tag:theconversation.com,2011:/us/topics/cambodge-40791/articlesCambodge – The Conversation2023-11-02T09:23:40Ztag:theconversation.com,2011:article/2167682023-11-02T09:23:40Z2023-11-02T09:23:40ZPiéger le carbone dans le sol : ce que peut l’agriculture<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/556882/original/file-20231031-23-xvib7j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=150%2C30%2C3875%2C2987&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">On trouve trois fois plus de carbone dans les sols que dans l'atmosphère. </span> <span class="attribution"><span class="source">Rémi Cardinael</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Il est là, sous nos pieds. Dans notre vie quotidienne on le regarde à peine, et pourtant, il ne s’agit rien de moins que du plus grand stock de carbone des écosystèmes terrestres. Ce palmarès ne revient en effet pas aux forêts, ni à l’atmosphère mais bel et bien aux <a href="https://essd.copernicus.org/articles/14/4811/2022/">sols</a>. On trouve environ 2400 milliards de tonnes de carbone dans les deux premiers mètres de profondeur sous la terre, soit trois fois plus que ce que l’on trouve dans l’atmosphère.</p>
<p>À l’heure du dérèglement climatique et de la nécessité absolue de réduire les émissions de gaz à effet de serre, cette impressionnante capacité des sols à stocker du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/carbone-21198">carbone</a> laisse songeur. Si les sols ne pourront bien entendu pas à eux seuls faire baisser drastiquement les concentrations de gaz à effets de serre dans l’atmosphère qui sont responsables du réchauffement climatique, ils peuvent néanmoins jouer un rôle substantiel, via la préservation des stocks importants de carbone souterrain, mais aussi via la restauration des terres dégradées notamment grâce à certaines pratiques agricoles, qui permettent de piéger davantage de carbone sous la terre, voici comment.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<h2>Comment le carbone entre dans les sols</h2>
<p>Tout commence par la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/photosynthese-63763">photosynthèse</a> : au cours de celle-ci, les plantes fixent du dioxide de carbone (CO<sub>2</sub>) atmosphérique au sein de chloroplastes, de petits organites cellulaires riches en chlorophylle. Le CO<sub>2</sub> est associé à des molécules d’eau (H<sub>2</sub>0) grâce à l’énergie solaire, et produit ainsi des glucides (molécules riches en carbone) et de l’oxygène (O<sub>2</sub>). Une partie de ce carbone capté par la plante arrive directement dans le sol via les racines des végétaux, à la fois par l’exsudation racinaire et par le renouvellement des racines fines.</p>
<p>Du carbone peut également entrer dans les sols lorsque les feuilles mortes d’une plante tombent, ou quand les résidus de culture sont laissés sur le champ. Une fois tombées, ces feuilles mortes riches en carbone tapissent le sol, se décomposent, sont ingérées par des bactéries, champignons ou vers de terre et finissent par se transformer en matières organiques des sols. Des animaux peuvent également accélérer ce processus de transfert du carbone dans le sol par exemple, les termites champignonnistes, qui transportent des résidus de végétaux dans leurs termitières où une symbiose avec des champignons leur permet de les rendre plus assimilables pour celles-ci.</p>
<p>Certaines régions et écosystèmes possèdent des stocks de carbone des sols très importants. C’est le cas par exemple des régions boréales, où des stocks énormes sont préservés dans le permafrost mais aujourd’hui <a href="https://www.nature.com/articles/nature14338">menacés par le réchauffement climatique</a>. Dans les régions tropicales, la productivité importante des écosystèmes notamment forestiers, ainsi que des sols très profonds, expliquent aussi les <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.aav0550">stocks importants observés</a>.</p>
<p>L’enjeu principal pour tous ces écosystèmes riches en carbone tels que les forêts, les zones humides, les mangroves ou encore les prairies permanentes est le maintien de ces stocks plus que leur augmentation, car ce carbone est considéré comme <a href="https://www.nature.com/articles/s41558-020-0738-8">irrécouvrable</a> à l’échelle humaine. Cela passe par un arrêt de la déforestation et de la conversion des écosystèmes en terres cultivées. En moyenne, 25 % du carbone du sol est perdu lorsque des forêts ou des zones humides sont converties en terres cultivées, parfois <a href="https://www.nature.com/articles/s41467-023-39338-z">plus</a>. Sur les terres agricoles, certaines pratiques permettent de séquestrer plus de carbone dans les sols. Généraliser leur utilisation est un des objectifs de l’initiative baptisée « 4 pour 1000 » lancée à l’occasion de la COP21.</p>
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<figcaption><span class="caption">Présentation de l’initiative 4 pour 1000.</span></figcaption>
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<h2>Quelles pratiques agricoles augmentent le stock de carbone des sols ?</h2>
<p>De <a href="https://www.nature.com/articles/s41467-023-39338-z">nombreuses pratiques</a> permettent d’augmenter les stocks de carbone des sols agricoles, comme l’agroforesterie, les couverts intermédiaires, ou encore les amendements organiques. Parmi les solutions souvent mises en avant, trois reviennent régulièrement. La première est le non-labour ou la réduction du travail du sol. Cette technique consiste à semer les cultures sans que l’intégralité du champ n’ait été travaillée ou labourée, au préalable. Cette pratique permet de réduire l’érosion du sol, de ralentir la décomposition des matières organiques par une moindre oxygénation du sol, de préserver sa biodiversité (notamment les vers de terre).</p>
<p>La deuxième pratique promue est celle de la couverture permanente des sols, soit avec des paillis issus des résidus de culture laissés sur le champ, soit par des couverts végétaux vivants entre les différentes cultures. Cette couverture des sols les protège contre l’érosion notamment hydrique, permet de fixer du carbone tout en étant bénéfique pour la faune du sol (bactéries, champignons, lombrics…).</p>
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<img alt="Un homme prélève un échantillon de sol au Zimbabwe dans une parcelle agricole avec des résidus de maïs (paillis) appliqués à la surface après la récolte" src="https://images.theconversation.com/files/556831/original/file-20231031-21-hiu1cm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/556831/original/file-20231031-21-hiu1cm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/556831/original/file-20231031-21-hiu1cm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/556831/original/file-20231031-21-hiu1cm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/556831/original/file-20231031-21-hiu1cm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/556831/original/file-20231031-21-hiu1cm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/556831/original/file-20231031-21-hiu1cm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Prélèvement de sol au Zimbabwe dans une parcelle agricole avec des résidus de maïs (paillis) appliqués à la surface après la récolte.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Rémi Cardinael</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>La troisième technique promue est celle de la diversification des cultures, soit en rotation, soit en association. Cette diversification permet de limiter le développement des bioagresseurs et maladies des plantes, mais aussi d’augmenter la productivité des parcelles cultivées notamment grâce à des effets précédents des cultures. Par exemple, une légumineuse (pois, haricot, arachide, féverole, luzerne…) dans la rotation va fixer de l’azote de l’air et le rendre disponible dans le sol pour la culture suivante, favorisant ainsi sa croissance. Une meilleure productivité des cultures permet d’avoir plus de carbone fixé sur la parcelle, et donc plus de carbone dans les sols, notamment via les racines des cultures.</p>
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<img alt="Rotation de cultures au Cambodge, à gauche le manioc, à droite le maïs. Les cultures alternent sur chaque parcelle d’une année à l’autre" src="https://images.theconversation.com/files/556830/original/file-20231031-27-1medqs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/556830/original/file-20231031-27-1medqs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/556830/original/file-20231031-27-1medqs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/556830/original/file-20231031-27-1medqs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/556830/original/file-20231031-27-1medqs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/556830/original/file-20231031-27-1medqs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/556830/original/file-20231031-27-1medqs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Rotation de cultures au Cambodge, à gauche le manioc, à droite le maïs. Les cultures alternent sur chaque parcelle d’une année à l’autre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Vira Leng</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ces trois pratiques correspondent aux trois piliers de ce que l’on appelle « l’agriculture de conservation ». Ces pratiques deviennent réellement efficaces pour augmenter le carbone des sols lorsqu’elles sont associées. Pratiquées seules, elles n’ont parfois que peu ou pas d’impact. C’est notamment le cas du non-labour seul, qui peut avoir un effet positif sur le carbone des sols dans certains contextes mais pas dans d’autres. La communauté scientifique a mis du temps à s’en rendre compte car les travaux se sont d’abord surtout focalisés sur les premiers centimètres du sol qui, sous l’effet du non-labour, avaient effectivement une plus forte teneur en carbone.</p>
<p>Mais cela s’accompagnait parfois d’une réduction du carbone du sol dans les couches plus profondes par rapport à des systèmes labourés où le carbone du sol est homogénéisé sur 20 ou 30 cm de profondeur. Le non-labour a donc, dans certains cas, surtout un effet sur la redistribution du carbone dans le profil de sol, sans nécessairement conduire à une <a href="https://acsess.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.2136/sssaj2007.0342">augmentation nette</a> du stock sur son ensemble, ce qui est nécessaire quand on s’intéresse à l’atténuation du changement climatique. Une synthèse récente de travaux menés en Afrique subsaharienne suggère que <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0167198718301296">seule la combinaison des trois piliers</a> de l’agriculture de conservation permet d’augmenter significativement les stocks de carbone des sols, la réduction du travail du sol seule étant inefficace.</p>
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<p><em>L’article que vous parcourez vous est proposé en partenariat avec <a href="https://shows.acast.com/64c3b1758e16bd0011b77c44/episodes/64f885b7b20f810011c5577f?">« Sur la Terre »</a>, un podcast de l’AFP audio. Une création pour explorer des initiatives en faveur de la transition écologique, partout sur la planète. <a href="https://smartlink.ausha.co/sur-la-terre">Abonnez-vous !</a></em></p>
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<h2>Quels résultats au Zimbabwe et au Cambodge ?</h2>
<p>Pour bien comprendre les bénéfices de ces trois pratiques quand elles sont associées, il est crucial d’avoir des expérimentations sur le long cours. Il faut en effet compter en moyenne 5 à 10 ans pour qu’une variation de stock de carbone du sol soit détectée de façon significative.</p>
<p>Au <a href="https://www.researchgate.net/publication/371875138_Soil_organic_carbon_and_nitrogen_dynamics_under_long-term_conservation_agriculture_systems_in_Cambodia">Cambodge</a>, le Cirad et le ministère de l’agriculture du Cambodge ont démarré des expérimentations il y a quatorze ans, sur des systèmes à base de manioc, une culture couvrant près de 700 000 hectares dans le pays et principalement destinée à l’exportation pour produire de la farine pour l’alimentation animale.</p>
<p>En couplant le non-travail du sol et du semis direct, la couverture permanente des sols avec des couverts végétaux, et la rotation des cultures avec du maïs, nous avons pu noter une hausse importante de carbone dans les sols, avec des taux d’accumulation du carbone de l’ordre de 0,7 à 0,8 tonnes de carbone par hectare et par an jusqu’à 40 cm de profondeur. Le climat chaud et humide de la région permet en effet une couverture permanente des sols avec des couverts végétaux très productifs incluant des légumineuses (crotalaire, niébé) et des graminées (mil) entre la culture du manioc et du maïs, sur lesquels on sème le maïs.</p>
<p>Ce faisant, du carbone est fixé toute l’année par la photosynthèse, et un système racinaire très profond se développe permettant d’augmenter les stocks de carbone au-delà des premières strates du sol. Ce stockage de carbone additionnel dans le sol va continuer jusqu’à ce qu’un nouvel équilibre du système soit atteint. Cet essai a vocation à être maintenu dans la durée pour estimer pendant combien de décennies un tel système permet de stocker du carbone. Une fois l’équilibre atteint, l’enjeu sera alors la préservation de ces stocks de carbone par le maintien des bonnes pratiques de gestion des sols. Bien gérer les sols suppose une gestion sur la durée plutôt que par à-coup.</p>
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<img alt="Semis direct du maïs sous couvert végétal au Cambodge. Le couvert intermédiaire est détruit mécaniquement, et le maïs est semé directement sans labour ni travail du sol, le sol étant ainsi en permanence couvert et protégé contre l’érosion" src="https://images.theconversation.com/files/556832/original/file-20231031-19-o1m52h.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/556832/original/file-20231031-19-o1m52h.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/556832/original/file-20231031-19-o1m52h.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/556832/original/file-20231031-19-o1m52h.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/556832/original/file-20231031-19-o1m52h.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/556832/original/file-20231031-19-o1m52h.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/556832/original/file-20231031-19-o1m52h.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Semis direct du maïs sous couvert végétal au Cambodge. Le couvert intermédiaire est détruit mécaniquement, et le maïs est semé directement sans labour ni travail du sol, le sol étant ainsi en permanence couvert et protégé contre l’érosion.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Vira Leng</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Au Zimbabwe, dans un contexte totalement différent, avec une saison sèche de sept mois et une saison des pluies de cinq mois, nous avons voulu également mesurer l’efficacité de ces pratiques couplées sur le long terme. Nous disposons pour cela d’un essai mis en place par nos collègues du <a href="https://www.cimmyt.org/about/">Centre International d’Amélioration du Maïs et du Blé</a> <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0167880922003565">il y a dix ans</a> dans un système bas-intrant avec pour culture principale le maïs. Nous avons pu mesurer les stocks de carbone du sol des différentes pratiques, seules ou associées : des champs avec du travail du sol, des champs sans travail du sol, avec ou sans résidu de culture du maïs (paillis), et avec ou sans rotation avec le niébé, une légumineuse.</p>
<p>Encore une fois, les résultats montrent que le non-travail du sol seul ne peut pas grand chose, il induit même une <a href="https://egusphere.copernicus.org/preprints/2023/egusphere-2023-1233/">légère perte de carbone du sol</a> par rapport à un travail du sol. Cela est expliqué sur ce site par la plus forte compaction du sol quand celui-ci n’est pas travaillé, les racines donc ont du mal à se développer. De plus, la pluie pénètre moins bien et ruisselle sur le sol, ce qui entraîne des stress hydriques sur le maïs. Au final, le maïs se développe beaucoup moins bien dans ces systèmes, il y a donc moins d’apport de carbone au sol par les racines, ce qui se traduit par une perte de carbone des sols.</p>
<p>En revanche, les champs sans travail du sol avec un paillis de résidus de culture de maïs de la saison précédente et une rotation des cultures permettent eux d’augmenter les stocks de carbone, avec, cependant, un <a href="https://egusphere.copernicus.org/preprints/2023/egusphere-2023-1233/">effet limité à l’horizon de surface</a>. On observe cependant une augmentation nette du stock de carbone car aucune perte de carbone en profondeur n’a été observée.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/556833/original/file-20231031-19-pl3bb0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/556833/original/file-20231031-19-pl3bb0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/556833/original/file-20231031-19-pl3bb0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/556833/original/file-20231031-19-pl3bb0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/556833/original/file-20231031-19-pl3bb0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/556833/original/file-20231031-19-pl3bb0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/556833/original/file-20231031-19-pl3bb0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Carottage de sol au Zimbabwe dans un essai de longue durée en agriculture de conservation des sols afin de quantifier les stocks de carbone organique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Rémi Cardinael</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Quels obstacles au développement de ces pratiques ?</h2>
<p>Si ces résultats sont prometteurs, ces pratiques ne sont pour autant pas toujours faciles à mettre en place. Au Zimbabwe, par exemple, une contrainte majeure apparaît. Les systèmes agricoles sont des systèmes de polyculture-élevage à bas-intrant (peu de fertilisation minérale, peu ou pas de mécanisation). À la récolte, seuls les épis de maïs sont récoltés, à la main, et les tiges de maïs restent debout dans le champ. Celles-ci serviront de nourriture au bétail pendant la saison sèche où les vaches viennent pâturer directement dans les champs, après avoir vagabondé dans les forêts et zones communales pendant la saison humide.</p>
<p>Il y a donc une compétition d’usage pour les résidus de maïs, pour nourrir le bétail ou pour couvrir les sols. Certains agriculteurs installent des clôtures afin que le bétail ne vienne pas manger les résidus durant la saison sèche, ce qui a un coût. D’autres les récoltent et les entreposent en hauteur, à l’abri des bêtes, et apportent le paillis à l’approche de la saison humide. Cela suppose toute une organisation, du temps et de l’énergie supplémentaires. Dans les deux cas, il faut également trouver une source d’alimentation alternative pour le bétail.</p>
<p>Sur ces terrains comme sur d’autres, l’intérêt de ces pratiques pour les agriculteurs ne réside donc pas dans la séquestration de carbone dans les sols et de son impact sur l’atténuation du changement climatique. Ces techniques sont surtout plébiscitées pour leur impact positif sur la fertilité des sols et la productivité des cultures qui en découle, en réduisant le risque d’érosion, en améliorant la disponibilité des nutriments mais aussi en permettant de s’adapter au changement climatique à travers par exemple une meilleure conservation de l’eau. Ces bénéfices sont cruciaux et bien souvent prioritaires pour les agriculteurs du Sud Global, qui sont parmi les plus impactés par le changement climatique.</p>
