tag:theconversation.com,2011:/us/topics/dessin-99070/articlesdessin – The Conversation2024-02-08T16:52:31Ztag:theconversation.com,2011:article/2216392024-02-08T16:52:31Z2024-02-08T16:52:31Z« Pauvres créatures » : Alasdair Gray, auteur du roman derrière le film<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/573024/original/file-20240202-15-erbbgu.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=125%2C83%2C1057%2C694&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Alasdair Gray, _Eden and After_, fresque pour la Greenhead Church de Glasgow, 1963, détail. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.nationalgalleries.org/art-and-artists/113174?artists%5B25%5D=25&search_set_offset=0">National Galleries, Scotland</a></span></figcaption></figure><p>Le film <em>Pauvres Créatures</em>, adaptation rétrofuturiste du roman éponyme d’Alasdair Gray, adapté par Tony McNamara et réalisé par Yorgos Lánthimos, propulse le spectateur dans un univers à la fois exubérant, tragicomique, grotesque et jubilatoire que ne renierait sans doute pas l’auteur du roman. <em>Poor Things</em> (1992) (<em>Pauvres Créatures</em>, <a href="https://editions-metailie.com/livre/pauvres-creatures">dans la version française</a>), est une réactivation dix-neuvièmisante du mythe de Frankenstein, fondée sur le postulat gothique du savant fou qui ressuscite une jeune suicidée en lui greffant le cerveau du fœtus qu’elle portait au moment de sa noyade. </p>
<p>L’esthétique travaillée du film, avec l’alternance noir et blanc/couleur, et le recours à une palette saturée et chromatiquement exubérante, l’effet d’œilleton qui indique la notion de point de vue, celui de la protagoniste Bella Baxter, sont autant d’éléments participant à l’interprétation que le metteur en scène propose de ce roman qui conduit ses personnages de Glasgow (Londres dans le film) à Alexandrie, en passant par Odessa (le film choisit Lisbonne) ou encore un bordel parisien.</p>
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<h2>Faire lien entre littérature et Histoire</h2>
<p>En 2012 paraît une monographie signée Camille Manfredi consacrée à Alasdair Gray, écrivain et artiste peintre né à Glasgow en 1934, dont le titre, <a href="https://pur-editions.fr/product/4725/alasdair-gray"><em>Le Faiseur d’Écosse</em></a> est inspiré de celui d’un roman de l’auteur paru en 1994, <a href="https://editions-metailie.com/livre/le-faiseur-dhistoire/"><em>Le Faiseur d’Histoire</em></a> (<em>A History Maker</em>). Ces deux titres capturent l’essence de l’apport de l’auteur à la littérature écossaise, mais également britannique, en insistant sur le lien intime entre littérature, (petites) histoires, et (grande) histoire, et sur la capacité de l’artiste à « faire » (le mot « makar », proche phonologiquement de « maker », désigne le poète en langue écossaise). C’est en effet dès la publication du premier roman de Gray en 1981, <a href="https://editions-metailie.com/livre/lanark/"><em>Lanark, A Life in Four Books</em></a> que se manifeste cette étroite corrélation.</p>
<p>Le contexte historique, politique et social de la publication de <em>Lanark</em> coïncide avec l’arrivée au pouvoir en 1979 de Margaret Thatcher, dont la politique économique et le libéralisme laissez-faire laisseront de profondes traces en Écosse, notamment sur les <a href="http://www.clydewaterfront.com/clyde-heritage/river-clyde/shipbuilding-on-the-clyde_">chantiers navals de la Clyde à Glasgow</a>, dont la population ouvrière fut particulièrement touchée par la récession économique de la fin du XX<sup>e</sup> siècle. L’année de cette élection fut aussi l’année du (premier) <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1998/04/SCHLESINGER/3655">référendum sur l’autonomie de l’Écosse</a>, dont l’échec plongea le pays dans une période de dépression politique accompagnant les souffrances économiques.</p>
<p>Dans ce contexte se produisit une seconde renaissance littéraire, extrêmement politisée, dévolutionnaire puis indépendantiste, qui prit le relais d’une sphère politique en berne, édifiant ce que le romancier Duncan McLean décrivit comme « un parlement de romans » (<a href="https://journals.openedition.org/rfcb/1175">« a parliament of novels »</a>) pendant les années qui menèrent à la dévolution en Écosse et à l’inauguration du parlement en 1999. </p>
<p>Cette participation de la littérature à la (re) constitution à la fois politique et historique de l’Écosse prend aujourd’hui des allures de mythes des origines ; pour autant, cette vision atteste de la force du lien entre les artistes écossais et l’histoire de leur pays notamment depuis le poème accusateur de Robert Burns <a href="https://www.youtube.com/watch?v=XLaYLDuxvQ8">« Such a Parcel of Rogues in a Nation »</a> (1791), dans lequel l’auteur traitait de vendus les technocrates qui, au moment de l’union des parlements en 1707, avaient accepté pour quelques pièces d’or de « vendre » l’Écosse à l’Angleterre.</p>
<h2>Postmodernisme et nationalisme : Gray et l’engagement</h2>
<p>Car la première caractéristique de l’œuvre de Gray qui, dès <em>Lanark</em>, mêle expérimentations formelles, visuelles et génériques, et propose un art qui tour à tour esquisse une forme d’hyperréalité, mais aussi de fantastique allant parfois jusqu’à convoquer des éléments de science-fiction au service de ce qu’il nomme inlassablement une « meilleure nation », est l’engagement. Engagement d’un artiste : <em>Lanark</em> possède une double intrigue, une réaliste, inspirée de la vie de l’auteur, et l’autre fantasmagorique, qui campe un sombre au-delà dystopique nommé Unthank, dans lequel erre un personnage amnésique que le récit relie au héros de la partie réaliste. </p>
<p>Il rencontre au passage son auteur, un « fichu magicien » dans un épilogue au roman intervenant avant la fin du livre, et se voit proposer deux fins, dont l’une est jugée « bloody rotten » (vraiment pourrie). Ce roman, qui valut à son auteur d’être rangé parmi les écrivains postmodernistes, jongle avec la temporalité, les identités, réelles et fictionnelles, au gré d’un récit déstructuré non chronologique ; il met en péril le texte en en déplaçant les frontières entre texte et hors texte, entre personnage de roman et leur auteur, entre monde fictionnel et monde réel.</p>
<p>Ce qualificatif encombrant d’auteur postmoderniste, que Gray réfute et dont il joue cependant, a parfois occulté à quel point son œuvre est à la fois engagée et politique. Engagée en faveur de l’indépendance écossaise : Gray est auteur de deux essais, <em>Why Scots should rule Scotland</em>, publié en 1992 au moment de la campagne pour la dévolution de l’Écosse, puis <em>Why we Should Rule Ourselves</em> (2005). Pour autant, son engagement n’est pas cantonné à la forme de l’essai ou du pamphlet : il est partie intégrante de son œuvre, qui répète sa vision d’une « meilleure nation », précisant qu’elle pourrait prendre la forme d’une « petite République socialiste coopérative ». C’est surtout un engagement qui postule l’importance de la littérature dans l’existence même d’une nation, argument qui sera important lors de la <a href="https://www.luath.co.uk/art-and-photography/arts-of-independence-the-cultural-argument-and-why-it-matters-most">campagne pour l’indépendance en 2016</a>.</p>
<h2>Un imaginaire politique, lié au territoire</h2>
<p>Duncan Thaw, héros de <em>Lanark</em>, identifie la raison de la non-existence de sa ville, et par extension, de son pays : « Si une ville n’a pas été utilisée par des artistes, même ses habitants n’y vivent pas en imagination », dit-il. Pour exister, une ville doit d’abord avoir une existence dans l’imaginaire collectif. Le mot est lâché : l’imaginaire ; il engage la responsabilité des artistes. Celle de Gray, et celle de ses contemporains tels que James Kelman, Edwin Morgan, Liz Lochhead, Iain Banks ou encore William McIlvanney qui, comme lui, viendront (ré) inscrire l’Écosse sur la carte du monde. L’adaptation de <em>Poor Things</em> par Yorgos Lánthimos vient parachever ce phénomène en lui donnant la résonance mondiale du blockbuster aux deux Golden Globes et au Lion d’Or, au prix toutefois d’une ironie, puisque l’intrigue du film est déplacée de Glasgow à Londres.</p>
<p>L’imaginaire est, chez Gray, politique, lié à la thématique fondatrice du territoire. Pour <em>Lanark</em>, il convient de prendre de la hauteur sur les montagnes du pays afin de cartographier l’espace et ainsi délimiter le territoire de la nation. Pour <em>A History Maker</em>, les territoires sont explorés par un « œil public » surplombe les champs de bataille entre clans rivaux. Enfin, Gray est illustrateur et, dans chacun de ses livres, fait dialoguer texte et image de manière foisonnante, et inclut la carte, le dessin de frontières, dans <a href="https://canongate.co.uk/books/97-a-history-maker/">nombre de ses illustrations et couvertures</a>.</p>
<p><em>Poor Things</em> convoque également le territoire comme conquête, en utilisant la période à laquelle se déroule l’intrigue afin de fustiger l’impérialisme britannique : Lord Blessington, époux de Bella/Victoria, est un impérialiste dominateur qui déclare dans le film vouloir annexer le corps de sa femme. Cette idéologie fait son chemin dans le livre sous forme d’addenda, une invasion des bordures du texte (des paratextes) qui sont la marque de fabrique de l’auteur. Elle est faite de notes historiques apocryphes, mais qui soulignent l’emprise de l’idéologie impérialiste et, au passage, la part que prit l’Écosse à l’expansionnisme britannique. Dans le film, cela se limite à la terreur grotesque que Blessington inspire à son personnel tenu en joue de son pistolet.</p>
<p>Autre dimension gommée de l’adaptation, la femme-territoire, dans le roman, est aussi une femme qui s’engage, et engage avec elle l’avenir d’une nation. Nommée Bella, Victoria Blessington, puis Victoria McCandless, mais surtout Bella Caledonia, elle allégorise la nation écossaise. Elle est aussi le véhicule de la critique sociale : Victoria McCandless, la version conquérante de Bella Baxter (cf le royal prénom) est médecin, suffragette, engagée pour faire une différence dans la vie des femmes et des hommes de son époque, mettant à mal les stéréotypes victoriens et édouardiens.</p>
<p>L’internationalisation que constitue l’adaptation par Lánthimos de ce roman à maints égards particulièrement écossais est aussi paradoxalement une sorte de retour bienvenu au point de départ pour un écrivain éclectique qui n’a jamais considéré ses inspirations comme étroitement nationales. Au rang des sources, Robert Burns bien sûr, le poète national, notamment pour ses propositions révolutionnaires, comme celle du poème « Un homme est un homme » (<a href="https://www.scottishpoetrylibrary.org.uk/poem/mans-man-0/">« A man’s a man for a’ that »</a>) qui fait fi des distinctions sociales pour proclamer l’humanité commune aux grands de ce monde et au peuple ; d’autres grands auteurs écossais tels que Robert Louis Stevenson, dont la nouvelle « The body snatcher » est une des sources d’inspiration de <em>Poor Things</em>, ou encore Walter Scott, Hugh MacDiarmid ou des contemporains de Gray ; mais aussi Shakespeare, Dickens, William Blake, Tolstoï, tous les grands auteurs de la littérature mondiale, les philosophes (il y a dans <em>Poor Things</em> une mise en perspective de la rationalité des lumières, la raison conduisant parfois à la déchéance de l’humain), les auteurs antiques, la Bible bien sûr, ou encore des lectures de son enfance, des romans ou des textes plus confidentiels.</p>
<h2>Un auteur versatile et curieux</h2>
<p>Car la seconde caractéristique de Gray est la versatilité de son esprit et de sa curiosité. Cette caractéristique de son écriture confère à ses romans une vitalité et une dimension carnavalesque, <a href="https://www.jstor.org/stable/42945044">au sens Bakhtinien du terme</a>. Les œuvres de Gray, de <em>Lanark</em> à <em>Old Men in Love</em> (2007) ou à sa pièce <em>Fleck</em> (2008), réécriture du mythe de Faust, se caractérisent en effet par cette exubérance, cette jubilation à mélanger forme et fond, à mettre en avant la matérialité de l’objet livre, dont les illustrations de couverture en font de véritables objets artistiques, à mettre en scène une intertextualité débordante, dont l’auteur se moque lui-même lorsque, dans l’épilogue de <em>Lanark</em>, il conçoit un « Index des plagiats », placé en marge du texte romanesque dans lequel une figure de l’auteur détaille les emprunts dont il s’est rendu coupable.</p>
<p>L’héritage de Gray, disparu en 2019, est donc immense, et fort opportunément rendu accessible par le travail de diffusion de son travail, pictural et littéraire, de la <a href="https://thealasdairgrayarchive.org">Alasdair Gray Archive</a>.</p>
<p>Pour avoir une idée de son œuvre picturale, on peut admirer la magistrale fresque murale dont Gray orna <a href="https://oran-mor.co.uk/arts-for-all/celestial-ceiling-mural/">l’église d’Oran Mor</a> dans le West End de Glasgow, aujourd’hui lieu dédié à la culture et à l’événementiel.</p>
<p>Concernant l’importance du Gray écrivain, certains auteurs l’ayant aujourd’hui rejoint au canon de la littérature écossaise reconnaissent sa colossale influence. Ainsi de Janice Galloway, qui écrit dans un article intitulé <a href="https://archive.org/details/sim_review-of-contemporary-fiction_1995_15_index">« Me and Alasdair Gray »</a> qu’il a ouvert la voie pour les artistes de sa génération, en décloisonnant une géographie de la littérature jusqu’alors polarisée sur la grande voisine anglaise et le « centre » londonien. Il lui a permis d’oser imaginer (encore l’imagination) une carrière d’écrivain pour elle-même, grâce à cette voix qui montre la voie :</p>
<blockquote>
<p>« La voix d’Alasdair Gray m’a apporté quelque chose de libérateur. Elle n’était ni distante ni condescendante. Elle connaissait des mots, une syntaxe, des endroits que je connaissais aussi, mais les utilisait sans s’en excuser : elle considérait sa propre expérience et sa propre culture comme valables et centrales, et non comme dépassée ou rurale, pittoresque pour les touristes ou arriérée pour déclencher l’hilarité. Plus encore, c’était une voix qui postulait qu’elle n’était pas la seule voix possible. »</p>
</blockquote>
<p>C’est ce souffle de liberté, ce pouvoir d’imaginer autrement qui est perceptible dans l’adaptation de Lánthimos. C’est aussi ce patrimoine intellectuel, politique et artistique qui fait de Gray un des artistes les plus marquants du XX<sup>e</sup> siècle britannique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221639/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Odile Pittin-Hedon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>« Pauvres créatures » est l’adaptation rétrofuturiste du roman d’Alasdair Gray au cinéma. Un auteur et artiste écossais qui a marqué son époque et continue à inspirer le monde de la création.Marie-Odile Pittin-Hedon, Professeur de littérature écossaise contemporaine, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2163182023-10-29T18:11:53Z2023-10-29T18:11:53ZComment « La Catrina » mexicaine est devenue le symbole du jour des morts<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/555625/original/file-20231005-24-skza08.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=191%2C191%2C5051%2C3450&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une jeune fille déguisée en "catrina" participe au défilé à Mexico pour célébrer le jour des morts.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/girl-dressed-as-catrina-walks-while-taking-part-in-the-news-photo/617638204?adppopup=true">Yuri Cortez/AFP via Getty Images</a></span></figcaption></figure><p>Le 13 avril 1944, la police essayait de contenir une foule de plusieurs milliers de personnes sur les marches de <a href="https://www.artic.edu/about-us/mission-and-history/history">l’Art Institute de Chicago</a>.</p>
<p>L’attroupement n’avait rien à voir avec la participation des États-Unis à la Seconde Guerre mondiale, aux conflits sociaux ou à la <a href="https://www.history.com/this-day-in-history/fdr-seizes-control-of-montgomery-ward">décision controversée du président Franklin D. Roosevelt de prendre le contrôle</a> des industries locales de Chicago.</p>
<p>En réalité, il s’agissait de visiteurs impatients de visiter le musée. Car tout le monde voulait profiter de la première américaine d’une exposition intitulée « Posada : Printmaker to the Mexican People » (« Posada : graveur du peuple mexicain »).</p>
<p>L’exposition présentait les gravures de <a href="https://www.posada-art-foundation.com/about-posada">José Guadalupe Posada</a>, un graveur mexicain décédé en 1913. L’exposition présentait ses <em>calaveras</em> (crânes), des illustrations satiriques de crânes et de squelettes réalisées à l’occasion de la fête des Morts et imprimées sur des journaux bon marché imprimés sur une feuille volante, les <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Broadside_(printing)">« broadsides » (bordées)</a>.</p>
<p>Une des ces calaveras attirait plus l’attention que les autres.</p>
<p>Connue sous le nom de La Catrina, il s’agissait d’un squelette criard arborant un large sourire et un chapeau à plumes surdimensionné. Une grande reproduction d’elle était <a href="https://www.artic.edu/exhibitions/8528/gallery-of-art-interpretation-who-is-posada">accrochée au mur du musée</a>. Le public l’avait vue dans les documents promotionnels du musée. Elle avait même fait la couverture du <a href="https://www.artic.edu/exhibitions/8526/the-art-of-jose-guadalupe-posada-lent-by-the-department-of-fine-arts-of-mexico">catalogue de l’exposition</a>. Au Mexique, elle était pratiquement inconnue, mais l’exposition américaine a fait d’elle une sensation internationale.</p>
<p>Aujourd’hui, La Catrina est la création la plus reconnaissable de Posada. Elle est l’icône du <a href="https://www.nationalgeographic.com/culture/article/top-ten-day-of-dead-mexico">Jour des morts</a>, la fête annuelle mexicaine en l’honneur des défunts qui a lieu chaque année les 1<sup>er</sup> et 2 novembre. Son visage est reproduit à l’infini pendant la fête, à tel point qu’elle est devenue le totem national officieux du Mexique, après la <a href="https://theconversation.com/warrior-servant-mother-unifier-the-virgin-mary-has-played-many-roles-through-the-centuries-165596">Vierge de Guadalupe</a>.</p>
<p>Si certains pensent qu’il en a toujours été ainsi, La Catrina est en réalité une icône transculturelle dont le prestige et la popularité sont à la fois le fruit d’une invention et d’un accident.</p>
<h2>Une vie obscure</h2>
<p>Lorsque Posada l’a gravée pour la première fois en <a href="https://www.posada-art-foundation.com/posada-lacatrina">1912</a>, elle ne s’appelait même pas La Catrina.</p>
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<img alt="Couverture de programme couleur pêche représentant un squelette coiffé d’un chapeau somptueux" src="https://images.theconversation.com/files/552387/original/file-20231005-19-nq4t90.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552387/original/file-20231005-19-nq4t90.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552387/original/file-20231005-19-nq4t90.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552387/original/file-20231005-19-nq4t90.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552387/original/file-20231005-19-nq4t90.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1007&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552387/original/file-20231005-19-nq4t90.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1007&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552387/original/file-20231005-19-nq4t90.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1007&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La couverture du catalogue de « Posada », une exposition organisée en 1944 à l’Art Institute of Chicago, présente celle qui allait être connue sous le nom de La Catrina ». zoomable=</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.artic.edu/exhibitions/8526/the-art-of-jose-guadalupe-posada-lent-by-the-department-of-fine-arts-of-mexico">The Art Institute of Chicago</a></span>
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<p>Dans l’estampe originale, elle est la Calavera Garbancera, un <a href="https://glasstire.com/2019/11/02/jose-guadalupe-posada-and-diego-rivera-fashion-catrina-from-sellout-to-national-icon-and-back-again/">titre utilisé</a> pour désigner les paysannes indigènes qui vendaient des haricots garbanzo (pois chiches) dans les marchés de rue.</p>
<p>Posada l’a dotée de vêtements voyants pour satiriser la façon dont les garbanceras tentaient de se faire passer pour des membres de la classe supérieure en se poudrant le visage et en portant des vêtements français à la mode. Ainsi, dès le début, La Catrina était transculturelle – une femme indigène rurale adoptant des coutumes européennes pour survivre dans la société urbaine et métisse du Mexique.</p>
<p>Comme les autres illustrations de Posada, <a href="https://www.jstor.org/stable/1360573">l’affiche de 1912</a> était vendue pour un penny à des hommes principalement pauvres et de la classe ouvrière de Mexico et des environs. Mais la Calavera Garbancera n’avait rien de particulier. Comme son créateur, elle est restée dans l’ombre pendant de nombreuses années.</p>
<p>Posada est mort <a href="https://www.amazon.com/Guadalupe-Mexican-Broadside-Institute-Chicago/dp/0300121377">fauché et inconnu</a>, mais ses illustrations <a href="https://www.unmpress.com/9780826319043/posadas-broadsheets/">lui ont survécu</a>. Son éditeur les a réutilisées pour d’autres affiches jusque dans les années 1920. La Calavera Garbancera a été recyclée en divers autres personnages, aucun n’étant particulièrement remarquable. Et personne ne savait vraiment qui fabriquait les affiches de calavera que l’on voyait dans la capitale tous les jours de la fête des Morts.</p>
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<img alt="Feuille imprimée comportant un texte et un dessin d’un squelette portant un grand chapeau sur papier vert" src="https://images.theconversation.com/files/555055/original/file-20231020-29-n6mh1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/555055/original/file-20231020-29-n6mh1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=796&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/555055/original/file-20231020-29-n6mh1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=796&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/555055/original/file-20231020-29-n6mh1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=796&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/555055/original/file-20231020-29-n6mh1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1000&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/555055/original/file-20231020-29-n6mh1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1000&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/555055/original/file-20231020-29-n6mh1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1000&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">‘Revolutionary Calavera,’ by José Guadalupe Posada, printed on a broadside ». zoomable=</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/revolutionary-calavera-c-1910-creator-josé-guadalupe-posada-news-photo/1447192444?adppopup=true">Heritage Art/Heritage Images via Getty Images</a></span>
