tag:theconversation.com,2011:/us/topics/andre-malraux-83032/articlesAndré Malraux – The Conversation2020-08-17T17:01:03Ztag:theconversation.com,2011:article/1334862020-08-17T17:01:03Z2020-08-17T17:01:03ZDans les musées, des mouvements sociaux invisibles<p>Après trois mois de fermeture liée à la pandémie de Covid-19, visiteurs et touristes reprennent progressivement les chemins des musées rouverts de façon partielle depuis le 2 juin. Dans le secteur, les déficits causés par la pandémie, parfois considérables, risquent de les affecter durablement. Privés de trois mois de recettes de billetterie et amputés de leurs autres ressources (revenus des concessions, privatisation d’espaces, itinérances d’expositions, édition…) tous les musées constatent une sévère dégradation de <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/04/09/coronavirus-l-economie-des-musees-touchee-de-plein-fouet_6036089_3234.html">leurs résultats financiers</a>.</p>
<p>Si quelques musées et monuments n’ont pas ouvert leurs portes le jour des grèves nationales de janvier 2020 contre la réforme des retraites, comme le musée d’Orsay ou le musée Picasso, d’autres musées sont restés ouverts mais pas à plein régime – seules certaines salles étant fermées. Les raisons de la faible participation des travailleurs de la Culture à la grève contre la réforme des retraites, en dehors de cas emblématiques comme l’Opéra de Paris ou la Comédie-Française, tiennent certes à leur attachement à la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/01/24/la-greve-ne-prend-pas-car-les-musees-ou-les-salles-de-spectacles-sont-attaches-a-ce-que-l-art-continue_6027111_3232.html">continuité du service public artistique</a>.</p>
<p>Elles tiennent aussi, en grande partie, à l’invisibilité de leur mouvement social et au faible nombre de personnels concernés, comparativement au secteur de <a href="https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2006-3-page-53.htm">l’Éducation nationale par exemple</a>. La grève d’un autre service de la Culture que le secteur muséal, comme celui de la musique et la danse, permet d’ailleurs une visibilité bien plus grande et offre un écho accru aux mobilisations, comme en témoigne la grève de janvier 2020 à l’Opéra de Paris.</p>
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<p>Cette invisibilité trouve toutefois son origine dans l’évolution du travail des personnels de ce secteur <a href="http://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100605720">pendant les « Trente Glorieuses »</a>.</p>
<h2>Une politique de « démocratisation culturelle »</h2>
<p>Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, des publics de plus en plus nombreux se mettent à visiter les musées des pays d’Europe. Pour faire face à cette extension des publics, en France et en Grande-Bretagne notamment, deux hommes donnent une impulsion décisive au développement des musées, avec la même volonté politique de répondre aux besoins de nouveaux publics par une action de l’État : l’économiste hétérodoxe et haut fonctionnaire <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Arts_Council_of_Great_Britain">John Maynard Keynes dès 1946</a> et l’écrivain et homme politique gaulliste <a href="https://www.culture.gouv.fr/Nous-connaitre/Decouvrir-le-ministere/Histoire-du-ministere/L-histoire-du-ministere/Creation-du-Ministere">André Malraux à partir de 1958</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/353137/original/file-20200817-16-wzntdx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/353137/original/file-20200817-16-wzntdx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=847&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/353137/original/file-20200817-16-wzntdx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=847&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/353137/original/file-20200817-16-wzntdx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=847&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/353137/original/file-20200817-16-wzntdx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1064&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/353137/original/file-20200817-16-wzntdx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1064&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/353137/original/file-20200817-16-wzntdx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1064&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Reconstitution de la salle dédiée aux peintures espagnoles et italiennes, dans le Palais des Beaux-Arts de Lille, deux ans après la Grande Guerre. Au centre, Émile Théodore (conservateur de 1912 à 1937).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/fd/R%C3%A9accrochage_de_la_salle_IItalie-Espagne_apr%C3%A8s_la_guerre_1914-1918.jpg">Palais des Beaux-Arts de Lille/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Cette politique de « démocratisation culturelle » va-t-elle se traduire par une redéfinition des missions, du nombre des emplois ou de l’organisation du travail ? Qui se chargera en effet de l’accueil de nouveaux publics ? Les gardiens, qui ont la charge de les surveiller, les accueillir et les guider, vont-ils continuer à s’occuper de flux de publics « tout venant » et non éduqués ? Les conservateurs, qui ont le monopole de la réflexion sur le service public muséal, vont-il s’attacher uniquement aux publics instruits et éclairés, sans se préoccuper de diffusion ? La question fait débat chez les acteurs muséaux français et britanniques entre 1946 et 1981.</p>
<h2>Travailler auprès des publics</h2>
<p>Le souci du public devient alors le résultat de rapports de classes. Il existe en effet peu de choses en commun entre, d’une part, les conservateurs et leurs associations qui structurent la profession dans les deux pays et ont le monopole de la réflexion sur les publics et, d’autre part, les gardiens de musée et leurs syndicats, pour lesquels les réorganisations qu’implique la hausse quantitative des publics ne sont pas discutées.</p>
<p>Le secrétariat aux Beaux-Arts, qui ne devient ministère de la Culture qu’à partir de 1959, demande dès les années 1950 aux gardiens de musées français de rendre un service public gratuit et sans pourboire, évalué avec un critère de bon accueil et <a href="https://journals.openedition.org/lectures/24010">renseignement des publics</a>. Les revendications du personnel de gardiennage et de surveillance pour revaloriser leur travail auprès des publics remontent au début du XX<sup>e</sup> siècle, et concernent dans les années 1950 l’obtention d’une formation aux publics et aux œuvres. Ces derniers n’obtiennent toutefois un recrutement par concours qu’en 1971, une perspective de carrière de la catégorie C à B et une formation qu’à partir de 1979.</p>
<p>Au sein des conservateurs du Louvre, le souci du public constitue un discours sur lequel les conservateurs d’État s’opposent aux conservateurs territoriaux pour défendre la position de la haute culture contre l’animation et la diffusion.</p>
<p>L’introduction du public au musée contribue de fait à modifier les pratiques de travail au musée mais sans reconfigurer les emplois. Et pour cause : l’explication des œuvres au public et la pédagogie sont déléguées à des bénévoles, toutes des femmes à cette période. L’accompagnement des publics est dûment inscrit dans le budget de la direction des musées de France sous la forme d’intitulés divers, tels que « bénévole à temps partiel », « bénévole à temps plein » voire même paradoxalement de « bénévole rémunéré ». L’existence de ces bénévoles prenant en charge le public et la pédagogie des œuvres explique en grande partie qu’on ne transforme pas les emplois titulaires <a href="https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2012-2-page-62.htm">au contact avec les visiteurs</a>.</p>
<h2>Ce que les publics font au service public</h2>
<p>Le rapport aux publics n’est pas pensé de la même manière en France et en Grande-Bretagne, d’où l’intérêt de comparer les deux pays. Alors que les Britanniques sont centrés sur l’éducation du public, les Français sont plus tournés vers la technique, l’excellence scientifique et l’explication des collections à un public éclairé et éduqué. Alors que la gratuité des musées est la règle en Grande-Bretagne jusqu’aux années 1970, la France considère le public des musées comme solvable, le premier dispositif de gratuité ne datant que de 1983. La France multiplie les <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2010-1-page-199.htm">études sur les publics des musées</a>, alors qu’en Grande-Bretagne aucune étude similaire ne voit le jour.</p>
<p>En outre, la notion de service public n’est pas inscrite dans le droit britannique. Après la Seconde Guerre mondiale, la théorie administrative reconnaît toutefois l’existence de cette notion dans certaines circonstances pour l’équilibre entre la demande du public et la nature du service fourni. Au contraire, en France, c’est l’État et les hauts fonctionnaires qui ont défini, depuis le début du XX<sup>e</sup> siècle, les grands principes du service public.</p>
<p>Le service est fourni par des agents aux statuts de nature juridique distincte, fonctionnaires en France, contractuels en Grande-Bretagne. Le statut général des fonctionnaires français est fondé sur un classement des postes, associant les postes de travail à un niveau de diplôme, d’emploi et de concours, alors que la logique contractuelle britannique classe des individus, la tâche et la spécialisation définissant le statut d’emploi.</p>
<p>Le rapport des personnels du Louvre et du British Museum au service public est pourtant plus proche qu’il n’y parait. Le souci des publics des musées n’est pas réservé aux personnels du Louvre : on trouve bien au British Museum une éthique du service public en pratique. Les procès-verbaux des organes de discussion entre l’administration et les syndicats, les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Henry_Whitley">conseils Whitney</a>, en témoignent abondamment. Ainsi, le service public inscrit dans le droit français n’a pas donné lieu à un service au public gratuit au Louvre, alors que le British Museum <a href="https://www.cairn.info/la-gratuite-des-musees-et-des-monuments--9782110063304-page-19.htm">l’a mis en place</a> sous forme de négociation sans l’énoncer dans le droit.</p>
<p>Le principe d’égalité devant le service public qui structurait en profondeur les pratiques et représentations du travail dans ce secteur a évidemment connu à partir des années 1980 des changements importants, même s’il est toujours présent. Les publics, par définition non captifs, sont devenus des « consommateurs » dont les musées cherchent à attirer les audiences. L’orientation commerciale, l’informatisation des collections, la sous-traitance de certaines activités de gardiennage modifient profondément la donne. D’autant que dans les deux pays, les instances élues – <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Commission_administrative_paritaire">commissions administratives paritaires</a> et conseils Whitley – ont perdu le rôle politique qu’elles jouaient à la Libération.</p>
<p>C’est bien pendant les « Trente Glorieuses » que l’État manque l’occasion de réorganiser le travail au plus près du public dans musées. Il a légué aux groupes professionnels et à la logique économique développée à partir de 1981 le soin d’y réorganiser le travail sans son intervention. Les années 1946-1981 constituent ainsi une période importante pour mieux comprendre leurs représentations actuelles de la continuité du service public culturel autant que l’invisibilité du mouvement social des travailleurs des musées, en France comme en Grande-Bretagne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/133486/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Odile Join-Lambert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur l’évolution du travail des personnels des musées pendant les « Trente Glorieuses » pour éclairer la situation actuelle.Odile Join-Lambert, Professeure de sociologie et d’histoire, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1284152020-02-24T17:03:29Z2020-02-24T17:03:29ZDébat : Trois idées (fausses) à l’origine des politiques culturelles françaises<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/316474/original/file-20200220-92558-knhotv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C0%2C2029%2C1367&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">André Malraux.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/home_of_chaos/15754565551">Flickr / la demeure du chaos, Thierry Ehrmann. </a></span></figcaption></figure><p>Dans le panorama actuel des politiques culturelles, la notion récente de droits culturels vient interroger l’ancien vocable de la démocratisation culturelle.</p>
<p>Si la notion est inscrite dans le droit international depuis 1948 (Unesco, Nations-Unies), c’est en 2007, dans la déclaration de Fribourg, qu’elle est affirmée et apparaît comme une nouvelle ressource pour les politiques culturelles.</p>
<blockquote>
<p>« Article 5 de la déclaration de Fribourg sur les droits culturels (accès et participation à la vie culturelle)</p>
<p>a. Toute personne, aussi bien seule qu’en commun, a le droit d’accéder et de participer librement, sans considération de frontières, à la vie culturelle à travers les activités de son choix.</p>
<p>b. Ce droit comprend notamment : la liberté d’exercer, en accord avec les droits reconnus dans la présente Déclaration, ses propres pratiques culturelles et de poursuivre un mode de vie associé à la valorisation de ses ressources culturelles, notamment dans le domaine de l’utilisation, de la production et de la diffusion de biens et de services. »</p>
</blockquote>
<p>Les droits culturels consistent notamment en un élargissement de la définition de la culture à des aspects moins artistiques, au-delà du triptyque lettres, arts et patrimoines. Ils rendent possible la reconnaissance de pratiques plus quotidiennes, parfois très localisées, liées à des milieux sociaux restreints, des pratiques définies ou vécues comme culturelles par ceux qui les pratiquent et non par des experts ou des professionnels de l’art.</p>
<p>Les défenseurs de cette notion sont assez prompts à y voir, en France, une solution à l’échec de la démocratisation depuis 1959. D’autres, majoritaires, ne la connaissent pas, ne la comprennent pas vraiment, ou n’y voient qu’un avatar supplémentaire des politiques publiques. Pour considérer le potentiel de ce nouveau concept, peut-être faut-il s’arrêter ici sur des aspects des politiques culturelles et leurs effets sociaux rarement pris en compte.</p>
<p>Apporter la culture aux populations est ainsi depuis 1959 le fondement de la politique culturelle française, fondement qui s’est coulé dans le concept de démocratisation culturelle. Pour le dire avec les mots d’André Malraux dans son discours fondateur du Ministère de la Culture cette même année 1959, il s’agit <a href="https://www.culture.gouv.fr/Le-ministere-de-la-Culture-a-60-ans/60ans60dates#/Thursday-23-July-1959-Creation-du-ministere-de-la-Culture">« de rendre accessible au plus grand nombre les œuvres capitales de l’humanité »</a>.</p>
<p>Pour les porteurs de cette politique, élus, professionnels de la culture, certains artistes eux-mêmes, ce fondement s’appuie sur une évidence implicite qui n’est jamais interrogée, mais dont la véracité est douteuse. L’idée qu’une partie de la population française, surtout les milieux sociaux les plus modestes, n’auraient pas accès à la culture.</p>
<h2>« Les populations n’ont pas accès à la culture »</h2>
<p>Cette idée directrice de la politique culturelle pourrait paraître exacte si l’on s’en tenait à la définition restrictive de la culture qui la sous-tend. Lorsqu’en France il est question de culture, il est surtout fait référence à des formes culturelles que l’on appelle « œuvres », qui ont été labellisées comme telles et intégrées à l’histoire de l’art, ou sont en passe de l’être. Il s’agit plus d’art que de culture.</p>
<p>Cependant, il est une autre manière radicalement différente de définir la culture, non pas à partir des objets qu’elle produit, mais à partir de l’expérience qu’elle procure. Parmi l’ensemble des pratiques sociales, la <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/L-art-comme-experience">culture peut être identifiée dans une perspective pragmatiste, à partir de l’expérience esthétique qui la caractérise</a>. La culture est alors un ensemble de pratiques à même de procurer cette expérience esthétique, elle-même caractérisée par la mobilisation de notions et de sentiments, comme le beau, le sensuel, l’émotionnel.</p>
<p>À l’analyse, si cette expérience ne diffère pas en « nature », elle diffère par les moyens et les dispositifs que chaque milieu social se donne pour y parvenir. Et chaque milieu de définir et de faire évoluer, ce qui, pour lui correspond à la culture.</p>
<p>Dès lors, si l’on reconsidère la question de l’accès à la culture, celle-ci apparaît bien moins misérabiliste qu’à l’accoutumée. En effet, depuis plus de trente ans que je fréquente les milieux sociaux les plus divers, des plus pauvres aux plus aisés, ruraux, urbains, péri-urbains, différenciés également selon des variables d’âge, d’ethnie, de genre, je n’en ai jamais rencontré qui ne construisent leurs propres pratiques culturelles, et donc, leurs propres expériences esthétiques.</p>
<p>Bien sûr, les jugements de classe sont assez spontanés et on a tôt fait de mépriser l’expérience esthétique des autres, surtout si elle s’éloigne de l’histoire de l’art. Mais si la culture est définie ici par l’expérience esthétique qu’elle procure, ses usages sociaux s’éloignent aisément d’un bon usage inhérent aux politiques culturelles. Et si Malraux <a href="https://malraux.org/d1964-04-18-malraux-bourges/">préconisait en 1964</a> une politique culturelle austère en déclarant, que <a href="https://www.espacestemps.net/en/articles/politique-culturelle-malraux/">« si la culture existe ce n’est pas du tout pour que les gens s’amusent »</a>, nos concitoyens ont eux des usages sociaux de la culture divers et surtout joyeux, hédonistes.</p>
<h2>« Il existe des formes artistiques universelles »</h2>
<p>Par ailleurs, lorsque Malraux parlait « des œuvres majeures de l’humanité » dans son discours de 1959, il donnait une perspective universaliste à la politique qu’il plébiscitait. La version élitiste de la culture du Ministère, bien que restrictive, se présente toujours comme étant de portée universelle, autre manière d’argument pour autojustifier sa pertinence et l’intérêt d’y investir des sommes massives.</p>
<p>Or, on peut aisément douter de la portée universelle d’œuvres essentiellement occidentales, seraient-elles le fait de Molière, Mozart ou Da Vinci. Les œuvres majeures de l’humanité ne sont pas plus universelles que d’autres. Il suffit pour le prouver d’appréhender en situation leur inefficience à provoquer la moindre émotion pour la majorité des milieux sociaux <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1990_num_31_1_1086">au sein de nos sociétés occidentales</a>.</p>
<p>Ce que provoquent de manière majoritaire ces « œuvres majeures de l’humanité » pour de nombreux publics, c’est de l’évitement, parfois du rejet, le plus souvent de l’indifférence, <a href="https://www.cairn.info/revue-nectart-2019-1-page-118.htm">rarement du partage ou de l’envie</a>. Les professionnels rétorqueront que c’est une question d’éducation, qu’il faut la commencer plus tôt à l’école ; que ces formes artistiques sont pour tous, puisqu’elles sont estampillées universelles. Négation de la culture d’autrui qui se cristallise dans la figure généralisée d’un individu passif devant son écran de télé et, aujourd’hui, d’ordinateur. Mais nos concitoyens, parfois rétifs, souvent créatifs, seront toujours à même de construire des tactiques et des ruses pour conserver voire développer leurs propres pratiques culturelles, ignorants les œuvres décrétées comme majeures et bénéfiques pour eux.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-pratiques-culturelles-populaires-bien-vivantes-mais-invisibles-68888">Les pratiques culturelles « populaires », bien vivantes mais invisibles</a>
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<h2>« La culture crée du lien social »</h2>
<p>Enfin, il faudra nuancer une autre affirmation récurrente inhérente aux politiques culturelles : le fait que la culture crée du lien social. Si l’on considère <a href="https://www.cairn.info/revue-sociologie-2017-4-page-369.htm">l’indexation de toute pratique culturelle sur un milieu social</a>, le fait qu’il n’existe pas de formes esthétiques universelles, on peut s’interroger sur ce fameux lien social. En effet, les pratiques culturelles renvoient toujours à des questions identitaires, d’appartenances sociales et de valeurs. Dire ce que je suis, ce que je pense, à travers un objet esthétique quel qu’il soit, c’est générer potentiellement l’adhésion autant que le conflit, parfois la haine. Si lien social il y a, il peut être positif comme conflictuel, selon différentes intensités.</p>
<p>Nous sommes à nouveau à l’opposé de l’idéologie culturelle de Malraux, pour qui le Ministère de la Culture relevait également d’un projet nationaliste républicain de cohésion nationale. En l’occurrence, une fois encore, nos concitoyens ne sont pas dupes, et il y a dans le rejet actuel du politique, lisible dans le vote extrémiste, l’abstention ou les récents mouvements sociaux, un sentiment de domination et d’impuissance qui concerne aussi les politiques culturelles.</p>
<p>Ceux que l’on appelle les « professionnels de la culture » ont l’impression (sincère) de représenter l’intérêt culturel des populations, ce qui n’est pas le cas. Malgré les récentes avancées sur la notion de « droit culturel », les expériences esthétiques imposées à la population avec l’argent de tous, restent celles d’une minorité. Les tentatives de redéfinition des équipements culturels à travers, par exemple, la notion fourre tout de tiers-lieux, sont <a href="https://www.culture.gouv.fr/Presse/Dossiers-de-presse/Budget-2020-du-ministere-de-la-Culture">sous financées par rapport aux grands équipements et au patrimoine</a>. Et les programmations des institutions culturelles publiques, quand bien même se voudraient-elles plus ouvertes, restent socialement très marquées, il n’est qu’à constater le <a href="https://www.lagarance.com/IMG/pdf/enquete.pdf">profil des publics abonnés</a>.</p>
<h2>Droits culturels et élargissement des politiques publiques</h2>
<p>Il ne s’agit pas de remettre en cause le soutien à des formes artistiques non rentables ou déficitaires, au contraire, nous sommes bien là dans les missions légitimes du service public. Néanmoins, eu égard à la notion de droits culturels et des limites pointées ici, il s’agit d’inviter à recalibrer ce soutien pour permettre le développement de formes culturelles plus contemporaines, dans une perspective qui ne soit pas strictement artistique. Il s’agit de tenir compte des demandes des populations dans leur diversité, quand bien même ces demandes procéderaient majoritairement d’un besoin de divertissement et de plaisir, sans en exclure pour autant les enjeux esthétiques, mais également économiques, politiques et sociaux.</p>
<p>Les festivals estivaux ou les évènements dans l’espace public portés principalement par les collectivités territoriales, représentent souvent une tentative de réponse à ce type de demandes culturelles et relèvent bien d’une politique de droits culturels. Cependant, leur dimension démocratique est un trompe-l’œil <a href="https://www.cairn.info/revue-l-observatoire-2010-2-page-93.htm">comme le montre l’homogénéité de leurs publics</a>. Par ailleurs, ils relèvent du bon vouloir des collectivités territoriales, la majeure partie des financements publics étatiques restant consacrés aux formes artistiques classiques et notamment aux équipements (scènes nationales, musées, écoles d’art), très peu ouverts à la diversité culturelle réelle.</p>
<blockquote>
