tag:theconversation.com,2011:/us/topics/assemblee-nationale-33955/articlesAssemblée nationale – The Conversation2024-02-13T15:43:12Ztag:theconversation.com,2011:article/2232922024-02-13T15:43:12Z2024-02-13T15:43:12ZRobert Badinter, « l’éloquence du cœur et de la raison »<p>L’annonce de la mort de Robert Badinter s’est accompagnée de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/09/l-hommage-unanime-des-responsables-politiques-a-robert-badinter_6215721_823448.html">très nombreux hommages</a>, dessinant le portrait d’une personnalité faisant aujourd’hui l’unanimité.</p>
<p>Parmi les multiples prises de position de ce grand homme d’État, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/mort-de-robert-badinter/mort-de-robert-badinter-le-monde-de-la-justice-rend-hommage-a-un-modele_6356056.html">défenseur infatigable des libertés publiques</a>, son combat victorieux pour l’abolition de la peine de mort, mené en tant que garde des sceaux de <a href="https://theconversation.com/global/topics/francois-mitterrand-23935">François Mitterrand</a>, restera sans doute comme le plus emblématique.</p>
<p>À ce titre, le discours qu’il a prononcé à l’Assemblée nationale, le 17 septembre 1981 dans le cadre de la discussion du projet de loi portant sur l’abolition de la peine de mort, a fait date. La loi sera adoptée le 18 septembre 1981, par 363 voix contre 117.</p>
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<figcaption><span class="caption">Extrait d’un journal télévisé d’époque sur le discours de Robert Badinter.</span></figcaption>
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<p><em>Ce discours est visible dans son intégralité <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/peine-de-mort-discours-robert-badiner-integral">sur le site de l’INA</a>, et on peut le consulter <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/135557-discours-de-m-robert-badinter-ministre-de-la-justice-sur-labolition">ici</a>.</em></p>
<p>Ce texte a fait l’objet de beaucoup d’attentions et de commentaires, dans le cadre politico-médiatique. </p>
<p>Pour ne pas réaliser une nouvelle analyse formelle de ce texte, et afin de porter également à la connaissance des lecteurs d’autres prises de parole de Robert Badinter, nous proposons une mise en relief de caractéristiques de ce discours en lien avec ce que lui-même disait de l’art oratoire, en particulier dans le cadre d’un <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/robert-badinter-se-raconte-dans-memorables/robert-badinter-515-2207617">podcast diffusé sur France culture</a>. C’est dans le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=DOvD9ELmT2U">5ᵉ épisode de cette série</a>, diffusée pour la première fois en 2002, qu’il est question des mots prononcés par Robert Badiner pour en finir avec la peine de mort.</p>
<p>L’avocat y explique que « ça n’était pas une question d’argumentation » et que ce discours n’avait « pas le caractère d’une plaidoirie » : cela signifie que l’enjeu de sa prise de parole dépassait le simple fait de réussir à convaincre, mais qu’il fallait qu’elle soit à la hauteur de l’événement, et de la transformation qu’elle allait entraîner dans la société française.</p>
<p>Il est ici très intéressant, pour un analyste du discours, d’écouter les mots de l’orateur à propos de l’éloquence. S’il considère notamment « la parole comme outil », s’il estime qu’il n’y a « pas de grands avocats, mais de grandes causes », il livre néanmoins en creux une définition du discours et de ses pratiques.</p>
<h2>Émotions et raison : une argumentation millimétrée</h2>
<p>Dans ses analyses de l’art oratoire, Robert Badinter estime qu’« une émotion ressentie ne peut être communiquée que si l’expression en est toujours en deçà plutôt qu’au-delà ». Cela nécessite une maîtrise fine de l’écriture du discours, en particulier en ce qui concerne la dimension pathétique.</p>
<p>Selon le linguiste <a href="https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/pathos/">Marc Bonhomme</a>, le terme de <em>pathos</em></p>
<blockquote>
<p>« désigne les effets émotionnels et passionnels produits par un discours sur le public. Il comporte à la fois une dimension sociodiscursive (émotion partagée par plusieurs individus), interactive (émotion communiquée entre énonciateur[s] et énonciataire[s]) et dynamique (émotion construite au moyen du langage) ».</p>
</blockquote>
<p>Lorsque l’on considère le discours pour l’abolition de la peine de mort, on peut considérer que le sujet se prête à un partage d’émotion par une large audience, au-delà de l’Hémicycle. À travers le choix de certains extraits, nous allons nous attarder sur la dimension pathétique de cette allocution, c’est-à-dire sur l’émotion créée par la combinaison des trois dimensions décrites précédemment. Leur combinaison habile permet à l’orateur de parler au groupe et aux individus dans un même mouvement.</p>
<blockquote>
<p>« La mort et la souffrance des victimes, ce terrible malheur, exigeraient comme contrepartie nécessaire, impérative, une autre mort et une autre souffrance. À défaut, déclarait un ministre de la justice récent, l’angoisse et la passion suscitées dans la société par le crime ne seraient pas apaisées. Cela s’appelle, je crois, un sacrifice expiatoire.</p>
<p>[…] Malheur de la victime elle-même et, au-delà, malheur de ses parents et de ses proches. Malheur aussi des parents du criminel. Malheur enfin, bien souvent, de l’assassin. Oui, le crime est malheur, et il n’y a pas un homme, pas une femme de cœur, de raison, de responsabilité, qui ne souhaite d’abord le combattre. Mais ressentir, au profond de soi-même, le malheur et la douleur des victimes, mais lutter de toutes les manières pour que la violence et le crime reculent dans notre société, cette sensibilité et ce combat ne sauraient impliquer la nécessaire mise à mort du coupable. Que les parents et les proches de la victime souhaitent cette mort, par réaction naturelle de l’être humain blessé, je le comprends, je le conçois. Mais c’est une réaction humaine, naturelle. Or tout le progrès historique de la justice a été de dépasser la vengeance privée. Et comment la dépasser, sinon d’abord en refusant la loi du talion ? »</p>
</blockquote>
<p>Ici, les termes comme <em>souffrance</em>, <em>malheur</em>, <em>angoisse</em>, <em>passion</em>, ou <em>sensibilité</em>, qui sont répétés voire martelés, délivrent un effet émotionnel portant l’auditeur à engager sa sensibilité, et à réagir non seulement avec sa raison, mais aussi avec son <em>cœur</em>.</p>
<p>On peut relever que ce terme est utilisé sept fois au cours de la prise de parole, dans laquelle il salue d’ailleurs la capacité de Jean Jaurès à allier « l’éloquence du cœur et l’éloquence de la raison ». </p>
<p>Concernant l’appel au groupe, le recours au « progrès historique de la justice » par exemple, ancre le propos dans un contexte historique plus large que le ressenti des émotions.</p>
<p>Ce qui est intéressant, c’est que cette émotion est mise au service d’un procédé rhétorique que le linguiste Raphaël Michelli a mis en évidence <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/fr/2006-v19-n1-fr1874/016637ar.pdf">dans ses analyses des débats abolitionnistes</a>.</p>
<p>Celui-ci relève une analogie, dénoncée par Badinter, que l’on peut formuler comme suit : la sanction du crime que prononce la justice est à la société ce que la vengeance privée est à « l’être frappé dans sa sensibilité ». Le garde des sceaux s’attache à rendre cette analogie inacceptable. Il montre qu’on ne peut considérer la justice comme recouvrant les caractéristiques de la vengeance, ni mettre sur le même plan la société et la victime : la société dans son ensemble ne doit pas raisonner comme un seul être meurtri.</p>
<p>On trouve ici un écho à une autre formule de Robert Badinter, qui insiste sur la « nécessité que celui qui vous écoute ne soit jamais étranger à ce que vous dîtes ». Le procédé de l’analogie contribue pleinement à construire ce lien.</p>
<p>Pour cela, Robert Badinter mobilise le pathos, joue sur les émotions, mais il procède aussi d’une rhétorique rigoureuse pour donner de la consistance à son argumentation, tout en gardant une proximité avec son auditoire. Cela s’intègre à une seconde dimension, la dimension relationnelle et interactive du discours.</p>
<h2>L’éloquence est « toujours une relation, jamais un discours »</h2>
<p>Pour Badinter, l’éloquence, qu’il entend comme étant l’art de séduire et de convaincre, est « toujours une relation, jamais un discours ». Il explique en effet que le discours est unilatéral, alors que c’est la prise en compte constante de ce que l’autre ressent qui importe.</p>
<p>Pour préciser ce dont il est question ici, rappelons que dans la <a href="http://icar.cnrs.fr/dicoplantin/logos-pathos-ethos-fr/">triade éthos/logos/pathos proposée par Aristote</a> pour expliquer l’art de la rhétorique, <a href="https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/ethos/">ethos</a> et pathos permettent de persuader, le logos (discours rationnel), de convaincre.</p>
<p>Pour convaincre, donc, Robert Badinter s’appuie bien également sur le <a href="https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/logos/">logos</a>, dans lequel il s’agit de faire « le choix d’arguments appropriés à la situation ».</p>
<p>Il est donc question de l’adaptation à son public, et de l’anticipation sur ce qui pourra le convaincre. Pour cela, l’orateur prend explicitement en compte les avis opposés aux siens, pour les discuter et les nuancer, non pas de manière frontale, mais avec une beaucoup de finesse et diplomatie :</p>
<blockquote>
<p>« Il s’agit bien, en définitive, dans l’abolition, d’un choix fondamental, d’une certaine conception de l’homme et de la justice. Ceux qui veulent une justice qui tue, ceux-là sont animés par une double conviction : qu’il existe des hommes totalement coupables, c’est-à-dire des hommes totalement responsables de leurs actes, et qu’il peut y avoir une justice sûre de son infaillibilité au point de dire que celui-là peut vivre et que celui-là doit mourir. »</p>
</blockquote>
<p>Rappelons que l’homme a manifesté un engagement de longue date, en tant qu’avocat, sur la question de la peine de mort : sa défense de Roger Bontems, puis de <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2024/02/09/la-plaidoirie-de-robert-badinter-au-proces-de-patrick-henry-en-1977-moi-je-vous-dis-si-vous-le-coupez-en-deux-cela-ne-dissuadera-personne_6215669_1819218.html">Patrick Henry</a>, ont en effet <a href="https://www.huffingtonpost.fr/justice/video/mort-de-robert-badinter-roger-bontems-et-patrick-henry-les-deux-proces-qui-ont-faconne-son-combat_229581.html">façonné son combat</a>. Et, comme il l'a raconté par la suite et comme on le ressent dans son discours, l’exécution de Roger Bontems, à laquelle il assista en 1972, le marque à jamais.</p>
<p>La réfutation se fait à la fois par la démonstration logique, mais elle est introduite par une touche personnelle appuyant sur l’expérience de l’orateur :</p>
<blockquote>
<p>« À cet âge de ma vie, l’une et l’autre affirmations me paraissent également erronées. Aussi terribles, aussi odieux que soient leurs actes, il n’est point d’hommes en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer totalement. Aussi prudente que soit la justice, aussi mesurés et angoissés que soient les femmes et les hommes qui jugent, la justice demeure humaine, donc faillible. »</p>
</blockquote>
<p>Cette dimension faillible peut prendre la forme de « l’erreur judiciaire absolue, quand, après une exécution, il se révèle, comme cela peut encore arriver, que le condamné à mort était innocent ». Mais elle peut aussi se traduire par « l’incertitude » et « la contradiction des décisions rendues » : différentes cours ou magistrats peuvent rendre des verdicts différents pour des mêmes faits et affaires.</p>
<p>On voit bien ici, <a href="https://doi.org/10.4000/mots.4903">à la suite de Raphël Michelli</a>, que</p>
<blockquote>
<p>« dans son argumentation, il [Robert Badinter] cherche à débarrasser l’orateur abolitionniste d’un éthos humaniste naïf, aveuglé par sa foi en l’homme ».</p>
</blockquote>
<p>Il se crédite en effet d’un éthos de logique et d’évidence, qui assoit l’argumentation, et anticipe sur les discours antagonistes et les objections.</p>
<h2>Un monologue en forme de dialogue : un orateur interlocuteur</h2>
<p>On peut ainsi dire que Robert Badinter réussit son pari en « coupant l’herbe sous le pied » de ses contradicteurs.</p>
<blockquote>
<p>« La vérité est que, au plus profond des motivations de l’attachement à la peine de mort, on trouve, inavouée le plus souvent, la tentation de l’élimination. Ce qui paraît insupportable à beaucoup, c’est moins la vie du criminel emprisonné que la peur qu’il récidive un jour. Et ils pensent que la seule garantie, à cet égard, est que le criminel soit mis à mort par précaution. Ainsi, dans cette conception, la justice tuerait moins par vengeance que par prudence.</p>
<p>Au-delà de la justice d’expiation, apparaît donc la justice d’élimination, derrière la balance, la guillotine. L’assassin doit mourir tout simplement parce que, ainsi, il ne récidivera pas. Et tout paraît si simple, et tout paraît si juste ! Mais quand on accepte ou quand on prône la justice d’élimination, au nom de la justice, il faut bien savoir dans quelle voie on s’engage. Pour être acceptable, même pour ses partisans, la justice qui tue le criminel doit tuer en connaissance de cause. […]</p>
<p>Je m’en tiens à la justice des pays qui vivent en démocratie. Enfoui, terré, au cœur même de la justice d’élimination, veille le racisme secret. […] Depuis 1965, parmi les neuf condamnés à mort exécutés, on compte quatre étrangers, dont trois Maghrébins. Leurs crimes étaient-ils plus odieux que les autres ou bien paraissaient-ils plus graves parce que leurs auteurs, à cet instant, faisaient secrètement horreur ? C’est une interrogation, ce n’est qu’une interrogation, mais elle est si pressante et si lancinante que seule l’abolition peut mettre fin à une interrogation qui nous interpelle avec tant de cruauté. »</p>
</blockquote>
<p>Le passage commence par entrer en dialogue avec les tenants de l’« attachement à la peine de mort », cette « conception », ses « partisans ».</p>
<p>Il argumente en lien avec la vengeance, la prudence, et l’élimination, mais surtout il parvient à réorienter la discussion vers « une interrogation qui nous interpelle » : cette formulation ne pourrait pas être davantage orientée vers le dialogue, et pourtant elle procède d’une habileté à faire le lien entre élimination et racisme, et donc à mettre en cause les jugements moraux au regard de l’origine des condamnés.</p>
<p>On retrouve bien ce que le sociologue Francis Chatauraynaud appelle la <a href="https://journals.openedition.org/ress/93">« reprise dialogique des arguments adverses »</a>.</p>
<p>Ici, Robert Badinder met en lien des arguments et des valeurs, et fait le lien entre l’abolition et des valeurs de gauche : il met en discussion les doctrines, les arguments, et positionne son argumentation de manière juste et efficace.</p>
<p>Conclusion : les mots ont un sens, qui se partage, dans une certaine mesure.</p>
<p>Si Robert Badinter en réfère à la fois au cœur et à la raison des députés, c’est qu’il s’est livré, dans son discours, à une argumentation pleine et totale : captivant l’auditoire par les émotions, il a mis ce recours aux affects au service d’une logique implacable et d’une démonstration précise, qui entre en dialogue avec les objections et réfutations potentielles.</p>
<p>Cette relation crée donc un partage du sens, une co-construction d’une réalité qui allie ses arguments et les discours circulants.</p>
<h2>« Faussaires de l’Histoire »</h2>
<p>Reste qu’il y a une limite à cette plasticité du discours et des mots, qu’il a magnifiquement résumée lors d’une séquence face à Robert Faurisson devant la 17<sup>e</sup> chambre du tribunal de grande instance de Paris, en mars 2007. Robert Badinter s’adresse alors à l’historien négationniste, qui le poursuit en diffamation, pour l’avoir qualifié, lors d’une émission diffusée sur la chaîne Arte, de<a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2007/03/13/robert-badinter-poursuivi-par-le-negationniste-robert-faurisson-a-fustige-l-une-des-pires-entreprises-de-faussaires-de-l-histoire_882421_3224.html">« faussaire de l’histoire »</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le 12 mars 2017, au Tribunal de grande instance de Paris, Robert Badinter se défend face au négationniste Robert Faurisson.</span></figcaption>
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<p>Il est question dans cet extrait de l’expression « escroquerie politico-financière » que Faurisson utilise à propos des demandes de réparation financières des juifs survivants de déportation ou des descendants des victimes de l’Holocauste.</p>
<p>Voici les mots de Robert Badinter, qui gagnera ce procès :</p>
<blockquote>
<p>« Les mots ont un sens, sauf pour ceux qui les utilisent comme vous. Et pour qu’il n’y ait aucune équivoque, que les choses soient claires, pour moi jusqu’à la fin de mes jours, tant que j’aurai un souffle, Monsieur Faurisson, vous ne serez jamais, vous et vos pareils, que des faussaires de l’Histoire. »</p>
</blockquote>
<p>On ressent bien ici cette dimension incarnée, et partagée, des mots et de leur sens, et de leur dimension relationnelle : cette relation, possible dans le cadre de son fameux discours pour réclamer l’abolition de la peine de mort, est ici rendue impossible, tant la distance et l’opposition avec l’interlocuteur est totale et irréconciliable.</p>
<p>Cela remet en quelque sorte l’humain au cœur de la langue, interroge sur son partage, et illustre la nécessité de ne pas transiger en matière de discours. Les mots ne sont pas que des mots.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223292/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Longhi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Face à l’Assemblée nationale, le 17 septembre 1981, Robert Badinter a livré une magistrale leçon d’éloquence pour défendre l’abolition de la peine de mort.Julien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, AGORA/IDHN, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2203012023-12-25T20:23:05Z2023-12-25T20:23:05ZComment la loi immigration souligne de graves dysfonctionnements démocratiques<p>Le 19 décembre, la <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/video/loi-immigration-apres-l-arret-du-debat-majorite-et-oppositions-plus-dechirees-que-jamais_226892.html">majorité s’est déchirée</a> lors du vote du projet de loi immigration. Le texte, est désormais <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/23/loi-immigration-le-conseil-constitutionnel-saisi-par-les-deputes-de-gauche_6207371_823448.html">examiné par le Conseil Constitutionnel</a>. Rappelons les votes : sur les 170 députés du groupe Renaissance 131 ont voté pour, 17 se sont abstenus, 20 ont voté contre et deux n’ont pas participé au vote.</p>
<p>Cette posture est celle des <a href="https://www.mareetmartin.com/livre/les-usages-de-la-tradition-dans-le-droit">Présidents des Assemblées</a> qui par tradition, ne déposent ni proposition de loi ni amendement et ne participent ni aux débats ni aux votes. C’est la traduction de l’impartialité du Président de l’Assemblée qui « n’a pas de parti quand il préside ».</p>
<p>Cela signifie que la couleur politique des élus n’est pas prise en compte dans les solutions apportées par la Présidence de l’Assemblée. Il en va de la légitimité de ses décisions qui sont réputées n’être adoptées que dans l’intérêt de l’Assemblée et non dans l’intérêt de la majorité à laquelle le Président appartient.</p>
<p>Or le 19 décembre 2023 la Présidente de l’Assemblée Yaël Braun-Pivet n’a pas respecté cette neutralité et a tenu à soutenir le projet de loi. Certes, d’autres avant elle ont opéré une <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2008-4-page-733.htm">« descente de fauteuil »</a>. Proposant des textes législatifs, mais il s’agissait de s’appuyer sur le statut présidentiel pour formuler un texte apartisan, ou participant aux votes en cas de majorité serrée, pour éviter l’échec du Gouvernement. Ainsi, le 11 décembre 2023, la Présidente de l’Assemblée a participé au scrutin relatif à la motion de rejet préalable afin de soutenir le texte gouvernemental. Soutien insuffisant, la motion ayant été adoptée par 270 voix contre 265… l’absence de 9 députés de la majorité ayant conduit au rejet du texte immigration.</p>
<p>Le 19 décembre, aucune des conditions qui ont jusqu’alors excusé la mise entre parenthèses de l’impartialité n’est présente. D’une part, le texte n’est pas consensuel. D’autre part, les calculs gouvernementaux ne pouvaient croire que le vote serait serré, les 88 députés RN ayant annoncé leur volonté de voter le texte.</p>
<h2>Quel débat parlementaire ?</h2>
<p>La voix de la présidente n’était donc pas nécessaire et sa descente de fauteuil amènera à contester l’impartialité des décisions à venir. Mais ce manquement au fonctionnement démocratique de nos institutions n’est pas le plus important.</p>
<p>Contrairement à ce qu’ont affirmé les oppositions, ces irrégularités ne résident ni dans le maintien du ministre de l’Intérieur, ni dans celui du texte malgré l’adoption d’une motion de rejet préalable. Celle-ci vise en effet à faire reconnaître que le texte n’est pas conforme aux attentes de l’Assemblée ou à la Constitution, mais rien n’interdit au Gouvernement de poursuivre la navette au besoin en répondant aux doutes de l’Assemblée.</p>
<p>De ces points de vue, pas d’atteinte au droit. En revanche il est possible de constater que l’adoption de la loi immigration contrevient au principe de sincérité du débat parlementaire.</p>
<p>Ce principe, de rang constitutionnel, postule que les règles entourant la tenue du débat doivent être respectées. Même si le Conseil constitutionnel a pris soin de ne jamais le définir, on peut déduire de sa formulation qu’il impose également que les arguments avancés par le Gouvernement afin d’obtenir le soutien d’une majorité ne soient ni faux, ni fallacieux, ni trompeurs. L’adoption de la loi immigration a conduit à la violation des deux dimensions de ce principe.</p>
<h2>Ce qui s’est passé</h2>
<p>S’agissant de la procédure encadrant le débat, il convient de rappeler que la <a href="https://www.senat.fr/connaitre-le-senat/role-et-fonctionnement/la-commission-mixte-paritaire.html">Commission mixte paritaire</a> (CMP) est réunie par le Gouvernement – ou par la conférence des présidents des deux assemblées s’agissant d’une proposition de loi – afin de formuler un compromis acceptable par l’Assemblée et le Sénat.</p>
<p>Puis le gouvernement sort de l’équation, les parlementaires investis dans l’examen du texte ****, dont le rapporteur et les présidents des commissions se retrouvent seuls. Le secret qui encadre les négociations, y compris pour les autres élus, conduit à qualifier la CMP de boîte noire… dont le Gouvernement est lui-même tenu à l’écart, même s’il peut utiliser les parlementaires de sa majorité pour relayer ses volontés.</p>
<p>Il ne retrouve un pouvoir qu’une fois le travail de la CMP terminé, soit pour soumettre le texte issu de la négociation aux assemblées, soit pour refuser ce compromis s’il lui semble trop éloigné de sa volonté, soit enfin pour proposer des amendements au texte qu’il soumettra aux assemblées.</p>
<p>Le 18 décembre, certes, le gouvernement n’était pas physiquement présent lors des réunions de la CMP. Cependant, les négociations ont été menées depuis Matignon, la Première ministre <a href="https://www.liberation.fr/politique/loi-immigration-elisabeth-borne-recoit-les-chefs-de-lr-ce-mercredi-pour-trouver-un-accord-20231213_NX4UXT6VVVBZTJXWIZMYYFQ6JQ/">recevant les leaders LR</a> pour s’entendre avec eux sur les termes d’un accord.</p>
<p>Ce procédé est bien loin du conclave à 14 permettant à chacun de mesurer ses prétentions et d’accepter des compromis. Les élus de la CMP ont été marginalisés des négociations au profit des seuls parlementaires LR, dont les voix étaient nécessaires au Sénat dominé par le groupe conservateur et à l’Assemblée, le gouvernement tablant sur l’hostilité des 88 députés RN.</p>
<p>Les armes constitutionnelles offraient pourtant au Gouvernement le moyen de retravailler le compromis trouvé sans lui par les élus, mais cela aurait réclamé du temps et il semble que cette donnée ait <a href="https://www.sciencespo-lille.eu/sites/default/files/recherche/programme_livret_18-19dec.pdf">soudain manqué</a>. La précipitation de l’exécutif a conduit à l’adoption d’un texte dont il n’est pas douteux qu’il comporte des dispositions inconstitutionnelles.</p>
<h2>Une atteinte cruciale à notre démocratie parlementaire</h2>
<p>Il s’agit là de l’atteinte la plus importante à notre démocratie parlementaire. Qu’un ministre de l’Intérieur défende un texte à la tribune d’une des assemblées en reconnaissant sa probable inconstitutionnalité est une innovation. Qu’un Président affirme lors <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/12/20/loi-immigration-les-mesures-susceptibles-d-etre-censurees-par-le-conseil-constitutionnel_6206980_3224.html">d’une émission télévisée</a> que certaines dispositions seront contournées l’est tout autant.</p>
<p>Ces prises de parole questionnent la sincérité de la négociation, le Gouvernement consentant des concessions à LR tout en sachant que les décrets d’application permettront de les laisser lettre morte ou que le Conseil constitutionnel ne permettra pas leur intégration au texte final.</p>
<h2>Une relativisation de la Constitution</h2>
<p>Un tel constat avait déjà été formulé lors des débats sur le projet de loi de réforme des retraites, le Gouvernement essayant de se concilier les votes LR en acceptant des cavaliers sociaux dont il savait que le Conseil constitutionnel les censurerait. On se souvient ainsi que le Conseil avait <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/04/14/retraites-ce-que-le-conseil-constitutionnel-a-garde-ou-ecarte-des-differentes-saisines_6169591_4355770.html">refusé l’index senior</a>, visant à favoriser l’emploi des salariés les plus âgés, au motif que cette disposition n’avait pas de lien avec l’objet principal de la loi de financement de la sécurité sociale rectificative.</p>
<p>Ici l’inconstitutionnalité qui a permis le vote de la loi porte sur le fond, son contenu, et non sur la forme, sa procédure. Juridiquement, la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19550-la-place-de-la-constitution-dans-la-hierarchie-des-normes-juridiques">Constitution est la norme fondamentale</a> qui protège nos droits et libertés contre le pouvoir enclin à augmenter son emprise sur nos quotidiens.</p>
<p>En conduisant le Parlement à adopter une loi contraire à la Constitution, le Gouvernement la relativise. Elle devient une norme à laquelle on peut porter atteinte pour satisfaire des intérêts politiques et l’instrumentalisation se répétant au gré des besoins, l’atteinte devient habituelle et substantielle.</p>
<h2>Un renforcement de la défiance citoyenne</h2>
<p>Laisser nos représentants adopter des textes qui sont manifestement contraires à la Constitution est inquiétant. Rien en effet ne garantit que le Président ne promulguera pas immédiatement la loi, rendant impossible toute saisine du Conseil constitutionnel, sauf à provoquer par la suite une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Cette dernière permet, à l’occasion d’un litige, de <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19560-quest-ce-que-la-question-prioritaire-de-constitutionnalite-qpc">contester</a> la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution d’une loi déjà promulguée, mais combien d’atteintes au droit auront alors déjà été commises ?</p>
<p>La situation est à ce point paradoxale que c’est le Président qui va saisir le Conseil constitutionnel, certes rien d’inconstitutionnel ou d’inédit, le Président utilisant cette prérogative de l’article 61 <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-decisions/decision-n-2015-713-dc-du-23-juillet-2015-saisine-par-president-de-la-republique">depuis François Hollande</a>.</p>
<p>Mais il s’agissait alors d’offrir un visa de constitutionnalité à un texte contesté, non de l’expurger de ses dispositions manifestement inconstitutionnelles. En choisissant cette voie, le Président de la République redirige vers le Conseil constitutionnel le mécontentement populaire, alimentant la défiance envers la justice.</p>
<p>Demain, cette défiance portera sur la Constitution elle-même, les oppositions n’hésitant pas à s’appuyer sur la « volonté populaire », qui a aujourd’hui justifié l’adoption d’un texte inconstitutionnel, afin d’appeler à la révision d’une norme fondamentale trop protectrice <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/entre-les-lignes/nouveau-projet-de-loi-sur-l-immigration-un-humanisme-de-facade_5504469.html">« des méchants »</a>.</p>
<p>Sans doute le Conseil constitutionnel censurera-t-il les dispositions violant les droits et libertés que la Constitution protège. On osera formuler un autre vœu, qu’il en censure la totalité pour manquement au principe de sincérité du débat parlementaire et impose en cela à l’exécutif une éthique de la négociation, afin d’affirmer que la recherche du compromis ne doit jamais se faire aux dépens de la Constitution.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220301/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorothée Reignier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’adoption de la loi immigration contrevient au principe de sincérité du débat parlementaire et par les paradoxes de la procédure, alimente le mécontentement citoyen et la défiance envers la justice.Dorothée Reignier, Enseignant chercheur, membre du CERAPS, Université de Lille,, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2199202023-12-17T15:42:19Z2023-12-17T15:42:19ZCe que la loi immigration dit de l’impasse dans laquelle se trouve Emmanuel Macron<p>Quoiqu’il advienne du projet de loi sur l’immigration à l’issue de la CMP qui se réunira ce lundi, restera l’image de cet étrange rigodon dansé par les oppositions réunies à l’Assemblée nationale, ce 11 décembre 2023. Pour la seconde fois de son deuxième mandat, Emmanuel Macron échoue à constituer cette majorité de projets qu’il appelait de ses vœux <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/04/24/reforme-des-retraites-ecole-sante-les-chantiers-prioritaires-d-emmanuel-macron-s-il-est-reelu_6123441_6059010.html">au soir des élections législatives de 2022</a>. Ce disant, il se limitait alors à traduire en termes opérationnels le vote des Français qui, en ne lui accordant qu’une majorité relative, mandataient sans ambiguïté les différents partis pour travailler ensemble à des compromis dans l’intérêt général.</p>
<p>D’où ce résultat en forme de scrutin proportionnel, bien qu’acquis au scrutin majoritaire. Visiblement, seul le camp présidentiel semble avoir entendu le message : les oppositions rejetant systématiquement la main tendue par la majorité présidentielle quand il s’agit d’un texte à forte résonance politique. Ce déni de compromis, à rebours du message électoral, fait que le Parlement marche désormais à l’amble rompu.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">À 65 ans, la Vᵉ République devrait-elle partir à la retraite ?</a>
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<h2>Incommunication politique</h2>
<p>Les choses qui se répètent ne plaisent donc pas toujours. La réforme des retraites, portée par Elisabeth Borne s’était échouée contre le <a href="https://theconversation.com/comment-expliquer-la-forte-et-persistante-revolte-contre-la-reforme-des-retraites-202798">récif des boucliers du refus</a>, bien qu’allégée par rapport à la précédente tentative. <a href="https://theconversation.com/article-49.3-et-reformes-sociales-une-histoire-francaise-202172">L’article 49.3</a> était alors venu pallier l’incapacité d’obtenir une majorité plurielle. Scénario réitéré, mais en plus grave pour le projet de loi immigration, à la suite d’une manière <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-lelection-demmanuel-macron-que-reste-t-il-de-la-macronie-203629">d’opéra-bouffe</a> qui se termine dans un véritable guet-apens par un grave échec du gouvernement.</p>
<p>Pourtant, si une question se prêtait pleinement à un « en même temps », c’était bien celle de l’immigration sur laquelle droite et gauche s’usent les dents depuis plus de trente ans sans parvenir à une solution durable à laquelle pourtant aspirent <a href="https://elabe.fr/loi-immigration-motion-rejet/">près de 70 % des Français</a> : la gauche par irréalisme, la droite par obsession sécuritaire. La tentative du gouvernement d’équilibrer humanité et sécurité a fait long feu pour l’heure, étouffée dans une véritable partie de poker menteur.</p>
<p>Voici la droite sénatoriale qui adopte un texte fortement durci, le rendant inacceptable par la gauche, mais aussi par une partie de la majorité présidentielle. Voilà la commission des lois de l’Assemblée nationale qui rééquilibre l’ensemble à une très confortable majorité. Voici le Rassemblement national qui laisse croire à sa volonté de débattre du texte. Voilà LR qui se lance, un peu pour la forme, dans une motion de rejet… quitte à ne pas défendre le texte sénatorial.</p>
<p>Enfin la majorité présidentielle semble sous-estimer le danger et laisse s’absenter certains de ses membres. Et pour la première fois depuis 25 ans (c’était en octobre <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2012/10/22/en-1998-le-fiasco-du-vote-sur-le-pacs-humilie-la-gauche_1779095_823448.html">1998 à propos du PACS</a>), à la surprise générale après une semaine de dupes, la motion de rejet est adoptée, le RN ayant abattu ses cartes au dernier moment pour profiter de l’occasion de tailler une croupière au président tout en s’abritant sous le parapluie des autres opposants. Pour être hasardeux, le coup n’en est pas moins rude : en fermant la porte préalablement à toute discussion, on franchit un cran dans le refus de communication entre les minorités coalisées et la majorité présidentielle. Pas de débat, mais l’exigence d’un parti, LR, que sa seule position soit reconnue par les autres.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-le-travail-de-lassemblee-nationale-sest-invite-dans-le-quotidien-207071">Comment le travail de l’Assemblée nationale s’est invité dans le quotidien</a>
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<h2>Des perdants, un gagnant</h2>
<p>Le vote de lundi ferme donc sans doute définitivement la porte à une <a href="https://www.lepoint.fr/debats/le-compromis-politique-est-absent-de-la-culture-francaise-22-06-2022-2480637_2.php">culture du compromis</a> avec un Parlement où les vieux appareils politiques sont d’abord préoccupés par la manière de revenir sur le devant de la scène en réduisant le moment Macron à une parenthèse sans lendemain.</p>
<p>Qui perd à ce jeu partisan ? <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/direct-loi-immigration-jusqu-ou-ira-gerald-darmanin_6244458.html">Gérald Darmanin</a>, bien sûr, qui, après avoir goulûment endossé le rôle de Don Quichotte, s’est vu sèchement remis en place par ses anciens amis qu’il s’était pourtant fait fort de convaincre.</p>
<p>Le gouvernement également, qui, une nouvelle fois voit son action réformatrice entravée. Surtout, Emmanuel Macron, dont l’autorité politique ressort affaiblie par <a href="https://www.cairn.info/l-entreprise-macron--9782706142635.htm">cette paralysie réformatrice</a> alors qu’il lui reste trois ans et demi de mandat à accomplir.</p>
<p>Qui gagne, en revanche ? LR et la Nupes, semble-t-il, puisqu’ils ont obtenu le rejet du texte. Victoire à la Pyrrhus cependant : une fois de plus, ces deux forces ont fait la démonstration qu’elles ne constituaient pas une majorité alternative, et qu’elles ne parvenaient à s’imposer qu’avec le puissant renfort du RN.</p>
<p>Et pour LR, le constat d’un comportement étrangement pusillanime qui les amène à renoncer à un texte incorporant pourtant nombre de leurs revendications depuis 15 ans. Seul gagnant sans ombre au tableau : le RN, dont la position sur l’immigration est suffisamment connue pour ne pas être rappelée, et qui, placé en embuscade derrière LR et la Nupes, peut avoir le triomphe modeste. Et plus que jamais constituer selon l’heureuse expression de Luc Rouban, le <a href="https://theconversation.com/le-rn-trou-noir-du-paysage-politique-francais-219757">« trou noir » de notre galaxie politique</a>.</p>
<h2>Vraie ou fausse sortie</h2>
<p>Qu’Emmanuel Macron pense avoir tout intérêt à limiter les choses à un accident de parcours en même temps qu’il affirme vouloir poursuivre la procédure législative, on peut le comprendre. Il a donc écarté tout recours à la dissolution et toute utilisation de 49.3, tout en invitant le gouvernement à mettre en œuvre la commission mixte paritaire : composée de 7 sénateurs et de 7 députés, la CMP est majoritairement du côté des oppositions. On pousse les feux et la CMP se réunira dès lundi prochain. La Première ministre, qui pris la main sur les discussions, a d’ores et déjà réuni les responsables de LR et laissé entendre que la piste d’accord pourrait se dessiner.</p>
