tag:theconversation.com,2011:/us/topics/bangladesh-54125/articlesBangladesh – The Conversation2020-03-04T18:09:27Ztag:theconversation.com,2011:article/1328842020-03-04T18:09:27Z2020-03-04T18:09:27ZViolences anti-musulmanes en Inde : quelle responsabilité pour le gouvernement Modi ?<p>Depuis plus de trois mois, l’Inde est en proie à une immense agitation. Le climat social semble ne cesser de se détériorer, comme en témoignent les affrontements sanglants entre hindous et musulmans qui ont eu lieu fin février. À titre d’exemple, des <a href="https://www.persee.fr/doc/tiers_1293-8882_2003_num_44_174_5389">affrontements similaires avaient fait en 2002 dans l’État du Gujarat</a> des milliers de victimes. </p>
<p>Le ministre en chef de cet État et son administration avaient alors été accusés d’avoir <a href="https://www.bbc.com/news/world-south-asia-13170914">laissé faire les émeutiers et retenu la police</a>. Certains membres de cette administration avaient alors été interdits de séjour à l’étranger et <a href="https://india.blogs.nytimes.com/2012/08/31/stiff-sentence-for-former-gujarat-minister/">quelques-uns avaient été condamnés</a>. Le ministre en chef du Gujarat était alors nul autre que Narendra Modi.</p>
<h2>Le premier mandat de Modi : politique économique libérale et rhétorique sectaire</h2>
<p>Auréolé de l’élan économique qu’a connu le Gujarat à l’époque où il le dirigeait (de 2001 à 2014), Narendra Modi a été élu premier ministre de l’Union indienne en 2015, en mettant en avant des promesses de libéralisme et de dynamisme économique. Il s’agissait de faire rivaliser l’Inde avec la Chine, d’engager son économie sur un sentier de croissance soutenu et long en allégeant la bureaucratie, d’ouvrir le pays aux investissements directs étrangers et de le doter, au travers du programme <a href="http://www.makeinindia.com/home">« make in India »</a>, d’un secteur manufacturier performant (pour des raisons historiques, ce secteur avait toujours été atrophié).</p>
<p>L’orientation de ce programme aurait pu faire oublier les racines idéologiques du parti auquel Narendra Modi appartient, le Baratiya Janata Party (BJP), à savoir l’« Hindutva ». Cette idéologie, selon laquelle l’Inde ne saurait être qu’hindoue, prône le retour à une culture fantasmée comme purement indienne, c’est-à-dire celle d’avant l’Empire moghol (1526-1857), désormais présenté dans les manuels d’histoire comme un joug étranger ayant longtemps pesé sur l’Inde hindoue. Certains courants de l’Hindutva affirment également que tous les hindous partageraient la même origine ethnique tandis que les membres des autres communautés seraient les fils d’un autre sol, issus de mariages mixtes plus ou moins consentis. Ajoutons que le BJP entretient des rapports étroits avec le Rashtriya Swayamsevak Sangh (Organisation patriotique nationale, RSS), organisation paramilitaire fondée en 1925 sur le modèle des phalanges fascistes afin de promouvoir l’idéologie de l’Hindutva. Narendra Modi a <a href="https://www.britannica.com/biography/Narendra-Modi">commencé sa carrière dans les rangs du RSS</a>.</p>
<p>Au cours de son premier mandat, le gouvernement de M. Modi a engagé des réformes profondes comme <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2016/08/04/en-inde-le-parlement-federal-adopte-la-tva-unique_4978259_3234.html">l’unification de la TVA</a>, mais aussi créé un traumatisme économique au travers de la <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/inde-la-demonetisation-a-ete-un-cuisant-echec-pour-new-delhi-137686">démonétisation</a> – c’est-à-dire la suppression, sans préavis, du cours légal des billets les plus couramment utilisés.</p>
<p>Ces initiatives économiques audacieuses ont pu reléguer dans l’ombre les mesures ou déclarations vexatoires prises envers les communautés religieuses minoritaires, en particulier les musulmans, ainsi que le développement de milices ou de « vigilantes », groupes de citoyens se faisant fort d’appliquer ce qu’ils pensent être ou devraient être la loi. Certains de ces groupes, au motif de vérifier l’application de la loi interdisant l’abattage de bovidés, <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2019-02-20/cow-vigilantes-in-india-killed-at-least-44-people-report-finds">lynchent des musulmans et des personnes issues des basses castes</a>. D’autres humilient, parfois violemment les <a href="https://www.indiatoday.in/india/story/hindu-yuva-vahini-members-beat-couple-in-court-premises-in-up-cry-love-jihad-1144707-2018-01-14">couples issus de confessions différentes</a>. Ces groupes, dont les actions illégales n’entraînent que peu de poursuites, agissent avec un sentiment croissant d’impunité, et sont encouragés, voire organisés, par certaines figures du BJP qui ne cachent pas leur aversion pour les minorités religieuses et revendiquent la suprématie hindoue. Mais le grand public, avant tout tourné vers les initiatives et promesses économiques, n’y a pas nécessairement prêté attention et n’a peut-être pas perçu à quel point le climat devenait menaçant pour la communauté musulmane.</p>
<h2>Un second mandat placé sous le signe de la division</h2>
<p>En 2019, les perspectives économiques commencent à s’assombrir. En janvier, un rapport de la Commission nationale des statistiques faisant état d’un taux de chômage au plus haut depuis une cinquantaine d’années fuite dans la presse ; le gouvernement est accusé d’en <a href="https://www.nytimes.com/2019/01/31/world/asia/india-unemployment-rate.html">retarder la publication en amont des élections législatives tenues entre le 11 avril et le 19 mai</a>. Le taux de croissance de l’économie indienne commence à montrer des signes de ralentissement, de même que les investissements et la consommation. L’opposition ne se prive pas de souligner ce mauvais bilan économique. La campagne de M. Modi est alors centrée sur l’insécurité, <a href="https://www.dawn.com/news/1475670">mettant en cause des migrants illégaux du Bangladesh</a>. Servi par les circonstances d’un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/02/14/cachemire-indien-au-moins-33-morts-dans-l-attentat-le-plus-meurtrier-depuis-2002_5423608_3210.html">attentat au Cachemire</a>, il parvient à apparaître comme un chef de guerre capable d’en imposer au Pakistan. En mai 2019, le premier ministre sortant remporte une <a href="http://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20190523-inde-nouveau-mandat-une-victoire-ecrasante-narendra-modi">victoire écrasante</a> aux législatives.</p>
<p>Le second mandat de Narendra Modi met clairement l’accent sur les questions intérieures, à commencer par un grand projet de refonte de la nationalité au travers de la possible création d’un registre des citoyens. Une première initiative est menée en août 2019 dans l’État de l’Assam, voisin du Bangladesh. Afin de lutter contre de potentiels « étrangers exfiltrés », il est demandé aux habitants de cet État d’apporter la preuve de la présence de leurs familles sur le territoire indien avant 1971 afin de confirmer leur citoyenneté indienne. Dans cet État où un habitant sur trois vit en dessous du seuil de pauvreté et ne sait pas lire, il n’est pas aisé pour ces familles d’apporter ce genre de preuves écrites. </p>
<p>À l’issue de ce processus, 1,9 million d’individus se considérant indiens, en majorité des musulmans, sont <a href="https://edition.cnn.com/2019/08/30/asia/assam-national-register-india-intl-hnk/index.html">devenus apatrides</a>. En décembre 2019, une <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/12/12/loi-sur-la-nationalite-en-inde-les-musulmans-mis-au-ban_1768931">loi sur la nationalité</a> a été votée. Elle garantit aux ressortissants du Pakistan, de l’Afghanistan et du Bangladesh présents sur le territoire l’accès à une procédure accélérée d’obtention de la nationalité indienne… mais les musulmans sont exclus de cette disposition. Les défenseurs de ce texte brandissent un argument humanitaire : selon eux, la loi vise à protéger les minorités ; or l’islam est la religion majoritaire dans ces trois pays.</p>
<p>L’adoption de cette loi a provoqué une indignation et une vague de mobilisation sans précédent en Inde – et cela, pour trois raisons. D’une part, elle est contraire à la Constitution qui garantit la neutralité religieuse de l’État, neutralité qui est au cœur des institutions. Deuxièmement, cette loi arrive après de nombreuses vexations envers la communauté musulmane indienne, par exemple <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/11/09/en-inde-la-justice-autorise-la-construction-d-un-temple-hindou-sur-un-site-dispute-avec-les-musulmans_6018585_3210.html">l’attribution du site d’Ayodhya aux hindous</a> ou le <a href="https://www.npr.org/2019/04/23/714108344/india-is-changing-some-cities-names-and-muslims-fear-their-heritage-is-being-era?t=1583231725259">changement de plusieurs noms de ville qui rappelaient le passé moghol</a> pour n’en citer que quelques-unes. Ces provocations de la part du gouvernement n’ont cessé de s’accumuler. Troisièmement, cette loi apparaît pour beaucoup comme le signe avant-coureur d’une remise en cause de la citoyenneté pleine et entière de tous les musulmans de l’Inde. La mobilisation pacifique contre cette loi <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/inde-manifestations-contre-la-loi-sur-la-citoyennete_3751783.html">dure maintenant depuis plus de deux mois</a>.</p>
<p>Les milices hindoues qui, on l’a dit, ont pris l’habitude d’agir en toute liberté et impunité, ont désormais décidé de s’en prendre violemment aux opposants de la loi. Le 5 janvier dernier, des membres d’un syndicat étudiant a priori proche du RSS ont <a href="https://theconversation.com/inde-les-universites-face-au-pouvoir-129940">mis à sac une université en plein cœur de Delhi</a> et passé à tabac étudiants et enseignants. La police a été accusée de complaisance envers les agresseurs. Fin février 2020, des milices ont <a href="https://www.lefigaro.fr/international/new-delhi-le-dechainement-de-violences-contre-les-musulmans-en-photos-20200301">semé la terreur dans les quartiers musulmans du nord-est de Delhi</a>, détruisant commerces et mosquées et lynchant, voire abattant par balles des dizaines d’habitants. La police a encore été accusée de passivité, de la même manière qu’elle avait été accusée d’avoir fermé les yeux sur les pogroms du Gujarat de 2002.</p>
<h2>Le double discours du gouvernement</h2>
<p>Certes, les affrontements intercommunautaires sont de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=RngV5nEpehc">plus en plus rares et géographiquement circonscrits en Inde</a>, et les récents événements de Delhi ne resteront pas parmi les plus meurtriers. Ils n’en sont pas moins très préoccupants car ils mettent en lumière le double discours du gouvernement. D’une part, celui-ci se défend d’entretenir la division et s’abrite systématiquement derrière des justifications de bon aloi – comme un souci humanitaire dans le cas de la loi sur la nationalité – tout en soufflant sur les braises de la discorde et en laissant les dirigeants en vue de son parti exhorter la population à la haine. D’autre part, l’habitude prise par les milices de faire régner leurs lois et la terreur fait peser une menace réelle sur l’avenir de l’état de droit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132884/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Bros ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les pogroms anti-musulmans qui ont récemment ensanglanté New Delhi ne sont pas un épiphénomène : ils représentent un aboutissement logique de l’idéologie extrémiste du parti au pouvoir.Catherine Bros, Maître de Conférences en économie, HDR, Université Gustave Eiffel, affiliée au laboratoire DIAL, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1287962019-12-12T17:23:12Z2019-12-12T17:23:12ZLe jour où l’Inde a fermé ses portes aux musulmans<p>Pour la première fois en Inde, la citoyenneté sera accordée sur des critères religieux et exclura une minorité : les musulmans. Dans la nuit du 9 décembre, après un débat animé qui a duré sept heures, les députés de la chambre basse (Lok Sabha) ont adopté – avec <a href="https://timesofindia.indiatimes.com/india/lok-sabha-passes-citizenship-amendment-bill/articleshow/72448424.cms">311 voix favorables et 80 contre</a> – le controversé projet d’amendement constitutionnel de la loi sur la citoyenneté (Citizenship Amendment Bill, ou CAB).</p>
<p>Cet amendement vise à accorder la citoyenneté indienne aux réfugiés souffrant de discriminations religieuses au <a href="https://theconversation.com/breathing-without-living-the-plight-of-christians-in-pakistan-70892">Pakistan</a>, au Bangladesh et en Afghanistan.</p>
<p>Ce texte a été introduit par le sulfureux ministre de l’Intérieur Amit Shah. En décembre 2018, il avait promis dans un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=dnZ-jqW7SlI">discours</a> très agressif de « jeter » les migrants illégaux en provenance du Bangladesh dans les eaux du Bengale. Il avait aussi comparé les musulmans à des termites.</p>
<p>Le texte, validé également par la chambre haute ou Rajya Sabha (<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/11/l-inde-adopte-une-loi-tres-controversee-contre-les-musulmans_6022532_3210.html">125 voix pour et 99 contre</a>), entend naturaliser officiellement les Afghans, Pakistanais et Bangladais résidant en Inde (pour la plupart depuis longtemps) et issus de <a href="https://minorityrights.org/what-we-do/supporting-religious-pluralism-and-respect-for-freedom-of-religions-or-belief-across-south-asia/">communautés religieuses minoritaires</a> dans leur pays d’origine (hindous, jaïns, sikhs, chrétiens, bouddhistes ou parsis).</p>
