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Université à distance : en Afrique, des expériences encourageantes pendant la crise du Covid

L'efficacité des dispositifs d'enseignement à distance réside dans leur caractère hybride. Shutterstock

Les MOOC et autres cours en ligne sont apparus depuis 15 ans comme des réponses techniques presque « miraculeuses » face à la massification de l’enseignement en Afrique, le nombre d’inscrits n’étant plus un facteur limitant dès lors qu’il suffit d’une bonne connexion pour suivre une formation. Les infrastructures universitaires, comme le ratio étudiants/enseignant, peuvent ainsi être – au moins partiellement – découplées des dynamiques de croissance démographique, sans nuire à l’efficacité pédagogique recherchée.

Pourtant, le miracle attendu tardait à se matérialiser de façon extensive, hormis d’intéressantes expériences. Et voici que surgit le confinement planétaire généralisé, obligeant tous les établissements et les acteurs individuels ou collectifs à produire des solutions, souvent basées sur les outils numériques.

En effet, l’institution universitaire dans son ensemble n’a pas renoncé à sa mission pour cause de pandémie. Elle s’est au contraire efforcée de poursuivre ses activités d’enseignement et de recherche, en Afrique comme ailleurs. Pour ce faire, elle a dû substituer au contact immédiat et physique de la relation pédagogique in situ une communication médiatisée par ordinateur (ou autre support non présentiel) dans un espace au moins partiellement numérique. De nombreux témoignages montrent que cela ne fût pas simple.

Capacité d’improvisation

Le défi a pourtant été relevé, bien souvent avec succès. Comment ? Pour le comprendre, nous avons mené une petite enquête auprès de 40 établissements en Algérie, au Maroc et en Tunisie autour de quelques questions ouvertes adressées aux enseignants-chercheurs et doctorants :

  • Avez-vous pu poursuivre les enseignements ?

  • Sous quelles modalités ?

  • Quelles limitations avez-vous rencontrées ?

  • Comment ont réagi vos étudiants ?

  • Quels enseignements en tirer pour le futur ?

On trouve parmi les répondants, autant d’hommes que de femmes ; des seniors et des juniors ; des représentants des sciences exactes, de la nature, des sciences humaines et sociales, de l’ingénierie et du management ; provenant de la capitale, de ses banlieues ou de la province ; d’établissements privés et publics, écoles ou universités.

Rien ne permet de prétendre que leurs réponses soient représentatives d’une majorité des comportements de leur communauté académique. Mais elles sont extrêmement suggestives d’une capacité d’improvisation étonnante, de façon dispersée, presque spontanée.

Tout d’abord, la totalité des personnes affirme avoir poursuivi les enseignements, sous une forme ou sous une autre, malgré le confinement. La plupart d’entre elles relèvent qu’aussi bien les cours magistraux, que les travaux dirigés et même des ateliers pratiques se sont déroulés, dans des conditions adaptées.

Les programmes ont été respectés, dans l’ensemble, même si les examens ont souvent été différés pour pouvoir se tenir en présentiel à l’automne plutôt qu’au printemps. L’encadrement de recherches (master et doctorat) et les soutenances se sont déroulés à distance systématiquement.

Les modalités de cours à distance sont des plus variées et combinent de multiples options :

  • chaînes de télévision, canaux radios, vidéos YouTube, pour la diffusion ;

  • Zoom, Skype, Google Meet, Microsoft Teams, Jitsi, Cisco Webex, pour les cours en mode synchrone avec interactions ;

  • Whatsapp, Facebook, mails ou forums pour les discussions ou échanges différés ;

  • plates-formes Moodle ou ad hoc de l’établissement, pour le dépôt de documents et supports de cours accessibles hors ligne, notamment pour les étudiants de secteurs ruraux dépourvus d’ordinateur permanent ;

  • et même jusqu’à l’envoi dans leurs quartiers ou villages de clés USB parfois…

Chacun jongle avec sa palette d’options mais une organisation collective, ou la préexistence d’infrastructures, facilitent aussi parfois l’adaptation au pied levé : ainsi l’Université Virtuelle de Tunis est mise à profit par ses voisines pour bénéficier de ses plates-formes Moodle et Google classroom.

Des formations accélérées sont dispensées aux enseignants et aux étudiants les deux premières semaines après la fermeture pour se familiariser tant avec des applications standards que spécifiques. Les responsables de départements organisent la diffusion des cours selon les listes administratives dont ils disposent. S’il y a bien une part de créativité et d’initiative des enseignants, l’accompagnement structurel (matériel ou organisationnel) joue aussi un rôle manifeste.

Difficultés rencontrées

Plusieurs limitations sont cependant pointées du doigt. La première, la plus importante car sans cesse mentionnée, semble être les problèmes de débit. Ils sont récurrents au Maghreb et en Afrique quoique de façons diverses. La faiblesse du réseau contraint fortement toutes les communications aux informations denses que supposent les enseignements à distance.

