tag:theconversation.com,2011:/us/topics/estonie-21682/articles
Estonie – The Conversation
2023-05-08T18:06:51Z
tag:theconversation.com,2011:article/202085
2023-05-08T18:06:51Z
2023-05-08T18:06:51Z
Immigration : comment favoriser un impératif équilibre des sexes dans les flux
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/524120/original/file-20230503-22-9pqht1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=62%2C19%2C1111%2C731&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Entre 2010 et 2019, 47 % des personnes migrantes dans le monde étaient des femmes. (Ici, des immigrantes éthiopiennes célèbrent la fête de Sigd au mont Sion à Jérusalem, en Israël).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/government_press_office/6388383481">Government Press Office/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Et si le report à l’automne de l’examen du <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/projet-de-loi-immigration-division-saucissonnage-report-retour-en-cinq-actes-sur-les-revirements-du-gouvernement_5791073.html">projet de loi immigration</a> était l’occasion d’en retravailler les incomplétudes à partir de ce qu’enseignent les chercheurs ? L’égalité entre hommes et femmes semble compter parmi les grands absents du <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/287993-projet-de-loi-immigration-integration-asile-2023">texte</a> présenté au mois de février en conseil des ministres et contre lequel des <a href="https://www.bfmtv.com/paris/replay-emissions/paris-week-end/paris-une-manifestation-contre-gerald-darmanin-et-le-projet-de-loi-sur-l-immigration-s-est-tenue-ce-samedi_VN-202304300124.html">manifestations</a> se sont tenues.</p>
<p>Il s’agissait, selon le gouvernement, de favoriser une immigration <em>choisie</em>, visant à régulariser des travailleurs sans papiers et à attirer des talents dans des secteurs en tension comme le bâtiment, la restauration, ou encore la santé, éléments qui font aujourd'hui débat. Silence néanmoins quant aux moyens qui pourront être mis en place pour garantir que la France accueillera, dans les années à venir, autant d’hommes que de femmes.</p>
<p>Or, il ne s’agit pas là que d’une question purement statistique. Des recherches suggèrent notamment que l’accueil disproportionné d’hommes serait lié à une <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/ajps.12595">moins bonne intégration</a> de ces immigrés et à une tolérance moindre de la population d’accueil à leur égard. Les institutions internationales présentent, elles, les femmes comme des agents favorisant, dans les pays d’origine comme de destination, des <a href="https://interactive.unwomen.org/multimedia/explainer/migration/en/index.html">évolutions sur les plans social et économique</a>.</p>
<p>Entre 2010 et 2019, <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/data/oecd-international-migration-statistics/international-migration-database_data-00342-en">47 %</a> des personnes migrantes étaient des femmes d’après les mesures de l’OCDE. De grandes disparités existent toutefois entre les pays. Dans certains pays d’origine, par exemple en Afrique subsaharienne, les hommes émigrent bien plus que les femmes. Pour le Brésil, Madagascar ou les Philippines, c’est l’inverse. Ces femmes partent souvent faire des ménages et garder des enfants dans les pays riches.</p>
<p><iframe id="qUx27" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/qUx27/6/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Nos <a href="https://leamarchal.fr/wp-content/uploads/2023/05/ile-wp-2023-67.pdf">travaux</a> ont tenté d’identifier les politiques publiques qui pourraient aider à rétablir un équilibre. Ils mettent notamment l’accent sur l’importance des droits économiques et politiques des femmes dans les pays d’origine, suggérant pour les pays d’accueil des problématiques auxquelles répondre.</p>
<h2>Les discriminations, un facteur ambivalent</h2>
<p>L’effet des droits des femmes dans les pays d’origine sur la décision d’émigrer reste encore faiblement documenté. Des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0304387817300895">travaux existants</a> montrent qu’elles souhaitent davantage émigrer lorsqu’elles estiment qu’elles ne sont pas traitées avec respect. D’autres, au contraire expliquent, dans le cas allemand, que c’est l’<a href="https://sciendo.com/de/article/10.2478/izajodm-2021-0013">absence de droits économiques</a> pour les femmes dans les pays d’origine qui explique les déséquilibres entre les sexes.</p>
<p>Pour une meilleure compréhension du rôle des discriminations subies par les femmes dans les pays d’origine sur les phénomènes migratoires, notre analyse, elle, couvre 158 pays d’origine et 37 pays de destination sur plus d’un demi-siècle, de 1961 à 2019. Les pays de destination sont principalement des pays développés à haut revenu.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Deux types de discriminations ont été prises en compte : celles qui s’exercent dans la sphère économique, et celles qui concernent la vie politique. L’indicateur synthétisant les premières tient, par exemple, compte du droit de travailler ou de l’égalité de rémunération entre hommes et femmes. Il est issu du <a href="https://kellogg.nd.edu/research/major-research-initiatives/varieties-democracy-project">« Varieties of Democracy project »</a>. Dans le second cas, nous nous appuyons sur le <a href="https://wbl.worldbank.org/en/wbl">« World Bank’s Women, Business and the Law report »</a> qui intègre le droit de vote, les libertés civiles telles que le droit de se déplacer seule dans l’espace public ou encore l’égalité d’accès aux services publics.</p>
<p>D’après nos calculs économétriques, l’effet des discriminations envers les femmes sur les phénomènes migratoires dépend du niveau de richesse du pays d’origine. L’amélioration de la condition féminine dans les pays d’origine réduit en fait l’écart entre les flux migratoires des hommes et des femmes seulement pour les pays d’origine les plus pauvres. L’écart se creuse au contraire pour les pays d’origine plus riches. Nos calculs permettent ainsi de retrouver et de généraliser les résultats d’une littérature en apparence contradictoire.</p>
<h2>Un enjeu de société</h2>
<p>Dans les pays les plus pauvres, améliorer les droits des femmes semble, par exemple, leur permettre de payer le coût de leur migration, qui est sinon rédhibitoire. Quand l’Iran, par exemple, accorde le droit de vote aux femmes en 1963, l’écart migratoire entre homme et femme diminue ensuite durant une quinzaine d’années.</p>
<p>Certes, <em>de jure</em>, les droits économiques sont restés les mêmes, mais les femmes ont rejoint la population active en grand nombre. En 1979, cependant, avec la révolution islamique qui détériore fortement les conditions de vie des Iraniennes, la tendance s’inverse et l’écart se creuse à nouveau.</p>
<p><iframe id="4Wptm" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/4Wptm/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Dans les pays plus riches, les contraintes financières s’avèrent moins fortes : les femmes migrent alors encore moins que les hommes lorsqu’elles subissent moins de discriminations. L’Estonie, par exemple, a amélioré les droits économiques des femmes de façon spectaculaire au cours des années 2000.</p>
<p>En vue de son intégration à l’Union européenne, le pays lançait notamment en 2002 deux <a href="https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2009/10/default-title-38">projets de législation</a> pour promouvoir une forme d’égalité concernant les salaires, l’accès à l’emploi et l’accès aux prestations sociales. En 2021, il est le <a href="https://www.neonmag.fr/lestonie-devient-le-premier-pays-avec-deux-femmes-a-sa-tete-ou-en-est-le-reste-de-leurope-569072.html">premier pays au monde</a> à avoir à la fois une présidente et une première ministre. Au cours de cette période, l’écart migratoire entre hommes et femmes a augmenté avant de se stabiliser.</p>
<p><iframe id="9OhoT" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/9OhoT/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Rétablir un équilibre entre hommes et femmes dans les flux migratoires s’avère donc un enjeu de société. Dans les pays d’origine, notamment les plus pauvres, il s’agira de réduire les discriminations subies par les femmes et de promouvoir leurs droits. Les pays d’accueil, comme la France, ont cependant aussi moyen d’agir.</p>
<p>D’une part, l’<a href="https://www.oecd.org/fr/cad/financementpourledeveloppementdurable/themes-financement-developpement/aidealappuidelegalitehommes-femmesetlautonomisationdesfemmes.htm">aide publique au développement</a> axée sur l’égalité entre les sexes peut permettre de réduire les discriminations. D’autre part, il semble pertinent de mettre en place des politiques d’immigration n’occultant pas l’importance de l’équilibre entre les genres au sein de la population. Quand ces politiques d’immigration s’avèrent avant tout un volet de la politique économique visant à réduire la pénurie de main-d’œuvre dans des secteurs à dominante masculine tels que le bâtiment, le regroupement familial pourrait, par exemple, être un outil de rééquilibrage clé. Les premiers travaux entrepris par le Sénat autour du projet de loi semblaient, au contraire, plutôt envisager d’en <a href="https://www.senat.fr/amendements/commissions/2022-2023/304/Amdt_COM-200.html">durcir les conditions</a>.</p>
<hr>
<p><em>Margherita Lazzeri, étudiante au sein du master recherche Development economics de l’Université Paris 1–Panthéon Sorbonne, a participé à la rédaction de cet article</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202085/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Léa Marchal est chercheuse associée à l'Institut Convergences Migrations et au Kiel Centre for Globalization. Sa recherche sur le genre en économie des migrations a bénéficié du soutien financier du Fonds pour l'égalité des chances de l'Université de Hambourg et du GIS Institut du Genre. </span></em></p>
Une future loi devrait tenir compte d’une répartition égale entre les sexes dans les populations immigrées. C’est en effet un facteur d’intégration clé sur lequel une étude récente s’est penchée.
