tag:theconversation.com,2011:/us/topics/conflits-armes-88088/articlesconflits armés – The Conversation2024-03-26T19:07:57Ztag:theconversation.com,2011:article/2266662024-03-26T19:07:57Z2024-03-26T19:07:57ZL’attaque de l’État islamique (EI-K) à Moscou risque d’aggraver la guerre entre la Russie et l’Ukraine<p>Un concert de musique dans la banlieue de Moscou a été le théâtre d’une attaque terroriste sanglante le 22 mars, lorsque des hommes équipés d’armes automatiques et de cocktails Molotov <a href="https://ici.radio-canada.ca/info/videos/1-8913079/attentat-moscou-au-moins-143-morts-et-182-blesses">ont tué plus de 140 personnes</a> et en ont blessé des dizaines d’autres. </p>
<p>Immédiatement après l’attentat, des spéculations sont apparues pour déterminer qui étaient les responsables.</p>
<p>Bien que l’Ukraine ait rapidement <a href="https://www.lesoir.be/576371/article/2024-03-22/une-attaque-moscou-fait-au-moins-40-morts-lukraine-nie-toute-implication">nié toute implication</a>, le président russe <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20240323-attentat-de-moscou-poutine-%C3%A9voque-l-ukraine-qui-r%C3%A9fute-tout-r%C3%B4le-dans-la-tuerie-revendiqu%C3%A9e-par-l-ei">Vladimir Poutine a fait une brève déclaration télévisée</a> à sa nation pour suggérer, sans preuve, que l’Ukraine était prête à aider les terroristes à s’échapper.</p>
<p>Cependant, l’État islamique et plus particulièrement sa filiale afghane État islamique-Khorasan, EI-K, a par la suite <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Y1kuQ7aK8zY">revendiqué la responsabilité de l’attaque</a>.</p>
<p>La Russie <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20240325-attentat-de-moscou-poutine-impute-l-attaque-%C3%A0-des-islamistes-radicaux-mais-pointe-toujours-l-ukraine">a fini par reconnaître l’implication d’islamistes radicaux dans l’attentat</a>, mais Vladimir Poutine pointe toujours l’Ukraine comme « commanditaire » du massacre. </p>
<p>Mais indépendamment de l’identité des terroristes, l’attentat de Moscou met en évidence deux problèmes majeurs.</p>
<p>Premièrement, les organisations terroristes — c’est-à-dire celles qui recourent à la violence à des fins politiques sans l’appui spécifique d’un gouvernement — peuvent utiliser des conflits préexistants et l’attention médiatique qui en résulte pour promouvoir leurs intérêts. Deuxièmement, les actions de ces organisations peuvent exacerber les conflits en cours.</p>
<h2>L’utilisation d’entités paramilitaires infra-étatiques</h2>
<p>De nombreux pays jugent utile d’employer des entités infra-étatiques et des paramilitaires pour atteindre leurs objectifs. <a href="https://theconversation.com/paramilitaries-in-the-russia-ukraine-war-could-escalate-and-expand-the-conflict-206441">La Russie et l’Ukraine ont eu recours et continuent d’avoir recours à de tels groupes</a> pour mener des actions que leurs soldats ne sont pas en mesure d’exécuter.</p>
<p>Si l’utilisation de ces forces présente certains <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9781003193227/serbian-paramilitaries-breakup-yugoslavia-iva-vuku%C5%A1i%C4%87">avantages pour un pays</a>, elle est en même temps problématique parce qu’elle conduit à se demander qui sont réellement derrière les actes.</p>
<p>Les attaques menées au début de l’année par des groupes houthis basés au Yémen contre des navires en mer Rouge en sont un exemple. Les Houthis sont <a href="https://www.cfr.org/in-brief/irans-support-houthis-what-know">généralement considérés</a> comme un groupe mandataire de l’Iran. Même s’il existe des liens étroits entre les deux, les Houthis <a href="https://theconversation.com/yemens-houthis-and-why-theyre-not-simply-a-proxy-of-iran-123708">ne sont pas contrôlés par l’Iran</a>. Supposer que l’Iran est directement à l’origine de l’attaque contre les navires de la mer Rouge est au mieux discutable, au pire carrément faux.</p>
<p>S’il est difficile d’évaluer le rôle d’un État dans la <a href="https://www.lawfaremedia.org/article/five-myths-about-sponsor-proxy-relationships">direction de ses proxys et paramilitaires</a>, cela n’est rien en comparaison de la difficulté à établir un lien entre les États et les organisations terroristes internationales. C’est une ambiguïté que les groupes terroristes peuvent exploiter.</p>
<h2>L’attention des médias : de l’oxygène pour les terroristes</h2>
<p>Définir le terrorisme est un exercice périlleux. La <a href="https://www.cambridge.org/core/books/abs/disciplining-terror/terrorism-fever-the-first-war-on-terror-and-the-politicization-of-expertise/12E123D58AA0437750CB882B066E2B6B">politisation du terme</a> depuis la guerre contre le terrorisme qui a suivi le 11 septembre 2001 a donné un nouveau sens à l’expression selon laquelle <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2012/05/is-one-mans-terrorist-another-mans-freedom-fighter/257245/">« le terroriste de l’un est le combattant de l’autre »</a>.</p>
<p>En règle générale, cependant, les <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/defining-terrorism">décideurs politiques</a> <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/political-science-research-and-methods/article/is-terrorism-necessarily-violent-public-perceptions-of-nonviolence-and-terrorism-in-conflict-settings/9BA6C161346EEE1563A7DC2639066A02">et les universitaires</a> définissent les groupes terroristes comme des organisations non étatiques qui cherchent à recourir à la violence ou à la menace de violence contre des civils pour atteindre des objectifs politiques, avec une certaine ambiguïté quant aux entités qui peuvent s’en charger.</p>
<p>Au XXI<sup>e</sup> siècle, la diffusion des <a href="https://www.igi-global.com/dictionary/scales-dynamics-outsourcing/14566">technologies de communication</a> et le <a href="https://archive.org/details/whatsnextproblem0000unse/page/82/mode/2up">cycle d’information 24 heures sur 24</a> ont donné aux groupes terroristes de nouveaux moyens d’attirer l’attention de la communauté internationale.</p>
<p>Des vidéos peuvent être téléchargées en temps réel par des groupes terroristes, et l’attention internationale ne tarde pas à suivre. Les médias d’information sont toutefois <a href="https://www.aljazeera.com/opinions/2019/7/9/the-problem-is-not-negative-western-media-coverage-of-africa/">très sélectifs</a> dans ce qu’ils couvrent.</p>
<p>En raison de la sélectivité des médias, les organisations terroristes cherchent <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047272717301214">à maximiser leur audience</a>. L’un des moyens d’y parvenir est de lier leurs activités à des événements en cours. L’attaque de l’EI-K à Moscou illustre cette tendance.</p>
<p>La décision de l’EI-K d’attaquer la salle de concert de Moscou n’était pas purement opportuniste. L’État islamique et ses organisations subsidiaires <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/attaque-terroriste-pres-de-moscou/fusillade-en-russie-l-etat-islamique-et-la-russie-ont-une-dette-de-sang-qui-remonte-a-plusieurs-annees-analyse-un-specialiste-du-jihadisme-apres-la-revendication-de-Daech_6441190.html">reprochent à la Russie</a> son rôle dans la destruction de l’EI en Syrie et en Irak.</p>
<p>L’attaque de l’EI-K contre Moscou correspond donc à son propre agenda, tout en faisant progresser ses objectifs. Le problème est le potentiel d’escalade.</p>
<h2>L’escalade du conflit entre la Russie et l’Ukraine</h2>
<p>Il reste encore beaucoup d’inconnues sur l’attaque. Il est toutefois possible d’en tirer certaines conséquences potentielles.</p>
<p>Les autorités américaines avaient <a href="https://www.youtube.com/watch?v=iDEkly_6P4A">précédemment averti la Russie</a> qu’une attaque était imminente. Les autorités russes n’ont pas tenu compte de cet avertissement.</p>
<p>Poutine a même déclaré avant l’attaque que les <a href="https://www.rtbf.be/article/attentat-a-moscou-washington-avait-averti-poutine-parlait-alors-de-mensonges-11348726">avertissements américains à cet effet</a> étaient une forme de chantage. Ainsi, même un avertissement sincère des États-Unis a été perçu par les autorités russes à la lumière du conflit plus large entre la Russie et l’Ukraine.</p>
<p>Les suites de l’attaque risquent d’amplifier ces inquiétudes. Poutine a affirmé que quatre personnes impliquées dans le conflit avaient été capturées en <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/attaque-terroriste-pres-de-moscou/direct-attentat-terroriste-pres-de-moscou-les-quatre-suspects-ont-ete-places-en-detention-provisoire_6445771.html">tentant de fuir</a> vers l’Ukraine.</p>
<p>Cela semble discutable : la frontière entre la Russie et l’Ukraine est l’un des endroits les plus militarisés du pays en raison de la guerre. Le résultat, cependant, est que la tentative d’évasion présumée a permis aux politiciens russes de <a href="https://www.lapresse.ca/international/europe/2024-03-26/le-fsb-accuse-l-ukraine-et-l-occident-d-avoir-facilite-l-attentat-pres-de-moscou.php">relier l’attaque</a> aux autorités ukrainiennes, malgré les <a href="https://fr.news.yahoo.com/pr%C3%A9sidence-ukrainienne-affirme-navoir-rien-194842346.html">protestations contraires</a> de ces dernières.</p>
<p>Les autorités russes devront agir, comme le ferait n’importe quel État à la suite d’une telle agression. Mais les représailles sont d’autant plus probables que <a href="https://www.nytimes.com/2024/03/23/world/europe/putin-russia-moscow-attack.html">Poutine</a> se présente comme le protecteur du peuple russe.</p>
<p>L’élimination du terrorisme est cependant une tâche <a href="https://www.nytimes.com/2021/09/10/world/europe/war-on-terror-bush-biden-qaeda.html">extrêmement difficile, voire impossible</a>, comme le montre l’expérience américaine. La guerre entre la Russie et l’Ukraine offre toutefois aux autorités russes un terrain propice pour canaliser ailleurs le chagrin et l’indignation suscités par le tragique attentat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226666/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>James Horncastle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Ukraine a nié toute implication dans l’attentat terroriste de Moscou. Cela ne signifie pas que la Russie n’essaiera pas d’utiliser cet événement pour intensifier sa guerre avec l’Ukraine.James Horncastle, Assistant Professor and Edward and Emily McWhinney Professor in International Relations, Simon Fraser UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2252072024-03-12T16:07:37Z2024-03-12T16:07:37ZÀ partir de quand peut-on considérer qu’un État est « en guerre » contre un autre ?<p>Le 26 février, <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elysee/guerre-en-ukraine-les-propos-complets-d-emmanuel-macron-sur-l-envoi-de-troupes-au-sol_AV-202402270832.html">Emmanuel Macron</a> a entrouvert la porte à un déploiement possible de troupes de l’OTAN au sol en Ukraine, « de manière officielle, assumée et endossée », jugeant que « rien ne [devait] être exclu pour poursuivre l’objectif qui est le nôtre : la Russie ne peut ni ne doit gagner cette guerre ».</p>
<p>La sortie du président de la République a suscité une levée de boucliers, tant du côté des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/27/les-allies-divises-sur-l-option-d-une-intervention-au-sol-en-ukraine_6218802_3210.html">principaux alliés de la France</a>, que des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=cf-NE7VnP_E">partis d’opposition en interne</a>. Alors que les Occidentaux ont jusqu’à présent fait preuve d’une grande prudence vis-à-vis de la Russie, puissance dotée de l’arme nucléaire, la perspective du déploiement de troupes au sol est perçue comme une <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2024/feb/29/emmanuel-macron-troops-ukraine-russia-france">escalade dangereuse</a>, à même de donner un nouveau statut aux partenaires de l’Ukraine : celui de <a href="https://www.lefigaro.fr/international/envoi-de-troupes-occidentales-en-ukraine-l-hypothese-d-emmanuel-macron-deja-ecartee-par-de-nombreux-allies-20240227">cobelligérant</a>.</p>
<p>La polémique n’est pas neuve : depuis février 2022, chaque fois que les Occidentaux franchissent un pas supplémentaire dans leur réponse à l’invasion russe (en imposant de nouvelles sanctions ou en livrant de nouveaux types d’armes), quelques commentateurs se demandent si cela ne revient pas, cette fois-ci, à franchir le <a href="https://www.marianne.net/monde/europe/cobelligerance-les-occidentaux-sont-ils-en-train-de-sengager-dans-le-conflit-en-ukraine">pas symbolique</a> qui ferait basculer la France en guerre – en guerre contre la Russie. De fait, à partir de quand peut-on considérer qu’un État est « en guerre » contre un autre ? Où se situe concrètement la <a href="https://theconversation.com/comment-les-philosophes-de-lantiquite-pensaient-la-guerre-178494">frontière</a> entre la guerre et la paix ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/limpact-de-la-guerre-en-ukraine-sur-la-cooperation-militaire-franco-allemande-223671">L’impact de la guerre en Ukraine sur la coopération militaire franco-allemande</a>
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<h2>Les ambiguïtés du discours politique</h2>
<p>La France est-elle en guerre, ou est-elle sur le point d’entrer en guerre, en Ukraine ? À cette question pour le moins sensible, les responsables gouvernementaux français apportent des réponses étonnamment variables. Après avoir martelé, les <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/284216-emmanuel-macron-02032022-ukraine-consequences-economiques">2 mars</a>, <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/284517-emmanuel-macron-11032022-ukraine">11 mars</a> et <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/285102-emmanuel-macron-09052022-union-europeenne">9 mai 2022</a>, que « nous ne sommes pas en guerre », Emmanuel Macron déclare finalement, dans un discours sur la crise énergétique, le 5 septembre 2022, que <a href="https://rmc.bfmtv.com/actualites/international/crise-energetique-nous-sommes-en-guerre-c-est-un-etat-de-fait-lance-emmanuel-macron_AV-202209050550.html">« nous sommes en guerre, c’est un état de fait »</a>, puis appelle, le 19 janvier 2024 à accélérer le passage à une <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/ukraine-emmanuel-macron-exhorte-l-industrie-de-defense-a-passer-en-mode-economie-de-guerre-988335.html">« économie de guerre »</a>.</p>
<p>Le 1<sup>er</sup> mars 2022, alors que <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/284239-florence-parly-jean-baptiste-lemoyne-olivier-dussopt-01032022-ukraine">Florence Parly, la ministre des Armées de l’époque, écartait</a> devant les sénateurs l’envoi de troupes combattantes car cette option « ferait de nous des cobelligérants », son collègue de l’Économie, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/03/01/nous-allons-provoquer-l-effondrement-de-l-economie-russe-affirme-bruno-le-maire_6115679_823448.html">Bruno Le Maire, affirmait sur France Info</a> que la France et ses alliés s’apprêtaient à « livrer une guerre économique et financière totale à la Russie » (avant de faire marche arrière quelques heures plus tard, admettant que l’emploi du terme <em>guerre</em> était « inapproprié »).</p>
<p>Si elles peuvent être source de confusion, ces citations ont aussi le mérite de révéler deux caractéristiques des usages (et non-usages) politiques du terme de <em>guerre</em>.</p>
<p>Ce terme n’est pas réservé au champ de la conflictualité armée, mais se voit appliqué à de nombreux autres domaines – économique et énergétique ici, mais aussi diplomatique, informationnel, sanitaire, etc. – Emmanuel Macron n’avait-il pas déclaré, en 2020, la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/03/16/nous-sommes-en-guerre-retrouvez-le-discours-de-macron-pour-lutter-contre-le-coronavirus_6033314_823448.html">« guerre » au Covid</a> ? Ces emplois du terme de <em>guerre</em>, nous le verrons, s’écartent de l’emploi scientifique de celui-ci et constituent une forme d’abus de langage.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/deux-ans-de-guerre-en-ukraine-comment-lue-sest-mobilisee-224028">Deux ans de guerre en Ukraine : comment l’UE s’est mobilisée</a>
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<p>Par ailleurs, il est évident que le choix politique de qualifier ou de ne pas qualifier un événement de « guerre » ne dépend pas en premier lieu de la nature réelle de cet événement, mais plutôt de l’intérêt politique perçu à mobiliser ou à ne pas mobiliser une rhétorique guerrière.</p>
<p>C’est ainsi que, sous le mandat Sarkozy, le gouvernement se refusait à parler de « guerre » pour qualifier la présence militaire française en Afghanistan (<a href="https://www.liberation.fr/france-archive/2008/08/27/deux-ministres-sur-la-defense_78758/">y compris après la mort de 10 soldats en opération à Uzbeen en 2008</a>), alors que le président déclarait la « guerre » aux <a href="https://www.rfi.fr/fr/france/20100730-nicolas-sarkozy-veut-faire-guerre-insecurite">« trafiquants et aux voyous »</a>, dans le cadre de son combat contre l’insécurité.</p>
<p>Ces usages et non-usages, à géométrie variable, du terme de <em>guerre</em> trahissent des stratégies discursives de la part des acteurs qu’il est intéressant d’étudier et de décrypter. Ils démontrent par ailleurs la distance qu’il peut y avoir entre l’emploi « politique » du terme et son emploi universitaire.</p>
<h2>La définition de la guerre en science politique</h2>
<p>Qu’est-ce que la guerre ? La théorie politique met en avant trois critères de définition de la guerre : son caractère collectif, son caractère violent et son caractère interactionnel.</p>
<p>Premièrement, la guerre est un phénomène collectif. Cela signifie qu’elle oppose non pas des individus, mais des groupes organisés les uns contre les autres. Ainsi que l’écrivait <a href="https://editions.flammarion.com/du-contrat-social/9782081275232">Jean-Jacques Rousseau</a> :</p>
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<p>« La guerre n’est donc point une relation d’homme à homme, mais une relation d’État à État, dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu’accidentellement, non point comme hommes ni même comme citoyens, mais comme soldats. »</p>
</blockquote>
<p>La nature (étatique ou non) de ces groupes organisés n’est pas un critère de définition de la guerre. On peut parler de guerre même si l’un ou les deux acteurs aux prises ne sont pas des États au sens moderne du terme – tel était par exemple le cas de la guerre d’Afghanistan, lors de laquelle les forces françaises faisaient face à un mouvement insurrectionnel, les talibans.</p>
<p>Cette distinction est néanmoins utile pour établir des typologies, permettant par exemple de distinguer la guerre inter-étatique (entre États) de la guerre civile (à l’intérieur d’un État).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/EYTnMHcta4Q?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les philosophes français face à la guerre : politique, morale, philosophie – Claudine Tiercelin, 2014, Collège de France.</span></figcaption>
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<p>Deuxièmement, la guerre se caractérise par l’emploi d’un instrument spécifique : la force armée. La guerre se distingue de l’absence de guerre (c’est-à-dire de la paix) non pas par l’existence d’un différend ou de tensions particulièrement vives, mais par le choix, commun aux deux acteurs, de tenter de régler ce différend au moyen de la violence. En cela, comme l’écrivait le théoricien <a href="https://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-De_la_guerre-2000-1-1-0-1.html">Carl von Clausewitz</a>, la guerre « est un conflit de grands intérêts réglé par le sang, et c’est seulement en cela qu’elle diffère des autres conflits ».</p>
<p>La définition de la paix à laquelle l’on arrive alors est une définition négative : la paix se définit par la simple absence de violence, indépendamment de l’existence ou non d’un sentiment d’amitié ou d’hostilité entre les groupes aux prises.</p>
<p>Troisièmement, la guerre est un phénomène interactionnel. Clausewitz la définissait d’ailleurs, dès la première page de son maître-ouvrage, <a href="https://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-De_la_guerre-2000-1-1-0-1.html"><em>De la guerre</em></a>, comme « un duel à une plus vaste échelle ».</p>
<p>Cela signifie que la guerre n’est pas l’application unilatérale de la violence contre une cible passive, mais implique que les deux adversaires aient chacun fait le choix d’utiliser la violence contre l’autre. La guerre se caractérise ainsi par la « réciprocité d’action volontaire », pour reprendre la formule du sociologue <a href="https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/trait%C3%A9-de-pol%C3%A9mologie-sociologie-des-guerres-9782228883627">Gaston Bouthoul</a>. Par exemple, l’on considère que l’occupation militaire de l’Autriche par l’Allemagne nazie en 1938 ne constitue pas une guerre car l’armée autrichienne n’a pas cherché à y résister ; à l’inverse, l’invasion de Pologne en 1939 peut quant à elle être qualifiée de guerre du fait de la résistance (même brève) des forces polonaises.</p>
<p>En synthèse, on peut dire que la guerre se définit par la réciprocité du recours à la force entre groupes organisés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/arthur-pourquoi-les-hommes-aiment-ils-la-guerre-et-sentretuent-ils-131593">Arthur : « Pourquoi les hommes aiment-ils la guerre et s’entretuent-ils ? »</a>
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<h2>La France est-elle en guerre en Ukraine ?</h2>
<p>À l’aune de cette définition, comment qualifier aujourd’hui l’action de la France dans le contexte de la guerre en Ukraine ? Il convient tout d’abord de noter que l’on ne peut pas parler de « guerre » au sujet des sanctions adoptées contre la Russie : celles-ci relèvent en effet d’un répertoire d’actions (économique, diplomatique, etc.) qui est matériellement et symboliquement distinct de l’emploi de la violence physique.</p>
<p>Prendre des mesures de représailles contre un État ne suffit pas pour créer une situation de guerre tant que ces mesures n’impliquent pas le recours à la force. À ce titre, parler de « guerre économique » constitue un abus de langage : ce qui fait la spécificité de la guerre, nous l’avons dit, est <a href="https://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-De_la_guerre-2000-1-1-0-1.html">« le caractère particulier des moyens qu’elle met en œuvre »</a>, à savoir, la violence armée.</p>
<p>Qu’en est-il de l’aide militaire apportée par la France à l’Ukraine ? Là encore, on ne peut pas qualifier cette action de « guerre ». En effet, transférer des matériels militaires à un autre État n’équivaut pas au fait d’employer soi-même ces matériels militaires contre un acteur tiers. Si la France aide l’Ukraine à combattre contre la Russie, la France ne recourt pas elle-même à la force armée contre la Russie (pas plus que la Russie ne recourt à la force contre la France).</p>
<p>Le critère de la réciprocité de l’emploi de la violence n’est donc pas rempli. Pour pouvoir parler de guerre, il convient qu’il y ait une participation directe aux hostilités, au travers d’un emploi, en propre, de la violence.</p>
<p>L’expression « guerre par procuration » est donc là aussi à ne pas prendre au pied de la lettre : en l’absence d’une implication directe dans les combats eux-mêmes, il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une guerre.</p>
<p>Qu’en est-il, enfin, de la potentielle présence de troupes au sol en Ukraine ? La réponse à cette question dépend de la mission qui leur serait confiée : si ces troupes ne participent pas elles-mêmes aux hostilités, mais agissent à des fins de collecte de renseignements, de maintien en conditions opérationnelles des équipements militaires, de formation des soldats ukrainiens, etc., on ne peut pas parler de guerre ou de cobelligérance. Ces actions de soutien ne constituent pas une forme d’usage de la force et ne feraient pas basculer la France d’une situation de paix à une situation de guerre avec la Russie.</p>
<p>En revanche, s’il s’agissait de troupes combattantes, participant directement aux opérations de combat, alors le seuil de la cobelligérance serait franchi. De même, si les soldats sur place contribuaient à opérer certains équipements militaires (de type missiles longue portée), c’est-à-dire, s’ils ne se contentaient pas d’aider à l’entretien des ces équipements mais participaient directement de leur emploi contre les forces russes, l’on pourrait considérer qu’il s’agit d’une forme de recours à la force, et donc, de cobelligérance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225207/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Adrien Schu est membre de l'Association pour les études sur la guerre et la stratégie (AEGES). </span></em></p>Où se situe concrètement la frontière entre la guerre et la paix dans une situation de conflit ?Adrien Schu, Maitre de conférences en sciences politiques, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2246782024-03-11T16:14:31Z2024-03-11T16:14:31ZEn Russie, la plainte étouffée des mobilisés et de leurs familles<p>Le 26 février 2024, le <a href="https://www.kommersant.ru/doc/6533550">premier débat officiel de la campagne présidentielle russe a lieu à la télévision d’État</a>. Des quatre candidats autorisés à concourir, deux sont présents sur le plateau. Un troisième a envoyé un représentant à sa place. Le président sortant Vladimir Poutine, quatrième candidat de cette campagne, a déclaré, comme lors de tous les scrutins précédents, qu’il ne prendrait pas part aux débats.</p>
<p>La campagne électorale de 2024 se déroule dans un contexte sans précédent : la Russie conduit depuis deux ans une guerre de haute intensité contre l’Ukraine ; l’économie russe est placée sous de <a href="https://theconversation.com/russie-les-sanctions-occidentales-commencent-a-faire-effet-221623">lourdes sanctions</a> décrétées par les pays occidentaux ; plusieurs centaines de milliers de Russes ont quitté le pays ; et <a href="https://meduza.io/en/feature/2024/02/24/at-least-75-000-dead-russian-soldiers">au moins 75 000 soldats russes</a> ont perdu la vie sur le front.</p>
<p>On aurait pu s’attendre à ce que le sujet de la guerre soit central dans la campagne électorale. L’un des débats de la campagne a bien été consacré à « l’opération militaire spéciale » et a permis aux trois candidats de dérouler leur positionnement sur la guerre : attachement à la victoire totale pour les candidats communiste (Nikolaï Kharitonov) et nationaliste (Léonid Sloutski), volonté de lancer un processus de négociation pour le candidat se présentant comme libéral (Vladislav Davankov), sans que les contours ou les conditions de cette négociation ne soient précisés.</p>
<p>Cependant, l’essentiel des débats – qui n’ont pas passionné le public russe – ont été consacrés à d’autres sujets : l’éducation, la culture, l’économie, l’agriculture, la démographie, le logement, dans une confrontation routinisée et encadrée… Les candidats eux-mêmes ne se sont pas toujours déplacés pour les débats, se faisant représenter par d’autres personnes appartenant à leurs partis politiques.</p>
<h2>La guerre est l’affaire des familles des soldats</h2>
<p>De l’autre côté du spectre médiatique, la guerre est une réalité bien différente. Sur la chaîne Telegram <a href="https://t.me/putdomo/543">« Le chemin de la maison »</a>, qui regroupe les membres des familles des combattants mobilisés et compte plus de 70 000 abonnés, le deuxième anniversaire de la guerre n’est pas l’occasion d’une autocongratulation, mais d’une commémoration. « Voilà deux ans que l’opération militaire spéciale déchire et brise sans pitié nos cœurs. Détruit les familles. Fabrique des veuves, des orphelins, des personnes âgées isolées », peut-on y lire.</p>
<p>La critique de la guerre est <a href="https://t.me/PYTY_DOMOY/902">explicite</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a deux ans, la Russie tout entière a plongé dans le chaos et l’horreur. Plus personne ne peut faire des projets d’avenir. […] Nous nous sommes tous retrouvés en enfer. Nos familles ont été les premières à être broyées par l’appareil d’État, et votre famille et vos amis risquent de subir le même sort après notre destruction. »</p>
</blockquote>
<p>C’est en septembre-octobre 2022, au moment du déclenchement de la mobilisation militaire qui a permis à l’État russe d’enrôler de force et d’envoyer sur le front ukrainien près de 300 000 civils, souvent à peine formés au combat, que les premiers groupes de familles de soldats se sont formés. Se réunissant devant les administrations locales et postant des vidéos en ligne, ces femmes ne s’opposaient pas au principe de la mobilisation, mais critiquaient son déroulement chaotique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Vidéo du 4 novembre 2022.</span></figcaption>
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<p>La consigne donnée par le pouvoir central aux autorités locales était alors d’être réceptives aux demandes de ces familles, et de tenter de résoudre les problèmes qu’elles soulevaient. Après plusieurs mois de silence, le mouvement est redevenu actif à l’approche du premier anniversaire de la mobilisation, à la fin de l’été 2023.</p>
<p>Ce premier anniversaire n’était pas seulement un seuil symbolique : il s’accompagnait d’une attente de démobilisation. Si la durée de l’enrôlement n’était précisée dans aucun document ni formalisée dans aucune promesse, la fatigue et la conviction d’avoir déjà trop donné commençaient à se répandre dans les familles des mobilisés.</p>
<p>Loyaliste à ses débuts, demandant une nouvelle vague de mobilisation pour remplacer la première, la chaîne Telegram « Le chemin de la maison » s’est progressivement radicalisée et politisée face au refus des autorités d’entendre la demande de démobilisation. À l’approche de la campagne présidentielle, les activistes des groupes de femmes ont cherché à prendre contact avec les candidats pour leur demander d’endosser leurs revendications. Un seul candidat, Boris Nadejdine, opposé à la guerre, leur avait réservé un accueil favorable, mais avait été <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/08/russie-le-candidat-antiguerre-boris-nadejdine-exclu-a-son-tour-de-la-presidentielle_6215417_3210.html">rapidement empêché de concourir</a>. Le candidat Davankov a bien évoqué, lors du débat télévisé consacré à l’« opération militaire spéciale », le désir des familles de voir la guerre se terminer, sans aller plus loin. Vladimir Poutine, quant à lui, n’a pas abordé le sujet lors de son <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/29/vladimir-poutine-dans-son-discours-annuel-a-la-nation-met-en-garde-les-occidentaux-contre-une-menace-reelle-de-guerre-nucleaire_6219303_3210.html">discours annuel à la nation</a> : la démobilisation des combattants n’est pas vraiment à l’ordre du jour de cette campagne.</p>
<h2>Dans les pas des mouvements de mères de soldats ?</h2>
<p>L’analogie de ces groupes de femmes de mobilisés avec les mouvements des mères de soldats se rappelle rapidement à l’esprit de ceux qui connaissent l’histoire russe contemporaine. Les <a href="https://journals.openedition.org/lectures/12594">associations des mères de soldats</a> créées dans les dernières années de l’Union soviétique, à la fin de la guerre en Afghanistan, ont été des opposantes actives et puissantes aux deux guerres conduites par l’État russe en Tchétchénie, en 1994-1996, puis en 1999-2004.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Rassemblement de mères de soldats russes pendant la guerre de Tchétchénie, 1996. Sur les pancartes, on lit notamment des appels à la démobilisation adressés au ministre de la Défense de l’époque Pavel Gratchev.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://rightlivelihood.org/app/uploads/2016/09/1996-Soldiers-Mothers-Against-the-Chechen-war-Salzb05.jpg">rightlivelihood.org</a></span>
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<p>En dehors des situations de guerre, elles ont aussi sauvé des dizaines de milliers de conscrits des mauvais traitements, violences et risques de mort encourus dans l’armée russe. Les Mères de soldats ont été l’un des mouvements sociaux les plus influents dans la Russie des années 1990 et 2000. Les épouses de mobilisés reprennent-elles leur flambeau, et peuvent-elles peser sur la représentation de la guerre dans la société russe ?</p>
<p>Lorsque les premiers groupes de femmes ont pris la parole en septembre 2022, beaucoup de commentateurs <a href="https://eu.usatoday.com/story/opinion/columnists/2022/05/02/russian-mothers-putin-war-ukraine/9546447002/">y ont vu un espoir d’opposition de la société à la guerre</a>, mais ils ont rapidement déchanté devant le loyalisme affiché de ces épouses, mères et sœurs. En réalité, ce n’est pas l’absence de critique de la guerre qui distingue ces femmes de leurs illustres prédécesseuses. Bien des mamans de soldats envoyés combattre en Tchétchénie formulaient leur protestation de la même manière : si mon fils doit accomplir son devoir pour sa patrie, je n’ai rien à y redire, mais qu’en retour l’État le respecte. Ce qui distingue les deux mouvements, c’est plutôt la possibilité même de conduire une action collective.</p>
<h2>L’impossible dénonciation publique de la guerre</h2>
<p>Si les premières années postsoviétiques qui ont vu le développement des mouvements de Mères de soldats ont été une époque de chaos et de pauvreté, elles étaient aussi caractérisées par un pluralisme politique et une authentique liberté d’expression. Les activistes n’encouraient pas de risques personnels à manifester leur opposition, et leurs revendications étaient librement relayées par les médias et par des acteurs politiques.</p>
<p>L’efficacité de l’action des Mères tenait aussi à leur capacité à tisser des relations de travail avec des institutions militaires, dans une logique gagnant-gagnant : la vigilance des mères de soldats permettait à l’armée de repérer et de réparer un certain nombre de dysfonctionnements flagrants ; la coopération des militaires permettait aux Mères de mieux venir en aide aux soldats et à leurs proches.</p>
<p>Peu d’éléments de cette équation sont réunis dans la Russie de 2024. Si les mouvements de mères de soldats existent encore, leurs leaders ne peuvent plus dénoncer ouvertement la guerre. <a href="https://www.amnesty.fr/actualites/russie-des-lois-pour-reduire-les-voix-antiguerre-ukraine">Toute parole critique est sévèrement sanctionnée</a>, y compris dans la classe politique censée représenter l’opposition au parti du pouvoir. Les journalistes tentant de couvrir les cérémonies commémoratives des femmes de mobilisés sont <a href="https://www.themoscowtimes.com/2024/02/03/reporters-detained-at-moscow-protest-by-soldiers-wives-afp-a83966">immédiatement interpellés par les forces de l’ordre</a>. L’espace médiatique verrouillé ne permet pas aux activistes de se faire entendre au-delà des réseaux sociaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1753770811108762038"}"></div></p>
<p>La marge de manœuvre dans la discussion avec les autorités militaires semble aussi ténue, tant la marge d’action de l’armée est elle-même verrouillée par le contexte répressif et par une guerre difficile et vorace en ressources.</p>
<p>Enfin, la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/russie-plus-de-75-000-euros-aux-familles-de-certains-soldats-morts-en-ukraine-ou-en-syrie_5181916.html">manne financière promise aux combattants et à leurs familles</a> freine aussi, paradoxalement, le mouvement des femmes de mobilisés, en forçant certaines d’entre elles à se taire, et en ternissant l’image des autres, jalousées pour le pactole qu’elles sont supposées toucher.</p>
<h2>L’embarras du pouvoir</h2>
<p>Cependant, l’équation est aussi délicate à tenir pour le pouvoir russe, qui hésite à se lancer dans une répression ouverte contre les femmes de mobilisés. Les combattants engagés sur le front sont non seulement l’un des socles du récit héroïque sur la guerre, mais aussi un groupe sensible et potentiellement dangereux.</p>
<p>Si la rotation des troupes demandée par les femmes des mobilisés n’a pas encore été mise en œuvre, c’est sans doute en raison d’une difficulté à remplacer les combattants désormais aguerris, mais peut-être aussi d’une peur de l’effet que pourrait provoquer le retour de ces hommes dans leurs foyers. Traumatisés, maltraités, porteurs d’une expérience violente en décalage avec le récit officiel, les mobilisés, comme les soldats sous contrat, pourraient être difficiles à contrôler par le pouvoir après leur retour d’Ukraine.</p>
<p>Il est possible également que les autorités redoutent aujourd’hui une réaction de ces hommes s’ils apprenaient, alors qu’ils sont sur le front, que leurs épouses sont victimes de répressions. <a href="https://theconversation.com/cinq-questions-apres-la-marche-pour-la-justice-de-wagner-208593">La marche des combattants du groupe Wagner sur Moscou</a> est un précédent de mutinerie que le pouvoir ne souhaite sans doute pas voir se répéter.</p>
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<p>De la même manière que le Kremlin a évité jusqu’à maintenant d’envoyer combattre des conscrits de 18 ans, pour ne pas voir se soulever les mères de soldats, il ménage pour l’heure les femmes de mobilisés. Le choix est donc celui, déjà éprouvé, de l’invisibilisation, de la répression indirecte et des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/25/la-rencontre-tres-encadree-de-vladimir-poutine-avec-des-meres-de-soldats-mobilises_6151660_3210.html">tentatives de cooptation</a>. Les forces de l’ordre n’emprisonnent pas les femmes de mobilisés, mais les militaires font pression sur elles, et tout espace médiatique leur est refusé. Un récit différent de la guerre ne doit pas percer dans la campagne présidentielle.</p>
<p>Cette stratégie s’inscrit parfaitement dans la volonté du pouvoir de rendre la guerre le moins présente possible dans l’espace public, afin de rassurer la population russe. Cependant, la fatigue de la guerre que le Kremlin espère voir se développer dans les sociétés occidentales <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/apres-deux-ans-de-guerre-en-ukraine-la-fatigue-de-l-opinion-publique-russe-7838880">est déjà visible à l’intérieur de la Russie</a>. Si le nombre de Russes viscéralement attachés à la poursuite de l’« opération militaire spéciale » a diminué au cours de l’année 2023 et <a href="https://www.chronicles.report/en">représente moins de 20 % de la population</a>, une majorité croissante, estimée à deux tiers de la population, <a href="https://www.extremescan.eu/post/second-demobilisation-how-public-opinion-changed-during-the-second-year-of-the-war">serait soulagée de voir la guerre s’arrêter</a>, même s’ils ne s’opposent pas ouvertement au conflit armé conduit par leur pays.</p>
<p>Pour ceux-là, le discours ronronnant d’une campagne dont la guerre est quasi absente joue un effet anesthésiant. Cependant, la partie de la Russie, combattants en tête, qui vit quotidiennement la guerre est une bombe à retardement pour la société russe, quels que soient les efforts du pouvoir pour la rendre invisible aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224678/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anna Colin-Lebedev ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au moins 75 000 soldats russes sont morts en deux ans de guerre en Ukraine. Les familles des combattants mobilisés peinent à faire entendre leur inquiétude dans l’espace public.Anna Colin-Lebedev, Enseignante-chercheuse en sciences politiques, spécialiste des sociétés postsoviétiques, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2241072024-02-22T15:42:21Z2024-02-22T15:42:21Z« En Ukraine, la santé psychique des personnes dépendra beaucoup de l’évolution du conflit »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/577078/original/file-20240221-26-j393gj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Immeuble détruit après une attaque à la roquette de l’armée russe, district de Pozniaky, Kiev, Ukraine.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/13476480@N07/51916065022/in/photostream/">Manhhai</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p><em>Francis Eustache, neuropsychologue, dirige des recherches au sein de l’unité Inserm « Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine » à l’Université de Caen-Normandie. Il est Directeur d’études à l’École pratique des hautes études (EPHE) de Paris. À l’occasion de l’anniversaire de l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe le 24 février 2022, il explique comment une forme de trouble de stress post-traumatique (TSPT) dit « complexe » survient chez un nombre important de personnes confrontées à un conflit armé.</em></p>
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<p><strong>The Conversation : Quelle est la définition du trouble de stress post-traumatique (TSPT) ?</strong></p>
<p><strong>Francis Eustache</strong> : Selon la classification américaine du <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK207191/box/part1_ch3.box16/">DSM</a> (pour l’anglais « Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders », en français « Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, et des troubles psychiatriques ») qui fait consensus, le trouble de stress post-traumatique (TSPT, en anglais PTSD pour <em>post-traumatic stress disorder</em>) survient chez une personne menacée dans son intégrité personnelle parce qu’elle a été exposée à un événement traumatique.</p>
<p>Ce traumatisme est une rencontre entre un événement stressant majeur (catastrophes, guerres, violences faites aux femmes, attentats…), un ressenti subjectif et un moment particulier. Il va d’abord généralement déclencher un stress aigu intense. Si cet état perdure au-delà d’un mois, on va parler de <a href="https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/memoire-et-traumatisme">trouble de stress post-traumatique</a> (TSPT).</p>
