tag:theconversation.com,2011:/us/topics/didier-raoult-84750/articlesDidier Raoult – The Conversation2022-01-09T17:15:36Ztag:theconversation.com,2011:article/1744822022-01-09T17:15:36Z2022-01-09T17:15:36ZLes Français et la chloroquine, une défaite de la culture scientifique ?<p>La nouvelle avait fait grand bruit alors que le Covid s’installait dans l’Hexagone : selon un sondage d’avril 2020, une majorité de Français considéraient l’hydroxychloroquine (dérivée de la chloroquine) comme un traitement efficace contre le coronavirus.</p>
<p>Les interprétations de tout poil ont aussitôt fusé pour disséquer ce résultat. Pour certains, il racontait la défaite de la culture scientifique en France, lors d’une crise qui aurait pourtant pu être éclairée par la raison. Pour d’autres, la question des « bons » traitements ne devrait pas être l’objet de sondages…</p>
<p>Dans notre analyse de cette période enflammée, nous allons au-delà des polémiques immédiates pour souligner l’importance de prendre du recul afin de mieux analyser et comprendre les perceptions du grand public sur la santé et les médicaments, passé la simple attribution des bons et mauvais points.</p>
<h2>Le sondage par qui le scandale arrive</h2>
<p>Les 3 et 4 avril 2020, l’institut de sondage Ifop réalise pour la société Labtoo une étude afin de connaître l’<a href="https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2020/04/117231_rapport_Ifop_Labtoo_Cloroquine_2020.04.05.pdf">opinion des Français sur le traitement à base de chloroquine</a> (réalisée par questionnaire autoadministré en ligne auprès d’un échantillon de 1 016 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, résidant en France métropolitaine). Ce <a href="https://www.leparisien.fr/societe/sante/covid-19-59-des-francais-croient-a-l-efficacite-de-la-chloroquine-05-04-2020-8294535.php">sondage, très commenté</a>, est publié par <em>Le Parisien</em> le 5 avril.</p>
<p>La période est alors très confuse et l’espoir de l’efficacité de la chloroquine partout, bien que les données objectives manquent encore. <a href="https://twitter.com/Ellibec/status/1247073849830670336">« Le Dr Raoult et son traitement sont dans le débat public depuis des jours »</a>, selon les mots d’un chargé d’étude de l’Ifop, mais les résultats de plusieurs études internationales chargées d’évaluer l’efficacité de l’(hydroxy)chloroquine contre le Covid-19 ne sont pas encore publiés – c’est une affaire de jours.</p>
<p>Presque tous les répondants au fameux sondage disent avoir connaissance du sujet, <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/etude-coronavirus-covid19-traitement-mediatique-raoult-chloroquine">très présent dans les médias</a> : pour 59 % d’entre eux, le traitement par (hydroxy)chloroquine est efficace, pas efficace pour 20 % d’entre eux ; 21 % des personnes sollicitées sont indécises.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1247137267837255682"}"></div></p>
<p>Le médiatique philosophe des sciences Étienne Klein, invité sur France inter en juillet 2020, se dit « traumatisé » par ce sondage (qu'il qualifie d'« abracadabrantesque » dans son ouvrage <em>Le Goût du vrai</em> paru au même moment), estimant que « tout le monde aurait dû dire “je ne sais pas” ». Il ajoute, relancé par le journaliste qui l’interroge, que « ça dit des choses des Français, de leur rapport à la croyance et de la promptitude avec laquelle ils se déclarent experts ». Et il conclut qu’un tel sondage, transposé à d’autres questions scientifiques, tel le boson de Higgs ou la rotondité de la Terre, serait absurde.</p>
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<p>En novembre 2021, invitée par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche au Forum national Sciences, recherche et société, la présidente du Comité d’éthique du CNRS et chercheuse en droit Christine Noiville revient sur le sujet. Elle estime à son tour que « le public […] s’est pris pour un spécialiste » lorsqu’il n’a pas répondu massivement que, « en l’état des connaissances scientifiques, il [n’]est juste pas possible de répondre à cette question ».</p>
<p>Allant plus loin qu’Étienne Klein, elle pointe du doigt le populisme scientifique : défiance vis-à-vis des experts proches du pouvoir et des élites scientifiques, fascination pour les personnalités scientifiques fortes, déni des preuves scientifiques… Le tout alimenté par des médias en quête de sensationnalisme et une information scientifique désintermédiée (sans sources, sans décryptage, sans analyse par un tiers) par les réseaux sociaux.</p>
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<h2>Un sondage à remettre en perspective</h2>
<p>Les sondages, largement associés à l’actualité politique, sont souvent critiqués pour leurs biais et leur impossibilité intrinsèque à rendre compte de l’état de l’<a href="https://www.acrimed.org/L-opinion-publique-n-existe-pas">opinion publique, qui dans certains cas ne préexiste même pas à la question</a>. Une manière de se prémunir est de considérer les sondages comme des expériences imparfaites dont les résultats doivent être reproduits et vérifiés.</p>
<p>Justement, plusieurs recherches en sciences sociales ont suivi la perception publique de la gestion de la crise et fourni des données plus fines. C’est le cas de <a href="https://www.ehesp.fr/2020/04/08/etude-coconel-un-consortium-de-chercheurs-analyse-le-ressenti-et-le-comportement-des-francais-face-a-lepidemie-de-covid-19-et-au-confinement/">COCONEL</a>, <a href="https://anr.fr/Projet-ANR-20-COVI-0102">TRACTRUST</a> ou <a href="http://www.orspaca.org/notes-strategiques/premiers-r%C3%A9sultats-de-l%E2%80%99enqu%C3%AAte-slavaco-vague-1-et-approfondissement-de-l%E2%80%99analyse">SLAVACO</a>. Et il ressort que la perception des Français de la chloroquine (puis de l’hydroxychloroquine) est bien plus nuancée que ce que laissait suggérer la première impression.</p>
<p><a href="http://www.orspaca.org/sites/default/files/note-n3-confinement-masques-chloroquine-vaccin.pdf">Dès le 7 avril 2020, ce n’était déjà plus 59 %, mais 35 % des personnes interrogées qui considéraient l’hydroxychloroquine comme un traitement efficace contre le Covid-19</a>. Cette proportion chuta ensuite à 20 % en juin 2020, pour rester à des niveaux bas, avec 14 % seulement de sondés convaincus de l’efficacité de l’(hydroxy)chloroquine en juin 2021 (voir graphique ci-dessous). La proportion de Français qui ont répondu qu’ils n’en savaient rien a varié d’abord à la baisse puis à la hausse, pour revenir en juin 2021 au même niveau qu’il était en avril 2020.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/439649/original/file-20220106-23-19yp5po.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="La confiance en l’(hydroxy)chloroquine en France s’est rapidement érodée, quand le niveau d’incertitude est resté élevé" src="https://images.theconversation.com/files/439649/original/file-20220106-23-19yp5po.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/439649/original/file-20220106-23-19yp5po.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=262&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/439649/original/file-20220106-23-19yp5po.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=262&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/439649/original/file-20220106-23-19yp5po.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=262&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/439649/original/file-20220106-23-19yp5po.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=329&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/439649/original/file-20220106-23-19yp5po.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=329&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/439649/original/file-20220106-23-19yp5po.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=329&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’opinion française sur l’efficacité de l’(hydroxy)chloroquine a évolué très rapidement d’après les enquêtes, avec notamment une chute de confiance de 59 à 35 % des répondants entre les 4 et 7 avril 2020, mais l’incertitude a toujours largement prévalu. Les marges d’erreur sont indiquées.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Figure adaptée de l’article « Does the public know when a scientific controversy is over ? Public perceptions of hydroxychloroquine in France between April 2020 and June 2021 », soumis</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Est-il possible de passer en trois jours (entre le 4 et le 7 avril) de 59 % à 35 % de personnes convaincues de l’efficacité de la chloroquine ? La méthodologie des sondages étant similaire, une fois écartée l’option d’un problème technique, l’hypothèse la plus sérieuse est que le sondage de l’Ifop a donné une image transitoire de l’opinion des Français, comme une photo floue prise dans le mouvement turbulent du paysage médiatique saturé d’incertitudes des mois de mars et d’avril 2020.</p>
<h2>À contre-courant des discours d’indignation</h2>
<p>Tout aussi intéressante à observer, la vive indignation des spécialistes des relations science-société traduit leur attachement à un certain idéal de culture scientifique : un intérêt du grand public pour les connaissances produites par la science et réputées fiables (séparée des moments agités de la recherche), une confiance dans la méthode scientifique comme processus de certification des savoirs mis en œuvre par les chercheurs, la nécessité de maintenir un doute tant que la science n’a pas livré son verdict, etc. C’est cette conception qui aurait été ébranlée par le sondage d’avril 2020.</p>
<p>En réalité, les études qui s’accumulent sur la chloroquine, mais aussi sur la vaccination ou les masques, pointent le caractère central de la confiance dans les institutions et de politisation.</p>
<p>Les sympathisants de l’extrême gauche et de l’extrême droite sont ainsi plus susceptibles d’être convaincus par l’efficacité de l’(hydroxy)chloroquine, tandis que ceux qui ne sont pas politisés sont moins susceptibles de croire à cette efficacité <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0040595722000105">souligne notre nouvelle étude parue dans la revue Therapies</a>. Les personnes ayant une moindre confiance dans les institutions sont ainsi les plus susceptibles de croire en son efficacité. Christine Noiville a donc raison de ne pas concentrer ses critiques sur le manque de culture scientifique, mais d’évoquer plutôt le fonctionnement démocratique en général.</p>
<p>Pour autant, il serait faux de retenir que les Français se sont pris pour des experts : pour la majorité des répondants dominait l’incertitude (voir la courbe bleue ci-dessus), soit par ignorance soit par manque de données. Au moment où la controverse sur cette molécule battait son plein et où des bateleurs médiatiques redoublaient de promesses, l’opinion publique était, elle, moins polarisée. Les Français auraient donc mérité un prix du doute épistémique, contrairement à ce que pouvait affirmer Étienne Klein sur la base de données incomplètes !</p>
<p>La polarisation entre les certitudes fortes sur l’efficacité ou l’inefficacité est cependant plus facile à éditorialiser dans les différents médias et plates-formes d’information… La question se pose cependant des conséquences de la persistance de cette incertitude dans le temps long, une fois l’inefficacité prouvée.</p>
<h2>Un sondage d’une nature différente</h2>
<p>Enfin, un point mérite d’être souligné : la lecture de cet épisode sous l’angle de la culture scientifique dissimule le fait que le sujet est avant tout lié à la <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/docs/la-litteratie-en-sante-un-concept-critique-pour-la-sante-publique">littératie en santé</a>. Sur les questions de vaccination comme sur l’(hydroxy)chloroquine, et à l’inverse du boson de Higgs ou de la rotondité de la Terre qui apparaissent bien dans certaines enquêtes sur la culture scientifique, l’opinion des Français n’est pas un jugement sur la véracité d’une affirmation scientifique : elle s’inscrit dans leur expérience du système de santé et de leur quotidien.</p>
<p>Or, la mise en œuvre de mesures de santé publique est marquée par l’évolution des controverses et leurs effets sur les représentations. En témoigne la défiance durable produite par les scandales sanitaires.</p>
<p>Cet épisode spectaculaire, dont on n’a pas fini de tirer des enseignements, attire donc l’attention sur le peu d’études portant sur la réception sociale des médicaments (le domaine de la <a href="https://bonusagedumedicament.com/wp-content/uploads/2020/03/La_Pharmacologie_sociale_nouvelle_branche_de_la_Pharmacologie_clinique.pdf">« pharmacologie sociale »</a>) et l’interdépendance forte entre les enjeux proprement politiques, la légitimité des savoirs scientifiques (dont la culture scientifique) et le rapport à la santé. Or, c’est peut être le propre de la médecine moderne de faire converger, sans pour autant les superposer d’une manière unique, l’<a href="https://www.routledge.com/The-Cultural-Authority-of-Science-Comparing-across-Europe-Asia-Africa/Bauer-Pansegrau-Shukla/p/book/9780367487027">autorité culturelle de la science</a> et <a href="https://doi.org/10.1177/00221465211010468">celle de la médecine</a>.</p>
<p>Ainsi, on peut regretter le manque de dialogue interdisciplinaire entre des domaines pourtant voisins. Un point encore illustré par le Comité d’éthique du CNRS dans son <a href="https://comite-ethique.cnrs.fr/avis-du-comets-communication-scientifique-en-situation-de-crise-sanitaire-profusion-richesse-et-derives/">Avis n°2021-42 « Communication scientifique en situation de crise sanitaire : profusion, richesse et dérives »</a>. Où il s’inquiète « que le choix d’un traitement puisse être décidé par l’opinion publique sur la base d’une pétition ou d’un sondage et que des décisions politiques puissent être prises en se fondant sur des croyances ou des arguments irrationnels, faisant uniquement appel à la peur ou l’émotion »…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174482/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Émilien Schultz est actuellement chercheur post-doctorant dans le projet TRACTRUST (financement ANR, dir. Laëtitia Atlani-Duault) qui porte sur la confiance dans l'espace public pendant l'épidémie de COVID-19. Une partie des résultats présentés dans cet article ont été obtenus en collaboration avec Jeremy K. Ward et Patrick Peretti-Watel.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Antoine Blanchard est membre du Conseil d'administration de l'association Traces. Il est consultant science ouverte et associé de la société coopérative Datactivist.</span></em></p>Avril 2020, hallali dans les médias : pour 59 % des Français, la chloroquine serait un traitement efficace du Covid… Mais derrière l’emballement des commentateurs, la population était moins polarisée.Émilien Schultz, Chercheur en sociologie des sciences et de la santé, Institut de recherche pour le développement (IRD)Antoine Blanchard, Chargé d'études données ACT, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1504732020-11-19T23:26:58Z2020-11-19T23:26:58Z« Les mots de la science » : P comme peer review<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/393245/original/file-20210402-19-70w8y8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=53%2C0%2C6000%2C3979&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">.</span> </figcaption></figure><p>Anthropocène, coronavirus, intelligence artificielle, essentialisation, décroissance… Ce jargon vous dit quelque chose, bien sûr ! Mais nous utilisons parfois, souvent, ces mots sans bien savoir ce qu’ils veulent dire. Dans l’émission Les mots de la science, nous revenons donc sur l’histoire et le sens de ces mots clés avec des chercheuses et chercheurs capables de nous éclairer.</p>
