tag:theconversation.com,2011:/us/topics/gaz-de-schiste-24119/articlesgaz de schiste – The Conversation2023-03-02T21:24:48Ztag:theconversation.com,2011:article/2008082023-03-02T21:24:48Z2023-03-02T21:24:48ZAccidents ferroviaires : la sécurité du public victime de la déréglementation<p>En Ohio, la tragédie environnementale engendrée par le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1959109/etats-unis-east-palestine-biden">déraillement d’un train de Norfolk Southern</a> transportant des matières dangereuses et qui a rejeté des produits chimiques toxiques dans l’air et dans les cours d’eau locaux nécessitera une longue décontamination. Et si l’on se fie à une tragédie ferroviaire semblable survenue au Canada, il faudra encore plus de temps pour connaître les causes de l’accident et l’étendue des dégâts.</p>
<p>Près de dix ans se sont écoulés depuis qu’un train fou transportant 72 wagons-citernes pleins de pétrole de schiste hautement volatile du gisement Bakken <a href="https://www.ledevoir.com/motcle/tragedie-de-lac-megantic">a déraillé et explosé à Lac-Mégantic</a>. La tragédie a entraîné la mort de 47 personnes, rendu 26 enfants orphelins, déversé six millions de litres de produits toxiques et détruit le centre-ville.</p>
<p>L’accident du 6 juillet 2013 a été la pire catastrophe industrielle sur le sol canadien depuis plus d’un siècle. Dix ans plus tard, la collectivité en subit encore les séquelles sur les plans économique, sanitaire et environnemental.</p>
<h2>Un traumatisme qui n’en finit pas</h2>
<p><a href="https://tc.canada.ca/fr/transport-ferroviaire/voie-contournement-ferroviaire-lac-megantic">Un projet de voie de contournement</a>, conçu à l’origine comme une mesure réparatrice, perpétue le traumatisme dont souffre la communauté de Lac-Mégantic depuis cette terrible nuit.</p>
<p>La construction de la voie de contournement n’a toujours pas commencé. Le tracé privilégié par le Chemin de fer Canadien Pacifique ltée, qui sera propriétaire de la voie de contournement une fois celle-ci terminée, et soutenu par le gouvernement fédéral, a engendré de profondes divisions dans les municipalités voisines.</p>
<p>Les citoyens de la ville de Frontenac <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/regional/2023-02-19/referendum-a-frontenac/les-citoyens-rejettent-la-proposition-d-une-voie-de-contournement-ferroviaire.php">ont voté massivement contre le tracé</a>. La population a exprimé ses inquiétudes quant aux éventuels dommages environnementaux et matériels dont Transports Canada n’aurait pas tenu compte.</p>
<p>Le différend au sujet de la voie de contournement n’est qu’un des problèmes auxquels sont confrontés les citoyens de Lac-Mégantic. Leur récente démarche pour obtenir justice auprès des tribunaux a connu une issue décevante le 14 décembre 2022.</p>
<p>Le juge Martin Bureau de la Cour supérieure du Québec a statué que le Chemin de fer Canadien Pacifique <a href="https://www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/2022/2022qccs4643/2022qccs4643.html">ne pouvait être tenu responsable des dommages subis par les victimes de la catastrophe de Lac-Mégantic</a>. Les plaignants ont fait appel de cette décision.</p>
<h2>Des enjeux de responsabilité</h2>
<p>Cette affaire soulève de sérieuses questions quant à savoir qui doit être considéré comme responsable dans le cas d’événements complexes qui entraînent de graves dommages. Elle nous démontre également que les litiges privés ne permettent pas de comprendre les catastrophes et les actions nécessaires pour mieux protéger l’intérêt des citoyens. Une enquête publique est la seule réponse possible.</p>
<p>Un recours collectif a été intenté contre la Montreal Maine & Atlantic Canada Co et 25 autres parties défenderesses. MM&A a ensuite fait faillite.</p>
<p>En 2016, 24 des défendeurs ont mis fin aux poursuites engagées contre eux en versant 460 millions de dollars à un fonds d’indemnisation. Parmi ceux-ci, on trouve Transports Canada, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/779141/ottawa-fonds-d-indemnisation-lac-megantic">pour 75 millions de dollars</a>, Irving Oil (75 millions de dollars) et World Fuel Services Corp, le propriétaire américain du pétrole transporté par le train (135 millions de dollars). Il ne s’agissait pas d’un geste altruiste, mais plutôt d’un moyen de s’affranchir des risques de poursuite, puisque le <a href="https://www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/2016/2016qccs6977/2016qccs6977.html">règlement les exclut du recours collectif</a>.</p>
<h2>Le CP affirme n’avoir rien à se reprocher</h2>
<p>Le Canadien Pacifique ne s’est pas joint au règlement. Le CP a toujours soutenu n’avoir commis aucun acte répréhensible. L’entreprise a refusé de reconnaître quelque responsabilité que ce soit dans la tragédie de Lac-Mégantic, car le déraillement s’est produit après que le train a été remis à la Montreal Maine & Atlantic à Montréal pour la dernière étape du voyage.</p>
<p>Après avoir examiné les nombreuses preuves présentées au procès, le tribunal a déterminé que le CP n’était pas responsable des événements de Lac-Mégantic.</p>
<p>Le juge a statué que le CP n’avait pas le devoir d’intervenir et qu’il n’avait pas été négligent puisqu’il avait respecté les pratiques de l’industrie. De plus, même s’il y avait eu négligence de la part du CP, le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1948287/train-appel-cp-tragedie-megantic-civil">juge a conclu que rien n’indiquait</a> que la société était « la cause directe, immédiate et logique des préjudices subis par l’ensemble des victimes » des suites du déraillement.</p>
<p>En statuant que le CP n’était pas fautif, le juge s’est appuyé sur les pratiques de l’industrie pour évaluer si le CP avait rempli son devoir d’agir de manière raisonnablement prudente, selon <a href="https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/version/lc/CCQ-1991?code=se:1457&historique=20230220#20230220">l’article 1457 du code civil du Québec</a>.</p>
<p>Le tribunal a été fortement influencé par l’absence, dans les règlements ferroviaires applicables, d’obligations contraignantes qui auraient fait en sorte que le CP soit tenu de prendre les mesures que les plaignants jugeaient nécessaires.</p>
<h2>Aucun suivi des risques</h2>
<p>Le juge a convenu avec le CP qu’il n’était tenu de procéder à une évaluation des risques sur ses voies. Le tribunal a statué que puisque le gouvernement avait le devoir de s’assurer que la cargaison était correctement classée et que la Montreal Maine & Atlantic respectait les normes de sécurité requises sur sa portion de la route, le CP n’avait aucune obligation de contrôler les risques que présentent pour le public les compagnies avec lesquelles il collabore.</p>
<p>Le tribunal a estimé que le CP n’avait pas le devoir de vérifier si le pétrole de schiste dans les wagons-citernes avait été bien classé ou s’il était plus volatil que le pétrole brut classique. Le CP n’a pas non plus été négligent en choisissant la Montreal Maine & Atlantic pour transporter la cargaison funeste en passant par Lac-Mégantic, malgré le fait que le CP connaissait les <a href="https://www.thestar.com/news/canada/2013/07/10/lac_megantic_disaster_mma_railway_had_poor_safety_record_in_us.html">pratiques de la MM&A</a> et les risques que celles-ci entraînaient pour le transport du pétrole.</p>
<p>Les conclusions du tribunal reposent sur une vision du cadre réglementaire qui ne tient pas compte de la réalité du rapport de force entre l’industrie et les autorités réglementaires.</p>
<p>Deux compagnies ferroviaires, le Canadien National et le Canadien Pacifique, déterminent les lois, les règles et les règlements – avec la complicité de bureaucrates et de législateurs – de manière à servir leurs propres intérêts et à se protéger contre toute responsabilité pénale en cas de catastrophe.</p>
<p>La réduction de la capacité de surveillance indépendante de Transports Canada est le fruit d’un processus de déréglementation et de compression des ressources qui dure depuis des décennies. L’organisme de réglementation supervise les plans de sécurité élaborés par les sociétés de chemins de fer au lieu d’effectuer des inspections réelles sur le terrain.</p>
<p>En d’autres termes, les sociétés ferroviaires définissent elles-mêmes les « pratiques de l’industrie » qui servent de références pour évaluer le caractère raisonnable de leur conduite.</p>
<h2>Une vision étroite de la causalité</h2>
<p>En plus de conclure à l’absence de négligence de la part du CP, le tribunal québécois n’a attribué de responsabilité légale qu’au dernier maillon de la chaîne de causalité : Tom Harding, le conducteur du train.</p>
<p>Ce verdict est préoccupant, car on incrimine ainsi Harding pour son rôle dans un événement complexe alors qu’il avait peu de contrôle sur ses conditions de travail et la politique de l’entreprise. En ne retenant que la décision de Harding quant au nombre de freins à main à serrer, le tribunal ne tient pas compte de toutes les autres conditions qui ont contribué au déraillement, notamment le fait que le train soit stationné sur la voie principale en amont d’une ville avec une cargaison de pétrole brut hautement explosif et volatil mal étiquetée.</p>
<p>Harding a été <a href="https://www.latribune.ca/2018/01/22/harding-sort-de-son-mutisme-49f3b267681b0d54381047dce2ea7bbf">acquitté de toute accusation criminelle</a> en 2018.</p>
<p>Cette affaire montre à quel point il est difficile pour des plaignants, en tenant compte des règles juridiques actuelles, de prouver la faute et la causalité pour des événements complexes, en particulier lorsque plusieurs parties sont impliquées, chacune d’entre elles cherchant à minimiser son exposition à la responsabilité juridique.</p>
