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L'île de Vancouver dans la brume
Cachés dans les données sismiques, des signaux précurseurs de séismes lents peuvent être identifiés par des algorithmes bien entraînés. Sergey Pesterev/Flickr, CC BY-SA

Une IA pour détecter les signes avant-coureurs des séismes lents

Aujourd’hui, il est toujours impossible de prédire la date, l’heure et la magnitude de futurs tremblements de terre.

Nos seuls outils solides se basent sur des traitements probabilistes permettant de donner, pour une région donnée, la probabilité que les mouvements du sol en lien avec l’activité sismique dépassent un certain seuil dans les prochaines années – par exemple, il y a 20 % de chances qu’un séisme de magnitude 7,5 ait lieu dans la région de San Francisco, en Californie, dans les 30 prochaines années.

Malheureusement, ceci ne permet pas d’obtenir une prévision réellement utilisable, comme des prévisions météorologiques.

L’IA pourrait-elle permettre de changer tout cela ? Dans notre équipe de recherche, nous développons ainsi depuis plusieurs années des algorithmes d’intelligence artificielle qui scrutent en continu les données de sismomètres enregistrant les vibrations du sol, pour tenter de repérer des comportements particuliers qui précéderaient les séismes.

Ces résultats font, aujourd’hui, l’objet d’une publication dans la revue scientifique Nature communications.

L’intelligence artificielle pour reconnaître des signes précurseurs

Ces applications en intelligence artificielle cherchent à améliorer la compréhension de ce « cycle sismique » – l’alternance de séismes et de périodes durant lesquelles les contraintes tectoniques s’accumulent – et tentent de mieux estimer l’arrivée de la rupture.

Le concept est simple : en analysant les enregistrements sismiques précédant de nombreux séismes, un algorithme peut identifier des comportements récurrents dans ces enregistrements, et apprendre à reconnaître l’occurrence prochaine de la rupture. Il faut avoir accès à beaucoup de données, donc la méthode n’est pas encore applicable aux grands séismes dévastateurs mais rares, qui font la une des journaux.

Cette approche a été initialement développée sur des « séismes de laboratoire » : en comprimant des échantillons d’acier ou de roche dans une presse et en les faisant glisser les uns contre les autres, on peut donner naissance à des milliers de fractures, chacune analogue à un séisme, la seule différence étant la taille.

Par exemple, un séisme de magnitude 7 correspond environ à une rupture d’environ 100 km de long pour quelques dizaines de centimètres de glissement tandis que les séismes de laboratoire ne font que quelques centimètres de long pour quelques millimètres de glissement. Tout comme dans la nature, nous enregistrons les vibrations émises par l’échantillon avant les ruptures. À partir de ces données sismiques « de laboratoire », un algorithme peut être entraîné à identifier s’il existe des signaux caractéristiques d’une rupture prochaine et, surtout, à les reconnaître – de la même manière qu’on peut apprendre à reconnaître, à force d’observation, qu’un feu de circulation orange annonce un feu rouge.

L’application d’algorithmes d’intelligence artificielle aux données de laboratoire permet ainsi de prédire l’arrivée prochaine d’un séisme de laboratoire. Le signal sismique analysé encode, à tout moment, une information détaillée sur le temps qu’il reste avant la prochaine rupture. En particulier, l’algorithme identifie des cycles systématiques dans l’énergie sismique, une quantité déduite des vibrations mesurées : l’énergie sismique augmente exponentiellement avant que la rupture d’un échantillon n’ait lieu.

Tester l’approche de machine learning sur de vrais séismes

Afin de tester cette approche sur de véritables séismes, nous avons développé un algorithme similaire afin d’étudier les signes précurseurs des « séismes lents », au-dessous de l’île de Vancouver au Canada.

Contrairement aux séismes classiques, qui durent de quelques secondes à quelques minutes et qui génèrent des ondes sismiques, les séismes lents peuvent durer des semaines ou des mois.

