tag:theconversation.com,2011:/us/topics/balkans-78452/articlesBalkans – The Conversation2024-03-17T15:33:22Ztag:theconversation.com,2011:article/2207422024-03-17T15:33:22Z2024-03-17T15:33:22Z« L’envers des mots » : Urbicide<p><a href="https://fr.euronews.com/2015/02/11/la-nuit-ou-dresde-fut-reduite-en-cendres">Dresde</a> et <a href="https://encyclopedia.ushmm.org/content/en/gallery/bombing-of-warsaw">Varsovie</a> pendant la Seconde Guerre mondiale ou, plus récemment, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat/guerre-en-ukraine-les-villes-meurent-elles-aussi-1787296">Marioupol</a> en Ukraine sont autant d’exemples de villes entièrement détruites lors d’un conflit armé contemporain. Nœud logistique, centre industriel et cœur du pouvoir politique, la ville est toujours un objectif militaire, théâtre et enjeu des combats.</p>
<p>Si la destruction de la ville répond à des raisons stratégiques, et ce, depuis longtemps, son anéantissement pour des raisons symboliques est devenu un véritable objet d’étude depuis la diffusion par <a href="https://geographie-ville-en-guerre.blogspot.com/2008/10/la-notion-durbicide-dimensions.html">Benedicte Tratnjek</a> de la notion d’urbicide. Pour cette géographe spécialiste de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie et de Sarajevo, <a href="https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/urbicide">l’urbicide</a> renvoie à la « destruction rituelle » de la ville en tant que mode de vie pour des raisons souvent identitaires.</p>
<p>Composé de la racine latine <em>urbs</em> (la ville) et du suffixe <em>cide</em> (tuer), l’urbicide ne désigne pas la seule destruction matérielle d’une ville au cours d’un conflit mais aussi le meurtre de ce que les géographes appellent <a href="https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/urbanite">l’urbanité</a>, c’est-à-dire l’essence de l’urbain. Cette essence se définit souvent, sous la plume des géographes, par la densité (la ville est le lieu des fortes concentrations humaines) et le cosmopolitisme (la ville est le lieu où des populations aux identités plurielles se rencontrent).</p>
<p>En conséquence, mettre à bas l’urbanité revient à s’attaquer méthodiquement à ce qui permet ou symbolise le vivre-ensemble propre à l’environnement urbain. C’est dans cette optique que Tratnjek analyse la <a href="https://hal.science/medihal-00705117/">destruction de la bibliothèque de Sarajevo</a> lors du siège mené par les Serbes de 1992 à 1995. Fréquenté par toutes les communautés de la ville, ce bâtiment abritait des ouvrages provenant de toutes les populations des Balkans et symbolisait un passé commun à tous les Sarajéviens.</p>
<p>Dès lors, l’urbicide revient souvent à priver une ville de son identité de façon à anéantir tout trait d’union, tout sentiment d’appartenance commune aux populations diverses qui la composent.</p>
<p>L’urbicide est alors intimement lié à la destruction du patrimoine puisqu’il consiste souvent à « faire table rase du passé » comme le montrent les <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/carte-a-la-une/carte-a-la-une-ingiusto">destructions perpétrées par Daech à Mossoul en 2015</a>. La destruction des <a href="https://www.lemonde.fr/djihad-online/article/2016/05/16/en-irak-l-etat-islamique-revendique-la-destruction-d-une-partie-des-ruines-antiques-de-ninive_4920404_4864102.html">ruines de Ninive</a> et des églises chrétiennes syriaques vise à faire disparaître les traces de l’histoire pré-islamique de la ville ainsi que son passé cosmopolite pour lui substituer une identité nouvelle fondée sur un sunnisme rigoriste.</p>
<p>Dès lors, « la mise à mort » de l’identité d’une ville, de son histoire, s’intègre souvent à des politiques d’épuration ethnique ou religieuse comme <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/carte-a-la-une/carte-a-la-une-ingiusto">celles menées par Daech envers les chrétiens ou les chiites à Mossoul</a> ou <a href="https://www.persee.fr/doc/bagf_0004-5322_2006_num_83_4_2526">par les Serbes envers les musulmans en Bosnie</a>.</p>
<p>C’est pourquoi l’urbicide est souvent justifié par un discours, une <a href="https://shs.hal.science/halshs-00702685/">idéologie urbanophobe</a> qui condamne la ville en tant que telle. Assimilée au cosmopolitisme, aux identités plurielles et mouvantes, la ville se voit condamnée par tous les totalitarismes et les acteurs soucieux de diviser les territoires, de les délimiter autour d’identités qu’ils veulent pures et éternelles.</p>
<p>Dès lors, l’urbicide constitue bien un terme dont l’utilisation se diffuse de plus en plus dans les champs médiatique et politique. Il permet d’analyser les nouvelles modalités de nettoyage ethnique employées dans les régimes autoritaires. Ces États, à l’image de la Russie à Marioupol ou de la Turquie à <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/gosse-diyarbakir">Diyarbakir</a> (Kurdistan), entendent parfois effacer ainsi l’identité des peuples, des lieux et des villes qu’ils habitent afin d’annexer ou d’accroître leur contrôle sur un territoire.</p>
<p>Ensuite, le concept d’urbicide a une forte <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/lurbicide-en-ukraine-un-crime-contre-lhumanite-20220425_WOZ5QSAVB5GTFJSTR2VSW4MUSY/">résonance médiatique</a> : il permet de mobiliser, d’attirer l’attention de la communauté internationale sur des drames qui, faute de mots pour les caractériser, pourraient sombrer dans l’oubli.</p>
<hr>
<p><em>Cet article s’intègre dans la série <strong><a href="https://theconversation.com/fr/topics/lenvers-des-mots-127848">« L’envers des mots »</a></strong>, consacrée à la façon dont notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte à mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ?</em></p>
<p><em>De <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-validisme-191134">« validisme »</a> à <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-silencier-197959">« silencier »</a>, de <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-bifurquer-191438">« bifurquer »</a> à <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-degenrer-191115">« dégenrer »</a>, nos chercheurs s’arrêtent sur ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public. À découvrir aussi dans cette série :</em></p>
<ul>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-technoference-199446"><em>« L’envers des mots » : Technoférence</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-ecocide-200604"><em>« L’envers des mots » : Écocide</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-neuromorphique-195152"><em>« L’envers des mots » : Neuromorphique</em></a></p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/220742/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Firode ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La notion d’urbicide ne désigne pas seulement la destruction matérielle d’une ville au cours d’un conflit mais aussi le « vivre-ensemble » qu’elle représente.Pierre Firode, Professeur agrégé de Géographie, membre du laboratoire Médiations, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2068172023-06-01T16:18:02Z2023-06-01T16:18:02ZKosovo : comprendre le récent déchaînement de violence<p>La recrudescence des affrontements violents <a href="https://www.lemonde.fr/videos/video/2023/05/30/kosovo-des-violences-inedites-contre-les-forces-de-l-otan_6175453_1669088.html">dans le nord du Kosovo</a> nous rappelle que certaines zones des Balkans occidentaux ont encore un long chemin à parcourir pour se remettre des guerres des années 1990 qui ont déchiré l’ex-Yougoslavie. Malgré des décennies d’efforts de stabilisation, la région reste embourbée dans de multiples <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/17502977.2023.2182994">conflits interconnectés</a> que les politiciens locaux manipulent et exploitent à leurs propres fins.</p>
<p>La <a href="https://www.rferl.org/a/nato-kosovo-tensions-police-clash-serb-majority-north/32430434.html">dernière montée des tensions en date</a> s’est produite lorsque des maires albanais récemment élus ont voulu prendre leurs fonctions dans trois villes à majorité serbe du nord du Kosovo : Zvecan, Leposavic et Zubin Potok. Dans chacune de ces trois villes, des habitants serbes se sont rassemblés pour empêcher les nouveaux élus d’accéder aux bâtiments municipaux, et de nombreux policiers kosovars et ont été envoyés sur place pour disperser les manifestants. Les affrontements ont provoqué de nombreux blessés, dont une <a href="https://www.courrierinternational.com/article/balkans-au-kosovo-une-trentaine-de-soldats-de-l-otan-blesses-dans-une-nouvelle-flambee-de-tensions">trentaine de soldats de la force de maintien de la paix de l’OTAN</a>.</p>
<p>Cet épisode s’inscrit dans une série de développements inquiétants dans les relations entre Albanais et Serbes au Kosovo, et entre le Kosovo et la Serbie. En novembre dernier, les maires de quatre villes kosovares à majorité serbe ont <a href="https://www.lindependant.fr/2022/12/27/des-barricades-a-mitrovica-pourquoi-les-tensions-ressurgissent-entre-la-serbie-et-le-kosovo-10891644.php">démissionné</a>. Leur exemple a rapidement été suivi par de nombreux autres Serbes – conseillers municipaux, députés au parlement du Kosovo, représentants du système judiciaire et de la police du Kosovo.</p>
<p>Cette démission massive, coordonnée par la Liste serbe, le parti politique ethnique serbe le plus influent du Kosovo, a conduit au renforcement des <a href="https://www.evropaelire.org/a/institucionet-paralele-te-serbise-qe-pritet-ti-menaxhoje-asociaiconi/32331435.html">structures administratives serbes parallèles</a>, qui sont <a href="https://balkaninsight.com/2022/11/07/kosovo-serbs-continue-mass-resignations-from-state-institutions/">financées par Belgrade</a>.</p>
<p>En démissionnant collectivement des structures kosovares, les Serbes cherchaient à exprimer leur protestation contre une initiative des autorités kosovares visant à contraindre les automobilistes serbes à <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/kosovo/kosovo-comment-des-plaques-d-immatriculation-ont-attise-les-tensions-avec-la-serbie-3c4cdb74-85cb-11ed-98b9-32dde9f7da8f">adopter des plaques d’immatriculation officielles du Kosovo</a>. Surtout, les Serbes étaient mécontents des retards interminables dans la mise en place d’accords d’autonomie pour leurs municipalités, accords convenus lors du <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/belgrade-pristina-dialogue_en">dialogue Belgrade-Pristina conduit sous la médiation de l’UE</a> en 2013 et reconfirmés en 2015.</p>
<p>Après <a href="https://balkaninsight.com/2022/12/08/eu-us-civil-society-query-conditions-for-north-kosovo-elections/">avoir été repoussées à plusieurs reprises</a>, de nouvelles élections locales <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/Nord-du-Kosovo-les-municipales-de-la-de-normalisation">ont finalement eu lieu le 23 avril dernier</a>. Le scrutin a toutefois été boycotté par les Serbes. Conséquence : dans les quatre municipalités kosovares à majorité serbe, le <a href="https://prishtinainsight.com/preliminary-results-vetevendosje-and-pdk-candidates-win-snap-elections-in-northern-municipalities/">taux de participation moyen</a> a été inférieur à 3,5 %.</p>
<h2>Les réactions de l’Occident</h2>
<p>La légitimité démocratique des maires nouvellement élus étant plus que discutable du fait du caractère écrasant de l’abstention, l’UE a publié une déclaration ferme immédiatement après les élections. Le texte <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/kosovo-statement-spokesperson-elections-north_en">souligne</a> que le scrutin « n’offre pas de solution politique à long terme » pour les quatre municipalités.</p>
<p>Tout au long des quatre semaines suivantes, les diplomates occidentaux ont cherché, sans grand succès, à éviter une nouvelle escalade. Ils ont finalement exprimé leur frustration le 26 mai dans une <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/kosovo/evenements/article/declaration-conjointe-de-la-france-de-l-allemagne-de-l-italie-du-royaume-uni-et">déclaration commune</a> de ce que l’on appelle le Quint, un groupe rassemblant les États-Unis, la France, l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni.</p>
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<p>La déclaration condamne « la décision du Kosovo de forcer l’accès aux bâtiments municipaux dans le nord du Kosovo malgré nos appels à la retenue ». Elle appelle également « les autorités kosovares à revenir immédiatement sur leur décision, à calmer la situation et à se coordonner étroitement avec EULEX et la KFOR la [mission civile de l’UE visant à soutenir l’État de droit et la force de maintien de la paix de l’OTAN au Kosovo] ». La responsabilité de l’escalade de la violence est donc très clairement imputée aux autorités kosovares.</p>
<p>Signe de la gravité de la situation, l’OTAN a décidé de déployer 700 soldats supplémentaires au Kosovo, renforçant ainsi la force actuelle de la KFOR, qui compte 3 700 soldats.</p>
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<p>Plus important encore peut-être : les États-Unis, traditionnellement le plus important allié occidental de Pristina, ont annulé la participation du Kosovo aux exercices militaires conjoints <a href="https://www.europeafrica.army.mil/DefenderEurope/">Defender Europe 23</a>. L’ambassadeur américain à Pristina, Jeff Hovenier, a condamné <a href="https://xk.usembassy.gov/press_roundtable/">sans équivoque</a> le manque de réactivité du premier ministre du Kosovo, Albin Kurti, pour désamorcer la crise dans le nord. Il n’a laissé planer aucun doute sur le fait que les États-Unis étaient à bout de patience à l’égard du gouvernement du Kosovo et envisageaient de prendre de nouvelles mesures punitives.</p>
<h2>Des divisions profondément enracinées</h2>
<p>Le <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2006-1-page-145.htm">statut du Kosovo</a>, autrefois province autonome au sein de la république serbe de l’ancienne fédération socialiste de Yougoslavie, fait depuis de longues années l’objet d’âpres débats, et la crise actuelle s’inscrit dans ce différend interminable. Le conflit entre Serbes et Albanais remonte à plusieurs décennies et s’appuie sur la mémoire sélective qu’entretiennent les deux parties de la confrontation supposément séculaire qui les met aux prises.</p>
<p>La confrontation a atteint un point de bascule à la fin des années 1990, ce qui a nécessité <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_49602.htm">l’intervention de l’OTAN en 1999</a> et a finalement conduit à la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/kos2008.htm">déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo en 2008</a>. Cette indépendance est aujourd’hui reconnue par une centaine de pays dans le monde, mais la Serbie, la Chine et la Russie, entre autres, s’y opposent toujours. En outre, le Kosovo <a href="https://information.tv5monde.com/international/quels-pays-ont-reconnu-le-kosovo-21169">n’est pas reconnu</a> par cinq États membres de l’UE, dont quatre sont membres de l’OTAN.</p>
<p>Depuis plus de dix ans, le dialogue entre Pristina et Belgrade sous la férule de l’Union européenne tente de résoudre ce conflit en incitant les parties à faire des concessions et des compromis. Deux points d’achoppement majeurs subsistent : il faudrait que la Serbie cesse de bloquer l’adhésion du Kosovo aux organisations internationales et que le Kosovo accepte l’autonomie locale pour les Serbes ethniques dans les régions kosovares où ils constituent la majorité de la population. Une <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/belgrade-pristina-dialogue-eu-proposal-agreement-path-normalisation-between-kosovo-and-serbia_en">proposition</a> a été faite par l’UE à la fin du mois de février pour résoudre ces deux questions, mais elle reste contestée par les deux parties.</p>
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<p>Les efforts entrepris par l’UE semblent dans l’impasse, comme l’illustre le fait que le gouvernement du Kosovo n’a pas progressé dans la mise en œuvre des accords portant sur l’autonomie locale des Serbes ethniques. Pour ne rien arranger, il a également semblé chercher à réduire le peu d’autonomie qui existait en tentant d’imposer les maires nouvellement élus, dont la légitimité démocratique est très discutable.</p>
<p>Pour autant, il serait erroné d’affirmer que les structures alternatives mises en place par les Serbes dans le nord du Kosovo contribueraient à la stabilisation. Au contraire, même. Bien sûr, la situation actuelle exige des mesures de désescalade de la part des autorités du Kosovo. Mais les problèmes sous-jacents plus profonds dans les relations entre Pristina et Belgrade nécessitent une solution plus globale et inclusive qui reflèterait les intérêts du Kosovo, de la Serbie et des Serbes du Kosovo.</p>
<p>Comme l’a souligné avec émotion le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères, <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/kosovo-statement%C2%A0-high-representative-josep-borrell-ongoing-confrontations%C2%A0_en">Josep Borrell</a>, le 30 mai :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a eu assez de violence, il y a eu trop de violence. Il y a déjà trop de violence en Europe aujourd’hui. Nous ne pouvons pas nous permettre un autre conflit. »</p>
</blockquote>
<p>Mais de tels appels à la raison ne risquent pas d’impressionner les politiciens de cette partie des Balkans occidentaux, qui semblent entièrement focalisés sur la défense de leurs intérêts personnels et court-termistes. Il n’est donc pas certain que les Occidentaux puissent exercer l’influence nécessaire non seulement pour contenir la violence actuelle, mais aussi pour ouvrir la voie à un avenir stable pour la population du Kosovo.</p>
<p>La recrudescence des affrontements violents <a href="https://www.lemonde.fr/videos/video/2023/05/30/kosovo-des-violences-inedites-contre-les-forces-de-l-otan_6175453_1669088.html">dans le nord du Kosovo</a> nous rappelle que certaines zones des Balkans occidentaux ont encore un long chemin à parcourir pour se remettre des guerres des années 1990 qui ont déchiré l’ex-Yougoslavie. Malgré des décennies d’efforts de stabilisation, la région reste embourbée dans de multiples <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/17502977.2023.2182994">conflits interconnectés</a> que les politiciens locaux manipulent et exploitent à leurs propres fins.</p>
<p>La <a href="https://www.rferl.org/a/nato-kosovo-tensions-police-clash-serb-majority-north/32430434.html">dernière montée des tensions en date</a> s’est produite lorsque des maires albanais récemment élus ont voulu prendre leurs fonctions dans trois villes à majorité serbe du nord du Kosovo : Zvecan, Leposavic et Zubin Potok. Dans chacune de ces trois villes, des habitants serbes se sont rassemblés pour empêcher les nouveaux élus d’accéder aux bâtiments municipaux, et de nombreux policiers ont été envoyés sur place pour disperser les manifestants.</p>
<p>Cet épisode s’inscrit dans une série de développements inquiétants dans les relations entre Albanais et Serbes au Kosovo, et entre le Kosovo et la Serbie. En novembre dernier, les maires de quatre villes kosovares à majorité serbe ont <a href="https://www.lindependant.fr/2022/12/27/des-barricades-a-mitrovica-pourquoi-les-tensions-ressurgissent-entre-la-serbie-et-le-kosovo-10891644.php">démissionné</a>. Leur exemple a rapidement été suivi par de nombreux autres Serbes – conseillers municipaux, députés au parlement du Kosovo, représentants du système judiciaire et de la police du Kosovo.</p>
<p>Cette démission massive, coordonnée par la Liste serbe, le parti politique ethnique serbe le plus influent du Kosovo, a conduit au renforcement des <a href="https://www.evropaelire.org/a/institucionet-paralele-te-serbise-qe-pritet-ti-menaxhoje-asociaiconi/32331435.html">structures administratives serbes parallèles</a>, qui sont <a href="https://balkaninsight.com/2022/11/07/kosovo-serbs-continue-mass-resignations-from-state-institutions/">financées par Belgrade</a>.</p>
<p>En démissionnant collectivement des structures kosovares, les Serbes cherchaient à exprimer leur protestation contre une initiative des autorités kosovares visant à contraindre les automobilistes serbes à <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/kosovo/kosovo-comment-des-plaques-d-immatriculation-ont-attise-les-tensions-avec-la-serbie-3c4cdb74-85cb-11ed-98b9-32dde9f7da8f">adopter des plaques d’immatriculation officielles du Kosovo</a>. Surtout, les Serbes étaient mécontents des retards interminables dans la mise en place d’accords d’autonomie pour leurs municipalités, accords convenus lors du <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/belgrade-pristina-dialogue_en">dialogue Belgrade-Pristina conduit sous la médiation de l’UE</a> en 2013 et reconfirmés en 2015.</p>
<p>Après <a href="https://balkaninsight.com/2022/12/08/eu-us-civil-society-query-conditions-for-north-kosovo-elections/">avoir été repoussées à plusieurs reprises</a>, de nouvelles élections locales <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/Nord-du-Kosovo-les-municipales-de-la-de-normalisation">ont finalement eu lieu le 23 avril dernier</a>. Le scrutin a toutefois été boycotté par les Serbes. Conséquence : dans les quatre municipalités kosovares à majorité serbe, le <a href="https://prishtinainsight.com/preliminary-results-vetevendosje-and-pdk-candidates-win-snap-elections-in-northern-municipalities/">taux de participation moyen</a> a été inférieur à 3,5 %.</p>
<h2>Les réactions de l’Occident</h2>
<p>La légitimité démocratique des maires nouvellement élus étant plus que discutable du fait du caractère écrasant de l’abstention, l’UE a publié une déclaration ferme immédiatement après les élections. Le texte <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/kosovo-statement-spokesperson-elections-north_en">souligne</a> que le scrutin « n’offre pas de solution politique à long terme » pour les quatre municipalités.</p>
<p>Tout au long des quatre semaines suivantes, les diplomates occidentaux ont cherché, sans grand succès, à éviter une nouvelle escalade. Ils ont finalement exprimé leur frustration le 26 mai dans une <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/kosovo/evenements/article/declaration-conjointe-de-la-france-de-l-allemagne-de-l-italie-du-royaume-uni-et">déclaration commune</a> de ce que l’on appelle le Quint, un groupe rassemblant les États-Unis, la France, l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni.</p>
<p>La déclaration condamne « la décision du Kosovo de forcer l’accès aux bâtiments municipaux dans le nord du Kosovo malgré nos appels à la retenue ». Elle appelle également « les autorités kosovares à revenir immédiatement sur leur décision, à calmer la situation et à se coordonner étroitement avec EULEX et la KFOR la [mission civile de l’UE visant à soutenir l’État de droit et la force de maintien de la paix de l’OTAN au Kosovo] ». La responsabilité de l’escalade de la violence est donc très clairement imputée aux autorités kosovares.</p>
<p>Signe de la gravité de la situation, l’OTAN a décidé de déployer 700 soldats supplémentaires au Kosovo, renforçant ainsi la force actuelle de la KFOR, qui compte 3 700 soldats.</p>
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<p>Plus important encore peut-être : les États-Unis, traditionnellement le plus important allié occidental de Pristina, ont annulé la participation du Kosovo aux exercices militaires conjoints <a href="https://www.europeafrica.army.mil/DefenderEurope/">Defender Europe 23</a>. L’ambassadeur américain à Pristina, Jeff Hovenier, a condamné <a href="https://xk.usembassy.gov/press_roundtable/">sans équivoque</a> le manque de réactivité du premier ministre du Kosovo, Albin Kurti, pour désamorcer la crise dans le nord. Il n’a laissé planer aucun doute sur le fait que les États-Unis étaient à bout de patience à l’égard du gouvernement du Kosovo et envisageaient de prendre de nouvelles mesures punitives.</p>
<h2>Des divisions profondément enracinées</h2>
<p>Le <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2006-1-page-145.htm">statut du Kosovo</a>, autrefois province autonome au sein de la république serbe de l’ancienne fédération socialiste de Yougoslavie, fait depuis de longues années l’objet d’âpres débats, et la crise actuelle s’inscrit dans ce différend interminable. Le conflit entre Serbes et Albanais remonte à plusieurs décennies et s’appuie sur la mémoire sélective qu’entretiennent les deux parties de la confrontation supposément séculaire qui les met aux prises.</p>
<p>La confrontation a atteint un point de bascule à la fin des années 1990, ce qui a nécessité <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_49602.htm">l’intervention de l’OTAN en 1999</a> et a finalement conduit à la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/kos2008.htm">déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo en 2008</a>. Cette indépendance est aujourd’hui reconnue par une centaine de pays dans le monde, mais la Serbie, la Chine et la Russie, entre autres, s’y opposent toujours. En outre, le Kosovo <a href="https://information.tv5monde.com/international/quels-pays-ont-reconnu-le-kosovo-21169">n’est pas reconnu</a> par cinq États membres de l’UE, dont quatre sont membres de l’OTAN.</p>
<p>Depuis plus de dix ans, le dialogue entre Pristina et Belgrade sous la férule de l’Union européenne tente de résoudre ce conflit en incitant les parties à faire des concessions et des compromis. Deux points d’achoppement majeurs subsistent : il faudrait que la Serbie cesse de bloquer l’adhésion du Kosovo aux organisations internationales et que le Kosovo accepte l’autonomie locale pour les Serbes ethniques dans les régions kosovares où ils constituent la majorité de la population. Une <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/belgrade-pristina-dialogue-eu-proposal-agreement-path-normalisation-between-kosovo-and-serbia_en">proposition</a> a été faite par l’UE à la fin du mois de février pour résoudre ces deux questions, mais elle reste contestée par les deux parties.</p>
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<p>Les efforts entrepris par l’UE semblent dans l’impasse, comme l’illustre le fait que le gouvernement du Kosovo n’a pas progressé dans la mise en œuvre des accords portant sur l’autonomie locale des Serbes ethniques. Pour ne rien arranger, il a également semblé chercher à réduire le peu d’autonomie qui existait en tentant d’imposer les maires nouvellement élus, dont la légitimité démocratique est très discutable.</p>
<p>Pour autant, il serait erroné d’affirmer que les structures alternatives mises en place par les Serbes dans le nord du Kosovo contribueraient à la stabilisation. Au contraire, même. Bien sûr, la situation actuelle exige des mesures de désescalade de la part des autorités du Kosovo. Mais les problèmes sous-jacents plus profonds dans les relations entre Pristina et Belgrade nécessitent une solution plus globale et inclusive qui reflèterait les intérêts du Kosovo, de la Serbie et des Serbes du Kosovo.</p>
<p>Comme l’a souligné avec émotion le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères, <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/kosovo-statement%C2%A0-high-representative-josep-borrell-ongoing-confrontations%C2%A0_en">Josep Borrell</a>, le 30 mai :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a eu assez de violence, il y a eu trop de violence. Il y a déjà trop de violence en Europe aujourd’hui. Nous ne pouvons pas nous permettre un autre conflit. »</p>
</blockquote>
<p>Mais de tels appels à la raison ne risquent pas d’impressionner les politiciens de cette partie des Balkans occidentaux, qui semblent entièrement focalisés sur la défense de leurs intérêts personnels et court-termistes. Il n’est donc pas certain que les Occidentaux puissent exercer l’influence nécessaire non seulement pour contenir la violence actuelle, mais aussi pour ouvrir la voie à un avenir stable pour la population du Kosovo.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206817/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stefan Wolff a bénéficié de subventions du Natural Environment Research Council du Royaume-Uni, du United States Institute of Peace, du Economic and Social Research Council du Royaume-Uni, de la British Academy, du programme "Science pour la paix" de l'OTAN, des programmes-cadres 6 et 7 de l'UE et d'Horizon 2020, ainsi que du programme Jean Monnet de l'UE. Il est chercheur principal au Foreign Policy Centre de Londres et co-coordinateur du réseau de think tanks et d'institutions universitaires de l'OSCE.</span></em></p>Les affrontements survenus dans le nord du Kosovo sont avant tout imputables au gouvernement de Pristina. Mais il n’y aura pas de solution durable si la Serbie ne joue pas un rôle plus constructif.Stefan Wolff, Professor of International Security, University of BirminghamLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2043072023-04-26T17:12:31Z2023-04-26T17:12:31ZKosovo : la justice parviendra-t-elle à établir une mémoire commune ?<p>Président du Kosovo de 2016 à 2020 et membre fondateur dans les années 1990 de l’Armée de libération du Kosovo (UCK), Hashim Thaçi est <a href="https://www.bbc.co.uk/news/world-europe-35984823">« l’une des figures clés »</a> de l’histoire récente du pays. Devenu premier ministre en janvier 2008, il avait <a href="https://www.rferl.org/a/1830796.html">déclaré l’indépendance du Kosovo</a> un mois plus tard. </p>
<p>Lors de sa visite à la Maison-Blanche en 2010, Thaçi a vu son action saluée par Joe Biden, alors vice-président des États-Unis, qui l’avait qualifié de <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/11/10/kosovo-hashim-thaci-de-la-presidence-a-la-case-prison_1805174/">« George Washington du Kosovo »</a>. Malgré la reconnaissance de son indépendance par de nombreux pays, dont la France et les États-Unis, l’existence du Kosovo n’est officiellement acceptée <a href="https://www.lejdd.fr/International/quest-ce-que-le-kosovo-pays-qui-n-est-ni-reconnu-par-lonu-ni-par-lunion-europeenne-4003864">ni par l’Union européenne ni par l’ONU</a>. </p>