<p>Non seulement les parties privées n’ont pas le pouvoir d’exiger des preuves, mais même si elles l’avaient, les coûts liés à la collecte des preuves relatives aux éléments qui ont contribué à un événement de l’ampleur du déraillement de Lac-Mégantic seraient prohibitifs.</p>
<p>Compte tenu de l’incapacité d’un système juridique défaillant à rendre justice aux citoyens de Lac-Mégantic, une <a href="https://www.canada.ca/fr/conseil-prive/services/commissions-enquete.html">commission d’enquête indépendante</a> constitue le seul moyen de faire toute la lumière sur cet événement, ses causes, les personnes qui devraient être tenues responsables et les politiques qu’on devrait mettre en œuvre pour prévenir des catastrophes futures. Or, les gouvernements successifs ont rejeté une telle enquête.</p>
<p>Dix ans après Lac-Mégantic, la négligence des entreprises et l’absence de réglementation demeurent des caractéristiques systémiques prédominantes du transport de marchandises dangereuses par chemin de fer en Amérique du Nord, comme en témoignent le déraillement et le déversement de produits chimiques toxiques survenus récemment à East Palestine, en Ohio. Le statu quo ne peut être toléré. La sécurité publique doit primer sur la valeur actionnariale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200808/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bruce Campbell est affilié à plusieurs organisations à but non lucratif : Le Centre canadien de politiques alternatives, le Groupe des 78, l'Institut Rideau pour les affaires internationales.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jennifer Quaid est membre (Senior Fellow) du Centre pour l'innovation en gouvernance internationale (CIGI). Elle est également présidente du comité juridique de Transparency International Canada. La prof. Quaid est détentrice de subventions de recherche du Conseil de recherche en sciences humaines (CRSH). </span></em></p>Deux compagnies ferroviaires, le CN et le CP, déterminent les lois, les règles et les règlements – avec la complicité de bureaucrates et de législateurs – de manière à servir leurs propres intérêts.Bruce Campbell, Adjunct Professor, Faculty of Environmental and Urban Change, York University, CanadaJennifer Quaid, Associate Professor & Vice-Dean Research, Civil Law Section, Faculty of Law, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1812112022-05-09T18:40:40Z2022-05-09T18:40:40ZImportations gazières : un bilan carbone à regarder de près<p>L’invasion russe en Ukraine et les tensions internationales qui en découlent nous rappellent qu’un <a href="https://www.bp.com/content/dam/bp/business-sites/en/global/corporate/pdfs/energy-economics/statistical-review/bp-stats-review-2021-full-report.pdf">quart de l’énergie mondiale</a> est assurée par la combustion du gaz naturel. Une part qui reste à peu près constante dans les <a href="https://iea.blob.core.windows.net/assets/98909c1b-aabc-4797-9926-35307b418cdb/WEO2019-free.pdf">projections mondiales à l’échéance 2040</a>, même pour des scénarios de transition énergétique optimistes.</p>
<p>Le gaz est d’ailleurs considéré comme une énergie de transition indispensable pour pallier l’intermittence du renouvelable, même si le contexte international actuel met en évidence les <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_22_1511">besoins de diversification d’approvisionnement en gaz naturel et la réduction de la consommation (-30 % en 2030)</a>. En effet, le gaz est une énergie fossile dont l’Europe veut se débarrasser pour atteindre la fin des émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici à 2050 dans le cadre du <a href="https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/european-green-deal_fr">« pacte vert pour l’Europe »</a>.</p>
<p>Cet objectif de réduction se trouve néanmoins confronté à la réalité du marché. D’une part, par sa forte consommation : en 2019, l’Europe a consommé 123 Gigajoules d’énergie par habitant, alors que la moyenne mondiale est de 75 Gigajoules par habitant. D’autre part, l’Europe est un <a href="https://www.bp.com/content/dam/bp/business-sites/en/global/corporate/pdfs/energy-economics/statistical-review/bp-stats-review-2021-full-report.pdf">acteur mineur en termes de production d’énergie fossile (1,7 % des réserves mondiales)</a>.</p>
<h2>Production et consommation gazière en France</h2>
<p>La situation de l’UE s’applique également à la France. La production de gaz en France (gaz de mine et biogaz) était de 2,4 TWh PCS (milliards de kWh en pouvoir calorifique supérieur) en 2020, ce qui ne représente qu’environ 1 % de sa consommation. La <a href="https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energie-2021/14-gaz-naturel">majeure partie du gaz consommé par la France est donc importé</a>, et provient de Norvège (36 %), de Russie (17 %), d’Algérie (8 %), du reste de l’UE (8 %), du Nigeria (7 %), du Qatar (2 %) mais également de sources dont l’état français ne précise pas la provenance (22 %).</p>
<p>Une situation qui ne va pas s’arranger. La France a en effet adopté en 2017 une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000036339396">loi mettant fin à la recherche et à la production de pétrole et de gaz d’ici 2040</a>… sans pour autant interdire sa consommation.</p>
<p>La France se retrouve dès lors en pleine contradiction. Elle s’interdit depuis 2017 de produire des gaz de schistes, mais est devenue la <a href="https://classe-export.com/index.php/actus/55914-la-france-est-le-plus-gros-acheteur-au-monde-de-gaz-naturel-liquefie-americain/">première destination mondiale du gaz naturel liquéfié (ou GNL) américain</a>.</p>
<p>Cette contradiction se retrouve aussi dans les mouvements associatifs, qui s’opposent fortement aux projets de production de gaz sur le territoire, mais sont très discrets sur nos importations. Ainsi, en Lorraine, un <a href="https://www.republicain-lorrain.fr/environnement/2021/03/18/manif-contre-le-gaz-de-couche">projet d’exploitation de gaz de charbon suscite la controverse</a>, alors que le pipeline acheminant le gaz russe n’alimente pas d’oppositions. Ce comportement s’inscrit dans le réflexe NIMBY (« not in my backyard », ou « pas dans mon arrière-cour »), prédominant en Europe à l’échelle locale comme nationale.</p>
<h2>L’importation gazière : un impact carbone qui explose</h2>
<p>Or, ces importations ont un coût environnemental et un bilan carbone loin d’être négligeables.</p>
<p>En effet, entre les phases exploratoires et de mises en production et l’utilisation finale, un certain nombre d’opérations viennent alimenter le budget carbone de la filière gazière. Ainsi, avant sa livraison au consommateur, le gaz subit des traitements pour le purifier, le pressuriser et le transporter (déshydratation, élimination des gaz pénalisants, traitement des résidus, pompage, compression, transport, liquéfaction…). Dans certains cas, viennent s’ajouter des fuites de gaz liées à des défaillances techniques et des manques de surveillance des installations.</p>
<p>En résumé, <a href="https://bilans-ges.ademe.fr/documentation/UPLOAD_DOC_FR/index.htm?gaz.htm">plus un gaz est produit loin du consommateur, plus son empreinte CO₂ sera élevée</a>.</p>
<p>Le calcul montre que pour une consommation française, un gaz hollandais conventionnel présente un <a href="https://www.francaisedelenergie.fr/wp-content/uploads/2019/10/2016-FDE-Pr%C3%A9sentation-AG.pdf">bilan carbone 13 fois moins élevé</a> qu’un gaz liquéfié provenant du Qatar, et 15 fois moins élevé qu’un gaz russe acheminé sur une très longue distance. Comme pour le secteur alimentaire, le choix du locavorisme s’impose donc.</p>
<p>Face à ce constat et à la crise ukrainienne qui rebat les cartes, face aussi au pragmatisme que nous impose la dépendance européenne aux énergies fossiles, les opportunités de production nationale de gaz doivent être considérées en imposant des technologies de surveillance et de traitement du CO<sub>2</sub> émis. Trop vite oubliés, ce sont les <a href="https://www.iea.org/reports/energy-policies-of-iea-countries-the-european-union-2014-review">objectifs que s’était fixée l’Europe à l’horizon 2020</a>, à savoir un marché énergétique transfrontalier, une plus grande indépendance des régulateurs nationaux et une compétitivité accrue en faveur d’un marché de l’énergie intracommunautaire !</p>
<h2>Le gaz de charbon lorrain : une solution locale ?</h2>
<p>C’est dans cette optique que l’Université de Lorraine, le CNRS et La Française de l’Énergie se sont associés au sein du <a href="https://regalor.univ-lorraine.fr/le-projet/">projet REGALOR</a>. Ce projet vise à quantifier la ressource en gaz de charbon du bassin carbonifère lorrain, et à développer des technologies de surveillance, de récupération et de valorisation du méthane, tout en réduisant l’impact carbone en piégeant le CO<sub>2</sub> émis. Cela doublé d’une absence de recours à la fracturation hydraulique, et à la production d’un méthane quasiment pur (97 %).</p>
<p>Les enjeux de REGALOR prennent tout leur sens dans le cadre de l’indépendance énergétique française. La ressource gazière en Lorraine est ainsi estimée comme étant <a href="https://www.francaisedelenergie.fr/wp-content/uploads/2019/10/2016-FDE-Pr%C3%A9sentation-AG.pdf">équivalente à 370 milliards de m³</a>, ce qui correspond à 8 ans de consommation nationale. Couplé à une réduction des émissions de CO<sub>2</sub>, ce gaz lorrain aurait de plus un bilan carbone bien inférieur à celui d’un gaz importé.</p>