<p>L’épisode du jour est dédié à la notion de <em>peer review</em>, l’évaluation par les pairs. Celle-ci constitue un aspect central de la démarche scientifique, puisque c’est en quelque sorte le test de qualité des recherches effectuées dans tous les domaines. Il est donc crucial de comprendre le peer review au moment où nous traversons une crise sanitaire inédite et où nous sommes beaucoup plus exposés à la parole d’experts. Savoir comment fonctionne « l’évaluation par les pairs » permet en effet de comprendre qui est légitime aux yeux de la communauté scientifique et selon quels critères.</p>
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<p><a href="https://open.spotify.com/episode/43ZGysGJ5B2R47PTstnLzJ?si=CznMua9NRdyMPPHmUmLoog"><img src="https://images.theconversation.com/files/321535/original/file-20200319-22606-1l4copl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=183&fit=crop&dpr=1" width="268" height="70"></a>
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<a href="https://deezer.page.link/yJPknt24WbXaX6gZ6"><img src="https://images.theconversation.com/files/370281/original/file-20201119-15-jxert0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=218&fit=crop&dpr=2" alt="Listen on Deezer" width="268" height="80"></a></p>
<p>Pour nous éclairer sur le peer review et ses limites, nous recevons Philippe Huneman, philosophe, directeur de recherche à l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques rattaché à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.</p>
<p>Si le peer reviewing dans sa forme actuelle s’est popularisé il y a seulement soixante-dix ans, Philippe Huneman revient sur la longue histoire du « scepticisme organisé ». Ou comment la critique des pairs a toujours fait partie de la production scientifique. Il en détaille les modalités : de l’écriture lente d’un article scientifique, au processus de publication dans une revue spécialisée dont l’éditeur a un rôle de plus en plus puissant.</p>
<p>Nous détaillons les dysfonctionnements et limites de ce procédé, notamment mis en lumière par les polémiques entourant les travaux du microbiologiste Didier Raoult, figure médiatique ayant émergé au début de la crise sanitaire. Philippe Huneman analyse enfin les logiques concurrentielles extrêmement fortes qui pèsent sur la production scientifique contemporaine.</p>
<p>Bonne écoute !</p>
<hr>
<p><em>L’émission « Les mots de la science » est animée par Iris Deroeux, journaliste à The Conversation, notamment en charge de la rubrique Fact check US dédiée à la politique américaine.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150473/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Cet épisode est dédié à la notion de « peer review », l’évaluation par les pairs, un aspect fondamental de la production de la science. Comprendre ce procédé permet de distinguer qui est légitime à s’exprimer sur un problème donné aux yeux de la communauté scientifique.Philippe Huneman, Directeur de recherche CNRS, Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneIris Deroeux, journaliste , The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1396852020-06-29T19:11:00Z2020-06-29T19:11:00ZLa taxonomie, cette discipline essentielle à la compréhension des pathogènes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/344399/original/file-20200628-104504-5ipmab.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Collection d’insectes. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/insects-collection-old-paper-textured-background-677778115">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>À l’occasion de la pandémie de Covid-19, les citoyens ont vu ces derniers mois la science « en train de se faire » ; beaucoup auront découvert à cette occasion le système des publications scientifiques. Au cœur des sciences (puisqu’elle contribue au processus d’évaluation des études), <a href="https://theconversation.com/la-science-ouverte-refaire-circuler-le-savoir-librement-133408">l’édition scientifique</a> génère son lot de polémiques, comme celles qui entourent les travaux de Didier Raoult et de son équipe <a href="https://theconversation.com/chloroquine-et-infections-virales-ce-quil-faut-savoir-135339">sur l’hydroxychloroquine</a>.</p>
<p>Parmi les disciplines scientifiques soumises à l’épreuve de la publication, la taxonomie joue un rôle essentiel, décrivant la biodiversité afin de mieux comprendre notre planète. Elle met ainsi à jour de façon continue le grand inventaire du vivant sous forme de catégories organisées et hiérarchisées, cherchant les relations de parenté entre elles.</p>
<p>Cette matière concerne donc aussi bien les mammifères, les insectes et les plantes que les bactéries – sur lesquelles portent notamment les travaux de Didier Raoult. La taxonomie est toutefois régulièrement négligée, voire dénigrée. Plus exactement, elle se trouve inégalement traitée.</p>
<p>Et l’une des critiques adressées au professeur Raoult et son équipe a retenu mon attention de taxonomiste.</p>
<h2>Les 1 741 articles de Didier Raoult</h2>
<p>Un <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/070420/chloroquine-pourquoi-le-passe-de-didier-raoult-joue-contre-lui">article récent de Mediapart</a> a rendu compte de l’évaluation de l’équipe de l’IHU – Méditerranée Infection (que dirige le professeur Raoult) par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES).</p>
<p>Dans ce texte détaillé, une phrase a donc retenu mon attention. Elle porte sur la multiplication des (petites) publications de taxonomie des bactéries (description de nouvelles espèces) dans des revues pas forcément réputées, « à la manière du collectionneur de timbres » :</p>
<blockquote>
<p>« Les évaluateurs regrettent que la priorité soit donnée au « volume de publications plutôt qu’à leur qualité ». Si l’unité du professeur Raoult a été à l’origine de plus de 2 000 publications entre 2011 et 2016, « seules 4 % d’entre elles l’étaient dans des revues de haut impact international », précisent-ils. […] Concernant « Microbiota », l’équipe de Didier Raoult, les scientifiques remarquent que l’approche qui consiste à découvrir systématiquement de nouvelles bactéries n’est pas suivie des analyses nécessaires. Selon eux, cette « compilation de nouvelles bactéries » – comme « on collectionne les timbres », persiflent les évaluateurs – donne certes lieu à un volume important de publications, mais sans plus d’avancées pour la connaissance scientifique et médicale. »</p>
</blockquote>
<p>En tant que taxonomiste, cette formulation m’a fait sourire, sans toutefois me surprendre, tant elle reflète une opinion majoritairement répandue dans nos instances scientifiques chargées d’assurer l’évaluation des recherches.</p>
<p>Si l’on se penche sur le registre des publications du professeur Raoult (via le site Researchgate), on peut en effet être surpris par le nombre de publications et de citations, hors norme : 1 740 articles, 66 964 citations (<a href="https://www.researchgate.net/profile/Didier_Raoult">au 22 juin 2020</a>). Le site Google Scholar lui donne pour sa part <a href="https://scholar.google.fr/citations?hl=fr&user=n8EF_6kAAAAJ&view_op=list_works&sortby=pubdate">155 000 citations</a>, car il semble intégrer les derniers articles sur le Covid-19 de l’équipe.</p>
<p>Nombre de ces publications concernent des descriptions de nouvelles bactéries ou virus, <a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/le-mystere-des-virus-geants">dont les fameux virus « géants »</a>. Chaque publication constitue un acte nomenclatural : avec la création d’un nom et la publication de la séquence d’acide nucléique « code barre » dans une base de données accessible à tous.</p>
<p>Certains s’amuseront sans doute des noms choisis pour ces actes taxonomiques, à cause de leurs références marseillaises ou locales (on pense aux bactéries <em>Collinsella bouchesdurhonensis</em> et <em>Parabacteroides timonensis</em> par exemple). C’est l’une des libertés permises par cette pratique, qui <a href="https://theconversation.com/des-punaises-nommees-dapres-lunivers-de-tolkien-74779">n’entache en rien la rigueur scientifique</a>.</p>
<h2>Les petites bêtes à l’ombre des grosses</h2>
<p>Mais lorsque les organismes décrits ne sont pas « extraordinaires », ce qui est très fréquent, publier des découvertes taxonomiques dans des revues de renom se révèle ardu. Celles-ci ne s’ouvrent qu’aux taxons remarquables : un nouvel oiseau ou un mammifère dans une île perdue fera certainement un bel article au sein d’une revue renommée. À l’inverse, un nouvel insecte, même sous nos pieds, ne fera l’objet que d’une petite description dans une revue d’amateurs ou de société savante, sauf s’il possède une caractéristique unique.</p>
<p>Leur intérêt biologique intrinsèque est pourtant le même : c’est pour cela qu’on l’on parle de <a href="https://theconversation.com/biodiversite-quand-loiseau-fait-de-lombre-a-linsecte-95629">« biais taxonomique »</a>. Dans le cas des bactéries, ce biais semble s’exerce par rapport à la pathogénicité, c’est-à-dire à la capacité à provoquer une maladie : la découverte d’une bactérie non pathogène ou remarquable ne sera pas publiée dans une grande revue.</p>
<p>Il est pourtant essentiel de publier dès que possible une découverte, quelle qu’elle soit. Établir un taxon, trouver ses relations de parenté (ce qu’on appelle la « position phylogénétique »), le placer dans l’arbre du vivant, constitue l’acte fondateur pour l’étudier et appréhender sa place dans son écosystème (comme, par exemple, celle d’une bactérie dans notre système digestif).</p>
<p>Lorsqu’un organisme inconnu est découvert, connaître sa position phylogénétique permet de déduire une grande partie de ses propriétés biologiques. C’est tout aussi essentiel pour les pathogènes.</p>
<h2>Quand la médecine redécouvre l’environnement</h2>
<p>Pour comprendre les organismes avec lesquels nous sommes en interactions négatives (agents pathogènes, espèces venimeuses ou néfastes à nos cultures, etc.), il est essentiel de comprendre leur environnement (et donc le nôtre).</p>
<p>Comprendre la taxonomie, c’est le premier pas pour comprendre l’environnement et donc l’écologie des espèces qu’elles soient pathogènes ou vecteurs, ou les relations avec leurs hôtes pour des symbiotes ou des parasites</p>
<p>Nous voulons lutter contre les punaises de lit, comprendre notre tube digestif… mais connaît-on l’écologie des organismes qui habitent une maison, selon son climat, son environnement proche et le mode de vie des habitants ?</p>
<p>Un exemple auquel j’ai été confronté concerne l’émergence de la maladie de Chagas, en Amazonie et en Guyane française au début des années 2000. Transmise par des punaises hématophages (bien plus grosses que les punaises des lits), cette affection particulière (zoonose parasitaire pouvant être mortelle à plus ou moins long terme) avait défrayé la chronique par des cas foudroyants.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/344397/original/file-20200628-104494-1q4990r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/344397/original/file-20200628-104494-1q4990r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=456&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/344397/original/file-20200628-104494-1q4990r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=456&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/344397/original/file-20200628-104494-1q4990r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=456&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/344397/original/file-20200628-104494-1q4990r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=573&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/344397/original/file-20200628-104494-1q4990r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=573&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/344397/original/file-20200628-104494-1q4990r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=573&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Panstrongylus geniculatus. Les triatomes sont de grosses punaises hématophages vecteurs de la maladie de Chagas.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Romain Garrouste/MNHN</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est bien l’implantation d’habitats humains et de populations non préparées à vivre dans de telles zones qui se trouvait au cœur de cette problématique. La même explication a été fournie pour des cas particuliers de toxoplasmose peu habituels (consommation de viande mal cuite), cette maladie des chats et des félins.</p>
<p>De même, la consommation non habituelle d’animaux sauvages ainsi que l’ensemble des méconnaissances culturelles et biologiques, permettant des erreurs d’appréciations sur les relations entre environnement et pathogènes, sont au cœur de beaucoup de nos problèmes ; la <a href="https://theconversation.com/covid-19-ou-la-pandemie-dune-biodiversite-maltraitee-134712">pandémie de Covid-19 est constitue une expression terrible</a>.</p>
<p>Les exemples sont nombreux : nous ne connaissons pas bien les écosystèmes et les espèces qui les constituent et voulons les réguler à notre profit, sans même savoir comment il sont composés et comment ils fonctionnent vraiment.</p>
<h2>Renaissance de la taxonomie ?</h2>
<p>On peut se demander combien de projets de recherches relatifs à la taxonomie sont soutenus financièrement par les instances de la recherche française et mondiale. En France, probablement aucun… C’est pourtant le fondement de la biologie.</p>
<p>Le scientifique américain Quentin Wheeler a publié récemment un <a href="https://www.biotaxa.org/megataxa/article/view/megataxa.1.1.2">appel pour la renaissance de cette discipline</a> qu’il résume ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« L’extinction rapide des espèces signifie qu’il reste un temps limité pour revitaliser la taxonomie et explorer la diversité des espèces de notre planète. Trois actions ont le potentiel de déclencher une renaissance de la taxonomie : (1) clarifier ce qu’est la taxonomie, en mettant l’accent sur ses avancées théoriques et son statut de science fondamentale rigoureuse, indépendante et nécessaire ; (2) donner aux taxonomistes le mandat d’organiser et de compléter l’inventaire des espèces et les ressources nécessaires pour moderniser les infrastructures de recherche et de collection ; (3) collaborer avec des scientifiques de l’information, des ingénieurs et des entrepreneurs pour inspirer la création d’un avenir durable grâce à la bio-inspiration. »</p>
</blockquote>
<p>Puisse-t-il être entendu par le plus grand nombre de nos évaluateurs scientifiques et les tutelles de la recherche !</p>