<p>En 2020, <a href="https://theconversation.com/le-president-du-kosovo-accuse-de-crimes-contre-lhumanite-et-maintenant-141545">Hashim Thaçi est accusé de crimes contre l’humanité</a> et de crimes de guerre commis pendant la <a href="https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2019-1-page-132.htm">guerre du Kosovo (1998-1999)</a> et doit démissionner de ses fonctions présidentielles. </p>
<p>Depuis le 3 avril 2023, il est jugé par le Tribunal spécial pour le Kosovo (CSK), à La Haye. Il s’agit de la personnalité la plus haut placée de l’UCK à être poursuivie dans ce cadre. Trois autres anciens membres de cette organisation (<a href="https://balkaninsight.com/2020/11/11/kosovo-guerrilla-turned-politician-pleads-not-guilty-to-war-crimes/">Rexhep Selimi</a>, <a href="https://balkaninsight.com/tag/kadri-veseli-05-18-2017/">Kadri Veseli</a> et <a href="https://balkaninsight.com/tag/jakup-krasniqi/">Jakup Krasniqi</a>) y sont aussi actuellement jugés.</p>
<p>Malgré ces exactions, Hashim Thaçi jouit encore d’une grande popularité chez une population <a href="https://www.lanouvellerepublique.fr/france-monde/kosovo-debut-du-proces-pour-crimes-de-guerre-de-l-ex-president-hashim-thaci">qui s’est mobilisée pour protester contre le début de ce procès</a>. </p>
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<h2>Les accusations retenues contre Hashim Thaçi</h2>
<p>En 2015, un accord international ratifié par l’Assemblée du Kosovo permit la création de deux instances juridiques, les <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2017-10-page-94.htm">Chambres spéciales du Kosovo (CSK)</a> et le <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20210915-crimes-de-guerre-au-kosovo-aux-origines-du-tribunal-de-la-derni%C3%A8re-chance">Bureau du procureur spécial sur le Kosovo</a>, dont les juges internationaux, les procureurs et le personnel judiciaire sont qualifiés pour émettre des jugements, selon la loi kosovare, sur les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les autres crimes perpétrés entre le 1<sup>er</sup> janvier 1998 et le 31 décembre 2000.</p>
<p>Thaçi et les trois ex-membres de l’UCK sont chacun accusés de <a href="https://www.scp-ks.org/en/opening-trial-hashim-thaci-kadri-veseli-rexhep-selimi-and-jakup-krasniqi-kosovo-specialist-chambers">six crimes contre l’humanité</a> (pour des actes de persécution, de torture ou des meurtres) et de quatre crimes de guerre (pour des arrestations et des détentions illégales et arbitraires, des actes de cruauté et des meurtres).</p>
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<p>Selon <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/04/serbia-kosovo-start-of-ex-kosovo-presidents-trial-for-war-crimes-an-important-step-along-the-long-road-to-justice/">l’acte d’inculpation</a> contre les quatre hommes, ceux-ci faisaient partie d’une <a href="https://shs.hal.science/file/index/docid/1024154/filename/Claverie_et_Maison.pdf">entreprise criminelle commune</a> (ECC) et « partageaient l’objectif commun de gagner et d’exercer un contrôle sur l’ensemble du Kosovo par des moyens incluant l’intimidation illégale, la maltraitance, la violence et l’élimination de ceux qui étaient considérés comme des opposants ». Le CSK fait état de violences visant particulièrement une opposition constituée des minorités ethniques serbe et rom, mais aussi de certains Albanais de souche qui ne soutenaient pas l’UCK. L’acte d’inculpation retient également une <a href="https://repository.scp-ks.org/details.php?doc_id=091ec6e980e32167&doc_type=stl_filing_annex&lang=eng">responsabilité aggravée</a> des quatre accusés, en raison de leurs postes de direction au sein de l’UCK, pour les crimes commis par les membres de l’ECC et les personnes sous leur autorité.</p>
<p>Hashim Thaçi a <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20230403-au-tribunal-sp%C3%A9cial-de-la-haye-le-procureur-r%C3%A9v%C3%A8le-le-c%C3%B4t%C3%A9-plus-sombre-de-hashim-the%C3%A7i">plaidé non coupable</a> et a déclaré qu’il espérait être acquitté de toutes les accusations. Les autres accusés ont <a href="https://balkaninsight.com/2020/11/10/senior-kosovo-politician-denies-war-crimes-at-hague-court/">fait de même</a>, Krasniqi affirmant que les actions de l’UCK étaient seulement « une entreprise conjointe de libération et de formation de l’État ». Selimi a avancé devant la Cour qu’il « s’est battu contre l’occupant serbe qui n’a apporté que le mal à [son] pays : meurtres, déplacements, humiliations et génocide ». Veseli a <a href="https://uk.sports.yahoo.com/news/war-crimes-trial-kosovo-ex-030654513.html">également nié les accusations</a>.</p>
<h2>Des allégations de trafic d’organes</h2>
<p>L’une des accusations portées contre Thaçi et ses co-accusés concernait leur implication dans le trafic d’organes humains. Mais l’acte d’accusation contre Thaçi et ses co-accusés ne contient finalement aucune <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/apr/10/hashim-thaci-war-crimes-tribunal-hague-kla-commander-kosovo">référence à ce sujet</a>.</p>
<p>Ces allégations avaient été formulées pour la première fois en 2008 et ont fait l’objet d’une enquête menée par <a href="https://www.rferl.org/a/kosovo_organ_trafficking_thaci/2250583.html%20">Dick Marty
</a>, homme politique suisse et ancien procureur. Le <a href="https://pace.coe.int/en/files/12608/html#_TOC_N0EA39C88N088F3B5C">rapport de Marty pour le Conseil de l’Europe</a>, publié en janvier 2011, a remis en question « l’image de l’UCK, vue comme une armée de guérilla qui s’est battue vaillamment pour défendre le droit de son peuple d’habiter le territoire du Kosovo ». </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1642714794506461184"}"></div></p>
<p>Ce rapport a également conclu que des prisonniers de guerre avaient été « emmenés dans le centre de l’Albanie pour y être assassinés avant de subir une ablation des reins dans une clinique chirurgicale de fortune ».</p>
<h2>Les témoins craignent des représailles</h2>
<p>Le fait que Thaçi et ses co-accusés jouissent d’une telle popularité pourrait en dissuader certains de témoigner. Dans sa déclaration d’ouverture du procès, le procureur du tribunal spécial par intérim Alex Whiting a souligné que « la plupart des victimes <a href="https://www.youtube.com/watch?v=KWI9OK17_Qs">étaient des Albanais du Kosovo</a> ». </p>
<p>L’expérience passée suggère qu’il pourrait être difficile d’amener les témoins à se manifester. <a href="https://www.icty.org/x/cases/haradinaj/cis/en/cis_haradinaj_al_en.pdf">Le jugement rendu en 2008 par le TPIY</a> à l’encontre de <a href="https://www.icty.org/en/case/haradinaj">trois autres anciens membres de l’UCK</a> (Ramush Haradinaj, Idriz Balaj et Lahi Brahimaj) a prouvé les « difficultés importantes pour obtenir la déposition d’un grand nombre de témoins ». Il ajoute que « de nombreux témoins ont cité la crainte des représailles comme une raison majeure de ne pas vouloir se présenter devant la Chambre de première instance pour témoigner ».</p>
<p>Le <a href="https://pace.coe.int/en/files/12608/html#_TOC_N0EA39C88N088F3B5C">rapport du Conseil de l’Europe rédigé par Dick Marty</a> fait référence à la cohésion de la communauté albanaise du Kosovo qui est « encore très centrée sur les clans ». Il souligne également « la peur, souvent la terreur, que nous avons observée chez certains de nos informateurs dès que le sujet de notre enquête était abordé ».</p>
<p>Le procès de Thaçi et de ses co-accusés pourrait durer <a href="https://balkaninsight.com/2023/03/20/prosecution-case-in-kosovo-ex-guerrillas-trial-could-take-six-years/">jusqu’à six ans</a>. Plus de 20 ans après les crimes présumés, il existe une possibilité, au moins pour certaines des victimes de l’UCK, d’une forme de résolution – même tardive, imparfaite et incomplète. </p>
<p>Mais même si les accusés sont finalement reconnus coupables, l’image des quatre anciens militaires de l’UCK ne devrait guère être impactée au Kosovo et dans l’Albanie voisine. </p>
<p>Les éléments de preuve présentés au cours du procès pourraient bien permettre d’appréhender la complexité de ces événements historiques, mais ils ne bouleverseront pas les récits déjà ancrés dans les mémoires des populations. Les interprétations divergentes du passé sont – et resteront – l’un des héritages à long terme de la guerre au Kosovo.</p>
<h2>Un procès contesté au Kosovo</h2>
<p>Ce procès suscite, comme attendu, une forte opposition parmi les Albanais du Kosovo. Des milliers de manifestants sont <a href="https://www.rferl.org/a/kosovo-protesters-come-out-support-thaci-war-crimes/32346153.html">descendus dans les rues de Priština</a>, brandissant des pancartes à l’effigie de ceux qu’ils considèrent comme des héros nationaux et scandant des slogans tels que « La liberté a un nom » et « N’assimilez pas les victimes aux criminels ». D’autres se sont rassemblés <a href="https://balkaninsight.com/2023/04/03/albanians-rally-for-liberators-outside-hague-war-crimes-court/">devant la salle d’audience</a> à La Haye.</p>
<p>Selon le <a href="https://www.reuters.com/world/europe/ex-kosovo-guerrilla-chief-president-thaci-faces-war-crimes-trial-monday-2023-03-31/">conseiller juridique principal de l’Institut juridique du Kosovo</a>, il est important que le procès soit compris comme une affaire « contre quelques individus de l’ancienne UCK et non comme un procès contre l’UCK ou les valeurs que le peuple du Kosovo représente ». De nombreux Albanais du Kosovo, cependant, ne feront probablement pas cette distinction, considérant le procès comme une accusation vis-à-vis de la population dans son ensemble.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204307/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Janine Natalya Clark a reçu des financements du Conseil européen de la recherche (2017-2022). </span></em></p>Figure du combat pour l’indépendance de son pays, l’ex-président du Kosovo Hashim Thaçi est jugé pour des crimes de guerre commis pendant la guerre du Kosovo entre 1998 et 1999.Janine Natalya Clark, Professor of Transitional Justice and International Criminal Law, University of BirminghamLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2013302023-03-30T19:33:15Z2023-03-30T19:33:15ZJustice internationale pénale : à la rencontre des accusés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/518198/original/file-20230329-16-agt06m.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1024%2C682&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les anciens responsables croates de Bosnie Jadranko Prlic, Bruno Stojic, Slobodan Praljak, Milivoj Petkovic, Valentin Coric et Berislav Pusic pendant leur procès à La Haye en 2013.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/icty/38043307874/sizes/l/">Zoran Lesic </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les multiples juridictions internationales pénales mises en place depuis le <a href="https://museums.nuernberg.de/memorium-nuremberg-trials/">procès de Nuremberg</a> (1945-1946), à l’image des tribunaux pénaux ad hoc comme ceux créés pour <a href="https://www.icty.org/">l’ex-Yougoslavie</a> et le <a href="https://unictr.irmct.org/">Rwanda</a> (respectivement TPIY et TPIR), ont pour but de juger les crimes les plus graves : les <a href="https://trialinternational.org/fr/topics-post/crimes-de-guerre/">crimes de guerre</a>, les <a href="https://trialinternational.org/fr/topics-post/crimes-contre-lhumanite/">crimes contre l’humanité</a> et les <a href="https://trialinternational.org/topics-post/genocide/">génocides</a>.</p>
<p>En 1998 a été instaurée une juridiction permanente à vocation universelle, la <a href="https://www.icc-cpi.int/">Cour pénale internationale de La Haye</a>, qui, en plus des crimes précités, a également connaissance des <a href="https://www.cairn.info/pas-de-paix-sans-justice--9782724612332-page-233.htm">crimes d’agression</a>. Néanmoins, sa compétence est limitée aux États ayant ratifié son statut, ce qui l’empêche, par exemple, de juger l’acte d’agression commis par la Russie à l’encontre de l’Ukraine et rend plus difficile le jugement des autres crimes commis au cours de cette guerre. La portée du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/17/vladimir-poutine-sous-le-coup-d-un-mandat-d-arret-de-la-cour-penale-internationale_6165924_3210.html">mandat d’arrêt qu’elle vient d’émettre contre Vladimir Poutine</a> restera donc sans doute avant tout symbolique.</p>
<p>Toutes ces juridictions ont fait et continuent de faire l’objet de nombreuses analyses juridiques, anthropologiques ou sociologiques. Ces dernières ont pour la plupart été menées soit via des observations soit via des entretiens auprès des victimes et des professionnels. <a href="https://www.boutique-dalloz.fr/genocidaire-s-p.html">Nos recherches</a> adoptent un autre angle : celui de l’expérience pénale des accusés (qu’ils aient été acquittés ou condamnés). Elles doivent être lues en supplément des recherches menées auprès des autres protagonistes de cette justice. L’objectif n’est pas de comprendre le passage à l’acte criminel, mais le fonctionnement des institutions qui ont été mises en place pour y répondre.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/cour-penale-internationale-des-crimes-sans-victimes-156336">Cour pénale internationale : des crimes sans victimes ?</a>
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<h2>Épistémologie d’une recherche singulière</h2>
<p>Ainsi, nous avons conduit des entretiens semi-directifs avec une soixantaine de personnes jugées par le TPIY ou le TPIR pour connaître leur expérience pénale. Ces entretiens se sont déroulés pour la plupart dans les prisons où les personnes condamnées ou accusées sont détenues. Ils ont duré plusieurs heures et ont été enregistrés.</p>
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<p>De ces douze années d’une recherche qui repose sur un matériau unique – puisqu’aucun journaliste ou chercheur n’a pu avoir accès à toutes ces personnes – ressortent des résultats étonnants qui questionnent la raison d’être de cette forme de justice hors normes. Notons, avant d’entamer la présentation de notre recherche et de ces résultats, que pour des questions d’anonymat des personnes rencontrées – condition à leur participation à notre recherche – nous ne pouvons citer ni des noms ni des faits.</p>
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<p>L’idée de rencontrer des personnes communément appelées <em>génocidaires</em> ou <em>criminels de guerre</em> repose sur l’enseignement de Paul Ricœur. Dans un <a href="https://esprit.presse.fr/article/paul-ricoeur/l-acte-de-juger-11656">article paru dans la revue <em>Esprit</em> en 1992</a>, le philosophe explique :</p>
<blockquote>
<p>« L’acte de juger a atteint son but lorsque celui qui a, comme on dit, gagné son procès se sent encore capable de dire : mon adversaire, celui qui a perdu, demeure comme moi un sujet de droit ; sa cause méritait d’être entendue ; il avait des arguments plausibles et ceux-ci ont été entendus. Mais la reconnaissance ne serait complète que si la chose pouvait être dite par celui qui a perdu, celui à qui on a donné tort, le condamné ; il devrait pouvoir déclarer que la sentence qui lui donne tort n’était pas un acte de violence mais de reconnaissance. »</p>
</blockquote>
<p>L’analyse des finalités de la justice internationale pénale fonde aussi la nécessité d’une telle recherche. En effet, la justice internationale pénale vise plusieurs objectifs : la rétribution, la dissuasion et la réinsertion, mais aussi l’écriture de l’Histoire ou de la mémoire, la satisfaction des victimes ou encore un effet cathartique.</p>
<p>Toutes ces finalités nécessitent la participation et la responsabilisation de l’accusé (ou du condamné) afin d’être atteintes ou, à tout le moins, approchées. Or, comme nous allons le voir, les juridictions internationales pénales ne permettent pas aux auteurs de crimes d’adhérer à cette nécessité de consensus entre tous les protagonistes des drames qui se jouent en temps de guerre.</p>
<h2>Impact de la justice internationale pénale</h2>
<p>Si toutes les personnes que nous avons rencontrées disent adhérer à l’idée d’une justice internationale pénale « au-dessus de tout soupçon » ou qui « permet d’établir la vérité », leur expérience pénale les a confrontées à une violence institutionnelle et symbolique qui entraîne, à leurs yeux, une délégitimation de cette forme de justice.</p>
<p>C’est ainsi qu’elles décrivent un processus pénal semé d’embûches ; trop encadré par une terminologie juridique qui, à leurs yeux, ne retranscrit pas la réalité qu’elles ont vécue ; et qui leur donne trop rarement la parole. Lorsque cela a quand même été le cas, ce sont essentiellement leurs avocats (choisis par les accusés eux-mêmes et bien souvent rémunérés par la juridiction) qui ont pu s’exprimer, et pas les accusés eux-mêmes.</p>
<p>En outre, les accusés disent ne pas se reconnaître dans les actes d’accusation auxquels ils ont dû faire face. Devant le sien, l’un des répondants s’est d’ailleurs demandé « qui était ce monstre ? », exprimant ainsi un sentiment de décalage avec ce qui avait été vécu, ou face à des questions juridiques perçues comme étant déconnectées de toute réalité. S’il s’agit peut-être d’un déni face aux actes commis, cette réaction témoigne aussi, de notre point de vue de juriste, du fossé qui sépare le droit des faits.</p>
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<p>Un autre racontera que, quand le juge lui a demandé « Plaidez-vous coupable ou non coupable ? », il a tenté d’expliquer le contexte et les actes commis… mais le juge a simplement inscrit « l’accusé a plaidé non coupable ». Il aurait voulu parler plus, mais le juge ne lui a pas laissé l’opportunité.</p>
<p>S’y ajoute le fait qu’une grande majorité des personnes rencontrées estiment avoir été confrontées à une justice « hors sol », imposée par « l’Occident » et politiquement orientée, refusant d’entendre tout élément de contextualisation (qu’il s’agisse du contexte de guerre ou, plus largement, de celui entourant la commission des crimes, les deux étant inévitablement politiques).</p>
<p>Les répondants décrivent une « justice des vainqueurs » qui s’est abattue sur eux (les vaincus) sans pour autant que les premiers, eux aussi coupables de <a href="https://www.hrw.org/news/2008/12/12/rwanda-tribunal-should-pursue-justice-rpf-crimes">crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité (principalement au Rwanda)</a>, ne soient inquiétés. En outre, ils constatent une justice « à double vitesse » qui ne juge jamais les dirigeants des États puissants – notamment américains ou européens – et qui poursuit principalement des ressortissants des États « dominés ».</p>
<p>Enfin, et c’est là l’une des critiques les plus acerbes exprimées par les répondants sur la justice internationale pénale, les accusés comme les condamnés s’interrogent régulièrement en ces termes : « Pourquoi moi ? » Ils traduisent ici un constat indépassable en droit international pénal : l’idée de juger des culpabilités individuelles pour des crimes de masse, c’est-à-dire ayant entraîné un nombre dramatique et démesuré de victimes, mais aussi ayant été commis par un nombre conséquent d’auteurs. Ainsi, s’ils admettent souvent avoir commis des crimes, ils réfutent néanmoins la responsabilité (qu’on leur attribue symboliquement) du crime de masse dans son entièreté. Il en résulte un sentiment de servir de bouc émissaire (<a href="https://www.rene-girard.fr/57_p_44429/le-bouc-emissaire.html">au sens girardien</a>) et d’être victime d’injustice, d’où, dans l’immense majorité des cas, leur non-reconnaissance des crimes ou responsabilités individuelles attribuées par les juges internationaux.</p>
<h2>Plaidoyer pour le savoir expérientiel</h2>
<p>Une seule des personnes interrogées a tenu un discours négationniste durant nos entretiens et seules 3, sur 51 condamnés rencontrés, admettent pleinement la justesse de leur condamnation.</p>
<p>Cela signifie que la très grande majorité des personnes interviewées (parmi lesquelles certaines avaient plaidé coupable devant la juridiction internationale) ne reconnaissent pas soit les actes reprochés, soit leurs qualifications juridiques, soit leur illégalité, soit les responsabilités associées. S’il existe une multitude de <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-justice-2011-1-page-65.htm">paramètres psychologiques</a> pour expliquer cette non-reconnaissance, celle-ci n’en reste pas moins un échec du droit international pénal : pour reprendre la formule de Paul Ricœur, la sentence reste un acte de violence et ne devient pas, pour le condamné, un acte de reconnaissance.</p>
<p>Cet échec a des conséquences qui vont au-delà du seul cas des personnes condamnées, dans la mesure où il empêche de faire œuvre de mémoire commune (ou consensuelle) et influence l’ensemble du processus de reconstruction.</p>
<p>Il est en effet accepté que les crimes de masse sont généralement commis par une masse d’auteurs. Au Rwanda, par exemple, on a parlé de 100 000 à 150 000 participants au génocide contre les Tutsis. Or, il est impossible de reconstruire un pays sans prendre en compte cette large partie de la population. Le rejet de la justice internationale pénale par les accusés n’aide certainement pas à reconstruire ensemble. Ce rejet déteint bien évidemment sur les familles et communautés des accusés ; plus largement, il empêche une reconnaissance des actes commis. In fine, ce sont les populations et les victimes qui se retrouvent sans réelles réponses à leurs attentes ; celles de connaître la vérité ou celles d’être simplement reconnues.</p>
<p>Il importe dès lors de prendre en compte la parole des accusés (tout comme celle des autres protagonistes que sont les victimes, les juges, les populations touchées par la guerre, etc.) et de constater qu’elle conduit inévitablement vers d’autres voies de justice : des voies de justice réparatrice ou réconciliatrice, des voies de justice traditionnelle ou interpersonnelle, des voies judiciaires locales, ancrées culturellement et moins politisées, ou simplement des voies de justice plus symboliques. Si des pistes ont d’ores et déjà été mises en œuvre, à travers des juridictions plus locales et ancrées culturellement (à l’image des <a href="https://www.asf.be/wp-content/publications/Rwanda_MonitoringGacaca_RapportAnalytique3_FR.pdf">gacaca</a> ou des commissions <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2007-2-page-313.htm">Vérité et Réconciliation</a>) au Rwanda, le rôle des accusés reste à définir et à modeler, de façon à ce que leur expérience soit prise en compte.</p>
<p>Un progrès envisageable consiste à combiner ces divers types de justice, comme cela semble déjà être le cas en <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2013-1-page-117.htm">Colombie</a>. Ce type de processus, affichant des promesses réalistes, minimes peut-être, mais réalisables, comme la responsabilisation des auteurs de crimes ou l’acceptation des actes commis, pourrait peut-être contribuer à une mémoire partagée et assumée. Les procès ne doivent pas être une continuation de la guerre dans l’arène du tribunal. Il n’est ainsi plus question d’en finir avec l’ennemi par le droit, mais de se relever avec lui grâce au droit.</p>
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<p><em>Pour plus de détails sur cette recherche, voir <a href="https://www.boutique-dalloz.fr/genocidaire-s-p.html">« Génocidaire(s). Au cœur de la justice internationale pénale »</a>, Dalloz, décembre 2022</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201330/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Damien Scalia a reçu des financements du Fonds national suisse et du Fonds de la recherche scientifique belge.</span></em></p>Les tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda (TPIR) et pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) ont jugé des dizaines d'individus. Une enquête s'intéresse à la façon dont les accusés ont vécu ces procès.Damien Scalia, Professeur en droit international pénal, Études empiriques du droit, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1969062023-01-11T17:38:35Z2023-01-11T17:38:35ZLa Chine en Bosnie-Herzégovine : une présence de plus en plus marquée dans un État fragilisé<p>La récente recrudescence des tensions dans plusieurs États des Balkans occidentaux, en particulier en <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2022-4-page-51.htm">Bosnie-Herzégovine</a>, au <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20221223-%C3%A0-la-une-fortes-tensions-dans-le-nord-du-kosovo">Kosovo</a> et au <a href="https://www.aa.com.tr/en/europe/thousands-in-montenegro-clash-with-police-over-political-tension/2762549">Monténégro</a>, fait ressurgir le spectre d’une nouvelle guerre intercommunautaire dans la région.</p>
<p>Outre ces tensions, un nouvel acteur, en l’occurrence la Chine, <a href="https://ecfr.eu/paris/publication/cartographie-de-linfluence-croissante-de-la-chine-dans-les-balkans-occidentaux/">s’immisce dans l’arrière-cour de l’Union européenne</a>, et cette présence modifie sensiblement la configuration politique des Balkans occidentaux. Tentative de décryptage en trois questions, avec la Bosnie-Herzégovine comme cas d’étude.</p>
<h2>Quels intérêts la Chine poursuit-elle en Bosnie-Herzégovine ?</h2>
<p>De prime abord, la présence de la Chine dans ce pays de 3,5 millions d’habitants à la structure politique pour le moins atypique peut surprendre.</p>
<p>La Bosnie est <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/176">devenue indépendance en 1992</a>, à la suite de la dissolution de la Yougoslavie. À cette époque, les populations musulmanes, en grande majorité bosniaques, y subissent un nettoyage ethnique de grande ampleur et <a href="https://www.britannica.com/event/Bosnian-War/War-crimes-and-trials">plus de 100 000 personnes</a>, militaires et civils confondus, perdent la vie. En 1995, la communauté internationale parvient à finaliser les <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/europe/bosnie-herz-4dayton.htm">Accords de Dayton</a>, mettant ainsi fin à trois ans de guerre intercommunautaire sur le territoire concerné.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Composée de trois groupes ethniques principaux (48 % de Bosniaques, 14 % de Croates et 37 % de Serbes), la Bosnie-Herzégovine se voit alors divisée, d’un point de vue politique, en deux entités fédérées de taille semblable : la Fédération croato-bosniaque et la Republika Srpska. Peu d’interactions subsistent entre les deux entités et les projets communs sont rares dans un pays au pouvoir central faible et, pour l’essentiel, délégué aux entités fédérées. Seul un <a href="https://blogs.letemps.ch/leon-de-perrot/2022/07/28/bosnie-herzegovine-le-haut-representant-a-t-il-fait-son-temps/">Haut Représentant de la communauté internationale</a>, rôle endossé actuellement par l’allemand Christian Schmidt, veille à l’application des accords conclus entre elles.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/QBpVmO64cvs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Tout au long des négociations qui ont mené à la création de l’État de Bosnie-Herzégovine, la Chine est restée en retrait, <a href="https://www.cairn.info/la-politique-internationale-de-la-chine--9782724611571-page-31.htm">adoptant une position de « profil bas » sur la scène internationale</a> à la suite de la violente répression des manifestations de la place Tian’anmen. Ce n’est d’ailleurs qu’en 2012, avec le lancement officiel du <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/16-1-amis-europeens-Chine-conclave-Dubrovnik-2019-04-10-1201014702">Format 16+1</a> – une initiative du ministère chinois des Affaires étrangères visant à promouvoir les relations commerciales et d’investissement entre la Chine et 16 États d’Europe centrale et orientale – que la Chine témoigne pour la première fois de son intérêt pour la Bosnie-Herzégovine.</p>
<p>Deux explications majeures à cet intérêt soudain et aujourd’hui grandissant peuvent être avancées : d’une part, la Bosnie-Herzégovine s’inscrit dans l’immense projet des <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2015-3-page-135.htm">Nouvelles Routes de la Soie</a> destinées à relier l’Asie aux continents africain et européen ; d’autre part, elle se situe aux portes du marché commun européen et est <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/enlargement/bosnia-herzegovina/#:%7E:text">candidate à l’Union européenne</a>, même si son adhésion n'est pas une perspective discernable à court ou à moyen terme.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-chine-et-les-balkans-occidentaux-un-ancrage-a-la-peripherie-de-lue-137039">La Chine et les Balkans occidentaux : un ancrage à la périphérie de l’UE</a>
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<h2>La Chine reçoit-elle le soutien des autorités locales ?</h2>
<p>Étant donné que la Bosnie-Herzégovine demeure <a href="https://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20120406trib000692338/la-bosnie-minee-par-la-pauvrete-et-l-instabilite-politique.html">l’un des pays les plus pauvres d’Europe</a>, tous les investissements, y compris en provenance de la Chine, y sont les bienvenus.</p>
<p>À ce jour, la Republika Srpska semble en être la principale région récipiendaire, la Fédération croato-bosniaque se retrouvant <a href="https://sarajevotimes.com/how-china-politically-humiliates-and-economically-robs-bih/">reléguée au second plan par les autorités chinoises</a>. Plusieurs exemples l’illustrent. L’entreprise publique chinoise « Chine State Construction Engineering Corporation » a <a href="https://journals.openedition.org/belgeo/18991">récemment obtenu</a> un marché organisé par « Autoputevi Republike Srpske », la société routière contrôlée par les autorités locales de l’entité. Il s’agit d’un contrat de plus de 335 millions d’euros qui devrait, d’ici à 2030, déboucher sur la mise en service d’un <a href="https://www.globalconstructionreview.com/chinas-cscec-to-build-335m-motorway-in-bosnia-and-herzegovina/">segment autoroutier de 33 km reliant le territoire de la RS à celui de la Serbie</a> et symboliquement appelé « l’autoroute du 9 janvier » (date de la création de la Republika Srpska en 1992).</p>