<p>Et ensuite ? Soit on parvient à un texte de compromis, qui risquerait dans ce contexte de droitiser encore le projet initial, quitte à heurter une partie de la majorité présidentielle. Ce texte serait ensuite soumis au vote des deux chambres. Soit la CMP ne parvient pas à concilier les points de vue, et les choses en restent là. A charge pour la majorité présidentielle de dénoncer devant l’opinion le blocage entretenu par une opposition autiste.</p>
<p>Quoiqu’il en soit, il s’agira plus d’une sortie de secours que d’une sortie de crise. Si elle répond éventuellement à court terme à la question d’un projet de loi particulier, elle ne saurait suffire à corriger l’onde de choc produite par le 11 décembre.</p>
<p>Au-delà des personnes et des acteurs politiques, ce sont les institutions mêmes qui sortent affaiblies de cette tempête sous le crâne parlementaire.</p>
<p>Ce n’est plus seulement la légitimité présidentielle qui se voit mise en question : n’est-ce pas l’image même du fonctionnement et du rôle du Parlement qui est affectée ? N’est-ce pas l’essence du régime parlementaire reposant sur la collaboration des pouvoirs qui se voit compromise ?</p>
<p>Notre système politique a besoin d’un choc pour sortir de la torpeur entretenue où il baigne. En ce sens, Emmanuel Macron n’aurait-il pas eu tort d’écarter la possibilité d’une dissolution ? De toute manière, il devra y recourir tôt ou tard, la démonstration étant faite qu’il se verra empêché d’avancer sur le terrain des réformes dans les 42 mois qui lui restent à accomplir. Le blocage qu’on lui impose ne serait-il pas le moment opportun, puisqu’il permet d’éclairer le refus systématique des partis de jouer le jeu d’une concertation constructive dans l’intérêt général ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219920/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les oppositions rejettent systématiquement la main tendue par la majorité présidentielle quand il s’agit d’un texte à forte résonance politique, un déni de compromis à rebours du message électoral.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2197572023-12-12T18:48:52Z2023-12-12T18:48:52ZLe RN, « trou noir » du paysage politique français<p>Les <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/20/manouchian-au-pantheon-la-normalisation-contrariee-de-marine-le-pen_6217449_823448.html">récentes polémiques </a>autour de la présence de Marine Le Pen lors de l'hommage à Nation et la panthéonisation de Méliné et Missak Manouchian soulignent la difficulté dans lequel se trouve la présidence de la République comme le gouvernement à définir une ligne stratégique cohérente face au Rassemblement national (RN). Certes, le chef de l'État a tenté de mettre à distance la formation d'extrême-droite dans un entretien <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/19/dans-un-entretien-inedit-a-l-humanite-emmanuel-macron-veut-convaincre-qu-il-ne-mene-pas-une-politique-d-extreme-droite_6217287_823448.html">avec le journal <em>L'Humanité</em></a>, mais cette critique ne permettra pas de convaincre l’opinion que le macronisme se rapproche de la gauche ni de contrer le RN qui en fait ses délices. <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-edito-politique/rn-et-arc-republicain-cacophonie-au-sommet-de-l-etat_6345301.html">La divergence de positionnement</a> du président de la République, qui entend exclure le RN de <a href="https://www.liberation.fr/politique/larc-republicain-une-notion-piegeuse-et-devoyee-20240219_T7EJMGZI2FHPVJRTHQWO4DYREA/">« l'arc républicain »</a>, et de son Premier ministre, qui considère au contraire qu'il en fait partie, témoigne même d’une situation de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/12/projet-de-loi-immigration-gerald-darmanin-entraine-la-majorite-dans-la-crise_6205321_823448.html">crise politique</a> plus profonde. </p>
<p>Celle-ci devient cette fois explicite et vient confirmer le fait que le RN est devenu le « trou noir » du paysage politique français, absorbant tout ce qui se trouve à sa périphérie, pliant l’espace-temps politique en contraignant les autres partis à céder ou à échouer. Mais il s’avère également capable désormais de s'auto-alimenter politiquement en se renforçant des stratégies qui poussent à le confiner ou à le réduire à l'héritage historique du Front national. S’étant engagé sur la voie de la droitisation, le macronisme ne peut plus éviter le clivage droite-gauche qu’il a toujours renié et voulu dépasser. Sa critique du RN devient dès lors assez inefficace et les tentatives de l’exclure du champ de la politique « normale » contribuent à le renforcer en lui permettant de capter tous ceux qui refusent cette normalité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-an-apres-lelection-demmanuel-macron-que-reste-t-il-de-la-macronie-203629">Un an après l’élection d’Emmanuel Macron, que reste-t-il de la « Macronie » ?</a>
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<h2>L’immigration reste un facteur central de clivage dans le débat politique</h2>
<p>On a souvent évoqué la fin du clivage droite-gauche, un clivage historiquement associé à une sociologie désormais dépassée où les ouvriers de gauche votaient contre les bourgeois de droite. De nombreuses études ont montré que les trajectoires électorales des citoyens sont désormais plus ondoyantes, <a href="https://www.pug.fr/produit/2011/9782706152979/le-vote-clive">plus fluides et plus incertaines</a>.</p>
<p><a href="https://www.contrepoints.org/2022/07/25/435689-luc-rouban-le-probleme-nest-pas-le-separatisme-mais-lanomie">La désaffiliation politique</a> des catégories socioprofessionnelles modestes, qui s’abstiennent ou votent pour le RN plus que pour la gauche, vient s’ajouter aux transformations de l’offre politique du RN qui n’est plus celle du Front national. Le RN entend prendre en charge l’ensemble des vulnérabilités, qu’elles soient économiques ou sociétales, dans le cadre d’un souverainisme lui-même adouci et qui ne revendique plus la sortie de l’Union européenne. Avec cela il faut prendre en compte le fait que 33 % des catégories supérieures ont voté pour Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2022. Le traditionnel « vote de classe » est ainsi bien mort car les « classes » se sont dissoutes dans des trajectoires individuelles qui se différencient fortement et ne communient plus dans les <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2023-3-page-43.htm">mêmes croyances</a>.</p>
<p>Le clivage droite-gauche, lui, en revanche, est toujours bien vivant et c’est bien le problème auquel le macronisme vient de se confronter. S’il est une question clivante entre la droite et la gauche, c’est bien celle de <a href="https://theconversation.com/immigration-les-francais-y-sont-ils-aussi-opposes-quon-le-dit-217580">l’immigration</a>, mais pas de toute l’immigration, celle des arabo-musulmans.</p>
<p>C’est bien à droite que cette question arrive en tête des préoccupations et c’est bien également au sein des droites que la fermeture des frontières aux migrations est considérée comme une priorité, avec un net rapprochement des électorats LR et de ceux de l’extrême droite. C’est ce que montrent bien de nombreuses enquêtes, notamment celle menée dans le cadre du <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/Barometre%20de%20la%20confiance%20en%20politique%20-%20vague%2014%20-%20Fevrier%202023%20-%20vFR.pdf%20(1).%20pdf">Baromètre de la confiance politique du Cevipof</a>.</p>
<iframe title="Perception de l’immigration et de l’islam selon l’électorat " aria-label="Colonnes groupées" id="datawrapper-chart-m0afJ" src="https://datawrapper.dwcdn.net/m0afJ/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="border: none;" width="100%" height="484" data-external="1"></iframe>
<h2>Le macronisme impossible ?</h2>
<p>Cette polarisation forte sur le terrain de l’immigration, qui est aussi puissante que celle que provoque les <a href="https://forum-midem.de/wp-content/uploads/2023/08/TUD_MIDEM_Study_2023-1_Polarization_in_Europe_.pdf">réactions face au changement climatique</a>, ne permet guère la mise en place d’un compromis gestionnaire s’appuyant sur le <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/12/la-petite-histoire-retiendra-peut-etre-que-le-en-meme-temps-est-mort-un-11-decembre-dans-un-hemicycle-surchauffe_6205380_823448.html">« en même temps »</a> du macronisme.</p>
<p>Ce dernier a toujours tenté d’échapper aux contraintes de la vie partisane et de ses appareils en voulant sortir des doctrines constituées et des idéologies. Mais ses limites se sont vite révélées, notamment lors de la crise des <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-quelle-democratie-veulent-ils-170146">« gilets jaunes »</a> et lors de la réforme des retraites.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/redistribution-des-richesses-quand-mobilisation-contre-la-reforme-des-retraites-et-gilets-jaunes-se-rejoignent-192893">Redistribution des richesses : quand mobilisation contre la réforme des retraites et « gilets jaunes » se rejoignent</a>
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<p>L’absence d’interlocuteur, voire d’opposant structuré, laisse le pouvoir face au redoutable choix entre la décision unilatérale du souverain « éclairé », qui suscite des réactions violentes non encadrées par les partis et les syndicats, et l’absence de décision, laissant le doute s’installer sur l’intérêt que portent les hautes sphères du pouvoir à la vie quotidienne des Français.</p>
<p>La lecture critique qui peut être faite désormais du macronisme est bien de s’être laissé enfermé, à partir de considérations totalement justifiables sur la nécessité de rendre <a href="https://theconversation.com/et-si-les-citoyens-participaient-aux-referendums-inities-par-le-president-187378">l’action publique efficace</a>, dans ce dilemme qui, de ce fait, produit de l’inefficacité politique. L’efficacité en politique reste en effet toujours de nature politique. Il faut séduire, emporter l’adhésion, susciter des ralliements, créer des mythes et un récit, quels que soient les chiffres ou les bilans économiques. Cette efficacité réelle ne se réduit pas à des politiques publiques, des décrets et des arrangements négociés entre groupes d’intérêts dans une temporalité réduite au prochain budget ou dans l’urgence de la crise, comme celle des agriculteurs. Gouverner, ce n’est pas faire de la « gouvernance » et de l’entre-soi. <a href="https://www.pug.fr/produit/1662/9782706142635/l-entreprise-macron">L’État n’est pas une entreprise privée</a>. Les efforts déployés par Gérald Darmanin pour convaincre ses alliés LR d’entrer dans le jeu du compromis lors de la loi immigration conduisaient à ignorer le fait que le débat politique en France est désormais un débat entre les droites, un débat dans lequel la vraie question est désormais de savoir s’il faut encore ou pas combattre le RN et, surtout, sur quel terrain car le RN n’est plus le FN et se retrouve en position de monopoliser la droite sociale.</p>
<h2>L’horizon des évènements</h2>
<p>Le gouvernement d’Élisabeth Borne a donc eu bien du mal à faire vivre une « majorité de projets » et celui de Gabriel Attal est désormais confronté au même problème car certains de ces projets sont bien plus porteurs que d’autres de valeurs mais également d’intérêts stratégiques pour LR ou le RN. Il ressort de la succession de conflits, d’incidents, de déclarations à l’emporte-pièce qui alimentent la crise démocratique, que l’on vit depuis l’élection de 2017, que le RN a pu s’imposer progressivement comme <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100180610">force politique de référence</a>.</p>
<p>Les autres forces de droite sont irrésistiblement attirées <a href="https://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100118550">par son champ gravitationnel</a> et se retrouvent sur l’horizon des évènements, avant dislocation et transformation en particules élémentaires. La stratégie de la diabolisation et du procès en extrémisme, quant à elle, ne fonctionne plus mais contribue à stigmatiser des électeurs ou des électeurs potentiels qui risquent de ne pas voter en fonction des programmes mais du sentiment de mépris social que cela va leur laisser.</p>
<p>Le RN profite du fait que ses zones d’ombre, sur la vie économique ou sur les relations internationales, comme ses points de faiblesse, notamment son faible ancrage dans la haute fonction publique et les élites culturelles ou scientifiques, qu’il essaie de compenser au cas par cas en ralliant par exemple l’ancien patron de Frontex sur sa liste pour les européennes, sont plus que compensés par la cohérence de ses positions souverainistes et anti-immigration. Et ce, à un moment où les questions internationales dominent : crise migratoire évidemment, mais aussi guerre en Europe, retour en force de <a href="https://theconversation.com/regards-croises-sur-lantisemitisme-ordinaire-en-france-217330">l’antisémitisme après le 7 octobre</a>, pandémies, réchauffement climatique.</p>
<p>Le RN incarne le retour du politique mais de manière plus habile que La France insoumise qui s’y consacre aussi mais en donne souvent une mauvaise image, celle de la conflictualité et de l’irrespect pour les institutions. Il est devenu le grand gagnant par défaut d’une situation où la modération est suspecte de macronisme, porté par un président en qui les Français n’ont pas confiance, et où la radicalité ne peut que renforcer ses propres positions.</p>
<p>C’est d’ailleurs ce qu’a signifié aussi cette <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/loi-immigration-lalliance-entre-la-nupes-le-rn-et-les-republicains-pour-empecher-le-debat-0bc0d1e4-9854-11ee-b5ab-4c9dbbc4ce19">étonnante convergence</a> des oppositions dans le refus de débattre le projet de loi immigration. Bien qu’étant aux antipodes les uns des autres sur le terrain des valeurs et des projets de société, LFI, le RN et LR ont voté contre, non par cynisme mais en réalité contre « l’anti-politique » que représente le macronisme. Le refus de lancer une modification constitutionnelle pour élargir le champ du référendum, la multiplication d’agora extérieures au Parlement, comme les conventions citoyennes, laissent toujours ce goût étrange d’une fuite en avant dans un contexte fortement conflictuel où la violence s’est généralisée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219757/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Luc Rouban ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le RN est devenu le « trou noir » du paysage politique français, absorbant tout ce qui se trouve à sa périphérie, pliant l’espace-temps politique en contraignant les autres partis à céder ou à échouer.Luc Rouban, Directeur de recherche CNRS, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171392023-11-09T16:41:26Z2023-11-09T16:41:26ZPeut-on avoir un accent en politique sans être moqué ?<p>Le 20 octobre 2023, <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/deputes/PA795184">Tematai Le Gayic</a>, député Nupes de Polynésie française, prend la parole dans le cadre de la motion de censure déposée après un 49.3 entérinant l’adoption du projet de loi de finances 2024. Rapidement, dans les médias comme sur les réseaux sociaux, la juxtaposition de sa variante de prononciation (son « accent ») et des rires hilares des membres du gouvernement ont fait penser à de la <a href="https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2021-HS1-page-155.htm">glottophobie</a> – une discrimination sur l’accent.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1715479332649377841"}"></div></p>
<p>Les faits permettent-ils d’affirmer qu’il y a ici un acte manifeste de discrimination sur l’accent ? Plus généralement, peut-on avoir un accent en politique et être crédible ?</p>
<h2>Une histoire des accents en politique</h2>
<p>Avoir un « accent » – ou plutôt ne pas avoir l’accent « parisien » « standard » – en politique est un prétexte récurrent qui amène discussions et moqueries. Et, les exemples sont nombreux. On soulignera, en particulier, que c’est toute la sphère politique qui est touchée. Jean-Michel Apathie dans <a href="http://www.michel-lafon.fr/livre/2422-J_AI_UN_ACCENT_ET_ALORS.html">son livre</a> et dans des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=5KrLT5w47_M">nombreuses interviews</a> explique en quoi l’« accent du sud » a été un problème dans sa légitimité de journaliste politique. L’accent de Jean Castex, alors premier ministre, a aussi fait <a href="https://www.tf1info.fr/politique/video-jean-castex-permier-ministre-la-politique-a-t-elle-un-probleme-avec-les-accents-2158441.html">l’objet d’une analyse</a>.</p>
<p>À l’inverse, certains politiques sont eux-mêmes amenés à dénigrer l’accent des journalistes, comme a pu l’imiter <a href="https://www.youtube.com/watch?v=fpoaodwmkJc">Jean-Luc Mélenchon face à Véronique Gaurel</a>, une journaliste de France 3 originaire de Toulouse :</p>
<blockquote>
<p>« Vous dites n’importe quoi. Est-ce que quelqu’un peut me poser une question en français et à peu près compréhensible ? Parce que votre niveau me dépasse ».</p>
</blockquote>
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<p>L’accent (ou son locuteur) peut être assigné comme « régional » ou « étranger ». Lors des élections présidentielles de 2012, Eva Joly a fait les frais de ce climat en commençant par la <a href="https://www.lepoint.fr/editos-du-point/patrick-besson/eva-joly-presidente-de-la-republique-01-12-2011-1402786_71.php">chronique de Patrick Besson</a> intitulée « Zalut la Vranze ! » Elle laissera des traces indélébiles sur sa campagne malgré son clip humoristique et autodérisoire.</p>
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<figcaption><span class="caption">Eva Joly (EELV) en campagne en 2012 « La France résonne de tous les accents du monde ».</span></figcaption>
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<p>Elle sera régulièrement amenée à répondre de son accent comme handicap, par exemple face à Laurent Ruquier dans « On n’est pas couché » <a href="https://doi-org.bases-doc.univ-lorraine.fr/10.4000/glottopol.3906">qui a fait l’objet d’une étude en sociophonétique</a>. Sa ligne de défense sera toujours de rappeler sa légitimité de part sa double nationalité et son métier de magistrate. De plus, son cas montre de quelle manière ces représentations évoluent. En 2010, son accent appelait au <a href="https://www.lesechos.fr/2010/10/eva-joly-femme-d-affaires-443328">« charme de sa voix douce à l’accent voilé »</a> dans <em>Les Echos</em>. Puis, <a href="https://www.leparisien.fr/archives/l-accent-d-eva-joly-18-11-2011-1726108.php">Boula de Mareüil, spécialiste des accents</a>, souligne deux autres représentations : une origine « scandinave » pour son engagement écologiste et une origine « allemande » pour sa supposée froideur.</p>
<h2>Un éventail de variantes de prononciation</h2>
<p>Il s’agit de reconnaitre que tout locuteur peut disposer d’un éventail de variantes de prononciation qu’il mobilise en fonction de ses interlocuteurs, des situations – une <a href="https://theconversation.com/et-si-on-eliminait-les-accents-de-nos-facons-de-penser-199849">pluriphonie</a> ; les individus n’ont donc pas un « accent » mais plusieurs.</p>
<p>Marie-Arlette Carlotti, ministre et députée, est un cas d’école en sciences du langage sur cette question. En 2013, elle avait été « épinglée » pour avoir produit deux « accents » différents, passant d’un « accent parisien » pour une interview sur LCI dans ses fonctions de ministre à un « accent du sud » sur Canal+, pour vanter les mérites de Marseille, où elle briguait un mandat. Médéric Gasquet-Cyrus, professeur en sciences du langage à l’Université d’Aix-Marseille, avait pu revenir dans <a href="https://www.slate.fr/story/109511/discrimination-accent">Slate sur ce phénomène</a> considéré comme normal. Plus ponctuellement, Emmanuel Macron en déplacement à Marseille fait entendre un « accent marseillais » lorsqu’il s’adresse au « ministre de l’intérieur » dont on ne peut évacuer l’hypothèse d’une forme de <a href="https://psycnet.apa.org/record/2006-21534-016">convergence communicative</a>- phénomène qui nous fait parfois <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-63534136">produire en miroir l’accent</a> de nos interlocuteurs.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1673258403861262338"}"></div></p>
<h2>Le contexte au service de l’analyse en linguistique appliquée</h2>
<p>Dans le cas du député de Polynésie française (Nupes), les raisons des ricanements traduisent aussi le contexte politique.</p>
<p>Tematai Le Gayic est reconnu pour être le plus jeune élu de l’Assemblée nationale, membre de l’opposition. Son intervention le 20 octobre 2023 est <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/deputes/PA795184/seance-publique">sa 29ᵉ intervention en séance publique</a>. <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2023-2024/deuxieme-seance-du-vendredi-20-octobre-2023#3260900">La séance est ouverte à 21h30</a>. Les débuts sont houleux car la première ministre est en retard. Tematai Le Gayic prend la parole en 8<sup>e</sup> sur la liste des responsables de groupe qui se succèdent. Une colère plus ou moins froide gronde dans l’hémicycle – type de colère constitutif de ces échanges politiques comme a pu l’analyser, dans sa thèse, <a href="https://www.theses.fr/2019USPCA013/document">Charlotte Kouklia</a>.</p>
<p>Dans cette ambiance, les rires réguliers des membres du gouvernement sont soulignés comme une forme de mépris par les différents intervenants tout au long de la séance : M. Bouloux « cela vous fait sourire » ou encore E. Taché de la Pagerie « Mais, ça fait rire la Première ministre ! » ou « Visiblement, ce qui se passe à l’Assemblée est très drôle ! (L’orateur s’agace de rires récurrents sur les bancs du Gouvernement.) ». Tematai Le Gayic intervient, en premier lieu, pour rendre hommage au dernier combattant du bataillon pacifique disparu la veille. L’ambiance semble respectueuse comme le transcrit le compte-rendu de séance :</p>
<blockquote>
<p>« (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, LFI-Nupes, LR, Dem, SOC, HOR, Écolo-Nupes, GDR-Nupes, LIOT et quelques bancs du groupe RN.) »</p>
</blockquote>
<p>Revenant au sujet du 49.3, le député – <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/qui-est-tematai-le-gayic-independantiste-polynesien-et-plus-jeune-depute-de-france-1296220.html">dont les talents d’orateur sont reconnus</a>- propose un style en rupture à ces prédécesseurs : traits d’humour, élocution respirée, renvoi à ces collègues de l’hémicycle, non-utilisation de ses notes au bout de quelques minutes. Si l’enregistrement de la séance ne permet pas de voir les membres du gouvernement sur toute l’intervention, les rires sont visibles au moment où il renvoie la responsabilité de l’échec de la motion aux groupes qui ont peur d’une dissolution.</p>
<blockquote>
<p>« … ceux qui peuvent faire basculer la situation ne veulent pas retourner aux urnes, car ils ont peur de ne pas être réélus, d’être confrontés au peuple – c’est le vrai problème. »</p>
</blockquote>
<p>On entend à la fin les remerciements amusés de Yaël Braun-Pivet, Présidente de l’Assemblée nationale. Ainsi, peu de faits disponibles (retranscription, captation) permettent d’étayer directement l’hypothèse d’une glottophobie manifeste. En effet, les membres du gouvernement donnent à voir des rire liés, <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/le-depute-polynesien-tematai-le-gayic-face-a-des-rires-de-ministres-a-l-assemblee-la-macronie-se-defend-de-toute-moquerie_224754.html">selon eux</a>, au fait que le député souligne la responsabilité des autres groupes parlementaires.</p>
<h2>Du cas particulier à une transition indispensable dans le discours politique</h2>
<p>Cependant, il ne s’agit pas de penser cet épisode comme un cas particulier et unique mais au sein d’un système de situations, de commentaires ou de « remarques insidieuses » comme Elatiana Razafimandimbimanana et Fabrice Wacalie l’étudient dans le cadre des <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2019-1-page-156.htm">micro-agressions linguistiques</a>. Ces chercheurs rappellent que :</p>
<blockquote>
<p>« En apparence ordinaires, voire bien intentionnées, ces petites réflexions, une fois intériorisées, finissent par provoquer des inhibitions linguistiques et nourrissent en parallèle le sentiment de ne plus être un locuteur légitime. »</p>
</blockquote>
<p>Sur le cas de Jean Castex, les <a href="https://journals-openedition-org.bases-doc.univ-lorraine.fr/glottopol/3972">chercheurs Philippe Chassé et Alizée Pillod</a> soulignent que <a href="https://theconversation.com/et-si-on-eliminait-les-accents-de-nos-facons-de-penser-199849">son accent a largement été mentionné</a> (202 articles parus entre le 3 et le 31 juillet 2020) et qu’il est rarement présenté de manière neutre (surtout négative). Par ailleurs, les médias utilisent souvent cette dimension « atypique » pour créer un récit qui n’appartient plus à l’individu lui-même (accent = proche des enjeux « en région » voire « ruraux »).</p>
<p>Pour Tematai Le Gayic, son âge (<a href="https://www.ouest-france.fr/elections/legislatives/portrait-qui-est-tematai-le-gayic-21-ans-elu-plus-jeune-depute-de-l-histoire-en-polynesie-0a5b338a-f058-11ec-a1f9-96fad4cda185">largement repris dans les médias</a>) tout autant que son accent ont très certainement participé à subir une verticalité discursive. Les rires ont notamment masqué le contenu de son propos portant sur un exemple polynésien de la gestion de l’instabilité politique mais aussi des conséquences d’un 49.3 (essais nucléaires) dans la conscience polynésienne.</p>
<p>Vijay Ramjattan rappelle que les discriminations sur l’accent convoquent d’autres discriminations raciales ancrées <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/annual-review-of-applied-linguistics/article/accenting-racism-in-labour-migration/53463BF1612840A58FDD6A1354BBF093">dans la colonialité et le capitalisme</a> – des formes de domination.</p>
<h2>Une diffusion des clichés au cœur du monocentrisme français</h2>
<p>Dans son discours à l’occasion de l’inauguration de la cité internationale de la langue française, le président Emmanuel Macron, loin de déconstruire ces rapports, reprend ces récits, enfonce les clichés :</p>
<blockquote>
<p>« À travers les voyelles ouvertes des Parisiens, les infections chantantes des outre-mer, les A du Nord qui s’arrondissent en O, les R rocailleux de l’est, les E muets du Sud qui se font sonores et solaires. »</p>
</blockquote>
<p>Si les politiques continuent à rendre visible une hiérarchisation des variantes de prononciation et de stéréotypes folklorisants, des chercheurs reconnaissent de leur côté qu’il existe un <a href="http://glottopol.univ-rouen.fr/numero_31.html">« un prestige latent, mais aussi un prestige manifeste des variétés régionales »</a> comme celles étudiées dans les cas du Québec, des Antilles et du sud de la France.</p>
<p>Peut-être est-il temps de reconnaitre la diversité en dehors d’une monophonie et d’un monocentrisme comme le précise <a href="https://theconversation.com/et-si-on-eliminait-les-accents-de-nos-facons-de-penser-199849">l’historien Philippe Martel</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Ce musée installé dans un château exprime à sa façon l’idée que c’est le lien avec le pouvoir, et non avec un peuple, qui est privilégié ».</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/217139/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Grégory Miras ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Peut-on avoir un accent en politique et être crédible ?Grégory Miras, Professeur des Universités en didactique des langues, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162102023-10-29T18:12:12Z2023-10-29T18:12:12ZPropos polémiques : les parlementaires peuvent-ils perdre leur immunité ?<p>Les propos de la députée La France Insoumise (LFI) <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/10/18/daniele-obono-qualifie-le-hamas-de-mouvement-de-resistance-gerald-darmanin-saisit-la-justice-pour-apologie-du-terrorisme_6195084_823448.html">Danièle Obono</a> au sujet du Hamas sur <a href="https://www.sudradio.fr/politique/daniele-obono-peut-elle-etre-poursuivie-pour-apologie-du-terrorisme">micro de Sud Radio</a>, ont créé un véritable remue-ménage au sein du monde politique.</p>
<p>Le parquet a ainsi été saisi par le ministre de l’Intérieur, estimant qu’ils relèvent de l’apologie du terrorisme, infraction sanctionnée à l’article 421-2-5 du code pénal. De son côté, Eric Ciotti, député Les Républicains (LR), a demandé la levée de l’immunité parlementaire de la députée. Cette proposition est-elle recevable ? Que sait-on sur le statut pénal des parlementaires ?</p>
<p>Consacrée dès 1789 et <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/quel-est-le-statut-penal-d-un-parlementaire,https://www.senat.fr/lc/lc250/lc250_mono.html">définie à l’article 26 de la Constitution</a>, <a href="https://www.labase-lextenso.fr/revue/LPA/2021/05">l’immunité parlementaire</a> assure aux membres du Parlement un régime juridique dérogatoire du droit commun dans leurs rapports avec la justice.</p>
<p>Celui-ci consacre l’immunité comme l’une des traductions du principe de séparation des pouvoirs, elle protège à travers ses membres l’Assemblée contre les intrusions du pouvoir judiciaire, voire du pouvoir exécutif qui pourrait instrumentaliser les poursuites afin d’exercer des pressions sur le Parlement. Elle ne doit donc pas être perçue comme une atteinte à l’égalité devant la loi, mais comme une protection de l’indépendance des parlementaires, garante de l’État de droit : si leur vote était soumis à pression, la loi ne serait plus l’expression de la volonté générale et des règles satisfaisant des intérêts particuliers pourraient s’imposer à tous.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/chef-de-letat-ministres-parlementaires-et-si-limmunite-etait-levee-153690">Chef de l’État, ministres, parlementaires : et si l’immunité était levée ?</a>
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<h2>Irresponsabilité</h2>
<p>Traditionnellement, cette immunité recouvre deux réalités : l’irresponsabilité et l’inviolabilité. La première interdit de rechercher la responsabilité juridique d’un parlementaire à raison des opinions politiques exprimées au sein de la chambre :</p>
<blockquote>
<p>« aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions » (art. 26 al. 1).</p>
</blockquote>
<p>Elle est permanente : les propos et votes émis dans l’exercice des fonctions ne peuvent jamais donner lieu à poursuites ni à condamnation. Elle est également absolue : elle concerne tous les actes accomplis par le parlementaire « dans l’exercice de ses fonctions ».</p>
<p>Cela concerne tous les propos tenus dans l’Assemblée. L’élu qui abuserait de sa liberté de parole pour tenir des propos racistes, antisémites, homophobes… serait toutefois sanctionné par le Président ou le Bureau, pour insulte ou provocation au tumulte, comme l’ont récemment démontré les sanctions adoptées contre les <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/assemblee-nationale-le-depute-rn-gregoire-de-fournas-ecope-de-la-sanction-la-plus-lourde-1876022">députés Grégoire De Fournas</a> (RN) et <a href="https://www.bfmtv.com/politique/parlement/exclusion-du-depute-thomas-portes-comment-le-bureau-de-l-assemble-a-opte-pour-la-sanction-maximale_AN-202302100785.html">Thomas Portes</a> (LFI).</p>
<h2>L’importance du cadre des propos</h2>
<p>La Cour de cassation a estimé que seuls les propos qui peuvent se rattacher aux titres IV et V de la Constitution consacrés respectivement au parlement et aux relations entre le parlement et le gouvernement, sont protégés et non pas les propos tenus dans un autre cadre politique : meeting, interview…</p>
<p>L’irresponsabilité protège le mandat et donc les fonctions parlementaires attachées à l’exercice de la souveraineté. Les propos émis par les parlementaires dans le cadre de leur fonction législative bénéficient de cette irresponsabilité, tout comme ceux tenus dans le cadre de l’activité de contrôle, qu’il s’agisse par exemple des propos tenus dans le cadre des questions au Gouvernement, des commissions d’enquête ou missions d’information.</p>
<p>En revanche, ne sont pas couverts par l’irresponsabilité des propos tenus à l’extérieur de l’Assemblée puisque ceux-ci ne peuvent être rattachés à l’une de ces missions, quand bien même le parlementaire aurait tenu ces propos es qualité. Cela a été le cas pour l’affaire Christian Vanneste – même si ensuite la condamnation du député a été annulée par la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2008/11/12/propos-homophobes-christian-vanneste-blanchi-en-cassation_1117829_3224.html">Cour de Cassation</a>.</p>
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<p>Les discours prononcés en dehors des assemblées ne bénéficient donc pas de l’irresponsabilité et sont ainsi susceptibles d’être réprimés s’ils constituent une injure, une diffamation, une incitation à la haine, à la violence, voire l’apologie du terrorisme, et outrepassent les limites fixées à la liberté d’expression qui, comme le rappelle la Cour de cassation, sont d’interprétation stricte.</p>
<h2>Inviolabilité</h2>
<p>L’immunité garantit également l’inviolabilité de l’élu :</p>
<blockquote>
<p>« aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet en matière criminelle ou correctionnelle d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée dont il fait partie. Cette autorisation n’est pas requise en cas de crime flagrant ou de condamnation définitive » (art. 26 al. 2).</p>
</blockquote>
<p>La protection offerte n’est pas une impunité, elle n’empêche pas la poursuite du parlementaire ni la recherche d’éléments visant à établir sa culpabilité.</p>
<p>Ainsi, en 2019, aucune intervention préalable de l’Assemblée n’a été requise avant de poursuivre Jean-Luc Mélenchon, député LFI, pour « actes d’intimidation contre l’autorité judiciaire, rébellion et provocation », <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/03/10/perquisition-au-siege-de-lfi-en-2018-l-enquete-visant-plusieurs-cadres-du-parti-dont-melenchon-classee_6072633_823448.html">suite à la perquisition houleuse</a> des locaux de son parti en octobre 2018.</p>
<p>Mais le dispositif soumet à un examen de la chambre parlementaire la décision de limiter la liberté du parlementaire par une garde à vue, un contrôle judiciaire, voire une détention préventive. En effet, de telles mesures en restreignant sa liberté éloignent l’élu de l’Assemblée et l’empêchent d’exercer son mandat.</p>
<p>Contrairement à l’irresponsabilité, l’inviolabilité n’est pas absolue. D’une part, elle cède devant la flagrance ou face à une décision devenue définitive. D’autre part, l’Assemblée peut lever l’immunité de l’un de ses membres.</p>
<p>Elle n’agit pas de sa seule initiative, mais doit être saisie. Les dispositions de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006530070">l’article 9 bis de l’ordonnance du 17 novembre 1958</a> relative au fonctionnement des assemblées parlementaires sont claires.</p>
<blockquote>
<p>La demande doit être « formulée par le procureur général près la Cour d’appel compétente et transmise par le garde des sceaux, ministre de la Justice, au président de l’Assemblée intéressée ».</p>
</blockquote>
<h2>Un dispositif qui protège le mandat et non l’individu</h2>
<p>Il faut aussi noter que le parlementaire ne peut réclamer lui-même d’être privé de son immunité. Celle-ci protège non l’individu, mais le mandat et la fonction parlementaire associée à l’exercice de la souveraineté. Elle échappe à l’individu et ne peut faire <a href="https://hudoc.echr.coe.int/app/conversion/pdf/?library=ECHR&id=001-96008&filename=001-96008.pdf">l’objet d’une renonciation</a> (CEDH 3 décembre 2009 Kart contre Turquie). La demande doit « indique[r] précisément les mesures envisagées ainsi que les motifs invoqués ».</p>
<p>La levée de l’immunité ne sera valable que pour ces faits. Cette précision, autant que celle les mesures restrictives de liberté envisagées, doivent permettre au Bureau de se prononcer sur le caractère sérieux, loyal et sincère de la demande. Il ne se prononce ni sur la qualification pénale ni sur la réalité des faits, qui ne relèvent que du juge. La décision est donc adoptée par une entité pluraliste, les différentes formations politiques de l’Assemblée étant représentées au sein du Bureau.</p>
<p>Cela permet d’éloigner le doute sur les motivations de la décision : elle n’est pas une mesure politique mais une décision adoptée dans l’intérêt de l’Assemblée par une instance qui reflète la composition de celle-ci et fait donc intervenir des membres de l’opposition et de la majorité. Des députés de l’opposition comme de la majorité peuvent donc voir leur immunité levée par l’Assemblée. Le 24 mai 2023, l’immunité parlementaire de Damien Abad, député apparenté au groupe Renaissance, a <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/05/24/l-immunite-parlementaire-de-damien-abad-accuse-de-viol-levee_6174602_823448.html">ainsi été levée</a>. Par le passé, des députés d’opposition ont également pu être concernés.</p>
