tag:theconversation.com,2011:/us/topics/culture-dentreprise-46719/articlesculture d'entreprise – The Conversation2024-02-01T14:58:04Ztag:theconversation.com,2011:article/2222902024-02-01T14:58:04Z2024-02-01T14:58:04ZLes « écotafeurs », ces salariés qui contribuent de l’intérieur à la transition écologique de leur entreprise<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/572209/original/file-20240130-27-crc13f.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=53%2C17%2C5892%2C3970&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Participation du syndicat Printemps écologique à une manifestation critiquant la loi climat et résilience.</span> <span class="attribution"><span class="source">Benoît Collet / Printemps écologique</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Entre impératif de transition et quête de sens, le monde du travail devient un nouveau champ de bataille pour l’écologie. En témoigne l’apparition récente de figures sociales comme les <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-bifurquer-191438">« bifurqueurs »</a> qui ont fait l’objet d’une forte <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/04/25/face-a-l-urgence-ecologique-comment-les-etudiants-bifurqueurs-d-agroparistech-ont-rendu-credible-une-voie-alternative_6170880_4401467.html">médiatisation</a> et les <a href="https://theconversation.com/reveil-ecologique-des-grandes-ecoles-ce-que-nous-ont-appris-les-discours-de-jeunes-diplomes-196263">« déserteurs »</a> qui quittent leur entreprise pour des jobs à impacts.</p>
<p>Mais certains salariés choisissent une autre voie : ils tentent de transformer les entreprises de l’intérieur, comme le montrait déjà une <a href="https://theconversation.com/qui-sont-les-transfereurs-ces-praticiens-de-lecologie-au-travail-111927">étude en 2018</a>. En quelques années, leurs initiatives isolées, à l’époque peu soutenues au sein des entreprises, se sont métamorphosées en un mouvement social d’ampleur.</p>
<p>Ce phénomène implique désormais une plus large galaxie de salariés « écotafeurs » dont les actions s’organisent autour de dispositifs de mobilisation. C’est ce que montre une <a href="https://librairie.ademe.fr/recherche-et-innovation/6247-ecotaf-la-mobilisation-ecologie-des-salaries.html">nouvelle étude</a> sociologique, baptisée Ecotaf, financée par l’Ademe et quatre partenaires du monde de la responsabilité sociétale et environnementale (ORSE, EpE, C3D, A4MT).</p>
<p>Ces écotafeurs sont en quelque sorte la manifestation dans l’entreprise de ce que Bruno Latour désignait comme <a href="https://www.lemonde.fr/climat/article/2021/12/10/memo-sur-la-nouvelle-classe-ecologique-ou-le-vadem-mecum-du-parti-terrestre_6105438_1652612.html">« la nouvelle classe écologique »</a></p>
<p>Ils font bouger les rapports de force en interne en faveur d’une accélération de la transformation écologique de la sphère productive. Ces salariés ne se voient plus seulement comme des « travailleurs » mais aussi comme des acteurs dont les choix façonnent la trajectoire de l’entreprise.</p>
<h2>Fresque du climat et passage à l’action</h2>
<p>Une des manifestations visibles de cet engagement écologique croissant des salariés est le succès que connaît la Fresque du climat, suivie par près de 1,2 million de personnes, dont une <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/la-fresque-du-climat-devient-un-phenomene-viral-dans-les-entreprises-1972805">bonne partie au sein des entreprises</a>. Si la Fresque apparaît comme un bon outil de sensibilisation aux enjeux climatiques, d’après l’étude, elle laisse les salariés avec un <a href="https://theconversation.com/face-au-changement-climatique-faire-de-la-peur-un-moteur-et-non-un-frein-200876">sentiment d’éco-anxiété</a>.</p>
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<p>Dans son sillage a émergé un foisonnement de dispositifs qui cherchent plutôt à susciter le passage à l’action chez les salariés. L’étude identifie quatre types de dispositifs de mobilisation écologique en fonction de leur stratégie d’incitation :</p>
<ul>
<li><p>Des ateliers qui jouent sur les dynamiques du groupe de pairs : partage d’expérience, émulation collective, sentiment d’appartenance… comme l’atelier <a href="https://www.2tonnes.org/">2tonnes</a>, ou <a href="https://www.monatelier-ecofrugal.fr/">Mon atelier ecofrugal</a>.</p></li>
<li><p>Des parcours de formation ou d’accompagnement qui transforment les individus à travers une montée en compétence, un travail sur leurs émotions, l’expérience de nouvelles méthodes collaboratives. Par exemple les parcours d’intrapreneuriat de <a href="https://www.ticketforchange.org/corporate-for-change">Corporate for Change</a> ou les cycles de <a href="https://carboneetsens.fr/conversations-carbone-en-france/">Conversations Carbone</a>.</p></li>
<li><p>Des plates-formes digitales comme <a href="https://www.lakaa.io/">Lakaa</a> ou le <a href="https://energic.io/">Challenge Environnemental Energic</a> qui s’appuient sur la <em>gamification</em> (ou ludification) : mise au défi, aspect ludique, compétition… pour toucher plus largement les salariés dispersés dans divers sites de l’entreprise.</p></li>
<li><p>Enfin, des fédérations interentreprises de groupes de salariés activistes de l’écologie ont émergé, telles que <a href="https://www.les-collectifs.eco/">Les Collectifs</a> ou le syndicat <a href="https://www.printemps-ecologique.fr/">Printemps écologique</a>. Elles renforcent les capacités d’action locale des groupes et leur apportent une dimension politique.</p></li>
</ul>
<h2>Montée en puissance de la RSE</h2>
<p>Dans une entreprise, l’initiative de ces démarches peut venir directement des salariés : plutôt des cadres appartenant à la génération des <em>millenials</em> (nés entre 1980 et 2000) en recherche de sens au travail. Après un déclic personnel et s’être parfois posé la question de la démission, ils font le choix de la loyauté à l’entreprise, poussés par la croyance que leur impact écologique sera supérieur en « faisant bouger les lignes de l’intérieur ».</p>
<p>Mais le lancement de certains dispositifs suppose d’abord de convaincre la direction et de dégager un budget. Ils résultent alors du volontarisme d’un responsable (souvent RSE) en quête d’alternatives à des actions ponctuelles de sensibilisation écologique qui ont du mal à prendre sur les salariés.</p>
<p>La multiplication de ces dispositifs s’inscrit dans un contexte plus général de montée en puissance de la RSE dans les entreprises, notamment sous l’effet des <a href="https://www.lesechos.fr/thema/articles/les-defis-de-linformation-extra-financiere-1876374">nouvelles obligations</a> de déclaration de performance extrafinancière. La transition écologique intègre désormais de plus en plus fréquemment les objectifs stratégiques, et les entreprises ont besoin d’y associer leurs salariés.</p>
<p>Ainsi, les dispositifs de mobilisation écologique étudiés entretiennent un terreau favorable à d’autres visées de la RSE : acculturation des salariés aux enjeux de la transition, appropriation de la RSE à une échelle locale, intégration des objectifs de durabilité dans les métiers et valorisation de l’entreprise auprès de clients et candidats (marque employeur).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-rse-ne-suffit-pas-a-rendre-nos-societes-plus-durables-220709">Pourquoi la RSE ne suffit pas à rendre nos sociétés plus durables</a>
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<h2>Une diffusion en tache d’huile</h2>
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<span class="caption">Les échelles d’enrôlement des salariés dans la mobilisation écologique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Étude Ecotaf</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Une fois initiée, la mobilisation écologique se diffuse en tache d’huile dans l’entreprise en touchant progressivement les salariés grâce à différents niveaux d’engagement. Les plus moteurs animent eux-mêmes des ateliers ou font fonctionner un collectif. Les salariés relais y contribuent régulièrement ou peuvent être nommés « ambassadeurs » par la RSE. Les salariés participants ont une implication plus ponctuelle, par exemple assister à un atelier ou un webinaire.</p>
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<span class="caption">Expressions entendues dans les entretiens pour qualifier le temps d’engagement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Étude Ecotaf</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les plus engagés ne disposent presque jamais de temps dédié par l’employeur, ce qui constitue un frein à la mobilisation. Ils parviennent à le contourner en temps masqué ou via la formation, au risque d’un essoufflement. La question d’un crédit temps écologique que l’entreprise pourrait accorder à ses salariés mérite ainsi d’être posée.</p>
<h2>Le rôle des décideurs</h2>
<p>La généralisation de la mobilisation écologique dans l’entreprise demande d’enrôler aussi les décideurs. La RSE peut devenir un tremplin pour les initiatives des salariés, et inversement, à condition de trouver un terrain d’entente. Les <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/09/21/dans-les-entreprises-les-rh-bousculees-par-les-attentes-d-une-generation-exigeante_6190252_4401467.html">ressources humaines peuvent également être intéressées</a> car la mobilisation écologique contribue à lutter contre le désengagement au travail.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/572147/original/file-20240130-18-xtsqyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572147/original/file-20240130-18-xtsqyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572147/original/file-20240130-18-xtsqyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572147/original/file-20240130-18-xtsqyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572147/original/file-20240130-18-xtsqyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572147/original/file-20240130-18-xtsqyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=662&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572147/original/file-20240130-18-xtsqyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=662&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572147/original/file-20240130-18-xtsqyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=662&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le système d’acteurs de la mobilisation écologique des salariés dans l’entreprise.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Étude Ecotaf</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les managers d’équipe sont plus récalcitrants vis-à-vis de ce « temps perdu » mais certains reprennent à leur compte les dispositifs pour motiver leurs salariés et faire de la cohésion d’équipe. Les CSE – Comité social et économique – apparaissent encore en retrait alors qu’ils ont pourtant de nouvelles prérogatives et que les principales centrales se saisissent du sujet (<a href="https://www.cfdt.fr/portail/actualites/transition-ecologique-juste/les-sentinelles-vertes-de-la-f3c-srv1_1153350">CFDT</a>, <a href="https://radartravailenvironnement.fr/">CGT</a>).</p>
<h2>Rôle de la culture d’entreprise</h2>
<p>L’appui des dirigeants aux dispositifs augmente l’impact de la mobilisation en interne. Il dépend essentiellement de leur sensibilité personnelle à l’écologie, mais des stratégies d’intéressement sont possibles en leur donnant un rôle dans le dispositif : participer à un jury, être sponsor d’un collectif…</p>
<p>Certaines cultures d’entreprises sont aussi plus propices au développement de la mobilisation écologique :</p>
<ul>
<li><p>celles qui ont déjà une vocation sociale ou une activité en lien avec l’environnement,</p></li>
<li><p>celles qui ont mis en place une démarche participative sur leur « raison d’être »,</p></li>
<li><p>et toutes celles qui s’écartent d’un management hiérarchique et de la seule recherche de rentabilité à court terme (actionnariat familial, entreprises à missions, entreprises libérées).</p></li>
</ul>
<h2>Légitimer des transformations radicales ?</h2>
<p>La réalité des effets de la mobilisation écologique des salariés fait aujourd’hui <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/03/il-n-existe-aucune-preuve-de-l-impact-d-une-formation-de-sensibilisation-aux-enjeux-climatiques-sur-les-comportements_6203652_3232.html">débat</a> car trop peu de travaux d’évaluation ont encore été conduits.</p>
<p>Notre enquête qualitative auprès d’une douzaine d’entreprises révèle que les dispositifs de mobilisation installent une culture partagée de la transition écologique, légitimant des transformations plus radicales. La mobilisation rend aussi possible une évolution de la RSE vers un modèle décentralisé et plus contributif, travaillant en lien avec des communautés de salariés écotafeurs.</p>
<p>Pour les salariés, la participation à ces dispositifs nourrit la quête de sens au travail et renforce l’attachement à l’entreprise, même si un sentiment de frustration peut naître chez les plus moteurs quand les changements de l’entreprise ne vont pas assez vite et assez loin.</p>
<p>L’enjeu central est en effet la profondeur de l’impact de la mobilisation des salariés sur la trajectoire écologique de l’entreprise. Permet-elle d’aller jusqu’à des transformations organisationnelles ? Si l’adoption d’écogestes peut constituer un point de départ pour intéresser les salariés, certains dispositifs incitent aussi à des évolutions concrètes vers des pratiques métiers plus durables dont l’impact carbone est bien supérieur.</p>
<p>En revanche, les <em>business models</em> restent un plafond de verre de la mobilisation écologique. Les salariés revendiquent de plus en plus un droit d’expression sur les stratégies d’entreprise mais sont encore peu entendus par les dirigeants. Cela peut inviter à rechercher une jonction avec d’autres <a href="https://cec-impact.org/">mouvements</a> dans lesquels ces derniers sont <a href="https://www.impactfrance.eco/">impliqués</a> sur ces <a href="https://www.epe-asso.org/etape-2030-transition-ecologique/">questions</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222290/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gaëtan Brisepierre a reçu des financements de l’Ademe, de l'ORSE, de C3D, de EpE, et de A4MT</span></em></p>Dans les entreprises, quelle forme prend la mobilisation de ces profils convaincus qu'ils auront plus d'impact en menant la transition dans leur entreprise qu'en démissionnant ?Gaëtan Brisepierre, Sociologue indépendant, École des Ponts ParisTech (ENPC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2207372024-01-23T15:45:43Z2024-01-23T15:45:43ZLes femmes désirent gravir les échelons des grandes entreprises. Mais pas à n’importe quel prix<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/569414/original/file-20240115-27-31qawf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C0%2C994%2C538&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les femmes veulent bien accéder aux plus hautes fonctions. Mais pas à n’importe quel prix.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Le cabinet d’experts-conseils <a href="https://www.spencerstuart.com/">Spencer Stuart</a> publiait récemment une étude sur la <a href="https://www.spencerstuart.com/-/media/2023/december/f500-profiles/fortune-500-csuite-snapshot-profiles-in-functional-leadership.pdf">composition de la très haute direction des entreprises membres du Fortune 500</a>, soit les 500 entreprises américaines les plus riches.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/direction-dentreprise-les-femmes-perdent-du-terrain-elles-doivent-etre-strategiques-mais-la-culture-doit-aussi-changer-195508">Direction d'entreprise : les femmes perdent du terrain. Elles doivent être stratégiques, mais la culture doit aussi changer</a>
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</p>
<hr>
<p>L’analyse portait notamment sur le genre des titulaires de tels postes, leurs fonctions et la source de leurs nominations, soit de l’interne ou de l’externe de l’organisation.</p>
<p>L’étude de la composition de la très haute direction, souvent appelée la <em>C-Suite</em> en anglais, revêt une importance particulière puisqu’elle permet d’identifier la réalité de la relève féminine au poste de PDG d’une organisation.</p>
<p>Respectivement doyenne de l’École de gestion John Molson, et experte depuis plusieurs décennies de la place des femmes dans les hautes sphères du milieu des affaires, nous discuterons des principaux constats émanant de l’étude menée par Spencer Stuart.</p>
<h2>Les prémisses de départ</h2>
<p>Trois conclusions ont particulièrement attiré notre attention :</p>
<ul>
<li><p>les hommes représentent 60 % du groupe sélect qu’est la très haute direction. Ils se retrouvent principalement dans les fonctions qui offrent le plus de possibilités de nomination à la fonction de PDG, <a href="https://www.spencerstuart.com/-/media/2021/december/lastmile/the-last-mile-to-the-top-future-ceos-who-beat-the-odds.pdf">selon l’historique des nominations à de telles fonctions</a>. On parle par exemple des postes de chef des opérations, chef de division et chef des finances ;</p></li>
<li><p>de plus en plus présentes dans les fonctions de très haute direction (40 %), les femmes se retrouvent toutefois dans les fonctions de cheffe des ressources humaines, cheffe des communications, cheffe de la diversité et de l’inclusion, ou cheffe du développement durable. En d’autres termes, ce sont des fonctions dites de support, importantes pour les organisations, quoique malheureusement perçues comme ayant peu d’impact sur l’avoir des actionnaires et leur performance financière ;</p></li>
<li><p>les nominations aux postes de haute direction propulseurs à la fonction de PDG proviennent principalement de l’interne. Qu’est-ce que ça implique ? Qu’une connaissance intime de l’organisation sur une longue période est valorisée et qu’un processus de promotion est généralement en place pour alimenter le vivier de relève.</p></li>
</ul>
<h2>Portrait mondial de la situation</h2>
<p>Notre expérience des dernières décennies nous permet de faire un constat similaire au Canada. Nous avons donc souhaité vérifier si cette situation était similaire dans d’autres pays.</p>
<p>Un rapport de l’Organisation internationale du travail intitulé <a href="https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---dgreports/---dcomm/---publ/documents/publication/wcms_700953.pdf">« The Business Case for Change »</a> permet de donner un aperçu du positionnement des femmes dans les hautes sphères du pouvoir auprès de 13 000 entreprises opérant sur tous les continents.</p>
<p>À l’instar des États-Unis et du Canada, ce clivage selon les sexes entre les fonctions qui sont de support et d’apport direct à la profitabilité de l’organisation paraît généralisé. Il est également qualifié, selon les auteurs de cette étude, de « mur de verre » puisqu’il limite le vivier des candidatures féminines potentielles à la fonction de PDG.</p>
<p>Mais comment expliquer ce phénomène ?</p>
<h2>Stéréotypes, biais et préjugés</h2>
<p>Dans un premier temps, les stéréotypes et les préjugés liés au sexe jouent dès l’enfance.</p>
<p>Ils ont un impact sur les jouets avec lesquels les enfants jouent, les matières qu’ils étudient, leur vie et leurs carrières futures.</p>
<p>Les filles – de manière générale – aspirent à devenir médecins, enseignantes, infirmières, psychologues et vétérinaires. Quant aux garçons, ils veulent devenir ingénieurs, <a href="https://www.unesco.org/fr/articles/combattre-les-prejuges-et-les-stereotypes-lies-au-genre-dans-et-par-leducation">travailler dans les TIC et dans la mécanique</a>.</p>
<h2>Culture des organisations</h2>
<p>Dans un second temps, la culture des organisations est un <a href="https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---dgreports/---dcomm/---publ/documents/publication/wcms_700953.pdf">miroir de notre société et de ses traditions</a>.</p>
<p>Elle véhicule donc des biais quant au potentiel de leadership des femmes comparativement aux hommes.</p>
<p>Selon l’enquête de l’Organisation internationale du travail citée plus haut, 91 % des femmes interrogées sont d’accord ou tout à fait d’accord avec le fait que les femmes dirigent aussi efficacement que les hommes. Or, seulement 77 % des hommes sont d’accord avec cet énoncé.</p>
<p>Il est permis de penser que ce biais à l’égard du leadership a un impact sur les processus de recrutement, de nomination, de développement, de talents et d’affections enrichies (affectations qui permettent à un employé d’enrichir ses habiletés, ou <em>stretch assignment</em> en anglais) qui pavent la voie aux progressions de carrière.</p>
<p>Il est également permis de penser que ces biais sont aussi présents au sein des conseils d’administration qui ont pour responsabilité de nommer les PDG et qui sont encore aujourd’hui composés majoritairement d’hommes.</p>
<h2>Des objectifs de vie différents</h2>
<p>Enfin, les femmes et les hommes ont des préférences et des objectifs de carrière différents.</p>
<p>Selon une étude réalisée par les professeures de la Harvard Business School Francesca Gino et Alison Wood Brooks et intitulée <a href="https://hbr.org/2015/09/explaining-gender-differences-at-the-top">« Explaining the Gender Differences at the Top »</a>, les femmes considèrent les occasions d’avancement avec autant d’intérêt que les hommes. Par contre, elles les trouvent moins atteignables en raison de leur emploi du temps chargé. Elles doivent donc évaluer plus sérieusement les compromis et les sacrifices qu’elles doivent faire pour occuper des postes de haute responsabilité et de pouvoir.</p>
<p>Les auteures prennent soin de préciser que ces résultats ne signifient pas que les femmes sont moins ambitieuses, mais que le succès professionnel a une signification différente selon les individus. Pour certains, celui-ci prend la forme du pouvoir. Pour d’autres, il peut signifier rendre ses collègues heureux et contribuer à rendre le monde meilleur dans un environnement de collaboration et d’entraide.</p>
<p>Cette recherche va dans le même sens que celle de Viviane de Beaufort, professeure à l’École supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC). Elle a constaté, dans le cadre d’une étude menée auprès de 295 femmes françaises dirigeantes sur leurs aspirations professionnelles, que les femmes veulent bien accéder aux plus hautes fonctions. <a href="https://www.academia.edu/80171918/WP_CERESSEC_CEDE_ESSEC_Viviane_de_Beaufort_2022_avec_le_collectif_WOMEN_BOARD_READY_ESSEC">Mais pas à n’importe quel prix</a>.</p>
<h2>Qu’est-ce qui détermine les parcours professionnels ?</h2>
<p>Le présent article soulève donc la question suivante :</p>
<p>Peut-on espérer, en tant que femme, être un jour PDG ou réaliser nos rêves professionnels malgré les biais, les préjugés, les stéréotypes et les barrières que nous devons surmonter ?</p>
<p>Simone de Beauvoir écrivait en 1949 dans son essai « Le deuxième sexe » :</p>
<blockquote>
<p>La femme se détermine et se différencie par rapport à l’homme et non celui-ci par rapport à elle : elle est inessentielle en face de l’essentiel. Il est le sujet, il est l’absolu, elle est l’autre.</p>
</blockquote>
<p>Cet extrait nous rappelle que les compétences et les connaissances requises pour atteindre les fonctions stratégiques ont, depuis toujours, été définies en fonction de l’exercice du pouvoir au masculin dans un environnement où la performance des organisations est jugée quasi uniquement par les succès financiers et l’appréciation de la valeur pour l’actionnaire.</p>
<p>Il est temps de penser à de nouvelles trajectoires et compétences professionnelles non définies par le genre, mais plutôt par la mission et les objectifs des organisations. Celles-ci doivent tout autant tenir compte de leur apport aux succès financiers des organisations <a href="https://hbr.org/2022/07/the-c-suite-skills-that-matter-most">qu’à leur contribution à la création d’un monde meilleur</a>.</p>
<p>Il faut ainsi valoriser autant les compétences fonctionnelles que les compétences plus douces telles que l’intelligence émotionnelle, l’empathie, le sens du collectif et l’audace.</p>
<p>Abaisser les murs de verre veut aussi dire que les organisations et leur conseil d’administration ont la responsabilité d’identifier et d’encourager les femmes à occuper des postes où elles prennent de l’expérience et développent leur leadership au sein de fonctions de première ligne plutôt que de soutien.</p>
<p>Dans un tel contexte, les femmes, tout autant que les hommes, pourront avoir une meilleure chance d’atteindre les plus hautes fonctions tout en demeurant fidèles à elles-mêmes. Et ce, à part entière.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220737/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les femmes sont de plus en plus présentes dans les fonctions de très haute direction, mais elles se retrouvent dans des fonctions dites de support, qui mènent rarement aux postes de PDG.Louise Champoux-Paillé, Cadre en exercice, John Molson School of Business, Concordia UniversityAnne-Marie Croteau, Dean, John Molson School of Business, Concordia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2205772024-01-15T11:09:18Z2024-01-15T11:09:18ZInciter ses salariés à innover, une affaire de culture nationale<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/567906/original/file-20240104-21-bhnzze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C0%2C1920%2C1276&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment s'y prendre pour stimuler le potentiel d'innovation de ses salariés ?</span> <span class="attribution"><span class="source">Jarmoluk / Pixabay</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Au cours des dernières décennies, des entreprises du monde entier ont tenté de stimuler leur capacité à <a href="https://theconversation.com/topics/innovation-21577">innover</a> en mettant en œuvre certaines <a href="https://theconversation.com/topics/ressources-humaines-rh-120213">pratiques de gestion des ressources humaines</a> (GRH). Leur objectif : développer les compétences des collaborateurs, accroître leur motivation et leur donner des opportunités pour prendre part à l’effort collectif. <a href="https://theconversation.com/topics/formation-21393">Formations</a>, <a href="https://theconversation.com/topics/dialogue-social-44601">consultations</a>, <a href="https://theconversation.com/topics/primes-88958">incitations financières</a>, les dispositifs prennent différentes formes.</p>
<p>Une entreprise <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/3069392">innove</a> lorsqu’elle développe et commercialise un produit ou un service qui est nouveau pour elle ou pour le marché. Dans un monde concurrentiel, c’est souvent synonyme de survie pour une entreprise : son existence même peut être en remise en cause lorsqu’elle ne parvient à faire évoluer son offre alors que les contraintes et les aspirations des clients changent parfois rapidement.</p>
<p>La capacité d’une entreprise à innover dépend d’un grand nombre de facteurs parmi lesquels ses pratiques de GRH. En effet, une part significative des décisions qui permettent à l’entreprise d’imaginer de nouvelles choses est prise par les salariés eux-mêmes. Comment sont-ils formés ? Comment sont-ils rémunérés ? Leur parole est-elle prise en compte ou non ? Autant d’éléments qui peuvent contribuer indirectement à l’innovation dans l’entreprise.</p>
<p>Les études précédentes font état de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09585192.2016.1143862">résultats contrastés</a>. Il semble que certaines pratiques soient efficaces dans certaines entreprises et moins dans d’autres. Pas de loi universelle donc, à première vue, liant une pratique de GRH donnée et une innovation. Se pourrait-il que la culture nationale de l’entreprise soit l’un des facteurs explicatifs de la variabilité des effets des pratiques de GRH sur l’innovation à travers le monde ? Une personne en charge de la gestion des ressources humaines d’une multinationale pourra légitimement se poser la question avant d’instaurer tel ou tel dispositif.</p>
<h2>Bonus financiers, formation, discussion… Qu’utiliser où ?</h2>
<p>Nos <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/hrm.22149">travaux</a> ont, eux été conduits sur un échantillon de 304 entreprises provenant de 13 pays ou grandes régions du monde. Notre attention s’est portée sur trois pratiques qui ont pour objectif d’<a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/AMR.1982.4285240">améliorer les compétences, la motivation ou les opportunités des collaborateurs</a>. La première est la formation interfonctionnelle, un dispositif permettant aux collaborateurs d’acquérir des compétences habituellement associées dans l’entreprise à une autre fonction que la leur. La deuxième est la mise en place d’incitations financières pour motiver les collaborateurs à innover. Enfin, nous avons observé ce qu’il en était de la mise en place de dispositifs pour recueillir l’avis des collaborateurs afin de leur donner des opportunités de contribuer au processus d’innovation.</p>
<p>Étudier l’efficacité de ces trois pratiques de GRH sur l’innovation en fonction du contexte culturel implique évidemment de caractériser les cultures. Pour faire cela, nous avons fait appel au <a href="https://www.hofstede-insights.com/country-comparison-tool">modèle</a> développé par l’anthropologue néerlandais Geert Hofstede qui permet de décrire les cultures nationales sur un ensemble de dimensions fondamentales. Pour des raisons théoriques, nous avons retenu trois dimensions en particulier : l’individualisme (contre le collectivisme), la masculinité (contre la féminité) et la distance hiérarchique.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Nous avons considéré que les effets des pratiques de GRH sur l’innovation dans une culture donnée peuvent être de deux natures différentes. Si la pratique est similaire dans son principe à la culture nationale et qu’elle a un effet positif sur l’innovation, on parle de renforcement. La pratique de GRH vient en quelque sorte exploiter le potentiel de l’effet de la culture sur l’innovation. Si la pratique de GRH est différente dans son principe de la culture nationale et qu’elle a un effet positif sur l’innovation, on parle alors de compensation. La pratique de GRH vient en quelque sorte pallier quelque chose qui manque dans la culture de l’entreprise pour favoriser l’innovation.</p>
<h2>Exploiter un potentiel et lever des obstacles</h2>
<p>Notre étude a révélé tout d’abord que la formation interfonctionnelle favorise davantage l’innovation dans les cultures collectivistes, celles par exemple que l’on retrouve en Corée du Sud ou au Vietnam. Mettre l’accent sur l’harmonie de groupe et sur les objectifs partagés semble en effet assez cohérent avec les objectifs de la formation interfonctionnelle qui vise à amener le salarié à dépasser les frontières de son propre rôle et à s’en approprier en partie d’autres. C’est très différent dans les cultures individualistes suédoise ou allemande : la formation interfonctionnelle pourrait y augmenter les coûts et conduire à des conflits. En somme, la formation interfonctionnelle vient renforcer l’une des caractéristiques positives pour l’innovation déjà présente dans les cultures collectivistes.</p>
<p>Concernant la mise en place de bonus financiers qui récompenseraient l’innovation, il apparaît que cette pratique est plus efficace dans les cultures masculines (par exemple au Japon ou en Italie) que dans les cultures féminines (par exemple en Suède ou en Finlande). Dans une culture valorisant intrinsèquement la réussite et le succès matériel, premier cas, les incitations financières vont motiver les collaborateurs à innover. Ce sera moins le cas dans les cultures qui, second cas, valorisent davantage la qualité de vie et l’équilibre entre la sphère personnelle et la sphère professionnelle. Un bonus n’y est pas particulièrement motivant. Il apparaît donc que les incitations financières jouent un rôle renforçateur dans la relation entre masculinité et innovation.</p>
<p>C’est un rôle compensateur qu’exercent en revanche les dispositifs permettant à leurs collaborateurs d’exprimer librement leurs idées et de partager leurs perspectives avec les autres dans les cultures caractérisées par une forte distance hiérarchique (par exemple en Chine). Dans les cultures avec une forte distance hiérarchique, la communication ascendante est quasi inexistante. Donner la parole aux collaborateurs dans ce type de cultures permet de faire émerger de nouvelles idées et des perspectives qui ne seraient pas audibles autrement. Un obstacle à l’innovation est ainsi levé. En revanche, dans les cultures ayant une faible distance hiérarchique (en Israël par exemple), les collaborateurs peuvent déjà s’exprimer librement et les dispositifs pour faciliter la prise de parole n’ont donc pas tellement de valeur ajoutée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1739654760137924895"}"></div></p>
<p>Il semble en définitive que les pratiques se concentrant sur les compétences et la motivation viennent plutôt renforcer des caractéristiques culturelles positives pour l’innovation là où les pratiques se concentrant sur l’offre d’opportunités viennent plutôt compenser des manques. Notre étude souligne en tout cas l’importance de prendre en compte le contexte culturel dans lequel une pratique de GRH est mise en œuvre afin de pouvoir anticiper son efficacité. Pour les entreprises internationales ayant des collaborateurs de différentes cultures dans différentes régions du monde, il paraît important de prendre conscience que les pratiques de GRH qui sont efficaces à un endroit ne le seront pas nécessairement à un autre.</p>