<p>Par ailleurs, la construction de la <a href="https://ejatlas.org/conflict/thermal-power-plant-stanari/?translate=fr">centrale thermique de Stanari</a>, financée par la Chine, revêt une importance stratégique pour la Republika Srpska. Capable de produire jusqu’à 300 mégawatts et estimée à 530 millions d’euros, cette installation est issue du programme « China Energy Engineering Corporation », dirigé par un consortium d’entreprises publiques chinoises en collaboration avec le ministère de l’Économie, de l’Énergie et de l’Exploitation minière de la Republika Srpska.</p>
<p>Au niveau culturel, la ville de Banja Luka, centre administratif de la Republika Srpska, accueille <a href="https://sarajevotimes.com/confucius-institute-opened-banja-luka/">l’Institut Confucius</a> le plus important de la Bosnie-Herzégovine. Des cours de mandarin y sont dispensés en visioconférence et les professeurs de l’université locale effectuent des missions régulières dans les universités de Pékin.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503851/original/file-20230110-24-xgqbc9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503851/original/file-20230110-24-xgqbc9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503851/original/file-20230110-24-xgqbc9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503851/original/file-20230110-24-xgqbc9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503851/original/file-20230110-24-xgqbc9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503851/original/file-20230110-24-xgqbc9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503851/original/file-20230110-24-xgqbc9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Milorad Dodik était présent lors de l’ouverture de l’Institut Confucius de Banja Luka, le 21 janvier 2018.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://ba.china-embassy.gov.cn/eng/sgxx_5/sghd/201807/t20180716_2451423.htm">Site de l’ambassade de Chine en Bosnie-Herzégovine</a></span>
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<p>Enfin, la « Radio Televizija Republike Srpske » (radio-télévision locale) diffuse également un <a href="https://cepa.org/comprehensive-reports/chinese-influence-in-bosnia-and-herzegovina/">certain nombre d’émissions qui promeuvent la culture chinoise</a>.</p>
<h2>La présence chinoise influence-t-elle la vie politique de Bosnie-Herzégovine ?</h2>
<p>La <a href="https://www.blue-europe.eu/fr/fr-analysis/analyse-courtes/linfluence-non-commerciale-des-chinois-dans-les-balkans-2/">relation privilégiée</a> que la Chine entretient avec la Republika Srpska aux dépens de la Fédération croato-bosniaque renforce les tensions entre les communautés des deux entités fédérées.</p>
<p>Inéluctablement, ces tensions se répercutent sur la politique locale comme en témoignent les protestations des dirigeants bosniaques – dont la majorité est musulmane – face à l’abstention de la Chine lors du vote de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies reconsidérant les crimes commis à l’égard de la population musulmane de Srebrenica <a href="https://cepa.org/comprehensive-reports/chinese-influence-in-bosnia-and-herzegovina/">comme étant un génocide</a>.</p>
<p>En outre, en favorisant le développement de la Republika Srpska, la Chine soutient implicitement les velléités séparatistes de son gouvernement dirigé par le nationaliste <a href="https://www.euractiv.fr/section/elections/news/le-separatiste-milorad-dodik-confirme-comme-nouveau-president-de-la-moitie-serbe-de-la-bosnie/">Milorad Dodik</a>. En effet, en entretenant un déséquilibre économique, politique et culturel au sein de la Bosnie-Herzégovine, la Chine permet à Dodik et à son parti de laisser penser qu’une autonomie plus grande, voire une indépendance complète de la Republika Srpska, ne pourrait être que bénéfice pour sa population.</p>
<p>Dans ce contexte de tensions intenses, les <a href="https://www.lepoint.fr/monde/bosnie-herzegovine-les-democrates-ont-ete-trahis-12-11-2022-2497517_24.php#11">élections présidentielles et législatives du mois d’octobre dernier</a> revêtaient une importance capitale pour le futur de la Bosnie-Herzégovine. Les résultats confirment d’ailleurs les divisions intercommunautaires du pays.</p>
<p>En effet, si les majorités bosniaque et croate ont toutes deux élu des membres du Parti Social-Démocrate (parti progressiste, socialiste et pro-européen), Milorad Dodik, le dirigeant pro-serbe et critique à l’égard de l’Union européenne, <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/bosnie-la-victoire-de-milorad-dodik-confirmee-par-la-commission-electorale-20221027">sort renforcé</a> de cette séquence électorale.</p>
<p>En outre, la deuxième participation de suite des représentants chinois aux célébrations organisées le 9 janvier en l’honneur de la création de la Republika Srpska (9 janvier 1992) irrite fortement les représentants de la Fédération croato-bosniaque. Jugée discriminatoire à l’égard des autres groupes ethniques de Bosnie-Herzégovine par la <a href="https://www.refworld.org/pdfid/3dea26eb4.pdf">Cour constitutionnelle</a>, cette fête vise à renforcer le sentiment patriotique de la population locale et illustre à elle seule les <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/17449057.2022.2072560">tensions intercommunautaires qui déchirent le pays</a>.</p>
<h2>Et la perspective européenne ?</h2>
<p>L’Union européenne peut-elle contribuer à rouvrir le dialogue entre les communautés ? Bien que les retraits relatifs des puissances traditionnelles (Union européenne et États-Unis) semblent laisser le champ libre aux nouvelles puissances (Chine, Russie et Turquie) dans les Balkans occidentaux, la toute récente décision des dirigeants européens d’octroyer à la Bosnie-Herzégovine le statut de pays candidat à l’adhésion à l’UE relance un processus qui stagne depuis plusieurs années.</p>
<p>Conditionnée à une série de réformes, en particulier en ce qui concerne la centralisation du pouvoir et la coopération entre entités, l’adhésion doit améliorer le fonctionnement d’un État fragilisé. Néanmoins, les tensions existantes et l’influence croissante d’acteurs externes, en particulier de la Chine, promettent un chemin long et sinueux vers plus de stabilité en Bosnie-Herzégovine. Sans aucune garantie de réussite.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196906/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Robert Dopchie a reçu des financements d'une bourse de doctorant de l'Université de Liège dans le cadre de ses recherche. </span></em></p>En Bosnie, la Chine mise avant tout sur Milorad Dodik, le leader de l’entité serbe du pays, la Republika Srpska.Robert Dopchie, Sciences Politiques, Relations Internationales, Politique Européenne, Balkans Occidentaux, Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1863412022-07-05T18:50:46Z2022-07-05T18:50:46ZMoldavie : la candidature à l’Union européenne n’est qu’une première étape<p>Les autorités moldaves ont salué la décision du Conseil européen d’accorder à leur pays le statut de candidat <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/285488-ue-statut-de-candidat-accorde-lukraine-et-la-moldavie#">à l’Union européenne</a> à l’occasion du sommet des 23 et 24 juin dernier. Par cette décision, ce pays entre en effet dans une dynamique d’élargissement, ce qui peut être considéré comme une conséquence non anticipée de la guerre en Ukraine. Pourtant, cet acte politique engageant ne constitue que la première étape d’un processus politique, tant au sein du pays candidat que de l’Union européenne.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1540042435186892801"}"></div></p>
<h2>Comment la Moldavie a été changée par la guerre en Ukraine</h2>
<p>La reconnaissance du statut de candidat pour la Moldavie ne comptait pas à l’origine parmi les priorités de la présidence française de l’Union européenne, la diplomatie française ayant longtemps été méfiante d’une politique d’élargissement mal contrôlée, risquant de faire disparaître son positionnement original.</p>
<p>Bien que la Moldavie n’ait pas été partie prenante de la guerre qui frappe son voisin, les conséquences ont été nombreuses. Dans les premières semaines du conflit, la population moldave <a href="https://www.unhcr.org/fr/news/stories/2022/5/628b84bca/refugies-ukrainiens-recoivent-accueil-chaleureux-moldavie-voisine.html">a accueilli près de 460 000 personnes</a> selon le Haut-commissariat aux réfugiés (UNHCR), dont 100 000 sont restées, ce qui représente des défis économiques, sociaux et logistiques considérables pour un pays de 2,7 millions d’habitants.</p>
<p>Au-delà de la question des réfugiés, le pays a été secoué par des <a href="https://www.marianne.net/monde/europe/explosions-en-transnistrie-quels-risques-pour-la-moldavie">explosions en Transnistrie</a>, région séparatiste située à l’est de la Moldavie, en avril et en mai, nourrissant les craintes d’une déstabilisation de la Moldavie. Si ce conflit n’a pas connu de nouvelle victime depuis le <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2022/01/RAMIREZ/64240">cessez-le-feu de juillet 1992</a>, les négociations sur le statut final piétinent. Se dirige-t-on vers une indépendance ou vers la réintégration au sein de la Moldavie, selon des modalités à définir ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-transnistrie-prochaine-etape-de-la-guerre-en-ukraine-179679">La Transnistrie, prochaine étape de la guerre en Ukraine ?</a>
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<p>Si les troupes russes reprennent leur offensive dans le Sud après les chutes récentes de Severodonetsk et de Lysychansk, en ciblant Odessa, quelles seront les conséquences localement pour la Transnistrie et la Moldavie ? Jusqu’à présent, la Transnistrie a pu s’appuyer sur les services de renseignement russes pour leur sécurité, sur des réseaux économiques ukrainiens divers et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/05/a-chisinau-en-moldavie-la-hantise-de-la-guerre_6124863_3210.html">sur Chisinau</a> pour accéder aux marchés européens. L’inquiétude est donc palpable dans la région, puisque les grands équilibres sont remis en question.</p>
<p>Dans ce contexte, la Moldavie a accueilli un nombre important de partenaires internationaux, inquiets de voir une fragilisation de la Moldavie qui a eu un rôle essentiel pour l’accueil des réfugiés, et qui pourrait devenir l’une des premières victimes en cas d’expansion du conflit. Ainsi, pour la première fois depuis 24 ans, un président français a effectué une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/16/a-chisinau-macron-entrouvre-les-portes-de-l-ue-a-l-ukraine_6130542_3210.html">visite à Chisinau le 15 juin dernier</a>, dont la signification est importante, et qui fait suite à un réchauffement diplomatique au plus haut niveau depuis deux ans. </p>
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<p>Significativement, cette rencontre a eu lieu avant celle réunissant Volodymyr Zelensky, Emmanuel Macron, Olaf Scholz, Mario Draghi et le <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/la-visite-a-kiev-de-macron-scholz-draghi-et-du-quatrieme-homme_2175448.html">président de la Roumanie, Klaus Iohannis</a>, à Kiev, en amont de la décision du Conseil européen donnant le statut de candidat à la Moldavie et à l’Ukraine, tandis que la <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20220703-apr%C3%A8s-le-refus-de-la-candidature-%C3%A0-l-ue-les-g%C3%A9orgiens-ont-le-sentiment-de-rater-le-train-de-l-histoire">Géorgie</a> se voyait reconnaître une perspective européenne.</p>
<h2>Une victoire nécessaire pour le gouvernement moldave</h2>
<p>Avant ce succès diplomatique, les derniers mois ont donc été compliqués pour le gouvernement moldave, qui a dû louvoyer entre des contraintes extérieures fortes et des risques de polarisation en interne.</p>
<p>Même si la neutralité a perdu de fervents partisans en Europe avec la Suède et la Finlande, nouveaux membres de l’OTAN, la Moldavie ne va probablement pas changer de position. Pour le moment, l’actuel gouvernement comme l’opposition rappellent leur attachement au <a href="https://theconversation.com/candidature-de-la-finlande-et-de-la-suede-a-lotan-rester-neutre-nest-plus-possible-en-europe-183147">principe de neutralité</a>, et sa condamnation de l’agression russe ne s’est pas accompagnée, dans un premier temps, de l’adoption des sanctions européennes contre la Russie. Toutefois, le renfort militaire proposé à la Moldavie par plusieurs partenaires internationaux de l’OTAN en matière non létale (logistique, mobilité, cyber, reconnaissance aérienne…) n’est pas considéré positivement par la Russie. Mais la Moldavie a également dû essuyer des critiques de la part des autorités ukrainiennes pour ne pas s’être totalement alignée sur Kiev, à différentes étapes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Ukraine : la Moldavie dans le viseur de Moscou ? – Le Dessous des cartes (Arte, 16 mars 2022).</span></figcaption>
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<p>La situation interne du pays est difficile, que ce soit sur le plan politique, économique et social. En effet, si <a href="https://www.tf1info.fr/international/qui-est-maia-sandu-la-presidente-anti-corruption-de-la-moldavie-qui-tient-tete-a-moscou-2223271.html">Maia Sandu</a> avait remporté brillamment sa présidentielle en novembre 2020 et qu’elle avait reçu en outre une majorité au Parlement en juillet 2021, la confiance dans les autorités a depuis largement diminué. Parmi les causes, on retrouve une <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicator/FP.CPI.TOTL.ZG?end=2021&locations=MD&start=1992">inflation très élevée</a> (autour de 27-29 % depuis le début de l’année), la fermeture d’entreprises ou l’inquiétude concernant l’hiver à venir suite à une <a href="https://www.rtbf.be/article/prix-de-l-energie-la-moldavie-declare-un-nouvel-etat-d-urgence-en-raison-de-la-crise-du-prix-du-gaz-10918781">hausse massive des prix de l’énergie</a>. </p>
<p>Dans ce contexte, l’arrestation du prédécesseur de Maïa Sandu, le prorusse, Igor Dodon, <a href="https://fr.euronews.com/2022/05/25/l-ancien-president-moldave-igor-dodon-place-en-garde-a-vue">pour des faits de trahison et de corruption</a> le 24 mai dernier, n’est pas passée inaperçue par l’opposition. Cela n’empêche pas l’opposition prorusse de travailler pour revenir au pouvoir vers 2024-2025. La polarisation risque en tout cas de se renforcer, quelle que soit l’issue du conflit en Ukraine.</p>
<h2>La candidature ouvre une période de longue attente et de préparation exigeante</h2>
<p>Le <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/PRES_03_163">sommet de Thessalonique de 2003</a> ouvrait une perspective européenne pour l’ensemble des Balkans occidentaux ; cela tend à montrer que la période qui s’ouvre promet d’être longue, sans que l’on puisse donner avec précision une date, dans la mesure où l’élargissement dépend des pays concernés, mais aussi du groupement politique qu’ils souhaitent rejoindre.</p>
<p>Les pays candidats sont soumis à une longue négociation pour la reprise de l’acquis (c’est-à-dire l’ensemble du corpus juridique communautaire), mais surtout sa mise en œuvre, ce qui suppose une politique cohérente portée par des élites administratives compétentes. Or, si l’acquis a déjà été traduit en roumain, les difficultés de mise en œuvre sont déjà connues : après le <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/qui-a-vole-un-milliard-d-euros-a-la-moldavie_1725158.html">« casse du siècle »</a> de 2014, menant à la disparition de près de 13 % du PIB moldave dans une fraude financière massive, la Moldavie a été considérée en 2018 par le Parlement européen comme un « État capturé » par les <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03385298/">intérêts oligarchiques</a>. Si la situation s’est améliorée, il ne faut pas sous-estimer les risques de rechute en fonction d’un contexte fragile, tant au plan national qu’au plan régional.</p>
<p>Par ailleurs, l’exemple des Balkans occidentaux montre également la nécessité d’une constance au niveau européen. Si les <a href="https://eur-lex.europa.eu/FR/legal-content/glossary/accession-criteria-copenhagen-criteria.html">critères d’adhésion, dits critères de Copenhague</a>, (en matière d’État de droit, de démocratie et d’économie de marché) font partie des devoirs des pays candidats, la question de la « capacité d’absorption » risque de revenir en force quelques mois après le conflit, au gré des crises économiques et sociales, ainsi que des soubresauts politiques des États membres. La tolérance politique envers des États comptant un conflit territorial non résolu, ou étant en proie à des tendances illibérales ou encore étant largement corrompu pourrait être faible dans ce cas de figure, une fois la pression géopolitique moins aiguë.</p>
<p>C’est sans doute la raison pour laquelle la diplomatie moldave a répondu plutôt favorablement à l’idée de créer une <a href="https://institutdelors.eu/publications/la-communaute-politique-europeenne/">Communauté politique européenne</a>, comme l’a proposé Emmanuel Macron le 9 mai dernier au Parlement européen. Cela permettrait d’associer des pays candidats à un certain nombre de choix cruciaux qui vont se poser prochainement aux Européens, en évitant les incompréhensions et les déceptions réciproques observées au sujet de l’élargissement des Balkans occidentaux. <a href="https://www.euractiv.fr/section/politique/news/la-%E2%80%89communaute-politique-europeenne%E2%80%89-ne-remplace-pas-lelargissement-selon-emmanuel-macron/">Loin d’être un substitut d’élargissement</a>, la Communauté politique européenne pourrait permettre d’aiguiller les transformations attendues de la Moldavie comme des autres membres.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186341/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Florent Parmentier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après le conflit russo-ukrainien, la Moldavie aura-t-elle les moyens de convaincre ses partenaires qu’elle mérite un plein soutien en dépit des risques de corruption, de sécurité ou de dérives illibérales ?Florent Parmentier, Secrétaire général du CEVIPOF. Enseignant à Sciences Po. Chercheur-associé au Centre HEC Paris de Géopolitique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1830492022-05-15T16:01:18Z2022-05-15T16:01:18ZQuelle « Communauté politique européenne » pour l’avenir ?<p>La guerre à laquelle nous assistons en Ukraine impose de nouvelles réalités géopolitiques au continent et bouscule les Européens dans leurs certitudes. Elle affecte leur rapport à la sécurité, à leurs voisinages et met l’UE au défi de redéfinir les tenants de la construction européenne. La question ukrainienne – jadis chasse gardée d’États membres frontaliers aujourd’hui exposés à un <a href="https://theconversation.com/lue-face-au-defi-de-lafflux-de-refugies-ukrainiens-181005">flux massif de réfugiés</a> – est devenue à proprement parler un enjeu politique pour l’ensemble du continent. Au-delà de l’aide humanitaire, financière et militaire qu’il conviendra de fournir à Kiev <a href="https://theconversation.com/laide-internationale-indispensable-sur-la-duree-en-ukraine-et-ailleurs-178451">pour de nombreuses années</a>, c’est avant tout par une initiative politique que les Européens doivent se réinscrire dans leur histoire et leur géographie et, ainsi, répondre aux défis de notre époque, tant à l’est de l’Union que dans les Balkans occidentaux.</p>
<p>La <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/ue/communaute-politique-europeenne-comprendre-la-proposition-d-emmanuel-macron-en-5-questions-8d6ae0be-d068-11ec-9a5d-1e5046ed7ce7">« communauté politique européenne »</a>, proposée par Emmanuel Macron ce 9 mai à Strasbourg vise à relever ce défi. François Mitterrand <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2011-2-page-18.htm">aimait à dire</a> que la géopolitique de l’Europe a besoin d’une théorie des ensembles. Cette communauté politique européenne peut-elle dès lors connaître un autre sort que la Confédération européenne imaginée et portée par le président français entre 1989 et 1991 ? Sans doute, à condition de dépasser le projet d’origine, de l’adapter aux nouvelles réalités des années 2020, et d’en faire la tête de pont politique du projet européen, pour qu’en son sein grandisse une nouvelle génération de citoyens partageant une seule et même culture démocratique.</p>
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<p>Dans les semaines qui viennent, l’enjeu, en somme, sera de dessiner les contours d’une Confédération des citoyennes et des citoyens européens qui contribue à la fois à l’approfondissement et à l’élargissement de la <a href="https://european-union.europa.eu/principles-countries-history/history-eu_fr">construction européenne</a>, et à la constitution d’un nouvel ordre politique européen compatible avec les acquis de l’Union.</p>
<h2>De la confédération européenne à la communauté politique européenne</h2>
<p>Les périodes de changements profonds de l’ordre européen sont favorables à l’émergence de nouvelles idées. Celle de Confédération européenne a pris naissance en 1989 dans le <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2015-3-page-103.htm">contexte d’une Europe encore divisée</a>, d’un approfondissement fort de la construction européenne et de vives préoccupations à l’est.</p>
<p>Pour prometteur qu’il fût, le projet s’est vite heurté à plusieurs craintes, notamment celle de n’offrir aux pays de l’Est qu’une perspective d’<a href="https://www.touteleurope.eu/institutions/qu-est-ce-que-l-europe-a-plusieurs-vitesses/">Europe à deux vitesses</a>, ou d’une alternative au rabais à l’adhésion à la Communauté européenne.</p>
<p>Et, de fait, la Confédération européenne n’était-elle pas pour une <a href="https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1991_num_46_6_3790">Europe de l’Ouest</a> parfois frileuse, en particulier la France « gardienne du temple », le moyen de reléguer durablement l’Europe centrale et orientale en dehors d’une Europe soucieuse de sa consolidation ? Dans cette perspective, la proposition d’Emmanuel Macron ne revient-elle pas à écarter dans les faits l’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/11/les-vingt-sept-excluent-l-idee-d-une-adhesion-rapide-de-l-ukraine-a-l-union-europeenne_6117011_3210.html">adhésion rapide de l’Ukraine à l’UE</a>, et ce faisant, ne crée-t-elle pas une nouvelle antichambre dans laquelle les pays de l’Est (Ukraine, Géorgie, Moldavie) et ceux des Balkans occidentaux (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine du Nord, Monténégro, Serbie) seront invités à patienter de nombreuses années encore ?</p>
<h2>L’élargissement de l’Union européenne</h2>
<p>Pour tous ces États, l’adhésion pleine et entière à l’UE reste un objectif important, mais à moins de réviser les <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/enlargement/">critères de Copenhague</a>, elle ne peut constituer qu’un objectif à long terme, incertain, que les États membres eux-mêmes n’hésitent pas à rendre plus difficilement atteignable. Les pays des Balkans occidentaux en font les frais depuis deux décennies, sans que leurs perspectives d’adhésion à l’UE ne se précisent.</p>
<p>L’un d’eux, la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/macedoine-du-nord-sur-la-route-de-l-adhesion-a-l-ue-tous-les-feux-sont-au-vert-2090304">Macédoine du Nord</a>, a même accepté de changer de nom afin de <a href="https://www.liberation.fr/planete/2018/09/28/macedoine-du-nord-oui-au-nom_1681996/">lever le véto brandi par la Grèce au sein du Conseil</a>, avant de se voir injustement <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/18/querelle-linguistique-heros-dispute-pourquoi-la-bulgarie-entrave-la-marche-de-la-macedoine-du-nord-vers-l-europe_6060213_3210.html">bloqué par la Bulgarie</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Union européenne : élargir ou pas ? (28 Minutes, Arte).</span></figcaption>
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<p>Le dogme de Copenhague et la logique intergouvernementale qui prévaut depuis le <a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/comprendre-le-traite-de-lisbonne">traité de Lisbonne</a> rendent tout raccourci vers l’adhésion tout à fait illusoire. En principe fondée sur le mérite, la politique d’élargissement, aujourd’hui, nourrit avant toute chose d’immenses frustrations dans les Balkans occidentaux. Son expansion dans les mêmes termes aux pays d’Europe orientale ne palliera pas le manque de crédibilité de l’UE, qui fait le jeu de puissances rivales (<a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/chine-turquie-russie-trois-predateurs-pour-nos-democraties">Russie, Chine, Turquie</a>). Bien au contraire, elle risque d’approfondir les vulnérabilités communes.</p>
<h2>Le pari d’un approfondissement différencié</h2>
<p>Mais des solutions existent, car l’Europe se construit de plus en plus au travers d’une intégration différenciée. Force est de constater qu’aujourd’hui, certains pays se sont déjà placés dans cette position de moindre intégration – en n’appartenant pas à la <a href="https://www.touteleurope.eu/les-pays-membres-de-la-zone-euro/">zone euro</a>, à <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/security/20190612STO54307/schengen-comprendre-l-espace-europeen-sans-frontieres">Schengen</a> ou à l’<a href="https://www.defense.gouv.fr/actualites/europe-defense-boussole-strategique-adoptee">Europe de la défense</a>. D’autres participent à ces politiques sans pour autant bénéficier du statut d’État membre. Si elle soulève des questions tout à fait légitimes en termes de cohérence, l’intégration différenciée offre des marges de manœuvre permettant d’élargir la construction européenne tout en contribuant à son approfondissement. L’Europe en 2022 doit être pensée à l’aune de cette logique d’approfondissement différenciée.</p>
<p>C’est ici que les réflexions d’<a href="https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/opinion/leurope-federale-denrico-letta/">Enrico Letta</a>, qui reprend à son compte le concept mitterrandien de confédération européenne, prennent tout leur sens. Il s’agit pour lui, comme pour Emmanuel Macron, de penser l’avenir de l’Europe au travers d’une théorie des ensembles et de projets concrets, qui ne remplacent pas le processus formel d’adhésion à l’UE, mais qui le complètent, le renforcent. On peut en critiquer les modalités, mais le propre des bons projets est de répondre à une grande question, en l’occurrence, comme le rappelle le président français : « Comment organiser l’Europe d’un point de vue politique et plus large que l’UE ? »</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1523928291463290882"}"></div></p>
<p>Une adhésion immédiate étant illusoire, comment reconnaître dès aujourd’hui l’appartenance des citoyens d’Ukraine et des autres pays d’Europe orientale et balkanique à une famille européenne partageant un même un projet politique ? Comment répondre à leurs aspirations de citoyenneté et de démocratie européenne ? Et comment le faire tout en préservant l’unité de notre continent et la solidité de l’Union ?</p>
<h2>L’Europe doit faire face à ses dilemmes</h2>
<p>Au cours de ces vingt dernières années, l’<a href="https://european-union.europa.eu/priorities-and-actions/actions-topic_fr">Union s’est considérablement approfondie</a> et, malgré les crises, s’est élargie successivement en 2004, puis 2007 et enfin 2013. Mais cet approfondissement n’a pas été uniforme. Il a sans conteste contribué à la consolidation de l’<a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/leurope-veut-renforcer-son-autonomie-economique-et-financiere-1282469">Europe des marchés</a>, avec des mesures d’intégration de plus en plus poussées, et de celle de l’Europe des techniciens, élargissant toujours plus le champ de l’acquis communautaire.</p>
<p>Cet accent mis sur l’approfondissement de ces deux Europes, et la confiance portée à la <a href="http://www.nouvelle-europe.eu/la-crise-de-l-integration-europeenne-au-prisme-du-neo-fonctionnalisme#:%7E:text=Cette%20th%C3%A9orie%20de%20l%E2%80%99int%C3%A9gration,contexte%20europ%C3%A9en%20de%20l%E2%80%99%C3%A9poque.">logique fonctionnaliste</a>, a longtemps négligé la vocation politique de la construction européenne. La réaction d’une partie des peuples européens, tout à fait prévisible à la lecture de <a href="https://www.gutenberg.org/files/852/852-h/852-h.htm">John Dewey</a> ou <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2012-1-page-131.htm">Jürgen Habermas</a>, s’est dès lors portée vers une désaffection grandissante à l’encontre du projet de construction européenne.</p>
<p>Elle s’est aussi traduite par une <a href="https://information.tv5monde.com/info/montee-des-populismes-en-europe">montée des populismes</a>, une contestation du <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2010-3-page-7.htm">rôle des experts</a>, une <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/documents-publications/library/library-blog/posts/l-union-europeenne-a-l-epreuve-des-nationalismes-par-anais-voy-gillis/">résurgence des nationalismes</a> et plus généralement une crise de nos démocraties. Cet effort d’intégration dans les domaines des marchés et du droit a beaucoup apporté à l’Europe, mais le réel approfondissement, aujourd’hui plus qu’en 1989, réside en ces logiques d’intégration visant à doter l’Europe d’une âme politique et les Européens d’une conscience active de leur citoyenneté européenne.</p>
<h2>La capacité de l’Europe à se réinventer mise à l’épreuve</h2>
<p>Le premier dilemme auquel l’Europe fait face est donc celui d’un rééquilibrage de ses approfondissements, pour qu’à terme émerge un ordre politique proprement européen, animé par une conception supranationale de la démocratie européenne et habité par des citoyens européens se percevant avant tout comme Européens.</p>