<p>Remettons la taxonomie à sa place, celle d’une activité scientifique essentielle à a compréhension de nos écosystèmes et des <a href="https://theconversation.com/ces-microbes-qui-construisent-les-plantes-les-animaux-et-les-civilisations-79256">holobiontes</a> que nous sommes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139685/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Romain Garrouste a reçu des financements de MNHN, CNRS, Labex BCDiv, National Geographic, IPEV, MEAE</span></em></p>Nous ne connaissons pas bien les écosystèmes et voulons les réguler à notre profit… sans même savoir ce qui les compose et comment ils fonctionnent.Romain Garrouste, Chercheur à l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (UMR 7205 MNHN-CNRS-Sorbonne Univ.-EPHE-Univ. Antilles), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1411692020-06-26T14:53:27Z2020-06-26T14:53:27ZEinstein vaut-il la moitié du Dr Raoult ? Pour en finir avec « l’indice h »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/344305/original/file-20200626-104522-1ejdwp2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une murale représentant Albert Einstein, dans une rue de Moscou. Si un indice h élevé peut en effet être associé à un Nobel, cela ne prouve nullement qu’un indice h peu élevé soit nécessairement associé à un « piètre » chercheur.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La controverse médiatique entourant le professeur <a href="https://theconversation.com/chloroquine-et-covid-19-les-etudes-publiees-ne-permettent-pas-de-prouver-son-efficacite-134838">Didier Raoult</a> fournit l’occasion de revenir sur l’omniprésent indice bibliométrique « h-index », inventé en 2005 par le physicien américain <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1283832/">Jorge Hirsch</a> (d’où le choix de la lettre « h » pour désigner cet indice).</p>
<p>L’« indice h », ou « facteur h », en français est devenu en l’espace de quelques années une référence incontournable chez de nombreux chercheurs et gestionnaires du monde académique.</p>
<p>Il est particulièrement promu et utilisé en sciences biomédicales, domaine où la massification des publications semble avoir rendu impossible toute évaluation qualitative sérieuse des travaux des chercheurs. Cet « indicateur » est devenu le « miroir aux alouettes de l’évaluation », devant lequel les chercheurs s’admirent ou ricanent en constatant le piteux « indice h » de leurs « chers collègues », mais néanmoins rivaux.</p>
<p>Bien que les experts en bibliométrie aient rapidement noté le <a href="https://www.ost.uqam.ca/en/publications/la-fievre-de-levaluation-de-la-recherche-du-mauvais-usage-de-faux-indicateurs/">caractère douteux de cet indicateur composite</a>, la plupart des chercheurs ne semblent pas toujours comprendre que ses propriétés sont loin d’en faire un indice valide pour évaluer sérieusement et éthiquement leur « qualité » ou leur « impact » scientifique.</p>
<p>Le plus souvent, ses promoteurs commettent d’ailleurs une erreur de logique élémentaire en affirmant que les lauréats de prix Nobel ont « en général » un indice h élevé, preuve qu’il mesure bien la qualité individuelle des chercheurs. Or, si un indice h élevé peut en effet être associé à un Nobel, cela ne prouve nullement qu’un indice h peu élevé soit nécessairement associé à un « piètre » chercheur. En effet, un indice h en apparence faible peut cacher un impact scientifique élevé, du moins si l’on accepte que l’unité de mesure habituelle de cette visibilité scientifique se reflète dans le nombre de citations reçues.</p>
<h2>Les limites de l’indice h</h2>
<p>Défini comme le nombre d’articles N d’un auteur ayant chacun reçu au moins N citations, on voit immédiatement que cet indice est borné par le nombre total d’articles. En d’autres termes, si une personne a vingt articles cités cent fois chacun, son indice h est de 20, tout comme une personne qui a aussi vingt articles, mais cités chacun seulement vingt fois, soit cinq fois moins ! Mais quel chercheur sérieux dirait que les deux sont « égaux » du fait que leur indice h est le même ? Or, si un indicateur n’est pas proportionnel au concept qu’il est censé mesurer, alors il est invalide.</p>
<p>Le plus ironique dans l’histoire de l’indice h est que son inventeur voulait au départ contrer l’usage du nombre de papiers, qui selon lui ne représentait pas bien l’impact scientifique d’un chercheur. Il pensait donc le « corriger » en le combinant au nombre de citations que les articles reçoivent. Pis, il s’avère que l’indice h est en fait très fortement corrélé (à hauteur d’environ 0.9) avec le nombre de publications ! En d’autres mots, c’est bel et bien le nombre de publications qui fait grimper l’indice h davantage que le nombre de citations, indicateur qui, malgré ses limites, demeure la meilleure mesure de l’impact des publications scientifiques.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/343803/original/file-20200624-132978-11ah6so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/343803/original/file-20200624-132978-11ah6so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=454&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/343803/original/file-20200624-132978-11ah6so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=454&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/343803/original/file-20200624-132978-11ah6so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=454&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/343803/original/file-20200624-132978-11ah6so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/343803/original/file-20200624-132978-11ah6so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/343803/original/file-20200624-132978-11ah6so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En ignorant les autocitations, l’indice h de Raoult a une valeur de 104 alors qu’Einstein obtient un indice h de 56.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Tout cela est connu des experts, mais peut-être pas des chercheurs, des évaluateurs et des journalistes qui se laissent impressionner par les personnages se pavanant avec leur indice h collé au front.</p>
<h2>Raoult vs Einstein</h2>
<p>Dans une récente enquête de <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/070420/chloroquine-pourquoi-le-passe-de-didier-raoult-joue-contre-lui">Médiapart</a>, une chercheure faisant partie du comité d’évaluation du laboratoire du Dr Raoult, avait confié au journaliste ne pas s’être laissée impressionner : « Ce qui m’a marqué, raconte-t-elle, c’est l’obsession de Didier Raoult pour ses publications. Quelques minutes avant que ne commence l’évaluation de son unité, c’est d’ailleurs la première chose qu’il m’a montrée sur son ordinateur, son facteur h. »</p>
<p>Le Dr Raoult avait lui-même affirmé en 2015 dans le magazine <a href="https://www.lepoint.fr/invites-du-point/didier_raoult/raoult-evaluer-la-recherche-mesurer-ou-tricher-04-10-2015-1970477_445.php">Le Point</a> qu’il fallait « compter le nombre et l’impact des publications des chercheurs pour évaluer la qualité de leur travail ». Examinons donc le fameux « facteur h » du Dr Raoult et regardons comment il se compare, disons, avec celui d’un chercheur qui est communément considéré comme le plus grand savant du dernier siècle : Albert Einstein.</p>
<p>Dans la base de données Web of Science (WoS), Didier Raoult compte 2053 articles publiés entre 1979 et 2018, ayant reçu un total de 72 847 citations. Son indice h calculé à partir de ces deux données est de 120. On sait cependant que la valeur de l’indice h peut être gonflée artificiellement grâce aux citations faites par un auteur à ses propres articles, ce que l’on appelle des autocitations. Or, le WoS indique que parmi les citations totales attribuées aux articles co-signés par Didier Raoult, 18 145 proviennent d’articles dont il est légalement cosignataire, ce qui équivaut à un taux d’autocitations de 25 %. En ignorant ces autocitations, l’indice h de Raoult baisse de 13 % à une valeur de 104.</p>
<p>Intéressons-nous maintenant au cas d’Albert Einstein. Ce dernier compte 147 articles recensés par le WoS entre 1901 et 1955, année de son décès, pour un total de 1564 citations reçues de son vivant. Sur ces 1564 citations, seules 27, soit un maigre 1,7 %, sont des autocitations. Si l’on rajoute les citations faites à ses articles après son décès, Einstein a reçu un total de 28 404 citations entre 1901 et 2019. À partir de ces données de publications et de citations, Einstein obtient un indice h de 56.</p>
<p>Si l’on doit se fier à la mesure dite « objective » de l’indice h, on est alors forcé de conclure que les travaux de Didier Raoult, avec son indice corrigé de 104, ont un impact et une portée scientifiques deux fois plus importants que ceux du père du photon, des relativités restreinte et générale, de la condensation Bose-Einstein et du phénomène de l’émission stimulée à l’origine des lasers. Peut-être vaudrait-il mieux en conclure, comme suggéré plus haut, que l’indicateur est tout simplement bidon ?</p>
<p>Notons également la différence importante du nombre de citations totales reçues par chacun des chercheurs au cours de leur carrière. Ils ont évidemment été actifs à des périodes très différentes, la taille des communautés scientifiques, et donc le nombre de potentiels auteurs citant, s’étant considérablement accru au cours du dernier demi-siècle. Il faut aussi tenir compte des différences disciplinaires et des pratiques de collaboration. Par exemple, la physique théorique compte beaucoup moins de contributeurs que la microbiologie, de même que le nombre de co-auteurs par article y est plus petit, ce qui influe sur la « productivité » et la mesure de l’impact des chercheurs et rend l’usage comparatif de l’indice h plus que problématique.</p>
<p>Enfin, il est important de noter que l’énoncé : « L’indice h de la personne P est de X », n’a en fait aucune signification, car la valeur de l’indice dépend du contenu de la base de données utilisée. Il faut plutôt dire « L’indice h de la personne P est de X, dans la base de données Z ». Ainsi, selon la base de données WoS, qui ne contient que des revues considérées comme sérieuses et assez visibles dans le champ scientifique, l’indice h de Didier Raoult est de 120. Par contre dans la base de données gratuite et donc facilement accessible de Google Scholar, qui contient toutes sortes de documents hétérogènes, y compris des documents « pdf » déposés sur divers sites Internet, ce même indice h — repris par la plupart des médias — monte à 179.</p>
<h2>Le fétichisme d’un chiffre</h2>
<p>La communauté scientifique voue un véritable culte à l’indice h. Et ce fétichisme pour un simple chiffre peut avoir des conséquences néfastes pour la recherche scientifique. La France, par exemple, utilise le Système d’interrogation, de gestion et d’analyse des publications scientifiques (SIGAPS) pour octroyer des fonds de recherches à ses laboratoires de sciences biomédicales, sur la base du nombre d’articles qu’ils publient dans les revues dites « à fort facteur d’impact ». Comme le rapporte <em>Le Parisien</em>, le rythme frénétique de publications du Dr Raoult permet à son institution de rattachement d’engranger <a href="https://www.leparisien.fr/societe/didier-raoult-une-frenesie-de-publications-et-des-pratiques-en-question-12-06-2020-8334405.php">entre 3 600 et 14 400 euros par an</a>, pour chaque article publié par son équipe.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/etre-juge-et-partie-ou-comment-controler-une-revue-scientifique-140595">Être juge et partie, ou comment contrôler une revue scientifique</a>
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<p>L’aveuglement engendré par les <a href="https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/les-derives-de-levaluation-de-la-recherche/https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/les-derives-de-levaluation-de-la-recherche/">dérives de l’évaluation de la recherche</a> est intéressant et réclamerait des études sur la psychologie des chercheurs. Le biologiste Bruno Lemaître, a publié un <a href="http://brunolemaitre.ch/narcissism-science/book/">livre éclairant</a> sur le narcissisme des chercheurs. Il faudrait peut-être compléter cette étude par une analyse du syndrome du cerveau scindé, résultant de la déconnexion entre les deux hémisphères cérébraux : capables de déceler des erreurs mineures dans les publications de leurs collègues, de nombreux chercheurs semblent démunis lorsque confrontés aux déformations créées par leur « miroir aux alouettes de l’évaluation ».</p>
<p>Les bons usages de la bibliométrie, voire même le simple bon sens, devraient nous apprendre à nous méfier des indicateurs simplistes et unidimensionnels. Ralentir le rythme affolant des publications scientifiques — souvent d’utilité limitée en dehors du remplissage des CV académiques — conduirait certainement les chercheurs à se désintéresser de l’indice h. Plus important, il contribuerait à produire des connaissances certes moins nombreuses, mais assurément plus robustes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141169/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yves Gingras reçoit des fonds du CRSH et du FQRSC</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mahdi Khelfaoui reçoit des financements du CRSH. </span></em></p>Si un indice h élevé peut en effet être associé à un Nobel, cela ne prouve nullement qu’un indice h peu élevé soit nécessairement associé à un « piètre » chercheur.Yves Gingras, Professeur d’histoire et de sociologie des sciences, Université du Québec à Montréal (UQAM)Mahdi Khelfaoui, Professeur associé, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1405952020-06-21T20:24:00Z2020-06-21T20:24:00ZÊtre juge et partie, ou comment contrôler une revue scientifique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/342484/original/file-20200617-94036-1092buu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C272%2C2308%2C1509&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le système de revues scientifiques peut être détourné au bénéfice d'une communauté.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-vector/hand-open-door-390600865">Jamesbin / shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Depuis la fin du XVII<sup>e</sup> siècle, les nouvelles connaissances scientifiques se diffusent surtout par le biais des revues savantes, habituellement contrôlées par des chercheurs eux-mêmes regroupés au sein de sociétés savantes, comme la Royal Society de Londres et sa revue fondée en 1665. La revue est alors gérée par un comité de rédaction qui définit sa politique éditoriale et contrôle le processus d’évaluation et de révision indépendant des articles qui lui sont soumis. Bien qu’il existe de nombreuses revues savantes nationales, leur contenu a généralement une visée internationale, ce qui se reflète dans la composition internationale des comités éditoriaux.</p>
