tag:theconversation.com,2011:/us/topics/diaspora-72162/articlesdiaspora – The Conversation2024-02-06T14:38:38Ztag:theconversation.com,2011:article/2225662024-02-06T14:38:38Z2024-02-06T14:38:38ZCoupe d’Afrique des nations : les diasporas, une aubaine pour le football africain ?<p>Qui remportera la <a href="https://theconversation.com/topics/coupe-dafrique-des-nations-can-137997">Coupe d’Afrique des nations</a> (CAN) dimanche prochain ? Ce mercredi, en demi-finales, le Nigeria s'est qualifié aux dépens de l’Afrique du Sud, et affrontera en finale le pays organisateur, la Côte d’Ivoire, venue à bout de la République démocratique du Congo.</p>
<p>À l’issue de <a href="https://www.theguardian.com/football/2022/feb/06/senegal-egypt-africa-cup-of-nations-final-match-report">l’édition précédente</a>, en 2022, c’est le capitaine du Sénégal, Kalidou Koulibaly, qui avait soulevé le trophée. En 2019, le capitaine Riyad Mahrez avait mené l’Algérie à la victoire. Aucun de ces deux joueurs n’est né en Afrique. En cas de victoire du Nigeria, le trophée ne serait, une fois de plus, pas soulevé par un natif du continent africain : <a href="https://www.lequipe.fr/Football/Article/Troost-ekong-capitaine-du-nigeria-a-la-can-la-plus-belle-decision-de-ma-vie/1446178">William Troost-Ekong</a>, l’actuel capitaine des Super Eagles, est né aux Pays-Bas. Sur les <a href="https://www.thecitizen.co.tz/tanzania/news/sports/the-allure-of-the-diaspora-at-afcon-2024-4491490#">630 joueurs</a> convoqués, 200 sont nés en dehors du continent. La carte ci-dessous indique leurs lieux de naissance.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/573538/original/file-20240205-25-o9305y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/573538/original/file-20240205-25-o9305y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573538/original/file-20240205-25-o9305y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573538/original/file-20240205-25-o9305y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573538/original/file-20240205-25-o9305y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573538/original/file-20240205-25-o9305y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573538/original/file-20240205-25-o9305y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573538/original/file-20240205-25-o9305y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Lieu de naissance hors Afrique des joueurs engagés à la CAN. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Le pays non africain qui a vu naître le plus grand nombre de joueurs présents à la CAN est la France, avec 104 joueurs, suivie de l’Espagne avec 24 joueurs, puis du Royaume-Uni avec 15 joueurs. Des natifs de l’Irlande et de l’Arabie saoudite participent aussi au tournoi cette année.</p>
<p>L’équipe nationale marocaine était celle comptant le plus grand nombre de joueurs issus de la <a href="https://theconversation.com/topics/diaspora-72162">diaspora</a> : 18 d’entre eux sont nés hors du pays qu’ils représentaient, alors que seuls 9 membres de l’équipe sont nés dans le pays. La Guinée équatoriale et la République démocratique du Congo comptent, elles, respectivement 17 et 16 joueurs issus de la diaspora.</p>
<h2>Choix du cœur ou de la raison ?</h2>
<p>Une intense bataille visant à attirer les talents se dispute actuellement dans le monde du football. Elle implique souvent la <a href="https://www.migrationpolicy.org/article/international-athletes-world-cup-nationality">naturalisation de footballeurs</a>, qui se retrouvent parfois à jouer pour une équipe nationale alors qu’ils ont déjà joué pour une autre (ce qui est possible depuis 2020, avec toutefois des <a href="https://rmcsport.bfmtv.com/football/fifa-la-nouvelle-regle-pour-les-changements-d-equipe-nationale-a-ete-votee_AV-202009190237.html">restrictions importantes</a>). Certains États effectuent même un <a href="https://www.thenationalnews.com/fifa-world-cup-2022/2022/12/07/every-moroccan-is-moroccan-regraguis-fight-to-include-foreign-born-players-vindicated/">ciblage spécifique</a> de joueurs susceptibles de renforcer leur sélection nationale dans des pays du monde entier.</p>
<p>Le cas de l’Afrique reste cependant bien à part. Il reflète à la fois son passé colonial et l’importance de ses diasporas présentes en de nombreux points du monde. <a href="https://www.theguardian.com/football/2015/sep/12/leicester-city-riyad-mahrez-father-dream-algeria-world-cup">Riyad Mahrez</a>, par exemple, est né à Paris de parents d’origine algérienne et marocaine. La capitale française compte 331 000 Algériens et 254 000 Marocains. Les parents de <a href="https://onefootball.com/en/news/chelsea-defender-koulibaly-explains-choosing-senegal-over-france-35927795">Kalidou Koulibaly</a>, natif de Saint-Dié-des-Vosges, sont tous deux nés au Sénégal ; et les chiffres indiquent qu’il y a plus de 100 000 Sénégalais en France.</p>
<p>Il ne s’agit pas seulement d’une histoire française : l’attaquant nigérian <a href="https://dailypost.ng/2023/02/09/no-regrets-choosing-nigeria-over-england-lookman/">Ademola Lookman</a> est né à Londres ; le Ghanéen <a href="https://www.bbc.co.uk/sport/africa/62549049">Inaki Williams</a> a quasiment toujours vécu à Bilbao et a porté une fois le maillot de la sélection espagnole ; les Marocains <a href="https://blogs.lse.ac.uk/mec/2023/01/16/the-political-dimension-of-moroccos-success-in-the-world-cup/">Sofyan Amrabat et Hakim Ziyech</a> sont passés par les équipes de jeunes des Pays-Bas.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1745694217509458131"}"></div></p>
<p>L’identité personnelle et la dynamique familiale comptent souvent parmi les raisons principales pour lesquelles les joueurs choisissent de représenter les équipes du lieu de naissance de leurs parents plutôt que celles du pays où ils sont nés eux-mêmes. <a href="https://www.irishtimes.com/sport/soccer/2022/12/10/hakim-ziyech-a-magician-at-the-heart-of-moroccan-love-story/">Hakim Ziyech</a>, par exemple, a déclaré :</p>
<blockquote>
<p>« Le choix d’une équipe nationale ne se fait pas avec le cerveau mais avec le cœur. Je me suis toujours senti marocain, même si je suis né aux Pays-Bas. Beaucoup de gens ne comprendront jamais. »</p>
</blockquote>
<p><a href="https://www.goal.com/en-gb/news/inaki-williams-made-right-choice-ghana-over-spain/blt005c8219a89b044e">Inaki Williams</a> a, lui, évoqué l’influence de ses grands-parents :</p>
<blockquote>
<p>« Je n’étais pas sûr de mon choix, mais un voyage au Ghana m’a aidé à comprendre ce que mes grands-parents en pensaient. Tout m’a semblé plus simple en voyant les gens et ma famille m’encourager à devenir un Black Star. »</p>
</blockquote>
<p>Les cyniques affirment que certains de ces joueurs ne sont tout simplement pas assez bons pour être sélectionnés dans l’équipe nationale du pays où ils sont nés. Présenté dans ses jeunes années comme une future star du football anglais alors qu’il impressionnait sous les couleurs d’Arsenal, <a href="https://www.completesports.com/ex-everton-star-ball-iwobi-not-good-enough-to-play-for-toffees/">Alex Iwobi</a>, 27 ans, joue aujourd’hui pour Fulham, équipe de milieu de tableau, et compte 72 sélections avec le Nigeria.</p>
<h2>S’appuyer davantage sur les natifs du continent ?</h2>
<p>D’autres observateurs s’inquiètent néanmoins de l’impact négatif que le recours aux diasporas peut avoir sur le football africain. Pour eux, faire venir des talents d’Europe et d’ailleurs ne serait qu’une stratégie cherchant à obtenir des résultats immédiats au détriment du <a href="https://www.africanews.com/2018/09/11/is-africas-football-talent-finally-coming-back-home-football-planet/">développement à long terme du football sur le continent</a>.</p>
<p>Une telle stratégie peut effectivement porter ses fruits rapidement : lors de la Coupe du monde au Qatar en 2022, le Maroc est devenu la première nation africaine à atteindre les demi-finales du tournoi. Cette performance lui a permis d’obtenir la meilleure place jamais enregistrée par une équipe africaine dans le classement de la FIFA (13<sup>e</sup> place). Le Sénégal se trouve également dans le Top 20 mondial.</p>
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<p>Les performances récentes du Cap-Vert, éliminé aux tirs au but au stade des quarts de finale de la Coupe d’Afrique cette année, ont aussi montré que tout était possible, même pour des nations traditionnellement plus discrètes sur la planète football. L’équipe nationale de ce chapelet de dix îles de l’océan Atlantique, dont la population est inférieure à celle de la ville de Marseille, a terminé en tête d’un groupe difficile comprenant l’Égypte et le Ghana et a éliminé la Mauritanie en huitième de finale. Là aussi, de nombreux binationaux ont été <a href="https://www.flashscore.fr/actualites/football-can-pico-lopez-et-logan-costa-l-irlandais-et-le-toulousain-du-cap-vert-a-la-can-2024/AkwY50Ck/">remarqués et sollicités</a> par la fédération capverdienne.</p>
<p>L’ancien gardien de but du Cameroun et de l’Olympique de Marseille <a href="https://www.lemonde.fr/en/sports/article/2022/11/25/world-cup-2022-the-problem-with-african-football-is-the-leaders_6005649_9.html">Joseph-Antoine Bell</a> ne s’enthousiasme pas outre mesure. Selon lui, la possibilité d’avoir recours à de nombreux joueurs issus de la diaspora rend le travail des dirigeants, des managers et des entraîneurs du continent africain trop facile, ce qui provoquerait une forme de passivité. Il a ajouté que ce phénomène démotiverait les joueurs nés, éduqués et vivant en Afrique.</p>
<p>Bien que la pratique de la sélection de joueurs issus des diasporas semble <a href="https://www.versus.uk.com/articles/diaspora-fc-why-its-time-for-this-generation-to-go-back-to-their-motherlands">s’intensifier</a> (l’impact de la <a href="https://sports-chair.essec.edu/resources/research-reports/sport-and-national-eligibility-criteria-in-the-era-of-globalization">mondialisation</a> se faisant aussi ressentir), quelques pays continuent de s’appuyer fortement sur des joueurs nés et élevés sur le territoire national. L’Égypte, la Namibie et l’Afrique du Sud en sont des exemples. Joseph-Antoine Bell approuverait sans doute, lui qui a déjà appelé l’Afrique à développer des solutions internes en matière d’identification et de développement des talents. Le problème, c’est que cela demande du temps, de l’argent et de la patience – des denrées précieuses dans le football en général, et pas seulement en Afrique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222566/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>De nombreux joueurs des sélections africaines sont nés et ont grandi en Europe. Leur choix d’évoluer pour une nation africaine est-il un signe positif pour le football africain ?Simon Chadwick, Professor of Sport and Geopolitical Economy, SKEMA Business SchoolPaul Widdop, Associate Professor, Manchester Metropolitan UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2179422023-12-03T16:30:44Z2023-12-03T16:30:44ZUn peuple dispersé : les Palestiniens face à la guerre de Gaza<p>En ce mois de novembre, plusieurs milliers de personnes, y compris des enfants, des personnes âgées et des blessés ont <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gQ-s8P0ua-M">continué à quitter, à pied et par des moyens de fortune</a>, le nord de la bande de Gaza, violemment bombardé par Tsahal en réaction aux attaques commises par le Hamas le 7 octobre, pour se réfugier au sud. Ils rejoignent près de 1,7 million de déplacés à l’intérieur de l’ensemble de l’enclave, principalement <a href="https://www.unrwa.org/resources/reports/unrwa-situation-report-36-situation-gaza-strip-and-west-bank-including-east-Jerusalem">accueillis dans des écoles et autres établissements gérés par l’UNRWA</a>, l’agence des Nations unies chargée des réfugiés palestiniens.</p>
<p>Les images de leur exode évoquent la mémoire encore vive de la <em>Nakba</em> de 1948, lorsque <a href="https://www.fayard.fr/livre/le-nettoyage-ethnique-de-la-palestine-9782213633961/">près de 800 000 Palestiniens avaient été contraints de quitter les territoires de l’actuel État d’Israël</a> pour trouver refuge en Jordanie, au Liban, en Syrie, en Cisjordanie et <a href="https://unrwa.photoshelter.com/galleries/C00009xWZSJER24M/G0000UP5ButuCiYs/I0000CiaCe7gyFDs/Historic-Milestones">dans la bande de Gaza</a>. Il ne faut pas oublier, en effet, que près de 75 % des habitants de Gaza, soit environ 1,5 million de personnes, <a href="https://www.unrwa.org/where-we-work/gaza-strip">sont des réfugiés</a> (la notion de réfugié <a href="https://www.un.org/fr/events/unrwa_at_60/pdf/info.pdf">s’étendant aux descendants directs des réfugiés des générations précédentes</a>).</p>
<p>Près de 6 millions de Palestiniens sont aujourd’hui réfugiés dans les pays voisins, où leur présence est régulée par une <a href="https://shs.hal.science/halshs-00719909v1/document">multiplicité de statuts juridiques plus au moins discriminatoires</a>. Plus de 1 million d’autres vivent dans les pays du Golfe et d’autres pays arabes où ils disposent d’un permis de résidence temporaire et peuvent à tout moment être expulsés. Près de 700 000 Palestiniens résident en <a href="https://www.euppublishing.com/doi/abs/10.3366/hlps.2020.0230">Amérique du Sud</a>, 100 000 en <a href="https://journals.openedition.org/remi/986">Europe</a> et quelques milliers en <a href="https://books.openedition.org/cedej/748?lang=fr">Amérique du Nord</a> où ils ont été en grande partie naturalisés.</p>
<p>À ces Palestiniens « de l’extérieur » s’ajoutent les 5,5 millions d’habitants des territoires occupés par Israël en 1967, dont 3,5 millions ont un statut de réfugiés, et près de 2 millions de personnes désignées comme les « Arabes d’Israël », mais qui se qualifient comme les « Palestiniens de 1948 » et qui, tout en ayant la nationalité israélienne, sont de fait des <a href="https://www.palestine-studies.org/en/node/232064">citoyens de deuxième catégorie</a>. Objets de discriminations dans l’attribution des financements aux municipalités où ils sont installés (principalement dans le nord d’Israël), ces Palestiniens de 1948 sont aussi confrontés à des attaques récurrentes et à la <a href="https://www.adalah.org/en/content/view/7589">démolition de leurs habitations comme dans les villages bédouins du Néguev</a>. Ces violences ont augmenté face au projet de l’extrême droite israélienne de faire reconnaître la nature juive de l’État d’Israël, et plus encore <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/guerre-israel-hamas-flambee-de-violence-dans-les-colonies-en-cisjordanie-2026426">depuis le 7 octobre dernier</a>. </p>
<p>Ces populations, aux statuts juridiques variés et dispersées aux quatre coins du monde, constituent aujourd’hui le peuple palestinien. Un puzzle composite dont l’histoire, marquée par une vulnérabilité accrue, nous rappelle que le conflit israélo-palestinien a débuté bien avant le 7 octobre 2023. </p>
<h2>Les Palestiniens dans les pays arabes : entre vulnérabilité permanente et discriminations</h2>
<p>Deux déplacements majeurs des Palestiniens ont eu lieu au XX<sup>e</sup> siècle : le premier s’est produit entre 1947 et 1948, au moment de la <em>Nakba</em> (catastrophe en arabe), avec la formation de l’État d’Israël sur 78 % du territoire de la Palestine historique ; le second en 1967 lors de la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/conflit-israelo-palestinien-anniversaire-de-la-naksa-05-06-2013-1676628_24.php"><em>Naksa</em></a> (rechute en arabe), terme désignant l’occupation par Israël, en 1967, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza (les 22 % restants de la Palestine historique) ainsi que des régions du Golan syrien et du Sinaï égyptien.</p>
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<p>La Jordanie est le pays à avoir accueilli le plus grand nombre de réfugiés en 1948 (près de 400 000). La plupart d’entre eux <a href="https://shs.hal.science/halshs-00411839/document">ont obtenu la nationalité jordanienne</a>. Aujourd’hui, on estime que près de la moitié des 11 millions de Jordaniens sont d’origine palestinienne. <a href="https://www.unrwa.org/where-we-work/jordan">Plus de 2 millions d’entre eux continuent à être enregistrés auprès de l’UNRWA</a> et bénéficient de ses aides et services. Environ 30 000 Palestiniens sont arrivés en Jordanie en provenance de la bande de Gaza en 1967. À l’inverse de leurs compatriotes arrivés près de vingt ans auparavant, ils disposent d’un passeport temporaire renouvelable tous les deux ans, et <a href="https://prc.org.uk/upload/library/files/DecadesOfResilience2018.pdf">n’ont qu’un accès restreint au marché du travail et à la protection sociale</a>.</p>
<p>Les Jordaniens d’origine palestinienne, principalement installés dans la capitale Amman, font l’objet de discriminations informelles en ce qui concerne l’accès aux postes à responsabilité dans la fonction publique ainsi que <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/cultures-monde/jordanie-liban-le-dilemme-des-palestiniens-en-exil-6604223">dans l’accès à l’enseignement secondaire</a>.</p>
