tag:theconversation.com,2011:/us/topics/croyances-46799/articlescroyances – The Conversation2024-01-16T16:20:13Ztag:theconversation.com,2011:article/2207122024-01-16T16:20:13Z2024-01-16T16:20:13ZLa curieuse joie d’avoir tort : de l’importance de l’humilité intellectuelle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/568230/original/file-20231214-23-ck96kw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=121%2C0%2C6081%2C3988&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Parfois, de nouvelles informations permettent de prendre une nouvelle direction. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/photo/man-stands-at-a-crossroads-in-the-forest-in-autumn-royalty-free-image/1708245189">Schon/Moment via Getty Images</a></span></figcaption></figure><p>On attribue cette déclaration à Mark Twain : « Je suis en faveur du progrès ; c’est le changement que je n’aime pas ». Une phrase qui souligne la tendance humaine à désirer la croissance tout en opposant une forte résistance au dur labeur qui l’accompagne. Je peux certainement m’identifier à ce sentiment.</p>
<p>J’ai été élevé dans un foyer évangélique conservateur. Comme beaucoup de ceux qui ont grandi dans un environnement similaire, j’ai appris un ensemble de croyances religieuses qui ont encadré la façon dont je me comprenais le monde qui m’entourait. On m’a appris que Dieu est aimant et puissant, et que ses fidèles sont protégés. On m’a appris que le monde était juste et que Dieu était bon. Le monde me semblait simple et prévisible – et surtout, sûr.</p>
<p>Ces croyances ont volé en éclats lorsque mon frère est décédé de manière inattendue alors que j’avais 27 ans. Sa mort à 34 ans, avec trois jeunes enfants, a choqué notre famille et notre communauté. Outre le chagrin, certaines de mes hypothèses les plus profondes ont été remises en question. Dieu n’était-il pas bon ou n’était-il pas puissant ? Pourquoi Dieu n’a-t-il pas sauvé mon frère, qui était un père et un mari gentil et aimant ? Et à quel point l’univers est-il injuste, insensible et aléatoire ?</p>
<p>Cette perte profonde a marqué le début d’une période au cours de laquelle j’ai remis en question toutes mes croyances à la lumière de mes propres expériences. Au bout d’un temps considérable, et grâce à un thérapeute exemplaire, j’ai pu réviser ma vision du monde d’une manière qui m’a semblé authentique. J’ai changé d’avis sur beaucoup de choses. Le processus n’a pas été agréable. Il m’a fallu plus de nuits blanches que je n’ose l’imaginer, mais j’ai pu réviser certaines de mes croyances fondamentales.</p>
<p>Je ne l’avais pas réalisé à l’époque, mais cette expérience relève de ce que les chercheurs en sciences sociales appellent <a href="https://doi.org/10.1177/0146167217697695">l’humilité intellectuelle</a>. Et honnêtement, c’est probablement en grande partie la raison pour laquelle, en tant que <a href="https://scholar.google.com/citations?user=2rkql34AAAAJ&hl=en&oi=ao">professeur de psychologie</a>, je m’intéresse tant à l’étudier. L’humilité intellectuelle a <a href="https://theconversation.com/us/topics/intellectual-humility-125132">fait l’objet d’une attention accrue</a>, et elle semble d’une importance cruciale à notre époque, où il est plus courant de défendre sa position que de changer d’avis.</p>
<h2>Ce que signifie l’humilité intellectuelle</h2>
<p>L’humilité intellectuelle est une forme particulière d’humilité liée aux croyances, aux idées ou aux visions du monde. Il ne s’agit pas seulement de croyances religieuses, mais aussi d’opinions politiques, d’attitudes sociales diverses, de domaines de connaissance ou d’expertise ou de toute autre conviction forte. L’humilité intellectuelle a des dimensions à la fois internes et externes.</p>
<p>L’humilité intellectuelle implique la prise de conscience et l’appropriation de nos propres <a href="https://doi.org/10.1016/j.paid.2017.12.014">limites et préjugés</a>, de ce que l’on sait et de la manière dont on l’a appris. Elle exige une volonté de <a href="https://doi.org/10.1080/00223891.2015.1068174">réviser ses opinions</a> à la lumière de preuves solides.</p>
<p>Sur le plan interpersonnel, il s’agit de <a href="https://doi.org/10.1177/009164711404200103">maîtriser son ego</a> afin de pouvoir présenter ses idées de manière modeste et respectueuse. Il s’agit de présenter ses convictions d’une manière qui ne soit pas défensive et d’admettre que l’on a tort quand c’est le cas. Cela implique de montrer que vous vous souciez davantage d’apprendre et de préserver les relations que d’avoir « raison » ou de faire preuve de supériorité intellectuelle.</p>
<p>Une autre façon de concevoir l’humilité, intellectuelle ou autre, est d’être au bon niveau dans une situation donnée : pas trop haut (ce qui est de l’arrogance), mais pas non plus trop bas (ce qui est de l’autodépréciation).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/565899/original/file-20231214-29-aopjwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="male standing with mic, seated audience, in a casual business seminar" src="https://images.theconversation.com/files/565899/original/file-20231214-29-aopjwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565899/original/file-20231214-29-aopjwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565899/original/file-20231214-29-aopjwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565899/original/file-20231214-29-aopjwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565899/original/file-20231214-29-aopjwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565899/original/file-20231214-29-aopjwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565899/original/file-20231214-29-aopjwl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Avoir confiance en son domaine d’expertise n’est pas croire que l’on sait tout sur tout.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/photo/business-people-with-raised-arms-during-seminar-royalty-free-image/966267126">Morsa Images/DigitalVision via Getty Images</a></span>
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<p>Je connais assez bien la psychologie, mais pas beaucoup l’opéra. Lorsque je me trouve dans un cadre professionnel, je peux profiter de l’expertise que j’ai acquise au fil des ans. Mais lorsque je me rends à l’opéra avec des amis plus cultivés, je devrais écouter et poser davantage de questions, plutôt que d’affirmer avec assurance mon opinion très peu informée.</p>
<p>Les quatre principaux aspects de l’humilité intellectuelle sont les suivants :</p>
<ul>
<li><p>Ouvert d’esprit, évitant le dogmatisme et étant prêt à réviser ses croyances.</p></li>
<li><p>Curieux, vous recherchez de nouvelles idées, des moyens de vous développer et de grandir, et vous êtes capable de changer d’avis pour vous aligner sur des preuves solides.</p></li>
<li><p>Réaliste, en admettant vos défauts et vos limites, en voyant le monde tel qu’il est plutôt que tel que l’on voudrait qu’il soit.</p></li>
<li><p>être capable d’apprendre, en réagissant sans se mettre sur la défensive et en changeant son comportement pour s’aligner sur de nouvelles connaissances.</p></li>
</ul>
<p>L’humilité intellectuelle est souvent un travail difficile, surtout lorsque les enjeux sont importants.</p>
<p>En commençant par admettre que, comme tout le monde, vous avez des biais cognitifs et des défauts qui limitent votre savoir, l’humilité intellectuelle peut consister à s’intéresser sincèrement aux croyances de votre parent au cours d’une conversation lors d’une réunion de famille, plutôt que d’attendre qu’il ait terminé pour lui prouver qu’il a tort en lui faisant part de votre opinion – qui est supérieure.</p>
<p>Il peut s’agir d’examiner les mérites d’un autre point de vue sur une question politique brûlante et les raisons pour lesquelles des personnes respectables et intelligentes peuvent ne pas être d’accord avec vous. Lorsque vous abordez ces discussions difficiles avec curiosité et humilité, elles deviennent des occasions d’apprendre et de progresser.</p>
<h2>Pourquoi l’humilité intellectuelle est un atout</h2>
<p>Bien que <a href="https://theexperimentpublishing.com/catalogs/summer-2023/humble/">j’étudie l’humilité</a> depuis des années, je ne la maîtrise pas encore à titre personnel. Il est difficile de nager à contre-courant des normes culturelles qui <a href="https://doi.org/10.1177/1948550609355719">récompensent le fait d’avoir raison et punissent les erreurs</a>. Il faut travailler constamment pour la développer, mais la science psychologique a mis en évidence que cette attitude comporte de nombreux avantages.</p>
<p>Tout d’abord, il faut tenir compte des avancées sociales, culturelles et technologiques. <a href="https://theconversation.com/intellectual-humility-is-a-key-ingredient-for-scientific-progress-211410">Toute avancée significative</a> dans les domaines de la médecine, de la technologie ou de la culture est due au fait que quelqu’un a admis qu’il ne savait pas quelque chose et qu’il s’est ensuite passionné pour la recherche du savoir avec curiosité et humilité. Pour progresser, il faut <a href="https://doi.org/10.1016/j.paid.2016.03.016">admettre ce que l’on ne sait pas</a> et chercher à apprendre quelque chose de nouveau.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/565900/original/file-20231214-15-2ngmpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="animated people talking over a meal" src="https://images.theconversation.com/files/565900/original/file-20231214-15-2ngmpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565900/original/file-20231214-15-2ngmpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565900/original/file-20231214-15-2ngmpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565900/original/file-20231214-15-2ngmpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565900/original/file-20231214-15-2ngmpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565900/original/file-20231214-15-2ngmpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565900/original/file-20231214-15-2ngmpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’humilité intellectuelle peut rendre les conversations moins conflictuelles.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/photo/extended-family-having-meal-together-royalty-free-image/1256317730">Compassionate Eye Foundation/Gary Burchell/DigitalVision via Getty Images</a></span>
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<p>Lorsque les gens font preuve d’humilité intellectuelle, leurs relations avec les autres s’améliorent. Des recherches ont montré que l’humilité intellectuelle est associée à une <a href="https://doi.org/10.1080/17439760.2015.1037861">plus grande tolérance à l’égard des personnes avec lesquelles vous n’êtes pas d’accord</a>.</p>
<p>Par exemple, les personnes intellectuellement humbles acceptent mieux les personnes qui ont des opinions <a href="https://doi.org/10.1080/17439760.2016.1167937">religieuses</a> et <a href="https://doi.org/10.1080/15298868.2020.1714711">politiques</a> différentes des leurs. L’ouverture <a href="https://doi.org/10.1080/15298868.2017.1361861">aux nouvelles idées</a> en est un élément central, de sorte que les gens sont moins sur la défensive face à des perspectives potentiellement stimulantes. Ils sont <a href="https://doi.org/10.1080/17439760.2015.1004554">plus enclins à pardonner</a>, ce qui peut aider à réparer et à maintenir les relations.</p>
<p>Enfin, l’humilité facilite le développement personnel. L’humilité intellectuelle vous permet d’avoir une <a href="https://theconversation.com/teens-dont-know-everything-and-those-who-acknowledge-that-fact-are-more-eager-to-learn-214120">vision plus juste de vous-même</a>.</p>
<p>Lorsque vous <a href="https://doi.org/10.1111/phpr.12228">pouvez admettre et assumer vos limites</a>, vous pouvez aussi demander de l’aide dans les domaines où vous avez une marge de progression et vous êtes <a href="https://theconversation.com/turning-annual-performance-reviews-into-humble-encounters-yields-dividends-for-employees-and-managers-216949">plus réceptif aux informations reçues</a>. Lorsque vous vous limitez à faire les choses comme vous les avez toujours faites, vous manquez d’innombrables occasions de croissance, d’expansion et de nouveauté – autant de choses qui peuvent provoquer l’admiration, l’émerveillement, et font que la vie vaut la peine d’être vécue.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.1016/j.obhdp.2019.04.008">L’humilité peut ainsi favoriser le sentiment d’authenticité</a> et le développement personnel.</p>
<h2>L’humilité ne signifie pas qu’il faut se laisser faire</h2>
<p>Malgré ces bénéfices, l’humilité a parfois mauvaise presse. Les gens peuvent avoir des idées fausses sur l’humilité intellectuelle, il est donc important de dissiper certains mythes.</p>
<p>L’humilité intellectuelle n’est pas un manque de conviction ; on peut croire fermement à quelque chose jusqu’à ce que l’on change d’avis et que l’on croie autre chose. Ce n’est pas non plus être timoré. Vous devez placer la barre très haut en ce qui concerne les preuves dont vous avez besoin pour changer d’avis. Il ne s’agit pas non plus de se dévaloriser ou d’être toujours d’accord avec les autres. N’oubliez pas qu’il s’agit d’être au bon niveau, et non de se déprécier.</p>
<p><a href="https://www.intellectualhumilityscience.com/">Les chercheurs travaillent d’arrache-pied</a> pour valider des méthodes fiables permettant de cultiver l’humilité intellectuelle. Je fais partie <a href="https://www.templeton.org/grant/applied-research-on-intellectual-humility-a-request-for-proposals">d’une équipe</a> qui supervise un ensemble de projets visant à tester différentes interventions destinées à développer l’humilité intellectuelle.</p>
<p>Certains chercheurs examinent différentes façons d’engager des discussions, et d’autres explorent le rôle de l’amélioration de l’écoute. D’autres testent des programmes éducatifs, et d’autres encore cherchent à savoir si différents types de commentaires et l’exposition à divers réseaux sociaux peuvent renforcer l’humilité intellectuelle.</p>
<p>Des travaux antérieurs dans ce domaine suggèrent que <a href="https://doi.org/10.1177/009164711404200111">l’humilité peut être cultivée</a>, et nous sommes donc impatients de voir quelles seront les voies les plus prometteuses qui émergeront de ce nouveau projet.</p>
<p>Il y a une autre chose que la religion m’a enseignée qui était légèrement erronée. On m’a dit que trop apprendre pouvait être problématique ; après tout, qui souhaite apprendre au point de perdre sa foi ?</p>
<p>Mais dans mon expérience, ce que j’ai appris en perdant la foi a pu sauver la part de ma foi que je peux vraiment approuver et qui me semble authentique par rapport à mes expériences. Plus vite nous ouvrirons notre esprit et cesserons de résister au changement, plus vite nous trouverons la liberté qu’offre l’humilité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220712/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Certains des travaux décrits ont été soutenus par des subventions de la John Templeton Foundation accordées à Daryl Van Tongeren et à ses collègues. Cet article a été produit avec le soutien du Greater Good Science Center de l'université de Berkeley et de la John Templeton Foundation dans le cadre de l'initiative du GGSC sur la sensibilisation à la science de l'humilité intellectuelle.</span></em></p>L’humilité intellectuelle consiste à admettre ses propres préjugés et la possibilité de se tromper dans ses croyances ou sa vision du monde.Daryl Van Tongeren, Associate Professor of Psychology, Hope CollegeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171642023-12-25T20:25:39Z2023-12-25T20:25:39ZYoga, chamanisme, sorcellerie… Êtes-vous ouvert aux nouvelles spiritualités ?<p><em>Fabriquer ses propres croyances pour se distinguer de celles de sa famille, ériger la phrase « prendre du temps pour soi » en nouveau mantra, remplacer la religion par du développement personnel : le monde spirituel est-il devenu un objet de consommation comme les autres ? Pour beaucoup d’individus devenus adultes au tournant de l’an 2000, les conséquences de l’individualisme et du néolibéralisme ont eu aussi un impact sur leur rapport à la spiritualité.</em></p>
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<p>Avez-vous déjà essayé le <em>puppy yoga</em> ou le <em>yoga wine</em>, déclinaisons les plus récentes et les plus branchées d’un yoga sans cesse réinventé ? À moins que vous ne soyez davantage tenté par une « retraite spirituelle laïque » ? Ou alors avez-vous ressenti en vous l’appel de votre « sorcière intérieure » ? Mais peut-être êtes-vous plutôt « appli de méditation » ?</p>
<p>La « révolution spirituelle », constatée dès les années 1990 par les sociologues <a href="https://journals.openedition.org/assr/6402">Paul Heelas et Linda Woodhead</a>, semble plus que jamais en marche et ne cesse de gagner en ampleur.</p>
<p>Dans les librairies, les rayons qui sont dédiés <a href="https://theconversation.com/quel-nouveau-monde-et-la-spiritualite-dans-tout-ca-4-4-159959">à la spiritualité</a> ne font que croître et absorbent ceux dédiés à la religion, au bien-être, au développement personnel ou même à l’ésotérisme.</p>
<p>Associée à de multiples croyances et pratiques – du chamanisme à l’écologie en passant par la sorcellerie – la <a href="https://theconversation.com/au-travail-soyez-spirituels-mais-surtout-pas-religieux-95843">notion de « spiritualité »</a> a le vent en poupe et de plus en plus de personnes se définissent grâce à elle, <a href="https://theconversation.com/les-sans-religion-la-nouvelle-religion-103577">afin de mieux se distinguer de la religion</a>. Que cherche-t-on à exprimer aujourd’hui par ce terme ? Pourquoi l’oppose-t-on à la religion ?</p>
<p>La difficulté à définir la spiritualité se dissipe en partie lorsqu’on la met en rapport avec le contexte de notre modernité tardive, période contemporaine déterminée par l’accélération technologique, notamment, en <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/alienation_et_acceleration-9782707182067">suivant le philosophe Harmut Rosa</a>. Plus souple que la religion, il convient de comprendre la <a href="https://journals.openedition.org/assr/6402">« spiritualité moderne »</a> comme une multitude de systèmes individualisés, en permanente évolution et animée par une quête de sens et d’épanouissement personnel.</p>
<p>En filigrane, dans ces nouvelles spiritualités, s’observent aussi les conséquences de l’individualisme et du <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/index/sujet/neoliberalisme">néolibéralisme</a>, autant dans le rapport qu’ont les individus avec que dans l’idéologie qui les anime.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-meilleure-version-de-moi-meme-une-serie-grincante-qui-questionne-le-developpement-personnel-183750">« La meilleure version de moi-même », une série grinçante qui questionne le développement personnel</a>
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<h2>Une notion dépendante de son contexte</h2>
<p>Depuis deux décennies, les définitions académiques de la spiritualité <a href="https://www.cairn.info/la-spiritualite--9782348043451.htm">ne manquent pas</a>, rappelant en cela le problème de définition que connaît la religion.</p>
<p>La notion de « spiritualité » trouve son origine dans le christianisme et prend le sens qu’on lui prête aujourd’hui <a href="https://journals.openedition.org/assr/26353">à la fin du XVIᵉ siècle</a>. Elle désigne alors un rapport individuel et intériorisé avec Dieu, dans le cadre de la religion chrétienne, mais en dehors des voies institutionnelles.</p>
<p>Avec le temps, et en fonction des contextes, la notion évolue et renvoie à des pratiques et à des croyances extérieures au christianisme. En ce sens, la découverte du bouddhisme et des philosophies orientales, tout comme l’émergence, au XIX<sup>e</sup> siècle, du spiritisme ou de l’occultisme joue un rôle déterminant. Ainsi les sociologues ont-ils pris l’habitude de distinguer les spiritualités dites historiques de ces nouvelles spiritualités <a href="https://journals.openedition.org/assr/6402">qualifiées de « modernes »</a>.</p>
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<p><em>Comment habiter ce monde en crise, comment s’y définir, s’y engager, y faire famille ou société ? Notre nouvelle série « Nos vies modes d'emploi » explore nos rapports intimes au monde induits par les bouleversements technologiques, féministes et écologiques survenus au tournant du XXIe siècle.</em></p>
<p><em>À lire aussi :</em></p>
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<li><a href="https://theconversation.com/les-amis-notre-nouvelle-famille-217162"><em>Les amis, notre nouvelle famille ?</em></a></li>
<li><a href="https://theconversation.com/donnees-personnelles-comment-nous-avons-peu-a-peu-accepte-den-perdre-le-controle-218290"><em>Données personnelles : comment nous avons peu à peu accepté d’en perdre le contrôle</em></a></li>
<li><a href="https://theconversation.com/contraception-est-on-sorti-du-tout-pilule-219364"><em>Contraception : est-on sorti du « tout pilule » ?</em></a></li>
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<p>En effet, comme l’a mis en évidence <a href="https://vdv.mmg.mpg.de/wp-content/uploads/media/files/van_der_Veer_Social-Research-1097-1120.pdf">l’anthropologue Peter van der Veer</a>, ces spiritualités modernes ne peuvent se comprendre que dans le contexte à la fois historique et culturel de la modernité euro-américaine. Affectées par la sécularisation et l’individualisme, elles sont devenues, dans notre société, un véritable phénomène « de masse », tranchant avec la nature plutôt élitiste des spiritualités historiques. L’ampleur du phénomène a même poussé certains chercheurs, <a href="https://www.routledge.com/Selling-Spirituality-The-Silent-Takeover-of-Religion/Carrette-King/p/book/9780415302098">à l’instar de Jeremy Carette et Richard King</a>, à proposer de voir dans la spiritualité moderne la nouvelle forme qu’aurait prise la religion pour s’adapter à la modernité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/controverses-pourquoi-la-notion-de-la-cite-perturbe-le-debat-public-216654">« Controverses » : Pourquoi la notion de laïcité perturbe le débat public ?</a>
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<h2>La religion liquide</h2>
<p>Bien qu’il ne soit pas possible d’arrêter une définition universelle de la spiritualité, les discours de ceux qui s’en réclament s’articulent autour de quelques caractéristiques récurrentes et qui fonctionnent souvent en opposition avec leur perception de « la religion » – fondée sur leur compréhension du christianisme – et de « l’Occident ». La spiritualité se construit donc notamment sur un imaginaire qui oppose l’Occident moderne, à la fois chrétien et rationaliste, au reste du monde – et en particulier à l’Orient, terre par excellence de la spiritualité.</p>
<p>Contrairement à la religion, elle est vécue comme un système souple, sans dogmes ni institutions et comprenant très peu de contraintes. Elle se caractérise par une démarche personnelle, centrée sur soi et qui vise à établir une relation directe avec ce que certains appellent « le sacré », « le divin », « la transcendance », voire carrément « l’univers » – car les termes ne manquent pas.</p>
<p>La pratique n’est pas nécessairement collective et tend, de fait, à être de plus en plus strictement personnelle. En témoigne la sorcellerie solitaire, rendue populaire dans les années 1980 <a href="https://www.librarything.com/work/11569">par Scott Cunningham</a>. Dès lors, un sondage comme celui réalisé récemment par l’IFOP qui met en avant que 18 % des Français croiraient aux <a href="https://www.ifop.com/publication/etude-sur-les-croyances-irrationnelles-et-les-superstitions-aux-etats-unis-et-en-france">sorcières</a>, est difficile à interpréter. Les notions de « sorcières » et de « sorcellerie » ne renvoient à rien d’évident et peuvent exprimer, de fait, des croyances et des pratiques très hétérogènes.</p>
<p>La pratique n’est pas non plus obligatoirement attachée à des moments ni à des lieux spécifiques et peut s’exprimer aussi bien au cours d’une promenade en pleine nature que pendant qu’on fait la vaisselle, selon une technique de méditation devenue célèbre grâce au moine bouddhiste <a href="https://plumvillage.org/fr/articles-fr/the-zen-of-dishwashing">Thích Nhất Hạnh</a>.</p>
<p>Les spiritualités modernes représentent ainsi une forme de « religion liquide », à l’image de la « société liquide » dans laquelle nous évoluons aujourd’hui, décrite par le philosophe <a href="https://journals.openedition.org/osp/4389">Zygmunt Bauman</a>.</p>
<h2>Des spiritualités à la carte</h2>
<p>De nos jours, la spiritualité est devenue une sorte de catégorie dans laquelle se retrouve un grand nombre de croyances et de pratiques très différentes certes, mais qui ont en commun une même démarche intime et individuelle qui vise à établir un rapport direct avec autre chose que la réalité sensible et immédiate.</p>
<p>De fait, on ne saurait trouver un sens à imaginer la spiritualité comme étant un ensemble homogène et stable de croyances et de pratiques, car elle est bien davantage un ensemble de ressources à partir desquelles sont élaborés des systèmes individualisés et subjectifs.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/559117/original/file-20231113-19-sdpxpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C46%2C6210%2C4087&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/559117/original/file-20231113-19-sdpxpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/559117/original/file-20231113-19-sdpxpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/559117/original/file-20231113-19-sdpxpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/559117/original/file-20231113-19-sdpxpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/559117/original/file-20231113-19-sdpxpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/559117/original/file-20231113-19-sdpxpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le puppy yoga, l’un des derniers courants à la mode de la pratique, interroge les nouveaux rapports au bien-être et à la spiritualité.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/photo/crop-unrecognizable-woman-training-small-purebred-dog-on-yoga-mat-4498185/">karolina grabowska/pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p>Chacun évolue dans cet espace en fonction de ce qui, pour lui, « fait sens » et devient un « chercheur de vérité », <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/003776801048001008?icid=int.sj-abstract.similar-articles.2"><em>un spiritual seeker</em></a>, de sorte que les systèmes religieux sont décomposés et réagencés par les individus qui composent des <a href="https://www.persee.fr/doc/assr_0335-5985_1996_num_94_1_1029_t1_0136_0000_4">« religions à la carte »</a>, en pratiquant une sorte de <a href="https://journals.openedition.org/assr/20727">« bricolage syncrétique »</a>. Ainsi a-t-on pu voir apparaître une hypnose chamanique, des « méditations quantiques » ou des individus qui en fonction des moments s’adonnent à des pratiques appartenant à différentes traditions religieuses.</p>
<p>Dans son enquête publiée en 2015, Jean-François Barbier-Bouvet dresse un portrait type des « nouveaux aventuriers de la spiritualité », articulé autour d’un profil principalement urbain, féminin et doté d’un fort <a href="https://journals.openedition.org/rsr/3302">capital social et culturel</a>. Mais le véritable point commun entre tous ces individus réside dans leurs attentes vis-à-vis de la spiritualité.</p>
<h2>Des croyances utiles</h2>
<p>Si la question du sens de l’existence apparaît comme le cœur même de la quête spirituelle, celle-ci, en fonction des individus, passe par bien des chemins. Malgré l’apparente diversité des voies spirituelles modernes, ces dernières convergeraient toutes à leur manière vers une même et unique vérité qui constituerait le fonds commun à toutes les religions du monde.</p>
<p>Cependant, lorsqu’on prête attention aux discours des « spiritual seekers », la spiritualité est souvent l’expression d’un désir d’accomplissement de soi et de dépassement d’une condition humaine associée à la souffrance et à la mort. La spiritualité se propose ainsi d’aider à l’amélioration de soi et à l’apaisement des souffrances, ce qui explique sa proximité avec les milieux du bien-être et du développement personnel. Plus ou moins implicitement, le véritable objet de la spiritualité moderne est bel et bien la recherche du bonheur dans ce monde-ci et de son vivant.</p>
<p>L’intérêt pour la spiritualité manifeste donc une dimension fortement utilitaire. La croyance dogmatique, rejetée par la démarche spirituelle, est remplacée par une croyance profitable, dans le sens où elle est susceptible d’améliorer son quotidien. La spiritualité est, en quelque sorte, une forme de religion qui « fait du bien ».</p>
<p>Entre sa souplesse et son utilité, la spiritualité moderne peut être envisagée comme étant un « style de vie », une manière de vivre au quotidien, qui réordonne le monde selon une logique adaptée à chacun. Ainsi réinvesti d’un sens à la mesure de soi, le monde redevient un espace dans lequel les individus peuvent se projeter et vivre sereinement.</p>
<h2>Se reconnecter… au néolibéralisme</h2>
<p>En vantant notamment les mérites de l’adaptabilité, du dépassement de soi et de la résilience, cette « reconnexion » au monde se révèle être en adéquation avec <a href="https://www.cairn.info/revue-l-annee-sociologique-2001-1-page-257.htm">l’esprit néolibéral</a>. Plus encore : comme le suggère l’anthropologue <a href="https://journals.openedition.org/assr/26524">Lionel Obadia</a>, la spiritualité est devenue un bien de consommation comme un autre et le « chercheur de spiritualité » a tout du « consommateur de spiritualité ».</p>
<p>De fait, comme l’a mis en évidence <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/003776899046002005?journalCode=scpa">Hildegard van Hove</a>, il existe un véritable « marché spirituel », à l’intérieur duquel les individus consomment croyances et pratiques en fonction de leurs besoins et des circonstances, sans tenir compte des systèmes auxquels elles appartiennent. Dans cette perspective, les spiritualités modernes peuvent être envisagées comme le résultat d’un processus de transformation de la religion, de telle sorte à s’adapter aux nouvelles exigences d’un marché dominé par une nouvelle pratique de consommation, celle du bricolage religieux.</p>
<p>Malgré des discours parfois contestataires, les spiritualités modernes s’avèrent bien souvent être des rouages essentiels du néolibéralisme, ce qui explique l’importance que prend dans le monde du travail la <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/19167/spiritualite-et-management-entre-imposture-et-promesse">question de la spiritualité</a>, pendant que le <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/le_yoga_nouvel_esprit_du_capitalisme">Yoga</a> et la Mindfulness <a href="https://theconversation.com/la-meditation-le-nouvel-esprit-du-capitalisme-110918">deviennent les nouveaux remèdes miracles</a> susceptibles de résoudre tous les maux de notre société.</p>
<h2>Un ensemble de ressources dans un monde profondément instable</h2>
<p>Bien qu’envisagées comme une alternative au néant existentiel de la société contemporaine, les nouvelles spiritualités se révèlent être bien davantage des produits de la modernité, comme en atteste leur symbiose avec le néolibéralisme.</p>
<p>Elles constituent un ensemble de ressources que chaque individu agence à son gré et au fil de ses expériences, afin de donner du sens à son quotidien et trouver sa place dans un monde devenu profondément instable.</p>
<p>La séparation entre la spiritualité et la religion permet aussi de reformuler un même objet dans des termes mieux en phase avec les aspirations de nos sociétés sécularisées, comme peut en attester le dernier ouvrage de Frédéric Lenoir, <a href="https://www.albin-michel.fr/lodyssee-du-sacre-9782226438201"><em>L’Odyssée du sacré</em></a>, dans lequel le terme de « spiritualité » permet d’extraire de la religion ce qu’elle peut avoir de noble pour nous aujourd’hui, pour mieux faire oublier le reste.</p>
<p>Cependant, la sensibilité de la question de la spiritualité rappelle de nos jours qu’elle touche directement à notre intimité, à nos émotions, et à notre manière de voir le monde, et que, bien souvent, est bien poreuse la frontière entre quête spirituelle et démarche scientifique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217164/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Damien Karbovnik ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les nouvelles spiritualités et leur attraction, entrent en résonance avec le fonctionnement de notre société et le néolibéralisme.Damien Karbovnik, Sociologue des religions, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162842023-10-30T19:09:19Z2023-10-30T19:09:19ZComment les sorcières sont devenues des icônes féministes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/556306/original/file-20231027-17-4bj4it.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C0%2C1020%2C590&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Femmes accusées d'être sorcières brûlées sur le bûcher à Derenburg en 1555</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Zeitung_Derenburg_1555_crop.jpg">Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Halloween oblige, les sorcières réapparaissent, aux côtés d’autres figures d’épouvante convoquées pour l’occasion. Pourtant, contrairement aux citrouilles, zombies et autres <em>poltergeists</em>, elles n’ont jamais tout à fait quitté l’actualité ces dernières années – et surtout, elles se rapportent à une réalité historique.</p>
<p>Des personnalités contemporaines, comme la députée Sandrine Rousseau, ont par exemple signé des <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/lappel-de-200-personnalites-sorcieres-de-tous-les-pays-unissons-nous-3928922">tribunes associant cette figure à leurs revendications</a>. Présentées comme des femmes persécutées en raison de leur genre, dans la lignée des <a href="https://entremonde.net/caliban-et-la-sorciere">travaux de la philosophe Silvia Federici</a> et de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/sorcieres-9782355221224">l’ouvrage de Mona Chollet</a>, les sorcières irriguent le débat public.</p>
<p>En effet, la répression de la sorcellerie peut être vue comme une <a href="https://www.nonfiction.fr/article-9624-la-sorciere-metaphore-de-la-condition-feminine.htm">métaphore de la condition féminine à travers l’histoire</a>, manifestation violente de l’hégémonie patriarcale.</p>
<p>Pour les historiennes et les historiens spécialistes, le <a href="https://www.cambridge.org/core/books/abs/witchcraft-in-early-modern-europe/many-reasons-why-witchcraft-and-the-problem-of-multiple-explanation/8E67EE2828CB2F730F9E5D1DDB1B31A4">constat est plus contrasté</a>, <a href="https://books.openedition.org/pul/7157?lang=en">sans minimiser l’impact des discours et des imaginaires misogynes à l’œuvre dans ces accusations</a>, ni la réalité des dizaines de milliers de femmes persécutées et tuées pour crime de sorcellerie.</p>
<p>Finalement, de quoi parle-t-on lorsque nous évoquons les « sorcières » ? De trois objets, complémentaires, mais distincts. La persécution réelle d’individus accusés de sorcellerie d’abord. D’une figure symbolique ensuite, s’appuyant sur cette dernière, mais construction culturelle au fil des siècles sur laquelle se sont bâtis et appuyés des discours puissants et encore actifs aujourd’hui. D’une nouvelle réalité, enfin, celle d’individus s’identifiant comme « sorcières » et dont les pratiques comme les croyances se revendiquent des accusées du passé, notamment les adeptes des <a href="https://www.persee.fr/doc/assr_0335-5985_1997_num_100_1_1181_t1_0106_0000_3">mouvements néo-païens</a>.</p>
<h2>La répression de la sorcellerie, une réalité historique</h2>
<p>De l’Antiquité, le Moyen Âge conserve le souvenir d’une législation <a href="https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1976_ant_27_1_2009">romaine</a> et impériale rigoureusement sévère contre les magiciens et la magie, <a href="https://www.jstor.org/stable/283219">qu’elle condamnait à mort lorsque celle-ci était destinée à nuire</a>. Héritier de ces conceptions, le Moyen Âge chrétien organise une lutte contre toutes formes de réminiscences du paganisme – pratiques magiques et divinatoires, culte des idoles, etc. – que l’Église englobe dans le champ des superstitions.</p>
<p>Les premiers procès de sorcellerie apparaissent, dans les sources, <a href="https://www.binge.audio/podcast/pop-culture/maxime-et-les-proces-de-sorcellerie-partie-1">dès le début du XIIIᵉ siècle, notamment en Italie du Nord</a>. Ils se rencontrent de plus en plus fréquemment en raison, notamment, d’un changement de perception.</p>
<p>De fait, la sorcellerie est progressivement considérée comme un crime plus grave. Dès les années 1280, elle tend à être assimilée à une hérésie, dans le cadre d’une mouvement plus large. En effet, à la même période, l’Église inaugure un vaste projet de lutte contre toutes les hérésies, dans un contexte de crise politique et d’affirmation du pouvoir pontifical. Elle se dote d’une institution spécifiquement dédiée à ce projet, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-lundis-de-l-histoire/heresie-et-inquisition-9253397">l’Inquisition</a>.</p>
<p>Dans ce nouveau paradigme, la sorcellerie impliquerait explicitement un pacte avec le diable et l’invocation des démons. De ce fait, les accusés encourent la peine réservée aux hérétiques : la <a href="https://journals.openedition.org/medievales/1087">condamnation au bûcher</a>. Un des moments clefs de cette nouvelle définition est la promulgation, en 1326, de la bulle <em>Super illius specula</em> <a href="https://www.cairn.info/satan-heretique--9782738113665-page-17.htm">par le pape Jean XXII (1316-1334)</a>. La sorcellerie est considérée comme une menace tangible pour la société chrétienne.</p>
<p>Pour la combattre, l’Église n’est pas seule. Les pouvoirs laïcs – les rois, les seigneurs, mais aussi les villes – et leur justice participent également à la répression.</p>
<p>Les procès se rencontrent de plus en plus fréquemment en Europe et se multiplient jusqu’à la fin du XV<sup>e</sup> siècle, sans être toutefois un phénomène de masse.</p>
<p>Bien qu’associées dans l’imaginaire collectif au Moyen Âge, les grandes « chasses aux sorcières » ne démarrent véritablement qu’à l’époque moderne.</p>
<p>L’approche quantitative de la répression de la sorcellerie est complexe. La conservation des sources est incomplète, leur étude non exhaustive. Néanmoins, un consensus se dégage. En Europe, entre les XIII<sup>e</sup> et XVIII<sup>e</sup> siècles, le nombre de procès en sorcellerie se situerait entre <a href="https://www.kaggle.com/datasets/michaelbryantds/witch-trials">100 000 et 120 000 pour 30 000 à 50 000 exécutions</a>.</p>
<h2>Entre 1550 et 1650, 80 à 85 % des personnes poursuivies sont des femmes</h2>
<p>Parmi les individus accusés, les femmes occupent une part prépondérante sur l’ensemble de la période de criminalisation.</p>
<p>Celles-ci ont des profils très divers. Contrairement aux idées reçues, l’étude des procès révèle que ce ne sont <a href="https://www.persee.fr/doc/hes_0752-5702_1993_num_12_2_1668">pas exclusivement des femmes marginalisées, vieilles, célibataires ou veuves</a>. Toutes les catégories sociales se rencontrent devant les tribunaux, y compris les mieux insérées et les plus fortunées.</p>
<p><a href="https://www.cath.ch/newsf/la-chasse-aux-sorcieres-sest-developpee-comme-une-fake-news/">Personne n’est à l’abri d’une accusation de sorcellerie</a>, souvent issue d’une dénonciation, qui peut découler d’une rumeur ou de tensions.</p>
<p>À l’origine, la machine judiciaire n’est pas spécifiquement dirigée contre les femmes, mais la persécution se concentre sur elles <a href="https://books.openedition.org/pul/7157?lang=en">à partir de la fin du Moyen Âge et tout au long de l’époque moderne</a>.</p>
<p>Ainsi, si cette criminalisation touche à l’époque médiévale <a href="https://hal.science/hal-03296671/">autant les femmes que les hommes</a> – avec parfois des particularismes régionaux où peuvent s’observer <a href="https://journals.openedition.org/crm/11507?lang=es">certaines nuances</a>, <a href="https://www.routledge.com/The-Witch-Hunt-in-Early-Modern-Europe/Levack/p/book/9781138808102">entre 1550 et 1650, 80 à 85 % des personnes poursuivies auraient été des femmes</a>.</p>
<p>Pour comprendre cette évolution, il faut se pencher sur le concept novateur du sabbat, sur lequel se sont appuyées les chasses aux sorcières. Cet imaginaire, qui se construit au XV<sup>e</sup> siècle, englobe, en apparence, autant les hommes que les femmes. Toutefois, dès le départ, comme l’indiquent les historiennes Martine Ostorero et Catherine Chêne, il diffuse les ferments d’une misogynie destinée à s’amplifier par la suite, dans une <a href="https://shs.hal.science/halshs-03394529">période de circulation intense de stéréotypes contre les femmes</a>. Selon ce paradigme, les femmes, plus faibles, sont davantage susceptibles de <a href="https://journals.openedition.org/crm/768">céder au diable que les hommes</a>.</p>