<p>Oui, les pays européens, dont la France, ont des ressources pour contribuer à une indépendance énergétique à faible impact carbone. Cependant, la réorientation actuelle du marché gazier continue de maintenir notre dépendance extraeuropéenne, avec un bilan carbone encore plus défavorable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181211/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les travaux de recherche menés par Jacques Pironon dans le cadre du projet de Recherche REGALOR sont financés par la Région Grand Est et le FEDER</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Les travaux de recherche menés par Philippe de Donato dans le cadre du projet de Recherche REGALOR sont financés par la Région Grand Est et le FEDER</span></em></p>Comme l’Europe, la France consomme beaucoup de gaz… mais en produit peu. Or, les importations massives ont un coût environnemental important. Pourtant, il existe des gisements en France.Jacques Pironon, Directeur de recherche au CNRS, Université de LorrainePhilippe de Donato, Directeur de recherche au CNRS, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1815352022-05-05T19:00:45Z2022-05-05T19:00:45ZLa guerre du gaz de schiste n’aura (sans doute) pas lieu<p>Le conflit russo-ukrainien a conduit à une hausse subite du prix du baril de pétrole et du mètre cube de gaz, et a mis en évidence la dépendance que génère notre consommation énergétique. Face à ce constat, <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/invitee-rtl-energie-pour-marion-marechal-il-faut-reprendre-la-question-du-gaz-de-schiste-7900133534">certaines voix s’étonnent</a> que la France ne revienne pas sur <a href="https://www.lepoint.fr/economie/le-gaz-de-schiste-un-eldorado-inexploite-17-03-2022-2468592_28.php">l’eldorado inexploité</a> que constituent ses propres gisements en gaz de schiste) et regrettent que son exploration soit devenu un véritable <a href="https://www.energystream-wavestone.com/2014/10/gazdeschiste-grand-tabou-transition-energetique/">« tabou »</a>.</p>
<p>Le gaz de schiste est un gaz naturel dont la particularité réside dans la nature du sous-sol dans lequel il se trouve enfermé. Alors que le gaz conventionnel se trouve piégé dans une roche perméable qui permet facilement son extraction, le gaz de schiste est emprisonné dans les porosités de certains types de roches argileuses imperméables. Son extraction nécessite donc des techniques plus complexes.</p>
<p>En France comme dans plusieurs autres pays, les débats autour de l’interdiction et de l’autorisation de la fracturation hydraulique (la principale technique d’extraction du gaz de schiste) sont fréquemment relancés.</p>
<p>Pour ses défenseurs, exploiter les richesses gazières de notre sous-sol représenterait une formidable opportunité pour permettre à notre pays de bénéficier d’une énergie à moindre coût et de réduire nos importations et notre dépendance aux pays gaziers.</p>
<p>Pour ses opposants, le coût environnemental de l’exploitation du gaz de schiste (que ce soit en matière de <a href="https://theconversation.com/plus-de-10-pour-cent-des-puits-dextraction-fuient-au-nord-est-de-la-colombie-britannique-132854">pollution</a> des nappes phréatiques, d’émission de gaz à effet de serre ou d’augmentation des <a href="https://theconversation.com/crises-sismiques-3-la-france-aussi-peut-trembler-50040">tremblements de terre</a>…) est tel qu’il n’est pas question de revenir sur son interdiction.</p>
<p>Malgré la dimension économique et géopolitique de leurs arguments, les défenseurs du gaz de schiste peinent à se faire entendre dans un paysage médiatique dominé par les opposants qui semble avoir réussi à verrouiller le débat. Malgré un climat politique particulièrement concurrentiel en cette période d’élections présidentielle et législatives, pourquoi est-il si difficile d’aborder cette question de l’exploration du gaz de schiste, et que nous apprend-elle sur les dynamiques de verrouillage des débats ?</p>
<h2>Les premiers débats entourant l’interdiction de la fracturation hydraulique</h2>
<p>Pour comprendre ces dynamiques de verrouillage, il faut d’abord remonter dans le temps, juste avant la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000024361355/">loi Jacob</a> de 2011, qui prohibe la fracturation hydraulique.</p>
<p>Le sujet s’invite dans les médias sur la pointe des pieds à partir de 2010, avec quelques articles épars. Il arrive sur un terrain vide de sens : personne n’a alors entendu parler d’un tel sujet, à l’exception de quelques géologues pétroliers spécialisés.</p>
<p>Au premier semestre 2010, les premiers articles mettent en balance deux énoncés en compétition : le gaz de schiste est défini d’un côté comme <a href="https://www.latribune.fr/journal/edition-du-2903/evenement/392540/revolution-energetique-en-vue-grace-au-gaz-naturel.html">possible eldorado</a>, et de l’autre comme <a href="https://www.latribune.fr/journal/edition-du-2903/evenement/392551/des-risques-pour-l-environnement.html">risque environnemental</a>, sans que l’un ne s’impose sur l’autre et sans que l’un et l’autre ne suscitent beaucoup d’écho.</p>
<p>Un basculement s’opère à partir de décembre 2010, avec l’émergence d’une variation de l’énoncé dramatique du gaz de schiste portée par des opposants locaux.</p>
<p>Son exploration est désormais aussi associée à la mise en danger de territoires particuliers (visés par des permis d’exploration), tels que le Larzac, la Drôme et l’Ardèche. Elle n’est plus seulement un problème impersonnel pour la planète, mais devient une dramaturgie enracinée dans un territoire et associée aux victimes potentielles que sont les habitants, les agriculteurs, les chasseurs, les pêcheurs, les spéléologues, etc. du territoire en question</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/CV0jHCfWkfM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Discours de l’eurodéputé et militant altermondialiste José Bové au Parlement européen de Strasbourg, le 15 décembre 2010, dénonçant les autorisations d’exploitation du gaz de schiste (Vincent Lucas/YouTube).</span></figcaption>
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<p>Elle aussi associée à un problème démocratique, où les victimes sont ces élus locaux qui n’ont pas été consultés et dont la légitimité est désormais remise en cause.</p>
<h2>La mobilisation efficace des opposants</h2>
<p>Ce nouveau variant territoriale et démocratique de l’énoncé dramatique, couplée à une forte mobilisation, contribue très largement à la victoire médiatique écrasante des opposants.</p>
<p>Tout d’abord, leur capacité à déployer une véritable contre-expertise et à structurer des arguments puisés en partie dans les luttes nord-américaines constitue une arme redoutable. Les <a href="https://www.ledevoir.com/societe/environnement/295266/quebec-se-decide-a-consulter-les-citoyens-sur-les-gaz-de-schiste">opposants québécois</a> jouent un rôle central, en diffusant les <a href="https://www.nytimes.com/2010/07/12/business/energy-environment/12iht-green.html">informations venant des États-Unis</a> et en insistant sur la nécessité de bloquer l’industrie dès la phase d’exploration.</p>
<p>Leurs actions reposent également sur l’organisation d’évènements publics à fort écho médiatique, qu’il s’agisse de <a href="https://www.lepoint.fr/politique/celebrites-et-anonymes-convergent-dans-le-larzac-contre-les-gaz-de-schistes-05-02-2011-135952_20.php">manifestations</a> qui voient les riverains descendre dans la rue, ou de <a href="https://www.liberation.fr/terre/2011/03/29/la-fronde-anti-gaz-de-schiste-s-etend_725238/">réunions publiques</a> dans lesquelles les élus prennent la parole pour accuser l’État de déni de démocratie et délégitimer le processus de délivrance des permis.</p>
<p>Ensuite, ils ne rencontrent qu’une très faible résistance de la part des défenseurs du gaz de schiste. Cela s’explique d’une part par la structuration du paysage énergétique français autour de grandes industries peu intéressées par des « petits » gisements, là où le gaz de schiste est d’abord l’affaire de petites et moyennes entreprises étatsuniennes.</p>
<p>D’autre part, les principaux acteurs du secteur industriel focalisent alors leur attention sur le sauvetage du nucléaire civil après l’accident de Fukushima en mars 2011.</p>
<p>Enfin, c’est la ministre de l’écologie, Nathalie Koscuisko-Morizet, qui prend en charge le dossier, en insistant sur sa dimension environnementale et en marginalisant le rôle du ministère de l’industrie, dont la position est plus favorable aux industriels.</p>
<h2>Une remobilisation des partisans du gaz de schiste qui ne porte pas ses fruits</h2>
<p>L’issue de la première bataille qui conduit au vote de la loi d’interdiction de la fracturation hydraulique en 2011 s’explique autant par l’effort de mobilisation des opposants que par le faible engagement des défenseurs. La deuxième bataille qui s’engage un an plus tard est bien différente, mobilisant des partisans au poids politique beaucoup plus lourd alors même que la pression des mobilisations est en partie retombée.</p>
<p>Alors que le sujet avait disparu de l’arène médiatique au cours d’une année électorale qui a conduit à la victoire de François Hollande, il refait surface dès l’été 2012 par la voix de nouveaux porte-parole, tels le ministre de l’Industrie Arnaud Montebourg et le Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Ces derniers proposent de <a href="https://www.lesechos.fr/2012/11/arnaud-montebourg-rouvre-la-porte-au-gaz-de-schiste-383396">rouvrir le débat</a>, en faisant de l’exploitation du gaz de schiste la solution au problème de la trop faible croissance du pays.</p>
<p>Au cours des mois suivants, une véritable attaque politique et médiatique est lancée, dont l’objectif est de montrer que le tabou posé sur le gaz de schiste est le signe de l’immobilité de l’État et de l’incompétence d’une partie des socialistes qui refusent cette manne qui s’offre à eux pour sauver la France.</p>
<p>Il s’agit avant tout d’une <a href="https://www.lesechos.fr/2012/07/le-tabou-des-gaz-de-schiste-partage-le-gouvernement-360247">lutte interne</a> au gouvernement, qui oppose Arnaud Montebourg à la ministre de l’écologie Delphine Batho, dont le but est de remporter <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2012/07/18/01002-20120718ARTFIG00599-les-gaz-de-schiste-empoisonnent-le-gouvernement.php">l’arbitrage</a> du président Hollande.</p>