<p>Que faire lorsque l’on ne peut pas adapter une pratique inadaptée ? La culture organisationnelle pourrait-elle prendre le contre-pied de la culture nationale pour favoriser l’innovation ? De futures recherches nous diront si c’est un levier que les personnes en charge de la gestion des ressources humaines peuvent actionner ou non.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220577/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Formation, incitations financières, discussions… Une étude montre que l’efficacité des pratiques de ressources humaines visant à stimuler l’innovation varie fortement selon les régions du monde.Martin Storme, Professeur associé en négociation, IÉSEG School of ManagementElise Marescaux, Dean of Faculty - Full professor in Human Ressources Management, IÉSEG School of ManagementJingjing Yao, Full Professor in International Negotiation, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2151222023-10-16T10:08:28Z2023-10-16T10:08:28ZL’arroseur arrosé : Quand les témoins de dénigrements au travail le font payer à leur auteur<p>Le <a href="https://theconversation.com/topics/harcelement-22180">harcèlement</a> touche de nombreuses sphères de la société. Le <a href="https://theconversation.com/ecole-exclure-les-eleves-harceleurs-est-ce-vraiment-la-solution-211950">système scolaire</a> a récemment fait la Une de la presse du fait de ses incidences pouvant aller jusqu’au <a href="https://www.bfmtv.com/societe/education/suicide-d-un-lyceen-a-poissy-gabriel-attal-deplore-un-drame-qui-nous-endeuille-tous_AN-202309060796.html">suicide</a> de jeunes victimes. Le monde du travail n’est pas non plus épargné.</p>
<p>Le harcèlement est un délit qui peut y prendre de multiples formes. La loi distingue notamment le <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/Harcelement_moral_dgt_07-2010.pdf">harcèlement moral</a>, qui désigne des agissements répétés dégradant les conditions de travail et susceptible de causer un dommage au salarié, du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006177846/">harcèlement sexuel</a> « constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». On y associe aussi toute forme de pression grave, même non répétée, visant à obtenir un acte de nature sexuelle.</p>
<p>Insultes, menaces, communications répétées, propos ou comportements à connotation sexuelle, ces pratiques sont sanctionnées jusque 2 ans de prison et 30 000 euros d’amende en plus d’un éventuel licenciement. Être harcelé génère un fort <a href="https://doi.org/10.1146/annurev.psych.60.110707.163703">mal-être</a> chez les victimes : perte d’estime de soi, stress, anxiété, burn-out, dépression sont des corolaires connus de cette dégradation du climat social. Elles ont également des effets négatifs sur les organisations : le désengagement, l’absentéisme, les démissions induits se soldent en effet tôt ou tard par des pertes de productivité.</p>
<h2>Le harceleur, le harcelé et le témoin</h2>
<p>Certaines manifestations du harcèlement au travail sont parfois plus insidieuses. Il en va ainsi du dénigrement. Ce phénomène implique trois acteurs qui peuvent être de même niveau hiérarchique ou non : un auteur d’une critique négative informelle au sujet d’une victime absente de la scène, et un témoin. C’est à ce dernier protagoniste que nous nous sommes intéressés dans nos <a href="https://management-aims.com/index.php/mgmt/article/view/3805/9498">travaux</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1578827972899143682"}"></div></p>
<p>Dans ce triptyque, le témoin a longtemps été considéré comme un auditeur neutre. Il est pourtant partie prenante de l’<a href="https://theconversation.com/topics/culture-dentreprise-46719">environnement de travail</a>, doté d’une sensibilité particulière et animé par un système personnel de valeurs. Il peut à ce titre se contenter d’être un simple spectateur passif et indifférent, adhérer à la critique émise voire même l’encourager en la relayant à son tour, ou au contraire, faire preuve de compassion à l’égard de la victime, dénoncer la médisance en contre-argumentant et même la combattre en se dressant contre l’auteur.</p>
<p>Grâce à une expérimentation plaçant 223 salariés en position de témoin d’un dénigrement, nous sommes parvenus à identifier les conditions dans lesquelles l’auteur peut devenir lui-même victime de ses propres agissements, c’est-à-dire subir à son tour une réaction négative du témoin. Pour se décider, le témoin estime tout d’abord l’ampleur de l’injustice subie par la victime, puis attribue la responsabilité de l’évènement au dénigreur ou au dénigré, et enfin, décide ou non de s’identifier à la victime.</p>
<h2>« C’est bien mérité »</h2>
<p>La légitimité du dénigrement est en premier lieu évaluée. En plus de la qualité des arguments qui étayent la critique, cette estimation est grandement tributaire du système personnel de valeurs du témoin. Pour certains, parler en mal d’un autre salarié dans son dos est moralement condamnable, quel que soit le propos tenu. Y prêter l’oreille peut même générer un sentiment de culpabilité honteuse qui incitera à réagir tout simplement parce que c’est la « bonne chose à faire ».</p>
<p>Cette <a href="https://psycnet.apa.org/doi/10.5465/AMR.2011.61031810">identité morale</a> agit ainsi comme un impératif. La probabilité qu’il se traduise en comportement négatif à l’égard de l’auteur n’est pas certaine pour autant. Elle dépend d’abord de l’attribution de la responsabilité du dénigrement. Quand le témoin croît en général en la justice du monde, c’est-à-dire, selon le psychologue Melvin Lerner, adhère au <a href="https://doi.org/10.1007/978-1-4899-0448-5">principe</a> selon lequel « chacun a ce qu’il mérite et mérite ce qu’il a », il aura tendance à incriminer la victime plutôt que l’auteur et donc à ne pas lui porter secours. Cette croyance est fréquente car elle constitue un puissant mécanisme de défense : en évitant de se comporter comme la victime, le témoin pense se protéger.</p>
<p>Elle est fréquente mais pas unanime dans la mesure où elle peut avoir été remise en cause par l’expérience personnelle de situations professionnelles injustes. Dans une telle éventualité, la sensibilité du témoin à l’injustice est accrue et sa tolérance diminuée. Moins indifférent au traitement d’autrui, il a davantage tendance à s’identifier à la victime et à se faire plus punitif à l’égard de l’auteur.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>La réaction négative du témoin peut également être freinée par le pouvoir dont bénéficie l’auteur. Lors d’un dénigrement, le témoin est en effet implicitement invité à adhérer à l’opinion négative émise. La critique présente une dimension coercitive larvée : en laissant entendre qu’il pourrait propager des informations de même nature au sujet du témoin, l’auteur lui adresse à mots couverts une menace d’autant plus crédible qu’il est doté de pouvoir. Le rapport coûts/bénéfices de la réaction établi par le témoin l’incite alors à « ne pas se mêler des affaires des autres ».</p>
<p>En d’autres termes, le dénigreur risque fort de se « tirer une balle dans le pied » quand le témoin considère que la critique émise à l’égard de la victime est injuste compte tenu de la situation ou pour des raisons morales, quand il ne croît plus en la justice du monde du fait d’expériences professionnelles malheureuses, et quand auteur et témoin bénéficient de niveaux de pouvoir similaires comme c’est le cas entre collègues de travail.</p>
<h2>Éviter une spirale négative</h2>
<p>En de telles circonstances, la réaction du témoin peut être émotionnelle. Une hostilité, un mépris, un dégoût vis-à-vis de l’auteur, mais aussi une tristesse, une contrariété, une déception, une gêne ou une peine peuvent être ressentis. La réaction peut aussi être plus attitudinale comme notre expérimentation le montre : lorsque les trois conditions mentionnées sont réunies, la prédisposition du témoin à aider à l’avenir l’auteur en cas de besoin professionnel est significativement réduite.</p>
<p>En sanctionnant de cette manière l’auteur, le témoin évite d’avoir à se considérer comme complice d’actes qu’il condamne pour en avoir fait lui aussi les frais par le passé. La situation est alors propice à l’enclenchement dans l’organisation d’une spirale négative faite de comportements non éthiques échangés.</p>
<p>Ces conclusions ont des incidences opérationnelles importantes. En premier lieu, l’intérêt du manager est de lutter contre l’injustice en général et le dénigrement en particulier s’il souhaite éviter que l’incivilité devienne progressivement la norme organisationnelle. Rester neutre et passif dans un tel climat est en soi assimilable à de la permissivité, ou pire encore à de l’encouragement.</p>
<p>Il s’agit là d’un véritable défi. Le contrôle du dénigrement est en effet très difficile. L’action peut néanmoins consister en une alerte envoyée explicitement à l’auteur coutumier du fait au sujet des risques légaux auxquels il s’expose. Les risques sont également sociaux pour l’auteur puisqu’il se marginalise dans l’organisation faute de pouvoir bénéficier de l’entraide de ses collègues.</p>
<p>Pour éviter ce scénario finalement pénalisant pour la victime, l’auteur et in fine l’organisation, il peut aussi être recommandé de ne pas instaurer un climat de concurrence interne entre les salariés. Ces situations sont en effet propices au dénigrement. Enfin, la lutte contre le stress au travail trouve là aussi une véritable légitimité puisque ce trouble fragilise celui qui le ressent et en fait une victime facile du dénigrement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215122/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une expérimentation identifie les conditions dans lesquelles un témoin d’un dénigrement se retourne contre qui son auteur, au risque d’instaurer un climat négatif au travail.Franck Biétry, Professeur des Universités en gestion des ressources humaines, Université de Caen NormandieJordan Creusier, Professeur des universités en sciences de gestion, Université Littoral Côte d'Opale Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2150952023-10-12T17:27:51Z2023-10-12T17:27:51Z« Le Direktør » de Lars von Trier : une comédie d’entreprise sur le pouvoir et ses fantasmes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/553501/original/file-20231012-27-frgjm8.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C5%2C1711%2C1138&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un employé qui s'emporte contre le chef fantoche est maîtrisé par ses collègues.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=61126.html ">Alloicné</a></span></figcaption></figure><p>Lorsque l’on songe au monde du travail aujourd’hui, il paraît bien compliqué, pour ne pas dire cynique, d’y voir un sujet de comédie – du moins dans le sens traditionnel du terme. Qu’est-ce qui peut tant prêter à rire dans ce lot d’<a href="https://theconversation.com/ubu-manager-quand-la-litterature-eclaire-les-derives-ubuesques-du-management-150234">absurdité</a>, voire même de mal-être, sur fond de perte de sens au travail constatée par diverses enquêtes, dont celle, récente, des chercheurs en économie et socioéconomie <a href="https://www.nonfiction.fr/article-11588-le-sens-au-travail-entretien-avec-t-coutrot-et-c-perez.htm">Thomas Coutrot et Coralie Perez</a> ?</p>
<p>Dans un versant « comique » (et les guillemets s’imposent pour les raisons qui vont suivre) de la vie en entreprise, <em>Le Direktør</em>, film sorti en 2006 du réalisateur danois Lars von Trier (actuellement diffusé sur le <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/cinema/">site Internet d’Arte</a>, qui lui consacre une rétrospective), dénote en ce qu’il traite directement l’organisation du travail en insistant sur ses aspects certes absurdes, mais aussi sur la violence latente des <a href="https://www.lemonde.fr/cinema/article/2007/02/27/le-Direkt%C3%B8r-dans-la-peau-d-un-directeur-de-pme-machiavelique_876816_3476.html">rapports de pouvoir dans l’entreprise</a>.</p>
<h2>Un réalisateur controversé</h2>
<p>Lars von Trier, coutumier des propos outranciers et <a href="https://www.lemonde.fr/festival-de-cannes/article/2011/05/18/stupeur-a-cannes-apres-les-propos-de-lars-von-trier-sur-hitler_1523968_766360.html">polémiques</a>, est un réalisateur plus que controversé. Mais bien plus que ses déclarations ou son attitude ouvertement provocatrice, cette réputation tient autant à l’imagerie violente déployée dans ses films, entre onirisme, crudité, sexualité et troubles mentaux, qu’à leur forme chaque fois expérimentale et travaillant aux confins de genres codifiés (policier, mélodrame, comédie, horreur…), qu’il se plaît à réinventer avec une déroutante originalité.</p>
<p>À ce titre, <em>Le Direktør</em> tranche par son côté faussement léger et badin, documentant avec une ironie cruelle la vie d’une petite entreprise danoise qui va connaître une soudaine crise. Je tiens à montrer, en m’appuyant sur un cadre théorique qui emprunte à la <a href="https://www.cairn.info/revue-connexions-2009-2-page-29.htm">psychosociologie</a>, qu’il s’agit là d’un tableau véritablement clinique de la façon dont le pouvoir opère dans l’organisation du travail contemporain, à la fois insaisissable et diffus, en même temps qu’il se greffe sur les fantasmes et l’imaginaire de chacun pour mieux les enrôler.</p>
<h2>Le lieu vide du pouvoir</h2>
<p>Commençons par rappeler brièvement l’intrigue, aussi simple que déconcertante. Ravn, dirigeant d’une PME danoise dans l’informatique en passe d’être rachetée par une société islandaise, recrute Kristoffer, un acteur au chômage, pour incarner un directeur fictif (nommé Sven), inventé de toutes pièces par ce même Ravn pour se couvrir des décisions impopulaires et désastreuses qu’il a été amené à prendre dans la gestion (cupide et malhonnête) de sa propre entreprise – flouant au passage ses propres salariés.</p>
<p>À l’évidence, rien n’est amené à se passer comme prévu. Et Kristoffer découvre, dans un mélange de sidération et d’incrédulité, que son avatar virtuel (en réalité utilisé par Ravn) a tantôt demandé en mariage une employée (pour éviter son départ dans l’entreprise concurrente), suggéré à une autre son homosexualité, conduit un employé au suicide par sa brutalité, et n’a eu de cesse, de manière générale, d’opter pour des décisions toutes plus iniques les unes que les autres.</p>
<p>Il me semble que la question au cœur du film consiste précisément à figurer ce lieu vide du pouvoir, tournant autour de son absence présumée (où est le Directeur de Tout ? Qui est-il ? Existe-t-il vraiment ? Que veut-il ?) ; absence qui se trouve être en réalité le gage de l’efficacité du pouvoir du fait même qu’il devient le réceptacle dans lequel chacun projette ses propres désirs, craintes et espérances.</p>
<h2>La nature fictionnelle du pouvoir</h2>
<p>Au moins deux articles de recherche en théorie des organisations ont été consacrés à ce film de von Trier, se centrant, dans les deux cas sur la question du leadership et de la nature « fictionnelle » du pouvoir.</p>
<p>Le premier article, par <a href="https://ephemerajournal.org/sites/default/files/2022-01/9-1costas.pdf">Jana Costas</a>, chercheure en comportement organisationnel, insiste sur le rôle du secret et de l’ambiguïté dans les organisations du travail, et notamment le maintien des relations de hiérarchie du fait même du secret détenu par le dirigeant qui exerce ainsi son pouvoir. Si cet aspect du film est bien sûr présent, je ne suis pas certain qu’il soit si prépondérant.</p>
<p>Tout d’abord, il est légitime de considérer que les employés, et c’est d’ailleurs ce que suggère l’une des scènes finales, ne sont pas réellement dupes de la comédie mise en place par Ravn et Kristoffer. Cette hypothèse soulève par ailleurs la question du déni des salariés face à ce stratagème des plus grossiers, interrogeant les raisons motivant chacun à croire à cette affabulation. C’est d’ailleurs la question explicitement soulevée par le <a href="https://www.researchgate.net/publication/264770409_Leadership_fable_and_power_according_to_The_Boss_of_It_All">second article</a> consacré au film de von Trier, rédigé par Philippe Mairesse et Stéphane Debenedetti : « Les raisons pour lesquelles la fable est acceptée restent incertaines. Si elle répond aux désirs du public, quels sont ces désirs ? »</p>
<p>De ce fait, bien que datant de 2006, le film illustre de manière exemplaire le basculement de formes de travail qui cherchent de plus en plus, comme ont pu le détailler Boltanski et Chiapello dans leur ouvrage, paru en 1999 mais tout à fait actuel, sur le <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Le-nouvel-esprit-du-capitalisme"><em>Nouvel esprit du capitalisme</em></a>, à engager des dispositions plus subjectives, telles que la motivation, les émotions, l’attitude personnelle, l’empathie, voire même le désir – ce que la sociologue Eva Illouz qualifie de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=b3JvyhEImIE">« capitalisme émotionnel »</a>. Cette dimension émotionnelle en appelle explicitement aux désirs inconscients, aux fantasmes et fragilités narcissiques de chacun.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/b3JvyhEImIE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Reste que cette dynamique passionnelle impulse des forces contradictoires et explosives dans l’organisation du travail. Ce « Directeur de Tout », à la fois omniprésent et invisible, concentre toute l’hostilité et la haine, à tel point que, acculé face à la véhémence croissante des salariés de l’entreprise à son égard, Kristoffer s’en sort par une pirouette tout à fait absurde, qui consiste rien de moins qu’à inventer un « Directeur du Directeur de Tout » situé aux États-Unis, qui serait donc son supérieur direct et le véritable agent (dans l’ombre) de tous les dysfonctionnements et frustrations ! On ne peut ici manquer de s’interroger sur la part active de déni qui contribue à maintenir cet état de fait : comment se fait-il que la supercherie, si grotesque en soi, ne puisse être reconnue pour ce qu’elle est ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/553508/original/file-20231012-22-d9atot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/553508/original/file-20231012-22-d9atot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/553508/original/file-20231012-22-d9atot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/553508/original/file-20231012-22-d9atot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/553508/original/file-20231012-22-d9atot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/553508/original/file-20231012-22-d9atot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/553508/original/file-20231012-22-d9atot.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une séance de « team-building ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Les Films du Losange</span></span>
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<h2>Pouvoir de la séduction, séduction du pouvoir</h2>
<p>Dans cette optique, à travers une recension critique du film <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/01708406231196956"><em>Tár</em></a> (2022), publiée pour la revue <em>Organization Studies</em>, j’avais souhaité mettre en avant la dimension « fantasmatique » du pouvoir dans les organisations ; à savoir que, pour se maintenir, perdurer et exercer pleinement ses effets, le pouvoir devait en passer par un effet de séduction, procurant à celui qui s’en sert, autant qu’à ceux et celles qui aspirent à en être les détenteurs, une forme de gratification narcissique qui confine à la jouissance.</p>
<p>Dans le film <em>Tár</em>, Cate Blanchett incarne en effet une cheffe d’orchestre tyrannique éprouvant un malin plaisir à exercer son pouvoir sur ses subordonnées, tirant profit de sa position hiérarchique et des rapports de domination au sein de l’orchestre en vue d’asseoir sa propre identité. <em>The Direktør</em> interroge en revanche plus directement l’effet d’« attraction » du pouvoir sur celles et ceux qui en subissent les effets. Dans le cas décrit par le film, c’est comme si chacun aspirait avant tout à se sentir unique dans la relation qu’il entretien avec ce fameux « Directeur de Tout ».</p>
<p>C’est que selon le chercheur <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/1350508405055938">John Roberts</a>, s’appuyant sur les travaux du psychanalyste français <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Lacan">Jacques Lacan</a>, le pouvoir opère à la fois comme un miroir et comme un leurre. Chacun y retrouve à souhait une image grandiose de lui-même, canalisant les angoisses concernant son identité et offrant simultanément une forme de réassurance. Bien que prenant la forme d’un leurre, le pouvoir n’exerce pas moins de puissants effets de déformation de la réalité, en particulier par la prégnance du déni qui vise justement à préserver cette image à la fois idéalisée et déformée. Ainsi, chacun conserve à part soi ce lien (faussement) privilégié qu’il pense entretenir avec le « Directeur de Tout », à l’exclusion des autres, alors que tout ceci ne se révèle être qu’une coquille vide.</p>
<p>Miroir grossissant du pouvoir, autant que déformant, et qui n’en tend pas moins un autre miroir – et peu gratifiant celui-là – au spectateur qui assiste au dénouement cruel de cette comédie d’entreprise : Kristoffer, se prenant plus que de raison au jeu de son personnage d’hommes d’affaires intransigeant et disposant des pleins pouvoirs, finit par signer l’acte de vente, livrant à leur sort les employés dès lors licenciés.</p>
<p>Une question reste alors en suspens, en forme d’abîme, comme l’un des fils directeurs qui parcourent non seulement la filmographie de Lars von Trier, mais également la vie des organisations : d’où provient cette fascination par et pour le pouvoir ? Quelles gratifications, souvent inconscientes, s’y trouvent par-là même assouvies – et surtout : quelle est notre responsabilité dans cette mise en scène à laquelle nous prenons part, d’une façon ou d’une autre ? « Aucune leçon, aucune manipulation. Juste un bon moment », prononce von Trier d’une malicieuse voix off au début de son film. Qu’il nous soit permis d’en douter…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215095/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gabriel Lomellini ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cette fiction grinçante dresse un tableau clinique des effets du pouvoir dans l’organisation du travail contemporaine.Gabriel Lomellini, Assistant Professor, HR and Organizational Behavior, ICN Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2103112023-08-23T20:43:08Z2023-08-23T20:43:08ZComment se mettre d’accord en entreprise ?<p>Dans de nombreuses entreprises occidentales, les <a href="https://theconversation.com/topics/comportement-33972">prises de position</a> personnelles ou individualisées prennent souvent le pas sur l’esprit d’équipe. Au lieu de chercher à atteindre un consensus, l’objectif devient de faire triompher son propre point de vue. Cette approche, qui contraste fortement avec des <a href="https://theconversation.com/topics/culture-dentreprise-46719">cultures</a> comme celle du <a href="https://theconversation.com/topics/japon-26824">Japon</a>, peut avoir des conséquences négatives et contre-productives lorsqu’elle devient toxique.</p>
<p>Un des auteurs de ce court article a travaillé pour et avec Mitsubishi sur les marchés internationaux pendant des années, à la suite d’études asiatiques dans ce domaine à McGill University (Canada). De retour dans des organisations occidentales, il a été frappé par le manque de cohésion intragroupe et la concurrence des idées et comportements délétères y prévalant parfois. Il existe à l’occasion une surenchère qui fait que l’affirmation du « tout moi » doit s’imposer sur l’affirmation du « tout moi » des autres collègues.</p>
<p>Nos recherches récentes montrent pourtant que l’on peut identifier des <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-psychosociologie-de-gestion-des-comportements-organisationnels-2021-68-page-73.htm">facteurs clés de consensus</a> (FCC).</p>
<h2>Quatre principaux FCC</h2>
<p>Que sont exactement les FCC ? Ce sont des éléments organisationnels et humains qui font que les équipes de projet arrivent à mettre de côté les intérêts individuels trop invasifs au profit du bien commun. Grâce à nos <a href="https://www-cairn-info.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/revue-internationale-de-psychosociologie-de-gestion-des-comportements-organisationnels-2021-68-page-73.htm?ref=doi">recherches</a>, notamment auprès de gestionnaires de projets et de groupes de projets, nous en avons identifié quatre.</p>
<p>En premier lieu intervient <strong>l’établissement de normes comportementales incluant l’écoute mutuelle</strong>, c’est-à-dire une communication ouverte et constructive entre les individus. Lorsque les membres d’un groupe se sentent appréciés, ils sont moins anxieux et plus enclins à s’exprimer librement et à partager leurs idées novatrices, possiblement productives, voire transformationnelles. Les relations interpersonnelles et le sentiment de confiance s’en trouvent inévitablement renforcées, ce qui facilite la résolution des conflits, qui sont inévitables, et encourage la créativité.</p>
<p>Suit <strong>le respect de la triple contrainte de budget, de qualité et de calendrier de livraison</strong>. C’est ce qui permet d’optimiser les décisions eu égard aux ressources disponibles, de se concentrer sur la réussite plutôt que sur l’échec, d’offrir un cadre cohérent pour chaque membre de l’équipe, d’adopter une gestion proactive des risques (externes) et vulnérabilités (internes), et de satisfaire de toutes les parties prenantes, investisseurs et clients y compris.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Il s’agit aussi de <strong>mettre en place un système de croyances commun axé sur un but clair</strong>. C’est un puissant levier qui permet à tous les membres de l’équipe de partager une vision cohésive, d’aligner leurs efforts et des actions et ainsi d’augmenter l’efficacité globale du travail en cours. Les membres se sentent connectés, engagés et davantage équipés pour surmonter les obstacles, résoudre les problèmes et gérer les malentendus. Cette résilience contribue à façonner une culture d’entreprise positive et motivante.</p>
<p><strong>Anticiper méticuleusement les imprévus</strong> est le quatrième FCC. Il existe des imprévus que l’on peut anticiper (il est possible que l’on ait plus de clients que prévu lors de l’ouverture d’un commerce), ceux que l’on peut anticiper mais pour lesquels on ne peut offrir de solutions immédiates, car hautement contextuels (il est possible qu’un défaut de fabrication se présente), et des imprévus qui semblent inimaginables pour toute personne sensée (Apollo 13). Ce sont souvent ces derniers qui mettent la cohésion du groupe à rude épreuve. L’anticipation méticuleuse des imprévus permet d’identifier et d’évaluer les risques liés à un projet et les vulnérabilités des processus internes et des parties prenantes. L’adaptation rapide qui en découle limitera la panique, le stress, et les coûts supplémentaires liés à des actions d’urgence, souvent empreintes d’erreurs et de gaspillage, lesquels minent l’esprit d’initiative et la confiance.</p>
<h2>Un « cercle de consensus »</h2>
<p>Comment mettre en place ces FCC pour s’entendre ? Un des auteurs du présent article a développé le concept du <a href="https://www.proquest.com/openview/a5279632b9f7ccacaabdabd55670bbf1/1?pq-origsite=gscholar&cbl=27087">« cercle de consensus »</a>, inspiré des techniques de gestion nippones. Ne la pratique pas qui veut, cependant, car elle requiert une certaine dose d’expérience et de diplomatie.</p>
<p>Voici en quoi elle consiste : les membres du groupe (préférablement pas plus de neuf) se placent en forme de cercle. Le médiateur pose alors une question, qui peut être liée ou non au défi rencontré et qui justifie le besoin d’une décision consensuelle. Les répondants doivent répondre à tour de rôle, un par un, en commençant par la droite ou la gauche du médiateur. Le répondant ne doit répondre qu’avec une phrase, pas plus (pas une phrase interminable à la Marcel Proust cependant !). Il a le droit de passer son tour. Les autres répondants n’ont absolument pas le droit d’intervenir.</p>
<p>On fait ainsi le tour de tous les répondants. Une fois revenu au médiateur, celui-ci peut relancer la question initiale ou alors en proposer une autre. Au bout de compte, pour qui sait bien gérer cette technique, on arrive généralement à un consensus, et on s’aperçoit souvent que ce l’on croyait problématique est en fait la façade d’un problème sous-jacent, fait qui explique la difficulté initiale à trouver un consensus.</p>
<p>Même si la méthode paraît aller de soi, la plupart des participants, nous le disons d’expérience, ne répondent pas à la question et sont incapables de se restreindre à une seule phrase. De plus, il y a toujours au moins un participant qui décide de défier les règles de base, et qui va perturber le groupe pendant la prise de parole d’un autre participant, soit en blaguant, soit en exprimant son désaccord, voire en argumentant avec le médiateur.</p>
<p>Dans ce dernier cas, quand il est clair que le participant cherche à dérouter le processus, on a le droit de lui demander de quitter le groupe, ce qui peut être délicat, on s’en doute. Même des participants professionnels, vice-présidents ou gestionnaires aguerris, ne peuvent s’empêcher de désobéir aux règles de fonctionnement du cercle de consensus, pourtant fort simples. On identifie alors souvent rapidement la vraie source humaine du problème.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210311/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Un travail de recherche identifie quatre facteurs clés de consensus. Ils ne sont néanmoins pas toujours faciles à mettre en place dans les organisations occidentales où les égos prédominent.Olivier Mesly, Enseignant-chercheur au laboratoire CEREFIGE, université de Lorraine, professeur de marketing, ICN Business SchoolChristophe Rethore, Enseignant-chercheur et Responsable Département Marketing, ICN Business SchoolOlivier Braun, ICN Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1971312023-01-04T19:58:00Z2023-01-04T19:58:00ZLes « entreprises libérées » n'échappent pas aux principes de contrôle des salariés<p>Depuis une quinzaine d’années émerge en France un mouvement en faveur d’entreprises qualifiées de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-liberees-38337">« libérées »</a>. C’est par exemple, du côté de Montpellier, <a href="https://www.la-croix.com/Economie/entreprises-quete-sens-2022-12-25-1201247987">Enerfip</a> et ses 14 salariés, première plate-forme européenne de financement de la transition énergétique. C’est aussi <a href="https://www.usinenouvelle.com/editorial/le-retour-d-experience-de-chrono-flex-entreprise-liberee-depuis-dix-ans.N1096084">Chrono Flex</a> (plus de 400 salariés), localisée en périphérie de Nantes, spécialiste du dépannage en flexibles hydrauliques. C’est également la biscuiterie montalbanaise <a href="https://actu.fr/occitanie/montauban_82121/tarn-et-garonne-l-epopee-de-la-biscuiterie-poult-que-tout-le-monde-enviait-vire-t-elle-au-cauchemar_46033882.html">Poult</a>.</p>
<p>Ses principes d’autonomisation poussée des salariés et de partage de la gouvernance ont été popularisés en particulier par l’ouvrage <a href="https://liberteetcie.com/"><em>Liberté et Cie</em></a> publié par Isaac Getz, professeur à l’ESCP, et Brian Carney, membre du comité de rédaction du <em>Wall Street Journal</em>. Tout y laisse à penser que le contrôle pourrait laisser la place à la liberté au travail.</p>
<p>Or, <a href="https://www-cairn-info.fr/revue-rimhe-2020-3-page-3.htm">l’observation fine</a> de cas emblématiques de ce type d’organisation montre qu’elles demeurent régies par des principes de contrôle. Le livre-témoignage de Thibault Brière intitulé <a href="https://www.lemonde.fr/emploi/article/2021/10/28/toxic-management-un-temoignage-glacant-sur-la-manipulation-des-salaries_6100163_1698637.html"><em>Toxic Management</em></a>, « glaçant » d’après la rédaction du <em>Monde</em>, souligne au demeurant que leur invisibilisation pourrait même faciliter des dérives manipulatoires. Il y aurait donc toujours du contrôle dans la vie des organisations et cela serait mieux de l’assumer.</p>
<h2>« Lost in Translation »</h2>
<p>Comme le soulignent nos <a href="https://www-cairn-info.fr/comment-mieux-faire-societe--9791034607228-page-108.htm">travaux</a>, à l’instar de nombreux autres, il est, en effet, difficile pour ne pas dire impossible de fabriquer de l’organisé (<em>organisation</em>) sans organisant (<em>organising</em>). Comprendre cela implique de clarifier la notion de « contrôle organisationnel », issue du concept anglo-saxon de « controlling », mal traduit dans la langue de Molière. En effet, ce n’est ni tout à fait le « checking », la vérification, ni tout à fait le « monitoring », la surveillance. Il existe en fait différents modes de contrôle, certains formels, d’autres informels, et à chaque type d’organisation, son <em>control mix</em>, sa manière de les associer. À commencer par les soi-disant « organisations libérées ».</p>
<p>Le contrôle organisationnel renvoie avant tout à la notion d’influence. Il s’agit d’orienter les comportements dans le sens de l’accomplissement des buts de l’organisation. Comment en distinguer les différents types ? Par les moyens du contrôle : le respect de standards et procédures, la mesure des performances, l’adhésion aux valeurs ? Par ce sur quoi s’exerce le contrôle : les actions, les résultats, les caractéristiques et qualifications du personnel, la culture et les normes ?</p>
