tag:theconversation.com,2011:/us/topics/forum-mondial-normandie-pour-la-paix-2021-109460/articlesForum mondial Normandie pour la Paix 2021 – The Conversation2021-09-29T18:19:49Ztag:theconversation.com,2011:article/1687412021-09-29T18:19:49Z2021-09-29T18:19:49ZLibye : fragiles espoirs de paix…<p>La Libye est-elle – enfin – sur le chemin de la stabilisation, dix ans après la guerre civile et l’opération militaire franco-britannique <a href="https://www.liberation.fr/planete/2011/11/05/operation-harmattan-terminee_772643/">« Harmattan »</a> qui a provoqué la chute du colonel Mouammar Kadhafi ?</p>
<p>C’est ce que les Libyens et la communauté internationale espèrent, alors que s’est mis en place, depuis février, un <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/libye/en-libye-le-gouvernement-de-transition-officiellement-installe-7187714">gouvernement d’union nationale</a> (GUN), étape préalable à des élections « inclusives » qui <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/11/13/libye-accord-sur-des-elections-en-decembre-2021-selon-l-onu_6059696_3212.html">devraient se tenir en décembre prochain</a>.</p>
<p>Contrairement au précédent gouvernement (gouvernement d’accord national – GNA – mis en place en mars 2016), ce gouvernement de transition est non seulement reconnu par l’ensemble de la communauté internationale, mais semble contrôler davantage de territoires que le précédent. Composé de représentants des trois parties de la Libye (Tripolitaine à l’ouest, Cyrénaïque à l’est et Fezzan au sud), des différentes sensibilités (milices, Frères musulmans…) et ethnies de la scène politique libyenne (touaregs, toubous, arabes, Beni Fezzan, Libous…), ce gouvernement dirigé par le premier ministre Abdelhamid Dabaiba et présidé par Mohammed el-Menfi constitue un fragile espoir de paix et de réconciliation.</p>
<h2>Un conflit à la fois local…</h2>
<p>La Libye est devenue, au cours des dix dernières années, le théâtre de la plus grande concentration d’intérêts conflictuels en Méditerranée. Le conflit qui a succédé à la chute de Mouammar Kadhafi en 2011 s’est peu à peu internationalisé, au point que désormais, la stabilisation du pays semble dépendre à la fois d’une mobilisation internationale et d’une appropriation locale, doublée d’une plus forte implication des États limitrophes.</p>
<p>Pour comprendre la nature et raison de la convoitise exogène pour la Libye, peut-être faut-il aussi rappeler qu’elle possède les plus importantes réserves pétrolières d’Afrique (48 milliards de barils de réserves estimées) et que la mer Méditerranée, notamment dans sa partie orientale, recouvre d’importants gisements gaziers (50 milliards de mètres cubes de gaz naturel)…</p>
<p>Le conflit, qui oppose les Libyens entre eux (milices proches des Frères musulmans constituant encore le principal soutien du GUN sis à Tripoli ; forces loyales au maréchal Khalifa Haftar, formant l’Armée nationale libyenne à Benghazi), implique aussi militairement et diplomatiquement de nombreuses puissances extérieures (Turquie, Qatar, Émirats arabes unis, Égypte, Russie, France, Italie…) et illustre, par le tragique, l’importance stratégique de la Méditerranée orientale.</p>
<p>Désormais, ce sont de fragiles espoirs qui émergent à travers les différentes médiations onusiennes, régionales et internationales, à l’instar de la désignation en février 2021, à Genève, sous l’égide du <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210628-libye-%C3%A0-gen%C3%A8ve-le-forum-de-dialogue-politique-discute-du-mode-d-%C3%A9lection-du-futur-pr%C3%A9sident">Forum pour le Dialogue politique libyen</a> (ardemment soutenu par l’ONU), du GUN dirigé par un Conseil présidentiel, lequel est présidé par Muhammad Al-Menfi. Ce dernier fut jusqu’à sa désignation comme président, en mars 2021, l’ambassadeur de Libye en Grèce ; il est originaire de la ville de Tobrouk, où siège le Parlement, présidé par l’autre « homme fort » de l’est libyen, Aguila Salah Issa.</p>
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<figcaption><span class="caption">Libye : Mohammed Menfi rencontre les dignitaires de l’est (Medi1TV Afrique, 13 février 2021).</span></figcaption>
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<p>Un référendum – <a href="https://www.aps.dz/monde/125393-libye-le-referendum-sur-la-nouvelle-constitution-pourrait-avoir-lieu-avant-les-elections">théoriquement prévu en octobre</a> – doit permettre de réformer la Constitution. Celle-ci fut élaborée sous la forme d’une déclaration constitutionnelle provisoire en août 2011, à la suite de la chute du régime de Mouammar Kadhafi ; elle fait toujours office de référence constitutionnelle, quoiqu’il faille la réformer en profondeur, notamment quant aux modalités de fonctionnement des pouvoirs exécutif, judiciaire et législatif.</p>
<p>Le toilettage de cette Constitution « provisoire » va aussi de pair avec un ardu mais indispensable travail de recensement des futurs votants. Cette étape préalable à la tenue en décembre 2021 d’élections inclusives laisse enfin espérer que les Libyens retrouvent la paix et la stabilité, et parviennent ainsi à éviter les ingérences étrangères, à empêcher le retour des cellules de Daech, à juguler le rôle néfaste des milices et à trouver, enfin, une issue à la question migratoire qui a largement contribué à affaiblir le pays depuis dix ans.</p>
<h2>… et international</h2>
<p>Emmanuel Macron, lors de son <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/275608-emmanuel-macron-13072020-politique-de-defense">discours aux armées du 13 juillet 2020</a>, avait d’ailleurs fortement insisté sur les « nouveaux jeux de puissances » qui s’y déploient à 250 km des côtes italiennes et donc de l’UE. Le président français et son ministre des Affaires étrangères, Jean‑Yves Le Drian, n’ont eu de cesse, depuis, de fustiger l’activisme politico-militaire de la Turquie en Libye.</p>
<p>La <a href="https://www.lefigaro.fr/international/le-courbet-navire-francais-au-large-de-la-libye-vise-par-une-manoeuvre-turque-extremement-agressive-20200617">confrontation</a> en juin 2020, entre la frégate française Courbet et un bâtiment turc, dans le cadre des opérations de maintien de l’embargo sur les armes décrété par l’ONU en 2011 et mis en application par l’OTAN (<a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_136233.htm">opération « Sea Guardian »</a>) et l’UE (<a href="https://www.operationirini.eu/">opération Eunavfor Med « Irini »</a>), est venue confirmer la montée des tensions entre Paris et Ankara sur le dossier libyen. En évoquant la responsabilité <a href="https://www.lefigaro.fr/international/libye-macron-condamne-la-responsabilite-historique-et-criminelle-de-la-turquie-20200629">« historique » et « criminelle »</a> de la Turquie, Paris semble néanmoins oublier la participation tout aussi active des Émirats arabes unis, de l’Égypte, ou encore de la Russie et du Qatar.</p>
<p>Les Émirats arabes unis prêtent militairement main-forte au maréchal Khalifa Haftar, qui, sous couvert de son Armée nationale libyenne, forte de 25 000 hommes, a refusé de reconnaître le gouvernement internationalement reconnu (GNA) de Tripoli et livre, désormais, une guerre plus feutrée contre le GUN, depuis son fief de Benghazi (Cyrénaïque, dans l’Est du pays), bien que son offensive sur Tripoli lancée en avril 2019 ait <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/04/05/haftar-l-offensive-de-trop-en-libye_1719723/">échoué</a>.</p>
<p>Les EAU et leur prince hériter, Mohamed Ben Zayed (MBZ), fournissent au maréchal libyen des drones, des véhicules blindés anti-mines et des avions de combat qui ont effectué des centaines de frappes selon les Nations unies. Bien que les EAU cherchent le moyen de rester influents en Libye, ils visent, aussi, à répondre aux demandes insistantes de la part de Washington de <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210304-sous-pression-des-etats-unis-les-emirats-rebattent-leurs-cartes-en-libye">ne pas être aussi actif en Libye</a>.</p>
<p>La Russie, présente par l’intermédiaire des <a href="https://www.bbc.com/afrique/region-58173286">mercenaires de la société militaire privée Wagner</a>, a apporté son soutien au maréchal Haftar jusqu’au printemps dernier, puis a délaissé le terrain militaire pour se concentrer sur le théâtre diplomatique afin de <a href="https://portail-ie.fr/analysis/2676/la-libye-typologie-dune-guerre-dinfluence-russo-turque">contrer les ambitions un peu trop voyantes de la Turquie</a> sur les gisements de gaz offshore de la Libye en Méditerranée orientale. La Russie parle directement à la Turquie, sans se soucier outre mesure des positions des autres acteurs impliqués en Libye, persuadée que, le moment venu, le rapport de force sur le terrain dictera l’issue et non l’inverse.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1187297201409712129"}"></div></p>
<p>La Turquie a pris fait et cause pour le GNA de Tripoli, par le truchement du « mémorandum d’accord » en vue de la protection de leur souveraineté, leurs droits diplomatiques et économiques en mer Méditerranée orientale, signé entre le président turc, Recep Tayyip Erdogan et l’ancien premier ministre libyen, Fayez el-Sarraj, le 27 novembre 2019, afin de favoriser l’installation d’un pouvoir islamique sur le modèle de ce que Recep Tayyip Erdogan a mis en place à Ankara.</p>
<p>Les Turcs ont été directement responsables, via la livraison d’armes, l’encadrement des milices libyennes soutenant le GNA par leurs services spéciaux (Millî İstihbarat Teşkilatı, MIT) et l’apport de combattants venus de Syrie, des récents revers infligés par le GNA aux troupes du maréchal Haftar qui viennent conforter l’échec de l’opération « Tempête de paix » lancée par ce dernier contre Tripoli en avril 2019. Erdogan bénéficie, pour mettre en œuvre sa politique, de l’appui du Qatar, lequel soutient généralement les Frères musulmans dans toute la région.</p>
<p>L’assistance apportée par la Turquie et le Qatar au GNA a bien entendu suscité l’ire de l’Égypte, qui partage avec la Libye une frontière longue de 1 115 km, et dont l’actuel président Abdel Fatah al-Sissi a muselé le mouvement des Frères musulmans, brièvement au pouvoir au Caire de 2013 à 2014.</p>
<p>Les États-Unis ont, quant à eux, pris leur distance avec ce conflit sous la présidence de Barack Obama et plus encore sous le mandat de Donald Trump. Ils ont toutefois soutenu efficacement (et officieusement) le maréchal Haftar – qui <a href="https://fanack.com/faces-en/general-haftar%7E41201/">vécut une vingtaine d’années aux États-Unis</a>, à deux pas du quartier général de la CIA à Langley, en Virginie – dans sa lutte contre les milices islamiques, supplétives du GNA. L’enjeu initial, pour eux, se limitait à éradiquer le terrorisme islamique dans la région. La nouvelle administration Biden semble nettement plus encline à jouer un rôle politique dans la résolution de la crise libyenne, comme en témoigne la désignation d’un envoyé spécial pour la Libye, le diplomate chevronné <a href="https://ly.usembassy.gov/our-relationship/our-ambassador/">Richard Norland</a>, qui était déjà ambassadeur en Libye depuis 2019.</p>
<p>Aujourd’hui, les Américains voudraient voir les hostilités cesser afin que la production et l’exportation de pétrole puissent reprendre, ce qui donnerait un semblant de normalité à la situation et ouvrirait la voie à une sortie de conflit, tout en ne lésant aucune partie.</p>
<p>L’Union européenne n’est pas absente de l’échiquier mais son rôle et sa posture restent ambigus. Officiellement, elle participe aux opérations de maintien de l’embargo sur les armes aux côtés de l’OTAN. Au sein de l’UE, l’Italie, qui a soutenu activement le gouvernement du GNA, soutient désormais bien évidemment le GUN.</p>
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<figcaption><span class="caption">Quel rôle pour l’Europe en Libye ? (Arte, 5 juin 2021).</span></figcaption>
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<p>Il en va de même pour la France. Derrière ces deux pays, ce sont les intérêts pétroliers des compagnies Eni (Italie) et Total (France) qui sont défendus. L’Allemagne, qui abrite désormais une très importante communauté turque sur son territoire (2,7 millions de personnes), semble renouer avec ses alliances passées et se refuse à critiquer les provocations d’Ankara.</p>
<p>Étant elle-même membre de l’OTAN, la Turquie soutient officiellement l’embargo sur les armes mis en place en février 2011 – un embargo que ses navires bafouent ostensiblement. De sorte qu’alliés et adversaires, puissances régionales et superpuissances se confrontent et se côtoient en Libye, par acteurs intermédiaires.</p>
<h2>Quelques pistes de solutions</h2>
<p>Il convient désormais de consolider l’embargo des Nations unies sur les armes imposé à la Libye, en renforçant l’opération maritime de l’UE en Méditerranée Irini tout en exigeant une extension de l’embargo par voie aérienne, compte tenu de l’accélération des vols ayant amené hommes et matériels des deux côtés, notamment ceux issus des milices syriennes, qui se font face désormais en Libye comme ils le faisaient il y a peu en Syrie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1262694256440819712"}"></div></p>
<p>Il faudra également exhorter toutes les parties à participer pleinement aux pourparlers de cessez-le-feu de Genève, sous l’égide de la Commission militaire mixte (CMM) et aux plus récentes négociations internationales et régionales – à l’instar de l’initiative de dialogue engagée par le Maroc depuis juillet 2019, à <a href="https://www.lepoint.fr/afrique/libye-de-berlin-a-bouznika-la-solution-politique-gagne-du-terrain-06-10-2020-2395101_3826.php">Bouznika</a>, qui a permis aux représentations parlementaires concurrentes de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque de réengager le dialogue entre elles, en vue de la tenue d’élections d’ici à décembre 2021.</p>
<p>La paix et la stabilité dépendront, bien sûr, aussi de l’approfondissement de l’indispensable dialogue intra-libyen, comme cela a été possible, à travers le Forum de dialogue politique libyen (LPDF) tenu en novembre 2020 à Tunis, à l’initiative de la Mission d’appui des Nations unies en Libye (MANUL).</p>
<p>Le constat d’un indéniable blocage libyen issu tant de l’aventurisme militaire, soutenu par certains de nos alliés du Golfe persique et de la péninsule arabique, que des relations diplomatiques contradictoires – en apparence – de nos autres alliés européens, offre, paradoxalement à la France l’opportunité unique mais limitée dans le temps de mettre en exergue une position d’équilibre.</p>
<p>Du reste, le début d’un processus de dialogue entre les présidents Emmanuel Macron et Recep Tayyip Erdogan, tout comme le récent processus de réconciliation entre le Qatar et le « Quartette » (Égypte, Arabie saoudite, EAU et Bahreïn) devrait – enfin – permettre de voir l’horizon libyen avec moins d’écueils…</p>
<h2>La vision européenne</h2>
<p>C’est à l’aune de cette perspective que l’institut de sondage Opinion Way et le Centre d’étude et prospective stratégique (CEPS) se sont associés pour sonder les 705 parlementaires européens quant à leur perception de la situation et du rôle qu’ils entendent jouer pour la stabilisation politique de la Libye.</p>
<p>Ce <a href="https://ceps-oing.org/ouvragesenquetes/les-parlementaires-europeens-et-la-situation-en-libye/">sondage</a>, présenté fin juin dernier, est particulièrement instructif à plus d’un titre. Il conforte l’idée que la normalisation institutionnelle et politique viendra, en Libye, d’une incarnation et d’une personnification du pouvoir qui a été l’objet, jusqu’ici, de guerres fratricides entre Libyens et aussi – et peut-être surtout – d’importation des conflits d’acteurs extérieurs.</p>
<p>Parmi les grandes tendances que ce sondage met en exergue, celle de la lutte contre le terrorisme et les réseaux criminels – qui jouent sur la désespérance des milliers de migrants subsahariens désireux de traverser la mer Méditerranée – apparaissent nettement.</p>
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<figcaption><span class="caption">Libye : Amnesty dénonce le sort des migrants (TV5 Monde, 15 juillet 2021).</span></figcaption>
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<p>Les <a href="https://allemagneenfrance.diplo.de/fr-fr/actualites-nouvelles-d-allemagne/01-Politiquefederale/-/2484108">deux réunions intra-libyennes tenues à Berlin</a> (janvier et juin 2021) ont suscité un espoir certain en vue de la tenue de l’élection présidentielle prévue en décembre prochain. L’annonce de la tenue d’une <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20210921-la-france-accueillera-une-conf%C3%A9rence-internationale-sur-la-libye-le-12-novembre">nouvelle conférence intra-libyenne à Paris, le 12 novembre prochain</a>, confirmera-t-elle cette trajectoire « raisonnablement » optimiste ?</p>
<p>Rien n’est moins sûr, alors que les forces turques et émiraties, ainsi que les mercenaires de la société militaire privée russe Wagner et les « supplétifs » (syriens, yéménites, tchadiens, soudanais, turkmènes…) que chaque camp emploie, rendent la tenue de ces élections fortement improbables…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168741/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Dupuy est Président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). Il enseigne également à la Faculté catholique de Lille.</span></em></p>Les dix dernières années ont été pour la Libye, celles d’un long et sanglant conflit civil dans lequel se sont impliqués de nombreux acteurs extérieurs. Un faible espoir émerge toutefois actuellement.Emmanuel Dupuy, Président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), enseignant à IS International Business School,, Institut catholique de Lille (ICL)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1682932021-09-21T19:32:31Z2021-09-21T19:32:31ZEn Afghanistan, la crise humanitaire risque de déboucher sur une famine catastrophique<p>Plus de 14 millions d’Afghans sont menacés de famine à court terme selon le Programme alimentaire mondial.</p>
<p>Les <a href="https://devinit.org/resources/global-humanitarian-assistance-report-2020/people-and-crisis/">statistiques internationales le démontrent</a> avec constance : il existe une étroite corrélation entre la grande pauvreté et la survenue de crises humanitaires.</p>
<p>L’Afghanistan n’échappe pas à cette logique, <a href="https://www1.undp.org/content/undp/fr/home/news-centre/news/2021/el-97--de-la-gente-en-afganistan-podria-caer-en-la-pobreza-a-med.html">ce qui a récemment conduit le Programme des Nations unies pour le Développement</a> (PNUD) à interpeller la communauté internationale sur un risque majeur : en cas de suspension des aides financières internationales, la proportion d’Afghans vivant sous le seuil national de pauvreté atteindrait 97 % de la population. Un record. Avant le 15 août 2021, ce taux était estimé par la Banque mondiale à 72 %. Il était à 60 % en 2020.</p>
<p>Le <a href="https://www.un.org/press/fr/2021/sgsm20876.doc.htm">13 septembre dernier</a> s’est tenue une réunion internationale sous l’égide des Nations unies. Le secrétaire général, Antonio Guterres, a pris à cette occasion une position ferme pour obtenir rapidement les fonds d’urgence estimés nécessaires, exxigeant par ailleurs que les organisations humanitaires <a href="https://news.un.org/fr/story/2021/09/1103602">puissent travailler sans entraves et sans danger</a>. Cet appel aura permis d’obtenir plus de 1 milliard de dollars de promesse de dons.</p>
<p>Plus gênant pour les acteurs de l’aide internationale a été son propos supplémentaire évoquant des <a href="https://www.lalibre.be/international/asie/2021/09/13/antonio-guterres-chef-de-lonu-il-est-tres-important-de-discuter-avec-les-talibans-LEYY2LSQ7VGSTG2QWZJJMJ7IJU/">clauses de conditionnalité de la délivrance des fonds</a>. Le soutien des organisations humanitaires à la population afghane apparaît alors de sa part comme subordonné à des conditions auxquelles les nouvelles autorités du pays devront se conformer pour que l’aide soit effective. Cette déclaration entretient clairement la prééminence d’une aide délivrée sous conditions, dont les organisations humanitaires seraient <em>ipso facto</em> les relais.</p>
<h2>Les différents mécanismes qui construisent la crise humanitaire</h2>
<p>L’Afghanistan cumule différents mécanismes qui, ensemble, conduisent à la rupture d’un équilibre préalable précaire et entraînent la bascule d’une large partie de la population la plus fragile dans une dégradation qui relève d’interventions d’urgence, de l’ordre de la survie :</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/422090/original/file-20210920-25-1356up6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/422090/original/file-20210920-25-1356up6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/422090/original/file-20210920-25-1356up6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/422090/original/file-20210920-25-1356up6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/422090/original/file-20210920-25-1356up6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/422090/original/file-20210920-25-1356up6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=583&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/422090/original/file-20210920-25-1356up6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=583&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/422090/original/file-20210920-25-1356up6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=583&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les mécanismes qui construisent la crise humanitaire afghane.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://reliefweb.int/report/afghanistan/acaps-thematic-report-afghanistan-humanitarian-impact-and-trends-analysis-23">Sandy Walton-Ellery/Elvire Colin-Madan(trad.FR)/ACAPS</a></span>
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<p><a href="https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/20210823_acaps_afghanistan_humanitarian_impact_and_trends_analysis.pdf">Une conflictualité incessante perdure depuis quarante ans</a>, réactivée par les offensives qui ont conduit à la chute du gouvernement présidé par Ashraf Ghani.</p>
<p>Les données chiffrées ci-dessous traduisent l’augmentation progressive des blessés et des morts civils depuis 2019, avec une saisonnalité connue dans le pays : la violence, contenue par la paralysie hivernale des déplacements de combattants, augmente au printemps pour atteindre chaque année un pic durant l’été.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/422094/original/file-20210920-18-schubm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/422094/original/file-20210920-18-schubm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/422094/original/file-20210920-18-schubm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/422094/original/file-20210920-18-schubm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/422094/original/file-20210920-18-schubm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/422094/original/file-20210920-18-schubm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/422094/original/file-20210920-18-schubm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le nombre de blessés et de morts parmi les civils augmente progressivement depuis 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">UNAMA</span></span>
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<p>Par ailleurs, il faut tenir compte des effets de dégradations environnementales qui mêlent, selon les provinces, inondations et sécheresses durables, la crise du Covid-19 étant venue dégrader davantage encore le sombre tableau par ses effets sanitaires et économiques. L’Afghanistan ne déroge pas à la logique qui a conduit les pays les plus pauvres à <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-54121783">subir les effets les plus dévastateurs de la pandémie</a>.</p>
<p>La conjonction des deux mécanismes précédents se traduit par des mouvements de populations. Ces déterminants constitutifs de la crise humanitaire sont à l’œuvre depuis maintenant plus de quatre décennies, faisant, dès 2020, de l’Afghanistan l’un des six pays du monde comptant plus de 10 millions de personnes en besoin d’assistance.</p>
<p>L’Afghanistan est, avec la RDC, le pays où la progression du nombre de personnes en besoin d’une aide vitale a le plus progressé en 2020, avec <a href="https://devinit.org/resources/global-humanitarian-assistance-report-2021/chapter-one-people-and-crisis/">2,7 millions d’individus supplémentaires</a>. Il était déjà, avant l’accélération des migrations en cours depuis début 2021, le sixième pays au monde pour le nombre de déplacés forcés (<a href="https://news.un.org/fr/story/2021/08/1102762">3,6 millions</a>). Ce sont très majoritairement aujourd’hui des déplacés internes.</p>
<iframe title="Déplacements de population dus à la guerre à l’intérieur du pays" aria-label="Column Chart" id="datawrapper-chart-WydQ5" src="https://datawrapper.dwcdn.net/WydQ5/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width : 0 ; min-width : 100 % !important ; border : none ;" height="400" width="100%"></iframe>
<p>Le schéma ci-dessus montre la variation des flux de déplacés forcés depuis la chute du régime communiste de Najibullah en 1994. Le pic de 2001 correspond à l’entrée de la coalition et aux combats pour faire chuter le régime taliban arrivé au pouvoir en 1996. Le pic de 2015 correspond à une reprise des offensives des combattants talibans, par suite du retrait officiel des troupes de la coalition internationale en décembre 2014.</p>
<h2>Insécurité alimentaire, maladies, toxicomanie… les mutiples maux qui affligent les Afghans</h2>
<p>Violence, déplacements forcés, pénurie alimentaire et mauvaise qualité de l’eau concourent à dresser un tableau tristement usuel de l’épidémiologie de la pauvreté. S’y ajoute une réalité spécifique à l’Afghanistan, lourde de conséquences sanitaires et économiques : le poids des toxicomanies, au premier rang desquelles l’usage de l’opium.</p>
<p>Un tiers des Afghans étaient en insécurité alimentaire avant la chute de Kaboul. <a href="https://www.unicef.fr/article/nous-ne-pouvons-pas-abandonner-les-enfants-dafghanistan">Un million d’enfants souffrent de malnutrition aiguë sévère</a> mettant en jeu leur pronostic vital. Début 2021, 17 millions d’habitants relevaient d’un besoin d’assistance alimentaire, soit le double de l’année précédente. La moitié des enfants de moins de 5 ans, des femmes enceintes ou allaitantes sont identifiés comme exposés à une sous-nutrition aiguë en 2021.</p>
<p>Leur relocalisation dans des camps de fortune ou dans les périphéries déshéritées des villes renforcent les vulnérabilités : manque de nourriture, exposition au froid, manque d’eau potable et de latrines, manque d’ustensiles comme de combustible pour la cuisine. Se rajoutent les infections respiratoires aiguës, les diarrhées, les dermatoses liées au défaut d’hygiène, et les pathologies de l’accouchement et plus globalement de la sphère gynécologique chez les femmes. Il émerge encore, par la promiscuité et le regroupement, le risque important d’épidémies multiples : rougeole (souvent mortelle chez des enfants dénutris), méningites…</p>
<iframe title="Coût humain de la guerre en Afghanistan" aria-label="Diagramme en barres" id="datawrapper-chart-MC1UW" src="https://datawrapper.dwcdn.net/MC1UW/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width : 0 ; min-width : 100 % !important ; border : none ;" height="207" width="100%"></iframe>
<p>Deux indicateurs épidémiologiques sont usuellement considérés en santé internationale comme rendant compte du niveau global de développement et d’accès à la santé d’un pays : le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans (TMM5 de l’UNICEF) et le taux de mortalité maternelle (TMM).</p>
<p>Sur ces deux indicateurs, l’Afghanistan, avant même la dégradation politique et sociale de l’année 2021, faisait déjà partie des pays les plus pénalisés au monde.</p>
<p>Le tableau ci-dessous fournit quelques éléments de comparaison internationale. Il convient toutefois de traiter ces chiffres avec la prudence que requiert l’usage des données. Il existe en effet une grande asymétrie dans la qualité et la fiabilité des systèmes de collecte d’information selon le niveau socio-économique de chaque pays.</p>
<iframe title="Les pathologies « marqueurs » de la pauvreté et de la défaillance du système de santé" aria-label="table" id="datawrapper-chart-NVTR7" src="https://datawrapper.dwcdn.net/NVTR7/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width : 0 ; min-width : 100 % !important ; border : none ;" height="307" width="100%"></iframe>
<p>Dans les deux cas, les comparaisons avec les pays voisins sont éloquentes.</p>
<p>Au-delà de toutes les difficultés décrites, il convient cependant de souligner que l’Afghanistan a connu une évolution globale dont rend compte la progression de l’espérance de vie dans le pays : elle était de 55 ans en 2000, quand les talibans ont quitté le pouvoir. <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SP.DYN.LE00.IN?locations=AF">Elle est de 65 ans aujourd’hui</a>.</p>
<p>La consommation problématique de drogues est l’un des problèmes de santé les plus critiques auxquels sont confrontés les hommes, les femmes et les enfants en Afghanistan. De 2005 à 2015, trois enquêtes sur la consommation de drogues ont été menées dans le pays. En 2005, la toute première enquête sur la consommation de drogue estimait que 3,8 % de tous les groupes d’âge consommaient des drogues, les plus couramment utilisées étant le haschich, l’opium, l’héroïne et les produits pharmaceutiques.</p>
<p>En 2009, une enquête de suivi a montré que 8 % de la population âgée de 15 à 64 ans consommait des drogues et qu’il y avait eu une augmentation de 53 % du nombre d’usagers réguliers d’opium et de 140 % du nombre d’usagers d’héroïne depuis 2005.</p>
<p>Cette enquête a également montré que 50 % des parents consommateurs d’opium donnaient de l’opium à leurs enfants pour faciliter le sevrage, et pour contrôler le comportement et/ou la faim. En 2015, l’enquête nationale a révélé que le <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7100898/">taux national de consommation de drogues chez les adultes était de 12,8 %</a>, soit plus du double du taux mondial (qui était alors de 5,2 %).</p>
<h2>Les facteurs qui influencent le contexte humanitaire</h2>
<p>Après que les talibans ont été chassés du pouvoir en 2001, le pays a subi de profondes mutations.</p>
<p>Trois d’entre elles, importantes et intriquées, ont des effets qui renforcent la crise humanitaire que connaît la population. Elles constituent également des considérations sensibles pour le nouveau pouvoir dans sa capacité, au-delà de l’expression de la force, à convaincre la population de sa capacité à améliorer son existence.</p>
<p><strong>1. La progression démographique et l’urbanisation</strong></p>
<p>Depuis 1996, la population est passée de 18 à 38 millions d’habitants. C’est l’un des taux de croissance démographique les plus importants au monde (6 % annuel). La première conquête de Kaboul se déroula dans une ville meurtrie par les bombardements, qui ne comptait alors plus que 300 000 habitants. Elle en abrite plus de 4 millions aujourd’hui.</p>
<p>Les Pachtounes, dont les aires d’implantation dans les provinces ont constitué le berceau de l’émergence du mouvement taliban, composent aujourd’hui seulement 25 % de la population de la capitale.</p>
<p>Depuis l’entrée des Soviétiques en 1979, le taux d’urbanisation a quasiment doublé, passant de <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SP.URB.TOTL.IN.ZS?locations=AF">15 % à près de 30 % de la population totale du pays</a>.</p>
<p>Cette réalité démographique est en lien avec les peurs qu’entraîne, en particulier chez les citadins, la prise de pouvoir politique par les étudiants en religion. Ce poids des villes recèle pourtant, à terme, de sérieux ferments de résistance face au projet de société des talibans.</p>
<p>A l’inverse, la carte ci-dessous traduit l’asymétrie qui prévalait déjà, en 2017, concernant les taux de pauvreté selon les régions. C’est sur cette réalité économique et sociale que n’a cessé de prospérer le mouvement taliban, jusqu’à sa récente prise de pouvoir.</p>
<iframe title="Taux de pauvreté en Afghanistan" aria-label="Carte" id="datawrapper-chart-QwrwX" src="https://datawrapper.dwcdn.net/QwrwX/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width : 0 ; min-width : 100 % !important ; border : none ;" height="596" width="100%"></iframe>
<p><strong>2. La place de la culture du pavot « somnifère » dans l’économie du pays</strong></p>
<p>En Afghanistan, le pavot est une ressource majeure de l’économie rurale. Le pays est de loin le premier producteur mondial d’opium, sa contribution est estimée à <a href="https://www.lawfareblog.com/wheres-us-strategy-counternarcotics-afghanistan">84 % de la production mondiale</a>. Cette situation résulte de trois mécanismes intriqués.</p>
<p>Alors qu’à partir du début du XIX<sup>e</sup> siècle les autres pays producteurs de la région (Iran, Pakistan, Turquie) ont légiféré pour interdire la production, cela n’a pas été le cas en Afghanistan où l’État a été incapable de maîtriser la progression de la production.</p>
<p>La période communiste et l’occupation soviétique ont créé une première augmentation notable des surfaces de culture du pavot : de 1980 à 1989, la production d’opium a été multipliée par cinq. Les recettes réalisées ayant largement contribué à payer l’achat d’armes des moudjahidines (la production était contrôlée par les seigneurs de la guerre qui utilisaient l’argent à diverses fins dont l’achat d’armes ; tous ne soutenaient toutefois pas la rébellion au gré de leurs intérêts et alliances). Enfin, depuis l’entrée de la coalition en 2001, la dégradation de l’agriculture vivrière et la détérioration de la vie économique a <a href="https://www.unodc.org/pdf/report_2001-06-26_1_fr/report_2001-06-26_1_fr.pdf">poussé les agriculteurs vers la culture du pavot</a>.</p>
<p>En 2020, le pays comptait 224 000 hectares de pavot (surtout situés dans les provinces Sud), soit une hausse de 37 % par rapport à 2019. <a href="https://www.unodc.org/pdf/report_2001-06-26_1_fr/report_2001-06-26_1_fr.pdf">Le même rapport</a> apporte des informations complémentaires : 6 300 tonnes d’opium produit et un revenu cumulé évalué à 2 milliards de dollars pour tous les maillons de la chaîne (agriculteurs, exploitants, négociants, etc.).</p>
<p>L’année 2020 constitue l’un des quatre plus forts pics de surfaces cultivées de l’histoire du pays. Cette production représenterait aujourd’hui <a href="https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/20210823_acaps_afghanistan_humanitarian_impact_and_trends_analysis.pdf">entre 6 et 11 % du PIB de l’Afghanistan</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/422174/original/file-20210920-13-7aqq4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/422174/original/file-20210920-13-7aqq4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/422174/original/file-20210920-13-7aqq4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/422174/original/file-20210920-13-7aqq4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/422174/original/file-20210920-13-7aqq4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/422174/original/file-20210920-13-7aqq4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/422174/original/file-20210920-13-7aqq4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/422174/original/file-20210920-13-7aqq4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Évolution de la surface de cultivation de pavot somnifère en Afghanistan de 1994 à 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">UNODC, Afghanistan Opium Survey 2020</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><strong>3. Un enchaînement fatal qui dégrade l’économie rurale</strong></p>
<p>Conflits armés, déplacements forcés, fragilités et dégradations environnementales, détérioration de l’agriculture vivrière, augmentation de la culture du pavot : ces différents facteurs convergent et se cumulent pour provoquer une insécurité alimentaire majeure.</p>
<p>L’Afghanistan est un pays de hautes montagnes où les sols sont arides tandis que les plaines et l’eau sont rares. Sur une superficie totale de 65 millions d’hectares (650 000 km<sup>2</sup>), on estime que seuls 8 millions sont arables, soit 12 % du pays.</p>
<p>Les systèmes d’irrigation ont été largement détruits lors des bombardements pendant l’occupation soviétique (1979-1989) et subi des dégradations volontaires commises par différents belligérants au gré de la lutte armée. Ils n’ont pas toujours été reconstruits sur fond d’exode rural et de réorientation de la production agricole vers la culture du pavot, moins consommatrice en eau. Le pays ne peut toujours pas tirer profit des ressources hydriques gelées en neiges éternelles qui se trouvent dans l’Hindou Kouch. Parce qu’elle est apparue comme une <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Economie-et-developpement-en-Afghanistan-comment-la-culture-illegale-du-pavot.html">solution à la précarisation des conditions d’existence dans le monde rural</a>, la culture du pavot n’a cessé de prospérer.</p>
<p>La destruction des zones rurales et des chaînes de production agricole est une constante des dernières décennies, accélérée par le Covid-19.</p>
<p>En 1989, le gouvernement, au bord de la faillite, n’a que peu de ressources à allouer à l’agriculture, et les subventions accordées pour la culture du blé sont souvent mal coordonnées et finalement inefficaces. En 2001, la reprise des combats et des bombardements aériens achève de détruire les infrastructures et les terres agricoles afghanes.</p>
<p>De plus, une partie des terres agricoles sont rendues inutilisables par la dissémination de mines. L’acheminement et la vente de ces produits sont également désorganisés. Les infrastructures de transports, comme les routes, qui permettaient de relier les producteurs aux consommateurs, ont été gravement endommagées. La guerre, à ses différents stades, a ainsi empêché le développement économique du pays, avec l’absence notable de crédits agricoles et de réformes agraires.</p>
<p>La carte ci-dessous montre les provinces afghanes dans lesquelles la production de pavot a le plus progressé entre 2019 et 2020. Elle met en évidence de claires congruences des zones de culture avec les territoires où les taux de pauvreté sont les plus élevés, traduisant le réflexe d’adaptation de la part des paysans afghans face à la dégradation de leurs revenus et de leurs conditions de vie.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/422171/original/file-20210920-17-q2fxz4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/422171/original/file-20210920-17-q2fxz4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/422171/original/file-20210920-17-q2fxz4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/422171/original/file-20210920-17-q2fxz4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/422171/original/file-20210920-17-q2fxz4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/422171/original/file-20210920-17-q2fxz4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/422171/original/file-20210920-17-q2fxz4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/422171/original/file-20210920-17-q2fxz4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Variation du taux de culture de pavot somnifère par province, 2019-2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">UNODC, Afghanistan Opium Survey 2020</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La sécheresse de 2018, les inondations de 2019 et la crise sanitaire de 2020 ont aggravé la sécurité alimentaire du pays. En 2020, le pouvoir d’achat de nombreux foyers a enregistré une baisse de 20 % ainsi qu’une précarisation des emplois de 14 %.</p>
<p>Le Covid-19, en plus de déclencher une crise économique, a également provoqué une grave crise sanitaire : une étude du ministère afghan de la Santé en août 2020 évalue à 10 millions, soit un tiers de la population afghane, le nombre de personnes contaminées.</p>
<p>Dans ce contexte économique, l’opium s’est ainsi imposé comme base de crédit. Une vente anticipée ainsi que des paiements différés sont accordés comme prêts sans intérêts. Cela permet aux agriculteurs d’investir dans leur production agricole future comme le blé et le cumin.</p>
<p>Ce système d’avance, appelé <a href="https://www.ecoi.net/en/file/local/1231617/1002_1225125226_afghanistan-poppy.pdf">salaam</a>, vient compenser l’absence de crédits agricoles légaux et encadrés. Beaucoup de familles et spécialement les plus pauvres sont tributaires de ces prêts. En ce sens, <a href="https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/covid/Covid-19-and-drug-supply-chain-Mai2020.pdf">l’éradication soudaine de ces cultures sans alternative aggraverait lourdement l’endettement de ces ménages</a>, en même temps que la situation actuelle expose à un risque d’effondrement alimentaire du pays.</p>
<h2>Les obstacles potentiels au déploiement de l’aide d’urgence</h2>
<p>La situation de la population afghane requiert une aide internationale, qui pour être rapidement déployée doit contourner ou résoudre des obstacles concrets de différentes natures.</p>
<p>Cinq points méritent une attention particulière :</p>
<p><strong>1.</strong> L’aide internationale devra veiller à mobiliser au mieux et à soutenir les ressources existantes, ou ce qu’il en reste, à la suite des événements de ces derniers mois. Les nouvelles autorités sont confrontées à la fuite des cerveaux et à l’effondrement de l’appareil d’État, en particulier à l’effondrement du système de santé par manque de professionnels compétents, de moyens, de chaîne logistique.</p>
<p><strong>2.</strong> La sécurité des intervenants humanitaires, qui conditionne la capacité de la population à recevoir l’aide apportée, doit faire l’objet d’une attention spécifique. La violence – à laquelle le personnel afghan est plus particulièrement exposé – revêt une importance particulière pour les intervenants humanitaires à l’échelon local, là où les aides se déploient. Les chiffres disponibles pour le début de l’année 2021 incitent en effet à la prudence. L’Afghanistan, de façon récurrente ces dernières années, a fait partie des pays les plus générateurs de violence à l’égard des personnels humanitaires.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/422187/original/file-20210920-19-7mcqv8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/422187/original/file-20210920-19-7mcqv8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/422187/original/file-20210920-19-7mcqv8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/422187/original/file-20210920-19-7mcqv8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/422187/original/file-20210920-19-7mcqv8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=443&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/422187/original/file-20210920-19-7mcqv8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=443&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/422187/original/file-20210920-19-7mcqv8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=443&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Actes hostiles à l’égard du personnel humanitaire en Afghanistan entre janvier et juin 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">INSO</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’attention aux risques sécuritaires soulève deux questions connexes : la réalité du contrôle et de la régulation que pourra exercer le pouvoir en place, entre les intentions/déclarations affichées à Kaboul et sur la scène internationale, et l’application effective de ces postures au niveau des responsables talibans provinciaux et locaux ; et l’évolution de la violence qui pourrait résulter de la résurgence active de groupes djihadistes, dans le sillage des attentats sur l’aéroport de Kaboul en août dernier.</p>
<p><strong>3.</strong> Le <a href="https://news.un.org/fr/story/2021/09/1103602">déploiement effectif du soutien financier international</a>. Si la <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/revue-de-presse-internationale/20210914-%C3%A0-la-une-l-onu-au-chevet-de-l-afghanistan-au-bord-de-l-effondrement">conférence des donateurs du 13 septembre 2021</a> a, on l’a dit, permis de réunir des engagements de principe de plus de 1 milliard de dollars, les organisations humanitaires devront rester attentives à des questions très concrètes qui pourraient en contrarier le déploiement effectif :</p>
<ul>
<li><p>La rapidité de la mise à disposition des sommes promises par les États donateurs.</p></li>
<li><p>La possibilité de réaliser les transferts financiers depuis l’étranger, ce qui suppose la restauration d’un système bancaire fonctionnel à Kaboul, mais également dans tout le pays, car une partie de cette aide va être constituée de versements directs aux familles (CTP, <em>cash transfer programs</em>) ou faire l’objet de programmes de travaux rémunérés effectués par les populations locales.</p></li>
<li><p>Les taxes imposées sur l’aide financière apportée à la population par les talibans sur les territoires conquis avant la chute de Kaboul ne doivent plus avoir cours, face au niveau de pauvreté général qui prévaut désormais.</p></li>
</ul>
<p><strong>4.</strong> L’accès à l’ensemble des populations et des territoires est un enjeu crucial. L’aide nécessaire concerne l’ensemble de la population, sans discrimination entre groupes tribaux et l’accès non discriminé à cette aide, y compris pour les femmes et les fillettes. Ceci a pour corollaire la non-remise en cause de la contribution des professionnelles femmes dans le personnel humanitaire. Elles jouent un rôle incontournable dans la prise en charge des femmes et des enfants.</p>
<p><strong>5.</strong> La restauration d’une chaîne logistique fonctionnelle reste une priorité dont les déclinaisons concrètes sont multiples :</p>
<ul>
<li><p>Réouverture de l’aéroport de Kaboul au fret et à l’accueil des vols passagers internationaux.</p></li>
<li><p>Simplification des procédures administratives pour les voyageurs et les dédouanements de marchandise.</p></li>