<p>Le 18 mars 2015, le Bureau <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/Balkany-l-Assemblee-leve-son-immunite-parlementaire-723382r">a décidé la levée de l’immunité de Patrick Balkany</a>, député d’opposition, mis en examen pour corruption passive et blanchiment de fraude fiscale. Sa mise en garde à vue a dès lors été possible, tout comme son placement sous contrôle judiciaire.</p>
<p>Le fait que le ministre de l’Intérieur, membre de la majorité soit à l’initiative de l’action en justice n’a donc pas d’incidence sur le fond de la décision du Bureau, qui n’est pas lié par les actions du Gouvernement.</p>
<h2>Danièle Obono peut-elle être poursuivie ?</h2>
<p>Maintenant que l’état du droit est éclairé, nous pouvons nous demander si les propos tenus par la députée Obono au micro de Jean-Jacques Bourdin le 17 octobre peuvent être poursuivis. La question n’est pas ici de savoir s’ils sont constitutifs du délit d’apologie du terrorisme, mais si les poursuites sont possibles.</p>
<p>D’une part, les propos tenus en dehors de l’assemblée ne se rattachant pas aux missions législative et de contrôle du Gouvernement ne peuvent être protégés par l’inviolabilité. La responsabilité pénale de la députée peut donc être recherchée.</p>
<p>D’autre part, Eric Ciotti peut-il réclamer la levée de l’immunité parlementaire de la députée ? À notre connaissance le député n’est pas procureur général auprès d’une cour d’appel, il n’est donc pas compétent pour introduire cette demande.</p>
<p>Seul le procureur peut apprécier l’opportunité des poursuites et la nécessité de demander la levée de l’immunité s’il lui faut limiter la liberté d’aller et venir de la députée, soit avant le jugement par exemple par une garde à vue, soit après le jugement par une mesure privative de liberté.</p>
<p>En revanche, la convocation du juge aux fins d’audition, d’interrogation ou de mise en examen, voire la perquisition du domicile du parlementaire ou la fouille de son véhicule ou même sa condamnation à une peine n’entraînant aucune privation de liberté peuvent être prononcées sans qu’il soit nécessaire d’obtenir au préalable la levée de l’immunité. À tel point que certains <a href="https://blog.juspoliticum.com/2017/11/22/immunites-et-statut-des-deputes-vers-une-suppression-de-linviolabilite-par-cecile-guerin-bargues">s’interrogent sur la nécessité</a> aujourd’hui de maintenir l’inviolabilité des parlementaires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216210/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorothée Reignier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Eric Ciotti, député LR, a demandé la levée de l’immunité parlementaire de la députée Obono pour des propos tenus sur le conflit israélo-palestinien. Cette proposition est-elle recevable ?Dorothée Reignier, Enseignant chercheur, membre du CERAPS, Université de Lille,, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2133192023-09-26T19:09:15Z2023-09-26T19:09:15ZAvec les députés novices, le rôle déterminant des collaborateurs parlementaires<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/550054/original/file-20230925-15-hyoef0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C15%2C2048%2C1345&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue de l'hémicyle où siègent les députés du Parti socialiste, 2013.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/partisocialiste/10437350944">Mathieu Delmestre/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les deux dernières élections législatives françaises eurent des dénouements inédits sous la V<sup>e</sup> République. Celle de 2017 fut marquée par la victoire d’un parti émergent et l’arrivée massive au Palais Bourbon de députés <a href="https://www.puf.com/content/Les_candidats">sans engagement préalable en politique</a>, tandis que la suivante vit la majorité parlementaire sortante être réduite à une majorité relative. De ce fait, l’attention s’est surtout portée sur <a href="https://www.lemonde.fr/elections-legislatives-2022/article/2022/06/21/legislatives-2022-une-assemblee-jeune-avec-un-renouvellement-au-dessus-de-la-moyenne-de-la-ve-republique-porte-par-les-oppositions_6131383_6104324.html">l’ampleur des renouvellements législatifs</a> (72 % de nouveaux députés en 2017, 52 % en 2022), ainsi que sur les espoirs de transformation du fonctionnement du champ politique, tant ceux d’un « nouveau monde » macronien que ceux d’un fonctionnement proprement parlementaire du régime dans la situation de majorité relative.</p>
<p>Au point d’éclipser le rôle de ceux qui contribuent quotidiennement au travail politique et <a href="https://theconversation.com/turnover-des-assistants-parlementaires-a-lassemblee-nationale-comme-dans-une-entreprise-de-services-104913">parlementaire</a> : les collaborateurs parlementaires, salariés dont le travail consiste à épauler le député dans ses différentes activités, tant dans les coulisses du Palais Bourbon qu’en circonscription.</p>
<p>L’étude des entourages des primo-députés permet pourtant de contribuer aux réflexions sur le noviciat en politique, en complexifiant la compréhension de l’action de ces élus et de ses conditions de réussite, et de saisir comment la collaboration parlementaire fut transformée – ou non – par l’irruption de ces nouveaux entrants.</p>
<p>Le questionnement de cette enquête est donc le suivant : les députés novices s’entourent-ils différemment par rapport à leurs collègues plus expérimentés ? La réalisation de biographies collectives, réalisées à partir de LinkedIn, comparant le profil des collaborateurs des XV<sup>e</sup> et XVI<sup>e</sup> législatures (2017-2022) et (2022-2027), et la conduite d’entretiens avec des députés élus pour la première fois en juin 2022 permettent d’apporter des éléments de réponses, présentés lors d’un <a href="https://ceraps.univ-lille.fr/detail-event/journee-detude-noviciat-en-politique">colloque sur le noviciat en politique</a>.</p>
<h2>Qui sont les collaborateurs des députés novices ?</h2>
<p>Malgré les forts taux de renouvellement lors des élections, les recrutements effectués par les députés en 2017 et 2022 sont conformes à <a href="https://hal.science/hal-01870895/document">certaines tendances de longs termes</a>. Leurs collaborateurs sont ainsi une population jeune (c’est souvent un premier emploi), diplômée – souvent en droit ou en science politique –, et largement féminisée (autour de 50 %). La taille des équipes est proche de ce qui fut mesuré par le passé, puisque les nouveaux députés avaient en moyenne environ 3,7 collaborateurs, pour un nombre total de collaborateurs approchant rapidement les 2000 individus.</p>
<p>Toutefois, les collaborateurs des députés Rassemblement national élus ou réélus en 2022 se distinguent des autres collaborateurs. En effet, ceux-ci cumulent plus que les autres un mandat électif, notamment de conseiller municipal ou régional, avec leur position de collaborateur : le panel de 95 collaborateurs RN possédait ainsi 54 mandats, contre seulement 24 mandats pour le panel de 142 collaborateurs Renaissance. Cela souligne l’étroitesse du vivier de candidats et de militants du parti, puisqu’un nombre restreint d’individus cumulent les mandats, les candidatures et les positions de collaborateurs.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=216&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=216&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=216&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=272&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=272&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=272&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Mandats possédés par les collaborateurs LREM, LFI et RN en octobre 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Annis Ghemires, enquête collaborateurs 2023</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Le capital culturel possédé par les collaborateurs RN est par ailleurs moindre par rapport à leurs homologues des deux groupes principaux REN et La France Insoumise : environ 85 % des collaborateurs LFI et REN ont un diplôme de niveau au moins bac +5, contre seulement 60 % des collaborateurs RN. L’origine sociale plus populaire des collaborateurs RN montre ainsi que le parti joue un rôle de promotion sociale de ses militants par la collaboration.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Niveau de diplôme des collaborateurs LREM, LFI et RN en septembre 2022 (%). Annis Ghemires, enquête collaborateurs 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">A.Ghemires, 2023</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Comment les députés novices choisissent-ils leurs collaborateurs ?</h2>
<p>Les entretiens réalisés avec des primo-députés montrent la centralité de certains critères de recrutement : l’obtention d’un diplôme juridique ou en science politique, une expérience dans le travail politique ou parlementaire, la <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2004-5-page-4.htm">possession d’une expérience militante</a> ou d’une implantation dans la circonscription sont ainsi particulièrement valorisés.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/uH_uHahHzSo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les collaborateurs parlementaires dans l’ombre des députés, LCI, 2021.</span></figcaption>
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<p>Ces propriétés sont souvent réunies chez les militants ayant pris part à la campagne législative, ce qui explique la fréquence de leur recrutement par les nouveaux députés. Cela permet à l’élu de récompenser les militants l’ayant aidé, tout en ayant pu s’assurer de leurs compétences et de leur loyauté pendant la campagne. La proximité qui en résulte souvent explique que les nouveaux élus tiennent à transposer à leur cabinet parlementaire le fonctionnement souvent consensuel et collectif de l’équipe de campagne, comme un élu insoumis qui décrit son équipe – non sans contradiction – comme une « [coopérative] avec un chef ».</p>
<h2>Un rapport différencié au militantisme politique</h2>
<p>Selon l’appartenance partisane des élus, on constate un rapport différencié au militantisme politique lors du recrutement des collaborateurs. Les élus de la majorité (Renaissance-MoDem-Horizons) affichent un rapport plus distancié au militantisme politique, alors que les élus d’opposition valorisent davantage l’expérience militante.</p>
<p>Ainsi, les quatre députés LFI interrogés ont recruté exclusivement des militants Insoumis, alors qu’une élue Horizon a recruté une sympathisante Nupes, qui avait cependant participé à sa campagne. Deux conceptions de la collaboration parlementaire s’opposent ici : une conception technocratique et apolitique, <a href="https://www.cairn.info/l-entreprise-macron--9782706142635.htm">largement diffusée à l’intérieur de la majorité</a>, et une conception militante et politique, valorisant davantage les savoirs partisans, plus présente chez les partis à l’identité militante plus forte, notamment à gauche.</p>
<p>Enfin, les primo-députés font des choix différents selon leur expérience en politique. Alors que les élus les plus novices font des choix improvisés et dans l’urgence lors de la constitution de leurs équipes, les élus les plus expérimentés anticipent davantage le recrutement de leur équipe, souvent avant même leur élection, et leurs choix sont plus stratégiques et adaptés aux objectifs poursuivis.</p>
<p>Les nouveaux élus les plus néophytes sont ainsi pénalisés au début de leur mandat par leur méconnaissance de la collaboration parlementaire, contrairement aux néo-députés plus chevronnés qui connaissent mieux le fonctionnement de la collaboration parlementaire.</p>
<h2>Le noviciat des collaborateurs</h2>
<p>Cependant, le noviciat à l’Assemblée ne concerne pas seulement les députés puisque, parce qu’elle est faiblement formalisée, la position de collaborateur s’apprend largement sur le tas. La découverte des spécificités de cette fonction, comme le rythme soutenu ou la dépendance envers l’élu, peut entraîner des désillusions. Celles-ci sont d’autant plus vives lorsque le collaborateur n’a pas eu d’engagement militant préalable lui ayant permis de se familiariser avec ces aspects du champ politique. C’est le cas de nombre de collaborateurs recrutés après un premier engagement politique lors de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron en 2017.</p>
<p>Un récit fréquemment entendu dans les couloirs de l’Assemblée raconte le départ massif et rapide de ces collaborateurs novices lors de la première année de la XV<sup>e</sup> législature. Même si les <a href="https://theconversation.com/turnover-des-assistants-parlementaires-a-lassemblee-nationale-comme-dans-une-entreprise-de-services-104913">études disponibles à ce sujet</a> relativisent ce phénomène, les données recueillies confirment en partie ce narratif. Les biographies collectives réalisées montrent que les collaborateurs LREM partis pendant la première année de la XV<sup>e</sup> législature étaient, par rapport aux collaborateurs restés, plus diplômés, davantage issus du secteur privé (36 % contre 13 %), et qu’ils ont effectué davantage de reconversions dans ce secteur.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=453&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=453&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=453&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Expérience professionnelle des collaborateurs LREM partis ou restés en septembre 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Annis Ghemires, enquête collaborateurs 2023</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les raisons de ces départs sont nombreuses, mais la distance avec le monde politique semble avoir favorisé le départ rapide des collaborateurs. <a href="https://laviedesidees.fr/Etienne-Ollion-Les-candidats">L’échec des députés novices</a>, qui ne sont pas parvenus à jouer les premiers rôles lors de la précédente législature (2017-2022), peut donc également être imputé au recrutement de collaborateurs inexpérimentés, moins susceptibles de les seconder efficacement. L’organisation de leurs entourages apparaît ainsi plus que jamais déterminante pour la réussite des élus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213319/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Annis Ghemires a été collaborateur parlementaire d'un député de novembre 2018 à septembre 2020. </span></em></p>L’étude des entourages des primo-députés permet de contribuer aux réflexions sur le noviciat en politique.Annis Ghemires, Doctorant en science politique, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2123882023-09-24T15:36:18Z2023-09-24T15:36:18ZRetour sur une année disciplinaire à l’Assemblée nationale : les députés ont-ils perdu la raison ?<p>Le 16 mars 2023, dans le contexte tendu de la réforme des retraites, de nombreux députés brandissent dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale une pancarte « 64 ans, c’est non » à l’occasion de l’une des applications du célèbre article 49 alinéa 3 de la Constitution. Tous ces députés feront <a href="https://lcp.fr/actualites/tenue-des-debats-a-l-assemblee-des-deputes-sanctionnes-de-nouvelles-regles-a-l-etude">l’objet d’une sanction disciplinaire</a>.</p>
<p>Depuis les élections législatives intervenues après la réélection d’Emmanuel Macron en mai 2022, le <a href="https://theconversation.com/comment-le-travail-de-lassemblee-nationale-sest-invite-dans-le-quotidien-207071">parlement</a> est devenu un Janus à deux visages : le Sénat semble participer paisiblement à l’élaboration de la loi alors que l’Assemblée nationale ressemble à un lieu de tumultes donnant parfois à l’hémicycle du Palais Bourbon les airs d’une <a href="https://www.sudouest.fr/politique/assemblee-nationale-cour-de-recreation-ou-camp-disciplinaire-14095582.php">cour de récréation</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-le-travail-de-lassemblee-nationale-sest-invite-dans-le-quotidien-207071">Comment le travail de l’Assemblée nationale s’est invité dans le quotidien</a>
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<p>Comme à l’école, les <a href="https://theconversation.com/comment-pour-la-deuxieme-fois-de-son-histoire-lassemblee-nationale-exclut-un-depute-193986">sanctions disciplinaires</a> doivent alors parfois être prises afin de maintenir l’ordre dans le chahut.</p>
<p>S’il n’est pas nouveau qu’une sanction soit prise par l’Assemblée nationale contre l’un de ses députés, il faut toutefois insister sur la particularité de la situation actuelle découlant à la fois de la fréquence et de la nature des sanctions prononcées depuis les élections législatives de 2022.</p>
<h2>Des sanctions de plus en plus fréquentes</h2>
<p>Leur fréquence d’abord : la Présidence et le Bureau de l’Assemblée nationale ont été amenés à prononcer un nombre inédit de sanctions disciplinaires à l’encontre d’un ou plusieurs députés en l’espace d’un peu plus <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/07/21/a-l-assemblee-nationale-un-nombre-record-de-sanctions-depuis-la-reelection-d-emmanuel-macron_6182897_4355770.html">d’une année</a>.</p>
<p>Du point de vue de leur nature ensuite : ces mesures disciplinaires sont diverses mais ont abouti à deux sanctions d’une particulière gravité consistant à des exclusions temporaires prononcées respectivement pour des paroles et la diffusion d’un tweet ayant tous les deux provoqué une scène tumultueuse <a href="https://lcp.fr/actualites/assemblee-nationale-deja-dix-sanctions-a-l-encontre-de-deputes-depuis-le-debut-de-la">dans l’hémicycle</a>.</p>
<p>Au-delà de ces deux exemples, toutes les sanctions visent le comportement d’un ou plusieurs députés. On retrouve pêle-mêle et sans exhaustivité un député insultant un de ses collègues ; un autre député procédant à un enregistrement streaming de la séance sur la plate-forme Twitch ou encore un député ne respectant pas les règles de communication fixées par l’Assemblée à l’occasion de la diffusion d’un reportage télévisé.</p>
<p>Ces situations de tension, parfois insolites, parfois graves, renvoient à des enjeux profonds qu’il apparaît important de mettre en <a href="https://bdr.parisnanterre.fr/theses/internet/2019/2019PA100120/2019PA100120.pdf">exergue</a>. Derrière le fait d’actualité, relayé par les médias, se jouent l’autorité et la légitimité de l’Assemblée nationale.</p>
<h2>Une discipline nécessaire des députés</h2>
<p>Dans toute institution, la bonne tenue des débats exige une discipline : le débat n’est pas l’invective. L’Assemblée nationale n’échappe pas à la règle, et ce pour deux raisons.</p>
<p>En premier lieu, à l’Assemblée, la discipline est d’autant plus nécessaire que les députés, au regard de leur statut, jouissent d’une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527491">irresponsabilité</a> dans l’exercice de leurs fonctions. Cette protection statutaire, prévue par la Constitution <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/constitution.asp#:%7E:text=Article%2026&text=Aucun%20membre%20du%20Parlement%20ne,assembl%C3%A9e%20dont%20il%20fait%20partie">(article 26)</a>, est une conséquence du principe de la séparation des pouvoirs. Ce dernier implique que le parlementaire « ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ».</p>
<p>Si dans le cadre de ses fonctions, le député échappe à tout contrôle (en particulier d’un juge), les débats ne peuvent se tenir sans cadre : des règles collectives pour débattre sont nécessaires. L’instauration de règles disciplinaires ménage alors la chèvre de la séparation des pouvoirs et le chou de la bonne tenue des débats : ce n’est ni le pouvoir exécutif (le Gouvernement) ni l’autorité judiciaire qui vont assurer la discipline des députés, mais l’Assemblée nationale elle-même dans son règlement.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-crise-democratique-peut-elle-etre-resolue-par-la-reforme-des-institutions-208248">La crise démocratique peut-elle être résolue par la réforme des institutions ?</a>
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<p>Le chapitre XIV de ce règlement intitulé « Discipline, immunité et déontologie » met en place un système disciplinaire autonome. Son article 70 énumère exhaustivement les motifs justifiant l’adoption d’une mesure disciplinaire. L’article 72 indique les autorités compétentes pour adopter ces sanctions. Selon sa gravité, la sanction sera prononcée soit par la Présidence de l’Assemblée, par le Bureau de l’Assemblée ou par <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/divers/texte_reference/02_reglement_assemblee_nationale">l’ensemble des députés</a>.</p>
<p>En second lieu, le contexte politique de majorité relative favorise le recours à des sanctions disciplinaires. En effet, en ne disposant pas de plus de la moitié des 577 sièges de l’Assemblée nationale, le groupe de la majorité – le groupe « Renaissance » – n’est pas en situation de majorité absolue. Les oppositions sont dès lors en position de force pour exprimer leurs revendications. Ce contexte politique est ainsi propice à la survenance de tensions particulièrement fortes dans l’hémicycle pouvant aboutir à la tenue de propos qu’il convient de limiter pour garantir la sérénité des débats.</p>
<h2>Une discipline complexe des députés</h2>
<p>Nécessaire, l’instauration de règles disciplinaires à l’Assemblée nationale n’en est pas pour autant aisée.</p>
<p>Le principe de la séparation des pouvoirs implique l’impossible contrôle de l’organe chargé de prendre la sanction disciplinaire. Dans la plupart des ordres professionnels dans lesquels des sanctions disciplinaires peuvent être prononcées, à l’instar de l’ordre des médecins ou des avocats, la sanction infligée à un de ses membres pourra être contrôlée par un juge, en <a href="https://www.conseil-etat.fr/decisions-de-justice/jurisprudence/dossiers-thematiques/le-juge-administratif-et-les-sanctions-administratives">particulier administratif</a>.</p>
<p>Concernant l’Assemblée nationale, ces sanctions ne peuvent être contrôlées (comme le relève une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000047881653">décision</a> du Conseil d’État en ce sens). Cette absence de contrôle fragilise l’acceptation des sanctions par les députés qui peuvent, avec plus ou moins de mauvaise foi, contester la partialité politique des sanctions prononcées par des organes politiques. Ainsi, à propos d’une sanction aboutissant à l’exclusion temporaire d’un député pour avoir provoqué une scène tumultueuse après avoir prononcé les mots « qu’il retourne en Afrique », certains membres du groupe politique du député sanctionné affirmaient qu’il s’agissait d’une « procédure où on est jugé par <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/sanction-contre-le-depute-rn-intenses-debats-et-atmosphere-pesante-au-bureau-de-lassemblee-1876068">nos adversaires politiques</a> ».</p>
<h2>Une juridicisation de la procédure disciplinaire ?</h2>
<p>Ce soupçon omniprésent de partialité est la principale difficulté à laquelle est confrontée la fonction disciplinaire à l’Assemblée (le fameux « c’est une décision politique »). Afin d’écarter ce soupçon, certains députés ont proposé d’encadrer davantage la procédure disciplinaire en vue de renforcer son impartialité. À l’instar de ce qui existe pour tout ordre professionnel, l’instauration d’une procédure contradictoire respectée par un organe collégial permettrait à coup sûr de renforcer l’impartialité de la sanction. L’objectif serait ainsi de juridiciser la discipline de l’Assemblée.</p>
<p>Néanmoins, dans le contexte particulier d’une assemblée parlementaire, cette solution prend la forme d’un pis-aller. Les députés sont des acteurs politiques qui disposent d’une protection statutaire nécessaire pour garantir leur pleine liberté d’expression et de vote au sein de l’hémicycle. L’instauration d’une procédure juridique lourde et contraignante aboutirait à limiter cette liberté et appesantir les débats autour de considérations futiles : la sanction appliquée à un député s’adressant à un de ses collègues en employant le mot « ta gueule » doit-elle être plus faible que la sanction infligée à un autre député qualifiant un ministre de « lâche » ?</p>
<p>En se concentrant sur ces comptes d’apothicaires, la juridicisation de la procédure disciplinaire ne ferait pas taire les critiques sur l’existence d’un possible « deux poids deux mesures », mais conduirait, au contraire, à davantage les exprimer et fragiliserait encore plus l’institution parlementaire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/linsulte-arme-incontournable-du-politique-149290">L’insulte, arme incontournable du politique</a>
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<h2>Le primat de la responsabilité collective des députés</h2>
<p>Alors comment assurer la discipline à l’Assemblée sans se voir opposer l’existence d’un « deux poids deux mesures » ?</p>
<p>In fine, en l’absence de possibles recours à un juge pour contrôler la sanction, la dimension politique de la sanction disciplinaire est inévitable. Seulement, cette dimension politique n’implique pas nécessairement la partialité de la sanction.</p>
<p>D’un point de vue statistique, si les sanctions semblent avoir été majoritairement infligées à des députés de l’opposition (Nupes et Rassemblement National), il n’en demeure pas moins que la majorité a pu être également concernée.</p>
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<p>Les vice-présidents, dont certains représentent les groupes d’opposition Nupes et RN, ont d’ailleurs aussi prononcé des sanctions disciplinaires (V. par ex. respectivement pour les groupes Nupes et RN, la <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2022-2023/troisieme-seance-du-jeudi-16-mars-2023.pdf">3ᵉ séance du 16 mars 2023</a> et la <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2022-2023/premiere-seance-du-lundi-13-fevrier-2023.pdf">1ère séance du 13 février 2023</a>). L’adoption d’une sanction disciplinaire ne relève pas d’une logique partisane, mais institutionnelle. Il ne s’agit pas de protéger un parti politique (celui de la majorité) mais l’autorité de l’institution (l’Assemblée nationale) dont la seule raison d’être est celle de débattre sereinement.</p>
<p>Au fond, la solution pour l’Assemblée nationale est la même que pour toute institution : son bon fonctionnement exige que les personnes qui la composent, malgré leurs divergences politiques profondes, jouent le jeu de la délibération.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212388/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jeremy Martinez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La fréquence et de la nature des sanctions prononcées depuis les élections législatives de 2022 interrogent l’image et la légitimité de l’Assemblée nationale.Jeremy Martinez, Maître de conférences, droit public, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2031212023-06-20T17:34:07Z2023-06-20T17:34:07ZLa notion de génocide : entre l’histoire, le droit et la politique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/521109/original/file-20230414-28-tna6by.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C3994%2C2646&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Cette statue représentant une fillette émaciée tenant deux épis de blé est installée devant le musée du Holodomor, à Kiev. Plusieurs millions de personnes sont mortes de faim en Ukraine en 1932-1933.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/fragment-memorial-victims-holodomor-dedicated-big-1865892895">paparazzza/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le 28 mars 2023, <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0770_proposition-resolution">l’Assemblée nationale a adopté une résolution</a> portant sur « la reconnaissance et la condamnation de la grande famine de 1932‑1933, connue sous le nom d’"Holodomor", comme génocide ».</p>
<p>En août 1932, le gouvernement soviétique avait promulgué une loi punissant de dix ans de déportation, voire de la peine de mort, « tout vol ou dilapidation de la propriété socialiste », y compris le simple vol de quelques épis dans un champ. Dans un contexte marqué par des réquisitions massives des récoltes, des millions de paysans, très majoritairement en Ukraine (même si le phénomène concerne aussi le sud de la Russie et une partie du Kazakhstan) seront réduits à la famine. Des millions de personnes en mourront. En 2006, <a href="https://www.rferl.org/a/1073094.html">l’Ukraine qualifie le Holodomor de génocide</a>. <a href="https://holodomormuseum.org.ua/en/recognition-of-holodomor-as-genocide-in-the-world/">Plusieurs autres pays</a> et organisations, dont le <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20221209IPR64427/le-parlement-reconnait-l-holodomor-comme-genocide">Parlement européen en 2008</a>, en feront de même.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/trente-ans-apres-la-fin-de-lurss-quelle-memoire-de-cette-periode-en-russie-et-en-ukraine-173305">Trente ans après la fin de l’URSS, quelle mémoire de cette période en Russie et en Ukraine ?</a>
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<p>La résolution de l’Assemblée nationale française a été adoptée par 168 voix pour et 2 contre (403 députés <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/03/29/l-assemblee-nationale-qualifie-de-genocide-l-holodomor-la-famine-meurtriere-des-annees-1930-en-ukraine_6167419_823448.html">n’ont pas pris part au vote</a>). </p>
<p>L’un des deux députés à avoir voté contre, Jean-Paul Lecoq (PCF), <a href="https://jeanpaul-lecoq.fr/spip.php?article1505">a expliqué</a> que « les parlementaires n’ont pas la légitimité des historiens pour juger des faits passés, surtout quand ils ne font pas consensus ». Il a ajouté que « les parlementaires n’ont pas non plus la légitimité pour endosser le rôle des juges, notamment sur le sujet de “l’intention” de l’accusé, qui doit être démontrée dans le cadre d’un génocide ».</p>
<p>Ces propos s’inscrivent dans les débats qui entourent l’emploi même du terme de génocide, et posent également la <a href="https://theconversation.com/le-role-de-lhistorien-est-il-de-ressusciter-le-passe-80974">question de la nature des lois dites mémorielles</a>.</p>
<h2>Définir le génocide</h2>
<p>Pour donner un début de réponse à ces interrogations, il est utile de revenir sur les <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/guerres-traces-m%C3%A9moires/violences-de-guerre/g%C3%A9nocide%C2%A0-histoire-et-usages-d%E2%80%99un-concept">origines de la notion de « génocide »</a> en examinant les écrits de celui qui l’a forgée en 1944, le juriste polonais d’origine juive <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-justice-2014-4-page-543.htm">Raphael Lemkin</a> (1900-1959). Lemkin, né dans l’empire de Russie (dans une ville qui se trouve aujourd’hui en Biélorussie), a fait ses études à Lviv, dans l’Ukraine actuelle, avant de s’installer aux États-Unis. Ses travaux font référence depuis maintenant près de huit décennies. Le concept de génocide a notamment été <a href="https://digitalcommons.usf.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1610&context=gsp">évoqué lors du procès de Nuremberg</a>, en 1945, même s’il ne figure pas dans le jugement. Mais Lemkin a également travaillé sur le Holodomor.</p>
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<p>Dans son livre-référence de 1944, <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9443228"><em>La domination de l’Axe dans l’Europe occupée</em></a> – traduit en français par <a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb41184157n"><em>Qu’est-ce que le génocide ?</em></a> – Lemkin écrit que le génocide est effectué par une attaque synchronisée sur des aspects différents de la vie des peuples attaqués : sont pris pour cible le champ politique (par la destruction des institutions) ; le champ social (par la destruction de la cohésion sociale de la nation et l’élimination de son intelligentsia, susceptible de la guider spirituellement) ; le champ culturel, religieux et moral (interdiction des institutions culturelles, instrumentalisation de l’enseignement) ; le champ économique ; et le champ biologique, celui de l’existence physique (par l’assassinat de masse).</p>
<p>Il précise que le génocide implique « un plan coordonné d’actions différentes visant à la destruction des fondations essentielles de la vie des groupes nationaux, avec l’objectif de l’annihilation des groups eux-mêmes ». Il est dirigé « contre le groupe national en tant qu’entité, et les actions qu’il engage sont dirigées contre les individus non pas en vertu de leur individualité, mais en tant que membres d’un groupe national ». </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/532415/original/file-20230616-23-dmali7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532415/original/file-20230616-23-dmali7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=623&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532415/original/file-20230616-23-dmali7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=623&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532415/original/file-20230616-23-dmali7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=623&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532415/original/file-20230616-23-dmali7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=783&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532415/original/file-20230616-23-dmali7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=783&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532415/original/file-20230616-23-dmali7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=783&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Raphael Lemkin.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.memorialdelashoah.org/raphael-lemkin.html">Mémorial de la Shoah. Crédits photo : DR</a></span>
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<p>Ce crime est selon lui une antithèse de la doctrine dite <a href="https://www.icrc.org/fr/doc/assets/files/other/irrc_857_guerresasymetriques.pdf">Rousseau-Portalis</a>, selon laquelle « la guerre se fait contre les souverains et les armées, et non pas contre les sujets et les civils ». Il constitue à ce titre un retour en arrière dans l’histoire européenne.</p>
<p>Dans ce contexte, on regrette de ne pas pouvoir recueillir l’opinion de Lemkin sur la place des <a href="https://theconversation.com/la-colonisation-est-elle-un-crime-contre-lhumanite-73284">crimes de la colonisation</a> dans ce récit historique qui postulait l’adoucissement des mœurs de la guerre depuis plusieurs siècles : « Cela a pris beaucoup de temps pour que la société civilisée cesse de mener des guerres d’extermination, qui se sont produites dans l’Antiquité et au Moyen Âge », écrivait-il. On peut deviner que les questions des violences coloniales étaient traitées dans son livre <em>History of Genocide</em>, jamais publié. Notons toutefois que sa conception du génocide s’inspirait aussi des critiques des crimes coloniaux, dans l’esprit de la tradition juridique initiée par Bartolomé de las Casas et Francisco de Vitoria (XV-XVIes siècles). </p>
<p>Lemkin illustre ses descriptions des actions génocidaires allemandes lors de la Seconde Guerre choisies avec des exemples de poursuites contre plusieurs groupes ethniques. Sont alors mentionnés entre autres les Polonais (notamment en ce qui concerne le génocide culturel et biologique) et les Juifs (surtout concernés par l’aspect physique du génocide, par la destruction effective, étant donné les rations alimentaires sont quasiment inexistantes, et infiniment moindres de celles obtenus par d’autres non-Allemands). Les Ukrainiens sont cités dans des textes plus tardifs. </p>
<p>Il est important de noter qu’au moment de l’écriture du livre, Lemkin ne connaît pas l’ampleur de la Shoah – isolé dès 1942 à Washington, il n’était pas pleinement informé de ce qui se passait à Auschwitz et ailleurs. Le choix de ses exemples montre que l’usage qu’il voulait faire du concept de génocide était plus large que ce que certains entendent aujourd’hui par cette notion, à savoir la destruction physique intégrale d’une communauté. Son opinion n’a pas changé après la guerre, une fois qu’il avait appris les détails et l’ampleur de l’extermination systématique des Juifs d’Europe (dont une grande partie de sa famille).</p>
<h2>Le Holodomor vu par Lemkin : un génocide indiscutable</h2>
<p>C’est cette interprétation de la notion de génocide qui fait que le Holodomor, la grande famine en Ukraine orchestrée par Staline dans les années 1932-1933, en remplit les critères.</p>