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<p>Classiquement, on distingue trois grands modes. Le contrôle par les résultats renvoie, en interne, aux méthodes et outils du contrôle de gestion. Il peut également prendre la forme, avec des parties prenantes externes, d’un contrôle par le marché dans le cas de la production de biens privés. Le contrôle par les règles et les procédures renvoie, lui, à tous les dispositifs formels mis en place par l’organisation pour détecter et corriger les comportements non conformes. Le contrôle social, enfin, est plus informel : il peut reposer sur le pouvoir d’une personne, la pression exercée par le groupe ou, voire par soi-même.</p>
<h2>Et fais ce qu’il te plaît ?</h2>
<p>Il est relativement aisé d’établir une correspondance entre les modes de contrôle et les genres d’organisation, à commencer par ceux distingués par le chercheur canadien en management Henry Mintzberg au sein d’<a href="https://lipsor.cnam.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_FICHIER=1295877018138#_Toc477492266">ouvrages</a> qui font référence. On peut ainsi les schématiser :</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/502954/original/file-20230103-90208-iyq53w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502954/original/file-20230103-90208-iyq53w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502954/original/file-20230103-90208-iyq53w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502954/original/file-20230103-90208-iyq53w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502954/original/file-20230103-90208-iyq53w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502954/original/file-20230103-90208-iyq53w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502954/original/file-20230103-90208-iyq53w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502954/original/file-20230103-90208-iyq53w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">A chaque type d’organisation sa façon d’exercer un contrôle.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Où dans tout cela situer les entreprises dites « libérées » et autres « holocratie », « organisation opale » ou « organisation spaghetti » ? Leur <em>control mix</em> est en fait dominé par des formes de contrôle social et informel. Le fonctionnement de ces organisations fait le pari de prendre appui sur un contrôle social par le groupe restreint.</p>
<p>Ces entreprises reposent sur des équipes autonomes ou semi-autonomes et la régulation de l’activité y est d’abord l’affaire des membres desdites équipes. L’efficacité d’un tel contrôle implique que les équipes ne dépassent pas une certaine taille. Au-delà, l’équipe est scindée en deux.</p>
<p>Le contrôle par le groupe de pairs y est prolongé et renforcé par un autre type de contrôle social et informel que Michel Crozier, grand nom de la sociologie des organisations, aurait volontiers qualifié de <a href="https://documentation.insp.gouv.fr/insp/doc/SYRACUSE/129208/l-entreprise-a-l-ecoute-apprendre-le-management-post-industriel-michel-crozier">« gouvernement par la culture »</a>. Un management par les valeurs vient en effet donner une tonalité missionnaire à ces organisations. D’une nature certainement très subtile, ce type de contrôle invite les membres de l’organisation à partager des valeurs et à agir en conformité.</p>
<p>C’est ce modèle qui est à la base de l’<a href="https://www.alternatives-economiques.fr/buurtzorg-transforme-soins-a-domicile/00082834">entreprise Buurtzorg</a> laquelle a révolutionné l’organisation des soins infirmiers à domicile aux Pays-Bas. Comme nous l’avons montré, il inspire, à présent, des acteurs sociaux et médico-sociaux en France, à commencer par des <a href="https://www.cairn.info/diriger-au-sein-des-nouvelles-organisations--9782100819416-page-103.htm">services d’aide à domicile (SAAD) et des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD)</a>.</p>
<p>Henry Mintzberg le soulignait déjà en 1989, ce type d’organisation peut atteindre la forme la plus pure de la décentralisation : tous ceux qui sont admis à entrer dans le système partagent son pouvoir. Mais tout cela ne signifie pas pour autant une absence de contrôle, c’est même tout à fait le contraire. Il tend à être particulièrement puissant dans ce type de configuration car il ne porte pas simplement sur le comportement de ses membres mais pratiquement sur leur âme même.</p>
<p>L’écrivain anglais Sir Anthony Jay notait d’ailleurs dans son livre intitulé <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ri/1968-v23-n2-ri2803/027914ar.pdf"><em>Machiavel et le management</em></a> que le principe fondamental d’enseignement des nouveaux jésuites lorsqu’ils sont recrutés est la parole suivante « Adore Dieu et fais ce qu’il te plaît ». Cela ne signifie pas bien entendu qu’ils soient libres de faire ce qui leur plaît mais, au contraire, d’agir strictement en conformité avec l’ensemble de croyances dont participe l’ordre. Il n’y a pas là chose bien différente des entreprises dites libérées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197131/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Claude Dupuis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les organisations qui cherchent à autonomiser leurs équipes restent contraintes d’orienter les comportements dans le sens de l’accomplissement des objectifs fixés.Jean-Claude Dupuis, Professeur à l'Institut de Gestion Sociale, PropediaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1925322022-11-13T16:38:35Z2022-11-13T16:38:35ZLes commerciaux sont-ils tous des escrocs ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/489789/original/file-20221014-21-eflzbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4000%2C2801&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Menteurs, prêts à tout pour vendre… les commerciaux souffrent trop souvent d’une image négative.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Peggy / Pixabay</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les commerciaux souffrent trop souvent d’une <a href="https://www.researchgate.net/publication/263471151_A_Cross-Cultural_Investigation_of_the_Stereotype_for_Salespeople_Professionalizing_the_Profession">image négative</a> : menteurs, bonimenteurs, cupides, prêts à tout pour vendre et ce dans la plupart des pays du globe. C’est l’image par exemple de Michael Scott dans la série <em>The Office</em>, prêt à enivrer un partenaire pour le pousser à signer un contrat de vente. Ce stéréotype semble quasi mondial.</p>
<p>Certains diront « business is business », c’est la loi des affaires et c’est au consommateur d’être vigilant. À l’heure où les préoccupations sont croissantes sur les questions de développement durable, où l’on parle de plus en plus de responsabilité sociale des entreprises et où l’on vante les bienfaits des bilans ESG (environnements, sociaux et de gouvernance), il semble cependant légitime de se poser la question : est-il possible d’avoir une éthique de la vente et si oui, pourquoi et comment ?</p>
<p>Au-delà des questions de morale, il existe dans la littérature scientifique un certain <a href="https://www.jstor.org/stable/40471960">consensus</a> indiquant que les pratiques commerciales éthiques se sont toujours avérées plus rentables que celles qui ne l’étaient pas. Cela est d’autant plus vrai si l’on s’inscrit dans une optique de long terme et donc de gestion de la relation client.</p>
<p>Nos <a href="https://www.researchgate.net/publication/263471151_A_Cross-Cultural_Investigation_of_the_Stereotype_for_Salespeople_Professionalizing_the_Profession">travaux</a> montrent, eux, un effet bénéfique du point de vue de la main-d’œuvre : plus l’entreprise se soucie d’éthique, plus les commerciaux performants sont incités à rester. Autrement dit, un bon climat éthique est un excellent dispositif pour limiter le <em>turnover</em> et fidéliser les meilleurs. Étant donnés les taux de rotation qui peuvent exister dans la fonction commerciale et les <a href="https://www.actionco.fr/Thematique/rh-1217/Breves/Des-commerciaux-encore-plus-difficiles-recruter-garder-367625.htm">difficultés de recrutement</a> du secteur, il semble ainsi qu’investir dans le respect d’une certaine approche éthique revient pour une entreprise à faire d’une pierre deux coups.</p>
<h2>Une fois seul, la tentation est grande</h2>
<p>Auprès de 132 commerciaux français issus de multiples entreprises, nous nous sommes donc intéressés à la relation, mainte fois étudiée, entre la performance et le turnover des commerciaux. Même si certains travaux ne parviennent pas à mettre en évidence de relation significative entre ces deux variables, la plupart concluent à l’existence d’une relation négative : plus la performance est faible, plus le turnover est élevé.</p>
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<p>Nos conclusions dressent un tableau un peu plus complexe. La relation entre ces deux variables semble en fait modérée par le climat éthique. Plus les commerciaux sont performants, plus ils ont tendance à vouloir quitter l’entreprise en cas de climat éthique faible. D’autant qu’ils ont, du fait de leurs résultats, une forte employabilité sur le marché du travail et que leur sont proposés de belles opportunités dans d’autres entreprises, concurrentes ou non, mais présentant un climat éthique favorable.</p>
<p>Les moins performants, au contraire, auront tendance à rester dans leur entreprise actuelle, car peu ils seront peu demandés sur le marché du travail. Pour atteindre une certaine performance, ils s’accommoderont en outre plus facilement d’un moindre climat éthique.</p>
<h2>Une fois seul, la tentation est grande</h2>
<p>Comment néanmoins instaurer ce climat éthique qui attire les salariés les plus brillants ? En raison de la singularité du métier, la chose ne semble pas évidente de prime abord.</p>
<p>L’une des caractéristiques des commerciaux est, en effet, pour beaucoup d’entre eux d’avoir une double indépendance : physique, nombre d’entre eux étant sur le terrain, et surtout psychologique. Seuls face au client ou à l’acheteur, ils doivent trouver des solutions, répondre aux questions et parfois faire face aux pressions. Il est donc facile et tentant, dans certaines situations, de « s’arranger » et ainsi de s’engager dans des comportements que l’on qualifiera de peu ou pas éthiques.</p>
<p>Plusieurs outils simples peuvent cependant facilement être actionnés afin de favoriser l’éclosion d’un climat vertueux tels que la fixation de quotas adaptés et atteignables. Il est clairement prouvé que plus ceux-ci sont élevés, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.2753/PSS0885-3134270404">plus la tentation du vice est grande</a>.</p>
<h2>Attention aux incitations</h2>
<p>Plutôt que de retenir des quotas dits de « production », et donc de vente, mieux vaut proposer des quotas sur des items de nature plus qualitative, la satisfaction client par exemple, ou des appréciations sur des comportements clés à adopter ou à maitriser durant le processus de vente. Un <a href="https://pubsonline.informs.org/doi/10.1287/orsc.4.4.617">contrôle fort</a> et un encadrement étroit avec des indicateurs plutôt subjectifs est préférable, d’un point de vue éthique, à un contrôle plus centré sur les résultats. L’enjeu, au-delà, c’est aussi le maintien voire le renforcement de la relation client.</p>
<p>Dans la même veine, les <a href="https://www.lefigaro.fr/vie-bureau/2012/01/13/09008-20120113ARTFIG00869-commerciaux-les-concours-de-vente-ont-toujours-la-cote.php">concours et autres challenges de ventes</a> lancés par un très grand nombre d’entreprises peuvent également rapidement <a href="https://www.researchgate.net/publication/283910802_Le_comportement_non-ethique_des_vendeurs_durant_un_concours_de_vente_L%E2%80%99effet_mediateur_du_climat_ethique_percu_du_concours">déraper</a>. Surtout si l’on ne prend pas garde à fixer des objectifs adaptés à une vision éthique et cohérente avec la stratégie de l’entreprise.</p>
<p>Est plus largement en question le package de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/remuneration-46217">rémunération</a> et de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/motivation-60842">motivation</a> des commerciaux. Nombre de travaux montrent par exemple qu’il est, d’un point de vue éthique toujours, préférable de privilégier une rémunération fixe plutôt qu’une rémunération variable avec des commissions reposant notamment sur les ventes.</p>
<h2>Gardien et garde-fous</h2>
<p>Il faut aussi mentionner le rôle clé du dirigeant, ce dernier pouvant être à la fois l’initiateur mais également le promoteur et le gardien de l’esprit éthique de l’entreprise. Exemplaire, il montrera la voie à ses collaborateurs moins enclins dès lors à s’aventurer sur des chemins tortueux. Son attention sur ces questions semble d’ailleurs devoir porter <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.2753/PSS0885-3134270404">dès le recrutement</a> de son équipe.</p>
<p>Cependant, ces actions peuvent ne pas suffire. Il faut enfin évoquer la pertinence pour l’entreprise de se doter d’un code ou d’une charte éthique, élément clé pour favoriser l’émergence d’un climat positif. En quelques lignes vont être formalisées les grandes règles de comportements auxquelles pourront se référer les commerciaux en cas de doute ou d’interrogation sur certaines pratiques. Cette formalisation de l’éthique est un garde-fou important pour non pas supprimer tout comportement non éthique mais du moins les limiter.</p>
<p>Certes, il ne sera pas possible d’éviter à 100 % les actions déviantes de ses commerciaux, mais la mise en œuvre de quelques dispositifs simples peut être d’une grande aide. <a href="https://theconversation.com/fr/topics/vente-36296">Vente</a> et <a href="https://theconversation.com/fr/topics/ethique-20383">éthique</a>, ce n’est pas un oxymore.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192532/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Fournier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Malgré les stéréotypes, la réponse est bel et bien non, en particulier pour ceux qui obtiennent les meilleurs résultats.Christophe Fournier, Professeur des Universités, IAE de Montpellier, Montpellier Recherche Management, Membre du Business Science Institute, Président AUNEGe, IAE MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1734422021-12-14T19:56:15Z2021-12-14T19:56:15ZLa « jouissance cynique », un moteur de l’activité des VTC<p>Pourquoi est-il si difficile de réformer les plates-formes de véhicules de tourisme avec chauffeurs (VTC), en conférant notamment un statut de salarié aux conducteurs ? En dépit de timides avancées et des protestations de leurs travailleurs sur le mode de rémunération, des sociétés comme Uber et Lyft continuent largement de résister à cette classification, déclarant que cela les obligerait à <a href="https://www.nytimes.com/2021/06/09/business/economy/uber-lyft-gig-workers-new-york.html">modifier leur modèle commercial</a> et à risquer une augmentation des coûts de main-d’œuvre de 20 à 30 %.</p>
<p>Au-delà de l’argument de perte de compétitivité avancé par les plates-formes, une autre raison est sans doute à aller chercher du côté du mode de management des chauffeurs, qui semble s’articuler autour de la notion de « jouissance cynique » que nous avons caractérisée dans nos <a href="https://www.researchgate.net/publication/348182862_Who_is_pulling_the_strings_in_the_platform_economy_Accounting_for_the_dark_and_unexpected_sides_of_algorithmic_control">recherches récentes</a>.</p>
<p>S’il y a une définition positive du cynisme (par exemple lorsque le philosophe antique Diogène résiste au pouvoir en optant pour une vie frugale) nous nous concentrerons ici sur son effet autodestructeur : le chauffeur adopte un comportement transgressif pour trouver l’énergie de faire le « sale boulot », ce qui reproduit le statu quo et ne change rien à sa situation. La jouissance cynique permet dans un premier temps de motiver les chauffeurs, mais constitue durablement un désastre en termes de relations publiques et un frein à la transformation de l’entreprise.</p>
<p>L’observation de forums publics (par exemple, <a href="https://uberzone.fr/">uberzone.fr</a> ou <a href="https://www.uberpeople.net/">Uberpeople.net</a>) permet d’observer le mode d’identification des chauffeurs aux plates-formes. Celui-ci est structuré par un fantasme, au sens clinique du terme, c’est-à-dire l’adhésion affective à une structure narrative qui comporte à la fois un scénario idéalisé et un scénario catastrophe. Ce fantasme produit en effet une forme d’excitation, mais teintée de cynisme, qui « agrippe » les conducteurs à la plate-forme.</p>
<h2>« Retour en enfance »</h2>
<p>Le volet idéaliste du fantasme inclut la publicité de ces plates-formes qui décrivent le statut d’autoentrepreneur comme un eldorado de liberté. Par exemple, les interpellations publicitaires cherchent à valoriser les travailleurs, comme dans la campagne illustrée <a href="https://www.adweek.com/creativity/lyft-wrote-giant-thank-you-notes-to-its-drivers-on-these-out-of-home-ads/">ci-dessous</a> par Lyft, qui répertorie les nombreuses identités alternatives de leurs chauffeurs : étudiants en architecture, militants, mères de famille, artisans, poètes, etc.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"938236842998198278"}"></div></p>
<p>Un tel discours gratifiant reconnaît publiquement l’identité réelle ou supposée de leurs chauffeurs, en dehors de la conduite automobile, et présente ainsi Lyft comme une entreprise bienveillante. Pourtant, une telle gratitude publique sert également à masquer le fait que ces chauffeurs ne sont, dans beaucoup d’États, ni officiellement reconnus, ni rémunérés, en tant que travailleurs.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/436338/original/file-20211208-27-7uqcrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/436338/original/file-20211208-27-7uqcrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436338/original/file-20211208-27-7uqcrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=634&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436338/original/file-20211208-27-7uqcrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=634&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436338/original/file-20211208-27-7uqcrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=634&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436338/original/file-20211208-27-7uqcrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=797&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436338/original/file-20211208-27-7uqcrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=797&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436338/original/file-20211208-27-7uqcrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=797&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Capture d’écran des badges ludiques proposés par Uber.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le volet béatifique du fantasme se voit également renforcé par la <a href="https://theconversation.com/la-gamification-juste-un-jeu-ou-un-reel-enjeu-153809">gamification</a> qui prend la forme d’un « retour en enfance » auxquels Uber et Lyft ont recours pour manager les conducteurs. De temps en temps, lorsqu’un chauffeur Lyft termine un trajet, il reçoit ainsi un nouveau badge. Le badge « Early Riser » est obtenu lorsqu’un trajet est terminé entre 4h00 et 8h00. Gagner une récompense telle que « Night Hero » peut améliorer l’humeur et la motivation d’un conducteur au travail.</p>
<p>Quelques articles de presse grand public ont étudié la dimension psychosociale du management algorithmique, dont notamment un <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2017/04/02/technology/uber-drivers-psychological-tricks.html">article</a> remarqué du New York Times sur Uber en 2017, ou encore un <a href="https://www.theguardian.com/business/2018/nov/20/high-score-low-pay-gamification-lyft-uber-drivers-ride-hailing-gig-economy">autre</a> du Guardian, un an plus tard, sur la gamification et les plates-formes de la « gig economy », signé d’une sociologue et ancienne chauffeure pour Lyft. On y apprend notamment que les entreprises de VTC ont recours aux sciences du comportement pour attirer une main-d’œuvre indépendante et augmenter ainsi leurs flottes.</p>
<h2>« Ils arnaquent des milliers de conducteurs »</h2>
<p>Cependant, ces scénarios flatteurs et infantiles s’accompagnent d’autres, beaucoup plus sombres, qui génèrent notamment une forme de victimisation et de paranoïa chez les chauffeurs. Sur le forum Uberpeople.net, des exemples de cette suspicion généralisée impliquent le bénéfice financier que la plate-forme tirerait illégalement de la pratique de la fixation dynamique des prix, comme l’illustre ce post de novembre 2017 :</p>
<blockquote>
<p>« Peu importe qu’ils le manipulent manuellement ou automatiquement. Ils le manipulent. Tout le monde sait ça. Ce n’est pas comme si c’était réglementé par le gouvernement. Vous travaillez pour Uber, vous vous faites manipuler. Ceux qui sont peut-être un peu plus intelligents que la moyenne manipulent l’Uber en retour. »</p>
</blockquote>
<p>Ou encore cet autre, mis en ligne en septembre 2018 :</p>
<blockquote>
<p>« J’étais dans une zone de boost 1,3x et ils m’ont payé avec un 1,2x. Petite différence mais je suis sûr qu’ils arnaquent des milliers de conducteurs. »</p>
</blockquote>
<p>Ces chauffeurs se disent « volés » par Uber mais, cyniquement, affirment dans le même temps que manipuler Uber en retour reste la meilleure défense.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"932734091329490945"}"></div></p>
<p>Sur uberzone.fr, Uber se voit également reprocher de soutenir les clients qui cherchent à obtenir une course gratuitement et à se faire rembourser illégalement. Comme le relate un participant du forum en novembre dernier :</p>
<blockquote>
<p>« Un gros [c…] s’est plaint auprès de la plate-forme, en disant que je ne lui ai pas rendu la monnaie (car le chauffeur n’avait pas de monnaie bien sûr) et qu’il réclamait le reste de son argent… J’ai sorti les extraits vidéo où on voit clairement ce qu’il a payé… (merci ma caméra !) Certains sont prêts à tout pour être remboursés ou même avoir une petite réduction, quitte à mentir… Le passager peut dire ce qu’il veut, ils le croiront lui, croyez-moi … »</p>
</blockquote>
<p>Dans ce cas de scénario catastrophe où un client prétendument fraudeur cherche à être remboursé, le management d’Uber est dépeint comme une cabale, conspirant avec les clients pour préserver le pouvoir, tout en « volant » silencieusement de l’argent aux conducteurs honnêtes.</p>
<h2>Leadership violent</h2>
<p>Cette jouissance cynique peut cependant revêtir des aspects lucratifs : certains conducteurs deviennent ainsi des influenceurs, filment les discussions avec les clients fraudeurs à leur insu et diffusent les vidéos sur YouTube en relatant leurs expériences, avec parfois plusieurs milliers de vues. Par exemple, le compte <a href="https://www.youtube.com/channel/UCKhK5Ysw9DpHNNEVSAu0yIA">« Ryan is driving »</a> compte aujourd’hui près de 879 000 abonnés.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/F7ORQPHMUoY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Adventures As An Uber Driver (« mes aventures de chauffeur Uber »), Ryan is driving (2019).</span></figcaption>
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<p>Le climat de soupçon généralisé mêlé au sentiment d’être assiégé par un management manipulateur et infantilisant contribue à un climat affectif dans lequel le conducteur, constamment sous tension, ressent des émotions primitives comme l’humiliation ou l’agressivité. Par exemple, un conducteur décrit la rivalité avec les bus :</p>
<blockquote>
<p>« Le pire c’est les chauffeurs de bus… JE NE PEUX PLUS ME LES VOIR… (sic) j’en deviens agressif, je fais comme eux… j’ai l’impression qu’ils veulent t’humilier devant le client (gratuitement)… »</p>
</blockquote>
<p>Comble de la paranoïa, les conducteurs qui s’estiment brimés « devant le client » prêtent au chauffeur de bus une intention malveillante liée à son identité de conducteur de VTC. Cette agressivité apparaît également dans les chiffres (<a href="https://www.uber-assets.com/image/upload/v1575580686/Documents/Safety/UberUSSafetyReport_201718_FullReport.pdf">6 000 agressions sexuelles ont été signalées</a> à Uber aux États-Unis entre 2017 et 2018), si bien que ces comportements sont aujourd’hui pris très au sérieux par la direction <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/12/12/agressions-sexuelles-le-patron-d-uber-france-promet-de-nouvelles-mesures_6022682_3224.html">d’Uber France qui a lancé une campagne de communication sur le sujet pour rassurer les clients</a>.</p>
<p>Par ailleurs, cette culture de la jouissance cynique a longtemps été partagée par le top management d’Uber. L’ancien président-directeur général Travis Kalanick en personne a ainsi été <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gTEDYCkNqns">filmé</a> en train de crier comme un despote à son propre conducteur : « Certaines personnes n’aiment pas assumer la responsabilité de leur propre m… ».</p>
<p>Cette image d’un leadership violent a également été amplifiée par les critiques à l’encontre du département des ressources humaines (DRH) d’Uber, accusé de perpétuer une <a href="https://www.theverge.com/2020/2/19/21142081/susan-fowler-uber-whistleblower-interview-silicon-valley-discrimination-harassment">culture interne</a> de sexisme. Début 2017, une salariée a ainsi relaté avoir reçu une proposition sexuelle par son manager lors du jour de sa prise de poste ; or, si la qualification de harcèlement fut reconnue par la DRH, le manager restera protégé car il est un « high performer ». La jouissance cynique consiste ici à tolérer des pratiques abusives au nom du surplus de motivation qu’elles procurent à l’entreprise.</p>
<p>Dans ce contexte, certains chauffeurs cyniques restent fatalistes, tandis que d’autres <a href="https://theconversation.com/les-chauffeurs-uber-en-greve-quelles-conditions-de-travail-a-lere-de-la-precarite-116695">manifestent</a> publiquement pour modifier leurs conditions de travail, ou en <a href="https://www.susanjfowler.com/blog/2017/2/19/reflecting-on-one-very-strange-year-at-uber">lançant l’alerte</a> sur la culture du harcèlement chez Uber. Mais ces initiatives courageuses seront-elles suffisantes pour juguler les dégâts de cette « jouissance cynique » pour les plates-formes de VTC ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173442/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Édouard Pignot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un travail de recherche identifie un comportement transgressif chez les chauffeurs qui leur permet de trouver l’énergie pour faire le « sale boulot », mais qui constitue aussi un frein au changement.Édouard Pignot, Enseignant-chercheur en psychologie des organisations, Pôle Léonard de VinciLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1473052020-10-30T10:32:42Z2020-10-30T10:32:42Z« Ah ces Chinois, ils travaillent dur ! » : quand le racisme se veut « bienveillant »<p><em>Cet article a été publié dans la première édition de la newsletter « Les couleurs du racisme », nouveau rendez-vous mensuel pour analyser les mécanismes de nos préjugés raciaux et leurs reproductions. <a href="https://mailchi.mp/1a0eb7b6f069/the-conversation-france">S'inscrire</a>.</em></p>
<p>J'ai rencontré Juliette (le prénom a été modifié) dans le cadre de ma recherche en <a href="https://www.migrations-asiatiques-en-france.cnrs.fr/membres">thèse</a> sur les formes de gestion sexuée et racialisée des cadres caractérisé·e·s comme asiatiques dans le monde des grandes entreprises en France.</p>
<p>Elle se définit comme Française d'origine chinoise «même si c'est plus complexe que ça». En effet, ses parents sont Teochew (Chinois·e·s de la région du Chaoshan), et ont émigré du Cambodge et du Vietnam vers la France à 18 et 20 ans. Elle a vécu à Kremlin-Bicêtre toute sa vie et habite aujourd'hui dans le 20ème arrondissement de Paris. Elle a trente ans, et travaille en finance dans un cabinet de conseil.</p>
<p>Lorsque je discute avec Juliette, elle admet qu'elle n'a pas le sentiment d'avoir vécu des situations racistes ou de discriminations liées à son origine ethno-raciale, mais elle me confie qu'elle vit parfois des situations qui la mettent mal à l'aise. Son expérience et son récit permettront de revenir sur la notion de «racisme bienveillant», qui semble être exacerbé dans le cas des personnes racialisées comme asiatiques en France.</p>
<p>En sortant du travail, à la Défense, Juliette rejoint des ami·e·s dans un bar. Elle est en retard parce que sa réunion a duré plus longtemps que prévu. En arrivant au bar, elle s'assoit et ses ami·e·s la charrient : «Bah alors t'étais où ?», «Ah ces Chinois, ils travaillent dur !».</p>
<p>Elle sourit et commande à boire. Au cours de la soirée, une amie attrape son bras et compare leur couleur de peau «qu'est-ce que je donnerais pour avoir ta couleur de peau, dorée comme ça, c'est vraiment trop beau».</p>
<p>La soirée avance, et ses ami·e·s discutent de sujets variés. La conversation dérive sur l'immigration et un ami commente :</p>
<blockquote>
<p>«Ce que j'admire moi vraiment chez les Asiatiques, c'est qu'ils sont là pour travailler et ils s'intègrent grâce au travail. Ils ont vraiment des valeurs quoi, la famille, le travail, le respect du pays d'accueil. On devrait s'en inspirer au lieu de faire la grève tout le temps !».</p>
</blockquote>
<h2>«L'agilité chinoise»</h2>
<p>Le lendemain, Juliette retourne au travail. En se connectant sur l'intranet de son entreprise, une nouvelle formation en ligne lui est proposée. La formation s'intitule «L'agilité chinoise».</p>
<p>Étonnée, elle décide de cliquer sur le lien. La formation propose d'apprendre le «Yin/Yang dans les affaires» et la «sagesse chinoise», la «culture chinoise» ou encore «comment faire des affaires avec les Chinois·e·s».</p>
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<img alt="Chungking Express, 1994" src="https://images.theconversation.com/files/365862/original/file-20201027-19-9trwyt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/365862/original/file-20201027-19-9trwyt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/365862/original/file-20201027-19-9trwyt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/365862/original/file-20201027-19-9trwyt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/365862/original/file-20201027-19-9trwyt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/365862/original/file-20201027-19-9trwyt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/365862/original/file-20201027-19-9trwyt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Présenter la société asiatique comme patriarcale, figée dans la tradition, participe à la construction d'un imaginaire de l'Orient loin de la modernité prétendument incarnée par l'Occident. Chungking Express, 1994, Wong Kar-wai.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Allociné/Miramax/Courtesy Everett Collection</span></span>
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</figure>
<p>On y apprend la nécessité de «manger avec les Chinois pour signer un contrat», de créer de la «chaleur dans le contact avec les Chinois». La formation revient également sur l'héritage confucéen des sociétés de l'Asie du Sud-Est ainsi que leur conception hiérarchique et paternaliste du management. Juliette ne se retrouve pas vraiment dans cette formation, et ressent une gêne qu'elle n'arrive pas à verbaliser précisément.</p>
<p>Plus tard dans la journée, elle croise le directeur financier de son entreprise à la pause café. Comme c'est la première fois qu'elle le rencontre, elle se sent un peu stressée. Il est souriant, avenant et apprécié par tou.te.s. Il la salue et lui demande d'où elle vient. Un peu décontenancée, Juliette répond qu'elle est d'origine chinoise mais que c'est un peu plus complexe que ça. Il la félicite pour son français et lui dit qu'il a de très bons souvenirs de ses voyages d'affaires en Chine. Selon ses dires, les Chinois ont une très bonne réputation en finance et il a immédiatement confiance lorsqu'il voit un Chinois à l'étage. Il quitte la salle de pause en lui disant qu'il est content de l'avoir dans cette entreprise et de voir qu'il y a des gens pour représenter l'Asie au siège. Juliette est assez satisfaite de cette interaction réussie et se dit que malgré tout, son origine a quelques avantages.</p>
<h2>Qualifier le racisme</h2>
<p>Le quotidien de Juliette est similaire à celui de <a href="https://www.madmoizelle.com/racisme-anti-asiatique-france-tabou-1061919">beaucoup de personnes racialisées comme asiatiques en France</a> travaillant en entreprise. Pour comprendre le processus de <a href="https://www.cairn.info/les-non-freres-au-pays-de-l-egalite--9782724620009-page-89.htm">racisme «bienveillant»</a> il faut d'abord revenir sur la notion de la racialisation.</p>
<p>Cette notion renvoie à un processus socialement construit de catégorisation fondée sur la prise en compte d'un ensemble d'attributs corporels ou de marqueurs religieux et qui place ces groupes dans un rapport de pouvoir hiérarchisé. Les personnes sont alors assignées racialement, terme que la sociologue <a href="https://laviedesidees.fr/Les-portes-de-la-nation.html">Sarah Mazouz définit</a> comme un :</p>
<blockquote>
<p>«processus, qui repose sur l'essentialisation d'une origine réelle ou supposée, la radicalisation de son altérité et sa minorisation, c'est-à-dire sa soumission à un rapport de pouvoir».</p>
</blockquote>
