tag:theconversation.com,2011:/us/topics/connaissance-23115/articlesconnaissance – The Conversation2023-09-13T19:52:24Ztag:theconversation.com,2011:article/2128312023-09-13T19:52:24Z2023-09-13T19:52:24ZPourquoi les discriminations nourrissent l’ignorance – et inversement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/548083/original/file-20230913-15-v3c4g9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=39%2C0%2C743%2C443&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Margaret Qualley, dans la série Maid, interprète une jeune femme devenue femme de ménage pour échapper à une relation abusive. Son personnage, discriminé, éprouve des difficultés à rendre compte de son expérience afin d’être comprise par son entourage. </span> <span class="attribution"><span class="source">Netflix</span></span></figcaption></figure><p>En 2021, une <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/fc5a96e5fc19ccdcf46fd9d55339591b/Dares%20Analyses_testing_discrimination_embauche.pdf">étude menée sous l’égide de la DARES</a> sur les discriminations <a href="https://theconversation.com/quy-a-t-il-de-discriminant-dans-un-cv-les-enseignements-de-la-recherche-experimentale-151808">à l’embauche</a> conduit à la conclusion suivante : « en moyenne, à qualité comparable, les candidatures dont l’identité suggère une origine maghrébine ont 31,5 % de chances de moins d’être contactées par les recruteurs que celles portant un prénom et nom d’origine française ». Plus généralement, en dix ans, <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6473349">l’Insee constate une hausse de 4 points</a> des discriminations dont les trois principales sources sont le sexe, l’origine et l’âge. Face à une telle tendance, le <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/rap-origine-num-15.06.20.pdf">Défenseur des droits</a> en appelait à « l’urgence d’agir » et rappelait que « ces discriminations, souvent peu visibles, entravent de façon durable et concrète les parcours de millions d’individus, mettant en cause leurs droits les plus fondamentaux ».</p>
<p>Si de nombreux travaux issus de disciplines comme <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-economie-2019-1-page-91.htm">l’économie</a>, la <a href="https://www.annualreviews.org/doi/abs/10.1146/annurev-soc-071811-145508">sociologie</a> ou la <a href="https://psycnet.apa.org/record/2014-05943-001">psychologie</a> nous offrent des ressources pour penser ce problème, qu’en est-il de la philosophie contemporaine ?</p>
<p>Une réponse pourrait se trouver dans le concept d’<a href="https://ndpr.nd.edu/reviews/epistemic-injustice-power-and-the-ethics-of-knowing/">« injustice épistémique »</a> forgé par la philosophe Miranda Fricker qui identifie une cause des discriminations dans nos attitudes intellectuelles. À la lumière de cette notion, les injustices sociales ne sont plus seulement liées au fait de mal agir mais également de « mal penser ».</p>
<p>Cette notion est un facteur qui aggrave systématiquement ces injustices – quelle que soit leur nature.</p>
<p>En effet, l’ignorance et l’absence de recul quant à nos propres préjugés, et la confusion entre culture dominante et intelligence entretient ce phénomène.</p>
<p>L’appartenance à un groupe social dominant peut ainsi conduire à croire que son raisonnement est « le bon », « le seul » voire « le meilleur » donc supérieur par nature à celui des groupes dominés. En parallèle, l’accès aux connaissances et le temps disponible pour apprendre et s’informer sont inégalement distribués selon les milieux sociaux ou les habitudes familiales ; or ce sont, entre autres, les connaissances qui permettent de raisonner, de se mettre à la place d’autrui, d’accéder aux débats d’idées. </p>
<h2>Qu’est-ce que l’« injustice épistémique » ?</h2>
<p>Partons de nos vies ordinaires et de l’importance que notre crédibilité joue dans les relations sociales. Pour construire des relations de confiance donc, tout simplement, d’initier notre processus d’intégration à la société, nous avons un double besoin : d’une part, être cru donc jugé comme digne de confiance et, d’autre part, être compris. Si un individu ment de manière répétée, il est probable que sa crédibilité soit remise en cause ; et c’est là une conclusion raisonnable et juste à en tirer.</p>
<p>Toutefois, si la crédibilité d’une personne est remise en cause en raison de son statut social c’est-à-dire de son appartenance à un groupe social particulier alors on peut parler d’injustice épistémique. « Injustice » car c’est un droit inaliénable que d’être reconnu dans sa capacité à raisonner. Comme le rappelle l’article premier de la <a href="https://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/">Déclaration universelle des droits de l’homme</a> : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». « Epistémique » car cette injustice est relative au domaine de la connaissance.</p>
<h2>Discrédit et incompréhension</h2>
<p>Dans son célèbre ouvrage <em>Epistemic Injustice. Power and the Ethics of Knowing</em> publié en 2007, Miranda Fricker théorise l’injustice épistémique à partir de ces deux formes : testimoniale et herméneutique.</p>
<p>L’injustice testimoniale est un discrédit intellectuel attribué à autrui en raison de son statut social et nourri par les préjugés. Un premier exemple que cite Miranda Fricker est celui d’un policier qui ne croit par une personne en raison de sa couleur de peau. Un autre est tiré du film <em>Le talentueux Mr Ripley</em> où le personnage Herbert Greenleaf décrédibilise l’accusation pour meurtre défendue par Marge Sherwood en déclarant : « Marge, il y a l’intuition féminine et puis il y a les faits ». Par ces mots, Greenleaf discrédite Marge non au regard du contenu de ses propos ou de son attitude intellectuelle mais de son genre. Dans la suite du récit, cette remarque sexiste lui permettra d’écarter tout soupçon à son égard jusqu’à ce que soit réhabilité la parole de Marge et, ainsi, découvert le véritable coupable.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/548355/original/file-20230914-15-vj9s66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548355/original/file-20230914-15-vj9s66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548355/original/file-20230914-15-vj9s66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548355/original/file-20230914-15-vj9s66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548355/original/file-20230914-15-vj9s66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548355/original/file-20230914-15-vj9s66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548355/original/file-20230914-15-vj9s66.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pour bien raisonner, encore faut-il avoir conscience de ses privilèges.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/32945713230/in/album-72157691229705502/">Flickr / Jeanne Menjoulet</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Lorsqu’une situation, comme celle vécue par Marge, se présente, alors la personne discriminée peut éprouver des difficultés à rendre compte de son expérience afin d’être comprise. Pour Miranda Fricker, le second type d’injustice épistémique qualifié d’herméneutique trouve son origine dans les ressources interprétatives collectivement partagées. Ainsi, il est difficile pour la victime de formuler des énoncés compréhensibles car les mots ou les faits qu’elle relate sont absents du langage ou de la culture de son groupe. Un cas saillant est celui du harcèlement sexuel que la culture dominante rend difficile à tant à dénoncer qu’à énoncer en raison de l’absence de notions communes pour nommer ce genre de faits.</p>
<p>Les deux formes d’injustice épistémique nourrissent l’ignorance des oppresseurs. Dans un cas, ils se rendent coupables de leur bêtise par car ils se laissent guider par leurs préjugés. Dans le second, ils sont en partie victimes de la situation intellectuelle de leur groupe qui présente des carences en matière de ressources interprétatives.</p>
<h2>Un problème démocratique</h2>
<p>Du point de vue des opprimés, les enjeux démocratiques de notre problème sont évidents : privés du droit à l’égale dignité, méprisés intellectuellement, l’attitude des oppresseurs participe à les exclure de l’espace public. L’aveuglement partagé quant aux récits de leurs expériences conduit à exclure leurs points de vue de l’espace de formation du jugement et de décision. La riche littérature évoquée en introduction de cet article permet de mesurer les conséquences pratiques d’un tel état de fait.</p>
<p>Du point des oppresseurs, que l’on aimerait ignorer mais que le respect de l’égale dignité nous interdit, le problème se situe dans l’impossibilité d’accéder à une citoyenneté libre car éclairée. <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/anthologie/lumieres">En termes kantiens</a>, la difficulté est liée à l’incapacité de l’oppresseur à sortir de son état de « minorité » pour parvenir à celui de « majorité ». Cette minorité « consiste dans l’incapacité où il est de se servir de son intelligence sans être dirigé par autrui » et, plus encore, dans le manque de désir de penser par soi-même. Les préjugés acquis, souvent involontairement, dès l’enfance et développés au cours de son histoire personnelle placent l’oppresseur dans un état d’aliénation que les philosophes de Lumières ont combattu avec force.</p>
<p>Comme le rappelait Kant dans <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/anthologie/lumieres"><em>Qu’est-ce que les Lumières ?</em></a>, « la diffusion des lumières n’exige autre chose que la liberté, et encore la plus inoffensive de toutes les libertés, celle de faire publiquement usage de sa raison en toutes choses ». Or, notre malheur en la matière est qu’« il est […] difficile pour chaque individu en particulier de travailler à sortir de la minorité qui lui est presque devenue une seconde nature ».</p>
<h2>Comment résister à la bêtise pour devenir un citoyen libre et éclairé ?</h2>
<p>« Sapere aude » (« Ose savoir ») pourrait-on déclarer avec Kant qui voyait, dans cette injonction au courage d’utiliser sa propre intelligence, « la devise des lumières ». Aussi, dans la continuité de la théorie développée par Miranda Fricker qui conçoit l’injustice épistémique comme un vice intellectuel, la résistance à la bêtise impliquerait de résister aux vices et de cultiver la vertu. Par exemple, il s’agirait pour chacun de lutter contre sa propre arrogance intellectuelle qui le conduit à mépriser la capacité d’autrui à penser ou encore sa paresse de l’esprit qui le pousse à se contenter de ses préjugés et de ses fausses croyances.</p>
<p>Toutefois, la raison seule ne saurait suffire. Si l’on suit les traces de <a href="https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/cours/les-vertus-epistemiques/responsabilisme-vertus-epistemiques-et-vertus-morales">la philosophe Linda Zagzebski</a>, la vertu est une motivation stable à poursuivre le bien. En matière de connaissance, cela implique donc que résister à la bêtise passe par la régulation de nos désirs en direction de la vérité et de la connaissance. Sans ce désir de la vérité et de la connaissance, indispensable pour devenir maître de ses pensées, l’individu peinera à revoir ses jugements tant ce qui le guide n’est pas le vrai mais plutôt ce qui comble d’autres désirs (le pouvoir, l’argent, la gloire, l’autorité, la certitude, le désir d’avoir raison, etc.).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ah-ces-chinois-ils-travaillent-dur-quand-le-racisme-se-veut-bienveillant-147305">« Ah ces Chinois, ils travaillent dur ! » : quand le racisme se veut « bienveillant »</a>
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<p>Enfin, la résistance à l’injustice épistémique ne saurait se réduire à un travail individuel sur ses propres croyances. C’est là un aspect important de la théorie de Miranda Fricker qui relie la connaissance à la politique. En effet, les institutions démocratiques, portées par l’État, joue un rôle central de garant des libertés. Dès lors, on attend d’elles un certain pouvoir de régulation de nos mauvaises conduites notamment celles injustes qui nuisent à la liberté d’autrui.</p>
<p>En premier lieu, on peut <a href="https://www.cairn.info/revue-le-telemaque-2015-2-page-105.htm">légitimement attendre de l’école</a> qu’elle favorise la formation vertueuse de nos intelligences et nourrissent en chaque citoyen le goût voire le désir de la vérité, de la liberté, de la raison et de la justice. Ensuite, il est impératif que la culture épistémique des institutions publiques (police, justice, etc.) place au cœur de ses principes le sens de la vertu et la résistance aux vices. Enfin, un espace public qui garantit la libre expression des conflits et garantit aux <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2013-12-page-978.htm&wt.src=pdf">opprimés la possibilité de dénoncer les injustices</a> qu’ils subissent est indispensable à l’établissement d’une société véritablement démocratique. C’est en ce sens que le <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2013-12-page-978.htm&wt.src=pdf">philosophe José Médina</a>, à la suite de Fricker, invite à la « résistance épistémique » c’est-à-dire « l’utilisation de nos ressources épistémiques et de nos capacités pour affaiblir et changer les structures normatives de l’oppression ainsi que les formes complaisantes du fonctionnement cognitif-affectif qui soutiennent ces structures ».</p>
<p>Les récits de fiction qui mettent en avant des expériences de vie invisibilisées ou les mouvements sociaux qui remettent en cause l’ordre dominant quant à la manière de penser le sexe, la famille ou le travail sont de bons exemples de cette « résistance épistémique ». Par cette lutte, les opprimés participent à leur propre émancipation ainsi qu’à celles de leurs oppresseurs aliénés par l’ignorance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212831/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ousama Bouiss ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les injustices sociales et les discriminations sont causées, entre autres, par des raisonnements trop peu informés et qui manquent de recul.Ousama Bouiss, Doctorant en stratégie et théorie des organisations, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2074412023-06-25T14:57:36Z2023-06-25T14:57:36Z« L’envers des mots » : Agnotologie<p>Les sciences occidentales ont peu appréhendé la question de l’ignorance malgré le fait que, <a href="https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/conjectures-et-r%C3%A9futations-9782228900584">selon les mots de Karl Popper</a>, « notre connaissance ne peut être que finie, tandis que notre ignorance est nécessairement infinie », avec d’importantes conséquences sur nos vies.</p>
<p>C’est ce qu’observe Robert N. Proctor en introduction d’un <a href="https://www.sup.org/books/title/?id=11232">ouvrage collectif sur l’agnotologie</a> publié en 2008. Cet historien des sciences de l’Université de Stanford a œuvré à combler cette lacune. Il propose alors le terme « agnotologie », du grec <em>agnôsis</em> (« ne pas savoir »), qui renvoie à l’étude de l’ignorance et de sa « production ». Ce concept profite alors d’un <a href="https://journals.openedition.org/rac/11968">intérêt croissant dans les sciences humaines et sociales</a> et certains auteurs évoquent même une véritable science de l’ignorance, permettant de théoriser la rupture avec les certitudes et la production de savoirs inconnus.</p>
<p>Cette ignorance peut avoir différentes origines. Tout d’abord, il y a des <a href="https://www.sup.org/books/title/?id=11232">facteurs dont le chercheur n’a pas connaissance</a>, même vis-à-vis de sa propre thématique de recherche. Ensuite, ces mêmes facteurs peuvent ne pas avoir été, ou ne pas être, exploités au cours du processus et des faits scientifiques peuvent tout à fait être ignorés comme ajoutés a posteriori. Enfin, il est important de souligner que <a href="https://www.vrin.fr/livre/9782711611508/la-formation-de-lesprit-scientifique">toutes les méthodes de recherche présentent leurs propres limites</a>.</p>
<p>De ce fait, les études et même les productions validées peuvent parfois faire l’objet de réévaluations ultérieures et être réinterrogées par les spécialistes. À l’inverse, il se peut qu’un chercheur travaille toute sa carrière sur une même thématique pour, finalement, remettre l’ensemble de ses réflexions en question ou ouvrir ses travaux sur des zones inexpliquées, voire inexplicables. Dès lors, il s’agit du savoir qui « est <a href="https://hal.science/hal-01395115/document">rendu inutilisable et ne peut plus servir de prémisse</a> à des décisions ou à d’autres enquêtes ».</p>
<p>Du point de vue scientifique, pour le chercheur <a href="https://doi.org/10.3917/criti.799.0964">l’agnotologie</a> constitue un exercice difficile et peu répandu : il est plus complexe pour un spécialiste de présenter et de décrire ce qu’il ignore que de traiter d’un savoir qu’il maîtrise. Paradoxalement, cette science se matérialise régulièrement et sous différentes formes dans le domaine de la recherche avec de nouveaux savoirs qui sont produits et qui viennent se substituer aux plus anciens ou encore de nouveaux écrits scientifiques qui viennent remettre en question, voir rendre obsolètes, leurs prédécesseurs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/de-lagnotologie-production-de-lignorance-88500">De l’agnotologie, production de l’ignorance</a>
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<p>Ainsi, l’incorporation de ce concept dans une réflexion permet d’apporter un regard nouveau sur les connaissances produites ou analysées dans une recherche scientifique, pareil à une « antiépistémologie ». Là où l’épistémologie permet de réaffirmer ou encore de construire de nouveaux savoirs, l’antiépistémologie <a href="https://doi.org/10.3917/criti.799.0964">« demande comment la connaissance peut être recouverte et obscurcie »</a>, questionnement nécessaire dans toute théorisation et/ou production de savoirs savants.</p>
<p>Mais l’ignorance <a href="https://www.researchgate.net/publication/362243075_Ignorances_Elargir_la_focale">analyse les connaissances</a> dans une double dimension : qu’est-ce que nous ne savons pas ? Pourquoi n’avons-nous pas accès à ces connaissances ? Ce doute et la remise en question des connaissances générés par l’agnotologie permettent de (re) lancer les dialogues et de modifier des comportements. En effet, si pour le chercheur inclure l’agnotologie revient à interroger les zones d’ombres de son travail, ce qui relève donc d’une approche « honnête » à l’égard de ses réflexions et productions, cette démarche se retrouve également au quotidien.</p>
<p>Un exemple parlant est celui de la désinformation. En plus des sources possibles d’agnotologie, citées précédemment, il se peut que l’absence d’information soit intentionnelle. Cette rétention de connaissance se retrouve d’ailleurs dans plusieurs domaines comme, par exemple, l’industrie du tabac. De nombreuses compagnies ont financé des études dans le but de prouver l’influence d’autres facteurs que celui de la cigarette sur la santé des individus. Il ne s’agit donc pas ouvertement d’un mensonge mais bien de recherches permettant de détourner l’attention avec l’idée d’influencer la population : on parle alors d’<a href="https://www.cairn.info/revue-raison-presente-2017-4-page-83.htm">ignorance stratégique</a>.</p>
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<p>De plus, la désinformation s’est modifiée avec le développement des réseaux sociaux où chaque individu peut librement partager ses connaissances ou idées sur les thématiques de son choix. Mathias Girel évoque alors <a href="https://factuel.univ-lorraine.fr/node/19821">plusieurs termes permettant de nuancer les situations rencontrées sur ces plates-formes</a> entre la « mésinformation », pour évoquer les fausses informations non intentionnelles et la « malinformation » pour les fausses informations ayant pour objectif de nuire volontairement à autrui.</p>
<p>Dans tous les cas, l’agnotologie rappelle la nécessité de conserver une attitude critique et une posture d’acteur vis-à-vis des informations qui nous parviennent. La première étape reste de vérifier les sources, dont la légitimité de l’auteur à traiter de la thématique abordée. Également, l’ignorance omniprésente, en raison des différentes modalités que nous avons évoquées, permet de garder à l’esprit que des zones d’ombres demeurent dans les échanges que nous entretenons au cours d’une journée ainsi que dans les travaux de recherche auxquels nous pouvons nous intéresser.</p>
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<p><em>Cet article s’intègre dans la série <strong><a href="https://theconversation.com/fr/topics/lenvers-des-mots-127848">« L’envers des mots »</a></strong>, consacrée à la façon dont notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte à mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ?</em></p>
<p><em>De <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-validisme-191134">« validisme »</a> à <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-silencier-197959">« silencier »</a>, de <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-bifurquer-191438">« bifurquer »</a> à <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-degenrer-191115">« dégenrer »</a>, nos chercheurs s’arrêtent sur ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public.</em></p>
<p><em>À découvrir aussi dans cette série :</em></p>
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<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-algocratie-203369"><em>« L’envers des mots » : Algocratie</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-docimologie-203861"><em>« L’envers des mots » : Docimologie</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-neuromorphique-195152"><em>« L’envers des mots » : Neuromorphique</em></a></p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/207441/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’agnotologie, étude de l’ignorance et de sa production, nous rappelle la nécessité de conserver une attitude critique et une posture d’acteur vis-à-vis des informations qui nous parviennent.Marie Meyer, Doctorante en Sciences de l’éducation et de la formation, Université de Haute-Alsace (UHA)Dominique Kern, Professeur des Universités, PhD Sciences de l’éducation et de la formation, Université de Haute-Alsace (UHA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1643602021-09-08T19:33:15Z2021-09-08T19:33:15ZPréservation de la biodiversité : comment s’élabore l’expertise scientifique ?<p>La préservation de la biodiversité est devenue un enjeu majeur ; il concerne toutes les activités de la société, de l’urbanisme à l’agriculture en passant par les transports, l’industrie ou le tourisme.</p>
<p>Sur le terrain, tous les acteurs n’ont toutefois pas toujours la connaissance scientifique nécessaire pour prendre directement en charge ces enjeux ; l’écologie n’est pas leur métier et demeure une science complexe.</p>
<p>Prenons l’exemple des éclairages artificiels nocturnes, susceptibles de générer une pollution lumineuse pour le vivant ; n’étant ni biologistes ni écologues, les professionnels du secteur (des fabricants aux gestionnaires des réseaux) n’auront pas l’expertise requise pour évaluer finement ces effets et les corriger.</p>
<p>Bien souvent, les acteurs opérationnels se retrouvent donc dans une impasse : ils ont la volonté, et même l’obligation, de réduire leurs impacts, mais ils ne savent pas bien comment faire. Ils font alors ce qu’ils peuvent, dans la limite de leurs moyens, en s’en remettant <a href="https://doi.org/10.1890/090020">à leur propre expérience, voire au bon sens</a>.</p>
<p>Dans le même temps, se pose aussi la question d’éventuels biais (voire de conflits) si les mesures à appliquer pour corriger une activité néfaste à la biodiversité sont décidées par les acteurs qui génèrent cette activité.</p>
<p>On comprend bien ici la nécessité d’une expertise extérieure, apportée par un tiers compétent.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1164218146112376836"}"></div></p>
<h2>À la recherche des faits avérés et démontrés</h2>
<p>Une première option pour externaliser cette expertise consiste à se référer à des spécialistes – scientifiques, écologues – qui vont donner leur avis sur la base de leur savoir et de leur pratique. C’est le « dire d’expert » auquel nous avons souvent recours en France.</p>
<p>Le risque de cette approche est toutefois d’aboutir à un résultat subjectif ou parcellaire : le meilleur des experts ne peut pas tout savoir ni posséder une vue d’ensemble sur tout ce que la science a produit ! Et comment s’assurer que l’avis de l’expert n’est pas lui-même orienté, même en toute bonne foi ?</p>
<p>Pour éviter cet écueil, une autre option consiste à se baser sur la littérature scientifique, trace écrite de l’activité de la recherche. L’objectif ici est de s’appuyer sur des faits avérés et démontrés au travers d’expériences. C’est ce que l’on appelle <a href="https://doi.org/10.1111/1365-2664.12294">l’<em>evidence-based information</em></a>.</p>
<h2>Le défi de la compilation</h2>
<p>Mais la littérature scientifique est aujourd’hui extrêmement abondante ! La recherche publie sans cesse de nouveaux articles et nous bénéficions de tout ce qui a été publié par le passé, de plus en plus diffusé sous forme numérique.</p>
<p>À titre d’exemple, la base de données <a href="https://www.webofknowledge.com">Web of Science Core Collection</a>, l’une des plus fournies en écologie, comprend plus de 60 000 documents comportant l’expression « changement climatique » dans leur titre.</p>
<p>Comment valoriser factuellement cette masse de connaissances ?</p>
<p>Pour répondre à ce besoin, on a l’habitude de réaliser dans le champ scientifique des synthèses bibliographiques – aussi appelées « revues » ; elles correspondent à des articles scientifiques compilant eux-mêmes plusieurs articles sur un sujet donné.</p>
<p>On peut citer en guise d’illustration plusieurs synthèses bibliographiques <a href="https://doi.org/10.3389/fnins.2020.602796">publiées en 2020</a> et en <a href="https://doi.org/10.1007/s11356-020-11824-7">2021</a> sur l’impact de l’éclairage nocturne sur le vivant.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-la-pollution-lumineuse-est-devenue-laffaire-de-tous-71724">Comment la pollution lumineuse est devenue l’affaire de tous</a>
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<p>Ces documents fournissent des « états de l’art » précieux, mais ils n’aboutissent généralement pas à un résultat quantifié. De plus, la <a href="https://doi.org/10.1038/s41559-020-01295-x">méthode n’est pas toujours exposée et de nombreux biais persistent</a>, par exemple la manière dont les documents synthétisés sont sélectionnés.</p>
<p>Pour faire face aux volumes importants de littérature à traiter, un réflexe compréhensible pourra consister à prendre uniquement les articles les plus cités, ou d’auteurs les plus reconnus, ou parus dans les journaux les mieux cotés.</p>
<p>Le recours à des algorithmes permettant de trier rapidement des volumes importants de littérature est une <a href="https://doi.org/10.1002/cl2.1129">piste envisagée</a> mais qui reste balbutiante ; elle pose les mêmes questions de neutralité : « qui » programme les robots, « comment » et « dans quel but » ?</p>
<h2>Les revues dites « systématiques »</h2>
<p>Pour résoudre ces différents problèmes, il est alors conseillé de suivre une approche standardisée afin de rendre le <a href="https://doi.org/10.1038/s41558-018-0180-3">travail de synthèse bibliographique le plus efficace, robuste et neutre possible</a>.</p>
<p>C’est tout l’objet des <a href="https://hal.sorbonne-universite.fr/hal-01592725/document">revues systématiques</a>, dont le but est d’atteindre autant que possible l’exhaustivité (complétude de la littérature analysée), l’objectivité (seules les publications les plus fiables sont exploitées), la transparence (le processus est entièrement décrit et toutes les décisions sont tracées) et la réplicabilité (grâce à cette transparence, n’importe qui peut refaire l’exercice et comparer le résultat obtenu avec celui des auteurs).</p>
<p>La revue systématique, quoique moins connue, s’apparente ainsi à une <a href="https://doi.org/10.1111/j.1600-0706.2013.00970.x">méta-analyse « consolidée »</a>, notamment dans le processus précédant l’analyse statistique (recherche bibliographique et tris). En outre, la revue systématique comporte une étape originale consistant à évaluer le niveau de biais des publications synthétisées, de manière à mesurer la fiabilité de leurs résultats et le cas échéant à les pondérer.</p>
<p>La méthode des revues systématiques a été initiée dans le domaine médical par le docteur Archie Cochrane au Royaume-Uni dans les années 1970. Depuis les années 2010, elle est déployée en environnement. Ici, c’est la <a href="https://environmentalevidence.org/">Collaboration for Environmental Evidence (CEE)</a>, basée au Pays-de-Galles, qui a formalisé et proposé la méthode à suivre au travers de <a href="https://environmentalevidence.org/information-for-authors/table-of-contents-page/">lignes directrices régulièrement renforcées</a>.</p>
<p>En France, où nous sommes davantage habitués aux expertises collectives, les choses changent aussi depuis quelques années. La <a href="https://www.fondationbiodiversite.fr/la-revue-systematique/">Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB)</a> promeut désormais les revues systématiques et constitue le centre français représentant la CEE depuis 2015.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/G2fA6rJZkjM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Comment la recherche pour la biodiversité peut-elle permettre d’alerter les décideurs ? (FRB, 2019).</span></figcaption>
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<p>L’unité mixte de service « Patrimoine naturel » <a href="https://www.patrinat.fr/fr/cartes-et-revues-systematiques-6230">(PatriNat)</a> a produit une première revue systématique concernant les <a href="https://doi.org/10.1186/s13750-018-0117-3">infrastructures de transport en 2018</a>, puis une deuxième en <a href="https://doi.org/10.1186/s13750-020-00196-7">2020</a>.</p>
<p>D’autres travaux ont été publiés, par exemple <a href="https://doi.org/10.1186/s13750-020-00202-y">sur la pollution sonore</a>, ou engagés, notamment sur le changement climatique et les aires protégées comme dans le cadre du projet <a href="https://naturadapt.com/">Life Natur’Adapt</a>.</p>
<h2>À l’interface</h2>
<p>Les revues systématiques s’inscrivent à <a href="http://www.espaces-naturels.info/science-portee-gestionnaires">l’interface entre la recherche et les acteurs opérationnels</a>.</p>
<p>Elles sont généralement produites en réponse à une demande de la part d’une entité – pouvoir public, entreprise, aménageur, gestionnaire d’espace naturels – qui va devoir prendre une décision par rapport à son activité pour en évaluer ou en réduire les impacts sur l’environnement ; ou encore impulser une nouvelle politique publique ou légiférer (dans le cas d’un ministère).</p>
<p>Cet outil est particulièrement utile pour les sujets où la littérature abonde et présente des résultats contradictoires pouvant susciter un flou dans la décision à prendre, voire l’affrontement de lobbies qui cherchent à exploiter certains résultats dans un sens (pro) comme dans l’autre (anti).</p>
<p>Prenons un exemple : nous savons que l’impact de l’éclairage artificiel sur les espèces dépend notamment des longueurs d’onde (c’est-à-dire de la ou des couleurs présente(s) dans la lumière).</p>
<p>Si nous considérons des études séparément, nous pouvons ainsi avoir l’impression de résultats contradictoires : en fonction des espèces et des fonctions biologiques étudiées (mobilité, physiologie, chronobiologie, etc.), ce n’est pas la même couleur (donc pas le même type de lampe) qui sera problématique.</p>
<p>C’est typiquement un sujet sur lequel une prise de recul serait nécessaire, afin d’avoir une vision globale fiable et de sortir du cas particulier. D’autant qu’il s’agit d’un sujet d’actualité avec le déploiement massif de nouvelles sources lumineuses (LED) qui modifie sensiblement la composition spectrale de la pollution lumineuse.</p>
<h2>Quelles garanties offrent les revues systématiques ?</h2>
<p>Les revues systématiques en écologie sont publiées dans l’<a href="https://environmentalevidencejournal.biomedcentral.com/"><em>Environmental Evidence Journal</em></a> (EEJ), un journal en « open access » affilié à la CEE et soumis à relecture par les pairs, ce qui garantit aux lecteurs que les standards de la CEE ont été respectés.</p>
<p>Elles sont également toujours précédées d’un article « protocole » qui expose clairement la méthode qui sera utilisée (<a href="https://doi.org/10.1186/s13750-016-0056-9">comme ici</a> ou <a href="https://doi.org/10.1186/s13750-020-00199-4">là</a>).</p>
<p>Grâce à cette transparence et à leur fiabilité, au-delà de renseigner les décideurs, les revues systématiques peuvent aussi répondre à la <a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/180226_-_sordello_et_al_revues_syst_france_strategie.pdf">crise de défiance croissante</a> que nous constatons de la part du grand public envers l’expertise.</p>
<p>Toutefois, rien n’interdit à un auteur de soumettre sa revue systématique dans tout journal qui l’accepterait. Nous voyons alors apparaître de plus en plus de revues systématiques qui ne respectent pas ou que partiellement les standards CEE (la recherche bibliographique n’est pas exhaustive, les critères de tris des articles ne sont pas clairs, aucune analyse critique n’a été conduite, etc.).</p>
<p>Pour essayer de remédier à ce problème, la CEE a mis en place une évaluation des revues systématiques qui ne sont pas publiées dans le journal officiel EEJ, afin d’indiquer dans quelle mesure les différents standards de la CEE ont été respectés ; c’est le <a href="https://environmentalevidence.shinyapps.io/CEEDER/">programme CEEDER</a>. Plus de 1000 revues et méta-analyses parues entre 2018 et 2021 ont déjà été évaluées à ce jour.</p>
<p>Mais soulignons que, malgré ces garde-fous, la meilleure garantie reste le lecteur lui-même, qui se doit de lire toute publication – qu’il s’agisse d’un article scientifique, d’une revue systématique ou non, d’une méta-analyse – avec un regard critique et de ne pas adhérer à son résultat par simple principe mais bien parce qu’il comprend clairement comment celui-ci a été obtenu.</p>
<p>Pour ce faire, il est plus que jamais nécessaire de fournir au plus grand nombre des bases scientifiques minimales. Cela passe notamment par l’éducation, l’information et la sensibilisation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164360/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>L’UMS PatriNat est une unité mixte de service sous co-tutelle de l’Office français de la biodiversité (OFB), du Museum national d’histoire naturelle (MNHN) et du CNRS. Elle comprend une cellule “revues systématiques” dédiée à la réalisation de synthèses bibliographiques en réponse à des appels à projet, sur commande ou encore par auto-saisine.</span></em></p>Alors que la connaissance scientifique n’a jamais été aussi dense et que la préservation de la biodiversité n’a jamais été aussi urgente, comment élaborer une expertise fiable et transparente ?Romain Sordello, Ingénieur expert biodiversité, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1584862021-05-02T16:21:30Z2021-05-02T16:21:30ZComment les scientifiques s’organisent pour s’affranchir des aspects commerciaux des revues<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/397855/original/file-20210429-13-15yhrqw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=44%2C17%2C5946%2C3970&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les mathématiciens sont des pionniers dans la diffusion libre des connaissances scientifiques.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/G66K_ERZRhM">Moritz Kindler, Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>L’expression « évaluation par les pairs » a fait irruption dans les médias avec la crise du Covid-19 et l’on en mesure bien l’importance : pour être dignes de foi, les résultats d’une recherche doivent d’abord être examinés de manière critique par d’autres spécialistes du domaine, des « pairs ». De fait, ce <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89valuation_par_les_pairs">processus</a> est une pierre angulaire de la recherche scientifique, d’autant plus importante aujourd’hui où tout un chacun peut « poster » ses écrits sur Internet.</p>
<p>Son histoire est liée à celle des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Revue_scientifique">revues scientifiques</a>. La rigueur de l’évaluation par les pairs mise en œuvre par les éditeurs scientifiques d’une revue fait sa réputation. Une revue attire d’autant plus de bons articles qu’elle est sélective, ce qui entretient un cercle vertueux. À partir des années 1950, de nombreuses revues scientifiques furent <a href="https://www.theguardian.com/science/2017/jun/27/profitable-business-scientific-publishing-bad-for-science">reprises ou lancées</a> par des <a href="https://www.lefigaro.fr/sciences/le-business-tres-juteux-des-revues-scientifiques-20200612">groupes privés</a> : le nombre de revues publiées par Pergamon press, basé à Oxford, passa de 40 à 150 en six ans au début des années 1960, tandis qu’Elsevier n’en avait que 10. Puis, dans cet exemple, Elsevier racheta Pergamon Press (et au passage la fameuse revue <em>The Lancet</em>) en 1991, et publie aujourd’hui <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Elsevier">2500 revues</a>.</p>
<p>Cependant, depuis les années 2000, le développement d’archives ouvertes institutionnelles, comme <a href="https://arxiv.org/">arXiv</a> et l’analogue français <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/">HAL</a>, a changé la donne dans le monde de l’édition scientifique. Des scientifiques et en particulier des mathématicien·nes ont commencé à imaginer d’autres modèles de publication que les revues traditionnelles.</p>
<h2>Les mathématiciens initient la publication avant évaluation par les pairs</h2>
<p>Un premier fait marquant est venu en 2002 du mathématicien russe Grigori Perelman. Parvenu à des résultats qui résolvaient en particulier l’un des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Probl%C3%A8mes_du_prix_du_mill%C3%A9naire">problèmes du millénaire</a>, il déposa ses articles sur arXiv et laissa la communauté mathématique s’en emparer sans les soumettre à une revue. Le processus prit quelques années, comme cela arrive régulièrement en mathématiques. Il aboutit néanmoins à la reconnaissance de ses résultats par l’attribution de la <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2006/08/23/maths-quatre-laureats-pour-la-medaille-fields_805596_3244.html">médaille Fields en 2006</a> et du <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2010/03/24/01003-20100324ARTFIG00677-genie-des-maths-il-refuse-un-prix-d-un-million-de-dollars-.php">prix Clay en 2010</a>, des récompenses que Grigori Perelman refusa toutes les deux. Une évaluation rigoureuse par les pairs, et reconnue comme valide par ces distinctions, avait eu lieu sans passer par une revue.</p>
<p>En 2012, un autre mathématicien fut à l’origine d’une initiative retentissante : <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/02/14/le-mathematicien-timothy-gowers-un-combinatoricien-frondeur-au-college-de-france_6069938_1650684.html">Timothy Gowers</a> <a href="http://thecostofknowledge.com/">appela au boycott</a> des revues appartenant à Elsevier, dénonçant le « prix exorbitant » des abonnements et les « profits énormes » réalisés par le groupe. Il s’appuyait sur un texte intitulé <a href="https://gowers.files.wordpress.com/2012/02/elsevierstatementfinal.pdf">« The cost of knowledge »</a>, signé par 34 mathématicien·nes, dont huit basé·e·s en France.</p>
<p>Un dossier « Chercheurs, éditeurs : le débat » fut publié dans la Gazette d’avril 2012 de la <a href="https://smf.emath.fr/publications/la-gazette-des-mathematiciens-132-avril-2012">Société Mathématique de France</a>. La couleur est annoncée dans l’avant-propos : « les bibliothèques de mathématiques souffrent » et « les chercheurs s’interrogent sur le bien-fondé de la gestion actuelle par les éditeurs du processus de publication d’un article scientifique ». Ce dossier comprend une pétition concernant Springer, autre grand groupe de l’édition scientifique, aux côtés de la pétition concernant Elsevier, ainsi que la traduction en français du texte l’accompagnant : « Le Coût du savoir ».</p>
<h2>Pourquoi les scientifiques tiennent-ils tant à l’évaluation par les pairs ?</h2>
<p>Ce texte indique en particulier « des raisons importantes pour lesquelles les mathématiciens n’ont pas tout simplement abandonné la publication dans les revues » : « l’évaluation par les pairs », qui permet d’assurer la qualité des résultats publiés, et « l’évaluation professionnelle », en partie basée sur le prestige des revues dans lesquelles les chercheur·euses publient leurs travaux. Même si <a href="http://134.206.83.16/en/Publications/Gazette/2012/132/smf_gazette_132_72-86.pdf%20page%2076">« il n’est pas facile de créer une nouvelle revue […], car les mathématiciens ne voudront peut-être pas publier dans celle-ci et préféreront soumettre leurs articles à des revues dont la réputation est bien établie »</a>, plusieurs mathématiciens vont s’y atteler.</p>
<p>Un enjeu encore en filigrane en 2012 est celui du libre accès (« open access ») aux revues, que les groupes comme Elsevier et Springer proposent moyennant paiement par les auteurs de frais de publication, dits « article processing charges » ou APC en anglais. Jusque là, on était dans un système « lecteur-payeur », au sens où les bibliothèques payaient des abonnements aux revues et c’était ce qui en permettait l’accès à leurs lecteur·rices. Le système « auteur-payeur » consiste à faire payer l’auteur·rice pour qu’elle ou il soit publié·e et que son article soit en accès libre. La communauté mathématique <a href="http://134.206.83.16/en/Publications/Gazette/2012/132/smf_gazette_132_72-86.pdf">se dresse</a> alors contre ce système.</p>
<p>En 2014, le mathématicien <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean%E2%80%91Pierre_Demailly">Jean‑Pierre Demailly</a> présente à l’Académie des sciences l’idée des <a href="https://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/rads_241014.pdf">« épijournaux »</a> : des <a href="https://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/rads_241014.pdf">journaux scientifiques qui ajouteraient</a> l’expertise liée aux évaluations par les pairs sur des articles déjà postés par leurs auteur·rices dans une archive ouverte. Ce modèle des épijournaux préserve l’évaluation par les pairs tout en évitant les revues traditionnelles. En effet, les comités éditoriaux des épijournaux sélectionnent les articles et les fonts évaluer par des « referees » directement dans un ensemble d’articles ouverts à tous et toutes sur HAL ou arXiv.</p>
<p>Le résultat est que la plate-forme Épisciences accueille désormais des épijournaux créés de <a href="http://epiga.episciences.org/">toutes pièces</a>, mais aussi des <a href="https://gcc.episciences.org/">« transferts »</a>, c’est-à-dire des <a href="https://hrj.episciences.org/">revues</a> qui étaient précédemment publiées par des maisons d’édition commerciales. En 2016, Timothy Gowers fonde à son tour un épijournal <a href="https://discreteanalysisjournal.com/">basé sur arXiv</a>, et d’autres revues se créent de manière autonome, comme les <a href="https://annales.lebesgue.fr">Annales Henri Lebesgue</a>.</p>
<h2>De plus en plus de revues scientifiques « migrent » vers des plates-formes non commerciales</h2>
<p>Offrir un accès libre sans frais de publication est l’un des buts des mouvements de la science ouverte, <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/">soutenus par l’État</a> et les organismes de recherche comme le <a href="https://www.science-ouverte.cnrs.fr/">CNRS</a>. En 2020, différentes initiatives permettent de soutenir les revues qui souhaitent migrer vers des plates-formes plus conformes à leurs idéaux. Le <a href="https://www.centre-mersenne.org/"><em>Centre Mersenne</em></a> en France en fait partie.</p>
<p>En 2020, les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Comptes_rendus_hebdomadaires_des_s%C3%A9ances_de_l%27Acad%C3%A9mie_des_sciences"><em>Comptes Rendus de l’Académie des Sciences</em></a> ont quitté Elsevier pour le Centre Mersenne, afin de garantir un accès libre pour les lecteur·rices sans frais de publications pour les auteur·rices. En mathématiques, un autre événement retentissant a été le départ en bloc en 2017 du comité éditorial du <a href="http://www.ems-ph.org/journals/show_pdf.php?issn=1027-488X&vol=9&iss=109&rank=9">« Journal of Algebraic Combinatorics »</a> publié par Springer. Les membres de ce comité ont fondé dans la foulée une nouvelle revue en « libre accès diamant », avec le soutien de la <a href="http://www.mathoa.org/">Fondation MathOA</a>.</p>
<p>La Fondation MathOA œuvre pour la transition des revues vers des modèles de publication respectant les principes du <a href="https://www.fairopenaccess.org/the-fair-open-access-principles/">« libre accès juste »</a>. Cependant ses succès sont pour l’instant <a href="http://www.mathoa.org/journals/">limités à trois revues</a>.</p>
<h2>Comment financer ces revues ?</h2>
<p>Parallèlement, un nouveau modèle de publication émerge <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/04/13/s-abonner-pour-ouvrir-une-innovation-pour-les-revues-scientifiques_6076646_1650684.html">depuis la fin des années 2010</a>. Intitulé <a href="https://subscribetoopencommunity.org/">« Subscribe To Open »</a>, il consiste à ouvrir l’accès aux revues dès qu’un seuil suffisant d’abonnements par les bibliothèques est atteint. C’est un moyen d’éviter les écueils du système auteur-payeur, que la communauté mathématique rejette massivement, et une piste de modèle économique viable pour assurer la publication d’articles en accès libre. Car celle-ci a toujours un coût, aussi bien pour la gestion du processus d’évaluation par les pairs, que pour la mise en forme des articles et leur archivage.</p>
<p>En mathématiques, ce modèle « Subscribe To Open » suscite un intérêt certain. Il été adopté par la <a href="https://www.edpsciences.org/en/news-highlights/2072-successful-subscribe-to-open-pilot-paves-the-way-for-a-ground-breaking-roll-out-across-the-edp-sciences-maths-portfolio">maison d’édition EDP Sciences</a>, qui publie les revues de la <a href="http://smai.emath.fr/">Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles</a>, mais aussi par la maison d’édition de la <a href="https://ems.press/subscribe-to-open">Société mathématique européenne</a>. Enfin, le président de la Société Mathématique de France <a href="https://smf.emath.fr/publications/la-gazette-des-mathematiciens-165-juillet-2020">indiquait le considérer</a> en juillet 2020.</p>
<p>Les mathématicien·nes sont ainsi toujours en première ligne sur les évolutions de l’édition scientifique. L’avenir dira si elles et ils imaginent des modèles de publication vraiment différents des revues héritées de leurs ancêtres.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article fait partie de la série « Les belles histoires de la science en libre accès », publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Pour en savoir plus, veuillez consulter la page <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/">Ouvrirlascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158486/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Benzoni-Gavage est présidente de l'Association Publications de l'Institut Henri Poincaré, administratrice du Fonds de dotation de l'Institut Henri Poincaré, administratrice de la Fondation MathOA et membre du Conseil scientifique du Centre Mersenne, le tout à titre bénévole. Elle est aussi membre des sociétés savantes EMS, SMAI et SMF.