<p><strong>The Conversation : Quels sont les principaux symptômes du TSPT ?</strong></p>
<p><strong>Francis Eustache</strong> : Le TSPT est composé d’un certain nombre de symptômes dont l’élément cardinal est la reviviscence dominée par des intrusions. La personne va avoir l’impression subjective de revivre, comme s’ils étaient à nouveau présents, des éléments sensoriels très émotionnels qui appartiennent à l’événement traumatique comme des images, des bruits, des odeurs disparates…</p>
<p>La personne prend conscience de ces éléments intempestifs, très difficiles à vivre. Pour se protéger en quelque sorte, la personne essaie d’éviter les situations sociales qui peuvent favoriser, selon son analyse, cette réémergence. Ce mécanisme d’évitement va devenir à son tour son symptôme parce qu’il va couper la personne de son environnement et de ses proches qui pourraient l’aider.</p>
<p>Au cœur du TSPT, on trouve donc ce double symptôme d’intrusions dans le présent d’éléments du traumatisme vécu dans le passé, parfois des années auparavant, et d’évitement de ces éléments. Les intrusions peuvent survenir quand la personne est confrontée à des situations qui rappellent le traumatisme (lieux fermés, endroits particuliers dominés par certains bruits…).</p>
<p>On relève également ce que l’on appelle des symptômes neurovégétatifs. En d’autres termes, la personne va avoir tendance à sursauter, être à fleur de peau… On note aussi des altérations de l’humeur, de la cognition, des troubles du sommeil avec des cauchemars…</p>
<p>Par ailleurs, la <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782746522336-les-nouveaux-chemins-de-la-memoire-francis-eustache-beatrice-desgranges-endel-tulving/">mémoire du traumatisme peut envahir toute l’autobiographie de la personne</a> qui va avoir tendance à ne se définir que par ce traumatisme qu’elle a vécu.</p>
<p>Les mécanismes cérébraux du TSPT sont maintenant mieux connus. À partir de la cohorte du programme de recherche 13 Novembre, dans une <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.aay8477%5BVN2">étude</a> publiée dans la revue scientifique <em>Science</em>, notre équipe a montré que ces intrusions d’éléments traumatiques sont liées à un manque de contrôle des régions du cortex préfrontal, sur des régions cérébrales qui régulent les perceptions, les émotions, la mémoire…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/13-novembre-et-traumatisme-la-memoire-collective-influence-profondement-la-memoire-individuelle-150005">13 Novembre et traumatisme : « La mémoire collective influence profondément la mémoire individuelle »</a>
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<p><strong>The Conversation : On distingue un TSPT spécifique lié à des événements traumatiques répétés comme les conflits armés, à l’image de ce qui se passe en Ukraine. De quoi s’agit-il ?</strong></p>
<p><strong>Francis Eustache</strong> : On parle effectivement de TSPT complexe (ou de type 2), quand le trouble se développe à la suite d’événements multiples répétés dans le temps, dont les caractéristiques sont plus proches de ce qui se passe en Ukraine (alors que le TSPT simple ou de type 1 est consécutif à un événement traumatique unique, comme un attentat). <a href="https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/grand-livre-du-trauma-complexe-enfant-adulte-fondements-enjeux">Dans le TSPT complexe, en revanche, la situation traumatique est répétée, sur le long cours</a>.</p>
<p>Chez l’adulte, les personnes concernées par un TSPT complexe vont connaître les mêmes symptômes que dans un TSPT simple, associés à d’autres symptômes dominés par ce que l’on appelle les symptômes dissociatifs. Les personnes ont l’impression d’être déconnectées de leurs pensées, de leur corps, de la réalité. On parle parfois de dépersonnalisation. La personne a l’impression d’être en dehors de sa personnalité habituelle, elle est moins réceptive à ce qui se passe autour d’elle.</p>
<p>Cela peut être considéré comme un moyen de défense face à la réalité qui est difficile à supporter. Cela peut aussi conduire à des formes d’amnésie, dite dissociative, car la personne n’enregistre pas ce qu’elle vit quand elle est dans un tel état de conscience.</p>
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<p>Dans le TSPT complexe, les personnes rencontreront des difficultés à réguler leurs émotions, parfois leur colère. Des attitudes autodestructrices sont aussi observées, pouvant aller jusqu’au suicide. Des symptômes corporels peuvent aussi survenir se manifestant, par exemple, par des douleurs chroniques, des atteintes de la sphère cardiorespiratoires…</p>
<p>Les manifestations cliniques du TSPT complexe peuvent être extrêmement diverses du fait de la situation d’insécurité permanente qui modifie la relation de la personne à elle-même et aux autres, davantage que dans le TSPT simple.</p>
<p>À noter que la classification américaine du DSM ne reconnaît pas le TSPT complexe mais évoque des TSPT avec ou sans symptômes dissociatifs. En revanche, la classification internationale des maladies (<a href="https://www.cepidc.inserm.fr/causes-medicales-de-deces/classification-internationale-des-maladies-cim">CIM</a>) de l’Organisation mondiale de la santé reconnaît le TSPT complexe.</p>
<p><strong>The Conversation : Historiquement, la reconnaissance du TSPT est d’ailleurs associée aux guerres. De quelle manière ?</strong></p>
<p><strong>Francis Eustache</strong> : Des descriptions assez précises ont été faites sur les champs de bataille, avant la proposition du concept de TSPT. La première guerre mondiale a entraîné beaucoup de descriptions de soldats qui souffraient de troubles psychiques. Leur pathologie n’était pas reconnue. On ne soignait pas ces soldats qui étaient renvoyés au front. Quand ils étaient incapables d’y retourner parce qu’ils souffraient de troubles divers, ils étaient parfois considérés comme des simulateurs ou des déserteurs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-traumatismes-psychiques-de-la-grande-guerre-105766">Les traumatismes psychiques de la Grande Guerre</a>
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<p>Lors de la seconde guerre mondiale, on a commencé à mieux reconnaître ces troubles sur le plan sémiologique, c’est-à-dire à définir les différents symptômes associés.</p>
<p>Dans les années 60, la guerre du Vietnam constitue un tournant quand les vétérans de cette guerre font reconnaître leurs souffrances : c’est le <em>post-vietnam syndrom</em>. Ces vétérans vont s’organiser et revendiquer auprès des autorités américaines le fait d’être reconnus comme des blessés psychiques.</p>
<p>D’autres mouvements, non liés aux conflits armés, se conjuguent pour renforcer ce concept, à l’image des mouvements féministes post-hippies qui vont mettre sur le devant de la scène les violences faites aux femmes ainsi que des mouvements de protection des enfants, victimes de mauvais traitements et d’abus.</p>
<p>En 1980, le trouble du stress post-traumatique entre dans la classification américaine du DSM. Il devient une entité psychopathologique, avec une reconnaissance internationale.</p>
<p><strong>The Conversation : Les Ukrainiens sont-ils condamnés à souffrir de TSPT parce qu’ils vivent un conflit armé ?</strong></p>
<p><strong>Francis Eustache</strong> : Un nombre important de personnes confrontées à des zones de guerre intense seront concernées par un TSPT, que ce soit les soldats de plus en plus épuisés ou les populations civiles exposées aux bombardements répétés. Mais cette pathologie est mouvante et évolue au fil du temps, elle n’est pas forcément définitive.</p>
<p>De plus, le TSPT revêt des aspects individuels et collectifs, et dépend également de l’évolution de la situation générale dans le pays. Il convient également d’établir des distinctions entre les personnes qui sont au front et celles qui en sont éloignées, même si des bombardements peuvent avoir lieu à l’intérieur des villes.</p>
<p>De plus, l’évolution peut être favorable si les personnes concernées par un TSPT bénéficient d’une bonne prise en charge au plan sanitaire et social : elles vont aller mieux si elles retrouvent un environnement sécurisant.</p>
<p>La guerre en Ukraine est difficile à appréhender parce qu’elle se déroule actuellement. On manque de recul et, globalement, la santé psychique des personnes dépendra beaucoup de l’évolution du conflit et de sa résolution.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224107/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Francis Eustache a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche (ANR) pour le Programme 13-Novembre.</span></em></p>Un trouble de stress post-traumatique dit « complexe » peut se développer chez des personnes exposées à des événements multiples répétés dans le temps, comme le conflit qui sévit depuis deux ans en Ukraine.Francis Eustache, Directeur de l'unité Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine, Inserm, Ecole Pratique des Hautes Etudes, Université de Caen Normandie, Université de Caen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2234992024-02-20T14:44:11Z2024-02-20T14:44:11ZLafarge, « complice de crimes contre l’humanité » en Syrie ? Vers un procès sans précédent pour une multinationale<p>Le 16 janvier 2024, la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/16/lafarge-en-syrie-la-cour-de-cassation-valide-la-mise-en-examen-pour-complicite-de-crime-contre-l-humanite-mais-annule-la-mise-en-danger-des-ouvriers_6211143_3224.html">Cour de cassation</a>, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire en France, a confirmé la mise en examen pour « complicité de <a href="https://theconversation.com/topics/crimes-contre-lhumanite-22671">crimes contre l’humanité</a> » de la société française Lafarge, une première pour une firme de cette envergure. Très attendue par la société civile et les victimes, cette reconnaissance de la compétence des juridictions françaises pour juger des crimes internationaux commis à l’étranger par des acteurs économiques constitue un tournant décisif en ce qui concerne la responsabilité pénale des personnes morales.</p>
<p>Cette affaire qui peut sembler technique, avec à l’origine quatre chefs d’accusation (dont un a été écarté), touche à la question sensible de la possibilité de poursuivre au pénal des entreprises <a href="https://theconversation.com/topics/multinationales-22485">multinationales</a>. Ce terme désigne des ensembles de sociétés réparties dans différents pays et obéissant à une stratégie commune fixée par une société mère. Ces grands groupes semblent parfois bénéficier d’une forme d’impunité, sentiment qui ressort de <a href="https://www.internationalcrimesdatabase.org/Case/43/Presbyterian-Church-Of-Sudan-v-Talisman-Energy/">décisions précédentes</a>, notamment américaines. Le juge français pourrait ainsi venir poser les jalons d’une rupture.</p>
<h2>Différents chefs d’accusation</h2>
<p>Lafarge, société mère de droit français, avait créé en 2010 une filiale de droit syrien pour détenir et exploiter sa cimenterie de Jalabiya, dans le nord de la Syrie. Entre 2010 et 2014, les alentours du site ont fait l’objet de violents affrontements entre divers groupes armés, dont l’État islamique qui a fini par s’en emparer en septembre 2014. Pour poursuivre ses activités malgré le contexte de conflit armé, Lafarge aurait distribué en 2013 et 2014 quelque <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/16/lafarge-en-syrie-la-cour-de-cassation-valide-la-mise-en-examen-pour-complicite-de-crime-contre-l-humanite-mais-annule-la-mise-en-danger-des-ouvriers_6211143_3224.html">13 millions d’euros</a> à ces groupes armés commettant de graves exactions selon l’étude d’un cabinet de conseil missionné par Holcim, le groupe suisse qui a racheté Lafarge depuis. L’enquête française a estimé ces versements entre 4,8 et 10 millions d’euros pour le seul groupe État islamique.</p>
<p>En 2016, une <a href="https://www.asso-sherpa.org/affaire-lafarge-syrie">plainte</a> a été déposée en France par le ministère de l’Économie à la suite de révélations dans la presse, puis par l’association Sherpa, le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains et 11 anciens salariés de Lafarge en Syrie, conduisant à l’ouverture d’une information judiciaire. En 2018, la société Lafarge, en tant que personne morale, ainsi que plusieurs de ses cadres, a été mise en examen pour « complicité de crimes contre l’humanité », « financement d’une entreprise terroriste », « mise en danger de la vie d’autrui » et « violation d’un embargo ».</p>
<p>Le <a href="https://www.asso-sherpa.org/confirmation-de-la-mise-en-examen-de-lafarge-complicite-crimes-contre-humanite">18 mai 2022</a>, la Cour d’appel avait confirmé la mise en examen de la société Lafarge pour « complicité de crimes contre l’humanité » et « mise en danger de la vie d’autrui », charges ensuite contestées dans un pourvoi en cassation. </p>
<p>La décision du 16 janvier 2024 est venue confirmer la mise en examen pour « complicité de crimes contre l’humanité », considérant que la multinationale avait connaissance des graves exactions commises par les groupes armés. En revanche, la Cour de cassation a écarté la mise en examen pour la mise en danger de la vie d’autrui, estimant que la loi française n’était pas applicable aux salariés syriens. Un choix <a href="https://www.asso-sherpa.org/lafarge-en-syrie-decision-determinante-de-la-cour-de-cassation-sur-les-mises-en-examen-de-la-multinationale">déploré par Sherpa</a> pour qui pareille interprétation restrictive des règles de conflit de lois, malgré la forte implication de Lafarge dans la gestion de sa filiale syrienne, entrave l’accès à la justice pour les travailleurs de multinationales.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1756000073530409033"}"></div></p>
<p>Pour les deux autres chefs d’accusation, le Parquet national antiterroriste a demandé son renvoi en correctionnel le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/02/09/lafarge-en-syrie-un-premier-proces-requis-contre-le-cimentier-et-neuf-personnes-pour-financement-du-terrorisme_6215693_3224.html">9 février 2024</a> pour financement d’une entreprise terroriste et pour violation d’un embargo, disjoignant ainsi les deux volets de l’affaire.</p>
<h2>Une porte ouverte par le droit français</h2>
<p>S’agissant des infractions de « financement du terrorisme » et de « complicité de crime contre l’humanité », celles-ci sont prévues, d’une part, dans la <a href="https://www.un.org/french/millenaire/law/cirft.htm">Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme de 1999</a>, d’autre part, dans le <a href="https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/NR/rdonlyres/ADD16852-AEE9-4757-ABE7-9CDC7CF02886/283948/RomeStatuteFra1.pdf">Statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998</a>. Ces deux conventions ont été ratifiées par la France respectivement en 2002 et 2000.</p>
<p>Le financement du terrorisme s’entend, selon l’article 2 de la Convention sur le terrorisme, comme tout acte consistant à fournir ou à réunir des fonds « dans l’intention de les voir utilisés ou en sachant qu’ils seront utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre » des actes relevant du terrorisme. Le crime contre l’humanité s’entend, quant à lui, selon l’article 7 du Statut de Rome, comme des exactions commises dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile, incluant des actes tels que le meurtre, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation forcée, la torture ou encore le viol.</p>
<p>Si le Statut de Rome a retenu la seule responsabilité pénale individuelle, son article 25 précise qu’« aucune disposition du présent Statut relative à la responsabilité pénale des individus n’affecte la responsabilité des États en droit international ». La Convention sur le financement du terrorisme dispose, quant à elle, en son article 5 :</p>
<blockquote>
<p>« Chaque État Partie, conformément aux principes de son droit interne, prend les mesures nécessaires pour que la responsabilité d’une personne morale située sur son territoire ou constituée sous l’empire de sa législation soit engagée lorsqu’une personne responsable de la direction ou du contrôle de cette personne morale a, en cette qualité, commis une infraction visée [par la présente convention]. Cette responsabilité peut être pénale, civile ou administrative ».</p>
</blockquote>
<p>À cet égard, le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000021796078/#LEGISCTA000021796940">Code pénal français</a> prévoit des mécanismes répressifs à l’encontre des sociétés transnationales qui relèvent de la législation française ou qui ont commis des infractions pénales sur le territoire français. En outre, son article 121-7, relatif au régime général de la complicité, requiert uniquement que le <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/cour-de-cassation-ouvre-voie-une-mise-en-examen-de-lafarge-pour-complicite-de-crime-contre-l-h">complice</a> ait sciemment facilité la préparation ou la consommation d’un crime, sans critère géographique.</p>
<p>Si, avec l’affaire <em>Lafarge</em>, la France a ainsi l’opportunité de poser les prémices de la poursuite pénale d’une personne morale pour complicité de crime contre l’humanité, cela n’est toutefois pas sans poser de redoutables défis.</p>
<h2>Vers la fin de l’impunité <em>de facto</em> des sociétés transnationales ?</h2>
<p>Depuis longtemps, les multinationales semblent bénéficier d’une certaine forme d’impunité, tirant profit de la complexité des régimes juridiques internationaux et de la difficulté d’imposer des normes juridiques uniformes à l’échelle mondiale. En effet, les règles encadrant leurs activités n’offrent notamment pas un cadre répressif avec des peines adaptées à la nature d’infractions comme le financement du terrorisme ou la complicité pour crimes contre l’humanité. Des efforts ont, certes, été déployés au niveau international pour les rendre responsables de leurs actions, comme l’adoption en 2011 par le Conseil des droits de l’homme des <a href="https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Publications/GuidingPrinciplesBusinessHR_FR.pdf">Principes directeurs des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme</a>. L’absence d’un régime de responsabilité pénale internationale spécifique pour ces entités suggère néanmoins qu’elles pourraient potentiellement esquiver toute responsabilité pour leurs actions.</p>
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<p>Tel a été le cas dans l’affaire <a href="https://www.internationalcrimesdatabase.org/Case/43/Presbyterian-Church-Of-Sudan-v-Talisman-Energy/"><em>Presbyterian Church of Sudan et al. v. Talisman Energy, Inc. and the Republic of the Sudan</em></a>. Des plaignants avaient intenté une action en justice contre l’entreprise Talisman Energy en vertu de l’<em>Alien Tort Statute</em>, une loi américaine de 1789 accordant aux tribunaux fédéraux compétence sur les affaires civiles déposées par des étrangers pour des violations du droit international. Ils alléguaient que cette société pétrolière canadienne était complice de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de graves violations des droits humains perpétrés par le gouvernement soudanais dans les régions pétrolifères où elle opérait. En 2009, la requête a été rejetée et la société n’a pas été tenue pénalement responsable en raison pour partie d’un manque de preuves, mais surtout de la quasi-impossibilité d’engager la responsabilité d’une société transnationale sur le fondement du droit international. Un tel précédent a laissé planer l’ombre de l’impunité des sociétés transnationales et entretenu, à leur égard, le mythe d’une irresponsabilité pénale.</p>
<p>Face à l’inadéquation des mécanismes généraux de la responsabilité internationale et à une société civile de plus en plus déterminée à lutter contre l’impunité des personnes morales, la mise en examen de Lafarge apparaît comme un précédent qui pourrait relancer le débat sur la question de la pénalisation des activités des sociétés transnationales. Lafarge est, en effet, la première société transnationale au monde, en tant que personne morale, à être mise en examen sur le fondement de complicité de crimes contre l’humanité. Les juges français vont ainsi, quelle que soit l’issue du procès, poser d’importants jalons susceptibles d’inspirer une évolution de la justice pénale internationale.</p>
<p>Ces jalons seront d’autant plus importants que d’autres affaires similaires sont en cours. L’association Sherpa, avec d’autres, a notamment déposé une <a href="https://www.asso-sherpa.org/complicite-de-crimes-de-guerre-au-yemen-une-plainte-deposee-contre-des-entreprises-darmement-francaises">plainte pénale</a> contre plusieurs entreprises d’armement pour leur éventuelle complicité dans des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité présumés au Yémen, lesquels auraient été commis grâce à l’exportation d’armes vers l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.</p>
<hr>
<p><em>Kadoukpè Babaodi, étudiant en Master 2 à l’Institut des droits de l’homme de l’Université catholique de Lyon a également contribué à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223499/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Maia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les firmes multinationales semblent parfois jouir d’une forme d’impunité pénale. Que la justice française se saisisse du cas Lafarge pourrait bien marquer une rupture d’envergure.Catherine Maia, Professeure de droit international à l’Université Lusófona (Portugal) et professeure invitée à Sciences Po Paris (France), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2229602024-02-15T14:10:56Z2024-02-15T14:10:56ZL’IA au cœur de la stratégie israélienne à Gaza<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/575644/original/file-20240214-22-anab9e.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C12%2C1698%2C896&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Capture d’écran d’une vidéo de l’armée israélienne diffusée le 2&nbsp;novembre 2023 montrant des frappes sur la bande de Gaza.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.idf.il/%D7%90%D7%AA%D7%A8%D7%99-%D7%99%D7%97%D7%99%D7%93%D7%95%D7%AA/%D7%99%D7%95%D7%9E%D7%9F-%D7%94%D7%9E%D7%9C%D7%97%D7%9E%D7%94/%D7%9B%D7%9C-%D7%94%D7%9B%D7%AA%D7%91%D7%95%D7%AA/%D7%94%D7%A4%D7%A6%D7%95%D7%AA/%D7%9E%D7%9C%D7%97%D7%9E%D7%94-%D7%9E%D7%98%D7%A8%D7%95%D7%AA-%D7%A9%D7%94%D7%95%D7%AA%D7%A7%D7%A4%D7%95-%D7%9B%D7%95%D7%97%D7%95%D7%AA-%D7%A6%D7%94-%D7%9C-%D7%90%D7%92%D7%A3-%D7%94%D7%9E%D7%95%D7%93%D7%99%D7%A2%D7%99%D7%9F-%D7%97%D7%99%D7%9C-%D7%94%D7%90%D7%95%D7%95%D7%99%D7%A8-%D7%97%D7%99%D7%9C-%D7%94%D7%99%D7%9D/">Israeli Defence Forces</a></span></figcaption></figure><p>À la fin du mois de novembre 2023, les autorités israéliennes indiquaient que, dans les 35 premiers jours du conflit à Gaza, elles avaient frappé plus de 15 000 cibles – soit trois fois plus qu’au cours des 51 jours qu’avait duré l’opération <a href="https://www.idf.il/fr/minisites/tsahal-au-passe/guerres-et-operations/operation-bordure-protectrice-2014/">« Bordure protectrice »</a>, en 2014.</p>
<p>Quelques jours plus tard, le magazine d’investigation israélien <em>+972</em> dévoilait une <a href="https://www.972mag.com/mass-assassination-factory-israel-calculated-bombing-gaza/">enquête</a> révélant les raisons de ce rythme effréné : un programme informatique dopé à l’intelligence artificielle (IA) surnommé <em>Habsora</em> – l’Évangile en français – et fonctionnant comme une « <a href="https://www.idf.il/%D7%90%D7%AA%D7%A8%D7%99-%D7%99%D7%97%D7%99%D7%93%D7%95%D7%AA/%D7%99%D7%95%D7%9E%D7%9F-%D7%94%D7%9E%D7%9C%D7%97%D7%9E%D7%94/%D7%9B%D7%9C-%D7%94%D7%9B%D7%AA%D7%91%D7%95%D7%AA/%D7%94%D7%A4%D7%A6%D7%95%D7%AA/%D7%9E%D7%9C%D7%97%D7%9E%D7%94-%D7%9E%D7%98%D7%A8%D7%95%D7%AA-%D7%A9%D7%94%D7%95%D7%AA%D7%A7%D7%A4%D7%95-%D7%9B%D7%95%D7%97%D7%95%D7%AA-%D7%A6%D7%94-%D7%9C-%D7%90%D7%92%D7%A3-%D7%94%D7%9E%D7%95%D7%93%D7%99%D7%A2%D7%99%D7%9F-%D7%97%D7%99%D7%9C-%D7%94%D7%90%D7%95%D7%95%D7%99%D7%A8-%D7%97%D7%99%D7%9C-%D7%94%D7%99%D7%9D/">usine à cibles</a> », 24 heures sur 24.</p>
<p>D’après l’article, ce système capable de traiter des masses de données très hétérogènes et issues de différentes branches du renseignement serait utilisé par Tsahal pour identifier les cibles potentielles de la campagne de bombardements, mais aussi pour estimer à l’avance le nombre de victimes civiles.</p>
<h2>Un recours massif à l’intelligence artificielle</h2>
<p>En Israël, le recours à ce type de technologies n’est pas nouveau : Tsahal a, en effet, érigé la supériorité technologique face à ses adversaires en objectif clé, notamment dans le cadre de son plan de modernisation, mis en œuvre en 2019 et baptisé <a href="https://fr.timesofisrael.com/tsahal-devoile-son-momentum-plus-destructeur-et-rapide-moyennant-financement/">« Momentum »</a>. En 2021, déjà, l’opération « Gardien des Murs » avait été qualifiée par l’armée israélienne de <a href="https://www.jpost.com/arab-israeli-conflict/gaza-news/guardian-of-the-walls-the-first-ai-war-669371">« première guerre de l’intelligence artificielle »</a>.</p>
<p>Ainsi que l’<a href="https://www.ynetnews.com/magazine/article/ry0uzlhu3">expliquait</a> il y a quelques mois l’ancien chef d’état-major Aviv Kochavi, le programme <em>Habsora</em> avait été utilisé pour générer une centaine de cibles par jour, dont la moitié avaient effectivement été engagées. Il rappelait, à titre de comparaison, que jusqu’alors une cinquantaine de cibles étaient identifiées chaque année dans les territoires palestiniens.</p>
<p>Comme l’exposait en juin 2022 la chercheuse Liran Antebi <a href="https://www.calameo.com/cesa/read/00694028836ec273548b7">dans les colonnes de la revue <em>Vortex</em></a>, l’État hébreu s’appuie sur au moins quatre logiciels dans ses opérations contre le Hamas : <em>Alchemist, Gospel (Habsora), Depth of Wisdom</em> et <em>Fire Factory</em>.</p>
<p>Si le fonctionnement précis de ces systèmes, vraisemblablement conçus par la célèbre <a href="https://www.lepoint.fr/monde/israel-ces-unites-militaires-secretes-ou-poussent-des-start-up-15-12-2023-2547150_24.php">unité 8 200</a>, est difficile à établir, il semble qu’<em>Alchemist</em> facilite les ripostes en cas d’attaque visant le territoire israélien ; que <em>Depth of Wisdom</em> cartographie les sols et les sous-sols de la bande de Gaza (pour repérer les tunnels du Hamas) ; qu’<em>Habsora</em> définit les cibles les plus pertinentes ; tandis que <em>Fire Factory</em> génère en temps réel des plans de frappe par avions et par drones, en fonction du type de cible. C’est grâce à ces technologies de pointe que l’armée israélienne est désormais capable de frapper plusieurs centaines de cibles par jour.</p>
<p>Ces logiciels permettent d’automatiser la constitution des « dossiers d’objectifs » préalables aux missions aériennes. Ces dossiers comportent des cartes et des images satellite de localisation des cibles ; ils précisent également les types de munitions à privilégier, ainsi que les points d’impact potentiels et les conséquences probables des frappes.</p>
<p>En croisant ces données, les programmes suggèrent automatiquement des cibles, sur le modèle des <a href="https://dommagescivils.wordpress.com/2012/12/25/signature-strike/"><em>signature strikes</em> américaines</a> qui agrègent les caractéristiques communes d’individus impliqués dans des actes terroristes pour en dégager des « schémas » ou « patterns of life ». La CIA a ainsi ciblé des individus dont l’identité n’était pas formellement confirmée, mais dont un ensemble de données (localisation, équipement, âge, sexe, etc.) permettait de les associer à des combattants d’organisations terroristes.</p>
<h2>Une « usine à assassinats de masse »</h2>
<p>L’auteur de l’enquête de <em>+972</em>, Yuval Abraham, expose dans une <a href="https://www.democracynow.org/2023/12/1/israel_gaza_war_gospel_artificial_intelligence">interview</a> au média américain <em>Democracy Now</em> que ces programmes informatiques ont été développés pour la <em>Target Division</em> de Tsahal, afin de remédier à la pénurie de cibles dont avaient pâti les forces israéliennes lors de leurs opérations précédentes à Gaza. L’armée de l’air s’était en effet trouvée plusieurs fois à court d’objectifs, alors que demeurait une forte pression politique pour continuer la guerre.</p>
<p>Le journaliste israélien alerte toutefois sur la « politique du chiffre » dont découle cette capacité à identifier des centaines d’objectifs chaque jour. Il relate ainsi que les militaires auprès desquels il a enquêté estiment être « jugés sur la quantité de cibles qu’ils arrivent à désigner, pas sur leur qualité », dans le but de créer un effet de choc au sein de la population gazaouie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1730936319705026620"}"></div></p>
<p>Cette multiplication des frappes occasionne cependant un nombre colossal de victimes, majoritairement civiles.</p>
<p>Le bilan depuis le 7 octobre a ainsi dépassé les 27 000 morts à Gaza, dont les deux tiers <a href="https://www.liberation.fr/checknews/quelle-est-la-proportion-de-combattants-du-hamas-parmi-les-plus-de-26-000-personnes-tuees-a-gaza-20240129_RUGTGURDFJHXBOZCSETFW34BHA/">ne sont pas des combattants</a>, d’après les chiffres avancés par les autorités israéliennes. Le recours à des techniques d’intelligence artificielle autorise donc Tsahal à <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/dec/01/the-gospel-how-israel-uses-ai-to-select-bombing-targets">intensifier ses frappes</a>, mais ne permet pas pour autant de limiter les « dommages collatéraux », ce qui peut sembler paradoxal.</p>
<h2>Une « riposte disproportionnée » ?</h2>
<p>L’emploi de l’IA dans un nombre croissant de systèmes d’armes est présenté comme porteur d’une plus grande mesure dans le recours à la force, car permettant davantage de précision dans les frappes. Le cas d’<em>Habsora</em> démontre au contraire que ces technologies peuvent aussi être employées pour intensifier les campagnes aériennes en augmentant la cadence des frappes – causant donc plus de dommages humains et matériels parmi les civils. La retenue dans l’usage de la force ne dépend donc pas d’instruments techniques, mais bien d’une volonté politique.</p>
<p>Dans le cadre de l’opération « Glaives de fer », qui a débuté le 11 octobre 2023, deux objectifs militaires ont été fixés à l’armée israélienne : l’éradication du Hamas d’une part, et la libération des près de 240 otages détenus dans Gaza depuis le 7 octobre d’autre part.</p>
<p>Ces objectifs ont toutefois été vivement critiqués en Israël. D’abord parce que, comme l’a pointé le <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/2023-12-16/ty-article/.premium/israels-two-war-aims-meet-for-a-fatal-clash-every-day-in-gaza-endangers-hostages/0000018c-73d3-d798-adac-f7ff8ca30000">journaliste d’<em>Haaretz</em> Amos Harel</a>, ils sont en partie contradictoires, les otages étant susceptibles de périr lors de bombardements ou lors d’échanges de tirs entre les geôliers et Tsahal ; la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/12/16/l-armee-israelienne-reconnait-avoir-tue-par-accident-trois-otages-lors-d-une-operation-dans-la-bande-de-gaza_6206133_3210.html">mort tragique d’otages</a> abattus par l’armée israélienne alors qu’ils avaient réussi à s’échapper en est un exemple cruel.</p>
<p>Ils semblent en outre difficilement réalisables sur le plan tactique. Le Hamas est une organisation biface : si sa branche armée s’est rendue coupable d’actions terroristes de masse, il n’en reste pas moins perçu par une partie du peuple palestinien comme un parti capable d’organiser une résistance. Son éradication militaire ne serait donc pas synonyme de sa défaite politique ou idéologique.</p>
<p>Le gouvernement israélien est donc confronté à un dilemme : comment cibler le Hamas de façon adéquate tout en sauvant les otages ? Depuis la seconde Intifada (2000-2005), Tsahal a oscillé entre deux approches de l’emploi de la force. La première, extrêmement précise, se traduit par des campagnes de « prévention ciblée » visant à éliminer les hauts responsables ennemis – du Hamas, mais aussi du Hezbollah ou de l’Iran. Cette approche apporte des succès tactiques : elle permet de réduire le niveau de menace pesant sur Israël en ralentissant le rythme des attaques, en privant les organisations ciblées de compétences essentielles, et en compliquant les communications entre les chefs, contraints de se cacher.</p>
<p>La seconde approche consiste au contraire à riposter de manière disproportionnée, afin de dissuader l’action armée. Cette option se décline en de multiples théorisations, dont la plus célèbre est « la doctrine Dahiya », du nom d’un quartier de Beyrouth rasé par l’aviation israélienne en 2006.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1726988377239453757"}"></div></p>
<p>Gadi Eisenkot, ancien chef d’état-major israélien – et qui fait désormais partie du cabinet de guerre – avait ainsi déclaré dans une <a href="https://www.haaretz.com/2008-10-05/ty-article/analysis-idf-plans-to-use-disproportionate-force-in-next-war/0000017f-db22-d856-a37f-ffe216460000">interview</a> à <em>Haaretz</em> en 2008 :</p>
<blockquote>
<p>« Ce qui est arrivé à Dahiya à Beyrouth en 2006 arrivera à tous les villages qui servent de base à des tirs contre Israël. Nous ferons un usage de la force disproportionné et y causerons de grands dommages et destructions. Ce n’est pas une suggestion mais un plan qui a été approuvé. »</p>
</blockquote>
<p>La <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/01/02/israel-autorise-la-destruction-punitive-de-maisons-de-terroristes-palestiniens_4548355_3218.html">destruction des maisons des familles de Palestiniens accusés de terrorisme</a> s’inscrit également dans cette idée d’utilisation de la force à des fins dissuasives et dans une logique de responsabilité collective, qui vise à rendre insupportable aux Palestiniens les conséquences de toute action armée.</p>
<p>L’opération <a href="https://www.idf.il/fr/minisites/guerre-contre-le-hamas/glaive-de-fer-compte-rendu-en-temps-reel/">« Glaive de fer »</a> conjugue donc ces deux approches, ainsi que leurs travers. D’une part, la perception du Hamas par l’état-major de Tsahal semble réduite aux quatre dirigeants responsables de la branche militaire : Yahya Sinouar et son frère Mohammed Sinouar, Abu Ubaida et Mohammed Deif. Incapable de les localiser et de les éliminer, l’armée israélienne offre une image de défaite, en dépit de l’intense campagne militaire en cours. <a href="https://www.jpost.com/israel-hamas-war/article-778002">Des tracts</a> ont ainsi été largués dans Gaza promettant une récompense à tous les Gazaouis détenant des informations sur ces quatre hommes.</p>
<p>Le cabinet de guerre semble quant à lui pencher pour la <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2009-4-page-75.htm">riposte disproportionnée</a>, afin de restaurer le régime de dissuasion qui s’est écroulé le 7 octobre. Cette stratégie est néanmoins contraire à l’un des principes cardinaux du droit international humanitaire (DIH) : l’obligation pour les armées de distinguer entre civils et combattants.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-gaza-larmee-israelienne-respecte-t-elle-le-droit-international-217394">À Gaza, l’armée israélienne respecte-t-elle le droit international ?</a>
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<p>Certes, le DIH admet que des civils meurent au cours de frappes, mais seulement si l’objectif militaire anticipé est décisif, et si toutes les précautions ont été prises pour éviter ces morts.</p>
<p>D’après les informations recueillies par <em>+972</em>, le programme <em>Habsora</em> permet de connaître précisément le nombre de civils susceptibles d’être tués lors d’une frappe. Le calcul de proportionnalité de Tsahal a donc manifestement évolué : Yuval Abraham rapporte ainsi qu’alors que jusqu’au 7 octobre une dizaine de victimes collatérales étaient tolérées pour éliminer un membre exécutif du Hamas, plus d’une centaine de morts civiles seraient désormais acceptées pour en neutraliser un membre subalterne.</p>
<p>Cette évolution explique la destruction d’immeubles entiers pour abattre une unique cible répertoriée, comme en témoigne la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/conflit-a-gaza-le-camp-de-refugies-de-jabaliya-de-nouveau-bombarde">frappe sur le camp de réfugiés de Jabaliya</a>, le 31 octobre 2023, qui visait un seul des dirigeants de l’attaque du 7 octobre et qui a fait 126 morts, <a href="https://airwars.org/observation/entire-family-killed/">selon le collectif Airwars</a>.</p>
<p>Ces exemples tendent à montrer que le recours à des technologies avancées ne conduit pas à l’avènement d’une guerre plus « propre » : les algorithmes ne sont ici pas utilisés pour limiter les dommages collatéraux, mais pour cibler plus massivement, avec un ratio particulièrement élevé de victimes civiles, et ce en connaissance de cause.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1712718931171967426"}"></div></p>
<h2>Le piège de la guerre asymétrique</h2>
<p>L’analyse de la campagne militaire de l’armée israélienne conduit enfin à s’interroger sur son efficacité stratégique. Alors que les plus hauts responsables militaires de l’attaque du 7 octobre sont encore en vie, terrés dans les tunnels de Gaza, l’offensive militaire est de plus en plus critiquée à l’international, en raison du grand nombre de civils tués. La Cour internationale de justice, saisie par l’Afrique du Sud, a ainsi <a href="https://aoc.media/analyse/2024/01/29/afrique-du-sud-c-israel/">constaté un risque de génocide à Gaza</a>, fragilisant le soutien occidental à l’État hébreu.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/israel-devant-la-cour-internationale-de-justice-celle-ci-est-elle-devenue-un-substitut-a-un-conseil-de-securite-dysfonctionnel-220727">Israël devant la Cour internationale de justice : celle-ci est-elle devenue un substitut à un Conseil de sécurité dysfonctionnel ?</a>
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<p>Or ce soutien est vital pour Israël, qui <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/les-americains-plus-prompts-a-aider-tel-aviv-que-kiev-1988555">bénéficie d’une aide militaire américaine de 3,8 milliards de dollars par an</a>. Certains de ses équipements militaires clés sont achetés aux États-Unis, dont une cinquantaine d’avions F35. Sur le plan opérationnel, l’envoi de deux porte-avions américains en Méditerranée immédiatement après le 7 octobre a été décisif pour dissuader l’Iran de profiter du chaos dans lequel Israël était plongé pour attaquer. Dans un tel contexte, un abandon du soutien américain aurait des conséquences majeures sur la politique de défense israélienne.</p>
<p>Sur le plan local, les morts et blessés civils nourrissent le ressentiment des Gazaouis envers Israël, ce qui a pour effet de les pousser dans les bras du Hamas plutôt que de les en détourner. Un enfant de Gaza ayant vécu les guerres de 2014, de 2021, puis de 2023 sera sans doute plus susceptible d’être séduit par la rhétorique guerrière du Hamas que de devenir un partenaire stable avec lequel construire une paix durable dans la région.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.awrad.org/files/server/polls/polls2023/Public%20Opinion%20Poll%20-%20Gaza%20War%202023%20-%20Tables%20of%20Results.pdf">sondage</a> réalisé le 14 novembre par le <em>Arab World for Research and Development</em> auprès des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, 76 % des personnes interrogées déclaraient ainsi qu’elles avaient une vision positive du Hamas ; en septembre, <a href="https://www.foreignaffairs.com/israel/israels-failed-bombing-campaign-gaza">27 % seulement</a> des personnes interrogées dans ces deux territoires estimaient que le Hamas était « celui qui méritait le plus de représenter le peuple palestinien ».</p>
<p>Comment, alors, expliquer le choix d’Israël de recourir à une intense campagne de bombardements, avec l’aide d’<em>Habsora</em> ? L’État hébreu semble avoir été pris dans le <a href="https://quillette.com/2023/12/01/gaza-and-the-asymmetry-trap/">« piège de la guerre asymétrique »</a> : l’effroi et la colère des Israéliens à la suite des massacres du 7 octobre ont incité le gouvernement Nétanyahou à mettre en œuvre une réponse politique forte, dont la pertinence militaire pose aujourd’hui question.</p>
<p>En l’absence d’une solution politique, Israël risque de s’épuiser dans une guerre sans issue. Le 7 octobre a déjà montré les limites du « tout technologique », lorsque le mur réputé infranchissable entre Israël et les territoires palestiniens a été déjoué par des membres armés du Hamas. Le ciblage intensif permis par <em>Habsora</em> peut donner une nouvelle fois au peuple israélien l’illusion d’une victoire sur le Hamas, alors que les leaders militaires de ce dernier n’ont pas été éliminés et que le grand nombre de victimes civiles risque d’aliéner à Israël l’appui de ses soutiens internationaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222960/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le recours systématique à l’IA pour désigner les cibles palestiniennes et décider de l’intensité des frappes est, pour l’instant en tout cas, loin d’avoir porté ses fruits.Laure de Roucy-Rochegonde, Chercheuse au Centre des études de sécurité de l'Institut français des relations internationales (Ifri), chercheuse associée au Centre de recherches internationales (Ceri, Sciences Po/CNRS), Sciences Po Amélie Férey, Chercheuse et responsable du Laboratoire de recherche sur la Défense, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2187362023-12-07T17:32:02Z2023-12-07T17:32:02ZLe Haut-Karabakh arménien : suite et fin<p>Dans mon dernier <a href="https://theconversation.com/vers-un-exode-force-des-armeniens-du-haut-karabakh-200390">article</a>, « Vers un exode forcé des Arméniens du Haut-Karabakh ? », daté du 21 mars 2023 et consacré aux effets du blocus du corridor de Latchine, qui à l’époque entrait dans son quatrième mois, j’anticipais l’éventualité d’un exode <em>progressif</em> de la population vers l’Arménie si ce blocus se pérennisait. Six mois plus tard, l’exode avait bien lieu, mais il était précipité et <em>massif</em>.</p>