<p>En effet, essentialiser consiste à réduire une origine à des caractéristiques, des compétences, des comportements figés et immuables. La dimension processuelle du concept d'assignation racialisante est indispensable pour comprendre la manière dont les personnes asiatiques sont racialisées puisqu'elle permet de saisir les évolutions dans la racialisation de ce groupe minorisé et met en lumière les manières dont une société produit du racial.</p>
<h2>Une racialisation «positive» ?</h2>
<p>Le cas des personnes asiatiques en France est particulièrement intéressant car il semblerait qu'elles se trouvent assignées racialement et ainsi victimes de pratiques qui entretiennent des rapports de domination raciale, alors même que cette racialisation est souvent décrite comme «positive», «avantageuse» ou encore «valorisante».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/365572/original/file-20201026-17-p9v18r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/365572/original/file-20201026-17-p9v18r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=240&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/365572/original/file-20201026-17-p9v18r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=240&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/365572/original/file-20201026-17-p9v18r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=240&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/365572/original/file-20201026-17-p9v18r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=302&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/365572/original/file-20201026-17-p9v18r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=302&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/365572/original/file-20201026-17-p9v18r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=302&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Est-il vraiment possible de parler de racisme «bienveillant» ? L'actrice Sandra Oh, star amériaine de Greys Anatomy et Killing Eve a rejoint les voix dénonçant le racisme anti-asiatique aux États-Unis.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18671771.html">Allociné</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Avoir un regard critique sur le racisme bienveillant permet de souligner les formes particulières de la racialisation des personnes asiatiques en France. En effet, ce phénomène tend à placer tout un groupe homogénéisé et essentialisé à proximité de la blanchité du fait de stéréotypes «positifs» lui conférant certains privilèges (mythe sur la réussite économique, l'attachement à la tradition, la croyance en la méritocratie ou encore la stabilité matrimoniale et la <a href="https://laviedesidees.fr/Les-manifestations-des-chinois-de.html">faible politisation</a>), tout en maintenant une soumission à un rapport de pouvoir racialisé.</p>
<h2>Le racisme bienveillant au quotidien</h2>
<p>Dans son livre, <em>Racisme : mode d'emploi</em>, la journaliste et militante <a href="https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-nos-vies-connectees/20110312.RUE1264/rokhaya-diallo-je-fais-l-objet-d-un-racisme-bienveillant.html">Rokhaya Diallo dénonce l'existence d'un racisme «bienveillant»</a>. Comme le décrit l'autrice, le racisme s'est «institutionnalisé et sophistiqué».</p>
<p>Ce racisme «bienveillant» n'est pas spécifique aux personnes asiatiques, mais il semblerait que ces formes de racialisation soient particulièrement visibles, car plus faciles à exprimer pour ce groupe minorisé dans les interactions au quotidien.</p>
<p>En effet, si à première vue les commentaires des ami·e·s de Juliette, sa formation au travail ou encore sa conversation avec son supérieur hiérarchique peuvent paraître positifs ou valorisants, ils participent en réalité à l'essentialisation et par conséquent à la radicalisation de l'altérité de tout un groupe.</p>
<p>Ces formes «bienveillantes» de racisme, cette racialisation positive, permettent d'entretenir un rapport de pouvoir et contribuent à la marginalisation des personnes asiatiques et racisées de manière plus générale.</p>
<p>La sociologue américaine Angie Chung expose les <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt1f5g4tw">deux faces de ces formes positives de racialisation</a>. D'un côté, elles mettent en valeur les familles asiatiques puisqu'elles représentent, par leur adhésion supposée au confucianisme, l'idéal d'une <a href="https://journals.openedition.org/sdt/28691">structure familiale hétéronormative</a> vers laquelle tendent les ménages blancs.</p>
<p>De l'autre, elles contribuent à l'éternisation de l'altérité de ce groupe puisque ces familles sont dépeintes comme «excessivement strictes et patriarcales», «sans émotion» et comme «des bastions de la tradition sans réflexivité».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Jeunes d'origine asiatique dans le quartier de Belleville, Paris" src="https://images.theconversation.com/files/365584/original/file-20201026-23-1iww6as.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/365584/original/file-20201026-23-1iww6as.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/365584/original/file-20201026-23-1iww6as.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/365584/original/file-20201026-23-1iww6as.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/365584/original/file-20201026-23-1iww6as.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/365584/original/file-20201026-23-1iww6as.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/365584/original/file-20201026-23-1iww6as.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les réflexions banalisées et d'apparence inoffensives participent au maintien d'un rapport de pouvoir racialisé. Un groupe d'amis en terrasse, quartier de Belleville, Paris.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/36937478@N08/9706471529/">Nils Hamerlinck/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Par exemple, lorsque l'ami de Juliette suggère que les Français·e·s devraient s'inspirer des immigré·e·s asiatiques et leurs «valeurs du travail» présentées comme «naturelles» chez les Asiatiques, il se tient à distance et homogénéise les comportements de tout ce groupe minorisé.</p>
<p>Ces pratiques banalisées et d'apparence inoffensives participent au maintien d'un <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/9781315613963">rapport de pouvoir racialisé</a>.</p>
<h2>La valorisation des «différences culturelles» au travail</h2>
<p>L'exemple de la proposition de formation sur «l'agilité chinoise» reçue par Juliette est commun au sein des entreprises françaises. Mon travail de recherche démontre notamment que les formations portant sur «l'agilité chinoise» ou plus généralement le management interculturel participent à la banalisation et l'institutionnalisation du processus de racialisation dans les entreprises.</p>
<p>Ce processus fondé sur une forme d'essentialisation, largement accepté dans le monde des affaires, façonne l'imaginaire collectif et va également de pair avec une forme de valorisation managériale de l'assignation racialisante dans le cas des cadres d'origine asiatique.</p>
<p>Sous couvert de valorisation des «différences culturelles» dans les entreprises, les formations dispensées homogénéisent de façon artificielle et infondée les comportements des personnes issues d'un amalgame de nationalités asiatiques et favorise la racialisation au sein de l'entreprise.</p>
<p>De plus, présenter la société asiatique comme patriarcale, ancrée dans la tradition, participe à la construction d'un imaginaire de l'Orient loin de la modernité prétendument incarnée par l'Occident.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/365586/original/file-20201026-19-flobm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/365586/original/file-20201026-19-flobm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/365586/original/file-20201026-19-flobm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/365586/original/file-20201026-19-flobm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/365586/original/file-20201026-19-flobm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/365586/original/file-20201026-19-flobm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/365586/original/file-20201026-19-flobm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">«À la recherche de la perfection» : dans le quartier de Belleville, Paris. Il est commun pour les entreprises françaises de former leurs employé·e·s à l'«agilité chinoise».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/ltdrogo/21000415599/in/photolist-xZJBV2-pxCR3f-4qNke1-jQYRBg-TV2e2g-pQDhV4-AEoJGd-atwgf3-JoxzC-V9Epr6-eKwuGB-rWFmsr-a5H8Zh-3igL-hTskKR-ubirrG-MXLaRf-2h68qW3-CUpjFF-nPtryw-rutwKh-w3h5Hu-nPuvH8-o6Y8gk-2j4dkDT-nPuvUF-nPtG65-C3XJEc-2iEeLsf-oVKyog-2ijDNf1-8WJJLB-2idTxsT-DTnzqz-o6Raz1-o6R9Sj-8yZaZ-MuUYGZ-nkiQkt-nPuuZz-o4VENY-2gVyDhv-7mVvvN-daJjGg-neenHG-TV29EF-tvSB2Y-eKwAN6-EihfVB-SiEqYj">Ltdrogo/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C'est ainsi que les travailleur.se.s racialisé·e·s comme asiatiques sont souvent sommé·e·s de «représenter l'Asie» ou s'exprimer «au nom de l'Asie» dans les entreprises dans lesquelles ils/elles travaillent, comme si on demandait aux Blanc.he.s de représenter les besoins de l'Occident dans leurs activités professionnelles au quotidien.</p>
<p>Cette pratique se base majoritairement sur des compétences présumées chez les personnes asiatiques mais aussi sur la croyance selon laquelle il existerait des cultures subalternes homogènes, stables et statiques, dont il serait possible de représenter tous les besoins, par exemple les goûts, les styles vestimentaires ou encore les façons de travailler lorsque l'on en est issu. Cette pratique enferme les personnes asiatiques dans une <a href="https://www.cairn.info/les-non-freres-au-pays-de-l-egalite--9782724620009-page-89.htm">exigence de complémentarité</a> avec les personnes blanches et met en lumière le «paradoxe minoritaire» :</p>
<blockquote>
<p>«les minorités visibles – tout comme les femmes – sont vouées à prendre la parole en tant que, pour n'être pas traitées en tant que».</p>
</blockquote>
<p>Le cas des personnes asiatiques socialisées en France est d'autant plus complexe qu'il révèle une double injonction contradictoire de ces formes de racialisation valorisante : les cadres asiatiques doivent savoir «représenter l'Asie» et parler une langue asiatique dans les entreprises, région du monde à laquelle ils n'ont pas nécessairement eu accès du fait d'une éducation construite dans un <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2006-1-page-3.htm">effort d'assimilation</a> ; malgré cette demande de compétences racialisées, ces personnes doivent parallèlement prouver leur adhésion aux valeurs républicaines de la population majoritaire.</p>
<h2>La réversibilité de la racialisation positive</h2>
<p>Il est important de s'attarder sur la réversibilité de ces formes «positives» de racialisation. Ce qui est «positivement» racialisé aujourd'hui ne l'a pas toujours été et ne le sera pas toujours.</p>
<p><a href="https://journals.openedition.org/hommesmigrations/3694#xd_co_f=ZDAxNGQ4ZTAtOTc4MC00YTE4LTkzNTctYWYwZmIzM2ZlZjJi%7E">Comme le montre l'historienne Liêm-Khê Luguern</a>, la représentation de ce groupe comme une communauté «fermée», «mystérieuse», «trafiquante» jusque dans les années 1980 n'est plus d'actualité. Elle écrit ainsi:</p>
<blockquote>
<p>«Les stéréotypes peuvent se décliner selon des axiologies positives ou négatives et un même stéréotype peut être polarisé positivement ou négativement».</p>
</blockquote>
<p>Le contexte pandémique de la Covid-19 a par exemple mis au jour le racisme vis-à-vis des personnes racialisées comme asiatiques. Le développement de la pandémie à travers le monde et notamment dans les pays occidentaux est allé de pair avec une intensification des <a href="https://theconversation.com/donald-trump-les-maux-et-les-mots-du-virus-136530">actes racistes contre les personnes perçues comme asiatiques</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Commerces dans le 13e arrondissement à Paris" src="https://images.theconversation.com/files/365588/original/file-20201026-17-qecffz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/365588/original/file-20201026-17-qecffz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/365588/original/file-20201026-17-qecffz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/365588/original/file-20201026-17-qecffz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/365588/original/file-20201026-17-qecffz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/365588/original/file-20201026-17-qecffz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/365588/original/file-20201026-17-qecffz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Commerces dans le 13e arrondissement à Paris. Certains ont fait l'objet d'actes ou paroles racistes au début de la crise sanitaire et ont perdu une partie très conséquente de leur revenu.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Exo_Store_52_Avenue_de_Choisy,_75013_Paris.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La racialisation du virus par les médias, notamment par le <em>Courrier Picard</em> publiant en une du journal, «coronavirus chinois : alerte jaune», a contribué à la <a href="http://icmigrations.fr/2020/05/15/defacto-019-01/">revitalisation du fantasme du péril jaune</a>, sur la «barbarie des pratiques culinaires chinoises», «les habitudes alimentaires insalubres» des Chinois. En France, cela a eu une répercussion directe et violente sur les restaurants d'immigré·e·s asiatiques (dégradation des devantures, chute du chiffre d'affaires) et de manière plus générale sur le sentiment d'insécurité très largement partagé par les personnes pouvant être racialisées comme asiatiques. En février 2020, l'Union des cafés, hôtels et restaurants asiatiques (UCHRA) a comptabilisé une <a href="http://www.slate.fr/story/190248/france-double-peine-communaute-chinoise-covid-19-racisme-lien-chine-solidarite">baisse de 50 à 60% du chiffre d'affaires de ses membres</a>. Comme l'explique la sociologue <a href="http://icmigrations.fr/2020/05/15/defacto-019-01/">Ya-Han Chuang</a>,</p>
<blockquote>
<p>«le processus de racialisation et d'altérisation s'est également accompagné d'une déshumanisation des populations chinoises».</p>
</blockquote>
<p>Les propos insultants du journaliste Emmanuel Lechypre le <a href="https://www.parismatch.com/Culture/Medias/Ils-enterrent-des-Pokemons-le-derapage-d-un-editorialiste-de-BFMTV-en-direct-1681087">démontrent</a> : «ils enterrent les Pokémon» avait-il commenté le 3 avril sur BFMTV.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1221706803836280832"}"></div></p>
<h2>Le mythe de la minorité modèle</h2>
<p>Alors pourquoi ce racisme bienveillant est-il exacerbé dans les interactions au quotidien, au travail, ou encore au sein des familles dans les cas des personnes racialisées comme asiatiques en France ?</p>
<p>Ce groupe minorisé est souvent qualifié de «minorité modèle» ou <a href="http://www.theses.fr/2015PA040135">«minorité entrepreneuriale»</a>. Ce mythe semble avoir façonné les formes de racisme que subissent les Asiatiques en France. <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2003-3-page-69.htm">En effet, ce mythe est d'abord apparu aux États-Unis</a> suite à un article de William Petersen sur «La réussite sociale des Américains d'origine japonaise» en 1966.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/365573/original/file-20201026-17-wmcst3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/365573/original/file-20201026-17-wmcst3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/365573/original/file-20201026-17-wmcst3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/365573/original/file-20201026-17-wmcst3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/365573/original/file-20201026-17-wmcst3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/365573/original/file-20201026-17-wmcst3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/365573/original/file-20201026-17-wmcst3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des enfants américano-japonais prêtent serment sous le drapeau américain, San Francisco; Dorothea Lange, 1942.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/pingnews/481780554/">Pingnews/Flickr</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En s'appuyant sur des valeurs telles que la patience, la discipline et l'obéissance, présentes dans le confucianisme ou le taoïsme, les médias et les politiques associent cette minorité à la valeur du «travail» et à l'idéal méritocratique, aux <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2003-3-page-69.htm">États-Unis</a> et en <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2010-2-page-3.htm%23no5">France</a>.</p>
<p>Ce mythe, valorisant aujourd'hui, témoigne d'une part de la réversibilité des formes positives d'essentialisation des groupes minorisés, et d'autre part de sa fonction de production d'un contre-modèle, à savoir le versant négatif de ce mythe sur d'autres groupes minorisés (dans le cas des personnes racialisées comme arabes ou noires en France par exemple). En effet, comme dans le cas de l'article de William Petersen, ou plus récemment dans le discours de Nicolas Sarkozy à l'occasion <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2010-2-page-3.htm">du Nouvel an lunaire</a>, les qualités exposées de la «communauté asiatique» doivent être mises en regard de la situation d'autres groupes minorisés tels que les Afro-américain·e·s dans les années 1960, ou les immigré·e·s maghrébin·e·s en 2010, qui se voient assigné·e·s le <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2010-2-page-3.htm">penchant négatif de ces stéréotypes</a> («oisiveté», «inactivité», «délinquance» par exemple).</p>
<p>Comme l'explique le sociologue <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2003-3-page-69.htm">Daniel Sabbagh</a> à propos de la construction racialisée des Asiatiques et des Noir·e·s aux États-Unis, «la glorification de la première allait de pair avec le dénigrement du second».</p>
<p>La construction des familles asiatiques comme des <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt1f5g4tw">bastions de la tradition</a> et de la réussite à travers le mythe de la minorité modèle vient confirmer le modèle méritocratique de la population majoritaire mais plus encore, dans une perspective d'analyse intersectionnelle, il vient fortifier le modèle familial blanc et hétérosexuel comme condition de réussite sociale. Dans le cas de la France, cette racialisation «positive» aurait été alimentée non seulement par <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Les_enfants_de_la_colonie-9782707139825.html">l'histoire coloniale de l'ex-Indochine Française</a> mais aussi par <a href="https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_2001_num_1234_1_4826">l'histoire post-coloniale</a> telle que la guerre anti-américaine et l'exode des réfugiés après 1975.</p>
<h2>Une forme de racisme qui perpétue les discriminations</h2>
<p>En réalité, ces formes de racialisation valorisantes, ce racisme «bienveillant», «sympa» n'empêchent pas un régime discriminatoire. Au contraire, ils favorisent le maintien de ce régime. De la même manière, la valorisation de l'origine asiatique en entreprise coexiste avec le maintien des <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/rap-origine-num-15.06.20.pdf">discriminations ethno-raciales sur le marché du travail</a>. En effet, les écarts de salaire à emploi comparable persistent, en <a href="https://www.ined.fr/en/publications/editions/grandes-enquetes/trajectoires-et-origines/">particulier chez les hommes originaires d'Asie du Sud-Est</a>.</p>
<p>Bien sûr, le racisme bienveillant n'est pas spécifique aux personnes racialisés comme asiatiques. Les personnes racisées font toutes l'objet de ces formes de racisme au quotidien. Rohkaya Diallo, par exemple, montre que les personnes noires peuvent se voir <a href="https://www.podcastics.com/podcast/episode/teaser-lit-episode-1-les-noirs-courent-plus-vite-que-les-blancs-36897/">prêter des qualités sportives</a>, ou le «rythme dans la peau». Mais ce racisme se donne particulièrement à voir chez les Asiatiques en France puisqu'il est associé à des représentations collectives et banalisées à première vue valorisantes sur ce groupe minorisé.</p>
<h2>Un regard faussement sympathique à déconstruire</h2>
<p>Le développement de ces formes plus sournoises et plus acceptées du racisme a des conséquences importantes. Un phénomène notable, issu d'enquêtes réalisées sur l'expérience du racisme par les personnes racisées en milieu privilégié, est notamment celui de la minimisation des expériences quotidiennes de racialisation comme dans le <a href="https://www.cairn.info/revue-terrains-et-travaux-2016-2-page-21.htm">cas des bon·ne·s élèves issu·e·s de l'immigration postcoloniale</a>.</p>
<p>Comme le démontre la sociologue <a href="https://rowman.com/isbn/9781442209251/asian-american-sexual-politics-the-construction-of-race-gender-and-sexuality">Rosalind Chou dans le cas étasunien</a>, le mythe de la minorité modèle pèse considérablement sur les personnes asiatiques aux États-Unis et les amène à minimiser leurs expériences discriminatoires vécues. Il est possible de postuler qu'un phénomène similaire s'est construit en France.</p>
<p>L'analyse du racisme bienveillant amène donc à repenser la façon dont on définit le racisme et les scènes sur lesquelles il se joue. Malgré ses apparences «sympathiques», ce racisme encore peu questionné et largement toléré doit faire l'objet d'un regard critique puisqu'il contribue en réalité au maintien d'un régime discriminatoire et d'un rapport de pouvoir racialisé.</p>
<hr>
<p><em>L'autrice réalise sa thèse sous la direction de Sarah Mazouz et Laure Bereni</em>.</p>
<p><em><a href="https://mailchi.mp/1a0eb7b6f069/the-conversation-france">S'inscrire à la newsletter « Les couleurs du racisme »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147305/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Zhou-Thalamy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>«Ce que j'admire moi vraiment chez les Asiatiques, c'est qu'ils sont là pour travailler et ils s'intègrent grâce au travail. On devrait s'en inspirer.».Anne Zhou-Thalamy, Doctorante en sociologie, Centre Maurice Halbwachs (CNRS/ EHESS/ ENS), École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1439172020-08-10T21:15:23Z2020-08-10T21:15:23ZRepas gratuits, cours de sport, crèches… Tout ce que les salariés ont à perdre avec le télétravail<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/351070/original/file-20200804-925-wjpmip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C7%2C4985%2C3323&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les locaux des entreprises offrent de nombreux avantages non compris dans le système de rémunération notamment des espaces de détente dédiés.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://image.shutterstock.com/image-photo/coworkers-playing-foosball-table-office-600w-527843122.jpg">bbernard / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le classement des meilleures entreprises où travailler <a href="https://www.greatplacetowork.me/what-is-great-place-to-work/">« Great place to to work »</a>, évalue depuis 1998 la satisfaction des employés par rapport à leurs employeurs, selon trois critères : la confiance des employés en leurs dirigeants, le sens qu’ils trouvent à leur travail et la camaraderie entre collègues.</p>
<p>Ce type de classement est devenu une norme dans de nombreuses industries lorsque les entreprises tentent de convaincre des candidats de travailler chez eux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1204789257962999808"}"></div></p>
<p>L’importance d’une bonne « marque employeur » (c’est-à-dire l’image d’une entreprise auprès de ses employés et des candidats potentiels) est devenue encore plus évidente face à la génération <a href="https://www.careerattraction.com/got-millennials-workplace-perks-attract-next-generation-bright-workers/">« millennials »</a> – regroupant les personnes nées entre 1981 et 1996 – sensible aux avantages et aux services qu’un environnement de travail peut leur offrir.</p>
<p>Ainsi, peut-on lire dans une enquête faite aux États-Unis que <a href="https://eu.usatoday.com/story/money/2015/09/16/study-says-snacks-affect-happiness-at-work/72259746/">48 % de ces millennials</a> prennent en considération la disponibilité des snacks à volonté au moment de choisir un employeur. Dans une autre étude, <a href="https://www.peoplekeep.com/blog/what-workplace-perks-do-employees-want-a-top-10-list">26 % des personnes interrogées</a> disent que les services dans les espaces de travail sont un moyen efficace de retenir le personnel. Les services les plus appréciés étant, par ordre d’importance, la salle de sport, les repas, les massages sur place et les salles de repos.</p>
<p>De fait, des études académiques montrent que de bonnes conditions de travail ont un réel impact sur la <a href="https://meridian.allenpress.com/bria/article-abstract/14/1/105/66914">motivation</a>, la <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/17538350810893883/full/html?fullSc=1">santé</a>, la <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/02632770810864970/full/html">productivité</a> et la <a href="https://www.ingentaconnect.com/content/mcb/jfm/2002/00000001/00000002/art00006">performance</a> des salariés.</p>
<h2>Délocalisation complète du lieu de travail</h2>
<p>Depuis de nombreuses années, les possibilités offertes par les outils digitaux ont fait apparaître de nouvelles problématiques et ouvert un débat essentiel lié au télétravail : la réflexion sur la sphère privée et la sphère professionnelle.</p>
<p>Dans le secteur privé, il y a eu une <a href="https://www.business2community.com/infographics/the-history-and-future-of-the-gig-economy-infographic-02260584">première ouverture</a> vers la digitalisation pour des activités indépendantes pouvant être externalisées, comme les services de traduction, de conception ou services clients.</p>
<p>Plus tard, des entreprises ont progressivement mis en place des dispositifs de télétravail permettant aux employés menant des activités dont la présence physique n’était pas indispensable quotidiennement de travailler certains jours à distance.</p>
<p>Cette ouverture a permis de réaliser des gains dans trois domaines : premièrement, des économies financières ; deuxièmement, une <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/le-teletravail-un-levier-pour-reduire-les-emissions-polluantes-1220660">réduction de l’impact écologique</a> des activités de l’entreprise ; et enfin, une satisfaction croissante des employés, qui ont apprécié le surplus d’efficacité personnelle produit par le télétravail.</p>
<p>Afin d’accompagner ce mouvement vers un modèle hybride de travail, des gouvernements successifs ont dû créer des réglementations et législations jusqu’aux <a href="https://www.leparisien.fr/economie/emploi/reforme-du-travail-les-nouvelles-regles-du-jeu-dans-l-entreprise-05-10-2019-8166570.php">ordonnances Macron dès 2017</a>, qui encadrent et facilitent la transition vers le télétravail. Trois ans après son démarrage, ce cadre juridique avait montré son efficacité au niveau du nombre d’employés en télétravail.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/avec-les-ordonnances-macron-le-grand-retour-du-teletravail-85725">Avec les ordonnances Macron, le grand retour du télétravail</a>
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<p>La mise en place dans un grand nombre d’entreprises d’un modèle 100 % virtuel forcé par les mesures de confinement, est venue montrer tant aux acteurs publics qu’aux acteurs privés qu’il existe une possibilité pour un modèle 100 % digital sur la durée : d’une part, les craintes des entreprises, en matière de pannes et perturbations se sont avérées infondées, d’autre part de nombreuses personnes <a href="https://theconversation.com/confinement-des-teletravailleurs-surcharges-mais-globalement-satisfaits-139494">ont apprécié ce nouveau modèle de travail</a> et un grand nombre d’entre elles a montré sa volonté de continuer sur ce même modèle après le confinement.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1268759247136927745"}"></div></p>
<p>Cela s’est révélé très rapidement dans les nouvelles des entreprises. <a href="https://www.cnbc.com/2020/05/21/zuckerberg-50percent-of-facebook-employees-could-be-working-remotely.html">Facebook</a> a été l’un des premiers à annoncer qu’il fallait s’attendre à ce que 50 % des employés travaillent à distance au cours des 5 à 10 prochaines années. Au Japon, <a href="https://www.zdnet.fr/actualites/teletravail-fujitsu-va-fermer-la-moitie-de-ses-bureaux-au-japon-d-ici-2022-39906233.htm">Fujitsu</a> a annoncé la fermeture de la moitié de ses bureaux avant 2022. En France, <a href="https://www.challenges.fr/automobile/actu-auto/psa-veut-faire-basculer-40-000-personnes-en-teletravail_716341">PSA</a> a annoncé son intention d’avoir 40 000 salariés en télétravail.</p>
<h2>Où est le piège ?</h2>
<p>Dans cette nouvelle dynamique, nous pouvons nous attendre à ce qu’à l’enthousiasme associé aux gains de temps de transport, de confort et de la possibilité de passer plus de temps à la maison succède tôt ou tard la prise de conscience de nombreux avantages perdus.</p>
<p>De leur côté, les entreprises risquent, si elles n’y prennent garde, de perdre une certaine capacité de contrôle de leurs employés, la perte d’opportunités pour nourrir la culture d’entreprise ainsi que la perte des nouvelles offres commerciales.</p>
<p>Pour le travailleur, il y a une conséquence plus pertinente, susceptible de passer inaperçue : la perte des services que proposent les entreprises dans leurs locaux. Ces services qui permettent non seulement la création et le maintien d’une culture d’entreprise, mais sont aussi une ressource très appréciée par les employés, sensibles à des avantages concrets, hors d’un système de rémunération et d’avantages sociaux.</p>
<p>Attardons-nous sur quelques-uns de ceux qui sont proposés ces jours-ci par les entreprises françaises et qui encouragent le sentiment de satisfaction et d’engagement : BlaBlaCar propose à ses employés un <a href="https://changethework.com/mobilite-interne-blablacar/">échange de bureau</a> où ils peuvent aller travailler pendant une semaine dans un bureau à l’étranger. Deezer a un <a href="https://photo.capital.fr/vacances-illimitees-studio-de-musique-10-avantages-tres-originaux-offerts-par-des-entreprises-a-leurs-salaries-35153#des-vacances-illimitees-chez-openclassrooms-609205">studio de musique</a> entièrement meublé. ManoMano met à disposition de ses employés un <a href="https://photo.capital.fr/vacances-illimitees-studio-de-musique-10-avantages-tres-originaux-offerts-par-des-entreprises-a-leurs-salaries-35153#des-vacances-illimitees-chez-openclassrooms-609205">atelier</a> où ils peuvent apprendre le bricolage. À Ubisoft, il y a une <a href="https://photo.capital.fr/vacances-illimitees-studio-de-musique-10-avantages-tres-originaux-offerts-par-des-entreprises-a-leurs-salaries-35153#des-vacances-illimitees-chez-openclassrooms-609205">ludothèque</a> alors que Frichti propose un <a href="https://photo.capital.fr/vacances-illimitees-studio-de-musique-10-avantages-tres-originaux-offerts-par-des-entreprises-a-leurs-salaries-35153#des-vacances-illimitees-chez-openclassrooms-609205">délicieux repas et des goûters</a> tous les jours. Tous ces services ne peuvent pas exister dans l’environnement virtuel !</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/351080/original/file-20200804-14-ywl50m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/351080/original/file-20200804-14-ywl50m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/351080/original/file-20200804-14-ywl50m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/351080/original/file-20200804-14-ywl50m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/351080/original/file-20200804-14-ywl50m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/351080/original/file-20200804-14-ywl50m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/351080/original/file-20200804-14-ywl50m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Capture d’écran d’une page du site de l’entreprise ManoMano présentant les différents avantages offerts aux salariés.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://manomano.welcomekit.co/">Site web.</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cela signifie que les entreprises qui ont la volonté de passer en mode entièrement virtuel doivent, dès à présent, faire évoluer leur offre de services pour la « délocaliser ».</p>
<p>Si un employé est à la maison toute la journée, il sera obligé d’arrêter de travailler pour préparer un repas, ce qui peut prendre une partie du temps du travail, s’avérer malsain selon le type de repas choisi, et même coûteux. Cet employé est susceptible d’avoir une vie plus sédentaire et d’éviter de bouger pour aller prendre une tasse de café avec des collègues. De plus, il peut perdre des opportunités d’acquérir des avantages qui vont au-delà d’un salaire ou d’une rémunération et qui pourraient l’aider à mieux s’intégrer dans la dynamique de l’entreprise, par exemple, des moments d’intégration, des cours et formations, du mentorat et de l’accompagnement.</p>
<h2>Reconstruire l’offre de services ?</h2>
<p>Cela pose un nouveau défi aux entreprises. Comment reconfigurer les services dans un environnement de bureau délocalisé et confondu avec le lieu de détente ?</p>
<p>Repas, snacks, salle de gym, fournitures, haut débit, laverie, crèche, concierge, messagerie… la liste des services fournis au sein d’un espace de travail commun peut être longue, il va falloir être créatif pour compenser ces services dans un mode de travail disséminé !</p>