<p>Avant toute chose, c’est du fait de la croyance en la réalité de leur pacte avec les démons que ces femmes, mais aussi ces hommes et ces enfants, font l’objet de poursuites judiciaires et, dans un cas sur deux, sont susceptibles d’être condamnés, le plus souvent à mort.</p>
<h2>La sorcière, de la répression à la figure « mythique »</h2>
<p>Plusieurs coups d’arrêts marquent la fin des procès et amorcent la décriminalisation de la sorcellerie (édit du Parlement de Paris de 1682, <em>Witchcraft Act</em> de 1736). Ainsi, en Europe, <a href="https://www.slate.fr/societe/femmes-coupables/anna-goldi-proces-injuste-sorciere-condamnee-mort-histoire-suisse">Anna Göldi</a> fut la dernière personne exécutée pour sorcellerie en 1734 à Glaris, en Suisse.</p>
<p>Désormais dépénalisé, le phénomène devient un objet d’études et de fascination.</p>
<p><em>La Sorcière</em> de Jules Michelet (1862) marque une rupture importante dans la réhabilitation du personnage. En insistant sur sa dimension symbolique et mythique dans le discours historique national, la sorcière ne serait plus simplement une création de l’Église et de l’État pour justifier leur pouvoir. C’est l’incarnation du peuple, auquel il attribue un génie particulier, et de sa <a href="https://books.openedition.org/septentrion/13577?lang=fr">révolte contre les oppressions du Moyen Âge</a>.</p>
<p>Une nouvelle approche de la sorcellerie émerge en parallèle, mettant l’accent sur ses éléments folkloriques. Certains auteurs, comme les frères Grimm, cherchent à démontrer les liens entre la <a href="https://publikationen.sulb.uni-saarland.de/handle/20.500.11880/23635">sorcellerie et les anciennes croyances païennes</a>. Leurs œuvres ont contribué à la circulation de la <a href="https://www.24heures.ch/comment-ma-sorciere-est-devenue-bien-aimee-259859275274">figure de la sorcière dans la culture populaire</a>, où l’on a assisté à son <a href="https://leclaireur.fnac.com/article/66475-sorcieres-des-icones-de-la-pop-culture-entre-bouc-emissaire-et-stars-des-reseaux-sociaux/">« réenchantement »</a>.</p>
<h2>Sorcières et paganisme</h2>
<p>Au tournant du XX<sup>e</sup> siècle, Alphonse Montague Summers suggère que les sorcières étaient membres d’une organisation secrète, hostile à l’Église et à l’État, qui poursuivrait des <a href="https://www.academia.edu/79069952/The_History_OF_Witch_Craft_And_Demonology_Montague_Summers_Complete_Edition_Ultra_Rare_Book_Exhaustive_Annalysis_on_Demons_to_the_Occult_ETC">cultes païens antérieurs au christianisme</a>. On lui doit surtout la traduction du <em>Marteau des sorcières</em>, traité du dominicain Heinrich Kramer, composé entre 1486-1487, dans lequel il appelle à la lutte contre l’hérésie des sorcières, que Summers produit pour donner une <a href="https://www.jstor.org/stable/43446479">nouvelle actualité à son contenu et à ses théories misogynes, auxquelles il adhère</a>.</p>
<p>En 1921, Margaret Alice Murray propose des <a href="https://books.openedition.org/pur/52872?lang=fr">interprétations nouvelles et controversées sur le paganisme des sorcières</a>.</p>
<p>Dans <em>The Witch-Cult in Western Europe</em> (1921), elle suppose l’existence continue d’un culte archaïque de la fertilité dédiée à la déesse Diane dont les sorcières avaient prolongé la pratique ainsi que l’existence réelle, partout en Europe, au sein de sectes de sorcières (des <em>covens</em>). En 1931, dans <em>God of Witches</em>, elle postule encore que ce culte rendrait hommage à un « dieu cornu », diabolisé au Moyen Âge, et que les sorcières avaient été persécutées, après que ces <em>covens</em> furent découverts, vers 1450, puisqu’elles auraient formé une résistance souterraine opposée à l’Église et à l’État.</p>
<p>Ses théories sont <a href="https://www.persee.fr/doc/assr_0335-5985_1997_num_100_1_1181_t1_0106_0000_3">à l’origine des mouvements néo-païens comme la Wicca</a>. Les adeptes de cette religion se nomment sorcières et sorciers. Initiée au Royaume-Uni par Gerald Gardner en s’inspirant des travaux de Murray, la Wicca fait partie d’un mouvement païen contemporain plus vaste fondant leurs pratiques <a href="https://theconversation.com/as-witchcraft-becomes-a-multibillion-dollar-business-practitioners-connection-to-the-natural-world-is-changing-209677">sur l’idée d’une réactivation d’une culture qualifiée de préchrétienne</a>.</p>
<p>Le nombre d’adeptes de cette religion fait l’objet de discussions intenses, mais on estime qu’il pourrait y avoir <a href="https://www.newsweek.com/witchcraft-wiccans-mysticism-astrology-witches-millennials-pagans-religion-1221019">environ 1,5 million de « sorcières » et de « sorciers » aux États-Unis</a>.</p>
<h2>Sorcières et féminisme</h2>
<p>Dès la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, dans la première vague féministe, la célèbre autrice et suffragette américaine <a href="https://www.jstor.org/stable/25163624?searchText=Matilda%20Joslyn%20Gage&searchUri=%2Faction%2FdoBasicSearch%3FQuery%3DMatilda%2BJoslyn%2BGage&ab_segments=0%2Fbasic_search_gsv2%2Fcontrol&refreqid=fastly-default%3A62c5b4843b71d8780360c10391a32089">Matilda Joslyn Gage</a> voit en la sorcière le symbole de la science réprimée par l’obscurantisme et l’Église.</p>
<p>Dans le cadre du mouvement de libération des femmes, l’œuvre de Murray inspire un <em>Witches Liberation Movement</em> qui donne naissance à de nombreux groupes féministes aux États-Unis <a href="https://www.jstor.org/stable/3173832">tout particulièrement à New York, à partir d’octobre 1968</a>.</p>
<p>En proposant de réhabiliter le terme « sorcière » grâce à la déconstruction des stéréotypes négatifs associés à ce terme, le mouvement le réinterprète comme une figure de résistance féminine.</p>
<p>Dans les milieux américains, en 1973, Barbara Ehrenreich et Deirdre English, journalistes et écrivaines, signent <em>Sorcières, sages-femmes et infirmières</em>. Elles avancent une théorie controversée. Si les femmes ont été persécutées comme sorcières, c’est en raison d’un savoir accumulé qui mettrait en péril la norme et la domination de genre, et plus spécifiquement la communauté médicale masculine concurrencée par leur connaissance du corps féminin. S’il est vrai que les <a href="https://theconversation.com/la-disparition-progressive-des-femmes-medecins-du-moyen-age-une-histoire-oubliee-192360">professions médicales se structurent au profit des hommes</a> à la fin du Moyen Âge, rien n’établit une corrélation entre un savoir détenu par les femmes et leur condamnation pour sorcellerie. L’historien David Harley parle même de <a href="https://academic.oup.com/shm/article-abstract/3/1/1/1689119">« mythe » de la sorcière sage-femme</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/iBpSYYJSf9k?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Tremate, tremate le streghe son tornate ! » (Tremblez, tremblez, les sorcières sont de retour !).</span></figcaption>
</figure>
<p>Dans le même temps, en Italie, les mouvements militants en faveur de la légalisation de l’avortement et engagés dans l’« Unione Donne Italiane », une association féministe italienne créée en 1944, s’inspirent de la vision de Michelet et utilisent pour slogan « Tremate, tremate, le streghe son tornate » (<em>Tremblez, tremblez, les sorcières sont de retour !</em>).</p>
<p>Issues de ces luttes, la sociologue Leopoldina Fortunati et la philosophe Silvia Federici proposent une lecture nouvelle de Karl Marx pour expliquer l’émergence du capitalisme. Selon elles, la naissance de ce système a nécessairement impliqué l’apport d’une <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/dictionnaire/definition/96548">accumulation primitive de capital</a> permise par la dépossession sytématique par les hommes du travail non payé des femmes, de leurs corps, de <a href="https://journals.openedition.org/grm/783">leurs moyens de production et de reproduction</a>. En somme, pour les autrices, le <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2014/07/09/le-corps-terrain-originel-de-l-exploitation-des-femmes_4454118_3260.html">capitalisme n’aurait pas pu se déployer sans le contrôle des corps féminins</a>. L’institutionnalisation du viol, de la prostitution et de la chasse aux sorcières auraient été des manifestations de l’assujettissement méthodique des femmes par les hommes <a href="https://journals.openedition.org/grm/783">et de l’appropriation de leur travail</a>.</p>
<p>Dans cette perspective, Françoise d’Eaubonne, grande figure du MLF et de l’écoféminisme français, dans <em>Le sexocide des sorcières</em> (1999), analyse la chasse aux sorcières comme une « guerre séculaire contre les femmes ».</p>
<p>Très largement médiatisée, la sorcière entre définitivement dans le langage commun comme une figure devenue incontournable de l’<em>empowerment</em> féminin.</p>
<p>Il existe donc un écart manifeste entre la compréhension historique d’un phénomène de répression et les discours et interprétations qui mobilisent la figure de la sorcière depuis le XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Ces réinvestissements – <a href="https://theyorkhistorian.com/2017/03/11/the-european-witch-hunts-a-mass-murder-of-women/">sans être exempts d’approximations ou d’anachronismes</a> – ne possèdent pas moins de valeur, tant sur le plan symbolique qu’analytique. Ils témoignent des préoccupations actuelles, politiques, sociales et culturelles.</p>
<p>Plus généralement, comme l’annonçait dès 1975 la <a href="https://femenrev.persee.fr/issue/sorci_0339-0705_1975_num_1_1">revue féministe française <em>Sorcières</em></a>, ils expriment le combat pour la cause des femmes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216284/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maxime Gelly-Perbellini ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De quoi parle-t-on lorsque nous évoquons les « sorcières » ? Et quels imaginaires convoque cette figure historique devenue mythique ?Maxime Gelly-Perbellini, Doctorant en histoire du Moyen Âge, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2082072023-09-21T16:31:27Z2023-09-21T16:31:27ZL’antivax, cet ennemi trop fantasmé<p>La pandémie de Covid-19 a suscité un grand intérêt pour ce qu’on appelle « l’hésitation vaccinale », non seulement de la part des autorités et des experts, mais aussi d’un public soucieux de mettre fin à la pandémie. La figure de l’« antivax », souvent représenté comme un être profondément irrationnel, complotiste, chevillé aux réseaux sociaux, s’est érigée comme un épouvantail, s’inscrivant dans l’imaginaire collectif.</p>
<p>Cette image caricaturale <a href="https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2019-2-page-221.htm">sert souvent de miroir</a> à celles et ceux qui se revendiquent de la méthode scientifique. En sachant qui sont nos adversaires, nous pouvons mieux identifier qui nous sommes…</p>
<p>Pourtant, de nombreuses enquêtes d’opinion ont tenté d’identifier les attitudes du public par rapport à la vaccination et de peindre cette réalité sous un jour plus nuancé. Nous avons contribué à ces efforts, notamment à travers le <a href="https://motivationbarometer.com/">« baromètre de la motivation »</a>, une recherche de grande ampleur menée en Belgique pendant toute la durée de la pandémie.</p>
<p>Sur base de l’expérience acquise dans ce cadre, et plus largement sur foi de la littérature récente sur ces questions en sciences psychologiques, nous aimerions tirer quelques leçons dans le domaine de la psychologie de la vaccination.</p>
<h2>De « l’antivax » à « l’hésitant vaccinal »</h2>
<p>L’hésitation vaccinale correspond au fait de refuser de se faire vacciner, ou de tarder à le faire, en dépit de la disponibilité d’un vaccin. Il s’agit donc souvent d’un comportement « par omission », ce qui le rend d’autant plus difficile à cerner pour les psychologues.</p>
<p>En effet, ce non-comportement peut découler d’une variété de facteurs qui ne correspondent pas forcément à une opposition radicale à la vaccination, comme tendrait à le suggérer l’image caricaturale de l’antivax évoquée plus haut.</p>
<p>On peut, par exemple, être favorable au principe de la vaccination, mais ne pas se faire vacciner (ou ne pas faire vacciner son enfant) pour des raisons logistiques : manque de temps, infrastructures non disponibles, difficultés de mobilité… Ou encore parce qu’on se sent <a href="https://europepmc.org/article/ppr/ppr552049">« peu à risque »</a>, parce que l’on a l’impression que « ça ne sert à rien », etc.</p>
<p>Par ailleurs, certaines personnes sont opposées à un vaccin spécifique, mais pas à un autre. D’autres peuvent considérer que le vaccin est sûr pour la plupart des gens, mais pas pour elles (étant donné leur histoire médicale ou leurs expériences précédentes…). Bref, ce qu’on appelle l’hésitation vaccinale correspond à des réalités psychologiques fort variées.</p>
<p>Ce préalable étant posé, est-il légitime d’associer hésitation vaccinale et conspirationnisme ?</p>
<h2>Les hésitants vaccinaux sont-ils des complotistes ?</h2>
<p>Une vaste <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2352250X22001105">étude</a> internationale révèle un lien solide entre l’adhésion à des théories du complot sans rapport direct avec la vaccination (par exemple, à propos de la mort de Lady Di) et l’hésitation vaccinale.</p>
<p>Comment interpréter une telle association ? Il est tentant de voir le conspirationnisme comme la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0277953622002325">source des attitudes d’opposition à la vaccination</a>. Après tout, la vaccination de masse est une vaste entreprise impliquant de nombreuses institutions et organisations (industries pharmaceutiques, organes de veille sanitaire, médecins…) qui ont le don de susciter la méfiance des personnes attirées par des théories du complot.</p>
<p>Toutefois, à l’inverse, l’adhésion à des théories conspirationnistes permet aussi de rationaliser le refus de se faire vacciner. En d’autres termes, on se trouve face au problème de « l’œuf ou la poule » : si l’hésitation vaccinale peut découler du conspirationnisme, ce dernier peut aussi justifier la non-vaccination a posteriori.</p>
<p>Il se peut ainsi que l’on hésite à se faire vacciner en <a href="https://theconversation.com/us/topics/needle-phobia-31925">raison de la peur des seringues, très commune</a>. Dans le cas d’une telle crainte – bien ancrée, mais dont on admettra aisément le caractère irrationnel, les supposées manigances de « Big Pharma » peuvent agir comme un paravent utilisé pour masquer une réelle panique à l’idée de voir une aiguille pénétrer dans ses muscles.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Photo d’une personne en train de recevoir une injection" src="https://images.theconversation.com/files/546967/original/file-20230907-29-ba1i96.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/546967/original/file-20230907-29-ba1i96.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/546967/original/file-20230907-29-ba1i96.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/546967/original/file-20230907-29-ba1i96.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/546967/original/file-20230907-29-ba1i96.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/546967/original/file-20230907-29-ba1i96.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/546967/original/file-20230907-29-ba1i96.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La crainte des piqûres peut dans certains cas expliquer l’hésitation vaccinale, sans que cette motivation soit clairement exprimée.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/jWPNYZdGz78">Steven Cornfield/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://artlibre.org/licence/lal/en">FAL</a></span>
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<p>La question de la poule et de l’œuf n’est donc pas toujours évidente à démêler quand on envisage les relations entre vaccination et complotisme. Cependant, une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/19485506231181659">étude récente</a> suggère que la fonction de rationalisation jouée par le conspirationnisme est plus importante que celle de déterminant.</p>
<p>Bref, il serait simpliste de réduire les causes de l’hésitation vaccinale au conspirationnisme.</p>
<h2>Croire et « croiver »</h2>
<p>Lorsque les gens expriment leur positionnement par rapport à la vaccination, ou par rapport à une théorie conspirationniste, ils ne font pas que révéler une attitude fermement ancrée. Ils expriment aussi la façon dont ils se situent dans leur univers social. Dire « je suis contre la vaccination », peut signifier « je suis libre »/« je ne me laisserai pas faire ». On l’oublie souvent : les attitudes ont une fonction expressive.</p>
<p>Sur la base d’entretiens menés dans un quartier populaire bruxellois, le sociologue Renaud Maes constate que l’opposition à la vaccination chez les jeunes reflète en fait une <a href="https://revuenouvelle.be/La-spirale-de-la-desaffiliation">forme de défiance vis-à-vis du monde médical</a> (qui facturerait des soins non nécessaires) et des autorités (qui chercheraient à les surveiller).</p>
<p>Imaginons quelqu’un qui réponde « tout à fait d’accord » à l’affirmation « les vaccins à ARN messager sont dangereux », dans un questionnaire. Cela reflète-t-il une croyance ? Sebastian Dieguez <a href="https://eliotteditions.fr/10-croiver/">propose</a> la distinction entre « croire » et « croiver » pour caractériser la différence entre deux sens possibles de ce verbe : comme conviction de l’existence d’une réalité (penser que ces vaccins sont effectivement dangereux) d’une part, comme posture manifestant une identité (par ex. son refus d’être un « mouton ») d’autre part.</p>
<p>Ces deux postures n’appellent pas les mêmes réponses. Pour démonter une « croyance », on pourra s’armer de faits. En revanche, s’attaquer à une « croivance » demandera d’en identifier les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0963721420969364">racines</a>. À quelle motivation plus profonde répond l’expression de cette affirmation ? Est-il possible de concilier cette motivation et la vaccination (qui, après tout, n’est ici qu’un prétexte) ?</p>
<p>Bien sûr, plutôt que de voir la croyance et la « croivance » comme des réalités dichotomiques, on peut les envisager comme les extrêmes d’un continuum.</p>
<h2>Réactance</h2>
<p>Nous n’avons pas pris l’exemple de l’affirmation « je suis libre » au hasard. Ce qu’on appelle la réactance ou la volonté d’affirmer sa liberté, en réagissant à des injonctions visant à la contraindre, est une des variables psychologiques les <a href="https://psycnet.apa.org/buy/2018-03974-001">plus intimement associées</a> à l’hésitation vaccinale.</p>
<p>À bien des égards, l’opposition à la vaccination est, pour certains de celles et ceux qui la revendiquent, analogue au comportement du célèbre manifestant chinois bravant seul une colonne de chars sur la place Tien Anmen, en 1989…</p>
<p>La théorie de la <a href="https://books.google.be/books?id=6ZxGBQAAQBAJ">réactance</a> postule que les individus sont attachés à leur liberté et sont dès lors susceptibles de réagir à des messages vécus comme contraignant celle-ci de façon opposée à ce que prescrivent ces messages. Ce faisant, ils espèrent recouvrer leur liberté menacée.</p>
<p>Une <a href="https://psycnet.apa.org/record/2018-03974-001">étude menée dans 24 pays</a> montrait en 2018 que la tendance à la réactance était l’un des principaux corrélats psychologiques des attitudes d’opposition à la vaccination. Une autre met en évidence que cette réactance explique fort bien les <a href="https://iaap-journals.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/aphw.12285">réponses de personnes hésitantes à des politiques d’obligation vaccinale</a>.</p>
<p>Exprimer des attitudes ou croyances contraires à des normes vécues comme contraignantes peut ainsi répondre à une telle motivation. On se situera alors clairement, là encore, dans le domaine de la « croivance ». À la lumière de ces résultats, les travaux sur la réactance et sur la réalité de l’effet de retour de flamme gagneraient à être davantage intégrés pour mieux appréhender l’impact des attitudes vaccinales sur la réaction aux messages de santé.</p>
<h2>L’hésitation vaccinale : une attitude fluctuante</h2>
<p>Lorsqu’on consultait les <a href="https://motivationbarometer.com/fr/portfolio-item/18-vaccinatiebereidheid-en-motivatie/">résultats</a> du baromètre de motivation en décembre 2020, alors que le vaccin n’était pas disponible, il était légitime de s’interroger sur l’enthousiasme de la population belge à se faire vacciner (le même constat s’applique dans de <a href="https://www.mdpi.com/2076-393X/9/8/900">nombreux pays</a>). Une proportion considérable de répondants hésitait ou s’opposait à la vaccination.</p>
<p>En revanche, lorsque nous avons interrogé ces mêmes personnes <a href="https://motivationbarometer.com/fr/rapporten-2/">quelques mois plus tard</a>, la plupart manifestaient des attitudes bien plus favorables. C’était un cas classique de « bandwagoning » (« prise du train en marche ») : à mesure que les personnes de leur entourage se faisaient vacciner, bon nombre d’hésitants de la première heure tendaient à faire de même. Pourquoi ?</p>
<p>L’influence du comportement des autres membres de sa communauté joue ici un rôle capital. Dans une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/10410236.2021.1973702">étude</a> ingénieuse, les auteurs ont présenté un site web de prise de rendez-vous en vue d’une vaccination. Selon la condition, soit 25 %, soit 75 % des places étaient déjà prises.</p>
<p>Les répondants s’inscrivaient bien davantage dans cette dernière condition.</p>
<p>Les normes sociales – ce que les membres de notre groupe font ou jugent désirable de faire – jouent un rôle déterminant dans nos attitudes. En situation d’incertitude, elles sont un puissant guide, une preuve sociale, permettant d’orienter nos conduites. Pour vous en convaincre, imaginez-vous en présence d’une foule s’enfuyant devant un nuage de fumée dont vous ignorez l’origine. Ne serez-vous pas tenté de courir avec elle ?</p>
<p>Et de fait, des <a href="https://bpspsychub.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/bjhp.12550">études récentes</a> montrent que le lien entre conspirationnisme et l’intention de se faire vacciner s’annulait si on prenait en compte les normes perçues. Autrement dit, si on croit que son entourage trouve important de se faire vacciner, on se fait vacciner bien plus, quel que soit le niveau de conspirationnisme. Ce dernier ne prédit l’intention de se faire vacciner que lorsque l’on ne perçoit pas de norme provaccination dans son entourage.</p>
<h2>Rapport à la science et attitudes vaccinales</h2>
<p>Étant donné les résultats spectaculaires de la vaccination, qui constitue l’une des réponses les plus efficaces apportées par la science pour lutter contre les maladies infectieuses, on peut se demander si l’opposition à la vaccination se nourrit d’un manque de culture scientifique.</p>
<p>Une fois encore, la réponse à cette question est plus nuancée qu’il n’y paraît. Certes, l’adhésion à des systèmes de croyances concurrents peut expliquer en partie les attitudes d’opposition à la vaccination. Ainsi l’adhésion à certaines croyances religieuses, telle que la providence divine, <a href="https://www.editions-vendemiaire.com/catalogue/collection-chroniques/antivax-francoise-salvadori-et-laurent-henri-vignaud/">a pu jouer un rôle</a> dans la résistance à la vaccination (et continue à le faire dans certaines communautés).</p>
<p>En Occident, d’un autre côté, une forme de spiritualisme laïque, selon lequel seule l’expérience personnelle, voire l’intuition, seraient plus « vraies » que des propositions générales et abstraites, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0264410X22014633">semble autrement plus important</a>. Son effet sur la vaccination s’explique par une confiance plus faible dans la science.</p>
<p>Dans le même temps, de nombreuses personnes opposées à la vaccination manifestent une véritable foi en la science et <a href="https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2019-2-page-221.htm?ref=doi">se réclament de celle-ci</a> pour justifier leurs attitudes. Dans leur esprit, la pratique de la science aurait été pervertie par des intérêts financiers ou politiques. Celles et ceux qui promeuvent la vaccination (des experts universitaires aux autorités) ne pratiqueraient donc pas une science « neutre » et « véritable », dont eux se revendiquent être garants.</p>
<p>En ce sens, c’est moins une absence de culture scientifique, qu’une absence de confiance dans les institutions scientifiques qui nourrit leur défiance.</p>
<h2>Le messager souvent plus important que le message</h2>
<p>Pour un public incertain, peu sûr de ses connaissances médicales, le contenu des messages centrés sur les bénéfices de la vaccination est souvent moins important que leur source – puis-je lui faire confiance ou pas ?</p>
<p>Ainsi, dans une étude menée aux États-Unis auprès de participants chrétiens non vaccinés, un message provaccination s’avérait beaucoup plus efficace si sa source (le directeur d’une importante agence de santé) <a href="https://www.pnas.org/doi/full/10.1073/pnas.2106481118">mettait en exergue sa foi chrétienne que s’il ne le faisait pas</a>. En fait, on constate même qu’un même message de santé peut être accepté ou rejeté selon que ceux qui le professent proviennent d’un groupe auquel on s’identifie ou pas…</p>
<p>Par exemple, aux États-Unis, des électeurs républicains <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/13684302221118534">adhéraient</a> plus à des mesures sanitaires si elles étaient recommandées par des élus républicains que démocrates alors que l’inverse se produisait pour des démocrates… quand bien même cette appartenance politique n’avait aucune pertinence par rapport à leurs compétences médicales.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1426921538083856387"}"></div></p>
<p><em><sub>Ce tweet de la vice-présidente des États-Unis Kamala Harris avait plus de chance d’être entendu par les sympathisants démocrates que républicains… </sub></em></p>
<p>Ces résultats soulignent le fait que la confiance dans les autorités, nécessaire pour mettre en œuvre des comportements de santé comme la vaccination, est ancrée dans l’appartenance à une collectivité dont on se définit comme membre. On a confiance en un message dans la mesure où sa source représente bien un groupe auquel on s’identifie.</p>
<h2>Hésitation vaccinale et rationalité</h2>
<p>Il importe de souligner que les processus psychologiques mis en évidence s’appliquent tout autant aux personnes qui sont favorables à la vaccination.</p>
<p>Lorsque ces dernières font part de leur enthousiasme pour la vaccination, elles aussi répondent à des motivations bien plus diverses qu’une simple adhésion à un message de santé. Il peut s’agir de revendiquer une <a href="https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2019-2-page-221.htm">image de « rationalité »</a>, de démontrer son <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S027795362100527X">altruisme</a>, de maintenir un <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/07334648221081982">sentiment de contrôle sur sa destinée</a> ou la croyance que le monde est <a href="https://academic.oup.com/tbm/article/12/2/284/6509471?login=false">juste</a>, etc.</p>
<p>Elles aussi sont sujettes <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/10810730.2021.1899346">à des normes sociales</a> et à l’<a href="https://www.ssph-journal.org/articles/10.3389/ijph.2021.636255/full">influence d’autorités en qui elles ont confiance</a>. Et elles aussi tendent à rationaliser leurs choix de santé dans un sens qui les arrange…</p>
<p>Et si un anti-vaccin peut finir par se ranger à la vaccination, le mouvement inverse peut se produire, <a href="https://theconversation.com/vaccination-une-hesitation-francaise-150773">lors d’une crise sanitaire mal gérée par exemple</a>. En matière de lutte contre l’hésitation vaccinale, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/09636625211011881">il ne sert donc à rien de ridiculiser</a> ceux qu’on désigne comme « antivax », car cela risquerait de renforcer leurs postures.</p>
<p>On sera mieux avisé d’essayer de cerner les mécanismes qui motivent les prises de position de chacun, afin mieux comprendre l’origine de ces attitudes et ce qui est susceptible de les (et de nous) faire évoluer…</p>
<hr>
<p><strong><em>Pour aller plus loin :</em></strong></p>
<p><em>- Olivier Klein et Vincent Yzerbyt sont les auteurs de <a href="https://www.editions-ulb.be/fr/book/?GCOI=74530100520450">« Psychologie de la vaccination »</a>, un livre de vulgarisation scientifique présentant les recherches sur l’hésitation vaccinale, paru en 2023 aux Éditions de l’Université de Bruxelles.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208207/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Klein est membre du think thank INES (<a href="https://inesthinktank.be">https://inesthinktank.be</a>). Il a reçu des financements du FRS-FNRS (fonds national belge de la recherche scientifique) et de l'institut national d'assurance malade invalidité (Belgique). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Vincent Yzerbyt est membre du think tank InES (<a href="https://inesthinktank.be/">https://inesthinktank.be/</a>). Pour les travaux dans le cadre de la pandémie, il a reçu des financements du Fonds National de la Recherche scientifique (FWB, Fédération Wallonie-Bruxelles, Belgique), de l'INAMI (INAMI Institut national d'assurance maladie-invalidité, Belgique) et du ministère de l'enseignement supérieur de la FWB.</span></em></p>Comprendre les ressorts de l’hésitation vaccinale est essentiel pour mieux convaincre. Loin du cliché de l’antivax complotiste, les recherches de ces dernières années dépeignent un tableau nuancé.Olivier Klein, Professeur de psychologie sociale, Université Libre de Bruxelles (ULB)Vincent Yzerbyt, Professeur de Psychologie sociale, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2057672023-05-17T18:11:51Z2023-05-17T18:11:51ZDes publicités qui nous vendent du bonheur : une affaire de croyants ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/526542/original/file-20230516-27-zqexsk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1690%2C1125&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur les murs, la marque de boissons gazeuses Coca-Cola promet d’ «&nbsp;ouvrir du bonheur&nbsp;».
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/warrenski/4154042140/in/photostream/">Warrenski / Fickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le <a href="https://theconversation.com/topics/bonheur-30502">bonheur</a> : voilà ni plus ni moins ce que promettent beaucoup de marques dans leur <a href="https://theconversation.com/topics/communication-21313">communication</a> <a href="https://theconversation.com/topics/marketing-21665">marketing</a>. « Et si on se levait de bonheur ? » propose Nutella (« <em>Spread the Happy </em>», tartiner de la joie, dans le reste du monde) quand McDonald’s vend ses <em>happy meals</em> (« joyeux repas ») dans près de 40 000 restaurants à travers la planète et que Coca-Cola anime sa campagne « <em>Open Happiness</em> » (« ouvre du bonheur »). Côté français, le site de petites annonces <a href="https://leboncoincorporate.com/2019/06/07/le-bonheur-des-uns-fait-le-bonheur-des-autres-leboncoin-devoile-sa-nouvelle-signature-lors-de-sa-nouvelle-campagne-de-communication/">Leboncoin</a> affirme que « le bonheur des uns fait le bonheur des autres » et le spécialiste du surgelé <a href="https://www.thiriet.com/accueil/decouvrez-ici-pourquoi-seul-le-bon-cree-du-bonheur/decouvrez-ici-pourquoi-seul-le-bon-cree-du-bonheur,210,1237.html">Thiriet</a> que « seul le bon crée le bonheur ».</p>
<p>Les gens souhaitent être heureux, et pas seulement dans les pays occidentaux, mais à l’échelle de la <a href="https://worldhappiness.report/">planète</a> : pourquoi ne pas s’appuyer dessus ? Du point de vue d’un manager, il semble raisonnable de penser que les consommateurs répondront favorablement à un appel au bonheur. Cette pratique peut néanmoins se retourner contre la marque. Ambitieuse, pareille promesse semble à double tranchant. Elle peut aussi bien séduire les consommateurs que de susciter le rejet.</p>
<p>Dans un <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1069031X231154469">article</a> récemment publié dans le <em>Journal of International Marketing</em>, nous montrons que ces réactions ont à voir, quand bien même cela peut paraître curieux, avec la <a href="https://theconversation.com/topics/religion-20867">religiosité</a> des consommateurs. On désigne par là le degré d’adhésion à des valeurs, croyances et pratiques religieuses d’un individu et l’importance avec laquelle il les met en pratique dans son quotidien. Les conclusions reposent sur plusieurs études conduites dans différents contextes culturels (Amérique du Nord et Moyen-Orient), suggérant que le phénomène dépasse les frontières et les affiliations religieuses.</p>
<h2>Des croyants attachés au bonheur</h2>
<p>Si la promesse du bonheur par la consommation d’un produit ou service peut susciter le doute, cette pratique permet a minima d’établir une association verbale avec tout un lexique associé. Or, des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1948550613492345?journalCode=sppa">travaux de recherche</a> suggèrent que les personnes à forte religiosité sont particulièrement sensibles aux expressions écrites évoquant le bonheur. Les consommateurs religieux ne seront ainsi pas plus disposés à croire en la promesse du bonheur mais ils sont en revanche davantage attirés par sa mention dans une <a href="https://theconversation.com/topics/publicite-24275">publicité</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/526540/original/file-20230516-11525-200wdq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/526540/original/file-20230516-11525-200wdq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/526540/original/file-20230516-11525-200wdq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=202&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/526540/original/file-20230516-11525-200wdq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=202&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/526540/original/file-20230516-11525-200wdq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=202&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/526540/original/file-20230516-11525-200wdq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=254&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/526540/original/file-20230516-11525-200wdq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=254&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/526540/original/file-20230516-11525-200wdq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=254&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Exemple de publicités fictives soumises aux participants à l’enquête.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Nous avons pu le vérifier. Dans le cadre de deux études expérimentales conduites auprès de 2046 consommateurs aux États-Unis et aux Émirats arabes unis, nous avons ainsi mesuré l’attrait pour des publicités de marques fictives et réelles ainsi que la religiosité des répondants. Les résultats révèlent que plus les consommateurs sont religieux, plus ils apprécient les publicités qui promettent explicitement le bonheur.</p>
<p>Peut-être est-ce car ces derniers ont en effet tendance à se déclarer <a href="https://www.pewresearch.org/religion/2019/01/31/religions-relationship-to-happiness-civic-engagement-and-health-around-the-world/">plus heureux et plus optimistes</a> que les personnes non religieuses, et ce, dans un grand nombre de pays. Plusieurs raisons peuvent être avancées comme le soutien social qui découle de l’appartenance à une communauté religieuse ou l’offre de repères qui balise la quête de sens et favorise un sentiment de quiétude, voire de bien-être.</p>
<h2>Pour d’autres, des publicités qui manquent d’objectivité</h2>
<p>Nous avons également vérifié l’inverse : l’absence de religiosité est un facteur explicatif du scepticisme, c’est-à-dire la tendance à ne pas croire l’information à laquelle on est confrontée. Les personnes non religieuses tendent à rejeter les affirmations qui ne peuvent pas être objectivement vérifiées. Or, deux éléments caractérisent la promesse du bonheur dans la publicité et soutiennent cette logique de rejet.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"411240970991452160"}"></div></p>
<p>Premièrement, le bonheur est un phénomène subjectif ; la définition de ce qui nous rend heureux varie d’une personne à l’autre selon sa fortune, sa famille, sa santé, son environnement et de bien d’autres choses encore. En promettant le bonheur, les publicitaires ne donnent pas d’indications concrètes et laissent donc les consommateurs imaginer comment le produit ou service les rendra heureux. L’appel au bonheur peut ainsi, dans le cas du slogan « <a href="https://investors.coca-colacompany.com/news-events/press-releases/detail/328/open-happiness-and-enjoy-lifes-simple-pleasures-with">ouvre du bonheur</a> » de Coca-Cola, avoir trait à la boisson, son goût, sa fraicheur, autant qu’à la satisfaction de partager un moment avec des proches autour d’un verre.</p>
<p>Deuxièmement, le bonheur est un but à long terme que les individus poursuivent tout au long de leur vie. Sa réalisation dépend de nombreux facteurs qui sont souvent hors du champ d’influence des marques. Des <a href="https://psycnet.apa.org/record/2018-70034-003">études</a> suggèrent que seulement 40 % du bonheur que les individus prétendent ressentir peut être expliqué par des activités intentionnelles, le reste étant dû à la génétique et aux circonstances. Bien que des épisodes individuels de consommation puissent contribuer à faire l’expérience du bonheur, ces expériences sont limitées dans le temps. Les gens ne souhaitent pas être heureux qu’une seule fois, mais régulièrement voire continuellement tout au long de leur vie.</p>
<h2>Bien caler ses campagnes publicitaires</h2>
<p>Notre recherche montre néanmoins que, dans un cas particulier, les consommateurs religieux réagissent aussi négativement à la promesse du bonheur dans la publicité. C’est lorsqu’ils ont été exposés à un stimulus religieux avant d’avoir vu la réclame.</p>
<p>Dans l’une de nos études, nous avons par exemple demandé à la moitié des participants de lire un magazine sur l’architecture de bâtiments religieux pendant que l’autre moitié lisait un magazine sur l’architecture de gares afin de servir de point de comparaison. Après exposition à un stimulus religieux, les croyants en viennent à contraster la promesse publicitaire au regard de leur foi. Plus précisément, l’affirmation des marques quant à leur capacité à apporter le bonheur par la consommation d’un produit ou service se heurte à la croyance en la capacité de Dieu à faire de même sur un plan spirituel.</p>
<p>Ces résultats soulignent donc, pour les annonceurs, l’importance de tenir compte de la religiosité des consommateurs comme variable stratégique dans le média planning des campagnes publicitaires qui reposent sur la promesse du bonheur. Moins les consommateurs sont religieux, plus ils répondront défavorablement à des slogans promettant le bonheur par rapport à d’autres types de slogans. Les managers devraient donc éviter d’utiliser ce type de message publicitaire dans des marchés où la religiosité des consommateurs est faible.</p>
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<p>Dans les marchés où la religiosité est forte, la promesse du bonheur peut être problématique si les consommateurs sont confrontés à des stimuli religieux juste avant l’exposition au message publicitaire. Les managers doivent donc tenir comptent de la probabilité que cela se produise et donc anticiper les célébrations religieuses (Noël, Pâques, Ramadan) ou les programmes de divertissement (séries, films) connus pour avoir du contenu à connotation religieuse ou pour faire des références à Dieu.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205767/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jamel Khenfer a reçu des financements de Zayed University et d'ADEK (Abu Dhabi Department of Education and Knowledge). </span></em></p>Quelle que soit sa religion, plus un consommateur est croyant, plus il se montre sensible à la thématique du bonheur dans la publicité, montre une étude menée aux États-Unis et au Moyen-Orient.Jamel Khenfer, Associate Professor of Marketing, ExceliaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2036452023-05-12T14:49:55Z2023-05-12T14:49:55ZFaut-il continuer à exposer les momies égyptiennes dans nos musées ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/525685/original/file-20230511-36798-5ofdrb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C0%2C1583%2C1197&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Momie recouverte de ses "cartonnages", époque ptolémaïque, IIIe - IIe siècle avant J.-C.