Léa Marchal, Maître de conférences en économie à l'Université de Paris 1, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/203102
2023-04-11T17:00:19Z
2023-04-11T17:00:19Z
L’ombre de la guerre en Ukraine sur les législatives en Estonie
<p>Les législatives estoniennes tenues le 5 mars 2023 se sont soldées par une large victoire du Parti de la Réforme de la première ministre sortante, Kaja Kallas. Avec <a href="https://rk2023.valimised.ee/et/election-result/index.html">31 % des suffrages</a>, cette formation de centre droit devance nettement l’extrême droite (Parti populaire conservateur estonien, EKRE, 16,1 %) et le centre gauche (Parti du Centre, <em>Keskerakond</em>, 15,3 %). La Réforme dispose d’une majorité confortable (37 sièges sur les 101 du Parlement) et s’apprête à créer une coalition gouvernementale avec le parti Estonie 200 (droite progressiste et ultralibérale, 13,3 %) et les Sociaux-démocrates (gauche progressiste, SDE, 9,3 %).</p>
<p>Si les négociations en cours aboutissent, l’Estonie pourra se targuer d’avoir à sa tête une nouvelle coalition globalement représentative d’une démocratie libérale et progressiste. Même s’il y a des limites à cette belle unité (les SDE prônent une politique plus sociale que les deux autres formations, acquises aux modèles économiques ultra-libéraux ; et la Réforme émet des réserves sur l’adoption du mariage pour tous, souhaitée par les SDE et Estonie 200), le pays a, au grand soulagement de nombreux habitants, évité le retour d’une <a href="https://www.liberation.fr/planete/2021/01/13/en-estonie-la-fin-de-la-coalition-entre-conservateurs-et-extreme-droite_1815898/">coalition réunissant les conservateurs et l’extrême droite</a> (comme celle issue des élections de 2019, et qui avait gouverné jusqu’en 2021).</p>
<p>Le contexte de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/conflit-russo-ukrainien-117340">guerre en Ukraine</a> a évidemment pesé sur le scrutin. Kaja Kallas prône sans ambiguïté un <a href="https://dcubrexitinstitute.eu/2023/03/estonias-liberal-wave/">soutien résolu de Tallinn à Kiev</a>, même si ce soutien a un coût socio-économique certain que l’extrême droite estonienne a tenté d’exploiter à son profit durant la campagne.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1632565532095549440"}"></div></p>
<h2>La posture ambiguë de l’extrême droite à l’égard de Moscou</h2>
<p>À de très rares exceptions près (comme lors du référendum sur l’adhésion à l’UE en 2003 ou l’intervention des troupes estoniennes dans la guerre en Irak en 2003), l’orientation pro-occidentale et la politique étrangère n’ont jamais véritablement constitué un objet de débat en Estonie.</p>
<p>Dès le début de la guerre en Ukraine, un <a href="https://news.err.ee/1608913331/poll-two-thirds-of-estonian-residents-back-continued-ukraine-military-aid">large consensus</a> s’est fait jour dans le pays sur la nécessité de soutenir Kiev et de sanctionner Moscou. Tous les partis politiques estoniens ayant obtenu le seuil nécessaire de 5 % pour rentrer au Parlement (<em>Riigikogu</em>) en 2023 s’accordent également sur la nécessité d’augmenter les dépenses budgétaires visant d’accroître les garanties de sécurité du pays.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Toutefois, si EKRE a soutenu cette dernière mesure, la formation d’extrême droite s’est distinguée durant la campagne avec des <a href="https://www.populismstudies.org/the-impact-of-the-russia-ukraine-war-on-right-wing-populism-in-estonia/">positions pour le moins ambivalentes</a>. Elle a ainsi critiqué l’envoi de matériel militaire estonien en Ukraine, et s’est opposée à l’accueil des <a href="https://theconversation.com/lue-face-au-defi-de-lafflux-de-refugies-ukrainiens-181005">réfugiés ukrainiens</a>, affirmant que leur immigration massive ferait des Estoniens une minorité dans leur propre pays.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1516764823190654978"}"></div></p>
<p>S’y ajoutent les révélations, à la veille des élections, sur de supposés <a href="https://estonianworld.com/security/politico-russian-paramilitary-group-tried-to-interfere-with-estonian-politics-through-ekre/">liens de l’extrême droite estonienne avec Evguéni Prigojine</a>, le chef de la compagnie militaire privée <a href="https://theconversation.com/dans-les-coulisses-du-groupe-wagner-mercenariat-business-et-diplomatie-secrete-200492">Wagner</a> – ce que EKRE nie, évidemment.</p>
<p>Si ce positionnement visait en partie à attirer vers EKRE les électeurs russophones (près de 28 % des 1,3 million d’habitants), il lui a sans doute aussi coûté des voix parmi ses électeurs ultra-nationalistes, traditionnellement très hostiles envers la Russie. À l’inverse, la constance de la Réforme en matière de politique étrangère fut un élément déterminant de sa victoire.</p>
<h2>Les enjeux économiques de la campagne</h2>
<p>La campagne a également été marquée par de vifs débats autour du pouvoir d’achat, de l’inflation (25,4 % en août 2023) et des inégalités sociales et régionales.</p>
<p>En 2022, 1,4 % de la population vivait dans la pauvreté absolue et <a href="https://estonianworld.com/life/almost-a-quarter-of-estonians-live-at-the-risk-of-poverty/">22,8 % dans la pauvreté relative</a>, c’est-à-dire avec moins de 763 euros par mois. Le taux de pauvreté relative est le plus élevé dans deux régions périphériques : au Nord-Est (<em>Ida-Virumaa</em>), peuplé dans la ville de Narva de quelque 95 % de russophones, et au Sud-Est du pays (<em>Võrumaa, Valgamaa, Põlvamaa</em>), seules régions où la Réforme n’a pas dominé.</p>
<p>Dans ce contexte économique et social difficile, les Sociaux-démocrates et le Parti du Centre promouvaient une meilleure redistribution des richesses et une attention particulière aux régions sinistrées. En revanche, les programmes de la Réforme et d’Estonie 200, qui promeuvent un modèle économique libéral, une intervention minime de l’État dans l’économie et la baisse des impôts, ne disaient pratiquement rien sur le pouvoir d’achat ou sur les déséquilibres sociaux et régionaux.</p>
<p>Le fait que la première ministre semblait davantage préoccupée par la politique étrangère (Ukraine) que par la situation intérieure fut rapidement instrumentalisé par l’extrême droite. EKRE a en effet trouvé un terrain fertile pour ses messages populistes au vu de l’insécurité économique des électeurs, accusant l’élite au pouvoir d’incompétence dans la gestion de l’inflation et des prix de l’énergie.</p>
<p>Si la virulence de l’extrême droite sur ces questions lui a valu d’obtenir la deuxième position à l’échelle du pays et la première (26,5 %) dans le Sud-Est, l’absence d’une offre plus sociale face à la crise socio-économique n’a pas réussi à dissuader les électeurs de reconduire la Réforme.</p>
<p>En réalité, plus que les questions sociales et économiques (sujets moins mobilisateurs en Estonie), cette campagne fut particulièrement dominée par l’opposition entre libéraux et conservateurs. Ce clivage s’est constitué progressivement depuis des années en Estonie, bien avant la guerre en Ukraine.</p>
<h2>D’un clivage ethnique à un clivage politique</h2>
<p>La vie politique estonienne des années 1990 et 2000 se caractérisait essentiellement par un processus de déconstruction du passé soviétique, la consolidation de l’État-nation, l’intégration euro-atlantique et la mise en œuvre de réformes économiques libérales.</p>
<p>Le principal clivage de cette période consistait surtout en une division entre forces politiques présentées comme « pro-estoniennes » (Pro Patria, Réforme…), et celles s’adressant aussi aux minorités russophones et, souvent, plus conciliantes avec la Russie (le Parti du Centre, les Sociaux-démocrates…). Ce clivage « ethnique » fut particulièrement visible au moment du conflit autour du <a href="https://www.liberation.fr/planete/2007/03/05/estonie-statue-de-la-discorde_86640/">déplacement du monument soviétique « Le Soldat de Bronze »</a> au printemps 2007, décision prise par les forces de droite au pouvoir et qui se solda par <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2007-4-page-6.htm">d’importantes émeutes à Tallinn</a> entre des russophones nostalgiques de l’URSS et des militants nationalistes estoniens irrités par l’usage des symboles soviétiques dans l’espace public.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/qmuV8hpULCM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>À partir de 2012, ce clivage entre « pro-estoniens » et « pro-russes » s’efface progressivement au profit d’un clivage entre forces progressistes et forces conservatrices. Cette évolution s’explique d’abord par l’apparition en 2012 d’EKRE, issu de la fusion d’un parti conservateur et agrarien, l’Union populaire estonienne et d’un groupuscule ultranationaliste, le Mouvement patriotique estonien.</p>
<p>Dans les années suivantes, pendant les débats autour du <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/ailleurs/l-imbroglio-de-l-union-civile-pour-homosexuels-en-estonie-7845679">projet d’union civile pour les homosexuels</a> en 2014 puis ceux sur <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/europe/en-estonie-la-peur-des-migrants-et-le-poids-de-lhistoire-201509221610-00002141.html">l’accueil des réfugiés en 2015-2016</a>, EKRE mobilise avec succès les Estoniens les plus conservateurs, ce qui participe à une division de la société qui s’accentue encore plus au moment de la crise sanitaire, quand le parti (de nouveau dans l’opposition à partir de janvier 2021) <a href="https://www.crisp.be/crisp/wp-content/uploads/analyses/2021-12-14_ACL-Biard_B-2021-Espace_de_libertes-extreme_droite_face_au_Covid-19_en_Europe_centrale_et_orientale.pdf">proteste</a> contre les mesures de restriction prises par le pouvoir.</p>
<p>Toutes ces situations de crise favorisent l’extrême droite qui réussit à attirer, aussi bien parmi les Estoniens « de souche » que parmi les russophones (la popularité de EKRE atteint 21 % chez les russophones en février 2022), un électorat conservateur et qui se méfie de « l’élite politique ».</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lextreme-droite-au-parlement-europeen-ou-le-renard-dans-le-poulailler-194216">L’extrême droite au Parlement européen, ou le renard dans le poulailler</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Le retour de la « question russe »</h2>
<p>Face à l’émergence progressive de ce clivage entre conservateurs et progressistes, la division entre les forces « pro-estoniennes » et « pro-russes » s’est donc estompée, mais elle est revenue sur le devant de la scène depuis le début de la guerre en Ukraine.</p>
<p>Le Parti du Centre, seule formation estonienne ayant pu vraiment être considérée comme « pro-russe », a formellement mis fin en 2022 au mémorandum de coopération qu’il avait signé en 2004 avec le parti du Kremlin <em>Russie unie</em> et a condamné l’invasion russe en Ukraine. Alors que, jusqu’à récemment, le Centre bénéficiait du soutien écrasant des russophones du pays (quasiment 78 % à son apogée), ce soutien est actuellement en baisse. La voix des russophones, une <a href="https://fr.euronews.com/2022/03/22/le-dilemme-des-russophones-d-estonie-entre-soutien-a-poutine-et-loyaute-a-l-ue">communauté très hétérogène</a>, est aujourd’hui de plus en plus dispersée entre les partis centristes ou libéraux mais aussi entre les forces les plus radicales, allant de l’extrême droite à l’extrême gauche.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/jp4aruun3cY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Si l’électorat de base de l’EKRE est nationaliste, eurosceptique et anti-russe, ce parti a aussi gagné en popularité auprès des russophones les plus âgés, les plus conservateurs et les plus hostiles à l’accueil des réfugiés d’Ukraine ou du Moyen-Orient. D’autant que la solidarité des principaux partis estoniens avec Kiev et certaines mesures récentes (déplacement des monuments soviétiques, <a href="https://estonianworld.com/knowledge/estonias-russian-schools-to-switch-to-estonian-language-schooling/">plan de transition vers un enseignement intégralement en estonien dans toutes les écoles du pays)</a> ont incité une partie considérable des russophones (<a href="https://news.err.ee/1608906971/ida-viru-county-vote-magnet-they-paid-for-accommodation-and-tickets">30 % des voix dans le Nord-Est)</a> à voter pour les candidats les plus critiques envers la politique du parti de la Réforme.</p>
<p>La nouvelle coalition devra gérer ces dissensions tout en s’engageant sérieusement dans la <a href="https://regard-est.com/estonie-au-seuil-dune-transition-energetique-radicale">transition énergétique</a> et en faisant face aux problèmes socio-économiques suscités par la <a href="https://www.rse-magazine.com/L-UE-investit-354-millions-d-euros-pour-que-l-Estonie-abandonne-le-schiste-bitumeux_a5123.html">fin de la production de schistes bitumineux</a>, dont les gisements se trouvent dans le Nord-Est du pays. La situation est donc complexe ; il n’en reste pas moins que, à ce jour, il est peu vraisemblable que l’Estonie (ou, d’ailleurs, les autres pays baltes) prenne un tournant illibéral : les gouvernements de coalition y sont toujours la norme, ce qui réduit la probabilité pour un parti comme EKRE de gouverner un jour seul.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203102/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Katerina Kesa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Le parti de centre droit au pouvoir a remporté les législatives en Estonie, en prônant la poursuite d’un soutien résolu à l’Ukraine.
