tag:theconversation.com,2011:/us/topics/colonies-francaises-55573/articlescolonies françaises – The Conversation2024-01-14T16:26:27Ztag:theconversation.com,2011:article/2197732024-01-14T16:26:27Z2024-01-14T16:26:27ZKouang Tchéou Wan : la concession française qui voulait rivaliser avec Hongkong<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/567131/original/file-20231221-21-glb7sp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C907%2C578&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Miliciens chinois et officiers français dans le territoire français de Kouang Tchéou Wan. Carte postale des années 1920 ou 1930.</span> </figcaption></figure><p>La célébration du soixantième anniversaire de <a href="https://francearchives.gouv.fr/pages_histoire/39242">l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la République populaire de Chine</a> (27 janvier 1964) invite à se retourner sur la longue histoire du lien entre les deux pays et, notamment, sur un épisode peu connu : celui de Kouang Tcheou Wan (KTW).</p>
<p>En 1899, la France signe un bail de 99 ans avec la Chine pour l’acquisition de ce territoire de 1 300 km<sup>2</sup>, peuplé d’environ 200 000 habitants, situé sur la péninsule de Leizhou, dans le sud de la Chine continentale. KTW aurait donc dû être restitué en 1998, peu après le <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/en-1997-la-chine-recupere-hong-kong-et-fait-des-promesses-8398189">retour de Hongkong dans le giron chinois</a>. Mais il le fut dès 1946. Ce pan de l’histoire de la présence française en Chine est le symbole d’un échec de l’expansion française sur le continent asiatique.</p>
<p>L’implantation d’une concession française dans cette région est le fruit d’une politique chinoise de développement économique : au XIX<sup>e</sup> siècle, la Chine a décidé de céder des parties de son territoire à des puissances étrangères dans le but de faciliter son développement économique grâce aux investissements. C’est ainsi que la Russie (Lushunkou, 1897), la Prusse (Qingdao, 1898) ou encore le Royaume-Uni (Hongkong, 1898) se sont implantés en Chine.</p>
<p>Par le bail signé le 16 novembre 1899, Paris rattache administrativement ce territoire à <a href="https://cafi-histoires-memoires.fr/l-indochine/la-france-en-indochine">l’Indochine, instaurée en 1887</a>, et nomme sa capitale Fort-Bayard (aujourd’hui Zhanjiang), une petite ville cotière. La concession de Kouang Tchéou Wan s’est faite par le biais d’un <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5839871c/f77.item">échange de lettres</a> et non pas via un traité, démontrant la grande prudence de la Chine, qui précise dans ces lettres que « cette location n’affectera pas les droits de souveraineté de la Chine sur les territoires concédés », c’est-à-dire que Pékin reprendra entièrement la main 99 ans plus tard.</p>
<h2>Une concession aux enjeux stratégiques</h2>
<p>À travers l’obtention de cette concession, la France avait pour objectif de rivaliser avec le développement économique des Britanniques installés à Hongkong un an plus tôt. Paul Doumer, alors gouverneur général de l’Indochine, a choisi cette baie où le riche sous-sol avait été prospecté par un <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3754332.r=claudius%20madrolle?rk=193134;0">explorateur français en 1896</a> mais qui avait été qualifiée dans les cartes britanniques de « baie sans espoir ».</p>
<p>Avant Kouang Tchéou Wa, la France a déjà possédé des concessions en Chine à l’image de <a href="https://www.cairn.info/la-france-en-chine--9782262042097-page-226.htm">Shanghai</a> (1849-1946), <a href="https://souvenir-francais-asie.com/tag/concession-franco-britannique-de-shamian/">Canton</a> (1861-1946), <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01985187/document">Tientsin</a> (1861-1946) ou encore <a href="https://www.lepoint.fr/histoire/la-longue-histoire-des-francais-a-wuhan-03-05-2020-2373900_1615.php">Hankéou/Wuhan</a> (1886-1943). Ces précédentes concessions interdisaient cependant la construction d’un port destiné à la marine française, pour ne pas concurrencer les installations existantes (à Canton ou Shanghai), d’où le choix de KTW, où il n’y avait pas de port industriel.</p>
<p>Depuis ce port, la France pouvait ainsi exporter des produits miniers, contrôler le trafic maritime en mer de Chine méridionale pour mieux exporter, éviter la contrebande et éliminer les pirates <a href="https://www.entreprises-coloniales.fr/inde-indochine/Kouang-tcheou-Wan.pdf">(quelques centaines d’après la presse de l’époque</a>. Le phare de Fort-Bayard, construit en 1904, est emblématique de cette stratégie.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/565495/original/file-20231213-14492-t4vjqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/565495/original/file-20231213-14492-t4vjqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565495/original/file-20231213-14492-t4vjqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565495/original/file-20231213-14492-t4vjqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565495/original/file-20231213-14492-t4vjqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565495/original/file-20231213-14492-t4vjqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565495/original/file-20231213-14492-t4vjqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565495/original/file-20231213-14492-t4vjqa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte postale avec le phare de Nao Tchéou. 1905.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Phare_de_Nao-Tchéo_%28Nǎozhōu%29_1905_%28carte_postale%29.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Une chambre de commerce française est ouverte en 1930. La France organise administrativement le territoire en remplaçant les mandarins locaux, en recensant la population et les armes en circulation, en mettant en place un système d’impôts et de douane ainsi qu’un système judiciaire et un service de renseignement pour prévenir les risques de soulèvements et s’informer sur la piraterie. La présence française prend aussi une dimension militaire avec l’installation de trois bataillons d’infanterie de marine, une section d’artillerie, un bataillon de tirailleurs chinois et une milice chinoise.</p>
<h2>Le faible développement et la fin de la présence française</h2>
<p>KTW va se développer lentement et ne connaîtra pas le même succès économique que Hongkong. La population totale n’a pas réussi à dépasser les 200 000 habitants (dont seulement une centaine de Français). Dès le début, le développement est menacé par le manque de financement et l’hostilité des habitants. Les fonctionnaires ne reçoivent pas toujours leur paie, et l’approvisionnement en charbon des navires de passage est difficile tandis que les installations télégraphiques se font attendre.</p>
<p>KTW passe ainsi pour un <a href="https://journals.openedition.org/abpo/3492">« territoire oublié de la Marine »</a> marqué par un certain isolement et un quotidien morose d’après Charles Broquet, médecin de la Marine stationné à Kouang Tchéou Wan. Les épidémies de peste et la dysenterie rendent la vie sur place difficile, d’autant que les pirates, qui procèdent notamment à des enlèvements, demeurent une menace constante.</p>
<p>En matière d’échanges économiques, les exportations sont majoritairement tournées vers Hongkong, qui n’impose pas de droits de douane, au détriment de l’Indochine. La distance joue aussi un rôle, KTW se trouvant à 22 heures de route de Hongkong et 48 heures de Haiphong, la ville côtière indochinoise la plus proche. KTW devient ainsi simplement un satellite de Hongkong. Le chiffre d’affaires du commerce est toutefois trois fois supérieur à celui de La Rochelle mais correspond seulement à un quart du trafic du port aquitain (les marchandises étant plus coûteuses et plus rares).</p>
<p>D’après la géographe <a href="https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1925_num_34_187_8102">Andrée Choveaux</a>, l’agriculture a néanmoins fortement progressé durant la période. Avant l’arrivée de la France, la production locale de riz ne suffisait pas à la consommation locale et avait rendu indispensable le développement de nouvelles rizières afin de satisfaire les besoins grandissants.</p>
<p>Dans le même temps, la culture de la pomme de terre et du sel et la pêche ont aussi connu un développement alors que le coton, lui, n’a pu être développé en raison du climat et notamment des typhons fréquents. L’installation de sucreries, tanneries et briqueteries a complété l’industrie locale. Cependant, la Banque de l’Indochine, qui a alors le monopole de l’émission de la monnaie dans les colonies françaises d’Asie et du Pacifique, ne s’installe à KTW qu’à partir de 1925, signe d’une économie locale faible et peu intéressante.</p>
<p>Après la Première Guerre mondiale, la France souhaite mettre fin à son implantation en Chine et se recentrer sur l’Indochine, prenant conscience que KTW ne rivalisera pas avec Hongkong dont la population a doublé, atteignant plus de 600 000 habitants. En 1925, face à la pression impérialiste japonaise ayant des visées sur les côtes chinoises depuis plusieurs décennies, la France pense à transformer KTW en port de guerre. Cependant, les crédits ne suivent pas, notamment à cause de la crise économique des années 1930, et le projet ne voit jamais le jour.</p>
<p>En 1943, le territoire est occupé par le Japon. Le 18 août 1945, à Chongqing, la France et la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9publique_de_Chine_(1912-1949)">République de Chine</a> (le régime qui a précédé la RPC) signent un acte de rétrocession du territoire. Le drapeau français est retiré le 20 novembre 1945 et la ville de Fort-Bayard change de nom pour redevenir Zhanjiang. L’idée de rétrocession avait été évoquée dès 1922, mais la France militait pour une rétrocession générale de toutes les concessions étrangères, qualifiées en 1924 de « traités inégaux » par <a href="https://www.cairn.info/les-trente-empereurs-qui-ont-fait-la-chine--9782262051587-page-459.htm">Sun Yat-sen</a>, premier président de la République de Chine, soulignant leur caractère discriminatoire et déséquilibré. Une première concession britannique, Wei-Ha-Wei, avait fini par être rétrocédée en 1930 après 7 ans de négociations.</p>
<h2>L’héritage français</h2>
<p>En 1940, la France avait inauguré un monument en bronze en souvenir de l’escale de six mois à KTW du bateau Amphitrite en 1701-1702 lors de son second voyage en Chine. Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose de la présence française, si ce n’est quelques monuments chinois, dont certains symbolisent l’hostilité à l’ancien pouvoir colonial.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/565496/original/file-20231213-17-bhtqqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565496/original/file-20231213-17-bhtqqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565496/original/file-20231213-17-bhtqqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565496/original/file-20231213-17-bhtqqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565496/original/file-20231213-17-bhtqqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565496/original/file-20231213-17-bhtqqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565496/original/file-20231213-17-bhtqqt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Monument à la résistance anti-française.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Suixi_County_-_P1580467_-_Huanglüe_People_Anti-French_Resistance_Monument.jpg?uselang=fr">Vmenkov/Wikimedia</a></span>
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<p>Le quotidien des Français sur place a laissé une image ternie par le trafic d’absinthe et d’opium, dont KTW était une plaque tournante. Pour l’historien spécialiste du territoire <a href="https://www.lesindessavantes.com/ouvrage/kouang-tcheou-wan-colonie-clandestine/">Antoine Vanière</a>, la concession a été gérée comme une colonie mais avec opacité et affairisme. La France avait formé localement des cadres et une élite francophone d’un millier de personnes, avec un lycée français d’enseignement bilingue. Cependant, la francophonie a rapidement chuté dans les années 1960, lorsque parler français était considéré comme une attitude impérialiste.</p>
<p>À l’inverse, pour <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5839871c/f1.item">Alfred Bonningue</a>, fervent défenseur du colonialisme français, la présence française a été source de bienfaits avec des avancées dans les domaines sanitaires (hôpitaux), de l’instruction publique (collège Albert Sarraut) ou de la sécurité (paix, justice avec de nouveaux tribunaux et suppression des châtiments corporels). L’auteur avance une comparaison avec les investissements réalisés au Niger qui avait une population cinq fois plus importante, mais où les investissements français ont été inférieurs à 40 % de ceux réalisés à KTW.</p>
<p>L’héritage français se retrouve encore aujourd’hui à travers la religion catholique, pratiquée par environ 5 % de la population à Zhanjiang. Enfin, en 2014, la ville de Zhanjiang a construit une rue « à la française » sur le thème du voyage et des loisirs pour développer le tourisme. Cette rénovation s’inscrit dans une politique plus large qui promet de protéger et de rénover les anciens bâtiments de style français (police, église, chambre de commerce, phare), et de favoriser le développement du secteur de la mode.</p>
<h2>Zhanjiang aujourd’hui</h2>
<p>Après le départ des Français, Zhanjiang s’est développée rapidement : une base navale est construite en 1956 par le gouvernement chinois qui y abrite une flotte de guerre. Sa localisation stratégique sur les côtes de la mer de Chine a rapidement fait prospérer la ville, dont le port lui permet de commercer avec une centaine d’autres cités de Chine et d’ailleurs en Asie et dans le reste du monde.</p>
<p>Dès 1984, la Chine a ouvert la <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/ouverture-economique-chinoise">Zhanjiang Economic and Technological Development Zone</a>, permettant ainsi à la ville de recevoir des investisseurs étrangers. Cette zone favorise aussi l’implantation d’entreprises de biotechnologies et d’informatique. Les secteurs des chantiers navals et des industries automobiles, électriques et textiles fleurissent, tout comme les raffineries de sucre, minoteries et usines chimiques. Le tourisme se développe aussi, avec l’inauguration de parcs d’attractions. Aujourd’hui, Zhanjiang entretient des relations étroites avec Taïwan, notamment dans le domaine agricole, renforçant ainsi son rôle stratégique.</p>
<p>La présence française à Kouang Tchéou Wan de la Chine reste un échec, pour ne pas parler de <a href="https://www.cairn.info/nouvelle-histoire-de-l-indochine-francaise--9782262088019-page-170.htm">fiasco</a>. Le parallèle avec Hongkong est frappant : de tailles presque comparables – chacune abrite aujourd’hui environ 7 millions d’habitants – les deux sites ont connu des destins complètement différents et la politique économique britannique, plus audacieuse, y est pour beaucoup.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219773/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane Aymard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Méconnu, le territoire Kouang Tchéou Wan est un fragment de l’histoire de la présence française en Chine. Son développement économique fut un échec vis-à-vis de sa rivale Hongkong.Stéphane Aymard, Ingénieur de Recherche, La Rochelle UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1900242022-09-14T18:05:42Z2022-09-14T18:05:42ZAlgérie-Indochine : l’asymétrie mémorielle française<p>Emmanuel Macron vient d’effectuer une <a href="https://www.europe1.fr/politique/algerie-quel-bilan-pour-la-visite-demmanuel-macron-sur-place-4130470">visite officielle à Alger</a> afin de mettre en œuvre une « réconciliation mémorielle » entre les sociétés française et algérienne sur la guerre qui les a déchirées entre 1954 et 1962.</p>
<p>En juillet 2020, déjà, le président avait confié à l’historien Benjamin Stora une <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/07/24/emmanuel-macron-confie-a-l-historien-benjamin-stora-une-mission-sur-la-memoire-de-la-colonisation-et-de-la-guerre-d-algerie_6047236_3212.html">« mission sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie »</a>. Six mois plus tard, ce dernier rendait <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/16509">son rapport</a> comprenant des recommandations concrètes pour faciliter la réconciliation. En octobre 2021, <a href="https://www.france24.com/fr/france/20211016-17-octobre-1961-emmanuel-macron-va-reconna%C3%AEtre-une-v%C3%A9rit%C3%A9-incontestable">Emmanuel Macron déposait une gerbe</a> nationale sur les berges de Seine <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2021-4-page-32.htm">à la mémoire des militants algériens</a> tués par la police française en 1961.</p>
<p>Ces démarches étaient, certes, motivées par un besoin d’affronter le passé, par les tensions récentes entre la France et l’Algérie, par des <a href="https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2017-1-page-29.htm">problèmes irrésolus d’intégration</a> dans l’Hexagone, et sans doute des préoccupations politiques lors de la campagne électorale du président sortant en 2022. Il est néanmoins frappant de constater à quel point l’Algérie occupe une place beaucoup plus importante que celle de l’Indochine dans la mémoire française. Et cela, malgré le fait que la <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2009-1-page-339.htm">guerre d’Indochine</a>, qui a opposé la France au Vietnam d’Hô Chi Minh entre 1945 et 1954, fut la <a href="https://www.lhistoire.fr/indochine-la-guerre-de-d%C3%A9colonisation-la-plus-violente-du-xxe-si%C3%A8cle%C2%A0">guerre de décolonisation la plus violente du XXᵉ siècle</a>.</p>
<p>Comment expliquer cet oubli relatif du Vietnam à une époque où la France semble plus prête qu’auparavant à regarder son passé colonial en face ?</p>
<h2>La « rive algérienne » de la mémoire française</h2>
<p>La prédominance algérienne s’explique par divers facteurs. Le premier, démographique, fait ressortir le maigre poids de la <a href="https://www.cairn.info/revue-annales-de-demographie-historique-2007-1-page-85.htm">population des « Français d’Indochine »</a> – 35 000 personnes en 1945 – comparé au million de « Français d’Algérie » qui se comptaient de façon assez stable entre 1945 et 1962. Après la guerre d’Algérie, la majorité d’entre eux <a href="https://cairn.info/revue-pole-sud-2006-1.htm?contenu=sommaire">s’installèrent en France</a>. Le poids politique et l’influence mémorielle des Français d’Indochine resteront toujours plus modestes par rapport à ceux des Français d’Algérie installés en France après 1962.</p>
<p>Le deuxième facteur tient à l’origine des combattants eux-mêmes. Pour garder l’Algérie française, Paris ne vit d’autre choix que d’imposer la <a href="https://www.cairn.info/revue-historique-2007-1-page-165.htm">conscription</a> aux jeunes Français de métropole. Un million et demi de soldats français furent ainsi envoyés en Algérie. La guerre terminée, des porte-paroles, des associations, des maisons d’édition, d’anciens colons aussi, échangeront souvenirs, traumas, commémorations.</p>
<p>En Indochine, la situation était très différente : le gouvernement français avait fait appel au Corps expéditionnaire, à la Légion étrangère, mais surtout aux <a href="https://www.penseemiliterre.fr/ressources/30114/43/de-la-politique-de-jaunissement_cdt-cadeau.pdf">soldats de son Empire</a>. La majorité des « anciens d’Indo » étaient en fait originaires de l’Indochine, du Maghreb et l’Afrique subsaharienne. La guerre terminée, ils ont ramené leur mémoire avec eux. L’homme qui a bâti la dalle commémorative à Diên Biên Phu en 1992, pour honorer les soldats tombés pour la France dans cette bataille historique de 1954, était un Allemand, un ancien de la Légion.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/484042/original/file-20220912-20-zjibcx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Mémorial en pierre en l’honneur des morts français au Vietnam" src="https://images.theconversation.com/files/484042/original/file-20220912-20-zjibcx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484042/original/file-20220912-20-zjibcx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484042/original/file-20220912-20-zjibcx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484042/original/file-20220912-20-zjibcx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484042/original/file-20220912-20-zjibcx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484042/original/file-20220912-20-zjibcx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484042/original/file-20220912-20-zjibcx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Mémorial en l’honneur des soldats français morts lors de la bataille de Diên Biên Phu au Vietnam.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:French_War_Memorial_-_Dien_Bien_Phu_-_Vietnam_%2848159141076%29.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Troisième facteur : si des dizaines de milliers de harkis algériens, qui s’étaient battus comme supplétifs aux côtés des Français, s’installèrent en France après 1962 avec leur famille, les soldats vietnamiens ayant combattu les troupes d’Hô Chi Minh auprès des Français d’abord, puis des Américains jusqu’à la <a href="https://www.lhistoire.fr/%C3%A9ph%C3%A9m%C3%A9ride/30-avril-1975-chute-de-saigon">chute de Saigon</a> en 1975, refirent principalement leur vie en Amérique du Nord. La diaspora vietnamienne en France ne peut pas être comparée à la diaspora vietnamienne aux États-Unis, ni à celle des Algériens en France. Le poids politique et mémoriel de cette communauté vietnamienne de France est en conséquence beaucoup plus faible. En 2019, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) comptait <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3633212">846 400 immigrés algériens résidant sur le territoire français</a>. La même année, l’Institut national d’études démographiques (INED) estimait à <a href="https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/chiffres/france/immigres-etrangers/descendants-dimmigres-par-pays-dorigine/">1 207 000 le nombre d’enfants d’immigrés algériens résidant en France</a>, soit 2,1 millions de personnes sur deux générations.</p>
<p>La diaspora vietnamienne en France est la deuxième dans le monde après celle des États-Unis, laquelle est forte de 2 100 000 membres. L’Insee dénombrait en 2018 159 000 personnes résidant en France <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381755">nées dans toute l’ex-Indochine française</a> (Cambodge, Laos, Vietnam) ainsi que <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4186761">153 000 descendants directs d’au moins un parent né en ex-Indochine française</a>, soit 312 000 au total.</p>
<p>Que le président Macron se soit <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/11/30/la-therapie-memorielle-des-petits-enfants-de-la-guerre-d-algerie_6104100_823448.html">récemment adressé</a> aux « petits-enfants de la guerre d’Algérie » sans penser à évoquer leurs homologues vietnamiens est révélateur à cet égard.</p>
<p>Soulignons aussi que la guerre d’Algérie ne s’est jamais internationalisée comme ce fut le cas en Indochine. Cela a permis aux hommes politiques et anciens combattants français de présenter la guerre d’Indochine comme une lutte anticommuniste dans le cadre d’une coalition occidentale, non comme une <a href="https://www.lhistoire.fr/indochine-combat-pour-une-puissance-perdue">guerre coloniale</a> qu’elle fut assurément. La sortie de la France de la guerre d’Indochine apparut ainsi moins comme une défaite coloniale qu’un simple passage de flambeau anticommuniste aux Américains dans un lointain pays en Asie. Certes, la guerre d’Algérie eut un volet international, mais elle fut surtout une affaire coloniale. L’Indochine restera un enjeu géopolitique majeur dans les relations internationales jusque dans les années 1990.</p>