<p>Ce nouvel ordre politique d’une Europe des citoyennes et des citoyens reste à bâtir. Mais il transcende le dilemme qui suggère qu’un nouvel élargissement de l’UE mettrait en péril son approfondissement. Ces vingt dernières années, l’UE a presque doublé le nombre de ses États membres – et perdu l’un d’entre eux, avec le <a href="https://www.cogitatiopress.com/politicsandgovernance/article/view/2133">Brexit en 2020</a>. Malgré des fragilités, l’UE fait aujourd’hui face à des crises historiques. Ses précédents élargissements ne se révèlent en aucune manière comme des faiblesses, bien au contraire. Et pourtant, ce dilemme reste un frein puissant à l’élargissement, puisque l’adhésion de nouveaux États membres soulève des questions quant à la constitution d’une Europe politique. Mais comment celle-ci peut-elle donc voir le jour, si ce qui prime en matière d’intégration européenne à la fois entre les États membres et avec les pays d’Europe orientale et balkanique reste les logiques d’intégration par le marché et le droit ? Avec la Communauté politique européenne, l’enjeu est de sortir l’UE et ses voisinages de l’ornière dans laquelle ils se trouvent.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1523603670591442944"}"></div></p>
<p>La guerre en Ukraine est un moment charnière mettant au défi l’UE dans sa capacité à se réinventer. Il ne s’agit plus seulement de faire preuve de résilience. Si l’UE peut être tentée de privilégier le temps long, elle doit également donner à court terme des impulsions stratégiques. Ce dilemme portant sur le temps est essentiel, compte tenu de l’érosion dramatique de la crédibilité de l’UE en matière de politique d’élargissement dans les Balkans occidentaux.</p>
<h2>Une Confédération des Européens, fer de lance d’une Europe politique</h2>
<p>C’est en gardant ces dilemmes en tête que l’idée mitterrandienne de Confédération européenne peut aujourd’hui servir de source d’inspiration : quelle forme cette nouvelle Confédération – ouverte aux pays non membres de l’UE – pourrait-elle prendre pour répondre aux défis historiques se posant en Europe ?</p>
<p>Avant toute chose, il importe de concevoir cette Confédération comme une contribution à l’approfondissement de la construction européenne dans un domaine essentiel auquel l’UE peine à œuvrer : la constitution d’un <em>dèmos</em> européen. La Confédération européenne doit en quelque sorte servir de berceau pour une nouvelle génération de citoyens européens, qu’il conviendra d’éduquer en tant que tel, au travers de projets concrets. Dans les écoles des États membres de la Confédération, l’enseignement de la citoyenneté démocratique, de l’histoire, de la culture, de l’éthique et des langues européennes devra faire partie intégrante du programme éducatif national. La Confédération aura pour mission d’éveiller la conscience politique des jeunes Européens et de favoriser l’émergence d’une culture démocratique européenne. Elle touchera donc à des prérogatives que se réservent les États membres de l’UE, mais pourra pour cela s’appuyer sur des bases posées par le Conseil de l’Europe.</p>
<p>Pour bâtir cette nouvelle génération d’Européens, la Confédération pourra appuyer son programme politique sur la mobilité, surtout à un âge où se forment les identités des jeunes citoyens (dès 12 ans). Des programmes d’échanges confédéraux pourraient permettre aux adolescents de faire l’expérience de la mobilité européenne, de nouer des amitiés dans les autres pays et de concevoir leur engagement citoyen à l’échelle du continent. Ces programmes existent aujourd’hui sous formes volontaristes ou bilatérales (l’<a href="https://www.ofaj.org/">Office franco-allemand pour la Jeunesse</a> par exemple), alors qu’ils devraient servir de levier d’Archimède pour l’émergence d’une Génération E (européenne) de citoyens. Les Balkans occidentaux disposent d’un modèle en la matière, le <a href="https://www.rycowb.org/"><em>Regional Youth Cooperation Office</em></a>, que la Confédération pourrait étendre à l’ensemble de ses membres. La mobilité des écoliers en Europe devrait être la norme et non l’exception. De même, l’instauration d’un <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-l-action-2011-4-page-90.htm">service civique</a> ou militaire européen permettrait de renforcer encore la mobilité des jeunes et de faire émerger un sentiment de loyauté nécessaire à l’heure des débats sur l’autonomie stratégique.</p>
<p>La constitution d’une telle Confédération, mettant la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/la-citoyennete-europeenne">citoyenneté européenne</a> au cœur du projet, ne saurait être portée par les seules élites. Il importe au contraire de la concevoir comme un exercice de <a href="https://journals.openedition.org/siecles/1246 ?lang=en">démocratie participative</a>, préparant les futures générations d’Européens à leur rôle de citoyen. D’ici là, les peuples européens pourraient être amenés à se prononcer régulièrement sur le maintien ou non de leur pays dans la Confédération, en même temps que se tiennent les élections générales dans leur pays. Les partis politiques dans les États européens ne pourront ainsi pas faire l’impasse sur ces questions fondamentales liées à la jeunesse, la citoyenneté, la démocratie et le fédéralisme européen.</p>
<p>Tous les pays européens devraient être appelés à rejoindre cette Confédération – les pays d’Europe orientale ou balkanique au même titre que les États membres de l’UE – dès lors que sont garantis le <a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0578-la-democratie-europeenne-un-systeme-fondamental-a-proteger">pluralisme des partis, des élections libres, un système représentatif et une liberté d’information</a>. Tous ne choisiront probablement pas de le faire, car au-delà de la question des standards politiques conditionnant cette adhésion, c’est surtout le partage d’une vision fédéraliste européenne qui primera dans la décision d’adhérer. Et c’est donc vers les pays dont la marche vers la démocratie est évidente que la Confédération devra aussi se tourner. L’UE, elle, continuera son travail d’intégration par le marché et par le droit. En s’élargissant aux pays d’Europe orientale et balkanique qui le souhaitent, la construction européenne, par le biais de cette Confédération, donnera un statut à ces pays pour le moment exclus de l’UE, et surtout un cadre commun dans lequel bâtir, ensemble, l’Europe et la démocratie de demain. La Confédération sera une source de fierté, un engagement générationnel, et non pas une nouvelle politique sectorielle de l’UE.</p>
<p>Les prochains mois seront déterminants pour la construction européenne. Il conviendra de poursuivre les réformes engagées au sein de l’UE et qui portent tant sur son fonctionnement que sur sa politique d’adhésion. Mais ces processus prendront du temps, alors même que le monde change à vive allure. La constitution d’une Confédération des Européennes et des Européens permettrait alors une quadrature du cercle historique. Approfondir le projet européen en le dotant d’une véritable âme politique, tout en l’élargissant aux peuples partageant ces idéaux ; agir aujourd’hui en mettant en œuvre des projets concrets et audacieux, tout en façonnant les forces démocratiques qui demain mèneront la Grande Europe à son accomplissement ; et, enfin, donner un nouveau souffle à l’Europe tout en préservant l’UE et ses logiques d’intégration.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183049/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Alors que la désaffection à l’égard du projet de construction européenne va croissant, Emmanuel Macron propose de renforcer la dimension politique de l’Europe.Florent Parmentier, Secrétaire général du CEVIPOF. Enseignant à Sciences Po. Chercheur-associé au Centre HEC Paris de Géopolitique, Sciences Po Florent Marciacq, Secrétaire général adjoint au Centre franco-autrichien pour le rapprochement en Europe, directeur de l’Observatoire des Balkans à la Fondation Jean Jaurès, chercheur au Centre international de formation européenne, Centre international de formation européenneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1786672022-03-12T19:15:16Z2022-03-12T19:15:16ZSanctions contre la Russie : le monde du sport entre dans une nouvelle ère<p>L’agression russe contre l’Ukraine a provoqué un mouvement inédit de réactions en provenance du monde du sport, mais aussi de la <a href="https://www.cnrs.fr/fr/le-cnrs-suspend-toutes-nouvelles-formes-de-collaborations-scientifiques-avec-la-russie">science</a> et de la <a href="https://www.nytimes.com/2022/03/04/movies/film-boycott-russia-ukraine.html">culture</a>.</p>
<p>Si l’on s’en tient au monde du sport, des <a href="https://www.lalibre.be/sports/tennis/2022/02/28/lukrainienne-svitolina-ne-veut-pas-jouer-contre-la-russe-potapova-a-monterrey-MKMFQMSHE5FPHG4ZUYUF6PTRGM/">athlètes</a>, des <a href="https://www.lalsace.fr/sport/2022/02/26/pologne-russie-annule-ngapeth-veut-snober-le-mondial-de-volley-le-monde-du-sport-poursuit-la-mobilisation-face-a-la-russie">fédérations nationales</a>, des <a href="https://theconversation.com/fifas-suspension-of-russia-is-a-rarity-but-one-that-strips-bare-the-idea-that-sport-can-be-apolitical-178131">organisateurs de compétitions</a> ou encore des <a href="https://www.skysports.com/football/news/30964/12553638/england-will-not-play-against-russia-for-foreseeable-future-due-to-invasion-of-ukraine-fa-confirms">États</a> ont, dans un même élan, annoncé leur intention de ne plus concourir contre des représentants de la Russie, de ne plus les accueillir ou de ne plus se rendre en Russie pour une compétition sportive.</p>
<p>Cet élan a abouti à ce que le Comité international olympique (CIO) <a href="https://olympics.com/cio/news/la-commission-executive-du-cio-recommande-de-ne-pas-autoriser-la-participation-d-athletes-et-d-officiels-russes-et-belarussiens">recommande</a>, le 28 février dernier, de « ne pas autoriser la participation d’athlètes et d’officiels russes et bélarussiens » à des compétitions sportives – une recommandation immédiatement mise en œuvre par l’UEFA et la FIFA à travers plusieurs décisions, notamment <a href="https://www.sofoot.com/l-uefa-exclut-le-spartak-moscou-de-la-ligue-europa-511410.html">l’exclusion du Spartak Moscou de l’Europa League</a> et celle de la <a href="https://www.france24.com/fr/sports/20220228-guerre-en-ukraine-la-fifa-exclut-la-russie-de-la-coupe-du-monde-de-football">sélection russe des qualifications au Mondial 2022</a>.</p>
<p>Ayant longuement <a href="https://journals.openedition.org/balkanologie/2641">étudié</a> les sanctions sportives qui touchèrent la République fédérale de Yougoslavie (RFY, regroupant Serbie et Monténégro) de 1992 à 1995, l’auteur souhaite faire un pas de côté au regard de l’enchaînement rapide des derniers jours afin de poser plusieurs questions qui, si elles sont éludées aujourd’hui, ne manqueront pas de se poser demain.</p>
<h2>Un précédent unique : la Yougoslavie de Milosevic en 1992</h2>
<p>Les sanctions sportives s’inscrivent dans la panoplie de sanctions internationales développées au début des années 1990 à la faveur de la fin de la guerre froide et de la montée en puissance des interventions et opérations de l’ONU. Certains chercheurs ont ainsi parlé de la <a href="https://www.rienner.com/title/The_Sanctions_Decade_Assessing_UN_Strategies_in_the_1990s">« décennie des sanctions »</a>. Néanmoins, elles ne furent votées qu’une seule fois, contre la RFY, par l’article 8b de la <a href="https://digitallibrary.un.org/record/142881?ln=fr">résolution 757 du 30 mai 1992</a> relatif aux échanges sportifs, scientifiques et culturels.</p>
<p>On se souvient que ces sanctions eurent comme traduction immédiate le <a href="https://showsport.me/football/team-denmark-uefa-team-croatia-team-serbia-12797914">départ de la sélection de RFY de Suède</a>, où elle devait disputer l’Euro 1992 de football. Les archives de la correspondance entre la FIFA et la fédération yougoslave montrent que la FIFA n’a agi que contrainte par la résolution de l’ONU, alors qu’elle avait écarté cette possibilité quelques jours avant seulement, dissuadant d’ailleurs les autorités politiques suédoises, très tentées de renvoyer les athlètes yougoslaves, de le faire, arguant que cela créerait un précédent extrêmement dangereux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1409801548071424006"}"></div></p>
<p>De son côté, le CIO, par la voix de son président Juan Antonio Samaranch, déploya une diplomatie parallèle dans les grandes capitales afin d’amoindrir la portée de ces sanctions en vue des Jeux de Barcelone à venir, au grand dam de certains États membres du comité des sanctions de l’ONU. In fine, un compromis fut trouvé sous la forme d’une participation des athlètes serbes et monténégrins <a href="https://www.latimes.com/archives/la-xpm-1992-07-11-sp-1382-story.html">sous drapeau blanc</a>, mais uniquement pour les sports individuels, d’où l’absence de la sélection de basket emmenée par Vlade Divac.</p>
<p>Quel bilan a-t-on pu tirer de ces sanctions sportives ? Cette question renvoie à celle, trop souvent éludée, des objectifs des sanctions. En l’espèce, personne ne croit sérieusement que des sanctions sportives vont pousser un régime à changer de politique. Cela est l’affaire de sanctions économiques massives et/ou ciblées. Les sanctions sportives, elles, vont toucher à la symbolique de la représentation internationale du pays visé.</p>
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<figcaption><span class="caption">Documentaire « Yougoslavie, Suicide d’une nation européenne », de Brian Lapping, partie 1.</span></figcaption>
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<p>Si l’on considère que les compétitions sportives revêtent un caractère de puissance, alors priver un État de cette démonstration peut être vu comme symboliquement pertinent. Les sanctions sportives combinent donc à la fois un impact symbolique à l’international, mais aussi un message directement adressé au peuple concerné. C’était <a href="https://undocs.org/fr/S/PV.3096">l’avis de l’ambassadeur autrichien au sein du comité des sanctions de l’ONU</a>, pour qui cette mesure servait précisément à faire comprendre directement au peuple serbe (et non à son gouvernement) que la communauté internationale désapprouvait la politique du régime de Milosevic.</p>
<p>Cette position, apparentant les sanctions sportives à une punition, ne fit pas l’unanimité malgré le vote de la résolution, à treize voix contre deux abstentions (Chine et Zimbabwe, ce qui signifie au passage que la Russie vota pour). Ainsi, l’ambassadeur de France à l’ONU Jean‑Bernard Mérimée <a href="https://undocs.org/fr/S/PV.3082">déclara</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le texte comporte également une disposition sur le gel des contacts sportifs. Je souhaite indiquer de manière très claire que la France, qui a voté la résolution, se dissocie de ce passage. Pourquoi ? Parce que la mesure envisagée est dérisoire par rapport à la gravité des enjeux, inutilement vexatoire et, surtout, inappropriée parce que empruntée à une panoplie de mesures adoptées dans un autre contexte, celui de la lutte contre l’apartheid. »</p>
</blockquote>
<h2>Un bilan mitigé</h2>
<p>Dans les faits, ces sanctions n’eurent pas l’effet escompté de choc psychologique puisqu’elles furent ressenties par la population de la RFY comme une grande injustice. Au demeurant, Milosevic était loin d’être populaire en 1990-1992 : des <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1992/07/07/serbie-apres-une-semaine-de-contestation-l-opposition-suspend-ses-manifestations-contre-le-president-milosevic_3912875_1819218.html">manifestations contre la guerre</a> rassemblèrent plusieurs dizaines de milliers de personnes avant que l’exode, la répression, l’embargo et la fatigue ne viennent faire leur œuvre. La levée des sanctions sportives en 1994 qui fait suite à l’annulation d’autres sanctions (suspension de l’interdiction de survol international et de transport aérien, votées par la <a href="https://digitallibrary.un.org/record/161760?ln=fr">résolution 943</a> le 24 septembre 1994, en échange de la reconnaissance par Belgrade de la frontière entre la Bosnie et la Serbie, et de retrait du soutien politique, militaire et matériel aux Serbes de Bosnie) servit en revanche de levier pour obtenir quelques concessions de la part de Milosevic.</p>
<p>Néanmoins, les sanctions sportives ne furent plus utilisées à ce niveau depuis lors. Trois hypothèses peuvent être avancées pour l’expliquer.</p>
<p>Tout d’abord, il n’y a plus jamais eu d’accord au Conseil de Sécurité de l’ONU pour soumettre un autre pays à des sanctions aussi massives que celles qui ont touché la RFY en 1992.</p>
<p>Ensuite, le bilan de ces sanctions (qui sont aussi scientifiques et culturelles, il faut le rappeler) est jugé comme négatif à l’aune de leur objectif : l’humiliation gratuite l’emporte sur le choc psychologique.</p>
<p>Enfin, les fédérations internationales de sport ont toujours affirmé leur réticence à ce type de sanctions, ce qui n’est pas négligeable au regard de leur poids dans les relations internationales.</p>
<p>D’ailleurs, lorsqu’en 1998 certains intellectuels et parlementaires européens réclameront l’exclusion de la RFY du Mondial en raison des exactions commises par les forces de Milosevic au Kosovo, le porte-parole de la FIFA, Keith Cooper, se contentera de dire : « La FIFA a pour politique de suivre celle des Nations unies. Comme la Yougoslavie s’est qualifiée sur le terrain et qu’il n’y a pas de directive de l’ONU, il n’y a aucune raison de réviser notre position. »</p>
<p>Il en fut de même plus récemment pour la Syrie, dont les sportifs ont pu continuer à prendre part aux compétitions internationales en dépit des crimes imputés au régime de Bachar Al-Assad.</p>
<h2>La prise d’autonomie des fédérations et des athlètes</h2>
<p>Il existe une différence forte entre le cas yougoslave et la Russie : outre que les sanctions n’émanent pas de l’ONU (et pour cause, la Russie ayant droit de veto en sa qualité de membre permanent du Conseil de Sécurité), elles sont le résultat d’une mobilisation d’athlètes et de fédérations de sport, et non pas « simplement » d’organisations des droits humains, qui appellent régulièrement à ce type de sanctions ou de boycott, par exemple contre la Chine.</p>
<p>Autrement dit, en ce qui concerne le sport, on ne peut même pas évoquer des « sanctions » à proprement parler puisqu’elles n’émanent pas d’une autorité politique légitime et centralisée, mais plutôt d’un boycott massif initié par le bas, que les fédérations internationales de sport ont dû, bon gré mal gré et sous une intense pression, entériner. De ce point de vue, la situation actuelle ferait davantage penser au précédent de <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/le-zoom-de-la-redaction/le-zoom-de-la-redaction-29-juillet-2010">l’Afrique du Sud sous apartheid</a> : là aussi, des décisions d’exclusion avaient été prises par le bas et sous la pression, mais en ordre plus dispersé, sport par sport, que ce que l’on peut voir actuellement.</p>
<p>Dès lors, quelles sont les questions soulevées par les choix du CIO, sommet de la pyramide de mouvement sportif international, puis de la FIFA, si l’on se concentre sur elles ?</p>
<p>Le CIO fonde sa recommandation sur trois choses. D’une part, l’équité vis-à-vis des athlètes ukrainiens qui ne peuvent plus concourir. D’autre part, la sécurité des compétitions et des athlètes. Une préoccupation prise en compte par la FIFA et l’UEFA, qui ont initialement ordonné que les rencontres prévues en Russie et Ukraine <a href="https://www.rtbf.be/article/football-les-matches-a-domicile-impliquant-l-ukraine-et-la-russie-se-joueront-sur-terrain-neutre-uefa-10943021">soient disputées sur terrain neutre</a>. Enfin, le CIO met en avant la violation de la trêve olympique (préambule et point 4 de la déclaration) pour sanctionner en particulier des individus, y compris Vladimir Poutine. Depuis 1992, le CIO lance un appel international au respect de cette trêve. L’Assemblée générale de l’ONU <a href="https://olympics.com/cio/news/l-assemblee-generale-de-l-onu-adopte-la-treve-olympique-pour-beijing-2022">vote</a> avant chaque olympiade une résolution symbolique appelant à son respect.</p>
<p>Néanmoins, nous sommes bien ici dans la symbolique. Cela ne veut pas dire que ça n’a pas d’importance, puisqu’il semble que la Chine ait demandé à Poutine d’<a href="https://www.nytimes.com/2022/03/02/us/politics/russia-ukraine-china.html">attendre la fin des Jeux d’hiver pour attaquer l’Ukraine</a> (les Russes sont passés à l’offensive deux jours après la fin des JO de Pékin réservés aux athlètes valides, mais cette attaque continue alors que les Jeux paralympiques, qui se tiennent dans la même ville, <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2022/03/04/les-jeux-paralympiques-2022-ouverts-dans-la-tempete-ukrainienne_6116195_3242.html">sont en cours</a>).</p>
<p>Il reste que le respect de la trêve olympique n’est adossé à aucun texte juridique, et la trêve elle-même ne figure pas dans la <a href="https://olympics.com/cio/charte-olympique">Charte olympique</a>, notamment à l’article 59 relatif aux sanctions. Par conséquent, il y a vraisemblablement une fragilité juridique dans la recommandation du CIO dans la mesure où la Charte ne prévoit pas explicitement de suspendre un Comité national olympique en raison des agissements politiques de son gouvernement, ce que le CIO rappelle d’ailleurs au deuxième paragraphe du communiqué. Si la suspension ne semble pas directement liée à la violation de la trêve olympique, l’évocation à deux reprises de celle-ci demeure problématique si l’on va au bout de la logique : cela signifie-t-il que le CIO n’aurait rien dit si Poutine avait décidé d’attaquer l’Ukraine en dehors de tout calendrier olympique et paralympique, par exemple le 5 avril ?</p>
<p>Le communiqué du CIO salue par ailleurs les athlètes, y compris russes, qui se sont opposés à la guerre, dérogeant ainsi au principe d’apolitisme pourtant si âprement défendu habituellement à Lausanne.</p>
<p>La FIFA s’est d’abord montrée <a href="https://www.lemonde.fr/football/article/2022/02/27/guerre-en-ukraine-la-fifa-et-son-president-gianni-infantino-sous-pression_6115469_1616938.html">très réticente</a> à suspendre la Russie. En l’absence d’une résolution de l’ONU qui ne viendra jamais, le parapluie du CIO lui a offert l’occasion de suivre le mouvement sans en prendre la responsabilité première. Pour autant, il est très discutable que ses <a href="https://www.fifa.com/fr/legal/documents">statuts</a> (Articles 16 et 17 en particulier) lui permettent, en l’état, de suspendre la fédération de football de Russie en raison des agissements du régime russe.</p>
<p>Ces décisions ouvrent donc sur une question fondamentale de droit et une question politique.</p>
<h2>Que dira le Tribunal arbitral du sport ?</h2>
<p>Les fédérations internationales de sport sont d’ordinaire très jalouses de leurs prérogatives. Elles sont par principe hostiles aux sanctions sportives, sauf quand celles-ci sont adossées à leurs propres textes, pour des manquements d’ordre sportif comme le programme de dopage systématique mis en place par la Russie, actuellement <a href="https://ici.radio-canada.ca/sports/1424230/russie-christiane-ayotte-inrs-russie-dopage-jean-luc-brassard">sanctionné</a>.</p>
<p>Or, cette fois, elles ont décidé d’elles-mêmes de ces sanctions. Ce faisant, elles se sont arrogé un pouvoir dont on peut se demander si leurs statuts le leur confèrent.</p>
<p>La Russie a <a href="https://www.ouest-france.fr/sport/coupe-du-monde/guerre-en-ukraine-la-russie-va-saisir-le-tas-pour-etre-reintegree-a-la-coupe-du-monde-de-football-79866000-9b0c-11ec-9b84-e19eae6be2d1">annoncé</a> son intention de faire appel devant le Tribunal arbitral du sport (TAS), ce qui est une très bonne chose car, quelle que soit sa décision (sauf s’il décide de botter en touche), le TAS fournira une assise juridique pour l’avenir au mouvement sportif international.</p>
<p>Par-delà l’émotion très légitime que suscite l’agression de la Russie contre l’Ukraine, et l’urgence d’une réaction, le droit est ce qui nous sépare du chaos. Cesser d’inviter ou de coopérer avec des chercheurs russes, annuler des représentations d’artistes russes, refuser de jouer contre des Russes au seul motif de leur passeport est un réflexe compréhensible, comme l’a développé le CIO au regard de leurs homologues ukrainiens qui sont désormais dans la lutte pour la survie de leur pays… mais cela ne va pas de soi.</p>
<p>Bien qu’elles répondent aux mêmes sentiments d’indignation et d’urgence, et quoi qu’on en pense par ailleurs, les <a href="https://www.bfmtv.com/economie/international/etats-unis-japon-union-europeenne-canada-quelles-sanctions-ont-ete-prises-contre-la-russie_AD-202202250045.html">sanctions prises par les États-Unis ou l’UE</a> le sont dans un cadre juridique bien établi. Le TAS aura donc à décider si les fédérations internationales de sport peuvent, de façon autonome et en l’état actuel de leurs statuts, infliger des sanctions sportives à leurs membres sur la base des agissements criminels des gouvernements de ceux-ci. Si le Tribunal répond par l’affirmative, le mouvement sportif aura gagné une autonomie politique considérable… qui peut très bien se révéler un cadeau empoisonné car avec l’autonomie vient la responsabilité politique.</p>
<h2>Sanctionner la Russie… et qui d’autre ?</h2>
<p>Pourquoi pas la Syrie ? Pourquoi pas la Birmanie ? Pourquoi pas la Chine ? Est-on sûr que si un jour la Chine envahit Taïwan, le CIO et la FIFA agiront de la même façon ? Dans le cas contraire, comment pourront-ils se justifier ? Que se passerait-il si, pure hypothèse, une dizaine de sélections qualifiées pour la Coupe du monde 2022 refusaient d’y prendre part pour protester contre sa tenue au Qatar ? La FIFA les sanctionnerait-elle ? Au regard de ses statuts actuels, elle en aurait le droit. À ce jour, la Chine organise les Jeux paralympiques d’hiver, et le Qatar organisera le Mondial à la fin de l’année.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1375859810793578496"}"></div></p>
<p>En outre, si le mouvement sportif est autonome, cela signifie-t-il qu’il sera le seul à décider de la levée, temporaire ou totale, de ces sanctions ? Sur quelles bases ? Rappelons que c’est le Conseil de sécurité de l’ONU qui avait levé les sanctions sportives contre la RFY.</p>
<p>Ajoutons que si le mouvement sportif est autonome, alors beaucoup se jouera à l’aune de la force de telle ou telle mobilisation, en particulier des athlètes, mettant la pression pour obtenir gain de cause. C’est potentiellement une chose positive au regard de la sensibilité des athlètes vis-à-vis des droits humains ou de la lutte contre le racisme. Suprême ironie, si le TAS donne raison au CIO et à la FIFA, il les obligera du même coup à ne plus sanctionner d’expression ou de mobilisation politique de la part des athlètes. Mais précisément, d’un autre côté, cela transfèrera aux athlètes la responsabilité de la mobilisation politique, ce qui est loin d’être évident dans une bonne partie du monde. Il y a alors le risque que seules les mobilisations assez puissantes en Occident soient prises en compte pour des raisons financières et d’image. De fait, quand bien même 141 pays ont voté la <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/03/1115472">résolution</a> de l’Assemblée générale de l’ONU condamnant l’agression de la Russie, les sanctions ne sont à ce jour l’œuvre que d’un Occident élargi (Corée du Sud, Japon, Singapour), entreprises comprises.</p>
<p>Enfin, est-ce à dire que le CIO et la FIFA, notamment, devront revoir en profondeur leurs relations avec les pires régimes politiques de la planète et cesser de leur confier l’organisation de compétitions internationales, de peur de subir les pressions d’athlètes et d’ONG enhardis par le précédent russe ? Cela reste à démontrer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178667/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Tregoures ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les sanctions excluant la Russie et ses représentants de toutes les compétitions internationales ne sont le fait ni de l’ONU ni des États, mais des fédérations et des athlètes. Cela change tout.Loïc Tregoures, Docteur en science politique, Université Lille 2, spécialiste des Balkans, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1788422022-03-10T20:34:16Z2022-03-10T20:34:16ZL’Ukraine peut-elle adhérer rapidement à l’UE ?<p>Ce 16 juin 2022, durant leur visite commune à Kiev, les dirigeants de la France (présidence en exercice de l’Union européenne), de l’Allemagne, de l’Italie et de la Roumanie ont <a href="https://www.lemonde.fr/international/live/2022/06/16/guerre-en-ukraine-en-direct-zelensky-confirme-sa-presence-au-prochain-g7-apres-sa-rencontre-avec-macron-scholz-et-draghi_6130539_3210.html">exprimé leur soutien à la candidature de l’Ukraine à l’UE</a>.</p>
<p>Le 28 février dernier, le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait <a href="https://www.bfmtv.com/international/le-president-zelensky-demande-officiellement-l-integration-de-l-ukraine-a-l-union-europeenne_AN-202202280549.html">signé</a> la demande d’adhésion de son pays à l’Union européenne. Une demande que l’UE avait immédiatement <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/union-europeenne/union-europeenne-examen-de-la-candidature-de-l-ukraine-la-georgie-et-la-moldavie_4998546.html">commencé à examiner</a>.</p>
<p>À présent que plusieurs dirigeants européens de premier plan ont réitéré leur appui à cette idée, faut-il penser que les 27 seront très bientôt 28 ? Ce n'est pas si simple.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelle-communaute-politique-europeenne-pour-lavenir-183049">Quelle « Communauté politique européenne » pour l’avenir ?</a>
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<p>Il faut faire la distinction entre une perspective européenne, qui est certaine, et une procédure d’adhésion à l’UE, inévitablement plus complexe. Bien entendu, l’<a href="https://www.doctrine.fr/l/traite-union-europeenne/article-49/UE_TUE_49">article 49 du Traité sur l’Union européenne</a> donne à tout État européen partageant les valeurs de l’Union la possibilité d’y adhérer. En ce sens, la demande de l’Ukraine est légitime. Par ailleurs, l’Ukraine a gagné la sympathie des Européens depuis la <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/l-euromaidan-ou-la-revolution-ukrainienne-pour-la-democratie">révolte de Maidan en 2014</a> et, plus encore, depuis le début de l’invasion russe le 24 février dernier.</p>