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<p><em>Cet article s’inscrit dans le cadre d’un projet associant The Conversation France et l’AFP audio. Il a bénéficié de l’appui financier du Centre européen de journalisme, dans le cadre du programme « Solutions Journalism Accelerator » soutenu par la Fondation Bill et Melinda Gates. L’AFP et The Conversation France ont conservé leur indépendance éditoriale à chaque étape du projet.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216768/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pour les travaux de recherche au Zimbabwe, Rémi Cardinael a reçu des financements du projet DSCATT “Agricultural Intensification and Dynamics of Soil Carbon Sequestration in Tropical and Temperate Farming Systems” (<a href="https://dscatt.net/">https://dscatt.net/</a>) (N° AF 1802-001, N° FT C002181) financé par la Fondation Agropolis (“Programme d′Investissement d′Avenir” Labex Agro, ANR-10-LABX- 0001-01) et cofinancé par la Fondation Total. Au Cambodge, les travaux sont financés par le projet ASSET "Agroecology and Safe food System Transitions in Southeast Asia" (<a href="http://www.asset-project.org">www.asset-project.org</a>), financé par l'Agence Française de Développement (AFD) et par l'Union Européenne (EU Contribution Agreement N° FOOD/2020/415-683), avec la composante sur les sols financée par le Fonds Français pour l'Environnement Mondial (FFEM).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Armwell Shumba et Vira Leng ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>On trouve trois fois plus de carbone dans les sols que dans l'atmosphère. À l'heure du dérèglement climatique, les facultés de l'agriculture à stocker plus ou moins de carbone sont scrutées de très près.Rémi Cardinael, Chercheur en Science du sol et Agronomie, CiradArmwell Shumba, Chercheur en agronomie, University of ZimbabweVira Leng, Doctoral student, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1961652023-01-04T19:57:39Z2023-01-04T19:57:39ZAu Cambodge, une base militaire comme outil d’influence pour Pékin<p>L’accord passé en 2019 entre la Chine et le Cambodge sur la base de Ream a dernièrement généré une <a href="https://www.wsj.com/articles/china-to-upgrade-ream-naval-base-in-cambodia-fueling-u-s-concerns-11654674382">vague de publications</a> et de <a href="https://asia.nikkei.com/Spotlight/Belt-and-Road/Cambodia-s-China-dependence-deepens-as-first-expressway-opens">commentaires inquiets</a>. Cet accord prévoit l’ouverture d’installations et le stationnement d’unités de l’armée chinoise sur la base navale militaire cambodgienne. Pour bon nombre d’observateurs, Pékin renforce ainsi encore davantage son emprise sur l’Asie du Sud-Est, le long du désormais célèbre <a href="https://major-prepa.com/geopolitique/strategie-du-collier-de-perles-chinois/">« collier de perles »</a> (expression désignant les points d’appui chinois le long de la principale voie d’approvisionnement énergétique depuis le Moyen-Orient).</p>
<p>Qu’est-ce qui explique un tel <a href="https://foreignpolicy.com/2022/12/05/us-china-cambodia-ream-naval-base/">regain d’intérêt</a>, près de trois ans après les <a href="https://www.washingtonpost.com/national-security/2022/06/06/cambodia-china-navy-base-ream">premières révélations du <em>Wall Street Journal</em></a> et les publications successives de l’<a href="https://amti.csis.org/changes-underway-at-cambodias-ream-naval-base/"><em>Asia Maritime Transparency Initiative</em></a> (CSIS-AMTI), alors même qu’il n’y a encore eu aucune matérialisation (dans le domaine militaire en tout cas) de l’accord sur le terrain ?</p>
<p>L’accroissement continu des tensions en mer de Chine méridionale, l’absence d’avancées notables sur le <a href="https://thediplomat.com/2022/07/chinese-fm-pledges-progress-on-south-china-sea-code-of-conduct/">code de conduite pour la mer de Chine méridionale</a> sur lequel la Chine et les autres pays riverains travaillent depuis près de trente ans (voir la <a href="https://www.lemonde.fr//archives/article/1992/07/24/la-conference-de-l-asean-a-manille-les-pays-d-asie-du-sud-est-restent-preoccupes-par-les-intentions-de-la-chine_3901583_1819218.html">Déclaration de Manille de 1992</a>), et la diplomatie agressive de Pékin en période de Covid ont sans doute contribué à attirer l’attention sur toute nouvelle initiative chinoise dans la région. Qu’en est-il concrètement ?</p>
<h2>Une tempête dans un verre d’eau ?</h2>
<p>La modestie des installations de la base de Ream, limitées à un seul quai et un ensemble de bâtiments logistiques et administratifs dispersés sur un périmètre de près de 77 hectares, pourrait laisser à penser qu’il y a peut-être eu un peu d’emballement médiatique après l’évocation d’une « base secrète » chinoise au Cambodge.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1533926495529205760"}"></div></p>
<p>Une impression renforcée par la présence de fonds marins de l’ordre de sept mètres de profondeur, qui ne permettent l’accostage que de navires de dimensions modestes (mille tonnes au maximum), tels que des patrouilleurs. Peu d’intérêt stratégique a priori pour la <a href="https://meta-defense.fr/2021/12/16/la-marine-chinoise-aura-recu-8-nouveaux-destroyers-sur-la-seule-annee-2021/">marine chinoise</a> dont aucune des principales unités ne pourrait profiter des installations en l’état. Et pour quel usage, alors même qu’elle dispose déjà de <a href="https://amti.csis.org/island-tracker/china/">formidables bases aéronavales</a> dans les Spratleys et les Paracels ?</p>
<p>Cependant, plusieurs éléments posent question, notamment la nature secrète et les clauses de l’accord, qui pourraient refléter l’influence qu’exerce Pékin sur l’appareil sécuritaire cambodgien et la mainmise des réseaux chinois sur l’économie du pays, notamment à Phnom Penh et sur la côte, tout particulièrement dans la région de Sihanoukville.</p>
<h2>Un accord peut en cacher un autre</h2>
<p>Officiellement, l’accord vise à moderniser les installations portuaires de la base avec le soutien technique et financier de la Chine, afin de permettre l’accueil sur site de plus gros navires et de faciliter à la marine cambodgienne la conduite de ses missions de sécurité maritime dans le golfe de Thaïlande.</p>
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<p>Pourtant, l’accord ne se limite pas à des considérations d’investissements dans les infrastructures, et il convient de rappeler que le lancement du chantier a été précédé de la <a href="https://cambodianess.com/article/second-us-built-facility-demolished-at-ream-naval-base">destruction</a> et du déménagement de bâtiments financés par les États-Unis et le Vietnam – un précédent qui a contribué à tendre les relations entre Phnom Penh et Washington.</p>
<p>De même, les clauses de l’accord n’ont jamais été rendues publiques, mais on sait désormais qu’elles incluent, outre un bail sur la moitié de la base accordé à la Chine pour une durée initiale de trente ans, renouvelable par tacite reconduction, la possibilité de construire des installations, d’accoster des navires et de stocker des armes ainsi que des munitions.</p>
<p>Chose surprenante, il aurait été constaté que le personnel militaire chinois circule armé et <a href="https://www.news.com.au/technology/innovation/military/satellite-images-of-naval-base-in-cambodia-expose-chinas-lie/news-story/1f4a7e163199333684d3cb9e4e763ed8">habillé d’uniformes cambodgiens ou en civil</a>, sur le périmètre de la base. Les soldats chinois disposeraient en outre de passeports cambodgiens.</p>
<h2>Des liens sécuritaires devenus quasi exclusifs</h2>
<p>Par ailleurs, ce n’est un secret pour personne que des liens sécuritaires extrêmement forts unissent la Chine et le Cambodge depuis la période des Khmers rouges. À l’époque, la Chine a en effet fourni au régime Khmer rouge un soutien massif pour contrer l’invasion par le Vietnam, en pleine confrontation idéologique entre la Chine et l’URSS.</p>
<p>Depuis cette période, la Chine est devenue le <a href="https://www.reuters.com/article/us-cambodia-china-idUSKBN1JF0KQ">premier fournisseur d’armes du Cambodge</a> et le rythme n’a fait que s’accélérer ces dernières années, avec un mix de dons et de ventes à prix coûtant, <a href="https://english.cambodiadaily.com/news/china-donates-heavy-weaponry-to-military-84249">240 millions de dollars</a> environ pour les dix dernières années. Un montant qui inclut des véhicules logistiques et véhicules blindés, de l’artillerie, des hélicoptères, des systèmes anti-aériens, des uniformes, des armes de petit calibre et des munitions.</p>
<p>La situation est encore plus critique concernant la marine royale, dont la <a href="https://www.reuters.com/article/cambodia-china-idUKBKK24806720071025">totalité des quinze patrouilleurs</a> en service a été donnée en 2005 et 2007 par la Chine – un partenaire auprès de qui Phnom Penh devra donc se fournir pour l’ensemble des pièces détachées, ce qui pourrait gravement remettre en cause la souveraineté du Cambodge.</p>
<p>Dans le domaine de la formation des officiers, la Chine a fortement contribué à la création d’une académie militaire dont le programme a été conçu par le ministère chinois de la Défense et où l’enseignement est délivré aux cadets par du personnel essentiellement chinois. La formation comprend d’ailleurs un stage obligatoire de six mois en Chine.</p>
<p>Ce soutien sécuritaire tous azimuts s’accompagne également d’un soutien politique au premier ministre Hun Sen (en place depuis 1998), ce qui a poussé ce dernier à soutenir systématiquement les intérêts de Pékin, notamment en tant que président de l’<em>Asean</em>, en 2012 et 2022, ou en <a href="https://www.rfi.fr/fr/contenu/20091206-ouighours-fuite-cambodger%C3%A9fugi%C3%A9sdansleroyaume">remettant aux autorités de Pékin des Ouighours</a>.</p>
<h2>Ream, futur point d’appui de la stratégie chinoise en mer de Chine méridionale ?</h2>
<p>L’accord passé avec le Cambodge représente pour la Chine sa deuxième implantation à l’étranger après <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/defense/djibouti-revelations-sur-la-tres-secrete-base-militaire-chinoise-qui-inquiete-les-occidentaux_831994">Djibouti</a>, exception faite des <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/la-chine-accusee-de-batir-des-iles-artificielles-pour-etendre-sa-zone-maritime-1892288">installations en mer de Chine méridionale</a>. Une fois équipée, la base de Ream pourra accueillir des navires d’un poids allant jusqu’à 5 000 tonnes, soit la plupart des corvettes et frégates, et même certains destroyers de la marine chinoise.</p>
<p>Pour l’Indonésie, dont l’archipel des Natuna est situé à équidistance de Ream et des installations chinoises de <a href="https://clio-carto.clionautes.org/la-polderisation-de-fiery-cross-iles-spratleys-deuxieme-partie.html"><em>Fiery Cross Reef</em></a> (archipel des Spratley), il va sans dire que la possibilité offerte à la marine chinoise de ravitailler de part et d’autre de l’archipel ne pourra qu’entraîner une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/01/08/tensions-entre-pekin-et-djakarta-en-mer-de-chine-meridionale_6025220_3210.html">augmentation de la pression sur son dispositif sécuritaire et ses ressources</a>. C’est d’autant plus vrai que de <a href="https://lecourrier.vn/lindonesie-detecte-une-violation-continue-de-sa-zee-par-des-bateaux-de-peche-chinois/660496.html">nombreux affrontements</a> ont déjà eu lieu dans sa zone économique exclusive, ce qui l’a poussée à muscler son dispositif au cours des dernières années.</p>
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<p>Les autres pays de l’Asean riverains de la mer de Chine méridionale (outre l’Indonésie, c’est aussi le cas du Vietnam, des Philippines et de la Malaisie) s’inquiètent eux aussi des installations de Ream. Spécialement le Vietnam, pays voisin du Cambodge, qui a déjà connu de <a href="https://books.openedition.org/demopolis/1401?lang=fr">nombreux conflits frontaliers avec la Chine</a>, sans oublier les incidents réguliers <a href="https://lemarin.ouest-france.fr/secteurs-activites/defense/36370-un-bateau-de-peche-vietnamien-coule-par-un-navire-chinois">entre navires de pêche vietnamiens et garde-côtes chinois</a>.</p>
<p>Coup médiatique, technique de revers pour intimider le Vietnam, la Malaisie et l’Indonésie tout à la fois, renforcement à peu de frais de son dispositif stratégique, démonstration de force à destination de l’<em>Asean</em>… il faut reconnaître que pour la Chine, l’accord passé avec le Cambodge constitue autant un fait accompli qu’un coup de maître dans ce qui s’apparente de plus en plus à un jeu de <a href="https://www.jardindechine.com/article-weiqi-ou-le-jeu-de-go-120032530.html"><em>Weiqi</em></a> : Pékin fait preuve d’un activisme tous azimuts pour avancer ses intérêts dans la région.</p>
<h2>La mise en concurrence, une technique bien huilée à Phnom Penh</h2>
<p>On le voit : d’apparence modeste, l’accord passé entre la Chine et le Cambodge sur l’octroi de facilités permanentes à la base de Ream revêt en réalité une grande importance du point de vue de la stratégie chinoise dans la région.</p>
<p>Pour ce qui est du Cambodge, cependant, il ne faudrait pas tirer de conclusions trop hâtives sur une supposée allégeance du royaume à la Chine. En son temps, le roi <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/norodom-sihanouk/">Norodom Sihanouk</a> (sur le trône de 1941 à 1955 puis de 1993 à 2004) a su mieux que quiconque multiplier les revirements d’alliances, se rapprochant successivement de la France, des États-Unis, de la Russie et de la Chine. Homme rusé, le premier ministre Hun Sen, qui exerce la réalité du pouvoir depuis 37 ans, a lui-même su naviguer d’un allié à un autre pour se maintenir au pouvoir.</p>
<p>Si les principaux partenaires commerciaux du Cambodge sont l’Union européenne et les États-Unis, le premier partenaire politique et sécuritaire est clairement la Chine. Cependant, et il faut peut-être y voir un signe, les trois fils de Hun Sen ont effectué des études militaires, non pas à Pékin mais… aux États-Unis (Hun Manet a ainsi étudié à <em>West Point</em>, Hun Manith au <em>George C. Marshall European Center for Security Studies</em> et Hun Many à la <em>National Defense University</em>) – preuve que la Chine ne contrôle pas encore tous les leviers de pouvoir dans le pays…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196165/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benjamin Blandin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pékin va moderniser une base de la marine cambodgienne, et en obtenir l’accès en contrepartie. Mais ce développement ne change pas fondamentalement la donne en Asie du Sud-Est.Benjamin Blandin, Doctorant en relations internationales, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1555422021-03-02T18:02:02Z2021-03-02T18:02:02ZLe Cambodge sous l’emprise de Pékin<p>Le Cambodge (16 millions d’habitants en majorité bouddhistes) entretient une relation pluriséculaire avec la Chine. Une relation qui se déploie aujourd’hui de façon très active dans le domaine économique. Confection, exploitation forestière, caoutchouc, minerais, pierres précieuses, agriculture, tourisme : les secteurs d’activités ne manquent pas dans cette coopération bilatérale.</p>
<p>En dépit du fait que <a href="https://www.senat.fr/ga/ga75/ga75.html">30 % de la population vivent dans une extrême pauvreté</a>, le pays a connu à partir de la fin des années 1990 une forte croissance. Il semble avoir ainsi tourné le dos à une période noire de son histoire, celle du totalitarisme des Khmers rouges, au pouvoir entre 1975 et 1979 et responsables de <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/La-Suite-des-temps/Le-Proces-des-Khmers-rouges">plusieurs millions de morts</a>, dont les traumas profonds marqueront durablement la société.</p>
<p>Alors que la présence coloniale française n’est plus qu’un lointain souvenir, le Cambodge a renoué avec une stratégie lui permettant de maintenir son indépendance face aux appétits de ses deux puissants voisins que sont le Vietnam et la Thaïlande. Cette stratégie vise à renforcer ses liens avec la Chine pour tenir en respect toute revendication irrédentiste venant de Hanoï ou de Bangkok. Le point de friction le plus emblématique demeure le temple de <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/11/11/la-zone-autour-du-temple-de-preah-vihear-attribuee-au-cambodge_3511687_3216.html">Preah Vihear</a> à la frontière du Battambang, disputé par les Khmers et les Thaïs.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"720881755884945408"}"></div></p>
<p>Les faits sont par ailleurs têtus : ils rappellent qu’au Moyen-Âge le Cambodge s’était taillé un <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Decouvertes-Gallimard/Decouvertes-Gallimard/Histoire/L-Empire-des-rois-khmers">empire</a> qui étendait alors sur toute une partie du Sud-Est asiatique, jusqu’aux frontières du Yunnan, en Chine. De cette période, les Cambodgiens conservent à ce jour une très grande fierté. Elle continue à nourrir un puissant nationalisme khmer, conscient de son histoire et de ses atouts, au premier rang desquels un accès à la mer qui confère au Cambodge une situation centrale. </p>
<p>Cette dernière n’a pas échappé à Pékin qui voit dans son partenariat avec Phnom Penh un moyen d’y déployer son projet consacré aux Nouvelles routes de la soie. Si bien que le Cambodge apparaît aujourd’hui comme l’archétype des États inféodés à la diplomatie chinoise, laquelle l’a notamment beaucoup aidé, en 2020, à lutter contre la Covid-19 et, plus récemment, <a href="https://www.courrierinternational.com/article/le-chiffre-du-jour-le-cambodge-va-recevoir-en-donation-des-doses-du-vaccin-chinois">lui a fourni des lots de vaccins</a>.En dépit de ces efforts, la <a href="https://thediplomat.com/2021/02/cambodias-sees-covid-19-spike-after-chinese-nationals-break-quarantine/">situation n’est toujours pas maîtrisée malgré la coopération entre les deux pays</a>.</p>
<h2>Une histoire tragique</h2>
<p>Que ce soit dans les chroniques chinoises du haut Moyen-Âge (VI<sup>e</sup> siècle) où l’on évoque le nom du royaume de Funan (littéralement : « le sud riche »), les bas-reliefs d’Angkor Thom (XII<sup>e</sup> siècle) montrant des mercenaires chinois combattant dans les rangs de l’armée du grand roi Jayavarman VII ou à travers le témoignage de l’ambassadeur Zhou Daguan (XIII<sup>e</sup> siècle) nous livrant de précieuses informations sur la vie et les mœurs de la cour khmère, l’histoire du Cambodge nous renvoie aussi à celle de la Chine, et à une période prestigieuse dans l’histoire de l’Asie, qui fut marquée par la propagation et le rayonnement du bouddhisme, et une interaction commerciale entre le <a href="https://www.guimet.fr/publications/catalogues/la-sculpture-du-champa-tresors-dart-du-vietnam-ve-xve-siecles/">Champa</a>, plus à l’est, à l’embouchure du Mékong, et <a href="http://www.mekong-publishing.com/books/ISBN4-8396-0316-8.htm">Srivijaya</a>, dans l’actuelle Indonésie. </p>
<p>Ces routes des épices sont également empruntées par de grands missionnaires tel <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/atisa-atisha/">Atisa</a> qui, au XI<sup>e</sup> siècle, se rend depuis l’Inde vers cette Méditerranée asiatique avant de mourir au Tibet ; Méditerranée à laquelle les marchands chinois – dont les jonques transportent de nombreuses céramiques – ne sont pas non plus étrangers.</p>
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<p>Au XX<sup>e</sup> siècle, cette histoire interconnectée et globale se poursuit. Dans le contexte de la guerre froide, les bombardements américains voulus par Henry Kissinger, alors secrétaire d’État aux Affaires étrangères <a href="https://books.openedition.org/psn/5035?lang=fr">frappent la piste Hô Chi Minh</a> et la province khmère du Ratanakiri. Chaque année, la jeunesse cambodgienne se radicalise un peu plus, tandis que le prince Sihanouk, alors chef de l’État, tente de temporiser et clame son attachement à l’esprit des pays non-alignés tels qu’ils se sont exprimés aux côtés de la Chine et de son ministre Zhou Enlai lors de la conférence de Bandung (1955). </p>
<p>Mais des intellectuels (en partie formés en France) ne jurent que par le modèle communiste des ultras et s’inspirent <em>in fine</em> de la Révolution culturelle amorcée en Chine. Ils ont pour noms <a href="https://www.lesindessavantes.com/ouvrage/une-histoire-du-cambodge/">Pol Pot, Ieng Sary et Khieu Sampan</a>, pour ne citer que les plus célèbres. En Chine comme au Cambodge, cette expérience laissera dans les deux pays des séquelles durables. Les rares images que l’on a sur le Cambodge de ces années noires sont soit celles diffusées par la propagande des conseillers techniques chinois ou encore celles des suppliciés <a href="http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/11416_1">du camp d’extermination du S-21</a>, minutieusement photographiés peu avant leur exécution.</p>