<p>Les 19-20 septembre 2023, à l’issue de neuf mois de siège ayant laissé la population exsangue, l’Azerbaïdjan lançait une offensive éclair et venait à bout de la République du Haut-Karabakh (connue aussi sous le nom arménien d’Artsakh). Cet État non reconnu internationalement, qui s’était proclamé indépendant de l’Azerbaïdjan en 1991, capitula au bout de 24 heures au cours desquelles, d’après le <a href="https://www.ombuds.am/images/files/e76a3b67b4a56fadb3271705e33eeec5.pdf">rapport préliminaire</a> du défenseur des droits arménien, plus de 200 soldats et une dizaine de civils, dont cinq enfants, trouvèrent la mort. Au moins 40 autres civils furent blessés, dont 13 enfants.</p>
<p>Dans la semaine qui suivit, la totalité de la population du Haut-Karabakh fut contrainte de fuir, en panique, laissant derrière elle ses maisons mais aussi une terre ancestrale où la présence arménienne avait été continue pendant plus de deux millénaires.</p>
<h2>Le nettoyage ethnique, une constante du conflit</h2>
<p>Ce développement tragique représente l’aboutissement d’une politique de nettoyage ethnique engagée vis-à-vis des Arméniens de cette région en septembre 2020 lors de la <a href="https://www.irsem.fr/media/logos-partenaires-portail/10-retex-44-jours-sur-le-haut-karabakh.pdf">guerre des 44 jours</a>. À l’issue de ces six semaines d’affrontements, l’Azerbaïdjan avait <a href="https://theconversation.com/haut-karabagh-cessez-le-feu-sur-une-ligne-de-faille-geopolitique-149958">réussi à s’emparer des trois quarts des territoires</a> jusqu’alors contrôlés par les forces arméniennes, y compris du tiers de la région du Haut-Karabakh elle-même, <a href="https://theconversation.com/le-haut-karabakh-aux-prises-avec-les-sequelles-de-la-guerre-la-vie-sur-fond-de-nouveau-statu-quo-152962">forçant déjà à l’exil quelque 30 000 Arméniens des régions de Hadrout, Choucha/-i, de villages de la région de Martouni et de Talish</a>.</p>
<p>Cet épisode venait confirmer de manière brutale la constante qui s’était établie entre les parties dès la fin des années 1980 : chaque fois qu’un territoire passait sous l’autorité militaire d’une des parties, les populations civiles de la partie adverse étaient chassées.</p>
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<p>Dans les années 1990, lors de la première guerre du Haut-Karabakh (1991-1994), le nettoyage ethnique avait été employé successivement par les forces armées des deux côtés. Les Arméniens avaient ainsi <a href="https://2001-2009.state.gov/p/eur/rls/or/13508.htm">chassé</a> des centaines de milliers d’Azéris et de Kurdes habitant dans les districts adjacents au Haut-Karabakh entre 1993 et 1994, après avoir été eux-mêmes déportés des villages situés à la frontière de l’Oblast autonome du Nagorno-Karabakh (établie en 1923 par les autorités soviétiques et incluse dans la RSS d’Azerbaïdjan) lors de l’opération <a href="https://www.hrw.org/reports/1992BloodshedinCauc--EscalationinNK.pdf">Anneau</a> lancée en 1991 par l’Azerbaïdjan conjointement avec les forces soviétiques, ce pour décourager le mouvement d’unification du Haut-Karabakh avec l’Arménie. Parallèlement, les violences à caractère ethnique forcèrent, dès 1988, la totalité des Arméniens d’Azerbaïdjan et des Azéris d’Arménie et du Haut-Karabakh à émigrer.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/dksudO6O4mE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Débat sur la situation au Haut-Karabakh tenu dans le cadre du Forum Normandie pour la Paix, le 30 septembre 2023.</span></figcaption>
</figure>
<p>Pourtant, pendant les longs mois de blocus de 2022-2023, soit par ignorance, soit par commodité, et ce alors même que l’Azerbaïdjan resserrait toujours plus l’étau autour du Haut-Karabakh, les diplomates européens appuyèrent le discours de l’intégration imposé par Bakou sans qu’aucune feuille de route n’ait jamais été proposée à cet effet. </p>
<p>Ainsi, le préfixe de « Haut- », proscrit par Bakou comme témoignant d’un irrédentisme arménien (il établissait historiquement la distinction géographique entre un Haut-Karabakh montagneux habité majoritairement par des Arméniens et un bas Karabakh des plaines majoritairement azerbaïdjanais), disparaissait des <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/09/01/statement-by-the-spokesperson-of-charles-michel-president-of-the-european-council-regarding-armenia-and-azerbaijan/">communiqués</a> de l’UE, tandis que le nom de Stepanakert, capitale du Haut-Karabakh, où habitaient plus de 60 000 Arméniens, se voyait désormais relégué au second plan au profit de « <a href="https://twitter.com/ToivoKlaar/status/1677973607991869443?t=omPY05HNho74OR0juJ-AKg&s=19">Khankendi</a> », une appellation azerbaïdjanaise également dictée depuis Bakou. </p>
<p>Cette validation indirecte de l’oblitération du caractère arménien de la région n’est pas sans rapport avec l’assurance qu’afficha le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliev, dans l’imposition de l’issue violente qui vida le Haut-Karabakh de sa population arménienne autochtone. </p>
<h2>Derniers jours au Haut-Karabakh</h2>
<p>Entre le 24 septembre, date à laquelle l’Azerbaïdjan ouvrit finalement le corridor de Latchine, et les premiers jours d’octobre, la totalité des Arméniens du Haut-Karabakh (plus de 100 000 personnes) affluèrent en masse vers l’Arménie. Une <a href="https://www.azatutyun.am/a/32637483.html">dizaine d’habitants identifiés</a> seulement décidèrent de rester, certains d’origine russe et quelques personnes isolées ou invalides.</p>
<p>Une colonne de voitures gigantesque se forma depuis la capitale Stepanakert jusqu’à la ville arménienne frontalière de Kornitzor. Il fallait une quarantaine d’heures pour effectuer un trajet qui, en temps normal, demandait deux heures tout au plus. <a href="https://twitter.com/AvetissianAn/status/1718707447244689600">64 personnes</a> auraient trouvé la mort au cours de ce long périple, faute d’eau, de nourriture, de médicaments, de secours.</p>
<p>Pour ajouter au malheur, <a href="https://www.rferl.org/a/fuel-explosion-casualities-nagorno-karabakh-armenia-azerbaijan/32608746.html">l’explosion à Stepanakert d’une citerne de pétrole</a> acheminée par les soldats de la <a href="https://www.ledevoir.com/monde/589459/haut-karabakh-la-russie-deploie-ses-forces-de-maintien-de-la-paix">force russe de maintien de la paix déployée après la guerre des 44 jours</a> pour permettre l’évacuation causa plus de 200 morts et des centaines de blessés.</p>
<p>Tout ce que ces dizaines de milliers de réfugiés purent emporter de leur terre natale devait rentrer dans un coffre de voiture – quand ceux-ci avaient la chance d’en avoir une et avaient trouvé du carburant. Beaucoup ne purent rien emporter du tout car la place dans les bus bondés faisait cruellement défaut. Quand une voiture tombait en panne au milieu de la route, ses passagers étaient forcés de tout abandonner sur place pour tenter de trouver un autre moyen de transport. Près d’une personne sur trois arrivant en Arménie était un <a href="https://twitter.com/UNICEF_ECA/status/1716795220841431238">enfant</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1707276188597600455"}"></div></p>
<p>Quand le 10 novembre 2023, à Erevan, je rencontre Nariné, une amie de Stepanakert que je n’avais plus revue depuis l’été 2022, date de mon dernier séjour dans la région, elle me raconte le calvaire des derniers jours :</p>
<blockquote>
<p>« Lorsque le cessez-le-feu fut annoncé, le 20 septembre, nous pensions que nous pourrions retourner vivre dans nos maisons. Ces derniers mois, on vivait, il est vrai, sans électricité, sans pain, mais on s’y était habitués. Jamais on n’aurait cru, même dans les pires moments, que nous devrions partir. Mais ensuite, on annonça la capitulation, notre armée et nos institutions allaient être démantelées. Des milliers de réfugiés que les Russes avaient évacués des régions encerclées par l’ennemi erraient dans les rues de Stepanakert. Il était devenu évident qu’ils ne pourraient pas rentrer chez eux. Ils attendaient d’être évacués vers l’Arménie. Ils étaient tous affamés, apeurés, ils avaient froid. On brûlait tout ce qu’on trouvait, même nos vêtements, pour faire des feux dans les cours pour se réchauffer un peu et préparer un repas. Les derniers jours, l’eau qui coulait des robinets était devenue verdâtre, elle n’était plus filtrée. »</p>
</blockquote>
<p>Nariné était tombée enceinte pendant le blocus. En août, elle fit une fausse couche. Au cours de cette période, le nombre de fausses couches au Haut-Karabakh avait <a href="https://www.opendemocracy.net/en/5050/mothers-nagorno-karabakh-artsakh-armenia-azerbaijan-children/">triplé</a>. </p>
<p>Tigran, lui, m’explique que l’ouverture du corridor de Latchine, accompagnée de l’annonce de l’amnistie pour tout homme ayant déposé les armes, fut perçue par les Artsakhiotes comme une fenêtre de secours qui pouvait se refermer très vite : </p>
<blockquote>
<p>« Pendant des mois, nous avons été hantés par la peur d’être arrêtés au checkpoint pour avoir combattu. Les rumeurs sur l’existence de listes de noms d’hommes recherchés par l’Azerbaïdjan, l’enlèvement de Vagif, les humiliations lors des contrôles… C’est pourquoi, quand il fut annoncé que tout le monde pourrait partir avant que les Azéris ne rentrent dans Stepanakert, beaucoup ont perçu ça comme la seule chance de s’échapper et d’éviter les persécutions. »</p>
</blockquote>
<p>(Vagif Khachatryan, un patient âgé transporté en urgence par le CICR vers l’Arménie pour y recevoir des soins adaptés à ses difficultés cardiaques, fut arrêté et détenu par les soldats azéris au moment de passer le checkpoint azerbaïdjanais sur le corridor de Latchine. Il fut ensuite transféré à Bakou où il fut jugé par un tribunal militaire et <a href="https://twitter.com/ArtsakhOmbuds/status/1722291944494088245">condamné</a> à quinze ans de prison, lors d’un simulacre de procès.)</p>
<h2>Le triomphe de la realpolitik ?</h2>
<p>On aurait pu penser que le temps du nettoyage ethnique pour régler des disputes territoriales était révolu au XXI<sup>e</sup> siècle. Pourtant, l’Azerbaïdjan a remis au goût du jour l’ingénierie des déportations héritée de l’Union soviétique.</p>
<p>Pour Ilham Aliev les conditions étaient réunies pour mener cette entreprise à son terme. La Russie qui, nous l’avons dit, avait déployé en novembre 2020 une force de maintien de la paix dans le Haut-Karabakh pour garantir le statu quo censé assurer la présence arménienne, était dorénavant trop accaparée en Ukraine.</p>
<p>Dans un alignement complet sur Bakou, le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, afin de contrecarrer les avancées dans les négociations arméno-azerbaïdjanaises engagées par les Occidentaux, <a href="https://eurasianet.org/russia-says-karabakh-armenians-need-to-accept-azerbaijani-rule">finit par concéder</a> que les Arméniens du Haut-Karabakh devaient accepter les assurances de l’Azerbaïdjan et s’intégrer sans les garanties de droit et de sécurité exigées par l’Arménie et l’Union européenne. Le 19 septembre, lors de l’attaque azerbaïdjanaise, les soldats russes se sont simplement retirés de leurs positions et ont laissé les Arméniens à leur triste sort.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/xbPEvvVrbUM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>L’UE, qui s’était félicitée de ses <a href="https://france.representation.ec.europa.eu/informations/lue-et-lazerbaidjan-renforcent-leurs-relations-bilaterales-y-compris-leur-cooperation-dans-le-2022-07-18_fr">accords gaziers conclus avec l’Azerbaïdjan à l’été 2022</a> pour contourner la dépendance au gaz russe tout en se présentant, sous l’égide du président du Conseil européen, Charles Michel, comme médiatrice alternative au format de négociations autour du Haut-Karabakh, longtemps dominé par Moscou, a fait mine de n’avoir rien vu venir. Ilham Aliev aurait apparemment <a href="https://www.foreignaffairs.com/armenia/end-nagorno-karabakh">promis</a> à ses interlocuteurs occidentaux qu’il n’attaquerait pas le Haut-Karabakh. C’est donc dans une position embarrassante que l’Union est apparue au moment où l’exode des Arméniens battait son plein.</p>
<p>Non seulement le gaz importé de la Caspienne ne sert pas à pénaliser la Russie, bien au contraire – <a href="https://www.civilnet.am/en/news/681416/is-azerbaijan-selling-russian-gas-to-europe/">c’est en partie du gaz russe estampillé azéri qui parvient à l’UE</a> – mais, une fois obtenu ce qu’il désirait du format européen (la <a href="https://www.politico.eu/article/armenia-vow-recognize-azerbaijan-nagorno-karabakh-tensions/">reconnaissance</a> par l’Arménie du Haut-Karabakh comme étant partie intégrante de l’Azerbaïdjan et la complaisance des dirigeants européens vis-à-vis de ses provocations militaires sur le terrain), c’est vers la Russie que l’Azerbaïdjan s’est tourné entièrement, <a href="https://www.reuters.com/world/azerbaijans-aliyev-skip-eu-talks-with-armenia-angry-with-france-state-media-2023-10-04/">fustigeant</a> toute tentative de médiation occidentale.</p>
<p>Les diplomates européens firent pourtant preuve de beaucoup de zèle pour tenter d’apaiser l’Azerbaïdjan. Le jour de l’attaque du 19 septembre, Toivo Klaar, le représentant spécial de l’UE pour le Caucase du Sud et la crise en Géorgie, est même allé jusqu’à valider, dans un <a href="https://twitter.com/ToivoKlaar/status/1704078605918069248">tweet</a>, le prétexte donné par Bakou pour lancer son <a href="https://www.rferl.org/a/azerbaijan-armenia-karabakh-mine-explosions/32599318.html">opération</a> dite « anti-terroriste » : l’explosion d’une mine ayant fait six victimes azerbaïdjanaises la veille de l’offensive, présentée par Bakou comme une action commise par des « groupes de sabotage arméniens ».</p>
<p>La veille, le 18 septembre, le <a href="https://www.rferl.org/a/armenia-nagorno-karabakh-humanitarian-aid-azerbaijan/32597670.html">passage simultané de deux camions d’aide humanitaire</a> vers Stepanakert, l’un depuis la ville azerbaïdjanaise d’Agdam, l’autre par le corridor de Latchine, après neuf mois de blocus, avait été célébré par ces mêmes diplomates comme le résultat de leurs efforts. </p>
<h2>Consolidation autoritaire en Azerbaïdjan, craintes pour la souveraineté de l’Arménie</h2>
<p>La guerre profite au régime autoritaire d’Ilham Aliev, qui présente la victoire de 2020 contre les Arméniens comme un triomphe dans une guerre patriotique. De nombreux monuments à la gloire du président, notamment des poings de fer massifs, devenus le symbole par excellence d’un triomphalisme personnalisé, poussèrent comme des champignons en Azerbaïdjan, y compris sur les territoires repris aux forces arméniennes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1408692144504770561"}"></div></p>
<p>Aliev se met en scène comme seul chef de guerre – lui qui n’a jamais servi dans l’armée –, tantôt <a href="https://asbarez.com/after-raising-azerbaijani-flag-in-stepanakert-aliyev-again-vows-military-action/">piétinant</a> un drapeau artsakhiote, tantôt lançant des diatribes contre l’Arménie, la menaçant de son poing de fer, toujours en uniforme militaire. La victoire de 2020, qui avait été accueillie par une frange de l’opposition azerbaïdjanaise comme une opportunité de <a href="https://neweasterneurope.eu/2023/08/09/in-the-beginning-was-the-violence/">démocratisation</a>, ne fit que marginaliser davantage le résidu de société civile qui a été, ces dernières années, <a href="https://www.amnesty.org/en/location/europe-and-central-asia/azerbaijan/report-azerbaijan/">durement malmenée</a>.</p>
<p>En juillet 2023, <a href="https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/azerbaidjan-autorites-liberer-immediatement-economiste-gubad">Goubad Ibadoghlu</a>, un économiste enseignant à la London School of Economics, était arrêté à son arrivée à Bakou et jeté en prison. En cause, notamment, ses recherches sur les <a href="http://real.mtak.hu/170662/">problèmes</a> que pose l’accord gazier entre l’UE et l’Azerbaïdjan en termes de dépendance de l’UE au gaz russe. Les rares voix s’étant élevées pour condamner l’attaque du 19 septembre ont été muselées par une <a href="https://www.meydan.tv/en/article/azerbaijani-anti-war-voices-silenced-activists-detained-as-freedom-of-speech-fades/">série d’arrestations</a>. Depuis, les persécutions contre des <a href="https://www.hrw.org/news/2023/11/22/azerbaijan-crackdown-independent-media">journalistes</a> et autres figures de la société civile se sont intensifiées. </p>
<p>Lors de son arrestation le 20 novembre, Ulvi Hasanli, rédacteur en chef d’<em>Abzas Media</em>, un des rares médias indépendants d’Azerbaïdjan, s’est vu <a href="https://twitter.com/AltayRashidoglu/status/1726612789475557822">reprocher</a> par les policiers qui venaient l’interpeller d’écrire sur la corruption au lieu de chanter la victoire dans le Karabakh. Abzas Media est notamment connu pour ses <a href="https://globalvoices.org/2023/12/03/in-azerbaijan-five-journalists-arrested-in-ten-days/">investigations</a> sur la corruption au cœur des projets de construction entrepris par les autorités de l’Azerbaïdjan au Karabakh depuis 2020.</p>
<p>Dans un contexte où la politique du conflit permanent avec l’Arménie permet au régime de maintenir le monopole absolu du pouvoir en interne, il est à craindre qu’une normalisation avec Erevan ne soit pas à l’ordre du jour pour les autorités azerbaïdjanaises. Soucieux d’éviter à tout prix une guerre sur son sol (à ce jour quelque 215 km<sup>2</sup> de <a href="https://www.civilnet.am/en/news/697545/azerbaijan-has-occupied-at-least-215-square-kilometers-of-armenian-territory-since-2020/">territoire</a> arménien sont occupés par l’Azerbaïdjan), qu’il n’a ni le moyen de mener, encore moins d’en triompher, le gouvernement arménien a, pour sa part, adopté une stratégie de concessions. Celle-ci s’est soldée, in fine, par l’expulsion des Arméniens du Haut-Karabakh.</p>
<p>Aujourd’hui, la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-reportage-de-la-redaction/le-reportage-de-la-redaction-emission-du-mardi-03-octobre-2023-3732554">crainte d’une invasion par l’Azerbaïdjan du Syunik</a> (la région Sud de l’Arménie), convoitée notamment afin de relier le pays à sa province du Nakhitchevan et ainsi créer une continuité territoriale avec la Turquie, est réelle, y compris en <a href="https://www.aljazeera.com/news/2022/10/22/iran-opens-consulate-in-armenias-kapan-to-deliver-a-message">Iran</a>. Malgré la récente initiative diplomatique du premier ministre arménien Nikol Pachinian visant à établir un réseau de connexions routières à travers le Caucase du Sud avec son <a href="https://armenianweekly.com/2023/11/01/pashinyan-presents-crossroads-of-peace-pursuing-regional-connectivity/">projet de « carrefours de la paix »</a>, de nombreuses tensions persistent entre les parties.</p>
<p>L’Arménie, dont la <a href="https://oc-media.org/russia-blocks-armenian-goods-over-sanitary-concerns/">relation avec la Russie est au plus bas</a>, cherche des gages de sécurité en Occident et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/27/apres-la-trahison-de-la-russie-l-armenie-cherche-de-nouveaux-allies-pour-assurer-sa-securite_6202549_3210.html">tente de se réarmer auprès d’autres acteurs</a>, tels que la France et l’Inde. Mais face à une alliance Bakou-Moscou-Ankara contre l’Arménie, si celle-ci venait à se former, cette dernière pourra-t-elle compter sur le soutien matériel de l’Occident ? Il est permis d’en douter, surtout au regard des développements au Proche-Orient. L’Azerbaïdjan apparaît comme un maillon important de l’alliance occidentale contre l’Iran, et ses <a href="https://iari.site/2023/10/18/beyond-borders-the-israel-azerbaijan-understanding-between-containment-and-cooperation/">liens avec Israël</a>, notamment dans les secteurs de l’<a href="https://www.newsweek.com/map-iron-dome-systems-1833552">armement</a> et de l’énergie, sont extrêmement solides.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218736/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>J'ai bénéficié d'une bourse FRESH du FNRS. Aujourd'hui je bénéficie d'une bourse de l'Université libre de Bruxelles (ULB). </span></em></p>La présence arménienne semble avoir pris définitivement fin au Haut-Karabakh, récupéré par l’Azerbaïdjan en septembre dernier.Anita Khachaturova, Doctorante, Centre d'Étude de la Vie politique (CEVIPOL), Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2177892023-11-20T14:41:00Z2023-11-20T14:41:00ZLes projets financés par la branche du secteur privé du Groupe de la Banque mondiale alimentent les conflits armés : il est temps de réformer le système<p>Dans quelle mesure l'investissement privé aide-t-il les pays en développement à réduire les conflits et la violence et à atteindre les <a href="https://sdgs.un.org/#goal_section">Objectifs de développement durable</a> ? </p>
<p>Cette question est très débattue. La plupart des institutions internationales, telles que le groupe de la Banque mondiale, estiment que le problème réside dans <a href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/738131573041414269/pdf/Closing-the-SDG-Financing-Gap-Trends-and-Data.pdf">l'insuffisance de l'investissement privé</a>. Elles mobilisent donc des ressources publiques pour subventionner et protéger les acteurs du secteur privé dans le but d'accroître considérablement les investissements étrangers directs. </p>
<p>Pendant ce temps, les défenseurs des communautés, du travail et des droits de l'homme - en particulier dans les pays fragiles et touchés par des conflits - ont plutôt tendance à considérer les modèles dominants d'investissement direct étranger comme faisant partie d'une histoire continue <a href="https://www.oxfam.org/en/research/suffering-others">d'exploitation des pays en développement</a>.</p>
<p>Pour contribuer à éclairer ce débat, nous avons entrepris <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4540583">une étude approfondie</a> de milliers de projets de la<a href="https://www.ifc.org/en/home">Société financière internationale</a>(IFC), la branche du Groupe de la Banque mondiale qui s'occupe du secteur privé. Nous nous sommes concentrés sur la période allant de 1994 à 2022. </p>
<p>Nous avons choisi l'IFC parce qu'elle prétend investir pour atteindre le développement. Elle prétend également appliquer les normes les plus élevées en matière de performances sociales et environnementales. En outre, de nombreux autres acteurs privés et publics suivent son exemple en matière de définition des normes. Si l'IFC se trompe, ce serait un bon indicateur de la situation du système mondial au sens large. Nous avons axé notre étude sur la relation entre les projets de l'IFC et les conflits armés, car la violence a un effet négatif évident sur le développement humain. </p>
<p>Les résultats montrent que les projets de l'IFC sont à l'origine d'une augmentation significative des conflits armés dans le monde. Un seul projet provoque en moyenne 7,6 conflits armés supplémentaires dans l'année qui suit son lancement. Ces résultats sont en adéquation avec <a href="https://www.jstor.org/stable/3877872">d'autres grandes études quantitatives</a> qui remettent en question la relation entre l'investissement direct étranger et le développement. Les investissements directs étrangers qui <a href="https://www.tommasosonno.com/docs/GlobalizationConflict_TommasoSonno.pdf">accroissent les conflits violents</a> et rendent le développement presque impossible semblent être la règle, et non l'exception.</p>
<p>Nous concluons que les approches actuelles de l'investissement étranger doivent être réexaminées de toute urgence, en mettant particulièrement l'accent sur le risque de conflit violent.</p>
<h2>Notre méthodologie</h2>
<p>De nombreux facteurs influencent les conflits violents, notamment l'histoire des relations entre les groupes et entre l'État et la société. L'étude a donc utilisé des analyses économétriques sophistiquées pour isoler l'impact de l'IFC. </p>
<p>Nous avons d'abord géolocalisé les projets de l'IFC et noté les années au cours desquelles ils ont été approuvés. Nous avons ensuite vérifié si les conflits armés avaient augmenté dans la région proche du projet de l'IFC au cours de l'année suivante. Nous avons identifié d'autres facteurs - tels que la présence de groupes politiquement exclus, le PIB, le type de régime ou la taille de la population - qui ont une incidence sur les conflits. </p>
<p>Dans l'analyse, nous avons pris soin de faire correspondre et de comparer une zone de projet de l'IFC avec les zones sans projet de l'IFC qui lui sont le plus similaires. Enfin, nous avons pris en compte et vérifié la possibilité que les conflits proliféraient déjà avant l'arrivée du projet de l'IFC. En excluant ces autres raisons qui peuvent expliquer les conflits, nous avons été en mesure d'établir des relations de cause à effet raisonnables. </p>
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Read more:
<a href="https://theconversation.com/three-priorities-africas-newbie-on-the-world-bank-board-should-focus-on-181521">Three priorities Africa's newbie on the World Bank board should focus on</a>
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<p>Fait inquiétant, l'étude a révélé que l'augmentation des conflits armés était concentrée dans des projets que l'IFC avait indiqués aux parties prenantes locales et internationales comme présentant des risques environnementaux ou sociaux potentiels limités. Elle a affirmé que ces risques pouvaient être facilement pris en charge par des mesures d'atténuation. Ces mesures d'atténuation semblent être soit inefficaces, soit sous-utilisées. Par ailleurs, il est possible que l'IFC fait un mauvais classement des projets comportant des risques de conflit plus élevés et qu'il ne veut pas le reconnaître ou le rendre public.</p>
<p>Un exemple particulièrement troublant est la <a href="http://www.humanrightscolumbia.org/sites/default/files/SIPA%20Listening%20to%20community%20voices%20on%20effective%20remedy%20-%20final.pdf">campagne de terreur contre les citoyens locaux</a> menée par le gouvernement ougandais pour céder des terres à un client de l'IFC. L'IFC n'a toujours pas donné suite aux plaintes déposées par des activistes en 2019 pour <a href="https://www.cao-ombudsman.org/cases/liberia-salala-rubber-corporation-src-01margibi-bong-counties">violence sexiste et menaces de représailles et d'intimidation</a> à l'encontre de l'un de ses partenaires de projet, Salala Rubber Corporation au Libéria.</p>
<p>L'étude a également démontré que les projets à forte intensité de capital (c'est-à-dire l'agro-industrie, le pétrole, le gaz, l'exploitation minière et les infrastructures) ont une plus grande propension à causer des perturbations socio-politiques et socio-économiques. Les régions qui reçoivent des projets à forte intensité de capital connaissent, en moyenne, un décès de plus dû à un conflit armé au cours de l'année suivante.</p>
<h2>Pas au-dessus de la loi</h2>
<p>Ces résultats ne devraient peut-être pas surprendre. Les organisations de la société civile concluent depuis longtemps que l'IFC donne la priorité à ses propres profits et intérêts commerciaux au détriment des <a href="https://www.oxfam.org/en/research/suffering-others">“souffrances d'autrui”</a> contribuant ainsi à <a href="https://digitalcommons.csbsju.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1159&context=social_encounters">“diversifier les instruments qui conduisent à l'extraction, la dépossession et au conflit”</a>. En 2020, Human Rights Watch a décrit l'IFC comme <a href="https://www.hrw.org/news/2020/08/24/world-bank-group-failing-remedies-project-abuses%22">“étant défaillante sur les recours aux abus commis dans le cadre de projets</a>. Cette affirmation se fondait sur <a href="https://www.worldbank.org/en/about/leadership/brief/external-review-of-ifc-miga-es-accountability">l'étude commanditée par le Groupe de la Banque mondiale lui-même</a>.</p>
<p>Pourtant, la stratégie de l'IFC a consisté à se placer au-dessus de la loi. Elle continue de revendiquer l'immunité souveraine. Elle affirme qu'en tant qu'organisation internationale, <a href="https://brill.com/view/journals/iolr/16/1/article-p105_105.xml">elle ne devrait pas être responsable</a> devant les tribunaux nationaux, même à l'égard des parties qu'elle reconnaît avoir lésées. </p>
<p>Elle maintient cette position en dépit des <a href="https://theintercept.com/2023/10/17/world-bank-whistleblower-bridge-international/">récents rapports</a> faisant état de la complicité de l'IFC dans la dissimulation des abus sexuels commis sur des enfants afin de favoriser ses projets d'investissement. </p>
<p>Il est grand temps que les 186 gouvernements membres de l'IFC exigent la transparence, la responsabilité et la réparation des préjudices causés par l'institution et les acteurs du secteur privé qu'elle finance. D'autres parties prenantes peuvent également jouer un rôle. Les gouvernements qui ont peut-être naïvement compté sur le prestige de la Banque mondiale devraient remettre en question les avantages qu'on leur a dit pouvoir attendre des investissements de l'IFC. Les agences de notation qui classent les obligations de l'IFC comme positives d'un point de vue environnemental, social et de gouvernance devraient remettre en question les bases sur lesquelles ces notations sont faites.</p>
<p>Dans le même temps, peut-être devrait-on accorder plus de crédit aux récents <a href="https://www.un.org/en/desa/un-secretary-general-calls-radical-transformation-global-finan-cial-system-tackle-pressing">appels du secrétaire général des Nations unies</a> en faveur de la réforme du système financier mondial pour mieux soutenir la sécurité humaine et le développement humain. </p>
<p>Cela pourrait inclure des intermédiaires spécialisés entre l'IFC et des projets sensibles dans des endroits difficiles. Un contrôle local indépendant et renforcé semble nécessaire pour garantir des formes plus inclusives et responsables d'analyse contextuelle et de planification de l'atténuation des risques, de suivi et d'évaluation de l'impact du développement, de gestion proactive des conflits et de réparation accessible pour les préjudices subis. Cela pourrait <a href="https://issafrica.org/iss-today/conflict-environments-need-a-peacebuilding-approach-to-business-development">réduire les conflits violents et permettre davange de tirer parti du potentiel de développement de l'investissement privé</a> dans les pays en développement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217789/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ce travail fait partie du projet Peace Positive Private Sector Development in Africa (P3A), financé par le Conseil de la recherche de Norvège. Un financement supplémentaire a été reçu de l'Initiative de financement de la paix.</span></em></p>Un seul projet d'IFC entraine en moyenne 7,6 conflits armés supplémentaires dans l'année qui suit son lancementBrian Ganson, Professor and Head, Centre on Conflict & Collaboration, Stellenbosch UniversityAnne Spencer Jamison, Assistant Professor of International Economics, Government, and Business, Copenhagen Business SchoolWitold Jerzy Henisz, Vice Dean and Faculty Director, ESG Inititative; Deloitte & Touche Professor of Management, University of PennsylvaniaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2170302023-11-08T20:45:39Z2023-11-08T20:45:39ZFalloujah 2004 : un modèle de bataille urbaine pour Israël comme pour le Hamas<p>Lorsqu’on envisage la guerre urbaine, plusieurs images viennent spontanément à l’esprit : soldats américains prisonniers du tissu urbain à <a href="https://journals.openedition.org/rha/7214">Mogadiscio</a> (1993), tireurs tchétchènes tirant au lance-roquette sur des colonnes de chars russes en plein <a href="https://theconversation.com/finlande-1939-tchetchenie-1994-ukraine-2022-pourquoi-les-guerres-russes-se-ressemblent-elles-181730">Grozny</a> (1994-1996), IED (engins explosifs improvisés) explosant dans les rues de <a href="https://abcnews.go.com/WNT/story?id=280897">Falloujah</a> (2004)…</p>
<p>Au cours des années 1990 et 2000, les guerres asymétriques se sont de plus en plus déroulées dans les villes. Durant ces deux décennies, les tactiques des groupes non étatiques, voire terroristes, ont considérablement évolué. Ces groupes ont su de mieux en mieux employer le pouvoir égalisateur de la ville dans leurs affrontements avec des armées conventionnelles.</p>
<p>Dans le contexte actuel de l’offensive lancée par Tsahal à Gaza, en quoi les affrontements urbains des années 2000 nous permettent-ils d’anticiper les doctrines et tactiques que le Hamas pourrait mettre en œuvre à Gaza City ? Pour répondre à cette interrogation, il semble pertinent d’analyser ce laboratoire de guerre asymétrique qu’a été la <a href="https://www.letemps.ch/monde/images-combats-falloujah-revelent-face-cachee-victoire-americaine">deuxième bataille de Falloujah</a> pour Al-Qaida en Irak en novembre 2004, et d’examiner sous ce prisme le visage que pourrait prendre la bataille naissante à Gaza City. </p>
<p>Le parallèle entre Gaza et Falloujah s’impose comme une évidence puisque les deux affrontements mettent en scène une armée conventionnelle moderne confrontée au défi d’occuper et de sécuriser un environnement urbain contrôlé par une organisation terroriste (Al-Qaida en Irak pour Falloujah, le Hamas à Gaza).</p>
<h2>Falloujah 2004 : une bataille maison par maison</h2>
<p>Les sources relatives à la seconde bataille de Falloujah (la <a href="https://www.britannica.com/event/First-Battle-of-Fallujah">première</a>, de moindre ampleur, avait eu lieu quelques mois plus tôt), recueillis dans <a href="https://www.armyupress.army.mil/Portals/7/Primer-on-Urban-Operation/Documents/EyewitnessToWar_VolumeI.pdf">« Eyewitness to war »</a>, une compilation de témoignages de vétérans de Falloujah, font clairement ressortir une concentration systématique des affrontements urbains vers de micro-espaces confinés.</p>
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<p>Le lieutenant-colonel James Rainey, alors commandant de l’une des unités en tête de l’attaque de Falloujah (le deuxième bataillon du 7<sup>e</sup> régiment de cavalerie) (ici et plus bas, toutes les citations sont de militaires américains ayant pris part à la bataille, et issues de « Eyewitness to war »), insiste particulièrement sur cet aspect de la bataille de Falloujah :</p>
<blockquote>
<p>« La stratégie fondamentale de l’ennemi consistait à installer des poches de trois ou quatre hommes dans les bâtiments et à attendre que nous y entrions afin de nous priver de tous les avantages que nous avions sur eux. »</p>
</blockquote>
<p>L’abandon à l’armée américaine des voies de circulation et des espaces ouverts de la ville s’explique par la volonté de l’insurrection irakienne organisée par Al-Qaida de réduire l’asymétrie entre sa puissance de feu limitée et celle, très supérieure, de son adversaire. En maintenant le combat en zone confinée, les troupes insurgées espèrent échapper au soutien blindé dont disposent les troupes américaines engagées dans l’attaque de Falloujah.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/QkapAVwrx60?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ce confinement du champ de bataille permet aussi de se prémunir contre l’arme aérienne et la capacité américaine à observer l’ennemi via ses satellites et ses drones – ce qu’on peut appeler son « omniscience zénithale ». En effet, l’offensive sur Falloujah de novembre 2004 fait suite à un véritable siège aérien entamé depuis le retrait des troupes américaines de la ville en avril.</p>
<p>Au cours de ce siège, l’aviation américaine a pu systématiquement frapper les positions insurgées visibles depuis le ciel, ainsi que les djihadistes empruntant les principaux axes de la ville. Cette campagne de bombardements s’est accompagnée d’un exode massif des populations civiles, privant ainsi Al-Qaida de boucliers humains potentiels.</p>
<p>L’omniscience zénithale de l’armée américaine, la régularité des frappes aériennes et la puissance des appuis blindés ont certainement persuadé les insurgés d’Al-Qaida d’abandonner leurs positions fortifiées mais exposées situées au nord-est de la ville, dans le quartier d’Askari notamment, pour se replier à l’intérieur des habitations. Privés de mobilité, empêchés de combattre sur les grandes artères de la ville, les insurgés se sont donc vus contraints de se cantonner à un combat confiné, dans de micro-espaces.</p>
<p>De même, à Gaza, l’absence de résistance significative à la progression rapide des blindés de Tsahal le long des grandes artères, et notamment le <a href="https://www.dimsumdaily.hk/israeli-tanks-enter-gaza-city-cutting-key-road-and-dividing-territory/">long de la route Salaheddine et de la N10</a>, semble confirmer que le Hamas entend reproduire la doctrine d’Al-Qaida en Irak : <a href="https://www.afpc.org/publications/articles/the-gaza-ground-war-what-to-expect">délaisser les points d’embuscade en zone ouverte pour se concentrer sur les <em>kill zones</em></a>, ces micro-espaces conçus et aménagés pour tuer les militaires ennemis et non pour conserver un territoire.</p>
<p>Tout comme à Falloujah en 2004, le combat urbain à Gaza pourrait donc se confiner dans des espaces densément bâtis. À Falloujah, l’essentiel des <em>kill zones</em> aménagées par les défenseurs se situait dans le quartier du Jolan. Comme cela sera plus tard le cas de la vieille ville de Gaza pour le Hamas, ce quartier de Falloujah présentait plusieurs avantages pour les insurgés : particulièrement dense, le Jolan possédait une voirie extrêmement étroite qui l’enclavait, comme le souligne un vétéran américain :</p>
<blockquote>
<p>« Le 3-1 (le 3<sup>e</sup> bataillon du 1<sup>er</sup> régiment de cavalerie) se situe à la jonction de la ligne Kathy, prêt à longer la rivière pour frapper le cœur du Jolan. Le 2-7 (le deuxième bataillon du 7<sup>e</sup> régiment de cavalerie) ne peut se diriger vers l’ouest de la ville parce que les rues sont trop étroites et denses, c’est donc un pur combat d’infanterie. »</p>
</blockquote>
<p>La nature du tissu urbain, dense et étroit, privait les forces américaines de soutien blindé et réduisait les distances d’engagement, rendant ainsi difficiles les tirs indirects (aviation et artillerie). Ces atouts en faisaient un espace privilégié pour les <em>kill zones</em>, comme pourrait le devenir aujourd’hui Gaza City pour le Hamas.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/9-0IBfJhlnw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le Hamas pourrait aussi s’inspirer des micro-aménagements qu’Al-Qaida en Irak avait mis en place à Falloujah en 2004. Les <em>kill zones</em> conçues à Falloujah exploitaient au maximum les opportunités qu’offre l’habitat arabe, celui-ci étant utilisé comme un piège destiné à enfermer les soldats américains dans un micro-champ de bataille particulièrement favorable aux insurgés :</p>
<blockquote>
<p>« Dans chacun de ces bâtiments, il y avait des “trous de souris” (Mouse Holes). Si vous entriez par la porte, vous étiez confronté à des trous percés dans les murs partout dans la pièce – au-dessus, à l’arrière, sur les côtés – tous concentrés dans la pièce centrale dans laquelle vous entriez. C’était une “kill zone” et il était impossible d’en sortir vivant. »</p>
</blockquote>
<p>Les <em>kill zones</em> irakiennes reposaient ainsi sur un ensemble d’aménagements destinés à transformer les maisons d’habitation en véritables pièges. Tout d’abord, les insurgés condamnaient les portes secondaires et les fenêtres afin d’obliger les forces américaines à pénétrer dans la maison par la porte principale. Puis ils perçaient des « trous de souris », un ensemble d’ouvertures permettant de créer des angles de tir ad hoc à l’intérieur de la maison, souvent concentrées sur la pièce principale et l’entrée du bâtiment.</p>
<p>Ces trous de souris avaient trois fonctions : exposer les soldats américains sans couverture à des tirs directs, les empêcher de s’échapper de la <em>kill zone</em> et, enfin, rendre impossible l’acheminement de renforts. Ainsi refermé, le piège isolait complètement les soldats américains du reste du champ de bataille tout en les plaçant dans une situation désastreuse.</p>
<p>Après l’embuscade, les insurgés pouvaient enfin compter sur les « rat holes », ou trous de rats, un réseau de tunnels leur permettant de circuler de maison en maison :</p>
<blockquote>
<p>« L’ennemi a également creusé des “trous de rats” reliant entre eux des bâtiments différents. N’oubliez pas que tous ces bâtiments sont entourés de murs ; les trous de rats permettaient à l’ennemi de se déplacer d’un bâtiment à l’autre […]. Quand nous entrions dans un bâtiment, ils passaient par ces “trous de rats” pour se réfugier dans le bâtiment voisin ; et ils revenaient une fois que nous avions nettoyé le bâtiment et l’avions quitté. »</p>
</blockquote>
<p>En plus d’exposer les soldats américains, ces <em>kill zones</em> garantissaient donc des axes de repli aux insurgés qui pouvaient alors les utiliser pour se projeter sur les arrières de l’ennemi ou pour abandonner le combat et rejoindre la population civile.</p>
<h2>La ville comme piège</h2>
<p>Ces aménagements conçus pour transformer la ville en piège destinée à tuer pourraient être mis en œuvre à grand échelle par le Hamas dans Gaza City où le tissu urbain est propice à de telles <em>kill zones</em>. Ainsi n’est-il pas impossible que les « trous de rats » d’Al-Qaida puissent servir de modèle aux tunnels du <a href="https://videos.lesechos.fr/lesechos/sujet-actus/le-metro-de-gaza-le-labyrinthe-souterrain-du-hamas/qzkrruu">« métro de Gaza »</a> du Hamas.</p>