<p>Delphine Batho continue de défendre la position socialiste de 2011 qui était celle de l’interdiction, tandis qu’Arnaud Montebourg tente d’expliquer qu’il est possible de développer une exploitation propre afin de bénéficier d’une <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/Le-retour-du-debat-sur-le-gaz-de-schiste-528973-3127187">manne énergétique</a> utile à la croissance économique.</p>
<p>Cependant, cette nouvelle bataille du sens n’arrive pas à infléchir l’étiquette sémantique qui colle désormais au gaz de schiste dans l’arène médiatique : celle d’être un drame environnemental doublé d’un problème politique suscitant le désordre public.</p>
<p>Il faut dire que les étiquettes sémantiques ont ceci de particulier qu’elles ne collent pas seulement au sujet, mais aussi à l’identité de ceux qui décident d’en devenir les porte-parole. Défendre le gaz de schiste, c’est ainsi être contre l’environnement et déclencher le désordre des mobilisations.</p>
<p>C’est ainsi que François Hollande finit à plusieurs reprises, comme son prédécesseur <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2012/11/14/ou-en-est-le-debat-sur-les-gaz-de-schiste-en-france_1790365_3244.html">et bien qu’il n’en soit pas nécessairement convaincu</a>, par <a href="https://www.leparisien.fr/archives/hollande-ferme-la-porte-aux-gaz-de-schiste-15-09-2012-2165798.php">refuser de rouvrir le débat</a>.</p>
<h2>Et maintenant ?</h2>
<p>Les défenseurs du gaz de schiste ont non seulement perdu la bataille initiale de définition des termes du débat, mais chaque défaite qu’ils ont rencontrée n’a fait que renforcer la colle sémantique qui associe le gaz de schiste à un drame environnemental et ses porte-parole à des personnes non soucieuses des enjeux environnementaux.</p>
<p>Le prix à payer pour rouvrir le débat s’est donc alourdi chaque année un peu plus, renforcé l’échec des prospections dans d’autres pays comme la <a href="https://reporterre.net/Les-fausses-promesses-du-gaz-de-schiste-polonais">Pologne</a>, les problèmes qui s’accumulent aux <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/le-gaz-energie-explosive-24-schiste-americain-gare-au-retour-de-flamme">États-Unis</a> et le renforcement législatif français avec la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000036339396/">loi Hulot</a> de 2017 qui prévoit la fin de l’exploitation d’hydrocarbures d’ici 2040 dans un objectif de neutralité carbone.</p>
<p>Au-delà des discours scientifiques, l’histoire de l’interdiction du gaz de schiste est ainsi un formidable révélateur de l’importance des luttes de sens, qui sont aussi des luttes de pouvoir se déployant non seulement dans les arènes médiatiques, mais aussi dans les arènes discrètes du monde politico-bureaucratique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181535/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sébastien Chailleux a reçu des financements de l'ANR et d'Investissements d'Avenir. Sébastien Chailleux et Philippe Zittoun sont les auteurs de "L'État sous pression" (<a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100103960">https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100103960</a>).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Philippe Zittoun ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le gaz de schiste a, dans l’opinion publique, l’image d’une catastrophe écologique, rendant les débats sur son exploitation presque intenables. Mais comment ce traitement médiatique est-il né ?Sébastien Chailleux, Maître de conférences en science politique, Sciences Po BordeauxPhilippe Zittoun, Directeur de recherche en science politique, secrétaire général de l'Association Internationale de Politiques Publiques, ENTPELicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1484792020-10-28T22:05:10Z2020-10-28T22:05:10ZBonnes feuilles : « Apprentissages de la citoyenneté. Expériences démocratiques et environnement »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/366090/original/file-20201028-13-1c9njd4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C1%2C1020%2C676&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">A Villeneuve de Berg, le 26 novembre 2011, avant une manifestation</span> <span class="attribution"><span class="source">Jeani-Pierre Clatot/AFP</span></span></figcaption></figure><p><em>À l’heure où de nouvelles formes de démocratie rencontrent les débats sur l’environnement, la sociologue Laura Seguin a suivi en Poitou-Charentes une conférence de citoyens sur la gestion de l’eau, et, en Ardèche, une mobilisation contre l’extraction de gaz de schiste.</em></p>
<p><em>Ces expériences faites de construction de savoirs, d’émotions et de délibérations, constituent pour les citoyens ou les acteurs associatifs, comme les élus, de véritables espaces d’apprentissages. Laura Seguin les analyse en associant enquête ethnographique et sciences de l’éducation. Voici la conclusion de son ouvrage, <a href="https://www.fmsh.fr/fr/diffusion-des-savoirs/31046">paru récemment</a> aux éditions de la Maison des sciences de l’homme : « Apprentissages de la citoyenneté – Expériences démocratiques et environnement ».</em></p>
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<p>Cette étude contribue à éclairer d’un nouveau regard les expériences de participation, qu’elles s’inscrivent dans des dispositifs institués ou dans des formes contestataires. En ouvrant la boîte noire des apprentissages, entendus comme produits mais aussi comme processus, cette recherche s’est centrée sur la fonction éducative de la participation.</p>
<p>Cette approche a mis en évidence ce qui se produit chez les différents acteurs : par l’observation s’identifient les modalités par lesquelles les apprentissages s’effectuent, et par les entretiens répétés dans le temps est mise en évidence la portée des expériences sur les individus. Au terme de cette enquête, j’identifie trois principaux résultats.</p>
<p>Le premier résulte du regard croisé entre procédure de démocratie instituée et mobilisation contestataire. Ces deux expériences, si différentes soient-elles, sont toutes deux porteuses d’apprentissage du conflit comme de la délibération. Alors que les conférences de citoyens fondées sur l’idéal délibératif apparaissent parfois comme des tentatives de réduction, voire d’épuisement du conflit, nous avons vu qu’elles peuvent mener, au contraire, à construire le conflit, aussi bien auprès des élus et professionnels des politiques concernées qu’auprès des citoyens invités à participer.</p>
<p>De même, l’enquête sur la mobilisation ardéchoise montre qu’il existe un processus de construction du conflit au fil du temps, par le recours à des modalités participatives contribuant à évacuer la violence que contient toute situation agonistique. Ce processus, que j’ai appelé « instruction du conflit » en m’inspirant du travail sur l’éducation populaire d’<a href="http://www.theses.fr/2011PA083546">A. Morvan</a>, consiste à apprendre à identifier les antagonismes, les « camps » en opposition, tout en se conformant aux règles de la « grammaire publique », que <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2006-3-page-11.htm?contenu=resume">J. Talpin</a> identifie comme l’impératif de montée en généralité et auquel l’analyse mène à adjoindre l’impératif de la non-violence.</p>
<p>Dans les deux cas étudiés, ce n’est pas le conflit qui est exclu des arènes de discussion – celui-ci fait au contraire l’objet d’une construction, d’un apprentissage – mais ses modalités d’expression violentes conduisant à la rupture du dialogue. Le théâtre-forum ou le débat mouvant ont par exemple été identifiés comme des outils et dispositifs d’apprentissage du conflit par des modalités coopératives et « non violentes ».</p>
<p>À cette instruction préalable du conflit succède l’apprentissage de la délibération, entendue comme processus de construction d’accords collectifs. Cet apprentissage fait l’objet d’un important cadrage, non seulement au sein de la conférence de citoyens, mais aussi, de manière peut-être plus inattendue, au sein du mouvement contestataire. Ses modalités s’inscrivent en tension entre des stratégies éducatives fortement interventionnistes dans lesquelles les animateurs et leurs règles jouent un rôle contraignant mais paradoxalement envisagé comme « libérateur », et des stratégies d’autonomisation des groupes délibérants, où les règles de la délibération sont définies par les participants eux-mêmes, sollicitant, voire développant chez eux des compétences participatives.</p>
<p>Cet apprentissage est aussi celui des limites au-delà desquelles la poursuite de la coopération deviendrait risquée. Les participants à ces arènes expérimentent effectivement la construction d’accords collectifs tout en apprenant à repérer les moments où cela porte trop atteinte aux intérêts ou aux valeurs défendues. L’expérience leur apprend à faire parfois le choix de ne pas ou ne plus participer, qui peut également s’expliquer par un effet de résistance à l’idéal délibératif et à des formes de professionnalisation du débat public.</p>
<p>Le second résultat spécifie la portée des apprentissages sur les individus, et détaille les modalités d’apprentissage à l’œuvre. Dans ce travail de repérage des apprentissages de la participation sont inclus les élus, professionnels des politiques publiques (notamment ingénieurs et techniciens), acteurs associatifs et militants politiques. Alors que la majorité des travaux s’intéressent au « citoyen ordinaire » qui serait le seul à (devoir) apprendre, je montre que ces expériences participatives sont également des moments d’apprentissages pour ces acteurs réputés plus aguerris au politique.</p>