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<p>Les choses changent au milieu des années 1920, lorsque l’œuvre de Posada attire l’attention de l’artiste français Jean Charlot, figure de proue de la <a href="https://books.google.com/books/about/The_Mexican_Mural_Renaissance_1920_1925.html?id=_g9ZAAAAMAAJ">Renaissance mexicaine</a>, cette explosion créative de peintures murales et d’œuvres d’art nationalistes qui s’est produite au lendemain de la révolution mexicaine.</p>
<p>Charlot était fasciné par les illustrations de calavera qu’il voyait dans la ville de Mexico, mais il ne savait pas qui les avait créées. Il a fini par retrouver l’éditeur de Posada et a commencé à faire des recherches sur le graveur. Charlot <a href="https://icaa.mfah.org/s/en/item/779806">publia des articles</a> sur Posada et présenta les calaveras de l’artiste à d’autres artistes et intellectuels de la Renaissance mexicaine. Parmi les plus importants, citons le peintre <a href="https://www.diegorivera.org/">Diego Rivera</a> et la critique <a href="https://www.nytimes.com/1956/06/18/archives/frances-toor-66-wrote-on-mexico-author-of-books-on-folkways-and-of.html">Frances Toor</a>.</p>
<h2>De La Garbancera à La Catrina</h2>
<p>Rivera, bien sûr, est sans doute le plus grand artiste de l’histoire du Mexique. <a href="https://theconversation.com/detroit-1932-when-diego-rivera-and-frida-kahlo-came-to-town-38884">Ses fresques murales épiques</a> restent célèbres dans le monde entier.</p>
<p>Frances Toor, quant à elle, était une modeste intellectuelle juive qui a fait carrière en écrivant sur la culture mexicaine. En 1925, elle a commencé à publier <a href="https://www.jstor.org/stable/43466157">Mexican Folkways</a>, un magazine bilingue populaire distribué au Mexique et aux États-Unis. Avec Diego Rivera comme éditeur artistique, elle a commencé à utiliser le magazine pour promouvoir Posada. Dans les numéros annuels d’octobre-novembre, Toor et Rivera ont présenté de grandes réimpressions des calaveras de Posada.</p>
<p>Cependant, la calavera Garbancera n’en fait jamais partie. Elle n’était pas assez importante pour être présentée.</p>
<p>En 1930, Toor et Rivera ont publié le <a href="https://philamuseum.org/collection/object/343276">premier livre</a> des gravures de Posada, qui s’est vendu dans tout le Mexique et aux États-Unis. Mais elle porte un nouveau nom : la Calavera Catrina. Pour des raisons inconnues, Toor et Rivera ont choisi cet adjectif honorifique, qui en fait une sorte de dandy au féminin. La calavera est à jamais La Catrina.</p>
<p>mais c’est avec l’exposition Posada à l’Art Institute of Chicago en 1944 qu’elle devient vraiment célèbre. L’exposition est le fruit d’une collaboration entre le musée et le gouvernement mexicain. Elle est financée et facilitée par une agence spéciale de propagande de la Maison Blanche qui a utilisé la <a href="https://www.academia.edu/29923182/Jos%C3%A9_Guadalupe_Posada_Art_Institute_of_Chicago_1944_pdf">diplomatie culturelle</a> pour renforcer la solidarité avec l’Amérique latine pendant la Seconde Guerre mondiale.</p>
<p>Cette promotion a permis à l’exposition Posada de tourner et de donner à La Catrina une plus grande visibilité. Elle a été vue et promue à New York, Philadelphie, Mexico et ailleurs au Mexique.</p>
<p>Le catalogue de l’exposition, avec la Catrina en couverture, a été vendu à chaque étape de la tournée. <a href="https://www.artic.edu/institutional-archives">Des exemplaires gratuits</a> ont également été distribués à d’éminents auteurs et artistes américains et mexicains. Ils ont commencé à écrire sur La Catrina et à la remodeler dans leurs œuvres d’art, la popularisant des deux côtés de la frontière.</p>
<h2>La Catrina s’internationalise</h2>
<p>En 1947, Diego Rivera a encore immortalisé La Catrina en la mettant au centre de l’une de ses plus célèbres peintures murales, <a href="https://www.diegorivera.org/dream-of-a-sunday-afternoon-in-alameda-park.jsp"><em>Rêve d’un dimanche après-midi dans le parc d’Alameda</em></a>.</p>
<p>Cette peinture murale dépeint l’histoire du Mexique, de la conquête espagnole à la révolution mexicaine. La Catrina se trouve au centre de cette histoire, Rivera l’ayant peinte tenant la main de Posada d’un côté et d’une version enfantine de lui-même de l’autre.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Peinture d’un squelette élégamment vêtu tenant la main d’un garçon et d’un homme portant des chapeaux" src="https://images.theconversation.com/files/552394/original/file-20231005-27-ruxzoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552394/original/file-20231005-27-ruxzoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552394/original/file-20231005-27-ruxzoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552394/original/file-20231005-27-ruxzoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552394/original/file-20231005-27-ruxzoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552394/original/file-20231005-27-ruxzoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552394/original/file-20231005-27-ruxzoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Détail de la peinture murale de Diego Rivera « Rêve d’un dimanche après-midi dans le parc d’Alameda », qui se trouve au musée de la peinture murale de Diego Rivera à Mexico ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/nicksherman/4080802657">Nick Sherman/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La célébrité de Rivera – et la solennité retrouvée de La Catrina – a incité les artistes mexicains et mexicano-américains à l’intégrer dans leurs œuvres.</p>
<p>Les <a href="https://books.google.com/books/about/El_D%C3%ADa_de_Los_Muertos.html?id=BTNQAAAAMAAJ">artistes folkloriques</a> du Mexique ont commencé à en faire des jouets en céramique, des <a href="https://books.google.com/books/about/En_Calavera.html?id=3mJQAAAAMAAJ">figurines en papier mâché</a> et d’autres objets d’artisanat vendus à l’occasion de la fête des morts. Les Américains d’origine mexicaine ont utilisé La Catrina dans leurs fresques murales, leurs peintures et leurs affiches politiques dans le cadre du <a href="https://theconversation.com/how-chicana-women-artists-have-often-used-the-figure-of-the-virgin-of-guadalupe-for-political-messages-213720">Mouvement Chicano</a>, qui visait à défendre les droits civiques des Américains d’origine mexicaine dans les années 1960 et 1970.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="Costume extravagant comprenant une coiffe, un masque de crâne et une cape rouge et noire" src="https://images.theconversation.com/files/555067/original/file-20231020-19-y4bgms.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/555067/original/file-20231020-19-y4bgms.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/555067/original/file-20231020-19-y4bgms.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/555067/original/file-20231020-19-y4bgms.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/555067/original/file-20231020-19-y4bgms.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1108&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/555067/original/file-20231020-19-y4bgms.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1108&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/555067/original/file-20231020-19-y4bgms.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1108&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Chaque année, Christina Sanchez, originaire de Los Angeles, s’habille en ‘Catrina Christina’ pour le Jour des Morts ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Mars Sandoval</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’image de La Catrina est désormais utilisée pour vendre n’importe quoi, de <a href="https://tee-luv.com/products/victoria-beer-mexican-la-catrina-t-shirt-black">la bière</a> aux <a href="https://www.cnn.com/2020/11/01/us/day-of-the-dead-barbie-cultural-appropriation-trnd/index.html">poupées Barbie</a>. Vous pouvez commander des costumes de La Catrina dans les magasins <a href="https://www.walmart.com/c/kp/catrina-costume">Walmart</a> et <a href="https://www.spirithalloween.com/product/adult-la-catrina-day-of-the-dead-trumpet-dress-costume/175819.uts">Spirit Halloween</a>.</p>
<p>En fait, les défilés et concours de costumes de La Catrina sont une tradition relativement récente du Jour des Morts au Mexique et aux États-Unis.</p>
<p>Certaines personnes, comme <a href="https://shoutoutla.com/meet-christina-sanchez-catrina-christina/">« Catrina Christina »</a> à Los Angeles, revêtent un costume chaque année pour honorer les chers disparus du Día de los Muertos. D’autres se déguisent en Catrina pour augmenter leur <a href="https://www.uscannenbergmedia.com/2021/11/02/content-creators-use-their-platforms-to-celebrate-dia-de-los-muertos/">nombre de followers sur les réseaux sociaux</a>, ou se font passer pour elle pour gagner de l’argent.</p>
<p>Posada ne s’attendait probablement pas à ce que sa calavera devienne aussi célèbre. Il voulait simplement utiliser l’humour traditionnel pour se moquer des garbanceras vêtues de façon flamboyante qu’il voyait traîner sur la place centrale de Mexico.</p>
<p>Aujourd’hui, pendant le Día de los Muertos, cette même place centrale est remplie de centaines d’imitatrices de La Catrina qui, pour quelques dollars, posent pour des photos avec des touristes tout à fait prêts à payer pour une telle expérience culturelle « traditionnelle » avec une icône « authentique » du Jour des Morts.</p>
<p>Posada, quant à lui, est probablement en train de rire quelque part au pays des morts.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216318/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathew Sandoval ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un obscur graveur mexicain du nom de José Guadalupe Posada a créé ce crâne satirique au début des années 1900 et l’a vendu pour un centime. Mais après sa mort, le crâne a pris une vie propre.Mathew Sandoval, Associate Teaching Professor in Culture & Performance, Arizona State UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2103032023-08-29T16:29:47Z2023-08-29T16:29:47ZLe dessin et l’art ont-ils leur place à l’école ?<p>Depuis la <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/20661-refondation-ecole-de-la-republique-loi-dorientation-programmation">loi de refondation de l’école</a>, tous les élèves suivent un « parcours d’éducation artistique et culturel ». Mais quel est le rôle qui lui est dévolu, dans une école qui se recentre sur les fondamentaux ? S’agit-il de sensibiliser les citoyens en herbe à la démarche artistique ou de s’appuyer sur les différentes disciplines pour les aider à renforcer leur esprit critique, à l’ère de la « vidéosphère » (ou civilisation de l’image selon <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1992/12/11/regard-sur-un-monde-qui-bascule-de-la-logosphere-d-hier-a-la-videosphere-d-aujourd-hui-l-histoire-de-l-oeil-en-occident-vue-par-regis-debray_3927835_1819218.html">Régis Debré</a>), et de la montée en puissance de l’IA ?</p>
<p>L’institution insiste sur une <a href="https://www.lefildesimages.fr/histoire-et-enjeux-de-leducation-limage">éducation aux images</a> permettant de ne pas subir les sollicitations d’un environnement médiatique omniprésent et encourage notamment la pratique audiovisuelle pour comprendre les images en les produisant, dans le cadre d’ateliers photo ou vidéo notamment.</p>
<p>Reconnu dès la fondation de l’école publique et gratuite, le dessin, plus que les autres arts, questionne le fonctionnement et les missions de l’école. Voyons en quoi il révèle l’équilibre difficile à tenir entre instruction et éducation, entre acquisitions instrumentales et découverte de moyens d’expression et de débat, indispensables aux pratiques démocratiques.</p>
<h2>Le dessin au service de l’industrie ou de l’art ?</h2>
<p>Les premières écoles élémentaires enseignent le <a href="https://journals.openedition.org/sabix/1128?gathStatIcon=true&lang=en">dessin « linéaire »</a>, associé à l’arpentage et à la géométrie. Les années 1860 introduisent le dessin « d’ornement » et « d’imitation » et, à partir de 1890, le dessin « géométrique » devient obligatoire. Il s’appuie sur un répertoire de formes géométriques simples et bien définies pour reproduire un objet et fait partie des compétences élémentaires de base, au même titre que la lecture, l’écriture et le calcul. Comme l’énonce clairement <a href="https://www.babordnum.fr/items/show/76">Charles Romain Capellaro</a>, alors professeur à l’école Normale de Saint-Cloud, il ne concerne pas la pratique privée <a href="https://journals.openedition.org/histoire-education/1089">réservée à une élite et la formation des artistes</a> :</p>
<blockquote>
<p>« On a exprimé la crainte que l’enseignement du dessin-modelage dans nos écoles ne fit naître chez un trop grand nombre d’élèves des aspirations artistiques sans utilité pour la vie pratique […]. En cela on se trompe : la connaissance du dessin-modelage […] permet incontestablement à celui qui la possède de faire plus rapidement son apprentissage, d’exécuter plus sûrement ses travaux et de se perfectionner dans son art en prenant une copie exacte des choses ingénieuses qu’il peut rencontrer. »</p>
</blockquote>
<p>Pour la <a href="https://books.openedition.org/editionscnrs/3074?lang=en">philosophe Jocelyne Beguery</a>, cette école fait le choix d’« une éducation technicienne, voire techniciste où l’art est instrumentalisé et mis au service des métiers et de l’industrie » contre « une éducation humaniste et citoyenne où l’art, est envisagé en lui-même ». Le dessin géométrique dispensé à l’école élémentaire est un <a href="https://www.amazon.fr/dessin-aux-arts-plastiques-enseignement/dp/2866300807">dessin rationnel</a>, exécuté au trait, en noir et blanc, éventuellement ombré, qui sera utilisé par les ouvriers spécialisés dont l’industrie a besoin.</p>
<p>Cet utilitarisme est remplacé en 1909 par la « méthode intuitive » qui consiste à observer et interpréter la nature pour produire une impression personnelle. Aussi, plus que d’une exécution exacte et correcte, le maître tiendra compte de la sincérité avec laquelle cette impression sera rendue. De plus, à l’aide de certains exercices appropriés (arrangements décoratifs, illustrations de jeux d’enfants, de récits d’histoire, de fables et de contes), on encouragera les <a href="http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinandbuisson/document.php?id=2539&format=print">facultés imaginatives des écoliers</a>.</p>
<h2>Le dessin : un concept pédagogique mouvant</h2>
<p>En fait, le système éducatif alors en gestation expérimente différentes manières de répondre aux enjeux sociaux, économiques et culturels de l’époque en s’appuyant sur une discipline enseignée depuis longtemps par les artistes. Ce déplacement donne au dessin valeur d’emblème : il matérialise les débats qui animent la construction de l’école publique au service de la nation. Le dessin devient une affaire d’État, sa lente reconnaissance comme « matière à instruction publique » accompagne les débats associés à la rénovation pédagogique.</p>
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<p>Et ces débats perdurent. Après Mai 68 et la démocratisation des études secondaires et supérieures, le dessin d’enfant, l’imagination, la créativité et l’art contemporain ont été progressivement pris en compte. Le dessin technique a été dévolu aux lycées professionnels. Le « cours de dessin » est devenu « cours d’arts plastiques » ou « d’arts visuels ». La liberté d’expression a été mise en avant et le dessin est régulièrement associé à de nombreuses autres pratiques artistiques (photographie, architecture, calligraphie, performance, etc.).</p>
<p>Mais l’identité de l’enseignement du dessin à l’école publique, laïque et obligatoire reste une pratique qui s’appuie sur des antinomies constitutives : entre activité manuelle et exploration intellectuelle, à la fois géométrique, perspectif, mathématique ou gribouillage incontrôlé, le dessin représente un imaginaire personnel, mais doit participer au progrès social de tous.</p>
<p>À la fois « dessin » et « dessein », dans l’esprit du <em>disegno</em> italien de la Renaissance, il est, le <a href="https://www.editions-hazan.fr/livre/comment-regarder-le-dessin-9782754106009">« père de nos trois arts, architecture, sculpture et peinture »</a>, selon Léonard de Vinci et Vasari dans son <em>Traité de la peinture</em>. Et comme l’écrit Jean-Luc Nancy dans son livre <a href="https://www.editions-hazan.fr/livre/le-plaisir-au-dessin-9782754102469"><em>Le Plaisir au dessin</em></a>, le dessin (du latin <em>de-signare</em> qui signifie « marquer hors de ») est l’origine, le début. Il permet de comprendre en faisant advenir « la pensée de la chose, sa formation, sa re-formation ou sa transformation en vérité ».</p>
<hr>
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<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-dessiner-fait-il-du-bien-aux-enfants-205320">Pourquoi dessiner fait-il du bien aux enfants ?</a>
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</em>
</p>
<hr>
<p><a href="https://theconversation.com/fr/topics/ecole-primaire-58480">L’école élémentaire</a> met en avant cette compréhension du monde grâce au dessin d’observation – représentation fidèle, détaillée et compréhensible du monde – et au dessin expérimental – essais, gommages, rectifications, etc. qui prolongent le rythme du corps et de la pensée et donnent du sens en faisant advenir une forme. Dans les deux cas, le trait permet d’<a href="https://booksandideas.net/_Ehrsam-Raphael_.html">apprendre en dessinant</a>.</p>
<blockquote>
<p>« Les lignes d’un dessin révèlent comment nous visualisons ce qui nous entoure, comment cela nous apparaît. Si l’on enseigne le dessin dans les écoles, ce n’est donc pas simplement pour qu’ils (les élèves) soient capables de tracer de jolis triangles : c’est aussi parce qu’il donne à notre regard une plus grande finesse. »</p>
</blockquote>
<p>La pratique du dessin ne se limite plus à « imiter », « orner », « composer », « géométriser » comme au temps du dessin linéaire, mais s’agit-il pour autant d’enseigner l’art ?</p>
<h2>Le dessin comme accès à l’écriture et à la maîtrise de la langue</h2>
<p>Des dispositifs comme le <a href="https://www.culture.gouv.fr/Nous-connaitre/Decouvrir-le-ministere/Histoire-du-ministere/L-histoire-du-ministere/Les-ministres/Catherine-Tasca">plan Lang et Tasca</a> (2000) ou les <a href="https://www.education.gouv.fr/l-education-artistique-et-culturelle-7496">parcours d’éducation artistique et culturelle</a> (PEAC) pourraient le faire croire sachant que, pour un grand nombre d’enfants, l’école reste le seul espace où une <a href="https://www.cinemasparalleles.qc.ca/pages.asp?id=1047">rencontre avec l’art</a> peut avoir lieu.</p>
<p>L’un des objectifs du cours d’arts plastiques consiste d’ailleurs à <a href="https://eduscol.education.fr/143/arts-plastiques-cycles-2-et-3">ouvrir les élèves aux œuvres et aux cultures</a> afin de « constituer des répertoires d’images, de motifs divers où ils (les élèves) puisent pour apprendre à reproduire, assembler, organiser, enchaîner à des fins créatives ». Dans la pratique toutefois, les activités proposées à l’école primaire se limitent à des exercices formels « à la manière de… » sans situation de création.</p>
<p>Les enseignants sont, à leur décharge, très démunis pour présenter des œuvres en allant au-delà du thème et des techniques employées. Au manque de formation, s’ajoutent, depuis les années 2000, <a href="https://www.academia.edu/47236389/Pr%C3%A9scolarisation_ou_scolarisation_L_%C3%A9volution_institutionnelle_et_curriculaire_de_l_%C3%A9cole_maternelle">« une centration croissante sur la maîtrise de la langue en rapport avec les enjeux de réussite scolaire »</a> et, depuis 2008, un accent sur les fondamentaux qui tend à relier la pratique du dessin à des exercices d’<a href="https://theconversation.com/pourquoi-lecriture-doit-elle-sapprendre-en-classe-177499">écriture</a> et de verbalisation sur les effets produits.</p>
<p>Les programmes des enseignements artistiques aux cycles 2 et 3 indiquent que « dans l’apprentissage en arts plastiques, sont toujours tenus ensemble <strong>faire</strong>, <strong>éprouver</strong> et <strong>réfléchir</strong> ; c’est le sens même de la démarche de l’enseignant que de permettre les interactions permanentes entre <a href="https://eduscol.education.fr/143/arts-plastiques-cycles-2-et-3">ces trois dimensions de l’apprentissage</a> ». Et les jeunes enfants dessinent de manière spontanée en entrainant leur main, leur poignet, leur épaule, leur regard… Il est donc important de ne pas limiter le faire à la simple exécution de tracés volontaires pour reproduire, assembler, organiser, en un mot : <a href="http://www.editions-galilee.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=3280">intellectualiser le monde</a>.</p>
<p>Malheureusement, les modes perceptifs et syncrétiques initiés en maternelle sont vite remplacés par des processus logiques et analytiques d’appropriation et de transmission des savoirs. Comme au XIX<sup>e</sup> siècle, le dessin et l’art à l’école posent la question des injonctions institutionnelles, de la hiérarchie des disciplines et de leur utilisation à des fins de sélection. Les pratiques artistiques n’y sont pas mobilisées pour elles-mêmes, mais pour leurs qualités transversales, comme réponse à des problématiques professionnelles et sociales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210303/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aucun financement ou affiliation en lien avec le sujet traité.</span></em></p>Présent dans les programmes depuis les débuts de l’école obligatoire, le cours de dessin est devenu cours d’arts plastiques. Faut-il y voir le renforcement d’une éducation artistique et culturelle ?Geneviève Guétemme, Maîtresse de conférences en Arts plastiques, Université d’OrléansLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2102122023-07-27T19:37:44Z2023-07-27T19:37:44ZQuand les enfants dessinent la nature : une vision faussée de la faune et de la flore ?<p>Les livres et les émissions de télévision destinés aux enfants sont pleins d’animaux. Mais dans quelle mesure les enfants ont-ils une juste connaissance de la nature ?</p>
<p>La grande <a href="https://ourworldindata.org/grapher/number-of-described-species?country=Fishes%7EInsects%7EReptiles%7EMammals%7EBirds%7EAmphibians%7EMolluscs%7ECrustaceans%7EArachnids%7EPlants%7EAll%2Bgroups%7EInvertebrates">majorité des espèces animales</a> connues, soit 96,9 % d’entre elles, sont des invertébrés, comme les insectes, les escargots, les araignées et les vers. Pourtant, quand mes collègues et moi-même avons demandé à des enfants de <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0287370">dessiner les animaux de leur environnement</a>, la plupart d’entre eux ont représenté des mammifères ou des oiseaux.</p>