<p>Toutefois, s’il est de plus en plus certain qu’un jour l’Ukraine sera membre de l’UE, son intégration n’est sans doute pas pour demain. L’article 49 prévoit en effet une procédure qui empêche une adhésion « express ». Quelques éléments de réponse aux principales questions qui se posent aujourd’hui.</p>
<h2>Existe-t-il une procédure d’adhésion accélérée à l’UE ?</h2>
<p>La réponse est claire : non, elle n’existe pas.</p>
<p><a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/la-procedure-d-adhesion-a-l-union-europeenne">La procédure</a> est la même pour l’Ukraine que pour la Géorgie et la Moldavie, qui ont également présenté leur demande depuis quelques jours. Elle est aussi la même que pour les six pays des <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/281890-sommet-ue-balkans-occidentaux-des-perspectives-dintegration-terme">Balkans occidentaux</a> (Albanie, Kosovo, Serbie, Bosnie, Monténégro, Macédoine du Nord), qui attendent depuis des années, <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/adhesion-de-la-turquie-a-l-union-europeenne-ou-en-est-on/">et pour la Turquie</a>.</p>
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<p>La procédure peut de facto être accélérée par la Commission, qui pourrait presser la rédaction de son avis. Mais il faudra encore trois autres élements, qui prendront inévitablement du temps, pour que l’adhésion soit actée.</p>
<p>Tout d’abord, la négociation pour construire l’unanimité des volontés des États au sein du Conseil l’UE (un vote contraire bloquerait la procédure). Ensuite, un vote du Parlement européen à la majorité de ses membres. Enfin, une ratification unanime de la part des Parlements nationaux des 27, y compris via des référendums là où la loi nationale le demande. Cela peut donc prendre des années.</p>
<h2>Ces arguments mettant en question le réalisme d’une adhésion immédiate ont-ils une nature « légaliste » ?</h2>
<p>Non, ils sont de nature politique.</p>
<p>Dans les conditions actuelles, il n’est pas possible de faire entre l’Ukraine seule. Elle n’est qu’un des neuf pays – les six pays des Balkans et les trois pays d’ex-URSS –, si l’on ne tient pas compte du cas particulier de la Turquie, qui s’en éloigne désomais – qui se trouvent désormais dans l’antichambre de l’Union. L’entrée de neuf pays supplémentaires, selon de nombreux observateurs et, sans doute, de nombreux, citoyens provoquerait la paralysie des institutions de l’UE, notamment en matière de politique étrangère.</p>
<p>La politique étrangère se décide par le vote unanime du Conseil politique étrangère présidé par Josep Borrell. Ajouter neuf pays (y compris la Serbie, qui est <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/ukraine-en-serbie-un-equilibre-perilleux-entre-russie-et-occident-20220304_KUHOIYS67JACFEUBI4BQ46BUGM/">particulièrement proche</a> de la Russie) dont chacun pourrait, en fonction des circonstances, s’opposer aux décisions communes paraît contradictoire avec le besoin absolu d’une politique étrangère plus efficace et plus forte. Cela vaut aussi pour la politique de défense.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1500902034769387528"}"></div></p>
<p>Qui a intérêt à une UE affaiblie dans un monde qui devient de plus en plus dangereux ? Emmanuel Macron a proposé le 9 mai dernier une <a href="https://theconversation.com/quelle-communaute-politique-europeenne-pour-lavenir-183049">Communauté politique européenne</a> prévoyant un approfondissement différencié. Quoi qu'il advienne de ce projet, chacun semble reconnaître que l'entrée de plusieurs nouveaux membres serait de nature à compliquer la prise de décision au sein de l’UE.</p>
<h2>La question a-t-elle été posée dans le passé ?</h2>
<p>Rappelons que la plupart des pays d’Europe centrale et orientale ayant posé leur candidature après l’effondrement du bloc communiste ont dû attendre <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2015-2-page-125.htm">2004</a> pour intégrer l’UE. La Roumanie et la Bulgarie ont même dû attendre <a href="https://www.cairn.info/revue-espace-geographique-2008-4-page-289.htm">2007</a>.</p>
<p><a href="https://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/europe/1460780/Thatchers-Bruges-vision-becomes-reality-as-eastern-bloc-returns.html">Margaret Thatcher</a> avait souhaité élargir l’UE aux pays d’Europe de l’Est dès 1989. Elle <a href="https://www.researchgate.net/publication/339238521_Britain%27s_policy_towards_the_EU%27s_enlargement_process_from_1975_to_2014">souhaitait ainsi</a> diluer l’UE, l’affaiblir, la transformer en une entité rassemblant aux Nations unies, sans aucune autorité ni identité en politique étrangère. La première ministre britannique avait été bloquée par Jacques Delors, Willy Brandt et François Mitterrand qui avaient voulu renforcer les institutions de l’UE avant d’entamer les procédures de l’élargissement sur la base des <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/criteres-de-copenhague-25-ans-apres-quel-bilan/">« critères de Copenhague »</a>, approuvés par le Conseil en 1993 et toujours valables (acquis communautaire, économie de marché, respect de l’état de droit et de la démocratie).</p>
<p>Dans le cas de l’Ukraine, deux problématiques spécifiques viennent s’ajouter. Tout d’abord, il s’agit d’un pays qui compte 45 millions d’habitants et dont le PIB par habitant est l’équivalent d’un quart de celui de la Bulgarie (le pays le plus pauvre de l’UE). Surtout, nous ignorons le statut et la situation de l’Ukraine dans les prochaines semaines, les prochains mois, les prochaines années. Le pays pourrait être partagé en deux comme Chypre, il pourrait être démilitarisé et finlandisé. Personne ne le sait, et personne ne sait, notamment, dans quelle mesure les droits humains seront respectés à l’avenir dans plusieurs parties du pays.</p>
<p></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178842/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mario Telo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Volodymyr Zelensky a demandé l’intégration de son pays à l’UE. Si la demande a été saluée et soutenue par certains États membres, l’Ukraine devra se plier à une procédure d’adhésion complexe.Mario Telo, Président émérite de l’IEE-ULB, membre de l’Académie Royale des sciences de Belgique, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1750052022-01-19T18:31:17Z2022-01-19T18:31:17ZQuo vadis, Bosnie-Herzégovine ?<p>La Bosnie-Herzégovine traverse sa plus importante crise politique depuis 1995 et la signature des <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2005/11/21/les-grandes-lignes-des-accords-de-dayton_712343_3214.html">accords de paix de Dayton</a>.</p>
<p>26 ans après une <a href="https://savoirs.rfi.fr/fr/comprendre-enrichir/geopolitique/yougoslavie-de-leclatement-aux-accords-de-dayton">guerre</a> qui fit 100 000 morts, le pays est aux mains de forces politiques ethno-nationalistes qui se partagent <a href="https://www.centerprode.com/ojre/ojre0302/ojre-0302.pdf#page=31">désormais ses ressources</a>.</p>
<p>La captation par ces ethnocrates des budgets, marchés publics et aides extérieures représente pour eux, leurs proches et leurs cercles d’intérêts des revenus illimités. Ce même personnel politique a la mainmise sur la justice – et ce, du poste de procureur jusqu’aux juges cantonaux.</p>
<p>Face à cette situation, peu de réactions de l’Union européenne ou des États-Unis, arc-boutés depuis un quart de siècle sur les questions sécuritaires, estimées prioritaires. Le pays a été traité comme un risque permanent pour la sécurité de l’UE, jamais comme un potentiel. De plus, si la pression est mise sur les questions de réconciliation entre les différentes communautés du pays, aucune politique économique et sociale n’a été mise en place, laissant les Bosniens faire face seuls à des élites nationalistes toutes-puissantes et agissant en totale impunité.</p>
<h2>Vers l’éclatement ?</h2>
<p>Les accords de Dayton ont donné naissance à un pays divisé en deux entités autonomes, la Fédération de Bosnie-Herzégovine et la République serbe, chapeautées par des institutions nationales situées à Sarajevo, la capitale du pays et le district de Brčko dans le nord-est du pays. La présidence est composée de trois présidents issus des trois communautés constitutives du pays : Bosniaque, Croate et Serbe. Selon le recensement de 2013, le pays compterait 3 790 000 habitants, dont 2 300 000 dans la Fédération, 1 320 000 dans la République serbe et 93 000 dans le district de Brčko.</p>
<p>Le parti Social-Démocrate serbe (SNSD), parti nationaliste de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/frictions-en-bosnie-herzegovine-milorad-dodik-attise-les-tensions-communautaires">Milorad Dodik</a>, aujourd’hui président serbe de la présidence tripartie bosnienne, et la Communauté démocratique croate (HDZ), le parti de Dragan Čović, vice-président de la chambre des Peuples (dont la fonction est de garantir les droits des communautés bosniennes et l’équilibre entre les entités), fonctionnent de concert pour atteindre leurs buts respectifs : <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/bosnie-herzegovine-vers-un-eclatement-du-pays/?post_id=29291&export_pdf=1">faire sécession de l’État central</a> et rattacher la République serbe à la Serbie pour Dodik ; et obtenir la création d’une entité croate pour Čović – le tout n’ayant pour unique but que de préserver leurs revenus et leur pouvoir. Pour Dodik comme pour Čović, toute défaite leur faisant perdre leurs postes politiques actuels entraverait leur pouvoir à détourner les budgets et continuer de capter les marchés publics entre autres.</p>
<p>La Serbie et la Croatie appuient toutes deux ces politiques, n’hésitant pas à soutenir les acteurs ethno-nationalistes bosniens, mais aussi à clairement porter atteinte à la souveraineté du pays à de maintes reprises, notamment en contournant les institutions de l’État bosnien et en discutant avec le gouvernement de la RS. C’est par exemple le cas dans l’affaire des concessions des rivières et des constructions de centrales hydro-électriques sur la Drina, conclues entre la Serbie et la RS, laquelle n’a aucune légitimité à discuter des ressources naturelles du pays. Enfin, la Russie, très présente dans la région, et ayant tout intérêt à déstabiliser les portes de l’UE, <a href="https://zurnal.info/clanak/the-role-of-russia-in-a-destructive-offensive-of-milorad-dodik/24441">soutient</a> activement la politique sécessionniste de Dodik et les projets de Dragan Čović.</p>
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<p>Longtemps resté une menace brandie par Dodik lors de campagnes électorales, le processus de sécession de la République serbe (RS) est enclenché depuis fin octobre 2021 et représente une menace immédiate pour l’intégrité du pays, la plus sérieuse faisant ressurgir la peur du <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/01/11/bosnie-le-jeu-dangereux-des-nationalistes-serbes_6108996_3232.html">retour de la violence</a>.</p>
<h2>Sécession et réforme électorale</h2>
<p>Fin octobre 2021, Milorad Dodik a annoncé son plan pour la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/11/en-bosnie-la-republique-serbe-fait-un-pas-vers-le-separatisme_6105654_3210.html">sécession de la République serbe</a> de Bosnie. Un plan clair en 7 étapes, qui met l’entité en ordre de marche. Un protocole simple, qui attribue aux institutions de l’entité 110 prérogatives jusqu’ici dévolues aux institutions nationales.</p>
<p>Parmi ces prérogatives émerge la question de l’armée, particulièrement sensible en Bosnie-Herzégovine. C’est l’armée des Serbes de Bosnie (VRS) qui a perpétré le <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/genocide-de-srebrenica-25-ans-apres-les-musulmans-commemorent-leurs-morts-et-deplorent-le-deni-serbe_4042437.html">génocide des Musulmans de Srebrenica</a> en juillet 1995, assiégé <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2008-3-page-62.htm">Sarajevo</a>, <a href="https://apnews.com/article/10bdbf488b136e8532310c6bf4f7f58f">Goražde</a> et bien d’autres villes, commandé les <a href="https://www.cairn.info/revue-vacarme-2012-2-page-190.htm">camps de concentration</a> dans la région de Prijedor et partout sur le territoire sous son contrôle.</p>
<p>En annonçant que les Serbes quitteraient l’armée de Bosnie-Herzégovine pour reformer la VRS, Dodik instillait ainsi une peur viscérale du retour de la violence parmi les populations non serbes qui ont survécu à la dernière guerre, mais également parmi les Serbes opposés à sa politique. Si le SNSD semble toujours dominer la vie politique de l’entité, il n’en reste pas moins qu’il recule électoralement, comme on a pu le voir lors des <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/11/16/bosnie-herzegovine-revers-pour-la-vieille-garde-nationaliste-aux-elections-locales_1805762/">élections municipales de 2020</a>, notamment avec la perte de la capitale de l’entité, Banja Luka.</p>
<p>En face du SNSD, deux partis également sécessionnistes : le Parti Démocratique Serbe (le SDS fondé par Radovan Karadžić), qui s’oppose au plan de Dodik non pas sur le fond mais sur la forme et condamne fermement le risque de retour de la violence, et le Parti du progrès démocratique (PDP), qui soutient le projet de sécession mais dont le cœur du discours politique tourne autour d’une action fermement anti-corruption et s’oppose donc très directement aux intérêts de Milorad Dodik.</p>
<p>Outre l’armée, le plan prévoit que la RS ne fera plus partie des institutions judiciaires bosniennes, mais aussi des institutions sanitaires, des institutions liées aux affaires intérieures et à la sécurité, à la perception des taxes indirectes. Une fois que les lois portant création des institutions correspondantes de la RS auront été adoptées, la RS se réserve le droit d’expulser par la force les agents publics travaillant sur son territoire et dépendant des institutions de la capitale Sarajevo.</p>
<p>Ce plan a reçu notamment le <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20220116-bosnie-herz%C3%A9govine-le-hongrois-viktor-orban-accus%C3%A9-de-soutenir-les-s%C3%A9paratistes-serbes">soutien clair de Viktor Orban</a>, premier ministre hongrois d’extrême droite très proche de Milorad Dodik, et aussi des autorités russes par la voix du ministre des Affaires étrangères Sergej Lavrov.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1474352274843525121"}"></div></p>
<p>Dans le même temps, Dragan Čović a menacé de bloquer la tenue des élections générales prévues en octobre 2022 s’il n’obtenait pas sa réforme électorale inscrivant dans la loi les catégories ethniques et leur « représentation légitime » – et ce, à tous les échelons électoraux. Outre le renforcement de la division ethnique du pays par la législation, Dragan Čović veut surtout s’assurer d’être nommé président au prochain scrutin et désamorcer la fuite de son électorat en renforçant les prérogatives des élus des échelons administratifs inférieurs.</p>
<p>En effet, dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine, les citoyens votent aux élections générales indépendamment de leur appartenance communautaire. C’est ce qui a porté par deux fois l’actuel titulaire du poste, Željko Komšić, au poste de président croate de la présidence tripartite bosnienne. Candidat non nationaliste, il a raflé les votes dans certains des fiefs les plus anciens du HDZ. Čović n’a cessé de contester sa légitimité à représenter les Croates bosniens.</p>
<p>Or, les présidents ne représentent pas de communauté, ils en sont simplement issus. La question de la représentation légitime des communautés, absente de la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/ba1995.htm">Constitution bosnienne</a>, est pourtant devenue une revendication « légitime », relayée et appuyée par le gouvernement de Croatie, mais aussi par les partenaires de l’UE et des États-Unis.</p>
<h2>Union européenne et États-Unis : désunion et lenteur</h2>
<p>Face à cette crise qui menace directement l’intégrité et l’unité de la Bosnie-Herzégovine, les États-Unis et l’UE avancent en ordre dispersé et à un rythme qui ne suit aucunement la rapidité de la dégradation de la situation. Il a fallu trois mois de crise ouverte grave pour que les États-Unis annoncent des <a href="https://www.rtbf.be/article/les-usa-sanctionnent-milorad-dodik-le-chef-des-serbes-de-bosnie-accuse-de-destabiliser-les-balkans-10909297">sanctions économiques contre Milorad Dodik</a> et son entourage. Saluées discrètement dans l’entité de la Fédération, ces sanctions restent toutefois anecdotiques et ressemblent plus à un message destiné à l’UE, l’invitant à se saisir de la situation et à agir.</p>
<p>L’UE, elle, reste relativement inerte, dans une posture de « condamnation ferme » des événements. Notons tout de même les réactions du gouvernement allemand qui <a href="https://www.latribune.fr/depeches/reuters/KBN2IS1ZA/berlin-veut-des-sanctions-contre-le-dirigeant-serbe-de-bosnie-dodik.html">menace Dodik de sanctions</a> depuis quelques semaines pour finalement s’apercevoir mi-janvier que sa propre Constitution l’empêche de prendre des mesures de sanctions unilatérales. À suivre aussi l’initiative de plusieurs députés européens <a href="https://euobserver.com/world/154087">demandant une enquête</a> sur le rôle joué par Olivér Várlehiy, commissaire à l’élargissement de l’UE et proche de Viktor Orban, dans l’escalade de la crise courante.</p>
<p>Ces sanctions de l’UE pourraient avoir un impact très important sur les activités criminelles de Milorad Dodik (<a href="https://www.polygraph.info/a/fact-check-dodik-corruption/31644290.html">détournements de fonds</a> notamment) et paralyser ses activités financières et celles de ses proches de façon bien plus conséquente que les sanctions américaines. Ces sanctions de l’UE sont notamment espérées par Šefik Džaferović, président bosniaque de la présidence tripartite bosnienne, qui les <a href="https://hr.n1info.com/english/news/bosnia-while-dodik-slams-us-sanctions-dzaferovic-calls-on-eu-to-join-us/">réclamait bruyamment</a> après les annonces américaines. De nombreux analystes spécialistes de la région préconisent également une action rapide et coordonnée de l’Union européenne qui, pour le moment, est plus que discrète.</p>
<p>Même après le 9 janvier dernier où l’on célébrait le Jour de la République serbe à Banja Luka et les 30 ans de sa création, avec entre autres un défilé de la police mais aussi d’unités paramilitaires, et alors que ces manifestations ont été déclarées inconstitutionnelles, l’UE peine à trouver une ligne politique et une réaction à la hauteur des risques liés à ce projet de sécession.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1483536231128514562"}"></div></p>
<h2>La solitude des Bosniens</h2>
<p>La lenteur et la tiédeur des réactions internationales face au processus de sécession de la RS, et la <a href="https://ba.n1info.com/english/news/a299465-former-high-rep-dodik-covic-alliance-is-the-end-of-bosnia/">sympathie clairement exprimée pour la réforme électorale de Dragan Čović</a> par les Américains et l’UE, illustrent parfaitement la politique menée depuis ces 30 ans dernières années : apaiser les ethno-nationalistes de peur de les froisser.</p>
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<p>Pendant ce temps-là, les Bosniens souffrent silencieusement de ce regain d’incertitudes et de tensions. Il y a tout d’abord, ce sont les plus vocaux, les survivants du <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20210608-ratko-mladic-le-boucher-des-balkans-condamn%C3%A9-en-appel-%C3%A0-la-perp%C3%A9tuit%C3%A9">génocide des Musulmans de Srebrenica</a>, isolés au fond de la vallée de la Drina, qui voient ressurgir les visages d’il y a 25 ans. Par exemple, celui de <a href="https://www.icty.org/case/popovic#acdec">Vinko Pandurević</a>, l’un des responsables du génocide, placé stratégiquement derrière Milorad Dodik au défilé du 9 mai et ainsi présent en permanence à l’image de la RTRS, la télévision de la RS.</p>
<p>Alors que l’Unité Spéciale antiterroriste, qui possède tous les attributs d’une unité paramilitaire, défile en chantant une chanson à la gloire de « la Croix orthodoxe », Pandurević assiste, souriant, à cette démonstration de force. Comment les Bosniaques ayant échappé au génocide peuvent ne pas percevoir cette scène comme une menace directe à leur existence ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1480219823485374469"}"></div></p>
<p>À Sarajevo, les réactions à la situation sont plus discrètes, moins viscérales mais tout de même, cet automne, beaucoup ont retiré leurs petites économies des banques par peur d’un effondrement de la Banque centrale, d’autres ont fait refaire leur passeport en vitesse ou maintiennent désormais le réservoir de leur voiture plein. D’autres, plus rares, font de l’humour en disant que s’ils ont été pris par surprise il y a 30 ans, ils sont désormais bien mieux préparés, ce qui limite leur angoisse.</p>
<p>La dissolution de la Bosnie-Herzégovine <a href="https://www.courrierinternational.com/article/balkans-la-bosnie-herzegovine-pourrait-ceder-sous-le-poids-des-divisions-ethniques">est en route</a> à présent que le processus de sécession de la RS a été formellement enclenché. Si le focus sur le risque de guerre est compréhensible, il est toutefois déplacé. Pour le moment, l’urgence n’est pas d’essayer vainement d’évaluer les risque d’un conflit armé de grande ampleur, alors qu’une violence dispersée mais réelle peut paralyser le pays extrêmement rapidement.</p>
<p>Une sécession ne s’accompagne pas nécessairement d’une guerre à l’image de celle d’il y a 30 ans. Il suffit d’acteurs ethno-nationalistes corrompus et déterminés à garder la main sur le pouvoir et d’observateurs internationaux incapables de changer de point de vue sur une situation dont ils ont eu la co-responsabilité pendant 25 ans et qu’ils ont laissé se dégrader en cherchant constamment à apaiser les élites bosniennes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175005/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aline Cateux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La République serbe, qui est l’une des trois entités constitutives de la Bosnie-Herzégovine, a enclenché un processus semble-t-il irréversible vers sa sécession, et donc vers l’éclatement du pays.Aline Cateux, Doctorante en anthropologie, spécialisée sur les résistances politiques et mobilisations en Bosnie-Herzégovine, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1604872021-05-19T16:35:19Z2021-05-19T16:35:19ZBalkans : le dangereux projet de redécoupage des frontières<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/400541/original/file-20210513-18-17ra8a6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=44%2C14%2C4947%2C3727&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un nouveau découpage des frontières des États issus du démantèlement de la Yougoslavie ne se ferait pas sans heurts.</span> <span class="attribution"><span class="source"> Harvepino/shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>À la mi-avril, le site slovène Necenzurino a <a href="https://necenzurirano.si/clanek/aktualno/objavljamo-slovenski-dokument-o-razdelitvi-bih-ki-ga-isce-ves-balkan-865692">publié</a> un document-choc présenté comme un « non paper » relatif aux Balkans occidentaux <a href="https://www.total-slovenia-news.com/politics/8124-slovenian-website-releases-non-paper-proposing-changes-to-w-balkan-borders">provenant du gouvernement slovène</a> et destiné au président du Conseil européen Charles Michel. Dans la pratique diplomatique, un <a href="https://www.eea.europa.eu/help/glossary/chm-biodiversity/non-paper">« non paper »</a> permet d’introduire une discussion sur une thématique sensible sans en endosser la responsabilité et de proposer des idées parfois provocantes sans se laisser enfermer dans un cadre de négociation.</p>
<p>Si le principe même du « non papier » est de pouvoir en nier l’existence, ce que les <a href="https://www.total-slovenia-news.com/politics/8192-slovenian-foreign-minister-claims-paper-re-drawing-western-balkans-doesn-t-exist">autorités slovènes n’ont pas manqué de faire</a>, et malgré l’étonnant silence du cabinet de Charles Michel, il semble que sa réalité soit avérée par les recoupements effectués par la presse locale et les confirmations de certains acteurs, parmi lesquels le premier ministre albanais <a href="https://euobserver.com/opinion/151741">Edi Rama</a>. Le sujet a également pesé sur le tout récent <a href="https://europeanwesternbalkans.com/2021/05/17/brdo-brijuni-declaration-eu-is-able-to-absorb-the-wb-serbias-phrasing-of-the-point-on-regional-borders-rejected/">sommet du groupe de Brdo-Brijuni</a>, une initiative diplomatique lancée par la Croatie et la Slovénie en 2013 en vue de collaborer à la stabilisation la région et d’accélérer les processus d’adhésion dans l’Union européenne des pays de la région des Balkans occidentaux.</p>
<h2>« Achever la dissolution de la Yougoslavie »</h2>
<p>Dans les <a href="https://ba.n1info.com/english/news/alleged-non-paper-on-wb-leaks-out-merging-of-rs-and-serbia-kosovo-and-albania/">grandes lignes</a>, ce document propose d’« achever la dissolution de la Yougoslavie » en résolvant les problèmes supposément laissés en suspens à la fin des années 1990.</p>
<p>Autrement dit, il propose, carte à l’appui, de redessiner totalement les frontières de la région pour constituer des États ethniquement homogènes en procédant à un dépeçage de la Bosnie-Herzégovine, à une partition du Kosovo et de la Macédoine du Nord, et à un rétrécissement du déjà petit Monténégro au profit de l’Albanie, de la Croatie et de la Serbie qui en sortiraient agrandies.</p>
<p>Le tout se ferait sans consultation des peuples concernés mais dans le cadre d’un grand accord diplomatique signé entre les gouvernements et parrainé par les États-Unis et l’Europe. Par exemple, la Bosnie ainsi dépecée, qui serait alors peuplée en très grande majorité de Bosniaques musulmans, procéderait à un référendum pour choisir entre un avenir européen ou « auprès de la Turquie » (sic).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/400997/original/file-20210517-13-1q2hjpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/400997/original/file-20210517-13-1q2hjpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=593&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/400997/original/file-20210517-13-1q2hjpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=593&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/400997/original/file-20210517-13-1q2hjpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=593&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/400997/original/file-20210517-13-1q2hjpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=745&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/400997/original/file-20210517-13-1q2hjpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=745&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/400997/original/file-20210517-13-1q2hjpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=745&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La carte de la région si le projet slovène était mis en œuvre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">News1.mk</span></span>
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<p>Un tel big bang, alors que la Slovénie et son premier ministre, le très trumpiste <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/slovenie-la-derniere-bataille-du-marechal-tweeto-janez-jansa_2139149.html">Janez Jansa</a>, prendront la présidence tournante de l’Union européenne le 1<sup>er</sup> juillet prochain, n’a pas manqué de faire réagir, à la fois <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/changer-les-frontieres-des-balkans-un-non-paper-qui-bouleverse-la-region">dans la région</a>, mais aussi au-delà, à Bruxelles et à <a href="https://euobserver.com/world/151572">Washington</a>. D’où qu’elles viennent, ces réactions sont unanimes dans la condamnation de ces propositions dont on souligne l’inanité et la dangerosité.</p>
<p>Dès lors, puisque tout le monde semble opposé à ces idées, à tel point qu’on finit par se demander s’il s’est trouvé quelqu’un pour écrire ce document et tracer cette carte, quel intérêt y a-t-il à en discuter davantage ? N’y a-t-il pas un risque d’en faire la promotion au prétexte de le combattre ?</p>
<h2>Une volonté d’homogénéisation ethnique des États</h2>
<p>C’est pourtant un risque à prendre, pour plusieurs raisons. D’abord, Ljubljana entend faire des Balkans occidentaux l’une des priorités de sa présidence de l’UE. Pour des membres lointains de l’Union, il y a une tendance assez naturelle à s’en remettre à la Slovénie, elle-même issue de la Yougoslavie, pour traiter de ces questions, en considérant qu’elle en a la légitimité et les connaissances. Par conséquent, l’impact d’un document pareil n’est pas le même selon qu’il émane de la Slovénie ou, par exemple, de la Finlande ou du Portugal.</p>
<p>Ensuite, quand bien même le document est condamné de toutes parts, il part d’un constat avec lequel on peut difficilement être en désaccord : les États candidats à l’intégration européenne n’ont strictement aucune perspective d’y parvenir à court et moyen terme (2025-2030) – sauf, peut-être, le Monténégro qui pourrait être sauvé par sa petite taille.</p>
<p>Face à ce constat lucide, une approche consiste à considérer que le blocage est endogène au processus, en raison d’une double fatigue de la part de l’UE et des pays candidats, malgré le récent <a href="https://ec.europa.eu/neighbourhood-enlargement/news_corner/news/revised-enlargement-methodology-questions-and-answers_en">changement de méthodologie</a> exigé par la France et dont on verra s’il produit des effets positifs. On peut en douter.</p>