<p>Du côté des citoyens « ordinaires », ces expériences ont un effet de politisation, mais aussi une portée sur les représentations de la participation politique, en termes de confiance accrue dans les formes de contre-pouvoir, mais aussi dans le sens d’une plus grande demande de démocratie participative. L’analyse n’a cependant pas manqué de souligner les inégalités d’apprentissage parmi les individus, qui s’expliquent notamment par les différences initiales de ressources.</p>
<p>Du côté des acteurs associatifs, les principaux effets relevés sont l’apprentissage d’une posture d’animateurs de débat, et l’acquisition de compétences coopératives, alors que ceux-ci sont plus habituellement amenés à user de stratégies agonistiques dans leurs pratiques militantes. L’appel aux citoyens « ordinaires », élément aujourd’hui incontournable de l’action publique, contribue à reconfigurer leur rôle social et politique.</p>
<p>Enfin, les élus et professionnels des politiques publiques en retirent des apprentissages susceptibles de faire évoluer leurs pratiques. C’est en cela que ces expériences peuvent être considérées comme des « écoles de démocratie », non seulement pour les citoyens, mais également pour les élus et professionnels qui s’y engagent.</p>
<p>Ces derniers sont invités à renouer, du moins temporairement, avec une conception du débat public faisant la part belle à la dimension conflictuelle des enjeux. La confrontation avec les citoyens mais aussi avec les acteurs d’éducation populaire et d’éducation à l’environnement les amène également à revoir leurs représentations de la participation politique et des processus de prise de décision, notamment lorsque celle-ci est traditionnellement fondée sur l’expertise technique qui imprègne de manière profonde les politiques environnementales.</p>
<p>Enfin, le dernier résultat de cette enquête met en lumière trois éléments permettant de caractériser les manières d’apprendre. D’abord, les apprentissages se font par socioconstructivisme, théorisé et pratiqué dans le courant de l’éducation populaire et qui imprègne les pratiques des artisans de participation dans les deux cas étudiés. Il s’agit d’un processus avant tout collectif et reposant sur une pédagogie inductive, basée sur les savoirs préalables des apprenants pour la construction collective de nouveaux savoirs.</p>
<p>Ensuite, on apprend aussi par l’expérience, c’est-à-dire par « essais-erreurs » ou « essais-succès ». C’est le célèbre « apprendre en faisant » du philosophe et pédagogue <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Dewey">J. Dewey</a>. On apprend par exemple à trouver sa place dans les groupes débattants en faisant l’expérience de sanctions ou récompenses symboliques qui inculquent les manières de dire et de se comporter.</p>
<p>Enfin, on apprend la plupart du temps par l’autonomie, qui est dans le même temps un apprentissage de l’autonomie, où prévaut une relation pédagogique horizontale. Il s’agit là d’un modèle général, que l’analyse mène toutefois à nuancer, notamment par l’identification de processus d’apprentissages individuels et par formation théorique, qui s’éloignent donc du modèle socioconstructiviste. De même, certaines situations d’apprentissage interrogent l’horizontalité de la relation pédagogique et suggèrent davantage une hiérarchie et des rapports de domination.</p>
<p>L’actualité des questions développées dans cet ouvrage n’a certainement pas échappé au lecteur. Nous connaissons depuis plusieurs années une multiplication des mouvements de contestation de projets d’aménagement : aéroports, barrages, stades de football, incinérateurs, projets commerciaux, fermes industrielles… Tout comme l’agriculture intensive et l’exploitation du gaz de schiste, ces conflits mettent en débat le devenir de ces espaces ruraux ou périurbains.</p>
<p>Ils sont également à mettre en perspective avec les conflits urbains, liés par exemple à des projets de rénovation, mais aussi avec le mouvement des Gilets jaunes. Ce dernier interroge par ailleurs la possibilité de conjuguer l’action de contestation avec l’impératif de la non-violence mis en évidence dans ce travail, dans un contexte où l’État use, voire abuse de son monopole de la violence légitime, pour reprendre les mots de Max Weber.</p>
<p>On pourrait également s’interroger sur l’apparent paradoxe entre la multiplication de ces conflits et celle, dans le même temps, des procédures participatives ou de dialogue censées les prévenir ou les résoudre, comme l’a prétendu le Grand Débat national. À travers cette étude, le souhait était d’enrichir la compréhension de tels phénomènes politiques, d’en montrer la complexité et la richesse.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/365025/original/file-20201022-20-17tjh6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/365025/original/file-20201022-20-17tjh6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=776&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/365025/original/file-20201022-20-17tjh6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=776&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/365025/original/file-20201022-20-17tjh6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=776&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/365025/original/file-20201022-20-17tjh6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=975&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/365025/original/file-20201022-20-17tjh6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=975&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/365025/original/file-20201022-20-17tjh6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=975&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Cet ouvrage fournira notamment des clés de lecture de la Convention citoyenne pour le climat qui se termine au moment où sont écrites ces lignes. Ce dispositif, à l’initiative de citoyens, de mouvements écologistes et de chercheurs, est également une réponse au mouvement des Gilets jaunes. Lancée par le gouvernement en avril 2019, la convention réunit 150 Français tirés au sort, amenés à s’informer, à rencontrer des acteurs et experts, et à délibérer pendant sept week-ends, afin de produire des propositions de loi pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/convention-citoyenne-pour-le-climat-la-democratie-participative-vue-de-linterieur-141571">Convention citoyenne pour le climat : la démocratie participative vue de l’intérieur</a>
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<p>Si ce dispositif inédit tient ses promesses en matière d’innovation démocratique, espérons que les mesures proposées, même les plus contraignantes, seront effectivement soumises sans filtre au Parlement ou au référendum, comme le gouvernement s’y est engagé. Ce serait alors une vraie promesse de démocratisation des politiques environnementales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148479/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laura Seguin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’école n’est pas le seul lieu de formation. La participation à des mouvements citoyens apporte aussi nombre de compétences, montre une enquête alliant ethnographie et sciences de l’éducation.Laura Seguin, Post-doctorante en sociologie, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1466412020-09-24T13:29:08Z2020-09-24T13:29:08ZFact check US : Joe Biden va-t-il « détruire » 10,3 millions d'emplois liés à l'industrie pétrolière et gazière ?<p>Le blog du compte de campagne de Donald Trump affirmait le 31 août que le plan pour une énergie propre de Joe Biden détruirait <a href="https://www.donaldjtrump.com/media/yes-joe-biden-will-eliminate-fracking-jobs/">10,3 millions d’emplois</a> liés à l’industrie pétrolière et gazière, soit <a href="https://www.bls.gov/news.release/archives/empsit_01102020.htm">6,5 % de l’emploi</a> total américain en décembre 2019. <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/02/12/petrole-de-schiste-comment-la-production-a-ete-decuplee-en-dix-ans-aux-etats-unis_5255531_4355770.html">L’extraction du pétrole de schiste</a> a certes permis aux États-Unis d’être en 2019 le <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/petrole-americain-ce-que-l-on-nous-fait-croire-837645.html">premier producteur</a> du monde devant l’Arabie saoudite, l’importance de ce chiffre a de quoi surprendre. Il supposerait en effet la disparition de l’ensemble de la filière pétrogazière comme de la totalité de l’activité qui peut lui être associée. Cet argumentaire est révélateur des excès de langage de la campagne présidentielle américaine.</p>
<h2>L’histoire de ce chiffre</h2>
<p>Ce chiffre de 10,3 millions d’emplois repose sur une <a href="https://www.api.org/%7E/media/Files/Policy/Jobs/Oil-and-Gas-2015-Economic-Impacts-Final-Cover-07-17-2017.p">étude de l’API</a> (American Petroleum Institute) qui évalue l’importance économique du secteur en 2015. Cette étude identifie près de 2,8 millions d’emplois directs dans la filière pétrogazière en incluant les travailleurs ayant statut d’autoentrepreneurs, nombreux dans le domaine de l’extraction. Le reste sont des emplois indirects et induits. Il s’agit de 5,3 millions d’emplois dans d’autres entreprises mais déterminés par les achats des entreprises pétrogazières (emplois indirects) ou par les dépenses réalisées par leurs travailleurs (emplois induits), ainsi que de 2,2 millions emplois permis par les investissements en capital des entreprises bénéficiant de ces activités.</p>
<p>Certains États seraient plus particulièrement affectés par la disparition de cette filière. Au Texas par exemple, près de 2 millions d’emplois y seraient liés de près ou de loin, soit 12,2 % de l’emploi total de cet État. En Oklahoma, c’est 16,6 % des emplois qui seraient concernés. Au terme de cette étude, chaque emploi dans le secteur pétrogazier serait à l’origine de 2,7 emplois dans le reste de l’économie. Ce ratio est cohérent avec les <a href="https://www.epi.org/publication/updated-employment-multipliers-for-the-u-s-economy/">résultats</a> obtenus par l’Economic Policy Institute qui évalue pour 2019 à 3,9 le nombre d’emplois supplémentaires pour chaque emploi dans les activités d’extraction.</p>