<p>Voilà qui suggère un décalage entre la manière dont les enfants perçoivent la faune et la flore et la réalité du monde qui les entoure. Si nous ne nous penchons pas sur ce problème, nous risquons de laisser perdurer cette vision biaisée de la nature, ce qui aura des répercussions sur les efforts déployés pour lutter contre la perte de la biodiversité et le changement climatique.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="Dessin d’enfant représentant une chouette, un hérisson, une mésange bleue et un rouge-gorge" src="https://images.theconversation.com/files/536543/original/file-20230710-17-etza9w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536543/original/file-20230710-17-etza9w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536543/original/file-20230710-17-etza9w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536543/original/file-20230710-17-etza9w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536543/original/file-20230710-17-etza9w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536543/original/file-20230710-17-etza9w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536543/original/file-20230710-17-etza9w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dessin réalisé par un enfant quand on lui demande de représenter les animaux de son jardins.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Kate Howlett</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nous avons demandé à plus de 400 enfants âgés de 7 à 11 ans, sous la supervision de leurs enseignants, de dessiner leur jardin ou leur parc local et de nommer tous les animaux qui y vivent d’après eux. Nous avons recueilli 401 dessins au total. Nous avons compté le nombre de types d’animaux différents représentés, et relevé ceux qui ont été dessinés le plus ou le moins souvent. Nous avons constaté que les dessins des enfants ne reflétaient pas très bien la composition du monde naturel. 80,5 % d’entre eux contenaient au moins un mammifère et 68,6 % au moins un oiseau. Dans le monde extérieur, cependant, seuls <a href="https://ourworldindata.org/grapher/number-of-described-species?country=Fishes%7EInsects%7EReptiles%7EMammals%7EBirds%7EAmphibians%7EMolluscs%7ECrustaceans%7EArachnids%7EPlants%7EAll%2Bgroups%7EInvertebrates">4,7 % des espèces animales décrites par la science</a> sont des vertébrés, tels que les mammifères, les oiseaux, les reptiles, les amphibiens et les poissons.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="Un enfant dessine les plantes et les animaux de son jardin" src="https://images.theconversation.com/files/535765/original/file-20230705-15-ey6m80.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535765/original/file-20230705-15-ey6m80.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535765/original/file-20230705-15-ey6m80.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535765/original/file-20230705-15-ey6m80.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535765/original/file-20230705-15-ey6m80.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1029&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535765/original/file-20230705-15-ey6m80.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1029&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535765/original/file-20230705-15-ey6m80.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1029&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un enfant dessine les plantes et les animaux de son jardin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Howlett, Turner, 2023, PLOS ONE</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Un tiers des dessins ne contenait pas le moindre invertébré. Et lorsqu’on a demandé aux participants de nommer les créatures qu’ils avaient représentées, ils se sont avérés bien moins aptes à délivrer des informations détaillées sur les insectes et autres invertébrés. Alors qu’ils pouvaient souvent désigner des espèces spécifiques de mammifères et d’oiseaux, c’était rarement le cas pour ces animaux plus petits et méconnus.</p>
<p>Nombreux sont les enfants qui ont par exemple été capables d’identifier un oiseau comme étant un rouge-gorge. Pour les insectes, l’équivalent pourrait être de reconnaître un papillon amiral rouge. Mais, en général, les papillons ont seulement été désignés par le terme « papillon ».</p>
<h2>Des préjugés sur la nature à prendre en compte</h2>
<p>Ce biais fait écho à ceux que nous avons précédemment identifiés <a href="https://besjournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/pan3.10431">dans les documentaires sur la nature</a>, qui traduisent eux-mêmes la tendance humaine à accorder plus d’attention <a href="https://conbio.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/j.1755-263X.2012.00229.x">aux espèces plus grandes et plus charismatiques</a>, qui ressemblent davantage à l’homme qu’aux invertébrés.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Dessin d’enfant représentant un renard" src="https://images.theconversation.com/files/535766/original/file-20230705-21-m26a2j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535766/original/file-20230705-21-m26a2j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=290&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535766/original/file-20230705-21-m26a2j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=290&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535766/original/file-20230705-21-m26a2j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=290&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535766/original/file-20230705-21-m26a2j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=364&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535766/original/file-20230705-21-m26a2j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=364&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535766/original/file-20230705-21-m26a2j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=364&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dessin de renard.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Kate Howlett</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Cela peut avoir des conséquences sur les fonds attribués à la conservation des espèces. Les animaux que nous considérons comme plus intéressants <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0048969717307726">reçoivent des niveaux de soutien plus élevés</a>. Or, les insectes et autres invertébrés jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement des écosystèmes mondiaux, et ont besoin que nous unissions tous nos efforts pour les protéger si l’on veut lutter contre le changement climatique et l’appauvrissement de la biodiversité.</p>
<p>Nous savons que les enfants qui <a href="https://www.jstor.org/stable/10.7721/chilyoutenvi.16.1.0001#metadata_info_tab_contents">passent du temps dans la nature</a> deviennent des adultes soucieux de l’environnement. Mais beaucoup grandissent <a href="https://besjournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/pan3.10128">sans nouer de véritable relation avec la faune et la flore environnantes</a>, quand bien même l’on sait que le <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0885412215595441">contact de la nature leur fait du bien</a>.</p>
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<img alt="A child’s drawing of their back garden, with animals and plants labelled" src="https://images.theconversation.com/files/536548/original/file-20230710-23-pdyfuq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C3%2C2536%2C1602&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536548/original/file-20230710-23-pdyfuq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536548/original/file-20230710-23-pdyfuq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536548/original/file-20230710-23-pdyfuq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536548/original/file-20230710-23-pdyfuq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536548/original/file-20230710-23-pdyfuq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536548/original/file-20230710-23-pdyfuq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dessin d’un enfant représentant son jardin, en étiquetant animaux et plantes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Kate Howlett</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>Dans de nombreux pays, les enfants ont beaucoup moins de liberté que par le passé pour <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14733280500352912">se promener et jouer librement</a> autour de chez eux. En Grande-Bretagne, par exemple, le <a href="https://www.childinthecity.org/2018/01/15/children-spend-half-the-time-playing-outside-in-comparison-to-their-parents/?gdpr=accept">temps de jeu en extérieur a été divisé par deux</a> par rapport à la génération de leurs parents.</p>
<p>Il n’est pas non plus inéluctable que les enfants s’intéressent en priorité aux mammifères, c’est un phénomène en réalité très lié à l’accent que la culture met sur les mammifères et les oiseaux. Les parents et les enseignants peuvent aider les enfants à développer une bonne vision d’ensemble du monde naturel en les aidant à observer de plus près la faune.</p>
<h2>Comment parler d’animaux invertébrés aux enfants</h2>
<p>Quand vous êtes à l’extérieur avec votre enfant, vous pouvez tout à fait contribuer à élargir sa compréhension du monde vivant – et stimuler cette prise de conscience écologique dont nous avons besoin pour le futur.</p>
<p>Autour du mois de juillet, par exemple, vous pourrez peut-être apercevoir des chenilles noires et poilues sur les <a href="https://www.wildlifetrusts.org/wildlife-explorer/wildflowers/stinging-nettle">orties</a>, qui correspondent aux chenilles de <a href="https://www.wildlifetrusts.org/wildlife-explorer/invertebrates/butterflies/red-admiral">l’Amiral rouge</a>, du <a href="https://www.wildlifetrusts.org/wildlife-explorer/invertebrates/butterflies/peacock">Paon-du-jour</a> ou de la <a href="https://www.wildlifetrusts.org/wildlife-explorer/invertebrates/butterflies/small-tortoiseshell">Petite tortue</a>.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Retournez n’importe quelle brique ou pierre et vous aurez toutes les chances d’y <a href="https://www.wildlifetrusts.org/wildlife-explorer/invertebrates/crustacea-centipedes-and-millipedes/common-woodlouse">trouver des cloportes</a>. Les femelles transportent leurs petits dans une poche située sur leur ventre, comme les kangourous. Les enfants seront amusés d’apprendre que les cloportes peuvent <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SMB1UEEQwnM">boire par leurs fesses</a>.</p>
<p>Les <a href="https://www.wildlifetrusts.org/wildlife-explorer/invertebrates/dragonflies">libellules</a> et les <a href="https://www.wildlifetrusts.org/wildlife-explorer/invertebrates/damselflies">demoiselles</a> sont faciles à repérer et leur vol est impressionnant et rapide. Elles sont également d’excellents indicateurs de la qualité de l’eau. En effet, leurs nymphes – la jeune forme larvaire – vivent sous l’eau et ont besoin d’une eau claire pour pouvoir chasser.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210212/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kate Howlett ne travaille pas pour une entreprise ou une organisation qui pourrait tirer profit de cet article. Elle a reçu des financements du Natural Environmental Research Council (via grant NE/L002507/1). Elle est membre de : the Green Party, the Women's Equality Party, the charity Pregnant Then Screwed.</span></em></p>Les enfants s’intéressent souvent aux animaux. Mais connaissent-ils bien la nature dans toute sa diversité ? Leurs dessins soulèvent un certain nombre d’enjeux écologiques.Kate Howlett, PhD candidate in Zoology, University of CambridgeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2053202023-05-10T18:10:34Z2023-05-10T18:10:34ZPourquoi dessiner fait-il du bien aux enfants ?<p>Lorsque la météo ne se prête pas à une promenade au parc, nous avons tendance à nous en remettre aux crayons de couleur et au papier pour distraire les plus jeunes. Mais le dessin est bien plus qu’une activité ludique. Il peut aussi apporter beaucoup aux enfants dans leur développement.</p>
<p>Recensons ici quelques-uns des bénéfices de cette activité – qu’il s’agisse de communication, de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/memoire-22674">mémoire</a> et d’apprentissage – ainsi que les manières dont les parents peuvent aider leurs enfants à développer leur <a href="https://theconversation.com/comment-stimuler-la-creativite-de-vos-enfants-64277">créativité</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ce-que-les-dessins-denfants-nous-disent-de-la-societe-de-consommation-182809">Ce que les dessins d’enfants nous disent de la société de consommation</a>
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<p><a href="https://theconversation.com/et-si-nous-arrivions-a-dechiffrer-les-dessins-des-tres-jeunes-enfants-155767">Le dessin</a> permet aux enfants de s’inspirer de leurs expériences du monde et, grâce à leur esprit inventif, de les transformer en créant de nouveaux liens et de nouvelles connexions. Leur imagination se nourrit de leurs connaissances, de leurs souvenirs et de leurs fantasmes et le dessin permet aux enfants d’exprimer leurs idées et d’en garder trace.</p>
<p>L’une de nos recherches s’est penchée sur la <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1476-8070.2012.01726.x">place du dessin dans les écoles maternelles chinoises</a>. S’appuyant sur une longue tradition d’enseignement des techniques de dessin figuratif aux jeunes enfants, le programme de ces écoles permet aux enfants de prendre plaisir à réaliser des images originales.</p>
<p>Lorsqu’on a demandé aux enfants de dessiner d’où ils venaient, un jeune garçon a ainsi dessiné une rose, symbole de Kunming, sa ville d’origine, et a représenté ses cheveux couverts de pollen rouge.</p>
<h2>Apprendre en dessinant</h2>
<p>Le dessin est aussi un moyen de communiquer avec les autres. Un enfant peut revivre sur le papier un événement heureux comme un anniversaire ou dire sa tristesse face à un deuil par exemple.</p>
<p>Ainsi, ce mode d’expression tient une place clé dans <a href="https://www.routledge.com/The-Handbook-of-Art-Therapy/Case-Dalley-Reddick/p/book/9781032055077">l’art-thérapie avec les enfants</a> pour traduire les difficultés émotionnelles et comportementales auxquelles ils peuvent être confrontés, et donc les aider à les surmonter et à aller de l’avant.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-dessins-denfants-racontent-la-guerre-et-lexil-178807">Comment les dessins d’enfants racontent la guerre et l’exil</a>
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<p>Le dessin peut aussi les aider à apprendre. <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/tops.12261">La recherche montre</a> que le recours au dessin peut faciliter la compréhension des enfants d’autres disciplines comme les sciences. On a ainsi indiqué à un groupe d’enfants deux stratégies pour intégrer un concept scientifique. L’une consistait à dessiner des idées, l’autre non. Parmi les élèves qui ont bien réalisé chacune des stratégies, ceux qui ont utilisé le dessin sont parvenus à une meilleure compréhension du sujet.</p>
<p>Dessiner serait aussi un appui pour le travail de la mémoire. Des recherches ont montré que les <a href="https://psycnet.apa.org/record/1998-02319-005">enfants donnent plus d’informations</a> sur un événement vécu lorsqu’on leur demande de le dessiner tout en le racontant. Ainsi, le dessin permettait aux enfants de mieux se souvenir d’événements survenus un <a href="https://psycnet.apa.org/doiLanding?doi=10.1037%2F1076-898X.5.3.265">an plus tôt</a>.</p>
<p>C’est en forgeant qu’on devient forgeron, et c’est bien sûr vrai pour le dessin. Il s’agit d’un exercice de résolution de problèmes, les enfants essayant de produire une image bidimensionnelle pour représenter un objet ou une scène d’un monde tridimensionnel. Avec l’âge, la pratique et l’enseignement, leurs représentations deviennent en général de <a href="https://www.wiley.com/en-gb/Children+and+Pictures%3A+Drawing+and+Understanding-p-9781405105446">plus en plus réalistes</a>. Au cours de cette progression, les enfants testent différentes lignes et formes, différents alignements et proportions.</p>
<h2>Comment inciter un enfant à dessiner</h2>
<p>Pour permettre à nos enfants d’apprendre par le dessin, nous pouvons tout d’abord leur donner simplement le matériel et le temps de l’utiliser.</p>
<p>Il est également important d’encourager les enfants à dessiner. Un <a href="https://www.familyarts.co.uk/wp-content/uploads/2013/11/ACE-Children-today-to-build-audiences-tomorrow.pdf">rapport du Conseil des arts d’Angleterre</a> a révélé que de nombreux enfants ne sont pas encouragés à participer à des activités artistiques, mais que ceux qui le sont ont plus de chances de s’intéresser aux arts à l’âge adulte. Cela suggère que ce soutien peut être important, non seulement dans l’immédiat, mais aussi pour l’évolution future de chacun.</p>
<p>Vous pouvez aussi vous asseoir à côté de votre enfant pendant qu’il dessine. Nous avons constaté que les enfants dont les parents passaient plus de temps avec eux pendant qu’ils dessinaient <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1476-8070.2010.01658.x">prenaient plus de plaisir à dessiner</a>.</p>
<p>Les psychologues qui travaillent avec de jeunes patients <a href="https://bpspsychub.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1348/147608305x26044">leur demandent souvent de dessiner</a> et le dessin peut aussi être utile aux parents pour mieux comprendre ce que vivent et pensent leurs enfants.</p>
<p>Par ailleurs, les recherches ont montré que les enfants <a href="https://doi.org/10.1002/jocb.405">s’inspirent souvent</a> des dessins faits par d’autres, comme les dessins animés ou les dessins de leurs parents ou de leurs frères et sœurs et apprécient qu’on leur fasse une <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1476-8070.2010.01658.x">démonstration pour les aider à réaliser leurs propres dessins</a>. Dessiner avec votre enfant ou collaborer à un dessin commun peut lui apporter de nouvelles pistes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/in-extenso-pourquoi-apprend-on-encore-a-ecrire-a-la-main-154995">« In extenso » : Pourquoi apprend-on encore à écrire à la main ?</a>
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<p><a href="https://skillsforaction.com/handwriting/importance-drawing">La réalisation de dessins et de motifs géométriques</a> est souvent présentée comme un moyen efficace d’exercer la motricité fine et la coordination œil-main des enfants. Le gribouillage peut également être très amusant et a été associé à une augmentation de la <a href="https://doi.org/10.1016/j.tsc.2012.09.004">créativité et de l’imagination</a> et de l’<a href="https://doi.org/10.1111/jade.12081">acquisition de compétences</a>. La recherche a aussi montré que le gribouillage <a href="https://doi.org/10.1002/acp.1561">améliorait la mémorisation</a> chez les adultes qui écoutaient un message téléphonique monotone. Vous pouvez donc montrer l’exemple à votre enfant et gribouiller avec lui.</p>
<p>Vous pouvez également initier votre enfant à différents styles, par exemple le <a href="https://scholarlypublishingcollective.org/uip/var/article-abstract/39/2/42/202657/Manga-Drawing-as-Stereotyped-Aesthetics?redirectedFrom=fulltext">manga</a>, ce qui peut les aider à donner un sens au monde qui les entoure. Vous pouvez aussi emprunter des bandes dessinées à la bibliothèque pour diversifier vos modèles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205320/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Souvent considéré comme un simple divertissement, le dessin est en fait une activité riche de nombreux apprentissages et qui gagne à être partagée en famille.Richard Jolley, Associate Professor of Developmental Psychology, Staffordshire UniversitySarah Rose, Senior Lecturer in Psychology and Child Development, Staffordshire UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1962482022-12-25T17:05:31Z2022-12-25T17:05:31Z« L’élévation du drapeau à Iwo Jima », une image iconique au service de toutes les (bonnes) causes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/502406/original/file-20221221-19-acxtx6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=35%2C7%2C4695%2C3510&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'image conçue par Periscope pour la campagne de dons de The Conversation France.</span> </figcaption></figure><p>Fin 2022, la campagne annuelle de dons de <em>The Conversation</em> mobilise un visuel qui cite une image instantanément familière : « L’Élévation du drapeau sur Iwo Jima » (Joe Rosenthal, 1945). L’écho de cette photographie va bien au-delà du moment de sa genèse. Devenue un porte-étendard pour de nombreuses causes, elle charrie un inconscient collectif qui en donne une clé de lecture immédiate, quel que soit le contexte de son utilisation.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/502407/original/file-20221221-23-6vakze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502407/original/file-20221221-23-6vakze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502407/original/file-20221221-23-6vakze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=454&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502407/original/file-20221221-23-6vakze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=454&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502407/original/file-20221221-23-6vakze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=454&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502407/original/file-20221221-23-6vakze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502407/original/file-20221221-23-6vakze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502407/original/file-20221221-23-6vakze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Raising the Flag on Iwo Jima, Joe Rosenthal, 1945.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikipédia</span></span>
</figcaption>
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<p>Vertus essentielles pour un média, l’indépendance et la qualité éditoriale ont un prix qui passe, soit par le financement <em>via</em> les lecteurs (abonnement ou achat unitaire), soit par le recours aux dons du public. Dans le cadre de The Conversation France, média en ligne accessible gratuitement et sans publicité, <a href="https://theconversation.com/vos-dons-soutiennent-notre-independance-195057">c’est cette seconde option qui est retenue</a>, en complément des cotisations versées par son réseau de soutien (institutions d'enseignement supérieur et de recherche, et subventions publiques). Il convient alors de communiquer auprès de l’audience visée pour l’inciter à apporter un appui financier. La tâche est difficile puisqu’il faut exprimer un message explicite qui dise à la fois l'importance du défi et la noblesse de l’enjeu.</p>
<p>La campagne lancée par <em>The Conversation</em> à l’automne 2022 s’inscrit dans cette logique, avec un visuel fort, adapté à la situation, et qui porte intrinsèquement en lui ces deux valeurs – ça se passe maintenant, et c’est pour la bonne cause.
Mais pourquoi ce dessin si simple est-il lesté d’un tel sens ?