Katerina Kesa, Politologue et Maîtresse de conférences en civilisation de l'espace baltique, membre du Centre de Recherches Europes-Eurasie (CREE) à l'INALCO. Co-rédactrice en chef de la revue Nordiques., Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/185790
2022-06-26T19:48:59Z
2022-06-26T19:48:59Z
Kaliningrad au cœur de la confrontation Russie-OTAN
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/470803/original/file-20220624-22-nxpz3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C5463%2C3628&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La région russe de Kaliningrad est frontalière de deux pays de l’OTAN&nbsp;: la Lituanie et la Pologne. La question de son approvisionnement depuis la métropole, à 360&nbsp;km de là, est explosive.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Rokas Tenys/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le déclenchement de la guerre en Ukraine, et l’intensification des tensions entre la Russie d’une part et l’OTAN, l’UE et, tout récemment, la Lituanie d’autre part, ont placé au cœur de l’actualité <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2005-3-page-175.html">l’exclave russe de Kaliningrad</a>, située entre la Pologne et la Lituanie.</p>
<p>Mi-juin 2022, Vilnius, en application des sanctions imposées par l’UE, <a href="https://regard-est.com/lituanie-blocage-du-transit-de-marchandises-vers-et-a-destination-de-kaliningrad">bloque le transit</a> de charbon, de métaux et d’outils technologiques alimentant la région (oblast) de Kaliningrad depuis la métropole. Ces marchandises constituent la moitié des importations de Kaliningrad. Dès décembre prochain, le pétrole et le gaz pourraient également être bloqués. Suite à ce blocage, Kaliningrad a amorcé la réorientation <a href="https://tass.com/economy/1468679">du transit par la mer des biens sanctionnés</a> alors que Moscou a <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/jun/21/kaliningrad-russia-threatens-serious-consequences-as-lithuania-blocks-rail-goods">annoncé des représailles</a> sans en préciser le contenu exact.</p>
<p>Dans le contexte actuel, les déclarations de Moscou n’ont pas manqué de <a href="https://foreignpolicy.com/2022/06/24/kaliningrad-russia-lithuania-crisis-lead-to-war/">susciter l’inquiétude</a> de certains observateurs : Kaliningrad pourrait-elle devenir le lieu d’une confrontation directe entre les forces russes et celles des pays de l’OTAN ?</p>
<h2>Les particularités d’une exclave</h2>
<p>L’oblast de Kaliningrad est un territoire de 15 100 km<sup>2</sup>, bordé par la Lituanie au nord-est, la Pologne au sud (toutes deux membres de l’UE et de l’OTAN) et la mer Baltique au nord-ouest. Elle se trouve géographiquement à 360 km du reste de la Russie. Il s’agit de la seule exclave parmi les 83 entités fédérées du pays (85 en comptant la République de Crimée et la « ville d’importance fédérale » de Sébastopol, illégalement annexés en 2014). Avec une population d’environ 1 million d’habitants, l’oblast est la 50<sup>e</sup> plus peuplée de la Fédération de Russie.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/471157/original/file-20220627-14-5g8qyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/471157/original/file-20220627-14-5g8qyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/471157/original/file-20220627-14-5g8qyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/471157/original/file-20220627-14-5g8qyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/471157/original/file-20220627-14-5g8qyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/471157/original/file-20220627-14-5g8qyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/471157/original/file-20220627-14-5g8qyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Peter Hermes Furian/Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Héritage de la Seconde Guerre mondiale, ce territoire anciennement partie à la Prusse orientale est attribué à l’URSS suite à la conférence de Postdam en 1945. La zone est alors au centre de grands mouvements de populations et se retrouve repeuplée de russophones (au détriment des <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2003-3-page-124.htm">populations germanophones expulsées</a> vers l’Allemagne), au point de devenir la <a href="https://apcz.umk.pl/BGSS/article/view/bog-2017-0033/13204">région la « plus soviétique » du pays dans les années 1980</a>.</p>
<p>Si du temps de l’URSS, l’oblast se transforme en <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/00108360021962101">bastion militaire</a> et se ferme aux pays voisins, elle s’ouvre ensuite sous l’impulsion de Boris Eltsine <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2003-3-page-124.htm">pour attirer les investissements étrangers</a>.</p>
<p>Au début du XXI<sup>e</sup> siècle, la région est même vue comme un « laboratoire » de coopération entre l’UE et la Russie, notamment avec la mise en place d’une zone franche possédant un statut de zone économique spéciale – <a href="https://ecfr.eu/article/commentary_special_no_more_kaliningrad_on_life_support_7169/">statut retiré par Moscou en 2016</a>. Malgré cela, Kaliningrad s’est peu intégrée dans l’espace économique de la Baltique et est restée majoritairement dépendante du reste de la Russie, cette dernière faisant transiter mensuellement une <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/jun/21/why-is-kaliningrad-row-russia-lithuania">centaine de trains de marchandises</a> vers son exclave via la Lituanie et la Biélorussie (la Lituanie n’ayant pas de frontière directe avec le reste du territoire russe).</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/p2GguXKZM2U?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Russie-UE : l’affaire Kaliningrad », le Dessous des cartes (Arte, 22 juin 2022).</span></figcaption>
</figure>
<p>En 2015, des <a href="https://www.sciendo.com/article/10.1515/bog-2017-0033">sondages</a> indiquent que la population de Kaliningrad s’identifie principalement comme russe, et souhaite que l’oblast soit considérée comme une région à part entière de la Russie. Aucun sentiment spécifique d’indépendance ne semble s’être développé dans cette région, et ce malgré sa position géographique d’exclave et son rattachement relativement récent au territoire russe. En 2018, à l’élection présidentielle, l’oblast vote <a href="https://www.rbc.ru/politics/18/03/2018/5aa652d49a79470accef8c29">à 76 % en faveur de Vladimir Poutine</a>, c’est-à-dire dans la même proportion que l’ensemble du pays (même si, comme ailleurs en Russie, le scrutin y est caractérisé par de multiples irrégularités).</p>
<h2>Une région très militarisée</h2>
<p>En parallèle, la zone reste particulièrement militarisée, notamment avec la présence d’une flotte russe dans la mer Baltique, profitant ainsi de la présence stratégique d’un port libre de glace. Le positionnement de missiles sol-sol, sol-air et antinavires dans la région, de nature à entraver une intervention éventuelle de l’Alliance dans la Baltique, crée également des <a href="https://theconversation.com/la-pointe-avancee-de-l-otan-dans-les-pays-baltes-une-epine-pour-moscou-120314">tensions avec l’OTAN</a> – surtout depuis le déploiement en 2016, renforcé en 2018, de <a href="https://theconversation.com/kaliningrad-russias-unsinkable-aircraft-carrier-deep-in-nato-territory-182541">systèmes de missiles balistiques à potentielle charge nucléaire Iskander</a>. S’y ajoutent les <a href="https://warontherocks.com/2021/09/zapad-2021-what-to-expect-from-russias-strategic-military-exercise/">exercices militaires « Zapad »</a> (Ouest) organisés conjointement avec la Biélorussie tous les quatre ans et simulant un conflit militaire sur ce territoire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1436028746675392522"}"></div></p>
<p>Cette militarisation du territoire de Kaliningrad, dans un contexte marqué par l’annexion de la Crimée, <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Menace-russe-coup-panique-Baltique-2022-01-19-1201195671">diverses opérations de déstabilisation russes dans la Baltique</a> et, depuis février 2022, l’attaque de grande ampleur de l’Ukraine, ont entraîné un sentiment d’insécurité en Estonie, Lettonie, Lituanie et Pologne – toutes membres de l’OTAN et voisines proches de la Russie. Les villes de <a href="https://thediplomat.com/2014/04/will-narva-be-russias-next-crimea/">Narva</a> (Estonie) et <a href="https://baltic-review.com/armament-the-baltics-daugavpils-new-crimea/">Daugapvils</a> (Lettonie), ainsi que la <a href="https://www.eurasiareview.com/27032022-is-moscow-about-to-play-the-latgale-card-against-latvia-and-the-balts-oped/">région de Latgale</a> (Lettonie également), à forte majorité russe, sont ainsi souvent décrites par les médias comme de potentielles « nouvelles Crimées », laissant craindre une attaque russe sous l’alibi de la <a href="https://theconversation.com/la-pointe-avancee-de-l-otan-dans-les-pays-baltes-une-epine-pour-moscou-120314">protection des populations russophones</a> y résidant.</p>
<p>Suite à la guerre en Ukraine, les pays de la Baltique ont d’ailleurs été les premiers États européens à <a href="https://www.euractiv.com/section/energy/news/baltic-states-become-first-in-europe-to-stop-russian-gas-imports/">stopper leur importation de gaz russe</a> et à marquer fermement leur soutien à l’Ukraine.</p>
<p>Pour parer à cette insécurité et marquer la solidarité atlantique avec les pays baltes, l’OTAN a, depuis 2017, déployé des troupes en rotation dans la Baltique avec la <a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_136388.htm">« présence avancée rehaussée »</a> sur le <a href="https://theconversation.com/la-pointe-avancee-de-l-otan-dans-les-pays-baltes-une-epine-pour-moscou-120314">flanc Est de l’Alliance</a>. En 2022, en réponse à la guerre en Ukraine, les alliés ont individuellement accru leur présence en troupes, navires et avions, et l’OTAN a également amélioré la réactivité de sa <a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_49755.htm">Force de réaction</a>, rendant une activation en cas de menace plus rapide.</p>
<h2>L’enjeu du corridor de Suwałki</h2>
<p>La présence de l’OTAN dans la Baltique et en Pologne, et le récent blocage lituanien du transit des marchandises russes, ont par ailleurs ranimé la crainte d’une annexion par la Russie du corridor de Suwałki, qui relie la Biélorussie au territoire de Kaliningrad en longeant la frontière entre la Lituanie et la Pologne.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ixT452-4ykg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Pologne : le corridor de Suwalki, prochain objectif militaire des Russes ? (France 24, 6 juin 2022).</span></figcaption>
</figure>
<p>Ce corridor, long de 70 km, est considéré depuis longtemps comme le <a href="https://www.euractiv.com/section/global-europe/news/explainer-suwalki-gap-and-lithuania-russia-face-off-over-kaliningrad/">talon d’Achille de l’OTAN</a>. Constitué principalement de marécages, de deux routes et d’une seule ligne de train reliant la Pologne à la Lituanie, ce corridor représente toutefois la plus courte distance entre la Biélorussie et Kaliningrad. Malgré les tentatives russes, après l’effondrement de l’URSS, de sécuriser cette zone en établissant un accord autorisant une présence continue de soldats, seul un accord plus général avec la Lituanie permettant le transit de passagers et marchandises <a href="https://www.euractiv.com/section/global-europe/news/explainer-suwalki-gap-and-lithuania-russia-face-off-over-kaliningrad/">a été signé avec l’UE en 2003</a>.</p>
<p>Une prise du corridor Suwałki permettrait à la Russie de couper géographiquement les États de la Baltique du reste des membres de l’OTAN tout en s’assurant un passage, via son allié biélorusse, vers son exclave. Une annexion de ce type entrainerait le déclenchement de <a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_110496.htm">l’article 5</a> de l’OTAN, qui engage ses membres à se prêter assistance mutuelle dans le cas où l’un d’entre eux serait attaqué.</p>
<p>On l’aura compris : si, à la chute de l’URSS, Kaliningrad était vue comme une opportunité de coopération entre l’Union européenne et la Russie, son territoire est aujourd’hui au cœur de tensions grandissantes sur le continent, la zone devenant un enjeu stratégique et géopolitique.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185790/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cindy Regnier est doctrante à l'Université de Liège. Elle a reçu des financements du FNRS (Fonds de la Recherche Scientifique de Belgique).</span></em></p>
La Lituanie vient de bloquer le transit de nombreux biens vers l’exclave russe de Kaliningrad. Moscou promet de réagir. Analyse d’un bras de fer aux enjeux stratégiques majeurs.
