Les parents de jeunes d’âge scolaire ont beaucoup de poids sur les épaules lorsqu’ils reprennent la routine de l’école. Pour la plupart des familles canadiennes, au-delà des préoccupations concernant les articles scolaires ou les nouvelles expériences, cela signifie aussi une autre année à préparer des repas – une tâche quotidienne essentielle qui peut devenir accablante.
Les enfants doivent avoir accès à une alimentation saine à l’école pour répondre à leurs besoins en matière d’apprentissage, de croissance et de nutrition. Malgré qu’on reconnaisse l’importance de bien nourrir les jeunes les jours d’école, beaucoup – y compris les mères que nous avons interrogées dans le cadre d’une étude – sous-estiment la complexité, le temps, les efforts et l’importance de ce travail apparemment banal.
Au Canada, où moins de 10 % des enfants mangent régulièrement des repas fournis par l’école, les parents, en particulier les mères, doivent gérer les lunchs, ce qui engendre souvent une forte pression.
Facteurs sociaux qui affectent la santé
Mon travail au sein du Groupe de recherche sur la santé publique et la nutrition urbaine de l’Université de Colombie-Britannique vise à comprendre les facteurs sociaux et contextuels complexes qui façonnent la santé des individus, des collectivités et de l’environnement.
Notre équipe s'associe à des partenaires communautaires, notamment le personnel de santé publique et les circonscriptions scolaires, afin de connaître et d’améliorer les programmes d’alimentation scolaire.
Dans une étude récente à laquelle j’ai collaboré avec la regrettée sociologue Sinikka Elliott,Seri Niimi-Burch, étudiante à la maîtrise, a interrogé 14 mères d’une circonscription scolaire d’une banlieue britanno-colombienne où un nouveau programme de repas a été mis en place, bien que la plupart des élèves continuent d’apporter leur lunch.
Dix participantes travaillaient à l’extérieur du foyer à temps plein ou à temps partiel. Deux étaient à la recherche d’un emploi et quatre ont déclaré élever des enfants ou tenir la maison à temps plein. Douze femmes se sont définies comme blanches, une comme moyen-orientale et une autre comme pendjabie. La plupart d’entre elles se sont décrites comme appartenant à la classe moyenne, tandis que trois se sont dites pauvres, à faible revenu ou issues de la classe ouvrière.
Pas si facile de préparer un bon lunch
Les mères nous ont décrit la complexité du travail physique, mental et émotionnel nécessaire pour offrir un « bon » lunch, car il faut répondre aux attentes élevées liées à des repas sains et équilibrés, qui sont également savoureux et aimés des enfants.
Ces mères ont évoqué que le devoir de veiller à ce que les enfants soient bien nourris à l’école constitue une lourde responsabilité. Une mère, consciente qu’on risque de la juger en fonction de la qualité de ses repas, a demandé aux enseignants de son fils : « Ne nous jugez pas sur les aliments que nous mettons dans ses lunchs. »
Une autre mère, elle-même enseignante, réfléchit au jugement qu’elle porte sur les parents : « Je me demande ce que je penserais si, en tant qu’enseignante, je regardais ce lunch. Est-ce que ce serait : “Oh, ça a l’air d’un repas sain” ou “Oh, mon Dieu, qu’est-ce qu’il peut bien y avoir là-dedans ?” »
L’étude a révélé que les mères se sentaient souvent surveillées non seulement par les enseignants et les autres parents, mais aussi par leurs enfants.
Répondre aux besoins – une charge émotive
D’un côté, les mères décrivent le soin et les efforts considérables qu’elles consacrent à la préparation des repas. De l’autre, elles ont tendance à minimiser leurs efforts, ne voulant pas donner l’impression d’en faire trop, d’être trop préoccupées ou trop contrôlantes.
Si les mères ont mis en place des routines pour réduire la charge mentale liée à l’organisation des repas et ont dépeint certaines tâches comme étant répétitives et banales, plusieurs d’entre elles ont parlé de la planification complexe et des calculs nécessaires pour établir un budget et acheter les bonnes quantités et les bons types d’aliments, ainsi que de la charge émotive liée au fait de devoir satisfaire les besoins et les préférences de leurs enfants.