Et pourquoi est-ce cette image spécifiquement qui s’est imposée sous le crayon des graphistes ?</p>
<h2>Une scène familière au premier coup d’œil</h2>
<p>Si le message sur le drapeau est nouveau et adapté à la campagne pour laquelle l’illustration a été commandée, la posture du groupe de personnages donne un sentiment de déjà-vu. Et, en effet, depuis des décennies et partout sur le globe, cette image a été aperçue <a href="https://news.usni.org/2015/02/23/iwo-jima-at-70-the-most-reproduced-and-parodied-photo-in-history">à d’innombrables reprises</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/502560/original/file-20221222-22-4cgppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502560/original/file-20221222-22-4cgppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502560/original/file-20221222-22-4cgppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=207&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502560/original/file-20221222-22-4cgppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=207&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502560/original/file-20221222-22-4cgppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=207&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502560/original/file-20221222-22-4cgppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=260&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502560/original/file-20221222-22-4cgppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=260&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502560/original/file-20221222-22-4cgppx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=260&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Pochettes des albums <em>In the Army Now</em> (Status Quo, 1986), <em>Fight for the Rock</em> (Savatage, 1986) et <em>Conquest</em> (Uriah Heep, 1980).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<span class="caption">Banksy, <em>Flag</em>, 2008.</span>
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<p>Nous la connaissons pour l’avoir vue en couverture de disques de rock (et pas qu’une fois !), mais aussi dans des bandes dessinées, à la une de news magazines, au cœur d’affiches, de publicités ou de prospectus, trônant sur des objets du quotidien, de la canette de bière aux billets de banques (du Bangladesh, en l'occurrence), en passant par des timbres (à Grenade).</p>
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<span class="caption">Campagnes publicitaires pour l’armée britannique, l’office du tourisme australien, une entreprise de soins gériatriques américaine et le quotidien sud-africain <em>Die Burger</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Des happenings la reproduisent en statue de sable, en <em>crop circle</em> dans des champs, au fond d’une piscine voire en sculpture à base de beurre (!)… Des artistes s’en emparent, comme Bansky en 2008 avec son œuvre <em>Flag</em>, pour dénoncer le culte de la victoire - de la compétition - si fort aux États-Unis, ou bien comme Benoît Vieillard, dont le dessin rend hommage à l’équipe de <em>Charlie Hebdo</em>, assassinée lors de l’attentat islamiste de 2015.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/502562/original/file-20221222-23-pjfi0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502562/original/file-20221222-23-pjfi0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502562/original/file-20221222-23-pjfi0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=209&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502562/original/file-20221222-23-pjfi0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=209&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502562/original/file-20221222-23-pjfi0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=209&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502562/original/file-20221222-23-pjfi0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=263&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502562/original/file-20221222-23-pjfi0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=263&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502562/original/file-20221222-23-pjfi0f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=263&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le hors-série du <em>Times</em> consacré au réchauffement climatique (2008), la Une du <em>Sun</em> après les attentats de New York (2001) et la couverture du recueil annuel du journal <em>Spirou</em> (1973).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<span class="caption">Hommage à <em>Charlie Hebdo</em>, Benoît Vieillard, 8 janvier 2015.</span>
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<h2>Une scène de guerre née dans la douleur</h2>
<p>Derrière ces variantes et détournements artistiques ou lucratifs, se trouve une photographie prise le 23 février 1943 sur une île du Pacifique par l’Américain Joe Rosenthal – il obtiendra le prix Pulitzer pour ce reportage en 1945.</p>
<p>L’élévation du drapeau survient au terme d’une bataille particulièrement meurtrière (20703 morts et 1152 disparus côté japonais et 6821 morts, 492 disparus et 19189 blessés côté américain), marquée par des atrocités, une violence inouïe et des actes de fanatisme inattendus, avec un adversaire qui privilégiait le suicide à la reddition. Dès lors, les troupes des États-Unis vécurent l’apparition de la bannière étoilée en haut du mont Suribachi comme une lueur d’espoir, le symbole d'une conquête de leur patrie. Cris de joie, sifflets, applaudissements, sirènes de navires : un charivari de tous les diables accueillit l’exploit des marines qui dressèrent le fier drapeau sur ce morceau de terre déchiqueté. Une libération après des jours et des jours de combats acharnés pour avancer mètre par mètre.</p>
<p>Aussi dramatique soit-il, ce contexte particulier ne constitue qu’un moment de la Seconde Guerre mondiale et rien ne justifiait qu’un témoignage visuel parmi tant d’autres soit érigé au rang d’icône soixante ans plus tard. <em>A fortiori</em> si l’on sait que le reporter d’Associated Press à l’origine du cliché l’a pris à la va-vite, sans recul, <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2006/08/22/joe-rosenthal-photoreporter-americain_805361_3382.html">avant de l’envoyer à sa rédaction new-yorkaise sans même le voir</a> ! Pourtant, le phénomène visuel s’emballe instantanément. La photo fait la une du <em>Times</em> le 25 février 1945 et provoque un choc dans la population. La propagande s’en empare, avec une large reproduction – 3,5 millions de posters, 15000 affiches, 137 millions de timbres <a href="https://www.mariemoniquerobin.com/100photosdusiecleft.html">inondent les États-Unis</a> – et l’utilisation comme emblème pour soutenir l’effort de guerre.</p>
<h2>Un symbole éloigné de la réalité</h2>
<p>Le témoignage sur le vif change de registre, son destin échappe à son auteur. La photo devient un pan du patrimoine américain, mélange de dévotion patriotique et d’adoration religieuse. Dans ses mémoires, <a href="https://digital-commons.usnwc.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=2828&context=nwc-review">Charles Sweeney</a>, le pilote qui largua la bombe atomique, raconte que seules trois images avaient les honneurs d’être encadrées dans la salle à manger de ses parents : celle de Jésus Christ, du président Franklin D. Roosevelt et « L’élévation du drapeau à Iwo Jima ». Toute l’Amérique d’alors est contenue dans ce triptyque.</p>
<p>De toute évidence, la composition de l’image explique une part de ce succès : des soldats en uniformes, visibles, mais non identifiables, solidaires dans l’effort et dont les corps soutiennent la hampe du drapeau qui est aussi l’axe de la photo. Le militaire agenouillé à l’avant est perpendiculaire au mât, formant une croix subliminale. Le sol dévasté contraste avec l’horizon dégagé. Ce n’est pas une photographie, c’est une scène de genre de la peinture de la Renaissance. C’est Paolo Uccello et Hollywood condensés en un cliché.</p>
<p>Cette popularité va effacer l’origine controversée de l’image, pourtant bien documentée et reconnue par Joe Rosenthal lui-même. Car elle représente non pas un lever de drapeau spontané, mais la deuxième tentative de ce jour de 1943. La première, captée par le reporter Louis R. Lowery, ne dure pas car le drapeau est enlevé pour être ramené au bercail par le Secrétaire d’État de la Marine.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/502418/original/file-20221221-25-83iaxf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502418/original/file-20221221-25-83iaxf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502418/original/file-20221221-25-83iaxf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=762&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502418/original/file-20221221-25-83iaxf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=762&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502418/original/file-20221221-25-83iaxf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=762&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502418/original/file-20221221-25-83iaxf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=958&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502418/original/file-20221221-25-83iaxf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=958&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502418/original/file-20221221-25-83iaxf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=958&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Photographie de la première installation du drapeau réalisée par le sergent d'état-major Louis R. Lowery, 1943.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikipédia</span></span>
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<p>Il faut donc planter un nouvel étendard et ce sont 6 marines qui se lancent. Le premier groupe est demeuré ignoré ; le second est devenu célèbre. Rapatriés, les trois survivants rencontrèrent le président Truman, furent accueillis en triomphe au Sénat et présentés au public sur Times Square. Leur tournée de collecte de fonds rencontra un succès démesuré, les ovations s’enchaînant à travers le pays, galvanisant le patriotisme. </p>
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<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/502567/original/file-20221222-24-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502567/original/file-20221222-24-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502567/original/file-20221222-24-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=271&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502567/original/file-20221222-24-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=271&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502567/original/file-20221222-24-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=271&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502567/original/file-20221222-24-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=341&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502567/original/file-20221222-24-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=341&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502567/original/file-20221222-24-13wyq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=341&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les marines d’Iwo Jima (First Aero Squadron Foundation, 2016).</span>
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<p>Le livre <em>Mémoires de nos pères</em> (James Bradley et Ron Powers, 2000) et le film homonyme réalisé par Clint Eastwood (2006) témoignent de cette ambiance d’exaltation collective - signalons que le réalisateur proposait un diptyque, associant au film cité <em>Lettres d’Iwo Jima</em> (2006), qui expose la version japonaise de l’histoire.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502409/original/file-20221221-22-x9zieo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502409/original/file-20221221-22-x9zieo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502409/original/file-20221221-22-x9zieo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502409/original/file-20221221-22-x9zieo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502409/original/file-20221221-22-x9zieo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502409/original/file-20221221-22-x9zieo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502409/original/file-20221221-22-x9zieo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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</figure>
<h2>Une icône des temps modernes</h2>
<p>Nous sommes en 2022 et cette résurgence de l’image d’Iwo Jima intrigue. La bataille entre Américains et Japonais est loin dans le temps et l’espace, sa contingence l’a reléguée au rang d’épisode d’une guerre marquée à jamais par l’Holocauste en Europe et l’usage de l’arme nucléaire au Japon. Ce n’est plus de cela dont il est question. Ce n’est plus une photographie, mais un signe qui ressemble vaguement à son référent originel. Du cliché de Joe Rosenthal ne subsiste qu’une silhouette fugace, une forme – un ensemble de soldats plantant un drapeau. Une icône au cœur de notre inconscient collectif.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/502563/original/file-20221222-4087-49w8q3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502563/original/file-20221222-4087-49w8q3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502563/original/file-20221222-4087-49w8q3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=302&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502563/original/file-20221222-4087-49w8q3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=302&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502563/original/file-20221222-4087-49w8q3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=302&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502563/original/file-20221222-4087-49w8q3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502563/original/file-20221222-4087-49w8q3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502563/original/file-20221222-4087-49w8q3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une scène de la série <em>Stranger Things</em> (saison 3, 2019).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Que nous dit-elle ? Elle dit l’espoir (c’était le premier message, dès 1945), le courage, la victoire malgré la souffrance, la force du groupe, la lutte pour la liberté, pour le bien, pour l’avenir. C’est un symbole qui transmet non pas la mémoire d’un événement, mais la mythologie du monde moderne, submergé par les images, comme l'ont démontré notamment <a href="https://journals.openedition.org/critiquedart/8070">Marshall McLuhan</a>, <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/mythologies-roland-barthes/9782757841754">Roland Barthes</a> ou <a href="https://books.google.fr/books/about/Shooting_Kennedy.html?id=WgQqrmPDZksC&redir_esc=y">David M. Lubin</a>. Son inscription dans des archétypes et des codes anciens (ceux de la sculpture, de la peinture, du cinéma) en rendent la lisibilité universelle. Et, à ce stade, sa diffusion généralisée était inévitable, irrésistible. Les détournements et parodies l'ont renforcée, lui conférant une puissance sans égale. La Russie soviétique l’avait pressenti dès 1945, en mettant en scène une riposte, <a href="https://journals.openedition.org/1895/4899">avec le Drapeau rouge sur le Reichstag d’Evgueni Khaldéi</a>, photo fabriquée (et, comble de l’ironie, retouchée). En vain.</p>
<p>L’image qui orne la campagne de <em>The Conversation</em> est universelle et dit à jamais que la bannière des causes légitimes ne peut être portée en solitaire : un bon journal, ce sont ses équipes et toutes les personnes qui contribuent à son contenu et qui le lisent.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502415/original/file-20221221-23-fnbkw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502415/original/file-20221221-23-fnbkw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502415/original/file-20221221-23-fnbkw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502415/original/file-20221221-23-fnbkw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502415/original/file-20221221-23-fnbkw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502415/original/file-20221221-23-fnbkw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502415/original/file-20221221-23-fnbkw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le visuel de la campagne de dons de The Conversation 2022, avec illustration et message.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Periscope</span></span>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/196248/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joan Le Goff ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pourquoi ce dessin si simple est-il lesté d’un tel sens ? Et pourquoi est-ce cette image spécifiquement qui s’est imposée sous le crayon du graphiste ?Joan Le Goff, Professeur des universités en sciences de gestion, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1918692022-10-18T16:46:04Z2022-10-18T16:46:04ZImages de science : sur les pavés, un triangle plein de trous<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/488007/original/file-20221004-12-evcqry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C4%2C1393%2C1043&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une œuvre éphémère pour illustrer le concept mathématique dit « triangle de Sierpiński ».</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://bertrandparo.photo/">Bertrand Paris-Romaskevich pour Mathématiques Vagabondes</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Cette image représente un triangle « de Sierpiński », dessiné à la craie sur la place Carnot, à Lyon. Nous l’avons créé à douze, dont cinq enfants, en deux heures, dans le cadre du projet <a href="https://www.mathematiquesvagabondes.fr/streetmath">#StreetMath</a>.</p>
<p>Le but de #StreetMath est de créer des œuvres artistiques et citoyennes d’inspiration mathématique. C’est un laboratoire d’exploration urbaine ouvert à tous et toutes. Nos œuvres sur les places de Lyon sont éphémères et disparaissent avec la pluie. Si vous vivez à Lyon ou pas loin, <a href="https://www.mathematiquesvagabondes.fr/streetmath">venez nous rejoindre</a> !</p>
<p>Alors, que dessinions-nous ce jour-là ?</p>
<h2>Une carte dont chaque point est un carrefour ?</h2>
<p>Nous sommes raisonnablement déçu·e·s par un fromage plein de trous – il n’y a presque rien à manger ! Par contre, mathématiquement, un tel fromage peut s’avérer très attirant.</p>
<p>Un exemple d’un tel objet troué est le triangle de Sierpiński. Il porte le nom du mathématicien polonais Wacław Sierpiński qui a, en 1915, résolu grâce à ce triangle le problème suivant : trouver une carte des routes dont <em>chaque</em> point serait un carrefour. On sent tout de suite que cette carte doit être bien complexe…</p>
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<p>Voici comment construire un triangle de Sierpiński. Prenez un triangle équilatéral plein. Puis, dessinez un trou triangulaire, dont les sommets sont situés au milieu des arrêtes du triangle initial – cela lui enlève un quart de son aire. Continuez à enlever un triangle au milieu dans chaque triangle qui apparaît… jusqu’à l’infini ! La figure obtenue dans la limite n’a plus du tout d’aire, puisqu’à chaque étape de cet amaigrissement, l’aire totale est multipliée par 0,75 (les trois quarts restants).</p>
<p>Et c’est presque une carte de Sierpińsky – à part les trois coins du triangle initial ou notre vélo sera obligé à tourner de 60 degrés. En arrangeant six triangles de Sierpiński ensemble en un hexagone, le problème de coins est géré et notre carte hexagonale est prête !</p>
<h2>Le triangle de Sierpiński, ligne par ligne</h2>
<p>Trouvez une place dont les pavés soient disposés en quinconce. Prenez des craies, invitez des passant·e·s à se joindre à vous, et commencez.</p>
<p>Coloriez un des pavés (de préférence au milieu d’un bord de la place). Il vaut maintenant 1, les autres pavés, vides, valent 0. Ce premier pavé se trouvera au sommet du triangle de Sierpiński. Sur la ligne en dessous de ce premier pavé, chaque pavé sera « la somme » des deux au-dessus de lui, avec une particularité : 1+1=0 ! Descendez ainsi ligne par ligne. Vous verrez émerger le triangle de Sierpiński, en version « pixelisée » !</p>
<p>Cet <a href="https://theconversation.com/quest-ce-quun-algorithme-162896">algorithme</a> nous a permis de dessiner le triangle de Sierpiński de la photo en 128 lignes. L’intérêt de ce motif est son « auto-similarité » : il est composé de trois copies plus petites de lui-même, chacune un triangle avec des côtés à 64 carrés. En conséquence, on peut séparer le grand motif en trois parties indépendantes, sur lesquelles travaillent simultanément trois groupes. Un petit conseil pratique : faites d’abord avec des croix sur les pavés avant de les colorier. Cela permettra de corriger plus facilement une erreur qui sinon se propagerait rapidement – et donnerait un <a href="https://images.math.cnrs.fr/Fractales-points-fixes-et-coquillages.html">dessin ressemblant à un coquillage</a>.</p>
<p>D’ailleurs, ce triangle parait plus allongé qui ne l’est en vrai – mais ce n’est que l’effet de perspective !</p>
<h2>Une question qui reste</h2>
<p>Vous vous demandez peut-être pourquoi ce processus de dessin qui suit un algorithme simple, ligne par ligne, fait apparaître une image de triangle troué, ressemblant au triangle de Sierpiński ? C’est une très bonne question ! Et c’est exactement à cela que servent les mathématiques : trouver les liens entre des objets qui semblent ne rien avoir en commun, mais qui s’avèrent décrire la même chose.</p>
<p>L’idée clé ici est que les lignes de pavés dont les numéros sont les <a href="http://images.math.cnrs.fr/Puissances.html">puissances de 2 (1, 2, 4, 8, 16, etc.)</a> sont toutes remplies et forment chacune la base d’un triangle troué. Cela veut dire aussi que les lignes suivant ces lignes pleines n’auront que deux pavés remplis : un au début et un à la fin de la ligne. Ce sont ces deux pavés qui chacun font naître un nouveau triangle troué, similaire à celui qui apparaît au-dessus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191869/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olga Paris-Romaskevich a co-fondé l’association Mathématiques Vagabondes avec Marie Lhuissier, docteure en mathématiques et conteuse mathématicienne.</span></em></p>Une manière originale de s’initier à des concepts mathématiques : en créant des œuvres éphémères, dans la rue, avec des craies.Olga Paris-Romaskevich, Chargée de recherche au CNRS, Institut de Mathématiques de Marseille, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1828092022-06-21T19:21:11Z2022-06-21T19:21:11ZCe que les dessins d’enfants nous disent de la société de consommation<p>Dessiner est une des activités préférées des enfants. Du gribouillage aux productions plus abouties, leurs dessins <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0767370114565766">nous renseignent sur leur environnement</a>. Or les enfants sont immergés dans une culture de consommation et les travaux académiques convergent pour souligner que la société de consommation est particulièrement investiguée par eux quand ils dessinent.</p>
<p>Partant de ce constat, les chercheurs qui s’intéressent à ce domaine ont de plus en plus souvent <a href="http://www.ritm.universite-paris-saclay.fr/2019/01/bien-etre-et-alimentation-une-identification-des-axes-de-communication-a-destination-des-enfants-consommateurs/">recours à ces supports graphiques</a> pour saisir ce que les enfants apprennent et comprennent de la consommation.</p>
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<img alt="Dessin d’enfant" src="https://images.theconversation.com/files/469299/original/file-20220616-21-3kig0h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469299/original/file-20220616-21-3kig0h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=763&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469299/original/file-20220616-21-3kig0h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=763&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469299/original/file-20220616-21-3kig0h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=763&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469299/original/file-20220616-21-3kig0h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=959&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469299/original/file-20220616-21-3kig0h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=959&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469299/original/file-20220616-21-3kig0h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=959&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dessin d’enfant collecté pour une recherche.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.jstor.org/stable/26375510">Recherche sur le dessin comme langage de l’enfant</a>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Compte tenu de leurs capacités cognitives, les enfants traitent prioritairement l’information via des éléments visuels. Ainsi, dans le cadre d’ateliers, les chercheurs qui demandent à des enfants âgés de 7 à 12 ans (stade opératoire concret, selon le psychologue du développement <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/jean-piaget/">Jean Piaget</a>) de dessiner des produits ou des situations de consommation, font tous les mêmes constats. Les enfants convoquent de nombreux détails, témoignant d’une bonne interprétation et mémorisation des attributs spécifiques qui catégorisent les produits et discriminent les marques : logo, charte graphique, mascotte, packaging…</p>
<p>De même, lorsqu’ils sont présents aux côtés des jeunes participants, les chercheurs relèvent une grande application des enfants à reproduire les couleurs et les formes qui caractérisent les marques.</p>
<h2>Contextes de consommation</h2>
<p>D’ailleurs, même quand l’enfant n’est pas sollicité par le chercheur sur une consigne spécifique, il n’est pas rare de trouver dans un dessin une ou plusieurs marques. Celles-ci sont alors mobilisées pour renforcer le réalisme de la production, illustrant sans doute l’importance que les enfants leur accordent dans leur quotidien.</p>
<p>Certains des participants ajoutent des slogans, soulignant dès lors, leur compréhension du lien existant entre marques et publicité. La présence des produits, des marques associées à des messages de promotion dans les productions enfantines montre à quel point ces différents éléments constituent des ressources dans la construction de leur culture de la consommation.</p>
<p>Au-delà de leur connaissance des produits et des marques, les enfants savent différencier les contextes dans lesquels ils sont consommés. Ainsi, ils représentent les lieux physiques de consommation mais aussi les environnements sociaux qui en découlent. Ils sont capables de distinguer des produits qui sont consommés au sein du foyer – et dessinent alors les membres de leur famille – d’autres produits qui sont utilisés dans des endroits hors domicile.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/400896/original/file-20210516-15-12rgfib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C4%2C1000%2C657&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/400896/original/file-20210516-15-12rgfib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/400896/original/file-20210516-15-12rgfib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/400896/original/file-20210516-15-12rgfib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/400896/original/file-20210516-15-12rgfib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/400896/original/file-20210516-15-12rgfib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/400896/original/file-20210516-15-12rgfib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">D’un statut de repas perçu comme anodin, le goûter est passé à celui de temps fort de la convivialité familiale avec les périodes de confinement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/alimentation-le-retour-en-grace-du-gouter-158986">Alimentation : le retour en grâce du goûter</a>