<p>Une autre, défendue dans le fameux « non papier » slovène, estime que les États des Balkans occidentaux n’ont aucune chance de rejoindre l’UE parce qu’ils sont intrinsèquement dysfonctionnels car ethniquement hétérogènes, ce qui s’explique par le fait que le processus de dissolution de la Yougoslavie n’a pas été tout à fait mené à son terme. Le corollaire de cette hypothèse est que des États ethniquement homogènes (comme la Slovénie) seraient mieux à même de se développer, et donc de rattraper leur retard sur le plan économique et démocratique afin d’atteindre les standards européens. Une théorie qui ne repose sur rien de tangible, qui est balayée par la réalité même de l’UE, mais qui semble toujours intuitivement séduisante dans certains cercles identitaires.</p>
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<figcaption><span class="caption">Documentaire de France 3 sur la Yougoslavie.</span></figcaption>
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<p>Or, c’est dans le vide politique et géostratégique laissé par les Européens dans les Balkans qu’émergent à la fois les alternatives géopolitiques – en particulier l’idée d’un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/19/la-serbie-sas-d-entree-vers-l-europe-pour-pekin_6073757_3210.html">net rapprochement avec la Chine</a> –, mais aussi les idées « out of the box » comme celles contenues dans ce « non papier », puisque rien d’autre ne semble fonctionner.</p>
<p>Et si personne n’endosse la paternité du document, la région ne manque pas de défenseurs de ces idées de redécoupage des frontières, à commencer par le premier ministre slovène <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/05/08/en-slovenie-le-premier-ministre-janez-jansa-en-marche-dans-les-pas-d-orban_1787764/">Janez Jansa</a>, trumpiste assumé, nous l’avons dit, dont le modèle européen est Viktor Orban. Il est appuyé en cela par plusieurs responsables et partis politiques de la région qui n’ont pas manqué de saisir l’opportunité de cette publication aller dans le même sens.</p>
<p>Milorad Dodik, l’homme fort de la Republika Srpska, l’entité serbe de Bosnie, ne cesse ainsi de <a href="https://ba.n1info.com/english/news/dodik-republika-srpska-entity-also-has-a-non-paper-on-bosnia/">répéter</a> qu’il faut aller vers une dissolution pacifique de la Bosnie-Herzégovine, qui permettrait à la Republika Srpska de se rattacher in fine à la Serbie. L’actuel ministre de l’Intérieur serbe Aleksandar Vulin <a href="https://www.klix.ba/vijesti/bih/vulin-o-srpskom-svetu-proces-ujedinjenja-je-poceo-i-to-se-vise-nece-moci-zaustaviti/210501066">répète</a> également que l’objectif stratégique de son pays est l’union des Serbes dans une même sphère.</p>
<p>Côté croate, les principaux responsables croates de Bosnie, aidés en cela par les autorités de Zagreb, poussent depuis longtemps pour créer une entité croate, prélude à un morcellement plus prononcé de la Bosnie.</p>
<p>Quant aux Albanais, si l’idée d’une réunification avec le Kosovo, à laquelle l’actuel premier ministre du Kosovo Albin Kurti est <a href="https://www.euronews.com/2021/02/16/i-would-vote-to-unify-albania-and-kosovo-election-winner-albin-kurti-tells-euronews">favorable</a>, apparaît lointaine et irréaliste aujourd’hui, elle pourrait revenir <a href="https://www.euronews.com/2021/04/15/how-eu-enlargement-apathy-could-push-kosovo-and-albania-to-join-forces">si le chemin européen de l’Albanie et du Kosovo est durablement fermé</a>.</p>
<p>On voit donc que la région ne manque pas d’ambitieux qui n’attendent qu’un signal pour littéralement reprendre les choses là où elles se sont arrêtées à la fin des années 1990 et « achever la dissolution de la Yougoslavie », c’est-à-dire ni plus ni moins qu’achever ce pour quoi eux ou leurs prédécesseurs se sont fait la guerre.</p>
<p>Car il ne faut pas s’y tromper : rien de tout cela ne pourrait advenir de façon pacifique et chacun le sait. On emploie donc des formules et des périphrases qui masquent de moins en moins une réalité simple : ni du côté croate, ni du côté serbe on n’a renoncé au but de guerre commun de 1992, à savoir dépecer la Bosnie et la réduire à un État croupion autour de Sarajevo dont on pointera à nouveau le caractère musulman, donc exogène à l’Europe chrétienne, donc illégitime, donc à éliminer. Cette rhétorique identitaire, déjà à l’œuvre dans les années 1990 dans le discours de propagande serbe touchant aussi bien les Bosniaques que les Albanais du Kosovo, a retrouvé de la vigueur ces derniers temps, que ce soit dans les <a href="https://www.lepoint.fr/monde/le-massacre-de-christchurch-ravive-les-blessures-des-balkans-17-03-2019-2301722_24.php">inspirations</a> d’un terroriste suprémaciste à l’autre bout du monde ou dans les <a href="https://www.francesoir.fr/politique-france/grand-remplacement-et-kosovo-le-fantasme-de-zemmour-et-marion-marechal">discours de l’extrême droite française</a>.</p>
<h2>Un projet loin d’être enterré</h2>
<p>Ce « non papier » a donc des effets performatifs immédiats puisqu’il <a href="https://www.euractiv.com/section/politics/short_news/effects-of-non-paper-dodik-wants-peaceful-split-izetbegovic-thinks-war-possible/">crée des tensions</a> dans la région en alimentant les craintes des uns et les fantasmes des autres. On aurait tort de croire que son rejet immédiat suffira à enterrer ce dessein.</p>
<p>Le précédent du <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/serbie-kosovo-options-scenarios-2018">débat</a> sur le changement de frontière entre la Serbie et le Kosovo comme base d’un compromis en 2018 nous renseigne sur ce que deviennent des idées jetées en l’air, ou plus exactement sur des cartes. D’une idée marginale défendue dans certains cercles eux-mêmes marginaux, il n’a fallu que quelques mois pour qu’elle devienne la nouvelle martingale, défendue à la fois par les deux présidents de la Serbie et du Kosovo, mais aussi par une série de hauts responsables européens et américains (<a href="https://www.politico.eu/article/federica-mogherini-kosovo-serbia-defends-border-change-talks/">dont l’ancienne Haute Représentante Federica Mogherini</a>), non sans susciter quelques interrogations sur les pratiques employées pour se faire, <a href="https://prishtinainsight.com/border-changes-promoted-with-taxpayer-money/">notamment en France</a>. Seule l’Allemagne a alors campé sur sa position de principe qu’il ne fallait pas toucher aux frontières et que l’argument consistant à dire que « si tout le monde est d’accord sur place, qui sommes-nous pour l’empêcher ? » était purement rhétorique car ce « si » ne peut en aucun cas advenir.</p>
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<p>Par conséquent, ce n’est pas parce que ce « non papier » et sa carte sont rejetés aujourd’hui que le sujet est fermé. Au contraire, il est désormais ouvert. Il suffira d’une crise sérieuse savamment orchestrée dans la région, d’une ouverture géopolitique avec un nouveau Trump à la Maison Blanche qui n’aura que faire des engagements historiques des Américains dans la région et raisonnera en termes ethno-religieux, pour que les projets des années 1990, aujourd’hui ressuscités sous couvert de la prétendue possibilité de leur accomplissement pacifique, ne soient à nouveau considérés comme concevables par un plus grand nombre de décideurs.</p>
<p>Impossible ? Loin de là, puisque les dirigeants occidentaux sont ceux qui ont raisonné en ces termes dans les années 1990, qui ont accepté d’emblée les narratifs ethno-nationalistes dans les plans de paix en Bosnie, qui ont <a href="https://www.iris-france.org/87849-pourquoi-les-balkans-comptent-partie-2/">essentialisé une région réduite dans leur vision à des haines ancestrales</a>. Qu’on ne doute pas qu’il en serait à nouveau ainsi si la situation se représentait. Et c’est toute la stratégie d’un Dodik en Bosnie que de rendre le pays le plus dysfonctionnel possible, jusqu’à ce qu’une opportunité s’ouvre et que l’on se mette à accepter l’idée qu’après tout, si ça ne marche pas, il vaudrait peut-être mieux redécouper tout ça. À ceci près que, répétons-le, un tel développement déclenchera nécessairement un nouveau conflit armé.</p>
<p>Enfin, ce « non papier » est aussi un signe qu’au sein de l’Europe, les forces illibérales, sous couvert de défense de l’identité chrétienne, balaient sans ciller les valeurs de l’UE, ses textes, et l’héritage des Pères fondateurs. Les propositions de ce document sont un retour à la diplomatie du XIX<sup>e</sup> siècle si bien que, si l’on suit cette logique, il n’y a aucune raison de considérer que le raisonnement proposé ne s’appliquerait pas à d’autres régions du monde dont on dirait qu’elles dysfonctionnent parce qu’elles ne sont pas des États-nations homogènes. Un débat tranché en Afrique lors des indépendances des anciennes colonies, précisément parce qu’indépendamment des problèmes créés par les frontières héritées des puissances coloniales, on savait que se lancer dans un redécoupage qui correspondrait à des appartenances identitaires déboucherait sur des conflits sans fin.</p>
<p>Il faut donc voir dans ce « non papier » un avertissement. Ces idées sont encore vivantes, et nul doute que les mêmes causes produiraient les mêmes conséquences si elles venaient à être appliquées. Partant de là, il incombe à l’Europe de redonner une dimension stratégique à son action dans les Balkans, par-delà une rhétorique de l’intégration à laquelle personne ne croit plus vraiment de part et d’autre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160487/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Tregoures ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un « non paper » attribué au gouvernement slovène secoue actuellement les Balkans. Ce document diplomatique non officiel a pour projet de redéfinir les frontières des pays issus de l’ex-Yougoslavie.Loïc Tregoures, Docteur en science politique, Université Lille 2, spécialiste des Balkans, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1415452020-06-26T10:41:55Z2020-06-26T10:41:55ZLe président du Kosovo accusé de crimes contre l’humanité : et maintenant ?<p>Alors qu’il était dans l’avion pour une rencontre au sommet à la Maison-Blanche avec son homologue serbe, le président du Kosovo Hashim Thaçi a été contraint de faire demi-tour suite à la publication d’un <a href="https://www.scp-ks.org/en/press-statement">communiqué</a> en provenance des Chambres spéciales de La Haye chargées de juger les potentiels crimes commis par l’Armée de libération du Kosovo (Uçk) entre 1998 et 2000. Le procureur Jack Smith y indique, en trois petits paragraphes, que Thaçi, ainsi que d’autres responsables comme l’ancien président du Parlement Kadri Veseli sont accusés de <a href="https://balkaninsight.com/2020/06/25/two-decades-on-kosovos-guerrilla-boss-thaci-may-finally-face-trial">crimes de guerre et crimes contre l’humanité et seraient impliqués dans le meurtre d’une centaine de personnes</a>. Un juge des Chambres doit encore décider de valider ou non cet acte d’accusation afin d’inculper ou de disculper les deux hommes.</p>
<p>Trois jours après des <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/en-serbie-les-elections-renforcent-la-derive-autoritaire-du-president-vucic_4000093.html">élections aux allures de farce en Serbie</a> et quelques semaines seulement après que Hashim Thaçi a manœuvré pour <a href="https://theconversation.com/au-kosovo-deflagration-politique-sur-fond-de-covid-19-137356">renverser le gouvernement du Kosovo dirigé par le très populaire Albin Kurti</a>, cette péripétie marque un tournant majeur à la fois pour le Kosovo mais aussi pour l’avenir du dialogue Belgrade-Pristina.</p>
<p>Bien que beaucoup d’incertitudes demeurent face à ce coup de tonnerre, la réflexion peut d’ores et déjà s’orienter dans trois directions.</p>
<h2>Pourquoi maintenant ?</h2>
<p>D’abord, le timing du communiqué du procureur, dont l’acte était prêt dès le 24 avril dernier, ne manque pas d’interroger, puisqu’il intervient très précisément au moment où Thaçi allait se rendre à un sommet très attendu à la Maison-Blanche pour espérer des avancées décisives dans le dialogue avec Belgrade.</p>
<p>Nous avons déjà expliqué <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/serbie-kosovo-options-scenarios-2018">par ailleurs</a> pourquoi Thaçi avait personnellement intérêt à aller très vite sur cette question, précisément en vue de désamorcer de potentielles inculpations. Dans son communiqué, le procureur explique que Thaçi et Veseli n’ont cessé d’œuvrer <a href="https://balkaninsight.com/2018/01/22/kosovo-politicians-advance-bid-to-scrap-special-court-01-22-2018/">dans le but de se soustraire à l’action des Chambres spéciales</a>. Une hypothèse serait donc que le procureur a craint que tout accord passé sous l’égide de la Maison-Blanche inclue une forme d’amnistie, voire un soutien américain à l’élimination des chambres elles-mêmes. D’autres spéculeront sur une action téléguidée par l’Union européenne, principal sponsor de ces chambres, en réponse à sa mise à l’écart par l’administration Trump et les deux présidents Thaçi et Vucic.</p>
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<p>C’est oublier que les nuages judiciaires planaient au-dessus de la tête de Thaçi depuis fort longtemps et que l’émission d’un acte d’accusation contre lui était, même si c’était implicite, la principale raison d’être de ces chambres dès lors qu’elles faisaient sérieusement leur travail. Par conséquent, si le timing pourra prêter à discussion auprès de ceux qui ont des informations et ceux qui croient en avoir, le fond du sujet, lui, est nettement moins discutable.</p>
<h2>Quel impact sur les relations entre la Serbie et le Kosovo ?</h2>
<p>Ensuite, cette mise en accusation change tout en ce qui concerne le dialogue Belgrade-Pristina, sur lequel l’envoyé spécial de Donald Trump, Richard Grenell, avait pris la main de façon quasi exclusive en laissant de côté l’UE.</p>
<p>Plusieurs questions sont ouvertes. D’abord, Hashim Thaçi va-t-il démissionner ? Ce n’est pas du tout une certitude au regard de la Constitution. S’il ne le faisait pas, pourrait-il pour autant continuer de conduire le dialogue lui-même ? Dans le cas contraire, quelle organisation trouver ? On peut s’attendre à ce qu’Albin Kurti, renversé il y a deux mois, redouble d’intensité dans son appel à des élections anticipées.</p>
<p>Du côté du dialogue, la fenêtre semble se fermer pour les États-Unis, qui souhaitaient un accord rapide avec les deux présidents. À l’inverse, il s’agit peut-être là d’une opportunité inespérée pour les Européens de reprendre la main, en attendant une éventuelle victoire de Joe Biden en novembre qui pourrait favoriser la reconstitution d’un tandem Washington-Bruxelles. D’ailleurs, si le sommet de Washington est annulé, la présidente de la Commission européenne <a href="https://euronews.al/en/kosovo/2020/06/25/von-der-leyen-and-charles-michel-react-on-hoti-s-visit">Ursula von der Layen a reçu ce mercredi le premier ministre du Kosovo Hoti</a>, et ce vendredi le président serbe Vucic, avant un sommet France-Allemagne-Serbie-Kosovo-UE programmé à Paris courant juillet.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1276419067105226753"}"></div></p>
<p>La question demeure de savoir ce que les Européens ont à offrir aux deux parties. À la Serbie, pas grand-chose puisque l’intégration n’est pas d’actualité et que le régime s’autocratise toujours davantage. Au Kosovo, la levée des visas, bloquée par quelques États dont la France alors que le Kosovo remplit tous les critères techniques et que les instances communautaires (Commission, Parlement) se sont prononcées en faveur de cette levée. Mais aussi, éventuellement, des efforts pour convaincre les cinq États membres qui ne reconnaissent pas le Kosovo (Espagne, Slovaquie, Grèce, Chypre, Roumanie) d’avancer sur ce point. En tout état de cause, le contraste ne saurait être plus grand entre d’un côté une Serbie à quasi parti unique, et de l’autre un Kosovo au président quasi empêché, et où le gouvernement a pris le pouvoir de façon légale mais illégitime.</p>
<h2>La perception héroïque de l’UçK au Kosovo et en Albanie</h2>
<p>Enfin, cette mise en accusation est peut-être l’occasion d’une réflexion sur l’Armée de libération du Kosovo. La plupart des déclarations politiques, et la première réaction de Thaçi lui-même, ont consisté à dresser une équivalence entre lui et l’UçK, signifiant ainsi que c’était cette dernière qui était en réalité visée. On touche là à une triple difficulté. La première est la distinction entre responsabilité individuelle et responsabilité collective. Dire qu’attaquer Thaçi signifie attaquer l’UçK rend de fait l’attaque inacceptable dans la mesure où l’UçK est célébrée par tous les Albanais comme l’organisation qui a mené la lutte contre l’oppression serbe du régime de Slobodan Milosevic. Or, c’est tout le principe de la justice internationale, et notamment du TPIY, d’individualiser les responsabilités et les peines en établissant les faits et les chaînes de commandement. L’argument n’est donc pas recevable.</p>
<p>La deuxième difficulté repose sur le caractère juste de la cause pour laquelle l’UçK s’est battue. On dit alors que dans la mesure où la cause était juste, rien d’injuste ne peut en émaner car la justesse de la cause l’emporterait sur toute autre considération. Néanmoins, cette acception ternit en elle-même le principe et la légitimité l’action menée. Dans la théorie de la guerre juste, la justesse de la cause ne saurait autoriser ceux qui l’embrassent à se soustraire aux obligations du droit que leurs adversaires ne respectent pas. Ce n’est pas parce qu’on combat pour une cause juste que l’on a le droit de tuer, de violer, de massacrer etc. Aucun ancien membre de l’UçK, quel que soit son rang, ne peut donc par principe se déclarer au-dessus de toute accusation en vertu de la cause juste qu’il aurait défendue. Il serait au contraire redevable de tout crime de guerre commis et démontré au cours d’un procès juste et équitable, au même titre que n’importe quel autre combattant. Ce n’est qu’ainsi que la justesse de la cause demeurerait sauvegardée des crimes non pas commis en son nom, mais dont on espérait qu’elle les couvre.</p>
<p>La troisième difficulté touche au narratif lié à l’UçK, héroïsée partout au Kosovo au sein de la population albanaise. Comme dans d’autres pays, les Albanais du Kosovo <a href="https://www.recom.link/good-thing-dont-know-interview-bekim-blakaj-travails-transitional-justice-kosovo">doivent faire face aux crimes commis</a>, y compris (et surtout) les crimes politiques commis par des Albanais contre d’autres Albanais après l’entrée de l’OTAN sur son territoire en juin 1999. <a href="https://balkaninsight.com/2017/10/31/war-crimes-denial-is-a-psychological-defence-mechanism-10-30-2017/">Ce travail de mémoire prend toujours du temps dans toutes les sociétés</a> ; il n’est donc pas étonnant que les premières réactions soient négatives comme elles l’étaient au moment de la création de ces Chambres spéciales, votées sous forte pression occidentale. Si l’on peut comprendre la frustration devant le constat que la Serbie n’a jamais demandé pardon et que ses hauts gradés militaires n’ont jamais vraiment répondu des crimes commis en 1998-1999, cela ne signifie pas, à plus forte raison si l’on pense avoir la morale avec soi, qu’il faut s’absoudre de ses propres crimes car les crimes des uns ne justifient ni n’amoindrissent jamais les crimes des autres, ni sur le plan du droit, ni sur celui de l’éthique.</p>
<h2>Et maintenant ?</h2>
<p>Il reste donc à attendre de savoir si le juge va confirmer l’inculpation du président Thaçi, si celui-ci quittera ses fonctions en conséquence, et si cela débouchera sur une redistribution totale des cartes politiques au Kosovo.</p>
<p>De son côté, le président serbe, qui n’avait pas spécialement intérêt à résoudre la question du Kosovo rapidement, se retrouve non seulement sans opposition chez lui, mais aussi sans interlocuteur défini dans ce dialogue. La relance de, ce dialogue ne sera pas le moindre des défis pour les leaders européens dans la région et pour leur envoyé spécial Miroslav Lajcak. </p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141545/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Tregoures ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le président du Kosovo Hashim Thaçi vient d’être accusé par le Tribunal spécial pour le Kosovo de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Quelles conséquences pour le pays et pour la région ?Loïc Tregoures, Docteur en science politique, Université Lille 2, spécialiste des Balkans, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1370392020-04-29T17:30:51Z2020-04-29T17:30:51ZLa Chine et les Balkans occidentaux : un ancrage à la périphérie de l’UE<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/331168/original/file-20200428-110738-1i97kpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C13%2C995%2C652&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/download/success?u=http%3A%2F%2Fdownload.shutterstock.com%2Fgatekeeper%2FW3siZSI6MTU1NzI3NTQ4OCwiYyI6Il9waG90b19zZXNzaW9uX2lkIiwiZGMiOiJpZGxfMzU0NTk5MjYxIiwiayI6InBob3RvLzM1NDU5OTI2MS9tZWRpdW0uanBnIiwibSI6MSwiZCI6InNodXR0ZXJzdG9jay1tZWRpYSJ9LCJHNEVwMEp0c3c3ZHdTUC9nVzFXQlFMKy94WVUiXQ%2Fshutterstock_354599261.jpg&pi=33421636&m=354599261&src=8NdIsVE56dQQL9Jbi9ZTjQ-1-2">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>En 2012, la Chine a créé, avec 17 pays d’Europe centrale et du sud-est le <a href="https://www.fdbda.org/2020/01/le-format-171-un-outil-au-service-de-la-politique-europeenne-de-pekin-defiant-lue/">Format 17+1</a>, une composante de l’ambitieux projet Belt and Road Initiative (« belt » pour les corridors terrestres – lignes de chemin de fer – à travers l’Asie centrale, et « road » pour les deux corridors maritimes).</p>
<p>Cinq pays des Balkans occidentaux – l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Serbie (le Kosovo en est exclu) – en composent le flanc sud. Les 12 autres comprennent les 11 nouveaux pays membres de l’Union européenne qui l’ont rejointe depuis 2004, ainsi que la Grèce. Les cinq pays des Balkans occidentaux sus-cités sont en cours d’adhésion à l’UE ou ont été invités à la rejoindre dans un horizon de temps encore éloigné.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1255187523006947329"}"></div></p>
<p>L’UE est aujourd’hui le principal partenaire commercial (plus de 70 %) et investisseur (plus de 60 %) de chacun de ces cinq pays. La Chine vient en deuxième position ; ses échanges commerciaux ainsi que ses investissements en infrastructures portuaires, ferroviaires et autoroutières s’accroissent. Avec la Serbie – une première dans l’espace européen –, la coopération s’étend jusqu’aux domaines militaires (fourniture de matériel) et de la sécurité (systèmes de surveillance). Toutefois, en volume, tant les échanges que les investissements chinois dans la région restent très limités.</p>
<h2>Les intérêts des parties concernées</h2>
<p>Pour les dirigeants des pays récepteurs, la présence chinoise est un moyen d’accéder à des ressources complémentaires leur permettant de gagner du temps, de satisfaire leurs populations et de contourner les contraintes d’une transformation structurelle <a href="https://www.routledge.com/The-Western-Balkans-in-the-World-Linkages-and-Relations-with-Non-Western/Bieber-Tzifakis/p/book/9780367197995">coûteuse économiquement et politiquement</a>.</p>
<p>Pour la Chine, sa présence parmi les Cinq s’inscrit dans <a href="https://www.wu.ac.at/fileadmin/wu/d/cc/cee/1__Startseite/Barisitz_feei_4_17_OF.pdf">sa politique globale de coopération avec l’Europe</a>. Elle y met en œuvre une stratégie économique sans forte conditionnalité – la « diplomatie des infrastructures » – qui se confronte au pouvoir normatif de l’UE. Cette dernière, en effet, fait dépendre la distribution de crédits et d’aides des efforts réalisés par les pays récepteurs dans l’optique de leur future adhésion.</p>
<p>Plusieurs facteurs motivent la présence des firmes chinoises dans la région :</p>
<ul>
<li><p>La zone géographique se trouve à l’intersection de deux corridors de l’Initiative : l’un, terrestre, arrive en Pologne, l’autre atteint le port du Pirée. Une ligne ferroviaire doit réaliser la jonction entre le nord et le sud. Autour de cet axe, les firmes chinoises sont engagées dans la modernisation et la construction d’infrastructures portuaires, ferroviaires, autoroutières qui font toujours défaut.</p></li>
<li><p>C’est le moyen de réaliser des investissements en mobilisant les surcapacités des firmes d’État, et de construire des centrales thermiques qui ne peuvent plus l’être en Chine.</p></li>
<li><p>Créer des réseaux pour favoriser l’implantation de grands groupes chinois dans le domaine des télécommunications.</p></li>
<li><p>Acquérir des actifs dans le secteur énergétique, des matières premières (raffinerie de pétrole, mines cuivre), de la sidérurgie.</p></li>
<li><p>Contribuer au développement de chaînes régionales de valeur dans les secteurs des composants, batteries électriques, construction de pneumatiques en procédant à des investissements vierges.</p></li>
<li><p>L’implantation de banques accompagne ces nombreux projets.</p></li>
</ul>
<h2>Un état des lieux de la présence chinoise</h2>
<p>À ce jour, la Chine soutient en finance dans les Balkans occidentaux de nombreux projets achevés, en cours ou prévus.</p>
<ul>
<li><p>Albanie : Construction d’une autoroute, d’un port, d’un parc industriel, gestion de l’aéroport de Tirana, acquisition d’une raffinerie de pétrole. Coût estimé : 385 millions d’euros.</p></li>
<li><p>Bosnie-Herzégovine : Construction et modernisation de trois centrales électriques au charbon, construction d’une autoroute. Coût estimé : 1 018 milliards d’euros. En 2018, la Bosnie-Herzégovine doit près de 14 % de sa dette externe à la Chine.</p></li>
<li><p>Macédoine du Nord : Construction d’autoroutes, du réseau gazier du pays, d’une ligne de chemin de fer, d’une centrale hydroélectrique. Vente d’une flotte d’autobus, de locomotives électriques, télécommunications. Coût estimé : 1 milliard d’euros. En 2018, la Macédoine du Nord devait près de 20 % de sa dette extérieure à la Chine.</p></li>
<li><p>Monténégro : Construction d’une ligne de chemin de fer et d’une autoroute. Rénovation d’une ligne de chemin de fer, investissements dans plusieurs projets hydroélectriques et thermiques. Coût estimé : 909,6 millions d’euros. Le Monténégro doit près de 40 % de sa dette extérieure à la Chine.</p></li>
</ul>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1254426143299682305"}"></div></p>
<ul>
<li>Serbie : Construction de ponts, d’autoroutes, d’une voie périphérique autour de Belgrade, du métro de Belgrade, construction et modernisation de lignes de chemin de fer, réalisation d’un parc industriel, modernisation de centrales thermiques. Acquisition de firmes dans la sidérurgie et les mines de cuivre. Investissements dans les secteurs automobiles (batterie, construction de pneumatiques). Fourniture d’équipements et de services de surveillance (Huawei a fourni 1 000 caméras faciales pour équiper trois villes). Livraison de matériel militaire, achat de drones. Coût estimé : 3 320 milliards d’euros. En 2018, la Serbie devait près de 12 % de sa dette à la Chine.</li>
</ul>
<h2>Rivalité ou complémentarité ?</h2>
<p>Les investissements chinois se portent principalement vers le secteur des infrastructures et contribuent à combler les besoins d’infrastructures dans le domaine des transports, manifestement sous-développées dans la région. Ils s’ajoutent à ceux financés par l’UE, dont les prêts et subventions égalent ceux réalisés par la Chine. Les engagements financiers de l’UE dans le secteur des infrastructures dépassent les engagements chinois réellement déboursés : 1 809 contre 1 662 millions d’euros en Serbie, 1 184 contre 614 millions en Bosnie-Herzégovine. Seule exception, le Monténégro : 344 contre 796 millions. Quant aux échanges commerciaux, ils demeurent très asymétriques, l’ensemble des pays enregistrant des déficits importants vis-à-vis de la Chine.</p>
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<p>Les critiques avancées à l’encontre de la stratégie chinoise sont de différents ordres :</p>
<ul>
<li><p>Le lancement de projets dont la justification économique n’est pas justifiée.</p></li>
<li><p>Les modalités d’allocation des ressources et de distribution des crédits, notamment les faibles conditionnalités concernant l’octroi des crédits. Certains pays, comme le Monténégro, voient leur endettement monter dangereusement suite aux emprunts contractés auprès des établissements financiers chinois. D’autres, comme la Bosnie-Herzégovine, réduisent leurs dépenses dans certains secteurs (protection sociale) pour pouvoir honorer le service de la dette.</p></li>
<li><p>Les investissements dans des secteurs provoquant des dégâts environnementaux, induisent des surcapacités (centrales thermiques) freinant la conversion énergétique.</p></li>
<li><p>Les travaux d’infrastructures sont réalisés quasi exclusivement par des firmes chinoises qui importent la main-d’œuvre et le matériel, et laissent peu de place à l’emploi local.</p></li>
<li><p>Les faibles retombées en termes d’emplois et d’essaimage des investissements, notamment la faiblesse à ce jour d’investissements vierges créateurs d’activités à l’exception des investissements présentant une dimension politique (promesse de maintien de l’emploi dans une entreprise sidérurgique en Serbie).</p></li>
</ul>
<h2>Au-delà de la présence économique, une influence politique ?</h2>
<p>La Chine a-t-elle les moyens ou cherche-t-elle à interférer dans les affaires de l’Europe, <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/histoire-et-geopolitique/geopolitique-et-strategie/chine-a-nos-portes_9782738145703.php">à ses marges</a> ?</p>
<p>Comment peut-elle rechercher une coopération avec l’UE tout en enfonçant un coin dans son pré carré ? Elle peut le faire marginalement (neutralisation du vote de la Hongrie, de la Grèce sur des questions concernant les droits de l’homme dans des agences de l’ONU), en exerçant son <a href="http://library.fes.de/pdf-files/bueros/sarajevo/16005.pdf">soft power</a> (création d’Instituts Confucius, distribution de bourses d’études). Mais pour beaucoup de pays de la région, les limites de la contribution chinoise commencent à être perceptibles et conduisent certains dirigeants de pays membres du Format à <a href="https://chinaobservers.eu/wp-content/uploads/2020/04/CHOICE_Empty-shell-no-more.pdf">changer de pied</a> au vu de la faiblesse des engagements financiers et industriels de Pékin.</p>