<p>Enfin, les <a href="https://www.persee.fr/doc/ihtp_0769-4504_1996_num_34_1_2369">intellectuels français critiques de la guerre d’Indochine</a> à l’époque se comptent sur les doigts d’une main. En revanche, la liste de ceux qui se sont opposés au conflit algérien est longue : Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Jacques Derrida, Franz Fanon et Pierre Bourdieu pour ne citer qu’eux. Même le cinéma français écarte les Vietnamiens. On voit les centurions français de la guerre d’Indochine dans les films de Pierre Schoendoerffer comme <a href="https://www.cairn.info/revue-inflexions-2019-3-page-37.htm"><em>La 317ᵉ Section</em></a> ou <a href="https://www.lemonde.fr/m-styles/article/2011/11/17/le-crabe-tambour-de-pierre-schoendoerffer_1605198_4497319.html"><em>Le Crabe-tambour</em></a>. On suit les soldats français dans les camps communistes après Diên Biên Phu. Mais on cherche en vain un film critique portant sur la toile de fond coloniale de la guerre d’Indochine qui serait comparable à la <a href="https://www.cairn.info/revue-inflexions-2019-3-page-159.htm"><em>Bataille d’Alger</em></a> de Gillo Pontecorvo.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484279/original/file-20220913-20-fi7apx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484279/original/file-20220913-20-fi7apx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=749&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484279/original/file-20220913-20-fi7apx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=749&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484279/original/file-20220913-20-fi7apx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=749&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484279/original/file-20220913-20-fi7apx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=941&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484279/original/file-20220913-20-fi7apx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=941&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484279/original/file-20220913-20-fi7apx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=941&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<h2>Et la « rive vietnamienne » ?</h2>
<p>Les Vietnamiens auraient pu demander des comptes à Paris à la fin de la guerre en 1954. Mais ce n’était pas si facile. La <a href="https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-l-institut-pierre-renouvin1-2012-2-page-57.htm">guerre américaine</a> éclipsa vite celle d’Indochine dans les années 1960. Puis survint la <a href="https://www.jstor.org/stable/25729173">troisième guerre d’Indochine</a>, qui opposa les communistes cambodgiens, vietnamiens et chinois en 1979. Les atrocités se cumulaient, s’écrasaient les unes sur les autres. Se préoccuper de l’Histoire, de la mémoire, quand le pays est encore en guerre ou tout est à reconstruire peut sembler difficile à entreprendre.</p>
<p>De nos jours, le gouvernement communiste du Vietnam ne tient pas particulièrement à se souvenir de ces pans conflictuels. Il répète à l’infini une histoire nationaliste héroïque, où la célèbre victoire sur l’armée française à <a href="https://www.cairn.info/la-guerre-d-indochine--9791021010192-page-431.htm">Diên Biên Phu</a> est un chaînon glorieux, primordial en termes mémoriels. Mais pour Hanoi, il est hors de question de réclamer la repentance de la France pour la guerre d’Indochine. Les massacres commis par l’armée française à la fin des années 1940 se commémorent au niveau local jusqu’à nos jours, mais le gouvernement actuel ne laisserait jamais ces <a href="https://www.herodote.net/16_mars_1968-evenement-19680316.php">« My Lai français »</a> mettre en danger ses relations avec la France.</p>
<p>Sans doute aussi, Hanoi, accolé à une Chine déterminée à jouer un rôle prédominant dans l’Indopacifique, ne souhaite pas mettre en cause ses relations discrètes, mais très importantes, avec les Américains et les Français. Au Moyen-Orient, aucun voisin de l’Algérie n’est une puissance un tant soit peu comparable à la Chine. Les dirigeants algériens ont donc les mains plus libres pour mobiliser différemment la mémoire vis-à-vis de la France.</p>
<p>Le contraste est patent entre la pensée mémorielle à Hanoi et à Alger, quand on songe à la volonté des dirigeants algériens depuis Abdelaziz Bouteflika, le président algérien entre 1999 et 2019, et son successeur, Abdelmadjid Tebboune, de faire le procès de la colonisation à la France. En 2021, le ministre algérien de la Communication <a href="https://www.lefigaro.fr/international/colonisation-alger-reclame-toujours-la-repentance-de-la-france-20210508">a demandé</a> « la reconnaissance officielle, définitive et globale, par la France, de ses crimes […] la repentance et des indemnisations équitables ». Emmanuel Macron, dans <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Pourquoi-torchon-brule-entre-France-lAlgerie-2021-10-03-1201178652">sa réplique</a>, a suscité la colère de la classe dirigeante à Alger en déclarant que l’Algérie s’est construite « sur une rente mémorielle » et « une haine de la France ». En signe de protestation, le <a href="https://www.rts.ch/info/monde/12538060-lalgerie-rappelle-son-ambassadeur-a-paris-apres-des-propos-demmanuel-macron.html">président algérien rappela son ambassadeur de Paris</a>. Aucun dirigeant communiste à Hanoi n’aurait jamais entamé un tel échange avec le gouvernement français.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/vers-une-reconciliation-franco-algerienne-189658">Vers une réconciliation franco-algérienne ?</a>
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<h2>France-Vietnam : la réconciliation s’est-elle vraiment déjà faite ?</h2>
<p>Au Vietnam comme en France, les dirigeants préfèrent regarder vers l’avenir. Ce fut déjà évident au début de la normalisation des relations franco-vietnamiennes à la fin de la guerre froide. Lorsque le président François Mitterrand effectua une <a href="https://www.universalis.fr/evenement/9-16-fevrier-1993-france-asie-visite-du-president-francois-mitterrand-au-vietnam-et-au-cambodge/">visite officielle au Vietnam en 1993</a> pour ouvrir un nouveau chapitre diplomatique, il mit surtout l’accent sur l’avenir.</p>
<p>Initiant une sorte de rituel qui continue jusqu’à nos jours, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1993/02/11/la-visite-du-president-francais-au-vietnam-m-mitterrand-estime-que-l-embargo-americain-n-a-plus-de-raison-d-etre_3914182_1819218.html">Mitterrand se rendit cependant sur le site de Diên Biên Phu</a> pour saluer l’héroïsme des combattants français tombés dans cette bataille épique, pour « ressentir tout ce qu’un Français peut éprouver devant le sacrifice de nos soldats, sans oublier les autres ». Dans ce voyage, Mitterrand était notamment accompagné de Pierre Schoendoerffer. Ce dernier venait de sortir son dernier film, <a href="https://www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2003-3-page-107.htm"><em>Dien Bien Phu</em></a>, qui louait justement l’esprit de « sacrifice » des soldats français lors de cette perte « tragique » et pourtant « héroïque » que fut la bataille de Diên Biên Phu.</p>
<p>Emmanuel Macron ne s’est jamais rendu au Vietnam, mais il y a <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/10641-retour-sur-le-voyage-au-vietnam-d-edouard-philippe">envoyé son premier ministre</a> Édouard Philippe, en visite officielle en 2018. Celui-ci déposa solennellement une gerbe devant le monument aux morts français à Diên Biên Phu. Il évoqua la guerre franco-vietnamienne rapidement avant de se tourner vers l’avenir :</p>
<blockquote>
<p>« Nos deux pays, parce qu’ils sont réconciliés avec leur passé regardent avec plus de force encore leur avenir partagé. »</p>
</blockquote>
<p>Son homologue vietnamien fit une déclaration allant dans le même sens. En effet, à la différence du gouvernement algérien, les dirigeants vietnamiens veulent éviter de souligner le passé colonial afin de mettre l’accent sur un nouveau « partenariat stratégique » en Asie. Pour Paris et Hanoi, la réconciliation est déjà acquise. Il faut tourner la page.</p>
<p>Toutefois, les cicatrices de la guerre sont encore présentes dans le tissu social vietnamien. Selon Bernard Fall, un <a href="https://cgoscha.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/28/2022/07/Bernard-Fall-This-isnt-munich.pdf">million de Vietnamiens sont morts lors du conflit indochinois (contre 21 000 décès français)</a>. La plupart étaient des civils. Mais peu de journalistes, écrivains ou chercheurs ont enquêté sur les blessures de la guerre d’Indochine vécues par les Vietnamiens. Et pourtant, de <a href="https://cgoscha.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/28/2022/02/massacres-indochine-images-2.pdf">nombreux monuments</a> commémorent les pertes civiles causées par la guerre. Il suffit de regarder au-delà de Diên Biên Phu.</p>
<p>Plusieurs Vietnamiens nous ont aussi laissés <a href="https://cgoscha.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/28/2022/08/nguyen-cong-luan-nationalist-viet-nam-wars.pdf">leurs témoignages</a>. Il faut les lire. Car briser un mur de silence est une chose, mais un manque d’écoute pérennise l’oubli.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190024/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christopher Goscha ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pourquoi, alors que le travail mémoriel sur la guerre d’Algérie est en cours en France, un travail similaire n’est-il pas effectué à propos de la guerre d’Indochine ?Christopher Goscha, Professor, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1854532022-07-25T19:54:27Z2022-07-25T19:54:27ZFiscalité des États africains : le poids de l’héritage colonial<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/472047/original/file-20220701-18-tb2wvl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C0%2C1176%2C761&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un administrateur français pendant une tournée à travers le Congo français en 1905.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://sirismm.si.edu/eepa/eep2/eepa_a0023.jpg">J. Audema, Wikipedia</a></span></figcaption></figure><p>Alors que la colonisation française en Afrique fait l’objet de nombreux débats, la recherche en histoire économique permet d’apporter un regard éclairé sur cette question à travers l’examen de données historiques quantitatives.</p>
<p>Un des marqueurs importants de la colonisation sur les ex-territoires colonisés est la mise en place d’outils fiscaux et budgétaires. Nous les étudions scrupuleusement dans <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-economic-history/article/abs/fiscal-capacity-and-dualism-in-colonial-states-the-french-empire-18301962/8523B1BFB35FBA23514F84605566CDE2">cet article</a>.</p>
<p>Comme cela a déjà été montré concernant l’<a href="https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-economic-history/article/abs/black-mans-burden-the-cost-of-colonization-of-french-west-africa/42EF127DCC7EA90A0DD1362A8D0B1954">Afrique de l’Ouest</a>, il apparaît que durant la quasi-totalité de la période coloniale l’objectif de la politique fiscale de Paris a été de prélever suffisamment de ressources dans chacun des territoires colonisés pour que la colonisation ne coûte quasiment rien aux contribuables de la France métropolitaine.</p>
<h2>Le niveau élevé de la taxation des colonies par la métropole</h2>
<p>À cette fin, la France a favorisé des modes de prélèvement bien spécifiques, rapidement rentables et relativement aisés à mettre en œuvre : taxes sur les monopoles de production ou de commercialisation sur des biens tels que l’alcool ; taxes sur les importations consommées par les résidents des colonies ; mais aussi impôts payés par les populations locales tels que l’« impôt de capitation ». Celui-ci consistait à exiger des chefs de village qu’ils collectent une somme forfaitaire auprès de chaque habitant en âge de travailler ou, au Niger et en Mauritanie, sur le nombre de têtes de troupeaux.</p>
<p>Autre procédé rentable pour le colonisateur : le <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/l%27europe-et-le-monde/travail-et-migrations-forc%C3%A9s-dans-les-colonies-europ%C3%A9ennes/travail-forc%C3%A9-dans-les-colonies-europ%C3%A9ennes">travail forcé</a>, dédié à la construction des routes, ports et chemins de fer.</p>
<p>On a ainsi calculé que l’impôt de capitation et le travail forcé constituaient en 1925 la moitié des recettes publiques en Afrique subsaharienne francophone.</p>
<p>C’est seulement après la Seconde Guerre mondiale que des outils fiscaux plus modernes tels que les impôts directs sur le revenu ont été développés. En effet, à cette époque, la France a voulu accélérer les investissements publics dans ses colonies, et, même si les gouvernements d’après-guerre étaient prêts à financer ces dépenses publiques par des subventions, il est devenu nécessaire de développer de nouveaux outils de prélèvements fiscaux au sein des territoires colonisés.</p>
<p>Grâce à un important travail de collecte et d’analyse des comptes publics des 18 anciennes colonies françaises d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne (Algérie, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Madagascar, Mali, Maroc, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad, Togo, Tunisie) et des ministères en charge de la colonisation, nous montrons que les prélèvements fiscaux ont été assez élevés : en moyenne, les administrations coloniales de l’empire français prélevaient 9 % du PIB des colonies en 1925, et 16 % en 1955.</p>
<p>Ces chiffres étaient supérieurs à la moyenne des pays non colonisés ayant le même niveau de revenu par habitant à la même période. Cette forte extraction fiscale n’était pas une spécificité française mais plutôt une caractéristique générale des États coloniaux du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>L’évolution des dépenses</h2>
<p>Pendant la période coloniale, les dépenses publiques étaient biaisées – dans le sens où elles devaient d’abord servir les intérêts des colons et des investisseurs français. Elles étaient aussi coûteuses – car elles servaient aussi à rémunérer des fonctionnaires et des militaires français à des salaires relativement élevés.</p>
<p>Dans les années 1950, dans l’espoir de préserver sa domination, la puissance coloniale française est devenue plus « développementaliste » et a augmenté les dépenses sociales, notamment dans l’éducation.</p>
<p>Elle a accordé certains droits politiques aux populations locales et a donné satisfaction à des revendications en matière d’égalité salariale. Les coûts salariaux dans le secteur public étaient donc élevés. La prime salariale du secteur public – mesurée comme le rapport entre le salaire moyen dans le service public et le PIB par personne en âge de travailler – était nettement plus élevée dans les colonies (7,3) que dans l’Hexagone (1,3).</p>
<p>Compte tenu de ces coûts unitaires élevés, les investissements publics mis en œuvre et les subventions françaises fournies pour les financer se sont avérés insuffisants pour améliorer le développement économique des colonies de la façon souhaitée.</p>
<h2>Après les indépendances, une baisse temporaire de la pression fiscale</h2>
<p>Comment, une fois les indépendances acquises, les États nouvellement indépendants ont-ils géré leurs finances publiques ? Tel est l’objet de <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03420664">nos recherches en cours</a>.</p>
<p>En reconstituant pour la première fois les séries de données de finances publiques de l’ensemble des anciennes colonies françaises en Afrique du Nord et Afrique subsaharienne de 1900 à nos jours, et en examinant scrupuleusement les évolutions autour des indépendances, nous avons pu établir que la décolonisation a provoqué une baisse de la pression fiscale, mais seulement de manière temporaire.</p>
<p>En moyenne, entre 1965 et 1970, le niveau de recettes est remonté au niveau qui était le sien dans les années 1950 – et ce malgré le démantèlement des fédérations coloniales, le départ des administrateurs et colons français, et la fuite d’une partie des capitaux français. Le graphique ci-dessous illustre ce propos.</p>
<p>Il permet de comparer les parts des recettes publiques (hors dons et prêts) en pourcentage des PIB observées juste avant les indépendances (1949-1955) et celles observées dix ans plus tard (1965-1973). Il se lit de la manière suivante : les recettes publiques du Tchad représentaient 3,5 % du PIB en 1949-1955 et 8,9 % en 1965-1973.</p>
<p>Tous les pays qui se situent sur la diagonale (Niger, Burkina Faso, Bénin, Sénégal, Togo, Mali, Mauritanie) ont pu collecter, dix ans après les indépendances, autant que durant la dernière période coloniale ; ceux qui sont au-dessus de la diagonale (Algérie, Gabon, Centrafrique, Tunisie, Congo, Cameroun, Maroc, Madagascar, Tchad et Côte d’Ivoire) ont augmenté leurs recettes publiques. Le seul pays qui collecte moins est la Guinée.</p>
<p>Cela tient à plusieurs facteurs. L’impôt de capitation, fortement régressif – fixé de manière forfaitaire indépendamment des revenus, il augmente les inégalités –, a été maintenu dans la plupart des pays jusqu’aux années 1970, même s’il a changé de nom et parfois de modalité de collecte.</p>
<p>Des systèmes fiscaux plus modernes et progressifs ont été peu à peu mis en place en adoptant le prélèvement à la source des impôts sur les revenus salariaux formels. Les droits de douane sur les importations ont continué à être augmentés. Les extractions de matières premières allant croissant (pétrole en Algérie, Congo et Gabon, bauxite en Mauritanie, phosphate au Maroc…), des recettes fiscales sur ces produits miniers ont été prélevées.</p>
<p>Enfin, les exportations de produits agricoles ont été taxées à travers les organismes des « caisses de stabilisation » : en imposant un prix fixe aux producteurs, les États ont pu bénéficier des écarts avec les prix des exportations alignés sur les cours mondiaux, souvent supérieurs aux prix payés aux producteurs. Ces recettes leur ont alors permis de financer des dépenses plutôt favorables aux populations urbaines et non aux populations rurales.</p>
<p>Côté dépenses, les premiers résultats de nos recherches révèlent que, sans exception, ces États ont augmenté de manière significative la part des recettes publiques destinée au paiement des dépenses courantes en éducation (constituées essentiellement de salaires d’enseignants) tandis que celle consacrée aux services publics de santé a stagné, voire diminué.</p>
<p>Les graphiques ci-dessous montrent en effet que quasiment tous les pays, exception faite de trois d’entre eux, ont dédié une part plus importante de leurs recettes à l’éducation après les indépendances relativement à la dernière période coloniale (les points étant quasiment tous au-dessus de la diagonale). En revanche, le constat est inverse en matière de santé : quasiment tous ont baissé les budgets de santé relativement aux orientations des années 1950.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/474657/original/file-20220718-22-k01dq3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/474657/original/file-20220718-22-k01dq3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/474657/original/file-20220718-22-k01dq3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/474657/original/file-20220718-22-k01dq3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/474657/original/file-20220718-22-k01dq3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/474657/original/file-20220718-22-k01dq3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/474657/original/file-20220718-22-k01dq3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/474657/original/file-20220718-22-k01dq3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/474658/original/file-20220718-77003-qvn3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/474658/original/file-20220718-77003-qvn3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/474658/original/file-20220718-77003-qvn3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/474658/original/file-20220718-77003-qvn3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/474658/original/file-20220718-77003-qvn3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/474658/original/file-20220718-77003-qvn3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/474658/original/file-20220718-77003-qvn3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/474658/original/file-20220718-77003-qvn3pm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>L’impact durable de la colonisation</h2>
<p>L’objectif de nos recherches en cours est de tenter de comprendre l’origine de ces choix budgétaires. Sont-ils dus à des contraintes de personnel ? Il est possible que, pour les pays décolonisés, il ait été plus facile et plus rapide de former des instituteurs que des personnels de santé qualifiés.</p>
<p>En tout état de cause, ces dépenses sociales ne sont qu’une partie des dépenses publiques ; il nous reste à examiner les autres postes de dépenses, telles que ceux de l’administration générale et des investissements publics (transports, télécommunication, électrification…), ainsi que les politiques mises en place en matière de nationalisation des entreprises privées.</p>
<p>On l’aura compris : les États nouvellement indépendants ont dû composer avec un mode de prélèvement hérité de la colonisation, dont seules les réformes mises en œuvre plus de 30 ou 40 ans après les indépendances ont semblé atténuer le poids.</p>
<p>Les taxes sur le commerce international représentaient un tiers des recettes publiques des années 1940 aux années 1970. Les libéralisations commerciales ont fait chuter ces prélèvements fiscaux. C’est seulement au tournant des années 2000 que les taxes domestiques compensent ces pertes de recettes fiscales.</p>
<hr>
<p><em>Cet article est publié dans le cadre du colloque « Modernités africaines. Conversations, circulations, décentrements », qui a lieu du 9 au 11 juin 2022 à l’ENS-PSL, sur les campus Jourdan et Ulm. <a href="https://www.ens.psl.eu/agenda/conference-olivier-legrain-sciences-et-societe/2022">Retrouvez ici le programme</a> de ces échanges.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185453/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sandrine Mesplé-Somps a reçu des financements de l'ANR, Agence nationale de la Recherche. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Denis Cogneau, Justine Knebelmann et Yannick Dupraz ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>La France avait mis en place une lourde politique fiscale visant à faire financer la colonisation par les territoires africains. Après les indépendances, cet héritage a été largement conservé.Sandrine Mesplé-Somps, Chargée de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)Denis Cogneau, Economiste, Institut de recherche pour le développement (IRD)Justine Knebelmann, Economiste, Massachusetts Institute of Technology (MIT)Yannick Dupraz, Économiste, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1838692022-06-06T19:43:18Z2022-06-06T19:43:18ZAnticolonialisme, droits des femmes : trajectoires méconnues de pionnières africaines<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/466933/original/file-20220603-25-9i76po.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=26%2C29%2C1570%2C972&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des élèves-institutrices à l’École normale de jeunes filles de l’AOF au début des années quarante.