</span></em></p>De plus en plus de revues scientifiques « migrent » vers des plates-formes non commerciales. Un enjeu majeur pour la recherche : préserver l’évaluation par les pairs.Sylvie Benzoni-Gavage, Professeur en mathématiques à l'Université Claude Bernard Lyon 1. Directrice de l'Institut Henri Poincaré, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1533402021-01-19T18:29:34Z2021-01-19T18:29:34ZLes cas de « bullshit à propos du bullshit » : le rationalisme perd-il son sang-froid ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/379528/original/file-20210119-26-1rw5z69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C9%2C1280%2C843&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment s'y retrouver dans le foisonnement de vérités et contre-vérités?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/personne-humain-enfant-fille-blond-875165/">Pezibear/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Alors qu’aux États-Unis les mensonges de Donald Trump conduisaient à une extraordinaire situation insurrectionnelle, en France paraissait le dernier livre de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9rald_Bronner">Gerald Bronner</a>, intitulé <a href="https://www.puf.com/content/Apocalypse_cognitive"><em>Apocalypse cognitive</em></a> (qui s’inquiète de l’usage que nous faisons de notre « temps de cerveau disponible »).</p>
<p>Surprenante rencontre des actualités éditoriale et politique : le sacrilège du Capitole ne pouvait mieux illustrer les <a href="https://www.letemps.ch/culture/gerald-bronner-redoute-un-affaissement-civilisationnel">sombres prophéties</a> du sociologue rationaliste.</p>
<p>Bien sûr, Gerald Bronner prend soin de rappeler l’étymologie grecque du mot <em>apocalypse</em> (« révélation », et non « fin du monde »), mais le contenu prophétique de son livre est manifeste.</p>
<p>L’apocalypse cognitive, au sens le plus commun, est pour bientôt, elle <a href="https://www.europe1.fr/emissions/le-billet-de-patrick-cohen/extrait-incident-du-capitole-le-sociologue-gerald-bronner-decrit-une-rage-sans-programme-politique-et-de-la-dynamite-pour-la-democratie-4017189">s’annonce</a> avec le visage hurlant du conspirationnisme profanant le temple de la raison démocratique.</p>
<p>Ces événements semblent bien conforter ce catastrophisme, et justifier les oracles pessimistes que suscitent les diverses pollutions « épistémiques » (qui concernent la production de connaissances) : fake news ou « infox », théories du complot, « bullshits », que <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pascal_Engel">Pascal Engel</a> propose de traduire par « foutaises », « infodémie »… Mais une telle attitude ne contribue pas à une approche sereine et objective de ces problèmes.</p>
<p>Il s’agit avant tout de comprendre ces dérèglements pour mieux pouvoir les traiter. Et la compréhension de ces phénomènes complexes demande de la patience, du sang-froid, de la prudence et de la pondération. Ce n’est pas toujours le cas. Et cela conduit la littérature rationaliste sur les turpitudes épistémiques de notre temps à parfois, trop souvent, céder aux travers qu’elle dénonce.</p>
<h2>Du bullshit à propos du bullshit</h2>
<p>Il existe déjà beaucoup de travaux sérieux sur le sujet, tant <a href="https://agone.org/bancdessais/lesvicesdusavoir/">théoriques</a> qu’<a href="https://www.climatechangecommunication.org/debunking-handbook-2020/">empiriques</a>. Hélas, ces travaux sont souvent noyés par une masse bruyante d’affirmations douteuses, qui pourraient bien elles-mêmes être qualifiées de « bullshit ».</p>
<p>Le philosophe américain Harry Frankfurt définit le bullshit comme une forme d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/De_l%27art_de_dire_des_conneries">indifférence à la vérité</a>. On bullshit pour vendre des produits cosmétiques ou faire élire une candidate à la présidentielle, sans se soucier de savoir si cette crème va vraiment vous rendre plus jeune (non) ou si cette candidate va rendre sa grandeur passée au pays (non plus). En général, ceux qui s’inquiètent des pollutions épistémiques ne sont pas indifférents au vrai.</p>
<p>Mais le bullshit, comme le rappelle le chercheur en neurosciences <a href="https://www.puf.com/content/Total_bullshit">Sébastien Dieguez</a>, ce peut être aussi une certaine indifférence à ce qui soutient une affirmation.</p>
<p>On peut croire mordicus aux vertus de la crème rajeunissante que l’on vend, sans trop se préoccuper des preuves empiriques de ces vertus. Ironiquement, une telle indifférence peut apparaître lorsqu’il est justement question de bullshits. On se retrouve alors avec du bullshit <em>sur</em> le bullshit. On croit mordicus, par exemple, que les fausses nouvelles se diffusent plus vite que les vraies, sans trop prendre la peine de se poser quelques questions élémentaires sur ce qui soutient cette affirmation extraordinaire.</p>
<h2>Le faux va-t-il plus vite que le vrai ?</h2>
<p>C’est en 2018 qu’est paru dans la revue <em>Science</em> l’<a href="https://science.sciencemag.org/content/359/6380/1146.abstract">article</a> avançant que les informations fausses se diffuseraient plus rapidement sur Twitter que les informations vraies.</p>
<p>Cet article, en passe de devenir un classique, a été cité de très nombreuses fois dans la <a href="https://scholar.google.com/scholar?cites=9478851254193495951&as_sdt=2005&sciodt=0,5">littérature académique</a> ainsi que <a href="https://www.nouvelobs.com/sciences/20180308.OBS3317/sur-twitter-les-fake-news-se-propagent-beaucoup-plus-vite-que-la-verite.html">dans la presse ici</a> <a href="https://www.lesechos.fr/2018/03/pourquoi-les-fake-news-se-propagent-bien-plus-vite-986267">ou là</a>. C’est qu’il conforte bien des frayeurs.</p>
<p>Il y a pourtant tout lieu d’être dubitatif. Imaginons que quelqu’un poste sur Twitter deux messages, l’un vrai et l’autre faux, mais tous deux également plausibles, concernant par exemple le lieu de résidence estivale d’une star quelconque. L’un dit par exemple que la star va séjourner aux Bahamas, l’autre dit qu’elle va aux Maldives, et absolument rien n’indique lequel de ces messages est vrai. Que va-t-il se passer ?</p>
<p>Si les auteurs de l’article disent vrai, le message faux sera diffusé plus rapidement que le vrai. Mais cela suppose nécessairement que les lecteurs de ces messages distinguent le faux du vrai, ce qui n’est pas possible dans ce cas (sauf à imaginer une sorte de mystérieux sixième sens). Cela suppose ensuite qu’ils aient l’étrange disposition de diffuser avec plus d’ardeur le message faux (et on ajoute là du bizarre au surnaturel). On voit bien que quelque chose ne va pas dans la « découverte » des auteurs de cet article.</p>
<p>Ce qui peut déterminer la plus ou moins grande rapidité de la diffusion d’un message, c’est notamment son caractère spectaculaire ou surprenant. Plus un message est surprenant, plus il est partagé. Et l’on peut bien sûr s’attendre à ce que les messages les plus surprenants soient également les plus souvent faux. D’où le lien entre fausseté et rapidité de diffusion. Cela ne signifie pas que les messages faux sont plus partagés que les vrais. Cela signifie que les messages surprenants (souvent faux) sont plus partagés que les messages ordinaires (moins souvent faux).</p>
<p>Et de fait, ce n’est que cela que disent les auteurs de l’article de <em>Science</em>. Mais plutôt que de s’arrêter à ce constat trivial et sans grand intérêt (les messages les plus surprenants sont les plus partagés), ils ont préféré affirmer que les messages faux circulent plus vite que les vrais, suggérant de manière trompeuse que c’est la fausseté elle-même qui cause cette diffusion plus rapide.</p>
<p>C’est évidemment plus accrocheur, mais c’est absurde (et, si besoin était, infirmé par une <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-020-73510-5">étude plus récente</a>). Cette affirmation a pourtant été reprise une multitude de fois, dans la presse et dans la littérature scientifique, sans le moindre doute ni recul. Un cas d’école de bullshit à propos du bullshit.</p>
<h2>Post-vérité ?</h2>
<p>On a encore plus parlé, ces dernières années, de la notion aussi vague que <a href="https://www.en-attendant-nadeau.fr/2019/06/18/verite-what-else/">douteuse</a> de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%88re_post-v%C3%A9rit%C3%A9">post-vérité</a>. Elle est souvent entendue comme l’idée que notre époque se caractériserait par une production jamais vue de foutaises. C’est un autre clair exemple de bullshit sur le bullshit.</p>
<p>Le problème avec cette idée n’est pas qu’elle est absurde, mais que personne ne sait si elle est vraie ou fausse, et que cela ne semble pas inquiéter grand monde.</p>
<p>Pour trancher, il faudrait des travaux empiriques qui quantifieraient la pollution épistémique (bullshit, fake news et compagnie) et montreraient que notre époque se caractérise par une augmentation de ces pollutions en comparaison des époques passées. Mais ces travaux empiriques n’existent pas, et il n’est même pas évident qu’ils puissent exister, ni même que l’on puisse quantifier rigoureusement ce genre de chose.</p>
<p>La réalité du déferlement de foutaises semble pourtant évidente. A-t-on besoin de preuves empiriques ? Oui, car une saine démarche scientifique consiste précisément à se méfier des évidences. Après tout, n’est-il pas « évident » que le Soleil tourne autour de la Terre ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-terre-tourne-t-elle-123485">Pourquoi la terre tourne-t-elle ?</a>
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<h2>Des « foutaises » contemporaines plus nombreuses ou plus visibles ?</h2>
<p>À défaut de preuve empirique directe il y a tout de même, bien sûr, de bonnes raisons scientifiques de croire en la décadence cognitive de notre temps. Gerald Bronner en énumère plusieurs, généralement en rapport avec l’essor d’internet (qui exciterait quelques méchants archaïsmes cognitifs des cerveaux humains). Mais il y a également de <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/concordance-des-temps/lhistoire-vraie-des-fausses-nouvelles">bonnes raisons</a> de penser que ce n’est pas le cas, et que notre époque n’est pas plus dépravée qu’une autre sur plan épistémique mais que, simplement, les foutaises contemporaines sont plus visibles.</p>
<p>En 1967, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Rostand">Jean Rostand</a> écrivait <a href="https://books.google.fr/books/about/Inqui%C3%A9tudes_d_un_biologiste.html?id=NdJLAAAAMAAJ">à propos de la radio</a> que « l’usage des transistors (n’a) pas rendus (les hommes) plus sots, mais (que) la sottise s’est faite plus sonore ». On pourrait le paraphraser aujourd’hui en écrivant qu’internet, à son tour, n’a peut-être pas tant rendu les internautes plus bêtes qu’il a rendu leur bêtise plus accessible. Ce n’est bien sûr qu’une conjecture. À nouveau, on ne sait pas.</p>
<p>Ce qui n’empêche pas que soit répété sans cesse et sans prudence que les foutaises n’auraient jamais été aussi envahissantes.</p>
<p>Se dispenser ainsi de cette prudence, sur cette question ou sur d’autres, ne rend pas service au rationalisme. Plus grave, un tel relâchement risque de décrédibiliser la lutte qui doit être menée contre la production contemporaine de foutaises. Sur ces sujets, il est urgent de retrouver un peu de sang-froid et de distance critique, et d’éviter les eschatologies douteuses.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153340/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Erwan Lamy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La littérature sur les turpitudes épistémiques de notre temps (fake news, bullshit, complotisme…) cède trop souvent aux facilités qu’elle dénonce. Il serait temps de recouvrer son sang-froid.Erwan Lamy, Associate professor, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1502482020-11-19T23:30:38Z2020-11-19T23:30:38ZCe que nous apprend le débat sur la fermeture des librairies<p>A la suite du second confinement, annoncé sans grande surprise le 30 octobre dernier, la fermeture des commerces dits « non essentiels » a engendré de nombreuses levées de boucliers, aussi bien de la part les libraires, menés par le Syndicat de la Librairie Française, que de la part des Français. </p>
<p>L’enjeu de la discorde : les librairies, commerces non essentiels, doivent fermer leurs portes quand les grandes surfaces et les grands magasins spécialisés comme la Fnac restent ouverts, mettant ainsi en évidence une inégalité de traitement à l’égard des petits commerces. </p>
<p>L’annonce, quelques jours plus tard, de la <a href="https://www.lci.fr/emploi/reconfinement-fermeture-temporaire-des-rayons-livres-et-culture-des-grandes-surfaces-les-libraires-se-rebiffent-2168668.html">fermeture de l’ensemble des rayons livres</a> (y compris dans les grandes surfaces) n’a pas apaisé les débats, bien au contraire. Les réseaux sociaux croulent depuis sous les photos de librairies fermées et de rayons livres bâchés et vidés, symboles d’une censure de la Culture. </p>
<p>Comment expliquer l’ampleur de ces réactions passionnées ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1322467652586115073"}"></div></p>
<h2>Le livre, une singularité à la française</h2>
<p>Le livre est-il un bien essentiel ? Avec l’appui du Syndicat de la Librairie Française, de nombreux auteurs défendent cette idée. </p>
<p>Des personnalités telles que <a href="https://twitter.com/joannsfar/status/1322489032794845184?s=20">Joann Sfar</a>, <a href="https://twitter.com/DavidFoenkinos/status/1323300676781355014?s=20">David Foenkinos</a>, <a href="https://twitter.com/GrandeLibrairie/status/1327219015777968129?s=20">François Busnel</a> ou <a href="https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=1485328594992840&id=186457411546638">Riad Sattouf</a> se sont engagées en postant de nombreux messages sur les réseaux sociaux, en signant des <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/30/ouvrir-toutes-les-librairies-comme-toutes-les-bibliotheques-c-est-faire-le-choix-de-la-culture_6057971_3232.html">tribunes</a> et une <a href="https://www.change.org/p/monsieur-le-pr%C3%A9sident-de-la-r%C3%A9publique-monsieur-le-pr%C3%A9sident-faisons-le-choix-de-la-culture-en-rouvrant-les-librairies">pétition</a> pour le maintien de l’ouverture des librairies. </p>
<p>La Belgique, elle, a inscrit le livre dans la liste des biens essentiels et les <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2020/11/03/reconfinement-en-belgique-les-livres-sont-consideres-comme-essentiels_6058364_3246.html">librairies échappent à la fermeture</a> à l’occasion de ce deuxième confinement. La France surprend en s’éloignant ainsi par cette décision de son habituel soutien marqué pour le secteur de la culture. </p>
<p>En effet, l’idée d’<a href="https://www.courrierinternational.com/article/2013/06/12/pourquoi-il-faut-defendre-l-exception-culturelle">exception culturelle</a> à la française, soutenue par des subventions, rend d’autant plus tangible ce lien privilégié à la Culture en général et au livre en particulier.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1322463064579624960"}"></div></p>
<p>Le livre tient il est vrai une place privilégiée dans les représentations culturelles, <a href="https://cfeditions.com/livre-echange/">il suscite un attachement spécifique</a>. Certains cornent les pages et les annotent avec allégresse, d’autres protègent les livres comme des trésors, ne les feuilletant qu’avec délicatesse. Chacun possède un rapport personnel au livre, mais tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit d’un objet « à part ». Les livres sont des objets avec lesquels les consommateurs nouent un lien particulier.</p>
<p>Pourtant, au-delà du fantasme du grand lecteur croulant sous des piles d’ouvrages, la réalité est plus prosaïque. Les lecteurs ne sont qu’une frange de la population, et parmi eux, on lit souvent moins qu’on ne le pense et <a href="http://www.slate.fr/story/196738/librairiesouvertes-combat-fantasme-livres-librairies-centre-villes-zones-commerciales-inegalites-culture-lecture">bien moins qu’on ne le dit</a>. Ce débat sur la fermeture des librairies est le symptôme d’autre chose que d’un manque de livres à bouquiner pendant le confinement. On comprend que se joue ici pour certains autant la défense des petits commerçants que l’identité culturelle française tout entière.</p>
<p>Les librairies, plus encore que le livre lui-même, bénéficient d’un statut particulier en France. En 1981, la <a href="https://www.sne.fr/prix-unique-du-livre/">loi sur le prix unique du livre</a> vient affirmer ce statut de commerce précieux, à protéger, en faisant de l’éditeur le décisionnaire quant au prix des ouvrages. Ainsi, les prix sont les mêmes dans les petites librairies indépendantes et dans les grandes surfaces (avec tout de même un rabais autorisé de 5 % maximum).</p>
<p>Cette loi permet d’assurer l’égalité des Français devant le livre, vendu partout en France au même prix, et permet surtout de sauvegarder les petites librairies indépendantes face à la menace que représentent pour elles les grandes surfaces. Si des lois similaires existent dans de nombreux pays européens, la <a href="http://www2.culture.gouv.fr/culture/dll/prix-livre/prix-1.htm">France est cependant précurseur en la matière</a>.</p>
<h2>Amazon pour le livre, Spotify pour la musique…</h2>
<p>La crise sanitaire actuelle nous en dit en réalité probablement davantage sur les usages et les modes de consommation des biens culturels face à la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1461444818769694">plateformisation de la culture</a> que sur le rôle du livre dans la société. À ce titre, c’est l’ensemble des acteurs culturels indépendants qui se mobilise actuellement pour la défense d’un modèle économique. L’<a href="https://appeldesindependants.fr/">« Appel des indépendants »</a> lancé le 11 mars 2020 et signé par 1600 structures françaises interpellent sur la nécessité d’« un débat sur les enjeux profonds d’une refondation du secteur de la culture et des médias » suite, notamment, aux conséquences économiques de l’épidémie de Covid-19.</p>
<p>Prendre en compte la spécificité des indépendants, c’est garantir des critères d’égalité et de justice face à la plateformisation de la production culturelle. Ces dernières semaines ont vu émerger de nombreuses critiques des secteurs culturels vis-à-vis des géants du numérique : <a href="https://next.liberation.fr/musique/2020/09/25/spotify-une-pirouette-pour-des-cacahuetes_1800590">Spotify pour la musique</a>, <a href="https://next.liberation.fr/cinema/2020/11/07/aux-rencontres-de-l-arp-le-cinema-francais-contre-les-plateformes-de-streaming_1804878">Netflix pour le cinéma</a>, <a href="https://www.idboox.com/economie-du-livre/plus-de-50-editeurs-quittent-amazon-et-retirent-leurs-livres/">Amazon pour le livre</a>…</p>
<p>Penser et comprendre la consommation et la diffusion des productions culturelles des acteurs indépendants et leurs valeurs permet d’envisager des stratégies pour la liberté artistique que réclament les créateurs, de développer des modèles économiques assurant une rémunération raisonnable aux artistes et de considérer la diversité des formes de production culturelle. L’indépendance constitue une ressource symbolique essentielle pour les acteurs des marchés de l’art et de la culture. Soumis à une concurrence importante, les plus petits producteurs culturels ont su valoriser et développer cette appellation qui constitue aujourd’hui un enjeu de lutte.</p>
<p>Pour de nombreux consommateurs et amateurs, la préférence pour les créations indépendantes constitue une forme de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-SxfU_AT0aY&ab_channel=AOCMedia">consommation engagée</a>. Choisir d’acheter un vinyle chez le disquaire, un livre chez le libraire de quartier ou directement auprès des éditeurs, labels, artistes et écrivains eux-mêmes c’est choisir des réseaux de vente qui assurent une meilleure rémunération aux artistes créateurs et aux plus petits producteurs. Ce type de comportement correspond à un facteur déterminant de la consommation socialement responsable : la volonté d’aider les petits commerces.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1323632272310849539"}"></div></p>
<h2>« Petits » commerces et proximité</h2>
<p>Le confinement intervient dans un contexte déjà délicat pour les centres-villes qui depuis plusieurs années font face à la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/03/23/les-centres-des-villes-moyennes-de-france-asphyxies-par-les-centres-commerciaux-des-peripheries_5440237_3224.html">concurrence accrue des zones commerciales périurbaines</a> et qui ont été récemment mis à mal par la <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/01/04/greves-le-douloureux-bilan-pour-les-commerces_6024763_3234.html">crise des « gilets jaunes »</a>. Dès lors, il en va de leur survie de maintenir le lien avec les consommateurs. Le Click and Collect est ainsi devenu la <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/confinement-le-click-collect-planche-de-salut-du-petit-commerce-1260908">planche de salut des commerces de proximité</a> en proposant un système d’achat à distance et de retrait sur place.</p>
<p>Cependant, il ne s’agit pas uniquement de le considérer comme un acte marchand mais plus largement comme une pratique relationnelle. Continuer à consommer dans ces commerces indépendants s’est ainsi révélé le moyen d’apporter un soutien financier aux commerçants mais également une possibilité de maintenir une certaine proximité et des relations interpersonnelles largement mises à mal par ce confinement. On assiste alors à l’émergence de nombreuses initiatives citoyennes avec par exemple la création de sites de recensement de librairies (<a href="https://www.jesoutiensmalibrairie.com">Je Soutiens Ma Librairie</a>), de mise en relation des producteurs et des consommateurs (<a href="https://fairemescourses.fr/rejoindre">Faire mes courses</a>) ou encore d’achat de bons d’achats (<a href="https://sauvonsnoscommerces.herokuapp.com">Sauvons nos commerces</a>, <a href="https://soutien-commercants-artisans.fr">Petits Commerces</a>). On observe également un renforcement de l’engagement émotionnel de certains consommateurs qui n’hésitent pas à témoigner leur soutien sur les réseaux sociaux (#jesoutiensmalibrairie) ou directement sur les vitrines de leurs commerces de proximité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/369872/original/file-20201117-15-pe31p7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/369872/original/file-20201117-15-pe31p7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/369872/original/file-20201117-15-pe31p7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/369872/original/file-20201117-15-pe31p7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/369872/original/file-20201117-15-pe31p7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/369872/original/file-20201117-15-pe31p7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/369872/original/file-20201117-15-pe31p7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Photo de Marc Leemans publiée sur la page Facebook « les perles de la librairie » le 7 novembre 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Les perles de la librairie/Facebook</span></span>
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</figure>
<p>Le débat sur la « non essentialité » du livre n’est donc qu’un symbole d’un mouvement bien plus profond d’attachement à certaines valeurs de consommation responsable et à une recherche de proximité qui s’est réaffirmée dans le contexte sanitaire actuel. On peut alors s’interroger sur la persistance à long terme de ces phénomènes à l’issue de cette crise.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150248/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Pourquoi tant de réactions passionnées après l’annonce de la fermeture des libraires françaises pendant ce deuxième confinement ?Boris Collet, A.T.E.R en Sciences de Gestion - Laboratoire NIMEC, Université de Rouen NormandieCerise Thorel, Doctorante en Sciences de Gestion - Laboratoire NIMEC, Université de Rouen NormandieKenza Marry, Doctorante en sciences de gestion - Laboratoire NIMEC, Université de Caen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1383272020-06-30T18:57:58Z2020-06-30T18:57:58ZLes limites de la connaissance en physique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/344498/original/file-20200629-155339-bp1ei5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C15%2C2560%2C1812&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Fractale - une partie de l'ensemble de Mandelbrot.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Mandel_zoom_12_satellite_spirally_wheel_with_julia_islands.jpg">Wolfgang Beyer / Wikipédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le XIX<sup>e</sup> siècle a cru au dogme du progrès scientifique illimité. Lord Kelvin, grand thermodynamicien s’il en fut, déclarait en 1900 avec assurance : « La physique n’a plus rien à découvrir, il ne reste qu’à affiner les mesures. » La « Vérité » semblait à portée d’instruments.</p>
<p>Le XX<sup>e</sup> siècle débuta en rebattant toutes les cartes avec ses deux révolutions, la relativité qui ôte au temps son caractère d’absolu et la mécanique quantique qui introduit l’indéterminisme dans les prédictions. Au cours du dernier siècle la connaissance progressa à pas de géant : nous voyons aujourd’hui des détails de la matière 100 millions de fois plus fins, et nous sondons un Univers 100 millions de fois plus profond, qu’au temps de Kelvin.</p>
<p>Toutes ces avancées reposent sur une analyse scientifique des phénomènes naturels fondée sur l’objectivité. Le credo de base est que le monde existe indépendamment de nos sens, les convictions personnelles sont bannies et l’expérimentation se charge de vérifier toutes les prédictions d’une théorie afin de la valider. Pourtant, il existe des bornes à notre désir de connaissance rationnelle complète.</p>
<h2>Les grandeurs primitives</h2>
<p>Une première limite vient du cerveau humain lui-même, ce dont les philosophes nous ont avertis depuis longtemps.</p>
<blockquote>
<p>« Ainsi, en poussant les recherches, on arrive à des mots primitifs qu’on ne peut plus définir… C’est ce que la géométrie nous enseigne parfaitement. Elle ne définit aucune de ces choses, espace, temps, mouvement, nombre, égalité, ni les semblables parce que ces termes désignent si naturellement les choses… que l’éclaircissement qu’on en voudrait faire apporterait plus d’obscurité que d’instruction. » (Blaise Pascal, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/De_l%27Esprit_g%C3%A9om%C3%A9trique_et_de_l%27Art_de_persuader">De l’esprit géométrique et de l’art de persuader</a>, vers 1658)</p>
</blockquote>
<p>Cela rappelle la réflexion de Saint Augustin qui écrivit dans ses Confessions, dès l’an 400 : « Si on ne me le demande pas, je sais ce qu’est le temps ; si on me le demande, je ne sais plus. »</p>
<p>Ainsi la science manipule quantité de grandeurs telles que masse, force, énergie, charge… qu’elle relie par des lois, mais les fondations demeurent inexpliquées. C’est un paradoxe de constater que la physique réussit à utiliser les grandeurs secondaires sans définir ses principaux objets : espace et temps.</p>
<h2>Le théorème d’incomplétude de Gödel</h2>
<p>Les arguments de vérités primitives à accepter sans démonstration trouvent leur couronnement rationnel dans le théorème mathématique « d’incomplétude » découvert dans les années 1930 par le logicien <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Kurt_G%C3%B6del">Kurt Goedel</a>. Ce dernier montra qu’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9or%C3%A8mes_d%27incompl%C3%A9tude_de_G%C3%B6del">il est impossible de prouver la non-contradiction d’un système mathématique logique à l’aide des seuls moyens offerts par le système</a>.</p>
<p>Autrement dit, aucun ensemble ne peut définir sa propre structure, il faut admettre des propositions qu’on ne saura ni infirmer ni confirmer. Cela rejoint Spinoza qui avertissait que les efforts pour comprendre le fonctionnement du cerveau <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychosomatique-2004-1-page-165.htm">sont voués à l’échec</a> ; un fou ne sait pas qu’il est fou.</p>
<p>C’est aussi l’intuition de Karl Jaspers qui <a href="https://www.lisez.com/livre-de-poche/introduction-a-la-philosophie/9782264034441">dit vers 1950</a> : « L’homme ne peut saisir la totalité puisqu’il est à l’intérieur de cette totalité. » Comme au jeu des chaises musicales, les arguments tournent en rond et toujours l’un d’entre eux ne cadre pas avec les postulats de départ.</p>
<h2>On a beau être physicien.ne, on n’en est pas moins humain</h2>
<p>Une autre limitation à la rationalité vient de l’interférence procédant du chercheur. En mécanique quantique, on apprend que l’observateur influence le résultat car pour mesurer il faut manipuler, ce qui perturbe le système sous examen.</p>
<p>Mais il y a plus. Un résultat brut n’est jamais définitif, il faut le corriger des limitations venant de l’instrument, ce qu’on nomme les erreurs systématiques. Pour comparer les données d’une mesure à une hypothèse, les physiciens ont développé la technique du Monte Carlo, nom qui évoque bien sûr le jeu de roulette. Il s’agit d’une simulation informatique du problème envisagé qui met à l’épreuve les modèles possibles grâce à un programme d’ordinateur où entrent toutes les grandeurs recherchées, par exemple <a href="https://home.cern/fr/news/news/physics/cms-measures-higgs-bosons-mass-unprecedented-precision">masse du boson de Higgs</a> ou <a href="https://www.pourlascience.fr/sr/article/expansion-de-lunivers-un-probleme-de-vitesse-18621.php">vitesse d’expansion de l’Univers</a>. C’est une mise en scène moderne de l’allégorie des ombres perçues dans la caverne de Platon : les signaux recueillis (les « ombres » détectées dans l’ordinateur) demandent interprétation. Si le résultat de la simulation n’est pas en accord avec les données, on ajuste le modèle d’entrée et c’est le physicien qui décide en dernier ressort quand l’analyse est à point, enfreignant ainsi la pure objectivité.</p>
<p>Max Planck, le père des quanta, avait déjà souligné cet écueil :</p>
<blockquote>
<p>« Une mesure ne reçoit son sens physique qu’en vertu d’une interprétation qui est le fait de la théorie… Les résultats ne sont utilisables qu’après avoir subi nombre de corrections dont le calcul est déduit d’une hypothèse. » (<a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/champs-sciences/initiations-a-la-physique">Initiation à la physique</a>, 1941)</p>
</blockquote>
<p>Bien des annonces erronées, par exemple des <a href="https://neutrino-history.in2p3.fr/the-17-kev-neutrino/">masses non nulles attribuées aux neutrinos</a>, proviennent d’une analyse qu’un chercheur trop pressé arrêta sans aller jusqu’au bout des corrections. Dans une telle situation, il faut attendre une nouvelle expérience plus précise pour corriger la faute.</p>
<h2>De l’ultime savoir</h2>
<p>Les lois physiques tentent de former une image objective de la réalité du monde, mais la science est une création de l’intelligence humaine – d’où le soupçon de subjectivité qui s’introduit nécessairement dans le processus, ne serait-ce que par le choix de comités bien humains qui décident des recherches prioritaires.</p>
<p>Il existe d’ailleurs un problème de base : étant un idéal en devenir, le savoir progresse vers un état inconnu. Les autres activités humaines sont guidées vers un but, il n’en est pas ainsi pour la recherche fondamentale. Nous ne connaissons pas à l’avance le résultat d’une expérience. Or un but indéfini ne peut diriger sûrement une action et la science progresse selon un mouvement brownien, c’est-à-dire guidé par le hasard. Mais ce hasard n’est aléatoire que pour nous puisque le but est inscrit dans la Nature.</p>
<p>Avec les développements récents, une nouvelle limitation de la connaissance devient plus sensible. La physique contemporaine bute aujourd’hui contre le mur du gigantisme expérimental. Le <a href="https://home.cern/fr/science/physics/higgs-boson">boson de Higgs</a>, dont l’idée remonte aux années 1960, a exigé le travail continu de milliers de chercheurs avant sa découverte en 2012. La prochaine étape d’élémentarité prédite par certaines théories, comme la <a href="https://www.pourlascience.fr/sd/physique-theorique/le-monde-des-cordes-966.php">théorie des cordes</a>, demanderait la réalisation d’un accélérateur ayant la taille de la galaxie puisque pour voir plus petit il faut bénéficier d’une énergie plus élevée. Mission impossible ! La connaissance aux extrêmes progresse de plus en plus laborieusement. Nous approchons asymptotiquement du savoir ultime, or l’asymptote est par définition une limite qu’on n’atteint jamais.</p>
<p>De leur côté, les théoriciens ne connaissent pas de contraintes, ils continuent à imaginer des hypothèses pour expliquer les énigmes du jour. Cela amène à une situation nouvelle. Certains critiquaient la science pour son dogmatisme rigide, elle qui assène les vérités qu’on ne peut réfuter. Elle devient plus débonnaire, laissant chacun choisir parmi des modèles qui tentent d’expliquer les phénomènes ultimes. L’<a href="https://www.pourlascience.fr/sd/cosmologie/le-multivers-quantique-9811.php">existence d’une infinité d’Univers</a> proposée depuis peu devient affaire de croyance, puisque l’expérience ne pourra probablement <a href="https://lejournal.cnrs.fr/billets/peut-tester-les-univers-paralleles">jamais la confirmer</a>. Une théorie scientifique, c’est-à-dire une représentation en langage mathématique d’une loi imaginée à partir d’observations, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=sFbctDTNXTQ">doit être falsifiable</a>. Si l’expérience ne peut valider ses prédictions, elle reste une spéculation.</p>
<p>Malgré ces bornes réelles, l’homme, ce « milieu entre rien et tout » selon la <a href="https://dicocitations.lemonde.fr/citations/citation-13612.php">percutante formule</a> de Pascal, a réussi par son intelligence à domestiquer le monde depuis l’échelle des particules élémentaires jusqu’à celle de l’Univers global. <a href="https://dicocitations.lemonde.fr/citations/citation-23619.php">Einstein a dit</a> : « le plus incompréhensible est que le monde est compréhensible. » Certes, mais l’est-il entièrement ? La mécanique quantique nous présente une réalité qui transcende notre compréhension. En dépit de l’aiguillon constant de la curiosité qui nous impose le devoir de connaître, le savoir rationnel ne nous sera pas totalement accessible, alors laissons Descartes nous réconforter en acceptant nos limites :</p>
<blockquote>
<p>« Il le [physicien géomètre] démontrera que ce qu’il cherche dépasse les bornes de l’intelligence humaine, et par suite il ne s’en croira pas plus ignorant, parce que ce résultat n’est pas une moindre science que la connaissance de quoi que ce soit d’autre. » (René Descartes, <a href="https://philosophie.cegeptr.qc.ca/wp-content/documents/Discours-de-la-m%C3%A9thode.pdf">Discours de la méthode</a>, 1637)</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/138327/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Vannucci ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La démarche scientifique allie théories et expériences pour faire progresser notre connaissance du monde. Existe-t-il des bornes à cette démarche ?François Vannucci, Professeur émérite, chercheur en physique des particules, spécialiste des neutrinos, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1357072020-06-22T17:13:31Z2020-06-22T17:13:31ZPourquoi les chercheurs ouvrent-ils leurs recherches ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/342447/original/file-20200617-94036-1uc9hk1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=156%2C0%2C6791%2C3968&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">On peut vouloir ouvrir pour partager les savoirs, être plus transparents, faire progresser la recherche plus rapidement... </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-vector/freedom-concept-hand-drawn-man-flying-722190496">Drawlab19/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Aux origines de la science ouverte, il y a une convergence de la pensée des <a href="https://fr.scribd.com/doc/270306844/A-Note-on-Science-and-Democracy-by-Robert-K-Merton">intellectuels d’après-guerre</a> favorables à la libre diffusion des savoirs scientifiques vers la société, comme <a href="https://www.nsf.gov/od/lpa/nsf50/vbush1945.htm">rempart aux totalitarismes</a>. La science ouverte, ou <a href="https://journals.openedition.org/cdst/277"><em>open science</em></a> aujourd’hui, <a href="https://books.openedition.org/oep/1707">se présente</a> d’abord par des valeurs de partage, de collaboration, de libre circulation des savoirs, de reproductibilité, de libre débat d’idées, de transparence et d’intégrité scientifique.</p>
<p>Qualifiés par certains d’utopie, <a href="https://royalsociety.org/topics-policy/projects/science-public-enterprise/report/">ses principes deviennent possibles</a> grâce au développement sans précédent des outils de communication et infrastructures numériques de la recherche. Mais sa mise en œuvre par les chercheurs reste, sans mauvais jeu de mots, une question ouverte. Car entre l’engagement des chercheurs dans des pratiques ouvertes et la reconnaissance de ces dernières pour l’évolution de leur carrière par leurs instances scientifiques et institutionnelles, un chemin reste à parcourir.</p>
<h2>Une tension entre pratiques des chercheurs et critères d’évaluation</h2>
<p>La science ouverte est le lieu d’une tension entre les injonctions des décideurs de la recherche et les pratiques réelles des chercheurs. Elle est souvent présentée à partir d’une approche « top-down » : des managers recommandent, rédigent des politiques dédiées et développent des discours prescriptifs. La rhétorique ainsi construite permet de justifier les efforts consentis à la mise en place d’infrastructures numériques, nationales ou <a href="https://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=ES_041_0177">européennes</a>, et permet de comprendre les <a href="https://www.wiley.com/en-fr/Re+Thinking+Science%3A+Knowledge+and+the+Public+in+an+Age+of+Uncertainty-p-9780745657073">dynamiques contemporaines complexes entre science et société</a>.</p>