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<p>Après une longue période d’occupation vietnamienne soutenue par l’Union soviétique, le Cambodge est alors placé sous la tutelle des Nations unies et se reconstruit patiemment pour sortir enfin d’un siècle qui s’est avéré tragique. La Chine de Deng Xiaoping, au-delà de la signature des <a href="https://www.ina.fr/video/CAB91054728">accords de Paris en 1991</a>, continuera d’apporter un soutien indéfectible aux derniers maquis khmers rouges <a href="https://www.liberation.fr/planete/2008/07/26/a-pailin-l-ombre-des-khmers-rouges_77046/">dans la région de Pailin, riche notamment en pierres précieuses et bois exotiques</a>, avec la complicité des mafias sino-thaïes. La <a href="https://redtac.org/asiedusudest/2018/06/21/cambodge-les-causes-internes-ou-plutot-externes-dans-les-ravages-des-forets/">déforestation au profit de compagnies forestières chinoises</a> (et vietnamiennes) se poursuit à ce jour, mais cette fois <a href="https://www.lepoint.fr/environnement/du-cambodge-a-l-europe-les-ravages-du-trafic-de-bois-07-11-2018-2269117_1927.php">dans les régions du nord-est</a>.</p>
<p>La Chine est alors aux avant-postes dans cette logique de croissance qui s’annonce dès les années 1990 tandis que le Cambodge normalise ses relations avec ses voisins, intègre l’Asean (1999) et participe au sommet de l’ASEM (Asia-Europe Meeting). Pékin est privilégié par Phnom Penh et son premier ministre Hun Sen. Dès 1997, ce dernier signe avec son homologue chinois Li Peng un accord de coopération entre les deux pays portant notamment sur l’entraînement des forces de police cambodgiennes, tandis qu’à la fin de la même année, la Chine livre 116 camions militaires et 70 jeeps d’une valeur de 2,8 millions de dollars. Un matériel servant essentiellement à <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/etude133.pdf">l’équipement de la garde prétorienne de Hun Sen</a>.</p>
<p>Le partenariat <a href="http://specialdefense.over-blog.com/tag/cambodge/">sécuritaire et militaire est très structurant</a>. Pékin exporte de l’armement, et trouve en Phnom Penh un <a href="http://specialdefense.over-blog.com/2019/03/chine/cambodge-exercice-militaire-golden-dragon-2019.html">partenaire dans des exercices militaires (Golden dragons) ou antiterroristes</a>. Ce rapprochement est suivi deux ans plus tard de l’obtention auprès des autorités chinoises de 18,3 millions de dollars d’aide et d’un prêt, sans intérêts, de 200 millions de dollars pour financer des projets d’infrastructures, ce qui place d’emblée le Cambodge en tête de la liste des pays aidés par la Chine populaire.</p>
<p>L’amitié que se portent Li Peng et Hun Sen ne faiblira pas, au point où l’ancien premier ministre chinois se rend encore en 2001 au Cambodge <a href="https://www.phnompenhpost.com/national/red-carpet-chinas-li-peng">pour lui rendre visite</a>. Les écoles chinoises connaissent alors une expansion significative – leur nombre passe de treize en décembre 1995 à soixante-dix en décembre 1999 – grâce à l’aide de l’ambassade qui fournit les manuels scolaires, organise des visites d’inspection académique, finance des stages de formation pour le corps professoral. </p>
<p>Le mandarin est d’ailleurs devenu la lingua franca <a href="https://www.persee.fr/doc/asean_0859-9009_2000_num_5_1_1663">d’un très grand nombre de Sino-Khmers</a> d’une part mais aussi d’« immigrés chinois » (<em>xin yimin</em>) qui <a href="https://www.persee.fr/doc/asean_0859-9009_2000_num_5_1_1663">depuis ce dernier quart de siècle</a> seraient plus d’un million à s’être installés au Cambodge. Autant de relais dans un pays où l’aide chinoise n’a jamais cessé d’augmenter. Au reste, la Chine est aujourd’hui le premier pourvoyeur d’aides, d’investissements et de prêts. En 2018, elle représentait <a href="https://www.courrierinternational.com/article/tourisme-quand-la-chine-avale-la-cote-cambodgienne">41,3 % des investissements étrangers directs mais aussi 49 % de la dette extérieure brute du pays</a>.</p>
<p>Cependant, cette dette est considérée comme supportable par Phnom Penh parce qu’elle ne représente que 21,4 % du PIB, soit bien moins que le seuil de 40 % retenu par les institutions internationales. L’aide chinoise se manifeste tout particulièrement dans le domaine des infrastructures. La route nationale 7, allant de Kratie à la frontière laotienne ou la 8, reliant quant à elle le Cambodge au Vietnam, comptent parmi les principaux axes restaurés. L’aménagement de centrales hydroélectriques, telle que <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-01021500/document">Kirirom, confiée à la société China Electric Power Technology Corporation</a> ou <a href="https://cdm.unfccc.int/Projects/DB/SGS-UKL1380884293.85/view">Kamchay, confiée à l’entreprise d’État Sino Hydro Corporation</a>, constituent de grandes réalisations au Cambodge où, longtemps, l’électricité produite presque exclusivement par des centrales thermiques très sensibles aux variations du prix du pétrole a été l’une des plus chères au monde.</p>
<p>Mais cet état de dépendance critique vis-à-vis de la Chine est également de nature politique. Pékin n’a jamais formulé d’excuses pour sa collaboration avec le régime des Khmers rouges. La Chine fournit en revanche un soutien sans faille au premier ministre Hun Sen depuis plus de trente ans dans sa <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/07/09/au-cambodge-la-repression-s-accentue-contre-les-defenseurs-des-droits-humains_1793707/">politique de répression des prodémocrates</a>. En cela, Pékin et Phnom Penh sont sur la même longueur d’onde. Au point où les autorités cambodgiennes n’ont pas hésité à <a href="https://www.liberation.fr/planete/2009/12/20/le-cambodge-livre-vingt-ou%C3%AFgours-a-la-chine_600350/?outputType=amp">arrêter des Ouïgours réfugiés sur leur territoire pour les remettre à la police chinoise</a>.</p>
<h2>Des intérêts stratégiques majeurs : l’Empire et le vassal</h2>
<p>Même si la société singapourienne Kris Energy <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/01/04/le-cambodge-se-lance-dans-l-exploitation-petroliere_6065140_3234.html">exploite le pétrole offshore découvert au large de Sihanoukville</a>, la China National Offshore Oil Corporation reste sur les rangs. Surtout, Pékin entend privilégier le développement des infrastructures portuaires du pays et mise sur une stratégie globale permettant de connecter la région du Grand Mékong au littoral khmer afin de s’assurer l’importation d’hydrocarbures du Moyen-Orient sans les faire transiter par le détroit de Malacca.</p>
<p>L’évocation de <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/01/28/chine-cambodge-une-alliance-en-eaux-troubles_1705997/">l’établissement d’une base militaire chinoise dans la région</a> revient souvent dans les conversations locales et semble <a href="https://thediplomat.com/2020/06/cambodias-hun-sen-denies-chinese-naval-base-again-but-whats-really-happening/">inquiéter Washington qui soupçonne fort Pékin</a> de vouloir ainsi se doter d’un balcon sur le golfe de Thaïlande. Pour l’heure, c’est l’aménagement d’un vaste complexe d’infrastructures touristiques financé par la Chine qui prévaut dans la région.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1090267622401179649"}"></div></p>
<p><a href="https://thediplomat.com/2020/10/cambodia-china-and-the-dara-sakor-problem/">Dara Sakor</a> en est l’emblème le plus spectaculaire. S’étendant dans la province de Koh Kong sur 90 kilomètres, soit un cinquième de la côte cambodgienne, ce projet de 3,8 milliards de dollars <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/sihanoukville-opa-chinoise-sur-le-cambodge-1135086">comprend</a> non seulement des hôtels, des parcours de golf et une marina, mais aussi un aéroport international ; l’ensemble ayant été aménagé grâce à des investissements chinois. Même si le nombre de touristes étrangers a chuté de <a href="https://www.cambodgemag.com/post/cambodge-br %C3 %A8ve-tourisme-54-5-de-touristes-asiatiques-et-chute-de-78-en-2020">78 % en 2020</a> pour cause de pandémie, les touristes chinois ont été <a href="http://french.xinhuanet.com/2019-10/08/c_138454313.htm">1,7 million à visiter le Cambodge en 2019, soit une hausse de 33 % par rapport à l’année précédente</a>.</p>
<p>D’autres aménagements touristiques grandioses et respectueux de l’environnement sont en cours. L’un d’eux revient à la société chinoise Naga Corp et a pour projet de construire près du site archéologique d’Angkor, <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2021/02/13/patrimoine-les-temples-d-angkor-menaces-par-un-parc-d-attractions_6069804_3246.html">à Siam Reap</a>, un gigantesque parc d’attractions touristique et aquatique en investissant 350 millions de dollars dans la phase initiale du projet. Il n’est pas sans susciter des polémiques sachant que la question de l’eau dans cette partie du pays reste d’actualité, se raréfie, et que la région est protégée pour la beauté et l’ancienneté de ses temples par l’Unesco. </p>
<p>Réalisé ou pas, ce projet ne saurait remettre en cause la relation bilatérale Chine-Cambodge. De fait, depuis <a href="https://www.fmprc.gov.cn/mfa_eng/zxxx_662805/t1741272.shtml">l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, fin 2012</a>, les liens se sont encore renforcés et synthétisent la grande asymétrie des relations entre les deux États. Alors que depuis l’après-crise des <em>subprimes</em>, les délocalisations chinoises vers le Cambodge ont été nombreuses, aujourd’hui la <a href="https://www.eastasiaforum.org/2020/12/26/no-simple-solution-to-chinas-dominance-in-cambodia/">somme des enjeux économiques et sociétaux</a> de Phnom Penh en lien avec le grand voisin chinois (46 % des 3,6 milliards de dollars d’investissements en 2019) interrogent la <a href="https://thediplomat.com/2019/12/cambodias-disastrous-dependence-on-china-a-history-lesson/">durabilité de la polarisation de l’Asie sur la Chine</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155542/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du FDBDA.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Chine porte une attention particulière au Cambodge pour son positionnement stratégique, investit massivement dans ses infrastructures et soutient fermement son inamovible premier ministre Hun Sen.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1543972021-02-01T19:39:21Z2021-02-01T19:39:21ZIl y a 10 ans, un virus proche du SARS-CoV-2 circulait déjà au Cambodge<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/381773/original/file-20210201-21-1yo4iu1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C4281%2C2837&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des chauves-souris s'envolent d'une grotte au Cambodge.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Nowhere_near_the_peak_now_(14452935885).jpg">S. Shankar/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En novembre et décembre 2010, des chercheurs de l’ISYEB (Institut de systématique, évolution, biodiversité du Muséum national d’Histoire naturelle) ont exploré plusieurs sites au nord du Cambodge sur invitation de l’Unesco et des autorités cambodgiennes. </p>
<p>L’objectif était de mieux caractériser la biodiversité des chauves-souris de la région du temple de Preah Vihear. Cette mission a permis de collecter des données sur un grand nombre d’espèces de chauve-souris incluant huit espèces du genre <em>Rhinolophus</em>.</p>
<p>Aujourd’hui, ce genre de chauve-souris intéresse au plus haut point les scientifiques, car il constitue le <a href="https://www.degruyter.com/view/journals/mamm/ahead-of-print/article-10.1515-mammalia-2020-0044/article-10.1515-mammalia-2020-0044.xml">réservoir des Sarbecovirus</a>, le groupe de la famille des coronavirus contenant les virus humains SARS-CoV et SARS-CoV-2, respectivement responsables de l’épidémie de SRAS en 2002-2004 et de l’actuelle pandémie de Covid-19. Or, à l’époque, ces chercheurs avaient eu l’idée de contacter l’Institut Pasteur du Cambodge (IPC) afin de permettre des études virologiques sur les chauves-souris capturées.</p>
<p>Après avoir été conservés pendant 10 ans dans un congélateur à -80 °C, ces échantillons ont récemment été testés par les chercheurs de l’IPC dans le but de détecter des Sarbecovirus. Pari gagnant puisque deux échantillons trouvés positifs par PCR (<em>Polymerase Chain Reaction</em>, test similaire à ceux que nous connaissons bien aujourd’hui) ont ensuite été envoyés à l’Institut Pasteur de Paris pour séquençage de leur génome complet.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/381759/original/file-20210201-17-164zxrj.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/381759/original/file-20210201-17-164zxrj.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/381759/original/file-20210201-17-164zxrj.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/381759/original/file-20210201-17-164zxrj.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/381759/original/file-20210201-17-164zxrj.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/381759/original/file-20210201-17-164zxrj.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/381759/original/file-20210201-17-164zxrj.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Photographies illustrant la chauve-souris <em>Rhinolophus shameli</em>, l’entrée de la grotte où nichait une importante colonie de cette espèce et la forêt-clairière à proximité du lieu de capture.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alexandre Hassanin</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est ainsi que nous avons pu décrire <a href="https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2021.01.26.428212v1">deux variants d’un nouveau virus</a> proche du SARS-CoV-2 chez deux chauves-souris de l’espèce <em>Rhinolophus shameli</em> capturées en 2010 dans une grotte de la province de Steung Treng.</p>
<p>Ils ont été nommés RshSTT182 et RshSTT200, « Rsh » faisant référence à l’espèce de chauve-souris et « STT » à la province d’origine. </p>
<p>Les résultats de cette nouvelle recherche sont en libre accès sur le site bioRxiv en attendant la revue par les pairs. Cette pratique est aujourd’hui très utilisée afin de transmettre rapidement de nouvelles connaissances à propos de la pandémie de Covid-19.</p>
<h2>Chez les chauves-souris, les virus apparentés au SARS-CoV-2 sont présents au Yunnan et en Asie du Sud-Est continentale.</h2>
<p>La découverte de ce nouveau virus au nord du Cambodge est importante, car il s’agit du premier virus proche du SARS-CoV-2 trouvé en dehors de la Chine (93 % d’identité génomique : 27 819 identiques sur les 29 913 bases alignées des deux génomes). En effet, tous les virus précédemment décrits avaient été détectés chez des animaux collectés en Chine. Ils comprennent deux virus découverts chez deux espèces de chauves-souris attrapées au sud de la Chine dans des grottes de la province du Yunnan : RaTG13 (96 % d’identité avec SARS-CoV-2) et RmYN02 (94 %) respectivement isolés à partir de <em>Rhinolophus affinis</em> et <em>Rhinolophus malayanus</em>. Par ailleurs, deux autres virus plus divergents (90 et 85 % d’identité avec SARS-CoV-2) ont été trouvés chez des pangolins de l’espèce <em>Manis javanica</em> saisis par les douanes chinoises dans les provinces de Guangdong et Guangxi.</p>
<p>Le nouveau virus du Cambodge a été détecté chez <em>Rhinolophus shameli</em>, une espèce de chauve-souris endémique de l’Asie du Sud-Est. Il est important de noter que la distribution géographique de cette espèce ne déborde pas sur la Chine et en particulier le Yunnan où ont été trouvés les virus RaTG13 et RmYN02.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/381763/original/file-20210201-17-14hb606.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/381763/original/file-20210201-17-14hb606.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/381763/original/file-20210201-17-14hb606.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=460&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/381763/original/file-20210201-17-14hb606.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=460&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/381763/original/file-20210201-17-14hb606.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=460&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/381763/original/file-20210201-17-14hb606.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=578&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/381763/original/file-20210201-17-14hb606.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=578&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/381763/original/file-20210201-17-14hb606.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=578&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Carte de distribution géographique des trois espèces de chauves-souris chez lesquelles des virus proches du SARS-CoV-2 ont été séquencés. Les points colorés indiquent les localités d’origine des virus RaTG13 (bleu), RmYN02 (vert), RshSTT182 et RshSTT200 (rouge).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alexandre Hassanin, iucnredlist.org</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cela signifie que les virus apparentés au SARS-CoV-2 <a href="https://doi.org/10.1038/s41564-020-0771-4">circulent depuis plusieurs décennies (d'après les datations moléculaires)</a> dans toute l’Asie du Sud-Est et le Yunnan <em>via</em> plusieurs espèces de <em>Rhinolophus</em> qui peuvent échanger ces virus dans les grottes où elles se côtoient régulièrement. Ainsi, ces nouvelles données valident l’hypothèse selon laquelle les virus proches du SARS-CoV-2 sont davantage diversifiés en Asie du Sud-Est, alors que ceux apparentés au SARS-CoV ont plutôt évolué en Chine. Rappelons ici que les chercheurs chinois prospectent depuis une quinzaine d’années dans toutes les provinces du pays pour découvrir de nouveaux Sarbecovirus. Ainsi, plus d’une centaine de virus du groupe SARS-CoV ont été découverts en Chine contre seulement deux virus du groupe SARS-CoV-2 (RaTG13 et RmYN02), tous deux originaires du Yunnan, la province la plus proche des pays d’Asie du Sud-Est.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/381764/original/file-20210201-21-1h01d0m.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/381764/original/file-20210201-21-1h01d0m.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/381764/original/file-20210201-21-1h01d0m.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/381764/original/file-20210201-21-1h01d0m.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/381764/original/file-20210201-21-1h01d0m.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=510&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/381764/original/file-20210201-21-1h01d0m.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=510&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/381764/original/file-20210201-21-1h01d0m.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=510&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Nombre de malades de la Covid-19 par million d’habitants (en bleu) et de décès par million d’habitants (en rouge) pour les différents pays d’Asie du Sud-Est.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alexandre Hassanin, worldometers.info/coronavirus</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les données représentées dans la figure ci-dessus soutiennent indirectement l’hypothèse d’une origine du groupe SARS-CoV-2 en Asie du Sud-Est continentale. En effet, les populations humaines du Cambodge, du Laos, de Thaïlande et du Vietnam semblent beaucoup moins impactées par la pandémie de Covid-19 que les autres pays de la région, tels que le Bangladesh, le Myanmar, la Malaisie, les Philippines et l’Indonésie. Cela suggère que les populations de ces quatre pays pourraient bénéficier d’une meilleure immunité collective vis-à-vis des Sarbecovirus.</p>