Assise au premier rang, 7ème en partant de la gauche, Jeanne Martin Cissé fait partie des trois Guinéennes de la promotion 1940-1944.</span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>C'est l'histoire méconnue d'une génération de pionnières africaines, sages-femmes et institutrices, devenues militantes pour les indépendances et pour la cause des femmes. </p>
<p>Parmi elles, Jeanne Martin Cissé. Originaire de Guinée, elle exerce en 1972 la présidence du Conseil de sécurité de l’ONU en tant que représentante permanente de son pays, qui est alors membre non permanent du Conseil. Elle est née 46 ans plus tôt à l’époque de la colonisation française, <a href="https://maitron.fr/spip.php?article160090">dans la petite ville de Kankan</a>. </p>
<p>Au début des années 1970, cela fait presque vingt ans qu’elle sillonne le monde, familière des instances onusiennes et des organisations internationales. Elle a quitté l’Afrique pour la première fois en 1954, pour se rendre à Asnières, en région parisienne, déléguée par le président du Parti démocratique de Guinée, <a href="https://www.jeuneafrique.com/1309774/politique/guinee-pourquoi-sekou-toure-divise-encore-cent-ans-apres-sa-naissance/">Ahmed Sékou Touré</a>, à une réunion de la section française de la Fédération démocratique internationale des femmes (FDIF), une organisation proche du mouvement communiste.</p>
<p>La lutte était alors intense contre les autorités coloniales françaises. Pour faire connaître les combats menés en Afrique, celle qui fut la dixième institutrice diplômée de son pays s'est aussi rendue en Autriche, en Hongrie, en Chine ou encore en URSS. </p>
<p>Sa trajectoire, hors du commun, n’est pourtant pas unique. Des femmes de sa génération, formées par les colonisateurs français pour devenir des institutrices, des sages-femmes ou des infirmières, ont transgressé les frontières de genre, de classe et de race pour s’engager politiquement, malgré les contraintes qui pesaient sur elles.</p>
<h2>De l’école coloniale au combat politique</h2>
<p>En créant des écoles fédérales de filles au Sénégal, les responsables de la politique coloniale française n’avaient certainement pas pour objectif de contribuer à une transformation des rôles sociaux et sexués. </p>
<p>Au contraire, il s’agissait bien de permettre aux jeunes médecins, pharmaciens, instituteurs dits « indigènes » des fédérations d’Afrique occidentale (puis équatoriale) française (AOF et AEF) de trouver des épouses « à leur niveau », de les inciter à former des <a href="https://books.openedition.org/pur/102305?lang=fr">« ménages d’évolués » intermédiaires de l’administration et dévoués à la « mère patrie »</a>. </p>
<p>L’objectif était aussi économique : en l’absence d’enseignantes et de personnel de santé féminin en nombre suffisant, la formation à moindre coût d’auxiliaires locaux devait permettre de lutter contre l’analphabétisme et les taux élevés de mortalité maternelle et infantile.</p>
<p>C’est ainsi qu’entre 1918 et 1957 (date de sortie des dernières cohortes de sages-femmes et d’institutrices) l’École de médecine de Dakar et l’École normale d’institutrices de Rufisque <a href="https://books.openedition.org/pur/102419">ont accueilli 1 286 jeunes filles, dont 990 ont obtenu leur diplôme</a> : 633 sages-femmes, 63 infirmières-visiteuses et 294 enseignantes. </p>
<p>Au cours d’une formation de trois ou quatre années en internat, sous la férule plus ou moins bienveillante et autoritaire de directrices françaises, ces jeunes filles venues des différentes colonies qui composaient l’Afrique occidentale française (AOF) <a href="http://www.editionsdelasorbonne.fr/fr/livre/?GCOI=28405100202510">ont tissé des liens étroits de camaraderie</a>, fondés aussi sur le sentiment d’appartenir à une toute petite minorité dont la marge de manœuvre était réduite mais réelle. </p>
<p>Ces femmes étaient insérées dans le réseau plus vaste des hommes lettrés dont l’histoire a retenu les noms. Elles ont ainsi côtoyé <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche/(num_dept)/3874">Félix Houphouët-Boigny</a>, premier président de Côte d'Ivoire, <a href="https://www.rfi.fr/fr/tag/modibo-ke%C3%AFta/">Modibo Keita</a>, ancien instituteur qui mena son pays à l'indépendance, champion du panafricanisme, président de la Fédération du Mali dans les années 1950, Mamadou Dia, premier ministre du Sénégal qui s'opposa à Léopold Sédar Senghor, ou encore l'écrivain sénégalais Abdoulaye Sadji. </p>
<p>Ces premières promotions de « femmes savantes » ont bousculé les hiérarchies. Fait rare à l’époque, elles ont d’abord quitté leur famille pour poursuivre leur scolarité au Sénégal. Leurs premiers voyages, du Dahomey (actuel Bénin), de Guinée ou du Niger pour rejoindre Dakar et, non loin, Rufisque, sont une étape majeure dans leur formation, <a href="https://www.cairn.info/revue-annales-2009-4-page-825.htm">comme un premier moment d’ouverture au monde</a>.</p>
<p>Au lendemain du second conflit mondial, alors que l’accès à la citoyenneté des peuples colonisés <a href="https://journals.openedition.org/lectures/16764">est l’objet d’intenses débats</a> et que les demandes de réformes se multiplient, elles participent avec leurs frères, pères et maris, aux combats contre les colonisateurs, essayant de mener de front lutte anticoloniale et lutte pour les droits des femmes.</p>
<h2>Une position d’équilibriste</h2>
<p>Pour cette génération de femmes, qui ne se définissent jamais comme féministes, l’enjeu est double : combattre les inégalités raciales et revendiquer davantage de droits en tant que femmes. Le premier objectif est prioritaire. C’est d’abord pour réclamer l’égalité entre Blancs et Noirs, entre colonisateurs et colonisés, pour dénoncer les violences coloniales puis pour obtenir l’indépendance, que ces femmes s’engagent. </p>
<p>La plupart d’entre elles rejoignent le <a href="https://www.jeuneafrique.com/103057/archives-thematique/naissance-du-rassemblement-d-mocratique-africain/">Rassemblement démocratique africain (RDA)</a>, principal parti d’opposition aux autorités coloniales fondé en octobre 1946. Elles s’y font une place, entre participation aux mobilisations mixtes et formation de comités féminins indépendants sinon autonomes. </p>
<p>Leur instruction les conduit à occuper les fonctions de secrétaires ou de trésorières des sections féminines du parti. Au Soudan français (Mali actuel), la sage-femme <a href="https://theconversation.com/le-destin-daoua-keita-femme-dexception-et-figure-de-lindependance-du-mali-146163">Aoua Keita</a> rejoint le RDA en 1946, et fonde le premier comité de femmes de Nara en 1949.</p>
<p>Des institutrices président les sous-sections du RDA des villes où elles sont affectées. Certaines adhèrent en parallèle à des syndicats, comme Nima Bâ qui rejoint le syndicat des enseignants de Guinée à la fin des années quarante. Elle explique qu’on a fait appel à elle parce qu’elle avait « un certain niveau ». </p>
<p>Certaines militent en métropole, comme Jacqueline Coulibaly, étudiante à la Sorbonne, qui s’engage à partir de 1954 aux côtés de <a href="https://www.rfi.fr/fr/emission/20170816-litterature-afrique-joseph-k-zerbo-le-renouveau-histoire">Joseph Ki-Zerbo</a> devenu son mari, au sein de la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF). Ses prises de position sont révélatrices des dilemmes qui se posent alors aux femmes de sa génération. Dans <em>Tam Tam</em>, le bulletin des étudiants catholiques africains, elle écrit en 1956 : </p>
<blockquote>
<p>« Le véritable problème, c’est la recherche d’une synthèse des éléments occidentaux et des coutumes africaines, la recherche d’un moyen d’intégrer l’instruction donnée dans les écoles aux éléments traditionnels de l’éducation familiale. Au fur et à mesure que les Africains, garçons aussi bien que filles, prendront conscience de ce problème, ils comprendront nécessairement qu’il leur faut choisir le meilleur de ce que l’Occident leur apporte et garder ce qui peut et doit être sauvé des traditions ancestrales. »</p>
</blockquote>
<p>Défendre l’accès à l’éducation, combattre l’excision, les mariages précoces ou forcés et surtout la polygamie est bien souvent perçu comme une trahison des cultures africaines. Les premières diplômées, souvent accusées d’être une petite minorité bourgeoise occidentalisée et déconnectée des réalités, tentent une difficile synthèse. </p>
<p>Jeanne Chapman, institutrice depuis 1944 dans une école du quartier populaire de Treichville, à Abidjan, condamne en 1960 la polygamie en comparant les hommes à des coqs dans une basse-cour (<em>Fraternité</em>, janvier 1960) mais appelle un an plus tard à l’invention d’une « civilisation négro-occidentale » (<em>Abidjan Matin</em>, 9 avril 1961). </p>
<p>Cette position d’équilibriste qui revendique des droits égaux sur la base de rôles sociaux complémentaires entre hommes et femmes se construit en lien avec un militantisme international qu’elles sont les premières femmes d’Afrique à expérimenter.</p>
<h2>L’expérience internationale, levier d’une émancipation</h2>
<p>Dans les parcours de ces pionnières, le fait de participer à des congrès internationaux, de quitter leur pays et parfois le continent pour rencontrer des femmes du reste du monde est déterminant dans la construction d’un discours militant. </p>
<p>En 1949, Célestine Ouezzin Coulibaly, qui n’est pas une ancienne « normalienne » mais monitrice d’enseignement, est déléguée par ses compagnes pour se rendre à Pékin, <a href="https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2016-2-page-17.htm">au congrès de la Fédération démocratique internationale des femmes</a>. </p>
<p>Elle en revient déterminée à lutter pour davantage de droits. Jeanne Martin Cissé est frappée par l’esprit de solidarité qui règne entre les femmes présentes au congrès de la FDIF à Asnières, qu’elles viennent des Antilles, d’Afrique ou d’Indochine. Elle découvre « de nouvelles perspectives » et se sent mieux informée, comme elle l'écrit dans <a href="https://www.presenceafricaine.com/essais-afrique-caraibes/781-la-fille-du-milo-9782708708020.html"><em>La fille du Milo</em></a> (Présence africaine, 2009). </p>
<p>Deux ans plus tard, en juin 1956, la première Conférence mondiale des femmes travailleuses organisée par la Fédération syndicale mondiale à Budapest fournit à Jeanne Martin Cissé l’occasion de rencontrer <a href="https://journals.openedition.org/lectures/54622">l’institutrice malienne Aïssata Sow Coulibaly</a> . </p>
<p>À Vienne, en juin 1958, au IVe congrès de la FDIF, un petit groupe de déléguées africaines venues du Sénégal, du Mali, mais aussi du Cameroun et de Madagascar dénonce l’oppression coloniale mais réfléchit aussi à la nécessité d’unir leurs forces à l’échelle de l’Afrique de l’Ouest, voire du continent tout entier.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/466772/original/file-20220602-26-vwz8n1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/466772/original/file-20220602-26-vwz8n1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=743&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/466772/original/file-20220602-26-vwz8n1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=743&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/466772/original/file-20220602-26-vwz8n1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=743&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/466772/original/file-20220602-26-vwz8n1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=934&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/466772/original/file-20220602-26-vwz8n1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=934&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/466772/original/file-20220602-26-vwz8n1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=934&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>Le congrès de Vienne en photographies</em>, FDIF, 1958. « Aucune barrière raciale ne séparait les femmes. Une déléguée de l’Uruguay avec des déléguées du Sénégal et du Soudan français » mentionne la légende. On reconnaît Jeanne Martin Cissé à droite et il s’agit probablement de la Malienne Bassata Djiré Dembélé à gauche.</span>
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<p>Le projet aboutit quatre ans plus tard, en 1962, à Dar es-Salam, la capitale de la future Tanzanie. C’est là qu’une trentaine de représentantes de 21 pays du nord comme du sud du continent participent à la première Conférence des femmes africaines, appelée par la suite la Panafricaine. </p>
<p>Parmi elles, les institutrices et les sages-femmes représentent 11 des 18 membres des différentes délégations des anciennes colonies françaises. Jeanne Martin Cissé devient la Secrétaire générale de l’organisation qui fixe son siège à Bamako, la capitale du Mali. </p>
<p><a href="https://www.awamagazine.org/fr/acr_posts/janvier-1964-page-12/">Dans une interview au magazine <em>Awa</em></a>, la revue de la femme noire, dont le premier numéro paraît en janvier 1964, elle insiste sur la nécessité pour les femmes d’Afrique de faire entendre leurs voix, en dialogue avec les femmes du monde entier.</p>
<hr>
<p><em>Cet article est publié dans le cadre du colloque « Modernités africaines. Conversations, circulations, décentrements », qui a lieu du 9 au 11 juin 2022 à l'ENS-PSL, sur les campus Jourdan et Ulm. <a href="https://www.ens.psl.eu/agenda/conference-olivier-legrain-sciences-et-societe/2022">Retrouvez ici le programme</a> de ces échanges.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183869/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pascale Barthélémy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Bravant les contraintes, toute une génération de femmes africaines a mené de front lutte anticoloniale et pour les droits des femmes. Beaucoup parmi elles ont étudié dans les écoles normales de l’AOF.Pascale Barthélémy, Maîtresse de conférences en histoire contemporaine, ENS de LyonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1798492022-03-24T12:51:50Z2022-03-24T12:51:50ZComprendre le conflit meurtrier en cours dans les régions anglophones du Cameroun<p>Depuis <a href="https://www.nrc.no/news/2019/june/cameroon-tops-list-of-most-neglected-crises/">octobre 2017</a>, le Cameroun est en proie à un conflit meurtrier qui oppose l’armée aux forces séparatistes des deux régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Ses origines remontent à la colonisation de ce pays par les gouvernements français et britannique.</p>
<p>Entre 1919 et 1961, ces deux régions, alors sous administration coloniale britannique, étaient connues sous le nom de Cameroun britannique méridional. Après un référendum organisé par les Nations unies le 11 février 1961, leurs habitants ont opté pour la « <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1961_num_7_1_1100">réunification</a> » avec le Cameroun français, le 1<sup>er</sup> octobre 1961.</p>
<p>Mais tout ne s’est pas bien passé après cette réunification. Les deux régions anglophones, qui représentent <a href="https://www.crisisgroup.org/africa/central-africa/cameroon/250-cameroons-anglophone-crisis-crossroads">environ 20 %</a> de la population, se sont plaintes à plusieurs reprises de discrimination et d’exclusion. Des manifestations organisées pendant toute l’année 2016 dans les régions anglophones du Cameroun <a href="https://www.dw.com/en/separatism-in-cameroon-5-years-of-violent-civil-war/a-59369417">ont dégénéré</a> en guerre civile en 2017.</p>
<p>Presque cinq ans plus tard, le conflit continue de faire rage. Selon des <a href="https://www.hrw.org/world-report/2022/country-chapters/cameroon#">estimations récentes</a>, il a déjà causé la mort de plus de 4 000 civils et le déplacement de plus de 712 000 personnes à l’intérieur des régions anglophones. Plus de <a href="https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/cmr_hno_2020-revised_print.pdf">1,3 million de personnes</a> ont besoin d’aide humanitaire.</p>
<p>Le président Paul Biya, qui dirige le Cameroun depuis 1982, se dit déterminé à poursuivre cette guerre vaine contre les groupes séparatistes, qu’il qualifie de « <a href="https://www.amazon.com/Radical-Nationalism-Cameroun-Origins-Rebellion/dp/019822706X">terroristes</a> ».</p>
<p>Malheureusement, à ce jour, il n’existe aucun agenda clair et crédible pour des négociations, ce qui rend la paix et la réconciliation problématiques. Il est cependant évident que les griefs des anglophones sont profonds et sont restés longtemps sans réponse.</p>
<p>En tant qu’anthropologue-politique ayant longuement <a href="https://media.africaportal.org/documents/Policy-Insights-117-orock.pdf">étudié</a> la situation des anglophones camerounais, je considère que la manière dont l’élite et les groupes marginalisés sont définis sur la base de leur langue constitue l’élément moteur de ce conflit.</p>
<h2>Les griefs des anglophones</h2>
<p>Les origines immédiates de la crise remontent à la répression violente, par le gouvernement, des manifestations organisées en 2016 par des syndicats d’avocats et d’enseignants.</p>
<p>En octobre 2016, les syndicats d’enseignants et d’avocats anglophones ont organisé des <a href="https://www.dw.com/en/cameroon-anglophone-conflict-five-years-on/a-59363797">protestations pacifiques</a> contre la « négligence » et la « marginalisation » des deux régions anglophones. Des groupes de populations ont massivement pris part aux manifestations qui ont duré un an. Elles <a href="https://www.aljazeera.com/news/2016/12/5/cameroon-teachers-lawyers-strike-in-battle-for-english">dénonçaient tout spécialement</a> la nomination d’enseignants, de procureurs et de juges francophones dans les régions anglophones. Les dirigeants syndicaux y voyaient la manifestation d’un processus graduel de « <a href="https://www.crisisgroup.org/africa/central-africa/cameroon/250-cameroons-anglophone-crisis-crossroads">francophonisation</a> » de l’État.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/aZu2xBlqAwI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Dans les régions francophones, telles que Douala et Yaoundé, qui accueillent d’importantes communautés d’anglophones, le français est souvent la seule langue qui peut être utilisée pour accéder aux services publics essentiels. Les anglophones mécontents sont remontés contre le fossé entre une réalité qui les voit cantonnés à un statut de citoyens de <a href="https://www.researchgate.net/publication/28649856_Negotiating_an_Anglophone_Identity_A_Study_of_the_Politics_of_Recognition_and_Representation_in_Cameroon">seconde zone</a> et les affirmations officielles selon lesquelles le Cameroun est un <a href="https://www.amazon.com/Democratization-Modernization-Multilingual-Cameroon-Asuagbor/dp/0773422218">État bilingue</a>. Les obstacles auxquels ils sont confrontés en raison de la langue en sont la preuve.</p>
<p>Les Camerounais anglophones se plaignent depuis longtemps de la domination quasi totale de la vie publique par leurs compatriotes francophones. Les élites de ce groupe auraient usé de leur pouvoir pour <a href="https://cameroonpostline.com/why-anglophones-continuously-feel-marginalised">marginaliser</a> les régions anglophones lors de l’allocation de ressources pour le développement économique.</p>
<p>Cette marginalisation chronique a conduit à des appels à un mouvement séparatiste.</p>
<h2>La République d’Ambazonie</h2>
<p>Les séparatistes se décrivent comme un mouvement pour la « restauration » de la <a href="https://ambagov.org/">« République d’Ambazonie »</a>. Le nom Ambazonia est dérivé de la baie d’Ambas, dans le golfe de Guinée. L’invention de ce nom, au milieu des années 1980, est <a href="https://ambazonia.org/en/?option=com_content&view=article&id=153&Itemid=8">attribuée</a> à un avocat anglophone dissident, Fon Gorji Dinka.</p>
<p>Le ressentiment à l’égard du régime autoritaire exercé par les dirigeants du pays, majoritairement francophones, est l’une des principales raisons de l’appel à la séparation lancé par les anglophones. Et chaque fois que les Camerounais anglophones ont protesté, ils ont été fortement réprimés. Cela s’est produit d’abord sous <a href="https://www.jstor.org/stable/45193813">l’administration d’Ahmadou Ahidjo</a> (1960-1982), puis sous <a href="https://qz.com/africa/1910195/cameroon-s-biya-faces-protests-as-anglophone-carries-on/">Paul Biya</a> (à partir de 1982).</p>
<p>Depuis 1990, les manifestations dans les régions anglophones se sont souvent heurtées à une réaction violente, rapide et mortelle. Il en a été de même lors des manifestations de 2016-2017. Des manifestants non armés <a href="https://www.reuters.com/article/cameroon-police-students-idUSL121148920071112">ont été abattus</a> par des soldats. Des personnes détenues ont été sont toujours <a href="https://african.business/2022/01/apo-newsfeed/cameroon-more-than-a-hundred-detainees-from-anglophone-regions-and-opposition-party-languishing-in-jail-for-speaking-out/">victimes de violences</a>.</p>
<p>Un autre grief important des séparatistes anglophones est lié à ce qu’ils voient comme le <a href="https://www.cameroonconcordnews.com/southern-cameroons-when-independence-is-worse-than-colonization/">« caractère colonial »</a> de leur union avec l’État français du Cameroun.</p>
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<p>Les nationalistes anglophones <a href="https://www.jstor.org/stable/4107332">remettent en question</a> le plébiscite du 11 février 1961, imposé par l’ONU. Ils affirment qu’en obligeant les Camerounais britanniques à choisir entre le Nigeria et le Cameroun français pour accéder à l’indépendance, l’ONU est contrevenue à ses propres dispositions de l’article 76 (b) de sa <a href="https://www.un.org/fr/about-us/un-charter/full-text">Charte</a>, relatives à la décolonisation – concernant l’accession à l’indépendance des anciens territoires sous tutelle, était truquée. Les deux options proposées lors du référendum – Cameroun français ou du Nigeria – n’ont pas tenu compte des aspirations et des désirs du peuple de devenir autonome, contrevenant ainsi aux dispositions fondamentales de son cadre de décolonisation.</p>
<p>En conséquence, les Camerounais anglophones affirment que la majorité francophone considère et traite les deux régions anglophones comme une excroissance coloniale. Et que cette zone, ainsi que les personnes qui y vivent, ne font pas partie intégrante du Cameroun.</p>
<h2>Un chemin difficile vers la paix</h2>
<p>Le chemin vers la paix sera pénible.</p>
<p>Pour parvenir à la paix tout en maintenant l’unité du pays, certains autonomistes <a href="https://reliefweb.int/report/cameroon/anglophone-dilemma-cameroon">préconisent</a> un « retour » à l’accord initial de 1961, à savoir une fédération à deux États. Ces fédéralistes étaient majoritaires parmi les anglophones avant le début du conflit de 2016. Cependant, après presque cinq ans de violents combats, certains fédéralistes se sont sentis désorientés par les <a href="https://www.hrw.org/news/2020/02/25/cameroon-civilians-massacred-separatist-area">abus</a> des forces du régime dans les zones de guerre.</p>
<p>Les séparatistes radicaux – comme Chris Anu, du gouvernement intérimaire d’Ambazonie, Ayaba Cho Lucas et Ivo Tapang, du conseil de gouvernement d’Ambazonie – <a href="https://www.davispoliticalreview.com/article/cameroon-anglophones-independence">exigent</a> l’indépendance pure et simple. Ils estiment que c’est le seul moyen pour les Camerounais anglophones de se libérer de la domination francophone et d’éviter de futures crises.</p>
<p>Ce clivage entre fédéralistes et séparatistes <a href="https://www.crisisgroup.org/africa/central-africa/cameroon/272-crise-anglophone-au-cameroun-comment-arriver-aux-pourparlers">complique</a> un dialogue et des négociations pacifiques éventuels.</p>
<p>Pour ne rien arranger, Biya et son gouvernement <a href="https://www.thenewhumanitarian.org/analysis/2021/3/29/cameroons-elusive-peace-rivals-rifts-and-secret-talks">ont rejeté</a> toute discussion avec les séparatistes qui impliquerait une perte de pouvoir du pouvoir central.</p>
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<p>En outre, la répression violente des manifestations anglophones en 2016-2017 a eu deux conséquences importantes : l’élite dominante anglophone a peur de s’exprimer et la jeunesse anglophone s’est davantage radicalisée et bénéficie de plus en plus soutien des Camerounais anglophones de la diaspora.</p>
<p>Je pense que la seule solution à cette crise est l’autonomie pour les deux régions anglophones. La forme exacte de cette autonomie devrait faire l’objet d’un accord longuement et soigneusement négocié entre les différentes parties en présence. Et, quel que soit cet accord, il devrait être soumis à la volonté des habitants de ces deux régions de l’ancien l’ancien Cameroun méridional.</p>