<p>Une approche « bottom-up » décrit les pratiques des chercheurs dans leur travail quotidien. Elle prend en compte les intentions et les représentations individuelles ou collectives des chercheurs pour la mise en œuvre concrète de ce qu’ils estiment, eux, être une « science ouverte ». Car lorsqu’ils commentent les politiques en faveur de l’<a href="https://muse.jhu.edu/article/556221">« openness »</a>, les chercheurs pointent souvent des injonctions contradictoires : libérer la circulation des publications et des données peut s’opposer frontalement au principe de l’<a href="https://theconversation.com/chercheurs-_vs_-managers-la-guerre-des-mots-138384">évaluation des travaux de recherche</a> fondée sur la production de résultats originaux, positifs, exclusifs et publiés dans des revues de prestige. L’injonction à l’ouverture achoppe d’autant plus avec les domaines disciplinaires où la recherche repose sur des partenariats industriels (par exemple la chimie) requérant la confidentialité, tant pour les protocoles de recherche, les résultats et <em>a fortiori</em> les <a href="https://www.collexpersee.eu/projet/datacc/">données produites</a>.</p>
<h2>Au fondement des pratiques des chercheurs : éthique et intégrité de la science</h2>
<p>En Chine, en Europe et aux États-Unis, les premiers arguments avancés par les chercheurs pour expliquer leurs pratiques « ouvertes » sont d’ordre éthique. D’abord comme un contre-pied aux dérives provoquées par l’<a href="https://theconversation.com/chercheurs-_vs_-managers-la-guerre-des-mots-138384">hypercompétition</a> de la science, la course aux financements et la loi du <a href="https://theconversation.com/recherche-publish-or-perish-vers-la-fin-dun-dogme-128191"><em>Publish or Perish</em></a>. Les chercheurs présentent donc leurs pratiques d’ouverture comme une contribution à une science intègre et éthique : <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/leap.1169">ceux qui publient en Libre Accès</a> le font pour permettre à toutes et à tous d’<a href="https://theconversation.com/acces-a-la-litterature-scientifique-des-inegalites-encore-inacceptables-134848">accéder aux résultats de la recherche scientifique</a>, y compris dans les pays du Sud. Ceux qui décrivent de manière détaillée et exhaustive leur protocole de recherche le font pour en permettre la reproductibilité et donc le partage de leur expertise. Ceux qui participent à des processus d’évaluation ouverte (<a href="https://theconversation.com/science-ouverte-en-temps-de-coronavirus-publication-en-temps-reel-136397"><em>open peer reviewing</em></a>), ou acceptent de rendre publics leurs rapports, adhèrent à une vision transparente de la discussion scientifique.</p>
<p>Indifférents ou ignorants des arguments politiques faisant valoir la <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/amsterdam-call-for-action-on-open-science/">stimulation et l’accélération de l’économie</a>, les praticiens de la science ouverte sont soucieux d’une science « propre », qui véhicule des valeurs auxquelles ils s’identifient (diversité, accessibilité, reproductibilité, réutilisation). Dans ces cas de figure, les chercheurs ne se disent pas militer pour une science ouverte, mais pour une science intègre et éthique.</p>
<h2>La manufacture de la science ouverte</h2>
<p>Les disciplines ne sont pas homogènes en termes de pratiques ouvertes. Il existe des disciplines où l’ouverture se pose naturellement, car inscrite dans les structures et normes sociales de la communauté, par exemple la physique des hautes énergies est pionnière dans les pratiques de partage de pré-publications et de données de la recherche. <em>A contrario</em>, des disciplines plus « conservatrices », comme la chimie, qui en raison des enjeux économiques de ses avancées, accueille moins favorablement les invitations d’ouverture. Or, la recherche est aujourd’hui menée dans des collectifs, souvent pluridisciplinaires. L’observation des pratiques dans ces collectifs montre sur quels arguments la discussion – parfois l’âpre négociation – se fait pour intégrer des possibilités d’ouverture. Car les chercheurs disent ne pas décider de monter un projet de « science ouverte », mais faire « de la science » en y incluant de l’ouverture, là où c’est possible, sans compromettre leurs chances de reconnaissance scientifique.</p>
<p>Le projet de recherche est ainsi le creuset, la « manufacture », dans lequel sont mises en œuvre des pratiques d’ouvertures, dont certaines sont rodées (déposer une pré-publication dans une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Archive_ouverte">archive ouverte</a>) et d’autres sont plus expérimentales (mettre en place un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Plan_de_gestion_des_donn%C3%A9es">plan de gestion de données</a>, apprendre à paramétrer un <a href="https://edutechwiki.unige.ch/fr/Cahiers_de_Laboratoire_%C3%89lectroniques">carnet de laboratoire numérique</a>). Quelle que soit leur discipline, les chercheurs acquièrent leurs pratiques d’ouverture <a href="https://content.iospress.com/articles/information-services-and-use/isu190069">toujours en regard d’une expérience</a>, dans l’interaction avec le collectif, et dans la contrainte circonscrite au projet.</p>
<h2>Des sciences ouvertes, et non une seule</h2>
<p>L’ouverture ne s’avère <a href="https://journals.openedition.org/rfsic/5522">ni homogène ni pérenne</a> : certains favorisent l’ouverture dans <a href="https://jussieucall.org/">leurs modes</a> de communication scientifique (réseaux sociaux, archives ouvertes ou serveurs de pré-publications) ; d’autres se mobilisent autour des données (enrichissement par des métadonnées, partage sur des archives pour en permettre la réutilisation…), ou bien l’ouverture et de la mise à disposition des codes.</p>
<p>Selon le contexte de recherche, l’étape de leur carrière, le niveau de formation aux outils numériques, les chercheurs se spécialisent aussi dans leurs pratiques d’ouverture, comme ils se spécialisent dans un domaine scientifique. Ils <a href="https://www.talyarkoni.org/blog/2019/07/13/i-hate-open-science/">réfutent</a> donc souvent la dénomination <a href="https://content.iospress.com/articles/information-services-and-use/isu190069">estimée trop floue</a> d’« open scientists ».</p>
<p>L’exemple des données de la recherche est le plus illustratif : le chercheur peut opter pour des stratégies différentes pour « ouvrir » ses données selon le financement (ou son absence), l’objet de recherche, le collectif impliqué, l’avancement de sa carrière, le besoin de reconnaissance, le niveau de connaissance et de maîtrise des principes éthiques et techniques de l’ouverture des données. Et plus fondamentalement, selon la conviction du chercheur de la <a href="https://hdsr.mitpress.mit.edu/pub/jduhd7og/release/7">valeur de réutilisation de ses propres données</a>. Autant de paramètres qui entrent en compte dans la constitution de pratiques, qui se révéleront dans la forme et dans le temps.</p>
<h2>L’avenir de la science ouverte dépend de la reconnaissance des pratiques d’ouverture dans l’évaluation des carrières</h2>
<p>Même si des pratiques ouvertes se développent, le défi du déploiement de la science ouverte à large échelle relève encore du projet pour la plupart des domaines disciplinaires. Nos travaux nous apprennent que le chemin à parcourir ne dépend pas tant de la défense des valeurs de la science ouverte auxquelles les chercheurs adhèrent ou de la maîtrise des infrastructures numériques dans leur travail. Le chemin dépend surtout de la reconnaissance par les politiques d’évaluation de leurs <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/types-de-documents-productions-et-activites-valorisees-par-la-science-ouverte-et-eligibles-a-une-evaluation/">efforts pour l’ouverture</a> même s’il ne donne pas lieu à des résultats.</p>
<p>L’observatoire international des pratiques que nous avons mené a permis de <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01973467/document">pointer ce nœud gordien</a> de manière particulièrement prégnante <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/leap.1284">chez les jeunes chercheurs</a>. Alors que ces derniers adhèrent et partagent les valeurs de la science ouverte, alors qu’ils montrent une réelle maîtrise des infrastructures numériques associées et qu’ils en voient le potentiel, ils n’envisagent pas d’y souscrire tant que les critères d’évaluation ne changent pas. L’avenir réaliste de la science ouverte dépend donc de l’intégration des pratiques et principes d’<em>openness</em> par les instances d’évaluation officielles et institutionnelles de la recherche.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article fait partie de la série « Les belles histoires de la science ouverte » publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Pour en savoir plus, visitez le site <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/">Ouvrirlascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135707/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Chérifa Boukacem-Zeghmouri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les motivations des chercheurs pour ouvrir leurs recherches sont multiples, mais les jeunes s’interrogent sur la prise en compte de ces pratiques dans l’évaluation, en particulier à l’embauche.Chérifa Boukacem-Zeghmouri, Professeure des Universités, Université Claude Bernard Lyon 1Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1334082020-04-09T19:26:25Z2020-04-09T19:26:25ZLa science ouverte : refaire circuler le savoir librement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/326875/original/file-20200409-157537-1ysyxng.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C7951%2C5297&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La science est une affaire de collectif.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/CnDBjaddRWs">ThisisEngineering RAEng / Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Au Muséum national d’histoire naturelle, les échanges entre savants du pays et du monde entier ont toujours été des vecteurs essentiels de la production et de la diffusion de la connaissance scientifique. Les archives administratives et scientifiques de l’établissement témoignent d’une conversation ininterrompue entre chercheurs aux quatre coins de la planète : relations de voyages, journaux d’expéditions, correspondances, envois croisés entre spécialistes de caisses ou colis de spécimens, d’enveloppes garnies de graines, de photographies, de tirés à part, d’ouvrages… Un incessant ballet d’idées, d’indices et d’objets qu’on n’appelait pas encore des données et qui se dispensait souvent de toute tractation financière. Cette ouverture au monde s’est accompagnée d’une ouverture aux personnes.</p>
<p>Des premières sociétés savantes jusqu’aux sciences participatives qui aident à enrichir les inventaires et bases de données contemporaines, l’histoire naturelle s’est co-construite avec des amateurs et des passionnés de tout bord sans qui les collections, matériau essentiel de la recherche, n’auraient jamais pu être assemblées ni décrites.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1149311629584142337"}"></div></p>
<p>Bref, bien avant la révolution numérique qui a été un formidable accélérateur de ces échanges, on faisait de la science ouverte sans le savoir. Car la notion même de science est fondamentalement indissociable de l’ouverture des esprits, qui conditionne celle des publications et des données.</p>
<p>Science ouverte ! Ce devrait donc être un pléonasme, mais cela fait des décennies que cela ne l’est plus. Comment en est-on arrivé là alors que pendant des siècles la communauté scientifique avait réussi à échanger, à s’organiser à travers de multiples réseaux ?</p>
<h2>Quand le privé s’accapare et monétise le savoir</h2>
<p>Disons que le coup de grâce est venu de l’archange « bibliométrie ». Les éditeurs privés, non contents de créer, voire de récupérer moult revues, ont forgé des outils comme l’<em>impact factor</em> (indice qui quantifie la qualité d’une revue à partir du nombre moyen de citations de ses articles) ou le <em>H-index</em> (autre indice qui quantifie la réputation d’un chercheur sur la base des citations de ses articles) sur lesquels les scientifiques eux-mêmes se sont précipités pour s’évaluer entre eux.</p>
<p>Magie d’une arithmétique simpliste qui, en dépit de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0099133316301732">critiques bien étayées</a>, continue d’être utilisée et qui a cadenassé la science en lui fournissant une liste des « bonnes » revues, les plus chères bien sûr dont les abonnements pour 12 numéros peuvent coûter plusieurs milliers d’euros, voire dépasser les 10 000 euros.</p>
<p>Seulement voilà, après avoir demandé aux scientifiques, la plupart du temps payés par les pouvoirs publics, d’écrire leurs articles, de les éditer, de valider gratuitement ceux de leurs pairs, puis de payer pour les lire, les éditeurs ont aussi souhaité faire payer pour publier, simplement en proposant des accès facilités et accélérés à la publication contre rétribution.</p>
<p>Bref, une forme d’asservissement consenti s’est installée, où il fallait passer trois fois à la caisse. Certes, il faut reconnaître le travail et la valeur ajoutée de l’éditeur qui a des compétences propres à la valorisation et à la diffusion de l’activité scientifique : éditer, structurer et diffuser un livre, une revue, une base de données, a un coût et un entrepôt de PDF est loin d’être une revue scientifique. Encore faut-il apprécier et monnayer ce travail à son juste prix, et dans bien des cas, les comptes ne sont plus bons.</p>
<h2>Refaire circuler librement les connaissances</h2>
<p>À trop vouloir gagner, un vent contraire s’est levé, celui de la science ouverte. À l’heure des réseaux et du numérique, pourquoi la connaissance scientifique, bien de tous, ne pourrait-elle pas circuler librement ? Poser la question, c’est y répondre, surtout à une époque où l’acquisition de nouvelles données et connaissances n’est plus le coup d’éclat de quelque savant isolé, mais le fruit de collaborations multiples. La connaissance avance comme une vague collective où tout se partage et où chacun bénéficie de l’influence de tous. Dans un monde économiquement fracturé, la libre circulation des connaissances scientifiques est un indéniable levier de rééquilibrage et de développement, y compris dans les rapports Nord-Sud. Tout ce qui facilite les échanges fait donc sens et est même devenu une nécessité impérieuse.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1245599721411903488"}"></div></p>
<p>L’avènement du numérique permet cela : au-delà des publications, le croisement et l’agrégation des données de la recherche issues de silos disciplinaires variés permet d’accélérer les possibilités de calcul, de fouille et d’analyse par l’utilisation des machines et de l’intelligence artificielle. Pour que l’innovation scientifique se déploie à cette nouvelle échelle, encore faut-il que les données soient ouvertes et interopérables, tant techniquement que juridiquement.</p>
<p>Malheureusement la seule restriction qui se soit imposée est celle des moyens financiers dévolus à cette circulation d’information, moyens réclamés et captés par quelques gros éditeurs privés qui ont eu l’astuce de faire des titres de leurs revues scientifiques le critère d’évaluation de l’activité des chercheurs. Car l’évaluation est ainsi reportée sur la seule notoriété d’une revue qui, sans nier sa qualité scientifique, a d’abord ses contraintes éditoriales et financières. Lors d’une évaluation, ce ne sont plus les contenus scientifiques qui sont regardés et scrutés de manière approfondie, mais les seuls titres et impact factor. L’absurdité est devenue telle que j’ai pu assister dans un pays voisin à des classements de projets sur la base de la somme des <em>if</em> de leurs porteurs. Plus encore, les mêmes acteurs ont entrepris de fidéliser les chercheurs en mettant en avant leur avance technologique pour commencer à privatiser les données de la recherche publique dans des applications et réseaux académiques résolument propriétaires.</p>
<p>On voit bien que le système implose et que la science ouverte est désormais une nécessité économique, déontologique et même pragmatique car elle permettra de desserrer le frein qui limite la diffusion large des connaissances acquises, entre scientifiques d’abord et vers un large public ensuite. Toutefois, ne nous leurrons pas, la réponse n’est pas simple car il faut concilier le souhait de cette large diffusion et d’immédiateté avec la nécessité d’une validation. Il faut faire en sorte que la société dispose de bases fiables et que la diffusion de connaissances validées répondant aux critères scientifiques ne tourne pas à la diffusion d’opinions ou de croyances non étayées. C’est tout l’enjeu de cette science ouverte qui doit faire avec les forces et faiblesses de la science, une capacité à remettre en cause ce qui était tenu pour acquis, ce qui ne pose pas de problème dans un monde lent, mais qui peut donner l’apparence d’une agitation perpétuelle dans le monde rapide d’aujourd’hui.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article fait partie de la série « Les belles histoires de la science ouverte » publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Pour en savoir plus, visitez le site <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/">Ouvrirlascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/133408/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bruno David ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La science ouverte pourrait être un changement majeur de paradigme dans le partage du savoir scientifique : ne plus le faire payer, partager tout simplement.Bruno David, Président du Muséum national d'Histoire naturelle, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1344242020-03-29T17:19:26Z2020-03-29T17:19:26ZCommunautés virtuelles : 10 principes pour un management performant<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/322311/original/file-20200323-112707-1ej8hj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4019%2C2657&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Mettre en place un environnement sécurisant constitue l’une des clés pour le fonctionnement performant d’une communauté.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/businessman-holding-tablet-management-group-people-1175980720">PopTika / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Qu’elles soient virtuelles ou physiques, les communautés prennent de plus en plus d’importance pour les organisations… Communautés de clients, de fournisseurs, d’employés. De nombreuses entreprises redécouvrent l’importance du lien informel, de l’échange de connaissances, de la sérendipité (hasard heureux) pour l’innovation et la performance, et mettent en œuvre des initiatives pour favoriser la création de communautés professionnelles, de métier ou d’intérêt en leur sein.</p>
<p>Les firmes ont ainsi créé des plates-formes digitales, des réseaux d’entreprise, parfois des équipes dédiées à l’animation des communautés de salariés. Les communautés sont devenues un outil fondamental de l’entreprise apprenante. Ce faisant, les organisations remettent au goût du jour un phénomène très ancien, et étudié en sciences de gestion en particulier depuis les années 1990.</p>
<p>En particulier, les <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=CAVIOrW3vYAC&oi=fnd&pg=PA11&dq=lave+et+wenger+1991">travaux</a> de l’anthropologue Jean Lave et du théoricien de l’éducation Étienne Wenger mettent en lumière les communautés de pratique, génératrices de connaissance, d’apprentissage et d’innovation.</p>
<p>Ces dernières sont définies par <a href="https://s3.amazonaws.com/academia.edu.documents/56672918/Learningasasocialsystem.pdf">trois critères principaux</a> :</p>
<ul>
<li><p>L’engagement mutuel des membres, fondé sur la réciprocité des relations</p></li>
<li><p>Un sujet d’intérêt partagé, un projet commun</p></li>
<li><p>Un « répertoire » partagé, c’est-à-dire des techniques, des outils et des normes utilisés par tous les membres de la communauté.</p></li>
</ul>
<p>Les communautés de pratique permettent ainsi à leurs membres d’échanger sur un thème qui les intéresse, de partager des bonnes pratiques, et de trouver des solutions à leurs problèmes. Ce ne sont pas des équipes projet : elles peuvent durer aussi longtemps que le sujet intéresse leurs membres.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/40_d0kWUNMc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les « communautés de pratique »… en pratique (Xerfi Canal, 2019).</span></figcaption>
</figure>
<h2>Souvent informelles</h2>
<p>Par exemple, dans les années 1980, les <a href="https://dl.acm.org/doi/abs/10.1145/637069.637077">réparateurs de photocopieurs Xerox</a> ont créé de manière informelle leur communauté de pratique, pour s’entraider et affronter les difficultés rencontrées chez leurs clients sans avoir à se référer à l’épais manuel de fonctionnement des machines. Découvrant l’efficacité de cette initiative, le management de Xerox a par la suite formalisé cet outil et créé un portail dédié aux communautés de pratique.</p>
<p>Plus récemment, <a href="https://www.apqc.org/resource-library/resource-listing/knowledge-management-schneider-electric">Schneider Electric</a> ou <a href="https://theconversation.com/le-numerique-au-service-des-communautes-de-pratique-dinnovation-dans-le-groupe-seb-une-etude-de-cas-85297">SEB</a> par exemple, ont mis en œuvre des programmes pour favoriser l’émergence de telles communautés. Ces programmes ont généré de nombreuses innovations et des gains de productivité importants.</p>
<p>Une question centrale demeure cependant. Comment faire pour que ces communautés portent leurs fruits ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"918324924569223169"}"></div></p>
<p>En effet, ces communautés sont avant tout informelles, souvent émergentes, et reposent sur la qualité du lien social, la confiance et l’intérêt de leurs membres. Pour une entreprise, créer des communautés de toutes pièces reste une gageure, et de nombreuses initiatives échouent malgré la mise en place d’infrastructures technologiques dernier cri.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/nP_lXptmMYU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">3 questions sur la confiance à Aurore Haas, maître de conférences en stratégie à l’Université Paris Dauphine-PSL (2020).</span></figcaption>
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<h2>10 principes clés</h2>
<p>La recherche en gestion a néanmoins depuis longtemps mis en évidence des principes de bonne gestion de ces communautés, qui peuvent permettre aux entreprises de tirer avantage de cet outil de partage de connaissance à fort potentiel de performance.</p>
<ol>
<li><p>Qu’elles soient virtuelles ou physiques, les communautés de pratique ne peuvent survivre que si elles offrent un <a href="https://s3.amazonaws.com/academia.edu.documents/47109752/Why_communities_of_practice_succeed_and_20160708-7541-1k12cep.pdf">environnement sécurisant</a>, où des liens de <a href="https://orsociety.tandfonline.com/doi/abs/10.1057/palgrave.kmrp.8500143#.XnNiFHJCc2w">confiance</a> et de respect peuvent se développer. En ce sens, la présence des managers hiérarchiques dans les communautés de pratique est la plupart du temps une mauvaise idée, car les salariés peuvent se sentir évalués et jugés.</p></li>
<li><p>Les communautés de pratique reposent sur une absence de hiérarchie formelle. Seul le niveau d’expertise compte. Ceci peut créer un besoin de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S026323730200110X">leadership</a> pour assurer la coordination. Les entreprises les plus performantes accordent aux facilitateurs de communauté le temps suffisant pour les gérer. Ceci peut vouloir dire <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=m1xZuNq9RygC&oi=fnd&pg=PR9&dq=wenger+communities+of+practice">consacrer 20 % de son temps de travail à la communauté</a> dans sa phase de démarrage. Le leader de communauté est en effet responsable de l’engagement des différents membres. Il doit <a href="https://www.a-i-a.com/capital-intelectual/KnowingInCommunity.pdf">mettre son savoir à la disposition des membres de la communauté</a> et documenter les meilleures pratiques.</p></li>
<li><p>Les <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=Ckb6GcUq31MC&oi=fnd&pg=PA3&dq=m+wheatley+CAN+KNOWLEDGE+MANAGEMENT">objectifs</a> de la communauté de pratique doivent être partagés, et <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/09534810510589570/full/html">correspondre aux objectifs des membres</a> pour s’assurer de leur motivation. Chacun doit comprendre comment il peut contribuer à l’objectif commun. Il existe un cycle d’apprentissage dans les communautés de pratique, fondé sur des phases de dialogue, de prise de décision, d’action, et d’évaluation. Les objectifs peuvent ainsi être amenés à évoluer dans le temps.</p></li>
<li><p>Parmi les objectifs de la communauté, la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0263786311000081">création de liens</a>, de relations entre les membres de la communauté est un but important. Elle permettra aux membres de la communauté de s’entraider au cours du temps. Vouloir privilégier l’efficacité à tout prix peut en fait nuire au développement de la communauté et être contre-productif pour l’apprentissage et l’innovation.</p></li>
<li><p>Les entreprises ont également intérêt à promouvoir des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S026323731000068X">niveaux d’implication des salariés différents</a> dans la communauté. En effet, l’innovation provient souvent des personnes qui sont à la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00343400600928368">périphérie des groupes</a>, qui sont les moins impliquées. À l’inverse, quand les communautés sont constituées d’individus tous très engagés, cela peut entraîner des phénomènes moutonniers de « pensée de groupe » (<em>group think</em>) ou de rejet de ce qui n’a pas été inventé par le groupe (<em>not invented here</em>), ce qui peut nuire à la performance.</p></li>
<li><p>Encourager les retours d’expérience et l’évaluation informelle de la qualité des savoirs échangés peut également permettre le succès des communautés de pratique. En effet, les membres sont ainsi rassurés sur la valeur des connaissances échangées et n’hésiteront pas à mettre en œuvre les bonnes pratiques identifiées. Ceux qui partagent leurs savoirs peuvent également être valorisés, ce qui les incite à <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0167923618302045">continuer à contribuer à la communauté</a>.</p></li>
<li><p>À l’inverse, mettre en place des systèmes de rémunération financière pour récompenser l’échange de savoirs est la plupart du temps une <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/13673271211246167/full/html">mauvaise idée</a> (sauf avec des professions spécifiques comme les commerciaux, par exemple). L’échange de savoirs est fondé sur une <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/JKM-10-2015-0394/full/html">logique de don et d’échange</a>. Mettre en place une récompense financière brise cette dynamique.</p></li>
<li><p>Le facilitateur de la communauté peut organiser des <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=m1xZuNq9RygC&oi=fnd&pg=PR9&dq=wenger+mcdermott+snyder">occasions d’échanges</a> un peu plus formels entre les membres, comme des réunions physiques ou virtuelles. Mais attention, quand ces activités sont trop fréquentes, elles peuvent lasser les collaborateurs, car cela leur prend trop de temps. Il faut trouver le bon rythme, une fois par mois suffit généralement.</p></li>
<li><p>Les communautés de pratique bénéficient souvent de <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2007-1-page-135.htm">l’existence d’un sponsor</a>, manager dans l’entreprise. Le rôle du sponsor d’une communauté de pratique est de s’assurer que les ressources nécessaires à son bon fonctionnement sont disponibles, par exemple, les ressources pour l’organisation des réunions, la mise en place d’outils technologiques pour faciliter les échanges ou d’autres investissements éventuels.</p></li>
<li><p>Enfin, pour survivre dans le temps, la communauté doit maintenir l’intérêt de ses membres en leur étant utile et en leur permettant d’atteindre leurs objectifs professionnels, comme l’ont montré mes travaux récents, à paraître dans la revue <em><a href="https://www.tandfonline.com/action/journalInformation?show=aimsScope&journalCode=tkmr20">Knowledge Management Research & Practice</a></em>.</p></li>
</ol>
<p>Mises en œuvre dans un environnement favorable, les communautés de pratique peuvent générer l’agilité, l’innovation et la flexibilité nécessaires à la performance de l’organisation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/134424/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurore Haas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La recherche a mis en évidence un certain nombre de pistes pour éviter qu’elles ne soient qu’informelles.Aurore Haas, Professeur en Knowledge management et Intelligence collaborative, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1286822020-01-28T17:32:16Z2020-01-28T17:32:16ZÀ La Réunion, un jardin-école pour la planète<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/312407/original/file-20200129-92969-68vbkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C156%2C3244%2C2286&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">“Notre planète est à l’image d’un jardin, un espace clos qu’il appartient à l’homme d’entretenir et de préserver”.</span> <span class="attribution"><span class="source">Sébastien Clément</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Il y a presque 10 ans, les Pitons, cirques et remparts naturels de l’île de La Réunion ont fait leur entrée dans la liste des biens naturels classés au patrimoine mondial par l’Unesco. L’île, reconnue pour la diversité de ses paysages, sa biodiversité et l’extrême richesse de ses milieux, est pourtant menacée, à l’instar de nombreux autres patrimoines naturels. Un récent rapport du GIEC a <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/coraux-vont-ils-disparaitre-fin-du-siecle-decryptage-779139.html">ainsi rappelé que les coraux de l’île</a> étaient en voie de disparition du fait du réchauffement climatique.</p>
<p>Or, afin de préserver cette biodiversité, faut-il encore pouvoir la reconnaître, l’identifier voire la nommer. En 2010 le site Internet de la Direction de l’Environnement locale spécifiait ainsi que :</p>
<blockquote>
<p>« Parmi les lacunes identifiées pour la préservation de ce patrimoine, le manque de connaissances spécifiques et écologiques représente un frein à l’amélioration de la gestion et la conservation de la biodiversité. »</p>
</blockquote>
<p>Après de multiples échanges avec le <a href="https://www.lemoniteur.fr/article/paysage-le-grand-prix-national-a-gilles-clement.109139">paysagiste Gilles Clément</a>, Grand Prix du paysage 1999 et auteur du concept de <a href="http://www.gillesclement.com/cat-jardinplanetaire-tit-Le-Jardin-Planetaire">jardin planétaire</a>, j’ai initié la création de cette école en 2013. Ce projet inédit – soutenu financièrement par la Direction des Affaires culturelles à La Réunion s’inspire d’une école existante <a href="http://www.gillesclement.com/index.php">créée par Gilles Clément en 2009 à Viry-Châtillon, en Île-de-France</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/JteHr2x4iQ4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéo présentant le jardin botanique du Rayol à Rayol-Canadel-sur-Mer, dans le Var.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Jardin planétaire</h2>
<p>La notion de jardin planétaire chez Gilles Clément apparaît pour la première fois dans <a href="https://www.albin-michel.fr/ouvrages/thomas-et-le-voyageur-9782226218650"><em>Thomas et le voyageur</em></a>, une fable philosophique inspirée de ses voyages effectués pour la réalisation du jardin du domaine du Rayol dans le Var.</p>
<p>Dans cette représentation, notre planète est à l’image d’un jardin, un espace clos qu’il appartient à l’homme d’entretenir et de préserver, comme <a href="https://www.albin-michel.fr/ouvrages/le-jardin-planetaire-9782226111524">l’écrit Gilles Clément</a>,</p>
<blockquote>
<p>« Le jardin planétaire, c’est notre planète et le jardinier planétaire, c’est chacun d’entre nous. »</p>
</blockquote>
<p>Lorsque l’on observe l’île de La Réunion depuis l’espace, elle apparaît elle aussi comme un enclos, un morceau de terre isolé par l’océan Indien. Un jardin ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/306179/original/file-20191210-95165-6erju6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/306179/original/file-20191210-95165-6erju6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/306179/original/file-20191210-95165-6erju6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/306179/original/file-20191210-95165-6erju6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/306179/original/file-20191210-95165-6erju6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/306179/original/file-20191210-95165-6erju6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/306179/original/file-20191210-95165-6erju6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La Réunion depuis la Station spatiale internationale le mardi 9 avril 2013 à 15h56.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pavel Vinogradov</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’Atlas des paysages réalisé par la Direction de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement de La Réunion (DEAL), fait référence à cette similitude « d’île jardin ». C’est en tous cas pour l’homme, un territoire limité, un enclos à partager, un jardin à préserver.</p>
<h2>Un projet citoyen</h2>
<p>L’École du Jardin planétaire de La Réunion est avant tout un projet citoyen fonctionnant comme une Université populaire avec des activités ouvertes à tous. Ancrée sur l’endémisme, <a href="https://www.actes-sud.fr/catalogue/economie/la-condition-tropicale">soit les milieux spécifiques au territoire</a>, dû à la grande diversité des micro-climats présents sur l’île (près de 150), l’école propose un partage de la connaissance sur la biodiversité.</p>
<p>Par biodiversité, on entend la diversité des espèces vivantes sur ce territoire et la connaissance de leurs interactions notamment dans les pratiques du jardinage.</p>
<p>Il s’agit donc d’apporter aux citoyens les bases de cette culture commune et universelle, de leur donner des clés de lecture et de connaissance des espèces, de faire évoluer leur rapport à la nature et au vivant à travers des ateliers et des formations sur la reconnaissance des plantes, leurs vertus, le rôle des insectes, l’observation, enseignements souvent absents ou négligés dans les programmes scolaires.</p>
<p>L’école est pensée comme un électron libre qui propose toute l’année des activités à travers l’île : jardins, école, sites naturels sur lesquels sont diffusés les savoirs. L’école envisage de s’installer prochainement sur un terrain pour proposer un jardin d’expérimentation.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/306180/original/file-20191210-95173-uaj4fp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/306180/original/file-20191210-95173-uaj4fp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/306180/original/file-20191210-95173-uaj4fp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/306180/original/file-20191210-95173-uaj4fp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/306180/original/file-20191210-95173-uaj4fp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/306180/original/file-20191210-95173-uaj4fp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/306180/original/file-20191210-95173-uaj4fp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Atelier sur l’apiculture au Jardin d’Éden à l’Ermitage le 21 mars 2018 avec Dorothée Ninotta, apicultrice.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sébastien Clément</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
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<h2>90 intervenants engagés</h2>
<p>Environ 90 personnes se sont engagées auprès de l’école : jardiniers passionnés, chercheurs, artistes, apiculteurs, ethno-botanistes, scientifiques, tisaniers ont transmis leurs savoir auprès de 15 000 citoyens depuis 2013.</p>
<p>250 jardiniers ont été formés au jardinage bio, une centaine en aromathérapie et 80 agriculteurs et maraîchers locaux ont bénéficié d’une formation sur la préservation de leurs sols. Un thème dont on parle peu sur l’île qui est pourtant le socle support de production. Les producteurs formés sont désormais en voie de conversion vers une agriculture bio.</p>
<p>En 2015, l’école a créé un marché bio à l’Éperon dans l’Ouest-de-l’Île pour valoriser les producteurs locaux et les circuits courts. Ce marché alternatif a permis de faire prendre conscience à la population que les produits bios ne sont pas plus chers qu’en conventionnel quand ils sont distribués directement sans intermédiaire.</p>
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<figcaption><span class="caption">Marché bio de l’Éperon.</span></figcaption>
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<p>Chaque samedi matin, le stand de l’école y propose du troc de graines d’espèces locales, majoritairement pour le potager même si l’on y trouve des endémiques pour garnir son jardin tel que les mahots, bois de chenille, benjoins, etc.</p>
<p>En 2018, l’école a mis en ligne une application gratuite pour smartphones et tablettes permettant le référencement participatif des arbres remarquables à l’échelle planétaire : <a href="http://www.moabi.re">MOABI</a>. À La Réunion, des tamarins bicentenaires, d’anciens bois d’olives, de vieux manguiers, ont ainsi pu être recensés. Près de 400 arbres sont déjà répertoriés dans la base de données de cet outil innovant.</p>
<h2>Des plantes médicinales mises en valeur</h2>