<p>Surtout après la Seconde Guerre mondiale, les revues scientifiques ont crû en nombre et en diversité de manière exponentielle et des entreprises privées y ont vu un marché très lucratif. Des firmes comme Elsevier, Springer ou Wiley sont ainsi devenues des géants de l’édition savante qui monopolisent, peu ou prou, la plupart des revues les plus reconnues au plan international. Tout le travail proprement scientifique y est encore effectué gratuitement par les chercheurs, mais les profits générés par la vente de ces revues aux bibliothèques universitaires sont privatisés par ces conglomérats.</p>
<p>Tout cela est relativement bien connu. Ce qui l’est moins cependant est le fait que certains parmi les chercheurs ont aussi compris l’intérêt de proposer à ces géants de l’édition de nouvelles revues savantes qu’ils se proposent alors de « gérer » pour faire prospérer leur activité et leur domaine de recherche.</p>
<h2>Le cas El Naschie</h2>
<p>Un exemple d’un tel dérapage, que l’un de nous (Y.G.) avait découvert au hasard de ses recherches bibliométriques il y a une quinzaine d’années, concerne l’ingénieur égyptien Mohamed El Naschie qui était rédacteur en chef de la très spécialisée revue de physique théorique <em>Chaos, Solitons & Fractals</em>. Cette revue avait été créée par El Naschie lui-même en 1991 et était alors publiée par le groupe Pergamon, éditeur racheté par Elsevier en 1992.</p>
<p>Nous avions été frappés par le fait qu’ El Naschie avait publié, entre 1991 et 2008, près de 269 articles dans cette seule revue, soit plus de 85 % de sa production scientifique totale durant cette période. De plus, selon les données du Web of Science, ses articles n’ont été à peu près jamais été cités en dehors de la revue elle-même. Nous n’avions pas jugé utile d’alerter le monde savant et avions seulement trouvé le cas curieux. Des chercheurs ont toutefois fini par découvrir le pot aux roses et un scandale éclata en 2008 dans la revue <em>Nature</em>. Cette année-là seulement, El Naschie avait signé 53 articles dans <em>Chaos, Solitons & Fractals</em>, soulevant ainsi de sérieux doutes sur son processus d’évaluation. En effet, rappelons ici qu’aucune revue sérieuse ne publie dans une seule année autant d’articles de son rédacteur en chef. Celui-ci y exposait essentiellement les résultats d’une théorie qu’il avait lui-même développée, voulant que l’univers comporte un nombre infini de dimensions. Les spécialistes appelés à se prononcer sur cette théorie l’ont qualifiée <a href="https://blogs.sciencemag.org/pipeline/archives/2008/12/22/publish_your_work_the_easy_way">soit d’incohérente, soit de « numérologie truffée de buzzwords impressionnants »</a>.</p>
<p>Face au tollé de protestations soulevé par les scientifiques, Elsevier annonça que El Naschie prendrait sa retraite en 2009 – une façon élégante de le « remercier » – et <a href="https://www.nature.com/news/2008/081126/full/456432a.html">qu’un nouveau rédacteur en chef serait trouvé</a> pour relancer la revue sur de nouvelles bases. El Naschie a ensuite poursuivi <em>Nature</em> devant les tribunaux pour diffamation, mais <a href="https://www.nature.com/news/nature-publishing-group-wins-long-running-libel-trial-1.10965">fut débouté en cour en 2012</a>.</p>
<h2>Prendre le contrôle d’une revue peut faciliter les publications d’un groupe de chercheurs</h2>
<p>Cet exemple, peu connu, nous éclaire sur des façons de prendre le contrôle d’une revue pour faciliter les publications d’un groupe de chercheurs. El Naschie l’a fait de manière très visible, et même simpliste, au titre de rédacteur en chef. Toutefois, on peut aussi le faire plus subtilement, sans apparaître officiellement au comité éditorial, mais en faisant partie d’un réseau scientifique local qui domine le comité éditorial et, de fait, contrôle ainsi la revue, via le rédacteur en chef et son rédacteur-adjoint.</p>
<p>Or, une <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/070420/chloroquine-pourquoi-le-passe-de-didier-raoult-joue-contre-lui">enquête récente de Médiapart</a> a attiré notre attention sur la revue <a href="https://www.sciencedirect.com/journal/new-microbes-and-new-infections"><em>New Microbes and New Infections</em></a>, dont certaines caractéristiques s’apparentent à la revue de Mohamed El Naschie. Nous avons donc effectué une analyse bibliométrique de cette revue, recensée dans la base de données Scopus produite par Elsevier (qui édite aussi la revue). Fondée seulement en 2013 – une période qui voit la multiplication des nouvelles revues par les grands groupes, dans le but d’accroître leurs revenus et de diversifier leur portefeuille savant – <em>New Microbes and New Infections</em> a publié, au 10 juin 2020, 743 articles. Ce qui frappe pour une revue <a href="https://www.sciencedirect.com/journal/new-microbes-and-new-infections/about/aims-and-scope">affirmant « couvrir presque l’entièreté du monde scientifique »</a> est le fait que les pays qui y publient le plus sont les suivants : France (N=373), Arabie saoudite (N=115), Iran (N=48), Sénégal (N=46), Italie (N=44). Suit une queue de pays contribuant avec très peu d’articles depuis la création de la revue.</p>
<p>La France représente donc 50 % du total des articles, alors que ce pays n’a produit qu’environ 7 % des publications mondiales en virologie entre 2013 et 2020, contre 41 % pour les États-Unis. Ainsi, contrairement à ce que suggère le contenu de la revue <em>New Microbes and New Infections</em>, la France est loin de dominer le champ international de l’étude des microbes et des infections virales. Penchons-nous à présent sur ces publications françaises. On observe d’abord que 337 contiennent au moins une adresse institutionnelle de chercheurs basés à Marseille, soit 90 % du total français. En augmentant la focale, on trouve ensuite que 234 d’entre-elles, soit les deux-tiers, sont co-signées par le chercheur Didier Raoult. On observe aussi une montée en puissance rapide de cet auteur dans la revue : d’un seul article publié l’année de naissance de la revue en 2013, il passe à un pic de 77 articles pour la seule année 2017. En date du 10 juin, il en compte déjà 12 en 2020, alors que l’année n’en est qu’à sa moitié (Figure 1). Par ailleurs, l’éditeur-en-chef adjoint de la revue, Pierre-Edouard Fournier, y compte également 170 publications.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/342478/original/file-20200617-94054-5rlfdy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/342478/original/file-20200617-94054-5rlfdy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/342478/original/file-20200617-94054-5rlfdy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/342478/original/file-20200617-94054-5rlfdy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/342478/original/file-20200617-94054-5rlfdy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/342478/original/file-20200617-94054-5rlfdy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/342478/original/file-20200617-94054-5rlfdy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Figure 1 : Nombre de publications annuelles co-signées par le chercheur Didier Raoult dans la revue New Microbes and New Infections.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Comme les publications scientifiques sont normalement évaluées par des pairs et que la décision relève d’un comité scientifique supposé indépendant, regardons maintenant de plus près la composition du comité éditorial de la revue. Le rédacteur en chef est basé à Marseille, et parmi les six autres membres français du comité éditorial associé, composé de quinze membres, on retrouve cinq chercheurs de Marseille et un de Paris. Le caractère « international » de la revue est tout de même assuré par la présence sur ce comité de neuf autres membres provenant des États-Unis (4), d’Algérie (1), de Chine (1), de Suisse (1), d’Australie (1) et du Brésil (1). Bien que toutes les publications soient censées être évaluées par des spécialistes indépendants et extérieurs, mais choisis par les responsables de la revue, il demeure que la forte composant locale – soit près de la moitié du total – du comité de direction de la revue, peut contribuer à expliquer la domination des publications très locales dans cette revue dite « internationale ». On ne connaît en effet pas de revues scientifiques prestigieuses qui acceptent que presque la moitié de son comité scientifique éditorial soit concentré dans une même ville.</p>
<h2>Garder un regard critique</h2>
<p>Cette rapide étude bibliométrique de la dynamique des publications montre d’abord que l’analyse scientifique des publications peut aller beaucoup plus loin que les usages très problématiques qui en sont faits pour « évaluer » les chercheurs et calculer leur « indice h » censé, pour les naïfs, « mesurer » leur « qualité ».</p>
<p>Un bon usage de la bibliométrie nous éclaire en effet de manière unique sur la sociologie des sciences. Elle permet ainsi de suggérer que les journalistes qui couvrent les recherches en santé, et plus largement en sciences, ne devraient pas se contenter de répéter l’expression convenue « paru dans une revue scientifique », mais devraient scruter davantage la nature de la revue qui annonce les résultats qui auront l’honneur de figurer dans les médias de masse. Ils devraient ainsi vérifier si ces revues sont le fait de sociétés savantes indépendantes (par exemple, la revue <em>Science</em> est la propriété de AAAS, l’American Association for the Advancement of Science) ou de groupes privés cotés en bourse, et se demander si le but visé par la publication rapide de certains articles n’est pas simplement de maximiser la visibilité de la revue et d’accroître ses abonnements auprès des bibliothèques universitaires.</p>
<p>On peut aussi s’interroger sur la pertinence de créer constamment de nouvelles revues scientifiques, alors que les meilleures revues existantes suffisent à faire connaître les résultats les plus robustes, utiles et intéressants d’une discipline. En conservant de hauts standards de sélection, celles-ci contribuent en effet à écarter les études douteuses, car bâclées ou effectuées à la va-vite pour s’assurer une priorité, un renouvellement de poste ou d’octroi de crédits de recherche. En se montrant sélectives, elles contribuent aussi à ralentir le rythme des publications – devenu délirant en cette période de pandémie. On constate cependant que les grands éditeurs de revues ont trouvé le moyen de monétiser des articles refusés par leurs titres les plus sélectifs, en les acceptant dans de nouvelles revues, souvent en « accès libre » et donc payées par les auteurs et leurs laboratoires. Ainsi, les articles refusés par une revue A prestigieuse, mais recyclés dans une revue C moins regardante, tombent encore dans l’escarcelle de l’éditeur, contribuant alors davantage à son profit économique qu’au profit de la science.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140595/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yves Gingras reçoit des financements du CRSH et FRQSC.
</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mahdi Khelfaoui ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les revues scientifiques sont dirigées par des chercheurs, experts de la discipline, qui travaillent, dans ce cadre, pour les maisons d’édition scientifique. Deux cas de dérives du système.Yves Gingras, Professeur, Université du Québec à Montréal (UQAM)Mahdi Khelfaoui, Professeur associé, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1364602020-05-05T15:03:57Z2020-05-05T15:03:57ZCovid-19 : comment la bioéthique peut aider à faire face à des choix déchirants<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/332507/original/file-20200504-83757-1ewiogc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=35%2C28%2C4756%2C3161&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les bioéthiciens jouent un rôle indispensable dans la crise actuelle : ils doivent diminuer le fardeau des cliniciens lors des prises de décisions souvent difficiles et inédites.</span> <span class="attribution"><span class="source">shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La situation exceptionnelle provoquée par la pandémie de Covid-19 soulève des questions éthiques difficiles dans la prise de <a href="https://www.thehastingscenter.org/ethicalframeworkcovid19/">décisions médicales, politiques et sociales</a>. Au quotidien, les bioéthiciens peuvent aider à y voir plus clair.</p>
<p>Ces experts interdisciplinaires sont formés pour analyser les enjeux éthiques spécifiques aux mondes de la santé (soins de santé, santé publique). En ces temps de crise, ils sont appelés à s’exprimer sur des enjeux liés <a href="https://www.ledevoir.com/societe/577289/des-balises-en-cas-de-scenario-catastrophe">aux allocations de ressources</a> ou à la <a href="https://www.lapresse.ca/societe/sante/202003/13/01-5264617-eviter-une-pandemie-de-solitude.php">mise en quarantaine</a> des populations.</p>
<p>Ils orientent et critiquent, lorsque nécessaire, les <a href="https://www.ledevoir.com/societe/sante/576623/des-donnees-interessantes-mais-incompletes">initiatives gouvernementales</a>. Ce faisant, <a href="https://www.lapresse.ca/debats/opinions/202004/24/01-5270800-bioethique-courage-moral-et-perspective-mondiale.php">ils aident les journalistes et la population</a> à mieux comprendre les justifications et les limites des différentes contraintes auxquelles nous sommes soumis, comme la restriction de nos libertés au nom du bien commun, et les défis auxquels nos sociétés font face actuellement. Toutefois, même si la bioéthique a plus de 50 ans en Amérique du Nord, ce domaine d’études et de pratique professionnelle reste peu connu du grand public.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/covid-19-voici-pourquoi-les-mesures-deloignement-social-sont-necessaires-133748">Covid-19 : voici pourquoi les mesures d’éloignement social sont nécessaires</a>
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<h2>Des experts en éthique appliquée</h2>
<p>Les bioéthiciens sont des experts en éthique appliquée qui peuvent venir de plusieurs disciplines (philosophie, sciences sociales, droit, médecine, sciences infirmières). L’interdisciplinarité est un des piliers de ce domaine. Bien qu’ils soient souvent perçus comme des penseurs se nourrissant de grandes théories, ils peuvent aussi être amenés à <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelles/special/2018/10/hopital-sainte-justine-enfants-etudes-clinique-baclee-chercheurs-cancer-enquete-traitement-recherche-sante-canada/">critiquer fortement</a> des pratiques ou des décisions qui vont à l’encontre de l’éthique.</p>
<p>Cependant, le plus souvent, ils ont des rôles d’appui à la prise de décisions difficiles dans le réseau de la santé pour les <a href="https://cjb-rcb.ca/index.php/cjb-rcb/article/view/190">soignants</a>, sur des questions comme l’aide médicale à mourir, ou encore pour les <a href="https://cjb-rcb.ca/index.php/cjb-rcb/article/view/158">patients</a> concernant la divulgation de leurs données médicales. Ils collaborent également en <a href="https://cjb-rcb.ca/index.php/cjb-rcb/article/view/53">éthique de la recherche</a> dans des situations où les participants peuvent être plus vulnérables.</p>