<li><p>Réouverture des voies d’acheminement et des transports routiers entre Kaboul les capitales provinciales.</p></li>
</ul>
<h2>Et demain ?</h2>
<p>Si la crise humanitaire actuelle arrive à être dépassée, pourra alors débuter un travail de restauration des facteurs de protection de la population générale face à l’exposition aux vulnérabilités qui ravagent l’Afghanistan.</p>
<p>Le nouveau gouvernement afghan est d’emblée confronté à l’acceptabilité sociale des politiques mises en œuvre au service d’une société désormais en grande partie éduquée et urbaine. Ce risque de « divorce » entre villes et campagnes est l’un des enjeux cruciaux pour le nouveau pouvoir.</p>
<p>L’insécurité alimentaire et la grave sous-nutrition, construites par la convergence des mécanismes décrits précédemment, exposent à un risque majeur de famine dans les mois à venir. De fait, l’Afghanistan est au bord de l’effondrement alimentaire.</p>
<p>Nous entrons dans la saison du froid et de la neige, qui vont renforcer davantage encore les besoins en nourriture dans ce pays où l’hiver impose une paralysie transitoire, bloquant tout, y compris la capacité des hommes à se faire la guerre. Il y a donc urgence à restaurer l’aide internationale dont dépendent des millions d’Afghans.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168293/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Micheletti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En Afghanistan, la situation humanitaire est plus que préoccupante. La population, en proie à de graves difficultés sanitaires et économiques, pourrait bientôt subir une famine de grande ampleur.Pierre Micheletti, Concepteur et responsable pédagogique du diplôme universitaire « Santé Solidarité Précarité » à la Faculté de Médecine, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1681362021-09-19T18:44:02Z2021-09-19T18:44:02ZLes réactions ukrainiennes à la réécriture de l’histoire par Vladimir Poutine<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/421682/original/file-20210916-23-1u2q3qx.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C1%2C1296%2C758&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les deux pays ne s'affrontent pas uniquement sur le terrain militaire, mais aussi sur le terrain historique.</span> <span class="attribution"><span class="source">Stock_VectorSale/shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Alors que la guerre entre la Russie et l’Ukraine continue chaque semaine à <a href="https://uacrisis.org/fr/russie-entrave-les-activites-de-l-osce-nouvelles-detentions-illegales-en-crimee-la-russie-militarise-les-enfants-dans-les-territoires-occupes">semer la mort et la violence</a>, le conflit mémoriel qui oppose ces deux nations apparaît de plus en plus comme <a href="https://uacrisis.org/en/ukrainians-russians-not-one-people">l’une des causes principales de leur antagonisme</a></p>
<p>Cet antagonisme ne concerne pas seulement les interprétations divergentes de la <a href="https://theconversation.com/75-anniversaire-de-la-victoire-de-1945-la-russie-veut-elle-vraiment-remettre-ca-137845">Seconde Guerre mondiale</a>, les représentations différentes du <a href="https://theconversation.com/au-donbass-la-guerre-est-aussi-celle-des-memoires-160633">Donbass et de la Crimée</a>, ou encore les jugements opposés qui existent à Moscou et à Kiev mais aussi <a href="https://www.memoryandconscience.eu/2021/08/20/international-conference-illusive-reconciliation-transitional-processes-in-central-and-eastern-europe-in-a-comparative-perspective/">à Ljubljana</a>, sur les <a href="https://theconversation.com/lukraine-a-la-recherche-de-sa-propre-histoire-137923">crimes du communisme au XXᵉ siècle</a>. Il concerne toute l’histoire des <a href="https://www.paroleetsilence.com/Russie---Ukraine-De-la-guerre-a-la-paix--_oeuvre_11423.html">relations entre les deux pays</a> et repose principalement sur des théologies politiques différentes, comme ce fut le cas entre la France et l’Allemagne aux XIX-XX<sup>e</sup> siècles.</p>
<h2>Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky : deux visions de l’histoire</h2>
<p>Le 12 juillet 2021, le président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine a publié, en langues russe et ukrainienne (une première sur un site du Kremlin !), un article intitulé <a href="http://kremlin.ru/events/president/news/66182">« Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens »</a>. Cet article, qui a été <a href="https://fr.sputniknews.com/international/202107131045872360-article-de-vladimir-poutine-sur-lunite-historique-des-russes-et-des-ukrainiens/">traduit en français par l’agence Sputnik News</a>, représentait une réponse à la loi adoptée par la Rada ukrainienne le 1<sup>er</sup> juillet, <a href="http://w1.c1.rada.gov.ua/pls/zweb2/webproc4_1?pf3511=71931">qui excluait la Russie des peuples premiers de la nation ukrainienne</a>. Vladimir Poutine critiqua ce texte qu’il compara à la législation nazie et <a href="https://www.radiosvoboda.org/a/news-putin-zelensky-etnichne-pohodzhennya/31299406.html">accusa le président ukrainien d’être lui-même « de nationalité juive »</a> et donc incompétent pour <a href="https://www.interfax.ru/russia/771437">déterminer qui sont les vrais Ukrainiens</a>.</p>
<p>Volodymyr Zelensky a lui-même répondu dans un premier temps avec humour en expliquant qu’il comprenait enfin à quoi s’occupe le président Poutine au lieu de répondre à ses requêtes de rencontre, à savoir l’apprentissage de la langue et de l’histoire ukrainiennes… Plus sérieusement, le président ukrainien a saisi l’occasion du 30<sup>e</sup> anniversaire de l’indépendance de l’État ukrainien, le 23 août 2021, pour délivrer un <a href="https://112.international/ukraine-top-news/we-not-orphans-we-descendants-of-strong-country-speech-of-zelensky-on-independence-day-of-ukraine-64284.html">grand discours</a> sur la longue histoire de l’État et de la nation ukrainiens :</p>
<blockquote>
<p>« Notre histoire et notre État sont uniques. Notre Constitution a 25 ans ; cependant, notre Constitution a 311 ans. Elle a été écrite par Pylyp Orlyk ; elle est enfin retournée chez elle et tout le monde peut la voir à la cathédrale Sainte-Sophie, elle-même construite il y a plus de 1 000 ans. Notre hryvnia [monnaie ukrainienne] a un quart de siècle ; Volodymyr le Grand y est représenté. Cependant, notre hryvnia a plus de 1 000 ans. Elle existait à l’époque de Volodymyr le Grand. Notre trident a été approuvé par la Constitution ukrainienne il y a 25 ans. Ce même trident était déjà représenté sur les briques de l’église de la dîme il y a 1 025 ans. Cette année, les Forces armées ukrainiennes ont fêté le 30<sup>e</sup> anniversaire de leur création. En 1616, les Forces armées ukrainiennes célébraient la prise de la forteresse génoise. Tout cela n’indique qu’une seule chose : nous sommes un jeune pays avec une histoire millénaire. »</p>
</blockquote>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/cErwG9msnUw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le discours du président ukrainien rejette catégoriquement l’approche de son homologue russe, qui affirme que « les Russes et les Ukrainiens forment un seul peuple ». L’État ukrainien n’est pas légitime pour Vladimir Poutine puisque, à ses yeux, toute l’histoire des relations entre les deux nations consiste en la lente formation d’un seul État-nation russo-ukrainien, auquel il faut ajouter également le peuple du Bélarus. Tandis que, <a href="https://www.pravda.com.ua/news/2021/07/1/7299009/">pour V. Zelensky</a>, « si c’était le cas, ce serait un drapeau aux couleurs jaune et bleu qui flotterait sur le Kremlin ».</p>
<h2>Deux dates au cœur des débats : le baptême de la Rus en 988 et le traité de Pereïaslav en 1654</h2>
<p>Prenons deux exemples du discours historique émis par les représentants de la Fédération de Russie et des réponses qu’y ont apportées des intellectuels ukrainiens. Vladimir Poutine explique que les deux nations russe et ukrainienne forment un seul tout par le fait qu’un même événement spirituel, le baptême du prince Vladimir en 988, a déterminé leur destinée :</p>
<blockquote>
<p>« Le choix spirituel de saint Vladimir, qui fut à la fois prince de Novgorod et grand-duc de Kiev, détermine aujourd’hui en grande partie notre parenté. Je suis convaincu que la souveraineté réelle de l’Ukraine n’est possible qu’en partenariat avec la Russie. »</p>
</blockquote>
<p>Les Ukrainiens répondent à ce premier argument que le baptême de la Rus’ de Kiev en 988 est dû aux missionnaires byzantins et non pas à la Russie, qui n’existait pas encore au IX<sup>e</sup> siècle – ce qui explique d’ailleurs que, en 2018, le patriarche de Constantinople Bartholomée ait <a href="https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/reconnaissance-lEglise-Kiev-Constantinople-decision-sage-2018-08-07-1200960401">accordé son autocéphalie à l’Église orthodoxe d’Ukraine</a>. </p>
<p>L’historien américain Serhii Plokhii, auteur de <a href="https://www.cambridge.org/core/books/origins-of-the-slavic-nations/4276E1B428693C30E0DB6B46D8A90674"><em>The Origins of the Slavic Nations</em></a>, a rejeté le principe de la préexistence d’une ou de trois nationalités slaves orientales (russe, ukrainienne et biélarusse) avant la montée du nationalisme. Il préfère parler d’identités « proto-nationales » ou « ethno-nationales » avant le XVII<sup>e</sup> siècle. De fait, ce n’est qu’en 1721 que l’État moscovite s’est transformé en Empire de Russie. En outre, le fait que la majorité des citoyens des deux nations partagent la même foi chrétienne orthodoxe ne peut pas avoir comme conséquence l’unification de deux États indépendants. Si c’était le cas, il faudrait que la plupart des pays d’Europe soient aujourd’hui sous la souveraineté du Vatican !</p>
<p>C’est pourquoi Vladimir Poutine revient longuement sur le moment capital pour lui du traité de Pereïaslav en 1654, signé entre l’hetman cosaque Bohdan Khmelnitski et le tsar Alexis 1<sup>er</sup> de Moscovie. Le président russe écrit :</p>
<blockquote>
<p>« Dans une lettre adressée à Moscou en 1654, Bogdan Khmelnitski a remercié le tsar Alexeï Mikhaïlovitch pour avoir “accepté toute l’armée zaporogue et le monde orthodoxe russe sous sa main royale, forte et haute”. C’est-à-dire que dans leurs messages au roi polonais et au tsar russe, les Zaporogues se qualifiaient d’orthodoxes russes. »</p>
</blockquote>
<p>Cette interprétation, contestée par l’historiographie ukrainienne, l’a encore été, récemment, par l’éminent historien autrichien Andreas Kappeler, auteur du livre <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctv1168g5c"><em>Des frères inégaux. Les Ukrainiens et les Russes du Moyen Age à nos jours</em></a>. Ce dernier reconnaît qu’en janvier 1654, en raison de leur conflit avec la Pologne, les Cosaques zaporogues et, plus tard, la population de Kiev ont juré fidélité au tsar de Moscou. Mais il précise qu’il s’agissait, pour les Kiéviens comme pour les Moscovites, de défendre l’orthodoxie de la foi et en aucun cas pour Moscou « de formuler des revendications territoriales sur l’héritage de la Rus de Kiev, comme cela a été construit plus tard dans le postulat de la “réunification” ».</p>
<h2>La partie ukrainienne pointe du doit le sort des nationalités en Russie</h2>
<p>On pourrait multiplier les exemples. Pour l’historien russe basé à Londres Vladimir Pastoukhov, l’article de Poutine, par sa sacralisation du passé, vise à justifier une nouvelle guerre de la Russie non seulement contre l’Ukraine mais aussi contre l’Occident du fait de son <a href="https://www.lalibre.be/international/europe/2021/07/18/linquietant-article-de-vladimir-poutine-sur-lukraine-HOFONP6JYZCNHBHCZZPRMDE4TQ/">révisionnisme anti-moderne</a>. En outre, le 30 juillet, le gouvernement russe a <a href="http://publication.pravo.gov.ru/Document/View/0001202107300042">créé</a> une commission visant à punir toute structure en Russie et à l’étranger contestant sa vision de l’histoire, y compris au moyen de « mesures opérationnelles ».</p>
<p>Face à ces nouvelles menaces, le directeur de l’Institut ukrainien de la mémoire nationale Anton Drobovych a répondu vertement au président russe dans un article intitulé <a href="https://uinp.gov.ua/informaciyni-materialy/statti/pro-istorychnu-yednist-v-tyurmi-narodiv">« Sur l’unité historique de la prison des peuples »</a>. L’historien contre-attaque en rappelant combien, en Russie même, les différentes nationalités sont opprimées, notamment au Tatarstan :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis vraiment désolé que le Tatarstan soit maintenant un exemple pour l’Ukraine de ce qui devrait être évité par tous les moyens. Mais un jour viendra où les citoyens du Tatarstan décideront de leur propre destin. »</p>
</blockquote>
<p>La faiblesse de l’autonomie au Tatarstan et dans d’autres républiques de la Fédération de Russie démontre clairement, à ses yeux, que toute relation étroite avec la Russie entraîne à long terme la perte d’indépendance, la russification, la privation des droits des citoyens, l’exploitation économique, les catastrophes sociales et environnementales :</p>
<blockquote>
<p>« Rappelons les problèmes de la République de Kalmoukie. En 2021, ses citoyens ont organisé une convention nationale à Elista, accusant le Kremlin d’ethnocide clandestin. Entre autres choses, ils se sont plaints que la Kalmoukie reste la région avec l’approvisionnement en eau le plus bas de toute la Russie. Bien sûr, Poutine a fait semblant de ne pas entendre les Kalmouks, car il utilise lui-même la question des pénuries d’eau potable en Crimée occupée pour faire pression au niveau international sur l’Ukraine. La mention de l’effondrement de l’approvisionnement en eau en Kalmoukie est extrêmement gênante pour l’occupant, et donc inacceptable. »</p>
</blockquote>
<h2>Pour une nouvelle histoire européenne</h2>
<p>Le fond du problème, comme on l’a montré récemment dans le <a href="https://editions-corlevour.com/produit/revue-nunc-n50-51/">dossier de la revue <em>Nunc</em> consacré à l’Ukraine</a> est que les deux historiographies reposent elles-mêmes sur des récits narratifs élaborés au XIX<sup>e</sup> siècle. Ces méta-récits ont tendance, côté russe, à mythifier l’unité des deux peuples (en s’appuyant notamment sur l’œuvre de <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/nikolai-mikhailovitch-karamzine/">Nikolaï Karamzine</a> (1766-1826), et côté ukrainien, à nier les moments d’histoire commune des deux nations qui dans le passé auraient pu conduire à des relations fraternelles (ce qu’a très bien montré le livre de Nikita Sokolov et Anatoli Golubovski <a href="https://publications.hse.ru/books/209524181"><em>Dictionnaire historique russo-ukrainien : expériences d’histoire commune</em></a> publié à Moscou en 2017.</p>
<p>Il y a donc urgence, comme l’ont <a href="https://media.collegedesbernardins.fr/content/pdf/Recherche/Note-Commission-VJR-FR-28.11.pdf">recommandé récemment</a> les experts de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation Russie-Ukraine/Union européenne, à rédiger une nouvelle histoire européenne intégrant les différents récits russes, ukrainiens, mais aussi ceux des États-nations voisins. Il s’agit, de la sorte, d’aider les uns et aux autres, comme le recommande Jean‑Marc Ferry, à <a href="https://editions-salvator.com/histoire/907-histoire-de-la-conscience-europeenne.html">se reconstruire des identités partagées</a>.</p>
<p>Cela suppose, au préalable, que les diplomates et universitaires européens s’accordent sur le fait de discuter avec les sociétés civiles de Russie et d’Ukraine et de leurs voisines sans nécessairement devoir se plier aux impératifs politiques de leurs États respectifs. D’une certaine façon, la création en 2021 d’un <a href="https://apnews.com/article/russia-banned-name-flag-olympic-games-a8bd342806883f66152859701d5ae5d4">« Comité olympique russe » indépendant</a>, lors des Jeux olympiques de Tokyo, pour pallier la politique de dopage de l’État russe, représente un modèle intéressant de coopération avec la nation russe pour l’avenir.</p>
<p>Le forum de la paix de Caen fournira une première occasion d’en discuter le 1<sup>er</sup> octobre prochain à l’occasion d’une table ronde intitulée <a href="https://normandiepourlapaix.fr/index.php/gouverner-la-paix-question-centrale-de-la-4e-edition-du-forum/comment-construire-la-paix-avec-la">« Comment construire la paix avec la nation russe ? »</a>.</p>
<img src="https://counter.theconversation.com/content/168136/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Arjakovsky travaille comme directeur de recherche au Collège des Bernardins et participe comme intervenant au Forum Normandie pour la paix.</span></em></p>Le conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine n’est pas seulement territorial. Les deux pays mettent en effet aux prises deux visions très différentes de l’histoire des mille dernières années.Antoine Arjakovsky, Historien, Co-directeur du département «Politique et Religions», Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1678422021-09-16T19:24:55Z2021-09-16T19:24:55ZRussie unie : des législatives (presque) totalement contrôlées par le pouvoir<p>Dans la perspective des élections législatives qui se dérouleront du 17 au 19 septembre, le pouvoir russe n’a cessé, depuis le début de l’année 2021, de verrouiller toujours plus l’espace public. Si la cote de popularité du parti du pouvoir, Russie unie (RU), n’a jamais été aussi basse (27 %), celle de Vladimir Poutine reste confortable (61 %) et personne ne doute que RU obtiendra la majorité constitutionnelle à la Douma (soit 301 députés sur 450).</p>
<p>Pourtant, le Kremlin fait preuve d’un acharnement constant contre les voix discordantes et ce cycle électoral est, paradoxalement, l’occasion d’un renforcement de l’autoritarisme. Quelles sont les logiques à l’œuvre dans ce processus ?</p>
<h2>L’enjeu des élections</h2>
<p>Ces législatives ont lieu dans un contexte de mécontentement social croissant : la <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/07/01/en-russie-une-reforme-des-retraites-fait-chuter-la-popularite-de-vladimir-poutine_5324071_3214.html">réforme de la législation des retraites en 2018</a> et la <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-hausse-de-la-pauvrete-en-russie-force-poutine-a-reagir-1274924">paupérisation</a> de plus en plus de Russes, accentuée par la crise de la Covid, ébranlent le « consensus de Crimée » qui, après le « rattachement » de cette région ukrainienne à la Russie en 2014, avait resserré les rangs autour du président. Et au cas où cela aurait été nécessaire, les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/27/la-bielorussie-d-alexandre-loukachenko-un-regime-de-plus-en-plus-isole-qui-traque-ses-adversaires_6081653_3210.html">« tracas »</a> que connaît Alexandre Loukachenko en Biélorussie rappellent à l’équipe dirigeante russe la vulnérabilité des régimes autoritaires.</p>
<p>Or les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/09/municipales-a-moscou-les-premiers-resultats-laissent-presager-un-serieux-revers-electoral-pour-le-kremlin_5508069_3210.html">élections régionales à la Douma de Moscou en 2019</a> ont illustré la capacité de l’opposition à ébranler l’hégémonie de Russie unie (les candidats « indépendants » ont alors réussi à remporter 20 des 45 sièges). Et les <a href="https://www.liberation.fr/planete/2021/01/31/des-milliers-d-arrestations-lors-de-manifestations-pro-navalny-en-russie_1818926/">manifestations</a> suscitées par l’arrestation d’Alexeï Navalny en janvier 2021 ont montré que la sensibilité protestataire ne se limite plus aux grandes métropoles : le territoire tout entier est désormais inflammable.</p>
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<p>Par ailleurs, le système électoral mixte (225 sièges octroyés au scrutin de liste, autant au scrutin uninominal à un seul tour) pourrait se retourner contre Russie unie. Si en 2016 il lui a profité (le parti a obtenu 54 % des sièges du scrutin de liste et 90 % de ceux du scrutin uninominal), aujourd’hui en revanche, sur toile de fond d’insatisfaction grandissante, l’apparition, dans l’arène publique locale, d’activistes portant un discours critique se fait dangereuse. D’autant plus que la proximité de ces candidats avec les électeurs leur permet de rendre convaincantes et attrayantes leurs pratiques démocratiques : tel candidat associe, via les réseaux sociaux, ses électeurs au choix des questions à poser à son rival de RU lors d’un débat (M. Lobanov à Moscou), tandis qu’à Perm le groupe des candidats indépendants expose en toute transparence sur sa page Facebook la façon dont est dépensé le financement que lui procurent les actions de ses partisans (vente de top bags, visites éco-citoyennes payantes des forêts alentour, etc.). Or dans un contexte de faible participation électorale, il suffit de relativement peu de voix pour faire basculer les résultats.</p>
<p>Au cours de l’hiver 2011-2012, les <a href="https://www.cairn.info/journal-critique-internationale-2012-2-page-9.htm">mobilisations</a> suscitées par les fraudes électorales éhontées avaient conduit le président alors en exercice, Dmitri Medvedev, à « assouplir » la loi électorale (ce qui permet à 14 partis de figurer sur le bulletin de vote du scrutin de liste). Aujourd’hui, le pouvoir veut gagner les élections avant qu’elles n’aient lieu, pour éviter de devoir se livrer à des manipulations massives. « Il faut gagner les élections de façon honnête et incontestable, ne laisser aucune chance aux opposants », affirme le même Medvedev, désormais chef de RU.</p>
<p>Pour le régime, il ne s’agit pas tant de gagner une élection que d’orchestrer un référendum de confiance au président. Les <a href="https://www.znak.com/2021-09-08/kreml_opredelilsya_s_finalnymi_ustanovkami_dlya_edinoy_rossii_pered_vyborami_v_gosdumu">objectifs chiffrés</a> adressés par le Kremlin aux responsables de Russie unie sont donc élevés : 50 % (de participation)/55 % (de votes pour le parti du pouvoir). Autrement dit, il faudrait dépasser les résultats atteints aux législatives de 2016, à l’apogée du « consensus de Crimée » (respectivement 49 et 54 %).</p>
<p>Projet fort peu réaliste. Il faut donc « forcer » le réel.</p>
<h2>La machine de guerre électorale</h2>
<p>La tactique se déploie en deux volets : mobiliser l’électorat loyaliste (s’assurer de sa participation) et démobiliser le reste des électeurs (notamment en éliminant les candidats susceptibles de recueillir leurs voix).</p>
<p>Les moyens de la première opération sont classiques : distribuer quelques subsides (primes exceptionnelles aux retraités, aux militaires) et proclamer la proximité du pouvoir et de son parti avec le peuple. Le programme électoral est qualifié de « populaire » et se garde de reprendre les grandes promesses de naguère (comme celle de « multiplier la classe moyenne par deux d’ici 2025 »), et les candidats au scrutin uninominal se focalisent sur les objectifs concrets (assurer l’alimentation en eau chaude, créer une salle de sport, etc.).</p>
<p>Un autre levier usuel est le thème des menaces qui pèsent sur la Russie. Les têtes de liste de RU ont été choisies non seulement pour leur popularité, mais aussi pour leurs fonctions emblématiques : il s’agit des <a href="https://apnews.com/article/europe-russia-elections-business-government-and-politics-4c84dc1a80eb3b1feac31b0506e0adde">ministres de la Défense et des Affaires étrangères</a>.</p>
<p>Il est fait feu de tout bois pour alimenter le fantasme de la Russie comme « forteresse assiégée », montrer à quel point la Russie est mal aimée ; une illustration récente en est le <a href="https://tass.com/sport/1323683">tollé</a> suscité jusque dans les milieux dirigeants par le fait que, pour la première fois depuis des décennies dans l’histoire des Jeux olympiques, la médaille d’or en gymnastique a échappé à l’athlète russe qui la méritait, affirme-t-on.</p>
<p>Un autre danger est brandi : celui de l’« extrémisme ». Extrémisme que l’appareil législatif a mis en forme tout l’été, et dont la prégnance est rappelée par l’encart qui s’affiche sur l’écran quand s’expriment, dans les débats télévisés, les candidats critiques : « affilié à un mouvement extrémiste ».</p>
<p>Après la qualification stigmatisante (et pénalisante) d’<a href="https://www.fidh.org/fr/regions/europe-asie-centrale/russie/russie-la-nouvelle-legislation-sur-les-agents-de-l-etranger-va-encore">« agent de l’étranger »</a>, les catégories « personnalité indésirable » et « extrémiste » sont entrées dans l’arsenal judiciaire et ont vu leur domaine d’application s’élargir en quelques semaines, touchant notamment le champ médiatique, avec la chaîne de télévision (désormais diffusée exclusivement sur Internet) <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/20/la-justice-russe-place-la-chaine-de-television-independante-dojd-sur-la-liste-des-agents-de-l-etranger_6091953_3210.html">Dojd</a>, influent média non soumis au pouvoir. Bon gré mal gré, les médias respectent l’obligation de mentionner ce « stigmate » lorsqu’ils donnent la parole à ceux qui en sont frappés, car le montant phénoménal des amendes, en cas de non respect de cette obligation légale, les condamnerait à la mort économique, ce qui réduirait encore plus l’espace de parole.</p>
<p>Ce « marquage » infamant permet à la fois de mobiliser l’électorat loyaliste, qui le tient pour justifié, et d’éliminer les candidats critiques. C’est ainsi que les activistes du FBK (Fonds de lutte contre la corruption, fondé par Navalny) qui s’étaient lancés dans la campagne électorale comme candidats ont pu être écartés grâce à un vote de la Douma <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20210609-en-russie-les-organisations-li%C3%A9es-%C3%A0-navalny-jug%C3%A9es-extr%C3%A9mistes-par-un-tribunal">entérinant la nature « extrémiste » de cette organisation</a>. De façon générale, la fabrication improvisée d’une inculpation est utilisée pour invalider la candidature des candidats indésirables.</p>
<p>L’examen du patrimoine des candidats est un autre moyen d’arriver à ce résultat. Ce fut le cas par exemple pour le N° 3 du KPRF (liste communiste) Pavel Groudinine, accusé de détenir des actifs étrangers, accusation qu’il rejette. Soulignons que cette prétendue infraction n’avait pas été relevée lors de sa candidature à la présidence en 2018.</p>
<p>À l’élimination des candidats malvenus s’ajoute l’intimidation de leurs partisans. Ainsi, les manifestations de janvier en soutien à l’opposant emprisonné, au motif qu’elles auraient « mis en danger la vie d’autrui dans un contexte de pandémie », ont permis d’<a href="https://www.svoboda.org/a/sud-v-moskve-vynes-pervyy-prigovor-po-sanitarnomu-delu/31389965.html">inculper</a> aussi bien des proches de Navalny comme Lioubov Sobol que de simples « figurants ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1422904647409340418"}"></div></p>
<p>Mentionnons également les visites de la police à des personnes dont le nom apparaissait dans les listes de soutien au FBK. Le caractère aléatoire des châtiments contribue à développer un sentiment de vulnérabilité générale, démoralisant et démobilisant.</p>
<p>La finalité de la campagne électorale est transformée : plutôt que de chercher à gagner un nouvel électorat, le pouvoir vise à dissuader d’agir ceux qui ne lui sont pas acquis.</p>
<p>Ajoutons que la capacité de manipulation du vote a été élargie, la pandémie étant convoquée comme prétexte : étalement du scrutin sur trois jours (officiellement pour éviter la concentration et donc l’absence de distanciation sociale, ce qui rend problématique la surveillance des urnes la nuit), observateurs tenus à distance avec les mêmes arguments, introduction du vote électronique dans sept régions (difficilement contrôlable), élargissement du vote à domicile (la liste des électeurs de plus de 55 ans a été transmise par les services sociaux aux commissions électorales)…</p>
<h2>Les limites de la toute-puissance du Kremlin</h2>
<p>Divers éléments fragilisent néanmoins cette prise de contrôle. Ces élections doivent mettre en scène non seulement la confiance de la population dans le président russe, mais également le fonctionnement démocratique du système. Il faut donc du pluripartisme, un semblant d’opposition « institutionnalisée » selon la rhétorique en vigueur.</p>
<p>Si les politologues russes s’accordent pour souligner que les partis en lice sont tous peu ou prou l’œuvre du Kremlin, certains s’appliquent à distinguer ceux qu’ils qualifient de « spoilers » (totalement instrumentalisés, destinés à « voler » les voix à des formations, comme le Parti communiste, qu’il ne faudrait pas laisser prendre trop d’espace) et les « ersatz de partis », susceptibles de s’autonomiser (tel par exemple le parti « Gens nouveaux »).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1364567403615559685"}"></div></p>
<p>Il y a là un potentiel centrifuge, qui n’est pas absent non plus des formations de l’« opposition institutionnalisée » (au premier rang desquelles le Parti communiste et le Parti libéral-démocrate dirigé par Vladimir Jirinovski). Les membres de ces partis peuvent d’autant plus facilement s’affranchir de la « ligne générale » qu’elle est fort peu articulée, faute d’une vraie idéologie pour la sous-tendre.</p>
<p>La logique bureaucratique des « objectifs chiffrés » peut elle aussi se révéler contre-productive quand des exécutants, plus zélés qu’avisés, se lancent dans des improvisations dommageables. C’est ainsi que dans l’une des circonscriptions de Saint-Pétersbourg, pour tromper les électeurs du candidat d’opposition Boris Vichnevski, deux autres candidats ont non seulement changé leurs nom et prénom (prenant celui de leur rival), mais également leur physionomie (se laissant pousser la barbe à son image) !</p>
<p>Le grotesque de la situation a suscité moult mèmes drolatiques sur les réseaux sociaux et augmenté par là même la notoriété du vrai Vichnevski. Cet épisode a également montré la faiblesse de l’instance de régulation des élections : la présidente de la Commission centrale électorale n’a pu qu’exprimer sa colère et inciter les « fautifs » à retirer spontanément leur candidature.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1434863348290662408"}"></div></p>
<p>L’introduction du vote électronique a également été une occasion de plusieurs faux pas, lorsque la direction de tel ou tel établissement public a fait pression sur les fonctionnaires sous sa houlette pour qu’ils optent pour cette modalité. Là aussi, les réseaux sociaux se sont emparés de l’erreur tactique et des internautes ont mis en place un service « Votre choix/vote » (en russe, il n’y a qu’un seul mot pour ces deux sens) pour aider juridiquement ceux qui se trouvaient confrontés à une tentative de pression de la part de leurs supérieurs hiérarchiques (désireux de montrer leur capacité à « faire du chiffre »).</p>
<p>Autre exemple d’amateurisme : pour inciter à choisir le « vote électronique », il a été instauré à Moscou une loterie, reprenant une opération qui avait été testée lors du référendum sur la Constitution (en s’inscrivant, on participe à la loterie). Sauf qu’il n’y a pas eu concertation sur la prise en charge financière des lots pour les gagnants : si lors du référendum, les entreprises participantes avaient reçu une compensation pour les cadeaux relativement modestes offerts alors, face à l’inflation des cadeaux (appartements ou véhicules automobiles), ils n’ont pas manqué de poser la question du financement, restée sans réponse.</p>
<p>L’attachement au formalisme juridique souligne quant à lui la dimension dérisoire de certaines manœuvres du pouvoir. Pour donner une apparence légale au blocage du site « Le choix intelligent » (initiative d’Alexeï Navalny sur laquelle nous reviendrons), il a été fait recours à la législation commerciale : plainte pour abus d’une marque déposée (par un entrepreneur proche des structures de force). Efficace puisque cela permet d’exiger des moteurs de recherche qu’ils ne fassent pas apparaître le site de Navalny, mais peu glorieux. Le pouvoir peut aussi se montrer tâtonnant dans son usage du judiciaire : lorsque des journalistes ont fait des « piquets » (forme de manifestation solitaire encore théoriquement autorisée) devant le ministère de la Justice pour protester contre la qualification de certains d’entre eux comme « agents de l’étranger », ils ont été emmenés au poste de police. Dans un premier temps, l’interpellation a donné lieu à un « procès verbal de conversation prophylactique », transformé quelque temps plus tard en « protocole d’infraction à la réglementation des manifestations ».</p>
<p>Il y a une part d’improvisation dans les agissements de ce pouvoir que la solidité juridique de ses adversaires – lesquels ne manquent pas de faire appel des nombreuses décisions de justice qui balisent leur éviction – oblige à faire des ajustements à vue. L’interaction entre le pouvoir et l’association Golos (la voix), qui forme des observateurs des élections, illustre une adaptation mutuelle. Lorsque la retransmission en direct du scrutin depuis les bureaux de vote, de généralisée est devenue limitée à quelques lieux dédiés, Golos a épousé la rhétorique du pouvoir pour contester la chose, rappelant l’intervention personnelle de Vladimir Poutine en 2012 pour annoncer l’installation de caméras dans tous les bureaux de vote, et utilisant la pandémie comme argument contre la concentration des observateurs dans les lieux dédiés. Lorsque l’association a été frappée du statut « d’agent de l’étranger », accusation réservée aux organisations ayant une personnalité juridique, ce qui fut aussitôt relevé, le pouvoir a dû modifier la législation. Le pouvoir l’emporte bien sûr, mais ce n’est pas forcément lui qui mène la danse à tout moment.</p>
<h2>Quelles perspectives pour l’opposition ?</h2>
<p>Le prisonnier Navalny apparaît en filigrane dans la campagne électorale. La question « considérez-vous qu’il est un prisonnier politique ? » revient immanquablement dans les interviews que donnent aux médias non officiels les représentants des divers partis nouveaux. La réponse (presque toujours négative) est bien sûr un marqueur.</p>
<p>Il est surtout présent par le <a href="https://www.latribune.fr/depeches/reuters/KBN2FK1LN/russie-navalny-appelle-au-vote-intelligent-aux-legislatives-en-septembre.html">« vote intelligent »</a>, tactique mise au point par son équipe, qui a fait ses preuves aux élections à la Douma de Moscou en 2019. Il s’agit, dans chaque circonscription, d’identifier le candidat le mieux placé pour battre celui de Russie unie et d’appeler les électeurs locaux à voter pour lui (ce n’est applicable qu’au scrutin uninominal). Cet instrument de coordination est devenu la cible prioritaire du pouvoir… ce qui a augmenté sa visibilité.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1437412745792589827"}"></div></p>
<p>Cette tactique ne fait pas pour autant l’unanimité au sein de l’électorat critique. Il a par exemple été totalement rejeté par Grigori Iavlinski, le leader du parti Iabloko, qui a carrément appelé les partisans de Navalny à ne pas voter pour les candidats de son parti au cas où ils seraient recommandés par le « vote intelligent », au motif qu’il ne partage pas les <a href="https://www.newyorker.com/news/our-columnists/the-evolution-of-alexey-navalnys-nationalism">valeurs nationalistes qu’a pu exprimer naguère l’opposant</a>. En outre, une partie de l’électoral libéral s’alarme d’une tactique qui amène souvent à donner l’onction à des candidats communistes, bien perçus localement et donc bien placés pour battre Russie unie. Ce qui augmente le poids du KPRF.</p>
<p>Mais la question fondamentale qu’affrontent les activistes critiques envers le pouvoir est celle de la mobilisation des électeurs : comment persuader qu’il faut voter alors que le résultat semble prédéterminé, que le pouvoir s’applique à démontrer qu’il est la seule issue ? Ils appellent leurs concitoyens à ne pas se montrer indifférents (« non indifférents » est devenu l’euphémisme timide pour parler de l’engagement), ils misent sur l’effet mobilisateur des agissements excessifs du régime (comme ce fut le cas lors des manifestations de janvier, durement réprimées), soulignent que le vote est désormais la seule façon non dangereuse d’exprimer son opinion.</p>
<p>Ils ne proposent pas de gagner les élections, et encore moins de renverser le système. Ils invitent à changer modestement le paysage politique en faisant en sorte que des voix discordantes aient accès à l’arène politique, expliquent que faire entendre des « questions qui dérangent » est un moyen d’améliorer la situation dans le pays.</p>
<p>Au final, les enjeux des élections législatives se trouvent reconfigurés aussi bien par le pouvoir que par ses opposants.</p>
<p>Que feront les électeurs ? Pour l’instant, la seule réponse quantifiée est le nombre des personnes qui se sont inscrites pour être observateurs dans les bureaux de vote. À quelques jours du scrutin, le pic de 2011 est atteint. 2011, année où l’annonce de la permutation des postes entre Dmitri Medvedev et Vladimir Poutine avait piqué au vif l’amour-propre de nombreux Russes, sortis en masse dans les rues pour protester… sans obtenir de résultats probants.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167842/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Desert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les législatives russes, qui se tiendront du 17 au 19 septembre, suscitent une certaine inquiétude du pouvoir, qui multiplie les mesures visant à en contrôler le déroulement et les résultats.Myriam Desert, Professeur émérite, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1673192021-09-09T19:03:57Z2021-09-09T19:03:57ZLes talibans à l’épreuve du pouvoir<p>Aussi dérangeant que soit ce constat pour la communauté internationale, le régime taliban peut apparaître, pour une <a href="https://www.franceculture.fr/geopolitique/lafghanistan-vu-par-les-talibans">partie des Afghans</a>, comme acceptable.</p>
<p>Dans un pays marqué par quarante ans de guerre, le retour au pouvoir des « étudiants en religion » est synonyme de possibilité de stabilisation et de justice (violente) rendue aux tenants corrompus des régimes précédents. En outre, les valeurs des talibans ne sont pas si éloignées des mœurs d’une partie de la population (ils n’ont inventé ni la burqa, ni la réclusion des femmes), du moins dans les régions pachtounes.</p>
<p>Reste que pour les nouveaux maîtres de Kaboul – qui <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afghanistan/afghanistan-les-talibans-annoncent-leur-nouveau-gouvernement-trois-semaines-apres-avoir-pris-le-pouvoir_4763187.html">viennent d’annoncer la composition de leur gouvernement</a>, où l’on ne retrouve aucune personnalité extérieure à leur mouvement, et comme il fallait s’y attendre aucune femme –, le plus dur est à venir.</p>
<h2>Un pays ingouvernable ?</h2>
<p>Les effectifs des talibans sont estimés à <a href="https://www.rferl.org/a/taliban-government-islamic-state-who-controls-what-in-afghanistan-/30644646.html">environ 60 000 hommes permanents</a> et 90 000 « saisonniers ». Cela paraît insuffisant pour contrôler le pays.</p>
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<figcaption><span class="caption">Vivre en pays taliban (Arte, 3 juin 2021).</span></figcaption>
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<p>Maîtriser les villes (ce qui est théorique) et les points de passage frontaliers (par ailleurs peu nombreux) n’a jamais assuré le contrôle du pays, comme l’ont illustré toutes les tentatives modernes d’asseoir un pouvoir national en Afghanistan.</p>
<p>Les seuls pouvoirs un tant soit peu fonctionnels se sont toujours basés sur l’arbitrage des intérêts tribaux et régionaux et sur la capacité de l’État à s’entendre avec les chefs locaux, dont les alliances mouvantes et les vendettas font la réalité de la politique afghane. Les talibans sauront-ils satisfaire (ou plutôt laisser faire) les <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2010-1-page-129.htm?contenu=article">chefs de clans</a> ? Au-delà de cette question cruciale, quatre dossiers s’annoncent problématiques :</p>
<ul>
<li><p>Une partie des Tadjiks – un groupe ethnique qui représente environ 25 % de la population totale du pays – s’est regroupée, dans le nord, autour d’<a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2021/09/BELKAID/63443">Ahmad Massoud</a>. Une proportion importante des Tadjiks sont <a href="https://www.scienceshumaines.com/les-ismaeliens-histoire-et-traditions-d-une-communaute-musulmane_fr_3690.html">ismaéliens</a>, une forme de l’islam incompatible avec le rigorisme taliban. Même s’ils ont dernièrement subi des déconvenues militaires, les Tadjiks du Nord vont continuer de faire peser une menace sécuritaire sur le pouvoir taliban.</p></li>
<li><p>Les <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/625938/etre-hazara-sous-les-talibans">Hazaras (moins de 10 % de la population), eux aussi « hérétiques »</a> aux yeux des talibans car chiites, redoutent de subir un ethnocide. Même si ce risque ne semble pas immédiat du fait des <a href="https://www.lefigaro.fr/international/l-iran-tente-un-nouveau-depart-avec-les-talibans-20210824">contacts pris par les talibans avec l’Iran</a>, cette minorité se sent en danger et les talibans, qui ont déjà commis de nombreuses exactions à son égard, peinent à la convaincre de leur faire confiance.</p></li>
</ul>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1432999337907339269"}"></div></p>
<ul>
<li><p>Les producteurs d’opium, dont nombre sont alliés aux talibans d’une façon ou d’une autre, ne sont pas totalement sous leur contrôle. On peut supposer que les talibans <a href="https://theconversation.com/afghanistan-le-controle-du-marche-de-la-drogue-lautre-victoire-des-talibans-166209">auront du mal à se passer d’eux</a>, étant donné la place de l’opium comme ressource financière pour le pays. Or, le 18 août dernier, les nouveaux dirigeants ont annoncé qu’il n’y aurait <a href="https://www.leprogres.fr/defense-guerre-conflit/2021/08/26/les-talibans-peuvent-ils-vraiment-renoncer-a-l-opium">« plus de production ni de contrebande d’opium »</a> en Afghanistan…</p></li>
<li><p>L’État islamique, dont les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/02/afghanistan-talibans-al-qaida-et-etat-islamique-quelles-differences_6093168_3210.html">militants en Afghanistan</a> restent actifs, comme on l’a constaté lors du sanglant attentat de l’aéroport de Kaboul le 26 août dernier, n’a rien à envier aux talibans en termes de violence et de détermination. Les deux groupes se sont combattus plus ou moins vivement ces dernières années.</p></li>
</ul>
<p>Même en admettant que le pouvoir taliban arrive à atténuer ces problèmes (les résoudre semble illusoire), d’autres questions vont devoir trouver des réponses pour la construction d’un pouvoir pérenne.</p>
<h2>Insurgés mais pas fonctionnaires</h2>
<p><a href="https://www.nytimes.com/2021/08/25/world/asia/taliban-women-afghanistan.html">De l’aveu même des responsables talibans</a>, le contrôle de leurs propres troupes est difficile : l’ivresse de la victoire, la tentation de pillage, le zèle de certains et la structure même de l’appareil militaire taliban (qui fait appel à de multiples commandants autonomes auxquels va la fidélité de leurs hommes) entraînent des <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2021/08/afghanistan-taliban-responsible-for-brutal-massacre-of-hazara-men-new-investigation/">actes de violence</a> qui risquent d’aliéner durablement la population, et rendent peu crédibles les discours d’apaisement des leaders du pays.</p>
<p>Les militants talibans sont par ailleurs <a href="https://www.la-croix.com/Monde/En-Afghanistan-gouvernement-taliban-fait-attendre-2021-09-05-1201173832">bien incapables de prendre en charge une administration</a>, sans parler des aspects techniques de la gouvernance : le pouvoir devra rallier les fonctionnaires et techniciens présents dans le pays, moins susceptibles d’accepter, du fait de leur éducation et de leur statut de classe moyenne privilégiée, le rigorisme taliban.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1433408796785844224"}"></div></p>
<p>La peur et la violence ne permettront pas de les mettre au service du pouvoir de manière durable et efficace. D’autant qu’une partie de ces cadres sont des femmes. Dès lors, la capacité des talibans à assurer les services publics, la santé, l’alimentation, la distribution d’eau et d’électricité semble compromise.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1434793240071393289"}"></div></p>
<h2>Un positionnement délicat sur la scène internationale</h2>
<p>La situation internationale n’est pas non plus très simple. Outre que les talibans ne peuvent plus durablement invoquer l’ingérence étrangère comme explication à tout (d’autant qu’il faudra clarifier <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/11/l-ombre-du-pakistan-derriere-l-avancee-des-talibans-en-afghanistan_6091155_3210.html">leurs liens avec le Pakistan</a>), l’environnement régional ne leur est, a priori, guère favorable.</p>
<p>Ni les puissances d’Asie centrale, ni l’Iran, ni l’Inde, ni la Chine, ni la Russie ne peuvent rester indifférents à ce qui se passe dans ce carrefour régional, surtout s’il s’y profile un risque djihadiste. Les talibans eux-mêmes n’ont un agenda que national, mais d’autres mouvements (à commencer par l’EI et Al-Qaïda) pourraient faire du pays leur base arrière s’ils n’y prennent pas garde.</p>
<p>L’Iran peut-il accepter sur ses frontières un régime inspiré du radicalisme sunnite en provenance du Golfe ? Téhéran <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20210829-afghanistan-face-au-retour-des-talibans-t%C3%A9h%C3%A9ran-choisit-la-neutralit%C3%A9">a acté la prise de pouvoir contre garanties</a>, mais il faudra que ce modus vivendi résiste au temps. De même, l’Inde vient d’engager des <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Afghanistan-lInde-sonde-les-talibans-2021-09-01-1201173314">prises de contact</a>, mais craint un soutien depuis l’Afghanistan aux islamistes du Cachemire.</p>
<p>Les dirigeants talibans actuels sont incontestablement intelligents, pragmatiques et soucieux de reconnaissance internationale, comme en témoignent les multiples contacts et accords établis (<a href="https://www.peaceagreements.org/view/2232">notamment à Doha</a>) avec les pays voisins et les USA.</p>