<p>« Le sociologue légitimiste croit que les classes populaires sont muettes parce qu’il ne sait pas qu’il est sourd ; c’est sur leur silence supposé qu’il entame son lamento misérabiliste. » (Claude Grignon, <a href="https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_1991_num_4_13_1435">« Un savant et le populaire »</a>, Politix, n° 13, 1991)</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/128415/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Raffin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>« Apporter la culture aux populations » : tel est le fondement de la politique culturelle française depuis Malraux. Une idée qui s’appuie sur un présupposé critiquable.Fabrice Raffin, Maître de Conférence à l'Université de Picardie Jules Verne et chercheur au laboratoire Habiter le Monde, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1256122020-02-03T20:19:59Z2020-02-03T20:19:59ZDes technologies de pointe au service de l’archéologie sous-marine<p>Qui croirait que la raréfaction du poisson constitue une menace pour les quelque trois millions d’épaves parsemant le fond des mers du monde ? C’est pourtant la pêche industrielle au chalut, pratiquée souvent à plus de 1 000 mètres de profondeur et désormais <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20161208IPR55152/peche-en-eaux-profondes-limitee-a-800m-de-profondeur-dans-l-atlantique-nord-est">partiellement limitée à 800 mètres en Europe</a>, qui constitue l’une des principales menaces pour le patrimoine immergé des abysses. En quelques secondes, un site plurimillénaire peut être bouleversé, voire anéanti, alors qu’il a été jusqu’à présent remarquablement préservé, notamment par l’obscurité et la basse température, loin des violents courants de marée ou encore des phénomènes météorologiques de surface.</p>
<p>L’état de conservation remarquable des épaves profondes leur confère un intérêt archéologique majeur, mais suscite aussi, hélas, l’intérêt de quelques sociétés privées de <a href="https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000105111_fre">« chasse aux trésors »</a>, qui récupèrent les cargaisons pour les revendre, sans souci d’étude archéologique et souvent en violation de la <a href="http://www.unesco.org/new/fr/culture/themes/underwater-cultural-heritage/2001-convention/">Convention de 2001</a> de l’Unesco sur la protection du patrimoine culturel subaquatique.</p>
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<span class="caption">Amphores d’une épave antique, par 450 mètres de fond, au large de la Corse.</span>
<span class="attribution"><span class="source">F. Osada/DRASSM</span></span>
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</figure>
<h2>Préserver le patrimoine immergé</h2>
<p>Face à ces menaces, les états doivent urgemment localiser et expertiser leur patrimoine culturel immergé afin d’en préserver la valeur scientifique et culturelle inestimable. Depuis quelques années, les services d’archéologie sous-marine de nombreux pays ont ainsi entamé la conquête des abysses.</p>
<p>La France, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/08/11/la-france-deuxieme-empire-maritime-mondial_5498495_3210.html">deuxième plus grand espace maritime mondial</a>, possède dans cette course une position particulière. Dès 1966, André Malraux, alors ministre de la Culture, crée le <a href="http://archeologie.culture.fr/archeo-sous-marine/fr">DRASSM</a>, le Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines. Depuis plus de 50 ans, les archéologues sous-marins français ont forgé leur expertise et leur savoir-faire, aujourd’hui mondialement reconnus. Jusqu’à une date récente, l’essentiel des campagnes archéologiques était limité à la plongée humaine, avec quelques incursions occasionnelles plus profondes en marge d’opérations océanographiques (<a href="https://wwz.ifremer.fr/grands_fonds/Les-moyens/Les-engins/Les-robots/Robots-Ifremer">Ifremer</a>) ou industrielles (<a href="https://comex.fr/marine/">Comex</a>, notamment).</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/308338/original/file-20200101-11904-5ajml2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/308338/original/file-20200101-11904-5ajml2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/308338/original/file-20200101-11904-5ajml2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/308338/original/file-20200101-11904-5ajml2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/308338/original/file-20200101-11904-5ajml2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/308338/original/file-20200101-11904-5ajml2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/308338/original/file-20200101-11904-5ajml2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/308338/original/file-20200101-11904-5ajml2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’André Malraux, navire de recherche du DRASSM, au quai à Brest en juin 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">DRASSM, 2019</span></span>
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</figure>
<p>Depuis les années 2010, compte-tenu de l’urgence associée à la protection du patrimoine profond, l’archéologue sous-marin Michel L’Hour, Directeur du DRASSM, a lancé un ambitieux programme de développement de moyens innovants dédiés à l’archéologie des grands fonds. La première phase a consisté à concevoir un navire adapté certes à la fouille archéologique humaine, entre 5 et 50 mètres de profondeur, mais aussi au déploiement de robots pour expertiser les épaves jusqu’à plus de 1000 mètres de fond. Ce navire de 36 mètres a été lancé en 2012 et porte légitimement le nom d’<a href="https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Archeologie/Archeologie-sous-les-eaux/Historique-du-service/L-Andre-Malraux"><em>André Malraux</em></a>.</p>
<h2>La détection des épaves</h2>
<p>Pour la détection des épaves, les ondes électromagnétiques ne pénétrant quasiment pas dans la mer, la plupart des technologies reposent sur l’utilisation d’ondes acoustiques. C’est le cas, par exemple, du sonar latéral (<em>sidescan sonar</em>), une antenne acoustique tractée à quelques mètres de distance du fond marin. Elle permet de cartographier ce dernier et de détecter des anomalies du relief. Lorsqu’on souhaite cartographier au-delà de 300 ou 400 mètres de profondeur, le sonar latéral est installé sur un robot autonome appelé AUV (Autonomous Underwater Vehicle). Au sonar latéral on associe souvent un magnétomètre qui permet de détecter les anomalies magnétiques, possiblement engendrées par les masses métalliques d’une épave.</p>
<figure class="align-center ">
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<figcaption>
<span class="caption">Image sonar d’une épave gisant sur un fond sablonneux en Bretagne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">DRASSM</span></span>
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</figure>
<p>Ces opérations, dites de « survey », sont accomplies soit dans le cadre d’opérations archéologiques préventives (par exemple préalablement à la pose d’un câble sous-marin), soit dans le cadre de la recherche d’épaves spécifiques. Ainsi, les épaves de la <em>Cordelière</em> et du <em>Regent</em>, qui gisent à l’ouvert du goulet de Brest depuis 1512, font l’objet actuellement d’une vaste <a href="https://www.lacordeliere.bzh/histoire/">campagne de recherche</a>. Pour ce type d’épaves, clairement identifiées, les zones de prospection sont restreintes par une étude minutieuse des archives (récits de témoins ou de rescapés, archives météorologiques, étude des courants marins, morphogéologie, cartes marines anciennes, journaux d’époque…), mais aussi par l’analyse des données océanographiques, telles que les courants, les marées ou les vents dominants.</p>
<h2>La phase d’expertise</h2>
<p>Au « survey » succède l’inspection, qui permet de déterminer visuellement si les anomalies magnétiques ou acoustiques correspondent à des épaves. Au-delà des limites de la plongée humaine, cette inspection est, le plus souvent, accomplie par un robot téléopéré, un ROV (<em>remotely operated vehicle</em>). Grâce à son ombilical, le câble qui le relie à la surface, le ROV transfère en direct ses vidéos au pilote qui se trouve à bord du navire stationné au-dessus de l’épave.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/308340/original/file-20200101-11891-h45nse.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/308340/original/file-20200101-11891-h45nse.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/308340/original/file-20200101-11891-h45nse.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/308340/original/file-20200101-11891-h45nse.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/308340/original/file-20200101-11891-h45nse.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/308340/original/file-20200101-11891-h45nse.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/308340/original/file-20200101-11891-h45nse.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le ROV <em>Perseo</em> inspecte une épave profonde au large d’Aléria (Corse).</span>
<span class="attribution"><span class="source">F. Osada/DRASSM</span></span>
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</figure>
<p>Si le site est intéressant, des centaines, voire des milliers de photos sont prises pour construire, a posteriori, un modèle 3D de l’épave. Cette technique, la photogrammétrie, est désormais parfaitement maîtrisée. Elle est utilisée aussi bien avec un appareil photo reflex (<a href="https://wwz.ifremer.fr/mediterranee_eng/l-actu-Ifremer-Mediterranee/Une-Tour-Eiffel-a-1700-metres-de-profondeur-en-3D">Ifremer</a>, <a href="http://ipsofacto.coop/pole-3d/">ipso facto</a>), qu’en couplant plusieurs caméras numériques (<a href="https://comex.fr/orus-3d/">Comex</a>). Les modèles sont ensuite exploités scientifiquement, ou livrés au grand public pour des visites en réalité virtuelle, comme le DRASSM l’a fait pour l’épave de la Lune ou pour celle du cuirassé <a href="http://ipsofacto.coop/wp-content/uploads/2017/01/JT-TF1-16-12-2017_Danton.mp4"><em>Danton</em></a>, qui repose depuis 1917 par 1025 mètres de profondeur.</p>
<p>En 2019, l’<a href="https://www.onera.fr/fr/dtis">Onera</a> (Office national d’etudes et de recherches aérospatiales), le <a href="https://www.lirmm.fr/">LIRMM</a> (Laboratoire d’Informatique de robotique et de microélectronique de Montpellier) et le DRASSM ont conçu un nouveau système mono-caméra, de la taille d’une bouteille d’eau minérale, capable de produire un modèle 3D en temps-réel, tout en calculant précisément la position du robot. Cette technologie facilite le pilotage et accélère l’interprétation des sites visités.</p>
<h2>Prélever sans casser</h2>
<p>Lors de l’expertise d’une épave, il est parfois nécessaire de prélever des échantillons. Les ROVs existants ont été développés principalement pour l’industrie pétrolière et sont inadaptés au travail archéologique. La lenteur et la faible dextérité de leurs bras manipulateurs hydrauliques contraignent les pilotes à poser les robots sur le fond, donc sur l’épave elle-même. Les pinces hydrauliques des bras sont en outre très souvent incompatibles avec la fragilité et la forme des objets archéologiques les plus délicats (verre, bois, cuir, cordages, tissus…). Pour ces raisons, depuis 2012, le DRASSM a entamé le développement d’outils robotiques spécialisés, avec le soutien du LIRMM.</p>
<h2>Un chantier laboratoire à 91 mètres de profondeur</h2>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/313161/original/file-20200201-41541-19jlwrf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/313161/original/file-20200201-41541-19jlwrf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/313161/original/file-20200201-41541-19jlwrf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/313161/original/file-20200201-41541-19jlwrf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/313161/original/file-20200201-41541-19jlwrf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/313161/original/file-20200201-41541-19jlwrf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/313161/original/file-20200201-41541-19jlwrf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">De gauche à droite, la Lune, la Reine et le Jupiter, dessin attribué à Pierre Puget, vers 1654 : « Représentation de quelques vaisseaux avec les marques de leur dignité ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Louvre : département des arts graphiques : inv 32594</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La plupart des tests de ce programme sont menés près de Toulon, sur l’épave mythique de la <a href="https://mediathequedelamer.com/wp-content/uploads/archeologie-des-abysses.pdf"><em>Lune</em></a>, à 91 mètres de profondeur. Ce navire de Louis XIV, dont le <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-marche-des-sciences/lepave-de-la-lune">naufrage date de 1664</a>, réunit la plupart des contraintes rencontrées sur les épaves profondes et permet d’expérimenter les nouveaux outils robotiques, après leur validation en laboratoire.</p>
<p>Ainsi, en <a href="https://lejournal.cnrs.fr/diaporamas/un-robot-archeologue-pour-explorer-les-epaves">2014</a>, des prélèvements archéologiques ont été accomplis au moyen d’une main robotisée, conçue par la société <a href="http://www.technoconcept.be/index.html">Techno Concept</a> (Loupian, Hérault), puis d’une griffe.</p>
<p>Grâce à un algorithme de pilotage assisté par ordinateur, développé au LIRMM, le robot porteur atteint une précision horizontale et verticale de l’ordre de 1 à 2 cm, ce qui permet de s’affranchir des bras manipulateurs et de travailler « à la volée », sans toucher le fond. C’est en effet directement le robot qui pivote et se déplace pour amener en douceur la griffe ou la main sur l’objet à prélever. L’absence de bras diminue considérablement la taille des robots, ce qui leur permet d’accéder plus facilement aux zones exiguës ou complexes des épaves.</p>
<figure class="align-center ">
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<figcaption>
<span class="caption">Le ROV <em>Speedy</em> et la main Techno Concept saisissant un objet du XVIIᵉ siècle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">F. Osada, T. Seguin/DRASSM</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Forts de ces premiers résultats, les archéologues français ont élargi leurs collaborations. Ainsi, en 2016, l’humanoïde sous-marin <a href="https://cs.stanford.edu/group/manips/ocean-one.html"><em>Ocean One</em></a>, entièrement développé par l’équipe du Professeur <a href="http://khatib.stanford.edu/">Oussama Khatib</a> de l’Université Stanford, a effectué sa première plongée sur l’épave de la <em>Lune</em>, accompagné par le DRASSM et le LIRMM. Le robot dispose de deux bras inédits, actionnés rapidement et précisément par des moteurs électriques et équipés de capteurs d’effort. Les efforts sont restitués grâce à des interfaces haptiques, sortes de joysticks motorisés permettant de piloter le robot en translation et en rotation, similaires à ceux utilisés pour la commande des robots chirurgiens. </p>
<p>Toujours dans le domaine de la manipulation, cette fois dans le cadre du projet <a href="http://anr-seahand.prd.fr/revues/">ANR SeaHand</a>, l’<a href="https://www.pprime.fr/">Institut PPrime</a> a finalisé, début 2020, une main robotisée spécifiquement conçue pour l’archéologie sous-marine. Mesurant les efforts perçus par chaque doigt, la main SeaHand ouvre la voie à la fouille « au toucher » dans les environnements turbides. C’était impensable il y a seulement quelques années.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Zx-uS2zw_z8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Toutes ces avancées comblent une grande partie des besoins de l’archéologie profonde, mais il reste beaucoup de défis à relever, tels le dégagement délicat de gros volumes de sédiments lors d’une fouille méthodique ou encore l’analyse automatique des grandes quantités de données générées lors des opérations de survey.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125612/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Creuze collabore avec le DRASSM depuis 2013.</span></em></p>Pour localiser et expertiser leur patrimoine culturel immergé, les scientifiques ont recours à des technologies de plus en plus sophistiquées, combinant précision maximale et préservation des épaves.Vincent Creuze, Maître de Conférences en robotique sous-marine, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1263782019-11-20T22:40:05Z2019-11-20T22:40:05ZUn selfie avec la #Joconde : pas si superficiel !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/302636/original/file-20191120-515-1dvvcm2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C250%2C1914%2C1026&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La star du Louvre. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/da-vinci-mus%C3%A9e-du-louvre-mona-lisa-863125/">Pixabay</a>, <a class="license" href="http://artlibre.org/licence/lal/en">FAL</a></span></figcaption></figure><p>C’est un long cortège qui se déploie en un piétinement rituel, celui du public venu en masse au Musée du Louvre ce jeudi 14 novembre 2019 pour admirer les œuvres de Leonardo Da Vinci. Les visiteurs doivent patienter bien plus d’une demi-heure avant d’accéder, non pas aux salles d’exposition, mais à un labyrinthe de poteaux à sangles installés là pour guider la foule, la ramasser sur elle-même, la contenir. Le serpentin du public est ici retenu par un ouvreur qui gère le flux continu. Enfin, il nous laisse accéder au Saint des Saints, en fonction du nombre de sortants. Et la procession de reprendre sur le parquet usé et sonore des salles bondées, dans les crissements de pas. C’est à la queue leu leu que le public se presse devant les œuvres. Je compte : un, deux, trois, quatre secondes et au suivant.</p>
<p>En 2018, 10 millions de visiteurs se sont rendus au Louvre, 6 millions à la National Gallery de Londres et 4 millions à l’Ermitage de Saint-Pétersbourg. Le tourisme de masse alimente une culture de masse et réciproquement, dans la mesure où le flot de touristes s’appuie bien souvent sur des expositions temporaires mises en scènes sous forme événementielle. « Produit d’appel » pour les institutions culturelles, ces expositions sont également un enjeu pour des villes ou des collectivités dans une concurrence féroce entre elles, selon une dynamique communicationnelle propre au musée du XXI<sup>e</sup> siècle <a href="http://doc.ocim.fr/LO/LO049/LO.49(2)-pp.09-14.pdf">comme le pointait Daniel Jacobi</a> il y a déjà 20 ans.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"629939825127358464"}"></div></p>
<h2>Le musée est-il une expérience esthétique ?</h2>
<p>Si, à la suite de nos précédents articles, nous définissons la <a href="http://www.revue-proteus.com/articles/Proteus14-3.pdf">culture par l’expérience esthétique qu’elle procure</a> (et non par les œuvres auxquelles le public accède), à bien observer ces expositions de masse, les conditions et l’attitude du public devant les œuvres, on pourra se demander ce qui leur reste de culturel. <a href="https://www.louvre.fr/sites/default/files/medias/medias_fichiers/fichiers/pdf/louvre-rapport-d-activites-2018.pdf">À lire les statistiques</a>, en 2018, 98 % des visiteurs sont satisfaits d’être venus au Louvre !</p>
<p>Cependant, quand on est dans les salles d’expositions on éprouve des doutes. Comment parler d’expérience esthétique lorsque les études très nombreuses chronomètrent le temps passé devant les œuvres <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2013/04/12/infographie-le-google-art-project_n_3070720.html">oscille entre 4 et 20 secondes maximum ?</a>.</p>
<p>Encore faut-il ajouter à cette rapidité la <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/pr/1999-v27-n2-pr2780/030563ar.pdf">pression imposée à celui qui regarde</a> dans la densité extrême du piétinement le long des cimaises. Comment pourrait se jouer en si peu de temps ce que J.C. Passeron nommait le pacte de réception iconique, lorsque celui qu’il appelait le visionneur ne fait que <a href="https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages1-2017-1-page-15.htm">zapper dans la mobilité, d’un tableau à l’autre</a>, d’une sculpture à une installation ? À bien observer les visiteurs, rares sont ceux qui s’arrêtent devant les cartels, encore moins nombreux ceux qui les lisent entièrement, quant aux visites guidées elles sont le fait d’une minorité. « C’est vrai, me dit un visiteur, qu’en dehors des tableaux connus, dans les salles, on ne sait pas trop quoi regarder, ils se ressemblent tous ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/302660/original/file-20191120-524-17x3kff.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/302660/original/file-20191120-524-17x3kff.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/302660/original/file-20191120-524-17x3kff.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/302660/original/file-20191120-524-17x3kff.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/302660/original/file-20191120-524-17x3kff.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/302660/original/file-20191120-524-17x3kff.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/302660/original/file-20191120-524-17x3kff.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La foule se presse à la boutique de souvenirs de l’exposition Da Vinci.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fabrice Raffin</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<h2>Dos au tableau</h2>
<p>Peut-on encore parler d’expérience esthétique pour ces visiteurs à l’attitude apparemment désinvolte, téléphone en main, qui regardent à peine le tableau, qui souvent se tournent immédiatement pour se prendre en photo en selfie ? Peut-on apprécier quoi que ce soit en tournant le dos aux œuvres ? Que signifie dès lors pour cette partie des publics l’enjeu de leur présence au musée ? Pour échapper au jugement conventionnel des amateurs d’art, peut-être pourra-t-on suivre la réflexion d’André Gunthert, se référant à Michel de Certeau, pour qui cette attitude est le contraire de ce qu’elle paraît.</p>
<p>Pour lui, par le selfie, une part du public se réapproprie son expérience du musée, s’inclut dans le cadre. Plus qu’une marque de défiance, le selfie serait une marque de respect envers les œuvres. L’auteur devient alors, via les réseaux sociaux, diffuseur d’une culture dans laquelle il s’inclut, à même d’entretenir le mythe d’un artiste ou d’une œuvre. En une même référence à Michel de Certeau, on pourra analyser que les contrevenants aux règles de la bonne réception des œuvres défient l’ordre institué du monde de l’art. Une fois de plus, ceux que l’on considère comme dominés ne sont-ils pas là engagés dans des tactiques de résistance à l’imposition d’une bonne manière d’apprécier les œuvres ? L’enjeu symbolique est fort tant la culture est l’outil par excellence de domination sociale. Comme le <a href="http://doc.ocim.fr/LO/LO035/LO.35%284%29-pp.16-23.pdf">notait déjà Olivier Donnat</a> dans les années 1990 : </p>
<blockquote>
<p>« les usages les plus fréquents du musée sont éloignés du modèle du rapport cultivé aux œuvres. »</p>
</blockquote>
<h2>Avant tout, une expérience urbaine</h2>
<p>Pour une partie du public, la venue au musée n’a pas grand-chose à voir avec les œuvres elles-mêmes. Une part majeure de l’expérience du musée réside dans ce que ces expositions et leurs lieux représentent d’événementiel et de symbolique.</p>