<p>Ils œuvrent dans de nombreuses organisations, endossant des rôles multiples. Certains sont des professeurs-chercheurs universitaires : ils enseignent, entre autres, l’éthique médicale, la déontologie et l’éthique de la recherche aux futurs professionnels et gestionnaires de la santé, ainsi qu’aux <a href="https://espum.umontreal.ca/bioethique/">étudiants en bioéthique</a>. Le bioéthicien professeur peut commenter l’actualité dans les médias, siéger sur des <a href="https://www.ethique.gouv.qc.ca/fr">comités consultatifs</a> et faire partie de <a href="https://observatoire-ia.ulaval.ca/annonce-covid-19/">groupes d’experts</a> pour clarifier des enjeux complexes ou aider à élaborer des lignes directrices.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/332513/original/file-20200504-83757-xy2b5u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/332513/original/file-20200504-83757-xy2b5u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/332513/original/file-20200504-83757-xy2b5u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/332513/original/file-20200504-83757-xy2b5u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/332513/original/file-20200504-83757-xy2b5u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/332513/original/file-20200504-83757-xy2b5u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/332513/original/file-20200504-83757-xy2b5u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les bioéthiciens appuient la prise de décisions difficiles dans le réseau de la santé comme l’aide médicale à mourir, ou encore la divulgation des données médicales des patients.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Les autres professionnels de la bioéthique travaillent dans diverses institutions comme le réseau de la santé (<a href="https://aqec.ca/">éthique clinique</a> et <a href="https://www.reoq.ca/fr/">éthique organisationnelle</a>), les universités (<a href="https://www.careb-accer.org/fr">éthique la recherche</a>, <a href="https://recherche.umontreal.ca/responsabilite-en-recherche/conduite-responsable/">conduit responsable</a>), ou au gouvernement (ex. <a href="https://www.inesss.qc.ca/a-propos/directions/bureau-du-developpement-et-du-soutien-methodologique-et-de-lethique.html">INESSS</a>, <a href="https://www.inspq.qc.ca/cesp">INSPQ</a>, <a href="http://www.ccnpps.ca/46/ethique.ccnpps">CCNPPS</a>). Ils œuvrent souvent dans l’ombre, soutenant les différentes parties prenantes, professionnels de la santé et cadres, lors de décisions politiques organisationnelles, de décisions cliniques ou en recherche.</p>
<p>Tantôt garde-fou, tantôt médiateur, tantôt critique, le bioéthicien endosse des rôles multiples dont le point commun est de veiller au maintien de valeurs et <a href="https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000373115_fre">principes éthiques de nos sociétés</a> comme la responsabilité, la justice, la bienfaisance, la solidarité, la transparence, le respect de l’autonomie et de la dignité humaine…</p>
<h2>Diminuer le fardeau des décideurs</h2>
<p>Les bioéthiciens jouent un rôle indispensable dans la crise actuelle : ils doivent diminuer le fardeau des cliniciens et des décideurs lors des prises de décisions souvent difficiles et inédites. Ils doivent être présents pour soutenir les décideurs, sans se substituer à eux, en veillant à ce que ceux-ci prennent les <a href="https://blogs.bmj.com/medical-ethics/2020/04/01/responding-to-the-sars-cov-2-pandemic-experiences-of-an-ad-hoc-public-health-ethics-consultation/">meilleures décisions possible</a> dans les situations auxquelles ils sont confrontés.</p>
<p>Actuellement, les bioéthiciens traitent de questions d’allocation de ressources (masques, respirateurs, lits aux soins intensifs). Mais ils interviennent aussi dans le soutien des gestionnaires et des soignants en contexte de crise qui, par exemple, doivent déterminer les moyens les plus respectueux pour faire face à un nombre écrasant de décès de personnes âgées : <a href="https://www.tvanouvelles.ca/2020/04/25/des-morgues-temporaires-envisagees-1">où entreposer les corps</a> et comment assurer un <a href="https://www.ledevoir.com/societe/578061/service-a-l-auto">traitement digne des défunts et des familles</a> ?</p>
<h2>Équilibrer urgence et éthique</h2>
<p>Les bioéthiciens veillent aussi à la protection des participants et à la bonne conduite de la recherche en tant que conseillers au sein des comités d’éthique de la recherche. Toutefois, avec la pandémie de le Covid-19, l’urgence vient se confronter aux règles habituelles de la recherche. Le monde a besoin rapidement de traitements et d’un vaccin, mais la recherche clinique dans ce contexte soulève une multitude d’enjeux éthiques.</p>
<p>Le cas du professeur français Didier Raoult et sa recherche concernant l’utilisation de la chloroquine en est une bonne illustration, le débat éthique étant médiatisé. Ses essais thérapeutiques ont déclenché une vive polémique et un débat public. Plusieurs scientifiques <a href="https://theconversation.com/chloroquine-et-covid-19-les-etudes-publiees-ne-permettent-pas-de-prouver-son-efficacite-134838">ont émis des réserves concernant l’efficacité de ce traitement</a> et le cas est même devenu un <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/sciences/202004/10/01-5268841-nouvelle-etude-sur-la-chloroquine-nouvelles-critiques.php">enjeu de politique</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/chloroquine-et-covid-19-les-etudes-publiees-ne-permettent-pas-de-prouver-son-efficacite-134838">Chloroquine et Covid-19 : les études publiées ne permettent pas de prouver son efficacité</a>
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<p>Certes, il est important que la recherche avance rapidement. Mais cela nécessite une rigueur et une surveillance accrue, car toute défaillance entraînerait non seulement une perte de temps, mais aussi des risques de conséquences graves pour les participants. Les bioéthiciens doivent donc s’assurer du respect des normes éthiques et de conduite, en tenant compte aussi du risque d’avancer trop lentement dans un contexte de crise sanitaire.</p>
<p>Le bioéthicien académique, quant à lui, peut agir comme penseur, formateur et guide pour éveiller les consciences, en analysant et en critiquant les enjeux liés aux grandes questions de société. Il conserve sa liberté académique, ce qui lui permet de porter un regard critique sur les décisions sociales et politiques, par exemple le <a href="http://www.lecre.umontreal.ca/la-confiance-publique-est-une-voie-a-double-sens/">manque de transparence</a> du gouvernement sur ses différents scénarios de déconfinement, ou l’<a href="http://optictechnology.org/images/%C3%89laboration_et_gouvernance_des_solutions_technologiques_pour_une_sortie_de_crise_sanitaire_6-3.pdf">utilisation des applications de téléphones intelligents</a> et la <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1676533/geolocalisation-gps-coronavirus-application-moyens-techno-telephone-mobile-cellulaire-recherche-contact-tracing-bryn-williams-jones">géolocalisation</a> afin d’identifier et de traquer les individus et d’isoler les individus porteurs.</p>
<p>Dans les organisations gouvernementales ou dans le réseau de la santé, les bioéthiciens – en tant qu’employés de l’État – n’ont pas la même liberté d’expression. Toutefois, ils doivent répondre à des questions précises et jouer le rôle de guide et de garde-fou dans leurs institutions.</p>
<p>Dans la crise actuelle, ils doivent réagir rapidement et fournir des cadres décisionnels pertinents (par exemple, pour <a href="https://www.thehastingscenter.org/guidancetoolsresourcescovid19/">gérer la détresse morale</a> ou pour le <a href="https://www.nejm.org/doi/pdf/10.1056/NEJMp2005689">triage</a>) afin de guider et faciliter l’implantation de plans d’intervention qui seront à la fois efficaces et éthiques.</p>
<p>La pandémie de Covid-19 a révélé l’importance de la bioéthique, sa diversité et sa pertinence. Cette profession est une mosaïque complexe et interdisciplinaire. Ce qui peut s’apparenter à des barrières sont en fait des ponts reliant l’ensemble de la profession. En effet, les bioéthiciens jouent un <a href="https://impactethics.ca/2020/03/18/roles-for-ethicists-in-covid-19-response/">rôle de soutien et de catalyseur</a> pour orienter l’ensemble des parties avec lesquelles ils interagissent, en conservant leur esprit critique au service de la société.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136460/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les bioéthiciens sont des experts en éthique appliquée qui peuvent appuyer la prise de décisions difficiles dans le réseau de la santé.Sihem Neila Abtroun, Étudiante au doctorat en bioéthique, École de santé publique de l'Université de Montréal, Université de MontréalBryn Williams-Jones, Professor and Director of the Programmes de bioéthique, École de santé publique de l’Université de Montréal, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1353392020-04-06T18:21:05Z2020-04-06T18:21:05ZChloroquine et infections virales : ce qu’il faut savoir<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/325822/original/file-20200406-180021-fpfvab.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1298%2C846&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des personnels de l'Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) Méditerranée Infection en plein travail. C’est à l’IHU qu’ont été menés les premiers essais français pour évaluer le potentiel thérapeutique de l’hydroxychloroquine.</span> <span class="attribution"><span class="source">Gérard Julien / AFP</span></span></figcaption></figure><p><em>Cet article a été coécrit avec Sophie Cazaban, médecin généraliste, ancienne attachée au service des maladies infectieuses du CHU Grenoble Alpes, Grenoble.</em></p>
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<p>Hier inconnue du plus grand nombre, l’<a href="http://base-donnees-publique.medicaments.gouv.fr/affichageDoc.php?specid=67767535&typedoc=N">hydroxychloroquine (nom commercial Plaquenil)</a> est aujourd’hui au cœur d’une affaire médicale, scientifique et éthique. Du fait de la progression de la pandémie ces débats, qui ont débuté en France, connaissent désormais <a href="https://theconversation.com/la-mondialisation-des-infox-et-ses-effets-sur-la-sante-en-afrique-lexemple-de-la-chloroquine-134108">divers développements</a> à l’étranger, notamment aux USA où le président Donald Trump et le professeur Anthony Fauci, directeur de l’Institut national des allergies et maladies infectieuses, s’opposent ouvertement.</p>
<p>Tout a commencé le 19 février 2020 par une <a href="https://www.jstage.jst.go.jp/article/bst/14/1/14_2020.01047/_pdf/-char/en">communication</a> du département de pharmacologie de l’université chinoise de Qingdao mentionnant <a href="https://www.nature.com/articles/s41422-020-0282-0">une publication</a> faisant état de l’activité antivirale du phosphate de chloroquine <em>in vitro</em>. Ladite communication relaie également les déclarations tenues en conférence de presse par des représentants des autorités et des experts chinois, qui affirmaient que le phosphate de chloroquine avait démontré « une efficacité marquée et une sécurité acceptable dans le traitement de la pneumonie associée au COVID-19 dans un essai clinique multicentrique » portant sur « plus de 100 patients » (résultats non publiés).</p>
<p>Le trois mars, une équipe chinoise de la province de Guandong a publié un <a href="http://www.zjujournals.com/med/article/2020/1008-9292/20200108.shtml">deuxième article</a> faisant état des résultats du traitement d’une petite cohorte de 30 patients par une dose quotidienne de 400 mg d’hydroxychloroquine pendant 5 jours. Le critère d’évaluation principal était la négativation de la charge virale Covid-19 au niveau pharyngé après 7 jours. Cette étude ne mentionnait aucune différence significative entre le groupe traité et le groupe contrôle.</p>
<p>S’il n’existe pas pour l’instant de données faisant consensus concernant le Covid-19, l’histoire d’une potentielle activité inhibitrice de la chloroquine (et de son dérivé, l’hydroxychloroquine) contre les coronavirus n’est pas nouvelle. Elle remonte à l’épidémie de SARS-CoV, au début des années 2000. À l’époque, plusieurs équipes décrivent <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/14592603">son activité antivirale par des investigations <em>in vitro</em></a>. Retour sur des molécules qui ont fait couler beaucoup d’encre.</p>
<h2>Qu’est-ce que la chloroquine ?</h2>
<p>La chloroquine est fabriquée par synthèse chimique. Il s’agit d’un dérivé de la quinine, un alcaloïde isolé en 1820 par deux pharmaciens-chimistes français, Pierre Joseph Pelletier et Joseph Bienaimé Caventou, à partir de l’écorce de quinquina, un arbuste originaire de l’Équateur et connu sous le nom d’« arbre à fièvre » par les Indiens des plateaux andins.</p>
<p>La chloroquine, initialement commercialisée sous le nom de Nivaquine, fut un médicament central de la lutte contre le paludisme. Elle fut très largement utilisée au cours des trois ou quatre décennies qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, mais son intérêt dans cette indication est aujourd’hui devenu anecdotique. En effet, <em>Plasmodium falciparum</em>, l’espèce la plus répandue (et potentiellement mortelle) du parasite causant le paludisme a développé des résistances à la chloroquine à une échelle quasi mondiale.</p>
<p>Comme tout médicament, cette thérapeutique n’est cependant pas sans risque : une dose de 2 grammes de chloroquine est toxique, tandis que 4 grammes constituent une dose mortelle. La mise au point du sulfate d’hydroxychloroquine, mieux toléré par l’organisme, a constitué une alternative, qui reste toutefois soumise à prescription médicale en raison de sa marge thérapeutique étroite. Ce médicament n’est pas utilisé comme antipaludique, mais il est largement prescrit dans certaines maladies auto-immunes telles que la maladie lupique et la polyarthrite rhumatoïde, en raison de ses propriétés anti-inflammatoires. Les doses généralement prescrites sont de 600 mg/jour pendant plusieurs mois.</p>
<h2>Comment fonctionnent ces substances ?</h2>
<p>La chloroquine et l’hydroxychloroquine ont des effets thérapeutiques nombreux et complexes. Leur action majeure est liée à une inhibition des fonctions lysosomiales. Les lysosomes sont des vésicules présentes dans les cellules et contenant des enzymes. Actifs lorsque le <a href="https://www.futura-sciences.com/sciences/definitions/chimie-ph-222/">pH</a> est acide, ces enzymes sont capables de digérer la plupart des composants de la cellule : protéines, sucres, lipides, acides nucléiques…</p>
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<figcaption><span class="caption">Que sont les lysosomes ?</span></figcaption>
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<p>Il a été montré très tôt que la chloroquine a une remarquable affinité pour les lysosomes. Une fois concentrée à l’intérieur, elle en augmente le pH et perturbe ainsi leurs fonctions enzymatiques. Les scientifiques ont également découvert que la chloroquine et l’hydroxychloroquine stabilisent les membranes des endosomes, une autre sorte de vésicules présentes dans la cellule et impliquées dans le transit et le tri des molécules.</p>
