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Qui gouverne ? Thomas Hawk/Visualhunt, CC BY-NC

Un système de gouvernance peut-il être considéré comme supérieur aux autres ?

À la question posée, notre article publié dans la Revue Française de Gestion (4/2017), s’efforçait d’apporter une réponse à travers la réalisation d’une recherche portant sur l’analyse comparative internationale de la qualité de la gouvernance des entreprises.

Elle cherche à déterminer, en particulier, si l’appartenance à un modèle de gouvernance déterminé, parmi les trois identifiés – anglo-saxon, européen continental, asiatique – exerce une influence sur les scores de gouvernance des entreprises, tels qu’attribués par l’agence de notation sociétale Vigeo. L’étude s’appuie sur un échantillon de 434 sociétés cotées dont les scores ont été relevés sur la période 2010-2014.

Les résultats font apparaître, de manière nette, une supériorité des entreprises anglo-saxonnes en matière de gouvernance d’entreprise, dans les différentes dimensions qui la constituent, en particulier pour ce qui est de l’engagement envers les actionnaires, de l’équilibre des pouvoirs et de l’efficacité du conseil d’administration, et des mécanismes d’audit et de contrôle.

Un écart de scores défavorable aux sociétés de l’Europe continentale

Ils montrent que les entreprises d’Europe continentale sont en retrait sur ces différentes dimensions, l’écart de scores avec les entreprises anglo-saxonnes étant compris entre 5 (mécanismes d’audit et de contrôle) et 8,5 (équilibre des pouvoirs et efficacité du conseil d’administration). Ils tendent à montrer, enfin, que les sociétés appartenant à la zone Asie présentent des scores de gouvernance très inférieurs à la moyenne, mais aussi très largement en deçà de ceux des entreprises anglo-saxonnes et d’Europe continentale, quelle que soit la dimension envisagée.

À noter que la prudence s’impose dans l’interprétation des résultats compte tenu du nombre d’entreprises asiatiques composant l’échantillon et des scores très faibles obtenus par certaines d’entre elles qui orientent très fortement à la baisse les résultats de l’ensemble.

Plusieurs séries d’arguments sont susceptibles d’éclairer ces constats, de manière positive (supériorité du modèle anglo-saxon), ou négative (infériorité du modèle continental et du modèle asiatique).

En premier lieu, les différences de score observées accréditeraient l’idée d’une force régulatrice et d’une « main invisible » exercées par les marchés financiers sur les entreprises. Dans les sociétés au capital dilué, aucun actionnaire ne s’imposant, ce serait par conséquent les marchés financiers qui exerceraient un effet disciplinaire sur les dirigeants, (Tirole, 2001).

Cette interprétation tendrait à être confirmée par un autre de nos résultats, selon lequel la nature patrimoniale et familiale des entreprises influencerait négativement la probabilité d’avoir une meilleure gouvernance. La protection importante des petits porteurs et actionnaires minoritaires caractérisant le modèle anglo-saxon serait l’un des facteurs explicatifs de la supériorité du modèle « outsider » (Brédart, 2013).

En second lieu, les résultats de cette recherche tendraient à souligner les limites, au moins relatives, du modèle partenarial, « insider ». À l’inverse des arguments avancés par Blair (1995), la recherche de satisfaction des intérêts de l’ensemble des partenaires ne permettrait pas d’accroître l’efficience de la firme.

La concentration de l’actionnariat et la domination dans le capital de familles, de banques ou d’États, conduirait à des décisions non nécessairement conformes aux intérêts de l’ensemble des actionnaires.

Instance privilégiée de gouvernance d’entreprise, le conseil d’administration des entreprises au capital concentré est placé, par nature, sous l’influence d’actionnaires dominants qui veillent, avant tout, à préserver voire renforcer leur pouvoir dans le capital et le management : face à leur influence, le ou les contre-pouvoirs se trouveraient ainsi fortement atténués.

Enfin, les scores obtenus par les entreprises nippones et asiatiques confirmeraient les dysfonctionnements mis en exergue de longue date dans la gouvernance de ces entreprises.

Ils s’expliqueraient, d’une part, par les phénomènes d’autocontrôle rendus possibles par les défaillances des principaux mécanismes de gouvernance. À savoir : des assemblées générales d’actionnaires au rôle limité, des conseils d’administration de grande taille, comportant peu d’administrateurs externes et dont le président dispose d’un faible pouvoir, des auditeurs statutaires nommés de facto par les dirigeants, des commissaires aux comptes à l’indépendance relative (Yoshimori, 1998).