<p>Ce qui s’exprime alors, c’est la dimension collective d’une expérience esthétique, mais en dehors du musée et de l’exposition. Elle se joue dans le rapport à l’architecture et à une mise en scène d’urbanité, dans le sens où vivre la ville <a href="https://www.cairn.info/revue-flux1-2009-4-page-17.htm">nous disait Antoine Picon</a>, c’est accéder à son caractère événementiel comme dimension urbaine caractéristique. Aller au Louvre, c’est se confronter à une architecture, à une scénographie urbaine spectaculaires. Dans l’accès au musée se construit un rapport au cadre bâti de la ville et plus largement à son histoire. Accéder aux grands musées est pour le touriste vivre l’essence représentée des villes, d’un pays, de Paris. Le musée est intégré à un parcours urbain, et l’exposition vient renforcer l’expérience de la ville, point d’orgue d’un séjour parfois.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/302662/original/file-20191120-554-louejx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/302662/original/file-20191120-554-louejx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/302662/original/file-20191120-554-louejx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/302662/original/file-20191120-554-louejx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/302662/original/file-20191120-554-louejx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/302662/original/file-20191120-554-louejx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/302662/original/file-20191120-554-louejx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Pour certains touristes, faire l’expérience de la ville est un événement en soi.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/touristes-femme-paris-pyramide-815689/">Pixabay</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le Louvre, la Joconde, Da Vinci créent l’événement continu en eux-mêmes, par leur renommée autant que par la dimension artistique – d’autant plus lorsqu’un scandale comme le différend avec l’Italie au sujet du prêt des œuvres décuple la médiatisation d’une exposition. Se promener dans l’événement urbain que représente l’exposition revient pour beaucoup de touristes à vivre pleinement la ville quitte a éclipser l’enjeu artistique, qui apparaît alors bien secondaire.</p>
<p>« Pourquoi voir la Joconde ? Elle est normale, c’est juste un portrait. Je crois que c’est parce que tout le monde en parle », me dit cette autre jeune visiteuse, « je trouve qu’elle est banale, on s’habitue, pas magnifique quoi. »</p>
<p>L’expérience esthétique se joue pour une partie des publics hors musée, dans la ville donc, sur les réseaux sociaux aussi, par selfie interposé. Une autre partie du public accorde une attention diffuse aux œuvres. Ce n’est pas le moindre des paradoxes : parmi les plus virulents critiques des grandes expositions, on retrouve les apôtres de la démocratisation artistique qui revendiquent la mission de rendre accessible au plus grand nombre les œuvres majeures de l’humanité selon les termes d’André Malraux. Néanmoins, ces mêmes porteurs de la démocratisation sont parfois prompts à déplorer le caractère dégradé de la relation à l’œuvre dans le cadre des expositions-événements. Ainsi, <a href="https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages1-2017-1-page-15.htm?contenu=resume">note Daniel Jacobi</a>, « les amateurs d’art et de patrimoine les plus experts n’ont pas de mots assez durs et sévères pour se moquer de ces visites dites « à l’américaine », superficielles et peu à même d’apprécier ou de goûter ce qui est visité ou exposé ».</p>
<p>Le débat n’est pas nouveau et il fut porté en son temps par M. Horkheimer, W. Benjamin et <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/prismes-critique-de-la-culture-et-societe">T. Adorno</a>, ce dernier dénonçant « les œuvres perverties » dès lors qu’elles sont exposées à la masse « des yeux des oreilles aliénées ».</p>
<p>L’idéal démocratique achoppe ici sur une fonction majeure de toute pratique culturelle, la distinction sociale, qui rend la démocratisation culturelle si ardue malgré les efforts de <a href="https://www-cairn-info.merlin.u-picardie.fr/revue-l-observatoire-2018-1-page-40.htm">médiation culturelle</a>, les amateurs d’art étant certainement les premiers à ne pas vouloir être confondus avec les masses. D’autant plus que les « masses » en question, loin d’être homogènes, restent rétives à toute imposition de ce qui est désigné par les professionnels de la culture comme digne d’intérêt. Les publics sont ainsi toujours enclins, soit, pour le plus grand nombre, à éviter les formes culturelles légitimes, soit à les détourner, serait-ce avec selfie, <a href="https://editions-attribut.com/product/nectart-8/">soit tout simplement à inventer leurs propres pratiques</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/126378/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Raffin a reçu des financements Ministère de la Culture</span></em></p>Le temps passé devant les œuvres d’un musée oscille entre 4 et 20 secondes maximum : comment qualifier alors la nature de cette expérience « culturelle » ?Fabrice Raffin, Maître de Conférence à l'Université de Picardie Jules Verne et chercheur au laboratoire Habiter le Monde, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1196322019-07-10T19:00:44Z2019-07-10T19:00:44ZL’avenir est aux entreprenants, infatigables fabricants de relations<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/282072/original/file-20190701-105211-12sosjd.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=137%2C117%2C1632%2C842&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Michel Berry invité de Jean-Philippe Denis sur le plateau de « Fenêtres ouvertes sur la gestion ».</span> <span class="attribution"><span class="source">Capture d'écran.</span></span></figcaption></figure><p><em><strong>La société accumule la production de richesses matérielles tout en se délitant. L’avenir est aux entreprenants, infatigables fabricants de relations. Ce sont les tisserands et les repriseurs du tissu social sans lequel aucune société ne peut se développer harmonieusement dans la durée.</strong></em></p>
<p>L’École de Paris du management, qui étudie depuis 25 ans les pratiques du management, a vu monter une catégorie d’acteurs particuliers, qu’elle a choisi de nommer les entreprenants. Ils développent une énergie sortant de l’ordinaire pour résoudre des problèmes paraissant insolubles ou créer des activités porteuses de convivialité et de sens, sans avoir le profit comme seul critère de réussite. On en trouve partout : la saison 1 de cette chronique présente dix exemples dans les associations, six dans les territoires, cinq dans les entreprises et quatre dans les administrations publiques.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/6uzXwKuMsm0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Dans la vidéo ci-dessus, j’ai invoqué deux caractéristiques pour commenter le titre proposé par Jean‑Philippe Denis, « Le jardin des entreprenants, l’impensé de l’économie ». Certains, comme les fondateurs de <a href="https://theconversation.com/siel-bleu-ou-lincroyable-succes-dentrepreneurs-a-but-non-lucratif-105682">Siel Bleu</a>, pourraient devenir riches en transformant leur association en entreprise mais ils s’y refusent pour préserver leur liberté d’exploration et de recherche. D’autres, comme <a href="https://www.ecole.org/fr/seance/1155-mom-artre-une-revolution-de-la-garde-d-enfants-par-l-art">Môm’artre</a>, mêlent ressources marchandes et subventions, salariat et bénévolat. J’ajouterai ici un autre impensé de l’économie : la nature des relations que les entreprenants génèrent. Je ferai référence à des exemples de cette chronique, avec des liens permettant de remonter à l’article.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1134405605731516417"}"></div></p>
<h2>Produire des biens et produire des relations</h2>
<p>L’économie s’est intéressée à la production et à l’échange de biens, et, plus récemment, de services marchands. La nature et la qualité des relations entre les agents ne sont guère centrales pour elle. C’est par exemple que les synergies anticipées lors de fusions sont régulièrement <a href="https://theconversation.com/ces-frictions-culturelles-qui-menent-a-lechec-des-fusions-acquisitions-internationales-117059">surestimées</a> du fait de la désagrégation des relations qu’elles entraînent. J’avancerai ici que les entreprenants ont au contraire la préoccupation majeure de fabriquer et entretenir des relations. Ils savent que, sans cela, ils ne peuvent atteindre durablement leurs objectifs.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/les-vertus-du-troc-de-savoirs-un-autre-modele-economique-101681">Le Réseau d’échanges réciproques de savoirs</a> a mobilisé des centaines de milliers de personnes dans un impressionnant dispositif générateur de liens sociaux et de fierté sans aucun échange d’argent. <a href="https://theconversation.com/found-in-translation-quand-les-voisins-malins-recousent-la-societe-99466">Voisins malins</a> salarie des habitants pour aller de porte en porte nouer des liens avec leurs voisins, avec une mission confiée par la mairie, le bailleur, un fournisseur d’énergie, etc. La mission sert de motif pour faire ouvrir les portes et de source de financement de l’association, mais la préoccupation majeure est de développer un tissu de relations qui sorte les habitants des quartiers de leur relégation. <a href="https://theconversation.com/comment-lassociation-singa-facilite-linsertion-des-refugies-98824">Singa</a>, qui veut favoriser l’accueil des réfugiés, organise des activités les aidant à apprendre la langue et les coutumes tout en leur créant un réseau pour mieux s’insérer. Si elle a élaboré un modèle économique original, son obsession est de perfectionner son système de mise en relation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1012168631621480450"}"></div></p>
<p>L’association <a href="https://theconversation.com/quand-des-cadres-reparent-lascenseur-social-108898">NQT</a> a mis en place un dispositif de parrainage par des cadres de jeunes bac + 4 des quartiers qui ne trouvent pas de travail du fait de la stigmatisation dont ils sont l’objet. Elle leur fait ainsi accéder à un réseau qui les aide à prendre contact avec des employeurs et à apprendre leurs codes, activité qui demande un fort investissement des parrains. Or, bien que les cadres se déclarent souvent débordés, leurs candidatures se multiplient au point que NQT manque aujourd’hui de jeunes ! On peut avancer que les cadres trouvent probablement là une humanité qui leur manque dans leurs relations habituelles avec les clients, les fournisseurs ou les collègues.</p>
<p>L’entrepreneur peut aussi être un entreprenant s’il attache un soin particulier aux relations. C’est le cas des créateurs de start-up, pour qui la qualité des liens qu’ils nouent dans l’équipe est à la fois source d’efficacité et de plaisir. Quand l’entreprise grossit, le rôle des instruments de gestion, la pression de la finance, la division des rôles, arrivent à distendre les liens. Pourtant, on trouve dans le <a href="http://www.lejardindesentreprenants.org/">Jardin des entreprenants</a> nombre d’entrepreneurs attentifs à la relation. <a href="https://theconversation.com/les-copains-dabord-ces-relations-qui-aident-a-traverser-les-tempetes-108297">Jean‑Philippe et Catherine Cousin</a>, entrepreneurs performants, passionnés et réactifs, ont une singularité : ils sont obsédés par la qualité de leurs relations avec le personnel, les fournisseurs et les clients. Lors d’un effondrement du marché, ils ont refusé de licencier, comme « ils auraient dû le faire », et ont organisé un branle-bas de combat, aidés par les fournisseurs, les clients et même les banquiers. Cet investissement sur les relations est perçu par certains comme contraire à la vertu économique, alors qu’il est en réalité un facteur de résilience face à un marché chahuté.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1073128727620542464"}"></div></p>
<h2>Les relations, enjeu de société</h2>
<p>Les relations sont une réponse à nombre d’enjeux de la société.</p>
<p>En occupant les ronds-points, les « gilets jaunes » ont trouvé une fierté, des convivialités nouvelles, et un sentiment d’exister mieux. Quand les relations se renforcent, l’économie pèse un peu moins.</p>
<p>Le drame d’un chômeur, outre les aspects matériels, tient à l’accumulation de réponses négatives à ses demandes. Descartes disait : « c’est proprement n’être rien que de n’être utile à personne ». Le chômeur se sent devenir rien quand on lui dit à longueur de mois qu’on n’a pas besoin de lui. Dans un reportage de M6 sur l’opération <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/03/17/objectif-zero-chomeur-de-longue-duree-ces-entreprises-pas-comme-les-autres_5437251_3246.html">« Territoires zéro chômeurs »</a> de longue durée, on voit d’anciens chômeurs se transformer physiquement au fil des mois, même quand leurs ressources n’augmentent pas de manière considérable. Ils existent dans le regard des autres, disent-ils. Ils sont pris dans un système de relations dans lequel ils se sentent entourés et utiles.</p>
<p>La solitude des personnes âgées est un fléau presque ignoré. L’association <a href="https://theconversation.com/lart-dassocier-des-seniors-et-des-etudiants-ou-linvention-dun-nouveau-service-social-113250">ensemble2générations</a> a eu une idée lumineuse : loger chez des personnes âgées des étudiants en mal de logement. Avec beaucoup de finesse, elle établit des relations qui reconstituent la magie des relations entre grands-parents et petits-enfants. Pourtant les subventions dont elle a besoin lui sont trop chichement distribuées, la solitude n’étant pas encore considérée comme un enjeu national. Elle trouvera peut-être les moyens de changer d’échelle en proposant aux entreprises, via l’association Accordés, des prestations pour aider leurs salariés perturbés par la situation de leurs parents isolés ou de leurs enfants étudiants.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1106163201559941120"}"></div></p>
<p>Les entreprises elles-mêmes ressentent les limites du modèle managérial traditionnel et cherchent à libérer les énergies, à inventer des modes d’organisation alternatifs, à favoriser la prise de risque, à valoriser le bien-être au travail. Jusqu’à présent, c’est le modèle de la start-up qui a servi de référence pour mobiliser les salariés, mais il ne convient pas forcément aux entreprises. Elles pourraient alors avoir avantage à tirer parti de ce qu’imaginent déjà les entreprenants, et à encourager des vocations.</p>
<h2>L’avenir est aux entreprenants</h2>
<p>Keynes, dans <a href="https://www.les-crises.fr/keynes-perspectives-eco/">« Perspectives économiques pour nos petits enfants »</a> anticipait que, quand la société n’aurait plus besoin de mobiliser tout le monde pour subvenir à ses besoins économiques fondamentaux, elle risquait de sombrer dans une dépression nerveuse universelle, et qu’il lui faudrait savoir « mettre au premier plan les vrais problèmes de la condition humaine, à savoir ceux de la vie et des relations entre les hommes ».</p>
<p>S’il était encore parmi nous, il dirait que l’avenir est aux entreprenants… ou ne sera pas, aurait pu ajouter André Malraux.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a bénéficié d’une inspiration de Jean‑Philippe Denis et d’échanges nourris avec Pierre-Louis Dahan, Christophe Deshayes et Claude Riveline.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/119632/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Michel Berry est fondateur et animateur du Jardin des entreprenants</span></em></p>La société accumule la production de richesses matérielles tout en se délitant. L’avenir est alors aux entreprenants, infatigables fabricants de relations.Michel Berry, Fondateur de l'école de Paris du Management, Mines ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1156672019-04-18T10:09:14Z2019-04-18T10:09:14ZNotre-Dame est-elle vraiment perçue comme un « beau monument » par tous les Français ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/269963/original/file-20190418-28113-xxgnre.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C6%2C4594%2C3304&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le 15 avril, la cathédrale en feu.</span> <span class="attribution"><span class="source">Aurélie Djavadi</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>À l’échelle d’une vie humaine, domine l’illusion d’un cadre bâti immuable que vient seulement troubler l’irruption inopinée de bâtiments « neufs » ou les destructions accidentelles – comme celles que nous venons de vivre pour Notre-Dame.</p>
<p>L’adhésion apparente à l’échelle de la nation à des formes désignées comme « belles » et « patrimoniales » comme le patrimoine religieux ou haussmannien donne lieu à une sorte <a href="https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1992_num_39_1_1619">d’universalisme architectural lié à certains bâtiments</a>, comme s’il existait un étalon absolu du beau bâtiment, révélateur du « bon goût » et du « génie français ».</p>
<p>Plus que dans d’autres domaines, on pourrait croire que ce qui est qualifié de patrimoine est, par définition, universel, et génère chez « nous tous », un sentiment d’adhésion esthétique. Il n’en est rien.</p>
<p>Ce qui est désigné comme beau en architecture, ce qui acquiert valeur patrimoniale, est le résultat d’un long processus de légitimation comme dans les autres arts, sorte de combat social où est imposé un goût au détriment d’autres. De ce point de vue, le processus de patrimonialisation est avant tout politique.</p>
<p>À côté d’un patrimoine officiel classique, d’autres formes patrimoniales tentent d’accéder à la reconnaissance. Au-delà des bâtiments, ce qui est en jeu, c’est la reconnaissance et la cohésion des groupes sociaux. En témoigne, <a href="https://journals.openedition.org/rge/5105?lang=de">depuis les années 1990</a>, le long combat pour la reconnaissance des friches industrielles comme patrimoine, dont un enjeu majeur est la reconnaissance des milieux et de l’histoire ouvrières. Ou encore, aujourd’hui, la <a href="https://www.cairn.info/revue-autrepart-2005-1-page-13.htm">reconnaissance des patrimoines liés à l’immigration</a> et donc, des populations immigrées, enjeu de beaucoup de classements patrimoniaux <a href="https://journals.openedition.org/echogeo/14346">comme le musée urbain Tony Garnier à Lyon</a>.</p>
<p>Sur ces points, il convient de souligner combien les politiques culturelles en général, et les politiques patrimoniales en particulier, sont travaillées par un souci constant de cohésion nationale. Une forme d’instrumentalisation de la culture affirmée en son temps par André Malraux et dont on a pu reconnaître les différents accents dans le discours du président Macron le mardi 16 avril au lendemain de la catastrophe.</p>
<h2>Les monuments comme repères de l’identité collective</h2>
<p>Notre rapport au cadre bâti est ainsi en relation étroite avec des enjeux identitaires, qu’ils soient individuels ou collectifs. Si l’identité est processus, dans son mouvement constant, l’ordre spatial et architectural reste des référents plus stables et participent de l’illusion de la permanence des identités. <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1966_num_7_4_2823">Françoise Choay déjà</a>, attirait l’attention sur les temporalités spécifiques du rapport à l’architecture. Quand le changement est trop rapide pour l’individu, le malaise est profond et l’on retrouve d’autant plus cette idée pour Notre-Dame, que l’incendie était inimaginable et que la cathédrale est un repère collectif large, d’envergure nationale et internationale qui plonge dans un temps très long.</p>
<p>Le rapport aux bâtiments relève ainsi des stabilités symboliques plus longues et nécessaires à l’identité, comme un référent plus important que d’autres, celui des objets du quotidien par exemple. L’architecture, le cadre bâti sont à la fois support et constitutifs des milieux sociaux, producteur et produit des identités. Leur destruction bouscule les repères donc, elle remet en cause la lisibilité identitaire dans l’espace.</p>
<p>Les édifices patrimoniaux jouent d’autant plus ce rôle de cohésion qu’ils sont aussi réceptacles des mémoires collectives et possèdent une dimension historique. <a href="https://www.cairn.info/revue-annales-2011-3-page-821.htm">Comme l’a montré Maurice Halbwachs</a>, la mémoire s’incarne avant tout dans des cadres matériels, en l’occurrence architecturaux. Le monument se fait alors garant de l’histoire, d’autant qu’en Notre-Dame se mêlent les mémoires de plusieurs groupes sociaux.</p>
<p>La petite et la grande histoire s’y croisent : celles des bâtisseurs anonymes, de Victor Hugo, de Viollet le Duc, des Parisiens au fil des siècles, des riverains, des touristes, celle de la France et du catholicisme sur un temps long, mais aussi de la République au sortir de ses heures sombres à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, révélant différents niveaux de blessures produites par le feu.</p>
<p>Superpositions mémorielles qui dépasse le cadre religieux donc, et qui parlent à d’autres groupes à l’échelle nationale, mais peut-être pas à <em>tous les Français</em> de manière indifférenciée.</p>
<h2>Du relativisme patrimonial</h2>
<p>En effet, il faudra nuancer le partage de cette douleur de manière égale dans la population française. Et d’affirmer ici que l’expérience esthétique patrimoniale n’échappe pas à l’indexation sociale des goûts esthétiques. Pour le dire autrement, ce qui est beau pour un milieu ne l’est pas pour un autre ou le patrimoine des uns n’est pas le patrimoine des autres. La belle architecture est relative à un milieu social et non aux qualités intrinsèques d’un édifice. Aux enjeux politiques des processus patrimoniaux évoqués plus haut, s’ajoute l’indexation sociale du patrimoine sur des milieux divers. Et là, tout le monde n’est pas concerné de la même manière par l’incendie de Notre-Dame.</p>
<p>De ce point de vue, lors d’ateliers que je mène depuis plus de dix ans avec des jeunes de milieux modestes, j’ai mesuré à de nombreuses reprises combien les intérêts architecturaux et la définition du patrimoine sont relatifs. Plus ou moins consciemment, ces jeunes affirment des positions esthétiques totalement iconoclastes, représentatives d’une frange importante de la jeunesse née autour de 2000. Non seulement ils n’éprouvent aucune attirance pour les centres-ville anciens, mais pour eux les vieilles pierres sont « moches » et la notion de valeur patrimoniale est toute relative. Ces jeunes Français affirment systématiquement une répulsion vis-à-vis des édifices considérés comme patrimoniaux. Cette position devient politique lorsqu’elle se mêle à la critique sociale tant les centres-ville anciens leur apparaissent comme ceux du pouvoir et d’une majorité de « vieux notables » et « représentants politiques ».</p>
<p>Ce qui les attire, eux, ce sont les bâtiments récents, « modernes », mais pas n’importe lesquels. Dans leur géographie de référence, celle-là même qui leur permet de se situer les uns par rapport aux autres, les centres commerciaux sont les supports majeurs de construction identitaire de cette jeunesse, et chacun d’éprouver fierté ou jalousie en fonction de la taille du centre commercial de sa ville, alors Notre-Dame…</p>
<p>Il est d’autant plus difficile de penser ce relativisme patrimonial pour un édifice comme Notre-Dame qu’il est admis, avéré, entériné qu’il est beau une fois pour toutes pour tout le monde, ce d’autant plus qu’il est légitimé par un label indiscutable, celui de l’Unesco, valant pour l’humanité tout entière.</p>
<p>La douleur exprimée dans les médias depuis la soirée du 15 avril relève ainsi un processus collectif de réaffirmation de ce qui ne doit pas faire de doute et qui est (im)posé comme une évidence. Et ceux qui n’en étaient pas convaincus de se convaincre ou de découvrir leur attachement à ce patrimoine : les jeux de médiatisation font eux-mêmes partie d’un processus de patrimonialisation et de son élargissement potentiel à ceux qui n’étaient de prime abord pas attachés à Notre-Dame.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115667/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Raffin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’adhésion apparente à l’échelle de la nation à des formes désignées comme « belles » et « patrimoniales » donne lieu à une sorte d’universalisme architectural lié à certains bâtiments.Fabrice Raffin, Maître de Conférence à l'Université de Picardie Jules Verne et chercheur au laboratoire Habiter le Monde, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1057912018-10-30T23:35:08Z2018-10-30T23:35:08ZDroit du travail : droits de la personne au travail ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/242610/original/file-20181028-7071-1321l3r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=34%2C34%2C4504%2C2898&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Fresques en mosaïques à l'entrée de l'église Sainte Anne de Saint Nazaire.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/groume/15476298433/">Groume / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Leçon inaugurale prononcée par Michel Miné, professeur du CNAM, sous le parrainage de Jacques Toubon, Défenseur des droits, au Conservatoire national des Arts et Métiers, amphithéâtre Abbé Grégoire, le 24 septembre 2018.</em></p>
