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Une mante Alalomantis muta femelle. Nicolas Moulin, Author provided

Une expédition scientifique au Gabon à la découverte des mantes

Mes travaux de recherche ont comme sujet les Mantodea, des insectes prédateurs emblématiques que l’on nomme couramment les mantes. Je les étudie selon deux angles, reliés entre eux : la taxonomie (science qui a pour objet la description du vivant) et l’écologie (l’étude des habitats des organismes vivants).

C’est un petit groupe d’insectes qui ne contient qu’un peu plus de 2500 espèces actuellement et qui n’est pas encore assez bien connu. À titre de comparaison les coléoptères comptent plus de 387 000 espèces. Malgré tout, de plus en plus de travaux permettent d’améliorer les connaissances à leur sujet. La taxonomie intégrative (la description du vivant qui utilise les variables de biogéographie, d’écologie, de biologie moléculaire et de morphologie) améliore nos recherches.

Concernant leur écologie, c’est plus compliqué. Depuis des siècles, ce groupe d’insectes est capturé grâce à la technique du piégeage lumineux, avec tous les dérivés qu’elle connaît (ampoules à vapeur de mercure de forte intensité, leds, néons, automatiques ou en présence d’entomologistes). Et, autre biais, pour la majorité des espèces, ce ne sont que les mâles qui sont attirés par la lumière. Leurs yeux simples, très développés et situés sur le front, les entraînent irrésistiblement vers les rayons ultra-violets. Les femelles ont des yeux simples moins développés et sont souvent trop lourdes ou sans ailes fonctionnelles qui leur permettraient de s’approcher.

C’est pour cela qu’il faut se rendre sur le terrain afin de pratiquer d’autres méthodes d’échantillonnage. Elles sont nombreuses et variées. La plus importante d’entre elles est la prospection à vue de jour, comme de nuit.

Voyage au Gabon

Depuis 2009, de très nombreux échantillons provenant d’Afrique centrale (République centrafricaine, Cameroun et Gabon) m’ont été confiés. En parallèle, des écoles de terrain pour étudiants africains et français (ECOTROP) ont été mises en place au Gabon, par un consortium d’institutions publiques comme l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), l’Agence Nationale des Parcs Nationaux du Gabon (ANPN), l’Université de Rouen, les Universités de Yaoundé et de Franceville.

J’ai pu accéder à ces écoles en tant qu’encadrant en entomologie. De 2011 à 2014, ces « classes vertes » riches en enseignements divers et variés (biogéographie, paléoenvironnement, écologie, entomologie) ont été organisées durant des quinzaines sur le territoire du parc National de la Lopé au Gabon. En décembre 2015, en petit comité, un collègue batrachologue (spécialiste des amphibiens), un collègue entomologiste et moi-même sommes allés prospecter dans les Monts de Cristal afin de trouver un nouveau site pour les écoles de terrain.

Parc national des monts de Cristal au Gabon. Nicolas Moulin, Author provided

Le Parc National des Monts de Cristal, situé au nord du Gabon, est un bijou de biodiversité. Principalement constitué de forêts humides d’altitudes (de 200 à 900 mètres d’altitude), il permet d’étudier une faune et une flore différentes de celles rencontrées dans les paysages de forêts-galeries de la Lopé, située au centre du Gabon. La mission de terrain dura une semaine. Les principales méthodes d’échantillonnage y seraient appliquées afin de se donner un aperçu de la faisabilité.

La mission s’est déroulée du 01 au 07 décembre 2015 aux alentours du barrage électrique de Kinguélé dans le parc National des Monts de Cristal, au Gabon.

Après avoir réglé les documents administratifs d’autorisation de recherche au Centre national de la recherche scientifique et technologique (CENAREST), nous voilà en route pour les forêts d’altitudes. Nous sommes hébergés dans les logements de la Société des eaux et de l’électricité (SEEG).

La collecte des mantes

Les principaux groupes taxonomiques étudiés sont, bien évidemment les mantes, mais aussi les coléoptères, les lépidoptères et les amphibiens. Concernant mon groupe de prédilection, j’apporte plusieurs techniques : la classique ampoule à vapeur de mercure pour attirer les insectes la nuit, la lampe frontale pour rechercher les spécimens dans la végétation, la nappe de battage et le fauchoir pour prospecter de jours dans les strates de végétation herbacée et arborée.

En supplément, un grand dispositif de piégeage est emmené et mis en place : le Remote Canopy Trap (RCT). Il est inspiré de celui d’un collègue américain. Il fonctionne la nuit en s’allumant automatiquement grâce à une cellule photosensible et un interrupteur crépusculaire. Le piège est composé de pans de mousseline, avec deux entonnoirs, l’un au sommet et l’un vers le bas. Aux extrémités de chacun d’eux se trouve un pot collecteur.