<p>La Réunion disposant de plus de deux cent cinquante plantes médicinales endémiques et indigènes, l’école a créé une pépinière dans les jardins partagés d’Amédée à Sans-Souci avec le concours de la Semader, bailleur social dans le but de replanter ces espèces dans le quartier en mutation. Parallèlement, l’école anime un projet artistique appelé Jardin nursery proposant une valorisation des espèces locales dans des pépinières au cœur des hôpitaux CHU de l’Océan indien (Réunion et Mayotte).</p>
<p>On trouve dans ces pépinières le bois d’arnette, arbrisseau connu pour ses feuilles légères à l’odeur de pomme reinette. <a href="https://www.tela-botanica.org/2010/01/article3461/">Utilisée</a> pour traiter les rhumatismes, les reins, la sciatique, les ulcères, cette plante reconnue par la <a href="https://aplamedom.org">pharmacopée française</a>, un peu oubliée est ainsi réutilisée et valorisée à travers ces deux projets…</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/306182/original/file-20191210-95135-1mkwxxz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/306182/original/file-20191210-95135-1mkwxxz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/306182/original/file-20191210-95135-1mkwxxz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/306182/original/file-20191210-95135-1mkwxxz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/306182/original/file-20191210-95135-1mkwxxz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/306182/original/file-20191210-95135-1mkwxxz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/306182/original/file-20191210-95135-1mkwxxz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Atelier sur les plantes médicinales et leurs vertus à Jardin Nurserie au CHU de Saint-Pierre le 14 octobre 2017 avec isabelle Joly, ethno-botaniste.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sébastien Clément</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Repenser l’impact de l’homme sur le paysage</h2>
<p>Cette école est aussi un laboratoire d’idées créatrices sur le rapport de l’homme à la nature et son impact sur le paysage. Des actions pédagogiques permettent ainsi la création de jardins expérimentaux au sein d’écoles ou sur des sites naturels.</p>
<p>À titre d’exemple, avec deux enseignants de l’École Supérieure d’Arts de la Réunion (ESA) : Rémi Duthoit et Éric Barbier, nous avons créé un jardin à partir d’une friche : « Zardin lo guèp » aux abords du Jardin de Paulo à Saint-Paul. Ce jardin d’environ deux mille mètres carré a permis d’accueillir des œuvres éphémères des étudiants de l’ESA conçu dans le cadre de cette expérience.</p>
<p>Tous les ans l’École du Jardin planétaire organise des ateliers et mobilise les citoyens en partenariat avec le CEDTM pour replanter les espaces avec des espèces endémiques pour permettre aux tortues de revenir pondre sur ces lieux.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/306183/original/file-20191210-95135-q3jjjh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/306183/original/file-20191210-95135-q3jjjh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/306183/original/file-20191210-95135-q3jjjh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/306183/original/file-20191210-95135-q3jjjh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/306183/original/file-20191210-95135-q3jjjh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/306183/original/file-20191210-95135-q3jjjh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/306183/original/file-20191210-95135-q3jjjh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Atelier de requalification des plages de ponte des tortues marines à Boucan le 26 mai 2018 avec Kélonia.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sébastien Clément</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>La toute première université populaire</h2>
<p>Avec cette école, l’île de la Réunion est la première région française à offrir à ses habitants une université populaire permanente sur les thèmes de la biodiversité et des paysages. Les participants de tout horizon et de tout âge s’inscrivent en ligne sur le site de l’école pour des activités majoritairement prévues les samedis matin.</p>
<p>De nombreux participants et citoyens expriment désormais leur engagement à jardiner, à créer un potager. Les formations ont permis à la plupart de se lancer seuls. Ainsi, Éric, basé dans l’Ouest, a mis en place un potager pour sa famille car « cela me fait du bien et je fais des économies ».</p>
<p>Certaines personnes intervenant auprès de l’école se sont professionnalisées, c’est le cas de Nadine Fornet, ancienne infirmière qui après quelques ateliers en 2017 a créé <a href="https://www.alstromerine.re">sa propre structure</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/306184/original/file-20191210-95120-mwiogf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/306184/original/file-20191210-95120-mwiogf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/306184/original/file-20191210-95120-mwiogf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/306184/original/file-20191210-95120-mwiogf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/306184/original/file-20191210-95120-mwiogf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/306184/original/file-20191210-95120-mwiogf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/306184/original/file-20191210-95120-mwiogf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Atelier plantations d’espèces endémiques à La Grande Chaloupe le 18 Mars 2018 avec le programme Life +.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sébastien Clément</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Les retours positifs que nous avons eus depuis la création de l’école ont permis d’envisager l’expérience à une plus grande échelle sur l’île mais nos moyens restent limités.</p>
<h2>Une ouverture sur l’Océan indien</h2>
<p>Les seconds Entretiens du Patrimoine de l’Océan indien en 2015 sur le thème des Jardins et du paysage ont facilité des rencontres et des liens avec de nouveaux partenaires potentiels ou de futurs acteurs. Des échanges sont désormais envisagés notamment avec l’île Maurice.</p>
<p>À Mayotte où un Jardin Nursery pour la valorisation de la culture des plantes médicinales a aussi vu le jour, un projet de création d’Ecole du Jardin planétaire est en construction. Le contexte social n’étant pas très stable, la démarche prend du temps. Il serait réjouissant de voir se tisser un réseau d’écoles au cœur de l’Océan indien sur des enjeux insulaires souvent similaires comme la méconnaissance du vivant et la fragilité des milieux.</p>
<p>À Limoges, une nouvelle école du Jardin planétaire a été créée en 2017. Elle propose une licence professionnelle orientée sur les milieux anthropisés. Après six années d’existence, l’équipe s’interroge sur l’avenir de cette structure. Comment désormais orienter ce projet ?</p>
<p>De nouvelles formations sont envisagées, l’une d’elles diplômante aura pour objectif de former sur une année de véritables jardiniers en milieu tropical sur cette île aux mille paysages.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128682/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sébastien Clément a fondé l'école du jardin planétaire à La Réunion.</span></em></p>Afin de protéger la biodiversité exceptionnelle l’ïle de la Réunion, il faut apprendre à la reconnaître, l’une des missions du jardin-école planétaire.Sébastien Clément, Paysagiste, Jardinier, Enseignant, Doctorant, École d'architecture de La Réunion, antenne de l'ENSAMLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1279422020-01-14T21:08:57Z2020-01-14T21:08:57ZComment Ubisoft lève les freins à la coopétition interne grâce aux « knowledge brokers »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/303993/original/file-20191127-112517-hfmspo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=65%2C50%2C920%2C589&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les « Lapins crétins », l'un des titres qui a contribué au succès de l'éditeur de jeux vidéo Ubisoft.</span> <span class="attribution"><span class="source">OpturaDesign / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Quel est le point commun entre Mondelez, l’un des leaders mondiaux de la confiserie et des chocolats, l’Oréal, l’une des plus grandes marques de cosmétiques et Ubisoft, l’un des acteurs incontournables du secteur du jeu vidéo ?</p>
<p>Ces trois acteurs ont mis en place une stratégie bien particulière, en mettant en concurrence leurs différents marques ou produits, tout en leur demandant de coopérer entre eux sur certaines activités, comme la R&D ou le marketing. Cette situation particulière porte un nom : la coopétition interne.</p>
<p>La <a href="https://theconversation.com/la-coopetition-et-si-votre-concurrent-devenait-votre-meilleur-allie-79704">coopétition</a> est un concept créé dans les années 1990 pour étudier les spécificités des alliances entre entreprises concurrentes. Sa spécificité réside dans le fait que les entreprises doivent coopérer pour réduire leurs coûts ou réaliser un projet commun, tout en restant en concurrence sur d’autres activités ou marchés. La coopétition peut être envisagée entre des entreprises différentes, mais aussi à l’intérieur de la même entreprise entre des services concurrents.</p>
<p>Mais avoir recours à la coopétition n’est pas toujours aisé, car elle génère des tensions pour les organisations, et ces <a href="https://theconversation.com/coopetition-trois-principes-pour-manager-les-tensions-128564">tensions doivent être gérées</a>. Par exemple, dans le cas de la coopétition interne, si au sein d’une entreprise, une business unit souhaite lancer un produit avant les autres business units avec lesquelles elle est en concurrence, alors celle-ci n’aura pas d’incitation à partager des informations ou son savoir avec ses collègues.</p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/358765102" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Comment les knowledge brokers aident à gérer la coopétition interne, le cas d’Ubisoft (FNEGE Médias, 2019).</span></figcaption>
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<p>Mais si les idées ou solutions innovantes ne sont pas partagées, chaque équipe doit les redévelopper à chaque fois, engendrant ainsi des surcoûts pour la R&D. Le résultat est que l’on a une fâcheuse tendance à réinventer la roue. La direction a donc intérêt à développer la coopération entre ses équipes, quand bien même celles-ci seraient concurrentes. Comment donc concilier ces deux incitations contradictoires ? Pour répondre à cette question, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048733318302415">dans un article de recherche</a> publié dans <em>Research Policy</em>, nous avons analysé le cas d’Ubisoft.</p>
<h2>« Que le meilleur gagne ! »</h2>
<p><a href="https://www.ubisoft.com/fr-FR/groupe/presentation.aspx">Ubisoft</a> est le 3<sup>e</sup> éditeur de jeu vidéo au monde qui grâce à des succès comme Rayman, Assassin’s Creed ou les « Lapins crétins », s’est développé jusqu’à atteindre aujourd’hui près de 16 000 employés, répartis dans 45 studios autour du monde.</p>
<p>Quand on regarde l’organisation des projets d’Ubisoft, on observe une situation de coopétition interne. D’un côté, les projets de création sont très libres et certains jeux vidéo vendus se retrouvent en concurrence pour les consommateurs. D’une certaine manière, la logique est « que le meilleur gagne ! ».</p>
<p>Mais de l’autre, Ubisoft incite aussi les équipes en charge des différents projets à partager les connaissances entre eux, l’idée étant que cette collaboration produit de la valeur.</p>
<p>Or, cette situation de « coopétition interne » peut générer un certain nombre de tensions dans l’organisation. Quand un projet fait une percée technologique pour un jeu vidéo, par exemple un outil qui permet de gérer les ombres ou faire briller la mer, il est très intéressant pour l’entreprise que cette innovation soit partagée et exploitée aussi par d’autres équipes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande-annonce du jeu vidéo iconique Assassin’s Creed 3 (Ubisoft, 2014).</span></figcaption>
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<p>Cependant, dans la pratique, cela s’avère compliqué, et ce pour plusieurs raisons :</p>
<ul>
<li><p>Premièrement, le projet à l’origine de l’innovation peut ne pas vouloir la partager. Il veut être le premier jeu à utiliser cette innovation sur le marché. C’est son avantage concurrentiel, qui lui permettra de faire la différence sur le marché, et donc de vendre plus de jeux.</p></li>
<li><p>Deuxièmement, partager, ce n’est pas gratuit, ça a un coût ! Il faut déployer des ressources pour accompagner l’autre projet dans l’implémentation de la solution innovante.</p></li>
<li><p>Troisièmement, récupérer une percée technologique issue d’un autre projet peut aussi faire peur au projet qui le récupère, car son intégration peut s’avérer complexe, en particulier sans les ingénieurs qui en sont à l’origine.</p></li>
</ul>
<h2>Le rôle décisif du knowledge broker</h2>
<p>Dans ce contexte de tensions, notre étude analyse le rôle d’une cellule qui peut être qualifiée de « knowledge broker » (« un relais de connaissance »). Ce concept désigne des individus ou des entités qui se trouvent à l’intersection entre différents groupes et qui agissent en tant qu’intermédiaires dans la transmission des savoirs et des innovations.</p>
<p>Chez Ubisoft, le knowledge broker a pour mission de favoriser le partage des outils de création, grâce à trois grands types d’activités :</p>
<ul>
<li><p>Premièrement, l’identification. Une veille technologique permet d’identifier les percées technologiques futures ou réalisées dans les projets dans l’entreprise. L’objectif n’est pas de tout partager, mais au contraire d’identifier et sélectionner les nouveaux outils susceptibles d’être réutilisés dans d’autres projets de jeu.</p></li>
<li><p>Deuxièmement, la standardisation. Les outils identifiés ne peuvent pas être partagés en l’état, car ils sont souvent trop spécifiques à un jeu. Il faut donc les retravailler, reprendre le code, pour les améliorer et les rendre utilisables par tous.</p></li>
<li><p>Troisièmement, la diffusion. Les outils retravaillés sont répertoriés dans un catalogue qui est communiqué à travers toute l’entreprise et la cellule met à disposition ses équipes pour en favoriser l’utilisation.</p></li>
</ul>
<h2>Gagner du temps</h2>
<p>Ces résultats nous amènent à plusieurs observations sur les rôles du knowledge broker dans la gestion de la coopétition interne :</p>
<ul>
<li><p>Premièrement, la médiation par le knowledge broker crée des délais dans la transmission des solutions en interne. Ce phénomène de <em>lagging</em> (« retardement ») permet au projet à l’origine d’une solution innovante de la valoriser et de la commercialiser avant les autres. L’avantage concurrentiel du projet donateur reste du coup protégé.</p></li>
<li><p>Deuxièmement, le knowledge broker prend en charge ce processus d’absorption et, surtout, standardise les solutions pour les rendre compatibles, de façon à ce qu’elles soient plus faciles à intégrer par tout type de projet et dans n’importe quel contexte.</p></li>
<li><p>Troisièmement, le knowledge broker centralise la diffusion des innovations et favorise la confiance. Sa position neutre et centrale dans le processus d’innovation lui permet d’être reconnu pour son expertise, de sorte que les équipes ont confiance en lui.</p></li>
</ul>
<p>Ainsi notre étude révèle que la mise en place de knowledge brokers peut être un moyen efficace pour surmonter les tensions liées à la coopétition interne et pour favoriser le partage d’innovations entre des équipes mises en concurrence.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/127942/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une étude souligne le rôle clé de ces intermédiaires pour apaiser les tensions internes entre les équipes qui peuvent se faire concurrence au sein de l’éditeur de jeux vidéo.Paul Chiambaretto, Enseignant-chercheur, Montpellier Business SchoolDavid Massé, Telecom ParisTech, i3, CNRS /, École polytechniqueNicola Mirc, Maître de conférences, TSM Toulouse School of Management-Research, Université Toulouse Capitole, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1252462019-10-15T18:52:36Z2019-10-15T18:52:36ZFonds en euros : un changement de paradigme pour les épargnants français<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/296860/original/file-20191014-135529-wxj6bt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C11%2C985%2C654&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'assureur Generali a annoncé fin septembre qu'il allait limiter la collecte sur les fonds garantis.</span> <span class="attribution"><span class="source">BalazsSebok / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La compagnie d’assurance Generali Vie a annoncé fin septembre sa décision de <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/assurance-vie-les-mesures-choc-de-generali-france-pour-imposer-un-nouveau-modele-depargne-1134397">ralentir fortement la collecte sur les fonds garantis</a> en euros et de favoriser clairement la souscription par ses clients d’unités de compte, c’est-à-dire concrètement de sicav et de fonds communs de placement (FCP). Cette décision a été <a href="https://www.capital.fr/votre-argent/assurance-vie-ce-que-prevoit-generali-pour-detourner-les-epargnants-de-ses-fonds-en-euros-1351176">suivie immédiatement par d’autres assureurs</a> de la place de Paris, tels que la compagnie Allianz qui, elles aussi, annoncent sans ambiguïté leur volonté de renforcer la souscription des unités de compte au détriment des actifs en euros prisés des épargnants compte tenu de leur garantie du capital.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1177113334405091328"}"></div></p>
<p>Il faut rappeler que les actifs en euros sont garantis par les compagnies d’assurance sur lesquelles repose le risque, tandis que les unités de compte font reposer le risque sur le client final. Les unités de compte peuvent être diversifiées et certains contrats d’assurance-vie proposent plusieurs centaines de supports.</p>
<h2>Taux bas et performances attrayantes</h2>
<p>Les fondements de cette décision se trouvent dans deux phénomènes.</p>
<p>D’une part, nous sommes dans une situation de taux d’intérêt extrêmement bas, voire négatifs, qui conduit la rentabilité des actifs garantis, majoritairement obligataires, à être de plus en plus faibles. La bonne rentabilité affichée ces dernières années provient pour certaines compagnies de la distribution de réserves accumulées à des périodes plus fastes.</p>
<p>Le point sensible est que, plus la collecte sur les fonds en euros sera élevée, plus ils seront investis sur des nouveaux titres à taux bas, conduisant la rentabilité de l’ensemble à une décroissance et la difficulté de maintenir des taux attractifs pour la clientèle. Nombreux sont désormais les assureurs qui souhaitent dans leur inconscient collectif une vague de rachat sur les actifs en euros devenus un boulet coûteux pour la place de Paris.</p>
<p>D’autre part, il faut bien constater que les marchés financiers à long terme, globalement les marchés d’actions, sont dans une dynamique positive depuis le début de l’année, ce qui permet de présenter des performances attrayantes.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/296862/original/file-20191014-135513-ex5os1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/296862/original/file-20191014-135513-ex5os1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/296862/original/file-20191014-135513-ex5os1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=76&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/296862/original/file-20191014-135513-ex5os1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=76&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/296862/original/file-20191014-135513-ex5os1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=76&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/296862/original/file-20191014-135513-ex5os1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=95&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/296862/original/file-20191014-135513-ex5os1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=95&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/296862/original/file-20191014-135513-ex5os1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=95&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteur.</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En revanche, ces mêmes marchés financiers, même s’ils suivent généralement une tendance positive à long terme, peuvent, tout comme l’économie qui est en croissance ou en décroissance, subir des accidents de parcours, parfois douloureux.</p>
<p>Nous allons donc assister à un fort changement de paradigme pour les épargnants français. Fini les supports sécurisants et bienvenus aux supports plus rémunérateurs mais aussi plus volatiles.</p>
<h2>Une éducation à revoir</h2>
<p>Dans ce contexte, deux précautions seront nécessaires.</p>
<p>Dans un premier temps, la prise en compte des aspects psychologiques de l’investissement devient une nécessité. Les particuliers manifestent généralement une forte aversion à la perte qui peut être génératrice de comportements d’achats et de vente sous-optimaux. À titre d’illustration, l’<a href="http://ecopsycho.gretha.cnrs.fr/spip.php?article251">effet de disposition</a> qui conduit les individus à vendre les actifs gagnants et à conserver les actifs perdants, peut conduire à des situations où la performance d’un portefeuille se trouve durablement en dessous de celle de son marché de référence. L’effet de disposition est souvent expliqué comme une manifestation de l’aversion à la perte. D’autres comportements sous-optimaux peuvent être signalés tels que le biais domestique dont la conséquence est la faible diversification des portefeuilles due à la concentration sur des titres domestiques.</p>
<p>Dans un second temps, l’ensemble des parties prenantes (industrie financière, intermédiaires, responsables politiques) devra s’impliquer dans le développement de l’éducation financière. En effet, dans l’hypothèse où les particuliers souscrivent de manière majoritaire à des supports en unités de compte, souvent mieux rémunérateurs que les actifs en euros, ils seront rapidement confrontés à des questions liées au concepts de base des marchés financiers, comme :</p>
<ul>
<li><p>Quelle est la différence entre une action et une obligation ?</p></li>
<li><p>Quel est l’avantage d’un portefeuille diversifié ?</p></li>
<li><p>Comment mesurer la rentabilité et le risque d’un support financier ?</p></li>
<li><p>Que signifie la notion d’intérêts composés ?</p></li>
<li><p>Quel est l’impact de l’inflation sur la rentabilité ?</p></li>
</ul>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/YO_ua5Hx4J8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Les Français nuls en finance ! », interview de Christophe Nijdam, responsable de la recherche européenne de l’Expert Corporate Governance Service (Xerfi canal, octobre 2019).</span></figcaption>
</figure>
<p>La réponse à toutes ces questions est élémentaire pour les professionnels, mais elle est très loin d’être évidentes pour les clients particuliers. Les <a href="https://gflec.org/wp-content/uploads/2014/12/economic-importance-financial-literacy-theory-evidence.pdf">travaux académiques</a> en <em>financial litteracy</em> (connaissances financières) montrent le retard accumulé par la France comparé aux autres pays du monde. Ainsi, sur des questions fondamentales telles que celles citées plus haut, le score des différents pays (pourcentage du nombre total de réponses justes) est de 30,9 % en France contre 53,2 % en Allemagne et 44,8 % aux Pays-Bas. Ces chiffres montrent l’ampleur du déficit français en la matière et la tâche à accomplir.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/296864/original/file-20191014-135529-28ovpt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/296864/original/file-20191014-135529-28ovpt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/296864/original/file-20191014-135529-28ovpt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=267&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/296864/original/file-20191014-135529-28ovpt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=267&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/296864/original/file-20191014-135529-28ovpt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=267&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/296864/original/file-20191014-135529-28ovpt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=336&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/296864/original/file-20191014-135529-28ovpt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=336&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/296864/original/file-20191014-135529-28ovpt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=336&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Extrait de l’article « The Economic Importance of Financial Literacy : Theory and Evidence » de Lusardi Annamaria & Olivia S. Mitchell (<em>Journal of Economic Literature</em>, 2014).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://gflec.org/wp-content/uploads/2014/12/economic-importance-financial-literacy-theory-evidence.pdf">Gflec.org</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Doit-on pour autant considérer que les fonds en euros sont définitivement terminés ? La réponse est non. La place du fonds en euros doit être celle qui est traditionnellement allouée à l’actif sans risque dans le cadre de la théorie financière, c’est-à-dire un support permettant de satisfaire une forte aversion au risque. L’actif sans risque présente une faible rentabilité et une garantie en capital mais il n’a plus vocation à recevoir <a href="https://www.boursorama.com/patrimoine/actualites/fonds-en-euros-quelle-strategie-les-compagnies-d-assurance-vie-vont-elles-adopter-711fa7bcba5d5d370c44b28b58dd8077">80 % des cotisations des épargnants</a>.</p>
<p>La transformation d’une épargne garantie en une épargne non garantie est positive pour le financement de l’économie et elle fait bien l’affaire des responsables politiques. En revanche, ils doivent assumer que la mise à niveau des épargnants est une nécessité pour éviter des déceptions comme celles qu’ont vécues ces mêmes épargnants en 2001 à l’occasion de la bulle des valeurs technologiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125246/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Daniel Haguet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les placements d’épargne sécurisés devraient progressivement faire place à des supports plus rémunérateurs, mais aussi plus volatiles.Daniel Haguet, Professeur associé de Finance , EDHEC Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1221402019-08-26T18:46:47Z2019-08-26T18:46:47ZLe transfert de technologie, l’autre pomme de discorde de la guerre commerciale sino-américaine<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/288945/original/file-20190821-170910-1jd29ld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=23%2C23%2C5152%2C3422&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les accusations d'espionnage sont largement insuffisantes pour comprendre les désaccords entre la Chine et les États-Unis...</span> <span class="attribution"><span class="source">Phol_66/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Dans un <a href="https://theconversation.com/debate-reckoning-the-damage-wrought-by-trumps-economic-ignorance-102360">précédent article</a> pour The Conversation, j’ai fait valoir que, à en juger par les guerres commerciales qu’il a lancées et qu’il est en train d’intensifier avec la Chine, le président des États-Unis Donald Trump ne passerait pas un examen de première année de premier cycle en économie (ou du moins pas la question de la théorie du commerce international). Essentiellement, j’ai montré qu’il (avec son équipe de conseillers dirigée par Larry Kudlow, le négociateur principal) fait preuve de peu de compréhension de la <a href="https://www.lemonde.fr/revision-du-bac/annales-bac/sciences-economiques-terminale-es/avantage-comparatif_sex104.html">théorie de l’avantage comparatif</a> des coûts qui se trouve au cœur de la compréhension des économistes du commerce international et, en fait, de tous les échanges interrégionaux depuis la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Toutefois, il est possible de détecter une deuxième pomme de discorde plus obscure dans les négociations interminables entre les États-Unis et la Chine, qui est peut-être le cœur de la controverse actuelle de la guerre commerciale, mais qui a été beaucoup moins discutée, que ce soit dans les débats universitaires ou dans les médias. Il s’agit de la question du transfert de technologie et des droits de propriété intellectuelle.</p>
<h2>Un nouveau champ de bataille</h2>
<p>Actuellement, les négociateurs américains souhaitent que leurs entreprises puissent accéder au marché chinois sans que cela implique de transfert de technologies, ce que réclament leurs interlocuteurs. Comme l’écrit le quotidien britannique <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/may/12/trump-china-tariff-hike-trade-war">The Guardian</a> en mai dernier, Washington craint en effet que la Chine « vole des technologies et fasse pression sur des sociétés américaines pour qu’elles divulguent leurs secrets commerciaux ».</p>
<p>Or, pour Pékin, le transfert de technologie constituerait une contrepartie en échange des bénéfices que feraient les entreprises américaines sur son territoire. Si elles veulent développer des affaires en Chine, elles doivent être prêtes à partager leur savoir-faire technologique avec les locaux ! Une position diamétralement opposée à celle des États-Unis qui n’ont pas du tout la même conception de la notion de propriété intellectuelle. Celle-ci revêt en effet pour les Américains un caractère inattaquable, voire inaliénable. C’est peut-être là que se situe le point de désaccord clé de la guerre commerciale sino-américaine.</p>
<p>La théorie économique des biens publics illustre bien combien les deux positions semblent inconciliables. L’un des exemples les plus clairs de ce que les économistes appellent des biens publics est justement la connaissance scientifique et technologique. Un bien public est un bien où, en raison de la nature même du bien, la consommation/utilisation d’unités du bien par une personne ou une entreprise n’empêche pas la consommation/utilisation des mêmes unités par d’autres consommateurs ou entreprises (par exemple, une autoroute ou un parc naturel). On contraste ces biens avec les biens privés où la consommation d’une personne ou d’une entreprise d’une unité du bien empêche toute autre personne d’utiliser la même unité (par exemple, un bonbon ou une opération dentaire).</p>
<p>La plupart des biens et services qui sont produits et vendus sur le marché sont des biens privés, les marchés (du moins dans des conditions de concurrence) sont en théorie assez efficaces pour obtenir une <a href="https://www.kartable.fr/ressources/ses/fiche-notion/allocation-des-ressources/10489">allocation optimale des ressources</a> en ce qui concerne la production ces biens.</p>
<h2>La production de biens publics divise</h2>
<p>Mais en ce qui concerne l’affectation optimale des ressources à la production de biens publics, les économistes sont en désaccord assez intense depuis près d’un siècle. D’une part, il y a eu les néolibéraux (<em>market fundamentalists</em>) qui soutiennent qu’il vaut mieux confier la production de biens publics à des entreprises privées soumises à la discipline des forces du marché, même si presque tous ces biens publics sont par nature des monopoles naturels (une concession d’autoroute, une franchise ferroviaire) et que le producteur privé possède donc tout le pouvoir de marché néfaste d’un monopoleur (abus de position dominante).</p>
<p>D’un autre côté, il y a eu des économistes qui ont soutenu qu’un bien public est mieux produit sur une base collective par ou pour toutes les personnes qui peuvent profiter du bien une fois produit. Il peut s’agir d’un simple collectif de consommateurs. Par exemple, un club sportif pour des biens publics d’envergure limitée et locale ; ou pour des biens publics d’envergure plus large tels que l’environnement naturel, le réseau d’infrastructures de transport ou la défense nationale, une production du bien publique par l’État agissant au nom de ses citoyens. Même si le secteur public est susceptible de certaines inefficacités liées aux aléas politiques et de la corruption, il s’agit d’un monopoleur en principe bienveillant au service de la communauté et pas d’un monopoleur privé qui ne fait rien d’autre que maximiser ses rentes monopolistiques, ce qui en fin de compte n’est qu’une forme d’extorsion.</p>
<p>Il s’avère que ce contraste dans la façon de traiter les biens publics est l’un des points de friction les plus importants dans les négociations autour de la guerre de commerce entre la Chine et les États-Unis. La position des États-Unis est résolument liée à l’idée que les connaissances technologiques que possèdent les entreprises privées américaines sont une propriété intellectuelle (donc un bien privé en effet) que les Chinois s’efforcent de leur enlever par tous les moyens – qu’ils soient honnêtes ou moins honnêtes.</p>
<p>Les Chinois, pour leur part, considèrent la connaissance technologique comme un bien public qui doit être partagé collectivement par toute l’humanité, de la même manière que la connaissance de la physique, de la chimie et des mathématiques constitue un bien public qui est et devrait toujours être librement accessible à tous. Je laisserai aux lecteurs de former leurs propres opinions sur cette impasse. Mais ce qui est remarquable, c’est qu’au lieu des insultes et des accusations parfois farfelues de sécurité et d’espionnage qui circulent dans ce conflit commercial et qui esquivent la question centrale, il serait préférable et peut-être plutôt révélateur des présupposés idéologiques implicites des deux parties d’avoir un débat ouvert, transparent et serein sur ce qui est une question fondamentale de l’économie politique : l’allocation optimale des ressources en matière de la production des biens publics en générale et du savoir-faire technologique en particulier.</p>
<h2>Une nouvelle forme de colonialisme ?</h2>
<p>Pour conclure, je ne peux résister à une observation malicieuse. Les néo-libéraux sont les plus ardents défenseurs des droits de propriété privée à l’égard de la propriété intellectuelle dont ils considèrent le savoir technologique comme un exemple de premier plan. Mais dans cette même défense fondamentaliste du marché, de l’efficacité suprême de la propriété privée et des forces du marché, il est généralement supposé que tous les acteurs sur le marché soient… bien informés. En effet, dans les versions les plus poussées de ce conte de fées, ils sont supposés <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/08911916.2018.1517462">avoir des informations parfaites</a> !</p>
<p>Si les acteurs économiques doivent agir avec des informations parfaites en ce qui concerne leurs décisions concernant la production (et même la consommation) de biens et de services, ils ont besoin d’avoir accès à toutes ces connaissances technologiques qui sont… jalousement retenues et gardées secrètes par les titulaires de droits de propriété intellectuelle. Cette retenue d’information clé dans une situation ou le coût marginal de diffusion serait pratiquement zéro représente une inefficacité des plus grossières dans l’économie mondiale actuelle. Donc peut-être les Chinois avaient-ils raison d’insister pour que, lorsque des entreprises étrangères viennent en Chine (ou ailleurs dans le monde), elles partagent pleinement leurs connaissances technologiques avec les autochtones. Après tout, cela est indispensable à l’allocation optimale des ressources, si vantée par les néo-libéraux fondamentalistes du marché.</p>
<p>Si l’on fait preuve d’un certain cynisme, on pourrait donc conclure que cette impasse ne concerne donc tant les droits de propriété et son lien avec une allocation efficace des ressources, mais révèle que les droits de propriété intellectuelle servent plutôt comme un outil de domination par lequel les entreprises des États-Unis et de nombreuses autres entreprises occidentales cherchent à conserver leurs positions dominantes historiques sur le marché mondial face à leurs rivaux des pays émergents, en refusant de partager leur savoir-faire technologique avec elles. Peut-être que le colonialisme et le complexe de supériorité occidentale dont il est issu ne sont pas vraiment morts, mais juste dans leur phase d’agonie terminale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122140/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrick O'Sullivan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Washington et Pékin ont des conceptions radicalement différentes du droit de propriété intellectuelle, ce qui générerait une incompréhension alimentant leurs différends actuels.Patrick O'Sullivan, Senior Professor, People, Organizations and Society, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1160272019-05-05T19:45:38Z2019-05-05T19:45:38ZD’où viennent les innovations ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/271056/original/file-20190425-121245-cq1bvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=28%2C23%2C970%2C556&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Viagra, né presque par hasard...</span> <span class="attribution"><span class="source">Vchal / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>L’injonction à l’innovation est omniprésente. États, régions, entreprises, universités, tous en veulent toujours plus. On voudrait presque pouvoir la produire en série. Et d’ailleurs, pour Peter Drucker, considéré comme l’un des papes du management, « L’innovation <a href="https://dicocitations.lemonde.fr/citation_auteur_ajout/5366.php">n’est pas un flash de génie</a>. C’est un travail difficile. Et ce travail devrait être organisé comme une activité régulière de chaque unité de l’entreprise et à chaque niveau du management ». En sommes-nous vraiment certains ? Et d’ailleurs, d’où viennent les innovations ?</p>
<h2>Innovation radicale, innovation incrémentale</h2>