<p>Cette propriété de la chloroquine explique son effet antipaludique. En effet, au cours de leur cycle de vie, les parasites responsables du paludisme pénètrent dans les globules rouges dont ils découpent l’hémoglobine pour fabriquer leurs propres protéines. Ils utilisent pour cela des enzymes contenus dans une vacuole digestive. <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/9744568?dopt=Abstract">En s’accumulant dans cette dernière</a>, la chloroquine perturbe le fonctionnement enzymatique, à l’image de ce qui se passe dans les lysosomes.</p>
<p>Outre ces effets, la chloroquine influe à d’autres niveaux de l’organisme, en inhibant les fonctions des effecteurs de l’immunité innée (monocytes/macrophages) et spécifiques (activation lymphocytaire), ou en interférant avec certaines voies de signalisation cellulaires. Ces propriétés sont à l’origine de ses effets anti-inflammatoires, lesquels sont mis à contribution pour traiter les maladies auto-immunes telles que l’arthrite rhumatoïde.</p>
<p>Enfin, il a été prouvé que la chloroquine interfère avec la double hélice de l’ADN. Il s’agit donc d’un composé relativement toxique, présentant un risque de génotoxicité qui s’exprime principalement lors de son emploi en thérapie de longue durée.</p>
<p>Lors du traitement, les effets indésirables les plus courants sont des manifestations gastro-intestinales, comme les vomissements et la diarrhée. D’autres problèmes plus graves, tels qu’une atteinte de la rétine (rétinopathie) ou du cœur (cardiomyopathie) peuvent cependant survenir lors d’une exposition à long terme à la chloroquine. En outre, comme pour beaucoup de médicaments à marge thérapeutique étroite, il faut également impérativement surveiller la fonction rénale chez les sujets âgés, pour éviter les surdosages.</p>
<h2>La chloroquine interfère avec certains micro-organismes</h2>
<p>Chloroquine et hydroxychloroquine sont donc potentiellement capables d’interférer avec le développement des microorganismes qui infectent des cellules et détournent leurs lysosomes ou leurs endosomes à leur profit.</p>
<p>L’efficacité de la chloroquine a ainsi été prouvée dans le traitement de la <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/9927100">fièvre Q</a>, causée par la très infectieuse bactérie <em>Coxiella burnetii</em>, qui pénètre dans les cellules et peut provoquer des <a href="http://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/8113/MS_2013_05_455.html">problèmes cardiaques graves</a>, ou de la <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22287233">maladie de Whipple</a>, due à une autre <a href="https://www.revmed.ch/RMS/2015/RMS-N-484/Maladie-de-Whipple-quand-y-penser">bactérie intracellulaire</a>, qui nécessite un traitement à vie.</p>
<p>En ce qui concerne les virus, les choses sont moins claires. En 2005, des travaux menés sur des cellules de primates avaient mis en évidence une <a href="https://virologyj.biomedcentral.com/articles/10.1186/1743-422X-2-69">activité <em>in vitro</em> sur le virus SARS-CoV-1</a>, responsable de l’épidémie de SARS de 2003. Le SARS-CoV-1 responsable de la maladie, ayant disparu, les chercheurs ont continué à tester l’activité de la chloroquine, notamment sur le MERS-CoV, avec des <a href="https://aac.asm.org/content/aac/58/8/4875.full.pdf">résultats encourageants <em>in vitro</em></a>.</p>
<p>En revanche, d’autres études avaient démontré une absence d’efficacité <em>in vivo</em> sur d’autres virus, tels que les virus du <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/29772762">chikungunya</a>, de <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20706626">la dengue</a>, ou de <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21550310">la grippe</a>.</p>
<p>Pour infecter une cellule, les virus commencent par s’accrocher à sa surface. Dans le cas des virus enveloppés, c’est-à-dire entourés par une membrane, tels que le SARS-CoV-2, l’étape suivante consiste à <a href="https://reader.elsevier.com/reader/sd/pii/S0042682217304208?token=B4356BE43E2D8B9460FA9952471AF3B973E05FEAEF5B925B98282914031E16477751452E65FDF847FE611044D5515D6C">fusionner ladite membrane avec celle de la cellule</a>. Selon les virus, cette fusion peut avoir lieu à la surface cellulaire ou dans des endosomes après internalisation de la particule virale.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/325851/original/file-20200406-96658-crws62.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/325851/original/file-20200406-96658-crws62.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/325851/original/file-20200406-96658-crws62.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=310&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/325851/original/file-20200406-96658-crws62.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=310&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/325851/original/file-20200406-96658-crws62.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=310&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/325851/original/file-20200406-96658-crws62.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=389&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/325851/original/file-20200406-96658-crws62.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=389&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/325851/original/file-20200406-96658-crws62.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=389&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le cycle de vie de coronavirus de type SARS-CoV ou MERS-CoV. La libération du matériel génétique du virus dépend du pH de l’endosome qui le contient (d’après Wit E et coll., (2016) <em>Nature Reviews Microbiology</em>, doi : 10.1038/nrmicro.2016.81)</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://gl.wikipedia.org/wiki/Ficheiro:The_life_cycle_of_SARS-CoV.svg">Vega Asensio / Wikimedia Commons</a></span>
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<p>Dans le cas du coronavirus SARS-CoV-2, la chloroquine pourrait inhiber la fusion de la membrane virale avec la membrane cellulaire, prévenant ainsi le passage du virus <a href="https://www.nature.com/articles/s41565-020-0674-9">dans le compartiment cytoplasmique</a>. L’hydroxychloroquine inhibe également la réplication in vitro du SARS-CoV-2 dans les cultures cellulaires.</p>
<h2>Covid-19 : l’hydroxychloroquine est-elle efficace ?</h2>
<p>À ce stade des connaissances, il faut souligner que l’on considère que le passage des premiers symptômes de la maladie au syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) est très probablement dû à une libération incontrôlée de molécules favorisant l’infection, ce qui déclencherait un « orage inflammatoire ».</p>
<p>Tester la pertinence pharmacologique de la hydroxychloroquine n’est donc pas illogique : elle pourrait tenir à sa capacité à bloquer le coronavirus et à ses propriétés anti-inflammatoires. C’est dans cet esprit que, le 8 mars 2020, les chercheurs du Drug Clinical Trial Center à Pékin ont fait part de leur intérêt concernant le traitement des patients atteints de Covid-19 <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/32150618">par l’hydroxychloroquine plutôt que la chloroquine</a>.</p>
<p>Didier Raoult et son équipe, à l’IHU Méditerranée-infection à Marseille, ont dès lors décidé de conduire deux essais préliminaires. Les résultats du premier de ces essais, <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/32205204">publiés le 20 mars 2020</a>, indiqueraient qu’un traitement de huit jours, associant l’hydroxychloroquine avec un antibiotique de la série des macrolides, l’azithromycine, aboutirait à une « clairance virale » (le virus n’est plus détecté chez les patients ou dans des cultures cellulaires). Cet antibiotique est utilisé car il a été démontré que dans le cas de l’infection par le virus de la grippe A (H1N1), <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/31300721">il interfère avec le processus d’internalisation du virus</a>. D’autres études mentionnent une <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/30599241">action antivirale</a> sur des virus appartenant au <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01165195/document#page=17">genre Enterovirus</a>.</p>
<p>Ces travaux ont fait l’objet de diverses critiques et discussions <a href="https://blogs.sciencemag.org/pipeline/archives/2020/03/29/more-on-cloroquine-azithromycin-and-on-dr-raoult">quant à leur méthodologie</a> : petit nombre de patients, essai non randomisé, absence de groupe contrôle… En outre, une équipe de l’hôpital Saint-Louis n’est <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0399077X20300858?via%3Dihub">pas parvenue à reproduire les résultats concernant la clairance virale</a>.</p>
<p>Il faudra donc d’autres essais cliniques sur des grandes cohortes pour savoir si les résultats observés <em>in vitro</em> se traduisent bien par des effets intéressants <em>in vivo</em>, et, si tel est le cas, pour évaluer les risques liés aux effets secondaires, déterminer la posologie optimale, les indications de ce médicament potentiel, etc.</p>
<p><a href="https://presse.inserm.fr/lancement-dun-essai-clinique-europeen-contre-le-covid-19/38737/">Lancé le 22 mars, l’essai Discovery prévoit d’inclure 3 200 patient·es européen·nes</a>. Alors que l’hydroxychloroquine en avait initialement été exclue, un bras de l’essai portera désormais sur son évaluation, mais sans l’associer à l’azithromycine. De son côté, le CHU d’Angers a lancé <a href="https://www.chu-angers.fr/le-chu-angers/a-la-une/communiques-de-presse/communiques-annee-2020/hycovid-pour-mettre-fin-au-debat-sur-l-hydroxychloroquine-dans-le-covid-19-93249.kjsp">l’essai Hycovid</a>, qui ambitionne de tester l’efficacité de cette molécule sur 1300 patients. Enfin, l’OMS envisage la tenue d’un essai contrôlé par placebo visant à évaluer la <a href="https://www.who.int/blueprint/priority-diseases/key-action/RD-Blueprint-expert-group-on-CQ-call-Mar-13-2020.pdf#page=8">prophylaxie à la chloroquine sur le long terme</a>. L’étude impliquerait 20 000 travailleurs de la santé, la chloroquine étant testée quotidiennement avec les doses utilisées pour la polyarthrite rhumatoïde.</p>
<p>Sauf énorme surprise, il faudra sans doute patienter encore plusieurs semaines avant de savoir avec certitude si les résultats des premières communications chinoises et françaises, qui portaient sur de petits effectifs de malades, seront confirmés (ou non) sur de plus grandes séries.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135339/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Drouet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis plusieurs semaines, l’intérêt thérapeutique de la chloroquine et de l’hydroxychloroquine sont au cœur d’un intense débat. Que sait-on de l’efficacité de ces molécules contre les virus ?Emmanuel Drouet, Pharmacien, docteur en virologie humaine, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1351492020-04-01T19:02:24Z2020-04-01T19:02:24ZPourquoi sommes-nous aussi divisés sur la question de l’hydroxychloroquine ?<p>Depuis quelques jours, le professeur Didier Raoult est au centre d’une polémique qui ne cesse d’enfler.</p>
<p>Ses déclarations sur l’hydroxychloroquine ont donné de l’espoir à de nombreux Français mais ont aussi beaucoup fait réagir la communauté scientifique.</p>
<p>De nombreux <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/03/24/francoise-barre-sinoussi-ne-donnons-pas-de-faux-espoirs-c-est-une-question-d-ethique_6034231_3244.html">scientifiques</a> (<a href="https://www.franceculture.fr/emissions/radiographies-du-coronavirus/chloroquine-le-protocole-raoult">journalistes spécialisés</a>, <a href="https://www.rtl.fr/actu/bien-etre/coronavirus-et-chloroquine-michel-cymes-appelle-a-la-vigilance-7800313537">médecins</a>, <a href="http://hemisphere-gauche.blogs.liberation.fr/2020/03/28/didier-raoult-accuse-de-fraude-scientifique-que-faut-il-croire/">chercheurs</a>, ou encore <a href="https://www.atlantico.fr/decryptage/3588320/chloroquine--chloroquine--les-doutes-qui-pesent-sur-la-rigueur-de-l-etude-du-professeur-raoult-expliques-par-un-biostatisticien">biostatisticiens</a>) ont souligné les faiblesses des <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/sante/chloroquine-la-nouvelle-etude-de-didier-raoult-ne-leve-pas-les-doutes_143005">deux études</a> du professeur Raoult et vivement critiqué les déclarations de ce dernier concernant l’<a href="https://www.mediterranee-infection.com/coronavirus-vers-une-sortie-de-crise/">hydroxychloroquine</a>.</p>
<p>Mais la controverse a progressivement quitté la sphère scientifique pour prendre de nouvelles formes, évoluant dans certains cas vers des règlements de compte <a href="https://rmc.bfmtv.com/emission/daniel-cohn-bendit-s-emporte-contre-didier-raoult-qu-il-ferme-sa-gueule-1885422.html">entre personnalités</a> et non pas vers un vrai débat de fond.</p>
<p>Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi sommes-nous à ce point divisés sur la question de l’hydroxychloroquine ?</p>
<h2>Peur et prise de décision : un cocktail explosif</h2>
<p>Le coronavirus nous fait peur. Nous redoutons la maladie, la perte de notre travail et même la mort. Or, on le sait, la <a href="https://theconversation.com/pourquoi-a-t-on-peur-face-a-lepidemie-133727">peur</a> est souvent mauvaise conseillère. Nous allons voir comment ce contexte incertain a pu biaiser notre vision des choses.</p>
<p>Commençons par le <a href="https://www.uzh.ch/cmsssl/suz/dam/jcr:ffffffff-fad3-547b-ffff-ffffe54d58af/10.18_kahneman_tversky_81.pdf">biais de cadrage</a> dont l’existence a été démontrée au début des années 80 par deux chercheurs en psychologie, <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/economic-sciences/2002/9236-communique-de-presse-le-prix-de-sciences-economiques-institue-par-la-banque-de-suede-a-la-memoire-dalfred-nobel-2002/">Daniel Kahneman</a> et Amos Tversky. Dans leur étude, ils ont demandé aux participants de choisir quel traitement administrer à 600 personnes touchées par une maladie inconnue venant de Chine (non ce n’est pas une blague) et promises à une mort certaine. Ils avaient le choix entre le traitement A dont l’issue était certaine (200 survivants/400 morts) et le traitement B dont l’issue était incertaine (1 chance sur 3 que les 600 personnes soient sauvées/2 chances sur 3 qu’elles périssent).</p>
<p>Lorsque le problème était présenté en termes de morts (cadrage négatif), les participants ont montré une très large préférence pour le traitement B, alors qu’ils ont très majoritairement choisi le traitement A quand le problème était présenté en termes de survivants (cadrage positif). Or en ce moment, reconnaissons-le, notre cadrage est plutôt négatif, ce qui diminue notre aversion pour les solutions incertaines comme l’hydroxychloroquine.</p>
<p>À cela s’ajoute la tendance qu’ont les individus à réagir aux risques imminents (le Covid-19), mais <a href="https://theconversation.com/la-pandemie-revele-nos-rapports-ambigus-aux-risques-134714">à ignorer ceux à plus long terme</a>, ici, les effets secondaires des traitements. C’est ainsi que l’option de traiter tous les patients sans distinctions avec un médicament dont <a href="https://www.lalibre.be/planete/sante/l-hydroxychloroquine-pas-plus-efficace-que-d-autres-traitements-selon-une-etude-chinoise-5e7bb0e17b50a6162bbd8557">l’efficacité est discutée</a> et dont les effets secondaires sur les patients atteints du Covid-19 sont inconnus, <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/25/didier-raoult-le-medecin-peut-et-doit-reflechir-comme-un-medecin-et-non-pas-comme-un-methodologiste_6034436_3232.html">devient acceptable</a>.</p>