Cindy Regnier, Doctorante FNRS en Relations Internationales, Université de Liège
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/137761
2020-05-19T20:54:04Z
2020-05-19T20:54:04Z
Les États baltes à l’épreuve du Covid-19 : une certaine idée de l’Europe
<p>Confrontés à la pandémie de Covid-19, les trois pays baltes traversent cette tempête dans un calme relatif. Le nombre de cas déclarés reste raisonnable, le taux de létalité est globalement faible et les mesures de confinement et de quarantaine permettent à des systèmes de santé pourtant réputés faibles de s’adapter au choc.</p>
<p>Le 19 mai 2020, le nombre de cas déclarés de contamination s’élevait à 1 009 en Lettonie (pour une population totale de 1,9 M d’habitants), 1 547 en Lituanie (2,8 M) et 1 784 en Estonie (1,3 M), avec une anomalie constatée sur l’île de Saaremaa, très fortement touchée par le virus. On avait enregistré 19 décès liés au Covid-19 en Lettonie, 59 en Lituanie et 64 en Estonie. Le <a href="https://www.data.gouv.fr/fr/reuses/covid-19-taux-de-deces-par-pays/">taux de létalité</a> est resté faible dans les trois pays, tout particulièrement en Lettonie (0,9/100 000 au 11 mai, contre 1,8 en Lituanie et 4,6 en Estonie, la France se situant par exemple à 39,4/100 000).</p>
<h2>Des recettes pour contenir la pandémie ?</h2>
<p>Ces statistiques peuvent étonner. Particulièrement réceptifs aux courants de la mondialisation, dotés de <a href="https://healthpowerhouse.com/media/EHCI-2018/EHCI-2018-report.pdf">systèmes de santé réputés peu solides</a>, les trois pays s’attendaient au pire. Aujourd’hui, les autorités estoniennes, lettones et lituaniennes tendent à mettre leur relatif succès sur le compte, notamment, d’une gestion précoce et efficace de la pandémie. En effet, dans les trois pays, des mesures ont été adoptées <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-frontieres-fermees-en-lituanie-restrictions-en-lettonie-et-en-estonie-6780286">dès la mi-mars</a> pour lutter contre la propagation du virus. Ainsi, le 13 mars 2020, la Lettonie décrétait l’état d’urgence, tandis que l’Estonie lui préférait la situation d’urgence (levée le 18 mai), moins susceptible de mettre en cause l’ordre constitutionnel. La Lituanie, elle, s’est contentée d’introduire un régime de confinement à compter du 15 mars.</p>
<p>Comme ailleurs, les écoles, théâtres, cinémas et musées ont été fermés, mais certains commerces sont restés actifs : ainsi, en Lettonie, les centres commerciaux ne sont fermés que le week-end ; en Lituanie, Vilnius est devenue une vaste terrasse de café à ciel ouvert dès le 1<sup>er</sup> mai ; en Estonie, les transports en commun ont continué de fonctionner tandis que les restaurants et cafés ont simplement dû réduire leur amplitude horaire. Grâce à des interdictions progressives, les rassemblements ont été peu à peu interdits (on parle de « 2+2 » pour désigner le fait de ne pas pouvoir se réunir à plus de deux personnes situées à au moins 2 mètres de distance, exceptions faites du cercle familial et du lieu de travail). Des mesures de contrôle sanitaire ont été imposées dès la mi-mars aux frontières (Schengen et extérieures), avant que celles-ci ne soient tout à fait fermées. Une politique volontariste de tests a été mise en œuvre, permettant d’identifier les porteurs du virus, de tracer leurs proches et de placer ces derniers en quatorzaine. La Lituanie se situerait <a href="https://emerging-europe.com/news/whos-testing-who-baltic-states-lead-the-way/">dans le peloton de tête</a> des pays de l’UE pour le nombre de tests réalisés par habitant.</p>
<p>Le 29 mars, le Premier ministre letton Krišjānis Kariņš se targuait d’être à la tête d’un gouvernement proactif dès avant le déclenchement de la crise. Laconique, un <a href="https://mixnews.lv/exclusive/2020/03/29/pravitelstvo-prinyalo-dopolnitelnye-mery-po-ogranicheniyu-covid-19-obnovlyaetsya/">responsable du Centre de prévention et de contrôle des maladies</a> soulignait alors le fait que ces mesures n’étaient pas tellement différentes de celles adoptées dans les autres pays, par exemple en France : « Sauf qu’ils l’ont fait trop tard, alors que nous le faisons très tôt. »</p>
<p>La <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/2020/04/25/latvia-kept-covid-deaths-dozen-businesses-stayed-open/">capacité à prendre des actions concertées avant que les citoyens ne commencent à mourir du Covid</a> tout en procédant à un subtil équilibre entre mesures contraignantes visant à réduire la circulation du virus et maintien d’un seuil suffisant d’activités (pour, d’une part, éviter l’émergence d’autres pathologies au sein de la population et, d’autre part, provoquer le moins de dommages possible sur l’économie) semble bien-être à l’origine du relatif succès balte.</p>
<h2>Des manques et des doutes ?</h2>
<p>Il serait évidemment illusoire de conclure de ces indications à une unanimité parfaite et à une absence de risque dans les États baltes. Comme ailleurs, les mesures adoptées ont pu provoquer remous et débats, notamment au sujet des <a href="https://balticword.eu/losing-liberty-for-coronavirus-security-opinion/">restrictions imposées aux libertés</a> mais aussi de l’<a href="https://balticword.eu/baltic-countries-are-on-the-verge-of-state-bankruptcy/">ampleur de la crise économique à venir</a> : le « jour d’après » ne risque-t-il pas d’être bien plus terrible que l’acmé de la crise sanitaire, avec son lot de faillites, sa hausse du chômage, sa nouvelle vague d’émigration et l’apparition de pathologies liées au confinement que les systèmes de santé, épuisés, ne sauront prendre en charge ? D’autant que l’inconnu reste entier quant à la rémanence du Covid-19 et que certains pays voisins, par le retard de leur réaction à la pandémie, pourraient mettre en péril la belle précocité balte : les stratégies <a href="https://time.com/5836890/russia-coronavirus/">russe</a> et <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-les-bielorusses-s-arrangent-avec-un-virus-qui-n-existe-pas-6809609">biélorusse</a> face au Covid-19 ne laissent pas d’inquiéter dans les trois pays.</p>
<p>Si les autorités baltes peuvent se féliciter de leur réactivité, elles sont aussi conscientes de leurs failles : le Premier ministre letton lui-même ne cache pas ses doutes, par exemple, quant au stock accumulé rapidement en équipements de protection individuelle, qui permet au pays de tenir à un horizon de trois mois. Or, ces équipements (masques, gants, lunettes de protection, tests, respirateurs) viennent majoritairement de Chine. Quelle confiance peut-on accorder à ce matériel, se demande K. Kariņš ? En outre, la <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/route-soie-sante-comment-chine-entend-profiter-pandemie-pour-promouvoir-sa-diplomatie-sanitaire-2020">diplomatie sanitaire déployée par la Chine</a> ne présente-t-elle pas un risque pour l’avenir de ces pays, qui craignent la <a href="http://french.xinhuanet.com/2018-01/11/c_136887692.htm">politique d’influence de Pékin</a> ?</p>
<h2>À la recherche d’une UE solidaire</h2>
<p>Pour le Premier ministre letton, son pays aurait plutôt dû se tourner vers ses partenaires de l’UE et de l’OTAN, puisque cette pandémie provoque bel et bien une menace sécuritaire.</p>
<p>Or, concernant la première, elle n’a visiblement pas été au rendez-vous attendu : fin mars, la <a href="https://news.err.ee/1068001/president-kaljulaid-government-responded-to-the-crisis-at-the-right-time">présidente estonienne Kersti Kaljulaid</a> a estimé que l’UE ne remplissait pas ses fonctions premières, notamment celle d’assurer le fonctionnement du marché unique, trois des quatre libertés se heurtant alors à de sérieux problèmes. Certes, l’Estonie serait reconnaissante de l’aide que l’UE lui apporterait quand elle serait en mesure de le faire ; pourtant, ce n’était pas là qu’on l’attendait, selon la Présidente, mais bien plutôt sur la mise en œuvre des projets sur lesquels les 27 États membres s’étaient accordés. La fermeture brutale des frontières, provoquant difficultés d’approvisionnement et problèmes de rapatriement de populations, a été mal vécue dans les pays baltes qui ne s’attendaient visiblement pas à devoir négocier des arrangements et des dérogations de manière bilatérale.</p>
<p>Pour Kersti Kaljulaid, l’UE ne pourrait donc pas se targuer de grands succès sur le front du Covid en matière de solidarité. L’Estonie a d’ailleurs soutenu l’Allemagne, le 23 mars lors de la visioconférence des ministres des Affaires étrangères de l’UE qui a vu Berlin proposer d’activer la clause de solidarité prévue à l’article 222 du Traité de l’UE. Le président lituanien Gitanas Nausėda, lui, a alors appelé l’UE à plus de détermination pour coordonner rapidement ses actions, assouplir ses procédures et la prise de décision, alors qu’aucun délai ne peut être consenti dans le cadre de cette crise. Et de proposer la création de « corridors verts » pour faciliter la circulation des denrées alimentaires au sein de l’UE, une active coordination communautaire dans la recherche d’un vaccin – les viviers d’innovation, de technologies et de talents étant là – ou encore l’élaboration d’un programme financier solide et ambitieux pour permettre aux États européens de se relever de la crise, le président <a href="https://www.lrt.lt/en/news-in-english/19/1167121/eu-needs-marshall-plan-to-recover-from-coronavirus-crisis-lithuanian-president-says">n’hésitant pas à évoquer un futur « plan Marshall »</a>.</p>
<p>On l’a bien senti, les atermoiements préalables de l’UE et la politique floue qui en a d’abord résulté ont déçu les leaders baltes qui s’attendaient visiblement à une réactivité plus grande. Le risque de fractionnement de l’UE, alors que chacun est conscient que le « monde d’après », qui devrait être marqué par une exacerbation des tensions sino-américaines, pourrait être celui d’un effacement de l’Europe, ne leur a pas échappé. La <a href="https://rus.err.ee/1067469/sijm-kallas-raskritikoval-rabotu-rukovodstva-es-vo-vremja-krizisa">montée immédiate d’un protectionnisme européen</a> est un signal qui les inquiète et la fermeture des frontières intra-européennes un symbole suffisamment puissant pour ces pays : « L’Union européenne n’est pas une chose en soi, mais une union de nos États-nations », a rappelé K. Kaljulaid lors de son allocution.</p>