<p>Les paysans ukrainiens ayant largement refusé la collectivisation et cherché à maintenir une identité culturelle distincte, vue par le Kremlin comme incompatible avec le projet de la construction de l’Union soviétique, Staline a souhaité à la fois physiquement épuiser et moralement briser les Ukrainiens, <a href="https://doi.org/10.3917/ving.121.0077">comme le rappelle Nicolas Werth</a>, en confisquant les récoltes et en tuant les ennemis : les <em>koulaks</em> – riches paysans prétendument profiteurs, mais aussi les opposants et les intellectuels. L’Ukraine étant l’un des « greniers à blé » de l’URSS, l’enjeu était vital. Officiellement, les sanctions étaient dirigées contre les « éléments koulaks » et « contre-révolutionnaires » ; de fait, elles ont provoqué la mort par la faim de près de <a href="https://www.britannica.com/place/Ukraine/The-famine-of-1932-33-Holodomor">4 millions d’Ukrainiens</a>. </p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/L7qGB8yp0PA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Pour Lemkin, qui a <a href="https://holodomormuseum.org.ua/en/news-museji/presentation-of-raphael-lemkin-s-soviet-genocide-in-ukraine/">écrit sur le Holodomor en 1953</a>, le caractère génocidaire de la famine forcée est tout à fait clair : à ses yeux, il s’agit d’un « exemple classique du génocide soviétique », qui « s’inscrit dans la succession logique des crimes tsaristes de ce genre ». Le projet de « <a href="https://doi.org/10.3917/comm.127.0637">destruction de la nation ukrainienne</a> » a été, selon lui, la plus vaste expérience de russification – une pratique courante des empires (cf. ses remarques sur la germanisation en tant que processus dans son ouvrage de 1944). </p>
<p>La situation est d’autant plus délicate à traiter juridiquement que la <a href="https://www.un.org/fr/genocideprevention/genocide-convention.shtml">Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide</a> adoptée par les Nations unies en 1948 a été co-écrite par l’Union soviétique. Le génocide se définit selon la Convention par les « actes commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, <em>un groupe national, ethnique, racial ou religieux</em> ».</p>
<p>Ces co-auteurs du texte, de façon tout à fait consciente <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-histoire/Terres-de-sang">selon l’historien Timothy Snyder</a>, ont fait disparaître deux critères de Lemkin, pour qui les groupes politiques et économiques pouvaient également faire objet de génocide. Snyder note que cela permettait de présenter les phénomènes tels que le Holodomor « comme quelque peu moins génocidaires, car visant <em>une classe</em>, les koulaks ». </p>
<h2>Le débat récurrent sur les lois mémorielles</h2>
<p>La résolution qu’a adoptée en mars l’Assemblée nationale française n’est pas une loi mémorielle pénalisant la négation du génocide, qui se trouverait alors dans une <a href="https://theconversation.com/des-lois-memorielles-a-la-reparation-de-lesclavage-77521">relation complexe avec le droit à la liberté d’expression</a> à l’instar de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000532990">loi Gayssot</a>, qui réprime la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité qui furent définis dans le statut du Tribunal militaire international de Nuremberg, mais une loi déclarative.</p>
<p>En ce sens, elle est d’une nature similaire à la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000403928/">loi du 29 janvier 2001, reconnaissant le génocide arménien de 1915</a>, ou à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000405369/">celle du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité</a>. La fonction de ce type de loi est symbolique et politique, notamment en l’absence du consensus.</p>
<p>On se rappelle, à cet égard, la polémique autour de la proposition de loi <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/20852-proposition-de-loi-visant-reprimer-la-contestation-de-lexistence-des">« visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi »</a> du 31 janvier 2012 qui a été jugée par le Conseil constitutionnel « <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2012/2012647DC.htm">contraire à la Constitution</a> », car allant à l’encontre du droit à la « libre communication des pensées et des opinions ».</p>
<p>Il existe une grande diversité de lois mémorielles, selon les pays et selon les époques ; il n’y a aucune raison de les traiter comme un bloc uniforme auquel on s’opposerait – ou auquel on souscrirait – par principe. Certaines ont été instaurées dans un contexte progressiste, d’autres <a href="https://theconversation.com/lombre-de-la-seconde-guerre-mondiale-sur-lelection-presidentielle-polonaise-138042">émergent des régimes illibéraux</a>. Leur signification politique fait partie de leur raison d’être ; dès lors, l’appel à la neutralité politique du droit semble ici assez naïf. </p>
<p>« Il existera toujours une forte tension entre l’Histoire, qui tend vers la distinction et la différenciation, et le droit, qui tend vers l’inclusion et la généralisation », <a href="https://doi.org/10.3917/deba.162.0142">note l’historien Nicolas Werth</a>. Et il nous invite dans ce contexte à suivre le spécialiste des violences de masse Jacques Sémelin, qui plaide pour des recherches sur les violences extrêmes libérées du « joug des définitions juridiques ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203121/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anna C. Zielinska ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Assemblée nationale a reconnu le Holodomor, la grande famine qui a décimé l’Ukraine au début des années 1930, comme un génocide. Retour sur cette notion et les débats qui l’entourent.Anna C. Zielinska, MCF en philosophie morale, philosophie politique et philosophie du droit, membre des Archives Henri-Poincaré, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2070712023-06-06T19:54:25Z2023-06-06T19:54:25ZComment le travail de l’Assemblée nationale s’est invité dans le quotidien<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/530299/original/file-20230606-25-sfan3l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C124%2C5198%2C3773&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">49.3 RAISONS DE TOUT PÉTER, à Saint-Étienne, le 30 mars 2023. Les règles et procédures de débat au parlement ont été intégrées dans les modes de contestation.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:49.3_RAISONS_DE_TOUT_P%C3%89TER.jpg">Touam Hervé Agnoux/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>La réforme des retraites s’est transformée en querelle procédurale, comme l’a encore montré la dernière proposition de loi déposée par le groupe LIOT, en <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/retraite/reforme-des-retraites/retraites-ce-sera-un-seisme-politique-si-le-texte-du-groupe-liot-visant-a-abroger-la-reforme-des-retraites-est-juge-irrecevable_5867534.html">examen le 8 juin à l’Assemblée nationale</a>. Ce phénomène est vrai tant du côté du gouvernement que des oppositions et met en lumière la place centrale des règles au sein de l’Hémicycle et de ce que cela dit du parlementarisme à la française.</p>
<p>Au sortir des élections législatives de juin 2022, avec une Assemblée nationale éclatée en 10 groupes parlementaires et une majorité relative, il était bon de croire à une <a href="https://www.lexpress.fr/politique/etienne-ollion-l-assemblee-nationale-connait-un-retour-en-grace-politique-et-mediatique_2178177.html">reparlementarisation</a> de la vie politique française, où le gouvernement minoritaire devrait négocier chaque texte avec les divers groupes.</p>
<h2>Une difficile reparlementarisation</h2>
<p>Cependant, c’était sans compter sur les outils de rationalisation parlementaire dont dispose le gouvernement grâce à la Constitution de la V<sup>e</sup> République. Ces dispositions constitutionnelles permettent à l’exécutif de faire adopter ses textes <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/29/le-parlementarisme-rationalise-cet-outil-de-la-v-republique-qui-vise-a-renforcer-l-executif-est-de-moins-en-moins-tolere_6167356_3232.html">sans l’emprise du parlement</a>. </p>
<p>À l’automne dernier, Elisabeth Borne avait déjà fait adopter le budget, sans vote, avec le célèbre art. 49 al. 3 de la Constitution. Elle y a eu recours pour la <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/03/17/comment-fonctionne-l-article-49.3-utilise-pour-la-onzieme-fois-par-elisabeth-borne_6146430_4355771.html">11ᵉ fois</a> lors de la réforme des retraites, en combinant d’autres outils de rationalisation tels que le passage par un texte budgétaire rectificatif et dans un délai réduit (art. 47-1 C) ainsi que le vote restreint, au Sénat, aux seuls amendements retenus par le gouvernement (art. 44 al. 3 C).</p>
<p>Si la situation de gouvernement minoritaire montre finalement l’exacerbation du parlementarisme rationalisé, l’Assemblée nationale <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/26/le-parlement-bouge-encore-et-c-est-au-fond-une-bonne-nouvelle_6171036_3232.html">« bouge »</a> encore et ne reste pas sans ressources.</p>
<h2>Maintenir le débat, ralentir le processus</h2>
<p>La séquence des retraites montre que les parlementaires redoublent d’efforts pour maintenir le débat, mais surtout de ralentir le processus législatif en ayant recours à divers outils procéduraux. Il y a eu la tentative d’obstruction par le <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-comment-les-parlementaires-tentent-de-rassembler-leurs-troupes-199262">dépôt massif d’amendements</a>, les <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/quest-ce-quune-motion-de-rejet-prealable-4140337">motions de rejet préalable</a> (qui permet de rejeter le texte avant qu’il ne soit proposé au vote), les <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/retraite/reforme-des-retraites/reforme-des-retraites-l-assemblee-nationale-examinera-la-motion-referendaire-du-rassemblement-national-plutot-que-celle-de-la-nupes-qui-crie-au-scandale_5632475.html">motions référendaires</a>, les <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/motion-de-censure-elisabeth-borne-echappe-a-la-sanction-de-l-assemblee-nationale_215483.html">motions de censure</a> (dans le cadre du 49 al. 3) puis les propositions de <a href="https://www.la-croix.com/France/Reforme-retraites-Conseil-constitutionnel-rejette-referendum-dinitiative-partagee-2023-05-03-1201265957">référendum d’initiative partagée</a> finalement rejetée par le Conseil constitutionnel.</p>
<p>Enfin, c’est la <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/abrogeant_recul_retraite">proposition de loi</a> (PPL) du groupe LIOT visant à abroger la réforme des retraites qui <a href="https://lhemicycle.com/2023/06/02/lhemicycle-confidentiel-30/">fait l’objet d’ingénierie procédurale de la part des oppositions et de la majorité</a>.</p>
<h2>Pourquoi les règles importent ?</h2>
<p>L’éminent politologue finlandais Kari Palonen, spécialiste du parlementarisme, posait la question <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-90533-4_3">« What makes of an assembly a parliament ? »</a> (qu’est ce qui fait d’une assemblée un parlement ?).</p>
<p>Un parlement est donc un lieu de délibération où les règles jouent un rôle essentiel dans la vie d’assemblée car elles déterminent son organisation et son fonctionnement. En cela, les règles établissent les organes clefs (présidence, Bureau de l’Assemblée, commissions parlementaires, groupes parlementaires), leur attribue des compétences et des obligations ainsi que la manière dont le travail parlementaire doit être mené (quorum, amendements, modalité de vote, etc.).</p>
<p>En résumé, les règles mettent en forme et mettent des formes pour situer un ordre symbolique comme l’expliquait le sociologue <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1986_num_64_1_2335">Pierre Bourdieu</a>. Par ailleurs, ces règles régulent les comportements – par exemple, la <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/divers/texte_reference/04_instruction_generale_bureau">(bonne) tenue vestimentaire des députés</a> – afin d’en réduire leur variabilité dans la mesure où « la fixité de la règle rétablit l’ordre, introduit la prévisibilité dans les actions tout en prévenant les contestations futures » selon le professeur de science politique <a href="https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_1992_num_5_20_1547">Dominique Damamme</a>.</p>
<h2>Un lieu où l’on parle</h2>
<p>Il ne faut pas oublier qu’un parlement est avant tout un lieu où l’on parle. Outre le rôle de représentation, le parlement est l’institution où des représentants délibèrent et légifèrent.</p>
<p>Ainsi, les règles et procédures déterminent les conditions du débat, alors inévitable dans une démocratie pluraliste. C’est pourquoi Kari Palonen évoque la pertinence des procédures de « <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-90533-4_3">dissensus</a> », c’est-à-dire des procédures qui mettent en confrontation les idées et avis contraires entre une majorité et une opposition, comme condition nécessaire à la délibération et, in fine, à la légitimité du travail législatif.</p>
<p>Enfin, la définition des règles est précieuse pour leurs auteurs (en l’occurrence la majorité) car cela permet de distribuer les ressources législatives (par exemple le temps de parole, les postes clefs dans l’assemblée, amendements) entre les acteurs (députés et groupes parlementaires) et donc établit leur capacité d’action.</p>
<h2>Celui qui dirige les procédures, dirige la Chambre</h2>
<p>Comme l’a résumé l’ancien chef du groupe Républicain à la Chambre des Représentants du Congrès des États-Unis : <a href="https://assets.cambridge.org/97805218/32533/excerpt/9780521832533_excerpt.pdf">« Who rules House procedures rules the House »</a> (celui qui dirige les procédures, dirige la Chambre). La situation diffère néanmoins entre les États-Unis et la France en ce qui concerne l’élaboration des règles.</p>
<p>Dans le premier cas, chaque texte fait l’objet d’une détermination de règles spécifiques par le comité chargé des règles, ce qui donne un pouvoir considérable à la majorité. À l’Assemblée nationale, il n’existe pas de tel organe, il est toutefois possible d’interpréter les règles et de constituer des « précédents ». Un précédent, en droit parlementaire, est « toute application du règlement même si le texte en cause ne pose aucun problème d’interprétation » expliquait le juriste <a href="https://scholar.google.com/scholar?hl=fr&as_sdt=0%2C5&q=L%E2%80%99interpr%C3%A9tation+du+r%C3%A8glement+de+l%E2%80%99Assembl%C3%A9e+nationale+par+les+pr%C3%A9c%C3%A9dents+%C2%BB%2C+RDP%2C+1988%2C+p.+1108&btnG=">Bernard Luisin</a>. Il suffit d’une seule application de l’interprétation de la règle écrite, c’est-à-dire du Règlement de l’Assemblée nationale (RAN), à partir d’une situation concrète pour constituer un précédent. Cette interprétation doit par ailleurs être acceptée par l’ensemble des membres de l’Hémicycle et correspondre à « <a href="https://books.google.ca/books/about/De_la_proc%C3%A9dure_parlementaire.html?id=EM80S5vtLNYC&redir_esc=y">l’esprit du moment</a> » comme l’expliquait Eugène Pierre, père du droit parlementaire français. </p>
<h2>Un précédent ?</h2>
<p>Concernant la PPL Liot, elle a d’une part présenté une situation de conflit d’interprétation du RAN relative <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/institutions/abrogation-de-la-reforme-des-retraites-tout-comprendre-a-la-bataille-autour-de-larticle-40-de-la-constitution">à sa recevabilité financière</a> (compétence pour la prononcer ; tradition de la levée du « <a href="https://www.francetvinfo.fr/vrai-ou-fake/vrai-ou-fake-la-proposition-de-loi-liot-pour-abroger-la-reforme-des-retraites-est-elle-contraire-a-la-constitution-comme-l-affirme-le-gouvernement_5842736.html">gage tabac</a> »). D’autre part, un précédent semble s’être créé durant l’examen du texte en Commission des affaires sociales (saisie au fond).</p>
<p>Alors que le texte venait d’être vidé de sa substance par la suppression de l’article 1er (âge légal de départ en retraite à 62 ans), plusieurs députés de l’opposition ont déposé <a href="https://www.lemonde.fr/blog/cuisines-assemblee/2023/06/02/retraites-lauto-obstruction-comme-sauvetage-du-texte/">une série de sous-amendements en quelques minutes</a>.</p>
<p>Face à cette tentative d’obstruction, la présidente de la commission, Fadila Khattabi (Renaissance) a décidé de ne pas les étudier ni de les soumettre au vote en se fondant sur l’article 41 du RAN qui prévoit sa compétence pour organiser les travaux de la commission. Cette lecture extensive du RAN pourrait alors créer une pratique à l’Assemblée, déjà faite au Sénat quelques semaines plus tôt et <a href="https://twitter.com/PJanuel/status/1663880971031019521">validée par le Conseil constitutionnel</a>, suscitant un débat parmi les aficionados du #DirectANsur Twitter.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1663860365413761024"}"></div></p>
<h2>Pourquoi les règles intéressent ?</h2>
<p>Tout un courant de la science politique – l’institutionnalisme – s’intéresse aux règles et procédures des assemblées parlementaires, car elles influencent le comportement des élus et font aussi l’objet d’un jeu politique, comme la réforme des retraites l’a montré.</p>
<p>La connaissance approfondie des règles et procédures parlementaires ne se limite cependant pas aux universitaires. Quand bien même il faut « vivre » le droit parlementaire pour le connaître, selon le <a href="https://www.google.ca/books/edition/Trait%C3%A9_d_%C3%A9tudes_parlementaires/SuxjDwAAQBAJ?hl=fr&gbpv=0">constitutionnaliste et homme politique Marcel Prélot</a>, on assiste depuis quelques années à sa démocratisation.</p>
<p>Cela passe par rendre transparente l’activité des parlementaires avec le <a href="https://projetarcadie.com/">Projet Arcadie</a>, la visite des <a href="https://www.lemonde.fr/blog/cuisines-assemblee/">« cuisines »</a> de l’Assemblée, via le journal Le Monde, ou plus largement par l’explication de la vie politique et parlementaire sur les <a href="https://twitter.com/malopedia">réseaux sociaux</a>, parfois <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/reportage-backseat-lemission-sur-twitch-qui-veut-reconcilier-les-jeunes-avec-la-politique-5ad4de2e-c4d3-11ed-93d7-4c4cd65beb9c">avec succès</a>.</p>
<p>Ainsi, les querelles procédurales des dernières semaines pourront peut-être susciter un regain d’intérêt pour la vie parlementaire parmi les citoyens, <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2009-3-page-397.htm">après celui des universitaires</a>.</p>
<hr>
<p><em>L’auteur effectue sa thèse sous la direction de Jean-François Godbout.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207071/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Robin a reçu des financements du département de science politique de l'Université de Montréal. Il est également assistant de recherche au Centre Jean Monnet Montréal.</span></em></p>Le rejet de la proposition centriste visant à abroger la retraite à 64 ans montre aussi comment les querelles procédurales de l’Hémicycle infusent désormais le débat public.Julien Robin, Doctorant en science politique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2056752023-05-28T15:32:51Z2023-05-28T15:32:51ZPétitions à l’Assemblée nationale : quel sort leur est réservé ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/527087/original/file-20230518-24-9hvor7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1059%2C706%2C4548%2C3026&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Depuis 2020, il est possible de déposer et signer des pétitions sur les sites Internet de l'Assemblée nationale et du Sénat.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/partisocialiste/8073468343/">Mathieu Delmestre / Solfé communication / Flickr</a></span></figcaption></figure><p>Il est des naissances qui ne font pas grand bruit. C’est le cas de la <a href="https://petitions.assemblee-nationale.fr/initiatives">plateforme des pétitions de l’Assemblée nationale</a> adoptée par une révision du règlement de l’Assemblée en <a href="https://presidence.assemblee-nationale.fr/activites/presse/2993">2019</a>, et rendue opérationnelle en 2020.</p>
<p>Peu de <a href="https://www.ladepeche.fr/2020/10/04/lassemblee-nationale-lance-sa-plateforme-de-petitions-9116035.php">journaux</a> ont, à l’époque, <a href="https://www.lexpress.fr/societe/petitions-citoyennes-l-assemblee-nationale-lance-sa-plateforme_2135407.html">relayé la création de ce nouveau dispositif</a> visant à permettre à tout citoyen ou résident français de soumettre une pétition à l’attention des députés.</p>
<p>Le Sénat avait <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/276461-assemblee-nationale-une-plateforme-en-ligne-de-petitions-citoyennes">devancé de peu</a> l’Assemblée nationale en proposant <a href="https://petitions.senat.fr">sa propre plate-forme</a> permettant aux citoyens de proposer la tenue d’une mission d’information sénatoriale ou l’ajout d’un point à l’ordre du jour.</p>
<p>En développant ses outils, la France comble son retard sur une pratique généralisée en <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-leurope-changer-ou-perir-175387">Europe</a>, visant à doter le <a href="https://fra.europa.eu/fr/eu-charter/article/44-droit-de-petition?page=1">droit fondamental de pétition</a> de modalités concrètes d’application. Politiquement, le but est de faire davantage <a href="https://theconversation.com/instaurer-un-mecanisme-de-veto-populaire-une-solution-pour-prevenir-les-crises-politiques-203805">participer les citoyens</a>, et réduire la fracture entre élus et électeurs.</p>
<h2>La France en retard sur ses voisins</h2>
<p>Si le droit de pétition est largement reconnu chez nos voisins, les modalités de sa mise en application varient. En Allemagne, la pratique date de 2005. Si une pétition est soutenue par 50 000 personnes ou plus dans un délai de quatre semaines après sa réception (pour les pétitions publiques, le délai commence à courir à partir de la publication sur Internet), elle fait généralement l’objet d’une délibération publique au sein de la commission des pétitions. Le pétitionnaire est invité à cette délibération et a le droit de prendre la parole. Au Royaume-Uni ce système existe depuis 2015. On peut obtenir une réponse si l’on obtient <a href="https://petition.parliament.uk">10 000 signatures</a>, et la pétition est examinée au parlement à partir de 100 000 signatures.</p>
<p>Le parlement européen a sa propre plate-forme depuis 2014, même si les modalités d’examen des pétitions sont <a href="https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/148/le-droit-de-petition">à la discrétion du parlement</a>.</p>
<p>Tel est également le cas du règlement de la plate-forme française créée en 2019. Une pétition atteignant 10 000 signatures dans les six mois après son dépôt est examinée dans la commission parlementaire appropriée, qui peut choisir de la classer ou de la renvoyer à un débat parlementaire aboutissant à un rapport. Lorsqu’une pétition atteint les 100 000 signatures, elle est mise en ligne sur le site de l’Assemblée nationale pour plus de visibilité, alors que si elle atteint les 500 000 signatures issues d’au moins 30 départements et collectivités d’outre-mer, elle est examinée en conférence des présidents qui décide si le parlement doit l’examiner en <a href="https://petitions.assemblee-nationale.fr/?locale=fr">séance publique</a>. Contrairement à ses voisins, donc, la plate-forme française n’offre pas un seuil qui permet de saisir directement le parlement.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/527024/original/file-20230518-17-1wfpa2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/527024/original/file-20230518-17-1wfpa2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/527024/original/file-20230518-17-1wfpa2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=289&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/527024/original/file-20230518-17-1wfpa2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=289&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/527024/original/file-20230518-17-1wfpa2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=289&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/527024/original/file-20230518-17-1wfpa2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=364&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/527024/original/file-20230518-17-1wfpa2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=364&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/527024/original/file-20230518-17-1wfpa2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=364&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le parcours d’une pétition déposée à l’.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://petitions.assemblee-nationale.fr/?locale=fr">Assemblée nationale</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les petitions aboutissent-elles ?</h2>
<p>Dans les deux premières années d’existence de la plate-forme britannique, environ 10 000 pétitions avaient été enregistrées, presque 500 avaient obtenu une réponse, et 65 avaient été examinées <a href="https://eprints.whiterose.ac.uk/145393/3/Role_Parliamentary_Petitions_Systems_CLB_COMBIN">par le Parlement</a>. Aucune n’a donné lieu à une loi, même si quelques pétitions ont lancé un travail parlementaire qui a abouti à des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/1369148120959041">décisions</a>.</p>
<p>En Allemagne, le Comité des pétitions du parlement produit chaque année un <a href="https://www.btg-bestellservice.de/pdf/20463320.pdf">rapport touffu sur le suivi des pétitions</a>. En 2021, 8 pétitions ont fait l’objet d’un examen parlementaire. Seulement une pétition n’a donné lieu à aucune suite. Les 7 réponses positives exposent la façon dont la loi pourrait être adaptée pour répondre aux préoccupations des pétitionnaires.</p>
<p>En France, 507 pétitions ont été déposées pendant les <a href="https://petitions.assemblee-nationale.fr/initiatives?filter%5Bsearch_text%5D=&filter%5Bstate%5D%5B%5D=&filter%5Bstate%5D%5B%5D=L%C3%A9gislature%202017-2022&filter%5Barea_id%5D=&filter%5Bcustom_state%5D%5B%5D=&filter%5Bscope_id%5D%5B%5D=">3 premières années</a>. Parmi elles, seulement 6 ont dépassé le seuil fatidique de 10 000 signatures, et aucune le seuil des 100 000. Toutes les pétitions ont été classées sans suite par les commissions respectives.</p>
<p>Ce faible succès de la plate-forme s’explique vraisemblablement par le fait que le public connaissait peu l’existence de ce dispositif et que, contrairement aux plates-formes de pétitions classiques comme <a href="https://www.change.org">change.org</a>, celle-ci exige un numéro <a href="https://franceconnect.gouv.fr/">France Connect</a> pour signer. Ceci a pu rendre la signature difficile pour les personnes peu habituées et accroître la fracture numérique.</p>
<h2>Le tournant de la pétition de la BRAV-M</h2>
<p>Depuis le début de la nouvelle législature en juin 2022, on constate un engouement nouveau pour la plate-forme. En moins d’un an, cinq pétitions ont déjà dépassé le seuil des 10 000 signatures. La principale raison pour cet engouement est vraisemblablement l’existence d’une pétition d’ampleur inégalée et son <a href="https://videos.assemblee-nationale.fr/video.13228936_642d676187f98.commission-des-lois--decision-en-application-de-l-article-148-alinea-3-du-reglement-sur-les-petit-5-avril-2023">classement en commission des lois le 5 avril</a>.</p>
<p><a href="https://petitions.assemblee-nationale.fr/initiatives/i-1319">Cette pétition</a> demandait la suppression de la BRAV-M, une brigade de répression de l’action violente motorisée controversée en raisons de plusieurs incidents durant les manifestations. Soutenue par la <a href="https://theconversation.com/la-france-insoumise-pourra-t-elle-sinscrire-dans-la-duree-180978">France Insoumise</a>, cette pétition a fait exploser les compteurs. Elle a été examinée moins de 15 jours après son dépôt, alors qu’elle atteignait déjà plus de 250 000 signatures.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/PeCJET5Z1Wk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le succès inégalé de la pétition sur la <a href="https://theconversation.com/manifestations-la-police-peut-elle-sortir-de-la-confrontation-permanente-204626">BRAV-M</a> a permis à beaucoup de personnes de connaître la plate-forme des pétitions et d’acquérir les compétences pour devenir signataires. Le contexte de forte mobilisation sociale a aussi conduit les médias à couvrir le sujet : le lancement et le sort réservé à la pétition sur la BRAV-M a été évoqué par <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/la-petition-pour-la-dissolution-de-la-brav-m-ecartee-par-la-commission-des-lois-de-l-assemblee-1837240">France Inter</a>, <a href="https://www.bfmtv.com/politique/parlement/la-petition-demandant-la-dissolution-de-la-brav-m-classee-par-la-commission-des-lois-de-l-assemblee_AV-202304050688.html">BFM</a> ou encore <a href="https://www.liberation.fr/checknews/dissolution-de-la-brav-m-la-petition-signee-plus-de-260-000-fois-a-ete-classee-par-les-deputes-20230405_LKCLPBWXTZGS5OWE5SNTAWFT4I/">Libération</a>. Ces aspects, associés à la frustration d’une pétition classée, ont multiplié les nouvelles pétitions ainsi que les nouveaux signataires.</p>
<p>Le même jour, la commission des lois a également examiné et classé la <a href="https://petitions.assemblee-nationale.fr/initiatives/i-1109">pétition</a> portant sur l’introduction du référendum d’initiative citoyenne constitutionnel, <a href="https://theconversation.com/les-candidats-pro-ric-favoris-des-gilets-jaunes-182821">célèbre revendication des « gilets jaunes »</a>. Si celle-ci a obtenu beaucoup moins de signatures que celle concernant la BRAV-M, elle traduit néanmoins une revendication très populaire dans l’opinion. <a href="https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-le-referendum-constituant-dinitiative-citoyenne/">D’après une enquête IFOP</a>, elle recueillait 73 % d’avis favorables en 2022. <a href="http://stories.agoralab.fr/sondage-institutions/">Une enquête d’OpinionWay datant de 2023</a> indique également que le référendum d’initiative citoyenne constitutionnel est considéré comme le meilleur moyen pour faire évoluer nos institutions. Le classement de cette pétition, après un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=TENlyYkomLM">débat rapide</a>, a également renforcé les frustrations.</p>
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<p>Ces frustrations sont visibles lorsqu’on observe l’objet des nouvelles pétitions déposées sur la plate-forme. Depuis avril, pas moins de 24 pétitions ont été déposées pour dissoudre la BRAV-M, dont la plus soutenue dépasse les 25 000 signatures. Trois autres pétitions ont été déposées pour demander d’examiner le référendum d’initiative citoyenne, dont une immédiatement soutenue par des personnalités politiques comme <a href="https://twitter.com/Francois_Ruffin/status/1653807610276073472">François Ruffin</a> ou <a href="https://twitter.com/jeanlassalle/status/1653840524166537218">Jean Lassalle</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1653807610276073472"}"></div></p>
<p>À côté de la relance des pétitions qui venaient d’être classées, d’autres pétitions, plus radicales, on vu le jour. Six pétitions ont été lancées pour la <a href="https://petitions.assemblee-nationale.fr/initiatives/i-1123">destitution du Président de la République</a>, parmi lesquelles la plus soutenue dépasse les 60 000 signataires. La plate-forme est dès lors investie essentiellement par des thématiques institutionnelles, avec l’exception de la pétition pour <a href="https://petitions.assemblee-nationale.fr/initiatives/i-1067">l’allongement du congé maternité</a>, qui avait été déposée bien avant le 5 avril.</p>
<p>Tout ceci illustre comment les nouveaux instruments de participation citoyenne ne réconcilient pas forcément les électeurs avec leur système politique. Au contraire, ceux-ci peuvent nourrir le ressentiment populaire et accroître la polarisation. En effet, l’existence d’un dispositif d’expression est insuffisante, si cette parole ne reçoit pas la considération qu’elle réclame. Qu’il n’y ait pas de méprise : le problème n’est pas que ces pétitions n’aboutissent pas à une législation – elles n’ont pas forcément vocation à l’imposer. Mais elles ont vocation à mettre à l’agenda un débat public et ouvert. Lorsque les pétitions sont examinées, étudiées et discutées, la plate-forme devient une institution qui attire les idées et les démarches constructives, comme c’est le cas en Allemagne. Sans de telles perspectives, les pétitions en ligne sont vouées à être sous-utilisées ou employées pour exprimer contestation et mécontentement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205675/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Raul Magni-Berton est membre de l'association ESPOIR RIC visant à promouvoir le référendum d'initiative citoyenne constitutionnel. Il est également porteur de l'une des pétitions à ce sujet. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Clara Egger est membre du collectif ESPOIR RIC visant à promouvoir le référendum d'initiative citoyenne constitutionnel. A ce titre, elle a porté la première pétition sur le RIC constitutionnel dont cet article fait l'objet.</span></em></p>Quatre ans après sa création, quel bilan tirer de la plate-forme de pétitions de l’Assemblée nationale ? Permet-elle de réduire la fracture entre élus et électeurs ?Raul Magni-Berton, Professeur de sciences politiques, Sciences Po Grenoble, UMR Pacte, Institut catholique de Lille (ICL)Clara Egger, Assistant professor of global governance, Erasmus University RotterdamLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2045962023-05-08T18:06:07Z2023-05-08T18:06:07ZComment une crise parlementaire inédite est née avec la réforme des retraites<p>Au terme d’une séquence très animée dans les hémicycles parlementaires, il est permis de tirer quelques leçons de la réforme des retraites, aujourd’hui promulguée. <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-comment-se-construit-une-crise-politique-202284">La crise</a> qui est née de la mise à l’ordre du jour du texte, et qui s’est renforcée par le recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, n’est pas une crise de régime mais plutôt une <a href="https://www.liberation.fr/politique/plus-quune-simple-crise-politique-nous-sommes-face-a-une-crise-parlementaire-20230426_P2ZDHS7BF5FTXGFDTU6IMVPMUU/">crise de la culture parlementaire</a>.</p>
<p>En effet, le gouvernement et le Parlement ont eu recours, parfois avec insistance, aux seuls outils de l’arsenal constitutionnel et réglementaire : <a href="https://theconversation.com/article-49.3-et-reformes-sociales-une-histoire-francaise-202172">outre l’article 49.3</a>, on peut citer l’article 47.1 de la loi fondamentale, par exemple, ou le désormais célèbre article 38 du Règlement du Sénat. C’est bien la preuve, chemin faisant, que ces armes ont été créées pour aider <a href="https://theconversation.com/de-la-manifestation-encadree-a-la-revolte-spontanee-comprendre-le-declenchement-des-actions-contestata_ires-202524">à surmonter une crise</a>, certainement pas pour en créer une nouvelle.</p>
<p>Du reste, même si le gouvernement est aujourd’hui isolé et doit sortir de cette ornière rapidement, le président de la République n’est pas empêché. Depuis 1958, plusieurs présidents ont connu des situations particulièrement difficiles, accompagnées d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2001-2-page-71.htm">forte dégradation de leur image</a>, avant une amélioration, plus ou moins lente, de la situation politique : Charles de Gaulle face à la grève des mineurs de 1963 ; Jacques Chirac face aux grandes grèves de 1995 ; Nicolas Sarkozy et les mouvements sociaux de 2010 ; Emmanuel Macron, déjà, face aux « gilets jaunes » en 2018. Le chef de l’État avoisine aujourd’hui <a href="https://www.challenges.fr/politique/il-paie-cash-la-reforme-des-retraites-macron-un-president-decrie-en-quete-du-rebond-de-popularite_853266">avec les plus bas niveaux de son premier mandat</a>, sans atteindre les étiages de ses prédécesseurs Hollande et Sarkozy.</p>
<p>Il lui reste à trouver les moyens de sortir de cette difficulté, sans toutefois pouvoir espérer en revenir à la situation antérieure au mois de janvier dernier. Les conséquences du vote de la réforme des retraites ont, en effet, cristallisé durablement les positionnements des uns et des autres.</p>
<h2>Un mécontentement appuyé, des protestations vigoureuses</h2>
<p>Le printemps 2023 ne connaît pas pour autant une crise politique anodine ; l’ampleur des mécontentements ne se tarit pas vraiment. Les concerts de casseroles, par exemple, en direction des élus et des représentants des institutions se multiplient, comme autant de protestations populaires, humoristiques, folkloriques et symboliques, mais appuyées et vigoureuses.</p>
<p>Les prédécesseurs d’Emmanuel Macron, même confrontés à la difficulté de gouverner face aux crises précitées, n’ont pas dû faire face à un mouvement de politique intérieure de cette ampleur et si singulier, relayé désormais dans le monde.</p>