<p>Cette tentative de normalisation est-elle réelle ou temporaire ? L’avenir le dira, mais, pour l’instant, les relations internationales des talibans sont <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/afghanistan-les-talibans-en-quete-de-reconnaissance-internationale-1339660">moins conflictuelles qu’elles ne pourraient l’être</a>. En dépendent les revenus des <a href="https://www.lefigaro.fr/international/les-talibans-au-turkmenistan-pour-discuter-de-projets-d-infrastructures-20210206">futurs gazoducs</a> devant traverser le pays, l’aide internationale, ou encore les réserves en dollars détenues (mais bloquées) par la banque centrale, toutes ressources vitales à l’installation durable du nouveau régime à la tête du pays.</p>
<p>C’est bien sur le plan interne que les difficultés les plus grandes s’annoncent dans l’immédiat.</p>
<h2>Une doctrine de guérilla à l’épreuve du pouvoir</h2>
<p>L’Afghanistan est plus une région avec un <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/afghanistan-une-mosaique-ethnique-dans-un-pays-fragmente_2157075.html">écosystème politique particulier</a> qu’un État au sens plein, qui n’est né que parce que Britanniques et Russes souhaitaient une zone tampon entre leurs zones d’influence respectives en Asie (<a href="https://mjp.univ-perp.fr/traites/1907petersbourg.htm">traité de Saint-Pétersbourg, 1907</a>).</p>
<p>Contrôler Kaboul n’a jamais permis de contrôler le pays autrement que symboliquement. D’autant qu’il faut aussi contrôler une population de la ville très jeune, éduquée, connectée et moderne, peu susceptible d’accepter des interdits religieux impliquant un retour en arrière.</p>
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<figcaption><span class="caption">Un pays « accidenté », Le dessous des cartes | Arte, 2019.</span></figcaption>
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<p>La prise du territoire implique aussi la perte de <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2013-2-page-183.htm">l’avantage stratégique dont les talibans disposaient dans le passé</a> : la souplesse opérationnelle et la mobilité. Le contrôle effectif du territoire et la menace d’un conflit de longue durée avec les Tadjiks mobilisent leurs moyens déjà limités.</p>
<p>Par ailleurs, aucun régime dont la base doctrinale est la pureté (religieuse, ethnique ou morale) n’a jamais perduré. La réalité des hommes, la nécessité de pragmatisme et de compromis, a toujours soit transformé ces tentatives en régimes totalitaires inefficaces, soit renforcé l’hostilité internationale, soit entraîné la disparition progressive de ses prétentions.</p>
<p>Quoi qu’en disent les dirigeants talibans, chantres de valeurs de l’islam « non négociables », cette position n’est pas tenable dans le temps. Car la prétention à la pureté n’est légitime que si elle entraîne une récompense (paix, prospérité, victoire militaire, extension…) : face à l’impossibilité de réaliser ces objectifs, sa légitimité politique devient nulle.</p>
<p>La victoire des talibans n’est pas une fin mais le début d’un nouvel épisode. Il ne se passera pas six mois avant que le nouveau pouvoir ne soit confronté à des contradictions qu’il lui sera extrêmement difficile de surmonter. Pour tenir, il devra perdre une partie de son identité, ou voir s’affaiblir ses capacités, ce qui menacerait les compromis difficilement établis avec les parties prenantes nationales. Dans l’intervalle, quel bien et quel mal les talibans feront-ils au pays ? Nul ne peut le dire aujourd’hui.</p>
<p>Il est toujours plus difficile de gérer la paix que d’obtenir la victoire par les armes. Les talibans devront tirer les conclusions des leçons apprises par ceux qu’ils se vantent d’avoir vaincus : les Américains, qui se retirent finalement autant par réalisme que par découragement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167319/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Marc Huissoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>C’est une chose de s’emparer du pouvoir en Afghanistan. C’en est une tout autre de gérer un pays aussi complexe, surtout avec la rigidité propre aux talibans.Jean-Marc Huissoud, Professeur et chercheur, Relations Internationales Stratégies d'internationalisation, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1666012021-08-29T17:53:07Z2021-08-29T17:53:07ZLes talibans afghans : carte d’identité<p>Les talibans afghans sont de retour au pouvoir en Afghanistan après 20 ans d’insurrection et de combat contre les troupes internationales. (Le terme <em>talib</em> désigne un étudiant en religion ; <em>taliban</em> est la forme plurielle de <em>talib</em> et ne devrait pas prendre de <em>s</em> mais nous emploierons ici la forme la plus courante en français.)</p>
<p>À l’heure où <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2021/08/15/afghanistan-taliban-islamic-emirate/">l’Émirat islamique d’Afghanistan est à nouveau instauré</a>, de nombreuses interrogations subsistent toutefois sur cette organisation.</p>
<p>Qui sont-ils exactement, quelle est leur hiérarchie, quels sont leurs soutiens, leurs ressources, et leurs objectifs ultimes ?</p>
<h2>Un mouvement pachtoune…</h2>
<p>Les talibans sont issus de tribus afghanes pachtounes dont de nombreux membres se sont réfugiés au Pakistan voisin à partir de 1979 puis sont revenus en Afghanistan pendant la décennie d’invasion soviétique qui dure jusqu’en 1989 pour affronter l’Armée rouge.</p>
<p>Fondée en 1994, en plein cœur de la guerre civile, l’organisation prend le pouvoir en Afghanistan en 1996 et instaure un Émirat islamique. Celui-ci est <a href="https://www.cfr.org/timeline/us-war-afghanistan">renversé</a> deux mois après le 11 septembre 2001, et les talibans mis en déroute.</p>
<p>Ils se regroupent alors dans les régions montagneuses frontalières avec le Pakistan voire, pour le leadership du mouvement, au Pakistan même. Depuis ces sanctuaires, les talibans récupèrent leurs forces, puis entament le combat contre les troupes internationales. Estimés à 7 000 combattants en 2006, leurs effectifs passent à près de 80 000, voire 100 000 aujourd’hui). D’abord concentrée à l’est et au sud, l’insurrection devient nationale à partir de 2006-2007. L’objectif est d’expulser d’Afghanistan les troupes internationales – en particulier les troupes américaines, plus gros contingent dès le début de l’intervention.</p>
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<p>En parallèle de ces opérations sur le terrain, les talibans travaillent leur image, notamment en se développant leur diplomatie. C’est ainsi que l’on aboutit aux négociations avec les États-Unis, qui aboutissent à <a href="https://www.state.gov/wp-content/uploads/2020/02/Agreement-For-Bringing-Peace-to-Afghanistan-02.29.20.pdf">l’accord de février 2020</a>. Pour certains, les talibans d’aujourd’hui seraient <a href="https://apnews.com/article/afghanistan-taliban-kabul-1d4b052ccef113adc8dc94f965ff23c7">plus modérés et plus tolérants</a> que leurs prédécesseurs pré-2001. L’image est <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/afghanistan-un-proche-d-un-journaliste-de-deutsche-welle-tue-par-les-talibans-20210820">trompeuse</a> : derrière une apparence plus moderne, leur idéologie et leur vision du monde demeurent inchangées.</p>
<p>Imprégnés des traditions, codes moraux et d’honneur des tribus pachtounes (le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/03068374.2020.1832772">pashtounwali</a>, les talibans sont le fruit de la culture afghane pré-1979, insufflée de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09592310701674481">soufisme</a> et de coutumes préislamiques, à quoi se mêle le courant idéologique <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/25765949.2021.1928415">déobandi</a>, qui représente une forme de réformisme puritain sunnite.</p>
<p>Néanmoins, si le groupe trouve son origine dans les régions pachtounes, il ne revendique pas pour autant cette identité ethnique, lui préférant un caractère national.</p>
<h2>… mais qui ne veut ni ne peut s’y résumer</h2>
<p>L’idéologie talibane associe religion et guerre, ce qui explique qu’ils sont parfois qualifiés de « mollahs armés » : ces deux dimensions, religieuse et martiale, se renforcent mutuellement. Intransigeante et intégriste, la vision du monde des talibans ne soutient ni la dissension ni la contradiction. Il s’agit d’ailleurs là de l’une des clés de la longévité du groupe.</p>
<p>La loi islamique telle qu’interprétée par les érudits du mouvement reste dotée d’une <a href="https://www.usip.org/sites/default/files/PW102-Rhetoric-Ideology-and-Organizational-Structure-of-the-Taliban-Movement.pdf">moralité suprême</a> quasi sacerdotale : l’Émirat islamique se considère comme moralement supérieur et unique source d’autorité officielle et légitime sur le territoire de l’Afghanistan. Le nationalisme islamiste est ainsi la pierre angulaire du mouvement. De là découle l’inévitabilité de la victoire talibane, message largement véhiculé dans la propagande du groupe.</p>
<p>Le mouvement a, certes, évolué : initialement ancré dans la tradition pachtoune, il s’est graduellement rapproché de raisonnements similaires à ceux des groupes panislamistes comme Al-Qaïda. Cette altération trouve ses racines dans la nécessité pragmatique de favoriser l’implantation de la gouvernance talibane dans les régions non pachtounes du pays.</p>
<p>Finalement, ce sont bien ses relations publiques que le mouvement a travaillées : un langage qui se veut rassurant, une recherche d’acceptabilité, une apparence de modération, tout cela diffusé grâce à une <a href="https://www.nytimes.com/2021/08/20/technology/afghanistan-taliban-social-media.htm">certaine maîtrise des réseaux sociaux</a> (Facebook, WhatsApp).</p>
<h2>Les principaux dirigeants</h2>
<p>La constance idéationnelle du mouvement est partiellement due au fait que son <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2021/08/16/taliban-leaders-afghanistan/">leadership actuel</a> est assuré par la génération pré-2001.</p>
<p><a href="https://www.letemps.ch/monde/haibatullah-akhundzada-lhomme-tete-talibans-victorieux">Haibatullah Akhundzada</a>, émir ou « commandeur des croyants » (<em>Amir-ul-Mauminin</em>), est né dans la province de Kandahar, berceau des talibans. À 60 ans, il est, depuis 2016, le troisième émir du mouvement (après Omar (1996-2013) et Mansour (2015-2016)).</p>
<p>Akhundzada rejoint les talibans dès le milieu des années 1990 et devient l’un des proches d’Omar. Ancien juge, érudit religieux, il est une figure respectée parmi les talibans. Discret, il ne se montre que peu en public. Peu d’images existent d’ailleurs de lui, ce qui n’est pas sans rappeler l’attitude du mollah Omar à l’encontre des représentations visuelles.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1427220105050562560"}"></div></p>
<p>L’émir est entouré de trois députés : Mohammad Yaqoob (fils d’Omar), Abdul Ghani Baradar (co-fondateur des talibans) et Sirajuddin Haqqani (à la tête du réseau Haqqani). Le fonctionnement de l’organisation, sous la direction de l’émir, est assuré par la Shura Rahbari, ou Shura de Quetta, qui tire son nom de la ville pakistanaise dans laquelle s’est regroupée la direction talibane après 2001.</p>
<p>La Shura, ou conseil taliban, rassemble les chefs du mouvement et décide des orientations politiques et militaires. Sous la direction du conseil se trouvent des commissions et organes administratifs. Cette structure a facilité le développement d’institutions parallèles pendant la période 2001-2021, dans des domaines aussi variés que l’économie, la santé ou l’éducation. Se définissant comme un acteur étatique, les talibans ont ainsi acquis des compétences régaliennes traditionnellement associées à un État. D’où, à leurs yeux et aux yeux de leurs soutiens, la légitimité de leur usage de la force.</p>
<p>Si la direction du mouvement réside bien entre les mains d’Akhundzada, <a href="https://www.vox.com/22626240/taliban-afganistan-baradar">Baradar</a>, 53 ans, en est le visage le plus public. Emprisonné entre 2010 et 2018 au Pakistan (cette arrestation est à comprendre dans le cadre du <a href="https://thediplomat.com/2018/10/why-does-pakistans-release-of-a-key-taliban-leader-matter/">double jeu mené par le Pakistan</a> depuis 2001, apportant d’un côté son soutien aux troupes internationales et à la lutte contre le terrorisme, tout en soutenant également les talibans de l’autre côté), Baradar est <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/01/27/le-taliban-baradar-converti-en-negociateur-pour-la-paix_1705791/">libéré</a> à la demande de l’émissaire des États-Unis pour l’Afghanistan, Zalmay Khalilzad, pour participer aux discussions entre les talibans et l’administration Trump, du fait de son autorité et de sa réputation de négociateur.</p>
<p>Ce rôle lui confère visibilité et légitimité ; certains le présentent d’ailleurs comme le véritable leader du mouvement. Quoi qu’il en soit, il est certain que Baradar, numéro deux des talibans, a joué un rôle central dans la <a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/new-atlanticist/how-the-taliban-did-it-inside-the-operational-art-of-its-military-victory/">stratégie</a> qui a permis de reconquérir le pays aussi rapidement.</p>
<h2>Ressources et soutiens</h2>
<p>Aux ressources idéologiques s’ajoutent des ressources matérielles, financières et diplomatiques : dès leur formation, les talibans, dont les rangs sont remplis d’anciens combattants contre l’armée soviétique, bénéficient des armes soviétiques abandonnées lors du retrait de l’armée, ainsi que des armes occidentales fournies aux combattants afghans pour les soutenir dans leur lutte contre les Soviétiques. Au fur et à mesure de leurs conquêtes territoriales de ces derniers mois, les talibans ont pu ajouter à leur arsenal des équipements modernes que les troupes internationales avaient fournis aux forces nationales de sécurité.</p>
<p>Sur le plan financier, la <a href="https://theconversation.com/afghanistan-le-controle-du-marche-de-la-drogue-lautre-victoire-des-talibans-166209">culture de l’opium et le trafic de drogues</a>, bien que moins importants qu’auparavant, restent une source centrale de revenus pour l’organisation. S’y ajoutent d’autres activités criminelles : extorsion, trafic de bois, extractions minières illégales, kidnapping…</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1430425936399421441"}"></div></p>
<p>Le lien entre terrorisme, insurrection et criminalité organisée transnationale est <a href="https://www.routledge.com/Organized-Crime-and-Terrorist-Networks/Ruggiero/p/book/9780367784416">bien connu et documenté</a>. Les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S259029112100036X">donations et contributions financières</a> d’organisations de charité islamique fournissent également des revenus au mouvement, tout comme les taxations sur les commerces et entreprises, les transports, ou encore les droits de douane. Il n’est d’ailleurs par anodin que la reconquête de territoires ait inclus très rapidement des zones frontalières, garantissant ainsi au mouvement des revenus supplémentaires. Enfin, l’ISI, le service de renseignements de l’armée pakistanaise, apporte un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/11/l-ombre-du-pakistan-derriere-l-avancee-des-talibans-en-afghanistan_6091155_3210.html">soutien financier et matériel</a> non négligeable au mouvement.</p>
<p>Au niveau diplomatique, les talibans ont su utiliser le contexte géopolitique international pour s’assurer du soutien, ou au moins de la neutralité, d’un certain nombre d’acteurs internationaux, au premier rang desquels la Chine, la Russie (qui par ailleurs les désigne toujours comme groupe terroriste) ou encore l’Iran ou le Qatar. Ainsi, les talibans recherchent des garanties, sinon de reconnaissance officielle, tout au moins de non-interférence.</p>
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<p>Au-delà des acteurs étatiques, les talibans maintiennent des <a href="https://cisac.fsi.stanford.edu/mappingmilitants/profiles/afghan-taliban">liens avec d’autres groupes</a>, notamment le Mouvement islamique d’Ouzbékistan qui, en plus de bénéficier de leur <a href="https://sgp.fas.org/crs/row/IF10604.pdf">soutien</a>, conduit des opérations communes avec eux dans le nord de l’Afghanistan. Plus connus, et <a href="https://www.dw.com/fr/afghanistan-talibans-sanctuaire-djihadistes-Daech-al-qa%C3%AFda/a-58958378">sources d’inquiétude</a>, les liens avec Al-Qaïda restent importants via le réseau Haqqani, basés notamment sur l’histoire de leurs relations et une motivation religieuse commune.</p>
<p>Affilié aux talibans tout en restant un mouvement séparé, le <a href="https://www.journaldemontreal.com/2021/08/22/le-reseau-haqqani-des-attentats-suicides-au-gouvernement-afghan">réseau Haqqani</a> leur fournit armes et entraînement. Les liens entre les deux groupes sont illustrés par la nomination de Sirajuddin Haqqani au conseil taliban.</p>
<p>Enfin, il existe des liens entre les talibans et le <a href="https://rusi.org/explore-our-research/publications/commentary/resurgence-tehrik-i-taliban-pakistan">TTP (<em>Tehrik-e-Taliban Pakistan</em>, ou taliban pakistanais)</a>, du fait de leur chevauchement idéologique et ethnique. Leurs objectifs sont toutefois distincts, chacun ayant un projet national dans son pays d’ancrage. Notons ici qu’aucun lien n’a été relevé entre les talibans afghans et la <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/L-%C3%89tat-islamique-dans-le-Khorasan-1-2.html">branche Khorasan de l’État islamique</a>, active en Afghanistan et au Pakistan ; et ui vient de revendiquer l’attentat de l’aéroport de Kaboul du 26 août ; il existe au contraire une <a href="https://www.stimson.org/2021/https-www-stimson-org-2021-iskp-and-afghanistans-future-security/">opposition</a> entre les deux mouvements.</p>
<h2>Continuité de 1994 à 2021</h2>
<p>Il serait erroné de concevoir l’évolution du groupe selon une gradation claire allant de l’extrémisme à la modération. Les talibans de 1994 étaient davantage attentifs au comportement externe de la population ; ceux de 2021 portent particulièrement attention à la vie morale interne des Afghans, dans une exigence d’adhésion pleine et entière à leur projet politique. C’est ainsi que l’on assiste à des <a href="https://www.nytimes.com/2021/08/17/world/asia/afghanistan-women-taliban.html">répressions strictes et violentes</a> de manifestations dans les villes provinciales du pays : exécutions, mariages forcés de femmes ou jeunes filles, fermetures d’écoles…</p>
<p>L’apparence a évolué, le discours est lissé, mais le fond reste bien inchangé.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166601/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorothée Vandamme ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Radiographie du mouvement qui vient de s’emparer à nouveau du pouvoir en Afghanistan.Dorothée Vandamme, Chargée de cours, UMons et Chargée de cours invitée, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1669382021-08-28T19:25:05Z2021-08-28T19:25:05ZQu’est-ce que l’État islamique au Khorassan, qui a revendiqué l’attentat de l’aéroport de Kaboul ?<p>L’<a href="https://www.nytimes.com/live/2021/08/27/world/afghanistan-taliban-biden-news">attentat suicide doublé d’une fusillade</a> commis devant l’aéroport de Kaboul le 26 août 2021 a fait au moins 100 morts, dont <a href="https://apnews.com/article/bombings-evacuations-kabul-bb32ec2b65b54ec24323e021c9b4a553">au moins 13</a> soldats américains. L’État islamique au Khorassan (EIK) <a href="https://www.reuters.com/world/islamic-state-claims-responsibility-kabul-airport-attack-2021-08-26/">a revendiqué</a> cette opération survenue quelques jours seulement après que le <a href="https://deadline.com/2021/08/joe-biden-terror-attack-warning-afghanistan-taliban-infrastructure-vote-g7-kamala-harris-1234821064/">président Joe Biden a averti</a> que ce groupe – une filiale de Daech active en Afghanistan – « cherchait à cibler l’aéroport et à attaquer les forces américaines et alliées ainsi que des civils innocents ».</p>
<p>Amira Jadoon, <a href="https://www.westpoint.edu/social-sciences/profile/amira_jadoon">spécialiste du terrorisme à l’Académie militaire américaine de West Point</a>, et Andrew Mines, <a href="https://extremism.gwu.edu/andrew-mines">chargé de recherche au Programme sur l’extrémisme de l’Université George Washington</a>, qui étudient l’EIK depuis des années, ont répondu aux questions de The Conversation US sur ce groupe terroriste et la menace qu’il représente.</p>
<h2>Pouvez-vous présenter l’EIK ?</h2>
<p>L’État islamique de la province de Khorasan, également connu sous les acronymes anglas ISIS-K, ISKP et ISK, est une filiale du groupe État islamique en Irak et en Syrie, <a href="https://www.ctc.usma.edu/pledging-baya-a-benefit-or-burden-to-the-islamic-state/">reconnue</a> par les principaux dirigeants de cette dernière organisation, laquelle est également désignée par l’acronyme arabe Daech.</p>
<p>L’EIK a été officiellement fondé en janvier 2015. En peu de temps, il est parvenu à prendre le contrôle de plusieurs districts ruraux du <a href="https://www.afghanistan-analysts.org/en/reports/war-and-peace/qari-hekmats-island-a-Daech-enclave-in-jawzjan/">nord</a> et du <a href="https://www.afghanistan-analysts.org/en/reports/war-and-peace/the-islamic-state-in-khorasan-how-it-began-and-where-it-stands-now-in-nangarhar/">nord-est</a> de l’Afghanistan, et a lancé une campagne meurtrière à travers l’Afghanistan et le Pakistan. Au cours de ses trois premières années d’existence, l’EIK a commis des <a href="https://ctc.usma.edu/allied-lethal-islamic-state-khorasans-network-organizational-capacity-afghanistan-pakistan/">attentats</a> contre des groupes minoritaires, des espaces publics et des institutions publiques, ainsi que des cibles gouvernementales, dans plusieurs des principales villes d’Afghanistan et du Pakistan.</p>
<p>En 2018, l’EIK était déjà devenu l’une des <a href="https://www.visionofhumanity.org/wp-content/uploads/2020/11/GTI-2019-web.pdf">quatre organisations terroristes les plus meurtrières</a> au monde, selon l’indice mondial du terrorisme établi par l’Institute for Economics and Peace.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1431304845097676808"}"></div></p>
<p>Mais la coalition dirigée par les États-Unis et ses partenaires afghans ont infligé à l’EIK d’importantes <a href="https://ctc.usma.edu/broken-not-defeated-examination-state-led-operations-islamic-state-khorasan-afghanistan-pakistan-2015-2018/">pertes</a> (aussi bien en termes de territoires contrôlés qu’en termes humains, bon nombre de ses responsables et soldats de rang ayant été tués). Le recul de l’organisation a culminé avec la <a href="https://undocs.org/S/2020/53">reddition</a> de plus de 1 400 de ses combattants et de leurs familles au gouvernement afghan fin 2019 et début 2020. Si bien que certains ont pu considérer que l’EIK avait été <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2020/02/09/afghanistan-claims-islamic-state-was-obliterated-fighters-who-got-away-could-stage-resurgence/">vaincue</a>.</p>
<h2>Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les origines du groupe ?</h2>
<p>L’EIK a été <a href="https://www.ctc.usma.edu/situating-the-emergence-of-the-islamic-state-of-khorasan/">fondé</a> par d’anciens membres des talibans pakistanais, des talibans afghans et du Mouvement islamique d’Ouzbékistan. Au fil du temps, cependant, des militants de divers autres groupes ont rejoint ses rangs.</p>
<p>L’une des plus grandes forces de l’EIK est sa capacité à tirer parti de l’expertise locale de ces combattants et commandants. Le groupe a commencé par consolider son emprise territoriale dans les <a href="https://www.afghanistan-analysts.org/en/reports/war-and-peace/the-islamic-state-in-khorasan-how-it-began-and-where-it-stands-now-in-nangarhar/">districts méridionaux de la province de Nangarhar</a>, laquelle est située à la frontière nord-est de l’Afghanistan avec le Pakistan. C’est dans cette zone, plus précisément dans la région de Tora Bora, que se trouvait l’ancien bastion d’Al-Qaïda.</p>
<p>Son contrôle de certaines parties de la zone frontalière a permis à l’EIK de s’approvisionner et de recruter dans les zones tribales pakistanaises, ainsi que de s’appuyer sur l’expertise d’autres groupes locaux avec lesquels il a forgé des <a href="https://ctc.usma.edu/allied-lethal-islamic-state-khorasans-network-organizational-capacity-afghanistan-pakistan/">alliances opérationnelles</a>.</p>
<p>Des preuves substantielles montrent que le groupe a reçu de <a href="https://www.undocs.org/S/2016/629">l’argent</a>, des conseils et une <a href="https://www.hurstpublishers.com/book/islamic-state-khorasan/">formation</a> de la part de l’organe organisationnel central du groupe État islamique en Irak et en Syrie. Certains <a href="https://www.hurstpublishers.com/book/islamic-state-khorasan/">experts</a> ont estimé que cette aide s’élève à ce jour à plus de 100 millions de dollars américains.</p>
<h2>Quels sont ses objectifs et ses procédés ?</h2>
<p>La stratégie générale de l’EIK consiste à établir une tête de pont qui permettra à l’État islamique d’étendre son « califat » à l’Asie centrale et à l’Asie du Sud.</p>
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<figcaption><span class="caption">Vidéo du 3 mai 2017.</span></figcaption>
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<p>Il vise à s’imposer comme la principale organisation djihadiste de la région, notamment en s’appropriant l’héritage des groupes djihadistes qui l’ont précédé. Cet objectif apparaît de façon évidente dans le message du groupe, qui attire des combattants djihadistes chevronnés ainsi que des militants plus jeunes issus de <a href="https://www.usip.org/publications/2020/06/bourgeois-jihad-why-young-middle-class-afghans-join-islamic-state">zones urbaines</a>.</p>
<p>Comme son homonyme en Irak et en Syrie, l’EIK tire parti de l’expertise de son personnel et de ses <a href="https://ctc.usma.edu/allied-lethal-islamic-state-khorasans-network-organizational-capacity-afghanistan-pakistan/">alliances opérationnelles</a> avec d’autres groupes pour mener des attaques dévastatrices. Ces attaques visent des minorités comme les <a href="https://www.forbes.com/sites/ewelinaochab/2021/05/09/bombings-outside-a-school-in-afghanistan-kill-over-68-people-mostly-children/?sh=3472baea1f3a">Hazaras</a> et les <a href="https://www.theguardian.com/world/2020/mar/25/afghanistan-dozens-killed-in-attack-on-kabul-sikh-temple">Sikhs</a> d’Afghanistan, ainsi que des <a href="https://www.nytimes.com/2020/12/10/world/asia/afghanistan-journalist-malalai-maiwand.html">journalistes</a>, des <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/jan/24/explosion-attack-save-the-children-office-jalalabad-afghanistan">travailleurs humanitaires</a>, des membres des forces de sécurité et les infrastructures gouvernementales.</p>
<p>L’objectif de l’EIK est de créer toujours plus de chaos afin d’attirer les combattants désabusés appartenant pour l’instant à d’autres groupes et de démontrer l’incapacité du gouvernement en place à assurer la sécurité de la population.</p>
<h2>Quelle relation l’EIK entretient-il avec les talibans ?</h2>
<p>L’EIK considère les talibans afghans comme ses rivaux stratégiques. Il qualifie les talibans afghans de <a href="https://www.afghanistan-analysts.org/en/reports/war-and-peace/iskps-battle-for-minds-what-are-their-main-messages-and-who-do-they-attract/">« nationalistes crasseux »</a> dont l’ambition se limite à former un gouvernement confiné aux frontières de l’Afghanistan. Une ambition qui ne s’inscrit pas dans l’objectif de l’État islamique, qui est d’établir un califat mondial.</p>
<p>Depuis sa création, l’EIK a tenté de recruter des membres des talibans afghans tout en ciblant les positions des talibans dans tout le pays.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1431325560727384067"}"></div></p>
<p>Ces efforts ont rencontré un certain succès, mais les talibans ont tout de même réussi à endiguer l’expansion de l’EIK en menant des <a href="https://www.afghanistan-analysts.org/en/reports/war-and-peace/qari-hekmats-island-overrun-taleban-defeat-iskp-in-jawzjan/">opérations</a> contre ses combattants et contre les zones situées sous son contrôle.</p>
<p>Lors de ces affrontements avec l’EIK, les talibans ont souvent bénéficié de l’appui de la puissance aérienne et des offensives terrestres des <a href="https://www.washingtonpost.com/outlook/2020/10/22/taliban-isis-drones-afghanistan/">États-Unis et de l’Afghanistan</a>, bien que l’on ne sache pas à ce jour dans quelle mesure ces opérations ont été coordonnées.</p>
<p>Ce qui est clair, c’est que la majorité des <a href="https://ctc.usma.edu/broken-not-defeated-examination-state-led-operations-islamic-state-khorasan-afghanistan-pakistan-2015-2018/">pertes d’effectifs et de dirigeants</a> de l’EIK ont été le résultat des opérations menées par les États-Unis et par les troupes officielles afghanes, et spécialement des frappes aériennes américaines.</p>
<h2>Quelle est la menace que représente l’EIK en Afghanistan et pour la communauté internationale ?</h2>
<p>L’EIK ayant été relativement affaibli, ses objectifs immédiats consistent avant tout à reconstituer ses rangs et à afficher sa détermination en menant des attaques de grande envergure. Ce faisant, le groupe cherche à rester un acteur important dans le paysage afghan et pakistanais. Il souhaiterait sans doute s’en prendre aux États-Unis et à leurs partenaires à l’étranger, il n’y a <a href="https://www.nytimes.com/2019/08/02/world/middleeast/isis-afghanistan-us-military.html">pas de consensus au sein de l’armée américaine et de la communauté du renseignement</a> quant à sa capacité à frapper des territoires éloignés de l’Afghanistan.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/76e4XF0jUek?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Mais en Afghanistan même, l’EIK apparaît comme un danger majeur. Outre ses attaques contre les minorités et les institutions civiles afghanes, le groupe a massacré des <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/isis-islamic-state-afghanistan-wilayat-khorasan-red-cross-aid-workers-killed-shot-gunmen-massacre-a7568791.html">travailleurs humanitaires internationaux</a> et des <a href="https://thediplomat.com/2021/06/10-killed-in-attack-on-demining-camp-in-afghanistan/">démineurs</a>, et a même tenté, en janvier 2021, d’<a href="https://www.cnn.com/2021/01/13/middleeast/isis-assassination-attempt-us-intl/index.html">assassiner</a> le principal envoyé américain à Kaboul.</p>
<p>Il est encore trop tôt pour savoir à quel point le retrait des États-Unis d’Afghanistan profitera à l’EIK, mais l’attentat de l’aéroport de Kaboul illustre tragiquement la menace permanente que le groupe fait peser sur le pays.</p>
<p>À court terme, l’EIK continuera probablement à chercher à semer la panique et le chaos, à perturber le processus de retrait des troupes américaines et à démontrer que les talibans afghans sont incapables d’assurer la sécurité de la population.</p>
<p>Si le groupe parvient à reconstituer un certain niveau de contrôle territorial à long terme et à recruter davantage de combattants, il sera très probablement en mesure de retrouver le niveau qui était le sien il y a encore deux ou trois ans et à représenter une menace très réelle aux niveaux national, régional et international.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166938/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Amira Jadoon est professeure adjointe au Combating Terrorism Center et au département des sciences sociales de l'Académie militaire américaine de West Point, à New York. Les opinions exprimées dans cet article sont celles des auteurs et ne représentent pas le Combating Terrorism Center, l'Académie militaire américaine, le ministère de la Défense ou le gouvernement américain.
</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Andrew Mines ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Deux experts présentent l’État islamique au Khorassan, la branche afghane de Daech, active depuis plusieurs années, qui a revendiqué le sanglant attentat commis le 26 août devant l’aéroport de Kaboul.Amira Jadoon, Assistant Professor at the Combating Terrorism Center, United States Military Academy West PointAndrew Mines, Research Fellow at the Program on Extremism, George Washington UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1665802021-08-23T18:12:20Z2021-08-23T18:12:20ZL’échec du « nation building » en Afghanistan<p>Si les talibans ont pu l’emporter aussi aisément, c’est en grande partie parce que les efforts de la communauté internationale visant à créer quasiment de toutes pièces puis à consolider l’État afghan n’ont pas été couronnés de succès. Il y a des raisons objectives à cela. Retour sur vingt ans d’erreurs. Tentons de tirer quelques leçons pour l’avenir, en particulier pour le Sahel…</p>
<h2>Les néoconservateurs américains étaient farouchement hostiles au « nation building »</h2>
<p>Contrairement à ce qu’on lit couramment, les Américains, qui furent de très loin les <a href="https://www.bbc.com/news/world-47391821">plus importants pourvoyeurs d’aide en Afghanistan</a>, ne se sont jamais sérieusement intéressés au « nation building ». Les néoconservateurs y étaient même farouchement opposés, comme <a href="https://www.rand.org/blog/2021/07/donald-rumsfeld-anti-nation-builder.html">Donald Rumsfeld l’a exprimé à de multiples reprises</a>. Barack Obama n’y croyait guère non plus ; mais à sa prise de pouvoir en 2008, il était de toute façon déjà bien tard pour se lancer dans une telle entreprise, du fait des erreurs accumulées depuis 2002 par l’équipe Bush/Cheney/Rumsfeld, qui était focalisée sur l’Irak.</p>
<p>La première erreur fut bien sûr cette guerre d’Irak qui conduisit à une dispersion des efforts militaires et financiers américains. La deuxième erreur, liée à la première, fut le refus obstiné des Américains de construire une armée afghane à la hauteur des défis sécuritaires pendant les années cruciales de démarrage de l’insurrection, entre 2003 et 2008. Ils l’ont en effet alors délibérément limitée à 30 000 hommes car ni le Pentagone ni l’USAID ne voulaient prendre à leur charge les coûts de fonctionnement correspondants, et les calculs de leurs analystes leur laissaient penser que cet effectif correspondait à ce que le budget afghan pourrait à terme supporter.</p>
<p>Il a fallu les premières grandes offensives d’été des talibans qui ont failli occuper Kandahar en 2008, mais surtout <a href="http://www1.rfi.fr/actufr/articles/105/article_72426.asp">l’arrivée à la même époque du général David Petraeus</a> pour que Washington révise sa position. Constatant la dramatique dégradation de la sécurité, Petraeus, qui venait de rédiger le <a href="https://www.hsdl.org/?abstract&did=468442">manuel de contre-insurrection de l’armée américaine</a>, chiffra alors les besoins en police et armée de l’Afghanistan à 600 000 hommes.</p>
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<p>Ce chiffre de 600 000 hommes correspondait aux effectifs de l’armée algérienne au plus fort de la guerre civile, en 1997/1998 – sachant que les populations de l’Afghanistan et de l’Algérie étaient à peu près équivalentes. Le coût lié à la formation, l’équipement et l’entretien d’une telle armée afghane fit hurler quelques sénateurs américains et, après de difficiles négociations, l’objectif fut ramené à 350 000. Or en 2009, les effectifs atteignaient péniblement 60 000 hommes – dont à peu près la moitié étaient réellement disponibles compte tenu des absences, des désertions et des besoins de formation. Les Pachtounes, dont les familles étaient menacées par les talibans, n’osaient déjà plus s’engager. L’armée a ainsi été construite sur une base tadjike et non multiethnique, ce qui l’a <a href="http://www.ipsnews.net/2009/11/politics-tajik-grip-on-afghan-army-signals-new-ethnic-war/">considérablement fragilisée</a>.</p>
<p>Le temps que les budgets soient négociés et approuvés à Washington, puis les recrutements engagés, vers 2011, soit dix ans après le début de l’intervention américaine, les effectifs des forces de sécurité afghanes s’élevaient à environ 130 000 hommes, dont les meilleurs officiers avaient été formés par les Soviétiques. Il faut en effet noter qu’au cours de leur occupation et avant de se retirer en 1989, ces derniers avaient construit une armée afghane qui s’est révélée capable en 1990/1991 de tailler en pièces les moudjahidines soutenus par le Pakistan et financés par la CIA. Le régime de Najibullah installé par Moscou a ainsi survécu pendant les deux ans où les financements du Kremlin étaient encore disponibles. Il serait sans doute encore en place et l’Afghanistan peut-être en paix si Ronald Reagan avait eu l’intelligence, lorsque Mikhaïl Gorbachev a décidé de jeter l’éponge, de se substituer aux Russes pour financer ce régime laïque qui n’avait rien de communiste.</p>
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<p>Les Américains ont enfin laissé les Nations unies <a href="https://jamestown.org/program/disarming-afghanistans-warlords-programs-problems-possibilities/">désarmer les chefs de guerre</a> dès 2004, ce qui excluait l’option la plus simple en matière de construction étatique, à savoir une confédération des seigneurs de guerre soucieux de défendre leurs territoires respectifs. Un tel fonctionnement aurait au moins permis, sans grand effort occidental, la formation d’un État de type féodal, laissant au Pakistan le soin de régler l’avenir du pays… option peu glorieuse, mais peu coûteuse.</p>
<h2>Ne confondons pas « nation building » et « state building »</h2>
<p>La construction d’une nation afghane dont tout le monde semble aujourd’hui parler n’était donc pas à l’agenda américain. Mais en tout état de cause, construire une nation en Afghanistan, qui est un pays <a href="https://www.cairn.info/le-fait-ethnique-en-iran-et-en-afghanistan--9782222040958-page-201.htm">exceptionnellement fragmenté au plan ethnique</a>, où les différentes tribus se sont continuellement combattues et qui sortait de plus de vingt ans de guerre civile ne pouvait être qu’un processus politique qui ne pouvait être sous-traité à des partenaires extérieurs. Ni les États-Unis ni l’URSS ne pouvaient construire une nation afghane. Une telle opération ne pouvait être réalisée que par des dirigeants afghans prêts à dépasser les clivages ethniques et à construire des consensus. Il leur fallait quand même aussi, pour cela, disposer de la force armée pour « convaincre » les dissidents. Or leurs capacités militaires étaient non seulement réduites mais entre les mains des États-Unis.</p>
<p>La construction d’une nation aurait exigé un charisme particulier de la part du chef de l’État, qui aurait dû être porteur d’une vision permettant d’envisager, à terme, la fusion des innombrables fragments d’une société profondément divisée par des années de conflits. Un exemple historique de construction d’une nation dans un pays multiethnique est celui de <a href="https://repository.library.georgetown.edu/bitstream/handle/10822/551674/Kessler_Ilana_Thesis.pdf">Julius Nyerere en Tanzanie</a>, qui détruisit sans doute largement l’économie de son pays en le soumettant à un système de type soviétique, mais en fit une nation. Les qualités de Nyerere manquaient manifestement à Hamid Karzaï, qui fut largement un choix opportuniste américain.</p>
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<p>La communauté des donateurs pouvait, au mieux, s’engager dans un processus d’appui à la construction d’un État afghan viable : le « state building ». Mais dans un contexte où le leader américain du camp occidental avait l’œil rivé sur l’horizon irakien et cumulait les erreurs, il était impossible pour les autres donateurs de se lancer sérieusement dans une stratégie cohérente de ce type, pour au moins trois raisons :</p>
<p>(1) Une telle approche demandait de la part des donateurs une capacité de dialogue et de pressions politiques à haut niveau que seuls les Américains étaient capables de conduire ;</p>
<p>(2) Le chef de l’État se révélait, dans son mode de gouvernance, un chef tribal essentiellement soucieux d’acheter des loyautés et de jouer du népotisme ambiant ; il restait ainsi parfaitement rétif aux réformes qui s’imposaient pour construire un appareil d’État sur une base méritocratique ; cet achat de loyautés exigeait comme toujours en ce cas la mise en place de réseaux de corruption. Ces réseaux de corruption ont progressivement conduit à un véritable déchaînement de la corruption qui a décrédibilisé toute la classe politique.</p>
<p>Enfin (3) la pagaille entre les donateurs interdisait toute approche coordonnée de leur part sur un tel sujet qui ne figurait pas sur leur écran radar.</p>
<p>À la même époque, on constate d’ailleurs que, en Irak, les <a href="https://pfiffner.gmu.edu/files/pdfs/Articles/CPA%20Orders,%20Iraq%20PDF.pdf">erreurs de Washington</a> furent bien pires, car les Américains ont alors délibérément détruit un appareil d’État structuré. Paul Bremer, le proconsul américain de l’Irak en 2003/2004, a systématiquement démoli l’appareil d’État irakien, en licenciant sous prétexte de <a href="https://www.persee.fr/doc/rqdi_0828-9999_2014_num_27_1_1359">débaasification</a>, l’armée, la police et l’administration irakiennes, ceci à la grande colère de Colin Powell qui mesura immédiatement le désastre mais ne put s’y opposer. C’est cette destruction de l’appareil baasiste qui a conduit au chaos, à la guerre civile irakienne, à la prise de pouvoir des chiites entraînant l’alignement de l’Irak sur l’Iran et, à terme, à la création de Daech. Il est difficile d’imaginer une politique américaine en Irak susceptible de conduire à un pire fiasco !</p>
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<p>Les Américains ont en revanche tenté de construire en Afghanistan une démocratie largement inspirée de leur propre système – ce qui, dans ce pays extrêmement divisé, a ajouté des affrontements électoraux aux clivages ethniques traditionnels. Ce système a en particulier conduit à partir de 2014 – alors que les jeux étaient déjà faits et qu’une victoire sur les talibans était devenue impossible – à une <a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20140922-afghanistan-le-delicat-partage-pouvoir-ashraf-ghani-abdulla">paralysie</a> provoquée par la rivalité entre le Pachtoune Ashraf Ghani et le Tadjik Abdullah Abdullah, chacun titulaire d’environ la moitié des voix correspondant largement à la division ethnique du pays.</p>
<p>Ashraf Ghani – qui lors de mes premiers entretiens avec lui, alors qu’il était ministre des Finances puis recteur de l’université de Kaboul, avait précisément l’ambition et la lucidité nécessaires pour construire un État fonctionnel – parvint au pouvoir en 2014, trop tard pour pouvoir mettre en œuvre sa vision. Il fut absorbé par son conflit avec Abdullah Abdullah, la grave dégradation sécuritaire, les tensions avec les Américains, la crise financière de l’État, la perpétuelle recherche de financements, les conflits incessants entre tribus, les désaccords avec les bailleurs de fonds et, enfin, les élections. La construction de la démocratie à l’américaine a finalement accentué les divisions internes au lieu de les résorber comme espéré. Situation très classique dans un pays multiethnique.</p>
<h2>La construction d’un État afghan exigeait la construction d’un ensemble d’institutions « modernes »</h2>
<p>Les néoconservateurs américains ignoraient que la construction d’un État passait par la mise en place d’un ensemble d’institutions dégagées du népotisme ambiant : une armée multiethnique disposant d’une logistique qui fonctionne et d’une aviation autonome la moins sophistiquée possible pour pouvoir être entretenue par des mécaniciens rapidement formés, une police et une justice non corrompues, une administration centrale et locale reconstruites sur la base du mérite. C’était certes particulièrement difficile à instaurer dans un pays tribal, dans un contexte où le président Karzai refusait le principe méritocratique pour garder le contrôle de la nomination des responsables en fonction de sa stratégie d’alliances mouvantes.</p>
<p>La mise en place d’institutions « modernes » était néanmoins possible, comme l’ont prouvé la création entre 2002 et 2005 de quatre institutions fonctionnant correctement : le ministère des Finances ; la Banque centrale, le ministère de la Reconstruction et du Développement Rural (MRRD) et, enfin, les Renseignements militaires. Le MRRD fut même pendant une décennie une institution modèle conçue ex nihilo par une équipe afghane qui a géré avec une remarquable efficacité un programme national de petits travaux ruraux financés par la Banque mondiale et divers donateurs, le <a href="https://www.fukuoka.unhabitat.org/projects/afghanistan/detail13_en.html">« National Solidarity Program »</a> (NSP). Ce programme fut jusque vers 2014 et la réduction des financements extérieurs un modèle du genre, qui a permis de réaliser pour environ 2 milliards de dollars de petits travaux à haute intensité de main-d’œuvre avec un minimum de corruption et de détournements. Une prouesse dans ce pays !</p>
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<p>Techniquement et financièrement, rien n’empêchait en 2003/2004, avant la montée en puissance des talibans en 2007/2008, de construire ou reconstruire les institutions régaliennes constituant le cœur d’un appareil d’État moderne, en particulier les ministères de la Défense, de l’Intérieur, de la Justice, de l’Énergie. Mais ces ministères furent octroyés selon la stratégie d’alliances de Karzaï et gérés comme des butins octroyés à des brigands qui y mirent en place leurs réseaux de prédation.</p>
<p>La remise en ordre de cette douzaine d’institutions aurait été envisageable dans l’ambiance d’enthousiasme qui régnait en 2003/2004. Une telle remise en ordre doit en effet commencer par une comparaison entre compétences et profils des titulaires des postes, ce qui permet déjà de découvrir des situations surprenantes et d’effectuer un premier tri… En outre, nombre d’Afghans de la diaspora hautement qualifiés abandonnaient alors leur emploi aux États-Unis ou en Europe pour offrir leurs services à l’équipe en place à Kaboul.</p>