Louvre,Département des Antiquités égyptiennes. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Mummy_Louvre.jpg">Wikipédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Pièces maîtresses dans les collections des grands musées, les momies sont perçues aujourd’hui comme des symboles incontournables de l’Égypte antique. Entre fascination et dégoût, elles attirent la curiosité des visiteurs du monde entier.</p>
<p>Pourtant, la question éthique liée à l’exposition de restes humains fait débat. Si cette pratique était considérée, au XIX<sup>e</sup> siècle, comme un moyen de se cultiver et d’appréhender l’histoire, le monde muséal et les scientifiques s’interrogent aujourd’hui sur son bien-fondé.</p>
<h2>Peut-on présenter des restes humains ?</h2>
<p>Depuis 1990, aux États-Unis, la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Native_American_Graves_Protection_and_Repatriation_Act">loi NAGPRA</a> permet aux tribus amérindiennes et hawaïennes de <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2008/02/25/les-musees-face-aux-demandes-de-restitution-de-restes-humains_1015361_3244.html">se voir restituer les restes humains</a> et objets funéraires de leurs <a href="https://eprints.soton.ac.uk/37954/">ascendants biologiques connus entreposés dans les musées</a>. Cette loi témoigne de l’importance, pour certaines communautés autochotones de « s’approprier leur histoire ».</p>
<p>Leurs descendants étant difficilement identifiables au vu de leur caractère antique, les défunts momifiés d’Égypte ont été longtemps exposés sans provoquer de protestations. Mais comme le <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9780203841310/contesting-human-remains-museum-collections-tiffany-jenkins">rapportait la sociologue Tiffany Jenkins</a> en 2010 : « Les restes humains de tous âges, qui ne font l’objet d’aucune revendication de la part d’un groupe communautaire, sont devenus l’objet de préoccupations concernant leur manipulation, leur exposition et leur stockage, exprimées par certains membres de la profession muséale ».</p>
<p>En 2008, la galerie égyptienne du <a href="https://egyptmanchester.wordpress.com/2008/05/06/covering-the-mummies/">musée de l’Université Manchester a ainsi recouvert trois de ses momies</a> d’un linceul blanc pour cacher les corps, après avoir reçu de nombreuses plaintes des visiteurs.</p>
<p>Dans un <a href="https://egyptmanchester.wordpress.com/2008/05/06/covering-the-mummies/">communiqué du 6 mai 2008</a>, le musée indiquait : « Le recouvrement a été effectué afin que les restes humains soient traités avec respect et que les corps exposés restent conformes à la politique du musée de Manchester en matière de restes humains » et un « corps caché est un corps respecté ».</p>
<p>Mais <a href="https://www.academia.edu/2940129/_Thinking_makes_it_so_reflections_on_the_ethics_of_displaying_Egyptian_mummies">au-delà de la question morale (que montrer ?)</a>, comment prouver aux visiteurs la nature humaine des momies sans les montrer, ou en montrant des momies « cachées » ? Est-il possible d’accompagner cette « rencontre » de façon didactique mais sans sensationnalisme ?</p>
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<p>D’autres voix s’élèvent contre l’exposition de corps momifiés, notamment celle d’une minorité réactionnaire qui associe <a href="https://www.routledge.com/The-Mummys-Curse-Mummymania-in-the-English-speaking-world/Day/p/book/9780415340229">« l’acte de regard » au voyeurisme</a>, à la pornographie ou celles défendant l’idée que les momies devraient être réintroduites dans leurs tombeaux ou n’auraient jamais dû être déterrées, comme si « les morts possédaient un droit inaliénable à rester enterrés pour toujours… » comme <a href="https://www.researchgate.net/publication/274216327_%27Thinking_makes_it_so%27_reflections_on_the_ethics_of_displaying_Egyptian_mummies">l’écrit l’anthropologue et égyptologue Jasmine Day</a>, qui a réfléchi à ces questions éthiques.</p>
<p>Malgré ces contestations, une <a href="https://www.researchgate.net/publication/276192655_Visitor_Perceptions_of_Ancient_Egyptian_Human_Remains_in_Three_United_Kindom_Museums">étude montre que 82,5 % des musées britanniques acceptent sans réticence l’exposition des momies</a>.</p>
<p>Depuis 2023, le British Museum a pris cependant soin <a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-11661057/British-Museum-bans-word-MUMMY-respect-3-000-year-old-dead.html">d’éviter d’utiliser le terme <em>momie</em></a> au profit de « restes momifiés » ou « personnes momifiées ».</p>
<h2>Les momies et la mort : entre horreur et fascination</h2>
<p>Depuis le début XX<sup>e</sup> siècle, les regards sur la mort ont changé. Les progrès scientifiques et médicaux ont contribué à l’augmentation de l’espérance de vie et à une baisse du taux de mortalité. En outre, avec la professionnalisation de l’industrie funéraire et la disparition progressive de coutumes comme les veillées funéraires, les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Homme_devant_la_mort">contacts avec les cadavres et les discussions sur la mort ont peu à peu déserté les foyers</a> transformant la question en tabou.</p>
<p>La vision de « restes humains » peut donc s’avérer plus <a href="https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2017-06-16/pourquoi-les-histoires-de-momies-nous-font-fremir-bdc5bd58-3a57-43f1-9de5-f84f0b88f8cf">choquante voire anxiogène</a> pour le public. Se retrouver nez-à-nez avec une momie peut provoquer une réaction de dégoût, de <a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-histoires-de-momies-nous-font-elles-fremir-79046">peur</a>, de moquerie ou encore de déni chez certaines personnes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/525933/original/file-20230512-15-1s2ejc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525933/original/file-20230512-15-1s2ejc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525933/original/file-20230512-15-1s2ejc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525933/original/file-20230512-15-1s2ejc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525933/original/file-20230512-15-1s2ejc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525933/original/file-20230512-15-1s2ejc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525933/original/file-20230512-15-1s2ejc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des visiteurs regardent les momies au British Museum.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Egyptian_mummies,_British_Museum.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
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<p>Selon <a href="https://www.researchgate.net/publication/274216327_%27Thinking_makes_it_so%27_reflections_on_the_ethics_of_displaying_Egyptian_mummies">Jasmine Day</a>, « L’exposition de restes humains n’est pas choquante en soi, mais elle peut être considérée comme telle par des visiteurs dont le milieu culturel ne les a pas préparés à la rencontre avec les morts ».</p>
<p>Le dégoût face à une momie renvoie à la crainte de notre propre mort. Pour canaliser cette peur, la démystifier et rendre la mort plus acceptable, certains utilisent l’humour, d’autres nient l’authenticité des momies, ou encore leur humanité.</p>
<p>Ce « déni d’humanité » s’explique en partie par l’influence de la culture populaire, qui depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, a façonné dans l’inconscient collectif une image « type » de la momie. Une représentation renforcée par le stéréotype créé de toutes pièces par l’industrie hollywoodienne d’une momie démembrée et drapée de bandages en lambeaux. Certains musées, par ailleurs, n’exposent que des momies artificielles pour ne pas choquer les visiteurs : c’est le cas du <a href="https://www.arnabontempsmuseum.com/the-field-museums-mummies-real-or-fake/">Field Museum avec sa fausse momie de Toutankhamon</a>, contribuant peut-être à les reléguer au rang d’objets.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/525926/original/file-20230512-27-87bdge.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525926/original/file-20230512-27-87bdge.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=734&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525926/original/file-20230512-27-87bdge.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=734&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525926/original/file-20230512-27-87bdge.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=734&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525926/original/file-20230512-27-87bdge.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=922&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525926/original/file-20230512-27-87bdge.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=922&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525926/original/file-20230512-27-87bdge.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=922&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une image du film « Mummy’s Tomb » (Universal, 1942), produit pas Lon Chaney.</span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-histoires-de-momies-nous-font-elles-fremir-79046">Bien qu’elles puissent faire peur</a>, susciter parfois du dégoût, les momies n’en demeurent pas moins des sources archéologiques fascinantes et souvent l’une des principales « attractions » des musées. <a href="https://britishmuseum.iro.bl.uk/concern/books/b4326384-afb3-451c-9a4b-09637786ebd4?locale=fr">Une enquête menée au British Museum en 1993</a> révélait ainsi que « la visite des expositions égyptiennes est la principale raison pour laquelle un tiers de tous les visiteurs viennent au musée… ».</p>
<h2>Une attraction orchestrée</h2>
<p>Notre société contemporaine véhicule un mélange de fascination et de répulsion pour les momies. Carter Lupton (historien, anthropologue et chercheur spécialiste des momies égyptiennes), parle même de « relation amour-haine. »</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/525934/original/file-20230512-22491-uzia3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/525934/original/file-20230512-22491-uzia3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525934/original/file-20230512-22491-uzia3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=833&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525934/original/file-20230512-22491-uzia3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=833&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525934/original/file-20230512-22491-uzia3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=833&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525934/original/file-20230512-22491-uzia3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1046&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525934/original/file-20230512-22491-uzia3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1046&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525934/original/file-20230512-22491-uzia3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1046&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Affiche du film La Momie (1932). On peut voir le cercueil placé à la verticale dans lequel est placé Boris Karloff interprétant la momie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Momie_(film,_1932)#/media/Fichier:Mummy_32.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’« attraction répulsive » (Jasmine Day) des momies est orchestrée par les musées eux-mêmes, qui créent parfois des représentations fictives, participant à une forme de manipulation de la mort. Placées dans un contexte très éloigné de leur provenance (les tombes), souvent entourées d’autres momies et artefacts, elles sont quelque peu déshumanisées et donnent aux visiteurs une vision erronée de l’Égypte ancienne. Comme le <a href="https://uio.academia.edu/SaphinazAmalNaguib">rappelle Shafinaz Amal-Naguib</a>, « les collections égyptiennes et leurs conservateurs sont des créateurs de mythes », ainsi « ils induisent le rêve et le fantasme chez les autres ».</p>
<p>Bien qu’aujourd’hui, la majorité des musées tentent de casser les nombreux clichés médiatiques associés à l’Égypte ancienne, certains surfent parfois sur les stéréotypes dans l’optique d’attirer toujours plus de visiteurs. Ainsi, visiblement inspiré par l’affiche du film <em>Mummy</em> (1932), le British Museum présente verticalement le <a href="https://www.britishmuseum.org/collection/object/Y_EA22542">cercueil de la momie « maudite »</a> ([numéro d’inventaire BM EA22542]. Une présentation qui n’a aucune valeur historique, ce qui est tout de même rappelé dans le cartel et sur le site du musée.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/525935/original/file-20230512-20345-4cs0n6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525935/original/file-20230512-20345-4cs0n6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525935/original/file-20230512-20345-4cs0n6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525935/original/file-20230512-20345-4cs0n6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525935/original/file-20230512-20345-4cs0n6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525935/original/file-20230512-20345-4cs0n6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525935/original/file-20230512-20345-4cs0n6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un visiteur devant des sarcophages présentés à la verticale, semblable aux films hollywoodiens.</span>
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<h2>Un objet marketing</h2>
<p>La momie et l’Égypte ancienne en général représentent aussi une manne commerciale pour les musées : stylos, porte-clés, t-shirts… Ces boutiques de musées participent à une certaine ambivalence entre sphère scientifique/historique et sphère commerciale « égypotmaniaque » <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-cours-de-l-histoire/egyptomanie-une-tres-longue-histoire-9994881">qui ne date pas d’hier</a>.</p>
<p>Pour vendre, les musées jouent avec la perception de l’Égypte ancienne en créant des représentations souvent peu fidèles aux objets originaux, comme avec la copie du <a href="https://www.metmuseum.org/art/collection/search/552627">sarcophage d’Itamun</a> (1070-1000 av. J.-C) métamorphosé par <a href="https://store.metmuseum.org/kidrobot-ancient-egyptian-coffin-8-inch-dunny-80054761">kidrobots en figurine campée sur des pieds</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/525930/original/file-20230512-15-jqqfs4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525930/original/file-20230512-15-jqqfs4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525930/original/file-20230512-15-jqqfs4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525930/original/file-20230512-15-jqqfs4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525930/original/file-20230512-15-jqqfs4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525930/original/file-20230512-15-jqqfs4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525930/original/file-20230512-15-jqqfs4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sarcophage d’Itamun (à gauche) et jouet kidrobots.</span>
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<h2>Faciliter la rencontre avec les momies</h2>
<p>En 2020, une équipe d’universitaires anglais reproduisaient la voix de Nesyamun, prêtre de Thèbes ayant vécu sous le règne du <a href="https://www.pharaon-magazine.fr/actualites/actualit/rams-s-xi-et-la-fin-des-rams-s">Pharaon Ramsès XI</a> (1098-1069 avant J.-C). Grâce à la bonne conservation de la momie et des nouvelles avancées technologiques, les chercheurs ont permis à cet illustre personnage de prononcer sa première syllabe ! Selon <a href="https://www.bfmtv.com/sciences/des-chercheurs-britanniques-ont-redonne-la-parole-a-une-momie-vieille-de-3000-ans_AN-202001240074.html">Joann Fletcher</a>, archéologue à l’université d’York (faisant allusion aux inscriptions hiéroglyphiques évoquant la vie après la mort) : « C’était écrit dans son cercueil, c’est ce qu’il voulait. D’une certaine façon, nous avons réussi à réaliser ce souhait. »</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/tcOY8ziJdLk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Malgré les <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/dessine-moi-un-dimanche/segments/chronique/156207/evelyne-ferron-histoire-egypte-science">critiques</a>, la « recréation » de la voix de Nesyamun visait d’abord à recontextualiser le personnage et à redonner vie à cet être humain ayant vécu il y a 3 000 ans, en montrant aux visiteurs que les <a href="https://theconversation.com/ramses-ii-le-patient-egyptien-202267">momies</a> conservées dans nos musées ne sont pas uniquement des objets aux pouvoirs occultes.</p>
<p>Les musées ont la capacité de modifier notre perception et notre compréhension sur l’Égypte antique. Par des connaissances précises, grâce aux progrès technologiques (reconstitutions faciales…) elles quittent le monde des objets pour réintégrer celui des humains.</p>
<p>Pour faciliter la rencontre avec les momies, certains musées rivalisent d’ingéniosité. Ainsi au Nubia Museum d’Assouan en Égypte, les momies sont présentées dans une galerie maintenue dans l’obscurité jusqu’à l’entrée du visiteur. Au musée de Louxor (Égypte), la momie de Ramsès I<sup>er</sup> est isolée dans une pièce sombre, semblable à une tombe.</p>
<p>Pour éviter tout débat éthique, de plus en plus de musées donnent le choix de voir ou de ne pas voir, respectant la sensibilité de chacun. Des panneaux d’affichage comme au British Museum, mettent en garde sur le caractère choquant à la vue d’une momie et invite au respect des morts.</p>
<p>Les anciens égyptiens croyaient en la vie après la mort et plaçaient à proximité de la momie ou contre celle-ci, dans les bandelettes, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Livre_des_morts_des_Anciens_%C3%89gyptiens"><em>Livre des morts</em></a>, un ensemble de rouleaux de papyrus recouverts de formules funéraires. On comprend mieux leurs croyances avec le véritable titre du <em>Livre des morts</em>, <em>Pour sortir au jour</em>. L’exposition des momies permet, en un sens, de leur donner une seconde vie.</p>
<p>Enfin, comme le précise l’égyptologue <a href="https://books.google.fr/books/about/Vie_et_mort_d_un_pharaon_Toutankhamon.html?id=mLd7DwAAQBAJ&redir_esc=y">Christiane Desroches-Noblecourt</a>, « dire le nom d’un mort, c’est le faire revivre ». <a href="https://books.google.fr/books/about/Ancient_Egypt_Digging_for_Dreams.html?id=yKW4zQEACAAJ&redir_esc=y">L’exposition britannique de 2001</a> encourageait d’ailleurs les visiteurs à réciter une prière égyptienne pour les défunts extraite du livre II du <em>Livre des morts</em> :</p>
<blockquote>
<p>« Moi, défunt, Osiris, je pénètre à mon gré soit dans la région des morts, soit dans celle des vivants sur la terre, partout où me conduit mon désir ».</p>
</blockquote>
<p>Une certaine solennité qui permet a minima de rendre leur humanité et leur identité aux momies exposées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203645/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Vanthournout ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Est-il possible d’accompagner la « rencontre » avec les corps momifiés de façon didactique mais sans sensationnalisme ?Charles Vanthournout, Professeur d'histoire-géographie et Doctorant en égyptomanie américaine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2034562023-04-12T13:12:16Z2023-04-12T13:12:16ZPodcast : Notre cerveau dans tous ses états (mentaux)<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/512627/original/file-20230228-16-n5rwwk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Découvrez le nouveau podcast de The Conversation France : <a href="https://theconversation.com/fr/topics/lechappee-sciences-135626">« L’échappée Sciences »</a>. Deux fois par mois, un sujet original traité par une interview de scientifique et une chronique de l’un·e de nos journalistes.</em></p>
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<p><iframe id="tc-infographic-819" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/819/ead8432336c6ce4f706df8b24a22c635bc3dd209/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Bienvenue dans l’agrégat de milliards de neurones qui constitue notre cerveau. Mais cet organe unique est bien plus que cela : il est le siège de notre pensée et de notre conscience. C’est lui gère notre rapport au monde qui nous entoure… et c’est peu dire que la tâche est complexe !</p>
<p>Comment fait-il ? Comment, grâce à lui, réussissons-nous à nous adapter à notre environnement toujours changeant ? Longtemps on l’a cru réceptacle passif des informations reçues – de l’extérieur comme de l’intérieur de notre corps. Mais de nouvelles théories émergentes bouleversent notre compréhension du fonctionnement cérébral.</p>
<p>L’une d’elle, appelée « théorie du cerveau bayésien », suppose que <a href="https://theconversation.com/lesprit-est-il-une-machine-predictive-introduction-a-la-theorie-du-cerveau-bayesien-173707">notre cerveau serait une machine à prédire</a> : en permanence, il anticipe, évalue les probabilités que les événements qui parsèment notre vie se produisent, prévoit quelles vont être nos réactions… Et produit notre pensée, parfois irrationnelle, souvent en décalage avec la réalité brute du monde qui nous entoure.</p>
<p>La médecine s’est emparée de cette idée du cerveau prédictif et explore ainsi des pistes de recherche jusque-là inaccessibles… se tournant vers des molécules longtemps bannies des laboratoires : les psychédéliques ! Kétamine, psilocybine ou encore LSD retrouvent peu à peu une <a href="https://theconversation.com/comment-la-ketamine-agit-elle-sur-les-croyances-depressives-192370">place dans l’arsenal thérapeutique</a> grâce à leurs capacités inégalées à provoquer une altération de nos états de conscience, de notre rapport au monde.</p>
<p>Pour le Dr. <a href="https://www.sorbonne-universite.fr/portraits/hugo-bottemanne">Hugo Bottemanne</a>, psychiatre à la Pitié-Salpêtrière et chercheur à l’Institut du Cerveau – Sorbonne Université, invité du nouvel épisode de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/lechappee-sciences-135626">« L’échappée Sciences »</a>, ces molécules ouvrent de nouvelles pistes de recherche sur les origines de l’esprit. Comprendre comment elles agissent est un des défis des neurosciences. Là encore, les découvertes sur les capacités prédictives de notre cerveau vont s’avérer primordiales…</p>
<p>Et si nous hallucinions le monde qui nous entoure plutôt que de « juste » le percevoir ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
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<p>Dans sa chronique, Elsa Couderc nous propose d’explorer la question de la conscience… chez les non-humains ! À l’été 2022, un ingénieur de Google s’est ainsi vu persuadé par une intelligence artificielle que le système informatique présentait un certain niveau de conscience… alors qu’il accomplissait simplement ce pour quoi il avait été programmé : prolonger la conversation, en l’occurrence, comme nous le fait remarquer <a href="https://theconversation.com/google-a-t-il-developpe-une-ia-consciente-186254">Aïda Elamrani, doctorante en philosophie de l’IA à l’ENS</a>.</p>
<p>Mais notre tendance à percevoir des qualités humaines chez les robots est très commune et <a href="https://theconversation.com/pourquoi-prenons-nous-parfois-les-robots-pour-des-humains-188935">partagée par différentes cultures : c’est l’anthropomorphisme, dont Nicolas Spatola, de Sciences Po, décrypte les mécanismes</a>. Elle s’exprime aussi pour les <a href="https://theconversation.com/une-synthese-inedite-des-connaissances-actuelles-sur-la-conscience-animale-99394">animaux, qui, eux, présentent bien des niveaux de conscience avérés</a>, et détaillés par Muriel Dunier et Pierre Le Neindre de l’INRAE.</p>
<p>Bonne écoute !</p>
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<p><em>Crédits : Animation et conception, Émilie Rauscher et Elsa Couderc. Réalisation, Romain Pollet. Musique du générique : « Chill Trap » de Aries Beats. Extrait : « Marche à l’ombre », réalisation : Michel Blanc, Films A2, Les Films Christian Fechner.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203456/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Comment créons-nous notre vision du monde, clef indispensable pour interagir avec lui ? Pas comme on l'a longtemps cru… Plongée dans un pouvoir méconnu de notre cerveau (et des psychédéliques).Hugo Bottemanne, Psychiatre à la Pitié-Salpêtrière & chercheur à l'Institut du Cerveau - Sorbonne Université AP-HP, Sorbonne UniversitéElsa Couderc, Cheffe de rubrique Science + Technologie, The Conversation FranceÉmilie Rauscher, Cheffe de rubrique Santé, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1964072022-12-15T18:19:28Z2022-12-15T18:19:28ZCe que les enfants pensent vraiment du père Noël<p>Pour beaucoup d’enfants, l’arrivée du père Noël est le point culminant des festivités de décembre. Mais croient-ils vraiment qu’un homme aux pouvoirs magiques parcourt le globe pour leur apporter leurs cadeaux ?</p>
<p>S’ils y croient, n’est-ce pas une preuve de leur crédulité ou de leur incapacité à faire la distinction entre la fiction et la réalité ? Pour bien faire la part des choses, imaginez cependant un instant votre réaction face au scénario qui suit.</p>
<p>Depuis plusieurs jours, les journaux télévisés diffusent en boucle des reportages sur un individu non identifié qui s’introduit dans les habitations où il dérobe les clés de la voiture avant de partir au volant du véhicule. Le coupable ne laisserait aucune trace, hormis celles que de bottes pleines de boue sur le sol.</p>
<p>Un matin au réveil, vous trouvez des traces de boue chez vous, vous remarquez que vos clés de voiture ont disparu. Vous vous précipitez à la fenêtre et constatez que la voiture n’est plus là. Immédiatement, vous vous dites que l’inconnu dont vous avez entendu parler aux infos vous a rendu une petite visite. Quelques minutes plus tard, vous recevez un appel de votre colocataire, un type sans-gêne, qui vous explique qu’il a voulu se rendre au travail à pied, comme d’habitude, mais qu’il pleuvait tellement qu’il est rentré dans l’appartement avec ses chaussures sales et vous a emprunté votre voiture pour la journée.</p>
<p>Des publicités aux adultes, tout le monde s’évertue à perpétuer le <a href="https://doi.org/10.1016/j.cogdev.2016.04.002">mythe du père Noël</a>. Les parents eux-mêmes emmènent leur progéniture dans les centres commerciaux pour rencontrer un type déguisé qui prend l’enfant sur ses genoux pour qu’il lui récite sa liste de cadeaux. La veille de Noël, ils disséminent dans la maison des preuves irréfutables de l’existence de ce personnage : des bouts de biscuits et un verre de lait à moitié vide que les enfants trouveront le lendemain matin et, le plus important, les cadeaux sous le sapin.</p>
<p>Alors, si les enfants croient à l’existence du père Noël, ce n’est pas parce qu’ils sont plus crédules que vous, mais qu’on les a encouragés dans cette voie. Vous-même, face à des preuves du même ordre, auriez été capable de déduire qu’un criminel s’était introduit chez vous pour voler vos clés de voiture. D’ailleurs, les enfants font parfois preuve de davantage de <a href="https://doi.org/10.1111/cdep.12294">scepticisme</a> que les adultes à l’égard d’allégations et d’affirmations.</p>
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<p>L’adhésion à l’histoire du père Noël pique particulièrement la curiosité du <a href="https://scholar.google.com/citations?user=InLiWyMAAAAJ&hl=en">chercheur spécialisé dans les croyances des enfants</a> que je suis. Je m’intéresse à la représentation qu’ils se font des autres, à leur esprit, et à leur conception de l’extraordinaire. La recherche sur le développement cognitif des enfants nous permet d’entrer dans l’histoire fascinante – et plus nuancée qu’on l’imagine souvent – de cette croyance annuelle.</p>
<h2>Se représenter le monde</h2>
<p>Admettre l’existence du père Noël est une chose. Mais les enfants croient-ils vraiment que le père Noël est capable de faire tout ce que racontent leurs parents et les autres adultes ? Qu’il peut faire le tour de la Terre en une nuit, sur un traîneau tiré par des rennes, et leur apporter des cadeaux à tous ? Ou qu’il sait s’ils ont été gentils ou méchants au cours de l’année écoulée ?</p>
<p>C’est là que l’histoire devient plus intéressante et plus nuancée. Ces croyances dépendent en fait de la conception que les enfants ont du monde, et ces représentations évoluent de façon spectaculaire au cours de l’enfance.</p>
<p>Il existe par exemple des différences individuelles considérables entre les enfants et des évolutions dans leur manière d’envisager les notions de <a href="https://doi.org/10.1016/0010-0285(92)90018-W">planète Terre</a>, de <a href="https://doi.org/10.1016/S0885-2014(00)00031-9">temps et de vitesse</a> chez l’enfant.</p>
<p>Si un jeune enfant croit que la Terre est petite ou qu’elle abrite peu d’habitants, une distribution massive de cadeaux par le père Noël en 24 heures ne lui semble pas si farfelue. Il existe également de grandes différences dans l’idée que les enfants se font de <a href="https://doi.org/10.1080/17405629.2018.1435413">l’esprit</a>. Les jeunes enfants, en particulier, trouvent <a href="https://doi.org/10.1111/cogs.12232">difficile de se représenter quelqu’un d’omniscient</a>, qui <a href="https://doi.org/10.1037/a0037715">connaîtrait chacune de leurs pensées et chacun de leurs mouvements</a>. En maternelle par exemple, ils sont enclins à croire que le père Noël a un esprit exceptionnel, qu’il peut savoir des choses que la plupart des autres adultes ignorent, mais pas tout.</p>
<p>Ainsi, les plus petits croient généralement que le père Noël existe, mais sous une forme plus banale que ce que les adultes laissent entendre.</p>
<h2>Jouer avec les faux-semblants</h2>
<p>Pourtant, même dans les cultures où les récits sur le père Noël et les preuves physiques de son existence sont omniprésents, la plupart des enfants finissent par se rendre compte qu’il n’existe pas. Ce qu’en disent leurs copains peut lentement éroder leur croyance. Ils peuvent aussi surprendre leurs parents qui se régalent des biscuits du père Noël ou déposent les cadeaux sous le sapin.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ces-livres-de-jeunesse-qui-font-noel-173855">Ces livres de jeunesse qui font Noël</a>
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<p>De plus, à mesure que les enfants se rendent compte de l’ampleur des pouvoirs attribués au père Noël – lorsqu’ils prennent par exemple conscience de la distance qu’il doit parcourir et du nombre de maisons qu’il doit visiter en une seule nuit – <a href="http://dx.doi.org/10.1016/j.cogdev.2014.12.006">ils se mettent à remettre en question ses qualités supposées</a> et finissent par douter de son existence tout court. Vers l’<a href="https://doi.org/10.2466/pr0.1980.46.3.691">âge de huit ans</a>, la plupart <a href="https://doi.org/10.1111/j.1939-0025.1978.tb02566.x">n’y croient plus vraiment</a>.</p>
<p>Alors, pourquoi continuent-ils de participer à ce rituel annuel ? Pourquoi font-ils comme si le père Noël existe vraiment et leur offre des cadeaux parce qu’ils ont été gentils (ce qui va sans dire) ?</p>
<p>La réponse est simple : parce que c’est amusant. C’est un peu comme les amis imaginaires. <a href="https://psycnet.apa.org/record/2001-06861-000">Les enfants qui en ont</a> savent qu’ils ne sont pas réels, mais ils font semblant de jouer avec eux et de parler d’eux à leur entourage parce que c’est une fiction agréable et gratifiante. Considérer que le père Noël est réel présente un avantage supplémentaire puisqu’il leur apporte des jouets chaque année ! Lorsque les enfants plus âgés s’adonnent à cette mythologie, ils jouent le jeu avec les adultes, qui eux-mêmes s’amusent de ce faux-semblant.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/mon-enfant-a-un-ami-imaginaire-et-si-ca-laidait-a-grandir-109274">Mon enfant a un ami imaginaire : et si ça l’aidait à grandir ?</a>
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<p>Ce mensonge a-t-il des conséquences sur les enfants ? Perdent-ils la confiance qu’ils avaient en leurs parents lorsqu’ils découvrent que ceux-ci ont mis en place un stratagème aussi sophistiqué ?</p>
<p>Peu d’études répondent directement à ces questions. <a href="https://doi.org/10.1007/BF02253287">L’une des rares</a> à avoir interrogé les enfants sur leurs réactions a révélé qu’ils éprouvaient plus d’émotions positives que négatives lorsqu’ils apprenaient l’existence du mythe, qu’ils aient découvert le mensonge eux-mêmes ou de la bouche de leurs parents.</p>
<p>Si l’on considère que les enfants sont à même de comprendre qu’il s’agit d’un jeu et qu’ils font semblant sans que leurs parents ne s’en rendent compte, et si l’on considère que toute cette fiction se déroule dans un contexte de plaisir et de convivialité, il y a alors probablement plus à y gagner qu’à y perdre.</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Karine Degliame-O’Keeffe pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196407/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les recherches de Jonathan Lane ont été financées par le National Institutes of Health et la John Templeton Foundation.</span></em></p>Si les plus petits croient généralement au père Noël, ils se représentent ce personnage sous une forme bien plus banale que ce qu’en disent les adultes.Jonathan Lane, Assistant Professor of Psychology and Human Development, Vanderbilt UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1957822022-12-13T19:00:18Z2022-12-13T19:00:18ZProduits monastiques : une communication qui repose sur la discrétion<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/498541/original/file-20221201-18-cmw962.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1280%2C960&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Par contrainte ou par choix, les boutiques des produits monastiques semblent l’avoir bien compris comme ici à Solesmes dans la Sarthe.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Giogo / Wikimedia Commons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Certaines marques mènent des campagnes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/communication-21313">communication</a> actives sur de nombreux supports et s’affichent en grand sur les panneaux publicitaires ou sur les écrans de télévision ; d’autres optent pour la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/0267257X.2014.989890">discrétion</a>, voire le silence. Cela peut être par choix <a href="https://theconversation.com/fr/topics/marketing-21665">marketing</a>, comme la marque de prêt-à-porter haut de gamme <a href="https://www.lemonde.fr/m-styles/article/2022/09/28/luxe-calme-et-sobriete-the-row-la-mode-selon-les-s-urs-olsen_6143496_4497319.html">The Row</a> créée en 2006 par les sœurs Ashley et Mary-Kate Olsen ; cela peut aussi être par contrainte financière ou par conviction.</p>
<p>Ces initiatives silencieuses contredisent les pratiques et théories du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/storytelling-56621"><em>storytelling</em></a> selon lesquelles les marques devraient raconter une histoire et s’incarner auprès des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/consommateurs-33275">consommateurs</a> par des personnages, des lieux, des repères temporels, des intrigues, des musiques, des paroles…</p>
<p>À l’heure où le mot <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/05/04/a-quelles-conditions-la-sobriete-pourrait-elle-devenir-acceptable-non-punitive_6124748_3232.html">« sobriété »</a> a pris une place centrale dans le débat public, y compris dans le monde du <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-au-dela-de-la-sobriete-energetique-la-sobriete-commerciale-1882352">commerce</a> avec son marketing parfois cacophonique, nous avons poursuivi notre <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2019-4-page-91.htm">analyse</a> du cas atypique et extrême des produits monastiques. Comment les consommateurs compensent-ils la discrétion, voire le silence, d’une marque ou d’un produit ?</p>
<p>Aujourd’hui en France, quelque trois millions de personnes achètent des biscuits, savons, bières, céramiques et autres produits vendus par les monastères. Ce marché d’environ 80 millions d’euros est approvisionné par 200 communautés monastiques contemplatives qui ont créé ensemble la marque collective <a href="https://www.monastic-euro.org/">Monastic</a>. Ce réseau de monastères petits producteurs vivant en divers endroits, en clôture et en silence, est discret par nature, et la communication commerciale, tant des ateliers monastiques que de leur marque, est quasi inexistante.</p>
<p>Nos <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/14705931221137374">recherches</a> ont cependant montré que cette discrétion, à la fois choisie par conviction et subie par manque de moyens, pousse les consommateurs à créer eux-mêmes leur propre histoire. Ceux-ci se complaisent dans une vision idéalisée d’autarcie médiévale où le bon moine-artisan fabrique ses produits avec temps et amour. L’analyse des histoires racontées par les consommateurs montre également que, plutôt que d’acheter un produit d’un monastère spécifique, ils revendiquent l’achat d’un produit issu des monastères en général, comme si ce produit venait d’un monde sublimé, hors-sol.</p>
<p>Cette asymétrie entre un discours rare, sobre, rationnel, et le narratif construit par un consommateur imaginatif et bavard contredit la littérature sur la communication. Cette contradiction nous incite à chercher plus loin, pour comprendre quelles sont les ressources mobilisées par les consommateurs lorsqu’ils fabriquent leur propre narration déconnectée du réel.</p>
<h2>Contaminé, mais comment ?</h2>
<p>Pour cadrer cette recherche, nous nous sommes référés au concept anthropologique de <a href="https://www.giacomocrivellaro.it/wp-content/uploads/2020/04/ContagionEthospaper-1.pdf">contagion</a>, souvent mobilisé en marketing. Par ce phénomène, les objets acquièrent une essence « spéciale » issue de leur passé, et lieux, personnes, symboles et autres odeurs en sont une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1509/jmr.11.0022">source importante</a>.</p>
<p>Certaines de ces sources sont travaillées, parfois créées de toutes pièces par les marques : on les qualifie d’« intrinsèques au produit ». Il peut s’agir du patrimoine de la marque, de son aura, son authenticité, l’atmosphère du point de vente… Tout cela fait partie de la stratégie de positionnement.</p>
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<p>D’autres sources de contagion sont cependant indépendantes des calculs marketing. Ce sont les sources « extrinsèques » comme le terroir ou l’héritage culturel. Elles préexistent au produit et se situent en dehors du périmètre de la marque.</p>
<p>Celles-ci nous intéressent particulièrement dans le cas des produits monastiques, qui, sans stratégie de communication, amènent les consommateurs à créer eux-mêmes des histoires très riches. Alors que nous constatons que pays d’origine, terroir et héritage culturel sont tous trois extrêmement liés à un lieu géographique donné, les narrations des consommateurs, au contraire, ne se réfèrent pas à un territoire particulier.</p>
<h2>Davantage qu’un terroir</h2>
<p>L’analyse approfondie des discours des consommateurs de produits monastiques nous permet ainsi de proposer une nouvelle source extrinsèque de contagion, le <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/14705931221137374"><em>Woo</em>, pour « World of Origin</a> », le monde d’origine en français, d’origine du produit telle qu’imaginée par le consommateur. Quatre piliers soutiennent le <em>Woo</em>.</p>
<p>Il y a en premier lieu le <em>monde à part</em>, avec ses usages, ses règles, qui diffèrent des standards et qui restent les mêmes, quel que soit l’emplacement géographique de ses acteurs. C’est l’« extra-mondain ». Viennent ensuite les <em>pratiques et compétences spécifiques</em> qui légitiment l’expertise acquise par les hommes et femmes appartenant à ce monde d’origine, en dehors de tout label et certification. Le troisième pilier est la <em>sincérité</em>, fondée sur les bonnes intentions de ces acteurs et qui insufflent chaleur et émotion, sans obligation de performance. Enfin, on retrouve un <em>engagement</em> pour une offre alternative au modèle dominant et pour la sauvegarde d’un monde parfois en voie de disparition.</p>
<p>Le <em>Woo</em> est ainsi plus large que la notion de terroir et englobe des éléments déconnectés d’un emplacement géographique. Dans le cas des produits monastiques, que l’abbaye vendeuse soit située en Ardèche, en Normandie, dans la Sarthe, en Alsace ou même ailleurs dans le monde, le consommateur fabrique une histoire qui se déroule sur un « territoire » de référence dématérialisé. Il rassemble simplement les quatre piliers du <em>Woo</em>. Par le phénomène de contagion, le <em>Woo</em> transfère du sens du produit vers le consommateur et son acte d’achat.</p>
<p>Ces conclusions ne sont pas seulement conceptuelles. Elles sont aussi utiles pour les managers qui gèrent des offres discrètes reposant avant tout sur des savoir-faire, pratiques, engagements, histoires et usages spécifiques. À titre d’exemple, les produits bios, les <a href="https://www.farmersmarketplaces.com/">farmers’ markets</a> aux États-Unis, les <a href="https://www.coopmaritime.com/">coopératives maritimes</a> ou encore les produits issus de diasporas comme les <a href="https://www.etsy.com/fr/market/c%C3%A9ramique_navajo?page=5">céramiques Navajos</a> ou la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Klezmer">musique Klezmer</a>, peuvent analyser la façon dont leurs consommateurs produisent leur propre imaginaire sur le monde d’origine de ces produits.</p>