<p>Cela valide-t-il la prévision d’une destruction de 10,3 millions d’emplois liés à la filière pétrogazière en cas de victoire de Joe Biden ? En aucun cas, et ce pour au moins 2 raisons.</p>
<h2>Des emplois qui continueraient d’exister</h2>
<p>Le chiffre avancé suppose la disparition d’emplois qui continueront d’exister quelle que soit l’énergie du futur aux États-Unis. Parmi les 2,8 millions d’emplois directs, plus de 1 million sont liés à la seule distribution du gaz ou de l’essence, d’autres à la fabrication de mélanges de pavage et de blocs d’asphalte pour la construction de routes ou des lubrifiants. Or le passage aux énergies vertes ne signifie pas qu’il n’y aura plus de routes ni de stations d’énergie, mais que ces stations devront adapter leur offre aux besoins des consommateurs en proposant des bornes électriques ou de l’hydrogène. En considérant les activités associées, seuls 6 millions d’emplois sur les 10,3 évoqués seraient donc spécifiquement liés à la production pétrogazière.</p>
<h2>Une économie à zéro émission à l’horizon 2050</h2>
<p>Le programme de Joe Biden ne prévoit pas l’arrêt de l’extraction des énergies fossiles, ni de se passer immédiatement de la fracturation hydraulique, mais d’enclencher leur remplacement par des énergies renouvelables <a href="https://www.lesechos.fr/2017/01/les-energies-renouvelables-creent-elles-plus-demplois-que-le-nucleaire-comme-le-dit-hamon-159862">génératrices d’emploi</a>. Ce <a href="https://joebiden.com/clean-energy/">programme</a> pour une économie à zéro émission à l’horizon 2050 prévoit 2 000 milliards dollars de dépenses, avec pour objectifs une réorientation des choix technologiques de l’industrie automobile, un accroissement de la production électrique à partir d’énergies propres et la remise en état des écosystèmes abîmés par l’extraction des ressources, volet consacré notamment aux millions de puits de gaz et de pétrole abandonnés non bouchés. Selon le programme démocrate, la remise en état des écosystèmes se traduirait à elle seule par la création de 250 000 emplois directs. Cet objectif suppose un investissement fédéral important qu’il sera difficile de faire supporter entièrement aux entreprises responsables des dommages.</p>
<p>Les destructions d’emplois qui interviendraient inévitablement dans le secteur des énergies fossiles doivent être mis en balance avec ceux que créerait le développement des énergies renouvelables. On est donc très loin de la destruction de 10,3 ou même de 6 millions d’emplois.</p>
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<p><em>La rubrique Fact check US a reçu le soutien de <a href="https://craignewmarkphilanthropies.org/">Craig Newmark Philanthropies</a>, une fondation américaine qui lutte contre la désinformation.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146641/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le programme énergétique démocrate prévoit-il la destruction de plus de 10 millions d'emplois liés au gaz et au pétrole ? Non, il parie sur une transition énergétique créatrice d'activité d'ici 2050.Thérèse Rebière, Maître de conférences en économie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Isabelle Lebon, Professeur des Universités, directrice adjointe du Centre de recherche en économie et management, Université de Caen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1328542020-03-05T19:44:46Z2020-03-05T19:44:46ZPlus de 10 pour cent des puits d'extraction fuient au nord-est de la Colombie-Britannique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/318895/original/file-20200305-106610-1qiz7kd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’essor de la fracturation hydraulique frappe le nord-est de la Colombie Britannique.</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Jonathan Hayward</span></span></figcaption></figure><p>Depuis les années soixante, le nord-est de la Colombie-Britannique est un centre important de production pétrolière et gazière conventionnelle. Plus récemment, la région a été ciblée par l’industrie du gaz de schiste extrait par fracturation hydraulique (exploitation non conventionnelle).</p>
<p>L’un des problèmes rencontrés par l’industrie concerne les fuites de gaz venant des puits — c’est-à-dire les trous creusés dans les sols pour y découvrir ou y récupérer des gisements de pétrole et de gaz naturel. Les fuites de méthane émanant de ces puits sont un problème important, car ce gaz à effet de serre est plus nuisible que le dioxyde de carbone.</p>
<p>Mes collègues et moi-même avons analysé le <a href="https://www.pnas.org/content/117/2/913">contenu d’une base de données concernant les 21 525 puits</a> — en activité ou abandonnés — situés dans les quatre formations de gaz de schiste au nord-est de la Colombie-Britannique : les bassins de Montney, de la rivière Horn, de Liard et de Cordova. Presque tous les puits de gaz conventionnel ou de fracturation de la région exploitent ces formations.</p>
<p>Notre étude est la première à examiner les données compilées dans la base de données de la British Columbia Oil & Gas Commission (B.C. OGC) qui contient les données sur les puits et la présence éventuelle de fuites. Nous avons observé que des fuites sont rapportées dans près de 11 pour cent de tous les puits de pétrole et de gaz, lâchant dans l’atmosphère 14 000 mètres cubes de méthane par jour. <a href="https://www.onepetro.org/journal-paper/SPE-106817-PA">Ce taux de fuite est deux fois plus élevé qu’en Alberta</a>, où le taux se situe à 4,6 pour cent, sur la base de protocoles de tests et d’exigences de déclaration possiblement moins stricts.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/318094/original/file-20200302-18303-cc3hur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/318094/original/file-20200302-18303-cc3hur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/318094/original/file-20200302-18303-cc3hur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=573&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/318094/original/file-20200302-18303-cc3hur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=573&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/318094/original/file-20200302-18303-cc3hur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=573&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/318094/original/file-20200302-18303-cc3hur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=720&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/318094/original/file-20200302-18303-cc3hur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=720&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/318094/original/file-20200302-18303-cc3hur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=720&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Puits de gaz et de pétrole en Colombie-Britannique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://doi.org/10.1073/pnas.1817929116">(Romain Chesnaux)</a>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Nos recherches dans le nord-est de la Colombie-Britannique ont également mis en relief la faiblesse de la réglementation concernant les obligations de signalement, la continuité de la surveillance, ainsi que l’application de mesures de protection — des omissions qui comportent des risques pour l’environnement.</p>
<h2>Un système de sécurité fiable ?</h2>
<p>Le gaz de schiste, en particulier le méthane, est extrait <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0301479719307662?via%3Dihub">par une technique combinant le forage horizontal et la fracturation hydraulique</a>. La fracturation du schiste pour en extraire le gaz s’est développée au fur et à mesure <a href="https://link.springer.com/article/10.1007%2Fs12665-019-8740-z">du déclin des réserves de gaz conventionnel après des décennies d’exploitation</a>. On estime que les réserves de gaz de schiste du nord-est de la Colombie-Britannique contiennent 10 000 milliards de mètres cubes de méthane, ce qui constitue l’équivalent des réserves nécessaires qui permettraient de répondre pendant trois ans à la consommation mondiale totale.</p>
<p>Tous les puits de pétrole et de gaz modernes sont construits dans des forages, qui traversent plusieurs couches géologiques contenant des saumures et des hydrocarbures. La fracturation hydraulique permet d’injecter à haute pression de grandes quantités d’eau, de sable et de produits chimiques en profondeur, afin de briser la roche pour en extraire le gaz naturel, le pétrole et les saumures. Des conduits et du scellant (en général, du ciment) sont placés dans les puits afin d’éviter leur effondrement ou leur contraction et d’empêcher les fluides de se déplacer entre les couches géologiques.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/318092/original/file-20200302-18279-154epf9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/318092/original/file-20200302-18279-154epf9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/318092/original/file-20200302-18279-154epf9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/318092/original/file-20200302-18279-154epf9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/318092/original/file-20200302-18279-154epf9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/318092/original/file-20200302-18279-154epf9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/318092/original/file-20200302-18279-154epf9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/318092/original/file-20200302-18279-154epf9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Eau, sable et produits chimiques sont injectés dans la roche à haute pression afin de la briser et de permettre au gaz de s’échapper du puits.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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</figure>