<p>Déçus sans doute également de l’attitude peu coopérative de <a href="https://www.diis.dk/en/research/the-nordics-and-covid-19-together-or-apart">pays nordiques</a> qui ont privilégié des options nationales plutôt que régionales, et notamment d’une <a href="https://news.err.ee/1081207/mart-laar-ekre-turning-against-its-core-voters">Finlande</a> qui a clairement manifesté son maigre intérêt à entretenir une relation particulière avec l’Estonie voisine, les pays baltes expriment leur envie d’une plus grande coordination : dès le 16 mars, la <a href="https://president.ee/en/meedia/press-releases/15888-president-kaljulaid-discussed-the-covid-19-crisis-with-other-presidents-of-the-region/">présidente estonienne</a> échangeait avec ses homologues baltes mais aussi polonais, finlandais et russe pour évoquer la crise et les options susceptibles d’éviter sa propagation dans la région.</p>
<p>Aujourd’hui, les autorités baltes se coordonnent à trois : un <a href="https://www.mfa.gov.lv/en/news/latest-news/65944-foreign-ministers-of-the-baltic-states-agree-to-coordinate-lifting-of-covid-19-restrictions-at-the-internal-borders-between-the-three-countries">groupe de travail</a> a été créé fin avril à l’initiative des ministres estonien, letton et lituanien des Affaires étrangères, chargé de veiller à la coordination d’une stratégie de déconfinement et de réouverture des frontières communes, pour faciliter la sortie de crise, à tout le moins, dans l’espace balte. Très symboliquement, le 15 mai, les trois pays ont pu s’enorgueillir d’avoir créé une « bulle européenne » inédite, en ouvrant les premiers leurs frontières internes. Dans un deuxième temps, ce <a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/circulation-en-rouvrant-leurs-frontieres-internes-les-pays-baltes-creent-la-premiere?fbclid=IwAR2qDh62H31XsPONZXLxf52KQwkQ1cvcdK798MIAec0-hy7q5flPisK2AF4">« Schengen régional »</a> pourrait être élargi à la Pologne et à la Finlande (avec lesquelles la Lituanie et l’Estonie ont respectivement établi quelques facilités). Dans un deuxième temps seulement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137761/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Céline Bayou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Déçus par le manque de réaction initial de l’UE face à l’épidémie de Covid-19, les États baltes, qui ont su prendre des mesures précoces, se rapprochent les uns des autres à la faveur de la crise.
Céline Bayou, Chercheuse associée au Centre de recherche Europes-Eurasie (CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/86894
2017-11-20T20:49:46Z
2017-11-20T20:49:46Z
Ciel jaune et soleil rouge : l’ouragan Ophélia décrypté
<p>L’ouragan Ophélia qui a frappé les îles britanniques mi-octobre a transporté dans son sillage une série de phénomènes inhabituels, qui ont affecté la qualité de l’air dans plusieurs pays d’Europe.</p>
<p>Le lundi 16 octobre, les habitants du sud de l’Angleterre et de la Bretagne ont passé la journée sous un ciel couleur sépia-orangé ; les nombreuses photos qui ont circulé sur les réseaux sociaux ont montré une ambiance digne de celle du film de science-fiction <em>Interstellar</em>, dans lequel la mauvaise gestion des terres cultivables rend l’atmosphère pleine de poussières. Plusieurs compagnies aériennes ont rapporté que leurs vols ont été déroutés ou qu’elles ont dû faire atterrir leurs avions après avoir senti une étrange odeur de brûlé <a href="http://www.bbc.com/news/uk-england-41639386">envahir le cockpit</a>.</p>
<p>Le lendemain matin, mardi 17 octobre, ce fut au tour des habitants de la Belgique et des Pays-Bas de noter que le ciel arborait une couleur qu’on voit plus souvent au coucher qu’au lever du soleil. Le soleil était rouge-orangé et chose rare : on pouvait même l’observer à l’œil nu quand il était déjà haut dans le ciel, car il y avait comme un voile opaque empêchant les rayons de briller. Quelques jours plus tard, les habitants d’Estonie ont eu la surprise de voir <a href="https://report.az/en/interesting/black-rain-observed-in-tallinn-due-to-hurricane-ophelia/">tomber une pluie noire</a>, chargée de poussières de cendres.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"921084657222942720"}"></div></p>
<h2>Des phénomènes rares</h2>
<p>Tous ces phénomènes sont liés : les vents violents associés à l’ouragan Ophélia ont transporté de grosses quantités de poussières de sable arrachées du Sahara d’une part, et une épaisse fumée provenant des feux très intenses qui ont sévi dans le nord du Portugal et à l’ouest de l’Espagne d’autre part.</p>
<p>Si les transports de sable haut dans l’atmosphère depuis le Sahara sont relativement fréquents sous nos latitudes – et on peut l’observer quand il retombe avec la pluie sur les pare-brise des voitures –, un transport de fumée sur une aussi longue distance est très rare. Avec les moyens actuels dont disposent les scientifiques pour l’étudier, on peut préciser la chronologie des évènements, les kilomètres parcourus, et les conditions qui ont permis son émergence.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/193229/original/file-20171103-1032-10mp53x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/193229/original/file-20171103-1032-10mp53x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/193229/original/file-20171103-1032-10mp53x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/193229/original/file-20171103-1032-10mp53x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/193229/original/file-20171103-1032-10mp53x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/193229/original/file-20171103-1032-10mp53x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/193229/original/file-20171103-1032-10mp53x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/193229/original/file-20171103-1032-10mp53x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Image visible prise par le sondeur MODIS à bord du satellite Terra le 16 octobre 2017, qui montre le cœur de la tempête et le transport de poussières de sable et de fumée.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.severe-weather.eu/news/sun-in-parts-of-uk-and-france-blocked-out-the-smoke-from-wildfires-in-spain-and-portugal/">NASA Terra/MODIS</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais d’abord : pourquoi le ciel ocre et le soleil rouge ?</p>
<p>La couleur du ciel dépend de la présence de molécules, de particules et de gouttelettes dans l’atmosphère, qui sont des obstacles pour le rayonnement du soleil, qui est alors diffusé et atténué. La lumière solaire est composée de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel (du violet jusqu’au rouge, pour la partie de son rayonnement en lumière visible).</p>
<p>Le ciel nous apparaît comme bleu car la <a href="http://www.meteo.org/phenomen/cielbleu.htm">lumière bleue</a> a la plus courte longueur d’onde et est plus sujette à la diffusion. C’est la raison pour laquelle un ciel très bleu n’est observé qu’en montagne (moins de pollution et moins de vapeur d’eau), et il virera au blanc s’il y a des <a href="http://www.futura-sciences.com/planete/dossiers/climatologie-nuages-tout-genre-differencier-545/">nuages</a> (diffusion de toutes les couleurs sur les gouttelettes d’eau).</p>
<p>Plus le ciel est chargé en particules fines, plus la diffusion augmente. Les composantes verte et jaune de la lumière sont alors affectées jusqu’à ce que finalement, la seule lumière que nous puissions voir soit le rouge orangé. Donc les plus beaux levers et couchers de soleil sont observés quand le ciel est chargé de particules !</p>
<h2>Du Portugal à l’Estonie</h2>
<p>À la suite d’un épisode de sécheresse historique, les incendies d’octobre au Portugal et en Galice ont été encore plus virulents que ceux rapportés au début de l’été. Outre le fait que des dizaines de personnes y ont perdu la vie ou ont été blessées, des quantités importantes de territoire ont été réduites en cendres.</p>
<p>À partir des images à haute résolution <a href="http://modis-fire.umd.edu/index.php">fournies par les satellites</a> qui permettent de suivre les feux actifs et les surfaces brûlées, il a été établi que ces incendies ont été les plus importants depuis au moins quinze ans. Les vents violents associés à l’ouragan ont décuplé l’intensité des flammes conduisant à des phénomènes comme les tornades de feux.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/va45FpEKcZ4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Des tornades de feu repérées au Portugal (Net 7 News, octobre 2017).</span></figcaption>
</figure>
<p>Mais pour expliquer comment les fumées se sont propagées si vite et si loin, il faut faire intervenir la pyroconvexion. Il s’agit de nuages spécifiques (les pyrocumulonimbus) qui se forment au-dessus des incendies violents, ayant une grande extension verticale et présentant une forme d’enclume, et qui vont <a href="http://journals.ametsoc.org/doi/pdf/10.1175/2010BAMS3004.1">injecter des masses d’air chargées de fumée épaisse</a> très rapidement de la surface vers des altitudes entre dix et vingt kilomètres. Ces fumées seront ensuite transportées au gré des vents, loin de leur zone d’émission. Plusieurs pyrocumulonimbus ont été observés par satellite dans les zones de feux en octobre.</p>
<p>Quand la végétation brûle, il s’en dégage des particules (carbone suie) mais aussi une série de gaz, en particulier le monoxyde de carbone (CO) qui résulte de la combustion incomplète, et bien connu comme un tueur domestique silencieux dans le cas des chauffe-eau domestiques mal réglés.</p>