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<p>Par exemple, dans un repas pris à la cantine figureront diverses tables et chaises pour signifier un repas pris dans un cadre collectif. On trouvera également de nombreux enfants pour rendre compte de la <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/commensalit%C3%A9#:%7E:text=Commensalit%C3%A9%2C%20subst.,de%20table%20de%20quelqu%E2%80%99un.">commensalité</a> induite par ces repas pris en commun. Autre exemple, si l’on demande à des enfants de dessiner un goûter sans détailler la consigne, ils produiront des dessins où ils se figureront en train de manger, où ils représenteront leur propre goûter mais ils pourront également dessiner un goûter d’anniversaire où seront mis en scène de nombreux artefacts soulignant le caractère occasionnel et festif de ce repas.</p>
<p>Chaque situation dessinée est alors reliée à des produits types, témoignant de leurs compétences à identifier les « bons » objets et les « bonnes » personnes en fonction des circonstances. L’inventaire des objets associés aux personnages (famille, pairs, éducateurs…) suggère aussi que les enfants perçoivent très tôt les dimensions symboliques et sociales attachées à la consommation.</p>
<h2>Monde de transitions</h2>
<p>Les enfants vivent dans un monde de transitions et cette prise de conscience se laisse voir dans leurs dessins. Baignés par des normes et des valeurs qui s’efforcent de rendre la consommation plus responsable, plus vertueuse, les enfants s’attachent à les véhiculer dans leurs dessins.</p>
<p>Compte tenu des enjeux liés à une alimentation saine et durable sur leur santé et leur bien-être, les enfants sont souvent sollicités sur ce sujet par chercheurs et spécialistes de la consommation. Les dessins réalisés permettent d’accéder à leur répertoire alimentaire et à leurs préférences individuelles. Ils révèlent également les produits et les marques qui sont associés au bien manger ou sont facteurs pour eux de bien-être.</p>
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<img alt="Dessin d’enfant" src="https://images.theconversation.com/files/469296/original/file-20220616-13-qav8cn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469296/original/file-20220616-13-qav8cn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=797&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469296/original/file-20220616-13-qav8cn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=797&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469296/original/file-20220616-13-qav8cn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=797&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469296/original/file-20220616-13-qav8cn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1001&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469296/original/file-20220616-13-qav8cn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1001&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469296/original/file-20220616-13-qav8cn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1001&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les conseils pour une alimentation saine vus par le jeune participant d’une étude.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.jstor.org/stable/26375510">Recherche sur le dessin comme le langage de l’enfant</a>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>En outre, les dessins montrent que les enfants connaissent les codes utilisés par les industriels agro-alimentaires pour <a href="https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2010-7-page-159.htm">signifier aux consommateurs qu’un produit est sain</a> : mobilisation des couleurs vertes ou jaunes, reproduction de labels ou du Nutri-score… Leurs dessins interrogent alors sur les bons leviers à activer pour encourager des changements de comportements. Certains enfants donnent d’ailleurs eux-mêmes quelques solutions à adopter dans leurs productions : « donner des bons points, éviter la publicité, fabriquer des bonbons qui n’abîment pas les dents »…</p>
<p>Dans le même esprit, notre étude empirique portant sur la <a href="https://hal-normandie-univ.archives-ouvertes.fr/hal-02068591">conscience écologique des enfants</a>, réalisée auprès de 42 d’entre eux âgés de 7 à 12 ans (17 filles et 25 garçons) montre que les causes principales du réchauffement climatique qu’ils identifient relèvent toutes de la consommation. Des couleurs noires et grises sont utilisées pour mettre en scène des fumées émanant de voitures ou d’usines. Ce qui tend à suggérer qu’ils ont intériorisé le fait que les activités humaines polluent et que cela met en danger la planète, qui est représentée sous forme d’un visage triste parfois couvert de larmes.</p>
<p>Si les enfants présentent des réactions affectives fortes face au réchauffement climatique, leurs dessins retracent peu de solutions pour lutter contre ce phénomène. Sans doute faut-il y voir leur difficulté, tout comme les adultes, à évoluer dans une société de consommation sous tensions.</p>
<h2>De la représentation à l’imaginaire</h2>
<p>Si les dessins rendent compte de la manière dont les enfants se saisissent de la société de consommation, ils permettent aussi de capturer leurs imaginaires, de cerner leurs aspirations et d’analyser les décalages avec l’existant. Par exemple, dans le cadre d’une recherche sur les enseignes de distribution, 95 enfants ont été invités à <a href="https://scholar.google.fr/citations?view_op=view_citation&hl=fr&user=DDBzC_cAAAAJ&citation_for_view=DDBzC_cAAAAJ:UebtZRa9Y70C">représenter « le magasin idéal, le magasin de ses rêves »</a> à partir d’une feuille A4 et de 32 feutres, 18 crayons de couleur et des crayons de papier.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sur-les-ecrans-aider-les-enfants-a-devenir-des-consommateurs-avertis-174004">Sur les écrans, aider les enfants à devenir des consommateurs avertis</a>
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<p>Les chercheuses constatent que tous les enfants ont laissé libre cours à leur créativité, s’affranchissant de contraintes rationnelles au profit de considérations ludiques, poétiques, voire féériques. Les magasins ont été dessinés comme des lieux sublimant une expérience d’achat enchantée et dans lesquels ils se sentent bien accueillis et considérés. Ces productions ancrées dans une pensée divergente constituent sans doute des sources d’inspirations pour les managers qui souhaitent innover en tenant compte des attentes de leurs jeunes clients.</p>
<p>Les imaginaires de consommation ont également été convoqués dans le cadre d’une étude portant sur les <a href="https://hal-normandie-univ.archives-ouvertes.fr/hal-03049813">représentations des enfants autour de l’ingestion d’insectes</a>. Les enfants proposent dans leurs dessins des recettes à base d’insectes et soulignent, de ce point de vue, que leur consommation suscite moins de dégoût que chez les adultes et pourrait donc être envisagée dans un futur proche en activant les bons leviers.</p>
<p>Loin d’être un objet banal suscitant la fierté de parents attendris, les dessins d’enfants sont des productions culturelles et constituent à ce titre des ressources scientifiques pour accéder à leurs pratiques et à leurs représentations en tant que jeunes consommateurs. L’analyse de ces productions enfantines peut nourrir des réflexions, concevoir des actions en phase avec leur point de vue, susceptibles d’accroître leur bien-être dans une société de consommation qui leur fait jouer des rôles centraux en tant que prescripteurs et futurs citoyens mais dont les avis sont finalement peu réclamés et peu suivis.</p>
<p>Cette activité « naturelle » des enfants est aujourd’hui revisitée chez les adultes au travers d’approches par le design qui envisagent la mise en forme (par le dessin ou la maquette) comme un outil de transformation permettant de capturer des imaginaires, innover ou encore construire des futurs souhaitables autour de la consommation. Preuve sans doute qu’un « un bon croquis vaut mieux qu’un long discours ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182809/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pascale Ezan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À travers leurs dessins, les enfants montrent à quel point marques et produits de consommation font partie de leur quotidien. Mais ils semblent également conscients des dangers de la surconsommation.Pascale Ezan, professeur des universités - comportements de consommation - alimentation - réseaux sociaux, Université Le Havre NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1788072022-03-30T18:14:05Z2022-03-30T18:14:05ZComment les dessins d’enfants racontent la guerre et l’exil<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/454966/original/file-20220329-21-l9g7bu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C2003%2C1457&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Figure 1 - Première guerre de Tchétchénie (1994-1996). [Anonyme] : «Tout est en feu»</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782845165274-j-ai-dessine-la-guerre-le-regard-de-francoise-et-alfred-brauner-rose-duroux/">in "J’ai dessiné la guerre. Le regard de Françoise et Alfred Brauner", Rose Duroux et Catherine Milkovitch-Rioux (dir.), Pubp, 2011, p. 138</a></span></figcaption></figure><p>Parmi les civils de pays agressés militairement ou victimes de persécutions, les figures enfantines – enfants victimes, enfants déplacés comme aujourd'hui en Ukraine, réfugiés, ou bien encore enfants-soldats – ont alimenté depuis quelques décennies les renouvellements de la recherche scientifique sur les violences guerrières.</p>
<p>Les recherches ont d’abord porté sur l’enfant comme objet de mobilisation des discours de guerre, des politiques sociales nationales, internationales, de l’aide humanitaire. Participant elles-mêmes à la mobilisation autour des victimes, les images médiatiques d’enfants suscitent l’émotion, à des degrés très variables, selon le degré de proximité d’un conflit.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/abus-violences-crises-guerres-les-traumatismes-vecus-dans-lenfance-ont-des-effets-durables-178220">Abus, violences, crises, guerres : les traumatismes vécus dans l’enfance ont des effets durables</a>
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<p>Dans <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/un-si%C3%A8cle-de-refugies-bruno-cabanes/9782021427295"><em>Un siècle de réfugiés</em></a>, Bruno Cabanes souligne en outre la « constante ambiguïté entre la photographie qui documente l’exil, celle qui se complaît dans le spectacle de la souffrance et celle qui alimente, parfois volontairement, la peur de l’invasion migratoire ». Ces représentations sont profondément révélatrices de points de vue d’adultes, de sensibilités collectives, parfois de propagande.</p>
<p>À côté d’études portant sur la mobilisation et la prise en charge de l’enfant, fondées sur les discours et les pratiques de <em>celui qui regarde</em>, des <a href="https://journals.openedition.org/ccec/5212?lang=en">travaux plus récents</a> s’intéressent aux expériences enfantines de la guerre, étudiées à travers les traces qu’elles ont laissées : journaux intimes, lettres, dessins… Ces sources enfantines révèlent le regard que l’enfant lui-même porte sur la guerre et l’exil : elles permettent d’approcher au plus près l’expérience, la dimension <em>vécue</em> de l’événement.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/454969/original/file-20220329-18-1u7ceba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454969/original/file-20220329-18-1u7ceba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454969/original/file-20220329-18-1u7ceba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454969/original/file-20220329-18-1u7ceba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454969/original/file-20220329-18-1u7ceba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454969/original/file-20220329-18-1u7ceba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454969/original/file-20220329-18-1u7ceba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Fritzi Riesel (Françoise) et Alfred Brauner étudiants, été 1930.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782845165274-j-ai-dessine-la-guerre-le-regard-de-francoise-et-alfred-brauner-rose-duroux/">J’ai dessiné la guerre. Le regard de Françoise et Alfred Brauner, Rose Duroux et Catherine Milkovitch-Rioux (dir.), Pubp, 2011</a></span>
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<p>Ainsi, l’enfant dont on collecte la parole ou le dessin participe de l’histoire des guerres, et son témoignage graphique est précieux, non seulement pour mesurer l’impact psychique d’un conflit sur l’enfant – selon l’approche des sciences de la <em>psyche</em> – mais encore, dans d’autres disciplines des sciences humaines et sociales, pour évaluer les qualifications spécifiques de certaines situations de conflit impliquant tout particulièrement les civils : guerre d’agression, occupations, bombardements, destructions massives, <a href="https://www.cairn.info/de-la-violence-i--9782738116055-page-273.htm">crimes dits de « profanation »</a>, atteintes à la filiation, crimes contre l’humanité…</p>
<p>Les enjeux humanitaires sont primordiaux ; mais ces représentations permettent également d’écrire l’histoire d’un conflit déterminé <a href="https://www.cairn.info/revue-l-autre-2020-2-page-142.htm?ref=doi">« à hauteur d’enfant »</a>, et de la replacer dans une histoire de l’enfance en guerre et en exil.</p>
<h2>Des travaux précurseurs</h2>
<p>La lecture du dessin d’enfant est alimentée par des engagements précurseurs, en particulier au moment de la guerre d’Espagne, avec l’activité d’Alfred et Françoise Brauner, qui a fait l’objet des travaux scientifiques <a href="https://www.scienceshumaines.com/enfance-violence-exilune-histoire-des-guerres-contemporaines-a-hauteur-d-enfant_fr_32375.html"><em>Enfance, Violence, Exil</em></a> (EVE). Dans la perspective d’une histoire de l’enfance « à hauteur d’enfant », l’étude des fonds collectés et analysés permet d’approfondir notre compréhension de l’expérience des enfants en guerre, évacués et/ou exilés. Elles sont actuellement poursuivies dans le cadre du projet <a href="https://refugiereve.hypotheses.org/">Réfugier-Enfance Violence Exil</a> (REVE).</p>
<p>Leur vie durant, Alfred et Françoise Brauner ont collecté les <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k33253488.texteImage">« dessins-témoignages »</a> d’enfants en guerre. Dès 1937, ils rejoignent les Brigades Internationales en Espagne, elle d’abord, comme médecin ; lui ensuite, avec la charge d’inspecter les centres pour enfants évacués de la côte levantine. C’est dans ces foyers que les Brauner commencent à s’intéresser au dessin comme outil thérapeutique, mais aussi politique, servant à dénoncer les horreurs de la guerre et, plus encore, à aiguiller la solidarité internationale envers la République espagnole.</p>
<p>On estime durant la guerre à environ 600 000 le nombre total de pertes humaines directement dues à la guerre, dont plus de la moitié sont des non-combattants. Cette première expérience humanitaire se prolonge à leur retour en France, avec des enfants juifs évacués d’Allemagne et d’Autriche, puis revenant des camps en 1945. Par la suite, l’engagement des Brauner en faveur de <a href="https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1947_num_2_2_1805">« ces enfants qui ont vécu la guerre »</a> ne se dément pas, que ce soit par l’action associative avec Enfants Réfugiés du Monde, ou par la collecte ininterrompue des dessins d’enfants en guerre, à travers le siècle et les continents – du Liban au conflit Iran-Irak, de l’Algérie au Vietnam, de l’Afghanistan à la Tchétchénie…</p>
<p>Des deux mille dessins conservés, les Brauner ne retiendront qu’un dixième pour le livre <em>J’ai dessiné la guerre</em> en 1991, comme dans le film du même titre réalisé en 2000 par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Alfred_Brauner">Alfred Brauner</a> et le documentariste Guy Baudon.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/454967/original/file-20220329-13-uzs722.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454967/original/file-20220329-13-uzs722.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454967/original/file-20220329-13-uzs722.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454967/original/file-20220329-13-uzs722.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454967/original/file-20220329-13-uzs722.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454967/original/file-20220329-13-uzs722.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454967/original/file-20220329-13-uzs722.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Figure 2 : Guerre d’Espagne (1936-1939). Manuel Pérez Osana, 12 ans : « Ma maison cassée ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782845165274-j-ai-dessine-la-guerre-le-regard-de-francoise-et-alfred-brauner-rose-duroux/">J’ai dessiné la guerre. Le regard de Françoise et Alfred Brauner, Rose Duroux et Catherine Milkovitch-Rioux (dir.), Pubp, 2011, p. 44-45</a></span>
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<p>Les Brauner se sont en particulier occupés d’enfants évacués en Espagne, à Benicàssim en 1938. Alfred Brauner commente : « Et il faut regarder de très près pour découvrir, minuscule à côté de la bombe qui n’a pas fini de tomber, une figure humaine avec l’inscription : <em>Padre</em>. C’est la dimension réduite du personnage mort du père qui traduit l’effroi. […] En haut du dessin, la légende-titre est politique : le fascisme a passé par là ! »</p>
<p>L’originalité des Brauner est d’avoir mis les enfants et leur discours sur la guerre au premier plan, depuis leurs engagements antifascistes et antinazis des débuts jusqu’à leurs prises de position pacifistes et antinucléaires postérieures, les poursuivant dans des contextes pédagogiques. Le dessin, comme support d’une libre expression, constitue un champ d’expérience par lequel il s’agit de faire valoir les droits des enfants.</p>
<h2>Lire des terrains de guerre</h2>
<p>Les dessins de la collection Brauner nous semblent souvent d’une remarquable actualité. Il faut cependant <a href="https://laviedesidees.fr/Le-tragique-ne-nous-a-jamais-quittes-Sur-la-guerre-en-Ukraine.html">se défier d’une interprétation présentiste</a> qui viendrait lire, par exemple, l’actuelle guerre d’agression engagée par la Russie contre l’Ukraine à la lumière des guerres du passé, entre le XX<sup>e</sup> et le XXI<sup>e</sup> siècles. Chaque dessin doit être replacé dans son contexte historique dans la mesure où il porte l’empreinte d’un monde social soumis en temps de guerre à des bouleversements singuliers, lesquels déterminent la nature propre et la représentation de l’expérience.</p>
<p>Chaque dessin doit donc être l’objet d’une lecture <em>spécifique</em>, qui prenne en compte ce contexte de production. Aussi la collection Brauner fait-elle l’objet d’une description précise, reproduisant à la fois le commentaire livré par Alfred Brauner, lui-même historiquement situé, et les données descriptives, parfois lacunaires, dont la recherche dispose : nom de l’enfant, âge, lieu de la réalisation, date, format…</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/wNAg4MZ0vfY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Retour sur le programme Enfance Violence Exil (Ville de Clermont-Ferrand, 2013).</span></figcaption>
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<p>La collecte de dessins repose à la fois sur cette description d’éléments contextuels, factuels, et sur les corrélations établies entre différents_ regards graphiques_ d’enfants ; et leur <em>lecture</em> se situe aussi dans cette conjonction (<a href="https://refugiereve.hypotheses.org/">Les collections de R-EVE</a>, parmi lesquelles figure la collection Brauner, sont déposées et décrites dans l’entrepôt de données Nakala et disponible à partir du blog de recherche : « Réfugier Enfance Violence Exil (R-EVE) », « Collections »).</p>
<p>Le parcours de la collection révèle la présence d’analogies de thèmes et de composition. Partout, on retrouve la violence en mouvement, les émotions qu’elle suscite : intrusion des militaires, bombardements, corps, blessures, mort, exodes. Des populations européennes aux Sahraouis et aux boat-people d’Asie, les dessins d’enfants révèlent une attention particulière pour l’arsenal guerrier, de la machette au scud, en passant par les baïonnettes, chars, lance-roquettes, et figurent les escadrilles, les obus…</p>
<p>Dans « Tout est en feu » (Figure 1), ce sont deux chars soviétiques qui brûlent : un choix qui révèle également la culture patriotique dans laquelle l’enfant tchétchène grandit. Dans « Ma maison cassée » (Figure 2), Manuel Pérez Osana représente à la fois les avions-chasseurs et bombardiers, et la trajectoire de la bombe qui explose au sol.</p>
<h2>Réappropriation par le dessin</h2>
<p>L’imagination de l’enfant dessinateur s’applique souvent à introduire des personnes susceptibles d’apporter un secours aux blessés, des brancards, des ambulances, l’hôpital. Ces appuis sûrs sont d’abord ceux qu’il voit de ses propres yeux, pompiers, médecins, brancardiers. Le dessin de Manuel Pérez Osana comporte explicitement un appel au secours (<em>Socorro</em>), émis sans doute du point de vue de l’enfant, pris au piège dans la maison bombardée et éventrée.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/454968/original/file-20220329-22-p5b9gk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454968/original/file-20220329-22-p5b9gk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454968/original/file-20220329-22-p5b9gk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454968/original/file-20220329-22-p5b9gk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454968/original/file-20220329-22-p5b9gk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454968/original/file-20220329-22-p5b9gk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454968/original/file-20220329-22-p5b9gk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Figure 3 : La guerre en ex-Yougoslavie (1991-1995). [Anonyme] : « Tulipes sur les tombes », dessin d’un enfant d’une école maternelle de Zabreb.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782845165274-j-ai-dessine-la-guerre-le-regard-de-francoise-et-alfred-brauner-rose-duroux/">J’ai dessiné la guerre. Le regard de Françoise et Alfred Brauner, Rose Duroux et Catherine Milkovitch-Rioux (dir.), Pubp, 2011, p. 131</a></span>
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<p>De manière plus étonnante, l’enfant met en scène sa propre capacité d’action – comme si, avec le dessin, le chaos de la guerre se maîtrisait, fût-ce de manière imaginaire. Cette capacité d’agir peut se manifester sous de multiples formes symboliques : dans le dessin (Figure 3) « Tulipes sur les tombes », un élève croate d’une école maternelle de la ville de Zagreb confrontée dès 1991 aux bombardements de l’armée populaire yougoslave représente des tombes où sont enterrés civils et combattants.</p>
<p>Avec les tulipes, de grande taille, les bougies éclairant les tombes – déposées également sur les rivières <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2004-2-page-267.htm">dans plusieurs traditions slaves</a> – l’enfant s’empare des rituels de deuil qui maintiennent des liens entre les survivants et le monde des défunts. Cette réappropriation par le dessin est une forme d’action.</p>
<p>Les dessins d’enfants inventent souvent des représentations imaginaires qui constituent autant de refuges dans une réalité chaotique : en 1944, à Terezin, une petite fille juive tchèque, Érika Taussigova, âgée de 9 ans, dessina le dortoir de son stalag avec, au premier plan, une corbeille de fruits, un papillon, et un grand vase rempli de fleurs. Elle ouvrait au seuil de la mort un espace-refuge imaginaire, intime et familier, celui du monde d’avant.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/454994/original/file-20220329-19-1vzcbey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454994/original/file-20220329-19-1vzcbey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=794&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454994/original/file-20220329-19-1vzcbey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=794&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454994/original/file-20220329-19-1vzcbey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=794&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454994/original/file-20220329-19-1vzcbey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=998&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454994/original/file-20220329-19-1vzcbey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=998&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454994/original/file-20220329-19-1vzcbey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=998&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Déflagrations – Dessins d’enfants, guerres d’adultes, Zérane S. Girardeau, Anamosa, 2017.</span>
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<p>Les collections de dessins d’enfants, d’une terrible actualité dans le monde, portent à nos yeux les expériences enfantines et adolescentes des violences extrêmes. Leur collecte, leur préservation, leur description, leur analyse permettent de retracer l’histoire des usages scientifiques, politiques, humanitaires, artistiques des témoignages graphiques. Mais aussi, <a href="https://inculte.fr/produit/une-ile-une-forteresse/">comme l’écrit Hélène Gaudy</a> dans le récit qu’elle consacre au camp de Terezin, <em>Une île, une forteresse</em>, à partir des <a href="https://www.fondationshoah.org/memoire/puisque-le-ciel-est-sans-echelle-dessins-darthur-goldschmidt-au-camp-de-theresienstadt">dessins d’Arthur Goldschmidt</a> (qui est adulte), ils engagent à échapper à la surface des choses, à « sauvegarder une part de beauté » : « tout est nu, les visages, l’eau, les arbres, tout existe davantage. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178807/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Milkovitch-Rioux a reçu des financements de l'Agence Nationale pour la Recherche (ANR): cet argent a été versé au CELIS/Université Clermont Auvergne, non à Catherine Milkovitch-Rioux personnellement.
Autres financements des recherches (par son statut d'enseignante chercheuse): CELIS/UCA, Ihtp/CNRS.
Pour les illustrations, dessins, photographie, couverture issus de l'ouvrage J'ai dessiné la guerre. Le regard de Françoise et Alfred Brauner, PUBP.
Tous droits réservés. </span></em></p>Témoignant des effets dévastateurs des conflits sur le psychisme des jeunes victimes, les dessins d’enfants sont aussi un outil pour faire valoir leurs droits, et des sources pour les historiens.Catherine Milkovitch-Rioux, Professeure de littérature contemporaine, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1729882021-12-05T17:20:41Z2021-12-05T17:20:41ZMolly l’orang-outan, une artiste pas comme les autres<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/435327/original/file-20211202-19762-hf3x2l.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=60%2C20%2C6720%2C4426&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un orang-outan et son dessin. </span> <span class="attribution"><span class="source">Marie Pelé</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Jusqu’à sa mort en 2011, Molly vivait près de Tokyo, au Japon. Aux alentours de ses 50 ans, Molly a commencé à se passionner pour le dessin, réalisant près de 1 300 créations les cinq dernières années de sa vie. </p>
<p>L’histoire de Molly n’est pas commune puisque Molly était un orang-outan.</p>
<p>Dessiner est un comportement courant chez l’être humain. <a href="https://www.cairn.info/revue-enfance-2005-1-page-34.htm">Vers l’âge de 18 mois</a>, les jeunes enfants commencent à faire leurs premières marques, leurs premiers tracés et développent avec l’âge un intérêt plus ou moins grand pour cette activité. Mais dessiner est un comportement que l’on retrouve aussi chez <a href="https://psycnet.apa.org/doiLanding?doi=10.1037%2Fcom0000251">d’autres primates</a> comme les chimpanzés, les gorilles, les macaques ou encore les capucins. Seulement voilà, ce n’est pas un comportement hautement présent dans le répertoire naturel de ces animaux, même s’il en existe un certain nombre d’observations anecdotiques.</p>