<p>Mais ces structures ne sont pas toujours sécuritaires. Des défauts de conception ou de construction, ou encore l’affaiblissement au fil du temps des tubages ou des scellants peuvent provoquer le mélange de fluides entre des couches géologiques qui devraient, dans leur état naturel, demeurer isolées. Dans un puits défectueux, la poussée ascensionnelle des gaz en sous-sol force la montée des fluides contaminés vers la surface.</p>
<p>Les fuites peuvent se produire dans des puits actifs aussi bien que dans ceux qui ont été abandonnés une fois leur cycle de vie terminé.</p>
<p>Cette possibilité de fuites soulève des questions environnementales, tout particulièrement parce que le problème est probablement sous-estimé. En plus des émissions de gaz à effet de serre qui contribuent au réchauffement et aux changements climatiques, ces fuites pourraient contaminer les eaux de surface et les eaux souterraines avec des hydrocarbures, des produits chimiques contenus dans les liquides de fracturation, ainsi que des saumures.</p>
<h2>Les conséquences sur l’environnement</h2>
<p>Il y a trois conséquences principales causées par ces fuites, en matière de santé publique et d’environnement :</p>
<ol>
<li><p>La contamination des eaux de surface et des nappes d’eau souterraines causée par les gaz, les saumures, les hydrocarbures liquides, <a href="https://www.pnas.org/content/110/13/4962">et les liquides utilisés dans la fracturation hydraulique</a>.</p></li>
<li><p>L’augmentation de l’émanation des gaz à effet de serre, principalement en raison des émissions de méthane.</p></li>
<li><p>Les possibilités d’explosion du méthane <a href="https://www.pnas.org/content/115/2/296">qui s’accumule dans des zones mal ventilées</a>.</p></li>
</ol>
<p>Selon la base de données du B.C. OGC, des fuites ont été repérées dans 2 329 des 21 525 puits analysés. Pris dans leur ensemble, ces puits qui fuient émettent chaque année des gaz à effet de serre équivalents à 75 000 tonnes de dioxyde de carbone. Ce qui représente en gros les émissions de 17 000 véhicules.</p>
<p>Malheureusement, nous ne disposons pas de données sur la fréquence des tests de fuite sur les puits en Colombie-Britannique et il n’existe pas non plus de réglementation pour la surveillance des eaux souterraines à proximité des puits de gaz et de pétrole. Bien que la réglementation actuelle stipule que toutes les fuites doivent être réparées avant l’abandon d’un puits, <a href="https://pdfs.semanticscholar.org/6969/20c798c6eb59601d95511ac050d0763a5c4c.pdf?_ga=2.163024186.766024652.1582818953-987867751.1582818953">il n’existe pas de programme de surveillance après la fermeture, le colmatage ou l’enfouissement d’un puits</a>.</p>
<p>Sans oublier la possibilité que les gaz en fuite contiennent du sulfate d’hydrogène, un poison qui devient mortel à haute concentration.</p>
<h2>Des fuites sous-déclarées</h2>
<p>Seuls les puits forés qui montrent des fuites doivent être signalés au B.C. OGC et rapportés dans leurs bases de données. En vertu de la réglementation, tous les puits forés après 2010 devraient faire l’objet de tests à la fin de leur construction tandis que tous les puits forés après 1995 devraient être testés une fois abandonnés.</p>
<p>Mais il n’y a pas de programme de surveillance en place pour inspecter les puits déjà abandonnés. Ces puits pourraient fuir pendant longtemps avant que la fuite ne soit détectée et réparée. C’est ce qui s’est passé en Pennsylvanie, <a href="https://www.pnas.org/content/113/48/13636">selon des études récentes où on a détecté des émissions de méthane venant de puits abandonnés</a>.</p>
<p>L’exploitation du gaz de schiste peut avoir un impact environnemental longtemps après l’abandon d’un puits. Les provinces devraient mettre en place une réglementation exigeant la surveillance des puits après leur abandon, le signalement des résultats et l’application de mesures correctives pour colmater les fuites des puits abandonnés.</p>
<p>À ce jour, il n’y a que très peu d’enquêtes de terrain en Colombie-Britannique visant à surveiller les fuites des puits abandonnés. Une de ces enquêtes a révélé que <a href="https://davidsuzuki.org/wp-content/uploads/2018/01/investigating-fugitive-emissions-abandoned-suspended-active-oil-gas-wells-montney-basin-northeastern-british-columbia.pdf">35 pour cent des puits vérifiés émettaient du méthane, du sulfate d’hydrogène ou une combinaison des deux</a>.</p>
<p>L’écart entre la base de données et les études sur le terrain — ainsi que les observations récentes indiquant que des émissions de méthane attribuables aux humains seraient sous-estimées de l’ordre de 25 à 40 pour cent — porte à croire que des fuites de puits pourraient ne pas avoir été signalées. Afin d’améliorer la santé et la sécurité environnementale, il donc est nécessaire de mettre en place un programme de surveillance proactif.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132854/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Romain Chesnaux reçoit des fonds du Programme d'accélération de MITACS, de la Fondation David Suzuki (FSN), de GW Solutions inc., du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) et du Fonds de recherche du Québec - Nature et technologies (FRQNT)</span></em></p>La fracturation dans le nord-est de la Colombie-Britannique a laissé des dizaines de milliers de puits. Certains d'entre eux fuient - et pourraient menacer l'environnement et la santé publique.Romain Chesnaux, Professor in environmental engineering (specializing in water resources), Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1102252019-02-06T22:56:05Z2019-02-06T22:56:05ZGazoduc Nord Stream 2 : piège russe ou nécessité européenne ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/256083/original/file-20190129-108364-1uvdtsp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=107%2C59%2C3808%2C2377&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le gazoduc Nord Stream, en cours de construction, reliera la Russie à l'Allemagne par la mer Baltique. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.nord-stream2.com/media-info/images/pioneering-spirit-mobilising-to-join-construction-fleet-700/">Nord Stream 2 / Wolfram Scheible</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Un gazoduc reliant directement et sans pays de transit la Russie à l’Allemagne à travers la mer Baltique, telle est l’ambition du Nord Stream 2. D’une capacité annuelle de 55 milliards de mètres cubes, ce qui correspond à 11 % de la consommation annuelle de l’UE, l’achèvement de sa construction est prévu pour 2020 et estimé à 9,5 milliards d’euros.</p>
<p>Il doublera un tronçon déjà existant d’une capacité équivalente, le Nord Stream 1. Entre les pays membres de l’Union européenne, le projet suscite encore de nombreuses controverses, alimentées par la position du président américain Donald Trump qui s’y <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/01/14/gazoduc-nord-stream-2-les-etats-unis-accentuent-la-pression-contre-l-allemagne_1702787">oppose farouchement</a>. Quand certains le jugent indispensable à l’approvisionnement européen, d’autres crient au piège russe.</p>
<h2>Un projet défendu par l’Allemagne</h2>
<p>Principal soutien de ce nouveau gazoduc, l’Allemagne l’a longtemps présenté comme un projet essentiellement économique, servant également les intérêts de sa propre politique de remplacement de la nucléaire initiée en 2011 par Angela Merkel. Ce n’est qu’en avril 2018 qu’elle en a évoqué publiquement les <a href="https://euobserver.com/energy/141570">aspects politiques</a>.</p>
<p>Aux yeux du gouvernement allemand, ce gazoduc entretiendra une interdépendance, et non une simple dépendance, vis-à-vis de la Russie, dans la mesure où la vente de gaz à l’Europe est vitale à l’économie russe. Dans la tradition de l’ostpolitik, c’est-à-dire de la normalisation des relations de l’Allemagne avec la Russie, cultiver cette politique d’échange apparaît comme le meilleur moyen de limiter les tensions avec Moscou. La relation énergétique russo-européenne constitue la condition à la stabilité de la relation russo-allemande.</p>
<p>Une vision partagée par un certain nombre de grands groupes européens. Le projet, financé à 50 % par le russe Gazprom, compte également sur la participation des partenaires européens : le français Engie, les allemands Uniper et Wintershall, l’autrichien OMV et l’anglo-néerlandais Shell, à hauteur de 10 % chacun.</p>
<p>Certains de ces acteurs, notamment les entreprises et gouvernements qui soutiennent le projet, estiment que le Nord Stream 2 permettrait de lever une partie des incertitudes énergétiques qui pèsent sur l’UE, au regard des échéances des contrats gaziers en cours : celui de l’Ukraine avec la Russie prend fin en 2019 et celui de la Pologne en 2022. Dans les deux cas, des renégociations se profilent.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1087023"}"></div></p>
<h2>La crainte d’un monopole allemand</h2>
<p>Au sein de l’Union européenne, le projet se heurte à d’importantes résistances.</p>
<p>Le premier est de nature économique : la position de hub gazier européen fait l’objet d’une compétition féroce entre États membres. Ce projet renforcerait considérablement l’Allemagne, qui concentrerait alors l’arrivée de 30 % des importations européennes de gaz, contre seulement 15 % aujourd’hui via le premier tronçon du Nord Stream. Les autres principaux points d’arrivée du gaz russe sont la Pologne et l’Ukraine. Des États comme la Slovaquie mettent en avant la perte des revenus de transit qu’engendrerait pour eux Nord Stream 2, qui contourne les États baltes.</p>