<p>L’enjeu est alors pour la marque de s’assurer que le consommateur ne se complaît pas dans une narration certes séduisante mais potentiellement fausse. Dans ce cas, une communication moins discrète par la pédagogie et l’information devient nécessaire pour ne pas perpétuer la transmission de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/croyances-46799">croyances</a> fausses.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195782/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Catherine Paquier accompagne la marque Monastic dans l'évolution de ses critères d'attribution et de sa communication. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Fabien Pecot et Sophie Morin-Delerm ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>À rebours des techniques de communication et de publicité actuelles, les produits monastiques, comme d’autres, bénéficient d’une valorisation qui repose sur la discrétion.Marie-Catherine Paquier, Enseignant-chercheur en marketing, EBS Paris Fabien Pecot, Associate Professor in Marketing, TBS EducationSophie Morin-Delerm, Professeure en Sciences de Gestion et du Management, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1961562022-12-12T18:35:37Z2022-12-12T18:35:37ZLa parenthèse du néolibéralisme financier est-elle en train de se fermer ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/499515/original/file-20221207-4043-frkdm0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C88%2C1169%2C873&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Depuis la crise de 2007-08, les banques centrales, comme la Réserve fédérale (Fed) aux États-Unis (photo), endossent un rôle de plus en plus politique.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/87913776@N00/6928222486">Futureatlas.com/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La longue séquence de libre circulation des capitaux et de déréglementation des systèmes financiers, ouverte au début des années 1970-80 sous l’impulsion nord-américaine, britannique puis européenne, va-t-elle prochainement toucher à sa fin ?</p>
<p>Ce processus de libéralisation et de financiarisation de l’économie, qui s’est considérablement étendu durant les décennies suivantes, avait déjà failli marquer un coup d’arrêt après la grande crise immobilière et bancaire de 2007-08. Beaucoup ont alors cru alors qu’en raison des dégâts économiques (la grande récession) et de l’immense gâchis de capital provoqué par le séisme financier, la parenthèse néolibérale allait se refermer, tant il était devenu vital d’en finir avec ce que le président Nicolas Sarkozy qualifiait à l’époque de « <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2010/01/27/04016-20100127ARTFIG00769-a-davos-sarkozy-fustige-les-derives-du-capitalisme-.php">dérives du capitalisme financier</a> ».</p>
<p>Quinze ans plus tard, rien ne de tel n’est arrivé, évidemment…</p>
<h2>Croyance persistante…</h2>
<p>Lors de cet épisode, le pragmatisme des banques centrales et des États avait permis d’endiguer, à coup de milliers de milliards, les risques d’illiquidité et/ou d’insolvabilité des systèmes financiers. Il fallait, à juste titre, assainir les bilans bancaires en les délestant de leurs actifs sans valeur pour éviter le chaos de l’activation d’un risque systémique.</p>
<p>Le G20, notamment celui du sommet de Washington du 15 novembre 2008, avait certes pointé du doigt la responsabilité des insuffisances comptables, de l’opacité de certains produits de titrisation, des malversations diverses, de la défaillance des agences de notation ou encore des politiques monétaires permissives dans l’éclatement de la crise. <a href="https://tnova.fr/economie-social/finances-macro-economie/10-ans-apres-bilan-des-reformes-bancaires-et-financieres-depuis-2008-avancees-limites-propositions/">Quelques processus de (re)réglementation</a> avaient ensuite été initiés… Mais globalement, la croyance en l’efficacité des mécanismes de marché dans l’allocation du capital n’a jamais été ébranlée, ni même véritablement remise en question.</p>
<p>Or, cette croyance constitue le fondement même du système néolibéral de régulation par le marché qui s’est déployé depuis plus de 40 ans. Elle repose sur l’idée hayékienne selon laquelle toute l’information nécessaire à la prise de décision économique est <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-d-economie-politique-1-2002-2-page-47.htm">contenue dans les prix</a>.</p>
<p>Ainsi que le rappelle l’économiste <a href="https://www.lemonde.fr/crise-financiere/article/2011/12/05/il-faut-definanciariser-l-economie_1613552_1581613.html">André Orléan</a>, dans ce cadre conceptuel :</p>
<blockquote>
<p>« Chaque agent n’a qu’une connaissance locale, limitée à son environnement, et il revient aux prix d’agréger toutes ces informations locales pour produire une vision globale cohérente. »</p>
</blockquote>
<p>La version moderne de cette théorie des prix a été développée dans les années 1970 et est connue sous le nom <a href="http://efinance.org.cn/cn/fm/Efficient%20Capital%20Markets%20A%20Review%20of%20Theory%20and%20Empirical%20Work.pdf">d’hypothèse d’efficience des marchés financiers</a>. La concurrence qui y règne et les vertus autorégulatrices dont les marchés seraient dotés y produiraient de « justes prix », constituant des signaux fiables pour les investisseurs.</p>
<p>Mis en compétition, ces derniers seraient capables d’évaluer objectivement les risques et de faire converger les prix de marché vers leur valeur fondamentale (efficience informationnelle) et ainsi de garantir une allocation optimale de l’épargne (efficience allocative). Cette conception néo-hayékienne a offert un fondement idéologique et une puissante légitimation au processus de déréglementation financière.</p>
<h2>… mais fausse</h2>
<p>Or, l’histoire économique de ces quarante dernières années montre que les marchés financiers ne sont pas autorégulateurs. En situation <a href="https://www.persee.fr/doc/cep_0154-8344_1987_num_13_1_1047">d’incertitude radicale sur le futur</a>, le principe selon lequel les actifs financiers seraient dotés d’une valeur fondamentale, identifiable <em>ex-ante</em>, et dont le prix serait un bon estimateur, n’est plus tenable.</p>
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<p>Même si tous les investisseurs disposent, à un moment donné, d’un même ensemble d’informations, rien n’assure qu’ils partagent pour autant le même modèle d’interprétation des fondamentaux. Chacun se détermine alors, non pas à partir de son estimation de la valeur fondamentale, mais <a href="https://www.cairn.info/revue-reflets-et-perspectives-de-la-vie-economique-2004-2-page-35.htm">à partir de ce qu’il pense que les autres vont faire</a>.</p>
<p>Les prix de marché ne font alors que traduire des conjectures sur l’avenir, des scénarios parmi d’autres, par nature instables car reposant sur des <a href="https://www.researchgate.net/publication/254454075_Croyances_representations_collectives_et_conventions_en_finance">croyances collectives</a> versatiles. En l’absence de valeur d’ancrage, les investisseurs s’accrochent à des opinions instables et des croyances autoréférentielles. Selon l’ingénieur et philosophe <a href="https://www.persee.fr/doc/reco_0035-2764_1989_num_40_2_409143">Jean-Pierre Dupuy</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les rumeurs les plus absurdes peuvent polariser une foule unanime sur l’objet le plus inattendu, chacun trouvant la preuve de sa valeur dans le regard ou l’action de tous les autres ».</p>
</blockquote>
<p>Dans ce contexte, les bulles spéculatives (ces dynamiques mimétiques soutenues par telle ou telle opinion sur un futur hypothétique) se succèdent et explosent à chaque retournement de la croyance dominante (bulle Internet, bulles immobilières, des matières premières et marchés énergétiques, bulles obligataires, des <a href="https://theconversation.com/le-cours-du-bitcoin-condamne-a-toujours-plus-de-volatilite-163997">cryptoactifs</a>, etc.). L’identification d’un nouveau point d’équilibre (un prix plancher) peut donc s’avérer durablement hors de portée de marchés qui échouent à produire la moindre évaluation. Le système des prix peut disparaître et l’intervention d’un acteur extérieur (<a href="https://theconversation.com/fr/topics/banque-centrale-45337">banque centrale</a> et/ou autorités publiques) est dans ce cas seule à même de fournir un cadre exogène de valorisation susceptible de stabiliser les projections.</p>
<p>La volatilité financière trouve ici une explication rationnelle. Elle ne peut plus être perçue comme une anomalie, fruit de l’irrationalité de collective. Elle doit au contraire être comprise comme la résultante de l’instabilité intrinsèque du processus d’évaluation en vigueur sur les marchés, instabilité que quatre décennies de financiarisation ont déployée à grande échelle, y compris sur l’immobilier ou les matières premières alimentaires, minérales et énergétiques.</p>
<h2>Le retour des prix administrés ?</h2>
<p>Alors, pour faire face à ces multiples troubles financiers, sanitaires, énergétiques et environnementaux, et comme elle l’avait fait durant de nombreuses années précédant la déréglementation, la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/finance-20382">finance</a> s’est mise à nouveau à fonctionner en grande partie à partir de prix administrés.</p>
<p>C’est le cas en particulier pour ce qui est du coût de l’argent, les taux d’intérêt. Ainsi que l’indique l’économiste <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-declin-et-chute-du-neoliberalisme-192691">David Cayla</a> dans son récent livre <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807338616-declin-et-chute-du-neoliberalisme"><em>Déclin et chute du néolibéralisme</em></a> (De Boeck Supérieur, 2022) :</p>
<blockquote>
<p>« Les politiques de taux zéro adoptées dans les pays développés à la suite de la crise financière de 2008, mais surtout les pratiques non conventionnelles dites d’assouplissement quantitatif ont permis aux banquiers centraux d’intervenir directement au sein des marchés financiers et les ont transformés en véritables acteurs politiques[…] »</p>
</blockquote>
<p>La <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/fed-et-bce-deux-rythmes-mais-une-meme-strategie-contre-l-inflation-922244.html">hausse récente de leurs taux directeurs</a> et l’arrêt des programmes structurels de rachats d’actifs pourraient laisser croire que les banques centrales tendent à sortir du jeu (en laissant à nouveau le champ libre aux marchés).</p>
<hr>
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<em>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-declin-et-chute-du-neoliberalisme-192691">Bonnes feuilles : « Déclin et chute du néolibéralisme »</a>
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</em>
</p>
<hr>
<p>Cependant, elles ne prendront pas pour autant le risque d’une « volckerisation » de la politique monétaire (en référence à la politique de forte hausse des taux directeurs du président de la Réserve fédérale américaine, Paul Volcker, qui avait <a href="https://theconversation.com/inflation-ou-hausse-des-taux-le-dilemme-des-banques-centrales-na-rien-dineluctable-194859">réduit l’inflation mais cassé la croissance</a>). Les autorités monétaires s’accommoderont sans doute, de ce fait, d’une certaine dose d’inflation. Elles n’hésiteront pas non plus à faire preuve d’interventionnisme en cas de <a href="https://www.agefi.fr/financements-marches/actualites/quotidien/20220928/banque-d-angleterre-intervient-en-urgence-contrer-350317">tensions sur le financement</a> de l’économie notamment, continuant ainsi, sans doute longtemps, à soustraire les taux d’intérêt à l’arbitrage des marchés financiers.</p>
<h2>Choix politique</h2>
<p>Mais il nous faut maintenant aller au-delà. Face aux crises sanitaires, environnementales et sociales, il devient indispensable de sortir également l’énergie, les matières premières, métaux, minerais, l’immobilier, les liquidités, les épargnes retraites et les financements des entreprises de la sphère d’influence des marchés financiers (et donc de les soustraire aux logiques d’optimisation des couples rendement/risque inhérentes au paradigme de la valeur actionnariale).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-finance-na-jamais-pu-etre-verte-et-comment-la-verdir-enfin-124020">Pourquoi la finance n’a jamais pu être verte (et comment la verdir enfin)</a>
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<hr>
<p>Sans pour autant revenir forcément à un système de prix entièrement contrôlé par les puissances publiques, tel qu’elles le pratiquaient avant la déréglementation (système nationalisé de crédit, taux de change fixes, secteurs publics des transports, de l’eau et de l’énergie, régulation collective des salaires, prix régulés des matières premières agricoles…), cela suppose d’avoir recours à des logiques d’évaluation alternatives à celles des marchés (promues par les États, collectivités publiques, structures de l’Économie sociale et solidaire, secteur associatif, ONG, assemblées citoyennes locales), et donc de promouvoir, sous une forme ou sous une autre, une socialisation du système de régulation des prix.</p>
<p>Cela passera également par une extension des prérogatives des banques centrales en matière de <a href="https://theconversation.com/politique-monetaire-verte-un-grand-pas-pour-la-bce-un-petit-pas-pour-le-climat-186686">financements de projets verts</a>, le verdissement de la <a href="https://institut-rousseau.fr/repenser-le-financement-des-entreprises-vertueuses-et-les-politiques-prudentielles-en-integrant-la-solvabilite-socio-environnementale/">réglementation prudentielle</a>, la refonte les <a href="http://tankona.free.fr/theretlemoine20.pdf">circuits de financement de l’économie et des États</a>, voire la <a href="https://blog.mondediplo.net/2009-01-05-Pour-un-systeme-socialise-du-credit">socialisation de l’investissement et du crédit</a>.</p>
<p>Ce choix politique est vital si nous voulons faire face aux crises énergétiques et sanitaires à venir et nous engager clairement dans le financement de la rupture écologique et sociale dont nous avons cruellement besoin. Ce faisant, nous en profiterions alors pour refermer définitivement la parenthèse du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/neoliberalisme-64628">néolibéralisme</a> financier.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196156/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Bourghelle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les marchés financiers se déterminent aujourd'hui en grande partie en fonction des politiques des banques centrales – comme avant le mouvement de libéralisation de l'économie débuté il y a 40 ans.David Bourghelle, Maître de conférences en finance, laboratoire LUMEN, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1815512022-04-19T16:34:48Z2022-04-19T16:34:48ZJames : « Est-ce que les zombies existent pour de vrai ? »<p>Il y a beaucoup de séries et de films sur les zombies. La plupart d’entre eux sont destinées aux adultes et sont plutôt effrayants. <a href="http://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/136346158502200304?journalCode=tpsd">Certaines personnes</a> croient que les zombies sont bien réels, mais ils ne ressembleraient pas vraiment aux zombies que l’on voit dans les films ou à la télévision.</p>
<p>Le mot <em>zombie</em> est lié aux contes populaires d’Haïti. Haïti est un pays situé sur une île appelée Hispaniola, dans les Caraïbes.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/173949/original/file-20170615-25000-m6duvi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/173949/original/file-20170615-25000-m6duvi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/173949/original/file-20170615-25000-m6duvi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=384&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/173949/original/file-20170615-25000-m6duvi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=384&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/173949/original/file-20170615-25000-m6duvi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=384&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/173949/original/file-20170615-25000-m6duvi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=483&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/173949/original/file-20170615-25000-m6duvi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=483&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/173949/original/file-20170615-25000-m6duvi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=483&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Haïti est indiqué par un point rouge sur cette carte.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.google.com.au/maps/place/Haiti/@26.9619976,-88.9735058,5z/data=!4m5!3m4!1s0x8eb6c6f37fcbbb11:0xb51438b24c54f6d3!8m2!3d18.971187!4d-72.285215!10m1!1e2">Google Maps</a></span>
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<p>Les contes populaires sont racontés dans le monde entier depuis des milliers d’années. Ce sont généralement des histoires inventées, qui ressemblent à des contes de fées. Mais certaines personnes pensent qu’il y a du vrai dans ces histoires.</p>
<p>Il y a des centaines d’années, des esclaves d’Afrique étaient emmenés en Haïti et forcés de travailler très dur dans des fermes. Ils étaient très mal traités, n’étaient pas payés et n’avaient pas le droit de rentrer chez eux. Ces esclaves se racontaient un conte sur ce qui leur arriverait après leur mort. Dans ce conte, ils disaient qu’un dieu vaudou les sortiraient de leur tombe et les ramèneraient en Afrique. Mais s’ils avaient fait de mauvaises choses dans leur vie, ils croyaient qu’ils seraient transformés en zombies à la place.</p>
<p>Le vaudou est une religion pratiquée dans certaines régions du monde, notamment en Haïti. On pense que les esclaves emmenés en Haïti ont apporté avec eux leurs croyances dans cette religion. Les personnes qui croient au vaudou pensent qu’il y a beaucoup d’esprits dans le monde, de nombreux dieux, et un dieu principal.</p>
<p>Un de ces esprits vaudou s’appelle le Baron Samedi. Si les gens le contrariaient de leur vivant, ils risquaient d’être transformés en zombies. Le Baron Samedi a une allure assez effrayante, il porte un chapeau haut de forme, un grand manteau noir et a parfois un crâne à la place du visage.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/173931/original/file-20170615-24988-nmzpyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/173931/original/file-20170615-24988-nmzpyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/173931/original/file-20170615-24988-nmzpyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/173931/original/file-20170615-24988-nmzpyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/173931/original/file-20170615-24988-nmzpyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/173931/original/file-20170615-24988-nmzpyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/173931/original/file-20170615-24988-nmzpyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/173931/original/file-20170615-24988-nmzpyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">On dit que le Baron Samedi porte un chapeau haut de forme, tout comme ce petit zombie en Lego.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/clement127/11671449945/in/photolist-iMnerB-9ScHuK-5s4cmH-5s4erX-bksA8A-5s4eMe-5s8zxf-jQXqgh-8GzcdA-rAg2pz-5ieHRH-oqasq-74WFmA-8aTX5G-dKv5dB-h3aBfA-GRcTB7-ynRap4-GesPJh-q1bNxy-74Djdm-eMiv4R-bEQyfx-9C83au-5s46Hp-74WF6Q-5HMTxE-qxEiX3-n5znuk-qyzSGP-hf5kqB-5HMTyU-5b4gdL-73CcmW-8Pvkhx-qys5vN-d2FfKf-rpchRK-hf5kYF-73BEtY-8QgYuU-8akZTE-dGeMxo-puGAj-bPuQqz-bPnrce-9DB6jL-bAtmY5-JLGLC3-5rEXsU">Clement127/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Dans d’autres légendes haïtiennes, les zombies sont créés par des sorciers. Ils étaient censés pouvoir créer des zombies en fabriquant des poisons. Une fois bu, ils donneraient à la personne l’apparence et le comportement d’un mort. Le sorcier utilise alors le zombie comme esclave.</p>
<p>Il y a un peu plus de 100 ans, ces contes haïtiens ont commencé à atteindre les États-Unis. On racontait des histoires de zombies aux gens et elles étaient également imprimées dans des recueils d’histoires sur Haïti. Il y avait également des rapports sur les zombies vivant en Haïti, et il n’a pas fallu longtemps pour que les universitaires et les journalistes américains commencent à visiter Haïti à la recherche de vrais zombies.</p>
<p>Ces contes et reportages sur les zombies ont été transformés en bandes dessinées et en histoires d’horreur. Certaines personnes aiment être effrayées par ces monstres.</p>
<p>Voici donc l’histoire des zombies. Qu’il s’agisse de croyances religieuses, de contes populaires, de rapports sur des zombies réels, de bandes dessinées, de films d’horreur ou de télévision, les zombies sont désormais partout sur nos écrans.</p>
<p>Dans les émissions télévisées d’aujourd’hui, il y a beaucoup de raisons différentes qui expliquent comment les zombies sont créés. Parfois, on explique que les gens sont transformés en zombies en respirant des produits chimiques dangereux ou en attrapant des maladies mystérieuses. Pour rendre ces zombies télévisés encore plus effrayants, ils sont souvent violents et mangent même de la chair humaine.</p>
<p>Mais n’oublie pas que dans ces contes modernes, conçus pour nous effrayer, il y a aussi un héros ou une héroïne pour sauver le monde.</p>
<hr>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.dianerottner.com/">Diane Rottner</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p><em>Si toi aussi tu as une question, demande à tes parents d’envoyer un mail à : <a href="mailto:tcjunior@theconversation.fr">tcjunior@theconversation.fr</a>. Nous trouverons un·e scientifique pour te répondre</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181551/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marguerite Johnson ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le terme de « zombie » vient de la culture haïtienne et plus particulièrement de la religion vaudou.Marguerite Johnson, Professor of Classics, University of NewcastleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1737072022-03-27T17:27:00Z2022-03-27T17:27:00ZL’esprit est-il une machine prédictive ? Introduction à la théorie du cerveau bayésien<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/452175/original/file-20220315-27-14j4kt1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C1278%2C1015&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La théorie du cerveau bayésien vise à expliquer le fonctionnement de notre esprit.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/nichd/21086425615/">NICHD/flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>La théorie du cerveau bayésien est une conception innovante en neurosciences et en philosophie proposant des hypothèses pour comprendre le fonctionnement de l’esprit. Selon cette théorie, le cerveau utilise des croyances (définies comme des estimations de probabilité) pour traiter les informations sensorielles et décider les actions à réaliser.</p>
<p>Émergeant à partir d’un riche héritage philosophique et scientifique avec des prémisses dans les œuvres d’Emmanuel Kant, William James, ou encore <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/14560724/">Hermann von Helmholtz</a>, cette théorie met principalement en jeu deux concepts fondamentaux : la <em>croyance</em> et la <em>hiérarchie</em> ; et quatre principes associés : la <em>prédiction</em>, l’<em>erreur de prédiction</em>, la <em>précision</em>, et la <em>mise à jour</em>.</p>
<p>Bien que ces concepts soient utilisés fréquemment en psychologie, ils prennent un sens bien différent pour cette théorie, participant à sa complexité.</p>
<h2>La croyance, cœur de la théorie bayésienne</h2>
<p>Le premier fondement de la théorie est la notion de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35012898/">croyance</a>. En philosophie, la croyance est souvent définie comme l’acceptation qu’une proposition est vraie, ou comme la justification pour la réalisation d’une action. Elle est alors assimilée à un état catégorique et binaire : je crois ou je ne crois pas.</p>
<p>La croyance bayésienne a un sens plus spécifique et désigne une estimation probabiliste à propos d’un phénomène. Par exemple, notre cerveau peut estimer qu’il y a une faible probabilité qu’un éléphant soit observé dans les rues de Paris, et une probabilité moyenne qu’une guerre mondiale éclate au cours des dix prochaines années. La croyance est alors une histoire de probabilité.</p>
<p>Ce concept alternatif de croyance est directement associé au <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23744934/">théorème de Bayes</a>, un théorème proposé initialement par le révérend Thomas Bayes au XVIII<sup>e</sup> siècle permettant de calculer la vraisemblance d’une nouvelle information en fonction de données préexistantes.</p>
<h2>Croire, c’est prédire</h2>
<p>Appliqué au cerveau, le théorème de Bayes permet ainsi de représenter la manière dont les croyances probabilistes (données préexistantes) influencent le traitement des informations sensorielles (nouvelles informations), puis sont modifiées au fil des expériences (enregistrement de nouvelles données).</p>
<p>Ces croyances probabilistes permettent au cerveau de générer des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33584461/">prédictions</a> à propos des entrées sensorielles. Ainsi, la croyance que l’on est au bord de l’océan facilitera la prédiction du parfum résineux des pins, du bruit des vagues qui se brisent sur plage, ou encore de la caresse douce du sable sous les pieds.</p>
<p>Ces croyances probabilistes peuvent aussi biaiser la perception du monde en favorisant les entrées sensorielles que le cerveau s’attend à recevoir. Ainsi, si je crois que ma tasse de café est chaude, je peux sentir la sensation tactile de chaleur lorsque je m’en saisis, même si elle ne contient que du café froid.</p>
<h2>Toujours plus de hiérarchie</h2>
<p>La théorie du cerveau bayésien suppose également que ces croyances sont organisées sous la forme d’une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25823866/">hiérarchie</a>. Cette hiérarchie de croyances fonctionne comme une hiérarchie d’hypothèses : à chaque niveau de la hiérarchie, les croyances de niveau supérieur sont ainsi utilisées pour faire des hypothèses sur les informations de niveau inférieur.</p>
<p>Par exemple, chaque signal sensoriel mobilise une cascade bidirectionnelle de traitement de l’information, confrontant des signaux montants générés à partir du traitement des entrées sensorielles, et des signaux descendants issus des aires corticales de plus haut niveau associatif, impliquées par exemple dans le sentiment d’agence, le raisonnement logique, ou encore la métacognition.</p>
<p>L’influence de ces signaux descendants générés à partir des croyances probabilistes est flagrant pour la perception : la croyance que l’on est en forêt favorise la perception d’un arbre, alors même qu’il ne s’agit que d’une antenne téléphonique. De la même manière, lorsque nous entendons furtivement une conversation indistincte, la croyance que l’on est en train de nous médire favorise la perception de paroles malveillantes, parfois de manière totalement artificielle !</p>
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<img alt="Chemin de sable dans la pinède, un pin se dresse à droite de l’image, on voit la mer à l’arrière-plan" src="https://images.theconversation.com/files/452180/original/file-20220315-23-9si0v8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/452180/original/file-20220315-23-9si0v8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/452180/original/file-20220315-23-9si0v8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/452180/original/file-20220315-23-9si0v8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/452180/original/file-20220315-23-9si0v8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/452180/original/file-20220315-23-9si0v8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/452180/original/file-20220315-23-9si0v8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Croire que l’on se promène dans la pinède facilite la prédiction de l’odeur du pin et (peut-être) celle du bruit des vagues au loin.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/51839301@N00/50231812366/in/photostream/">Hans Pohl/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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</figure>
<p>Cette hiérarchie d’hypothèses permet au cerveau de traiter les signaux sensoriels par étapes, en utilisant les croyances de plus haut niveau sémantique pour traiter des signaux sensoriels complexes, et des croyances perceptuelles basiques pour traiter les signaux sensoriels plus élémentaires. La perception consciente d’un stimulus dans l’environnement est alors le fruit de cet équilibre fragile entre croyance et entrées sensorielles.</p>
<h2>Tout est une question de précision</h2>
<p>La théorie suggère enfin que la différence entre les prédictions et les informations sensorielles génère des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33955106/">erreurs de prédiction</a>. Par exemple, si nous pensions sentir la chaleur sur notre main lorsque nous saisissons la tasse de café, mais que nous constatons qu’elle est froide, une erreur de prédiction est générée par le cerveau. Ce message d’erreur remonte dans la hiérarchie et est utilisé pour <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26674857/">mettre à jour les croyances</a>.</p>
<p>Cette mise à jour n’est toutefois pas aléatoire et dépend de la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23658161/">précision</a> des prédictions et des erreurs de prédictions. Des prédictions précises seront difficiles à mettre à jour même lorsqu’elles sont contredites par les entrées sensorielles. Inversement, des erreurs de prédictions précises provoqueront des mises à jour plus importantes.</p>
<p>Cette précision est vitalement modulée par le cerveau en fonction de notre environnement : lorsque nous marchons dans la pénombre, les informations visuelles sont codées avec peu de précision, tandis que la précision des informations tactiles et proprioceptives augmente.</p>
<p>Ce processus permet d’éviter que le tigre en peluche dont on perçoit les contours ne génère la croyance qu’un tigre en chair et en os est prêt à nous sauter dessus pour nous dévorer. Inversement, les mêmes stimuli visuels dans une jungle tropicale auront un haut degré de précision, et généreront plus facilement la croyance qu’il nous faut fuir le plus vite possible.</p>
<h2>Rivalité dans la vision</h2>
<p>Plusieurs recherches ont aussi montré que notre perception visuelle est produite par un équilibre entre les prédictions sur ce que le cerveau s’attend à percevoir, et une combinaison des informations sensorielles issues de nos deux rétines. L’un des exemples les plus frappants de ce phénomène est la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/18649876/">rivalité binoculaire</a> : elle se produit lorsque deux formes différentes sont présentées simultanément devant chaque œil. Ainsi, lorsqu’une image d’un tigre est présentée à l’œil droit et celle d’un éléphant à l’œil gauche, nous voyons alternativement un tigre et un éléphant, plutôt qu’une combinaison des deux animaux : il y a rivalité.</p>
<p>En réalité, nos neurones essayent constamment de combiner les informations issues de chacune des rétines pour unifier la perception visuelle. Toutefois, à l’exception des chimères et des animaux de science-fiction, nous ne sommes pas habitués à voir un tigre et un éléphant fusionnés. Cette vision déclenche une série d’erreurs de prédictions (prédiction d’un tigre, et observation d’un éléphant ; puis prédiction d’un éléphant, et observation d’un tigre) et des mises à jour répétées des croyances : l’hypothèse visuelle la plus probable se déplace alors successivement du tigre vers l’éléphant au fil des erreurs de prédictions dans la hiérarchie de croyances.</p>
<p>De la même manière, la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27870614/">théorie bayésienne</a> permet d’expliquer comment le cerveau réussit à maintenir une image stable du monde malgré le mouvement des yeux et du corps. En prédisant à l’avance les informations sensorielles les plus probables après la réalisation d’une action, le cerveau peut anticiper comment les formes qu’il perçoit vont évoluer au fur et à mesure du déplacement des yeux, et corriger en retour ces prédictions en fonction des entrées sensorielles. Ce système d’anticipation permet de maintenir des perceptions unifiées malgré les mouvements du corps, et de percevoir correctement notre environnement lorsque nous exécutons des gestes quotidiens. Il se retrouve toutefois brouillé lorsque nous le mettons à l’épreuve, par exemple lors de la chute d’un saut à l’élastique, ou de looping de montagnes russes.</p>
<h2>L’émotion, une erreur de la prédiction</h2>
<p>Ces prédictions ne sont pas limitées à la vision : notre cerveau prédit constamment le rythme de nos battements cardiaques, le degré de contraction de nos viscères intestinaux, la chaleur de notre peau, ou encore la dilatation de notre vessie. Ces prédictions sont la base de l’<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33378658/">intéroception</a>, désignant la perception des signaux venant de l’intérieur du corps, et pourraient être cruciales pour un grand nombre de processus cognitif et affectif, dont l’émotion !</p>
<p>En réalité, les prédictions intéroceptives sont constamment couplées avec l’activité motrice, c’est-à-dire que lorsque l’organisme réalise un mouvement programmé, les prédictions intéroceptives s’adaptent automatiquement à l’action et ne génèrent pas d’erreurs de prédiction. Par exemple, si nous débutons un jogging, les prédictions sur notre rythme cardiaque vont s’adapter progressivement à l’augmentation des battements de notre cœur, et notre cerveau ne sera pas surpris par ces changements : le cerveau et le corps s’harmonisent.</p>
<p>Au contraire, des stimuli imprévus provoquent des changements intéroceptifs non programmés dans le corps. Ainsi, si nous découvrons un cobra dans notre appartement, notre rythme cardiaque s’accélère brusquement alors que notre cerveau ne l’avait pas prédit. La tachycardie inattendue génère des erreurs de prédictions sur le rythme cardiaque, qui sont automatiquement traitées par le cerveau comme un signal d’alerte : ces signaux sont aujourd’hui considérés dans la théorie du cerveau bayésien comme le fondement élémentaire de l’<a href="https://direct.mit.edu/neco/article/33/2/398/95642/Deeply-Felt-Affect-The-Emergence-of-Valence-in">émotion</a> et de l’<a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6340107/">humeur</a> !</p>
<h2>Des perspectives pour l’avenir</h2>
<p>En médecine, cette théorie permet aussi de mieux comprendre les troubles psychiatriques et neurologiques, comme les hallucinations dans la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28338845/">psychose</a>, l’humeur triste dans la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28678984/">dépression</a>, l’exaltation dans la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26545853/">bipolarité</a>, ou encore le craving dans la <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamapsychiatry/fullarticle/2767299">toxicomanie</a>. De nouvelles hypothèses commencent à être testées concernant les <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25442941/">troubles du spectre autistique</a> ou encore l’<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35076888/">anorexie mentale</a>, et pourraient aussi bouleverser la compréhension de ces troubles.</p>
<p>La compréhension du lien entre l’intéroception et les troubles psychiatriques est aussi au premier plan, notamment dans les troubles de l’humeur ou la psychopathologie périnatale. La grossesse est par exemple une période de bouleversements majeurs de l’intéroception, et ces changements pourraient être impliqués dans des phénomènes pathologiques comme la dépression du post-partum. Enfin, ces hypothèses offrent un nouveau regard sur l’association entre les symptômes dépressifs et les pathologies intestinales chroniques comme le syndrome de l’intestin irritable.</p>
<p>Malgré ces perspectives prometteuses inspirées par notre fantastique architecture cérébrale, il reste à définir précisément comment les croyances probabilistes sont encodées par le cerveau et modifiées par nos expériences. Une meilleure compréhension de ces phénomènes nous permettrait de développer des traitements plus efficaces contre les troubles neuropsychiatriques, et d’ouvrir des hypothèses nouvelles sur la genèse des croyances sociales, politiques, ou religieuses.</p>
<hr>
<p><em>Pour en savoir plus sur la théorie du cerveau bayésien, se référer à : « The Predictive mind : An introduction to Bayesian Brain Theory » de Hugo Bottemanne, Yannick Longuet et Christophe Gauld (Encéphale, Paris, 2022).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173707/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Bottemanne travaille pour l'Institut du Cerveau (ICM) de Paris & à l'AP-HP Sorbonne Université</span></em></p>Selon la théorie du cerveau bayésien, notre cerveau fait sans cesse des prédictions sur ce qui l’entoure pour traiter les informations sensorielles et décider des actions à réaliser.Hugo Bottemanne, Psychiatre à la Pitié-Salpêtrière & chercheur à l'Institut du Cerveau, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1699782021-10-29T13:50:40Z2021-10-29T13:50:40ZPhotographie spirite : un rituel de deuil novateur du XIXᵉ siècle où les femmes ont joué un grand rôle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/429111/original/file-20211028-23-1t13c7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C0%2C547%2C416&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Photographie spirite datant de 1901.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://lccn.loc.gov/91732576">(Library of Congress/John K. Hallowell; S.W. Fallis, photographer)</a></span></figcaption></figure><p>Au début des années 1860, la photographie spirite a marqué une <a href="http://iapsop.com/archive/materials/herald_of_progress_us/herald_of_progress_v3_n37_nov_1_1862.pdf">évolution importante</a> dans les rituels de deuil.</p>
<p>Les photographies de ce genre sont des portraits de la personne en deuil, sur lesquels apparaît aussi l’image vaporeuse de ses êtres chers. Certains y voyaient une <a href="http://iapsop.com/archive/materials/banner_of_light/banner_of_light_v12_n12_13_dec_1862.pdf">manifestation tangible</a> de leurs <a href="https://www.britannica.com/topic/spiritualism-religion">profondes croyances « spiritistes »</a>. Selon le spiritisme, l’esprit survit au décès, ce qui rend possible le <a href="https://www.theguardian.com/science/2013/oct/20/seances-and-science">maintien de liens et d’une communication entre les défunts et les vivants</a>.</p>
<p>Les <a href="https://www.cornellpress.cornell.edu/book/9780801448010/the-sympathetic-medium/#bookTabs=1%20%22%22%20">médiums</a>, <a href="https://www.jstor.org/stable/10.7591/j.ctt7z8f3">principalement des femmes</a>, travaillaient aux côtés de photographes spirites pour amener l’« esprit » des défunts à se montrer. Comme en témoignent mes travaux de recherche, les femmes ont grandement contribué à l’essor de cette pratique : la personne à l’origine de la photographie spirite est vraisemblablement une <a href="https://doi.org/10.1080/03087298.2018.1498491">femme, selon moi</a>.</p>
<h2>Écho auprès des femmes</h2>
<p>L’apparition de la photographie spirite à Boston représente un moment marquant de l’histoire, dont on a beaucoup parlé et qui <a href="https://www.bbc.com/future/article/20150629-the-intriguing-history-of-ghost-photography">continue de fasciner les gens</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, les photographies spirites peuvent nous paraître d’amusants <a href="https://www.youtube.com/watch?v=No9shmys4Qc">objets historiques</a>. À l’époque victorienne, on utilisait aussi parfois des éléments translucides dans la composition des photographies pour <a href="https://www.jstor.org/stable/20442752">divertir les gens</a> <a href="https://graphicarts.princeton.edu/2018/09/27/stories-in-stereo/">ou illustrer des récits populaires</a>.</p>
<p>Certaines personnes collectionnaient et s’échangeaient par exemple des images créées au moyen d’appareils photo produisant différents points de vue d’une même scène et <a href="https://www.smithsonianmag.com/innovation/sterographs-original-virtual-reality-180964771">donnant l’illusion d’une tridimensionnalité</a>. Cependant, pour les endeuillés qui commandaient des photographies spirites, celles-ci constituaient plutôt de précieux souvenirs personnels.</p>
<p>L’après-vie dépeinte par le spiritisme trouvait <a href="https://iupress.org/9780253215024/radical-spirits-second-edition/">écho auprès des femmes</a> pour qui il était impensable que leurs enfants non baptisés soient voués à l’enfer. Les personnes décédées à un âge précoce – les soldats, les enfants et les nombreuses femmes mortes en couche – poursuivaient paisiblement leur existence dans le monde des esprits, et les <a href="https://www.upress.virginia.edu/title/1256">liens affectifs avec elles étaient maintenus</a>.</p>
<p>Les photographies spirites étaient le symbole d’un amour immortel pour quiconque y posait un regard compatissant. Néanmoins, elles alimentaient aussi grandement les <a href="http://iapsop.com/spirithistory/spiritualist_skepticism_about_spirit_photography.html">critiques</a>, même au sein de groupes d’adeptes du spiritisme.</p>
<h2>Accusations de fraude</h2>
<p>Reconnu à l’époque comme le créateur de la photographie spirite, <a href="https://www.jstor.org/stable/10.5749/j.ctttsdrr">William H. Mumler</a> a été <a href="http://access.bl.uk/item/viewer/ark:/81055/vdc_100036301494.0x000001#?c=0&m=0&s=0&cv=0&xywh=-1643%2C-151%2C5043%2C3001">accusé de « soutirer de l’argent en vendant de prétendues photographies d’esprits</a> ». Au terme d’un long avant-procès s’étant déroulé devant public, il a été acquitté de toutes les accusations portées contre lui et a pu poursuivre son travail.</p>
<p>Pendant l’avant-procès de M. Mumler, la presse s’est intéressée à « Mme Stuart » et a indiqué que c’était elle qui dirigeait le studio d’où provenaient les premières photographies spirites prises par M. Mumler. Mme Stuart n’a cependant jamais comparu devant la cour. Les méthodes de travail de M. Mumler et de son associée, Mme Stuart, n’ont jamais pu être démontrées, contrairement à celles de beaucoup d’autres photographes spirites les ayant suivis.</p>