<p>L’obtention de cette autonomie ne sera toutefois pas facile compte tenu de la forte réticence des élites francophones de Yaoundé à concéder un changement de forme de l’État. De plus, l’attitude de plus en plus autoritaire du régime en place fait craindre des répressions violentes au sein des voix dissidentes qui s’élèvent dans le pays. Et les institutions politiques n’ont guère ou pas du tout la capacité de prendre des mesures en faveur d’une résolution pacifique du conflit.</p>
<p>Pour que des mesures en faveur de l’autonomie soient prises, il faudrait une pression de l’extérieur, notamment de la diaspora camerounaise anglophone, des médias internationaux, des organisations de défense des droits de l’homme et des grandes puissances occidentales <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/RC-8-2019-0245_EN.html">telles que</a> les États-Unis et l’Union européenne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179849/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rogers Orock a reçu un financement pour cette recherche grâce à la bourse Bradlow de African Governance and Development Programme (Programme de gouvernance et de développement en Afrique) et de South African Institute of International Affairs (l'Institut sud-africain des affaires internationales.)</span></em></p>Les griefs des anglophones sont anciens et n’ont pas été pris en considération pendant longtemps.Rogers Orock, Senior Lecturer in Anthropology, University of the WitwatersrandLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1727282021-12-06T22:33:11Z2021-12-06T22:33:11ZLa « Françafriche », nouvel avatar de la Françafrique ?<p>La coopération culturelle et artistique franco-africaine – la <a href="https://www.lespressesdureel.com/ouvrage.php?id=9208&menu=0">« Françafriche »</a> – n’a-t-elle pas trouvé son point d’orgue avec <a href="https://www.pro.institutfrancais.com/fr/offre/africa-2020">« Africa 2020 »</a> ? C’est la question que l’on peut se poser à propos de cette saison africaine en France, interrompue un temps en raison de la pandémie mais qui s’est poursuivie cette année.</p>
<p>En organisant cette série d'événements, la France a voulu rendre hommage à l’Afrique. Toutefois, si l'on y regarde de plus près, Africa2020 et, au-delà, la vision qu'a aujourd'hui Paris de sa coopération avec l'Afrique suscitent quelques questionnements…</p>
<h2>Les deux primitivismes</h2>
<p>Malgré la bonne volonté qui a présidé à la mise en oeuvre d'Africa2020, un stéréotype primitiviste accolé de façon illégitime au continent continuait à émaner de cette opération. Et en la matière, il convient de distinguer un « primitivisme premier » et un « primitivisme second ». Le premier, lié aux <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/art_premier/187292">arts dits « premiers »</a> est classiquement reconnu comme ayant fortement influencé l’art occidental alors que le second est plus difficile à débusquer.</p>
<p>Aujourd’hui, ce primitivisme premier n’est plus l’objet de controverses puisqu’on parle désormais d’« art classique africain » et que le principe de la restitution de ces œuvres d’art aux pays africains a acquis droit de cité. Même s’il subsiste, comme on le verra à propos de l’exposition <a href="https://www.quaibranly.fr/fr/expositions-evenements/au-musee/expositions/details-de-levenement/e/ex-africa-38922/">« Ex-Africa »</a>, il a été remplacé par un autre paradigme – le primitivisme second – qui a trait à l’enrichissement ou à la re-fécondation de la culture artistique française par l’art contemporain africain.</p>
<p>Ce processus de re-fécondation accompagne le « nettoyage » artistique et toponymique auquel se livrent les gouvernements de nombreux pays <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-09-juin-2020">à la suite du meurtre de George Floyd</a>. Il s’est ensuivi un processus de déboulonnage de statues de personnages esclavagistes ou coloniaux et de remplacement de ces statues, ainsi que de noms de rue et de places de même nature, par des « figures de la diversité ».</p>
<p>Pour la première fois en France, avec l’opération « Africa 2020 », lancée par Emmanuel Macron, on peut voir des monuments français portant la marque d’artistes africains. C’est notamment le cas avec l’installation d’œuvres d’<a href="http://www.paris-conciergerie.fr/Actualites/el-anatsui-revisite-conciergerie-artiste-sculpture">El Anatsui à La Conciergerie</a>, de <a href="http://www.aigues-mortes-monument.fr/Actualites/Brise-du-rouge-soleil-carte-blanche-a-Joel-Andrianomearisoa">Joël Andrianomearisoa sur les remparts d’Aigues-Mortes</a> ou bien encore celles de l’artiste de République démocratique du Congo <a href="https://www.grandpalais.fr/fr/article/le-grand-palais-invite-lartiste-sammy-baloji-dans-le-cadre-de-la-saison-africa-2020">Sami Baloji à l’entrée du Musée du Grand Palais</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/435560/original/file-20211203-25-1iaabj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/435560/original/file-20211203-25-1iaabj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/435560/original/file-20211203-25-1iaabj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/435560/original/file-20211203-25-1iaabj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/435560/original/file-20211203-25-1iaabj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/435560/original/file-20211203-25-1iaabj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/435560/original/file-20211203-25-1iaabj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une partie de l’installation d’El Anatsui exposée à la Conciergerie à Paris du 20 mai au 14 novembre 2021 à l’occasion de la saison Africa2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Eric Sander/Centre des monuments nationaux</span></span>
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<p>Bref, la France, l’Europe, l’Occident se débarrassent de leurs vieux oripeaux coloniaux – les « fétiches » –, qui sont désormais promis à un recyclage dans les musées de sociétés déjà créés ou en cours de construction en Afrique. À l’occasion d’« Africa 2020 », la France a manifesté l’existence d’une « présence africaine », comme dans le cas de l’exposition <a href="https://www.quaibranly.fr/fr/expositions-evenements/au-musee/expositions/details-de-levenement/e/ex-africa-38922/">« Ex Africa »</a> (Musée du quai Branly) – même si cette dernière exposition n’est pas exempte de présupposés primitivistes, puisqu’elle a mis en évidence le poids que continuent d’occuper les représentations anciennes de l’art classique africain dans l’esprit de certains artistes contemporains, qu’ils soient occidentaux ou africains.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Ex Africa » au quai Branly en 100 secondes chrono, Beaux-Arts Magazine, 6 avril 2021.</span></figcaption>
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<p>De la sorte, c’est toute l’ambiguïté de la saison « Africa 2020 » qui s’exprime au prisme de ces quatre expositions. Tout autant qu’une opération de reconnaissance de l’art contemporain africain, <em>per se</em>, il s’agit largement d’indexer l’art contemporain africain à des monuments datant de plusieurs siècles et d’assimiler ainsi cet art au patrimoine architectural et historique français.</p>
<p>Dans les deux cas, ces opérations se traduisent par une massification des différentes œuvres de ces artistes qui peinent à exister dans leur individualité.</p>
<h2>Un aggiornamento du rapport de la France à l’Afrique ?</h2>
<p>Ce sommet artistique Afrique-France n’avait-il pas en définitive pour but de faire oublier <a href="https://sommetafriquefrance.org/">celui, beaucoup plus concret, de Montpellier</a> qui devait, pour une énième fois, rafistoler les relations franco-africaines dans les domaines politique, économique et stratégique ? En somme, « Africa 2020 » – ce dernier avatar de la « Françafriche » – aurait constitué le prélude au rajeunissement de la Françafrique.</p>
<p>Ces deux événements – Africa 2020 et le sommet Afrique-France de Montpellier – semblent en effet dessiner les nouveaux linéaments de la politique française en Afrique. Ils peuvent être interprétés comme un <em>aggiornamento</em> visant à rompre avec les pratiques politiques anciennes.</p>
<p>Dans le domaine militaire, il s’agit, pour le gouvernement français, de manifester sa volonté de se retirer du continent africain et notamment du Sahel pour faire pièce à l’opposition croissante que cette présence suscite. En témoigne l’abandon par la force Barkhane des bases de Kidal, Tombouctou et Tessalit au Mali.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1460601832342835205"}"></div></p>
<p>En même temps, la force Barkhane ne quitte pas totalement le Sahel car il lui reste la tâche de protéger l’approvisionnement de la France en uranium du Niger – une ressource d’autant plus indispensable qu’Emmanuel Macron vient d’<a href="https://www.europe1.fr/politique/nucleaire-macron-annonce-la-construction-de-nouveaux-reacteurs-4076148">annoncer</a> la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. C’est en tenant compte de ce souci de sécuriser cet apport énergétique qu’il faut apprécier la hantise de voir les Russes pénétrer sur le pré carré français dans la zone sahélienne.</p>
<p>Le maintien de la présence française en Afrique, outre le domaine militaire avec ses opérations extérieures et ses bases, a également un volet diplomatique. En la matière, la politique française est fragile puisqu’elle repose sur le principe « deux poids-deux mesures ». Selon les cas, la France peut aussi bien soutenir une transition non démocratique du pouvoir effectuée par le biais de coups d’État illégaux comme au Tchad ou légaux comme en Côte d’Ivoire, ou désavouer des putschs, comme au Mali et en Guinée.</p>
<p>Le sommet de Montpellier, avec toutes ses ambiguïtés, avait pour but de permettre à Paris de se démarquer des despotes africains au pouvoir depuis plusieurs dizaines d’années, tout en tentant de nouer des liens avec les différentes « sociétés civiles » du continent et en projetant de mettre sur pied une sorte de « start up Africa ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Sommet Afrique-France : Emmanuel Macron « bousculé » par la jeunesse, France 24, 8 octobre 2021.</span></figcaption>
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<p>De la même façon, la mise en scène de la restitution de pièces d’art « premier » aux pays africains n’est que l’amorce de la continuation d’une politique de coopération artistique et culturelle « new look » entre la France et l’Afrique, coopération déjà à l’œuvre avec « Africa 2020 ».</p>
<p>Ainsi est instauré un nouveau partenariat <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/11/15/chacun-apporte-sa-pierre-quand-musees-francais-et-africains-uvrent-main-dans-la-main_6102159_3212.html">qui se veut paritaire</a> entre musées français et musées africains. En témoigne l’exposition « Picasso à Dakar, 1972-2022 » qui doit avoir lieu au Musée des civilisations noires de Dakar où seront sempiternellement mises en regard les œuvres du maître catalan avec les pièces d’art « classique » africain qui l’ont inspiré.</p>
<p>De la même façon, sans préjuger de ce que sera la reconstruction du Festival Mondial des Arts nègres de 1966 au Grand Palais en 2025, on peut se demander pourquoi il faut que ce soit presque toujours la France qui soit impliquée dans les projets artistiques ou muséaux concernant l’Afrique et particulièrement sa partie francophone. Même s’il existe d’autres projets ou réalisations artistiques et muséales qui ont par exemple entraîné la participation de la Corée du Sud ou de la Chine, la présence massive et presque sans rival de la France dans ce domaine conduit inévitablement à se demander si ne se maintient pas là, d’une certaine façon, une forme de paternalisme.</p>
<h2>La complexité du lien entre la France et l’Afrique</h2>
<p>Enfin, l’attribution du prix Goncourt 2021 à Mohamed Mbougar Sarr, qui a participé au sommet de Montpellier, s’inscrit dans le droit fil de cette recherche de rajeunissement à laquelle contribue la Françafriche. Mohamed Mbougar Sarr, indépendamment de son talent d’écrivain, coche en effet toutes les cases. Il est jeune, francophone, est publié par un petit éditeur français et fait référence dans son roman <a href="http://www.philippe-rey.fr/livre-La_plus_secr%C3%A8te_m%C3%A9moire_des_hommes-504-1-1-0-1.html">« La plus secrète mémoire des hommes »</a> aux écrivains les plus prestigieux – Gombrovicz, Bolano et Borges, entre autres.</p>
<p>Cette attribution, qui intervient cent ans après que le Goncourt a <a href="https://www.jeuneafrique.com/1258062/culture/rene-maran-premier-auteur-noir-a-remporter-le-goncourt-de-retour/">couronné un autre écrivain « noir »</a>, René Maran, avec <a href="https://www.albin-michel.fr/batouala-9782226463432"><em>Batouala</em></a>, montre l’attachement indéfectible de la France, et notamment de la France littéraire, à ses « petits frères africains ».</p>
<p>« Africa is so important for us » a déclaré récemment Emmanuel Macron en exhortant les responsables d’institutions artistiques à renforcer leurs liens avec l’Afrique.</p>
<p>Cette injonction, certes généreuse et visant à une reconnaissance du rôle de l’Afrique dans la culture mondiale, renvoie à la place que continue d’occuper le continent africain, particulièrement sa partie supposément francophone, dans le destin de cette grande puissance de deuxième ordre qu’est maintenant devenue la France.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172728/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Loup Amselle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La France a beaucoup mis en scène sa relation avec l’Afrique en 2021, avec la saison artistique Afrique2020 ou le sommet de Montpellier. Une nouvelle ère est-elle vraiment en train de s'ouvrir ?Jean-Loup Amselle, Anthropologue et ethnologue, directeur d'études émérite à l'EHESS, chercheur à l'Institut des mondes africains, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1726682021-12-01T18:55:15Z2021-12-01T18:55:15ZDu « Code noir » au chlordécone, comprendre le refus de l’obligation vaccinale aux Antilles françaises<p>Depuis plusieurs semaines, la situation en Guadeloupe est explosive. Plusieurs enjeux se mêlent et ont fait naître la forte mobilisation actuelle contre la politique sanitaire du gouvernement. Une partie de la population a même opté pour une résistance violente. Les mobilisations se sont aussi levées en Martinique et à Saint-Martin. Face à cela, le gouvernement français a essentiellement répondu par un rappel au respect de la loi et au maintien de l’ordre public, ce qui n’a fait que radicaliser la situation, comme l’avait prévu le politologue <a href="https://www.guadeloupe.franceantilles.fr/opinions/debats/fred-reno-les-sens-et-le-moteur-de-la-crise-de-2021-en-guadeloupe-605173.php">Fred Reno</a>.</p>
<p>Pour comprendre la profondeur de la crise actuelle et plus conjoncturellement pourquoi l’argumentaire et la communication des autorités politiques et sanitaires en matière de Covid n’ont pas convaincu, il est nécessaire de replacer les récents événements dans une perspective historique plus large, qui renvoie au passé colonial des Antilles françaises (Guadeloupe et Martinique) et à son héritage actuel.</p>
<h2>Aux origines du droit dérogatoire</h2>
<p>Ce passé colonial est essentiellement caractérisé par un processus de <a href="https://www.academia.edu/44158111/Du_Code_Noir_au_Chlord%C3%A9cone_h%C3%A9ritage_colonial_fran%C3%A7ais_aux_Antilles_Du_monstre_esclavagiste_au_monstre_chimique_Crimes_contre_lhumanit%C3%A9_et_r%C3%A9parations">dérogations locales au droit français</a> mené et assumé par l’État.</p>
<p>Ces dérogations sont la conséquence du statut colonial lui-même, qui entraîne intentionnellement une subordination du territoire et de sa population au profit de la métropole et de ses intérêts économiques et stratégiques. Dans son <a href="https://www.larevuedesressources.org/IMG/pdf/CESAIRE.pdf"><em>Discours sur le colonialisme</em></a>, Aimé Césaire rappelle cette réalité en insistant sur le fait que l’agriculture en particulier est orientée dans les colonies (et cette analyse reste valable aujourd’hui encore, à travers les cultures intensives de la canne et de la banane) « vers le seul bénéfice des métropoles ».</p>
<p>Parmi ces dérogations, on peut citer au premier chef le fameux <a href="http://www.lecavalierbleu.com/livre/le-code-noir/"><em>Code noir</em></a>. Cet édit sur la police des îles françaises d’Amérique datant de 1685, constitue dès sa promulgation une profonde violation du droit français puisque ce dernier ne tolérait déjà plus, à l’époque, l’esclavage sur le sol du royaume. Les Antilles françaises avaient de plus été intégrées au domaine royal dix ans auparavant, et la coutume de Paris y était officiellement en vigueur.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Le _Code noir_ datant de 1685" src="https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=723&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=723&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=723&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=908&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=908&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434995/original/file-20211201-26-1m6idgs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=908&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le <em>Code noir</em> datant de 1685 peut être considéré comme l’acte fondateur du droit colonial français.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Ce texte législatif, préparé par les Colbert père et fils et promulgué par Louis XIV, et qui légalise l’esclavage pour des raisons économiques et géopolitiques, peut donc être considéré comme <a href="https://www.librairiedalloz.fr/livre/9782247121137-code-noir-jean-francois-niort/">l’acte fondateur du droit colonial français</a> en tant qu’ensemble de règles dérogeant au droit commun national.</p>
<p>À la légalisation de l’esclavage s’ajoutera, aux XVIIIe et XIXe siècles, la mise en place d’une politique de discrimination et de ségrégation juridique et sociale envers les affranchis et leurs descendants, appelés <a href="http://calamar.univ-ag.fr/cagi/NiortConditionlibrecouleur.pdf">« libres de couleur »</a>. Ces mesures conduisent à l’institution d’un véritable apartheid racial (avant ceux instaurés dans le sud des États-Unis et en Afrique du Sud), aggravant encore davantage la spécificité dérogatoire du modèle social antillais en regard du modèle français.</p>
<p>Pire encore, lorsque Bonaparte rétablit l’esclavage à la Guadeloupe le 16 juillet 1802 (huit ans après sa première abolition en février 1794) à travers un arrêté qui viole formellement la constitution qu’il avait lui-même instaurée en 1799, il tente de masquer cette illégalité manifeste par une autre : il ordonne que le texte ne soit pas publié au Journal officiel et reste secret jusqu’en 1803.</p>
<p>On atteint ici un sommet dans l’<a href="https://my.editions-ue.com/catalog/details/store/us/book/978-3-639-50715-7/du-code-noir-au-chlord%C3%A9cone,-h%C3%A9ritage-colonial-fran%C3%A7ais-aux-antilles?search=code%20noir%20niort">histoire des crimes coloniaux</a>, à la fois dans le degré de violation du droit national, et dans le mépris exprimé par le gouvernement à l’égard des populations qui en furent victimes pendant 42 années durant.</p>
<h2>Héritage colonial</h2>
<p>Malgré l’abolition définitive de l’esclavage (1848), puis du statut colonial (1946), cette politique dérogatoire est encore bien présente dans de nombreux domaines aux Antilles françaises, alors que la départementalisation a, dans le même temps, créé par ailleurs de nouveaux retards structurels de développement, comme le rappelle le politologue <a href="https://www.guadeloupe.franceantilles.fr/opinions/debats/george-calixte-ce-que-traduit-l-opposition-a-l-obligation-vaccinale-605164.php">Georges Calixte</a>.</p>
<p>Politique dérogatoire par exemple dans l’instauration en 1954 de l’indemnité dite de « vie chère » au profit des seuls fonctionnaires. Cette mesure crée une importante disparité de pouvoir d’achat (40 % en l’occurrence) avec les salariés du secteur privé, le tout dans un cadre de réelle « vie chère » due en particulier au caractère peu ouvert des circuits économiques locaux (sociétés d’import-export, de grande distribution et de concessions automobiles restées aux mains de quelques groupes très puissants contrôlant et dominant le marché local et donc les prix) et qui constitue d’ailleurs l’une des principales revendications des mobilisations actuelles.</p>
<p>Mais les dérogations les plus connues sont cependant celles liées à l’utilisation, dans les bananeraies antillaises, du chlordécone et des épandages aériens de pesticides, qui ont donné lieu à de virulentes contestations locales dans les années 2010.</p>
<p>Le <a href="https://www.la-croix.com/France/Scandale-chlordecone-Guadeloupe-Martinique-lautre-raison-colere-2021-11-22-1201186422">chlordécone</a> fut pourtant interdit dans l’Hexagone en 1990 mais reste autorisée aux Antilles jusqu’en 1993 – plus huit mois à la demande des planteurs, pour pouvoir « écouler les stocks ».</p>
<p>Quant aux <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2013/05/31/manifestation-contre-l-epandage-aerien-en-guadeloupe_3421953_3244.html">épandages aériens de pesticides</a>, interdits par une directive européenne de 2009 (transposée en droit français par une ordonnance en 2011), ils seront pourtant autorisés localement jusqu’en 2015, à travers de multiples autorisations préfectorales et ministérielles « dérogatoires » et réitérées malgré l’intervention des tribunaux administratifs locaux.</p>
<p>À ce sujet, dans sa lettre ouverte du 11 juin 2013 adressée à la ministre de la Santé par le <a href="https://www.facebook.com/notes/2661130637532443/">docteur Jos-Pelage</a>, présidente de l’Association médicale pour la sauvegarde de l’environnement et de la santé (AMSES) en Martinique, avait débuté par cette formule-choc : « Aux Antilles françaises, on meurt par dérogation ». Elle ajoute qu’on peut légitimement se demander si on n’assiste pas là à une « survivance du vieil esprit colonial, qui, reposant sur le honteux postulat de l’infériorité de l’autochtone, considère la vie de celui-ci comme une valeur négligeable ».</p>
<h2>« Monstruosités juridiques »</h2>
<p>Ces « monstruosités » esclavagistes d’une part et chimiques d’autre part, sont donc fondées sur des <a href="https://www.academia.edu/44158111/Du_Code_Noir_au_Chlord%C3%A9cone_h%C3%A9ritage_colonial_fran%C3%A7ais_aux_Antilles_Du_monstre_esclavagiste_au_monstre_chimique_Crimes_contre_lhumanit%C3%A9_et_r%C3%A9parations">« monstruosités juridiques »</a>, c’est-à-dire des dérogations manifestes et profondes au droit national dans des domaines aussi importants que le droit à la liberté et à l’égalité, proclamés par la Déclaration des droits de l’homme de 1789, et que le droit à la santé et à un environnement sain, affirmés par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/menu/droit-national-en-vigueur/constitution/charte-de-l-environnement">Charte de l’environnement de 2005</a>.</p>
<p>Dès lors, il n’est pas surprenant que l’argument du gouvernement pour imposer l’obligation vaccinale des soignants selon lequel « la loi est la même pour tous » ne convainque pas autant dans les Antilles que dans l’Hexagone. La politique juridique coloniale et son héritage ont en effet profondément dégradé le rapport au droit, à la loi, à l’État, et par conséquent ont altéré le degré de confiance dans les autorités qui produisent et appliquent les règles juridiques, spécialement en matière sanitaire.</p>
<p>On comprend alors les propos d’<a href="https://www.francetvinfo.fr/france/guadeloupe/guadeloupe-ce-ne-serait-pas-choquant-qu-il-y-ait-une-specificite-ultra-marine-aux-mesures-sanitaires-aux-yeux-d-yves-jego_4855909.html">Yves Jégo</a>, ancien secrétaire d’État chargé des outre-mer, plaidant pour une prise en compte de cette réalité par les gouvernants actuels, quitte à établir des spécificités ultramarines aux mesures sanitaires.</p>
<h2>Une crise au-delà des enjeux liés à la vaccination</h2>
<p>Quant à l’explosion de colère et de violence qui accompagne cette résistance à la politique sanitaire du gouvernement, il faut rappeler que le sujet de la vaccination ne constitue qu’un des <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/greve-generale-illimitee-la-plateforme-de-revendications-compte-32-points-1159861.html">32 points</a> des revendications économiques, sociales, et sociétales formulées par l’intersyndicale actuelle.</p>
<p>Notons qu’elles sont d’ailleurs quasiment identiques à celles exprimées par le <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/aux-antilles-greve-generale-2009-laisse-gout-amer-678261.html">mouvement « LKP » de 2009</a>. Cela montre à quel point, comme le souligne encore Yves Jégo dans son intervention précitée, « il y a eu une décennie de perdue » dans le traitement des retards structurels de développement qui affectent les Antilles françaises du fait de son passé et de son héritage colonial.</p>