<p>Très schématiquement, on oppose souvent deux formes d’innovation : les innovations radicales et les innovations incrémentales.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/271010/original/file-20190425-121241-1ns2jfj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/271010/original/file-20190425-121241-1ns2jfj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/271010/original/file-20190425-121241-1ns2jfj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/271010/original/file-20190425-121241-1ns2jfj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/271010/original/file-20190425-121241-1ns2jfj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/271010/original/file-20190425-121241-1ns2jfj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/271010/original/file-20190425-121241-1ns2jfj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le DVD est un exemple d’innovation radicale.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Axel Alvarez/Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’innovation radicale génère un bouleversement. Elle est « radicale » car elle sonne l’obsolescence d’un écosystème. Avec elle, les technologies liées, les fournisseurs et les concurrents ne sont plus forcément les mêmes. Pas plus que la forme du « produit » ou que ses conditions d’utilisation. Le passage de la vidéo analogique (K7-VHS) à la vidéo numérique (DVD) est un exemple d’innovation radicale, car c’est un ensemble produit-support-services qui tend à devenir obsolète (personne ne chercherait à lire un DVD avec un magnétoscope).</p>
<p>L’innovation incrémentale est ainsi nommée car, à l’inverse, elle ne modifie pas profondément l’état de la technique ou de ses conditions d’usage. Le passage de la souris filaire à la souris optique en est une illustration classique. Elle les améliore, mais sans que l’on en fasse forcément grand bruit. Ce n’est pas pour autant qu’elles sont à négliger. Bien au contraire, car la majorité des innovations qui génèrent et entretiennent la croissance sont de nature incrémentale. Elles sont le fait de connaissances cumulatives qui se complètent.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/271012/original/file-20190425-121220-1lna7mc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/271012/original/file-20190425-121220-1lna7mc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/271012/original/file-20190425-121220-1lna7mc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/271012/original/file-20190425-121220-1lna7mc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/271012/original/file-20190425-121220-1lna7mc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/271012/original/file-20190425-121220-1lna7mc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/271012/original/file-20190425-121220-1lna7mc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La souris optique, une innovation incrémentale.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Henadzi Pechan/Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Premier bémol toutefois, incrémental n’est pas synonyme de linéaire. L’exemple du mathématicien français <a href="http://www.feb-patrimoine.com/projet/couffignal/machine_couffignal.htm">Louis Couffignal</a>, qui qualifia peu après la Seconde Guerre mondiale d’« erreur » le projet d’ordinateur de son homologue américano-hongrois John Von Neumann parce que ce dernier se basait sur « la mémoire » et non sur les progrès cumulatifs des machines à calculer, est là pour nous le rappeler. Alors que la très grande majorité des ordinateurs fonctionnent (toujours) selon une architecture basée sur le principe de Von Neumann, la machine de Couffignal resta à l’état de prototype.</p>
<h2>Rares ruptures</h2>
<p>Deuxième bémol, il faut bien comprendre que les innovations radicales ne sont pas toutes des innovations dites de rupture, même si les frontières sont floues, en particulier au moment où elles se produisent. Le passage à la VHS est « radical » mais il ne marque pas de rupture. Au sens d’un changement de paradigme, les ruptures sont rares. L’électricité, par exemple, a marqué une rupture. Notons d’ailleurs que ce n’est pas en tentant d’améliorer la bougie (au sens de l’innovation incrémentale) que l’ampoule électrique a été inventée. De la rupture dans le champ des connaissances, ou de leur exploitation, naît la rupture économique et sociale, ainsi que celle qui se prépare, liée au numérique et à l’intelligence artificielle. Le taylorisme, notamment dans son déploiement fordiste (introduction du travail à la chaîne), compte par exemple parmi les innovations de rupture.</p>
<p>Les innovations radicales rompent souvent la chaîne des connaissances. Cette rupture dans la progression cumulative du savoir peut masquer sa reconnaissance en tant qu’avancée au moment où elle se produit. L’histoire d’Ignace Semmelweis est emblématique de cela. Il y a 150 ans, ce médecin obstétricien s’est aperçu que se laver les mains entraînait une chute spectaculaire du taux de mortalité après les accouchements. Or, sa découverte restera longtemps rejetée par l’institution médicale faute d’explication scientifique (on ne connaissait pas encore les microbes à l’époque).</p>
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<figcaption><span class="caption">« 1847, Semmelweis et l’asepsie », vidéo du Réseau Canopé.</span></figcaption>
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<p>Parmi tant d’autres, cet exemple nous rappelle qu’il faut se laisser interpeller par des idées qui parfois dérangent parce qu’elles ne s’inscrivent pas dans le continuum de la connaissance. C’est souvent dans la rupture avec les savoirs établis que se génère l’innovation et, avec elle, le progrès.</p>
<p>Une innovation n’est pas nécessairement le fruit d’une activité dédiée de recherche. Elle est parfois un inattendu, un « produit-joint » des processus de production ou des usages. Cela n’est pas nouveau. Adam Smith, dans son essai « Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations », prenait en 1776 comme exemple ce petit garçon continuellement occupé à ouvrir puis à fermer la communication entre une chaudière et un cylindre, et qui découvrit ainsi un dispositif permettant à cette soupape de s’ouvrir et de se fermer automatiquement : « une des découvertes qui a le plus contribué à perfectionner ces sortes de machines est due à un enfant qui ne cherchait qu’à s’épargner de la peine. ».</p>
<h2>Un acte pas toujours délibéré…</h2>
<p>À l’extrême – pourtant loin de l’épiphénomène –, l’innovation peut être fortuite, comme l’exprime le néologisme « sérendipité » pour qualifier les découvertes qui se réalisent de manière inattendue. La (re)découverte des Amériques par un Christophe Colomb cherchant à rejoindre plus rapidement l’Inde et la Chine est un exemple patent de ces découvertes, souvent des blockbusters de l’innovation et qui se comptent par centaines. Les troubles de l’érection doivent leur <a href="http://sante.lefigaro.fr/article/decouvert-par-hasard-le-viagra-fete-ses-20-ans/">Viagra</a> aux recherches portant sur le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire. Et le Velcro n’existerait pas sans le <a href="https://www.velcro.fr/about-us/history/">chien de Georges de Mestral</a>, dans les poils duquel les fruits de bardane avaient fâcheuse tendance à se pelotonner. L’examen des fruits afin de trouver un moyen de s’en débarrasser lui inspira l’idée d’un système de fermeture synthétique basé sur le procédé des petits crochets adhérant breveté en tant que « système d’attache autoagrippant doté de bouclettes et crochets ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/271058/original/file-20190425-121220-66ac1w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/271058/original/file-20190425-121220-66ac1w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/271058/original/file-20190425-121220-66ac1w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/271058/original/file-20190425-121220-66ac1w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/271058/original/file-20190425-121220-66ac1w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/271058/original/file-20190425-121220-66ac1w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/271058/original/file-20190425-121220-66ac1w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sans le chien de Georges de Mestral, le Velcro n’aurait jamais vu le jour.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Peter Vrabel/Shutterstock</span></span>
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<p>À l’occasion d’une récente enquête (dont les résultats sont en cours de publication) portant sur les brevets d’invention déposés en Aquitaine, nous avons pu confirmer que, dans près de deux cas sur trois, l’invention résulte d’une activité de recherche régulière et organisée. Un tiers émerge cependant soit d’une activité de recherche « plus occasionnelle ou informelle », soit carrément « au hasard de l’activité professionnelle » (à parts égales pour chacune des deux modalités). Lorsqu’on étudie le devenir des brevets d’invention, le résultat devient quasiment contre-intuitif : ce sont les inventions générées « au hasard » (a contrario de celles issues d’une activité « délibérée ») qui se transforment le plus souvent en innovations (au sens où elles sont effectivement mises en œuvre ou commercialisées lien possible vers contribution brevet et innovation) !</p>
<p>Une petite majorité des innovations est bien issue d’un acte délibéré. Reste qu’une part non négligeable échappe à la rationalisation. Donnons le mot de la fin à Joseph Aloïs Schumpeter : « Innover, c’est nager à contre-courant », en rappelant toutefois qu’il s’agit là d’une activité bien souvent laborieuse qui ne saurait se réduire au mythique « flash de génie ». En matière d’invention comme d’innovation, il reste une part de mystère que l’on serait bien malaisé de vouloir théoriser.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/116027/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Ce sont les inventions générées « au hasard » qui conduisent le plus souvent à un dépôt de brevet.Marie Coris, Enseignant-chercheur économie de l’innovation, laboratoire GREThA, Université de BordeauxPierre Dos Santos, Professeur des Universités en physiologie à l'Université de Bordeaux et Praticien Hospitalier en Cardiologie au CHU, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1088412019-03-06T18:49:23Z2019-03-06T18:49:23ZRetour sur la crise de 2008 : cupidité ou ignorance ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/251229/original/file-20181218-27746-1p3l7aj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C1%2C983%2C664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les économistes sont faiblement équipés sur le plan théorique pour reconnaître les manifestations de l’ignorance.</span> <span class="attribution"><span class="source">Helder Almeida/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>En 1995, le <em>Community Reinvestment Act</em> (CRA) lance, un <a href="https://www.newyorkfed.org/outreach-and-education/community-development/community-reinvestment-act/community-reinvestment-act-decoded">programme</a> destiné à favoriser l’accession à la propriété des groupes sociaux défavorisés. En 2000, ce programme est accru de 50 % et, la même année, l’agence du gouvernement américain Fannie Mae lance une action appelée <em>American Dream Commitment</em> dotée de 2 milliards de dollars sur 10 ans, dont la cible est constituée par les ménages qui sont incapables d’accéder à la propriété. Les produits hypothécaires innovants devaient permettre de satisfaire la diversité des besoins en logements.</p>
<p>En 2001, la Fed, la banque centrale des États-Unis, entreprend d’abaisser les taux d’intérêt, craignant que la bulle technologique ne conduise à la déflation. En 2003, la hausse du prix du pétrole impulsée par la guerre en Irak pousse la Fed à abaisser son taux directeur de <a href="http://france-inflation.com/taux-directeurs-bce-fed.php">6,5 % à 1 %</a>. Dans ce sillage, les taux hypothécaires sont passés de 8 % à 5,25 % la même année et ont fluctué entre <a href="https://fr.tradingeconomics.com/united-states/mortgage-rate">5,25 % et 6 % jusqu’en 2007</a>, ce qui a facilité le refinancement d’un grand nombre de prêts. Lorsque les prêts donnent lieu à de multiples refinancements (c’est le cas des prêts hypothécaires à court terme qu’il faut refinancer cinq ans plus tard), les emprunteurs doivent s’acquitter de nouvelles commissions. Les coûts de transaction sont donc accrus.</p>
<p>De plus, ces prêts, appelés « subprime », étaient très souvent peu ou pas documentés et, dans certains cas, ils ont été proposés à des groupes socialement très défavorisés (on parle de prêts « Ninja » : <em>no income, no job, no assets</em>). Dès lors, pour comprendre le comportement des acteurs financiers, on peut faire appel soit à la <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/microeconomie-incitations-et-contrats/1-la-theorie-des-incitations/">théorie des incitations</a>, soit… admettre une forme d’ignorance.</p>
<h2>Incitations perverses</h2>
<p>On peut admettre que les mécanismes de rémunération constituent pour les acteurs bancaires une incitation à sous-estimer les risques. Les dirigeants sont rémunérés par des bonus indexés sur les profits et, en cas de pertes et de licenciement, ils sont protégés par des parachutes dorés. Mais la question n’est pas de savoir si les incitations ont des effets économiques réels lorsque les agents économiques sont informés sur les moyens de réaliser des profits. Elle est plutôt de savoir si les banquiers étaient informés des risques de perdre de l’argent sur des titres labellisés AAA.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251224/original/file-20181218-27755-1pyqeg4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251224/original/file-20181218-27755-1pyqeg4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251224/original/file-20181218-27755-1pyqeg4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251224/original/file-20181218-27755-1pyqeg4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251224/original/file-20181218-27755-1pyqeg4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251224/original/file-20181218-27755-1pyqeg4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251224/original/file-20181218-27755-1pyqeg4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Pour Joseph Stiglitz, lauréat du prix « Nobel » en 2001, il n’y a aucun doute : « les prêteurs sont censés être de fins connaisseurs des réalités financières et de l’évaluation du risque ; ils n’ont pas fait le travail pour lequel ils étaient bien rémunérés », écrit-il dans <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Le_triomphe_de_la_cupidit%C3%A9-406-1-1-0-1.html"><em>Le triomphe de la cupidité</em></a> (2010). La thèse de la cupidité signifie que les rémunérations privées ne sont plus alignées sur des objectifs sociaux : les « incitations perverses », selon cet auteur, ont conduit les banques d’affaires à fabriquer une multitude de produits complexes à partir de crédits hypothécaires toxiques, mais la recherche de la cupidité n’a pas conduit au bien-être de la société.</p>
<h2>Erreurs cognitives ?</h2>
<p>En fait, Stiglitz nous conduit à adopter une perspective complémentaire lorsqu’il parle « d’incohérence intellectuelle » pour désigner le fait que les acteurs financiers, comme les régulateurs, « n’ont rien compris » et que, d’une certaine façon, ils étaient dans « l’ignorance des leçons de la théorie économique et de l’expérience historique ». En premier lieu, les banques étaient incapables d’évaluer la qualité des titres qu’elles achetaient, mais aussi leur valeur nette et donc, paradoxalement, « elles savaient qu’elles ne pouvaient pas connaître non plus celle des autres sociétés financières à qui elles pouvaient prêter ».</p>
<p>En deuxième lieu, la Fed. Outre sa politique contestable de taux d’intérêt, elle a une interprétation erronée de l’état du monde au milieu de l’année 2008, selon laquelle la cause sous-jacente de la crise financière est un manque de liquidité. Ce qui a accru la croissance de la masse monétaire qui a inondé l’économie américaine. Or, cette action était en décalage avec la chute des prix de l’immobilier et l’arrêt des financements interbancaires.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251227/original/file-20181218-27746-1yj9bfo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251227/original/file-20181218-27746-1yj9bfo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251227/original/file-20181218-27746-1yj9bfo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251227/original/file-20181218-27746-1yj9bfo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251227/original/file-20181218-27746-1yj9bfo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251227/original/file-20181218-27746-1yj9bfo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251227/original/file-20181218-27746-1yj9bfo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="source" href="http://berkeley.academia.edu/JeffreyFriedman">Université de Berkeley</a></span>
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<p>En troisième lieu, les instances de régulation. Non seulement les régulateurs ont permis la crise, mais ils l’ont de plus favorisée en procurant d’importants avantages aux banques qui détenaient des titres labellisés AAA. « Les régulateurs étaient aussi <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/08913810903030980">ignorants des risques</a> que les banquiers pouvaient l’être », avance Jeffrey Friedman, professeur à l’Université de Berkeley.</p>
<p>En fait, leurs décisions ont des effets systémiques. Lorsqu’une décision est prise concernant le rôle et le pouvoir des agences de notation ou la pondération des risques qu’ils attribuent à leurs évaluations, elle devient texte de loi, indépendamment des désaccords qui ont pu exister avant que la décision soit prise. Au-dessus de la mêlée, le régulateur aura tendance à codifier et à établir des règles pour éviter les défaillances du marché, avec le risque, si l’analyse est erronée, d’imposer une décision inappropriée à l’ensemble du marché. En ce sens, l’erreur est cognitive.</p>
<p>Le refus de <a href="https://www.latribune.fr/opinions/20081203trib000317198/les-sept-vies-de-larry-summers.html">Lawrence Summers</a>, secrétaire d’État au Trésor au sein de l’administration Clinton, d’étudier la proposition visant à réguler les CDS (contrat d’assurance entre deux agents pour se couvrir contre le risque encouru par l’un des agents) était fondé sur l’idée que ces dispositifs offraient une possibilité considérable de réduire le risque systémique. De ce fait, les actions des régulateurs ont encouragé la crise.</p>
<h2>Des schémas de pensée en décalage avec les réalités</h2>
<p>La même constatation peut être établie du côté des banques : « les dirigeants des banques ont expliqué qu’ils n’ont pas annulé leurs positions en CDS parce qu’il n’y avait aucun risque que la contrepartie fasse faillite – alors que les CDS étaient des paris sur la faillite de diverses contreparties », explique Stiglitz. Les inerties culturelles et la rigidité des schémas de pensée ont conduit les banques à fonder les probabilités de futurs taux de défaut de paiement sur des données historiques indiquant de faibles taux, comme si l’atténuation récente des normes d’éligibilité des emprunteurs et la faible documentation de leurs dossiers n’avaient aucune importance. Les marchés financiers n’ont pas géré les risques réels, mais ils les ont créés et amplifiés sans en supporter forcément le coût. En effet, il est normal de considérer que les prêts hypothécaires créent des problèmes potentiels d’agence, à partir du moment où les banques sont rémunérées, directement ou indirectement, selon le volume des prêts accordés pendant que le risque de crédit est transféré aux investisseurs ou aux assureurs.</p>
<p>En dernier lieu, les théories économiques ont du mal à saisir la complexité des sociétés modernes. Les économistes sont faiblement équipés sur le plan théorique pour reconnaître les manifestations de l’ignorance dont les effets entravent aussi bien les acteurs économiques que les acteurs politiques dans leurs décisions et leurs actions. Les modèles économiques standards reposent sur l’hypothèse que les participants au marché sont omniscients. Dès lors, lorsqu’ils veulent expliquer l’ignorance, les économistes font appel à la théorie des incitations et disent : si l’ignorance des acquéreurs de logements a joué un rôle dans la bulle immobilière, cela signifie simplement que l’information est coûteuse.</p>
<h2>La macroéconomie, « au mieux inutile, au pire nuisible »</h2>
<p>Cette argumentation est partielle et se trompe de cible. La cherté de l’information explique seulement l’ignorance de faits que les agents économiques savent qu’ils ne savent pas, et pour lesquels ils décident de ne pas dépenser de ressources (temps et argent) pour apprendre. Mais la cherté de l’information ne peut pas expliquer l’ignorance de phénomènes qui n’est pas due à sa cherté, mais à sa surabondance, souligne Friedman. Trop d’informations accroissent la complexité des mécanismes et génèrent une forme d’ignorance parce que l’agent économique, notamment l’emprunteur, ne peut pas connaître la pertinence de toutes les informations se rapportant à ses décisions. Plus largement, l’ignorance est en grande partie à l’origine des erreurs cognitives et des imperfections de connaissance des régulateurs et des agents économiques. Plus précisément, s’agissant du prix des actifs (financiers et réels), contrairement à la thèse des <a href="http://archives.lesechos.fr/archives/cercle/2012/06/08/cercle_47731.htm">anticipations rationnelles</a> censées appréhender correctement les mouvements qui affectent leur valeur, on doit admettre que personne n’a la connaissance exacte des mécanismes qui guideront les prix futurs des actifs.</p>
<p>Pour les économistes, n’est-il pas temps de revenir à <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Revue-Diogene/Diogene29">Kenneth Boulding</a> qui déplorait, en 1956, l’existence d’une zone aride entre l’économie et les autres sciences du comportement ? Cet auteur nous enseigne que plusieurs disciplines peuvent être nécessaires pour analyser un problème, et qu’il faut se méfier des secteurs de connaissances et des domaines de spécialisation trop restrictifs. Dans le même sens, Roger Guesnerie reconnaît que le dialogue avec d’autres disciplines est <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2013/11/12/l-economie-saisie-par-le-doute_3512081_3234.html">nécessaire</a>. Selon l’économiste français, la démarche économétrique a pu contribuer à une balkanisation du savoir et a créé des points aveugles dans le système collectif d’évaluation. Le philosophe Alain, dans ses <a href="https://www.etudes-litteraires.com/philo/alain.php">« Propos sur l’éducation »</a> nous mettait déjà en garde lorsqu’il écrivait : « il n’est pas bon que le pouvoir d’observer se développe plus vite que l’art d’interpréter ».</p>
<p>Lorsque la reine d’Angleterre demanda « Comment se fait-il que personne n’ait prévu la crise financière ? », les économistes de la London School of Economics ont fait parvenir, six mois plus tard, cette réponse à Buckingham Palace : « l’échec à prévoir la date, l’importance et la gravité de la crise et à endiguer celle-ci, était surtout un échec de l’imagination collective de nombreuses personnes brillantes, dans ce pays et à l’étranger, à comprendre les risques du système dans son ensemble ». En réponse de quoi le « Nobel » 2008 Paul Krugman n’a pas hésité à dire que « la macroéconomie avait été au mieux spectaculairement inutile, au pire carrément nuisible » à l’occasion de la remise de son prix.</p>
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<figcaption><span class="caption">Paul Krugman, Nobel Lecture (2008).</span></figcaption>
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<p>Notons pour terminer que ces ignorances cumulées ont coûté cher. La ponction globale sur la richesse des foyers américains est considérable. Si l’on additionne la dépréciation des actifs, les pertes de revenu, etc., le rapport de la <em>Financial Crisis Inquiry Commission</em> (FCIC) avance le chiffre de <a href="https://books.google.fr/books?id=RFEmFQuNZhMC&pg=PA18&lpg=PA18&dq=Financial+Crisis+Inquiry+Commission+(FCIC)+11+000+billions&source=bl&ots=4GgdyD8XfT&sig=n-Uz32gzu-tELEFwoNaYGowrh80&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwj6oKmMjKnfAhW1VRUIHdKrBWMQ6AEwBHoECAUQAQ#v=onepage&q=Financial%20Crisis%20Inquiry%20Commission%20(FCIC) %2011 %20000 %20billions11 %2000011&f=false">11 000 milliards de dollars</a> pour la période 2007-2010.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108841/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bernard Guilhon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avec 10 ans de recul, on peut interpréter la crise de 2008 de deux manières. La première privilégie les mécanismes de rémunération ; la seconde insiste sur les erreurs cognitives des acteurs.Bernard Guilhon, Professeur de sciences économiques, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1086302018-12-19T23:38:26Z2018-12-19T23:38:26ZDoper les savoirs de l’entreprise à l’intelligence artificielle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/250001/original/file-20181211-76983-1n8dvfi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C10%2C949%2C655&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les entreprises ont d'ores et déjà adopté les nouvelles technologies pour favoriser la création, l’identification et le partage de connaissances.</span> <span class="attribution"><span class="source">Tom Wang / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><em>Cet article s’appuie sur les interventions du colloque <a href="https://knowledgecercle.wordpress.com/2018/12/03/doper-les-savoirs-de-lentreprise-a-lintelligence-artificielle/">« Doper les savoirs de l’entreprise à l’intelligence artificielle »</a> organisé par le Cercle « Knowledge & Collaborative Intelligence » avec l’association CoP-1 KM à SKEMA Business School, le 22 novembre 2018.</em></p>
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<p>L’intelligence artificielle (IA) peut être définie comme <a href="https://www.college-de-france.fr/site/yann-lecun/Recherches-sur-l-intelligence-artificielle.htm">« un ensemble de techniques »</a> permettant à des machines d’accomplir des tâches et de résoudre des problèmes normalement réservés aux humains et à certains animaux). De ce fait, la résurgence de l’IA au tournant de l’année 2012 a fait émergé de nombreuses <a href="https://usbeketrica.com/article/pour-yuval-harari-l-intelligence-artificielle-avantage-les-dictatures">craintes</a> de <a href="https://theconversation.com/intelligence-artificielle-vers-une-destruction-creatrice-demplois-97637">substitution de l’humain par la machine</a>.</p>
<p>De manière plus immédiate, des entreprises ont adopté et adapté ces nouvelles technologies pour favoriser la création, l’identification et le partage de connaissances (ce que l’on appelle <a href="https://www.commentcamarche.net/contents/325-knowledge-management-km-gestion-des-connaissances">« Knowledge management »</a>, ou gestion des connaissances). Ces mises en œuvre s’appuient sur une complémentarité entre les capacités humaines d’analyse, de contextualisation et de créativité, et les <a href="https://theconversation.com/lia-et-le-langage-comment-capturer-ce-qui-fait-sens-105897">capacités de calcul</a> permises par les nouvelles technologies.</p>
<p>Pour les organisations, l’enjeu est de mieux utiliser les ressources, ainsi que de favoriser le partage et la création des savoirs pour maintenir un avantage concurrentiel ou se développer. Ainsi, le <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0266382112470412">« digital workplace »</a> fait <a href="https://wordpress.com/post/knowledgecercle.wordpress.com/471">gagner du temps</a> dans l’accomplissement de différentes tâches. Le partage et l’accès aux connaissances est facilité grâce à une cartographie pointue des connaissances de chacun. L’IA permet donc une <a href="https://www.taemana.com/produits-2/">meilleure identification</a> par les collaborateurs des experts et des expertises, dans l’entreprise comme à l’extérieur.</p>
<h2>Analyses des contrats ou des besoins en compétences</h2>
<p>Les progrès du <a href="http://www.ijcseonline.org/pub_paper/28-IJCSE-VC-109.pdf">traitement automatique du langage naturel</a> permettent aujourd’hui d’identifier, de classer et de conserver automatiquement les <a href="https://wordpress.com/post/knowledgecercle.wordpress.com/471">documents</a> qui codifient les savoirs clés pour l’organisation. Plutôt que d’utiliser un moteur de recherche, les collaborateurs peuvent accéder à ces connaissances en dialoguant avec des <a href="https://www.latribune.fr/technos-medias/innovation-et-start-up/thomas-solignac-simplifie-les-algorithmes-de-langage-naturel-779567.html">chatbots</a>. De plus, l’automatisation couplée aux nouvelles technologies de l’IA permet de passer en revue des millions de données et de documents pour en faire l’analyse à d’autres fins. Ainsi, une analyse des <a href="https://wordpress.com/post/knowledgecercle.wordpress.com/471">contrats de l’entreprise</a> en utilisant l’IA peut permettre d’identifier les clauses non satisfaites et générer un gain financier important pour l’organisation.</p>
<p>Les savoirs de l’organisation reposent sur les collaborateurs qui la composent. Certaines directions des ressources humaines ont bien compris comment l’IA peut permettre aux entreprises de mieux gérer le développement de leurs collaborateurs. L’intelligence artificielle est utilisée au sein de l’industriel français Saint-Gobain pour <a href="https://knowledgecercle.wordpress.com/2018/12/03/doper-les-savoirs-de-lentreprise-a-lintelligence-artificielle/">détecter des talents</a> qui auraient échappé au processus d’identification habituel. L’utilisation de cette technologie a permis de découvrir 3 % de talents potentiels de plus.</p>
<p>Le groupe pharmaceutique Sanofi utilise de son côté l’IA pour détecter des tendances et <a href="https://knowledgecercle.wordpress.com/2018/12/03/doper-les-savoirs-de-lentreprise-a-lintelligence-artificielle/">prédire ses besoins en expertises</a> au regard de ses collaborateurs actuellement en poste.</p>
<h2>Pratiques managériales nouvelles</h2>
<p>Pour bénéficier de l’IA et renforcer l’<a href="https://journals.openedition.org/pistes/3758">apprentissage organisationnel</a>, les entreprises peuvent mettre en œuvre certaines pratiques managériales :</p>
<ol>
<li><p>Investir dans les projets IA. La décision d’investir dans les projets IA demeure une décision managériale. Les entreprises qui investissent dans ces projets ont su montrer leurs bénéfices potentiels, mais aussi prendre des risques. En effet, « 99 % des approches ne vont pas fonctionner, il faut l’accepter », comme cela a été dit à l’occasion du colloque <a href="https://knowledgecercle.wordpress.com/2018/12/03/doper-les-savoirs-de-lentreprise-a-lintelligence-artificielle/">« Doper les savoirs de l’entreprise à l’intelligence artificielle »</a> organisé par SKEMA Business School en novembre dernier. Chez Air Liquide, l’IA a été utilisée pour <a href="https://knowledgecercle.wordpress.com/2018/12/03/doper-les-savoirs-de-lentreprise-a-lintelligence-artificielle/">identifier des opportunités d’affaires</a> pondérées des risques. Certains acteurs de l’IA se sont d’ailleurs spécialisés dans la conception de projets « Proof of Concept » (POC) pour montrer les avantages de la technologie avec un risque plus limité.</p></li>
<li><p>Apprendre sur les nouvelles technologies de l’IA. Pour être déployées, les technologies de l’IA nécessitent d’être comprises, y compris par les managers. Garder un esprit critique, comprendre les modèles d’analyse utilisés et leurs limites est clé, notamment pour lutter contre les biais dans la conception de ces modèles. Construire un modèle d’analyse qui fonctionne est un <a href="https://knowledgecercle.wordpress.com/2018/12/03/doper-les-savoirs-de-lentreprise-a-lintelligence-artificielle/">processus itératif</a>. Par exemple, chez Saint-Gobain, après une première vague d’analyse et un retour des opérationnels sur les améliorations possibles, la direction des ressources humaines a fait le choix d’inclure de nouvelles variables de comportement dans le modèle d’analyse.</p></li>
<li><p>Aider au développement des collaborateurs. L’IA repose la question du rôle de l’humain dans l’organisation. À l’heure actuelle, l’IA n’a pas encore de conscience, mais les progrès technologiques pourraient <a href="http://bernardgeorges.fr/themes/0040-la-vie-augmentee/difference-entre-intelligence-et-conscience-artificielle/">y aboutir rapidement</a>. Favoriser le développement des capacités « irremplaçables » des collaborateurs, en particulier les « soft skills », la créativité, la capacité à poser les bonnes questions, l’intuition, pourrait permettre aux entreprises de combiner et de développer leurs capacités.</p></li>
<li><p>Tenir compte du volet législatif et politique. La législation sur la protection des données offre des avantages à l’individu, et limite la liberté des entreprises. D’autres pays ont choisi un modèle différent, où l’individu échange une partie de ses libertés (et de ses données), contre davantage de confort procuré par la technologie. Ce choix de société est central, et d’ordre politique. Pour les organisations, cela limite leur capacité à tirer parti de l’IA. Tenir compte de ce cadre est cependant indispensable pour développer les savoirs de l’entreprise avec l’IA.</p></li>
</ol>
<p>Personne ne sait exactement comment l’essor de l’IA fera évoluer les usages ces prochaines années. Cet essor dépendra d’ailleurs sûrement des pratiques managériales décrites ci-dessus, qui forment la base des futurs développements. Aux entreprises de s’en saisir car, une chose est sûre, on ne reviendra plus en arrière.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108630/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurore Haas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans l’économie de la connaissance, les savoirs de l’entreprise sont la source de son avantage concurrentiel. Un contexte dans lequel l’IA offre des opportunités précieuses.Aurore Haas, Professeur en Knowledge management et Intelligence collaborative, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1081882018-12-04T20:59:37Z2018-12-04T20:59:37ZDébat : Derrière la crise des « gilets jaunes », l’échec de l’université de masse ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/248697/original/file-20181204-34131-6jr4dl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C17%2C986%2C648&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Depuis des décennies, en Occident, l’« économie de la connaissance » ne s’est pas conjuguée avec un partage des codes permettant la compréhension du nouveau monde.</span> <span class="attribution"><span class="source">EQRoy/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La France est secouée et fascinée par le mouvement des « gilets jaunes », comme elle l’a toujours été par les révoltes qui en ont jalonné l’histoire. Elle craint ou espère y reconnaître l’éternel retour de la Révolution, qui a façonné sa spécificité française dont elle est fière. Le pays veut montrer une fois de plus au monde les vertus de la rébellion. C’est ce qui explique sans doute le mieux le <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/gilets-jaunes-le-soutien-des-francais-ne-faiblit-pas-malgre-les-violences-de-samedi-3812585">soutien massif</a> des Français à d’autres Français. Mais les uns et les autres ont sans doute tort cette fois. Non pas d’exprimer leur souffrance, par moments leur ire, mais de croire que ce mouvement de protestation est uniquement l’expression d’une histoire nationale.</p>
<p>La crise a évidemment des causes françaises, qui n’expliquent cependant pas tout. Depuis des décennies, en Occident, l’« économie de la connaissance » ne s’est pas conjuguée avec un transfert équilibré des savoirs, avec un partage des codes permettant la compréhension du nouveau monde. En conséquence, a été rendue impossible une critique libre de ce qu’<a href="https://www.college-de-france.fr/site/alain-de-libera/index.htm">Alain de Libera</a> a appelé les faux prestiges et les vrais savoirs.</p>
<p>L’incommunicabilité croissante entre ceux qui croient tout savoir et ceux qui pensent que le savoir des élites n’est qu’une forme d’oppression déguisée mine les sociétés occidentales. Elle peut être la source de conflits dont nous ignorons encore toutes les conséquences. Les « sachants » ont évidemment tort de se croire infaillibles, car ce qui est le propre des sciences n’est pas l’absence d’erreurs mais la capacité à se remettre en question et à s’autocorriger. Les déshérités de la mondialisation s’illusionnent en pensant que faire tomber du piédestal ceux qu’ils perçoivent comme des rentiers du savoir suffirait à améliorer les états du monde et leur vie au quotidien.</p>
<h2>Promesses déçues</h2>
<p>Le monde occidental avait pourtant créé dans les années 1970 l’instrument qui aurait dû lui permettre de renouer le pacte intellectuel et scientifique, en faisant communiquer les savants et les moins savants : l’<a href="https://www.scienceshumaines.com/l-echec-dans-l-universite-de-masse_fr_1358.html">université de masse</a>. L’université, accueillant de plus en plus d’étudiants d’une même classe d’âge, devait être le creuset et le levier d’une nouvelle chaîne du savoir, capable de garantir le partage progressif et critique des codes intellectuels et scientifiques.</p>
<p>Comment ne pas constater aujourd’hui que cette université est en train d’échouer dans presque tous les pays qui ont donné à cette institution quasi millénaire ses origines et ses lettres de noblesse ? Les élites d’Harvard, Stanford, Princeton ou Columbia n’ont ni réussi à partager leur savoir avec les laissés-pour-compte américains de la mondialisation, ni à les convaincre que la culture est le seul remède contre l’exclusion non pas des autres mais d’eux-mêmes. Les classes aisées issues d’Oxford, Cambridge ou de la London School of Economics ont échoué à persuader leurs concitoyens que, selon la formule consacrée, le brouillard dans la Manche n’isolait pas le Continent mais plutôt leur île.</p>