<hr>
<p>L’intitulé de la <strong>chaire Droit du travail et droits de la personne</strong> indique une évolution majeure du droit du travail qui met l’accent sur les droits attachés à la personne plutôt qu’à son emploi et sur le développement de droits individuels. <a href="https://bit.ly/2zrPCKp">La loi du 5 septembre</a> pour « la liberté de choisir son avenir professionnel » s’inscrit dans cette perspective.</p>
<p>La rencontre entre droit du travail et droits de la personne mérite de retenir l’attention. Ces droits de la personne ce sont les droits de l’Homme situé dans le travail. Ces droits découlent de la dignité de la personne humaine. Pour <a href="http://data.bnf.fr/11927934/jean-maurice_verdier/">Jean‑Maurice Verdier</a>, « le travail est terre d’élection des droits de l’homme ».</p>
<p>Ces droits de la personne sont à situer au cœur de la fabrication du droit du travail, pas à la marge comme de simples correctifs.</p>
<p>Dans la relation de travail, la personne met à la disposition d’une entreprise ses capacités de travail. L’objet du contrat de travail est l’exercice de fonctions – ce n’est pas la personne. La personne est sujet du contrat. Cependant, la personne ne peut vaquer librement à ses occupations personnelles et envoyer ses capacités de travail assurer la prestation de travail. La personne est nécessairement impliquée.</p>
<p>Le travail puisqu’il implique la personne ne peut être soumis aux « lois du Marché » comme n’importe quel produit. Il faut donner un statut au travail pour ne pas traiter la personne comme une chose, comme un objet.</p>
<p>Des régimes ont asservi la personne humaine : Hitler parlait de « matériel humain », Staline de « capital humain ». En revanche, l’<a href="https://bit.ly/2CLGsKL">Organisation internationale du travail</a> affirme, dans le Traité de Versailles de 1919 puis dans la Déclaration de Philadelphie de 1944, depuis les lendemains de la première et de la Seconde Guerre mondiale : « le travail n’est pas une marchandise », « il ne doit pas être considéré comme un article de commerce. »</p>
<p>En droit interne, la <a href="https://bit.ly/2D8pK9r">loi du 4 août 1982</a>, dont la date évoque la nuit du 4 août 1789 et l’abolition des privilèges féodaux d’Ancien Régime, encadre et limite le pouvoir de l’employeur.</p>
<p>Le salarié, « le travailleur » en droit international et européen, est une personne titulaire de libertés et de droits ; il ne les abandonne pas en entrant dans l’entreprise. Dans l’activité professionnelle, l’exercice de ses droits fondamentaux peut faire l’objet de restrictions, mais pas de suppression. Ces restrictions pour être admises doivent avoir une justification et être mises en œuvre de façon proportionnée.</p>
<p>Selon le code du travail, « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »</p>
<p>La Cour de cassation, en 2017, complète ces dispositions : l’employeur est « investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié ».</p>
<p>Ces Droits de l’Homme ne sont pas réservés aux périodes de prospérité. C’est en période de « crise » – morale, culturelle, politique… Quand la personne risque d’être oubliée, malmenée… que les droits de la personne sont le plus nécessaires, qu’ils doivent être défendus avec plus d’intensité dans un contexte de concurrence normative.</p>
<p>Ces droits de la personne disent le projet de la société pour l’homme. Le droit du travail concerne la Cité, il peut être un facteur de « cohésion sociale », notamment en permettant à chacun de se former et de s’insérer professionnellement et socialement. Le droit du travail est favorable à la Démocratie, comme l’ont démontré <a href="https://bit.ly/2RlBusm">Antoine Lyon-Caen et Antoine Jeammaud</a>.</p>
<p>Le président de la République, lors de <a href="https://lemde.fr/2z8li6i">sa visite à la Cour européenne des droits de l’Homme de Strasbourg, en 2017</a>, a déclaré :</p>
<blockquote>
<p>« Les « Droits de l’Homme […] Nous ne les défendons pas seulement pour les citoyens d’aujourd’hui ! Nous les défendons parce que nous le devons aux citoyens d’hier, qui ont lutté pour ces Droits de l’Homme et aux citoyens de demain qui devront pouvoir en bénéficier. » Et il a ajouté « faire prévaloir les droits de l’Homme est un combat ».</p>
</blockquote>
<p>La France, « République… sociale », signataire des instruments du droit international des droits de l’Homme, doit créer les conditions pour assurer l’exercice effectif de ces droits, en posant des règles de Droit objectif, obligatoire pour tous. L’État ne peut abandonner l’exercice de ces droits aux seuls droits subjectifs, individuels, dépendant de la volonté et des possibilités de chacun. A fortiori, l’État ne doit pas adopter de normes qui vont à l’encontre des droits de la personne : l’État n’est pas au-dessus du Droit, la loi doit respecter le Droit.</p>
<p>Pour la Cour européenne des droits de l’homme, ces droits sont des « droits concrets et effectifs ». Pour assurer leur effectivité, chaque acteur a à apporter sa brique à l’édification du régime juridique applicable.</p>
<p>Une administration veille au respect des droits de la personne. Selon le <a href="http://mafr.fr/fr/article/carbonnier-jean-5/">doyen Carbonnier</a>, « l’application du code du travail » « est placée sous la vigilance directe d’un corps de fonctionnaire dont la gravité et la rigueur sont hors de conteste ». « L’ordre public s’incarne dans un personnage vivant » « L’inspecteur du travail est là » « sur les lieux mêmes de l’exécution du contrat ».</p>
<p>Le contrat de travail, comme tout contrat n’est pas un montage juridique binaire mais ternaire. Tout contrat a besoin d’un garant ; ce garant c’est le juge. Le « droit au juge » est donc essentiel. Le juge saisi peut « faire cesser » toute atteinte aux droits des personnes et réparer l’atteinte aux droits des personnes par la réparation intégrale des préjudices. Le Digeste du droit romain, applicable autour de la Méditerranée, établit au VI<sup>e</sup> siècle le dit déjà : la Justice doit « rendre à chacun ce qui lui est du ».</p>
<p>Pour faire le point sur quelques droits de la personne, la devise républicaine va nous servir de boussole.</p>
<h2>Liberté</h2>
<p>La liberté se manifeste par la « liberté du travail », le « droit de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté ». La liberté du travail permet au salarié de travailler pour plusieurs entreprises et de quitter son entreprise actuelle. Cette liberté permet donc de s’affranchir, d’invalider ou de réduire la portée de certaines clauses contractuelles d’exclusivité, de dédit-formation, de non-concurrence.</p>
<p>La liberté c’est la « liberté dans le travail ». Est ici en question la nature du travail. Le droit du travail a vocation à humaniser le travail.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2007-2-page-31.htm">Pour la philosophe Simone Weil</a> : « L’initiative et la responsabilité, le sentiment d’être utile… sont des besoins vitaux » pour la personne. Le droit offre plusieurs repères.</p>
<p>Pour l’OIT, il s’agit pour chaque Nation d’adopter « un régime de travail réellement humain », pas seulement des conditions de travail humaines mais de façon plus essentielle un travail qui a un contenu humain, comme le souligne <a href="https://bit.ly/2qfjtAg">Alain Supiot</a>. Un travail en particulier qui préserve la santé mentale, un travail où la personne n’est pas traitée comme le prolongement d’une machine (selon la formule de la chambre criminelle de la Cour de cassation).</p>
<p>Dans cette perspective, l’OIT demande aux États de mettre en œuvre des programmes permettant « l’emploi des travailleurs à des occupations où ils aient la satisfaction de donner toute la mesure de leur habileté et de leurs connaissances et de contribuer le mieux au bien-être commun ». Les États sont invités à mettre en œuvre des politiques du travail, à ne pas confondre avec des politiques de l’emploi. Il s’agit de permettre à chacun d’œuvrer avec ses « capabilités » dans son travail et d’exercer un travail utile, qui a du sens, éléments essentiels de justice sociale.</p>
<p>Dans le prolongement, l’Union européenne, depuis 1989, prévoit que l’entreprise doit « adapter le travail à l’homme » en particulier en ce qui concerne « le choix… des méthodes de travail ».</p>
<p>Pour les partenaires sociaux, avec l’accord national interprofessionnel <a href="https://www.cairn.info/revue-negociations-2013-1-page-9.htm">sur l’amélioration des conditions de travail, signé en 1975</a> dans le prolongement de Mai 1968 et modifié notamment en 2013 : « … il doit être plus complètement répondu aux besoins intellectuels et psychologiques des salariés dans l’accomplissement de leur travail. » « Les méthodes d’organisation du travail… doivent tendre… à élever le degré de qualification du travail et par conséquent l’intérêt de celui-ci… » « Le respect de ces exigences est une condition nécessaire au développement de la personnalité des salariés. »</p>
<p>La jurisprudence fournit également des repères <em>a contrario</em>. Le juge, quand il est saisi, interdit la mise en place ou le maintien d’organisations du travail pathogènes. Ainsi, le juge a interdit dans une grande entreprise une organisation du travail qui générait : « une compétition ininterrompue entre les salariés », « une incitation pernicieuse à passer outre la réglementation pour faire du chiffre », « un sentiment de honte d’avoir privilégié la vente au détriment du conseil du client ». Ce jugement parle du conflit qui existe parfois entre d’une part, des modes de gestion et d’évaluation du travail, des méthodes de travail et, d’autre part, des obligations déontologiques et professionnelles liées aux règles du métier, aux règles de l’art. Le droit fait prévaloir les règles professionnelles, dans ce contentieux, rarement posé devant les juridictions, mais aux fortes incidences sur la santé mentale.</p>
<p>Ces ressources du droit sont importantes dans le contexte de transformation du travail sous l’effet notamment des évolutions technologiques pour leur donner une orientation. Le droit a à s’intéresser au travail, pour prévenir les causes de dégradation de la santé et plus largement pour favoriser l’émancipation dans le travail et par le travail. Le droit et les sciences sociales ont à œuvrer ensemble pour appréhender « le travail réel », l’activité de travail de la personne humaine, l’organisation du travail. Au CNAM ce travail est possible notamment grâce au laboratoire LISE.</p>
<p><strong>Les enjeux concernent</strong> :</p>
<ul>
<li><p>la personne, le travail est une donnée essentielle de l’identité personnelle ;</p></li>
<li><p>l’entreprise, une politique du travail est favorable à l’activité économique ;</p></li>
<li><p>et également la Cité : les expériences vécues dans le travail, expériences centrales de vie sociale, par le travailleur-citoyen influencent le comportement du citoyen-travailleur dans la Cité. La crise de la démocratie se nourrit aussi de la crise du travail.</p></li>
</ul>
<p>Et qu’en est-il du « droit au travail » ? Le Préambule de la Constitution de 1946 reconnaît « pour chacun » le « droit d’obtenir un emploi » et le « devoir de travailler » (le « droit à la paresse » n’est pas inscrit dans la Constitution).</p>
<p><strong>Pour tous les droits se pose la question</strong></p>
<ul>
<li><p>de l’identification du titulaire du droit, du créancier, ici le travailleur salarié</p></li>
<li><p>et de l’identification du débiteur du droit.</p></li>
</ul>
<p>Pour une personne à la recherche d’un emploi, le « droit d’obtenir un emploi » n’est pas reconnu comme un droit individuel. Qui en serait le débiteur ? La question reste sans réponse. Pour le Conseil constitutionnel, les pouvoirs publics ont l’obligation « de poser des règles propres à assurer au mieux le droit pour chacun d’obtenir un emploi ».</p>
<p>Pour une personne salariée dont le contrat de travail est rompu, le débiteur est l’employeur. Mais « le droit à l’emploi » n’est pas (pas encore ?) reconnu comme un droit individuel du salarié opposable à l’employeur. Une tentative d’un salarié, validée par une cour d’appel, n’a pas abouti devant la cour de cassation en 2017. Cependant, le mouvement est sans doute enclenché.</p>
<p>À la croisée de la liberté du travail et du droit à l’emploi, il est jugé qu’en cas de saisie chez une personne, au chômage, son ordinateur est insaisissable. Son ordinateur peut être « utilisé pour la recherche d’un emploi » et est « assimilé à un instrument nécessaire à l’exercice personnel d’une activité professionnelle ».</p>
<p><strong>La liberté s’exprime par la liberté d’expression.</strong> La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 l’affirme :</p>
<blockquote>
<p>« Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public ».</p>
</blockquote>
<p>Dans l’entreprise et en dehors (médias, réseaux sociaux…), « Sauf abus » (diffamation, propos injurieux, incitation à la discrimination…) « le salarié jouit de sa liberté d’expression ». Sa liberté d’expression peut être mobilisée pour alerter notamment sur des risques pour la santé ou des actes de corruption.</p>
<p>La liberté d’expression est complétée par le « droit d’expression directe et collective sur le contenu et l’organisation du travail » : pour que chacun ait « voix au chapitre » au regard des transformations du travail, pour que puisse s’exprimer « l’intelligence des travailleurs » selon la belle formule d’Alain Wisner, qui fût professeur d’ergonomie au CNAM.</p>
<p><strong>La liberté c’est bien entendu l’autonomie de la personne.</strong> Le droit donne force juridique à des aspirations humaines. L’entreprise ne peut employer les capacités professionnelles de la personne et ignorer les attentes légitimes de la personne. Ainsi, « Même au temps et au lieu de travail, le salarié a droit au respect de l’intimité de sa vie privée ».</p>
<p>Toute personne a « le droit de mener une vie familiale normale », quelle que soit la composition de la famille. Ce droit, posé en matière de droit des étrangers pour permettre le regroupement familial, peut être mobilisé dans le travail pour faire prendre en compte des exigences d’une « vie familiale normale » en matière d’horaires de travail, de mutations géographiques, de « déconnexion » (en attendant un « devoir de déconnexion » de la part de l’entreprise)…</p>
<p>Les législations adoptées depuis plusieurs années qui ignorent les rythmes sociaux et banalisent le travail de nuit, le travail du dimanche… ne sont pas de nature à favoriser une « vie familiale normale ».</p>
<p>Ces débats ne sont pas nouveaux : des ouvriers vignerons de Bourgogne ont obtenu par décision de justice de quitter le travail à une heure telle qu’ils puissent être rentrés chez eux au moment du coucher du soleil, par un Arrêt du Parlement de Paris de 1393.</p>
<p>Le droit à l’autonomie personnelle et à une vie familiale normale implique de percevoir une « rémunération équitable ». L’OIT avec le souci de la Justice sociale et de la paix à préserver, qui sont liés, demande aux États d’assurer « la possibilité pour tous d’une participation équitable aux fruits du progrès en matière de salaires… ». Au regard de la situation des « travailleurs pauvres », la question du niveau des salaires, notamment du smic, serait à réexaminer.</p>
<p>Pour jouir de ces libertés, encore faut-il ne pas perdre sa vie au travail. Selon le droit de l’UE « L’employeur a l’obligation d’assurer la santé et la sécurité des travailleurs dans tous les aspects liés au travail ». Ce Droit objectif est complété par un droit subjectif, le « droit de retrait » : « un travailleur peut se retirer d’une situation dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ». Autant de droits à mobiliser de façon plus intense quand chaque année plus de 500 salariés meurent d’accidents du travail, notamment sur des chantiers du bâtiment.</p>
<h2>Égalité</h2>
<p>Alors que le principe d’égalité en droit est affirmé depuis 1789, l’égalité dans le travail est un droit en construction.</p>
<p>Le code du travail ne prévoit que quelques règles particulières d’égalité, notamment entre Contrat à durée indéterminée (CDI) et contrat à durée déterminée (CDD) ou contrat de travail temporaire (CTT), entre contrat à temps complet et contrat à temps partiel.</p>
<p>C’est le juge qui, après la règle de l’égalité de rémunération (« À travail égal, salaire égal ») formulée en 1996, a posé « le principe de l’égalité de traitement » en… 2008 entre les travailleurs d’une entreprise qui sont dans une situation identique – « le cercle des égaux », au regard d’un avantage donné.</p>
<p><strong>Cependant, le champ d’application de ce droit à l’égalité n’est pas encore stabilisé.</strong></p>
<p>En tout état de cause, l’entreprise ne peut unilatéralement traiter de façon inégale des salariés sans justification.</p>
<p>Le champ de l’égalité de traitement vient d’être étendu. La <a href="https://bit.ly/2D6I0jq">directive européenne du 28 juin 2018</a> prévoit que les travailleurs détachés d’un autre État membre dans le cadre d’une prestation de services doivent bénéficier de l’égalité de traitement avec les travailleurs locaux en matière de conditions de travail et notamment de rémunération (l’égalité de traitement et plus seulement un minimum de droits).</p>
<p><strong>Second volet de l’égalité : la personne doit pouvoir travailler sans être discriminée.</strong></p>
<p>Ainsi, le Droit pose comme règle « l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes » et en particulier l’égalité de rémunération pour « un travail de valeur égale » (depuis… 1919). Cette obligation légale, fondée sur le droit international des droits de l’Homme, ne résulte pas d’une démonstration scientifique, biologique, économique ou autre. Il s’agit d’une affirmation dogmatique du Droit, porteuse d’une certaine conception de la personne humaine. Illustration de la fonction instituante du Droit.</p>
<p>Le droit interdit les discriminations : le traitement défavorable et injustifié d’une personne en lien avec ce qu’elle est (son être) ou ce qu’elle fait (son agir). Ces règles de non-discrimination sont nécessaires en complément du principe d’égalité, la « loi commune ». Cependant, ces règles ne doivent pas primer sur le principe d’égalité, au risque d’aboutir à une balkanisation du droit autour de revendications identitaires. Les règles spéciales de non-discrimination ne peuvent compenser les insuffisances ou les régressions de la loi commune.</p>
<p>Pour assurer l’effectivité des droits de la personne, il est nécessaire de s’intéresser à l’entreprise, en ne confondant pas l’entreprise et son statut juridique (société…) et en tenant compte de toutes les parties prenantes. Il est nécessaire de s’intéresser aux droits applicables, en particulier le droit des sociétés, la comptabilité, le droit fiscal… qui ont un impact important sur le travail et sur le droit du travail.</p>
<p>Les inégalités entre entreprises ont des effets d’inégalités entre les salariés et sur l’exercice de leurs droits. Le code du travail regarde trop chaque entreprise de façon isolée alors que les entreprises sont insérées dans des réseaux. Des entreprises « exercent une influence déterminante » sur d’autres et leur imposent des contraintes et ce sont trop souvent les entreprises en position de faiblesse qui doivent seules assumer les responsabilités en cas de dommage.</p>
<p>Cependant, le Droit offre des ressources pour remonter au détenteur du véritable pouvoir qui tire profit de l’organisation et est à l’origine du dommage. Il faut imaginer des solutions valides, de nouvelles articulations et interprétations des normes, par exemple autour de la notion de « responsabilité solidaire ». La vertu cardinale du juriste c’est « l’imagination créatrice » appliquée aux réalités, comme le soulignait <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/gerard-lyon-caen/">Gérard Lyon-Caen</a>.</p>
<p>Des entreprises reconnaissent leur responsabilité sociale et environnementale (RSE) et se dotent de règles et de pratiques volontaires.</p>
<p>Cette RSE se juridifie. Un exemple : en 2013, l’effondrement de l’immeuble du Rana Plaza, au Bangladesh, provoquait la mort de 1 135 personnes et infligeait des blessures, avec des amputations, à près de 2 000 autres. Ces personnes (en majorité des femmes) étaient employées en dehors des règles de sécurité dans la confection de vêtements pour de grandes marques occidentales. La <a href="https://bit.ly/2C5KBJe">loi du 27 mars 2017</a> impose désormais aux sociétés mères et entreprises donneuses d’ordres « un devoir de vigilance » à l’égard des conditions de travail chez leurs sous-traitants par la mise en en œuvre d’« un plan de vigilance » public pour prévenir les atteintes graves aux droits de l’homme. Ce texte est devenu une référence pour l’élaboration d’un instrument international juridiquement contraignant.</p>
<p>La RSE se judiciarise. Par exemple, en matière de licenciements économiques, la Cour de cassation (chambre sociale) reconnaît la responsabilité de la maison mère dans des affaires où la filiale a été obligée de licencier ses salariés à cause de la maison mère.</p>
<p>Entre les États membres de l’Union européenne, les Traités fixent comme règle l’« égalisation dans le progrès ». Cette règle essentielle de la construction européenne est trop souvent oubliée, surtout depuis 2008.</p>
<p>La situation du droit du travail en Grèce en offre une illustration emblématique. Ainsi, « l’Eurogroup » (le conseil des ministres des Finances de l’Union européenne) a imposé au gouvernement grec la réduction du salaire minimum avec une réduction aggravée pour les jeunes de moins de 25 ans. Le salaire minimum des jeunes de moins de 25 ans a été réduit en deçà du seuil de pauvreté. Cette politique a favorisé une forte émigration de jeunes travailleurs qualifiés vers d’autres États.</p>
<p>Saisi, le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe de Strabourg a décidé que le gouvernement grec violait la Charte sociale européenne.</p>
<p>Le niveau du salaire minimum des jeunes ne répond pas à l’exigence d’une « rémunération équitable » et constitue une discrimination liée à l’âge.</p>
<p>Ainsi, une instance de l’UE impose à un État membre de ne plus respecter ses engagements internationaux et ne respecte pas elle-même le droit de l’UE. Ces confrontations entre droit international et droit de l’UE et entre principes juridiques figurant dans les Traités et politiques européennes mises en œuvre sont au cœur des enjeux et de l’avenir de la construction européenne.</p>
<h2>Fraternité</h2>
<p>L’abbé Grégoire considérait que pour bien lire la devise républicaine, il fallait en inverser les termes, retourner la triade, la fraternité ne pouvant être que première, donnée à la source.</p>
<p>Le Conseil constitutionnel affirme, dans <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018717_718QPC.htm">sa décision du 6 juillet 2018</a>,</p>
<blockquote>
<p>« la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle. » Cette décision confirme que la fraternité a un contenu juridique.</p>
</blockquote>
<p>Dans l’affaire en cause, du principe de fraternité découle « la liberté d’aider autrui » « dans un but humanitaire, » « sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national. » La liberté dans la fraternité comme l’exprimait André Malraux.</p>
<p>Cette décision constitutionnelle a une portée technique : le « principe de fraternité » doit être appliqué par les pouvoirs publics, notamment par le pouvoir législatif et par la Justice (dans l’élaboration des lois, dans la motivation des jugements…).</p>
<p>Et cette décision a aussi une portée symbolique, instituante concernant les liens entre les personnes, en mettant l’accent sur l’entraide, sur l’altruisme, sur la coopération pour « faire société », plutôt que sur la peur et le repli, sur la seule maximisation de ses intérêts individuels.</p>