<p>Je travaillais à cette époque comme consultant pour la Banque mondiale et j’en ai alors auditionné une bonne centaine qui, financés par cette institution, furent placés dans ces principaux ministères dans des positions parfois de management. Au bout de quelques mois, la grande majorité revint me voir pour se plaindre du népotisme généralisé et des foyers de prédation qu’étaient malheureusement ces institutions non réformées. Tous pratiquement ont renoncé, découragés. Soit ils étaient de la mauvaise ethnie et ostracisés. Soit leur présence gênait les détournements et le pillage organisé.</p>
<p>L’Afghanistan n’ayant pas de pétrole et ne pouvant budgétairement soutenir seul même une guerre de basse intensité, il aurait aussi fallu que l’aide internationale et, en premier lieu, l’aide américaine accepte de financer à environ 80 % le fonctionnement de cette douzaine d’institutions clés une fois remises à niveau ainsi que toutes les dépenses budgétaires afférentes. Le coût n’aurait pas été négligeable. Mais tant d’argent fut plus tard déversé en vain sur ce pauvre pays que les montants correspondants auraient certainement pu être mobilisés.</p>
<p>De plus, outre les fortes réticences politiques locales, il fallait affronter le fonctionnement très particulier de l’aide internationale. Car les donateurs détestent financer les fonctions publiques et, pour certains d’entre eux, comme la Banque mondiale, cela leur est même interdit. Financer l’armée et la police aurait aussi posé des problèmes spécifiques. Mais enfin, avec un peu de volonté on trouve des solutions ! Finalement, toutes ces institutions qui constituaient le cœur d’un État moderne sont restées des foyers de blocage et de corruption.</p>
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<p>Ne se sont vraiment intéressés au problème du « state building » que les Britanniques, la Banque mondiale et quelques donateurs bilatéraux qui n’ont jamais eu de liberté de manœuvre sur ce sujet à cause du poids américain et de l’impossibilité d’un dialogue sérieux sur ce sujet avec le président Karzaï. C’est toutefois dans ce contexte qu’ont été quand même renforcées progressivement un certain nombre d’institutions étatiques bénéficiant de très importants financements externes. Ce fut le cas du ministère de l’Éducation nationale et du ministère de la Santé, deux domaines où des résultats significatifs ont été enregistrés en partant de situations qui étaient catastrophiques en 2002.</p>
<h2>L’aide internationale a contribué à l’affaiblissement de l’appareil d’État résiduel</h2>
<p>Bien involontairement, le mode de fonctionnement de l’aide internationale a le plus souvent provoqué un affaiblissement et non un renforcement des institutions étatiques afghanes, déjà bien faibles. Et cela, non pas parce que les équipes techniques des donateurs étaient incompétentes, mais à cause des contraintes qui leur sont imposées par leurs mandants politiques. Les instructions sont en effet de toujours faire au plus vite, d’obtenir rapidement les résultats les plus visibles possibles, et surtout de n’avoir dans ces pays, où la corruption est endémique, aucune perte en ligne dans les circuits financiers, aucun détournement de fonds, aucun cas de corruption.</p>
<p>De telles instructions ne permettent pas de procéder au lent travail peu visible de reconstruction institutionnelle qui est nécessaire à l’obtention de résultats durables. Le refus de toute corruption oblige à recourir au système des projets autonomes très contrôlés. Cela aboutit certes à des résultats rapidement visibles, mais ceux-ci ne sont pas pérennes car conduisant à un désastre institutionnel. Ainsi, des écoles seront construites et inaugurées en fanfare, mais les maîtres ne seront pas là car la programmation des constructions n’a pas été prise en compte par un ministère de l’Éducation dysfonctionnel. Et quand les maîtres arriveront sur le terrain, un tiers d’entre eux seront illettrés, car nommés sur intervention de notables locaux. Et enfin quand arriveront les fins de mois, la paye ne sera pas là…</p>
<p>Dans un tel contexte, l’aide internationale, qui dans ce type de pays craint toujours de voir ses fonds disparaître dans des structures opaques, évite l’administration locale et finance directement « ses » projets. En Afghanistan, on estime que 80 % des financements extérieurs échappaient à tout contrôle des responsables afghans et court-circuitaient délibérément le budget et les institutions afghanes. Cette façon de procéder, qui a exaspéré Ashraf Ghani lorsqu’il était ministre des Finances, limitait certes corruption et détournements de fonds, mais en contournant le problème au lieu de le traiter.</p>
<p>Le traiter aurait impliqué des changements dans les équipes dirigeantes d’une douzaine d’institutions clés et le démantèlement des réseaux de corruption alimentant autant de réseaux politico-ethniques. Pour Karzaï, une telle mesure était impensable. Seuls les Américains auraient pu soulever la question. Mais ils avaient d’autres préoccupations. Dans certains cas, comme celui, pourtant crucial, de l’énergie, où le ministre Ismaïl Khan était un grand chef de guerre de la région de Hérat, placé là car Karzai voulait reprendre le contrôle des douanes à Hérat… les donateurs ont préféré ne pas s’occuper de ce secteur et Kaboul est restée pour cette raison pendant près de dix ans dans le noir. Tous ces mécanismes ont été parfaitement analysés et documentés par Sarah Chayes dans un <a href="https://www.jstor.org/stable/26466781?seq=1#metadata_info_tab_contents">livre remarquable</a>.</p>
<h2>Entre syndrome hollandais et concurrence entre bailleurs, les salaires dérapent</h2>
<p>L’injection par la présence militaire et l’aide internationale de montants financiers considérables dans la petite économie afghane a provoqué ce que l’on appelle un <a href="http://www.blog-illusio.com/article-syndrome-hollandais-et-reponses-politiques-108078915.html">« syndrome hollandais »</a>, mécanisme bien connu des pays pétroliers.</p>
<p>Ce phénomène a entraîné une forte inflation et une appréciation de la monnaie qui a entravé l’activité manufacturière locale. La concurrence entre donateurs pour trouver du personnel afghan de qualité a également fait monter les salaires du personnel d’une certaine technicité, parlant anglais et maîtrisant un ordinateur. L’écart entre les salaires versés par les donateurs (dont les ONG) et la fonction publique afghane se situait dès 2004/2005 dans un rapport de 1 à 5, voire de 1 à 10. Cette situation a provoqué un exode de tout le personnel de l’administration ayant un minimum de compétences techniques ou managériales vers les projets financés par les donateurs. J’ai eu un temps comme chauffeur un directeur de l’administration à qui son salaire de fonctionnaire ne permettait plus de payer son loyer.</p>
<p>Au lieu d’être ainsi renforcées par l’aide internationale, les principales institutions étatiques ont été vidées de leurs rares compétences techniques pour être remplacées par des projets d’une durée limitée financés par les bailleurs. Une fois le projet exécuté, l’équipe projet était dispersée. Les programmes de formation, qui furent très nombreux, permettaient au personnel des administrations qui avait bénéficié de cette formation de fuir vers les projets. Cette mécanique infernale interdisait toute efficacité institutionnelle à la formation. En 2013, lors de ma dernière mission sur ces questions de renforcement de capacités, il y avait infiniment plus de personnel « professionnel » afghan dans des structures de projets que dans les institutions nationales. Dans ce contexte, rares furent les renforcements de capacité au niveau institutionnel.</p>
<p>Ces renforcements institutionnels tentés par des donateurs désespérés portaient en général sur l’injection de cadres qualifiés provenant souvent de la diaspora dans des fonctions spécifiques comme les directions administratives et financières ceci pour tenter de sortir de l’opacité généralisée. Les cadres recrutés à cet effet exigeaient compte tenu de leurs charges familiales à l’étranger le paiement de sursalaires qui représentaient évidemment un multiple des salaires de leurs collègues de la fonction publique. Or la durée limitée des projets correspondants laissait rapidement à la charge de l’État afghan des coûts salariaux qu’il ne pouvait supporter, alors que les différences salariales provoquaient des tensions ingérables au sein des institutions concernées. En général le personnel de la diaspora restait peu de temps, découragé par l’ambiance de corruption, l’absence de systèmes d’informations fiables, les dénonciations calomnieuses, etc.</p>
<p>Ces sursalaires exigeaient pour être octroyés une revue des compétences des cadres et du personnel destiné à en profiter, en particulier des cadres provenant de ces administrations dont les compétences étaient très variables. Le président Karzaï, irrité par les réclamations des cadres non sélectionnés, a décidé un jour de généraliser ces sursalaires à l’ensemble de la fonction publique, ce qui était budgétairement délirant et, en outre, détruisait l’approche des donateurs fondée sur le principe du mérite. Ce problème salarial a dangereusement accru la dépendance du pays vis-à-vis de l’aide internationale et contribué à créer infiniment plus de pagaille que de capacités institutionnelles.</p>
<p>Finalement, les donateurs ont fini par intégrer dans des projets spécifiques de nombreux « morceaux d’institutions », y compris certains ministres et leur cabinet politique. Cette formule permettait surtout au personnel ainsi intégré dans des projets de bénéficier des sursalaires correspondants… Ce système, qui était au total d’une extrême fragilité, ne pouvait fonctionner que tant que l’aide internationale pouvait financer. Dès la réduction de cette aide, très sensible à partir de 2013/2014, cette mécanique s’est grippée.</p>
<p>Le caractère dysfonctionnel de l’ensemble de cet appareil d’État afghan et non seulement de l’armée a ainsi beaucoup joué dans l’effondrement final de ce régime. Le « système Karzaï », qui impliquait ainsi des « achats » de loyauté, reposait in fine sur une corruption qui a pris une dimension exceptionnelle, favorisée par le <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2021/04/25/comment-les-etats-unis-ont-consolide-un-narco-etat-en-afghanistan/">trafic de l’opium</a>.</p>
<p>Cette corruption, qui a affecté tout le fonctionnement de l’appareil d’État, a joué un rôle non négligeable dans la désaffection générale de la population vis-à-vis du régime. Elle a considérablement fragilisé l’État afghan tel qu’il s’est construit plutôt mal que bien depuis 2002, crédibilisant la propagande des talibans et facilitant leur enracinement dans la population rurale. Il est à cet égard remarquable de noter le parallèle avec la fin du régime sud-vietnamien, lui aussi décrédibilisé et rongé par la corruption.</p>
<h2>Quelles leçons pour les bailleurs internationaux ?</h2>
<p>Ayant assisté comme le monde entier à l’effondrement du château de cartes que constituait l’appareil d’État afghan, je suis bien sûr effondré, mais non surpris.</p>
<p>L’une des leçons qu’il est possible de tirer de ces multiples expériences est tout d’abord qu’il faut, comme le fit le MRRD dont j’ai suivi attentivement la mise en place, engager les processus de restructuration institutionnelle en s’attaquant à la totalité d’une institution et en commençant par sa direction. Cette démarche implique la sélection de dirigeants ayant à la fois un certain charisme et des capacités managériales. On pouvait parfaitement en trouver une douzaine en Afghanistan en 2002.</p>
<p>Une telle restructuration doit être conduite indépendamment par chaque équipe de direction à son rythme. Elle implique que l’on trouve des solutions pour le personnel « irrécupérable » : mises à la retraite, packages de départ, voire postes d’ambassadeurs pour dirigeants qu’il faut écarter… Elle suppose évidemment que l’on sorte radicalement du système dans lequel on affectait chaque ministère ou chaque institution publique comme la société d’énergie ou la police à un chef de guerre ou à un allié politique qui allait conduire une politique de recrutement sur base ethnique et mettre en place un réseau de corruption pour son profit ou celui de sa tribu d’origine.</p>
<p>Cela dit, malgré ses multiples défauts, ce système dénoncé par Ashraf Ghani lui-même lorsqu’il était professeur dans <a href="https://www.foreignaffairs.com/reviews/capsule-review/2008-09-01/fixing-failed-states-framework-rebuilding-fractured-world">un ouvrage bien connu des spécialistes</a> pouvait se corriger progressivement. En tout cas, cette fin chaotique pouvait certainement être évitée. Mais le <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-51689443">« deal »</a> de Donald Trump, négocié directement avec les talibans, était absolument inepte. Comment négocier son départ en commençant par fixer sa date de départ ? ? C’est entamer une négociation en mettant toutes ses cartes sur la table. On peut tout au plus négocier sa reddition, c’est-à-dire rien du tout.</p>
<p>La méthode de Joe Biden, consistant à décider d’abandonner un jour un peuple parce qu’on a changé de politique, est également inacceptable. D’autres sorties moins lamentables étaient possibles pour les Américains. Même les Soviétiques, qui ont quitté l’Afghanistan en bon ordre, en furent capables.</p>
<p>Au total, la responsabilité des néoconservateurs et, en particulier, du trio Bush/Cheney/Rumsfeld dans ce désastre est immense. Ils ont cru que le problème afghan était simplement militaire et pouvait se régler rapidement. C’était une double erreur rendue plus inadmissible par leur refus d’écouter les multiples experts américains, parfois d’origine afghane, qui connaissaient parfaitement le pays et sa complexité.</p>
<p>Si la responsabilité de Trump dans cette déroute complète est considérable, celle de Biden l’est aussi. Mais celle de la communauté des donateurs, à laquelle j’ai consacré l’essentiel de ma vie professionnelle, n’est pas non plus négligeable.</p>
<p>Il devrait être établi une bonne fois pour toutes qu’on ne peut manifestement pas remettre sur pied un pays en crise grave avec des dizaines de bailleurs de fonds refusant toute coordination significative, initiant des centaines de projets éphémères, sans compter 2000 ONG et leur milliers de petits projets ! Les donateurs doivent impérativement accepter, dans ces pays en crise ou en conflit, au minimum deux révisions <em>radicales</em> de leurs méthodes d’intervention :</p>
<p><em>En premier</em>, reconnaître comme une priorité l’appui à la construction d’un appareil d’État moderne en portant leurs efforts tout particulièrement sur les questions régaliennes, y compris la réforme de la justice et des services de sécurité. Ils ont encore pour principe de ne pas s’intéresser à ces secteurs dits de « souveraineté ». C’est une grave erreur encore répétée au Mali actuellement.</p>
<p><em>En second</em>, l’exemple afghan, mais il s’est malheureusement répété au Mali, montre que la coordination des donateurs, qui devrait être centralisée à un niveau très élevé (premier ministre de préférence), n’est pas ou est mal assurée par le gouvernement bénéficiaire. Des dizaines de bailleurs traitent dans le plus grand désordre avec une bonne douzaine d’institutions locales. Il est ainsi caractéristique que le FMI traite avec le ministère des Finances, la Banque mondiale avec le ministère du Plan et nombre de bailleurs avec les ministères où ils ont trouvé des correspondants… La coordination, qui est alors déléguée aux donateurs, repose sur des consultations entre ces derniers. Mais cela ne fonctionne pas et ne permet pas de mettre de l’ordre dans la pagaille des projets tous azimuts qui fréquemment oublient l’essentiel.</p>
<p>En Afghanistan, le montant des ressources affectées de 2002 à 2007 au développement rural ne dépassait par 4 % du montant total de l’aide affectée au pays. Il est par ailleurs notable de remarquer que la <a href="https://www.oecd.org/fr/cad/conference-developpement-mali-2015.htm">table ronde de 2015 consacrée au Mali</a> affectait également moins de 4 % à ce secteur alors que dans chacun de ces deux pays l’activité rurale est fondamentale. La mauvaise coordination entre donateurs justifierait la mise en commun de l’essentiel de leurs ressources dans un ou plusieurs fonds fiduciaires qui devraient être gérés de manière rationnelle, comme des budgets d’investissement cohérents. C’est, à mon expérience, la seule façon efficace permettant de coordonner leur action dans ce type de situation.</p>
<p>Pauvre Afghanistan coincé entre les talibans et la « communauté internationale » !</p>
<p>Espérons, sans trop y croire, que ces erreurs ne se reproduisent plus au Sahel…</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166580/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Serge Michailof est membre de l'IRIS et de la fondation Ferdi. C'est un ancien cadre dirigeant de la Banque mondiale et de l'Agence Française de développement.. </span></em></p>La communauté internationale a échoué en Afghanistan. Analyse des causes de cet échec, qui repose largement sur les recettes inefficaces des bailleurs de fonds.Serge Michailof, Senior Fellow à la fondation FERDI, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1664312021-08-19T18:19:30Z2021-08-19T18:19:30ZAfghanistan : des décennies de guerre et d’erreurs de calcul<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/417041/original/file-20210819-25-1ayfcyi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C0%2C2983%2C2000&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un jeune garçon contemple Kaboul depuis un char détruit, 2012.</span> <span class="attribution"><span class="source">Karl Allen Lugmayer/shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Alors que le monde entier a les yeux braqués sur l’Afghanistan et s’interroge sur les raisons de la rapide victoire des talibans (cette graphie est la plus fréquente en français même si <a href="https://www.persee.fr/doc/cemot_0764-9878_1995_num_19_1_1257">« taleban »</a> serait plus juste), un retour sur l’histoire récente et plus ancienne du pays s’impose. Notamment après le départ américain. </p>
<p>On ne saurait, en effet, bien comprendre les récents développements sans avoir une vue d’ensemble de l’évolution qu’a connue ce territoire au cours des dernières décennies. Une évolution qui l’a vu successivement se rapprocher de l’URSS, être envahi par celle-ci, sombrer dans la guerre civile, être dominé une première fois par les talibans, puis subir, vingt ans durant, l’intervention américaine qui vient de s’achever…</p>
<h2>L’entrée dans le monde moderne</h2>
<p>L’Afghanistan, pays enclavé, a bénéficié au XIX<sup>e</sup> siècle des subsides britanniques. Puis sont venues les attentions soviétiques et, ensuite, américaines. Durant la guerre froide, les massives aides étrangères ont abouti à l’apparition à Kaboul d’une caste de privilégiés coupés des réalités des provinces.</p>
<p>Dans les années 1960, Soviétiques et Américains ont rivalisé de financements pour attirer l’Afghanistan dans leur zone d’influence. À ce jeu, les Soviétiques ont gagné. Des milliers de bourses d’études en URSS ont été offertes aux jeunes Afghans. Ingénieurs et officiers prirent goût à la vodka et aux blondes russes, ce qui était pour eux le comble de la modernité. Beaucoup se sont mariés sur place, et sont restés après 1980. Surtout, les Soviétiques ont fourni en armes l’armée afghane et ont gagné les officiers à leur cause. Ce sont ces officiers convaincus qui ont organisé le <a href="https://www.herodote.net/27_avril_1978_27_decembre_1979-evenement-19780427.php#:%7E:text=27%20d%C3%A9cembre%201979-,Coup%20d%E2%80%99%C3%89tat%20%C3%A0%20Kaboul%20et%20invasion%20sovi%C3%A9tique,monarchie%20cinq%20ans%20plus%20t%C3%B4t.">coup d’État de 1978</a>.</p>
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<p>Répressions contre les religieux et propriétaires terriens s’ensuivirent, conduisant à des révoltes populaires, vite contrôlées par des partis hostiles aux communistes dont les responsables s’étaient installés au Pakistan voisin.</p>
<p>Dans l’idée d’affaiblir l’URSS, les Américains ont fourni une assistance considérable à ces partis. Leurs commandants locaux, qui se déplaçaient à moto, ont vite pris l’habitude des 4x4 japonais offerts par Washington. Toute l’aide américaine transitait par les généraux pakistanais et leurs services secrets. Malgré les mises en garde des Occidentaux connaisseurs du terrain, ce sont les partis extrémistes et les plus anti-américains (à commencer par le <a href="https://www.dni.gov/nctc/groups/hezb_e_islami.html">Hezb·e islami</a>, « parti de Dieu ») qui ont été les mieux financés. Après le départ des Soviétiques en 1989, dépités de s’être fait surprendre par <a href="https://www.liberation.fr/portrait/1995/03/30/la-croisade-du-lion-du-pandjshir_125521/">Ahmed Chah Massoud</a> pour la conquête de Kaboul en 1992, ils ont longuement bombardé la capitale et lui ont fait subir un blocus rigoureux.</p>
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<p>En 2001, après les attentats du 11 septembre, organisés par Oussama Ben Laden depuis l’Afghanistan, où il avait été <a href="https://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/binladen/etc/cron.html">accueilli en 1979</a> en échange d’importants subsides, les États-Unis ne pouvaient pas ne pas réagir. La décision fut, dans un premier temps, de ne pas envoyer d’hommes sur le terrain. Ils se sont donc appuyés sur les commandants de la supposée <a href="http://news.bbc.co.uk/2/hi/south_asia/1652187.stm">« Alliance du Nord »</a>, aux intérêts déjà divergents. Des valises de dollars ont été distribuées pour inciter les chefs de guerre au combat.</p>
<h2>Une reconstruction difficile sous l’égide américaine</h2>
<p>Les talibans une fois tués ou repliés dans leurs bases du Pakistan, les États-Unis – et la communauté internationale, sous l’égide des Nations unies – se sont mis en tête de reconstruire l’État afghan, faisant du <a href="https://library.oapen.org/bitstream/id/ef44bf21-5894-4d85-ac09-f5a9e9695155/650045.pdf">« Nation building »</a> tout en s’en défendant.</p>
<p>Une Constitution à l’américaine, avec un président (et non pas à l’européenne avec un président et un premier ministre) fut <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/af2004.htm">adoptée en 2004</a>, et violée en 2014 par les Américains eux-mêmes, avec la création, non prévue et imposée par eux, d’un poste de <a href="https://www.dw.com/en/understanding-afghanistans-chief-executive-officer/a-17965187">« chef de l’exécutif »</a>, pour contenter le candidat malheureux aux élections tenues cette année-là, Abdollah Abdollah ; ce chef tadjik, se présentant comme héritier du commandant Massoud, contrebalançait ainsi le président pachtoune Ashraf Ghani. Dans un pays ultra-conservateur, les Occidentaux ont voulu imposer leur propre vision du monde ; des ONG féministes scandinaves proposaient la parité hommes/femmes à tous les niveaux de conseils et de représentation, jusqu’aux villageois.</p>
<p>Les députés n’avaient aucun pouvoir… sauf celui d’accumuler de l’argent le plus vite possible. Une disposition de la Constitution demandait leur accord à la nomination des ministres. Ceux-ci devaient acheter le vote des députés, puis se dépêcher, par une intense corruption, de rentrer dans leurs frais. Des ministères importants restaient des mois sans titulaire, faute de compromis. Aucun des services de l’État ne fonctionnait. Les États-Unis payaient les <a href="https://www.washingtonpost.com/graphics/2019/investigations/afghanistan-papers/afghanistan-war-corruption-government/">fonctionnaires et les corrompus</a>. De fausses embuscades étaient lancées sur les routes pour que soient payées des sociétés de sécurité possédées par des ministres ou chefs de guerre. Quelque 80 % du budget de l’État afghan venait de l’étranger.</p>
<p>Dans ce cadre de désillusion et de corruption généralisée, les talibans ont vite repris des forces dans les campagnes, instaurant une administration qui, quoique dure, était vue comme préférable au chaos.</p>
<h2>Que veulent les talibans ?</h2>
<p>Une fois le retrait américain annoncé, l’avancée des talibans a été <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/afghanistan/afghanistan-ce-que-l-on-sait-de-l-avancee-fulgurante-des-talibans-0115c2bc-fa9b-11eb-ae6b-59023aa7ebeb">fulgurante</a>. Souvent, la paie des soldats du gouvernement de Kaboul était saisie par leurs officiers, l’équipement était déplorable, les soutiens logistiques inexistants. L’armée paraissait nombreuse, mais beaucoup de régiments n’existaient que sur le papier : les États-Unis payaient des troupes inexistantes.</p>
<p>Des notables du régime afghan ont <a href="https://www.thebureauinvestigates.com/stories/2019-11-04/the-afghan-officials-families-with-luxury-pads-in-dubai">acquis des résidences</a> sur la nouvelle île artificielle créée à Dubaï, à partir d’un million de dollars, réglés cash, en liquide. Tout cela aux frais des contribuables américains. Pourquoi les soldats afghans, mal payés et abandonnés, se seraient-ils fait tuer pour permettre à leurs supérieurs de continuer à mener grande vie ?</p>
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<p>En 1996, les talibans d’alors avaient également vite conquis les provinces, sans rencontrer de résistance. La population s’était alors largement ralliée à eux, pour retrouver l’ordre et la sécurité. Ce qui a le plus surpris cette année, c’est leur progression très rapide, dès juin 2021, dans les provinces du nord du pays, peuplées surtout d’Ouzbeks. Les Ouzbeks, a priori opposés aux Pachtounes talibans d’aujourd’hui, ont également pensé retrouver la sécurité en s’alliant aux plus forts.</p>
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<p>On s’étonne également du nombre des combattants talibans, qui se sont révélés capables de prendre simultanément les postes de douanes, synonymes de rentrées financières, et les principales capitales provinciales. Leurs armements semblent inépuisables ; ils sont de modèle soviétique, et non américain. Certes, il y a eu des prises de guerre dans les postes gouvernementaux abandonnés, mais aussi, forcément, des apports extérieurs : du Pakistan, de l’Iran ?</p>
<p>À présent, avec la fin probable des financements américains, toute une partie de la société de Kaboul, qui en profitait directement ou indirectement, se retrouvera sans emploi. Les femmes, qui avaient gagné des libertés dans cette atmosphère occidentale, se retrouveront contraintes, comme il y a cent ans. Beaucoup de femmes de Kaboul regrettent le temps du roi Zaher Châh (1963-1973) quand les citadines s’émancipaient, puis la brève période communiste (1978-1979), quand la libération des femmes était prônée et que les miliciennes se promenaient cheveux au vent à fouiller les paysannes voilées. Mais, finalement, « les femmes à la maison », ce n’est pas pour tant déplaire aux bons phallocrates villageois.</p>
<p>Les talibans se disent nationalistes ; ils veulent reprendre le pouvoir dans leur propre pays, le diriger à leur guise. En cela, ils se différencient des extrémistes de Daech, qui se veulent internationalistes. Pour les talibans, il s’agit de diriger la nation afghane ; pour Daech, c’est d’exporter partout un régime qu’ils appellent « islamiste ». Les deux mouvements sont incompatibles ; d’ailleurs, <a href="https://www.france24.com/en/20200310-taliban-fought-is-with-limited-us-military-support-us-general-reveals">ils se sont affrontés</a> pour la conquête de territoires, et les talibans ont gardé la supériorité. Les talibans sont là pour longtemps. Aucune opposition n’est prête à les affronter, aucun pays étranger non plus. Il reste à espérer que leurs modes d’action s’adouciront avec le temps et l’exercice du pouvoir…</p>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166431/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bernard Dupaigne ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur les quarante dernières années de l’histoire douloureuse d’un pays que ni les Soviétiques ni les Américains n'ont réussi à réellement contrôler.Bernard Dupaigne, directeur émérite au Musée de l'Homme, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1663582021-08-18T18:47:40Z2021-08-18T18:47:40ZLeçons afghanes pour la France et pour le monde<p>Le président Emmanuel Macron a souhaité réagir aux événements de Kaboul par une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/08/17/accueil-de-refugies-afghans-le-discours-d-emmanuel-macron-indigne-la-gauche-la-france-n-a-pas-du-tout-a-rougir-selon-l-elysee_6091671_823448.html">brève allocution télévisée</a> le 16 août à 20h, comme il l’avait déjà fait sur quelques sujets internationaux (par exemple après <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/envahissement-du-capitole-emmanuel-macron-appelle-a-ne-rien-ceder-face-a-la-violence-de-quelques-uns-contre-les-democraties_4247731.html">l’attaque du Capitole</a> à Washington par les partisans de Donald Trump le 6 janvier 2021).</p>
<p>Après <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/08/06/declaration-du-president-emmanuel-macron-a-son-arrivee-au-liban-deux-jours-apres-lexplosion-au-port-de-beyrouth">l’explosion de Beyrouth l’année dernière</a> (4 août 2020), c’est la deuxième intervention estivale forte pour le locataire de l’Élysée. L’accent a été mis sur les préoccupations les plus immédiates, et sur les mesures à prendre rapidement : <a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20210817-afghanistan-le-rapatriement-des-ressortissants-fran%C3%A7ais-et-%C3%A9trangers-de-kaboul-a-d%C3%A9marr%C3%A9">au matin du 17 août 2021</a>, un Airbus A400M français et des forces spéciales arrivaient à Kaboul pour assurer des évacuations.</p>
<p>Mais au-delà de l’urgence, comme l’a laissé entendre – pour l’instant à demi-mot – l’allocution présidentielle, une réflexion plus profonde s’impose. D’abord, sur les leçons atlantiques à tirer de la défaite afghane. Ensuite, dans une perspective stratégique plus globale encore, sur notre rapport à la guerre, à l’intervention militaire, à notre action extérieure.</p>
<h2>Impératifs pour la France</h2>
<p>La priorité immédiate va bien entendu à la protection des ressortissants français, étendue par Emmanuel Macron à celle des Afghans qui ont travaillé pour la France. Les scènes de chaos retransmises ces dernières heures mettent la logistique à rude épreuve, font craindre pour la sécurité de tous, et placent l’ambassade de France (transférée à l’aéroport) dans l’état de tension que l’on imagine.</p>
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<p>Autre impératif : ne pas laisser l’Afghanistan redevenir (comme avant septembre 2001) un sanctuaire à partir duquel des opérations terroristes pourraient se préparer, ou des groupes violents, s’entraîner. Sur ce point, naturellement, rien ne permet d’obtenir la moindre garantie. Les talibans n’ont pas nécessairement intérêt à prendre de front la puissance américaine, qui depuis vingt ans n’a pas faibli, et s’est même étoffée de techniques de frappe à distance plus sophistiquées, notamment du fait de l’usage de drones. Ils chercheront pour l’heure à <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afghanistan/burqa-non-obligatoire-amnistie-generale-les-talibans-tentent-de-rassurer-apres-leur-prise-du-pouvoir-en-afghanistan_4740435.html">rassurer</a>, évidemment à durer, et peut-être à développer une expérience de pouvoir religieux moins autarcique qu’il y a deux décennies. Mais avec le temps, et compte tenu des divergences possibles entre différents clans, tout peut arriver, sans que la France, seule, y puisse grand-chose.</p>
<p>Enfin, l’anticipation d’une <a href="https://www.20minutes.fr/monde/3104351-20210817-afghanistan-europe-va-vraiment-voir-arriver-flux-migratoires-importants">possible poussée migratoire</a> a été mentionnée. Les scènes de panique montrent qu’un exil afghan ira bien au-delà des fuites des cerveaux. Des flux sont attendus, avec les multiples <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Quand-migrants-servent-darme-diplomatique-2021-08-18-1201171206">manipulations interétatiques</a> qui accompagnent généralement ces phénomènes. Après l’épisode syrien de 2015, et les <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/allemagne-ultimatum-pour-angela-merkel-sur-les-migrants-1293359">difficultés</a> rencontrées par Angela Merkel dans son approche à la fois humaniste et rationnelle de cette crise migratoire, nous savons que, en la matière, la marge de manœuvre des dirigeants occidentaux est étroite.</p>
<h2>Réflexions atlantiques</h2>
<p>Le dossier afghan pose une fois de plus la question de la vocation de l’Alliance atlantique.</p>
<p>Quelques minutes après l’allocution d’Emmanuel Macron, Joe Biden <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/video-afghanistan-le-president-joe-biden-assume-le-retrait-des-troupes-americaines-malgre-l-arrivee-au-pouvoir-des-talibans_4739609.html">s’est exprimé</a>. Un discours dur, attribuant la responsabilité de la situation à un gouvernement et à une armée d’Afghanistan incapables de faire face aux talibans malgré deux décennies de copieuses aides américaines. Un discours déterminé à sortir l’Amérique de guerres jugées désormais inutiles. Un discours à la fois franc et cynique, renonçant à faire le bonheur des autres malgré eux, ou contre le cours des événements. Un discours explicable du point de vue de <a href="https://www.thechicagocouncil.org/commentary-and-analysis/blogs/us-public-supports-withdrawal-afghanistan">l’opinion américaine</a>, et logique au regard du recentrage diplomatico-militaire de Washington sur l’Asie-Pacifique et sur sa compétition avec Pékin. Mais un discours inquiétant aux yeux des opinions alliées, submergées d’images, de nouvelles ou de rumeurs dramatiques venues d’Afghanistan.</p>
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<p>Au vu de leur départ précipité d’Afghanistan et de l’abandon de leurs anciens alliés locaux qui leur est reproché, les États-Unis peuvent-ils encore prétendre que les garanties de sécurité qu’ils fournissent sont solides et que leur parole est fiable ?</p>
<p>Cette question s’était déjà posée avec acuité sous Obama, lorsque celui-ci <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2013/09/01/01003-20130901ARTFIG00018-le-volte-face-de-barack-obama-sur-la-syrie.php">refusa de s’engager en Syrie</a> comme le souhaitait la France, puis regretta publiquement d’avoir suivi Paris en Libye. Sous Donald Trump, <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/labandon-des-kurdes-par-trump-pire-quun-crime-une-faute-1139725">l’abandon des forces kurdes</a> qui avaient aidé à combattre l’État islamique, et le feu vert donné par Washington à la Turquie pour les pourchasser, avaient également posé la question de la confiance à investir dans la parole d’une Amérique qui se réserve le droit de changer de priorités.</p>
<p>Or Biden a été clair : plus question de se disperser en Afghanistan à l’heure où la Chine menace. Quid, alors, de l’Ukraine, du Sahel ou du Proche-Orient ? En Asie, Pékin surfe sur cette aubaine, et <a href="https://www.letemps.ch/monde/chine-utilise-chaos-afghanistan-avertir-taiwan">avertit Taipei</a> : que ferez-vous le jour où l’Amérique vous lâchera, vous aussi ? Argument fallacieux dans la mesure où il n’existait pas de traité d’alliance entre les États-Unis et la population afghane, ni d’ailleurs, à l’époque, syrienne. Il existe en revanche des traités ou des garanties actées ailleurs, que Washington aura à cœur d’honorer, pour sa crédibilité stratégique. Mais psychologiquement, l’argument a de quoi ébranler.</p>
<p>Ailleurs au sein de l’OTAN, on scrutera les nuances exprimées entre alliés, et surtout la posture turque. Au-delà, il sera intéressant de suivre l’attitude saoudienne ou émiratie, sans parler bien sûr du Pakistan. Et que fera l’Inde ? La chute de Kaboul peut générer une redistribution des loyautés dans les jeux d’alliances que l’Amérique tente de mettre en œuvre contre son nouveau <em>peer competitor</em>.</p>
<h2>Réflexions stratégiques</h2>
<p>Mais la dureté du discours du 46<sup>e</sup> président des États-Unis pose une autre question encore : celle de l’engagement extérieur des démocraties pour la stabilité d’une région ou la reconstruction d’un État.</p>
<p>Le fiasco afghan (retour au pouvoir quasi immédiat de ceux-là mêmes que l’on a voulu chasser vingt ans et quelques trillions de dollars plus tôt) signe la fin d’une époque : celle, ouverte par la fin de la guerre froide puis poussée à l’absurde par l’administration néoconservatrice de George W. Bush dans les années 2000, où l’Occident espérait remodeler des sociétés, refaire les cartes du monde, superviser l’instauration des bons régimes politiques chez les autres.</p>
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<p>Les multiples partenariats – aux tonalités souvent paternalistes, et soumis à des conditions vexantes – avec la nouvelle Russie ont favorisé un sentiment d’humiliation <a href="https://theconversation.com/the-wild-decade-how-the-1990s-laid-the-foundations-for-vladimir-putins-russia-141098">exploité ensuite par Vladimir Poutine</a>. Après des années d’engagement de la Chine dans le circuit commercial international, Xi Jinping renforce le dogme marxiste-léniniste et exploite l’ouverture commerciale <a href="https://www.wsj.com/articles/xi-jinping-globalist-autocrat-misread-11608735769">tout en refermant le jeu politique</a>. Les contrôles sourcilleux et parfois arrogants de l’Union européenne pour vérifier que la Turquie avançait correctement sur la voie tracée pour elle afin d’être digne de voir sa candidature examinée avec bienveillance (ce qu’elle ne fut jamais réellement), ont préparé le terrain à la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/ou-va-le-monde-pierre-beylau/erdogan-l-anti-europeen-27-11-2015-1985173_231.php">rhétorique de rupture de Recep Tayyip Erdoğan</a>. Passons sur le bilan du « regime change » : Irak, Libye, soutien aux printemps arabes… autant d’échecs patents. Il ne s’agit pas de faire le procès de processus politiques parfois bien intentionnés, parfois intéressés, parfois naïfs, parfois plus sérieusement pensés. Mais de constater leur échec.</p>
<p>L’espoir de l’émergence d’une nouvelle donne politique après une intervention extérieure coûteuse et nécessitant un maintien durable sur le terrain s’est évanoui. Le <em>fire power</em> (puissance de feu) reste de mise, le <em>staying power</em> (capacité à rester sur place) est hors de portée. Tout comme, en son temps, le retrait impérial britannique a rapidement condamné la présence coloniale française, l’aggiornamento américain pourrait condamner la logique d’expédition longue. La France ne peut esquiver cette donne dans sa politique sahélienne. Mais d’autres feraient bien d’y réfléchir aussi, comme la Russie en Syrie. Comme il y eut une <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/clinton-doctrine">doctrine Clinton</a> après la Somalie (définition très restrictive des conditions d’intervention américaine à l’étranger), une doctrine Biden pourrait faire date après l’Afghanistan.</p>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166358/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Charillon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le fiasco afghan des États-Unis semble signer la fin de l’époque des interventions extérieures coûteuses sur des théâtres lointains.Frédéric Charillon, professeur de science politique, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1662092021-08-16T17:46:06Z2021-08-16T17:46:06ZAfghanistan : le contrôle du marché de la drogue, l’autre victoire des talibans<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/416314/original/file-20210816-21-19h3eks.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C1183%2C799&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La production d’opium génèrerait actuellement environ 2&nbsp;milliards de dollars de chiffre d’affaires par an.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/un_photo/7216920538">United Nations Photo / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La longue guerre en Afghanistan a atteint un tournant le dimanche 15 août lorsque les talibans ont investi le palais présidentiel à Kaboul après la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/15/afghanistan-les-talibans-encerclent-kaboul-au-terme-d-une-progression-eclair_6091487_3210.html">fuite du président Ashraf Ghani</a> qui a reconnu leur victoire. Cette prise de pouvoir intervient à l’issue d’une offensive au cours de laquelle une douzaine de villes majeures du pays sont tombées aux mains des combattants islamistes en quelques jours.</p>
<p>Parmi celles-ci figure notamment Zaranj, une ville frontalière poussiéreuse de quelque 50 000 habitants située à la frontière afghano-iranienne, dans le sud-ouest du pays. Bien que géographiquement et politiquement marginal, <a href="https://www.voanews.com/south-central-asia/zaranj-becomes-first-afghan-provincial-capital-fall-taliban">Zaranj fut le premier centre provincial à tomber</a>.</p>
<p>Au cours des semaines précédentes, les avancées des talibans concernaient d’abord des zones rurales, avec la prise de contrôle de plus de la moitié des 421 districts du pays. Mais enhardis par ces succès et par le moral en berne des forces armées afghanes, les combattants se sont tournés vers les grands centres de population. Après leur percée à Zaranj, ils ont ainsi repris la ville voisine de Farah et sept autres capitales provinciales du nord.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1427065911853395973"}"></div></p>
<p>Cette offensive a été favorisée par le <a href="https://www.lowyinstitute.org/the-interpreter/pakistan-fuelling-taliban-takeover">soutien du Pakistan</a> aux talibans, ainsi que par la <a href="https://www.nytimes.com/2020/08/09/world/asia/afghanistan-taliban-prisoners-peace-talks.html">libération de 5 000 combattants</a> emprisonnés, une condition de l’<a href="https://www.auswaertiges-amt.de/en/newsroom/news/us-taliban-agreement/2315872">accord conclu en février 2020</a> avec les États-Unis qui engageait Washington à retirer ses troupes du pays. Les pourparlers de paix ultérieurs, soutenus par les puissances internationales et régionales, <a href="https://www.aa.com.tr/en/asia-pacific/afghan-taliban-peace-talks-fail-to-reach-breakthrough/2308518">n’ont pas réussi à endiguer la violence</a> ou à proposer un plan de paix crédible.</p>
<p>Cependant, l’échec du processus de paix ne suffit pas à expliquer la situation : des facteurs économiques influencent également les événements en cours, dont le commerce de l’opium et de l’héroïne que la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/du-pavot-a-l-heroine-les-talibans-afghans-sur-toute-la-ligne-08-08-2017-2148717_24.php">dizaine de milliards de dollars investis par Washington</a> depuis 2002 dans la lutte anti-drogue n’ont pas réussi à endiguer.</p>
<h2>L’histoire se répète</h2>
<p>Cela nous ramène à Zaranj. Ce n’est pas une coïncidence si les talibans se sont d’abord concentrés sur les villes frontalières, car celles-ci ont une importance économique considérable. Les combattants contrôlent désormais une dizaine de points de passage internationaux. Outre Zaranj, ils ont Spin Boldak, une porte vers le Pakistan, Islam Qala, le principal point de passage vers l’Iran, et Kunduz, qui leur confère le contrôle des routes vers le Tadjikistan.</p>
<p>L’histoire récente a largement démontré l’importance de ces villes. Lorsque les factions en guerre en Afghanistan ont cessé de recevoir une aide militaire et financière, principalement de la part des Russes, à la fin des années 1980, puis de la part des Américains, le contrôle du commerce est devenu essentiel.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/416309/original/file-20210816-24-n5mbf0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/416309/original/file-20210816-24-n5mbf0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/416309/original/file-20210816-24-n5mbf0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/416309/original/file-20210816-24-n5mbf0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/416309/original/file-20210816-24-n5mbf0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/416309/original/file-20210816-24-n5mbf0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/416309/original/file-20210816-24-n5mbf0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/416309/original/file-20210816-24-n5mbf0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Évolution de la surface dédiée à la culture du pavot entre 1994 et 2020 en Afghanistan (en hectares).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.unodc.org/unodc/en/frontpage/2021/May/afghanistan_-37-per-cent-increase-in-opium-poppy-cultivation-in-2020--while-researchers-explore-novel-ways-to-collect-data-due-to-covid-19.html">Unodc.org (mai 2021).</a></span>
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</figure>
<p>Cela comprenait notamment l’économie de la drogue, qui s’est développée <a href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/158651468767124612/pdf/311490PAPER0AF100SASPR0no051Dec0171.pdf">massivement à partir du début des années 1990</a> pour aujourd’hui générer environ <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Economie-et-developpement-en-Afghanistan-comment-la-culture-illegale-du-pavot.html">2 milliards de dollars de chiffre d’affaires</a>, un montant qui représente 10 % du PIB national. Selon d’autres estimations, entre <a href="https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2005-3-page-219.htm">4 et 5 millions de personnes</a> (sur une population totale de 25 millions d’habitants environ à l'époque) étaient impliquées dans la filière dans les années 2000.</p>
<p>Ce phénomène se reproduit aujourd’hui. Dans les années 1990, par exemple, Zaranj était une sorte de Far West qui s’est développé comme <a href="https://drugs-and-disorder.org/2020/09/21/catapults-pickups-and-tankers/">plaque tournante du commerce illicite</a>, s’appuyant sur des connexions transfrontalières de longue date entre les tribus baloutches spécialisées dans la contrebande de carburant, de drogues et de personnes.</p>