<p>La législation proposée s’applique à ceux qui ont été forcés ou contraints de chercher refuge en Inde en raison de persécutions fondées sur la religion. La loi viserait à protéger ces personnes éventuellement prises dans les procédures d’immigration clandestine. Les frontières entre l’Inde et le Pakistan, l’Inde et le Bangladesh ont toujours été poreuses, laissant place à l’organisation d’une immigration clandestine parfois contrôlée par des réseaux mafieux. Un des arguments avancés dans les débats est de mettre fin à ces filières (en tout cas pour les groupes pris en compte par le CAB).</p>
<h2>Ce qui change</h2>
<p>Jusqu’à présent, en vertu des lois en vigueur, un migrant clandestin n’a pas le droit de devenir citoyen indien par enregistrement (<em>registered</em>) ou naturalisation.</p>
<p>Le <a href="https://www.advocatekhoj.com/library/bareacts/foreigners/index.php?Title=Foreigners%20Act,%201946">Foreigners Act</a> (1946) et le <a href="https://www.advocatekhoj.com/library/bareacts/passports/index.php?Title=Passports%20Act,%201967">Passport Act</a> (1967) interdisent l’entrée sur le territoire d’une telle personne et prévoient la mise en prison ou l’expulsion d’un migrant clandestin.</p>
<p>Une personne peut devenir citoyenne indienne en s’enregistrant si elle a résidé habituellement dans le pays pendant six des huit dernières années et sans interruption au cours des douze 12 mois précédant le dépôt de sa demande de citoyenneté. Pour acquérir la citoyenneté par naturalisation, la personne doit avoir vécu en Inde pendant 14 ans, dont 12 ans de séjour cumulatif dans le pays.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-jummas-parias-du-bangladesh-97105">Les Jummas, parias du Bangladesh</a>
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<p>La naturalisation est réservée aux étrangers tandis que l’enregistrement est réservé aux ressortissants du sous-continent indien (à une personne d’origine indienne qui réside habituellement en Inde depuis sept ans).</p>
<p>Le CAB prévoit un abaissement à 5 ans de cette exigence de durée de résidence pour la naturalisation. Le projet offre aussi la possibilité d’exclure certains groupes de population de ce processus de naturalisation, les musulmans, et <a href="https://www.indiatoday.in/india/story/citizenship-amendment-bill-tabled-lok-sabha-passage-december-9-1626406-2019-12-08">l’annulation sur certains critères de l’OCI</a> (<em>overseas citizen of India</em>), un document similaire à un titre de séjour pour les personnes d’origine indienne mais n’ouvrant pas de droits citoyens.</p>
<p>En d’autres termes, le CAB accordera aux migrants non musulmans en situation irrégulière le statut de migrants légaux bien qu’ils soient venus en Inde sans documents et autorisation valables. Une population qui constituera une nouvelle et importante manne électorale.</p>
<h2>Une loi dépourvue de toute logique constitutionnelle ?</h2>
<p>Le choix portant sur les trois pays d’application pose cependant de nombreuses questions.</p>
<p>Si la délimitation portée sur le Pakistan et le Bangladesh peut faire sens, du fait d’une histoire commune qui permet de lier ces pays à l’Inde britannique et à la Partition, le choix de l’Afghanistan, et l’exclusion des pays voisins (Népal, Bhoutan et Birmanie) qui, eux, partagent des frontières terrestres avec l’Inde semble problématique.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=559&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=559&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=559&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=702&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=702&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=702&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte simplifiée.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Inde_carte_simple.png">Barracuda/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Le projet de loi vise donc à protéger les minorités religieuses au sein de ces États pensés par Delhi comme théocratiques en raison de la présence d’une majorité de la population de confession musulmane, mais qui ne le sont pas constitutionnellement.</p>
<p>Mais, cette raison ne tient pas à l’analyse. Pourquoi le <a href="https://www.worldwatchmonitor.org/2016/04/bhutan-a-happy-place-but-not-for-all/">Bhoutan</a>, qui est un pays voisin et constitutionnellement un État religieux – la religion officielle étant le bouddhisme – est-il exclu de la liste ?</p>
<p><a href="https://www.courrierinternational.com/article/2011/06/01/bouddhisme-et-tolerance-ne-font-pas-bon-menage">Les chrétiens ne peuvent pourtant pas y vivre leur foi</a> en toute liberté.</p>
<p>Si c’est réellement la persécution des « minorités religieuses » qui est prise en considération dans le CAB, on aussi peut s’étonner de l’exclusion du Sri Lanka, où le bouddhisme est constitutionnellement « at the foremost place ».</p>
<p>L’article 9 de la Constitution stipule ainsi que « La République du Sri Lanka accorde la première place au bouddhisme que l’État doit protéger. <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/Au-Sri-Lanka-triste-memoire-guerre-civile-2019-04-22-1201017203">Les troubles</a> entre bouddhistes cinghalais et tamouls hindous qui ont donné lieu à une longue guerre civile généré des flux considérables de réfugiés tamouls : <a href="https://www.areion24.news/2019/05/29/derives-autoritaires-et-desordres-internes-au-sri-lanka/">presque un million</a> aurait fui l’île donnant naissance à une <a href="https://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=HER_158_0219#">importante diaspora</a>. Celle-ci est principalement présente en Europe occidentale, Asie du Sud-Est (Malaisie et Singapour) et Amérique du Nord (Canada en particulier).</p>
<p>L’<a href="https://www.epw.in/journal/2018/8/special-articles/learning-live-colonies-and-camps.html">Inde</a> accueille ainsi plus de 100 000 réfugiés tamouls répartis dans plus d’une centaine de camps répartis sur l’ensemble du territoire de l’État du Tamil Nadou qui attendent depuis des années une loi nationale sur les réfugiés.</p>
<p>Et pourquoi la Birmanie, que les <a href="https://www.diploweb.com/Comment-vraiment-comprendre-la-crise-rohingya.html">Rohingyas musulmans</a>, victimes d’un véritable génocide, fuient en masse, notamment vers l’Inde, n’est-elle pas également incluse ?</p>
<h2>Attirer les hindous « de l’extérieur »</h2>
<p>L’application du CAB pour ces trois pays seulement s’inscrit dans une certaine logique tout comme le choix de ne pas permettre aux minorités musulmanes et athées d’accéder à cette citoyenneté indienne en limitant la notion de « minorité religieuse » à six groupes religieux. Pourtant, de nombreuses autres populations subissent des discriminations. C’est le cas, au Pakistan, des <a href="https://theconversation.com/who-are-pakistans-ahmadis-and-why-havent-they-voted-in-30-years-100797">Ahmadis</a> qui ne sont pas reconnus comme musulmans et sont traités comme appartenant à une religion distincte, subissant avanies, persécutions et discriminations.</p>
<p>Derrière le CAB s’affiche clairement la volonté de discriminer les communautés musulmanes.</p>
<p>Le vote autour du texte a suscité depuis plusieurs jours maintenant une levée de boucliers parmi les intellectuels et militants des droits civiques, tout comme parmi les membres de ce qui reste du parti du Congrès (Indian National Congress) rassemblés autour de Rahul Gandhi. Les opposants à ce texte ont décidé d’en appeler <a href="https://www.indiatoday.in/india/story/after-rajya-sabha-green-signal-citizenship-amendment-bill-to-hit-sc-roadblock-1627550-2019-12-12">à la Cour suprême</a>.</p>
<p>Ils invoquent la loi et tout particulièrement <a href="http://www.legalservicesindia.com/article/1688/Right-To-Equality--A-Fundamental-Right.html">l’article 14 de la Constitution indienne</a> qui prévoit l’égalité comme base des droits fondamentaux « absolus et non exclusifs aux citoyens indiens ». Avec le CAB, l’Inde tourne désormais le dos à des décennies de <a href="https://journals.openedition.org/assr/24573">sécularisme</a>, ce qui la distinguait justement de son voisin, le Pakistan.</p>
<h2>L’inquiétude des États frontaliers</h2>
<p>Mais le CAB soulève de nombreuses inquiétudes notamment dans les États du Nord-Est indien (Assam, Meghalaya, Mizoram, Tripura, Arunachal Pradesh et Nagaland).</p>
<p>Ces États ont obtenu de rester en dehors de ce nouveau dispositif, afin de demeurer inaccessibles aux immigrés venant du Bangladesh tout proche.</p>
<p>Le projet de loi a ainsi déclenché de vives protestations généralisées dans ces États, où beaucoup estiment que la naturalisation des immigrés déjà présents sur place, qu’ils soient hindous ou non, perturbera la démographie de la région et réduira les possibilités d’emploi des populations autochtones. Les locaux redoutent également que cette naturalisation ne provoque un appel d’air qui aboutira à l’arrivée dans leurs régions d’encore plus d’étrangers, voués à devenir au bout de quelques années citoyens indiens – avec tous les droits que ce statut comporte.</p>
<p>En Assam, le CAB fait écho avec une autre préoccupation générant de vives <a href="https://observers.france24.com/fr/20191126-inde-assam-nationalite-indiens-musulmans-bangladesh-benevoles-aide">manifestations et couvre-feu</a>. Une opération de recensement menée en août dernier à travers le déploiement du registre national des citoyens (NRC) s’est soldée par la non-prise en compte de près de deux millions de personnes, en majorité musulmane ; celles-ci pourraient de ce fait perdre leur nationalité indienne.</p>
<p>Des milliers d’hindous ont également exclu du NRC et se retrouvaient donc, jusqu’ici, dans la même situation que les musulmans ; mais, aux yeux de nombreux observateurs, la mise en œuvre du CAB pourrait leur permettre de récupérer la citoyenneté indienne, créant un système inique où l’on exclut d’un côté les musulmans et l’on réintègre les non-musulmans de l’autre, dressant un peu plus les populations les unes contre les autres.</p>
<h2>Un climat funeste pour les musulmans</h2>
<p>Ce vote survient aussi dans un climat particulier, dessinant un nouveau repère dans une litanie de décisions funestes pour la minorité musulmane.</p>
<p>Depuis son arrivée au pouvoir en 2014, s’inscrivant dans un <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2019-2-page-7.html">projet idéologique</a> initié au tout début du XX<sup>e</sup> siècle, le BJP revisite l’histoire dans les livres scolaires et <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/bataille-lInde-hindouiser-noms-villes-2018-11-16-1200983522">hindouise les noms de villes</a> à consonance musulmane.</p>
<p>Ce projet survient également à la suite de la <a href="https://theconversation.com/crise-au-cachemire-quelles-consequences-pour-lasie-du-sud-122442">révocation, en août, de l’autonomie constitutionnelle du Cachemire</a>, seule région à majorité musulmane.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/et-linde-crea-2-millions-dapatrides-122992">Et l’Inde créa 2 millions d’apatrides</a>
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<p>Hasard du calendrier ou provocation, le projet de CAB a été dévoilé au moment précis où les musulmans s’apprêtaient à commémorer la destruction de la mosquée d’Ayodhya, ville sacrée d’Uttar Pradesh, où la Cour suprême a ordonné le mois dernier la construction d’un temple hindou à la place de la <a href="https://www.thehindu.com/news/ayodhya-verdict-reactions/article29929253.ece">mosquée démolie</a> par des extrémistes hindous le 6 décembre 1992.</p>
<p>En détournant une loi constitutionnelle de 1955 afin de donner la priorité aux hindous en matière de citoyenneté, Narendra Modi tente de modifier le projet même de l’Inde. Son gouvernement semble être parvenu, <em>de jure</em>, à créer artificiellement une « rashtra » (nation) hindoue, perpétuant ainsi le projet suprémaciste de l’idéologue <a href="https://carnegieendowment.org/2019/04/04/fate-of-secularism-in-india-pub-78689">Vinayak Damodar Savarkar</a>.</p>
<p>En excluant la minorité musulmane de l’espace public, le gouvernement de Modi donne aussi en miroir, un contenu normatif à ce qu’« être hindou » signifie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128796/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Goreau-Ponceaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un projet d’amendement constitutionnel de la loi sur la citoyenneté vise à empêcher les étrangers musulmans d’accéder à la nationalité indienne. C’est une négation de la diversité religieuse du pays.Anthony Goreau-Ponceaud, Maître de conférences en géographie, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1229922019-09-05T18:38:20Z2019-09-05T18:38:20ZEt l’Inde créa 2 millions d’apatrides<p>La mousson continue de s’abattre sur plusieurs États de l’Inde, <a href="https://scroll.in/article/931127/these-satellite-images-show-the-severity-of-the-floods-in-assam-and-bihar">dévastant paysages et habitations</a>, laissant des millions d’habitants sans toits ni ressources. En Assam, état du nord-est de l’Inde, à la frontière du Bangladesh, la situation est doublement tragique : depuis le 31 août, <a href="https://scroll.in/article/935423/how-assam-s-national-register-of-citizens-counted-people-from-2015-to-2019">environ 2 millions de personnes</a> sont aussi sur le point d’être déchues de leur citoyenneté.</p>
<p>Le gouvernement de l’état de l’Assam a en effet rendu publique la dernière mouture du <a href="https://www.tdg.ch/monde/registre-citoyens-inde-inquiete/story/14015731">Registre national des citoyens</a> (NRC), en cours d’amendements depuis 2013</p>
