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Des soldats congolais patrouillent dans les rues de Beni, au Congo, en juillet 2019. L'armée officielle côtoie une centaine de groupes armés issus de la société civile. AP Photo/Jerome Delay

Une centaine de groupes armés sème le chaos au Congo

Depuis déjà deux décennies, la République Démocratique du Congo (RDC) fait face à l’insécurité occasionnée par des groupes armés issus de la société civile.

Au-delà des droits de leurs communautés qu’ils prétendent défendre, ils se comportent en conquérants. Ce phénomène né dans les deux provinces du Kivu dans les années 1990, à la suite du génocide rwandais et de l’obstination du président Mobutu à conserver le pouvoir, prend de plus en plus d’ampleur et menace sérieusement la stabilité de la Région des Grands Lacs. C’est le conflit le plus meurtrier au monde depuis la Deuxième Guerre mondiale, mais le gouvernement et la communauté internationale tergiversent sur la réponse appropriée.

La RDC abrite aujourd’hui 2,9 millions de déplacés et 450 000 réfugiés. On estime que 6,8 millions de personnes sont touchées par les conflits armés. À cela s’ajoute une épidémie d’Ebola toujours en vigueur, accentuée par le climat chaotique dans le pays.

Ma recherche porte sur les motivations des groupes armés locaux en RDC. Elle démontre le danger qu’ils représentent et tente de déterminer de quelle manière ce phénomène pourrait être enrayé.

Un enfant est vacciné contre le virus Ebola à Beni, au Congo, en juillet 2019. Le virus fait des ravages dans ce pays en guerre civile. AP Photo/Jerome Delay, file

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Combattants locaux et étrangers

La RDC est actuellement un sanctuaire de bandes armées.

Plus de 100 groupes nationaux et au moins six groupes armés étrangers y sont actifs (trois du Burundi, un du Rwanda et deux de l’Ouganda). Les opérations militaires visant à neutraliser ces groupes armés étrangers ont été improductives. Ni le Burundi, ni l’Ouganda et ni le Rwanda ne sont favorables à la démobilisation et au retour de ces combattants dans leurs pays d’origine. Ils préfèrent les éloigner de leurs frontières, voire les exterminer, en violation des conventions internationales relatives à la protection des réfugiés et demandeurs d’asile.

Les forces de sécurité de la RDC utilisent certains de ces groupes de combattants pour lutter contre les groupes armés locaux. Elles ne sont donc pas enclines à les bousculer. Ils bénéficient aussi du soutien des contrebandiers nationaux et étrangers qui apprécient l’insécurité qu’ils occasionnent pour piller les ressources naturelles du pays. Les Casques bleus présents dans le pays sont dans la précarité. La MONUSCO est la mission des Nations unies la plus importante actuellement, mais sans mandat coercitif. Résultat, ils sont incapables de se défendre et de protéger les civils.

Un chaos qui arrange bien le pouvoir

La lutte armée en RDC est tout d’abord la conséquence de l’incapacité de l’État à faire face aux revendications des différentes communautés. Les milices locales se battent pour la sécurité, l’égalité des droits, l’emploi et la réforme de lois discriminatoires. C’est donc une lutte légitime.

Paradoxalement, cette stratégie de lutte pour les droits est utilisée par le pouvoir, les trafiquants et certains opposants pour semer le chaos en organisant et en soutenant des troubles. Le but est de rendre le pays ingouvernable et de limiter l’accès dans certaines zones pour notamment écouler des armes, piller les ressources naturelles du pays et justifier les projets budgétisés, mais non réalisés.

Le président de la République du Congo, Félix Tshisekedi, prononce son discours au Forum de Paris pour la paix, le 12 novembre 2019 à Paris. Ludovic Marin/Pool via AP

Elle a été utilisée par l’ancien président Joseph Kabila entre 2014 et 2018 pour justifier la non organisation des élections et la nécessité d’instituer le régime d’exception qui lui a permis de régner au-delà du mandat constitutionnel. Elle est actuellement utilisée par les adversaires de l’actuel président Felix Tshisekedi pour l’empêcher de réaliser ses promesses de campagne, dont l’éradication du virus Ebola et la fin de l’insécurité à l’Est du pays.