<p>Par ailleurs, l’obtention de la nationalité jordanienne n’a pas entravé l’expulsion, à l’issue des violents affrontements dits de « Septembre noir » en 1970, entre les factions de l’OLP et les autorités jordaniennes, de plusieurs milliers de militants armés avec leurs familles vers la Syrie et le Liban. Ne pouvant plus faire renouveler leurs documents, ils sont devenus, dans ces pays, des « sans-papiers ».</p>
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<figcaption><span class="caption">24h sur la Une du 23 septembre 1970 – La situation en Jordanie, Archive INA.</span></figcaption>
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<p>Au Liban, l’arrivée des Palestiniens à partir de 1947, à l’issue du <a href="https://www.lepoint.fr/monde/il-y-a-70-ans-un-plan-de-partage-conteste-de-la-palestine-25-11-2017-2174983_24.php">vote du « Plan de Partage » par l’Assemblée générale des Nations unies</a>, risquait de déstabiliser l’équilibre du pays, fondé sur la répartition du pouvoir entre confessions religieuses. Cela explique l’attribution à ces nouveaux arrivants d’un statut juridique particulièrement discriminatoire qui s’est durci à la fin de la guerre civile (1975-1990), leur <a href="https://books.openedition.org/editionscnrs/2418">interdisant l’accès à la plupart des professions</a>. Près de 80 % des 480 000 réfugiés palestiniens résidant aujourd’hui dans le pays vivent sous le seuil de pauvreté national.</p>
<p>En Syrie, où les Palestiniens n’ont jamais dépassé 2 à 3 % de la population totale, ils ont obtenu les mêmes droits que les Syriens en matière d’accès au travail, à l’éducation et la santé. Cependant, comme les Palestiniens du Liban, ils ne se sont pas vu attribuer la nationalité du pays d’accueil, officiellement parce que les gouvernements de Beyrouth et de Damas souhaitaient préserver leur « droit au retour » établi dès 1949 par la <a href="https://www.unrwa.org/content/resolution-194">résolution 194 de l’ONU</a> – ce qui les rend, de fait, apatrides.</p>
<p>En tant que réfugiés, les Palestiniens dans les pays voisins demeurent <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2013-4-page-95.htm">particulièrement vulnérables</a>, notamment face aux conflits qui ébranlent périodiquement ces pays, comme c’est le cas en <a href="https://journals.openedition.org/conflits/18489">Syrie depuis 2011</a>. Parmi les 560 000 Palestiniens de Syrie enregistrés auprès de l’UNRWA en 2012, <a href="https://www.unrwa.org/where-we-work/syria">près de la moitié étaient déplacés à l’intérieur du pays</a>, et environ 130 000 ont cherché à trouver refuge en Jordanie, où ils ont été refoulés à la frontière, au Liban, où leurs permis de séjour ne sont pas renouvelés, ou bien ont pris la route de la migration illégale vers l’Europe. </p>
<p>Cette même vulnérabilité marque aussi le quotidien des Palestiniens qui, à partir des territoires occupés ou des pays voisins, ont migré dans les pays du Golfe, même si certains d’entre eux y ont connu une ascension sociale remarquable et joué un rôle important dans le développement de pays comme le Koweït. Avant 1990, près de 400 000 Palestiniens contribuaient de manière significative au système éducatif et politique, ainsi qu’au secteur privé koweïtien avant d’être <a href="https://www.palestine-studies.org/en/node/1648096">expulsés vers la Jordanie lors de la guerre contre l’Irak</a>, en raison du soutien que l’OLP accorda à Saddam Hussein. Aujourd’hui, les Palestiniens du Golfe, <a href="https://books.openedition.org/diacritiques/5764?lang=fr">principalement employés dans les professions libérales, l’industrie pétrolière et l’enseignement</a>, ne peuvent pas espérer obtenir la nationalité d’un de ces pays, qui est attribuée seulement dans des cas exceptionnels, comme celui de <a href="https://www.bidoun.org/articles/zayed-zaki-nusseibeh">Zaki Nusseibeh</a>, actuel conseiller culturel du président des Émirats arabes unis.</p>
<h2>Les réactions face à la guerre de Gaza : entre solidarité et répression</h2>
<p>À partir des années 1960, les Palestiniens de l’extérieur ont joué un rôle central dans la recomposition du mouvement national palestinien, qui se structure <a href="https://www.cairn.info/revue-autrepart-2003-2-page-91.htm?ref=doi">au sein des camps de réfugiés en Jordanie, au Liban et en Syrie</a>. Ces mêmes camps n’ont pas cessé, au fil des ans, d’être des caisses de résonance des événements qui se produisaient en Palestine, tout en développant, dans les années 2000, des formes de mobilisation qui leur étaient propres, notamment à travers la création de comités pour la défense du « droit au retour » indépendants des formations politiques, dans un contexte de <a href="https://www.palestine-studies.org/en/node/42541">profonde délégitimation de ces dernières</a>. Les principaux acteurs politiques palestiniens disposent de représentations dans les camps du Liban et de Syrie, où ils jouissent d’une marge de manœuvre variable en fonction des orientations géopolitiques de ces pays.</p>
<p>Depuis le début du conflit à Gaza, des manifestations en soutien aux Palestiniens ont eu lieu dans les pays d’accueil des réfugiés. Toutefois, ces manifestations de solidarité avec Gaza en proie aux frappes israéliennes ont été étroitement encadrées par les autorités de ces pays.</p>
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<p>En Jordanie, une des manifestations s’est soldée par un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=LfgN3A7JXTY">assaut contre l’ambassade d’Israël</a>. Des étudiants tentant de mobiliser leurs camarades au sein de leurs établissements sont arrêtés. S’approcher de la zone frontalière avec Israël est interdit.</p>
<p>En Syrie, le régime a interdit toute manifestation, à l’exception de deux rassemblements parrainés par lui-même et qui se sont déroulés dans le centre de Damas et dans le camp palestinien de Yarmouk, partiellement détruit par la guerre. Plusieurs Palestiniens qui cherchaient à organiser une manifestation non autorisée à la périphérie de Damas ont été arrêtés.</p>
<p>Au-delà des mobilisations caritatives à destination de Gaza, toute manifestation de rue est interdite dans les pays du Golfe, notamment dans les Émirats arabes unis, où la population palestinienne vit avec le poids, depuis 2020, de la <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Le-processus-de-normalisation-diplomatique-d-Israel-avec-les-pays-arabes-a-l.html">normalisation des relations avec Israël</a>. Les Palestiniens de 1948, quant à eux, font face à des campagnes d’emprisonnements qui touchent également plusieurs milliers de travailleurs gazaouis en Israël et de Palestiniens en Cisjordanie (<a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2023/11/israel-opt-horrifying-cases-of-torture-and-degrading-treatment-of-palestinian-detainees-amid-spike-in-arbitrary-arrests/">près de 2 200 personnes ont été emprisonées par Israël depuis le 7 octobre selon Amnesty International)</a>.</p>
<h2>Pas de solution durable sans justice pour l’ensemble du peuple palestinien</h2>
<p>En dépit des restrictions, les Palestiniens de l’extérieur continuent à manifester leur soutien à leur peuple demeurant à l’intérieur des territoires occupés. 75 ans après l’exode de 1948, ils n’ont pas oublié leur histoire collective – et, en ce sens, les discriminations dont ils font l’objet dans les différents pays d’accueil ont sans doute contribué à renforcer leur sentiment d’appartenance nationale.</p>
<p>Pour cette raison, la question des réfugiés continue d’être un dossier incontournable même si elle est rangée dans un placard, <a href="https://journals.openedition.org/remmm/14072">ensemble avec le dossier des colonies et le statut de Jérusalem</a> depuis la signature des accords d’Oslo de 1993 qui avaient reporté la discussion à la fin de la phase intérimaire de cinq ans ; or celle-ci ne déboucha pas sur la formation d’une entité étatique palestinienne, en raison de la poursuite de l’occupation et de l’expansion grimpante de la <a href="https://orientxxi.info/documents/chronologies/chronologie-des-accords-d-oslo-1991-2000,0342">colonisation illégale en Cisjordanie</a>.</p>
<p>L’objectif majoritairement partagé par ces générations d’exilés qui, à de rares exceptions près, et en bonne partie à cause des politiques des autorités des pays d’accueil, continuent de se sentir bien plus palestiniens que jordaniens, libanais ou syriens est de pouvoir un jour se réinstaller là où vivaient leurs ancêtres. Aucune solution juste et durable au conflit israélo-palestinien ne peut donc entre envisagée sans prendre en compte le destin des réfugiés palestiniens aux côtés de celui des Palestiniens des territoires occupés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217942/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valentina Napolitano ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Selon diverses estimations, les Palestiniens seraient au total un peu moins de 15 millions, dont quelque 6 millions de réfugiés installés, parfois depuis des décennies, dans les pays voisins.Valentina Napolitano, Sociologue, chargée de recherche à l'IRD (LPED/AMU), spécialiste des questions migratoires et des conflits au Moyen-Orient, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2135872023-10-10T21:15:56Z2023-10-10T21:15:56ZVivre l’Ukraine en exil, son héritage culturel dans la peau<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/548307/original/file-20230914-26-xll2gm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C613%2C342&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Tatouage de vychyvanka sur le cou de Marguerita, à Lisbonne.
</span> <span class="attribution"><span class="source">A. Desille</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Nous sommes dans un studio de tatouage à Lisbonne, au Portugal, en novembre 2022. L’artiste tatoueuse, exilée ukrainienne, presse son aiguille sur la peau de la nuque de Marguerita, une jeune femme elle aussi ukrainienne, qui s’est offert ce tatouage pour ses 18 ans. Dans son sac, elle a rangé la chemise traditionnelle (ou « vychyvanka »), brodée par son arrière-grand-mère et qui a inspiré ce motif.</p>
<p>Marguerita vit depuis sa naissance à Amadora, une ville de la banlieue de Lisbonne où je réalise un projet de recherche depuis 2021. La première fois que j’ai rencontré Marguerita, elle m’a raconté les jours qui ont suivi l’invasion de l’Ukraine, et l’urgence qu’elle a ressentie d’aider ses compatriotes. Aidée de sa mère, elle a organisé une collecte de dons à Amadora – qui comptait avant le début de la guerre 700 résidents et résidentes originaires d’Ukraine. Lors de cette collecte, la maire d’Amadora, Carla Tavares, l’a approchée et lui a proposé de l’aide : Marguerita a obtenu un local pour entreposer les dons. L’organisation de l’aide s’est par la suite institutionnalisée et la mairie a systématisé la collecte, mais Marguerita est devenue une figure emblématique de la ville d’Amadora.</p>
<h2>Les débuts de l’immigration ukrainienne au Portugal</h2>
<p>Depuis les années 2000, les personnes ukrainiennes figurent parmi les populations migrantes majoritaires du Portugal. D’abord <a href="https://journals.openedition.org/rccs/1340">employées temporairement dans la construction, l’industrie et l’agriculture</a>, ces populations se sont installées plus durablement : leurs familles les ont rejointes au Portugal, les demandes de nationalité portugaise se sont multipliées, et <a href="https://www.om.acm.gov.pt/documents/58428/179693/Estudo_Comun_3.pdf/5467ed94-e4b8-42a2-844f-7f1926dec708">elles ont ouvert leurs propres commerces ou ateliers</a>).</p>
<p>La crise économique qui a durablement affecté le sud de l’Europe à partir de 2008 a <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-41776-9_11">ralenti l’immigration ukrainienne au Portugal</a>, mais, avant que la guerre n’éclate, les autorités portugaises recensaient encore <a href="https://www.pordata.pt/portugal/populacao+residente+estrangeira+segundo+os+censos+total+e+por+pais+de+nacionalidade-3786">27 195 résidents ukrainiens au Portugal</a>. Au printemps 2023, le Portugal avait déjà octroyé une protection temporaire à <a href="https://www.dn.pt/sociedade/potecoes-temporarias-concedidas-por-portugal-a-ucranianos-diminuiram-16236026.html">59 000 exilés ukrainiens</a>.</p>
<p>Marguerita est née au Portugal, mais elle se revendique ukrainienne :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis née ici [au Portugal], mais je n’ai pas à m’y adapter. Je peux m’adapter à la vie quotidienne, OK. Mais mon sang est ukrainien. Mon sang est hérité des générations précédentes, et il vient de ces terres. » (entretien avec Marguerita, 2022, traduction de l’autrice)</p>
</blockquote>
<p>Bien avant la guerre, et comme nombre d’Ukrainiens et d’Ukrainiennes de la <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s12134-023-01064-2">diaspora</a>, Marguerita était déjà fortement impliquée dans la sauvegarde et la reconnaissance du patrimoine ukrainien. Élève à l’école ukrainienne le week-end, joueuse de l’instrument traditionnel ukrainien bandura, collectionneuse de vychyvankas, elle voit ce patrimoine fortement mis à l’épreuve dès le début du conflit.</p>
<p>Alors que son anniversaire approche, Marguerita décide d’imprimer sur son corps ce patrimoine national, diasporique, et aussi familial.</p>
<h2>Faire vivre ailleurs sa culture dominée</h2>
<p>Suite à des <a href="https://www.unesco.org/en/articles/damaged-cultural-sites-ukraine-verified-unesco">attaques russes sur des sites culturels ukrainiens</a>, le ministre de la Culture en Ukraine a dénoncé un <a href="https://www.euronews.com/culture/2022/09/13/its-cultural-genocide-ukraines-culture-minister-trying-to-salvage-the-countrys-artifacts">« génocide culturel »</a> en septembre 2022. Des <a href="https://www.unesco.org/en/articles/unesco-supports-culture-emergencies-through-heritage-emergency-fund">fonds d’urgence sont débloqués pour soutenir la culture ukrainienne</a>.</p>
<p>En parallèle, les autorités ukrainiennes ainsi que certaines institutions culturelles européennes encouragent le boycott de la culture russe : en Ukraine, ce boycott est la <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/dec/07/ukraine-calls-on-western-allies-to-boycott-russian-culture">continuité d’une « décolonisation » de la culture et d’une affirmation de l’identité ukrainienne entamée depuis quelques années en réponse à la domination russe</a> tandis que, pour les <a href="https://www.huffingtonpost.fr/culture/article/guerre-en-ukraine-faut-il-continuer-de-boycotter-le-monde-culturel-russe_193711.html">institutions culturelles européennes ou nord-américaines qui ont déprogrammé des artistes russes</a>, ces sanctions sont perçues comme un moyen de pression pendant la guerre.</p>
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<p>La décision de Marguerita s’inscrit dans un mouvement plus large, constaté depuis le début de la guerre aussi bien en Ukraine qu’au sein de la diaspora. En effet, face à l’agression russe, de nombreuses personnes choisissent de <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/may/03/it-symbolises-resistance-ukrainians-get-tattoos-to-back-war-effort">se faire tatouer des symboles de leur pays</a>, et notamment des inscriptions en langue ukrainienne ou des images du folklore ukrainien. </p>
<p>La <a href="https://sociologica.unibo.it/article/view/15272/14825">chercheuse Kateryna Iakovlenko</a> raconte ainsi que l’artiste Olia Fedorova s’est tatoué « Souviens-toi qui tu es » en ukrainien sur son bras. Le tatouage comme acte de patrimonialisation n’est pas l’apanage des personnes ukrainiennes, et la pratique se multiplie dans de nombreux groupes diasporiques, allant même jusqu’à <a href="https://books.google.pt/books?hl=pt-PT&lr=&id=9pdREAAAQBAJ">l’incorporation de cendres de défunts dans le tatouage</a>.</p>
<p>Comme toujours décidée à mettre en valeur les compétences des femmes ukrainiennes qui l’entourent, Marguerita se tourne vers une artiste tatoueuse en exil, accueillie depuis son arrivée au Portugal dans un studio du centre de Lisbonne. Elle m’a invitée à passer la journée au studio avec elles où j’assiste à l’impression du tatouage basée sur la vychyvanka brodée par son arrière-grand-mère. J’ai pris des clichés que je lui ai envoyés le lendemain. Elle en a utilisé quelques-uns pour illustrer sa page Instagram, et a accompagné les photos de ce texte en portugais et en ukrainien :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne sais pas si je vois ça comme un tatouage, parce que pour moi c’est beaucoup plus que ça, je sens que d’une certaine manière il faisait déjà partie de mon corps. » (« Não sei se vejo isto como tatuagem, porque para mim é muito mais, sinto que de certa maneira já fazia parte do meu corpo », publié en novembre 2022, traduction de l’autrice)</p>
</blockquote>
<p>C’est comme si le tatouage avait transpiré, plutôt qu’avait été imprimé. Patrimoine incarné.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213587/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Amandine Desille est membre associée de l'UMR-Passages à l'Université de Bordeaux, et chercheuse postdoctorale à l'université de Lisbonne. Elle est membre de INTEGRIM Lab, une organisation non lucrative fondée à Bruxelles.