<p>Mais ce nouvel environnement s’avère riche en potentiel service et stimulant pour des structures entrepreneuriales et innovantes souhaitant reconstruire une offre de services qui leur permettrait de devenir ou se maintenir comme l’employeur de rêve pour les générations actuelles et futures.</p>
<p>Le domicile constitue-t-il vraiment le meilleur endroit pour travailler ensemble (ce qui est le fondement d’une entreprise) sans se côtoyer ? Les créateurs de services devraient s’interroger sur ce point et sur les manières d’engager et de motiver les employés.</p>
<p>Vous pensez que travailler à domicile est une bonne chose ? Vous imaginez travailler une semaine par an dans un endroit paradisiaque ? Vous souhaitez vous former pour être professionnellement performant sans renoncer à votre cours de yoga du mardi midi ? Quelque part, une entreprise est peut-être déjà en train de se demander comment rendre tout cela possible pour vous séduire… et certainement aussi car elle soupçonne que cela vous rendrait encore plus performant.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-rédigé par Stéphane Compain-Tissier, directeur adjoint d’un hôtel</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/143917/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fernanda Arreola ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Face à l’essor d’un mode de travail 100 % digital et délocalisé, les employeurs doivent se montrer créatifs pour compenser la disparition de ces services très appréciés des salariés.Fernanda Arreola, Professor of Entrepreneurship & Innovation @ EMLV, Pôle Léonard de VinciLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1417352020-07-06T20:20:32Z2020-07-06T20:20:32ZRésilience de la supply chain : digitaliser n’est pas qu’une question de technologie<p>La crise épidémique du Covid-19 constitue une opportunité formidable pour prendre conscience collectivement des enjeux logistiques d’approvisionnement à l’échelle globale. Cette période a permis d’accentuer un concept déjà à la mode depuis quelques années : celui de la résilience de la chaîne d’approvisionnement, ou supply chain.</p>
<p>En effet, nombreux sont ceux qui <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/le-coronavirus-met-les-chaines-d-approvisionnement-des-industriels-sous-haute-tension.N936044">se sont interrogés</a> sur la capacité de ces supply chains à continuer de servir les clients finaux dans un contexte de ruptures liées aux arrêts de chaînes de production, d’augmentation des coûts de certaines matières premières, et de difficultés à organiser de manière optimale et durable les transports.</p>
<p>En décembre 2019, bien avant que la crise épidémique n’enflamme l’Europe, nous avons mené une recherche scientifique permettant de mesurer le lien entre la digitalisation et la résilience de la supply chain. Nos résultats gagnent aujourd’hui encore en intérêt.</p>
<p>Ceux-ci concernent l’impact positif de la maturité digitale – c’est-à-dire la capacité à intégrer pleinement les technologies numériques dans l’ensemble de l’organisation et des activités de l’entreprise – sur la résilience de la supply chain.</p>
<h2>Qu’entend-on par résilience ?</h2>
<p>Cette résilience a été définie dans les <a href="https://www.researchgate.net/publication/328848664_Can_you_measure_resilience_if_you_are_unable_to_define_it_The_analysis_of_Supply_Network_Resilience_SNRES">travaux de recherche en logistique</a> de Yuan Yao et Nathalie Fabbe-Costes comme :</p>
<blockquote>
<p>Une capacité complexe, collective et adaptative des organisations du réseau d’approvisionnement à maintenir un équilibre dynamique, à réagir et à se remettre d’un événement perturbateur, et à retrouver des performances en absorbant les impacts négatifs, en réagissant à des changements inattendus et en capitalisant sur la connaissance de la réussite ou de l’échec.</p>
</blockquote>
<p>En synthèse, la résilience apparaît comme une capacité dynamique attractive pour les décideurs de la supply chain en contexte de crise.</p>
<p>Dans le même temps, on observe depuis ces dernières années un intérêt toujours grandissant de ces mêmes décideurs pour la digitalisation de la supply chain. En effet, les outils digitaux de l’industrie 4.0 (fondée sur l’interconnexion entre systèmes permise par les nouvelles technologies) ont pour ambition d’apporter plus de visibilité en temps réel sur les activités de la chaîne à une dimension internationale, d’automatiser certaines tâches, d’aider à la prise de décision, etc.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1276068497861328897"}"></div></p>
<p>Dans un contexte particulièrement incertain, les promesses du digital attisent curiosité et poussent les décideurs de la supply chain à entamer de larges programmes de transformation numérique à l’instar de l’entreprise Renault. Le constructeur a organisé en 2017 la <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/renault-accelere-sa-transformation-numerique-avec-une-demarche-de-cloud-public-first.N709709">migration de son informatique</a> sur le cloud public (dans cette configuration le matériel, les logiciels et les équipements réseau restent la propriété du fournisseur de service cloud mais sont partagés avec d’autres organisations, ou « locataires » cloud).</p>
<h2>La digitalisation, une réalité pleine de nuances</h2>
<p>Lors de notre étude (en voie de publication) nous avons veillé à distinguer deux aspects principaux permettant la mesure de la digitalisation : le niveau d’adoption des outils digitaux d’une part et le niveau de maturité digitale d’autre part.</p>
<p>En effet, considérer uniquement l’adoption des outils digitaux pour mesurer la digitalisation serait une grave erreur. Des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1367578819300409">recherches précédentes</a> démontrent l’importance de facteurs de gouvernance, de compétence, de connectivité et de création de valeur pour qualifier la digitalisation.</p>
<p>Après avoir collecté exactement 300 questionnaires auprès de vice-présidents, directeur ou managers de la supply chain, travaillant dans des entreprises de tailles variées dans de nombreux secteurs d’activité, nos résultats ont montré que :</p>
<ul>
<li><p>la maturité digitale avait un impact positif et significatif sur le niveau d’adoption des outils digitaux ;</p></li>
<li><p>le niveau d’adoption des outils digitaux avait également un impact positif, significatif mais très modéré sur la résilience de la supply chain ;</p></li>
<li><p>la maturité digitale avait un impact positif significatif et très fort sur la résilience de la supply chain.</p></li>
</ul>
<p>Le fait de tester dans nos travaux statistiques séparément les outils numériques des autres facteurs de maturité digitale (compétences, gouvernance, création de valeur et connectivité) nous a permis de relativiser leur poids en matière de résilience de la supply chain.</p>
<p>Ces résultats ne sont pas sans conséquence pour les décideurs. Certes, ils les encouragent à continuer leurs programmes de digitalisation en ce qu’ils peuvent servir la résilience dans un contexte incertain, mais ils soulignent et rappellent surtout que la technologie n’est pas une solution miracle et qu’il convient de nuancer le discours de certains professionnels prônant le « 100 % outils ».</p>
<h2>Quatre prérequis techniques et managériaux</h2>
<p>Avant même de s’interroger sur le financement d’un projet IoT (Internet des objets) ou d’intelligence artificielle, développer les leviers suivants, synonymes de maturité digitale, demeure essentiel.</p>
<p>Tout d’abord, l’état d’esprit et les compétences (soit en interne, soit sur la base de partenariats externes) nécessaires pour aborder un processus de digitalisation qui se veulent à la fois managériales et techniques. Des <a href="https://www.researchgate.net/profile/Laurent_Bironneau/publication/281473505_Quelles_competences_pour_les_responsables_logistiques_Resultats_d%27une_enquete_terrain/links/5e3aaf6aa6fdccd965882e09/Quelles-competences-pour-les-responsables-logistiques-Resultats-dune-enquete-terrain.pdf">recherches</a> ont montré la prédominance des compétences managériales sur les compétences techniques, qui elles peuvent facilement être sous-traitées à des prestataires de service spécialisés en digitalisation.</p>
<hr>
<p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pour-un-management-organique-plus-vivant-que-digital-94926">Pour un management « organique » plus vivant que digital…</a>
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</p>
<hr>
<p>Deuxième levier : la gouvernance. Elle se traduit dans une stratégie d’entreprise et son plan, la structure organisationnelle, la gestion de projet, l’affectation des ressources, la sensibilisation au numérique et l’engagement à différents niveaux hiérarchiques.</p>
<p>Par ailleurs, il convient de se pencher sur les modes de création de valeur grâce à des nouveaux modèles commerciaux – comme l’omnicanal ou le modèle économique « pay-per-use » (les entreprises ne payent les services de cloud qu’en fonction du nombre de gigaoctets qu’elles consomment réellement) – ou à des programmes de reprise, et à une meilleure utilisation des données de commandes et de prévisions.</p>
<p>Enfin, il s’agit de s’intéresser à l’infrastructure informatique nécessaire à la transmission des données à l’intérieur et à l’extérieur de l’organisation, permettant l’intégration, l’automatisation, le partage de données et une grande interopérabilité.</p>
<p>Sur la question des systèmes, plusieurs écoles s’affrontent : de l’entreprise pivot qui tente d’imposer son système d’information à son réseau – alors que parfois certaines petites entreprises du réseau n’ont pas les capacités financières de développer l’architecture informationnelle compatible – jusqu’au prestataire de système d’information logistique qui développe une solution qui fonctionne à 100 % sur le web, hébergée dans le cloud, mais qui suppose un abonnement pour tous…</p>
<p>Finalement, la résilience de la supply chain est surtout liée à une capacité à maîtriser des processus et des ressources. C’est également le cas de la maturité digitale de la supply chain. C’est sur ce lien que les entreprises ont l’opportunité de se concentrer.</p>
<p>Enfin, nos résultats permettent aussi de s’interroger sur la manière dont les grandes entreprises pourraient embarquer et accompagner les plus petites structures de leur réseau dans l’aventure de la digitalisation en partageant leurs connaissances de manière collaborative.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141735/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Seules les entreprises matures en matière de digital (compétences, processus, organisation) peuvent espérer améliorer significativement leur chaîne d’approvisionnement.Salomée Ruel, Professeure Associée en Supply Chain Management, ExceliaDorsaf Zouari, Maître de conférences, IUT de Valence, Université Grenoble Alpes (UGA)Laurence Viale, Enseignant Chercheur à l'EM Strasbourg, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1412102020-06-28T16:07:38Z2020-06-28T16:07:38ZLe « management by design » : quand la philosophie du designer s’étend à toute l’entreprise<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/343194/original/file-20200622-54977-1mww3mj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=18%2C6%2C4203%2C2804&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Transposer des méthodes propres au design permet de résoudre des problèmes complexes en matière technique et fonctionnelle, mais aussi humaine et sociétale.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://images.unsplash.com/photo-1587440871875-191322ee64b0?ixlib=rb-1.2.1&ixid=eyJhcHBfaWQiOjEyMDd9&auto=format&fit=crop&w=751&q=80">UX Indonesia / Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Dans sa définition primitive, le design représente une activité centrée sur un travail des formes, comme le design d’espace, le design de produit, le design de mode, ou comme celui des formes graphiques ou interactives. Mais celui-ci est passé en quelques décennies de la conception des objets qui nous entourent à la résolution des problèmes du monde.</p>
<p>Comme l’illustre son origine italienne <a href="https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/partout-ou-je-passe-les-memes-erreurs-9782416000225/"><em>disegno</em></a> qui signifie à la fois dessin et dessein, le design se situe à la croisée de la philosophie, de l’esthétique et de la technique, et en constitue ainsi la résultante. Additionné au marketing et à l’utilisateur, il compose également « l’expérience utilisateur » ou « User eXperience » à l’origine de l’acronyme « UX ».</p>
<p>Mais ce design-là, c’est le design du XX<sup>e</sup> siècle, fidèle compagnon de route du <a href="https://www.definitions-marketing.com/definition/marketing-mix/">« marketing mix »</a>. Longtemps mobilisé comme un outil au secours de la créativité, le design est aujourd’hui peu à peu considéré comme un véritable modèle au service de toute l’entreprise.</p>
<h2>Au service de l’Homme… sans oublier le client</h2>
<p>Le design du XX<sup>e</sup> siècle a connu trois grandes étapes. Le travail sur les formes et les couleurs, véritable ADN du design, explique à lui seul l’importance des considérations esthétiques dans le champ du design, et justifie l’indiscutable et obsessionnel attrait qu’il exerce sur la fonction marketing, si longtemps avide de conquêtes commerciales débarrassées de toutes considérations sociétales.</p>
<p>Compagnon d’armes du marketing des objets, il s’est très rapidement mis au diapason des prestations de service. Le géant du e-commerce Amazon a largement développé le design de service, dont un des plus emblématiques reste leur fameux et unique bouton « acheter en un clic », qui supprime tous les points de contact rébarbatifs, et simplifie l’ensemble des opérations associées. Le client économise ainsi son temps, et surtout sa « prise de tête » comme on dit, après avoir fait ses courses chez le leader mondial du commerce électronique.</p>
<p>Il est difficile de ne pas y voir une relation de cause à effet, car c’est à ce moment-là que les marketeurs se sont intéressés non seulement à l’objet lui-même, puis à son usage, mais depuis quelques années, à l’expérience vécue par les clients en situation d’usage. Apple est un adepte de l’UX, étant particulièrement attentif aux analyses des utilisateurs. Par exemple, si vous demandez à son robot Siri de l’iPhone de prévoir une heure de réveil pour demain matin, alors qu’il est minuit passé, Siri va vous demander de quel jour vous parlez.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/343169/original/file-20200622-54977-1lryykq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/343169/original/file-20200622-54977-1lryykq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/343169/original/file-20200622-54977-1lryykq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/343169/original/file-20200622-54977-1lryykq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/343169/original/file-20200622-54977-1lryykq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/343169/original/file-20200622-54977-1lryykq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/343169/original/file-20200622-54977-1lryykq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les périmètres successifs d’application du design au XXᵉ siècle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Roland Stasia -- Hèrès Consulting</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Alors que bien des penseurs offrent de le mettre au service de l’humain voire de l’humanité, il ne faudrait pas que le design en oublie le client.</p>
<p>Cette vision humaniste du designer est une réalité qui a l’âge des équipes pluridisciplinaires. Celles-ci sont au cœur du travail du designer, dont la culture se nourrit aussi bien des arts, des techniques, des sciences humaines, des sciences économiques ou des sciences de la nature.</p>
<p>Il est cependant une réalité implacable qui veut que seuls les clients soient à même de fournir aux entreprises le revenu nécessaire à leur pérennité. Celle-ci sera d’autant plus assurée que la profitabilité sera maximale.</p>
<h2>Mieux manager grâce au design</h2>
<p>Deux phénomènes permettent au design du XXI<sup>e</sup> siècle de dépasser son statut de métier des arts appliqués, pour accéder à celui de valeur managériale.</p>
<p>Le premier se situe dans sa propre sphère de préoccupations. De tout temps, le designer a considéré les dimensions non artistiques de son métier, car elles sont au cœur de son travail, faute de quoi aucun produit/service n’aurait été vendable ou désirable, ni même profitable.</p>
<p>De tous les grands métiers de la conception, comme l’architecte et l’ingénieur, le designer est probablement celui qui a la plus difficile des équations à résoudre. En médiateur naturel, il doit concilier un nombre important de contraintes particulièrement délicates, parfois en conflit, comme les contraintes fonctionnelles, techniques, environnementales, biologiques, juridiques, économiques, sociales et politiques, voire philosophiques.</p>
<p>Cet assemblage délicat des contraintes à réaliser avant la prise de décision s’apparente énormément au mode de gestion d’une équipe de direction, avec son comité de direction, dirigé par le directeur général, autour duquel les autres directeurs représentent les principales fonctions de l’entreprise : finance, ressources humaines, marketing, informatique, stratégie, technique, commercial, qualité, etc.</p>
<p>Le deuxième phénomène concerne l’élargissement considérable du périmètre d’application de ce design du XXI<sup>e</sup> siècle. En effet, il est en passe de devenir particulièrement contributif au bien-être de la société en général, et de ses peuples en particulier, grâce à trois forces :</p>
<ul>
<li><p>il est une démarche de projet qui place l’homme au centre des problèmes, c’est-à-dire partout ;</p></li>
<li><p>il est capable de résoudre très vite des problèmes multifactoriels grâce à son approche en « <a href="https://www.e-marketing.fr/Definitions-Glossaire/Design-thinking-308589.htm">design thinking</a> », terrain de jeu privilégié d’itérations originales, de mixage de compétences et de prototypages rapides ;</p></li>
<li><p>il sait amalgamer des contraintes techniques et fonctionnelles à des contraintes sociales et sociétales, transformant ainsi des questions parfois angoissantes en réponses rassurantes.</p></li>
</ul>
<p>Aussi le design du XXI<sup>e</sup> siècle entre au « panthéon du management », et vient s’insérer visuellement dans la roue des 5 modèles du management, à savoir l’approche rationnelle, les processus internes, les relations humaines et syndicales, les systèmes ouverts et enfin la contingence. Le nom de ce 6<sup>e</sup> modèle ? Le management by design.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/343190/original/file-20200622-55021-j9ndsp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/343190/original/file-20200622-55021-j9ndsp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/343190/original/file-20200622-55021-j9ndsp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/343190/original/file-20200622-55021-j9ndsp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/343190/original/file-20200622-55021-j9ndsp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/343190/original/file-20200622-55021-j9ndsp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/343190/original/file-20200622-55021-j9ndsp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Présentation des cinq modèles de management connus ainsi que du Management by design comme sixième modèle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Roland Stasia -- Hèrès Consulting </span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il existe au moins deux preuves d’existence de ce nouveau modèle de management.</p>
<p>La première se trouve à <a href="https://www.strate.design/formation/formation-mba-management-design">Strate</a>, une grande école de design qui a ouvert en 2015 un MBA nommé « management by design ». Il promet tout simplement de « designer » le management et non de manager le design. Le slogan de cette formation : « avec ce MBA,vous deviendrez peut être le Steve Jobs de demain ! »</p>
<p>La deuxième s’appelle Laurens van den Acker, « le styliste » de Renault qui, dès son arrivée à la tête du design de la marque au losange en 2009, a lancé une démarche de management by design, fondée sur le <a href="https://www.definitions-marketing.com/definition/storytelling/">« storytelling »</a> de la vie. Cette thématique inspirante et fédératrice a rayonné dans toute l’entreprise, et l’a amenée, en alliance avec Nissan et Mitsubishi, au <a href="https://www.lefigaro.fr/societes/2017/07/28/20005-20170728ARTFIG00121-renault-nissan-premier-constructeur-automobile-mondial-au-premier-semestre-2017.php">premier rang mondial</a> des constructeurs automobiles, en juillet 2017.</p>
<p>La puissance de cette animation réside aussi dans sa capacité à faire émerger de nouveaux dirigeants, à la fois manager et leader, prêts à changer de posture et de méthodes, afin d’intégrer la philosophie du design dans leur management. Dans un monde qui a besoin de prendre soin de lui, il est temps de faire du design.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141210/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Roland Stasia préside hèRès conSulting, cabinet de conseil en management de la performance et en pilotage de l'innovation.Il est également membre du COMEX de l'IE-Club, think tank qui favorise le rapprochement entre startups et grands groupes</span></em></p>De plus en plus considéré comme un moteur d’innovation et une source de profits, ce processus devient progressivement un modèle de management en tant que tel.Roland Stasia, Professeur des universités associé à Paris Dauphine, en mesure et management de la performance, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1409502020-06-22T17:11:46Z2020-06-22T17:11:46ZVisioconférences : comment bien travailler lorsqu’on est filmé ?<p>En deux mois, le nombre d’utilisateurs de l’application Zoom a été multiplié par 20, passant de <a href="https://blog.zoom.us/wordpress/2020/04/01/a-message-to-our-users/">10 à 200 millions d’utilisateurs</a> selon les chiffres rendus publics par la plate-forme de visioconférence. <a href="https://globalworkplaceanalytics.com/global-work-from-home-experience-survey">77 % des employés</a> interrogés dans une enquête déclarent vouloir désormais continuer à travailler plus régulièrement de chez eux après la crise.</p>
<p>Toutefois, les réunions à distance, en s’inscrivant dans un nouveau rapport au temps et à l’espace en rupture avec le cadre habituel, posent un réel défi quant à la pérennisation du télétravail. C’est pourquoi, de nombreuses <a href="https://qz.com/924167/ibm-remote-work-pioneer-is-calling-thousands-of-employees-back-to-the-office/amp/?__twitter_impression=true">entreprises</a> rappellent aujourd’hui leurs employés pour revenir travailler en présentiel.</p>
<p>Dans cet article, nous proposons d’explorer quatre formes de ruptures de cadre et les bonnes pratiques à y associer.</p>
<h2>Gare au « videobombing » !</h2>
<p>Des <a href="https://eprints.soton.ac.uk/440560/">travaux de recherche</a> questionnent l’efficacité des interactions dites médiatisées, telles que les visioconférences, en matière de coopération. Ils soulignent notamment que celle-ci est possible dès lors que les acteurs ont une <a href="https://www.researchgate.net/publication/40553540_Mobile_Phone_Communication_Extending_Goffman_to_Mediated_Interaction">définition partagée de la situation</a> et donnent le sentiment d’être « là » malgré la distance.</p>
<p>Le sociologue américain Erving Goffman, dans son <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Les_Rites_d%E2%80%99interaction-2091-1-1-0-1.html">analyse des rites d’interactions</a>, permet de comprendre comment les nouvelles formes digitales de travail émergent, évoluent ou disparaissent.</p>
<p>Les réunions traditionnelles en présentiel s’inscrivent dans ce qu’on appelle « un cadre ». Il se définit comme un ensemble d’indications qui permettent aux acteurs d’interpréter la situation et la manière de s’y comporter. Il permet une compréhension partagée de « ce qui passe ici », qui est essentielle à la coopération.</p>
<p>Or, la visioconférence offre de nombreuses occasions de rupture de cadre et d’engagement.</p>
<p>Le phénomène de « videobombing » est emblématique de la plus grande instabilité du cadre dû au travail chez soi pouvant provoquer de profonds malaises parmi les participants.</p>
<p>Le videobombing est une intrusion dans le champ de la caméra en pleine réunion, comme cela est arrivé à l’expert en géopolitique de la BBC, Robert Kelly, <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-vie-numerique/expert-de-la-bbc-interrompu-par-ses-enfants-la-vie-des-autres">interrompu par ses enfants</a> lors d’une interview par Skype.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/PisZ8Hxr97s?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Videobombing lors d’une interview Skype d’un journaliste de la BBC en mars 2017 (France 24).</span></figcaption>
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<p>Plusieurs tactiques peuvent être employées pour éviter cette rupture de cadre. Il est important de prendre le temps de choisir l’espace où l’on installera son ordinateur et de veiller à s’isoler.</p>
<p>Prenons soin du cadre comme nous choisissons notre <a href="https://theconversation.com/ce-nest-pas-parce-que-vous-etes-en-confinement-quil-faut-travailler-en-pyjama-135560">tenue vestimentaire</a> le matin. Il est aussi préférable de prendre des précautions techniques, en vérifiant sa connexion wifi, ou avoir son portable pour se connecter avec le réseau mobile en cas d’interruption.</p>
<p>La réunion à distance casse le décor commun qui contribue lui aussi à une définition partagée de la situation. Notamment, il peut créer une distance sociale entre participants par l’exposition de son patrimoine économique ; une bibliothèque fournie, des tableaux contemporains, un jardin, un grand espace sont autant d’éléments distinctifs qui peuvent déstabiliser l’interlocuteur.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1247614131219435521"}"></div></p>
<p>Toutefois, tout est affaire de mesure, et les acteurs peuvent aussi se saisir de cette nouvelle scène pour renforcer l’image de soi et jouer sur un décor humoristique ou créatif que les autres n’auraient pas découvert au bureau.</p>
<h2>Rester présent et à l’écoute</h2>
<p>Selon Goffman, une grande règle sociale est celle de l’engagement dans l’interaction. Montrer une écoute et une attention suffisantes constitue une règle sacro-sainte.</p>
<p>Or, beaucoup d’entre nous se contentent de se connecter, et ne mesurent pas les nombreux signaux technico-corporels de relâchement, comme étendre sa caméra ou travailler sur autre chose.</p>
<p>Il convient donc d’allumer sa caméra et engager son corps dans l’interaction, y compris en distanciel. La gestuelle, les expressions souriantes du visage, la tenue vestimentaire et la tonalité de sa voix entrent toutes en ligne de compte. Pour garantir une écoute active, mieux vaut opter pour des écouteurs, plutôt qu’allumer les haut-parleurs de l’ordinateur.</p>
<p>Un des problèmes majeurs des réunions en ligne reste la fluidité des échanges. Derrière un écran, la recherche montre que nous avons tendance à être dans une forme d’échange unidirectionnel : chacun prend la parole à tour de rôle, en évitant de couper l’autre, tout en orientant ses propos autour d’une réponse à une seule personne.</p>
<p>Des doctorants ayant soutenu leur <a href="https://www.campusmatin.com/metiers-carrieres/doctorat/soutenance-de-these-en-visio-l-experience-des-doctorants-du-mit-et-de-harvard.html">thèse en visioconférence</a> évoquent ainsi leurs difficultés à intégrer toute l’audience ou prévoir le prochain enchaînement selon la capacité d’écoute de la salle.</p>
<p>Pour favoriser cette fluidité, les outils de discussions instantanées (chat) proposées par les plates-formes restent une bonne solution. En tant que professeurs nous réalisons l’importance de ces forums pendant un cours. Chacun est libre d’y laisser son idée, sa question, des émoticônes ou des applaudissements.</p>
<p>Ainsi, le bon déroulement de la réunion à distance représente un enjeu de plus en plus majeur pour les télétravailleurs. Nous mesurons déjà les nombreux avantages offerts par les nouveaux outils : il est plus facile d’interpeller quelqu’un par son nom ; l’ordre des temps de paroles est mieux maîtrisé ; d’autres éléments perturbateurs comme les jeux de pouvoir sont réduits, etc.</p>
<p>Mais pour que nos interactions gagnent encore plus en qualité, il s’agit désormais de veiller à éviter les ruptures de cadre et d’engagement. C’est une nouvelle responsabilité pour le manager d’établir les règles de comportements. Ils doivent donc avoir conscience de ce nouveau rôle, qui les rapproche quelque peu du métier de metteur en scène.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140950/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La technologie brise le cadre d’activité habituel. Dès lors, la mise en place de bonnes pratiques garantissant la coopération à distance devient incontournable.Hélène Bussy-Socrate, Professeur associé de management, PSB Paris School of BusinessGéraldine Paring, Professeure associée, PSB Paris School of BusinessLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1396762020-06-02T17:36:52Z2020-06-02T17:36:52ZLe bureau a encore de beaux jours devant lui…<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/338513/original/file-20200529-96736-qs8qaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C7%2C4839%2C3219&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">74 % des répondants souhaitent retourner sur le lieu de travail pour des raisons telles que la socialisation avec les collègues ou la nécessité de séparer vie privée et vie professionnelle.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/manager-discussion-coworker-open-plan-office-314862320">Monkey Business Images / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Si les lieux de travail sont désormais pensés afin de s’adapter aux besoins des occupants, avec une <a href="https://www.lalibrairie.com/livres/revolutions-de-bureaux_0-5848386_9782378190088.html">notion de bien-être</a> essentielle, les nouveaux besoins post-confinement vont incontestablement modifier la valeur d’usage du bureau des années 2020.</p>
<p>Au-delà de la nécessité de retrouver en partie certains usages, une nouvelle révolution de bureau est sans doute en train de se préparer. C’est bien ce que nous révèle la nouvelle <a href="https://sites.google.com/a/essec.edu/chaire-workplace-management/nos-enquetes/espaces-de-travail-et-post-confinement">enquête</a> de la <a href="http://workplace-management.essec.edu/">Chaire Workplace Management</a> de ESSEC Business School, réalisée en ligne auprès de plus de 800 employés de bureau.</p>
<p>Elle permet d’appréhender les besoins post-confinement des employés de bureau, et en particulier leur perception de leur espace de travail et leur nouvelle façon d’occuper l’espace tertiaire de bureau. Sans surprise, la crise sanitaire et le confinement ont fait évoluer les besoins des employés de bureau.</p>
<p>Ainsi, 53 % d’entre eux affirment que leurs besoins professionnels post-confinement ont changé, avec notamment la nécessité de prendre en compte plus d’hygiène et de sécurité dans l’espace de travail (32 %), le besoin de revoir le temps consacré au télétravail par l’entreprise (27 %) et le besoin de plus d’autonomie (18 %).</p>
<h2>Télétravailler, oui, mais à temps partiel</h2>
<p>En France, lors de la période de confinement un actif sur cinq était en télétravail à temps plein. Cette expérience semble être bien appréciée par l’ensemble des répondants de notre enquête, car ils sont 69 % à affirmer qu’ils aimeraient continuer à faire du télétravail post-confinement.</p>
<p>Certaines entreprises, motivées par la maîtrise des coûts immobiliers mais également dans le but de respecter des normes gouvernementales établies dans le <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/protocole-national-de-deconfinement.pdf">protocole national de déconfinement</a> pour les entreprises – notamment la règle de 4 mètres carrés par employé afin de garantir une distance minimale d’un mètre autour d’une personne dans toutes les directions – pourraient être tentées par la pérennisation du télétravail à temps plein.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1260374132358815744"}"></div></p>
<p>Cependant, ce souhait de télétravail à plein temps n’est pas partagé par les employés de bureau qui ont répondu à notre enquête. En effet, post-confinement, ils sont seulement 12 % à vouloir faire du télétravail à temps plein, et cela varie selon la catégorie professionnelle. Ainsi, les cadres sont 86 % à vouloir continuer à faire du télétravail, cependant seulement 5 % d’entre eux aimeraient le faire tous les jours ouvrables. Les employés sont, quant à eux, 57 % à vouloir continuer à faire du télétravail, et 21 % d’entre eux aimeraient le faire à plein temps.</p>
<p>Cependant, les entreprises attirées par l’idée de généraliser le télétravail à plein temps doivent aussi prendre en compte l’impact positif de l’espace de travail sur la créativité et la productivité des employés.</p>
<p>Plusieurs <a href="https://www-emerald-com.ezp.essec.fr/insight/content/doi/10.1108/JCRE-06-2019-0028/full/html">études</a> ont montré que le nombre de personnes qu’un employé croise pendant sa journée de travail au bureau (ou ses interactions face à face) est positivement corrélé à des mesures de productivité et de satisfaction au travail.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-bureau-un-espace-pas-comme-les-autres-83059">Le bureau, un espace pas comme les autres</a>