<p>Dès lors, la bataille de Falloujah en novembre 2004 constitue bien un précieux retour d’expérience (<em>retex</em>) pour les armées conventionnelles en proie à la guérilla urbaine, comme le montre la réalisation du <a href="https://www.rtbf.be/article/baladia-la-mini-gaza-ou-les-soldats-israeliens-de-tsahal-sentrainent-pour-la-guerre-urbaine-contre-le-hamas-11281111">camp israélien d’entraînement au combat urbain de Badalia</a>, réplique parfaite d’une ville arabe conçue en 2005 en plein désert du Néguev avec l’aide de l’armée américaine et de ses enseignements tirés de Falloujah. D’ailleurs, fin octobre, le major général américain James Glynn, qui a combattu à Falloujah en 2004, <a href="https://www.thenationalnews.com/world/us-news/2023/10/30/general-glynn-israel-advice/">s’est rendu en Israël pour apporter son expertise à Tsahal</a>.</p>
<p>Mais Falloujah reste avant tout un laboratoire qui a permis de renouveler les stratégies des groupes terroristes en milieu urbain, ce qui ne sera pas sans influence sur les tactiques qu’utilisera le Hamas face à Tsahal. Le <a href="https://www.gov.il/en/Departments/General/hamas-manual-on-urban-warfare">manuel de guérilla urbaine du Hamas</a> saisi par Tsahal en 2014 à Gaza lors de l’opération <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_2014_num_60_1_4747">« Bordure protectrice »</a> comporte sans doute des enseignements tirés par le Hamas des doctrines et tactiques utilisées par Al-Qaida en Irak. Malheureusement, ce document n’est pas, à l’heure actuelle, entièrement mis à la disposition des chercheurs. Mais une chose est certaine : pour le Hamas à Gaza comme pour Al-Qaida à Falloujah en 2004, la ville n’est plus pensée comme un territoire, une forteresse à défendre, mais plutôt comme une arme destinée à tuer des soldats ennemis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217030/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Firode ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À Falloujah, en 2004, les soldats américains s’étaient heurtés à une résistance acharnée des insurgés. Cette guerre urbaine est porteuse de nombreuses leçons pour l’engagement de Tsahal à Gaza.Pierre Firode, Professeur agrégé de Géographie, membre du laboratoire Médiations, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2164552023-10-29T18:09:24Z2023-10-29T18:09:24ZAccompagner les soignants en contexte de crise<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/556150/original/file-20231026-19-xp740a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Photo d'illustration, mai 2015. Des chirurgiens népalais opèrent un homme blessé lors du tremblement de terre à Katmandou.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://flickr.com/photos/dfid/16770648263/in/album-72157650067001014/">Russell Watkins/DFID/FlickR</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>L’actualité nationale et internationale nous rappelle sans cesse l’engagement et l’implication des soignants auprès de personnes traumatisées aux quatre coins du monde.</p>
<p>Qu’il s’agisse de catastrophes naturelles, de guerres, de pandémies ou d’attentats terroristes, les soignants sont toujours en première ligne pour secourir la population victime exposée aux divers traumatismes liés aux blessures, à la mort violente ou à l’exposition à des événements tragiques. Ils constituent de potentiels <a href="https://www.em-consulte.com/article/1094866/les-tuteurs-de-resilience-des-enfants-et-adolescen">tuteurs de résilience</a> dans la mesure où les personnes victimes peuvent s’appuyer sur ces professionnels (médecins, infirmiers, psychologues, travailleurs sociaux…) pour encaisser le choc, préalable à un travail d’élaboration du traumatisme et de deuil.</p>
<p>Mais si les victimes arrivent ainsi à atténuer leur souffrance, qu’en est-il de la santé mentale des soignants qui, tout en étant exposés à la détresse traumatique des patients, peuvent eux-mêmes être touchés directement par ces mêmes événements tragiques ?</p>
<p>La pandémie du Covid-19 nous a alertés sur la souffrance des soignants et sur la nécessité d’en prendre soin. En France, dans un climat de peur et en un élan de solidarité, on les applaudissait tous les soirs à la fenêtre pour les soutenir et leur témoigner notre reconnaissance.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-lourd-impact-de-lepidemie-de-covid-sur-la-sante-mentale-des-medecins-liberaux-en-france-184784">Le lourd impact de l’épidémie de Covid sur la santé mentale des médecins libéraux en France</a>
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<p>Passée la vague pandémique, les soignants sont comme oubliés à nouveau. Pourtant, ils continuent de faire face aux restes traumatiques de cette pandémie et de bien d’autres tragédies.</p>
<h2>Des catastrophes en série</h2>
<p>Les séismes en <a href="https://theconversation.com/pourquoi-il-y-a-des-seismes-en-cascade-en-turquie-et-en-syrie-199350">Turquie</a> et au <a href="https://theconversation.com/pour-une-analyse-geographique-des-catastrophes-le-cas-du-seisme-du-8-septembre-au-maroc-213668">Maroc</a> en février et en septembre 2023, les inondations en <a href="https://theconversation.com/la-tragedie-de-derna-en-libye-catastrophe-naturelle-responsabilites-humaines-215025">Libye</a> en septembre 2023, le séisme en <a href="https://theconversation.com/cascade-de-seismes-en-afghanistan-une-sequence-jamais-vue-215750">Afghanistan</a> en octobre 2023, pour ne citer que quelques exemples de catastrophes naturelles récentes, ainsi que les derniers bombardements du conflit israélo-palestinien ont mobilisé et mobilisent encore des soignants locaux et internationaux.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-il-y-a-des-seismes-en-cascade-en-turquie-et-en-syrie-199350">Pourquoi il y a des séismes en cascade en Turquie et en Syrie</a>
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<p>Plus près de nous, en France, la série d’assassinats au couteau d’enseignants (Agnès Lassalle en février 2023, Dominique Bernard en octobre 2023, Samuel Paty trois ans plus tôt) dans l’espace scolaire appelle l’intervention des soignants à court, moyen et long terme, directement et indirectement, dans divers lieux de soin (hôpitaux, centres médico-psychologiques, écoles, cabinets libéraux…).</p>
<p>Les soignants interviennent dans le temps court de l’événement et assurent des suivis au long cours, qui leur rappellent à chaque fois les drames à l’origine des prises en charge. En Haïti, par exemple, des psychologues qui sont intervenus lors du séisme de janvier 2010 continuent encore d’accueillir, sur place et à l’étranger, des <a href="https://www.theses.fr/s257536">récits traumatiques, liés à l’actualité sociopolitique difficile dans ce pays, qui réactivent ceux de l’événement sismique</a>.</p>
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<h2>Distinguer traumatismes intentionnels et non intentionnels</h2>
<p>Certains soignants ont directement vécu les événements sur place. D’autres sont arrivés en renfort. Certains sont confrontés à des traumatismes non intentionnels (séismes, inondations…) et/ou intentionnels (guerres, attentats…). La littérature scientifique montre qu’on se relève plus facilement d’un trauma non intentionnel que d’un <a href="https://www.cairn.info/psychopathologie-des-violences-collectives--9782738118882.htm">trauma intentionnel</a>. En effet, quand le trauma est d’origine humaine et intentionnelle, la victime est touchée plus profondément dans son identité et son humanité. L’intentionnalité attaque l’identification à l’autre, la confiance interhumaine et le lien social.</p>
<p>Parfois, ces deux formes de traumatismes sont concentrées chez une même population confrontée, en plus, aux dérives de l’aide humanitaire. Par exemple, lors du séisme en Haïti, certaines victimes du séisme ont subi des <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/psychological-medicine/article/abs/sexual-victimization-ptsd-depression-and-social-support-among-women-survivors-of-the-2010-earthquake-in-haiti-a-moderated-moderation-model/461FDAB73E3A424DB7FD20D82476BFD2">agressions sexuelles dans les camps ou dans des lieux d’accueil</a>. Le travail des soignants est alors d’autant plus compliqué qu’ils doivent intervenir en urgence, se concentrer sur des gestes très techniques (traitement) tout en étant dans une certaine présence à l’autre (soin).</p>
<p>Les <a href="https://www.ssph-journal.org/articles/10.3389/ijph.2023.1605986/full">leçons apprises lors du séisme de janvier 2010 en Haïti</a> nous ont montré la nécessité de tenir compte de la complexité traumatique et de soutenir en même temps les patients, les soignants/patients et les soignants locaux et internationaux mais aussi de tenir compte de la culture locale lors des séances de <em>debriefing</em>.</p>
<h2>Traumatismes des soignants, culpabilité et fatigue de compassion</h2>
<p>Les traumatismes des soignants peuvent avoir plusieurs sources. Il y a d’abord le <a href="https://sfap.org/system/files/fatigue_de_compassion_et_trauma_vicariant.pdf">trauma vicariant</a>, c’est-à-dire le traumatisme des professionnels en contact avec des patients traumatisés. Les soignants peuvent parfois présenter les mêmes symptômes que les patients, dans une sorte de partage du traumatisme.</p>
<p>Certains doivent faire face au <a href="https://theconversation.com/syndrome-de-la-seconde-victime-quand-les-erreurs-de-soins-impactent-les-soignants-189607">syndrome de la seconde victime</a>. En effet, en temps normal, les erreurs diagnostiques ou d’appréciation restent possibles, avec parfois des conséquences irréversibles pour les patients. Elles mettent alors les professionnels dans des états de stress post-traumatique. Dans les interventions d’urgence, elles peuvent être particulièrement culpabilisantes car le souci de faire vite peut entraîner des décisions aux conséquences malheureuses (amputations, décès, etc.).</p>
<p>Un autre type de trauma s’observe chez des soignants qui ne peuvent pas porter secours à cause des contraintes géopolitiques, du fait des protocoles d’intervention ou par manque de moyens. Cela affecte leur conscience professionnelle rongée par ce qui relève d’une <a href="https://esprit.presse.fr/article/daniel-derivois/haiti-angle-mort-44369">« non-assistance à peuple en danger »</a>.</p>
<p>C’est le cas <a href="https://esprit.presse.fr/article/daniel-derivois-jude-mary-cenat-amira-karray/le-syndrome-de-l-aquarius-41874">d’humanitaires qui n’ont pas pu porter secours aux migrants</a> en détresse en Méditerranée en juin 2018 ; c’est le cas aussi d’un spécialiste de la chirurgie de la main qui a été obligé d’amputer un patient parce qu’il fallait pratiquer la chirurgie de guerre en Haïti (séisme de 2010) ou de médecins obligés d’opérer sans anesthésie comme cela est <a href="https://www.courrierinternational.com/article/drame-a-gaza-les-ruines-de-l-hopital-al-ahli-debordent-de-cadavres-et-de-restes-humains">relaté actuellement dans des hôpitaux à Gaza</a>. On peut aussi souligner le cas des soignants des urgences dans les hôpitaux en France par exemple qui, par manque de moyens, sont obligés de refuser ou de laisser attendre des personnes en situation critique.</p>
<p>Ces situations peuvent entraîner de la culpabilité et amener à l’épuisement professionnel et à la dépression. Face au sentiment d’impuissance et aux affects forts que mobilisent ces situations extrêmes, les soignants peuvent aussi vivre la <a href="https://sfap.org/system/files/fatigue_de_compassion_et_trauma_vicariant.pdf">fatigue de compassion</a> Quand, <a href="https://www.erudit.org/en/journals/rqpsy/2017-v38-n3-rqpsy03258/1041839ar.pdf">dans certains cas</a>, ils sont touchés, au même titre que la population qu’ils soignent, par les contextes traumatiques (Covid, guerres, crises sociales, politiques, etc.), la fatigue est décuplée, ce qui nécessite un étayage adéquat.</p>
<h2>Prendre soin des soignants sur place, sinon à distance</h2>
<p>Certes, certains soignants (psychologues, psychiatres, médecins urgentistes, pompiers…) sont formés pour intervenir en situation traumatique, prendre du recul et gérer leurs émotions. Ils ont quand même besoin de soutien et d’espace pour exprimer et comprendre ce qu’ils éprouvent dans les situations de crise.</p>
<p>Les autres professionnels (humanitaires non soignants comme les logisticiens, par exemple, enseignants, éducateurs…), mais aussi des bénévoles, sont frappés de plein fouet par ces traumatismes cumulatifs qui les mettent dans un état de sidération pouvant altérer leurs interventions. Ils ont donc besoin d’être accompagnés, étayés, soutenus et reconnus dans leur démarche. Les dispositifs d’analyse de la pratique, de supervision, qui consistent à les aider à comprendre leurs émotions et à ajuster leurs postures professionnelles, s’avèrent alors indispensables, avant, pendant, après leurs interventions.</p>
<p>L’accompagnement peut s’opérer sur place ou à distance. Dans le cas de la crise syrienne, par exemple, une expérience auprès de soignants/réfugiés intervenant en zone frontalière a montré le quotidien traumatique des soignants qui partagent dans un même espace-temps le traumatisme de la population dans un climat d’insécurité et de violence extrême. En raison de l’accès difficile à cette région, la <a href="https://www.erudit.org/en/journals/rqpsy/2017-v38-n3-rqpsy03258/1041839ar.pdf">prise en charge psychologique de ces soignants/réfugiés, assurée par une psychologue d’une ONG</a>, s’est déroulée par visioconférence.</p>
<p>En contexte traumatique, quel que soit le domaine d’intervention, les professionnels prodiguent d’abord des soins primaires au sens où en parle le célèbre psychanalyste <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/sans-oser-le-demander/qui-a-invente-l-objet-transitionnel-4429459">Donald Winnicott</a>, c’est-à-dire de la contenance et de la considération de, et pour, l’autre, perçu comme semblable, comme sujet humain.</p>
<p>Dans un <a href="http://www.haiti-perspectives.com/pdf/8.1-derivois.pdf">article</a> sur les soignants qui interviennent en Haïti, j’avais proposé d’inclure dans les soignants à la fois les personnels de la santé mentale, de la santé physique et de l’éducation nationale, dans la mesure où l’ensemble de ces professionnels est censé, par-delà leurs missions premières, prodiguer des soins primaires aux patients et aux élèves.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sismo-citoyens-et-chercheurs-du-monde-entier-sallient-pour-comprendre-le-recent-seisme-dha-ti-166787">« Sismo-citoyens » et chercheurs du monde entier s’allient pour comprendre le récent séisme d’Haïti</a>
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<p>J’avais aussi proposé d’ajouter les professionnels des lieux de culte dans la mesure où, par-delà les croyances respectives qui peuvent fonctionner comme de véritables <a href="https://www.em-consulte.com/article/1094866/les-tuteurs-de-resilience-des-enfants-et-adolescen">tuteurs de résilience</a>, les victimes peuvent trouver dans ces lieux un espace de réconfort. La fonction soignante de ces professionnels qui interviennent en contexte traumatique est à mettre en évidence. Elle relève du <a href="https://www.cairn.info/revue-recherche-en-soins-infirmiers-2015-3-page-77.htm"><em>care</em></a>, du « prendre soin ».</p>
<p>Dans un contexte géopolitique et climatique traumatique, les soignants se mobilisent partout sur la planète pour porter assistance aux personnes ou aux peuples en danger. De même qu’une solidarité inter-soignants est nécessaire pour notamment s’inspirer mutuellement des modèles de résilience, il est important que la population témoigne d’une certaine forme de compassion pour les soignants.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelle-resilience-pour-quels-modeles-de-societe-137666">Quelle résilience pour quels modèles de société ?</a>
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<p>Il est surtout urgent que les États et les organisations internationales prennent la mesure de l’ampleur des besoins financiers et humains, signe de leur considération et de leur reconnaissance pour ces femmes et ces hommes qui, tout en étant affectés par les mêmes tragédies, participent de l’équilibre psychique de nos sociétés traumatisées, en pleine crise existentielle. Car si nous ne prenons pas soin d’eux, qui prendra soin de nous ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216455/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Daniel Derivois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Séismes, conflits armés… les soignants qui interviennent en contexte de crise peuvent, comme les victimes, souffrir de traumatismes. Une prise en charge adaptée est nécessaire pour les accompagner.Daniel Derivois, Professeur de psychologie clinique et psychopathologie. Laboratoire Psy-DREPI (EA 7458), Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2159592023-10-20T12:35:21Z2023-10-20T12:35:21ZQue pensent les Palestiniens de Gaza du Hamas ? Des sondages révèlent qu'ils se soucient davantage de lutte contre la pauvreté que de résistance armée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/554569/original/file-20231017-19-wp5fj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=25%2C155%2C5725%2C3673&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Qui parle au nom des Palestiniens de Gaza ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/woman-walks-past-a-mural-painting-depicting-fellow-news-photo/1203649009?adppopup=true">Mohammed Abed/AFP via Getty Images</a></span></figcaption></figure><p>Avec l’intensification de la guerre entre Israël et le Hamas, <a href="https://www.cnn.com/2023/10/16/opinions/israel-hamas-gaza-palestinians-oppose-terror-mohammed/index.html">des observateurs régionaux et internationaux formulent des hypothèses</a> sur le soutien des habitants de Gaza au Hamas.</p>
<p>Des affirmations erronées telles que celles de Ron DeSantis, candidat à la présidence des États-Unis, qui prétend que tous les habitants de Gaza sont « <a href="https://richardhetu.com/2023/10/16/tous-les-gazaouis-sont-antisemites-selon-desantis/">antisémites</a> », ou celles qui reprochent aux Gazaouis d’avoir « <a href="https://apnews.com/article/desantis-israel-hamas-gaza-palestinian-refugees-water-73a468f8d030e083844d16e82684c406">élu le Hamas</a> », peuvent influencer les débats non seulement en ce qui a trait à la perception de la guerre, mais aussi pour ce qui est des plans d’aide aux habitants de Gaza dans les mois à venir.</p>
<p>Tout <a href="https://twitter.com/JacobMagid/status/1714005428428816552?s=20">effort de reconstruction</a> ou de <a href="https://www.npr.org/2023/10/16/1206100831/israel-hamas-war-gaza-water-blinken-palestine">distribution d’aide</a> pourrait être mis en balance avec les craintes que des insurgés du Hamas se trouvent au sein de la population de Gaza.</p>
<p>Dans mes travaux de recherche sur le salafisme djihadiste et l’islamisme, j’ai constaté que des mouvements militants <a href="https://academic.oup.com/book/33569/chapter-abstract/288035047?redirectedFrom=fulltext">provoquaient des interventions militaires</a> pour exploiter le chaos qui s’ensuivait. En outre, ces groupes <a href="https://www.understandingwar.org/report/isis-governance-syria">prétendent souvent gouverner</a> dans l’intérêt « légitime » des populations qu’ils dominent, même si celles-ci <a href="https://merip.org/2018/10/mosul-will-never-be-the-same/">rejettent leur autorité</a>.</p>
<p>Comme <a href="https://warontherocks.com/2023/10/a-major-pivot-in-hamas-strategy/">l’ont fait remarquer plusieurs commentateurs</a>, le Hamas espère sans doute susciter une <a href="https://www.foreignaffairs.com/israel/war-hamas-always-wanted">réaction disproportionnée</a> de la part d’Israël, mais aussi utiliser les répercussions violentes de l’intervention pour entretenir la dépendance des habitants de Gaza à son égard et détourner l’attention de ses propres <a href="https://www.al-monitor.com/originals/2023/07/gaza-pressure-builds-hamas-solve-power-crisis-amid-heat-wave">échecs en matière de politique intérieure</a>.</p>
<h2>Politiciens et Gaza</h2>
<p>Les dirigeants des deux parties en conflit ont tenté de justifier leurs actions. Souvent, ils utilisent leur perception de l’opinion publique gazaouie pour soutenir leurs objectifs politiques.</p>
<p>Ismaïl Haniyeh, chef du bureau politique du Hamas, a affirmé que <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20231009-haniyeh-outlines-context-and-objectives-of-hamas-operation-al-aqsa-flood/">les actions du Hamas représentaient les habitants de Gaza</a> et « l’ensemble de la communauté arabo-musulmane ». Selon lui, le recours à la violence par le Hamas se fait au nom des Palestiniens <a href="https://www.aljazeera.com/news/2023/9/17/israeli-forces-attack-palestinian-worshippers-at-al-aqsa-mosque">agressés dans l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa</a> en septembre 2023, ou <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/former-hamas-chief-meshaal-says-israeli-captives-include-high-ranking-officers-2023-10-16/">qui ont souffert</a> aux mains des <a href="https://www.pbs.org/newshour/show/israel-military-launches-largest-attacks-on-west-bank-in-nearly-20-year">forces de sécurité israéliennes</a>, ou à cause des <a href="https://www.aljazeera.com/news/2023/10/6/palestinian-killed-as-israeli-settlers-attack-west-bank-town-of-huwara">colons</a> en <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-65973383">Cisjordanie.</a></p>
<p>Le président israélien Isaac Herzog a quant à lui suggéré que <a href="https://news.yahoo.com/israeli-president-says-no-innocent-154330724.html">tous les habitants de Gaza portaient une responsabilité</a> collective à l’égard du Hamas. En conséquence, a-t-il conclu, Israël agira contre Gaza et sa population pour défendre ses propres intérêts.</p>
<p>L’administration Biden, qui s’est bien gardée de condamner les bombardements israéliens, a cherché à adopter une approche plus large face à l’escalade. Dans une <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/15/us/politics/biden-israel-gaza.html">entrevue</a> et sur les médias sociaux, le <a href="https://x.com/POTUS/status/1713525125478228437">président américain Joseph Biden a affirmé</a> que « l’écrasante majorité des Palestiniens n’a rien à voir avec les attaques épouvantables du Hamas » et qu’au contraire, elle en souffre. <a href="https://www.cbsnews.com/news/president-joe-biden-2023-60-minutes-transcript/">Cette souffrance</a>, a ajouté M. Biden, nécessite la levée à terme du « <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-67051292">siège total</a> » de Gaza mis en place par Israël.</p>
<p>Dans chaque exemple, les politiciens ont utilisé leurs présomptions concernant les habitants de Gaza pour appuyer leurs politiques. Mais ces derniers ont leur propre façon de voir les choses.</p>
<h2>Comment les Gazaouis perçoivent-ils le Hamas ?</h2>
<p>Une analyse de l’opinion publique gazaouie au fil du temps révèle un désespoir constant de vivre sous le blocus israélien.</p>
<p>Un sondage réalisé en juin 2023 par <a href="https://www.pcpsr.org/en/node/192">Khalil Shikaki</a>, professeur de sciences politiques et directeur du Centre palestinien de recherche sur les politiques et les sondages, indique que <a href="https://pcpsr.org/en/node/944">79 % des habitants de Gaza soutiennent l’opposition</a> armée à l’occupation israélienne du territoire palestinien. Un sondage réalisé par le Washington Institute en juillet 2023 révèle que seuls <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/polls-show-majority-gazans-were-against-breaking-ceasefire-hamas-and-hezbollah">57 % des Gazaouis ont une opinion « plutôt positive</a> » du Hamas.</p>
<p><iframe id="Dbv0L" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Dbv0L/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Une lecture poussée de ces sondages montre une situation plus nuancée. Considérons que, en 2018, environ <a href="https://www.unicef.org/sop/what-we-do/health-and-nutrition">25 % des femmes de Gaza risquaient de mourir en accouchant</a>, 53 % des Gazaouis vivaient dans la pauvreté et les fournitures de soins de santé essentiels étaient très limitées. La même année, Shikaki a constaté qu’un nombre croissant de Gazaouis étaient mécontents du gouvernement du Hamas et que près de 50 % d’entre eux espéraient <a href="https://pcpsr.org/en/node/740">quitter la bande de Gaza</a>.</p>
<p>Dans <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/polls-show-majority-gazans-were-against-breaking-ceasefire-hamas-and-hezbollah">un sondage réalisé en juin 2023</a> par le Washington Institute, 64 % des habitants de Gaza réclament une amélioration des soins de santé, de l’emploi, de l’éducation et souhaitent un retour à une certaine normalité au lieu de la « résistance » revendiquée par le Hamas. Plus de 92 % des Gazaouis se disent ouvertement mécontents de leurs conditions de vie.</p>
<p>En outre, comme l’a rapporté Shikaki, plus de 73 % des répondants estiment que le gouvernement du Hamas est corrompu. Les habitants de Gaza n’ont toutefois pas d’espoir de changement électoral. Aucune élection n’ayant eu lieu depuis 2006, la majorité des habitants actuels de Gaza <a href="https://www.cia.gov/the-world-factbook/countries/gaza-strip/#people-and-society">n’étaient pas en âge de voter pour le Hamas</a>.</p>
<p>Le soutien à la résistance armée n’a pas toujours existé. Quand le Hamas a ouvertement combattu l’Autorité palestinienne – qui gouverne la Cisjordanie et a remis en cause la légitimité de la victoire du Hamas – et pris le contrôle de la bande de Gaza en 2007, <a href="https://www.pcpsr.org/en/node/230">plus de 73 % des Palestiniens</a> se sont dits opposés à cette prise de pouvoir et à tout conflit armé.</p>
<p>À l’époque, moins d’un tiers des habitants de Gaza soutenaient une action militaire contre Israël et plus de 80 % d’entre eux <a href="https://www.pcpsr.org/en/node/231">condamnaient les enlèvements, les incendies criminels et la violence aveugle</a>.</p>
<h2>Évolution de l’opinion gazaouie</h2>
<p>Les sondages réalisés auprès des habitants de Gaza de 2007 à 2023 sont révélateurs. Ils montrent clairement que le soutien des Gazaouis à la résistance armée s’est accru parallèlement à une hausse de la frustration, de la colère et du désespoir devant l’absence de solution politique à leurs souffrances.</p>
<p>En 2017, <a href="https://cmes.fas.harvard.edu/people/sara-roy">Sara Roy</a>, chercheuse qui étudie l’économie palestinienne et l’islamisme, s’est penchée sur <a href="https://www.lrb.co.uk/the-paper/v39/n12/sara-roy/if-israel-were-smart">la tolérance des habitants de Gaza à l’égard du Hamas</a>, notant que « ce qui est nouveau, c’est le sentiment de désespoir que l’on peut constater du fait que les gens sont désormais prêts à repousser des limites qui étaient autrefois inviolables. »</p>
<p>Les Gazaouis, explique-t-elle, en particulier ceux de moins de 30 ans (75 % de la population), appuient largement, même si à des degrés divers, le Hamas ou ses prétentions à une légitimité islamique. Le Hamas, disent-ils, verse des salaires alors que peu d’organismes peuvent le faire. Risquer d’être pris pour cible par les soldats israéliens constitue un risque calculé et acceptable si cela permet de recevoir une paye.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="A man in a cap paints the word Hamas in large letters on a wall." src="https://images.theconversation.com/files/554406/original/file-20231017-15-ig0cva.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554406/original/file-20231017-15-ig0cva.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554406/original/file-20231017-15-ig0cva.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554406/original/file-20231017-15-ig0cva.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554406/original/file-20231017-15-ig0cva.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554406/original/file-20231017-15-ig0cva.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554406/original/file-20231017-15-ig0cva.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un partisan du Hamas affiche son soutien avant les élections de 2006 à Gaza.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/palestinian-supporters-of-hamas-movement-write-slogans-for-news-photo/56511960?adppopup=true">Mahmud Hams/AFP via Getty Images.</a></span>
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</figure>
<p>En 2019, <a href="http://pcpsr.org/en/node/752">27 % des Gazaouis considéraient que le Hamas</a> était responsable de leurs conditions de vie. Dans le même sondage, <a href="https://trumpwhitehouse.archives.gov/peacetoprosperity/">55 % des répondants soutenaient tout plan de paix qui inclurait</a> un État palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale et un retrait israélien de tous les territoires occupés.</p>
<p>En 2023, lorsque <a href="https://pcpsr.org/en/node/944">les habitants de Gaza interrogés</a> par Shikaki ont exprimé leur soutien à la résistance armée, ils l’ont fait car ils considéraient que cette résistance pourrait alléger le blocus et le siège israéliens mieux que toute politique électorale. Cependant, les personnes interrogées ont aussi exprimé leur exaspération face à la corruption du Hamas et à la persistance du chômage et de la pauvreté dans la bande de Gaza.</p>
<h2>Désespoir palestinien et objectifs du Hamas</h2>
<p>Toute perspective de retour à la normale semble disparue pour de nombreux Gazaouis, et le Hamas affirme agir en tant que « <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20231009-haniyeh-outlines-context-and-objectives-of-hamas-operation-al-aqsa-flood/">résistance légitime</a> ».</p>
<p>Avec <a href="https://www.csis.org/analysis/war-gaza-and-death-two-state-solution">des négociations de paix</a> au point mort depuis 2001, le <a href="https://carnegieendowment.org/sada/84509">report des élections</a>, <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20231017-bande-de-gaza-qu-est-ce-que-le-poste-fronti%C3%A8re-de-rafah-bombard%C3%A9-par-isra%C3%ABl">l’impossibilité de sortir</a> de Gaza et l’aggravation de la <a href="https://www.aljazeera.com/news/2023/10/16/gazas-dire-humanitarian-crisis-explained">crise humanitaire</a>, toute une génération de Gazaouis se retrouvent devant un horizon bouché.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Several people, including women and children, running out of their homes. Behind them are some partially damaged buildings." src="https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des familles palestiniennes quittent précipitamment leurs maisons après que des frappes aériennes israéliennes ont visé leur quartier dans la ville de Gaza, au centre de la bande de Gaza, le 17 octobre 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://newsroom.ap.org/detail/APTOPIXIsraelPalestinians/03fd329d897d481d8297182a223fd77a/photo?Query=gaza&mediaType=photo&sortBy=&dateRange=Anytime&totalCount=34246&currentItemNo=2">AP Photo/Abed Khaled</a></span>
</figcaption>
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<p>« <a href="https://www.newsweek.com/im-gaza-i-cant-get-milk-my-crying-baby-i-feel-helpless-1835192">La mort est partout</a>, a déclaré Omar El Qattaa, 33 ans, photographe basé à Gaza, et la mémoire est effacée. »</p>
<p>Des sondages de 2023 ayant montré qu’une majorité de Gazaouis ne veut pas d’une rupture du cessez-le-feu avec Israël, le Hamas a mené ses attaques d’octobre contre la volonté populaire. Le désespoir ressenti par El Qatta et des <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/gaza-residents-who-have-lost-family-fear-more-destruction-ground-assault-looms-2023-10-15/">millions d’autres habitants de Gaza</a> risque d’être instrumentalisé par le Hamas. Comme l’écrit <a href="https://mleavitt.net/">Matthew Leavitt</a>, expert du Hamas, ce mouvement considère la politique, la charité, la violence politique et le terrorisme comme <a href="https://yalebooks.yale.edu/book/9780300122589/hamas/">des outils complémentaires et légitimes</a> pour poursuivre ses objectifs politiques.</p>
<p>Comme <a href="https://www.usatoday.com/story/news/world/2023/10/17/some-palestinians-support-hamas-attack-on-israel/71201312007/">l’affirme</a> Khaldoun Barghouti, chercheur palestinien basé à Ramallah, les bombardements continus d’Israël ont atténué la frustration à l’égard du Hamas, du moins à court terme. Ces agressions ont transformé la condamnation du Hamas pour les attaques d’octobre en une colère contre Israël.</p>
<p>Il reste à voir si cela se traduira par un soutien à des solutions alternatives au Hamas dans les mois à venir. Tout dépendra de la capacité des acteurs internationaux à regagner la confiance des Gazaouis tout en les aidant à trouver des options pour remplacer un gouvernement et un mouvement militant qu’ils considéraient comme corrompus et incapables de répondre à leurs besoins fondamentaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215959/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nathan French ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les politiciens utilisent leurs présomptions concernant les habitants de Gaza pour appuyer leurs politiques. Mais ces derniers ont leur propre façon de voir les choses.Nathan French, Associate Professor of Religion, Miami UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2157192023-10-17T19:33:41Z2023-10-17T19:33:41ZAttaques terroristes, conflits… Comment exister face aux tragédies du monde ?<p><a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/17/a-bruxelles-arrestation-de-l-homme-qui-a-tue-deux-suedois_6194961_3210.html">L’attentat de Bruxelles lundi 16 octobre</a>, l’assassinat de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/10/14/attentat-d-arras-la-mort-de-dominique-bernard-un-professeur-de-lettres-respecte-qui-prenait-a-c-ur-son-travail_6194384_3224.html">Dominique Bernard à Arras</a> vendredi 13 octobre, les conflits armés en Europe et au Moyen-Orient, la <a href="https://www.lemonde.fr/israel-palestine/article/2023/10/12/guerre-israel-hamas-plus-d-une-centaine-d-actes-antisemites-signales-en-france-selon-gerald-darmanin_6193936_1667123.html">flambée d’actes antisémites</a>, le <a href="https://www.education.gouv.fr/plan-interministeriel-de-lutte-contre-le-harcelement-l-ecole-379551">harcèlement scolaire</a>… Ces faits nous rappellent que la tragédie, l’oppression et la violence sont des réalités qui peuvent nous toucher à tout moment.</p>
<p>Comment alors faire face à l’ambiguïté, aux incertitudes et aux injustices de la vie ?</p>
<p>Cette question est au cœur de la philosophie existentielle, qui nous invite à penser la vie concrète et située, à l’affronter avec <a href="https://www.payot-rivages.fr/rivages/livre/crainte-et-tremblement-9782743605872">« crainte et tremblement »</a> selon la célèbre formule de Søren Kierkegaard.</p>
<p>L’existentialisme paraît parfois mettre l’accent sur la négativité : l’angoisse, la mort, le néant, le désespoir, l’absurde et la misère humaine. Cependant, elle pose aussi et surtout la question de savoir comment mieux exister, dans un monde où la détresse, les conflits, l’exploitation de l’homme par l’homme, la précarité et la discrimination sont des faits réels.</p>
<p>Cette question clef, comment « mieux exister » est l’un des autres versants de l’existentialisme ; Kierkegaard disait d’ailleurs que sa tâche était d’aider ses lecteurs à « exister avec plus de compétence ». Mais comment faire, concrètement ? Est-ce possible de trouver l’équilibre dans un monde incertain ? C’est ce que nous étudierons avec Simone de Beauvoir et Søren Kierkegaard.</p>
<h2>Philosopher l’équilibre</h2>
<p>Avant de devenir la célèbre militante féministe et figure majeure du mouvement existentialiste que nous connaissons, la jeune étudiante en philosophie âgée de 18 ans qu’était alors <a href="https://editions.flammarion.com/devenir-beauvoir/9782081513334">Beauvoir</a> développait déjà en 1926 des réflexions philosophiques originales dans ses <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070120420-cahiers-de-jeunesse-simone-de-beauvoir/"><em>Cahiers de jeunesse</em></a>.</p>
<p>S’interrogeant sur elle-même et sa place dans le monde, elle pose dès le départ au centre de sa pensée la notion d’équilibre. Le monde qu’elle observe est rempli d’inégalités, de détresse physique et morale ; face à cela, elle se demande, comment vivre « le mieux possible » ?</p>
<p>En tant qu’individus singuliers, nous éprouvons souvent un sentiment d’impuissance face au monde avec ses multiples sources d’oppression et problèmes à résoudre. Faut-il alors se résigner à cette impuissance ? Faut-il privilégier la vie intérieure (la seule que nous puissions contrôler) et se retirer du monde, ou alors s’engager par ses actes pour créer des nouvelles valeurs et possibilités existentielles ? Un équilibre entre les deux est-il possible ?</p>
<h2>Comment agir dans un monde qui nous résiste</h2>
<p>La question centrale pour Beauvoir est de savoir comment agir et exister dans le monde d’une manière qui crée de la valeur et du sens, en dépit du fait que nous nous trouvons toujours dans un monde qui nous résiste, et projette sur nous des manières d’être et de nous construire que nous ne déterminons pas et qui nous aliènent de nous-mêmes.</p>
<p>Une vie accomplie, authentique, exige à la fois une présence à nous-mêmes et une présence à autrui. Plutôt qu’un état, cependant, la recherche d’équilibre demeure toujours une tâche, une quête, le travail d’une vie. <a href="https://www.decitre.fr/livres/cahiers-de-jeunesse-9782070120420.html">Elle écrit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« [L]’équilibre possible [c’est l’]équilibre d’une passion qui n’ignore jamais sa propre grandeur mais qui sait la porter. Équilibre d’une pensée qui gardant dans cette passion un point d’appui solide la dépasse pourtant. Équilibre de la vie qui précise, monotone peut-être, ne laisse point, parce que sa forme extérieure est fixée, dormir ni la passion ni la pensée. »</p>
</blockquote>
<p>La recherché d’équilibre, c’est surtout, selon la jeune Beauvoir, la possibilité « d’être un être indépendant… quelles que soient les contingences » et de parvenir à la pleine conscience et pleine possession de soi. D’où une affirmation de l’irréductible singularité de chaque individu, mais une affirmation indissociable d’un engagement éthique dans le monde et « pour autrui ». On ne peut, Beauvoir conclut, être pour autrui sans être pour soi, mais de la même manière on ne peut être pour soi sans être pour autrui.</p>
<p>Pour le formuler en d’autres termes, nous pourrions dire que les possibilités pour chaque individu d’être authentiquement soi-même dépendent des structures de soutien et des liens qui nous relient et rendent notre existence possible.</p>
<h2>Un écho avec Søren Kierkegaard</h2>
<p>Les réflexions de jeunesse de la philosophe font écho, avant qu’elle ne l’ait lu, aux <a href="https://www.fayard.fr/livre/journaux-et-cahiers-de-notes-9782213631387/">passages des journaux</a> rédigés par Kierkegaard en 1835, lorsque âgé de 22 ans <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/introduction-a-la-philosophie-de-kierkegaard-6232574">il cherchait sa propre voie</a>, expliquant que ce qui lui manquait était « d’être au clair sur ce que je dois faire… de trouver l’idée pour laquelle je veux vivre et mourir. »</p>
<p>S’interrogeant sur les « malentendus » et les « petitesses » qui nous empêchent de nous comprendre mutuellement dans la société et qui causent tant de souffrance et de discrimination dans le monde, nous empêchant de voir les véritables liens qui nous unissent, le jeune danois évoque tout comme Beauvoir la nécessaire recherche d’équilibre et de subjectivité.</p>
<p>Se découvrir dans l’intériorité – ou « devenir subjectif », ainsi que Kierkegaard le formulerait plus tard dans le fameux <a href="https://www.les-philosophes.fr/post-scriptum-miettes-philosophiques.html"><em>Post-scriptum définitif et non scientifique</em></a> (1846) – exige d’apprendre à se regarder véritablement. Cependant, même chez le jeune Kierkegaard, il ne s’agit pas de se détourner ou de s’exempter du monde.</p>
<p>Découvrir « l’équilibre véritable (<em>den sande Ligevægt</em>) » implique un apprentissage de l’humilité, un difficile travail pour se découvrir avec sincérité. Il implique que nous puissions trouver assez de stabilité en nous-mêmes pour résister aux épreuves du monde, sans pour autant oublier que notre tâche est de vivre dans le monde parmi d’autres.</p>
<h2>Réconcilier l’interne avec l’externe</h2>
<p>La notion d’équilibre joue également un rôle important dans le développement chez Kierkegaard du stade éthique, dans la seconde partie de <a href="https://www.philomag.com/articles/lalternative-kierkegaard-et-limpossible-reconciliation"><em>L’alternative</em></a> (1843). Il parle ici du nécessaire « équilibre… dans la formation de la personnalité », et de la difficulté pour l’individu de réconcilier l’interne avec l’externe, la quête d’unité avec la pluralité et variabilité de la vie, et le fait que nous sommes à la fois des individus singuliers et des êtres civiques et sociaux.</p>
<p>Une vie pleine et dotée de sens, Kierkegaard suggère ici, ne peut chercher ses raisons d’être entièrement dans l’intériorité ni entièrement dans l’extériorité (c’est-à-dire les actions, engagements ou rôles que nous jouons dans la société).</p>
<p>Sans avoir connaissance du travail de son prédécesseur danois, Beauvoir parvient dès ses réflexions de jeunesse au développement d’une approche existentielle de la philosophie qui en fait écho.</p>
<p>Ces deux philosophes plaçaient au centre de leur démarche philosophique le rôle du choix de soi-même, mais insistaient également sur un nécessaire équilibre entre l’intérieur et l’extérieur, entre la quête de soi et les engagements et les actions dans le monde.</p>
<p>Beauvoir écrit dans ses <em>Cahiers</em> en 1927 que « c’est par la décision libre seulement, et grâce au jeu de circonstances que le moi vrai se découvre ».</p>
<p>Kierkegaard, pour sa part, avait écrit :</p>
<blockquote>