<p>Pire encore, la situation sociale et économique s’est aggravée depuis 2009, comme le souligne <a href="https://www.guadeloupe.franceantilles.fr/opinions/debats/george-calixte-ce-que-traduit-l-opposition-a-l-obligation-vaccinale-605164.php">Georges Calixte</a> dans son article précité. La précarité a en effet augmenté en Guadeloupe. Plus d’un quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, et près de 60 % des 16-25 ans sont au chômage.</p>
<p>Dès lors, la seule solution réelle et pérenne à cette crise, comme déjà à celle de 2009, semble être la mise à plat et le traitement, une fois pour toutes, de ces problèmes structurels, ce qui représente certes un « immense chantier », mais un « chantier indispensable », comme le rappelle Yves Jégo.</p>
<h2>Autonomie, indépendance, souveraineté : quel avenir politique pour les Antilles françaises ?</h2>
<p>Et puisqu’entre-temps le mot d’<a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/crise-aux-antilles/cinq-questions-sur-une-autonomie-de-la-guadeloupe-evoquee-par-le-gouvernement-pour-calmer-la-contestation_4861283.html">« autonomie »</a> a été « lâché » par le gouvernement, ce chantier comportera forcément une discussion approfondie à ce sujet, car c’est par le biais d’une plus grande autonomie que le rapport à la loi et aux autorités qui la produisent et l’appliquent pourrait se réparer, s’améliorer, dès lors que cette loi deviendrait plus adaptée aux spécificités locales et surtout plus respectueuse des populations concernées.</p>
<p>Outre « l’autonomie de développement économique », lancée en 2014 par <a href="https://www.makacla.com/COMPTE-RENDU-DE-L-ACTIVITE-DU-DEPUTE-SERGE-LETCHIMY-Semaine-du-03-au-13-juin-2014_a1754.html">Serge Letchimy</a>, député de la Martinique (et aujourd’hui président de la Communauté territoriale), à l’occasion de l’affaire des épandages aériens de pesticides, la notion d’autonomie, en Guadeloupe, renvoie également à la question beaucoup plus politique de l’évolution statutaire, qui est restée en statu quo depuis l’échec du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Consultations_locales_de_2003_sur_les_modifications_de_statut_territorial_en_Outre-mer">référendum local du 7 décembre 2003</a> alors que la Martinique a finalement opté, en 2010, pour une « collectivité unique », installée en 2015.</p>
<p>Les discussions sont d’ores et déjà amorcées entre les élus locaux, qui mettent en avant la notion de <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/de-la-domiciliation-du-pouvoir-a-l-autonomie-le-complexe-des-acteurs-politiques-de-la-guadeloupe-1166314.html">« domiciliation locale du pouvoir de décision »</a>, et l’intersyndicale à l’origine de la mobilisation, qui est dominée par une tendance plus nettement « nationaliste » et même indépendantiste.</p>
<p>Car comme le rappelle le juriste <a href="https://www.guadeloupe.franceantilles.fr/actualite/politique/pierre-yves-chicot-l-autonomie-comme-le-developpement-sont-d-abord-question-d-attitude-et-de-mental-605162.php">Pierre-Yves Chicot</a>, la notion d’autonomie, prévue à l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000571356/">article 74 de la Constitution</a>, est polymorphe et graduée, et a même été étendue depuis la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 (art. 74-1).</p>
<p>Rappelons qu’il existe aussi une notion intermédiaire, celle de <a href="https://www.cairn.info/revue-l-europe-en-formation-2013-2-page-33.htm">« souveraineté » locale ou « partagée » dans une perspective fédérale</a>, d’ailleurs prévue dans le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000571356/">titre XIII de la Constitution de 1958</a> (abrogé en 1995 faute d’avoir été mis en pratique) à travers la forme particulière d’une « Communauté française » composée d’« États membres » (cf. les anciens art. 76 et 77), et qui pourrait constituer une option politique médiane entre simple autonomie et pleine indépendance si elle était politiquement réactivée.</p>
<p>Alors que le référendum sur l’éventuelle indépendance de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000571356/">Nouvelle-Calédonie</a>, déjà très « autonome » (cf. art. 74-1, 76 et 77 nouveaux de la Constitution), approche à grands pas, l’avenir nous révélera donc quel sera le visage de cette plus ou moins grande « autonomie » politique en Guadeloupe à l’issue de la crise actuelle.</p>
<h2>La question centrale de l’agriculture et de l’alimentation</h2>
<p>Quoi qu’il en soit, c’est en premier lieu autour de la question de l’agriculture et de l’alimentation, encore profondément impactée par le passé et l’héritage colonial comme on l’a vu plus haut, que pourrait se positionner finalement le degré de « décolonisation » et d’émancipation économique et politique aux Antilles en général et en Guadeloupe en particulier.</p>
<p>Au-delà de la simple « autosuffisance alimentaire », tentée sans succès par le Schéma régional de développement économique (SRDEII), le curseur se placera donc finalement quelque part entre « l’autonomie alimentaire », comme viennent de le proposer Didier Destouches et Cécile Madassamy dans un <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/manifeste-pour-l-autonomie-alimentaire-1106149.html">manifeste récemment paru</a>, et la pleine <a href="https://viacampesina.org/fr/1996-declaration-de-rome-de-la-via-campesina-qui-definit-la-souverainete-alimentaire-pour-la-premiere-fois">« souveraineté alimentaire »</a>, revendiquée par le mouvement « patriotique » local, qui insiste, dans le sillage du scandale du chlordécone et des épandages aériens, sur le lien entre cette souveraineté alimentaire et la défense de l’environnement ainsi que la <a href="https://www.nouvellesetincelles.fr/article/1041/SOUVERAINETE-ALIMENTAIRE-DEFENSE-DE-L-ENVIRONNEMENT-ET-LA-SANTE-Quel-modele-de-developpement.html">protection de la santé</a>.</p>
<p>La satisfaction des besoins alimentaires de la population locale à travers une agriculture saine et durable protégeant la santé publique et individuelle constitue en effet non seulement une nécessité économique et humaine, mais aussi un « enjeu profondément politique », comme le rappellent les auteurs du manifeste précité, non seulement aux Antilles françaises, mais dans tous les pays du monde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172668/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-François Niort ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Revenir aux origines du droit dérogatoire appliqué aux Antilles permet de comprendre le rapport conflictuel des insulaires aux directives du gouvernement français.Jean-François Niort, Maître de conférences hdr en Histoire du droit et docteur en Science politique (Faculté des Sciences juridiques et économiques de la Guadeloupe), Université des AntillesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1573352021-04-20T18:05:50Z2021-04-20T18:05:50ZMamadou Racine Sy, premier capitaine noir de l’armée française<p><em>Originaires d'Afrique de l'Ouest ou d'Afrique centrale, les tirailleurs ont combattu aux côtés des Français pendant les deux guerres mondiales. Le film de Mathieu Vadepied, « Tirailleurs », sorti le 4 janvier 2023, raconte comment Bakary Diallo, héros fictionnel joué par Omar Sy, décide de s’enrôler dans l'armée française en 1917 dans le seul but de rejoindre Thierno, son fils de 17 ans, recruté de force. Mais l'histoire des tirailleurs sénégalais démarre bien avant la Première guerre mondiale, dans les années 1850.</em></p>
<hr>
<p>Premier soldat noir au service de la France à accéder au grade de capitaine (en 1883) et à recevoir le grade d’officier de la Légion d’honneur (en 1888), Mamadou Racine Sy constitue une exception parmi les très nombreux soldats recrutés par l’armée française en Afrique occidentale (les « tirailleurs sénégalais ») durant la période coloniale, entre les années 1850 et les années 1960.</p>
<p>Son épais dossier matricule, conservé aux Archives de l’Armée de terre, ainsi que ses portraits photographiques, qui ont survécu, le distinguent des dizaines de milliers de tirailleurs anonymes qui ont combattu sous l’uniforme français entre 1857, date à laquelle Faidherbe crée le premier bataillon de tirailleurs sénégalais, et les indépendances africaines un siècle plus tard.</p>
<p>Combattant, interprète, diplomate et administrateur, Mamadou Racine fut un auxiliaire essentiel de la colonisation française du Sénégal et, surtout, du Soudan (nom donné à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle à un territoire correspondant essentiellement au Mali actuel) dans la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, mais les archives révèlent également l’ampleur des réticences qu’il eut à surmonter pour acquérir galons et récompenses.</p>
<h2>Un illustre inconnu</h2>
<p>Mamadou Racine fait partie des rares auxiliaires africains de la colonisation française dont le nom et l’image n’ont pas sombré dans l’oubli.</p>
<p>Célèbre dans les cercles coloniaux de la deuxième moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, il est, d’après l’administrateur colonial Alfred Guignard qui participe à la conquête du Soudan, un « héros des troupes noires et de l’épopée soudanaise, dont le nom se retrouve à chaque page de notre conquête ».</p>
<p>Il existe cependant de très nombreuses zones d’ombre concernant la biographie de Mamadou Racine, qui n’a laissé aucun écrit, hormis quelques lettres et rapports adressés à ses supérieurs hiérarchiques. La tradition familiale orale, recueillie par son petit-fils et biographe, Seydou Madany Sy, n’a pas permis de lever le mystère sur certains aspects de sa vie, que l’historien doit se résoudre à saisir à travers des sources rédigées exclusivement par les colonisateurs. En cela, le parcours exceptionnel de Mamadou Racine ne lui permet pas d’échapper aux nombreux biais et lacunes qui caractérisent l’histoire des <a href="https://webdoc.rfi.fr/tirailleurs-senegalais-seconde-guerre-mondiale-voyage/">auxiliaires « indigènes » de la colonisation française</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/395092/original/file-20210414-23-30rimy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/395092/original/file-20210414-23-30rimy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=660&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/395092/original/file-20210414-23-30rimy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=660&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/395092/original/file-20210414-23-30rimy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=660&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/395092/original/file-20210414-23-30rimy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=829&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/395092/original/file-20210414-23-30rimy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=829&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/395092/original/file-20210414-23-30rimy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=829&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Image n°1 : Photographie de Mamadou Racine, alors qu’il n’est encore que lieutenant au titre indigène, lors de la mission Borgnis-Desbordes au Sénégal et au Soudan, en 1883.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b77020340/f2.item.r=mamadou%20racine">Gallica</a></span>
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<p>L’état civil de Mamadou Racine fait l’objet d’un certain nombre de variations au fil des pages de son dossier matricule. Son prénom est un temps orthographié « Mahmadou » par les officiers français, erreur que l’intéressé rectifie en 1888 dans un courrier officiel. Quant à son nom de famille, Sy, il n’apparaît dans aucun document militaire. Ni sa date ni son lieu de naissance (il serait né en 1838 ou en 1842 aux environs de Podor, au Sénégal) ne sont connus avec certitude et son numéro de matricule change à trois reprises.</p>
<p>De sa vie avant le régiment, on sait cependant qu’il est le fils d’Élimane Racine, chef du village de Souyouma, qui entretient de bonnes relations avec les colonisateurs français. Par sa mère, Seynabou Rabi Bâ, Mamadou Racine est apparenté à la noblesse du Bosséa, région du nord-est du Sénégal. Après avoir suivi des études religieuses, Mamadou Racine exerce un temps le métier de maître d’école coranique, avant de s’engager en 1860 comme simple soldat dans le <a href="https://www.jeuneafrique.com/134995/politique/histoire-qui-taient-les-combattants-africains-des-deux-guerres-mondiales/">corps des tirailleurs sénégalais</a>, créé trois ans plus tôt par le général Faidherbe. Rien ne permet d’expliquer cette décision, mais la tradition familiale des Sy l’attribue à une querelle entre Mamadou Racine et son père, lequel aurait même proposé au chef de corps des tirailleurs sénégalais de recruter dix jeunes gens qui étaient à son service à la place de son fils, sans succès.</p>
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<h2>La lente ascension militaire</h2>
<p>Entre 1860 et 1895, année de sa retraite, Mamadou Racine a gravi peu à peu tous les échelons de la carrière militaire, participant à la plupart des opérations de conquête, d’abord au Sénégal, contre Ahmadou Cheikou, chef de l’empire toucouleur, et son allié Lat Dior (dans les années 1880), puis au Soudan, contre l’almamy <a href="https://www.geo.fr/histoire/samori-toure-l-empereur-rebelle-161287">Samory Touré</a>) (entre 1880 et 1898), qui dirige un État puissant dans la région du Niger. Il se distingue en 1883 lors de la prise de la forteresse de Daba, durant laquelle il est blessé à la cuisse et il est présent lors d’importantes batailles comme celle de Koundian en 1889 et celle de Ségou (capitale d’Ahmadou Cheikou) en 1890.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/395090/original/file-20210414-21-jif36w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/395090/original/file-20210414-21-jif36w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/395090/original/file-20210414-21-jif36w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/395090/original/file-20210414-21-jif36w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/395090/original/file-20210414-21-jif36w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/395090/original/file-20210414-21-jif36w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/395090/original/file-20210414-21-jif36w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Samory écoutant sa sentence d’exil (traduite par Mamadou Racine) devant le palais du gouvernement à Kayes, en 1898.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b7702197v/f2.item.r=samory%20tour%C3%A9">Gallica</a></span>
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<p>Son dossier matricule retrace les principales étapes de sa promotion par les armes. Nommé caporal en 1865, puis sergent le 9 août 1866, il accède en 1868 au grade de sous-lieutenant indigène, grade qui constitue à l’époque le sommet de la carrière des tirailleurs. Son ascension ralentit à partir de cette date. En effet, si les grades d’officier sont théoriquement ouverts aux indigènes dès la création du corps des tirailleurs sénégalais en 1857, leur obtention effective est limitée par le très faible nombre d’officiers indigènes existant dans les compagnies de tirailleurs sénégalais. Mamadou Racine doit donc attendre douze ans avant d’être promu lieutenant indigène en 1880.</p>
<p>Les trois années qui séparent sa promotion au grade de lieutenant de sa nomination comme capitaine s’expliquent par les très nombreuses réticences du haut commandement et des institutions militaires françaises, qu’attestent les lettres conservées dans son dossier matricule. Mamadou Racine, en tant que « sujet français » (les populations colonisées de l’empire étant exclues, à de très rares exceptions près, de la citoyenneté), ne peut servir qu’au « titre indigène », ce qui implique un avancement plus lent et limite les possibilités de promotion aux grades les plus élevés de l’armée. Or le décret de création du corps des tirailleurs sénégalais ne prévoyait pas, à l’origine, d’emploi de capitaine au titre indigène. Cette lacune n’est pas due au hasard : les autorités militaires répugnent à placer des sous-officiers français sous les ordres d’un officier africain.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/395093/original/file-20210414-15-1kxiso4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/395093/original/file-20210414-15-1kxiso4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=696&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/395093/original/file-20210414-15-1kxiso4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=696&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/395093/original/file-20210414-15-1kxiso4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=696&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/395093/original/file-20210414-15-1kxiso4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=874&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/395093/original/file-20210414-15-1kxiso4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=874&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/395093/original/file-20210414-15-1kxiso4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=874&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Portrait du capitaine Mamadou Racine en compagnie de sa femme (1889). Photographie d’Ernest Portier.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b7702117t/f29.item.r=mamadou%20racine">Gallica</a></span>
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<p>Ni les états de service de Mamadou Racine, ni ses récompenses, rarement décernées à des sujets coloniaux (il est le premier Noir à recevoir le titre de chevalier de la Légion d’honneur en 1869) ne suffisent, dans un premier temps, à surmonter cet obstacle juridique, et il faut toute l’insistance du colonel Borgnis-Desbordes (l’un des principaux acteurs de la conquête du Soudan et de la lutte contre Samory) ainsi que plusieurs années de correspondances interministérielles pour que le grade de capitaine lui soit finalement accordé à titre exceptionnel, en 1883. </p>
<p>Il est du reste attaché à l’état-major du commandant supérieur du Haut-Sénégal, où il n’exerce pas de commandement effectif, ce qui résout de fait le principal obstacle à sa promotion. En 1888, au terme d’une nouvelle controverse entre l’institution militaire, qui souhaite voir Mamadou Racine accéder à de nouvelles distinctions, et le grand chancelier de la Légion d’honneur, qui se montre plus réticent, il est le premier Noir à accéder au grade d’officier de la Légion d’honneur, en récompense des services exceptionnels qu’il a rendus à la France.</p>
<h2>Une figure ambiguë d’intermédiaire de la colonisation</h2>
<p>Mamadou Racine appartient, au même titre que les guides et les interprètes locaux indispensables aux colonisateurs, à la catégorie des intermédiaires indigènes de la colonisation.</p>
<p>Dès son engagement comme tirailleur, il comprend la nécessité d’apprendre à lire et à écrire le français, qu’il maîtrise rapidement. En 1878, il obtient l’autorisation de se rendre à Paris pour visiter l’<a href="http://www.expositions-universelles.fr/1878-exposition-universelle-paris.html">Exposition universelle</a>. En campagne, il adopte rapidement les codes de sociabilité en vigueur chez les officiers coloniaux français, qu’il reçoit, d’après le commandant Étienne Péroz, avec « une table excellente, parfaitement servie à l’européenne ».</p>
<p>S’il manie avec aisance les codes européens, Mamadou Racine n’en conserve pas moins certaines coutumes musulmanes. Ainsi, on ne connaît pas le nombre exact de ses épouses (sa fiche matricule précise seulement qu’il est marié « selon la coutume du pays »). L’une d’entre elles, Mariam Inaysa, fille d’Ahmadou Cheikhou, lui est <a href="https://cths.fr/an/savant.php?id=104100#">attribuée par Archinard</a>) après la prise de Ségou en 1890, selon une coutume répandue dans l’armée coloniale française et attestée <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k103420x?rk=21459;2">dans les mémoires de plusieurs officiers</a>.</p>
<p>Soldat modèle, Mamadou Racine remplit également le rôle de guide, d’interprète et de diplomate, notamment auprès de Samory Touré, alors allié des Français, qui lui confie la garde de son fils Karamoko durant son voyage en France, en 1886. Quelques années plus tard, en 1898, c’est lui qui est chargé de traduire à Samory, alors prisonnier des Français, la sentence d’exil au Gabon prononcée par le gouverneur Trentinian.</p>
<p>Considéré comme un exemple parfait d’assimilation, Mamadou Racine est cependant l’objet d’une certaine suspicion de la part de plusieurs officiers français, notamment Gallieni, qui le jugent « plus gênant qu’utile », voient d’un mauvais œil son ascension professionnelle et critiquent son enrichissement. En 1872, il est réprimandé pour avoir dirigé les prières à la mosquée du poste de Bakel, vêtu d’un boubou. Après sa retraite en 1895, Mamadou Racine continue de servir les Français comme <em>fama</em> (roi) du Bambouck, fonction honorifique qui consiste principalement à transmettre aux populations les instructions des administrateurs français de la province.</p>
<h2>Une mémoire conflictuelle</h2>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/395095/original/file-20210414-17-14xcvhl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/395095/original/file-20210414-17-14xcvhl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/395095/original/file-20210414-17-14xcvhl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=813&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/395095/original/file-20210414-17-14xcvhl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=813&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/395095/original/file-20210414-17-14xcvhl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=813&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/395095/original/file-20210414-17-14xcvhl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1022&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/395095/original/file-20210414-17-14xcvhl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1022&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/395095/original/file-20210414-17-14xcvhl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1022&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Photographie de Mamadou Racine entre 1897 et 1900, par le capitaine Aristide Pérignon.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b7702492t/f22.item.r=mamadou%20racine">Gallica</a></span>
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<p>Mamadou Racine meurt le 24 février 1902 à Kita. En 2011, à la demande de sa famille, sa tombe est transférée dans le cimetière militaire des soldats français.</p>
<p>Acteur majeur de la conquête du Sénégal et du Soudan, Mamadou Racine fait l’objet d’une double occultation dans les mémoires française et sénégalaise. En France, il rejoint la cohorte anonyme des auxiliaires indigènes de la colonisation, dont le souvenir a été effacé par les figures des grands colonisateurs blancs. Au Sénégal, son nom est absent des manuels scolaires pour des raisons opposées : il y est perçu comme un collaborateur des Français et comme l’adversaire des principaux héros de la résistance à la conquête coloniale.</p>
<hr>
<p><em>Cet article est également à retrouver sur le site de l’<a href="https://ehne.fr/fr">Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe</a> (EHNE).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157335/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphanie Soubrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’étude de la vie de Mamadou Racine Sy, qui fut un pionnier pour les soldats noirs au sein de l’armée française, met en lumière les ambiguïtés du rapport aux « indigènes » durant l’époque coloniale.Stéphanie Soubrier, Post-doctorante à l'Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe (EHNE) et chercheuse associée au Centre d'histoire du XIXe siècle, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1529542021-01-13T18:14:31Z2021-01-13T18:14:31ZLa France dans la tourmente au Sahel<p>Au bout de huit ans, l’intervention militaire de la France dans cinq pays francophones du Sahel n’a pas permis d’éradiquer la menace djihadiste. La poursuite de l’opération Barkhane soulève en conséquence de nombreux doutes. </p>
<p>L’Élysée n’a annoncé aucun calendrier de retrait et certains posent la question très crûment : l’ancienne puissance coloniale est-elle vraiment la mieux placée pour stabiliser la zone ?</p>
<h2>Défiance des populations locales</h2>
<p>À l’international, en l’occurrence, on estime souvent que la France a la capacité d’agir en Afrique car elle connaît bien le terrain et pourrait donc mieux répondre aux attentes de ses alliés au sein de l’Union européenne et du G5 Sahel, le « Groupe des Cinq » que forment le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad. Le problème est que ses atouts sont aussi des faiblesses.</p>