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<figcaption><span class="caption">Les personnes font la queue devant les bureaux qui ont publié la liste des « citoyens », les autres étant désormais rayés de la nation indienne, BBC.</span></figcaption>
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<p>Ce registre, dont la création <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/National_Register_of_Citizens_of_India">remonte originellement à 1951</a>, avait pour objectif d’enregistrer les populations en tant que citoyens indiens au sein d’une très jeune nation, née en 1947 et déchirée par la Partition. En effet à cette date, l’Inde devient indépendante de la Couronne britannique. La même année, le Pakistan émerge, avec son pan occidental (actuel Pakistan) et l’autre, oriental. Cette partie prendra à son tour son indépendance sous le nom de Bangladesh en 1971. La création de cette frontière avec l’Inde, autrefois inexistante sous la période coloniale, a transformé l’immigration fluide d’habitants du delta du Bengale en migration internationale qu’il faut désormais endiguer.</p>
<p>Le registre, destiné à éviter un flux illégal trop important entre Pakistan oriental et Inde, n’a été pourtant que peu modifié jusqu’à la fin des années 2010. Une première version a été rendue publique en 2018.</p>
<p>Or, le document final qui vient d’être publié est loin d’être une simple recension des citoyens mise à jour. Il pourrait bien remodeler entièrement la façon dont le gouvernement actuel redéfinit la citoyenneté. Et, au-delà, bouleverser violemment la démocratie indienne elle-même.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/289867/original/file-20190828-184217-plhj77.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/289867/original/file-20190828-184217-plhj77.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/289867/original/file-20190828-184217-plhj77.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=673&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/289867/original/file-20190828-184217-plhj77.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=673&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/289867/original/file-20190828-184217-plhj77.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=673&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/289867/original/file-20190828-184217-plhj77.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=846&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/289867/original/file-20190828-184217-plhj77.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=846&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/289867/original/file-20190828-184217-plhj77.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=846&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’État d’Assam est situé à la frontière avec le Bangladesh, à l’est de l’Inde.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Medium-india-political-wall-map-vinyl-moi4781121786238-original-imaezawqex9x5dbb.jpg">Imranism9/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>Des populations frontalières indésirables</h2>
<p>Mon <a href="https://graduateinstitute.ch/communications/news/boundaries-citizenship-former-border-enclaves-bangladesh-and-india">travail doctoral</a> a porté sur les populations qui vivent le long de la frontière entre l’Inde et le Bangladesh.</p>
<p>L’analyse du sort réservé à ces populations est essentielle pour comprendre le fonctionnement de l’État indien aujourd’hui. Le système politique, bureaucratique et social du pays travaille à homogénéiser les régions frontalières dans le but de façonner une nouvelle identité nationale, qui laisserait de côté des milliers d’individus sur des bases plus ou moins arbitraires.</p>
<p>Pour comprendre cette démarche, il faut se rappeler que depuis des années, et plus spécifiquement depuis quatre ans qu’il est au pouvoir, le Bharatiya Janata Party (BJP), parti nationaliste hindou d’extrême-droite, clame haut et fort son intention de débarrasser le territoire indien « des infiltrés bangladais ».</p>
<p>L’Assam est rapidement devenu le point de départ du plan d’action du gouvernement, du fait du fort sentiment xénophobe anti-migrants qui prévaut dans cet État depuis des années.</p>
<p>Cet état a en effet connu <a href="http://www.raiot.in/the-spectre-of-citizenship-history-politics-of-nrc-in-assam/">depuis le XIXᵉ siècle</a> de très forts mouvements migratoires issus des régions voisines (du Bengale au Népal) ce qui a suscité d’importantes agitations politiques toute au long du XX<sup>e</sup> siècle sur la base d’une [revendication identitaire](http://sanhati.com/excerpted/12468/#1](http://sanhati.com/excerpted/12468/#1) et d’une mise en avant de l’« autochtonie ».</p>
<p>Les partisans d’une politique identitaire au niveau national en récoltent aujourd’hui les fruits.</p>
<h2>Une machine truffée d’erreurs</h2>
<p>Le registre <a href="http://citizensagainsthate.org/wp-content/uploads/2019/06/Making-Foreigner.pdf">stipule</a> que toute personne entrée sur le territoire de l’État après le 24 mars 1971 (donc après la création du Bangladesh) serait désormais considérée comme étrangère (à moins de prouver son ascendance indienne), et donc coupable d’immigration clandestine.</p>
<p>En conséquence, les 31 millions d’habitants de l’Assam ont été obligés de prouver <a href="https://scroll.in/article/932645/can-you-prove-you-are-an-indian-citizen-take-the-nrc-test">qu’ils étaient bien Indiens</a>, en se soumettant à une série d’examens administratifs kafkaïens.</p>
<p>Aujourd’hui, deux millions de personnes <a href="https://scroll.in/topic/56205/the-final-count">ne retrouvent pas</a> leurs noms sur les listes publiées. Ces dernières se révèlent truffée d’erreurs, comme le rapporte le journal indépendant Scroll.in, qui donne des exemples où un père apparaît et non sa fille, une femme et non son mari etc. Amnesty International <a href="https://amnesty.org.in/news-update/uncertain-destiny-for-millions-in-assam-post-nrc/">dénonce</a> des erreurs factuelles, une orthographe approximative des noms de famille qui pénalisent les individus. L’organisation alerte aussi quant aux conséquences dangereuses pour la région désormais <a href="https://www.indiatoday.in/india/story/afspa-extended-in-assam-for-6-months-1327051-2018-08-29">sous haute surveillance</a> en raison de tensions entre communautés ou avec les autorités.</p>
<p>Le 17 juillet 2019, le ministre de l’intérieur indien, Amit Shah, membre du BJP, avait annoncé à la chambre haute du parlement que le gouvernement projetait <a href="https://www.indiatoday.in/india/story/will-identify-and-deport-every-illegal-immigrant-amit-shah-1570496-2019-07-17">d’identifier et d’expulser les immigrés clandestins dans tout le pays</a>.</p>
<p>Devant le nombre d’erreurs depuis la publication du registre, son parti semble <a href="https://scroll.in/article/935840/why-the-assam-bjp-is-now-against-the-nrc-explaining-the-politics-behind-the-exercise">désormais faire marche arrière</a>.</p>
<h2>Trier les êtres humains</h2>
<p>Mais, en attendant, les individus non inscrits sur le fameux registre n’ont que 120 jours pour faire une réclamation auprès des « tribunaux pour étrangers » sous peine d’être définitivement <a href="https://scroll.in/article/932134/worse-than-a-death-sentence-inside-assams-sham-trials-that-could-strip-millions-of-citizenship">exclus</a> de l’Inde ou de devoir se résigner à y vivre comme « clandestins », et donc dans l’illégalité.</p>
<p>Ces <a href="https://www.thehindu.com/news/national/other-states/why-does-assam-need-more-foreigners-tribunals/article27951416.ece">tribunaux pour étrangers</a> sont pour l’instant spécifiques à l’Assam (on en compte une centaine dans tout l’État). Mais ils pourraient s’étendre à l’ensemble de l’Union, donnant à leurs représentants le pouvoir de décider qui est « étranger » et qui ne l’est pas.</p>
<p>Or, les médias indépendants et les organisations humanitaires pointent à juste titre que la majorité de la population ciblée regroupe les citoyens les plus paupérisés, peu éduqués et les plus démunis de preuves : les tribus nomades sans terre, les immigrés hindous et musulmans venus avant 1971 et parlant le bengali, et les Assamais musulmans.</p>
<p>En perdant leur statut de citoyens ils risquent d’être rayés des listes électorales et expropriés. Nombre d’entre eux pourraient se retrouver en prison ou enfermés dans des <a href="https://www.hindustantimes.com/india-news/over-110-declared-foreigners-sent-to-detention-camps-in-assam-families-claim-indian-citizens-being-harassed/story-QyAbBtgbqbCfKn3j2SnbAJ.html">centres de détention</a> en attendant une hypothétique déportation au Bangladesh.</p>
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<figcaption><span class="caption">Des camps se construisent un peu partout en Assam, The Print.</span></figcaption>
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<h2>Entretenir la peur de l’Autre</h2>
<p>Dans le monde entier, les politiciens d’extrême-droite entretiennent un climat de terreur nationale en mettant des noms et des visages sur un « envahisseur » inconnu. Dans ces situations créées pour contrôler politiquement l’immigration, les « étrangers » et « citoyens » sont de plus en plus fréquemment catégorisés en <a href="http://www.thegreatregression.eu/symptoms-in-search-of-an-object-and-a-name/">fonction de leur hérédité</a>.</p>
<p>Comme le [souligne](http://www.anthempress.com/the-bengal-borderland-pb](http://www.anthempress.com/the-bengal-borderland-pb) le sociologue Willem Van Schendel, la frontière a été instrumentalisée pour attiser le sentiment anti-immigrés.</p>
<p>Elle a aussi permis de nourrir la propagande du BJP qui a attisé la peur d’une « invasion » bangladaise.</p>
<p>Cet argument a porté ses fruits aussi parce qu’elle résonnait avec la rhétorique anti-musulmans du BJP : en effet beaucoup d’immigrés récents du Bangladesh sont de confession musulmane. Cela a donné du poids aux partisans de l’<em>Hindutva</em>,politique nationaliste hindoue, basée sur le concept d’« indianité ». Selon cette doctrine, ces nombreux musulmans représentent une menace démographique pour les Hindous. Elle justifie la peur d’une pseudo-invasion bangladaise qui serait alors un problème national.</p>
<p>Cette représentation a eu des conséquences graves pour de nombreux locuteurs bengalis musulmans. Soupçonnés d’être des immigrés illégaux, certains ont été illégalement déportés vers le Bangladesh ou <a href="https://scroll.in/article/843734/branded-bangladeshis-in-noida-anger-turns-to-fear-for-domestic-workers-after-police-raid">simplement retenus contre leur gré par la police de Delhi</a>.</p>
<h2>Angoisse, suicides et échec</h2>
<p>L’angoisse que génère cette situation est si forte que plus de <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-india-48754802">51 cas de suicides ont déjà été recensés</a>.</p>
<p>Dans certaines zones de l’Assam, comme le district de Morigaon, des hommes musulmans parlant le bengali <a href="https://indianexpress.com/article/north-east-india/assam/nrc-deadline-approaching-families-stranded-in-assam-floods-stay-home-dont-want-to-be-rescued-5833091/">ont refusé de quitter leurs maisons</a> en dépit des violentes inondations qui dévastaient leurs villages. À leurs yeux, leur présence physique sur les lieux constitue une preuve de leur citoyenneté.</p>
<p>Que le registre national parvienne ou non à identifier correctement ceux qui sont arrivés dans l’État après le 24 mars 1971, il servira <em>in fine</em> l’objectif affiché d’une politique hindoue extrémiste qui soumet ceux qu’elle juge comme « intrus » à un régime de ségrégation.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/291161/original/file-20190905-175700-1um4qhx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/291161/original/file-20190905-175700-1um4qhx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/291161/original/file-20190905-175700-1um4qhx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/291161/original/file-20190905-175700-1um4qhx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/291161/original/file-20190905-175700-1um4qhx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/291161/original/file-20190905-175700-1um4qhx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/291161/original/file-20190905-175700-1um4qhx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nimai Hajong et son épouse, en aoput 2018. L’homme de 58 ans est arrivé en Assam alors qu’il était jeune enfant. D’après le registre, il est désormais considéré comme « étranger » et montre néanmoins les papiers qui pourraient prouver sa citoyenneté.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shamar/AFP</span></span>
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<p>Les migrants (en particulier musulmans) des zones rurales du Bengale occidental et des <a href="https://www.moneycontrol.com/news/india/nagaland-to-begin-its-own-nrc-process-from-july-10-4155521.html">États du nord-est</a> risquent de subir les conséquences de cette chasse aux « étrangers » nationale, et de vivre dans la crainte constante dans une Inde qui prend chaque jour un peu plus l’apparence d’un État policier.</p>
<p>Pour autant cette liste ne parviendra certainement pas à endiguer le flot régulier d’immigrés clandestins venus du Bangladesh, ni à réduire la demande de main-d’œuvre bangladaise dans le secteur florissant de la construction urbaine en Inde.</p>
<p>Comme le <a href="https://www.migrationpolicy.org/article/borders-and-walls-do-barriers-deter-unauthorized-migration">démontre l’étude globale des mouvements migratoires</a>, en dépit du durcissement des états et des mesures de surveillance aux frontières, les gens continuent de migrer.</p>