<p>Certes, d’autres chefs de gouvernement ont utilisé l’article 49.3, certains précocement (Michel Debré dès 1959), d’autres abondamment (Michel Rocard, 28 fois, entre 1988 et 1991). Et il est vrai que le gouvernement de Pierre Bérégovoy manqua de tomber, non pas à neuf voix comme l’actuelle Première ministre, mais à trois voix, le <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/206147-declaration-de-m-pierre-beregovoy-premier-ministre-propos-de-la-mot">1er juin 1992</a>. Mais masquer la crise par la compétition des chiffres est inutile.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Car la crise est là, de nature plus préoccupante, car sans véritable précédent sous la V<sup>e</sup> République : c’est une crise de la <a href="https://www.liberation.fr/politique/plus-quune-simple-crise-politique-nous-sommes-face-a-une-crise-parlementaire-20230426_P2ZDHS7BF5FTXGFDTU6IMVPMUU">culture parlementaire</a>. Loin d’une crise institutionnelle qui serait visible, il s’agit d’une crise organique, visant le fonctionnement même de la vie publique, et donc plus cachée.</p>
<h2>Un effet boomerang qui touche l’exécutif</h2>
<p>Le Parlement dont les prérogatives principales se fixent sur le vote annuel des budgets de l’État et de la Sécurité sociale, sur le vote des lois et le contrôle du gouvernement, se trouve considérablement freiné dans son activité, ce qui, avec un effet boomerang, <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100954300">touche vigoureusement le pouvoir exécutif</a> et, de fil en aiguille, l’édifice de l’État tout entier.</p>
<p>Depuis 1962 et l’adoption de la <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours-parlementaires/paul-reynaud-et-georges-pompidou-4-octobre-1962">seule motion de censure du régime</a>, le gouvernement était habitué aux majorités absolues des lendemains d’élections législatives, laissant peu de place à l’imprévu d’éventuelles mises en minorité. Soixante ans plus tard, la majorité relative sortie des urnes en 2022 donne une belle leçon à tous les protagonistes de la vie publique. A commencer par la capacité, très atteinte, à fabriquer des majorités. Non pas que cela fût impossible de vivre avec une seule majorité relative.</p>
<p>Rappelons ici que les Troisième et IV<sup>e</sup> Républiques avaient fonctionné de la sorte quotidiennement, vivant avec la nécessité constante de bâtir, sur chaque texte, des majorités nouvelles, par la délibération sans concessions des parlementaires et par l’échange d’arguments contradictoires.</p>
<p>Le Gouvernement, en bientôt une année, est parvenu à faire adopter par le Parlement des projets de loi, la plupart du temps en élargissant sur sa droite sa petite majorité à quelques élus « LR ». Mais sur les textes d’envergure qui, les uns après les autres, ont vocation à être inscrits à l’ordre du jour des Chambres, le processus majoritaire s’est aujourd’hui grippé.</p>
<h2>Déphasage entre groupes parlementaires et partis</h2>
<p>L’essor du nombre des groupes parlementaires, et plus sournoisement, le déphasage de ces groupes avec des partis politiques désormais faibles, ont produit un phénomène d’individualisation ou d’autogestion de ces structures internes au Parlement.</p>
<p>Cette tendance ignore ainsi la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-vie-politique-sous-la-troisime-republique-1870-1940-jean-marie-mayeur/9782020067775">culture parlementaire de la coalition</a>, de la « concentration » ou de la « conjonction » républicaine, fondée sur un axiome pourtant assez simple : l’union fait la force.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les gouvernements de coalition semblent être la norme en Europe, Euronews, 23 juin 2022.</span></figcaption>
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<p>Contrairement à <a href="https://www.liberation.fr/economie/social/laurent-berger-maintient-lunite-pour-casser-la-baraque-le-1er-mai-20230416_WKM2BYJBM5DEFPO4HN5JBG2QRY/">l’exceptionnelle unité du front intersyndical</a> mené par Laurent Berger, la Nupes, derrière une façade unie, est restée un regroupement de forces sans véritable lien, imperméable à l’idée d’une fusion, sous la férule de la France insoumise.</p>
<p>Le groupe LR a vécu, entre gêne et atermoiements, la dissidence de 19 de ses élus lors du scrutin sur la motion de censure, une dissidence qui pourrait se terminer en scission.</p>
<h2>Crise de la sociabilité parlementaire</h2>
<p>Cette autre leçon de la réforme des retraites est ici : l’article 49.3 a été utilisé, non comme un outil de « régulation majoritaire », visant à conforter la fragilité momentanée d’une majorité, mais comme un moyen de gouvernement, se substituant au phénomène majoritaire traditionnel, au « fait majoritaire » dont on connaissait jusqu’alors l’automaticité.</p>
<p>On comprend pourquoi le gouvernement ne sait plus à quel saint se vouer, quand les oppositions, de surcroît, n’offrent point de majorité de rechange, sinon dans une improbable conjonction des extrêmes. Privé de la ressource énergétique que constitue habituellement une majorité, le gouvernement est voué à la panne sèche, face à une crispation du Parlement et à la crise de sa sociabilité, au nom de laquelle, jadis, on assurait le service minimum de la fabrique et du vote de la loi.</p>
<p>Il en va jusqu’à l’atmosphère de la buvette de l’Assemblée où, en chiens de faïence, on se toise, quand on ne s’invective pas. Hier encore, il arrivait qu’on y recherche, aux suspensions de séance, la solution collective à un blocage. <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/12/06/a-l-assemblee-nationale-l-obstruction-parlementaire-menace-les-relations-entre-le-camp-presidentiel-et-les-oppositions_6153092_823448.html">L’obstruction</a> enfin, qui n’est pas un phénomène récent, a pris des proportions telles qu’aujourd’hui, l’étude complète d’un texte peut ne pas aboutir avant son vote solennel, ni en commission, ni en séance.</p>
<p>Cette crise de la sociabilité parlementaire, qui <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/en-quete-de-politique/en-quete-de-politique-du-samedi-15-avril-2023-3365060">paralyse l’action du gouvernement</a>, a atteint des sommets avec l’encombrement inégalé du processus réglementaire des <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/parlement-francais/assemblee-nationale/assemblee-nationale-les-sanctions-de-deputes-battent-des-records_5657201.html">sanctions prises contre les députés</a>, et pas seulement en réponse à l’obstruction. L’Assemblée nationale en a prononcé le même nombre entre 1958 et 2017, entre 2017 et 2022 et entre 2022 et le printemps 2023.</p>
<p>Par ailleurs, cette séquence parlementaire consacrée à la réforme des retraites n’aura pas contribué à réduire la violence dont les parlementaires sont régulièrement les victimes depuis quelques années et qui ne s’apparente plus aux seuls relents <a href="https://www.larcier-intersentia.com/fr/l-antiparlementarisme-9782802773375.html">d’antiparlementarisme</a> que la France <a href="https://editions.flammarion.com/les-droites-en-france/9782700702606">connaît régulièrement depuis 1815</a>.</p>
<p>Cette violence à rebours, s’en prenant <a href="https://theconversation.com/la-violence-contre-les-elus-un-nouveau-mal-democratique-180142">aux permanences des élus</a> quand ce n’est pas aux élus eux-mêmes de retour dans <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/01/09/la-multiplication-des-violences-contre-les-deputes-n-a-pas-d-equivalent-sous-la-ve-republique_5406990_823448.html">leurs circonscriptions</a>, prouve que la crise que traverse notre vie publique et parlementaire est d’un nouvel ordre.</p>
<p>Les députés, élus de la Nation, sont désormais perçus comme les représentants du pouvoir central – quel paradoxe ! – et donc comme les agents du pouvoir exécutif lui-même. Avec le rappel, éclatant et indiscutable, que le Parlement est toujours au centre de la vie politique, voici probablement une autre révélation de la réforme des retraites, dans la France de 2023.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204596/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Bellon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La crise parlementaire paralyse l’action du gouvernement et se révèle comme la véritable crise politique de 2023.Christophe Bellon, Maître de conférences en histoire contemporaine et Vice-Doyen de Faculté, Institut catholique de Lille (ICL)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2021722023-03-21T00:17:54Z2023-03-21T00:17:54ZArticle 49.3 et réformes sociales : une histoire française<p>Le projet de réforme des retraites, porté par le gouvernement d’Elisabeth Borne, donne lieu à un <a href="https://theconversation.com/retraites-vers-un-durcissement-du-mouvement-social-pour-faire-reculer-le-gouvernement-199815">bras de fer entre le pouvoir et la rue</a> qui, depuis le milieu du mois de janvier 2023, se manifeste par un recours à des formes classiques de mobilisation (grèves, manifestations), canalisées par un <a href="https://le1hebdo.fr/journal/le-pouvoir-face--la-rue/433/article/un-mouvement-qui-fdre-une-somme-de-singularits-5758.html">front intersyndical unanime</a>.</p>
<p>Il s'est doublé d’un affrontement politique entre la majorité et ses oppositions, exacerbé par l’annonce du recours à l’article 49.3 pour faire adopter une loi contestée aussi bien par la rue que par une <a href="https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-la-reforme-des-retraites-ifop-lexpress/">majorité croissante de Français</a>.</p>
<p>Dans l’histoire de la V<sup>e</sup> République, ce n’est toutefois pas la première fois qu’un gouvernement, isolé face à la montée de contestations sociales et politiques, doit engager une telle épreuve de force qui, dans un contexte incertain, comporte une réelle prise de risque. De fait, quelle que soit la nature de leur majorité, les gouvernements qui se sont succédé depuis 20 ans ont quasi toujours recouru à l’article 49.3 pour faire passer des projets modifiant en profondeur le système social ou la réglementation du travail – quitte à reculer ensuite sous la pression de la rue.</p>
<h2>Mai 68 était aussi une crise parlementaire</h2>
<p><a href="https://theconversation.com/manu-tu-nous-mets-64-on-te-mai-68-ce-que-les-slogans-disent-de-notre-histoire-sociale-200207">Référent quasi inévitable</a> de tous les mouvements de contestation sociale depuis cinquante ans, la crise de mai 68 ne s’est pas déroulée simplement dans les amphithéâtres et dans la rue. Elle a aussi réveillé les oppositions politiques à un gaullisme qui, usé par dix années de pouvoir, ne disposait alors que d’une majorité fragile, aussi bien dans l’opinion publique qu’à l’Assemblée nationale : le 24 avril 1968, il a manqué simplement huit voix pour qu’une motion de censure, portant sur la situation de l’audiovisuel public, soit adoptée.</p>
<p>En plein cœur du mouvement, alors même que l’exécutif semble partagé sur la réponse qu’il doit apporter aux revendications des étudiants comme des salariés, l’opposition dépose une <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/15/evenements/2018/mai-68-s-invite-dans-l-hemicycle-les-seances-du-14-et-22-mai-1968">nouvelle motion de censure</a>, qui est discutée les 21 et 22 mai, dans un <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2008-1-page-134.htm">climat d’extrême tension</a>. François Mitterrand, alors leader de la gauche non communiste, évoque alors une crise de régime qui décrédibilise le « système » au pouvoir et rend nécessaire une « alternative » politique, qu’il est prêt à incarner. Grâce à l’appui de Valéry Giscard d’Estaing et de son groupe des Républicains indépendants, pourtant critiques face à la gestion de la crise par le gouvernement, la motion de censure est rejetée – à une nette majorité : seuls 233 députés l’ont votée, alors que la majorité s’élevait à 244.</p>
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<p>Cette victoire parlementaire est toutefois insuffisante à restaurer la légitimité du pouvoir, dans un contexte où la mobilisation des étudiants et des salariés ne faiblit pas. C’est pourquoi, sur les conseils de son premier ministre Georges Pompidou, le général de Gaulle, le 30 mai, <a href="http://juspoliticum.com/article/L-Executif-sous-tension-Les-enseignements-de-Mai-68-1333.html">prononce la dissolution de l’Assemblée nationale</a>, après avoir envisagé de recourir au référendum.</p>
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<figcaption><span class="caption">Avant de dissoudre l’Assemblée nationale, de Gaulle a hésité jusqu’à la dernière seconde, comme le prouve le brouillon de son discours retrouvé aux Archives nationales. Public Sénat.</span></figcaption>
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<p>Attisant les craintes de l’opinion publique face à la radicalisation du mouvement social et exploitant la peur du désordre révolutionnaire, les gaullistes obtiennent, à l’occasion des législatives des 23 et 30 juin 1968, une <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1968_num_18_5_393112">majorité sans précédent</a> mais dépendant très étroitement de ce contexte particulier. En fait, le pouvoir sort affaibli de cette crise, et de Gaulle démissionnera dix mois plus tard, après l’échec du référendum d’avril 1969.</p>
<h2>Mobilisations de masse</h2>
<p>C’est en 1984 que le pouvoir exécutif est à nouveau ébranlé par des manifestations de masse. Le gouvernement à dominante socialiste, dirigé par Pierre Mauroy, fait face à une opposition virulente contre le projet de loi Savary, visant à créer un « grand service public unifié et laïque de l’éducation nationale ».</p>
<p>Portée aussi bien par les <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/a-la-droite-du-pere-collectif/9782021472332">partis de droite</a> que par une fraction notable de l’opinion et les réseaux de parents d’élèves de l’enseignement privé, cette opposition culmine lors d’une grande manifestation qui, le 24 juin 1984, rassemble plus d’un million de personnes à Paris.</p>
<p>Le gouvernement bénéficiait d’une majorité pour adopter ce texte, qui était d’ailleurs l’une des 110 propositions formulées par François Mitterrand en 1981 : il avait toutefois eu recours à <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/decouvrir-l-assemblee/engagements-de-responsabilite-du-gouvernement-et-motions-de-censure-depuis-1958">l’article 49-3</a> le 23 mai 1984 pour accélérer l’adoption du texte en première lecture à l’Assemblée nationale.</p>
<p>Le président François Mitterrand cède toutefois à la pression de l’opinion et de la rue et, le 12 juillet 1984, annonce le retrait du projet de loi – entraînant de ce fait la démission du ministre Alain Savary et du premier ministre Pierre Mauroy.</p>
<p>Deux ans plus tard, Jacques Chirac prend la même décision après les importantes mobilisations contre le projet de loi Devaquet, avant même d’avoir eu le temps de le présenter en séance plénière à l’Assemblée nationale et de recourir éventuellement au 49.3 !</p>
<p>Entre 1988 et 1993, les gouvernements socialistes n’ont bénéficié que de majorités relatives à l’Assemblée. Mais lorsqu’ils ont recouru à l’article 49.3 ou fait face à des motions de censure qui, parfois, ont failli les renverser, ce n’était jamais dans un contexte de mobilisation de masse ou de contestation radicale d’une réforme.</p>
<p>En revanche, en <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/retraites/entretien-retraites-pourquoi-la-reforme-inevitable-de-1995-avait-fini-par-passer-a-la-trappe-1a2fceac-bf19-11ed-8b0a-102ab124256a">novembre-décembre 1995</a>, la réforme des retraites et de la sécurité sociale proposée par le gouvernement d’Alain Juppé suscite un mouvement social inédit depuis 1968, alors même que le pouvoir bénéficiait d’une très large majorité dans les deux assemblées. Comme en 1986, le gouvernement retire le 15 décembre 1995 son projet de réforme sans avoir sollicité un vote à l’Assemblée. </p>
<p>Toutefois, le 30 décembre 1995, en plein milieu de la « trève des confiseurs » qui marque habituellement une suspension dans la vie politique, il recourt à l’article 49.3 pour faire adopter une loi l’autorisant à prendre des ordonnances pour réformer la sécurité sociale. Ce double acte d’autorité (le recours aux ordonnances et au 49.3) ne suscite pas de réaction particulière de la part des oppositions qui estimaient sans doute avoir obtenu l’essentiel (le retrait de la réforme des retraites), dans un contexte où le gouvernement avait, au Parlement, la majorité : il s’agissait surtout pour l’exécutif d’aller vite en évitant les pratiques d’obstruction.</p>
<h2>Fronde et fracture à gauche</h2>
<p>Le 9 février 2006, Dominique de Villepin fait ainsi adopter en bloc sa « loi pour l’égalité des chances » instaurant le <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2016/03/09/il-y-a-dix-ans-les-jeunes-obtenaient-le-retrait-du-cpe_4879453_4401467.html">Contrat première embauche</a>. En dépit d’une contestation massive, notamment de la jeunesse, la loi est promulguée le 31 mars 2006 – avant que Jacques Chirac ne décide finalement, le 16 avril, d’en abroger l’article qui instaurait le CPE : à moins d’un an des présidentielles, il ne souhaitait pas faire courir à sa famille politique un risque électoral majeur.</p>
<p>Sous la présidence de François Hollande, marquée notamment par la « fronde » de députés récusant la politique économique incarnée notamment par Manuel Valls et Emmanuel Macron, l’article 49.3 a été utilisé pour faire adopter les « lois Macron », au grand dam de celui-ci, et surtout la « loi Travail », portée par la ministre Myriam El Khomri aussi bien en première lecture (le 10 mai 2016) que lors de l’adoption définitive (le 21 juillet).</p>
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<figcaption><span class="caption">Mardi 10 mai 2016, Manuel Valls a utilisé le 49.3 pour faire adopter le « projet de loi Macron », du nom du ministre de l’Économie de l’époque. France 24.</span></figcaption>
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<p>En dépit de l’opposition d’une majeure partie de l’opinion, de la quasi-totalité des syndicats et d’un mouvement social particulièrement virulent et durable (autour notamment du mouvement « Nuit debout »), les députés frondeurs du PS ne rejoignent pas leurs collègues du Front de gauche et de la droite et, le 12 mai, ne votent pas la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2016/05/12/loi-travail-la-motion-de-censure-de-la-droite-debattue-a-l-assemblee-dans-un-climat-tendu-a-gauche_4917732_823448.html">motion de censure</a>, qui ne recueille que 246 voix que sur les 288 requises. Mais cette épreuve de force suscite une fracture au sein de la gauche gouvernementale, qui ne s’en est jamais réellement remise.</p>
<h2>L’adoption d’une loi ne sonne pas la fin de l’histoire</h2>
<p>Le projet de réforme des retraites, portée par <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/retraites-philippe-engage-sa-responsabilite-par-le-49.3-181001">Édouard Philippe</a> lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, a également été adopté en première lecture par le recours à l’article 49.3, le 29 février 2020, qu’ont violemment dénoncé les différentes organisations syndicales.</p>
<p>Le pouvoir avait sans problème la majorité pour faire voter ce texte. Mais il souhaitait clore rapidement une séquence marquée par une forte mobilisation sociale qui, un an après le mouvement des « gilets jaunes », contribuait à affaiblir son assise politique et électorale.</p>
<p>Cette volonté délibérée d’esquiver une longue discussion au Parlement n’a pas eu de suites immédiates : dès le 16 mars 2020, Emmanuel Macron annonce la suspension de cette réforme, en raison de la crise Covid qui frappe alors la France et lui impose le confinement. Son attitude intransigeante face à un mouvement social a sans doute contribué à l’évolution de son électorat d’une élection présidentielle à l’autre, un électorat désormais plus proche de celui que capte traditionnellement la droite modérée.</p>
<p>Le gouvernement d’Elisabeth Borne n’est pas le premier à faire preuve d’autorité au Parlement pour faire passer une réforme contestée et pour tenter de mettre un terme à une agitation qui, si elle perdurait, serait délétère pour l’image du pouvoir. Toutefois, une victoire parlementaire acquise par l’intermédiaire de l’article 49.3 ou par le rejet d’une motion de censure ne suffisent pas à reconquérir une légitimité – le général de Gaulle lui-même l’a expérimenté en mai 68. Plusieurs lois, ainsi adoptées, n’ont d’ailleurs pas été promulguées. À l’évidence, le vote de ce lundi 20 mars ne constitue pas un terme définitif à un épisode particulièrement délicat pour la présidence d’Emmanuel Macron.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202172/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathias Bernard est président de l'Université Clermont-Auvergne.</span></em></p>Le gouvernement d’Elisabeth Borne n’est pas le premier à faire preuve d’autorité au Parlement pour faire passer une réforme contestée.Mathias Bernard, Historien, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1992622023-02-06T18:09:45Z2023-02-06T18:09:45ZRéforme des retraites : comment les parlementaires tentent de rassembler leurs troupes<p>La réforme des retraites engagée par le gouvernement Borne met en lumière les diverses dynamiques internes à l’Assemblée nationale. À gauche, la <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-quelle-strategie-pour-les-partis-de-gauche-198565">stratégie de mobilisation de l’opinion</a> complète celle de l’obstruction avec le dépôt massif d’amendements – près de <a href="https://lcp.fr/actualites/reforme-des-retraites-la-bataille-des-amendements-commence-a-l-assemblee-164156">6 000 amendements</a> en commission des Affaires sociales et <a href="https://twitter.com/wallybordas/status/1621182468425453570">près de 18 000 amendements</a> en séance publique. </p>
<p>À droite, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/01/30/reforme-des-retraites-les-republicains-tentent-d-imposer-leurs-nouvelles-conditions_6159823_823448.html">Les Républicains sont en position de faiseurs de roi</a> en votant avec la majorité en échange de concessions sur l’âge de départ les carrières longues. Au Rassemblement national, discret sur le sujet, on se targue d’avoir obtenu (par tirage au sort) <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/retraite/reforme-des-retraites/reforme-des-retraites-l-assemblee-nationale-examinera-la-motion-referendaire-du-rassemblement-national-plutot-que-celle-de-la-nupes-qui-crie-au-scandale_5632475.html">l’examen de sa motion référendaire</a> sur le projet de réforme.</p>
<p>Enfin, au sein de la majorité présidentielle, le défi est de mobiliser les troupes et d’assurer une cohésion de vote. Il y a alors lieu de comprendre le rôle clef des groupes politiques à l’Assemblée, tant pour assurer une cohésion idéologique que de bénéficier des avantages stratégiques liées à la création d’un groupe.</p>
<h2>Les groupes politiques et leur cohésion</h2>
<p>Comme dans tout parlement, l’Assemblée nationale se compose de « groupes politiques », où les députés se regroupent généralement par affinité (souvent issus du même parti politique), animés par la défense d’un intérêt commun (le groupe <a href="https://www.groupeliot.fr/">« Groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires »</a> défend les territoires et leurs identités) ou encore pour des raisons techniques, c’est-à-dire constituer un groupe sans attache partisane, dans le but de bénéficier des avantages d’un groupe politique. Ce dernier cas est apparu à plusieurs reprises, en 1959 avec la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1958/12/12/les-deputes-d-algerie-forment-un-groupe-administratif-provisoire_2306955_1819218.html">« Formation administrative des élus d’Algérie et du Sahara »</a>, en 1993 avec le groupe « Liberté et République » ou encore en 2018 avec le groupe « Liberté et Territoires », l’ancêtre de l’actuel groupe LIOT.</p>
<p>Pour les groupes de la majorité et de l’opposition, il est important de montrer cohérence et unité. Pourtant, le système électoral français devrait inciter à cultiver un vote personnel des députés (étant donné qu’il n’y a qu’un seul siège par circonscription). Ce ne serait sans compter sur l’augmentation de la cohésion et de la discipline de parti sous la V<sup>e</sup> République <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/01402380802670602">comme le rappelait le professeur de science politique Nicolas Sauger</a>. Cette discipline de vote est possible puisque plusieurs prérogatives relèvent des groupes (c’est-à-dire sa présidence) et non du bon vouloir des députés, comme la répartition dans les commissions, du temps de parole… et même la place dans l’hémicycle (être dans l’axe des caméras de l’Hémicycle peut être un atout pour montrer sa visibilité). </p>
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<figcaption><span class="caption">Le meilleur et le pire de l'Hémicycle, Huffington Post, 2022.</span></figcaption>
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<p>Le manque de solidarité envers le groupe peut se solder par une exclusion du député. Il est également possible pour le président de la République de discipliner indirectement les plus réfractaires de sa majorité avec l’arme de la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19442-la-dissolution-de-lassemblee-nationale-une-arme-presidentielle">dissolution de l’Assemblée</a>. C’est ce que le général de Gaulle avait répliqué à la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1962/10/06/la-chute-du-ministere-pompidou-entrainera-la-dissolution-de-l-assemblee_2358682_1819218.html">censure du Gouvernement Pompidou en 1962</a>. Une telle option serait alors possible en cas d’indiscipline des députés de la majorité sur le sujet des retraites puisqu’<a href="https://www.europe1.fr/politique/info-europe-1-emmanuel-macron-envisage-une-dissolution-de-lassemblee-avant-2027-4164259">il se murmure qu’Emmanuel Macron envisagerait de dissoudre à son tour l’Assemblée</a>.</p>
<h2>De l’intérêt d’avoir son groupe parlementaire</h2>
<p>Disposer d’un groupe politique octroie des avantages non négligeables en raison du Règlement de l’Assemblée nationale (RAN) qui oblige les organes à reproduire la configuration politique de l’Assemblée. Cela concerne entre autres la répartition du temps de parole, du nombre de sièges dans les commissions, des responsabilités du Bureau de l’Assemblée (vice-président, secrétaire, questeur) ou des rapporteurs. De plus, chaque président de groupe politique participe à la <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/15/la-conference-des-presidents">Conférence des présidents</a>, l’organe chargé de déterminer l’agenda de l’Assemblée, dont le nombre de voix est égal au nombre de membres de son groupe.</p>
<p>Dans un contexte où le parti présidentiel ne dispose pas de la majorité absolue des sièges à l’Assemblée, former son propre groupe à l’Assemblée (d’au moins 15 députés) est d’autant plus intéressant pour le MoDem et Horizons afin de peser auprès de l’Exécutif pour les raisons développées ci-haut.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2013-3-page-57.htm">L’introduction du statut de « minoritaire » en 2008</a> permet par ailleurs à des groupes politiques comme le MoDem et Horizons de se positionner en appui au parti présidentiel Renaissance tout en reflétant un pluralisme de la majorité et en conservant une certaine liberté de vote. À ce sujet, en matière de cohésion de vote, les <a href="https://link.springer.com/article/10.1057/fp.2013.17">politologues Jean-François Godbout et Martial Foucault</a> constatent qu’en cas de coalition gouvernementale, les membres du plus petit groupe de l’alliance sont plus susceptibles de s’opposer au gouvernement (en raison d’incitations électorales ou idéologiques).</p>
<h2>S’appuyer sur sa majorité… et sa droite</h2>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/01/30/retraites-les-reticences-de-la-majorite-un-risque-pour-l-adoption-de-la-reforme_6159812_823448.html">Plusieurs députés de la majorité</a> ont exprimé leur hésitation à soutenir le projet de réforme des retraites. On <a href="https://twitter.com/datapolitics_fr/status/1620086848994549764/photo/1">y retrouve</a> aussi bien des députés de Renaissance, du MoDem et d’Horizons. Le défi de la cohésion de vote pour la majorité se heurte aussi bien à une pluralité idéologique qu’à la capacité de faire pression sur le gouvernement.</p>
<p>Cette incertitude de la majorité renforce la position du groupe Les Républicains qui, avec ses 61 députés (dont deux apparentés, <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2022-5773-an-du-3-fevrier-2023-communique-de-presse">après l’annulation de l’élection de Meyer Habib</a>), a un rôle pivot pour l’adoption de la réforme. En situation de gouvernement minoritaire, ce type de groupe pivot détient une influence disproportionnée par rapport à leur force absolue comme le démontre le <a href="https://academic.oup.com/book/44640/chapter/378660538">politologue Olivier Rozenberg sur la période 1988-1993</a>. Effectivement, le groupe de droite ne représente que 10 % de l’Hémicycle en étant le 4<sup>e</sup> groupe politique en effectifs, mais il faudrait une défection d’une vingtaine de députés LR pour qu’il n’y ait pas de majorité sur ce texte. <a href="https://datan.fr/statistiques/groupes-cohesion">Or, le groupe LR est celui avec le moins de cohésion de l’Assemblée (0,82)</a>.</p>
<p>Reste à voir comment Les Républicains voteront lorsque le projet de réforme passera au Sénat, <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-par-quels-moyens-legislatifs-le-gouvernement-peut-il-la-faire-adopter-197929">où la droite y est majoritaire</a>.</p>
<hr>
<p><em>L’auteur effectue sa thèse sous la direction de Jean-François Godbout.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199262/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Robin a reçu des financements du département de science politique de l'Université de Montréal. Il est également assistant de recherche au Centre Jean Monnet Montréal.</span></em></p>Les séquences politiques importantes comme celle de la réforme des retraites illustrent les mécanismes politiques et les failles des groupes parlementaires.Julien Robin, Doctorant en science politique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1979292023-01-17T17:53:41Z2023-01-17T17:53:41ZRéforme des retraites : par quels moyens législatifs le gouvernement peut-il la faire adopter ?<p>Annoncée, repoussée et finalement présentée mardi 10 janvier par la Première ministre Elisabeth Borne, <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-les-syndicats-peuvent-ils-reprendre-la-main-197468">la réforme du régime des retraites</a> suscite déjà de vives réactions dans un contexte de fortes <a href="https://theconversation.com/inflation-la-volatilite-des-prix-des-matieres-premieres-se-propage-au-reste-de-leconomie-195038">tensions inflationnistes</a>. </p>
<p>C’est également la stratégie gouvernementale qui prête à débat en souhaitant intégrer cette réforme au sein du <a href="https://www.securite-sociale.fr/la-secu-en-detail/loi-de-financement/annee-en-cours">PLFRSS</a>, acronyme barbare signifiant projet loi de financement rectificatif de la sécurité sociale (LFSSR) ou plus simplement, budget rectificatif de la sécurité sociale. Cette démarche permettrait au gouvernement de contourner la procédure législative ordinaire sans risque d’un vote négatif tout en accélérant son adoption. </p>
<p>Au préalable, il faut rappeler qu’une loi de financement de la sécurité sociale a pour objet de permettre aux parlementaires de se prononcer sur les comptes de la sécurité sociale. Quant à la LFSSR, elle autorise à modifier le budget de la sécurité sociale au cours de l’année.</p>
<h2>Un usage inédit pour une réforme de cette ampleur</h2>
<p>Après <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/286458-loi-23-decembre-2022-financement-securite-sociale-2023-budget-secu-plfss">le vote de la loi de finance de la sécurité sociale</a> en décembre, l’exécutif souhaite incorporer à une loi de finance rectificative de la sécurité sociale la réforme du régime des retraites. L’utilisation d’un tel véhicule législatif pour l’adoption d’une réforme sociale d’ampleur est inédite et se justifierait, pour l’exécutif, par les incidences financières engendrées par le vote de cette refonte du système des retraites.</p>
<p>Si l’on compare l’aînée de la LFRSS, autrement dit <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/286978-loi-1er-decembre-2022-de-finances-rectificative-budget-rectificatif#:%7E:text=La%20loi%20de%20finances%20rectificative,des%20prix%20de%20l'%C3%A9nergie.">la loi de finance rectificative</a>, il est vrai que des évènements extérieurs aux répercussions immédiates et importantes sur le budget de l’Etat (comme la crise sanitaire ou encore une nouvelle réforme politique) ont pu justifier l’adoption de lois de finance rectificatives. </p>
<p>Du reste, les LFRSS sont très rares. Les crédits de la LFSS ne sont, en effet, pas limitatifs (contrairement au budget de l’Etat), il est donc possible d’attendre le budget de l’année suivante pour adopter des éléments de rectification sans risque de blocage de crédits. </p>
<p>On soulignera toutefois que <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/plfss_rectificative_2014.asp">le PLFRSS de 2014</a> a révisé le régime de la contribution sociale de solidarité des sociétés en insérant une mesure qui prévoyait le gel des prestations sociales qui n’étaient plus indexées sur l’inflation, sauf pour les retraites inférieures à 1200 euros. Or, il ne s’agissait ici que d’une disposition particulière qui ne peut être assimilée aux modifications d’ampleur annoncées par le gouvernement à l’instar du recul de l’âge de la retraite de 62 à 64 ans. </p>
<h2>Qu'est-ce que l'article 47.1 de la Constitution ?</h2>
<p><a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241050">L’article 47-1</a> de la Constitution dispose qu’il revient au Parlement de voter les lois de financement de la sécurité sociale et encadre dans son alinéa 2 leur procédure d’adoption. Ce n’est qu’en 1996 que la loi constitutionnelle du 22 février consacre ce nouvel article. Les textes budgétaires sont votés dans des délais contraints et dans le cas présent, le Parlement doit se prononcer dans un délai global de 50 jours. </p>
<p>Mais, si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d'un projet, le gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours. Enfin, dans l’hypothèse où le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance. </p>
<p>Ces différentes règles et délais semblent s’appliquer également au budget rectificatif de la sécurité sociale dans la mesure où si l’on établit un parallèle avec la loi de finance rectificative, le Conseil constitutionnel a jugé, dans <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1986/86209DC.htm#:%7E:text=Le%20principe%20d'%C3%A9galit%C3%A9%20ne,par%20la%20diff%C3%A9rence%20de%20situation.">une décision du 3 juillet 1986</a>, que les règles d’adoption de la loi de finance s’appliquent aux lois de finance rectificatives. </p>
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<p>Surtout, l’utilisation de cet article 47-1 offrirait au gouvernement trois avantages. Tout d’abord, le gouvernement n’aura pas d’étude d’impact (document qui sert à évaluer les effets juridiques, financiers et sociaux d'un projet de loi) à fournir, ce qui peut paraître très contestable au vu d’une réforme d’une telle importance. Ensuite, un temps de débat très limité au Parlement, ce qui a pour effet non seulement d’accélérer le vote de la réforme mais également de juguler les débats au sein des chambres. Enfin, l’utilisation d’un texte budgétaire comme le PFLRSS autorise le gouvernement à utiliser à nouveau <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19494-le-recours-larticle-493-de-la-constitution">l’article 49.3</a>.</p>
<p>Depuis la révision constitutionnelle de 2008, l’exécutif ne peut utiliser cet article qu’une seule fois par session mais ce « quota » ne s’applique pas aux textes budgétaires (comme le budget rectificatif de la sécurité sociale) ce qui explique qu’Elisabeth Borne ait déjà utilisé cet article, qui permet un passage en force d’un texte à l’Assemblée nationale, à 10 reprises pour l’adoption de la loi de finance ainsi que la loi de financement de la sécurité sociale. </p>
<p>Autrement dit, le gouvernement pourra utiliser l’article 49.3 pour l’adoption du PLFRSS et les mesures financières du régime des retraites qui impactent le budget de la sécurité sociale tout en conservant un « joker » qui lui permettra d’utiliser une fois le 49.3 pour un autre texte qui aura une incidence sur le code du travail et notamment le recul de l’âge de la retraite. </p>
<h2>L'opposition et les milliers d'amendements</h2>