<p>Sur le plan tactique, d’abord, la France a effectivement maintenu au Tchad et au Niger des coopérations militaires de façon quasiment ininterrompue depuis la période des indépendances. Mais les relations ont été beaucoup plus erratiques avec la République islamique de Mauritanie, ou encore avec le Mali et le Burkina Faso, qui étaient proches de Moscou et de Tripoli du temps de la guerre froide. C’est en fait la « guerre globale contre le terrorisme » qui a amené l’armée française à renouer des contacts et à rebâtir des relations de partenariat dans ces trois pays.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/CTw_aK74Rls?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le statut d’ancienne puissance coloniale nourrit par ailleurs de nombreux procès d’intention au Sahel. Toujours suspectée de faire et défaire les gouvernements de la région, la France n’est pas perçue comme neutre. Au contraire, elle est régulièrement accusée de chercher à promouvoir un agenda caché, par exemple pour mettre la main sur des ressources naturelles plus ou moins imaginaires.</p>
<p>Historiquement marqués par une forte tradition anti-impérialiste, le Mali et le Burkina Faso le montrent bien. Les opinions exprimées sur les réseaux sociaux et par certains de leurs dirigeants laissent en effet entendre que la France soutiendrait les groupes djihadistes afin de déstabiliser des États souverains et de profiter de leur faiblesse pour recoloniser le Sahel. Au Mali, en particulier, la population ne cache pas sa défiance à l’égard de la force Barkhane. En revanche, elle a une très bonne opinion de son armée. Si l’on en croit de <a href="https://afrobarometer.org/fr/publications/resume-des-resultats-enquete-afrobarometer-round-8-au-mali-2020">récents sondages</a> réalisés auprès de 1 200 adultes, plus de quatre Maliens sur cinq font confiance à leurs soldats pour défendre le pays.</p>
<p>Un tel résultat paraît assez surprenant car les militaires qui se sont récemment emparés du pouvoir à Bamako se sont avérés incapables d’endiguer la menace djihadiste au nord. De plus, ils se sont surtout fait connaître pour leurs exactions et par des putschs qui ont profondément déstabilisé la région en 2012 puis 2020. En réalité, le capital de sympathie dont bénéficie l’armée malienne témoigne surtout de l’impopularité du régime précédent et du nationalisme exacerbé de Sahéliens profondément humiliés de devoir s’en remettre à l’ancienne puissance coloniale pour assurer leur sécurité, plus d’un demi-siècle après les indépendances – à moins qu’il faille plutôt y voir la crainte de déplaire aux autorités, sachant qu’un tiers des sondés pensaient que les enquêteurs étaient envoyés par le gouvernement.</p>
<h2>Des contentieux anciens</h2>
<p>Au Mali, il est vrai que la suspicion à l’égard de la France puise aussi ses racines dans des contentieux plus anciens liés à l’expulsion de migrants clandestins et d’un supposé soutien aux rebelles touarègues dans le nord.</p>
<p>Deux ans avant son départ en 1960, le colonisateur avait en effet tenté, en vain, de créer une sorte d’État tampon sous la forme d’une <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1956/08/02/une-organisation-commune-des-regions-sahariennes-a-ete-approuvee-par-le-gouvernement_2245910_1819218.html">« Organisation commune aux régions du Sahara »</a> qui aurait soustrait les zones septentrionales du Soudan français et les puits de pétrole du sud de l’Algérie à l’influence, respectivement, de Bamako et des indépendantistes du FLN. Les Maliens ne l’ont pas oublié et, depuis lors, Paris a souvent été suspecté d’appuyer en sous-main les séparatistes touarègues afin de modifier une frontière qui paraissait d’autant plus artificielle qu’elle avait été tirée au cordeau.</p>
<p>Qui plus est, quand les djihadistes venus d’Algérie sont montés en puissance dans le nord du Mali, les services secrets français ont effectivement <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/08/14/l-avenir-du-mali-suspendu-a-la-question-touareg_3461280_3212.html">armé les mouvements indépendantistes « laïques »</a> pour combattre les groupes terroristes. Ils ont ainsi reproduit les erreurs commises à la même époque en Libye, où Paris a soutenu le soulèvement contre la dictature de Kadhafi en livrant des cargaisons d’armes qui, pour certaines d’entre elles, sont réputées avoir <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2013-3-page-147.htm">échoué entre les mains d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI)</a> en juin 2011. Dans le nord du Mali, la proclamation d’indépendance de l’Azawad en mai 2012 a certes respecté le tracé des frontières héritées de la colonisation, sans doute pour ménager les susceptibilités de la communauté internationale. Mais elle a aussi permis aux djihadistes de s’emparer du pouvoir à Gao et Tombouctou, situation qui devait finalement conduire au débarquement des troupes françaises en janvier 2013.</p>
<p>La suite des événements a alors révélé toute l’étendue des désaccords possibles sur les priorités stratégiques de l’action militaire. Pour Bamako, les séparatistes touarègues constituaient le principal ennemi à abattre ; pour Paris, en revanche, il s’agissait d’abord des djihadistes venus d’Algérie. Jusqu’en 2020, plus précisément, l’armée française a surtout ciblé AQMI. Dans le même temps, le Burkina Faso, le Mali et le Niger se sont davantage préoccupés de la montée en puissance de l’État islamique dans la zone dite des « trois frontières ».</p>
<p>Il est certes fréquent que des alliés ne parviennent pas à se mettre d’accord sur les priorités des cibles à éliminer et sur les listes des groupes désignés comme terroristes. Mais, en pratique, le G5 Sahel peine à être opérationnel et ses dysfonctionnements interrogent directement le rôle de leadership et de coordination de la France. Le contraste est particulièrement saisissant avec l’autre coalition antiterroriste de la région, la <a href="https://www.crisisgroup.org/africa/west-africa/291-what-role-multinational-joint-task-force-fighting-boko-haram">Force multinationale conjointe</a>, qui fonctionne quasiment sans soutien extérieur et qui regroupe le Nigeria, le Cameroun, le Niger et le Tchad pour combattre Boko Haram.</p>
<h2>Quel rôle pour la France dans la recherche d’une solution politique ?</h2>
<p>À y regarder de plus près, les ratés de la lutte contre les groupes djihadistes au Sahel mettent en évidence les limites de coopérations militaires que les décideurs apprécient au nombre d’heures dispensées au lieu de les évaluer en termes de performance au combat et de respect du droit humanitaire. Le fond du problème est pourtant bien là. Indisciplinées et très corrompues, les armées africaines de la région entretiennent les conflits <a href="https://www.fidh.org/IMG/pdf/fidh_centre_du_mali_les_populations_prises_au_pie_ge_du_terrorisme_et_contre_terrorisme.pdf">par leurs rackets incessants et leurs violations massives des droits de l’homme</a>. Dans les zones de combat, notamment, elles ont perdu la confiance de bon nombre de civils qu’elles s’avèrent incapables de protéger. Par contrecoup, leurs exactions ont aussi légitimé des djihadistes qui se présentent maintenant comme des hérauts de la résistance face à des troupes impies au service de l’impérialisme occidental.</p>
<p>Ainsi, il y a peu de chances de gagner la « guerre contre le terrorisme » si les forces de sécurité continuent de commettre des abus en toute impunité. La solution à la crise du Sahel est d’abord politique et nécessite une profonde réforme des États de la région, entre autres pour répondre aux exigences de justice de la population. Il n’est pas évident que la France puisse jouer un rôle déterminant à cet égard, sachant qu’elle serait aussitôt accusée de néocolonialisme si elle s’avisait de critiquer publiquement les errements de ses alliés africains au Sahel…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152954/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc-Antoine Pérouse de Montclos ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après huit ans d’intervention française au Sahel, le bilan est plus que mitigé. La France est souvent mal vue par les populations locales et la sécurité est loin d’être rétablie dans la région.Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherches, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1527382021-01-07T20:14:49Z2021-01-07T20:14:49ZComment la politique coloniale a forgé le mythe d’une France « pays des droits de l’Homme »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/377368/original/file-20210106-13-1yvm8eq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=36%2C27%2C2008%2C1404&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Enfants et légionnaire sur la place des Acardes à Colomb-Béchar, années 1930.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/hansmichaeltappen/26617473841/in/photolist-Gy6vCM-GgEaBz-5X4LRJ-G9RYr3-GC6Tzu-Fv3qZ2-GMSgAf-GoW3hr-9mkfar-GDZ4wf-GoPGJe-GhR6L5-GaZhzX-FuPS59-FRJ8v1-GemRw3-FW6DgS-FD27n7-FNSZsw-GhQa9Q-9mkbw8-G9RonG-GvjaPK-GGcjj5-GujWCQ-FP5Jvn-GB69Pe-GByPiu-GH59CT-Fz47Jt-FMK55P-GsrS8L-c3N1TN-Gi2dbp-FWo5in-FRJkA3-GD8ePU-GnZqjh-GmwziE-FWbznt-GmjFBf-GsrUFS-FUDgLq-FRJfzG-GPLwWK-FYHhow-FnK3qa-Fmz3jK-9mobPS-GCZmc4">Hans-Michael Tappen/Flickr</a></span></figcaption></figure><p>Que représente l’école des colonies dans l’imaginaire des Français d’aujourd’hui ? Un tableau noir, dressé devant de petits écoliers, sur lequel un instituteur écrivait d’une belle écriture de craie blanche « Nos ancêtres les Gaulois ».</p>
<p>Une légende bien installée et contre laquelle s’était déjà indigné, en 1928, un des principaux instigateurs de la politique scolaire coloniale, Georges Hardy, <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/africa/article/abs/la-librairie-des-ecoles-indigenes-en-afrique/720138B6FF3E2BA7234F2D6DC9FB87AE">théoricien et praticien</a> du grand principe de « l’adaptation » :</p>
<blockquote>
<p>« Nos ancêtres les Gaulois, mais ce ne sont là que calomnies ! »</p>
</blockquote>
<p>L’idée d’une France enseignant aux jeunes colonisés les programmes métropolitains s’avère effectivement relever d’une histoire légendaire. Cette légende a participé, jusqu’à aujourd’hui, à la construction de l’image d’une France pays des droits de l’Homme, qui aurait généreusement fait bénéficier de sa culture à des populations restées en dehors de la modernité.</p>
<p>La plongée dans les archives coloniales nous permet de rectifier cette apologie de la mission civilisatrice, tant dans sa rhétorique que dans sa mise en pratique.</p>
<p>L’intention de « civiliser » fut explicitement exprimée dès les années 1815-1820, avant d’être érigée en « devoir » par les Républicains à l’instar de <a href="https://www.lepoint.fr/histoire/ferry-jules-1832-1893-22-08-2013-1716224_1615.php">Jules Ferry</a> qui rappelait le droit et le devoir de civiliser les races inférieures, quelques décennies plus tard.</p>
<p>Cependant, les mobiles utilitaristes l’emportèrent de loin sur les mobiles philanthropiques.</p>
<h2>L’école, auxiliaire du projet colonial</h2>
<p>L’école fut en effet considérée comme l’auxiliaire de l’exploitation économique des colonies, elle devait transmettre la langue française, perçue comme indispensable à toute communication avec les populations colonisées afin de réaliser le projet colonial, notamment l’exploitation économique des colonies.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="Officier colonial tenant la main d’un enfant dans un village africain, 1904-1914." src="https://images.theconversation.com/files/377357/original/file-20210106-17-1umrzal.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/377357/original/file-20210106-17-1umrzal.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/377357/original/file-20210106-17-1umrzal.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/377357/original/file-20210106-17-1umrzal.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/377357/original/file-20210106-17-1umrzal.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/377357/original/file-20210106-17-1umrzal.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/377357/original/file-20210106-17-1umrzal.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Officier colonial tenant la main d’un enfant noir dans un village africain, 1904-1914.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://images.bnf.fr/#/detail/1401967/3">Bnf</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’école devait aussi contribuer à faire des colonisés des producteurs de denrées agricoles tropicales (sucre, coton, café, arachide, cacao…) mais également, en transmettant les « goûts des Européens », en faire des consommateurs de produits manufacturés métropolitains.</p>
<p>Enfin, l’école eut très tôt la mission de diffuser le respect et l’amour d’une France dont la célébration de la grandeur tenait une place de choix dans la construction de son identité nationale. Ces objectifs restèrent constants au fil des décennies et des régimes politiques.</p>
<h2>Une politique différencialiste</h2>
<p>L’idée d’asseoir sur un même banc enfants de colons et de colonisés afin de rapprocher des populations appelées à œuvrer ensemble au projet colonial, céda vite le pas à une politique différentialiste, dictée par un mélange de présupposés racialistes et de considérations pragmatiques : l’enseignement fut quasiment inexistant en <a href="http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=234">Nouvelle-Calédonie</a> où la présence de nombreux colons français laissa les colonisés en grande partie en dehors du projet colonial.</p>
<p>Il fut réduit dans d’autres colonies, à l’instar de l’Afrique-Occidentale Française où il se limita à la formation d’une <a href="https://theconversation.com/les-instituteurs-de-lafrique-de-louest-defricheurs-de-savoirs-98658">mince élite</a> destinée à occuper les petits emplois du commerce et de l’administration, tandis qu’il s’avéra plus ambitieux en Indochine afin de répondre à des nécessités budgétaires (former une main d’œuvre moins onéreuse que celle provenant de métropole) ou politiques (donner satisfaction aux notables et éviter les troubles) tout en imposant des programmes différents de l’enseignement métropolitain.</p>
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<figcaption><span class="caption">Nouvelle-Calédonie : la dernière colonie française.</span></figcaption>
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<h2>La crainte de trop instruire</h2>
<p>L’ampleur des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=p-Zk_yrZnk4">inégalités</a> scolaires ont été établies : en Algérie française, « le rapport de dépenses entre les enfants des colonisés et ceux des colons allait de 1 à 40 ».</p>
<p>Car si l’instruction fut partie intégrante du projet colonial, la crainte de trop instruire les enfants de colonisés, se manifesta précocement puis s’intensifia au fur et à mesure que les élites locales devinrent plus nombreuses et qu’une partie d’entre elles désira bénéficier des savoirs européens.</p>
<p>La hantise de produire des « déclassés » et la volonté de freiner toute mobilité sociale perçue comme une menace à l’ordre et à la domination coloniales s’imposa sous toutes les latitudes : les élites n’étaient appréciées que si elles étaient en mesure de conserver l’ordre colonial alors que les jeunes ayant été scolarisés commençaient à aspirer à un autre rôle.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’école en Algérie pendant la colonisation française.</span></figcaption>
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<p>Cette conception de l’école, garante de la reproduction sociale, fut partie intégrante du projet républicain, un projet qui destinait les fils de paysans à poursuivre le travail de la terre après avoir bénéficié d’une modeste culture : quelques rudiments de français, de calcul, d’hygiène.</p>
<h2>Des enseignements « adaptés »</h2>
<p>Des représentations différencialistes omniprésentes justifiaient la nécessité d’adapter les enseignements aux spécificités raciales des populations, tout comme le refus de dispenser les programmes métropolitains jugés trop ambitieux et trop intellectuels. Ce principe de l’adaptation, prôné haut et fort, dément le mythe de la transposition de l’enseignement métropolitain et du fameux adage « nos ancêtres les Gaulois ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/377332/original/file-20210106-17-11whs0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/377332/original/file-20210106-17-11whs0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=915&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/377332/original/file-20210106-17-11whs0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=915&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/377332/original/file-20210106-17-11whs0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=915&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/377332/original/file-20210106-17-11whs0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1149&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/377332/original/file-20210106-17-11whs0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1149&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/377332/original/file-20210106-17-11whs0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1149&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>L’École aux colonies. Entre mission civilisatrice et racialisation, 1816-1940</em>, paru aux éditions Champ Vallon, 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Éditions Champ Vallon</span></span>
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<p>Cependant, le développement économique qui nécessitait un personnel de plus en plus nombreux (instituteurs, personnel administratif, employés de commerce, techniciens) incita les milieux économiques et l’administration à réclamer la formation d’un personnel colonisé subalterne beaucoup moins onéreux alors que le contexte démographique s’avérait peu favorable au recrutement de nombreux colons.</p>
<p>Dès lors, la politique coloniale oscilla entre ces deux tendances : freiner la mobilité sociale, éviter la production de déclassés et former des auxiliaires subalternes indispensables au développement économique.</p>
<p>Cependant, les élites métropolitaines durent également composer avec les colons dont une frange conservatrice se refusait à envisager une école autre que professionnelle et très rudimentaire.</p>
<h2>Une faible ambition intellectuelle</h2>
<p>L’opposition des colons se manifesta rapidement dans les colonies de peuplement comme l’Algérie où leur volonté de réduire le rôle de l’école à une mise en apprentissage qui commencerait dès les plus jeunes âges s’opposa fermement à la politique des « éducateurs » qui attribuaient à l’école le rôle évoqué ci-dessus.</p>
<p>Pour autant, on ne peut qu’être frappé par la faible ambition intellectuelle que ces derniers conféraient à l’école.</p>
<p>Aucune voix ne porta ce qui aurait pu être une véritable « mission civilisatrice » : dispenser un <a href="http://www.champ-vallon.com/carole-reynaud-paligod-lecole-aux-colonies/">enseignement</a> vecteur d’ascension sociale et préparant les populations colonisés à une autonomie, un self-government, à une échéance plus ou moins lointaine. Même chez les plus progressistes des « éducateurs », à l’instar de Ferdinand Buisson ou d’Émile Combes, la conception de l’école fut très utilitariste.</p>
<h2>L’école, vecteur de mobilité sociale ?</h2>
<p>En outre, ces derniers les éducateurs n’eurent jamais la volonté politique de résister à la pression des colons, ils acceptèrent de diminuer encore l’ambition de l’école, en limitant le budget, en adoptant des programmes sans cesse plus pratiques, en freinant la mobilité sociale.</p>
<p>Pourtant, l’attente dans ce domaine était grande. Les populations colonisées ne rejetèrent pas massivement <a href="http://www.champ-vallon.com/carole-reynaud-paligod-lecole-aux-colonies/">l’école coloniale</a>, comme cherchèrent à le faire croire les opposants à la scolarisation.</p>
<p>L’école a été assez tôt perçue comme un vecteur de mobilité sociale pour une partie de la population colonisée souvent liée à l’administration coloniale.</p>
<p>S’indignant de la faible ambition intellectuelle des programmes scolaires de l’école normale d’instituteur, le journal, <em>L’Ouest-africain-français</em> du 16 août 1919 proposait d’inscrire au-dessus des portes des écoles le fameux vers de Dante :</p>
<blockquote>
<p>« Laissez-là toute espérance ».</p>
</blockquote>
<p>Avec humour, colère, ténacité, la voix des colonisés se fit entendre grâce à une presse qui commençait à se dégager de la censure, mais aussi dans les instances coloniales qui avaient accordé avec parcimonie une représentation aux colonisés, ou encore dans des pétitions de parents d’élèves.</p>
<p>Les rapports administratifs relatèrent, avec grande inquiétude, ces diverses formes de mobilisation. Autant d’échos de ce long combat que les colonisés durent mener pour bénéficier d’un droit à l’éducation égal à ceux des enfants de colons. Ils l’obtinrent, en partie seulement, à la veille des indépendances.</p>
<hr>
<p><em>L’article de Carole Reynaud-Paligot est adapté de son <a href="http://www.champ-vallon.com/carole-reynaud-paligod-lecole-aux-colonies/">ouvrage</a> L’École aux colonies entre mission civilisatrice et racialisation 1816-1940, paru aux éditions Champ Vallon, 2021.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152738/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Carole Reynaud-Paligot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’idée d’une France enseignant aux jeunes colonisés les programmes métropolitains s’avère relever d’une histoire légendaire.Carole Reynaud-Paligot, Historienne, Maison des Sciences de l'Homme-Paris-Nord, Paris 1, Université de Franche-Comté – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1051392018-10-17T10:04:09Z2018-10-17T10:04:09ZExhiber l’exhibition ? Quand les historiens font débat : retour sur « Sexe, race et colonies »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/241003/original/file-20181017-41129-cxu57.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C2%2C1440%2C957&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Betye Saar, _The Phrenologer’s Window II_, 1966. Interroger les images permet de les déconstruire et d'ouvrir la réflexion sur leurs violences.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.e-flux.com/announcements/63384/betye-saaruneasy-dancer/">Robert Wedemeyer/Fondazione Prada</a></span></figcaption></figure><p>L’ouvrage <em>Sexe, race et colonies</em>, a ouvert un débat majeur, parfois fortement polémique, souvent passionné. Nous ne revenons pas ici sur les critiques laudatives – nombreuses –, du livre, mais sur des questions posées, et qui nous semblent devoir être discutées, et tranchées. Plusieurs registres de critiques doivent être distingués. Les premières concernent la possibilité même, le droit ou la légitimité à publier des images de la domination des corps esclavagisés, colonisés, racisés. Tout d’abord parce que l’opération reproduirait en définitive la domination elle-même, <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2018/10/04/erotisme-et-colonialisme-le-piege-de-la-fascination_5364290_3260.html">humiliant à nouveau les représentés</a>.</p>
<p>C’est là une question épistémologique de première importance. Doit-on, ou non, s’arroger le droit de reproduire ces images ? Cette question, on se doute bien qu’elle nous a traversés, faisant l’objet d’intenses débats entre les directeurs de l’ouvrage et plusieurs auteurs y participant, depuis quatre ans. En vérité, il n’y avait que deux options : montrer ou ne pas montrer.</p>
<h2>Se représenter l’événement</h2>
<p>Nous avons choisi de montrer ces images parce qu’il est, selon nous, impossible de comprendre et de déconstruire un imaginaire aussi complexe, étendu, de longue durée, sans se donner la possibilité de voir ce que signifie réellement sa puissance scopique. Nous ne sommes pas les premiers à essuyer de telles critiques. Plusieurs intellectuels ont contesté, en leur temps et <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2007/08/08/retrocontroverse-1994-peut-on-representer-la-shoah-a-l-ecran_942872_3232.html?">sous divers arguments</a> (ces images sont partielles, il est impossible de représenter la Shoah…), la présentation <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/le-debat-sur-la-representation-de-la-shoah-est-il-clos">d’images de la Shoah</a>.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/240996/original/file-20181017-41153-1l7j5cu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/240996/original/file-20181017-41153-1l7j5cu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=986&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/240996/original/file-20181017-41153-1l7j5cu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=986&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/240996/original/file-20181017-41153-1l7j5cu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=986&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/240996/original/file-20181017-41153-1l7j5cu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1239&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/240996/original/file-20181017-41153-1l7j5cu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1239&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/240996/original/file-20181017-41153-1l7j5cu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1239&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’ouvrage fit scandale à sa sortie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Seuil</span></span>