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<p>Aussi, les répondants ont exprimé un certain nombre d’attentes en ce qui concerne la poursuite du télétravail dans la période de post-confinement. Ils ont exprimé le besoin de bien délimiter leur vie personnelle et leur vie professionnelle, ils veulent pouvoir disposer d’outils informatiques plus performants pour le travail à distance. Enfin, ils souhaitent avoir plus d’autonomie dans l’exécution de leurs activités.</p>
<h2>Un espace de travail à soi</h2>
<p>Si les trois quarts (74 %) des répondants de notre enquête confirment souhaiter retourner au bureau pour des raisons diverses liées à la socialisation avec les collègues, au besoin de sortir de chez eux, à la nécessité de séparer vie privée et vie professionnelle, ils sont néanmoins près de la moitié (47 %) à penser que l’espace de travail qu’ils avaient avant la crise sanitaire du Covid-19 n’est plus du tout adapté à leurs nouveaux besoins post-confinement.</p>
<p>En ce qui concerne l’espace physique, les principales raisons alléguées par les répondants sont notamment la forte densité des personnes et la difficulté d’adapter leurs espaces de travail aux règles d’hygiène et aux distances de sécurité.</p>
<p>Le type d’espace de bureau influence considérablement cette perception. En effet, les employés occupant avant le confinement des espaces ouverts de bureaux (en flex office, voire également en coworking) sont à plus de 58 % convaincus que ces espaces de travail ne correspondent plus à leurs nouveaux besoins post-confinement.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/338786/original/file-20200601-95018-fgfh4u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/338786/original/file-20200601-95018-fgfh4u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/338786/original/file-20200601-95018-fgfh4u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=150&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/338786/original/file-20200601-95018-fgfh4u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=150&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/338786/original/file-20200601-95018-fgfh4u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=150&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/338786/original/file-20200601-95018-fgfh4u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=189&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/338786/original/file-20200601-95018-fgfh4u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=189&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/338786/original/file-20200601-95018-fgfh4u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=189&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://sites.google.com/a/essec.edu/chaire-workplace-management/nos-enquetes/espaces-de-travail-et-post-confinement">Extrait de l’étude « Mon bureau post-confinement » de la Chaire « Workplace management » de l’ESSEC Busines School (mai 2020)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Aujourd’hui, la plupart d’entre eux manifeste une préférence pour des espaces de travail avec des postes de travail attribués tels que l’open space, le bureau partagé et le bureau individuel.</p>
<p>C’est en particulier le cas des utilisateurs du flex office qui, post-confinement, sont 61 % à préférer des espaces de travail avec postes de travail attribués, ou des occupants des espaces de coworking, qui choisiraient de préférence à 43 % des espaces partagés ou individuels.</p>
<p>Ainsi, pour un tiers des répondants, le bureau post-confinement idéal est incontestablement le bureau individuel. Le télétravail vient en seconde position avec 25 % de préférences. L’open space avec poste de travail attribué reste une option retenue et arrive en troisième position avec 17 % des préférences.</p>
<p>Autre élément à noter dans notre enquête, les répondants ne sont qu’une minorité à considérer le flex office (6 %) et le coworking (3 %) comme l’espace de travail idéal post-confinement.</p>
<h2>Quelques disparités</h2>
<p>Ainsi avec la crise sanitaire, la notion même de partage d’un poste de travail par plusieurs salariés est remise en question. En effet, 71 % des répondants n’y sont pas favorables. C’est en particulier le cas pour ceux qui n’y sont pas habitués et disposent d’un poste de travail attribué (tels que les usagers d’open space avec 78 %). Ils seraient toutefois prêts à l’accepter pour un horaire de travail plus flexible (46 %) ou un bureau plus proche du domicile (33 %).</p>
<p>Au contraire, ceux qui sont habitués au partage d’un même poste de travail dans des espaces de flex office ou de coworking, sont moins réticents : ceux qui avant le confinement travaillaient en flex office sont favorables au bureau partagé à 51 % et ceux qui travaillaient dans des espaces de coworking le sont à 33 %.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/338787/original/file-20200601-95049-6nzk8c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/338787/original/file-20200601-95049-6nzk8c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/338787/original/file-20200601-95049-6nzk8c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/338787/original/file-20200601-95049-6nzk8c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/338787/original/file-20200601-95049-6nzk8c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/338787/original/file-20200601-95049-6nzk8c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/338787/original/file-20200601-95049-6nzk8c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/338787/original/file-20200601-95049-6nzk8c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://sites.google.com/a/essec.edu/chaire-workplace-management/nos-enquetes/espaces-de-travail-et-post-confinement">Extrait de l’étude « Mon bureau post-confinement » de la Chaire « Workplace management » de l’ESSEC Business School (mai 2020)</a></span>
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</figure>
<p>Contrairement aux idées reçues et largement véhiculées, il n’y a aucun effet générationnel sur le choix du bureau idéal. Nos résultats montrent qu’il n’y a pas d’association significative entre la génération à laquelle appartient le répondant et le type d’espace de travail idéal post-confinement.</p>
<p>En revanche, il existe une association statistique significative entre le genre du répondant et son choix de l’espace de travail idéal post-confinement. Les femmes ont une préférence plus marquée que les hommes pour le télétravail et les hommes une préférence supérieure pour les espaces en flex office et le bureau partagé.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/338517/original/file-20200529-96705-a0onzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/338517/original/file-20200529-96705-a0onzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/338517/original/file-20200529-96705-a0onzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/338517/original/file-20200529-96705-a0onzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/338517/original/file-20200529-96705-a0onzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/338517/original/file-20200529-96705-a0onzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/338517/original/file-20200529-96705-a0onzy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Espace de coworking géré par l’entreprise WeWork présente dans le monde entier (ici, à New York).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/new-york-city-usa-august-2017-714802558">NYCStock/Shutterstock</a></span>
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</figure>
<p>Incontestablement, l’immeuble de bureaux des années 2020 sera autre, privilégiant certainement des postes de travail peu ou moins partagés, répondant aux nouveaux besoins des collaborateurs, plus souvent en télétravail quand ils le pourront. Dire que le flex office et le coworking seront dépassés est pour le moment encore trop hâtif. Dire qu’ils seront repensés semble dès aujourd’hui une évidence.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139676/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>D’après les résultats d’une enquête menée par l’ESSEC, les Français se déclarent en grande majorité opposés au télétravail à temps plein et souhaiteraient retrouver un espace de travail attitré.Ingrid Nappi, Professeur, titulaire de la Chaire « Immobilier & Développement Durable » et de la Chaire « Workplace Management », ESSEC Gisele de Campos Ribeiro, Ingénieure de recherche, la Chaire « Workplace Management », ESSEC Hajar Eddial, Chercheuse postdoctorale à la Chaire « Workplace Management », ESSEC Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1394812020-05-31T16:54:53Z2020-05-31T16:54:53ZAccepter les émotions négatives des salariés, un impératif en période de déconfinement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/337908/original/file-20200527-20245-963f3u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=34%2C43%2C5716%2C3785&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Laisser les individus exprimer pleinement ce qu’ils ressentent, notamment après un conflit, permet de désamorcer des situations potentiellement explosives.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.freepik.com/photos-gratuite/executive-manager-femme-team_993580.htm#page=1&query=happy%20manager&position=31">katemangostar / Freepik</a></span></figcaption></figure><p>Comment <a href="https://www.europe1.fr/emissions/la-vie-devant-soi/la-vie-devant-soi-sourire-nous-va-si-bien-030518-3642560">sourire à un client</a> et le servir efficacement lorsque votre esprit est empli par la peur ?</p>
<p>La pandémie de Covid-19, le confinement, et plus encore le déconfinement ont agrandi l’écart entre la sérénité que l’on doit afficher face aux clients et aux collègues au travail et ce que l’on ressent réellement. Ce sont l’anxiété, l’injustice, la colère et d’autres émotions négatives dont on fait en ce moment le plus souvent l’expérience dans l’entreprise.</p>
<p>Pour gérer leurs équipes dans cette situation, les managers ont besoin d’apprendre à maîtriser de nouvelles compétences émotionnelles. Car c’est en sachant accueillir l’émotion négative qu’on peut en diminuer l’effet nocif et favoriser le développement des personnes et de l’entreprise.</p>
<h2>Le retour dans les locaux de l’entreprise</h2>
<p>Carine a récemment été nommée directrice d’une agence bancaire du Crédit Agricole en Seine-Saint-Denis. Sa prise de fonction s’est faite pendant le confinement. Elle a découvert alors que tous les membres de son équipe s’étaient fait mettre en arrêt de travail.</p>
<p>Elle a géré l’agence seule, y compris l’accueil des clients. En parallèle elle a construit à distance une relation avec ses collaborateurs arrêtés. Ils ont partagé avec elle leur peur de la maladie, ainsi que leurs <a href="https://theconversation.com/temoignages-ces-injustices-au-travail-engendrees-par-le-confinement-138123">sentiments d’injustice</a> vis-à-vis de leurs collègues qui, au siège, étaient en télétravail.</p>
<p>Ils ont exprimé de la colère contre leur ancien responsable qui leur demandait de gérer les difficultés de leurs clients et leurs incivilités alors qu’eux-mêmes se sentaient menacés dans la nouvelle situation de travail.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1259616854471032833"}"></div></p>
<p>Certains se sentaient coupables de la laisser seule sur le terrain. Elle les a écoutés. Quinze jours plus tard, toute son équipe était revenue à l’agence et coopérait dans une atmosphère positive.</p>
<p>Depuis le début du déconfinement, de nombreux managers font face à ce retour physique de leurs équipes dans les locaux de l’entreprise. La manière dont Carine s’y est prise peut-elle être une source d’inspiration pour eux ?</p>
<h2>Le travail émotionnel est un travail</h2>
<p>Au-delà de son exemplarité, ses collaborateurs lui reconnaissent sa capacité à accepter comme légitimes leurs réactions négatives sur le lieu de travail. Elle a écouté chacun sans jugement, ce qui a fait baisser la tension. Tous ont ainsi retrouvé l’envie de travailler ensemble. Carine a ce qu’on appelle des compétences de management du travail émotionnel.</p>
<p>Le <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Le_prix_des_sentiments-9782707188960.html">travail émotionnel</a> a été défini par la sociologue américaine Arlie Russell Hochschild comme une activité, demandée et rémunérée par l’entreprise, consistant à réduire l’écart entre les émotions généralement positives que l’on doit afficher et les émotions négatives que l’on peut ressentir.</p>
<p>Les affects positifs comme la joie, la sérénité ou l’altruisme, sont souvent prescrits par l’organisation car ils permettent de coopérer entre collègues en étant engagés ensemble et de produire un service apprécié par le client final.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/337925/original/file-20200527-20215-6le1wa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/337925/original/file-20200527-20215-6le1wa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/337925/original/file-20200527-20215-6le1wa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/337925/original/file-20200527-20215-6le1wa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/337925/original/file-20200527-20215-6le1wa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1004&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/337925/original/file-20200527-20215-6le1wa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1004&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/337925/original/file-20200527-20215-6le1wa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1004&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">On attend des infirmières qu’elles expriment des émotions positives telles que la compassion quand elles s’occupent des patients.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Altenpflegerin_D1824.jpg">Matt Kingston/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Les émotions à utiliser avec le collègue ou le client sont bien sûr différentes en fonction du métier. On ne demande pas à un notaire ou à un employé des pompes funèbres de sourire. Un médecin qui fait son diagnostic peut sembler plus compétent s’il a les sourcils froncés. La culture nationale joue également un rôle.</p>
<p>En Allemagne, une entreprise américaine a ainsi trouvé mieux adapté de retirer le sourire des règles de comportement qu’elle imposait à ses salariés vis-à-vis des clients. Il n’en reste pas moins que de plus en plus d’entreprises demandent à chacun de faire circuler les émotions positives : être accueillant et flexible pour fluidifier la coopération et améliorer la qualité de service.</p>
<h2>Des émotions potentiellement explosives</h2>
<p>Pourtant de nombreuses études ont montré combien les émotions ressenties étaient souvent loin des émotions demandées par l’entreprise. Une infirmière rassure un malade qui est en panique alors qu’elle est épuisée par sa journée, un caissier doit faire face à l’agressivité d’un client qui s’est approché physiquement de lui alors qu’il a peur d’être contaminé par le virus, un salarié dans un centre logistique doit coopérer avec un client interne qui est en colère à cause de retards de livraison.</p>
<p>Dans toutes ces situations, le travail émotionnel est <a href="https://theconversation.com/non-les-primes-pour-les-soignantes-ne-suffiront-pas-137313">épuisant</a>. Il l’est plus fortement dans le domaine des services que dans l’industrie ou pour les emplois administratifs selon les résultats d’une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0001879101918159">enquête</a> menée dès 2002 aux États-Unis.</p>
<p>Celle-ci a montré que le travail émotionnel des salariés dans les services était la cause directe d’une plus forte tendance au burn-out (épuisement professionnel) que dans les autres secteurs. Les normes d’expression des affects dans les entreprises sont en effet plus nombreuses et plus strictes pour les contacts avec des clients finaux que pour les relations avec des collègues.</p>
<p>La pandémie de Covid-19 a renforcé cette difficulté. Selon mon expérience d’accompagnement à distance de responsables de terrain dans la banque et la logistique, leurs équipes ont réagi de façon similaire à celle de Carine : ils ressentent la peur, la colère, le sentiment d’injustice mais aussi le dégoût et la culpabilité beaucoup plus fortement que d’habitude.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/non-les-primes-pour-les-soignantes-ne-suffiront-pas-137313">Non, les primes pour les soignantes ne suffiront pas</a>
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<p>Cela rend leur travail émotionnel d’autant plus difficile à réaliser. C’est la source chez eux d’un stress additionnel douloureux. Le travail à distance ou l’arrêt de travail permettaient dans de nombreux cas de canaliser ces émotions négatives. Le déconfinement et le retour physique progressif des salariés à leur poste de travail rendent la situation émotionnelle potentiellement explosive.</p>
<h2>Développer des compétences émotionnelles</h2>
<p>Carine a su alléger les émotions négatives de ses collaborateurs en les acceptant. Elle leur a donné les moyens de mieux gérer leur travail émotionnel. Ils ont ainsi eu envie de revenir plutôt que de rester à distance et ont retrouvé leur goût pour coopérer et servir le client. Les managers qui accueillent en ce moment leurs équipes déconfinées font face au même besoin.</p>
<p>Selon le <a href="https://www.weforum.org/agenda/2016/01/the-10-skills-you-need-to-thrive-in-the-fourth-industrial-revolution">World Economic Forum</a>, en 2020, parmi les sept compétences managériales les plus importantes figurent le management des humains, la coordination avec les autres et l’intelligence émotionnelle.</p>
<p>Au-delà de l’acceptation et de l’écoute, d’autres techniques permettent de favoriser le retour des salariés dans de bonnes conditions :</p>
<ul>
<li><p>Permettre aux salariés de se retrouver régulièrement dans un lieu dédié à la prise de recul et aux échanges entre collègues. Chaque professionnel devrait avoir accès à des coulisses où il peut se ressourcer ;</p></li>
<li><p>Apporter aux collaborateurs une aide en amont d’une séquence de travail, comme le fait un manager lorsqu’il réunit son équipe de consultants pour les préparer mentalement et émotionnellement avant une réunion avec un client particulièrement difficile ;</p></li>
<li><p>Mettre en place pour le salarié des procédures de sortie rapide d’une situation de conflit, de possibilité pour lui d’exprimer pleinement ce qu’il a ressenti, puis de recevoir du soutien et de se remettre au travail, comme on remonte à cheval après une chute.</p></li>
</ul>
<p>Toutes ces techniques utilisent les mêmes mécanismes qui ont prouvé leur efficacité. Si les rescapés d’un détournement d’avion peuvent exprimer leur angoisse tout de suite après l’atterrissage auprès d’une personne emphatique, ils ne développeront pas de stress post-traumatique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/337918/original/file-20200527-20219-ch6bgi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/337918/original/file-20200527-20219-ch6bgi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=762&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/337918/original/file-20200527-20219-ch6bgi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=762&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/337918/original/file-20200527-20219-ch6bgi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=762&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/337918/original/file-20200527-20219-ch6bgi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=958&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/337918/original/file-20200527-20219-ch6bgi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=958&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/337918/original/file-20200527-20219-ch6bgi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=958&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans l’expérience de Milgram, l’expérimentateur (E) amène le sujet (S) à infliger des chocs électriques à un autre participant, l’apprenant (A), qui est en fait un acteur.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Exp%C3%A9rience_de_Milgram.png">Paulr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>Et comme l’a montré le psychologue américain Stanley Milgram dans la plus célèbre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=D3aShsV0HJw">expérience de psychologie sociale</a> de l’histoire, nous trouvons même la force de réaliser les tâches les plus difficiles, comme punir une autre personne, si nous pouvons d’abord exprimer combien c’est douloureux pour nous de le faire.</p>
<p>Avec le déconfinement, les émotions négatives des salariés qui restaient contenues deviennent plus aiguës. Ces émotions doivent être accueillies, c’est-à-dire mises au jour pour diminuer leur pouvoir de nuisance et retrouver l’engagement des salariés et la satisfaction des clients.</p>
<p>Le nouveau monde sourira aux managers qui sauront et aimeront, en même temps qu’assurer leurs autres rôles, gérer le travail émotionnel de leurs équipes. Cela sera aussi une question de priorité, d’organisation et de formation de la part des entreprises.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139481/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Nadisic est chercheur et directeur pédagogique d'un programme organisé par emlyon business school d'accompagnement des managers du Crédit Agricole d'Ile de France.</span></em></p>Des techniques de travail émotionnel existent et s’avèrent très utiles pour gérer le retour physique progressif des collaborateurs dans l’entreprise.Thierry Nadisic, Professeur Associé en Comportement Organisationnel, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1325612020-03-05T19:01:40Z2020-03-05T19:01:40Z« L’entreprise heureuse », lieu inattendu de l’aliénation moderne ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/317552/original/file-20200227-24672-1l120ik.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5426%2C3498&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Avec l'essor du « fun » dans le travail, le taylorisme s'étendrait désormais à l’instrumentalisation des émotions.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/businessman-holding-paper-drawed-smiley-face-174469562">Ra2 studio / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le travail doit, semble-t-il, constituer l’espace premier de l’accomplissement et du bonheur des hommes. Rien de bien nouveau sous le soleil des néons d’usine, puisque c’est ainsi que déjà dans les années 1930, la fameuse école dite des <a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.1999.gprunet&part=7332">« relations humaines »</a>, souhaitait réinventer les raisons de l’engagement des gens dans leur travail. On leur découvrait un cœur, des sentiments, de la subjectivité, et on pensait aller alors au-delà de la <a href="https://www.henryford.fr/fordisme/taylorisme/">machinerie taylorienne</a> asservissant « seulement » les corps.</p>
<p>C’est ainsi que le modèle de la belle entreprise d’aujourd’hui continue à façonner les esprits. Mais elle le fait désormais de façon radicale : elle ajoute à l’instrumentalisation des émotions, la notion de plaisir et de jeu. Elle mélange alors dans un flou d’apparence candide et authentique le temps du travail et le temps du jeu. Le <a href="https://www.capital.fr/votre-carriere/et-si-lon-percevait-le-travail-comme-un-jeu-1259675">travail deviendrait un jeu</a>, un moment de confusion absolue entre la vie et le travail.</p>
<h2>Le sens du travail sur un plateau</h2>
<p>Qui n’a jamais entendu parler des toboggans ou de la piscine à balles de Google ? Ou de l’accès aux jeux vidéo sur Playstation, des tables de ping-pong et du terrain de pétanque, des <em>escape games</em> organisés dans de nombreuses entreprises ? Que penser des <em>funsultants</em>, ces experts chargés de faire rire et d’amuser les travailleurs au beau milieu de leur journée de boulot, dénoncés par les chercheurs Carl Cederström et Peter Fleming, dans leur petit brûlot hélas non traduit en français, <a href="https://www.cairn.info/revue-management-2012-4-page-453.htm">« Dead Man Working »</a> ?</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/318024/original/file-20200302-18279-4xjmru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/318024/original/file-20200302-18279-4xjmru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/318024/original/file-20200302-18279-4xjmru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/318024/original/file-20200302-18279-4xjmru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/318024/original/file-20200302-18279-4xjmru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/318024/original/file-20200302-18279-4xjmru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/318024/original/file-20200302-18279-4xjmru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les toboggans de Google, un symbole de la déferlante du « fun » dans les espaces de travail.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Chara_stagram/Shutterstock</span></span>
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<p>Ces mêmes experts expliquent en même temps qu’il est nécessaire d’<a href="http://www.employer-employee.com/april2002tips.html">expliquer aux employés ce qu’est le « fun »</a> et ce qu’il n’est pas, pour éviter que « les chiens ne se lâchent trop ». Sait-on qu’aujourd’hui, c’est même dès l’enfance que l’on propulse les individus vers cette confusion ? Des parcs d’attraction comme <a href="https://www.lepoint.fr/societe/dans-les-parcs-d-attractions-kidzania-le-travail-est-un-jeu-d-enfants-27-12-2019-2354908_23.php">KidZania</a> suggèrent aux enfants de jouer au pompier, à l’infirmière, au docteur, et de gagner de l’argent pour éteindre un incendie ou sauver un blessé ? Le travail devient alors en effet un jeu d’enfant.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/318030/original/file-20200302-18266-ijp2vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/318030/original/file-20200302-18266-ijp2vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/318030/original/file-20200302-18266-ijp2vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/318030/original/file-20200302-18266-ijp2vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/318030/original/file-20200302-18266-ijp2vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/318030/original/file-20200302-18266-ijp2vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/318030/original/file-20200302-18266-ijp2vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans les parcs d’attractions KidZania, comme dans celui-ci à Moscou en Russie, les enfants jouent à exercer différents métiers.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Elina/Shutterstock</span></span>
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</figure>
<p>On reste incrédule devant ces êtres venus d’ailleurs, qui sont là pour exploiter la confusion, de plus en plus présente dans l’esprit de nombreux travailleurs des entreprises modèles, entre temps libre et temps travaillé. Poussée à l’extrême, l’émancipation permise par le <a href="https://www.journaldugeek.com/2019/05/23/amazon-transforme-travail-de-employes-jeu-journees-de-travail-toujours-plus-fun/">travail « fun »</a> viendrait alors compenser le fait acquis, que malgré tout, tout le monde est bien « à fond » dans sa tâche, et même au-delà, dans une culture envahissante du sacrifice consenti aux exigences toujours plus fortes du travail.</p>
<p>Les frontières s’effacent en effet, et il devient alors possible de parler du travail comme d’un monstre vorace, qui enveloppe progressivement l’existence des gens qui acquiescent, et qui confirment par cet assentiment même la centralité du travail dans la construction d’une vie « heureuse ». Qui peut contredire cela ? Être sans travail, c’est en effet être sans identité, sans amis, sans argent, parfois sans toit, sans raison d’être… C’est être l’un des <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1996_num_37_4_4479">« inutiles au monde »</a> évoqués par le sociologue Robert Castel.</p>
<h2>Franchir la ligne d’arrivée en premier</h2>
<p>Cette mécanique souriante est la forme la plus sournoise de l’aliénation moderne. La question n’est plus de savoir si le travail a un sens puisque ce sens est apporté sur un plateau par le management heureux. On n’a donc plus d’autre choix que de faire la course avec les autres, et cette course même est sensée remplir nos vies.</p>
<p>Dans leur livre <em>Happycratie. Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies</em>, la sociologue Eva Illouz et le docteur en psychologie Edgar Cabanas ont analysé la façon dont le travail contemporain parvient à entrer dans les vies individuelles par l’emprise sur les corps et sur les valeurs soi-disant partagées de <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/happycratie-comment-lindustrie-du-bonheur-a-pris-le-controle-de-nos-vies">l’accomplissement personnel et du bonheur</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Méfions-nous des vendeurs de bonheur ! », interview d’Eva Illouz pour TV5 Monde (2018).</span></figcaption>
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<p>Il est alors facile de repérer pourquoi les gens disent souvent « ici on n’a pas de vie, enfin ici c’est la vie quoi, dehors il ne se passe rien » et repartent à la fois enthousiasmés par l’importance présumée de leur tâche, et épuisés par la dissolution même des frontières entre vie et travail. À la limite désormais, seule compte l’œuvre qui permettra à chacun de tout donner, comme un athlète qui « se déchire » pour franchir le premier la ligne d’arrivée, comme j’ai pu le constater dans mes propres <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-lentreprise-au-xxi-siecle-un-monde-de-cannibales-en-costume-124903">observations ethnographiques</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1184913584704442368"}"></div></p>
<p>La consommation des hommes par le travail a suivi une courbe très ascendante depuis Taylor, quoi qu’on en dise : l’usine mortifère et bruyante achetait les corps des ouvriers, grignotés par des environnements physiques hostiles, des rythmes infernaux et des adjuvants alcoolisés. Puis l’entreprise a acheté les esprits, les subjectivités, les raisons de s’engager, les émotions, pour les transformer en objets productifs.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/317542/original/file-20200227-24668-hckkz2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/317542/original/file-20200227-24668-hckkz2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=475&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/317542/original/file-20200227-24668-hckkz2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=475&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/317542/original/file-20200227-24668-hckkz2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=475&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/317542/original/file-20200227-24668-hckkz2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/317542/original/file-20200227-24668-hckkz2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/317542/original/file-20200227-24668-hckkz2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des mineurs posent avec des seaux à déjeuner à la main à l’extérieur du puits de mine Tamarac, aux États-Unis en 1905.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.fhwa.dot.gov/byways/photos/61352">Jack Foster Collection/Keweenaw National Historical Park archives</a></span>
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<p>Aujourd’hui, c’est la vie même que le travail consomme. Car on ne sait pas toujours où l’on est lorsque l’on travaille : au bureau ? Chez soi ? Dans un café, un coffee shop, un lab ou open space quelconque ? L’espace a fondu comme mode de repérage des activités et des identités. On ne sait pas toujours ce que l’on fait lorsque l’on travaille puisque l’on est sensé aussi s’amuser avec des collègues sympathiques et toujours « partants », euphorisés par l’atmosphère ludique des modes dits avancés d’organisation du travail.</p>
<h2>Impotence éthique</h2>
<p>On ne sait donc plus vraiment qui l’on est. Ce brouillage identitaire n’est pas qu’un diagnostic de salon : il est le vecteur subtil de la démoralisation du monde. Quelle route dois-je suivre si je ne sais plus trop qui je suis ? Au nom de quoi devrais-je faire bien ce que l’on me demande de faire ? D’une certaine façon, ce brouillage est à l’origine de l’impotence éthique du travailleur aujourd’hui : exploiter des territoires pour construire des mines, dévaster des forêts pour faire passer des routes, exploiter le plasma de pauvres gens pour en faire des médecines coûteuses, fabriquer des pesticides, des armes, des bols en plastique, des chaussures et des tee-shirts venant d’ateliers remplis d’enfants, après tout pourquoi pas ?</p>
<p>On observe alors une double aliénation : celle découlant de la confusion des esprits et des espaces quant à la place légitime du travail dans nos existences sociales, et celle découlant de l’atrophie morale du travail et des travailleurs.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Les cannibales en costume », interview de David Courpasson dans l’émission IQSOG/Fenêtres ouvertes sur la gestion (Xerfi canal, février 2020).</span></figcaption>