<h2>Contamination des pangolins par des chauves-souris en Asie du Sud-Est</h2>
<p>Les pangolins étaient autrefois présents dans toutes les forêts d’Asie du Sud-Est et du sud de la Chine. Ces dernières décennies, leurs effectifs ont diminué de façon drastique et inquiétante en grande partie à cause de la déforestation massive liée à l’intensification de l’agriculture. Parallèlement, cette déforestation a facilité la tâche des braconniers. Or, l’augmentation de la chasse des pangolins, due à leur trafic illégal très lucratif, a contribué à faire considérablement baisser les populations des différentes espèces de pangolins (y compris en Afrique !).</p>
<p>Le pangolin malais (<em>Manis javanica</em>) est la seule espèce sauvage n’appartenant pas aux chiroptères chez laquelle ont été découverts des virus apparentés au SARS-CoV-2. Le problème est que ces découvertes ont été réalisées dans un contexte un peu particulier : plusieurs animaux malades ont été saisis par les douanes chinoises dans la province de Guangxi en 2017-2018 et dans la province de Guangdong en 2019.</p>
<p>Même si les virus séquencés chez ces pangolins ne sont pas très proches du SARS-CoV-2 (85 et 90 % d’identité), ils montrent qu’au moins deux Sarbecovirus ont pu être importés sur le territoire chinois bien avant l’épidémie de Covid-19. Il est important de rappeler ici que la plupart des pangolins saisis par les douanes chinoises étaient très malades, notamment en raison de la prolifération des Sarbecovirus dans leurs poumons. Ainsi, ces animaux présentaient une charge virale très importante et ils étaient hautement contagieux.</p>
<p><a href="https://www.degruyter.com/view/journals/mamm/ahead-of-print/article-10.1515-mammalia-2020-0044/article-10.1515-mammalia-2020-0044.xml">Il a été montré que des pangolins d’origines géographiques différentes en Asie du Sud-Est se sont contaminés entre eux sur le territoire chinois, évidemment à cause de leur captivité</a>. Une des questions en suspens était de savoir si certains pangolins avaient pu être préalablement infectés par des chauves-souris dans leur milieu naturel. </p>
<p>La découverte d’un nouveau virus proche du SARS-CoV-2 chez des chauves-souris du Cambodge permet de corroborer cette hypothèse, car les <a href="https://www.degruyter.com/view/journals/mamm/ahead-of-print/article-10.1515-mammalia-2020-0044/article-10.1515-mammalia-2020-0044.xml">rhinolophes et les pangolins peuvent se rencontrer dans les grottes d’Asie du Sud-Est</a>. Cela renforce considérablement l’hypothèse selon laquelle le trafic des pangolins est responsable de multiples exportations vers la Chine de virus du groupe SARS-CoV-2.</p>
<h2>Effet « boule de neige » de l’élevage des petits carnivores en Chine ?</h2>
<p>On sait aujourd’hui que plusieurs espèces de petits carnivores sont aussi très sensibles au Sarbecovirus. En 2002-2004, <a href="https://www.degruyter.com/view/journals/mamm/ahead-of-print/article-10.1515-mammalia-2020-0044/article-10.1515-mammalia-2020-0044.xml">plusieurs petits carnivores</a> maintenus en cage dans des marchés ou des restaurants chinois avaient été trouvés positifs au SARS-CoV, tels que la civette masquée (<em>Paguma larvata</em>), le chien viverrin (<em>Nyctereutes procyonoides</em>) et le blaireau-furet (<em>Melogale moschata</em>).</p>
<p>Rappelons ici que ces petits carnivores sont des mammifères solitaires et nocturnes, tout comme les pangolins d’ailleurs. Dans la nature, la contamination occasionnelle d’un individu de ces espèces par un Sarbecovirus de chauves-souris a très peu de chance d’entraîner une épidémie. En revanche, un individu infecté placé dans un élevage intensif peut entraîner une rapide évolution incontrôlable de ce type de virus.</p>
<p>En 2020, des <a href="https://www.academie-medecine.fr/avis-de-lacademie-nationale-de-medecine-et-de-lacademie-veterinaire-de-france-sars-cov-2-sensibilite-des-especes-animales-et-risques-en-sante-publique/">visons d’Amérique</a> (espèce <em>Neovison vison</em>) élevés pour leur fourrure ont été contaminés par des SARS-CoV-2 d’origine humaine dans plusieurs pays : Danemark, Espagne, États-Unis, France, Grèce, Italie, Pays-Bas et Suède. Ces exemples nous ont appris que maintenir des centaines voire des milliers de petits carnivores en captivité constituait un <a href="https://science.sciencemag.org/content/371/6525/172">risque sanitaire majeur</a>, car le virus est susceptible de diffuser très rapidement dans les élevages et d’y évoluer en produisant de nouveaux variants potentiellement plus contaminants ou plus dangereux pour l’être humain que la souche initiale.</p>
<p>Plusieurs pangolins infectés par des virus apparentés au SARS-CoV-2 ont été saisis sur le sol chinois entre 2017 et 2019. Il est fort probable que d’autres pangolins infectés par d’autres lignées virales ont circulé sur le territoire chinois ces dernières années en raison du grand nombre d'animaux importés illégalement, le plus souvent vivants. </p>
<p>Comment alors ne pas envisager que certains d’entre eux, aient pu croiser la route (ou plutôt la cage !) de petits carnivores d’élevage ? Si cela est arrivé, le carnivore contaminé a pu très rapidement transmettre le virus à ses congénères dans les hangars utilisés pour l’élevage. Cet effet « boule de neige » pourrait être la dernière étape à l’origine de la pandémie de Covid-19. </p>
<p>Est-il possible de tester cette hypothèse ? Cela ne semble pas impossible car les articles scientifiques publiés sur les visons (<em>Neovison vison</em>) et les chiens viverrins (<em>Nyctereutes procyonoides</em>) élevés en Chine pour leur fourrure révèlent des infections par plusieurs virus respiratoires au cours de ces dernières années, tels que celui de la maladie de carré (CDV) ou ceux des grippes aviaires (H5N1 et H9N2). </p>
<p>Autrement dit, il y a eu de multiples campagnes de prélèvements biologiques (sang, organes et fèces). Il serait souhaitable que nos collègues chinois ressortent ces échantillons des congélateurs pour étudier une possible infection par des Sarbecovirus. Cela pourrait s’avérer très utile pour mieux comprendre pourquoi les épidémies émergent en Chine et pas ailleurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154397/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Hassanin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un nouveau virus découvert chez des chauves-souris du Cambodge révèle que le trafic des pangolins reste une hypothèse crédible pour expliquer l’origine de la pandémie de Covid-19.Alexandre Hassanin, Maître de Conférences (HDR) à Sorbonne Université, ISYEB - Institut de Systématique, Evolution, Biodiversité (CNRS, MNHN, SU, EPHE, UA), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1531162021-01-24T17:23:55Z2021-01-24T17:23:55ZLes enfants d’Indochine « rapatriés » en France : une histoire qui commence à s’écrire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/379790/original/file-20210120-21-1gq4vcc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C1497%2C1064&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Enfants eurasiens de l'orphelinat de la congrégation des Sœurs de Saint-Paul de Chartres (Sacré-Cœur - Tourane), sur l’aéroport de Tourane, juste avant de partir pour la France, septembre 1955 .</span> <span class="attribution"><span class="source">Collection Jean L.</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>En 2018, une commission de recherche historique ad hoc <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/04/10/enfants-de-la-creuse-un-rapport-pointe-la-responsabilite-morale-de-l-etat_5283267_3224.html">a rendu</a> à la ministre des outre-mer <a href="https://fr.calameo.com/read/0008863793fc69e71a11f?page=1">son rapport</a> sur la transplantation des mineurs de la Réunion en France hexagonale (1962-1984). Ce travail démontre que le déplacement contraint de plus de 2 000 enfants réunionnais a constitué un déracinement dont les séquelles n’ont pas été envisagées, la dimension biopolitique prévalant sur l’intérêt et l’intégrité de l’enfant.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1206318372461395969"}"></div></p>
<p>Cette émigration très particulière d’enfants, aux motivations plurielles, a pu se développer dans un contexte où populationnisme, post-colonialisme et humanitarisme se mêlaient.</p>
<p>Des milliers d’enfants métis nés en Indochine colonisée ont aussi fait l’objet d’un déplacement de ce type, des années 1940 aux années 1970. Si la mémoire de cette migration singulière des jeunes Eurasien·ne·s est vive chez les personnes concernées (et certaines d’entre elles ont accepté de témoigner dans des <a href="https://www.critikat.com/dvd-livres/dvd/le-petit-vietnam-inconnu-presume/">documentaires</a>), leur histoire commence tout juste à s’écrire en prenant en compte le vécu et l’expérience traumatique générée.</p>
<h2>Capter les enfants métis d’Indochine</h2>
<p>Dès l’implantation de la présence française en Indochine au XIX<sup>e</sup> siècle naquirent des enfants métis, fruits de relations sexuelles amoureuses ou forcées, passagères ou plus durables, rémunérées ou pas, entre des Européens (colons, fonctionnaires, soldats, etc.) et des femmes du pays.</p>
<p>Les autorités françaises étaient conscientes d’une « question eurasienne » : quel rôle et quelle place pour ces métis dans le système colonial. <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2007/06/07/emmanuelle-saada-la-question-metisse-tout-en-nuances_920080_3260.html">Un décret</a> du 8 novembre 1928 régla la situation des enfants eurasiens non reconnus par leur père, très nombreux. Il disposait que tout enfant né de père demeuré légalement inconnu, « mais présumé de race française », pouvait obtenir la qualité de Français.</p>
<p>Pendant la guerre d’Indochine (1946-1954), la présence d’un important corps expéditionnaire français accrut considérablement le nombre d’enfants métis, eurasiens mais aussi africasiens ou issus d’autres métissages ; en même temps s’aggravait la question de l’intégration de ces enfants dans des sociétés s’affranchissant de la domination coloniale.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/379615/original/file-20210119-21-rn679k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/379615/original/file-20210119-21-rn679k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/379615/original/file-20210119-21-rn679k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/379615/original/file-20210119-21-rn679k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/379615/original/file-20210119-21-rn679k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/379615/original/file-20210119-21-rn679k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/379615/original/file-20210119-21-rn679k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Documentaire de Philippe Rostan sur ces enfants nés pendant la guerre d’Indochine d’une mère française et d’un père « inconnu, présumé français ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jour2Fête</span></span>
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<p>L’État français a alors délégué à une simple association, la Fédération des œuvres de l’enfance française d’Indochine (<a href="http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/anom/fr/Action-culturelle/Dossiers-du-mois/1904-FOEFI/Accueil-en-France.html">FOEFI</a>), le pouvoir de « rapatrier en France » (c’est le terme employé alors) plus de 5 000 enfants métis. La FOEFI recueille donc les enfants qui lui sont confiés et les élève jusqu’à leur majorité. Les mères s’engageaient à ne pas entraver l’éducation de leurs enfants et reconnaissaient à la FOEFI le droit de les envoyer en métropole, plus ou moins conscientes de ce que cela impliquait.</p>
<p>Pour les organisateurs de ce déplacement, il ne s’agissait pas seulement de soustraire « toute une jeunesse aux pires turpitudes et au sort le plus misérable », mais aussi de les assimiler à la population métropolitaine.</p>
<h2>L’injonction à l’assimilation</h2>
<p>Dès l’arrivée en France, après un périple de 30 jours en bateau ou de 30 heures en avion, les Eurasiens et Eurasiennes devaient tourner une page de leur vie. La FOEFI choisit d’élever ces enfants ensemble, dans des foyers : par exemple à <a href="http://foefi.net/Textes/Vouvray.pdf">Vouvray</a> pour les garçons, à Saint-Rambert-en-Bugey pour les filles.</p>
<p>Leur assimilation à la société française passait par l’effacement de leurs origines et de leur identité. Des objets personnels étaient confisqués, parler vietnamien était interdit, sous risque de punition. Ils et elles devaient oublier les enseignements bouddhistes ou hindouistes reçus et étaient poussés à embrasser la religion catholique. Chez les congrégations religieuses qui accueillent des pupilles de la FOEFI, toutes les filles étaient baptisées.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/379606/original/file-20210119-26-1hwkz20.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C2%2C703%2C526&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/379606/original/file-20210119-26-1hwkz20.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/379606/original/file-20210119-26-1hwkz20.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/379606/original/file-20210119-26-1hwkz20.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/379606/original/file-20210119-26-1hwkz20.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/379606/original/file-20210119-26-1hwkz20.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/379606/original/file-20210119-26-1hwkz20.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pensionnaires eurasiennes de la FOEFI au foyer de l’abbaye de Saint-Rambert-en-Bugey, le jour de leur communion, 1964.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Collection particulière</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Les liens avec les familles restées au pays étaient sciemment limités. La FOEFI séparait strictement les frères et sœurs, qui souvent grandissaient sans savoir où les autres se trouvaient. C’est ainsi presque par hasard que des filles découvraient que leurs frères étaient également dans des foyers de la FOEFI, mais sans possibilité de les rencontrer, afin de ne pas les distraire de l’assimilation.</p>
<p>Selon la FOEFI, la réussite de sa mission d’éducation se mesurait à plusieurs critères : un métier qui assure un emploi, la stabilité psychologique et surtout un mariage avec un Français ou une Française, et donc l’intégration dans sa famille. De l’école au service militaire, les garçons devaient faire constamment la preuve de leur capacité d’intégration ; les filles devaient apprendre à devenir de bonnes épouses et de bonnes mères.</p>
<p>Bien qu’il soit impossible d’avancer des chiffres précis, la plupart d’entre elles/eux sont devenu·e·s des Français·e·s « comme les autres », ainsi qu’elles/ils aiment à se définir, mais avec une plaie encore ouverte : la séparation violente d’avec leur mère, leur famille, leur pays. Malgré la discrimination dont les métis eurasiens pouvaient être l’objet en France, par ces « réussites » la FOEFI entendait prouver que cette génération aurait pu incarner un avenir français en Indochine.</p>
<h2>Construction subjective des enfants eurasiens</h2>
<p>L’expérience d’assimilation des Eurasien·ne·s en contexte postcolonial a été une acculturation forcée – forgée par des pratiques coercitives –, qui peut être rapprochée de celles mises en œuvre en Australie, au Canada, aux États-Unis ou en Nouvelle-Zélande dans les pensionnats réservés aux enfants autochtones.</p>
<p>Les déplacements d’enfants eurasiens ont en effet été liés à tout un ensemble complexe de questions politiques et diplomatiques, démographiques et économiques, philosophiques et religieuses. <a href="https://journals.openedition.org/rhei/3398">La dimension biopolitique</a> y est bien présente à travers une idéologie postcoloniale et les processus d’assimilation poussés mis en œuvre.</p>
<p>L’intérêt de l’enfant, ainsi que d’autres grands principes relatifs aux droits de l’enfant, n’ont pas été considérés dans la politique voulue, financée et soutenue par les autorités françaises. La question du déracinement identitaire, de l’arrachement familial (ou même plus simplement de la transplantation géographique) des enfants et des adolescents n’a pas été prise compte alors.</p>
<p>Elle constitue aujourd’hui une approche opérante pour faire cette histoire, comme dans <a href="http://musea.fr/exhibits/show/---comme-les-rayons-diff--r--s/notice-de-pr--sentation">l’exposition historique</a> qui vient d’être inaugurée sur Musea intitulée : « Comme les rayons différés d’une étoile » : photos d’Eurasiennes « rapatriées » en France (1947-2020).</p>
<p>Après la séparation liée à la vie active et aux itinéraires personnels des un·e·s et des autres, certain·e·s ont souhaité renouer avec leur enfance, leurs amis. L’Association FOEFI a ainsi été créée en 1987, plus tard ce sera l’Eurasie, puis l’Amicale des Eurasiennes. Des pupilles de la FOEFI, aujourd’hui âgé·e·s de 60 à 85 ans, entretiennent les mémoires plurielles de leur histoire, même si toutes et tous ne portent pas le même regard sur les responsabilités d’une expérience qui a bouleversé leur vie.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/379609/original/file-20210119-23-18oyjbg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/379609/original/file-20210119-23-18oyjbg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/379609/original/file-20210119-23-18oyjbg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/379609/original/file-20210119-23-18oyjbg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/379609/original/file-20210119-23-18oyjbg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/379609/original/file-20210119-23-18oyjbg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/379609/original/file-20210119-23-18oyjbg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Inauguration d’une plaque commémorant le 70e anniversaire de l’arrivée des premières pupilles de la FOEFI au foyer de l’abbaye de Saint-Rambert-en-Bugey, juin 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Collection Amicale des Eurasiennes</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/153116/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yves Denéchère ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comme les « enfants de la Creuse », envoyés de Réunion en métropole dans les années 60 et 70, des milliers d’enfants métis ont été déplacés en France pendant et après la Guerre d’Indochine.Yves Denéchère, Professeur d'histoire contemporaine, Université d'AngersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1498582020-11-15T17:04:34Z2020-11-15T17:04:34ZPrix Nobel de la paix 2020 : le combat sans fin du Programme alimentaire mondial de l’ONU<p>Le président américain élu Joe Biden a promis, dès l’annonce de son élection, de faire revenir les États-Unis dans <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/etats-unis-accord-paris-climat-joe-biden_fr_5fa3ad79c5b69c36d952565c">l’Accord de Paris</a> sur le climat. C’est un signe positif pour le multilatéralisme, incarné par l’ONU et par ses accords et conventions universelles.</p>
<p>Un autre signe positif pour l’ONU est l’attribution en octobre 2020 du <a href="https://www.un.org/africarenewal/fr/a-la-une/le-prix-nobel-de-la-paix-attribu%C3%A9-au-programme-alimentaire-mondial">prix Nobel de la paix</a> au Programme alimentaire mondial, agence de l’ONU créée en 1961 afin de lutter contre la faim dans le monde. C’est la <a href="https://www.un.org/fr/sections/nobel-peace-prize/united-nations-and-nobel-peace-prize/index.html">12e fois</a> qu’une agence ou un dirigeant de l’ONU reçoit le prix Nobel, après notamment les Casques bleus en 1988, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en 2005, ou encore le Groupe international d’experts sur le climat (GIEC) en 2007.</p>
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<figcaption><span class="caption">Prix Nobel de la paix : le Programme alimentaire mondial distingué.</span></figcaption>