<p>Des activités similaires s’y poursuivent aujourd’hui : l’opium et l’héroïne, provenant des champs de pavot des provinces voisines de Farah et du Helmand, passent en contrebande de l’autre côté de la frontière. Tout comme le trafic d’êtres humains, qui est en plein essor.</p>
<p>En parallèle, Zaranj est devenue une ville de passage clé pour le commerce légitime, notamment pour le carburant, les matériaux de construction, les biens de consommation et les denrées alimentaires. Situé sur la route reliant Kaboul au port iranien de Chabahar, le gouvernement afghan a investi dans les infrastructures frontalières dans le cadre d’un effort plus large visant à renforcer les relations avec l’Iran et à réduire sa dépendance vis-à-vis du commerce avec le Pakistan.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/416313/original/file-20210816-14-i2xkge.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/416313/original/file-20210816-14-i2xkge.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/416313/original/file-20210816-14-i2xkge.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/416313/original/file-20210816-14-i2xkge.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/416313/original/file-20210816-14-i2xkge.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/416313/original/file-20210816-14-i2xkge.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/416313/original/file-20210816-14-i2xkge.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans les années 2000, entre 4 et 5 millions Afghans travaillaient dans la filière de l’opium.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shah Marai/AFP</span></span>
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<p>Ce mélange de commerce licite et illicite a permis de débloquer des investissements étrangers et d’attirer une population croissante des régions avoisinantes, tout en constituant une importante source d’impôts. En effet, les droits d’importation représentent aujourd’hui environ la <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-08-05/taliban-seizes-border-posts-draining-key-afghan-income-source">moitié des recettes intérieures du gouvernement</a> afghan. Islam Qala génère à lui seul plus de <a href="https://www.bbc.co.uk/news/world-asia-57773120">20 millions de dollars américains par mois</a>.</p>
<p>Ainsi, le contrôle de ces points de passage clés remplit les coffres des talibans, à un moment où le financement externe des donateurs internationaux est en baisse. Il permet également aux talibans d’imposer des restrictions économiques sur les produits importés, tels que l’essence et le gaz, ce qui leur donne une influence supplémentaire. La perturbation des flux d’importations et d’exportations a d’ailleurs déjà <a href="https://www.ft.com/content/bc79c30f-e99e-4266-aac6-51498fc62423">affecté les prix du carburant et des denrées alimentaires</a>.</p>
<h2>La culture du pavot explose</h2>
<p>Les talibans contrôlent donc désormais une grande partie de l’économie afghane, dont la production du pavot et les routes commerciales de la drogue vers le Pakistan, l’Iran et le Tadjikistan. Ce contrôle apparaît encore plus essentiel que par le passé. En effet, selon la dernière enquête de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, la superficie des <a href="https://www.unodc.org/unodc/en/frontpage/2021/May/afghanistan_-37-per-cent-increase-in-opium-poppy-cultivation-in-2020--while-researchers-explore-novel-ways-to-collect-data-due-to-covid-19.html">terres afghanes affectées à la culture du pavot a augmenté de 37 %</a> en 2020 après une décrue ces dernières années. Une augmentation qui concerne en premier lieu les régions du sud et de l’ouest du pays.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/416310/original/file-20210816-19-q12gw6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/416310/original/file-20210816-19-q12gw6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/416310/original/file-20210816-19-q12gw6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/416310/original/file-20210816-19-q12gw6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/416310/original/file-20210816-19-q12gw6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/416310/original/file-20210816-19-q12gw6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/416310/original/file-20210816-19-q12gw6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/416310/original/file-20210816-19-q12gw6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Évolution de la surface dédiée à la culture du pavot entre 2019 et 2020 dans les provinces afghanes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.unodc.org/unodc/en/frontpage/2021/May/afghanistan_-37-per-cent-increase-in-opium-poppy-cultivation-in-2020--while-researchers-explore-novel-ways-to-collect-data-due-to-covid-19.html">Unodc.org (mai 2021).</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette évolution est liée à une série de facteurs, dont l’instabilité et les conflits politiques, les sécheresses dévastatrices, les inondations saisonnières importantes, la diminution des financements internationaux et des possibilités d’emploi.</p>
<p>Cette tendance est aujourd’hui appelée à se poursuivre, car les moteurs structurels de l’économie de l’opium – conflits armés, faible gouvernance et pauvreté généralisée – pèsent fortement. Tant dans les campagnes que dans les villes frontalières, l’économie de l’opium constitue en effet une importante bouée de sauvetage pour les Afghans, dont beaucoup vivaient déjà une crise humanitaire.</p>
<p>La recrudescence du conflit intervient ainsi alors qu’une <a href="https://www.rescue.org/press-release/millions-risk-displacement-afghanistan-faces-extreme-drought-warns-irc">grave sécheresse</a> affecte le pays et fait grimper les prix des denrées alimentaires, tandis que <a href="https://www.voanews.com/covid-19-pandemic/afghan-officials-delta-variant-accounts-nearly-60-new-infections">l’épidémie de Covid-19</a> connaît par ailleurs une flambée. Depuis le début de l’année, quelque <a href="https://rusi.org/explore-our-research/publications/commentary/uk-foreign-aid-cuts-and-afghan-refugee-crisis">360 000 personnes ont déjà été déplacées</a> en raison de tous les troubles qui secouent le pays.</p>
<p>Avec la victoire des talibans, il est donc peu probable que l’économie de la drogue connaisse un ralentissement. Certes, les combattants islamistes, qui avaient <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2021/04/25/comment-les-etats-unis-ont-consolide-un-narco-etat-en-afghanistan/">banni la culture du pavot en 2001</a> quelques mois avant l'intervention américaine, restent officiellement opposés aux drogues illicites, mais les moteurs sous-jacents restent trop puissants et la manne financière trop importante. En conséquence, le conflit actuel devrait contribuer à alimenter le marché mondial de l’héroïne, dont près de 90 % est produite en Afghanistan, ainsi que le problème croissant de la drogue dans la région.</p>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166209/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jonathan Goodhand a reçu des financements de l'ESCR Global Challenges Research Fund.</span></em></p>L’offensive des combattants islamistes leur a permis de prendre la main sur les principales régions de la culture du pavot et des routes pour acheminer la production vers les pays voisins.Jonathan Goodhand, Professor in Conflict and Development Studies, SOAS, University of LondonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1657942021-08-10T18:01:15Z2021-08-10T18:01:15ZLiban : un an après l’explosion de Beyrouth, un État défaillant aux prises avec la pauvreté et le communautarisme<p>Douze mois après la <a href="https://theconversation.com/beirut-explosion-the-disaster-was-exceptional-but-events-leading-up-to-it-were-not-researchers-144011">terrible explosion du port de Beyrouth</a> qui <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/8/2/one-year-on-beirut-blast-victims-still-struggling-to-return-home">a tué plus de 200 personnes</a>, en a blessé des milliers et a laissé environ 300 000 habitants sans abri, la descente dramatique du Liban dans la crise économique et politique s’aggrave. L’effondrement économique du pays est si grave que la <a href="https://www.worldbank.org/en/news/press-release/2021/05/01/lebanon-sinking-into-one-of-the-most-severe-global-crises-episodes#:%7E:text=The%20World%20Bank%20estim%20that,40%20percent%20in%20dollar%20terms.">Banque mondiale le classe</a> parmi les trois plus graves jamais observés depuis le milieu du XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/geopolitique-dun-liban-au-bord-du-gouffre-144216">Géopolitique d’un Liban au bord du gouffre</a>
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<p>Les chiffres reflètent l’ampleur de la catastrophe humanitaire. Plus de 900 000 Libanais ne sont pas en mesure de <a href="https://www.al-monitor.com/originals/2021/07/half-million-children-lebanon-still-struggling-survive-after-beirut-blast">se procurer suffisamment de nourriture</a> et de bénéficier des services de base car les <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/lebanon-economy-coronavirus-domestic-migrant-workers-kafala-a9600506.html">prix ont augmenté de 580 %</a> depuis octobre 2020. La moitié de la population vit désormais sous le seuil de pauvreté. Le <a href="https://www.al-monitor.com/originals/2021/07/half-million-children-lebanon-still-struggling-survive-after-beirut-blast">taux de chômage officiel</a> a augmenté de 35 %. Et comme si la situation n’était pas assez grave, les dirigeants politiques de l’État n’ont <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/5/24/little-hope-left-lebanons-paralysis-and-a-collapsing-state">toujours pas réussi à former un gouvernement de coalition</a>.</p>
<p>Les causes immédiates de cette situation dramatique sont la crise bancaire de 2019, aggravée par la pandémie de Covid. La crise de liquidité qui a consumé le secteur bancaire a entraîné une <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/lebanon-currency-drops-new-low-financial-meltdown-deepens-2021-06-13/">dévaluation de la livre libanaise de 90 %</a> et une <a href="https://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.MKTP.KD.ZG?locations=LB">baisse du PIB de 9,2 %</a> en 2020. Cependant, pour bien comprendre la nature de la crise, il est important de prendre en compte le mélange mortel de sectarisme politique et de néolibéralisme qui affecte le Liban.</p>
<p>La notion de sectarisme politique fait référence au <a href="https://foreignpolicy.com/2019/12/13/sectarianism-helped-destroy-lebanon-economy/">système de partage du pouvoir en vigueur au Liban</a>, un système réinventé après la guerre civile de 1975-1990. L’objectif supposé du partage du pouvoir est de garantir des sièges au gouvernement aux représentants des 18 principales communautés de l’État. Le partage du pouvoir est donc censé garantir qu’aucune communauté ne puisse dominer l’État à l’exclusion des autres.</p>
<p>Or ce système a abouti à une situation dans laquelle un groupe de seigneurs de la guerre civile et de magnats ont utilisé leur position de chefs de communauté élus pour s’emparer des institutions économiques de l’État. Ces personnalités puisent dans le Trésor public pour enrichir leurs fortunes personnelles. À l’indice de perception de la corruption (IPC) 2020 le <a href="https://www.transparency.org/en/cpi/2020/index/lbn">Liban</a> se classe parmi les États les plus corrompus du monde.</p>
<p>Ces leaders communautaires utilisent ensuite ces ressources pour acheter un soutien politique. Les services de base – soins de santé, électricité et gaz – sont de plus en plus contrôlés par des <a href="https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691168968/everyday-sectarianism-in-urban-lebanon">factions communautaires privées</a>. Ces services sont distribués aux membres de leurs communautés à condition qu’ils accordent leur vote aux chefs. Ce système rend de nombreux citoyens dépendants des factions pour leur survie quotidienne.</p>
<p>C’est ici que le sectarisme politique se superpose au néolibéralisme. Le néolibéralisme est associé au recul de l’État, à la privatisation, à la réduction des impôts et à l’externalisation des travaux et services publics (tels que la collecte des ordures) à des entreprises privées. Le Liban d’après-guerre a été décrit comme un exemple de <a href="http://etheses.lse.ac.uk/3078/">« néolibéralisme réellement existant »</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-hezbollah-defenseur-du-statu-quo-au-liban-144827">Le Hezbollah, défenseur du statu quo au Liban</a>
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<p>L’une des illustrations les plus tristement célèbres de ce néolibéralisme est la <a href="https://www.theguardian.com/cities/2015/jan/22/beirut-lebanon-glitzy-downtown-redevelopment-gucci-prada">reconstruction du centre-ville de Beyrouth</a> par Solidere, une entreprise privée-publique créée par l’ancien premier ministre Rafic Hariri. Le transfert de l’espace public aux mains du secteur privé a rapporté à Solidere 8 milliards de dollars (5,7 milliards de livres), soit un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/anti.12263">quart du PIB du Liban</a>.</p>
<p>Plutôt que de développer des services publics pour favoriser une citoyenneté inclusive et la légitimité du pouvoir, les élites ont érodé les institutions clés qui sont les piliers de la stabilité.</p>
<h2>La révolution ou la réforme ?</h2>
<p>Où va le Liban ? La Banque mondiale <a href="https://www.worldbank.org/en/country/lebanon/publication/lebanon-economic-monitor-spring-2021-lebanon-sinking-to-the-top-3">a prévenu</a> que la « contraction brutale et rapide de l’économie libanaise est généralement associée à des conflits ou à des guerres ». La guerre civile qui a duré 15 ans au Liban a fait plus de <a href="https://global.oup.com/academic/product/lebanon-9780190217839?cc=gb&lang=en&">150 000 morts et un million de personnes déplacées</a>. Une rechute dans ce type de guerre civile totale est hautement improbable.</p>
<p>En revanche, une nouvelle vague d’agitation sociale est plus vraisemblable. Les mouvements de protestation sont devenus une forme courante d’opposition aux dirigeants communautaires corrompus du Liban. En 2019, alors que la crise bancaire émergeait et que des taxes punitives étaient introduites, les Libanais ordinaires de tout le pays sont descendus dans la rue : cet épisode a été appelé la <a href="https://www.psa.ac.uk/psa/news/what-lebanon%E2%80%99s-%E2%80%98thawra%E2%80%99-revolution-about"><em>thawra</em></a> (« soulèvement »). Les manifestants scandaient : « Tous, ça veut dire tous », ce qui signifie que, à leurs yeux, tous les dirigeants communautaires doivent être évincés.</p>
<p>Il est important de noter que la <a href="https://www.hrw.org/video-photos/interactive/2020/05/07/if-not-now-when-queer-and-trans-people-reclaim-their-power"><em>thawra</em> a donné la parole</a> à toute une série de groupes marginalisés, notamment les femmes, les citoyens LGBTQ+, les antiracistes et ceux qui soutiennent les travailleurs domestiques migrants.</p>
<p>Les élites communautaires ont déployé toutes les astuces à leur disposition pour assurer la survie du régime, officiellement au nom de la stabilité. Les forces de sécurité ont arrêté des militants – même pour leurs publications sur les médias sociaux – et ont lâché leurs sbires pour passer les manifestants à tabac.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/U2kkIiZyAs0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>La récente nomination de <a href="https://www.forbes.com/profile/najib-mikati/">Najib Mikati</a> au poste de premier ministre signifie qu’une fois de plus, un magnat milliardaire va tenir les rênes du pouvoir. En tant que réformateur, il est probable que Mikati se contente d’apporter de petits ajustements au statu quo, plutôt que d’envisager la transformation significative du système communautaire qui s’impose.</p>
<p>L’Occident a traditionnellement essayé de soutenir le système politique défaillant du Liban. Aujourd’hui, l’Occident considère le Liban comme un acteur clé du régime international des réfugiés. Outre les 200 000 Palestiniens déplacés vivant à l’intérieur des frontières du pays, le Liban accueille aujourd’hui environ <a href="https://reporting.unhcr.org/node/2520?y=2021">1,5 million de réfugiés</a> ayant fui la guerre civile en Syrie voisine.</p>
<p>La France, ancienne puissance coloniale de la région, a présenté un ensemble de réformes économiques et structurelles destinées à rétablir un gouvernement de partage du pouvoir. L’initiative française prévoit la mise en place d’un <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/lebanese-president-meets-businessman-mikati-set-be-designated-premier-2021-07-26/">gouvernement dirigé par des technocrates</a> prêt à mener des réformes sous la supervision du Fonds monétaire international.</p>
<p>Mais ces efforts visant à assurer la survie du régime vont à l’encontre de ce que souhaitent de nombreux citoyens libanais. Pour eux, il n’y a aucun intérêt à revenir à un système défaillant, incapable de fournir les services de base, les emplois et les droits de l’homme. Il faudra bien que la situation évolue. Le statu quo ne peut plus durer.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/165794/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>John Nagle a reçu des financements de la Leverhulme Foundation.</span></em></p>Le Liban est en difficulté : un million de réfugiés syriens, l’une des pires crises financières depuis plus de 100 ans et un système politique corrompu et divisé.John Nagle, Professor in Sociology, Queen's University BelfastLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1655052021-08-08T18:21:59Z2021-08-08T18:21:59ZLe difficile combat de Joe Biden contre les divisions de l’Amérique<p>Joe Biden y a travaillé pendant des mois. Il a finalement obtenu un compromis avec une dizaine de républicains au Sénat sur la première partie d’un projet de loi pour la rénovation des infrastructures de 1 200 milliards de dollars, dont 550 de dépenses fédérales nouvelles. Cette partie concerne les ponts, routes, ports, canalisations, Internet à haut débit, etc. Par ce compromis, la Maison Blanche vise à combattre l’obstruction systématique au Sénat – les républicains disposant d’une minorité de blocage – grâce à un vote bipartisan qu’elle espère imminent.</p>
<p>Le reste du projet devrait fusionner avec celui, plus axé sur le social, intitulé « American Families » <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/040821/joe-biden-la-recherche-d-un-impossible-compromis-au-congres">dans le cadre d’un texte de loi de 3 500 milliards de dollars</a>, mais celui-ci suivra la procédure dite de « réconciliation », ce qui signifie qu’une majorité simple suffit pour la voter au Sénat. L’adoption de ces deux textes serait une étape supplémentaire de l’immense plan de relance de Biden dont le premier volet, de 1 900 milliards de dollars, a été <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/06/etats-unis-le-senat-adopte-le-plan-de-1-900-milliards-de-dollars-souhaite-par-joe-biden_6072221_3210.html">adopté en mars</a>, sans les républicains. Au total, l’objectif de départ s’élève à plus de 6 000 milliards de dépenses et d’investissements, répartis sur plusieurs années et en trois grandes lois aux allures de New Deal et de Great Society.</p>
<p>L’ambition bipartisane de Biden exige des concessions importantes à droite et au centre et fait déjà grincer des dents à gauche. Elle est centrale dans la stratégie du président pour tenter de réconcilier l’Amérique avec elle-même sur des grands projets de société, après des années de divisions amplifiées par son prédécesseur. Biden n’a cessé de le répéter pendant sa campagne et <a href="http://nytimes.com/2021/03/25/us/politics/biden-white-house-press-conference.html">lors de sa première conférence de presse en tant que président, 25 mars</a>.</p>
<p>Après le Plan de relance, il devra s’atteler à une grande réforme de la législation sur l’immigration, à l’extension de l’Affordable Care Act (l’Obamacare) ou encore à la régulation du port d’armes et au combat contre le racisme institutionnel, sujets sur lesquels il est très attendu par les mouvements militants et l’aile gauche du parti. Mais il dispose d’un temps politique d’autant plus court que les élections de mi-mandat, en novembre 2022, risquent de lui faire perdre sa courte majorité au Congrès. Pour l’heure, le président mise sur son expérience passée de négociateur en chef quand il était sénateur et met les républicains au pied du mur. Il est encouragé par le fait que ses réformes bénéficient jusqu’ici d’une relative popularité dans l’électorat de droite, <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/post-abc-poll-biden/2021/07/03/54e95b6e-db43-11eb-8fb8-aea56b785b00_story.html">pour sa gestion de la pandémie</a>.</p>
<h2>Résister aux assauts des républicains</h2>
<p>« America is back ». La formule, martelée par le président en quasi-slogan publicitaire, a par ailleurs vocation à rappeler au peuple américain et au monde entier qu’il a l’intention de faire des États-Unis une démocratie exemplaire et de rétablir l’influence et la confiance perdues à l’international pendant les années Trump.</p>
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<p>De fait, la démocratie américaine est malmenée et il faut bien dire qu’une partie du camp républicain y travaille ardemment, à coup de déclarations complotistes et de limitation du droit de vote.</p>
<p>D’une part, le mythe de l’« élection volée » de novembre 2020, créé et entretenu par Donald Trump et ses soutiens, perdure (<a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2021/07/31/trump-committees-fundraising-2021-fec/?tid=ss_tw">et rapporte beaucoup d’argent</a>). Une majorité d’électeurs et d’électrices républicain·e·s demeure convaincue que les démocrates ont fraudé en masse. Du côté des élu·e·s du Grand Old Party, c’est encore pire : <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/the-senate-vote-on-the-bipartisan-jan-6-commission-showed-trumps-power-and-a-government-under-duress/2021/05/28/9f91becc-bff0-11eb-9c90-731aff7d9a0d_story.html">seul·e·s six sénatrices et sénateurs sur 50 (et 35 représentant·e·s sur 212)</a> ont voté en faveur de la création d’une commission indépendante pour enquêter sur la tentative d’insurrection au Capitole, le 6 janvier 2021. L’institut Morning Consult a réalisé une <a href="https://morningconsult.com/2021/06/09/trump-reinstated-democracy-polling/">enquête</a> mettant en évidence qu’en juin dernier, 29 % de l’électorat républicain pensait que Trump, qui <a href="https://www.vanityfair.com/news/2021/06/donald-trump-august-reinstatement">fait lui-même courir ce bruit</a>, va revenir à la Maison Blanche avant la fin de l’année 2021.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1402588031635398665"}"></div></p>
<p>D’autre part, dans la plupart des États fédérés, les républicains s’efforcent de changer les règles des futures élections. Une tentation partagée par de nombreux partis de droite radicale dans divers pays démocratiques, au <a href="https://www.vanityfair.com/news/2021/06/donald-trump-august-reinstatement">Brésil</a> comme en <a href="https://www.ips-journal.eu/topics/european-integration/voter-suppression-comes-to-europe-3999/">Europe</a>, comme le montre la journaliste Anne Applebaum dans son dernier livre, <a href="https://www.grasset.fr/livres/democraties-en-declin-9782246855125"><em>Démocraties en déclin</em></a>. Des lois locales (limitation, voire interdiction du vote anticipé ou par correspondance, suppression d’électrices et d’électeurs des listes, etc.) visent à restreindre l’accès aux urnes de celles et ceux qui ne votent pas pour le Grand Old Party.</p>
<p>Les Noir·e·s, les plus démuni·e·s et les jeunes sont particulièrement visé·e·s. Mais ce n’est pas tout. Il s’agit également, dans les États conservateurs, de donner davantage de pouvoir aux autorités élues pour gérer les désaccords sur le résultat des urnes, autrement dit de remettre en question ce dernier. Donald Trump en <a href="https://www.nytimes.com/2021/06/19/us/politics/republican-states.html?campaign_id=2&emc=edit_th_20210620&instance_id=33461&nl=todaysheadlines&regi_id=61994657&segment_id=61221&user_id=3f2a08136276afbc6c51023c67539e27">a rêvé en novembre</a> (et a fait pression sur certains États, on se souvient de la Géorgie) : les républicains tentent de le voter aujourd’hui.</p>
<p>Biden, de son côté, s’efforce de faire passer deux lois fédérales pour protéger le droit de vote. Là aussi, des tractations, difficiles, sont en cours au Congrès et là aussi, l’aile gauche du parti démocrate <a href="http://nytimes.com/2021/07/22/us/politics/biden-voting-rights.html">exige d’aller vite et de frapper fort</a>.</p>
<h2>Le masque et le vaccin continuent de diviser la classe politique</h2>
<p>Le port du masque et la vaccination constituent encore d’importants marqueurs de clivage politique aux États-Unis. Le rejet d’un supposé « nanny state » (« État nounou ») et la préservation de la sacro-sainte liberté individuelle guident de nombreux et nombreuses parlementaires de droite à critiquer ces dispositions.</p>
<p>Depuis quelques derniers jours, la règle est de porter un masque à l’intérieur du Capitole. La Speaker de la Chambre, Nancy Pelosi, a <a href="https://edition.cnn.com/2021/07/28/politics/nancy-pelosi-kevin-mccarthy-mask-mandate/index.html">traité d’« imbécile »</a> le chef de la minorité républicaine, Kevin McCarthy, qui estimait que cette mesure ne reposait sur aucun fondement scientifique. Un autre sujet de discorde, plus clivant cependant au sein de la classe politique que dans population, est apparu à la suite des nouvelles mesures instaurées par le président Biden ciblant les quatre millions de fonctionnaires fédéraux : ils et elles devront soit se faire vacciner, soit se faire tester chaque semaine, et porter un masque en continu pendant leur service.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1420965983662092290"}"></div></p>
<p>Les gouverneurs, républicains, du Nebraska, de l’Iowa et de Floride ont affirmé qu’ils ne respecteraient pas les nouvelles recommandations des autorités de santé sur le port du masque dans l’espace public, l’amplification de la vaccination et les pass sanitaires. Selon la <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/07/29/le-debat-sur-la-vaccination-obligatoire-prend-de-l-ampleur-aux-etats-unis_6089898_3244.html">National Academy for State Health Policy</a>, ce sont plus de 150 projets de loi qui ont été déposés au niveau local pour interdire toute « discrimination » fondée sur le statut vaccinal. Cinq États fédérés conservateurs ont pour leur part interdit aux entreprises d’exiger de leur personnel d’être vacciné. Et ce ne sont que quelques exemples.</p>
<h2>Gouverner l’Amérique plurielle</h2>
<p>Certaines et certains soufflent donc sur les braises, et la Covid-19 est aussi une occasion de renforcer le pouvoir des États fédérés face à Washington dans une « guerre culturelle » qui ne cesse de se renouveler à coups de polémiques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1411720392369135621"}"></div></p>
<p>Présente avant Trump, attisée par lui pendant ses quatre années au pouvoir, et entretenue par ses soutiens (et lui-même) depuis son départ de la Maison Blanche, l’obsession surannée d’une Amérique blanche et patriarcale se porte par ailleurs très bien. Des mesures <a href="https://www.nytimes.com/2021/03/11/sports/transgender-athletes-bills.html">interdisant aux fillettes transgenres de participer à des compétitions sportives</a> à l’offensive, <em>via</em> des fake news, <a href="https://theconversation.com/bans-on-critical-race-theory-could-have-a-chilling-effect-on-how-educators-teach-about-racism-163236">contre la Critical Race Theory, un champ de recherche universitaire et d’enseignement portant sur le racisme structurel</a> – son histoire, ses mécanismes, ses représentations, ses effets, etc. –, la droite trumpiste poursuite son offensive. Or, faut-il le rappeler, la <a href="https://www.brookings.edu/blog/fixgov/2021/07/02/why-are-states-banning-critical-race-theory/">société américaine n’est ni <em>gender blind</em>, ni <em>color blind</em></a> : discriminations et inégalités de genre et liées à l’origine perdurent, voire se sont renforcées avec la pandémie (accès à la santé, perte d’emploi, perte du logement, pauvreté, etc.).</p>
<p>Un point qui n’a pas échappé à la Maison Blanche, dont le choix est de cibler les populations les plus vulnérables dans le cadre de <a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/etats-unis-lambitieux-plan-de-relance-de-biden-1-900-milliards-pour-remettre-le-pays">politiques universelles, notamment le plan de relance</a>. Un exemple éclairant est la mise en place d’allocations familiales exceptionnelles qui favoriseront les mères célibataires les plus pauvres mais qui, au final, concerneront plus de 90 % des enfants. Un autre est la création, au sein du ministère de la Santé, d’une <a href="https://www.minorityhealth.hhs.gov/omh/browse.aspx?lvl=2&lvlid=100">« Health equity task force »</a>, afin que les critères de vulnérabilité (pauvreté, origine, sexe, handicap, territoire de vie, etc.), qui s’entremêlent, soient particulièrement pris en compte dans la réponse à la Covid-19, à court terme, et aux inégalités sanitaires, sur un plan structurel.</p>
<p>Le président propose depuis son arrivée au pouvoir un agenda plus ambitieux que prévu, et porté par une vision optimiste de la société américaine, « unie dans ses différences ». Et pour mener à bien ses réformes, Biden a choisi un gouvernement féminisé et multiculturel. C’est une question <a href="https://blogs.mediapart.fr/marie-cecile-naves/blog/010221/la-democratie-selon-biden-inclusion-equite-et-expertise">non seulement de représentativité, mais aussi, et inséparablement, de compétences</a>. L’anti-trumpisme au pouvoir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/165505/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Cécile Naves est membre de l'IRIS. </span></em></p>Joe Biden a mis en branle un ambitieux plan de relance qui vise à remettre l’économie sur les rails. La tâche consistant à réconcilier ses concitoyens sera peut-être encore plus compliquée…Marie-Cécile Naves, Docteure en science politique, chercheuse associée au CRI Paris, Learning Planet Institute (LPI)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1655502021-08-05T17:43:02Z2021-08-05T17:43:02ZQuel avenir pour les États du Moyen-Orient ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/414394/original/file-20210803-27-146x94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3892%2C3034&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Nés en large partie des décisions des anciennes autorités coloniales, les États du Moyen-Orient sont-ils encore viables&nbsp;?
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/middle-east-under-magnifier-162063665">Popartic/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article est publié dans le cadre du cycle <a href="https://www.ipev-fmsh.org/fr/transition-from-violence-lessons-from-the-mena-region/">IPEV Live – Transition from violence : lessons from the MENA</a>, une série de 8 discussions en ligne, tous les mardis du 18 mai au 29 juin 2021.</em></p>
<p>Depuis leurs indépendances et jusqu’à l’avènement du Printemps arabe, les États du Moyen-Orient ont souffert de leur principe constituant, attribué aux volontés et arrangements entre les anciennes puissances coloniales. Si les exigences d’autonomie, d’arabité et de souveraineté exprimées par les habitants de la région furent satisfaites par l’indépendance, ces États n’en constituaient pas moins, du point de vue aussi bien de leurs peuples que de leurs élites et de leurs dirigeants, des entités artificielles créées et découpées à la guise des diplomaties occidentales.</p>
<p>Les guerres entre Arabes et Israéliens et le sort malheureux du peuple et des réfugiés palestiniens ont marqué et, en quelque sorte, confisqué l’histoire moderne de la région. Tout comme les <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/syrie-Sykes-Picot-1916.htm">accords de Sykes-Picot</a> et leur part de responsabilité dans la transformation du projet culturel de renaissance arabe en un projet nationaliste et idéologique.</p>
<h2>L’impact de plusieurs décennies de nationalisme arabe</h2>
<p>Or, ce fut le nationalisme arabe qui a largement empêché l’émergence du pluralisme politique et du débat civil au sein de ces sociétés. Les guerres avec Israël ont essentiellement servi d’excuses, dans de nombreux pays de la région, pour justifier des coups d’État et la mainmise des militaires sur la vie publique et constitutionnelle. Il suffit, pour s’en convaincre, de calculer le nombre de décennies passées au pouvoir par chacun des dictateurs arabes, y compris les chefs et les cadres de l’Autorité palestinienne.</p>
<p>Mais l’entreprise la plus radicale et la plus totalisante fut celle des régimes baasistes en Irak et en Syrie, surtout à la suite des accessions au pouvoir de Hafez Al-Assad et de Saddam Hussein, respectivement en 1970 et 1979. Le parti Baas a assumé une mission <em>déconstituante</em> de l’État en Irak et en Syrie pendant plus de trois décennies. Citoyens et élèves apprenaient en effet, dans les manuels scolaires et même dans la Constitution – syrienne en l’occurrence – que les États arabes étaient illégitimes, provisoires et voués à la disparition.</p>
<p>Ce messianisme politique promettant une unité arabe par la révolution baasiste s’accompagnait d’un déni démographique et culturel à l’égard des minorités, notamment les Kurdes. Un déni qui est allé jusqu’au <a href="http://guerredugolfe.free.fr/kurdes.htm">rasage de milliers de villages kurdes</a> dans le nord irakien durant la première guerre du Golfe, sans oublier les <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1998/03/NEZAN/3615">tueries massives aux armes chimiques</a> commises sous la dictature de Saddam Hussein. En Syrie, malgré les <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2015-1-page-e29.htm">changements constitutionnels de 2014</a> qui tentaient de relégitimer le pouvoir en place face à la rébellion, les droits culturels des Kurdes ne sont toujours pas reconnus. De telles semences idéologiques et criminelles implantées pendant à peu près un demi-siècle ne pouvaient que conduire à un éclatement social et institutionnel au moindre affaiblissement de ces Régimes-États.</p>
<p>Aujourd’hui, avec la désintégration territoriale des souverainetés syrienne et irakienne, les Kurdes ne veulent ni cohabiter ni construire leur avenir avec les Arabes. Or, tout comme les Arabes lors de leurs indépendances, les Kurdes se trouvent aujourd’hui devant l’impasse de l’hétérogénéité territoriale ; là où ils sont dominants, ils ne sont pas seuls, mais seulement majoritaires.</p>
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<p>Un <em>statu quo</em> territorial qui conserverait les États existants tout en favorisant une évolution des régimes et la mise en place de systèmes pluralistes et inclusifs ne semble pas à l’ordre du jour. Malgré le Printemps arabe et ses revendications sociales et post-idéologiques, l’heure est à la stagnation et à l’<a href="https://theconversation.com/moyen-orient-le-retour-a-letat-de-nature-64399">indétermination post-étatique</a>.</p>
<h2>La relation entre régime et État</h2>
<p>La crise syrienne a commencé en 2011 avec des <a href="https://www.liberation.fr/planete/2012/03/14/quand-la-syrie-se-revolta_803029/">manifestations populaires</a> exigeant des réformes politiques de la part du régime de Bachar Al-Assad. Ces revendications ne portaient ni sur le contenu identitaire ni sur les frontières nationales de l’État syrien. Elles élaboraient, et c’est là que se justifie leur caractère révolutionnaire, une conscience sociale et post-idéologique de la politique et un esprit constitutionnaliste de l’État.</p>
<p>Or, au Moyen-Orient, il n’y a pas de gouvernements dans un État mais plutôt des Régimes-États. Au sein des monarchies de cette région, le monarque ne symbolise pas l’unité de son peuple mais donne leur nom et leur nationalité à ses sujets. Ainsi, les populations de l’Arabie s’appellent bien « saoudiens » par référence à la souveraineté des Saoud. Les autres monarchies du Golfe présentent moins ce défaut, mais n’en restent pas moins articulées à un régime politique dépassé et sans avenir juridiquement sécurisé, celui de la monarchie médiévale et absolue. De même dans les systèmes dits « républicains » de la région, il n’y pas d’État pour ses habitants, mais seulement des États à hiérarchie ethnique : État nationaliste juif, État nationaliste arabe et peut-être, bientôt, État nationaliste kurde.</p>
<p>Autrement dit, l’homogénéité normative fait totalement défaut et tout conflit est donc voué à dépasser la dialectique justice/injustice, liberté/tyrannie ou peuple/régime politique. En effet, le cadre étatique finalisé au sein duquel se déroulerait l’affrontement entre plusieurs légitimités politiques n’existe pas encore, car la question de la légitimité politique au Moyen-Orient se pose au niveau de <a href="https://theconversation.com/espace-legal-et-espace-legitime-au-moyen-orient-49002">la <em>nature</em> de l’État</a> et non au niveau des luttes sociales et politiques au sein de celui-ci.</p>
<p>L’ouverture de l’espace syro-irakien aux influences régionales et internationales en a constitué la meilleure démonstration dans la mesure où, à la surprise générale, plusieurs embryons et types d’État ont fait surface.</p>
<p>Les Turcs, les Qataris et les Frères musulmans en général ne rêvaient pas d’une démocratie constitutionnelle et pluraliste en Syrie mais d’une constitutionnalité électorale et majoritaire de l’État, copiant les régimes de Morsi en Égypte, d’Erdogan en Turquie ou de Poutine en Russie. Ils ont réussi, d’après plusieurs opposants syriens, à accaparer et orienter les corps représentatifs de l’opposition syrienne, que ce soit au niveau diplomatique ou sur le terrain de guerre.</p>
<p>Quant à l’Iran et au Hezbollah, présents et très ambitieux en Syrie et en Irak, ils se réclament de l’islam chiite révolutionnaire et du système politique des mollahs et des ayatollahs. Ils jouent la carte des minorités de la région et orientent les conflits vers une irréductible opposition entre chiites et sunnites. Daech appartenait à la catégorie saoudienne et médiévale de la monarchie absolue, y ajoutant le devoir religieux du djihad et de l’expansion territoriale. Les Kurdes recopiaient et recopient encore l’erreur arabe et juive de l’État nationaliste et monolithique, et ainsi de suite.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"971675852999098370"}"></div></p>
<p>L’homogénéité normative signifie la <a href="http://www.revistasconstitucionales.unam.mx/pdf/3/art/art8.pdf"><em>sécurité juridique</em></a>. On peut traduire cette notion pour le Moyen-Orient comme ayant deux versants : l’accrochage de tout système politique à la légitimité populaire pour le versant philosophique (le Contrat), et l’accrochage des institutions de l’État à la souveraineté de la loi et des droits de l’homme pour le versant juridique (le Constitutionalisme).</p>
<p>Aujourd’hui, un changement de régime au Moyen-Orient pourrait signifier une transformation, voire une disparition de l’État, suivies d’une multitude de possibilités spatiales imprévisibles et impossibles à anticiper. L’existence juridique de la Syrie ou de l’Arabie saoudite, de l’Irak ou même de l’État d’Israël pourrait très facilement être remise en question. Les alternatives constituantes à ces États sont aussi variées que le nombre de minorités et d’ethnies présentes dans la région (Kurdes, Palestiniens, Druzes, chiites, etc.)</p>
<h2>Les questions d’avenir</h2>
<p>Le Printemps arabe a fait entrevoir, à ses débuts, un possible dépassement des idéologies identitaires et des régimes politiques au profit d’une fixation institutionnelle des États et d’une constitutionnalisation de leur vie politique. S’il est encore vivant, et si l’on veut entretenir sa suite et ses conséquences, il nous faudrait penser les problématiques suivantes :</p>
<ul>
<li><p>Quel est le statut historique du droit à l’autodétermination ? S’agissait-il d’un expédient et d’un d’idéal illusoire mais indispensable pour la sortie de l’Empire aux débuts du XX<sup>e</sup> siècle ? L’État du XXI<sup>e</sup> siècle devrait-il toujours représenter une expression identitaire du politique ?</p></li>
<li><p>Y a-t-il assez de place, d’espace, ou d’homogénéité démographique dans cette région pour satisfaire l’ensemble des légitimités politiques dites constituantes ? Où est la place de l’individu, de sa propre identité et de ses droits sociaux et politiques ?</p></li>
<li><p>La lutte du peuple kurde et celle du peuple palestinien devraient-elles se poursuivre dans le sens de l’autodétermination et de l’indépendance ? Ou bien faudrait-il repenser l’avenir de la région au sein d’États pluralistes et démocratiques, au service de tous leurs habitants et de tous leurs citoyens ? Cela ne résoudrait-il pas également les interrogations existentielles de certaines minorités émergentes, tels les alaouites en Syrie, les sunnites en Irak ou les chiites au Liban et ailleurs ?</p></li>
<li><p>Qu’en est-il des questions émergentes et extrêmement urgentes pour l’avenir de la région, comme le défi écologique, la gestion durable et la répartition équitable des ressources naturelles entre États ? La multiplication et l’apparition de nouveaux États ne constitueraient-elles pas, à cet égard, une menace encore plus grave que celle des conflits identitaires ?</p></li>
<li><p>Enfin, quelles sont les réponses que devraient apporter les initiatives civiles et privées face aux défis éthiques de la technologie, du flux des idées radicales par le web, ou du non-accès de millions de réfugiés à l’éducation et à l’information ? Comment former un <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03264927/document">pouvoir social-numérique</a> dépassant frontières et régimes et contribuant à une représentation civile et citoyenne de la chose politique ?</p></li>
</ul>
<p>Autant d’interrogations nécessaires pour les années à venir…</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/165550/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohamad Moustafa Alabsi a reçu des financements de Mellon Foundation Porgam for Displaced Scholars. </span></em></p>Au Moyen-Orient, les événements de la décennie passée ont profondément remis en cause les États existants, au point de menacer leur existence même.Mohamad Moustafa Alabsi, Chercheur postdoctoral au Mellon Fellowship Program, Columbia Global Centers, Amman, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1641972021-07-12T17:03:31Z2021-07-12T17:03:31ZAfghanistan : comment des décennies de progrès pourraient être anéanties à court terme<p>L’Afghanistan est au bord d’une catastrophe aux proportions presque inimaginables. Le retrait de l’armée américaine et des forces alliées, qui devrait être terminé d’ici au 11 septembre prochain, d’après Joe Biden, pourrait entraîner la disparition du gouvernement le plus pro-occidental d’Asie du Sud-ouest.</p>
<p>Cela compromet également toute la structure de l’État afghan, établie depuis la chute du régime taliban en 2001.</p>
<p>Si cela devait se produire, les <a href="https://www.cis.org.au/publications/occasional-papers/afghanistan-on-the-brink-of-an-abyss/">conséquences</a> les plus probables seraient l’établissement d’un régime théocratique à Kaboul, le début d’une guerre civile (aux dimensions transnationales) dans plusieurs régions du pays et le départ de millions de personnes sur les routes pour fuir l’Afghanistan.</p>
<p>En mai 2010, la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton <a href="https://foreignpolicy.com/2010/05/14/clinton-to-afghan-women-we-will-not-abandon-you/">avait promis</a> à une délégation de femmes afghanes en visite aux États-Unis :</p>
<blockquote>
<p>« Nous ne vous abandonnerons pas. Nous vous soutiendrons toujours. »</p>
</blockquote>
<p>Pourtant, c’est exactement ce que viennent de faire les États-Unis : abandonner les Afghans qui comptaient sur ces engagements. Pressé de s’expliquer sur son choix la semaine dernière, le président américain a <a href="https://www.nytimes.com/2021/07/02/us/politics/biden-afghanistan.html">coupé court aux interrogations d’un journaliste</a>, en répliquant, exaspéré, qu’il « [préférait] parler de choses positives ».</p>
<p>À ce stade, les Afghans, eux, ont beaucoup de mal à trouver des sujets de conversation positifs.</p>
<h2>Pourquoi l’état d’esprit de la population est essentiel</h2>
<p>L’état d’esprit général de la population afghane sera crucial dans l’évolution des événements. Ce n’est pourtant pas un aspect qui semble beaucoup préoccuper les responsables politiques américains.</p>
<p>Chaque fois que l’Afghanistan a connu un bouleversement politique, comme lors de la chute du <a href="https://www.britannica.com/place/Afghanistan/Civil-war-communist-phase-1978-92">régime communiste en avril 1992</a> ou celle des talibans en novembre 2001, c’est essentiellement parce que des acteurs clés ont jugé prudent de s’écarter des détenteurs du pouvoir, ceux-ci semblant perdre en autorité.</p>
<p>Même si le gouvernement afghan a fait beaucoup de déçus et d’insatisfaits, car trop centralisé, affaibli par les réseaux de clientélisme et souvent axé sur l’extraction de richesses de la population, les talibans restent très impopulaires auprès des Afghans. Selon une vaste étude réalisée en 2019 par l’Asia Foundation, 85 % des personnes interrogées n’avaient <a href="https://theconversation.com/lasting-peace-in-afghanistan-now-relies-on-the-taliban-standing-by-its-word-this-has-many-afghans-concerned-132756">aucune sympathie</a> pour eux.</p>
<p>Mais, en Afghanistan, il ne fait pas bon être dans le camp des perdants. Et il existe un risque sérieux qu’avec la diffusion du sentiment que les talibans sont bien placés pour reprendre le contrôle, on assiste à un vague de défections au sein du gouvernement et de l’armée.</p>