<p>En Inde, la conséquence immédiate de cette ségrégation inique, voire cynique, altère déjà le lien social, entretient un climat de suspicion mutuelle et renforce désormais encore plus les barrières socioculturelles entre les citoyens.</p>
<p>En se nourrissant et en propageant une phobie collective de « l’Autre » sur son territoire, New Delhi s’inscrit dans le sillage d’un populisme mondialisé.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été traduit de l’anglais par Iris Le Guinio pour <a href="http://www.fastforword.fr/">Fast For Word</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122992/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anuradha Sen Mookerjee a reçu des financements en 2015-2016 pour son projet de thèse du Cooperation and Development Centre (CODEV), EPFL, Lausanne, Suisse sous leur programme Flash Programme for India.</span></em></p>Depuis le 31 août, en Inde, environ 2 millions de personnes sont sur le point d’être déchues de leur citoyenneté, inscrivant encore un peu plus l’Inde dans le sillage d’un populisme mondialisé.Anuradha Sen Mookerjee, Independent Researcher, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1027352018-09-10T20:18:41Z2018-09-10T20:18:41ZTurquie, Tunisie, Liban : quand la politique bouscule l’économie<p>Les turbulences financières du mois d’août en Turquie nous le rappellent avec force : des développements d’ordre politique peuvent déclencher des troubles économiques et financiers de grande ampleur. La détérioration des relations entre la Turquie et les États-Unis et la concentration des pouvoirs entre les mains du Président turc – deux développements de nature politique – sont les principaux facteurs déclencheurs de la forte dépréciation de la monnaie turque. Celle-ci a perdu près de 30 % de sa valeur au cours de ces dernières semaines. Auparavant, la Turquie a longtemps pu présenter des fondamentaux macroéconomiques fragiles sans être sanctionnée pour autant par les acteurs sur les marchés financiers.</p>
<h2>Crises politiques et troubles économiques : un lien étroit et ancien</h2>
<p>Cette illustration récente de l’imbrication entre politique et équilibres économiques et financiers vient s’ajouter à une succession de cas similaires. <a href="https://www.afd.fr/fr/egypte-les-impacts-economique-et-financier-dune-transition-politique-difficile">Les révolutions égyptienne</a> et <a href="http://documents.worldbank.org/curated/en/518411476195193488/The-impact-of-the-Arab-Spring-on-the-Tunisian-economy">tunisienne</a> ont durablement modifié les équilibres macroéconomiques et financiers des deux pays. L’assassinat du premier ministre libanais, Rafic Hariri, en 2005, avait propulsé le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13504850500426335">Liban au bord de la crise financière</a>).</p>
<p>Les exemples sur le continent africain sont nombreux, du Zimbabwe à la Côte d’Ivoire. Et aujourd’hui les pays occidentaux ne sont plus immuns d’événements politiques qui modifient durablement les perspectives économiques. À l’image du Brexit ou des dernières élections italiennes, ils peuvent conduire à des modifications aussi radicales qu’instantanées de la perception des acteurs des marchés.</p>
<p>Quand il s’agit pour un investisseur d’analyser ex ante le risque qu’il prend à intervenir en Turquie plutôt qu’en Malaisie ou au Brésil, c’est-à-dire le « risque-pays », il est plus confortable de restreindre ses analyses aux données économiques et financières chiffrées que de s’aventurer dans l’analyse politique, par nature plus subjective. Conclure que la trajectoire de la dette publique est sur une dynamique non soutenable ou que les réserves extérieures de la banque centrale sont insuffisantes pour faire face à un choc d’ampleur constituent des exercices moins audacieux que d’anticiper les effets des développements politiques à venir sur le cours du change ou la capitalisation boursière.</p>
<p>Faut-il pour autant baisser les bras et se réfugier derrière l’imprédictibilité de ces événements pour ne pas les intégrer dans ses paramètres de décisions ou n’asseoir ces dernières que sur des intuitions personnelles ?</p>
<h2>Analyser les contextes, traquer les vulnérabilités</h2>
<p>Bonne nouvelle, la recherche scientifique récente apporte beaucoup de grain à moudre pour qui sait prendre le temps de l’analyse méthodique. Depuis le début des années 2000 en effet, les <a href="https://www.afd.fr/sites/afd/files/2018-02-05-48-06/md-25-risquesociopolitique-risquepays-Vergne-Laville.pdf">travaux sur les risques sociopolitiques</a> sont en pleine expansion : économistes, politologues, géographes, historiens et anthropologues cherchent à comprendre les dynamiques sous-jacentes au déclenchement des troubles sociopolitiques ainsi que leurs répercussions sur le développement des pays touchés par ce phénomène.</p>
<p>Ces travaux permettent d’identifier les vulnérabilités qui constituent un terreau fertile à l’instabilité et des facteurs déclencheurs spécifiques qui peuvent transformer des tensions structurelles latentes en troubles sociopolitiques. Quatre grands groupes de vulnérabilités structurelles se dégagent de ces travaux.</p>
<p><strong>La géographie détermine le destin</strong></p>
<p>Ils donnent tout d’abord raison à cette intuition prêtée à Napoléon, en l’étendant à l’histoire idiosyncratique propre à chaque pays. Un pays est plus exposé à connaître des troubles sociopolitiques à l’avenir si un de ses voisins l’est aujourd’hui (Hegre et <a href="https://www.google.fr/search?hl=fr&q=Hegre+H.+et+N.+Sambanis+(2006),+%E2%80%9CSensitivity+Analysis+of+EmpiricalResults+on+Civil+War+Onset%E2%80%9D,+Journal+of+conflict+resolution,Vol.+50,+No.+4,+pp.+508-535.&gws_rd=ssl">Sambanis</a>, 2006 ; <a href="http://www.oecd.org/fr/cad/conflits-fragilite-resilience/etats-de-fragilite-2016-9789264269996-fr.htm">OCDE, 2016)</a>. La propagation des printemps arabes en a été un exemple marquant. De même, les pays ayant déjà connu des conflits sont plus exposés à un risque de rechute matérialisant une forme de « trappe à conflits ». La Centrafrique, qui voit les crises se succéder les unes après les autres, illustre ce phénomène.</p>
<p><strong>Certains régimes plus exposés par nature</strong></p>
<p>Les recherches en sciences politiques mettent également en évidence le rôle de la nature du régime politique dans l’émergence de troubles d’ordre sociopolitiques. Ces travaux concluent que les régimes purement démocratiques ou purement autocratiques sont moins sujets au déclenchement de troubles que les régimes intermédiaires.</p>
<p>Ces derniers ne disposent pas d’institutions démocratiques suffisantes pour que s’expriment pacifiquement les désaccords de la population tout en laissant suffisamment de latitude aux groupes dissidents pour s’organiser. Les actions pacifiques y sont les plus souvent inefficaces poussant les opposants à franchir le Rubicon de l’action violente.</p>
<p><strong>Les inégalités sources de conflits</strong></p>
<p>Les vulnérabilités de nature socioéconomique et démographique doivent également être prises en compte. Les études économiques sur les guerres civiles ont montré une relation robuste entre pauvreté, croissance anémique et probabilité d’occurrence d’un conflit (<a href="https://www.google.fr/search?hl=fr&ei=KQONW8CRDMauav3CuPgG&q=Fearon+J.D.+et+D.D.+Laitin+%282003%29%2C+%E2%80%9CEthnicity%2C+insurgency%2C+and&oq=Fearon+J.D.+et+D.D.+Laitin+%282003%29%2C+%E2%80%9CEthnicity%2C+insurgency%2C+and&gs_l=psy-ab.3...220348.221777.0.222559.1.1.0.0.0.0.67.67.1.1.0...0...1c.1.64.psy-ab..0.0.0...0.-ZpsE9iotMs">Fearon et Laitin, 2003</a> ; <a href="https://www.google.fr/search?hl=fr&q=Collier+P.+et+A.+Hoeffler+(2004),+%E2%80%9CGreed+and+Grievance+inCivil+War%E2%80%9D,+Oxford+Economic+Papers,+Vol.+56,+No.+4,+pp.+563-595.&gws_rd=ssl">Collier et Hoeffler, 2004</a>). Les inégalités sont également une cause importante de contestation.</p>
<p><strong>Le poids croissant du changement climatique</strong></p>
<p>Enfin, et ces risques sont probablement amenés à croître à l’avenir, les changements environnementaux et climatiques sont facteurs d’instabilité. A titre d’illustration, avec la prévision d’une hausse d’un mètre du niveau de la mer, 17 % des terres du Bangladesh disparaîtraient sous les eaux d’ici 2050, provoquant une perte de 13 % de la production agricole et des déplacements de populations massifs. Jusqu’à 8 millions de Bangladais pourraient ainsi devoir fuir leurs terres (les inondations d’eau salée détruisant les champs).</p>
<p><strong>A la recherche des facteurs déclencheurs</strong></p>
<p>Il faut compléter cette analyse par celle des facteurs potentiellement déclencheurs qui peuvent transformer des tensions longtemps latentes en conflit ouvert. L’approche d’une élection contestée dans un régime intermédiaire, la volonté de modifier la constitution pour étendre le nombre de mandats qu’un président peut exercer à l’instar de ce qui a produit la chute de Blaise Campaoré au Burkina Faso, la mort d’un chef d’État omnipotent n’ayant pas organisé sa succession constituent autant de facteurs déclencheurs de troubles sociopolitiques qui peuvent être anticipés. Pour mener à bien ces travaux, ici comme ailleurs, les économistes et financiers gagnent à s’appuyer sur l’expertise des historiens, géographes, politologues et anthropologues.</p>
<p>Bien sûr, beaucoup de développements d’ordre politique ou social restent imprédictibles, tout comme l’emballement des événements dans certains contextes. L’immolation par le feu d’un vendeur de Sidi Bouzid avait, par exemple, conduit en moins d’un mois au renversement du régime Ben Ali en Tunisie début 2011. Mais l’analyste n’est pas démuni. Pour peu qu’il prenne le temps de chercher à comprendre les spécificités de chacun des pays.</p>
<hr>
<p><em>Ce texte s’appuie sur le Macrodev n°25, <a href="https://www.afd.fr/fr/comment-analyser-le-risque-sociopolitique-une-composante-cle-du-risque-pays">« Comment analyser le risque sociopolitique ? Une composante clé du risque-pays »</a>, co-rédigé par Clémence Vergne, économiste à l’AFD et Camille Laville, assistante de recherche à la Ferdi.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102735/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La détérioration des relations entre Ankara et Washington et la concentration des pouvoirs aux mains du Président turc sont les principaux facteurs déclencheurs de la chute de la monnaie turque.Clémence Vergne, Economiste principal Département Méditerranée et Moyen Orient, Agence française de développement (AFD)Vincent Caupin, Directeur - Département Diagnostics Economiques et Politiques Publiques - Agence Française de Développement, Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/980892018-07-02T20:28:18Z2018-07-02T20:28:18ZL’Asie dans la tourmente des extrémismes ?<p>Montré du doigt comme principal ennemi de la démocratie et vecteur de fondamentalisme, notamment en Occident, l’islam a pourtant connu une évolution plurielle depuis son implantation sur la <a href="https://www.herodote.net/Mahomet_570_632_-synthese-127.php">péninsule arabe au VIIᵉ siècle</a> de notre ère.</p>
<p>Cette religion s’est ainsi développée sous plusieurs formes bien au-delà du Moyen-Orient. On la retrouve notamment en Asie du Sud et du Sud-Est, où, si elle n’est pas l’unique forme d’organisation religieuse, elle est majoritaire dans de nombreux pays.</p>
<p>Près de 90 % des 156 millions d’habitants du Bangladesh sont musulmans. En Indonésie, pays comprenant la plus importante population musulmane du monde, l’islam rassemble 88 % des habitants. Enfin, elle est la principale religion du Pakistan, de l’Afghanistan et de la Malaisie et est considérée comme la seconde religion en termes démographiques en Inde.</p>
<p>Comment comprendre les liens complexes qu’entretient cette religion dans ces pays ? Comment ces derniers affrontent-ils les menaces fondamentalistes ?</p>
<p>Jean‑Luc Racine et Rémy Madinier discutent des rapports de force entre religion et politique en Asie du Sud et du Sud-Est pour The Conversation France.</p>
<p><strong>Comment s’articulent les liens entre religion et politique en Asie du Sud et du Sud-Est et quelle y est la place de l’islam ?</strong></p>
<p><strong>Jean‑Luc Racine</strong> : Les relations entre religion et politique en Asie du Sud dépassent de loin celles liant islam et politique : le Népal fut la seule République hindoue <a href="http://www.liberation.fr/tribune/2008/06/10/nepal-du-royaume-a-la-republique-mao_73729">jusqu’en 2006</a>, et au Sri Lanka la Constitution donne au bouddhisme <a href="https://thewire.in/external-affairs/sri-lanka-buddhism-constitution">« une place prééminente »</a>, sans en faire une religion d’Etat.</p>
<p>Au Bangladesh, la religion d’État est l’Islam, « mais l’État assurera statut égal et droits égaux » aux minorités religieuses.</p>