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<p>Pourtant, les images qui nous sont parvenues aident, selon nous, à se représenter l’événement. Le livre de Daniel J. Goldhagen, <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/les-bourreaux-volontaires-de-hitler-les-allemands-ordinaires-et-l-holocauste-daniel-jonah-goldhagen/9782020289825"><em>Les bourreaux volontaires de Hitler</em></a>, qui fit également <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1998/08/VIDAL/3920">scandale</a> lors de sa sortie, inclut un cahier central d’images d’humiliations publiques, de crimes et d’atrocités. Ces images, insoutenables, sont cependant utiles, à la fois pour matérialiser et substantialiser le crime, mais aussi pour aider à comprendre pourquoi les bourreaux eux-mêmes étaient parfois à l’origine de ces clichés, les présentant comme un fait d’armes valorisant.</p>
<p>De même, l’ouvrage <a href="https://www.cairn.info/revue-essaim-2011-1-page-211.htm"><em>Without Sanctuary: Lynching Photography in America</em></a> (Twin Palms Publishers), paru en 2000 et reproduisant les images terrifiantes de lynchages de noirs aux États-Unis fut également contesté, accusé d’humilier à nouveau les victimes.</p>
<p>Pourtant, ce livre accessible au grand public, donne corps à ces milliers de morts par lynchage – très souvent au motif d’un regard trop appuyé ou d’une remarque « déplacée » à l’encontre d’une femme banche –, jusqu’alors simple chiffre, irreprésentable. Il donne aussi à voir les sociabilités autour des scènes de lynchage : foules nombreuses réunies pour l’occasion, où les parents emmènent leurs enfants, tant pour leur édification que pour un spectacle qui vient sanctionner l’impitoyable <em>color line</em> et réassurer les blancs de leur supériorité. Ce livre, par la photographie, nous en apprend donc beaucoup sur le lynchage, mais aussi sur la société des États du sud des États-Unis. Il est depuis devenu une référence, a fait ensuite l’objet d’expositions itinérantes <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2009/08/16/la-torture-des-noirs-aux-etats-unis-en-carte-postale_1228888_3246.html?">comme à Arles en 2009</a> et s’affirme désormais comme la preuve par l’image de ce qui était jusqu’alors inaudible.</p>
<h2>La légitimité en question</h2>
<p>Il nous semble qu’un livre tel <em>Sexe et race et colonies</em> ne peut pas faire l’impasse sur les images, tout simplement parce que celles-ci ont une valeur phénoménologique : elles nous disent, brutalement, ce que fut la domination des corps colonisés, permettent de revenir aux actes quotidiens qui permettent d’éclairer pourquoi, par exemple, un colon envoi à un ami une photo de lui au milieu de deux jeunes filles déshabillées, elles nous autorisent à saisir ce que furent les représentations – incroyablement multiples – de ces corps dominés. Par ailleurs, pour les chercheurs, ces images sont des archives, des sources, des témoignages et, comme tels, ils doivent être connus, et donc montrés. Elles doivent bien sûr être commentées, remises en contexte, et il est nécessaire de faire le lien entre l’histoire coloniale concrète – sociale, politique, culturelle – et les fonctions de légitimation, par les images, de ce que les puissances coloniales avaient entrepris là-bas.</p>
<p>Mais dans cette question « doit-on publier ces images ? » s’insère une seconde interrogation : « Êtes-vous légitimes pour le faire ? » Cette question est posée par des femmes et des hommes qui s’estiment être, <a href="https://www.cases-rebelles.org/les-corps-epuises-du-spectacle-colonial/">au travers de collectifs</a>, les héritiers des victimes. Nous comprenons ces réactions, et nous avons établi depuis longtemps, par nos activités scientifiques mais aussi militantes (féministes, postcoloniales, antiracistes…), de très nombreux contacts avec ces groupes et porte-paroles. Mais pour autant, si un dialogue doit être mené et poursuivi, cela justifie-t-il de nous interdire de publier ces images qui appartiendraient aux seuls descendants des victimes ? Faut-il, comme le réclament certains faire des excuses lorsque l’on produit des ouvrages historiques sur des sujets sensibles ? Faut-il s’interdire de traiter de tels sujets ?</p>
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<figcaption><span class="caption">Charles Easley, vidéographe, s’est emparé des images et textes de <em>Without Sanctuary</em>, pour ouvrir le débat dans la société américaine.</span></figcaption>
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<h2>Une histoire internationalisée</h2>
<p>Il faut répondre clairement à une question claire, et cette réponse est non. Sinon le métier d’historien n’est plus possible. Ces images concernent tout le monde, les esclaves autant que les maîtres (qui sont finalement tout autant affectés/infectés par le pouvoir de ces images), les colonisés comme les colons, et les populations colonisées tout autant que les Occidentaux ou les Japonais.</p>
<p>Nous sommes conscients de la nécessité d’objectiver <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2012-2-page-99.html">notre position en tant que chercheur</a>, comme des enjeux sociaux et mémoriels de notre travail (cela fait vingt-cinq ans que nous travaillons sur ces sujets…), mais nous ne pouvons accepter un partage de l’histoire qui serait dicté par la couleur de peau ou l’origine : les blancs devraient-ils être les seuls à étudier l’histoire de l’Europe ou des États-Unis ? Les Africains celle de l’Afrique ? les femmes l’histoire des femmes ? <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/college-de-france-40-lecons-inaugurales/sanjay-subrahmanyam-aux-origines-de-l-histoire">L’histoire est aujourd’hui internationalisée</a>, comme le montrent d’ailleurs les 97 auteurs réunis dans l’ouvrage, venant de pays différents, écrivant dans des langues différentes, n’étant pas tous d’accord sur tout, mais travaillant à déconstruire la matrice de la domination des corps en commun, et contribuant ensemble à la circulation internationale des savoirs qui est une garantie de fécondité, d’échanges et de critiques croisées.</p>
<p>Mais alors, ne fallait-il pas, au minimum, demander l’autorisation aux hommes et aux femmes représentées sur les images leur autorisation ? Outre que le droit à l’image est une question juridique précise, que nous avons respectée pour les images contemporaines, que dans chaque légende figurent toutes les informations possibles et identifiées, que 40 % des légendes font l’objet de commentaires complémentaires, cette exigence est délirante et ne vise en fin de compte qu’à interdire de travailler et de reproduire les images de ce passé.</p>
<p>Je souhaite bien du courage aux historiens à venir pour trouver tous les descendants de femmes et d’hommes photographiés à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. Soyons net : cette recherche est le plus souvent impossible tant ces images ont bâti l’anonymat de celles et ceux qui étaient dessinés ou photographiés, une telle exigence revient à interdire la reproduction de ce type d’images ce qui condamne par avance la recherche historique dans ce domaine pour les décennies à venir.</p>
<h2>Pourquoi un beau livre ?</h2>
<p>Toujours sur les images, plusieurs reproches ont été adressés aux directeurs de publication sur la manière de les montrer. Fallait-il en montrer autant ? Et pourquoi un beau livre ? D’abord, on devrait souligner l’importance de la mise au jour de corpus aussi vastes, qui ont demandé plus de quatre années de travail dans près de 320 fonds d’archives publiques et privées, qui permet de mesurer l’emprise de la domination dans tous les empires, dans tous les pays, sur près de six siècles…</p>
<p>Plusieurs centaines de milliers d’images visualisées pour ce projet, 70 000 finalement inventoriées et classées, et 1 200 publiées au final dans cette édition française. Au regard de ce gigantesque corpus, la somme des images finalement publiées – exceptionnelle nous en convenons dans un ouvrage – ne représente qu’un minuscule fragment de ce que nous avons découvert, analysé ou commenté.</p>
<p>Cependant, ces images ont été sélectionnées selon des critères bien précis : en fonction de leur impact social, de leur importance dans l’histoire visuelle, de l’importance des thèmes, de leur valeur de témoignage et enfin en fonction des supports (dessins, objets, sculptures, cartes postales, photographies, extraits de films, affiches, peintures…).</p>
<p>Notre choix a été ensuite thématique pour mettre en lumière le caractère le plus souvent transversal des représentations, leurs circulations d’un support à l’autre, d’une époque à l’autre. Il s’agit de permettre le recoupement des éléments sémantiques les plus évidents, constituer des séries qui dialoguent entre elles et qui montrent que ce regard colonial sur la sexualité transgresse les frontières entre supports, dialogue par exemple entre corpus privé et public, témoignant d’une imprégnation par ce regard colonial de tous les acteurs. C’est aussi un choix qui permet de comprendre l’impact sur les contemporains de chaque siècle, et les répétitions de série d’images permettent de mesurer l’impact visuel de plusieurs thèmes. Nous espérons que la démarche fait sens et permet en définitive de faire surgir les principales caractéristiques des corpus. Nous pensons, ceci étant, que si le débat sur les images est important, il nous semble plus heuristique que le débat se déplace vers ce que montre le livre, c’est-à-dire la domination, bien réelle, des corps.</p>
<h2>Accepter les failles, ouvrir la discussion</h2>
<p>Ce travail a été contextualisé par 20 textes majeurs, écrits majoritairement à plusieurs mains. Plus de 100 notices, par ailleurs, viennent préciser, analyser, déconstruire ces corpus et les replacer dans leur contexte ou leur spécificité. On peut bien sûr trouver des failles, d’autres que nous proposeront demain d’autres images, d’autres analyses, mais c’est sur les bases d’un travail concret et précis qu’une discussion sur celles-ci peut s’engager. Nous sommes en effet ouverts aux critiques.</p>
<p>Celles mentionnant un insuffisant appareil critique – qui permettrait de mieux comprendre par exemple la circulation de ces images (nous le faisons pour certains corpus, tels les cartes postales, mais pas pour d’autres il est vrai) ou une meilleure différenciation et qualification des supports – nous semble très recevables. Le livre n’est pas sans défaut, c’est un premier pas.</p>
<p>Pour autant, fallait-il présenter ces images dans un « beau livre » ? La réponse est, là encore, claire : oui. Nous voulions que ces images soient aussi lisibles que lors de leur sortie, nous n’avions aucune raison – bien au contraire – de les présenter dans des reproductions médiocres qui ne garantiraient plus leur lecture, ou ne permettraient pas de comprendre qu’à l’époque elles étaient puissantes et vues. Puisque nous montrons ces images, il fallait les montrer dans leur plénitude et, autant que possible, dans leur taille d’origine pour les peintures et les sculptures.</p>
<p>À côté de ces questions fondamentales, d’autres, de moindre importance, émergent : <a href="https://www.liberation.fr/debats/2018/09/30/sexe-race-et-colonies-livre-d-histoire-ou-beau-livre_1682243">Philippe Artières évoque la distinction</a>, à propos des images de la Shoah, entre les images produites par les nazis et celles réalisées par les déportés et nous reproche de ne pas avoir établi cette distinction.</p>
<p>Et pour cause ! Les images reproduites dans l’ouvrage sont produites uniquement par les puissances esclavagistes et coloniales. Si nous avions décidé de ne pas publier les images produites par les puissances coloniales, alors il n’y aurait tout simplement pas eu de livre. La contre-image n’existe qu’à la marge et c’est pourquoi celles publiées sont pendant ces longs siècles hégémoniques.</p>
<p>Aussi, nous n’avons pas travaillé sur cet autre objet qu’est la production éventuelle d’un contre-imaginaire produit par les colonisés eux-mêmes, hormis dans le chapitre consacré aux révoltes anticoloniales (mais alors sont bien précisés les statuts des images, des affiches anticoloniales en particulier) et dans l’un des chapitres de la dernière partie consacré aux réactions et révoltes contemporaines (y compris artistiques) face à cette histoire.</p>
<p>Ce livre permet de voir et de comprendre la domination sur les corps et l’omniprésence de la sexualité aux colonies, et ces images nous agressent aujourd’hui car elles montrent un pan de l’histoire qui n’avait jamais été aussi clairement exposé.</p>
<p>Les rassembler ici c’est contribuer, selon nous, à une meilleure connaissance de ce passé. Nous n’avons pas à nous excuser de ce travail mais nous comprenons que ces images blessent encore aujourd’hui. C’est pourquoi il faut les déconstruire, les dépasser pour être capable de saisir ce qu’a été cette face sombre du colonialisme. D’autres choisiront d’autres chemins que nous, d’autres récits que nous, d’autres corpus que nous. C’est ainsi que les sciences sociales fonctionnent. Par un débat critique et fécond. Jamais en cherchant à faire un procès, jamais en cherchant à interdire des livres.</p>
<hr>
<p><em>Nicolas Bancel est l’un des co-directeurs de l’ouvrage « Sexe, race et colonies », paru aux éditions La Découverte le 27 septembre 2018.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/105139/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Bancel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Doit-on, ou non, s’arroger le droit de reproduire des images dérangeantes, humiliantes, abjectes au nom de la science ? En vérité, il n’y avait que deux options : montrer ou ne pas montrer.Nicolas Bancel, Historien, Professeur ordinaire, Université de LausanneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1029322018-10-01T18:36:33Z2018-10-01T18:36:33ZPar vents et marées, la créolité s’exprime sur l’eau<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/238427/original/file-20180928-48653-1kia09n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C7%2C1595%2C1056&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Régate de gommier à voile, départ, saison 2017-2018, Martinique.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://4.bp.blogspot.com/-096iy5DjmAY/WmlSKCQ6LhI/AAAAAAAAiO4/3sVh1cVbMJkeDE7fyMQHPFm3kYWgyzeDACLcBGAs/s1600/D%25C3%25A9part_DSC02941_AGT.jpg">Association Gommier et Tradition</a></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2018 dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a></em></p>
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<p>Cette année la fête de la science aux Antilles françaises (Martinique et Guadeloupe) se déroulera en parallèle de la Route du Rhum. La célèbre course transatlantique <a href="http://www.routedurhum.com/">célèbre au mois de novembre son 40ᵉ anniversaire</a>. Cette convergence de calendrier a incité les comités d’organisation des deux collectivités ultramarines à se coordonner et à axer la fête de la science sur la <a href="https://www.fetedelascience.fr/">thématique de la mer</a>.</p>
<h2>Une histoire maritime fondée sur le commerce transatlantique</h2>
<p>Cela n’a a priori rien d’étonnant tant la géographie comme l’histoire placent de façon évidente le fait maritime au cœur des sociétés antillaises. Cependant, les différents éléments de cette histoire maritime ont une valeur sociale inégale.</p>
<p>En effet, c’est en bateau qu’a été conduite la déportation aux Amériques de <a href="http://www.esclavages.cnrs.fr">millions d’Africains réduits en esclave</a> et c’est aussi ce lien maritime qui a permis l’exploitation économique des colonies françaises d’Amérique par leur métropole.</p>
<p>Nombreux sont les <a href="http://www.histoire-sciences-mer.org">travaux historiques</a> à avoir traité de ces navigations coloniales au sein de ce qu’il est convenu d’appeler l’espace atlantique. D’autres recherches ces dernières années se sont portées sur un aspect différent de l’histoire maritime antillaise. Ces travaux archéologiques et historiques se sont concentrés sur les héritages d’origine amérindienne que ce soit pour la période précolombienne ou l’époque coloniale.</p>
<p>Cette histoire s’articule autour d’une généalogie d’embarcations à base monoxyle allant de la kanawa/canaoa – terme amérindien (Arawak) à l’origine des mots « canot » et « canoé » en français – <a href="http://gommier-tradition.blogspot.com">au gommier</a> et dont la <a href="http://federationyolesrondes.com">yole ronde de Martinique</a> peut être considérée comme le dernier avatar illégitime (car il ne s’agit plus d’une embarcation à base monoxyle).</p>
<h2>La kanawa précolombienne</h2>
<p>L’étude des capacités de navigation des populations premières de l’archipel antillais est devenue centrale au cours des dernières années pour les archéologues dont les travaux démontrent de façon récurrente l’importance des liens ayant existé entre les communautés réparties dans les différentes îles.</p>
<p>Elle est au cœur de nos questionnements concernant les mécanismes de colonisation de l’archipel comme de notre capacité à concevoir le mode spécifique de relation à l’espace de ces sociétés maritime.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/238395/original/file-20180927-48641-jqf9i8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/238395/original/file-20180927-48641-jqf9i8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=284&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/238395/original/file-20180927-48641-jqf9i8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=284&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/238395/original/file-20180927-48641-jqf9i8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=284&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/238395/original/file-20180927-48641-jqf9i8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=357&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/238395/original/file-20180927-48641-jqf9i8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=357&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/238395/original/file-20180927-48641-jqf9i8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=357&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La kanawa Akouyman au large de la Grenade.</span>
<span class="attribution"><span class="source">C. Foret, Association Karisko</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Ainsi, une <a href="https://journals.openedition.org/jsa/14688">analyse</a> des données archéologiques précolombiennes et des sources iconographiques et textuelles du début de la colonisation européenne a permis de dégager une description précise de la flotte amérindienne et du processus de construction des différentes embarcations.</p>
<p>La kanawa le plus important de ces navires était destiné plus particulièrement à la navigation interinsulaire. Il s’agit d’une pirogue monoxyle rehaussée de planches de bordage lui permettant de naviguer en haute mer. Pouvant atteindre plus de 20 m de long, elles pouvaient accueillir entre 30 et 40 passagers plus un fret important. Ces embarcations étaient mues à la pagaie, la voile étant inconnue dans les Antilles avant l’arrivée des Européens.</p>
<p>Les données issues de cette première étude ont servi de base à la mise en place d’un programme d’archéologie maritime expérimentale porté par l’association <a href="https://www.karisko.com/">martiniquaise Karisko</a>. Il s’est d’abord agit de reconstruire une kanawa grâce à l’aide d’un charpentier de marine kali’ña, détenteur des savoir-faire traditionnels dans ce domaine.</p>
<p>Les Kali’ña sont des <a href="https://www.ibisrouge.fr/fr/livres/na-na-kali-na-une-histoire-des-kali-na-en-guyane">populations amérindiennes</a> affiliées à la famille linguistique caraïbe. Côtières, elles se répartissent entre l’Amazone et l’Orénoque et donc en Guyane française.</p>
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<figcaption><span class="caption">Video Karisko.</span></figcaption>
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<p>Une fois l’embarcation réalisée elle a été utilisée dans le cadre de 3 expéditions qui ont permis de relier les différentes îles de l’archipel antillais situées entre la Grenade et Antigua. Il s’agissait de redécouvrir les routes maritimes au cœur du système de gestion de l’espace archipélique antillais mis en place par les populations précolombiennes.</p>
<p>Les données uniques recueillies au cours de ces expéditions et leur analyse ont permis de grandement améliorer nos connaissances. Au-delà d’une estimation de la durée de la traversée entre les différentes îles, ont ainsi pu être déterminés : la vitesse moyenne de ce type d’embarcation (autour de 3 nœuds), son tonnage, la puissance dégagée par l’équipage ou les possibilités de navigation selon les <a href="https://journals.openedition.org/jsa/14843">différentes conditions de mer</a>. Il s’agit là d’un travail fondamental qui servira à tous les chercheurs travaillant tant sur la colonisation humaine des Antilles que sur les réseaux d’échanges ayant existé au sein de cet espace. Ces travaux viennent aussi nourrir les recherches liées à la simulation numérique de <a href="https://www.sidestone.com/books/seascape-corridors">ces navigations anciennes</a>.</p>
<p>Ce sont les capacités de navigation exceptionnelles des populations amérindiennes mises en évidence par ces travaux qui leur ont permis de faire d’un archipel océanique un véritable espace unifié.</p>
<h2>« un bateau rebelle et audacieux »</h2>
<p>Dès les premiers contacts avec les Européens, un transfert de technologie va s’opérer et les Amérindiens vont adapter des voiles sur leurs kanawa. Cette nouvelle embarcation créole finira par être baptisée <a href="https://journals.openedition.org/tc/1609">« gommier »</a> du nom de l’arbre le plus fréquemment utilisé pour sa construction.</p>
<p>Gaëtan Petito, ancien président du club des gommiers de la Martinique, a récemment défini le gommier comme « un bateau rebelle et audacieux ».</p>
<p>De fait, l’histoire a donné une valeur sociale toute particulière à cette embarcation créole, une valeur bien éloignée de celle accordée aux navigations transatlantiques.</p>
<p>Ainsi, les esclaves constructeurs et patrons de gommiers associés à la catégorie des « nègres à talents » participaient à la richesse des habitations auxquelles ils étaient rattachés : par une activité de pêche dont les produits étaient diffusés au sein de l’habitation mais aussi vendus aux habitations voisines, par le transport de fret et de passagers dans le cadre de navigations de cabotage, enfin comme acteur du commerce interlope avec les îles voisines. Ce statut particulier leur offrait une situation meilleure que celle du commun des esclaves cantonné aux travaux agricoles. Enfin cette population possédait un savoir-faire valorisable leur permettant de sortir plus facilement du monde de l’habitation suite à leur émancipation.</p>
<p>Si des camps d’esclaves marrons ont existé en Martinique comme en Guadeloupe l’importance de l’exploitation de ces îles par l’agriculture coloniale a fortement limité la possibilité de développement de telles communautés. Les candidats au grand marronage <a href="http://www.karthala.com/esclavages/3200-les-marrons-de-la-mer-evasions-d-esclaves-de-la-martinique-vers-les-iles-de-la-caraibe-1833-1848-9782811119119.html">se sont de fait tournés vers la mer</a>.</p>
<p>Les gommiers leur ont permis de rejoindre des terres où la liberté leur était possible. Leur destination a d’abord été les îles dites « neutres » de la Dominique et de Saint Vincent au cours des XVII<sup>e</sup> et XVIII<sup>e</sup> siècles puis au XIX<sup>e</sup> siècle l’ensemble des îles anglaises où l’émancipation des populations serviles (1833) avait devancé l’abolition française de 15 ans (1848).</p>
<h2>Des gommiers pour libérer la France</h2>