<p>Et cela pourrait arriver bientôt : des dizaines de districts sont passés aux mains des talibans fin juin-début juillet. L’estimation des renseignements américains, qui annonce une prise du pouvoir possible par les talibans dans le pays d’ici <a href="https://www.nytimes.com/2021/03/26/us/politics/biden-afghanistan-intelligence.html">deux ou trois ans</a>, semble dangereusement optimiste.</p>
<h2>La population afghane à l’abandon</h2>
<p>Les États-Unis sont directement responsables de cette situation tragique. Fin 2014, la majorité des forces étrangères avait quitté l’Afghanistan, laissant les Américains jouer un rôle beaucoup plus réduit mais essentiel en assurant un soutien au gouvernement afghan.</p>
<p>Le soutien américain se traduisait de trois manières : par le renfort des forces aériennes pour des opérations au sol de l’armée afghane, par un travail de renseignement, et surtout en rassurant des Afghans vulnérables et à bout de nerfs. Ceux-ci avaient fini par accepter de considérer les États-Unis comme un véritable partenaire dans la lutte contre les auteurs de terribles exactions, comme les talibans et l’État islamique.</p>
<p>La stratégie des Américains était durable et relativement peu coûteuse. Même si elle ne laissait pas entrevoir de victoire flamboyante, elle permettait d’éviter les conséquences d’une défaite désastreuse.</p>
<p>Tout cela s’est effondré sous la présidence de Donald Trump, qui est passé outre le gouvernement afghan pour signer avec les talibans le 29 février 2020 ce que les États-Unis ont appelé un <a href="https://www.state.gov/wp-content/uploads/2020/02/Agreement-For-Bringing-Peace-to-Afghanistan-02.29.20.pdf">« accord visant à apporter la paix en Afghanistan »</a>.</p>
<p>En réalité, pour les États-Unis, ce n’était qu’un accord de retrait anéantissant toute perspective de négociations sérieuses entre le gouvernement afghan et les talibans – alors que ces négociations constituaient soi-disant la <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2020/02/16/long-suffering-afghanistan-this-is-peace-deal-worth-trying/">raison d’être</a> d’une telle démarche – en offrant aux talibans tout ce qu’ils attendaient, dès le début de ce qui était censé être un « processus de paix ».</p>
<p>N’en croyant pas leur chance, ceux-ci ont <a href="https://tolonews.com/opinion-168815">intensifié leurs attaques</a> contre les défenseurs de la démocratie, les acteurs de la société civile et les médias.</p>
<p>En <a href="https://www.nytimes.com/2021/04/14/us/politics/biden-afghanistan-troop-withdrawal.htm">décidant de poursuivre dans cette voie</a>, Joe Biden a anéanti les espoirs des Afghans qui pensaient voir le nouveau gouvernement américain faire preuve de davantage de jugement que le précédent.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1412982278934904832"}"></div></p>
<h2>L’intervention désormais essentielle du Pakistan</h2>
<p>Si les premiers responsables de la débâcle actuelle sont les gouvernements Trump et Biden, le Pakistan a encore davantage de choses à se reprocher. En effet, ce pays a pris, dès le début, les talibans sous son aile et leur a <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9780429333149-2/pakistan-dangerous-game-seth-jones">réitéré son soutien</a> lorsque l’attention des Américains s’est tournée vers l’Irak en 2003.</p>
<p>Les effets néfastes d’une telle attitude étaient évidents. Dans un télégramme rendu public en novembre 2009, l’ambassadeur des États-Unis en Afghanistan, l’ex-lieutenant-général Karl Eikenberry, <a href="http://goodtimesweb.org/overseas-war/2014/nyt-eikenberry-nov-6-2009.pdf">a écrit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Envoyer plus de troupes ne mettra pas fin à l’insurrection tant que subsisteront des sanctuaires au Pakistan. Le Pakistan restera la principale source d’instabilité en Afghanistan aussi longtemps qu’il y aura des sanctuaires le long de la frontière afghane et que le Pakistan estimera qu’un voisin affaibli sert ses intérêts stratégiques. […] Tant que ce problème de sanctuaires ne sera pas réglé, l’intérêt d’envoyer des troupes supplémentaires me semble limité. »</p>
</blockquote>
<p>Malgré les conseils avisés, même de la part de l’<a href="https://www.nytimes.com/2017/07/06/opinion/to-win-afghanistan-get-tough-on-pakistan.html">ex-ambassadeur du Pakistan aux États-Unis</a>, concernant la menace des sanctuaires pour les objectifs américains en Afghanistan, les présidents successifs ont évité de s’y attaquer de front. Ils l’ont même laissée croître.</p>
<p>Pour sauver la situation en Afghanistan, il faudra plus que de simples promesses de soutien ou des aides financières.</p>
<p>Le seul moyen, ou presque, qui reste pour sortir les Afghans de leur détresse psychologique est de faire pression sur le Pakistan, résolument et efficacement, afin de l’obliger à s’attaquer aux sanctuaires, réserves de munitions et système logistique des talibans sur le territoire pakistanais.</p>
<p>En tant qu’État souverain, celui-ci a des droits mais aussi des devoirs, et l’un de ces devoirs est d’empêcher que son territoire ne soit utilisé pour fomenter des attaques contre d’autres pays.</p>
<p>D’après certaines informations, le général Qamar Javed Bajwa, chef de l’armée pakistanaise, et le lieutenant général Faiz Hameechef, chef des services de renseignement, auraient récemment <a href="https://gandhara.rferl.org/a/pakistani-army-warns-of-blowback-in-crackdown-on-afghan-taliban/31338249.html">informé les législateurs</a> du pays que des « talibans afghans bien entraînés étaient présents sur le territoire pakistanais » et que l’armée « pourrait immédiatement lancer une attaque contre ce groupe ».</p>
<p>Si l’armée du Pakistan peut « immédiatement lancer une attaque » contre les talibans, les États-Unis et leurs alliés devraient, tout aussi immédiatement, insister pour que cela soit fait.</p>
<p>On est en droit de se demander si l’administration Biden aura le courage de le réclamer…</p>
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<p><em>Traduit de l’anglais par Valeriya Macogon pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a>.</em></p>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164197/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>William Maley ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le sentiment que les talibans pourraient reprendre le contrôle à l’aune du retrait des forces américaines fait craindre une vague de défections dans le gouvernement et l’armée.William Maley, Emeritus Professor, Australian National UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1628662021-06-28T19:53:10Z2021-06-28T19:53:10ZLe nouveau cap du Parti démocrate sous Joe Biden<p>Les difficultés du Parti démocrate n’ont pas commencé avec l’élection de Donald Trump en 2016. N’oublions pas que le parti de l’âne a <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2014/11/05/les-republicains-a-la-conquete-du-senat-americain_4518181_3222.html">perdu le Congrès dès 2014</a>, durant le second mandat de Barack Obama, alors que la situation du pays s’était améliorée et qu’Hillary Clinton n’avait pas encore commencé sa campagne. Le retour au pouvoir des Démocrates en 2020 semble s’accompagner d’un tournant vers le centre gauche qui tranche avec la période de Bill Clinton et même, dans une certaine mesure, avec celle de Barack Obama.</p>
<h2>L’évolution du parti à l’époque de Bill Clinton</h2>
<p>C’est sous Bill Clinton, dans les années 1990, après trois mandats républicains, que les Démocrates ont fini par embrasser ce qu’ils estimaient ne plus pouvoir éviter, à savoir la <a href="https://www.csmonitor.com/1996/0125/25012.html">mythologie du Parti républicain</a>.</p>
<p>Les emplois liés à la bulle technologique étaient alors prometteurs et l’establishment démocrate s’est pris à croire que chacun pourrait gravir les sommets à la condition d’avoir fait des études et que toutes les barrières discriminatoires aient été levées. Le logiciel du Parti a donc glissé d’une solidarité de groupe vers la réussite individuelle, ce qui permettait de défendre des idéaux de justice sociale sans en demander trop aux élites – ces élites auxquelles Clinton a lié l’avenir du Parti sans prévoir de véritable plan B pour qui ne pourrait pas réussir dans les emplois du futur.</p>
<p>Au sortir de la crise de 2008, tout le monde a fini par admettre la réalité d’une polarisation du marché du travail, avec très peu d’emplois qualifiés et rémunérateurs et une large majorité d’emplois non qualifiés et très mal payés.</p>
<p>Bill Clinton avait voulu croire qu’une marée technologique et méritocratique allait soulever la totalité des bateaux, les petits comme les gros, mais cela ne s’est pas produit. Il reste que l’idée était séduisante : avec de l’intelligence, il suffirait d’aller à Harvard puis de décrocher l’emploi de ses rêves chez Google, quels que soient sa race, son genre ou ses préférences sexuelles. Et là, s’agissant de la race, Obama a été une incarnation tout à fait extraordinaire… à ceci près que tout le monde n’est pas et ne peut pas être Barack Obama.</p>
<h2>Le poids de l’aile gauche</h2>
<p>Les Démocrates modérés, dont fait partie Joe Biden, appelaient jusqu’ici l’aile gauche du parti à se recentrer à des fins d’éligibilité. Cela n’a fait qu’accentuer leur rapport de force avec une base qui, elle, demande avec force des emplois, des soins de santé, des écoles décentes, des quartiers sûrs et quelqu’un à Washington qui lui prêterait une oreille attentive. Or les Démocrates <a href="https://www.firstthings.com/web-exclusives/2020/12/democrats-win-in-wealthy-suburbs">représentent aujourd’hui les quartiers les plus riches</a>, et les Républicains <a href="https://www.washingtonpost.com/blogs/in-the-loop/wp/2014/08/05/wealthiest-americans-in-each-state-primarily-support-republicans/">envoient systématiquement à Washington les individus les plus riches</a>. Le revenu médian au Congrès est <a href="https://www.statista.com/statistics/274581/median-wealth-per-member-of--us-congress-by-chamber/">disproportionnellement supérieur à celui de la population</a>.</p>
<p>Les deux partis se réjouissent de la diversification des membres du Congrès, avec 24 % de femmes, 22 % de minorités raciales ou ethniques, et plus de 5 % d’origine étrangère. Mais seuls 2 % des membres du Congrès sont issus de la classe ouvrière. C’est spécifiquement à celle-ci que s’est adressé Bernie Sanders durant ses campagnes de 2016 et de 2020. On lui a d’ailleurs reproché une sorte de <a href="https://newrepublic.com/article/122432/bernie-sanderss-blind-spot-race-was-imported-scandinavia">point aveugle pour ce qui a trait, par exemple, à la question raciale</a>. Sanders, en d’autres termes, ne serait pas « woke ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1224592221795766274"}"></div></p>
<p>La gauche du Parti démocrate est donc contrainte par une posture politique parfois impopulaire dont de nombreux dirigeants démocrates se tiennent éloignés. Biden n’a ainsi cherché à endosser ni la posture « woke » ni les problématiques liées à l’intersectionnalité, contrairement à Hillary Clinton en 2016. Il s’est présenté comme un modéré fiable et sympathique, à même de stabiliser le navire après le mandat très controversé de Donald Trump et la poussée des insurgés de Bernie Sanders.</p>
<h2>Le « New Deal » de Joe Biden</h2>
<p>Aujourd’hui tout le monde se demande si Biden va réussir à renverser la table néolibérale et à devenir le Roosevelt du XXI<sup>e</sup> siècle en ressuscitant l’État-providence. Il y a toutefois des limites, importantes, à la comparaison entre Biden et Roosevelt : Roosevelt est élu en 1932 avec 18 % d’avance dans le vote populaire, 472 grands électeurs sur 531 et 42 États sur 48. Force est de constater que la victoire de Biden n’est en rien comparable (4,5 % d’avance en matière de vote populaire, 306 grands électeurs sur 538 et 27 États sur 50).</p>
<p>Cela étant, on peut considérer que le cœur du programme de Biden (les emplois et les infrastructures) ressemble à celui de Roosevelt, même si Obama et Trump ont en réalité utilisé exactement les mêmes thèmes. Le New Deal de Biden (« Build Back Better ») vise à remettre à niveau les infrastructures que Roosevelt avait créées, en ajoutant une infrastructure de services pour soutenir les professions liées au « care ». Roosevelt avait résumé son action en trois objectifs, « Relief, Recovery and Reform », qui s’appliquent aussi à ce que fait Biden.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/build-back-better-le-programme-economique-de-joe-biden-151867">« Build back better » : Le programme économique de Joe Biden</a>
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<p>La séquence « Relief » est déjà là, par le biais du gigantesque <a href="https://www.whitehouse.gov/american-rescue-plan/">American Rescue Plan</a>. En dollars constants de 1933, Biden a fait plus que Roosevelt au cours de ses 100 premiers jours, mais Roosevelt avait déjà réalisé des changements structurels, comme dans le système financier, que Biden n’a pas encore tentés.</p>
<p>La phase « Recovery » est également amorcée avec l’<a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2021/03/31/fact-sheet-the-american-jobs-plan/">American Jobs Plan</a> de 2 milliards de dollars, qui va créer des emplois via les infrastructures. Il faudra voir si le fait de placer stratégiquement ce type de projets dans des États « rouges » pourra aider Biden à remporter les 10 voix républicaines nécessaires pour éviter un <em>filibuster</em> au Sénat. La pratique du filibuster permet une obstruction que seule une majorité de 60 sièges permet de contourner, ce qui est très supérieur à la majorité simple dont peuvent disposer aujourd’hui les Démocrates.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1368503039649345536"}"></div></p>
<p>Le troisième « R » (« Reform ») sera le plus difficile. La réforme des lois électorales, de l’immigration, de la législation sur les armes à feu, par exemple, imposera de cumuler toutes les voix démocrates et d’obtenir l’assentiment de dix Républicains au Sénat. Cela paraît difficile sans abolir ou au moins réduire la pratique du <em>filibuster</em>. C’est très important pour que la rupture politique et psychologique soit aussi nette et permanente que celle opérée par Roosevelt, dont la plupart des grandes réalisations sont survenues après sa première année de mandat.</p>
<h2>L’interrogation des midterms de 2022</h2>
<p>Même si Biden réussissait à convaincre la totalité des Démocrates, le pari pourrait tout de même se retourner contre lui.</p>
<p>En 1934, Roosevelt a déjoué la logique des élections de mi-mandat où le parti du président perd traditionnellement des sièges. Ce n’est plus arrivé ensuite jusqu’à ce que George W. Bush instrumentalise la peur liée au 11-Septembre pour tout de même progresser à mi-mandat en 2002. La norme serait donc que les Républicains reprennent le contrôle après les midterms de 2022.</p>
<p>Cela mettrait les Démocrates en grande difficulté ; pour mémoire, c’est uniquement après le désastre des midterms de 1994 que Bill Clinton s’est mis à réaliser le programme économique du Speaker républicain Newt Gingrich. En simplement deux ans, Clinton est passé d’une ambitieuse réforme de la couverture santé à sa célèbre phrase <a href="https://www.pbs.org/weta/washingtonweek/web-video/era-big-government-over-clintons-1996-state-union">« The era of big government is over »</a>. Attendons de voir quel sera le Biden, historiquement très centriste, de l’après-2022.</p>
<p>Les 100 premiers jours de Biden sont ceux d’un Parti qui essaie de corriger le tir, de changer de cap, qui prend enfin ses distances avec l’époque Reagan et se tourne vers un électorat qui semble vouloir évoluer d’un pays de centre droit vers un pays de centre gauche. Il y a beaucoup d’anciens de l’administration Obama dans l’équipe Biden : ils essaient sans doute de donner une impulsion plus ouvertement progressiste à l’administration Biden, mais on verra si les impératifs de la responsabilité fiscale reprennent le dessus, ou pas, après les midterms de 2022.</p>
<p>Biden, comme Obama, a hérité d’une économie en crise, mais son plan de relance est 2,5 fois supérieur à celui d’Obama. Là où l’on avait reproché à Obama un plan trop modeste, trop compliqué et à peine perceptible par les électeurs, Biden a proposé un plan beaucoup plus important, plus simple et plus lisible, notamment centré sur ces fameux <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/etats-unis-les-premiers-cheques-du-plan-de-relance-verses-des-ce-week-end-20210313">chèques de 1 400 dollars par personne</a> prévus dans son plan de relance.</p>
<p>Obama avait émoussé son plan initial pour essayer de s’assurer des voix républicaines ; Biden a rencontré les Républicains avant de se lancer seul. Là où Obama avait le don de faire en sorte que des programmes en réalité très modérés, comme sa réforme de santé, aient l’air véritablement réformateurs aux yeux des progressistes, la force de Biden est d’arriver à faire que des idées très libérales (au sens américain du terme) paraissent raisonnables et modérées aux yeux des centristes.</p>
<p>Enfin, l’ascension d’Obama a représenté un séisme prétendument post-racial, qui a déclenché une réaction raciste et conduit des élus Démocrates dans des circonscriptions difficiles à prendre leurs distances avec le président. Joe Biden n’a pas ce problème. Biden est un vieux Blanc. Et il faut hélas se rendre à l’évidence : il y a quelque chose de réconfortant pour les vieux électeurs blancs centristes en la personne d’un vieux Blanc centriste. Quand Joe Biden dit quelque chose, cela se passe différemment que si Barack Obama l’avait dit. Les préjugés implicites sont réels et il convient, pour ce sujet comme pour les autres, de ne pas céder à trop de conclusions hâtives avant novembre 2022.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162866/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Gachon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avec l’ambitieuse relance économique de Joe Biden, le Parti démocrate semble revenir à ses principes d’avant le tournant vers le centre droit enclenché sous Bill Clinton il y a trente ans.Nicolas Gachon, Maître de conférences HDR en histoire et civilisation des Etats-Unis, Université Paul Valéry – Montpellier IIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1631362021-06-22T19:16:28Z2021-06-22T19:16:28ZLes enjeux politiques internes en Iran après l’élection d’Ebrahim Raïssi<p>L’élection au premier tour d’Ebrahim Raïssi, le 18 juin 2021, avec quelque 62 % des suffrages, est <a href="https://www.letemps.ch/opinions/iran-une-victoire-double-tranchant">à double tranchant pour le régime de la République islamique d’Iran</a>.</p>
<p>D’une part, la fin de la présidence du « modéré » Hassan Rouhani (élu en 2013 et réélu en 2017) signifie que les ultraconservateurs maîtrisent désormais la totalité des leviers du pouvoir, ce qui réduit, en théorie du moins, les risques de mésentente interne ; mais, d’autre part, la mise à l’écart du camp « modéré » prive ces mêmes ultraconservateurs d’un bouc émissaire commode à qui il était possible d’attribuer la responsabilité de toutes les difficultés du pays.</p>
<h2>Un régime uni autour d’une ligne dure</h2>
<p>Avec l’arrivée à la présidence d’Ebrahim Raïssi – un proche du guide suprême Ali Khamenei, qui était jusqu’ici responsable du système judiciaire –, le régime apparaît plus cohérent, dans un contexte d’affaiblissement du pays en raison de la <a href="https://themedialine.org/top-stories/irans-economy-is-closer-than-ever-to-collapse-says-expert/">mauvaise gestion de l’économie rentière</a>, mais aussi de la politique de « pression maximale » <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-01-24/four-years-of-crisis-charting-iran-s-economy-under-trump">mise en œuvre pendant quatre ans par l’administration Trump</a>.</p>
<p>Il est d’ailleurs intéressant de noter que, lors du <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20210606-iran-un-premier-d%C3%A9bat-pr%C3%A9sidentiel-marqu%C3%A9-par-des-accusations-sur-l-%C3%A9conomie">premier débat télévisé du 5 juin 2021</a>, les candidats conservateurs (sept candidats étaient en lice, dont cinq conservateurs, Ebrahim Raïssi étant le grand favori) ont sévèrement critiqué le bilan du président sortant Rouhani, mais se sont bien gardés d’évoquer le rôle des sanctions américaines, qui ont pourtant eu un effet notable sur la détérioration économique du pays.</p>
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<p>Face à l’appauvrissement de la population (<a href="https://iranintl.com/en/iran/statistics-suggest-half-iranians-living-poverty">entre 30 et 50 % de la population iranienne vit désormais sous le seuil de pauvreté</a>), il apparaît nécessaire d’unifier le régime autour d’une ligne dure. Ainsi, du point de vue du bureau du Guide suprême, la première étape a été celle de la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/iran-des-legislatives-dominees-par-les-conservateurs-22-02-2020-2363987_24.php">prise de contrôle du Parlement</a> en 2020. Il s’est ensuite agi de garantir la victoire de Raïssi au moyen de l’ingénierie électorale, c’est-à-dire à travers une « sélection » des candidats effectuée par le Conseil des Gardiens, élaborée pour garantir la victoire du candidat Raïssi.</p>
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<p>Cette ingénierie électorale en sa faveur est plurifactorielle : elle s’explique, d’abord, par la faillite des modérés qui n’ont pas réussi à attirer durablement les entreprises occidentales dans le cadre de la stratégie globale de la République islamique de refus de toute normalisation diplomatique avec Washington. Cet échec est m’une des raisons pour lesquelles il a été décidé de favoriser la victoire d’un ultraconservateur à la présidence : son accession à ce poste vise à établir un nouveau modèle politico-économique qui n’anticipe pas une normalisation économique avec l’Occident s’inscrivant dans la longue durée.</p>
<p>Cette approche explique en partie l’intensification du tournant vers l’Est (Chine et Russie) de la politique étrangère iranienne à la suite du <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/05/08/donald-trump-annonce-le-retrait-des-etats-unis-de-l-accord-sur-le-nucleaire-iranien_5296297_3222.html">retrait américain</a> de l’Accord sur le nucléaire en mai 2018.</p>
<p>Enfin, l’élection présidentielle du 18 juin 2021 constitue la fin d’un cycle de deux mandats de la faction « modérée » à la tête du gouvernement. Il était donc logique pour le Conseil des Gardiens et le Guide de construire une sélection favorisant une alternance ultraconservatrice pour éviter les dissensions internes et accompagner la <a href="https://www.arabnews.com/node/1880771">montée en puissance de l’appareil de sécurité</a>.</p>
<h2>Le Guide suprême en première ligne</h2>
<p>Ainsi, la République islamique est désormais moins plurielle et la semi-opposition ne pourra plus être le bouc émissaire des faillites du système (<em>nezam</em>) dans sa globalité.</p>
<p>La victoire du responsable du pouvoir judiciaire annonce sans doute, du fait de la proximité Raïssi-Khamenei, une sorte de co-gestion des affaires du pays. Dès lors, la fonction de Guide suprême sera davantage exposée à la critique populaire : à présent qu’un de ses alliés détient la présidence, Khamenei se retrouve en première ligne. Cette purification idéologique du régime comporte le risque de transformer l’électeur iranien mécontent de l’action de l’exécutif en partisan d’un changement de régime.</p>
<p>Le Guide a exclu des débats de la campagne présidentielle les questions de politique étrangère, arguant que l’électorat iranien est plus préoccupé par le chômage des jeunes, qui s’élève à <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/01/02/iran-inflation-chomage-des-jeunes-dependance-au-petrole-4-graphiques-sur-la-situation_5236840_4355770.html">plus de 25 %</a>, que par les dossiers internationaux. Un argument d’autant plus discutable que l’économie de la République islamique est très dépendante des fluctuations de la politique iranienne de Washington. Ce déni de la réalité de la vie économique par l’autorité suprême renforce l’hypothèse selon laquelle le système est prêt à payer le prix économique de sa singularité idéologique pour les quatre prochaines années. Pour le président élu, il s’agit donc de ne plus lier le sort économique de la population avec la question de <a href="https://www.farsnews.ir/en/news/14000331000696/Presiden-Elec-Rayeesi-Iran-Prse-All-Inclsive-Balanced-Freign-Plicy">l’insertion de l’Iran dans la globalisation économique</a>.</p>
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<p>Cette nouvelle stratégie des ultraconservateurs s’explique aussi par la faillite du modèle économique promu par les « modérés », qui vise précisément à intégrer la République islamique au sein de la globalisation économique à travers le respect des règles financières internationales. Sous Rouhani, le gouvernement n’a pas pu faire adopter des projets de loi visant à permettre au pays de devenir partie à la <a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2020-02-21/financement-du-terrorisme-le-gafi-retablit-toutes-les-sanctions-contre-l-iran">Convention de Palerme contre la criminalité transnationale</a> et à la <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/iran-le-parlement-adopte-un-projet-de-loi-contre-le-financement-du-terrorisme-1310032">Convention pour la répression du financement du terrorisme</a> pour sortir durablement de la liste noire du <a href="https://iranintl.com/en/world/fatf-blacklist-damages-iran%E2%80%99s-economy-government-spokesman-reiterates">Groupe d’action financière</a>. Un tel projet semble impossible à réaliser dans le cadre d’un régime politique révolutionnaire, qui n’est pas prêt à accepter la <a href="https://www.fatf-gafi.org/publications/high-risk-and-other-monitored-jurisdictions/documents/call-for-action-february-2020.html">refonte politique qui serait indispensable pour cette adhésion aux normes juridiques internationales dans le domaine financier</a>.</p>
<p>C’est donc un échec pour un modèle politique, celui du camp « modéré », qui cherchait à faire cohabiter deux principes qui apparaissent aujourd’hui irréconciliables : premièrement, le maintien d’une relation d’hostilité idéologique avec Washington et, deuxièmement, un plus grand pragmatisme économique à l’intérieur tout en développant tous azimuts le commerce international de la République islamique.</p>
<h2>Une crise économique et politique vouée à se poursuivre</h2>
<p>Face à la politique de redistribution de la rente chère aux ultraconservateurs, fondée sur l’idée de charité à travers la <a href="https://www.jstor.org/stable/40660904">distribution de subventions à la population</a>, le modèle économique des « modérés », alliant libéralisme économique et autoritarisme politique, a donc touché ses limites.</p>
<p>Le plus grand succès de Rouhani est certes d’avoir été capable de négocier un <a href="https://www.armscontrol.org/factsheets/JCPOA-at-a-glance">compromis diplomatique avec Washington</a> dans le cadre des lignes rouges du régime (c’est-à-dire sans normalisation des relations) et d’être ainsi parvenu à éviter une confrontation militaire directe avec les États-Unis et leurs alliés régionaux. Cependant, le principal échec demeure : l’affaiblissement de la classe moyenne et la multiplication des révoltes des classes populaires. On assiste ainsi, de manière concomitante avec les <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/mouvements-contestation-irak-liban-quelles-consequences-geopolitiques-2020">mouvements sociaux libanais et irakien de l’automne 2019</a>, au retour dans l’espace public d’une nouvelle forme de nationalisme : le patriotisme économique par le bas. Il s’agit d’une <a href="https://www.academia.edu/49319929/La_R%C3%A9publique_islamique_d_Iran_Entre_survie_%C3%A9conomique_et_ambitions_nucl%C3%A9aires">demande</a> de prise en compte de la vie quotidienne de la population avec des revendications relatives au pouvoir d’achat, à la lutte contre la corruption et contre le clientélisme et à une réforme du système politico-économique pour le rendre plus transparent.</p>
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<p>La fin de l’alternance modérés-conservateurs s’explique in fine par l’exclusion des candidats crédibles modérés ayant un poids politique significatif par le Conseil des Gardiens, qui s’appuie désormais sur l’avis des services de renseignement pour sélectionner les candidats. Au-delà de cette évolution institutionnelle, le modèle politique des « modérés » n’a pas permis de garantir un réel développement économique du pays dans le respect des lignes rouges de l’État révolutionnaire iranien. La fin de la présence de la semi-opposition « modérée » au gouvernement permet certes au régime de restaurer son autorité à court terme tout en limitant les effets négatifs de l’expression des divisions internes dans l’espace public. Mais cette clarification idéologique risque de renforcer la crise de légitimité du régime – une crise qui est apparue au grand jour dans l’espace public en 2009 avec l’émergence du <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2010-2-page-117.htm">Mouvement Vert</a>.</p>
<p>La réponse sécuritaire risque de ne pas suffire pour éteindre les foyers de mécontentement, et l’exclusion des modérés par la manipulation en amont du processus électoral traduit plus le une crise politique qu’une dynamique favorable à la résolution des problèmes du pays, spécialement dans le domaine économique. L’impasse du tout-sécuritaire ne pourra pas être masquée par la politique du nouveau président, qui se limitera à une redistribution de la rente aux plus défavorisés et à des <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1265694/ebrahim-raissi-ultraconservateur-iranien-en-guerre-contre-la-corruption.html">slogans de lutte contre la corruption</a>. En effet, la relance de l’économie rentière ne pourra pas suffire à réduire le chômage des jeunes, à faire baisser le taux d’inflation (plus de 40 %) ou même à vaincre le <a href="https://iranintl.com/en/iran-economy/iran-near-bottom-transparency-international%E2%80%99s-2020-corruption-index">fléau de la corruption</a>. Les slogans sont en fait plus utilisés pour éliminer les adversaires politiques du nouveau président comme, par exemple, le candidat déchu <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1264983/larijani-demande-les-raisons-de-son-invalidation-en-vain.html">Ali Larijani</a>, que pour résoudre ce problème structurel de l’économie iranienne.</p>
<p><em>Last but not least</em>, le clientélisme risque de se renforcer avec l’augmentation des exportations pétrolières et le développement des partenariats avec la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/05/27/l-accord-iran-chine-une-victoire-symbolique-pour-teheran-mais-pas-un-tournant_6081631_3232.html">Chine</a> et la <a href="https://portail-ie.fr/analysis/2798/liran-pivote-vers-la-russie-en-matiere-deconomie-et-de-securite-informationnelle">Russie</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1399608318138720257"}"></div></p>
<p>En conséquence, le sentiment d’un accroissement des inégalités socio-économiques pour la majorité de la population risque aussi de s’accentuer. La faillite des « modérés » ne signifie pas pour autant que la politique économique des ultraconservateurs sera à même de résoudre les maux économiques d’un État dont les élites révolutionnaires placent toujours les déshérités au centre de leur discours politique. Plus de quarante-deux ans après la Révolution, l’appauvrissement du pays traduit l’incapacité économique de la Révolution à traduire en actes ses objectifs politiques. La fin du gouvernement « modéré » et l’explication de la crise économique par les manœuvres d’« ennemis » étrangers risquent de ne pas suffire à faire oublier la responsabilité des principaux décisionnaires – à savoir le Guide et son appareil de sécurité.</p>
<p>Cette nouvelle phase de la vie politique iranienne ouverte avec l’« élection » de Raïssi va renforcer le noyau dur du système autour du clergé ultraconservateur et des Gardiens de la Révolution, au prix d’un fossé grandissant entre ceux de l’intérieur du régime (les <em>khodi</em>) et ceux de l’extérieur (les <em>gheyre khodi</em>) – à savoir, désormais, une large majorité de la population du pays. Autrement dit, si la Révolution est sauvée à court terme, la crise de gouvernance de l’État risque de perdurer sous le mandat présidentiel de Raïssi.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163136/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clément Therme ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pendant huit ans, la présidence en Iran a été détenue par un « modéré », Hassan Rouhani. Les ultraconservateurs viennent de placer l’un des leurs à ce poste très exposé.Clément Therme, Chargé de cours, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1629032021-06-20T17:02:41Z2021-06-20T17:02:41ZLa fin de l’opération Barkhane vue du Niger<p>Avec la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/terrorisme-djihadistes/operation-barkhane/trois-questions-sur-la-fin-de-loperation-barkhane-au-mali_4659817.html">fin annoncée</a> de l’opération Barkhane au Mali, le Niger apparaît désormais comme un relais essentiel de l’action de la France au Sahel.</p>
<p>Sur le plan militaire et géographique, d’abord, le pays se trouve en plein dans l’œil du cyclone, au centre de la coalition antiterroriste du G5 – le « Groupe des Cinq », qui combat des groupes affiliés à Al-Qaïda ou à l’organisation État islamique avec des troupes venues, outre du Niger, de Mauritanie, du Burkina Faso, du Mali et du Tchad.</p>
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<p>Sur le plan politique, qui plus est, il s’en sort mieux que ses voisins. Entouré du Mali et du Tchad, où les militaires ont repris le pouvoir en <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2020/10/ROBERT/62316">2020</a> et <a href="https://www.rfi.fr/fr/en-bref/20210502-tchad-le-conseil-militaire-nomme-son-gouvernement-de-transition">2021</a>, le Niger a réussi à consolider ses acquis démocratiques. Au terme de deux mandats, le président sortant, Mahamadou Issoufou, a en effet accepté de <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/743645/politique/niger-mohamed-bazoum-le-dauphin-confirme-de-mahamadou-issoufou/">céder la place</a> à son dauphin, Mohamed Bazoum. Depuis l’indépendance en 1960 de cette ancienne colonie française, les alternances de gouvernement avaient plus communément pris la forme du coup d’État. C’est la première fois dans l’histoire du Niger que l’on a assisté à une succession entre deux présidents élus après la <a href="https://www.rfi.fr/fr/en-bref/20210321-niger-la-cour-constitutionnelle-d%C3%A9clare-mohamed-bazoum-vainqueur-du-2nd-tour-de-la-pr%C3%A9sidentielle">victoire</a> de Mohamed Bazoum au second tour des élections.</p>
<h2>Les dossiers brûlants du nouveau président</h2>
<p>Aujourd’hui, les défis n’en sont pas moins immenses. Au nord, le Niger est menacé par les troubles de la Libye voisine ; à l’ouest, sur la frontière malienne, par les nébuleuses d’<a href="https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/une-semaine-apres-mort-dabdelmalek-droukdel-consequences-aqmi">AQMI</a> (Al-Qaïda au Maghreb islamique) et de l’<a href="https://www.franceculture.fr/geopolitique/le-sahel-dans-la-ligne-de-mire-du-groupe-etat-islamique-au-grand-sahara">EIGS</a> (État islamique au Grand Sahara) ; au sud-est, en direction du Nigeria et du lac Tchad, par les djihadistes de <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/niger-importante-attaque-de-boko-haram-dans-le-sud-est-du-pays-20210528">Boko Haram</a>.</p>
<p>Peu après la victoire de Mohamed Bazoum, et peu avant son investiture début avril 2021, le pays a par ailleurs connu une <a href="https://www.dw.com/fr/tentative-de-coup-detat-au-niger/a-57059061#:%7E:text=Le%20gouvernement%20a%20confirm%C3%A9%20dans,%C3%89tat%20de%20droit%20dans%20lequel">tentative de putsch</a> menée par un capitaine de l’armée de l’air, Sani Gourouza, qui a depuis lors été <a href="https://www.afrik.com/niger-fin-de-cavale-pour-sani-gourouza-le-capitaine-qui-a-tente-de-renverser-bazoum">appréhendé par la police au Bénin</a>. À l’époque, beaucoup d’observateurs se sont <a href="https://www.dw.com/fr/tentative-de-coup-detat-au-niger-pourquoi-maintenant/a-57068153">perdus en conjectures</a> sur la nature d’un coup d’État qui était mal préparé et qui aurait tout aussi bien pu être soutenu par l’opposition que par le camp du président sortant, les uns pour protester contre le résultat des élections, les autres pour, prétendument, justifier la proclamation d’un état d’urgence et une éventuelle prolongation du mandat d’Issoufou.</p>
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<p>Quoiqu’il en soit des rumeurs sur une affaire qui est restée assez mystérieuse, l’événement a surtout signalé la fragilité d’un pays qui n’échappe pas aux maux de ses voisins. Le 21 mars dernier, par exemple, de nouveaux massacres ont entraîné la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/03/22/les-attaques-s-intensifient-dans-l-ouest-du-niger-un-bilan-de-203-morts-en-six-jours_6074087_3212.html">mort d’au moins 137 civils dans la région de Tahoua</a> (ouest du Niger).</p>
<p>Lors d’un entretien avec l’auteur de ces lignes à Niamey juste avant son investiture le 2 avril, le président Mohamed Bazoum expliquait ainsi que, sur le plan sécuritaire, sa principale préoccupation était désormais cette zone dite « des trois frontières » (entre le Niger, le Mali et le Burkina Faso) où sévissent « des bandits qui enlèvent du bétail, tuent des gens et imposent le paiement de leur dîme religieuse, la zakat ».</p>
<p>« Notre devoir, poursuivait-il, c’est de protéger l’intégrité physique des citoyens et de leurs biens. Nous ne voulons plus que de jeunes bergers en moto aillent dans les villages extorquer de l’argent et menacer nos concitoyens dans les régions de Tilabéri et Tahoua à la frontière du Mali. Boko Haram, c’est moins prioritaire. Au Niger, ce sont juste des bandits qui rançonnent la population. Ils sont dans des stratégies de survie économique et non de conquête territoriale pour établir un califat et y administrer des musulmans. À mon avis, le Boko Haram du Niger est très différent de celui du Nigeria. »</p>
<h2>L’option de la négociation avec les djihadistes</h2>
<p>Comme ses voisins sahéliens, le Niger fait cependant partie des pays les plus pauvres du monde et il n’a pas forcément les moyens de patrouiller efficacement des zones rurales et périphériques. Comme en Afghanistan ou au Mali, l’option des négociations avec les groupes djihadistes est donc <a href="https://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=PE_201_0173">à l’ordre du jour</a>. La stratégie du président Bazoum consiste surtout à proposer une sorte d’amnistie aux combattants de Boko Haram qui acceptent d’être démobilisés et de rejoindre des <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/societe-africaine/niger-programmes-de-deradicalisation-pour-d-anciens-membres-du-groupe-jihadiste-boko-haram_4372269.html">centres de dé-radicalisation</a>, d’une part, et à essayer de satisfaire les revendications communautaires des Peuls de l’EIGS, <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/boko_haram_et_les_limites_du_tout-repressif_au_nigeria_-_de_nouvelles_perspectives.pdf">d’autre part</a>.</p>
<p>Il nous l’a confié ouvertement :</p>
<blockquote>
<p>« Quand je suis arrivé au ministère de l’Intérieur en mai 2016, j’ai vite compris qu’au Niger, les combattants de l’EIGS étaient surtout de jeunes Peuls de Banibangou, dans le département de Ouallam. Beaucoup venaient d’une ancienne milice d’éleveurs qui avait autrefois agi dans la zone et dont j’ai utilisé le chef pour servir d’intermédiaire avec Abou Walid al-Sahraoui [le chef de l’EIGS]. Je leur ai dit que j’étais prêt à négocier sur la base de revendications communautaires. L’accès à la terre, l’absence d’infrastructures sanitaires et scolaires, tout ça on pouvait l’entendre et j’étais même prêt à intégrer certains d’entre eux dans la garde nationale. Mais ils m’ont dit qu’ils étaient là pour faire le djihad au Mali et que le Niger ne les intéressait en aucune façon. Ils ont exigé que je libère leurs combattants, en échange de quoi ils s’engageraient à protéger la section de la frontière sous leur contrôle. J’ai alors étudié la liste des prisonniers en nos mains. »</p>
</blockquote>
<p>Cet examen a donné lieu à des décisions variées selon la gravité des faits imputés aux personnes emprisonnées :</p>
<blockquote>
<p>« Certains n’avaient pas de dossiers d’accusation et ont aussitôt été libérés. D’autres pouvaient être traduits en justice et paraissaient susceptibles d’être acquittés. Mais il y en avait quatre qui avaient commis des crimes de sang. Deux, notamment, avaient mené l’attaque contre la prison de Banibangou au cours de laquelle deux gardes nationaux avaient été tués. Ceux-là ne pouvaient pas se soustraire à un jugement. On aurait éventuellement pu envisager de les gracier après un procès mais il nous fallait des garanties, un accord. L’EIGS a refusé et nous a lancé un ultimatum. Ils ont alors attaqué la caserne de Banibangou fin février 2017 en enlevant un garde national qu’ils ont ensuite accepté de libérer en gage de bonne volonté. Mais les discussions n’ont pas avancé et la situation sécuritaire n’a cessé de se dégrader depuis lors, pendant qu’ils se renforçaient au Mali. »</p>
</blockquote>
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<p>Le nouveau président se veut donc prêt au dialogue mais estime que la partie adverse, elle, ne l’est pas :</p>
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<p>« Qui pourrait être notre interlocuteur ? Nous n’en avons pas. Abou Walid al-Sahraoui ne peut pas être notre interlocuteur : ce n’est pas un Nigérien, je ne discuterai jamais avec lui. Il nous faut maintenant inverser le rapport de force militaire pour initier une discussion avec les éléments peuls du groupe : des jeunes Nigériens qui sont dans le djihad par égarement. Mais ça n’a pas de sens de discuter avec Abou Walid al-Sahraoui : lui-même ne le veut pas, il n’est pas nigérien. Son idée du djihad est complètement étrangère aux réalités locales ; il veut créer un autre État dans lequel le Niger n’existerait pas. »</p>
</blockquote>
<h2>Une situation plus stable qu’au Mali</h2>
<p>Face à de tels défis, plusieurs éléments prêtent cependant à l’optimisme. Le Niger dispose en effet de certains atouts. Contrairement au Mali, d’abord, il a su intégrer les communautés touarègues dans la gouvernance du pays. Lui-même originaire d’un groupe arabe issu du Fezzan libyen, le président Mohamed Bazoum va sûrement poursuivre cette politique. Aux dernières élections, il a d’ailleurs fait le plein de voix en pays touarègue à Agadès et dans le nord.</p>
<p>Des raisons d’ordre structurel expliquent aussi la <a href="https://www.chathamhouse.org/2021/03/rethinking-response-jihadist-groups-across-sahel">relative stabilité du Niger</a>. Alors que Niamey est très excentré, Agadès fait figure de capitale symbolique du pays en dépit de sa situation au nord. De plus, la ville est moins isolée que Kidal, le fief des séparatistes touarègues au Mali. La région est plus intégrée à l’économie nationale, contrairement aussi à Diffa dans le sud-est, qui commerce surtout avec le Nigeria. Agadès a également bénéficié du boom de l’uranium dans les années 1970 et 1980. Aujourd’hui, les cours sont bas et des mines sont en train de fermer. Mais le boom aurifère amortit un peu ce choc économique.</p>
<p>Très jacobins, les militaires qui exerçaient le pouvoir à Niamey avant le retour à un régime parlementaire en 2011 avaient par ailleurs pris soin d’étendre le réseau routier du pays afin de ne pas laisser de régions isolées. La route dite de « l’unité » a par exemple été construite en 1973 sur plus de 500 km de distance entre Zinder, Diffa et Nguigmi. La différence est flagrante avec le Mali où, aujourd’hui encore, il n’y a toujours pas de voie bitumée entre Gao et Tombouctou ou Kidal.</p>
<p>Le contraste est tout aussi saisissant quand on compare l’évolution politique des deux pays. Dans les années 1990, le Mali était présenté comme un modèle de transition démocratique. Le Niger, lui, était toujours en proie à des coups d’État. C’est un peu l’inverse à présent. Au Mali, les militaires ont repris le pouvoir, d’abord en 2012, puis en 2020 et <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/06/07/au-mali-le-colonel-goita-enfile-le-costume-de-president-dans-un-sahel-meurtri_6083189_3212.html">2021</a>. Le Niger, en revanche, connaît pour la première fois, nous l’avons dit, une alternance pacifique entre deux présidents élus.</p>
<h2>Des élections contestées pour une transition réussie</h2>
<p>Mohamed Bazoum explique notamment cette transition réussie par les différences entre son PNDS (Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme) et l’ADEMA (Alliance pour la démocratie au Mali), la formation arrivée au pouvoir après la chute de la dictature de Moussa Traoré à Bamako en 1991 :</p>
<blockquote>
<p>« Quand nous étions dans l’opposition, nous avons tissé un vrai réseau au niveau national. Le parti est resté homogène et cohérent, un pilier de l’État, avec une vision forte du pays. Cela m’a permis de gagner les élections en dépit du caractère minoritaire de la communauté à laquelle j’appartiens. D’une année à l’autre, le PNDS rassemble à peu près 40 % des voix aux législatives, ce n’est pas non plus un parti hégémonique. Il a donc besoin d’alliances pour gouverner, ce qui a un effet sur la gestion du pays. »</p>
</blockquote>
<p>Il ajoute, à propos de l’élection présidentielle qu’il vient de remporter, qu’il ne regrette pas de ne pas avoir été élu dès le premier tour :</p>
<p>« C’est la preuve que nous sommes dans un régime d’élections libres et transparentes. Tout en étant le candidat du parti au pouvoir, avec près de la moitié des sièges au Parlement, je n’ai pu réunir que 39,3 % des suffrages au premier tour. J’ai ensuite bénéficié du ralliement des candidats les plus importants : le troisième, qui avait 9 % des voix, et le quatrième, qui en avait 7 %. Avec le report de quelques autres partis, le bloc qui me soutenait réunissait à peu près 67 % des votes du premier tour. Mais je me suis retrouvé avec 55,6 % des voix au second tour, preuve qu’il s’agissait bien d’élections libres. »</p>