Ils s’expliqueraient, d’autre part, par les défaillances de l’autorité réglementaire, les liens étroits entretenus par le « pantouflage » des hauts fonctionnaires entre le secteur financier et le ministère des finances, empêchant de fait l’autorité de remplir son rôle (Yoshimori, 1998).

Autant de faiblesses qui limiteraient la portée des avantages reconnus du modèle japonais et asiatique de gouvernance : le consensus établi sur la primauté accordée à l’ensemble des paries prenantes, au premier rang desquels les salariés, et pas seulement les actionnaires ; le compromis équilibré entre contribution, risque, récompense et contrôle ; la réduction du risque et des coûts de faillite ; un horizon de gestion à long terme (Yoshimori, 1998).

Sur le plan académique, les résultats obtenus ont d’autant plus de force que les différentes dimensions de la gouvernance sont évaluées avec précision et qu’ils sont obtenus sur un vaste échantillon d’entreprises, réparties sur trois grandes zones géographiques à travers le monde.

Des voies de recherche à explorer

Les conclusions suggèrent néanmoins plusieurs voies de recherche futures. Une analyse fine des explications juridiques, politiques, concurrentielles, institutionnelles, à la coexistence des systèmes de gouvernance différenciés impliquerait de mener une étude approfondie, par pays, de l’environnement institutionnel, légal et réglementaire des entreprises, en particulier en matière de protection des actionnaires et des salariés.

Elle impliquerait également une analyse fine de la structure d’actionnariat des entreprises pour apprécier leur caractère diffus ou concentré, et en leur sein la place occupée par les banques, les investisseurs institutionnels et les États.

Ces variables permettraient de mettre en évidence, le cas échéant, des différences au sein même des modèles de gouvernance européen, anglo-saxon et asiatique, par exemple entre la tradition française et la tradition germano-scandinave pour reprendre la distinction opérée par La Porta et coll. (1998). L’appréhension de ces dimensions permettrait de dépasser le caractère par trop simplificateur de l’opposition entre le modèle « market-based » et le modèle « stakeholder », entre le modèle « outsider » et le modèle « insider » (Becht, 2004), pour caractériser plus finement les éléments d’hybridation entre systèmes (Jackson et Moerke, 2005), combinant pratiques locales et nouveaux modèles issus fréquemment d’autres contextes institutionnels (Yoshikawa et Rasheed, 2009).

L’analyse des différences au sein même des pays, entre sociétés cotées et sociétés non cotées, entre grandes entreprises et entreprises de taille intermédiaire, entre les différentes industries, serait également riche d’enseignements.

Afin de répondre à ces différentes préoccupations, la mise en œuvre d’une méthodologie qualitative, fondée sur des études de cas, permettrait assurément de mieux appréhender la complexité des dimensions et variables de gouvernance dans un contexte international.

En outre, la réalisation d’une étude longitudinale sur une longue période, reposant sur la réalisation d’études de cas comparatives entre pays et modèle de gouvernance, serait particulièrement indiquée pour confirmer ou non le mouvement de convergence.

Enfin, cette recherche devrait trouver son prolongement, d’une part, dans l’élargissement des dimensions de la gouvernance étudiées, par la prise en compte de mécanismes de gouvernance internes et externes, spécifiques et non spécifiques, intentionnels et non intentionnels (Charreaux, 1997), et, d’autre part, dans l’analyse des relations entre performance des systèmes de gouvernance et valeur et performances des entreprises, à la suite des travaux de Hermalin et Weisbach (1998) et plus récemment de Krafft et coll. (2013).

En particulier, la question de l’endogénéité dans l’analyse des relations entre gouvernance et performance appelle des investigations complémentaires (Denis, 2001 ; Krafft et coll., 2013).

Sur le plan managérial, la recherche souligne la nécessité d’une amélioration des systèmes de gouvernance européen et asiatique. Les entreprises d’Europe continentale doivent s’assigner pour objectif d’améliorer les différentes dimensions de leur gouvernance, en priorité celles pour lesquelles elles obtiennent des scores inférieurs à ceux des entreprises anglo-saxonnes ou inférieurs à la moyenne, à savoir l’équilibre du pouvoir et l’efficacité du conseil d’administration, d’une part, et la rémunération des dirigeants, d’autre part. L’un des enjeux pour les entreprises européennes est, sans conteste, de se doter de conseils dont les membres ont l’expertise et l’indépendance nécessaires pour agir dans le meilleur des intérêts des entreprises : définir la stratégie et les orientations générales, exercer un réel contrôle sur le management par des mécanismes appropriés et veiller à la protection des intérêts des actionnaires minoritaires. À côté de ces fonctions traditionnelles, les conseils doivent également assurer, comme les y incitent les Principes de gouvernance d’entreprise du G20 et de l’OCDE (2015), la surveillance des principales acquisitions et cessions d’actifs réalisées par l’entreprise et l’intégrité des systèmes de comptabilité et de communication financière, ou encore la surveillance de la gestion des risques, la planification fiscale et le contrôle interne.