Les réponses des mères reflètent les pressions sociales envers les femmes pour qu’elles se conforment aux idéaux de la maternité, qui correspondent souvent à de vieilles normes propres au genre touchant la classe moyenne, notamment le fait de vouloir que leurs jeunes « mangent bien » et la responsabilité de les protéger contre l’obésité et les risques futurs pour leur santé.
Du sens dans les actes quotidiens
Malgré la pression, les mères ont également exprimé que ces soins quotidiens leur procuraient de la fierté et du sens. L’une d’elles a déclaré : « Savoir qu’il aura quelque chose de chaud dans son système à l’heure du midi pour le réchauffer fait que je me sens bien en tant que parent. »
Une femme a dit : « Je sais que si je lui donne de bonnes choses dans la journée, je me sens bien. » D’autres ont affirmé que le fait de préparer un repas leur permettait de se sentir proches de leurs enfants.
Même si ces mères décrivent le caractère épuisant et stressant de la préparation des lunchs, elles reconnaissent que cela constitue un moyen d’établir un contact avec leurs enfants et d’exprimer leur amour et leur attention.
Le travail émotionnel, physique et cognitif exposé dans cette recherche mérite davantage de reconnaissance. Le travail lié à l’alimentation, comme la préparation des repas, est souvent ignoré dans les études sur la santé etla nutrition.
Il est temps de souligner la valeur du travail entourant les repas à l’école et de mieux soutenir les personnes qui s’en chargent, qu’il s’agisse de parents, d’autres membres de la famille, d’un fournisseur de soins ou du personnel de la cafétéria.
Orientations pour de nouvelles approches en matière d’alimentation dans les écoles
À la lumière de la nouvelle politique nationale d’alimentation scolaire du Canada, ces résultats pourraient influencer les provinces qui cherchent à mettre en place des programmes d’alimentation scolaire. La politique s’appuie sur un engagement d’un milliard de dollars pour créer un nouveau Programme national d’alimentation scolaire.
Les parents sont souvent à bout de souffle, et les repas fournis par l’école peuvent réduire le temps, l’argent et la charge mentale qui pèsent sur de nombreuses familles canadiennes.
Le Canada fait piètre figure par rapport à d’autres pays riches en ce qui concerne les investissements destinés à répondre aux besoins alimentaires et nutritionnels des enfants. En 2022, un enfant sur quatre vivait dans un ménage en situation d’insécurité alimentaire.
Selon notre précédente étude, plus d’un élève canadien sur 20 a déclaré dans le cadre d’une enquête nationale ne pas prendre de repas à l’école, et les élèves sont deux fois plus susceptibles de ne pas manger à l’école s’ils sont en situation d’insécurité alimentaire.
Bien nourrir ses enfants demande beaucoup de travail
Cependant, les projets d’alimentation scolaire ont besoin de soutien, d’évaluation et d’investissements continus pour atteindre leur plein potentiel.
Cela dépendra en partie de l’élaboration de programmes qui reconnaissent le travail lié à la sensibilisation des enfants à la nourriture et son importance dans le cadre des soins qui leur sont prodigués.
À mesure que les décideurs politiques canadiens s’efforcent d’améliorer les programmes d’alimentation scolaire et de mieux répondre aux besoins de base des familles, nous devons reconnaître le rôle essentiel des parents et des personnes qui travaillent dans les cafétérias, ainsi que les réalités complexes de la tâche physique, émotionnelle et cognitive qu’il faut accomplir pour bien nourrir les enfants.
Préparer des lunchs, pas si simple
Nos recherches ont révélé que la préparation quotidienne des repas est plus qu’une simple tâche. L’expérience des mères en lien avec la satisfaction des besoins alimentaires de leurs enfants est complexe et s’inscrit dans le cadre de la notion de ce qu’est une « bonne » mère.
La responsabilité de fournir un repas « équilibré » ne repose pas seulement sur la préparation d’un repas nutritif, mais aussi sur l’établissement d’un équilibre entre le travail émotionnel, physique et cognitif.
Nourrir les enfants constitue une forme de soins complexe et essentielle qui favorise les liens entre les enfants et les personnes qui s’en occupent et contribue au bien-être nutritionnel et social des jeunes, ainsi qu’au fait qu’ils sentent qu’on prend bien soin d’eux.
La journaliste Seri Niimi-Burch, diplômé du programme de maîtrise en études intégrées sur les systèmes fonciers et alimentaires de l'UBC, a cosigné cet article.