<p>L’opposition a néanmoins <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/02/27/un-climat-de-tension-couve-au-niger-apres-l-election-presidentielle_6071404_3212.html">crié à la fraude</a>, dénonçant notamment des taux de participation très élevés dans la région de Tahoua. Le président Mohamed Bazoum s’en explique ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Nous avons d’abord eu des élections municipales et régionales le 18 décembre, puis des législatives et le premier tour des présidentielles le 27 décembre. À l’époque, personne n’a crié à la fraude. Pourtant, ce sont à peu près les mêmes résultats et les mêmes taux de participation qu’on a retrouvés dans chaque circonscription au second tour. On peut s’amuser à faire des comparaisons et on verra que je n’ai bénéficié, au mieux, que du transfert de voix auquel on pouvait s’attendre à l’issue des ralliements du premier tour.</p>
</blockquote>
<p>De plus, mes meilleurs scores ont été réalisés dans des régions [du nord], Agadès et Taouha, où l’opposition n’avait tout simplement aucun représentant. Les seuls partis qui y avaient présenté des candidats m’ont soutenu au second tour. L’opposition, elle, a une implantation très régionale [dans le sud]. Elle n’avait pas de raisons de crier à la fraude au second tour plutôt qu’au premier. C’est d’autant plus évident que j’ai été moins performant au second tour, alors que j’aurais dû bénéficier à plein du report des voix du bloc qui me soutenait. Mais l’opposition voulait contester de toute manière, cela faisait partie de sa stratégie pour créer les conditions d’une situation de chaos. »</p>
<h2>Une pratique démocratique qui reste à consolider</h2>
<p>Il est vrai que le débat n’a pas toujours volé très haut. Des opposants ont remis en cause la nationalité nigérienne du candidat du PNDS et insisté sur son appartenance à une tribu minoritaire et originaire du Fezzan libyen, les <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/02/24/niger-mohamed-bazoum-le-compagnon-de-route-devenu-president_6071005_3212.html">Oulad Souleymane</a>. Bazoum s’en plaint amèrement :</p>
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<p>« Je suis le seul à m’en être tenu à mon programme et à ne pas avoir mené d’attaques personnelles. J’ai fait une campagne électorale qui a duré cinq mois et j’ai visité les chefs-lieux de 214 des 266 communes du Niger. J’y ai parlé de mon programme en matière d’éducation, d’infrastructures routières, d’électrification rurale, d’agriculture, d’élevage, de télécommunications, etc. Mes adversaires, eux, n’ont rien trouvé de mieux à faire que de s’en prendre à mes origines, au teint clair de ma peau. Et ils ont réussi à mobiliser une partie de l’électorat sur la base d’un discours haineux. C’est ça qui explique ma contre-performance du second tour. »</p>
</blockquote>
<p>Un développement qu’il avait en partie anticipé, affirme-t-il :</p>
<blockquote>
<p>« J’avais déjà signalé ce problème lorsque le président Issoufou voulait me convaincre de me présenter. Je lui ai dit que je n’étais pas forcément le meilleur candidat pour le parti car l’opposition risquait de mobiliser l’opinion publique sur la base du thème de mes origines et de ma couleur de peau. Mais le président Issoufou a estimé que j’étais le candidat le plus consensuel. Le parti avait déjà près de 50 % des sièges et le rapport de force était donc en notre faveur. Cette campagne sur le thème de mes origines a vraiment été choquante pour moi. Cela fait longtemps que je suis engagé en politique. J’ai assumé des responsabilités ministérielles et occupé plusieurs postes importants. Mais jusqu’à présent, je n’avais jamais été confronté à ce genre d’arguments douteux. Heureusement, cela n’a pas eu beaucoup d’effet ; certains qui mettaient en cause mes origines se sont finalement ralliés à moi, et nous avons tout oublié. Avec les autres aussi je veux passer l’éponge. »</p>
</blockquote>
<p>À défaut d’ouvrir son gouvernement à des membres de l’opposition, Bazoum a alors <a href="https://www.jeuneafrique.com/1151109/politique/nouveau-gouvernement-au-niger-mohamed-bazoum-fait-la-part-belle-au-pnds/">redistribué des portefeuilles ministériels</a> en fonction de ses soutiens au PNDS et des ralliements opérés entre les deux tours. Ces compromis ont visé à consolider et à élargir sa base sociale. Mais ils posent maintenant des questions sur la capacité du nouveau président à s’affranchir des logiques clientélistes pour lutter contre la corruption.</p>
<p>Trafics de stupéfiants, détournements des fonds destinés à acheter des armes, prévarication de certains fonctionnaires, violations des droits de l’homme par les militaires : les affaires ne manquent pas. À n’en pas douter, le bilan du président Bazoum se jugera aussi à l’aune de ses efforts en vue d’assainir les pratiques politiques du pays, et pas seulement de sa capacité à combattre les groupes djihadistes. </p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162903/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc-Antoine Pérouse de Montclos ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pays essentiel pour la sécurité du Sahel, surtout à présent que la France a annoncé la fin de l’opération Barkhane, le Niger vient d’élire un nouveau président qui sera confronté à de nombreux défis.Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherches, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1622722021-06-16T17:37:48Z2021-06-16T17:37:48ZUn retour au deal nucléaire iranien est-il encore possible ?<p>Les négociations entre l’Iran et les autres signataires du deal nucléaire de 2015 ont <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/07/nucleaire-iranien-mobilisation-diplomatique-constructive-a-vienne_6075791_3210.html">repris</a> début avril. Elles ont pour but de ramener toutes les parties au respect de leurs obligations. Cependant, aucune issue favorable ne semble se dégager pour le moment. Malgré l’optimisme affiché et la volonté déclarée de Téhéran et de Washington de revenir à cet accord, les « rounds » de négociations se succèdent. Et une échéance importante se profile en tout cas le 18 juin : l’élection présidentielle iranienne. Trouver une solution avant cette date semble crucial.</p>
<p>Un seul candidat crédible reste en lice, <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20210527-pr%C3%A9sidentielle-iranienne-qui-est-ebrahim-ra%C3%AFssi-l-ultraconservateur-qui-part-favori">Ebrahim Raisi</a>. Les candidatures de ses deux adversaires principaux – Ali Larijani, conseiller du Guide suprême Ali Khamenei, et Eshaq Jahangari, actuel premier vice-président d’Hassan Rouhani (lequel est en poste depuis 2013) – ont en effet été <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20210525-pr%C3%A9sidentielle-en-iran-les-autorit%C3%A9s-rejettent-les-candidatures-de-larijani-et-d-ahmadinejad">invalidées</a>. Ebrahim Raisi devrait donc, sans surprise, devenir le 18 juin prochain le nouveau président de la République islamique d’Iran, lui qui avait déjà <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/un-jour-dans-le-monde/un-jour-dans-le-monde-22-mai-2017">récolté 38 % des voix en 2017</a>.</p>
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<p>Ce clerc de 60 ans représente la frange radicale des conservateurs : proche du guide suprême Khamenei, il a été son élève. Procureur général adjoint de Téhéran à la fin des années 1980, il faisait alors partie du « comité de la mort », chargé des <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/iran/iran-le-regime-accuse-du-massacre-de-plus-de-30-000-opposants-en-1988_3062687.html">exécutions extrajudiciaires</a> de milliers d’opposants politiques. Devenu ensuite procureur général de Téhéran, il a été nommé en 2017 à la tête d’une importante fondation religieuse du pays. Ces fondations, ou « bonyad », sous l’autorité directe ou indirecte du Guide suprême, contrôlent l’essentiel de l’économie iranienne. En 2019, il est devenu le chef de l’Autorité judiciaire du pays.</p>
<p>S’il n’a toujours pas clarifié sa position à l’égard du <a href="https://www.latribune.fr/depeches/reuters/KBN2BX06J/nucleaire-iranien-les-usa-et-l-iran-s-affrontent-sur-les-sanctions-washington-voit-une-possible-impasse.html">deal nucléaire avec les États-Unis</a>, il semble peu probable qu’il en soit un fervent défenseur. Ses alliés conservateurs élus au Majlis, le Parlement iranien, ont en tout cas multiplié les initiatives pour s’en affranchir depuis les dernières élections législatives en novembre 2020. Si c’est bien le Guide suprême qui décide de la politique étrangère du pays et donc d’un potentiel deal nucléaire, Hassan Rouhani a montré que le président avait aussi un rôle à jouer en réussissant lui-même à infléchir la position iranienne à l’égard d’un deal avec les États-Unis.</p>
<p>Au vu de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1262890/liran-dit-attendre-une-decision-politique-de-washington.html">l’enlisement actuel</a> des négociations entre l’Iran et le P5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU plus l’Allemagne), l’élection d’Ebrahim Raisi à la présidence freinera probablement encore plus les tentatives de résolution diplomatique du « problème nucléaire ».</p>
<h2>L’espoir nommé Joe Biden</h2>
<p>C’était l’un des principaux engagements du candidat Joe Biden dans le cadre de sa politique étrangère : <a href="https://www.cfr.org/article/presidential-candidates-iran-nuclear-deal">revenir à l’accord nucléaire</a>. Son prédécesseur, Donald Trump, l’avait en effet <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/05/08/donald-trump-annonce-le-retrait-des-etats-unis-de-l-accord-sur-le-nucleaire-iranien_5296297_3222.html">quitté le 8 mai 2018</a> après l’avoir vilipendé pendant des mois. L’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA), chargée de vérifier les développements nucléaires iraniens, avait pourtant certifié plus d’une fois le respect par Téhéran de toutes ses obligations. L’Iran a même longtemps continué à honorer la grande majorité de ses engagements, malgré les lourdes sanctions imposées par les États-Unis.</p>
<p>L’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche devait donc sonner comme un retour à la diplomatie et au multilatéralisme dans le dossier iranien. Les premiers signes semblaient encourageants. Le nouveau président avait en effet nommé les deux grands artisans du deal de 2015, <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20210120-qui-sont-les-hommes-et-les-femmes-qui-composent-l-administration-biden">Antony Blinken et Wendy Sherman</a>, à la tête du département d’État américain. Mais la situation s’est rapidement enlisée. Au moins trois raisons peuvent être avancées.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1333153956739100672"}"></div></p>
<h2>Un mur d’obstacles</h2>
<p>Tout d’abord, les développements politiques et nucléaires du côté iranien ont compliqué les négociations. Si Téhéran avait doucement commencé à s’affranchir de ses obligations liées au deal nucléaire à partir de 2019, la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/23/iran-les-conservateurs-crient-victoire-lors-de-legislatives-marquees-par-l-abstention_6030562_3210.html">victoire</a> des ultraconservateurs aux législatives de novembre 2020 semble avoir accéléré le processus.</p>
<p>Peu de temps après leur prise de fonctions, les députés ont voté une loi obligeant le gouvernement à <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1247147/pourquoi-liran-reprend-il-lenrichissement-a-20-.html">reprendre</a> l’enrichissement d’uranium à 20 %, bien au-delà des 5 % auxquels l’Iran s’était tenu jusque-là et des 3,67 % prévus par l’accord. Dans la foulée, le Parlement contraignait le gouvernement à limiter très largement la transparence de ses activités nucléaires en interdisant notamment à l’AIEA les visites imprévues. Plus récemment, en avril 2021, l’Iran a annoncé <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/16/nucleaire-l-iran-affirme-avoir-commence-a-produire-de-l-uranium-enrichi-a-60_6077047_3210.html">avoir effectivement repris l’enrichissement d’uranium à 60 %</a>. Le pays aurait déjà accumulé une quantité de matériel fissile (nécessaire pour fabriquer une bombe atomique) <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1263607/le-stock-duranium-enrichi-16-fois-superieur-a-la-limite-autorisee.html">seize fois supérieure</a> aux quantités prévues dans l’accord.</p>
<p>Dans le même temps, Washington et Téhéran ont montré une incapacité chronique à échanger. On a pu assister à un véritable dialogue de sourds, chaque partie attendant que l’autre fasse le premier pas. Rendus inquiets par la perspective que l’Iran finance ses alliés au Moyen-Orient – Hezbollah et Bachar Al-Assad en tête – sans restreindre son programme nucléaire, les États-Unis refusent de lever les sanctions imposées et réclament avant toute chose un <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20210508-nucl%C3%A9aire-iranien-les-%C3%A9tats-unis-en-situation-d%C3%A9licate-trois-ans-apr%C3%A8s-la-sortie-de-l-accord">retour aux termes de l’accord</a> du côté de l’Iran. À Téhéran, on pointe le manque de crédibilité des promesses de Washington. Du point de vue de la République islamique, puisque les Américains ont décidé unilatéralement de jeter le deal à la poubelle, c’est à eux de faire le premier pas et de revenir les premiers à leurs engagements de 2015.</p>
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<p>Enfin, Israël – qui possède le monopole nucléaire au Moyen-Orient – semble continuer d’exercer une influence importante sur le cours des choses, multipliant les actions contre Téhéran et troublant ainsi les négociations.</p>
<p>Le 27 novembre dernier, Mohsen Fakhrizadeh, physicien et responsable de haut niveau du programme nucléaire iranien, était <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/nucleaire-iranien/ce-que-l-on-sait-de-l-assassinat-de-mohsen-fakhrizadeh-l-un-des-responsables-du-programme-nucleaire-iranien_4200227.html">assassiné</a> lors d’une opération largement attribuée à Israël. Début avril 2021, c’est un navire militaire iranien qu’Israël aurait visé en mer Rouge lors d’une attaque à la mine. À peine quelques jours plus tard, une attaque à distance, touchant les installations nucléaires de Natanz et paralysant les centrifugeuses, a été <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/nucleaire-iranien/iran-ce-que-l-on-sait-de-l-attaque-d-un-complexe-nucleaire-qui-relance-les-tensions-avec-israel_4369619.html">attribuée par Téhéran à Israël</a>. Et tout cela sans compter les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/01/14/israel-multiplie-les-raids-contre-des-positions-iraniennes-en-syrie_6066259_3210.html">nombreux raids aériens</a> opérés par l’armée israélienne sur les positions iraniennes en Syrie.</p>
<h2>Un accord vital pour tous</h2>
<p>Malgré les difficultés, il semble crucial de ressusciter l’accord de 2015. D’abord parce qu’Israël a déjà prévenu qu’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/23/face-aux-negociations-sur-le-nucleaire-iranien-israel-risque-l-isolement_6077741_3210.html">il ne laisserait pas l’Iran développer un arsenal nucléaire</a>. Le fait qu’Israël se réserve le droit d’intervenir militairement s’il le juge nécessaire n’est un secret pour personne.</p>
<p>En attestent les plans d’attaque que Tsahal aurait commencé à préparer en <a href="https://www.courrierinternational.com/article/menaces-les-nouveaux-plans-operationnels-de-tsahal-contre-liran-un-double-message">janvier dernier</a>, mais aussi les raids aériens réalisés par Israël sur les réacteurs <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/israel-admet-avoir-attaque-un-presume-reacteur-nucleaire-syrien-en-2007_1994109.html">d’Al-Kibar en Syrie</a> en 2007 et d’<a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1981_num_27_1_2435">Osirak en Irak</a> en 1981. Dans une région déjà durement touchée par les épisodes de violence, une guerre entre l’Iran et Israël serait particulièrement destructrice et déstabilisante. D’autant plus que de nombreux autres acteurs pourraient être tentés ou contraints d’y participer.</p>
<p>Ressusciter le deal semble également être un impératif pour les Américains en particulier et pour les Occidentaux en général, qui manquent d’options de repli. Les sanctions n’ont jamais ralenti le développement nucléaire iranien, bien au contraire. Renoncer à l’option diplomatique signifierait donc devoir choisir entre deux possibilités aussi peu plaisantes l’une que l’autre. D’un côté, espérer que les sanctions finissent par fonctionner. Cela reviendrait probablement à laisser l’Iran développer ses capacités nucléaires. De l’autre, intervenir militairement. On retomberait alors dans le scénario évoqué au-dessus.</p>
<p>Enfin, et c’est peut-être le plus important, le deal apparaît indispensable pour la population iranienne, qui étouffe sous les sanctions. Le chercheur Djamchid Assadi avait évoqué <a href="https://theconversation.com/iran-un-effondrement-economique-amorce-bien-avant-les-sanctions-americaines-120873">ici</a> les conséquences catastrophiques des sanctions pour les citoyens iraniens, avec une explosion de <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/01/02/iran-inflation-chomage-des-jeunes-dependance-au-petrole-4-graphiques-sur-la-situation_5236840_4355770.html">l’inflation et du taux de chômage</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1403029795722645516"}"></div></p>
<p>Par ailleurs, en privant les investisseurs étrangers d’accès au marché iranien, les sanctions offrent sur un plateau la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/iran/iran-qui-dirige-l-economie_2546959.html">mainmise sur l’économie</a> aux fondations évoquées en début d’article, qui sont aux ordres du Guide suprême et/ou des Gardiens de la Révolution. Un outil de plus entre leurs mains pour contrôler encore davantage une société civile déjà largement restreinte dans ses droits. Notamment dans les choix qu’on lui laisse pour élire son président. </p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162272/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérémy Dieudonné ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Et si les quelques jours restants avant l’élection présidentielle iranienne du 18 juin prochain étaient la dernière chance des Occidentaux pour ranimer l’accord de 2015 ?Jérémy Dieudonné, Doctorant en Relations internationales, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1625562021-06-10T21:58:22Z2021-06-10T21:58:22ZGénocide en Namibie : pourquoi l’offre de réparation de l’Allemagne ne suffit pas<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/405701/original/file-20210610-15-1ezab2b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1200%2C799&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Mémorial du génocide, à Windhoek.</span> <span class="attribution"><span class="source">Carsten ten Brink/flickr </span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>La récente <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/may/28/germany-agrees-to-pay-namibia-11bn-over-historical-herero-nama-genocide">« déclaration commune »</a> des gouvernements namibien et allemand sur le <a href="http://www.memorialdelashoah.org/archives-et-documentation/genocides-xx-siecle/genocide-herero-nama.html">génocide de 1904-1908</a> marque la première fois qu’une ancienne puissance coloniale présente officiellement des excuses à un autre pays pour des crimes de masse commandités par l’État. L’accord stipule que l’Allemagne versera 1,1 milliard d’euros pour des projets de développement en Namibie au cours des trente prochaines années. Certains experts considèrent cet accord comme un <a href="https://www.aa.com.tr/en/africa/mixed-reactions-in-africa-as-germany-formally-recognizes-genocide-in-namibia/2257660">modèle potentiel</a> pour les efforts de réconciliation postcoloniale qui pourraient être entrepris par d’autres anciennes colonies et puissances coloniales.</p>
<p>Toutefois, le compromis négocié présente des lacunes flagrantes du fait de sa prudence excessive visant à éviter toute conséquence juridique pour l’Allemagne qui pourrait créer un précédent. Il montre également que la participation limitée des représentants des communautés namibiennes les plus touchées par le génocide entrave une véritable réconciliation.</p>
<p>Mais les accords bilatéraux entre gouvernements – comme celui-ci – ne suffisent pas pour considérer qu’une véritable décolonisation des relations entre les peuples a eu lieu.</p>
<h2>Une longue négociation</h2>
<p>L’accord est le résultat de longues négociations entre l’Allemagne et la Namibie. Il s’appuie sur des déclarations antérieures, comme le discours prononcé en 2004 par la ministre allemande de la Coopération économique, Heidemarie Wieczorek-Zeul, à l’occasion du centenaire de la <a href="https://www.afriquesenlutte.org/afrique-australe/namibie/article/namibie-11-aout-1904-bataille-de">bataille de Waterberg</a>, qui a marqué le début du génocide. Elle a alors reconnu que ce qui s’était passé était « une guerre d’extermination […], ce qu’on appelle aujourd’hui un génocide », avant de déclarer : « Pardonnez nos offenses et notre culpabilité. »</p>
<p>Plus de dix ans plus tard, à la mi-2015, le ministère allemand des Affaires étrangères a reconnu que la guerre de 1904-1908 était <a href="http://www.namibia-botschaft.de/images/stories/Aktuelles/Press_Conference_10_July_2015_Yes_it_was_genocide.pdf">assimilable à un génocide</a>. À la fin de cette année-là, des négociations bilatérales entre les deux gouvernements ont été engagées. Mais celles-ci n’ont cessé de buter sur <a href="https://theconversation.com/genocide-negotiations-between-germany-and-namibia-hit-stumbling-blocks-89697">certaines pierres d’achoppement</a>.</p>
<p>Redoutant d’éventuelles obligations juridiques conséquentes, l’Allemagne a souhaité négocier sur le format de ses excuses à la Namibie. Elle était réticente à utiliser le terme de « génocide ». Et elle a toujours refusé d’accepter celui de « réparations ».</p>
<p>Quelques années plus tôt, en 2011, un premier progrès avait été réalisé dans la prise en compte des atrocités coloniales avec la première <a href="https://theconversation.com/namibian-genocide-victims-remains-are-home-but-germany-still-has-work-to-do-102655">remise par Berlin à la Namibie de restes humains des victimes du génocide</a>. Des crânes et autres parties de corps humains avaient été emportés dans l’Allemagne coloniale pour des études anatomiques anthropologiques qui ont ensuite contribué à la <a href="https://www.smithsonianmag.com/science-nature/science-bears-fingerprints-colonialism-180968709/">« science raciale »</a> nazie. Par la suite, de nombreuses autres occasions pour une réconciliation pleine de sens ont été manquées.</p>
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<p>Les craintes sont grandes que tout accord ait de possibles implications juridiques, puisse représenter un précédent pour l’Allemagne et <a href="https://gpil.jura.uni-bonn.de/2017/09/genocide-namibia-genocide-historical-political-legal-sense/">d’autres anciennes puissances coloniales</a>. Celles-ci craignent d’ouvrir la porte à des réparations. Du point de vue de l’Allemagne, cela concerne également les demandes de la Grèce, de l’Italie et de la Pologne en vue d’une indemnisation pour les atrocités de masse commises par les soldats allemands pendant la Seconde Guerre mondiale.</p>
<p>Le récent compromis négocié par l’Allemagne et la Namibie permet d’éviter un tel « piège » pour l’Allemagne et les autres anciennes puissances coloniales.</p>
<h2>Trop peu, trop tard</h2>
<p>L’engagement de l’Allemagne à hauteur de 1,1 milliard d’euros en faveur de projets de développement en Namibie est un prix trop faible à payer pour son remords. Comparé aux coûts humains durables et aux dégâts matériels causés en Namibie, cet engagement est purement symbolique et même insultant, comme l’a <a href="https://www.observer24.com.na/apology-not-accepted-rukoro-as-ota-denounces-deal/">dit</a> Vekuii Rukoro, « chef suprême » des Ovaherero.</p>
<p>Le paiement annuel pour les trente prochaines années s’élève à environ 37 millions d’euros, soit à peu près 618 millions de dollars namibiens au taux de change actuel. Le budget national de la Namibie pour 2021/22 est de <a href="https://mof.gov.na/documents/35641/36583/Budget+Statement+2021_22.pdf/356d55a3-c7d5-fef1-941c-528b1baa787e">67,9 milliards de dollars namibiens</a>.</p>
<p>Pour le gouvernement namibien, cette somme est tentante. Après tout, l’économie du pays est plongée dans une <a href="https://www.bti-project.org/en/reports/country-report-NAM-2020.html">profonde récession</a>. L’épidémie de Covid-19 a aggravé la <a href="https://set.odi.org/wp-content/uploads/2020/04/Economic-impacts-of-and-policy-responses-to-the-coronavirus-pandemic-early-evidence-from-Namibia.pdf">crise budgétaire</a>. Une telle injection financière serait donc utile, surtout à un moment où la <a href="https://theconversation.com/namibias-democracy-enters-new-era-as-ruling-swapo-continues-to-lose-its-lustre-151238">confiance dans le gouvernement s’érode</a>. L’argent est destiné à la réforme et au développement fonciers, aux infrastructures rurales, à l’approvisionnement en énergie et en eau ainsi qu’à l’éducation.</p>
<p>Le président allemand Frank-Walter Steinmeier devrait se rendre en Namibie pour demander des excuses à l’Assemblée nationale. Mais un tel engagement officiel au niveau politique ne peut remplacer un échange direct avec les descendants des communautés les plus touchées, qui ont menacé d’accueillir le président allemand <a href="https://www.dw.com/en/german-recognition-of-namibia-genocide-sees-mixed-reactions/a-57707229">par des manifestations</a>.</p>
<h2>Reconnaissance sans compensation</h2>
<p>À l’issue de la conclusion des négociations, le ministère allemand des Affaires étrangères a publié une <a href="https://www.auswaertiges-amt.de/en/newsroom/news/-/2463598">déclaration officielle</a>. Il a souligné que la reconnaissance du génocide n’impliquait aucune « demande légale de compensation ». Au contraire, ce « programme substantiel […] pour la reconstruction et le développement » a été annoncé comme un « geste de reconnaissance » des méfaits de l’Allemagne.</p>
<p>On peut cependant se demander si les « gestes » constituent une forme de reconnaissance adéquate. Un langage si formel peut être très humiliant et blessant. Étant donné l’ampleur des crimes commis à l’époque, faire preuve de davantage d’empathie serait un signal important. La réconciliation nécessite plus qu’une compensation matérielle. Les conséquences démographiques et socio-économiques dévastatrices d’un génocide ne peuvent jamais être compensées. Améliorer le bien-être des descendants des victimes de manière significative aurait une dimension matérielle importante. Et cela exige plus que les paiements proposés.</p>
<p>Il en va de même pour l’expression adéquate des remords pour reconnaître une injustice historique. La « déclaration commune » stipule que le gouvernement et le peuple namibiens acceptent les excuses de l’Allemagne et estiment qu’elles ouvrent la voie à une compréhension mutuelle durable et à la consolidation d’une relation privilégiée entre les deux nations. Sans consultation ni légitimité pour le faire, les deux gouvernements déclarent ici ce que le peuple namibien est censé accepter. Fait notoire : même les représentants de trois Maisons royales Ovaherero qui avaient participé au dernier cycle de négociations ont indiqué à leur retour chez eux qu’ils <a href="https://neweralive.na/posts/chiefs-reject-genocide-reparations-deal">n’approuveraient pas l’accord proposé</a>.</p>
<h2>Ce qu’exigerait une véritable réconciliation</h2>
<p>Au terme d’un processus long et laborieux, l’Allemagne a finalement réalisé des progrès significatifs pour affronter les atrocités de l’Holocauste des Juifs d’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Le souvenir de cet événement fait désormais partie de l’ADN de l’Allemagne. Le <a href="https://www.museumsportal-berlin.de/en/museums/denkmal-fur-die-ermordeten-juden-europas-ort-der-information/">mémorial de l’Holocauste</a> qui se trouve au centre de Berlin en témoigne.</p>
<p>L’Allemagne est par ailleurs parvenue à une certaine réconciliation avec la France voisine et, dans une moindre mesure, avec la Pologne pour ses crimes pendant la guerre.</p>
<p>Les atrocités coloniales de l’Allemagne devraient également entrer dans la mémoire publique. La commémoration publique des victimes des nombreux crimes commis sous le colonialisme allemand, comme ceux en Namibie, n’a que trop tardé.</p>
<p>S’il y a une leçon à tirer de ces actions, c’est que les accords bilatéraux entre gouvernements ne peuvent remplacer la réconciliation entre les peuples des deux pays concernés. Il est possible de retrouver les descendants des victimes du génocide en Namibie, mais qu’en est-il des auteurs de ce génocide ? Comme l’a <a href="https://www.namibian.com.na/102040/read/Genocide-Deal-or-Not-the-Struggle-Continues">déclaré</a> le militant et auteur namibien Jephta U Nguherimo, le président Steinmeier devrait présenter ses excuses au Bundestag pour que le peuple allemand comprenne et apprenne ce génocide jamais raconté.</p>
<p>Mais jusqu’ici, cette perspective indispensable a fait totalement défaut.</p>
<h2>Un compromis, mais pas encore une solution</h2>
<p>L’accord germano-namibien est le résultat limité d’un compromis obtenu au terme de négociations gouvernementales imparfaites. Il s’agit néanmoins d’une étape pionnière largement reconnue. Du point de vue allemand, cette reconnaissance de culpabilité et des conséquences qui en découlent est un pas vers la fin de l’<a href="https://theconversation.com/colonial-amnesia-and-germanys-efforts-to-achieve-internal-liberation-138840">amnésie coloniale</a>. Au final, cela pourrait favoriser une prise de conscience du passé colonial de l’Allemagne, qui n’a que trop tardé. Elle peut favoriser une reconnaissance sans réserve du fait que les Allemands ont occupé des territoires étrangers et soumis des populations, créant ainsi des dommages durables. Mais même cela ne contribuera guère à la cicatrisation des blessures persistantes en Namibie.</p>
<p>La décolonisation et la réconciliation doivent devenir un processus partagé entre les peuples. Les gouvernements peuvent contribuer à faciliter un tel processus. Ils ne pourront jamais le supplanter.</p>
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<p><em>La traduction vers la version française a été assurée par le site <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/">Justice Info</a>.</em></p>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162556/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’Allemagne a présenté ses excuses à la Namibie pour le génocide de 1904-1908, et promis de verser des réparations. Cette page tragique de l’Histoire n’est pas refermée pour autant.Reinhart Kössler, Professor in Political Science, University of FreiburgHenning Melber, Extraordinary Professor, Department of Political Sciences, University of PretoriaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1610632021-06-09T18:46:39Z2021-06-09T18:46:39ZComment la crise du Covid a fragilisé les systèmes alimentaires en Afrique subsaharienne<p>Depuis plus d’une année maintenant, nous sommes nourris d’informations anxiogènes sur le Covid et ses diverses conséquences sanitaires, économiques, sociales ou psychologiques. Une relative bonne nouvelle est toutefois passée assez inaperçue : jusqu’ici, la pandémie a peu touché l’Afrique, à l’exception du nord et de l’extrême sud du continent, elle n’a pas été aussi meurtrière qu’ailleurs dans le monde. Au 3 juin 2021, le bilan pour le continent s’élevait à <a href="https://africacdc.org/covid-19/">132 000 morts et 4,8 millions de cas diagnostiqués</a>.</p>
<p>Pour autant, de nombreuses organisations d’aide humanitaire ou de développement alertent sur l’aggravation de la situation alimentaire et nutritionnelle dans les pays d’Afrique au sud du Sahara, une aggravation due en bonne partie à l’épidémie. Le <a href="http://www.fightfoodcrises.net/grfc-2021/en/">dernier rapport</a> du réseau mondial contre les crises alimentaires met en exergue le nombre croissant de personnes en situation de crise, d’urgence ou de famine, en particulier sur le continent africain qui comptait, en 2020, presque 100 millions de personnes dans ce cas, contre 60 millions en 2016.</p>
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<p>Qu’en est-il exactement ? Dans quelle mesure cette dégradation est-elle due aux divers effets de la pandémie de Covid-19 ? Il n’est pas facile de répondre avec précision car il existe une multitude de causes explicatives qui agissent à différents niveaux (pauvreté, faiblesse des politiques publiques en faveur des systèmes alimentaires, multiples conflits…). Nos observations et celles de nos partenaires et collègues sur différents terrains africains (voir le <a href="https://www.cahiersagricultures.fr/fr/component/toc/?task=topic&id=1336">numéro spécial de <em>Cahiers Agricultures</em></a> sur la question, nous incitent à penser que le Covid a un rôle secondaire mais néanmoins aggravant de situations fragiles, qu’il ralentit la croissance et la demande et affecte relativement peu la production agricole, qui se maintient grâce à des producteurs habitués à gérer de multiples risques.</p>
<p>En mars 2020, les gouvernements des pays africains prennent rapidement des mesures pour limiter la propagation du virus – fermeture des frontières, restriction des déplacements, couvre-feu, limitation des rassemblements, veille sanitaire aux frontières… – et mobilisent, avec leurs partenaires internationaux, des fonds pour établir des stratégies de prévention et de soins.</p>
<p>Après quelques mois de peur et d’incertitude, voire de repli chez soi, « au village » quand ce fut possible, la vie a progressivement repris son cours comme avant ou quasi dans les grandes villes du continent, que ce soit à Abidjan, à Dakar, à Yaoundé, à Sikasso ou à Bobo Dioulasso. L’épidémie n’a pas flambé pour l’instant en Afrique subsaharienne. Les comportements des populations ont un peu changé – moins de contacts sociaux, de grandes réunions de famille, limitation des déplacements professionnels dans les administrations et les entreprises aux niveaux national et international – mais pas outre mesure. Les habitants circulent, souvent sans masque, et vaquent à leurs occupations habituelles.</p>
<h2>Début 2020, les mesures anti-Covid déstabilisent les filières de produits périssables</h2>
<p>Reprenons : à partir de mars 2020, des mesures de restriction assez fermes sont mises en place. Les commerçants de denrées périssables sont touchés de plein fouet : ils ne peuvent plus écouler leurs produits vers les villes (où les restaurants et, dans certains cas, les marchés ont été fermés) et, souvent, ils ne peuvent plus passer les frontières terrestres sous-régionales, qui ont été fermées pour empêcher le virus de se propager.</p>
<p>Or le commerce transfrontalier est d’une grande importance dans toute l’Afrique de l’ouest et du centre. De plus, les autorités demandent que les bus ou camions qui transportent marchandises et personnes soient moins chargés (de gens). Cette mesure entraîne une augmentation du nombre de contrôles routiers, ce qui accroît le coût du transport par unité de marchandise, ce qui à son tour ralentit et limite encore plus la possibilité d’écouler ces précieux produits vers les marchés urbains.</p>
<p>Les producteurs de tomates du Cameroun ne peuvent plus ni vendre dans les grandes villes du pays ni exporter vers le Gabon. Les producteurs de pomme de terre de Guinée sont également coincés avec des stocks qu’ils ne peuvent pas conserver et qu’ils perdent. Les filières laitières naissantes sont également touchées sur tout le continent et à <a href="https://www.cirad.fr/les-actualites-du-cirad/actualites/2020/science/covid-securite-alimentaire-a-madagascar-la-filiere-lait-est-a-l-arret">Madagascar</a>, et les producteurs de ces produits ultra frais totalement sinistrés.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1300570557516328965"}"></div></p>
<p>De fait, les petites et micro-entreprises du secteur informel fortement pourvoyeuses d’emplois liés à la transformation et au négoce des produits périssables ont dû réduire leurs activités, ne pas renouveler de nombreux emplois, et se sont souvent endettées.</p>
<h2>Résistance des exploitations agricoles et des marchés des intrants</h2>
<p>Pour autant, les exploitations agricoles en Afrique sont en grande majorité des exploitations familiales habituées à gérer de multiples risques (risques climatiques, risques de santé humaine, végétale ou animale, risques de marché) sans recours à aucune forme d’assurance formelle. Pour cette raison, elles sont très diversifiées, et pour la plupart, habituées à cultiver des produits alimentaires de base (céréales, racines et tubercules, bananes et plantains) en association avec différents légumes ou légumineuses (pois, haricots) pour couvrir a minima les besoins alimentaires de la famille.</p>
<p>De plus, le début de la pandémie correspond au début de la saison des pluies et au début de la saison agricole. Les paysans ont lancé les cultures comme à leur habitude. Dans certaines familles, le retour des étudiants ou des grands enfants qui étaient en ville au moment du confinement a même, parfois, été une aubaine car ils ont participé aux travaux des champs qui sont toujours en manque de bras.</p>
<p>Enfin, les producteurs africains utilisent pour ces cultures alimentaires de base peu de semences améliorées issues des marchés, peu d’engrais de synthèse et peu de produits phytosanitaires. Résultat : la production agricole à vocation alimentaire de l’année 2020 n’a pas été fondamentalement perturbée par le Covid (peu de gens ont été malades) ou par les restrictions liées à la pandémie (grâce à la relative autonomie et à la <a href="https://www.cirad.fr/les-actualites-du-cirad/actualites/2020/science/covid-19-securite-alimentaire-l-agriculture-africaine-resiliente-face-a-la-crise">résilience des producteurs</a>.</p>
<p>En ce qui concerne les grandes cultures d’exportation (cacao, coton, café, banane), qui sont cultivées avec plus d’intrants chimiques (produits phytosanitaires, engrais chimiques), il n’y a pas eu non plus en 2020 de choc particulier lié au Covid.</p>
<p>Les circuits d’importation et de distribution des intrants (engrais, pesticides de synthèse) n’ont été perturbés que sur de courtes périodes et ont été préservés tout au long de la crise (les bateaux, les ports ont continué à fonctionner), de même que les circuits d’exportation.</p>
<h2>Amplification de l’insécurité alimentaire</h2>
<p>Néanmoins, les problèmes d’insécurité alimentaire et nutritionnelle perdurent et s’amplifient même de façon dramatique dans plusieurs régions d’Afrique… mais les causes sont rarement liées à un manque de capacité de production ou au Covid.</p>
<p>Le dernier rapport du réseau mondial contre les crises alimentaires, cité plus haut, montre que les conflits et les déplacements des populations sont la principale cause des crises alimentaires en Afrique de l’Ouest et Centrale, où la population en crise alimentaire a doublé, passant de 12,7 millions en 2019 à 24,5 millions en 2020, et la situation devrait empirer en 2021.</p>
<p>Ces conflits et les déplacements de populations fragilisent l’ensemble des territoires, parfois sur de longues distances car les réfugiés vont en ville pour trouver de l’aide familiale et du travail.</p>
<p>Enfin, une grande partie des ressources des États sont affectées au maintien de la paix, c’est-à-dire à l’armée et aux forces spéciales, et pas au développement. La pandémie de 2020 et la nécessité de mobiliser des ressources de l’État pour la protection de la santé a également réduit les ressources disponibles pour le développement agricole ou la protection sociale.</p>
<p>La plupart des pays ont connu une récession économique. L’Afrique subsaharienne a enregistré en 2020 une chute de 1,9 % du PIB <a href="https://www.imf.org/fr/News/Articles/2021/04/14/pr21108-sub-saharan-africa-navigating-a-long-pandemic">d’après le Fonds monétaire international</a>, alors que les prévisions étaient plutôt à la hausse du PIB. Si l’on rapporte ces chiffres à ceux de la population, la baisse du PIB par habitant est encore plus importante (-4,5 %), et selon le FMI encore, la capacité de récupération budgétaire de ces États aux ressources limitées entravera le retour à la croissance pendant encore de nombreuses années, et plus que dans les autres pays.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1352302203222937605"}"></div></p>
<p>La somme de ces crises (ralentissement économique mondial, restriction des déplacements internes et transfrontaliers, diverses mesures de précaution contre la diffusion du Covid) a entraîné un ralentissement de la croissance nationale qui se traduit par une diminution de l’offre d’emplois et une baisse des revenus. Ce phénomène affecte en premier lieu les populations urbaines mais, aussi, par ricochet, les populations rurales qui ne trouvent plus de débouchés.</p>
<p>Les filières de vente de produits alimentaires de qualité (produits frais, maraîchers ou laitiers) des campagnes vers les villes, qui permettent en temps normal de dégager des revenus monétaires intéressants pour les producteurs et les intermédiaires, sont très ralenties. Les revenus des ruraux et leur consommation de produits transformés achetés sur les marchés sont en baisse. Cela se traduit par une dégradation de l’équilibre alimentaire pour des populations déjà fragiles. En effet, ce sont les populations rurales qui souffrent le plus de sous-alimentation et les marchés permettent d’accéder à des produits variés venant d’autres régions ou d’autres pays, le plus souvent d’Afrique. Quand ces marchés tournent au ralenti, la situation alimentaire et nutritionnelle se fragilise.</p>
<h2>Revaloriser l’agriculture et l’ensemble des acteurs des filières alimentaires</h2>
<p>L’observation des agriculteurs et des acteurs des filières alimentaires en Afrique met en évidence leur grande capacité de résilience face à de multiples chocs, mais cette résilience se fait au prix d’une fragilisation croissante des ménages agricoles et des ménages qui dépendent des multiples activités de commerce et de transformation. Cette capacité de « résilience » ou de grande résistance, si elle permet d’éviter le pire, n’est pourtant pas forcément salutaire pour les pays et les peuples. En effet, elle est souvent synonyme, dans les faits, d’un abandon quasi total de la part des politiques.</p>
<p>Les agriculteurs et agricultrices ainsi que les millions d’acteurs et actrices des filières alimentaires sont souvent peu prises en considération par les hommes politiques. Ils sont insuffisamment associés à la définition des politiques qui les concernent directement. Ce qui se reflète dans les budgets consacrés à des systèmes alimentaires trop souvent sacrifiés.</p>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161063/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Syndhia Mathe est membre de l'International Institute of Tropical Agriculture (IITA). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Ludovic Temple, Precillia Tata Ngome et Sandrine Dury ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Les mesures prises en Afrique subsaharienne pour endiguer la propagation du Covid-19 ont eu des effets négatifs sur la sécurité alimentaire des populations les plus fragiles.Sandrine Dury, Docteur en économie du développement agricole et agro-alimentaire, spécialiste de l'alimentation et des systèmes alimentaires, CiradLudovic Temple, Chercheur, CiradPrecillia Tata Ngome, Senior Socioeconomic Researcher, Institut de Recherche Agricole pour le Développement (IRAD)Syndhia Mathe, Chercheuse au Centre de coopération Internationale de Recherche Agronomique pour le Développement (CIRAD) et à l'International Institute of Tropical Agriculture (IITA), CiradLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1608422021-05-31T19:10:25Z2021-05-31T19:10:25ZChine-Iran : une convergence durable ?<p>Si l’énergie et la coopération commerciale figurent parmi les priorités du jour, la relation sino-iranienne, amorcée sur le plan diplomatique dès 1971, s’est intensifiée durant la <a href="https://www.cairn.info/la-guerre-iran-irak--9782262043551.htm?contenu=presentation">guerre Iran-Irak</a> de 1980 à 1988 (la <a href="https://www.cairn.info/la-politique-internationale-de-la-chine--9782724618051-page-477.htm">Chine fournissant alors des armes aux deux parties</a>).</p>
<p>Le <a href="https://www.lepoint.fr/monde/trump-retablit-toutes-les-sanctions-contre-l-iran-et-apres-02-11-2018-2267949_24.php">rétablissement des sanctions américaines</a> après la dénonciation par Donald Trump en 2018 de l’Accord nucléaire de Vienne a plongé l’Iran dans une situation économique très difficile (chute de 9,5 % du PIB en 2019) et l’a incité à se <a href="https://www.tallandier.com/livre/liran-en-100-questions/">rapprocher de la Chine</a>. De manière spectaculaire, le commerce bilatéral est passé de 4 milliards de dollars en 2003 à 51,8 milliards en 2014, faisant de Pékin le <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/PagesInternationales/Pages/eb845fca-2642-4dff-b07c-01f1d305a973/files/965c3e2f-4fc0-469f-845d-9b3873278db6">premier partenaire économique de Téhéran (25 % du total des échanges en 2019-2020)</a>.</p>
<p>Cette relation privilégiée s’est traduite par la signature, en mars 2021, <a href="https://www.nytimes.com/2021/03/27/world/middleeast/china-iran-deal.html">d’un accord commercial de 400 milliards de dollars</a> pour une période de 25 ans entre les deux pays (accord stratégique surnommé « Lion-Dragon deal »). Elle s’est également matérialisée dans le domaine militaire avec des <a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/iransource/will-china-become-a-major-arms-supplier-to-iran/">ventes d’armes déjà réalisées ou en voie de l’être</a> ainsi que des <a href="https://www.france24.com/fr/20191227-la-chine-la-russie-et-l-iran-m%C3%A8nent-des-man%C5%93uvres-navales-conjointes">manœuvres navales communes</a> aux côtés de la Russie. Cette nouvelle proximité sino-iranienne rebat les cartes au Moyen-Orient, en passe de devenir un nouveau terrain de la confrontation opposant la Chine aux Occidentaux. Elle <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/israel-les-investissements-chinois-dans-le-collimateur-1204214">pèse</a> également sur relation chinoise avec Israël, pays avec lequel Pékin avait <a href="https://www.airuniversity.af.edu/Portals/10/ASPJ_French/journals_F/Volume-05_Issue-2/Shai_f.pdf">intensifié ses échanges ses dernières années</a>.</p>