<p>En Afghanistan, l’« État islamique d’Afghanistan » a succédé au régime communiste en 1992, avant d’être renversé par l’« Émirat islamique d’Afghanistan », le régime taliban, lui-même défait en 2001.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/224913/original/file-20180626-112634-b5a7gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/224913/original/file-20180626-112634-b5a7gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/224913/original/file-20180626-112634-b5a7gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/224913/original/file-20180626-112634-b5a7gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/224913/original/file-20180626-112634-b5a7gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/224913/original/file-20180626-112634-b5a7gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=610&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/224913/original/file-20180626-112634-b5a7gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=610&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/224913/original/file-20180626-112634-b5a7gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=610&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’Afghanistan au début de l’an 2000. Le territoire contrôlé par l’émirat islamique est en blanc, celui contrôlé par l’Alliance du Nord et sa guérilla en rouge et rose.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mirat_islamique_d'Afghanistan#/media/File:Afghanistan_en_2000.png">Dausset/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La Constitution de 2004 en fait une République islamique. C’est toutefois la partition de l’Inde et du Pakistan en 1947 qui structure la dialectique entre religion et (géo-)politique en Asie du Sud. En effet la création du Pakistan donne corps à la théorie des deux nations, promue par la Ligue musulmane en 1940, assurant qu’hindous et musulmans ne peuvent former une seule nation : un argument contredit par l’Inde indépendante, qui compte aujourd’hui 14 % de musulmans (189 millions), plus que le Bangladesh, et presque autant que le Pakistan (197 millions).</p>
<p>La poussée du nationalisme hindou <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2014/05/16/le-nationaliste-hindou-modi-triomphe-en-inde_4419842_3210.html">depuis 2014</a>, affaiblit toutefois la <a href="https://www.cairn.info/revue-esprit-2014-7-p-75.htm">tradition multiculturelle et séculariste</a> de l’Inde nehruvienne, et fragilise les minorités religieuses, les musulmans au premier chef.</p>
<p>Plus que tout autre, le Pakistan, proclamé République islamique, illustre le mieux la difficulté de privilégier l’islam comme ciment national : quel islam, pour quelle nation ?</p>
<p>L’islam composite de la <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/3880/soufisme-antinomien-dans-le-sous-continent-indien-le">tradition sud-asiatique,</a> accueillante des soufis ?</p>
<p>L’islam rigoriste déobandi, qui s’accommode, géopolitique oblige, <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Depuis-1979-quatre-generations-de-djihadistes-2015-01-19-1269660">des djihadistes salafistes venus en Afghanistan</a> ? L’islam barelvi, supposé ouvert, mais de plus en plus radical sur la <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Au-Pakistan-la-loi-anti-blaspheme-est-de-plus-en-plus-un-tabou-_NG_-2011-01-11-561748">question du blasphème</a> ? Et quid de la minorité chiite, victime des extrémistes sunnites ?</p>
<p>L’instrumentalisation des groupes islamistes à des fins géopolitiques, tant au Cachemire qu’en Afghanistan, coûte cher au Pakistan. De plus, une part des islamistes – les talibans pakistanais du TTP– s’est retournée contre le pouvoir d’État pakistanais, tandis que les partis islamistes, assez faibles au Parlement, ont une capacité de mobilisation de rue considérable : tout cela affaiblit le pouvoir politique, pris entre les militaires et les islamistes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-9k9DWeUVHc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Théorie des deux nations, dans un discours de Mohammed Ali Jinnah « père » du Pakistan.</span></figcaption>
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<p><strong>Rémy Madinier :</strong> En Asie du Sud-Est, dans les pays dans lesquels l’islam est minoritaire (Birmanie, Thaïlande et Philippines), la religion musulmane a d’abord dessiné les contours de <a href="http://www.irasec.com/ouvrage75">communautés marginalisées</a> au sein de l’espace nationale sans pour autant servir de projet politique.</p>
<p>À partir des années 1970, en Thaïlande et surtout aux Philippines, l’islamisation des revendications par des <a href="http://www.irasec.com/ouvrage4">dirigeants formés dans les universités du Golfe</a> et enclins au wahhabisme met fin aux liens privilégiés avec des pays arabes marqués par un certain sécularisme comme l’Égypte de Nasser ou la Lybie de Kadhafi.</p>
<blockquote>
<p>« C’est dans les pays d’islam majoritaire que l’on trouve les cas les plus originaux de rapport entre islam et politique. »</p>
</blockquote>
<p>Ces mouvements luttent désormais pour la création d’États islamiques, ou de régions autonomes appliquant la charia et non plus seulement pour la défense des populations musulmanes opprimées (dépossession de terres, assimilation culturelle forcée, sous-développement économique…).</p>
<p>C’est cependant dans les pays d’islam majoritaire (Indonésie et Malaisie) que l’on trouve les cas les plus originaux de rapport entre islam et politique.</p>
<p>Comparée au Pakistan ou aux pays du Proche-Orient, la particularité de la Malaisie est d’inscrire, avec un succès certain, cette islamisation de la société dans une perspective économique. Profitant de la proximité de Singapour, le pays est devenu le siège de <a href="https://books.openedition.org/enseditions/4923?lang=fr">nombreuses industries délocalisées</a> depuis l’Asie du Nord-Est et est parvenu à un développement technologique prometteur.</p>
<p>Contrepoids de ce rapprochement avec l’Asie bouddhiste, cette stratégie fut justifiée au nom du <a href="https://journals.openedition.org/assr/2857">rayonnement de l’islam</a>. Une importante classe moyenne malaise émerge, encourageant à son tour le mieux-disant islamique ainsi qu’une monétisation de la piété. Mais cette politique de rayonnement de l’islam entraîne des tensions de plus en plus vives entre l’islam d’État et les minorités chinoises et indiennes.</p>
<p>La démocratie autoritaire perpétue à la fois une <a href="https://www.theses.fr/2011PA010017">tradition féodale et un legs juridique colonial dualiste</a> et sclérosé entre loi islamique et loi civile, <a href="http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20180510-legislatives-malaisie-victoire-opposition-mahathir-mohamad">aboutissant à un mécontentement qui vient de provoquer la chute de l’UMNO</a>, le parti au pouvoir depuis l’indépendance.</p>
<p>L’Indonésie quant à elle, malgré son statut de première nation du monde musulman, reconnaît à parts égales six religions. Après une <a href="http://www.karthala.com/terres-et-gens-dislam/2494-l-indonesie-entre-democratie-musulmane-et-islam-integral-histoire-du-parti-masjumi-1945-1960-9782811105204.html">expérience de démocratie musulmane unique</a> dans les années 1950, la dérive autoritaire du régime Soekarno, puis l’instauration de l’Ordre nouveau du général Suharto après la crise de 1965, marginalisent l’islam politique, instrumentalisé au profit d’une rhétorique victimaire et intolérante.</p>
<p>Toutefois, depuis le retour de la démocratie en 1998, l’Indonésie évite un face-à-face mortifère entre un pouvoir autoritaire soutenu par l’Occident, et un islam militant acculé à une semi-clandestinité et encouragé dans sa radicalité. Cinq partis, très divers idéologiquement se réclament aujourd’hui de l’islam au Parlement et invalident ainsi le mythe de l’unicité de la solution islamiste.</p>
<blockquote>
<p>« L’ensemble de l’Asie du Sud-Est musulmane est affecté par la dissémination des djihads afghan puis irako-syrien. »</p>
</blockquote>
<p><strong>Comment la question du djihadisme a-t-elle émergé ?</strong></p>
<p><strong>J.-L. R.</strong> : Le djihad apparaît en Asie du Sud dès les lendemains de la Partition de 1947, quand des milices tribales venues du tout nouveau Pakistan viennent appuyer les Cachemiris insurgés contre leur maharaja (roi) qui <a href="http://www.oxfordislamicstudies.com/article/opr/t243/e181?_hi=3&_pos=46">décide finalement de rattacher son royaume à l’Inde</a>.</p>
<p>Ces combattants parlent alors d’un djihad voulant libérer leurs frères musulmans de la tutelle hindoue (le maharaja, l’Inde). En 1979, un général pakistanais publie un <a href="http://insct.syr.edu/wp-content/uploads/2013/03/MyersJoseph.Quranic-Concept-of-War.pdf">ouvrage de référence</a>, « The Coranic Concept of War », avec une préface du général Zia, chef de l’Etat, à l’heure où les mujahideens afghans se dressent contre l’Armée rouge.</p>
<p>Le djihad est aussi invoqué dans la devise de l’armée pakistanaise : Iman (la foi), Taqwa (la rectitude) et Jihad-fi-Sabillilah (lutter pour la souveraineté d’Allah sur terre).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/224935/original/file-20180626-112611-r0v8c6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/224935/original/file-20180626-112611-r0v8c6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/224935/original/file-20180626-112611-r0v8c6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/224935/original/file-20180626-112611-r0v8c6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/224935/original/file-20180626-112611-r0v8c6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/224935/original/file-20180626-112611-r0v8c6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/224935/original/file-20180626-112611-r0v8c6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le djihad en Asie du Sud a notamment trouvé écho au Cachemire, pris en étau entre vélléités indiennes et pakistanaises.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’essor du djihadisme glisse de l’Afghanistan au Cachemire dans les années 1990, avec l’instrumentalisation des groupes jihadistes pakistanais appuyés par les services de renseignement, Lashkar-e Taiba, Harkat-ul Ansar, devenu Jaish-e Mohammad en 2000, tandis que se crée en 1994 aux marges pakistanaises du Cachemire, un Conseil du Jihad Unifié. Al Qaïda, par contraste, développe l’idée d’un djihad mondial, sans souscrire après 2014, à l’idée concurrente du califat autoproclamé par al-Baghdadi.</p>
<p><strong>R.M. :</strong> Des luttes armées se revendiquant du djihad existent en Asie du Sud-Est durant la période coloniale et au <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/4100">moment des indépendances</a>. Plus récemment, l’ensemble de l’Asie du Sud-Est musulmane est affectée par la dissémination des djihads afghan puis irako-syrien.</p>
<p>Dans les années 1980, plusieurs centaines d’étudiants originaires d’Indonésie, de Malaisie, de Thaïlande ou des Philippines au retour de séjours d’études religieuses dans les pays du Golfe se retrouvent rassemblés dans un même camp au Pakistan. L’objectif est alors de préparer le futur jihad dans leur région d’origine.</p>
<p>Ils sont à l’origine de la Jemaah Islamiyah, une organisation terroriste transnationale « sœur » d’Al-Qaedah, responsable d’une importante série d’attentats en Indonésie au début des années 2000 et qui rallie une (petite) partie des combattants Moros du sud des Philippines et des Indonésiens <a href="http://www.kas.de/indonesien/en/publications/2985/">impliqués dans le conflit des Moluques</a>, qui oppose milices chrétiennes et musulmanes.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/224925/original/file-20180626-112641-857ce9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/224925/original/file-20180626-112641-857ce9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/224925/original/file-20180626-112641-857ce9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=661&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/224925/original/file-20180626-112641-857ce9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=661&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/224925/original/file-20180626-112641-857ce9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=661&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/224925/original/file-20180626-112641-857ce9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=830&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/224925/original/file-20180626-112641-857ce9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=830&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/224925/original/file-20180626-112641-857ce9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=830&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Carte des Moluques, territoires contestés.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Maluku_Islands#/media/File:Maluku_Islands_en.png">Lencer/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Affaiblie par la répression et par ses divisions, la Jemaah Islamiyah est concurrencée depuis quelques années par de petites organisations ayant prêté allégeance à Daech. Ces organisations reposent principalement en Indonésie sur les combattants et les familles revenues du théâtre irako-syrien et sur des groupes philippins mécontents des accords de paix signés par le gouvernement avec d’autres mouvements rebelles.</p>
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<figcaption><span class="caption">Arte, ‘le géant en marche’ émission consacrée à l’Indonésie.</span></figcaption>
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<p><strong>Quelles sont les politiques anti-terroristes ou de déradicalisation adoptées ?</strong></p>
<p><strong>J.-L. R. :</strong> En Afghanistan, la stratégie de contre-insurrection l’emporte sur la lutte antiterroriste, en raison de l’ampleur prise par le mouvement taliban, alors que la filiale de Daech, <a href="https://www.hurstpublishers.com/book/islamic-state-khorasan/">Islamic State Khorassan</a>, ne mène que des insurrections très localisées, l’essentiel de son action étant terroriste.</p>
<p>L’OTAN épaulant les forces armées afghanes n’a eu de résultats qu’en demi-teinte, privant les talibans de grands succès urbains, mais échouant à contrer le terrorisme visant les grandes villes. La déradicalisation n’est pas encore à l’ordre du jour et le gouvernement échoue pour l’heure à créer un dialogue avec les talibans.</p>