<p>C’est donc bien dans les parcs zoologiques et les instituts de recherche que les soigneurs n’hésitent pas à donner feutres et tubes de peinture à leurs animaux pour les occuper. C’est le cas des soigneurs du Zoo de Tama, près de Tokyo au Japon, qui organisent pour leurs orangs-outans des ateliers de dessin. Des toiles blanches et 16 crayons gras de couleurs différentes sont mis à la disposition de tous les membres du groupe. Ceux-ci sont libres d’utiliser ce matériel comme bon leur semble et ne sont en rien contraints à dessiner.</p>
<p>Ainsi, Molly prenait plaisir à dessiner tandis que d’autres n’y voyaient aucun intérêt. C’est le cas de Julie, une autre femelle orang-outan, qui en 5 ans n’a réalisé que 16 dessins. Cependant, même si Molly a produit un grand nombre de dessins, aucun d’eux n’apparaît représenter quoi que ce soit (tout du moins à un être humain). Les dessins de Molly et de ses congénères ne sont pas figuratifs et nous semblent à première vue n’être que de simples « gribouillages », pareils à ceux réalisés par de très jeunes enfants. Heureusement, la collection importante de dessins produits par les orangs-outans au Zoo de Tama nous a permis d’en faire l’étude minutieuse.</p>
<h2>Montre-moi comment tu dessines, je te dirai qui tu es</h2>
<p>Afin d’avoir un examen le plus objectif possible des dessins réalisés par les orangs-outans du zoo de Tama, nous avons mis en place un protocole très précis de collecte de données. Sur chaque dessin, nous avons appliqué une grille de 10 carreaux par 10 carreaux permettant une lecture plus minutieuse de chaque élément. Pour chaque carreau, nous avons en effet relevé une douzaine de données qualitatives et quantitatives telles que le recouvrement de la feuille, les couleurs utilisées, la présence de certaines formes comme les <em>fan patterns</em> (traits en aller-retour), mais aussi des cercles, des boucles ou encore des triangles. Un véritable travail de fourmis puisqu’au total <a href="https://www.mdpi.com/2076-2615/11/11/3202">790 dessins ont été analysés à l’œil nu</a> par trois observatrices différentes.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/435278/original/file-20211202-13-1e9pmwh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/435278/original/file-20211202-13-1e9pmwh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/435278/original/file-20211202-13-1e9pmwh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/435278/original/file-20211202-13-1e9pmwh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/435278/original/file-20211202-13-1e9pmwh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/435278/original/file-20211202-13-1e9pmwh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/435278/original/file-20211202-13-1e9pmwh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/435278/original/file-20211202-13-1e9pmwh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Pour chacune des cinq femelles orangs-outans, exemple de deux dessins.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pelé et coll., 2021</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>En général, les cinq femelles orangs-outans dessinent sur la moitié de la feuille, en partant de son centre. Elles utilisent trois couleurs différentes en moyenne et dessinent deux <em>fan patterns</em> par feuille. Les cercles, boucles et triangles sont beaucoup plus rares et ne se retrouvent que sur certains dessins.</p>
<p>Molly se distingue de ses congénères à plusieurs égards. Elle recouvre plus la toile, utilise plus de couleurs, fait plus de boucles. Kiki, au contraire fait moins de traits, mais ils sont plus marqués, amenant un contraste plus élevé à ses dessins. On note également des préférences de couleurs : le vert chez Molly et Kiki, le rouge pour Julie, Yuki et Gypsy.</p>
<p>Outre des motivations à dessiner différentes chez nos cinq femelles orangs-outans, nos premiers résultats montrent donc qu’elles ne dessinent pas non plus de la même façon. Ces différences pourraient également être liées à la personnalité des femelles ainsi qu’à leurs capacités cognitives. Des études plus approfondies, par le biais notamment de <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-021-83043-0">nouvelles technologies</a>, pourraient nous permettre de creuser la question. Par exemple, l’utilisation de tablettes tactiles couplées à des modules d’eye-tracking (permettant le suivi du regard de l’utilisateur) pourrait nous éclairer sur le degré d’anticipation et donc d’intention de l’individu qui dessine.</p>
<p>Le nombre important de dessins réalisés par Molly nous a permis de regarder l’évolution de son comportement de dessin avec le temps. En vieillissant, Molly s’est mise à utiliser moins de couleurs, à moins recouvrir la toile et à moins centrer ses dessins qu’auparavant. Ces changements sont certainement liés à des limitations physiques croissantes, par exemple, elle était devenue aveugle de l’œil gauche. Pourtant, elle créa des dessins toujours plus complexes que les autres femelles, notamment en termes de traits. Mais les dessins de Molly semblent également varier avec les personnes qui l’entourent tels que <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2019.02050/full">ses soigneurs</a>. Dans notre étude, nous avons également pu mettre en évidence l’influence des saisons sur la couleur des dessins de Molly. Ainsi, elle préférait utiliser le vert en été et en hiver et le rose au printemps et en automne.</p>
<p>La complexité de ses dessins, ses variations de couleurs saisonnières et d’autres indices comme le fait de commencer au centre de la toile indiquent bien que Molly ne dessine pas au hasard. Bien au contraire, ils nous laissent à penser que nos proches cousins possèderaient certaines prémices nécessaires à la représentation.</p>
<h2>Molly fait-elle exception parmi les singes dessinateurs ?</h2>
<p>Les années 1960 virent ce qui a été plus tard appelé l’âge d’or du dessin simiesque. À cette époque, plusieurs psychologues s’intéressent aux œuvres réalisées le plus souvent par des chimpanzés. L’un des plus connus, Desmond Morris, publiera <a href="https://openlibrary.org/works/OL443161W/Biologie_de_l%E2%80%99art"><em>Biologie de l’art</em></a> dans lequel il retrace la création artistique des primates et regroupe tous les dessins et peintures de singes de l’époque. Il travaillera aussi à faire connaître les œuvres de son chimpanzé mâle Congo à la télévision et lors d’expositions dans les plus grandes galeries du monde. Congo montra en effet un intérêt particulier pour la peinture, réalisant plusieurs centaines de tableaux jusqu’à son adolescence. Cependant, des profils comme ceux de Molly et Congo restent rares.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/435280/original/file-20211202-13-16cs95a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/435280/original/file-20211202-13-16cs95a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/435280/original/file-20211202-13-16cs95a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/435280/original/file-20211202-13-16cs95a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/435280/original/file-20211202-13-16cs95a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/435280/original/file-20211202-13-16cs95a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/435280/original/file-20211202-13-16cs95a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/435280/original/file-20211202-13-16cs95a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">En octobre 2021, Nénette s’installe pour une nouvelle session de peinture.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Marie Pelé</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Molly n’est plus là, mais une autre femelle orang-outan, elle aussi très âgée, peint et dessine dès qu’on lui en donne l’occasion. Il s’agit de <a href="https://www.cairn.info/revue-de-la-bibliotheque-nationale-de-france-2020-2-page-67.html">Nénette</a>, l’orang-outan star de la Ménagerie du Jardin des Plantes du Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Forte de caractère, Nénette peut rester concentrée plusieurs dizaines de minutes sur un même dessin ; fait assez rare tant les orangs-outans sont des animaux curieux et facétieux. Avec l’équipe qui prend soin de Nénette, nous venons de mettre en place un nouveau protocole de recherche pour mieux appréhender et mieux comprendre le dessin chez cette femelle orang-outan. Les dessins de Nénette ont-ils des points communs avec ceux de Molly ? Si oui, lesquels ? Affaire à suivre…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172988/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Pelé a reçu des financements de la Mission pour les Initiatives Transverses et Interdisciplinaires (MITI) du CNRS ainsi qu'un financement IDEX de l'université de Strasbourg. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Cédric Sueur est membre de l’Institut Universitaire de France, membre du conseil scientifique de Reworld Media et de la fondation LFDA. Il a reçu des financements de la Mission pour les Initiatives Transverses et Interdisciplinaires (MITI) du CNRS ainsi qu'un financement IDEX de l'université de Strasbourg.</span></em></p>Molly était une femelle orang-outan, créatrice de plus de 1 300 dessins. Que nous apprennent-ils sur la manière qu’ont ces singes de percevoir et de représenter le monde ?Marie Pelé, Chargée de recherche en éthologie, Institut catholique de Lille (ICL)Cédric Sueur, Maître de conférences en éthologie, primatologie et éthique animale, CNRS, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1590902021-04-25T16:30:20Z2021-04-25T16:30:20ZLoren Capelli en résidence : art de la spatialité et littérature de jeunesse<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/396763/original/file-20210423-19-3e2m8a.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1935%2C1140&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'artiste en résidence. </span> <span class="attribution"><span class="source">Service communication&culture INSPÉ de Lorraine, tous droits réservés</span></span></figcaption></figure><p>Soutenir la création et participer à la diffusion des œuvres, en interaction avec les professionnels du livre et de la culture, telle est une des missions des résidences d’auteurs. Paradoxalement, d’un point de vue économique, si le chiffre d’affaires du secteur jeunesse en France <a href="https://www.sne.fr/app/uploads/2020/10/RS20_Synthese_web.pdf">est particulièrement florissant</a> (351 millions d’euros, 2020), il faut savoir que les auteurs sont plus mal payés (5 ou 6 %) lorsqu’ils écrivent ou dessinent pour la jeunesse, qu’en littérature (10 %), comme cela a d’ailleurs pu être dénoncé par la <a href="https://www.la-charte.fr">« Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse »</a>. D’un point de vue sociologique, cela renvoie aussi au fait que, sans même parler de la question du statut de l’auteur, la littérature jeunesse (les femmes représentent 70 %) reste toujours peu considérée, alors qu’elle constitue une interface importante en tant qu’objet-livre, souvent le premier rapport des enfants à la littérature, pourtant sa légitimité reste encore à construire.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-HSyeg-0B-I?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>S’inscrivant dans cette perspective, l’Institut National Supérieur du Professorat et de l’Éducation de l’Université de Lorraine (Inspé) et le Centre de recherche sur les médiations (Crem) ont créé un <a href="http://factuel.univ-lorraine.fr/node/16097">dispositif original</a> croisant résidence d’auteurs et laboratoire mobile.</p>
<p>Cette première résidence a reçu durant deux mois <a href="https://lorencapelli.fr">l’autrice-dessinatrice Loren Capelli</a> qui, outre des dessins de presse dans les colonnes du <em>New York Times</em>, a développé une œuvre exigeante et particulièrement inventive (gravure, céramique, collage), à la fois exposée (Salon du livre de Montreuil, 2013) et primée (Prix Sorcières, Grand Prix de l’Illustration Jeunesse, 2020).</p>
<h2>Comment habiter un espace ?</h2>
<p>Cette première résidence a été vécue par Loren Capelli comme une opportunité de repenser sa façon d’habiter l’espace en tant qu’« artiste qui fait des livres ». Il ne s’agissait pas simplement de venir travailler dans un lieu autre, loin de son atelier parisien, mais selon elle « d’être dans un mouvement propre aux liens, aux rencontres, à la saison, c’est-à-dire se déplacer dans plusieurs sens, s’extraire du quotidien pour être en mouvement d’une autre manière ». En quelque sorte, un déploiement spatial différent, un « accès au dehors » grâce au dispositif résidentiel, permettant l’expérimentation, la récolte des matériaux sur un nouveau terrain et en même temps, cette possibilité d’être en jachère, de « laisser infuser le travail, sans préoccupation de productivité ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/396765/original/file-20210423-23-1kweogi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/396765/original/file-20210423-23-1kweogi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/396765/original/file-20210423-23-1kweogi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/396765/original/file-20210423-23-1kweogi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/396765/original/file-20210423-23-1kweogi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/396765/original/file-20210423-23-1kweogi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/396765/original/file-20210423-23-1kweogi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’atelier Cap.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Loren Capelli</span></span>
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<p>Diplômée de l’École supérieure d’art d’Épinal, Loren Capelli se distingue par un cheminement créatif qui refuse de hiérarchiser les pratiques et qui préfère interroger la force du rapport texte-image, à travers un jeu constant de poids et contrepoids, tout en traitant de thématiques fortes (la disparition, le deuil, l’autre) et du plaisir de raconter. Son recours à la littérature de jeunesse traduit d’abord une volonté d’échanger avec les enfants et correspond aussi à une frustration de l’enfance, « celle de ne pas avoir eu un accès aux livres », qu’elle finit par apprivoiser par un détour, un autre espace, celui du dessin et du design.</p>
<p>En somme, le livre devient le lieu de la curiosité infinie, « une passerelle » vers l’enfance et sa propre enfance. Une libération qui la mène par exemple avec l’Album <em>Cap !</em> (2019) sur un autre territoire, dans les pas d’une fillette en forêt et qui offre une exploration sensorielle de soi et du monde, de multiples spatialités entremêlant un axe écologique et féministe. En même temps, cette œuvre aborde toute une dimension réflexive sous-jacente qui met en exergue sa pratique d’autrice, sa manière d’habiter ses travaux, de fabriquer ses territoires « en avançant à tâtons ». En écho, <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00113334/document">cette approche spatiale nous renvoie au concept d’« espace hodologique »</a> du philosophe et épistémologue du paysage Jean‑Marc Besse, envisagé ainsi comme une « spatialité vécue et construite par le cheminement » inhérente à l’expérience.</p>
<h2>Spatialités et médiations : investir les territoires</h2>
<p>Si l’autrice-dessinatrice avoue que « faire un livre, c’est découvrir un territoire », son projet de résidence a été pensé autour de la création d’un nouvel album jeunesse nommé <em>Jardin-enfants</em> qui constitue une manière de rentrer en contact avec les tout-petits et amène, par le biais de l’imaginaire végétal déployé, à s’interroger sur les fonctions de cet espace clos. Un lieu propice au vagabondage, qui rappelle les rêves d’un autre écrivain jardinier, architecte-paysagiste et botaniste, Gilles Clément, <a href="https://www.cairn.info/revue-vacarme-2016-4-page-137.htm">initiateur du concept de « jardin planétaire »</a> prônant le principe du « jardin en mouvement » inspiré par les dynamiques biologiques de la friche, dans lequel l’homme coopère avec la nature sans chercher à lui imposer un ordre. Entre espace public et espace sensible, Loren Capelli propose une ouverture sur le vivant à travers l’invention d’un parcours au sein d’un jardin-monde, terrain de jeu et d’apprentissage de la petite enfance.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/396766/original/file-20210423-15-1fma50o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/396766/original/file-20210423-15-1fma50o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/396766/original/file-20210423-15-1fma50o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/396766/original/file-20210423-15-1fma50o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/396766/original/file-20210423-15-1fma50o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/396766/original/file-20210423-15-1fma50o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/396766/original/file-20210423-15-1fma50o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une image de l’album Cap ! de Loren Capelli.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Loren Capelli</span></span>
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</figure>
<p>Le plaisir de la rencontre est également un moteur créatif qu’elle a su développer grâce à de multiples immersions, par le biais principalement des médiations résidentielles : l’espace de la galerie d’exposition d’art contemporain de l’Inspé (Le Préau) accueillant une série de ses grands fusains et céramiques (« Floraisons nocturnes »), de l’école avec trois classes partenaires, de l’université en relation avec des professeurs-stagiaires en formation, du livre avec des ateliers de dessins éphémères en bibliothèque (Médiathèque de Maxéville), ainsi que des dédicaces en libraire et dans des festivals (Zinc Grenadine, Le Livre à Metz-Festival littérature & journalisme), et même l’espace virtuel, grâce à la mise en ligne d’une « lecture bruitée », d’une plongée performative dans l’univers sonore de son album jeunesse <em>Cap !</em> réalisée en collaboration avec la musicienne Marisol Mottez.</p>
<h2>Du terrain au laboratoire</h2>
<p>Cette résidence s’inscrit dans le laboratoire mobile, mis en place par le Crem et l’INSPÉ de Lorraine, portant sur la résidence d’auteurs, les médiations culturelles et l’éducation artistique et culturelle (EAC). L’enjeu de ce laboratoire mobile, en tant que forme inventive de la recherche est d’établir un dialogue entre le milieu scientifique, de la formation, de l’éducation, du livre et ceux de la création littéraire et artistique. Du terrain au laboratoire, il s’agit donc sous l’angle du dispositif résidentiel et de l’éducation culturelle, de mettre en place une réflexion intégrative sur les enjeux de la littérature à l’école, en sachant que le domaine du livre et de la lecture constitue un des axes prioritaires de la généralisation de l’EAC. Mais qu’en est-il réellement sur le territoire ? Quelle place est faite aux auteurs et autrices dans ce dispositif politique ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159090/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Carole Bisenius-Penin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Outre des dessins de presse dans les colonnes du New York Times, Loren Capelli a développé une œuvre exigeante et particulièrement inventive.Carole Bisenius-Penin, Maître de conférences Littérature contemporaine, CREM, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1572682021-03-25T21:08:34Z2021-03-25T21:08:34ZGoya, précurseur du photojournalisme ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/391825/original/file-20210325-13-3mujch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=88%2C769%2C4382%2C2885&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Estragos de la guerra » (les ravages de la guerre), 1810-1814, détail. Caprices N° 30. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/ff/Estragos_de_la_guerra_sin_marco.jpg">Wikipédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Le 30 mars marquera le 275<sup>e</sup> anniversaire de la naissance du grand peintre Francisco de Goya y Lucientes, né dans le petit village de Fuendetodos en Aragon et mort à Bordeaux le 16 avril 1828 : l’occasion de rendre hommage à cet artiste qui a vécu en France les quatre dernières années de sa vie. </p>
<p>Exilé volontaire, Goya quitte Madrid en 1824 afin de fuir le retour de l’absolutisme de Ferdinand VII. Quand il arrive à Bordeaux, âgé de 78 ans et complètement sourd, il dessine un autoportrait métaphorique intitulé « Aun aprendo » (J’apprends encore) où il dévoile son état d’esprit. Les années bordelaises correspondent à une période riche et paisible pour le peintre, pleine de créativité et d’envies d’expérimenter de nouvelles techniques de lithographie. Une étape où se consolident la liberté créative et l’autonomie de l’artiste, centré sur ses envies et préoccupations personnelles, loin des commandes de la cour d’Espagne.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=793&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=793&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=793&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=997&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=997&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=997&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Aun aprendo, autoportrait métaphasique de l’artiste qui dévoile son état d’esprit quand il arrive en France.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Aun_aprendo.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un regard de reporter</h2>
<p>Goya est un grand artiste qui a touché à toutes les thématiques picturales, mais qui avait le regard perçant d’un reporter et savait observer, raconter la société et les événements de son temps. Ses dessins peuvent être considérés comme des dessins de presse : avec les <a href="https://musees-occitanie.fr/encyclopedie/themes/arts-graphiques/goya-les-desastres-de-la-guerre/"><em>Désastres de la guerre</em></a>, il invente le reportage graphique et participe à la naissance d’un journalisme visuel. Ces dessins constituent un précédent dans le genre des grands reportages photographiques de guerre. Par exemple, le dessin de la série intitulé <em>Estragos de la guerra</em> figure comme la première scène d’un bombardement sur une population civile. Goya, en précurseur du photojournalisme, nous laisse un fonds iconographique qui anticipe toute la barbarie des guerres à venir.</p>
<p>L’artiste s’inspire de la réalité qu’il perçoit avec ses cinq sens, qualité fondamentale de tout bon reporter comme le disait le journaliste polonais <a href="https://laviedesidees.fr/Le-monde-selon-Ryszard-Kapuscinski.html">Ryszard Kapuscinski</a>. L’art réaliste que présente Goya avec la réalisation des « Désastres de la guerre » ou « Les fusillades du 3 mai » nécessite une excellente préparation, tout comme un bon reportage, selon Kapuscinski : « lectures préparatoires, enquête de terrain et réflexion a posteriori. »</p>
<p>Le travail du reporter – comme celui du peintre – exige l’art du discernement, comme l'indique l’agencier polonais : </p>
<blockquote>
<p>« Je dois avoir l’œil. Il s’agit d’une réelle compétence : savoir sélectionner. Autour de soi, on voit des centaines d’images, mais on sait qu’elles sont inutiles, il faut se concentrer sur ce qu’on a l’intention de montrer. L’image au bon endroit. » </p>
</blockquote>
<p>Goya le fait notamment avec <a href="https://www.museumtv.art/artnews/oeuvre/zoom-sur-el-tres-de-mayo-de-1808-de-goya/">« Les fusillades du 3 mai »</a>, traduisant une pensée photographique qui résume le long récit de la guerre en un cadrage magistral. Un tableau qui se rapproche de la célèbre photo de Robert Capa « Mort d’un milicien », publiée dans la revue <em>Life</em> en 1937.</p>
<p>Le reportage « historiographique » qui se réclame de Kapuscinski se rapproche de la peinture par sa dimension visuelle, avec la description des scènes, des images, des détails qui construisent la narration. Avec son regard indépendant, Goya dénonce les atrocités dans les deux camps, comme le ferait un reporter impartial. Le goût de Goya pour le reportage graphique sous forme de dessins se manifeste encore à Bordeaux dans son singulier « Traité sur la violence ». Goya y montre des hommes enchaînés et des mises à mort, par exemple dans sa série consacrée à la guillotine. Sur le dessin 161 de l’Album bordelais G, intitulé</p>
<p>« Le chien volant », on voit un chien agressif qui survole une ville comme une machine à tuer.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=762&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=762&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=762&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=957&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=957&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=957&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le chien volant.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Goya_-_El_perro_volante,_D04131.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le chien assassin tient sur son dos un livre blanc avec les noms supposés des promoteurs de cette chasse à l’homme orchestrée. C’est là une allégorie de la violence d’un État répressif. Vision fantastique, certes, mais qui l’est moins aujourd’hui, avec l’invention des robots meurtriers. Le chien évoque aussi la vidéosurveillance, mais aussi les drones qui nous surveillent 24h/24. Visionnaire, Goya explore en toute liberté un éventail de menaces qui sont devenues des réalités de nos sociétés contemporaines, et anticipe des phénomènes omniprésents dans l’actualité du XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<p><strong>L’obsession de l’actualité</strong></p>
<p>À Bordeaux, il se fait le chroniqueur de la ville. À la fin de sa vie, il peint pour lui, par plaisir, pour dénoncer, sans contraintes ni autocensure. Il se libère et s’éloigne du politiquement correct. Ce changement avait déjà été amorcé avec la publication de la série des « Caprices ». Ses récits ressemblent aux bandes dessinées documentaires d’aujourd’hui. En allant plus loin, dans une transposition temporelle anachronique, on aurait pu imaginer Goya publier ses dessins pour <a href="https://charliehebdo.fr/"><em>Charlie Hebdo</em></a>. Il met ses dessins au service d’une histoire qui frappe fort, à travers des récits par épisodes et toujours une brève légende, dans une approche très journalistique.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=908&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=908&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=908&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1141&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1141&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1141&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les songes de la raison produisent de monstres.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/El_sue%C3%B1o_de_la_razon_produce_monstruos#/media/Fichier:Francisco_Jos%C3%A9_de_Goya_y_Lucientes_-_The_sleep_of_reason_produces_monsters_(No._43),_from_Los_Caprichos_-_Google_Art_Project.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’ironie, la satire, le sarcasme, le grotesque, sont les ressources que Goya utilise pour renforcer sa narration visuelle. Ses obsessions, ses peurs, ses monstres sont aussi les nôtres. On dirait qu’ils émanent de notre époque. Il dénonce l’obscurantisme de son temps, immortalisé par le fameux dessin « Les songes de la raison produisent de monstres ».</p>
<p><a href="https://www.goyaenelprado.es/fileadmin/goyaweb/pdf/21-2266.pdf">Ses Albums G et H</a>, réalisés à Bordeaux, nous montrent un Goya intéressé par le versant populaire de la ville. Il est attentif aux invisibles, aux oubliés. Goya, après avoir été au service de ceux qui font l’histoire comme peintre de la cour et des puissants finit par défendre la cause de « ceux qui subissent l’Histoire », comme l’affirmait Albert Camus en référence à la mission de l’art et au rôle de l’écrivain dans son célèbre discours de réception du <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-de-la-philo/camus-et-les-discours-du-prix-nobel-de-litterature">prix Nobel de Littérature</a>. Il dessine les marginaux, les fous, les pauvres, les prostituées, les précaires, les délaissés de la société. Il dénonce la peine de mort,</p>