La recherche effectuée à Amadora entre avril 2021 et juin 2022 a été financée par l'ICM, programme Localacc. </span></em></p>Une image pour comprendre comment, de la diaspora aux réfugiés, on peut faire vivre sa culture quand on est loin de sa terre d’origine.Amandine Desille, Post doctorante géographe à l'Université de Lisbonne et membre associée de l'UMR-Passages, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2063662023-05-25T16:48:57Z2023-05-25T16:48:57ZLes Turcs de l’étranger, un électorat acquis à Erdogan ?<p>Les résultats des élections législatives et du premier tour de la présidentielle turque de ce 14 mai 2023 ont été accueillis avec une certaine surprise par les médias français suivant la campagne, dans la mesure où nombre d’entre eux <a href="https://www.tf1info.fr/actualite/election-la-fin-de-l-ere-recep-tayyip-erdogan-une-presidentielle-cruciale-en-turquie-13304/">avaient annoncé</a> dans les jours précédents la fin de <a href="https://www.lopinion.fr/international/election-presidentielle-en-turquie-la-fin-de-lere-erdogan/">« l’ère »</a> ou du <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/turquie/presidentielle-en-turquie-la-fin-du-regne-erdogan_5814086.htm">« règne »</a> de Recep Tayyip <a href="https://theconversation.com/fr/topics/recep-tayyip-erdogan-21581">Erdogan</a>.</p>
<p>Un étonnement qui peut s’expliquer à la fois par les <a href="https://www.courrierinternational.com/article/elections-turquie-une-defaite-d-erdogan-au-premier-tour-n-est-plus-a-exclure">nombreux sondages</a> qui donnaient le président sortant défait par la coalition hétéroclite de six partis ayant fait front commun pour essayer de le faire chuter après 20 ans au pouvoir, mais aussi par une tendance au « wishful thinking » illustrant l’espoir du paysage politico-médiatique français de voir perdre le chef d’État turc.</p>
<p>Par exemple, parmi les Turcs de France amenés à livrer leurs analyses, seuls des opposants au gouvernement sortant ont été <a href="https://www.france.tv/france-5/c-ce-soir/c-ce-soir-saison-3/4840510-erdogan-la-fin-d-une-ere.html">invités à développer leur point de vue sur le sentiment politique national</a>, au détriment des sympathisants du président Erdogan. Un biais qui alimente le discours gouvernemental turc sur les <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/complorama/la-turquie-complotiste-a-l-heure-de-l-election-presidentielle_5842877.html">« complots étrangers » visant à faire chuter le gouvernement</a>, et qui contribue également à invisibiliser le vote des Turcs de France.</p>
<p>Ces derniers, comme la majorité des Turcs installés à l’étranger, sont en effet très majoritairement favorables au parti au pouvoir depuis l’ouverture des urnes dans les consulats de Turquie à l’occasion de l’élection présidentielle de 2014 qui fut la première à sacrer Recep Tayyip Erdogan. Jusqu’alors, le vote des ressortissants turcs n’était possible que depuis les postes-frontières de la Turquie, ce qui limitait bien plus la participation des expatriés.</p>
<h2>Les Turcs de l’étranger, un réservoir de voix pour Erdogan</h2>
<p>Avec 49,52 % des 55 833 000 suffrages exprimés au premier tour, il n’a manqué que 268 000 voix au président sortant pour être réélu dimanche 14 mai pour un troisième mandat présidentiel consécutif.</p>
<p>Or, sur l’ensemble des urnes dépouillées hors des frontières turques, l’actuel chef d’État a rassemblé 57,5 % des suffrages avec 1 047 740 électeurs, pour un taux de participation total des Turcs de l’étranger de seulement 50,73 %, alors que 88,82 % des votants se sont déplacés en Turquie. Une baisse de l’abstention des expatriés pourrait ainsi à elle seule suffire à faire réélire le président lors du second tour.</p>
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<p>Le chef de l’État et son gouvernement sont effectivement plus populaires auprès des ressortissants turcs qu’auprès des électeurs vivant en Turquie, comme l’illustrent les scores obtenus par Recep Tayyip Erdogan dans les quatre pays étrangers où les citoyens turcs sont le plus nombreux.</p>
<p>En Allemagne (avec 65,5 % des suffrages pour 475 593 électeurs), en France (64,8 %, 126 572), aux Pays-Bas (68,4 %, 98 265) et en Belgique (72,3 %, 50 318) il a ainsi à chaque fois obtenu un <a href="https://www.yenisafak.com/secim-cumhurbaskanligi-2023/dunya-secim-sonuclari">score qui aurait suffi à le faire réélire dès le premier tour</a>.</p>
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<p>Un large soutien que l’on retrouve également au niveau local dans la quasi-totalité des <a href="https://www.yenisafak.com/secim-cumhurbaskanligi-2023/yurtdisi-fransa-secim-sonuclari">neuf bureaux de vote installés sur le territoire français</a>, avec des scores plébiscitaires à Clermont-Ferrand (90,9 %), Lyon (86,3 %) et Orléans (85,8 %) ; d’autres larges victoires à Strasbourg (70,9 %), Mulhouse (65,8 %), Nantes (65,7 %) et Bordeaux (57,3 %) ; un résultat plus serré à Paris (51,2 %) et une seule défaite, à Marseille (42,8 % contre 56,3 % pour son principal adversaire, Kemal Kiliçdaroglu).</p>
<p>Ces résultats du candidat Erdoğan en France sont même meilleurs que lors de la présidentielle précédente, en 2018, quand il n’avait remporté « que » <a href="https://www.yenisafak.com/secim-cumhurbaskanligi-2018/yurtdisi-fransa-secim-sonuclari">63,7 % des suffrages dans le pays</a>, ce qui ne l’avait pas empêché d’être réélu dès le premier tour avec 52,6 % des voix sur l’ensemble des votants. En 2014, il avait rassemblé déjà <a href="https://www.memurlar.net/secim/haziran-2018-secim-sonuclari/cb-dunya.html">63,68 % des suffrages</a> dans les bureaux de vote installés sur le territoire français (il avait alors aussi été élu au premier tour, avec 51,79 %).</p>
<h2>Le cas de la France dans le paysage politique turc</h2>
<p>Lors des précédents scrutins, la France avait fait l’objet d’une campagne électorale à part entière, avec la venue de plusieurs personnalités du Parti de la Justice et du Développement) (AKP) au pouvoir. Le chef d’État en personne avait même pris part à de véritables meetings électoraux à Paris en 2010, Lyon en 2014 et <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/turquie-un-meeting-pro-erdogan-a-metz-fait-polemique_2094869.html9">Metz en 2017</a>.</p>
<p>Des rassemblements comparables ont également eu lieu à l’instigation des partis de l’opposition, comme le Parti démocratique des Peuples (HDP), dont certains députés et autres représentants sont participé à des débats citoyens en France, notamment <a href="https://www.kedistan.net/2018/05/28/meeting-marseille-garo-paylan/">à Marseille en 2018</a> à l’invitation d’associations arméniennes et kurdes locales. La spécificité du bassin électoral marseillais, plutôt favorable aux candidats anti-Erdoğan en 2023 comme en 2018 et 2014 – quand le président fut chaque fois au coude à coude avec le candidat du HDP, <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20210528-turquie-l-opposant-kurde-selahattin-demirtas-de-nouveau-condamn%C3%A9">Selahattin Demirtas, désormais emprisonné en Turquie</a> –, s’explique par <a href="https://www.researchgate.net/publication/346786184_Le_developpement_transnational_de_la_cause_kurde_etude_du_foyer_d%E2%80%99implantation_militante_en_region_marseillaise">l’implantation ancienne de réseaux kurdes et d’une importante diaspora arménienne</a> opposés aux gouvernements turcs successifs.</p>
<p>L’électorat turc présent sur le reste du territoire français est surtout constitué de personnes arrivées à la suite de la signature d’un <a href="https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1973_num_28_2_15411">accord d’envoi de main-d’œuvre signé avec la Turquie en 1965</a>, en grande partie issues des régions rurales de l’Anatolie, majoritairement acquises à l’AKP et à Erdoğan. De plus, cette population d’émigrés économiques et de leurs descendants est depuis longtemps particulièrement <a href="https://www.researchgate.net/publication/346786034_Les_Turcs_de_l%E2%80%99etranger_au_coeur_de_la_strategie_d%E2%80%99influence_internationale_d%E2%80%99Erdogan_etude_du_cas_franco-europeen">courtisée par les organisations de l’islam politique turc transnational</a>, dont le président turc est issu. Elle est aussi souvent ciblée par les discours nationalistes visant à renforcer les liens de la Turquie avec ses ressortissants résidant au-delà de ses frontières.</p>
<h2>Une exportation des dérives du système électoral turc</h2>
<p>L’une des principales réussites politiques du chef de l’État turc – en tant que premier ministre puis président, depuis 2003 – est justement d’avoir consolidé la synthèse entre l’islamisme et le nationalisme, comme l’illustre la coalition gouvernementale qu’il a formée avec le Parti d’Action nationaliste (MHP, extrême droite d’inspiration fasciste) depuis les élections de 2018. Ce parti qui va lui permettre à nouveau de former un gouvernement de coalition majoritaire à la suite des élections législatives de cette année avec ses 50 députés, est également l’organisation mère de la mouvance des « Loups gris ».</p>
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<p>Les « Loups gris » désignent une milice rassemblant de jeunes militants du parti qui a été, en France, officiellement <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/11/02/le-gouvernement-annonce-la-dissolution-des-loups-gris-mouvement-ultranationaliste-turc_6058211_823448.html">dissoute par un décret du Conseil des ministres en 2020</a>, suite à des manifestations violentes contre la communauté arménienne de Décines. De nouvelles violences ont eu lieu cette année dans cette même ville de l’agglomération lyonnaise dans le cadre des élections turques, puisque des assesseurs censés garantir le bon déroulé du scrutin et issus du Parti de la Gauche Verte (YSP) <a href="https://www.lepoint.fr/societe/presidentielle-en-turquie-des-opposants-d-erdogan-agresses-pres-de-lyon-12-05-2023-2519875_23.php">ont été agressés</a> lors de la fermeture du bureau de vote installé dans la commune pour les électeurs turcs de la région de Lyon.</p>
<p>La tenue même du scrutin dans des locaux d’ordinaire utilisés par l’organe consulaire du ministère des Affaires religieuses turques – l’Union des Affaires culturelles turco-islamiques (DITIB, <em>Diyanet İşleri Türk İslam Birliği</em>) de Lyon – <a href="https://www.leprogres.fr/politique/2023/05/11/elections-turques-la-deputee-tanzilli-saisit-le-procureur">pose par ailleurs question</a>, dans la mesure où la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043964778">loi contre le séparatisme</a> votée le 24 août 2021 en France interdit justement d’organiser des élections dans des bâtiments « servant habituellement à l’exercice du culte ou utilisés par une association cultuelle ». Or la Turquie est officiellement un État laïc au même titre que la France, bien que les <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/france-turquie-deux-laicites-que-tout-oppose_2137862.html">deux conceptions nationales de cette notion de laïcité soient profondément différentes</a>.</p>
<p>Reste qu’il peut demeurer gênant pour une partie de l’électorat turc lyonnais de se rendre dans un lieu associé à la pratique de l’islam sunnite, notamment dans la mesure où le principal opposant au président Erdoğan lors de cette élection a lui-même <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/05/10/elections-en-turquie-en-se-revendiquant-alevi-kemal-kilicdaroglu-a-brise-un-tabou_6172737_3232.html">proclamé son appartenance au mouvement religieux alévi</a>. Un culte traditionnellement marginalisé par l’organe gouvernemental responsable des affaires religieuses en Turquie comme à l’étranger, et qui est justement accusé d’être propriétaire des lieux dans lesquels a été organisé le vote des ressortissants turcs habitant dans la région de Lyon.</p>
<h2>Une polarisation croissante</h2>
<p>Cette transposition de la polarisation de plus en plus profonde du système politique turc s’observe dans cet exemple lyonnais mais aussi à Marseille, où des affrontements ont <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/presidentielle-en-turquie-une-bagarre-a-l-arme-blanche-dans-un-bureau-de-vote-a-marseille-2764382.html">également eu lieu à proximité du bureau de vote des Turcs de la région lors de ces élections</a>, ou encore en Allemagne, près de Stuttgart, où une dispute apparemment liée à ce même scrutin aurait fait <a href="https://tr.euronews.com/2023/05/11/almanyada-secim-kavgasi-iddiasi-mercedes-fabrikasinda-2-turk-isci-oldu">deux morts parmi des ouvriers turcs</a>.</p>
<p>Le comportement électoral des Turcs de l’étranger illustre ainsi l’évolution politique de la Turquie, dans la mesure où la persistance du soutien des expatriés au gouvernement actuel et au chef de l’État reflète leur popularité constante auprès d’une large base militante… mais aussi l’intégration de la synthèse idéologique islamo-nationaliste gouvernementale et de la rhétorique agressive qui l’accompagne par cet électorat qui n’hésite plus, dès lors, à s’en prendre directement à ses opposants, à l’étranger autant comme en Turquie. </p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206366/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rémi Carcélès bénéficie d'une bourse doctorale financée par l'Université d'Aix-Marseille ainsi que de fonds alloués par l'Institut des Hautes Études du Ministère de l'Intérieur (IHEMI), dans le cadre de son travail de recherche - portant sur "la transposition des conflits nationaux en contexte migratoire par l'étude des militantismes turcs, kurdes et arméniens en France" - il est notamment amené à côtoyer régulièrement des associations militantes turques pouvant être en lien avec des organisations mentionnées dans cet article.</span></em></p>Recep Tayyip Erdogan et son parti obtiennent de bien meilleurs scores auprès des Turcs installés en Europe occidentale qu’en Turquie même. Les élections de mai 2023 l’ont encore confirmé.Rémi Carcélès, Doctorant en science politique, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1827372022-05-31T18:59:05Z2022-05-31T18:59:05Z« Global Africa » : une nouvelle revue pour un concept militant<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/466042/original/file-20220530-20-gpnler.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C9%2C1243%2C553&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Couverture du premier numéro de la revue «&nbsp;Global Africa&nbsp;».
