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forêt de conifères
Vieille forêt d'épinettes et de sapins, âgée de plus de 300 ans. (Maxence Martin), Fourni par l'auteur

Un avenir très incertain pour les dernières vieilles forêts boréales

En parcourant la route Transcanadienne, on peut avoir l’impression que notre pays regorge de forêts, alors qu’épinettes, trembles, sapins et bouleaux défilent presque à l’infini.


Cet article fait partie de notre série Forêt boréale : mille secrets, mille dangers


La Conversation vous propose une promenade au cœur de la forêt boréale. Nos experts se penchent sur les enjeux d’aménagement et de développement durable, les perturbations naturelles, l’écologie de la faune terrestre et des écosystèmes aquatiques, l’agriculture nordique et l’importance culturelle et économique de la forêt boréale pour les peuples autochtones. Nous vous souhaitons une agréable – et instructive – balade en forêt !


Même si on peut voir quelques coupes forestières et traces de feux çà et là, l’idée que ces forêts puissent disparaître de nos paysages nous traverse rarement l’esprit. Mais la réalité pourrait bien être toute autre.

L’enjeu ne concerne pas tout à fait la perte des forêts, mais plutôt la perte des forêts intactes, soit des forêts où n’ont jamais eu lieu d’activités de récolte. Il s’agit d’un enjeu majeur, encore souligné par la conférence sur la biodiversité de l’ONU, qui s’est tenue à Montréal en 2022. Le Canada se retrouve d’ailleurs au 3ᵉ rang mondial pour la perte de ses forêts intactes. Un classement peu glorieux.

Les recherches que nous avons réalisées ces dernières années sur l’écologie des forêts boréales, ainsi que sur l’impact de l’aménagement forestier, démontrent toutefois qu’une attention toute particulière doit être apportée à la protection des vieilles forêts au sein des forêts intactes.

Vieilles forêts, une règle ignorée au profit de l’exception

Les feux sont la principale perturbation naturelle en forêt boréale. Bien qu’ils soient impressionnants, d’un point de vue relatif à l’immensité de ces territoires, leur impact n’est que modéré. Une grande partie des paysages boréaux intacts du Canada étaient, avant la révolution industrielle, dominés par des forêts n’ayant pas brûlé depuis des siècles. On appelle souvent ces dernières les « vieilles forêts ». L’adjectif « vieille » cause toutefois un biais, puisqu’il laisse croire qu’elles sont mourantes ou en déclin. Mais c’est loin d’être le cas : les vieilles forêts boréales restent généralement très dynamiques et résilientes au cours des siècles. Une vieille forêt n’est ainsi pas plus fatiguée ou fragile qu’une forêt que l’on qualifierait de « jeune » ou « mature ». Gare à l’anthropomorphisme donc !

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Vieille forêt d’épinette, âgée de 200 ans. (Maxence Martin), Fourni par l'auteur

Pour le forestier, dont l’une des principales tâches est de récolter du bois, laisser vieillir une forêt est en revanche perçu comme une perte de bois. Il est plus efficace de couper une forêt tôt et souvent pour profiter de la forte croissance des jeunes arbres. Depuis le début de l’ère industrielle, la majorité des récoltes réalisées au sein des forêts boréales intactes ont ainsi visé les vieilles forêts, pour les remplacer par des forêts plus jeunes, réduisant drastiquement leurs surfaces et leur connectivité. Ainsi, alors qu’elles formaient initialement de vastes massifs continus, les vieilles forêts résiduelles dans les territoires aménagés forment désormais des petits agglomérats séparés les uns des autres.

Une dégradation massive des paysages forestiers, et non une déforestation

Récolter régulièrement des forêts jeunes est pertinent dans des forêts déjà aménagées (soit des forêts qui ont été modifiées par de précédentes coupes), afin d’optimiser la récolte du bois, matériau aux multiples bénéfices. Réaliser des coupes dans les forêts intactes mène au contraire à une dégradation des paysages via la perte des vieilles forêts. Ces dernières offrent des habitats et des services écologiques très différents des forêts jeunes et aménagées. Le bois mort est par exemple un habitat essentiel pour de très nombreuses espèces forestières. Or, c’est dans les vieilles forêts qu’il est le plus abondant et diversifié en termes de dimensions ou de stades de dégradation.

En Suède, la disparition des vieilles forêts a ainsi mené à l’effondrement des populations de nombreuses espèces forestières. Au Canada, le déclin du Caribou forestier est considéré comme le « canari dans la mine », soit un signal avant-coureur d’une crise écologique bien plus vaste, résultant en partie de la perte des vieilles forêts.

Parler de déforestation pour les forêts boréales est toutefois inexact, car la forêt repousse après la coupe. On observe au contraire une dégradation. En remplaçant les vieilles forêts par des forêts plus jeunes qu’on ne laissera pas vieillir, nous dégradons les habitats forestiers.

Présenter le faible taux de déforestation des forêts boréales canadiennes est ainsi souvent un moyen d’éviter de parler de leur dégradation, pourtant largement documentée depuis des décennies.

souche d’arbre mort
Le bois mort est un habitat essentiel pour de nombreuses espèces. (Maxence Martin), Fourni par l'auteur

Savons-nous ce que nous sommes en train de perdre ?

Arrêter la dégradation des vieilles forêts boréales est un enjeu environnemental majeur du Canada, ce à quoi doit s’ajouter une politique de restauration des paysages déjà dégradés. Heureusement, ces objectifs ne sont pas incompatibles avec la production de bois. Cette dernière devant se centrer sur des forêts aménagées dans cet objectif, plutôt que sur des forêts intactes.

Nous devons néanmoins reconnaître notre manque de connaissances vis-à-vis des vieilles forêts et des enjeux qui en découlent. Ces forêts montrent une forte hétérogénéité d’histoires, de dynamiques et d’habitats, qu’il est très difficile d’identifier et de cartographier. Encore aujourd’hui, il semble impossible de proposer un portrait satisfaisant des vieilles forêts du Canada.

La biodiversité boréale est elle aussi encore méconnue, en partie parce qu’elle est dominée par des espèces peu visibles et bien moins attrayantes qu’un grand mammifère comme le caribou, telles des mousses, lichens, insectes, champignons ou même bactéries.

Une politique de conservation efficace doit être tant quantitative que qualitative, protégeant les habitats naturels dans toute leur diversité. Les cibles de protection actuelles sont toutefois essentiellement quantitatives. Elles sont, par exemple, basées sur des pourcentages de surfaces à protéger. Pourtant, les coupes forestières se concentrent surtout sur les vieilles forêts plus riches en bois.

Plus globalement, le choix récent de la province du Québec d’annuler 83 projets d’aires protégées dans la forêt commerciale, pour les remplacer par des zones situées au nord sans impact sur l’industrie forestière, démontre le risque des critères purement comptables à l’efficacité écologique limitée.

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Coupe forestière au sein d’une forêt boréale pluricentenaire. (Maxence Martin), Fourni par l'auteur

La lumière mise sur l’urgence de protéger les dernières forêts intactes est donc une bonne nouvelle, mais il conviendra de rester prudent et critique afin de s’assurer de l’efficacité réelle de toute politique de conservation. Au Québec, un taux de dégradation de 75 % des vieilles forêts commerciales reste, par exemple, malheureusement « acceptable ».

Face à l’urgence climatique et environnementale actuelle, nous pouvons certainement mieux faire.

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