<p>Un troisième temps plus proche de nous marque aussi l’épopée historique du gommier. Durant la Deuxième Guerre mondiale la Martinique et la Guadeloupe sont alors administrées d’une main de fer par les représentant du gouvernement de Vichy alors que les îles voisines (Sainte-Lucie, Dominique, Antigua) sont sous administration anglaise. Suite à l’appel du 18 juin des milliers de Martiniquais et de Guadeloupéens prendront clandestinement la mer <a href="https://journals.openedition.org/rha/7644">sur des gommiers</a> (et des canots saintois) pour rejoindre ces territoires et les forces de la France libre. Ces dissidents participeront entre autres au débarquement de la méditerranée.</p>
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<figcaption><span class="caption">Parcours de dissidents, de Euzhan PALCY.</span></figcaption>
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<p>La tradition antillaise millénaire d’embarcation à base monoxyle est donc à la base d’une histoire particulière.</p>
<p>Que ce soit par l’intermédiaire de la kanawa précolombienne ou du gommier, elle a d’abord été le vecteur du lien interinsulaire dans un espace aujourd’hui géopolitiquement morcelé par le fait colonial et postcolonial.</p>
<p>En cela elle est porteuse d’une vision de la Caraïbe en résonnance avec les concepts d’antillanité et de créolité. Embarcation d’origine amérindienne, affublée d’une voile européenne et utilisée très majoritairement par des populations africaines ou afro-descendantes, le gommier est d’ailleurs une véritable allégorie de cette créolité.</p>
<p>Enfin, ces navires ont été au cours des siècles pour les populations des Antilles françaises des vecteurs d’émancipation et de résistance en offrant à la fois une ressource économique et la possibilité d’un ailleurs. Loin de la Route du Rhum toute cette valeur sociale symbolique s’est reportée en Martinique depuis plusieurs décennies sur d’autres manifestations sportives, comme les courses de Yoles Rondes, une embarcation héritière de cette tradition.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102932/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benoit Berard receives funding from french ministry of culture, French ministry of foreign affairs, french ministry of scientific research, conseil général de la Martinique, conseil régional de la Martinique. </span></em></p>De récents travaux archéologiques ont montré les capacités de navigation des populations premières de l’archipel antillais et l’importance des liens entre les communautés des différentes îles.Benoit Berard, Archéologue, Université des AntillesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/986582018-06-27T21:02:38Z2018-06-27T21:02:38ZLes instituteurs de l’Afrique de l’Ouest, défricheurs de savoirs<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/224273/original/file-20180621-137717-tnzvtk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C25%2C1212%2C743&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Scènes de l'école rurale en Casamance .</span> <span class="attribution"><span class="source">Auteurs</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Malgré l’avancée des recherches historiques, l’école coloniale en Afrique-Occidentale Française (AOF) est encore souvent présentée sous une forme stéréotypée : un maître européen avec un casque colonial sur la tête enseignant à des élèves africains un cours identique à ceux de la métropole, jusqu’au caricatural « Nos ancêtres les Gaulois ».</p>
<p>Il faut faire justice de cette vision carte postale. D’abord parce que les maîtres africains devancent largement en nombre les instituteurs métropolitains dans l’enseignement primaire d’AOF, et ce dès la Première Guerre mondiale. Sur l’ensemble de la période, leur proportion évolue entre 60 % et 75 % des effectifs. Ce sont donc en grande majorité des instituteurs africains qui portent aux quatre coins de l’AOF l’enseignement de la III<sup>e</sup> République coloniale.</p>
<p>Ensuite parce que les programmes enseignés dans les écoles d’AOF n’étaient pas les mêmes qu’en métropole. Et surtout parce que l’école d’AOF a été une pépinière de recherches ethnographiques menées par les instituteurs pour mieux connaître les différents terroirs et sociétés de l’ouest-africain, à l’instar des travaux menés par les instituteurs métropolitains sur leurs « petites patries » en France, le tout au service d’une idéologie de l’enracinement bien plus que de l’émancipation.</p>
<p>L’idéologie scolaire des « petites patries » a en effet stimulé les recherches ethnographiques des instituteurs dans les années 1920 et 1930. En dépit de ses visées conservatrices, elle a amorcé un engagement intellectuel des instituteurs qui se sont progressivement affranchis du carcan scolaire et ont nourri l’espace public en formation.</p>
<p>Si celui-ci ne s’épanouit véritablement qu’avec l’ouverture du champ politique à partir de 1945, l’histoire intellectuelle et culturelle doit bel et bien se saisir de la période de l’entre-deux-guerres, bien plus effervescente qu’on ne le pense généralement et comme y invitaient déjà les travaux pionniers de <a href="https://www.persee.fr/doc/cea_0008-0055_1995_num_35_138_1453">François Manchuelle</a> et <a href="http://mukanda.univ-lorraine.fr/biblio/lusebrink-hans-jurgen-la-conquete-de-lespace-public-colonial-prises-de-parole-et-formes-de">Hans-Jürgen Lüsebrink</a>.</p>
<h2>Nos ancêtres ne sont pas les Gaulois…</h2>
<p>Les témoignages de ceux et celles qui ont fréquenté les bancs de l’école française, des enseignants, mais aussi les rapports d’inspection, déconstruisent le mythe encore largement répandu selon lequel « Nos ancêtres les Gaulois » aurait été récité par les écoliers africains.</p>
<p>Ce fut en réalité rarement le cas. Hormis dans les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Quatre_communes">Quatre Communes</a> du Sénégal, où les élèves étaient pour la plupart de futurs citoyens français et où de ce fait les programmes étaient alignés sur ceux de la métropole, c’est l’histoire locale – celle du village, du canton, du cercle, de la région puis de l’AOF – qui était enseignée à l’école primaire. L’élève Mamadou Dia, <a href="http://www1.rfi.fr/actufr/articles/109/article_77746.asp">figure politique majeure du Sénégal</a> d’après 1945 témoigne en ce sens dans ses <a href="http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34870853j"><em>Mémoires</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« Jusqu’à l’école primaire supérieure nous ne savions rien de l’Histoire de France, de la Géographie de France. On enseignait, surtout, la géographie du Sénégal et de l’AOF, l’Histoire du Sénégal et de l’AOF. Nous connaissions les Samory, les Mamadou Lamine, etc. Je trouve que c’était excellent. C’est à partir de William Ponty seulement que nous avons commencé à étudier l’Histoire de France et l’Histoire de l’Europe, la géographie de l’Europe. »</p>
</blockquote>
<p>L’idéologie des « petites patries » née sous la III<sup>e</sup> république en France et qui, comme l’ont bien montré <a href="https://www.franceinter.fr/oeuvres/l-ecole-republicaine-et-les-petites-patries">Jean‑François Chanet</a> et <a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1998_num_125_1_3045_t1_0165_0000_3">Anne-Marie Thiesse</a>, a été l’un des ressorts de l’enracinement de l’école républicaine dans les différentes régions françaises, imprégnait également la politique d’adaptation de l’enseignement dans les colonies.</p>
<p>L’enseignement primaire devait enraciner les élèves dans leur terroir et cultiver leur sentiment d’appartenance à leur « petite patrie », puis par extension, selon une logique concentrique et hiérarchique, à leur « Grande patrie », la France.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/224270/original/file-20180621-137717-1sk1ou7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/224270/original/file-20180621-137717-1sk1ou7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/224270/original/file-20180621-137717-1sk1ou7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/224270/original/file-20180621-137717-1sk1ou7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/224270/original/file-20180621-137717-1sk1ou7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/224270/original/file-20180621-137717-1sk1ou7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/224270/original/file-20180621-137717-1sk1ou7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Editions Karthala, 2018.</span>
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<p>En AOF, l’enseignement fut « adapté » au milieu local pour des raisons similaires à celles qui avaient prévalu en métropole, à la fois pédagogiques (partir du « connu » de l’élève), politiques (empêcher la formation de « déracinés », de « déclassés ») et idéologiques (naturaliser l’appartenance à la nation et l’empire)</p>
<p>Néanmoins c’est une version nettement plus conservatrice de l’école qui est mise en œuvre en AOF. La scolarisation n’a pas vocation à être universelle comme en métropole, et l’école vise avant tout à former à moindre coût et en nombre limité des élites intermédiaires pour l’administration coloniale (en 1957, le <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-de-l-education-2010-4-p-5.htm">taux moyen de scolarisation de l’AOF</a> atteint tout juste 10 %).</p>
<h2>Des écoles « exploitations agricoles »</h2>
<p>À partir des années 1930, la création de l’école rurale populaire marque un <a href="https://journals.openedition.org/etudesafricaines/15630">tournant</a>. Il s’agit de diffuser des connaissances sommaires en français au plus grand nombre pour faire connaître aux paysans les « intentions » du colonisateur. Dans ces écoles, l’enseignement agricole prime très nettement sur l’enseignement général, au point que certaines écoles deviennent de véritables exploitations agricoles. L’école rurale populaire suscite une vive opposition chez de nombreux maîtres africains qui considèrent qu’il s’agit d’un enseignement « au rabais ».</p>
<p>Même au sommet de la pyramide scolaire, à l’École Normale William Ponty, <a href="https://www.cairn.info/revue-geneses-2007-4-p-4.htm">école formant l’élite enseignante et administrative de l’AOF</a>, les contenus de l’enseignement font l’objet de polémiques à partir du milieu des années 1930, de nombreux élèves dénonçant un enseignement « en vase clos », qui n’est pas à la hauteur de leurs aspirations.</p>
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<span class="caption">École « rurale ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Jusqu’en 1945, en effet, l’adaptation de l’enseignement n’était pas simplement une africanisation des programmes mais aussi des diplômes, empêchant de fait la poursuite d’études pour les instituteurs dont les diplômes n’étaient pas reconnus en dehors d’AOF et cantonnant les diplômés africains dans des statuts subalternes.</p>
<p>Dès lors, certains d’entre eux – y compris ceux qui menaient des recherches sur le milieu local par passion ethnographique – refusèrent de dispenser un enseignement adapté. L’enseignement du milieu local à l’école dépendait donc d’un maître à l’autre. La diversité des pratiques de classe, et souvent l’insuffisante adaptation des matières au milieu local, témoignent du décalage entre les instructions officielles et la formation effective des maîtres comme des outils à leur disposition, malgré les efforts du <em>Bulletin</em> pour mettre en circulation des matériaux « adaptés ».</p>
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<span class="caption">Ancienne école normale William-Ponty de Gorée.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_normale_William-Ponty#/media/File:Gor%C3%A9e_-_Ancienne_%C3%A9cole_normale_William_Ponty_(2).JPG">HaguardDuNord/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des enquêtes scolaires à la « négritude de terrain »</h2>
<p>Pour nourrir l’enseignement du milieu local à l’école, l’inspecteur de l’enseignement en AOF, <a href="https://www.persee.fr/doc/inrp_0298-5632_2006_ant_12_2_4401">Georges Hardy</a>, avait créé en 1913 le <em>Bulletin de l’enseignement en AOF</em> – devenu <em>l’Education africaine en 1934</em> – où étaient publiées des fiches pédagogiques, des leçons types ou encore des études ethnographiques, historiques et géographiques réalisées par les instituteurs eux-mêmes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/224065/original/file-20180620-137708-1enn5rc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/224065/original/file-20180620-137708-1enn5rc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/224065/original/file-20180620-137708-1enn5rc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/224065/original/file-20180620-137708-1enn5rc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/224065/original/file-20180620-137708-1enn5rc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/224065/original/file-20180620-137708-1enn5rc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/224065/original/file-20180620-137708-1enn5rc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Couvertures du Bulletin de l’Enseignement en AOF/l’Éducation africaine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Des manuels d’histoire et de géographie de l’AOF ont également été édités par le <em>Bulletin</em>, en 1913. Les instituteurs africains furent donc d’emblée sollicités et contribuèrent activement à la production de savoirs pour l’enseignement et la recherche coloniale.</p>
<p>Ils furent les véritables « petites mains » des sciences coloniales en AOF, mis à disposition des savants européens ou de l’administration pour la réalisation d’enquêtes, sondages, questionnaires, monographies, recensement, coutumiers juridiques, recueil de folklore, observations ethnographiques, travaux d’histoire locale, sans être toujours crédités pour ces travaux de terrain par leurs commanditaires.</p>
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<span class="caption">Cours de gymnastique à l’école de Goudomp (ANS, 3Fi, Tournée d’inspection de Charles Béart, 1939).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Mais les instituteurs africains ne furent pas seulement des « auxiliaires » dans la production des savoirs scolaires et scientifiques, ils menèrent leurs propres recherches et furent aussi des auteurs à part entière, publiant en nombre assez important des articles signés de leur nom dans le <a href="https://bibcolaf.hypotheses.org/sommaires/le-beaof-leducation-africaine-1913-1959"><em>Bulletin de l’enseignement en AOF</em></a>, et pour un petit nombre d’entre deux dans d’autres revues plus prestigieuses comme le <a href="https://bibcolaf.hypotheses.org/sommaires/le-bcehsaof-bifan-1916-1959"><em>Bulletin du Comité d’Études historiques et Scientifiques d’AOF</em></a> ou la revue <a href="https://bibcolaf.hypotheses.org/sommaires/outre-mer-1929-1937"><em>Outre-mer</em></a> de l’École Coloniale à Paris.</p>
<p>Dans l’entre-deux-guerres, certains instituteurs comme Mamby Sidibé, Fily Dabo Sissoko ou Dominique Traoré ont créé une véritable œuvre ethnographique sur la durée, et se sont épanchés en des passages précieux pour l’histoire de l’anthropologie sur les ficelles et les difficultés du métier d’ethnographe amateur dans l’AOF des années 1930.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/224064/original/file-20180620-137741-lk8xtr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/224064/original/file-20180620-137741-lk8xtr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/224064/original/file-20180620-137741-lk8xtr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/224064/original/file-20180620-137741-lk8xtr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/224064/original/file-20180620-137741-lk8xtr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/224064/original/file-20180620-137741-lk8xtr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/224064/original/file-20180620-137741-lk8xtr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Quelques signatures d’auteurs dans l’_Éducation africaine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>« Faire du terrain » devient même un passage obligé de la formation malgré l’improvisation des méthodes : à partir de 1933, les élèves maîtres de l’école normale William Ponty (puis à partir de 1938 ceux de l’école Frédéric Assomption de Katibougou) ont ainsi produit des mémoires de recherche de fin d’études, notés, qui méritent toute notre attention (environ 800 ont subsisté), sur des thèmes aussi divers que la famille, les marchés, l’éducation traditionnelle, l’école coranique ou l’histoire locale.</p>
<h2>Les écrits de jeunesse des figures politiques et intellectuelles d’après-guerre</h2>
<p>L’ensemble de ces travaux n’a guère été exploré de manière systématique, constituant une forme d’archive oubliée, en tout cas négligée dans son ampleur et son ambivalence, qui révèle la part africaine de la « bibliothèque coloniale » selon l’expression de <a href="http://www.iupress.indiana.edu/product_info.php?products_id=21392">Valentin Mudimbe</a>.</p>
<p>Dans les années 1930, ces travaux d’instituteurs constituent les écrits de jeunesse du panthéon des futures figures intellectuelles et politiques ouest-africaines des années 1950 et 1960, cette « génération charnière » <a href="https://www.laboutiqueafricavivre.com/livres/5254-le-role-de-la-generation-charniere-ouest-africaine-de-amadou-booker-sadji-2296004571.html">comme l’écrit Amadou Booker Sadji,</a> comme le fondateur de Présence Africaine <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Alioune_Diop">Alioune Diop</a> ou l’universitaire et homme politique sénégalais <a href="https://bibcolaf.hypotheses.org/notices-biographiques/assane-seck-1919-2012">Assane Seck</a> retraçant leurs parcours scolaires, les écrivains sénégalais <a href="https://bibcolaf.hypotheses.org/notices-biographiques/abdoulaye-sadji-1910-1961">Abdoulaye Sadji</a> et ivoirien <a href="https://bibcolaf.hypotheses.org/notices-biographiques/bernard-dadie">Bernard Dadié</a>, l’homme politique sénégalais <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mamadou_Dia">Mamadou Dia</a> produisant des textes originaux sur les traditions orales, l’histoire, les langues et le théâtre.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-BFe5pNp18M?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Portrait d’Alioune Diop, fondateur de la revue Présence africaine et la maison d’édition du même nom et qualifié par Léopold Sedar Senghor de « Socrate noir ». Histoire de l’Afrique.</span></figcaption>
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<p>Ces penseurs ont aussi influencé aussi les futurs dirigeants du Mali <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Modibo_Ke%C3%AFta_(1915-1977)">Modibo Keita</a> et <a href="https://bibcolaf.hypotheses.org/notices-biographiques/jean-marie-kone-1913-1988">Jean‑Marie Koné</a>, écrivant respectivement sur l’enfance en milieu soninké et les sociétés de culture au Soudan français, les futurs députés Mamadou Konaté, <a href="https://bibcolaf.hypotheses.org/notices-biographiques/daniel-ouezzin-coulibaly-1909-1958">Ouezzin Coulibaly</a> ou <a href="https://bibcolaf.hypotheses.org/notices-biographiques/yacine-diallo-1897-1954">Yacine Diallo</a> proposant des pistes de réforme sur le mariage et la condition féminine.</p>
<p>D’autres figures joueront par ailleurs un rôle important sur la scène culturelle de leurs pays respectifs comme <a href="https://bibcolaf.hypotheses.org/notices-biographiques/paul-hazoume-1890-1980">Paul Hazoumé</a> et <a href="https://bibcolaf.hypotheses.org/notices-biographiques/alexandre-adande">Alexandre Adandé</a> au Bénin ou <a href="https://bibcolaf.hypotheses.org/notices-biographiques/boubou-hama-1907-1982">Boubou Hama</a> au Niger.</p>
<h2>Une négritude de terrain</h2>
<p>Au-delà de ces futures personnalités, de nombreux autres instituteurs peu connus mais non moins actifs ont arpenté les terroirs de l’AOF et menés de véritables de recherches de terrain. Au moment même où s’élaboraient dans le <a href="https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_2005_num_1257_1_4858">carrefour culturel du « Paris noir »</a> les bases théoriques de la négritude à la confluence de l’Europe, de l’Amérique et des Caraïbes, les instituteurs africains jetaient les bases d’une « négritude de terrain » dans le huis clos de l’AOF, réhabilitant les valeurs culturelles des sociétés qu’ils étudiaient et posant un regard de plus en plus critique sur la colonisation et les discriminations subies.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/224276/original/file-20180621-137750-szvux3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/224276/original/file-20180621-137750-szvux3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/224276/original/file-20180621-137750-szvux3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/224276/original/file-20180621-137750-szvux3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/224276/original/file-20180621-137750-szvux3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/224276/original/file-20180621-137750-szvux3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/224276/original/file-20180621-137750-szvux3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/224276/original/file-20180621-137750-szvux3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Sommaire de la revue l’<em>Éducation africaine</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Même dans l’espace étroitement contrôlé d’une revue comme l’<em>Éducation Africaine</em> ou de recherches menées dans le cadre scolaire, certains auteurs ont su habilement questionner les méthodes et types savoirs à produire, les attendus de certaines enquêtes comme de certaines sciences coloniales hors-sol ou encore des théories de Lucien Lévy-Bruhl <a href="http://www.laviedesidees.fr/Les-fantomes-de-Levy-Bruhl.html">sur la mentalité pré-logique</a>.</p>
<p>À partir de 1937 et à la faveur de la timide ouverture politique amorcée par le Front populaire, ces débats débordent le cadre des revues scolaires pour alimenter des controverses dans la presse généraliste, faisant des instituteurs les fers de lance des débats sur « l’évolution culturelle ». À partir d’un débat initial sur les réformes du système scolaire, c’est tout un débat sur le métissage culturel, la mondialisation et l’authenticité culturelle, l’avenir des langues africaines comme les périmètres et les échelles des communautés à imaginer que les instituteurs animent et qui se poursuivra sous le régime de Vichy, non sans ambiguïtés et « synergie nativiste » comme l’écrit l’<a href="http://laviedesidees.fr/_Jennings_.html">historien Eric Jennings</a> entre le culturalisme de Vichy et la recherche d’une authenticité africaine.</p>
<p>L’histoire intellectuelle de l’AOF ne peut plus se limiter à l’exégèse des quelques ouvrages écrits par des Africains francophones avant la Seconde Guerre mondiale tels que : <em>Les trois volontés de Malic</em> de Mapaté Diagne en 1920, <em>Force-Bonté</em> de Bakary Diallo en 1926, <em>L’empire du Mogho-Naba</em> de Dim Delobsom en 1932, <em>Au pays des Fons</em> de Maximilien Quénum en 1935, ou enfin <em>le Pacte de sang au Dahomey</em> et <em>Doguicimi</em> de Paul Hazoumé en 1937 et 1938…</p>
<p>Elle exige de se montrer attentifs à la <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2016-3-page-209.htm">« textualité proliférante »</a> de la première moitié du vingtième siècle en Afrique de l’Ouest, sous ses différentes formes : articles de revues et dans la presse, travaux scolaires, manuscrits inédits d’instituteurs, textes soumis pour les prix scientifiques et concours, réponses aux enquêtes, pièces de théâtre, etc.</p>
<p>Si les travaux les plus novateurs actuellement portent sur les <a href="https://www.press.umich.edu/8833121/african_print_cultures">colonies britanniques</a> ou sur les écrits en langue arabe ou en langues africaines (swahili, yoruba, hausa, pulaar etc.), la masse d’écrits europhones encore à découvrir et à étudier promet de belles moissons futures pour la recherche.</p>
<hr>
<p><em>Les auteurs viennent de publier <a href="http://www.karthala.com/recherches-internationales/3235-les-hussards-noirs-de-la-colonie-instituteurs-africaines-et-petites-patries-en-aof-1913-1960-9782811119171.html">Les Hussards noirs de la colonie. Instituteurs africaines et « petites patries » en AOF (1913-1960)</a> chez Karthala.</em></p>
<p><em>Présentation du corpus et du projet <a href="https://bibcolaf.hypotheses.org/">ici</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/98658/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’école d’Afrique-Occidentale Française a été une pépinière de recherches ethnographiques menées par les instituteurs africains pour mieux connaître les différents terroirs et sociétés de l’ouest-africain.Etienne Smith, Maître de conférences, Sciences Po BordeauxCéline Labrune-Badiane, Historienne, Fellow 2018, IEA de Nantes, Université Paris Diderot, Réseau français des instituts d’études avancées (RFIEA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.