<p>Les avantages énoncés plus hauts sont autant d’inconvénients pour l’opposition qui voit dans l’utilisation de l’article 47-1 une manœuvre gouvernementale habile pour l’adoption de cette réforme des retraites au pas de course et sans débat démocratique. L’opposition pourra riposter (mais là encore dans un délai de 20 jours) en utilisant son droit d’amendement. Il s’agit, en effet, d’une pratique courante sous la V° République qui dérive souvent vers «l’obstruction parlementaire» malgré <a href="https://www.senat.fr/role/fiche/reforme_constit_2008.html#5">la réforme de 2008</a> qui est venue encadrer la procédure de dépôt des amendements.</p>
<p>On se rappelle par exemple qu'en 2006, le Président de l’Assemblée nationale, J.-L. Debré était monté au perchoir, lors de <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite/2006/09/06/01001-20060906ARTWWW90295-suez_gdf_le_scandale_des_amendements.php">l’examen de la loi sur la fusion de GDF-Suez</a>, entouré de piles d’amendements (137 665).</p>
<p>Dans la période plus récente, il est possible de citer un autre <a href="https://www.liberation.fr/checknews/2020/02/21/reforme-des-retraites-la-france-insoumise-a-t-elle-vraiment-depose-700-000-sous-amendements_1779211/?redirected=1">chiffre record</a> et qui concerne le premier projet de la réforme des retraites de 2020 : 40 000 amendements ont été déposés dont plus de 23 000 par les députés de la France insoumise. Or, comme l’a souligné en octobre dernier la présidente de LFI à l’Assemblée nationale <a href="https://rmc.bfmtv.com/actualites/politique/retraites-mathilde-panot-n-exclut-pas-le-depot-de-75-000-amendements-de-la-part-de-lfi_AD-202210030388.html">Mathilde Panot</a>, les députés seraient prêts à déposer «75 000 amendements» sur la réforme des retraites. Cela étant dit, le gouvernement garde la maîtrise puisque s’il ne peut être certain de <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/reforme-des-retraites-eric-ciotti-et-les-lr-crient-victoire-le-reste-de-l-opposition-vent-debout_212571.html">l’appui des députés LR</a>, il peut redéployer le texte au Sénat conformément à la procédure de l’article 47-1. </p>
<h2>Quel rôle pour le Sénat ?</h2>
<p>Au regard de la composition politique du Sénat mais surtout de la tendance de la chambre haute à déposer tous les ans, et ce depuis le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, un amendement à chaque budget de la sécurité sociale pour garantir l’équilibre du régime des retraites, on ne peut que penser que le Sénat votera pour le projet de réforme présenté par le gouvernement. </p>
<p>Lors de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, les sénateurs ont encore adopté de telles dispositions par 195 voix contre 130 et intégré des mesures d’âge automatiques en cas d’absence de compromis des partenaires sociaux, dont le report de l’âge légal de départ à 64 ans.</p>
<p>Le gouvernement semble avoir envisagé toutes les pistes pour l’adoption de cette réforme du régime des retraites… Néanmoins, il est certain que cette stratégie ne correspond pas aux vœux du Président <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/reforme-des-retraites-macron-veut-la-faire-de-la-maniere-la-plus-apaisee-possible-7900188091">Emmanuel Macron</a>, à savoir réaliser cette réforme « de la manière la plus apaisée possible » avec un inconnu qui demeure : la mobilisation de la rue.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197929/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurore Granero est membre de l'Observatoire de l'éthique publique . </span></em></p>La stratégie gouvernementale pour faire adopter la réforme des retraites serait de contourner la procédure législative ordinaire tout en accélérant son adoption.Aurore Granero, Maître de conférence HDR en droit public, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1943622022-11-15T16:54:15Z2022-11-15T16:54:15ZLes questions étonnamment actuelles sur le grand âge lors des débats parlementaires de 1790<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/494661/original/file-20221110-11-4zn7mt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C1%2C929%2C692&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dès 1790, l'Assemblée nationale constituante va accueillir des débats très modernes sur l'assistance dues aux personnes âgées.</span> <span class="attribution"><span class="source">Gallica-BNF</span></span></figcaption></figure><p>Les mesures de prise en charge de la dépendance liée à l’âge sont souvent présentées comme une problématique moderne. À tort. Nous vous proposons de découvrir ici une archive parlementaire de l’Assemblée nationale constituante, première instance démocratique française, datant de 1790, présentant déjà un <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k429342/f1.item">projet de décret visant à poser l’assistance publique aux vieillards</a>.</p>
<p>Si le document est ancien, il fait étonnamment écho à notre système contemporain. Non seulement il propose des solutions modernes et préfigure notre système de prise en charge de la dépendance, mais il introduit également le débat sur l’utilité sociale de l’assisté et l’obligation de rendre un service à la communauté pour obtenir une aide supérieure.</p>
<p>Débat qui est toujours d’actualité.</p>
<p>Ce texte méconnu nous permet ainsi de prendre du recul sur les échanges actuels en soulignant que ces problématiques (dignité, devoir d’assistance, financement, etc.) se posent en termes identiques depuis plusieurs siècles et avec autant d’acuité…</p>
<h2>Quand les procédures écrasent l’humain</h2>
<p>Le rapport de la Commission de mendicité a été présenté le 31 août 1790, et avait alors proposition de décret. Dans son Titre III, dédié au secours aux vieillards et aux infirmes, il annonce d’emblée l’universalité du sentiment de respect envers « ceux affaiblis par l’âge », avant de développer :</p>
<blockquote>
<p>« [Dans] les secours accordés à la vieillesse, nous n’avons pas cependant du oublier que l’assistance publique perdrait le caractère de la bienfaisance, si elle sortait des règles invariables d’une apparente sévérité, importantes à maintenir dans des secours que la prévoyance de ceux qui y recourent eu pu peut-être leur rendre inutiles, et compatibles cependant avec les douceurs, les soins, les ménagements dus à l’infirmité et à la vieillesse.</p>
<p>C’est pour réunir toutes ces vues que votre comité c’est d’abord occupé d’épargner au vieillard indigent le spectacle déchirant de ses propres infirmités, qu’il voyait, pour ainsi dire, se multiplier sous ses yeux dans les hôpitaux. Vous avez vu dans nos précédents rapports sur ces hospices de l’humanité souffrante, que le pauvre, souvent aigri par le sentiment de sa misère et de ses maux, chagrin de ne se voir entouré que de privations et d’objets dégoûtants, murmure sans cesse contre les administrations et les administrateurs ; que la réflexion ajoute au poids de son infortune, et ne lui laisse d’autre espoir que la mort qui doit y mettre fin. »</p>
</blockquote>
<p>Nous y trouvons une critique très moderne de l’assistance faite aux personnes âgées, et notamment de la bureaucratie et de l’aspect procédurier des mesures de prise en charge. Cette critique, portée aujourd’hui par les recherches de sociologues du travail comme <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-phenomene-bureaucratique-michel-crozier/9782020006033">Michel Crozier</a> ou <a href="https://www.puf.com/content/Sociologie_du_monde_du_travail">Norbert Alter</a>, trouve un écho tout particulier dans les <a href="https://theconversation.com/Ehpad-et-maltraitance-comment-sortir-de-la-crise-176045">récentes affaires de maltraitance en milieu institutionnel</a>.</p>
<p>Le rapport fait par ailleurs état du fait que les hôpitaux, en raison de l’importance du nombre de leurs agents, ont pour habitude de détourner les secours alloués aux plus démunis : signe d’une prise de conscience précoce de la notion de vulnérabilité… et de la nécessaire mise en place de procédures sociales de compensation de la dépendance.</p>
<p>Le texte se poursuit par une violente indignation plaidant pour l’obligation alimentaire (celle-ci devra attendre le code civil pour renaître). Le comité nous dit :</p>
<blockquote>
<p>« Mais nous avons dû nous rappeler, avec un sentiment pénible, qu’il existe, pour la honte de l’humanité, des enfants ou plutôt des monstres à qui la nature semble avoir refusé le doux sentiment de la piété familiale ; des fils ingrats qui, oubliant la faiblesse et les besoins de leurs premiers ans, méconnaissent la main secourable que la tendresse paternelle a tendue à leur enfance. Ce crime contre nature, contre lequel la loi n’a que peu de prise, nous a semblé ne pouvoir être suffisamment puni que par l’opinion publique ; de là cette disposition que nous osons vous présenter et qui prive des droits de citoyen le fils ingrat ou dénaturé, qui, avec les moyens de soigner les vieux jours de celui dont il a reçu la vie, se refuserait à ce devoir sacré ; nous le renvoyons à la réprobation de la société entière. »</p>
</blockquote>
<h2>Les bases financières de l’assistance à domicile</h2>
<p>Le rapport pose les principes de base de l’assistance à domicile, et plus particulièrement son financement.</p>
<p>Il insiste sur les disparités géographiques empêchant, selon lui, de définir un tarif fixe pour l’ensemble du territoire. Un revenu de subsistance est proposé, indexé de la façon suivante :</p>
<blockquote>
<p>« Les bases que nous avons adoptées pour fixer les secours à domicile, consistent à prendre dans les différentes parties du royaume, pour maximum de ces secours un prix proportionné aux moyens nécessaires de subsistance, et à les graduer sur la diminution des forces ou l’accroissement des années. Nous avons cru devoir assujettir ces dépenses publiques à des formes multipliées ; et vous reconnaîtrez avec nous, Messieurs, que cette espèce de rigueur indispensable sera une digue puissante que les administrateurs pourront opposer aux demandes importunes et mal fondées de l’insouciance et de l’avidité. »</p>
</blockquote>
<p>Une approche qui évoque clairement celle adoptée de nos jours dans l’évaluation des montants d’aides apportés au titre de l’<a href="https://www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr/vivre-a-domicile/aides-financieres/lapa-domicile">Allocation personnalisée d’autonomie (APA)</a>.</p>
<p>Ce rapport introduit par ailleurs la notion de dette sociétale qui entraîne un besoin de réparation par l’assistance de la nation. Il l’exprime en ses termes :</p>
<blockquote>
<p>« Nous vous proposons en conséquence d’accorder au faible vieillard, vivant en commun, un traitement en nature, de facile préparation, simple, substantiel, avec une légère rétribution en argent dont il puisse disposer à son gré pour se procurer les douceurs qui lui conviendront. Le caractère de liberté qui distingue ce dernier genre de secours, nous a paru le plus propre à consoler la vieillesse, en acquittant la dette de la société. »</p>
</blockquote>
<p>Nous pouvons ainsi retrouver, en plus de l’introduction de la dette, des notions très modernes pour l’époque ayant trait à la liberté des seniors à disposer d’eux-mêmes.</p>
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<h2>Le respect de la personne et de sa dignité</h2>
<p>La notion de dignité s’avère ainsi être une question qui trouve ses origines dès les premières heures de notre République – et qui n’a, semble-t-il, pas encore trouvé de réponse.</p>
<p>Cette question a dans ce rapport une place importante. Déjà évoquée lorsqu’étaient critiqués « les administrations et administrateurs », elle s’exprime également par la prise en compte d’un besoin souvent oublié : celui du plaisir et de la distraction. La proposition d’allocations financières, certes faibles, doit permettre au vieillard, en plus de la prise en compte de ses besoins vitaux, d’accéder à ce que deux siècles plus tard l’<a href="https://nurseslabs.com/virginia-hendersons-need-theory/">infirmière Virginia Anderson appellera le « besoin de se récréer ou de se réaliser »</a>.</p>
<p>Inquiets de favoriser l’oisiveté et l’absence de prévoyance par une assistance trop généreuse, les auteurs ont ainsi justifié la mesure de la façon suivante :</p>
<blockquote>
<p>« Comme il n’est ni dans vos principes, ni dans ceux d’une saine politique, que l’homme imprévoyant ne soit pas aussi bien traité dans sa vieillesse que celui qui s’est ménagé des ressources, nous avons pensé que le traitement, tant en nature qu’en argent, ne devrait être que suffisant, et borné au plus étroit nécessaire. »</p>
</blockquote>
<p>Cependant, afin de ne pas infliger un traitement trop strict, et considérant probablement que le vieillard non impotent doit pouvoir jouir de moyens supplémentaires, le rapport préconise que les hôpitaux doivent s’organiser pour permettre à ceux qui le souhaiteraient de réaliser « divers travaux convenables ». Ceci afin que le vieillard bénéficiant d’assistance puisse tirer un revenu complémentaire par son travail.</p>
<p>Le rapport estime que, dans ce travail, l’individu trouvera « un attrait qui lui donne l’espoir d’un meilleur sort sur les bords du tombeau ». Il s’agit par ailleurs, selon lui, « pour la jeunesse, d’un exemple du travail jusqu’au terme le plus avancé de la vie ». Le parallèle avec des débats actuels peut se faire là encore, qu’il s’agisse du conditionnement du RSA à un travail « bénévole » ou du recul de l’âge légal de la retraite. Les grands principes qui animent ces mesures affichent une certaine similarité avec les motifs exposés ici.</p>
<h2>Un témoignage historique</h2>
<figure class="align-right ">
<img alt="Début du Titre III, Secour aux vieillards et infirmes" src="https://images.theconversation.com/files/494639/original/file-20221110-13-cmdrkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/494639/original/file-20221110-13-cmdrkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=972&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/494639/original/file-20221110-13-cmdrkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=972&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/494639/original/file-20221110-13-cmdrkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=972&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/494639/original/file-20221110-13-cmdrkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1221&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/494639/original/file-20221110-13-cmdrkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1221&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/494639/original/file-20221110-13-cmdrkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1221&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Ces débats parlementaires sur la question de la dépendance « du vieillard » sont parmi les plus anciens connus sur ces questions.</span>
<span class="attribution"><span class="source">BNF-Gallica</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces débats, tenus le 31 août 1790 au sein de l’Assemblée nationale constituante, représentent sans doute l’une des plus anciennes retranscriptions de la question de la dépendance liée à l’âge dans le débat politique français. Nous pouvons en effet considérer que cette période de transition entre le régime monarchique et la Première république comme le terreau des <a href="https://www.cairn.info/la-reforme-des-systemes-de-sante--9782715406711.htm">grands bouleversements sociétaux que connaîtra la France</a> <a href="https://www.fredericbizard.com/histoire-de-la-protection-sociale-en-france">tout au long du XIXᵉ siècle</a>.</p>
<p>Bien que ce projet de décret n’ait jamais réellement trouvé d’application, il traduit une préoccupation pour le traitement accordé aux personnes âgées et nous informe sur les conditions de leur prise en charge. Cette assistance est alors réalisée sous deux formes : soit à domicile pour les vieillards ayant un soutien familial suffisant, soit en hôpital pour les moins fortunés.</p>
<p>Cela nous amène à penser que nos débats « modernes », s’ils ne sont pas de naissance récente, sont bel et bien liés à l’origine de la société contemporaine. On peut y voir une preuve de la complexité de la résolution de la prise en charge digne du vieil âge. Prise en charge qui doit nous amener à y répondre avec le sérieux nécessaire à une question n’ayant toujours pas trouvé de solution acceptable bien qu’elle fût présentée dans des conditions similaires aux nôtres il y a maintenant plus de 220 ans.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194362/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sébastien Dambrine est adhérent en qualité d'étudiant au collège des économistes de la santé et à l'Association d'économie sociale.</span></em></p>En 1790, l’Assemblée nationale constituante recevait un rapport à la modernité frappante sur l’assistance aux « vieillards ». Entre allocation et respect, il met en perspective les choix actuels.Sébastien Dambrine, Doctorant en économie de la santé, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1942722022-11-09T23:43:56Z2022-11-09T23:43:56ZExclusion du député RN : ce qu’en dit la recherche en économie comportementale sur les sanctions<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/494411/original/file-20221109-23-job7mo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=142%2C6%2C720%2C444&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le député du Rassemblement national (RN), Grégoire de Fournas, a été exclu 15&nbsp;jours pour propos racistes le vendredi 4&nbsp;novembre.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Panorama_de_l%27hémicyle_de_l%27assemblée_nationale.jpg">Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Dans son spectacle de 2018, <a href="https://www.netflix.com/title/80189653">Humanity</a>, l’humoriste britannique Ricky Gervais évoque l’indignation que certaines personnes peuvent ressentir lorsqu’elles confondent « la substance de la blague avec la cible réelle ». Ce passage comique semble anticiper une explication des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/a-l-assemblee-nationale-seance-suspendue-et-vif-emoi-apres-une-interpellation-raciste-dans-l-hemicycle-8288892">événements</a> qui ont conduit, le 4 novembre, à <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/11/04/le-bureau-de-l-assemble-nationale-demande-d-exclure-le-depute-rn-gregoire-de-fournas-pendant-quinze-seances-apres-ses-propos-a-teneur-raciste_6148541_823448.html">l’exclusion pour 15 jours du député</a> du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/rassemblement-national-rn-62992">Rassemblement national (RN)</a>, Grégoire de Fournas, pour propos racistes.</p>
<p>Cette exclusion constitue une <a href="https://theconversation.com/fr/topics/sanctions-34311">sanction</a> dite « altruiste », qui vise à calmer un état émotionnel négatif, d’un « passager clandestin » refusant les règles de respect dans le bien commun démocratique. Or, il est important d’expliquer qu’elle intervient dans un contexte d’ambiguïté qui risque d’avoir un effet contre-productif.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/cest-pour-ton-bien-une-sanction-peut-elle-reellement-etre-altruiste-163314">« C’est pour ton bien » : une sanction peut-elle réellement être altruiste ?</a>
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<p>En effet, trois questions sont en prendre en compte : d’une part, est-il éthique d’exclure un passager clandestin sur la base d’un échange ambigu, puisqu’on ne sait pas exactement si la phrase « qu’il(s) retourne(nt) en Afrique ! » s’adressait au député qui s’exprimait à la tribune ou aux migrants ?</p>
<p>D’autre part, cette exclusion a-t-elle été attribuée au vrai comportement qui devait être sanctionné ? Enfin, cette ambiguïté, si validée comme méthode appropriée d’exclusion, ne pourrait-elle dans le futur être utilisée à exclure non pas des passagers clandestins, mais des contributeurs au bien commun (ce que la recherche désigne comme une <a href="https://www.science.org/doi/abs/10.1126/science.1153808">« punition anti-sociale »</a>, en opposition à la sanction altruiste) ?</p>
<h2>De l’adversaire à l’ennemi</h2>
<p>L’intervention du député RN fait partie d’une stratégie rodée et connue en politique, <a href="https://www.lemonde.fr/italie/article/2013/07/15/les-nouvelles-insultes-racistes-contre-cecile-kyenge-ne-troublent-pas-l-ete-romain_5994106_1666691.html">appliquée aussi par d’autres hommes politiques</a>, qui consiste en une volonté de transformer un adversaire en ennemi.</p>
<p>Un ennemi n’a pas d’identité précise, s’incarne
et se confond dans une catégorie. C’est pourquoi n’importe qui peut devenir un ennemi car il suffit de le déshumaniser pour le combattre, parfois jusqu’au point de l’anéantir. Un adversaire, quant à lui, est quelqu’un de reconnaissable, dont on connaît l’identité et aussi la personnalité. Un adversaire est respectable, le sens de la relation avec l’adversaire n’est pas l’anéantissement, mais simplement l’emporter dans la compétition.</p>
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<p>Si nous découpons la phrase qui est communiquée aux parlementaires présents et, avec eux, à la communauté qui peut assister au débat démocratique en différé, nous constatons que deux possibilités d’interprétation s’offrent simultanément à la personne qui entend les propos : à la fois, que le député de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (<a href="https://theconversation.com/fr/topics/nouvelle-union-populaire-ecologique-et-sociale-nupes-120569">Nupes</a>) qui s’exprime à l’Assemblée nationale retourne en Afrique, puisqu’il est noir, ou que les migrants y retournent.</p>
<p>La phrase est, à l’oral, indiscernable dans son propos, et les deux possibilités peuvent simultanément être saisies par l’auditeur, générant précisément une ambiguïté interprétative à propos de l’identité du sujet auquel se réfère réellement la phrase : parle-t-il de lui ? Ou parle-t-il d’eux ?</p>
<p>On peut se demander si le but était alors de communiquer sa position politique de manière ouverte (sans possibilité de malentendu), ou plutôt de’envoyer un signal de sa position politique, tout en agissant non pas concrètement, c’est-à-dire en ayant à l’esprit une finalité concrète qui aboutit dans le monde réel (le retour en Afrique), mais abstraitement, en créant in fine une communication qui se court-circuite en elle-même.</p>
<p>Comme les Verdurin décrits par Marcel Proust dans <em>À la recherche du temps perdu</em>, on envoie un signe quand « on n’agit pas, mais on fait signe ». Il ne s’agit pas donc de rentrer dans une relation spontanée et directe qui aboutit dans le monde réel, mais de faire semblant : « Rien de drôle n’est dit chez Mme Verdurin, et Mme Verdurin ne rit pas ; mais Cottard fait signe qu’il dit quelque chose de drôle, Mme Verdurin fait signe qu’elle rit ».</p>
<p>Contrairement aux Verdurin, cependant, qui se contentaient d’affirmer l’exclusivité et la supériorité de leur clan mondain, ce signe envoyé par le député RN initie une construction de connaissance commune de la haine envers un ennemi, en permettant à l’ambiguïté de tenir lieu d’explication claire entre adversaires.</p>
<p>Cette ambiguïté prend corps seulement si elle est notifiée par l’autre personne, qui est piégée en rentrant dans le jeu d’attribution de l’identité (parle-t-elle de lui ? ou parle-t-il d’eux ?) et en continuant l’échange sur la base d’une interprétation ambiguë, exactement comme ont été piégés les députés de la Nupes.</p>
<h2>Initier un débat immédiat</h2>
<p>Là où devait y avoir débat et dialogue démocratique, et donc explications immédiates, il y a eu un monologue, suivi de silence, dont l’importance était de ne pas éclaircir son propos. Le propos a été ambigu, mais pas le signe. Le signe était clairement un comportement de passager clandestin : face au bien commun qui est celui de la démocratie, le député RN a eu un comportement de passager clandestin qui a nui au bien commun.</p>
<p>Le député RN aurait donc dû être exclu pour rupture de comportement démocratique, basé sur un langage commun, et donc pour un acte de passager clandestin, au-delà du contenu raciste de son message. En l’excluant uniquement pour propos « ambigument » racistes, l’événement pourrait servir de jurisprudence. En effet, si on montre que la plupart des individus prennent des sanctions altruistes, et punissent ceux qui ne contribuent pas assez au bien commun, il existe aussi des situations de punition anti-sociale dans lesquelles les contributeurs sont sanctionnés par des individus qui ne supportent pas de voir les autres faire le bien.</p>
<p>De plus, les individus se cachent derrière les probabilités, comme nous l’avions montré dans un <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00572384/">article</a> de recherche. Or, dès que probabilité il y a, ils vont la saisir pour masquer leur comportement non-contributeur. Et donc des individus eux-mêmes passagers clandestins peuvent créer des situations délibérément ambiguës et punir les contributeurs sur le simple précédent de l’ambiguïté, qui peut servir de justification, et détruire à jamais le bien commun.</p>
<p>Les propos du député RN constituent donc un piège et malheureusement les députés de la Nupes sont tombés dedans. Mais comment éviter qu’un tel piège de transformation de l’adversaire en ennemi ne se mette en place ? Comment faire en sorte que le signe ne soit pas notifié ? Il aurait fallu initier un débat immédiat et rendre la balle au député RN pour demander explication et pour le rendre responsable de ses paroles tout de suite (et pas en différé, comme ceci a été fait). En interrompant l’échange, les députés Nupes ont pris responsabilité à la place du député RN qui a créé l’ambiguïté.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194272/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La décision, malgré l’ambiguïté autour du destinataire de la phrase « qu’il(s) retourne(nt) en Afrique ! », pourrait ouvrir la voie à des sanctions contre ceux qui contribuent pourtant au bien commun.Eleonora Montagner, Associate professor of philosophy, Burgundy School of Business Angela Sutan, Professeur en économie comportementale, Burgundy School of Business Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1939862022-11-06T16:28:53Z2022-11-06T16:28:53ZComment, pour la deuxième fois de son histoire, l’Assemblée nationale exclut un député<p><a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/11/03/la-presidente-de-l-assemblee-nationale-met-fin-a-la-seance-apres-des-propos-a-teneur-raciste-d-un-depute-rn-dans-l-hemicycle_6148382_823448.html">L’incident survenu à l’Assemblée nationale (AN)</a> jeudi 3 novembre, qui a entendu Grégoire de Fournas, député Rassemblement Nation (RN) tenir des propos à teneur insultante et raciste durant la prise de parole d’un autre député, Carlos Martens Bilongo, de la France Insoumise (LFI), a conduit à une suspension immédiate de séance et en <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/11/04/quelles-sont-les-sanctions-encourues-par-le-depute-gregoire-de-fournas_6148505_823448.html">urgence, à une réunion du bureau</a> de l’AN. Celle-ci a décidé <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/11/04/le-bureau-de-l-assemble-nationale-demande-d-exclure-le-depute-rn-gregoire-de-fournas-pendant-quinze-seances-apres-ses-propos-a-teneur-raciste_6148541_823448.html">d’exclure pendant quinze jours</a> l’auteur des propos.</p>
<p>La théorie constitutionnelle postule que les représentants de la Nation doivent pouvoir débattre librement afin de faire émerger l’intérêt général. Leur liberté de parole au sein des Assemblées ne saurait être réduite. <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527491/2019-07-01">L’article 26 al. 1 de la Constitution</a> leur garantit ainsi une irresponsabilité absolue :</p>
<blockquote>
<p>« Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. »</p>
</blockquote>
<p>Aucun des propos tenus à l’intérieur des assemblées – contrairement à des propos insultants tenus à l’extérieur, lors d’un meeting ou d’un entretien médiatique qui peuvent donner lieu à poursuite – ni aucun des votes émis ne peut, même après son mandat, engager la responsabilité du parlementaire devant un juge.</p>
<p>Il est ainsi admis que l’arène parlementaire n’est pas un lieu comme un autre, la parole devant y être la plus libre possible, ce qui justifie une réglementation spéciale de l’insulte au sein du <a href="https://www.senat.fr/reglement/reglement_mono.html">Senat</a> et de <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/divers/texte_reference/02_reglement_assemblee_nationale">l’Assemblée nationale</a>. </p>
<h2>Une liberté de parole qui n’est pas absolue</h2>
<p>Ainsi, en France, l’interdiction de l’injure, qui résulte de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006070722/">loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881</a>, n’est pas applicable à l’intérieur des Assemblées. Les élus revendiquent d’ailleurs un droit à la vivacité des débats, qui ne doit pas laisser penser que leur liberté de parole serait absolue au sein des assemblées. Ses abus sont sanctionnés, les règlements des Assemblées confiant la police des débats à leurs Présidents. Ainsi, le président seul accorde et retire la parole, nul ne peut parler s’il n’y a pas été invité, et il peut également prononcer des sanctions contre les élus qui proféreraient des insultes. Ainsi <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/divers/texte_reference/02_reglement_assemblee_nationale">l’article 70 du RAN</a> dispose :</p>
<blockquote>
<p>Peut faire l’objet de peines disciplinaires tout membre de l’Assemblée : […]<br>
● 2° Qui se livre à une mise en cause personnelle, qui interpelle un autre député ou qui adresse à un ou plusieurs de ses collègues des injures, provocations ou menaces ;<br>
● 3° Qui a fait appel à la violence en séance publique ;<br>
● 4° Qui s’est rendu coupable d’outrages ou de provocations envers l’Assemblée ou son président ;<br>
● 5° Qui s’est rendu coupable d’injures, de provocations ou de menaces envers le Président de la République, le premier ministre, les membres du gouvernement et les Assemblées […]</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/vL4P1wgFUOw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le député LFI Carlos Martens Bilongo a été interrompu par les propos à teneur raciste d’un député RN en session à l’Assemblée nationale le 3 novembre 2022.</span></figcaption>
</figure>
<p>Et l’article 71 établit l’échelle des sanctions :</p>
<blockquote>
<p>Les peines disciplinaires applicables aux membres de l’Assemblée sont :<br>
● 1° Le rappel à l’ordre ;<br>
● 2° Le rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal ;<br>
● 3° La censure ;<br>
● 4° La censure avec exclusion temporaire.</p>
</blockquote>
<p>Le président, appuyé par le Bureau, instance collégiale qui réunit autour du président, les vice-présidents, les secrétaires et les questeurs, assurant ainsi la représentation de la pluralité des courants d’opinion à l’Assemblée, examine les faits et prononce la sanction ou la propose à l’Assemblée dans les cas les plus graves. Cette sanction ne doit pas être perçue comme une décision politique ; elle doit rester une mesure disciplinaire et impartiale, prononcée à l’encontre d’un parlementaire qui a abusé de sa liberté d’expression.</p>
<h2>Une multiplication des abus</h2>
<p>De tels abus se sont multipliés ces dernières années : propos où comportements sexistes à l’égard des députées : <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2013/10/09/incident-sexiste-a-l-assemblee-les-deputees-boycottent-l-ouverture-de-seance_3492707_823448.html">caquètements de poule en octobre 2013</a>, <a href="https://www.lepoint.fr/politique/des-cris-de-chevre-ou-de-mouton-a-l-assemblee-nationale-04-08-2017-2147995_20.php">bêlements de chèvre en août 2017</a>, « poissonnière » en <a href="https://www.lepoint.fr/societe/poissonniere-un-depute-lrem-sanctionne-pour-injures-sexistes-09-02-2021-2413178_23.php">février 2021</a> ou refus de s’adresser à la présidente de séance en féminisant sa fonction en octobre 2014.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/qngnvdcmlUI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Madame « le » Présidente : le député UMP Julien Aubert persiste à refuser la féminisation du titre de présidente d’Assemblée nationale à Sandrine Mazetier (2014).</span></figcaption>
</figure>
<p>Mais en 64 ans d’existence, l’Assemblée nationale <a href="https://isidore.science/document/10670/1.iip87t">n’avait connu qu’une seule censure</a> avec exclusion temporaire contre un député qui avait pris à partie pour un motif futile – voitures qui bloquaient sa sortie – deux ministres auditionnés <a href="https://www.mareetmartin.com/livre/les-usages-de-la-tradition-dans-le-droit">dans le cadre de la catastrophe de Fukushima</a>.</p>
<p>Cette sanction interdit à l’élu de paraître à l’Assemblée et de prendre part à ses travaux pendant 15 jours ; elle emporte également pendant deux mois privation de la moitié de l’indemnité parlementaire <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/divers/texte_reference/02_reglement_assemblee_nationale#D_Article_73_193">(article 73 alinéa 3 du RAN</a>). C’est cette sanction qui peut frapper le député RN suite aux propos à teneur raciste tenus en séance 3 novembre 2022. En suspendant immédiatement la séance et en renvoyant l’examen des faits au Bureau qui s’est réuni de manière extraordinaire le 4 novembre à 14h30, la présidente a refusé d’adopter seule la sanction.</p>
<h2>Trois enseignements</h2>
<p>Ce choix emporte trois enseignements : la présidente estime que les propos méritent une sanction plus lourde que le rappel à l’ordre simple ou avec inscription au procès-verbal qu’elle peut prononcer seule. Ce que le Bureau a confirmé en demandant à l’Assemblée de prononcer une censure avec exclusion temporaire.</p>
<p>Deuxième enseignement : en convoquant le Bureau, elle ouvre une procédure contradictoire permettant au député de présenter, personnellement ou par un représentant, les arguments et peut-être d’échapper à la sanction.</p>
<p>Cette procédure contradictoire assure, quand bien même elle ne pourrait être contestée devant aucun juge en vertu de la séparation des pouvoirs, la conformité de la sanction <a href="https://hudoc.echr.coe.int/app/conversion/docx/pdf?library=ECHR&id=002-10164&filename=CEDH.pdf">à la Convention Européenne des Droits de l’Homme</a>.</p>
<p>Enfin, la Présidente éloigne la critique d’une mesure partiale, alors que le RN use déjà de la rhétorique de la victimisation. Ainsi, l’auteur des propos évoque-t-il une <a href="https://www.tf1info.fr/politique/propos-racistes-a-l-assemblee-nationale-qu-il-retourne-en-afrique-le-depute-rn-gregoire-de-fournas-ecrit-a-son-homologue-lfi-carlos-martens-bilongo-et-se-dit-navre-de-l-incomprehension-2237548.html">« manipulation politique »</a>.</p>
<p>La sanction ne doit en effet pas pouvoir être perçue comme la décision de la seule présidente de l’Assemblée, membre éminent de la majorité. Afin d’éloigner toute contestation, la procédure doit associer les différentes forces de l’Assemblée. Ce que la réunion du Bureau permet. Les élus RN seront ainsi associés à la procédure, le groupe détenant deux vice-présidents siégeant en cette qualité au Bureau. De même, les présidents de groupe, et donc celui du RN, sont associés aux décisions du Bureau (même s’ils ne peuvent participer à l’adoption de celles-ci puisqu’ils ne disposent pas de droit de vote dans cette instance).</p>
<p>Cette association à l’examen des faits et à l’audition du député mis en cause permet ensuite, lorsque la censure est requise, comme c’est le cas en l’espèce, de procéder à l’adoption de la sanction par l’Assemblée sans que celle-ci puisse débattre, en application de <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/divers/texte_reference/02_reglement_assemblee_nationale#D_Article_72_192">l’article 72 al 5 du règlement de l’Assemblée nationale</a>. La sanction est ensuite adoptée par assis et levée, qui rend plus facile la comptabilisation des voix qu’un simple vote à main levée, mais ne permet pas de connaître le sens des votes adoptés par les députés. On peut toutefois estimer que seuls les élus du RN auront cherché à s’opposer à la sanction.</p>
<p>Pour la deuxième fois de son histoire, l’Assemblée a ainsi choisi de censurer l’un de ses membres. Sanction grave puisqu’elle le prive du droit de défendre ses positions à l’Assemblée, frappant des propos particulièrement offensants qui ne sauraient être tolérés dans le temple de la démocratie. Sanction temporaire, le député politiquement irresponsable ne pouvant être contraint à la démission en raison des propos, même à teneur raciste, tenus à l’Assemblée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193986/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorothée Reignier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si les élus revendiquent un droit à la vivacité des débats, leur liberté de parole n’est pas absolue au sein des assemblées.Dorothée Reignier, Enseignant chercheur, membre du CERAPS, Université de Lille,, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1921922022-10-11T19:18:23Z2022-10-11T19:18:23ZMenace de dissolution de l’Assemblée nationale : quand le président concurrence le Parlement<p>Alors que les <a href="https://theconversation.com/comment-les-groupes-parlementaires-structurent-la-vie-politique-francaise-186104">députés</a> viennent de faire leur rentrée le lundi 3 octobre, une menace pèse sur l’Assemblée nationale, celle de la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/09/30/retraites-l-executif-fait-peser-la-menace-de-la-dissolution-pour-assurer-le-passage-de-sa-reforme-au-parlement_6143775_823448.html">dissolution</a>. Le président de la République a brandi cette arme dissuasive en cas de vote d’une motion de censure du Parlement. Depuis, les nombreuses passes d’armes renvoient dos à dos le déni de démocratie auquel se livre Emmanuel Macron en l’absence de majorité absolue et l’incapacité de l’Assemblée nationale à trouver un large consensus.</p>