</span> <span class="attribution"><span class="source">Global Africa</span></span></figcaption></figure><p>Alors qu’une nouvelle revue scientifique intitulée <a href="https://www.globalafricasciences.org/">« Global Africa »</a> veut corriger la marginalisation de la recherche africaine dans la production scientifique internationale, il est important de revenir sur les origines du concept qui lui donne son nom et sur les enjeux qu’il recouvre.</p>
<p>Aujourd’hui, de nombreux livres et articles utilisent la formule « Global Africa » pour souligner l’idée que l’Afrique doit être étudiée et comprise à travers ses interactions et interconnexions avec le monde. Cette perspective, qui n’est pourtant pas récente, tend à occulter une dimension spécifique associée à la notion de « Global Africa ». En effet, celle-ci est directement issue de la mobilisation africaine et panafricaine des années 1990 et évoque une dimension de lutte, radicale et non consensuelle, représentée par les pratiques, les projets et les cultures qui constituent le <a href="https://jugurtha.noblogs.org/files/2017/11/oif-le-mouvement-panafricaniste-au-XXe-s-1.pdf">panafricanisme</a></p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1501861833623359488"}"></div></p>
<p>Le panafricanisme, parfois identifié comme « internationalisme noir », « tradition intellectuelle noire » ou « tradition radicale noire » a été largement documenté en anglais et non en français, malgré une petite bibliothèque sur le sujet, pour des raisons qui mériteraient d’être discutées avec précision. C’est effectivement un sujet qui a du mal à s’imposer dans la constitution des savoirs universitaires en français et qui reste souvent discrédité parce que toute recherche qui lui serait liée serait biaisée, engagée et non objective.</p>
<p>Revenir sur l’origine, le sens et les enjeux recouverts par les termes « Global Africa » représente un enjeu de connaissance : grâce à la présentation de deux articles et du <a href="https://fr.unesco.org/general-history-africa">projet de révision de l’histoire générale de l’Afrique porté par l’Unesco</a>, il s’agit de situer « Global Africa » dans les généalogies de lutte produites par la relation entre Africains et Afro-descendants. Cela permet d’en saisir l’origine militante et de replacer le panafricanisme dans les manières de penser et de représenter la présence de l’Afrique et des Africains dans notre monde globalisé.</p>
<h2>Ali Mazrui et la croisade pour les réparations</h2>
<p>La première occurrence de la notion « Global Africa » dans une publication scientifique remonte à un <a href="https://www.africabib.org/rec.php?RID=138772932">article sur la question des réparations au titre de l’esclavage et du colonialisme</a>, signé par l’intellectuel kenyan <a href="https://www.theguardian.com/world/2014/oct/20/ali-mazrui">Ali Mazrui</a> (1933-2014), politiste, auteur prolifique et grand humaniste. L’année précédente, en 1993, Ali Mazrui avait présenté ce texte à l’occasion de la première <a href="https://africanstudies.org/awards-prizes/bashorun-mko-abiola/">Bashorun M. K. O. Abiola Distinguished Lecture</a> tenue lors de la rencontre annuelle de l’<a href="https://africanstudies.org/">African Studies Association</a>, l’organisation professionnelle des africanistes américains.</p>
<p>Ali Mazrui se place fermement dans le sillage du <a href="https://boydellandbrewer.com/9781580462495/nigerian-chiefs/">Chef nigérian</a> M. K. O. Abiola (1937-1998), défenseur et bientôt martyr de la démocratie nigériane, dont l’engagement panafricaniste en faveur de la <a href="https://journals.openedition.org/slaveries/4969">cause des réparations</a> reste mal connu. En fait, Ali Mazrui a participé aux initiatives financées et organisées par Chief M. K. O. Abiola en faveur des réparations, et est membre du Groupe des éminentes personnalités (GEP) mobilisées par l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) et présidé par Chief M. K. O. Abiola, avec l’objectif de placer les réparations dans l’agenda diplomatique international.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1531171261488963586"}"></div></p>
<p>Ali Mazrui plante le décor propice à la naissance de l’Afrique globale : les Noirs de la diaspora demandaient des réparations depuis leurs pays, mais c’est l’engagement de l’Afrique, porté par Chief M. K. O. Abiola, qui ferait basculer ces revendications éparses vers une « croisade mondiale » pour les réparations au bénéfice de tout le monde noir et africain. Il définit donc l’Afrique globale comme constituée du continent africain, plus la diaspora issue de l’esclavage, plus la diaspora issue du colonialisme ; et définie en particulier par des relations militantes et politiquement engagées qui sont associées à la fabrique du panafricanisme.</p>
<h2>Michael West et l’histoire du panafricanisme</h2>
<p>La deuxième occurrence de ces termes se trouve dans le titre d’un <a href="https://www.jstor.org/stable/i40009286">autre article</a>, publié en 2005 par l’historien africain-américain <a href="https://afam.la.psu.edu/people/mow5397/">Michael West</a>, qui y fait la distinction entre d’une part « l’existence physique » des diasporas africaines, fruit des migrations forcées et volontaires depuis l’Afrique et, d’autre part, « l’articulation consciente et systématique de l’idée de diaspora africaine » – et c’est cette idée qu’il nomme « Global Africa ». Cette idée soutient que les expériences historiques telles que l’esclavage, le colonialisme, l’oppression raciale et leurs conséquences, partagées par les Africains et les Afro-descendants, constituent la base d’une lutte commune pour l’émancipation et la libération mutuelle.</p>
<p>Ainsi, l’Afrique globale se superposerait exactement à la définition du panafricanisme, dont l’histoire est présentée par Michael West à travers une chronologie sommaire :</p>
<ul>
<li><p>1770-1900 : années caractérisées par deux concepts, la rédemption et la justification ;</p></li>
<li><p>1900-1945 : années marquées par quatre perspectives souvent antagonistes : les congrès panafricains, le <a href="https://www.transatlantic-cultures.org/fr/catalog/31ba28ef-3ec4-413b-9dcb-99d0866194b8">garveyisme</a>, l’internationale communiste et la négritude ;</p></li>
<li><p>1945-1963 : l’émergence des États africains, institutionnalisée par la fondation de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) ;</p></li>
<li><p>Post-1963 : le réalignement politique appelé <a href="https://www.archives.gov/research/african-americans/black-power"><em>Black Power</em></a>.</p></li>
</ul>
<p>Ici, les termes <em>Global Africa</em> deviennent synonymes du panafricanisme et identifient la conscience d’une condition partagée et d’une lutte commune guidée par des idéaux de souveraineté, de solidarité et de justice.</p>
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<figcaption><span class="caption">Global Africa : Exploring the African Presence in the World (Unesco).</span></figcaption>
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<h2>Institutionnaliser <em>Global Africa</em></h2>
<p>À l’occasion du 50<sup>e</sup> anniversaire de l’OUA, célébré en <a href="https://au.int/sites/default/files/newsevents/workingdocuments/29149-wd-50_declaration_fr.pdf">grande pompe à Addis-Abeba</a> en 2013, l’Unesco a convoqué une réunion d’experts participant à l’élaboration du neuvième volume de l’<a href="https://fr.unesco.org/general-history-africa">Histoire générale de l’Afrique</a> (HGA), cette entreprise monumentale lancée en 1964 dont l’objectif était de faciliter la réappropriation par l’Afrique de la fabrique de son histoire.</p>
<p>Soutenue par un financement du Brésil et présidée par l’historien <a href="https://en.unesco.org/news/unesco-against-historical-amnesia-elikia-m-bokolo-addresses-issue-general-history-africa">Elikia M’Bokolo</a>, cette réunion devait discuter des orientations et des termes de ce nouveau volume. La session dévolue aux diasporas africaines était modérée par l’historien <a href="https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Issues/Racism/WGEAPD/Session28/panellists/bio-sirhilarybeckles.pdf">Sir Hilary Beckles</a>, alors président de l’Université des West Indies à La Barbade, dans les Caraïbes, qui appelait à « déstabiliser » le concept de diaspora et à trouver des thèmes pouvant représenter cette Afrique globale.</p>
<p>In fine, ces termes, « Global Africa », ont été adoptés par l’HGA et qualifiés de « concept innovant », lançant ainsi leur institutionnalisation. Tout en ayant l’ambition d’embrasser la grande diversité des diasporas africaines, l’HGA se revendique des projets politiques nés de la relation entre l’Afrique et les diasporas atlantiques : la renaissance africaine et le panafricanisme ; et les place ainsi au cœur de sa manière de penser et de représenter la présence de l’Afrique et des Africains dans notre monde globalisé.</p>
<h2>L’avenir de <em>Global Africa</em></h2>
<p>Les connaissances sur le panafricanisme, et en particulier l’étude des plaidoyers pour les réparations, l’histoire critique de la lutte et des solidarités, l’idée d’une africanité globale pourraient contribuer plus directement à la constitution des savoirs universitaires en français sur l’Afrique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Booster la recherche africaine : le grand défi de la revue « Global Africa », 16 mars 2022.</span></figcaption>
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<p>Il s’agit de donner toute leur place aux personnalités clivantes, aux projets politiques ambigus, aux instrumentalisations multiples, et aux interprétations divergentes, ainsi qu’aux grandes aspirations, aux échecs cuisants et aux fantastiques victoires portées par de nombreuses voix issues de cette Afrique globale.</p>
<p>Cette nouvelle revue, « Global Africa », pourrait ainsi, comme son nom semble le promettre, devenir un espace pour discuter, nourrir et diffuser des connaissances précises et documentées sur l’histoire du panafricanisme et ses projets politiques et culturels radicaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182737/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Giulia Bonacci était invitée par l'UNESCO comme experte à la réunion de lancement du 9ème volume de l'Histoire Générale de l'Afrique, tenue à Addis-Abeba, Ethiopie, du 20 au 22 mai 2013. </span></em></p>Utilisé la première fois pour évoquer la question des réparations au titre de l’esclavage et du colonialisme, le concept « Global Africa » a depuis été adopté par les experts de l’Unesco.Giulia Bonacci, Historienne, chargée de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1795232022-03-24T18:44:06Z2022-03-24T18:44:06ZQui sont les Ukrainiens de France ?<p>Depuis le 24 février et le <a href="https://theconversation.com/en-ukraine-la-russie-fait-la-guerre-pour-etendre-sa-sphere-dinfluence-177077">début de l’invasion russe</a>, les Ukrainiens de France se mobilisent largement. Ils organisent des manifestations, récoltent de l’aide à destination des villes assiégées et des forces de défense territoriale – dans lesquelles <a href="https://www.courrierinternational.com/article/le-chiffre-du-jour-ces-ukrainiens-qui-rentrent-dans-un-pays-en-guerre">certains retournent même s’engager</a> – et accueillent des réfugiés.</p>
<p>Si le grand public a découvert l’immigration ukrainienne dans le contexte de l’invasion russe, sa présence en France, tout comme les activités politiques et humanitaires qu’elle y mène, ne sont pas nouvelles. Elles s’inscrivent dans une histoire de plus d’un siècle, au cours de laquelle les <a href="https://www.rfi.fr/fr/emission/20190328-pourquoi-ukrainiens-continuent-quitter-leur-pays">événements de l’année 2014</a> en Ukraine ont joué un rôle majeur.</p>
<h2>L’émigration ukrainienne dans le monde : un état des lieux</h2>
<p>Avant l’afflux de réfugiés provoqué par la guerre de 2022, la France comptait officiellement 18 000 individus nés en Ukraine. D’autres États possèdent des populations d’origine ukrainienne bien plus nombreuses. Les quinze États regroupant le nombre le plus important d’Ukrainiens – en termes de pays de naissance et non d’auto-identification nationale – peuvent être répartis en trois catégories.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1503652628785508368"}"></div></p>
<p>Il s’agit d’abord les États de l’ex-URSS, avec dans l’ordre la Russie (3,3 millions en 2019), le Kazakhstan (350 000) et la Biélorussie (220 000). Du fait des importantes mobilités entre les Républiques à l’époque soviétique, les Ukrainiens y étaient très nombreux dès 1991. Leur nombre s’y est maintenu jusqu’à aujourd’hui, voire a augmenté dans le cas de la Russie, alimenté par de nouvelles migrations de travail.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/452885/original/file-20220317-15-1ob2pps.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/452885/original/file-20220317-15-1ob2pps.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=714&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/452885/original/file-20220317-15-1ob2pps.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=714&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/452885/original/file-20220317-15-1ob2pps.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=714&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/452885/original/file-20220317-15-1ob2pps.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=898&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/452885/original/file-20220317-15-1ob2pps.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=898&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/452885/original/file-20220317-15-1ob2pps.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=898&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p>Un deuxième groupe est composé des États-Unis (415 000), d’Israël (130 000) et de l’Allemagne (240 000). Les deux premiers États ont accueilli de nombreux Juifs d’URSS dès les années 1980, dont certains originaires d’Ukraine. De la même manière, des centaines de milliers d’« Allemands de Russie » (<em>Aussiedler)</em> se sont installés dans le pays de leurs ancêtres au cours des années 1990. Il faut néanmoins souligner que ces migrants, tout comme les Ukrainiens de l’ex-URSS, ne se disent pas nécessairement « Ukrainiens » du point de vue de l’identité ethno-nationale, ni même de l’identité civique (ils n’ont pas forcément un passeport ukrainien).</p>
<p>Le troisième groupe est composé des États destinataires de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/04/18/entre-guerre-et-pauvrete-l-ukraine-se-vide_5451968_3210.html">grande vague d’émigration économique</a> qui touche l’Ukraine depuis trente ans. Face à l’impossibilité de trouver des revenus suffisants pour vivre ou d’envisager une carrière professionnelle en Ukraine, plusieurs millions de personnes ont quitté temporairement ou définitivement le pays depuis 1991. La Russie, les États-Unis et l’Allemagne, déjà mentionnés, ont été concernés par cette vague. Mais celle-ci a aussi touché des États qui abritaient initialement très peu d’Ukrainiens.</p>
<p>Dans les années 2000, ce sont la République tchèque (110 000 Ukrainiens en 2019), l’Italie (250 000), l’Espagne (94 000) et le Portugal (47 000), portés par une forte croissance économique, qui ont été les principaux pays d’accueil. Au cours de la décennie suivante, c’est la Pologne qui s’est imposée comme destination majeure, grâce à des <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/le-double-discours-de-la-pologne-sur-limmigration-143403">dispositifs facilitants</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les Ukrainiens en Pologne : l’autre grande migration européenne, France 24, 8 janvier 2018.</span></figcaption>
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<p>À côté des permis de séjour pour travail, largement distribués (470 000 détenteurs en 2019 selon Eurostat), le dispositif de « déclaration d’intention d’embauche » émise par un employeur polonais permet à un Ukrainien de venir travailler six mois en Pologne sans permis de travail. On estime à plus d’un million le nombre d’Ukrainiens y travaillant en 2019. À la différence des groupes décrits plus haut, cette immigration économique se définit en grande majorité comme ukrainienne en termes de nationalité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/452882/original/file-20220317-25-t01kw3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/452882/original/file-20220317-25-t01kw3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=547&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/452882/original/file-20220317-25-t01kw3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=547&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/452882/original/file-20220317-25-t01kw3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=547&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/452882/original/file-20220317-25-t01kw3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=687&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/452882/original/file-20220317-25-t01kw3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=687&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/452882/original/file-20220317-25-t01kw3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=687&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Les statistiques basées sur le pays de naissance et la nationalité ne capturent pas l’ensemble des « communautés ukrainiennes » dans les différents pays du monde. Ces dernières sont également composées des descendants d’Ukrainiens issus de vagues d’immigration antérieures à 1991. Certains historiens estiment à 20 millions le nombre de personnes d’origine ukrainienne dans le monde. Il y aurait par exemple environ un <a href="https://www.ukrweekly.com/uwwp/ukrainians-in-the-united-states-have-reached-1-million/">million de personnes d’origine ukrainienne aux États-Unis</a>, autant au Canada, entre 200 et 300 000 au Brésil et en Argentine, et entre 25 et 40 000 en France et au Royaume-Uni.</p>
<h2>La structure de l’immigration ukrainienne en France</h2>
<p>Une partie de l’immigration ukrainienne en France comprend les descendants d’Ukrainiens ayant migré entre 1920 et 1950, et ayant conservé un lien avec le pays de leurs parents et grands-parents. La première vague d’immigration a eu lieu au début des années 1920. Elle est constituée des exilés de l’Empire russe, fuyant la guerre civile et la prise de pouvoir des bolchéviks. Une partie de ces exilés se revendiquaient ukrainiens et certains avaient même exercé des fonctions dirigeantes ou militaires au sein de l’éphémère <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-l-histoire/ukraine-1917-1921-une-independance-confisquee">République populaire ukrainienne</a> (1917-1921).</p>