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<p>Le seul remède passe par un réinvestissement de la pensée de nos existences en dehors de cette « entreprise heureuse », voire en dehors du travail. Notre enfermement dans des mythes sociaux étouffants (l’accomplissement personnel, la flexibilité-mobilité-agilité, le bonheur, l’émancipation par le travail, etc.) fait de nous des êtres sommés d’être satisfaits de leur sort : être insatisfait ou critique c’est être un incapable, coupable de ne pas savoir faire les « bons choix » pour soi.</p>
<p>Cette obsession du « fun »et du bonheur au travail anesthésie l’esprit critique et renvoie les travailleurs qui resteraient réticents à leur propre ratage, à leur impotence mentale : même le suicide peut être ainsi expliqué, comme nous avons pu le constater dans nos recherches. Si c’est bien à cet état du rapport social que mène la vogue de l’entreprise comme récit des joies quotidiennes, alors il faut la fuir. Car c’est une nouvelle forme de pouvoir glissant, insaisissable et qui s’impose en souriant à des êtres déjà vaincus, obsédés par la recherche assommante de leur propre perfection.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132561/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Courpasson ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’obsession du bonheur en entreprise brouille la frontière entre temps libre et temps professionnel, paralysant la réflexion des travailleurs sur ce qu’ils font.David Courpasson, Professeur de sociologie, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1307072020-01-28T17:53:00Z2020-01-28T17:53:00ZCe que nous devons à Clayton Christensen, théoricien majeur du management<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/312221/original/file-20200128-81403-lizj8l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=936%2C0%2C4020%2C3306&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La théorie de la rupture de cet auteur américain majeur permet d’expliquer des phénomènes a priori incompréhensibles et surtout de fournir des pistes d’action très concrètes.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/betsyweber/6276753696/in/photolist-ayE1cj-ayBNZ6-ayEtQU-ayBNVp-ayEu2S-68eCJM-smUPN4-aE75D2-smP17y-s5ofeo-rq9Xng-ayEu55-sjE79s-smMxBb-s5urs4-smWeez-sjF3pS-s5nLzq-s5obrf-rqaPPP-rqaLSB-smWjdt-yRRDS-s5pr99-s5wh14-smWcRv-s5wbtx-rpY37E-rpXZGE-smVGZ2-rpXgVJ-rq9wxg-s5o8ff-s5mZTG-smUpG8-s5up8e-smUksg-s3B6tH-smWisK-rpVLGq-s5kEXC-smTv1r-rq7TQR-s5okqW-sjFpeh-rqaiiP-smVEap-s3CE7X-s5om6L-s5v5k2">Betsy Weber / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Clayton Christensen, auteur à l’origine du concept de disruption (rupture), est décédé d’un cancer à l’âge de 67 ans, le 23 janvier dernier. Il était un théoricien majeur du management, au même titre que des géants comme Peter Drucker ou Michael Porter, et ses travaux sont plus que jamais d’actualité à l’heure où les grandes entreprises continuent à trouver difficile de répondre aux multiples ruptures de leur environnement. Dans ce qui suit, je propose une synthèse de ses travaux pour montrer en quoi ils peuvent être très utiles.</p>
<h2>La notion de rupture</h2>
<p>Une rupture est un changement profond dans un environnement qui redéfinit les règles du jeu. L’émergence du low cost dans le transport aérien, celle du numérique dans la photo ou encore l’invention d’Internet, sont des exemples typiques de ruptures. Celles-ci ne sont toutefois pas que technologiques : l’augmentation du niveau général d’éducation est également une rupture, la baisse de la natalité ou les changements de mœurs (comme le mariage homosexuel) sont des exemples de ruptures non technologiques aux conséquences très importantes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Clayton Christensen expliquait ce qu’est une « disruptive innovation » (<em>Harvard Business Review</em>, 2012).</span></figcaption>
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<p>De façon importante, Christensen souligne qu’une rupture est un processus, pas un événement. Ainsi, le low cost émerge à partir des années 1970 et il met environ 15 ans à avoir un réel impact sur les compagnies aériennes classiques. Cet impact persiste aujourd’hui. Ce très long délai entre le début d’une rupture et ses premiers impacts explique pourquoi elle est généralement sous-estimée par les acteurs en place.</p>
<p>Par ailleurs le propre d’une rupture est de souvent puiser ses premiers clients dans ce qu’on appelle les non-consommateurs : les premiers clients du low cost étaient ainsi, non pas les clients existants des compagnies aériennes, mais les utilisateurs de bus. Pendant presque 15 ans, le low cost ne prend donc aucun client aux compagnies, qui dès lors ne le perçoivent pas comme une menace.</p>
<p>Mais peu à peu, le low cost se généralise, des générations d’étudiants sont devenus adultes et continuent de l’utiliser : il empiète désormais sur les segments classiques mais il est bien tard pour les acteurs en place pour réagir. Un autre aspect important est la notion relative d’une rupture : ce qui est une rupture pour un acteur n’en est pas forcément une pour un autre. Le numérique est une rupture pour Kodak, car il rend ses films inutiles, mais pas pour Nikon qui continuera à vendre des appareils, qu’ils soient mécaniques ou numériques.</p>
<h2>Modèle mental</h2>
<p>Une rupture est aussi un défi pour un acteur en place parce qu’elle représente un modèle mental tout à fait nouveau et en contradiction avec son propre modèle. Un modèle mental est une façon de voir le monde. Lorsqu’Apple lance son iPhone en 2007, celui-ci est techniquement inférieur aux téléphones de Nokia (il n’est même pas compatible 3G) et la facilité d’utilisation n’est pas à l’époque considérée comme importante. C’est finalement le modèle d’Apple qui gagne.</p>
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<figcaption><span class="caption">Quand Steve Jobs présentait le premier iPhone en 2007 (Brut).</span></figcaption>
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<p>Le propre des innovateurs de rupture est donc d’inventer de nouveaux modèles mentaux et de réussir à les imposer, comme Henry Ford qui réussit à faire passer l’idée que chaque Américain devrait avoir la possibilité d’acheter une voiture, une idée qui était pourtant considérée comme tout à fait ridicule à l’époque. Cinq ans après la Ford T, cette idée était évidente pour tout le monde.</p>
<h2>Le dilemme de l’innovateur</h2>
<p>Plus fondamentalement, Christensen explique pourquoi il est difficile à un acteur en place de répondre à une rupture en illustrant ce qu’il appelle le dilemme de l’innovateur. Par définition, celle-ci correspond à un modèle d’affaire différent. Le propre de la rupture c’est donc qu’elle n’est pas la continuité de l’activité existante, mais une activité différente. Un acteur en place a réussi en mettant en œuvre un modèle d’affaire correspondant à son activité historique. Ses ressources, ses processus et ses valeurs (priorités) sont définis et optimisés pour servir ce modèle. Comme on ne peut pas être optimisé pour servir deux modèles différents, cette optimisation, qui sert l’acteur en place dans son marché historique, le dessert dans le nouveau marché correspondant à la rupture.</p>
<p>Ainsi, AccorHotels est optimisé pour fournir une prestation similaire dans tous ses hôtels ; le critère clé de performance choisi est celui de l’homogénéité de service : lorsque je vais dans un hôtel Ibis, je sais exactement à quoi m’attendre, j’achète l’absence de surprise. Avec Airbnb, c’est l’opposé : j’achète un élément de surprise et le fait que deux propriétés ne seront jamais les mêmes ; le critère de performance choisi par Airbnb n’est pas le même. Cela explique pourquoi souvent, pour un acteur en place, cela n’a aucun sens de s’intéresser à une rupture car il la jugera à l’aune de son modèle actuel. Le disrupteur peut jouer sur ce désintérêt rationnel pour prendre une place qui n’est même pas défendue.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/312249/original/file-20200128-81416-opirmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/312249/original/file-20200128-81416-opirmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/312249/original/file-20200128-81416-opirmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/312249/original/file-20200128-81416-opirmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/312249/original/file-20200128-81416-opirmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/312249/original/file-20200128-81416-opirmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/312249/original/file-20200128-81416-opirmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Clayton Christensen donnant une conférence à l’Université norvégienne de Science et de Technologie (2014).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/ntnunyskaping/14874791428/in/photolist-sjDLau-smTY3H-s3AHLe-rq7YaT-smXTMK-rpXqWj-sjEs2y-s5o2Mb-rq9bfx-sjDZNG-s5nv4s-s5mVkA-s3CysR-sjDNzQ-rpWc1L-s3AMMa-smLh1o-rpViLb-s5nwfo-s3BFAF-smXYM4-s5npYC-s5ufXr-smTZwz-rpVQgj-rqaxMt-smUz">Kai T. Dragland/Flika</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>L’expression dilemme de l’innovateur vient du fait que l’acteur en place est partagé entre deux choix également perdants : défendre son activité historique, au risque de compromettre son avenir s’il ignore le potentiel de la rupture, ou parier sur celle-ci au risque de compromettre son activité historique, sans être par ailleurs certain que la rupture donnera lieu à un marché. D’ailleurs, la défense de l’activité historique sera toujours le choix par défaut : on préfère rationnellement protéger celle-ci car elle correspond à quelque chose de certain, alors que la rupture n’est qu’un potentiel lointain.</p>
<p>Autrement dit, mettre en danger l’activité historique c’est être certain de perdre beaucoup et à très court terme, tandis que miser sur la rupture c’est espérer gagner beaucoup dans très longtemps mais sans en être certain.</p>
<p>La théorie de la rupture de Christensen est donc avant tout une théorie de la réponse stratégique d’un acteur à un changement de son environnement. Elle explique pourquoi cette réponse est rationnellement difficile : ce n’est pas par manque d’information, ce n’est pas par manque de volonté, ce n’est pas par manque de temps ; c’est parce que l’acteur en place est encombré par son activité historique qu’il se doit de protéger que sa réponse est freinée.</p>
<p>Contrairement à ce qui a pu être écrit par certains critiques, la théorie de Christensen ne propose pas du tout une méthode d’innovation à coup sûr, et encore moins que l’innovation de rupture est un Graal toujours souhaitable. Elle permet seulement, mais c’est déjà beaucoup, de prévoir comment l’acteur en place réagira, toute chose étant égale par ailleurs, s’il n’a pas conscience des mécanismes liés à la rupture. Intel, qui s’est inspirée des travaux de Christensen, a ainsi réussi à éviter de laisser tout l’entrée de gamme à ses concurrents lorsqu’elle s’est aperçue qu’elle était victime du dilemme.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/312261/original/file-20200128-81357-1bso9oq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/312261/original/file-20200128-81357-1bso9oq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/312261/original/file-20200128-81357-1bso9oq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/312261/original/file-20200128-81357-1bso9oq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/312261/original/file-20200128-81357-1bso9oq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/312261/original/file-20200128-81357-1bso9oq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/312261/original/file-20200128-81357-1bso9oq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/312261/original/file-20200128-81357-1bso9oq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Malgré l’intérêt des travaux de Christensen, il n’a pas été traduit en français (sauf son ouvrage L’ADN de l’innovateur, qui n’est pas je pense le plus intéressant). Une difficulté supplémentaire est que sa théorie a évolué au cours du temps. Dans son ouvrage initial, <em>The Innovator’s Dilemma</em> paru en 1997, et qui reste une référence incontournable, un ouvrage profond et pourtant très lisible, il parlait de technologie de rupture. Ensuite il a évolué pour montrer qu’une technologie n’est jamais en elle-même une rupture. C’est pour fournir une synthèse en français de ses travaux qui soit utilisable par des managers que j’ai écrit mon ouvrage « Relevez le défi de l’innovation de rupture ».</p>
<h2>Une théorie… très pratique</h2>
<p>Christensen a, au travers de livres et d’articles, tracé des pistes pour essayer de détecter des ruptures (<em>Innovator’s Solution, Seeing What’s Next</em>) et appliquer son modèle à différents secteurs comme la santé (<em>Innovator’s Prescription</em>, remarquable) ou l’éducation (<em>Innovative university</em>). Très religieux, Christensen avait également essayé d’appliquer certaines de ses théories aux questions d’éthique et de développement personnel, avec un ouvrage comme <em>How Will You Measure Your Life ?</em> (« Comment évaluerez-vous votre vie ? ») où il prodiguait des conseils aux étudiants de Harvard et aux managers en général.</p>
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<figcaption><span class="caption">« How Will You Measure Your Life ? » Clay Christensen à une conférence TEDx à Boston (2012).</span></figcaption>
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<p>J’avais trouvé ce travail peu intéressant car il n’évitait pas les écueils de l’exercice, flirtant avec les banalités (fixez-vous des objectifs clairs, prenez soin de votre famille, restez honnête tout le temps plutôt que souvent, etc.) et le sentimentalisme. Chaque théorie a ses limites…</p>
<p>Christensen restera comme un penseur majeur du management, un de ceux qui m’intéressent vraiment dans la mesure où il offre une théorie solide qui est directement utilisable par des acteurs économiques, ce qui est très rare (l’autre étant Saras Sarasvathy avec <a href="https://philippesilberzahn.com/2011/02/28/comment-entrepreneurs-pensent-agissent-principes-effectuation/">l’effectuation</a>).</p>
<p>Comme je le vérifie régulièrement en travaillant avec des entreprises, la théorie de la rupture permet d’expliquer des phénomènes a priori incompréhensibles et surtout de fournir des pistes d’action très concrètes. Les entreprises qui s’interrogent sur leur avenir gagneraient à mieux connaître les travaux de Clayton Christensen.</p>
<hr>
<p><em>Cette contribution est une republication du <a href="https://philippesilberzahn.com/2020/01/27/ce-que-nous-devons-a-clayton-christensen-theoricien-majeur-du-management/">billet</a> mis en ligne le 27 janvier dernier sur le blog de Philippe Silberzahn, auteur de <a href="https://philippesilberzahn.com/ouvrages/relevez-le-defi-innovation-de-rupture/">« Relevez le défi de l’innovation de rupture »</a>, paru aux Éditions Pearson en 2015.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/130707/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Silberzahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>The Conversation France republie le billet de blog de Philippe Silberzahn (Em Lyon) qui synthétise les travaux du professeur américain à l’origine du concept de disruption décédé le 23 janvier.Philippe Silberzahn, Professeur stratégie et organisation, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1245092019-10-02T17:53:45Z2019-10-02T17:53:45ZInterface, spécialiste des dalles de moquettes et… pionnier de l’économie circulaire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/294978/original/file-20191001-173358-4yi7cq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=21%2C30%2C1156%2C725&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Entre 1996 et 2017, cette multinationale dit avoir réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 96%.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Rosenfeld Media / Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Il est fort probable que vous n’ayez jamais entendu parler de l’entreprise Interface. Pourtant, cette multinationale basée à Atlanta aux États-Unis, cotée au Nasdaq et leader mondial de la fabrication de dalles de moquettes, est sans conteste l’un des pionniers de l’économie circulaire. À ce titre, l’entreprise vient de sortir sa première dalle de moquette <em>climate negative</em>, dont l’empreinte carbone est de moins 2 kg !</p>
<p>Tout commence en 1994 quand le CEO d’Interface, Ray Anderson, doit répondre à une demande insolite émanant de clients de l’entreprise : des architectes américains souhaitent en effet qu’Anderson fasse un discours sur la politique environnementale de l’entreprise. Comme le patron d’Interface l’avouera lui-même par la suite : « je ne voulais pas faire ce discours. Je n’avais aucune vision environnementale ».</p>
<p>Pour Ray Anderson, cette sollicitation sera le déclencheur d’une prise de conscience radicale de l’irresponsabilité de son entreprise envers le monde naturel. La lecture de « L’écologie du commerce » de l’éco-entrepreneur <a href="https://www.commercemonde.com/2018/11/ecologie-de-marche/">Paul Hawken</a> constitue une vraie révélation, une « épiphanie » pour le patron d’Interface qui, à partir de ce moment-là, décide d’engager son entreprise dans une refondation complète, un total changement de paradigme. Tout en maintenant sa position de leader sur son marché, ce qui sera le cas…</p>
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<figcaption><span class="caption">« Ray Anderson from The Corporation », vidéo Realityforachange (en anglais), 2011.</span></figcaption>
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<p>Un quart de siècle plus tard, Interface estime avoir quasiment atteint son objectif <em>Mission zero</em> pour 2020, à savoir aucun impact négatif sur l’environnement. Les <a href="https://www.interface.com/US/en-US/about/press-room/2017-EcoMetrics-Release-en_US">chiffres</a> (pour 2017) parlent d’eux-mêmes : sur la base de 1996, l’entreprise annonce avoir réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 96 %, sa consommation d’eau de 88 %, l’utilisation d’énergies renouvelables a augmenté de 88 % au niveau du groupe et de 100 % pour son usine de Scherpenzeel aux Pays-Bas.</p>
<p>Quant à la part de matériaux recyclés et biosourcés utilisés dans les produits, elle a augmenté de 56 % depuis 1996. Si ce dernier chiffre semble moins impressionnant que les précédents, précisons que l’entreprise dispose de cinq usines de production sur quatre continents, dont une en Thaïlande. Dans ce contexte, il est clair que l’environnement réglementaire européen est <a href="https://theconversation.com/en-europe-les-initiatives-se-multiplient-pour-en-finir-avec-le-tout-jetable-67006">largement plus favorable</a> à ce type de démarche et qu’il s’agit ici des chiffres à l’échelle du groupe.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-europe-les-initiatives-se-multiplient-pour-en-finir-avec-le-tout-jetable-67006">En Europe, les initiatives se multiplient pour en finir avec le tout jetable</a>
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<p>Allant toujours de l’avant, Interface a défini il y a quelques années sa stratégie <a href="https://www.interface.com/US/en-US/campaign/climate-take-back/Climate-Take-Back"><em>Climate Take Back</em></a> pour 2030 qui vise à passer du rôle d’entreprise restauratrice à celui d’entreprise régénératrice qui contribue, par ses produits, à fournir des solutions aux enjeux climatiques. Il n’est plus question de ne plus avoir d’impacts négatifs sur l’environnement, mais d’avoir un impact positif, tout en produisant des dalles de moquette !</p>
<p>Cet objectif semble à première vue bien ambitieux, voire utopique… À vrai dire, il en était de même en 1995 quand l’entreprise affirma qu’il était possible de quitter le modèle linéaire de production <em>take, make, waste</em> afin de « boucler la boucle » !</p>
<h2>Quelques enseignements</h2>
<p>Ce qui frappe d’emblée est le produit dont il est question, la dalle de moquette. On associe en effet difficilement ce produit à l’innovation. Quant aux impacts environnementaux, ils sont multiples : dérivés du plastique pour la fibre, sous-couche à base de goudron, colle utilisée, etc.</p>
<p>La grande force d’Interface est l’accent continuellement mis sur l’innovation, avec de très lourds investissements en R&D. L’entreprise possédait déjà cette culture d’innovation avant d’engager sa démarche de durabilité, et elle s’est « naturellement » appropriée les enjeux de durabilité dans une vision de l’innovation disruptive et de long terme. Ainsi, et à titre d’exemple, l’entreprise parviendra-t-elle à recycler le nylon alors que tout le monde s’accordait pour dire dans les années 1990 que cela était impossible ?</p>
<p>« Il y a toujours une solution », aime-t-on répéter chez Interface : depuis le lancement de <em>Mission zero</em>, les innovations se sont succédé à un rythme soutenu, et ce pour toutes les composantes du produit. Quant à la stratégie d’innovation d’Interface, elle repose sur deux intuitions remarquables : la première est le lien que l’entreprise fera d’emblée entre innovation et design, dans une approche décrite par la pionnière du biomimétisme Janine Benyus. Ainsi, les designs aléatoires imités des couverts forestiers en automne permettront de remplacer plus aisément des parties d’une surface de moquette tout en se distinguant par leur design unique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/eLh5sx-Y9U8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Biomimicry in action – Janine Benyus », vidéo Ted Talks (en anglais), 2018.</span></figcaption>
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<p>L’autre élément véritablement pionnier a été la volonté, dès le départ, d’associer les fabricants de fibre (responsables de près des deux tiers des émissions au long du cycle de vie) à la démarche. C’est ainsi qu’Interface travaillera étroitement avec le fabricant italien Aquafil sur des projets toujours plus innovants, jusqu’à créer en 2011 <a href="http://net-works.com"><em>Net-Works</em></a>. Ce business inclusif soutient des populations pauvres aux Philippines et au Cameroun en les rémunérant pour la collecte de filets de pêche abandonnés qui sont un fléau pour la biodiversité marine, filets qui sont ensuite réintégrés par Aquafil dans le processus de production et revendus à Interface.</p>
<p>Cette culture de l’innovation irrigue l’ensemble de l’organisation : toujours à la recherche de recyclabilité et de nouveaux matériaux biosourcés, Interface a fait de la supply chain (chaîne d’approvisionnement) une fonction clé qui contrôle d’ailleurs la production ! En liant constamment innovation, design, marketing et développement durable, l’entreprise a conservé sa position de leader sur le marché. On doit également souligner l’importance de la collaboration constante de l’entreprise avec les meilleurs experts (dès le départ de l’aventure avec Paul Hawken, Janine Benyus ou encore l’ONG suédoise <a href="https://thenaturalstep.org"><em>The Natural Step</em></a>).</p>
<h2>Défis permanents</h2>
<p>On peut ensuite légitimement se demander pourquoi le modèle déployé par Interface n’est pas plus largement dupliqué, même si l’entreprise a été jusqu’à créer une filiale de conseil au Royaume-Uni. L’un des éléments clés est sans conteste le charisme de Ray Anderson son fondateur et de l’impulsion unique qu’il a donnée, soutenue par une culture d’entreprise très horizontale qui mobilise l’ensemble des employés et des parties prenantes clés. Malgré sa taille, Interface a gardé un esprit pionnier, toujours prête à apprendre de ses échecs (les « successful failures »).</p>
<p>Par ailleurs, Interface a dynamisé ses principaux concurrents, contribuant à fortement élever les standards environnementaux du secteur. Quant à généraliser le modèle Interface à d’autres secteurs, outre la question de la culture d’entreprise et de leadership, se posent les enjeux de taille et de portefeuille de produits. On imagine la difficulté pour une multinationale avec une gamme étendue et diversifiée de produits d’adopter la démarche d’Interface ! C’est d’ailleurs pourquoi la démarche circulaire est en général testée pour quelques produits et sur certains sites de production. Enfin, l’engagement des fournisseurs est clairement une autre difficulté majeure.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1151416296824856576"}"></div></p>
<p>Quoi qu’il en soit de la réussite de ce modèle, les difficultés ne manquent pas et Interface doit sans cesse relever de nombreux défis. Parmi ces derniers, citons la taille : l’entreprise ne cesse de croître, et maintenir le modèle est de plus en plus délicat, notamment dans les pays en développement où la vision circulaire se heurte à de nombreux obstacles notamment institutionnels et économiques. La structure de l’actionnariat est de toute évidence une autre difficulté : étant cotée au Nasdaq, l’entreprise est soumise à un actionnariat dont les motivations sont essentiellement liées au profit.</p>
<p>Interface a dû d’ailleurs récemment adopter une stratégie de défense agressive (un <em>poison pill</em>) pour se protéger d’une OPA qui risquait de mettre en danger son modèle. Enfin, la poursuite de l’aventure, avec la nouvelle stratégie pour 2030, est un défi de tous les jours : comme me l’ont confié plusieurs responsables de l’entreprise, travailler pour Interface est exaltant, passionnant, mais aussi épuisant !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124509/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Delbard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis 1995, ce fabricant américain innove pour réduire son empreinte carbone recyclant, par exemple, des filets de pêche. Prochaine étape : des produits à impact positif !Olivier Delbard, Professeur au département d'économie, de droit et de sciences sociales, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1112152019-02-26T20:57:07Z2019-02-26T20:57:07ZEn Italie, le divorce entre employés et managers<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/260655/original/file-20190225-26184-1fa60pg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=233%2C100%2C729%2C558&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les managers italiens auraient des difficultés à répondre aux besoins d'autonomie et d'indépendance dans le travail.</span> <span class="attribution"><span class="source">Irina Palei / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><em>Cet article est tiré de l’étude à paraître sur les types de comportements managériaux appréciés par les employés en Italie réalisée par Antonio Giangreco, professeur en ressources humaines à l’IÉSEG School of Business, Francesca Macchi, Massimiliano Serati, Federica Sottrici de l’Università Cattaneo LIUC, et Vittorio D’Amato, directeur du Centre de recherche sur le changement, le leadership et la gestion du personnel de l’Università Cattaneo LIUC.</em></p>
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<p>En Italie, seulement un quart des employés recommanderaient leur manager à un collègue ou à quelqu’un avec lequel ils seraient amenés à travailler, et plus de 4 sur 10 déconseilleraient de collaborer avec lui. C’est ce qui ressort de notre étude en ligne menée auprès de 461 personnes travaillant de différents secteurs (industrie, services, etc.).</p>
<p>En cause, un style de management trop éloigné de leurs attentes. Ces résultats démontrent en effet qu’il y a une certaine forme d’antagonisme, voire de rancœur, entre les employés et les managers ou les employeurs. Il semble d’ailleurs que l’Italie ne soit pas une exception, puisque <a href="https://www.theemployeeapp.com/gallup-2017-employee-engagement-report-results-nothing-changed/">87 % des travailleurs se sont déclarés « désengagés »</a>, selon une étude mondiale de 2017 menée par Gallup. Pour ce qui est de la France, une récente enquête de l’<a href="https://www.institutsapiens.fr">Institut Sapiens</a> faisait état d’une augmentation des arrêts de travail qui serait liée à un « ras-le-bol managérial ». En Italie non plus, les développements et changements sociétaux liés à la digitalisation n’ont pas visiblement pas encore permis d’améliorer de manière significative les relations.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1060073263878078464"}"></div></p>
<h2>Demande de liberté</h2>
<p>Les managers italiens auraient notamment des difficultés à répondre aux besoins d’autonomie et d’indépendance dans le travail, que l’on retrouve en particulier chez les plus jeunes. Plus que leurs aînés, ces derniers demandent un fonctionnement plus souple et des process moins stricts. Ils sont attachés à la flexibilité des horaires et des lieux de travail pour concilier au mieux la vie personnelle et la vie professionnelle. Sans pour autant perdre en productivité grâce aux nouvelles technologies.</p>
<p>Pour l’étude, il a été demandé aux sondés d’évaluer l’importance d’une série de 14 comportements pour estimer si une personne est un bon manager. Il en ressort un certain nombre d’attentes précises des employés vis-à-vis des managers, telles que la capacité à communiquer, à écouter et à surtout rendre ses employés autonomes. Le comportement le plus apprécié est ainsi celui de « donner une grande liberté à ses employés » (55,7 %). Suivent dans la liste « être à l’écoute de ses employés » (51,19 %) ; « prendre en compte les avis de ses employés » (46,6 %) ; « ne pas avoir peur des décisions difficiles » (35,79 %) ; et « vérifier la bonne compréhension des objectifs » (35,57 %).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/260654/original/file-20190225-26162-1pomp5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/260654/original/file-20190225-26162-1pomp5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/260654/original/file-20190225-26162-1pomp5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/260654/original/file-20190225-26162-1pomp5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/260654/original/file-20190225-26162-1pomp5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/260654/original/file-20190225-26162-1pomp5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/260654/original/file-20190225-26162-1pomp5r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les employés italiens considèrent qu’un bon manager sait faire preuve d’écoute.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Edward R/Shutterstock</span></span>
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</figure>
<p>Les résultats suggèrent également que, pour bien fonctionner, les employés ont besoin que leurs managers reconnaissent et récompensent les résultats et les comportements. Ces derniers doivent par ailleurs s’assurer que leur équipe dispose de toutes les ressources pour mener à bien le travail. Les employés décrivent les managers efficaces comme des individus raisonnables, qui savent que les émotions sont contagieuses et que leurs propres émotions sont des moteurs puissants de l’humeur de leurs employés et donc, en définitive, de leur performance.</p>
<h2>Au-delà de l’entreprise</h2>
<p>L’identification avec les employés de leurs critères d’évaluation de performance, tout comme la définition claire de leurs rôles et responsabilités sont reconnus comme des comportements managériaux essentiels dans la littérature sur le sujet. Pourtant, les résultats de notre étude montrent que ce n’est pas ce qui fait qu’un employé va recommander son supérieur hiérarchique ou pas. On peut l’expliquer en avançant que ces facteurs sont certainement perçus comme si essentiels qu’ils sont considérés comme acquis.</p>
<p>On peut conclure en soulignant que ces tensions hiérarchiques dépassent plus largement le champ du management dans les entreprises. Dans la société civile, les manifestations sociales récentes (comme le mouvement des « gilets jaunes » en France et en Belgique et les manifestations liées aux « secteurs digitalisés » dans d’autres pays, etc.) semblent souligner une certaine polarisation entre ceux qui sont perçus comme titulaires de trop de privilèges (les employeurs et les managers) et ceux qui n’en ont pas (les employés). Pour les managers, les résultats de notre étude peuvent donc constituer un point de départ utile pour commencer à établir, à leur niveau, de meilleures relations de travail avec leurs employés.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1070906337641594880"}"></div></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/111215/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antonio Giangreco ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Seul un employé italien sur quatre recommanderait son supérieur hiérarchique.Antonio Giangreco, Full Professor in HRM & OB, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1103912019-01-30T20:46:26Z2019-01-30T20:46:26ZAsics, ou l’entreprise multinationale à l’épreuve de la RSE<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/255134/original/file-20190123-135154-wplhl8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C4%2C978%2C761&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les pressions pour limiter l'empreinte sociale et environnementale des produits sont venues d'Europe, pas du Japon où se situe le siège de l'équipementier. </span> <span class="attribution"><span class="source">Ketchup-j / Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article est tiré de l’article de recherche : Acquier, Carbone & Moatti (2018) <a href="https://ideas.repec.org/a/kap/jbuset/v148y2018i3d10.1007_s10551-015-3007-4.html">« Teaching the Sushi Chef : Hybridization Work and CSR Integration in a Japanese Multinational Company »</a>, publié dans le Journal of Business Ethics.</em></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/274445325" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les auteurs présentent leurs travaux dans une vidéo FNEGE Médias.</span></figcaption>