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<p>Le PAM apporte chaque année de l’aide alimentaire à près de <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/10/09/en-distinguant-le-programme-alimentaire-mondial-le-comite-nobel-alerte-sur-l-urgence-de-la-faim-dans-le-monde_6055483_3244.html">100 millions</a> de personnes dans le monde, dans près de 80 pays. En 2019, il a fourni plus de <a href="https://onu-rome.delegfrance.org/Presentation-du-PAM">4 millions de tonnes</a> de produits alimentaires. Son plus important terrain d’action actuellement est le Yémen où, depuis le début de la guerre civile commencée en 2015, la famine menace les deux tiers des 30 millions d’habitants. Le PAM agit actuellement dans <a href="http://www.fao.org/3/na714fr/na714fr.pdf">18 pays</a> : outre le Yémen, ses terrains d’intervention majeurs sont aujourd’hui la République démocratique du Congo, le Mozambique, le nord du Nigéria, le Soudan du Sud et la Syrie, c’est-à-dire essentiellement des zones de conflits.</p>
<h2>De la création du PAM aux premières actions concrètes</h2>
<p>C’est il y a presque soixante ans, le 24 novembre 1961, qu’a été créé le PAM, <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1966_num_12_1_1890">initialement</a> pour une durée temporaire de trois ans, à l’instigation du président américain, le Républicain <a href="https://fr.wfp.org/histoire">Dwight Eisenhower</a>, qui avait prononcé un discours à l’Assemblée générale de l’ONU le 1<sup>er</sup> septembre 1960, préconisant la mise sur pied d’un « dispositif pour fournir de l’aide alimentaire par le canal de l’ONU ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1314593885750996997"}"></div></p>
<p>L’histoire du PAM a été retracée notamment par <a href="https://www.palgrave.com/gp/book/9780333676684">l’économiste américain John D. Shaw</a>, qui y a servi comme consultant. À l’époque de sa création, il s’agissait de renforcer l’action de la FAO (Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, agence spécialisée de l’ONU créée en 1945) en répartissant les surplus alimentaires produits par les pays riches auprès des populations démunies des pays du Tiers monde. Depuis 1945, les États-Unis, grands producteurs de céréales, apportaient déjà une telle aide alimentaire de manière bilatérale à plusieurs pays du Sud, ce qui leur permettait d’étendre leur influence sur ces pays, ce qu’on appelle le « soft power ». « Le PAM est né de la volonté du gouvernement américain de soutenir son agriculture nationale en rachetant les surplus agricoles aux États-Unis et en les distribuant dans les pays en voie de développement », <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/10/09/qu-est-ce-que-le-pam-le-programme-alimentaire-mondial-de-l-onu-qui-vient-de-recevoir-le-nobel-de-la-paix_6055484_3244.html">explique</a> un fonctionnaire du PAM souhaitant rester anonyme.</p>
<p>Le PAM va effectuer sa première opération d’aide d’urgence à la suite du séisme de Buin Zahra en Iran en septembre 1962, qui laisse les populations iraniennes en détresse. Le PAM leur fournira 1 500 tonnes de blé. Puis, en 1963, il <a href="https://fr.wfp.org/histoire">aide 50 000 Nubiens</a> (habitants du sud de l’Égypte) à se réinstaller sur de nouvelles terres et à y faire des récoltes, après l’engloutissement de leurs villages suite à la création du barrage d’Assouan. En novembre 1963, le PAM développe un projet pilote de fourniture de repas scolaires à <a href="https://fr.wfp.org/histoire">5 000 écoliers du Togo</a>.</p>
<h2>Des actions d’urgence de grande ampleur</h2>
<p>Ayant démontré son utilité, le PAM devient en 1965 un programme permanent de l’ONU. Il va intervenir pour assister les populations lors des <a href="https://www.cairn.info/famines-et-politique--9782724608739-page-89.htm">grandes famines</a> de la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle, comme au Biafra (1967-1970), au Sahel (1968-1972), en Éthiopie (années 1980), en Somalie (1991-1992), etc. En 1973, le PAM apporte une aide d’urgence par avion au <a href="https://fr.wfp.org/histoire">Sahel</a> : plus de 30 avions cargos, fournis par 12 pays différents, sont mobilisés pour l’occasion de 1973 à 1976.</p>
<p>En 1980, le PAM <a href="https://fr.wfp.org/histoire">aide 370 000 réfugiés cambodgiens</a> à fuir vers la Thaïlande pour échapper aux violences dans leur pays dominé alors par les khmers rouges, et pourvoit à leur alimentation. Tout au long des années 1980, sous la direction de l’Australien <a href="https://www.academia.edu/11928084/Widerstand_am_Ort_der_Macht_Zwei_UN_Exekutivchefs_als_Widerstandsk%C3%A4mpfer">James Ingram</a>, le PAM se concentre davantage sur l’assistance aux victimes de désastres naturels et aux personnes déplacées du fait de guerres et conflits internes. Ainsi, en 1983, le PAM livre 2 millions de tonnes <a href="https://fr.wfp.org/histoire">d’aide alimentaire aux Éthiopiens</a>, frappés par la pire famine dans le monde depuis un siècle.</p>
<p>En 1989, avec l’opération « Lifeline Sudan », le PAM, aidé par 40 ONG, affrète vingt avions cargo pour lancer des tonnes d’aide alimentaire sur le <a href="https://fr.wfp.org/histoire">Sud du Soudan</a>, touché par la guerre civile. C’est la plus grande opération aérienne d’aide alimentaire jamais réalisée. En 1992, le PAM fournit des rations aux centaines de milliers d’ex-Yougoslaves piégés dans leur pays par la guerre civile. Puis, en 1994, le PAM fournira de la nourriture aux réfugiés du génocide rwandais, installés dans les pays voisins du Rwanda. Et en septembre 1998, ce sont des millions de Bangladais qui sont secourus par le PAM suite aux dramatiques inondations qui ont touché le pays.</p>
<h2>Les États-Unis à la manœuvre</h2>
<p>Le PAM va être au fil du temps dominé – et financé – essentiellement par les États-Unis : depuis 1992, son dirigeant a toujours été un Américain. Cette année-là, c’est la fonctionnaire américaine Républicaine <a href="https://www.ru.nl/politicologie/io-bio-bob-reinalda/io-bio-biographical-dictionary-sgs-ios/">Catherine Bertini</a>, sur la recommandation du président Bush, qui est nommée à la tête du PAM. Première femme à diriger l’institution, elle opère des réformes managériales à l’intérieur du programme, et redéfinit la mission du PAM selon trois axes : 1) sauver des vies lors des crises d’urgence et des situations où il y a des réfugiés (« food for life »), 2) améliorer la nutrition et la qualité de vie dans les situations critiques (« food for growth ») et 3) donner des moyens d’action aux pauvres et les aider à avoir confiance en eux-mêmes (« food for work »). À son poste, elle doit gérer des situations humanitaires sensibles : en 2000, elle est nommée par le Secrétaire général de l’ONU Kofi Annan envoyée spéciale dans la Corne de l’Afrique, pour prévenir une famine liée à la sécheresse.</p>
<p>En 2002, le <a href="https://fr.wfp.org/histoire">PAM entre au Livre Guiness des Records</a> comme la plus grande agence humanitaire mondiale, avec 14 500 employés. Depuis cette date, il développe des partenariats avec des entreprises privées pour accroître ses ressources. En décembre 2004, il lance une <a href="https://fr.wfp.org/histoire">opération</a> d’assistance humanitaire massive aux 14 pays, essentiellement asiatiques, victimes du tsunami. En décembre 2010, il aide les 4,5 millions de victimes du tremblement de terre en <a href="https://fr.wfp.org/histoire">Haïti</a>. Enfin, depuis 2011, il aide les victimes de la guerre civile en Syrie, et depuis 2014 les 3 millions d’Africains de l’Ouest affectés par l’épidémie d’Ebola.</p>
<p>L’actuel secrétaire exécutif du PAM est depuis 2017 l’ancien gouverneur Républicain de la Caroline du Sud, le juriste David Beasley. Toutefois, sa gestion du personnel du PAM a <a href="https://foreignpolicy.com/2019/10/08/world-food-program-un-survey-finds-abuse-discrimination/">suscité des critiques</a>.</p>
<h2>Un effort pour valoriser les petits paysans et les marchés locaux</h2>
<p>En 2020, le besoin de financement du PAM, qui provient essentiellement de contributions volontaires des États membres, est fixé à <a href="https://onu-rome.delegfrance.org/Presentation-du-PAM">10,6 milliards de dollars</a>, en augmentation par rapport à 2019 (8,3 milliards de dollars). Il emploie aujourd’hui environ 12 000 personnes, dont plus de 90 % travaillent directement sur le terrain.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"975375283342790657"}"></div></p>
<p>Aujourd’hui, le PAM ne se borne pas à fournir de l’aide alimentaire, ce qui laisserait les populations réceptrices dans une situation de passivité : depuis 2008 et le lancement du programme <a href="https://www.wfp.org/purchase-for-progress">« Purchase for Progress »</a>, le PAM achète à des petits paysans leurs produits locaux, puis les distribue aux populations dans le besoin, ce qui permet de protéger les marchés locaux en évitant de les submerger par des produits extérieurs.</p>
<p>Ce dispositif vise à répondre aux critiques visant le PAM, qui font valoir que l’aide alimentaire serait en fait <a href="https://library.stanford.edu/sites/default/files/widget/file/zalite_wfp_unday2013_0.pdf">nuisible</a> aux pays pauvres, encourageant la corruption des dirigeants politiques chargés de la répartir, qui monnayeraient cette aide contre des voix aux élections et revendraient les stocks de nourriture au marché noir. Mais les critiques demeurent minoritaires et, au sein d’une ONU souvent dénoncée comme impuissante, le PAM reste considéré comme un <a href="https://www.rienner.com/title/The_World_Food_Programme_in_Global_Politics">programme efficace</a> par l’opinion mondiale.</p>
<h2>La crise de la Covid-19 et l’objectif faim zéro</h2>
<p>Actuellement, alors que plus de <a href="https://www.un.org/fr/sections/issues-depth/food/index.html">821 millions de personnes</a> dans le monde souffrent de faim chronique, la situation est en aggravation du fait de la pandémie de Covid-19, et <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/10/09/en-distinguant-le-programme-alimentaire-mondial-le-comite-nobel-alerte-sur-l-urgence-de-la-faim-dans-le-monde_6055483_3244.html">l’objectif faim zéro</a> que l’ONU s’est fíxé pour <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/10/09/en-distinguant-le-programme-alimentaire-mondial-le-comite-nobel-alerte-sur-l-urgence-de-la-faim-dans-le-monde_6055483_3244.html">2030</a> semble hors d’atteinte : la pandémie de Covid a eu pour effet de faire baisser drastiquement les dons d’aide alimentaire. Le PAM <a href="https://histoires.wfp.org/le-monde-doit-agir-et-d%C3%A8s-maintenant-pour-%C3%A9viter-une-pand%C3%A9mie-de-la-faim-caus%C3%A9e-par-le-covid-19-820e75df38c0">s’alarme</a> d’une possible « pandémie de la faim », qui s’ajouterait à la pandémie actuelle.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/5h6dHBZ8ns8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Covid-19 : « Nous sommes au bord d’une pandémie de faim », avertit l’ONU.</span></figcaption>
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<p>Cela montre bien l’imbrication étroite des problèmes sanitaires, alimentaires, et même géopolitiques. C’est pourquoi seule l’ONU, institution universelle, multilatérale, et agissant sur plusieurs domaines (la santé avec l’OMS, la culture et l’éducation avec l’Unesco, l’alimentation et l’agriculture avec la FAO, etc.), peut agir efficacement.</p>
<p>Il est donc nécessaire que les États membres lui fournissent les financements nécessaires et lui donnent les moyens d’agir. </p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/149858/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Chloé Maurel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le prix Nobel de la Paix 2020 a été attribué au Programme alimentaire mondial. Retour sur près de 60 ans de lutte contre la faim par la plus grande agence d’aide alimentaire mondiale.Chloé Maurel, SIRICE (Université Paris 1/Paris IV), Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1399442020-07-06T14:18:57Z2020-07-06T14:18:57ZSe relever grâce à l’art après une crise : l’exemple cambodgien<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/341094/original/file-20200611-114070-1kjcsfh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C8%2C1794%2C1188&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Cambodge a une longue et riche histoire remontant avant l’époque du Moyen-Âge. C’est au cours de l’âge d’or de l’Empire khmer (entre les IXe et le XIIIe siècles) que les arts et la culture se sont intégrés à la société, grâce à la religion, ses rites et ses coutumes.</span> <span class="attribution"><span class="source">Daniel Rothenberg </span></span></figcaption></figure><p>Même si l’Histoire a connu différentes catastrophes et crises humanitaires, un fait demeure : nous nous comparons et essayons de comprendre ce qui se passe ailleurs. Ces comparaisons nous permettent de nous éclairer sur les meilleures pratiques de gestion ou de sortie de crise.</p>
<p>Nous constatons avec la pandémie de Covid-19, et notamment à l’étape du déconfinement, <a href="https://theconversation.com/deconfinement-il-ny-a-pas-de-solution-parfaite-139426">qu’il n’y a pas UNE réponse aux crises, mais DES réponses</a> plus ou moins adaptées, implantées à coup d’essais et erreurs.</p>
<p>À l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaire (OCCAH), notre équipe s’est intéressée à quelques exemples où <a href="https://occah.uqam.ca/en/art-et-culture-en-situations-postcrises/">l’art et la culture</a> ont été mobilisés comme <a href="https://policyoptions.irpp.org/fr/magazines/policy-optionsat-25/the-arts-and-culture-as-new-engines-of-economic-and-social-development/">leviers de développement</a> à la fois social, communautaire, économique et citoyen dans différents pays, dont Haïti et le Cambodge.</p>
<p>Le Cambodge est un cas particulier : ce pays a su trouver dans l’art et la culture un moyen de se reconstruire après le génocide de 1979. Bien sûr le contexte est différent, mais comment peut-on s’inspirer de l’exemple cambodgien pour se relever de la crise sanitaire actuelle ?</p>
<h2>L’art et la culture en crise</h2>
<p>D’abord, qu’entendons-nous par « <a href="https://occah.uqam.ca/wp-content/uploads/2020/06/Analyse-comparative-du-d%C3%A9confinement-8-pays-V2.pdf">crise</a> » ? Faisons-nous simplement référence à l’aspect sanitaire ?</p>
<p>Nos décideurs gouvernementaux ont catégorisé la période actuelle comme étant une <a href="https://www.ledevoir.com/politique/quebec/574967/le-gouvernement-legault-fait-face-a-sa-plus-grande-epreuve">« guerre »</a> contre un ennemi invisible. Or une guerre laisse des séquelles, parfois <a href="https://www.unhcr.org/fr/news/press/2019/6/5d08a9954/nombre-personnes-deracinees-travers-monde-depasse-70-millions-chef-hcr.html">structurelles puis sociales, sociétales et humaines</a>. Aussi, comme lors de conflits armés, cette « guerre sanitaire » impose une ligne de front dans les hôpitaux ou les centres de personnes âgées.</p>
<p>En temps de guerre, l’art et la culture, piliers importants de nos sociétés, sont durement touchés, parfois même stratégiquement détruits.</p>
<h2>La renaissance de l’art au Cambodge</h2>
<p>Le Cambodge a une longue et riche histoire remontant avant l’époque du Moyen-Âge. C’est au cours de l’âge d’or de l’Empire khmer (entre les IX<sup>e</sup> et le XIIIe siècles) que les arts et la culture se sont intégrés à la société, grâce à la religion, ses rites et ses coutumes. Toutefois, cette richesse culturelle cambodgienne à tradition orale fut grandement affectée par les guerres et le génocide.</p>
<p>À la suite du <a href="https://time.com/5486460/pol-pot-cambodia-1979/">génocide de 1975 perpétré sous le régime tyrannique des Khmers rouges</a>, les arts et la culture ont presque entièrement disparu, tout comme près de 20 % de la population exterminée par le régime de Pol Pot, chassé du pouvoir en 1979. L’instabilité et les conflits sont demeurés présents pendant une vingtaine d’années.</p>
<p>Pour redonner à l’art ses lettres de noblesse, Arn Chorn-Pond, fonde en 1998, après le dernier soulèvement de Pol Pot en 1997, le Programme des Maîtres-performeurs cambodgiens, qui deviendra le <a href="https://www.cambodianlivingarts.org"><em>Cambodian Living Arts</em></a>. Né au Cambodge dans une famille d’artistes ayant survécu au génocide, il a étudié aux États-Unis et y a travaillé quelques années comme travailleur social avant de retourner au Cambodge.</p>
<p>Aujourd’hui, le <em>Cambodian Living Arts</em> regroupe plusieurs centaines d’artistes et d’employés œuvrant à différents niveaux : l’éducation aux arts, la protection du patrimoine, le développement des <em>leaders</em> de demain, des marchés et d’un réseau fort.</p>
<p>Cette organisation à but non lucratif utilise l’art et la culture pour remplir sa mission de guérir les traumatismes, sauvegarder les traditions, redonner du sens dans la communauté et former les jeunes afin qu’ils contribuent à l’essor du pays. Cet OBNL a maintenant un écosystème élargi de partenaires dans d’autres régions du monde.</p>
<p>Comme l’explique son actuel directeur général, Phloeun Prim, la destruction des symboles et des artefacts culturels (lieux religieux, lieux culturels, monuments et œuvres d’art) fait partie intégrante des conséquences d’un conflit. L’opprimant, qu’il soit un autre pays ou un dictateur, cherchera à <a href="http://documents.worldbank.org/curated/en/910351569914286207/pdf/Culture-in-Post-Crisis-Situations-Opportunities-for-Peacebuilding-and-Sustainable-Recovery.pdf">déraciner le groupe opprimé</a> de son identité, de sa culture et instaurer sa propre vision sociétale.</p>
<h2>Un arrêt brutal avec la pandémie</h2>
<p>Sans en détruire les infrastructures, la pandémie mondiale a touché le secteur culturel en premier avec la fermeture des salles de spectacles et de cinéma, les interdictions de rassemblements de masse ou l’arrêt des festivals. Les arts vivants, les arts visuels et l’accès au patrimoine apparaissent aussi en dernier dans le plan de déconfinement. En compensation, les gouvernements fédéral et provinciaux ont mis en place de l’aide à la fois <a href="https://conseildesarts.ca/medias/2020/03/financement-anticipe">pour survivre</a>, mais aussi pour <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1708144/quebec-legault-roy-culture-aide-relance-reprise">se développer</a>.</p>
<p>Toutefois, comme on le voit avec la <a href="https://www.tvanouvelles.ca/2020/06/16/cinemas-et-salles-de-spectacle-ouverts-le-22-juin">possibilité d’ouverture des salles de spectacles</a>, les mesures économiques ne sont pas suffisantes pour tous et ne garantissent pas que le public sera au rendez-vous. L’arrêt brutal et prolongé des activités culturelles, de même que la perspective d’une deuxième vague de contamination à la Covid-19, laissent entrevoir des contrecoups pendant longtemps. Une stratégie de régénération culturelle supportée par nos gouvernements et des institutions fortes, telle que le <em>Cambodian Living Arts</em> au Cambodge, devrait être envisagée.</p>
<p>Ce travail de régénération fut essentiel pour permettre au Cambodge de se relever. S’y est ajouté le besoin de transmettre la culture afin de recréer les ponts entre les générations, entre les individus et entre les institutions. Partager oralement son art ne signifie pas seulement transmettre un savoir-faire ; c’est aussi transmettre un savoir-être.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/341083/original/file-20200611-114096-oe642z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/341083/original/file-20200611-114096-oe642z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/341083/original/file-20200611-114096-oe642z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/341083/original/file-20200611-114096-oe642z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/341083/original/file-20200611-114096-oe642z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/341083/original/file-20200611-114096-oe642z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/341083/original/file-20200611-114096-oe642z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Maître Ling Srey enseignant le Kantaoming, musique traditionnelle cambodgienne utilisée lors de funérailles, dans la province de Siem Reap, Cambodge.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Matthew Wakem</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En enseignant son art, le maître transmet son identité à l’autre. Et l’apprenant a le devoir de s’approprier ces savoirs pour les amener plus loin, et créer sa propre interprétation des symboles. Voilà ce qui crée des sociétés plus résilientes.</p>