<p>« Lorsqu’on a pris possession de soi-même dans le choix, lorsqu’on a revêtu sa personne, lorsqu’on s’est pénétré soi-même entièrement, tout mouvement étant accompagné de la conscience d’une responsabilité personnelle, alors, et alors seulement on s’est choisi soi-même selon l’éthique… on est devenu concret, et l’on se trouve en son isolement total en absolue continuité avec la réalité à laquelle on appartient. »</p>
</blockquote>
<h2>Regarder les réalités avec lucidité</h2>
<p>Constats trop optimistes, trop individualistes ? Une telle conclusion serait trop hâtive. Si Beauvoir et Kierkegaard insistent tous deux sur l’équilibre, c’est parce qu’ils n’oublient jamais que le monde dans lequel nous vivons est déséquilibré et nous déséquilibre.</p>
<p>Que le monde dans lequel nous vivons est marqué par les inégalités et les injustices ; que certains naissent dans la précarité alors que d’autres dans le privilège, que quel que soit notre statut ou place dans la société, celle-ci nous enjoint à nous adapter à ses systèmes et fonctionnements qui peuvent nous aliéner de nous-mêmes. Que l’angoisse, l’absurdité, les menaces et le désespoir marquent nos vies ; que l’oppression et la mort sont des réalités quotidiennes.</p>
<p>Rechercher l’équilibre n’est pas un oubli de ces réalités concrètes, mais l’appel à trouver l’attitude appropriée par laquelle nous pourrions regarder ces réalités avec lucidité, et nous préparer pour agir activement dans le monde. Et l’équilibre n’est pas un état à atteindre ; c’est un mouvement constant de devenir, un effort actif d’appropriation.</p>
<p>En 1947, avec l’essor de l’<a href="https://www.livredepoche.com/livre/au-cafe-existentialiste-9782253257837">existentialisme</a>, Beauvoir dira dans <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070426935-pour-une-morale-de-l-ambiguite-pyrrhus-et-cineas-simone-de-beauvoir/"><em>Pour une morale de l’ambiguïté</em></a> que si les concepts tels que liberté et responsabilité ont tellement d’importance, c’est précisément parce que nous vivons dans un monde où beaucoup d’individus ne sont pas libres, ne bénéficient pas des mêmes avantages et privilèges.</p>
<p>Revendiquer le respect des droits de l’homme, pour tous, demeure toujours une lutte. Elle affirme cependant qu’une telle quête n’exige aucune capacité spécifique de la part de l’individu, à part une « présence attentive au monde et à soi-même ». Présence attentive difficile, certes, mais non impossible à atteindre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215719/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mélissa Fox-Muraton ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour faire face aux tragédies, Beauvoir et Kierkegaard insistent tous deux sur l’équilibre, pour ne jamais oublier que le monde dans lequel nous vivons est déséquilibré et nous déséquilibre.Mélissa Fox-Muraton, Enseignante-chercheur en Philosophie, ESC Clermont Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2153582023-10-12T17:29:18Z2023-10-12T17:29:18ZConflit israélo-palestinien : ce que dit le droit<p>Après son attaque sanglante et à grande échelle lancée contre le territoire israélien, le Hamas a invoqué le droit du peuple palestinien à « la résistance contre l’occupation illégale ». Israël a réagi en bombardant des cibles liées au mouvement islamiste et en annonçant un blocus total de la bande de Gaza, au nom de son droit à se défendre.</p>
<p>Au-delà de la terrible confrontation armée, qui a déjà fait plus de 2 000 morts et sur laquelle focalise à ce stade l’attention des observateurs, on assiste donc également à la mobilisation par les deux parties d’arguments juridiques qui reposent à la fois sur leurs lois nationales respectives et sur leurs interprétations radicalement divergentes du droit international.</p>
<p>François Dubuisson, professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles, nous permet d’y voir plus clair.</p>
<p><strong>Avant de parler des évènements des 7-8 octobre, pouvez-vous nous rappeler ce que le droit international dit de la situation israélo-palestinienne ?</strong></p>
<p>Rappelons d’abord que le droit international <a href="https://www.hrw.org/reports/2001/israel/hebron6-04.htm">s’impose aux différents acteurs du conflit</a>. Ce droit international établit clairement que Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est sont des <a href="https://international-review.icrc.org/sites/default/files/cicr95_jabarin.pdf">territoires palestiniens occupés</a> et que doivent s’y appliquer la <a href="https://ihl-databases.icrc.org/fr/ihl-treaties/gciv-1949de1949">quatrième convention de Genève</a> (relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre) et les principes consacrés par le <a href="https://www.icrc.org/fr/doc/resources/documents/misc/63td88.htm">Règlement de La Haye de 1907</a>, qui établissent ce qu’on appelle le droit d’occupation.</p>
<p>Immédiatement se pose, dès lors, la question de la compatibilité avec le droit international d’une série de mesures adoptées par Israël dans ces territoires. Cette question fait depuis longtemps l’objet de discussions et de débats acharnés. Le gouvernement israélien <a href="https://www.newarab.com/news/israel-says-un-settlement-rebuke-denies-historic-rights">s’efforce de démontrer</a> que sa gestion de ces territoires ne contredit pas le droit international. Pour cela, il met traditionnellement en avant les impératifs sécuritaires, au détriment des droits des populations civiles palestiniennes, ou des arguments historiques.</p>
<p>Quand des décisions telles que des implantations de colonies sur ces territoires sont prises, <a href="https://arabcenterdc.org/resource/israels-arguments-for-the-legality-of-settlements-under-international-law/">Israël affirme que le droit international le lui permet</a>, en s’appuyant notamment sur son propre des interprétation des dispositions de la 4<sup>e</sup> Convention de Genève – des interprétations qui sont régulièrement récusées par les résolutions des Nations unies et par la Cour internationale de Justice, qui indiquent clairement que les colonies israéliennes sont des violations du droit international.</p>
<p><strong>Du point de vue du droit international humanitaire, comment peut-on qualifier l’attaque menée par le Hamas et la réponse d’Israël ?</strong></p>
<p>Le Hamas invoque la résistance à l’occupation. Le droit international prévoit <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2005-4-page-103.htm">qu’un peuple sous occupation a le droit de s’y opposer</a>. Mais cette résistance doit se faire dans les limites autorisées par le droit international. Et à l’évidence, ce qu’a fait le Hamas les 7-8 octobre constitue une violation flagrante de toutes les règles élémentaires du droit international, qui interdisent en particulier de viser directement les civils – or l’opération du Hamas a principalement pris pour cibles des civils, qu’il s’agisse de <a href="https://www.europe1.fr/international/des-dizaines-de-roquettes-tirees-de-la-bande-de-gaza-vers-israel-4207690">tirs de roquettes</a> indiscriminés sur des localités civiles, <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/117078-000-A/pres-de-gaza-une-rave-party-vire-au-massacre/">d’assassinats massifs de civils</a> ou de <a href="https://www.liberation.fr/checknews/attaque-en-israel-plus-de-130-otages-seraient-detenus-par-le-hamas-et-le-jihad-islamique-dont-des-dizaines-detrangers-20231009_GF3PQESF4REQZJUFJZQS265RCI/">prises d’otages</a>. Tout cela est constitutif de <a href="https://www.un.org/fr/genocideprevention/war-crimes.shtml">crimes de guerre</a> et même de crimes <a href="https://www.un.org/fr/genocideprevention/crimes-against-humanity.shtml">contre l’humanité</a>, vu l’ampleur de l’attaque contre les civils israéliens, crimes prévus notamment dans le statut de la Cour pénale internationale.</p>
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<p>Quant à Israël, il a bien sûr le droit de prendre les mesures, y compris militaires, nécessaires à assurer la protection de sa population et donc à faire cesser les attaques du Hamas. Ce droit lui est reconnu par le droit d’occupation, que j’ai évoqué tout à l’heure, et par le <a href="https://www.defense.gouv.fr/sga/droit-defense/droit-conflits-armes">droit des conflits armés</a>. Mais, là aussi, son action doit rester dans les limites précisées par le droit international, qui proscrit les frappes qui visent des objectifs et populations civils ou ont des effets disproportionnés entre les avantages militaires et les effets sur les civils.</p>
<p>Pour ce qui est du siège de la bande de Gaza, il faut préciser qu’il n’existe pas de règle spécifique, dans le droit international, qui prohiberait le siège en tant que tel. Mais les effets d’un siège peuvent <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/20231010.OBS79287/le-siege-total-de-gaza-est-interdit-par-le-droit-international-humanitaire-rappelle-l-onu.html">très rapidement devenir illicites</a>. Quand on coupe l’eau et l’électricité, ainsi que l’approvisionnement en nourriture et en essence, ce qui s’ajoute au blocus militaire qui s’appliquait déjà depuis des années, on peut très rapidement aboutir à des effets délétères, qui contreviennent au droit humanitaire et aux droits humains.</p>
<p><strong>Voilà des mois que le gouvernement de Benyamin Nétanyahou <a href="https://theconversation.com/israel-sur-fond-de-tensions-croissantes-lattaque-frontale-du-gouvernement-contre-la-cour-supreme-198821">cherche à prendre le contrôle de la Cour suprême</a>. Selon certaines analyses, la raison première de ce conflit est la volonté du pouvoir exécutif de s’assurer que la Cour ne l’empêchera pas, le cas échéant, de procéder à une annexion de jure de la Cisjordanie. Est-ce aussi votre lecture des événements ?</strong></p>
<p>C’est en partie vrai. La droite israélienne reproche à la Cour d’être trop intrusive et de ne pas le laisser conduire sa politique comme bon lui semble, notamment en matière d’« administration » des territoires palestiniens. Mais quand on s’y penche de plus près – je pense notamment aux analyses effectuées par un certain nombre d’organisations israéliennes de défense des <a href="https://www.btselem.org/publications/summaries/201902_fake_justice">droits humains</a> –, on constate que la Cour suprême permet déjà au gouvernement énormément de choses.</p>
<p>Rappelons que la Cour n’a jamais dit que les colonies étaient illégales. Elle a toujours su trouver des arguments juridiques pour les légitimer ou pour refuser de traiter certains aspects de leur existence et de leur fonctionnement. Je pense par exemple à l’expulsion des habitants <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/reportages/palestine-israel-masafer-yatta-expulsion-zone-militaire-colonisation">d’un village palestinien situé près de Hébron</a> : la Cour suprême a validé le fait que le pouvoir était en droit d’y installer une zone de sécurité, et que rien n’interdisait l’évacuation forcée des habitants.</p>
<p>Prenez la question de la <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/israel/israel-palestine-le-mur-qui-betonne-une-paix-impossible-5758641">construction du mur en territoire palestinien</a>. La Cour suprême a pris sur ce sujet le contrepied de la Cour internationale de Justice, qui avait déclaré que, en son principe même, le <a href="https://www.icj-cij.org/fr/affaire/131">mur était illégal</a>. La Cour israélienne, elle, a estimé qu’il fallait examiner chaque portion du mur, et parfois, le déplacer de quelques dizaines ou de quelques centaines de mètres pour avoir une sorte d’équilibre entre les intérêts de la population palestinienne et les intérêts sécuritaires d’Israël. La Cour a donc pu imposer ici et là un tracé légèrement différent du mur ; mais sur le fond, elle n’a jamais contrecarré la colonisation.</p>
<p>Autre sujet : la pratique de la torture. La Cour a jugé que la torture était illégale, mais elle a aussi établit que des l’utilisation de <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/opinionfr/israel-prisons-torture-detenus-palestiniens-surpopulation-carcerale-taille-cellules">« techniques de pression"</a> étaient admissibles, précisant dans une décision de 2017 qu’on ne pouvait pas les autoriser par avance… mais qu’on pouvait les excuser <a href="https://www.ohchr.org/en/press-releases/2018/02/un-expert-alarmed-israeli-supreme-courts-license-torture-ruling">a posteriori</a>.</p>
<p>Bref, dans les faits, même si certains de ses jugements ont pu, à l’occasion, irriter la droite au pouvoir, son action a jusqu’ici toujours été limitée. Mais c’est déjà trop pour la droite israélienne, qui veut avoir totalement les coudées franches.</p>
<p><strong>Qu’en est-il des normes de droit à l’œuvre dans la bande de Gaza ?</strong></p>
<p>Depuis son <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_2005_num_51_1_3870">retrait unilatéral en 2005 de la bande de Gaza</a>, Israël considère que ce territoire ne se trouve plus sous son administration. Après le désengagement, Israël a continué de le contrôler, mais de l’extérieur, en particulier en lui imposant un <a href="https://www.lemonde.fr/un-si-proche-orient/article/2022/06/19/quinze-ans-de-blocus-sur-la-bande-de-gaza_6131001_6116995.html">blocus militaire à la fois terrestre, maritime et aérien</a>, blocus qui <a href="https://fr.euronews.com/2023/10/09/israel-impose-un-siege-complet-a-la-bande-de-gaza-ministre-de-la-defense">vient d’être porté à un niveau maximal</a> après les attaques du Hamas des 7-8 octobre.</p>
<p>Un effet attendu du retrait israélien de 2005, effectué à l’époque sans aucune coordination avec l’Autorité palestinienne, était que le Hamas, qui était très puissant à Gaza, s’y emparerait rapidement du pouvoir. C’est ce qui s’est passé. Le Hamas y exerce depuis maintenant une grosse quinzaine d’années son administration et y applique ses propres règles, <a href="https://www.slate.fr/story/72121/gaza-hamas-islamisation">conformément à sa vision de la charia</a> – des règles qui évidemment, ne sont pas du tout compatibles avec les droits humains et les principes de la démocratie.</p>
<p><strong>Au fond, dans quelle mesure les parties prenantes se préoccupent-elles de toutes ces considérations de droit ? Qu’on leur dise qu’elles contreviennent aux règles du droit international, cela change-t-il quoi que ce soit à leurs yeux ?</strong></p>
<p>Ces règles s’appliquent aux uns comme aux autres. S’agissant d’Israël, le pays a <a href="https://ihl-databases.icrc.org/fr/ihl-treaties/gciv-1949/state-parties/il?activeTab=1949GCs-APs-and-commentaries">ratifié les Conventions de Genève</a> et est soumis aux principes coutumiers du droit international humanitaire. D’ailleurs, Israël ne prétend pas que ces principes ne s’imposent pas. Mais il prétend soit que le droit de l’occupation ne s’applique pas aux territoires palestiniens, qui ne seraient pas « occupés » mais simplement « disputés », soit il dit qu’il les respecte lorsqu’il adopte des mesures sécuritaires – en les interprétant de façon très permissive, en mettant toujours l’accent sur les nécessités militaires.</p>
<p>En ce qui concerne le Hamas, il est lui aussi tenu de respecter ces règles car la Palestine, elle aussi, a <a href="https://international-review.icrc.org/sites/default/files/S0020860400075215a.pdf">ratifié ces conventions</a>. Et le droit des conflits armés s’impose à tous les acteurs d’un conflit. La Palestine a, en outre, <a href="https://www.icc-cpi.int/fr/news/letat-de-palestine-ratifie-le-statut-de-rome">adhéré au Statut de Rome de la Cour pénale internationale</a>, qui est compétente pour juger notamment des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ; et de toute évidence, les actions du Hamas constituent des crimes de guerre et même des crimes contre l’humanité. Le cas échéant, la CPI sera donc compétente pour juger les commandants et les combattants du Hamas pour les actions qu’ils ont commises, que ce soit depuis Gaza ou en territoire israélien. Les actions israéliennes à Gaza relèvent également de la CPI, bien qu’Israël n’y ait pas adhéré, car la Cour a une compétence territoriale, qui s’étend aux actions commises sur le territoire de ses États membres, même par des étrangers. Des enquêtes seront ouvertes, des mandats d’arrêt émis et des condamnations peuvent être prononcées. Il y aura des conséquences.</p>
<p><strong>Dernièrement, les Palestiniens, justement en adhérant à la CPI, avaient cherché à porter leur conflit avec Israël sur le terrain juridique. Au vu du déchaînement de violence de ces derniers jours, la voie du droit est-elle totalement refermée ?</strong></p>
<p>Tout d’abord, il est important de replacer ces événements sanglants dans leur contexte plus large. Si on en est arrivé là, c’est aussi du fait d’une occupation qui perdure depuis 56 ans, et d’un blocus militaire de Gaza en place depuis 16 ans. L’une comme l’autre sont <a href="https://www.ohchr.org/en/press-releases/2022/10/commission-inquiry-finds-israeli-occupation-unlawful-under-international-law">illégaux du point de vue du droit international</a>. Aujourd’hui, la priorité est bien sûr de répondre à la situation actuelle en employant les outils du droit des conflits armés. Mais ensuite, il faudra s’attaquer à la source du problème, qui est la colonisation israélienne et l’absence de perspectives d’autodétermination pour le peuple palestinien.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215358/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Dubuisson ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Israël et la Palestine ont notamment ratifié les Conventions de Genève. Que dit le droit international de la situation d’avant l’attaque du Hamas, et que dit-il des actions des belligérants ?François Dubuisson, Chercheur au Centre de droit international et directeur du Master spécialisé en droit international, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2152972023-10-10T21:16:19Z2023-10-10T21:16:19ZComment le Hamas a récupéré le désespoir palestinien<p>Depuis samedi matin, le Hamas, conduit une attaque inhumaine et de grande ampleur contre l’État hébreu. L’organisation islamique, qui est considérée comme <a href="https://www.rtbf.be/article/guerre-au-proche-orient-hamas-et-hezbollah-deux-organisations-classees-terroristes-en-europe-11268480">terroriste</a> par l’Union européenne, a tiré des milliers de roquettes sur les villes israéliennes depuis la bande de Gaza, où elle officie. Et de manière totalement inédite, des combattants du Hamas se sont infiltrés dans les territoires israéliens pour s’en prendre violemment et massivement <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/09/pres-de-gaza-la-rave-party-a-vire-au-cauchemar_6193286_3210.html">à des civils</a>. À ce stade, on <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/israel-gaza-1100-morts-en-48-heures-l-armee-israelienne-a-frappe-cette-nuit-500-cibles-du-hamas-4173346">dénombre</a> plus de 800 morts côté israélien et 2 600 blessés, et, côté palestinien, au moins 687 morts depuis samedi et 2 900 blessés.</p>
<p>Le monde est stupéfait par les évènements. Pourtant, pour beaucoup d’observateurs, comme Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, les évènements sont <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/08/elie-barnavi-l-attaque-du-hamas-resulte-de-la-conjonction-d-une-organisation-islamiste-fanatique-et-d-une-politique-israelienne-imbecile_6193197_3232.html">« surprenants mais étaient prévisibles »</a>. L’ampleur de l’attaque est inédite, la faille de l’armée et des services secrets israéliens est étonnante et la violence est terrifiante et inacceptable. Mais en effet, la conjoncture actuelle laissait présager une escalade de violence.</p>
<p>Sur le terrain, dont je reviens à peine, on ressent clairement au sein de la population palestinienne un désespoir croissant et multifactoriel, et une violence latente. Plus personne ne parle de « paix », mais plutôt de « fin de l’occupation »… et les jeunes parlent de « résistance, par tous les moyens ».</p>
<p>C’est dans ce contexte que le Hamas a conduit son attaque. Et l’organisation a récupéré ce désespoir pour se légitimer et obtenir le soutien d’une partie de l’opinion palestinienne.</p>
<h2>Gaza, une « prison à ciel ouvert » qui favorise la radicalisation</h2>
<p>À Gaza, d’où opère le Hamas, 2,3 millions de Palestiniens s’entassent sur 365 km faisant de la bande de Gaza l’un des territoires les plus densément peuplés au monde. <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/09/1127031">Plus de deux tiers</a> de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et, selon l’ONG israélienne B’Tselem, le <a href="https://plateforme-palestine.org/Gaza-les-chiffres-cles-2023">taux de chômage est de 75 %</a> chez les moins de 29 ans.</p>
<p>Depuis 2007, ce territoire est aussi soumis à un <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/05/29/a-gaza-des-bateaux-palestiniens-contre-la-nouvelle-barriere-maritime-voulue-par-israel_5306341_3218.html">blocus israélien</a> à la fois maritime, aérien et terrestre, qui prive presque entièrement ce territoire de contacts avec le monde extérieur.</p>
<p>Les Gazaouis sont régulièrement coupés d’eau et d’électricité et dépendent essentiellement des <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/opinionfr/palestine-israel-aide-internationale-normalise-siege-gaza">aides internationales</a>. Les entrées et les sorties de Gaza dépendent des autorisations données par les forces israéliennes et sont extrêmement rares, ce qui lui vaut le surnom de « prison à ciel ouvert ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Gaza : Une « prison à ciel ouvert » depuis 15 ans Human Rights Watch, YouTube.</span></figcaption>
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<p>Dans ces conditions, la population gazaouite, et notamment la jeunesse, coupée du monde, se radicalise. La plupart pensent n’avoir plus rien à perdre et ne croient plus aux solutions politiques et à la paix. Progressivement l’idée qu’il faut résister à l’occupation de l’État hébreu par la violence, prônée par les groupes islamistes, se répand. Ce qui fait le jeu du Hamas et du Jihad islamique qui regroupent de plus en plus de combattants.</p>
<h2>La Cisjordanie, un territoire démembré</h2>
<p>En Cisjordanie, l’attaque du Hamas n’a pas été condamnée, voire la population palestinienne a exprimé son soutien par des manifestations.</p>
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<figcaption><span class="caption">Un territoire fragmenté, Le Monde, 2018.</span></figcaption>
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<p>Le reste du monde s’étonne qu’on puisse soutenir une telle cruauté qui est sans équivoque inacceptable. Mais, il faut aussi s’intéresser aux causes de ce soutien. En Cisjordanie aussi, la population et la jeunesse sont désabusées voir désespérées.</p>
<p>Le territoire palestinien est complètement démembré. La colonisation est largement soutenue et accompagnée par le gouvernement israélien. Plus de 280 colonies et 710 000 colons ont été dénombrés par l’ONU. Des habitations palestiniennes sont régulièrement <a href="https://www.amnesty.org/fr/location/middle-east-and-north-africa/israel-and-occupied-palestinian-territories/report-israel-and-occupied-palestinian-territories/">détruites</a>.</p>
<p>Depuis 2002, plus de 700 km de mur sont construits entre les territoires palestiniens et Israël. Ce mur sécuritaire devait suivre la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligne_verte_(Isra%C3%ABl)">ligne verte de 315km</a>, prévue par le plan de partage de l’ONU de 1947, finalement, il n’en finit pas de faire des tours et des détours en empiétant progressivement sur des bouts de territoires palestiniens et en isolant certaines villes palestiniennes.</p>
<p>Un député palestinien me dit « c’est le mur des Lamentations arabe », d’autres parlent du « mur de la honte ». Même Jérusalem-Est est de plus en plus occupée, jusque sur l’esplanade des Mosquées qui abrite la Mosquée Al-Aqsa, troisième lieu saint de l’Islam. Notons que l’attaque du Hamas est dénommée « déluge Al-Aqsa », un symbole au cœur du conflit qui montre que le groupe islamiste s’appuie sur les frustrations et les rancœurs de la population…</p>
<h2>Un désespoir quotidien</h2>
<p>La liberté de mouvement des habitants de Cisjordanie est extrêmement limitée : elle dépend des autorisations et des laissez-passer obtenus auprès des autorités israéliennes. Quotidiennement, les Palestiniens doivent traverser, laborieusement, des <a href="https://books.openedition.org/pup/8020?lang=fr">checkpoints</a>.</p>
<p>Certains enfants m’expliquent qu’ils traversent le checkpoint entre Abu Dis et Jérusalem pour aller à l’école ; ils y vont seuls parce que leurs parents n’ont pas les autorisations et y passent une heure au moins tous les jours. Certains étudiants, eux, m’expliquent qu’auparavant, pour rejoindre leur université, ils pouvaient y aller à pied, maintenant, il y a le mur et un checkpoint. L’ONU estime qu’il y a environ <a href="https://www.un.org/unispal/fr/faits-et-chiffres/">593 checkpoints</a>, visant, pour la plupart, à protéger les colons israéliens.</p>
<p>La situation économique en Cisjordanie est aussi déplorable. Les <a href="https://unctad.org/fr/news/les-restrictions-economiques-en-cisjordanie-ont-coute-50-milliards-de-dollars-entre-2000-et">restrictions israéliennes</a> bloquent le développement. Le <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/09/1127031">taux de pauvreté</a> s’élève à 36 % et le taux de chômage à 26 %.</p>
<p>L’armée israélienne, surtout depuis l’arrivée du dernier gouvernement de Nétanyahou, démultiplie les <a href="https://fr.euronews.com/2023/07/03/important-raid-israelien-sur-jenine-8-palestiniens-tues-une-cinquantaine-de-blesses">interventions</a> et les raids de prévention. Avant l’attaque du Hamas, depuis le début de l’année, 200 Palestiniens avaient été tués. <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/05/1134792">L’ONU dénombre</a> 4 900 prisonniers politiques palestiniens et relève les conditions déplorables des prisons israéliennes et les mauvais traitements infligés.</p>
<h2>Impasse politique, violence latente</h2>
<p>À tout ceci s’ajoute l’impasse politique. Il n’y a pas eu d’élections depuis 2006 en Palestine. L’Autorité palestinienne, reconnue comme représentant légitime du peuple palestinien, est devenue une coquille vide qui n’a plus aucun pouvoir effectif. Le pouvoir est concentré dans les mains de Mahmoud Abbas, 87 ans, qui a perdu le soutien de sa population. La <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/la-corruption-de-leurs-dirigeants-est-un-fleau-pour-les-palestiniens-20190515">corruption</a> paralyse toutes les institutions palestiniennes.</p>
<p>Suite aux échecs, à répétitions, des négociations entre l’Autorité palestinienne et Israël, certains considèrent même que Mahmoud Abbas est <a href="https://www.iris-france.org/168899-palestine-biden-hypocrite-abbas-complice/">« complice »</a> de l’occupation israélienne.</p>
<p>La population n’attend plus rien de la politique et encore moins des négociations. Depuis le début de l’année, on avait une résurgence d’attaques « individuelles » issues du désespoir quotidien. Comme ce chauffeur palestinien qui, fin août, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1347957/attaque-a-un-checkpoint-en-cisjordanie-occupee-trois-blesses.html">a foncé dans un groupe de soldats israéliens</a> alors qu’il s’apprêtait à franchir un check-point.</p>
<p>C’est ce même désespoir qui pousse aujourd’hui une partie de la population palestinienne à soutenir les attaques du Hamas pourtant cruellement inhumaines. Comme l’indique Elie Barnavi, on pourrait même craindre, en suivant, le déclenchement d’une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/08/elie-barnavi-l-attaque-du-hamas-resulte-de-la-conjonction-d-une-organisation-islamiste-fanatique-et-d-une-politique-israelienne-imbecile_6193197_3232.html">nouvelle intifada</a>…</p>
<h2>Une opération politique du Hamas</h2>
<p>En réalité, le Hamas n’a fait que profiter de ce contexte favorable à la violence. Le Hamas, qui prône la résistance armée et refuse de reconnaître l’existence d’Israël, a instrumentalisé la frustration et le désespoir des Palestiniens pour se positionner en « véritable défenseur de la cause palestinienne ».</p>
<p>En 2006, le Hamas était sorti vainqueur des élections législatives palestiniennes. Malgré le déroulement démocratique de ces élections, le résultat n’avait pas été reconnu par la communauté internationale qui refusait qu’une organisation terroriste prenne le pouvoir. Le Hamas s’est donc replié dans la bande Gaza sur laquelle il a pris le contrôle. Depuis Gaza, il a continué de se radicaliser, de délégitimer l’Autorité palestinienne et il a attendu le momentum pour mettre son discours et sa stratégie en œuvre. Aux yeux de l’organisation, ce momentum est arrivé. Les cadres ont sans doute estimé que le contexte était favorable pour une attaque de grande ampleur qui leur permettrait de gagner en popularité.</p>
<p>D’une part, la <a href="https://theconversation.com/avec-sa-reforme-judiciaire-benyamin-netanyahou-consolide-son-heritage-politique-210667">déstabilisation interne en Israël</a> a offert une brèche dont le Hamas pouvait profiter. Israël n’a jamais été aussi divisé que depuis l’arrivée de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/29/netanyahou-revient-a-la-tete-du-gouvernement-le-plus-a-droite-de-l-histoire-d-israel_6155974_3210.html">coalition d’ultra-orthodoxes</a> et de nationaux-religieux formée par Nétanyahou. Des manifestations de grande ampleur contre la réforme de la justice ont secoué le pays depuis plusieurs mois. De manière totalement inédite, les réservistes israéliens, indispensables à la défense israélienne, s’étaient mis en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/07/en-israel-revolte-inedite-des-reservistes-de-l-armee_6164478_3210.html">grève</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Israël : la rupture Nétanyahou ? » (Le dessous des cartes, la leçon de géopolitique (Arte).</span></figcaption>
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<p>Par ailleurs, la conjoncture internationale est incontestablement en train de changer et le Hamas a probablement vu ce contexte mouvant comme une opportunité à saisir. L’équilibre des puissances évolue, de nouveaux équilibres se créent et la région se reconfigure. En témoignent l’accord entre Téhéran et Riyad, et les <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/117072-000-A/les-accords-d-abraham-qu-est-ce-que-c-est/">accords d’Abraham</a> qui ont normalisé les relations d’Israël avec certains pays arabes. <a href="https://theconversation.com/deux-si%C3%A8cles-de-grand-jeu-geopolitique-pour-les-grandes-puissances-210223">Les plaques tectoniques bougent</a> : le statu quo au <a href="https://theconversation.com/le-haut-karabakh-livre-a-lui-meme-214195">Haut-Karabakh</a> est rompu, les <a href="https://theconversation.com/afrique-des-transitions-democratiques-aux-transitions-militaires-197467">coups d’État s’enchaînent en Afrique</a>. Le Hamas a estimé le moment opportun pour imposer un bouleversement de situation.</p>
<p>Ainsi, 50 ans après la guerre du Kippour, 30 ans après le processus des accords d’Oslo, les événements tragiques de ces derniers jours sont à resituer dans la complexité tragique de ce conflit qui oppose deux peuples depuis 1948. Le Hamas se sert du désespoir et de la colère palestinienne pour conduire des actes d’une violence inouïe qui vont délégitimer une cause légitime.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215297/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Durrieu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L'attaque du Hamas s'appuie sur un contexte double: le désespoir palestinien et une conjoncture géopolitique opportune.Marie Durrieu, Doctorante associée à l'Institut de Recherche Stratégique de l'École Militaire en science politique et relations internationales (CMH EA 4232-UCA), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2152812023-10-09T20:32:44Z2023-10-09T20:32:44ZDerrière l’attaque du Hamas, le spectre de la guerre de Kippour<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/552771/original/file-20231009-23-tp22e9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=26%2C10%2C1752%2C1221&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Camions militaires égyptiens franchissant le canal de Suez sur un ponton le 7 octobre 1973, pendant la guerre du Kippour.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_du_Kippour#/media/Fichier:Bridge_Crossing.jpg">Wikipedia</a></span></figcaption></figure><p>Exactement 50 ans et un jour après avoir été complètement pris au dépourvu par une <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/affaires-sensibles-du-mercredi-04-octobre-2023-6798788">attaque militaire coordonnée par ses voisins égyptien et syrien</a>, Israël a de nouveau été pris par surprise. Les parallèles sont saisissants et ne relèvent pas seulement de la coïncidence.</p>
<p>Dès l’aube du 7 octobre 2023, les militants du Hamas <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20231007-en-images-diaporama-hamas-offensive-israel-gaza-cisjordanie">ont envahi le sud d’Israël</a> par la terre, par la mer et par les airs, et ont tiré des milliers de roquettes à l’intérieur du pays. En quelques heures, des <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/israel/conflit-israel-gaza-le-bilan-s-alourdit-a-1-000-morts_6109548.html">centaines d’Israéliens ont été tués</a>, des otages ont été capturés et la <a href="https://apnews.com/live/israel-hamas-war-live-updates">guerre a été déclarée</a>. Des représailles israéliennes féroces ont d’ailleurs déjà coûté la vie à des centaines de Palestiniens à Gaza.</p>
<p>Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou n’a pas attendu 24 heures après les premières attaques pour déclarer que son pays <a href="https://www.20minutes.fr/monde/4056710-20231008-attaque-hamas-israel-netanyahu-previent-bataille-longue">était en guerre</a>, alors que le décompte des morts israéliens continuait d’augmenter. Tout comme il y a 50 ans.</p>
<p>Et ce ne sont pas là les seuls éléments de comparaison.</p>
<h2>Des attaques-surprises lors de jours saints</h2>
<p>Ces deux guerres ont commencé par des attaques-surprises lors de jours saints juifs. En 1973, c’était le Yom Kippour, jour d’expiation pour les Juifs. Ce 7 octobre 2023, des milliers d’Israéliens célébraient <a href="https://theconversation.com/what-are-the-jewish-high-holy-days-a-look-at-rosh-hashanah-yom-kippur-and-a-month-of-celebrating-renewal-and-moral-responsibility-166079">Sim’hat Torah</a>, dédiée à la célébration de la lecture de la Torah.</p>
<p>Le Hamas, le <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-67039975">groupe armé palestinien qui contrôle</a> la bande de Gaza, territoire densément peuplée qui jouxte Israël, espère apparemment envoyer le même message que l’Égypte et la Syrie en octobre 1973 : ils n’accepteront pas le statu quo et la puissance militaire d’Israël ne garantira pas la sécurité des Israéliens.</p>
<p>La guerre de 1973 s’est avérée être un <a href="https://history.state.gov/milestones/1969-1976/arab-israeli-war-1973">moment décisif</a> non seulement dans le conflit israélo-arabe, mais aussi pour la politique d’Israël.</p>
<p>En sera-t-il de même pour cette guerre ?</p>
<h2>Un échec colossal des services de renseignements</h2>
<p>Il est certain que le déclenchement soudain de la guerre a de nouveau laissé les <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-jt/france-2/13-heures/attaque-du-hamas-contre-israel-la-population-en-etat-de-choc_6109281.html">Israéliens profondément sous le choc</a>, tout comme il y a 50 ans. Cette guerre, comme celle de 1973, est déjà présentée comme un <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-jt/france-2/13-heures/attaque-du-hamas-contre-israel-la-population-en-etat-de-choc_6109281.html">échec colossal des services de renseignement</a>.</p>
<p>Bien que les services de renseignements militaires israéliens aient <a href="https://www.timesofisrael.com/military-intelligence-warned-pm-4-times-overhaul-rift-harming-deterrence-report/">prévenu le gouvernement</a> que les ennemis du pays croyaient Israël vulnérable, ils ne s’attendaient pas à ce que le Hamas attaque à ce moment-là.</p>
<p>Les services pensaient plutôt que, dans le contexte présent, le Hamas souhaitait avant tout gouverner la bande de Gaza et non déclencher une guerre avec Israël.</p>
<p>Une hypothèse soutenue par l’idée que le Hamas aurait tout à craindre d’importantes représailles de la part d’Israël, qui provoqueraient indéniablement de nombreux dommages à Gaza. Le territoire, qui abrite 2 millions de Palestiniens, <a href="https://www.trtworld.com/middle-east/poverty-soars-in-the-palestinian-gaza-strip-51475">dont beaucoup vivent dans la pauvreté</a>, ne s’est toujours pas remis de la <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2021/08/23/gaza-enquete-sur-les-frappes-aeriennes-israeliennes-contre-des-tours-dhabitation-en">dernière grande série de combats, en mai 2021</a>.</p>
<p>Les services de renseignement et de nombreux analystes pensaient également que le Hamas préférait exporter la violence palestinienne vers la Cisjordanie occupée par Israël, afin de <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/surging-violence-hamas-attempts-reshape-west-banks-political-landscape">contribuer à saper</a> le peu de pouvoir d’une Autorité palestinienne déjà faible et <a href="https://www.haaretz.com/opinion/2023-06-29/ty-article-opinion/.premium/why-is-the-palestinian-authority-weak-israeli-occupation/00000189-08a0-dae1-afa9-08bd83b50000">impopulaire</a>, dirigée par le Fatah, rival politique du Hamas.</p>
<p>Ces postulats se sont révélés terriblement erronés, tout comme l’étaient les évaluations des renseignements <a href="https://www.brookings.edu/articles/enigma-the-anatomy-of-israels-intelligence-failure-almost-45-years-ago/">avant le déclenchement de la guerre de 1973</a>. À l’époque, comme aujourd’hui, les adversaires d’Israël n’ont pas été dissuadés par sa supériorité militaire.</p>
<h2>Échec militaire</h2>
<p>Les services de renseignement israéliens ont non seulement mal évalué la volonté de leurs adversaires d’entrer en guerre, mais ils n’ont pas non plus réussi – en 1973 comme aujourd’hui – à identifier les éléments qui signalaient les préparatifs d’une offensive.</p>
<p>Cette fois-ci, l’échec est encore plus flagrant, compte tenu des capacités de collecte de renseignements d’Israël. Le Hamas a dû <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-67041679">planifier soigneusement cette attaque</a> pendant de nombreux mois. Il s’agit sans aucun doute du pire échec d’Israël en matière de renseignement depuis la guerre de 1973.</p>
<p>Échec des renseignements, mais aussi échec des militaires, les Forces de défense israéliennes étant <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/2023-10-08/ty-article/.premium/six-significant-failures-that-lead-to-one-point-collapse-vs-hamas/0000018b-0f15-dfff-a7eb-afdd0bb80000">massivement déployées en Cisjordanie</a> et manifestement pas préparées à une attaque de cette ampleur du côté de Gaza.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un membre des forces de sécurité passe devant un poste de police israélien à Sderot le 8 octobre." src="https://images.theconversation.com/files/552644/original/file-20231008-17-y8wk2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552644/original/file-20231008-17-y8wk2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552644/original/file-20231008-17-y8wk2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552644/original/file-20231008-17-y8wk2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552644/original/file-20231008-17-y8wk2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552644/original/file-20231008-17-y8wk2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552644/original/file-20231008-17-y8wk2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un membre des forces de sécurité passe devant un poste de police israélien à Sderot le 8 octobre.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/member-of-the-security-forces-walks-past-an-israeli-police-news-photo/1712638347?adppopup=true">Ronaldo Schemidt/AFP</a></span>
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<p>Les hauts gradés de l’armée avaient certes <a href="https://www.timesofisrael.com/military-intelligence-warned-pm-4-times-overhaul-rift-harming-deterrence-report/">averti Nétanyahou à plusieurs reprises</a> que la réactivité des forces armées avait été diminuée par la <a href="https://www.wsj.com/articles/israeli-reservists-start-missing-duty-threatening-military-unity-and-readiness-76df3ade">vague de</a> réservistes israéliens <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/hundreds-israeli-reservists-vow-refuse-service-if-judicial-overhaul-passes-2023-07-19/">refusant de servir</a> en signe de protestation contre la tentative de réforme judiciaire du gouvernement. Mais les militaires restaient convaincus que leurs fortifications défensives – en particulier la coûteuse <a href="https://www.realcleardefense.com/articles/2021/04/10/a_closer_look_at_israels_new_high-tech_barrier_772195.html">barrière de haute technologie construite autour de la bande de Gaza</a> – empêcheraient les militants du Hamas de pénétrer en Israël, comme cela avait été le cas lors d’un raid en mai 2021.</p>
<p>Mais tout comme la <a href="https://www.globalsecurity.org/military/world/israel/bar-lev-line.htm">ligne de défense Bar-Lev</a> le long du canal de Suez n’a pas réussi à empêcher les soldats égyptiens de traverser le canal en 1973, la barrière de Gaza n’a pas arrêté les militants du Hamas. Elle a été <a href="https://apnews.com/article/israel-palestinians-gaza-hamas-rockets-airstrikes-tel-aviv-11fb98655c256d54ecb5329284fc37d2">simplement contournée</a> et <a href="https://www.nbcnews.com/video/watch-bulldozer-tears-down-section-of-israel-gaza-border-fence-194649157630">détruite au bulldozer</a>.</p>