<p>La Serbie se distingue à la fois par le volume de ses échanges, de ses investissements et de sa coopération militaire tant avec la Russie que la Chine. Elle tire profit du relatif détachement l’UE et de sa tendance à <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2020/03/DERENS/61511">tolérer des dirigeants qui jouent sur ses ambiguïtés</a>.</p>
<p>La Serbie peut-elle devenir un pôle régional à partir duquel la Chine renforcera sa présence dans la région ? Son marché reste très étroit, ses capacités d’endettement limitées. L’esprit de l’Initiative est centré sur la coopération bilatérale alors que l’Union européenne promeut une approche régionale mettant l’accent sur l’intégration avancée des pays en accession comme condition de leur adhésion future.</p>
<p>Il reste que le futur de cette présence et de son extension dépend de <a href="https://carnegieendowment.org/2020/02/19/eu-and-china-in-2020-more-competition-ahead-pub-81096">l’évolution des relations économiques et politiques entre l’UE et la Chine</a>. Or la contraction et la fragmentation de la mondialisation en cours, ainsi que la baisse de la croissance chinoise, paraissent annoncer une réduction des moyens disponibles alloués au financement de l’Initiative.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137039/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Xavier Richet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Chine avance posément ses pions dans les Balkans occidentaux dans le cadre de son projet dit des « Nouvelles routes de la soie », mais le ralentissement économique actuel pourrait changer la donne.Xavier Richet, Professeur émérite en économie, Université Sorbonne Nouvelle 3, Co-anmateur du séminaire BRICs: Brésil-Russie-Inde-Chine : Approche comparative et l'avenir de l'économie mondiale, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1373562020-04-29T17:30:50Z2020-04-29T17:30:50ZAu Kosovo, déflagration politique sur fond de Covid-19<p>Alors que le monde entier consacre son énergie à lutter contre la pandémie de Covid-19, certains gouvernements y ont vu une occasion d’accroître leurs pouvoirs en profitant de l’effet de sidération et de la fenêtre d’opportunité qui s’ouvrait. C’est ce type de scénario qui s’est produit au Kosovo le 25 mars dernier – à ceci près que ce n’est pas le gouvernement qui a outrepassé ses droits, mais le président qui a manœuvré pour fomenter la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/26/kosovo-le-gouvernement-renverse-en-pleine-pandemie-du-coronavirus_6034447_3210.html">chute du gouvernement</a>.</p>
<h2>L’éphémère gouvernement Kurti</h2>
<p>Pour comprendre la situation, un bref retour en arrière s’impose. Les élections législatives d’octobre 2019 ont abouti à la <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Legislatives-Kosovo-opposition-fait-chuter-commandants-2019-10-06-1301052499">victoire du parti Autodétermination (VV)</a>, qui se veut issu de la gauche sociale et qui fait de la lutte contre la corruption son principal cheval de bataille. Son leader charismatique, <a href="https://www.courrierinternational.com/article/kosovo-albin-kurti-lenfant-terrible-de-la-politique-kosovare">Albin Kurti</a>, longtemps épouvantail des chancelleries occidentales très influentes au Kosovo, s’est donc ouvert la voie vers le poste de premier ministre – non sans avoir pris ses distances avec quelques points de crispation liés à la charte initiale de son parti comme la réunification avec l’Albanie par exemple. Néanmoins, la victoire fut remportée d’une courte tête devant la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), parti historique de feu Ibrahim Rugova, emmené par une jeune garde incarnée par <a href="https://www.lepoint.fr/monde/vjosa-osmani-la-femme-qui-veut-diriger-le-kosovo-02-10-2019-2338886_24.php">Vjosa Osmani</a>, devenue présidente du Parlement.</p>
<p>Autrement dit, les deux partis arrivés en tête ont battu les partis qui formaient la coalition sortante, à savoir le PDK du président Hashim Thaçi, l’AAK de Ramush Haradinaj et la formation NISMA de Fatmir Limaj, dans ce qui avait été appelé « la coalition des commandants » en raison de l’appartenance de chacun à l’ancienne Armée de libération du Kosovo (UçK).</p>
<p>Des mois de tractations ont été nécessaires pour constituer un gouvernement, rajeuni et féminisé, et obtenir un vote de confiance au Parlement. Or c’est ce gouvernement, en place depuis à peine deux mois et dont l’action est globalement appréciée par l’opinion, qui a été renversé, avec la complicité de la LDK, qui a donc précipité la chute d’une coalition dont elle était elle-même partie. Cette opération a mis au jour des dissensions au sein de la LDK entre la « vieille garde », incarnée par l’ancien premier ministre Isa Mustafa, à la manœuvre avec le président Thaçi pour faire tomber le gouvernement, et la nouvelle figure populaire Vjosa Osmani, qui y était opposée.</p>
<p>À peine le vote de défiance a-t-il été acquis que les tractations ont débuté, de façon ouverte et assumée par le président Thaçi, qui a prétexté l’urgence de la pandémie pour <a href="https://balkaninsight.com/2020/04/15/kosovo-opposition-signals-readiness-to-form-new-government/">demander à la LDK de constituer au plus vite un nouveau gouvernement</a> avec une nouvelle coalition sans qu’il y ait besoin de recourir à de nouvelles élections. Néanmoins, les photos publiées sur Twitter par Thaçi en compagnie des responsables des autres partis, sans masque, sans distanciation physique (et sans femmes) témoignent, si besoin était, du caractère grossier du mensonge utilisé. De fait, personne n’est dupe de cette manipulation opérée au grand jour, à commencer par les citoyens du Kosovo qui, pour être confinés, n’en expriment pas moins un <a href="https://prishtinainsight.com/prishtina-protests-from-its-balconies/">soutien massif depuis leurs balcons</a> à Albin Kurti.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1253000780036149248"}"></div></p>
<p>Le premier ministre déchu a saisi la Cour constitutionnelle afin qu’elle s’exprime sur la légalité de la manœuvre du président qui, selon les textes, n’est pas le dépositaire du pouvoir exécutif. Il y a donc deux hypothèses. Soit la Cour confirme la légalité du nouveau gouvernement, ce qui débouchera très vraisemblablement sur des protestations populaires massives. Soit elle donne raison à Albin Kurti et demandera l’organisation de nouvelles élections qui ne pourront de toute façon pas se tenir dans l’immédiat, maintenant Kurti dans son rôle de premier ministre d’un gouvernement technique. On voit donc que dans les deux cas, la crise politique ne fait que commencer car le président Thaçi et les autres partis ne pourront laisser la situation s’éterniser.</p>
<h2>Les raisons des manœuvres présidentielles</h2>
<p>La question est alors de savoir pourquoi le président Thaçi, bien aidé en cela par la vieille garde de la LDK, a tout fait pour renverser l’éphémère gouvernement Kurti. Il y a deux raisons à cela. La première est interne. Le parti Autodétermination a gagné sur la promesse de lutter contre la <a href="https://balkaneu.com/corruption-in-kosovo-is-endemic-report/">corruption politique endémique</a>. Le gouvernement avait commencé à renvoyer les affidés des anciens partis qui avaient dû leurs hautes positions à leurs appartenances partisanes davantage qu’à leurs compétences inexistantes. Il ne fait aucun doute que d’autres gros scandales de corruption et de clientélisme seraient prochainement sortis, tant les partis qui se sont succédé au pouvoir, y compris la LDK, se sont depuis longtemps ingéniés à <a href="https://www.aljazeera.com/programmes/witness/2019/05/patriotic-highway-tale-justice-corruption-kosovo-190528084404483.html">capturer les ressources de l’État</a> à leur profit.</p>
<p>La seconde raison est externe, et nettement plus grave car elle est relative à la question fondamentale du dialogue avec la Serbie en vue de la reconnaissance du Kosovo. La manœuvre de Thaçi n’aurait jamais pu aboutir sans le soutien ouvert et massif de l’ambassadeur américain en Allemagne <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/06/06/la-diplomatie-a-rebrousse-poil-de-richard-grenell-ambassadeur-des-etats-unis-a-berlin_5310745_3214.html">Richard Grenell</a>, envoyé spécial personnel du président Trump pour le dialogue Serbie-Kosovo et par ailleurs récemment nommé <a href="https://edition.cnn.com/2020/02/20/opinions/richard-grenell-disastrous-dni-choice-andelman/index.html">directeur national du renseignement</a> (non confirmé par le Sénat) suite à la purge post-impeachment. La présence de Grenell, un novice total sur les Balkans mais un fidèle de Trump, ne peut s’expliquer que par sa conviction qu’il peut offrir au président un succès diplomatique à brève échéance dans un conflit que les Européens (et Obama) auront été incapables de résoudre depuis des années.</p>
<p><a href="https://balkaninsight.com/2020/04/07/applauding-kurtis-fall-the-us-is-testing-kosovos-loyalty/">Pourquoi l’administration américaine aurait-elle prêté la main au renversement d’un gouvernement légitimement élu et populaire ?</a> La réponse doit se lire à un double niveau. Le premier repose sur le prétexte saisi autour des taxes douanières de 100 % que le précédent gouvernement avait appliquées sur la Serbie et la Bosnie en représailles de la <a href="https://exit.al/en/2020/03/11/foreign-minister-dacic-serbia-wont-stop-kosovo-derecognition-campaign-until-deal-is-reached/">campagne de lobbying international</a> menée par Belgrade pour la « déreconnaissance » du Kosovo et son maintien hors de certaines organisations internationales comme Interpol ou l’Unesco. Albin Kurti avait annoncé son intention de suspendre les taxes en deux temps, en instaurant des mesures de réciprocité vis-à-vis de la Serbie, ce qui fut fait le 1<sup>er</sup> avril dernier.</p>
<p>Or, si cette décision fut saluée par les Européens, elle fut au contraire <a href="https://prishtinainsight.com/mixed-reactions-to-kurtis-tariff-plans/">dénoncée</a> par l’ensemble de l’opposition, la LDK, et Richard Grenell, qui exigeait la fin des taxes de façon unilatérale et préalable, c’est-à-dire sans plus exiger de la Serbie qu’elle cesse sa campagne de lobbying contre le Kosovo. Une différence de traitement qui est allée jusqu’à des menaces à peine voilées venues des États-Unis de retrait de soutien financier ou même de troupes (650 soldats américains sont toujours déployés au Kosovo), y compris de la part du premier cercle de l’administration Trump, <a href="https://balkaninsight.com/2020/03/10/donald-trump-junior-urges-us-troop-withdrawal-from-kosovo/">notamment du fils du président</a> !</p>
<h2>Le « trio » Trump-Grenell-Thaçi</h2>
<p>Mais la question des taxes est à bien des égards un faux problème. Le second niveau d’analyse est au fond simple à cerner : il y a une convergence d’intérêts entre trois personnages vers un accord final rapide quoi qu’il en coûte. Le président Trump rêve d’un succès diplomatique majeur après le fiasco nord-coréen tout en faisant la nique aux Européens. Richard Grenell entend montrer l’étendue de son talent de blitz-négociateur après avoir fait signer récemment des <a href="https://www.euronews.com/2020/02/14/kosovo-and-serbia-sign-deal-on-rail-and-road-links-in-huge-diplomatic-step">accords techniques</a> sur le rétablissement de liaisons ferroviaires et aériennes entre Belgrade et Pristina sans que l’on sache très bien qui les a signés pour le Kosovo ni s’ils déboucheront un jour sur du concret. Hashim Thaçi, président très impopulaire en fin de course, voit se rapprocher le spectre d’éventuels ennuis judiciaires, notamment en provenance des <a href="https://www.justiceinfo.net/en/tribunals/mixed-tribunals/41921-kosovo-specialist-chambers-gearing-up-for-uncomfortable-truths.html">Chambres spéciales de La Haye</a> chargées de juger les crimes de guerre commis par l’UçK. Nul doute qu’être celui qui signerait l’accord historique portant reconnaissance par la Serbie du Kosovo et lui ouvrant la voie à l’ONU serait pour lui un héritage plus honorable que de finir en prison.</p>
<p>De fait, voilà bientôt deux ans que Thaçi est prêt à signer un accord quel qu’il soit du moment qu’il est validé par Washington, y compris au prix d’un redécoupage des frontières – ce à quoi, rappelons-le, l’ancienne Haute Représentante de la diplomatie européenne Federica Mogherini ne semblait pas opposée. Or, personne au sein de l’administration Trump n’a le moindre intérêt pour les détails, ni les connaissances requises de la complexité dans un tel dossier, ce que l’auteur de ces lignes mettait en avant <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/serbie-kosovo-options-scenarios-2018">voici déjà 18 mois</a>. Autrement dit, tout ce qui pourrait être signé serait de toute façon impraticable et dangereux, ce qu’Albin Kurti a <a href="https://foreignpolicy.com/2020/04/23/balkans-kosovo-serbia-albin-kurti-richard-grenell/">résumé d’une cinglante formule</a> : « Dans les Balkans, si vous oubliez l’Histoire, elle vous revient en boomerang. »</p>
<h2>Une séquence politique favorable à la Serbie</h2>
<p>De son côté, le président serbe Aleksandar Vucic joue sur du velours. Si son intérêt n’est pas spécialement de résoudre la question du Kosovo au plus vite tant elle joue efficacement le rôle d’écran de fumée vis-à-vis de sa médiocre opposition politique et des Européens, la fenêtre d’opportunité ouverte par une administration américaine favorisant une vision civilisationnelle, transactionnelle et illibérale du monde est inespérée. Dans le monde de Trump, il n’y a pas d’alliés, il n’y a pas d’histoire, il n’y a pas de visée à long terme, il n’y a que des coups de l’instant, des rapports de force et d’argent. De fait, même s’il n’est pas dit que les Serbes l’accepteraient au cours d’un référendum propre, obtenir un morceau du Kosovo en échange d’une forme à définir de reconnaissance semble une meilleure affaire que de lâcher le Kosovo contre une vague promesse d’intégration européenne. Surtout, ce ne serait pas présenté comme une fin en soi mais comme un précédent, c’est-à-dire obtenir dans la paix ce que <a href="https://www.latimes.com/world/europe/la-fg-serbia-president-vucic-20180910-story.html">Slobodan Milosevic a échoué à obtenir dans la guerre</a>, avec la Bosnie en ligne de mire.</p>
<p>De fait, lorsque l’administration Trump menace le Kosovo avec la complicité de son propre président, elle se comporte en suzerain face à un vassal, remettant implicitement en question la légitimité et la souveraineté même du Kosovo, donnant ainsi paradoxalement raison aux opposants de toujours de l’indépendance du Kosovo qui le décrivaient comme une création artificielle des Américains taillée dans le cœur de la Serbie.</p>
<p>Les citoyens du Kosovo, les plus pro-Américains au monde, se retrouvent donc dans une situation très inconfortable face à cette injonction contradictoire où ce sont les États-Unis qui semblent se retourner contre eux tandis que l’Allemagne tient, <a href="https://twitter.com/AgronBajrami/status/1253432830379474944?s=20">relativement seule</a>, la ligne du refus de toucher aux frontières. Le Kosovo devient ainsi le terrain de jeu concret d’un monde dans lequel, de plus en plus, Européens et Américains vont diverger, a plus forte raison si Donald Trump venait à être réélu.</p>
<h2>Et l’Europe dans tout ça ?</h2>
<p>L’ennui est que les Européens n’ont aucune idée et rien à offrir. Aucune idée car le « Représentant spécial pour le dialogue Belgrade-Pristina et les autres questions dans les Balkans occidentaux » (une formulation en soi sujette à caution car quelle « autre question » peut se poser si ce n’est la Bosnie ?) est le Slovaque <a href="https://europeanwesternbalkans.com/2020/04/03/miroslav-lajcak-top-slovak-diplomat-embarking-on-yet-another-mission-to-the-balkans/">Miroslav Lajcak</a>, perçu comme proche des Serbes, au bilan pour le moins contrasté lors de son passage de 2007 à 2009 en Bosnie en tant que <a href="http://www.ohr.int/miroslav-lajak/">Haut Représentant – OHR</a> et qui n’a rien fait en tant que ministre des Affaires étrangères (poste qu’il a occupé en 2009-2010 et de 2012 à début 2020) pour que la Slovaquie reconnaisse le Kosovo. Lajcak réussit ainsi l’exploit de mettre d’accord Kurti (qui ne lui fait nullement confiance) et Thaçi (qui a décidé d’aller au bout le plus vite possible avec les Américains, en mettant les Européens hors-jeu).</p>
<p>Rien à offrir car il existe un désaccord profond, notamment du côté de la France, sur la seule mesure tangible à laquelle les citoyens du Kosovo sont sensibles, à savoir la levée des visas Schengen. Ils n’ont rien à offrir non plus à la Serbie qui a très bien compris que l’élargissement n’était de toute façon pas à l’ordre du jour dans la prochaine décennie. En témoignent les <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/coronavirus-en-Serbie-vucic-compte-sur-la-Chine">mots très durs du président Vucic vis-à-vis de l’UE par rapport à la pandémie actuelle</a>, à rapporter aux propos empreints de fraternité qu’il a tenus à l’égard de la Chine. Les Européens n’ont donc aucune carte à jouer ni vis-à-vis du Kosovo, ni vis-à-vis de la Serbie.</p>
<p>Dans ces conditions, on comprend que l’intérêt bien compris du Kosovo serait de jouer la montre et d’espérer une victoire démocrate en novembre. Certains parlementaires démocrates américains ont d’ailleurs <a href="https://www.gazetaexpress.com/congressman-engel-raises-concerns-on-us-policy-toward-kosovo/">fortement critiqué</a> l’attitude de Richard Grenell. Il ne fait aucun doute que la main du Kosovo serait plus forte avec une administration démocrate qui saurait de surcroît renouer le fil avec les Européens (et inversement pour la Serbie). Le président Thaçi peut penser le contraire, mais il peut difficilement le faire au nom des intérêts du pays – ce que les Kosovars, pas dupes, ont fort bien compris. On peut donc s’attendre, maintenant que les masques sont tombés, à ce qu’il aille coûte que coûte au bout de sa logique avec l’appui de l’administration américaine.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1253726875366686721"}"></div></p>
<p>La question est alors double, sans même rester suspendu à l’élection américaine de novembre. D’une part, que fait l’Europe ? Où en sommes-nous de la tentative franco-allemande de relancer le dialogue, qui a manifestement fait long feu du fait du désintérêt de ses principaux acteurs ? D’autre part, en supposant qu’un papier soit signé dans les jardins de la Maison Blanche entre Aleksandar Vucic et Hashim Thaçi d’ici octobre prochain, que se passera-t-il sur le terrain, et qui garantira qu’il n’y aura aucun embrasement quand l’administration Trump se lavera les mains de l’impossible application d’un tel texte et quand les millions de dollars ne pleuvront pas sur Mitrovica ?</p>
<p>Quelle que soit la décision de la Cour constitutionnelle du Kosovo, les prochains mois ne pourront être que très troublés. Il convient pour l’UE d’en avoir conscience malgré une marge de manœuvre extrêmement réduite car il en va de sa crédibilité comme projet politique. Les profonds <a href="https://www.economist.com/europe/2019/11/07/emmanuel-macron-in-his-own-words-french">bouleversements internationaux</a> que le président Macron semble plutôt seul en Europe à admettre sur le plan intellectuel doivent trouver une traduction politique et stratégique dans laquelle la responsabilité de l’Europe serait engagée. Où, sinon dans les Balkans ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137356/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Tregoures ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La récente chute du gouvernement au Kosovo, favorisée par la vision court-termiste de l’administration Trump, fait le jeu de la Serbie. Quant aux Européens, ils restent aux abonnés absents.Loïc Tregoures, Docteur en science politique, Université Lille 2, spécialiste des Balkans, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1358542020-04-09T19:19:44Z2020-04-09T19:19:44ZLa crise sanitaire va-t-elle mettre fin au projet d’adhésion serbe à l’UE ?<p>Alors que nous sommes en pleine crise sanitaire et que des questions commencent à se poser sur le traitement de cette pandémie par nos autorités, il est intéressant d’examiner la façon dont un État plus jeune (créé en 2006) et moins puissant (PIB de 51,5 milliards de dollars pour 7 millions d’habitants) a su se mobiliser pour contrer le virus.</p>
<p>Derrière l’État, c’est toute une nation qui semble prendre au pied de la lettre le mot d’ordre macronien « nous sommes en guerre ». Mais c’est aussi le manque de solidarité européenne qui a conduit le président serbe Aleksandar Vučić à se tourner résolument vers d’autres acteurs, comme le grand frère russe ou le puissant « cousin » chinois.</p>
<h2>Un État en ordre de bataille</h2>
<p>Au 9 avril, alors que le virus avait fait près de 11 000 morts et quelque 100 000 infectés en France, en Serbie il n’y avait que 61 morts et moins de 2 500 infectés. Mais derrière ces chiffres macabres, c’est surtout le décalage entre l’attentisme français et la réactivité des autorités serbes qui est frappant.</p>
<p>En effet, avant même le premier mort du Covid-19 en Serbie, le 21 mars, les autorités de Belgrade avaient pris des <a href="https://www.mesvaccins.net/web/news/15321-suite-a-l-evolution-de-la-pandemie-de-covid-19-la-serbie-ferme-ses-frontieres">mesures drastiques</a> :</p>
<ul>
<li><p>Interdiction de tout transport entre les villes, sauf pour les véhicules de transport de marchandises.</p></li>
<li><p>État d’urgence décrété le 20 mars, avec confinement entre 17 h 00 et 5 h 00 du matin. Les seniors sont autorisés à sortir entre 4 h 00 et 7 h 00 du matin pour faire leurs courses dans les supermarchés qui ouvriront spécialement pour eux (le gouvernement a publié une liste comprenant plus de 2 000 établissements). Tous les magasins sont fermés à l’exception des supermarchés, des épiceries et des pharmacies. Les parcs et les surfaces vertes sont interdits d’accès.</p></li>
</ul>
<ul>
<li><p>Fermeture totale des frontières et patrouilles de l’armée le long des frontières et dans les artères des grandes villes.</p></li>
<li><p>Publication d’une liste officielle de produits et aliments dont les prix ne pourront pas être augmentés (tout ce qui relève de la nécessité absolue, comme le pain, le lait, la farine, le sucre, les œufs, mais également des articles d’hygiène).</p></li>
<li><p>Confinement obligatoire pour tous les citoyens serbes revenant de l’étranger (14 jours, sauf pour ceux revenant d’Espagne et d’Italie, pour qui un confinement de 28 jours est obligatoire)</p></li>
<li><p>Sortie interdite pour toutes les personnes ayant plus de 65 ans (à l’exception, donc, des courses très tôt le matin) – sous peine d’amende d’environ 1000 euros et/ou emprisonnement.</p></li>
<li><p>Moratoire sur le paiement des factures pour les mois de février, mars et avril (électricité, eau, etc.), pour les entreprises comme les ménages.</p></li>
</ul>
<p>Avant cette fermeture des frontières, on a observé une forte vague de retours de 35 000 <em>gastarbeiters</em> (exilés économiques) serbes depuis l’Autriche, l’Allemagne ou encore la Suisse. Tous vont passer systématiquement 14 jours de confinement dans des camps militaires médicaux aux frontières.</p>
<p>Avant même le premier mort, dans chaque ville importante les hôtels et les grandes salles de sport ont été réquisitionnés pour accueillir les malades du Covid-19 et opérer un premier tri avant d’envoyer en réanimation ceux dont l’état le nécessitait. À Belgrade, la grande halle consacrée aux Congrès et Salons (Sajmište) – l’équivalent de notre salon de la porte de Versailles – a été transformée en énorme centre de soins avec 3 000 lits et sous la protection de l’armée.</p>
<p>Dans le même temps, les chaînes de télévision, privées comme publiques, martèlent des messages de prévention. Les as du basket ou du football exhortent leurs concitoyens à rester à la maison, affirmant que c’est ainsi qu’ils seront des champions, vainqueurs de la maladie (« Mi smo šampijoni »). Un véritable élan patriotique – certains diront <a href="https://www.rferl.org/a/ex-envoy-bildt-questions-serbia-and-hungary-use-of-china-card-amid-covid-19-crisis/30525795.html">instrumentalisé par l’État</a> – se dégage de ces messages.</p>
<p>Cette gestion musclée de la crise montre bien la façon dont le président dirige ses affaires intérieures. <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/01/11/aleksandar-vucic-la-serbie-au-regime-sec_1702429">Au pouvoir depuis 2014</a>, Aleksandar Vučić, issu des rangs de la droite nationaliste, est désormais un pro-européen convaincu. S’il se veut aujourd’hui en pointe dans la lutte contre la pandémie, on se souvient encore qu’avant le début des événements, il <a href="https://www.rferl.org/a/serbian-president-makes-light-of-coronavirus-as-one-more-reason-to-hit-the-bottle/30468925.html">prenait le Covid-19 à la légère</a>. La crise sanitaire a également été pour le président serbe une occasion de mieux contrôler les <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/en-serbie-l-information-victime-de-l-epidemie-de-coronavirus_3885167.html">médias</a>, alors que la campagne électorale en vue des législatives prévues le 26 avril (et <a href="https://fr.reuters.com/article/World/idFRKBN2140KH">reportées depuis à cause de la crise sanitaire</a>) n’avait fait que commencer.</p>
<h2>Une société solidaire et mobilisée</h2>
<p>Depuis le début de la pandémie, de nombreux exemples de solidarité ont montré la vitalité de la société serbe. L’habitude de se serrer les coudes liée au souvenir de la décennie 1990, période d’embargo international et de guerres aux frontières, explique en partie cette multiplication d’initiatives personnelles de solidarité envers la collectivité. Mais on peut aussi penser qu’à l’instar de ce qui se passe depuis deux mois dans des pays pays comme la Chine ou à <a href="https://theconversation.com/cuba-face-au-coronavirus-dans-lile-et-dans-le-monde-135455">Cuba</a>, le système socialiste a laissé des traces.</p>
<p>La compagnie Air Serbia a <a href="https://www.srbija.gov.rs/vest/en/152232/flights-for-return-of-serbian-citizens-organised.php">envoyé plusieurs avions quotidiens</a> pour ramener ses citoyens depuis Paris, Amsterdam, Doha, Moscou, Chypre ou encore Thessalonique. À comparer aux <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/coronavirus-130-000-francais-bloques-a-l-etranger-veulent-rentrer_2121461.html">dizaines de milliers de touristes français complètement bloqués un peu partout dans le monde</a> et obligés d’acheter à prix d’or leurs billets retour pour la terre natale. Des vols quotidiens vont chercher parfois jusqu’à seulement une dizaine de touristes serbes perdus au Mexique, à Cuba ou à Malte, a expliqué Aleksandar Vučić lors d’une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=I4MGRi-LIbs">interview à la chaîne télévision Prva</a>, le dimanche 29 mars 2020.</p>
<p>Plus de 100 000 personnes de nationalité serbe sont ainsi revenues au pays depuis le début de la pandémie, dont 120 membres du personnel médical. Des médecins épidémiologistes travaillant depuis de nombreuses années à l’étranger reviennent massivement en Serbie prêter main-forte à leurs compatriotes, sans aucune contrepartie financière. On ne compte plus les dons attribués par les champions du sport serbe (à commencer par le numéro 1 du tennis mondial, Novak Djoković, qui a donné 1 million de dollars). La solidarité des Serbes de renom s’est montée en quelques jours à 6 millions de dollars de donations au secteur sanitaire. Ces efforts vont permettre à un pays encore en <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/RS/situation-economique-et-financiere-de-la-serbie">transition économique</a> de se doter d’appareils respiratoires qui seront bien utiles dans les semaines à venir.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1243568004081815553"}"></div></p>
<p>Des brigades de volontaires patrouillent systématiquement dans les résidences et les quartiers résidentiels au contact des personnes de plus de 65 ans, leur apportant nourriture et médicaments. Formés de trois jeunes volontaires, avec un chef de brigade, ils ont massivement aidé la population, surtout âgée, à rester psychologiquement en forme. Ce type d’action se place dans la droite ligne des <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=74GQBFB8G4MC&oi=fnd&pg=PA279&dq=radne+akcije&ots=0hTNoenSe0&sig=XOUKgLMezmPwH8Ah4DvPxOXByC8&redir_esc=y#v=onepage&q=radne%20akcije&f=false">« radne akcije »</a> (brigades de volontaires) qui, du temps de la Yougoslavie socialiste, amenaient les jeunes gens à œuvrer de façon bénévole sur divers chantiers nationaux (construction de routes et de voies ferrées par exemple).</p>
<p>Des masques ont été <a href="https://www.kurir.rs/vesti/politika/3428005/predsednik-srbije-objavio-nove-mere-za-borbu-protiv-koronavirusa-ovo-je-tezak-izazov-ali-sacuvacemo-zivote">distribués gratuitement à la population depuis deux semaines</a>. Ils sont rationnés et distribués par paquets à chaque famille, mais cela contraste avec l’alternance entre pénurie et prix inabordables dans le cas français. Une véritable prise de conscience de la société fait que tout le monde, dans la rue, à la télévision ou au gouvernement, porte des gants et un masque, à l’instar de la Chine.</p>
<h2>Devant les atermoiements de l’UE, le précieux allié chinois</h2>