<h2>Le besoin d’agir</h2>
<p>Il est vrai que la situation dans les hôpitaux est extrêmement compliquée. Les soignants assistent impuissants à la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=cPz1urzeGOw">mort de plusieurs patients chaque jour</a> alors même que le pic de l’épidémie ne semble pas encore atteint.</p>
<p>Or la mission des médecins étant de soigner, il est difficile pour eux (on le comprend) de ne pouvoir donner aucun traitement. C’est pourquoi les médecins ont la possibilité d’administrer les traitements déjà disponibles sur le marché, dont certains antiviraux, <a href="http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/opecst/auditions_publiques/OPECST-traitements-vaccins-depistage_finale.pdf#">à titre compassionnel</a>, dans l’attente des résultats de l’<a href="https://presse.inserm.fr/lancement-dun-essai-clinique-europeen-contre-le-covid-19/38737/">essai Discovery</a>, un essai clinique européen destiné à évaluer quatre traitements expérimentaux contre le Covid-19 lancé le 22 mars.</p>
<p>Il peut arriver que ce besoin d’agir s’exprime de manière excessive. C’est ce que l’on appelle le <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1197/aemj.9.11.1184">biais de commission</a>. Ce biais est plus marqué chez les médecins qui pensent pouvoir sauver tous les patients, mais peut également apparaître en réponse à la pression des patients eux-mêmes. Les médecins ne voulant pas passer pour de <a href="https://sante.lefigaro.fr/article/les-medecins-peinent-a-rayer-les-prescriptions-meme-si-elles-deviennent-inutiles/">mauvais praticiens</a> vont alors céder et faire les prescriptions que les patients réclament, même si elles sont inutiles.</p>
<p>On observe déjà ce phénomène en France. Certains patients ne veulent prendre part à l’<a href="https://www.liberation.fr/france/2020/03/26/le-buzz-sur-la-chloroquine-freine-l-essai-clinique-europeen-discovery_1783176">essai clinique Discovery</a> qu’à la seule condition de recevoir l’hydroxychloroquine. Cela ralentit énormément l’essai clinique, qui est pourtant une de nos meilleures chances de trouver un traitement efficace.</p>
<h2>Effet de halo</h2>
<p>Si l’on veut comprendre cette polémique, il est nécessaire de parler de l’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=xJO5GstqTSY">effet de halo</a>, qui semble avoir eu un énorme impact. Ce biais cognitif décrit la tendance à juger le comportement d’un individu de manière biaisée, car influencée par l’opinion que l’on s’est préalablement faite de lui.</p>
<p>Il est indéniable que le parcours professionnel de Didier Raoult est <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-qui-est-didier-raoult-la-star-mondiale-de-la-microbiologie-qui-assure-avoir-trouve-le-remede-contre-le-covid-19_3884387.html">impressionnant</a>. Co-auteur de <a href="https://scholar.google.fr/citations?user=n8EF_6kAAAAJ&hl=fr&oi=ao">milliers</a> de publications scientifiques, découvreur de dizaines de bactéries pathogènes, il a aussi reçu le <a href="https://histoire.inserm.fr/de-l-inh-a-l-inserm/les-prix-inserm/prix-2010/didier-raoult-grand-prix-2010">Grand prix de l’Inserm</a> en 2010. C’est aussi un personnage charismatique, sûr de lui et <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-qui-est-didier-raoult-la-star-mondiale-de-la-microbiologie-qui-assure-avoir-trouve-le-remede-contre-le-covid-19_3884387.html">autoritaire selon ses collaborateurs</a>. Or, dans les situations incertaines, les êtres humains se tournent très souvent vers des <a href="https://www.pnas.org/content/114/26/6734">leaders</a> forts, présentant ces mêmes caractéristiques. Cela explique pourquoi autant de personnes (citoyens comme <a href="https://www.franceinter.fr/societe/youtube-twitter-facebook-didier-raoult-est-devenu-une-star-du-web-et-pas-que-pour-le-meilleur">personnalités politiques</a>) ont été marqués par le professeur Raoult, malgré le fait que son discours soit contestable d’un point de vue scientifique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1245066715400208385"}"></div></p>
<h2>Un scientifique « anti-système » ?</h2>
<p>Son attitude anticonformiste a aussi sûrement contribué à accentuer cet effet de halo. Sa personnalité, son discours sur les réseaux sociaux, et enfin son <a href="https://www.franceinter.fr/didier-raoult-chercheur-disruptif">apparent rejet du système</a> plaisent <a href="https://www.lci.fr/population/200-000-membres-en-5-jours-ce-groupe-facebook-ou-le-pr-raoult-est-erige-en-heros-2149216.html">beaucoup à certains Français</a>, mécontents de la manière dont la crise est gérée par le gouvernement. Le professeur Raoult semble être devenu le <a href="https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200331.OBS26839/qui-sont-les-soutiens-tous-azimuts-du-professeur-raoult.html">porte-voix de ce mécontentement</a>, et les scientifiques qui plaident la prudence sont vus comme des représentants corrompus du système.</p>
<p>Pas étonnant qu’il mette en avant le fait que <a href="https://www.marianne.net/politique/de-marseille-fox-news-comment-les-essais-de-didier-raoult-sur-la-chloroquine-ont-convaincu">Donald Trump ait suivi ses recommandations</a>, alors que le président américain est loin d’être une <a href="https://www.nytimes.com/2020/03/04/opinion/coronavirus-science.html">référence en matière de science</a> et se présente comme une grande figure anti-système (<a href="https://www.lepoint.fr/editos-du-point/pierre-antoine-delhommais/delhommais-non-trump-n-est-pas-le-candidat-de-l-antisysteme-17-11-2016-2083801_493.php">du moins en apparence</a>).</p>
<h2>Monsieur Tout-le-Monde, ce grand expert</h2>
<p>Le déplacement de la polémique du monde scientifique à la société civile dans son ensemble a eu pour conséquence de brouiller le débat. L’<a href="https://www.demenzemedicinagenerale.net/images/mens-sana/Dunning_Kruger_Effect.pdf">effet Dunning-Kruger</a> (<a href="https://theconversation.com/comment-le-coronavirus-nous-a-tous-biaises-134415">encore lui</a>) y est pour beaucoup. Ce biais décrit la tendance à surestimer ses propres compétences dans un domaine, un phénomène généralement très marqué chez les individus ayant peu de compétences.</p>
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<figcaption><span class="caption">L'effet Dunning-Kruger en vidéo</span></figcaption>
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<p>Quand une personne commence à devenir compétente, elle découvre rapidement l’étendue de son ignorance, ce qui se traduit par un effondrement de confiance. Cette dernière remontera petit à petit à mesure que la personne gagnera en expertise mais n’atteindra jamais plus le niveau de confiance initial. En résumé, une personne experte se comportera de manière moins confiante qu’une personne sans expertise.</p>
<p>On observe un comportement similaire chez les <a href="https://www.francetvinfo.fr/sciences/espace/platistes-rencontre-avec-ceux-qui-pensent-que-la-terre-est-plate_3847973.html">platistes</a>, grands défenseurs de l’idée que la Terre est plate. À ce sujet, l’excellent documentaire <em>Behind the Curve</em> nous permet de mesurer les conséquences à long terme de l’effet Dunning-Kruger. Les platistes attaquent systématiquement l’expertise des scientifiques, les accusant de faire partie d’une <a href="https://edition.cnn.com/2019/11/16/us/flat-earth-conference-conspiracy-theories-scli-intl/index.html">conspiration mondiale</a> et d’être à la solde de la NASA, de la CIA entre autres. On observe ainsi une même <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/il-gene-on-veut-le-faire-taire-pourquoi-didier-raoult-seduit-les-complotistes_2122146.html">tendance conspirationniste</a> chez certains soutiens du professeur Raoult.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/VZzsq40Bx2Y?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Behind the Curve.</span></figcaption>
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<h2>Couverture médiatique</h2>
<p>Mais alors pourquoi malgré les efforts des scientifiques, le message ne passe-t-il pas ? Premier coupable, le fameux <a href="https://pdfs.semanticscholar.org/70c9/3e5e38a8176590f69c0491fd63ab2a9e67c4.pdf">biais de confirmation</a> qui décrit la tendance à sélectionner et à donner plus de poids aux informations qui confirment nos croyances. Pour diverses raisons, un nombre non négligeable de Français s’est convaincu de l’efficacité de l’hydroxychloroquine. Beaucoup ont donc privilégié les informations qui confirmaient cet espoir et ont disqualifié les autres.</p>
<p>La couverture médiatique de cette polémique a aussi sûrement facilité cette tendance. Sur les plateaux de télévision, on a pu voir des débats opposant un intervenant pro-hydroxychloroquine à un intervenant anti-hydroxychloroquine, alors qu’une majorité de scientifiques s’opposent à son usage. On observe une tendance similaire dans le traitement médiatique du changement climatique.</p>
<p>Alors que <a href="https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/8/2/024024/pdf">97 % des études scientifiques</a> démontrent que le changement climatique est causé par les activités humaines, on donne <a href="https://www.universityofcalifornia.edu/news/media-creates-false-balance-climate-science-study-shows">autant de temps de parole</a> aux climatosceptiques qu’aux scientifiques. Dans les deux cas, cela donne l’impression qu’il n’y a pas de réel consensus scientifique et légitime les deux thèses, ce qui alimente le biais de confirmation.</p>
<p>Enfin, pour compliquer encore les choses, il a été montré que plus on essaye de convaincre quelqu’un, moins on y arrivera, c’est l’<a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/23808985.2009.11679083">effet boomerang</a>. Tous ces phénomènes expliquent pourquoi la communauté scientifique a autant de mal à faire entendre sa voix.</p>
<h2>Retour vers le futur</h2>
<p>D’ici quelques semaines, le professeur Raoult aura connaissance, comme tout le monde, des <a href="https://www.lequotidiendumedecin.fr/specialites/infectiologie/essai-discovery-la-premiere-evaluation-clinique-prevue-dans-quinze-jours">résultats de l’étude Discovery</a>.</p>
<p>Si ces résultats confirment ses déclarations, il pourrait alors tirer parti d’un phénomène appelé <a href="https://pure.mpg.de/rest/items/item_2102632/component/file_2102631/content">biais rétrospectif</a>, qui décrit la tendance à rationaliser a posteriori un événement en le considérant comme prévisible, alors qu’il ne l’était pas au moment des faits.</p>
<p>Que se passera-t-il si Discovery démontre l’inefficacité de l’hydroxychloroquine ? Il est possible que les biais cognitifs déjà à l’œuvre accentuent la polémique mais aussi la défiance d’une partie de la société envers les scientifiques.</p>
<p>Nous devons ainsi nous interroger sur la <a href="https://www.sciencespo.fr/actualites/actualit %C3 %A9s/science-la-mont %C3 %A9e-de-la-d %C3 %A9fiance/3620">place donnée à la société</a> dans le débat scientifique. S’il paraît essentiel que les citoyens s’intéressent à la science et y participent <a href="https://theconversation.com/sciences-citoyennes-des-promesses-pas-encore-tout-a-fait-realisees-122827">activement</a>, il est vital qu’ils le fassent en comprenant les méthodologies proposées et en prêtant attention à leurs propres biais de raisonnement, quitte à remettre en cause leurs croyances.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Créé en 2007 pour accélérer les connaissances scientifiques et leur partage, le Axa Research Fund a apporté son soutien à environ 650 projets dans le monde conduits par des chercheurs de 55 pays. Pour en savoir plus, visiter le site <a href="https://www.axa-research.org/en">Axa Research Fund</a> ou suivre sur Twitter @AXAResearchFund.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135149/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eve Fabre a reçu des financements de AXA Research Fund & Marie Skłodowska-Curie Actions (Commission Européenne). </span></em></p>La plupart des Français ont désormais une opinion, souvent clivante, sur le Dr Raoult et ses recherches. Comment celle-ci s’est-elle forgée et pourquoi ?Eve Fabre, Chercheure en Facteur Humain & Neurosciences Sociales, ISAE-SUPAEROLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1350742020-03-31T18:20:49Z2020-03-31T18:20:49ZLe Covid-19 révèle une crise de l’institution scientifique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/324333/original/file-20200331-65543-xwforr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C0%2C1024%2C682&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le regard politique se tourne vers le professeur Jean-François Delfraissy.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.afpforum.com/AFPForum/Search/Results.aspx?pn=1&smd=8&mui=3&q=7711093231361390681_0&fst=Jean-Fran%c3%a7ois+Delfraissy&fto=3&t=2#">LUDOVIC MARIN / AFP / POOL</a></span></figcaption></figure><p>Depuis le début de la crise liée à la propagation du Covid-19 en France, la science et les scientifiques occupent une place centrale dans la décision publique. Deux groupements d’experts, le « conseil scientifique » (CS) et le « comité analyse recherche et expertise » (CARE) ont ainsi été mis en place pour informer les mesures gouvernementales. Ces nouvelles structures, constituées sur des critères flous, s’accompagnent d’un discours politique volontariste selon lequel « c’est grâce à la science et à la médecine que nous vaincrons le virus ». Il s’agit ainsi de s’appuyer sur « nos meilleurs chercheurs » pour trouver des solutions rapides et adaptées.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1242362855430729728"}"></div></p>
<p>Le procédé n’est pas nouveau. Les responsables politiques se sont fréquemment appuyés, en particulier dans des contextes d’incertitude, sur la connaissance et l’expertise scientifiques pour construire la légitimité des institutions et de l’action publiques. C’est par exemple vrai des institutions européennes, qui ont historiquement cherché à <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2019-1.htm">enrôler des chercheurs pour légitimer le processus d’intégration</a> et à <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2001-6-page-867.htm?contenu=resume">recourir à l’expertise pour compenser le déficit démocratique de leurs procédures</a>. La démarche semble néanmoins rencontrer, ici, deux types de limites.</p>
<h2>Expertise scientifique et défiance citoyenne</h2>
<p>L’argument d’autorité que constitue la référence aux avis du conseil scientifique ne suffit pas, d’abord, à construire l’acceptabilité sociale des mesures de confinement. Les entorses à la lettre ou à l’esprit de ces mesures, largement médiatisées depuis la mi-mars, témoignent de ce que ces mesures ne sont qu’imparfaitement comprises et acceptées par une partie de la population.</p>