Des groupes ethniques aux motivations multiples

Les initiateurs des groupes armés sont généralement des éleveurs, des agriculteurs, des chasseurs-cueilleurs (principalement les peuples autochtones pygmées), qui se sentent isolés par le pouvoir et par d’autres communautés pour avoir choisi de conserver leur mode de vie traditionnelle. Les besoins de défendre les terres contre l’invasion des étrangers motivent aussi la création des milices.

À eux s’ajoutent des jeunes désœuvrés ou déscolarisés, attirés par les richesses non protégées.

Les groupes ethniques lésés par la subdivision des régions administratives du pays recourent également aux groupes armés pour exiger la création des communes auxquelles ils s’identifient. Cette démarche peut susciter des velléités xénophobes ou séparatistes et plonger le pays dans le cycle infernal des tensions.

Des mouvements mystiques

Tous les groupes armés se disent « patriotes ». Le patriotisme semble être même le fondement de leur idéologie. Contrairement aux milices des années 1960, qui étaient marxistes-communistes, les groupes armés locaux contemporains sont mus par l’idéologie nationaliste à laquelle se greffe le messianisme. Les chefs rebelles se disent en effet « envoyés ». Ils ont reçu, des ancêtres ou de Dieu, le mandat de libérer leurs communautés de l’oppression.

Ces groupes armés violent les droits qu’ils disent défendre et se comportent comme des organisations terroristes.

Ce sont également des forces supplétives du gouvernement et des vigiles des trafiquants. Ils viennent souvent en appui aux forces de sécurité de la RDC et à celles des trois états voisins pour des opérations militaires. Les alliances entre les forces gouvernementales et les groupes armés permettent à ces groupes de recevoir des formations, de la nourriture, de l’argent et des équipements militaires (uniforme, armes et minutions).

Des richesses naturelles pillées

En dépit des atrocités, les groupes armés nationaux bénéficient d’une certaine sympathie de communautés locales. Cela s’explique par le fait qu’ils facilitent l’exploitation des ressources naturelles dont regorgent les aires protégées.

Les partisans du président congolais Félix Tshisekedi l’acclament lors de son investiture à Kinshasa, en RDC, en janvier 2019. Tshisekedi a remporté une élection qui a soulevé de nombreuses inquiétudes quant aux irrégularités de vote. AP Photo/Jerome Delay

Les minerais de ces zones sont vendus clandestinement, principalement au Rwanda et en Ouganda où ils sont rachetés par des petites entreprises chinoises. La conséquence de ce trafic est que le Rwanda est actuellement le premier exportateur mondial du coltan qu’il ne produit pas ! Et les patrimoines mondiaux – dont l es Parcs nationaux de Kahuzi-Biège et des Virunga – placés sous la protection de l’UNESCO – sont menacés.

La lutte armée est en outre une stratégie pour se soustraire à d’éventuelles poursuites judiciaires. Plusieurs combattants sont poursuivis ou s’attendent à l’être pour les nombreux crimes dont ils sont directement ou indirectement responsables. Ils comptent sur les amnisties ou la grâce présidentielle qui pourraient venir d’un accord de paix.

Leur éradication ne sera pas chose facile sans une volonté politique du gouvernement de la RDC et l’engagement ferme de la communauté internationale.

Il s’agira, à la fois, de dialoguer avec les forces combattantes, de traquer les récidivistes et d’engager des poursuites judiciaires non seulement contre les miliciens auteurs d’atrocités, mais également contre les exploitants illégaux des ressources naturelles de la RDC y compris les trafiquants des armes, peu importe l’endroit où ils se trouvent. La paix dans la région des Grands Lacs africains en dépend.

Des initiatives de prise en charge des populations victimes et des mesures incitatives pour favoriser le désarmement et la démobilisation volontaire devraient être priorisées et suivies de très près pendant, et après la signature d’un futur accord de paix.

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