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<h2>La quête d’un responsable</h2>
<p>Après cette guerre, des enquêtes seront sans aucun doute menées afin de déterminer un responsable, après la guerre de 1973. Une commission d’enquête sera probablement créée en Israël, similaire à la commission Agranat de 1973 qui a publié un <a href="https://archives.mod.gov.il/sites/English/docs/agranat/Pages/AgranatReport.aspx">rapport</a> cinglant, pointant du doigt la responsabilité de l’armée et des services de renseignement israéliens.</p>
<p>Mais concernant cette guerre qui débute, ce ne sont peut-être pas l’armée et le renseignement d’Israël qui sont les plus à blâmer. Si l’on pointe la responsabilité politique, Benyamin Nétanyahou serait potentiellement dans le viseur, lui qui dirige le pays depuis 2009, à l’exception d’une année entre 2021 et 2022.</p>
<p>De fait, la guerre de 1973 était également le fruit d’échecs politiques. Israël, alors gouverné par la première ministre Golda Meir et influencé par son ministre de la Défense Moshe Dayan, avait refusé, dans les années qui ont précédé la guerre, les <a href="https://www.latimes.com/opinion/op-ed/la-oe-kipnis-golda-meier-kissinger-20131010-story.html">ouvertures diplomatiques</a> du président égyptien Anouar El Sadate. Le gouvernement israélien était alors déterminé à conserver certaines parties de la péninsule du Sinaï – qu’Israël avait <a href="https://history.state.gov/milestones/1961-1968/arab-israeli-war-1967">capturée lors de la guerre de 1967</a> – même au prix de la paix avec l’Égypte.</p>
<p>De la même manière, Nétanyahou a ignoré les <a href="https://www.ynetnews.com/magazine/article/bjjtjc3vn">efforts récents de l’Égypte</a> visant à négocier une trêve à long terme entre Israël, le Hamas, et le Djihad islamique. L’actuel <a href="https://www.pbs.org/newshour/world/israel-swears-in-netanyahu-as-prime-minister-most-right-wing-government-in-countrys-history">gouvernement d’extrême droite</a> a préféré conserver la Cisjordanie occupée plutôt que de rechercher la possibilité d’une paix avec les Palestiniens.</p>
<p>En outre, le gouvernement Nétanyahou a été largement préoccupé par sa tentative, fort impopulaire, de <a href="https://apnews.com/article/israel-judicial-overhaul-netanyahu-d4ebdff08f42b225f7a2a933f7d793f5">réduire le pouvoir et l’indépendance de la Cour suprême d’Israël</a>. Une démarche apparemment destinée à éliminer un obstacle potentiel à l’annexion formelle de la Cisjordanie. Mais l’agitation intérieure et les profondes divisions provoquées par ce projet de réforme permettent d’expliquer en partie pourquoi le Hamas a décidé d’attaquer au moment où il l’a fait.</p>
<p>De manière plus générale, l’attaque montre clairement que la stratégie de Nétanyahou visant à contenir et à dissuader le Hamas a échoué de manière catastrophique. Un échec aux conséquences dramatiques pour les Israéliens, en particulier ceux qui vivent dans le sud du pays, et plus encore pour les civils palestiniens de Gaza.</p>
<p>Le blocus continu de Gaza <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/07/world/middleeast/gaza-blockade-israel.html">depuis 16 ans</a> a certes paralysé son économie et emprisonné de fait ses 2 millions d’habitants, mais n’a pas mis le Hamas à genoux.</p>
<p>Au contraire, le contrôle du Hamas sur Gaza n’a fait que se renforcer, et des civils innocents des deux côtés de la frontière ont payé le prix fort pour cet échec.</p>
<p>À la suite de la guerre de 1973, la première ministre Golda Meir a été contrainte de <a href="https://www.nytimes.com/1974/04/11/archives/golda-meir-quits-and-brings-down-cabinet-in-israel-new-election.html">démissionner</a>. Quelques années plus tard, le parti travailliste, qui avait été au pouvoir, sous diverses formes, depuis la fondation du pays en 1948, fut battu par le parti de droite Likoud de Menachem Begin lors des <a href="https://en.idi.org.il/israeli-elections-and-parties/elections/1977/">élections générales de 1977</a>. Ce fut un tournant dans la politique intérieure israélienne, qui s’explique en grande partie par la perte de confiance envers le parti travailliste (jusqu’alors dominant) suite à la guerre de 1973.</p>
<h2>L’histoire se répétera-t-elle encore ?</h2>
<p>L’histoire se répétera-t-elle encore ? Cette guerre sonnera-t-elle enfin le glas de la longue domination de Nétanyahou et du Likoud sur la politique israélienne ? La plupart des Israéliens se sont déjà <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/israels-netanyahu-down-polls-over-judicial-reform-2023-07-26/">retournés contre le premier ministre</a>, rebutés par l’ensemble des scandales de corruption qui l’entourent, par ses tentatives de réduire le pouvoir du système judiciaire et par le virage à droite opéré par sa coalition.</p>
<p>L’attaque-surprise du Hamas a mis à mal l’image de Nétanyahou, qui se présente volontiers comme le <a href="https://www.haaretz.com/opinion/2022-08-12/ty-article-opinion/.premium/no-longer-mr-security-netanyahu-reinvents-himself-as-a-social-populist/00000182-8ebd-d9bc-affb-efbfae870000">« Monsieur Sécurité »</a> d’Israël.</p>
<p>Cette guerre sera probablement encore plus traumatisante pour les Israéliens car en 1973, les militaires avaient subi toute la force de l’assaut surprise. Cette fois-ci, ce sont des civils qui ont été capturés et tués sur le territoire national. Un point crucial qui marque une différence capitale avec la guerre de 1973.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215281/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dov Waxman ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les manquements internes israéliens qui ont précédé la guerre de Kippour, il y a 50 ans, avaient coûté leur poste au premier ministre israélien de l’époque. L’histoire pourrait-elle se répéter ?Dov Waxman, Rosalinde and Arthur Gilbert Foundation Professor of Israel Studies, University of California, Los AngelesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2152432023-10-08T17:20:57Z2023-10-08T17:20:57ZIsraël-Palestine : les conséquences dévastatrices de l’assaut du Hamas<p>Il y a presque 50 ans jour pour jour, Israël n’avait pas su anticiper le déclenchement de la <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/07/world/middleeast/for-many-israelis-the-attacks-have-haunting-echoes-of-the-1973-yom-kippur-war.html">guerre du Kippour de 1973</a>, qui avait démarré par une attaque inattendue contre ses frontières par une coalition d’États arabes.</p>
<p>Aujourd’hui, il semble que les services de renseignement du pays aient à nouveau été victimes d’un faux sentiment de sécurité.</p>
<p>La conviction, largement partagée dans la société israélienne, que le Hamas ne chercherait pas à se lancer dans une confrontation militaire à grande échelle avec Tsahal pour se protéger et pour épargner de nouvelles souffrances aux habitants de Gaza a été anéantie par l’assaut surprise déclenché samedi matin, par voie aérienne, terrestre et maritime.</p>
<p>L’<a href="https://apnews.com/article/israel-palestinians-gaza-hamas-rockets-airstrikes-tel-aviv-11fb98655c256d54ecb5329284fc37d2">attaque</a> a commencé par un tir de barrage de plusieurs milliers de roquettes tirées sur Israël. Sous le couvert de ces roquettes, une opération terrestre de grande envergure, soigneusement coordonnée, est partie de Gaza et a pris pour cibles plus de 20 villes israéliennes et bases militaires adjacentes à la bande de Gaza.</p>
<p>Les pertes israéliennes, estimées actuellement à <a href="https://www.leparisien.fr/international/attaques-du-hamas-en-israel-le-conflit-a-deja-fait-pres-dun-millier-de-morts-08-10-2023-5CKB6FC7ONA3XDXAAUK5BLSZDA.php">plus de 600 morts et 2 000 blessés</a>, vont certainement augmenter dans les heures et les jours à venir.</p>
<p>Une mobilisation massive des réservistes de l’armée israélienne a été entamée, et des bombardements aériens ont frappé les installations et les postes de commandement du Hamas à Gaza. Plus de <a href="https://www.lexpress.fr/monde/proche-moyen-orient/attaque-du-hamas-netanyahou-previent-que-la-guerre-sera-longue-les-dernieres-infos-JLLLTSA2JNAAFHPWDGKIZAYR3A/">370 victimes palestiniennes</a> ont été signalées jusqu’à présent à Gaza, et 1 700 personnes ont été blessées.</p>
<h2>Les calculs du Hamas</h2>
<p>Comme dans le cas de la <a href="https://israeled.org/resources/documents/agranat-yom-kippur-war/">guerre du Kippour</a>, de nombreuses analyses et enquêtes seront menées dans les semaines, les mois et les années à venir sur les échecs en matière de renseignement, d’opérations sécuritaires et de politique qui ont permis au Hamas de prendre ainsi Israël à défaut. L’assaut n’a apparemment pas été détecté par les services israéliens dans un premier temps, puis a pu se dérouler avec succès pendant des heures, les combattants du Hamas se retrouvant face à des forces israéliennes insuffisantes ou non préparées.</p>
<p>Comme en 1973, l’assaut a été lancé durant le sabbat et lors de la fête juive de Souccot. Les objectifs stratégiques du Hamas sont incertains à ce stade. Toutefois, la sévérité certaine des représailles israéliennes contre le mouvement – et, par conséquent, contre la population civile de Gaza – rend probable l’existence de considérations allant au-delà d’une simple vengeance contre les actions israéliennes.</p>
<p>L’enlèvement d’Israéliens en vue de les échanger par la suite contre des militants du Hamas emprisonnés en Israël est depuis longtemps un objectif majeur des opérations militaires du mouvement islamiste.</p>
<p>En 2011, un soldat israélien, Gilad Shalit, qui était détenu à Gaza depuis 2006, avait été <a href="https://www.europe1.fr/international/Gilad-Shalit-les-dessous-de-sa-liberation-338468">échangé</a> contre plus de 1 000 prisonniers palestiniens. Parmi ces prisonniers se trouvait <a href="https://www.theguardian.com/world/2017/feb/13/hamas-elects-hardliner-yahya-sinwar-as-its-gaza-strip-chief">Yahya Sinwar</a>, l’actuel chef du Hamas à Gaza, qui avait passé 22 ans dans une prison israélienne.</p>
<p>Les <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/07/world/middleeast/hamas-hostages-israel-video.html">rapports</a> faisant état de dizaines d’Israéliens – dont de nombreux civils – capturés par le Hamas lors de l’assaut de ce week-end suggèrent qu’il pourrait s’agir là d’un motif central de l’attaque. Un nombre indéterminé d’otages détenus pendant des heures par des militants du Hamas dans deux villes du sud d’Israël ont été <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-67044255">libérés par la suite</a> par les forces spéciales israéliennes.</p>
<p>Un autre objectif du Hamas, plus large, pourrait être de saper les <a href="https://theconversation.com/rapprochement-arabie-saoudite-israel-le-difficile-pari-de-washington-213139">négociations en cours</a> entre les États-Unis et l’Arabie saoudite sur un accord visant à normaliser les relations entre le royaume et Israël.</p>
<p>Un échec de ces pourparlers serait une aubaine pour l’Iran, l’un des principaux soutiens du Hamas, et pour ses alliés. Téhéran a déclaré qu’il <a href="https://www.politico.eu/article/iran-hamas-attacks-against-israel-palestine-jerusalem/">soutenait</a> les attaques du Hamas contre Israël, mais on ne sait pas encore si l’Iran ou le Hezbollah (le groupe libanais chiite qui entretient un <a href="https://www.nytimes.com/2023/04/08/world/middleeast/rockets-lebanon-hamas-hezbollah-israel.html">partenariat croissant avec le Hamas</a>) ouvriront d’autres fronts dans les jours à venir, même si ce dernier a déjà <a href="https://www.bfmtv.com/international/moyen-orient/israel/attaques-du-hamas-en-israel-le-hezbollah-revendique-a-son-tour-des-tirs-vers-israel-depuis-le-liban_AV-202310080093.html">tiré des obus contre le territoire israélien le 8 octobre</a>.</p>
<p>Toute escalade du conflit en provenance de l’Iran ou du Liban serait très problématique pour Israël. Il en irait de même si la guerre contre le Hamas venait à exacerber les tensions déjà très sensibles et les affrontements violents entre Israël et les groupes militants palestiniens en Cisjordanie.</p>
<h2>Et maintenant ?</h2>
<p>Baptisée <a href="https://www.jpost.com/breaking-news/article-762075">« Glaives de fer »</a>, l’offensive de représailles d’Israël contre le Hamas à Gaza risque de durer longtemps.</p>
<p>Outre la nécessité de restaurer la confiance de la société israélienne dans son armée et de ressusciter la dissuasion militaire d’Israël face au Hamas et à d’autres ennemis, le gouvernement du premier ministre Benyamin Nétanyahou devra probablement faire face à d’autres défis qu’il lui sera compliqué de relever : le sort des dizaines d’otages israéliens ; les risques que courront les forces israéliennes en cas d’incursion terrestre, à Gaza ; et les menaces d’escalade sur d’autres fronts, notamment au Liban, en Cisjordanie et dans les villes mixtes juives et palestiniennes à l’intérieur d’Israël.</p>
<p>En outre, le soutien international pourrait rapidement s’éroder en cas d’opération majeure à Gaza, à mesure que le nombre de victimes palestiniennes, déjà élevé, s’accroîtra.</p>
<p>Les violences actuelles viennent à peine de commencer, mais elles pourraient devenir les plus sanglantes depuis des décennies, peut-être même depuis la <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/1982_Lebanon_War">guerre</a> entre Israël et les Palestiniens au Liban dans les années 1980.</p>
<p>Comme nous l’avons indiqué, les Israéliens considéreront sans aucun doute qu’il est essentiel de restaurer leur pleine capacité de dissuasion militaire face au Hamas – ce qui, aux yeux de beaucoup, pourrait nécessiter une prise de contrôle militaire de la bande de Gaza. Cela aurait des conséquences encore plus dévastatrices pour la population civile de Gaza.</p>
<p>Aux yeux de nombreux Palestiniens, les événements de ce week-end ont offert aux Israéliens un petit aperçu de ce qu’a été leur propre vie pendant des décennies d’occupation. Toutefois, les premières célébrations se transformeront probablement bientôt en colère et en frustration, car le nombre de victimes civiles palestiniennes continuera d’augmenter. La violence engendre la violence.</p>
<p>À court et à moyen terme, le traumatisme causé par l’attaque-surprise du Hamas ne manquera pas d’avoir des conséquences considérables sur la politique intérieure d’Israël.</p>
<p>Dans ses mémoires de 2022, <a href="https://fr.timesofisrael.com/12-points-a-retenir-des-memoires-de-netanyahu/"><em>Bibi. Mon Histoire</em></a>, Benyamin Nétanyahou a évoqué sa décision, lors de l’opération israélienne <a href="https://www.nytimes.com/2012/11/23/world/middleeast/for-israel-gaza-conflict-a-practice-run-for-a-possible-iran-confrontation.html">« Pilier de défense »</a> menée contre le Hamas en 2012, de ne pas lancer un assaut terrestre israélien à Gaza.</p>
<p>Une telle attaque, explique-t-il dans le livre, aurait pu causer plusieurs centaines de victimes parmi les forces de défense israéliennes et plusieurs milliers de victimes parmi les Palestiniens, ce à quoi il s’opposait catégoriquement. Il a autorisé des incursions terrestres à deux autres occasions (opérations <a href="https://imeu.org/article/operation-cast-lead">« Plomb durci »</a> en 2008 et <a href="https://casebook.icrc.org/case-study/israelpalestine-operation-protective-edge-gaza-13-june-26-august-2014">« Bordure protectrice »</a> en 2014. Mais la prudence l’a emporté dans d’autres cas, parfois du fait des fortes pressions dont il a pu faire l’objet.</p>
<p>Au vu de la combinaison du traumatisme national de ce week-end et de la composition du <a href="https://www.lexpress.fr/monde/proche-moyen-orient/israel-pourquoi-ce-gouvernement-de-netanyahou-est-le-plus-a-droite-de-lhistoire-du-pays-WJKMLOJV2ZDPVFJFCOJZSCB23I/">gouvernement de Nétanyahou, considéré comme le plus à droite de l’histoire du pays</a>, il semble très peu probable qu’il fasse preuve de la même retenue dans les jours à venir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215243/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eyal Mayroz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les Israéliens pourraient décider de prendre militairement le contrôle de la bande de Gaza.Eyal Mayroz, Senior Lecturer in Peace and Conflict Studies, University of SydneyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2141952023-09-22T19:00:31Z2023-09-22T19:00:31ZLe Haut-Karabakh livré à lui-même<p>Un <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230920-haut-karabakh-s%C3%A9paratistes-arm%C3%A9niens-d%C3%A9posent-les-armes-offensive-azerba%C3%AFdjan">cessez-le-feu</a> a été instauré au Haut-Karabakh après l’offensive éclair de l’Azerbaïdjan, le 20 septembre, qui a fait <a href="https://www.lefigaro.fr/international/attaque-du-haut-karabakh-29-morts-dans-les-frappes-l-azerbaidjan-exige-que-les-armeniens-deposent-les-armes-20230920">au moins 200 morts</a> et conduit à la capitulation des sécessionnistes. Deux jours plus tard, le Conseil de sécurité de l’ONU, réuni à la demande de la France, a été le <a href="https://press.un.org/fr/2023/cs15418.doc.htm">théâtre d’échanges musclés entre les représentants de Bakou et ceux de l’Arménie</a>, laquelle protège historiquement cette région incorporée à l’Azerbaïdjan à l’époque soviétique mais peuplée quasi uniquement d’Arméniens. </p>
<p>Le Haut-Karabakh avait proclamé son indépendance vis-à-vis de Bakou en 1991, au moment de l’effondrement de l’URSS. S’en était suivie une guerre de trois ans, finalement remportée par les forces arméniennes du Haut-Karabakh, largement soutenues par l’Arménie. Ceux-ci avaient par la suite établi dans cette zone la république d’Artsakh, un <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2013-1-page-30.htm">État de facto doté d’un fonctionnement étatique complet</a>, avec des structures officielles, des élections et une armée, mais qui n’a été reconnu par aucun État représenté à l’ONU. Bakou n’avait jamais accepté cette défaite, et le Karabakh est devenu <a href="https://theconversation.com/trente-ans-apres-leffondrement-de-lurss-ces-etats-fantomes-qui-hantent-lespace-post-sovietique-174140">l’un des nombreux conflits gelés de l’espace post-soviétique</a>. L’Azerbaïdjan a relancé les hostilités à grande échelle en 2020, avec succès, <a href="https://theconversation.com/haut-karabagh-cessez-le-feu-sur-une-ligne-de-faille-geopolitique-149958">récupérant une partie considérable de la région contestée</a>. Sa victoire du 20 septembre signifie-t-elle la fin de ce conflit ? </p>
<p>L’historienne Taline Ter Minassian, spécialiste de la région, répond ici aux principales questions que l’on se pose sur la situation actuelle au Haut-Karabakh et sur les perspectives d’avenir de ses habitants.</p>
<h2>À quoi la vie ressemble-t-elle aujourd’hui à Stepanakert, la principale ville du Haut-Karabakh et capitale de la république autoproclamée en 1991 ?</h2>
<p>Les gens <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/haut-karabakh-apres-les-bombes-la-peur-du-nettoyage-ethnique-20230920_5Z7ZXKLGWRGQZCVBV3USLDIF4M/">ont très peur</a>. Bon nombre d’entre eux sont terrés dans des caves. Un cessez-le-feu a été promulgué, mais les soldats azerbaïdjanais sont à proximité de la ville – ils n’en étaient de toute façon pas très loin, puisque même avant l’attaque du 20 septembre, ils tenaient déjà la ville voisine de Chouchi, distante d’à peine dix kilomètres, et dont ils ont <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/08/l-azerbaidjan-annonce-avoir-repris-chouchi-deuxieme-ville-du-haut-karabakh_6058982_3210.html">pris le contrôle lors de la guerre de 2020</a>.</p>
<p>Une partie de la population a été <a href="https://www.armenews.com/spip.php?page=article&id_article=107865">rassemblée à l’aéroport de Stepanakert</a> – un aéroport où aucun avion civil n’a atterri depuis trente ans, et qui est désormais une sorte de camp retranché aux mains des militaires russes, présents dans le cadre de la mission de maintien de la paix établie à l’issue, précisément, de la guerre de 2020.</p>
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<h2>Quelle était la situation au Haut-Karabakh à la veille de l’attaque que vient de lancer l’Azerbaïdjan ?</h2>
<p>Le 10 novembre 2020, un cessez-le-feu signé sous les auspices de Vladimir Poutine avait mis un terme à ce qu’on a appelé la « guerre de 44 jours », qui était en réalité la seconde guerre du Karabakh. La première ayant été gagnée par le camp arménien au début des années 1990. La seconde, à l’automne 2020 donc, a été remportée de façon incontestable par l’Azerbaïdjan, qui a alors repris le périmètre autour de l’enclave, jusqu’alors contrôlé par les Arméniens, ainsi qu’environ les deux tiers de l’enclave elle-même.</p>
<p>Le <a href="https://fr.azvision.az/news/100149/d%C3%A9claration-du-pr%C3%A9sident-de-la-r%C3%A9publique-dazerba%C3%AFdjan,du-premier-ministre-de-la-r%C3%A9publique-darm%C3%A9nie-et-du-pr%C3%A9sident-de-la-f%C3%A9d%C3%A9ration-de-russie.html">cessez-le-feu</a> prévoyait que des communications devaient être assurées entre, d’une part, l’Arménie et le Karabakh, via la route du corridor de Latchine, et d’autre part entre l’Azerbaïdjan et le <a href="https://www.lepoint.fr/monde/l-azerbaidjan-convoiterait-l-extreme-sud-de-l-armenie-02-11-2020-2399058_24.php">Nakhitchevan</a>, qui est une exclave de l’Azerbaïdjan située à l’ouest du territoire arménien et frontalière de la Turquie – c’est-à-dire que l’Azerbaïdjan et la Turquie bénéficieraient dans cette hypothèse, dès lors, d’une sorte de raccordement terrestre direct.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/549826/original/file-20230922-29-rqcd5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte de la région.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>Un certain nombre d’Arméniens – on évoque le chiffre de 120 000, mais il est difficile à vérifier – étaient restés dans les zones du Karabakh encore contrôlées par les autorités de la République d’Artsakh, ainsi que dans certains territoires adjacents repris par les Azerbaïdjanais. Je me suis rendue à Stepanakert au tout début de l’application de l’accord de cessez-le-feu de 2020. La situation semblait à peu près stabilisée, notamment du fait de la présence des forces russes de maintien de la paix stationnées le long de ce fameux corridor de Latchine.</p>
<p>Mais cette situation ne pouvait pas satisfaire longtemps l’Azerbaïdjan qui, l’hiver dernier, a mis en place un <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/02/azerbaijan-blockade-of-lachin-corridor-putting-thousands-of-lives-in-peril-must-be-immediately-lifted/">véritable blocus</a>, en interrompant toute circulation à l’intérieur du corridor de Latchine. Le Karabakh était donc coupé de l’Arménie, c’est-à-dire de son seul lien avec l’extérieur, depuis neuf mois. Quelques jours avant l’attaque du 20 septembre, l’Azerbaïdjan avait rouvert une route reliant son propre territoire au Karabakh, officiellement pour y acheminer de l’aide humanitaire mais en réalité, sans doute, aussi et avant tout pour acheminer ses soldats et ses équipements militaires. </p>
<p>Le 20 septembre, en violation totale du cessez-le-feu signé en 2020, l’Azerbaïdjan a déclenché une violente attaque contre Stepanakert et ses alentours. Il y a eu de nombreux morts, y compris d’ailleurs plusieurs soldats russes, dont l’un des hauts responsables des forces de maintien de la paix. <a href="https://www.rtl.be/actu/monde/europe/soldats-russes-tues-au-karabakh-aliev-sest-excuse-aupres-de-poutine/2023-09-21/article/590381">Le président Ilham Aliev s’est fendu d’une courte lettre adressée à Poutine</a> regrettant leur décès. En moins de 24 heures, les autorités de la république du Haut-Karabakh ont été contraintes d’accepter un désarmement total. </p>
<h2>Pourquoi l’Azerbaïdjan a-t-il décidé d’attaquer maintenant ?</h2>
<p>C’est une banalité de le dire, mais pour la Russie, officiellement garante du cessez-le-feu, la priorité est aujourd’hui évidemment ailleurs. Dans le cadre de sa guerre en Ukraine, Moscou a besoin de la Turquie, qui est le parrain international de l’Azerbaïdjan. Signe qui ne trompe pas : la veille de l’attaque azerbaïdjanaise, Erdogan a <a href="https://caliber.az/en/post/191251">dit dans une interview que la Crimée ne retournerait jamais à l’Ukraine</a>. Il n’avait jamais tenu de tels propos auparavant. On peut interpréter cela comme une sorte de monnaie d’échange contre la passivité du Kremlin dans l’affaire du Karabakh. Une chose est certaine : Aliev ne serait pas passé à l’action sans le feu vert d’Erdogan. Riche du produit de la vente de son pétrole, surarmé, notamment grâce à ses <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Israel-et-l-Azerbaidjan-une-romance-diplomatique-sous-le-sceau-de-la.html">achats d’armes auprès d’Israël, dont il s’est dernièrement rapproché</a>, l’Azerbaïdjan était évidemment très supérieur militairement aux forces du Karabakh.</p>
<h2>Comment expliquer ce rapprochement ?</h2>
<p>C’est un jeu diplomatique très complexe. Pour Israël, qui redoute beaucoup l’Iran, il est important d’avoir de bonnes relations avec l’Azerbaïdjan, lequel a des <a href="https://www.lenouveleconomiste.fr/lintegrite-territoriale-au-coeur-des-tensions-entre-iran-et-azerbaidjan-95580/">relations tendues avec ce pay</a>s, notamment parce que les Iraniens craignent <a href="https://www.cairn.info/ethnicite-et-nationalisme-en-iran--9782811105556-page-75.htm">l’irrédentisme de leur région septentrionale</a>, qui s’appelle Azerbaïdjan iranien, et aussi parce que l’Iran est très hostile à l’OTAN, dont la Turquie, le grand allié de Bakou, est membre.</p>
<p>Les grandes manœuvres ne cessent jamais, chacun défend ses intérêts : il y a deux jours, le ministre russe de la Défense <a href="https://fr.mil.ru/fr/news_page/person/more.htm?id=12479428@egNews">Sergueï Choïgou s’est rendu à Téhéran</a> et les deux pays ont affiché leur entente… Quant aux simples habitants arméniens du Karabakh, ils ne comprennent pas grand-chose à ce Grand Jeu dont ils sont les victimes, puisque les voilà désormais confrontés au risque d’être expulsés de leurs terres.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/deux-siecles-de-grand-jeu-geopolitique-pour-les-grandes-puissances-210223">Deux siècles de Grand Jeu géopolitique pour les grandes puissances</a>
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<h2>Y a-t-il un risque de nettoyage ethnique orchestré par Bakou au Karabakh ?</h2>
<p>Les autorités azerbaïdjanaises ont beau s’en défendre et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=7j2wO83M8jg&">affirmer que les habitants du Karabakh ont vocation à être des citoyens de l’Azerbaïdjan comme les autres</a>, en réalité une campagne visant à les terrifier et à les pousser au départ est en cours depuis longtemps – c’était notamment le but du blocus du corridor de Latchine, qui a affamé le Karabakh.</p>
<p>À présent que l’Azerbaïdjan a mis la main sur toute l’enclave, il est difficile d’imaginer que les Arméniens puissent continuer d’y vivre très longtemps sans garanties de sécurité. Un exode massif semble probable – ce qui serait une sorte de redite des pages les plus terribles de l’histoire des Arméniens, comme celles de 1915 ou de 1921.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/armenie-une-lecon-dhistoire-dune-actualite-brulante-173225">Arménie : une leçon d’histoire d’une actualité brûlante</a>
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<p>Plus près de nous, les Arméniens n’ont pas oublié le <a href="https://www.courrier.am/fr/actualite/pogroms-de-soumgait-un-crime-sans-chatiment">massacre de Soumgaït</a> commis par les Azerbaïdjanais en 1988. </p>
<h2>Comment peut-on qualifier le régime azerbaïdjanais actuel ?</h2>
<p>Il s’agit assurément d’un régime autoritaire, qui n’a absolument rien d’une démocratie. Il est dirigé par une dynastie en place depuis l’époque soviétique, puisque le précédent président du pays, <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2008-3-page-44.html">Heïdar Aliev</a> (1993-2003), père du président actuel Ilham Aliev qui lui a succédé après son décès, était un éminent officier du KGB et membre du Politburo de l’URSS, avant de devenir le président de la République socialiste soviétique (RSS) d’Azerbaïdjan.</p>
<p>Le régime écrase toute voix discordante et n’entend guère laisser la moindre autonomie au Karabakh, alors même que cette région n’y a été intégrée qu’au temps de l’URSS et qu’elle bénéficiait alors du statut de région autonome au sein de la RSS d’Azerbaïdjan.</p>
<p>Au-delà, les Azerbaïdjanais ne cessent de s’affirmer « les frères des Turcs » et emploient, à propos de leur lien avec la Turquie, la formule <a href="https://www.dauphine-strategie-defense.com/publications/2021/1/14/turquie-et-azerbadjan-une-seule-nation-deux-tats-15">« Une nation, deux États »</a>. Les Arméniens n’ont aucune place dans cette vision.</p>
<p>Aujourd’hui, Bakou et Ankara – qui nient officiellement le génocide arménien de 1915 – sont en position de force et il ne faut attendre de leur part aucune délicatesse à l’égard des Arméniens. Ceux-ci seraient bien naïfs de prendre pour argent comptant les propos des responsables de Bakou – d’autant que ceux-ci viennent de trahir leur parole en violant sans états d’âme le cessez-le-feu de 2020.</p>
<h2>L’Arménie, cette fois, n’est pas intervenue pour soutenir le Karabakh…</h2>
<p>Certes, mais elle n’en avait pas les moyens, depuis la guerre perdue il y a trois ans, où elle avait perdu des milliers de soldats. Il y a aujourd’hui en Arménie un <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230922-haut-karabakh-en-arm%C3%A9nie-nikol-pachinian-est-coinc%C3%A9-et-sans-solution">grand mouvement hostile au premier ministre Nikol Pachinian</a>, accusé d’avoir tenté sans succès de jouer sur tous les tableaux et d’avoir cherché à donner trop de gages à la fois à la Russie, à l’Azerbaïdjan et aux Occidentaux ; mais il y a aussi la compréhension que, quelles qu’en soient les raisons, l’armée arménienne n’avait pas, cette fois-ci, la capacité de voler seule au secours du Karabakh.</p>
<p>En résumé, on semble assister à nouveau à un épisode similaire à celui d’il y a cent ans, quand l’Arménie avait été prise en étau entre la Turquie de Mustafa Kemal et l’URSS. Sauf qu’il n’y a plus d’URSS pour l’absorber, et la Russie ne va certainement pas tenter de le faire, ne serait-ce que parce qu’elle n’a pas de continuité territoriale avec l’Arménie. </p>
<h2>Au-delà du Karabakh, l’Arménie est-elle en danger ?</h2>
<p>Il faudra suivre cette histoire de jonction de l’Azerbaïdjan et de la Turquie à travers le sud de l’Arménie. Si cela se matérialise, c’est une catastrophe de plus pour l’Arménie, qui risquerait d’être réduite territorialement. Mais c’est un scénario que l’Iran voudra absolument empêcher, car Téhéran tient beaucoup à conserver une frontière commune avec l’Arménie et un tel corridor reviendrait à l’en priver. Une déflagration généralisée ne serait alors pas à exclure.</p>
<h2>Les Occidentaux ont été plus discrets sur ce dossier, même si la France a convoqué en urgence le Conseil de sécurité de l’ONU…</h2>
<p>Les Européens sont loin, les Américains encore plus. Ce qui importe ici, c’est le jeu des puissances régionales. Et si l’Iran est hostile à l’Azerbaïdjan, en revanche Ankara le soutient pleinement et la Russie ne veut se fâcher ni avec l’Azerbaïdjan, ni avec la Turquie.</p>
<p>Moscou a toujours donné la préférence à Bakou par rapport à Erevan, notamment pour les richesses en hydrocarbures de l’Azerbaïdjan – c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le Karabakh avait finalement été attribué par les bolcheviks à l’Azerbaïdjan plutôt qu’à l’Arménie. Bref, une fois de plus, les Arméniens se retrouvent seuls face à leur inextricable situation géopolitique. </p>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214195/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Taline Ter Minassian ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les forces armées du Haut-Karabakh ont déposé les armes après une attaque fulgurante de l’Azerbaïdjan. Et maintenant ?Taline Ter Minassian, Historienne, professeure des universités. Directrice de l'Observatoire des États post-soviétiques (équipe CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2122292023-08-28T16:53:48Z2023-08-28T16:53:48ZLe Haut-Karabakh condamné à la famine dans l’indifférence de la communauté internationale<p>La situation des quelque 120 000 personnes qui vivent au Haut-Karabakh, enclave arménienne au sein de l’Azerbaïdjan revendiquée aussi bien par Erevan que par Bakou, <a href="https://bice.org/fr/haut-karabakh-120-000-habitants-dont-30-000-enfants-pris-au-piege">est aujourd’hui tragique</a>.</p>
<p>Coupés du reste du monde, et spécialement de l’Arménie, les habitants, des Arméniens ethniques, voient se profiler le spectre d’une famine désastreuse, imposée par les autorités azerbaïdjanaises, qui souhaitent ainsi les <a href="https://theconversation.com/vers-un-exode-force-des-armeniens-du-haut-karabakh-200390">contraindre à l’exode</a>.</p>
<p>Ni la Russie, pourtant supposée proche de l’Arménie, et dont des <a href="https://www.lefigaro.fr/international/conflit-au-haut-karabakh-tres-forte-probabilite-d-escalade-avertit-erevan-20230314">forces de maintien de la paix sont déployées dans la région</a>, ni les pays occidentaux n’interviennent pour empêcher la catastrophe humanitaire qui s’annonce. Comment l’expliquer ?</p>
<h2>Des décennies de conflit tantôt violent, tantôt « gelé »</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/544625/original/file-20230824-27-ytpyme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/544625/original/file-20230824-27-ytpyme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/544625/original/file-20230824-27-ytpyme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/544625/original/file-20230824-27-ytpyme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/544625/original/file-20230824-27-ytpyme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/544625/original/file-20230824-27-ytpyme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/544625/original/file-20230824-27-ytpyme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/544625/original/file-20230824-27-ytpyme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Cette carte montre la répartition des terres consécutive à l’accord de paix en 2020. Les Arméniens ethniques du Haut-Karabakh sont désormais coupés de l’Arménie, les zones séparant les deux territoires ayant été reprises par l’Azerbaïdjan.</span>
<span class="attribution"><span class="source">kamilewski/Shutterstock</span></span>
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<p>Le Haut-Karabakh est une région disputée entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan depuis la chute de l’Union soviétique. Dans les années 1920, cette zone peuplée à plus de 90 % d’Arméniens avait été rattachée à la République socialiste soviétique (RSS) d’Azerbaïdjan. En 1991, après la chute de l’URSS, le Haut-Karabakh proclame son indépendance. Bakou envoie l’armée. Soutenu par l’Arménie, le Haut-Karabakh (dénommé Artsakh par les Arméniens) finit, en 1994, par remporter, cette guerre au bilan très lourd (plusieurs dizaines de milliers de morts). L’Arménie et le Haut-Karabakh conquièrent à cette occasion sur l’Azerbaïdjan des terres dont ils décident de conserver le contrôle, afin d’établir un cordon sanitaire autour du Haut-Karabakh et d’être directement liés l’une à l’autre.</p>
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<p>Au cours des près de trente années écoulées depuis, l’Arménie, qui n’a elle-même jamais reconnu l’indépendance du Haut-Karabakh, n’a signé aucun traité de paix avec l’Azerbaïdjan. Pendant ce temps, l’Azerbaïdjan a préparé sa revanche, <a href="https://www.internal-displacement.org/publications/azerbaijan-after-some-20-years-idps-still-face-barriers-to-self-reliance">maintenant ses réfugiés dans des habitations provisoires</a> malgré les richesses induites par les exportations d’hydrocarbures (à l’inverse de l’Arménie, l’Azerbaïdjan <a href="https://www.rfi.fr/fr/emission/20180411-azerbaidjan-pays-riche-hydrocarbures">dispose d’importantes réserves de pétrole et de gaz</a>).</p>
<p>En 2018, une <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2018-12-page-7.htm">révolution de velours</a> se produit en Arménie. Elle porte au pouvoir le journaliste et jusqu’alors opposant politique Nikol Pachinian, ce qui suscite des espoirs, désormais quasi évaporés, de démocratisation et de lutte contre la corruption. Vladimir Poutine y voit un parallèle avec la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/affaires-sensibles-du-mardi-01-mars-2022-1269932">Révolution orange (2004)</a> et la <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/l-euromaidan-ou-la-revolution-ukrainienne-pour-la-democratie">Révolution de la Dignité (2013-2014)</a> en Ukraine, ainsi qu’avec la <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2004-1-page-121.htm">Révolution des Roses en Géorgie (2003)</a>. C’est pourquoi il n’intervient pas en septembre 2020 quand, alors que les frontières sont fermées et que le monde a les yeux rivés sur les statistiques du Covid-19, <a href="https://theconversation.com/armenie-azerba-djan-le-retour-de-la-guerre-au-haut-karabagh-147430">l’Azerbaïdjan attaque violemment le Haut-Karabakh</a>.</p>
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<p>Après quarante-quatre jours, l’Arménie et l’Artsakh, mal préparés, doivent s’avouer vaincus. Les protocoles du 9 novembre 2020 prévoient la restitution des districts de Kelbajar, Aghdam et Lachine à l’Azerbaïdjan, et l’installation d’une force russe de maintien de la paix sur le corridor de Lachine, afin d’assurer la sécurité le long de cette voie essentielle pour le transit des biens et des personnes entre l’Arménie et le Haut-Karabakh.</p>
<h2>L’impact de la guerre en Ukraine</h2>
<p>La guerre en Ukraine a bousculé les rapports de force dans la région. Les sanctions adoptées contre la Russie ont officiellement porté un coup d’arrêt aux exportations d’hydrocarbures russes vers l’Europe. Mais quelques jours avant le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Ilham Aliev, l’inamovible et <a href="https://www.hrw.org/world-report/2020/country-chapters/azerbaijan">très autoritaire président de l’Azerbaïdjan</a>, qui a succédé en 2003 à son père Heïdar Aliev après le décès de celui-ci, s’était rendu à Moscou, <a href="http://en.kremlin.ru/events/president/news/67830">où il avait rencontré Vladimir Poutine</a>. Lors de ces discussions, il avait été question de la capacité de l’Azerbaïdjan à augmenter ses exportations de gaz vers l’Europe.</p>
<p>En novembre 2022, l’Azerbaïdjan a conclu un accord avec la Russie : celle-ci y exporte une partie de son gaz, lequel est <a href="https://www.eiu.com/n/azerbaijans-gas-exports-to-the-eu-face-challenges/">ensuite réexporté vers l’Europe</a>. L’UE achète le gaz de Bakou, fermant les yeux sur son origine réelle.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1549019908427509761"}"></div></p>
<p>Les <a href="https://twitter.com/vonderleyen/status/1692454544762884439">déclarations d’Ursula von der Leyen</a> selon lesquelles l’UE serait parvenue à mettre fin à sa dépendance énergétique envers la Russie ne sont donc que poudre aux yeux, et destinées à entretenir une posture diplomatique acceptable dans le cadre de la réponse européenne à l’invasion de l’Ukraine. Les conséquences de cette posture sont toutefois extrêmement graves pour les Arméniens.</p>
<p>En concluant <a href="https://investir.lesechos.fr/marches-indices/economie-politique/lue-signe-un-grand-contrat-gazier-avec-lazerbaidjan-1754981">son accord sur le gaz avec l’Azerbaïdjan</a>, l’Europe a renforcé la position d’une dictature dont tous les indicateurs sont <a href="https://rsf.org/fr/classement">encore plus alarmants que ceux de la Russie</a>, dans sa région et sur la scène internationale. Convaincues que plus personne ne volerait au secours des Arméniens, et se trouvant en position de force face à la Russie, les autorités azerbaïdjanaises ont bloqué le corridor de Lachine à partir du 12 décembre 2022.</p>
<p>Dans un premier temps, le pays a <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/armenie/les-faux-ecolos-isolent-le-haut-karabakh-aa903e3e-7d2c-11ed-bd42-a5077fc75000">envoyé de faux éco-activistes</a>, qui ont bloqué le corridor au nom de prétendus prétextes environnementaux. Cette opération était cousue de fil blanc : d’une part, Ilham Aliev lui-même a encouragé les manifestants, et d’autre part, les <a href="https://eurasianet.org/azerbaijani-village-still-under-lockdown-after-protest-arrests-continue">véritables éco-activistes azerbaïdjanais ont été arrêtés dans le cadre d’autres manifestations</a>. Le 23 avril 2023, sous les yeux des soldats de la paix russes, et malgré l’accord de 2020, l’Azerbaïdjan a installé un checkpoint à Lachine. Plus rien, ni personne, n’a pu ni entrer, ni sortir, sans l’accord des autorités azerbaïdjanaises.</p>
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<h2>L’étranglement du Haut-Karabakh</h2>
<p>À partir de décembre 2022, c’est donc le <a href="https://www.icrc.org/en/document/operational-update-icrcs-work-across-lachin-corridor">CICR qui a pris le relai</a> afin de transporter les malades du Haut-Karabakh vers l’Arménie. Pour ce faire, il se met toujours d’accord avec les autorités azerbaïdjanaises locales. Pourtant, le 29 juillet 2023, et malgré l’accord préalable de ces autorités, les Azerbaïdjanais ont <a href="https://armenpress.am/fre/news/1117084/">arrêté le convoi transportant Vagif Khachatryan vers Erevan pour des soins urgents</a>. L’homme a été <a href="https://genprosecutor.gov.az/az/post/6619">accusé d’avoir participé au massacre de Meshali le 22 décembre 1991</a>, quand des soldats arméniens ont tué vingt-deux villageois azerbaïdjanais. Seulement, les <a href="https://www.ombuds.am/en_us/site/ViewNews/2635">investigations menées notamment par le défenseur des droits arménien</a> ont montré que celui qui a participé à ces crimes était un homonyme, car l’homme arrêté n’a été enrôlé dans l’armée que l’année suivante.</p>