<p>Lundi 23 mars : accueillant en grande pompe le premier avion d’aide médicale provenant de Chine, Aleksandar Vučić déclare que « si la Serbie manque d’équipement, c’est la faute de l’Union européenne » car celle-ci a fortement <a href="https://www.lalibre.be/international/europe/l-ue-limite-les-exportations-d-equipement-medical-de-protection-5e6e567df20d5a29c66dcc7b">restreint l’exportation de matériel médical depuis le début de la crise</a>. Il ajoute, furieux, que <a href="https://francais.rt.com/international/72741-solidarite-europeenne-face-covid-19-conte-de-fee-selon-serbie-rapproche-chine">« la solidarité européenne n’existe pas, c’est un conte pour enfants »</a>. C’est à ce moment que le président serbe, dans un tournant historique, décide de faire totalement confiance aux Chinois, « les seuls qui peuvent nous aider » selon lui. Il va jusqu’à annoncer la naissance d’une <a href="http://www.xinhuanet.com/english/2020-04/02/c_138941828.htm">« amitié qui va durer des siècles et des siècles »</a>. Depuis ce discours, <a href="https://francais.cgtn.com/n/BfJAA-cA-FIA/BccacA/index.html">plusieurs avions chinois</a> sont arrivés en Serbie, apportant plus de 3 tonnes de maques, de nombreux appareils respiratoires, mais aussi des médecins.</p>
<p>La Russie a <a href="https://www.aa.com.tr/en/health/covid-19-russia-sends-doctors-supplies-to-serbia/1791013">également envoyé du matériel médical, ainsi que des tests de dépistage</a>. De toute évidence, l’Union européenne a ici manqué le coche. Alors que dans les crises précédentes, elle avait été au rendez-vous (versant notamment <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_14_569">80 millions d’euros d’aide lors des inondations de 2014</a>), elle a fait preuve d’inertie et d’aveuglement devant les enjeux géopolitiques actuels. Belgrade a lancé plusieurs appels à l’aide, qui se sont concrétisés par un résultat décevant : un avion affreté par l’UE, mais avec un matériel médical payé par la Serbie.</p>
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<p>Même si l’Europe a <a href="https://www.euractiv.com/section/eastern-europe/news/eu-announces-covid-19-help-for-balkans-eastern-neighbours-after-criticism/">tardivement cherché à se rattraper</a>, seuls quelques États, comme la <a href="https://balkaneu.com/norway-donates-eur-5-mln-to-serbia-for-medical-purposes/">Norvège</a>, se sont montrés à la hauteur de la situation.</p>
<p>Cela en dit long sur l’absence de réponse réelle, à la hauteur de l’enjeu sanitaire actuel, des instances fédérales européennes. Rappelons que la Serbie est le pays des Balkans occidentaux (ex-Yougoslavie) le plus avancé dans les négociations d’adhésion à l’UE. Alors qu’Aleksandar Vučić était jusqu’ici un fervent défenseur de l’adhésion à l’UE, la crise sanitaire semble l’avoir fait changer d’avis ; il épouserait ainsi l’évolution d’une opinion qui se montre de moins en moins favorable à l’intégration européenne (le taux de soutien qui était de 72 % en octobre 2003 n’était plus que de <a href="https://www.danas.rs/politika/za-ulazak-u-eu-53-odsto-gradjana-srbije/">53 % en août 2019</a>). C’est comme si l’UE n’existait plus face à sa première crise sanitaire d’ampleur provoquant en Serbie une déception qui, à n’en pas douter, laissera des traces profondes…</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-écrit avec Svetlana Maksovic.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135854/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexis Troude ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Candidate à l’UE depuis des années, la Serbie estime ne pas avoir suffisamment été aidée par Bruxelles lors de la crise sanitaire actuelle et se tourne vers la Chine.Alexis Troude, Chargé de cours en relations internationales, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1283222019-12-04T19:01:05Z2019-12-04T19:01:05ZQuel rôle pour l’OTAN dans les Balkans ?<p>Alors que l’OTAN vient de tenir son sommet annuel à Londres, Emmanuel Macron n’est pas le seul à <a href="https://www.lefigaro.fr/international/le-president-francais-emmanuel-macron-juge-l-otan-en-etat-de-mort-cerebrale-20191107">s’interroger sur l’avenir</a> d’une alliance en théorie défensive, créée en 1949 dans le cadre de la Guerre froide pour protéger les pays d’Europe de l’Ouest contre une éventuelle attaque soviétique. Donald Trump, on le sait, n’est <a href="https://theconversation.com/lotan-survivra-t-elle-a-donald-trump-128069">pas un grand admirateur</a> d’une Alliance qu’il juge obsolète. Il est cependant une région où l’OTAN semble, à première vue, en phase avec son temps : les Balkans occidentaux, où son élargissement a été jusqu’ici plus rapide que celui de l’Union européenne.</p>
<p>Quatre pays de cette zone ont rejoint l’OTAN au cours des quinze dernières années : la Slovénie en 2004, la Croatie et l’Albanie en 2009 et le Monténégro en 2017. Un cinquième, la Macédoine du Nord, est en cours d’adhésion. Les trois autres – la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo et la Serbie – se trouvent, pour leur part, dans l’antichambre de l’OTAN, le « Partenariat pour la paix ». Cette dynamique est toutefois quelque peu trompeuse : dans les Balkans aussi, l’action et la présence de l’Alliance sont loin de faire l’unanimité. Ne serait-ce que parce que nombreux sont ceux qui n’ont pas oublié son intervention contre la Serbie en 1999, <a href="https://www.persee.fr/docAsPDF/afdi_0066-3085_1999_num_45_1_3565.pdf">à la légalité pour le moins discutable</a>. Analyse de cinq cas emblématiques.</p>
<h2>Monténégro : une adhésion coûteuse</h2>
<p>Les États-Unis ont réussi à intégrer le petit Monténégro à l’OTAN en 2017, en faisant pression sur le gouvernement de Milo Djukanović. Presque 20 ans après les bombardements de l’OTAN sur la Serbie et le Monténégro, il fallait arriver à persuader l’ancien <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2006/05/23/forme-par-milosevic-milo-djukanovic-a-la-reputation-de-melanger-politique-et-business_774892_3214.html">partisan de Slobodan Milošević</a> de se placer sous protection étatsunienne. La Maison Blanche avait déjà, depuis de nombreuses années, obligé le Monténégro à abandonner ses équipements militaires hérités du Pacte de Varsovie, réduisant par exemple sa flotte navale à la portion congrue. L’intérêt géostratégique pour Washington est de s’assurer d’un contrôle sur le canal d’Otrante, au débouché de l’Adriatique, là où arrivent les tubes gaziers TANAP et NABUCCO. </p>
<p>C’est donc logiquement que, le 2 décembre 2015, l’OTAN a invité le Monténégro à rejoindre l’Alliance atlantique, ce qui a abouti à son intégration à la mi-2017. Le Pacte atlantique est perçu par le gouvernement de Podgorica comme « la garantie la plus fiable pour les investisseurs » et le seul moyen d’assurer la sécurité. Mais Moscou, voyant lui échapper un point d’appui en mer Adriatique et une nation toujours très proche de ses positions diplomatiques, objet de toutes les convoitises des gouvernements russes depuis Pierre le Grand, a vite réagi. Vladimir Poutine a <a href="https://www.courrierinternational.com/article/diplomatie-le-montenegro-integre-lotan-la-russie-prend-des-sanctions">annoncé</a>, dans les jours suivant la décision de l’OTAN, l’arrêt de l’ensemble des échanges commerciaux avec les entreprises monténégrines. Depuis, les investisseurs russes ont largement quitté le pays.</p>
<h2>Kosovo : la passivité de l’OTAN</h2>
<p>Depuis les <a href="http://www.institut-strategie.fr/?p=1073">accords de Kumanovo</a> du 10 juin 1999, le Kosovo est partagé en cinq zones militaires contrôlées par l’OTAN. Les soldats de la KFOR (Force de l’OTAN au Kosovo) sont aujourd’hui au nombre de 4 000, après avoir été de 42 000 en 2000 et encore de 16 500 en 2010. Mais la présence de l’OTAN n’a pas permis de pacifier pleinement le Kosovo : 250 000 Serbes, 140 000 Roms et des milliers de Bosniaques, Goranis, Turcs et Juifs ont été <a href="https://www.persee.fr/doc/receo_0338-0599_2004_num_35_1_1650">expulsés de leur terre natale</a> par les milices de l'UCK entre 1999 et 2004, au nez et à la barbe des soldats de la KFOR. En mars 2004, un <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2007-4-page-145.htm">pogrom anti-serbe</a>, lors duquel 19 personnes ont été tuées et 34 églises orthodoxes serbes détruites, s’est déroulé sous le regard quasiment impassible des soldats de l’OTAN.</p>
<p>Cette passivité de l’OTAN explique en partie qu’en octobre 2018, le Parlement de Pristina ait <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/kosovo/le-kosovo-cree-son-armee-les-serbes-s-enervent-l-otan-deploie-ses-forces-sur-place-6128176">voté</a>, en violation flagrante de la Résolution 1244 de l’ONU, une loi permettant de créer une « Armée du Kosovo » forte de 5 000 hommes. Au grand dam de Belgrade et Moscou, les États-Unis soutiennent ce projet.</p>
<p>Cette même année 2018, plusieurs événements ont amené le Kosovo au bord de la guerre civile. En mars, le directeur serbe du bureau du Kosovo-Métochie, Marko Djurić, en visite officielle auprès des maires des communes serbes du Kosovo-Nord, a été littéralement kidnappé à Mitrovica puis <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/mar/26/kosovo-serbia-politician-marko-djuric">molesté dans les rues de Priština par la police du Kosovo</a>. En septembre, des membres de cette même police ont <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/10/21/serbie-kosovo-le-lac-de-gazivode-pole-de-discorde_1758928">bloqué la centrale électrique de Gazivode</a>, lors d’une opération commando digne des plus mauvais films américains. Enfin, en novembre 2018, les autorités de Priština ont déclaré un <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/2018/11/21/97002-20181121FILWWW00341-le-kosovo-taxe-les-produits-serbes-de-100-apres-son-echec-d-adhesion-a-interpol.php">blocus commercial</a> aux frontières avec la Serbie, provoquant des manques alimentaires importants dans la partie majoritairement serbe du Kosovo-Nord.</p>
<h2>Bosnie-Herzégovine : le blocage</h2>
<p>Dans ce pays à <a href="https://www.persee.fr/doc/juro_0990-1027_2015_num_28_3_4849">l’architecture étatique complexe</a> – il est divisé entre la Fédération croato-musulmane (peuplée aux trois quarts de Bosniaques musulmans et pour un quart de Croates) et la Republika Srpska (RS, peuplée à près de 90 % de Serbes) –, la question de l’adhésion à l’OTAN reste très conflictuelle. Depuis quelques mois, ce sujet ravive les tensions en Bosnie-Herzégovine, à la fois entre Serbes et musulmans, mais aussi au sein de la RS.</p>
<p>En effet, les négociations sur la formation d’un gouvernement central plurinational achoppent précisément sur l’adhésion à l’OTAN. Alors que la Fédération défend cette adhésion depuis de longues années, la RS refuse bec et ongles. Or, mi-novembre, le membre serbe de la présidence tournante de Bosnie-Herzégovine, Milorad Dodik, a accepté un <a href="http://thesrpskatimes.com/dodik-adopted-document-does-not-affect-military-neutrality/">paquet de réformes</a> qui comprend l’intégration au Plan d’Action de l’OTAN. Cette entrée dans l’antichambre de l’OTAN a provoqué les foudres de l’opposition serbe à Dodik. La Bosnie-Herzégovine n’intégrera pas l’Alliance avant longtemps.</p>
<h2>Serbie : le principe de neutralité</h2>
<p>Le 18 juillet 2005, la Serbie-Monténégro signait avec l’OTAN un accord autorisant le transit des forces armées atlantiques à travers tout son territoire et l’utilisation des garnisons le long des routes principales. Six ans après l’opération « Force alliée » de 1999, les autorités serbes semblaient vouloir à tout prix intégrer la structure atlantique, même au prix d’une limitation de leur souveraineté. Mais depuis cet accord, aucune progression n’a été observée. </p>
<p>L’opinion serbe est farouchement et très majoritairement <a href="http://iea.rs/en/blog/2018/03/23/sta-gradjani-srbije-misle-o-nato-i-saradnji-nakon-19-godina-od-bombardovanja/">hostile à l’adhésion</a>. Par ailleurs, en 2012 arrive au pourvoir la coalition nationaliste du Parti progressiste serbe (SNS) et du Parti populaire serbe (SNP) ; ces derniers imposent une inflexion pro-russe à la politique extérieure. Aujourd’hui, les autorités de Belgrade – qui ont signé le 16 janvier 2015 un Plan d’action individuel pour le partenariat (IPAP) avec l’OTAN, soit la dernière étape avant l’adhésion définitive à l’Alliance – ont érigé en dogme le principe de « neutralité » : l’armée s’autorise donc à effectuer des manœuvres conjointes aussi bien avec des soldats de l’OTAN, sous domination américaine, qu’avec des troupes de la CEI, contrôlées par la Russie.</p>
<h2>Macédoine : un accord qui ulcère les nationalistes</h2>
<p>En juin 2018, la FYROM (ou ARYM en français, pour Ancienne République yougoslave de Macédoine) signe avec la Grèce les <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/l-accord-sur-le-nom-de-macedoine-est-une-percee-pour-les-balkans-selon-skopje_2018014.html">Accords de Prespa</a> qui mettent fin à une dispute de près de trente ans sur le nom même du pays, les Grecs bloquant l’adhésion de la FYROM tant que le nom de Macédoine serait utilisé. Désormais, la FYROM s’appellera « Macédoine du Nord », ce qui permet d’accélérer son adhésion aux structures euro-atlantiques. </p>
<p>La suite logique de ce processus d’arrimage à l’Occident est la ratification par la Grèce, le 6 février 2019, d’un <a href="http://fmes-france.org/la-macedoine-du-nord-30eme-membre-de-lotan/">protocole d’adhésion à l’OTAN de la Macédoine</a>. Mais les Accords de Prespa ne sont pas allés sans heurts. Les nationalistes grecs comme macédoniens <a href="https://www.dw.com/en/greeces-anti-macedonia-protests-fuel-nationalist-sentiment/a-44116256">les rejettent violemment</a>. On peut donc estimer que le coût payé par le pays pour entrer dans l’OTAN aura été très élevé : les nationalistes macédoniens du VMRO-DPMNE pourraient revenir au pouvoir du fait des accords de Prespa.</p>
<p>Le processus d’adhésion des pays du sud-est de l’Europe à l’OTAN, qui était en bonne voie dans la première décennie du XXI<sup>e</sup> siècle, semble moins dynamique depuis quelques années. Face à la crise actuelle que connaît l’Alliance et au vu du grand intérêt que la <a href="https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/news/turkey-russia-and-china-covet-western-balkans-as-eu-puts-enlargement-on-hold/">Russie, la Turquie et la Chine</a> portent à la région, n’est-il pas temps que l’Europe de la défense prenne la situation en mains ? Au Kosovo comme en Bosnie-Herzégovine, l’<a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/qu-est-ce-que-l-eufor.html">EUFOR</a> dispose en théorie des moyens et de la maîtrise du moment historique pour pacifier définitivement la région…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128322/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexis Troude est Président du think tank "Europes orientales"</span></em></p>Plusieurs pays des Balkans ont déjà adhéré à l’OTAN, et la plupart des autres sont officiellement candidats. Pourtant, le processus d’élargissement de l’Alliance ne va pas sans heurts.Alexis Troude, Chargé de cours en relations internationales, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1267072019-11-11T20:34:13Z2019-11-11T20:34:13ZC’est juste « un bon écrivain » : pourquoi le Nobel de littérature pose question<p>Chaque automne, la France annonce ses <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-dispute/litterature-speciale-prix-dautomne-prix-goncourt-renaudot-femina-de-lacademie-francaise">prix littéraires</a> et ne manque pas non plus de célébrer le prix Nobel de littérature.</p>
<p>Or cette année, ce dernier, remis à l’auteur autrichien Peter Handke a été accompagné d’une série de vives réactions dans le monde, qualifiant de « scandale » ou de « déshonneur » ce prix remis à un écrivain ayant <a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/litterature-lecrivain-peter-handke-entre-honneurs-et-deshonneur">publiquement soutenu</a> l’ancien président serbe Slobodan Milošević.</p>
<p>La critique a ainsi été sévère en <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/10/11/le-nobel-du-deshonneur-a-peter-handke_6015176_3232.html">France</a>, en <a href="https://www.theguardian.com/books/2019/oct/10/troubling-choice-authors-criticise-peter-handke-controversial-nobel-win">Grande Bretagne</a> comme aux <a href="https://www.nytimes.com/2019/10/15/opinion/peter-handke-nobel-bosnia-genocide.html">États-Unis</a>.</p>
<p>Souvent, ces débats semblent ne concerner que la <a href="https://www.nytimes.com/2019/10/17/opinion/peter-handke-nobel-prize.html">théorie de la séparation des valeurs littéraires de l’œuvre</a> des valeurs sociales de l’auteur et des valeurs symboliques du prix. Or cette fois, ils montrent davantage que le problème de ce prix n’est pas simplement littéraire, mais avant tout une question d’opportunisme politique.</p>
<h2>Des attitudes opportunistes</h2>
<p>De nombreux critiques ont déclaré qu’avec la décision d’attribuer le prix Nobel à l’Autrichien Peter Handke, l’Académie suédoise a détruit le prestige littéraire du Nobel car aucun écrivain ou intellectuel dans le monde entier ne serait « prêt à accepter la coexistence de ce prix littéraire avec les positions politiques de Handke ». Un des commentateurs s’est justement demandé <a href="https://eastethnia.wordpress.com/2019/10/12/for-whom-nobel-tolls/">« pour qui sonne le Nobel-glas »</a>, puisque le lauréat 2019 a la particularité unique d’être vénéré par des gens dont l’orientation culturelle les pousse à détester son œuvre littéraire et à avoir honte de ceux qui l’aimeraient.</p>
<p>Cependant, une partie considérable des « critiques » ne manquent pas d’ajouter que « Peter Handke est un écrivain de premier ordre ». En fait, selon ces critiques, personne ne peut ni ne devrait remettre en question ses valeurs littéraires.</p>
<p>Souvent ces analyses qui insistent qu’il n’est après tout qu’un « bon écrivain » semblent oublier que les valeurs littéraires du nouveau Nobel peuvent être discutables et que ce sont précisément ses attitudes opportunistes qui ont probablement rendu possible sa renommée littéraire.</p>
<h2>Célébrités en mal de popularité</h2>
<p>Du moins, ce serait ce que lui-même a laissé entendre au milieu des années 1990 quand il a exprimé avec une phrase un peu étrange et avec une certaine tristesse : <a href="https://topkadare.com/2019/10/12/ra-ky-mort-ne-kohe-barabare/">« Je ne suis plus connu comme avant »</a>. En fait, une des raisons de tout le débat est que depuis déjà de nombreuses années cet auteur n’ait rien publié de significatif en littérature.</p>
<p>Au contraire, comme la plupart des célébrités en mal de popularité qui se sont accrochées aux guerres d’ex-Yougoslavie, tel Bernard-Henri Lévy qui a pris parti pour la <a href="https://www.bernard-henri-levy.com/25-novembre-2013-bhl-est-fait-citoyen-dhonneur-de-sarajevo-53449.html">Bosnie</a> ou Alain Finkielkraut <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/finkielkraut-a-l-academie-la-croatie-vire-au-brun">pour la Croatie</a>, certains commentateurs n’hésitent pas d’affirmer que Handke a transformé le scandale en célébrité et la célébrité en scandale en choisissant le côté horrifiant de ce conflit simplement parce que dans le camp de la Serbie il avait <a href="https://eastethnia.wordpress.com/2019/10/12/for-whom-nobel-tolls/">plus de chance de trouver moins de concurrence</a>.</p>
<p>Les analyses qui insistent qu’il n’est après tout qu’un « bon écrivain » essaient de minimiser les critiques et les protestations. Pourtant, l’Autrichien Peter Handke est bien accusé qu’une grande partie d’un essai qu’il a écrit en 1996, pour le quotidien allemand <em>Süddeutsche Zeitung</em> <a href="https://www.sueddeutsche.de/kultur/peter-handke-gerechtigkeit-fuer-serbien-reisereportage-reisebericht-1.4647433">sur son voyage en Serbie</a>, est consacrée à la négation du génocide de Srebrenica en Bosnie, pourtant reconnu comme tel par le Tribunal International.</p>
<p>Il a par ailleurs publiquement suggéré à maintes reprises que les Bosniaques de Sarajevo <a href="https://www.nytimes.com/2019/10/15/opinion/peter-handke-nobel-bosnia-genocide.html">se sont déjà « massacrés entre eux »</a>, qu’ils ont tiré des obus sur le marché de la ville bondé de monde uniquement pour accuser les Serbes, que le nombre de Bosniaques tués est beaucoup exagéré, que les deux parties ont commis des atrocités à Srebrenica, ou encore que seuls les Serbes ont souffert comme les Juifs sous les nazis.</p>
<p>Son objectif affiché est de saper la vérité historique et d’offrir un soutien public aux auteurs du génocide. Il a affirmé qu’il n’a pas su, qu’il ne s’est pas soucié de savoir, qu’il a pensé que c’était trop compliqué, ou il a carrément <a href="https://www.nytimes.com/2019/10/15/opinion/peter-handke-nobel-bosnia-genocide.html">nié ce qui s’est passé en Bosnie et à qui en incombait la responsabilité</a>. Or ne pas croire ou ignorer l’expérience des victimes du génocide est une continuation du génocide, alors que la négation du génocide est une apologie du prochain génocide.</p>
<h2>« Vos cadavres vous pouvez les coller dans votre cul »</h2>
<p>Déjà en 1996, toute la presse internationale, plus particulièrement en Allemagne et en Autriche, a observé avec véhémence que <a href="https://www.nytimes.com/1996/03/18/world/german-writer-sets-off-storm-on-serbia.html?module=inline">« rien de comparable n’a jamais été vu auparavant »</a>, à l’exception peut-être d’une poignée d’historiens révisionnistes qui ont provoqué une avalanche de protestations il y a quelques décennies lorsqu’ils ont suggéré que l’Allemagne n’était pas seule à blâmer pour la Seconde Guerre mondiale.</p>
<p>Sans doute, la négation de tout génocide est un crime passible d’une peine d’emprisonnement. Cependant, lorsque quelques années plus tard, en 1999, les critiques lui ont rappelé que les cadavres des victimes sont la preuve d’atrocités serbes, Handke a répondu : <a href="https://www.irishtimes.com/news/serbia-s-eloquent-ally-1.170173">« Vos cadavres vous pouvez les coller dans votre cul »</a>.</p>
<p>Étonnamment, au lieu d’être condamné, cet homme reçoit le prix Nobel en 2019, puis son éditeur fait silencieusement circuler une <a href="https://theintercept.com/2019/11/09/peter-handke-won-the-nobel-prize-then-his-publisher-quietly-circulated-a-strange-defense-of-his-genocide-denialism/">étrange apologie de son négationnisme</a>.</p>
<h2>Étonnant relativisme</h2>
<p>Il est encore plus surprenant que certaines analyses « critiques » nous expliquent aussi que les réactions et les protestations ne viennent avec colère que de <a href="https://www.lefigaro.fr/livres/peter-handke-prix-nobel-bosnie-et-kosovo-denoncent-le-sacre-d-un-negationniste-20191010">la Bosnie et du Kosovo</a> simplement parce que la politique serbe visait les <a href="https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/nobel-a-l-ecrivain-peter-handke-tolle-en-bosnie-en-albanie-et-au-kosovo-11-10-2019-8171250.php">Bosniaques et les Albanais</a>. Comme si le génocide n’était pas un crime contre l’humanité tout entière, mais un simple crime contre des personnes sans importance et qui ne nous concerne que comme spectateurs.</p>
<p>Ou encore, les protestations ont peut-être eu lieu seulement parce que l’on espérait, notamment <a href="https://peizazhe.com/2019/10/11/politikat-e-nobelit-letrar/">chez les Albanais</a>, que cette année le prix Nobel devrait être attribué à <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Isma%C3%AFl_Kadar%C3%A9">Ismail Kadaré</a>. Comme si l’amoralité du prix Nobel ne touchait pas l’ensemble de la littérature mondiale, mais seulement une injustice littéraire locale négligeable.</p>
<h2>Anarchie de la pensée et relativisme des valeurs</h2>
<p>Les débats et protestations autour du prix Nobel de littérature 2019 semblent être une bonne occasion pour montrer comment la relativisation, la banalisation et la négation de certaines valeurs s’effectuent au moyen d’une sorte d’anarchie de la pensée et de confusion des idées qui aboutissent finalement à une assimilation des valeurs aux antivaleurs.</p>
<p>Une stratégie similaire jusqu’ici très efficace des partisans de la politique génocidaire des Serbes en Croatie, en Bosnie et au Kosovo a consisté à <a href="https://doi.org/10.1177/1463499604040845">relativiser, à banaliser et à nier les crimes de guerre et le génocide</a> en créant cette sorte d’anarchie de pensée et de confusion des idées qui impliquait de <a href="https://doi.org/10.1007/s10611-018-9800-0">confondre les criminels avec les victimes</a>.</p>
<p>Les stratégies de relativisme moral peuvent prendre de nouvelles formes et expressions, mais elles doivent être identifiées et condamnées si nous voulons faire face aux objectifs cachés politiques et opportunistes qui sous-tendent les critiques et les analyses qui prétendent refléter la réalité des faits avec un objectivisme banal.</p>
<p>Ainsi, dans ces « analyses » qui insistent sur le fait que Peter Handke est « juste un bon écrivain », nous trouvons aussi une nouvelle expression de cette stratégie qui tente de relativiser l’amoralité du prix Nobel en justifiant le crime négationniste de cet auteur avec les valeurs discutables de ses travaux littéraires.</p>
<p>À tel point que l’Académie suédoise est aussi directement pointée à vouloir trop camoufler ses propres scandales (<a href="https://www.lepoint.fr/culture/prix-nobel-de-litterature-la-crise-de-l-academie-decryptee-09-10-2019-2340431_3.php">nombreuses plaintes pour viols</a> à l’encontre d’un académicien en 2018) par une attribution encore plus scandaleuse d’un prix Nobel à Peter Handke.</p>
<p>Un commentateur n’a pas hésité à noter que cette fois le prix Nobel ne relève pas de la valeur littéraire des œuvres, mais d’un détournement délibéré de l’attention publique pour relativiser et minimiser les <a href="https://www.theguardian.com/news/2018/jul/17/the-ugly-scandal-that-cancelled-the-nobel-prize-in-literature">scandales compromettants</a> dans lequel l’Académie des Nobels s’est déjà empêtrée.</p>
<p>Elle aurait fait preuve ainsi d’une <a href="https://www.facebook.com/cgjokutaj/posts/2714728515226919?comment_id=2716378021728635">activité délibérément inhumaine</a> visant à récompenser et à renforcer la célébrité de tels auteurs qui font la promotion des crimes de guerre et du génocide.</p>
<p>C’est ce même relativisme moral qui permet de minimiser l’importance des protestations en les limitant à certains cercles bosniaques et albanais, qui doivent ainsi être compris comme « préjugés » et donc « non pertinents ».</p>
<p>Toujours dans cette optique, il devient aisé de justifier l’attitude opportuniste de l’Académie suédoise en assimilant le négationnisme de Peter Handke aux attitudes politiques et opportunistes de tel ou tel ancien lauréat du prix Nobel par le passé.</p>
<h2>Le Nobel, le pivot central de l’art littéraire ?</h2>
<p>Le même relativisme moral est servi par ces « analystes » qui, en Albanie également, tentent de justifier le crime négationniste de Peter Handke par l’activisme politico-littéraire d’un lauréat potentiel du prix Nobel comme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Isma%C3%AFl_Kadar%C3%A9">Ismail Kadaré</a>, considéré comme l’un des plus grands écrivains contemporains, qui a traversé les frontières pour s’ériger en voix universelle contre le totalitarisme. Il a pourtant été parfois accusé d’avoir été un collaborateur de l’ancien régime communiste en Albanie. Il y d’insinuations aussi à propos des <a href="https://www.facebook.com/qosjarexhep/posts/10157395013205792">défauts politico-carriéristes d’une partie des hommes politiques et intellectuels albanais</a> supposés avoir eu des allégeances douteuses ou commis des crimes de guerre au Kosovo.</p>
<p>Il y a un certain nombre d’écrivailleurs de métier en Albanie qui « se demandent » pourquoi tant de temps et d’efforts sont consacrés à un prix Nobel comme s’il était le pivot central de l’art littéraire.</p>
<p>Je me souviens même d’une conversation, il y a quelques années à Paris, avec un écrivain albanais assez connu qui me parlait de la reconnaissance et de l’écho positif qu’il a eu sur ses romans traduits et publiés en France, me confiant avec une tristesse semblable à celle de Peter Handke : « S’il n’y avait pas Kadaré, je serais déjà aussi célèbre, peut-être même plus célèbre que lui en France » ! Comme si la renommée d’Ismail Kadaré aurait empêché ces écrivains de rechercher leur gloire !</p>
<p>Malheureusement, il ne faut pas beaucoup d’esprit pour comprendre ce qui unit ceux qui mésestiment Ismail Kadaré ou méprisent les intellectuels albanais au Kosovo à ceux qui justifient et défendent un auteur suspect comme Peter Handke.</p>
<p>Ce n’est pas une coïncidence si les médias serbes ont accueilli le prix Nobel avec un enthousiasme sans précédent. Handke a ainsi déclaré au quotidien serbe <em>Novosti</em> qu’<a href="https://www.novosti.rs/vesti/kultura.71.html:823506-Nobelovac-Peter-Handke-za-Novosti-Drago-mi-je-sto-su-Srbi-srecni-zbog-mene">il était heureux que les Serbes soient heureux avec lui</a>. Ce n’est pas une coïncidence non plus que Milošević ait conféré à Handke l’Ordre du Chevalier Serbe pour son engagement envers la cause serbe. En Serbie, il est aussi nommé membre honoraire de l’Académie serbe des sciences et des arts et il est devenu citoyen d’honneur de Belgrade, où il est réputé être <a href="https://www.nytimes.com/2019/10/15/opinion/peter-handke-nobel-bosnia-genocide.html">« l’ami que les Serbes n’ont pas eu à acheter »</a>.</p>
<p>Sans aucun doute, ceux qui méprisent Kadaré en Albanie font la même chose que ceux qui relativisent les valeurs du prix Nobel dans la presse littéraire et intellectuelle. Or cette fois le débat n’est pas seulement une question d’identifier le pivot central de l’art littéraire, mais avant tout une question d’opportunisme politique, en particulier à l’égard de ceux qui pensent non seulement avec des modèles omniscients, mais qui créent souvent ce genre d’anarchie de la pensée et des idées qui provoquent la relativisation et la dévaluation de tout le reste.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/126707/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Albert Doja ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La remise du Nobel de littérature à Peter Handke illustre comment le relativisme des valeurs s’est imposé dans le débat public.Albert Doja, Professeur d'anthropologie, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.