<p>Aujourd’hui, le <em>Cambodian Living Arts</em> continue d’investir dans les <a href="https://conseildesarts.ca/pleins-feux/2016/10/le-leadership-culturel-au-21e-siecle">leaders culturels</a> actuels et futurs. Ce sont eux qui devront rebâtir dans le nouvel environnement post crise, où les interactions, les communautés et les identités ne seront plus les mêmes.</p>
<h2>Aller à la rencontre du public</h2>
<p>Chez nous, nous voyons des initiatives locales pointer leur nez. <a href="https://socom.ca/gestev-et-musicor-spectacles-lancent-td-musiparc-presente-par-videotron/">La Banque TD et Vidéotron</a> se sont associés pour présenter des spectacles musicaux sur scènes extérieures, en formule « ciné-parc », où les spectateurs pourront profiter de l’événement dans leur véhicule.</p>
<p>D’autres choisissent de se déplacer vers les gens. C’est le cas du Théâtre de la Ville, à Longueuil, qui offre une <a href="https://www.lapresse.ca/arts/musique/2020-06-10/des-spectacles-deambulatoires-a-longueuil">programmation déambulatoire de trois spectacles</a>. Ainsi, l’art va à la rencontre du public, un peu comme le <a href="https://www.omhm.qc.ca/fr/actualites/une-sortie-au-theatre-pour-les-aines-sur-leur-balcon">théâtre de rue, au début du confinement</a>. De même, Le Festif, dans Charlevoix, <a href="https://www.lapresse.ca/arts/musique/2020-06-15/le-festif-devoile-ses-immersions-musicales">propose des séances d’écoute immersives</a> en plein air.</p>
<p>Enseigner et propager la culture, c’est se regrouper et se retrouver. Par ailleurs, « <a href="https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000129759_fre">tout être humain est capable, grâce à l’art, de rétablir son lien avec la société</a> ». Ainsi, puisque le déconfinement du secteur culturel est imminent, il est temps de se réapproprier notre culture.</p>
<h2>Retrouver une nouvelle normalité</h2>
<p>Notre manière d’aborder l’art, la culture et les interactions entre artistes et citoyens changera dans la <a href="https://ici.radio-canada.ca/tele/tout-le-monde-en-parle/site/segments/entrevue/175060/lepage-audet-crise-humanitaire-coronavirus">nouvelle réalité</a> post Covid. Il faudra se réapprivoiser, se faire confiance, puis se laisser-aller tout en respectant les règles.</p>
<p>Une étude d’<a href="https://habo.studio/fr/barometre-divertissement-avril-2020/#bottom">Habo studios</a> montre que le retour « à la normalité » dans la consommation des arts n’est pas pour bientôt. Il faudra attendre au moins jusqu’en 2021 (et peut-être 2022 selon certains décideurs du milieu) avant de retrouver le niveau de consommation d’avant Covid, du moins pour la <a href="https://medias.quartierdesspectacles.com/documentation/rapport-leger-sondage-quartier-des-spectacles-mai2020-final.pdf">région de Montréal</a>.</p>
<p>Bien que les <a href="https://www.lapresse.ca/covid-19/2020-06-16/distances-sur-mesure">rassemblements intérieurs de 50 personnes soient permis</a>, les salles de spectacles semblent vouloir <a href="https://www.lapresse.ca/arts/2020-06-16/autorisation-des-rassemblements-interieurs-un-premier-pas-bien-accueilli">attendre à l’automne pour lancer leur programmation</a>. D’ici là, le secteur culturel devra proposer des alternatives virtuelles ou extérieures, selon les règles sanitaires. Il cherchera, tout comme nous, à définir sa nouvelle normalité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139944/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le Cambodge a su trouver dans l’art la force de se reconstruire après le génocide de 1979. Bien sûr, le contexte est différent, mais cet exemple est inspirant pour se relever de la crise actuelle.Alexandre P. Bédard, Postdoctoral research associate, Université du Québec à Montréal (UQAM)Caroline Coulombe, Professeur, Université du Québec à Montréal (UQAM)François Audet, Professeur, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1201972019-07-14T19:03:48Z2019-07-14T19:03:48ZDe l’Empire d’Angkor à Pol Pot, le riz est indissociable de l’histoire du Cambodge<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/283971/original/file-20190714-173355-15etae6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C9%2C1580%2C1173&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Aliment de base mais aussi pierre angulaire de la civilisation khmère le riz a traversé les âges. </span> <span class="attribution"><span class="source">Pxhere</span></span></figcaption></figure><p><em>Claire Lapique, journaliste scientifique et Charles Figuières, économiste, (Aix-Marseille Université) ont rencontré l’historien Ben Kiernan (Yale), professeur invité de l’IMéRA et spécialiste du Cambodge lors d’un entretien inédit autour du riz, un élément incontournable du pouvoir.</em></p>
<hr>
<p>On a tous en tête ces superpositions de différentes teintes de vert, établies en escalier, peignant le tableau des rizières d’Asie du Sud-Est. La région bénéficie de conditions climatiques qui la dotent d’une richesse incroyable.</p>
<p>En 2021, <a href="https://www.amse-aixmarseille.fr/en/events/ben-kiernan">128 millions de tonnes de riz</a> devraient être produites sur cette seule partie de la terre. Aliment de base mais aussi pierre angulaire de la <a href="https://www.ancient.eu/Khmer_Empire/">civilisation khmère</a>, qui a prospéré à travers l’Empire d’Angkor, du IX<sup>e</sup> au XIII<sup>e</sup> siècle ; le riz a traversé les âges. Sa culture a été modelée au fur et à mesure des périodes, les hommes jonglant entre adaptation et transformation de leur environnement.</p>
<p>L’historien Ben Kiernan a remonté le chemin de ces petits grains de riz pour trouver ce qui, depuis l’ère glaciaire, a contribué à la richesse du Cambodge.</p>
<p>Pourquoi ici, et pas ailleurs, a pu émerger un Empire khmer prospère ? Comment le riz a-t-il été à la fois pierre fondatrice d’Angkor et pierre d’achoppement pour les Khmers rouges qui ont essuyé un revers économique ?</p>
<p>Depuis les premières installations humaines, la riziculture est restée un élément autour duquel ont tourné différentes façons de concevoir l’environnement et l’agriculture.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/283973/original/file-20190714-173351-1mmvoi5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/283973/original/file-20190714-173351-1mmvoi5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/283973/original/file-20190714-173351-1mmvoi5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/283973/original/file-20190714-173351-1mmvoi5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/283973/original/file-20190714-173351-1mmvoi5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/283973/original/file-20190714-173351-1mmvoi5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/283973/original/file-20190714-173351-1mmvoi5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/283973/original/file-20190714-173351-1mmvoi5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Riz fraîchement collecté et séché au village de Kampong Ko dans la province de Kampong Thom province, Cambodge.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://search.creativecommons.org/photos/0de674f3-8d2b-407e-9420-a0a738e6a5e5">Sylyvann Borei/WorldFish</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<h2>Un passé sanglant</h2>
<p>Quarante ans de carrière et dix ouvrages plus tard, le Cambodge n’a toujours pas fini de dévoiler ses secrets à Ben Kiernan. Son chemin croise pour la première fois celui de ce pays lorsqu’il est doctorant en Australie. À cette époque, peu s’apercevaient du caractère génocidaire du régime dictatorial dénommé <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Kampuch%C3%A9a_d%C3%A9mocratique">Kampuchéa Démocratique</a> et dirigé par le tristement célèbre Polpot, qui, de 1975 à 1979, a tué plus de 20 % de la population cambodgienne.</p>
<p>Pour les besoins de son doctorat en histoire, Ben Kiernan apprend la langue et, malgré lui, l’histoire sanglante du Cambodge, en s’installant pendant quatre mois dans un village thaïlandais voisin. Il fait la rencontre de réfugiés cambodgiens qui fuient les violents massacres perpétrés de l’autre côté de la frontière. À partir de ce moment, son destin se noue à celui du Cambodge et ce lien ne se défera pas.</p>
<p>Il aiguise son regard sur le régime khmer rouge et s’applique à dénoncer ce qui, encore aujourd’hui, est <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2008-3-page-297.htm">soumis à discussion</a> : le génocide cambodgien.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/eHiMEIxrLck?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption"><em>Le génocide cambodgien</em>, par Ben Kiernan.</span></figcaption>
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<p>Ce n’est <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/11/16/cambodge-verdict-historique-dans-le-proces-des-derniers-chefs-khmers-rouges_5384158_3216.html">qu’en 2018</a> que Khieu Samphân (chef de l’État du Kampuchéa démocratique de 1976 à 1979) et Nuon Chea (numéro deux du comité central du Parti communiste du Kampuchéa démocratique), deux hauts responsables Khmers rouges, ont été condamnés pour des crimes relatifs au génocide cambodgien, par le droit international.</p>
<p>Après avoir passé des années à lutter pour que le génocide soit reconnu par la justice, Ben Kiernan se plonge dans l’histoire longue du Cambodge, afin de faire le lien entre l’Empire d’Angkor et le régime des Khmers rouges en se tournant tout particulièrement sur les différentes perceptions quant à leur environnement.</p>
<h2>Le lien entre l’Empire d’Angkor et le régime des Khmers rouges</h2>
<p>En reprenant le nom de « Khmer » originel, comme se nommait la civilisation de l’Empire d’Angkor, le régime du Kampuchéa démocratique souhaite réaffirmer l’éclat du passé. Ce dernier est animé par le sentiment nationaliste d’un passé glorieux, entretenu par la politique coloniale française. Celle-ci voue une véritable adoration pour la culture d’Angkor qu’elle exalte et souhaite préserver. Elle renforce les lignes de fracture entre Cambodgiens et Vietnamiens en assignant une position privilégiée aux premiers. Imprégné par ces idées, Pol Pot souhaite récréer le succès de l’Empire d’Angkor.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/283569/original/file-20190710-44472-3mkuxd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/283569/original/file-20190710-44472-3mkuxd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/283569/original/file-20190710-44472-3mkuxd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/283569/original/file-20190710-44472-3mkuxd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/283569/original/file-20190710-44472-3mkuxd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/283569/original/file-20190710-44472-3mkuxd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/283569/original/file-20190710-44472-3mkuxd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/283569/original/file-20190710-44472-3mkuxd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les colonies d’Asie’ de Louis Botinelly, gare Saint-Charles à Marseille.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Escalier_monumental_de_la_gare_de_Marseille-Saint-Charles">J.-A. Mathiou/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>Dans son périple en France, Pol Pot est probablement passé devant la statue « Colonies d’Asie », en bas des escaliers de la Gare St-Charles à Marseille, pour se rendre à Paris et continuer ses études.</p>
<p>La pierre sculpte le dessein de l’Empire colonial français. On y voit une femme cambodgienne allongée, servie par un garçon vietnamien et une jeune fille laotienne. C’est le symbole de l’affirmation française d’une suprématie des Cambodgiens sur leurs voisins.</p>
<p>Cette idée a infusé dans l’esprit des dirigeants khmers et a alimenté le terreau raciste qui conduisit aux meurtres de masse des minorités cambodgiennes. Pour Ben Kiernan, le génocide s’inspirait tout à la fois d’une idéologie communiste-maoïste mais aussi d’un esprit xénophobe et raciste.</p>
<h2>Un projet agricole ambitieux</h2>
<p>Les dirigeants khmers ont aussi contraint leur population au travail forcé dans l’optique de modifier l’environnement. L’ampleur de ce projet agricole a été impulsée pour reproduire l’idée que se faisaient les Khmers rouges du prestige d’Angkor. Pour comprendre le régime, Ben Kiernan revient à la période de l’âge de glace :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai souhaité remettre ces événements dans un contexte historique plus large. Et pas seulement à travers une histoire à long-terme mais aussi en questionnant les bases économiques du projet des Khmers rouges. »</p>
</blockquote>
<p>Qu’est-ce qui a fait d’Angkor un empire aussi florissant ? Sa grandeur est toujours perceptible à travers les temples qui s’élèvent dans la nature, comme imperturbables aux mouvements du temps.</p>
<p>Pourtant, l’historien s’interroge : « L’empire d’Angkor a été un véritable succès alors que le sol n’était pas si fertile ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/283970/original/file-20190714-173355-92s1ml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/283970/original/file-20190714-173355-92s1ml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/283970/original/file-20190714-173355-92s1ml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/283970/original/file-20190714-173355-92s1ml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/283970/original/file-20190714-173355-92s1ml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/283970/original/file-20190714-173355-92s1ml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/283970/original/file-20190714-173355-92s1ml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Qu’est-ce qui a fait d’Angkor un empire aussi florissant ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/bf/Angkor_Wat_Monk.jpg/1024px-Angkor_Wat_Monk.jpg">Helt/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<p>Ben Kiernan s’ancre donc dans le temps long pour comprendre comment l’agriculture a pu arriver dans cette région du monde et être à la base d’une civilisation si prospère. Il remonte jusqu’aux premiers signes d’activité humaine, environ 10 000 ans av. J.-C.</p>
<h2>Trois outils pour remonter dans le temps</h2>
<p>Mais comment remonter aussi loin dans le temps ? L’historien se base sur trois outils pour construire sa machine à voyager dans le temps. Tout d’abord les sources archéologiques reposent sur les squelettes ou les preuves d’habitations et vies humaines retrouvées dans le sol.</p>
<p>Les archives naturelles ensuite sont décelables grâces <a href="https://svt.ac-versailles.fr/IMG/pdf/Comment_prelever_une_carotte_de_sediments.pdf">aux carottes de sédiments</a> prises du fond des lacs. Elles révèlent les cendres provenant des feux ou encore le pollen présent dans l’atmosphère pour chaque période. Il est possible de remonter à plus de 8 000 années av. J.-C.</p>
<p>Cette technique permet d’identifier la mise en place d’une agriculture sur « brûlis » (terres cultivées après défrichage par le feu) puisque des feux ont été lancés tous les trois ans environ.</p>
<p>Les composantes mêmes des cendres peuvent être étudiées afin de confirmer cette hypothèse. Pendant l’ère des chasseurs-cueilleurs, le feu se propageait dans la forêt afin de faciliter la chasse et atteignait toutes les espèces sans distinction. Au contraire, les cendres qui ont identifié l’agriculture sur brûlis sont issues d’espèces spécifiques de pollen liés aux champs ciblés. Les scientifiques ont identifié ce qui fut les premiers villages d’agriculteurs grâce à la découverte de plus de 50 installations circulaires, où la terre a été modelée pour former des murs.</p>
<h2>Un avantage comparatif incroyable</h2>
<p>Angkor a bénéficié d’avantages indéniables. Plus encore que ces voisins, le Cambodge connaît des conditions climatiques et géographiques propices à l’agriculture.</p>
<p>La mousson, de mai à septembre en fait un terrain favorable à l’irrigation. Le pays est traversé par le fleuve Mékong et, en son centre, le lac <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Tonl%C3%A9_Sap">Tonle Sap</a> enfle et désenfle en fonction des périodes de pluie. Cette étendue d’eau est connue pour être, avec la mer du Nord, la plus grande réserve de poissons.</p>
<p>Le pays étant plat, l’eau qui inonde les sols peut se répandre facilement sur l’ensemble du territoire. Surtout, un système naturel empêche l’eau de retourner directement à la mer. La connexion du lac Tonle Sap et du fleuve Mékong conduit au flux et reflux de l’eau accumulée, ce qui permet au pays d’être encore abreuvé même après la mousson.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/283972/original/file-20190714-173334-17znxi1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/283972/original/file-20190714-173334-17znxi1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/283972/original/file-20190714-173334-17znxi1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/283972/original/file-20190714-173334-17znxi1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/283972/original/file-20190714-173334-17znxi1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/283972/original/file-20190714-173334-17znxi1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/283972/original/file-20190714-173334-17znxi1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pêcheurs sur le lac Tonle Sap, 2015.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/File:Fishing_at_Tonle_Sap.jpg">Dmitry A. Mottl/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Cet avantage, les Khmers de l’Empire d’Angkor ont su le mettre à profit. Ils ont par ailleurs appris à stocker l’eau dans d’immenses bassins pour éviter les inondations et la réutiliser en périodes de sécheresse. La culture du riz et ses hauts rendements ont été la base de cette prospérité, témoignant de centaines d’années d’adaptation aux aléas climatiques.</p>
<h2>Transformer la nature ou faire corps avec ?</h2>
<p>En matière d’environnement, la vision des Khmers rouges se distingue de celles de leurs ancêtres. Cela explique en partie l’<a href="https://journals.openedition.org/conflits/74?lang=en">échec</a> économique auquel Pol Pot fit face. Pour lui, le système d’irrigation était à la base de la grandeur de l’Empire. En reprenant l’analyse diffusée par les Français, les Khmers rouges pensaient que les canaux construits à cette époque permettaient une irrigation permanente du riz. Avec l’idée de copier le modèle d’Angkor, ils ont irrigué les champs trois fois par an.</p>
<p>Mais en réalité, l’Empire laissait faire la nature en s’y adaptant. Le peuple s’accommodait des saisons arides lorsque les rivières ou étangs s’assèchent lentement en plantant le riz dans la terre humide, offrant ainsi de forts rendements. Les canaux n’étaient pas construits pour irriguer les champs d’eau mais servaient au transport des pierres pour la construction de temples !</p>
<p>Croyant copier le modèle d’Angkor, le régime khmer rouge a dénigré les savoirs et techniques ancestraux des petits fermiers agricoles cambodgiens. En pourchassant un objectif de production intensive et moderne, le résultat s’est révélé être un véritable fiasco.</p>
<p>La nature, elle, est restée imperturbable aux humeurs de ces habitants, offrant les mêmes conditions climatiques, en dépit des perturbations humaines. De ce passé cambodgien, entaché par les traumatismes, s’élèvent toujours des temples, qui, pour majestueux qu’ils soient, ne peuvent rivaliser avec la grandeur d’une nature immuable.</p>
<hr>
<p><em>Propos recueillis par Claire Lapique pour la <a href="https://www.amse-aixmarseille.fr/fr/dialogeco/le-%C2%AB%C2%A0riz%C2%A0%C2%BB-de-la-discorde%C2%A0-de-l%E2%80%99empire-d%E2%80%99angkor-au-kampuch%C3%A9a-d%C3%A9mocratique">plateforme DialogEco, dialogue économique de l’AMSE</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/120197/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Figuières est membre fondateur et Vice Président de la FAERE (French Association of Environmental and Resource Economists).