<p>Au Pakistan, l’armée a finalement décidé, dès 2014, de mener une lutte sans concession contre les talibans pakistanais dans les zones tribales. Un « plan d’action national » a été lancé par le gouvernement, censé lutter contre l’extrémisme et promouvoir une <a href="http://regionalrapport.com/2018/03/17/pakistans-de-radicalisation-strategy-working/">certaine déradicalisation</a>, relancée en janvier 2018 par le programme baptisé « Message du Pakistan », sans grand succès pour le moment.</p>
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<figcaption><span class="caption">Un centre de déradicalisation au Pakistan (AFP).</span></figcaption>
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<p>Alors qu’Inde et États-Unis demandent au Pakistan d’en faire plus contre les réseaux agissant au Cachemire et en Afghanistan, le Pakistan se peint comme première victime du terrorisme, par le nombre des pertes qu’il a subies, et accuse l’Afghanistan d’héberger les groupes terroristes pakistanais ayant fui les zones tribales. Chacun, <em>in fine</em>, accuse l’autre de « terrorisme transfrontalier ». Trop de défiance et d’intérêts divergents persistent pour qu’un plan régional antiterroriste puisse être activé.</p>
<p><strong>R.M. :</strong> Aux Philippines, depuis la fin des années 1990, le gouvernement s’engage dans un processus de négociation avec les mouvements rebelles. D’importants accords de paix sont signés avec le Front national de libération moro (MNLF) en 1996 puis avec le Front islamique de libération moro (MILF) en 2014, conduisant à la création de régions autonomes. Mais la corruption, les rivalités entre ethnies et la persistance d’inégalités économiques profondes entraînent l’irruption de nouveaux acteurs par scission entre mouvements rebelles.</p>
<p>En Indonésie, une unité antiterroriste, le Densus 88, fondée au lendemain des attentats de Bali avec l’aide des Américains et des Australiens, se montre d’autant plus efficace qu’elle bénéficie du soutien de la population : plusieurs dizaines de cellules terroristes <a href="https://www.crisisgroup.org/asia/south-east-asia/indonesia/how-indonesian-extremists-regroup">ont été démantelées depuis une dizaine d’années</a>.</p>
<p>Des tentatives de <a href="http://www.cornellpress.cornell.edu/book/?GCOI=80140100484390">déradicalisation assez originales</a> impliquant des repentis, les familles des condamnés et celles des victimes sont en cours, avec des résultats mitigés.</p>
<p>Mais le gouvernement tarde à mettre en place une politique de lutte contre la diffusion d’une culture d’intolérance, en <a href="https://muse.jhu.edu/article/488364/pdf">particulier dans l’enseignement</a> et peine à contenir les mouvements radicaux qui, sans basculer dans le terrorisme, contribuent à entretenir un climat de haine favorisant le recours à la violence religieuse.</p>
<hr>
<p><em>Cet article est publié dans le cadre des activités de la <a href="http://www.fmsh.fr/fr/recherche/24279">Plateforme Violence et sortie de la violence</a> (FMSH), dont The Conversation France est partenaire.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/98089/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Luc Racine est membre du think-tank Asia Centre et membre du Panel international sur la sortie de la violence (FMSH).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Rémy Madinier a participé au séminaire général de la Plateforme Sortie de la Violence (International Panel for Exiting Violence) de la FMSH.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sabrina Melenotte est coordinatrice de la Plateforme Violence et sortie de la violence (FMSH) et postdoctorante sur l'ANR SoV - Sortir de la violence.</span></em></p>Peut-on parler de menace extrémiste en Asie où l’islam s’est développé depuis plusieurs siècles ? Et quels sont ses rapports avec la politique ? Conversation entre Jean‑Luc Racine et Rémy Madinier.Jean-Luc Racine, Directeur de recherches émérite, CEIAS, CNRS, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Rémy Madinier, Historien, chercheur au CNRS/EHESS, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/971052018-06-07T21:58:54Z2018-06-07T21:58:54ZLes Jummas, parias du Bangladesh<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/221543/original/file-20180604-175407-hbn9ti.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=124%2C178%2C5052%2C3267&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Femme Jumma, Chittagong Hill Tracts. Les 'peuples des collines' au Bangladesh subissent, à l'instar des Rohingya, une discrimination et des violences systématiques passées sous silence.</span> <span class="attribution"><span class="source">Jidit Chakma</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Les médias ont, à juste titre, évoqué le sort tragique des Rohingyas de Birmanie, obligés de se réfugier en masse au Bangladesh. Mais dans ce pays, à majorité musulmane, ravagé par une instabilité politique et économique de longue date, d’autres minorités, souvent inconnues en Occident, connaissent elles aussi une situation de domination qui pourrait devenir explosive. On ignore ainsi qu’outre des hindouistes, vivent <a href="http://gitpa.org/web/BENGLADESH%20%20%20FINAL%20.pdf">54 peuples autochtones parlant au moins 35 langues différentes</a>. Les violences à l’égard de ces populations sont courantes (spoliations foncières, arrestations arbitraires, incendies de villages, femmes <a href="https://newint.org/web-exclusive/2018/04/04/stopping-rape-in-bangladesh">victimes de violences sexuelles</a>). Précisons que le gouvernement du Bangladesh <a href="http://www.observerbd.com/details.php?id=88933">ne reconnaît pas les peuples autochtones</a>, cette appellation induisant des droits politiques et économiques (en particulier fonciers) si l’on s’en réfère à la <a href="http://www.un.org/esa/socdev/unpfii/documents/DRIPS_fr.pdf">Charte de l’ONU de 2007</a>.</p>
<p>Le 15<sup>e</sup> <a href="http://chtnewsupdate.blogspot.com/2011/07/pcjss-rejects-15th-amendment-of.html">amendement de la constitution</a> de 2011, admet cependant l’existence de personnes ayant des identités ethniques différentes de celle de la population bengalie, leur permettant, sur le papier du moins, d’avoir des droits particuliers.</p>
<p>Le recensement de 2011 évalue ces populations à <a href="http://www.shiree.org/wp-content/uploads/2012/02/34-How-ethnic-minorities-became-poor-and-stay-poor-in-Bangladesh-a-qualitative-enquiry.pdf">1 586 000 personnes</a>, mais les autochtones s’estiment plus nombreux (environ deux millions). La principale de ces minorités, les Jummas, regroupe à elle seule 850 000 personnes dans la région des Chittagong Hill Tracts. Son sort est emblématique de celui des minorités au Bangladesh.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/221585/original/file-20180604-175442-118ds3j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/221585/original/file-20180604-175442-118ds3j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/221585/original/file-20180604-175442-118ds3j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=878&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/221585/original/file-20180604-175442-118ds3j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=878&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/221585/original/file-20180604-175442-118ds3j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=878&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/221585/original/file-20180604-175442-118ds3j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1103&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/221585/original/file-20180604-175442-118ds3j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1103&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/221585/original/file-20180604-175442-118ds3j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1103&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Dans les Hill Tracts, la ville principale est Rangamati au centre. Il y a ensuite Kagrachhari eu nord et Bandarban au sud.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Paul Nicolas</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<h2>L’invention d’un peuple montagnard</h2>
<p><a href="https://www.jstor.org/stable/312719?seq=1#page_scan_tab_contents">Dans un article de 1992</a>, qui a fait date, l’historien spécialiste de l’histoire du Bangladesh, W. Van Schendel parle de l’invention des Jummas et montre que ce terme est récent (1970-1980).</p>
<p>Par ailleurs, la situation de mise à l’écart des peuples des Hill Tracts est le résultat d’un processus géopolitique largement piloté par les représentations sociospatiales des puissances dominantes (élites politiques anglaises puis pakistanaises et enfin bangladaises) à la manœuvre dans la région depuis la colonisation anglaise.</p>
<p>Avant la prise en main du territoire par les Anglais, les travaux des <a href="http://unpo.org/article/19799">historiens</a> et <a href="https://www.goodreads.com/book/show/2866730-mru">anthropologues</a> montrent que les Hill Tracts sont peuplés de populations très diverses – la variété des langues parlées en fait un paradis pour les linguistes – très mobiles, venues se réfugier dans ces montagnes. Ces populations sont parfois en guerre les unes contre les autres, et certaines sont en lien avec les Bengalis des plaines avec qui elles échangent. Il n’y a pas d’unité des Peuples des collines ni de séparation marquée avec les Bengalis des plaines. Tout change avec la colonisation des Hill Tracts.</p>
<p>De 1860 à 1947, l’objectif des Anglais est <a href="https://catalog.hathitrust.org/Record/003335666">d’exploiter à moindres frais les ressources de la région</a> (en particulier le bois), d’en retirer des revenus fiscaux et de mieux contrôler les frontières orientales de leur Empire. Aux yeux des Britanniques, ce territoire, en marge et d’accès difficile est très faiblement occupé par des tribus qu’a décrit, avec minutie, le premier <a href="https://archive.org/details/cu31924023625936">Deputy Commissioner Lewin</a> installé sur place.</p>
<h2>Les bons sauvages</h2>
<p>Il en construit un portrait très marqué par les thèses évolutionnistes de l’époque, faisant de ces populations des primitifs. Lewin, imprégné aussi par le mythe rousseauiste du « bon sauvage », les dépeint aussi comme des enfants de la nature, honnêtes et vulnérables. Là, comme ailleurs, les Britanniques ont construit l’ethnicité des populations des Hill Tracts. Le colonisateur a donc accordé à cette région un statut particulier officialisé dans l’<a href="http://chtbd.org/wp-content/uploads/2013/10/CHT-Regulation-1900.pdf">acte de régulation de 1900</a>. Cet acte accorde une certaine autonomie à la région dont les affaires courantes sont <a href="http://calternatives.org/resource/pdf/Book%20Review%20-%20The%20Chittagong%20Hill%20Tracts%20-%20Living%20in%20a%20Borderland.pdf">confiées à trois chefs coutumiers</a> (raja) dirigeant chacun un des cercles découpant le territoire et chargés de percevoir l’impôt pour eux. Mais les Britanniques gardent le contrôle administratif de la région. Ils s’en approprient les terres et mettent « en réserve » ses ressources forestières confisquant ainsi une partie des ressources qui permettaient à ces populations de vivre.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/221533/original/file-20180604-175425-32u7g0.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/221533/original/file-20180604-175425-32u7g0.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/221533/original/file-20180604-175425-32u7g0.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/221533/original/file-20180604-175425-32u7g0.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/221533/original/file-20180604-175425-32u7g0.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/221533/original/file-20180604-175425-32u7g0.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/221533/original/file-20180604-175425-32u7g0.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">De jeunes filles jummas se dirigeant vers le marché hebdomadaire de Bileichari.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jidit Chakma</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Submergés par un grand barrage</h2>
<p>En 1947, lors des pourparlers qui aboutissent au dessein des frontières entre l’Inde et le Pakistan, les négociateurs décident, contre toute attente, <a href="https://s3.amazonaws.com/academia.edu.documents/30500989/Between_Ashes_and_Hope.pdf?AWSAccessKeyId=AKIAIWOWYYGZ2Y53UL3A&Expires=1526976681&Signature=7x7ohgbImxIAeRrZwwiujccY1pM%3D&response-content-disposition=inline%3B%20filename%3DChittagong_Hill_Tracts_in_the_blind_spot.pdf#page=245">d’inclure les peuples de collines dans le Pakistan</a> musulman alors que le jour de l’indépendance, à Rangamati, les habitants des Hill Tracts avaient déjà planté le drapeau indien sur les édifices publics. Dans le jeu complexe et tendu des négociations, les intérêts de ces populations perçues comme peu organisées, peu nombreuses et peu évoluées n’ont guère pesé. Les peuples des collines, en majorité bouddhiste et de langues sino-tibétaines, se retrouvaient donc à la marge d’un État construit pour les « purs musulmans ».</p>
<p>Le nouvel État s’engage alors dans la voie de la modernisation (et donc l’industrialisation) de son économie. Il s’agit donc de mettre à profit le <a href="http://fpd-bd.com/wp-content/uploads/2015/09/People-versus-Power_-The-Geopolitics-of-Kaptai-Dam-in-Bangladesh.pdf">fort potentiel hydroélectrique des Hill Tracts</a> ce qui conduit à la construction du grand barrage de Kaptaï.</p>