<p>Il serait une erreur de ne voir dans ces entorses qu’une résistance à un confinement par nature délétère, notamment pour les plus démunis. Le contexte de crise ne fait en effet pas disparaître la défiance préexistante des citoyens à l’égard des paroles publiques et des expertises qui « tombent d’en haut », sans considération pour « le terrain » et les difficultés des vies ordinaires. Cette défiance est particulièrement forte dans les parties de la population qui <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/03/23/coronavirus-dans-les-quartiers-populaires-l-incomprehension-face-aux-mesures-de-confinement_6034060_3224.html">entretiennent un rapport distant ou conflictuel aux institutions publiques</a>. Dans certains quartiers populaires par exemple, la distance aux mots d’ordre politiques et les tensions avec la police n’ont pas attendu le confinement.</p>
<p>Les derniers mois ont vu une prise de conscience de cette défiance. La mise en place de la convention citoyenne pour le climat témoigne en effet d’un souci de construction des mesures de transition écologique dans un double dialogue avec les experts scientifiques et les citoyens ordinaires. Le temps court d’une crise sanitaire se prête sans doute moins à la mise sur pied de tels dispositifs délibératifs. Mais les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/26/coronavirus-nous-assistons-a-une-veritable-faillite-de-notre-democratie-sanitaire_6034459_3232.html">dispositifs existants de démocratie sanitaire auraient pu être mobilisés</a>. Le fait qu’ils ne l’aient pas été, ou si peu, montre que l’acceptabilité sociale des avis scientifiques reste un impensé des décisions actuelles.</p>
<h2>Preuve scientifique et bon sens thérapeutique</h2>
<p>Les avis du conseil scientifique ne suffisent pas non plus à justifier aux yeux d’une partie du public les décisions prises quant à la question des traitements potentiels de la maladie. La controverse fortement médiatisée autour de l’efficacité potentielle de l’hydroxychloroquine en constitue une illustration. Alors que le gouvernement insiste sur le fait que l’usage de cette molécule est prématuré, ou doit être à tout le moins très encadré, les pharmacies font état d’une <a href="https://www.lemonde.fr/sante/article/2020/03/28/coronavirus-l-hydroxychloroquine-objet-de-convoitise-dans-les-pharmacies_6034748_1651302.html">forte hausse de la demande et de ruptures de stock</a>, à la suite notamment des prises de parole du microbiologiste Didier Raoult vantant l’efficacité de ce traitement.</p>
<p>Ce constat témoigne d’une déconnexion entre l’institution scientifique et l’opinion publique, et singulièrement d’une incapacité à faire entendre et accepter les normes d’administration de la preuve scientifique. Les règles et les temporalités ordinaires de la découverte scientifique apparaissent inopérantes, aux yeux d’une partie des citoyens, face au discours volontariste de Didier Raoult, pourtant uniquement étayé par un essai clinique limité et controversé.</p>
<p>Ce caractère inopérant peut s’expliquer par deux facteurs. Le premier tient à la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0963662519863575">relative distance d’une partie de la population à la science</a>, par déficit de formation primaire et de dispositifs de dialogue institutionnalisés entre chercheurs et citoyens. Le second tient à la manière dont Didier Raoult a diffusé ses prises de position. Plutôt que de passer prioritairement par des canaux de validation scientifique de ses hypothèses, l’infectiologue a privilégié l’enrôlement des citoyens ordinaires à travers la diffusion de vidéos courtes et accessibles, vues des centaines de milliers de fois. Plutôt que d’apparaître pris en défaut par manque de rigueur intellectuelle, il a <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/25/didier-raoult-le-medecin-peut-et-doit-reflechir-comme-un-medecin-et-non-pas-comme-un-methodologiste_6034436_3232.html">revendiqué sa défiance vis-à-vis de la « dictature morale » des normes scientifiques et mathématiques</a>, qui s’opposeraient au bon sens thérapeutique des médecins. On retrouve, dans son discours, l’opposition entre des savoirs institutionnels, « froids » et déconnectés des réalités, et des savoirs de terrain, « chauds » et aux prises avec les problèmes et les malades concrets.</p>
<h2>Réarmer l’institution scientifique</h2>
<p>L’institution scientifique apparaît ainsi doublement désarmée. D’une part, elle a manqué des moyens humains et financiers qui auraient pu lui permettre de construire une recherche fondamentale de long terme mobilisable et utile dans cette crise. D’autre part, elle pâtit d’une incompréhension sociale et politique de son fonctionnement et des temporalités de ses découvertes.</p>
<p>Ces problèmes ne sont pas de ceux qui se règlent par des solutions simples. Ils nécessitent un réarmement de l’institution scientifique sur le long terme. Un tel chantier ne peut pas faire l’économie d’un investissement substantiel et structurel, à travers le financement durable de postes permanents et d’équipes de recherche, hors de la logique délétère des appels à projets. Il ne peut pas non plus passer outre une réflexion quant à la manière dont la science peut construire sa valeur aux yeux des citoyens. Il ne peut pas, enfin, se faire sans l’écoute par les responsables politiques des besoins de la communauté scientifique. A tous ces titres, la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) envisagée par le gouvernement avant cette crise apparaît plus inadaptée encore qu’elle ne l’était déjà.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135074/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thibaud Boncourt ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’argument d’autorité que constitue la référence aux avis du conseil scientifique ne suffit pas pour faire accepter les décisions politiques aux citoyens.Thibaud Boncourt, Maître de conférences en science politique, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1348382020-03-31T14:04:38Z2020-03-31T14:04:38ZChloroquine et Covid-19 : les études publiées ne permettent pas de prouver son efficacité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/323833/original/file-20200329-146719-14k7242.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La recherche très médiatisée sur l'efficacité de l'hydroxychloroquine pour traiter les complications liées au Covid-19 suscite de nombreux doutes.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Didier_Raoult">L’équipe du Professeur Didier Raoult, de Aix-Marseille Université</a>, s’est appuyée sur des études précliniques qui montrent que la chloroquine, un ancien traitement contre la malaria, aurait un effet contre les coronavirus. Ils ont ainsi évalué l’efficacité de l’hydroxychloroquine (une variante de la chloroquine) chez des patients atteints du Covid-19.</p>
<p>L’annonce a suscité un énorme intérêt partout dans le monde. <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/03/28/coronavirus-et-hydroxychloroquine-le-professeur-raoult-publie-une-nouvelle-etude-aussitot-critiquee_6034785_3244.html">Plusieurs scientifiques ont émis des doutes</a>, tandis que le <a href="https://www.cnn.com/2020/03/28/health/coronavirus-hydroxychloroquine-trial/index.html">président américain Donald Trump a parlé de « formidables promesses »</a>.</p>
<p>Les chercheurs d’Aix-Marseille ont étudié 26 patients traités par l’hydroxychloroquine et 16 patients contrôles qui recevaient uniquement les soins usuels. Leur critère principal de jugement de l’efficacité de l’hydroxychloroquine était la suppression du virus sur des prélèvements biologiques (prélèvement au niveau du nasopharynx).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/324080/original/file-20200330-146705-1jaznry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/324080/original/file-20200330-146705-1jaznry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/324080/original/file-20200330-146705-1jaznry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/324080/original/file-20200330-146705-1jaznry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/324080/original/file-20200330-146705-1jaznry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/324080/original/file-20200330-146705-1jaznry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/324080/original/file-20200330-146705-1jaznry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un pavillon d’Aix-Marseille Université, là où ont été conduites les recherches du Professeur Didier Raoult.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les résultats suggèrent que les patients traités par l’hydroxychloroquine avaient plus de chance d’avoir une suppression du virus comparativement aux patients contrôles. Les chercheurs ont également évalué l’effet de l’ajout d’un antibiotique à l’hydroxychloroquine, connu sous le nom d’azithromycine, aux patients qui présentaient un risque de surinfection pulmonaire d’origine bactérienne. <a href="https://www.google.com/search?client=safari&rls=en&q=Philippe+Gautret,+Jean%E2%80%91Christophe+Lagier,+Philippe+Parola,+et+al..+Hydroxychloroquine+and+azithromycin+as+a+treatment+of+COVID-19:+results+of+an+open-label+non-randomized+clinical+trial.+International+Journal+of+Antimicrobial+Agents+(2020)&ie=UTF-8&oe=UTF-8">Ils ont rapporté que l’ajout de ce traitement augmentait les chances de suppression du virus</a>.</p>
<p>En tant que <a href="http://www.crchudequebec.ulaval.ca/recherche/chercheurs/arsene-zongo/">chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval</a>, je m’intéresse à l’évaluation de l’efficacité et de l’innocuité de traitements de maladies chroniques comme le diabète ainsi que du cannabis utilisé à des fins médicales. J’utilise à cet effet des méthodes épidémiologiques et statistiques avancées pour étudier ces questions de recherches sur de larges cohortes de patients.</p>
<h2>Cinq points douteux</h2>
<p>Voici pourquoi, selon mon expertise, je doute de la validité scientifique des résultats de l’étude.</p>
<p>1) <strong>La méthodologie de référence pour établir l’efficacité et la sécurité des traitements n’a pas été utilisée dans l’étude</strong></p>
<p>Les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Essai_randomis%C3%A9_contr%C3%B4l%C3%A9">essais cliniques randomisés</a>, des essais contrôlés aléatoires, constituent la méthodologie de référence pour établir de façon plus rigoureuse l’efficacité et la sécurité des médicaments. Des études non randomisées peuvent être de très bonne qualité, mais le niveau de confiance aux résultats de telles études bien conduites est inférieur à celle des études randomisées bien conduites. Or, l’étude non randomisée du Pr Raoult présente des limites évitables.</p>
<p>2) <strong>Le choix du groupe de comparaison (groupe contrôle), qui permet d’évaluer l’effet « réel » de l’hydroxychloroquine n’est pas adéquat</strong></p>
<p>Selon les principes de base des études avec groupe contrôle, les patients traités et les contrôles sont inclus dans l’étude sur la base des mêmes critères d’inclusion (les critères d’inclusion sont des caractéristiques minimales similaires que doivent présenter les patients traités et les contrôles).</p>
<p>Par exemple, ils doivent tous être qualifiés pour recevoir l’hydroxycholoquine. Ce principe de base n’est pas respecté. En effet, le groupe contrôle dans cette étude a été constitué de trois groupes de patients très différents à plusieurs égards de ceux qui ont été traités par l’hydroxychloroquine. Il s’agit : 1) de patients ayant refusé de participer à l’étude, 2) de patients qui n’étaient pas qualifiés pour recevoir l’hydroxychloroquine, incluant ceux pour qui le médicament était contre-indiqué, et 3) de patients traités dans d’autres hôpitaux de la France que Marseille.</p>
<p>D’abord le choix d’inclure des patients qui ont refusé de participer à l’étude comme contrôles violerait les principes éthiques qui guident la conduite des études cliniques. En outre, ces patients, du point de vue clinique, biologique ou d’autres caractéristiques (âge par exemple), peuvent être différents de ceux qui ont accepté de participer à l’étude, tout comme leur réponse au traitement. La considération de patients qui ne sont pas qualifiés pour recevoir de l’hydroxychloroquine comme contrôles est tout aussi problématique car ces patients ne satisfont pas au principe de similarité avec le groupe traité.</p>
<p>3) <strong>Il y a une grande hétérogénéité des patients inclus dans l’étude</strong></p>
<p>En effet, les chercheurs ont inclus à la fois des cas asymptomatiques, des cas ayant des symptômes modérés et des cas sévères. On peut s’attendre à ce que la réponse à l’hydroxychloroquine soit différente en fonction du degré de sévérité de la maladie. Un groupe plus homogène, constitué par exemple de cas sévères uniquement, aurait permis de minimiser ce problème.</p>
<p>4) <strong>Le nombre de patients inclus est très faible</strong></p>
<p>Les résultats principaux portent sur 20 patients traités avec de l’hydroxychloroquine et 16 patients non traités. Cela ne permet pas de capter toute la variabilité qui peut exister au sein de la population des malades du Covid-19. En outre, seulement six patients ont bénéficié du traitement par l’antibiotique azithromycine.</p>
<p>5) <strong>Des données inquiétantes dans le groupe hydroxychloroquine</strong></p>
<p>Parmi les 26 patients traités par l’hydroxychloroquine, le traitement à dû être arrêté chez trois patients dont l’état nécessitait des soins intensifs et un autre patient est décédé. Fait très important à noter, aucun de ces évènements n’a été observé dans le groupe contrôle, laissant entrevoir la possibilité d’effets indésirables graves liés à l’hydroxychloquine chez les patients Covid-19 (c’est une hypothèse à élucider).</p>
<h2>En attendant des études plus rigoureuses</h2>
<p>L’étude sur laquelle se fondent de grands espoirs ne rencontre pas, à mon point de vue, les standards minimums de rigueur méthodologique requise. La recommandation des auteurs d’utiliser ce traitement de façon massive n’est donc pas à considérer au stade actuel.</p>
<p>Il faut noter, par ailleurs, qu’une étude randomisée conduite en Chine sur 30 patients <a href="http://www.zjujournals.com/med/EN/10.3785/j.issn.1008-9292.2020.03.03">a conclu que l’utilisation de la chloroquine n’avait pas une efficacité supérieure à celle du traitement conventionnel offert aux patients dans le groupe contrôle</a>.</p>
<p>Malgré l’urgence de la situation, des études plus rigoureuses sont nécessaires pour conclure à l’efficacité et à l’innocuité de la chloroquine. Plusieurs sont en cours partout dans le monde. La suite nous dira si ce médicament fait réellement une différence pour les patients atteints de complications dues au Covid-19.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/134838/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arsène Zongo a reçu des financements de la Fondation du CHU de Québec-Université Laval. </span></em></p>La recherche très médiatisée sur l'efficacité de l'hydroxychloroquine pour traiter les complications liées au Covid-19 suscite des doutes, dont chez ce chercheur.Arsène Zongo, Assistant Professor of Pharmacoepidemiology, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.