<p>Cette affaire est une illustration du « combat pour le droit » selon la formule du grand <a href="http://data.bnf.fr/12182958/rudolf_von_jhering/">juriste Jehring</a>. Des acteurs sollicitent les potentialités du droit pour transformer le droit applicable, pour un ordre juridique meilleur. Le droit nous dit alors le monde tel qu’il devrait être.</p>
<p>La fraternité peut se manifester dans le travail. Selon le code du travail transposant une disposition européenne : « Chaque travailleur doit prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail. » Le salarié ne doit rien faire qui porte atteinte à la santé d’autrui, de ses collègues, des usagers, des clients… Et, au-delà, le salarié a une « obligation de faire » pour prendre soin d’autrui. À défaut, sa responsabilité peut parfois être engagée. La responsabilité, contrepartie de la liberté.</p>
<p><strong>La fraternité se mue en solidarité et s’exprime avec les libertés individuelles d’exercice collectif.</strong></p>
<p>La liberté syndicale ouverte aux salariés et aux employeurs, sans doute bientôt aux travailleurs indépendants, permet l’exercice de plusieurs prérogatives dans une conception de solidarité plus ou moins large, s’adressant au plus grand nombre ou laissant réapparaître le terrible « nous » et « eux ».</p>
<p>Le droit à la négociation collective peut, à tous les niveaux, porter sur l’exercice effectif des droits de la personne, en veillant à inclure les personnes en situations précaires (au regard de la nature de leurs contrats, de leur faible niveau de qualification…).</p>
<p>« L’action judiciaire syndicale » peut s’exercer dans « l’intérêt collectif de la profession. » Il en est ainsi depuis un arrêt de la Cour de cassation de 1913 qui a admis l’action du Syndicat national de défense de la viticulture française contre des individus qui se livraient au mouillage de vin.</p>
<p>Le droit de grève par la « grève de solidarité » peut, avec quelques précautions, être exercé pour soutenir un salarié de l’entreprise ou des salariés d’autres entreprises.</p>
<p>L’élection de représentants du personnel permet de disposer d’élus titulaires d’un « droit d’alerte » efficace en cas d’atteinte aux droits des personnes : ils peuvent saisir l’employeur et le cas échéant le juge pour faire cesser cette atteinte. L’employeur dispose d’un canal d’information sur des atteintes aux droits des personnes au sein de son entreprise.</p>
<hr>
<p><strong>Ces droits de la personne font l’objet de discussions</strong></p>
<ul>
<li><p>quant à leur portée ;</p></li>
<li><p>quant à leurs usages ; il convient de ne pas confondre la règle et l’usage de la règle par les acteurs ;</p></li>
<li><p>quant à leur liste ; le catalogue de ces droits relève d’une écriture continue ;</p></li>
<li><p><strong>quant à leurs bénéficiaires (leurs champs d’application s’étendent lentement) :</strong><br>
– les travailleurs salariés ? Oui.<br>
– les travailleurs en situation précaire ? Parfois.<br>
– les travailleurs indépendants ? Rarement.<br>
– les travailleurs étrangers sans titre de travail ? Exceptionnellement.</p></li>
</ul>
<p>Dans ce travail, le juriste nomme : il qualifie juridiquement les faits, interprète le sens de textes, formule des jugements. « Le droit est d’abord langage », une langue à la fois conservatrice et rebelle, qui résiste aux modes et à la déliquescence de la langue commune. « Mal nommer les choses ajoute aux malheurs de ce monde » – le propos philosophique d’Albert Camus s’applique pleinement aux exigences du droit.</p>
<p>Thucidide nous a prévenus : « Il faut choisir : se reposer ou être libre ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ezeCyFV50xI?wmode=transparent&start=4" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Leçon inaugurale de la chaire Droit du travail, droits de la personne au travail - CNAM - 24 septembre 2018.</span></figcaption>
</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/105791/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Miné ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Leçon inaugurale de la chaire Droit du travail et droits de la personne du CNAM.Michel Miné, Professeur du Cnam, titulaire de la chaire Droit du travail et droits de la personne, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1058252018-10-28T20:25:51Z2018-10-28T20:25:51ZFragments d’un président écrivain : François Mitterrand et ses livres<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/242604/original/file-20181028-7053-pv0byf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=135%2C6%2C773%2C509&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">François Mitterrand, portrait officiel, 1981.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.ladocumentationfrancaise.fr/catalogue/0046260000008/index.shtml">La Documentation Française</a></span></figcaption></figure><p><em>Les 29 et 30 octobre, la maison de vente aux enchères Piasa <a href="https://www.piasa.fr/en/news/actualite-bibliotheque-francois-mitterrand-livres-modernes">disperse une partie de la bibliothèque personnelle de François Mitterrand</a>. Le catalogue, qui propose un petit millier d’ouvrages, essentiellement du XX<sup>e</sup> siècle, généralement en édition originale sinon en tirage de tête, souvent reliés par les meilleurs artisans ou par son épouse Danielle, parfois dédicacés, nous plonge dans l’intimité des lectures de l’ancien chef de l’État…</em></p>
<hr>
<p>Que François Mitterrand fût un amoureux de la chose écrite n’est un secret pour personne. Lui-même ne s’en cachait pas. Selon son propre aveu, il était monté « d’Angoulême à Paris, en 1934, pour entrer à l’Université », avec deux grands rêves en tête : le premier « d’aller au Vél’ d’Hiv’, temple des courses cyclistes sur piste, et d’y assister aux Six Jours, l’autre de rencontrer les écrivains » qu’il admirait. Ce fut d’abord François Mauriac, qui l’accueillit aux premiers jours de son séjour parisien. Puis, au gré de ses pérégrinations dans la capitale, André Gide, André Malraux et Julien Benda qui tenaient des meetings antifascistes à la Mutualité, Georges Bernanos qui fréquentait l’Union pour la vérité ou Paul Valéry qui enseignait la poétique au Collège de France.</p>
<p>Rien d’étonnant donc à le voir durant ces années prendre la tête de la section littérature du Cercle de la Vie des étudiants, activité qui le conduira à organiser des rencontres littéraires et à collaborer un temps avec L’Écho de Paris. Comme dans la Revue Montalembert, journal du foyer où il résidait, il y publiera aussi bien des critiques littéraires que des billets d’actualité, fustigeant par exemple l’étudiant de 1936 qui s’enthousiasmait pour « le match de football Paris-Budapest » mais pensait « que poètes et musiciens ne servent à rien ».</p>
<p>Au fil des articles, le jeune étudiant s’intéressera aussi à l’œuvre littéraire comme expression « d’un peu de la vérité de l’homme et du monde », méditera sur le fait que « la pensée, pour devenir œuvre, doit se réduire en mots, eux-mêmes coordonnés en phrases assouplies, nombrées et rythmées » ou avouera son admiration pour « la réalisation formelle admirable d’un Valéry, la force et la puissance intellectuelle et rythmique d’un Claudel, le charme intime et délicat d’un Jammes ».</p>
<p>Rien de surprenant non plus à le voir choisir, près de cinquante ans plus tard, <a href="http://www.gisele-freund.com/">Gisèle Freund</a>, la portraitiste incontestée du monde littéraire, pour la réalisation de son effigie présidentielle. Face à son regard, derrière lequel avaient posés Simone de Beauvoir, James Joyce, Colette… François Mitterrand murmurera d’ailleurs pour seule consigne de tenir compte qu’il était « un écrivain avant d’être un homme politique ». Le résultat fut cet étonnant portrait officiel où l’on surprend le nouveau chef de l’État lisant les Essais de Montaigne dans la bibliothèque circulaire de l’Élysée. Celui qui avait été élu par près de seize millions de votants, celui qui avait été ministre, secrétaire d’État, sénateur, député et maire, celui qui permettait, enfin, à la gauche d’accéder au pouvoir… se (re)présentait donc pour la postérité en homme épris de littérature.</p>
<h2>Dans les coulisses d’une « écriture juste »</h2>
<p>François Mauriac et Paul Valéry, Paul Claudel et Francis James, Colette et James Joyce… Même si François Mitterrand avouait lui-même que son admiration pour certains écrivains n’avait pas résisté au temps, ce sont autant d’auteurs dont les œuvres parsèment un catalogue qui s’adresse aussi bien aux cercles bibliophiles qu’à ceux qui conservent une affection singulière pour la geste mitterrandienne comme pour l’homme privé.</p>
<p>Pourtant, l’un des vrais intérêts de <a href="https://bit.ly/2JjeS8V">cette vente est ailleurs et se cache dans une petite dizaine de lots</a>, dispersés entre les pages 193 et 206 au nom d’auteur Mitterrand. Notamment dans les lots 420, 423, 425, 429 et 430, composés de feuillets manuscrits et de tapuscrits annotés de la main du premier secrétaire du Parti socialiste, qui viennent compléter le « brouillon » de <a href="http://www.mitterrand.org/L-abeille-et-l-architecte.html"><em>L’abeille et l’architecte</em></a> conservé dans les archives de l’Institut François Mitterrand.</p>
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<figcaption><span class="caption">François Mitterrand à propos de <em>L’abeille et l’architecte</em>, Bernard Pivot, <em>Apostrophes</em> (Archive vidéo INA 15, septembre 1978).</span></figcaption>
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<p>Publié en septembre 1978, cet ouvrage occupe une place importante dans l’entreprise de reconstruction d’une légitimité politique à laquelle se livra François Mitterrand après l’échec de l’actualisation du programme commun, la rupture de l’Union de la gauche puis la défaite aux élections législatives. Se souvenant peut-être des réactions enthousiastes à l’issue de son premier passage à Apostrophe, lorsque de nombreux observateurs affirmèrent « que si cette émission avait eu lieu avant l’élection présidentielle de mai 1974, les 200 ou 300 000 voix qui séparaient (les deux candidats) eussent été comblées », le député de la Nièvre se mit alors à écrire. Ou plutôt, à sélectionner, enrichir, rectifier… consciencieusement un ensemble de chroniques pour la plupart déjà publiées dans les colonnes de L’Unité.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/242605/original/file-20181028-7059-9w00z5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/242605/original/file-20181028-7059-9w00z5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/242605/original/file-20181028-7059-9w00z5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/242605/original/file-20181028-7059-9w00z5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/242605/original/file-20181028-7059-9w00z5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/242605/original/file-20181028-7059-9w00z5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/242605/original/file-20181028-7059-9w00z5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/242605/original/file-20181028-7059-9w00z5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">François Mitterrand présente <em>L’abeille et l’architecte</em> et répond au questions d’Yves Mourousi et Jacques Legris sur le plateau du JT de 13h de TF1 du 22 septembre 1978.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.mitterrand.org/L-abeille-et-l-architecte.html">INA IFM</a></span>
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</figure>
<p>Pour les besoins de sa démonstration, François Mitterrand écrivit aussi quelques textes inédits lui permettant de se construire une stature d’homme d’État qui « parcourt le monde avec son bâton de pèlerin socialiste » à la rencontre des grands de ce monde. Il reviendra ainsi sur ses rencontres avec Mikhaïl Souslov à Moscou (lot 425), avec <a href="https://www.piasa.fr/fr/products/mitterrand-francois-kissinger-manuscrit-autographe_5bc0afcf0c2ba">Henry Kissinger à Washington</a> (lot 423), avec <a href="https://www.piasa.fr/fr/products/mitterrand-francois-willy-brandt-harold-wilson-carlos-rafael-et-fidel-castro_5bc0afcef1ff2">Willy Brandt dans un train entre Stuttgart à Mayence</a> (lot 420), avec <a href="https://www.piasa.fr/fr/products/mitterrand-francois-fragments-de-labeille-et-larchitecte-et-autres_5bc0afcf31945">Daniel Oduber Quirós dans un restaurant costaricien</a> (lot 430)… Les ébauches de ces chroniques permettent de découvrir son processus d’écriture.</p>
<p>Considérant que « la vraie littérature naît […] de l’exactitude du mot et de la chose », il s’adonnait en effet à une écriture de contention, un style qui « cherche toujours à économiser, à économiser le mot, à économiser la phrase […] sans aller tout à fait jusqu’au digest ».</p>
<p>Pour mieux appréhender l’important travail qui lui permettait d’offrir un texte juste, s’embarrassant le moins possible de détails et de digressions, il suffit de comparer les versions manuscrite (lot 420) et tapuscrite (archives de l’Institut François Mitterrand) de cette anecdote <em>so british</em> publiée dans <em>L’abeille et l’architecte</em>.</p>
<blockquote>
<p>« Invité par Wilson à Chequers, résidence des premiers ministres pour notre “Conférence des leaders” de l’Internationale socialiste, je faisais à la fin d’une réunion de travail, le tour des portraits qui ornent la salle du conseil de cabinet du gouvernement britannique, là même où nous venions de nous réunir, et contemplais Nelson, Pitt, Wellington et d’autres encore représentés en pieds par ces grands maîtres de la peinture anglaise que son […] quand j’entendis mon hôte me poser cette étrange question : “La présence de ces tableaux ne vous gêne pas, je l’espère. Sinon j’ordonnerais qu’on les fasse enlever.” Je crus qu’il se moquait et le lui dit. “Assurément, reprit Wilson, je ne doutais pas de votre réponse. Mais savez-vous que pour éviter un incident diplomatique, nous avons déjà exilé ces portraits dans les musées de Londres ?” »</p>
<p>« À Chequers, résidence des premiers ministres, où Harold Wilson reçoit la “Conférence des leaders” de l’Internationale socialiste, je fais le tour des portraits qui ornent la salle du Conseil de Cabinet du gouvernement britannique où nous venions de nous réunir, et je contemplais Nelson, Pitt, Wellington, d’autres encore représentés en pied par les maîtres de la peinture anglaise, quand j’entendis Wilson me poser cette question : “Si la présence de ces tableaux vous gêne, je peux les faire enlever.” Je crus qu’il se moquait et le lui dis. “Savez-vous, reprit Wilson, que pour éviter un incident diplomatique nous avons déjà exilé ces portraits dans les musées de Londres ?” »</p>
<p>« Aux Chequers, je faisais le tour des portraits qui ornent la salle du Conseil où se tient parfois le Cabinet et je contemplais Nelson, Pitt, Wellington, d’autres encore représentés en pied par les maîtres de la peinture anglaise, quand j’entendis Wilson me poser cette question : “Si la présence de ces tableaux vous gêne, je peux les faire enlever.” Je crus qu’il se moquait et le lui dis. “Savez-vous, reprit Wilson, que pour éviter un incident diplomatique nous avons déjà exilé ces portraits dans les musées de Londres ?” »</p>
</blockquote>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/242606/original/file-20181028-169196-13pc93v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/242606/original/file-20181028-169196-13pc93v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/242606/original/file-20181028-169196-13pc93v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=816&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/242606/original/file-20181028-169196-13pc93v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=816&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/242606/original/file-20181028-169196-13pc93v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=816&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/242606/original/file-20181028-169196-13pc93v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1026&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/242606/original/file-20181028-169196-13pc93v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1026&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/242606/original/file-20181028-169196-13pc93v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1026&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Œuvres de François Mitterrand dans leur réédition aux Belle Lettres.</span>
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<p>François Mitterrand ne manquera jamais une occasion de réaffirmer son plaisir d’écrire, lui qui aurait « aimé consacrer une partie de (sa) vie à construire une œuvre littéraire ». Une œuvre qui aurait sans doute proposé, comme l’écrivait <em>Le Monde</em> à la sortie de <em>L’abeille et l’architecte</em>, « des pages d’une écriture admirable, digne des plus grands ».</p>
<p>Une œuvre qui aurait certainement puisé sa force dans une écriture juste, que l’ancien président de la République considérait comme</p>
<blockquote>
<p>« une compensation à ce défaut que tout homme politique prend, par la nécessité où il se trouve de s’exprimer pour convaincre et pour expliquer, qui finit par donner des rythmes, et notamment un rythme oratoire, un rythme éloquent tout à fait anti-littéraire ».</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/105825/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yvan Boude vient de signer l’introduction et l'appareil critique de L'Abeille et l'architecte de François Mitterrand, réédité chez Les Belles lettres. De 2002 à 2007, il a été chargé de mission au Musée du septennat de Château-Chinon.</span></em></p>À l’occasion de la dispersion d’une partie de la bibliothèque personnelle de l’ancien président de la République, François Mitterrand, retour sur l’écrivain et ses lectures.Yvan Boude, Docteur en Sciences politiques et ingénieur de recherche, spécialiste de communication politique, Directeur de la communication, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/949312018-04-19T21:06:21Z2018-04-19T21:06:21ZLe « passe culture » : révolution ou retour à l’ancien monde ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/215603/original/file-20180419-163966-1osdf7n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C17%2C5964%2C3511&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le passe culture, gadget ou atout de démocratisation culturelle ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/photo/people-show-chairs-gym-274/">Pexels</a></span></figcaption></figure><p>« Tel que nous sommes en train de le dessiner, le passe culture est une révolution. Une voie d’accès inédite vers la culture » a proclamé la ministre de la culture, <a href="http://www.lemonde.fr/culture/article/2017/12/18/francoise-nyssen-il-faut-combattre-la-segregation-culturelle_5231269_3246.html">Françoise Nyssen</a>, qui fait de la création de ce passe l’alpha et l’oméga de sa politique culturelle.</p>
<p>Ce dispositif devrait, selon la ministre, briser les barrières financières et sociales qui s’opposent à l’accès aux biens culturels. Par le biais d’une application géo-localisée téléchargeable par tous, il deviendrait le premier réseau social culturel, et serait le dispositif amiral de la lutte contre les inégalités culturelles. Comme pour tout dispositif, il convient d’analyser ce qui représente, <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Quarto/Dits-et-ecrits">selon Michel Foucault</a>, une « fonction stratégique dominante » […], d’une certaine manipulation de rapports de force, d’une intervention rationnelle et concertée dans ces rapports de force… »</p>
<iframe frameborder="0" width="100%" height="270" src="https://www.dailymotion.com/embed/video/x6fs6lf" allowfullscreen="" allow="autoplay"></iframe>
<h2>Retour vers le futur</h2>
<p>L’annonce d’un dispositif doté de telles ambitions ne fait que réactiver le discours de la promesse et les illusions technico-économiques portées par le ministère de Jack Lang au cours du premier quinquennat de François Mitterrand. Le directeur de cabinet du ministre, <a href="https://www.pug.fr/produit/665/9782706108167/La%20Culture%20en%20action">Jacques Renard, affirmait déjà, à l’époque</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les nouveaux réseaux de communication, notamment le câble et la télédistribution qui permettent l’interactivité […] vont modifier la politique locale. »</p>
</blockquote>
<p>L’ère nouvelle promise par le ministère de Lang devait être le fruit du mariage de la technique et de la communication. Elle allait s’opposer à la ségrégation spatiale et fonctionnelle des quartiers. Du flux des nouvelles images, de la multiplicité des chaînes et des banques de données, de la relation construite par les logiciels interactifs devaient émerger la civilisation de la ville. La culture circulant dans les réseaux immatériels allait « rompre l’isolement des quartiers périphériques entre eux et par rapport au centre ». On sait ce qu’il en advint.</p>
<h2>Le bilan contrasté de la démocratisation culturelle</h2>
<p>L’objet artistique ayant vocation à circuler dans l’espace public, il s’agissait, dans les années 80, de développer une politique industrielle de la culture adaptée aux mécanismes du marché. La politique culturelle de l’État, ces cinquante dernières années, trouvait sa source dans une aspiration à la démocratisation culturelle.</p>
<p>Sur le plan de l’aménagement du territoire, les effets ont, sans aucun doute, été très positifs ; sur le plan sociologique, le bilan est contrasté et son évaluation suppose d’établir clairement les rapports entre art et culture.</p>
<p>En visant prioritairement les œuvres artistiques, dans leur production comme dans leur diffusion, en fonction de leurs hiérarchies, et en distinguant art majeur et art mineur, la politique culturelle de l’État ne s’est pas attaquée aux ségrégations culturelles. L’administration, nécessaire pour exercer la compétence que s’était donnée l’État, en 1959, a notablement favorisé l’accès aux œuvres « légitimes » et à leur conservation.</p>
<p>Les deux foyers de la trajectoire elliptique de la politique culturelle initiée par Jack Lang s’appuyaient sur la création artistique et les nouvelles technologies. Le « nouveau monde », lui, a choisi de s’appuyer sur le produit culturel et la mise en réseau numérique. D’une certaine manière, la problématique du « passe culture » prolonge et amplifie les illusions de l’ancien monde, « en même temps » qu’elle s’en différencie.</p>
<iframe width="100%" height="100%" frameborder="0" marginheight="0" marginwidth="0" scrolling="no" src="https://player.ina.fr/player/embed/I00015504/1/1b0bd203fbcd702f9bc9b10ac3d0fc21/wide/1"></iframe>
<p>La conception implicite de la culture de la ministre actuelle ne relève pas seulement d’une pensée techniciste et économiste. Elle témoigne d’une perte de sens de la notion de culture. La culture est une relation porteuse de sens entre les personnes, médiée par des formes symboliques. or, le passe culture réduit la nature de cette relation et la convertit en technique, rapport entre le Sujet et les choses.</p>
<p>Ces deux conceptions occultent les pratiques sensibles et symboliques de la personne. L’homme ordinaire était convié à occuper la place du récepteur hier, de client aujourd’hui. Et c’est à la technique de communication pour le premier ; au réseau numérique pour le second, qu’est confiée la mise en contact ou la connexion.</p>
<p>L’horizon de la démocratisation culturelle visait, par les moyens de l’action culturelle, à mettre à la disposition du plus grand nombre les œuvres du patrimoine. La myopie vis-à-vis des résistances sociologiques, le déni des inégalités culturelles, l’insensibilité aux violences symboliques… se sont manifestées, en particulier, dans la rupture entre le socio-culturel et culturel, institutionnalisée par André Malraux, <a href="http://tristan.u-bourgogne.fr/cgc/publications/Politiques_pratiques_culture/politiques_pratiques_culture.html">à la naissance de la Vᵉ République</a>.</p>
<h2>Une logique marketing</h2>
<p>La perspective du « passe culture » ignore la question de la relation de l’objet culturel au récepteur. Sa philosophie implicite se fonde sur des logiques de produit. L’usager du service culturel s’est transformé en cible. L’action marketing a fait place à l’action culturelle.</p>