<p>les inégalités, les excès de la religion, l’ignorance et la corruption.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391744/original/file-20210325-21-1xexbpt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391744/original/file-20210325-21-1xexbpt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=765&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391744/original/file-20210325-21-1xexbpt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=765&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391744/original/file-20210325-21-1xexbpt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=765&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391744/original/file-20210325-21-1xexbpt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=962&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391744/original/file-20210325-21-1xexbpt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=962&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391744/original/file-20210325-21-1xexbpt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=962&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Avec ce dessin intitulé Mal Marido, le peintre dénonce les violences machistes.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Au-delà de son héritage artistique, Goya est l’auteur d’une réflexion morale et philosophique sur la conduite humaine qui reste très actuelle. Le peintre est une icône de la modernité par sa défense de la liberté, de la raison, de la justice sociale, de l’égalité. Sa personnalité civique et intellectuelle mérite d’être explorée plus en profondeur. L’historien de l’art allemand <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fred_Licht">Fred Licht</a>, spécialiste de Goya, écrit en 1979 avec raison : </p>
<blockquote>
<p>« Quiconque a vu, ne serait-ce que superficiellement, les journaux du dernier demi-siècle a constaté que Goya avait illustré il y a plus de 150 ans les nouvelles les plus significatives. » </p>
</blockquote>
<p>Si ses images nous touchent aujourd’hui, c’est parce que nous y trouvons l’écho, et même l’explication, d’événements récents, très postérieurs à la mort du peintre.</p>
<h2>Interprète de l’angoisse</h2>
<p>De toutes ses forces, Goya a essayé de comprendre les comportements, les attitudes, les gestes humains face à l’histoire et de les représenter de la manière la plus véridique, la plus factuelle, en véritable reporter aux prises avec les faits. La vérité qu’il recherche est celle des passions, de l’amour, de la violence, de la guerre, de la folie, des injustices. On a l’impression que ces dessins ont été conçus pour illustrer les maux de notre époque. André Malraux, dans son ouvrage <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Editions-originales/Saturne"><em>Saturne, Essai sur Goya</em></a> (1950), le décrit comme « le plus grand interprète de l’angoisse qu’ait connu l’Occident. Lorsqu’un génie trouve le chant profond du Mal… » Goya nous dévoile la part invisible du monde.</p>
<p>Comme le dit Susan Sontag dans son essai <a href="https://www.artpress.com/2003/12/09/susan-sontag-devant-la-douleur-des-autres/">« Face à la douleur des autres »</a> : « Les images de Goya amènent le spectateur près de l’horreur. » Tantôt l’artiste s’inspire des faits divers lus dans la presse, tantôt c’est le témoignage direct qui l’inspire, comme un véritable reporter de terrain. Mais c’est toujours la quête de la vérité qui détermine ses sources d’inspiration : il s’agit de témoigner, d’alerter, de dénoncer, de prévenir. </p>
<p>L’œuvre de Goya contient en germe le tourment révolutionnaire de l’art moderne. Dans sa conception de l’art, le peuple joue un rôle central : il incarne le peuple dans l’histoire. Il représente comme personne ne l’avait fait auparavant l’entrée en scène du fanatisme des idées, de la foule, de la masse en action, autrement dit l’avènement du populisme. Son parti pris est celui d’un éditorialiste qui écrit avec des images et pointe du doigt les dysfonctionnements de la société avec ses légendes. Le réalisateur espagnol <a href="https://journals.openedition.org/etudesromanes/3372?lang=en">Luis Buñuel</a> disait à propos de Goya : « Le Peintre doit lire le monde pour les autres, pour ceux qui ne savent pas lire le monde… ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391750/original/file-20210325-15-qwfajy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391750/original/file-20210325-15-qwfajy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=669&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391750/original/file-20210325-15-qwfajy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=669&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391750/original/file-20210325-15-qwfajy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=669&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391750/original/file-20210325-15-qwfajy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=840&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391750/original/file-20210325-15-qwfajy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=840&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391750/original/file-20210325-15-qwfajy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=840&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La laitière de Bordeaux, ouvre les portes à la modernité.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Laiti%C3%A8re_de_Bordeaux#/media/Fichier:Goya_MilkMaid.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Le séjour de Francisco de Goya à Bordeaux lui permettra de reconquérir la joie de vivre. Son testament, comme un symbole d’espoir, nous pouvons le trouver dans sa dernière œuvre qui montre une scène de la vie quotidienne : une jeune travailleuse modeste, délicate et rêveuse. Un tableau aux accents impressionnistes qui préfigure une nouvelle ère dans l’art pictural.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157268/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>María Santos-Sainz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une lecture politique et journalistique des derniers de Goya permet de comprendre sa grande modernité.María Santos-Sainz, Maître de conférences, Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1535222021-02-26T12:49:53Z2021-02-26T12:49:53ZDans l’art de la Renaissance, des visions contrastées de la différence<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/385880/original/file-20210223-21-lbkto2.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C2%2C652%2C468&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Portraits signés Dürer, en 1521 et 1508. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Albrecht_D%C3%BCrer_-_The_Negress_Katherina_-_WGA07097.jpg">Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Au début des années 1520, le peintre allemand Albrecht Dürer se rend à Anvers chez l’un de ses commanditaires privilégiés, le <a href="https://char.hypotheses.org/372">marchand portugais João Brandão</a>. Il y dessine, à la pointe et au fusain, deux portraits qui n’ont pas d’équivalent dans la production artistique de l’Europe de la première modernité.</p>
<p>Le premier est celui d’une jeune femme noire de vingt ans appelée Katherina, que le peintre nomme dans ses carnets « la maure » de Brandão. Elle est saisie à la fois dans la véracité de ses traits et dans celle de son statut social : son regard perdu, sa tête penchée en révérence et ses cheveux recouverts sont les signes d’un statut subalterne, peut-être d’esclave même si l’esclavage n’était pas autorisé dans les Pays-Bas du XVI<sup>e</sup> siècle. Outre les quelques mots inscrits dans les carnets du peintre, on ne connaît rien de plus à son sujet.</p>
<p>Le second portrait est plus singulier. Daté de 1508 (même si cette date est toujours soumise à débats), il s’agit d’un homme noir, anonyme, qui pourrait être le serviteur maure de Brandão dont Dürer parle à la date du 14 décembre 1520. Le peintre de Nuremberg s’attache à rendre la peau noire du modèle, les traits de son visage et notamment son nez et ses lèvres, ainsi que ses cheveux courts et frisés, autant de détails physiques construits comme caractéristiques du modèle noir à la Renaissance, notamment par Dürer lui-même (« Les visages des Maures sont rarement beaux en raison de leur nez très plat et de leur épaisse bouche » peut-on lire dans les carnets du peintre).</p>
<p>L’homme porte cependant moustache et barbe, attributs interdits aux esclaves. En outre, il ne porte pas de boucle d’oreille, bijou pas encore à la mode en Europe et utilisé par les peintres pour souligner l’exotisme du modèle noir. Il prend fièrement la pose, la tête haute et le regard droit. Le statut social des modèles ainsi que leur genre expliquent certainement les différences entre les deux dessins. Ils sont cependant la preuve d’une visibilité croissante de l’altérité dans une Europe où le commerce de l’or et de l’ivoire mettait fréquemment en contact les habitants des différents continents. La curiosité des artistes envers les figures de « l’autre » – Ottomans, Bohémiens et bien sûr hommes et femmes noir·e·s – se constate aussi dans une figure récurrente : Balthazar, le roi mage devenu noir.</p>
<h2>L’évolution de Balthazar</h2>
<p>L’épisode de l’Adoration des Mages est raconté dans l’évangile de Matthieu qui ne donne pas de nom aux trois rois mages, connus comme Melchior, Gaspard et Balthazar grâce à un manuscrit du VI<sup>e</sup> siècle. À la suite de ce texte, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/B%C3%A8de_le_V%C3%A9n%C3%A9rable">moine Bède le Vénérable</a> fait de Balthazar un <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/les-histoires-du-monde/les-histoires-du-monde-22-decembre-2020">homme noir</a>. Il faut cependant attendre le XV<sup>e</sup> siècle pour que la couleur de peau du personnage soit représentée de manière explicite, d’abord en Allemagne et en Flandres, puis en Italie, notamment dans les régions du nord et nord-est. Les rois mages pouvaient incarner les trois âges de la vie (jeunesse, maturité, vieillesse) mais aussi les souverains des trois continents connus à l’époque, l’Europe, l’Asie et l’Afrique, cela afin de souligner la portée et la domination de la Chrétienté sur le temps et l’espace.</p>
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<span class="caption">L’adoration des mages, Albrecht Dürer, 1504.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Adoration_des_mages_(D%C3%BCrer)">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Balthazar prend alors les traits physiques pensés comme caractéristiques de l’homme africain et se voit octroyer certains attributs associés au continent noir, telle une suite de chameaux sur la chaire du Duomo de Sienne par Nicola Pisano (1210 – c.1284). La représentation du troisième roi mage oscille constamment entre présence et mise à l’écart. Dans l’<em>Adoration des mages</em> de Dürer conservée aux Offices de Florence, Balthazar est richement vêtu, mais il porte des vêtements européens. Il appartient à la scène, parfaitement visible au centre du panneau, mais éloigné du Christ. Quel que soit le medium, la construction spatiale et narrative des scènes d’adoration est éloquente, puisqu’elle place le roi mage noir à l’écart de l’intimité créée entre la Sainte Famille et ses deux congénères.</p>
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<span class="caption">Chez Pisano, Balthazar est escorté par des chameaux. Chaire de la cathédrale de Sienne.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.medieval.eu/balthazar-the-black-king/">Wikimedia</a></span>
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<p>La présence d’Africains noirs dans l’art de la Renaissance doit aussi être lue à l’aune de l’esclavage pratiqué dans les cités et seigneuries d’Europe. Isabella d’Este (1474–1539), épouse du duc de Mantoue Francesco Gonzague, avait acheté des <a href="http://imageoftheblack.com/">enfants africains qu’elle employait à son service</a>. Lorsqu’ils sont représentés dans des portraits aux côtés de leurs maîtres ou maîtresses, ces enfants doivent être analysés comme des attributs, des figures exotiques et presque décoratives, prisées mais hiérarchiquement inférieures. Comme le roi Balthazar, ils sont peints en marge des compositions, souvent dans la partie sombre d’un clair-obscur, les ségréguant d’autant plus.</p>
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<span class="caption">Jeanne d’Autriche, par Cristóvão de Morais, 1551.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Le contact qui se crée entre eux et l’adulte qui les accompagne, par une main posée sur l’épaule ou, de manière encore plus condescendante, sur la tête, comme dans le portrait de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeanne_d%27Autriche_(1535-1573)">Jeanne d’Autriche</a> par Cristóvão de Morais (1555), témoigne du rapport de domination qui prévaut. Dans un autre portrait, la fille de Charles Quint pose la main sur la tête d’un chien. Le parallèle est troublant. L’enfant noir est représenté selon les mêmes codes que l’animal.</p>
<p>Ces motifs et ces constructions picturales sont donc les outils d’une racialisation qui vaut autant pour les enfants ou les servantes présentes dans les portraits que pour les hommes noirs de certaines scènes religieuses.</p>
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<span class="caption">Portrait de Jeanne d’Autriche par Alonso Sanchez Coello, 1557.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.wikiwand.com/pt/Joana_de_%C3%81ustria,_Princesa_de_Portugal">Wikiwand</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un portrait étonnant d’un homme d’armes et de ses deux jeunes pages, l’un blanc, l’autre noir, par le peintre vénitien Paris Bordone (1500-1571) doit alors nous arrêter. Si le jeune page noir est à l’écart des deux autres personnages, s’il est rendu presque invisible par les teintes sombre de l’arrière-plan, de nombreux éléments révèlent la place qu’il tient auprès de ce général. Sa simple présence dans le portrait, son habit fastueux, l’absence d’une boucle à son oreille, la dague à sa ceinture, le casque de son maître tenu fièrement, la pause, altière, et enfin le regard adressé directement au spectateur sont des motifs rares pour un enfant noir et peuvent témoigner de son importance auprès du commanditaire du tableau. Une magnifique exception, mais une exception néanmoins.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/385890/original/file-20210223-24-12sie47.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/385890/original/file-20210223-24-12sie47.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/385890/original/file-20210223-24-12sie47.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/385890/original/file-20210223-24-12sie47.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/385890/original/file-20210223-24-12sie47.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=555&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/385890/original/file-20210223-24-12sie47.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=555&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/385890/original/file-20210223-24-12sie47.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=555&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Paris Bordone, Portrait d’un gentilhomme en armure avec deux pages, entre 1520 et 1572, MET.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Paris_Bordone#/media/File:Paris_bordone_016.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Étudier les représentations des hommes et femmes noir·e·s dans la peinture de la Renaissance permet de lire cette première modernité comme un moment de l’histoire plus divers que l’on pourrait initialement le penser, reconnaissant et illustrant les échanges réciproques entre les continents, des échanges néanmoins marqués par les débuts de la traite et la domination théorique et visuelle des Européens sur les peuples africains.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153522/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabien Lacouture ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’art de la Renaissance, sans échapper à la domination théorique et visuelle des Européens sur les peuples africains, était peut-être plus divers que l’on pourrait initialement le penser.Fabien Lacouture, Docteur en histoire de l'art et chargé de cours, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1557672021-02-25T18:02:15Z2021-02-25T18:02:15ZEt si nous arrivions à déchiffrer les dessins des très jeunes enfants ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/386519/original/file-20210225-23-1hcjxwb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C0%2C1916%2C1369&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dessin d'un enfant de 1 an et 10 mois.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Child_scribble_age_1y10m.jpg">Zeimusu / Wikipedia</a></span></figcaption></figure><p>À ce jour le <a href="https://advances.sciencemag.org/content/7/3/eabd4648.full">plus ancien dessin représentatif</a> découvert provient de la grotte de Leang Tedongnge sur l’île de Bornéo en Indonésie. Il s’agirait d’un cochon sauvage local dessiné à l’ocre il y a 45 000 ans environ. Puisqu’il n’est toujours pas possible de déterminer l’espèce à l’origine de ces œuvres, les découvertes de traces anciennes, figuratives ou non, remettent sans cesse en perspective l’évolution de la lignée Homo. Quant à leur interprétation, aucun consensus n’est trouvé à ce jour rendant le mystère d’autant plus grand. Une chose est certaine, <em>Homo sapiens</em> n’a depuis jamais cessé de dessiner et de peindre.</p>
<p>L’être humain dessine en commençant par des gribouillages aux alentours de sa première année, pour évoluer vers des représentations concrètes, interprétables par un tiers vers l’âge de trois ou quatre ans. Les chercheurs ont longtemps suggéré que ces premières phases de dessin étaient le <a href="https://www.puf.com/content/La_psychologie_de_lenfant">reflet d’une simple activité locomotrice</a>, non planifiée visuellement et déterminée par les systèmes moteurs du bras, du poignet et de la main. Ainsi, les très jeunes enfants ne tireraient pas satisfaction de leurs dessins finis, mais uniquement lors de leur réalisation par simple plaisir moteur. Progressivement, l’enfant développe des capacités visuelles, graphiques et motrices le conduisant à la production de formes reconnaissables, compréhensibles par les autres.</p>
<p>Mais que se passe-t-il avant que l’enfant ne soit en capacité de représenter concrètement ce qu’il a en tête ? N’a-t-il pas pour autant déjà l’intention de le faire ? Le fait de ne pas réussir à déceler d’intentionnalité dans les gribouillages de jeunes enfants pourrait être dû à la limitation de la perception qu’ont les adultes plus qu’à l’absence de celle-ci. La présence d’activités préreprésentatives a été questionnée et à plusieurs reprises attestée par la communauté scientifique. Le gribouillage que nous percevons comme aléatoire pourrait en réalité être animé d’intention bien plus tôt que nous le pensons.</p>
<h2>Le dessin, un comportement typiquement humain ?</h2>
<p>Pour appréhender l’évolution du dessin chez l’Homme, il faut également en questionner l’émergence. Le dessin est-il un comportement typiquement humain ou trouve-t-il son origine chez des espèces ancêtres ? Pour répondre à cette question, il est possible d’étudier l’évolution du dessin d’un point de vue phylogénétique, en s’intéressant aux espèces génétiquement proches de l’Homme à savoir les grands singes, notamment les panidés (chimpanzés, <em>Pan troglodytes</em> ; bonobos, <em>Pan paniscus</em>) avec qui nous partageons <a href="https://www.diva-portal.org/smash/record.jsf?pid=diva2%3A234778&dswid=4633">98,8 % de nos gènes</a>. Dans la nature, aucun comportement spontané de dessins n’est reporté chez eux à ce jour, mais il est commun pour des individus captifs de manipuler crayons et pinceaux sur des feuilles de papier voire de dessiner au doigt sur tablettes tactiles. <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31551883/">Plusieurs</a> <a href="https://psycnet.apa.org/buy/1951-07289-001">études</a> montrent que les chimpanzés conservent leur activité graphique sans récompense alimentaire ce qui témoigne de leur intérêt bien qu’ils délaissent leurs productions une fois celles-ci terminées.</p>
<p>Malgré <a href="https://www.researchgate.net/publication/249934853_%E2%80%99What%E2%80%99s_in_a_picture%E2%80%99_A_comparison_of_drawings_by_apes_and_children">différentes</a> <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25376268/">études</a> menées depuis les années 50 et montrant l’existence de choix graphiques chez les primates non humains (couleurs, marques, occupation de l’espace), aucune ne fait état de figuration ce qui conduit donc bien souvent à comparer leurs réalisations aux gribouillages des jeunes enfants.</p>
<h2>L’apport d’une objectivité d’analyse</h2>
<p>L’étude du dessin se fait bien souvent par l’analyse de la production terminée et quant à la présence ou non d’une intention dans les marques tracées, la façon la plus commune de l’attester est de questionner le dessinateur : « Qu’as-tu souhaité dessiner ? ». Mais, que conclure pour de jeunes enfants ou des chimpanzés incapables de s’exprimer sur leurs productions ? Malgré de nombreuses études sur le dessin, il est encore impossible d’exclure la présence d’un comportement orienté et donc non aléatoire chez de très jeunes enfants et des chimpanzés. Ainsi, et bien que composant le socle des connaissances dont nous disposons à ce jour sur le comportement de dessin, les études réalisées en psychologie de l’enfant et beaucoup d’observations faites en primatologie demeurent <a href="https://www.researchgate.net/publication/249934853_%E2%80%99What%E2%80%99s_in_a_picture%E2%80%99_A_comparison_of_drawings_by_apes_and_children">subjectives</a>.</p>
<h2>L’écologie du mouvement au service du dessin</h2>
<p><a href="http://www.nature.com/articles/s41598-021-83043-0">Le projet</a> développé par notre équipe vise à mettre au point des indices objectifs pour mieux comprendre le comportement de dessin. L’idée étant de ne plus seulement lire un dessin, mais de le déchiffrer. Pluridisciplinaire, notre étude se nourrit des savoirs de domaines variés comme les mathématiques et l’écologie pour les appliquer à l’étude du dessin.</p>
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<figcaption><span class="caption">De nouveaux indices pour caractériser le comportement de dessin des humains et des chimpanzés (Martinet et coll. 2021).</span></figcaption>
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<p>Un indice mathématique donnant accès à l’efficacité de tracé a été mis au point. Pour cela des dessins réalisés au doigt sur écran tactile par des enfants de trois à dix ans, des adultes novices ou experts et des chimpanzés ont été collectés. Le recours à cette technologie a permis d’enregistrer les coordonnées de l’ensemble des points de chaque dessin ainsi que les couleurs utilisées. Le tracé a été traité de manière similaire à la trajectoire d’un animal dans son environnement, reprenant ce qui est fait en écologie du mouvement par le biais de l’analyse fractale spatiale. Autrement dit, l’ensemble des trajectoires du tracé (droite entre deux points consécutifs) a été étudié afin de savoir si elles étaient aléatoires ou non. Aléatoire signifiant non contraint, sans but et donc chargé d’aucune intention. À l’inverse, un tracé non aléatoire sera par définition dirigé, plus ou moins orienté et contraint volontairement ou non par des aspects cognitifs et/ou moteurs.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/386527/original/file-20210225-23-1vzrk4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/386527/original/file-20210225-23-1vzrk4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/386527/original/file-20210225-23-1vzrk4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/386527/original/file-20210225-23-1vzrk4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/386527/original/file-20210225-23-1vzrk4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/386527/original/file-20210225-23-1vzrk4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/386527/original/file-20210225-23-1vzrk4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/386527/original/file-20210225-23-1vzrk4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Exemples de dessins d’un enfant, d’un adulte et d’un chimpanzé avec photographies lors du déroulement d’une session d’expérience.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Marie Pelé</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Il s’est avéré qu’aucun de nos groupes, enfants de différents âges, adultes et chimpanzés ne dessinait de façon aléatoire. L’efficacité de leurs tracés a pu être plus amplement comparée, l’indice spatial fractal découlant des analyses étant plus faible lorsque le tracé tend vers l’aléatoire, et plus élevé lorsque celui-ci est orienté. Son application a permis de mettre en évidence une différence entre les marques produites par les chimpanzés et celles réalisées par l’ensemble des humains y compris les plus jeunes de l’étude, les enfants de trois ans.</p>
<p>Les différents chimpanzés testés produisent des dessins similaires, très anguleux, sans figuration. Les marques de ces derniers se sont montrées moins orientées sans pour autant être aléatoires ce qui signifie que leurs mouvements sont contraints par des aspects cognitifs et/ou locomoteurs. Mais la présence d’une intention ne peut donc pas être complètement éliminée.</p>
<p>Chez l’Homme, des différences entre les classes d’âge ont été constatées. Ainsi, en grandissant, les enfants semblent gagner en efficacité de représentation, leurs réalisations allant droit au but, sans ajout d’éléments superflus, l’objectif majeur étant d’être compris. En revanche, les adultes, et ce peu importe leur expertise en dessin, présentent un indice plus faible et donc une efficacité diminuée de par l’addition de détails nombreux et non utiles à la compréhension du dessin. Ces derniers tenteraient d’atteindre un idéal de représentation liée à des normes graphiques que n’auraient pas encore intériorisées les enfants.</p>
<h2>Des résultats prometteurs… à compléter</h2>
<p>Un indice spatial d’efficacité provenant d’autres disciplines a pu être transposé au tracé d’un dessin ouvrant ainsi un nouveau champ d’exploration de ce comportement qui nous fascine tant. Préliminaire, cette avancée se doit d’être nourrie d’autres indices qui étayeront notre connaissance quant à l’ensemble des aspects d’un dessin. Notre équipe travaille d’ores et déjà sur l’étude de l’aspect temporel par l’application, là encore, de méthodes utilisées en écologie et en éthologie. L’alternance et l’organisation des phases « dessin »/« arrêt dessin » mènent-elles à un comportement complexe ? Si présente, cette complexité varie-t-elle selon divers paramètres tels que l’âge, le genre ou la culture ?</p>
<p>Les premiers résultats de ce projet montrent déjà la pertinence de poursuivre les recherches sur de nouveaux indices graphiques. Combinés, ces derniers pourraient permettre de mieux cerner ce comportement tant dans le cours de son développement chez un enfant que dans son histoire évolutive.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155767/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cédric Sueur est membre de l’Institut Universitaire de France et est financé par la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires du CNRS.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marie Pelé a reçu des financements de la Mission pour les Initiatives Transverses et Interdisciplinaires (MITI) du CNRS. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Lison Martinet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le dessin, étudié chez l’enfant ou dans sa dimension évolutive passionne et interroge. Sa forme enfantine nous émerveille et son histoire, nous conduit à questionner le développement de notre lignée.Cédric Sueur, Maître de conférences en éthologie, primatologie et éthique animale, CNRS, Université de StrasbourgLison Martinet, Doctorante en Ethologie, Université de StrasbourgMarie Pelé, Chargée de recherche en éthologie, Institut catholique de Lille (ICL)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1539042021-02-16T19:27:31Z2021-02-16T19:27:31ZDébat : Le dessin de presse, les réseaux sociaux et la « servitude volontaire »<p>Comment comprendre l’acte de repentance du journal <em>Le Monde</em> à propos du dernier dessin de Xavier Gorce publié dans la newsletter du 19 janvier, dessin qui faisait allusion à la question de l’inceste révélée par l’affaire Olivier Duhamel ?</p>