<p>Selon mes travaux de recherche, Mme Stuart figurait parmi les <a href="https://books.google.ca/books?id=5UH2swEACAAJ&dq=Fields+of+vision+:+women+in+photography+:+from+the+photography+collections,+Special+Collections+Department&hl=en&newbks=1&newbks_redir=0&sa=X&redir_esc=y">photographes les plus prolifiques de Boston</a>.</p>
<p>Il s’agit aussi de la première <a href="https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=chi.101956564&amp;view=1up&amp;seq=422&amp;skin=2021&amp;q1=stuart">photographe à être clairement présentée comme une femme dans les annuaires de la région</a>. Plus important encore, les résultats de mes travaux donnent à penser que « Mme Stuart » était probablement un pseudonyme.</p>
<p>Comme l’indiquent un grand nombre de <a href="https://www.upress.umn.edu/book-division/books/the-strange-case-of-william-mumler-spirit">témoignages importants</a> sur la <a href="https://www.upress.virginia.edu/title/1256">photographie spirite</a>, il y aurait lieu de se pencher davantage sur le rôle joué par Mme Stuart et Hannah Mumler, l’épouse de William Mumler.</p>
<h2>Créatrice de bijoux de deuil en cheveux</h2>
<p>Née à Marblehead, au Massachusetts, en 1832, Hannah Frances Green a épousé Thomas Miller Turner à 20 ans et a eu deux enfants avec lui. Le <a href="https://newspaperarchive.com/boston-post-oct-08-1864-p-4/">dossier de divorce indique</a> que Mme Green a été abandonnée avec les enfants en 1859.</p>
<p>L’année même où Mme Green commençait à composer avec sa nouvelle situation de mère célibataire de deux enfants, une certaine Mme A. M. Stuart est apparue dans l’annuaire de Boston. Elle s’y présentait comme <a href="https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=chi.14813064&amp;view=1up&amp;seq=393&amp;skin=2021&amp;q1=stuart">artiste en cheveux (artist in hair)</a> sise au 191, rue Washington, et comme « <a href="https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=chi.14813064&view=1up&seq=467&skin=2021&q1=stuart">créatrice d’œuvres en cheveux (hair work manufacturer)</a>“ à la même adresse.</p>
<p>Art de l’époque victorienne, la création d’œuvres en cheveux <a href="https://www.artsy.net/article/artsy-editorial-curious-victorian-tradition-making-art-human-hair">consistait à fabriquer des objets d’art, des bijoux ou des ornements funéraires à partir de cheveux</a>. L’année suivante, Mme Stuart figure encore dans l’annuaire en tant qu’<a href="https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=chi.14815759&amp;view=1up&amp;seq=415&amp;skin=2021&amp;q1=stuart">artiste en coiffure</a>.</p>
<p>En 1861, l’annuaire présente Mme <a href="https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=hvd.32044082518507&view=1up&seq=432&skin=2021&q1=stuart">H.F. Stuart comme joaillière en cheveux (hair jewellery manufacturer)</a> sise au 221, rue Washington.</p>
<p>En 1862, H.F. Stuart élargit ses activités et ouvre un studio de <a href="https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=chi.101956564&amp;view=1up&amp;seq=422&amp;skin=2021&amp;q1=stuart">photographie professionnelle</a> au <a href="https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=hvd.32044092997923&amp;view=1up&amp;seq=495&amp;skin=2021&amp;q1=stuart">258, rue Washington</a>, l’adresse où a été prise la première photographie spirite. Mme Stuart poursuit son travail de <a href="https://quod.lib.umich.edu/w/wcl1ic/x-7923/WCL007989?lasttype=boolean;lastview=reslist;med=1;resnum=3;size=50;sort=relevance;start=1;subview=detail;view=entry;rgn1=wcl1ic_su;select1=phrase;q1=Women%2520photographers.">joaillerie en cheveux</a> <a href="http://www.luminous-lint.com/__phv_app.php?/p/Mrs_Stuart">comme en témoigne l’inscription</a> au verso des nombreux portraits qu’on lui commandait sous forme de <a href="https://www.britannica.com/technology/carte-de-visite">carte de visite</a>.</p>
<p>Les annuaires font état des activités professionnelles d’Helen F. Stuart de 1859 à 1867, mais je n’ai pu trouver aucun relevé de recensement la concernant. Les registres des naissances, des décès et des mariages ne comprennent aucune entrée à son nom pouvant être confirmée.</p>
<h2>« Médecin voyante »</h2>
<p>Plus tôt pendant cette période, Hannah Green a inscrit ses services en tant que <a href="https://babel.hathitrust.org/cgi/pt ?id=chi.14815759& ;amp ;view=1up& ;amp ;seq=198& ;amp ;skin=2021& ;amp ;q1=hannah %20greene">médecin voyante (clairvoyant physician)</a>. (Certaines femmes adeptes du spiritisme soutenaient avoir un <a href="https://www.newyorker.com/magazine/2021/05/31/why-did-so-many-victorians-try-to-speak-with-the-dead">don de clairvoyance</a> leur permettant de diagnostiquer des problèmes et de <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/D/bo3623876.html">favoriser la guérison</a> en servant de canal à un esprit).</p>
<p>Les activités de joaillière en cheveux, de photographe et de médecin voyante qu’Hannah Green (Stuart) pratiquait toujours bien au-delà de <a href="https://cambridge.dlconsulting.com/ ?a=d&d=Chronicle18940210-01.2.100.1&dliv=none&e=-------en-20%20--%201%20--%20txt-txIN-------">ses 80 ans</a> lui procuraient un point de vue unique pour prévoir l’évolution que pourrait représenter la photographie spirite dans les rites funéraires. À l’époque victorienne et même avant, les femmes jouaient après tout un rôle fondamental bien connu dans les <a href="https://oxford.universitypressscholarship.com/view/10.1093/acprof :oso/9780198201885.001.0001/acprof-9780198201885">pratiques commémoratives</a> <a href="https://oxford.universitypressscholarship.com/view/10.1093/acprof :oso/9780195104677.001.0001/acprof-9780195104677">entourant le deuil</a>.</p>
<p>Jusqu’ici, j’ai retrouvé quatre photographies spirites <a href="https://quod.lib.umich.edu/w/wcl1ic/x-7923/WCL007989 ?lasttype=boolean ;lastview=reslist ;med=1 ;resnum=3 ;size=50 ;sort=relevance ;start=1 ;subview=detail ;view=entry ;rgn1=wcl1ic_su ;select1=phrase ;q1=Women %2520photographers.">attribuées avec certitude à Helen F. Stuart</a>, une professionnelle inscrite dans l’annuaire seulement dans les environs de la période pendant laquelle Hannah Green·e est absente des relevés publics de recensement.</p>
<h2>Un « pouvoir magnétique »</h2>
<p>Dans une <a href="https://www.upress.umn.edu/book-division/books/the-strange-case-of-william-mumler-spirit">déclaration à la cour en 1869</a> suivant son enquête et sa mise en accusation, M. Mumler affirme qu’il était seul lorsqu’il a pris sa première photographie spirite. Il soutient avoir simplement reproduit ce qu’il croyait avoir observé auprès d’un ami, dont il n’a pas divulgué le nom. Or, il n’est fait aucune autre mention de cet ami.</p>
<p>Dans l’annuaire de 1861, <a href="https://babel.hathitrust.org/cgi/pt ?id=hvd.32044082518507& ;amp ;view=1up& ;amp ;seq=332& ;amp ;skin=2021& ;amp ;q1=mumler">M. Mumler, graveur (engraver)</a> et <a href="https://babel.hathitrust.org/cgi/pt ?id=hvd.32044082518507& ;amp ;view=1up& ;amp ;seq=528& ;amp ;skin=2021& ;amp ;q1=stuart">Mme Stuart, joaillière (jewellery manufacturer)</a>, figurent tous deux au 221, rue Washington, à Boston.</p>
<p>La référence à un « ami » a vraisemblablement été inventée pour dissimuler le fait que M. Mumler recevait des directives d’une femme (Mme Stuart). M. Mumler a peut-être sciemment caché la présence d’Hannah Green, celle-ci étant toujours mariée à M. Turner. Il a peut-être aussi voulu éviter d’attirer l’attention sur elle et ses enfants, au moment où ils déménageaient tous les quatre à New York. Comme l’indiquent les registres officiels, M. Mumler et Mme Green se sont mariés en 1864, quatre mois après le divorce de Mme Green et de M. Turner.</p>
<p><a href="https://www.upress.umn.edu/book-division/books/the-strange-case-of-william-mumler-spirit">Lors de l’avant-procès de M. Mumler, des témoins ont affirmé</a> qu’une femme se faisant appeler Mme Mumler préparait les clients à leur rencontre avec les esprits des défunts et les guidait dans l’identification concluante des entités se manifestant.</p>
<p>Plus tard, dans les mémoires qu’il a publiés, M. Mumler mentionnera que lors de sa « première innovation », une femme était présente – une personne dont il souligne le <a href="http://iapsop.com/archive/materials/banner_of_light/banner_of_light_v36_n22_feb_27_1875.pdf">« puissant pouvoir magnétique »</a>, lié selon lui à l’apparition d’entités. Même si l’épouse de M. Mumler n’a pas eu à se présenter devant la cour et que les récits font peu de cas du rôle important qu’elle a joué, M. Mumler a tout de même trouvé un moyen de lui rendre hommage.</p>
<h2>Une professionnelle dotée d’aptitudes extraordinaires</h2>
<p>La capacité d’Hannah Green d’assurer sa subsistance en tant que professionnelle dotée <a href="https://cambridge.dlconsulting.com/ ?a=d&d=Chronicle18931118-01.2.77&dliv=none&e=-------en-20%20--%201%20--%20txt-txIN-------">d’aptitudes extraordinaires pour l’autopromotion peut être confirmée</a> bien après sa séparation d’avec William Mumler, son deuxième époux, à la fin des années 1870 – et après le décès de celui-ci en 1884.</p>
<p>À l’époque victorienne, le rôle de médium se caractérisait par une <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/D/bo3623876.html">certaine passivité, c’est pourquoi on croyait qu’il convenait aux femmes</a>. En revanche, dans la dernière moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, le travail de photographe était rattaché beaucoup plus étroitement <a href="https://jhupbooks.press.jhu.edu/title/nature-exposed">au travail des hommes et à la méthode scientifique</a>. Il aurait alors été difficile pour une femme de prétendre avoir inventé la photographie spirite. À mon avis, Hannah Green s’est adjoint les compétences complémentaires d’un homme pour donner de l’élan à sa vision et à ses activités professionnelles.</p>
<p>L’étude de l’apport de Mme Green à la photographie spirite démontre que le rôle joué par les femmes dans une période marquante de l’histoire de la photographie a été passé sous silence – et que nous devons réinterpréter la photographie spirite en tant que pratique novatrice dans les rites funéraires personnels.</p>
<p>Pourquoi accorder de la crédibilité à ce contre-discours ? Parce que les faits montrent qu’il est plus que probable qu’il en soit ainsi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169978/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Felicity T. C. Hamer a reçu des fonds du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et du Fonds de recherche du Québec - Société et culture (FRQSC).</span></em></p>La vie après la mort envisagée par le spiritisme plaisait aux femmes qui rejetaient l’idée que leurs enfants non baptisés puissent être condamnés à l’enfer.Felicity T. C. Hamer, PhD Candidate and Public Scholar, Communication Studies, Concordia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1693882021-10-25T17:49:19Z2021-10-25T17:49:19ZUn témoignage des pratiques magiques de l'Antiquité : la tablette de malédiction de Tongres<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/425100/original/file-20211006-17-fnqw8l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=93%2C10%2C1272%2C1161&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur cette fine feuille de plomb, des dessins et des textes en grec et en latin ont été incisés avec une pointe de métal.</span> <span class="attribution"><span class="source">ARON bvba</span></span></figcaption></figure><p>En 2016, des fouilles de sauvetage dans la <a href="https://www.galloromeinsmuseum.be/fr/sciences/Banse-de-donn%C3%A9es-civitas-Tungrorum">ville de Tongres</a>, en Belgique, ont mis au jour un objet exceptionnel, une tablette de malédiction sur plomb, que le contexte archéologique permet de dater du dernier tiers du I<sup>er</sup> siècle apr. J.-C. Tombée sur le sol, dans un niveau de circulation, la lamelle de plomb était encore munie d’un des clous qui avaient permis de la fixer, peut-être sur l’une des constructions de bois qui se dressaient dans le secteur. La tablette, remarquablement conservée, est actuellement présentée au <a href="https://www.galloromeinsmuseum.be/fr">Musée gallo-romain de Tongres</a> et a fait l’objet d’une étude par une <a href="https://www.researchgate.net/publication/338863795_Une_tablette_de_defixion_recemment_decouverte_a_Tongres">équipe multidisciplinaire de l’Université libre de Bruxelles (ULB)</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/428272/original/file-20211025-25-3q6551.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/428272/original/file-20211025-25-3q6551.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/428272/original/file-20211025-25-3q6551.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/428272/original/file-20211025-25-3q6551.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/428272/original/file-20211025-25-3q6551.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/428272/original/file-20211025-25-3q6551.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/428272/original/file-20211025-25-3q6551.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/428272/original/file-20211025-25-3q6551.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Vue des fouilles (en rouge, l’emplacement de la tablette).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Photo : ARON bvba</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des textes et dessins magiques</h2>
<p>Sur cette fine feuille de plomb, large de 12 à 14 cm et haute de 12 cm, des dessins et des textes en grec et en latin ont été incisés avec une pointe de métal. Au premier registre, on voit sept <a href="https://charakteres.com"><em>charaktêres</em></a>, c’est-à-dire des signes magiques, inspirés notamment de lettres de l’alphabet et pourvus de petits cercles. Ils surmontent un bandeau où se lisent des mots magiques, du type « abracadabra », que l’on appelle <a href="http://www.cenob.org/">noms barbares ou <em>voces magicae</em></a>, sous lesquels se cachent souvent des noms divins (« Iabêl tabbou chithassous Iab »). On y reconnaît Iabêl, qui associe le nom d’origine hébraïque Iaô (Yahve) et la racine sémitique Baal, « seigneur ». En dessous, d’autres formules magiques ont été notées (« kisthê sankanthara »), ainsi que des signes ésotériques. Une structure triangulaire, qui évoque une stèle, occupe le centre de l’objet ; les cinq lignes de texte contiennent des noms divins et un impératif grec : <em>dos</em>, « donne ! » L’ensemble est entouré par un demi-cercle, où on retrouve une fois encore des formes du nom divin Iaô (« Ia, Iaô, Iô »), auquel est associée, à gauche, l’épithète Sabaôth (« (dieu) des armées »). Dans le bas de la tablette, une autre main a gravé finement une inscription latine : « C(aius) Iulius Viator quem peperit Ingenua », « Gaius Julius Viator, qu’a engendré Ingenua ». Le personnage est un citoyen romain, comme le montre sa dénomination (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Nom_romain">ses <em>tria nomina</em></a>), et il est ici la cible de l’objet, celui sur qui doit s’exercer la magie évoquée dans le texte grec et les dessins.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/428265/original/file-20211025-27-1le25oc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/428265/original/file-20211025-27-1le25oc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/428265/original/file-20211025-27-1le25oc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=518&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/428265/original/file-20211025-27-1le25oc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=518&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/428265/original/file-20211025-27-1le25oc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=518&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/428265/original/file-20211025-27-1le25oc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=651&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/428265/original/file-20211025-27-1le25oc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=651&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/428265/original/file-20211025-27-1le25oc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=651&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Fac-similé de la tablette de Tongres.</span>
<span class="attribution"><span class="source">dessin : Alain Delattre</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<h2>Une malédiction « orientale », mais une fabrication locale</h2>
<p>L’usage du plomb, un métal associé au monde des enfers, ne laisse aucun doute sur la nature négative de l’objet. La tablette s’insère dans la série déjà riche des <a href="https://eduscol.education.fr/odysseum/les-tablettes-de-malediction-et-denvoutement-les-defixiones">textes d’exécration ou défixion</a>, dont des exemplaires ont été trouvés dans presque toutes les régions de l’Empire romain. Ce qui est plus surprenant, c’est l’origine clairement orientale des formules magiques et l’usage du grec dans un territoire du nord de l’Europe.</p>
<p>L’idée d’un objet importé, fabriqué en Méditerranée orientale et amené ensuite jusqu’à Tongres, doit être écartée. <a href="https://www.persee.fr/doc/antiq_0770-2817_2011_num_80_1_3802">L’analyse isotopique du plomb</a> montre en effet que le matériau provient des gisements de l’est de la Belgique ou de l’ouest de l’Allemagne : autrement dit la tablette a été confectionnée localement, à partir d’un modèle oriental.</p>
<h2>Une langue commune magique</h2>
<p>Trois autres tablettes de malédiction sur plomb présentent des similarités frappantes avec l’objet mis au jour en Belgique. La première a été découverte dans un puits, <a href="https://www.jstor.org/stable/pdf/148244.pdf">près du sanctuaire de Poséidon sur l’Isthme de Corinthe (Grèce)</a>, la seconde dans la <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k206861z/f295.item">nécropole païenne d’Hadrumète (Sousse, en Tunisie)</a>, la troisième provient de <a href="https://www.jstor.org/stable/20189727">Carthage (Tunisie)</a>, sans plus de précision. Les trois tablettes adoptent une mise en page similaire à celle de Tongres ; les mêmes formules magiques et des séquences identiques de signes se retrouvent aux mêmes endroits ; seules de petites variations s’observent.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/428270/original/file-20211025-13-hqch7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/428270/original/file-20211025-13-hqch7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/428270/original/file-20211025-13-hqch7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/428270/original/file-20211025-13-hqch7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/428270/original/file-20211025-13-hqch7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/428270/original/file-20211025-13-hqch7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/428270/original/file-20211025-13-hqch7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/428270/original/file-20211025-13-hqch7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Tablette d’Hadrumète.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k206861z/f295.item">BnF Gallica, dessin : Héron de Villefosse</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ainsi, la tablette de Carthage présente un texte de malédiction explicite : le complément de l’impératif <em>dos</em>, « donne ! », y est précisé : il s’agit de donner la mort (<em>thanaton</em>) à la cible.</p>
<p>La présence de ces textes en des lieux si variés et éloignés les uns des autres démontre l’existence d’un modèle dont se sont inspirés les auteurs des différents objets. Ce modèle figurait probablement dans un manuel de magie qui a largement circulé dans les provinces romaines, de la Grèce à la Tunisie et jusque sur le territoire de la Belgique actuelle. De tels livres, transportés par des soldats, des marchands ou des voyageurs, ont contribué à diffuser les idées et les pratiques magiques d’un bout à l’autre de l’Empire. Des manuels de ce genre ont été <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/histoire/2017-v34-n2-histoire03229/1041540ar.pdf">découverts en nombre en Égypte</a>, où le climat a permis leur conservation.</p>
<h2>Le contexte de la malédiction de Tongres</h2>
<p>Les tablettes de défixion proviennent pour la plupart de contextes funéraires ou de lieux en rapport avec l’eau, des endroits naturellement en contact avec le monde souterrain et donc les divinités infernales. Les données archéologiques de la découverte de Tongres ne correspondent à aucun de ces contextes. Nous sommes ici plutôt en face d’un rare exemple d’une tablette de défixion dans la sphère domestique, en contact avec la victime, une pratique jusqu’ici connue surtout par des textes littéraires.</p>
<p>Tacite rapporte ainsi une anecdote à propos de la mort de Germanicus, dont les proches, jugeant suspecte la maladie dont il souffrait, avaient trouvé « sur le sol et sur les murs […] des formules d’envoûtement et d’exécration et le nom de Germanicus gravé sur des tablettes de plomb » (<a href="http://bcs.fltr.ucl.ac.be/TAC/AnnII.html"><em>Annales</em> 2, 69</a>). La défixion de Tongres aurait donc pu être fixée, de manière non visible, sur le toit ou sur un mur de la maison de Gaius Julius Viator. Ce dernier, citoyen romain au I<sup>er</sup> siècle de notre ère, appartenait probablement à l’élite de la cité des Tongres. Sa position sociale élevée a pu susciter des jalousies et provoquer la haine de l’un de ses contemporains, concurrent dans le monde des affaires ou de la politique, ou simplement rival amoureux. De nombreuses tablettes étaient destinées à blesser des adversaires dans le cadre des compétitions sportives, mais il faut probablement exclure ce motif dans le cas de Viator. La pratique de la magique maléfique était en tout cas monnaie courante à l’époque ; comme le signalait Pline l’Ancien au milieu du I<sup>er</sup> siècle : « Il n’est d’ailleurs personne qui ne redoute d’être envoûté par des prières maléfiques » (<a href="http://remacle.org/bloodwolf/erudits/plineancien/livre28.htm"><em>Histoires naturelles</em> 28, 4</a>).</p>
<hr>
<p><em>Pour en savoir plus, voir l’ouvrage de l’équipe multidisciplinaire qui a publié la tablette : Roxanne Bélanger Sarrazin, Alain Delattre, Daniel Demaiffe, Natasja De Winter, Alain Martin, Georges Raepsaet et Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier, avec la collaboration de Cecilia Melaerts-Saerens & Frank Scheppers, <a href="https://www.peeters-leuven.be/detail.php?search_key=9782960083453&series_number_str=39&lang=fr">Iaô Sabaôth. Pratiques magiques dans la cité des Tongres : une tablette de défixion mise en contexte</a>. Une version succincte de la recherche a été publiée dans la <a href="https://www.researchgate.net/publication/338863795_Une_tablette_de_defixion_recemment_decouverte_a_Tongres">revue Latomus</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169388/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Delattre est aussi directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Paris). </span></em></p>Sur cette feuille de plomb, des dessins et des textes en grec et en latin ont été incisés avec une pointe de métal : ce sont des formules magiques destinées à nuire à un certain Gaius Julius Viator.Alain Delattre, Professeur de papyrologie et d'épigraphie grecque, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1623752021-07-30T13:04:33Z2021-07-30T13:04:33ZLa conscience fait-elle partie de la mécanique du cerveau ou est-elle « transcendante » ? Telle est la question…<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/408480/original/file-20210626-24-l3zbzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C0%2C997%2C497&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les croyances au sujet de la conscience se classent en deux camps: ceux qui pensent qu’il s’agit d’un fantôme dans la mécanique de notre cerveau et d'autres qui considèrent que ce qu’on appelle conscience n’est qu’un signal parmi d’autres généré par notre mécanique neuronale.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>En tant qu’individus, on a l’impression de savoir ce qu’est la conscience parce qu’on en fait l’expérience au quotidien. C’est ce sentiment intime d’une sensibilité personnelle que l’on porte en soi, ainsi que la sensation que nos pensées, nos émotions et nos souvenirs nous appartiennent et qu’on les contrôle.</p>
<p>La science n’est toutefois pas encore parvenue à un consensus sur la nature de la conscience, ce qui a d’importantes répercussions sur notre <a href="https://theconversation.com/the-psychology-of-believing-in-free-will-97193">foi dans le libre arbitre</a> et notre approche de <a href="https://cordis.europa.eu/article/id/421530-studying-consciousness-had-been-seen-as-mystical-or-unscientific">l’étude de l’esprit humain</a>.</p>
<p>Les croyances au sujet de la conscience se classent en <a href="https://philosophynow.org/issues/13/Driving_the_Ghost_from_the_Machine">deux camps</a>. Il y a ceux qui pensent qu’il s’agit d’une sorte de <a href="https://books.google.co.uk/books/about/The_ghost_in_the_machine.html?id=UAtbAAAAMAAJ">fantôme dans la mécanique de notre cerveau</a> qui mérite une attention particulière et une branche d’études. D’autres, comme nous, réfutent cette idée et considèrent que ce que l’on appelle conscience n’est qu’un signal parmi d’autres généré en arrière-plan par notre mécanique neuronale.</p>
<p>Au cours des 30 dernières années, la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25244112/">recherche neuroscientifique</a> s’est progressivement éloignée du premier camp. S’appuyant sur des recherches en neuropsychologie cognitive et en hypnose, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33995166/">notre récent article</a> plaide en faveur de la seconde posture, même si cela semble aller à l’encontre du puissant sentiment qu’on a d’être l’auteur de sa conscience.</p>
<p>Nous soutenons qu’il ne s’agit pas d’un sujet qui n’intéresse que les chercheurs. En laissant tomber l’image du fantôme de la conscience et en axant les efforts scientifiques sur les mécanismes de notre cerveau, on pourrait franchir une étape essentielle pour mieux comprendre l’esprit humain.</p>
<h2>La conscience est-elle spéciale ?</h2>
<p>Notre expérience de la conscience nous donne l’impression d’être aux commandes de notre monde psychologique. Mais d’un point de vue objectif, il n’est pas du tout évident que la conscience fonctionne ainsi, et la nature fondamentale de celle-ci fait encore l’objet de <a href="https://www.nature.com/articles/d41586-018-05097-x">nombreux débats</a>.</p>
<p>Cela s’explique notamment par le fait que nombre d’entre nous, dont des scientifiques, ont adopté une <a href="https://www.philomag.com/articles/lavenement-du-dualisme">position dualiste</a> sur la nature de la conscience. Le dualisme est une perspective philosophique qui établit une distinction entre l’esprit et le corps. Même si la conscience est générée par le cerveau — une partie du corps —, le dualisme prétend que l’esprit est distinct de nos caractéristiques physiques et que la conscience ne peut être comprise par la seule étude du cerveau physique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/AMTMtWHclKo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Alex Byrne, du MIT, explique les fondements philosophiques de la position dualiste.</span></figcaption>
</figure>
<p>Il est facile de comprendre pourquoi on a cette impression. Alors que tous les autres processus du corps humain fonctionnent sans aucune intervention de notre part, l’expérience de la conscience a quelque chose d’unique et de transcendantal. Il n’est pas surprenant que l’on traite la conscience comme quelque chose de spécial et de distinct des systèmes automatiques qui permettent la respiration ou la digestion.</p>
<p>Cependant, un <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2014.00697/full">nombre croissant de preuves</a> issues du domaine des <a href="https://www.nature.com/articles/d41586-019-02207-1">neurosciences cognitives</a> — qui étudient les processus biologiques à la base de la cognition — remettent en question cette vision. Ainsi, des études ont attiré l’attention sur le fait que de nombreuses fonctions psychologiques sont générées et exécutées tout à fait <a href="https://theconversation.com/what-if-consciousness-is-just-a-product-of-our-non-conscious-brain-107973">indépendamment de notre conscience subjective</a>, par une série de systèmes cérébraux non conscients, rapides et efficaces.</p>
<p>On peut prendre comme exemple le fait que l’on retrouve sa conscience sans effort chaque matin après l’avoir perdue en s’endormant, ou que l’on reconnaisse et comprenne instantanément, sans effort délibéré, les formes, les couleurs, les motifs et les <a href="https://theconversation.com/why-we-can-still-recognise-people-in-face-masks-159667">visages</a> que l’on croise.</p>
<p>On peut aussi considérer le fait que l’on n’a pas conscience de la façon dont nos perceptions, nos pensées et nos phrases sont produites, dont on retrouve des souvenirs ou dont on contrôle nos muscles pour marcher ou notre langue pour parler. En d’autres termes, on ne génère ni ne contrôle nos pensées, nos sentiments ou nos actions — on semble simplement les percevoir.</p>
<h2>Développer sa conscience</h2>
<p>La façon dont on ne fait que percevoir les pensées, les sentiments et le monde qui nous entoure laisse penser que notre conscience est <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2017.01924/full">générée et contrôlée en arrière-plan</a> par des systèmes cérébraux qu’on ne remarque pas.</p>
<p><a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33995166/">Notre récent article</a> soutient que la conscience n’implique aucun processus psychologique indépendant distinct du cerveau lui-même, tout comme il n’y a pas de fonction supplémentaire à la digestion qui existe séparément du fonctionnement physique de l’intestin.</p>
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<img alt="Une impression d’artiste des neurones dans le cerveau" src="https://images.theconversation.com/files/402624/original/file-20210525-17-51el4n.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/402624/original/file-20210525-17-51el4n.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=343&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/402624/original/file-20210525-17-51el4n.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=343&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/402624/original/file-20210525-17-51el4n.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=343&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/402624/original/file-20210525-17-51el4n.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=431&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/402624/original/file-20210525-17-51el4n.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=431&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/402624/original/file-20210525-17-51el4n.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=431&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Il nous suffit peut-être d’étudier la mécanique neuronale du cerveau pour comprendre l’esprit humain.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-illustration/neuronal-network-electrical-activity-neuron-cells-1691666992">MattLphotography/Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>S’il est clair que l’expérience et le contenu de la conscience sont réels, nous affirmons que, d’un point de vue scientifique, ils sont épiphénoménaux : des phénomènes secondaires basés sur les mécanismes du cerveau physique. En d’autres termes, notre expérience subjective de la conscience est réelle, mais les fonctions de contrôle et de propriété que nous attribuons à cette expérience ne le sont pas.</p>
<h2>L’étude future du cerveau</h2>
<p>Notre position n’est ni évidente ni intuitive. Mais nous soutenons qu’en continuant à considérer que la conscience est aux commandes, qu’elle se situe au-dessus et au-delà du fonctionnement physique du cerveau, et à lui attribuer des fonctions cognitives, on risque de semer la confusion et de retarder le développement de la compréhension de la psychologie et du comportement humains.</p>
<p>Pour mieux accorder la psychologie avec le reste des sciences naturelles, et pour être cohérents avec la façon dont on comprend et étudie des processus comme la digestion et la respiration, nous proposons un changement de perspective. Nous devrions rediriger nos efforts vers l’étude du cerveau non conscient plutôt que des fonctions précédemment attribuées à la conscience.</p>
<p>Cela n’exclut évidemment pas une recherche psychologique sur la nature, les origines et la distribution de la croyance en la conscience. Mais cela signifie qu’il faut recentrer les efforts scientifiques sur ce qui se passe sous notre conscience — là où, selon nous, se déroulent les véritables processus neuropsychologiques.</p>
<p>Notre proposition n’est pas satisfaisante sur le plan personnel et émotionnel, mais nous pensons qu’elle offre un cadre futur pour l’étude de l’esprit humain — un cadre qui s’intéresse à la mécanique physique du cerveau plutôt qu’au fantôme de la conscience.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162375/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La conscience est parfois qualifiée de « fantôme » dans la machinerie de notre cerveau. Est-il temps d’abandonner le fantôme pour se concentrer sur la machine ?Peter W Halligan, Hon Professor of Neuropsychology, Cardiff UniversityDavid A Oakley, Emeritus Professor of Psychology, UCLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1500322021-01-19T18:27:31Z2021-01-19T18:27:31ZHistoire : comment les penseurs occidentaux ont-ils compris l’islam ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/379462/original/file-20210119-21-boydwz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C2%2C568%2C470&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Première version imprimée du Coran, XIIe siècle. Traduction en latin de Robert de Chester.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.wdl.org/fr/item/9922/">Library of Congress</a></span></figcaption></figure><p>Le savoir occidental sur l’islam a été érigé <a href="https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1997_num_28_4_2917_t1_0547_0000_2">dès le haut Moyen-âge</a>. Dans un premier temps, il est destiné aux croisés, aux rares voyageurs, aux pèlerins en Terre sainte et aux missionnaires.</p>
<p>Au début de la Reconquista, Pierre le Vénérable, neuvième abbé de Cluny, commande à Robert de Ketton la première somme manuscrite latine du Coran, de commentaires et de textes de réfutation, qui sera achevée en 1143 par une équipe internationale de collaborateurs. On trouve des discours souvent issus des autorités religieuses occupant de hautes fonctions cléricales comme Thomas d’Aquin ou le cardinal Nicolas de Cues. Mais un savoir parallèle a pu se développer, destiné aux laïcs et aux soldats, qui véhiculaient des contenus non officiels.</p>
<p>La relation des mœurs islamiques est une autre source du savoir : celle-ci est surtout le <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5824148w.texteImage">fait de missionnaires qui font converger leurs observations avec le savoir officiel</a>.</p>
<p>La vision occidentale de l’islam a évolué au fil du temps. L’islam est <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&id=b7VuNbXVE80C&q=mahomet#v=snippet&q=mahomet&f=false">parfois associé à une religion sensuelle et violente</a>. Il fait également l’objet d’une instrumentalisation de la part des <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k548005.texteImage">apologistes du christianisme</a> qui l’utilisent à des fins politiques et religieuses. Le savoir occidental sur l’islam s’est façonné au gré de l’histoire, des relations sociales et politiques, des guerres et de la religion chrétienne.</p>
<p>Revenir sur l’histoire et les relations entre l’Occident et l’islam peut nous permettre de comprendre leurs rapports parfois controversés et complexes et l’état actuel de la vision occidentale sur l’islam.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_MxcYYxe1Ss?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Le rapprochement franco-ottoman ou l’essor de l’islamologie</h2>
<p><a href="https://ehne.fr/fr/programmes-du-lycee/premi%C3%A8re-sp%C3%A9cialit%C3%A9-histoire/th%C3%A8me-2-analyser-les-ressorts-et-les-dynamiques-des-puissances-internationales/jalons/l%E2%80%99empire-ottoman-de-l%E2%80%99essor-au-d%C3%A9clin">L’Empire ottoman</a> se constitue vers la fin du XIII<sup>e</sup> siècle et le Turc se substitue au Sarrasin. Cet Empire met fin en 1453 à l’Empire byzantin fragilisé par la <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-l-histoire/prise-de-constantinople-24-1453-la-chute-de-constantinople">prise de Constantinople</a>, établit sa souveraineté sur les contrées musulmanes du monde méditerranéen et adopte l’islam. L’expansion ottomane connaît une seconde phase, sous le long règne de <a href="https://www.geo.fr/histoire/soliman-le-magnifique-le-plus-flamboyant-des-sultans-ottomans-194446">Soliman Iᵉʳ</a> (1520-1566).</p>
<p>Au péril turc vient s’ajouter celui des pirates des États de l’Afrique du Nord dits « barbaresques ». Les fameuses <a href="https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1955_num_2_2_2607">capitulations</a> de 1535-1536, accords commerciaux et militaires signés, après le désastre de la <a href="https://www.cairn.info/revue-historique-2014-3-page-567.htm">bataille de Pavie</a> (1525) entre François I<sup>er</sup> et Soliman I<sup>er</sup>, assurent un rapprochement entre la France chrétienne et l’Empire musulman dans un contexte de rivalité avec la puissance des Habsbourg, incarnée par <a href="https://www.cairn.info/les-relations-internationales-dans-leurope-moderne--9782200269036-page-46.htm">Charles Quint</a>. Jean de la Forest est ainsi le premier des ambassadeurs français à être envoyé à Constantinople.</p>
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<figcaption><span class="caption">Audio) François Iᵉʳ & Soliman (1515-1536) Royaume de France.</span></figcaption>
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<p>Cette union entraîne une augmentation du nombre d’aventuriers et de marchands, mais aussi de savants et de diplomates se rendant en Orient, dans le sillage de l’ambassade du baron Gabriel de Luels (1546 1553). Si certains jugent cette <a href="https://journals.openedition.org/assr/21571">alliance</a> « impie », d’autres considèrent qu’elle est une avancée géopolitique précieuse pour le royaume.</p>
<p>Dans ce contexte, paraissent des textes tous azimuts : récits de voyages, textes savants, textes de propagande diplomatique ainsi que des traductions partielles du Coran en langue française : dans ces écrits, les Européens voient les musulmans s’humaniser, ils pratiquent une charité inégalée dans le monde, croient dans le vrai Dieu, appliquent les commandements du Décalogue et sont tolérants. Les auteurs de ces textes prétendent être fidèles à la réalité observée : ainsi agissent Jean de Thévenot ou Joseph Pitton de Tournefort.</p>
<h2>Combattre l’islam, christianiser les musulmans</h2>
<p>Dans ce renouveau, <a href="https://data.bnf.fr/fr/12078540/guillaume_postel/">Guillaume Postel</a> (1510-1581) occupe une place importante, en raison de son implication personnelle et de celle de son entourage. Pour combattre l’islam sur le plan de la controverse, arabisant et turquisant, il estime qu’il faut l’étudier en s’appuyant sur les études philologiques arabes et non pas sur les légendes médiévales.</p>
<p>Les grands traducteurs humanistes interviennent aussi dans ce renouveau, c’est le cas de <a href="https://www.persee.fr/doc/rhren_0181-6799_1990_num_30_1_1722">Guy Le Fèvre de La Boderie</a> (1541-1598) et du cryptographe Blaise de Vigenère (1523-1596), érudits et traducteurs prolifiques. Fidèles à la <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2002-4-page-3.htm">thèse kabbaliste</a> de l’imminence de la paix universelle perpétuelle, ces auteurs estiment que Dieu ayant « fait que les sept dixièmes du monde, les habitants soient déjà à demi-convertis, et quasi chrétiens », il ne manquait plus qu’à convaincre les musulmans, représentant la communauté confessionnelle la plus grande, de la divinité du Christ qu’ils nient, pour en faire de parfaits chrétiens et s’assurer ainsi une paix pérenne.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/376782/original/file-20201229-49525-2pnatl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="La première traduction du Coran en français par André Du Ryer" src="https://images.theconversation.com/files/376782/original/file-20201229-49525-2pnatl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376782/original/file-20201229-49525-2pnatl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=822&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376782/original/file-20201229-49525-2pnatl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=822&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376782/original/file-20201229-49525-2pnatl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=822&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376782/original/file-20201229-49525-2pnatl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1033&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376782/original/file-20201229-49525-2pnatl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1033&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376782/original/file-20201229-49525-2pnatl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1033&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La première traduction du Coran en français par André Du Ryer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