Parce qu’ils sont lents, ils ne génèrent pas d’ondes sismiques, tout comme un élastique ne vous rebondit pas dans la figure quand vous le relâchez doucement. Ces séismes lents n’engendrent donc aucun dégât mais on ne peut pas les enregistrer avec un sismomètre. Ceci ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas être grands et la zone de rupture couverte par un séisme lent peut mesurer jusqu’à environ 100 km de long avec quelques dizaines de centimètres de glissement. Ils ont été découverts au tournant des années 2000 au Japon et au Canada grâce aux déplacements de quelques centimètres qu’ils engendrent en surface sur des distances de plusieurs dizaines de kilomètres, mesurés par GPS.

Aussi grands, mais plus lents, des études récentes suggèrent que les séismes lents partagent de nombreux points communs avec les séismes « normaux ». Mais, comme ils durent longtemps, ils laissent plus facilement « le temps » de les analyser.

De plus, dans plusieurs zones de subduction autour du monde, des séismes lents ont lieu régulièrement, ce qui en fait une cible de choix pour les algorithmes d’intelligence artificielle. Par exemple, sous l’île de Vancouver, ces séismes lents ont lieu approximativement tous les 14 mois sous l’effet de la convergence entre les plaques Amérique et Juan de Fuca.

En analysant les données sismiques continues issues d’une dizaine de grands séismes lents dans la région, notre algorithme d’intelligence artificielle essaye d’identifier les signaux précurseurs caractéristiques de l’arrivée prochaine de la rupture lente, comme dans le laboratoire.

Des « crépitements » signeraient la naissance de séismes lents

À notre grand étonnement, l’algorithme a été capable d’extraire des signaux sismiques caractéristiques qui émergent quand le séisme lent approche.

En particulier, notre outil identifie un accroissement exponentiel de l’énergie sismique avant la rupture, comme si de plus en plus d’ondes sismiques minuscules étaient émises par la zone sismique.

Nous interprétons ce crépitement qui augmente comme une signature de la naissance (la « nucléation ») du séisme lent, exactement comme dans le laboratoire ! Sous l’île de Vancouver, cette signature est perceptible environ 100 jours avant le début des premières détections d’un séisme lent, et suggère qu’il est possible d’anticiper les séismes lents de plusieurs semaines.

Les motifs répétés identifiés par intelligence artificielle peuvent aussi renforcer notre compréhension physique de la phase précédant les séismes, lents ou rapides. En particulier, ces motifs suggèrent que la rupture asismique commence à toute petite échelle, à un niveau imperceptible jusqu’ici, et accélère jusqu’à devenir détectable à l’œil nu dans les enregistrements GPS.

Cette accélération exponentielle est cohérente avec de nombreuses observations en mécanique des roches, souvent réalisées en laboratoire, ainsi qu’avec les modèles théoriques de mécanique de la fracture. Ceci confirme que les séismes lents commencent bien de la même façon que les séismes « classiques » mais… lentement. Encore un point commun !

Et les grands séismes ?

La question de l’application d’une telle méthode pour anticiper la naissance des grands séismes reste ouverte. Par exemple, on pourrait être tentés par une simple mise à l’échelle : un séisme lent dure un mois et nous observons des signaux précurseurs sur 100 jours (soit trois mois) avant le séisme. Un séisme classique de forte magnitude dure de 10 à 100 secondes et ces signaux précurseurs seraient donc observables 30 à 300 secondes avant… Est-ce bien le cas ? Serait-il utile d’avoir une estimation à si brève échéance ?


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Les séismes les plus destructeurs sont aussi les plus rares, et sont souvent séparés par plusieurs centaines d’années à un endroit donné. Par conséquent, il n’existe pas de données sismiques disponibles pour entraîner un algorithme d’intelligence artificielle à apprendre les signaux précurseurs aux grands tremblements de terre dans une région donnée.

Pour continuer dans cette direction, on pourrait éventuellement combiner les données disparates de nombreuses régions du monde où ont lieu des séismes, mais il est encore plus important de mieux comprendre la mécanique des séismes, afin de pouvoir en simuler de plus réalistes et de plus nombreux en laboratoire et par ordinateur.

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