<p>Les professeurs de Bologne, l’« Alma mater », la première université, ou de la Scuola Normale de Pisa n’ont été ni écoutés, ni entendus lorsqu’ils ont essayé d’expliquer à leurs compatriotes que l’Italie ne se conçoit pas sans l’Europe, pas plus que l’Europe ne serait pas sans la Péninsule. De même, les intellectuels de la Sorbonne, du Collège de France, de l’École normale supérieure et des autres lieux du savoir, n’ont ni les moyens, ni sans doute l’intention, de se faire entendre par les Français qui ne les comprennent pas.</p>
<h2>Une fracture culturelle</h2>
<p>La chaîne du savoir est distendue et les médiateurs intellectuels, scientifiques et culturels que devraient être les millions de diplômés des universités ne sont plus capables d’assurer leur rôle de passeurs. Ce serait à eux, non pas d’expliquer la vérité des élites, qui peut être discutée et critiquée, mais de contribuer à la compréhension et à la discussion des nouvelles réalités.</p>
<p>On parle beaucoup de la fracture territoriale ou de la fracture sociologique qu’opposerait deux France, mais en écoutant les uns et les autres il apparaît que la fracture cognitive, l’impossibilité de confronter des savoirs si différents et de plus en plus autoréférentiels, est encore plus grave et plus porteuse d’incompréhension, et implicitement de violence, que les autres fractures sociales.</p>
<p>Elle l’est d’autant plus que les moyens d’information, Internet, les réseaux sociaux produisent un savoir qu’aucune critique de la méthode et des contenus ne philtre ni valide. <a href="http://www.slate.fr/story/114411/nouvelles-technologies-umberto-eco-faux-troll">Umberto Eco</a> avait, parmi les premiers, alerté sur la déformation des esprits et du réel que les réseaux sociaux sont en train de produire. En même temps, la fréquentation à la hausse des sites Internet traduit aussi une demande d’information et de connaissance, à laquelle les lieux du savoir n’ont su répondre.</p>
<p>Si l’université française n’a ni favorisé un nouveau pacte culturel, ni assuré son rôle d’ascenseur social, ni même endigué le chômage de masse, c’est aussi parce que elle s’est progressivement transformée en une agence de l’employabilité immédiate. L’insertion professionnelle, liée à des compétences, par essence destinées à se périmer vite, est devenue son horizon principal.</p>
<h2>Le malentendu de l’employabilité</h2>
<p>On a confondu la vocation des filières professionnelles, qui doivent former prioritairement aux métiers du présent, et la mission de formations universitaires, qui doivent préparer aux professions de demain. Ce sont la transmission exigeante du savoir et le partage d’une méthode critique qui offrent à la fois la garantie la plus sûre d’une insertion professionnelle digne des efforts consentis et la capacité de comprendre, de s’approprier, de transformer et enfin de relayer les connaissances nouvelles.</p>
<p>En oubliant les vertus de la formation tout au long de la vie, on a contribué à former des travailleurs mal payés, des chômeurs potentiels, des exclus en puissance. Ce ne sont pas eux qui forment pour l’essentiel les rangs de la contestation actuelle, mais ce sont eux qui soit soutiennent des modalités d’action potentiellement dangereuses pour la démocratie, soit sont dans l’incapacité de dialoguer aussi bien avec les élites qu’avec ceux qui n’ont pas pu poursuivre leurs études.</p>
<p>En privilégiant un savoir de plus en plus lié à des compétences vites caduques, l’université n’a plus exercé véritablement sa mission d’incubateur et de creuset intellectuel et scientifique, et donc son rôle de liant culturel, social et moral. Or notre monde moderne manque cruellement de ces chaînons civiques que devraient être des diplômés des universités formés à la connaissance comme à une réalité qui mue.</p>
<h2>Miser sur un pacte de la connaissance</h2>
<p>Ce sont ces « classes moyennes du savoir » qui devraient être le trait d’union entre la communauté des médailles Fields et des prix Nobel et la France de ceux qui possèdent des compétences les condamnant de plus en plus à être exclus du monde moderne. Convaincre ces outsiders à devenir des insiders, à bénéficier d’une formation tout au long de la vie est une priorité pour la France. Elle réussira d’autant plus qu’elle sera accompagnée dans cette œuvre par ces corps intermédiaires du savoir que sont les diplômés des universités.</p>
<p>« Indocti discant et ament meminisse periti », rappelle un poète oublié du XVIII<sup>e</sup> siècle, le Président Hénault ; si l’on veut que ceux qui ne savent pas apprennent et que ceux qui savent se souviennent que leur savoir est aussi mortel que leur corps, si nous souhaitons que toutes les communautés françaises communiquent, se comprennent et se respectent, il faut que l’école assure un apprentissage rigoureux des « savoirs premiers ».</p>
<p>L’université pourra alors à nouveau être le lieu qui garantit la pérennité du pacte de la connaissance, sans lequel aucune nation ne peut prospérer et l’humanisme ne peut fructifier. Il ne s’agit pas d’une énième réforme, d’une demande de nouveaux moyens pour les facultés françaises, mais d’affirmer clairement que le savoir est le seul antidote contre l’inégalité des chances, le seul bien qui garantisse une réussite tout au long de la vie.</p>
<p>Un tel discours ne peut être la réponse immédiate apportée aux angoisses et aux revendications de ceux qui crient leur mal de vivre, mais c’est sans doute la seule voie qui peut assurer à l’avenir la cohésion intellectuelle et culturelle du pays, sans laquelle nous sommes tous condamnés à l’échec.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108188/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claudio Galderisi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’incommunicabilité croissante entre ceux qui croient tout savoir et ceux qui pensent que le savoir des élites n’est qu’une forme d’oppression déguisée mine toutes les sociétés occidentales.Claudio Galderisi, Professeur de langues et littératures de la France médiévale, Université de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1049532018-10-15T21:38:51Z2018-10-15T21:38:51ZFidéliser les développeurs : avant tout un challenge pour les ressources humaines<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/240616/original/file-20181015-165897-diyz8h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C105%2C5383%2C3484&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les managers RH sont appelés à devenir les pivots de la relation entre l'entreprise et les développeurs</span> <span class="attribution"><span class="source">Matej Kastelic / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><em>Cette contribution est tirée de l’article de recherche : Muratbekova-Touron, M., Galindo G. (2018), <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S026323731830001X">« Leveraging psychological contracts as an HR strategy : the case of software developers »</a> », European Management Journal, February 2018.</em></p>
<hr>
<p>Les développeurs sont considérés comme les <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2016/09/19/les-developpeurs-rois-du-marche-de-l-emploi-en-france_4999772_4401467.html">stars du marché du travail</a> d’aujourd’hui. Les attirer puis les fidéliser représente un challenge pour les grandes organisations comme pour les startups, surtout que le volume d’offres d’emploi dépasse largement le nombre de candidats. </p>
<p>Cette <a href="https://business.lesechos.fr/entrepreneurs/communaute/0301907224961-developpeurs-les-entreprises-a-l-affut-des-bons-candidats-322330.php">pénurie</a> interroge évidemment la quantité et les types de formations dédiées à ces métiers en France. Mais elle pose aussi la question, dans les entreprises, des liens qui peuvent être noués avec ces travailleurs décrits très souvent comme des professionnels aux caractéristiques spécifiques. Alors, comment identifier et comprendre ces caractéristiques ? Mobiliser le concept de contrat psychologique peut y aider, comme nous le soulignons dans notre dernier article paru dans la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S026323731830001X">Revue European Management Journal</a>.</p>
<h2>Profession développeur</h2>
<p>Une immense majorité de développeurs partagent toute une série de points communs : un haut niveau d’expertise, mais aussi et surtout des manières de travailler similaires, à savoir une autonomie forte et la croyance en une régulation entre les membres de la profession. Au quotidien, ces orientations se traduisent, par exemple, par la nécessité de se former en permanence entre pairs pour actualiser et parfaire leurs savoirs. Ils sont aussi motivés par une volonté de résoudre des problèmes et de les penser différemment. Pour ce faire, ils s’insèrent nécessairement dans des réseaux divers qui dépassent les frontières des entreprises, et qui leur permettent d’échanger leurs connaissances afin de continuer à innover (<a href="https://strathprints.strath.ac.uk/7713/">Marks et Scholarios</a>, 2008). En ce sens, ils se distinguent des autres « travailleurs du savoir » pour lesquels l’échange de connaissances est souvent considéré comme « non naturel » (<a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=rpCEnGAGmRsC&oi=fnd&pg=PP3&dq=Davenport++knowledge+2005&ots=jn0L2yNl64&sig=jilywxnzK3XXIeN783S6UMRy6TE#v=onepage&q=Davenport%20%20knowledge%202005&f=false">Davenport</a>, 2005). Les développeurs appartiennent ainsi à une communauté qui prend dès lors une place importante, pour créer et développer du savoir, mais aussi pour asseoir la réputation et donc la valeur de certains.</p>
<p>Cette nouvelle profession est finalement souvent l’objet d’une description quasi homogène dans la littérature et dans les médias. Une description selon laquelle les développeurs seraient jeunes et mobiles, « cols dorés », avec des hauts niveaux de revenus, travaillant dans des bureaux modernes, avec leurs propres rythmes de travail (<a href="http://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0038038504045864">Barrett</a>, 2004) et mus par « la beauté du code ».</p>
<h2>Le rôle clef du contrat psychologique chez les développeurs</h2>
<p>À côté du contrat formel établi entre les employés et leurs employeurs, se noue un contrat plus subjectif, fait de promesses et de croyances entre les deux parties, qui les engagent des obligations réciproques (<a href="https://www.researchgate.net/publication/226857215_Psychological_and_Implied_Contracts_in_Organisations">Rousseau</a>, 1989). Ces contrats, appelés psychologiques, peuvent avoir différentes natures selon leur horizon temporel et les attentes en matière de performance.</p>
<p>Quand ils sont qualifiés de transactionnels, ils s’inscrivent dans des objectifs de performance de court terme, alors que lorsqu’ils sont considérés comme étant relationnels, ils reposent sur une loyauté et des engagements de long terme. Entre ces deux extrêmes, les contrats psychologiques équilibrés associent un horizon temporel ouvert et un niveau de performance attendu élevé.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Changes in the psychological employment contract », Interview de Denise Rousseau pour Xerfi canal, 2014 (en anglais).</span></figcaption>
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<p>La description de la nature et des valeurs partagées dans la profession des développeurs conduirait naturellement à leur associer un contrat psychologique de type transactionnel, lorsqu’ils consentent à travailler dans une entreprise (ce qui n’est d’ailleurs pas le cas de beaucoup d’entre eux, qui souhaitent rester indépendants). Mais notre recherche, conduite auprès de développeurs et de leurs managers, travaillant dans des grandes entreprises high-tech en France, permet de nuancer cette image d’Épinal. En effet, nous avons montré que les développeurs s’inscrivent plus dans un contrat psychologique équilibré avec leurs employeurs. Un constat que partagent, d’ailleurs, leurs managers.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/240577/original/file-20181015-165900-1jqspf3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/240577/original/file-20181015-165900-1jqspf3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/240577/original/file-20181015-165900-1jqspf3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=150&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/240577/original/file-20181015-165900-1jqspf3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=150&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/240577/original/file-20181015-165900-1jqspf3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=150&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/240577/original/file-20181015-165900-1jqspf3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=188&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/240577/original/file-20181015-165900-1jqspf3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=188&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/240577/original/file-20181015-165900-1jqspf3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=188&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tableau : les composantes du contrat psychologique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs</span></span>
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<h2>Les managers RH architectes de la relation entre les développeurs et leurs entreprises</h2>
<p>Dans les travaux académiques, les managers de proximité sont présentés comme cruciaux alors que les managers ressources humaines (RH) occupent un rôle mineur dans l’élaboration et le maintien des contrats psychologiques. Notre recherche met en lumière que, dans le cas des développeurs, ces managers RH ont un rôle nettement plus important.</p>
<p>Ces derniers ont la responsabilité d’associer les développeurs aux pratiques RH initiées et mises en place, que ce soit pour élaborer les pratiques de rémunération, pour participer aux entretiens, ou pour prendre des décisions en matière d’évolution professionnelle. Cette cogestion leur permet de gagner et d’acquérir leur légitimité aux yeux des développeurs. Ils deviennent ainsi à la fois représentants des employeurs et garants du maintien du contrat psychologique.</p>
<p>Les managers RH cherchent à assurer la cohérence entre les pratiques de l’entreprise et les spécificités de la profession en termes de nature de l’emploi et de valeurs. Ils portent donc, toujours en collaboration avec les développeurs, de nombreuses pratiques dans ce sens :</p>
<ul>
<li><p>En matière de communication : une circulation d’information fluide (entre et avec les développeurs, notamment de la part des managers RH mais aussi des dirigeants) ;</p></li>
<li><p>En matière d’organisation du travail : des propositions de tâches variées et non répétitives, des challenges constants et une autonomie dans l’exercice de leur travail ;</p></li>
<li><p>En matière de gestion de l’emploi : des pratiques collaboratives, des soutiens et des incitations à des échanges entre pairs (internes et externe via des conférences), l’implication des développeurs dans les recrutements et des propositions d’évolutions (techniques ou managériales) ;</p></li>
<li><p>En matière de rémunération : des pratiques de rémunération à la performance (individuelles mais aussi collectives) ;</p></li>
<li><p>En matière de conditions de travail : un environnement physique agréable et des équipements (informatiques) performants.</p></li>
</ul>
<p>Beaucoup de ces pratiques sont considérées comme quasi normales chez les développeurs. Surtout, s’ils ont été associés à leur élaboration, ils vont en devenir eux-mêmes porteurs et promoteurs. Cette démarche favorise donc le passage d’un contrat psychologique transactionnel (dans le très court terme et avec des objectifs de performance rapides) à un contrat psychologique relationnel qui va décupler leur implication dans le long terme. Autrement dit, les difficultés à les fidéliser ne sont pas forcément une fatalité, comme l’indiquent nos travaux de recherche.</p>
<p>Les spécificités des développeurs demandent simplement que les managers RH remplissent au mieux leur rôle de co-constructeurs de ces pratiques. En conséquence, la guerre des talents autour des développeurs passe aussi par la capacité des entreprises à recruter ou à faire évoluer ces experts RH d’un nouveau genre, capables de comprendre et de soutenir ces stars très demandées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104953/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Géraldine Galindo est membre de l'AGRH. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Muratbekova-Touron est membre de AGRH, AOM. </span></em></p>Les entreprises peinent à retenir et à fidéliser les développeurs. Une meilleure compréhension de leurs attentes implicites renforce pourtant leur engagement à long terme. Aux RH de jouer…Géraldine Galindo, Professeur associé, ESCP Business SchoolMaral Muratbekova-Touron, Professeur de GRH, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/971282018-05-28T20:45:22Z2018-05-28T20:45:22ZQuand l’esprit critique de l’« Encyclopédie » de Diderot et D’Alembert revit sur le web<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/220614/original/file-20180528-80653-6mb7ms.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C0%2C1560%2C837&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur le frontispice de l'_Encyclopédie_: La lumière de la Vérité illumine le monde.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikisource.org/w/index.php?curid=1225394">Wikipedia</a></span></figcaption></figure><p>Malgré la place importante qu’elle occupe dans l’histoire des idées et dans l’histoire des sciences, aucune équipe n’avait jamais tenté de réaliser une édition de l’<em>Encyclopédie</em> qui permette d’y naviguer aisément, d’en expliquer le contenu, l’histoire, le contexte, les enjeux, afin de rendre cette œuvre majeure du Siècle des Lumières et ce que nous savons d’elle accessible au public. Telle est la raison d’être de l’<em>ENCCRE</em>, première édition critique de l’<em>Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers</em> (1751-1772), <a href="http://enccre.academie-sciences.fr">mise en ligne en accès libre le 19 octobre 2017</a>.</p>
<h2>Une somme inégalée de savoirs</h2>
<p>Publiés entre 1751 et 1772 par Diderot, D’Alembert et Jaucourt, troisième éditeur méconnu, les 28 volumes de l’<a href="https://www.franceculture.fr/emissions/concordance-des-temps/lencyclopedie-longtemps-avant-Internet"><em>Encyclopédie</em></a> rassemblent une somme inégalée de savoirs sur les sciences, les arts, les métiers et la langue, répartis dans 17 volumes de textes et 11 volumes d’illustrations commentées. « Ouvrage immense et immortel », pour citer Voltaire, elle est la plus grande entreprise éditoriale du XVIII<sup>e</sup> siècle, tant en volume et en capital investi qu’en force humaine employée. Sa publication souleva bourrasques et tempêtes, et fut par deux fois interdite.</p>
<p>L’<em>Encyclopédie</em>, qui s’inscrit dans une tradition déjà ancienne des recueils de savoirs renouvelée par l’essor de l’imprimerie, hérite à la fois des traités techniques réalisés sous Louis XIV, des recueils de mémoires académiques qui voient le jour à la même époque, des dictionnaires universels (dont l’âge d’or s’ouvre à la fin du XVII<sup>e</sup> siècle), ou encore de la pensée du chancelier Bacon, fondateur des sciences expérimentales modernes.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/220640/original/file-20180528-80653-1nd8teo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/220640/original/file-20180528-80653-1nd8teo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=972&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/220640/original/file-20180528-80653-1nd8teo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=972&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/220640/original/file-20180528-80653-1nd8teo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=972&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/220640/original/file-20180528-80653-1nd8teo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1222&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/220640/original/file-20180528-80653-1nd8teo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1222&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/220640/original/file-20180528-80653-1nd8teo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1222&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Page de titre de l’<em>Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers</em>, éditée sous la direction de Denis Diderot et Jean le Rond D’Alembert.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikipedia</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’<em>Encyclopédie</em> innove cependant aussi de bien des façons : en intégrant ce qu’on appelait alors les « arts mécaniques » dans le cercle des connaissances, en offrant une place jusque-là inégalée à l’illustration, en articulant la logique alphabétique du dictionnaire avec celle, raisonnée, permettant de lier les connaissances. Elle est aussi une œuvre collective qui ne se limite pas, comme ses prédécesseurs, à la seule compilation livresque, mais qui recourt directement aux meilleurs scientifiques, philosophes et écrivains de son temps, parmi lesquels Rousseau, Voltaire, Montesquieu, Daubenton, et bien sûr Diderot et D’Alembert eux-mêmes.</p>
<h2>Une œuvre éminemment critique</h2>
<p>Mais au-delà de ces traits profondément novateurs, ce qui caractérise l’<em>Encyclopédie</em> est la volonté critique qui l’anime : critique des savoirs, dans leur élaboration, leur transmission et leur représentation, critique des préjugés, critique de l’autorité surtout, et du dogme. L’<em>Encyclopédie</em> étonne immédiatement par la modernité de ses combats et de ses questionnements ! Elle nous rappelle le rôle du langage dans la transmission des savoirs et l’importance du combat contre les interdits de pensée dans la reconnaissance des découvertes scientifiques (lisez les articles <a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v1-2217-0/">« Antipodes »</a> et <a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v4-343-0/">« Copernic »</a>. Elle fourmille de critiques contre les institutions religieuses, le <a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v6-529-0/">« Fanatisme »</a> et l’<a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v8-2659-0/">« Intolérance »</a> (voyez ces articles, ainsi que <a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v16-1189-0/">« Tolerance »</a>), le gouvernement politique (lisez <a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v6-483-0/">« Faim », « Appetit »</a>) ou <a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v7-883-0/">« Genealogie »</a>). Elle dénonce les barbaries, à commencer par l’esclavage (<a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v16-1600-5/">« Traite des negres »</a>), la torture (<a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v13-1675-3/">« Question (procédure criminelle) »</a>) et la <a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v7-1654-3/">« Guerre »</a>. Elle milite aussi pour l’<a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v8-2484-0/">inoculation</a> (à l’article du même nom) contre la variole, comme un écho passé des débats actuels sur la vaccination.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/220634/original/file-20180528-80633-wdo6xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/220634/original/file-20180528-80633-wdo6xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/220634/original/file-20180528-80633-wdo6xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/220634/original/file-20180528-80633-wdo6xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/220634/original/file-20180528-80633-wdo6xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/220634/original/file-20180528-80633-wdo6xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/220634/original/file-20180528-80633-wdo6xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/220634/original/file-20180528-80633-wdo6xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Planche tome VII, 1769, Musique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/planche/v28-x14?p=v28-g232&vp=y&">ENCCRE</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Librement accessible, l’<em>ENCCRE</em> est une invitation à découvrir ou redécouvrir cet héritage des Lumières afin, pour reprendre les célèbres mots de Diderot, que « les travaux des siècles passés n’aient pas été des travaux inutiles pour les siècles qui succéderont ».</p>
<p>Elle pallie d’abord une lacune étonnante, commune à toutes les versions numériques de l’<em>Encyclopédie</em> jusqu’alors disponibles sur Web : l’absence d’une édition expertisée répondant à ces critères pourtant indispensables quand on connaît l’histoire éditoriale mouvementée de l’œuvre, les multiples réimpressions, reproductions, contrefaçons dont elle a fait l’objet, ou les nombreux exemplaires hybrides (formés de volumes de plusieurs éditions différentes) qui ont pu être constitués au cours des siècles suivants. L’<em>ENCCRE</em> s’appuie pour ce faire sur un exemplaire original et complet de l’ouvrage, <a href="https://www.bibliotheque-mazarine.fr/fr/evenements/expositions/liste-des-expositions/oser-l-encyclopedie-un-combat-des-lumieres">conservé à la Bibliothèque Mazarine</a>, intégralement numérisé pour l’occasion, dans la meilleure définition possible, et en veillant à restituer les caractéristiques concrètes de l’ouvrage : grain du papier, épaisseur des volumes, courbure des pages, etc.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/220641/original/file-20180528-80626-1u9jq5z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/220641/original/file-20180528-80626-1u9jq5z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/220641/original/file-20180528-80626-1u9jq5z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=314&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/220641/original/file-20180528-80626-1u9jq5z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=314&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/220641/original/file-20180528-80626-1u9jq5z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=314&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/220641/original/file-20180528-80626-1u9jq5z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=394&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/220641/original/file-20180528-80626-1u9jq5z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=394&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/220641/original/file-20180528-80626-1u9jq5z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=394&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Planche dédiée à l’escrime dans le volume IV, 1765.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bibliothèque Mazarine</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Grâce aux dernières possibilités offertes par le numérique et à une équipe internationale de plus de 130 personnes, historiens de toutes disciplines, ingénieurs, étudiants et bénévoles, elle est dotée d’une interface numérique permettant d’apprécier la beauté de cet exemplaire, de naviguer aisément parmi les 74 000 articles de l’ouvrage, d’apprécier comme jamais le spectacle de ses 2 579 planches gravées, de consulter les commentaires qui y sont apportés, et d’y effectuer les recherches les plus variées, comme les plus pointues.</p>
<p>L’<em>ENCCRE</em> est aussi une édition dynamique, conçue pour être enrichie en permanence, de façon collaborative. Diderot lui-même, évoquant la nécessaire collaboration des savants « spécialistes » à l’<em>Encyclopédie</em>, écrivait :</p>
<blockquote>
<p>« Quand on vient à considérer la matière immense d’une Encyclopédie, la seule chose qu’on aperçoive distinctement, c’est qu’elle ne peut être l’ouvrage d’un seul homme […]. Qui est-ce qui définira exactement le mot “conjugué”, si ce n’est un géomètre ? le mot “conjugaison” si ce n’est un grammairien ? le mot “azimuth” si ce n’est un astronome ? le mot “épopée” si ce n’est un littérateur ? »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/220607/original/file-20180528-80620-1jtv9a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/220607/original/file-20180528-80620-1jtv9a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/220607/original/file-20180528-80620-1jtv9a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/220607/original/file-20180528-80620-1jtv9a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/220607/original/file-20180528-80620-1jtv9a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/220607/original/file-20180528-80620-1jtv9a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/220607/original/file-20180528-80620-1jtv9a9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un extrait de l’article « Encyclopédie » dans l’<em>Encyclopédie</em> de Diderot et D’Alembert.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/article/v5-1249-0/">ENCCRE</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>De la même façon, l’<em>ENCCRE</em> fait appel à l’historien des mathématiques pour annoter les articles de mathématiques, à l’historien de la grammaire pour les articles de grammaire, etc. Elle s’appuie sur une plate-forme en ligne partagée par l’équipe, qui permet d’envisager un processus d’édition dynamique, pensé à long terme, où se croisent et se conjuguent les compétences multiples et complémentaires des spécialistes de l’œuvre.</p>
<p>Pensée pour en démocratiser l’accès, et pour partager le fruit des recherches qui lui sont consacrées avec tous les publics, amateurs, érudits, élèves, étudiants ou enseignants, l’<em>ENCCRE</em> se présente comme un lieu de rencontre sur l’œuvre, animé par le souhaite de faire revivre l’un de ses plus beaux atours, sérieusement en danger aujourd’hui : son esprit critique.</p>
<hr>
<p><em>Sorbonne Université lance le 31 mai un tout nouveau cycle de conférences (« Il était une fois… demain ! » pour le grand public. Retrouvez Alexandre Guilbaud, l’auteur de cet article, lors de la conférence d’ouverture le 31 mai à 18h, « Cœlacanthe et street-art : voyage au cœur du patrimoine », à l’Amphithéâtre D Campus Pitié-Salpêtrière 91 bd de l’hôpital, Paris XIII<sup>e</sup>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97128/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Guilbaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Librement accessible, l’ENCCRE est une invitation à découvrir ou redécouvrir l’Encyclopédie en ligne, dans une version critique et enrichie.Alexandre Guilbaud, Maître de conférences en histoire des sciences mathématiques à Sorbonne Université, Institut de mathématiques de Jussieu-Paris Rive Gauche, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/916392018-02-15T19:59:11Z2018-02-15T19:59:11ZSavoirs, connaissances, capacités, compétences : une question sociale et politique ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/205851/original/file-20180211-51723-1iyvn1w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C3%2C1196%2C846&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Shiva Nataraja.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:WLANL_-_23dingenvoormusea_-_Shiva_Nataraja.jpg">23dingenvoormusea/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><h2>Une ambiguïté fonctionnelle</h2>
<p>Les débats publics en matière d’éducation et plus généralement dans les « métiers de l’humain » butent souvent sur l’imprécision et la polysémie du vocabulaire de base utilisé :</p>
<ul>
<li><p>Savoirs et connaissances par exemple sont régulièrement considérés comme pratiquement équivalents. Ils sont même utilisés quelquefois indifféremment pour désigner les produits d’une action de recherche et les produits d’une action éducative.</p></li>
<li><p>La même confusion se constate entre capacités et compétences : dans l’ingénierie de formation, on parle souvent de référentiels de compétences ; ceux-ci auraient pour fonction de finaliser les actions éducatives, alors que dans le même temps les compétences sont définies comme non séparables de leur engagement en situation.</p></li>
</ul>
<p>Ces glissements sémantiques ne sont pas de simples approximations ou erreurs. Ils jouent des fonctions sociales. Lorsqu’il s’agit d’approcher les questions relatives à la valeur des sujets humains, la confusion entre savoirs et connaissances permet par exemple de confondre hiérarchies sociales des savoirs et hiérarchies sociales des personnes censées les détenir, ce qui a d’évidentes conséquences en matière de rémunérations ; la généralisation du recours à la notion de compétence permet à l’inverse de valoriser socialement les actions qui s’y réfèrent sans lier en termes de reconnaissance sociale.</p>
<p>Nous faisons l’hypothèse que pour engager un débat public sur la question, il serait possible de discuter d’un statut plus univoque du vocabulaire utilisé, faute de quoi l’ambiguïté n’est plus seulement une question intellectuelle : elle devient une question sociale et politique, comme il arrive souvent dans le débat public.</p>
<p>C’est le sens de la présente contribution qui lie explicitement les définitions proposées à des approches des cultures de l’<a href="https://theconversation.com/enseigner-nest-pas-une-science-cest-une-culture-daction-educative-90396">enseignement, de la formation et du développement des compétences</a>. Elle invite aussi à relativiser ces outils au regard de leur fonction, et à les resituer par rapport à ce à quoi ils ont trait : les rapports entre les sujets et leurs activités.</p>
<h2>Les savoirs sont des énoncés auxquels sont indexés des jugements de valeur</h2>
<p>L’origine étymologique du mot est intéressante : <a href="https://sites.google.com/site/etymologielatingrec/home/s/savoir"><em>sapere</em> désigne ce qui a du goût</a>.</p>
<p>Les savoirs sont valorisés dans les contextes de transmission/communication comme l’enseignement. Dans ces contextes, ils présentent notamment <a href="http://bit.ly/2o0qEe7">cinq caractéristiques</a> :</p>
<ul>
<li><p>Ce sont des énoncés écrits ou oraux (éventuellement graphiques). Ils ont une existence sociale distincte de ceux qui les énoncent ou de ceux à qui ils sont destinés. Ils sont conservables, cumulables, considérés comme appropriables par les sujets destinataires.</p></li>
<li><p>Ils sont conventionnellement associés à des représentations ou à des systèmes de représentation provisoirement stabilisés sur le fonctionnement du monde ou sur sa possible transformation. Ce sont des savoirs « sur ». Selon les cas, il s’agit d’énoncés sur des existants : savoirs factuels, prédicatifs, assertifs, etc. ; ou sur des séquences d’opérations susceptibles d’assurer de possibles transformations : savoirs opératifs, procéduraux, méthodes, savoirs d’action, etc. Les savoirs d’action par exemple sont des énoncés relatifs à la génération de séquences actionnelles construites et considérées comme efficaces par les acteurs/énonciateurs eux-mêmes.</p></li>
<li><p>Ces énoncés sont indexés d’un jugement de valeur, d’une reconnaissance, d’une qualification sur le registre de la vérité (vrai/faux) ou de l’utilité (efficace/inefficace). Dire d’un énoncé qu’il constitue un savoir, et le transmettre/communiquer revient à lui conférer de la valeur auprès du destinataire de la communication. Cette valorisation est d’autant plus forte que le discours est objectivant. Pas de savoir non plus sans désignation de l’espace de référence dans lequel il est reconnu comme tel : selon les cas il peut s’agir d’un espace académique, professionnel, ou de n’importe quel espace social organisé. Les espaces sociaux de reconnaissance des savoirs tendent eux-mêmes, dans une culture donnée, à entretenir des relations hiérarchisées de reconnaissance, ce qui ne manque pas d’affecter les hiérarchies de savoirs correspondants.</p></li>
<li><p>La validité de ces énoncés, c’est-à-dire leur lien de correspondance entre discours et objet, donne lieu à contrôle social, notamment par deux voies : l’expérience ou exercice personnel de l’activité, la recherche ou action spécifiquement ordonnée autour de la production de savoirs.</p></li>
<li><p>Ces énoncés sont supposés susceptibles d’être investis dans des activités de pensée, dans des activités de communication et/ou dans des activités de transformation du monde physique et social, ou les trois à la fois.</p></li>
</ul>
<h2>Les connaissances sont des possibles d’activité mentale</h2>
<p>Dans les contextes de transmission/communication, les connaissances se différencient des savoirs en en constituant en quelque sorte les compléments obligés. Elles sont censées être le produit de leur intériorisation par les sujets destinataires :</p>
<ul>
<li><p>Elles présentent les caractères inversés des savoirs : elles sont non dissociables des sujets, variables d’un individu à un autre, non cumulables et conservables au sens strict, mais intégrables et activables. Elles sont des états supposés des sujets correspondant <a href="http://bit.ly/2muvVKc">à des possibles d’activité</a>.</p></li>
<li><p>Elles se construisent et se transforment dans les actions. Les actions sont en effet dotées d’unités de fonction, de sens ou de significations par les sujets qui y sont engagés, s’accompagnent d’activités mentales relatives à leur propre développement. Ces activités mentales supposent des constructions antérieures qu’elles transforment. Ce qui est socialement désigné comme connaissances (au pluriel) acquises relève de l’activation/réactivation de traces de ces constructions mentales.</p></li>
<li><p>Ces activités mentales sont désignées selon les cas en termes d’appropriation, acquisition, assimilation. Elles impliquent un rapport entre un sujet et un objet qui peut être le réel ou <a href="http://www.persee.fr/doc/jda_1156-0428_1997_num_70_1_2044">des énoncés sur le réel</a>).</p></li>
<li><p>Elles peuvent être inférées, et le sont souvent dans l’univers scolaire et académique, à partir du constat d’énonciations ou de restitution d’énoncés. Ceci explique la toute-puissance de l’écrit et de l’oral dans les évaluations scolaires ou académiques, et aussi des expressions comme « contrôle des connaissances » ou « connaissances déclaratives ».</p></li>