<p>Mis en activité en 1962, il provoque l’immersion de 40 % des terres cultivables des populations autochtones. Celles-ci sont très peu indemnisées, car elles apparaissent aux yeux des responsables politiques comme des populations attardées, rétives au développement et peu fiables en raison de la permanence de leurs revendications d’autonomie et de leur marginalité religieuse. Près de 100,000 d’entre eux sont contraints à l’exode, certains allant très loin jusque dans l’état de l’Arunachal Pradesh au nord de l’Inde.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/221535/original/file-20180604-175414-18m6k6f.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/221535/original/file-20180604-175414-18m6k6f.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/221535/original/file-20180604-175414-18m6k6f.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/221535/original/file-20180604-175414-18m6k6f.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/221535/original/file-20180604-175414-18m6k6f.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/221535/original/file-20180604-175414-18m6k6f.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/221535/original/file-20180604-175414-18m6k6f.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Lac Kaptaï, où a vu le jour un barrage de très grande ampleur.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jidit Chakma</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La colonisation des terres jummas par les Bengalis</h2>
<p>Après l’éclatement du Pakistan en 1971, le Pakistan oriental <a href="https://books.google.fr/books?id=7Y2bBQAAQBAJ&lpg=PT14&ots=c8YGyx7G9Z&dq=a%20history%20of%20bangladesh%20schendel&lr&hl=fr&pg=PT14#v=onepage&q=a%20history%20of%20bangladesh%20schendel&f=false">devient le Bangladesh</a>. Mujibur Rahman – leader <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/mujibur-rahman/">indépendantiste bengali</a> et premier président de la République populaire du Bangladesh – éloigne le nouvel état des fondements religieux qui étaient ceux du Pakistan.</p>
<p>Les peuples des collines ne s’en trouvent pas moins mis en marge, car le cœur du nouveau nationalisme est l’identité bengalie. Ils se voient refuser l’autonomie une nouvelle fois réclamée. Dans ce pays entouré de tous côtés par l’Union indienne, la présence aux marges du territoire de populations qui n’ont pas clairement manifesté leur attachement au Bangladesh et avaient rêvé en 1947 d’un rattachement à l’Inde constitue une menace. De plus les Hill Tracts produisent aussi le bois et de l’électricité qui manquent ailleurs au Bangladesh et qu’il convient de contrôler.</p>
<p>Entre 1977 et 1983, avec l’appui de l’armée, les autorités installent <a href="https://books.google.fr/books?id=x8sqBwAAQBAJ&lpg=PA143&dq=panday%20et%20jamil&hl=fr&pg=PA134#v=onepage&q=panday%20et%20jamil&f=false">400 000 colons bengalis</a> sur les terres des Peuples des collines ce qui provoque leur révolte et le <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Chittagong_Hill_Tracts_conflict">début d’une insurrection armée.</a></p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/221583/original/file-20180604-175400-tn0ecb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/221583/original/file-20180604-175400-tn0ecb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/221583/original/file-20180604-175400-tn0ecb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/221583/original/file-20180604-175400-tn0ecb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/221583/original/file-20180604-175400-tn0ecb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/221583/original/file-20180604-175400-tn0ecb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/221583/original/file-20180604-175400-tn0ecb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/221583/original/file-20180604-175400-tn0ecb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Populations jummas et bengalies.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Paul Nicolas</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les peuples des collines se désignent alors eux-mêmes, au-delà de leur diversité comme Jummas manifestant ainsi leur unité dans la lutte. La répression qui a pu être, peut-être de manière excessive, qualifiée de <a href="https://books.google.fr/books?id=5wCja8rVdo4C&lpg=PA139&dq=genocide%20in%20the%20chittagong%20Hill%20Tracts%20mey&hl=fr&pg=PA139#v=onepage&q=genocide%20in%20the%20chittagong%20Hill%20Tracts%20mey&f=false">génocide</a>, a duré 20 ans. Elle s’est achevée par un traité en 1997 dont les clauses les plus importantes (restitution des terres à ceux qui en ont été spoliés, retrait de l’armée) <a href="http://unpo.org/article/19172">demeurent aujourd’hui inappliquées</a>. Les gouvernements du Bangladesh qui se sont succédé <a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2013/06/bangladesh-indigenous-peoples-engulfed-chittagong-hill-tracts-land-conflict">n’ont rien changé</a> de leurs objectifs ni de la manière dont ils se représentent le territoire et les populations des Hill Tracts.</p>
<h2>Une armée très présente</h2>
<p>En 2018, l’armée reste ainsi très présente sur ce territoire. Elle est ressentie par les Jummas comme <a href="https://www.iwgia.org/images/publications/0577_Igia_report_14_optimized.pdf">surdimensionnée</a> au vu des effectifs de la population autochtone et vécue comme une armée d’occupation hostile.</p>
<p>Alors que la région des Hill Tracts ne représente que 9 % de la surface du Bangladesh et 1 % de sa population, un tiers de l’armée s’y trouve concentré. Il y a là un soldat pour quarante civils (dans les plaines un soldat pour 1750 civils).</p>
<p>De plus elle contrôle des secteurs de plus en plus nombreux de l’activité économique y développant même des <a href="https://ir.lib.uwo.ca/cgi/viewcontent.cgi?referer=https://scholar.google.fr/&httpsredir=1&article=6765&context=etd">activités touristiques</a>, malgré l’insécurité régnante, comme création de complexe hôtelier comme celui de Sajek.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/pvJ2G5VrRg8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéo publicitaire sur le complexe de Sajek, autour de Rangamati.</span></figcaption>
</figure>
<p>C’est aussi surtout l’armée qui pilote le « développement » sans consultation des instances autochtones comme il est prévu par l’accord international de 1997. Les Jummas continuent à être <a href="http://chtcommission.org/CHT-Land-Study-Final1.pdf">spoliés de leurs terres</a>, les incidents sont nombreux entre eux et les Bengalis.</p>
<p>Ainsi on pense aux violences qui ont eu <a href="http://unpo.org/article/20137">lieu le 2 juin 2017</a>, dans la région de Longadu, des incendies criminels massifs, provoqués par des colons bengalis ont détruit au moins 300 maisons jummas et où une femme de 70 ans a été brûlée vive dans sa maison. Les autorités avaient alors fermé les yeux, suscitant l’indignation de <a href="https://www.amnesty.org.uk/files/pushed_to_edge.pdf">nombreuses organisations internationales</a>.</p>
<p>Ce conflit n’a rien de religieux, mais traduit la tension extrême qui existe entre Bengalis et Jummas. Ces conflits explosent, à la moindre rumeur, dès qu’il y a un incident à propos d’un conflit foncier, etc. Ils se traduisent souvent, comme ici, par des incendies de villages jummas (dont les auteurs restent impunis) sous le regard impuissant voire complice de l’armée.</p>
<h2>Barbarisation de l’Autre</h2>
<p>Les atteintes aux droits de l’homme (pratique de la torture, viols, etc.) demeurent largement impunies, surtout quand elles sont l’œuvre des forces de l’ordre. Comme l’a écrit l’historien libanais <a href="https://journals.openedition.org/anatoli/484">Georges Corm</a>, à propos du Proche-Orient « la guerre et la violence, avant de devenir physique et de porter la mort et la désolation, sont toujours, au départ, une guerre des mots, le développement d’une sémantique de l’hostilité envers l’Autre, de sa dépréciation et barbarisation ». La construction d’une vraie paix dans les Hill Tracts passe donc par la prise en compte, par les classes dirigeantes bangladaises des graves séquelles laissées par deux siècles de domination et par un changement de regard sur les Jummas.</p>
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<figcaption><span class="caption"><em>Life Is Still Not Ours : A Story of Chittagong Hill Tracts</em>, un film documentaire d’Arnab Dewan.</span></figcaption>
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<p>Les rapports de domination ont donc eu et ont encore un poids décisif dans la marginalisation des Jummas. Peu de place donc, dans ce processus, pour les différences religieuses entre cette minorité, surtout bouddhiste, et la majorité musulmane du Bangladesh. </p>
<p>Certes, des tensions religieuses existent, mais elles ne se sont manifestées que récemment. Mais on peut craindre que dans les années qui viennent ces oppositions religieuses soient instrumentalisées – à l’instar de ce qui se passe dans la Birmanie voisine – par les différents acteurs en confrontation. L’arrivée massive de Rohingyas au Bangladesh pourrait en effet nourrir les antagonismes de cette nature.</p>
<hr>
<p><em>L'auteur vient de publier <a href="http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=59716">La Fabrique d'une communauté transnationale,
Les Jummas entre France et Bangladesh</a>, éditions l'Harmattan, 27 avril 2018.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97105/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Paul Nicolas est membre de l'association la Voix des Jummas qui soutient les Jummas au Bangladesh.</span></em></p>Au Bangladesh, ravagé par une instabilité politique et économique de longue date, des minorités souvent inconnues en Occident connaissent une situation de domination qui pourrait devenir explosive.Paul Nicolas, post-doctorant, géographe, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/964512018-05-23T20:52:31Z2018-05-23T20:52:31ZDevoir de vigilance des entreprises : entre hard et soft law, une réponse au « social washing » ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/219768/original/file-20180521-14950-172179r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C7%2C1183%2C781&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une loi de pointe en France.</span> <span class="attribution"><span class="source">https://www.shutterstock.com/</span></span></figcaption></figure><p><em>C’était le 24 avril 2013 au Bangladesh. Ce qu’on a appelé « la catastrophe de Dacca », l’effondrement du Rana Plaza, un immeuble industriel qui abritait des ateliers de confection, a fait plus de 1 100 victimes.</em></p>
<hr>
<p>Des ouvriers du textile, des femmes, des enfants, travaillaient pour des marques internationales de vêtements dans le mépris total des conditions de sécurité les plus élémentaires, et ce alors que des consignes d’évacuation avaient été délibérément ignorées par les responsables des ateliers.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/219773/original/file-20180521-14978-1x6qywu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/219773/original/file-20180521-14978-1x6qywu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/219773/original/file-20180521-14978-1x6qywu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/219773/original/file-20180521-14978-1x6qywu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/219773/original/file-20180521-14978-1x6qywu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/219773/original/file-20180521-14978-1x6qywu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/219773/original/file-20180521-14978-1x6qywu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/219773/original/file-20180521-14978-1x6qywu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Affiche du collectif Éthique sur l’Étiquette en avril 2015.</span>
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<p>À l’indignation internationale succédera un long combat mené par les associations et les <a href="https://ethique-sur-etiquette.org/">ONG</a> pour combattre de telles pratiques, quelle que soit l’ampleur des conséquences. Ce dramatique évènement fera date et amènera la France à adopter la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2017/3/27/2017-399/jo/texte">loi n°2017-399 du 27 mars 2017</a> sur le devoir de vigilance des sociétés mères et les entreprises donneuses d’ordres.</p>
<h2>Le devoir de vigilance : périmètre et sanctions</h2>
<p>Cette loi vise toutes les sociétés ayant leurs sièges sociaux en France, employant directement et dans leurs filiales directes ou indirectes au moins 5 000 salariés ou au moins 10 000 salariés avec leurs filiales étrangères, à la clôture de deux exercices consécutifs.</p>
<p>Même si la portée de cette loi a été réduite par la suppression de l’amende civile par le Conseil Constitutionnel (décision 2017-750 DC du 23 mars 2017), elle remplit sa fonction coercitive.</p>
<p>En effet, en cas d’absence, de non-publication ou de défaut du plan de vigilance par la société visée, le juge civil pourra engager la responsabilité de celle-ci sur le fondement de la responsabilité, de droit commun, pour faute (articles 1240 et 1241 du code civil). La juridiction pourra également ordonner la publication de son plan, la diffusion ou l’affichage de sa décision ou d’un extrait de celle-ci, et elle peut encore ordonner l’exécution de sa décision sous astreinte. De plus, toute personne ayant un intérêt à agir aura la possibilité de saisir la juridiction afin d’engager la responsabilité de la société mère. En parallèle, le juge réputationnel pourra également mettre à mal la société.</p>
