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Le zéro, ce rien si important. Jeff Fielitz / Unsplash, CC BY-SA

Une merveilleuse histoire du zéro

Le souvenir douloureux des tables de multiplication ; l’invention des chiffres arabes ; l’invention du « 0 »… que de souvenirs d’école ancrés dans une mémoire d’adulte ! L’utilisation des chiffres est tellement ordinaire qu’on a parfois tendance à penser qu’elle serait innée comme marcher et parler.

Pourtant, l’invention des nombres et du calcul est une formidable histoire du développement de l’abstraction chez l’humain. Une histoire et une géographie très dynamique. Un récit ni linéaire, ni chronologique.

Ce sont les besoins bien réels liés à l’organisation du quotidien, par des moyens purement empiriques, qui sont à l’origine de ce développement. Alors, comment faire pour parler d’une histoire sans se focaliser sur des dates ?

Imaginons-la comme les chemins d’un voyage sans fin…

Nombres « primitifs » et besoin de « calcul »

Il fut un temps où le nombre ne fut qu’une perception de quelque chose, comme une odeur ou un son. Une réalité de l’écosystème. Le nombre s’envisage comme une sensation numérique, bien loin du comptage abstrait… Initialement, les premiers nombres inventés sont un, deux et… beaucoup. L’un représente l’humain. Le deux, l’altérité. Les langues antiques et modernes ont gardé en mémoire ce fait. En grec ancien, ho lukos signifiait « le loup », tō lukō « les deux loups » et hoi lukoi « les loups ». En anglais, le mot « thrice » a deux sens : « trois fois » et « plusieurs ». « Three » (« trois ») et « throng » (une foule) ont la même racine étymologique.

Finalement, l’invention empirique des nombres correspond au désir de compter, s’assurer du nombre de bêtes dans un troupeau, faire un inventaire des vivres, outils, armes, etc. Créer des correspondances unité par unité d’objets similaires pour en faire des ensembles d’entités équivalentes, comprendre l’impossibilité d’associer certains objets est à la base d’un besoin de « nombres ». Cette arithmétique « primitive » crée l’envie de se représenter un nombre, aussi grand soit-il sans comptage brut, sans même nommer les quantités.

On sait qu’à la Préhistoire, les bergers utilisaient la méthode de l’entaille : compter à l’aide d’une entaille dans un bâton d’os avec un silex.

Os d’Ishango découvert au Congo et datés de peut-être 20 000 ans. Il pourrait s’agir de la plus ancienne attestation de la pratique de l’arithmétique dans l’histoire de l’humanité. Ben2/Wikimedia, CC BY

L’idée de compter le temps qui passe par les phénomènes cycliques de la nature révèle aussi le besoin du nombre. Chez certaines peuplades, on « marque » le temps par des signes distinctifs sur certains des organes du chef de village. Par exemple, le 13e jour du 8e cycle de lune sera marqué par un trait sur l’œil gauche chez certaines tribus. Utiliser le corps humain de manière ordonnée, en voilà une innovation ! Ce processus arithmétique demande l’attribution d’un rang à l’objet, lui permettant d’être une « entité » d’un ensemble et d’introduire une « mémoire » pour créer un ordre. Et le nombre entier devient une collection d’unités abstraites à partir de l’un, c’est le principe de récurrence.

Le Besoin d’une « base » et d’un « zéro »

Ce sont nos dix doigts de la main qui nous en quelque sorte « appris » à compter. Une fois les notions de nombre ordinal (1, 2, 3…) et cardinal (1er, 2e, 3e…) révélés, comment se représenter par des symboles des grands nombres ? Là encore, c’est en voulant compter de grandes quantités que la notion de base fut inventée.

En groupant par paquets de 10, puis de 100, on fabrique la base « 10 ». Elle représente la plus utilisée, la plus répandue et surtout un effort satisfaisant en termes de mémorisation et technique de calcul. Saviez-vous qu’en base « 2 » (faite de 0 et 1), on n’aurait aucun mal à voir que 100110010000 vaut 2 452 en base 10 ?

Pour autant, d’autres bases ont existé : la base 5 en Nouvelles-Hébrides, la base 20 chez les Malinkés en Afrique, les Esquimaux au Groenland et les Mayas en Amérique, la base 12 chez les Sumériens… mais aussi une mystérieuse base 60, connue et utilisée aujourd’hui, pour compter minutes et secondes.

Sumériens et Babyloniens au IIIe millénaire av. J.-C., en seraient à l’origine, comme en témoignent certains vestiges. Les historiens ont avancé que l’intérêt de cette base était purement mathématique : « 60 » est le plus « petit » nombre pouvant être complètement divisé par 2,3,4,5 et 6 ; mais aussi par 10, 15, 20 et 30.

à gauche : le principe de la base « 60 » ; à droite : la tablette Plimpton 322. Wikimedia (modifié), Author provided

Dès 500, dans son traité Āryabhaṭīya, Aryabhata dit du « 0 » : d’une place à l’autre, chacun est dix fois le précédent. C’est Brahmagupta, qui, dans son livre Brāhmasphuṭasiddhānta, comprend le mieux la valeur du 0. Le mot indien désignant le zéro était śūnya (çûnya), qui signifie « vide » : quand zéro est ajouté ou soustrait à un nombre, ce nombre ne change pas. Il découvre aussi les nombres positifs et négatifs en utilisant respectivement les mots sanscrits pour « fortune » et « dette ». Il comprend aussi parfaitement les règles de multiplication : zéro multiplié par n’importe quel nombre donne zéro.

Le « zéro » a ensuite voyagé. Son arrivée en Occident a pour origine l’œuvre colossale des mathématiciens arabes, notamment les travaux d’al-Khwārizmī, vers le VIIIe siècle. C’est son livre sur les nombres indiens qui a fait connaître la numération indienne en occident, par sa traduction latine : le titre latin est Algoritmi de numéro indorum (« Al-Khwarizmi à propos des nombres indiens »), c’est de ce titre latin que vient le mot algorithme. Il reprend le symbole « o » pour le représenter. Les chiffres que nous appelons « arabes » viennent donc d’Inde. Néanmoins, la civilisation arabo-musulmane, par son travail de compilation, synthèse et création, à partir des héritages grecs, chinois et indiens a été un formidable catalyseur, un transmetteur au bénéfice du développement de « méthodes » mathématiques.

Les chiffres « arabes » voyagent d’Espagne en Europe chrétienne aux environs de l’an mille par l’intermédiaire de Gerbert d’Aurillac, devenu plus tard le pape Sylvestre II. À cette époque, on ne retient que les chiffres 1 à 9.

C’est le mathématicien italien Leonardo Fibonacci qui a une influence déterminante dans l’importation du « 0 ». Il reste plusieurs années étudier à l’Université de Béjaïa en Algérie. Il voyage également en Grèce, en Égypte, dans le Proche-Orient et confirme l’avis de Sylvestre II sur les avantages de la numération de position. En 1202, son recueil Liber Abaci, rassemble toutes les connaissances mathématiques de son temps.

Et ensuite, l’histoire des mathématiques est une suite de prise de conscience de cette révolution. Le calcul infinitésimal inventé par Newton et Leibniz traite de grandeurs qui « tendent » vers 0. Eux-mêmes bouleversent leurs disciplines. Pourtant le « 0 » n’a pas plu à tout le monde. Parmi ses détracteurs historiques, on trouve Aristote et avant lui les Pythagoriciens.

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