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<p>André Du Ryer, consul sous Louis XIII, proche de Gabriel de Luels, publie en 1647 la <a href="https://journals.openedition.org/assr/21429">première version</a> de l’intégralité du Coran en langue française, dans un contexte où l’étude des langues de l’islam s’intensifie. Outre l’existence assez ancienne de chaires d’arabe dans plusieurs villes européennes, Thomas Van Erpe (1584-1624) qui avait appris l’arabe sous l’autorité de Joseph Scaliger, ancien disciple de Postel, fonde la fameuse <a href="https://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2015-3-page-495.htm">école orientaliste</a> de Leyde dans les débuts du XVII<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>L’islam dans les apologies du christianisme</h2>
<p>À la fin du XVI<sup>e</sup> siècle, les <a href="https://books.openedition.org/pur/114858?lang=fr">apologistes</a> du christianisme s’attaquent à l’impiété. Les auteurs protestants discutent des arguments islamiques qu’utilisent certains libertins érudits européens pour critiquer la validité du christianisme.</p>
<p>Les apologistes du catholicisme sont également de la partie : de Pierre Charron à Bossuet en passant par Pascal ou Malebranche, les <a href="https://www.cairn.info/le-catholicisme-entre-luther-et-voltaire--9782130583851-page-205.htm">jansénistes</a> comme les <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2013/03/14/qui-sont-les-jesuites_1847826_3214.html">jésuites</a> ou les <a href="https://www.cairn.info/saint-benoit--9782262034320-page-149.htm">bénédictins</a>, tous consacrent des développements à l’islam. Quand il s’agit de faire l’apologie du christianisme, on constate un consensus : l’islam est une religion humaine, et Muhammad, un imposteur ; le christianisme, seul, est une religion divine.</p>
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<img alt="Isaac Lemaitre de Sacy" src="https://images.theconversation.com/files/376784/original/file-20201229-15-15p0yjs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376784/original/file-20201229-15-15p0yjs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=859&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376784/original/file-20201229-15-15p0yjs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=859&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376784/original/file-20201229-15-15p0yjs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=859&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376784/original/file-20201229-15-15p0yjs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1079&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376784/original/file-20201229-15-15p0yjs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1079&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376784/original/file-20201229-15-15p0yjs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1079&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Isaac Lemaitre de Sacy.</span>
<span class="attribution"><span class="source">BNF</span></span>
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<p>Tous les Traités sur la vérité de la religion chrétienne traitent de l’islam, dont on remarque la présence jusque dans la traduction du texte de la Genèse, publié en 1682 par Isaac Lemaitre de Sacy. De manière générale, les apologistes refusent les apports de l’islamologie récente et s’en tiennent en la matière aux grandes lignes traditionnelles, réductrices et sans appel, préférant laisser ignorer les hérésies plutôt que d’exposer « les esprits faibles à la tentation » à les connaitre.</p>
<h2>Les oppositions confessionnelles</h2>
<p>Mais un autre phénomène participe avec plus d’acuité des progrès de l’islamologie, ce sont les controverses internes au christianisme.</p>
<p>C’est dans le contexte zurichois de la Réforme que paraissent les premières impressions latines de l’histoire de la version clunisienne du Coran. Une version, préfacée par Martin Luther, composée par le Zurichois Théodore Buchmann, connu sous le nom de <a href="https://www.persee.fr/doc/rhren_0181-6799_1986_num_22_1_1509">Bibliander</a>, est publiée à Bâle en 1543, après d’intenses péripéties politico-judiciaires, par le savant Jean Oporin (1507-1568). Certains catholiques reprochent par exemple aux protestants d’avoir imprimé une version du Coran qui a permis de mieux connaître l’islam. De leur côté, les protestants se défendent également d’être traités comme des musulmans avec force arguments.</p>
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<figcaption><span class="caption">Altérités religieuses en questions : chrétienté(s) et islam(s).</span></figcaption>
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<p>Dans ces controverses animées, l’islamologie progresse. Ici, les auteurs recourent souvent à des connaissances plus actuelles pour mieux confondre leurs adversaires confessionnels. Les réformés combattent aussi les libéraux de leur rang. Ils s’en prennent ainsi aux <a href="https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1968_num_15_4_3013">sociniens</a> et aux ariens, dont les dogmes, comme chez les musulmans, rejettent la divinité du Christ. Pour ce faire, ils utilisent souvent les sources islamiques de première main.</p>
<h2>L’islam inspire</h2>
<p>La fin de l’âge classique correspond à un âge d’or de l’information sur l’islam.</p>
<p>Les sources arabo-turques sont de plus en plus privilégiées, les productions des historiens et des diplomates tendent à se substituer à celles des missionnaires qui ont perdu leur monopole. Si les débats évoqués plus haut se poursuivent, ils prennent une autre forme.</p>
<p>Le bombardement d’Alger par la France, le <a href="https://www.lefigaro.fr/culture/2019/02/16/03004-20190216ARTFIG00003-vienne-le-12-septembre-1683-les-turcs-boutes-hors-de-la-ville.php">siège</a> des Turcs à Vienne en 1683, la <a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1961_num_16_6_421703">révocation</a> de l’Édit de Nantes en 1684 sont des évènements qui voient un accroissement d’éditions et de rééditions de productions sur l’islam, dans cette période que <a href="https://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_1937_num_23_101_2841_t1_0536_0000_3">Paul Hazard</a> a appelée « la crise de la conscience européenne ». Dans un contexte de rationalisation des savoirs, de développement de méthodes modernes de la critique philologique, le rapport à l’islam apparaît dépassionné même s’il garde de temps à autre une dimension polémique au gré des contextes politiques et sociaux. Les philosophes, les polémistes, les théologiens et autres polygraphes se saisissent du domaine.</p>
<p>Les musulmans sont mieux connus, Muhammad est considéré comme un grand législateur, les croyances discutées de manière apaisée, souvent dans une démarche comparatiste. C’est un humanisme horizontal qui cesse de voir, dans l’altérité islamique, l’envers du chrétien. <a href="https://www.museeprotestant.org/notice/pierre-bayle-1647-1706/">Pierre Bayle</a>, protestant, discute des arguments accumulés depuis un millénaire par l’apologétique chrétienne contre l’islam qu’il détruit un à un dans son article majeur consacré à Mahomet (<em>Dictionnaire historique et critique</em>, 1696).</p>
<p>L’heure n’est plus à des « sermons détachés de vraie croisade » et aux fables auxquelles plus personne ne croit, mais au savoir « brut », à un retour aux sources premières, à une diffusion des textes, que cela plaise ou non. La « vérité évangélique » devient un critère de l’approche en science contre les dérives controversistes. <a href="https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_2008_num_88_4_1360">Richard Simon</a>, critique biblique de renom, arabisant, participe à ce renouveau. Les journaux savants se font l’écho des nouveautés dans le domaine : rien ne leur échappe, tout est relayé, tout est lu dans un contexte où le livre constitue le seul média.</p>
<p>Les grandes figures des <a href="https://www.cairn.info/revue-multitudes-2015-2-page-61.htm">Lumières</a> bénéficient de cet héritage : la figure du théiste de Voltaire doit par exemple beaucoup à sa lecture du Coran. Montesquieu, Helvétius, Rousseau apportent leur contribution. Boulainvilliers offre une biographie sur Muhammad qui lui vaudra d’être traité de cryptomusulman, le Britannique Georges Sale donne une traduction du Coran d’une qualité remarquable. L’islam entre dans le concert des religions du monde et sort du domaine strictement religieux qui l’enfermait dans des stéréotypes longtemps ressassés, pour devenir un véritable objet de savoir, inspirant réflexion philosophique, morale, religieuse, politique et culturelle.</p>
<h2>L’islam de nouveau rejeté</h2>
<p>Évidemment tous ne choisissent pas les mêmes orientations ; l’Encyclopédie entend par exemple faire perdurer la dimension polémiste médiévale, tandis que les idéologues, « alliés doctrinaires » de certains jésuites de la fin du siècle, prépareront tout un fonds destiné à préparer la colonisation des pays musulmans. De grandes voix s’y opposeront en vain.</p>
<p>Ce sera <a href="https://www.cairn.info/histoire-de-la-guerre-entre-etats-unis-et-tripoli--9782356760104-page-165.htm?contenu=resume">l’expédition de Tripoli</a> par les États-Unis d’Amérique, la conquête française de <a href="https://www.cairn.info/la-campagne-d-egypte--9782410015270-page-39.htm">l’Égypte</a>, plus tard celle de <a href="https://www.cairn.info/geopolitique-de-la-nation-france--9782130749752-page-139.htm">l’Algérie</a>. Le temps de l’ouverture, de la tolérance, de l’humanisme est déjà loin.</p>
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<figcaption><span class="caption">Quel est le bilan de la campagne d’Égypte ?</span></figcaption>
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<p>D’aucuns comme Joseph de Maistre ou Louis de Bonald analyseront ce virage comme un retour aux croisades dont ils se féliciteront, jetant l’anathème sur tous ceux qui auront rêvé une humanité plus fraternelle, digne combat des Lumières, déplorant que nos philosophes aient pu vanter « leurs mœurs, leur administration, leur politique, même quelques-uns leur religion ». Maistre soulignera l’incompatibilité insigne, l’impossible coexistence des chrétiens et des musulmans : « La guerre entre nous est naturelle, et la paix forcée. Dès que le chrétien et le musulman viennent à se toucher, l’un des deux doit servir ou périr ».</p>
<p>C’est donc là tout un pan de notre histoire intellectuelle qui débouchera sur une sociologie et une théorie laïque du phénomène religieux. Dans la longue succession historique, après avoir été renfermé dans des bornes strictement religieuses, l’islam est devenu un objet de savoir à part entière. Des auteurs fameux, méconnus ou obscurs, auront, chacun à leur manière, largement contribué à alimenter cette connaissance. La fin du XVIII<sup>e</sup> siècle inaugurera un véritable choc des représentations : à partir de ce moment-là, le rejet prendra une forme radicale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150032/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Moulay-Badreddine Jaouik ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour comprendre la vision occidentale sur l’islam, un retour sur notre histoire commune s’impose.Moulay-Badreddine Jaouik, Professeur de philosophie. Chargé d’enseignement universitaire, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1506852020-11-24T22:08:53Z2020-11-24T22:08:53ZComment les allégations non fondées des responsables accélèrent la polarisation des sociétés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/370830/original/file-20201123-17-1ynqiaa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C11%2C994%2C595&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une récente étude révèle notre tendance à croire les affirmations contestables quand elles sont exprimées par nos personnalités publiques préférées.</span> <span class="attribution"><span class="source">Keport / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Dans l’actuel contexte de pandémie de Covid-19, il devient de plus en plus difficile de savoir qui et en quoi croire. Les multiples déclarations contradictoires provenant de sources distinctes entravent notre capacité à démêler le vrai du faux. Dans un récent travail de recherche, nous faisons la lumière sur un nouveau phénomène sociétal que nous avons intitulé « la déformation de la vérité » et qui s’impose comme une importante source de polarisation des opinions dans des environnements lourds d’incertitude.</p>
<p>Ces derniers mois, les déclarations contradictoires faites par des personnalités publiques se sont multipliées, lesquelles partagent de soi-disant faits sans les étayer par des preuves concrètes. Pendant le confinement en France, par exemple, de nombreuses personnalités ont défendu ou rejeté l’efficacité d’un traitement contre le virus à base d’hydroxychloroquine. La controverse qui s’en est suivie a déclenché un raz-de-marée de <a href="https://theconversation.com/pourquoi-sommes-nous-aussi-divises-sur-la-question-de-lhydroxychloroquine-135149">débats houleux</a> sur le sujet.</p>
<p>Mais comment en venons-nous à défendre ou à rejeter de façon si virulente des déclarations controversées ? Par « controversées », nous entendons « infondées » dans ce contexte : la déclaration ou le fait considéré n’est pas encore complètement établi. La « vérité » demeure inconnue.</p>
<p>Notre étude s’appuie sur une idée « socle » : les jugements de vérité sont, la plupart du temps, construits. Ils ne sont donc pas binaires, mais dépendent du contexte. Par exemple : apprendre que l’hydroxychloroquine pourrait constituer un remède contre la Covid-19 n’appelle pas automatiquement les réponses « c’est vrai » ou « c’est faux ».</p>
<p>Au lieu de cela, nous avons tendance à partir du postulat que ce genre de déclaration est probablement fondée, en nous basant sur nos expériences passées et nos connaissances.</p>
<h2>Un énorme volume d’informations</h2>
<p>Nous nous sommes appuyées sur ce socle pour émettre l’hypothèse que les jugements de vérité peuvent être déformés par le contexte, comme par ce que nous savons sur la source d’information. Pendant la pandémie de Covid, les médias ont diffusé d’énormes quantités d’informations, à grande échelle et de façon répétée, sans vérifier leur véracité au préalable. Nous avons donc décidé de mesurer l’influence de nos préférences pour telle ou telle source d’informations sur notre tendance à croire ou non certaines allégations infondées sur le coronavirus.</p>
<p>Pour atteindre notre objectif, nous avons réalisé deux expériences. Dans la première, nous avons communiqué aux participants des informations préalables sur un juge américain. Un comité du Sénat examine actuellement sa candidature pour le nommer à la cour d’appel des États-Unis.</p>
<p>Tout en abordant son parcours avec les participants, nous les avons interrogés plusieurs fois afin de savoir s’ils auraient appuyé ou non sa nomination. La plupart des informations fournies aux participants étant positive, une large majorité d’entre eux a choisi de soutenir sa nomination.</p>
<p>Une fois les informations préliminaires parcourues, les participants ont lu successivement trois déclarations de ce juge sur des sujets liés à la pandémie de Covid-19, comme son avis au sujet de la création du virus par l’homme. Après avoir lu ces trois déclarations, les participants ont dû indiquer s’ils soutenaient toujours le juge et à quel point ils étaient ou non d’accord avec chacune de ses déclarations controversées au sujet du coronavirus.</p>
<p>Nous avons ensuite comparé ces réponses à celles d’un groupe de contrôle, lequel nous avait indiqué soutenir les mêmes déclarations, sans rien savoir du juge ou de sa nomination.</p>
<p>Pendant cette comparaison, nous avons pu calculer un indice de « déformation de la vérité » pour chaque individu et chaque déclaration en observant combien de fois les participants changeaient leurs jugements de vérité pour aller dans le sens de la personnalité publique positive leur tenant lieu de source d’information. La deuxième expérience était une répétition de la première, cette fois avec des déclarations non liées à la Covid-19.</p>
<h2>Une déformation de nos jugements</h2>
<p>Dans notre expérience, à peine 11 % de l’échantillon a modifié son choix de vote après avoir lu à plusieurs reprises des déclarations infondées d’un politicien que les participants appréciaient. Autrement dit, 89 % de l’échantillon est resté fidèle à son candidat préféré, même si ses déclarations étaient infondées, lorsqu’il a par exemple déclaré qu’un certain médicament pouvait soigner la Covid-19.</p>
<p>Nous avons découvert qu’une évaluation positive ou négative préalable d’une personnalité publique nous poussait à déformer nos jugements de vérité pour aller dans son sens. Nous avons également démontré qu’une préférence préalable pour une personnalité publique nous encourageait à nous approprier ses déclarations, qu’elles soient fondées ou non. En résumé : nous avons tendance à croire des déclarations fausses ou infondées si elles sont émises par des personnes que nous apprécions et que nous soutenons.</p>
<p>Cette recherche a aussi prouvé que nous accordons davantage de soutien aux autres déclarations émises par cette personnalité publique favorite et que, plus une déclaration est répétée, plus nous nous convainquons de sa véracité.</p>
<p>Par exemple, les participants ont cru que la figure publique qu’ils appréciaient soutenait l’idée que le coronavirus a été créé par l’homme ; ils ont ensuite eu tendance à la croire avec de plus en plus de conviction, « déformant » ainsi leur jugement de vérité pour suivre leur source d’information.</p>
<h2>Un soutien qui s’autoalimente</h2>
<p>Nos résultats ont notamment montré que, si cette même personnalité publique déclarait ensuite que l’hydroxychloroquine était un remède contre le coronavirus, les participants soutenaient alors cette deuxième déclaration avec encore plus de force que la première. En d’autres termes, le soutien, ou la « déformation de la vérité », s’autoalimente. La conséquence de ce mode de fonctionnement est que seule une petite partie des participants a changé d’avis sur la source, en dépit de la nature hautement controversée de ses déclarations.</p>
<p>De la même façon, nous avons découvert que les participants qui n’appréciaient ou ne soutenaient pas le fait que cette personnalité publique fasse des déclarations infondées avaient tendance à désapprouver de plus en plus fortement ses déclarations au fil du temps.</p>
<p>En effet, la minorité de participants qui a changé de préférence a décidé de ne pas appuyer la nomination du juge et s’en est tenue à ce choix.</p>
<p>Imaginez que vous n’appuyez pas la nomination du juge. L’entendre ensuite déclarer que la Covid-19 a été créée par l’homme vous dissuade davantage de croire ce qu’il dit, plus encore que le groupe de contrôle.</p>
<p>Curieusement, au sein de la minorité de personnes qui s’est retournée contre le juge, le degré de rejet était presque deux fois plus virulent que chez les participants qui continuaient de soutenir le juge. La force du soutien ou du rejet des participants a ensuite déclenché des désaccords entre les groupes sur ce qui était vrai ou faux. Le soutien ou le rejet d’une personnalité publique est un mécanisme psychologique capable d’engendrer une importante polarisation.</p>
<p>En résumé, le phénomène de « déformation de la vérité », ou le fait de soutenir ou de rejeter la même personnalité publique au fil du temps, mis en lumière par ces deux expériences, démontre à quel point l’incertitude dans le monde de l’information peut devenir une importante source de polarisation sociétale, en particulier sur un sujet de santé publique aussi sensible que la pandémie de Covid-19.</p>
<p>Les deux positions sont primordiales pour comprendre le processus de polarisation. En effet, elles influent sur la volonté des individus à suivre des mesures préventives, sur la croissance des disparités dans l’opinion publique et sur les désaccords houleux concernant le vrai et le faux, même en l’absence de réelles preuves scientifiques. En conclusion, nous pensons qu’il est important de trouver des moyens de lutter contre ce phénomène de déformation… un point qui constitue le sujet de notre recherche actuelle.</p>
<hr>
<p>_Cette contribution, publiée en anglais sur le site <a href="https://www.hec.edu/en/knowledge/articles/how-we-believe-unsubstantiated-claims-and-how-leads-polarization">Knowledge@HEC</a>, est tirée de l’article de recherche « <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.1086/711730">Truth Distortion</a> : A Process to Explain Polarization over Unsubstantiated Claims Related to Covid-19 », d’Anne-Sophie Chaxel (HEC Paris) et Sandra Laporte (Toulouse School of Management), publié dans la revue « Journal of the Association for Consumer Research » en octobre 2020.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150685/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne-Sophie Chaxel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une expérience montre que près de 9 individus sur 10 restent fidèles à une personnalité qu’ils apprécient, quelle que soit la véracité de ses propos.Anne-Sophie Chaxel, Professeur Associé, HEC Paris Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1485572020-11-13T11:00:06Z2020-11-13T11:00:06ZL’irrésistible et dangereuse attraction des croyances infondées<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/369386/original/file-20201114-13-1qie54d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Certains croient que la terre est plate ou que le coronavirus a été conçu par l'élite mondiale. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/154053286@N06/46703659065">Paul M Hurtado</a></span></figcaption></figure><p>Qu’y a-t-il de commun entre croire en Dieu, croire que le coronavirus a été fabriqué à dessein par les Chinois ou l’élite mondiale et croire que certaines personnes sont douées de télépathie ?</p>
<p>Rien bien sûr en ce qui concerne la nature de la croyance, mais beaucoup en ce qui concerne les processus psychologiques qui en sont à l’origine.</p>
<p>Le mot croire est fortement polysémique. Sa signification est donc loin d’être fixée. Une croyance est un état mental banal concernant un état du monde. Elle peut donc être vraie ou fausse et elle peut être associée à des niveaux variables de certitude. En première analyse, le mot croire semble porter en lui la marque de l’incertitude. Le problème est que le doute inhérent à la croyance peut totalement disparaître ou être perçu très différemment d’un individu à l’autre.</p>
<p>D’ailleurs ce qui est un savoir ou une certitude pour une personne peut être considéré comme une croyance par une autre. Un platiste considèrera que « je crois que la Terre est ronde » quand lui sait qu’elle est plate : incroyable et parfois exaspérante inversion de rôle qui fait, de celui qui sait, un croyant, et de celui qui croit, un « sachant ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/vu0R7Zp36Nw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Reportage sur les platistes.</span></figcaption>
</figure>
<p>C’est là une inévitable conséquence du fait que nos connaissances, y compris nos connaissances scientifiques, demeurent un construit social. Notre rapport à la vérité et notre capacité d’appréhender le réel sont toujours entachés de subjectivité puisque le réel ne peut être appréhendé directement, mais toujours perçu et conçu au travers de nos capacités sensorielles et cognitives.</p>
<h2>Le danger du relativisme</h2>
<p>Face à cette irréductible ambiguïté épistémologique (le fait que nos connaissances scientifiques puissent fréquemment être remises en question), le grand danger est celui du relativisme, un relativisme tel qu’aujourd’hui beaucoup de citoyens en arrivent à accorder plus de crédit à un <a href="https://www.franceinter.fr/environnement/donald-trump-un-climato-sceptique-a-la-tete-du-pays-le-plus-pollueur-au-monde">président farfelu</a> qu’à un scientifique expert quand il s’agit par exemple de se prononcer sur l’origine anthropique du réchauffement climatique.</p>
<p>Un relativisme devenu très prégnant probablement en raison de la perte d’influence de ce qui a longtemps joué le rôle de garde-fous en matière de croyances : d’abord la religion et ensuite la science.</p>
<p>Le concept de <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/01/25/faits-alternatifs-fake-news-post-verite-petit-lexique-de-la-crise-de-l-information_5068848_4355770.html">fait alternatif</a> en est le rejeton le plus symptomatique et illustre le danger désormais immense, largement exploité par les hommes politiques les moins scrupuleux, d’une manipulation de l’opinion publique sur la base de contre-vérités que plus rien ne justifie si ce n’est l’intérêt de celui qui les propage.</p>
<p>Dans ce contexte, il est plus que jamais nécessaire d’identifier les processus psychologiques et neuronaux qui participent à l’émergence de croyances infondées. Une fois cette connaissance acquise, c’est au système éducatif de prendre le relais et d’exploiter ces connaissances pour former les plus jeunes et leur permettre d’éviter de tomber dans les pièges innombrables tendus par la prolifération d’informations douteuses qui circulent sur Internet. C’est sans doute la démarche éducative qui serait la plus utile à nos sociétés si elles veulent demeurer démocratiques et ouvertes.</p>
<h2>Les processus psychiques qui participent aux croyances infondées ?</h2>
<p>Mais la question fondamentale qui se pose est de savoir s’il existe des processus psychiques qui seraient communs à l’ensemble des croyances infondées. La réponse est catégoriquement <a href="https://www.researchgate.net/publication/232206800_What%E2%80%99s_in_a_Term_Paranormal_Superstitious_Magical_and_Supernatural_Beliefs_by_Any_Other_Name_Would_Mean_the_Same">oui</a>.</p>
<p>Mais qu’entend-on exactement par « croyance infondée » ? Je parle de croyance infondée quand il y a un déséquilibre massif entre la force de la croyance et la faiblesse de données empiriques ou d’arguments théoriques permettant de la soutenir.</p>
<p>Une croyance infondée n’implique pas qu’elle soit erronée. Simplement, rien empiriquement ou théoriquement ne nous permet de la valider. Elle est donc infondée, non parce qu’elle est fausse, mais parce qu’elle ne s’appuie ni sur des données empiriques sérieuses, ni sur des arguments théoriques incontestables.</p>
<p>De ce point de vue, et non d’un point de vue anthropologique ou sociologique, il n’y a guère de différences entre croire en Dieu, croire que notre âme diffère de notre cerveau, croire en la télépathie, croire en l’astrologie, croire à la psychokinèse, croire à l’existence d’énergies non matérielles…</p>
<p>Il est probable qu’une telle affirmation irritera les croyants, mais cela est parfaitement confirmé empiriquement par le fait que les croyants procèdent cognitivement de la même manière pour développer leur croyance quelles qu’elles soient, une thèse que j’ai présentée récemment dans un ouvrage intitulé <a href="https://editions.scienceshumaines.com/pourquoi-croit-on_fr-770.htm"><em>Pourquoi croit-on ?</em></a>.</p>
<h2>Deux modes de fonctionnement complémentaires</h2>
<p>Nous disposons tous de deux modes de fonctionnement cognitif : <a href="http://etat-du-monde-etat-d-etre.net/de-soi/science-de-l-esprit/daniel-kahneman-systeme-1-systeme-2-les-deux-vitesses-de-la-pensee?pdf=14239">analytique et intuitif</a>. Le premier est lent, coûteux cognitivement et exige de grands efforts attentionnels. Il requiert de puiser dans ses ressources cognitives.</p>
<p>Il est récent d’un point de vue évolutif. Ça n’est pas une mode de traitement de l’information très naturel ou spontané. Il se renforce en proportion du niveau d’éducation.</p>
<p>Le second est rapide, demande peu d’efforts cognitifs, procède souvent par associations et s’appuie beaucoup sur notre mémoire. Il est quasiment irrépressible et donc s’impose à nous sans que nous puissions y résister. Il a une forte composante émotionnelle.</p>
<p>Prenons un exemple. Supposons que je vous demande de résoudre le problème suivant :</p>
<blockquote>
<p>« Une raquette de tennis et son jeu de balles valent 11 euros. La raquette de tennis vaut 10 euros de plus que le jeu de balles. Combien vaut le jeu de balles ? »</p>
</blockquote>
<p>Si vous répondez un euro alors vous avez été victime de votre système intuitif. Au lieu d’analyser mathématiquement et laborieusement le problème, vous avez conclu rapidement sur la base d’indices numériques de surface non pertinents. La bonne réponse est 0,5 euro pour le jeu de balles et 10,5 pour la raquette car si le jeu de balles valait 1 euro, l’ensemble en vaudrait 12 (1+11).</p>
<p>Quantité de <a href="https://theconversation.com/covid-19-comment-les-biais-cognitifs-ont-diminue-lefficacite-de-la-communication-officielle-132818">biais cognitifs</a> dont nous sommes victimes résultent d’un mode de fonctionnement intuitif. Sur la base de tests standardisés, on a <a href="https://www.researchgate.net/publication/223962613_Analytic_cognitive_style_predicts_religious_and_paranormal_belief">montré</a> que les croyants sont des individus qui fonctionnent de manière fortement intuitive.</p>
<p>Le système intuitif n’est pas mauvais en soi. Il a de multiples avantages adaptatifs car il permet d’atteindre fréquemment des solutions optimales dans le cas de problèmes à forte contrainte temporelle. Mais lorsque le système intuitif procède sans être contraint par le système analytique, les erreurs de raisonnement deviennent massives et offrent un boulevard à l’univers des croyances infondées.</p>
<p>Ces deux systèmes coexistent en chacun de nous. L’éducation tend à renforcer le système analytique. En revanche, le <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0146167202281009">stress, l’anxiété, le sentiment de perte de contrôle</a> et la perte de sens contribuent à renforcer le système intuitif.</p>
<h2>Confusions catégorielles</h2>
<p>Les croyants sont victimes de <a href="https://isiarticles.com/bundles/Article/pre/pdf/74425.pdf">confusions catégorielles</a> au sens où ils ont tendance à confondre les phénomènes relevant des catégories clairement distinctes comme celles du physique et du mental.</p>
<p>Ces confusions catégorielles font que les phénomènes purement physiques ne sont plus clairement distingués des phénomènes mentaux. Rien n’empêche par conséquent que la causalité aille du physique au mental ou du mental au physique. Par exemple, un croyant mettra plus de temps qu’un sceptique à comprendre que la phrase « cette maison connaît son histoire » est une métaphore.</p>
<p>C’est ce qui a conduit <a href="https://www.jeuneafrique.com/912032/societe/chronique-le-coronavirus-une-punition-divine-contre-les-occidentaux-selon-une-ministre-zimbabweenne/">certains</a> à dire « qu’avec le coronavirus, la planète s’était vengée du mauvais comportement humain en matière d’écologie ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Femme au volant d’une voiture" src="https://images.theconversation.com/files/368324/original/file-20201109-16-ti0s0f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/368324/original/file-20201109-16-ti0s0f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/368324/original/file-20201109-16-ti0s0f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/368324/original/file-20201109-16-ti0s0f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/368324/original/file-20201109-16-ti0s0f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/368324/original/file-20201109-16-ti0s0f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/368324/original/file-20201109-16-ti0s0f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">N’est-on pas tenté d’insulter son ordinateur portable ou sa voiture quand celle-ci ne démarre pas, lui prêtant ainsi une individualité propre en dépit de notre raison ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/ville-route-femme-main-4429509/">Ketut Subiyanto/Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les croyants ont, de ce fait, une tendance accentuée à percevoir des états mentaux et des intentions au sein de phénomènes purement physiques. Ce phénomène est à l’origine de l’animisme ; l’animisme consistant à accorder une spiritualité (une « âme »), une forme minimale d’esprit à toutes sortes d’objets ou de phénomènes physiques.</p>
<p>C’est encore lui qui nous conduit à insulter une voiture qui ne démarre pas alors même qu’une voiture n’a pas d’intention.</p>
<h2>Le rôle du hasard</h2>
<p>Les croyants ont une <a href="https://www.researchgate.net/publication/227517446_The_connection_between_random_sequences_everyday_coincidences_and_belief_in_the_paranormal">perception biaisée du hasard</a> et de grandes difficultés à traiter correctement des ensembles numériquement importants.</p>
<p>Cela explique la fréquence de l’expression « ça ne peut pas être une coïncidence », notamment chez les complotistes. Les évènements que l’on perçoit comme très improbables sont en réalité beaucoup plus courants que nous le croyons et cette erreur d’évaluation est massive chez les croyants.</p>
<p>Pour ne prendre qu’un exemple, lorsque deux personnes tentent de se contacter par téléphone au même moment alors qu’elles n’ont pas communiqué depuis des années, beaucoup interprètent cela comme ne pouvant résulter du hasard.</p>
<p>En réalité, compte tenu des milliards d’appels téléphoniques qui sont passés dans le monde chaque jour, la probabilité que de telles concomitances surviennent est très grande, beaucoup plus grande qu’on ne le pense intuitivement.</p>
<h2>Sauter sur la conclusion</h2>
<p>Les croyants, beaucoup plus que les sceptiques, sont victimes d’un biais que l’on appelle <a href="https://effectiviology.com/jumping-to-conclusions/">« sauter sur la conclusion »</a>. Cela signifie qu’ils valident leur croyance sur la base d’un nombre de données empiriques souvent très limitées. Par conséquent, ils établissent fréquemment des relations causales entre phénomènes non liés causalement.</p>
<p>Associés au biais précédent, les croyants ne parviennent pas à prendre en compte les informations nouvelles qui pourraient réfuter la croyance qu’ils ont hâtivement adoptée.</p>
<p>Ils sont victimes d’un phénomène d’ancrage d’autant plus puissant qu’ils sont victimes d’un biais dit de confirmation consistant à rechercher systématiquement les informations qui soutiennent leurs croyances et non celles qui pourraient les réfuter.</p>
<p>Le phénomène est d’autant plus redoutable que les réseaux sociaux utilisent des algorithmes qui tendent à alimenter leurs membres d’informations compatibles avec leurs croyances. Si vous êtes « antivax », vous recevrez beaucoup d’informations qui renforceront votre croyance.</p>
<p>Ce ne sont ici que quelques exemples des processus cognitifs qui distinguent les croyants des sceptiques. Ce qui est remarquable est que ces processus sont transversaux au sens où ils ne sont pas spécifiques à un type de croyance : ils sont à l’origine de toutes les croyances.</p>
<h2>Peut-on se prémunir de nos croyances infondées ?</h2>
<p>La question sociétale essentielle qui demeure est de savoir si le fait de prendre conscience des tours que nous joue notre cerveau peut avoir un impact sur notre capacité de nous prémunir de croyances infondées, à tout le moins de leur accorder un crédit relatif.</p>
<p>La réponse est là aussi clairement oui. Le fait que le niveau de croyances infondées diminue considérablement avec le niveau d’étude en est une preuve probable. Mais cela pourrait être encore beaucoup plus efficace si un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1002/acp.3301">enseignement spécifique</a> était accordé aux élèves comme aux étudiants. Un tel enseignement aurait nécessairement deux volets. Le premier consisterait à leur faire prendre conscience des multiples pièges cognitifs dans lesquels à peu près tous les humains tombent en établissant des croyances infondées. Le second, plus pratique, consisterait à leur présenter comment ces pièges fonctionnent au travers de l’analyse des informations circulant sur le Web. Il s’agirait d’un enseignement les conduisant à exercer leur esprit critique non envers les autres, mais envers leur propre mode de fonctionnement cognitif.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148557/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Ripoll ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Nos connaissances, y compris scientifiques, demeurent un construit social. Aussi, notre rapport à la vérité et notre capacité d’appréhender le réel sont toujours entachés de subjectivité.Thierry Ripoll, psychologie, philosophie, sciences cognitives, écologie, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1439182020-08-24T19:10:43Z2020-08-24T19:10:43ZCroyant ou non croyant ? Pas si simple…<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/354335/original/file-20200824-22-1p7p98r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=38%2C51%2C1220%2C795&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Être croyant ne signifie pas forcément être religieux ou soumis à une institution en particulier... D'autres formes de spiritualités co-existent.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/tarot-cartes-voyance-divination-4840798/">Jean-Didier/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Très récemment, dans un <a href="https://twitter.com/vpecresse/status/1294577271207071744">tweet remarqué</a>, la présidente de la région île de France, Valérie Pécresse, avait souhaité à ses lecteurs une « joyeuse fête de l’Assomption ».</p>
<p>Son message se voulait un hommage à la Vierge Marie, une figure biblique qui inspirerait aussi bien croyants que non-croyants, expliquait-elle. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1294577271207071744"}"></div></p>
<p>Si la phrase a pu fâcher certains, elle ne paraît pas anodine : qui sont exactement ces « non-croyants » que la politique cherche ici à fédérer ?</p>
<p>Et surtout, qu’est-ce qu’être « non-croyant » ? Il est relativement complexe de brosser un panorama de la religiosité et donc de l’irréligion en France et en Europe de l’Ouest : en effet les deux sont de plus en plus mêlées.</p>
<p>Il existe bien sûr des minorités de personnes très convaincues, soit religieusement engagées, soit clairement athées, refusant toute idée religieuse (étymologiquement, être athée, c’est être « sans dieu »).</p>
<p>Mais beaucoup d’individus sont en fait souvent hésitants, mixant un peu de croyances avec beaucoup d’indifférence religieuse et de perplexité sur l’existence d’un ordre supra-humain.</p>
<h2>En France, une forte progression d’« incroyants » depuis les années 1960</h2>
<p>Jusqu’à la Révolution française, se revendiquer comme athée était presque impossible. C’est avec la III<sup>e</sup> République et la loi de 1905 sur la laïcité que la liberté de ne pas croire est vraiment complètement reconnue. Mais, jusque dans les années 1960, la religion catholique exerce un pouvoir important sur la société.</p>
<p>Les enquêtes et sondages convergent pour affirmer une progression démographique de l’athéisme. Au début des années 1950, très peu de Français ne se disaient pas affiliés à une religion ; mais selon l’<a href="https://europeanvaluesstudy.eu/">enquête européenne sur les valeurs</a> (EVS), réalisée tous les 9 ou 10 ans depuis 1981, ils étaient, en 2018, <a href="http://www.eurel.info/spip.php?article3654">58 % dans cette situation</a> contre seulement 27 % en 1981.</p>
<p>Et quand on demande aux enquêtés de se définir, 41 % seulement se disent religieux (contre 55 % en 1981), 36 % non religieux (contre 34 % en 1981) et 23 % « athées convaincus » (contre 11 % en 1981). On le voit, les athées « purs et durs » ne sont pas les seuls irréligieux. Mais ce sont ceux qui adoptent la posture la plus critique vis-à-vis des religions, parfois de façon militante.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="L’universitaire américain Phil Zuckerman" src="https://images.theconversation.com/files/353855/original/file-20200820-20-2scaam.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/353855/original/file-20200820-20-2scaam.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=510&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/353855/original/file-20200820-20-2scaam.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=510&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/353855/original/file-20200820-20-2scaam.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=510&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/353855/original/file-20200820-20-2scaam.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=641&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/353855/original/file-20200820-20-2scaam.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=641&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/353855/original/file-20200820-20-2scaam.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=641&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’universitaire américain Phil Zuckerman, penseur du nouvel athéisme, lors d’une conférence à l’Orange County Freethought Alliance.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Phil_Zuckerman">Ashley F. Miller/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On repère ainsi ce que l’on appelle le nouvel athéisme, qui se caractérise par l’ardeur de sa critique, particulièrement chez des universitaires anglo-saxons tels que <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Dawkins">Richard Dawkins</a> ou <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Phil_Zuckerman">Phil Zuckerman</a>. Ce courant juge toute religion très irrationnelle et nocive, seul l’athéisme serait selon eux un humanisme respectueux des individus.</p>
<h2>Une grande diversité de formes d’irréligion</h2>
<p>La France est l’un des pays européens les plus sécularisés et où il y a la plus forte proportion d’« athées convaincus », tout comme en Suède (20 %), en République tchèque et en ex-Allemagne de l’Est.</p>
<p><a href="http://www.valeurs-france.fr/">64 % des Français</a> n’assistent jamais à un office religieux (contre 57 % en 1981) et 56 % ne prient jamais (54 % en 1999). Mais, de même que la relation à la religion s’observe en prenant en compte divers éléments, comme l’affiliation, les pratiques ou les croyances, l’irréligion comprend une variété d’attitudes.</p>
<p>Les irréligieux comprennent aussi bien ceux qui affirment ne pas croire en Dieu (44 % en 2018 contre 29 % en 1981, selon EVS 2018) que des agnostiques, individus qui disent ne pas savoir qu’en penser (environ un quart de la population, de façon stable) et des sceptiques qui doutent de son existence.</p>