Il dirige le pôle DialogEco d'AMSE. AMSE est un projet d'Aix-Marseille Université retenu et financé comme Ecole universitaire de recherche par le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation dans le cadre du PIA 3 (programme Investissements d'avenir).</span></em></p>De l’Empire d’Angkor jusqu’au régime de Pol Pot une ligne commune émerge du passé mouvementé du Cambodge : la maîtrise de de la riziculture, une histoire que révèle Ben Kiernan. Entretien.Charles Figuières, Economiste, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/991742018-07-19T22:23:49Z2018-07-19T22:23:49Z« C’était pas du vrai humanitaire, mais ça m’a apporté plein de choses »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/226721/original/file-20180709-122274-7xxtz3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=38%2C103%2C4281%2C3130&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Photo prise d'un jeune anglais ayant enseigné 3 mois dans une petite école au Ghana.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/92622665@N08/14662707635/">Charlie/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Une jeune Parisienne construisant un dispensaire dans une région désertique de l’Inde, un Danois à peine sorti du lycée forant un puits au fin fond du Ghana, un groupe d’Italiens tout sourires, posant pour l’objectif dans une rizière du Mékong… qui n’a pas été un jour confronté à l’idée de voyager en offrant ses services et son aide à l’autre bout du monde ?</p>
<p>Des agences font exactement cela. Soucieuses d’offrir une alternative au tourisme de masse, auquel elles reprochent d’importants dégâts éthiques et écologiques, elles développent et promeuvent une conception plus symétrique du voyage, fondée sur la rencontre et l’entraide entre touristes et indigènes, la découverte et la compréhension d’autrui, de façon à ce que ce voyage profite autant aux premiers qu’aux seconds, avec l’idée de « voyager autrement ».</p>
<p>Ce tourisme dit <a href="https://www.espacestemps.net/articles/entre-tourisme-et-ethique/">« solidaire »</a>, « durable » ou <a href="http://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers12-04/010053227.pdf">« responsable »</a>, est parfois décliné en tourisme dit <a href="https://journals.openedition.org/teoros/2220">« humanitaire »</a>. Une « tendance » qui attire de <a href="http://www.liberation.fr/planete/2016/08/15/tourisme-humanitaire-la-vraie-fausse-pitie_1472579">nombreuses critiques</a>.</p>
<p>Impulsé, dans les années 1990, par des agences britanniques et étatsuniennes spécialisées, ce dernier a un <a href="https://www.cairn.info/magazine-sciences-humaines-2016-3-p-3.htm">succès grandissant auprès des jeunes Européens</a>, et notamment des Français depuis plus d’une dizaine d’années, qui partent en « missions » pendant leurs vacances scolaires et universitaires, ou lors d’une année de césure.</p>
<h2>10 000 volontaires par an</h2>
<p>L’une des principales agences internationales de tourisme humanitaire implantées en France fait partir près de 10 000 volontaires par an, majoritairement anglais·e·s, étatsunien-ne-s, et français·e·s.</p>
<p>Malgré le coût très onéreux des séjours (au moins 2 000 € pour deux ou trois semaines hors billets d’avion) les déceptions qu’il engendre souvent chez les participant·e·s, et le rapprochement que font les ONG et les médias de leur fonctionnement avec le <a href="https://television.telerama.fr/tele/programmes-tv/charity-business-les-derives-de-l-humanitaire,65145733.php">« charity business »</a>, ni le succès, ni l’activité de ces entreprises à but lucratif ne tarissent.</p>
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<figcaption><span class="caption">Extrait de Spécial Investigation, 2013, une enquête de Sophie Bonnet.</span></figcaption>
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<p>Les enquêtes ethnographiques insistent sur le <a href="https://journals.openedition.org/tourisme/243">désenchantement et les désillusions</a> présents sur les terrains des tourismes solidaire et humanitaire.</p>
<p>Dans le cas du tourisme humanitaire, il est d’ailleurs rare que les participant·e·s repartent en mission, ayant mesuré toutes les limites de leur action sur place, et ayant souvent éprouvé du malaise face aux populations locales qu’ils n’estiment pas avoir aidées, ou dont les besoins n’ont pour eux pas été ciblés par les agences.</p>
<p>Pourtant, les participant·e·s sont très peu à faire <a href="https://www.cairn.info/revue-geneses-2017-3-page-89.htm">remonter leurs critiques</a> au retour des missions, que ce soit au sein de leurs entourages proches, à destination des agences de voyages, ou des médias sociaux.</p>
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<figcaption><span class="caption">« International volunteering : valuable or vandalism ? », Jingting « Lily » Kang at TEDxUND, 2014.</span></figcaption>
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<p>Si le faible taux de renouvellement de l’expérience peut être en partie interprété comme une critique « silencieuse » de ces dispositifs, l’absence de contestation publique se comprend aussi et surtout à l’aune des rétributions, matérielles, sociales et symboliques, qu’ont malgré leur déception les participant·e·s au tourisme humanitaire.</p>
<p>Ainsi, Julie, 18 ans lors de son séjour humanitaire de deux mois au Ghana, dresse un bilan mitigé de son expérience de « volontariat » lors d’un entretien en octobre 2013. Elle regrette de ne pas avoir été plus « utile » dans un orphelinat « surpeuplé de volontaires du monde entier sans grand-chose à faire ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226711/original/file-20180709-122265-c4oouk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/226711/original/file-20180709-122265-c4oouk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/226711/original/file-20180709-122265-c4oouk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/226711/original/file-20180709-122265-c4oouk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/226711/original/file-20180709-122265-c4oouk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/226711/original/file-20180709-122265-c4oouk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/226711/original/file-20180709-122265-c4oouk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les volontaires, ici en Kenya, s’impliquent dans de très nombreux secteurs, santé, soins, éducation… sans forcément avoir les connaissances prérequises.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/frontierofficial/7985253546/">Rhiannon Walker/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>Une compétence mobilisable sur le marché éducatif et professionnel</h2>
<p>Julie dit toutefois être « contente de l’avoir fait », car « ça a pesé sur [sa] candidature à l’université ».</p>
<blockquote>
<p>« On a fait un entretien par Skype avec la directrice du département de la business school, et ça l’a beaucoup intéressée. C’est clair qu’aux States, ça compte, d’avoir fait de l’humanitaire, faut pas juste avoir un bon dossier, tu vois. Ça montre que… t’es ouvert d’esprit, t’as voyagé, ça apporte un plus que les autres n’ont pas toujours, ça montre que tu n’es pas que scolaire, que tu ne fais pas qu’étudier dans les bouquins mais que tu agis, quoi, que tu veux agir dans le monde. »</p>
</blockquote>
<p>Julie est issue d’une famille cosmopolite des classes supérieures françaises soucieuses de développer les compétences internationales de leurs enfants dans l’espoir qu’ils se placent sur un <a href="https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2008-1-page-105.htm">marché éducatif et professionnel de plus en plus mondialisé</a>.</p>
<p>Candidate à des études de commerce dans une prestigieuse université américaine, la mission humanitaire qu’elle a effectuée objective l’acquisition de compétences extra-scolaires particulièrement recherchées par l’établissement. Comme beaucoup d’autres jeunes participant·e·s aux séjours humanitaires dont les profils socio-économiques sont proches du sien, Julie a privilégié la mission humanitaire pour développer et montrer ses aptitudes à travailler en groupe, à se confronter à une culture différente de la sienne, ainsi que son intérêt pour les problèmes internationaux et son empathie envers les plus démunis.</p>
<p>Le choix d’un pays africain anglophone garantit en outre ses compétences linguistiques, essentielles à la poursuite des études qu’elle vise. Cette ligne humanitaire sur son CV s’inscrit donc dans la conquête plus large des preuves de ses qualités et de ses « valeurs », venant s’ajouter aux acquis strictement scolaires qui ne suffisent pas à la distinguer au sein de la voie compétitive dans laquelle elle s’engage.</p>
<h2>Devenir « quelqu’un de bien »</h2>
<p>Pour les participant·e·s aux missions humanitaires, l’humanitaire confère de façon plus symbolique un ensemble de « valeurs » qui s’inscrivent elles-mêmes parfois dans la continuité des pratiques philanthropiques et caritatives de leurs familles.</p>
<p>Il contribue à la construction identitaire d’une jeunesse favorisée consciente de ses privilèges, mais soucieuse d’en faire bénéficier ceux qui en ont moins. En cela, le séjour humanitaire peut être analysé à l’aune du <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Le-nouvel-esprit-du-capitalisme">« nouvel esprit du capitalisme »</a></p>
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<figcaption><span class="caption">Caricature de la « volontaire hippie » passant un entretien d’embauche, campagne publicitaire pour Solidarités internationales, 2013.</span></figcaption>
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<p>Dans et en-dehors de leur entre-soi, par les récits héroïques et enthousiastes de leurs missions, et par la diffusion de photographies les mettant en scène « au milieu des pauvres », les participant·e·s se présentent comme des jeunes adultes <a href="http://www.ethnographiques.org/GUILHOT-Nicolas-2005-The-Democracy-Makers-Human-Rights-and-the-Politics-of">généreux et responsables</a>, mus par des valeurs humanistes qui les prémunissent des potentielles critiques sur leurs pratiques et leurs modes de vie bourgeois.</p>
<blockquote>
<p>« Je suis un petit bourge, c’est vrai, je vis qu’avec des bourges, dans un quartier parisien de bourge. Alors j’assume, c’est vrai, et en même temps quand je vais à des soirées et qu’y a des gens un peu différents… et que j’entends, ici, et là, les critiques qu’on fait, du genre… ouais, les riches, les gosses de riches, tout ça, les sales gosses de riches… bon bah forcément ça me fait pas plaisir car moi, je suis différent. J’ai pas été en mission humanitaire pour rien. Alors c’est sûr, c’était pas du vrai humanitaire, mais ça m’a apporté plein de choses. Je suis ouvert. Je sais ce que c’est d’être pauvre, je pense, un peu plus que certains. Au moins, mon fric, bah je le claque pas… je sais pas, dans les costumes de rallye, dans… les montres, enfin, pas pour moi, j’en fais profiter les autres. Faire de l’humanitaire, ça a du sens pour moi, j’ai une morale tu vois, j’ai pas été éduqué comme certains petits cons. »</p>
</blockquote>
<p>Stanislas, rencontré à Paris en 2013, a participé à l’âge de 20 ans à une mission humanitaire d’un mois au Cambodge. Il suscite l’admiration de ses amis qui, selon lui, « regrettent d’être partis à Bali se dorer la pilule ».</p>
<p>Souvent critiqué par son entourage pour son arrogance, il affirme que la mission humanitaire lui a « ouvert les yeux », et lui permet désormais de se présenter aux autres sous un autre jour.</p>
<p>Le choix de partir en séjour humanitaire a d’ailleurs été impulsé par sa mère, qui y voyait pour son fils un moyen de le « recadrer autour des valeurs de solidarité et d’entraide » qu’elle lui a toujours inculquées. Ce fut également selon elle l’occasion pour son fils d’être plus autonome et de se rendre compte « qu’il n’y a pas que l’argent dans la vie ». Stanislas voyage depuis son plus jeune âge partout dans le monde avec ses parents dans des hôtels relativement luxueux, et il s’agissait de son premier séjour seul. Pour sa mère, ce séjour l’a aidé « à grandir dans la bonne voie » à laquelle ouvre pour elle l’humanitaire.</p>
<h2>La rencontre avec autrui à plusieurs milliers d’euros</h2>
<p>L’autonomisation et la rencontre avec autrui, la prise de conscience et le partage de ses privilèges, ainsi que la mobilisation dans le champ éducatif et professionnel des compétences et des qualités associées à la mission humanitaire, sont proprement liés au caractère humanitaire du séjour, plus qu’au dispositif via lequel il s’effectue.</p>
<p>Pourquoi donc partir sur le terrain via des agences de voyage à but lucratif, relativement chères, lorsqu’il est possible, pour les jeunes Français, de faire un chantier humanitaire dans le cadre d’un service civique ou via d’autres réseaux associatifs liés aux structures locales ?</p>
<p>Plusieurs éléments de réponse émanent de l’enquête auprès des jeunes, et surtout, de leurs parents. Les entreprises de séjours humanitaires proposent d’une part un cadre rassurant et structurant pour des parents qui n’hésitent pas à y envoyer leurs enfants de plus en plus jeunes.</p>
<p>Certaines ont en effet créé des programmes réservés aux 16-19 ans, fonctionnant sur le modèle des colonies de vacances où les participant·e·s sont encadré·e·s par une équipe sur place et passent leur séjour en groupe. Il est ainsi possible, en étant mineur-e et non qualifié-e, de « faire de l’humanitaire », quand les grandes ONG françaises et internationales recrutent essentiellement des <a href="https://www.persee.fr/doc/mots_0243-6450_2001_num_65_1_2485">adultes aux compétences ciblées</a></p>
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<figcaption><span class="caption">La parenthèse d’Elisa, Thalassa, 2011, Sophie Kerboul.</span></figcaption>
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<h2>Séjour bouleversant… mais sécurisé</h2>
<p>La mission humanitaire que propose les agences est d’autre part à la carte : les participant·e·s peuvent choisir la durée de leur mission, souvent courte (en moyenne deux semaines), afin qu’elle puisse s’accommoder avec le calendrier scolaire ou universitaire ; les choix de la destination et du type de projet sont très larges, puisque la mission humanitaire peut s’effectuer dans un hôpital, un orphelinat, une école, un cabinet de vétérinaire, un centre de réhabilitation des personnes handicapées, ou encore une agence de presse, une association de nettoyage des plages ou de lutte pour les droits des femmes, sur tous les continents, avec la possibilité de combiner plusieurs destinations et projets.</p>
<p>De surcroît, les participant·e·s majeur·e·s bénéficient aussi d’équipes d’encadrement sur place, qui les prennent en charge dès leur arrivée, et sont disponibles à tout moment en cas de problème. Pour les parents les plus réticents à envoyer leurs enfants, il s’agit d’un argument de poids utilisé par les agences qui leur garantissent un séjour humanitaire certes dépaysant et potentiellement bouleversant, mais sans risques. Le risque est d’ailleurs limité par l’éventail des destinations relativement « sûres » proposées, c’est-à-dire stables politiquement au moment du séjour, qui ne sont pas les lieux des interventions d’urgence des ONG.</p>
<p>Enfin, consciente de l’usage scolaire et professionnel que font les participant·e·s aux séjours humanitaires, les entreprises proposent de délivrer dans le cadre de leurs formules des diplômes maisons ou des certificats de compétences, permettant ainsi d’objectiver ce qui a été fait et appris.</p>
<h2>Le séjour apporte « plein de choses »</h2>
<p>Pour des familles majoritairement aisées, pour lesquelles l’investissement dans une mission humanitaire payante ne constitue pas un effort financier, le coût des séjours est ainsi un investissement rentable. Le séjour apporte « plein de choses » sur le plan humain, social, culturel, symbolique, éducatif, professionnel et identitaire, qui compensent largement les déceptions face aux répercussions locales espérées de l’action.</p>
<p>Ce constat ne doit pas pour autant conduire à juger les participant·e·s aux missions humanitaires payantes sur une pratique qui peut trop vite apparaître cynique. Il faut en effet prendre au sérieux la première motivation de ces jeunes et de leurs familles qui affirment vouloir, en amont du séjour, « (faire) partir pour être utiles » aux populations locales. Au retour de missions, les désillusions éprouvées et les critiques formulées sur le terrain sont aussi moins vives car l’expérience donne lieu aux doutes.</p>
<p>Les participant·e·s expriment leurs difficultés à se positionner quant aux bien-fondés des missions humanitaires, qu’elles soient impulsées par des agences de voyages, des projets gouvernementaux, ou des structures associatives type ONG.</p>
<p>Nombreux sont ces jeunes à être traversé·e·s par la double culpabilité du mal agir et de l’inaction. On comprend alors mieux que le cumul des rétributions personnelles du séjour humanitaire et du doute atténue la critique pourtant vive et négative qui accompagne les déceptions face au sentiment d’arnaque et d’inutilité sur le terrain. « Est-ce que finalement, le vrai humanitaire, celui des pro, a priori sans business, est vraiment différent, et vraiment mieux fait ? » se demande Pierre, 22 ans, deux mois après être revenu du Ghana. Son interrogation est légitime face aux difficultés qui traversent plus largement l’action humanitaire et aux litiges qui y ont souvent cours.</p>
<hr>
<p><em>Les prénoms des personnes rencontrées ont été modifiés.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/99174/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alizée Delpierre a reçu des financements de Ecole normale supérieure et Sciences Po.</span></em></p>Tourisme humanitaire ou arnaque ? Malgré leurs désillusions, les jeunes cherchant à voyager « autrement » ont du mal à critiquer leur expérience.Alizée Delpierre, Doctorante au CSO, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/910502018-02-02T05:35:14Z2018-02-02T05:35:14ZMaintien de la paix de l’ONU : le chef d’orchestre doit davantage s’impliquer<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/204418/original/file-20180201-123840-1s8v8md.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En 2015, en République démocratique du Congo: des Casques bleus mènent une patrouille dans les environs de Beni (Nord-Kivu).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:19_mai_2015,_Beni,_Province_du_Nord-Kivu,_RD_Congo_-_Des_Casques_bleus_de_l%E2%80%99ONU_m%C3%A8nent_une_patrouille_terrestre_dans_les_environs_de_Beni._(17823913164).jpg">Monusco/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>On ne compte plus le nombre d’articles critiquant l’action des Casques bleus des Nations unies – <a href="https://peacekeeping.un.org/en/troop-and-police-contributors">106 338 civils et militaires</a> – répartis dans les 15 missions, à la longévité inégale mais excédent souvent plusieurs décennies.</p>
<p>Jamais les succès des opérations de maintien de la paix ne font la « une » des journaux – de la Namibie et du Mozambique au Cambodge, au Timor oriental et à la Sierra Leone, en passant par le Liberia, et dans une moindre mesure la Côte d’Ivoire et Haïti. Et si l’ONU n’avait pas été présente dans nombre de crises ignorées, qui auraient soulagé ces populations en détresse ?</p>
<p>Plusieurs <a href="https://www.rand.org/blog/2017/04/un-peacekeeping-is-a-good-deal-for-the-us.html?adbsc=social_20170404_1418991&adbid=849126892246519808&adbpl=tw&adbpr=22545453">études</a> ont démontré qu’un pays est moins susceptible de retomber dans la guerre civile après qu’une opération de maintien de la paix l’a aidé à remettre sur pied un certain nombre de ses structures.</p>
<h2>Une activité complexe et mal aimée</h2>
<p>Activité la plus visible et la plus connue de l’Organisation, le maintien de la paix est son enfant mal aimé car trop souvent mal compris, évoluant dans une zone grise de ni guerre ni paix complexe et inconfortable. <a href="https://theconversation.com/le-maintien-de-la-paix-version-onu-radiographie-dune-impuissance-84942">On parle d’impuissance, d’inconséquence, d’inefficacité, de missions sans fin</a>. On parle de Casques bleus qui commettent des abus sexuels, qui sont souvent passifs face à des populations victimes des pires exactions à quelques kilomètres de leur camp.</p>
<p>Cela est vrai et c’est impardonnable. Mais jamais les critiques en tous genres ne donnent les vraies raisons de ces manquements et de ces vices, ni ne désignent les vrais responsables. Si la critique est souvent facile, l’explication est plus complexe et moins « croustillante ».</p>
<p>Certes, un certain nombre de blocages persistent, mais leurs responsabilités n’incombent pas à la simple « ONU » qui recouvre des réalités, des entités et des acteurs multiples. Il faut là, malheureusement, aborder un certain nombre de sujets qui fâchent car les solutions passent aussi par une mise en cohérence entre les discours et les promesses des uns et les actions des autres.</p>
<h2>Une activité menée au rabais</h2>
<p>On accuse, tout d’abord, le maintien de la paix de coûter trop cher. Mais qu’est-ce que 7,3 milliards de dollars pour le déploiement de plus de 100 000 personnes, quand on sait que cela représente 0,4 % des dépenses militaires mondiales ? Doit-on rappeler qu’un soldat américain « coûte » 800 000 dollars par an alors <a href="http://peaceoperationsreview.org/thematic-essays/can-we-make-un-peacekeeping-great-again/">qu’un Casque bleu n’en coûte que 20 000</a> ? On perçoit là déjà une première explication : les États préfèrent les logiques sécuritaires et guerrières aux logiques de paix.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/204435/original/file-20180201-123821-5k1o3h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/204435/original/file-20180201-123821-5k1o3h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/204435/original/file-20180201-123821-5k1o3h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/204435/original/file-20180201-123821-5k1o3h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/204435/original/file-20180201-123821-5k1o3h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/204435/original/file-20180201-123821-5k1o3h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/204435/original/file-20180201-123821-5k1o3h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un Casque bleu norvégien, sur l’aéroport de Sarajevo, en 1992.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Evstafiev-bosnia-sarajevo-un-holds-head.jpg">Mikhail Evstafiev/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Et les grands contributeurs financiers sont particulièrement pingres quand il s’agit de fournir des moyens à ces opérations en rapport avec les ambitions qui leur ont assignées. C’est une activité qui a ainsi toujours été conduite au rabais, de la création des <a href="https://www.lexpress.fr/informations/bosnie-les-zones-de-securite-sont-devenues-des-camps-de-concentration_609072.html">« zones de sécurité » en Bosnie</a> dans les années 90 aux mandats de protection des civils d’aujourd’hui.</p>