<h2>Une longue histoire commune</h2>
<p>Avant que la Perse ne s’appelle l’Iran, ce sont des marchands khorezmiens et sogdiens, tous de culture persane, qui se chargent du commerce entre l’Asie centrale et la Chine. Au VII<sup>e</sup> siècle, c’est en Chine que le dernier souverain perse sassanide, Péroz, vient se réfugier pour échapper aux envahisseurs arabes et à leur nouvelle religion, l’islam. La <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520300927/the-persianate-world">langue persane</a> deviendra l’une des langues parlées à la cour de Chine plusieurs siècles durant.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1087401120887132160"}"></div></p>
<p>À ce patrimoine immatériel que conservent encore à ce jour <a href="https://editionsdianedeselliers.com/wp-content/uploads/2019/01/DP_Cantique-des-oiseaux.pdf">nombre de peuples centrasiatiques</a> vivant à la lisière de la Chine, s’ajoutent ces témoignages historiques bien plus tangibles encore que sont les miniatures – des <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/La-miniature-persane-L-emergence-d-une-esthetique-singuliere.html">écoles de Tabriz ou d’Hérat</a> – et les porcelaines qui, toutes, attestent d’échanges pluriséculaires de techniques et de savoir-faire. L’irruption brutale de la modernité européenne à partir du XIX<sup>e</sup> siècle aussi bien dans l’espace impérial persan que chinois fait naître un ressentiment très largement partagé aujourd’hui à l’encontre des Occidentaux.</p>
<p>Sur le fond, et malgré leurs différences idéologiques, les régimes iranien et chinois partagent de nombreux points communs. Tous deux issus d’une « révolution », ils se considèrent comme des pays en développement, conscients de leur grandeur historique, et ne relevant pas de la sphère occidentale. Ils sont l’un comme l’autre <a href="https://asialyst.com/fr/2020/10/01/chine-comprendre-rapporchement-avec-iran-apres-accord-israel-emirats/">méfiants à l’égard de l’ordre international</a> dominé par les Occidentaux et partagent donc la volonté de le « multipolariser ». L’Iran, comme bon nombre de pays musulmans, se voit proposer une coopération avec la Chine dans les domaines éducatif et culturel. Ainsi, au cœur même du centre artistique de <a href="https://www.tehrantimes.com/news/408445/Center-offering-Iranian-cultural-products-opens-in-Beijing">Dashanzi dans la capitale chinoise</a>, un centre culturel iranien a ouvert ses portes, tandis qu’un premier <a href="http://french.peopledaily.com.cn/Culture/6575283.html">Institut Confucius</a> a été inauguré à Téhéran avec la coopération de l’université du Yunnan, en 2009. Mais, plus fondamentalement, c’est avant tout la relation économique et stratégique qui prévaut.</p>
<h2>Le rapprochement économique et stratégique</h2>
<p>Pékin, qui avait déjà, en 1988, construit la première ligne de métro à Téhéran, a proposé en 2019 à son partenaire iranien 2 milliards de dollars pour le financement de l’électrification de la <a href="http://www.chinadaily.com.cn/a/201901/25/WS5c4aa81da3106c65c34e6912.html">ligne ferroviaire qui reliera Téhéran à Mashad</a>. Symbole de la participation iranienne aux « Nouvelles routes de la soie » promues par Pékin, un premier train de marchandises a relié la ville chinoise de <a href="http://french.xinhuanet.com/2016-02/16/c_135101080.htm">Yiwu (au Zhejiang) à Téhéran</a>, via l’Asie centrale, au début de l’année 2016.</p>
<p>Pékin a par ailleurs à cœur de diversifier ses approvisionnements énergétiques. Rappelons à cet égard que la <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Le-pacte-de-cooperation-strategique-entre-l-Iran-et-la-Chine-projections-de.html">finalisation, en mars dernier, du Lion-Dragon deal</a>, qui était en négociation depuis 2016, articule toutes les dimensions économiques, de l’énergie à l’industrie en passant par le militaire et les infrastructures (dont la 5G).</p>
<p>Cet accord, inscrit dans le projet des « Nouvelles routes de la soie », doit garantir une fourniture continue à la Chine de pétrole et de gaz – les compagnies chinoises <a href="https://www.lefigaro.fr/societes/2018/11/26/20005-20181126ARTFIG00006-le-chinois-cnpc-prend-la-suite-de-total-en-iran.php">CNPC</a> et Sinopec sont solidement implantées en Iran. Ce pacte renforce d’autant plus la dépendance de Téhéran à l’égard de Pékin que la République islamique est isolée avec les sanctions américaines et <a href="https://observers.france24.com/fr/moyen-orient/20210429-iran-covid-19-morts-vague-lit-reanimation">affaiblie par la pandémie de Covid-19</a>.</p>
<h2>Asymétrie des relations, intérêts de Pékin et isolement iranien</h2>
<p>À ce stade, l’approche pragmatique mise en œuvre par Pékin outrepasse la tension chiite-sunnite. La Chine se rapproche ainsi à la fois de l’Arabie saoudite et de l’Iran, même si elle importe près de deux fois plus de pétrole d’Arabie.</p>
<p>Toutes provenances confondues, la Chine était devenue avant la pandémie de la Covid-19 la première importatrice de pétrole avec 10 millions de barils par jour. Mais dans le même temps, dans le cadre d’un mémorandum signé en 2004, elle s’est engagée à acheter à l’Iran près de 250 millions de tonnes de GNL (gaz liquéfié naturel) sur 30 ans <a href="https://www.lesechos.fr/2007/12/liran-et-la-chine-signent-un-contrat-petrolier-geant-557737">pour un montant évalué à 100 milliards de dollars</a>. Elle modernise également les infrastructures pétrolières iraniennes, notamment en mer Caspienne, et dans la région stratégique de Nekâ.</p>
<p>Sur l’épineux dossier du nucléaire, la Chine soutient les propositions du Conseil de Sécurité de l’ONU et appelle les principaux acteurs à rallier les accords de Vienne (<em>Joint Comprehensive Plan of Action</em>, JCPOA). Plus généralement, Pékin assure un soutien militaire discret au régime de Damas, en lien étroit avec Moscou et Téhéran, sans pour autant se substituer à la <a href="https://www.fdbda.org/2020/07/chine-et-terres-dislam-enjeux-pour-de-nouvelles-grammaires-internationales/">puissance militaire iranienne ou russe dans le dossier Syrie/Irak</a>.</p>
<p>La présence militaire chinoise au Moyen-Orient est amenée à croître du fait même du renforcement de ses projets liés aux Nouvelles routes de la soie. Leur sécurisation, ainsi que les risques récurrents de voir le détroit d’Ormuz victime d’un blocus en cas de crise majeure entre Téhéran et les principales capitales occidentales demeurent, pour la Chine, les principaux points de cristallisation des tensions régionales.</p>
<p>Aussi, et pour subvenir à ses besoins énergétiques, Pékin cherche à diversifier autant que possible ses fournisseurs pour ne pas se trouver en situation de vulnérabilité dans la région. La diplomatie chinoise veille scrupuleusement à ne s’aliéner aucun acteur de la région : le ministre des Affaires étrangères, <a href="http://french.china.org.cn/china/txt/2021-03/27/content_77352709.htm">Wang Yi</a>, a effectué le déplacement en Iran en mars dernier et le <a href="https://thediplomat.com/tag/xi-jinping-visit-to-iran/">président Xi Jinping</a> s’y était rendu en janvier 2016. Au reste, les tournées diplomatiques de dignitaires chinois de haut rang sont toujours suivies de très près dans la région.</p>
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<p>Ainsi, à Ankara comme à Téhéran, est-on très attentif aux propositions chinoises de voir un jour s’ouvrir l’un des principaux corridors terrestres de connectivité mondiale, le CCWAEC (<a href="https://www.oecd-ilibrary.org/sites/bus_fin_out-2018-6-en/index.html?itemId=/content/component/bus_fin_out-2018-6-en"><em>China-Central West Asia Economic Corridor</em></a>), passant par l’Asie centrale, l’Iran et la Turquie. Que ce soit dans le domaine stratégique ou économique, les initiatives chinoises sont d’ailleurs coordonnées par un envoyé spécial pour le Moyen-Orient (actuellement <a href="https://www.fmprc.gov.cn/mfa_eng/wjbxw/t1857575.shtml">Zhai Jun, diplomate chevronné, arabisant, ancien ambassadeur en France</a>), lequel est la courroie de transmission entre l’ensemble des ambassadeurs chinois opérant sur la zone et Xi Jinping lui-même. Preuve s’il en fallait que le chef de l’État chinois accorde une priorité à cette région comme à ses prolongements géographiques.</p>
<p>Il s’agit d’assurer à la Chine, bien sûr, un maintien de ses approvisionnements énergétiques, mais d’éviter aussi que le monde musulman chinois ne soit impacté à son tour par l’essor des mouvements djihadistes. La pénétration économique chinoise s’est accompagnée d’une présence humaine, avec un accroissement important de la communauté chinoise sur place qui est passée de <a href="https://www.boulevard-exterieur.com/Vers-une-hegemonie-chinoise-au-Moyen-Orient.html">45 000 personnes en 2002 à plus de 70 000 ressortissants</a> aujourd’hui. En outre, en ces temps de fortes tensions entre Téhéran (ou Pékin) et les États-Unis, cette coopération s’inscrit dans une alliance de revers contre la puissance américaine.</p>
<h2>Convergence et rejet de l’« impérialisme américain »</h2>
<p>L’Iran est utile à la Chine pour augmenter son influence dans la région (contre l’Inde et les États-Unis) mais aussi pour se positionner <a href="http://french.china.org.cn/china/txt/2021-03/27/content_77352709.htm">comme médiateur entre l’Iran et les États-Unis à l’ONU</a> et souligner le rôle de « déstabilisateur » de Washington au Moyen-Orient.</p>
<p>En Iran, la <a href="https://www.iiss.org/blogs/analysis/2019/03/iran-look-east">doctrine « look to the East »</a> connaît, dans ce contexte, une dynamique nouvelle. Téhéran, isolée et exsangue, compte sur le développement international de l’Inde et de la Chine pour améliorer sa situation diplomatique et économique. Les divers projets du <a href="https://www.tehrantimes.com/news/460316/Iran-China-partnership-to-raise-Chabahar-port-s-global-status">port de Chabahar</a> relèvent de ce jeu diplomatique à plusieurs niveaux entre l’Iran, la Chine, l’Inde et, dans un deuxième cercle, le Pakistan et les pays du Golfe.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1367500294377078784"}"></div></p>
<p>Si l’Iran était le troisième client pour le matériel de guerre de la Chine entre 2000 et 2014 et si les deux pays participent à <a href="http://www.opex360.com/2019/12/26/liran-la-chine-et-la-russie-vont-mener-un-exercice-naval-en-mer-doman/">plusieurs manœuvres et exercices militaires conjoints sur terre et sur mer</a>, Pékin a diversifié sa clientèle au Moyen-Orient (notamment pour la vente de drones). Malgré la signature du contrat de coopération avec Téhéran, Pékin reste réticente à la livraison d’armements, notamment <a href="https://www.air-cosmos.com/article/iran-le-contrat-des-j-10-chinois-dans-limpasse-politique-24702">d’avions de combat (J-10)</a>, et ce pour plusieurs raisons : ne pas s’aliéner les voisins arabo-sunnites (Arabie saoudite et Émirats Arabes unis par exemple), risque de difficultés de paiement de la part de l’Iran, risque de sanctions à l’ONU dans le cadre de la loi <a href="https://home.treasury.gov/policy-issues/financial-sanctions/sanctions-programs-and-country-information/countering-americas-adversaries-through-sanctions-act">CAATSA</a> (<em>Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act</em>).</p>
<p>Plus discrètement, le dossier des ressources halieutiques dans les eaux iraniennes a connu un profond bouleversement ces trois dernières années. À la suite des sanctions américaines, Téhéran a autorisé les pêcheries chinoises (du chalutage profond aux senneurs…) à <a href="https://www.defnat.com/e-RDN/vue-tribune.php ?ctribune=1289">puiser du poisson au large de ses côtes</a>. Rapidement, les pêcheries locales et les écosystèmes marins ont été ravagés.</p>
<p>La grande asymétrie des relations n’est pas sans susciter de vives inquiétudes au sein de la population iranienne, ainsi que dans le clan des réformateurs du régime. Les Iraniens ont en mémoire le <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/pourquoi-le-mysterieux-traite-entre-l-iran-et-la-chine-inquiete-tant-20200728">traité de 1919, signé à l’époque des Qadjars</a>, par lequel leur pays avait été divisé en sphères d’influences entre les Britanniques et les Russes. Si les relations sino-iraniennes trouvent un essor dans la dégradation des relations avec les États-Unis, il n’en demeure pas moins que la forte dépendance de l’Iran à la Chine et l’inquiétude d’une population iranienne <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/liran-en-grande-fragilite-economique-et-sociale-1291629">paupérisée (40 millions d’Iraniens sont sous le seuil de pauvreté absolue)</a>) peuvent aboutir à la remise en cause d’une relation peut-être moins solide qu’il n’y paraît.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160842/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du FDBDA.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le rapprochement entre Pékin et Téhéran, qui se déploie dans les domaines commercial, diplomatique et stratégique, repose sur une longue histoire mythifiée et sur un anti-occidentalisme affiché.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1610212021-05-30T20:42:29Z2021-05-30T20:42:29ZRussie : du parti dominant au parti (presque) unique ?<p>L’année 2021 marque-t-elle un durcissement de l’autoritarisme en Russie ? La <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Russie-Alexei-Navalny-condamne-appel-2-ans-demi-prison-juge-coupable-diffamation-2021-02-20-1201141770">condamnation d’Alexeï Navalny à deux ans et demi de prison</a> et son incarcération dans un camp de travail ont été très sévèrement jugées en Occident. Le traitement réservé au célèbre opposant russe et à ses partisans du Fonds de lutte contre la corruption (FBK) a justifié l’adoption de <a href="https://www.24heures.ch/washington-affirme-que-moscou-a-empoisonne-alexei-navalny-150866876583">nouvelles sanctions américaines</a> contre de hautes personnalités russes, suivies, un mois plus tard, d’un <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/biden-bombarde-moscou-de-sanctions-financieres-et-expulse-dix-diplomates-russes-882490.html">nouveau train de sanctions financières</a>.</p>
<p>Plus que jamais, l’heure est à la <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2017-7-page-222.htm">« nouvelle guerre froide »</a>. En témoigne, par exemple, le ton <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2021/04/russia-authorities-move-to-outlaw-aleksei-navalnys-organizations-as-extremist/">employé</a> par la directrice du programme Europe de l’Est et Asie centrale d’Amnesty International, digne des grandes heures du combat des années 1970-1980 pour les dissidents et le respect des droits de l’homme en URSS, réagissant à la <a href="https://www.europe1.fr/international/la-justice-russe-suspend-les-activites-des-organisations-de-lopposant-navalny-4041108">suspension</a>, par le parquet de Moscou, des activités des 34 organisations régionales du FBK, mises en cause, conformément à la <a href="https://www.venice.coe.int/Newsletter/NEWSLETTER_2012_03/1_RUS_fr.html">législation en vigueur</a>, pour « activité extrémiste » :</p>
<blockquote>
<p>« L’ampleur de cette attaque cynique, qui bafoue le droit à la liberté d’expression et d’association de milliers de personnes, est sans précédent. Si la décision est prise d’interdire les organisations visées, les partisans d’Alexeï Navalny, qui forment le plus grand groupe d’opposition du pays, pourraient faire l’objet de poursuites pénales pour leurs activités légitimes de militantisme politique ou de défense des droits humains. L’objectif est clair : liquider le mouvement d’Alexeï Navalny pendant qu’il languit en prison. Signe symbolique et particulièrement révélateur de la lâcheté des autorités russes, la procédure judiciaire a été déclarée secrète et se tiendra à huis clos, sans garanties suffisantes d’équité. »</p>
</blockquote>
<h2>Répression de l’opposition hors système…</h2>
<p>Une vague de <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/en-russie-plus-de-150-elus-locaux-arretes-lors-dun-forum-de-lopposition-20210313_NUTXTUYPZVDJNG5LRKO6RSPMA4/">répressions</a> s’abat sur l’opposition dite hors système – un terme qui désigne l’ensemble des organisations ne sont pas reconnues officiellement comme des partis politiques et qui, de ce fait, sont maintenues à l’écart de la compétition électorale.</p>
<p>Certains médias emblématiques des milieux de la dissidence libérale et démocrate, très engagée contre Vladimir Poutine – tel le magazine étudiant <a href="https://edition.cnn.com/2021/04/15/europe/russian-magazine-raided-intl/index.html"><em>Doxa</em></a> ou, plus emblématique encore, la chaîne d’information en ligne <a href="https://www.themoscowtimes.com/2021/04/27/russia-out-to-kill-popular-news-site-meduza-with-foreign-agent-label-editors-say-a73746"><em>Meduza</em></a> – se retrouvent dans le collimateur judiciaire, sous le coup de la législation contre l’extrémisme (la loi fédérale visant à « lutter contre les activités extrémistes », adoptée en 2002, a été amendée et renforcée en 2008 et 2015) ou de celle qui encadre l’activité des organisations recevant des financements étrangers. Cette loi, adoptée en 2012 (renforcée en <a href="https://www.fidh.org/fr/regions/europe-asie-centrale/russie/russie-la-nouvelle-legislation-sur-les-agents-de-l-etranger-va-encore">2020</a> sur le modèle de la loi américaine <a href="https://www.justice.gov/nsd-fara">FARA (Foreign Agents Registration Act, 1938)</a>, oblige les ONG recevant des financements de l’étranger à se faire enregistrer et à afficher la mention « agent de l’étranger » dans toutes leurs publications, notamment sur Internet, au risque de subir des restrictions de leur activité ou d’être condamnées à des amendes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1393217578684792835"}"></div></p>
<p>Il n’en reste pas moins que l’analyse développée par Amnesty International, qui conclut à un net durcissement autoritaire en Russie, en symbiose avec la volonté de la nouvelle administration Biden de renforcer les sanctions contre la Russie, et en étroite convergence avec la vague médiatique qui l’accompagne, réduit considérablement la focale et, par ce biais, omet l’essentiel.</p>
<h2>… et réorganisation du champ politique</h2>
<p>Tout indique que le pouvoir a entrepris, dans la perspective des élections législatives du 19 septembre 2021, de revoir l’administration politique du pays, jusqu’ici fondée sur la domination sans partage ou presque du parti Russie unie – un parti qui dispose depuis 2004 d’une confortable majorité des deux tiers à la Douma d’État du pays – en vue d’élargir la base du soutien au pouvoir aux partis jusqu’ici considérés comme relevant de l’opposition systémique, c’est-à-dire le Parti communiste (KPRF), le LDPR (le parti du célèbre trublion protestataire Vladimir Jirinovski) et Russie juste.</p>
<p>Anticipant <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/vladimir-poutine-secoue-russie-unie-impopulaire-parti-du-pouvoir-20191123">l’incapacité du parti Russie unie</a>, au vu des sondages récurrents, à regagner une aussi large majorité qu’aux précédents scrutins, le pouvoir chercherait à coopter, du moins en partie, l’opposition systémique.</p>
<p>Dès lors, la répression menée contre l’opposition hors système ne doit pas être simplement analysée comme le signe d’un tournant plus autoritaire du système en place, mais comme une importante évolution du système politique, dont la légitimité reposerait non plus simplement sur un parti ultra-majoritaire et dominant, mais sur la coalition informelle de tous les partis du système, réunis autour d’un « consensus patriotique » sur la défense de la politique de puissance et de la souveraineté de la Russie contre tous ceux qui, de l’extérieur comme de l’intérieur, pourraient remettre ces principes en cause.</p>
<h2>La lassitude de la population</h2>
<p>Sept ans après le « Printemps russe » de 2014, moment de forte cohésion entre les Russes et leurs dirigeants produite par l’annexion suivie du rattachement de la Crimée à la Russie, le pouvoir a grand besoin de renforcer sa légitimité et d’en renouveler le répertoire.</p>
<p>La ferveur patriotique occasionnée par cette « petite victoire » de la Russie en Crimée (victoire arrachée à l’Ukraine et, derrière elle, à l’Occident) a laissé place à la <a href="https://www.challenges.fr/economie/en-russie-la-baisse-du-niveau-de-vie-nourrit-la-grogne-politique_751083">grogne sociale</a>. L’opinion publique russe s’est lassée de n’entendre parler que « de l’Ukraine et de la Syrie » sur toutes les chaînes, au détriment des <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Laugmentation-prix-faibles-salaires-sont-tete-preoccupations-Russes-2021-04-21-1201151969">sujets qui la préoccupent au premier plan</a> : le pouvoir d’achat qui <a href="https://www.zonebourse.com/cours/devise/US-DOLLAR-RUSSIAN-ROUBL-2370597/actualite/Russie-la-consommation-et-le-pouvoir-d-achat-en-baisse-en-2020-32301856/">diminue</a>, l’inflation qui <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/03/20/en-russie-l-inflation-des-denrees-alimentaires-nourrit-la-crise-sociale_6073826_3234.html">grimpe</a>, l’emploi qui stagne, les aides sociales qui sont insuffisantes…</p>
<p>Le passage du <a href="https://www.iris-france.org/154775-la-russie-et-le-covid-19/">coronavirus</a> n’a fait qu’amplifier, au sein de la population, le sentiment qu’elle subit le contrecoup d’une profonde crise sociale et économique. Dans son <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/russie/russie-vladimir-poutine-tient-son-grand-discours-annuel-sur-l-etat-de-la-nation-ab42bec4-a281-11eb-865f-8333e4f65ebb">adresse aux deux chambres du Parlement</a>, le 21 avril dernier, Vladimir Poutine a appelé à la mobilisation générale, à la fois contre la crise économique post-Covid et contre l’hostilité occidentale, mises sur un même pied. Le président russe a fait montre de volontarisme, annonçant l’adoption de nombreuses mesures visant à une relance de l’économie dont la croissance, sans être aussi terne que celle des pays européens, stagne depuis 2014. Citons <a href="https://novayagazeta.ru/articles/2021/04/21/pomoshch-v-sverkhmalykh-dozakh">deux chiffres significatifs</a> : en 2020, les revenus disponibles des ménages russes ont baissé de 10,6 % par rapport à ceux de 2014, tandis que la part des allocations sociales dans la structure des revenus des ménages est de 21 % (elle était de 18,6 % en 2014).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/K1Fq5piyUOY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Certaines des <a href="http://en.kremlin.ru/events/president/news/65418">mesures décrétées par Poutine</a> sont symboliques et à fort effet d’annonce, tels l’obligation faite aux grands groupes d’investir davantage ou l’octroi de crédits publics destinés aux infrastructures. On trouve aussi de nombreuses mesures sociales, ciblées en direction des familles les plus modestes et les plus précaires, parfois non dépourvues d’une intention politicienne : ainsi, une allocation de rentrée de 10 000 roubles (110 euros) par élève sera versée fin août, à la veille des élections législatives…</p>
<h2>Le subtil jeu d’équilibre des communistes</h2>
<p>Trois jours après ce discours présidentiel, le <a href="http://cprf.ru/2021/05/the-18th-party-congress-of-the-cprf-summary-report/">XVIIIᵉ congrès du KPRF</a>, premier des partis de l’opposition systémique représentée à la Douma (42 sièges sur 450, devant le LDPR, 40, et Russie juste, 23 ; Russie unie en détient 335), offrait aux parlementaires et aux cadres dirigeants communistes l’occasion de rivaliser dans la critique de ces mesures, « inaptes à résoudre les problèmes socio-économiques de fond ».</p>
<p>Il faut reconnaître que le président russe a soigneusement évité d’aborder les questions de fond, telles que le faible niveau de la rémunération du travail, le sous-emploi chronique des personnes peu qualifiées, le faible niveau de taxation du foncier et des revenus d’activité des entreprises, les inégalités sociales et territoriales croissantes en Russie… Concluant le congrès d’un parti qu’il dirige depuis 28 ans, Guennadi Ziouganov surenchérissait : Vladimir Poutine, certes « conscient de l’ampleur de la crise » sociale, est « l’otage de son oligarchie ». Il est temps, s’exclamait-il, de « mettre fin à la bacchanale capitaliste et de rétablir la planification ».</p>
<p>Pourtant, dans le même souffle, Ziouganov se range derrière Vladimir Poutine dont il soutient sans réserve la politique extérieure et de sécurité, et décoche quelques flèches supplémentaires contre Navalny, qui « ne cherche qu’à répandre le chaos en Russie pour mieux [livrer celle-ci] <em>aux forces du globalisme</em> ». Des propos qui vont dans le sens de ceux que Ziouganov avait tenus en <a href="https://www.kommersant.ru/doc/4661409#id2004826">janvier</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne considère pas [Navalny] comme un opposant. […] C’est un auxiliaire du nouveau président des États-Unis […]. Les patrons des corporations transnationales ont décidé de renverser Poutine […] en choisissant Navalny comme principal figurant d’un Maïdan russe. »</p>
</blockquote>
<p>Pour Ziouganov, il était surtout impératif de réaffirmer la loyauté du KPRF à l’égard du Kremlin, après qu’un certain nombre d’élus et de cadres régionaux du parti avaient <a href="https://www.themoscowtimes.com/2021/02/12/russias-communists-are-split-over-support-for-navalny-a72917">ouvertement soutenu les manifestants pro-Navalny et publiquement défendu celui-ci</a> au moment de son procès.</p>
<h2>L’administration de l’électorat par le pouvoir</h2>
<p>Dans une <a href="https://www.vedomosti.ru/politics/characters/2021/04/11/865478-boris-kagarlitskii">tribune</a> récente, le politiste Boris Kagarlitsky revenait sur la notion, centrale dans la vie politique russe, d’« administration politique », estimant qu’en Russie, « ce qu’on appelle la politique [se résume à] l’administration de l’électorat » [par le pouvoir] – un électorat russe largement dépolitisé, qui « réagit essentiellement à des stimulations symboliques lancées dans les médias » et au sein duquel « ceux qui ont des convictions politiques représentent tout au plus 10 % » de l’ensemble.</p>
<p>L’administration politique passe donc par le pilotage de la vie politique par le pouvoir. Pour l’heure, il s’agit en priorité de juguler les conséquences politiques de la crise économique et sociale et de limiter le reflux attendu du parti Russie unie. Diverses « techniques » politiques ont été expérimentées à l’échelon régional dans ce dernier but, notamment à travers la multiplication des candidatures « sans étiquette ». Il semble néanmoins acquis, pour l’administration présidentielle, qu’il faudra se résoudre à ce que Russie unie <a href="https://www.vedomosti.ru/politics/articles/2020/12/16/851273-edinaya-rossiya">perde la majorité constitutionnelle</a>.</p>
<p>Dans cette perspective, le pouvoir doit impérativement composer avec l’opposition systémique et renforcer, au sein des partis qui la composent, la position des cadres et des dirigeants les plus « loyaux ». Citons le cas, emblématique, de l’intégration (en février dernier) du mouvement de l’écrivain nationaliste <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/2018/03/20/31002-20180320ARTFIG00121-zakhar-prilepine-on-demande-aux-russes-d-avoir-honte-de-leur-existence.php">Zakhar Prilepine</a>, grande voix du « Printemps russe », héraut du soutien aux forces séparatistes du Donbass, à la formation d’opposition systémique Russie juste, une manœuvre dont il est peu contestable qu’elle a été pilotée « d’en haut » et qu’elle est destinée à renforcer l’aile « gauche patriotique » des forces politiques loyales au Kremlin. Le pouvoir compte de cette façon faire contrepoids à une protestation sociale qui s’étend à travers le pays et contribue à miner la légitimité du pouvoir. Car le mouvement de Navalny est l’arbre qui cache la forêt de nombreuses autres mobilisations, plus ancrées dans le terrain social russe, localisées, sporadiques et apolitiques, comme la <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2021/04/LEVRESSE/62983">contestation des fraudes immobilières</a>, le « mouvement des poubelles », les multiples et récurrentes protestations contre les réformes sociales et des retraites, la protestation – plus inquiétante encore pour le pouvoir – contre <a href="https://www.lecourrierderussie.com/2020/10/extreme-orient-khabarovsk-toujours-en-colere/">l’éviction par Poutine du gouverneur, élu, de la région de Khabarovsk</a>…</p>
<p>La demande de justice sociale se fait d’autant plus pressante que la crise a encore accru la dépendance d’un nombre toujours croissant de Russes à l’égard de l’État, qui verse les pensions, les subventions, les aides sociales.</p>
<h2>Les limites de la stratégie du Kremlin</h2>
<p>Cette stratégie de sauvetage de sa majorité parlementaire par le pouvoir réussira-t-elle ? Contentons-nous, pour l’heure, d’en souligner certaines limites.</p>
<p>Activé par l’hostilité du bloc occidental à l’égard de la Russie sur tous les terrains ou presque, le ressort patriotique – l’appel au soutien à la Mère-Patrie en danger – reste efficace. Mais s’il était trop utilisé, il pourrait finir par s’user, surtout lorsque les dirigeants « patriotes » achètent des <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2017/03/22/le-luxe-tapageur-et-frauduleux-de-l-elite-russe-sous-poutine_5098879_3214.html">biens immobiliers de prestige</a>, expatrient leurs fortunes ou <a href="https://www.lecourrierderussie.com/2018/09/peres-fils-elite-russe-2-0/">envoient leurs enfants</a> faire leurs études supérieures dans ces mêmes pays occidentaux hostiles qui mettent la Russie sous sanctions (et dont ils détiennent parfois le passeport !)…</p>
<p>Le vote des <a href="https://www.lepoint.fr/monde/russie-vladimir-poutine-signe-la-loi-l-autorisant-a-faire-deux-mandats-de-plus-05-04-2021-2420808_24.php">amendements constitutionnels</a> permettant à Vladimir Poutine de rester à la présidence pour deux mandats après 2024 est, lui aussi, à double tranchant : si sa popularité, qui demeure élevée, venait à s’effondrer, cela viendrait fragiliser l’institution présidentielle et la « verticale du pouvoir ».</p>
<p>Enfin, la cooptation de l’opposition systémique au sein du « parti du pouvoir » priverait ce dernier d’un levier essentiel d’opposition loyale, transformant un régime à parti dominant en régime à parti presque unique qui se retrouverait seul face à une opposition hors système qui, dans ces conditions, ne pourrait que gagner en force. </p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161021/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Robert Raviot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Constatant l’érosion de la popularité du parti du pouvoir, Russie unie, le Kremlin cherche à donner une nouvelle impulsion à d’autres formations politiques loyales envers le régime.Jean-Robert Raviot, Professeur de civilisation russe et soviétique, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1617872021-05-30T20:42:28Z2021-05-30T20:42:28ZGénocide au Rwanda : l’appel au pardon d’Emmanuel Macron à Kigali rétablit des liens historiques<p>Le président français Emmanuel Macron vient d’effectuer sa <a href="https://www.france24.com/en/france/20210526-macron-seeks-reset-with-rwanda-on-africa-visit-after-years-of-tensions">première visite d’État au Rwanda</a>. Si de nombreux dirigeants du monde entier se sont rendus dans ce pays d’Afrique centrale de 13 millions d’habitants, y compris d’anciens présidents français, comme le <a href="https://www.nytimes.com/2010/02/26/world/europe/26france.html">président Nicolas Sarkozy en 2010</a>, ce déplacement promettait d’être différent.</p>
<p>Comme on pouvait l’anticiper, de tous les discours prononcés par des présidents français depuis 27 ans, celui d’Emmanuel Macron aura été le plus proche d’exprimer des <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/may/27/kagami-the-winner-as-macron-gives-genocide-speech-in-rwanda">excuses</a> pour l’implication de la France pendant le <a href="https://news.trust.org/item/20140402113037-u315s/">génocide</a> de 1994 contre les Tutsis.</p>
<p>Au Mémorial du génocide de Kigali, Macron a <a href="https://www.newtimes.co.rw/news/time-bow-genocide-victims-listen-survivors-macron">demandé</a> le pardon pour l’implication de la France dans le génocide. Il a également exprimé sa volonté de combattre l’idéologie et le déni du génocide afin de favoriser des relations plus fortes avec le Rwanda.</p>
<p>Quel sera l’impact à long terme de ce voyage et de ce discours ? La réponse à cette question dépend de la façon dont Paris appliquera cet engagement. La France peut apporter une assistance concrète au Rwanda par le biais de l’aide au développement et d’une contribution à la campagne de vaccination contre la Covid-19. Cependant, pour que la France gagne la confiance des Rwandais, le pays doit agir pour combattre l’idéologie et le déni du génocide. Un bon début serait l’arrestation et l’extradition des Rwandais qui ont participé au génocide de 1994 contre les Tutsis.</p>
<h2>Rappel historique</h2>
<p>Avant le génocide, la France était le plus proche allié européen du Rwanda, pays qu’elle n’a jamais colonisé. Le Rwanda a été colonisé par <a href="https://www.britannica.com/place/Rwanda/Rwanda-under-German-and-Belgian-control">l’Allemagne</a> (1884-1919), puis transféré à la Belgique. C’est au cours de la <a href="https://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/rwanda/etc/cron.html">période coloniale belge</a> (1919-1962) que les divisions socio-économiques entre Hutus, Tutsis et Twa sont devenues des divisions ethniques inamovibles. Pour <a href="https://www.google.com/books/edition/Rwanda_Before_the_Genocide/IawzAAAAQBAJ?hl=en&gbpv=1&dq=jj+carney&pg=PP2&printsec=frontcover">justifier les atrocités coloniales de la Belgique</a>, le gouvernement colonial a promu certaines élites tutsies à des postes de pouvoir de façon à donner l’apparence d’un pouvoir qui serait exercé par des locaux.</p>
<p>En 1973, coup d’État a porté à la présidence <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dossiers/rwanda/r1271.asp#P1538_159983">Juvénal Habyarimana</a>. Il a développé une <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2014/feb/05/paris-trial-elysee-rwanda-genocide">relation personnelle étroite</a> avec le président français François Mitterrand (1981-1995).</p>
<p>La France de Mitterrand a fourni au régime d’Habyarimana un soutien financier et militaire considérable. Le soutien de Mitterrand a contribué à conforter la légitimité de son homologue rwandais. Cela a ensuite favorisé les politiques de <a href="https://www.jstor.org/stable/pdf/4187200.pdf">divisionnisme ethnique</a>, de haine et de pogroms qui ont abouti au génocide de 1994.</p>
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<p>Depuis lors, les relations franco-rwandaises ont été, au mieux, mauvaises. De nombreux membres du gouvernement rwandais, menés par le Front patriotique rwandais, <a href="https://scholarcommons.usf.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1696&context=gsp">ont jugé inacceptable</a> la proximité de la France avec Habyarimana. Le Rwanda a également exigé la reconnaissance de l’implication de la France dans le génocide de 1994. Malheureusement, cela ne s’est pas produit sous le successeur de François Mitterrand, <a href="https://www.nytimes.com/2008/08/15/opinion/15iht-edkinzer.1.15328850.html">Jacques Chirac</a>.</p>
<p>Par la suite, le président <a href="https://www.theguardian.com/world/2010/feb/25/sarkozy-rwanda-genocide-kagame">Sarkozy</a> a tenté de renforcer les relations de Paris avec le Rwanda. Il n’a pas été loin d’admettre le rôle de la France pendant le génocide, mais a finalement seulement reconnu que son pays avait commis des « erreurs politiques ». Les relations se sont à nouveau détériorées sous la présidence de <a href="https://www.newtimes.co.rw/section/read/187831">François Hollande</a>, qui a minimisé l’implication de la France avant et pendant le génocide.</p>
<p>Par son discours de Kigali, Macron est allé au-delà des avancées timides enregistrées sous Sarkozy.</p>
<h2>Comment les relations se sont dégradées</h2>
<p>Avec le déclin de la guerre froide au début des années 1990, la France <a href="https://apnews.com/article/edfa5353874d34c97d3062d300bca767">a commencé à faire pression</a> sur ses alliés africains – comme Habyarimana – pour qu’ils démocratisent leurs régimes respectifs. Au Rwanda, cependant, la transition de la dictature à une compétition politique ouverte ne s’est pas bien passée. Plutôt qu’une mobilisation pacifique, l’ouverture de l’espace politique a aidé les extrémistes idéologiques hutus fidèles à Habyarimana à propager l’idéologie du génocide contre les Tutsis.</p>
<p>Au même moment, des exilés rwandais, principalement des Tutsis, ont formé le <a href="https://www.jstor.org/stable/161382?seq=1#metadata_info_tab_contents">Front patriotique rwandais</a>. De 1990 à 1994, une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/1462352042000225958?casa_token=XXZMNZVErBsAAAAA:EHqfGZrSRrG1vr1c8CDkKHS1k_Mx8BN5bSuyYwg0OJB7RwtuZ4DBw8Djnr4iFG7AZrDLzMZ1RXw">guerre civile</a> opposa le gouvernement à ces rebelles bien organisés.</p>
<p>La France a soutenu le régime d’Habyarimana en repoussant la première invasion du Front patriotique rwandais (1990-1991). Après cette campagne, le gouvernement français a fourni une aide militaire au Rwanda pour aider celui-ci à reconstruire son armée contre ce même parti. Les Français ont également secrètement appuyé une milice soutenue par le gouvernement, les <a href="https://www.britannica.com/event/Rwanda-genocide-of-1994/Genocide#ref1111308">Interahamwe</a> (Ceux qui combattent ensemble).</p>
<p>Le génocide a commencé quelques heures après l’<a href="https://www.theguardian.com/world/2010/jan/12/rwanda-hutu-president-plane-inquiry">assassinat</a> d’Habyarimana. Son avion présidentiel a été abattu par des assaillants inconnus.</p>
<p>La France s’est résolument placée derrière le nouveau gouvernement, qui mit en œuvre le génocide. Sans fournir de matériel militaire ou de troupes, elle a fait pression pour le retrait de la <a href="https://peacekeeping.un.org/en/mission/past/unamirS.htm">force de maintien de la paix des Nations unies</a> au Rwanda. Elle a également déplacé le <a href="https://www.newyorker.com/news/news-desk/the-arrest-of-madame-agathe">cercle restreint</a> du pouvoir du gouvernement rwandais hors du Rwanda dans les premiers jours du génocide.</p>
<p>Plus tard, la France a envoyé des troupes dans le cadre de <a href="https://www.realcleardefense.com/articles/2018/05/14/assessment_of_opration_turquoise_113440.html">l’Opération Turquoise, autorisée par l’ONU</a>. Le gouvernement français a déclaré publiquement que sa contribution substantielle de près de 2 500 soldats aiderait à mettre fin aux tueries génocidaires. Cependant, les auteurs du génocide ont pu poursuivre les massacres et <a href="https://www.hrw.org/reports/1996/Zaire.htm">fuir</a> vers le Zaïre voisin.</p>
<h2>Gestes de bonne volonté</h2>
<p>Les retombées politiques du génocide de 1994 resteront au cœur des relations entre le Rwanda et la France pendant un certain temps encore. Mais les signes sont prometteurs. Un premier pas d’importance a été accompli en 2019 avec la création de la <a href="https://www.voanews.com/europe/report-frances-role-rwandas-genocide-fails-lay-rest-dark-past">Commission Duclert</a> pour enquêter sur le rôle de la France dans le génocide.</p>
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<p>Le rapport de la commission exprime des doutes raisonnables quant au fait que le gouvernement français était pleinement conscient de la manière dont ses relations avec le régime Habyarimana et la formation des forces Interahamwe conduiraient au génocide. Il reconnaît néanmoins l’implication de la France dans les événements qui ont conduit aux massacres.</p>
<p>Le gouvernement rwandais <a href="https://www.gov.rw/blog-detail/statement-on-the-release-of-the-duclert-commission-report">a accepté</a> les conclusions du rapport et a souligné l’importance de ce dernier pour aider à restaurer la confiance entre les deux nations.</p>
<p>M. Macron et l’actuel président rwandais Paul Kagame se sont récemment <a href="https://www.nytimes.com/2021/05/27/world/africa/france-rwanda.html">rencontrés</a> en France. Macron a publiquement dit sa volonté d’avoir des relations <a href="https://www.france24.com/en/video/20210527-replay-france-s-macron-meets-rwanda-s-kagame-to-turn-page-on-post-genocide-tensions">amicales</a> avec son homologue rwandais.</p>
<p>Au cours de la visite d’État du président français au Rwanda, des <a href="https://www.newtimes.co.rw/news/rwanda-france-sign-two-bilateral-agreement">accords</a> importants ont été conclus entre les deux pays – par exemple un accord de coopération bilatérale signé entre les ministres des Affaires étrangères des deux nations, ainsi qu’un soutien financier au développement et à la lutte contre le Covid-19.</p>
<p>Mais pour les Rwandais, l’un des moments clés a été la visite de Macron au Mémorial du génocide de Kigali. Bien que cela puisse ne pas sembler être un avantage tangible en matière de politique étrangère, ce déplacement a une influence significative sur la perception que les Rwandais ont de la France – une perception qui oscille entre hésitation, scepticisme et haine ouverte de la France.</p>
<p>Pour de nombreux Rwandais, la France est associée à une période de l’histoire de leur pays qui a été marquée par les haines ethniques, l’instabilité et la dictature d’Habyarimana. Beaucoup tiennent encore la France pour responsable de l’aide apportée à l’idéologie destructrice du génocide.</p>
<p>Il faudra du temps pour que les Rwandais, en particulier ceux qui ont souffert ou été témoins du génocide, fassent à nouveau confiance à la France. Emmanuel Macron devra être conscient de ces défis et du fait que les relations franco-rwandaises nécessiteront du temps, des gestes de bonne volonté et des actions concrètes visant à remédier au passé.</p>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161787/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jonathan Beloff ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il faudra du temps pour que les Rwandais, en particulier ceux qui ont souffert ou été témoins du génocide, fassent à nouveau confiance à la France.Jonathan Beloff, SOAS, University of LondonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1616372021-05-27T18:26:04Z2021-05-27T18:26:04Z« In extenso » : Les printemps arabes et le conflit israélo-palestinien<p><em><strong>« In extenso »</strong>, des podcasts en séries pour faire le tour d’un sujet.</em></p>
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<p>L’actualité, dans la région dite MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) est aujourd’hui dominée par la résurgence du conflit israélo-palestinien. Un conflit qui a longtemps été au centre de toutes les attentions, mais qui, ces dix dernières années, a été quelque peu éclipsé par le phénomène dit des printemps arabes.</p>
<p>Les révoltes qui ont secoué le monde arabe à partir de 2010, et qui ont conduit à des bouleversements considérables – en Algérie, en Tunisie, en Libye, en Égypte, au Liban, au Yémen, en Syrie, en Irak et dans bien d’autres pays encore – ont montré toute la vitalité de sociétés que l’on avait tort de croire fatalistes et soumises aux régimes dictatoriaux en place. Ces révoltes procèdent de dynamiques complexes – sociales, politiques, parfois ethniques ou religieuses ; mais elles ont toutes, en commun, une prise de conscience par les populations de la possibilité de remettre en cause un statu quo devenu insupportable.</p>
<p>Quels ont été les causes, les mécanismes et les résultats des printemps arabes ? Quel a été, et quel est aujourd’hui, leur impact sur la confrontation israélo-palestinienne ? Et comment cette confrontation est-elle perçue aujourd’hui dans un monde arabe en pleine mutation ?</p>
<p>Pour en parler, nous accueillons aujourd’hui trois chercheurs membres du <a href="https://www.fmsh.fr/fr/recherche/31277">Panel International sur la sortie de la violence</a> :</p>
<p>Marie Kortam, chercheure associée à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO – Beyrouth) et membre du Conseil arabe des sciences sociales ; Mohamed-Ali Adraoui, Senior Fellow au Middle East Institute de l’Université nationale de Singapour ; et Jalel Harchaoui, Senior Fellow à la Global Initiative against Transnational Organized Crime.</p>
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<span class="attribution"><span class="source">IPEV</span></span>
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<p><em>Ce podcast est réalisé dans le cadre de l’évènement en ligne <a href="https://www.fmsh.fr/fr/recherche/31272">#IpevLive – Transition from violence : lessons from the MENA region</a> organisé par le Panel international sur la sortie de la violence. Au travers de huit conversations en ligne, tous les mardis du 18 mai au 29 juin 2021, chercheurs et experts partagent leurs analyses et recommandations visant à permettre la sortie de la violence dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.</em></p>
<p><em>Conception, Grégory Rayko, Quentin Peschard. Production, Romain Pollet</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161637/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Plus de dix ans après le début des printemps arabes, l’attention se porte actuellement de nouveau sur le conflit israélo-palestinien. Comment ces deux phénomènes sont-ils interconnectés ?Grégory Rayko, Chef de rubrique International, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.