<p>La seconde vague, entre 1920 et 1939, est composée de travailleurs polonais sous contrat, venant trouver emploi dans l’agriculture, les mines ou l’industrie, en vertu des <a href="https://books.openedition.org/psorbonne/50943?lang=fr">accords franco-polonais de 1919</a>. Une partie d’entre eux sont des Ukrainiens de Galicie, région occidentale de l’Ukraine actuelle.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/454161/original/file-20220324-23-92seau.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454161/original/file-20220324-23-92seau.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=883&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454161/original/file-20220324-23-92seau.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=883&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454161/original/file-20220324-23-92seau.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=883&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454161/original/file-20220324-23-92seau.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1110&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454161/original/file-20220324-23-92seau.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1110&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454161/original/file-20220324-23-92seau.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1110&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Couverture du livre Les Ukrainiens en France – Mémoires éparpillées, de Jean‑Bernard Dupont-Melnyczenko, paru en 2007 aux Éditions Autrement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Éditions Autrement</span></span>
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<p>La troisième vague, entre 1945 et 1950, est celle des réfugiés de la Seconde Guerre mondiale. Raflés par les Allemands pour le travail obligatoire, enrôlés dans la Wehrmacht ou fuyant l’avancée de l’Armée rouge, ils se retrouvent dans des camps de déplacés en Allemagne à la fin de la guerre. Certains parviennent à éviter le rapatriement en URSS et à s’installer en Occident. Ces vagues de migration, essentiellement originaires de l’Ukraine de l’Ouest, ont donné naissance à des communautés ukrainiennes soudées, fondées sur le partage de la langue ukrainienne, le culte <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2004-5-page-39.htm">gréco-catholique ou orthodoxe ukrainien</a>, la pratique d’un folklore galicien et un militantisme antisoviétique.</p>
<p>L’immigration économique postérieure à 1991 peut être divisée schématiquement en deux groupes, qui forment les deux dernières fractions de l’immigration ukrainienne en France.</p>
<p>Le premier est composé par les « travailleurs migrants » (<em>zarobitchanny</em>). Ils quittent l’Ukraine pour venir gagner un revenu dans des emplois peu qualifiés, essentiellement le bâtiment pour les hommes et les services à la personne pour les femmes (ménage, garde d’enfants, aide à domicile). Cette immigration est initialement conçue comme temporaire, visant à soutenir financièrement la famille restée en Ukraine, payer les études de ses enfants ou y acheter un bien.</p>
<p>Cependant, il arrive que ces travailleurs migrants prolongent leur séjour et parviennent à faire venir leurs proches, installant la migration sur le long terme. Il est difficile d’estimer l’ampleur de cette immigration, une partie d’entre elle possédant un caractère illégal ou semi-légal. Depuis 2017 notamment, les Ukrainiens peuvent voyager 90 jours dans l’Union européenne sans visa : certains utilisent ces séjours pour travailler au noir, et ne sont pas comptabilisés parmi les détenteurs de permis de séjour.</p>
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<p>La seconde fraction de l’immigration ukrainienne contemporaine est composée de cadres et de représentants de professions intermédiaires, recrutés pour exercer un métier dans leur domaine de compétence (recherche scientifique, hautes technologies…), ou – plus fréquemment – arrivés en France pour étudier, avant de trouver un emploi de cadre. Contrairement aux « zarobitchanny », ces étudiants et travailleurs qualifiés sont insérés dans des cercles de sociabilité français, auxquels appartient souvent leur conjoint. Ils maîtrisent parfaitement la langue du pays d’accueil, acquièrent la nationalité française et envisagent rarement un retour en Ukraine.</p>
<p>Les travailleurs migrants entretiennent principalement des liens avec leurs compatriotes, au sein de la famille, à l’église ou dans les associations culturelles (chorale, école pour enfants). Ainsi, ils rejoignent fréquemment les communautés ukrainiennes historiques formées par les vagues précédentes et leurs descendants. Bien qu’il existe des différences importantes entre « zarobitchanny » et Français d’origine ukrainienne, en matière de statut socio-économique par exemple, leur origine géographique commune (Ouest de l’Ukraine) fait qu’ils se retrouvent régulièrement autour de la pratique de la langue ukrainienne, du culte gréco-catholique et des mêmes référentiels historiques.</p>
<p>Français de la diaspora ukrainienne « historique » et Ukrainiens de l’Ouest perçoivent ainsi plus fréquemment l’époque soviétique comme une période d’occupation de l’Ukraine et <a href="https://journals.openedition.org/espacepolitique/8423">célèbrent volontiers</a> le mouvement de « libération nationale » mené par l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) et l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) pendant la Seconde Guerre mondiale. Porteuses d’un nationalisme intégral, visant à obtenir la création d’un État-nation ukrainien indépendant, ces organisations ont d’abord <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/le-vif-de-l-histoire/13h54-le-vif-de-l-histoire-du-mardi-22-fevrier-2022">collaboré avec les Allemands</a> dans la lutte anti-soviétique, avant de les combattre également.</p>
<p>Les migrants qualifiés sont, quant à eux, principalement originaires des grandes villes l’Ouest (Lviv), mais surtout du Centre-Est de l’Ukraine (Kiev, Odessa, Dnipro, Zaporijia, Kharkiv, Donetsk…). En plus de leur insertion dans des cercles de sociabilité français, ils fréquentent volontiers des milieux russophones, constitués d’immigrés de l’espace postsoviétique, sans distinction de nationalité, que ce soit par le travail, les associations ou les activités religieuses (églises orthodoxes russes). Si certains entretenaient des contacts avec les communautés ukrainiennes dans les années 2000, beaucoup ne les fréquentent pas. Ils sont par ailleurs moins familiers du récit nationaliste répandu dans l’Ouest de l’Ukraine et au sein de l’élite nationale-libérale représentée par le président Viktor Iouchtchenko (2005-2010).</p>
<h2>Reconfigurations des identités politiques au sein de l’immigration ukrainienne</h2>
<p>Ces lignes de division au sein de l’immigration ukrainienne sont reconfigurées <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/l-euromaidan-ou-la-revolution-ukrainienne-pour-la-democratie">au moment de l’Euromaïdan</a> (novembre 2013 – février 2014). Les Français d’origine ukrainienne, sensibilisés par leurs parents à l’anticommunisme et à la méfiance vis-à-vis de la Russie, sont rejoints par les travailleurs migrants, mais aussi par les migrants qualifiés, qui s’étaient jusqu’alors tenus à l’écart des communautés ukrainiennes. Ces différents groupes se retrouvent sur les mêmes lieux de manifestation, autour d’une volonté de rapprochement avec l’Union européenne, et plus encore dans le désir de démocratisation et de retour de l’État de droit, qu’ils jugent bafoué par le président Ianoukovitch.</p>
<p>Plus encore que le Maïdan, ce sont <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/le-kremlin-annonce-le-rattachement-de-la-crimee-a-la-russie-a-compter-d-aujourd-hui_555291.html">l’annexion de la Crimée par la Russie</a> (mars 2014) et le début de la <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2018-4-page-107.htm">guerre du Donbass</a> entre séparatistes pro-russes et armée ukrainienne (avril 2014) qui redéfinissent les allégeances au sein de l’immigration ukrainienne, et notamment au sein des migrants russophones du Centre et de l’Est. Une partie d’entre eux, déjà sceptiques envers le Maïdan, se réfugient dans des positions pro-russes, dénonçant la répression conduite par le nouveau pouvoir de Kiev, qu’ils jugent illégitime, à l’encontre des populations civiles du Donbass. Mais la majorité prend clairement position contre le séparatisme et pour la défense de l’intégrité territoriale de l’Ukraine.</p>
<p>De nouvelles associations se constituent, regroupant les différentes fractions de l’immigration ukrainienne autour de positions pro-ukrainiennes et déployant des activités dans trois directions.</p>
<p>D’une part, la dénonciation de l’agression russe en Ukraine et la popularisation de la culture ukrainienne en France. D’autre part, des envois d’aide militaire et humanitaire à l’armée ukrainienne (mal équipée durant les premières années de guerre), aux déplacés internes, aux hôpitaux militaires accueillant les blessés et aux veuves et orphelins de guerre. Enfin, des activités festives, culturelles et éducatives visant à renforcer la cohésion des communautés ukrainiennes dans les différentes villes de France. Certains immigrés de l’Est de l’Ukraine, qui avaient jusque là l’habitude de fréquenter des milieux russophones postsoviétiques, <a href="https://aoc.media/analyse/2022/03/09/en-finir-avec-le-mythe-des-deux-ukraines/">rompent avec ces derniers</a> pour rejoindre les associations proprement ukrainiennes.</p>
<p>La refondation d’une communauté ukrainienne en France ne passe pas seulement par la diffusion d’un positionnement pro-ukrainien, mais par la popularisation de pratiques et référentiels culturels jusque là cantonnés aux Français d’origine ukrainienne et aux travailleurs migrants. L’usage de la langue ukrainienne ou l’acceptation de symboles du nationalisme ukrainien historique, comme le <a href="https://www.lalibre.be/international/europe/2022/03/03/que-signifie-le-drapeau-rouge-et-noir-brandi-par-des-manifestants-pro-ukrainiens-C36RW2YGHRHWLGSQ4TR2LYIRHM/">drapeau rouge et noir</a>, gagnent en popularité auprès de la frange citadine et orientale de l’immigration ukrainienne, suivant un mouvement également en œuvre en Ukraine même.</p>
<p>Ce sont ces reconfigurations des allégeances politiques et ces expériences d’engagement politique et humanitaires développées depuis huit ans qui expliquent l’ampleur de la mobilisation actuelle au sein de l’immigration ukrainienne.</p>
<p>Quel avenir pour l’immigration ukrainienne en France ? Il ne fait pas de doute que l’invasion russe actuelle, en plus de renforcer numériquement la communauté ukrainienne avec un exode sans précédent, mènera probablement à son terme le processus, entamé en 2014, de consolidation de l’immigration autour de référentiels nationaux communs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179523/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hervé Amiot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis plus d’un siècle, l’Ukraine a connu de nombreuses vagues d’émigration. Le conflit actuel incite les divers groupes formant la diaspora en France à se rassembler.Hervé Amiot, Chercheur en géographie, Université Bordeaux-Montaigne, Université Paris 1, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1708932021-11-17T21:27:26Z2021-11-17T21:27:26ZDiaspora : le potentiel de développement sous-estimé de l’Afrique<p>Longtemps considérée comme une perte, voire un désastre, pour l’Afrique, et parfois associée à une « fuite des cerveaux », la diaspora africaine se révèle, au contraire, être un puissant vecteur de développement pour le continent. Cela sur plusieurs fronts, y compris dans le cas des expatriés préalablement « bien » formés en Afrique. Mais elle pourrait être encore plus décisive, tant son potentiel est immense.</p>
<p>Pour ce faire, certains leviers bien connus comme les transferts financiers personnels vers l’Afrique, doivent être redynamisés. D’autres, sous-estimés et sous-exploités, voire méconnus, doivent être activés.</p>
<h2>Dynamique de la diaspora africaine en Europe et aux États-Unis</h2>
<p>L’accélération de la mondialisation, depuis le début des années 1990, s’est accompagnée d’une forte émigration depuis l’Afrique vers les pays développés d’Europe et d’Amérique. Dans ces derniers, la diaspora africaine (les personnes nées en Afrique et vivant en dehors du continent) a plus que doublé, passant de <a href="https://www.un.org/en/development/desa/population/migration/data/estimates2/estimates19.asp">5,2 millions en 1990 à 13,6 millions en 2019</a>.</p>
<p>Cette dynamique est soutenue par une impressionnante émigration de personnes qualifiées (ayant une éducation universitaire), qui a quasiment quadruplé en deux décennies. La diaspora africaine qualifiée vivant dans les pays développés de l’OCDE est passée de <a href="https://www.iab.de/en/daten/iab-brain-drain-data.aspx">1,3 million de personnes en 1990 à 5,2 millions en 2010</a>.</p>
<p>Il en résulte une forte proportion de diaspora africaine qualifiée dans ces pays par rapport à la population de même niveau d’éducation dans les pays d’origine. Pour certains pays africains comme l’Angola, le Cameroun, le Ghana, le Libéria et le Sénégal, le taux de diaspora qualifiée dans les pays développés de l’OCDE <a href="https://www.iab.de/en/daten/iab-brain-drain-data.aspx">dépassait les 20 % en 2010 voire les 40 % pour d’autres</a> comme la Guinée équatoriale, la Sierra Leone, l’Érythrée et la Mauritanie.</p>
<h2>Impact de la diaspora sur les économies africaines : un débat de longue date</h2>
<p>Bien que la diaspora africaine en Europe et en Amérique du Nord représente une faible part de la population totale de l’Afrique (1,05 % en 2019 contre 0,83 % en 1990) et 34,3 % de la diaspora totale des pays africains, la question de son impact sur les économies africaines provoque de vifs débats.</p>
<p>Les oppositions théoriques trouvent leur racine dans l’ampleur de l’émigration qualifiée qui forme cette diaspora.</p>
<p>En effet, dans un contexte de manque criant de capital humain qualifié pour l’Afrique, l’exode des Africains – en particulier les plus qualifiés – vers les pays développés est perçu par beaucoup d’économistes comme une <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/la-fuite-des-cerveaux-mine-l-afrique-sub-saharienne-fmi-1171740">« fuite des cerveaux »</a> aux conséquences fâcheuses pour le développement du continent.</p>
<p>L’argument qui sous-tend cette position porte principalement sur le double coût économique subi par les économies des pays d’origine : celui lié à l’investissement dans la formation de l’émigrant d’une part, et celui des points de croissance perdus du fait de sa non-participation directe à l’activité économique, d’autre part.</p>
<p>Quoiqu’intéressante, une telle analyse semble partielle, voire partiale. Elle passe sous silence la problématique de l’inadéquation de l’éducation, et donc du capital humain, avec les besoins réels de l’économie. Les domaines clés de l’économie des pays d’origine de la majeure partie des émigrants africains qualifiés sont peu ou mal ciblés par les systèmes éducatifs. Il en résulte un faible taux d’employabilité.</p>
<p>En effet, dans la plupart les pays africains, le taux de sous-emploi chez les jeunes est très élevé, y compris chez les plus qualifiés. Dans ces conditions, il est improbable que l’émigration qualifiée soit économiquement coûteuse pour les pays concernés. La théorie de la « fuite des cerveaux » occulte également plusieurs mécanismes vertueux qui font de la diaspora africaine un accélérateur de développement pour le continent, que les données et études empiriques récentes mettent en lumière.</p>
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<figcaption><span class="caption">Et si l’Afrique reprenait ses cerveaux ? AJ+, 28 juin 2020.</span></figcaption>
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<p>Dans la mesure où le cordon ombilical n’est pas rompu entre l’Afrique et sa diaspora, encore moins dans un contexte de mondialisation, les Africains de la diaspora entretiennent divers rapports économiques, financiers, politiques et technologiques avec leurs pays d’origine. Les études empiriques (voir entre autres <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10290-019-00344-3">Gnimassoun et Anyanwu, 2019</a>, et <a href="https://academic.oup.com/oep/advance-article-abstract/doi/10.1093/oep/gpz055/5557812?redirectedFrom=fulltext">Coulibaly et Omgba, 2021</a>) montrent que ces liens sont bénéfiques pour l’Afrique à plusieurs égards.</p>
<h2>Une source importante de transferts financiers</h2>
<p>L’importance des transferts de fonds de la diaspora pour l’Afrique est désormais bien documentée. Ceux-ci ont considérablement augmenté depuis 1990 et ont dépassé les flux d’aide publique au développement (APD) depuis la crise financière de 2007.</p>
<p>Selon les <a href="https://databank.banquemondiale.org/reports.aspx?source=world-development-indicators">données de la Banque mondiale</a>, les flux financiers de la diaspora comptent pour 3,5 % du produit intérieur brut (PIB) de l’Afrique en 2019 alors que l’APD ne représente que 2,2 % du PIB.</p>
<p>Outre leur importance, les envois de fonds de la diaspora ont la vertu de la stabilité, comparés à l’APD. Ainsi, au cours des 40 dernières années, ces flux financiers ont été <a href="https://databank.banquemondiale.org/reports.aspx?source=world-development-indicators">45 % moins volatils que l’APD</a>. La diaspora apparaît donc comme une source de financement importante et potentiellement plus sûre pour les pays africains. Et si ces flux financiers n’étaient que la partie émergée de l’iceberg ?</p>
<h2>Un catalyseur dans l’amélioration de la qualité des institutions</h2>
<p>Avec le vent de la démocratisation des années 1990, la diaspora a joué un rôle déterminant dans l’amélioration du cadre institutionnel de nombreux pays africains. En effet, les Africains de la diaspora ont souvent à cœur de s’inspirer des modèles institutionnels qui marchent ailleurs pour <a href="https://www.un.org/africarenewal/fr/a-la-une/l%E2%80%99afrique-fait-appel-%C3%A0-sa-diaspora">améliorer ceux de leur pays d’origine</a>, en tenant compte des réalités locales.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/afrique-dune-democratie-des-elections-a-une-democratie-de-developpement-129242">Afrique : d’une démocratie des élections à une démocratie de développement</a>
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<p>Cela s’opère soit via un retour dans les pays d’origine, soit via la formation et le financement des réseaux de relais locaux tels que la société civile et les partis politiques. <a href="https://ideas.repec.org/a/oup/oxecpp/v73y2021i1p151-177..html">Dans leur étude</a>, Dramane Coulibaly et Luc-Désiré Omgba montrent que dans plusieurs pays africains comme le Mali, la diaspora a joué un rôle majeur dans l’émergence et le développement d’une société civile indépendante capable d’opérer des changements institutionnels favorables au renforcement de la démocratie.</p>
<h2>Un vecteur d’amélioration du capital humain et de la productivité globale</h2>