<h2>Différents rapports à la croyance</h2>
<p>Parmi ceux qui disent croire en Dieu (aussi bien personnel que simple « force vitale »), presque la moitié y accordent peu d’importance dans leur vie. C’est dire combien la religion laisse beaucoup de personnes indifférentes, même si elles ont quelques croyances.</p>
<p>Cela dit, être sans appartenance religieuse ou ne pas croire en Dieu ne signifie pas abandonner toute considération du surnaturel : d’après l’<a href="http://www.issp-france.fr/wp-content/uploads/2019/10/ResultatsISSPFrance_2018_DEF.pdf">enquête ISSP de 2018</a>, si 36 % des Français se disent ni religieux ni spirituels, 18 % se disent non religieux mais spirituels, ouverts au sacré et au surnaturel.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="Cochon porte-bonheur" src="https://images.theconversation.com/files/353858/original/file-20200820-16-1eij95x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/353858/original/file-20200820-16-1eij95x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=340&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/353858/original/file-20200820-16-1eij95x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=340&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/353858/original/file-20200820-16-1eij95x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=340&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/353858/original/file-20200820-16-1eij95x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=427&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/353858/original/file-20200820-16-1eij95x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=427&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/353858/original/file-20200820-16-1eij95x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=427&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Environ un quart de ceux qui ne croient pas en Dieu croient plus ou moins aux porte-bonheur et aux horoscopes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/cochon-porte-bonheur-chiffres-mignon-2402894/">Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>On peut aussi ne pas croire en Dieu mais être séduit par des croyances alternatives à celles des grands systèmes religieux, comme l’efficacité des porte-bonheur, des voyantes, des guérisseurs ou du signe astral. Environ un quart de ceux qui ne croient pas en Dieu croient plus ou moins aux porte-bonheur et aux horoscopes.</p>
<h2>Une attitude distanciée à l’égard des institutions religieuses</h2>
<p>L’irréligion signifie également des variations dans le rapport aux institutions religieuses : ainsi, il existe ce qu’on peut appeler des <a href="https://etudier.com/sujets/jacqueline-lalouette/O">déistes</a>, croyants qui estiment que l’existence de Dieu est raisonnable mais ne souhaitent pas appartenir à une religion et des libres penseurs, qui s’opposent aux dogmes et institutions religieuses.</p>
<p>Et les catégories peuvent se croiser : les anticléricaux cherchent à ce que la société s’organise séparément des institutions religieuses, mais on peut être croyant, voire membre d’une religion, et anticlérical !</p>
<p>Inversement, une part non négligeable de personnes peuvent se dire membres d’une religion sans adhérer complètement à ses dogmes. C’est très fréquent parmi les affiliés aux religions majoritaires ; on sait ainsi qu’en France, seulement 68 % des catholiques pratiquants déclarent croire en la résurrection de Jésus (sondage <a href="http://www.lavie.fr/complements/2012/08/08/29883_1344428540_2012-07-philippe-chriqui-pour-la-vie-le-rationnel-et-l-irrationnel.pdf">Les Français et l’irrationnel</a>, 2012). 35 % de l’ensemble des catholiques ne croient pas à une vie après la mort, 49 % ne croient pas au paradis, 64 % ne croient pas à l’enfer, 37 % ne croient pas aux miracles (<a href="http://www.issp-france.fr/wp-content/uploads/2019/10/ResultatsISSPFrance_2018_DEF.pdf">ISSP France 2018</a>).</p>
<p>Mais ce que l’<a href="https://europeanvaluesstudy.eu/">enquête EVS</a> permet surtout de repérer, c’est une montée de l’indifférence religieuse, soit une perte d’intérêt et de préoccupation pour les questions religieuses.</p>
<p>Il ne s’agit ni d’un mouvement d’opposition frontale avec les religions, ni d’oubli, mais d’un désintérêt tranquille, sans inquiétude métaphysique.</p>
<h2>Mais qui sont ces irréligieux ?</h2>
<p>Toutes les enquêtes montrent que les sans religions et les non-croyants sont plutôt des hommes, jeunes et un peu plus diplômés que les personnes à forte religiosité.</p>
<p>Les irréligieux sont plus souvent à gauche, moins nationalistes et moins adeptes de valeurs autoritaires. Enfin ils sont beaucoup plus libéraux en matière familiale et de mœurs. En France comme dans l’Union européenne, l’Union des athées, l’Union rationaliste, le Grand-Orient ou la Libre pensée sont très engagés en faveur de l’extension des droits concernant la sexualité et la reproduction.</p>
<p>Cette sociologie est amplifiée chez les universitaires et scientifiques français d’après l’<a href="https://www.pug.fr/produit/1250/9782706124273Je">enquête menée par Abel François et Raul Magni Berton</a> : 50 % d’entre eux se déclaraient athées convaincus en 2015.</p>
<p>Leur conclusion est qu’il y a deux facteurs prédictifs très puissants de l’athéisme des académiques : la volonté de rationalité scientifique et l’orientation politique.</p>
<h2>L’irréligion en Europe et dans le monde</h2>
<p>L’irréligion est fortement croissante en Europe de l’Ouest, beaucoup moins dans l’Europe de l’Est et du Sud. La religion se maintient dans les pays à majorité musulmane et orthodoxe, elle est fortement érodée dans les pays majoritairement protestants (notamment dans les pays scandinaves et en Angleterre) et multiconfessionnels (Allemagne et Pays-Bas).</p>
<p>Dans les pays marqués par le catholicisme, la religion demeure très importante en Pologne, en Irlande et en Italie, mais a chuté fortement en Espagne comme en France. Ajoutons que si la religion reste bien présente aux États-Unis, les « nones », ceux qui se disent athées, agnostiques ou « rien en particulier » étaient 26 % en 2019, contre 17 % en 2009 selon le <a href="https://www.usnews.com/news/us/articles/2019-10-17/larger-portion-of-americans-has-no-religious-affiliation">Pew Research Center</a>.</p>
<p>Si la liberté de ne pas croire est assurée à peu près partout dans l’Union européenne, ce n’est pas le cas dans d’autres parties du monde. Selon l’enquête <a href="https://www.futuribles.com/fr/revue/425/les-opinions-publiques-arabes-entre-attachement-a-/">Arabbarometer</a> menée dans une dizaine de pays arabes, si une forte majorité accepte de reconnaître aux minorités le libre exercice de leur religion, 32 % de la population estime en 2010 que se convertir à une autre religion mérite une condamnation à mort.</p>
<p>Et selon le <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2019/08/12/religiously-unaffiliated-people-face-harassment-in-a-growing-number-of-countries/">Pew Research Center</a>, les discriminations à l’égard des personnes non religieuses sont croissantes dans le monde ces dernières années.</p>
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<p><em>Ce texte est publié simultanément dans la collection « Le virus de la recherche », une initiative de l’éditeur PUG en partenariat avec The Conversation et l’Université Grenoble Alpes et fait écho à la sortie de l’ouvrage récemment publié par les auteurs, <a href="https://www.pug.fr/produit/1859/9782706147661/indifference-religieuse-ou-atheisme-militant">« Indifférence religieuse ou athéisme militant ? Penser l’irréligion aujourd’hui »</a>, Presses universitaires de Grenoble.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/143918/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>En termes de religion, en France, beaucoup d’individus sont hésitants, mixant un peu de croyances avec beaucoup d’indifférence religieuse et de perplexité sur l’existence d’un ordre supra-humain.Anne-Laure Zwilling, Anthropologue des religions, CNRS, Université de StrasbourgPierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1416372020-07-01T17:48:06Z2020-07-01T17:48:06ZPourquoi il faut éduquer les jeunes face au marketing du tabac<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/344535/original/file-20200629-155308-1lr9d86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C2%2C1000%2C654&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Si la consommation de tabac des adolescents français baisse, elle reste au-dessus de la moyenne des autres pays européens.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/closeup-teenage-girls-using-smartphone-smoking-401426524">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article a été co-écrit avec Viet Nguyen-Thanh, de l’Unité Addictions, Direction de la prévention et de la promotion de la santé, à Santé publique France.</em></p>
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<p>33 % des jeunes de 15 ans ont déjà fumé des cigarettes. Si les niveaux de consommation des adolescents français sont en baisse ces dernières années, ils restent <a href="https://www.ofdt.fr/publications/collections/notes/les-consommations-dalcool-de-tabac-et-de-cannabis-chez-les-eleves-de-1113-et-15-ans-hbsc-et-enclass-france-2018/">au-dessus de la moyenne</a> des autres pays européens. Cette tendance s’inscrit dans un contexte marqué par une forte consommation des adultes qui, même si elle décroît aussi depuis 2016, reste <a href="http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/14/2020_14_1.html">particulièrement importante</a> en France : 30 % des personnes âgées de 18 à 75 ans fument du tabac en 2019, contre 15 % en Grande-Bretagne et 14 % en Australie par exemple. Et observation particulièrement préoccupante, les inégalités sociales relatives au tabagisme s’installent <a href="https://reader.elsevier.com/reader/sd/pii/S0398762011002835?token=792DC983186156A536B1E81ED2FA3C1489B6A273BEFA2B11FD9420D6E390752DFC3CDC1DBBBD21E17EB42A517030B955">dès le plus jeune âge</a> dans notre pays.</p>
<p>Le tabac est un produit qui déclenche une addiction. Sachant que 90 % des fumeurs ont commencé avant l’âge de 18 ans, l’enjeu premier est bien de développer la capacité des jeunes à garder leur liberté vis-à-vis de ce produit. Le rôle de tous ceux qui ont en charge les enfants et les jeunes est ainsi de s’assurer que l’on crée les conditions de cette liberté. Cela passe à la fois par un écosystème de vie qui protège les jeunes, et par une éducation critique qui leur permette de mettre à distance les pressions de toutes sortes, notamment celles liées aux intérêts commerciaux.</p>
<p>Dans cette optique, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé en 2020 une campagne pour donner aux nouvelles générations les <a href="https://www.who.int/news-room/detail/29-05-2020-stop-tobacco-industry-exploitation-of-children-and-young-people">moyens d’identifier</a> les stratégies utilisées par l’industrie du tabac pour les amener à consommer ses produits. « Mettons un terme à l’exploitation des enfants et des jeunes par l’industrie du tabac », tel est l’intitulé de cette opération qui déploie un ensemble d’outils pédagogiques.</p>
<h2>Stratégies de promotion</h2>
<p>L’entrée dans la consommation de tabac est un enjeu majeur pour la prévention, c’est aussi une priorité pour le marketing l’industrie du tabac. Chaque année, ces entreprises investissent plus de huit milliards d’euros pour promouvoir leurs produits. Le conflit entre l’impératif de maximisation du profit et la santé de la population est inévitable.</p>
<p>On parle ainsi de <a href="https://www.thelancet.com/journals/langlo/article/PIIS2214-109X(16)30217-0/fulltext">déterminants commerciaux</a> de la santé c’est-à-dire des « stratégies et approches utilisées par le secteur privé pour promouvoir des produits et des choix qui sont préjudiciables à la santé ». Ces stratégies font appel à une variété de canaux par lesquels les entreprises influencent la société dans son ensemble, les gouvernements et les consommateurs.</p>
<p>Les études montrent que ces stratégies sont extrêmement dynamiques et qu’elles s’adaptent en permanence aux contextes. L’exemple le plus récent est celui de la crise de la Covid-19. Même si les revues évaluées par des pairs penchent pour une augmentation du <a href="https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=818">risque de développer</a> une forme grave de Covid-19 chez les fumeurs et restent prudentes sur <a href="https://presse.inserm.fr/en/tabagisme-et-covid-19-que-montrent-les-publications-scientifiques/39249/">l’association</a> entre Covid-19 et tabac, on a pu observer une promotion très efficace de quelques travaux préliminaires, menés auprès d’un nombre restreint d’individus, et suggérant un potentiel rôle protecteur de la nicotine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-tabac-protege-du-covid-19-vraiment-138317">Le tabac protège du Covid-19, vraiment ?</a>
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<p>Outre la démarche consistant à surfer sur la défiance actuelle vis-à-vis des données scientifiques, une autre stratégie est particulièrement efficace. Il s’agit de faire du tabac un enjeu moral et de l’action publique en matière de santé un hygiénisme moralisateur, une chasse aux <a href="https://www.lepoint.fr/societe/qui-veut-la-peau-des-bons-vivants-05-12-2019-2351600_23.php">« bons vivants »</a>, une atteinte à l’art de vivre à la française…</p>
<p>L’entretien de cet amalgame permet habilement de maintenir la consommation des produits du tabac du côté de la liberté, du bien-vivre, du refus du conformisme, alors même que consommer du tabac n’est pas une question morale, ce n’est ni bien, ni mal. Consommer des produits du tabac est légal, fumer relève donc de choix individuels (à condition de respecter la loi, en particulier en ce qui concerne l’interdiction de fumer dans des lieux affectés à un usage collectif ou l’exposition des enfants).</p>
<p>Cette confusion détourne de l’enjeu principal, celui des pressions qui influencent ces choix, en particulier des modalités d’emprise sur les adolescents.</p>
<h2>Influence sociale</h2>
<p>Vis-à-vis de produits addictifs comme le tabac, les jeunes sont particulièrement vulnérables :</p>
<ul>
<li><p>au plan neurobiologique, puisque le cerveau est encore en pleine phase de développement (la maturation du système nerveux se termine après 20 ans chez les humains)</p></li>
<li><p>au plan psychologique (c’est une phase de transition majeure qui génère des défis en termes de construction de l’identité)</p></li>
<li><p>sur le plan social : s’intégrer aux groupes sociaux, exister vis-à-vis des pairs constituent des enjeux majeurs à cette période et les comportements qui affectent directement la santé sont des vecteurs d’intégration.</p></li>
</ul>
<p>Pendant l’adolescence, la consommation de tabac revêt en effet une dimension sociale forte. Une étude conduite auprès de 5 000 femmes européennes sur les déterminants de l’initiation de la consommation de tabac montre que le fait d’avoir des amis qui fument est particulièrement incitatif : 62 % des fumeuses ont mis en avant cette raison. Les femmes qui ont commencé à fumer pour avoir l’air « cool » ont plus souvent tendance à avoir commencé tôt à fumer. Celles qui ont commencé pour gérer leur stress ou pour se sentir moins déprimées ont commencé <a href="https://bmcpublichealth.biomedcentral.com/articles/10.1186/1471-2458-10-74">plus tard</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/344596/original/file-20200629-155353-1s47z22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/344596/original/file-20200629-155353-1s47z22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/344596/original/file-20200629-155353-1s47z22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/344596/original/file-20200629-155353-1s47z22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/344596/original/file-20200629-155353-1s47z22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/344596/original/file-20200629-155353-1s47z22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/344596/original/file-20200629-155353-1s47z22.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">A l’adolescence, le fait d’avoir des amis qui fument est particulièrement incitatif.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/teenage-couple-smoking-112126841">Shutterstock</a></span>
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</figure>
<p>Face à l’extrême agilité des stratégies de marketing, il est nécessaire de renforcer à la fois la protection et l’éducation pendant cette période spécifique que constitue l’adolescence. En matière de protection, de nombreuses mesures ont pu être mises en place au fil du temps : interdiction de vente aux mineurs, régulation de la publicité, interdiction de fumer dans les lieux publics, les aires de jeux ou dans l’habitacle d’un véhicule en présence d’un enfant mineur, instauration du paquet neutre. L’enjeu est ici d’améliorer l’efficacité et la réactivité des politiques et des pratiques.</p>
<p>Il reste beaucoup à faire en matière éducative face aux stratégies d’influence. Il convient tout d’abord de rappeler que s’il est légitime de délivrer une éducation dans ce domaine ce n’est pas au titre d’un interdit légal (comme c’est le cas pour les drogues illicites) mais au nom d’une idée de la personne et du citoyen : la consommation de tabac a des conséquences importantes sur la santé, comme d’autres psychotropes, elle peut notamment générer une dépendance, une aliénation, une perte de liberté.</p>
<h2>Education à la santé</h2>
<p>En famille, dans les clubs sportifs, dans les espaces culturels, à l’école, cette éducation prend des expressions différentes. L’école, pour sa part, est fondée à mettre en œuvre des activités permettant à l’élève de disposer des compétences lui permettant de conserver sa liberté, c’est-à-dire d’être capable de faire des choix éclairés.</p>
<p>Il s’agit de donner les moyens à la personne de prendre soin d’elle-même, d’être en situation d’exercer sa part de responsabilité envers sa propre santé – nous précisons « sa part » de responsabilité tant il est vrai que de nombreux déterminants de la santé échappent aux individus. Il serait dangereux de faire reposer sur l’individu l’entière responsabilité de sa santé.</p>
<p>C’est bien le rôle de l’école que de mettre en œuvre des activités visant, par exemple, à dire la loi (la vente de tabac aux mineurs est interdite), transmettre des connaissances scientifiques relatives aux produits, identifier les contextes de consommation, développer la confiance en soi, l’esprit critique ou la capacité à résister à l’emprise des réseaux sociaux, de la publicité, des stéréotypes (qui font du fait de fumer ou de vapoter un facteur d’intégration). Il s’agit de permettre aux élèves de s’approprier les moyens de construire leur propre liberté comme personne et comme citoyen.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1266642250374791169"}"></div></p>
<p>Des études ont été conduites quant aux approches les plus efficaces pour parvenir à développer chez les jeunes ces capacités de résistance à l’emprise. Plusieurs ont montré leur efficacité en termes de prévention des consommations de substances psychoactives. C’est le cas notamment du <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/docs/resultats-de-l-evaluation-du-programme-unplugged-dans-le-loiret">programme Unplugged</a> qui concerne les collégiens de 12 à 14 ans. Sa stratégie repose principalement sur le développement des compétences psychosociales et la prise de recul vis-à-vis des normes sociales lors de 12 séances délivrées par l’enseignant. Dans tous les cas, il s’agit de développer la capacité d’action des établissements scolaires via la formation, l’accompagnement et la mise à disposition d’outils adaptés.</p>
<p>De réels progrès ont été réalisés en matière de politiques publiques comme d’engagement citoyen. En soutenant le sevrage pour ceux qui le souhaitent (c’est par exemple ce qui fonde <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2019/mois-sans-tabac-2019-la-4e-edition-s-acheve">l’initiative</a> du « mois sans tabac ») et en renforçant les approches intersectorielles centrées sur les déterminants du tabagisme il a été possible de diminuer significativement la prévalence du tabagisme et d’interrompre l’accroissement des inégalités sociales relatives à ce comportement.</p>
<p>Il s’agit maintenant de renforcer les dispositifs existants, d’amplifier ceux qui visent à prévenir l’entrée des adolescents dans le tabagisme et de mettre en cohérence les différentes approches dans une perspective de promotion de la santé. L’enjeu est d’arriver à une première génération sans tabac <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/180702-pnlt_def.pdf">à l’horizon 2032</a>, c’est l’un des objectifs phares du Programme national de lutte contre le tabac 2018-2022 : décideurs, politiques, acteurs de santé publique et société civile doivent résolument s’y employer. Libérer les jeunes de l’influence de l’industrie du tabac est un prérequis à toute évolution favorable en matière de santé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141637/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Didier Jourdan a reçu des financements de la fondation MGEN pour la santé publique et du groupe Vyv.</span></em></p>33% des jeunes de 15 ans ont déjà fumé des cigarettes. Si les niveaux de consommation des adolescents français sont en baisse, ils restent au-dessus de la moyenne des autres pays européens.Didier Jourdan, Professor, holder of the UNESCO chair and WHO collaborating center for Global Health & Education, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1392872020-06-02T15:55:35Z2020-06-02T15:55:35ZCe que la neuroéducation nous apprend sur les fausses croyances<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/338395/original/file-20200528-51509-1vqn515.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C29%2C5000%2C3166&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les idées fausses sont robustes. Elles résistent à l’enseignement, car elles sont inscrites dans de complexes réseaux de croyances qui se renforcent mutuellement.</span> <span class="attribution"><span class="source">shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Bien avant l’avènement des réseaux sociaux, les chercheurs en éducation s’intéressaient déjà aux idées non scientifiques auxquelles les étudiants adhèrent fréquemment et qui menacent leur réussite scolaire. « L’Homme descend du singe », « Les forces engendrent des mouvements », « Les plantes respirent du gaz carbonique », sont des croyances fausses (ou incomplètes) contre lesquelles les enseignants s’escriment.</p>
<p>De telles <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-981-10-3437-4_1">conceptions erronées (ou <em>misconceptions</em>)</a> sont des représentations de phénomènes naturels auxquelles les individus adhèrent et qui sont en contradiction avec les concepts reconnus par la science. Des <a href="https://editionsmultimondes.com/livre/tester-et-enrichir-sa-culture-scientifique-et-technologique/">répertoires</a> de ces conceptions ont été élaborés, et de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/03057267.2020.1744796">nombreux modèles de changement conceptuel</a> ont été proposés.</p>
<p>Ces modèles décrivent les processus, les étapes ou les contraintes qui favorisent les modifications importantes dans ces représentations à l’échelle des individus. La recherche en changement conceptuel vise à faire évoluer les conceptions initiales des apprenants vers des formes plus proches des conceptions reconnues comme crédibles par la communauté scientifique. Il s’agit ici d’un problème éducatif somme toute « ordinaire ».</p>
<p>En tant que chercheurs de l’<a href="https://uqam.ca/">UQAM</a>, et membres de l’<a href="https://erest.uqam.ca/">Équipe de recherche en éducation scientifique et technologique</a>, nous nous intéressons depuis plus de 25 ans aux phénomènes de changement conceptuel. Nous constatons qu’à l’ère des fake news et de <a href="https://fr.wiktionary.org/wiki/infox">l’infox</a>, la prévalence de ces croyances atteint de nos jours un niveau sans précédent.</p>
<h2>La crédibilité des médias en question</h2>
<p>Les conceptions erronées ne sont aujourd’hui plus que de simples raccourcis maladroits : elles peuvent être générées par des groupuscules bien organisés, voire malintentionnés. Elles ne sont plus entretenues que par des conversations entre novices ; elles sont désormais partagées à vitesse exponentielle, nourries par les pièges à clic. La conséquence n’est plus que l’« inoffensif » échec scolaire, mais l’empoisonnement à l’hydroxychloroquine aquariophile, le sabotage de tours 5G, ou davantage de décès par la Covid-19.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/faut-il-avoir-peur-de-la-5g-138286">Faut-il avoir peur de la 5G ?</a>
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<p>Selon un sondage de l’Université Carleton, <a href="https://www.journaldemontreal.com/2020/05/21/pres-de-la-moitie-des-canadiens-croient-des-theories-du-complot?fbclid=IwAR2z5uuZmEWh3jmhybKWkrULTfZr439yPFd4G5iv_1w0BQdj_VR1cd-cvGs">près de la moitié des Canadiens croient en des théories du complot ou entretiennent des croyances trompeuses relativement au coronavirus</a>.</p>
<p>Alors que le journalisme nord-américain vit une crise de crédibilité, des vérificateurs de faits comme <a href="http://lepharmachien.com/conspirations/">Le Pharmachien</a>, et les <a href="https://ici.radio-canada.ca/decrypteurs">Décrypteurs</a> proposent des réfutations nuancées et bien référencées. Ils nous renseignent sur la <a href="http://lepharmachien.com/conspirations/">démarche conspirationniste</a> et formulent des conseils <a href="https://www.sciencepresse.qc.ca/actualite/covid-19-depister-desinfo/2020/05/07/6-astuces-pour-eviter-propager-desinfo-0">« d’autodéfense en temps de Covid-19 pour utilisateurs des réseaux sociaux »</a>.</p>
<p>Toutes ces solides ressources, bien que peu abondantes, font certes œuvre utile. Mais peut-être pourrions-nous aussi nous inspirer de ce que la recherche sur le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09500690305016?journalCode=tsed20">changement conceptuel</a> a pu apprendre depuis 50 ans.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/linfodemie-sur-la-covid-19-est-un-fleau-cinq-conseils-pour-eviter-de-la-propager-136127">L'infodémie sur la Covid-19 est un fléau : cinq conseils pour éviter de la propager</a>
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<h2>Qu’est-ce que la recherche en didactique peut nous apprendre ?</h2>
<p>Un premier constat : les conceptions erronées sont robustes. Elles résistent à l’enseignement, car elles sont <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/0140528810304004">inscrites dans de complexes réseaux de croyances qui se renforcent mutuellement</a>. Cette boucle de rétroaction positive est alimentée par des observations superficielles ou anecdotiques, ou auprès de nos proches. Ces <em>misconceptions</em> sont utiles à leurs détenteurs : elles offrent des explications satisfaisantes, des prédictions correctes, et attirent l’attention. Auto-renforcées par le biais de confirmation, elles résultent aussi d’un <a href="https://econtent.hogrefe.com/doi/pdf/10.1027/1864-9335/a000306?fbclid=IwAR2lq3Oj9DpcvPmzLVe-26_XaNXflpzr_zipZp6P6Bg0OqAPaG7OazygGRc&">besoin de se sentir unique</a>.</p>
<p>Une première hypothèse de travail a longtemps été discutée : celle selon laquelle la première phase d’un enseignement efficace consiste à mettre les <em>misconceptions</em> en échec, à les fragiliser ou à mettre en évidence leurs lacunes. Elle présumait que la perception d’une faille dans le raisonnement génère une envie de rectification, une motivation à résoudre le conflit logique détecté.</p>
<p>D’astucieux dispositifs pédagogiques visant à générer des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0959475200000372">conflits cognitifs</a> ont alors été développés : <a href="https://www.jstor.org/stable/23368317?seq=1">démonstrations scientifiques « pièges »</a> (durant lesquelles on demande aux apprenants de faire des prédictions qui souvent s’avèrent mauvaises), <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/0163853X.2014.913961">textes de réfutation</a> (qui expliquent en quoi il est préférable de renoncer à certaines idées défectueuses), <a href="https://aapt.scitation.org/doi/10.1119/1.2343497">tests diagnostiques</a> comprenant des leurres (qui permettent aux apprenants de réfléchir aux raisons pour lesquelles ils ont répondu incorrectement).</p>
<p>La recherche a identifié <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/(SICI)1098-2736(199808)%2035 :6 %3C623 : :AID-TEA3 %3E3.0.CO ;2-O">sept</a> réactions possibles des apprenants devant des informations contradictoires : indifférence, rejet, mise en doute, déclaration de non-pertinence, réinterprétations, mise en suspens, changements cosmétiques, et (enfin) changements conceptuels réels. L’issue positive des conflits cognitifs semble alors bien incertaine.</p>
<p>Stellan Ohlsson, professeur à l’Université de l’Illinois, parle du <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00461520802616267">paradoxe d’assimilation</a> : il n’est possible d’interpréter ce qui est présenté qu’à partir de ses conceptions premières. Donc, même si les données fournies contredisent le sens commun, elles pourraient être bloquées ou réinterprétées en fonction de ces conceptions initiales et leur fournir du carburant, voire même alimenter le désir de résistance.</p>
<p>Par exemple, les élèves croient souvent que les nuages sont faits de vapeur d’eau, alors qu’ils sont plutôt faits de minuscules gouttelettes d’eau en suspension. Pour désamorcer cette conception, l’enseignant devra proposer des explications très claires quant à cette distinction. S’il se contente de parler de « vapeur d’eau condensée », bien des élèves n’entendront que la partie réconfortante « vapeur d’eau », et le conflit ne sera pas perçu. Certains vont même jurer avoir entendu des choses qui n’ont jamais été dites !</p>
<p>Les chercheurs en éducation ont constaté que la seule mise en échec des conceptions initiales ne fonctionne pas très bien, ou alors qu’avec ceux chez qui les conceptions souhaitées sont déjà disponibles. Ohlsson est catégorique : <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00461520802616267">montrer aux apprenants les incohérences logiques de leurs idées, même à répétition, ne peut pas suffire</a> pour favoriser les conversions. Selon lui, il faut plutôt confronter systématiquement et explicitement la capacité relative des conceptions qui s’opposent à expliquer la réalité, plutôt que de simplement porter des attaques, perçues comme suspectes.</p>
<p>Cette hypothèse est confirmée par les travaux de notre <a href="https://erest.uqam.ca/">équipe</a>, qui ont mis en évidence, par <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10763-014-9520-6">l’étude des temps de réaction</a>, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/mbe.12043">imagerie par résonnance magnétique</a> (IRM) et électroencéphalographie (EEG), la <a href="http://scimath.net/articles/51/515.pdf">coexistence</a> simultanée dans l’esprit des apprenants de multiples systèmes de pensée (parfois contradictoires) et ce, même chez les experts.</p>
<h2>Que la meilleure idée gagne !</h2>
<p>Changer d’idée ne serait donc pas une affaire de conversion, mais plutôt une course entre plusieurs idées. Dans celle-ci, jamais définitivement terminée, les conceptions initiales persistent même si elles ne prévalent plus et que les personnes semblent, par l’analyse de leur discours et de leurs performances, avoir échangé leur idée pour une autre. Les processus décisionnels seraient alors le résultat d’une sorte de délibération constante entre toutes les idées disponibles.</p>
<p>Par exemple, nous avons démontré que les experts qui résolvent des problèmes scientifiques d’électricité ou de flottabilité activent les régions cérébrales de l’inhibition, ou prennent plus de temps à répondre à des questions-piège impliquant des conceptions « enfantines » comme « un seul fil suffirait pour faire allumer une ampoule », ou « les objets plus lourds coulent davantage ». Ces conceptions naïves semblent donc continuer leur participation au processus décisionnel, même si elles ne prévalent plus, même si leur action est inhibée.</p>
<p>Selon <a href="https://static1.squarespace.com/static/520e383ee4b021a19fa28bf7/t/52a5d5a2e4b0525f9c3a952b/1386599842240/Potvin2013.pdf">ce modèle</a>, il ne serait pas possible d’oublier ou modifier une idée. Si elle est entrée dans le cerveau, on doit présumer qu’elle y restera. Il est toutefois possible de faire en sorte qu’elle ne s’exprime plus, par inhibition apprise.</p>
<h2>Repenser la lutte aux fake news</h2>
<p>Il apparait désormais évident que la <a href="http://faculty.bennington.edu/%7Esherman/alternative%20facts/Why%20Facts%20Don%E2%80%99t%20Change%20Our%20Minds%20-%20The%20New%20Yorker.pdf">seule présentation d’arguments factuels ou contradictoires ne fonctionne pas bien pour contrer les fausses idées</a>. Tout au plus, les <em>démythifications</em> parviennent-elles à conforter les déjà convertis. Lors d’une intervention éducative, il apparaît plutôt indispensable de rendre disponibles dès le départ les conceptions scientifiques à faire apprendre, pour ensuite seulement opposer leurs pouvoirs explicatif et prédicatif avec celui des mythes. Sans quoi, la course entre idées concurrentes n’a jamais vraiment lieu.</p>
<p>Actuellement, les efforts de la médiation scientifique, qui porte des attaques bien documentées, mais ponctuelles, ne semblent pas fonctionner. Et lorsque la démythification se met en marche, c’est généralement parce que le problème est devenu assez grave pour qu’on s’en occupe. Donc, le mal est déjà fait.</p>
<p>Nous suggérons plutôt que les médias engagés dans le redressement de la nouvelle scientifique abordent préventivement — lorsque c’est possible — la question de la valeur objective des propositions scientifiques et de leur adéquation avec les faits, pour ensuite assurer que tout discrédit d’une fausse nouvelle soit réalisé par contraste.</p>
<p>Ainsi, une personne qui dispose d’un plan B lors d’une discussion, ou lorsqu’elle lit un texte de réfutation, peut plus facilement faire glisser son adhésion et ce, sans perdre la face. Tout comme le singe ne lâche pas la branche avant d’avoir agrippé la suivante, les humains passent d’une idée à l’autre plus facilement qu’ils ne les abandonnent sèchement, surtout s’ils étaient déjà inscrits dans une <a href="https://www.theatlantic.com/family/archive/2020/05/plandemic-video-what-to-say-conspiracy/611464/?utm_campaign=the-atlantic&utm_medium=social&utm_source=facebook&fbclid=IwAR01hH3iUMQ329aR1wc7G1aXiSiLf3yXbba-gYGfMGRfScKaC9LdwxKjJ5k">dynamique défensive</a>.</p>
<p>Et insister et répéter, n’est-ce pas, car une course ne peut être durablement gagnée qu’à la longue.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139287/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrice Potvin a reçu des financements de Conseil de Recherche en Science Humaines du Canada et des Fonds de recherche du Québec . </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marianne Bissonnette ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La recherche en éducation s’intéresse depuis longtemps aux conceptions erronées des apprenants. Que peut-elle nous apprendre sur la question des « fake news » ?Patrice Potvin, Professeur en didactique des sciences, Université du Québec à Montréal (UQAM)Marianne Bissonnette, Étudiante au doctorat en éducation, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1354992020-06-01T17:20:38Z2020-06-01T17:20:38ZL’influence de la Lune est-elle réelle ou imaginaire ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/338800/original/file-20200601-95009-58jgyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C5751%2C3794&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Lune aurait-elle une influence sur les cultures ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/vFrhuBvI-hI">Luca Huter / Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>L’humain a fini par associer à la Lune de nombreuses propriétés ainsi que divers pouvoirs, mais quelle est la part d’imaginaire et celle de réel dans tout cela ?</p>
<p>Il ne faut pas croire que cette question des influences lunaires ne relève que du folklore ou de la croyance : elle peut en fait être étudiée en pratique. Bien sûr, comme pour tout test scientifique, il y a quelques conditions : avoir beaucoup de sujets (pas un seul arbre ou une personne), observer longtemps (un cycle ne suffit pas), éliminer les effets sans lien direct (pour étudier l’influence de la pleine lune sur les accidents de voiture, il faut d’abord enlever la variation hebdomadaire bien connue), utiliser les éphémérides correctes (non, on ne peut pas décider d’avoir un cycle des phases lunaire de 30 jours au lieu de 29,53 parce que c’est plus facile pour les calculs), ne pas sélectionner les données pour conserver juste celles allant dans le sens de l’effet recherché, avoir une réplication sur d’autres données ou par d’autres chercheurs. Ceci étant dit, examinons un peu les différents domaines où la Lune a été incriminée.</p>
<h2>La Lune donne-t-elle des informations sur l’atmosphère ?</h2>
<p>Parfois, oui. La Lune apparaîtra ainsi plus foncée lors des éclipses totales si l’atmosphère terrestre contient beaucoup de poussières. Aux alentours des Nouvelles Lunes, la lumière cendrée sera plus brillante si le côté de la Terre qui fait face à notre satellite comporte plus de nuages. Et si vous voyez un halo autour de la pleine lune, c’est que l’atmosphère présente des cristaux de glace en altitude, dans des nuages appelés <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cirrostratus">cirrostratus</a> qui précèdent parfois, mais pas toujours, une dégradation du temps.</p>
<p>Tout ce qui vient d’être décrit est en fait lié à l’atmosphère, la Lune n’est en rien responsable, mais existe-t-il un effet direct ? Oubliez la tradition disant que la Nouvelle Lune annonce un changement de temps (puisque la phase est la même pour tous les pays de la Terre, cela impliquerait un changement de météo partout dans le monde le même jour !). Par contre, des <a href="https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/2019MNRAS.484L.136C/abstract">effets, quoique faibles</a>, de la Lune ont été remarqués pour la météo de l’observatoire de Cerro Paranal et pour les pluies tropicales : ils sont liés en fait aux marées océaniques ou atmosphériques.</p>
<p>Autre réputation lunaire : elle provoque tsunami, tremblement de terre, ou éruption. Bien sûr, les marées terrestres (eh, oui, il n’y a pas que l’eau qui se soulève, le sol aussi) malaxent la croûte de notre planète tandis que les marées océaniques, en déplaçant de grandes quantités d’eau, augmentent ou diminuent la pression sur cette croûte.</p>
<p>Toutefois, il est clair que le rôle de la Lune n’est pas gigantesque, et en fait vous le savez déjà : on n’annonce pas de grosse catastrophe mondiale, éruption généralisée et tremblement de terre global, à chaque pleine lune. Au pire, il est possible que les marées puissent amener la goutte qui fait déborder le vase pour une faille proche du changement ou un volcan prêt à entrer en éruption.</p>
<h2>Jardiner avec la Lune</h2>
<p>Au départ, tout repose sur une analogie simple : la forme de la Lune croît entre la Nouvelle Lune et la pleine lune, donc notre satellite favorise tout ce qui doit croître et c’est le bon moment de semer. Le temps passant, certains ont modifié la tradition initiale et « Lune croissante » se réfère parfois à une Lune située plus loin de l’équateur céleste (la projection de notre équateur terrestre sur la sphère céleste), ce qui fait que la Lune change de hauteur par rapport à l’horizon, comme le Soleil est plus haut dans le ciel en été et plus bas en hiver.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/338810/original/file-20200601-95049-okm7n7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/338810/original/file-20200601-95049-okm7n7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/338810/original/file-20200601-95049-okm7n7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/338810/original/file-20200601-95049-okm7n7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/338810/original/file-20200601-95049-okm7n7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/338810/original/file-20200601-95049-okm7n7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/338810/original/file-20200601-95049-okm7n7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La Lune aide-t-elle à faire pousser ces plantes ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">Kym MacKinnon/Unsplash</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’idée repose ici sur une conception plus <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/gravifique">« gravifique »</a> : une Lune située plus près du zénith « tire » vers le haut les plantes, les poussant à se développer bien droites. Cette lune croissante-là deviendrait donc favorable à ce qui pousse hors du sol (maïs, par exemple) et défavorable à ce qui doit s’y enterrer (carottes, par exemple).</p>
<p>Enfin, depuis un siècle environ, d’autres encore combinent la croissance de la Lune (selon l’une ou l’autre acception) à sa position dans le ciel, un mélange lune/astrologie en quelque sorte. Toutefois, on le sait depuis des siècles et on l’a prouvé : qualité du sol, alimentation en eau, contrôle des ravageurs, et météo sont les facteurs les plus importants à surveiller pour tout bon jardinier. Comme le souligne un <a href="https://www.snhf.org/wp-content/uploads/2016/10/jardiner-avec-la-lune.pdf">dépliant</a> de la société nationale d’horticulture de France, la Lune n’y est pas pour grand-chose.</p>
<h2>L’effet de la Lune sur les animaux</h2>
<p>Non, les loups ne hurlent pas plus à la pleine lune, les chiens ne sont alors pas plus agressifs, et les vaches ne mettent pas plus souvent bas à cette phase.</p>