Cependant, les acteurs parviennent à les surmonter en recourant à des options de mitigation, de contournement ou d’adaptation. Les solutions relèvent de la technique, du social ou les deux : hébergement sur des serveurs centraux, enregistrements des cours pour consultation lors de séquences allégées du réseau, versions écrites substituables aux visios, recours au mail en cas de défaillance des plates-formes.

Un deuxième problème est celui du besoin de préparation. Les personnes expriment la nécessité de se former à la pratique pédagogique avec ces outils. L’âge de l’enseignant joue alors un rôle, les jeunes s’avérant plus flexibles que leurs aînés.

La proximité avec les services d’appui technique (informatique universitaire) se révèle alors déterminante. Les réactions divergent entre ceux pour qui cette situation nouvelle est une occasion d’exploration et ceux qui attendent que les solutions institutionnelles soient produites pour les accompagner. La plupart des personnes interrogées expriment pourtant une bienveillante curiosité pour ces nouveautés.

La question sociale est souvent évoquée. Diverses réponses y sont apportées : fourniture d’ordinateurs parfois, recours au téléphone portable et ses applis gratuites, séquences d’accès temporaire à l’informatique… L’absence absolue d’électronique semble en tout cas rédhibitoire. La mobilisation exceptionnelle des opérateurs téléphoniques privés, acceptant de rendre gratuit l’accès aux ressources éducatives pendant le temps du confinement, est souvent soulignée.

Enfin, le lien avec les étudiants est objet de commentaires contrastés. Non sans surprise, l’aisance de la communication est souvent soulignée : la distance régule le dialogue, il suffit de poser les cadres au départ, pour des séances interactives économes. Mais les difficultés sont également relevées : « rien ne remplace le présentiel ; ça manque d’âme ; comment faire aimer les manips, à distance ? » se plaint une jeune biologiste marocaine. « C’est très fatigant. Deux heures face à des étudiants qui n’activent pas leur caméra et dont on ne peut pas voir les réactions… », confie un professeur algérien chevronné.

Satisfaction et défis

Surmonter l’absentéisme et assurer l’égal accès de tous aux cours est une préoccupation exprimée : « Des évaluations sont faites régulièrement par l’école afin de recenser les difficultés rencontrées par les étudiants, qu’elles soient personnelles, techniques ou sanitaires, et ce, afin de trouver des solutions permettant de minimiser les inégalités dues à la fracture numérique et sociale », précise une maîtresse de conférence algérienne. Les enregistrements en « capsules vidéos » sont primordiaux et à défaut le rattrapage des cours pendant l’été est parfois proposé.

Finalement, à partir de cette expérience dans des conditions imposées et exceptionnelles, tous les enseignants considèrent que les formules à distance méritent d’être développées. Certains dressent même un cahier des charges pour leur ministère de tutelle, au vu des besoins identifiés en exercice : augmentation de la bande passante, formation intensive au e-learning, ingéniérie, pédagogique, protection intellectuelle… des aspects fort divers émergent des réflexions émises.

Tous insistent sur la conscience enseignante et la maturité étudiante pour que fonctionne bien la relation de travail à distance. Mais ne seraient-ce pas là des fondamentaux de la relation maître-élève ?

Plusieurs enseignements originaux peuvent être tirés de cette petite enquête. Le premier réside dans le constat rassurant de la faisabilité d’une option numérique extensive : point n’est besoin d’un package technologique intégré, sophistiqué et coûteux. La combinaison de différents outils existants, aux fonctionnalités complémentaires, suffit la plupart du temps. Cette modularité rassurera ceux qui hésitent devant des investissements massifs considérés – à tort, on le sait désormais – comme décisifs.

Le deuxième constat n’est pas moins encourageant pour tous les acteurs universitaires : point n’est besoin de les exclure des options à distance pour les remplacer par d’autres, par exemple les grandes plates-formes spécialisées. Les établissements eux-mêmes ont pris en charge leurs étudiants via de nouvelles formules et les enseignants les ont développées sur le terrain, dans une relation renouvelée.

Enfin, la sempiternelle inquiétude du remplacement des humains par les machines doit être écartée au vu de cette expérience : l’efficacité des dispositifs d’enseignement à distance réside dans leur caractère hybride (blended technology) ; l’intensité de la relation humaine reste au cœur de la réussite pédagogique.

Ce n’est pas la moindre des espérances qui ressort de cette enquête venue d’Afrique du Nord pour le reste du continent : l’expansion de la demande universitaire n’a pas de facteur humain limitant. Celui du numérique potentialise la réponse – sociotechnique – à l’exercice de cette ressource humaine.

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