<li><p>Ces constructions/reconstructions mentales s’inscrivent plus généralement dans l’histoire et la dynamique de construction/reconstruction des sujets. Elles constituent à la fois le préalable, l’environnement et le produit des constructions de sens qui s’opèrent chez eux à l’occasion de leur engagement dans les actions. Les connaissances sont à la fois produites à partir de connaissances antérieures et les transforment, même quand elles sont en rupture avec elles.</p></li>
<li><p>Les connaissances sont à la fois des représentations du monde et des autoreprésentations de soi se représentant le monde. Quand on dit qu’on connaît, on se représente soi-même comme connaissant. Ceci explique aussi les phénomènes, souvent considérés comme encombrants dans la vie sociale et le débat public, d’identification des personnes aux savoirs censés être constitutifs de la discipline, académique ou professionnelle, à laquelle elles disent « appartenir » ; ces phénomènes influent en particulier sur les comportements de présentation de soi, à soi-même et à autrui, selon des codes socialement hiérarchisés.</p></li>
</ul>
<h2>Les capacités sont des construits attribués à des sujets sociaux pour désigner les rapports qu’ils entretiennent avec des classes d’activités</h2>
<p>Le terme de <em>capacités</em> tend lui à se développer dans des contextes éducatifs centrés sur les apprenants et plus généralement dans des contextes centrés sur la construction des sujets humains, par distinction avec leur engagement dans la production d’utilités, de biens et/ou de services. Elle est déclinée notamment sous la forme du tryptique « savoir, savoir-faire, savoir-être », et est congruente avec la terminologie des « habiletés » (<em>skills</em>) ou des « être capable de ».</p>
<ul>
<li><p>Les capacités sont des construits attribués à des sujets sociaux. Parler d’une capacité c’est qualifier un sujet en faisant l’hypothèse qu’il détient les caractéristiques ainsi conférées. Cette caractéristique explique que l’on passe sans cesse du registre de l’être au registre de l’avoir.</p></li>
<li><p>Les capacités établissent un lien explicite entre l’espace de la formation et les espaces d’activités finalisant la formation. Elles sont habituellement décrites en termes d’activités de référence. Susceptibles d’être produites ou transformées chez les sujets par l’exercice de la formation, les capacités sont destinées à être « transférées » dans les espaces qui les finalisent. Cette situation a pu être décrite comme en termes de décontextualisation/recontextualisation. Les capacités sont des capacités « pour ».</p></li>
<li><p>Ces construits sont relatifs aux rapports que les sujets entretiennent avec des classes d’activités ou de situations. Ils sont obtenus par repérage/analyse de régularités ou invariants d’activités, ce qui explique la contribution qu’ont pu y apporter différentes recherches dans le champ de la psychologie.</p></li>
<li><p>Ces construits sont porteurs d’évaluation : la capacité est une attribution positive, et les classements de capacités sont presque toujours organisés selon une hiérarchie de valeur quelquefois représentée graphiquement selon un axe vertical (Cf. notamment les taxonomies d’objectifs).</p></li>
<li><p>Ce sont des potentiels : présenter des capacités permettrait de réussir les activités correspondantes, sous réserve de transfert en situation.</p></li>
<li><p>Enfin ces construits sont souvent utilisés pour la conception et l’organisation d’interventions sociales visant la construction des sujets humains. C’est la raison pour laquelle le repérage des capacités visées est essentiel dans l’ingénierie de formation.</p></li>
</ul>
<h2>Les compétences sont des propriétés attribuées à des sujets par inférence à partir de leur engagement dans des actions situées</h2>
<p>Le terme compétence tend à se développer au contraire dans des contextes liant engagement des sujets dans des actions productrices de biens et services, ou d’utilités sociales, et construction des sujets dans ces mêmes actions. C’est le cas notamment des formes nouvelles de la formation intégrant travail et formation, mais également de ce qu’il est convenu d’appeler « logique compétence ». La compétence serait dans un même temps produite et mobilisée dans l’activité.</p>
<ul>
<li><p>Les compétences sont également des construits. Elles n’ont pas le caractère d’entités psychologiques et sociales qu’il serait possible de reconnaître et d’identifier comme telles : elles sont elles-mêmes des représentations ou des énoncés, produites entre sujets dans le cadre de leurs interactions. Il n’existe pas de compétence qui ne soit dite, représentée ou communiquée par des sujets à propos d’autres sujets ou d’eux-mêmes. Elles relèvent des relations entre sujets.</p></li>
<li><p>Ces constructions font souvent l’objet d’un processus de naturalisation aussi bien dans le langage académique que dans le langage social. On pense que les compétences, cela existe et on parle notamment de mobilisation des compétences. Vouloir produire des savoirs « scientifiques » directs sur les compétences participe de ce processus de naturalisation.</p></li>
<li><p>Ces représentations ou énoncés s’effectuent par inférence à partir de l’engagement d’un sujet, individuel ou collectif, dans des actions situées. Là se trouve la grande différence avec les capacités, construites pour le futur et par abstraction et repérage d’invariants : les compétences, elles, sont construites pour le présent et présentent tous les caractères attribués aux actions situées. Elles sont singulières et tiennent compte de la singularité des actions ; elles sont contextualisées et tiennent compte de la spécificité et du caractère évolutif des contextes ; elles sont finalisées et tiennent compte des finalisations des actions ; elles prennent en compte la question des sens construits et des significations données par les sujets. Les compétences sont des compétences « dans ». L’expression <a href="http://bit.ly/2BROdze">« savoir y faire »</a> est une expression assez heureuse pour rendre compte de ces différentes caractéristiques.</p></li>
<li><p>Les actions situées à partir desquelles elles sont construites sont des actions évaluées au regard de leurs finalisations, qu’elles soient réussies ou non. Pas de compétence sans référence à une action efficace, sans jugement sur la valeur ou l’utilité de l’action. Les compétences s’infèrent à partir de performances</p></li>
<li><p>Ces inférences fonctionnent comme des inférences causales. Elles permettent de faire apparaître la compétence comme explication de l’action, et de l’attribuer au sujet qui y est engagé. Selon J.Curie, ce sont des imputations causales (<a href="http://pmb.cereq.fr/index.php?lvl=bulletin_display&id=13279">Performances humaines et techniques, n°75-76, 1995</a>).</p></li>
<li><p>Enfin les compétences sont souvent décrites en termes de combinaisons ou de combinatoires de ressources. La notion sociale de compétence est quelquefois étendue à des ressources « internes » (les sujets) et « externes » (leurs environnements). La compétence est souvent décrite <a href="https://www.amazon.fr/comp%C3%A9tence-Essai-sur-attracteur-%C3%A9trange/dp/270811753X">comme une combinatoire</a>.</p></li>
</ul>
<h2>Savoirs, connaissances, capacités, compétences sont des outils. Ils ne se substituent pas à l’intérêt pour l’activité humaine elle-même</h2>
<p><strong>Ce sont des outils dans les interactions humaines</strong></p>
<p><a href="https://www.abebooks.fr/rechercher-livre/titre/le-metier-de-sociologue/auteur/bourdieu/">Pierre Bourdieu</a> avait l’habitude de dire qu’il faut examiner la part qui revient aux mots dans la construction des choses.</p>
<p>Lorsqu’elles donnent lieu à échanges, les actions humaines supposent une nomination de l’objet de leur intervention. Dans l’Égypte ancienne, le dieu Ra était à la fois le dieu qui éclaire et le dieu qui nomme…</p>
<p>Les métiers de l’humain n’échappent pas à la logique d’un vocabulaire de désignation de « ce sur quoi » ils pensent ou prétendent agir. Ce vocabulaire est par construction très lié aux interactions entre sujets. Ricoeur parlait d’une <a href="https://books.google.fr/books/about/La_S%C3%A9mantique_de_l_action.html?id=DVzlAAAAIAAJ&redir_esc=y">« sémantique de l’action »</a>. En l’occurrence, les termes savoirs, connaissances, capacités, compétences relèvent de lexiques d’intervention sur l’activité humaine : ils ont la <a href="https://www.babelio.com/livres/Wittgenstein-Recherches-philosophiques/5452">valeur de leur emploi</a>. Selon les cas ils peuvent contribuer aux processus de développement des sujets ou à l’inverse les inhiber. Leur substantialisation pour désigner des sujets est une réduction de ce dont elles prétendent rendre compte.</p>
<p><strong>Ces outils ne se substituent pas à l’intérêt pour l’activité humaine elle-même.</strong></p>
<p>Savoirs, connaissances, capacités compétences ont une autre caractéristique commune : ce sont des outils pour approcher les rapports entre les sujets et leurs activités. Le meilleur moyen de ne pas réduire les sujets qu’ils prétendent qualifier n’est-il pas de chercher à identifier/reconnaitre l’activité même de ces sujets en situation, toute leur activité ? Bref, prêter moins attention à ce que seraient les personnes ou à ce qu’elles détiendraient, pour porter intérêt à ce qu’elles font.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/91639/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Marie Barbier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Définitions de quelques mots et concepts essentiels dans le débat actuel sur l’éducation.Jean-Marie Barbier, Professeur des universités en sciences de l'éducation/formation des adultes, DHC Louvain, Chaire Unesco Cnam/Centre de recherche sur la Formation, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/889892017-12-19T20:40:11Z2017-12-19T20:40:11ZLes stéréotypes de genre nuisent à la santé des femmes… et des hommes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/199035/original/file-20171213-27597-u91u6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C343%2C4593%2C2709&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En santé, les inégalités entre les sexes relèvent des mêmes mécanismes que dans le reste de la société.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/pUEqqlRbKq0">Luke Porter/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2018 dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a></em></p>
<hr>
<p><em>En matière de santé, femmes et hommes ne sont pas logés à la même enseigne. Le livre coécrit par Catherine Vidal et Muriel Salle <a href="https://www.belin-editeur.com/femmes-et-sante-encore-une-affaire-dhommes">Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ?</a> (Belin) se donne l’objectif de tordre le cou aux idées reçues, chez les soignants comme chez les patients, sur la santé des femmes et des hommes. Nous en publions ici un extrait ; les chiffres de l’infographie et le quiz sont également tirés de l’ouvrage ; les vidéos ont été coproduites par l’<a href="https://www.inserm.fr/actualites-et-evenements/actualites/genre-et-sante-attention-cliches">Inserm</a>, le CNRS et l’université Paris Diderot.</em></p>
<p>Les différences entre les sexes dans la santé se retrouvent dans quasiment tous les champs de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/medecine-21223">médecine</a>, au-delà du domaine de la reproduction : asthme, cancer, maladies des systèmes cardio-vasculaires et immunitaires, diabète, obésité, arthrose, ostéoporose, troubles mentaux, addiction, vieillissement, etc.</p>
<p>Mais les différences en question ne sont pas forcement d’origine biologique. Les codes sociaux de féminité (fragilité, sensibilité, expression verbale) et de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/masculinite-33579">masculinité</a> (virilité, résistance au mal, prise de risque) influencent l’expression des symptômes, le rapport au corps, le recours aux soins de la part des patient·e·s. De même, chez les médecins et personnels soignants, les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/stereotypes-24543">stéréotypes</a> de genre influencent l’interprétation des signes cliniques et la prise en charge des pathologies. Le poids des représentations sociales est un facteur de risques et d’inégalités tant <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/la-tete-au-carre/la-tete-au-carre-18-decembre-2017">pour la santé des femmes que pour celle des hommes</a>, comme en témoignent les exemples qui suivent.</p>
<h2>Quand flanche le cœur des femmes</h2>
<p>Les maladies <a href="https://theconversation.com/fr/topics/cardiovasculaire-22898">cardiovasculaires</a> sont la première cause de mortalité des femmes dans le monde, bien avant le cancer du sein qui occupe la <a href="http://www.academia.edu/12620211/Beyond_a_catalogue_of_differences_A_theoretical_frame_and_good_practice_guidelines_for_researching_sex_gender_in_human_health">dixième place</a>. Les femmes sont <a href="https://academic.oup.com/eurheartj/article/37/1/24/2398374">plus vulnérables</a> que les hommes aux maladies cardiovasculaires : 56 % en meurent contre 46 % des hommes. Elles développent ces maladies en moyenne dix ans plus tard que les hommes.</p>
<p>La raison couramment invoquée tiendrait à la ménopause susceptible de favoriser l’hypertension, le diabète, l’hyperlipidémie, l’obésité et autres troubles métaboliques. La baisse des estrogènes qui survient alors a longtemps été considérée comme responsable de cette vulnérabilité accrue des femmes. Un <a href="https://theconversation.com/fr/topics/hormone-replacement-therapy-5303">traitement hormonal</a> substitutif était souvent préconisé à titre préventif chez les femmes ménopausées. Or, des études statistiques sur de nombreuses populations ont montré au contraire une augmentation du nombre d’<a href="https://theconversation.com/fr/search?utf8=%E2%9C%93&q=infarctus">infarctus</a> chez les femmes qui reçoivent un traitement hormonal substitutif.</p>
<p>Dans l’état actuel des recherches, le rôle spécifique des hormones sur les maladies cardio-vasculaires chez les femmes avant et après la ménopause ne fait <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-531-92501-1_17">pas consensus</a>. Néanmoins l’explication hormonale, qui conforte une vision stéréotypée des différences femmes/hommes, reste très répandue chez les médecins et les chercheurs.</p>
<h2>Quand symptômes et diagnostics sont biaisés</h2>
<p>Les normes sociales et les stéréotypes liés au <a href="https://theconversation.com/fr/topics/genre-22050">genre</a> féminin ou masculin jouent sur l’attitude des patient·e·s et du corps médical. Ainsi, l’infarctus du myocarde reste <a href="http://nursing.ceconnection.com/ovidfiles/00003465-200901000-00001.pdf">sous-diagnostiqué</a> chez les femmes, car considéré comme une maladie « masculine », caractéristique des hommes d’âge moyen stressés au travail. Une patiente qui se plaint d’oppression dans la poitrine se verra prescrire des anxiolytiques, alors qu’un homme sera orienté vers un cardiologue.</p>
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<p>D’après une étude internationale sur 27 000 patient·e·s, le symptôme le plus courant chez les hommes (94 %) et les femmes (92 %) concerne les douleurs au niveau du thorax. Elles peuvent aussi présenter des signes cliniques « atypiques ». Elles se plaignent plus fréquemment de grande fatigue, de nausée et de douleurs à la mâchoire. Ces types de symptômes, pourtant fortement corrélés aux maladies cardio-vasculaires, sont <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamainternalmedicine/fullarticle/1738716">rarement pris en compte</a> par les praticien·ne·s.</p>
<p>Une étude du Centre de santé de l’Université McGill à Montréal (Canada) a révélé que les femmes qui arrivent aux urgences pour une suspicion d’infarctus sont moins vite prises en charge et diagnostiquées que les hommes. L’enquête menée sur plus de mille patient·e·s dans des hôpitaux du Canada, des États-Unis et de Suisse indique qu’en moyenne les femmes sont 29 % à passer un électroencéphalogramme en moins de 10 minutes, contre 38 % des hommes.</p>
<p>Les maladies cardio-vasculaires étant perçues comme masculines, les femmes sont <a href="https://theconversation.com/pour-une-recherche-et-une-medecine-sexuellement-differenciees-des-faits-biologiques-irrefutables-73619">sous-représentées dans les essais cliniques et les recherches biomédicales</a>. Les enquêtes menées au niveau international et en France montrent que sur l’ensemble des protocoles de recherche clinique, <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3182143/">seulement 33,5 %</a> des participants sont des femmes. Cette sous-représentation est particulièrement visible dans les recherches sur les facteurs de risques d’hypercholestérolémie, d’ischémie et de crises cardiaques.</p>
<h2>Les os des hommes… même pas durs</h2>
<p>L’exemple en miroir de l’infarctus du myocarde est celui de l’ostéoporose. En Europe et aux États-Unis, les hommes sont <a href="http://www.sciencedirect.com/science/book/9780123746023">sous-diagnostiqués</a> pour cette pathologie. Or un tiers des fractures de la hanche chez les hommes est liée à l’ostéoporose. Les femmes ont certes un risque plus élevé de fracture, mais l’évolution médicale de l’ostéoporose chez les hommes est plus grave : une fracture de faible intensité chez une femme multiplie par deux le risque d’en faire une autre, alors que chez l’homme, le risque de refaire une fracture est <a href="http://homes.chass.utoronto.ca/%7Esousa/teach/PHL243-06.MAIN_files/20065_phl243h1f_archive/FAUSTO-STERLING-bonesofsex05.pdf">multiplié par trois</a>.</p>
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<p>L’ostéoporose a longtemps été considérée comme une maladie « des femmes » liée à la baisse des hormones à partir de la ménopause. Les traitements hormonaux de substitution n’ont pas donné les résultats escomptés (en particulier pour l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/industrie-pharmaceutique-26016?page=2">industrie pharmaceutique</a>). Ils entraînent au contraire des effets secondaires délétères, avec un risque accru d’accidents cardiaques. Du coup les chercheur·e·s se sont intéressé·e·s à l’ostéoporose chez les hommes. Ce n’est qu’en 1997 que, dans les examens d’ostéodensitométrie, des normes de densité osseuse ont pu être définies spécifiquement pour les hommes. Auparavant, les normes en vigueur étaient celles établies chez des jeunes femmes blanches de 20-29 ans. Des efforts de formation des personnels de santé restent nécessaires.</p>
<p>L’ostéoporose n’est pas seulement liée à l’âge, elle dépend aussi des modes de vie, en particulier de l’exercice physique et de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/nutrition-20768">nutrition</a>. La minéralisation du squelette peut être défectueuse chez les jeunes filles qui font souvent moins de sport et de travaux physiques que les garçons. Les femmes chinoises qui travaillent tous les jours dans les champs ont des os plus robustes que les hommes qui échappent à ces travaux.</p>
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<h2>Quand on les pense douillettes</h2>
<p>Les femmes souffrent plus fréquemment de douleurs chroniques : migraine, fibromyalgie, arthrite rhumatoïde, colon irritable. Ces différences n’existent pas chez les enfants et émergent à l’adolescence. Les recherches sur ces pathologies ont révélé l’implication de <a href="http://journals.lww.com/pain/Abstract/2012/03000/A_systematic_literature_review_of_10_years_of.16.aspx">nombreux facteurs</a> à la fois biologiques, psychologiques et sociaux. La perception, l’expression et la tolérance à la douleur diffèrent selon le sexe. Comparativement aux hommes, les femmes se plaignent davantage et décrivent des douleurs plus intenses et fréquentes. D’où vient cette différence face à la douleur ? La constitution biologique des femmes les rendrait-elle plus sensibles et vulnérables que les hommes ?</p>
<p>D’après une revue des recherches menées ces 10 dernières années sur les différences entre les sexes dans la sensibilité à la douleur, les résultats des expériences ne permettent pas de dégager de causes physiologiques qui fassent consensus. En particulier, l’hypothèse d’un rôle des oestrogènes dans la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/douleur-20649">douleur</a> n’est pas démontrée. Les mesures de la sensibilité douloureuse au cours du cycle menstruel ou lors de la prise de contraceptifs ou de traitement hormonal substitutif chez les femmes ménopausées donnent des résultats mitigés et contradictoires.</p>
<p>Des examens par <a href="https://theconversation.com/fr/topics/imagerie-27540">IRM</a> du cerveau n’ont pas non plus révélé de différences entre les sexes dans les circuits neuronaux qui traitent les informations douloureuses. Par contre, il existe un consensus scientifique sur le fait que ces différences sont en partie explicables par des facteurs culturels et sociaux.</p>
<h2>Si ça fait mal, ça fait pas mâle…</h2>
<p>Les représentations sociales liées au genre influencent le vécu et l’<a href="http://allodoxia.blog.lemonde.fr/2012/06/24/inegalites-dans-la-douleur/">expression de la douleur</a>. Les femmes, supposées vulnérables physiquement et psychologiquement, s’autorisent davantage à exprimer leurs émotions et leur douleur, à l’inverse des hommes censés être durs au mal et stoïques (« un garçon ne pleure pas »). L’intériorisation de ces stéréotypes se répercute sur le ressenti de la douleur de façon inconsciente. Par exemple chez des acteurs et actrices soumis à un test de douleur thermique, la tolérance à la douleur est meilleure après avoir joué un rôle de héros ou d’héroïne. À l’inverse, leur tolérance est moindre après un rôle d’âme sensible…</p>
<p>Le seuil de douleur est aussi influencé par le sexe de la personne qui mène l’expérience. Dans un <a href="https://www.researchgate.net/publication/51409969_Sex_Gender_and_Pain_An_Overview_of_a_Complex_Field">test de douleur thermique</a>, la tolérance est plus forte chez les hommes quand la personne en charge de l’expérience est une femme. Et si l’expérimentatrice est attractive sexuellement, le seuil de douleur est encore plus élevé ! Inversement, les femmes sont moins tolérantes si l’expérimentateur est un homme séduisant. Les vieux clichés de la femme fragile qui cherche la protection de l’homme et du mâle viril qui défie la douleur sont manifestement encore bien ancrés dans nos inconscients…</p>
<h2>Quand les états d’âme sont genrés</h2>
<p>Les normes de genre jouent un rôle important dans les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/troubles-psychiques-32293">troubles</a> qui touchent à la vie psychique, <a href="https://theconversation.com/femmes-et-hommes-ne-sont-pas-egaux-devant-la-depression-61873">comme la dépression</a>. Le syndrome de dépression majeure touche <a href="https://fr.scribd.com/document/88865348/Major-Depressive-Disorder-New-Clinical-Neurobiological-And-Treatment-Perspectives">deux fois plus</a> les femmes que les hommes. On a longtemps pensé que la dépression des femmes était liée à leur constitution biologique qui les rendrait plus fragiles et plus vulnérables. Les recherches actuelles montrent que les troubles dépressifs résultent d’une intrication complexe entre des facteurs de tous ordres : biologique (gènes, hormones), psychologique, socio-culturel, hygiène de vie, etc.</p>
<p>Les codes sociaux féminins et masculins influencent l’expression des symptômes. Les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/depression-28988">signes classiques</a> tels que tristesse, pleurs, anxiété, perte d’énergie, troubles du sommeil, fatigue, irritabilité, stress, sont fréquents chez les femmes. En revanche, les hommes présentent davantage d’autres types de symptômes : colère, agressivité, consommation d’alcool et de drogues, comportements à risque, hyperactivité. La faiblesse émotionnelle, signe de vulnérabilité, n’est pas socialement admise chez les hommes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/jsnmf36An0Q?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Pour eux, l’alternative est d’extérioriser leur souffrance psychique sous des formes qui satisfont aux critères de la virilité. Or beaucoup d’enquêtes sur la prévalence de la dépression ne considèrent que les symptômes classiques qui sont ceux exprimés majoritairement chez les femmes. En conséquence, la dépression est sous-diagnostiquée chez les hommes. Mais si les questionnaires des enquêtes incluent l’ensemble des symptômes exprimés par les femmes et les hommes, alors le pourcentage d’hommes présentant des troubles dépressifs est équivalent à celui des femmes, soit <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamapsychiatry/fullarticle/1733742">environ 30 %</a>.</p>
<h2>L’autisme sous-diagnostiqué chez les filles</h2>
<p>L’autisme est un autre exemple de trouble influencé par les normes de genre. Les troubles autistiques sont en moyenne quatre fois <a href="https://scholar.harvard.edu/srichard/publications/autism-biomedical-platform-sex-difference-research">plus fréquents</a> chez les garçons que chez les filles. Les raisons de la différence de prévalence entre les sexes restent hypothétiques : origine génétique, trouble du développement du cerveau in utero, influences des hormones, de substances toxiques, environnement psychologique familial, etc.</p>
<p>Une théorie très médiatisée postule que le comportement autiste est l’expression d’un fonctionnement « extrême » du cerveau masculin sous l’effet de la testostérone <a href="http://allodoxia.blog.lemonde.fr/2013/10/04/sexes-mensonges-et-video-baron-cohen">pendant la vie fœtale</a>. L’hormone aurait un effet masculinisant sur le cerveau des garçons, les rendant plus aptes à comprendre les systèmes complexes, les mathématiques, les sciences et des techniques. À l’inverse, chez les filles l’absence d’influence de la testostérone sur leur cerveau, les rendrait plus sociables, empathiques et attentives aux autres.</p>
<p>Dans cette logique, chez les autistes, le repli sur soi et les difficultés de communication, seraient l’expression d’un déficit des aptitudes cognitives à l’empathie, tandis que les capacités d’analyse des systèmes de type mathématiques serait exacerbée. On expliquerait ainsi la fréquence plus forte de l’autisme chez les garçons, et aussi des aptitudes de certains autistes pour les mathématiques. Mais les preuves expérimentales font cruellement défaut pour conforter cette théorie car le rôle de la testostérone <a href="https://molecularautism.biomedcentral.com/articles/10.1186/s13229-016-0078-8">n’est pas démontré</a>. Les recherches se poursuivent…</p>
<p>Une piste pertinente pour expliquer la différence de prévalence entre les sexes dans l’autisme <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21803468">tient aux normes sociales</a> liées au genre. Le retrait sur soi, le défaut d’interactions sociales sont considérés chez une petite fille comme de la réserve et de la timidité. Ces mêmes attitudes sont davantage interprétées comme un indice de trouble de communication chez les garçons, car en décalage avec les représentations sociales des comportements des garçons censées plus expansifs et dynamiques. En conséquence, l’autisme est <a href="https://theconversation.com/ces-femmes-autistes-qui-signorent-75998">sous-diagnostiqué chez les filles</a>.</p>
<p>Dans une enquêté menée aux États-Unis sur un échantillon de 14 000 enfants présentant des troubles autistiques avérés, 18 % des filles avaient été détectées dès le plus jeune âge contre 37 % des garçons.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/198803/original/file-20171212-9410-18s9bmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/198803/original/file-20171212-9410-18s9bmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=970&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/198803/original/file-20171212-9410-18s9bmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=970&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/198803/original/file-20171212-9410-18s9bmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=970&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/198803/original/file-20171212-9410-18s9bmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1219&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/198803/original/file-20171212-9410-18s9bmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1219&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/198803/original/file-20171212-9410-18s9bmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1219&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.belin-editeur.com/femmes-et-sante-encore-une-affaire-dhommes">Éditions Belin</a></span>
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<p>Nul ne conteste que les différences entre les sexes dans la santé soient le résultat d’une interaction complexe entre des facteurs biologiques, sociaux et culturel. Néanmoins, les normes sociales et les stéréotypées liées au genre font encore obstacle à la prise en charges efficace et équitable de pathologies graves telles que les maladies cardiovasculaires, l’ostéoporose ou la dépression.</p>
<p>Sensibiliser les soignants à la question du genre conduit à poser de meilleurs diagnostics et à prendre en charge les patients plus efficacement. Dans la recherche, la prise en compte de l’interaction entre sexe et genre permet de formuler de nouvelles hypothèses pour comprendre les pathologies et élaborer de meilleures stratégies de prévention et de traitement. L’information à donner aux patients est tout autant nécessaire pour la prévention des pathologies, pour le plus grand bénéfice de la santé des femmes et des hommes.</p>
<iframe data-rid-id="136377" width="100%" height="450" frameborder="0" src="https://www.riddle.com/a/136377 ?fixed=1"><section><h2>Testez vos connaissances sur les femmes et la santé</h2><p><p>Toutes les données de ce quiz sont citées et discutées dans le livre.</p></p></section><section><h2>Quelle est la définition actuelle du mot « santé » ?</h2></section><section><h3>Depuis quand les médecins qualifient-ils les femmes de « sexe faible » ?</h3></section><section><h3>De combien d’années les femmes dépassent-elles les hommes dans l’espérance de vie ?</h3></section><section><h3>Quelle est la première cause de mortalité des femmes dans le monde ?</h3></section><section><h3>Les hommes peuvent-ils souffrir d’ostéoporose ?</h3></section><section><h3>Quel est le pourcentage de femmes incluses dans les essais cliniques ?</h3></section><section><h3>Combien de femmes ont été tuées par leur conjoint en 2015, en France ?</h3></section><section><h3>Combien d’hommes ont été tués par leur conjointe en 2015, en France ?</h3></section><section><h3>Combien de femmes sont violées chaque jour en France ?</h3></section><section><h3>Quelles sont les causes des inégalités de santé entre les sexes ?</h3><p><p>Plusieurs réponses possibles</p></p></section><section></section><section></section></iframe><img src="https://counter.theconversation.com/content/88989/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Maladies cardiovasculaires, autisme, dépression, ostéoporose… Autant de troubles ou pathologies sous-diagnostiqués en raison de clichés et d’idées reçues sur les genres féminin et masculin.Catherine Vidal, Neurobiologiste, membre du Comité d’éthique de l’Inserm, InsermMuriel Salle, Maîtresse de conférences en histoire, Université Claude Bernard Lyon 1Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/887442017-12-14T23:01:28Z2017-12-14T23:01:28ZUne encyclopédie en ligne pour la philosophie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/199011/original/file-20171213-27558-1wneo0r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Socrate.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/philosophie-gr%C3%A8ce-socrates-statue-2603284/">Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Les dispositions philosophiques se cultivent mieux avec des instruments de travail appropriés. La récente <a href="https://encyclo-philo.fr/"><em>Encyclopédie philosophique</em></a>, accessible sur Internet, souhaite y concourir autant qu’il se peut. Sa finalité est de fournir aux étudiants et enseignants de philosophie, mais aussi au « grand public cultivé », des connaissances philosophiques et des instruments pour la réflexion philosophique.</p>
<p>Le lecteur y trouvera des articles sur des notions, des problèmes philosophiques et des auteurs : exposé des distinctions fondamentales, aperçu des thèses soutenues, examen des arguments, bibliographies contemporaines. Cependant les articles font appel aux auteurs de la tradition et discutent les doctrines classiques. Cette encyclopédie suppose une certaine culture philosophique, mais elle permet aussi de l’acquérir, de l’affermir ou de la développer.</p>
<h2>Faire comprendre</h2>
<p>L’intention n’est pas de vulgariser la discipline, pas plus que de participer aux débats journalistiques sur les sujets d’actualité. L’encyclopédie n’est pas un prolongement, en ligne, de ce que certains attendent des cafés philosophiques. Elle ne concurrence pas non plus les magazines, émissions de radio et de télévision qui, ces derniers temps, se proposent de rendre accessible la philosophie, mais délestée de sa lourdeur académique supposée – y aurait-il une philosophie légère comme on parle de musique légère ? </p>
<p>Elle ne cherche pas à être plus conviviale, populaire ou ludique que ne le sont habituellement les travaux des universitaires, mais à les faire comprendre, y compris quand ils sont pointus. Dans cette encyclopédie, l’accessibilité de la pensée philosophique contemporaine résulte d’un effort de clarté et de rigueur des auteurs, et non d’une prétendue démocratisation, surtout si elle devait conduire à renoncer aux arguments charpentés, au travail exigeant de clarification conceptuelle et aux références savantes indispensables.</p>
<h2>Quels précédents ?</h2>
<p>Pour comprendre ce que <em>L’Encyclopédie philosophique</em> apporte de neuf, il faut examiner les projets du même genre. En 1989, les Presses Universitaires de France publièrent l’<em><a href="https://www.puf.com/collections/Encyclop%C3%A9die_philosophique_universelle">Encyclopédie philosophique universelle</a></em>, sous la direction d’André Jacob, Sylvain Auroux et Jean‑François Mattéi, en quatre volumes. Il s’agissait de synthétiser, pour un public francophone, les connaissances en philosophie. Mais qui se rend encore en bibliothèque pour la consulter ?</p>
<p>L’<a href="https://www.universalis.fr/classification/philosophie/"><em>[Encyclopédia Universalis</em>](https://www.puf.com/collections/Encyclop%C3%A9die_philosophique_universelle)</a>, quant à elle, propose des articles philosophiques numériques de qualité – mais il faut payer pour lire les contenus. Wikipedia permet la consultation gratuite d’articles sur des sujets philosophiques. Malheureusement, la qualité intellectuelle et pédagogique des articles y est incontrôlable et, à l’usage, fort inégale. Quant à la confiance qu’on peut accorder à la rectification collaboratrice de Wikipédia, elle est souvent mise en défaut.</p>
<p>En langue anglaise, la situation est certes bien meilleure. Il y eut d’abord, dans les années soixante, la remarquable <a href="https://www.amazon.com/Encyclopedia-Philosophy-Volumes-Paul-Edwards/dp/0028949501"><em>Encyclopedia of Philosophy</em></a> de Paul Edwards. Elle mérite toujours qu’on la consulte. Aujourd’hui, en ligne, on trouve une <a href="http://www.iep.utm.edu"><em>Internet Encyclopedia of Philosophy</em></a>, et surtout la <a href="https://plato.stanford.edu/"><em>Stanford Encyclopedia of Philosophy</em></a>, à la fois numérique, gratuite et de qualité. Ces deux encyclopédies philosophiques en ligne sont hélas peu connues en France, même des étudiants en philosophie, normalement les premiers concernés ; et, bien sûr, il existe un obstacle linguistique à leur consultation par le lecteur français. Dans la <em>Stanford Encyclopedia</em>, les articles, souvent longs et parfois techniques, requièrent un important bagage philosophique – ce qui cependant ne retire rien à sa valeur et à son utilité comme instrument de travail. Toutefois, passer de ce que les journaux, radio et télévision, en France, appellent « philosophie » à l’<em>Internet Encyclopedia of Philosophy</em> ou à la <em>Stanford Encyclopedia of Philosophy</em>, c’est un changement d’univers, si ce n’est un choc mental. Il ne sera peut-être pas moins grand avec <em>L’Enclyclopédie philosophique</em>. Mais c’est aussi tout son intérêt.</p>
<h2>Exigence de sérieux</h2>
<p>Partant de ce constat, le projet d’une encyclopédie de philosophie en langue française a ainsi été remis à plat, ses contenus sont renouvelés et l’exigence de sérieux universitaire confirmée. Maxime Kristanek, jeune professeur de philosophie en lycée, est à l’origine du projet. Il coordonne une équipe de 315 professeurs et chercheurs en philosophie, qui a déjà rédigé 150 articles, consultables en ligne. 200 autres ont été commandés par les éditeurs, et environ 10 nouveaux articles sont mis sur le site tous les deux mois.</p>
<p><em>L’Encyclopédie philosophique</em> a un <a href="https://encyclo-philo.fr/de-lequipe/">comité éditorial</a> et un <a href="https://encyclo-philo.fr/de-lequipe/">comité de lecture</a> – principalement constitué d’enseignants et de chercheurs en philosophie – qui examine les articles avant publication. Il fonctionne selon la méthode de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89valuation_par_les_pairs">recension par les pairs</a><em>L’Encyclopédie philosophique</em> est aussi dotée d’un <a href="https://encyclo-philo.fr/de-lequipe/">comité scientifique</a> qui garantit le sérieux général du projet en conseillant les membres du comité éditorial dans le choix des entrées et des auteurs.</p>
<h2>Deux formats différents</h2>