<p>Ce qui distingue les trajectoires de ces deux formes de politiques culturelles est relatif aux rapports entre l’art et la culture. Dans l’ancien monde, la question de l’art était essentialisée – l’art étant défini par sa nature. Lorsque les collectivités publiques évoquent leur compétence culturelle, elles identifient généralement l’art et la culture. Pour d’autres acteurs – certains professionnels de l’art – la relation est perçue comme une opposition : l’art produirait la rupture dans les perceptions et les sensibilités, alors que la culture serait censée faire du commun. Dans un cas comme dans l’autre, l’administration publique de la culture s’est appuyée sur une certaine conception de l’art, le plus souvent implicite et sans délibération, pour affirmer son existence et exercer son pouvoir de nomination : des catégories artistiques, des genres, des artistes…</p>
<p>Or, les rapports entre les formes artistiques et les pratiques culturelles <a href="http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=59178">doivent être problématisés</a>.</p>
<p>De la même façon que les phénomènes de l’art et de la culture doivent être distingués et mis en rapport, il est nécessaire d’établir la distinction et la relation entre expérience de l’art et expérience esthétique. Le phénomène esthétique ne se manifeste pas seulement dans le monde de l’art, il concerne de multiples domaines de l’activité et de l’expérience humaines. Les formes artistiques ne sont pas seules à témoigner de la vie psychique, à mettre en jeu l’imaginaire, à mobiliser les affects, à produire de la jouissance esthétique.</p>
<p>Entre les années 60 et 80, les débats sur la culture se développaient, le plus souvent, à partir des <a href="http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1972_num_26_1_1744">oppositions entre culture dominante et culture dominée</a>. À la fin des années 80, la question se déplace avec la thématique de la fracture sociale et culturelle. L’ambition de la transformation sociale et politique a été balayée, à la fois par un réalisme s’accommodant des inégalités culturelles et par un renoncement du politique à transformer le monde. La rupture de la relation entre avant-garde politique et avant-garde artistique qui date de la fin des années 70, tout comme l’usure de la thématique et de l’idéologie de la révolution dans les années 80, sont les marques de cette « fatigue de l’âme » qui renonce à penser l’articulation entre art et politique.</p>
<h2>Le rôle de la médiation culturelle</h2>
<p>L’émergence de la thématique de la <a href="https://babordplus.u-bordeaux.fr/notice.php?q=id:2697419">médiation culturelle</a>, au début des années 90, est contemporaine de la prise de conscience des phénomènes d’exclusion, de fracture et de segmentation de la société française. De nombreux ouvrages collectifs et colloques sur la médiation culturelle, au début du XXI<sup>e</sup> siècle, en France et au Québec témoignent de l’intérêt pour cette thématique.</p>
<p>Cette floraison éditoriale, accompagnée d’expériences artistiques et culturelles multiples, marquait la volonté de mettre fin « au temps de défiance et de confrontation » entre le champ de la culture et celui de l’éducation populaire. Il s’agissait de partager une ambition : développer les démarches d’appropriation de l’art vivant et du patrimoine afin de démocratiser l’accès aux œuvres, aux langages et aux pratiques. La médiation était alors, de surcroît, appelée à s’opposer à la fragilisation du lien social ; à favoriser la naissance de nouvelles normes, là où les anciennes avaient perdu leur légitimité.</p>
<p>La médiation culturelle était alors une question socio-politique et esthétique. Elle regroupait des modalités d’intervention riches et diversifiées qui allaient de l’accompagnement des publics aux pratiques des langages sensibles qui valent comme prises de parole (énonciation) dans l’espace public. Elle témoignait d’un projet qui devait être porté par l’art, à travers son insertion sociale et son articulation au projet politique de démocratie culturelle. La médiation culturelle – comme action et comme pensée – s’est positionnée dans le rapport entre, d’une part, l’art comme valeur et pratique et, d’autre part, la culture comme sentiment d’appartenance à une collectivité. Durant sa courte histoire institutionnelle, vingt ans, la médiation culturelle a été souvent l’<a href="http://www.observatoire-culture.net/rep-revue/rub-sommaire/ido-65/la_mediation_culturelle_ferment_d_une_politique_de_la_relation.html">objet d’une usure de son sens</a>.</p>
<p>Avec le « passe culture », l’usure est achevée. La référence à l’art a disparu. L’art ne pouvant plus prétendre à être une « promesse de bonheur », il est relégué aux oubliettes, et le nouveau monde accomplit l’<a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/2000-v56-n3-ltp2168/401314ar.pdf">annonce de Hegel</a> sur la « fin de l’art ».</p>
<p>Auguste Comte (secrétaire de Saint-Simon, <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/macron-un-president-philosophe">dont la doctrine semble avoir influencé</a> Emmanuel Macron) découpait l’histoire humaine en trois états : théologique, métaphysique, positiviste.</p>
<p>Avec De Gaulle et Malraux, nous vivions dans l’état théologique : la culture, confondue avec l’art, relevait du religieux et de la magie du verbe. Avec Mitterrand et Lang, la culture accédait à son état métaphysique, celle de la création artistique. Macron, lui, fait entrer la culture dans une ère positiviste, celle des « sachants », des techniciens et de la vérité du chiffre. Il s’agit de remplacer une action culturelle publique – qui est d’abord de nature politique – par une recherche de clientèle. Celle-ci vise à satisfaire les attentes et s’adresse sans médiation – autre que celle de la technique numérique et du téléchargement – aux usagers potentiels.</p>
<h2>Devoir de culture</h2>
<p>Sur le plan du phénomène culturel, il s’agit d’une vision courte et qui plus est, sans mémoire. En plus de cinquante ans, la réflexion des sociologues de la culture, les pratiques des professionnels de la culture (artistes, diffuseurs, animateurs ou médiateurs), l’action des militants de l’action culturelle et de l’éducation populaire ont patiemment et difficilement tenté de montrer que le « devoir de culture » du politique était un impératif catégorique pour lutter contre la fracture sociale et l’exclusion.</p>
<p>Les questions que la ministre de la culture met en débat, dans le cadre du comité d’orientation du passe culture, se focalisent sur les types d’offres disponibles et la place accordée aux plates-formes numériques. La question centrale devient celle de savoir si des produits culturels comme, par exemple, <em>Star Wars</em>, entrent dans le cadre des propositions de l’application.</p>
<p>Les questions essentielles ne peuvent être prises en compte, puisqu’elles ne sont même pas identifiées. Quel sens partagé les formes artistiques mises en culture peuvent-elles proposer ? Comment, dans le cadre de politiques publiques, les droits culturels peuvent-ils se construire ? Dans quels dispositifs d’expression et de réception, les pratiques culturelles, dans leur diversité, peuvent-elles participer à la maîtrise du langage, au développement du sens critique, à la construction du Vivre ensemble ?</p>
<p>En somme, la révolution annoncée se résume à fournir un mode d’emploi du « Bon coin » culturel.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/94931/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>
Je suis président de l'association CDJSFA — Centre de jeunes et de séjour au festival d'Avignon — qui regroupe : une association d'éducation populaire, les CEMÉA —Centres d'entraînement aux méthodes éducatives et artistique —, le Festival d'avignon et la ville d'Avignon. </span></em></p>Analyse du dispositif proposé par la ministre de la Culture à la lumière des politiques de démocratisation culturelles de ces cinquante dernières années.Jean Caune, Professeur émérite en sciences de la communication, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/926872018-03-22T23:14:26Z2018-03-22T23:14:26ZGouvernements et Internet : je t’aime… moi non plus !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/210619/original/file-20180315-104694-1a4yi65.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C141%2C2048%2C1174&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">I love the Internet</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/kalexanderson/8134290751/">Kristina Alexanderson/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><h2>TechnoMonde : de la difficulté des « élites » à repenser le monde</h2>
<blockquote>
<p>« Dès que quelqu’un me parle d’élites, je sais que je me trouve en présence d’un crétin ». (Emil Cioran, 1911–1995)</p>
</blockquote>
<p>Si vous relisez attentivement la phrase de Cioran, vous comprendrez le soin que j’ai pris à ne surtout pas oublier de mettre des guillemets ! N’auriez vous pas fait de même ? Trêve de plaisanterie <a href="http://www.01net.com/actualites/les-15-dates-qui-ont-fait-le-web-615826.html">depuis sa démocratisation</a> il est notable que nos « élites » entretiennent un rapport bien compliqué avec Internet :</p>
<blockquote>
<p>« C’est fort bien que cela change, pourvu que rien ne change pour nous ! »</p>
</blockquote>
<p>Tel pourrait être un credo partagé par de nombreux responsables politiques, et ce, quel que soit le régime dans lequel ils évoluent.</p>
<p>Ils se défient des nouvelles interactions humaines induites par Internet qui sont venues bouleverser un monde connu au niveau économique, social, territorial et compromettre leur capacité à en garder le contrôle.</p>
<h2>L’obsession du contrôle des usagers</h2>
<p>En matière de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Contr%C3%B4le_social">contrôle social</a>, cela a conduit des gouvernances de l’autoproclamé « monde libre » à agir avec Internet de façon parfois précipitée et peu compatible avec la notion de liberté.</p>
<p>Peu importe les motifs que les pouvoirs en place ont invoqués et invoquent encore aujourd’hui pour rendre acceptables leurs décisions par leurs opinions publiques respectives : terrorisme, cybercriminalité, <a href="https://www.contrepoints.org/2018/01/08/306663-fakenews-alibi-censure-etatique">fake news</a>…</p>
<p>On ne peut pas tenir rigueur à un état de montrer qu’il agit, s’il juge que c’est pour le bien du collectif et la sûreté nationale. On peut cependant noter que dans la précipitation de l’action, cela a conduit de nombreuses démocraties (dont la France) à opter pour des approches régressives en matière de liberté individuelle et publique. La tentative de mise en œuvre d’une surveillance massive au mépris de la vie privée numérique des citoyens a été en France un choix politique discutable et fortement contesté, mais <a href="https://www.nextinpact.com/news/94007-loi-renseignement-qui-a-vote-quoi.htm">décidé presque unanimement dans les règles de l’art</a>. Le fait est que ce choix inquiète de nombreux professionnels du droit, <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-numerique-et-nous/loi-de-securite-interieure-des-consequences-pour-la-vie-numerique-de-tous">des libertés publiques ou du numérique</a> et ne va pas vraiment dans le sens de la <a href="http://www.fondapol.org/wp-content/uploads/pdf/documents/Declaration_droits_fondamentaux_numeriques.pdf">Déclaration des droits fondamentaux numériques de l’Union européenne</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Article 2 : Vie privée numérique :</p>
<p>Toute personne a droit au respect de sa vie privée numérique et au secret de ses échanges numériques. Les systèmes d’information personnels sont assimilés au domicile privé.</p>
<p>Si ce qui est considéré par de nombreux acteurs comme une dérive ne dérange pas certains citoyens qui pensent que la fin justifie les moyens. Ils peuvent aussi prendre connaissance de l’<a href="http://www.konbini.com/fr/tendances-2/la-premiere-boite-noire-existe-officiellement-eclaircissement-lexical/">efficacité des solutions techniques qui ont été décidées puis mises en place</a>, des conséquences concrètes d’une surveillance fondée sur le traitement statistiques des données par des algorithmes prédictifs (<a href="http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/05/13/la-note-interne-de-l-inria-qui-etrille-la-loi-sur-le-renseignement_4633142_4408996.html">conséquences mises en évidence par les chercheurs en informatique de l’Inria au moment de la loi renseignement</a>) et donc de ses réels apports aux services de renseignement français… cela leur permettra de se faire une opinion tout à fait éclairée. »</p>
</blockquote>
<p>Dans le même temps je nous invite collectivement à nous souvenir des fondements mêmes d’un fonctionnement démocratique :</p>
<blockquote>
<p>« Si le droit à l’opacité d’un citoyen et la transparence des pouvoirs publics sont les deux piliers d’une démocratie. Gardons à l’esprit que l’inverse est le mode de fonctionnement prisé par les dictatures ».</p>
</blockquote>
<h2>Gouvernements et Internet : Je t’aime… moi non plus !</h2>
<p>Que les détenteurs du pouvoir souhaitent maîtriser au mieux l’informatisation du monde et de leur territoire national est on ne peut plus normal avec toutefois un bémol méthodologique ! En France l’approche <a href="http://www.toupie.org/Dictionnaire/Pouvoirs_publics.htm">des pouvoirs publics</a> est, à ce jour contre-intuitive au regard de l’objectif visé (lutte contre le terrorisme) et pour le moins paradoxal :</p>
<ul>
<li><p>Le potentiel économique, les gisements d’emplois qu’ils pressentent à juste titre sont des éléments concernant « la bête » qui les rassurent et qui leur parlent ! Ce haut potentiel peut servir les promesses de prospérité. Ils ne manquent aucune occasion pour vanter à l’envi les nouvelles technologies (dont le support est souvent l’Internet). Ils ne sont jamais les derniers pour louer le dynamisme des startups. Ils se font technophiles convaincus et aiment à se faire voir dans les incubateurs…</p></li>
<li><p><a href="https://www.huffingtonpost.fr/2017/07/14/la-fameuse-expression-demmanuel-macron-et-en-meme-temps-va-devenir-une-emission_a_23029730/">« Et en même temps »</a> (selon une expression désormais consacrée) les contraintes qu’ils imposent et tentent d’imposer ne peuvent aucunement servir les résultats qu’ils pourraient escompter des entreprises du <a href="http://www.lemagit.fr/definition/IT-Technologies-de-linformation">secteur IT</a> ! Ils scient inlassablement et étrangement la branche sur laquelle ils voudraient asseoir une partie de la croissance. Ce n’est pas parce que le secteur se porte bien, que ce secteur hautement concurrentiel ne pourrait pas se porter beaucoup mieux et être plus compétitif au niveau mondial !</p></li>
</ul>
<p>Ne trouvez-vous pas cocasse (au regard des lois qui s’abattent en cadence sur l’Internet français) que ce soit le nouveau règlement européen visant à la protection des données à caractère personnel qui <a href="http://www.zdnet.fr/actualites/chiffres-cles-les-services-it-et-l-edition-logicielle-en-france-39790401.htm">soutienne pour partie le secteur</a> ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/210878/original/file-20180317-104663-14t33kc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/210878/original/file-20180317-104663-14t33kc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/210878/original/file-20180317-104663-14t33kc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/210878/original/file-20180317-104663-14t33kc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/210878/original/file-20180317-104663-14t33kc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/210878/original/file-20180317-104663-14t33kc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/210878/original/file-20180317-104663-14t33kc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Incognito.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jeremy Brooks/Flickr</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le numérique au pays de Kafka</h2>
<p>Sans parler des régimes autoritaires et des dictatures qui visent comme le fait l’<a href="https://rsf.org/fr/actualites/liran-veut-controler-toute-linformation-sur-Internet-en-creant-un-intranet-halal-national">Iran</a> à transformer Internet en une sorte d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Intranet">Intranet national</a> à grand renfort de censure (<em>ce qu’à mon sens seule la Chine, pour des raisons démographiques évidentes, peut éventuellement se permettre, avec son <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_Firewall_de_Chine">« Grand Firewall »</a> sans trop altérer son économie numérique</em>).</p>
<p>Sans même évoquer <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20180124-rdc-lourdes-consequences-economiques-apres-coupure-Internet">ceux qui coupent Internet à la population selon les circonstances</a>, nous pouvons citer en Europe des pays qui altèrent (inconsciemment ?) leur économie numérique. La France avec la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_relative_au_renseignement">loi relative au renseignement</a> et ses excès, tout comme l’Angleterre (avant même le Brexit) avec la <a href="http://www.slate.fr/story/129011/snoopers-charter-royaume-uni-surveillance">Snoopers’Charters</a> en font partie.</p>
<p>Ces pays et ceux et celles qui se sont succédé à leur tête semblent n’avoir tiré aucune leçon de l’Effet <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Edward_Snowden">Snowden</a> et des <a href="https://www.silicon.fr/effet-snowden-pertes-plus-consequentes-lindustrie-us-118559.html">pertes subies par l’industrie technologique américaine</a> !</p>
<p>Dans une époque tourmentée, nous ne pouvons que souhaiter que les pouvoirs publics et la représentation nationale réalise un jour (le plus tôt sera le mieux) qu’elle s’est enferrée dans une situation kafkaïenne. Les gouvernements qui se sont succédé pourront difficilement prétendre ne pas avoir été alertés par de nombreux acteurs du secteur, et ce, jusqu’à leurs propres conseillers : Le 12 septembre 2017 dans un <a href="http://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/09/12/vives-critiques-du-conseil-national-du-numerique-contre-les-recentes-lois-securitaires_5184435_4408996.html">rapport très critique</a> le Conseil national du numérique d’alors (CNNum), un organisme consultatif chargé de conseiller le gouvernement sur les questions numériques dénonçait :</p>
<blockquote>
<p>« Une trajectoire sécuritaire préoccupante », une « spirale infernale » qui privilégie « un désir de sécurité au détriment des exigences de l’État de droit et de notre économie ».</p>
</blockquote>
<p>Au niveau européen, dans un communiqué en date du 27 avril 2017 la Convention européene des droits de l’homme (CEDH) <a href="https://cdn2.nextinpact.com/medias/decision-cedh---apj-et-autres--loi-renseignement-.pdf">demandait à la France de s’expliquer sur la loi du 24 juillet 2015</a>.</p>
<p>Nous voilà en 2018 ! la trajectoire ne s’est pas infléchie, tant s’en faut. Nous assistons à un absurde toujours « plus de la même chose », dans la logique humaine que décrivait <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Watzlawick">Paul Watzlawick</a>. <a href="http://www.palo-alto-et-compagnie.com/faire-plus-de-la-meme-chose/">La solution devient de façon de plus en plus criante le problème</a> ! Ne serait-il pas temps que notre classe dirigeante loin des actes de communications qui ne servent ni la sécurité ni le renseignement, se mettent au service de la compétitivité de notre économie numérique, défendent nos libertés publiques et notre démocratie ?</p>
<blockquote>
<p>« Dans un univers passablement absurde, il y a quelque chose qui n’est pas absurde, c’est ce que l’on peut faire pour les autres. » (André Malraux)</p>
</blockquote>
<p><em>À suivre</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/92687/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
L’obsession de la surveillance et du contrôle des usagers français se fait au mépris de la Déclaration des droits fondamentaux numériques de l’Union européenne.Yannick Chatelain, Enseignant Chercheur. Head of Development. Digital I IT, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/892882017-12-17T21:10:18Z2017-12-17T21:10:18ZRequiem pour un ministère fou<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/199562/original/file-20171217-17869-vtvw96.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Portrait d'André Malraux à la Demeure du chaos</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/home_of_chaos/15754565551">Flickr /Thierry Ehrmann</a></span></figcaption></figure><p>Oh Malraux si tu savais !</p>
<p>Bien sûr, Emmanuel Macron n’était pas là le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=LL83TPexn7Q">jour où André Malraux a inauguré la Maison de la Culture d’Amiens</a>… Le 19 mars 1966 est néanmoins resté gravé comme une date clé de l’histoire de la politique culturelle française. Ce jour-là, par l’un de ses discours au ton et à l’inspiration inimitables, Malraux réaffirme les bases de l’action de son jeune ministère et légitime l’impérieux devoir qu’il fait à l’État de soutenir et protéger la création artistique.</p>
<p>Dans le monde de l’après-guerre fracturé en deux blocs, entre lesquels la France tente de restaurer son prestige de grande Nation éclaireuse, Malraux voit un péril mortel pour l’Humanité dans ce qu’il appelle « les usines de rêve ». Entendons par là les industries culturelles qui ont pris essor avec le cinéma, et dont l’objet est de remplir de vide spirituel le temps laissé vacant par les loisirs récemment conquis. Pour Malraux,</p>
<blockquote>
<p><em>« Ces usines si puissantes apportent les moyens du rêve les pires qui existent, parce que les usines de rêve ne sont pas là pour grandir les hommes, elles sont là très simplement pour gagner de l’argent. Or, le rêve le plus efficace […], c’est naturellement celui qui fait appel aux éléments les plus profonds, les plus organiques et, pour tout dire, les plus terribles de l’être humain et avant tout, bien entendu, le sexe, l’argent et la mort ».</em></p>
</blockquote>
<p>À la redoutable efficacité des machines qui produisent et diffusent les images de mort, <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/andre-malraux-la-culture-est-lheritage-de-la-noblesse-du-monde">Malraux oppose la force intemporelle et universelle des œuvres de l’esprit</a> qui éclairent le destin de l’Homme à travers les siècles et les continents : « Les seules images aussi puissantes que les images de sang, ce sont les images d’immortalité. »</p>
<h2>Grandeurs et misères de la démocratisation</h2>
<p>C’est sur cette base que le premier ministre des Affaires culturelles donnera à son projet la double mission d’organiser l’accès de tous aux grandes œuvres de l’esprit et de soutenir la création artistique. Il s’agissait, comme l’a écrit <a href="http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/769?lang=en">Jean Caune</a>, de « produire une culture contemporaine », en donnant en partage un patrimoine que les artistes vivants viendraient réinterpréter pour garantir son immortelle puissance émancipatrice. Ainsi conçue, la politique culturelle est avant tout un combat : il s’agit de dresser une sorte de cordon sanitaire autour de la culture dite cultivée, que Malraux entend protéger des « démons » enfantés par le lucre industrialisé.</p>
<p>On sait aujourd’hui que ce projet – qualifié a posteriori et de façon très réductrice de « démocratisation culturelle » – a échoué. Il est vrai qu’il portait en lui ses propres limites. Très vite en effet, il est apparu que pour être efficace, la politique culturelle ne pouvait s’abstenir de prendre en compte, en même temps que la culture cultivée, les cultures populaires. Ainsi vint le temps de la revendication d’une démocratie culturelle, phénomène ascendant censé équilibrer le mouvement descendant de la démocratisation culturelle. Dès lors le mot d’ordre sera celui de la créativité, dont <a href="http://next.liberation.fr/culture/2011/07/15/un-nouveau-souffle-pour-la-politique-culturelle_749432">Jack Lang</a> fera son cheval de bataille : chaque individu recelant un talent créatif, il suffirait de lui donner l’occasion et les moyens de l’exprimer pour que la messe culturelle soit dite.</p>