<p>Cette tension exacerbée s’inscrit pourtant dans un contexte plus large à la fois d’évitement du Parlement (par le déploiement d’institutions nouvelles comme le <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/10/03/conseil-national-de-la-refondation-les-premieres-consultations-citoyennes-lancees_6144225_823448.html">Conseil national de la refondation</a> ou le passage de textes sans débat législatif par l’usage de l’article 49.3 et des ordonnances) mais aussi de tentative de transformation de son fonctionnement.</p>
<p>Ces changements étaient notamment exposés dans le <a href="https://www.gouvernement.fr/action/projet-de-loi-constitutionnelle-pour-une-democratie-plus-representative-responsable-et">projet de loi porté en 2018</a> afin de la rendre plus représentative, plus responsable et plus efficace, pour « une démocratie plus représentative, responsable et efficace » qui se donnait l’ambition de « rénover le fonctionnement de la démocratie ». Il ciblait alors à la fois les modalités d’accès à l’institution parlementaire, son fonctionnement ordinaire et son rôle législatif en prévoyant notamment une loi constitutionnelle resserrant les délais des discussions législatives, une loi organique diminuant les effectifs parlementaires de 30 % et une loi ordinaire établissant une dose de proportionnelle dans le scrutin législatif.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ce-que-les-elections-legislatives-de-juin-2022-nous-apprennent-de-notre-vision-du-parlement-186356">Ce que les élections législatives de juin 2022 nous apprennent de notre vision du Parlement</a>
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<p>Si ce projet de loi est actuellement suspendu, il résonne avec la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000034924758/">loi pour la confiance dans la vie politique</a> votée en 2017 qui encadre aussi bien l’activité de conseil par les parlementaires, les emplois familiaux au sein de l’Assemblée, que les « dérives clientélistes » par l’usage abusif de la réserve parlementaire désormais supprimée. Sans juger de la pertinence de telles réformes actées ou archivées, elles sont le reflet d’une mise en accusation désormais routinière du fonctionnement et de l’activité des parlementaires.</p>
<h2>Des députés jugés « godillots » ou « bloqueurs »</h2>
<p>Au cours du premier mandat d’Emmanuel Macron, c’est l’inutilité du Parlement qui était dénoncée. Favorisée par le fait majoritaire, l’écrasante majorité des députés rencontrait de nombreuses moqueries pour son soutien sans faille au nouveau président de la République et à son gouvernement dont ils votaient l’ensemble des propositions de loi tels des <a href="https://www.humanite.fr/politique/larem/larem-la-godille-en-crise-lassemblee-684224">« godillots »</a> ou des <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2018/10/12/25001-20181012ARTFIG00124-quand-francois-ruffinlfi-fustige-les-marcheurs-playmobil-de-l-assemblee.php">« Playmobil »</a>. Une fidélité permise par l’arrivée en 2017 de <a href="https://www.puf.com/content/Les_candidats">72 % de novices</a> ayant coupé la longue file d’attente politique jusqu’alors organisée par les partis politiques.</p>
<p>Du fait de la structure de leur capital – par leurs études de droit ou de science politique mais aussi par leurs professions de cadres supérieurs – <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/la-fin-du-clivage-gauche-droite/">ces nouveaux députés</a> ont alors eu d’autant plus « tendance à considérer les problèmes de législation sous un angle plus technique et économique qu’ils ont eu par le passé moins d’activités militantes et politiques ».</p>
<p>En rupture avec cette dépolitisation des débats parlementaires, majorité relative oblige depuis 2022 pour ce second mandat présidentiel, les parlementaires sont cette fois accusés tantôt de bloquer ou d’obstruer les projets de loi gouvernementaux, tantôt de privilégier les coups d’éclats dans l’hémicycle au détriment du « sérieux » du travail législatif.</p>
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<p>Dans les deux cas, le pouvoir exécutif définit le Parlement comme une institution qui doit accompagner son activité sans jamais le déranger. Cette <a href="https://www.cahiers.jaures.info/document.php?id=810">mise au pas du parlement</a> et ces critiques d’ordre <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2013-3-page-23.htm">antiparlementaire</a> ne sont pas nouvelles. Elles ont traversé les siècles dans l’iconographie et les écrits politiques et reposent, sans distinction, sur les circonlocutions d’une Assemblée prétendue inefficace et soumise à d’incessants bavardages inutiles. Elles sont surtout le signe d’une concurrence historique entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.</p>
<h2>Une Constitution qui tranche en faveur du président</h2>
<p>Le <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2010-2-page-125.htm?contenu=article">droit constitutionnel</a> et électoral tranche en faveur du chef de l’État par la constitution de 1958, par l’élection du président de la République au suffrage universel direct en 1962 et par l’inversion du calendrier électoral en 2002. Ce parlementarisme dit « rationalisé » de la V<sup>e</sup> République tend, toujours davantage, à se renforcer par une <a href="https://silogora.org/sur-la-presidentialisation-des-regimes-politiques/">présidentialisation accrue du pouvoir</a>.</p>
<p>En témoigne le retour à la surface d’une tradition lointaine marquant cette concurrence : l’ouverture des sessions parlementaires par le chef d’État. Par deux reprises, le 3 juillet 2017 et le 9 juillet 2018, en prenant la parole en début de session parlementaire pour présenter sa politique générale, Emmanuel Macron s’adresse directement au Parlement réuni en Congrès. En s’inspirant des discours du Trône au Royaume-Uni, en Norvège, <a href="https://www.karthala.com/recherches-internationales/3370-tisser-le-temps-politique-au-maroc-9782811127657.html">au Maroc</a>, ou du discours sur l’état de l’Union que prononce chaque année le président des États-Unis devant le <a href="http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/IMG/pdf/benoit_a_la_guillaume.pdf">Congrès américain</a>, le chef d’État annonce : « tous les ans, je reviendrai donc devant vous pour vous rendre compte » afin de « fixer le sens du quinquennat et c’est ce que je suis venu faire devant vous ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/OdYfBAexdBY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Quand Emmanuel Macron réunit les parlementaires au Congrès de Versailles. YouTube.</span></figcaption>
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<p>S’il s’agissait d’une première pour la V<sup>e</sup> République – rendue possible par la <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/268318-la-reforme-de-2008-sur-la-modernisation-des-institutions">révision constitutionnelle de 2008</a> – cette promesse n’a pour l’heure pas été tenue. Mais ces cérémonies protocolaires, dont l’usage historique diffère, ont un fort symbole. En effet, elles mettent en scène autant qu’elles contribuent à ratifier l’autorité supérieure d’une institution et la <a href="https://www.cairn.info/revue-la-pensee-2022-3-page-57.htm">soumission de sa principale concurrente</a>. Elles théâtralisent une concurrence d’institutions disposant d’une même prétention : celle de représenter la nation.</p>
<h2>Un conflit pour le monopole à représenter les électeurs</h2>
<p>Cette concurrence pour le monopole à représenter les électeurs s’inscrit dans un rapport de force, dans une relation conflictuelle, s’aménageant en fonction de la position relative de chaque institution dans la configuration politique. Par exemple, sous la II<sup>e</sup> République, le président de la République prononçait un serment devant les députés « en présence de Dieu et devant le peuple français, représenté par l’Assemblée nationale ». Cette reconnaissance de la seule légitimité des députés à représenter les électeurs est, à l’inverse, totalement déniée dans les <a href="https://www.cairn.info/revue-la-pensee-2022-3-page-23.htm?contenu=article">configurations impériales</a>.</p>
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<img alt="L’empereur Napoléon Iᵉʳ dans son cabinet de travail en 1807" src="https://images.theconversation.com/files/489123/original/file-20221011-21-ypazsx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/489123/original/file-20221011-21-ypazsx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=782&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/489123/original/file-20221011-21-ypazsx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=782&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/489123/original/file-20221011-21-ypazsx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=782&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/489123/original/file-20221011-21-ypazsx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=982&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/489123/original/file-20221011-21-ypazsx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=982&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/489123/original/file-20221011-21-ypazsx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=982&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’empereur Napoléon Iᵉʳ dans son cabinet de travail en 1807.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikicommons</span></span>
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<p>Ainsi, Napoléon I<sup>er</sup> comme Napoléon III ne voyaient dans le rôle du parlementaire que celui d’une <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62954782/f148.image">« assistance »</a>, d’un « soutien » de la part d’élus « dévoués » assurant une <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5409588t.texteImage">« coopération loyale »</a>. Les députés impériaux plus à même de seconder le chef de l’État que de représenter les électeurs se présentaient alors comme de simples <a href="https://www.pur-editions.fr/product/638/la-candidature-officielle">candidats officiels</a> sous le Second Empire. Ne mettant plus en avant leurs qualités propres ou leur parcours, les candidatures sont dépersonnalisées au point de ne se présenter comme un simple représentant naturel du pouvoir exécutif sur le territoire <a href="https://silogora.org/se-presenter-pour-representer-le-chef-detat/#_ftnref8">« prêt à le seconder dans son entreprise politique »</a>.</p>
<p>Mais cette situation ne saurait-elle pas rappeler la situation contemporaine ? En 2017, les candidats de la République en Marche sont le fruit d’une sélection par un <a href="https://www.20minutes.fr/elections/2064619-20170509-legislatives-peut-devenir-candidat-parti-macron">appel à candidatures</a> avec curriculum vitae et lettre de motivation au sein d’une commission d’investiture du parti. Telle une offre d’emploi, ces candidats novices ont ainsi mis en avant dans <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02170828/document">leurs professions de foi leur inexpérience politique</a>, leur nouveauté, comme gage de qualité politique. Leur position dépendant pleinement d’un pouvoir exécutif dont ils tirent leur légitimité, ces candidats ont même, au cours des élections de 2022, mobilisé la notion de « candidat officiel d’Emmanuel Macron ». Employant une notion datée de cent soixante-dix ans, se présenter comme candidat « de » interroge le rôle attendu d’un parlementaire désormais représentant naturel local d’un chef d’État que l’on seconde.</p>
<p>La logique de la V<sup>e</sup> République encourage et renforce cette redéfinition de l’activité d’un député qui n’est plus exclusivement consacrée à la représentation des électeurs, mais à la mission délégative que le chef d’État a pu lui offrir. Dès lors, l’actuelle configuration politique marquée par le regain de l’opposition parlementaire bouscule cette stabilité et réveille, avec elle, une concurrence historique entre deux institutions ayant la même prétention représentative. La menace présidentielle d’une dissolution en est le signe et résonne alors comme un rappel à l’ordre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192192/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Tardits ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’actuelle configuration politique marquée par le regain de l’opposition parlementaire réveille une concurrence historique entre deux institutions ayant la même prétention représentative.Nicolas Tardits, Doctorant en science politique, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1865772022-07-12T18:34:20Z2022-07-12T18:34:20ZJoseph : « Le pouvoir du président Macron peut-il être menacé ? »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/473349/original/file-20220711-12-hscsrj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C7%2C5000%2C4925&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La séparation des pouvoirs exécutif et législatif est au coeur de la démocratie française.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-vector/large-group-people-shape-france-flag-421036831">Hobbit Art / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>La Constitution française, promulguée en 1958, met en place une séparation des pouvoirs entre l’exécutif, représenté par le président et le gouvernement, et le législatif représenté par l’Assemblée nationale.</p>
<p>Depuis 1962, le président de la République est élu au suffrage universel direct. Il nomme le Premier ministre, c’est-à-dire le chef du gouvernement, et, avec ce dernier, l’ensemble des ministres.</p>
<h2>La règle et l’exception</h2>
<p>Ce pouvoir exécutif doit néanmoins, en principe, composer avec les 577 députés de l’Assemblée dont l’accord majoritaire est nécessaire pour voter les lois.</p>
<p>Plusieurs situations peuvent se présenter à l’issue des élections présidentielles et des élections législatives. Pour bien les comprendre, il faut insister sur les moments où ces élections ont lieu. Jusqu’en 2000, le délai entre deux élections présidentielles est de sept ans alors qu’il est de cinq ans entre deux élections législatives.</p>
<p>Une élection législative a donc lieu avant la fin du mandat du président. Le plus souvent, le président obtient le soutien de la majorité des députés. Néanmoins, à trois reprises (en 1986, 1993 et 1997), ce ne fut pas le cas. On se trouve alors en situation de cohabitation entre le président et le chef du gouvernement puisque ce dernier doit être issu de la majorité à l’Assemblée nationale.</p>
<p>Si le président conserve de nombreuses fonctions, notamment en matière de politique étrangère, le chef du gouvernement possède l’essentiel du pouvoir. Ce cas de figure ne semble pas déplaire aux électeurs, largement satisfaits du partage des pouvoirs entre différentes familles politiques.</p>
<h2>Majorité absolue garantie…</h2>
<p>En 2000, il a été décidé que les élections présidentielles et législatives auraient lieu tous les 5 ans, les secondes étant organisées quelques semaines après les premières. Or jusqu’en juin 2022, les électeurs ont choisi de donner au président de la République une majorité parlementaire.</p>
<p>Dans ce cas de figure, le président et le gouvernement n’éprouvent aucune difficulté à conduire leur politique, ne craignant pas un blocage parlementaire. Les autres courants politiques ne peuvent alors, pour combattre l’action de la majorité, que soutenir des mouvements de contestation. Ceux-ci s’expriment sous forme de grèves et de manifestations.</p>
<p>Soit, deuxième situation, jugée assez improbable, les élections législatives conduisent à un vote majoritairement hostile au président, comme dans les situations de cohabitation connues en 1986 et 1997 (rendues possibles, redisons-le, par le délai entre les deux types d’élections). Ce cas de figure ne s’est encore jamais produit.</p>
<h2>… ou pas</h2>
<p>La dernière situation possible est notre cas actuel. La famille politique du président arrive en tête aux élections législatives, mais ne dispose pas de la majorité absolue (289 députés). On parle alors de majorité relative.</p>
<p>Comment alors gouverner ? Une possibilité aurait été de former ce que l’on nomme un gouvernement de coalition, c’est-à-dire une alliance entre deux (ou plusieurs) partis politiques, grâce à laquelle la majorité absolue aurait été obtenue. Mais ce projet n’a pu voir le jour, chaque famille politique souhaitant conserver son autonomie par rapport à la majorité présidentielle.</p>
<p>Le gouvernement va donc devoir, pour faire voter les lois, parvenir à obtenir, texte par texte, une majorité. Ce ne sera pas chose aisée mais cette situation inédite redonne toute son importance à l’Assemblée nationale.</p>
<p>Certains s’en inquiètent parce qu’ils craignent une instabilité telle que la France pourrait ne pas être gouvernée. Cette crainte me semble infondée. Si, toutefois, mon pronostic était erroné, il faut savoir que le président de la République dispose d’un pouvoir constitutionnel : celui de dissoudre l’Assemblée, donc procéder à de nouvelles élections. Mais leur résultat pourrait ne rien changer à l’équilibre des forces politiques. Le président n’y aurait alors recours que s’il pense que les électeurs attribueront la responsabilité de l’instabilité gouvernementale à l’opposition parlementaire.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.dianerottner.com/">Diane Rottner</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p><em>Si toi aussi tu as une question, demande à tes parents d’envoyer un mail à : <a href="mailto:tcjunior@theconversation.fr">tcjunior@theconversation.fr</a>. Nous trouverons un·e scientifique pour te répondre</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186577/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Policar ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour la première fois depuis 1997, le président n’obtient pas la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Quelles conséquences sur son pouvoir ?Alain Policar, Chercheur associé en science politique (Cevipof), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1863562022-07-12T18:33:44Z2022-07-12T18:33:44ZCe que les élections législatives de juin 2022 nous apprennent de notre vision du Parlement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/473406/original/file-20220711-12-azpdr2.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C628%2C417&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Kad Merad joue Philippe Rickwaert, député de gauche dans Baron Noir, saison 1 (2019), ici représenté en bleu de travail pour interpeller les parlementaires. Mais la fiction caricature souvent la réalité politique.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/series/ficheserie-19344/photos/detail/?cmediafile=21612089">Allociné/Jean-Claude Lother/KWAI</a></span></figcaption></figure><p>Le décret du 4 juillet 2022 a actualisé la composition du Gouvernement Borne nommé le 20 mai 2022 afin de tenir compte des résultats des élections législatives. Faute d’avoir pu conclure un accord de coalition durable pour toute la législature, le président a choisi d’augmenter le poids des fidèles d’Edouard Phillipe et de François Bayrou, sans davantage ouvrir aux autres partis de gouvernements comme le PS ou LR. <a href="https://theconversation.com/legislatives-la-vie-politique-bouleversee-par-un-scrutin-inattendu-185375">Les situations inédites se succèdent</a> : premier président de la République réélu hors situation de cohabitation depuis 1958, première fois que la démission du Gouvernement à l’issue des élections législatives est refusée par le président, et surtout, la première fois depuis 1988 que la majorité parlementaire sur laquelle le gouvernement est assis n’est que relative.</p>
<p>Certes, le groupe (ou plus exactement les groupes) sur lequel le Gouvernement s’appuie est le plus important de l’Assemblée, mais le nombre de sièges détenus par celui-ci est inférieur à 289, seuil de la majorité absolue. Et si tous les autres groupes se coalisent contre le Gouvernement, ils peuvent le renverser.</p>
<p>Toutes ces nouveautés ont permis aux Français de se rappeler que la V<sup>e</sup> République est un régime parlementaire. Contrairement à tout ce que les Français ont pris l’habitude de croire depuis l’élection du président au suffrage universel direct en 1962 et l’inversion du calendrier électoral en 2000, le siège du pouvoir ne se trouve donc pas à l’Élysée mais à l’Assemblée. Le Parlement ne leur apparaît désormais plus comme le supplétif d’un président fort, soumis, politiquement ou juridiquement à ses injonctions. Il semble redevenir digne d’intérêt : une institution à part entière et non plus celle que l’on avait pris l’habitude de voir à travers le regard d’un autre.</p>
<h2>Faire émerger l’intérêt général</h2>
<p>Pourtant le 1<sup>er</sup> alinéa de l’article 24 de la Constitution <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241014/">ne peut pas être plus clair</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le Parlement vote la loi. Il contrôle le Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. »</p>
</blockquote>
<p>La première mission qui lui est assignée relève de l’évidence, la loi se définissant comme l’acte général et impératif voté par le Parlement.</p>
<p>Toutefois, elle mérite des explications. Si le Parlement est ainsi légitime à imposer aux citoyens des comportements en définissant ceux qui sont interdits, c’est d’une part parce que ses membres sont élus par ces mêmes citoyens.</p>
<p>D’autre part, l’intérêt général est censé émerger de leurs délibérations. La confrontation des idées et des opinions politiques doit permettre de définir les contours de la loi la meilleure pour tous, non pas seulement pour une majorité, non pas uniquement pour le moment présent, mais conforme à l’intérêt général.</p>
<p>Dès lors que l’intérêt général s’impose au Parlement grâce à la discipline de vote à laquelle la majorité se soumet, consciente que son rôle est dorénavant de réaliser le programme du président sur la base duquel elle a été élue, l’institution est déconsidérée. Finis <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/histoire/7e.asp">l’éloquence parlementaire</a> et les grands orateurs.</p>
<h2>Une discussion précipitée</h2>
<p>Il faut dorénavant faire vite et voter la loi présentée par le Gouvernement. C’est donc à travers ce prisme que les Français ont appris à regarder leur Parlement : une étape obligée dans l’adoption d’une décision. Or on cherche à court-circuiter cette chambre. En recourant aux ordonnances (article 38 de la Constitution) ou en escamotant le débat grâce aux procédures de rationalisation du parlementarisme.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/legislatives-2022-un-regain-dinteret-pour-le-parlement-182689">Législatives 2022 : un regain d’intérêt pour le Parlement ?</a>
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<p>Le vote bloqué (article 44 alinéa 3) qui contraint l’assemblée saisie à se prononcer par un seul vote sur tout ou partie du texte, dans les limites fixées par le Gouvernement en est un exemple. Cette technique a provoqué la colère des députés le 17 juin 2021 lorsque le gouvernement les a contraints à abandonner un article transpartisan qui permettait de déconjugaliser le calcul des revenus dans le cadre de <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/allocation-adulte-handicape-le-gouvernement-recourt-au-vote-bloque-20210617">l’allocation aux adultes handicapés (AAH)</a>. </p>
<p>Autre moyen : la procédure accélérée qui permet d’écourter la navette (utilisée à 224 reprises sous la <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/15/statistiques-de-l-activite-parlementaire-sous-la-xve-legislature">législature précédente</a>) avant de convoquer la commission mixte paritaire, étape nécessaire afin de donner le dernier mot à l’Assemblée si le désaccord avec le Sénat persiste (article 45). Sans oublier la procédure d’adoption sans vote qui permet cette fois-ci de se passer de l’accord de l’Assemblée (<a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/l-article-49.3-comment-ca-marche">article 49 al. 3</a>).</p>
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<p>À travers ces procédures, le Parlement est perçu comme un frein qui gêne l’action du Gouvernement et le débat parlementaire comme un inconvénient qu’il faut accélérer. Vision trompeuse d’un Parlement transformé en chambre d’enregistrement, alors que les amendements parlementaires permettent d’améliorer l’écriture de la loi, même s’ils ne peuvent plus en dicter le contenu. Cette vision biaisée de notre Parlement est-elle appelée à changer à la suite de cette prise de conscience ?</p>
<p>On peine à le croire. Au lendemain des élections, la plupart des éditos nationaux et internationaux <a href="https://www.courrierinternational.com/article/politique-legislatives-la-crainte-d-une-france-ingouvernable">regrettaient</a> « Une France ingouvernable ». Une fois encore, on propose aux Français de regarder leur Parlement à travers un objectif déformant : celui d’un gouvernement assis sur une majorité relative.</p>
<p>Certes, dans le régime parlementaire, l’un des rôles premiers du Parlement est de créer un gouvernement, notre vision du Parlement part donc toujours du <a href="https://theconversation.com/politique-une-histoire-de-confiance-186487">réel</a>. Constat qui vaut également pour les représentations fictionnelles du Parlement, qui confirment que notre vision est toujours filtrée et déformée.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-groupes-parlementaires-structurent-la-vie-politique-francaise-186104">Comment les groupes parlementaires structurent la vie politique française</a>
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<h2>Un exécutif dans la tourmente</h2>
<p>Les axes dramatiques des séries politiques françaises (<em>Baron Noir</em>, <em>Les hommes de l’ombre</em>, <em>L’État de Grâce</em>) donnent à voir un exécutif dans la tourmente, confronté à un Parlement qui cherche à retrouver son rôle de faiseur de gouvernements des 3<sup>e</sup> et IV<sup>e</sup> Républiques, n’hésitant pas pour cela à renverser le Gouvernement ou à utiliser la procédure de destitution à l’encontre d’un président minoritaire.</p>
<p>On se souvient ainsi qu’en 3 saisons de la série télévisée Baron Noir, pour ne citer que cet exemple récent des représentations fictionnelles, deux présidents ont été l’objet d’une procédure de destitution.</p>
<p>La série a par ailleurs mis en scène une présidente paralysée par son refus d’utiliser l’article 49 alinéa 3 et contrainte de recourir au référendum. Le héros offre également une vision biaisée du Parlement : être parlementaire n’est plus une fin, mais un moyen d’obtenir un poste plus prestigieux (ministre, chef de gouvernement, chef d’État).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/vkcLVlR0VE0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Saison 3 de <em>Baron Noir</em>, Canal+.</span></figcaption>
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<p>Ainsi, la représentation de son action au Parlement est-elle minimaliste. Et si la série offre un moment d’éloquence parlementaire, lorsque Philippe Rickwaert enfile un bleu de travail pour critiquer le texte d’un gouvernement qu’il est censé soutenir, la réalité parlementaire est déformée pour permettre cette instrumentalisation du Parlement.</p>
<p>En effet, l’article 9 de l’instruction générale du bureau de l’Assemblée nationale impose que la tenue du député doive rester neutre et s’apparenter à une tenue de ville. Il est difficile, par ailleurs, de croire que le groupe majoritaire aurait laissé l’un de ses membres turbulents, qui dirige la fronde contre l’exécutif, <a href="https://u-paris.fr/%C3%A9v%C3%A8nement/baron-noir-la-science-politique-a-lepreuve-de-la-fiction/">poser une question</a> au Gouvernement. Derrière la caricature, on retiendra l’image d’un Parlement instrumentalisé, rarement vu pour lui-même.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/elections-pandemie-populisme-quand-les-series-lancent-lalerte-156396">Élections, pandémie, populisme : quand les séries lancent l’alerte</a>
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<h2>Le Parlement n’est pas un miroir fidèle de la société</h2>
<p>Depuis le 19 juin 2022, notre regard du Parlement aurait pu être attiré par le rajeunissement de l’Assemblée, dont la moyenne d’âge est de 48 ans et demi. Sa féminisation, certes relative : 215 députées en 2022 contre 224 en 2017, mais pour la première fois sous la V<sup>e</sup> République, l’Assemblée est présidée par une femme et les trois principaux groupes parlementaires (LREM, RN et LFI) sont dirigés par des femmes.</p>
<p>Peu d’observateurs ont d’ailleurs relevé que les ouvriers faisaient leur retour à l’Assemblée – certes seulement 0,9 % de l’ensemble des <a href="https://www.bfmtv.com/politique/ouvriers-salaries-pourquoi-la-france-populaire-peine-a-s-implanter-a-l-assemblee-nationale_AN-202206280245.html">577 députés</a> – et qu’y entraient des députées femmes de ménage de profession comme Rachel Kéké ou Lisette Pollet <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1195986/article/2022-06-21/femme-de-menage-chauffeur-ex-boxeur-ces-profils-inhabituels-de-deputes-l">mais aussi des chauffeurs ou anciens boxeurs</a>. Certains pourraient nous reprocher, à travers ce constat, de développer une nouvelle vision partiale de l’Assemblée.</p>
<p>Centrée sur sa composition, elle s’interrogerait non plus sur son rôle mais sur sa représentativité, alors que le Parlement représente les citoyens sans avoir à être le miroir fidèle de la société.</p>
<p>Il nous sera possible de leur répondre que la manière dont le Parlement exerce son rôle est fondamentalement liée à sa composition ; qu’il s’agisse de l’appartenance socioprofessionnelle des députés, de leur appartenance politique, du nombre de groupes qui se sont constitués…</p>
<p>Finalement, nous sommes toujours tributaires de la personne qui nous donne à voir le Parlement, lui-même se mettant peu en lumière. Notre vision de cette institution est ainsi toujours soumise à des filtres dont la multiplication trouble notre rapport à la réalité. Il est permis d’espérer que le récent coup de projecteur porté sur le Parlement lui permette de se présenter lui-même comme le cœur vivant de notre démocratie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186356/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorothée Reignier est maître de conférences à sciences po Lille et est membre du CERAPS, laboratoire de l'université de Lille</span></em></p>Les situations inédites issues des élections législatives et le regain d’intérêt pour le Parlement permettent de se pencher sur la façon dont celui-ci est vu et compris par les citoyens.Dorothée Reignier, Enseignant chercheur, membre du CERAPS, Université de Lille,, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1857912022-07-07T18:11:51Z2022-07-07T18:11:51ZLa nouvelle Assemblée nationale française va-t-elle devenir une caisse de résonance pour les voix pro-russes ?<p>La forte diversité des opinions représentées à la nouvelle Assemblée parlementaire française – et avec elle la multiplicité des partis présents dans l’hémicycle – est un bon signe pour le renouvellement de la démocratie, même si elle comporte également des risques étant donné la présence de forces d’extrême droite.</p>
<p>L’hémicycle va se transformer en champ de bataille sur des enjeux de politique intérieure, principalement les questions sociales liées aux retraites, salaires et pouvoir d’achat.</p>
<p>Mais on ne saurait oublier les questions de politique étrangère : en effet, entre le Rassemblement national (RN) et La France Insoumise (LFI), l’Assemblée pourrait s’ouvrir à des voix bien plus favorables à la Russie que ce que l’Élysée et l’administration macronienne prônent. La décision française de continuer un dialogue <em>a minima</em> avec Moscou est critiquée par certains partenaires européens bien plus virulents dans leur dénonciation de la Russie, comme la <a href="https://www.aa.com.tr/en/politics/nobody-negotiated-with-hitler-poland-rebukes-frances-macron-for-talks-with-putin/2555754">Pologne</a> ou la <a href="https://www.mirror.co.uk/news/politics/liz-truss-warns-west-against-27071437">Grande-Bretagne</a>. Cependant, elle reste modérée et en accord avec le <a href="https://www.lemonde.fr/en/international/article/2022/05/20/the-franco-german-tandem-s-struggle-over-war-in-ukraine-raises-questions-for-eu-foreign-policy_5984115_4.html">consensus ouest-européen global</a> en comparaison de certaines voix qui vont dorénavant émerger de l’hémicycle.</p>
<h2>Une gauche divisée sur la question russe</h2>
<p>À gauche, les opinions sont divisées. La coalition Nupes pourrait rapidement se trouver en difficulté sur son positionnement envers Moscou et la guerre en Ukraine. En effet, les écologistes et les socialistes sont bien plus négatifs sur la Russie que ne l’est LFI et en particulier son leader Jean-Luc Mélenchon. Celui-ci a, à plusieurs reprises, <a href="https://www.marianne.net/politique/jean-luc-melenchon-ce-qu-il-vraiment-dit-sur-la-russie-poutine-et-la-syrie">critiqué</a> la politique de sanctions mise en place depuis 2014 contre la Russie et incriminé l’OTAN, qu’il considère comme l’agresseur dans la guerre russo-ukrainienne actuelle, tout en soutenant l’Ukraine dans son droit à défendre sa souveraineté.</p>
<p>La supposée « russophilie » de certains des dirigeants de LFI est en réalité très circonscrite et ponctuelle : elle est dictée par la volonté de prendre ses distances envers les États-Unis, l’OTAN et le poids des complexes militaro-industriels sur la politique étrangère. Cependant, LFI, y compris son leader, se trouvent en désaccord avec Moscou sur les questions relatives aux valeurs de société : le positionnement de Moscou comme héraut des valeurs conservatrices chrétiennes, sa politisation de l’homophobie et son antimulticulturalisme contredisent directement LFI sur la question du <a href="https://laec.fr/section/5/une-republique-laique?q=la%C3%AFcit%C3%A9">sécularisme</a>, de la défense des <a href="https://laec.fr/section/56/une-nouvelle-etape-des-libertes-et-de-lemancipation-individuelle?q=LGBTI">droits des homosexuels</a> et de la célébration de la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/notre-peuple-s-est-creolise-5-questions-autour-de-ce-concept-repris-par-jean-luc-melenchon-3633660">« créolisation »</a> de la France.</p>
<h2>À droite, une russophilie nuancée par la guerre, mais bien présente</h2>
<p>Chez Les Républicains, les voix pro-russes qui s’étaient fait entendre autour de François Fillon en 2017 se sont mises en sourdine avec la guerre. Vingt-quatre députés LR sur les 62 de leur nouveau groupe sont membres du <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/instances/tableau/OMC_PO733412/2022-06-21">groupe d’amitié France-Russie</a>, dont plusieurs avec des positions plutôt favorables à Moscou. Certains ont par exemple <a href="https://www.europe1.fr/politique/russie-pecresse-devrait-balayer-dans-son-propre-camp-juge-un-depute-allie-de-la-majorite-4096336">participé</a> à des délégations parlementaires en Russie ou en Crimée (Eric Ciotti, Olivier Marleix, <a href="https://www.lepoint.fr/politique/une-elue-les-republicains-du-jura-poursuivie-par-la-justice-ukrainienne-02-10-2015-1970247_20.php">Marie-Christine Dalloz</a>). Si les LR divergent sur la question de leur orientation géopolitique (Eric Ciotti était pour sortir du commandement intégré de l’OTAN, Valérie Pécresse était bien plus atlantiste), ils partagent largement le discours russe sur les <a href="https://www.cnews.fr/france/2021-12-23/presidentielle-2022-valerie-pecresse-defend-les-racines-chretiennes-de-leurope">valeurs chrétiennes</a>.</p>
<p>À l’extrême droite également, les voix prorusses se sont tassées depuis l’invasion de l’Ukraine : le RN a voté les sanctions contre la Russie mais propose de ne pas en ajouter de nouvelles, souhaite limiter le soutien militaire à l’Ukraine, quitter le commandement intégré de l’OTAN, et dès que la paix est possible entre Moscou et Kiev, relancer un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=MX59QEqsVDk">« rapprochement stratégique entre l’OTAN et la Russie »</a>. Les convergences idéologiques et d’intérêts avec Moscou existent toujours et pourraient réapparaître progressivement une fois la vague d’émotions pro-ukrainiennes passée.</p>
