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Une nouvelle piste pour traiter le cancer du sein et le mélanome cutané

Des participantes à une course pour sensibiliser au cancer du sein. Ramstein Air Base / Flickr, CC BY-SA

Un sein est constitué de petites glandes qui vont sécréter du lait dans la lumière d’un canal collecteur. Pour l’architecture de l’ensemble, les cellules ne doivent proliférer que lorsqu’elles en reçoivent le signal. Ces signaux de croissance peuvent être solubles comme des hormones. Mais il y a aussi de multiples signaux mécaniques qui renseignent les cellules sur leur environnement direct. Les cellules ne doivent pousser que si elles sont bien accrochées à la matrice du tissu, ce qui permet d’éviter que des cellules détachées prolifèrent dans la lumière du canal. De même pour organiser une barrière efficace entre l’intérieur du sein et le canal collecteur, la prolifération d’une cellule va être étroitement contrôlée par ses voisines.

La cellule doit donc intégrer ces différents signaux pour prendre une décision binaire : dois-je commencer un cycle de duplication ou non ? Nous avons trouvé que les cellules de sein répondent à ces différents signaux en induisant des fibres branchées sous la membrane cellulaire. Ces fibres branchées forment un squelette qui est responsable de la forme de la cellule. La cellule ne prend la décision de proliférer que si la production de fibres branchées dépasse un certain seuil. Ce seuil assure que la cellule ne prolifère que si elle a reçu le signal hormonal, si elle est bien accrochée et s’il y a suffisamment de place autour d’elle pour accommoder une cellule supplémentaire dans une structure harmonieuse et fonctionnelle. En fait, toutes les cellules que nous avons testées dépendent strictement de cette quantité de fibres branchées pour proliférer. Sauf les cellules cancéreuses…

C’est logique ! Ce sont précisément ces points de contrôle qui sont perdus lorsqu’une tumeur se développe dans le sein. La cellule tumorale trouve le moyen de s’affranchir de tous les signaux nécessaires à une cellule normale. La cellule tumorale n’a pas besoin de recevoir de signaux de croissance pour proliférer. Elle devient indifférente à son environnement. Elle n’écoute plus les cellules voisines qui lui disent de ne pas proliférer pour le bien de l’architecture globale de la glande. Elle n’a plus besoin d’être accrochée à la structure du tissu pour proliférer. Elle peut donc se retrouver dans la lumière du canal et proliférer jusqu’à l’obstruer. C’est comme ça que se développe une tumeur « in situ », pour le dire plus simplement, une boule mal structurée, qu’on peut bien heureusement retirer chirurgicalement avant qu’elle ne progresse trop.

Malheureusement les cellules tumorales finissent par ensemencer de nouvelles tumeurs à distance de la première qu’on appelle des métastases. Il est impossible de retirer les métastases quand elles se sont implantées dans les poumons, les os, le cerveau… Il n’y a alors plus qu’un traitement médicamenteux qui puisse les atteindre toutes, la chimiothérapie qui a de nombreux effets secondaires. En effet, les chimiothérapies conventionnelles tuent toutes les cellules à renouvellement rapide, en premier lieu les cellules tumorales, mais malheureusement aussi les cellules de l’immunité, la muqueuse intestinale, des follicules pileux, ce qui entraîne un risque accru d’infections, des diarrhées, la perte des cheveux… Il est donc critique d’arrêter ou de tuer les cellules tumorales avant qu’elles ne se mettent à migrer, à envahir le tissu adjacent et à se disséminer dans l’organisme.

Les fibres branchées comme nouvelle cible

Justement la migration cellulaire implique aussi les fibres branchées qui génèrent la force qui propulse les cellules. Les fibres branchées sont donc critiques dès le début et jusqu’aux stades les plus avancés de la progression tumorale. D’ailleurs, les cellules tumorales ont systématiquement des formes altérées, moins adaptées à leur environnement, pour tout dire disgracieuses, à cause des altérations de leur « squelette ».

Sur une cohorte de patientes atteintes de cancer du sein dont nous savions ce qu’elles sont devenues, nous avons trouvé que la survie des patientes en bonne santé, sans métastase, était d’autant plus diminuée que leur tumeur avait trouvé le moyen d’augmenter la production de fibres branchées. Cet aspect pronostique est déjà très important puisqu’il permet de ne prescrire une chimiothérapie conventionnelle qu’aux patientes qui vont vraiment en bénéficier. Malheureusement, il ne permet pas en tant que tel de soigner le cancer, puisque les cellules cancéreuses sont généralement insensibles aux molécules inhibitrices qui bloquent la production de fibres branchées.

Cependant, dans le cas du mélanome cutané, un cancer prompt à métastaser, une mutation présente dans 5 à 10 % des patients active un gène du cancer connu pour induire la production de fibres branchées. Et dans ce cas précis, nous avons observé que le blocage des fibres branchées par un inhibiteur bloquait la prolifération des cellules tumorales. Ce résultat est important parce qu’il n’existait pas de thérapie ciblée pour ce type de patients. Notre travail permet donc de préconiser le blocage des fibres branchées dans certains mélanomes cutanés.

Nos résultats, qui ont levé le voile sur le rôle fondamental des fibres branchées dans le processus tumoral, devraient donc stimuler la mise au point de nouveaux médicaments anticancéreux. Nous prenons nous-mêmes notre part à cette recherche active d’inhibiteurs de fibres branchées grâce à de multiples collaborateurs spécialisés en chimie organique et dans le criblage des petites molécules pouvant potentiellement être utilisées comme médicament. Un point important de notre étude est qu’elle définit précisément la composition de la machinerie qui crée les fibres branchées qui disent à la cellule de proliférer. Un de nos buts est donc d’inhiber spécifiquement celles-ci, mais pas les autres, pour minimiser les effets adverses de la thérapie dans une médecine de précision.

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