<p>Le malheur fut que sous couvert d’objectifs soi-disant démocratiques parés d’intentions fort généreuses, ce mouvement s’est opéré dans la plus grande confusion. Au point qu’il a fini par déboucher sur ce que Malraux redoutait par-dessus tout : une forme de relativisme culturel mortifère non seulement pour l’ensemble de la société, mais pour le ministère de la Culture lui-même.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/199561/original/file-20171217-17878-1ez7jiy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/199561/original/file-20171217-17878-1ez7jiy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/199561/original/file-20171217-17878-1ez7jiy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/199561/original/file-20171217-17878-1ez7jiy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/199561/original/file-20171217-17878-1ez7jiy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/199561/original/file-20171217-17878-1ez7jiy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/199561/original/file-20171217-17878-1ez7jiy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La Fête de la musique, un événement annuel voulu par Jack Lang en 1982.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Fete_de_la_musique_(3672777181).jpg">Wikipedia</a></span>
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<h2>Toute la culture vient de là</h2>
<p>Car pour établir une relation équitable entre culture cultivée et culture populaire, encore aurait-il fallu prendre la peine de définir la seconde pour lui donner ses lettres de noblesse. Lesquelles résident dans la capacité des cultures populaires à produire des formes esthétiques exprimant les aspirations d’un groupe donné à un moment donné, et susceptibles de nourrir des représentations symboliques universelles.</p>
<p>Ainsi, la culture dite cultivée est fondamentalement le produit d’une mise en forme syncrétique des innombrables cultures populaires qui ont jalonné, exprimé, illustré et transmis l’histoire de l’Humanité. Que ces expressions dites populaires irriguent en permanence la culture cultivée est donc dans l’ordre naturel des choses de la culture. Les exemples en sont légion, des chants traditionnels au hip-hop, en passant <a href="http://musique.rfi.fr/emission/info/epopee-musiques-noires/20150314-les-origines-du-jazz-en-france">par le jazz</a> ou le rock. S’il n’avait pas d’abord fait rire dans les cours de ferme, <a href="https://www.comedie-francaise.fr/fr/moliere">Molière</a> n’aurait jamais eu l’occasion de se rire de la cour… et on ne le jouerait plus aujourd’hui.</p>
<p>Mais cela ne veut pas dire que la créativité peut se substituer à la création. Le prétendre relève de la pure supercherie, et ne peut déboucher que sur un désastreux malentendu. Car le travail de création artistique, qui inlassablement renouvelle la culture, exige une maîtrise des formes qui ne s’improvise pas : s’il n’avait pas été en concurrence avec Corneille et Racine pour obtenir les faveurs du roi, Molière n’aurait pas atteint l’excellence qu’on lui reconnaît… et on ne le jouerait plus aujourd’hui.</p>
<p>Or de même que la maîtrise des formes est une condition de la création, la maîtrise des codes est indispensable au travail culturel, qu’on le veuille ou non, qu’on le déplore ou qu’on s’en satisfasse. L’ignorer, c’est vouer à l’échec tout processus démocratique de mise en culture de l’art, c’est condamner à une vie séparée culture cultivée et culture populaire, c’est consacrer des pratiques culturelles socialement distinctes et distinctives. Et c’est aussi, et peut-être surtout, jeter la culture populaire dans les bras avides des industries culturelles. Lesquelles peuvent produire le meilleur quand la puissance publique les protège de leurs propres appétits lucratifs. Mais lesquelles sont avant tout, et intrinsèquement, de formidables machines à <a href="http://www.educ-revues.fr/ID/AffichageDocument.aspx?iddoc=38739">fabriquer une culture de masse</a> sans âme qui fait feu de tout bois, sans autre projet que le profit financier généré par l’obsession du divertissement.</p>
<p>Or si la créativité ne se confond pas avec la création, le divertissement n’est pas équivalent à la délectation. Si tel était le cas, toutes les chaînes de télévision programmeraient Molière en prime time, et les centres dramatiques n’auraient aucun mal à élargir et renouveler leur public.</p>
<h2>Bête de scène</h2>
<p>Dans le triangle sensoriel-sensible-symbolique qui contient le processus de création artistique et de mise en culture de l’art, le travail culturel se concentre sur le lien entre sensible et symbolique : celui qui permet de déconstruire des propositions esthétiques individuelles, pour construire des représentations éthiques collectives. La consommation culturelle suscitée et organisée par les industries du divertissement est pour sa part totalement indifférente à ce processus : seule l’intéresse la dimension sensorielle, celle qui procure un plaisir immédiat, déconnecté de toute opération symbolique.</p>
<p>De ce point de vue, on ne peut qu’être frappé par la façon dont les commentateurs de tout poil ont insisté sur les qualités de « bête de scène » prêtées à Johnny Hallyday, lors des longues journées d’enflure médiatique qui ont suivi son décès. Le caractère physique, voire animal de ses prestations scéniques, a été longuement salué – un psychanalyste allant jusqu’à souligner sa « stature phallique »… Et dans l’hommage qui lui a été rendu a éclaté, dans toute sa puissance, la relation compassionnelle qu’il avait su entretenir, tout au long de sa remarquable carrière, avec le public nombreux qui l’accompagnait de façon inconditionnelle.</p>
<p>« L’idole-copain », pour reprendre les termes d’Edgar Morin, était sans conteste passé maître dans l’art de se faire désirer. Il avait un talent exceptionnel pour susciter l’empathie, pour distiller à bon escient bonnes et mauvaises nouvelles, pour faire rêver de ses succès et pleurer de ses malheurs. Revendiquant la banalité de ses aspirations pour mieux rendre spectaculaire leur mise en scène, Johnny Hallyday était un authentique virtuose du show-business. Doué d’un sens des affaires hors du commun, il se donnait d’autant plus volontiers à son public qu’il savait très exactement ce que ses fans attendaient de lui : une relation charnelle, directe, dont les albums studio attisaient le désir, autant que les albums live entretenaient le souvenir.</p>
<p>Pour autant, son immense succès commercial fait-il de lui un « artiste exceptionnel », comparable à Victor Hugo et digne du Panthéon de la chanson française, comme l’ont affirmé des personnalités politiques de haut rang ?</p>
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<p>Faire de lui une icône du rock français au motif qu’il a introduit le rock’n roll en France dans les années soixante, n’est-ce pas faire insulte aux musiciens qui, depuis des dizaines d’années et bien souvent dans l’ombre, explorent et redéployent l’esthétique rock dans de nombreux courants et sous-courants véritablement populaires ? Certes, Johnny Hallyday bénéficiait d’une immense popularité. Mais le mot est piégé. Inventé par les industries culturelles pour glorifier la culture de masse, il tend à faire croire que le caractère populaire d’une proposition artistique se mesure au nombre de disques ou de billets vendus.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/199564/original/file-20171217-17857-tenf2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/199564/original/file-20171217-17857-tenf2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/199564/original/file-20171217-17857-tenf2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/199564/original/file-20171217-17857-tenf2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/199564/original/file-20171217-17857-tenf2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/199564/original/file-20171217-17857-tenf2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/199564/original/file-20171217-17857-tenf2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Johnny Halliday à ses débuts.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://dannyfriar.wordpress.com/2015/01/15/0637-tutti-frutti-johnny-hallyday-1961/">D. Friar</a></span>
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<h2>L’État piégé</h2>
<p>Le piège fonctionne à merveille. Cela fait vingt ans déjà que l’État est tombé dedans : dès 1997, on a pour la première fois ajouté aux missions historiques du ministère de la Culture celle de « veiller au développement des industries culturelles ». Et dans une totale confusion des genres, c’est la ministre chargée de cette mission, Catherine Trautmann, qui avec bonheur inventera les <a href="http://mediatheque.cite-musique.fr/mediacomposite/cim/_Pdf/70_Institutions_DracsSmac.pdf">Scènes de musiques actuelles</a> (SMAC) pour que s’y développent les musiques populaires… tandis qu’au même moment la France se couvre des Zéniths si chers à Johnny !</p>
<p>Dans les heures et les jours qui ont suivi le décès de Johnny Hallyday, le piège s’est cruellement refermé : entre une ministre de la Culture souhaitant un « hommage national » pour l’idole des (ex-)jeunes, et un président de la République lui rendant officiellement un hommage « populaire » à l’occasion de ses obsèques, tout porte à croire que l’on a durablement renoncé, rue de Valois, à tenter d’organiser des relations équitables entre culture cultivée, culture populaire et culture de masse.</p>
<p>Dès lors une question demeure, lancinante : à quoi peut bien encore servir un ministère de la Culture ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/89288/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Plutôt qu'un parangon de la culture populaire, Johnny Hallyday est le symbole du divertissement, élevé au rang d'art par les politiques publiques depuis les années 1980.Isabelle Mathieu, Ingénieure de recherche, Université de Bourgogne, Auteurs historiques The Conversation FranceClaude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/871912017-11-09T13:59:15Z2017-11-09T13:59:15ZLe Louvre à Abou Dhabi : de l’art consommé…<blockquote>
<p>« La culture, c’est ce qui répond à l’homme quand il se demande ce qu’il fait sur terre. » <em>André Malraux</em></p>
</blockquote>
<p>Quelle meilleure métaphore pour parler des muses et de la culture que celle empruntée à la mythologie antique ? Quel meilleur visage que celui d’Hermès au parfum sulfureux pour signifier la rupture intervenue dans l’engagement français sur le champ culturel en ce début de XXI<sup>e</sup> siècle ?</p>
<p>À l’heure où le Président Macron retire le voile (symboliquement, bien entendu, dans ce pays où les corps restent cachés) sur la réplique monumentale du Louvre jaillie des années Sarkozy, la distance éclate au grand jour entre la visée humaniste universaliste de la Révolution française et l’inscription du musée dans le grand marché mondial des loisirs. André Malraux, fasciné qu’il était par les civilisations disparues, nous aurait sans nul doute pardonné le recours aux anciens dieux pour fixer ces deux pôles de la question culturelle.</p>
<h2>D’Hermès Trismégiste à Hermès Mercure</h2>
<p>Regardons la figure d’Hermès, un dieu aussi sympathique qu’encombrant. Le mythe voyage comme le vent dans toute l’Antiquité et dans tous les contours de la Méditerranée : de la Grèce à l’Égypte (où on l’assimile à Thot), en passant par Rome (ou il devient Mercure) et en Gaule (où on l’associe à Cernunnos)…</p>
<p>Il avance paré le plus souvent de ses trois attributs essentiels : le pétase sur la tête, le caducée à la main, les sandales ailées aux pieds. Mais, en fonction du lieu et des préoccupations dominantes, on voit s’enrichir ses attributs : la bourse d’argent dans la main droite (comme on peut le remarquer dans sa statue posée dans les jardins de Versailles), trois têtes (parfois quatre comme à Bordeaux), trois phallus, une paire de cornes… Visiblement, à l’audimat des dieux, Hermès-Mercure-Thot est le dieu le plus populaire des anciens. Sans doute parce qu’il est le plus proche des hommes, de leur faiblesse comme de leur sagesse et, de ce fait, le plus humain. Non seulement omniprésent, il s’avère en effet extraordinairement polyvalent.</p>
<p>Qu’on en juge avec un aperçu de tous les rôles qu’on lui attribue cumulativement : messager des dieux et interprète de leur parole, dieu des voyageurs, des voleurs (Hermès a commencé dans la vie en volant les bœufs de son demi-frère), des commerçants, de la fécondité, des orateurs, gardien des routes et conducteur des âmes aux enfers… On en passe. Certes, les usages politiques et sociaux accentueront tel ou tel de ces rôles : l’Égypte hellénisée en fera Hermès-Trismégiste (trois fois le plus grand) et honorera avant tout l’interprète ; Rome, sous le nom de Mercure, consacrera la prééminence de son rôle de dieu du commerce. Ovide s’adresse à lui en disant :</p>
<blockquote>
<p>« Tous ceux qui font profession de vendre des marchandises t’offrent de l’encens et te prient pour leur assurer des profits. »</p>
</blockquote>
<p>Avec ce dieu multiple, le détour mythologique devient un véritable voyage. La pluralité des talents prêtés simultanément ou consécutivement à notre si fameux Hermès peut paraître hétéroclite, on peut toutefois y trouver un fil conducteur : il est un passeur, un homme d’échange et de parole. Il est l’universel transmetteur des valeurs nobles, sagesse divine, sciences et arts, comme des valeurs prosaïques, commerce et plaidoirie. En lui s’exprime la dialectique profondément humaine du matériel et de l’immatériel.</p>
<p>Des siècles de religion chrétienne ont séparé vigoureusement les deux plans en distinguant le spirituel et le temporel : l’époque actuelle les réunit miraculeusement. Le champ de l’art et de la culture, lieu naturel de leur rencontre parce que les valeurs y prennent forme, devient la scène emblématique des retrouvailles. Qu’il ne s’agisse pas d’une réminiscence littéraire, mais d’une nouvelle métamorphose bien réelle d’Hermès, l’actualité en fournit une preuve convaincante.</p>
<h2>Du Musée-Louvre à la marque Louvre</h2>
<p>Le Louvre restaure en pleine lumière l’ambivalence paradoxale du vieux dieu. Pour la plus grande joie de Nicolas Sarkozy, qui n’avait pas conçu la chose mais s’en était emparé goulûment : ce qui fut le premier grand musée public véritablement national de l’histoire de l’Europe, ouvert au peuple par la jeune nation conquérante, s’exporte. Entre mer et sable du désert, à quelques lieues d’une future plateforme militaire, le Louvre se dédouble à Abou Dhabi.</p>
<p>Le 13 janvier 2009, le Président de la République déclarait ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« À ce propos, je voudrais dire que je n’ai pas compris la polémique qui a accompagné le partenariat du Louvre avec les Émirats arabes unis. »</p>
</blockquote>
<p>Son étonnement était d’autant plus grand qu’il y voyait, pour sa part, « une excellente nouvelle ! » Rien de moins qu’un instrument de lutte contre l’enfermement, un outil d’ouverture de l’islam au monde. Curieux destin de ce vénérable temple de la nation française, illustrant pourtant si bien cette religion laïque qu’appelait de ses vœux Malraux.</p>
<p>Mais une autre lecture, plus matérialiste, se superpose et se surimprime avec la précédente : celle qui épouse la logique « Guggenheim ». On en connaît le principe, celui des industries culturelles : une superbe enveloppe, réalisée par un architecte internationalement reconnu, pas de collection propre, mais des œuvres qui circulent d’un musée à l’autre. La modernité artistique prend les couleurs du marché international. La médiation se consume dans un acte de pure communication. D’autant que l’affaire se déroule sur fond de concurrence, un musée Guggenheim étant déjà installé dans les Émirats. Ainsi, ce n’est pas le « musée-Louvre » que l’on délocalise, c’est la « marque-Louvre » dont on installe (à prix d’or) une succursale à Abou Dhabi. Le prestige devient un argument de vente.</p>
<p>Voilà Hermès comblé, lui dont l’ingéniosité s’étend de l’interprétation de la parole divine au commerce des biens, de la plus profonde spiritualité à la plus complète utilité. Il mérite d’urgence deux statues, toutes deux pleinement légitimes. La première sera placée à l’entrée du Louvre, sous la pyramide, en sa qualité de dieu de l’interprétation et de la transmission de la sagesse divine ; la seconde, au frontispice du musée éponyme d’Abou Dhabi, en grand référent du commerce ! Ce dieu polysémique ornera aussi parfaitement l’esprit du vénérable <em>musée-temple</em> de la nation française, que son avatar <em>musée-communication</em> dans un pays sans tradition muséale ni collection.</p>
<h2>L’évangile de la consommation</h2>
<p>Si l’affaire du Louvre succursalisé à Abou Dhabi n’était qu’un épiphénomène accidentel et circonstancié, il n’y aurait pas lieu de s’en émouvoir. Las, elle écrit en lettres brûlantes l’esprit du temps, marqué par la profonde mutation du rapport que les politiques entretiennent avec l’art et la culture, particulièrement en France : d’acteurs du développement culturel à des fins démocratiques, ils se muent en auxiliaires dévoués d’un vaste marché consumériste. Voici que s’accélère la dérive de la démocratisation en communication et en consommation.</p>
<p>Cette évolution, pour brutale qu’elle se montre dans ses récentes manifestations, remonte à loin, et constitue le terme d’une transformation radicale du fonctionnement économique de nos sociétés. Dans <em>La fin du travail</em>, Jeremy Rifkin fixe d’un trait la mutation accomplie au cours du siècle passé :</p>
<blockquote>
<p>« La métamorphose de la consommation de vice en vertu est l’un des plus importants événements sociaux (et l’un des moins étudiés) du XX<sup>e</sup> siècle. »</p>
</blockquote>
<p>Encore au début des années 1900, et au cours des décennies qui suivirent, le terme consommation comportait une forte charge négative : son étymologie, à la fois française et anglaise, se ramène au verbe « consumer ». La connotation péjorative avec l’épuisement et la destruction est naturellement récurrente : l’idée de consomption n’est-elle pas celle d’une destruction petit à petit ? La consommation avait donc tout pour heurter les valeurs dominantes d’effort et de travail ; elle rencontrait une résistance particulièrement vive chez les Anglo-saxons, où l’éthique protestante incitait au sacrifice et à l’épargne.</p>
<p>Bien que relevant d’une philosophie différente, nous retrouvons, en France, le même rejet de ce qui est considéré comme relevant de l’oisiveté, de la futilité. Sur fond de positivisme exacerbé, on voit rejeter tout ce qui nie le travail avec son corollaire, le repos. Un coup d’œil aux définitions proposées par les grands auteurs de dictionnaires au mot <em>tourisme</em> suffit à donner le ton.</p>
<p>Voyons Émile Littré :</p>
<blockquote>
<p>« Touriste : se dit des voyageurs qui ne parcourent des pays étrangers que par curiosité et désœuvrement, qui font une espèce de tournée dans les pays habituellement visités par leurs compatriotes. Se dit surtout des voyageurs anglais en France, en Suisse et en Italie. »</p>
</blockquote>
<p>Même son de cloche chez Pierre Larousse :</p>
<blockquote>
<p>« Touriste : personne qui voyage par curiosité et désœuvrement. »</p>
</blockquote>
<p>La charge est accentuée par la reprise d’un texte ironique et mordant d’Hippolyte Taine, distinguant six variétés de touristes, dont aucune ne mérite le qualificatif d’intelligente. Citons-en une pour saisir la couleur du tableau :</p>
<blockquote>
<p>« La seconde variété comprend des êtres réfléchis, méthodiques, ordinairement portant lunettes, doués d’une confiance absolue dans la lettre imprimée. On les reconnaît au manuel-guide qu’ils ont toujours entre les mains. Ce livre est pour eux la Loi et les Prophètes. Ils ont les yeux fixés sur le guide, se pénétrant de la description et s’informant au juste des émotions qu’ils doivent éprouver. Ce sont des touristes dociles. »</p>
</blockquote>
<p>L’heure n’est pas encore au consumérisme culturel, et Thomas Cook n’a pas donné le signal du tourisme de masse. L’idée même d’associer consommation et biens culturels relèverait alors de l’antonyme. La définition économique de la consommation faisant référence à l’époque est celle de Jean‑Baptiste Say, que cite Larousse et qui définit l’action de consommer par celle de destruction de l’utilité des choses, d’anéantissement de leur valeur :</p>
<blockquote>
<p>« L’utilité d’une chose une fois détruite, le premier fondement de sa valeur, ce qui la fait rechercher, ce qui en établit la demande sera détruit. Dès lors, elle ne renferme plus de valeur ; ce n’est plus une portion de richesse. »</p>
</blockquote>
<p>La culture – qui suppose effort, respect et élévation – se situe aux antipodes d’une vision aussi utilitariste : l’œuvre ne se consomme ni se consume dans l’éphémère, elle se contemple et s’apprécie dans la durée et le partage. L’heure n’est pas encore à la culture de masse. Et la réticence initiale freinera longtemps la rencontre des deux mondes.</p>
<h2>Une nation de consommateurs</h2>
<p>D’un point de vue économique plus général, la conversion d’une culture de la production en une culture de la consommation ne s’est effectuée ni spontanément ni immédiatement. Il a fallu batailler dur pour transformer un peuple d’épargnants en une nation de consommateurs. Le monde des affaires prendra conscience de la nécessité du marketing et du management en même temps qu’il mesurera le rôle économique moteur de la consommation.</p>
<p>Dans <a href="http://www.spytrdr.com/OnlyYesterday.pdf"><em>Only Yesterday : An Informal History of the 1920s</em></a>, Frederick Lewis Allen écrit :</p>
<blockquote>
<p>« L’entreprise apprit comme jamais auparavant l’importance du consommateur final. Sauf à le persuader d’acheter (et d’acheter sans compter), cette avalanche de voitures à six cylindres, de récepteurs-radio à changement de fréquence, de cigarettes, de poudriers compacts et de frigos électriques serait vouée à engorger les stocks. »</p>
</blockquote>
<p>L’irruption massive du marketing va contribuer à façonner le paysage commercial idéal. La publicité élargit ses horizons au-delà du caractère utilitaire de l’objet et, selon Pour Jeremy Rifkin, ouvre le champ de l’imaginaire et des valeurs socialement symboliques :</p>
<blockquote>
<p>« Les publicitaires ne furent pas longs à abandonner leurs arguments descriptifs pour faire jouer les violons du statut social et de la distinction. Le commun des mortels fut invité à imiter les riches, à se vêtir des signes extérieurs du succès et de la prospérité, jusque-là réservés à l’aristocratie des affaires et à l’élite sociale. »</p>
</blockquote>
<p>C’est dans cet espace que surgit le phénomène de mode, dont l’axe central est constitué par l’idée d’un « luxe pour tous ». L’art en fait partie.</p>
<p>Aux portes du désert, la mondialisation offre un nouveau temple à la célébration de la consommation comme culture à part entière, avec ses rites et ses conventions. Est-ce simplement la proximité des espaces désertiques qui fait tant ressembler le Louvre d’Abou Dhabi à un mirage somptueux ?</p>
<hr>