<p>Par ailleurs, tous les Arméniens ont à un moment ou à un autre pris part au conflit. Si avoir participé à l’une des guerres devient un crime, c’est toute la population qui est menacée d’arrestation. <a href="https://www.osf.am/2022/03/the-situation-of-armenophobia-in-azerbaijan-and-the-danger-of-ethnic-cleansing-was-discussed-in-yerevan/">L’arménophobie est systémique en Azerbaïdjan</a>, surtout depuis la fin de l’URSS. Dans les manuels scolaires, les <a href="https://armenpress.am/eng/news/1074728.html">Arméniens sont dépeints comme des barbares assoiffés de sang</a>. Les thèses officielles azerbaïdjanaises présentent les Arméniens du Karabakh comme des intrus s’étant installés par la force sur des terres volées aux Azerbaïdjanais. Ils font d’ailleurs la même chose avec la République d’Arménie, montrant ainsi que le projet n’a jamais été de récupérer le Haut-Karabakh mais bien d’achever la connexion terrestre entre l’Azerbaïdjan et la Turquie. Tout chercheur en sciences humaines sait pourtant que la démographie est plurielle au sein de confins d’empires comme le Caucase.</p>
<p>En outre, si tous les crimes de guerre doivent être condamnés, il convient alors, afin de construire la paix, que les crimes de guerre commis par l’Azerbaïdjan soient aussi poursuivis. Or ce n’est pas l’attitude Bakou, au contraire, comme le montre notamment le cas Ramil Safarov. En 2004, lors d’un exercice parrainé par l’OTAN en Hongrie, ce soldat azerbaïdjanais a assassiné à coups de hache et dans son sommeil le militaire arménien Gurgen Margarian. Condamné à la perpétuité en 2006, il a été extradé en 2012 vers l’Azerbaïdjan, où <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-histoire-du-jour/l-affaire-safarov-un-fait-divers-qui-ravive-une-guerre_1738387.html">il a été accueilli en héros et gracié par Ilham Aliev lui-même</a>. L’invocation des crimes de guerre – uniquement arméniens – est utilisée par les autorités de Bakou afin de justifier leurs actions visant les populations arméniennes du Haut-Karabakh.</p>
<p>Le 15 juin 2023, l’Azerbaïdjan a finalement <a href="https://oc-media.org/azerbaijan-blocks-red-cross-access-to-nagorno-karabakh/">interdit au CICR de passer par le corridor de Lachine</a>, accusant ses employés de trafic, notamment de téléphones portables et de cigarettes. Alors qu’aucune denrée alimentaire n’a pu être transportée sur place depuis le mois de décembre 2022, fin juillet 2023, un convoi de 19 camions transportant 400 tonnes d’aide alimentaire a été <a href="https://apnews.com/article/armenia-azerbaijan-nagorno-karabakh-blockade-2a9fb9852534ab38656a99b435f0ba86">bloqué à Kornidzor, le dernier village avant la frontière</a>.</p>
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<p>Les stocks de farine s’estompent peu à peu, et les habitants s’en remettent maintenant à un mélange moins riche afin de fabriquer un peu de pain. Sur les groupes Facebook, les habitants s’organisent et échangent leurs dernières réserves contre un peu de lait maternisé, ou quelques chocolats pour les enfants. Ils font désormais la queue toute la nuit pour espérer obtenir une miche de pain. Les transports sont à l’arrêt, faute de carburant. Un homme de 40 ans est <a href="https://www.civilnet.am/en/news/747294/man-dies-of-hunger-in-karabakh/">mort de faim le 15 août</a>.</p>
<p>Le 16 août 2023, les autorités arméniennes ont <a href="https://press.un.org/fr/2023/cs15384.doc.htm">appelé le Conseil de sécurité de l’ONU à mettre fin au blocus</a>. Des manifestations ont régulièrement lieu à Erevan, devant le siège de l’ONU, mais aussi dans d’autres villes du monde, comme Paris, Sydney ou Los Angeles. La situation sur place se détériore de jour en jour, et met à mal tout espoir de paix dans la région ; c’est d’ailleurs ce que <a href="https://en.feministpeacecollective.com/post/in-solidarity-with-karabakh-artsakh-against-total-war-blockade-and-hegemony">dénonce un collectif féministe pour la paix en Azerbaïdjan</a>.</p>
<p>La paix ne peut être atteinte dans ces conditions, mais ce n’est pas ce que cherchent les autorités azerbaïdjanaises. Leur politique est destinée à obliger les Arméniens de la région à partir ou à mourir, et c’est la raison pour laquelle le 18 août, l’Institut Lemkin pour la prévention des génocides a publié une <a href="https://www.lemkininstitute.com/single-post/lemkin-institute-issues-active-genocide-alert-azerbaijan-in-artsakh">alerte sur la situation dramatique au Haut-Karabakh</a>.</p>
<p>La situation du Haut-Karabakh n’a provoqué que de timides réactions sur la scène internationale, et de nombreux États appellent les deux parties à rouvrir la circulation dans les deux sens. À l’ONU, seules la France et Malte ont dénoncé l’attitude de l"Azerbaïdjan. En Europe, personne, à part quelques activistes arméniens, ne dénonce l’accord sur le gaz. Pour mettre fin au blocus, il faudrait une réponse bien plus forte face à l’attitude de l’Azerbaïdjan. </p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212229/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Élodie Gavrilof ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’enclave arménienne située en Azerbaïdjan est actuellement coupée de tout approvisionnement en nourriture. Une crise humanitaire majeure pourrait rapidement s’y faire jour.Élodie Gavrilof, Historienne, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2093422023-07-10T15:47:05Z2023-07-10T15:47:05ZContre-offensive ukrainienne : comment évaluer son succès ou son échec ?<p>Dès la fin 2022, les autorités ukrainiennes avaient annoncé une nouvelle contre-offensive pour l’été 2023. Leur but explicite était de reprendre les territoires envahis, occupés et <a href="https://theconversation.com/annexions-russes-de-territoires-ukrainiens-un-air-de-deja-vu-192288">annexés illégalement</a> par la Russie depuis le 24 février 2022.</p>
<p>Ces <a href="https://www.huffingtonpost.fr/international/article/guerre-en-ukraine-la-contre-offensive-de-l-armee-ukrainienne-a-bien-commence-voici-ce-qui-le-prouve_219025.html">opérations de reconquête</a> ont été déclenchées le 4 juin et reconnues comme telles par les deux ennemis le 8 juin dernier. Depuis, les résultats obtenus par les forces armées ukrainiennes apparaissent limités : elles <a href="https://www.understandingwar.org/project/ukraine-project">revendiquent</a> la reprise de « seulement » 200 km<sup>2</sup>. Par comparaison, <a href="https://www.lemonde.fr/international/live/2022/10/07/guerre-en-ukraine-en-direct-emmanuel-macron-annonce-un-fonds-de-100-millions-d-euros-pour-l-achat-direct-par-kiev-de-materiel-militaire_6144776_3210.html">près de 2000 km²</a> avaient été reconquis en septembre et octobre 2022 dans les opérations autour de Kherson et Kharkiv.</p>
<p>Kiev reconnaît que ses soldats sont confrontés à de <a href="https://www.ladepeche.fr/2023/07/02/guerre-en-ukraine-la-situation-est-assez-difficile-kiev-reconnait-des-difficultes-et-des-combats-acharnes-dans-la-contre-offensive-11316323.php">nombreuses difficultés</a> : minage de vastes zones, faiblesse du soutien aérien, préparation des forces russes, destruction du barrage de Kakhovka, etc.</p>
<p>Par-delà le <a href="https://www.lemonde.fr/international/live/2023/07/03/guerre-en-ukraine-en-direct-plus-d-un-mois-apres-le-debut-de-la-contre-offensive-ukrainienne-on-est-revenu-a-une-pure-guerre-de-position_6180282_3210.html">bilan militaire tactique</a> dressé par les spécialistes grâce à des sources militaires, quel est, à ce stade, le bilan stratégique et politique provisoire de cette opération ?</p>
<p>Pour mesurer les résultats – évolutifs – d’une opération militaire, on peut mobiliser au moins cinq critères :</p>
<ul>
<li><p>la congruence des avancées avec les objectifs stratégiques annoncés ;</p></li>
<li><p>la maîtrise des pertes en vies et en biens ; 3) l’évolution du soutien populaire ; </p></li>
<li><p>la force et la nature du soutien international ; </p></li>
<li><p>la capacité à assurer le retour à la stabilité des territoires reconquis.</p></li>
</ul>
<h2>Objectif stratégique principal : l’intégrité territoriale de l’Ukraine</h2>
<p>La première mesure de réussite de cette contre-offensive est territoriale. <a href="https://www.pravda.com.ua/eng/news/2023/05/25/7403905/">Comme l’a indiqué le général Milley</a>, président du comité des chefs d’état-major américain, « les objectifs stratégiques de l’Ukraine sont de libérer toute l’Ukraine occupée par la Russie ».</p>
<p>Au commencement de la contre-offensive, la <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/international/ukraine-la-russie-occupe-encore-pres-de-20-du-territoire-rappelle-la-diplomate-sylvie-bermann">Russie occupait illicitement environ 20 % du territoire ukrainien</a>. La question clé est donc aujourd’hui : quel pourcentage de territoire reconquis permettra au gouvernement ukrainien de déclarer que son opération est un succès ? Quelle est l’ambition de reconquête fixée à cette opération nécessairement limitée dans le temps ?</p>
<p>La contre-offensive de 2023 peut être conçue, perçue et exploitée comme la première phase d’une reconquête intégrale qui ne pourra se concrétiser qu’au travers de l’effet cumulatif de contre-offensives ultérieures, de percées locales, de frappes sur les arrières et d’un épuisement progressif des capacités militaires adverses. Les opérations militaires à moyen terme se cumuleraient avec les sanctions économiques pour consacrer une victoire ukrainienne.</p>
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<p>Tous les territoires occupés n’ont pas le même statut, tant sur le plan militaire que politique : les « républiques populaires » de Donetsk et de Lougansk, ainsi que la Crimée, sont absolument essentiels pour Moscou. Par conséquent, la reprise des territoires récemment occupés, en particulier ceux permettant à la Russie de faire la jonction avec la Crimée, pourra être considérée comme un critère de succès incontournable, quand bien même la Crimée et les « républiques populaires » resteraient pour l’heure aux mains des Russes.</p>
<p>En complément de cette reconquête directe, parcelle par parcelle, il est également envisageable, dans l’absolu, que la reprise territoriale complète survienne de manière indirecte via un effondrement du « système » russe, qui entraînerait un retrait immédiat et sans confrontation. <a href="https://theconversation.com/apres-la-rebellion-avortee-devgueni-prigojine-quelles-consequences-pour-vladimir-poutine-208441">La tentative de coup de force de Prigojine</a> a fait sentir que des facteurs endogènes russes pourraient accélérer le succès ukrainien.</p>
<h2>Une contre-offensive, à quel prix ? Éviter une victoire à la Pyrrhus</h2>
<p>À moins d’un effondrement d’un des belligérants, la contre-offensive de 2023 ne sera probablement qu’une phase dans une confrontation qui verra d’autres offensives et contre-offensives, contraignant chaque camp à garder des forces en réserve. Une contre-offensive ukrainienne partiellement réussie mais ayant abouti à une grande fragilité pourrait être perçue comme une victoire à la Pyrrhus. À l’instar du pourcentage de territoire reconquis, Kiev devra également définir le niveau de pertes des forces russes – notamment par rapport à ses propres pertes – qui lui permettrait de qualifier la contre-offensive de succès.</p>
<p>L’évaluation du rapport de forces entre les deux adversaires au début de la contre-offensive est particulièrement ardue. Toutefois, diverses sources de renseignements estiment que les forces russes déployées sur le théâtre ukrainien s’élèvent à <a href="https://ihedn.fr/2023/06/01/trois-scenarii-possibles-pour-une-contre-offensive-ukrainienne/">environ 400 000 hommes</a>, dont seulement la moitié fait partie de l’armée régulière. Le reste est composé de milices, de sociétés militaires privées telles que Wagner, et d’autres régiments territoriaux, avec environ 400 chars et moins de 3 000 véhicules blindés. Ce rapport de forces doit aussi prendre en compte la « profondeur de banc » russe, limitée en termes de régénération des matériels, mais toujours substantielle sur le plan humain et en matière de munitions.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1676901544564850688"}"></div></p>
<p>Bien que les effectifs opérationnels ukrainiens semblent similaires, avec près de 800 chars et plus de 3 500 véhicules blindés, le rapport de forces initial semble être favorable à Kiev. Cependant, l’absence d’une doctrine de combat unifiée – un mélange de l’approche de l’OTAN, du pacte de Varsovie et d’une <a href="https://www.globalsecurity.org/military/world/ukraine/doctrine.htm">approche strictement ukrainienne</a> – constitue une lacune majeure, potentiellement rédhibitoire dans le contexte d’une offensive nécessitant une plus grande coordination. De plus, la faible « profondeur de banc » des forces ukrainiennes sur le plan humain tempère cet avantage.</p>
<p>Au-delà des chiffres relatifs aux matériels détruits et aux combattants mis hors de combat, qui donneront une estimation de l’évolution du rapport de forces, ce sont les forces morales des combattants et leur capacité à poursuivre le combat qui seront des critères essentiels pour qualifier le succès de la contre-offensive.</p>
<h2>« Mourir pour l’Ukraine » : jusqu’à quand ?</h2>
<p>Au-delà des pertes militaires tangibles, la préservation du soutien populaire à la stratégie de reconquête apparaît comme un facteur crucial et déterminant pour estimer le résultat de l’opération. Une question importante se pose : jusqu’à quel niveau de pertes humaines dues à la contre-offensive le président Zelensky pourra-t-il continuer à bénéficier du <a href="https://www.iri.org/news/iri-ukraine-poll-shows-strong-confidence-in-president-zelensky-a-surge-in-support-for-nato-membership-russia-should-pay-for-reconstruction/">soutien inébranlable de la population ukrainienne</a> ?</p>
<p>Depuis le début de la guerre, Volodymyr Zelensky a réussi à naviguer dans ces eaux tumultueuses avec une habileté remarquable. Il a su préserver l’unité nationale et maintenir la confiance du peuple ukrainien, malgré les défis incommensurables que cette situation présente. Cependant, un nombre élevé de pertes parmi ses soldats, en particulier lors de la tentative de reconquête des régions russophones de l’Est de l’Ukraine, pourrait sérieusement ébranler cette solidarité et remettre en question le soutien continu du peuple à l’effort de guerre.</p>
<p>En l’absence de sondages récents, il est difficile d’évaluer précisément le niveau actuel de confiance du public. Cependant, la perspective des élections générales ukrainiennes, censées se tenir à l’automne, présente une inconnue pour la réussite de cette contre-offensive, du fait de l’érosion potentielle du soutien populaire due au <a href="https://www.lindependant.fr/2023/06/29/guerre-en-ukraine-le-maire-de-kiev-vitali-klitschko-denonce-une-campagne-dechainee-de-volodymyr-zelensky-11309317.php">débat politique intense qui entoure généralement ces élections</a>.</p>
<h2>Consolider les soutiens internationaux de l’Ukraine</h2>
<p>Dans un contexte international complexe, le maintien du soutien des alliés est crucial. Il est non seulement le gage de la résilience du pays sur le long terme mais également la condition de l’effort de guerre ukrainien. La contre-offensive de l’été 2023 était en effet destinée à assurer les soutiens de l’Ukraine de plusieurs faits : d’une part, les Ukrainiens entendent montrer qu’ils ne renonceront pas au rétablissement de leur intégrité territoriale. D’autre part, ils souhaitent démontrer que les envois d’équipements militaires occidentaux servent sur le terrain.</p>
<p>De ce point de vue, la contre-offensive de l’été est un succès : quels que soient ses résultats quantitatifs, elle inscrit le sursaut national ukrainien dans les actes (et non pas seulement dans les discours). En outre, elle démontre, par ses limites mêmes, que les allocations de matériels à l’Ukraine ne sont pas encore suffisantes pour rétablir le droit international.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1674556285239406594"}"></div></p>
<p>En tout cas, la campagne indique aux Occidentaux que leurs efforts sont utiles et contribuent à la restauration du territoire ukrainien. C’est un succès indirect, mais c’est un succès essentiel qui sera consacré par la déclaration finale du <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_214116.htm">sommet de l’OTAN qui se déroulera les 11 et 12 juillet 2023 à Vilnius</a>.</p>
<h2>Pacifier les territoires reconquis</h2>
<p>Enfin, le succès de l’opération sera mesuré par la stabilité du territoire après l’opération. Cela peut comprendre des facteurs tels que l’adhésion de la population, le niveau de violence (éviter une contre-offensive russe), la capacité à maintenir l’ordre et à fournir des services de base. Il s’agit là probablement du critère le plus important mais aussi le difficile à remplir.</p>
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<p>Les deux ennemis sont engagés dans une compétition sur la pacification des territoires : d’un côté, la Russie intègre à marche forcée les territoires et les populations occupés ; de l’autre, l’Ukraine a démontré durant l’hiver 2022 qu’elle entendait réintégrer dans la communauté nationale les territoires provisoirement occupés par la Russie.</p>
<p>Si la reconstruction d’infrastructures est déjà engagée, la solidarité nationale et internationale seront décisives pour décider du succès de la contre-offensive, non sur le plan militaire mais sur le plan civil. Une reconquête doit aussi être une reconstruction pour être une réelle victoire.</p>
<h2>De la bataille d’Ukraine à la guerre des communiqués</h2>
<p>La campagne de reconquête de l’été 2023 promet d’ores et déjà d’être longue, ardue et seulement partiellement victorieuse. La recherche de la « bataille décisive » qui décide du sort général du pays et de son territoire est illusoire : le « grignotage » russe du territoire ukrainien a pris plus d’une décennie ; consolider l’emprise russe sur les régions orientales d’Ukraine est un impératif politique vital pour le Kremlin ; l’offensive est plus difficile que la défensive après l’hiver 2022 et l’installation dans une guerre de position.</p>
<p>Toutefois, le bilan de cette campagne de contre-offensive 2023 n’est pas aussi maigre que le laissent penser les analystes qui se basent uniquement sur le critère quantitatif des territoires repris. Pour évaluer un succès ou un revers, il convient de s’inscrire dans le temps et de varier les critères. Sinon, la victoire est affaires de communiqués de presse et non de réalités stratégiques et politiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209342/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Cinq paramètres sont à prendre en compte pour porter un jugement sur ce que serait une contre-offensive réussie.Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Laurent Célérier, Enseigne à Sciences Po Paris (politique de défense, anticipation des risques et prospective), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2086232023-07-04T20:13:12Z2023-07-04T20:13:12ZGuerre et pollution : le défi colossal qui attend l’Ukraine<p>S’il existe de grandes disparités de contexte entre la guerre de 14-18 (<a href="https://theconversation.com/1920-2020-cent-ans-apres-les-munitions-de-la-grande-guerre-polluent-toujours-nos-sols-134268">« la Grande Guerre »</a>) et celle d’Ukraine, une similitude est frappante : le rôle crucial joué par l’artillerie au sein des armées des deux belligérants, issues d’un même creuset, celui de l’ancienne armée de l’Union soviétique.</p>
<p>Les doctrines militaires en vigueur au sein de l’armée russe sont fondées sur la primauté de l’offensive sur tout autre mode d’action, la prévalence de la puissance de feu et de l’artillerie pour dominer le champ de bataille et l’exercice d’un commandement hypercentralisé qui ne laisse que peu de marges de manœuvre et d’initiatives aux subordonnés et acteurs militaires sur le terrain. L’importance de cette arme a été accentuée par l’efficacité limitée de l’aviation tactique (d’appui au sol) des deux camps.</p>
<p>Si la Première Guerre mondiale ne fut pas celle de l’artillerie, elle le devint. À la différence des tactiques offensives russes, l’offensive allemande sur la Belgique puis la France à l’été 1914 ne misa pas sur la puissance de feu de l’artillerie – cette dernière étant considérée dans les états-majors allemands comme français comme des armes secondaires.</p>
<p>Elle s’imposa finalement dès 1915 comme une arme décisive avec les premiers bombardements massifs, seuls capables de briser un front figé au point mort selon une posture défensive. Dès 1917, l’arme lourde visa les positions arrière et mena des bombardements en profondeur sur des objectifs logistiques militaires mais aussi sur des civils, à des fins de terreur.</p>
<p>L’expérience de la Grande Guerre nous offre par conséquent un éclairage historique et <a href="https://theconversation.com/guerre-en-ukraine-et-destruction-de-lenvironnement-que-peut-le-droit-international-183774">environnemental</a> sur ce qui se joue et va se jouer en <a href="https://theconversation.com/retour-en-ukraine-au-coeur-de-la-guerre-207674">Ukraine</a>.</p>
<h2>Pollutions multiples et mal connues</h2>
<p>Les pollutions générées en temps de guerre sont des conséquences de l’intensité des destructions occasionnées par des armes d’une grande puissance, le bombardement d’installations industrielles et le déversement des produits chimiques renfermés dans les cavités creusées par les tirs. En Allemagne, les bombardements aériens stratégiques de la Seconde Guerre mondiale ont laissé des pollutions industrielles étendues des sols et des eaux souterraines.</p>
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<p>Des contaminations liées directement aux armes, on sait peu de choses. Seules ont été étudiées les intoxications de civils et militaires par l’uranium appauvri (DU « depleted uranium ») : un métal dense, pyrophore, utilisé dans des projectiles perforants anti-blindage. Ces projectiles sont aujourd’hui inventoriés sur le terrain ukrainien par les instances internationales sur le déminage.</p>
<p>Plus préoccupante encore en Ukraine sera, à la sortie de guerre, la problématique du nettoyage des anciens champs de bataille, du débarrassage des restes et explosifs de guerre (REG) et des engins obsolètes. En France, qui a connu trois conflits majeurs dans les 100 dernières années, l’histoire et les études environnementales récentes semblent nous enseigner que la Grande Guerre a laissé ses traces.</p>
<h2>Engins non explosés, une menace durable</h2>
<p>Car les tirs s’accompagnent immanquablement de « ratés » qui, selon l’incidence de la trajectoire à l’impact et la nature du sol, ricochent ou pénètrent les sols. Ces engins non explosés sont à l’origine d’une pollution pyrotechnique des sols : 25 % des (milliards) engins tirés durant la Grande Guerre <a href="https://scirp.org/reference/referencespapers.aspx?referenceid=3047420">n’ont pas éclaté</a>, 14 % des bombes larguées sur l’Europe durant la Seconde Guerre mondiale et <a href="https://apps.dtic.mil/sti/citations/tr/ADB308065">environ 5 % pour des projectiles modernes</a>.</p>
<p>Ils constituent une menace durable pour les populations et un frein à la sécurité des travaux de relèvement des ruines et de reconstruction. Le désobusage s’inscrivit dans la dynamique de la guerre en 14–18 : un mois après le déclenchement des hostilités, des instructions en ce sens étaient passées au sein des armées pour protéger les populations, reconquérir les terres agricoles et sécuriser les arrières d’approvisionnement.</p>
<h2>L’Ukraine, minée de longue date</h2>
<p>En Ukraine, la problématique n’est pas nouvelle : en 2014, le pays était déjà le plus miné au monde, surclassant la Syrie.</p>
<p>À compter de 1993, deux ans après la chute de l’URSS, les munitions conventionnelles sont ajoutées à la liste des armes démolies en Ukraine, dans la Fédération russe et les nouveaux États post-soviétiques. Les forces armées ukrainiennes héritent alors de quantités significatives de munitions, ainsi que du redéploiement d’armes sur leur territoire après le retrait des troupes russes des anciens états du Pacte de Varsovie. Conduisant ainsi à l’accumulation d’énormes stocks de munitions dans le pays.</p>
<p>En 2005 déjà, en moyenne, la capacité de stockage dans les dépôts ukrainiens était dépassée de <a href="https://www.files.ethz.ch/isn/14373/paper41.pdf">20 à 40 %</a>. Plus de <a href="https://www.files.ethz.ch/isn/14373/paper41.pdf">60 % de ces munitions</a> (idem) sont entreposées à l’air libre et donc exposées aux intempéries, aux écarts de température et donc à la corrosion. Plus inquiétant, des composés chimiques instables se formèrent <a href="https://www.files.ethz.ch/isn/14373/paper41.pdf">sur environ 15 %</a> des engins présents dans ces dépôts. Après l’expiration de leur durée de vie, leur susceptibilité au choc, corrosion chimique et à la température s’accroît sensiblement.</p>
<p>Fin 2004, le stock officiel de munitions s’élevait à environ <a href="https://www.files.ethz.ch/isn/14373/paper41.pdf">2,5 millions de tonnes</a>, parmi lesquels 1,5 million de tonnes classées en surplus, sujettes à démolitions (soit 60 % du stock). L’urgence concernait <a href="https://www.files.ethz.ch/isn/14373/paper41.pdf">340 000 tonnes</a>, en grande partie constituées de projectiles entreposés depuis la Première et la Seconde Guerre mondiale, nombre d’entre eux étaient jugés intransportables. 24 000 tonnes de roquettes et missiles en tout genre nécessitaient une élimination en urgence.</p>
<h2>Démolitions sauvages</h2>
<p>L’Ukraine a délaissé ces munitions d’artillerie, roquettes, pour se focaliser d’abord sur la destruction des mines, en respect de la <a href="https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=IND&mtdsg_no=XXVI-5&chapter=26&clang=_fr">Convention d’Ottawa</a>. Entre 2002 et 2003, l’Ukraine a démoli, avec l’assistance de l’OTAN 404 000 mines antipersonnelles de type PMP et 6 millions de mines chargées de liquide.</p>
<p>Entre 1996 et 1999, la démolition et la neutralisation des munitions n’ont pas été financées par l’État et seules les munitions « profitables » furent détruites pour les récupérer, les vendre et ainsi couvrir les coûts des opérations. La période est connue sous le nom « d’ère des démolitions sauvages » qui révéla un nombre de problèmes en lien avec les lourdeurs bureaucratiques, la corruption et d’autres abus.</p>
<p>Fraudes et démolitions contractuelles et commerciales illicites des restes de guerre jalonnèrent aussi la sortie de Grande guerre en France, entreprises et individus isolés cherchant le profit au détriment des intérêts collectifs de protection des populations.</p>
<p>Au-delà des préoccupations sécuritaires, ces surplus militaires en Ukraine sont un enjeu pour la sûreté, le risque de trafic d’armes, et l’alimentation du terrorisme par le détournement d’armes, matériels et matières explosibles anciennes. Il suffit de se projeter dans l’entre-deux-guerres en France pour s’en convaincre, avec le détournement d’armes anciennes à des fins terroristes, au bénéfice d’une organisation complotiste, le Comité secret d’action révolutionnaire (CSAR).</p>
<h2>Aide de l’OTAN</h2>
<p>En 2005, l’Ukraine était en mesure de neutraliser <a href="https://www.files.ethz.ch/isn/14373/paper41.pdf">environ 20 000 à 25 000 tonnes</a> de munitions et des dizaines de milliers de pièces d’armes portatives – limite technique à la démilitarisation ou un frein pour conserver un arsenal, on l’ignore.</p>
<p>À ce rythme de travail, le temps nécessaire à l’éradication des stocks de munitions obsolètes et dangereuses s’élevait à environ 50 ans. Déloger des sols des engins de guerre pour pacifier les sols, le travail de déminage est <a href="https://www.areion24.news/produit/dsi-n-165/">dangereux, lent, difficile</a> mais aussi coûteux. En Ukraine, 174 000 km<sup>2</sup> de terrain seraient rendus dangereux par ces engins. Le retour des populations à une vie normale passe par la dépollution de ces sols.</p>
<p>Un <a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_50082.htm">fonds d’affectation spéciale</a> pour le projet-cadre de démilitarisation a donc été mis en place sous l’égide de l’OTAN. La seconde phase du projet a été initiée en 2011. Le leadership de l’opération a été octroyé aux États-Unis, mais d’autres pays et organisations internationales contribuent aussi sur le plan financier et opérationnel. Depuis, plus de 29 600 tonnes de munitions, 2,4 millions de mines antipersonnelles ont été éliminées. Les opérations de démilitarisation des munitions anciennes en Ukraine furent temporairement suspendues avec la pandémie du Covid-19.</p>
<p>De nombreux enjeux sont associés à cette « ammo threat » : environnementaux, militaires et sécuritaires (risques d’explosions, d’actes de malveillance et terrorismes, trafics illégaux de munitions, etc.) mais aussi financiers.</p>
<h2>Une dépollution polluante</h2>
<p>L’historiographie de la sortie de la Grande Guerre nous enseigne aussi qu’« il n’existe pas de méthode appropriée pour éliminer les munitions » selon les termes de Francis Norman Pickett, géant du désobusage industriel en France et en Belgique dans l’entre-deux-guerres.</p>
<p>Des millions de tonnes de projectiles furent neutralisés et détruits industriellement dans la période de sortie de la Grande Guerre, dans l’entre-deux-guerres, jusqu’en 1941 en France, en Belgique et en Allemagne.</p>
<p>Les recherches environnementales démontrent aujourd’hui le caractère polluant de ces opérations pour les sols et les eaux souterraines, avec des pollutions rémanentes mesurables cent ans après la clôture de ces opérations.</p>
<p>La démolition de ces forts tonnages de REG a transformé les pollutions pyrotechniques des sols en pollutions chimiques.</p>
<h2>Le futur défi de l’Ukraine</h2>
<p>La quête d’une stratégie pour libérer les sols ukrainiens de ces surplus est devenue d’importance majeure, renforcée par la prolifération des armes et la pollution des sols par les engins, mines et projectiles non explosés depuis 2014.</p>
<p>La tâche est immense et les enjeux, aussi économiques, dépassent les frontières du pays. Les combats, puis la pollution des terrains par les REG, surfaces par ailleurs transformées en champs de trous et bosses, entravent la libre culture des terres parmi les plus fertiles au monde et déséquilibrent les marchés du blé et des oléagineux à au niveau mondial.</p>
<p>C’est donc un autre défi qui attend l’Ukraine lorsque se tairont les canons, celui de la sortie du conflit. Car comme <a href="https://leibnizsozietaet.de/wp-content/uploads/2012/10/01_lohs.pdf">l’a écrit le chimiste allemand Karlheinz Lohs en 1991</a>, « la guerre ne se termine pas le jour du dernier tir » et l’histoire nous enseigne qu’entrer en guerre est moins complexe qu’en sortir.</p>
<p>Les autorités ukrainiennes planchent sur des accords d’assistance au déminage mais le pays ne solutionnera pas ce problème tout seul. Compte tenu de l’ampleur de la tâche, il est vraisemblable que les aspects liés à la protection de l’environnement soient relégués au second plan face aux enjeux sécuritaires. Une nouvelle fois, on protégera les populations face à un risque immédiat tout en délaissant les risques à long terme qu’elles ne comprennent pas, déportés du champ de bataille à l’eau du robinet.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208623/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Daniel Hubé ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Ukraine était déjà un pays miné. Le conflit avec la Russie vient alourdir ces pollutions à long terme.Daniel Hubé, Ingénieur environnementaliste, BRGMLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2082612023-06-29T10:42:26Z2023-06-29T10:42:26ZGuerres du XXᵉ siècle : une histoire de rupture entre l’humain et son environnement<p>Faire la guerre est une <a href="https://theconversation.com/le-retour-de-la-guerre-confirme-en-creux-que-lhistoire-est-bel-et-bien-finie-178909">activité humaine</a>, <a href="https://theconversation.com/quand-larcheologie-enquete-sur-lorigine-de-la-violence-organisee-149382">violente</a>, très ancienne ; un recours à la force, généralement armée, entre plusieurs collectivités organisées, clans, factions ou États pour contraindre la partie adverse à se soumettre à sa volonté. Elle est, selon la définition du célèbre théoricien de la guerre <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/De_la_guerre">Carl von Clausewitz</a> « un acte de violence dont l’objet est de contraindre l’adversaire à se plier à notre volonté ». En ce sens, « la guerre n’est que la simple continuation de la politique par d’autres moyens », « un choc de volonté et de moyens ».</p>
<p>Parce qu’elle se joue sur des terrains, et plus généralement dans des espaces – le « théâtre des opérations » –, la guerre possède un environnement propre avec lequel elle entretient des relations multiples et protéiformes : en s’y déployant, elle le modifie au même moment par sa simple expression.</p>
<p>Les militaires ont d’abord cherché à tirer tactiquement profit de l’environnement dans la conduite des opérations. Ils y ont toujours cherché ce qui était bénéfique ou préjudiciable aux opérations militaires.</p>
<h2>Des impacts qui vont crescendo</h2>
<p>Historiquement, les modifications environnementales en lien avec des confrontations armées restèrent longtemps très locales, superficielles, les combats ne concernant que des aires géographiques restreintes, sur de courtes périodes de temps et avec un nombre limité de combattants usant principalement de l’arme blanche ou d’armes à feu portatives et d’une artillerie rudimentaire, sans projectiles explosifs. La guerre a longtemps été menée par des <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/combattre-stephane-audoin-rouzeau/9782020975087">« raids sans cesse recommencés en territoire adverse »</a>, par l’embuscade.</p>
<p>Mais la magnitude et la diversité des conséquences environnementales des guerres n’ont cessé de progresser avec l’accroissement de la violence guerrière, des dimensions des armées en présence et surtout de la puissance d’armes qui se sont aussi diversifiées et spécialisées.</p>
<p>Un premier seuil dans la brutalité guerrière a été franchi avec les guerres napoléoniennes du XIX<sup>e</sup> siècle, qui ont inauguré la <a href="https://www.decitre.fr/livres/mondes-en-guerre-9782379332470.html">massification de la guerre</a>, avec les premières confrontations à grande échelle entre des armées nationales dont les effectifs étaient en partie issus de la conscription.</p>
<p>La technicisation de la guerre initiée à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle sous l’impulsion de progrès technologiques et de l’armement et le recours massif à cet arsenal d’une puissance inédite marquèrent avec la Première Guerre mondiale (1914 -1918), appelée la Grande Guerre, l’entrée <a href="https://www.sudoc.abes.fr/cbs/xslt//DB=2.1/SET=2/TTL=1/SHW?FRST=1">dans l’ère des guerres modernes mécanisées</a>.</p>
<h2>La Grande Guerre, un tournant majeur</h2>
<p>La <a href="https://theconversation.com/1920-2020-cent-ans-apres-les-munitions-de-la-grande-guerre-polluent-toujours-nos-sols-134268">Grande Guerre</a> a été la première rupture anthropologique dans les relations de l’être humain avec son environnement ; jamais encore auparavant celui-ci n’avait été si profondément et si durablement bouleversé en si peu de temps. La guerre devint dès lors un facteur de l’anthropisation des milieux.</p>
<p>Cette guerre d’une violence environnementale inouïe fut totale, se gagnant ou se perdant au front ou à l’arrière en investissant aussi tous les compartiments de l’environnement : les airs, les mers, les sols et le sous-sol, plaines et montagnes.</p>
<p>Elle fut aussi un point d’inflexion dans l’acte guerrier. La plus grande des guerres des machines et de matériel, largement dominée par l’artillerie, fut aussi désincarnée. On <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/combattre-stephane-audoin-rouzeau/9782020975087">se tua à distance sans se voir</a>, 14–18 est cette catastrophe inaugurale d’un XX<sup>e</sup> siècle barbare.</p>
<p>Durant les deux conflits mondiaux, l’empreinte environnementale, <a href="https://www.researchgate.net/publication/232897171_The_long-term_effects_of_explosive_munitions_on_the_WWI_battlefield_surface_of_Verdun_France">lorsqu’elle est connue et surtout visible</a>, reste une conséquence co-latérale de la guerre : le combattant était visé, et non l’environnement dans lequel il évoluait.</p>
<h2>Au Vietnam, l’environnement dans le viseur</h2>
<p>C’est avec la guerre du Vietnam (1955–1975) et la Guerre froide que l’environnement devient délibérément visé par des actions militaires <a href="https://www.researchgate.net/publication/232897171_The_long-term_effects_of_explosive_munitions_on_the_WWI_battlefield_surface_of_Verdun_France">pour en déloger le combattant</a>.</p>
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<p>L’invisibilisation défensive du combattant de la Grande Guerre dans ses tranchées laissa place, dans des guerres de plus en plus technologiques, à des tactiques fondées sur l’hypervisibilisation de l’ennemi, en supprimant des éléments environnementaux susceptibles de le dissimuler : caméras thermiques contre l’obscurité, agents défoliants ou tapis de bombes contre la jungle au Vietnam, usage du phosphore blanc pour brûler les forêts lors de la guerre de 2020 au Haut-Karabagh (communication orale). L’œil électronique des drones a besoin de voir pour frapper.</p>
<p>Mais avec le Vietnam, ce furent aussi les effets environnementaux d’une guerre qui étaient devenus brutalement visibles par des millions de téléspectateurs et de lecteurs.</p>
<h2>La naissance de l’écocide</h2>
<p>De cette prise de conscience naquit, dans un cadre plus large de la critique de l’intervention militaire américaine au Vietnam, le nom et le concept « d’écocide ».</p>
<p>Dans <a href="https://nzetc.victoria.ac.nz/tm/scholarly/tei-Salient34141971-t1-body-d12.html"><em>Ecocide in Indochina</em></a> (1970), Barry Weisberg le définit comme une stratégie visant à détruire l’ennemi en s’en prenant en partie à lui, mais aussi à tout son environnement naturel, à ce qui lui permet de subsister.</p>
<p>Les séquelles environnementales des guerres sont une réalité sans équivoque ; la magnitude et la typologie de ces modifications sont étroitement liées à l’intensité des combats, leur densité (violence des combats sur une aire géographique restreinte), leur dynamique (évolution spatiale et temporelle des champs de bataille), la puissance des armes et les compartiments environnementaux investis par les forces armées (sol, sous-sol, eaux et airs).</p>
<p>Peu de phénomènes géomorphologiques, qu’ils soient strictement géologiques et/ou biogéomorphologiques – actions des organismes vivants sur le paysage – sont capables à l’instar des guerres modernes de modifier et perturber durablement l’environnement sur une si courte période, à de telles magnitudes.</p>
<h2>Des conséquences encore mal connues</h2>
<p>Les études environnementales et historiques pour établir des liens entre des changements de l’état normal de notre environnement – voire des pollutions lorsque ces modifications sont synonymes de nuisances – et des conflits armés majeurs, restent locales, parcellaires et encore à leur balbutiement.</p>
<p>Nous mesurons tout juste aujourd’hui l’importance des traces plus que centenaires laissées par la Grande Guerre dans nos sols et les nappes, alors que l’Europe est ébranlée depuis le 24 février 2022 par un conflit interétatique de haute intensité, d’une brutalité inédite depuis la Seconde Guerre mondiale. Une guerre d’agression de la Russie à l’encontre d’un état souverain, l’Ukraine, d’une physionomie qu’on croyait reléguée au passé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208261/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Daniel Hubé ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les conséquences des conflits armés sur l’environnement ont pris une ampleur nouvelle au XXᵉ siècle, avec la technicisation de la guerre.Daniel Hubé, Ingénieur environnementaliste, BRGMLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2083372023-06-28T20:07:28Z2023-06-28T20:07:28ZRetour en Ukraine : destins politiques, quêtes existentielles<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/534084/original/file-20230626-15-m3j2ag.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1198%2C867&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Deux combattants testent un nouveau drone qu’ils souhaitent utiliser à des fins de renseignement militaire, à quelques centaines de mètres des lignes russes.
</span> <span class="attribution"><span class="source">R. Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>« Ombre », la jeune médecin de l’unité du bataillon Aïdar, a reçu l’autorisation d’une courte pause. Nous l’accompagnons dans son repère, situé à 7 km de Tchassiv Yar, à proximité immédiate de <a href="https://fr.euronews.com/video/2023/04/03/no-comment-larmes-et-desolation-a-kostiantynivka-pres-de-bakhmout">Kostiantynivka</a> - au coeur du Donbass, où les combats font rage depuis des mois. Le calme est tout relatif. Les roquettes sifflent au-dessus de nos têtes. J’ai pris le réflexe de compter le temps qui sépare le sifflement de l’explosion : « 1, 2, 3, 4 ». C’est assez loin, suffisamment pour que je ne m’en inquiète pas vraiment.</p>
<p><audio preload="metadata" controls="controls" data-duration="17" data-image="" data-title="Les tirs russes ne cessent presque jamais" data-size="148873" data-source="" data-source-url="" data-license="Fourni par l'auteur" data-license-url="">
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<div class="audio-player-caption">
Les tirs russes ne cessent presque jamais.