<p>Ce gaz invisible à l’œil nu, inodore et incolore, les satellites infrarouges peuvent le traquer. L’instrument IASI qui vole à bord du satellite Metop <a href="http://iasi-chem.aero.jussieu.fr/coEurope2017.htm">a suivi ce phénomène</a> de transport de fumée exceptionnel durant toute sa traversée de l’Europe et des concentrations abondantes de ce polluant ont été mesurées. Après un passage au-dessus du Benelux et un tour jusqu’en Suède, le panache de fumée est passé au-dessus des pays baltes (où la pluie a emporté avec elle vers le sol une partie des cendres) et a terminé sa course aux frontières de l’Asie, parcourant ainsi plus de 8000 kilomètres.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/193228/original/file-20171103-1008-1ndnr66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/193228/original/file-20171103-1008-1ndnr66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/193228/original/file-20171103-1008-1ndnr66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/193228/original/file-20171103-1008-1ndnr66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/193228/original/file-20171103-1008-1ndnr66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/193228/original/file-20171103-1008-1ndnr66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/193228/original/file-20171103-1008-1ndnr66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Panaches de monoxyde de carbone observé par l’instrument IASI deux fois par jour à bord du satellite Metop. La couleur rouge indique des concentrations élevées.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Maya George/LATMOS</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Sous étroite surveillance</h2>
<p>Pour compléter ces mesures par satellite, les scientifiques disposent aussi d’instruments basés au sol qui, en utilisant des <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Ceilometer">techniques lidar</a>, peuvent fournir une estimation de la hauteur du panache et de sa composition. L’instrument basé à Bruxelles a montré que le panache de poussières de sable a survolé la capitale une douzaine d’heures avant celui de la fumée, à une <a href="https://www.meteo.be/meteo/view/fr/33827817-Du+sable+et+de+la+fumee.html">altitude autour de 3 kilomètres</a>.</p>
<p>Enfin, le modèle atmosphérique Copernicus Atmospheric Monitoring Service (CAMS), qui se nourrit de toutes les données disponibles pour établir des cartes des différents polluants au-dessus de l’Europe, a aussi confirmé qu’en Angleterre le panache était composé <a href="http://atmosphere.copernicus.eu/news-and-media/news/saharan-dust-and-smoke-over-france-and-uk">essentiellement de poussières de sable</a> avec un peu de cendres, tandis que les vents ont préférentiellement poussé les fumées au-dessus de l’Europe.</p>
<p>Pour conclure, l’Europe dispose actuellement d’une série d’observations basées au sol, <a href="https://www.iagos.org/">embarquées à bord d’avions de ligne</a>, et fournies par les satellites, qui, couplées à des simulations numériques, permettent de suivre et de prédire les déplacements des panaches de pollution pour alerter les populations quant à la qualité de l’air que nous respirons.</p>
<p>De tels évènements sont rares et, en général, la pollution est locale et essentiellement liée au trafic automobile. Ce n’est en revanche pas le cas pour les pays en voie de développement dans lesquels <a href="http://www.ipcc-nggip.iges.or.jp/public/gl/pdfiles/fren4-3.pdf">40 % des résidus de culture</a> sont brûlés dans les champs, ce qui induit une pollution importante et qui peut affecter les régions environnantes jusqu’à des distances lointaines, sans alertes préalables pour protéger les populations.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86894/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cathy Clerbaux received funding from CNES (Centre National d'Etudes Spatiales) to support scientific research related to her satellite analysis activity.</span></em></p>
Mi-octobre 2017, une partie des Européens se retrouvaient sous un ciel orangé. Un phénomène rare décrypté grâce aux observations des scientifiques.
Cathy Clerbaux, Directeur de recherche au CNRS, laboratoire LATMOS, Institut Pierre Simon Laplace (IPSL), Sorbonne Université
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/83308
2017-09-06T21:38:07Z
2017-09-06T21:38:07Z
Les défis de la « cyberguerre froide »
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/184895/original/file-20170906-9871-1u4b8b6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Au Centre d’excellence de cyberdéfense de l’OTAN, installé en Estonie.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/shapenato/30532591004/in/photolist-Nw4vyQ">OTAN/Flickr</a></span></figcaption></figure><p>Le monde marche à pas rapides vers le tout numérique, ce qui occasionne plus de vitesse dans les démarches vers les administrations, plus de communications entre employés, partenaires, clients d’une entreprise, un accès facilité à la culture. Mais pour que cela apporte les avantages espérés, il faut que la confiance dans le numérique soit établie. La disponibilité, l’intégrité, la confidentialité et la traçabilité de l’information sensible qu’on utilise, que l’on stocke et que l’on transmet doivent être <a href="https://theconversation.com/les-citoyens-europeens-prets-a-controler-leurs-donnees-personnelles-face-aux-geants-du-web-52666">assurées</a>. Telles sont les enjeux de la cybersécurité.</p>
<p>Or cette information est menacée par les cyberattaques redoutables et répétées qui viennent du cyberespace. Diminuer les risques est devenu un enjeu incontournable pour les pays, pour les organisations et pour les citoyens. Nombreux sont les évènements qui traitent des cyberattaques et de leurs conséquences parfois désastreuses, parfois même à l’échelle d’un pays.</p>
<p>Jean‑Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, a inauguré le 29 août dernier, dans son ministère, un évènement « Je rencontre un ambassadeur ». Une des tables rondes portait sur le sujet « La cyberguerre aura-t-elle-lieu ? » réunissant autour de l’animateur, Alain Barluet (correspondant défense au <em>Figaro</em>), David Martinon, ambassadeur chargé de la cyberdiplomatie et de l’économie numérique, Claudia Delmas-Scherer, ambassadrice de France en Estonie, Isabelle Dumont, ambassadrice de France en Ukraine et Éric Rochant, grand témoin chargé de mettre quelques grains de sel dans la conversation. Éric Rochant est le réalisateur de série télévisée « le bureau des légendes », autour des actions de la DGSE.</p>
<h2>L’Ukraine, une cible de choix</h2>
<p>Les citoyens de tous les pays sont concernés par le sujet de la cyberguerre et pas seulement les politiques, les militaires et les diplomates. Isabelle Dumont, ambassadrice en Ukraine, rappelle ainsi que bien avant la cyberattaque qui a visé cette année 95 % des entreprises et des administrations ukrainiennes par le <a href="https://www.lecourrierderussie.com/societe/2017/06/petya-cyberattaque-ukraine/">virus « NotPetya »</a> l’Ukraine avait déjà été la cible de nombreuses cyberattaques. Sous couvert d’une action de rançongiciel pour égarer les contre-mesures,« NotPetya » était en réalité un maliciel destructeur de fichiers.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/184889/original/file-20170906-9823-1cz01wq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/184889/original/file-20170906-9823-1cz01wq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/184889/original/file-20170906-9823-1cz01wq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/184889/original/file-20170906-9823-1cz01wq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/184889/original/file-20170906-9823-1cz01wq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/184889/original/file-20170906-9823-1cz01wq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/184889/original/file-20170906-9823-1cz01wq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Vue du centre de Kiev.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/juanedc/8054070397/in/photolist-dgHdwH-9zRtt9-DDQfgw-AwatsQ-mjdMSH-kGJv75-mxQVFj-Gde9xU-m391gs-ECSahs-HYaRkb-rmkVZi-E6WKEt-BdaVWr-A7jBbm-GiqQ85-GiqQ4h-DBiiW1-DYCcBo-m9tvMB-moJK94-my9UTR-HjQEDe-zX6cqp-ENTMeE-FMgFAT-JArLmP-G3qUZP-BxPSik-muziBV-Fw8mvN-si77ok-si9Yf4-dg1Xa-AmrNWh-kNrCXc-mfx6Hw-WRfuWJ-BuwLjW-A9H3NY-si75T6-si9RRx-s72yKk-u8kekd-BLFXkc-u8jVHN-Atj1xT-Dt1YEQ-XsDDN1-kJwyz9">Juanedc/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En août 2014, une cyberattaque avait visé le réseau ferré ukrainien et, la même année, une autre cyberattaque avait perturbé ses élections présidentielles. Puis est survenue l’attaque sur le réseau électrique à l’ouest du pays, privant d’électricité les Ukrainiens durant plusieurs heures. En 2016, une attaque similaire avait déjà privé d’électricité tout un quartier de Kiev.</p>
<p>L’année 2017 a donc connu la cyberattaque NotPetya au cours de laquelle un virus, présent sur un logiciel russe de comptabilité, s’est répandu via un logiciel de déclaration à l’administration fiscale ukrainienne. Impossible d’y échapper, les dégâts causés par ce maliciel qui détruisait tous les fichiers à sa portée ont été considérables. Quand un ministre voit sur l’écran de son poste de travail un message qui l’avertit que ses fichiers sont en train d’être détruits, et qu’il se rend compte que c’est la même chose pour ses collègues, même s’il n’y a pas de dégâts physiques apparents, la situation est forcément très grave, surtout si des milliards d’euros sont en jeux. Nous voici replongé à l’époque de la Guerre froide.</p>
<p>Isabelle Dumont distingue trois buts à ces cyberattaques : montrer que le territoire de l’Ukraine est à la portée d’une cyberattaque dévastatrice ; décrédibiliser le pays sur le plan international et faire fuir les investisseurs ; utiliser le territoire de l’Ukraine comme terrain d’attaque pour rebondir vers l’extérieur.</p>
<h2>A l’ère de la « cyberguerre froide »</h2>
<p>Claudia Delmas-Scherer, ambassadrice en Estonie, décrit quant à elle l’histoire récente de ce petit pays qui a acquis son indépendance en 1991 et qui a misé dès le début sur le passage de son administration vers le tout numérique. Chaque Estonien possède ainsi une carte à puce qui lui sert non seulement dans ses démarches administratives et de santé mais aussi dans ses transactions commerciales.</p>
<p>En 2007, l’impensable s’est produit : l’Estonie a subi une cyberattaque en déni de services distribué sur ses infrastructures numériques. Le pays a été paralysé. Le gouvernement s’est alors posé la question d’arrêter le tout numérique mais a finalement opté, en sa grande sagesse, pour un renforcement de ses compétences en cybersécurité et pour un durcissement de ses infrastructures.</p>