<p><em>Ce texte est largement extrait de l’ouvrage <em>Pas de Grenelle pour Valois</em> (Claude Patriat, CarnetsNord, 2009).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/87191/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Quel meilleur visage que celui d’Hermès au parfum sulfureux pour signifier la rupture intervenue dans l’engagement français sur le champ culturel en ce début de XXIᵉ siècle ?Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/721312017-02-05T22:09:52Z2017-02-05T22:09:52ZLa culture vue par les Français<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/155483/original/image-20170203-14020-mjc9r6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour 62 % des Français, la cuisine fait partie intégrante de la culture</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://maxpixel.freegreatpicture.com/Cutting-Vegetables-Cook-Fruit-Woman-Hands-Cooking-1207952">MaxPixel</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>C’est dans une indifférence médiatique presque totale que le Ministère de la culture a publié en septembre dernier une <a href="http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Etudes-et-statistiques/Publications/Collections-de-synthese/Culture-etudes-2007-2016/Les-representations-de-la-culture-dans-la-population-francaise-CE-2016-1">enquête sur les représentations de la culture</a>. Pour la première fois, la question de la perception de la culture était soumise aux destinataires des politiques publiques de la culture. On peut bien sûr y déceler le signe d’un trouble dans le rapport du ministère à sa mission ainsi que celui d’un affaiblissement de la verticalité de l’action publique en matière de culture.</p>
<p>André Malraux aurait-il donné la parole à la population pour savoir ce qu’elle entendait par « culture » ? L’évidence de la culture et de la nécessité de sa transmission a longtemps rendu superflue toute question sur son périmètre. C’est une vertu de cette incertitude que de laisser de la place à l’interrogation y compris de ceux qu’on a longtemps qualifiés « d’administrés ».</p>
<h2>Une direction de la cuisine ?</h2>
<p>L’enquête donne ainsi lieu à la mise à jour de domaines qui sont peu pris en charge par le ministère. C’est ainsi que de façon très massive les Français interrogés désignent la science (77 %), les voyages (73 %) et la cuisine (62 %) comme des activités faisant partie de la culture dans tous les cas. Bien sûr ce sont des catégories vagues : quelles pratiques scientifiques ou de cuisine les conduisent-ils à penser qu’elles relèvent de la culture ? Mais ce résultat reste surprenant puisque ces domaines arrivent avant des pratiques culturelles plus instituées : aller au théâtre (62 %), lire la presse (58 %), écouter de la musique classique (57 %), lire des romans (57 %), jouer d’un instrument de musique (53 %) et aller au cinéma (50 %). La prééminence supposée des pratiques artistiques ou légitimes n’est pas partagée de façon unanime. On assiste à une véritable contestation d’un régime de légitimité culturelle.</p>
<p>De même que les <a href="http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/01/20/bruno-cautres-le-message-des-francais-a-leurs-representants-c-est-on-ne-vous-aime-pas_5066264_4854003.html">Français expriment une défiance à l’égard des politiques et des médias</a>, ils ne se retrouvent pas dans les catégories du ministère et n’hésitent pas à le renverser en proposant des pratiques jusqu’ici ignorées. À quand une direction de la cuisine à l’intérieur du ministère de la culture ? En tous les cas, on constate un décalage entre le périmètre du ministère et la définition en vigueur dans la population. Et Jean-Michel Guy – qui a réalisé l’enquête – a raison de souligner que « dans la perspective du renouvellement de l’enquête sur les pratiques culturelles, l’étude sur les représentations de la culture et les valeurs qui leur sont associées vient enrichir la compréhension du rapport que les Français entretiennent avec la culture ».</p>
<p>Mais au-delà des pratiques et des domaines, à quels types de contenus la population associe-t-elle la culture ?</p>
<h2>La culture, outil d’expression artistique de soi</h2>
<p>La culture est d’abord un contenu expressif (symbolique) qui fait sens aujourd’hui. À raison, la multitude de réponses spontanées ont été regroupées par l’auteur dans un premier registre dont la cohérence réside dans la définition de la culture par son contenu. Qu’il s’agisse de cinéma, de musique, d’arts, de littérature ou des institutions qui les prennent en charge (cinéma, bibliothèques, musées, etc.), 71 % des Français se retrouvent dans cette vision de la culture.</p>
<p>Nos contemporains sont en quête de contact avec des univers de sens qui viennent du passé, du présent ou de l’imaginaire et qui participent à leur existence subjective. Le rapport à soi et aux autres passe par des « œuvres » qui les qualifient et les rassemblent. La culture ainsi définie, forme un support indispensable pour dire à la fois « je » et « nous ». Et il est bien possible que la cuisine entre dans la culture à la fois par sa dimension expressive et sa fonction de partage. Par-delà leurs divergences de goûts et leurs caractéristiques sociales différentes, les Français se retrouvent de façon presque unanime autour de cette expérience de la culture comme accès au sens.</p>
<h2>Entre hiérarchie et partage</h2>
<p>Mais la culture désigne aussi un savoir transmis et institutionnalisé. 46 % des personnes interrogées associent spontanément la culture à la connaissance, le savoir ou la culture générale. Cette vision n’est pas dominante mais largement diffusée.</p>
<p>Il s’agit moins d’une expérience subjective que de la confrontation à un stock de références constituées et qui se donne à voir comme factuelles. Que ce soit dans l’émission « Questions pour un champion » dans le jeu « Trivial poursuit » ou dans des concours de la fonction publique, il s’agit encore et toujours de trouver les bonnes réponses dans un stock de connaissances accumulées.</p>
<p>Dès lors, cette vision de la culture s’articule à une hiérarchisation des individus selon leur capacité à mémoriser et mobiliser ces références. Ils ne sont plus unis dans un rapport subjectif à des univers de sens mais ordonnés selon leur capacité à maîtriser un savoir sédimenté par des institutions, des jeux et des interactions personnelles.</p>
<p>Comme pour équilibrer cette vision discriminante, 37 % des répondants associent la culture à des valeurs résumées par l’auteur comme « la tolérance, le bien-être, la curiosité, l’enrichissement ou la présente(nt) sous un angle global (« c’est la vie », « c’est tout »…) ». Que ce soit à titre personnel ou collectif, la culture devient le moyen d’une ouverture. Chacun est porteur de culture et c’est ce qui nous rassemble tous.</p>
<h2>La culture à l’heure de l’individu</h2>
<p>Les représentations de la culture oscillent ainsi entre une expérience subjective particulière, un opérateur de hiérarchisation sociale et l’aspiration à une valeur partagée. Ce portrait entre en résonance avec la manière dont le monde est vécu par nos contemporains aujourd’hui. D’abord prime l’expérience et le point de vue personnels sur le monde et si les domaines artistiques peuvent varier, l’enquête révèle un large accord sur cette vision.</p>
<p>La norme sociale vise à choisir soi-même ses sources de culture loin de contenus qui devraient s’imposer à tous. Ce qui compte est le mouvement qui relie chacun à soi-même par l’intermédiaire d’œuvres plus que leur nature ou la reconnaissance dont elles font l’objet. On observe ici ce que certains sociologues observent à propos de la relation conjugale : nos contemporains aspirent à un conjoint dont ils attendent qu’il leur apporte une <a href="http://www.hebdo.ch/vive_les_divorcees_146775_.html">satisfaction personnelle</a> par la variété et l’intensité de ses qualités. Peu importe que la relation soit durable ou institutionnalisée dans le mariage.</p>
<p>Ensuite, la conscience d’un ordre social hiérarchisé se fait jour. Le goût personnel n’évacue pas les enjeux sociaux. La capacité à accumuler des connaissances reconnues comme telles – la capacité à identifier le type de fusible adapté selon les appareils électriques raccordés n’entre pas dans les tests de culture générale – opère comme élément différenciateur.</p>
<p>Mais si la culture participe à la hiérarchisation sociale, une partie des Français entendent compenser cette vision par une dimension universalisante. La culture peut rassembler tous les individus par-delà leurs différences. Ils cherchent à identifier et reconnaître un espace commun de nature à rassembler des individus à la fois singuliers et inscrits dans une hiérarchie sociale. C’est ce que permettent des moments collectifs (fête de la musique) ou des œuvres qui entrent dans la culture commune (films, séries, livres, etc.)</p>
<p>Cependant, cette vision de la culture comme imaginaire collectif fédérateur occupe une place plus faible que les deux autres. Le temps de « la culture pour tous » semble révolu. En revanche, les Français semblent mûrs pour entendre le discours de la « culture pour chacun » qu’avait commencé à développer (<a href="http://www.marianne.net/La-culture-pour-chacun-de-Frederic-Mitterand-est-un-nivellement-par-le-bas_a205299.html">non sans rencontrer d’hostilité</a> chez une partie des professionnels et du Ministère) Frédéric Mitterrand. La « culture pour tous » apparaît décalée car abstraite et à distance de l’autonomie de choix revendiquée par les individus d’aujourd’hui.</p>
<p>Cette enquête se présente donc comme une opportunité de moderniser le discours des institutions culturelles et du Ministère afin de le mettre en phase avec la population. Ce serait sans doute un moyen pour que les Français reconstruisent du commun par la culture.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/72131/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Poissenot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La récente enquête menée par le Ministère de la Culture montre que es Français sont en « union libre » avec la culture, loin des carcans légitimes et des pratiques instituées.Claude Poissenot, Enseignant-chercheur à l'IUT Nancy-Charlemagne et au Centre de REcherches sur les Médiations (CREM), Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/596902016-05-25T04:40:15Z2016-05-25T04:40:15ZL’odyssée Jean Genet<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/123719/original/image-20160524-11025-1gabwvi.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=142%2C0%2C984%2C480&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Alberto Giacometti, Portrait de Jean Genet (détail), 1954-1955 Paris, Centre Pompidou.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.claudinecolin.com/fr/1206-jean-genet-lechappee-belle">Centre Pompidou</a></span></figcaption></figure><h2>Par-delà le bien et le mal</h2>
<p>Nul, peut-être, mieux que Jean Genet n’a incarné la vision rimbaldienne de la poésie et du devenir poète, tant il a passé son temps à n’être jamais là où l’on pensait le trouver, à n’être jamais celui qu’on croyait qu’il était, à brouiller l’apparence des frontières entre le bien et le mal, entre la folie et la raison, entre l’homme et la femme, à faire fi des limites géographiques, des appartenances claniques ou de la couleur de peau.</p>
<p>Mais ce dérèglement du sens et des sens est peut-être moins, chez Genet que chez Rimbaud, le moyen d’arriver à des visions inouïes, ou plutôt si, tout autant, mais moins directement. En effet, Jean Genet met fortement l’accent sur une étape de cette éthique poétique qui n’apparaît qu’à l’état latent dans les « Lettres du Voyant ». Chez <a href="http://www.deslettres.fr/lettre-darthur-rimbaud-a-paul-demeny-dite-lettre-du-voyant-je-est-un-autre/">Rimbaud</a>, « se faire l’âme monstrueuse » a pour but de développer un imaginaire inédit ; la marginalisation de la personne du poète n’apparaît que comme conséquence – certes nécessaire – de ce travail vers la « voyance » :</p>
<blockquote>
<p><a href="http://www.deslettres.fr/lettre-darthur-rimbaud-a-paul-demeny-dite-lettre-du-voyant-je-est-un-autre/">Ineffable torture</a> où il le [poète] a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit – et le suprême Savant ! – Car il arrive à l’<em>inconnu</em> !</p>
</blockquote>
<p>Pour Jean Genet, la monstruosité ou, disons-le autrement, la criminalité permet avant tout à l’artiste, au poète, de construire et de préserver une solitude indispensable à la création ; elle en est le prérequis :</p>
<blockquote>
<p>Pour acquérir cette solitude absolue dont il a besoin s’il veut réaliser son œuvre – tirée d’un néant qu’elle va combler et rendre sensible à la fois – le poète peut s’exposer dans quelque posture qui sera pour lui la plus périlleuse. Cruellement il écarte tout curieux, tout ami, toute sollicitation qui tâcheraient d’incliner son œuvre vers le monde. S’il veut, il peut s’y prendre ainsi : autour de lui il lâche une odeur si nauséabonde, si noire qu’il s’y trouve égaré, à demi asphyxié lui-même par elle. On le fuit. Il est seul. Son apparente malédiction va lui permettre toutes les audaces puisque aucun regard ne le trouble. Le voilà qui se meut dans un élément qui s’apparente à la mort, le désert. Sa parole n’éveille aucun écho. Ce qu’elle doit énoncer ne s’adressant plus à personne, ne devant plus être compris par ce qui est vivant, c’est une nécessité qui n’est pas exigée par la vie mais par la <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/L-arbalete-Gallimard/Le-funambule">mort qui va l’ordonner</a>.</p>
</blockquote>
<p>Cette solitude très proche de la mort, très proche de l’espace littéraire tel qu’entrevu par <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/L-Espace-litteraire">Maurice Blanchot</a>, c’est donc ce qui légitime le masque de l’abjection chez Genet, masque qui n’est qu’un masque, répétons-le.</p>
<p>D’aucuns pourraient s’offusquer de certains de ses écrits : le portrait d’Hitler tel que dressé dans <a href="http://www.babelio.com/livres/Genet-Pompes-funebres/37062">Pompes funèbres (1948)</a>, par exemple, a fait couler beaucoup d’encre, bien diffusé sous le manteau à l’époque ; L’<a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/L-arbalete-Gallimard/L-enfant-criminel">Enfant criminel (1949)</a>, moins connu, mais publié chez le même éditeur, Paul Morihien, fut interdit de radio alors même qu’il fut originairement commandé par le directeur du service arts et littérature de la Radiodiffusion française. Mais il convient de vraiment <em>lire</em>, ce qui demande de savoir distinguer entre la personne réelle de l’auteur et l’<em>ethos</em> du narrateur – le débat est ancien.</p>
<h2>L’autre aux semelles de vent</h2>
<p>De son enfance à l’Assistance publique jusqu’au théâtre de l’Odéon, en passant par les centres de détention et les prisons françaises, des Black Panthers aux camps de Palestine, des premiers poèmes écrits sur du mauvais papier en prison, passés sous le manteau, et autres livres censurés, jusqu’à la parution de ses <em>Œuvres complètes</em>, de son vivant, chez Gallimard, jusqu’à, surtout, la « sanctification » <em>ante mortem</em> qu’a représenté l’ouvrage monumental que <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Saint-Genet-comedien-et-martyr">Sartre lui a consacré</a>, Sartre, mais aussi <a href="http://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0610161802.html">Derrida</a>, puis, plus récemment <a href="http://www.editions-galilee.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=3339">Hélène Cixous</a>, Genet a fait de sa vie une épopée, épopée tragiquement, banalement, achevée le 15 avril 1986, par une chute dans une médiocre chambre du Jack’s Hôtel, dans le treizième arrondissement de Paris.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/123802/original/image-20160524-25236-343qvy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/123802/original/image-20160524-25236-343qvy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/123802/original/image-20160524-25236-343qvy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/123802/original/image-20160524-25236-343qvy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/123802/original/image-20160524-25236-343qvy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/123802/original/image-20160524-25236-343qvy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/123802/original/image-20160524-25236-343qvy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/123802/original/image-20160524-25236-343qvy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ernest Pignon-Ernest, « Parcours Jean Genet », 2006. Photographie in situ, Brest.</span>
<span class="attribution"><span class="source">MuCEM</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cela fait trente ans, ce printemps, que ce poète-dramaturge-romancier <a href="http://bennot.narod.ru/articfra/rimbaud.html">« aux semelles de vent »</a>, que ce funambule inclassable, nous a quittés. À Marseille, le jeune Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM) a choisi de rendre hommage à Jean Genet à partir d’une entrée géographique dans sa vie et dans son œuvre, entrée méditerranéenne plus particulièrement, Méditerranée qui a souvent inspiré l’imaginaire du poète.</p>
<p>L’exposition, conçue par Albert Dichy, directeur littéraire de l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC) et Emmanuelle Lambert, écrivain, est structurée autour de trois ouvrages emblématiques du parcours de Genet qui illustrent la virtuosité avec laquelle l’auteur maniait les différents genres, mais aussi la constance du sillon qu’il traçait.</p>
<p>La première salle est ainsi consacrée au <em>Journal du voleur</em>, récit d’inspiration autobiographique paru en 1949, dont l’action principale se situe en Espagne. En regard de l’ouvrage, sont présentés des documents d’archive inédits retraçant les rapports du futur écrivain aux institutions sociales, pénitentiaires et psychiatriques entre lesquelles ses premières années se sont déroulées.</p>
<p>C’est ensuite l’univers de la pièce <em>Les Paravents</em> (1961) qui se déploie devant le regard du visiteur, pièce qui avait fait scandale en son temps bien qu’elle fût jouée pour la première fois quatre ans après la fin de la Guerre d’Algérie (mise en scène de Roger Blin au théâtre de l’Odéon). Mais il est vrai que le dramaturge y dessine un portrait des colonisateurs sans concession, voire outrageant.</p>
<p>C’est que, pour Genet, la représentation théâtrale est avant toute cérémonie religieuse et œuvre d’art totale, tragédie au sens antique qui a pour but la purgation des passions, d’où un très grand éloignement des codes du réalisme et du théâtre bourgeois. </p>
<p>André Malraux, qui l’avait compris et qui dut défendre la pièce – subventionnée – à l’époque, n’hésita pas d’ailleurs, dans une allocution mémorable pour l’histoire littéraire, à comparer le dramaturge à <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/7ek.asp">Baudelaire et à Goya</a> :</p>
<blockquote>
<p>Quiconque a lu cette pièce sait très bien qu’elle n’est pas antifrançaise. Elle est antihumaine. Elle est anti-tout. Genet n’est pas plus antifrançais que Goya anti-espagnol. Vous avez l’équivalent de la scène dont vous parlez dans les <em>Caprices</em>. Par conséquent, le véritable problème qui se pose ici – il a d’ailleurs été posé – c’est celui, comme vous l’avez appelé de la « pourriture ».</p>
</blockquote>
<p>Cette seconde salle d’exposition du MuCEM s’intéresse ainsi davantage au paratexte de la pièce de théâtre, de sa conception à sa mise en scène et à sa réception. Sont ici présentés, par exemple, sur le versant de la genèse de l’œuvre, les premiers manuscrits du texte, les notes de mises en scène de Roger Blin, des maquettes des costumes d’André Acquart. Sur le versant de la réception, des photographies de la représentation sont proposées au public ainsi que les témoignages filmés de Jean-Louis Barrault et de Maria Casarès, qui jouaient respectivement Si Slimane et La Mère dans la mise en scène de 1966, en regard des images des manifestations que la pièce avait engendrées à l’époque.</p>
<p>Enfin, avec <em>Un Captif amoureux</em>, livre inclassable publié quelques mois après la mort de Genet, nous découvrons la Palestine, mais nous entrons aussi plus au cœur de l’engagement politique de l’auteur, engagement qui n’a eu de cesse – parallèlement à la poésie, par elle et pour elle (poésie entendue au sens large, <em>Dichtung</em>) – de guider son « échappée ». Et si ce dernier terme, qui donne son nom à l’ensemble de l’exposition, décrit bien le mouvement, la dé-marche, le dé-placement perpétuel qu’opérait Genet dans son être-au-monde, pour être au monde, il masque peut-être un peu le fait que se dessine, au fil des années et paradoxalement, une véritable trajectoire qui lui a permis de prendre place très rapidement et tant politiquement que littérairement dans son temps.</p>
<p>Moins errance ou fuite, donc, moins exil que quête, quête vivante, charnelle, du corps et par le corps, que vient symboliser la sculpture du <em>Marcheur</em> de Giacometti, placée au centre du dispositif, Giacometti, un des rares contemporains qu’admirait Genet, qu’il <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/L-Arbalete/L-Atelier-d-Alberto-Giacometti">admirait tant</a>. Le visiteur pourra également visionner l’une des rares apparitions filmées de Jean Genet, dans un entretien avec Antoine Bourseiller tourné en Grèce quelques années avant sa mort.</p>
<h2>Recommencements</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/123725/original/image-20160524-10986-1p4oef4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/123725/original/image-20160524-10986-1p4oef4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/123725/original/image-20160524-10986-1p4oef4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/123725/original/image-20160524-10986-1p4oef4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/123725/original/image-20160524-10986-1p4oef4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/123725/original/image-20160524-10986-1p4oef4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1064&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/123725/original/image-20160524-10986-1p4oef4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1064&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/123725/original/image-20160524-10986-1p4oef4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1064&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Jean Genet en 1937. D.R., Fonds Jean Genet/IMEC, cliché Michael Quemener.</span>
<span class="attribution"><span class="source">MuCEM</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il y aurait tant d’autres choses à dire, tant d’autres fils à tirer de la lecture de cet homme-fleur, de cet homme-fleuve : Paris qui ne sera plus jamais Paris après la lecture de son œuvre ou la campagne française qui devient, par lui, le lieu du merveilleux, les États-Unis aussi, pailletés d’étoiles, comme après le passage du funambule, les minuscules sequins qu’il laisse tomber malencontreusement de son costume. Lire Genet, c’est retrouver, dans le réel, la possibilité d’une épiphanie magique. Et si la Méditerranée, chez Genet, n’a pas partout ce caractère central, il n’en reste pas moins que cette exposition prend ainsi le parti de réinscrire cet auteur dans le temps long des mythes méditerranéens, mais aussi dans l’actualité des exils quotidiens – Méditerranée, espace infiniment et indéfiniment politique.</p>
<p>Marseille nous propose ici de découvrir comme l’un de ses enfants et salue ainsi celui qu’elle condamna tantôt (en 1938, en effet, accusé de désertion, Jean Genet fut incarcéré dans la prison militaire du fort Saint-Nicolas, juste en face du fort Saint-Jean où se trouve le MuCEM aujourd’hui), et se rachète, et se tourne également, dans son geste, vers la tombe de ce fils de lumière, de ce <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio/Les-clochards-celestes">clochard céleste</a>, sise à jamais de l’autre côté (Jean Genet est enterré au cimetière espagnol de Larache au Maroc).</p>
<p><em><a href="http://www.mucem.org/fr/exposition/4044">Exposition « Jean Genet, l’échappée belle »</a>, du 16 avril au 18 juillet 2016, Marseille, Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM). « Jean Genet, l’échappée belle », catalogue de l’exposition sous la direction d’Emmanuelle Lambert, coédition Mucem-Gallimard, réalisé avec le concours de l’IMEC et le soutien de la Fondation d’entreprise La Poste, 2016, 260 pages.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/59690/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alice Delmotte-Halter ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Trente ans après sa mort, Jean Genet est célébré par une exposition au MuCEM. Retour sur une odyssée volontairement en marge. Excessive et géniale.Alice Delmotte-Halter, Chercheuse associée, littérature, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.