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span><span class="download"><span>145 ko</span> <a target="_blank" href="https://cdn.theconversation.com/audio/2839/les-russes-ne-sont-pas-loin.m4a">(download)</a></span></span>
</div></p>
<p>Avec le temps, ces bombardements deviennent habituels, presque solennels, comme s’il ne pouvait en être autrement. Ils n’empêchent pas le sommeil. C’est là encore une constante observée par de nombreux écrivains par exemple <a href="https://www.actes-sud.fr/catalogue/pochebabel/de-la-destruction">W.G. Sebald</a> ou <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-silence-de-l-ange-heinrich-boll/9782020197038">Heinrich Böll</a>. </p>
<p>Au cœur de la catastrophe, la vie suit son cours, presque normalement, comme si l’attitude la plus normale était d’ignorer les menaces réelles. Je n’y vois qu’une manière de déréaliser la situation pour être en capacité de la vivre.</p>
<h2>Au « QG »</h2>
<p>Ombre - <a href="https://theconversation.com/retour-en-ukraine-au-coeur-de-la-guerre-207674">que j'ai évoquée dans la chronique précédente</a> - partage ce « quartier général » avec « Sova » (chouette) et « L’Ingénieur », deux « camarades » biélorusses. Pour être pleinement un combattant, il faut encore se trouver un nom, quelque chose soit d’absurde, soit d’un peu plus significatif. Ombre s’est choisi le nom de son chien pour le rappeler à sa mémoire. Parmi les dizaines de combattants rencontrés dans le Donbass, Ivanov a pris un pseudonyme plus brutal, « Rockett ». Il faut dire qu’avec son corps imposant et sa longue barbe, on se l’imagine bien avec le lance-roquettes sur l’épaule. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/534028/original/file-20230626-15-ek2rke.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/534028/original/file-20230626-15-ek2rke.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=520&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/534028/original/file-20230626-15-ek2rke.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=520&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/534028/original/file-20230626-15-ek2rke.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=520&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/534028/original/file-20230626-15-ek2rke.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=653&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/534028/original/file-20230626-15-ek2rke.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=653&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/534028/original/file-20230626-15-ek2rke.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=653&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Rockett.</span>
<span class="attribution"><span class="source">R. Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>J’ai aussi rencontré « Scotch », la professionnelle des bandages sur le front, « Farine », « Dima de Crimée », « Lessik », « Ioura », etc. Et quand ils se lassent de leurs pseudonymes, ils s’en cherchent d’autres en fonction de leur humeur ou de leur état psychologique du moment.</p>
<p>Ombre et ses deux amis louent une petite maison, vieille et en mauvais état : </p>
<blockquote>
<p>« Le propriétaire nous l’offre gracieusement, nous n’avons qu’à payer les factures d’eau, c’est très avantageux. »</p>
</blockquote>
<p>Elle partage sa chambre avec Sova qui, à la faveur de l’expérience commune de la guerre, est devenu son petit ami. L’Ingénieur, lui, a sa chambre à côté. Une troisième chambre séparée d’un simple rideau est destinée à accueillir les visiteurs de passage comme nous.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/534086/original/file-20230626-25-39wmxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/534086/original/file-20230626-25-39wmxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/534086/original/file-20230626-25-39wmxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/534086/original/file-20230626-25-39wmxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/534086/original/file-20230626-25-39wmxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=417&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/534086/original/file-20230626-25-39wmxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=417&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/534086/original/file-20230626-25-39wmxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=417&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le QG où Ombre et ses amis se reposent entre deux tours au front.</span>
<span class="attribution"><span class="source">R. Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Dans le salon traînent toutes les batteries et les drones, dont la valeur est estimée à plus de 5 000 dollars par appareil. Ils profitent de leur repos pour recharger la dizaine de lourdes batteries (plus de cinq cents grammes chacune) avec un groupe électrogène. Ils ont Internet grâce à <a href="https://www.numerama.com/cyberguerre/1400320-elon-musk-obtient-laide-du-pentagone-pour-relancer-starlink-en-ukraine.html">Elon Musk et ses <em>Starlink</em></a>. Ça facilite bien des choses pour communiquer et tuer le temps.</p>
<p>La maison est vétuste, sale et en certains endroits un peu répugnante. Ils ne la nettoient pas. Tout juste font-ils la vaisselle, avec l’énergie qui leur reste. Ils ont désappris la plupart des usages de la vie normale. Le contraste est saisissant entre la saleté et l’hyper-technologie posée presque négligemment à même le sol.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/534029/original/file-20230626-21-2kxqym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/534029/original/file-20230626-21-2kxqym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/534029/original/file-20230626-21-2kxqym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/534029/original/file-20230626-21-2kxqym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/534029/original/file-20230626-21-2kxqym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/534029/original/file-20230626-21-2kxqym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/534029/original/file-20230626-21-2kxqym.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Batteries de drones dans la maison.</span>
<span class="attribution"><span class="source">R. Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Ombre est bien fatiguée. Elle a passé une dizaine de jours sur le front. Alors, quand elle arrive, la toute première chose qu’elle fait est de se doucher pour se libérer de la saleté, de la sueur et « du bout de cervelle collé à son pantalon », me dit-elle.</p>
<p>Pour le reste, Ombre, L’Ingénieur et Sova n’ont fait que dormir. Dans les rares moments où ils sont éveillés, ils mangent, regardent des animés japonais, se rendorment. Le repos est un moment de désœuvrement. Ils n’ont pas le cœur à grand-chose d’autre.</p>
<p>Il y a là une constante : la guerre est un temps annulé, occupé par l’attente d’un ordre, d’une mission, ou d’une confirmation qui viendra toujours dans un temps incertain, subitement. Les projections dans l’avenir ne peuvent être qu’élémentaires, jour après jour, heure après heure. Ce n’est pas seulement l’avenir qui est hypothéqué mais l’heure d’après. C’est un fait bien connu : la vie est faite d’intensité et d’ennui. Le vécu de ces opposés donne sans doute à la guerre son « charme ». </p>
<h2>Combattants anarchistes</h2>
<p>Entre le front et les villes plus paisibles, j’ai rencontré de nombreux combattants. Ils sont droniste, artilleur, lanceur de mortier, <em>medic</em>, conducteur de tank. Parmi eux, beaucoup d’« internationalistes » issus de mouvements d’extrême gauche ou anarchistes de Biélorussie, de Russie et d’Ukraine.</p>
<p>Ombre est l’une de ces activistes biélorusses. Malgré son jeune âge, elle n’en est pas à sa première guerre. En 2017, elle a rejoint le Rojava en Syrie <a href="https://www.france24.com/en/20180223-syria-afrin-foreigners-westerners-far-left-join-kurdish-revolution-fight-turkey">pour combattre aux côtés des forces kurdes</a>. </p>
<p>Jusqu’alors, elle n’avait pas d’idées politiques claires. Elle était séduite par le projet révolutionnaire du <a href="https://www.cairn.info/la-revolution-kurde--9782707188472-page-131.htm">Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK)</a>, mais elle ne s’en faisait qu’une idée assez générale. Sur place, elle côtoie de nombreux activistes du monde entier, suit les formations du PKK et se forge de solides convictions politiques anarchistes. Quel que soit le motif de son engagement, je ne peux m’empêcher de penser qu’il faut une sacrée dose de rage contre le présent pour s’en aller à nouveau faire une guerre à 26 ans.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/534087/original/file-20230626-15-j5w3pk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/534087/original/file-20230626-15-j5w3pk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=616&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/534087/original/file-20230626-15-j5w3pk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=616&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/534087/original/file-20230626-15-j5w3pk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=616&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/534087/original/file-20230626-15-j5w3pk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=774&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/534087/original/file-20230626-15-j5w3pk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=774&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/534087/original/file-20230626-15-j5w3pk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=774&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Sur ce vieux réfrigérateur, des autocollants anarchistes de divers pays.</span>
<span class="attribution"><span class="source">R. Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ils estiment être une centaine d’<a href="https://www.euronews.com/my-europe/2022/06/09/meet-the-motley-crew-of-anarchists-and-anti-fascists-fighting-russia-in-ukraine">anarchistes du monde entier</a> venus, comme Ombre, combattre en Ukraine. C’est bien peu. Chez ces activistes, la vie politique est totale. Leur présence dans les conflits les plus importants du présent exprime ce radical désir de participation au monde.</p>
<p>Il faudra bien qu’on se demande ce que cette soif de vie politique dit de l’état de notre société. Qu’importe que le potentiel politique soit minuscule – et en Ukraine il est absolument <a href="https://core.ac.uk/download/pdf/237476663.pdf">insensé d’espérer installer une force d’extrême gauche significative</a> –, leur présence dans les conflits du temps donne de la substance à leur âme. La teneur existentielle et le projet politique se confondent et se renforcent mutuellement.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/volontaires-internationaux-en-ukraine-resurgence-dun-phenomene-ancien-179789">Volontaires internationaux en Ukraine : résurgence d’un phénomène ancien</a>
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<p>Ces anarchistes ont à cohabiter et à s’organiser avec une foule de combattants aux positions politiques différentes (nationalistes, libéraux, extrême droite, apolitiques). Ils ne s’embarrassent pas de ces conflits de vision du monde. L’action pragmatique dans un monde menacé et écroulé relègue au second plan les idéologies et les théories politiques. Les solidarités s’imposent. Elles ne reposent pas sur une vision partagée du monde mais sur l’action quotidienne, l’extrême nervosité de la vie, l’attention focalisée et partagée sur la situation.</p>
<h2>Des vies qui ne concèdent pas</h2>
<p>Pour ces « internationaux politisés », le choix de rejoindre la guerre a bon nombre d’explications. <a href="https://www.greenleft.org.au/content/enguerran-carrier-rojava-ukraine-we-have-defensive-war-provoked-other-side">Ceux qui ont connu l’expérience du Rojava</a> en ont été profondément éprouvés. Beaucoup d’entre eux ont connu de grandes difficultés à retrouver une vie normale. On ne quitte pas si facilement un monde composé de tant d’intensités. Il devient difficile de se mettre à la hauteur de la banalité de la vie ordinaire.</p>
<p>Au cours de leurs discussions, j’apprends que les retours ont été marqués par une importante solitude, des envies suicidaires, des retraits de l’activisme politique, des ennuis judiciaires, une solitude radicale, des épisodes dépressifs et de nombreux cas de suicide.</p>
<p>Prendre part à la guerre en Ukraine est une façon de régler <a href="https://kurdistan-au-feminin.fr/2019/05/06/la-lutte-de-liberation-kurde-et-lespt-guerre-depression-suicide-silence/">ce problème de la désadaptation sociale</a> tout en allant au bout de leur engagement politique. Ce sont des vies qui ne concèdent pas vraiment, qui ne reviennent pas sur leurs choix antérieurs car trop de soi a déjà été donné. Toutes ces difficultés de réadaptation sociale les rendent disponibles, le moment venu, pour expérimenter d’autres aventures guerrières. Ils savent ce qu’est la guerre. Ils en ont déjà l’expérience. Et il leur est difficile d’ignorer la situation réelle de leurs « camarades » ukrainiens, biélorusses et russes qui s’activent sur les fronts. Ce sont ces facteurs entremêlés qui les entraînent vers d’insondables destins.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/portraits-dukraine-micha-32-ans-combattant-allemand-de-la-legion-internationale-188103">Portraits d’Ukraine : Micha, 32 ans, combattant allemand de la légion internationale</a>
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<p>On peut donner à ces décisions de participer à la guerre des explications politiques et existentielles, les unes allant difficilement sans les autres. Il est certain que ces anarchistes ont en commun une violente colère contre le monde et un vif désir d’insoumission.</p>
<p>Leur colère n’est ni diffuse ni incontrôlée. Elle est froide et résolue. Elle se trouve des mots, des explications et des pratiques concrètes. Se développe alors une foule de petites sectes politiques qui, à mesure qu’elles s’enfoncent dans la clandestinité et la violence, se raidissent et se coupent du monde.</p>
<p>« On trouve partout les mêmes personnes », remarquent les internationalistes. Alors, entre eux, ils se rappellent leurs souvenirs du Rojava. L’un raconte sa sidération de constater que « les Arabes de l’État islamique » (EI) faisaient leurs besoins dans toutes les pièces des maisons qu’ils occupaient sur le front. Un autre se souvient de Billy, le combattant un peu débile, qui s’excitait d’avoir trouvé un string léopard dans l’une de ces maisons reprises à l’EI. Non content de sa trouvaille qui prit la forme d’un véritable trophée, il avait eu la brillante idée de le planquer dans le lit d’un des cadres du PKK. Quelques heures plus tard, il se fendait en deux devant la réaction gênée et pudique de ce dernier qui venait de découvrir le bout de tissu.</p>
<p>Ils évoquent aussi les flirts entre camarades, pourtant interdits par le PKK. Bien sûr, ils abordent des sujets bien plus sérieux : les assauts contre l’armée turque ou l’État islamique, les pertes de camarades, les moments héroïques, la situation politique dans l’un ou l’autre pays. Ces expériences font des vies sacrément bizarres et saturées d’intensité.</p>
<p>Leur ordinaire est singulièrement rétréci mais entier. C’est un monde minuscule où se rencontrent des destins heurtés et des vies totales. Ils ne forment pas une brigade entière. Ils se sont dispersés dans différentes unités. À défaut de se faire une place significative dans l’échiquier politique de l’après-guerre en Ukraine, cela leur permet au moins de ne pas être tous tués ensemble…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208337/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Romain Huët ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Parmi les combattants ayant rejoint le front en Ukraine, on retrouve notamment des anarchistes biélorusses, passés pour certains par le Kurdistan syrien, où ils ont affronté Daech.Romain Huët, Maitre de conférences en sciences de la communication, Chercheur au PREFICS (Plurilinguismes, Représentations, Expressions Francophones, Information, Communication, Sociolinguistique), Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2084272023-06-24T12:22:50Z2023-06-24T12:22:50ZGuerre en Ukraine : comment comprendre les 24 heures de chaos entre le Kremlin et le groupe Wagner<p>Même dans une guerre qui évolue aussi rapidement, certains événements ont la capacité de surprendre. La décision du chef du groupe Wagner, Evgueni Prigojine, d'ordonner samedi matin à ses troupes de remonter vers la Russie, où il <a href="https://www.theguardian.com/world/live/2023/jun/23/russia-ukraine-war-live-russia-investigates-mutiny-as-wagner-chief-says-evil-military-leaders-must-be-stopped#maincontent">a occupé le QG militaire de Rostov</a>, semble avoir laissé le Kremlin perplexe.</p>
<p>Puis, alors que ses mercenaires n'étaient qu'à quelques 300 kilomètres de Moscou, Prigojine leur a demandé de faire demi-tour pour éviter « un bain de sang ».</p>
<p>Un accord venait apparemment d'être conclu avec le président biélorusse Alexandre Loukachenko, selon lequel Prigojine pourrait se rendre en Biélorussie sans craindre de représailles. Même impunité pour ses troupes. </p>
<p>Mais l'épisode a clairement secoué le président russe, Vladimir Poutine, qui avait qualifié l’action de Prigojine d’« équivalente à une mutinerie armée » et de « tentative de subversion de l’intérieur ». Dans une allocution télévisée d’urgence, il avait qualifié la rébellion de trahison et s’est engagé à punir toute personne ayant pris les armes contre l’armée russe.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1672433432092196865"}"></div></p>
<p>Prigojine aurait jusqu’à <a href="https://www.cnbc.com/2023/06/24/what-is-the-wagner-group-led-by-man-accused-of-mutiny-in-russia.html">50 000 combattants entraînés</a> sous son commandement. Le <a href="https://theconversation.com/ukraine-war-yevgeny-prigozhin-and-the-warrior-constituency-that-could-threaten-putin-from-the-right-206875">groupe de mercenaires Wagner</a> a été le plus touché par les combats les plus violents, notamment lors de la sanglante <a href="https://theconversation.com/ukraine-war-a-fight-to-the-death-in-bakhmut-with-both-sides-bogged-in-the-spring-thaw-201251">bataille de Bakhmout</a>.</p>
<p>Les raisons de l’apparente mutinerie de Prigojine ne sont pas encore claires. Mais les déclarations de Prigojine étaient explicitement dirigées contre les dirigeants militaires russes et le ministère de la Défense. Selon l’Institut pour l’étude de la guerre, le <a href="https://www.understandingwar.org/backgrounder/russian-offensive-campaign-assessment-june-23-2023">patron du groupe Wagner a affirmé</a> que le Conseil des commandants Wagner avait pris la décision de mettre fin « au mal causé par les dirigeants militaires » qui ont négligé et détruit la vie de dizaines de milliers de soldats russes. Cela semble être une référence directe à la controverse qui avait éclaté pendant la campagne de Bakhmut et selon laquelle les unités Wagner avaient été délibérément privées de munitions.</p>
<p>Au cours des dernières semaines, le ministère de la Défense – <a href="https://www.ft.com/content/b9d91a08-0f89-4986-855b-42232c5291a6">apparemment avec le soutien de Poutine</a> – a annoncé qu’il placerait le groupe Wagner et d’autres forces irrégulières et milices sous son contrôle direct. Cette initiative a été perçue comme une indication du besoin désespéré de la Russie pour de nouvelles troupes et de la volonté du Kremlin d’éviter une mobilisation à grande échelle de la population.</p>
<p>Mais l’annonce a également été considérée comme une preuve de <a href="https://www.rferl.org/a/russia-prigozhin-shoigu-feud-decree-ukraine/32454350.html">l’animosité croissante entre Prigojine et le ministre de la Défense, Sergeï Choïgu</a>. Prigojine a catégoriquement refusé de signer le contrat avec l’armée, alors que le groupe <a href="https://www.reuters.com/world/europe/chechen-force-signs-contract-with-russias-defence-ministry-that-wagners-2023-06-12/">Akhmat</a> des forces tchétchènes a été l’un des premiers se rallier.</p>
<h2>Changer la loi</h2>
<p>L’annonce du ministère de la Défense est d’autant plus importante que ce n’est qu’en novembre 2022, lorsque Poutine a signé les modifications du <a href="https://www.ponarseurasia.org/using-russian-prisoners-to-fight-in-ukraine-legal-or-illegal/">règlement de défense</a>, que l’inclusion des « formations de volontaires » dans les opérations armées a été légalisée pour la première fois.</p>
<p>Auparavant, <a href="https://rm.coe.int/constitution-of-the-russian-federation-en/1680a1a237#">l’article 13 de la constitution de la Fédération de Russie</a> interdisait explicitement « la création et les activités d’associations publiques dont les objectifs et les actions visent à créer des formations armées ».</p>
<p><a href="https://rm.coe.int/constitution-of-the-russian-federation-en/1680a1a237">L’article 71</a> de la constitution stipule également que les questions de défense et de sécurité, de guerre et de paix, de politique étrangère et de relations internationales sont la prérogative de l’État et que les entreprises privées ne peuvent donc pas être impliquées.</p>
<p>Le <a href="http://www.consultant.ru/document/cons_doc_LAW_10699/">code pénal</a> considère de fait l’activité mercenaire comme un crime, y compris le « recrutement, le financement ou tout autre soutien matériel d’un mercenaire » ainsi que l’utilisation ou la participation de mercenaires dans un conflit armé.</p>
<p>Les modifications apportées par Poutine à la loi sur la défense ont donc changé la donne. Les amendements ont été mis en œuvre par l’<a href="https://www.garant.ru/products/ipo/prime/doc/406397447/?ysclid=lisujt5qic876956132">ordonnance du 15 février 2023</a>, qui définit la procédure de fourniture d’armes, d’équipements militaires et de logistique aux formations volontaires, ainsi que les conditions de service.</p>
<p>Des signes montrent que les forces privées sont de plus en plus importantes et acceptées en Russie. En avril 2023, le gouverneur adjoint de Novossibirsk <a href="https://ngs.ru/text/gorod/2023/04/24/72244898/">a annoncé</a> que les employés des sociétés militaires privées pourraient utiliser le certificat de réhabilitation délivré aux vétérans de l’armée d’État de la guerre d’Ukraine pour accéder à une série de bénéfices et de privilèges.</p>
<p>Les médias russes ont également <a href="https://ngs.ru/text/gorod/2023/03/11/72125042/">rapporté</a> l’ouverture de centres de recrutement Wagner dans 42 villes du pays (le groupe Wagner a notoirement <a href="https://www.ponarseurasia.org/using-russian-prisoners-to-fight-in-ukraine-legal-or-illegal/">recruté massivement dans les prisons russes</a>.</p>
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<p>Toute une série de forces irrégulières opèrent en Ukraine, notamment les forces tchétchènes de Ramzan Kadyrov, les <a href="https://newlinesinstitute.org/russia/the-kadyrovtsy-putins-force-multiplier-or-propaganda-tool/">Kadyrovtsy</a>, qui sont officiellement placées sous le commandement de la <a href="https://thesecuritydistillery.org/all-articles/-rosgvardiya-the-emperors-new-guards">Garde nationale russe (Rosgvardiya)</a>, ainsi que des <a href="https://www.rferl.org/a/russia-other-mercenary-companies-ukraine/32424520.html">forces privées</a> telles que Wagner, Redut, Patriot et Potok.</p>
<p>Ces formations de volontaires offrent une force plus flexible que les forces militaires conventionnelles qui opèrent sous une <a href="https://theconversation.com/ukraine-war-why-are-so-many-russian-generals-being-killed-179517">chaîne de commandement notoirement rigide</a>.</p>
<p>Elles constituent également une échappatoire commode pour l’État russe : des groupes privés et des particuliers supportent les coûts humains, financiers et politiques qui, autrement, seraient pris en charge par le gouvernement. Et le Kremlin peut falsifier la liste officielle des victimes militaires, qui est par ailleurs une source d’anxiété publique considérable à l’égard du gouvernement et de son chef.</p>
<h2>Une force en guerre contre elle-même</h2>
<p>Mais la visibilité croissante de ces groupes en Ukraine et les querelles publiques entre le ministère de la Défense et les dirigeants des milices rappellent le système de patronage et de loyauté qui caractérise la culture politique de la Russie d’aujourd’hui.</p>
<p>Les guerres intestines sont monnaie courante, les rivaux se disputant les ressources, l’influence et, bien sûr, l’oreille de Vladimir Poutine lui-même. Il suffit de voir les insultes échangées par <a href="https://theconversation.com/putin-under-pressure-the-military-melodrama-between-the-wagner-group-and-russias-armed-forces-205475">Prigojine et Choïgu</a>.</p>
<p><a href="https://apnews.com/article/russia-ukraine-wagner-group-yevgeny-prigozhin-803da2e3ceda5dace7622cac611087fc">Prigojine</a> a critiqué ouvertement le ministre de la défense et les généraux russes chargés de la conduite de la guerre, les accusant fréquemment d’incompétence et de corruption. L’acrimonie qui règne depuis longtemps entre les deux hommes <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/oct/07/intense-dread-and-infighting-among-russian-elites-as-putins-war-falters">serait due</a> au fait que Shoigu a coupé l’accès de Prigojine à de nombreux contrats.</p>
<p>Cette rivalité servait jusque-là les intérêts de Poutine. Tant que ces adversaires potentiels étaient occupés à se battre entre eux, ils ne représentaient qu’une faible menace pour lui-même. Mais les choses semblent avoir changé et se pose aujourd’hui la question l’efficacité de la Russie dans la guerre en Ukraine face à une fragmentation des forces armées.</p>
<p>La décision du ministère russe de la Défense de placer les « formations de volontaires » sous son contrôle doit être comprise dans ce contexte de fragmentation et de luttes intestines, ainsi que dans le cadre de la conscription en cours. La période de conscription actuelle, qui a <a href="https://www.reuters.com/world/europe/putin-signs-new-law-draft-russia-says-spring-call-up-is-running-planned-2023-04-15/">débuté le 1ᵉʳ avril</a> et se termine le 15 juillet, a pour objectif déclaré de recruter 147 000 soldats.</p>
<p>La révolte de Prigojine contre le commandement militaire russe et son apparente défiance à l’égard de son ancien proche allié Vladimir Poutine auront également des conséquences importantes sur la capacité de la Russie à réagir à la contre-offensive de l’Ukraine, qui apparaîtra plus clairement dans les jours et les semaines à venir.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été mis à jour le 24 juin pour refléter les événements les plus récents concernant Evgeny Prigojine et le groupe Wagner</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208427/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tracey German est affiliée au RUSI.</span></em></p>Les forces russes en Ukraine sont profondément divisées. Le Kremlin tente d’y remédier, mais la rébellion du groupe Wagner a pris tout le monde par surprise.Tracey German, Professor of Conflict and Security, King's College LondonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2081732023-06-21T18:38:19Z2023-06-21T18:38:19ZEn Russie, l’élite politique gagnée par la nervosité face aux critiques du camp ultra-nationaliste<p>Que la <a href="https://theconversation.com/contre-offensive-ukrainienne-pourquoi-et-pour-quoi-207557">contre-offensive ukrainienne</a> qui a commencé début juin 2023 réussisse ou non à déloger les troupes russes des territoires occupés, plusieurs signes indiquent qu’elle a déjà suscité une <a href="https://www.understandingwar.org/backgrounder/ukraine-conflict-updates">véritable inquiétude à Moscou</a>.</p>
<p>Le malaise a été particulièrement perceptible lors de la rencontre de Vladimir Poutine le 13 juin avec un <a href="http://en.kremlin.ru/events/president/news/71391">groupe d’influents blogueurs militaires</a> – des <a href="https://www.rtbf.be/article/guerre-en-ukraine-peut-on-se-fier-aux-informations-des-blogueurs-militaires-russes-11213132">« journalistes patriotes »</a> qui soutiennent la guerre mais qui critiquent parfois la manière dont elle est menée. Cette rencontre a d’autant plus retenu l’attention que, au cours des mois précédents, le président russe avait <a href="https://www.newsweek.com/putin-avoiding-events-amid-increasing-criticism-military-failures-isw-1767245">évité les déclarations publiques sur la guerre</a>, annulé sa <a href="https://www.nytimes.com/2022/12/12/world/europe/putin-skips-news-conference.html">conférence de presse annuelle de décembre</a> et reporté son émission annuelle de <a href="https://news.yahoo.com/putin-postponed-annual-marathon-phone-105540229.html">questions-réponses avec la population à l’occasion de la fête nationale</a> qui aurait dû se tenir mi-juin. </p>
<p>Lors de cette réunion du 13 juin, Poutine a été contraint de répondre à des questions précises qui l’ont mis en difficulté. Notons que dans ses réponses, il <a href="https://www.reuters.com/world/europe/putin-says-ukraines-losses-are-vast-so-far-failed-counteroffensive-2023-06-13/">a employé à plusieurs reprises le terme « guerre »</a>, s’écartant ainsi de son mantra selon lequel ce qui se passe en Ukraine est une « opération spéciale ». Il a également admis que les attaques ukrainiennes sur le territoire russe <a href="https://www.nytimes.com/2023/06/13/us/putin-ukraine-war-interview.html">avaient fait des dégâts</a>.</p>
<p>C’est à l’occasion de cette réunion que Vladimir Poutine a publiquement commenté l’« opération militaire spéciale » pour la première fois depuis que les forces ukrainiennes ont porté la guerre sur le territoire russe : rappelons que Moscou a subi des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/05/30/ce-que-l-on-sait-de-l-attaque-de-drones-menee-mardi-a-moscou_6175486_3210.html">attaques de drones</a> le 1<sup>er</sup> mai et à nouveau le 30 mai, et que la région de Belgorod a été bombardée et a même été le théâtre d’une <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/incursion-armee-en-russie-la-region-de-belgorod-attaquee-par-des-drones-loperation-antiterroriste-se-poursuit-20230523_NSENJ6RWAZDS5NZMHYT5NAT6HE/">incursion armée le 22 mai</a>, ce qui a <a href="https://www.nytimes.com/2023/06/12/world/europe/russia-war-belgorod.html">entraîné l’évacuation de dizaines de milliers de civils russes</a>.</p>
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<p>Tous ces développements sapent encore davantage l’affirmation récurrente de Poutine selon laquelle ce qui se passe en Ukraine est une simple <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2022/12/22/putin-war-ukraine-special-operation/">« opération militaire spéciale »</a> et non une véritable guerre, et que la vie peut se poursuivre normalement pour les Russes ordinaires.</p>
<h2>Le défi Prigojine</h2>
<p>Dans le même temps, Poutine se retrouve <a href="https://theconversation.com/ukraine-war-yevgeny-prigozhin-and-the-warrior-constituency-that-could-threaten-putin-from-the-right-206875">confronté au défi politique</a> que représente désormais <a href="https://novayagazeta.eu/articles/2023/04/07/governor-of-the-grey-zone-en">Evguéni Prigojine</a>, le patron du <a href="https://www.bbc.com/news/world-60947877">groupe Wagner</a>, une société privée qui a recruté quelque 50 000 combattants pour participer à la guerre en Ukraine du côté de Moscou.</p>
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<p>Ces combattants ont joué un rôle clé dans la <a href="https://www.bfmtv.com/international/europe/ukraine/guerre-en-ukraine-le-patron-de-wagner-affirme-que-bakhmout-est-tombee-aux-mains-des-russes_AN-202305200261.html">prise de la ville ukrainienne de Bakhmout</a>, tombée le 20 mai après un siège de 224 jours. Après la chute de Bakhmout, un sondage a indiqué que, pour la première fois, Prigojine avait fait son apparition dans la liste<a href="https://russiapost.info/society/no_end"> des 10 responsables politiques auxquels les Russes font le plus confiance</a>.</p>
<p>Or, ces derniers mois, Prigojine a <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2023/06/13/yevgeniy-prigozhin-mercenary-wagner-putin/">ouvertement critiqué</a> la façon dont le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou et le chef de l’état-major général Valéri Guérassimov conduisent la guerre. En outre, en mai 2023, il a organisé une <a href="https://meduza.io/feature/2023/05/31/esli-my-voyuem-dalshe-nado-ob-yavlyat-mobilizatsiyu-uzhe-seychas">série de meetings publics</a> dans plusieurs villes de Russie pour présenter ses exigences au pouvoir (mobilisation générale, rétablissement de la peine de mort, instauration d’un état de guerre officiel dans toute la Russie..). Pour tenter de maîtriser Prigojine, Choïgou <a href="https://novayagazeta.eu/articles/2023/06/12/kto-ne-pod-nami-tot-protiv-nas">a ordonné que tous les combattants volontaires</a> signent un contrat avec le ministère de la Défense avant le 1<sup>er</sup> juillet, ce que Prigojine refuse de faire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1668640664530173952"}"></div></p>
<p>L’empire commercial de Prigojine comprend des médias, l’Agence de recherche sur Internet qui, selon les États-Unis, <a href="https://www.cnn.com/2022/07/28/politics/state-department-ira-troll-farm-russia/index.html">a interféré dans l’élection présidentielle américaine de 2016</a>, une série de films et des comptes sur les réseaux sociaux qui lui permettent d’atteindre des dizaines de millions de Russes. L’ensemble forme ce que le journaliste Scott Johnson a <a href="https://www.hollywoodreporter.com/news/general-news/russia-wagner-group-prigozhin-propaganda-movies-1235507691/">surnommé le « Wagnerverse »</a>. </p>
<h2>Des questions dérangeantes</h2>
<p>Dans ce contexte marqué par des critiques croissantes sur la façon dont la guerre est menée et par des attaques directes sur le territoire russe, Vladimir Poutine a été confronté à des <a href="https://www.nytimes.com/2023/06/13/us/putin-ukraine-war-interview.html">questions difficiles</a> lors de sa rencontre avec les blogueurs militaires.</p>
<p>L’un d’eux a demandé pourquoi les sociétés militaires privées n’étaient pas légales en Russie. Poutine a simplement répondu qu’il était temps de changer la loi.</p>
<p>Un autre a voulu savoir pourquoi les primes versées aux soldats diffèrent selon les régions dont ceux-ci sont originaires. En réponse, Poutine a simplement rappelé que la Russie est un système fédéral et que les régions versent à leurs habitants partis au front ce qu’elles peuvent se permettre.</p>
<p>Un de ses interlocuteurs s’est ému du fait que puisque les zones situées à l’intérieur de la Russie ne sont pas considérées comme faisant partie du cadre de l’« opération militaire spéciale », les soldats qui s’y battent ne reçoivent pas de prime de combat, à l’inverse de ceux qui guerroient en Ukraine.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1669764728837603328"}"></div></p>
<p>Un autre a interrogé le président sur la rotation des troupes et sur le moment où les Russes pourront considérer que la guerre a été gagnée. Les réponses du chef de l’État ont été évasives sur ces deux points.</p>
<p>Un participant a interrogé Poutine sur le problème des « généraux de salon », un <a href="https://meduza.io/feature/2023/05/31/esli-my-voyuem-dalshe-nado-ob-yavlyat-mobilizatsiyu-uzhe-seychas">terme utilisé par Prigojine</a> en référence aux dirigeants installés dans des bureaux confortables loin de la ligne de front. Poutine a reconnu que certains généraux n’étaient pas à la hauteur, mais il a soutenu l’ordre de Choïgou selon lequel tous les volontaires devaient s’inscrire auprès du ministère de la Défense.</p>
<p>Pour résumer, cette rencontre n’a pas été une attaque en règle contre le président, mais elle n’a pas non plus été une discussion amicale dénuée d’aspérités.</p>
<h2>Des mesures désespérées</h2>
<p>À en juger par les <a href="https://russianfield.com/godsvo">enquêtes d’opinion conduites en Russie</a>, les revers militaires n’ont pas provoqué, du moins à ce stade, une <a href="https://www.themoscowtimes.com/2023/06/10/why-support-for-putins-war-is-rife-in-russias-worst-hit-regions-a81426">baisse du soutien de la population</a> à la guerre. De nombreux Russes semblent penser que même si le déclenchement de la guerre a été une erreur, il convient de tout faire aujourd’hui pour <a href="https://meduza.io/en/feature/2023/06/03/the-only-thing-worse-than-war-is-losing-one">empêcher la défaite de la Russie</a>. </p>
<p>Toutefois, les membres de l’élite russe semblent partager le malaise croissant exprimé par les blogueurs militaires. Les 20 et 21 mai, des hauts fonctionnaires et experts politiques russes ont participé à une réunion de l’influent think tank <a href="https://globalaffairs.ru/">Conseil de politique étrangère et de défense</a>. Il ressort des commentaires des participants, tels que le député de la Douma d’État Konstantin Zatouline, que la guerre ne se déroule pas comme la Russie le souhaiterait, loin de là.</p>
<p>Dans un <a href="https://zatulin.ru/vystuplenie-konstantina-zatulina-na-forsajt-forume-kakaya-ukraina-nam-nuzhna">discours prononcé le 1ᵉʳ juin</a>, Zatouline, connu pour ses positions nationalistes, a noté qu’aucun des objectifs initiaux de l’« opération spéciale » n’avait été atteint et a admis que « les Ukrainiens nous détestent parce que nous les tuons ». </p>
<p>Il a également déclaré que lors de la réunion du Conseil de politique étrangère et de sécurité, l’un des participants avait suggéré de larguer une bombe nucléaire sur Rzeszow, la <a href="https://www.wsj.com/articles/weapons-for-ukraines-fight-against-russia-flow-through-small-polish-border-towns-11648066417">plate-forme de transport dans le sud-est de la Pologne</a> par laquelle la plupart des armes de l’Occident sont acheminées vers l’Ukraine. Un peu plus tard, le 14 juin, Sergueï Karaganov, le président du Conseil a publié un article <a href="https://www.rt.com/russia/578042-russia-nuclear-weapons/">plaidant en faveur de l’utilisation démonstrative d’une arme nucléaire</a> afin de forcer l’Occident à cesser de fournir des armes à l’Ukraine.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/533174/original/file-20230621-27-on9gq7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/533174/original/file-20230621-27-on9gq7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/533174/original/file-20230621-27-on9gq7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/533174/original/file-20230621-27-on9gq7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/533174/original/file-20230621-27-on9gq7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/533174/original/file-20230621-27-on9gq7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/533174/original/file-20230621-27-on9gq7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sergueï Karaganov photographié à Venise en 2011, quand il se rendait encore volontiers dans ces pays occidentaux contre lesquels il appelle aujourd’hui à employer l’arme nucléaire.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Sergey_Karaganov_in_Venice1.JPG">Alma Pater/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>Dans les années 1990, Karaganov était considéré comme un libéral qui soutenait l’intégration de la Russie à l’Europe. Aujourd’hui, il semble considérer que l’incapacité de la Russie à vaincre l’Ukraine constitue une menace sérieuse pour sa sécurité. En outre, le fait qu’il préconise d’employer l’arme nucléaire montre que les élites russes sont de plus en plus convaincues que le pays ne peut pas gagner uniquement par des moyens conventionnels. C’est dans ce contexte que, le 16 juin, Poutine a annoncé que la Russie avait déjà commencé à <a href="https://www.reuters.com/world/europe/putin-says-russia-positions-nuclear-bombs-belarus-warning-west-2023-06-16/">transférer certaines armes nucléaires tactiques</a> sur le territoire de la Biélorussie.</p>
<h2>L’enlisement en Ukraine profiterait aux faucons</h2>
<p>En attendant, le mercenaire en chef, Prigojine, continue de jouer son propre jeu. Dans l’histoire, il est rare que des généraux mercenaires soient parvenus à s’emparer du pouvoir politique. Le mercenaire le plus célèbre de tous les temps, <a href="https://warfarehistorynetwork.com/article/albrecht-von-wallenstein/">Albrecht Von Wallenstein</a>, a réussi à commander une armée de 50 000 hommes pendant la guerre de Trente Ans. Il est devenu si puissant que ses les <a href="https://www.habsburger.net/en/chapter/wallenstein-death-murder">Habsbourg, qui le finançaient, l’ont fait assassiner</a>. </p>
<p>Dans le paysage politique étroitement contrôlé de la Russie, il n’y a pas de précédent comparable à un personnage tel que Prigojine. Il semble avoir peu d’alliés au sein de l’establishment militaire ou des gouverneurs régionaux. Il est donc difficile d’imaginer un scénario dans lequel il serait autorisé, par exemple, à créer son propre parti politique, et encore moins à se présenter à la présidentielle en 2024.</p>
<p>Toutefois, il représente aujourd’hui une épine dans le pied pour Poutine. L’absence de progrès vers une victoire sur l’Ukraine rend l’élite russe de plus en plus nerveuse ; si les choses n’évoluent pas rapidement dans un sens favorable aux intérêts de Moscou, il sera compliqué de maintenir la stabilité sociale et de contrôler le camp nationaliste qui plaide de plus en plus bruyamment pour une conduite de la guerre encore plus agressive…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208173/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Peter Rutland ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que l’Ukraine contre-attaque, et frappe même le territoire russe, l’élite moscovite constate avec inquiétude que les radicaux exigent une escalade rapide.Peter Rutland, Professor of Government, Wesleyan UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2076742023-06-15T16:43:53Z2023-06-15T16:43:53ZRetour en Ukraine : au cœur de la guerre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/531752/original/file-20230613-19-vptqvk.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C48%2C3995%2C2969&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans la voiture de Mark, entre Kramatorsk et Tchassiv Yar.
</span> <span class="attribution"><span class="source">R. Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Pour les combattants, mais aussi pour les observateurs, une des angoisses les plus tenaces est de passer à côté de la guerre, de ne jamais être en son centre. C’est le cas de beaucoup de soldats, affectés à des tâches ingrates de logistique ou de sécurisation, loin du front. La vie y est parfaitement ennuyeuse et bien éloignée des imaginaires héroïques propres à la guerre. Que l’on ait absolument peur ou que l’on ait envie d’en découdre, le front attire comme un aimant.</p>
<p>Je n’échappe pas à cette puissance d’attraction. Certains expliqueront qu’il ne s’agit là que d’une fascination malsaine pour le spectacle de la violence. J’y vois plutôt un désir de rejoindre le monde qui apparaît pour tous les combattants comme étant le plus significatif. Je n’espère ni drame ni corps ensanglantés. Lorsque ces situations se sont présentées en Syrie et en Ukraine, j’en ai été épouvanté. Je cherche simplement à me représenter l’effondrement du monde pour que, dans ma tête, il gagne en réalité et que je puisse un peu mieux écrire ces vécus en prise avec la <a href="https://anr.fr/Projet-ANR-18-CE39-0011">violence « en train de se faire »</a>.</p>
<p>Je rejoins <a href="https://www.lavie.fr/actualite/geopolitique/a-tchassiv-yar-un-printemps-sous-les-bombes-88141.php">Tchassiv Yar</a> à proximité immédiate de Bakhmout. Bakhmout est tombée aux mains des Russes ; Tchassiv Yar résiste toujours. Une unité du très controversé bataillon Aïdar a accepté de me recevoir.</p>
<p>Créé en 2014, ce bataillon de volontaires nationalistes a été <a href="https://www.amnesty.org/fr/documents/eur50/040/2014/en/">dénoncé par Amnesty international pour de graves exactions commises dans le Donbass cette même année</a>. Depuis, ses combattants se sont <a href="https://lesjours.fr/obsessions/guerre-russie-ukraine/ep1-resistance-anna-colin-lebedev/">largement institutionnalisés</a> et se sont installés dans l’échiquier militaire. Ils sont connus pour leur sérieux et <a href="https://mil.in.ua/en/news/aidar-battalion-overtook-the-position-of-the-russian-federation-in-the-direction-of-klischiivka/">leur implication dans les zones les plus tendues</a>. L’état de guerre fait oublier les actes passés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/amnesty-international-et-lukraine-de-la-difficulte-dinvoquer-le-droit-humanitaire-en-temps-de-guerre-191792">Amnesty International et l’Ukraine : de la difficulté d’invoquer le droit humanitaire en temps de guerre</a>
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<p>Je sais bien que je ne vais pas rencontrer une horde de nazis. En effet, le choix d’une brigade <a href="https://fr.crimethinc.com/2022/02/15/anarchistes-et-guerre-perspectives-anti-autoritaires-en-ukraine">se fait rarement sur des bases idéologiques</a>. Dans la majorité des cas, il repose sur des critères pratiques : la puissance matérielle, l’organisation, le prestige, la présence au front, la « solidité » ou, plus prosaïquement, les opportunismes circonstanciels.</p>
<h2>Traverser des nulle part anthropologiques</h2>
<p>Depuis Kramatorsk, il faut une quarantaine de minutes pour arriver à <a href="https://fr.euronews.com/2023/04/03/ukraine-six-civils-tues-a-kostiantynivka-zelensky-denonce-les-terroristes-russes">Kostiantynivska</a>, puis Tchassiv Yar.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/retour-en-ukraine-continuer-a-documenter-la-guerre-pour-en-apprehender-la-realite-206024">Mark, volontaire que je connais bien</a>, me conduit avec sa petite amie Daria et un autre volontaire venu apporter un colis d’aide médicale. La ville est à une vingtaine de kilomètres de Kramatorsk. Tout au plus, et en raison de l’état des routes, il faut une quarantaine de minutes pour arriver. Aux environs de Tchassiv Yar, la campagne est vaste, colorée et belle.</p>
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<img alt="Vue d’une route de campagne avec des débris de béton" src="https://images.theconversation.com/files/532011/original/file-20230614-25-ucfnpw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532011/original/file-20230614-25-ucfnpw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532011/original/file-20230614-25-ucfnpw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532011/original/file-20230614-25-ucfnpw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532011/original/file-20230614-25-ucfnpw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532011/original/file-20230614-25-ucfnpw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532011/original/file-20230614-25-ucfnpw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">R. Huët</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Sur la route crevassée de partout, ne se croisent que des blindés et autres véhicules militaires. Sur notre gauche, un immense champ se termine par une petite colline :</p>
<p>« C’est là où sont les Russes », indique Mark en balayant l’horizon du doigt.</p>
<p>Naturellement, l’ennemi est invisible, toujours abstrait.</p>
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<p>Un des contacts m’a donné la position géolocalisée de l’unité, <em>Google Maps</em> s’occupe du reste. Nous passons tranquillement les checkpoints. Mark est bien connu des soldats. Habituellement, ils sont sécurisés par des mots de passe qui changent chaque jour et qui sont spécifiques aux différentes zones du front. Ils n’ont rien de bien militaire et frisent l’absurde : « huître, ambre, cristal, distance, besoin, escalope ».</p>
<p>À l’approche de la zone, il est préférable de mettre son téléphone en mode « avion » pour éviter d’émettre des signaux et de faciliter sa localisation. Mark ne s’en soucie pas, la route est tranquille… jusqu’à ce qu’une roquette éclate à une petite centaine de mètres de là dans les champs.</p>
<p>La tension grandit. Les trajets m’ont toujours inquiété. On traverse à découvert des zones possiblement en proie aux bombardements. Je m’imagine qu’un ennemi, posé tranquillement dans un coin, dispose d’une vue imprenable sur la route. Il lui suffit d’ajuster son canon quand la voiture se hasarde dans son champ de vision. Ça n’est évidemment pas tout à fait ainsi que cela se passe – du moins, pas toujours. Mais la peur décuple l’imagination et rend égocentrique. On se persuade d’être toujours la cible de l’ennemi comme si, au milieu des tanks et des blindés, ce pick-up de couleur blanche était la menace prioritaire.</p>
<p>Le rapport au danger est sacrément étrange. Lorsque les attaques sont suffisamment lointaines, il n’est pas rare de voir les gens s’amasser pour avoir la vue la plus claire sur les fracas de roquettes. Mais quand celles-ci sont trop proches, la panique pousse à se chercher l’abri le plus sûr. À l’excitation succède la peur. Et une fois l’explosion survenue, il y a cette sordide joie intérieure d’avoir été au plus près du drame, d’y avoir échappé et d’avoir une nouvelle histoire à communiquer où la vie s’est trouvée vraiment menacée.</p>
<p>Mark continue sa route. Il slalome au milieu des trous. On arrive enfin vers la base. Derrière un long mur, il y a une sorte de hangar désaffecté d’à peine 100 mètres carrés. Mark hésite un peu, il n’y a personne dehors : « C’est ici, vous êtes sûrs ? », demande-t-il, un peu étonné de ne voir personne, ni hommes, ni véhicules.</p>
<p>Au moment où il s’apprête à entrer dans le chemin qui conduit à la base, une énorme détonation explose à quelques mètres de là. Mark braque le volant, rejoint la route aussi vite qu’il le peut. Il ne fait aucun doute que l’artillerie russe cible la voiture. Il ne faut pas rester immobile. Une grande haie d’arbres tout au long de la route nous cache du champ où sont positionnés les Russes. La situation est confuse. Mark ne sait plus trop quoi faire. Puis il décide de faire demi-tour car il faut bien y aller.</p>
<p>On arrive devant le mur de la base.</p>
<p>On descend de la voiture. Une nouvelle bombe explose à dix mètres de nous, dans la cour de la base, puis une seconde un peu plus loin. C’est trop tard pour réfléchir. J’en oublie le gilet pare-balles dans le coffre de Mark. On court en direction du hangar. On ne sait pas bien où aller. On aperçoit une énorme porte métallique. On l’ouvre et on découvre la planque des combattants. Ils la referment derrière nous. Intérieurement, je suis en panique mais la présence de quelques combattants me calme. Je préfère ne pas rougir devant eux.</p>
<p>Là, notre contact, qui se fait appeler Ombre, une jeune médecin de vingt-six ans, nous accueille tout sourire : « Salut ! Vous arrivez au meilleur moment ! Ça va ? »</p>
<p>Ombre nous fait entrer dans le minuscule abri. Il doit faire 60 mètres carrés et accueille une vingtaine de combattants. Il fait très sombre. Le couloir est étroit et donne accès à des « chambres » où sont disposés les lits et les matelas.</p>
<p>L’endroit ressemble à une cave en raison de l’obscurité et de l’humidité chaude. Entre cet espace comprimé et le dehors saturé par le bruit des bombes, il est difficile de ne pas se sentir oppressé.</p>
<p>« Avec le temps, on s’y fait », assure Ombre qui termine aujourd’hui son quinzième jour consécutif sur le front. C’est plus que d’habitude. Elle nous sert un café, on bavarde un peu. À côté de nous, se répartissent une quinzaine de combattants. À cause des bombes qui viennent de frapper la cour, tout le monde s’est confiné à l’intérieur du hangar – une bien maigre protection face aux risques de missiles. L’un a déjà percé le toit dans une des petites pièces de « l’abri », heureusement vide.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/531750/original/file-20230613-29-lg33n7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/531750/original/file-20230613-29-lg33n7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/531750/original/file-20230613-29-lg33n7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/531750/original/file-20230613-29-lg33n7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/531750/original/file-20230613-29-lg33n7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/531750/original/file-20230613-29-lg33n7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/531750/original/file-20230613-29-lg33n7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le missile qui a troué le toit de la base.</span>
<span class="attribution"><span class="source">R. Huët.</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Un monde à part</h2>
<p>On attend que ça passe. L’un fait chauffer une conserve sur un réchaud de camping, un autre est sur TikTok entre vidéos de guerre et vidéos humoristiques. Plus loin dans l’étroit couloir, il y a aussi un petit groupe qui enchaîne les cigarettes et les conversations sans importance. Dans ces pièces aveugles, il est une chose à peu près certaine, on ne vit pas. C’est tout un monde à part. J’en viens à me demander si, à force d’être plongé dans les souterrains de la vie, on a encore conscience de l’état général du monde ou si plus grand-chose n’a d’importance.</p>
<p>Il faut s’adapter à beaucoup de choses contraires à la vie : la promiscuité totale avec les autres combattants dans un espace minuscule, la saleté, l’absence de lumière, les bombes plus ou moins lointaines, le retour d’un blessé et bien d’autres contraintes que je n’ai pu encore découvrir.</p>
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<span class="caption">Dans l’abri.</span>
<span class="attribution"><span class="source">R. Huët.</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ombre accueille ici les blessés. Parfois, elle soigne une maladie des pieds ; des champignons causés par l’humidité et la boue. D’autres fois, elle s’occupe d’un corps pulvérisé. D’une minute à l’autre, elle soigne des blessures bénignes ou elle accueille des bouts de cadavre. Dès fois, les deux en même temps. Dans le huis clos de la cave, il est bon de ne pas se plaindre. Cela mettrait le moral de tout le monde au plus bas. Le commandement l’a bien compris. Il veille à permettre aux combattants des rotations régulières, même sur une brève période de 48 heures, afin que les esprits se reposent et se régénèrent.</p>
<h2>Un mélange de printemps et de fin de monde</h2>
<p>Nous restons quelques heures à bavarder avec Ombre. Tout le monde est assez occupé et peu disposé à s’entretenir de choses sérieuses. Ils vont bientôt rejoindre la première ligne. Un blindé, caché dans le « garage », s’apprête à partir.</p>
<p>Pendant une brève accalmie, Ombre nous propose de poursuivre notre conversation dehors, « car il fait grand soleil » et il est dommage de se priver de ces quelques précieuses minutes de lumière. L’endroit n’est pas rassurant. Un blindé ukrainien tire régulièrement non loin de nous, nous faisant à chaque fois sursauter.</p>
<p>Les combats ont lieu dans une vaste campagne. Comme à Severodonetsk, à l’exception des tranchées, la ligne de front est confuse. On ne sait où elle démarre exactement et où elle s’arrête. On est simplement capable de situer les zones les plus risquées, et cela change chaque jour. Dans la cour, traînent quelques chiens, probablement privés de leurs maîtres partis en exil. La situation n’a pas l’air de les affoler. Ils sont adoptés par l’unité. Sur la route, j’ai aussi aperçu un troupeau de moutons. Et quand les bombes cessent, on entend aussi le sifflement des oiseaux : des moineaux domestiques, des étourneaux sansonnets au chant très varié. Ce sont des espèces communes, anthropophiles, c’est-à-dire liées aux hommes.</p>
<p>C’est un curieux mélange de printemps et de fin de monde.</p>
<p><audio preload="metadata" controls="controls" data-duration="166" data-image="" data-title="Des chants d’oiseaux, des aboiements, un coq, des explosions" data-size="1387993" data-source="" data-source-url="" data-license="" data-license-url="">
<source src="https://cdn.theconversation.com/audio/2827/un-coq-des-oiseaux-des-machines.m4a" type="audio/mp4">
</audio>
<div class="audio-player-caption">
Des chants d’oiseaux, des aboiements, un coq, des explosions.
</div></p>
<p>Les récits de guerre regorgent de descriptions d’intenses combats. Rien ne change vraiment. Les bombes pleuvent. Elles s’abattent autour de soi, généralement suffisamment loin pour que l’on ne s’en soucie pas trop. Je ne sais pas toujours si ces explosions sont le fait des Ukrainiens ou des Russes. La seule chose dont je suis assuré, c’est que ça fait beaucoup de bruits. Les solidarités forment un noyau rassurant. Elles font un peu oublier la catastrophe en cours. Tout du moins, elles donnent la force de les supporter.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207674/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Romain Huët ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À proximité de Tchassiv Yar, où les combats font rage, un hangar abrite une vingtaine de combattants, qui s’y reposent un peu avant de retourner sur la ligne de contact.Romain Huët, Maitre de conférences en sciences de la communication, Chercheur au PREFICS (Plurilinguismes, Représentations, Expressions Francophones, Information, Communication, Sociolinguistique), Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.