuer à responsabiliser la communauté internationale face à ses promesses en matière de droits de la personne, de paix et de sécurité, surtout au moment où le monde accorde moins d’attention aux talibans en Afghanistan et à leurs violations des droits de la personne.

Les femmes exilées se rassemblent, forment des groupes et créent des plates-formes politiques, et elles travaillent sans relâche pour susciter une prise de conscience internationale à l’égard du règne des talibans.

Dans le cadre de leurs efforts, elles font des déclarations publiques, participent à des entrevues dans les médias, rédigent des articles et organisent des séminaires et des webinaires afin d’exprimer leurs revendications et de discuter des développements politiques pertinents en Afghanistan.

Elles exercent des pressions sans relâche sur la communauté internationale et les puissances occidentales, les exhortant à ne pas ignorer les atteintes aux droits des femmes en Afghanistan par opportunisme politique. Elles ont également formé des alliances avec des militantes pour la paix et les droits de la personne dans les différents pays dans lesquels elles résident.

Plusieurs femmes portant le foulard tiennent des pancartes lors d’une manifestation intérieure
Des Afghanes scandent des slogans lors d’une manifestation à Kaboul, en Afghanistan, en décembre 2021. (AP Photo/Mohammed Shoaib Amin)

Utiliser l’islam comme une arme

L’une des principales préoccupations dont les femmes nous ont fait part est la possibilité que les gouvernements occidentaux jugent utile de faire abstraction du règne cruel des talibans et leur accordent une légitimité.

Les femmes soulignent le fait que toute preuve de tolérance à l’égard du prétendu règne islamique des talibans aura des répercussions négatives sur les autres groupes fondamentalistes religieux dans la région et ailleurs.

Pour démontrer comment les talibans utilisent l’islam comme une arme dans leur propre intérêt, de nombreuses leaders afghanes tiennent à rappeler à la communauté internationale que peu de pays à majorité musulmane, notamment la très conservatrice Arabie saoudite, disposent de politiques aussi draconiennes à l’encontre des femmes.

Mettre en évidence la nature non islamique du règne des talibans est une tactique clé du militantisme des femmes exilées, souvent en collaboration avec d’autres groupes et mouvements de défense des droits des femmes qui alertent l’opinion publique des dangers d’un règne religieux fondamentaliste sur les droits des femmes. Cela comprend notre réseau Femmes sous lois musulmanes.

Ces militantes afghanes connaissent les retombées considérables que les Nations unies, l’Union européenne et d’autres organisations internationales pourraient avoir sur la crise politique actuelle en Afghanistan. Par conséquent, elles tentent de faire pression sur ces organisations, les invitant à respecter leurs propres normes en matière de droits de la personne.

Par-dessus l’épaule d’une femme rousse, nous voyons un homme s’exprimer lors d’une conférence
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken s’exprime lors du lancement du mécanisme de consultation américano-afghan en compagnie de Rina Amiri, l’envoyée spéciale des États-Unis pour les droits des femmes et des filles afghanes et les droits de la personne, en juillet 2022, à Washington, D.C. (AP Photo/Andrew Harnik)

Dénoncer les injustices

Les femmes appellent actuellement les Nations unies à ne pas renouveler une dérogation à l’interdiction de voyager pour les membres des talibans. Cette dérogation avait initialement été accordée aux hauts responsables du groupe pour permettre la tenue de discussions internationales en faveur de la réconciliation et de la paix en Afghanistan.

Les femmes dénoncent les graves injustices qui permettent aux talibans de voyager à l’étranger dans la poursuite de leurs objectifs politiques, tandis que les femmes en Afghanistan ont été privées de leur droit d’aller à l’école, de se rendre dans des établissements de santé ou tout simplement de quitter leur domicile.

Avec la guerre en Ukraine et le fait que le grand public s’intéresse moins à l’Afghanistan, les gouvernements reviennent sur leurs promesses faites au peuple afghan vivant sous le règne des talibans.

Le gouvernement canadien, malgré son engagement ferme envers les droits de la personne et les politiques féministes ainsi que sa promesse publique d’aider le peuple afghan ayant collaboré avec le gouvernement, met fin à son programme spécial pour l’Afghanistan.

Beaucoup d’Afghans et d’Afghanes considèrent cela comme une trahison tandis qu’un grand nombre de Canadiens et Canadiennes trouvent que cela va à l’encontre des valeurs humanitaires du Canada.

Un an après la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan, il est temps de rediriger notre attention vers ce pays et d’écouter celles qui sont bien placées pour nous conseiller sur les stratégies visant à amener la paix, la sécurité, l’égalité des genres, les droits de la personne et la démocratie en Afghanistan : ses militantes et leaders féminines.

This article was originally published in English

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