<p>La diaspora – en particulier la plus qualifiée –, contribue à l’amélioration du capital humain de son pays d’origine lorsqu’elle est impliquée dans des réseaux de formation, de recherche et d’innovation en lien avec lui.</p>
<p>Par ailleurs, à travers sa participation à des réseaux scientifiques et commerciaux, elle contribue significativement aux transferts de technologies vers l’Afrique. Elle joue donc un <a href="https://ideas.repec.org/a/spr/weltar/v155y2019i4d10.1007_s10290-019-00344-3.html">rôle clé</a> dans l’amélioration de la productivité globale du continent.</p>
<p>Malgré les effets positifs sus-cités, l’impact de la diaspora africaine est bien en deçà de son potentiel. L’Afrique pourrait, et devrait, davantage prendre appui sur elle pour relever les défis de son développement.</p>
<h2>Optimiser l’impact positif de la diaspora africaine</h2>
<p>L’activation de plusieurs leviers inclusifs permettrait à la diaspora africaine de plus contribuer au développement du continent. Les mesures ci-dessous pourraient fortement y contribuer.</p>
<ul>
<li>L’institution d’une saison annuelle de la diaspora africaine</li>
</ul>
<p>Afin de permettre un brassage efficace et productif entre l’Afrique et sa diaspora, il convient d’aller au-delà des réseaux traditionnels d’interaction à impact limité (conférences, colloques, séminaires, consultations, etc.) pour instituer une saison annuelle de la diaspora.</p>
<p>Avec pour vocation le partage de connaissance et d’expérience, un tel espace permettrait de concilier les offres de la diaspora avec les besoins réels de développement en Afrique. Il permettrait également de développer des initiatives et partenariats privés propices à l’émergence et au développement d’entreprises prospères.</p>
<p>Cet appel à la diaspora devrait donc viser les domaines dans lesquels sa valeur ajoutée est maximale pour l’Afrique, tels que le capital humain (santé, éducation), l’agriculture et l’agro-industrie, les technologies numériques et la transition écologique. Un tel projet pourrait être porté par les institutions africaines avec l’appui des États.</p>
<ul>
<li>La promotion des « Diaspora bonds » pour briser une spirale de la dette insoutenable</li>
</ul>
<p>Les États africains manquent de gros moyens financiers pour assurer la fourniture des infrastructures de base (transport, énergie, santé, éducation) sur l’ensemble de leur territoire, ce qui nuit énormément à la productivité du capital.</p>
<p>Le recours à la dette extérieure pour pallier le manque de ressources internes se révèle souvent être un « serpent qui se mord la queue » en raison des taux d’emprunt très élevés <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/economie-africaine/oxfam-pointe-l-implication-des-banques-francaises-dans-l-endettement-de-plusieurs-pays-africains_4804693.html">(6 à 10 %)</a> sur les marchés mondiaux alors que la croissance économique des pays reste fortement instable.</p>
<p>Il en résulte que ces pays sont souvent confrontés à un endettement insoutenable c’est-à-dire une dette qui ne crée pas les conditions de son remboursement. Des taux d’intérêt trop élevés sur la dette et une croissance économique instable et insuffisamment robuste en sont les principales causes.</p>
<p>Les « Diaspora bonds » – titres d’emprunt obligataire émis par les États en vue de mobiliser l’épargne de la diaspora – apparaissent comme un instrument susceptible de soulager les contraintes de financement des États africains. Ce mécanisme a d’ailleurs déjà prouvé son potentiel, comme en <a href="https://israelbondsintl.com/about-dci/">Israël</a> ou en <a href="https://www.afdb.org/fr/news-and-events/diaspora-bonds-in-an-african-context-10289">Éthiopie</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">La diaspora africaine est déjà un vecteur de développement local fort. Elle pourrait prendre bien plus d’ampleur encore.</span></figcaption>
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<p>En effet, la diaspora africaine contribue à l’offre d’épargne mondiale et a une bonne perception du risque en Afrique. La rémunération de l’épargne étant relativement plus faible dans les pays industrialisés (moins de 2 % pour certains instruments financiers comme le livret A en France), les « Diaspora bonds » pourraient s’avérer très attractifs pour les Africains émigrés hors de leur continent d’origine.</p>
<p>Ils contribueraient ainsi à rendre la dette publique de l’Afrique plus viable à long terme. Un tel mécanisme pourrait aussi être mobilisé pour financer l’activité privée via la saison annuelle de la diaspora africaine et les partenariats privés qu’elle ferait naître.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170893/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Blaise Gnimassoun ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Vue comme un malheur pour l’Afrique, la « fuite de ses cerveaux » n’est pas si catastrophique : la diaspora africaine participe largement au développement du continent.Blaise Gnimassoun, Maître de conférences en sciences économiques, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1364802020-04-19T17:56:55Z2020-04-19T17:56:55ZCovid-19 : double peine économique en vue pour les pays en développement<p>S’il est difficile d’évaluer aujourd’hui avec précision l’impact économique de la pandémie de Covid-19, on sait d’ores et déjà que les mesures actuellement mises en œuvre dans un grand nombre de pays pour empêcher la propagation de la maladie (distanciation sociale, fermeture des marchés, confinement, interdiction des rassemblements, etc.) ont des incidences profondes sur les marchés du travail et, à travers elles, sur les conditions de vie des ménages.</p>
<p>Dans sa dernière note de conjoncture datée du 26 mars, l’Insee estime ainsi la perte d’activité directement liée aux mesures d’endiguement de la crise sanitaire, et en particulier au confinement de la population, à <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4473294?sommaire=4473296">35 % par rapport à une situation « normale »</a> dans le cas français.</p>
<p>Cette baisse drastique d’activité s’accompagne d’une hausse significative du chômage et du sous-emploi : à l’échelle mondiale, l’Organisation internationale du travail avance que le nombre de chômeurs pourrait augmenter de 5,3 millions dans un scénario optimiste et de 24,7 millions dans un scénario pessimiste <a href="https://www.ilo.org/global/topics/coronavirus/impacts-and-responses/WCMS_739206/lang--fr/index.html">à partir d’un niveau de référence de 188 millions en 2019</a>.</p>
<h2>Situation préoccupante pour les travailleurs informels</h2>
<p>Si les travailleurs des pays développés peuvent en partie compter sur les mécanismes conventionnels de protection sociale et sur certains dispositifs de stabilisation des revenus, la situation est en revanche beaucoup plus préoccupante pour ceux des pays en développement, dont une grande majorité exerce leur activité dans le secteur informel.</p>
<p>Qu’ils soient vendeurs de rue, manutentionnaires ou petits artisans, les mesures de confinement, de couvre-feu ou de fermeture des marchés (dont <a href="https://www.covid19afrique.com/">ce site</a> donne un aperçu) signifient pour eux la mise à l’arrêt de leur activité. Ils se voient alors dans l’impossibilité d’assurer leur subsistance au quotidien, dans des contextes où il n’existe bien souvent ni retraite, ni assurance-chômage, ni assurance-maladie.</p>
<p>Dans le cas des capitales d’Afrique de l’Ouest, par exemple, où <a href="https://books.openedition.org/irdeditions/9639?lang=fr">pas moins des trois quarts des emplois relèvent du secteur informel</a>, les mesures de confinement font craindre une forte progression de la pauvreté et des inégalités et, avec elle, une montée des tensions.</p>
<p>La situation est d’autant plus alarmante que la baisse des revenus issus des activités locales risque de s’accompagner d’un tarissement d’une autre source de revenus souvent importante pour les ménages : l’argent de la diaspora.</p>
<h2>L’argent de la diaspora, une manne menacée</h2>
<p>Véritable filet de sécurité pour nombre de familles, les transferts envoyés par les migrants à leurs proches restés au pays représentaient, en 2019, un volume global de près de <a href="https://www.knomad.org/sites/default/files/2019-04/Migrationanddevelopmentbrief31.pdf">550 milliards de dollars à l’échelle de l’ensemble du monde en développement</a>.</p>
<p>Pour les pays à revenu faible ou intermédiaire, ils constituent souvent une source de devises importante. Dans le cas du Sénégal, par exemple, qui compte officiellement entre <a href="https://publications.iom.int/system/files/pdf/mp_senegal_2018_fr.pdf">500 et 600 000 ressortissants vivant à l’étranger</a>, l’argent de la diaspora représentait, en 2018, 9,1 % du PIB, soit deux fois le montant de l’aide publique au développement reçu par le pays pour cette même année.</p>
<p>Et le Sénégal est loin d’être en tête des économies les plus dépendantes de cette manne : les transferts envoyés par la diaspora ne représentaient pas moins de 34 % du PIB d’Haïti en 2018, 28 % de celui du Népal, 19 % de celui des Comores, et on pourrait facilement allonger cette liste.</p>
<p>À une échelle plus micro-économique, il n’est pas rare que la subsistance du ménage soit en partie assurée par un ou plusieurs membres « partis à l’aventure ». Dans l’ouest du Mali, par exemple, dont beaucoup d’immigrés maliens en France sont originaires, <a href="https://www.cairn.info/revue-economique-2010-6-page-1023.html">nos travaux</a> ont montré qu’en moyenne près de 20 % des dépenses réalisées par les familles comptant au moins un membre à l’étranger étaient financées grâce à l’argent de la migration.</p>
<p>Le caractère mondial de la pandémie de Covid-19 risque toutefois de faire perdre aux familles ce précieux soutien. Nombre de migrants résident en effet dans des pays particulièrement touchés par la pandémie et dans lesquels des mesures de confinement et de fermeture des commerces non essentiels ont été déployées.</p>
<h2>Emplois non qualifiés dans des secteurs à l’arrêt</h2>
<p>Dans le cas déjà évoqué du Sénégal, par exemple, les statistiques de l’OIM indiquent que 49,7 % des émigrés sénégalais, soit 265 000 individus, résideraient en Europe, dont 116 000 en France, 79 000 en Italie et 59 000 en Espagne. Si les mesures prises par ces pays pour endiguer l’épidémie bouleversent le quotidien de tous, on sait aussi qu’elles affectent de façon disproportionnée certaines catégories de travailleurs, notamment les travailleurs non protégés et les <a href="http://icmigrations.fr/defacto/defacto-018/">travailleurs migrants</a></p>
<p>Si l’on s’arrête à nouveau sur le cas des travailleurs sénégalais (mais la situation est assez comparable chez ceux originaires d’autres pays d’Afrique subsaharienne), les données de l’OCDE et celles tirées d’enquêtes que nous avons menées en <a href="https://reader.elsevier.com/reader/sd/pii/S0166046212000063?token=90F2F3EAD2BA0203EC6CFE3D460F603F2B5E77F071CE93781F640BB62F81E6B1CC9125B55C4927314E260F1852F352EE">France et en Italie</a> montrent que la majorité d’entre eux occupent, dans ces pays, des emplois non ou peu qualifiés, dans des secteurs (les services à la personne, la restauration, le nettoyage, le tourisme, la construction, etc.) qui sont aujourd’hui à l’arrêt.</p>
<p>Parmi eux, beaucoup ont des contrats précaires, ou inexistants, ou exercent leur activité à temps partiel. Il y a donc lieu de penser qu’en France en tout cas, cette catégorie de travailleurs ne bénéficiera pas des mesures immédiates de soutien aux entreprises et aux salariés que le gouvernement a mises en place.</p>
<p>Avec des niveaux de rémunération déjà faibles en temps « normal », une proportion non négligeable d’entre eux pourraient donc basculer dans la pauvreté et se retrouver dans l’incapacité financière d’aider leurs proches restés au pays.</p>
<h2>Baisse des transferts observée lors de la crise de 2009</h2>
<p>Bien qu’elle soit d’origine différente, la crise financière de 2009 avait déjà révélé la très forte vulnérabilité des travailleurs migrants. <a href="http://www.cepii.fr/PDF_PUB/em/2010/em2010-06.pdf">Un travail de David Khoudour-Castéras</a> a par exemple montré qu’ils avaient été les premiers concernés par la montée du chômage dans des pays comme l’Espagne, l’Irlande ou les États-Unis. À cela deux raisons : la très forte sensibilité aux fluctuations de l’économie des secteurs employant une proportion élevée d’immigrés (la construction, les services domestiques, la restauration, le tourisme) d’une part, et la jeunesse et le faible niveau de qualification moyen de cette catégorie de travailleurs d’autre part.</p>
<p>Conséquence de la crise, le volume global des transferts avait connu cette année-là une baisse significative dans plusieurs régions en développement, comme le montre le graphique suivant.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328705/original/file-20200417-152607-gxhoa4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328705/original/file-20200417-152607-gxhoa4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328705/original/file-20200417-152607-gxhoa4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328705/original/file-20200417-152607-gxhoa4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328705/original/file-20200417-152607-gxhoa4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=449&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328705/original/file-20200417-152607-gxhoa4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=449&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328705/original/file-20200417-152607-gxhoa4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=449&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Banque mondiale, Word Development Indicators</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Au-delà de son impact sur les capacités financières des migrants, la pandémie de Covid-19 rend par ailleurs plus difficile la réalisation des transferts. En effet, le confinement et la fermeture de la plupart des banques commerciales et des services de transferts d’argent comme Western Union, MoneyGram ou Ria empêchent les travailleurs migrants de se déplacer et d’accéder à ces modes d’envois de fonds.</p>
<p>La fermeture des frontières et les très fortes restrictions imposées sur le transport aérien rendent enfin impossible le système D consistant à confier une somme d’argent à un compatriote rentrant au pays. Certes, les possibilités de transferts par voie numérique se sont considérablement accrues ces dernières années, mais les migrants n’ont pas toutes les ressources nécessaires pour y recourir.</p>
<p>Cette situation plaide pour des actions ciblées envers les travailleurs migrants. Parce qu’ils sont plus vulnérables à la crise, il importe d’abord et avant tout de veiller à ce qu’ils soient protégés et pris en compte dans les programmes de solidarité nationale. On pourrait aussi concevoir que les opérateurs de transferts et les agences bancaires concèdent des réductions sur les frais de transferts qu’ils prélèvent à chaque transaction.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136480/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Flore Gubert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans les pays en développement, les mesures sanitaires entraînent des pertes de revenus importantes pour les travailleurs informels. Elles pourraient aussi les priver de l’argent de la diaspora.Flore Gubert, Directrice de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1292422020-01-08T23:18:14Z2020-01-08T23:18:14ZAfrique : d’une démocratie des élections à une démocratie de développement<p>Dans les années 1970-1980, la quasi-totalité des pays d’Afrique étaient dirigés par des régimes autocratiques. Sous l’effet des bouleversements mondiaux des années 1990, certains sont devenus démocratiques, d’autres non. Paradoxalement, les pays affichant de bonnes performances démocratiques ne sont pas forcément ceux qui présentent de bonnes performances économiques. Sur la base de notre récente publication dans la revue internationale <a href="https://academic.oup.com/oep/advance-article-abstract/doi/10.1093/oep/gpz055/5557812"><em>Oxford Economic Papers</em></a>, nous proposons des pistes de compréhension de ce phénomène.</p>
<h2>Pourquoi certains pays africains semblent réussir leur transition démocratique (électorale) et d’autres non ?</h2>
<p>Notre étude répond à cette question en établissant une relation positive de cause à effet entre, d’une part, le stock d’émigrants d’Afrique subsaharienne dans les pays de l’OCDE durant les années 1970-1980 et, d’autre part, le degré de démocratie dans leurs pays d’origine durant la période contemporaine.</p>
<p>Spécifiquement, l’étude montre que des diasporas plus importantes ont favorisé l’émergence, dans les pays d’origine, de sociétés civiles indépendantes qui ont ensuite joué un rôle déterminant dans les changements institutionnels et la démocratisation. En revanche, dans les pays présentant une diaspora moins importante et donc une société civile autonome inexistante, l’absence de contre-pouvoirs a permis aux dirigeants politiques en place de déterminer l’agenda des « transitions » et de bloquer de tels changements.</p>
<p>Les cas du Mali et du Cameroun illustrent ce constat auquel nous sommes parvenus en étudiant un échantillon de 47 pays africains. En effet, sur la période 1970-1980, ces deux pays affichaient des scores quasi similaires – respectivement -7 et -8 – à l’indice de démocratie <a href="https://competitivite.ferdi.fr/indicateurs/polity2-polity-iv">Polity2</a>, l’un des plus utilisés dans la <a href="https://dss.princeton.edu/catalog/resource93">littérature</a>, dont l’échelle va de – 10 (monarchie héréditaire) à +10 (démocratie consolidée). Aujourd’hui, le Mali affiche un score positif (+5) tandis que le Cameroun, même s’il a légèrement progressé, a toujours un score négatif (-4). L’observation des données sur la migration révèle que le Mali comptait, en 1980, 2,3 fois plus de migrants vivant dans les pays de l’OCDE que le Cameroun. Ces derniers ont permis le développement au Mali d’une société civile autonome qui a joué un important rôle de contre-pouvoir lors de la transition démocratique des années 1990.</p>
<p>En effet, pendant la période d’autocratie des années 1970-1980, les émigrants maliens ont créé des associations trans-régionales visant à mettre sur pied des œuvres de développement à destination de leur pays d’origine. La gestion de ces œuvres de développement, hors du contrôle des politiques du fait de leur grand nombre, a permis l’autonomisation et la mise sur pied d’organisations et de débats citoyens, <a href="https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_2005_num_1256_1_4374">à partir desquels a émergé une société civile indépendante</a>. La vague de démocratisation des années 1990 a constitué une fenêtre d’opportunité pour cette société civile, déjà bien organisée : elle a pu <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2002-2-page-277.htm">exercer des contraintes suffisantes pour obtenir la chute du pouvoir autoritaire</a>, qui a eu lieu en 1991.</p>