<p>Pour David Martinon, ambassadeur chargé de la cyberdiplomatie et de l’économie numérique, malgré les cyberattaques qui se multiplient, malgré les ravages qu’elles causent sur l’économie et même sur la souveraineté des pays, on ne peut pas encore affirmer que la guerre numérique a vraiment commencé. Nous vivons, aujourd’hui, une période de « cyberguerre froide » caractérisée par la furtivité des attaques et par l’absence d’affrontement direct.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/184778/original/file-20170905-13703-129vzzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/184778/original/file-20170905-13703-129vzzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=342&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/184778/original/file-20170905-13703-129vzzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=342&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/184778/original/file-20170905-13703-129vzzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=342&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/184778/original/file-20170905-13703-129vzzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=430&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/184778/original/file-20170905-13703-129vzzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=430&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/184778/original/file-20170905-13703-129vzzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=430&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les participants à la table ronde organisée par le ministère des Affaires étrangères, le 29 août dernier.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gérard Peliks/DR</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour utiliser une image, les cyberattaques subtilisent ce que vous avez dans votre portefeuille mais vous ne vous en apercevez pas sur le moment. Vous n’en connaissez les effets qu’au moment de payer. Le but de l’attaquant peut être de montrer que c’est bien lui qui vous a attaqué pour prouver à quel point il est redoutable, ou alors de laisser entendre que c’est – peut-être, peut-être pas – lui qui vous a attaqué mais que vous ne pourrez rien prouver.</p>
<p>Pour un investissement faible, le résultat obtenu peut être très important. Par exemple, la cyberattaque contre la banque du Bangladesh, en mars 2016, a rapporté 80 millions de dollars pour un travail de six mois.</p>
<h2>Le défi de l’attribution</h2>
<p>Ces attaques sont complexes à cerner car elles peuvent faire intervenir à la fois des acteurs étatiques et non étatiques. Des pirates ou corsaires font le plus souvent le boulot, et sont financés par des États qui les emploient.</p>
<p>L’attribution et l’identification des coupables sont très difficiles, voire impossibles. Aucun pays, ni la Chine, <a href="https://theconversation.com/lombre-de-moscou-plane-sur-les-elections-en-france-et-en-allemagne-74187">ni la Russie</a>, ni d’autres pays auxquels on pense généralement n’ont été pris la main dans le sac. Et même si de sérieux doutes demeurent, comme dans le cas de NotPetya qui a visé l’Ukraine ou de l’attaque en déni de service qui a paralysé l’Estonie, ou encore l’attaque par le virus Stuxnet qui a détruit une partie des centrifugeuses de l’usine d’enrichissement d’uranium de Natanz en Iran, l’extrême difficulté à tracer ces attaques rend l’établissement de preuves quasi impossible. Même si on peut, par exemple prouver qu’une adresse IP d’où est partie l’attaque se situe sur le territoire russe, cela ne prouve pas pour autant que la Russie est le pays qui attaque.</p>
<p>Avec les cyberguerres, peut-on alors parler de guerre ? Pas encore, pas tant qu’il n’y a pas de preuves indiscutables qui puissent établir que des militaires ou des civils ont été tués par les cyberattaques. Les coupures de courant qui ont affecté l’Ukraine, privant les hôpitaux d’électricité, ont-elles causé des décès avérés ? Comment prouver que des morts sont directement liés à l’absence de courant dans un hôpital et n’ont pas eu d’autres causes ? De plus, une guerre est en général bipolaire : un pays en attaque un autre. La cyberguerre est multipolaire, tout le monde peut attaquer tout le monde, alors comment déterminer les attaquants réels dans un monde furtif et virtuel ?</p>
<h2>Soigner le mal par le mal ?</h2>
<p>La cyberguerre, guerre de l’ombre par excellence, avec une attribution presque impossible, inspire-t-elle le législateur ? C’est une question « très grains de sel » posée par le réalisateur de la série télévisée « le bureau des légendes », autour des actions de la DGSE, Éric Rochant. Pour David Martinon, d’un point de vue juridique, le passage de la paix à la guerre est établi quand il y a des victimes.</p>
<p>Les terroristes ont la compétence et les outils pour prendre le contrôle d’un port, d’un aéroport ou d’un satellite. La cyberguerre n’est pas seulement une guerre <em>de</em> l’information mais aussi une guerre <em>contre</em> l’information et contre la régulation des infrastructures sensibles. Un jour viendra où sera commis un cyber-attentat et alors il faudra effectivement se poser la question : « Ai-je le droit de répliquer ? Dans quelle mesure ? Et surtout contre qui ? »</p>
<p>Comment prépare-t-on une cyberoffensive ? Voilà une autre question « grain de sel » posée par Éric Rochant. Doit-on utiliser des pirates pour lutter contre des pirates, et soigner le mal par le mal ? Pour David Martinon, c’est bien comme cela qu’il faut faire, et d’ailleurs c’est déjà ainsi que les ripostes se font. En France nous avons des experts de très haut niveau, par exemple à l’<a href="https://www.ssi.gouv.fr/">ANSSI</a> (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information), qui protègent l’appareil d’état et les Opérateurs d’importance vitale (OIV).</p>
<p>Il existe aussi de très bons experts en cybersécurité dans certaines entreprises, mais globalement, ils sont trop peu nombreux sur le marché alors que l’État et les entreprises subissent des cyberattaques qui vont en nombre et en amplitude croissants. À souligner que si l’État peut intervenir par des contre-attaques, et réalisées seulement par certains organismes, en aucun cas une entreprise a le droit de contre-attaquer.</p>
<p>La cyberguerre est-elle la continuation de la cyberpolitique par d’autres moyens ? La course à l’armement dans le cyber est devenue indispensable. L’injection de fausses informations vers le cyberespace, l’utilisation de la cyberpropagande sont de tels moyens. La cyberguerre, nous y sommes et nous devons nous défendre.</p>
<h2>Une menace mondiale</h2>
<p>À propos de moyens de défense, Claudia Delmas-Scherer, ambassadrice en Estonie, affirme que ce pays a su tirer les leçons des cybermenaces auxquelles il est confronté. Le centre d’excellence de cyberdéfense de l’OTAN se trouve à Tallin et les systèmes d’information de l’Estonie sont aujourd’hui très sécurisés.</p>
<p>L’Estonie compte sur les technologies des <a href="https://theconversation.com/gouvernance-dentreprise-blockchain-ingredient-de-nouvelles-innovations-de-rupture-61105">Blockchains</a> pour bloquer les attaques et protéger l’authentification des citoyens. Isabelle Dumont, ambassadrice en Ukraine, explique de son côté que ce pays possède aussi de très bons experts mais que ses systèmes d’information sont attaqués en permanence et les réseaux sociaux sont très utilisés pour faire passer des messages nocifs.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/U-3XDbP-8Og?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Changeons de continent. Les États africains, qui accusent un certain retard dans le numérique, courent-ils moins de risques que les pays des continents plus avancés dans le numérique ? David Martinon assure que non. Aucun pays n’est invulnérable aux cyberattaques, que le pays soit avancé dans la maîtrise du numérique ou pas. Les compétences et les produits à disposition des cyberattaquants peuvent être acquis <a href="https://theconversation.com/le-dark-web-quest-ce-que-cest-47956">dans les marchés noirs de la cybercriminalité</a> et sont très efficaces. Donc tous les pays courent des risques et peuvent faire courir des risques aux autres pays.</p>
<h2>La nécessité d’une formation</h2>
<p>Autre question : les pays développent-ils une doctrine sur la cybersécurité ? Qui prend les sanctions ? David Martinon indique que, par exemple, les Russes ont bien une doctrine qui consiste à brouiller les frontières entre la guerre et la paix. Mais le droit international doit s’appliquer et réguler le cyberespace. Même si on admet que le cyberespace ne connaît pas de frontières, les États attaqués peuvent engager des contre-mesures de rétorsion et pas seulement des ripostes uniquement numériques. Riposter est une décision souveraine qui est à prendre par chaque pays.</p>
<p>David Martinon pense que la charte des Nations Unies, dont l’article 51 établit la légitime défense, doit s’appliquer aussi dans le cyberespace, sinon on se condamne à être complètement inopérants. <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/defense/comment-le-drian-cree-une-cyber-armee-francaise_442784">En France</a>, le combat numérique fait partie de la doctrine d’emploi des forces armées, et les combats peuvent être défensifs mais aussi offensifs. Les mesures de rétorsion peuvent être économiques, numériques ou militaires. Le plus grand danger, dit-on, vient de l’utilisateur. Il faut l’inciter à observer une hygiène numérique, certes, mais c’est loin d’être suffisant pour bloquer des cyberattaques comme l’attaque NotPetya. La marche vers le numérique a été menée loin des considérations de protection des informations, et aujourd’hui on en paie le prix.</p>
<p>Tout ceci souligne l’impérative nécessité de former des experts qui pourront apporter des solutions à ces problèmes qui peuvent entraîner des conséquences très graves et qui intéressent chacun d’entre nous. Des formations existent et devraient intéresser le plus grand nombre d’entre nous.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/83308/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gérard Peliks est directeur adjoint du MBA Management de la Sécurité des Données Numériques (MSDN) de l'Institut Léonard de Vinci et président de l'associaton CyberEdu. </span></em></p>
La cyberguerre aura-t-elle lieu ? Ce sujet brûlant a fait l’objet, fin août, d’une table ronde au ministère des Affaires étrangères. Compte-rendu.