Le piège : « Remote Canopy Trap. » Nicolas Moulin, Author provided

Tous les jours nous nous déplacions en véhicules tout-terrain afin d’étudier un maximum de biotopes différents. Et tous les soirs, le dispositif d’attraction lumineuse avec la lampe UV était installé. Les nuits pouvant être longues selon l’arrivée des insectes, des prospections à la lampe frontale sont réalisées aux alentours. La recherche se fait lentement et méticuleusement dans la végétation. Les insectes sortent souvent la nuit et sont visibles sur la végétation. C’est grâce à cette méthode que je peux trouver des femelles de mantes qui correspondraient aux espèces représentées par les mâles sur le drap de chasse. Les mâles se distinguent des femelles principalement par le nombre de segments abdominaux et la morphologie des derniers segments qui portent les organes reproducteurs. Mais les mâles sont également plus petits et la plupart du temps, ailés.

En journée, les déplacements en forêt sont compliqués. Le milieu est fermé, bien plus grand que nous et les insectes se cachent. En revanche, en lisière, ils se déplacent et se servent de cet habitat de transition pour se déplacer, s’alimenter ou se reproduire. Il nous est donc plus efficace de longer les abords de la piste pour réaliser nos recherches. Selon les types de végétation, je secoue les branches avec un bâton placé au-dessus de la nappe de battage. Grâce à cette méthode, de nombreux spécimens très mimétiques et immobiles sont découverts. Avec le filet fauchoir, je fouette la végétation herbacée et collecte des spécimens d’espèces inféodées à ce type de milieu. Ces prospections actives de jour comme de nuit permettent de faire le lien entre les espèces et leur environnement, leur écologie.

Le piège canopée RCT est disposé en hauteur durant une matinée dans un arbre dont l’accès est relativement facile. Une fois les pots collecteurs remplis d’alcool et hissé, il démarrera seul au crépuscule. Le lendemain matin, nous pouvons alors relevés les échantillons. Les Leds ont un attrait plus localisé par rapport à la lampe à vapeur de mercure. Il est donc plus facile de faire un lien entre l’habitat et les espèces collectées. De nuit, nous pouvons le redescendre grâce à une corde sur poulie afin de vérifier son fonctionnement. C’est là où il peut y avoir des surprises inattendues…

Le 5 décembre au matin, nous nous arrêtons en bord de piste pour mettre en place le RCT. En attachant la corde d’amarrage, je me fais piquer le coude droit. La douleur est intense et le coupable invisible. Des lianes se trouvent autour de moi, elles sont accusées. Le reste de la matinée n’a été que gonflement sous-cutanée et souffrance. Allergique, de mon poignet à l’épaule, mon bras a doublé de volume. J’ai frôlé l’automédication par administration de la seringue d’adrénaline. Le soir même nous repassons auprès du piège aérien. Une magnifique chenille verte de la famille des Limacodidae déambule sur la corde de fixation. La disposition des épines sur son corps est la même que celle des marques purulentes sur mon coude. La coupable est toute trouvée. Elle est capturée pour séquençages ADN ultérieurs afin de découvrir de quelle espèce il s’agit. Voici le type d’aventure qu’il peut se produire lors d’expéditions scientifiques éloignées de la civilisation.

La chenille Limacodidae scotinochroa. Nicolas Moulin, Author provided

Finalement, les données obtenues ont permis de rédiger une synthèse des connaissances sur les mantes du Gabon dans les Cahiers de la Fondation Biotope qui financent certaines de mes expéditions en Afrique centrale. En parallèle, lors de toutes mes missions, des échantillons de pattes sont prélevés dans le cadre d’analyse ADN. Actuellement, 479 spécimens ont été prélevés. Ils sont représentés par 108 BINs (Barcode Index Numbers), numéro unique qui symbolise une espèce. Des espèces nouvelles restent à découvrir. Une mission complémentaire, en partie financée par la Fondation Biotope, est prévue en 2021 dans le parc National de la Lopé. Ce coup-ci, le hamac tropicalisé sera de nouveau de sortie afin de découvrir des mantes au plus près dans leur environnement.

Je suis actuellement en train de réviser un genre de Mantes, les Cataspilota : les barrières géographiques, les codes-barres ADN et l’étude des organes reproducteurs mâles (genitalia) me permettent de décrire de nouvelles espèces dont une au Gabon.

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