<p>Ainsi, en rendant le plan de vigilance effectif et public et en conservant à cette loi un caractère coercitif, la France est pionnière en la matière. En outre, en répondant aux différentes revendications de ces dernières années émanant des ONG ou autres acteurs de la société civile, elle tend à légitimer encore davantage les politiques RSE et contribue à lutter contre le <em>social washing</em>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/219772/original/file-20180521-14991-1hhpgea.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/219772/original/file-20180521-14991-1hhpgea.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/219772/original/file-20180521-14991-1hhpgea.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/219772/original/file-20180521-14991-1hhpgea.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/219772/original/file-20180521-14991-1hhpgea.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/219772/original/file-20180521-14991-1hhpgea.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/219772/original/file-20180521-14991-1hhpgea.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/219772/original/file-20180521-14991-1hhpgea.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.avocats-mathias.com/wp-content/uploads/2016/10/mathias-avocats-devoir-vigilance-entreprises.jpg">Mathias Avocats</a></span>
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<h2>Le plan de vigilance et l’association des parties prenantes dans son élaboration</h2>
<p>Le plan a pour « vocation d’être élaboré en association avec les parties prenantes de la société » (<a href="https://bit.ly/2KBMApF">article L. 225-102-4.I du Code de commerce</a>) et doit comporter les mesures de « vigilance raisonnable propres à identifier et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes, ainsi que l’environnement ». Il doit couvrir les activités de la société, de ses filiales directes ou indirectes, de ses sous-traitants et fournisseurs avec lesquels elle entretient une relation commerciale établie, dans la mesure où ces activités sont rattachées à la relation.</p>
<p>Le législateur invite donc les entreprises à se tourner vers leurs parties prenantes internes et externes, qu’elles choisiront selon leur pertinence. Le manque de précision, quant aux parties prenantes devant être associées à l’élaboration du plan, peut laisser craindre une absence d’objectivité dans le choix et dans la manière dont elles vont être consultées par les sociétés.</p>
<p>Cependant, les organisations syndicales représentatives de la société sont explicitement désignées par le législateur. En effet, le mécanisme d’alerte et de recueil des signalements de l’existence ou la survenance d’un risque doit être établi en concertation avec celles-ci.</p>
<p>Cette volonté de suggérer d’associer les parties prenantes à la construction du plan a pour objectif de répondre plus efficacement à la protection des droits humains, des libertés fondamentales ou encore de l’environnement en mobilisant chaque personne qui a un lien avec l’activité exercée par l’entreprise.</p>
<h2>Vers une responsabilité des sociétés mères dans la globalisation économique ?</h2>
<p>La succession de scandales environnementaux et humains a fait émerger un mouvement plus global de responsabilité des entreprises. Certaines d’entre elles n’ont pas attendu que le législateur se saisisse de ces sujets pour enrichir les règles juridiques existantes et celles en construction. À la stricte prévention des risques de réputation engendrés par les scandales s’ajoutent donc désormais les conditions propices à une économie plus vertueuse.</p>
<p>À cet effet, au niveau international est adopté un cadre juridique relevant de la <em>soft law</em>. Ce cadre est composé de la <a href="https://bit.ly/2rYAaBa">déclaration tripartite</a> de l’Organisation internationale du travail (<a href="http://www.ilo.org/global/lang--fr/index.htm">OIT</a>), des principes directeurs des Nations unies et de l’OCDE ainsi que de l’ISO 26000. Ces textes sont des références pour les entreprises désirant mettre en place des politiques RSE. En anticipant et en corrigeant ses impacts négatifs sur son écosystème, l’entreprise évite de ternir son image et de subir <em>a fortiori</em> des pertes financières.</p>
<p>Actuellement, le cadre juridique international cherche à concilier l’économie et l’appréhension des sujets tels que les droits humains dans le business model de l’entreprise. La loi sur le devoir de vigilance oblige ainsi l’entreprise à regarder les risques générés envers sa sphère d’influence en plus de son propre risque financier. Pour ce faire, les entreprises ont élaboré des matrices de matérialité permettant de croiser les attentes des parties prenantes avec celles de l’entreprise. En outre, la portée extraterritoriale de cette loi permet de simplifier la saisine d’un tribunal puisque la victime peut saisir la société mère. Ainsi, les tribunaux français seront compétents et l’appréciation du juge se fera sous les projecteurs de la société civile. Cette extraterritorialité permet de contrer le phénomène de <em>law shopping</em> engendré par la mondialisation.</p>
<p><em>In fine</em>, la globalisation économique qui était jusqu’alors une frontière pour le droit, devient avec les principes directeurs et le devoir de vigilance une frontière poreuse puisqu’un cadre juridique global se profile. Ainsi, c’est dans cet esprit que la loi sur le devoir de vigilance apporte sa contribution.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/219778/original/file-20180521-14981-y3fnsk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/219778/original/file-20180521-14981-y3fnsk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/219778/original/file-20180521-14981-y3fnsk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/219778/original/file-20180521-14981-y3fnsk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/219778/original/file-20180521-14981-y3fnsk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/219778/original/file-20180521-14981-y3fnsk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/219778/original/file-20180521-14981-y3fnsk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/219778/original/file-20180521-14981-y3fnsk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Au-delà du social washing.</span>
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<h2>Le « devoir de vigilance » des entreprises donneuses d’ordres : une approche préventive</h2>
<p>Cette loi a ses imperfections mais elle s’inscrit dans la construction juridique actuelle qui est « d’appréhender l’entreprise dans son réseau international incluant des sous-traitants et des fournisseurs réguliers pour imposer un devoir de vigilance » (Professeur Marie-Ange Moreau). Dans les systèmes juridiques de <em>common law</em> cette notion de <em>duty of care</em>, c’est-à-dire de devoir de vigilance, est souvent utilisée.</p>
<p>Les doctrines anglaise et canadienne soutiennent la démarche de durcissement de la responsabilité des entreprises multinationales, tout au long de leur chaîne d’approvisionnement. Elle donne un cadre légal aux entreprises qui les oblige à pratiquer une politique RSE effective intégrant des mécanismes de prévention. (<a href="https://bit.ly/2LhD7oM">« Regards croisés sur le devoir de vigilance et le <em>duty of care</em> »</a>, Parance Béatrice, Groulx Elise et Chatelin Victoire, <em>Journal du droit international</em>, le 1<sup>er</sup> janvier 2018, n°1).</p>
<p>La vigilance invite donc l’entreprise à prendre en compte ses relations d’affaires en la responsabilisant et en adoptant une approche préventive, peu importe son implantation géographique.</p>
<h2>Pour une reconnaissance de la chaîne d’approvisionnement dans le cadre juridique français</h2>
<p>L’article 1 de la loi sur le devoir de vigilance, notamment consacré au périmètre de la loi, crée une obligation de prévoir un plan de vigilance pour les sociétés visées par ladite loi.</p>
<p>En France, entre 150 et 200 entreprises sont concernées par cette loi, dont principalement des multinationales. Cela semble peu, mais en réalité ce sont en général les activités des multinationales qui sont à l’origine des grands scandales ayant lieu dans les pays éloignés du siège social de ses entités.</p>
<p>Le devoir de vigilance impose donc de reconnaître la responsabilité sur le fondement des risques créés par l’activité économique globale et de reconnaître dans « l’ordre juridique français la chaîne d’approvisionnement comme facteur de risque grave » (« L’originalité de la loi française du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance dans les chaînes d’approvisionnement mondiales », Professeur Marie-Ange Moreau, <em>Revue droit social</em>, n°10, octobre 2017, p. 792).</p>
<h2>Vers un équilibre entre <em>hard law</em> et <em>soft law</em> ?</h2>
<p>Selon le professeur Marie-Ange Moreau la relation entre <em>hard law</em> et <em>soft law</em> évolue dans le cadre juridique français, puisque la « RSE crée un nouvel espace de normativité où le droit dur cohabite avec le droit mou » (<em>ibid</em>. <a href="http://signal.sciencespo-lyon.fr/numero/40262"><em>Revue droit social</em></a>, n°10, octobre 2017, p. 792).</p>
<p>La loi sur le devoir de vigilance se caractérise par sa construction relevant à la fois de la <em>hard law _et de la _soft law</em>. En effet, par le mécanisme du droit dur, la loi impose une obligation de prévention pour les sociétés mères dans leur sphère d’influence. Elles sont également invitées, dans le cadre du droit souple, à construire leur plan sur la base de dialogue avec leurs parties prenantes. Cet équilibre entre <em>hard law</em> et <em>soft law</em> permet de mettre un frein au <em>social washing</em></p>
<h2>L’obligation de la mise en place d’un plan de vigilance : une amélioration continue par les mécanismes de la diligence raisonnable</h2>
<p>Le devoir de vigilance oblige les sociétés concernées à établir un plan où figurent les mesures de vigilance raisonnable permettant d’identifier les risques et de prévenir les atteintes graves envers les droits humains et libertés fondamentales, la santé et sécurité des personnes ainsi qu’à l’environnement. Ce plan doit être élaboré selon cinq étapes basés sur les principes de <em>due diligence</em> (diligence raisonnable), à savoir, faire une cartographie des risques, les identifier, mettre des actions en place, faire un <em>reporting</em> (un suivi à base d’indicateurs) sur ces actions et en l’espèce inclure un mécanisme d’alerte.</p>
<p>L’esprit de la RSE est présent tout au long de ce texte : l’entreprise doit avoir une approche de prévention et d’amélioration continue.</p>
<h2>Un outil stimulant la politique responsable des entreprises : le cas d’Orange avec la JAC</h2>
<p>La <em>Joint Audit Cooperation</em> (JAC) a été créée à l’initiative d’<a href="https://oran.ge/2GxB0t7">Orange, Deutsche Telekom et avec Telecom Italia</a> en janvier 2010 afin de renforcer le processus d’évaluation des fournisseurs et des sous-traitants. Aujourd’hui <a href="http://jac-initiative.com/">elle regroupe 16 opérateurs</a> de télécommunications de 14 pays.</p>
<p>L’objectif est de vérifier, d’évaluer et de développer la mise en œuvre de la RSE dans les centres de production des plus importants fournisseurs multinationaux du domaine des TIC et cela essentiellement dans la zone asiatique. Sa spécificité réside notamment dans la mise en place des audits menés selon une méthodologie commune (SA8000, ISO 14001…) et d’établir des plans d’action correctifs, quand cela est nécessaire.</p>
<p>Cette coopération illustre l’esprit du devoir de vigilance. En effet, le législateur invite les entreprises à favoriser la mise en place de pratiques issues d’un cadre d’initiative pluripartite.</p>
<p>En 2018 a été créée la JAC Academy qui a pour objectif de sensibiliser les fournisseurs et de les former à une même méthodologie d’audit. Son ambition est également de développer les mêmes standards RSE au sein des chaînes d’approvisionnements. À l’aide d’un système de <em>reporting</em> et d’un rapport d’audit faisant apparaître de multiples données de terrain, un séminaire trimestriel sera organisé, afin de partager les difficultés rencontrées et les bonnes pratiques mises en place par les entreprises.</p>
<h2>Une convergence entre responsabilité et compétitivité économique</h2>
<p>L’information en temps réel, la pression de l’opinion ont tendance à augmenter les attentes vis-à-vis des entreprises pour lesquelles le green ou le <a href="https://bit.ly/2ITztTG"><em>social washing</em></a> deviennent des pratiques de plus en plus risquées.</p>
<p>Par son obligation de mettre en place un plan effectif, la loi sur le devoir de vigilance tend vers cette évolution de la RSE.</p>
<p>La tendance actuelle étant de légiférer sur la base de bonnes pratiques induit qu’une entreprise qui est déjà dans une logique de création de valeur « sociale » fait naturellement de la RSE un outil de compétitivité.</p>
<p>De plus, les débats sur l’objet social de l’entreprise (<em><a href="https://bit.ly/2HqFwhB">rapport Notat-Senard</a></em>) ou les travaux en cours au niveau des Nations Unies afin d’adopter un traité international pour encadrer les activités des multinationales font de la loi sur le devoir de vigilance une véritable arme d’anticipation des normes juridiques à venir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/96451/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphanie Poirot est conventionnée par une Convention Industrielle de Formation en Entreprise (CIFRE) dont le cadre de
sa recherche s’effectue à la Direction RSE d’Orange Groupe.</span></em></p>Le point sur la loi française de mars 2017, en pointe par rapport à d’autres législations, et son éventuel impact sur les devoirs des multinationales d’autres pays.Stéphanie Poirot, Doctorante en Droit spécialisée en Responsabilité Sociétale des Entreprises, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.