Gérard Peliks, Expert sécurité, directeur adjoint du MBA Management de la Sécurité des Données Numériques de l’Institut Léonard de Vinci, Pôle Léonard de Vinci
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/49244
2015-10-16T10:56:06Z
2015-10-16T10:56:06Z
De l’autre côté
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/98562/original/image-20151015-30707-7q8inc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">D. Afanasenko</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://d-afanasenko.com/#">©d.afanasenko</a>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>J’aime les voyages et les explorateurs. Aussi est-ce d’abord la <a href="http://www.rue-des-livres.com/editeurs/1025/clemence_hiver.html">couverture figurant une vieille carte des États baltes</a> qui a attiré mon attention sur ce petit opuscule aux faux airs de désuétude. Avant même la lecture, se dessinait toute une expédition dans l’espace et dans le temps d’un monde – l’extrémité de l’Europe – déjà reconfiguré depuis longtemps. Que peut-on bien aller faire à Tartu ? Cette ville existe-t-elle même encore, tant sont fluents et les frontières et les noms et tant est prompt l’imaginaire à s’inventer des chimères cartographiquement ?</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/98563/original/image-20151015-30727-wawpb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/98563/original/image-20151015-30727-wawpb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/98563/original/image-20151015-30727-wawpb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/98563/original/image-20151015-30727-wawpb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/98563/original/image-20151015-30727-wawpb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/98563/original/image-20151015-30727-wawpb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/98563/original/image-20151015-30727-wawpb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« Voyage à Tartu et retour », editeur, Clémence Hiver.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’auteur, Olga Sedakova, peu connue des non-initiés et moins encore de ce côté-ci de ce que l’on appelait alors le « rideau de fer », est pourtant une grande dame, une intellectuelle et une poétesse issue de la génération de l’immédiat après-guerre. Née à Moscou en une époque où il ne faisait pas bon être original, elle a fait circuler ses premiers textes sous le manteau avant de pouvoir, Perestroïka aidant, publier au grand jour. Son premier recueil de poésies paraît à Paris en 1986. Depuis, de nombreux prix et distinctions internationaux lui ont été remis. Ajoutons qu’elle a traduit et traduit toujours intensément depuis l’allemand, l’anglais et le français vers le russe et qu’elle est, de formation, ethnographe et philologue – d’où les essais qui, dans ce volume, suivent le récit proprement dit du <em>Voyage à Tartu</em>.</p>
<p>Un mot sur ces essais. Je crains que le premier, « Poésie et anthropologie », n’intéresse pas grand monde. Ni la poésie ni les humanités ne sont plus à la mode aujourd’hui et les gens qui persistent à croire en l’essentialité de leur discours sur l’homme deviennent portion congrue, à l’échelle de la France (considérons par exemple la répartition des budgets de la recherche) comme à celle du reste du monde (si l’on en croit l’évolution des récentes directives gouvernementales au Japon). Mais, pour Olga Sedakova, c’est moins l’actualisation du thème que l’association des deux notions, « poésie » et « anthropologie », qui relève de la performance : « Le fait que la poésie ne devienne que rarement l’objet d’un intérêt anthropologique est peut-être en rapport avec son aspiration manifeste – et souvent provocatrice – à fuir hors de l’humain. » (p. 75)</p>
<p>Telle est la thèse centrale de cet essai, appuyée d’abord sur une critique panoramique des exégèses traditionnelles de la poésie de « type anthropologique » (analyse des mythologies personnelles de l’auteur, pseudo-archéologie de pseudo-restes de pseudo-pensées prélogiques témoignant d’un stade antérieur de la culture, poésie lue comme une herméneutique de notre monde social, etc.). Ensuite, intervient le récit d’une expérience personnelle ou plutôt de l’expérience d’un proche de l’écrivain que, d’une certaine manière, la poésie a poussé au-delà de lui-même. Il est question de contestation et d’emprisonnement, de mise à la question par la torture et de renonciation.</p>
<p>Mais, alors même que le dissident avait résolu de parler, d’« avouer », d’avouer n’importe quoi mais de céder pour que cessent ses souffrances, à cet instant même, lui revint à l’esprit et en intégralité un poème de <a href="http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/mandelstam/mandelstam.html">Mandelstam</a> qui n’avait, a priori, rien à voir avec la situation : « De la flûte grecque, le thêta et le iota… ». Et finalement, il n’a rien avoué et les autorités ont même renoncé à l’interroger tant paraissait surhumaine sa détermination à persister dans son être. En effet, le poème a agi comme un <em>pharmakon</em> en faisant vivre au prisonnier une expérience, qu’il décrit comme mystique, de communion et de transcendance, qui lui a fait retrouver sa détermination première.
Olga Sedakova nous montre que, dans une situation où l’individu expérimente les limites de sa condition mortelle, c’est l’expérience vécue de la forme poétique qui lui permet de surpasser la réalité et de se dépasser lui-même. Par la forme poétique pensée comme une force permettant d’excéder la mesure de l’humain, expérience vécue de <em>l’homo impossibilis</em>, voilà en quoi nous touchons à l’anthropologie, en quoi il est possible de faire, paradoxalement, lien : « Voici – parmi d’autres, bien sûr – ce que l’on peut donc considérer comme le thème anthropologique de la poésie : l’accomplissement de l’être même de l’homme à la limite de sa “mesure”. ».</p>
<p>Paradoxalement, dis-je, car c’est lorsque, par l’art, nous sortons de nous-mêmes, lorsque nous ne sommes plus vraiment humains, que nous touchons à la dimension fondamentalement anthropologique et de l’art en question et de notre être. Une conception analogue de la langue et de la littérature sous-tend la pratique de la traduction chez Sedakova. Car là est l’intérêt de ses démonstrations : elle parle d’expérience, à chaque fois. Traduire veut dire chercher des mots et inventer des usages, faire preuve d’audace, dépasser le déjà-là verbal, défamiliariser pour pouvoir à la fois s’incorporer l’exotique de l’ouvrage et de la langue étrangers et faire progresser la langue cible vers l’expression de l’inouï, de nouvelles idées. Telle est l’histoire du slave, rappelle-t-elle, avec orgueil et humilité.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/98638/original/image-20151016-25117-x9npxo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/98638/original/image-20151016-25117-x9npxo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/98638/original/image-20151016-25117-x9npxo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/98638/original/image-20151016-25117-x9npxo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/98638/original/image-20151016-25117-x9npxo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/98638/original/image-20151016-25117-x9npxo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/98638/original/image-20151016-25117-x9npxo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/98638/original/image-20151016-25117-x9npxo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Une rue de Tartu en décembre.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/erbajolo/8358459928/in/photolist-dJBhW5-2KGVo-j1NEmQ-gXNnQp-dHwaKn-bPpHEF-j1NE8o-8VVtiN-gXNnRM-gXNnQV-eLiKoS-nxM7Rw-nxM7CL-fuBoZG-8Uaypv-hGrbpx-q44eCk-4H9qyM-8VC5qx-KH4r4-CsoLu-hGrbh8-bNjgan-8UMzHt-iLWxHY-31PaV-nyAbE7-6MFhr-j1NDSy-2KPLx-bzpHYS-j1NE7G-dneE17-2KGVp-nyAbL9-bNjcji-j1NDS3-q44ej4-fzAhUB-eM6g17-q44eyH-iihrVc-fJbtSf-9xXGVz-ih2aYj-qXxsYN-avKTeS-dzY8hR-fzw9X4-ehoUjh">Cremona Daniel/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Alors Tartu ? Car en parlant de ces essais, j’ai commencé par le milieu. « Voyage à Tartu et retour » représente pourtant la première section du livre et, de loin, la plus longue. À sa lecture, nous comprenons vite qu’il s’agit d’un récit reprenant un vécu, le témoignage à la fois absurde et poignant d’une époque qui n’existe plus. Poignant car il est question d’enterrement, de temps qui passe, de fin d’un monde intellectuel également. Nous sommes peu à connaître encore le nom de <a href="http://crecleco.seriot.ch/cours/a12-13/MA/P13/8LOTMAN/res.pdf">Youri Lotman</a>. Je fais partie de cette génération qui a vu le structuralisme comme la sémiotique passer de mode, qui a vu également les humanités se mourir et la littérature devenir une industrie. Désormais nous croyons dans les sciences cognitives.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/98642/original/image-20151016-25130-1a9zysx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/98642/original/image-20151016-25130-1a9zysx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/98642/original/image-20151016-25130-1a9zysx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/98642/original/image-20151016-25130-1a9zysx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/98642/original/image-20151016-25130-1a9zysx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/98642/original/image-20151016-25130-1a9zysx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/98642/original/image-20151016-25130-1a9zysx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/98642/original/image-20151016-25130-1a9zysx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Tombe de Yuri Lotman à Tartu.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.gnu.org/copyleft/fdl.html">Alma Pater/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Linguiste, philologue, anthropologue, sémioticien, souvent associé au courant dit du formalisme russe, Youri Lotman fut pourtant un personnage important, bien que découvert en France tardivement – Histoire oblige – et même si déjà passé de mode. Lotman <a href="https://rgi.revues.org/307">enseignait à Tartu</a> lorsque l’Estonie redevient indépendante en 1991. Il y est resté. Et lorsqu’il meurt deux ans plus tard, ses collègues et amis, de l’autre côté de la toute jeune frontière, ont le plus grand mal à la traverser pour venir assister aux nationales obsèques. C’est ce voyage, transformé par et pour les circonstances, en véritable épopée – transformation facilitée par la bureaucratie russe héritière de la soviétique héritière de la tsariste, etc. – que nous conte la narratrice également protagoniste, sur un ton mi-kafkaïen mi-balzacien tout à fait jouissif, serti d’allusions d’une rare érudition. Nous regretterions même que le trajet n’ait pas duré davantage : nous étions dans ces wagons en si bonne compagnie et si bien installés.</p>
<p>Les gens qui ont voyagé, même récemment, dans ces pays reconnaîtront bien des choses (les trains sont restés, comme le froid sibérien, les mêmes), et les Français pourront, accessoirement, se rassurer : finalement notre administration n’est peut-être pas si mal. À lire cette femme, nous revoyons, en silhouettes, les villages de Gogol, la folie de Dostoïevski, les steppes désertes, l’horreur du siècle dernier aussi, et la beauté d’une langue que nous ne connaissons pas, le russe, que nous ne connaîtrons jamais, sa parole à elle, Sedakova, qui persiste à porter la poésie et la beauté en héritage, depuis l’époque ancienne du vieux slavon jusqu’à la nôtre, dans la douleur comme dans la joie. Car, au fond, quel est le rythme du temps, à quelle vitesse va l’Histoire, dans quel sens, et quoi change vraiment ? Rien certainement. Si peu, en surface. Mais l’écriture persiste à porter témoignage, sédimentée, sédimentant, pour tenter un peu mieux de faire communauté malgré l’espace, malgré le temps et les langues différant.</p>
<p><em>Olga Sedakova, « Voyage à Tartu et retour, suivi de Poésie et Anthropologie et de Quelques remarques sur l’art de la traduction ». Traduits du russe et annotés par Philippe Arjakovsky. Sauve, Clémence Hiver éditeur, 2008, 116 pages.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/49244/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Voici pourquoi il faut lire ou relire, « Voyage à Tartu et retour » de la grande intellectuelle russe Olga Sedakova.
Alice Delmotte-Halter, Chercheuse associée, littérature, Université de Lorraine
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.