<p>Cela dit, il existe bien une influence lunaire dans certains cas. Ainsi, à cause de la lumière lunaire, les proies se cachent plus et se déplacent moins les nuits de pleine lune. Il ne faut pas oublier les marées : divers animaux marins (comme le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ver_palolo">ver Palolo</a>, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Grunion">poisson grunion</a>, les oursins ou le concombre de mer) ont des comportements reproductifs (dépôt ou éclosion des œufs) liés aux marées. En fait, diverses expériences en laboratoire (sous éclairage aléatoire, avec marées artificielles) ont même permis de montrer que certains animaux marins possèdent une horloge interne liée à la Lune – leur « app » personnelle pour avoir l’horaire des marées ! En plus, d’autres animaux, comme le bousier ou la puce de mer, utilisent la Lune pour s’orienter – une boussole particulière mais efficace.</p>
<p>Reste un dernier animal : l’humain. La Lune réglerait quand il faut se couper les cheveux, prendre des médicaments, cuire le pain, faire des enfants ou en accoucher ou entrer en crise psychotique. C’est encore elle que les médecins, infirmières, et autres policiers blâment régulièrement pour un surcroît de travail certains jours. Pourtant, les études statistiques se suivent et se ressemblent toutes, quel que soit le sujet (accidents de la route, suicides, meurtres, urgences générales ou <a href="https://www.researchgate.net/publication/228651293_Madness_and_the_moon_The_lunar_cycle_and_psychopathology">psychiatriques</a>, consultations médicales, crimes divers rapportés à la police, arrestations, overdoses, crises d’épilepsie, accouchements, règles, voire cours du Dow Jones) : circulez, y a rien à voir.</p>
<p>Quelques exceptions existent. Ainsi, vous dormirez plus mal à la pleine lune si vos volets ferment mal ou vos tentures ne sont pas opaques car l’humain a besoin d’obscurité pour dormir. Faites aussi attention à ne pas croiser des cervidés les nuits de pleine lune si vous êtes en voiture : ce n’est pas tant que vous allez subitement devenir sadique et vouloir en renverser un, mais que vous risquez donc plus d’en rencontrer un car ils se déplacent plus quand ils ont de la lumière.</p>
<h2>Les biais cognitifs à l’action</h2>
<p>Mais s’il y a si peu d’effets réels de la Lune, pourquoi diable l’impression subsiste-t-elle ? En fait, on assiste à la combinaison de deux choses : une tradition forte et de puissants biais cognitifs.</p>
<p>On possède une myriade d’affirmations sur les effets lunaires en tout genre. Toutefois, quand on examine les sources, on voit qu’elles ne reposent pas sur une expérience quelconque mais sur des traditions infiniment répétées : quasiment les mêmes mots se retrouvent quelques siècles avant notre ère, au Moyen-âge, au XVIII<sup>e</sup> siècle, ou aujourd’hui. Assénées avec conviction, ces phrases se répètent de génération en génération, avec le bel impact de l’autorité qui n’admet aucune remise en question.</p>
<p>Ces traditions sont en fait basées sur deux piliers simples. Le premier est l’analogie : la Lune croît entre nouvelle lune et pleine lune, alors les plantes, cheveux, ou autres doivent aussi croître ; la Lune décroît entre pleine lune et nouvelle lune, alors les animaux d’élevage maigrissent, il faut vite récolter. Le second pilier est le dualisme Soleil-Lune : Soleil sec et chaud contre Lune froide et humide. Du coup, la Lune est favorable à l’humidité (et partant, à la pourriture), elle est liée aux organes (cerveau, yeux) et maladies (embarras respiratoires) « aqueux », et ses rayons sont froids. En combinant les deux aspects, on reproduit toutes les traditions bien connues, alors que ces raisonnements n’ont finalement aucun véritable fondement.</p>
<p>D’autre part, notre cerveau nous joue des tours, ce qui n’aide pas à reconnaître le vrai du faux. Outre une furieuse inclination à préférer les raisonnements simples, notre cerveau souffre d’une perception sélective (on remarque plus facilement ce qui conforte nos idées préconçues), d’un souvenir sélectif (on retient et on se souvient mieux de ce qui conforte nos idées préconçues), et d’une exposition sélective (on lit, on regarde, on se confronte principalement à des sources d’information qui confortent nos idées préconçues).</p>
<p>Ainsi, le personnel médical fourbu après une grosse journée de travail remarquera la pleine lune en rentrant chez lui, mais oubliera toutes les autres fois où c’était pleine lune sans surcroît de travail ou les fois où il y avait beaucoup de travail mais rien de particulier dans le ciel. Sur une base nourrie par la tradition, on retiendra l’association, même rare, et elle viendra renforcer la croyance initiale. C’est « pile, je gagne » et « face, tu perds ».</p>
<p>Hélas, on n’y peut pas grand-chose car on n’échappe jamais totalement à ces biais, même en les connaissant (c’est d’ailleurs pour cela que la méthode scientifique est née), et il y a donc fort à parier que l’on parlera encore longtemps de ces mystérieux effets lunaires !</p>
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<p><em>Retrouvez d’autres petites histoires étonnantes dans le livre « Astronomie de l’étrange », Belin, ISBN 978-2-410-01629-1.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135499/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yaël Nazé est l'autrice de « Astronomie de l’étrange » chez Belin.</span></em></p>La Lune nourrit nos imaginaires depuis la nuit des temps. Faut-il planter ses tomates à la pleine lune ? Y a-t-il vraiment plus de crimes ces nuits là ? Faisons le point, scientifiquement.Yaël Nazé, Astronome FNRS à l'Institut d'astrophysique et de géophysique, Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1384282020-05-31T16:52:30Z2020-05-31T16:52:30ZLa folle histoire des remèdes anti-comètes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/338247/original/file-20200528-51471-mb4kve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C1%2C1264%2C854&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La comète SWAN passe en ce moment au dessus de nous. Elle est visible de l'hémisphère Sud, et a été repérée en janvier par un satellite ESA/NASA.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/christian_gloor/49840472451/">Christian Gloor</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>À l’heure où la nouvelle comète SWAN survole la Terre, impossible de trouver un élixir anti-comète ! Ces remèdes ont pourtant été promus il y a un siècle lors du passage de la comète de Halley. </p>
<p>Aujourd’hui, c’est plutôt contre la Covid-19 que l’on trouve des « remèdes miracles ». </p>
<p>Entre tisanes d’écorces de quinquina et de racines, garantissant de détruire la Covid-19 en 7 à 16 jours, et dentifrices à base d’argent, permettant de s’en préserver, l’acheteur indécis ne peut qu’hésiter devant une large gamme de produits pseudo-scientifiques.</p>
<h2>1910, le passage de la comète de Halley annonce la fin du monde</h2>
<p>Prenons par exemple le retour de la grande <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/1P/Halley">comète de Halley en 1910</a>. Il s’agit de son avant-dernier passage (son dernier passage datant de 1986), et de son troisième retour prédit, après la découverte en 1705 par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Edmond_Halley">Edmund Halley</a> de sa périodicité de 76 ans, correspondant à sa période orbitale autour du Soleil.</p>
<p>La comète devient visible à l’œil nu le 15 avril 1910 et le restera jusqu’au 5 juillet. La nature des comètes commençant alors à être connue, elles perdaient une partie de leur mystère, souvent synonyme de menace.</p>
<p>Pourtant, le passage de la comète de Halley en 1910 causa une grande inquiétude en Europe et aux États-Unis, annoncé comme pouvant entraîner la « fin du monde » ! Et pour la première fois, cette éventuelle fin du monde avait deux causes concrètes, scientifiques pourrait-on dire.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/337650/original/file-20200526-106832-1rk9h2h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/337650/original/file-20200526-106832-1rk9h2h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/337650/original/file-20200526-106832-1rk9h2h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=712&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/337650/original/file-20200526-106832-1rk9h2h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=712&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/337650/original/file-20200526-106832-1rk9h2h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=712&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/337650/original/file-20200526-106832-1rk9h2h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=895&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/337650/original/file-20200526-106832-1rk9h2h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=895&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/337650/original/file-20200526-106832-1rk9h2h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=895&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La comète de Morehouse, photographiée en 1908.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/C/1908_R1_(Morehouse)#/media/Fichier:Morehouse1908.jpg">Edward Emerson Barnard/Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>La première était que la comète devait s’approcher au plus près de la Terre à 23 millions de km (60 fois la distance Terre-Lune), sa queue croisant même la trajectoire de la Terre dans la nuit du 18 au 19 mai 1910. La deuxième raison était qu’un gaz toxique, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cyanog%C3%A8ne">cyanogène</a>, venait d’être détecté dans la queue d’une autre comète, la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/C/1908_R1_(Morehouse)">comète de Morehouse</a>. En somme, la comète de Halley était perçue comme une énorme boule de gaz toxique se rapprochant de la Terre à la vitesse astronomique de 190 000 km/h !</p>
<h2>La parole est aux experts…</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/337656/original/file-20200526-106862-61zs2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/337656/original/file-20200526-106862-61zs2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/337656/original/file-20200526-106862-61zs2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/337656/original/file-20200526-106862-61zs2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/337656/original/file-20200526-106862-61zs2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/337656/original/file-20200526-106862-61zs2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1008&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/337656/original/file-20200526-106862-61zs2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1008&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/337656/original/file-20200526-106862-61zs2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1008&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Camille Flammarion à l’observatoire de Juvisy, au milieu des années 1880.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Camille_Flammarion#/media/Fichier:Camille_Flammarion_at_the_eyepiece_of_his_9%C2%BD-inch_Bardou_refractor_at_his_Juvisy_observatory.jpg">Wikipedia</a></span>
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<p>Devant la peur qui monte, les pouvoirs publics <a href="https://www.retronews.fr/sciences/echo-de-presse/2018/04/27/1910-la-comete-de-halley-va-t-elle-provoquer-la-fin-du-monde">demandent</a> à <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Camille_Flammarion">Camille Flammarion</a>, astronome digne de confiance et très populaire, de s’exprimer. Flammarion mentionne tout d’abord la possibilité d’une destruction de la vie sur Terre suite à une collision céleste avec la comète de Halley. Il se base sur le fait que l’oxygène de l’atmosphère terrestre, en se combinant avec l’hydrogène présent dans la queue de la comète, pourrait anéantir, en l’étouffant, toute vie animale sur Terre, en seulement quelques instants… Pourtant il juge l’événement peu probable du fait de la raréfaction du gaz dans les queues de comètes (ce qui sera confirmé par la suite), et il temporise les souffrances ultimes de l’Humanité :</p>
<blockquote>
<p>« Nous pouvons avouer que nous ignorons la forme que le destin nous réserve pour le mois de mai prochain. […] La race humaine périrait dans un paroxysme de joie, de délire et de folie universelles, probablement, au fond, très enchantée de son sort. » <a href="https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/1910BSAFR..24..249F/abstract">Camille Flamarion</a></p>
</blockquote>
<p>Flammarion, en scientifique respectable, relate tous les éléments en sa possession : les faits, arguments, et causes, le tout accompagné de probabilité. Pourtant, la presse se fait écho de la partie la plus extraordinaire de ses dires – l’étouffement de l’Humanité tout entière, la plupart du temps en occultant sa faible probabilité et son effet supposé hilarant. Le grand public, mal informé, s’effraie donc des effets possiblement létaux du passage de la comète de Halley.</p>
<p>Lors de l’approche de la comète, en février 1910, des observations spectroscopiques à l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Observatoire_Yerkes">observatoire de Yerkes</a> aux États-Unis confirment la <a href="http://articles.adsabs.harvard.edu/full/1914ApJ...39..373B">présence de cyanogène dans la queue</a>. Les scientifiques détaillent ce qui devrait arriver en cas de croisement de trajectoire entre l’orbite de la Terre et celle de la queue : le cyanogène se décomposera dans la haute atmosphère, écartant tout danger d’asphyxie. Pourtant, leurs conclusions rassurantes passeront grandement inaperçues dans la presse et le grand public.</p>
<h2>Paniques et festins</h2>
<p>Les réactions, suite à la diffusion de cette information d’un danger imminent, furent diverses : certains se mirent à vendre tous leurs biens pour profiter du peu de temps de vie qu’il leur restait, risquant ainsi de mourir d’ivresse plutôt que d’intoxication. D’autres en Amérique calfeutrèrent leurs fenêtres, dans le but d’empêcher le gaz toxique de pénétrer à l’intérieur des logements. De nombreuses personnes en France et en Italie se réfugièrent dans les églises, dont les portes demeurèrent ouvertes pendant cette fameuse nuit de mai 1910. Plusieurs dizaines de milliers de croyants se retrouvèrent pour prier sur la place Saint-Pierre. Un Hongrois <a href="https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/1910BSAFR..24..249F/abstract">préféra se suicider</a> plutôt que de risquer de mourir intoxiqué.</p>
<p>C’est dans ce contexte que des charlatans eurent l’idée de proposer à la vente non moins que des pilules anti-comète, à base de sucre et de quinine (provenant d’écorce de quinquina, encore !), ou même un élixir anti-comète de Halley !</p>
<p>Bien sûr, tous ne cèdent pas à la panique : Gustave Eiffel invite les astronomes de l’Observatoire de Paris, dont Flammarion, à observer la comète depuis sa Tour, et nombreux sont les Parisiens qui prennent ce prétexte pour <a href="https://www.retronews.fr/sciences/echo-de-presse/2018/04/27/1910-la-comete-de-halley-va-t-elle-provoquer-la-fin-du-monde">festoyer et danser toute la nuit !</a></p>
<p>Étonnamment, la comète est restée totalement invisible pour la plupart des gens, seul un petit noyau nébuleux et de faible luminosité étant visible – la comète de Halley est rarement brillante lors de ses passages car elle ne croise souvent que de loin notre planète.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/338208/original/file-20200528-51483-irdoqh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/338208/original/file-20200528-51483-irdoqh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/338208/original/file-20200528-51483-irdoqh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/338208/original/file-20200528-51483-irdoqh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/338208/original/file-20200528-51483-irdoqh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/338208/original/file-20200528-51483-irdoqh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/338208/original/file-20200528-51483-irdoqh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/338208/original/file-20200528-51483-irdoqh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Une de « Le Petit Parisien », 1910.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k563613m.r=com%C3%A8te%C3%A9lixir?rk=21459;2">Gallica/BNF</a></span>
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</figure>
<p>La compagnie Air Liquide, procédant à des prélèvements d’air à Paris, <a href="https://www.retronews.fr/sciences/echo-de-presse/2018/04/27/1910-la-comete-de-halley-va-t-elle-provoquer-la-fin-du-monde">n’y décèlera aucune trace de gaz toxique</a>. Et le comble de l’histoire, est que des calculs postérieurs à l’événement montreront que la queue de la comète <a href="https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/1981ESASP.174...55S/abstract">n’aurait finalement pas croisé notre planète</a> lors de son passage de 1910, la ratant d’au moins 400 000 km, soit environ la distance Terre-Lune ! Cette erreur s’explique par le fait que d’une part <a href="https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/1910BSAFR..24..249F/abstract">son passage n’avait été prédit que par de simples considérations géométriques</a>, et d’autre part la queue gazeuse avait une courbure très prononcée !</p>
<h2>Les comètes, oiseaux de mauvais augure depuis un millénaire</h2>
<p>Quelques mois auparavant, en janvier 1910, une grande comète, dénommée <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Grande_com%C3%A8te_de_janvier_1910">C/1910 A1</a>, apparut dans le ciel, d’abord aperçue en Afrique du Sud pour ensuite devenir très brillante en Europe. Cette comète, initialement confondue avec la comète de Halley, avait été surnommée « La Grande comète ». On imagine aisément que les comètes, ces « astres à l’éblouissante chevelure », aient toujours fasciné, voire impressionné, d’autant plus qu’auparavant, l’absence de pollution lumineuse permettait à chacun d’apercevoir les comètes, s’étalant dans le ciel, et brillant de toute leur splendeur !</p>
<p>Il suffit pour s’en convaincre de se souvenir de la représentation en 1066 de la comète (de Halley, même si elle n’en porte pas encore le nom !) sur la broderie de la reine Mathilde, plus connue sous le nom de <a href="https://www.bayeuxmuseum.com/la-tapisserie-de-bayeux/">tapisserie de Bayeux</a>. La comète apparaît en haut de la tapisserie, à côté du texte latin « isti mirant stella » (ceux-ci admirent l’étoile). Une foule pointe vers la comète, qui ressemble d’ailleurs davantage à une fleur de tournesol tirant derrière elle un râteau, la queue de la comète étant – déjà – plus effrayante que sa tête.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/337683/original/file-20200526-106866-1jms1up.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/337683/original/file-20200526-106866-1jms1up.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/337683/original/file-20200526-106866-1jms1up.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/337683/original/file-20200526-106866-1jms1up.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/337683/original/file-20200526-106866-1jms1up.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/337683/original/file-20200526-106866-1jms1up.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/337683/original/file-20200526-106866-1jms1up.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Tapisserie de Bayeux, scènes 32 et 33. XIᵉ siècle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Bayeux_Tapestry_32-33_comet_Halley_Harold.jpg">Wikipedia</a></span>
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</figure>
<p>La superstition de l’époque associe généralement l’apparition d’une comète au présage d’une catastrophe. La comète traverse le ciel européen en avril 1066, alors que la bataille d’Hastings ne se déroulera qu’à la mi-octobre de la même année. Ainsi, pendant que le roi Harold voyait dans le passage de la grande comète un mauvais présage d’invasion, Guillaume le Conquérant s’enorgueillait de son côté d’un présage de succès dans sa conquête de l’Angleterre, <a href="http://adsabs.harvard.edu/full/1985C%26T...101..201S">certains voyant même</a> dans la chevelure de la comète une ressemblance avec la couronne d’Angleterre. Mais si Guillaume avait perdu la bataille d’Hastings, certains textes n’auraient-il pas a posteriori inversé la prédiction ? Dans le ciel comme sur Terre, le malheur des uns fait le bonheur des autres !</p>
<p>Aujourd’hui, les comètes font bien moins peur, et la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/C/2020_F8_(SWAN)">nouvelle comète SWAN C/2020 F8</a>, découverte il y a deux mois depuis l’hémisphère Sud et progressant rapidement vers le ciel boréal, passera très probablement inaperçue, perdue dans les lueurs des éclairages nocturnes de la civilisation, et ne parvenant pas à percer jusqu’au sommet des nouvelles journalistiques. Si tout cela s’était produit il y a mille ans, il est aisé d’imaginer que la nouvelle comète SWAN eut représenté le présage idéal de la pandémie actuelle !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138428/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Chaty a reçu des financements du LabEx UnivEarthS et du CNES (Centre National d'Etudes Spatiales). </span></em></p>Vous hésitez à acheter un dentifrice anti-Covid-19 ? Il y a 100 ans, vous auriez peut-être trouvé des élixirs miracles pour vous protéger de la comète de Halley.Sylvain Chaty, Professeur des Universités, astrophysicien au CEA, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1388532020-05-27T18:15:33Z2020-05-27T18:15:33ZCe que jeûner indique de notre sociabilité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/337397/original/file-20200525-106862-1o5lbdt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C213%2C2910%2C2169&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Illustration du jeûne dans la culture occidentale : une assiette vide avec un verre d'eau.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/e5/Fasting_4-Fasting-a-glass-of-water-on-an-empty-plate.jpg">Jean Fortunet/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La distanciation physique respectée (qui ne concerne pas <a href="https://www.placedeslibraires.fr/livre/9782757841990-la-dimension-cachee-edward-t-hall/">l’impact du son traversant notre bulle proxémique</a>) – n’empêche nullement, dans l’espace public, d’entendre des « confessions » de promeneurs, joggers ou clients attendant devant les commerces de « première nécessité ».</p>
<p>Ils informent à voix haute des « proches virtuels » des évènements de leur intimité confinée et l’on apprend ainsi qu’ils pratiquent un jeûne, que ce soit à l’occasion de Ramadan conclu ce 24 mai ou pour une « détox ».</p>
<p>Paradoxalement, à l’heure où une partie de la population n’a plus la possibilité économique d’accéder à une alimentation suffisante, de multiples médias proposent une offre, mercantile ou non, qui encourage ou justifie cette pratique abstinente. Et d’évoquer le jeûne religieux, thérapeutique, « détox », intermittent, « pour maigrir »… La sociologie peut préciser et compléter cette typologie pour en saisir la « dimension cachée ».</p>
<h2>Monothéismes</h2>
<p>Le jeûne est commun aux trois religions monothéistes. Ce rituel du jeûne est spécifique à chacune et correspond à des attentes différentes. Dans le judaïsme, le jeûne de Moïse (40 jours) perpétué par le Yom Kippour (limité à une journée) a vertu d’expiation, d’obtention du pardon de Yavhé et de rejeter la <a href="https://editionsladecouverte.fr/catalogue/index-De_la_souillure-9782707148117.html">souillure</a> potentielle de nos incorporations dans une <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-histoire-des-religions-2007-1-page-111.htm">quête de la pureté</a> qui permit à Moïse de recevoir les Tables de la Loi.</p>
<p>Jésus jeûne aussi 40 jours dans le désert, mais à travers le déni d’aliments il s’agit de renoncer à son corps, à toutes les tentations auxquelles il pourrait être soumis, valorisant ainsi la spiritualité permettant d’approcher Dieu.</p>
<p>Dans l’islam, le Ramadan correspond au 9<sup>e</sup> mois du calendrier lunaire, celui où l’archange Gabriel révèle le Coran à Mahomet. Le jeûne diurne facilite une réflexion sur soi, un contrôle et une connaissance de son corps réflexif ainsi qu’un temps de partage spirituel qui devient, la nuit tombée, un partage des nourritures, un renforcement du lien social.</p>
<p>Pour compléter ce rapide survol du jeûne religieux, mentionnons l’importance du <a href="https://theconversation.com/ce-que-les-meditants-hindous-et-taoistes-peuvent-nous-enseigner-de-lisolement-135780">taoïsme, de l’hindouisme et du bouddhisme</a> qui font système, aujourd’hui, avec des théories « new age ».</p>
<h2>Jeûner ensemble</h2>
<p>L’obligation de confinement a coïncidé avec deux périodes de jeûnes religieux (la fin du Carême et le début du Ramadan) dont la pratique inclue dans un groupe référent, crée une filiation, affirme une appartenance. Ces fonctions rassurent dans un contexte anxiogène bien souvent vécu dans une relative solitude.</p>
<p>Avant d’aborder les autres types de jeûnes, deux remarques doivent être faites d’un point de vue sociologique. D’abord, au moment où se développe une précarité alimentaire avec les conséquences économiques du Covid-19, la revendication d’un excès de rien pour s’opposer à l’excès du trop est parfois un privilège qui exprime une « distanciation sociale » (là l’expression est juste). Ensuite, cette période n’a pas été vécue de la même façon selon que l’on était seul·e, à deux ou plus.</p>
<p>Il faut alors <a href="https://lea.univ-tours.fr/membres/publications-de-jean-pierre-corbeau-1-2--331772.kjsp">distinguer</a> entre convivialité (vivre ensemble et communiquer de manière agréable) et <a href="https://www.puf.com/content/Dictionnaire_des_cultures_alimentaires">commensalité</a> (manger ensemble sans nécessairement communiquer et sans obligation de partage d’une nourriture commune).</p>
<p>Notons que ces dernières semaines, ces deux formes de sociabilité eurent souvent recourt à la médiation de nombreuses applications. Comme le télétravail, la convivialité médiatisée ne nécessite pas la présence physique d’un autrui (on exclue les informations sensorielles corporelles – odeur, postillons, chaleur, toucher, etc.- de la communication) et elle permet de « maîtriser » le temps de la relation en mettant fin à la connexion.</p>
<p>La commensalité des « apéro-skype » prolonge – à distance – le partage des boissons et des « victuailles » avec des amis.</p>
<p>Ces pratiques ont diminué le sentiment d’isolement ou les tensions de l’entre-soi.</p>
<p>Ainsi, vous n’avez plus « obligation » de commensalité « physique » et les <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-tyrannies-de-l-intimite-richard-sennett/9782020215657">tyrannies de l’intimité</a> qu’elle engendre, comme devoir s’asseoir en face de l’autre même à contrecœur, échanger alors que nous avons envie de calme etc. Jeûner devient alors un <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Les_Rites_d%E2%80%99interaction-2091-1-1-0-1.html">rituel d’évitement</a>.</p>
<h2>Apprécier une solitude retrouvée</h2>
<p>Cette dimension d’un refus du partage (de l’aliment et de la relation) est pour partie commune avec <a href="http://www.lemangeur-ocha.com/dossiers/corps-de-femmes-sous-influence-questionner-les-normes-symposium-de-locha-novembre-2003/">certaines anorexiques</a> et avec des religieuses jeûneuses du Moyen Âge.</p>
<p><a href="https://journals.openedition.org/clio/502">Ces dernières</a> « voyaient dans la nourriture un instrument de pouvoir sur leur moi et sur leur entourage, et un moyen de renoncer à l’un comme à l’autre ».</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=990&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=990&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=990&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1245&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1245&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/337991/original/file-20200527-20223-hw2y9g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1245&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Béguine de Bruxelles, un ordre qui permettaient à certaines religieuses de s’affranchir des codes de leur époque (1811).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Coustumes_-_B%C3%A9guines_de_Bruxelles.png">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Jeûner « distingue » dans un environnement qui valorise le partage et l’abondance alimentaire. On attire le regard des autres, parfois leur compassion ; on existe à travers l’affirmation de sa « singularité ».</p>
<p>Cependant l’émergence de ces comportements alimentaires n’est pas une « génération spontanée ». Elle prolonge des tendances de nos contemporains. Cette tendance est particulièrement vive lorsqu’il n’y a pas peur du manque et chez les femmes qui affichent un rapport au corps plus réflexif. Les individus perçoivent alors les nourritures en considérant la <a href="https://theconversation.com/lorthorexie-ou-quand-lobsession-du-manger-sain-vire-a-la-maladie-109052">conséquence de leurs incorporations</a> sur leur santé, leur silhouette, leur éthique et l’environnement.</p>
<h2>Désirs individualistes</h2>
<p>La période du confinement, pendant laquelle les dépenses physiques et les contraintes liées à la sociabilité sont moindres, encourage l’expérimentation d’un jeûne thérapeutique pour éliminer la souillure (au moins symbolique) des incorporations antérieures, pour se débarrasser des toxines, pour « prendre soin de soi ».</p>
<p>La période de jeûne alterne aussi avec la recherche et l’appropriation par un acte culinaire plus ou moins complexe (on a le temps !) de produits sains, éthiques, goûteux construisant une <a href="https://pufr-editions.fr/produit/devenir-sain/">« écologie de soi »</a>, une solidarité avec les nouvelles citoyennetés.</p>
<p>Cette problématique individualiste se retrouve dans la restriction cognitive (avec parfois un projet esthétique de maigrir (par exemple pour séduire au moment des « retrouvailles »). Ainsi une majorité de Français dit avoir grossi pendant le confinement (enquête réalisée par <a href="https://www.darwin-nutrition.fr/actualites/alimentation-francais/">l’Ifop</a> pour Darwin Nutrition et relayée par <em>Le Parisien</em> et BFMTV le 6 mai), 14 % ont maigri et 29 % ont conservé leur poids.</p>
<p>Beaucoup ont aussi exprimé l’envie ne pas commettre d’excès d’alcool : abstinence intermittente de consommations alcoolisées tout en conservant le plaisir régulé de boire occasionnellement.</p>
<p>Les jeûnes représentent ainsi, dans ces contextes de reconstruction de soi pour mieux aborder le futur, des désirs de se référer à des groupes qui rassurent en temps de crise. Mais le jeûne affirme aussi un individualisme qui refuse un pouvoir particulier ou construit, de façon égotique, un projet optimiste (nouveau modèle alimentaire, nouvelle silhouette, parfaite santé). Gageons que l’heure du déconfinement et du « dé-jeûner » sera celle de la valorisation d’aliments porteurs de sens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138853/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Pierre Corbeau est personnalité qualifiée du Conseil National de l'Alimentation, membre du conseil scientifique de l'OCHA, membre du conseil scientifique du GROS. </span></em></p>Quelles logiques encouragent le jeûne aujourd’hui et que révèle-t-il de notre envie de vivre ensemble ?Jean-Pierre Corbeau, Professeur émérite de sociologie de l'alimentation, vice-président de l'Institut Européen de l'Histoire et des Cultures de l'Alimentation, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1368502020-04-28T19:32:20Z2020-04-28T19:32:20ZSortie de crise : comment déjouer les tours de nos croyances ?<p>Depuis que le prix Nobel d’économie Daniel Kahneman, et son collègue Amos Tversky ont formalisé le concept de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/0010028572900163">« biais cognitif »</a> en 1972, la recherche a amplement montré que notre cerveau peine à nous faire prendre des décisions rationnelles. Les biais cognitifs sont des déviations d’un traitement rationnel de l’information, qui peuvent avoir des conséquences dramatiques sur le plan commercial, militaire, politique comme médical. Une illustration éclatante de la dangerosité de ces biais est le biais de confirmation.</p>
<p>Le biais de confirmation est la tendance que nous avons à rechercher de façon disproportionnée l’information qui conforte nos croyances existantes. Ce biais a par exemple contribué à la décision iranienne d’abattre le <a href="https://theconversation.com/vol-ps752-une-combinaison-mortelle-dinsouciance-et-dincompetence-de-liran-129757">vol PS752 le 8 janvier 2020</a>, tuant 176 passagers : cet avion civil avait été pris par erreur pour un avion militaire.</p>
<p>Nous subissons ce biais dans toute sa puissance depuis l’apparition du coronavirus. Que ce soit la décision politique relativement tardive de fermer nos frontières, la décision tardive de produire suffisamment de masques pour tout le monde, le non-diagnostic du Covid-19 dans les premières semaines de son apparition en Italie, tout comme la décision de chacun d’entre nous de sortir parce que nous en avons « besoin » (pour preuve, la nécessité de poursuivre le confinement au-delà du 15 avril), la poursuite obstinée de la croyance « tout ne va pas aussi mal qu’on le dit » a le vent en poupe. Les conséquences sont celles que Jérôme Salomon, le directeur général de la santé, nous égraine chaque soir.</p>
<h2>Faut-il vraiment un « retour à la normale » ?</h2>
<p>Si beaucoup des manifestations de ce biais sont difficiles à combattre, cet article vous propose deux types de décisions pour lesquelles vous pouvez parer à ce biais de façon significative.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/323976/original/file-20200330-146705-4n2pz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/323976/original/file-20200330-146705-4n2pz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=700&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/323976/original/file-20200330-146705-4n2pz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=700&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/323976/original/file-20200330-146705-4n2pz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=700&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/323976/original/file-20200330-146705-4n2pz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=879&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/323976/original/file-20200330-146705-4n2pz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=879&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/323976/original/file-20200330-146705-4n2pz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=879&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le philosophe Blaise Pascal.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Le premier type de décision est celle de sortir de chez soi. Partons d’un constat simple : Si nous pouvions congeler sur place toutes les personnes actuellement en France pendant 15 jours à plus d’un mètre les unes des autres, la propagation du virus serait arrêtée net. Nous vivons une prophétie pascalienne : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos, dans une chambre ».</p>
<p>Chacun de nous peut revisiter de façon plus rationnelle le « besoin » de sortir. Ne pouvez-vous pas réduire le nombre de visites au supermarché ? Faut-il vraiment aller faire ce jogging plutôt que des pompes à la maison ?</p>
<p>N’hésitez pas à demander à ceux qui sont confinés avec vous de vous dissuader de sortir par tous les moyens, cela vous donnera un sens moins biaisé de la mesure dans laquelle cette sortie est essentielle. Chaque sortie apparaît comme une micro-décision, mais nous savons que l’impact de celle-ci peut être significatif en bout de chaîne de transmission. Cela, vous le comprenez rationnellement, suffisamment de médias en ont parlé. #StayHome, #iorestoacasa, #jerestealamaison. L’appliquez-vous à vous-même ?</p>
<p>Un deuxième type de décision qu’il est urgent de considérer est ce que nous allons faire du « jour d’après ». Il est à noter qu’un culte du « retour à la normale » se propage dans la médiasphère. « Le retour à la normale de l’activité sera pour début 2021 ! » titre un article. « Notre rassemblement annuel de plusieurs milliers de personnes aura lieu dès le retour à la normale », m’annonce quelqu’un m’invitant à l’y rejoindre…</p>
<p>Que signifie un retour à la normale, lorsque celui-ci sera accompagné d’une récession économique mondiale, à l’origine de difficultés financières et matérielles auxquelles beaucoup devront faire face ? Devrions-nous souhaiter revenir à la normale ?</p>
<h2>« Dire, c’est faire »</h2>
<p>Les données montrant qu’un « retour à la normale » serait l’une des pires sorties de crise que nous pourrions envisager sont surabondantes. L’économie d’avant était reconnue comme problématique à plus d’un titre : dans le monde d’avant, selon l’<a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2408282">Insee</a>, environ 14 % de la population française, et 20 % de ses enfants, vivaient en-dessous du seuil de pauvreté, un chiffre qui a doublé depuis 2006.</p>
<p>Dans le monde d’avant, un tiers de la production agricole mondiale destinée à la consommation humaine était <a href="https://www.science-et-vie.com/archives/quelle-est-la-quantite-de-nourriture-gachee-13799">gaspillée</a>, alors qu’en France, c’était un Français sur cinq qui <a href="https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/pauvrete-1-francais-sur-5-ne-mange-pas-a-sa-faim-selon-le-secours-populaire-7794739191">ne mangeait pas à sa faim</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1244823171691360256"}"></div></p>
<p>La « normale », c’était plus de 18 % des Français qui souffraient de <a href="https://immobilier.lefigaro.fr/article/les-francais-et-le-chauffage-ces-cinq-chiffres-a-retenir_a1df9d1a-d3e2-11e6-89bf-777adbd27c0b/">précarité énergétique</a>, alors que les ordinateurs consommaient <a href="https://www.futura-sciences.com/tech/actualites/informatique-ordinateurs-televiseurs-energivores-pourraient-faire-mieux-18597/">8 %</a> de l’électricité au sein de l’UE, et que leur utilisation « utile » était évaluée à <a href="https://www.connaissancedesenergies.org/informatique-une-consommation-denergie-bien-reelle-au-bureau-160607">60 %</a> du temps qu’ils tournent.</p>
<p>La « normale », c’était un monde dans lequel l’aviation prévoyait en 2019 de doubler le trafic aérien d’ici à 2037, sur fond de crise climatique, alors que le trafic aérien produisait <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/09/20/ce-qu-il-faut-savoir-sur-la-pollution-generee-par-le-trafic-aerien_6012443_3244.html">5 % des émissions mondiales</a> de gaz à effets de serre. Malgré ces données on ne peut plus limpides et les <a href="https://restonslespiedssurterre.fr/comment-allons-nous-voyager-en-2050/">appels à rationner les vols</a>, dans le monde d’avant, chacun d’entre nous pouvait aller aux confins de notre globe <em>ad libitum</em>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/329365/original/file-20200421-104247-9zt32a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/329365/original/file-20200421-104247-9zt32a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=731&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/329365/original/file-20200421-104247-9zt32a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=731&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/329365/original/file-20200421-104247-9zt32a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=731&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/329365/original/file-20200421-104247-9zt32a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=919&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/329365/original/file-20200421-104247-9zt32a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=919&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/329365/original/file-20200421-104247-9zt32a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=919&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le philosophe John L. Austin.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/J._L._Austin#/media/File:J._L._Austin_(philosopher)_1951.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>En 1962, le philosophe anglais John L. Austin nous a mis en garde que <a href="https://www.scienceshumaines.com/quand-dire-c-est-faire_fr_12994.html">« dire, c’est faire »</a>. Et si nous nous interdisions le « retour à la normale », pour repenser plutôt notre économie afin de générer de la valeur durable pour le plus grand nombre ? Le temps file, le virus disparaîtra et la vieille « normale » aura vite fait d’envahir à nouveau notre quotidien, avec son rythme effréné et ses conséquences désastreuses.</p>
<p>Le temps du confinement a une qualité unique, qui fascinait déjà l’historien Fernand Braudel. Alors qu’il rédigeait La Méditerranée de mémoire, dans la prison allemande où il a vécu de 1940 à 1945, il utilisait ce style télégraphique afin d’écrire à un ami : « Crois que sans captivité, ne serais jamais arrivé à cette lucidité. […] La captivité […] permet longue méditation d’un sujet ». Depuis le 12 mars, la moitié de l’humanité vit sous cloche. La Terre s’est arrêtée. Peut-être pour que nous en descendions et reprenions un meilleur souffle ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136850/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne-Laure Sellier a reçu des financements de la Fondation HEC pour sa recherche. Elle est enseignant-chercheur à HEC Paris. </span></em></p>Associer ses proches à ses décisions ou encore repenser la signification du « retour à la normale » permet de se protéger des biais cognitifs et de leurs conséquences funestes.Anne-Laure Sellier, Professeur Associé en marketing et membre du groupe de recherche CNRS-GREGHEC, HEC Paris Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.