<p>Au Cameroun, en revanche, l’étroite population d’émigrants n’a pas permis le développement d’une telle société civile capable de jouer ce rôle de contre-pouvoir. Les dirigeants politiques en place ont donc pu déterminer l’agenda de la « transition » ; les changements institutionnels ont en conséquence été moins susceptibles de se produire durant cette vague de démocratisation.</p>
<h2>Pourquoi la démocratie électorale qui s’est développée en Afrique n’assure-t-elle pas son développement économique ?</h2>
<p>Depuis les années 1960, les performances économiques des pays africains sont principalement le reflet de l’importance des richesses en matières premières. Les transitions démocratiques n’ont pas modifié ce rapport de causalité. Des pays réalisant de bonnes performances démocratiques, à l’instar du Bénin ou du Sénégal, ont des niveaux d’<a href="https://www.populationdata.net/palmares/idh/">Indice de développement humain (IDH)</a> inférieurs à ceux de certains pays dont les performances démocratiques sont relativement mauvaises, comme la Guinée équatoriale ou le Cameroun. L’explication réside dans l’exploitation du pétrole, présent dans les deux derniers pays cités mais pas dans les deux premiers. On peut aisément en déduire que la <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/le-petrole-en-passe-de-changer-leconomie-du-senegal-993560">récente découverte de pétrole au Sénégal</a> pourrait <em>ceteris paribus</em> porter ce pays au même niveau de développement économique que la Guinée équatoriale ou le Cameroun.</p>
<p>De manière globale, les récents développements révèlent que l’Afrique subsaharienne devient la partie du monde la plus ancrée dans la pauvreté. En 1990, environ une personne sur les 7 personnes les plus pauvres du monde vivait en Afrique. En 2015, ce ratio est passé à 4 sur 7. Les <a href="https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/30418/9781464813306.pdf">projections de la Banque mondiale pour 2030</a> montrent que, cette année-là, toutes choses égales par ailleurs, près de 9 des 10 personnes les plus pauvres du monde vivront en Afrique subsaharienne.</p>
<p>La démocratie n’est donc pas synonyme de réussite économique. Au contraire, même : pour des États en construction, comme ceux d’Afrique, la démocratie électorale peut plutôt promouvoir la corruption, le clientélisme voire la fragilisation de ces États. Il en résulte une mauvaise allocation des ressources vers les activités non productives, laquelle <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0304387814001564">freine le développement économique</a>.</p>
<h2>Que faudrait-il faire ?</h2>
<p>Il convient de transformer la démocratie électorale en une démocratie de développement. Dans ce cadre, les débats devraient porter davantage sur les mécanismes par lesquels le pouvoir est exercé et, notamment, sur la mise sur pied de réels contre-pouvoirs, et de moins en moins sur le processus d’accession au pouvoir. Les élites africaines, y compris celles de la diaspora, devraient œuvrer dans ce sens.</p>
<p>À cet égard, il faut souligner que la majorité des régimes politiques africains soient présidentiels ou semi-présidentiels, octroyant de larges pouvoirs aux chefs d’État. Pour favoriser un fonctionnement plus démocratique et un développement plus efficace, il ne s’agit donc pas seulement de définir constitutionnellement les autres différents pouvoirs – le législatif et le judiciaire – mais aussi de s’assurer de l’existence de mécanismes par lesquels le pouvoir exécutif peut être contraint.</p>
<p>On peut par exemple remarquer que le Mali, dont il a été précédemment noté qu’il présente de meilleures performances en matière de démocratie électorale par rapport au Cameroun, ne se distancie pas autant en matière d’indépendance de la justice. Ainsi, sur l’indice d’indépendance de la justice du World Economic Forum, qui va de 1 à 7 (meilleure performance), le Mali obtient un score de 3,3, statistiquement comparable au score de 3,1 obtenu par le Cameroun. Les performances de ces deux pays sont en dessous du score médian de 3,8 d’un <a href="http://www3.weforum.org/docs/GCR2017-2018/GCI_Dataset_2007-2017.xlsx">classement qui porte sur 137 pays dans le monde</a>. Quand on ajoute à ce contexte le fait que les emplois qualifiés se trouvent majoritairement dans la fonction publique et dans les entreprises publiques, et que les entrepreneurs privés doivent obtenir des licences publiques, notamment pour l’importation, on peut se demander où sont les contre-pouvoirs…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129242/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>De nombreux pays africains possèdent aujourd’hui tous les attributs de la démocratie, mais n’obtiennent pas pour autant de bons résultats économiques. Quelques éléments d’explication.Dramane Coulibaly, Enseignant-chercheur au laboratoire EconomiX-CNRS, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLuc-Désiré Omgba, Professeur de sciences économiques, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1242092019-10-03T17:45:19Z2019-10-03T17:45:19ZFaire famille dans le monde globalisé : l’exemple d’une famille capverdienne<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/294515/original/file-20190927-185399-1lgflt.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=257%2C133%2C2768%2C2115&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Famille capverdienne réunie pour le départ de l'un d'entre eux (Fogo). </span> <span class="attribution"><span class="source">Pierre-Joseph Laurent</span></span></figcaption></figure><p>La famille est l’institution la plus ancienne inventée par les sociétés humaines. Au fil des siècles et déclinée par chaque société, elle a pris de multiples contours. La majorité des familles reposent sur des alliances très diverses, mais certaines ne le sont pas.</p>
<p>Généralement, la famille consiste dans une unité de personnes, parfois réduite à une femme et ses enfants, réunie pour collaborer et s’entraider dans la vie quotidienne et tout particulièrement dans la prise en charge des enfants.</p>
<p>Un cas d’école est celui de la <a href="http://www.karthala.com/hommes-et-societes/3214-amours-pragmatiques-familles-migrations-et-sexualite-au-cap-vert-aujourd-hui-9782811119379.html">société insulaire capverdienne</a>.</p>
<p><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-Joseph_Laurent_(anthropologue)">Mes recherches</a> menées depuis quinze ans, dans toutes les îles du Cap-Vert et auprès des individus capverdiens en situation de migrations dans d’autres pays m’ont permis de conclure qu’il n’existe pas de famille capverdienne type.</p>
<h2>L’invention de la famille à distance</h2>
<p>La société capverdienne possède une <a href="http://memoria-africa.ua.pt/Catalog.aspx?q=TI%20migracoes%20nas%20ilhas%20de%20cabo%20verde%20de%20antonio%20carreira">histoire migratoire multiséculaire</a> aux États-Unis, liée à pêche à la baleine, en Europe, en Afrique et en Asie et une diaspora de près du double de la population de l’archipel. On compte près de 480 000 habitants dans les îles et, selon les chiffres entre 650 et 850 000 en dehors, composant la diaspora.</p>
<p>Pour des raisons historiques, chaque île s’est spécialisée dans des flux migratoires spécifiques. L’hypothèse la plus vraisemblable de cette variabilité est que les lois migratoires des pays d’accueil et leur marché du travail structurent à distance la famille capverdienne.</p>
<p>Confrontée à l’altérité et à la séparation de ses membres, cette famille, assez insaisissable, se révèle particulièrement adaptée aux conditions de monde globalisé du vingt et unième siècle.</p>
<p>En effet, bien avant l’apparition d’Internet, cette société a su apprivoiser la distance qui sépare durablement les membres d’une famille. Ils ont ainsi inventé la « famille à distance ». Étrange famille où le mariage semble avoir disparu, où les femmes élèvent seules leurs enfants, où des couples vivent longuement séparés et où des enfants sont confiés à des nourrices !</p>
<h2>Transmettre le « capital migratoire »</h2>
<p>Un projet majeur relie les membres de ces familles : celui de se transmettre le « capital migratoire » considéré comme un bien précieux. De manière similaire au capital social, auquel il convient d’ajouter le capital culturel et le capital économique pour reprendre <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Distinction-1954-1-1-0-1.html">Pierre Bourdieu</a>, éléments qui renvoient à un ensemble de ressources qui expliquent la hiérarchie sociale, le capital migratoire positionne un individu dans la société capverdienne.</p>
<p>Au Cap-Vert, disposer légalement de la possibilité de migrer – ce qui n’empêche pas le recours temporaire à des formes de semi-légalité, voire de <a href="http://www.karthala.com/hommes-et-societes/3214-amours-pragmatiques-familles-migrations-et-sexualite-au-cap-vert-aujourd-hui-9782811119379.html">clandestinité</a> – est très valorisé.</p>
<p>À de rares occasions, vacances, mariages ou funérailles, les membres dispersés de la « famille à distance » se rassemblent. Vécus intensément, ces moments éphémères suscitent les échanges. La famille refait corps : elle se réajuste et transmet des histoires. Aujourd’hui, les selfies se chargent ensuite d’en prolonger la mémoire.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/dl74dNX7Zhk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Cette famille a réalisé un montage vidéo à l’occasion d’une réunion familiale au Cap-Vert, pour célébrer les noces d’or de l’un des couples.</span></figcaption>
</figure>
<h2>La plasticité de la parenté</h2>
<p>Confrontée à la diversité et à la fluctuation des routes migratoires, et aux transformations des législations des pays d’accueil, la famille capverdienne répond en mobilisant toutes les ressources qu’offre la parenté : séduction, sexualité, grossesse, mariage, divorce, adoption, etc.</p>
<p>Le « faire famille à distance » devient ainsi un processus dynamique, contemporain, qui permet d’entretenir, entre des membres dispersés sur des continents le « capital migratoire », dès que celui-ci a été acquis de haute lutte par un·e pionnier·e.</p>
<p>Ainsi la figure emblématique de Tio Mac. Familièrement appelé le « pionnier », il dote sa famille en « capital migratoire ». Il est l’aîné d’une fratrie de huit frères et sœurs, dont sept résident désormais aux États-Unis. Il est âgé de 20 ans lorsqu’il apprend l’arrivée pour les congés de migrants résidant aux États-Unis. Doté d’un charme certain, il approche progressivement une Américaine capverdienne. Il parvient à la convaincre de se marier avec lui. Cette femme alors âgée de 55 ans ne s’était jamais mariée officiellement. En l’absence d’ambassade américaine au Cap-Vert, le couple se rend à Lisbonne pour l’obtention du visa. Les discussions sont tendues. Tio Mac se montre convaincant et parvient à ses fins. Ils embarquent pour les États-Unis et s’installent à Boston. Cinq ans plus tard, Tio Mac passe du statut de migrant légal, à celui de citoyen américain, consécutivement à la réussite de l’examen de citoyenneté. Quelque temps après, il divorce de son épouse américaine pour retrouver sa compagne qu’il avait dû laisser au Cap-Vert pour migrer aux États-Unis.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/294665/original/file-20190929-185364-2f1p1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/294665/original/file-20190929-185364-2f1p1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/294665/original/file-20190929-185364-2f1p1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/294665/original/file-20190929-185364-2f1p1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/294665/original/file-20190929-185364-2f1p1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/294665/original/file-20190929-185364-2f1p1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/294665/original/file-20190929-185364-2f1p1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La disponibilité du départ : le moment où la famille devient une « famille à distance » (Fogo) »</span>
<span class="attribution"><span class="source">P.-J. Laurent</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>La longue soumission des membres de la famille à son projet</h2>
<p>Même lorsqu’une seule personne voyage, la migration concerne le plus souvent une famille et rarement un individu. Il en va du montant nécessaire au départ, de la garde les enfants, ou de subvenir au besoin de la famille restée au pays.</p>
<p>Le « faire famille » devient un système dès lors que le capital migratoire incarne le bien collectif d’une famille, possédé individuellement par chacun de ses membres, avec comme finalité l’accumulation.</p>
<p>Cette mère explique avoir dû attendre le mariage d’une tante pour que de proche en proche, à son tour, au regard des lois migratoires, elle puisse migrer aux États-Unis. Ensuite, endettée vis-à-vis de sa famille, lorsqu’elle deviendra américaine, il lui incombera de transmettre cette possibilité de migrer à d’autres.</p>
<blockquote>
<p>« La sœur de ma mère a épousé un Américain capverdien. C’est par elle que nous avons pu migrer. Lorsque ma tante a obtenu la nationalité américaine, au regard de la loi, elle a pu “appeler” (selon la formule consacrée) ses parents aux États-Unis. Ceux-ci ont ensuite “appelé” leurs enfants (non mariés), c’est-à-dire ma mère (qui n’était pas mariée officiellement) et ma mère m’a transmis le droit de migrer. Un droit que je tenterai de transmettre à mon tour. »</p>
</blockquote>
<h2>Le projet migratoire nourrit aussi des tensions</h2>
<p>La mise en œuvre de ce projet de long terme invite à de multiples arrangements, avec comme corollaire l’enrôlement et la soumission des membres de la famille à la conservation du capital migratoire. La décision de partir ou de rester est prise en famille, en fonction d’opportunités à saisir, au regard des lois du regroupement familial. Ceci nécessite une grande disponibilité au départ où tout peut parfois se jouer en quelques jours, avec, le plus souvent, la nécessité d’avoir à se séparer pour des années d’un conjoint, d’enfants ou de parents.</p>
<p>Ce projet est planifié sur le long terme et mobilise plusieurs générations. Affectés à l’entretien de ce patrimoine, les membres de la famille collaborent : ils demeurent mutuellement tributaires d’un capital qui s’actualise dans chaque membre. Ainsi, chacun, à un moment donné, devient responsable de transmettre la possibilité de migrer à ceux qui n’en ont pas encore joui. Cette transmission confère des droits et des devoirs et génère des dettes et des attentes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/294666/original/file-20190929-185383-1vgt4ih.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/294666/original/file-20190929-185383-1vgt4ih.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/294666/original/file-20190929-185383-1vgt4ih.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/294666/original/file-20190929-185383-1vgt4ih.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/294666/original/file-20190929-185383-1vgt4ih.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/294666/original/file-20190929-185383-1vgt4ih.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/294666/original/file-20190929-185383-1vgt4ih.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Aéroport de Boston. Passagers en provenance du Cap-Vert : une fratrie se retrouve après des années de séparation.</span>
<span class="attribution"><span class="source">P.-J. Laurent</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce type de famille alimente un dilemme de fidélité, entre les consanguins (la « famille par filiation ») et une compagne ou un compagnon (la « famille par alliance »). Le projet migratoire nourrit des tensions entre ces deux composantes de la famille. Le capital migratoire acquis, il est fréquent d’observer un repli de la famille sur elle-même, avec une tendance à nouer des alliances entre soi, c’est-à-dire au sein même de la famille élargie (entre cousins par exemple). On parle alors alliances endogames pour garder ce capital en son sein.</p>
<h2>La circulation du <em>care</em></h2>
<p>La théorie du « soin à distance », c’est-à-dire du <a href="https://www.routledge.com/Transnational-Families-Migration-and-the-Circulation-of-Care-Understanding/Baldassar-Merla/p/book/9780415626736"><em>care circulation</em></a> étudie les formes de circulation d’informations, de paroles, de personnes, de cadeaux, d’argent, entre les membres des noyaux séparés d’une famille.</p>
<p>Elle attribue à ces interactions quotidiennes, dont celles permises par Internet (Skype, WhatsApp, Viber, Facebook…) le maintien du « faire famille » en dépit de sa confrontation à la migration.</p>
<p>Si ces interactions constituent une évidence, elles ignorent que le « faire famille à distance » repose sur un projet englobant.</p>
<p>Ce projet explique le maintien de liens intenses entre les membres dispersés de la famille. Ce projet distille des devoirs et des dettes durant des décennies entre les différentes générations d’une même famille. La contrepartie est la soumission de tous au projet de la famille dont les membres ne peuvent s’émanciper, tant que les dettes envers la famille (par filiation) n’ont pas été soldées, avec à la clé de fréquents troubles psychiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124209/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Joseph Laurent a reçu des subsides du Fonds National de la Recherche Scientifique de Belgique pour mener ses recherches, ainsi que de la Coopération universitaire de Belgique. Cette recherche a été conduite en relation avec le département des sciences sociales de l’université du Cap-Vert (UNI/CV). Il n’a pas d’autre affiliation que son poste universitaire.</span></em></p>Confrontée à l’altérité et la séparation des familles, la société capverdienne se révèle particulièrement adaptée aux conditions de monde globalisé du XXIᵉ siècle.Pierre-Joseph Laurent, Professeur en anthropologie, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1154962019-06-20T21:24:39Z2019-06-20T21:24:39ZSur les chemins globalisés du khat, cette « amphétamine » de la Corne de l’Afrique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/280210/original/file-20190619-171252-1cfbdph.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C15%2C3488%2C2313&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un mâcheur de qat (khat) à Sana'a, Yemen, janvier 2009.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/ff/Qat_man.jpg">Ferdinand Reus /Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><blockquote>