<p>En effet, depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, les députés européens RN ont <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/04/20/quels-sont-les-liens-de-marine-le-pen-avec-la-russie-de-vladimir-poutine_6122903_4355770.html">défendu</a> le régime russe en votant presque systématiquement contre les résolutions du Parlement européen condamnant les violations du droit international par Moscou.</p>
<p>Idéologiquement, rien ne vient freiner le soutien à la Russie : l’alliance géopolitique (anti-atlanticisme, critique de l’OTAN) se trouve démultipliée par l’alliance de valeurs (l’héritage chrétien de l’Europe, la défense de la famille hétérosexuelle, une politique antimigratoire, etc.).</p>
<p>À cela s’ajoute des liens personnels d’amitié : la famille Le Pen est très bien <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/pas-de-region-pour-la-famille-le-pen-grande-amie-de-la-russie-de-poutine_3066301.html">connectée</a> à la droite russe depuis les années 1960 et toutes les générations sont concernées, de Jean-Marie à Marion Maréchal via Marine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/entre-le-rassemblement-national-et-la-russie-une-longue-lune-de-miel-181633">Entre le Rassemblement national et la Russie, une longue lune de miel</a>
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<h2>Relations de dépendance</h2>
<p>Il existe également des <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/04/20/quels-sont-les-liens-de-marine-le-pen-avec-la-russie-de-vladimir-poutine_6122903_4355770.html">relations de dépendance</a>, principalement financières : le RN doit encore rembourser le prêt russe pour les élections de 2017, ce qu’il pourra dorénavant faire étant donné les sommes qui vont lui être versés par l’État, proportionnelles à ses résultats. Les contacts d’affaires sont tout aussi importants : de nombreuses figures proches des Le Pen ou membres du RN mènent des <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/largent-russe-du-rassemblement-national">activités commerciales ou de conseil en Russie</a>. Ces liens d’amitiés et d’affaires laissent présager une position politique plus favorable à la Russie, en particulier sur la question sensible de la levée des sanctions.</p>
<p>Certains députés RN comme <a href="https://desk-russie.eu/2021/05/12/voyage-organise-en-crimee.html">Hélène Laporte</a>, la nouvelle vice-présidente de l’Assemblée, <a href="https://desk-russie.eu/2021/10/08/de-faux-observateurs-inernationaux.html">Frédéric Boccaletti</a>, Julie Lechanteux, ou encore <a href="https://www.liberation.fr/politique/thierry-mariani-tres-amical-observateur-des-elections-a-letranger-20210702_TWBQAKXZJVBR5BXOI4UH462BWM/">Bruno Bilde</a>, ont été invités en Russie pour observer des élections ou le référendum de 2020, et plusieurs sont membres des groupes de collaboration France-Russie (Alexandra Masson au Bureau du business club France-Russie, Nicolas Meizonnet au groupe d’amitié France-Russie à l’Assemblée).</p>
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<h2>Quel impact réel sur la prise de décision ?</h2>
<p>Quelles seront les conséquences pour l’Assemblée nationale ? On peut bien évidemment s’attendre à des discours plus nuancés sur la Russie au sein de l’hémicycle dans les mois à venir, d’autant plus que le conflit s’installe dans la durée. Mais quelles répercussions en termes de décision politique ? La politique étrangère reste le domaine réservé du président. Au quotidien, les choix sont faits par les conseillers de l’Élysée, le cabinet du ministre des Affaires étrangères, le Quai d’Orsay.</p>
<p>À défaut d’influencer directement la politique étrangère française au plus haut niveau, certaines des nouvelles voix pro-russes de l’Assemblée vont se recentrer sur les institutions clés que sont la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée et celle de la Défense, les groupes parlementaires et autres structures d’amitié francorusses, et la diplomatie parlementaire.</p>
<p>On risque ainsi de voir émerger des dissonances sur les questions russes entre l’Élysée et le Palais Bourbon, dans un style similaire (avec des rôles renversés) aux <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13569775.2019.1617655">disparités</a> de l’administration américaine et de la Maison Blanche durant la présidence de Donald Trump.</p>
<p>Le nouveau visage de l’Assemblée représente le choix légitime des Françaises et des Français. En outre, la plupart des entreprises du CAC40 souhaite retourner sur le marché russe dès qu’elles auront une meilleure visibilité de la situation politique et du climat d’investissements. La présidence Macron va donc devoir trouver un difficile équilibre entre de multiples voix demandant à revisiter les sanctions contre Moscou et rétablir le dialogue avec le Kremlin et le maintien du cap décidé à l’Élysée et à Bruxelles d’un soutien politique et militaire à Kiev inscrit dans la longue durée.</p>
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<p><em>Périne Schir effectue <a href="http://www.theses.fr/s300079">sa thèse</a> sous la direction d’Emmanuel Faye (Université de Rouen) et Marlene Laruelle (George Washington University).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185791/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’Assemblée nationale pourrait s’ouvrir à des voix bien plus favorables à la Russie que ce que l’Élysée et l’administration macronienne prônent.Marlene Laruelle, Research Professor and Director at the Institute for European, Russian and Eurasian Studies (IERES), George Washington UniversityPérine Schir, Research fellow at the Illiberalism Studies Program, the George Washington University ; PhD student in political philosophy, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1864872022-07-06T18:16:47Z2022-07-06T18:16:47ZPolitique : une histoire de confiance ?<p>Dès le remaniement de son gouvernement effectué, Élisabeth Borne a annoncé qu’elle ne solliciterait pas de l’Assemblée un <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/elisabeth-borne-ne-sollicitera-pas-le-vote-de-confiance-des-parlementaires-annonce">vote de confiance</a>, se contentant de présenter ce mercredi une déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale et le Sénat.</p>
<p>Elle a ainsi fait usage de l’article 50.1 de la Constitution introduit par la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19582-revision-du-23-juillet-2008-un-changement-de-republique">révision constitutionnelle</a> du 23 juillet 2008 et qui permet au Premier ministre de faire une déclaration devant l’une ou l’autre des Assemblées, suivie ou non d’un vote qui ne peut engager sa responsabilité politique. Confrontée à une majorité relative, la Première ministre a donc choisi de s’appuyer sur le <a href="http://juspoliticum.com/article/Vers-la-fin-du-parlementarisme-negatif-a-la-francaise-439.html">parlementarisme négatif</a>, qui caractérise la V<sup>e</sup> République dans lequel la confiance est présumée.</p>
<h2>La confiance, au cœur du régime parlementaire</h2>
<p>Ces deux termes méritent explicitation : la <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/regime-presidentiel/">confiance</a> est LE principe du régime parlementaire. Elle unit les représentés-citoyens aux représentants et notamment les députés. Aussi, lorsque ceux-ci se dotent d’un gouvernement, ils doivent à leur tour l’investir de leur confiance, habituellement en exprimant celle-ci grâce à un vote qui peut prendre la forme d’une investiture (Italie, Portugal, Grèce, République tchèque…) ou d’une élection (Allemagne, Hongrie, Slovénie, Estonie, Finlande…).</p>
<p>Ce qui explique que nos <a href="https://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2020-26-page-5.htm">voisins belges</a> (494 jours après les élections de 2019) ou allemands (172 jours en 2017) doivent au lendemain des élections mener de <a href="https://www.bundesregierung.de/breg-fr/actualites/questions-et-r%C3%A9ponses-concernant-la-formation-d-un-nouveau-gouvernement-319694">longues phases de négociation</a> avant qu’un gouvernement ne puisse se présenter devant les députés. Certains régimes parlementaires se dispensent de cette procédure et fonctionnent sur la confiance présumée comme on le voit par exemple au Danemark, sujet bien présent dans la série <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/RC-021645/borgen-une-femme-au-pouvoir/"><em>Borgen, une femme au pouvoir</em></a>.</p>
<p>Dans ce cas, le Gouvernement bénéficie d’une présomption de confiance : ce n’est plus à lui d’apporter la preuve qu’il jouit bien de la confiance de l’Assemblée. C’est à celle-ci, si elle estime que cette confiance n’existe pas, de démontrer son hostilité.</p>
<p>Aucune disposition de la Constitution de la V<sup>e</sup> République ne rend obligatoire l’investiture du Gouvernement, qui peut donc se contenter d’une confiance présumée. Certes, la rédaction de l’article 49 alinéa 1 est sujette à interprétation :</p>
<blockquote>
<p>« Le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement une déclaration de politique générale ».</p>
</blockquote>
<p>Il est en effet habituel que dans les textes juridiques l’indicatif vaille impératif. Le « engage » pourrait donc avoir un caractère obligatoire. D’ailleurs, <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782226034571-gouverner-memoires-t-3-1958-1962-michel-debre/">Michel Debré</a>, premier Premier ministre de la Cinquième a sollicité la confiance de l’Assemblée nationale le 15 janvier 1959, quand bien même il n’était soutenu que par une majorité relative (le vote lui a tout de même été largement favorable : 453 députés ont voté la confiance et seuls 56 l’ont refusé).</p>
<p>Ce n’est qu’en 1966 que le Gouvernement Pompidou est entré en fonction indépendamment de tout vote de confiance de l’Assemblée (3<sup>e</sup> gouvernement Pompidou nommé le 8 janvier 1966, puis le 4<sup>e</sup> Gouvernement Pompidou entré en fonction le 6 avril 1967. À sa suite, M. Couve de Murville nommé le 10 juillet 1968 ne sollicitera pas non plus la confiance de l’Assemblée). Il s’agissait pour le Premier ministre de démontrer que dorénavant le Président de la République était la <a href="https://www.theses.fr/2011LIL20010">source de l’équilibre institutionnel</a> et que sa confiance, manifestée par les décrets de nomination du Gouvernement et de son chef, était suffisante à légitimer son action.</p>
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<h2>Une obligation relative</h2>
<p>Si à l’époque l’Assemblée nationale avait adopté une motion de censure démontrant au Gouvernement que son interprétation de la Constitution était incorrecte, le droit constitutionnel aurait retenu que la procédure du vote de confiance était obligatoire. En effet, les arguments tirés de l’exégèse du texte, en faveur du caractère facultatif ou obligatoire de la procédure, se neutralisent.</p>
<p>Pour les premiers, l’absence de délai rend l’obligation toute relative, le Premier ministre pouvant repousser l’engagement initial de sa responsabilité tant et si bien qu’il ne l’ait finalement pas engagé avant de quitter ses fonctions. D’autres font remarquer que la Constitution sait utiliser le verbe « devoir » quand elle doit expliciter une obligation. Comme dans l’article 50 qui tire les conséquences d’un vote négatif lors de l’engagement de responsabilité :</p>
<blockquote>
<p>« Le Premier ministre doit remettre au Président de la République la démission de son gouvernement ».</p>
</blockquote>
<p>À quoi il est répondu que la Constitution sait également insister sur le caractère facultatif des procédures, l’article 49 alinéa 3 prévoyant que le Premier ministre « peut… engager » ou l’article 49 alinéa 4 indiquant qu’il « a la faculté de demander au Sénat l’approbation d’une déclaration de politique générale ».</p>
<p>Faute de cela, la recherche de l’expression initiale de la confiance est depuis devenue facultative et c’est à l’opposition de renverser la présomption en adoptant une motion de censure. Toutefois, les procédures ne sont pas équivalentes.</p>
<p>On remarque en effet que l’article 49 alinéa 1 ne fait mention d’aucune majorité nécessaire à accorder où refuser la confiance. Or il ne peut exister en droit de majorité absolue sans texte. La confiance de l’article 49 alinéa 1 est donc accordée ou refusée à la majorité relative : c’est l’option (oui/non) qui a remporté le plus de voix qui remporte le suffrage.</p>
<p>De manière caricaturale, si 100 députés seulement sont présents et que cinquante-et-un votent contre le Gouvernement alors que 50 ont décidé de le soutenir, ce dernier est mis en minorité. La confiance, élément fondamental du régime parlementaire, n’est pas accordée et le Gouvernement doit démissionner.</p>
<h2>La motion de censure en question</h2>
<p>L’encadrement de la motion de censure est moins favorable aux parlementaires puisque pour être adoptée, la censure doit recueillir le soutien de la majorité absolue des membres, soit 289 voix favorables. Dans ce cas, seuls les votes favorables à la motion de censure sont recensés, les abstentions sont ainsi réputées favorables au Gouvernement.</p>
<p>L’adoption d’une motion de censure est donc devenue quasi illusoire, ce qui explique qu’une seule ait été adopté sous la V<sup>e</sup> République, en 1962, lorsque le général de Gaulle opéra un « contournement de la Constitution » afin de permettre l’élection du Président de la République <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours-parlementaires/paul-reynaud-et-georges-pompidou-4-octobre-1962">au suffrage universel direct</a>.</p>
<p>Certes, dans le cadre d’un gouvernement soutenu par une majorité relative, mathématiquement, si toutes les oppositions se coalisent, elles détiennent plus que la majorité absolue des sièges. Toutefois et même dans le contexte actuel où l’Assemblée compte 10 groupes, chacun cherche à défendre son identité et sauf événement imprévu, il semble difficile de croire que l’opposition républicaine joigne ses voix à une motion de censure du Rassemblement national, ou que l’opposition de droite joigne les siennes à une motion de censure de la gauche.</p>
<p>La motion de censure déposée dans la foulée de la déclaration politique de la Première ministre a donc peu de chance de recueillir les 289 voix nécessaires, les quatre groupes de la Nupes ne détenant que 151 sièges, soit bien moins que la majorité absolue exigée par l’article 49 alinéa 2.</p>
<p>Paradoxalement, en cherchant à affirmer son leadership sur l’opposition de gauche, LFI, qui a initié cette motion de censure, joue le jeu du régime parlementaire négatif. Certes, le Gouvernement n’aura pas obtenu expressément la confiance, mais l’Assemblée aura démontré son incapacité à lui exprimer sa défiance. L’échec de la motion de censure va ainsi, quelques jours seulement après le remaniement, légitimer le premier gouvernement minoritaire de la V<sup>e</sup> République depuis 1991.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186487/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorothée Reignier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment l’échec de la motion de censure va quelques jours seulement après le remaniement, légitimer le premier gouvernement minoritaire de la Vᵉ République depuis 1991.Dorothée Reignier, Enseignant chercheur, membre du CERAPS, Université de Lille,, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1861042022-07-03T17:04:06Z2022-07-03T17:04:06ZComment les groupes parlementaires structurent la vie politique française<p>Remous provoqués par la scission de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) en quatre groupes politiques, interrogations autour de l’attribution aux groupes d’opposition de certains postes-clés à l’Assemblée nationale (vice-présidences, questures, présidence de la – très stratégique – commission des finances), réception des présidents des groupes par le président de la République au lendemain des élections, puis par la Première ministre à quelques jours de son discours de politique générale… La situation politique inédite résultant des élections législatives des 12 et 19 juin dernier met en lumière l’importance des groupes parlementaires, structures assez largement méconnues du grand public, ainsi que les enjeux liés à leur formation.</p>
<p>Les groupes parlementaires (également dénommés groupes politiques) sont des formations intérieures des assemblées qui rassemblent des parlementaires par affinités politiques. Prolongement parlementaire d’un parti politique, ces groupes existent dans toutes les démocraties représentatives qui comportent des assemblées délibérantes.</p>
<h2>Des groupes constitués dès la Révolution française</h2>
<p>Si les premiers « regroupements » de parlementaires, qui ne sont pas encore des groupes structurés tels que nous les connaissons aujourd’hui, apparaissent en France dès la Révolution française, la <a href="http://www.parlements.org/parlements/num0_7_LeBeguec.pdf">naissance de formations</a> proches des groupes contemporains (d’abord dans la pratique institutionnelle) <a href="http://juspoliticum.com/article/E-Lemaire-dir-Les-groupes-parlementaires-2019-1371.html">date de la IIIᵉ République</a>.</p>
<p>Depuis, les groupes représentent un rouage central de l’organisation et du fonctionnement du Parlement. Dès le début de la V<sup>e</sup> République, ils sont d’ailleurs présents à l’Assemblée nationale comme au Sénat, le nouveau régime s’inscrivant de ce point de vue-là <a href="https://www.lgdj.fr/les-groupes-parlementaires-en-france-9782275050515.html">dans la continuité des pratiques parlementaires antérieures</a>. Toutefois, la Constitution de 1958 n’en faisait aucune mention avant sa révision de 2008, qui a notamment eu pour objet la <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/13/projets/pl0820.asp">valorisation des groupes minoritaires et d’opposition</a>.</p>
<p>Du Parlement, le grand public connaît principalement la séance publique (ou plénière). La séance publique correspond juridiquement à la formation permettant aux députés et aux sénateurs d’exercer les compétences attribuées au Parlement par la Constitution, à savoir le vote de la loi, le contrôle de l’action gouvernementale et l’évaluation des politiques publiques.</p>
<p>Mais les décisions prises en séance plénière sont préparées en amont, au sein de formations plus restreintes, parmi lesquelles il faut compter les groupes politiques. Ces derniers déterminent aussi, très largement, la composition des principaux organes de l’Assemblée nationale et du Sénat.</p>
<h2>Un double impératif</h2>
<p>L’existence des groupes au sein des assemblées délibérantes obéit en effet à un double impératif : politique d’une part, organisationnel d’autre part. Sur le plan politique, les groupes permettent aux parlementaires qui partagent les mêmes idées et des valeurs communes de discuter, de décider de l’attitude à adopter face à un texte, ou encore de la conduite à tenir par rapport au gouvernement, en amont de la séance publique.</p>
<p>Concernant l’organisation des assemblées, les groupes participent à la composition des principaux organes de l’Assemblée nationale et du Sénat, et parfois même la déterminent. Ainsi de la Conférence des présidents, qui est l’organe compétent pour déterminer l’ordre du jour des assemblées en application de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241057">l’article 48</a> de la Constitution et où désormais, la majorité présidentielle n’étant plus majoritaire (à l’Assemblée), l’inscription de textes d’origine gouvernementale pourrait être, dans l’hypothèse d’une alliance entre les oppositions, en partie entravée… Ainsi également des commissions parlementaires, rouages essentiels du travail parlementaire, où chaque groupe dispose d’un nombre de sièges proportionnel à son effectif, de façon à ce que chaque commission reflète fidèlement la composition politique de la chambre.</p>
<p>Les groupes interviennent également dans le fonctionnement de chaque chambre, tant dans le processus d’élaboration des lois que dans le contrôle du gouvernement (répartition du temps de parole, répartition des questions, etc.). Ils disposent en la matière de prérogatives parfois importantes, comme la possibilité (reconnue aux groupes minoritaires et d’opposition) de fixer prioritairement, en application de l’article 48 de la Constitution précité, l’ordre du jour d’une journée de séance par mois. Les présidents des groupes minoritaires et d’opposition disposent également d’un « droit de tirage » qui leur permet d’obtenir la création d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information une fois par session ordinaire.</p>
<p>On comprend, dans ces circonstances, que les trois formations de l’alliance électorale portée par Jean-Luc Mélenchon (en plus de La France insoumise) aient souhaité ne pas se « fondre » dans un groupe unique : il s’agissait bien entendu de conserver des prérogatives qui, autrement, auraient été dissoutes dans un groupe unique, dans lequel les socialistes, les écologistes et les communistes auraient d’ailleurs été minoritaires.</p>
<h2>Un nombre de groupes fluctuant</h2>
<p>Le nombre de groupes, parfois très important sous les III<sup>e</sup> et IV<sup>e</sup> Républiques (il y avait ainsi <a href="https://www.france-politique.fr/assemblee-nationale-1936.htm">16 groupes</a> à la Chambre des députés en 1936), a été progressivement réduit par l’augmentation du nombre de parlementaires nécessaires pour créer un groupe, afin d’éviter la dispersion entre une multitude de formations, qui risquait d’entraver le bon fonctionnement des chambres. Cette tendance, stable jusqu’en 1959 (il fallait alors 30 députés pour constituer un groupe à l’Assemblée nationale), a été depuis remise en cause, <a href="https://blog.juspoliticum.com/2020/06/05/un-dixieme-groupe-a-lassemblee-risque-dembolie-pour-la-democratie-parlementaire-par-jean-felix-de-bujadoux-alexis-fourmont-et-benjamin-morel/">au gré des conjonctures politiques</a>.</p>
<p>Le règlement de l’Assemblée nationale prévoit aujourd’hui un minimum de 15 députés pour former un groupe (et celui du Sénat un minimum de 10 sénateurs). Reflétant pour partie la recomposition politique majeure intervenue après l’élection de M. Macron à la présidence de la République en 2017, la XV<sup>e</sup> législature avait connu un <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/decouvrir-l-assemblee/effectifs-des-groupes-a-l-assemblee-nationale-depuis-1958">nombre record</a> (sous la V<sup>e</sup> République) de dix groupes.</p>
<p>La XVI<sup>e</sup> législature reflète, dès son ouverture, la situation inédite issue des élections législatives des 12 et 19 juin 2022 : <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/les-groupes-politiques">dix groupes</a> la composent déjà, et un onzième est annoncé pour l’automne. Le fonctionnement de l’Assemblée ayant été conçu, à l’origine, pour être optimal avec six groupes, la question se pose désormais sérieusement d’un risque de congestion à la chambre basse.</p>
<p>Parmi ces dix groupes, sept se sont <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045973971">déclarés</a> comme des groupes d’opposition. Le groupe « présidentiel » (Renaissance) comporte 172 membres ; en comptant les deux autres groupes issus de l’alliance électorale Ensemble ! – Horizons (30) et Démocrate (48) –, le président de la République ne pourra compter que sur une majorité relative de 250 députés (la majorité absolue étant à 289) pour mettre en musique son programme. Cette configuration institutionnelle est totalement inédite, dans la mesure où, hors les hypothèses de cohabitation et la majorité relative de la IX<sup>e</sup> législature (275 députés socialistes en début de législature), la V<sup>e</sup> République n’avait connu depuis 1962 que le « fait majoritaire », c’est-à-dire une situation dans laquelle une majorité compacte et disciplinée soutient de façon pratiquement inconditionnelle la politique présidentielle conduite par le gouvernement.</p>
<h2>Un renouveau du Parlement ?</h2>
<p>Sans pouvoir préjuger de l’avenir et à condition de se montrer raisonnablement optimiste quant à l’attitude des groupes d’opposition – qui se savent menacés par la dissolution dans l’hypothèse d’un blocage institutionnel –, il est possible de considérer, à rebours des projections alarmistes esquissées <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/15/l-hypothese-de-la-majorite-relative-impense-du-second-quinquennat-d-emmanuel-macron_6130430_823448.html">depuis 15 jours</a>, que cette situation institutionnelle nouvelle ne présente pas que des inconvénients.</p>
<p>Elle pourrait en effet conduire à un <a href="https://blog.juspoliticum.com/2022/06/24/ni-fait-majoritaire-ni-cohabitation-la-cinquieme-republique-dans-le-monde-dapres-par-denis-baranger/">renouveau du Parlement</a>, rouage fondamental de notre démocratie représentative. Affaibli par une victoire électorale en demi-teinte face à l’extrême droite et par le revers subi aux élections législatives, contraint de composer avec un Sénat dont la majorité lui est opposée, le président de la République n’est pas assuré de pouvoir faire adopter ses réformes. Même les députés de « sa » majorité (relative), désormais plus expérimentés et surtout moins redevables de leur élection au président de la République qu’il y a cinq ans, pourraient se montrer moins dociles. En un mot, pour « gouverner », Emmanuel Macron devra faire sienne la culture de la discussion et du compromis.</p>
<p>Longtemps tentée au forceps des révisions constitutionnelles successives (avec un succès très relatif), la revalorisation de l’institution parlementaire résultera peut-être, et plus simplement, de la configuration politique inédite de l’été 2022.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186104/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elina Lemaire est vice-présidente de l'Observatoire de l'éthique publique.</span></em></p>La situation politique inédite met en lumière l’importance des groupes parlementaires et leurs enjeux.Elina Lemaire, Maître de conférences, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1858792022-06-29T22:51:14Z2022-06-29T22:51:14ZRéforme des retraites : de l’impossible compromis au 49.3<p>Après des semaines de débats à l'Assemblée nationale, au Sénat et une mobilisation massive des syndicats, la première ministre Elisabeth Borne a finalement engagé la responsabilité du gouvernement et eu recours à l'article 49.3 pour faire passer la tant décriée réforme des retraites. </p>
<p>Ce nouvel usage du désormais célèbre article de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527529/1999-07-09">la Constitution</a> a entraîné de nombreuses réactions des syndicats qui ont assuré qu'ils allaient poursuivre le mouvement de contestation, dénonçant pour certains un «déni de démocratie ». </p>
<p>Cet épilogue est aussi symptomatique de la difficile entente entre l'exécutif et le parlement depuis l'issue des élections législatives des 12 et 19 juin 2022. Au moment des comptes, les députés soutenant l’action du président de la République ne sont alors que 248 à l’Assemblée nationale, élus sous les étiquettes LREM, Modem et Horizons. Ils n’ont donc pas la majorité absolue, celle-ci étant de 289 sièges. Cette Assemblée élue au scrutin majoritaire à deux tours a des allures d’assemblée élue à la proportionnelle.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1636372971018133504"}"></div></p>
<p>La situation politique est donc assez exceptionnelle : jusque-là, dans l’histoire de la V<sup>e</sup> République, une majorité nette se dégageait toujours à l’issue des élections législatives, soit qu’elle était favorable au président de la République, soit qu’elle ouvrait la voie à une cohabitation (1986, 1993, 1997), marginalisant certes temporairement le président, mais n’empêchant pas l’adoption des textes à l’Assemblée.</p>
<p>Le débat sur la réforme des retraites a de surcroît démontré les divisions à droite sur le texte, qui a forcé le recours au 49.3. </p>
<h2>Deux précédents ?</h2>
<p>Deux précédents sont souvent invoqués comme étant proches de la situation actuelle : celui de 1958 et celui de 1988. En 1958, à l’issue des élections législatives qui précèdent l’élection de Charles de Gaulle à la présidence de la République par le collège des grands électeurs, la nouvelle formation gaulliste, l’Union pour la nouvelle République (UNR), n’a pas la majorité absolue, avec un peu moins de 200 députés sur 465 (en métropole).</p>
<p>En 1988, après la <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/139367-declaration-televisee-de-m-francois-mitterrand-president-de-la-republi">dissolution prononcée par François Mitterrand</a>, qui avait déclaré lors de sa traditionnelle ascension de la roche de Solutré : « Il n’est pas sain qu’un seul parti gouverne… Il faut que d’autres familles d’esprit prennent part au gouvernement de la France », le groupe socialiste n’atteint pas le seuil des 289 élus. Mais ces deux situations sont en fait très différentes.</p>
<p>Alors qu’en 2022 les députés d’opposition manifestent, quelle que soit leur étiquette, un anti-macronisme exacerbé, les élections législatives de 1958 avaient été, au contraire, marquées par le « gaullisme universel ». Des députés se disaient gaullistes, même élus <a href="https://books.google.fr/books/about/Histoire_du_gaullisme.html?id=kA6HQgAACAAJ&redir_esc=y">sous une autre étiquette</a>.</p>
<p>Le premier président de la V<sup>e</sup> République n’eut donc pas de mal à trouver une majorité, d’abord grâce au soutien de la droite indépendante puis, alors qu’évolue sa <a href="https://www.cairn.info/la-politique-etrangere-du-general-de-gaulle--9782130389200-page-148.htm">politique algérienne</a>, grâce à des voix venues de la gauche. Le 2 février 1960, après la semaine des barricades, les députés de gauche (sauf les communistes) s’associent à l’UNR, au Mouvement républicain populaire (centriste, démocrate-chrétien) et à une partie des indépendants pour voter au gouvernement les pouvoirs spéciaux qu’il demande, tandis que 75 élus de droite et d’extrême droite votent contre.</p>
<p>En 1988, il ne manque que 14 voix <a href="https://www.cairn.info/michel-rocard-premier-ministre--9782724625608-page-71.htm">au gouvernement de Michel Rocard</a> pour faire voter ses textes, et non 40. Avec les 25 députés communistes, la gauche est majoritaire à l’Assemblée, même si Michel Rocard est loin d’être assuré de leur soutien. L’opposition RPR (Rassemblement pour la République)-UDF (Union pour la démocratie française)-UDC (Union du Centre) compte 262 députés, dont 40 centristes parmi lesquels le Premier ministre peut espérer trouver des appuis selon les textes présentés.</p>
<p>Quant aux 15 non-inscrits, dont 6 élus d’outre-mer, leurs votes sont imprévisibles. Guy Carcassonne, agrégé de droit public et membre du cabinet du Premier ministre, joue un rôle essentiel dans la négociation permanente entre le gouvernement et le Parlement, sans qu’un contrat de gouvernement explicite ne soit conclu. Son travail consiste à s’assurer, texte après texte, que le gouvernement disposera d’une majorité, tantôt grâce au vote ou à l’abstention communiste, tantôt grâce aux voix ou au refus d’obstruction de centristes ou non-inscrits. Guy Carcassonne invente le vocable de « majorité stéréo ».</p>
<h2>L’article 49.3</h2>
<p>Ces deux gouvernements avaient la possibilité d’utiliser sans limitation l’article 49.3 de la Constitution, ainsi initialement rédigé :</p>
<blockquote>
<p>« Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un texte. Dans ce cas, ce texte est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée. »</p>
</blockquote>
<p>Les anciens présidents du conseil Pierre Pflimlin et Guy Mollet, bons connaisseurs de l’instabilité ministérielle de la IV<sup>e</sup> République, avaient poussé en ce sens. Charles de Gaulle et Michel Debré en firent usage en novembre 1959 puis durant l’hiver 1960 à propos de la loi instituant la <a href="https://archives.assemblee-nationale.fr/1/cri/1960-1961-ordinaire1/006.pdf">force de dissuasion nucléaire</a>. Michel Rocard l’utilisa à vingt-huit reprises.</p>
<p>Mais, désormais, la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2016-3-page-e1.htms">révision constitutionnelle de juillet 2008</a> en limite l’usage à <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/politique/jean-jacques-urvoas-la-ve-republique-n-est-pas-morte-20220624">cinq fois</a> par an :</p>
<blockquote>
<p>« Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »</p>
</blockquote>
<h2>L’appel au « compromis » : des précédents historiques ?</h2>
<p>L’obtention d’une majorité permettant de voter les textes proposés par le gouvernement semble donc délicate. Pour sortir de cette situation, depuis le 19 juin 2022, se multiplient les appels au « compromis ». Ce « compromis » exclurait les extrêmes, comme l’a montré une déclaration du président de la République le 25 juin <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/remaniement/emmanuel-macron-conforte-elisabeth-borne-et-la-charge-de-former-un-nouveau-gouvernement_5221861.html">envisageant un gouvernement allant des communistes aux « Républicains » de LR</a>, sans les élus de LFI et du Rassemblement national.</p>
<p>Les références historiques existent. <a href="https://books.google.fr/books/about/La_troisi%C3%A8me_R%C3%A9publique.html?id=1DKgAAAAMAAJ&redir_esc=y">Sous la IIIᵉ République</a>, après « l’Union sacrée » en 1914 (où les socialistes, suivis des catholiques étaient entrés au gouvernement Painlevé), les gouvernements Poincaré, en 1926, et Doumergue, en 1934, apparaissent comme des gouvernements de compromis, plus que d’Union nationale, puisque les marxistes (socialistes et communistes) en sont exclus.</p>
<p>Le Gouvernement provisoire de la République (1944-1946) réunit communistes, socialistes, radicaux, MRP, excluant les formations de droite trop marquées par Vichy. Le dernier gouvernement de la IV<sup>e</sup> République, présidé par Charles de Gaulle, rassemble des ministres issus des différents partis politiques, à l’exclusion des extrêmes, poujadistes et communistes.</p>
<p>Mais ces gouvernements de compromis n’ont pu être fondés que dans des circonstances exceptionnelles : l’entrée dans la Première Guerre mondiale ; la panique financière de 1926 après <a href="https://www.lhistoire.fr/cartel-des-gauches-les-le%C3%A7ons-dun-%C3%A9chec">l’échec du Cartel des gauches</a> ; les <a href="https://www.parislibrairies.fr/livre/9782070293193-le-6-fevrier-1934-serge-berstein/">manifestations du 6 février 1934</a> perçues comme une tentative de coup de force contre le régime ; la fin de la Seconde Guerre mondiale, la chute du régime de Vichy et la nécessaire reconstruction de la France ; la crise algérienne et l’impuissance de la IV<sup>e</sup> République à la résoudre.</p>
<p>En dépit des difficultés que connaît la France actuellement, la situation est-elle comparable à ces crises ?</p>
<h2>Une culture politique de l’affrontement</h2>
<p>Rappelons que les compromis d’alors ont été de courte durée. En 1917, le parti socialiste abandonne l’Union sacrée. En 1928, le parti radical, après avoir exclu de ses rangs <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche/(num_dept)/3134">Franklin-Bouillon</a> et ses partisans qui souhaitaient faire de « l’unionisme » une formule permanente, rompt « l’Union nationale » au congrès d’Angers.</p>
<p>De nouveau, en janvier 1936, les radicaux mettent fin à l’expérience initiée en 1934 pour se reclasser à gauche avec le « Front populaire ». De Gaulle démissionne de la présidence du GPRF en 1946 et les socialistes quittent le gouvernement fin 1958 après la mise en place de la V<sup>e</sup> République ; après la résolution de la crise algérienne, ils se retrouveront même dans le « Cartel des non » hostile à de Gaulle.</p>
<p>C’est que le compromis semble étranger à une certaine culture politique française. Celle-ci valorise la confrontation, l’affrontement. Pour être élu au scrutin majoritaire à deux tours, le plus usité sous les III<sup>e</sup> et V<sup>e</sup> Républiques, il faut « battre » ses adversaires. Le débat parlementaire porte par définition en <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2010-2-page-18.htm.">lui-même une part de violence</a></p>
<p>Et il n’est pas si éloigné le temps où, dans la rue, « gaullistes d’ordre » ou membres d’Occident se confrontaient aux « gauchistes ». Un compromis politique durable, découlant d’une situation ne s’apparentant pas à une crise aiguë, marquerait incontestablement une nouveauté dans l’histoire politique française contemporaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185879/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Nivet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le compromis n'aura pas eu lieu et le gouvernement a finalement choisi de recourir à l'article 49.3 pour faire éviter un vote sur la réforme des retraites.Philippe Nivet, Historien, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.