<p>Si le dessin n’a pas été retiré, il a fait l’objet <a href="https://www.liberation.fr/france/2021/01/23/le-monde-refroidi-par-l-affaire-gorce_1818281">d’une vive polé-mique</a> à la suite de la lettre aux lecteurs de la nouvelle directrice du journal, qui affirmait ainsi que « ce dessin n’aurait pas dû être publié ».</p>
<p>Cet événement rappelle l’affaire du <em>New York Times</em> : en <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/medias/apres-un-dessin-juge-antisemite-le-new-york-times-met-fin-au-dessin-politique_2083390.html">2019</a>), après la publication d’une caricature jugée antisémite, le journal américain a mis complètement fin <a href="https://www.lalibre.be/debats/opinions/les-ambiguites-du-dessin-de-presse-une-liberte-a-defendre-5f5109bad8ad586219e1809c">à sa tradition du dessin de presse</a>.</p>
<h2>Le dessin de Xavier Gorce</h2>
<p>Concernant le dessin paru dans <em>Le Monde</em>, suite aux émois causés, le dessinateur a décidé de démissionner.</p>
<p>Quelle était la teneur du dessin ? Une petite pingouine demande à un pingouin adulte : « Si j’ai été abusée par le demi-frère adoptif de la compagne de mon père transgenre devenu ma mère, est-ce un inceste ? »</p>
<p>On remarquera tout d’abord qu’il s’agit d’une enfant de sexe féminin, et que la question porte sur le cas d’un demi-frère adoptif, ce qui le différencie du cas d’Olivier Duhamel, dans lequel il s’agit du fils adoptif d’un père de sexe masculin. Mais il est question d’inceste, ce qui suggère un rapprochement en raison de la proximité des deux événements. Il est vrai également qu’à partir de cette affaire l’inceste est redevenu objet de discussion comme c’est périodiquement le cas.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1356884274612473856"}"></div></p>
<p>Et l’un des aspects de cette discussion mis en avant par le dessin est de savoir quelle différence il y a entre inceste et pédophilie, et de montrer la complexité du sujet, y compris sur le plan juridique, face aux représentations du savoir populaire dont témoignent courriers des lecteurs, livres autobiographiques [(Réf. Ch. Angot, <em>Un amour impossible</em>)], et films [(Réf. L. Malle, <em>Le souffle au cœur</em>)], savoir populaire pour qui l’inceste est toujours lié à l’idée de consanguinité. Ce qui pose problème dans une société dont les relations parentales ont éclaté.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-complexite-du-droit-face-a-linceste-153727">La complexité du droit face à l’inceste</a>
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<h2>Ce que signifie le dessin de presse</h2>
<p>Il faut alors rappeler ce que signifie le dessin de presse dans une société de l’information. Celui-ci a une double visée. Il est, de par son tracé, son texte (quand il y en a) et la mise en scène insolite d’une situation, un acte humoristique.</p>
<p>Mais le dessin de presse est aussi, de par sa présence dans un journal qui a pour finalité de traiter des événements de l’actualité politique et sociale, un commentaire sur ces événements, proposant sur ceux-ci une vision décalée.</p>
<p>Autrement dit, il est à la fois un acte pour sourire et un acte sérieux d’information. La conjonction de ces deux visées donne au dessin de presse le pouvoir de se dégager des normes de pensée qui s’imposent à la société, de faire éclater les discours convenus, les stéréotypes et les tabous.</p>
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<figcaption><span class="caption">De Jésus à Trump, une histoire de la caricature (#CulturePrime).</span></figcaption>
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<p>Il convient alors de se demander ce que signifient la part humoristique du dessin de presse et la nature de la doxa qu’il met à mal.</p>
<p>L’humour provoque le décalage mais sans prétendre en faire une vérité. Il dit seulement : « Le monde, c’est peut-être aussi son envers ». Il fonctionne davantage selon un principe de plaisir que selon un principe de vérité, bien qu’il s’ouvre au bout du compte sur une possible nouvelle vérité.</p>
<p>Mais il est en même temps un moment de libération d’une contrainte, de relativisation d’un savoir unique. En mettant en cause certaines valeurs, il appelle à détruire des évidences contre ceux qui les soutiennent. Toute parole humoristique est porteuse d’un jugement plus ou moins iconoclaste sur les valeurs et les comportements humains.</p>
<h2>L’humour, condition de la relation à autrui</h2>
<p>Si la parole humoristique est souvent présentée – principalement par la psychanalyse – comme un travail du sujet pour se libérer des inhibitions qui l’emprisonnent, elle ne peut être conçue hors d’une relation entre soi et autrui. On rejoint ici l’une des intentions qui <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Connaissance-de-l-Inconscient/Traductions-nouvelles/Le-mot-d-esprit-et-sa-relation-a-l-inconscient">d’après Freud</a> accompagne la communication du mot d’esprit (ou d’un dessin humoristique) à un autre : « compléter mon propre plaisir par l’effet en retour que cet autre produit sur moi ».</p>
<p>La relation de soi à autrui est la condition même de l’acte libérateur. Acte libérateur d’une angoisse engendrée par les contraintes et fatalités qui contrôlent l’être social.</p>
<p>L’angoisse étant un rétrécissement (<em>ad augusta</em>), l’humour est l’ouverture, la sortie de cette gorge vers une libération, une extension, une félicité. En même temps, il est un acte de connivence qui inclut les deux interlocuteurs dans le partage d’une compréhension commune.</p>
<p>Lorsqu’on rit à une blague que l’on ne comprend pas, on le fait pour éviter de montrer que l’on n’a pas compris. Dans le cas présent, les réactions d’indignation au dessin de Gorce échappent à cette connivence. Ce qui nous renvoie à la question de l’interprétation que l’on peut faire des actes humoristiques, et donc de ce dessin.</p>
<h2>La question de l’interprétation</h2>
<p><a href="https://hal.univ-lorraine.fr/hal-03078370">Interpréter</a>, c’est toujours partir de ce qui est dit, de ce que l’on entend ou de ce que l’on voit, en y projetant ce que l’on est soi-même, ses propres références, ses propres croyances qui nous font attribuer des intentions à ce qui est représenté. D’où la difficulté de pouvoir déterminer de façon certaine ce qu’est l’intention sous-jacente de l’acte humoristique. Un même acte humoristique peut produire un effet ludique, critique, d’agression cynique, de dérision, selon la relation qui s’instaure entre celui-ci et le récepteur.</p>
<p>Les Desproges, Bedos, Coluche, d’hier, les regrettés Cabu, Charb, Honoré, Tignous et Wolinski de <em>Charlie Hebdo</em>, ont eu l’occasion de le vérifier pour le meilleur et pour le pire.</p>
<p>Et puis, interpréter dépend de ce que Hegel nomme « l’esprit du temps », cet ensemble de croyances qui s’imposent dans un lieu et un temps donnés : l’<a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41671">opinion publique</a>. Les penseurs de l’Antiquité la nomment : <a href="https://www.universalis.fr/dictionnaire/doxa/"><em>doxa</em></a>.</p>
<p>Pour eux, la doxa est une parole douteuse, héritée des sophistes grecs. Spinoza s’attacha à combattre les <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2020/12/23/la-collection-le-monde-de-la-philosophie-ethique-de-spinoza_6064326_3246.html">superstitions et les préjugés</a> qui proviennent d’une perception du monde à laquelle n’est pas appliquée la faculté d’entendement.</p>
<p>Selon Roland Barthes la doxa fabrique des <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/roland-barthes-par-roland-barthes-rolandbarthes/9782757849859">« idées inadéquates et con-fuses »</a>. En cela, elle témoigne de ce qu’est une pensée courante, « l’Opinion publique, l’Esprit majoritaire, le Consensus petit-bourgeois, la Voix du Naturel, la Violence du Préjugé ».</p>
<p>Pour Pierre Bourdieu, la doxa est ce qui est admis <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/langage-et-pouvoir-symbolique-pierre-bourdieu/9782757842034">sans discussion ni exa-men</a>, ce à quoi adhère le sens commun comme une évidence, et doit être combattue : il faut « discréditer les évidences […] briser l’adhésion au monde du sens commun ».</p>
<p>C’est dans la doxa que se logent les discours normés, les politiquement corrects, les idées convenues qui, à chaque époque, caractérisent les sociétés. Et dans le cas précis du dessin de Xavier Gorce, est dénoncée l’idée que l’inceste ne concernerait que la seule relation entre un parent biologique direct et l’enfant.</p>
<h2>Le rôle de l’ironie</h2>
<p>Mais il s’agit d’un acte d’ironie. L’ironie se caractérise par un acte d’énonciation qui produit une dissociation entre ce qui est dit (ou montré) et ce qui est pensé : il y a discordance, et parfois rapport de contraire entre le dit et le pensé, comme l’illustre l’exemple classique du « Beau travail ! » lancé à quelqu’un qui vient de provoquer une <a href="http://www.patrick-charaudeau.com/Des-categories-pour-l-humour,274.html">catastrophe</a>.</p>
<p>L’acte d’énonciation ironique fournit au récepteur les indices (intonation, mimique, clin d’œil), qui lui permettent de saisir que ce qu’il faut comprendre est l’inverse ou différent de ce qui est dit. Dans le cas présent, ce sont le tracé caricatural, la mise en scène comique et le texte, qui lui permettent d’opérer <a href="http://www.patrick-charaudeau.com/Humour-et-liberte-d-expression-Un.html">ce renversement</a>.</p>
<p>L’ironie est une machine à contester la doxa, parfois pour attaquer une opinion adverse, parfois pour simplement la mettre en cause en obligeant le récepteur, le lecteur, à entrer dans un jeu de découverte entre le dit et le non-dit, le montré et le suggéré.</p>
<p>Cet acte ironique montre la complexité d’une société où le noyau familial est éclaté et où la détermination des genres s’est complexifiée du fait des diverses possibilités d’identifier les sexes et d’établir des relations parentales. Et, au-delà de cet éclatement du noyau familial, il est une invite à percevoir qu’on est appelé à s’interroger sur la façon dont les relations sociales sont bouleversées, sur la recomposition des valeurs, et sur le déplacement des critères de jugement quant à ce qui doit être acceptable, tolérable ou récusé.</p>
<p>C’est ce que n’ont pas perçu (ou voulu percevoir) ceux qui se scandalisent. Outre les réactions de pure indignation (« Immonde blague sur l’inceste et la pédocriminalité qui jette l’opprobre sur les femmes transgenres »), celles du genre : « Cette blague nous dit : “Ah là là, elles se prennent vraiment la tête, ces victimes d’inceste” et “Ah là là, ils se prennent la tête ces gens qui ont à cœur de reconnaître autre chose qu’un modèle hétéronormé, cisnormé, toutnormé !” », témoignent d’une interprétation au premier degré du dessin de Xavier Gorce, et non pas de ce qu’il laisse entendre par un acte ironique : « Une interrogation sur la complexité des rapports parentaux ».</p>
<h2>L’émotion masque-t-elle la compréhension ?</h2>
<p>Ce jeu de masquage et d’inversion semble s’être perdu dans le foisonnement d’internet. Les internautes qui s’épanchent dans les réseaux sociaux ont des motifs divers : tantôt, ils donnent légitimement leur opinion, tantôt, c’est pour accuser celui ou celle qui ne pense pas comme eux, tantôt, c’est pour donner des leçons à la société au nom d’une morale qu’ils érigent en dogme absolu, tantôt, enfin, par pur divertissement, <a href="http://www.lambert-lucas.com/livre/la-manipulation-de-la-verite/">pour provoquer une polémique</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Quelle place pour le dessin de presse ?</span></figcaption>
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<p>Il est de la responsabilité des médias de trier ce qui circule dans les réseaux sociaux et de ne pas se laisser imposer leurs diktats, comme le font les rubriques de « désintox ».</p>
<p>Comment se fait-il alors qu’un grand quotidien, comme <em>Le Monde</em>, qui est considéré internationalement journal de référence, ait pu faire amende honorable et présenter ses excuses aux Internautes et à ses lecteurs en particulier, comme le fit naguère le <em>New York Times</em> ? Les excuses du journal reposent sur la possibilité de faire une lecture du dessin au premier degré : « Ce dessin peut en effet être lu comme une relativisation de la gravité des faits d’inceste, en des termes déplacés vis-à-vis des victimes et des personnes transgenres. »</p>
<p>C’est donc dénier au dessin de presse sa signification et sa fonction d’alerte, de mise en interrogation humoristique des idées convenues pour ouvrir la réflexion sur la complexité des affaires humaines. La déclaration « <em>Le Monde</em> tient à s’excuser de cette erreur auprès des lectrices et lecteurs qui ont pu en être choqués » (Caroline Monnot dans son texte publié mardi à 14h20 sur lemonde.fr) est un acte de repentance dont on peut estimer qu’il témoigne d’une soumission vis-à-vis des réseaux sociaux (car il ne s’agit pas seulement des lecteurs du journal).</p>
<p>Il est à craindre que ce soit la marque de notre temps, d’une société qui ne contrôle plus son information, qui, entre autres choses, tombe dans le piège d’un discours de victimisation et de compassion dans un esprit <a href="http://www.lambert-lucas.com/livre/la-manipulation-de-la-verite/">« de servitude volontaire »</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153904/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrick Charaudeau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’acte humoristique est un moment de libération d’une contrainte, de relativisation d’un savoir unique. Mais, s’il désacralise, ce n’est pas pour resacraliser par-derrière.Patrick Charaudeau, Professeur émérite en Sciences du langage, chercheur au Laboratoire de communication politique (CNRS), Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1539062021-02-16T19:25:38Z2021-02-16T19:25:38ZDébat : « L’humour de droit divin » ou quand la satire revendique sa toute-puissance<p>L’histoire a fait le tour des réseaux sociaux, de la presse, puis des éditorialistes : apostrophé pour avoir <a href="https://www.lemonde.fr/le-monde-et-vous/article/2021/01/20/a-nos-lecteurs-mise-au-point-sur-le-depart-de-xavier-gorce_6066977_6065879.html">publié un dessin</a> autour de l’inceste, le journal <em>Le Monde</em> a fait machine arrière et s’est excusé en se désolidarisant de son dessinateur, Xavier Gorce. Ce dernier a quitté le journal, pour se mettre en quête d’autres médias.</p>
<p>Dans la presse orientée plus à droite de l’échiquier politique, <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/medias/l-affaire-xavier-gorce-nouveau-symptome-d-une-regression-democratique-20210121">on s’insurge</a> face à une nouvelle « régression démocratique » et on critique la « cancel culture », nouveau terme qui désigne une pratique anglo-saxonne consistant à s’excuser systématiquement dès qu’une minorité se sent lésée par un propos, culture qui contaminerait actuellement les démocraties européennes.</p>
<p>L’objet de cet article est de comprendre comment se construit ce que je propose de nommer une « posture d’irresponsabilité » chez certains humoristes. Au nom du rire, nous pourrions tout dire, sans avoir à présenter des excuses ou des explications. Ceux qui ne rient pas et s’indignent seraient alors ceux qui n’ont rien compris à l’humour.</p>
<p>Je propose le concept « d’humour de droit divin » pour appréhender cette question et m’appuie sur de multiples contributions récentes sur l’humour politique en France, au-delà du seul cas de Xavier Gorce. Il serait intéressant de poursuivre une réflexion plus comparative entre différents pays pour élargir le cas français à d’autres espaces nationaux. Cela fera l’objet de futures analyses.</p>
<h2>Les bienfaits de l’humour</h2>
<p>La posture que je propose dans cet article aborde un volet peu connu de la littérature sur l’humour. Historiquement, la France est depuis longtemps un grand pays de l’humour engagé et politisé. Un artiste comme Coluche bénéficie toujours d’une grande attention tant du public que des chercheurs, comme en témoigne <a href="https://www.decitre.fr/livres/coluche-president-9782356876164.html">ce nouvel ouvrage</a> qui lui est consacré. En outre, les dramatiques attentats contre <em>Charlie Hebdo</em> ont occasionné de <a href="https://www.decitre.fr/livres/la-politique-du-rire-9791026700739.html">nombreux travaux</a> pour souligner les aspects positifs de cette longue tradition satirique face au pouvoir politique.</p>
<p>Si on tire un bilan de cette littérature, il est incontestable que l’humour est un puissant <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/psychologie/psychologie-generale/humour-entre-le-rire-et-les-larmes_9782738130976.php">allié thérapeutique</a>. La psychologie est sans aucun doute la discipline qui a le mieux exploré <a href="https://www.babelio.com/livres/Patti-Lhumour--Un-defi-aux-certitudes/953533">cet élément</a>. Néanmoins, les conclusions quant au volet subversif de l’humour sont beaucoup <a href="https://books.google.be/books?hl=fr&lr=&id=Z8DytgeDVQAC">plus contrastées</a>. <a href="https://absp.be/Blog/humour-politique-france-elections-presidentielles-2017/">Mes recherches de terrain</a> effectuées durant la campagne présidentielle de 2017 en France confirment cette prudence. Elles montrent que les mandataires politiques sont tout à fait capables de se servir avantageusement de la satire que l’on fait deux et posent question quant au réel côté subversif d’un sketch d’humour politique diffusé dans un média audiovisuel.</p>
<h2>Les aspects plus confrontants de l’humour</h2>
<p>Il n’est donc pas rare de ne retenir que ces éléments positifs autour de l’humour, quitte même à n’en parler <a href="https://theconversation.com/les-vertus-du-rire-152247">que de manière positive</a>). Il est pourtant fructueux d’explorer l’ensemble de la littérature sur le sujet. En effet, de nombreux auteurs de sciences humaines ont mentionné les effets potentiellement dévastateurs qui se cachent parfois dans un discours humoristique. Le philosophe Henri Bergson a publié un <a href="https://www.payot.ch/Detail/le_rire-henri_bergson-9782130608226">ouvrage</a> sur le sujet, devenu classique, il y a plus d’un siècle aujourd’hui. Cette première <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/bergson_henri/le_rire/le_rire.html">théorie sociologique du rire</a> postule que ce dernier a une fonction de discipline sociale qui vise à sanctionner les comportements déviants.</p>
<p>Les mots du philosophe sont clairs : l’humour, pour être efficace, doit faire mal. La discipline sociale construite par le rire s’appuie sur la douleur que ressent celui qui en est la victime.</p>
<p>Cette affirmation de Bergson a été prouvée en laboratoire par plusieurs travaux classiques en <a href="https://www.sciencedirect.com/book/9780123725646/the-psychology-of-humor">psychologie sociale</a>. Il existerait une relation curvilinéaire entre notre rire et la douleur d’une victime. Dit autrement, pour que nous riions aux dépens des malheurs de quelqu’un, il faut tout de même que cette personne se ridiculise suffisamment. Mais cette courbe n’est pas sans limites. Ainsi lorsque la douleur de l’expérience met la vie de la personne en danger, le <a href="https://books.google.be/books/about/Taking_Laughter_Seriously.html?id=GTHdPl3_chQC&redir_esc=y">rire n’a plus de place</a>.</p>
<p>Plus récemment, des psychologues sociaux ont démontré comment l’humour pouvait <a href="https://www.researchgate.net/publication/286382131_Sexist_humor_and_beliefs_that_justify_societal_sexism">servir d’alibi « innocent »</a> à la diffusion d’une pensée sexiste ou raciste. Puisque « c’est pour rire », ce n’est pas grave.</p>
<p>Or, nous savons aujourd’hui que de nombreuses représentations archaïques du monde social parviennent à circuler en toute innocence grâce aux habits de l’humour. Par exemple les stéréotypes sexistes, <a href="https://books.google.be/books/about/Ethnic_Humor_Around_the_World.html?id=b4RZAAAAMAAJ&redir_esc=y">mais aussi racistes</a>.</p>
<p>Cette discussion commence à devenir récurrente. Nombreuses œuvres humoristiques sont regardées aujourd’hui avec plus de scepticisme, par exemple les <em>Simpson</em> où certains stéréotypes racistes <a href="https://theconversation.com/bon-anniversaire-les-simpson-128886">sont aujourd’hui critiqués</a>.</p>
<p>Cette prise en compte des travaux scientifiques sur le sujet montre que l’humour permet à un discours de circuler sous une apparence banale. Ces travaux doivent nous inviter à affiner notre regard : l’humour n’est pas neutre, il crée des effets potentiellement nocifs pour les groupes sociaux qui en sont les cibles. Dès lors, la question d’une forme de responsabilité des humoristes en tant que professionnels du propos ou du dessin comique mérite d’être posée.</p>
<h2>L’humour, un droit divin ?</h2>
<p>Le refus des excuses et l’invocation d’une liberté sans limites est loin d’être un cas isolé ces dernières années, dans le paysage humoristique français. Avant Xavier Gorce, Pierre-Emmanuel Barré avait lui aussi quitté l’émission <em>La Bande originale</em> de Nagui, sur France Inter, au motif que l’animateur avait émis des critiques sur <a href="https://www.lemonde.fr/big-browser/article/2017/04/27/pierre-emmanuel-barre-quitte-france-inter-sa-video-sur-l-abstentionnisme-devient-virale_5118464_4832693.html">son appel à l’abstention</a> à la veille du deuxième tour de l’élection présidentielle en 2017 et avait finalement refusé <a href="https://www.youtube.com/watch?v=RWB87A8i-BQ">cette chronique</a>.</p>
<p>Dans cet exemple, il est remarquable de voir comment les mots « critique » et « censure » se confondent. Certains humoristes entendent la liberté d’expression comme une liberté de propos sans aucune entrave.</p>
<p>La mise en scène de l’éviction de l’humoriste de France Inter, que lui-même a entretenu en publiant son billet sur <a href="https://www.youtube.com/watch?v=RWB87A8i-BQ&t=7s">ses propres réseaux</a>, a beaucoup de points communs avec l’attitude de Xavier Gorce, qui s’exprime volontiers sur le sujet dans <a href="https://www.bfmtv.com/societe/xavier-gorce-s-explique-apres-la-polemique-sur-son-dessin-consacre-a-l-inceste_VN-202101210152.html">d’autres médias</a>.</p>
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<p>Parfois, les humoristes et leur entourage réagissent avec plus de modestie, reconnaissant une erreur d’écriture qui aboutit à l’échec de la blague et à des crispations. C’est ainsi que dans un billet aujourd’hui introuvable sur le site d’Europe 1, l’imitateur <a href="https://www.20minutes.fr/medias/2010735-20170208-affaire-theo-nicolas-canteloup-excuse-apres-blague-europe-1">Nicolas Canteloup avait dérapé</a> dans une imitation de François Hollande, s’attirant immédiatement de nombreuses critiques. Les internautes lui ont immédiatement reproché une blague homophobe dans « l’affaire Théo », ce jeune homme victime d’une violente répression policière.</p>
<p>À peine quelques heures plus tard, son producteur <a href="https://www.europe1.fr/medias-tele/affaire-theo-le-manager-de-nicolas-canteloup-presente-ses-excuses-apres-la-chronique-diffusee-mercredi-2972609">Jean‑Marc Dumontet</a> est venu présenter ses excuses sur le plateau d’Europe 1.</p>
<p>Plus récemment encore, l’humoriste Constance avait elle aussi dérapé dans un sketch sur le génocide rwandais. Son propos visait à renvoyer Hutus et Tutsis dos à dos, occultant aux yeux des détracteurs de l’humoriste la responsabilité historique des Hutus dans ces crimes de masse. Ce sketch a entraîné un <a href="https://www.liberation.fr/debats/2020/04/11/constance-le-rwanda-et-le-virus-de-l-ignorance_1784914">recadrage immédiat</a> de la responsable de France Inter, Laurence Bloch. <a href="https://mediateur.radiofrance.com/chaines/france-inter/la-chronique-de-constance-le-7-avril-2020/">Le texte ne manque pas d’intérêt</a> et de nuances, il apporte des excuses tout en soutenant l’humoriste de la chaîne.</p>
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<figcaption><span class="caption">La journée mondiale de la logique (La chronique de Constance).</span></figcaption>
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<p><a href="https://www.youtube.com/watch?v=Lq7ueBnln5E">Un récent billet</a> de Constance dans <em>Par Jupiter</em> sur France Inter est particulièrement remarquable. S’indignant des nombreuses réactions qu’elle reçoit sur les réseaux sociaux, l’humoriste s’emporte, tout en humour :</p>
<blockquote>
<p>« Ils veulent des excuses, des regrets, des sanctions, une immédiate démission […]. Foutez-moi la paix merde, je suis humoriste. Je fais des blagues pour mettre une ambiance sympathique et légère, pour qu’on oublie qu’on va tous crever ! »</p>
</blockquote>
<h2>Interpréter la signification sociale d’un billet humoristique</h2>
<p>Ces exemples montrent comment certains humoristes assimilent la liberté d’expression et comment cette vision de leur travail les empêche par moments de garder une posture d’humilité quand leurs dessins suscitent une large réprobation.</p>
<p>Après tout, pourquoi s’excuser reviendrait-il à renoncer à sa liberté ?</p>
<p>Cet « humour de droit divin », qui se positionne au-dessus de toute remise en question, est nocif tant pour l’humour que pour la démocratie. Pour l’humour, parce qu’on s’écarte d’un <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=37782">rire d’inclusion</a> qui permet convivialité, plaisir, amusement et bien-être… Dans la vie quotidienne où personne n’hésiterait à s’excuser si une blague était mal prise par un membre du groupe.</p>
<p>Nocif aussi pour la démocratie, parce cela vise à fausser l’usage des termes « censure » et « liberté d’expression », pour les dévoyer vers une zone où la liberté signifie le droit de dire ce qu’on veut sans qu’on puisse vous contredire.</p>
<p>À force de dire partout « qu’on ne peut plus rien dire », certains humoristes nagent en pleine contradiction puisque c’est bien à eux « qu’on ne peut plus rien dire ». En se prétendant les représentants tout désignés de la liberté d’expression, ils en font au contraire un usage autoritaire qui ne respecte ni le point de vue de l’autre ni le principe de la contradiction. En démocratie, on peut rire de tout, mais on peut se voir retourner la blague, tel un boomerang, quand on rate son coup. La liberté d’expression n’est pas une toute-puissance de la parole, elle est un espace qui laisse la place à chacun.</p>
<p>L’exploration de cette polémique autour des dessins de Xavier Gorce, analysée par le prisme d’une littérature plus critique envers les vertus intemporelles de l’humour, invite à réfléchir sur un élément fondamental du patrimoine culturel français. Sans nier les vertus de l’humour, cette littérature invite à une plus grande humilité chez les humoristes. Elle pose finalement une question fondamentale : quand nous rions, voulons-nous nous moquer d’une cible qu’on exclut de notre groupe d’appartenance ? Ou bien voulons-nous faire société avec tout le monde ? S’excuser quand une blague a offensé certaines personnes est sans conteste un pas vers une société pluraliste où chacun est respecté dans sa différence.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153906/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Grignard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À force de dire partout « qu’on ne peut plus rien dire », certains humoristes nagent en pleine contradiction puisque c’est bien à eux « qu’on ne peut plus rien dire ».Guillaume Grignard, Chercheur FNRS en sciences politiques, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.