Les sociétés européennes doivent également veiller à améliorer la qualité de la politique de rémunération des dirigeants, qui n’obéit pas toujours à des considérations guidées par la rationalité économique. L’objectif d’incitation à la performance doit être réaffirmé et le lien avec la performance garanti. Une transparence renforcée devrait jouer un rôle positif à cet égard : les Principes de gouvernance du G20 et de l’OCDE (2015) invitent ainsi les assemblées générales annuelles des actionnaires à se prononcer sur la rémunération des administrateurs et/ou des principaux dirigeants, et notamment sur la composante en actions de la rémunération des administrateurs, des principaux dirigeants et des salariés, les actionnaires étant directement intéressés par la manière dont les rémunérations sont liées aux résultats de la société lorsqu’ils évaluent les compétences du conseil d’administration.

Par ailleurs, les entreprises d’Europe continentale doivent s’efforcer de réduire l’écart de scores avec les sociétés anglo-saxonnes en matière d’engagement envers les actionnaires. Comme l’énonce l’OCDE (2015), les droits élémentaires des actionnaires doivent comprendre le droit de « bénéficier de méthodes fiables d’enregistrement de leurs titres », de « pouvoir céder ou de transférer des actions », « d’obtenir en temps opportun et de façon régulière des informations pertinentes et significatives sur la société », de « participer et de voter aux assemblées générales des actionnaires », « d’élire et de révoquer les administrateurs » et « d’être associés au partage des bénéfices de la société ». Il doit, en outre, être obligatoire de « rendre publics les structures du capital et les dispositifs de contrôle » et le fonctionnement efficace et transparent des marchés du contrôle des sociétés doit être garanti (OCDE, 2015).

Un système de gouvernance asiatique caractérisé par de nombreux dysfonctionnements

Le système de gouvernance asiatique, pour sa part, doit évoluer dans le sens d’une plus grande indépendance des conseils d’administration et d’un renforcement des fonctions d’audit et de surveillance dans les entreprises, en vue d’une plus grande création de valeur.

Différentes initiatives ont été prises au cours des années récentes afin de pallier les dysfonctionnements identifiés : le Japon a ainsi publié le 26 février 2014, par l’intermédiaire de sa Financial Services Agency, un code intitulé Principles for Responsible Institutional Investors « Japan’s Stewardship Code » – To promote sustainable growth of companies through investment and dialogue, qui énonce différents principes, notamment celui qui recommande aux investisseurs institutionnels de rendre compte publiquement de la manière dont ils assument leur « responsabilité d’intendance ».

Le Japon s’est également doté, le 1er juin 2015, d’un code de gouvernance pour les sociétés cotées, le Japan’s Corporate Governance Code, Seeking Sustainable Corporate Growth and Increased Corporate Value over the Mid- to Long-Term, organisé autour de cinq axes : garantir les droits et le traitement égal des actionnaires, développer la coopération avec les parties prenantes non actionnaires, assurer la diffusion de l’information et la transparence, les responsabilités du conseil d’administration, et le dialogue avec les actionnaires. Le caractère non contraignant des principes énoncés – les sociétés devant s’attacher, précise le code, à respecter davantage l’esprit que le texte –, tend toutefois à en atténuer la portée à court terme.

Une convergence des pratiques

En définitive, les résultats de la présente recherche, en soulignant la supériorité des scores de gouvernance des entreprises rattachées au modèle anglo-saxon, en suggérant aussi l’adoption de principes de « bonne gouvernance » sur le fondement de référentiels communs, tendent à accréditer l’idée d’une convergence des systèmes et des pratiques. Ils n’excluent pas pour autant l’idée d’une pluralité de modèles de gouvernance susceptibles de coexister compte tenu de la prégnance des différences institutionnelles. Ils n’excluent pas non plus l’hypothèse d’une hybridation des systèmes de gouvernance par combinaison d’éléments empruntés à des modèles distincts. Dans ce domaine comme dans d’autres, la question de l’ampleur et de l’intensité de la convergence reste posée et, in fine, celle de la dualité et de la dialectique de la globalisation.

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