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<p>La Responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) est une notion culturellement située. Autrement dit, elle varie beaucoup d’un pays à l’autre. Par exemple, alors que les dirigeants américains privilégient la philantropie, les dons et les initiatives volontaires des entreprises, les dirigeants japonais ou allemands mettent plutôt l’accent sur le recyclage et la protection de l’environnement, tandis que les Français s’attachent aux enjeux sociaux, conditions de travail et respect des réglementations.</p>
<p>De ce fait, les pratiques de RSE dans une multinationale sont souvent plus complexes que prévu, car les multinationales doivent faire face à la fois à l’intégration globale de la RSE et à son adaptation locale, ce qui représente un vrai dilemme organisationnel.</p>
<h2>Pressions des managers européens</h2>
<p>Dans <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-015-3007-4">notre article</a> paru dans le <em>Journal of Business Ethics</em>, nous avons exploré ce dilemme à travers une étude de cas fascinante sur Asics, un acteur mondial majeur dans l’industrie de l’équipement de sport. Le siège de l’entreprise se situe dans la ville de Kobe au Japon, avec un management traditionnel très centralisé et très marqué par cette empreinte japonaise. Or, les premières pressions en faveur d’une stratégie de RSE se sont manifestées au début des années 2000 en Europe, loin du siège, où les dirigeants locaux étaient particulièrement exposés aux pressions des concurrents et des parties prenantes.</p>
<p>Ces pressions ont pris la forme de nouvelles réglementations ainsi que d’interpellations de plusieurs ONG sur l’empreinte sociale et environnementale des produits, en particulier pendant les Jeux olympiques d’Athènes de 2004. Le Japon, éloigné de ce contexte, était beaucoup moins touché et concerné par de telles pressions. Ce sont donc des managers européens « sous pression », mais loin du siège, qui ont été confrontés à la nécessité de bâtir une véritable stratégie RSE.</p>
<h2>Travail d’hybridation</h2>
<p>À travers ce cas, nous cherchons à répondre à la question suivante : quelles stratégies et quelles pratiques des managers locaux, éloignés du siège, mettent-ils en œuvre pour faire entendre leur voix et influencer la définition de la politique RSE de la direction générale, du siège ?</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/255131/original/file-20190123-135139-1hleqrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/255131/original/file-20190123-135139-1hleqrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/255131/original/file-20190123-135139-1hleqrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/255131/original/file-20190123-135139-1hleqrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/255131/original/file-20190123-135139-1hleqrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/255131/original/file-20190123-135139-1hleqrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/255131/original/file-20190123-135139-1hleqrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/255131/original/file-20190123-135139-1hleqrl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La politique RSE d’Asics doit beaucoup à celle de sa filiale européenne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Capture d’écran.</span></span>
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</figure>
<p>Pour peser sur la politique générale de l’entreprise, ces managers locaux ont dû mettre en œuvre ce que nous appelons un « travail d’hybridation », consistant à combiner et adapter différentes approches institutionnelles d’une même pratique managériale (dans notre cas, la RSE). Ce travail d’hybridation permet de construire un équilibre délicat entre continuité et renouvellement. Continuité tout d’abord : la filiale européenne a pris soin de ne pas heurter, en inscrivant sa démarche dans l’histoire, les valeurs fondatrices et l’identité d’Asics. Ils ont ainsi montré comment leur démarche était cohérente avec la mission originelle du fondateur (Kihachiro Onitsuka), qui avait fondé l’entreprise après la Seconde Guerre mondiale pour éduquer les jeunes par le sport. De même, en accord avec les valeurs de l’entreprise, les managers européens ont pris soin de ne pas trop communiquer vers l’externe.</p>
<h2>Une équipe RSE internationalisée et féminisée</h2>
<p>D’un autre côté, ces managers ont introduit de la nouveauté pour insuffler une approche occidentale de la RSE. Cela s’est fait par exemple en embauchant des profils dédiés à la RSE capables de tisser des relations entre les différents métiers et fonctions de l’entreprise, les parties prenantes internes et externes. Les managers européens ont également transformé des démarches déjà existantes chez Asics, comme <a href="https://www.iso.org/fr/iso-14001-environmental-management.html">ISO 14 000</a> qui concerne la responsabilité environnementale. Ils l’ont transformée en un dispositif de participation transversale capable d’impliquer des personnes de différentes fonctions, pays et cultures pour formaliser et faire adhérer à la démarche de RSE.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/255132/original/file-20190123-135145-16tewjn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/255132/original/file-20190123-135145-16tewjn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/255132/original/file-20190123-135145-16tewjn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/255132/original/file-20190123-135145-16tewjn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/255132/original/file-20190123-135145-16tewjn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/255132/original/file-20190123-135145-16tewjn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/255132/original/file-20190123-135145-16tewjn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le siège d’Asics, à Kobe.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Saoyagi2/Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Dans un deuxième temps, le siège japonais s’est approprié ces initiatives en transformant complètement, en quelques années, son approche de la RSE qui s’inspire désormais davantage des initiatives européennes. Plusieurs acteurs de l’équipe européenne de RSE ont été nommés au siège, et alors que celle en place à Kobe était jusqu’alors purement japonaise et masculine, sa composition s’est internationalisée et féminisée.</p>
<h2>Les recettes du changement</h2>
<p>On est donc passé en une dizaine d’années d’une approche très fragmentée de la RSE à une approche intégrée, qui hybride l’identité historique du groupe avec la façon de faire la RSE à l’européenne, plus explicite et alignée à la stratégie de l’entreprise.</p>
<p>Ce cas illustre les conditions par lesquelles les filiales peuvent porter une innovation managériale au sein d’un groupe multinational. Deux conditions sont à réunir : d’abord, la perception par les acteurs locaux d’un écart important entre le contexte institutionnel local de la filiale et celui du siège ; ensuite, la capacité à mettre en œuvre le travail d’hybridation.</p>
<p>Finalement, comme le résume l’un des managers d’Asics, on peut analyser l’intégration de la RSE dans la multinationale à travers la métaphore de l’évolution des recettes de sushis au pays du soleil levant, sous l’influence de la cuisine étrangère :</p>
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<p>« Ce sont des chefs japonais ayant voyagé qui peuvent faire évoluer les recettes japonaises. Ils voient qu’en Californie, on fait des sushis différemment, que là-bas, on propose autre chose. De retour au pays, ils partagent ces autres manières de faire avec les autres chefs. Cette proximité fait que c’est beaucoup plus facile pour un chef de la vieille école de goûter, de jeter un coup d’œil, et de dire que ce n’est pas si mal. Voilà notre expérience de la façon dont nous avons pu interagir avec nos collègues japonais ».</p>
</blockquote>
<p>De la même façon, la recette de la RSE à l’occidentale a réussi à réinterpréter la RSE traditionnelle japonaise sans pour autant la dénaturer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/110391/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Des professeurs d’ESCP Europe ont mis en lumière les bonnes pratiques pour déployer mondialement une stratégie RSE au travers du cas de l’équipementier Asics.Aurélien Acquier, Professor - Strategy, Organizations & Society - Scientific Co-Director of the Deloitte Chair "Circular Economy & Sutainable Business Models", ESCP Business SchoolValentina Carbone, Professor of Supply Chain Management and scientific co-director of the Deloitte Chair "Circular Economy & Sutainable Business Models", ESCP Business SchoolValérie Moatti, Professor, Lectra Fashion and Technology Chair, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1052422018-12-09T20:07:50Z2018-12-09T20:07:50ZCes incohérences RH qui freinent l’identification des « talents »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/248676/original/file-20181204-126677-h1vrud.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=82%2C157%2C5425%2C3495&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La notion de « talent » reste trop peu formalisée au sein des entreprises.</span> <span class="attribution"><span class="source">Photographee.eu/ Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><em>Cette contribution est tirée du <a href="https://www.researchgate.net/project/Memoire-de-recherche-M2-RH-Dauphine-quel-lien-entre-la-definition-du-talent-et-lidentification-du-talent-en-interne-Cas-du-secteur-bancaire-et-du-conseil">mémoire de recherche</a> mené par Virginie Le Davay, chargée de formation junior et étudiante en Master 2 management stratégique des ressources humaines à l’Université Paris-Dauphine, sous la direction de Jean‑Yves Ottmann, chercheur en sciences du travail.</em></p>
<hr>
<p>Depuis la publication en 1997 de l’étude <a href="https://hbswk.hbs.edu/archive/war-for-talent"><em>The War for Talents</em></a> (« La guerre des talents ») par le cabinet de conseil McKinsey, les directions des ressources humaines ont multiplié les plans de « gestion des talents » (ou <em>talent management</em>). Ces politiques font aujourd’hui l’objet d’un <a href="https://www.researchgate.net/project/Memoire-de-recherche-M2-RH-Dauphine-quel-lien-entre-la-definition-du-talent-et-lidentification-du-talent-en-interne-Cas-du-secteur-bancaire-et-du-conseil">travail de recherche</a> qui s’intéresse plus spécifiquement à huit entreprises du secteur bancaire et du conseil. Ces travaux relèvent que les définitions hétérogènes du talent établies au sein de ces organisations conduisent à des variations et à des incohérences dans les différentes pratiques associées.</p>
<p>Le talent management renvoie à l’idée d’une mise en adéquation entre les compétences humaines dont elle dispose, sa stratégie d’entreprise et ses métiers. L’objectif est de trouver la personne adéquate, qui répondra au mieux aux attentes de l’entreprise, de la placer au bon poste, au moment opportun, tout en l’accompagnant le long de son parcours professionnel. Les politiques RH relatives à ce talent management sont aujourd’hui considérées comme <a href="https://theconversation.com/climat-des-affaires-la-guerre-des-talents-une-preoccupation-mondiale-103453">stratégiques</a> dans les entreprises malgré le flou autour de la notion de « talent ». « Il n’y avait pas vraiment de définition propre du talent, il n’y avait pas de règle écrite, mais c’était quelque chose qui était très suivi au niveau de la DRH du groupe », résume ainsi un chargé de mission RH interrogé dans le cadre du mémoire.</p>
<h2>Un terme mal défini</h2>
<p>L’étude montre que la définition du talent diffère selon qu’on se trouve dans le secteur bancaire et le conseil. Le « talent » dépend donc du contexte. « La posture », « la capacité à fédérer les clients » et « le leadership » sont des éléments constitutifs du talent recherchés dans le conseil ; dans le secteur bancaire, l’entreprise mettra davantage en avant des personnes ayant une expertise technique, une performance financière et opérationnelle.</p>
<p>Les entretiens menés montrent également que la notion de « talent » reste trop peu formalisée au sein même des entreprises. La majorité des personnes interrogées n’ont en effet pas su donner une définition claire de ce qu’est le talent au sein de leur entreprise. En réalité, chacune a sa propre définition du terme et ne connaît pas celle énoncée par leur entreprise : soit parce qu’il n’en existe pas, soit parce qu’elle n’est pas communiquée. C’est là une première limite de ce type de pratique.</p>
<p>Pourtant, des pratiques d’identification des talents en interne existent bien. En conséquence, un grand nombre de personnes interrogées regrettent que l’évaluation et l’identification du « talent » peinent à se faire de manière objective. Il en découle, d’après eux, un manque de cohérence fort dans les pratiques réelles.</p>
<h2>Outils « bricolés » et sentiments de frustration</h2>
<p>Un des outils largement utilisé par les entreprises pour l’identification des talents est la « Nine Box », créé par McKinsey dans les années 1970. Il s’agit d’une matrice permettant d’évaluer le degré de maturité de « talent » des salariés à travers deux axes majeurs : le <a href="https://www.extension.harvard.edu/professional-development/blog/6-tools-every-business-consultant-should-know">potentiel et la performance</a>. Cet outil est critiqué pour ses aspects <a href="https://www.clomedia.com/2017/10/02/nine-box-grid/">« sectaires »</a> et <a href="https://medium.com/@PeopleFirstPS/behind-the-scenes-how-a-9-box-talent-review-model-may-hurt-you-professionally-9c4d113f05bd">discriminants</a>.</p>
<p>Il reste néanmoins fréquemment utilisé, sans doute en raison de sa grande facilité d’utilisation, bien que les entreprises connaissent ses limites.</p>
<p>Dès lors, quelle valeur donner à un vivier identifié par un outil qu’on sait discutable ? Plus largement, les entreprises étudiées ont semblé procéder à l’identification des « talents » avec des outils « bricolés », peu automatisés ou mal partagés en interne.</p>
<p>Les politiques mises en place peuvent enfin créer une segmentation entre les personnes identifiées comme « talents » et les autres. En cela, les pratiques de management des talents peuvent parfois créer des sentiments de frustration compliquées à gérer pour l’entreprise. Dans certains cas, les entreprises interrogées ont expliqué leur souhait de ne pas communiquer aux salariés leur statut de « talent », de peur de créer des situations d’injustice et de jalousie en interne.</p>
<h2>Conséquences et enjeux des pratiques de gestion des talents</h2>
<p>Pourquoi les entreprises persistent-elles alors, malgré ces effets indésirables, de ces politiques ? Plusieurs éléments de réponses sont apportés dans l’étude. Tout d’abord, la mise en place d’une politique d’identification des talents va permettre à l’entreprise d’avoir une meilleure connaissance de ses points forts, à savoir les collaborateurs qui auront un avenir durable au sein de l’entreprise et qui pourront évoluer rapidement. Ainsi, pour certaines entreprises interrogées, identifier des « talents » leur permet de « préparer la relève de demain » et de positionner leurs collaborateurs désignés « talentueux » sur des postes clés et stratégiques.</p>
<p>Il y a donc un paradoxe fort entre le discours autour de l’importance des talents et la réalité de leur gestion (dans le cas étudié, de leur identification). Un enjeu soi-disant vital semble géré de manière variable, parfois incohérente, souvent « bricolée ». Clarifier la définition du talent, les enjeux stratégiques associés et œuvrer à la pertinence des politiques et outils associés, semble donc devenir une priorité pour les DRH.</p>
<p>Sauf, bien entendu, si la gestion des talents n’était qu’un nouveau nom donné à des pratiques RH classiques. Ce ne serait alors pas une innovation, mais simplement une légitimation de la mission finalement traditionnelle des RH : identifier, recruter, former, faire évoluer, fidéliser les femmes et les hommes qui apportent le plus possible à l’entreprise.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/105242/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Virginie Le Davay est chargée de formation junior Eurowest chez Dassault Systèmes.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jean-Yves Ottmann ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Outils mal adaptés, définition floue, craintes de créer une segmentation dans l’équipe… Les politiques mises en place pour gagner la « guerre des talents » souffrent de nombreux défauts.Jean-Yves Ottmann, Chercheur en sciences du travail, Université Paris Dauphine – PSLVirginie Le Davay, Chargé de formation Junior chez Dassault Systèmes, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1077252018-11-29T19:52:40Z2018-11-29T19:52:40ZPourquoi les managers doivent devenir plus justes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/247489/original/file-20181127-76737-1xr68tm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=30%2C30%2C4767%2C3545&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le manager doit intégrer l'impératif de justice dans sa manière de gérer. C’est une question d’éthique mais aussi de professionnalisme.</span> <span class="attribution"><span class="source">Lisa S. / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><em>Cet article s’appuie sur les travaux menés par Thierry Nadisic pour son livre « Le management juste » (UGA Éditions), publié le 18 octobre 2018.</em></p>
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<p>De même que les peuples anciens avaient besoin, avant toute chose, d’une foi commune pour vivre ensemble, nous avons de nos jours un <a href="https://education.francetv.fr/matiere/economie/premiere/article/la-division-du-travail-creatrice-de-lien-social-selon-durkheim">besoin primordial de justice</a>. Les recherches en <a href="https://www.deboecksuperieur.com/auteur/assaad-el-akremi">justice organisationnelle</a> ont montré qu’être juste consiste non seulement à rémunérer les personnes de façon équitable, mais aussi et surtout à leur donner voix au chapitre lorsque l’on prend des décisions qui les concernent, puis expliquer et justifier les décisions prises tout en faisant preuve de respect et d’empathie.</p>
<p>Un manager a intérêt à intégrer cet impératif de justice dans sa manière de gérer. C’est bien sûr une question d’éthique. Il s’agit aussi de professionnalisme. À l’avènement de la <a href="https://journals.openedition.org/developpementdurable/9646">troisième révolution industrielle</a>, un responsable qui veut permettre à ses salariés de réussir leur mission doit de plus en plus souvent chercher à satisfaire leurs besoins fondamentaux. Et il s’avère qu’être juste est la <a href="https://www.routledge.com/Social-Justice-and-the-Experience-of-Emotion/Cropanzano-Stein-Nadisic/p/book/9780415654241">manière la plus efficace</a> de répondre à ces besoins.</p>
<h2>Une légitimité à prouver</h2>
<p>Pendant longtemps dans l’entreprise, jusqu’à la fin des années 1960 en France, la légitimité des responsables découlait naturellement de leur position dans un système d’autorité. La satisfaction des besoins des salariés était considérée comme étant une propriété naturelle de ce système. Des sentiments de justice et d’injustice pouvaient être ressentis par des salariés mais ils avaient peu d’impact sur leur comportement au travail. Les salariés obéissaient aux normes sociales et aux ordres de leur chef.</p>
<p>Depuis, la société s’est profondément transformée. Aujourd’hui, la légitimité d’une autorité pose question. Elle n’est plus ressentie comme naturelle. Elle doit être <a href="https://archives-rfg.revuesonline.com/article.jsp?articleId=11409">prouvée</a>. On ne fait plus spontanément confiance à un professeur, un prêtre, un expert diplômé, un homme politique, un père de famille. De même, un manager doit montrer sa compétence pour être considéré comme digne de confiance par ses collaborateurs. Et la capacité à être juste fait partie des attendus pour un poste de responsable. Les comportements des collaborateurs sont devenus plus sensibles, en positif comme en négatif : ils vont bien en deçà et au-delà de l’obéissance. Des sentiments d’injustice sont à la source de négligences, de démissions voire de sabotages. En revanche, se sentir justement traité entraîne de la <a href="https://global.oup.com/academic/product/the-oxford-handbook-of-justice-in-the-workplace-9780199981410?cc=us&lang=en&">coopération, de l’innovation et de l’engagement</a>.</p>
<p>Ces réactions permettent à leur tour à l’entreprise de mieux faire face aux nouvelles incertitudes qu’elles soient technologiques, sociétales, concurrentielles ou de marché. Comment cette nouvelle compétence sociale de production de sentiments de justice permet-elle au manager de construire une légitimité favorable à ces comportements ? <a href="https://pdfs.semanticscholar.org/b713/8fbd5cbe4e966c56996ef2fff9a0478c75c8.pdf">Trois mécanismes</a> ont à cet égard été identifiés.</p>
<p>D’abord, les salariés respectent un lien de subordination dans l’entreprise car c’est le cadre habituel d’échange de leur travail contre une rémunération à la fois monétaire et symbolique. Ce faisant, ils courent le risque d’une exploitation économique, mais aussi relationnelle. Leur responsable peut utiliser sa position dominante dans la relation pour ne pas rémunérer leur travail à sa juste valeur, ou pour ne pas les considérer comme membres à part entière du collectif de travail. Le sentiment d’être justement traités leur permet d’avoir confiance dans le fait que l’organisation et ses responsables continueront à leur donner l’argent et la considération qu’ils méritent.</p>
<h2>Dépasser une vision utilitariste de la justice</h2>
<p>Ensuite, les membres d’une organisation ont un besoin intrinsèque de travailler dans un environnement qui respecte la morale, les droits des personnes et leur dignité. Cette motivation, dite déontique, indépendante des bénéfices matériels et relationnels que leur procure la justice, a été mise en évidence <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=zPgnDwAAQBAJ&oi=fnd&pg=PA3&dq=FOLGER+DEONANCE&ots=6CGEwQVT3y&sig=lbjocsoUjIGu4EGPhJRzP__4mCA#v=onepage&q=FOLGER%20DEONANCE&f=false">tardivement</a>, ce qui a permis de dépasser une vision longtemps restée uniquement utilitariste de la justice. La justice est aussi une fin en soi.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/247596/original/file-20181127-76737-gvdvka.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/247596/original/file-20181127-76737-gvdvka.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/247596/original/file-20181127-76737-gvdvka.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/247596/original/file-20181127-76737-gvdvka.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/247596/original/file-20181127-76737-gvdvka.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/247596/original/file-20181127-76737-gvdvka.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/247596/original/file-20181127-76737-gvdvka.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Enfin, les salariés préfèrent des systèmes et des responsables justes car ceux-ci leur assurent une meilleure maîtrise de l’<a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S006526010280003X">incertitude dans l’organisation</a>. Être traités justement leur permet de mieux prévoir le lien entre ce qui leur arrivera dans l’entreprise et ce qu’ils ont réalisé concrètement. Cela favorise donc un meilleur pilotage social de leurs comportements. Il est à noter que ce dernier motif est compatible avec les trois précédents qu’il inclut : un environnement de travail juste diminue l’incertitude concernant à la fois les récompenses matérielles, la satisfaction des besoins de reconnaissance sociale et le respect des normes morales.</p>
<p>Ce sont ces trois mécanismes psychosociaux qui permettent à un manager juste de répondre aux besoins fondamentaux des salariés au travail. Être juste est ainsi devenu une compétence sociale cruciale à la fois pour construire sa légitimité comme responsable et pour favoriser des comportements d’autonomie permettant de faire face aux enjeux d’une économie en transformation rapide.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/107725/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Nadisic ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le responsable qui parvient à produire des sentiments de justice chez ses collaborateurs va à la fois répondre à leurs besoins fondamentaux et construire sa propre légitimité.Thierry Nadisic, Professeur Associé en Comportement Organisationnel, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/880252017-11-23T21:29:43Z2017-11-23T21:29:43ZPiratage d’Uber : le « hack » de trop<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/196187/original/file-20171123-18029-fgx9xf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les noms, adresses électroniques et numéros de téléphone de 57 millions d'utilisateurs ont été piratés.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/en/coding-computer-hacker-hacking-1841550/">Pexels/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>L’affaire a été <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2017-11-21/uber-concealed-cyberattack-that-exposed-57-million-people-s-data">rendue publique</a> cette semaine : deux pirates informatiques ont hacké les contenus des comptes de 57 millions de clients et conducteurs d’Uber. Les données piratées comprennent noms, adresses électroniques et numéros de téléphone des utilisateurs du service de transport. Les détails des permis de conduire de 600 000 conducteurs américains de l’entreprise ont également été dérobés.</p>
<p>Mais les révélations ne s’arrêtent pas là et engagent la responsabilité d’Uber. L’attaque informatique a eu lieu il y a plus d’un an, en octobre 2016. Si elle n’est dévoilée que maintenant, c’est que l’entreprise a <a href="http://www.lemonde.fr/entreprises/article/2017/11/21/uber-revele-que-les-donnees-de-57-millions-d-utilisateurs-ont-ete-piratees_5218307_1656994.html?xtmc=uber&xtcr=5">tenté de la cacher</a> à ses clients, omettant de signaler cette violation comme la loi l’impose. À la place, Uber a versé aux deux pirates la somme de 100 000 dollars en échange de la suppression des données volées et de leur silence.</p>
<p>Après avoir été informé du piratage, le nouveau PDG de la plateforme <a href="https://www.uber.com/newsroom/2016-data-incident/">Dara Khosrowshahi a admis</a> que l’incident n’aurait pas dû être dissimulé. Cette semaine, le directeur de la sécurité informatique d’Uber et un juriste ont été <a href="https://www.theguardian.com/technology/2017/nov/21/uber-data-hack-cyber-attack">licenciés</a> à la suite d’une enquête interne.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"933096095583838211"}"></div></p>
<h2>Les manquements des développeurs</h2>
<p>Cet incident est l’énième symptôme d’une culture d’entreprise et d’une gouvernance <a href="https://www.theguardian.com/technology/2017/jun/18/uber-travis-kalanick-scandal-pr-disaster-timeline">dysfonctionnelles</a> qui, après une succession d’erreurs, ont abouti à la démission de l’ancien PDG et fondateur Travis Kalanick en juin dernier. De toute évidence, Dara Khosrowshahi, à la tête de la société depuis le mois d’août, a du pain sur la planche pour bouleverser cette culture ancrée jusque dans les hautes sphères d’Uber – sa direction et son conseil d’administration.</p>
<p>La gouvernance d’entreprise n’est cependant pas le seul problème dans cette affaire de piratage. Les données volées étaient stockées sur le <em>cloud</em> S3 d’<a href="https://aws.amazon.com/fr/s3/">Amazon Web Services</a> (AWS). Non cryptées, elles n’étaient protégées que par une clé de sécurité que les pirates informatiques ont obtenue à partir du code source d’un logiciel hébergé sur un autre site de <em>cloud</em>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/GitHub">GitHub</a>. D’une manière ou d’une autre, les pirates ont réussi à se procurer le nom d’utilisateur et le mot de passe ouvrant l’accès à ce logiciel.</p>
<p>D’un point de vue pratique, un certain nombre d’erreurs fondamentales ont été commises par les développeurs d’Uber. Premièrement, laisser des informations de sécurité dans le code source de programmes stockés sur GitHub est une <a href="https://www.theregister.co.uk/2015/01/06/dev_blunder_shows_github_crawling_with_keyslurping_bots/">faute majeure</a>. Deuxièmement, il est probable que les développeurs dont le nom d’utilisateur et le mot de passe ont été subtilisés n’aient pas activé l’identification à deux facteurs : cela aurait largement compliqué l’accès aux pirates, quand bien même ils possédaient un nom d’utilisateur et un mot de passe. Enfin, il reste à se demander ce que faisaient des données non cryptées sur le stockage <em>cloud</em> d’Amazon…</p>
<h2>Loin d’être les seuls</h2>
<p>Maigre consolation pour Uber : elle n’est pas la première société à voir les informations de ses clients pillées depuis le stockage S3 du géant de la vente en ligne. Très récemment, des renseignements confidentiels provenant de 9 400 anciens combattants – pour la plupart Américains – qui postulaient à des emplois dans le domaine de la sécurité par l’intermédiaire de la société TalentPen étaient <a href="https://www.silicon.fr/donnees-pentagone-stockees-aws-190971.html">accessibles</a> à tout utilisateur des services web d’Amazon.</p>
<p>Autre événement notable : en septembre, Time Warner Cable a <a href="https://www.theregister.co.uk/2017/09/05/twc_loses_4m_customer_records/">exposé</a> les renseignements de quatre millions de ses clients en laissant ouverte une base de données contenue sur Amazon S3. Ces faits ne sont pas des cas isolés, et ne font que s’ajouter à une liste d’incidents dont la multiplicité démontre les failles d’une technologie de stockage trop facile d’accès.</p>
<p>L’entreprise de Jeff Bezos a depuis <a href="https://aws.amazon.com/about-aws/whats-new/2017/11/amazon-s3-adds-new-features-for-data-security-and-compliance/">renforcé</a> la sécurité de son <em>cloud</em> en autorisant le cryptage et la mise en évidence des contenus accessibles au public. Elle <a href="https://www.itnews.com.au/news/aws-urges-developers-to-scrub-github-of-secret-keys-375785">avertit</a> également les développeurs lorsqu’elle trouve des clés de ses services publiées dans des zones potentiellement publiques, comme GitHub.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"932793944848650240"}"></div></p>
<h2>Repousser les limites de la légalité</h2>
<p>Vue sous cet angle, l’histoire d’Uber n’est donc pas rare. Mais l’apparent mépris de la société pour la sécurité en fait une exception. Lorsque, un mois après le piratage, le PDG de l’époque <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2017-11-21/uber-concealed-cyberattack-that-exposed-57-million-people-s-data">fut alerté de l’incident</a>, il décida de ne pas le révéler. Joe Sullivan, alors directeur de la sécurité informatique, aurait été prêt à repousser les limites de la légalité et à fermer les yeux sur certaines pratiques douteuses.</p>
<p>Dara Khosrowshahi a fait ce qu’il fallait en les dévoilant et en s’attaquant à la culture d’entreprise d’Uber. Il devra redoubler d’efforts pour regagner la confiance des utilisateurs, après que 500 000 de ses clients ont supprimé l’application en rejoignant la campagne #DeleteUber, très suivie sur les réseaux sociaux <a href="http://www.lemonde.fr/big-browser/article/2017/02/23/deleteuber-reapparait-dans-la-foulee-des-accusations-de-sexisme-contre-uber_5084525_4832693.html">depuis janvier 2017</a>.</p>
<p>Il règne aujourd’hui le sentiment que les leaders technologiques ont perdu le contrôle de leurs créations et que ces épisodes de piratage sont devenus la norme.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"933254217887649794"}"></div></p>
<h2>Vers une réglementation</h2>
<p>Tout le monde au sein d’une entreprise technologique devrait connaître et maîtriser les ressorts de la cybersécurité : du chef de la direction au personnel, en passant par les membres du conseil d’administration. Les sociétés devraient mettre en place des systèmes de gestion de la sécurité de l’information qui évalueraient tous les risques auxquels elles s’exposent, et préciser ce qu’elles font pour réduire ces risques. Il faudrait également contrôler le bon fonctionnement de ces systèmes et instaurer une culture qui récompense le signalement des incidents, y compris auprès des services de police et des organismes de réglementation extérieurs.</p>
<p>Chaque incident, qu’il s’agisse de l’utilisation des médias sociaux pour interférer dans des élections ou du mépris de la vie privée, renforce les arguments en faveur d’une réglementation. Si les entreprises n’investissent pas pour que leurs plateformes respectent les valeurs sociales, les gouvernements devront appliquer des règles qui s’en assureront.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/88025/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Glance ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le mépris d’Uber pour la protection de la vie privée de ses clients ajoute du poids à la nécessité d’une réglementation et de la mise en place de systèmes de contrôle.David Glance, Director of UWA Centre for Software Practice, The University of Western AustraliaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.