<p>« Brest, France, 18 mars 2019 : Suite à “une information reçue”, de bon matin, les forces de l’ordre procèdent à une perquisition dans un logement du centre-ville. Un “trafiquant” est interpellé et placé en garde à vue, il reconnaît les faits : ces six derniers mois, il aurait acheté quatre kilos de feuilles de khat sur Internet puis les aurait revendues en petits sachets. Pour un bénéfice total de 150 euros ». (Le Télégramme, <a href="https://www.letelegramme.fr/finistere/brest/brest-stupefiants-un-petit-trafic-de-khat-demantele-18-03-2019-12235589.php">18 mars 2019</a>)</p>
</blockquote>
<h2>Prier, se détendre et couper la faim</h2>
<p>À l’<a href="https://link.springer.com/article/10.1007/BF02860690">origine mastiqué</a> par les érudits et dignitaires religieux musulmans des cités de l’est éthiopien, le khat a ensuite étendu sa treille dans les <a href="https://academic.oup.com/ahr/article-abstract/111/2/598/43388">campagnes</a> pour stimuler la prière des croyants mais aussi pour encourager au travail, couper la faim et offrir le temps, tout en mâchant, de discuter et <a href="https://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1987_num_27_104_368921">se détendre</a>, entre hommes.</p>
<p>En suivant les routes de l’islam, l’arbre et ses feuilles cabotent de comptoir en comptoir sur les pistes du commerce caravanier vers <a href="https://academic.oup.com/ahr/article-abstract/111/2/598/43388">Djibouti, la Somalie</a> le <a href="https://pdfs.semanticscholar.org/eef6/91e236224f7703f5296476d79ebc3a332070.pdf">Somaliland</a> (des pays consommateurs mais non producteurs) ou le <a href="https://brill.com/view/title/13754">Kenya</a>. En empruntant les voies maritimes, il s’implante aussi au <a href="http://www.theses.fr/1989AMIE0004">Yémen</a> puis aux Comores et <a href="https://www.routledge.com/Drug-Effects-Khat-in-Biocultural-and-Socioeconomic-Perspective-1st-Edition/Gezon/p/book/9781598744910">Madagascar</a> où il débarque au début du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/280203/original/file-20190619-171188-a9oexg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/280203/original/file-20190619-171188-a9oexg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/280203/original/file-20190619-171188-a9oexg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/280203/original/file-20190619-171188-a9oexg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/280203/original/file-20190619-171188-a9oexg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/280203/original/file-20190619-171188-a9oexg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/280203/original/file-20190619-171188-a9oexg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/280203/original/file-20190619-171188-a9oexg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les chemins du khat, Éthiopie, 2001.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://smartshop.nazwa.pl/coffeshop/khat_in_etiopia.pdf">Lemessa Dessacha</a>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Depuis une trentaine d’années, le public de mâcheurs – qui se féminise – s’étend en suivant les diasporas de la Corne de l’Afrique. Ainsi, le bouquet euphorisant poursuit sa route toujours plus loin, toujours plus vite – aux États-Unis, en Europe, en Australie et plus tardivement en Chine – en composant désormais avec les différentes réglementations nationales en vigueur.</p>
<h2>Prohibitions</h2>
<blockquote>
<p>« 24 août 2015 : Golfe d’Oman, Sultanat d’Oman, 1 300 bouquets saisis par la douane ».</p>
</blockquote>
<p>Le comité de la pharmacodépendance de l’OMS n’inscrit cependant pas le <em>catha edulis</em> dans la <a href="https://www.unodc.org/unodc/fr/treaties/psychotropics.html">« Convention des Nations unies sur les psychotropes de 1971 »</a>.</p>
<p>En effet, seules deux des principales substances actives contenues dans les feuilles de khat, et non les feuilles elles-mêmes, sont visées par cette convention : la cathinone (inscrite au tableau I) et la cathine (tableau IV) – qui partagent les propriétés des amphétamines de synthèse mais dont les effets, « naturels », sont beaucoup plus faibles.</p>
<p>Il appartient donc à chaque État de <a href="https://rai.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/1467-8322.12057">légiférer</a> : la France l’interdit en 1957, la Chine très récemment en 2014 alors que d’autres pays, comme l’Autriche, ne le prohibent pas.</p>
<p>Pourtant la consommation et le commerce des feuilles demeurent dans un réseau d’initiés. Des Éthiopiens, Somaliens, Kenyans et Yéménites, du Danemark au Minnesota comme dans le quartier londonien de Camden, mâchent pour adoucir l’exil.</p>
<p>D’autres <a href="https://diasporiclivesofobjects2012.files.wordpress.com/2012/01/khat-and-the-creaton-of-tradition-in-the-somali-diaspora.pdf">s’étourdissent</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Pour les hommes, je te parle de nos pères, c’est le seul moyen de se reposer et de se relaxer […]. À Londres, le week-end, la seule chose qu’ils veulent c’est khatter, être entre eux, comme s’ils n’étaient pas là […] Pour eux, le khat c’est être un Somali, faire comme un Somali, même loin […] ». (A., Dire Dawa, Éthiopie, avril 2013)</p>
</blockquote>
<h2>Un nouvel ennemi à abattre</h2>
<p>Cette méfiance envers le khat répond à des <a href="http://www.drogues-info-service.fr/Tout-savoir-sur-les-drogues/Le-dico-des-drogues/Khat#.XKxZrqbgoW1">considérations sanitaires</a> : sur le long terme, la consommation de khat provoquerait, selon les études, insomnies, troubles de la sexualité, dénutrition, augmentation des risques de cancer de la <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/28834423">bouche et de la gorge</a>.</p>
<p>Mais les enjeux sécuritaires sont également forts. Il y a d’une part la <em>war on drugs</em> impulsée par les États-Unis – dont on sait qu’elle a fait <a href="https://www.cairn.info/revue-apres-demain-2017-4-page-44.htm">plus de morts que les drogues elles-mêmes</a>.</p>
<p>D’autre part la lutte mondiale contre le terrorisme se profile : l’argent du khat financerait des groupes terroristes en Somalie. Une liaison d’autant plus dangereuse qu’elle n’est pas étayée. La presse américaine ou britannique interrogent ainsi de façon souvent insidieuse, les <a href="http://www.huffingtonpost.co.uk/2012/04/04/somalia-british-khat-cafes-mafrishes_n_1402933.html">liens entre khat et terrorisme</a>. Le khat est donc cet ennemi supposé qui guette, dehors.</p>
<blockquote>
<p>« Des gangs somaliens ont terrorisé les gens à Lewiston, dans le Maine, où la population africaine a grimpé de plus de 600 pour cent, en un court laps de temps. L’immigration frauduleuse continue. La Sécurité intérieure ne fait rien […]. Quand je pense à ce khat qui y est envoyé, surtout en cette période où on célèbre l’anniversaire du 11 septembre 2001, je ne peux pas m’empêcher de me demander ce qui est importé d’autre que les honnêtes citoyens ne peuvent même pas imaginer ». (<em>Marietta Daily Journal</em>, 4 avril 2012)</p>
</blockquote>
<p>Mais le khat n’incarne-t-il pas – surtout ? – <a href="https://www.researchgate.net/publication/267381622_Khat_Is_It_More_Like_Coffee_or_Cocaine_Criminalizing_a_Commodity_Targeting_a_Community?">cet ennemi qui guette</a> du dedans ? En effet, nombre de [propos recueillis sur le khat] font ressac sur les <a href="https://www.thedailybeast.com/chinese-getting-hooked-on-the-middle-easts-favorite-drug">immigrés</a>, le bruit et l’odeur des hommes [« <a href="https://www.vanderbilt.edu/ctp/The_New_Jim_Crow.pdf">à la peau sombre »</a>).</p>
<blockquote>
<p>« Ici [à Xiaobei, quartier de Canton] les gens ont peur de la police […]. Si tu es noir, pour la police, c’est une certitude que tu vends de la drogue ou que tu en prends […]. La semaine dernière j’ai fêté mon anniversaire dans un club […] avec mes amis, des Éthiopiens surtout, la police a débarqué, ils nous ont tous forcés à pisser dans des tubes […] » (A., étudiant, Guangzhou, Chine, juillet 2018).</p>
</blockquote>
<h2>Expédier du khat, c’est jouer au billard en plusieurs bandes</h2>
<p>Pour déjouer les contrôles et atteindre la clientèle de mâcheurs, les commerçants de Dire Dawa doivent sans cesse <a href="https://www.bloomsbury.com/uk/the-khat-controversy-9781845202514">redéployer leurs réseaux et trajectoires</a>. Ils expédient par avion vers des pays européens où le khat est autorisé et prévoient ensuite son acheminement avec chauffeur et voiture à travers les territoires de prohibition pour rallier les marchés de Londres ou d’Oslo… Expédier du khat, c’est jouer au billard en plusieurs bandes.</p>
<blockquote>
<p>« Il faut repérer des nouvelles destinations, répéter, c’est risqué, il faut changer tout le temps les itinéraires. On repère, on envoie un ou deux personnes en reconnaissance sur place, on leur envoie le colis dans leur hôtel, ils tournent, ou avec une boîte postale, on essaie, et ensuite on change […]. On a fait ça pour Guangzhou [Canton], ça a bien marché. » (D., Dire Dawa, Éthiopie, février 2015)</p>
</blockquote>
<p>Or, les délais d’acheminement doivent être très rapides, c’est-à-dire moins de 48 heures avant que ne flétrissent les effets stimulants des feuilles fraîches. À destination des États-Unis, les commerçants recourent aux services express de Fedex/UPS ou empruntent les liaisons aériennes, avec valises en soute, en aménageant une escale pour tromper la vigilance des douaniers face aux arrivages directs « from Ethiopia » d’emblée connotés « khat ».</p>
<h2>Lyophilisé et réhydraté au Coca-Cola</h2>
<p>Il est également possible d’affréter un container au départ du port de Djibouti. Avec détour, par Hanoï. Direction la Chine, pour noyer le khat dans le trafic qui met le cap sur les États-Unis. Plus modestement, et plus fréquemment, tout un chacun peut aussi prendre le chemin de la poste de Dire Dawa et envoyer son colis, toujours en ricochet.</p>
<blockquote>
<p>« Je ne connais pas le gars aux États-Unis mais il connaît un gars de Dire Dawa qui m’appelle […]. Moi, j’envoie d’abord au Kenya, j’ai un ami là-bas […] qui envoie en Chine […] c’est pour effacer les traces, Dire Dawa, ils savent que c’est le khat […] et de la Chine, le gars envoie aux États-Unis […]. Le gars des États-Unis connaît le gars de Chine et le gars de Dire Dawa […]. Moi, je connais que le gars au Kenya et celui de Dire Dawa […] ». (Conversation dans un salon de khat, Dire Dawa, Éthiopie, avril 2014)</p>
</blockquote>
<p>Dans ces deux derniers cas – container de 20 pieds ou boîtes à chaussures – la lenteur du transport impose alors de lyophiliser la marchandise : le khat est préalablement séché, réduit en poudre (étiqueté « henné » ou « thé ») et, à son arrivée, il est réhydraté au Coca-Cola.</p>
<blockquote>
<p>« On ne fait pas les colis pour devenir riche, c’est la famille là-bas qui a besoin aussi de cette rentrée d’argent. Ce sont les femmes là-bas, surtout, qui nous demandent d’envoyer le khat, elles le vendent et avec le bénéfice, elle nous aide ici, participent aux dépenses de la famille. » (Conversation dans un salon de khat, Dire Dawa, Éthiopie, avril 2013)</p>
</blockquote>
<p>Ces stratégies de contournement à l’international ont un coût financier et la probabilité accrue de tout perdre décourage de plus en plus et notamment ceux qui n’ont pas les moyens de prendre des risques. Il leur resterait alors le commerce transfrontalier et local. Quoique…</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/89CLisrYlKw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">À Madagascar, les fermiers et paysans aussi cultivent le khat.</span></figcaption>
</figure>
<h2>En Éthiopie : une manne financière à contrôler</h2>
<p>Si le khat suit des chemins qui l’emportent au loin, rappelons toutefois que la première destination d’exportation des feuilles cultivées dans l’est éthiopien est le Somaliland, où 60 000 kilos sont exportés quotidiennement en toute légalité.</p>
<p>Une entreprise privée, la 571, gérée par un <a href="https://pdfs.semanticscholar.org/eef6/91e236224f7703f5296476d79ebc3a332070.pdf">couple éthio-somaliland</a>, exerce un monopole grâce, notamment, à sa flotte de livraison : 25 camions ISUZU FSR (contenance de 8 tonnes au moins) et deux Antonov basés sur le tarmac de Dire Dawa.</p>
<p>La seconde destination, tout aussi autorisée, est celle de Djibouti où chaque jour, 15 000 kilos y sont expédiés légalement. Aujourd’hui quatre grandes compagnies « privées » (mais non sans lien avec l’État parti) et une centaine de <a href="https://www.bloomsbury.com/uk/the-khat-controversy-9781845202514/">licences attribuées</a> – majoritairement à des hommes – trustent la filière en partenariat avec une société relai djiboutienne (la SODJIK) qui réalise en moyenne, à la revente, un chiffre d’affaires annuel de <a href="http://documents.worldbank.org/curated/en/732701468247481705/pdf/628230FRENCH0P0KHAT0Banque0mondiale.pdf">32,8 millions de dollars</a>.</p>
<p>Cette « rationalisation » du secteur de l’exportation au début des années 2000 – à l’ère du « libéralisme politique » et de la « libéralisation économique » – permet à l’État éthiopien de contrôler une partie des revenus générés par le khat ; de faire émerger <a href="https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-afrique/20120101.RUE6779/la-reine-du-khat-femme-d-affaires-de-l-annee-en-ethiopie.html">ses propres figures de la réussite</a> ; de limiter la prolifération d’outsiders locaux qu’il lui serait plus difficile d’identifier, de taxer et de surveiller. Et ce d’autant plus que dans cette région orientale, mâcher ensemble dans l’intimité des salons serait associé, vue du Palais, au complot et à la contestation sociale.</p>
<p>De plus, favoriser quelques entreprises fidélisées permet à l’État de manœuvrer politiquement dans cette région où des fronts de libération ont contesté/contestent le pouvoir de l’autorité centrale. Ainsi l’un de mes informateurs me rapporte à propos d’un des gros distributeurs de khat de la ville :</p>
<blockquote>
<p>« Tu distribues le khat, tu fais de l’argent, tu deviens riche alors le gouvernement vient vers toi […]. Ils veulent […] que tu te présentes aux élections pour eux. C’est avec le khat qu’on gagne les élections ici à Dire Dawa et dans l’Ogaden ». (L., Dire Dawa, mars 2015).</p>
</blockquote>
<h2>Les femmes, ces aventurières quotidiennes du khat</h2>
<p>Si le secteur se réorganise, la contrebande aussi : de Dire Dawa au Somaliland, 30 000 kg transiteraient par jour, tandis que 3 000 kg passeraient en douce vers Djibouti. Si le contrôle de l’État n’est pas sans faille, si les trafics demeurent, ce sont en revanche ses acteurs qui changent peu à peu.</p>
<blockquote>
<p>« Il y avait une majorité de femmes sur les trains […], je dirai 80 % de femmes, surtout des femmes issas et oromos […] elles se faisaient taxer à chaque station, dès Dire Dawa, mais personne ne les empêchait de faire leur business, tout le monde y participait, on y gagnait tous […] sans la contrebande, Dire Dawa serait morte ». (J., Dire Dawa, février 2014)</p>
</blockquote>
<p>En effet, des années 1970 au début des années 2000, ce sont les <a href="https://www.slow-journalism.com/from-the-archive/queens-of-khat">femmes</a> qui embarquaient à bord des trains vers Djibouti avec du khat frais et redescendaient à Dire Dawa avec des produits de consommation courante (boîtes de sardines, vêtements) bravant la <a href="https://www.puf.com/content/Puissance_khat">répression policière et les abus de pouvoir des hommes</a>.</p>
<blockquote>
<p>« Il était impératif pour ces commerçantes de coopérer avec le personnel du chemin de fer […]. Oui, les gars les aidaient parce qu’ils avaient couché avec elles […]. » (H., Dire Dawa, avril 2013).</p>
</blockquote>
<p>Aux décisions politiques de réorganisation de la filière d’exportation (qui profitent à certains hommes, et bien moins aux femmes) s’ajoute celle de mettre fin à la circulation du train vers Djibouti.</p>
<p>Pour les commerçantes, ce coup de sifflet marque la fin du voyage et le repli sur les petits et grands marchés de khat locaux où, derrière leurs étals, elles exercent le monopole de la vente de proximité.</p>
<p>Pour l’’heure les femmes résistent d’autant mieux que les représentations sociales font encore rimer la vente du khat au féminin. Cette spécificité genrée de l’activité est volontiers justifiée par la division sexuelle du travail, par la soi-disant inadéquation féminine au ruminage, par les qualités essentialistes attribuées aux femmes mais, plus encore, par la corrélation entre l’effet que suscite la vendeuse et celui « sensuel » que procure le bouquet au mâcheur qui maintient les dames comme vendeuses et les messieurs comme clients.</p>
<p>Mais, pour combien de temps encore ce pré-carré ?</p>
<h2>Une autre mondialisation</h2>
<p>Tantôt fléau à éradiquer, tantôt or vert qui fait vivre une <a href="https://academic.oup.com/afraf/article-abstract/110/439/318/163936?redirectedFrom=fulltext">région entière</a>, le khat peut être lu comme une marchandise ambivalente qui change de statut, de valeur et de matérialité car ses circonvolutions à l’international l’exposent à l’altérité, aux différents bastions moraux. À la confrontation des normes. Aux rapports de pouvoir.</p>
<p>Ainsi, loin de <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/la-mondialisation-des-pauvres-armelle-choplin/9782021366525">Davos et de Wall Street</a>, il y a ces resquillages permanents de commerçants qui continuent d’alimenter les marchés internationaux ; il y a aussi ces consommateurs qui continuent à se repaître à travers le monde, quelles qu’en soient les conséquences – puisque devenir un citoyen modèle ne serait pas compatible avec le masticatoire ; il y a enfin ces anciennes contrebandières sédentarisées qui doivent composer avec une potentielle confiscation des hommes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/8qF3LIqsIAM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’ouverture d’une nouvelle ligne de train entre l’Éthiopie et Djibouti en 2018 bénéficiera-t-elle aussi aux vendeuses de khat ?</span></figcaption>
</figure>
<p>Suivre la marchandise khat propose donc de s’immerger dans une autre mondialisation, non pas celle des grandes entreprises transnationales, mais celle plus « discrète », celle dite <a href="http://cadis.ehess.fr/index.php?1950">« par le bas »</a>, pour en cerner certains des enjeux économiques et politiques. Entre l’intime et le monde, entre connexions et déconnexions, il convient d’entendre aussi ce que les hommes font du khat et ce que le khat, sur un marché globalisé, fait aux hommes. Et plus encore, aux femmes.</p>
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<p><em>L’auteure vient de publier <a href="https://www.puf.com/content/Puissance_khat"><em>Puissance khat, Vie politique d’une plante stimulante</em></a> aux éditions PUF.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115496/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Céline Lesourd ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Qu’est-ce que le khat ? Pourquoi et comment ce produit stimulant – souvent interdit – circule de la Corne de l’Afrique aux rues de Brest et jusqu’à Canton, en Chine ?Céline Lesourd, Anthropologue, CNRS (Centre Norbert Elias), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.