<p>Elle comprend des articles « grand public », de format court, et rédigés d’une manière immédiatement compréhensible sans formation importante en philosophie. Les articles « Académiques » diffusent quant à eux l’état des questions dans la recherche philosophique internationale auprès des étudiants, des enseignants de philosophie ou d’autres disciplines, et aussi de tous ceux qui ont un solide appétit philosophique. Il faut insister sur le rôle que devrait jouer cette encyclopédie pour la diffusion d’une philosophie argumentative, rigoureuse et précise, parfois même technique, quand c’est utile, faisant la part belle aux problématiques discutées dans la vie internationale de la philosophie.</p>
<p>Prenons un exemple. L’article <a href="http://encyclo-philo.fr/theorie-de-lerreur-morale-a/">« Théorie de l’erreur morale »</a> s’ouvre ainsi : « Vous pensez que la peine de mort est injuste et le viol immoral, que le courage est une vertu et l’obscénité un vice, qu’il faut respecter son père et s’abstenir de frapper ses enfants ? D’après la théorie de l’erreur morale, vous vous trompez. Plus généralement, les théoriciens de l’erreur soutiennent que tous les jugements moraux sont faux. » Cela ne donne-t-il pas envie de lire la suite, et d’examiner si cette manière de présenter les choses ne souffriraient pas de certains <a href="http://encyclo-philo.fr/biais-cognitifs-gp/">« biais cognitifs »</a> ?</p>
<p>Qui se lève un matin en se demandant ce qu’est le plaisir, en quoi consiste une raison suffisante, ou comment il reconnaîtra un zombie s’il vient à en croiser, trouvera un article « Grand Public », parfaitement sérieux, à lire en cinq ou quinze minutes, avant même d’entamer sa journée. S’il se demande <a href="http://encyclo-philo.fr/creation-a/">pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien</a> ou ce que <a href="http://encyclo-philo.fr/ockham-a/">Guillaume d’Ockham</a> ou <a href="http://encyclo-philo.fr/poincare-a/">Henri Poincaré</a> ont vraiment dit, ce sera tout de même un peu plus long : les articles « Académiques » sur la création, le <em>Venerabilis Inceptor</em> ou l’un des plus grands philosophes français lui feront passer une très bonne soirée. La consultation est de toute façon possible toute la journée et même la nuit !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/88744/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Roger Pouivet fait partie du conseil scientifique de l'Encyclopédie Philosophique.</span></em></p>Naissance d’une nouvelle encyclopédie en ligne, destinée à fournir aux étudiants et enseignants, mais aussi au « grand public » des connaissances et des instruments pour la réflexion philosophique.Roger Pouivet, Professeur à l’Université de Lorraine (Laboratoire d’Histoire des Sciences et de Philosophie Archives Henri-Poincaré), Membre de l’Institut Universitaire de France, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/836032017-09-07T20:44:18Z2017-09-07T20:44:18ZChez Wikimédia France, une gouvernance à réinventer<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/185063/original/file-20170907-8393-n5xgp7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Wikimedia France, bureaux dans la rue de Cléry, à Paris</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Wikimedia_France_-_Rue_de_Cl%C3%A9ry_-_03.jpg">Pierre-Yves Beaudouin/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Samedi prochain, 9 septembre 2017, aura lieu une assemblée générale extraordinaire de l’Association <a href="https://www.wikimedia.fr/">Wikimédia France</a>. Cette assemblée générale a été provoquée par une crise sans précédent, qui a entre autres conduit au départ de sa directrice exécutive il y a quelques jours.</p>
<p>Thierry Noisette, un des journalistes qui connaît le mieux Wikipédia en France, a fait un <a href="http://tempsreel.nouvelobs.com/rue89/rue89-nos-vies-connectees/20170718.OBS2248/exclusions-menaces-budget-recale-c-est-la-crise-chez-wikimedia-france.html">résumé de la crise</a> en juillet dernier, à l’occasion d’un de ses épisodes les plus dramatiques : le licenciement pour faute d’un salarié de l’association, par ailleurs figure emblématique de la communauté, qui était chargé des relations avec cette dernière.</p>
<p>WMFr, selon l’abréviation consacrée, est une association loi de 1901, créée en 2004 pour « le libre partage de la connaissance », via les projets Wikimédia. Thierry Noisette explique clairement les différences entre Wikipédia (l’encyclopédie et sa communauté), WMFr, et la <a href="https://blog.wikimedia.org">Fondation Wikimédia</a>, créée en 2003, qui est une organisation américaine à but non lucratif qui héberge l’encyclopédie et organise le <a href="https://fr.wiktionary.org/wiki/fundraising">fundraising</a> et la répartition des fonds entre différents projets (de maintenance, de recherche, d’inclusion…). WMFr fait partie de la quarantaine de « chapitres » ou <em>chapters</em> nationaux de soutien à ces projets. Ces associations sont censées être indépendantes de la Fondation, mais cette dernière leur distribue un agrément et leur alloue des fonds.</p>
<p>WMFr, association employant une douzaine de salarié.e.s, finance et participe à l’organisation de projets francophones de bénévoles comme le <a href="https://www.fun-MOOC.fr/courses/WMFr/86001S02/session02/about">WikiMOOC</a> ou <a href="https://lingualibre.fr/">Lingua Libre</a>, organise des partenariats (avec des musées notamment), est active politiquement et médiatiquement sur la scène de la <a href="http://www.connaissancelibre2017.fr/">« connaissance libre »</a>.</p>
<p>Mais WMFr n’est pas Wikipédia, ne décide de rien dans l’organisation de la communauté de wikipédien.ne.s et les relations sont parfois tendues sur ce thème entre WMFr et la communauté des wikipédien.ne.s les plus expérimenté.e.s (en termes de « nombres d’<em>edits</em> »), les plus expressif.ve.s (en termes de messages sur le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:Le_Bistro">Bistro</a>) et les plus responsables (en termes d’activité d’administration, de patrouille, ou d’arbitrage…). <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:Le_Bistro/27_juin_2016#Bandeau_et_page_sur_la_privatisation_du_domaine_public">L’épisode</a> aux prémisses de la crise fut l’opposition à une action politique de WMFr impliquant un bandeau d’annonce (à propos de la <a href="http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/01/19/qu-est-ce-que-la-liberte-de-panorama-disposition-controversee-de-la-loi-numerique_4850027_4408996.html">liberté de panorama</a>) dans l’encyclopédie, au sein de la communauté.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/185142/original/file-20170907-9568-153vueq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/185142/original/file-20170907-9568-153vueq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/185142/original/file-20170907-9568-153vueq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/185142/original/file-20170907-9568-153vueq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/185142/original/file-20170907-9568-153vueq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/185142/original/file-20170907-9568-153vueq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/185142/original/file-20170907-9568-153vueq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La pyramide du Louvre censurée.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File%3ALouvre_Pyramid_-_censored_copyright_2.jpg">Hakkun/Wikimédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Répondre à des attentes disparates</h2>
<p>Être salarié à WMFr n’est pas chose aisée : on doit répondre aux attentes de son employeur, représenté par une équipe dirigeante et par un conseil d’administration, pas forcément unanime et pas forcément en phase avec la direction.</p>
<p>On doit répondre aux attentes de la communauté, elle-même rarement unanime, et où sont représentées des tendances très diverses, en particulier sur la question de l’inclusivité. Il y a toujours eu dans Wikipédia une tension entre le besoin d’inclusivité pour combattre des biais implicites (la sous-représentation des femmes par exemple) et le désir d’auto-organisation affranchi de règles qui seraient extérieures à Wikipédia… Wikipédia est une <a href="https://theconversation.com/enseigner-wikipedia-par-les-anecdotes-73537">hétérotopie</a>.</p>
<p>On doit aussi répondre aux attentes de la Fondation, qui demande aux chapitres de <a href="https://fr.wiktionary.org/wiki/accountability">rendre des comptes</a> selon les règles organisationnelles qu’elle impose (sur la globalisation de collectes de fonds, ou sur les critères de succès des projets en vue de financement…). La crise, qui était interne, a explosé au grand jour quand la Fondation, au printemps dernier, a décidé de n’attribuer que la moitié du budget demandé, et alloué les années précédentes.</p>
<p>Un été plus tard, la moitié du conseil d’administration est vacante, plusieurs salariés ne sont plus là, la Fondation a envoyé une délégation à Paris pour comprendre les enjeux, et la directrice est finalement partie.</p>
<p>Plus que les querelles d’ambitions, les problèmes de relations employeur.e.s-employé.e.s, les problèmes de relations Fondation-chapitre, les accusations de népotisme, d’autoritarisme ou de manque de transparence, c’est le retranchement dans l’agressivité de beaucoup de parties impliquées qui impressionne. Ce qui reste du conseil d’administration et de la direction se voit comme un bastion assiégé, d’un côté par une communauté wikipédienne qu’il juge harcelante, et en particulier sexiste, que ce soit sur Twitter (où le hashtag #wmfrgate, créé pour fédérer une opposition, sert aussi de défouloir) ou sur le Bistro, mais aussi par une Fondation qu’il juge injustement acharnée. Malheureusement, quelques défenseur.e.s de ce bastion ne sont pas en reste en termes de trolling et soufflent sur les braises.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/185079/original/file-20170907-9189-1g7uzmj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/185079/original/file-20170907-9189-1g7uzmj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=454&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/185079/original/file-20170907-9189-1g7uzmj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=454&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/185079/original/file-20170907-9189-1g7uzmj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=454&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/185079/original/file-20170907-9189-1g7uzmj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/185079/original/file-20170907-9189-1g7uzmj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/185079/original/file-20170907-9189-1g7uzmj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Capture d’écran, photos de la page Facebook de WMFr.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/pg/wikimediafrance/photos/?ref=page_internal">Facebook</a></span>
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<h2>Crise de gouvernance</h2>
<p>Surtout, ce faisant, ils mettent dans le même sac des trolls effectivement sexistes et insultants et une opposition constructive (même si hétéroclite) à leur gouvernance. Et au-delà de toutes les accusations, il s’agit bien d’une crise de gouvernance.</p>
<p>L’encyclopédie et l’association sont indépendantes dans leurs structures, mais intimement liées dans leurs fonctionnements. Les interactions entre les deux doivent être compatibles avec des visions du monde différentes. D’un côté une structure associative avec des salarié.e.s, une hiérarchie, des contrats de travail, des projets définis puis jugés, des demandes de financements. De l’autre, une communauté de bénévoles, un désir militant de transparence absolue, des hiérarchies informelles (mais bien présentes) basées sur la méritocratie (on est écouté en fonction de son nombre d’<em>edits</em>), des gestions de consensus impliquant des sensibilités hétéroclites.</p>
<p>Tout au long de la crise, la narration d’une opposition entre « valeurs » du monde du travail (respect des hiérarchies, contrats de travail…) et « valeurs » du mouvement Wikimédia (transparence, recherche collective de consensus…) a été invoquée, soit pour caractériser le fossé entre les deux, soit comme piste de réflexion sur le rapprochement.</p>
<p>Mais il y a bien plus que des valeurs dans ces oppositions, il y aussi des pratiques. Le monde du travail ce n’est pas seulement horaires, contrats et hiérarchies : c’est aussi le monde des pressions, des menaces de procès ou de licenciement, où les guerriers les plus efficaces des conflits sont les avocats les mieux payés, un monde d’intimidation où les affirmations réelles mais non prouvables sont de la diffamation.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/185064/original/file-20170907-8341-1f7truo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/185064/original/file-20170907-8341-1f7truo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/185064/original/file-20170907-8341-1f7truo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/185064/original/file-20170907-8341-1f7truo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/185064/original/file-20170907-8341-1f7truo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/185064/original/file-20170907-8341-1f7truo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/185064/original/file-20170907-8341-1f7truo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des supports de communication Wikimédia France.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:D%C3%A9rouleurs_Wikim%C3%A9dia_France.jpg">TCY/Wikimédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>De même, Wikipédia, ce n’est pas seulement un monde de transparence absolue et de recherche de consensus entre pair.e.s. C’est aussi le monde de la déligitimation du <a href="https://fr.wiktionary.org/wiki/noob">noob</a> – le nouveau venu dans la communauté –, un monde complexe où le refus radical du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Doxxing">doxxing</a> – qui consiste à révéler les informations personnelles d’une personne – se mélange aux pratiques de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikipedia:Regards_sur_l'actualite_de_la_Wikimedia/Overblogleak">sock-puppetry</a>, autrement dit l’organisation de multiples faux-nez pour influencer les débats. Un monde auquel les entreprises s’adaptent facilement pour <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:Le_Bistro/6_avril_2016#Contributions_r.C3.A9mun.C3.A9r.C3.A9es_de_Wikip.C3.A9diens_exp.C3.A9riment.C3.A9s">pervertir le système</a>.</p>
<p>Les harcèlements existent dans les deux mondes, selon des modalités différentes : chez Wikipédia, les harcèlements des trolls sont sexistes. Dans le monde du travail, les harcèlements des supérieurs hiérarchiques existent aussi. Pour faire en sorte que ces pratiques ne soient pas toxiques pour les relations entre WMFr et la communauté, il faut imaginer des formes de gouvernance qui ne soient pas abstraitement des références aux « valeurs », mais plutôt qui, par l’observation des pratiques, conçoivent des mécanismes qui puissent générer des relations fructueuses et sereines entre WMFr et la communauté.</p>
<p>Il y aura sûrement un nouveau conseil d’administration la semaine prochaine (ou à l’AG annuelle suivante, dans quelques semaines). Au-delà du renouvellement de personnes, sa tâche sera d’<a href="https://meta.wikimedia.org/wiki/Talk:Wikim%C3%A9dia_France/Assembl%C3%A9e_g%C3%A9n%C3%A9rale/septembre_2017#Piste_de_r.C3.A9flexion_pour_le_futur_:_re-cr.C3.A9er_l.27association.2C_avec_une_gouvernance_beaucoup_plus_horizontale">inventer un mode de vie</a>, des mécanismes qui permettent ces relations fructueuses plutôt que la potentialité de conflits, tout en donnant aux salariés les moyens et la liberté de travailler. Ce n’est pas simple, et ça ne marchera peut-être pas, mais nous sommes à la fois au moment et à l’endroit où il faut essayer quelque chose d’autre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/83603/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Hocquet est membre de l'association Wikimédia France</span></em></p>La crise se poursuit chez Wikimédia France, et l’Assemblée générale qui aura lieu ce samedi 9 septembre promet d’être mouvementée.Alexandre Hocquet, Professeur des Universités en Histoire des Sciences, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/779862017-05-21T19:48:17Z2017-05-21T19:48:17ZQu’est-ce qu’une revue scientifique ? Et… qu’est-ce qu’elle devrait être ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/169985/original/file-20170518-12263-oq0k4h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Imprimer le passé ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f/photo/32581836784/8224844591/">BLMOregon/Visual Hunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Qu’est-ce qu’une revue scientifique ? Avons-nous encore besoin de revues scientifiques ? Ou encore : à quels besoins pourrait répondre une revue scientifique pour qu’elle puisse encore avoir un sens dans l’environnement numérique ?</p>
<p>Je propose ici quelques réflexions sur les revues scientifiques en sciences humaines et sociales liées au travail que je mène avec mon équipe autour de la revue <a href="http://sens-public.org/">Sens public</a> (fondée en 2003 par Gérard Wormser). Ces réflexions sont issues en particulier du dialogue avec Emmanuel Château-Dutier, Jean‑Claude Guédon (<a href="http://septentrio.uit.no/index.php/nopos/article/view/3619">cf. notamment l’article Crystals of knowledge</a>), Servanne Monjour, <a href="http://nicolassauret.net/carnets/">Nicolas Sauret</a> et Gérard Wormser.</p>
<h2>La mission prétendue des revues scientifiques</h2>
<p>Je vais commencer par identifier ce qui semblerait être les fonctions de base d’une revue scientifique – si l’on s’en tient du moins au discours des éditeurs et à l’imaginaire collectif des auteurs.</p>
<p>Selon un modèle un peu naïf, on pourrait diviser les phases de la diffusion des résultats de la recherche en trois points : d’abord la production, ensuite la mise en forme et la validation et finalement la diffusion.</p>
<p>Selon ce modèle – qui, nous le verrons, est très loin de la réalité des pratiques et n’est plus aucunement souhaitable – il y aurait d’abord une phase de production du savoir scientifique qui serait prise en change par les chercheurs : pour faire simple, les chercheurs écrivent des textes. C’est seulement après cette phase qu’interviendraient les revues pour remplir deux missions principales :</p>
<ul>
<li><p>Évaluer, valider et mettre en forme les contenus. Concrètement, les revues reçoivent des articles, les font évaluer par les pairs, discutent avec l’auteur pour améliorer l’article, le mettent en forme, le corrigent.</p></li>
<li><p>Rendre ces contenus publics et accessibles : en un mot de les <em>diffuser</em>. Concrètement, l’article est imprimé ou mis en ligne pour qu’il soit public.</p></li>
</ul>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/170024/original/file-20170518-12242-1esdqqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/170024/original/file-20170518-12242-1esdqqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/170024/original/file-20170518-12242-1esdqqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=152&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/170024/original/file-20170518-12242-1esdqqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=152&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/170024/original/file-20170518-12242-1esdqqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=152&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/170024/original/file-20170518-12242-1esdqqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=191&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/170024/original/file-20170518-12242-1esdqqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=191&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/170024/original/file-20170518-12242-1esdqqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=191&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Revues savantes…</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f/photo/6961051384/5dc494bcc1/">Tobias von der Haar/Visual Hunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La réalité de l’activité des revues</h2>
<p>Or ce modèle est loin de correspondre à la réalité des pratiques. Aucune de ces phases ne décrit ce qui se passe vraiment dans le monde de l’édition actuelle. La vérité est plutôt que :</p>
<p><strong>Les revues ne se chargent pas de l’évaluation</strong>. L’évaluation est prise en charge par les chercheurs, qui évaluent gracieusement les articles. La quasi-totalité des comités des revues est composée par des universitaires dont l’activité n’est pas rémunérée par les revues, mais par leur institution d’appartenance. Même le travail de mise en forme – correction de la langue par exemple – est très souvent pris en charge par des universitaires – professeurs ou étudiants.</p>
<p>Par ailleurs, le système d’évaluation par les pairs est loin d’être satisfaisant et il sert davantage à promouvoir la médiocrité qu’à garantir la qualité scientifique – mais cette question n’est pas au centre de mon propos ici et devra faire l’objet d’un autre billet.</p>
<p><strong>Les revues, dans la plupart des cas, ne diffusent pas les contenus, mais elles les prennent plutôt en otage en en limitant la circulation.</strong> Là où il suffirait de mettre un contenu sur un blog (ou le signaler sur The Conversation)pour qu’il soit accessible à tous gratuitement, plusieurs revues impriment les textes et les vendent tout en empêchant leur diffusion libre. Si l’impression a pu être dans les siècles passés un excellent moyen de diffusion, aujourd’hui ce n’est plus le cas. Accéder à un texte imprimé est beaucoup plus compliqué et coûteux qu’accéder à un texte numérique.</p>
<p>Mais pour continuer à promouvoir ce modèle papier (pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la qualité scientifique des articles – mais qui relèvent bel et bien du capital symbolique de l’imprimé), les revues font résistance à la circulation numérique de leurs contenus. Même quand elles sont obligées de mettre leurs contenus en version numérique, elles essayent d’en limiter l’accessibilité avec toutes sortes de barrières – version payante, embargo, barrières mobiles ou fixes, etc.</p>
<p>Bien sûr, il y a des exceptions : toutes les revues qui font du vrai accès libre – à savoir celles qui mettent à disposition gratuitement leurs contenus sans demander ni aux lecteurs ni aux auteurs de payer.</p>
<p>Ces deux aberrations ne sont pas les seules à caractériser l’activité des revues : à cela s’ajoute une idée réductrice et nuisible de ce qu’est la production des contenus et un fétichisme inutile et limitant de la forme article.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/170030/original/file-20170518-12263-154m84o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/170030/original/file-20170518-12263-154m84o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/170030/original/file-20170518-12263-154m84o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/170030/original/file-20170518-12263-154m84o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/170030/original/file-20170518-12263-154m84o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/170030/original/file-20170518-12263-154m84o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/170030/original/file-20170518-12263-154m84o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/170030/original/file-20170518-12263-154m84o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La grande conversation.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/%C3%A9change-d-id%C3%A9es-d%C3%A9bat-discussion-222789/">Pixabay</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’idée selon laquelle la production serait une phase complètement séparée de la diffusion repose en effet sur une idéalisation naïve qui dénature la réalité de la recherche. La recherche est d’abord basée sur <strong>la discussion et l’échange</strong> : on ne peut produire un contenu scientifique qu’en dialoguant avec les autres chercheurs. Aussi, la diffusion est le pivot sur lequel devrait se baser cet échange.</p>
<p>En second lieu, la forme article – née des caractéristiques spécifiques au format papier – est trop contraignante et ne répond pas – ou pas toujours – aux besoins de ce que Jean‑Claude Guédon appelle <strong>« la grande conversation scientifique »</strong>. L’environnement numérique nous donne la possibilité de mettre en place d’autres formes d’échange, beaucoup plus fluides et fructueuses : pourquoi se borner à une forme d’écriture dont le besoin n’est plus inscrit dans la matérialité du support que nous utilisons ?</p>
<p>En conclusion, les revues scientifiques sont aujourd’hui une véritable aberration. Elles produisent des effets opposés à ceux qu’elles seraient supposées produire. C’est pourquoi je cautionne complètement le point de vue d’Olivier Ertzscheid, qui affirmait en mai 2016 qu’il ne publierait <a href="http://www.affordance.typepad.com/mon_weblog/2016/05/pourquoi-je-ne-publierai-plus-dans-des-revues-scientifiques.html">plus dans des revues scientifiques</a>.</p>
<p>Pour résumer, il y a au moins trois bonnes raisons de suivre Olivier et d’arrêter de publier dans des revues scientifiques :</p>
<ul>
<li><p>Les revues ne sont pas capables de répondre à leur première mission supposée : celle de rendre les contenus visibles et accessibles.</p></li>
<li><p>Elles sont trop coûteuses et sont souvent basées sur des <a href="http://bit.ly/1krVtoS">modèles économiques aberrants</a>.</p></li>
<li><p>La circulation des contenus qu’elles mettent en place est beaucoup trop lente pour être acceptable : entre la soumission d’un article et sa publication, on doit compter parfois plus qu’un an lorsque l’on pourrait avoir des échanges sur les sujets de la recherche de façon quasi immédiate en ayant recours à un blog ou à une autre forme de publication numérique.</p></li>
</ul>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/170028/original/file-20170518-12250-1ljzbau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/170028/original/file-20170518-12250-1ljzbau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/170028/original/file-20170518-12250-1ljzbau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=297&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/170028/original/file-20170518-12250-1ljzbau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=297&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/170028/original/file-20170518-12250-1ljzbau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=297&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/170028/original/file-20170518-12250-1ljzbau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=373&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/170028/original/file-20170518-12250-1ljzbau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=373&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/170028/original/file-20170518-12250-1ljzbau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=373&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Ouvrez-vous !</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f/photo/5755763574/95ac67b5b8/">opensourceway/VisualHunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Pourquoi existent-elles encore ?</h2>
<p>Malgré toutes ces aberrations, non seulement les revues scientifiques continuent d’exister, mais en plus elles prolifèrent. On compte aujourd’hui de plus en plus de revues, lesquelles parviennent à mobiliser de plus en plus d’argent – pensons à la croissance incroyable des chiffres d’affaires de groupes comme Elzevier (<a href="http://bit.ly/2pZQyO4">cf. études de Vincent Larivière</a>).</p>
<p>Comment expliquer ce phénomène ? Selon ce que je viens de démontrer, les revues auraient déjà dû disparaître. La raison de leur permanence est avant tout institutionnelle : les revues bénéficient encore d’un important capital symbolique qui fait en sorte que les chercheurs sont poussés à leur confier leurs articles. En particulier, comme le souligne souvent Jean‑Claude Guédon, l’évaluation des curricula est basée presque exclusivement sur les noms des revues dans lesquelles les chercheurs ont publié. Cela permet de ne pas se concentrer sur la qualité de la production académique, mais seulement sur le nom des revues qui la cautionnent.</p>
<p>Pour faire simple : il est préférable de publier un article stupide et inutile dans une revue que personne ne lit, mais dont le nom est connu, que publier un texte intelligent et qui sera lu par beaucoup de chercheurs, mais dans un blog qui n’a pas de valeur symbolique.</p>
<p>Au vu de ces considérations, il est clair qu’il est nécessaire de changer de modèle.</p>
<p>Mais comment ? La seule solution est-elle le boycott que propose par Olivier Ertzscheid ?</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/170027/original/file-20170518-12221-2ek8q2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/170027/original/file-20170518-12221-2ek8q2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/170027/original/file-20170518-12221-2ek8q2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/170027/original/file-20170518-12221-2ek8q2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/170027/original/file-20170518-12221-2ek8q2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/170027/original/file-20170518-12221-2ek8q2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/170027/original/file-20170518-12221-2ek8q2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/170027/original/file-20170518-12221-2ek8q2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ouvrir l’accès.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f/photo/5537915034/c8ec2c3f47/">opensourceway/VisualHunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>Virtualiser les revues</h2>
<p>Pour répondre à cette question, il me semble nécessaire de faire un pas en arrière. Plus précisément, je propose de « virtualiser » les revues scientifiques dans le sens que donne à ce mot Pierre Lévy dans son célèbre <a href="http://bit.ly/2pWY115"><em>Qu’est ce que le virtuel ?</em></a> Selon Lévy, virtualiser signifie partir d’une solution pour revenir au problème auquel la solution tente de donner une réponse. Il faut donc se poser la question : à quel problème les revues essayaient-elles de répondre lors de leur naissance ? Une fois ce problème identifié, on pourra comprendre quelle pourrait être aujourd’hui la mission des revues et comment les repenser.</p>
<p>Le besoin auquel les revues offraient une réponse était <em>la communication scientifique</em>. La technologie de l’imprimé permettait de rendre plus fluides, plus rapides et plus larges dans l’espace les discussions scientifiques. Au lieu qu’être bornées aux possibilités données par l’échange en présence, les revues rendaient possibles des échanges entre des chercheurs éloignés et permettaient en plus de rendre ces échanges publics en élargissant le nombre de personnes qui pouvaient y prendre part. Les revues permettaient donc de créer des communautés en virtualisant l’espace dans lequel <strong>ces communautés pouvaient se rencontrer</strong>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/170031/original/file-20170518-12221-15rtdi8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/170031/original/file-20170518-12221-15rtdi8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/170031/original/file-20170518-12221-15rtdi8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/170031/original/file-20170518-12221-15rtdi8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/170031/original/file-20170518-12221-15rtdi8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/170031/original/file-20170518-12221-15rtdi8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/170031/original/file-20170518-12221-15rtdi8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/170031/original/file-20170518-12221-15rtdi8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Créer des communautés.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f/photo/404815138/bc6060f5bd/">Divine in the Daily via Visualhunt.com</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>C’est donc là la mission des revues et c’est à ce problème qu’elles doivent répondre : comment peut-on produire des espaces où puissent se former des communautés capables de converser et d’échanger sur des sujets scientifiques ?</p>
<p>Les revues ne doivent pas se concentrer sur la diffusion, car la diffusion n’est qu’un moyen de répondre à un besoin : celui de former des communautés. Une revue doit être avant tout un réseau d’intelligences – comme je le disais <a href="https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/12963">dans un article il y a quelques années</a>.</p>
<p>Le problème est que, jusqu’à aujourd’hui, la plupart des acteurs de la production et de la diffusion des connaissances (chercheurs, éditeurs, etc.) ont davantage essayé de protéger le modèle économique sur lequel sont basées les revues que leur véritable mission. On conserve donc une solution en oubliant le problème pour lequel cette solution a été créée. Voilà où se trouve l’aberration.</p>
<p>Les technologies numériques nous demandent de virtualiser les revues pour revenir au problème auquel elles sont appelées à répondre.</p>
<h2>La véritable mission des revues</h2>
<p>On peut identifier cette mission en la divisant en trois points :</p>
<ul>
<li><p><strong>Permettre la création de communautés.</strong> Les revues doivent créer des espaces où puissent se rencontrer et discuter des communautés. C’est ce que Jean‑Claude Guédon appelle des « territoires » : à savoir des espaces organisés par des moyens de communication. Cf. cette conférence</p></li>
<li><p><strong>Mettre la conversation au centre.</strong> L’objectif des revues ne doit pas être celui de diffuser des contenus, mais plutôt de créer des espaces de dialogue. À la limite, la présence de textes publiés n’est qu’accessoire. Ces textes peuvent se trouver ailleurs (par exemple sur des blogues, ou sur des portails de diffusion comme Érudit ou revues.org). La revue est le lieu où on échange des idées et les textes ne sont qu’un des outils possibles pour mettre en place la conversation. Les formes que ces textes peuvent prendre sont diverses et hétérogènes : il peut s’agir d’article, mais aussi de formes beaucoup plus courtes ou beaucoup plus longues.</p></li>
<li><p><strong>Créer des modèles de semi-stabilisation des connaissances.</strong> C’est ce que Jean‑Claude Guédon appelle des <a href="http://septentrio.uit.no/index.php/nopos/article/view/3619">cristaux de connaissance</a>. La discussion arrive parfois à des moments de stabilité et laisse émerger des contenus (plus ou moins fragmentaires) qui semblent s’imposer comme des connaissances. Ce sont ces cristaux qui portent les résultats de la recherche.</p></li>
</ul>
<p>Dans ce sens, les phases de production, de validation et de diffusion des connaissances sont entremêlées. Les revues créent les conditions de la production du savoir en produisant des territoires où les communautés peuvent converser ; la diffusion et la validation sont des processus qui s’entrecroisent avec l’écriture et la production. Cela implique évidemment un changement des modèles institutionnels d’évaluation des curricula : un chercheur devra être évalué pour sa contribution à l’avancement de la recherche, laquelle qui pourra se faire sous différentes formes : l’écriture d’un commentaire, la participation à une discussion, la correction de certaines informations…</p>
<p>Dans le cadre de la refonte du modèle éditorial de la revue <em>Sens public</em> que je dirige, nous travaillons – avec Nicolas Sauret, Gérard Wormser et Servanne Monjour, à mettre en place un paradigme de ce type (<a href="http://nicolassauret.net/carnet/2017/05/17/communication-au-colloque-la-publication-savante-en-contexte-numerique-acfas/">cf. ce billet de Nicolas Sauret</a>). Selon nous, l’ensemble des informations présentes dans les textes de la revue sera utilisé pour produire un territoire : les personnes citées dans un texte, par exemple, seront invitées à le commenter ; d’autres textes disponibles sur le web seront mis en relation avec les articles de la revue, avec l’objectif de créer une base commune de discussion qui aille au-delà du simple texte ; les annotations, les commentaires et les discussions seront mis en avant sur le site à la place des articles.</p>
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<p>Les technologies numériques – et en particulier les outils du web sémantique – doivent être au centre de ce travail : pour que cette création de territoire soit possible, il faut être en mesure d’identifier les personnes, les mots-clés, les entités nommées pour les mettre en relation. Le territoire émerge de ces relations.</p>
<p>Des outils comme l’API de <a href="http://rechercheisidore.fr/">rechercheisidore.fr</a> seront fondamentaux pour réaliser ce projet. En interrogeant l’API, on sera en mesure, par exemple, de récupérer des informations sur un auteur cité dans le texte, de récupérer ses autres articles ainsi que des informations sur ses comptes dans les réseaux sociaux. La conversation ne peut exister que si elle accepte la décentralisation : elle ne se fera pas seulement sur un site, mais dans un territoire qui comprendra plusieurs plateformes que le site devra agréger.</p>
<p>Ce type de projet est chargé d’enjeux institutionnels : comment ces activités de recherche seront-elles comptabilisées dans l’évaluation des CV ? Est-ce que les organismes subventionnaires reconnaîtront ces formes de production, de validation et de circulation du savoir ? Quels modèles mettra-t-on en place pour attribuer aux chercheurs leur travail de recherche ?</p>
<p>Le pari est de taille, mais il est nécessaire de le relever si l’on veut trouver encore un sens aux revues scientifiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/77986/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Marcello Vitali-Rosati a reçu des financements du CRSH et du FRQSC. </span></em></p>Étude critique de la place des publications scientifiques traditionnelles dans le système du savoir actuel. Et comment s’en passer… ou les dépasser.Marcello Vitali-Rosati, Professeur agrégé au département des littératures de langue française, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.