<p>De fait, cette activité (bien qu’à 80 % militaire) est financée par des budgets civils contraints et non par les budgets militaires plus importants, et dans lesquels les dépenses du maintien de la paix (de ses composantes militaires) pourraient être plus aisément absorbées. <a href="https://www.ipinst.org/2017/11/peace-operations-and-the-reform-agenda">Ce budget a encore été réduit en 2017</a>, sous la pression de l’administration américaine comme des États européens.</p>
<h2>Un éclatement des responsabilités</h2>
<p>Depuis la fin de la Guerre froide, les ambitions des quinze membres du Conseil de sécurité et les mandats votés ont été d’une <a href="http://lemonde.fr/europe/article/2005/07/08/le-mea-maxima-culpa-de-kofi-annan-pour-le-massacre-de-srebrenica_671090_3214.html">complexité croissante</a>, empilant les tâches et les objectifs sans grande cohérente stratégique.</p>
<p>Deuxième explication à la faiblesse de ces opérations : au fil des décennies, le Conseil s’est également fracturé sur la façon de maintenir la paix, et ces voix dissonantes sont bien entendues instrumentalisées par les acteurs sur le terrain, ceux qui gardent un intérêt à ce que l’instabilité perdure. De plus, ceux qui décident des mandats et les financent ne sont pas ceux qui les conduisent et les mettent en œuvre.</p>
<p>Il existe donc un éclatement des responsabilités qui conduit même ceux qui les créent au sein du Conseil à en réduire les moyens au sein de l’Assemblée générale (l’organe qui décide du budget), sans grande considération des exigences du terrain (mobilité, protection, renseignement).</p>
<h2>Des composantes militaires trop faibles</h2>
<p>Ces opérations sont donc gérées, avant tout, de manière politique. Le militaire est mal considéré à l’ONU, au sein du Secrétariat où le Bureau des Affaires militaires n’a que peu d’influence. Il est pratiquement absent du Conseil de sécurité. La logistique n’a que peu de considération pour les contraintes opérationnelles et les militaires en sont pratiquement écartés. C’est là une troisième explication à la faiblesse militaire de ces opérations.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/204312/original/file-20180131-157473-19zq7u9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/204312/original/file-20180131-157473-19zq7u9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/204312/original/file-20180131-157473-19zq7u9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/204312/original/file-20180131-157473-19zq7u9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/204312/original/file-20180131-157473-19zq7u9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/204312/original/file-20180131-157473-19zq7u9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/204312/original/file-20180131-157473-19zq7u9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Au siège de la Monusco, à Bukavu (Sud-Kivu).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alexandra Novosseloff</span></span>
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<p>Même si les opérations de maintien de la paix sont par essence politiques, l’ONU a eu tendance à négliger l’importance d’avoir une composante militaire solide – dotée d’une chaîne de commandement claire, des capacités de réaction et de protection adaptées – et robuste (sachant se faire respecter), qui permettrait de mieux soutenir leur action politique. Civils et militaires doivent aussi mieux travailler ensemble. Ainsi, le Secrétariat comme le Conseil de sécurité ont pensé que le volume de militaires envoyés pouvait compenser la médiocrité de certains contingents.</p>
<p>Au nom d’intérêts politiques ou financiers, pour ne pas froisser certains États, aucun n’a élevé la voix face aux défaillances élémentaires de certains contingents. On a refusé pendant longtemps de renvoyer certains contingents, de ne pas en accepter d’autres, de fermer les yeux sur certaines pratiques. Comme, par exemple, l’envoi de civils sous uniforme, l’absence de moyens basiques de protection, <a href="https://www.un.org/preventing-sexual-exploitation-and-abuse/fr/content/news-centre-articles">sans parler des cas d’abus sexuels…</a></p>
<p>Les pays acceptent à l’ONU ce qu’ils n’accepteraient nulle part ailleurs, dans aucune autre de leurs opérations où leurs intérêts stratégiques seraient en jeu. C’est bien là aussi que réside leur faiblesse fondamentale : ces opérations se déroulent dans des endroits où ni les intérêts stratégiques de leurs commanditaires ni ceux de leurs contributeurs ne sont en jeu. Du coup, les risques pris par les Casques bleus sont minimaux. Les opinions publiques, celles du nord comme celles du Sud, ne veulent pas que leurs enfants meurent pour Juba, Bamako ou Goma. Qui peut les en blâmer ?</p>
<h2>Des missions sans boussole stratégique</h2>
<p>Tout ce système pourrait survivre si les Casques bleus conduisaient comme par le passé des missions limitées, dans le cadre d’accords de paix respectés par les parties en présence. Dans des contextes asymétriques où les acteurs sont multiples et loin d’être bienveillants, l’ONU est depuis longtemps devenue une <a href="https://actualite.cd/2018/01/29/rdc-monusco-bouc-emissaire-de-kabila-guterres/">cible facile</a>, le maillon faible de toute présence internationale dans un pays, en raison même des faiblesses soulignées ci-dessus.</p>
<p>Le Conseil de sécurité assigne des mandats de plus en plus robustes, pensant qu’ils pourraient être appliqués par les contributeurs de troupes de plus en plus fatigués de devoir prendre des risques à la place d’un Conseil qui ne tient pas vraiment compte de leurs contraintes ou de leurs intérêts. Beaucoup d’entre eux considèrent même que le Conseil leur assigne des missions impossibles qui vont au-delà des principes de base acceptés par tous. Autre faiblesse.</p>
<h2>Repenser le maintien de la paix</h2>
<p>Il faut aujourd’hui repenser le maintien de la paix vers <strong>une approche plus politique</strong>, non pas vers un usage tous azimuts de la force (comme le préconise le <a href="https://www.un.org/sg/en/content/sg/note-correspondents/2018-01-22/note-correspondents-report-improving-security-peacekeepers">récent rapport du Général Cruz</a>). Car il faut bien faire le constat que les contributeurs financiers veulent réduire les budgets et que les contributeurs en troupes ne sont pas prêts à prendre les risques qui s’imposent.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/204441/original/file-20180201-123826-ubjfw4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/204441/original/file-20180201-123826-ubjfw4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/204441/original/file-20180201-123826-ubjfw4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/204441/original/file-20180201-123826-ubjfw4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/204441/original/file-20180201-123826-ubjfw4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/204441/original/file-20180201-123826-ubjfw4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/204441/original/file-20180201-123826-ubjfw4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un contingent de la Force de l’ONU en Centrafrique, la Minusca (ici en 2015).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://de.wikipedia.org/wiki/United_Nations_Multidimensional_Integrated_Stabilization_Mission_in_the_Central_African_Republic#/media/File:Trying_out_new_Peacekeeping_Uniforms.jpg">Eigenes Werk/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Une approche qui doit être aidée par un certain nombre de <strong>pressions bien ciblées</strong> pour amener les acteurs à la raison : conditionnement de l’aide au développement, vote de <a href="http://www.jeuneafrique.com/mag/516979/politique/mali-lonu-brandit-des-sanctions-les-experts-des-nations-unies-attendus-en-mars/">sanctions</a> individuelles et ciblées ou <a href="http://peaceoperationsreview.org/thematic-essays/when-should-blue-helmets-walk-away-from-a-conflict/">menaces de retirer la mission de l’ONU</a>. L’approche doit être globale.</p>
<p>Il faut le repenser <strong>sur une base réaliste, plus modeste</strong>. Il conviendra donc réduire la voilure sans rien céder aux exigences de professionnalisme et de solidité des moyens mis à disposition des composantes militaires. Jamais une organisation comme les Nations unies ne pourra mener des actions contre-terroristes qui demandent des moyens considérables, notamment en termes de renseignement (une organisation de 193 États membres ne peut être efficace dans ce domaine). De manière fondamentale, l’ONU a été créée en 1945 pour éviter la guerre, non pour la conduire.</p>
<p>Il faut également repenser le maintien de la paix <strong>sur un temps long, en plusieurs étapes</strong>, où la stabilisation sécuritaire vient avant le travail de reconstruction d’un État – avec tout ce que cela implique en termes de stabilité des institutions politiques, de sécurité et de justice, d’État de droit et de viabilité économique – qui lui ne pourra se faire que sur plusieurs générations.</p>
<p>D’ailleurs, tout ce travail doit se faire avec <strong>des partenariats</strong> pour partager le fardeau et non le transférer à des organisations qui n’en ont pas les moyens.</p>
<h2>Revoir les ambitions d’un bon concept</h2>
<p>Ces opérations ne sont pas une solution à tout – le Secrétariat de l’ONU n’a d’ailleurs jamais prétendu qu’elles le soient. Elles ne peuvent à elles seules mettre un terme à telle ou telle crise, et il est vain de nourrir trop d’ambitions pour elles. Leur périmètre doit être redéfini, re-sanctuarisé. Il faut leur redonner une boussole qui permettra au militaire de réellement soutenir le politique.</p>
<p>Il faut aussi arrêter de penser que la paix peut être imposée : pas plus en Irak ou en Afghanistan, qu’au Mali ou à l’est du Congo. L’imposition de la paix est un oxymore : jamais des parties au conflit se sont faites imposer le règlement d’une paix dessinée par autrui. Elles viennent autour de la table des négociations quand elles y voient un intérêt, quand leurs moyens se font rares et que la guerre a épuisé les troupes et les soutiens. À ce moment-là, l’ONU peut aider et accompagner un processus de paix, peut sécuriser un accord. Mais elle ne peut faire des miracles si les uns et les autres ne trouvent aucun intérêt à ce que les armes se taisent.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/204442/original/file-20180201-123846-1l136in.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/204442/original/file-20180201-123846-1l136in.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=288&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/204442/original/file-20180201-123846-1l136in.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=288&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/204442/original/file-20180201-123846-1l136in.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=288&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/204442/original/file-20180201-123846-1l136in.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=362&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/204442/original/file-20180201-123846-1l136in.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=362&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/204442/original/file-20180201-123846-1l136in.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=362&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Soldats néerlandais de la Minusma, la force de l’ONU au Mali (septembre 2014), près de Gao.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Dutch_MINUSMA_troops,_UN_mission_Mali_02.jpg">Ministry of Defence of Netherlands/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Si l’on veut que le maintien de la paix réussisse, il ne peut continuer à être le fourre-tout de la gestion des crises ou sa voiture-balai (la stratégie de sortie de certains États), ou encore le pis-aller mis sur la table à défaut de véritable stratégie de règlement politique de telle ou telle crise. On doit lui fixer des limites, en fonction de ses moyens réels.</p>
<h2>Savoir dire non</h2>
<p>Cela veut dire que le Secrétariat doit être plus ferme dans sa relation avec le Conseil de sécurité et ré-apprendre à lui dire ce qu’il n’aime pas entendre, à refuser certaines missions qui seraient « hors limites ». Il doit pouvoir refuser certaines contributions qui ne sont pas aux normes.</p>
<p>Et les États doivent être sérieux dans les personnels ou les capacités qu’ils mettent à la disposition de l’ONU. Mettre à disposition des personnels ou du matériel inadaptés dans ces missions ne peut que les plomber.</p>
<p>Enfin, il faut que l’ONU retrouve son impartialité face aux États hôtes pour redevenir un véritable arbitre et non simplement conforter les gouvernements en place si elle veut garder une pertinence et rester <a href="https://www.mitpressjournals.org/doi/full/10.1162/DAED_a_00483">impliquée dans des conflits internes</a>.</p>
<p>Le maintien de la paix est un bon concept, c’est l’utilisation qui en est faite par les États qu’il faut revoir. La réussite des opérations de maintien de la paix nécessite la mobilisation de tous. Elle nécessite aussi la mise sur pied d’une véritable stratégie, comprise par tous, dont le chef d’orchestre doit rester le Conseil de sécurité qui se doit d’assurer le service après-vente d’accompagnement politique, tandis que les contributeurs de troupes gèrent le service-après-vente militaire, le Secrétariat le contrôle qualité de ce qui est mis à disposition et les organisations-partenaires la fourniture de services politiques ou militaires s’inscrivant dans cette stratégie.</p>
<p>Chacun doit y mettre de la bonne volonté et jouer sa partition avec sérieux, à moins de continuer dans les errements actuels d’un orchestre de la gestion des crises bien dissonant, impétueux et strident.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/91050/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandra Novosseloff est chercheure-invitée à l’International Peace Institute de New York. </span></em></p>Le maintien de la paix est un bon concept, c’est l’utilisation qui en est faite par les États qu’il faut revoir.Alexandra Novosseloff, Chercheure-associée au Centre Thucydide, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/810502017-07-15T10:53:21Z2017-07-15T10:53:21ZLa relation franco-américaine : constantes et anicroches<p>La présence de Donald Trump au défilé militaire du 14 juillet 2017 a illustré à merveille un aspect important de la relation entre les deux pays : en dépit des brouilles (fréquentes), le poids de l’Histoire demeure. Le lien franco-américain est d’abord structuré par des tendances lourdes, pas toutes positives. Il est ensuite souvent fragilisé par des querelles plus anecdotiques, mais qu’il faut veiller à ne pas laisser devenir destructrices.</p>
<h2>Les piliers de la relation</h2>
<p>Paris et Washington sont d’abord des alliés historiques dont la coopération militaro-politique est irremplaçable, dont les philosophies politiques sont proches mais avec des nuances importantes, et placés dans une relation économique et commerciale qui peut être féroce.</p>
<p>L’alliance franco-américaine est suffisamment connue pour qu’on ne s’y attarde pas. Les deux pays n’ont jamais été en guerre l’un contre l’autre – tel n’est pas le cas de l’Angleterre, de l’Espagne, de l’Italie ni naturellement de l’Allemagne. La France a joué un rôle majeur dans la naissance des États-Unis face à l’Angleterre, et les États-Unis dans la survie de la France face à l’Allemagne.</p>
<p>C’est d’abord cela qui était célébré ce 14 juillet, centième anniversaire de l’arrivée en renfort des troupes américaines dans la Première Guerre mondiale, tout comme on fête régulièrement le <a href="http://www.ina.fr/video/RCC09004856">débarquement du 6 juin 1944</a> en Normandie, sans lequel…</p>
<p>Aujourd’hui, du Sahel au Proche-Orient, la coopération militaire, politique et de renseignement entre la France et l’Amérique reste primordiale, et le savoir-faire français en Afrique est admiré outre-Atlantique (Mali 2013, Centrafrique la même année, pour ne prendre que deux exemples récents).</p>
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<p>Par ailleurs, autre trait connu : les deux pays sont des puissances démocratiques et libérales, dont Tocqueville a abondamment commenté les différences, mais qui se sont toujours retrouvées face aux autoritarismes, même lorsque les chefs d’État semblaient distants.</p>
<p>Comme le rappelait le général de Gaulle en 1965 dans un <a href="http://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00111/entretien-avec-michel-droit-deuxieme-partie.html">entretien avec Michel Droit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« En réalité, qui a été l’allié des Américains, de bout en bout, sinon la France de De Gaulle ? […] Si le malheur devait arriver, et si la liberté du monde était en cause, qui seraient automatiquement les meilleurs alliés, de nature, sinon la France et les États-Unis ? »</p>
</blockquote>
<p>Ce qui n’empêche pas la tradition rousseauiste de l’intérêt général – souvent vue aux États-Unis comme une insupportable contrainte à la liberté individuelle – de faire mauvaise ménage avec la tradition madisonienne de la coexistence d’intérêts particuliers – souvent vue en France comme un insupportable obstacle à l’égalité.</p>
<p>Ces intérêts particuliers, industriels ou autres, ont fait de l’Europe et des États-Unis des concurrents, des rivaux féroces sur le plan commercial ou financier. Au point que c’est sans déplaisir que nombre de décideurs américains verraient bien disparaître des secteurs stratégiques européens pourtant alliés (comme l’aéronautique de défense). Au point que les <a href="https://www.lesechos.fr/29/06/2014/lesechos.fr/0203604047291_les-juges-americains-infligent-une-sanction-historique-a-bnp-paribas.htm">coups bas</a> pour obtenir des parts de marché ou affaiblir des concurrents font fi de l’alliance politique, sous-tendue par une vision de monde commune, démocratique et libérale.</p>
<h2>Pas de meilleur allié de rechange</h2>
<p>L’histoire récente (sous la V<sup>e</sup> République) des bisbilles au sommet entre les deux régimes présidentiels est pour le moins fournie. On peut certes y voir un facteur protocolaire propice au choc des egos : la France et les États-Unis sont représentés par le chef de l’État dans les grands sommets, tandis que les principaux autres alliés sont représentés par un chef de l’exécutif qui n’est « que » premier ministre ou chancelier. Querelle d’étiquette qui peut se trouver accentuée par les caractères ou les sensibilités politiques individuelles : De Gaulle et Johnson, Chirac et Bush Junior, Sarkozy et Obama… On peut y voir, plus profondément, l’obsession française de montrer à son grand Allié qu’elle est « amie, alliée mais pas alignée », selon les mots de Hubert Védrine, ou l’agacement américain face à ce petit partenaire aux moyens réduits mais qui revendique l’égalité souveraine.</p>
<p>Mais les périodes de tension forte ont été, en réalité, pour la plupart générées par des divergences de fond sur les grands dossiers internationaux. A Phnom Penh en 1966, en pleine guerre du Vietnam, le général de Gaulle avertissait les Américains que l’Asie ne se soumettrait pas à leur volonté.</p>
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<p>En 2003, menaçant d’user de son droit de veto aux Nations Unies, Jacques Chirac s’opposait à la guerre américaine en Irak, prévoyant une déstabilisation forte du Proche-Orient, et dénonçant l’ultimatum américain contre Saddam Hussein comme une <a href="http://www.ina.fr/video/2257663001">pratique dangereuse pour les relations internationales</a>. Le même Jacques Chirac s’était opposé, au sein de l’OTAN, aux plans de bombardements américains sur Belgrade lors de la guerre du Kosovo (1999). Entre Emmanuel Macron et Donald Trump, la divergence sur l’importance de la question climatique est aujourd’hui totale, et profonde.</p>
<p>Ces oppositions, que l’on aurait donc tort de réduire à de simples affrontements symboliques entre « people » (la poignée de main Trump-Macron), peuvent nourrir un sentiment profond d’incompatibilité de part et d’autre. Le « French bashing » n’est jamais à exclure aux États-Unis, pas plus que la tentation française pour une tendance révolutionnaro-tiers-mondiste parfois réémergente (l’alliance bolivarienne de Jean‑Luc Mélenchon…), mais surtout pour un rapprochement fort avec Moscou, encore prôné par de nombreux candidats aux élections présidentielles de 2017, notamment par trois des quatre arrivés en tête (Le Pen, Fillon, Mélenchon encore).</p>
<p>Le rappel du passé n’est donc jamais inutile, pas plus que le rappel du constat selon lequel, dans de nombreux domaines, ni les États-Unis ni la France n’ont de meilleur allié de rechange. Ces perspectives l’emportent encore sur les frictions individuelles, ou sur les sujets de divergence pourtant réels. Tel est sans doute le sens de l’invitation de Donald Trump à Paris, qui dépasse de loin sa personne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/81050/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
La présence de Donald Trump au défilé militaire du 14 juillet a illustré un aspect important de la relation entre les deux pays : en dépit des brouilles (fréquentes), le poids de l’Histoire demeure.Frédéric Charillon, professeur de science politique, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.