<p>D’autres dénoncent également une position biaisée de la part de la Commission européenne. En s’opposant au projet South Stream – projet avorté de gazoduc paneuropéen qui aurait cheminé le gaz russe par la mer Noire –, elle a privé les « petits » États – la Bulgarie, la Grèce et la Serbie – des revenus de transit d’un gazoduc, tandis que l’Allemagne, poumon économique de l’UE, va devenir le cœur du <a href="https://www.ladocumentationfrancaise.fr/pages-europe/pe000014-nord-stream-2.-un-gazoduc-a-contre-courant-de-la-politique-energetique-europeenne">système gazier continental</a>.</p>
<p>La Pologne, qui fait office de chef de file des opposants, a déjà refusé le doublement du gazoduc Yamal, qui traverse son territoire en provenance de Russie. Elle espère devenir un pilier de la diversification des approvisionnements européens en misant sur le gaz naturel liquéfié (GNL), qatari, norvégien et américain, ainsi que sur le gaz norvégien acheminé par pipeline.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/257228/original/file-20190205-86233-s6zfls.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/257228/original/file-20190205-86233-s6zfls.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/257228/original/file-20190205-86233-s6zfls.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/257228/original/file-20190205-86233-s6zfls.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/257228/original/file-20190205-86233-s6zfls.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/257228/original/file-20190205-86233-s6zfls.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/257228/original/file-20190205-86233-s6zfls.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/257228/original/file-20190205-86233-s6zfls.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<h2>Une stratégie d’assèchement de l’Ukraine ?</h2>
<p>La seconde opposition rencontrée par Nord Stream 2 est de nature politico-militaire.</p>
<p>Localement, dans un contexte de relations tendues avec le voisin russe, les pays riverains de la mer Baltique s’inquiètent d’un possible <a href="https://www.irsem.fr/data/files/irsem/documents/document/file/2947/Etude_IRSEM_n62_2018.pdf">renforcement des positions</a> de ce dernier dans la région.</p>
<p>Les inquiétudes se cristallisent notamment autour de l’île de Gotland, récemment remilitarisée, et du port de Kalrskrona, deux zones militaires importantes pour la Suède. Le Danemark dispose quant à lui, depuis le début 2018, d’outils législatifs pour interdire la construction du gazoduc dans ses eaux territoriales, également pour des raisons de défense et sécurité nationale.</p>
<p>Le consortium Nord Stream 2 a donc envisagé un itinéraire alternatif. Si le pays ne peut empêcher le projet, il pourrait lui imposer un surcoût d’au moins 750 millions d’euros en le retardant. À une échelle plus large, des États comme la Pologne dénoncent une stratégie d’assèchement par la Russie du transit ukrainien, avec à la clé des conséquences stratégiques, dont une perte pour l’Ukraine de son levier de négociation avec la Russie dans un contexte de conflit.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/257230/original/file-20190205-86213-1mbq465.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/257230/original/file-20190205-86213-1mbq465.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/257230/original/file-20190205-86213-1mbq465.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/257230/original/file-20190205-86213-1mbq465.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/257230/original/file-20190205-86213-1mbq465.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/257230/original/file-20190205-86213-1mbq465.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/257230/original/file-20190205-86213-1mbq465.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/257230/original/file-20190205-86213-1mbq465.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<h2>La concurrence américaine du gaz de schiste</h2>
<p>Le Nord Stream 2 n’est pas seulement une question européenne, il traduit aussi la compétition russo-américaine pour l’accès au marché européen.</p>
<p>À la traditionnelle crainte américaine de voir l’influence russe s’étendre à l’ouest, s’ajoute désormais une opposition commerciale d’un pays devenu récemment exportateur d’hydrocarbures.</p>
<p>Depuis la découverte sur leur territoire d’abondantes réserves de gaz de schiste, nouvelle énergie carbonée, les États-Unis sont à la recherche de débouchés, et souhaitent concurrencer les Russes sur le marché européen en exportant leur production sous forme de gaz naturel liquide (GNL). Les premiers mètres cubes de gaz américain ont ainsi atteint le Portugal en 2016, la <a href="https://www.reuters.com/article/us-pgnig-lng-usa/polands-pgnig-signs-agreements-for-long-term-lng-supplies-from-us-idUSKBN1JN0LW">Pologne</a> et la <a href="https://www.euractiv.fr/section/energie/news/washington-congratulates-lithuania-for-receiving-first-lng-shipment-from-us/">Lituanie en 2017</a> – ce qui a notamment permis à cette dernière de renégocier ses tarifs avec Gazprom.</p>
<h2>Un marché énergétique européen en évolution</h2>
<p>Côté russe, c’est la crainte de perdre des parts de marchés chez son principal client, l’UE, qui motive le projet. À une possible concurrence américaine – que le prix actuel du GNL américain rend encore incertaine, car il demeure peu rentable économiquement – s’ajoute une triple volonté européenne de diversification des approvisionnements – gaz de Méditerranée orientale, GNL qatari, etc. – et de transition vers des énergies décarbonées.</p>
<p>Certains États envisagent même de se passer totalement, à court terme, du gaz russe. C’est le cas de la Pologne, dont les contrats avec Gazprom courent jusqu’en 2022 : le pays a d’ores et déjà annoncé qu’elle <a href="https://www.lesechos.fr/09/10/2017/lesechos.fr/030646662277_comment-la-pologne-veut-se-liberer-du-gaz-russe.htm">ne souhaitait pas</a> les renouveler.</p>
<p>Dans le même temps, Gazprom fait face à un embryon de concurrence interne en Russie. En perdant son <a href="https://www.irsem.fr/data/files/irsem/documents/document/file/2947/Etude_IRSEM_n62_2018.pdf">monopole d’exportation</a> en 2013, la compagnie a vu émerger un concurrent : Novatek, qui se positionne sur le créneau du GNL et s’est associé au Français Total et au Chinois CNPC pour deux projets de terminaux de grande ampleur dans la péninsule russe de Yamal – à l’embouchure de la rivière Ob, au-delà du cercle arctique – capables d’approvisionner l’Europe et l’Asie.</p>
<p>L’entreprise pousse à une <a href="https://www.rbc.ru/business/24/10/2016/580e2a3a9a794749cf2d3f7a">libéralisation</a> du secteur gazier en Russie. Gazprom voit donc dans le Nord Stream 2 un moyen de sécuriser sa relation avec son partenaire européen en traitant directement avec l’Allemagne sans pays de transit. Pour la Russie c’est également un moyen de sortir la question ukrainienne de sa relation énergétique avec l’UE, qu’elle altère depuis le début des années 2000.</p>
<p>Les crises gazières, opposant l’Ukraine à la Russie (2005-2006, 2007-2008, 2008-2009), dues en grande partie à des différends commerciaux, avaient causé des ruptures d’approvisionnement hivernales dans l’est de l’UE que les Européens gardent en mémoire.</p>
<p>Ce projet de gazoduc concentre donc à la fois des enjeux politiques et économiques importants pour l’UE. L’échéance des contrats ukrainiens, fin 2019, y ajoute une tension supplémentaire et les prochains mois vont s’avérer décisifs pour le projet, à la croisée des pressions russes et américaines qui jouent sur les équilibres internes de l’UE.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/110225/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Angélique Palle est chercheure à l'Institut de recherche stratégique de l’École Militaire, centre de recherche affilié au Ministère des Armées. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sami Ramdani est soutenu financièrement par la Direction générale des relations internationales et de la stratégie du Ministère des Armées. Il est associé à l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire. </span></em></p>La construction de Nord Stream 2 doit s’achever en 2020. Elle continue de susciter des résistances au sein de l’Union européenne et outre-Atlantique.Angélique Palle, Chercheure, énergie et matières premières, Institut de recheche stratégique de l'Ecole Militaire (IRSEM), enseignante à Sciences Po Paris, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneSami Ramdani, Doctorant en Géographie, Université Paris 8 – Vincennes Saint-DenisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/920952018-03-27T22:25:06Z2018-03-27T22:25:06ZLe traitement médiatique de la controverse sur le gaz de couche en Moselle-Est<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/211378/original/file-20180321-165571-ca0fxq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C1988%2C1320&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Quel rôle joue la presse dans cette controverse ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/journaux-leeuwarder-courant-presse-444449/">Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Atelier de recherche du MJMN, 3/5. Les étudiant·e·s du <a href="http://masterjournalismenumerique.fr/">Master Journalisme et médias numériques</a> (MJMN) de l’Université de Lorraine font la synthèse de leur atelier de recherche 2017-2018, au cours duquel elles et ils ont rencontré des chercheur·e·s travaillant sur les médias – depuis les pratiques professionnelles jusqu’aux thématiques récurrentes dans l’information. Une série réalisée pour The Conversation en partenariat avec le Centre de recherche sur les médiations (<a href="http://crem.univ-lorraine.fr/">Crem</a>). Pour ce troisième épisode, le texte et la vidéo sont signés Annabelle Valentin, Marine Van der Kluft et Jean Vayssières</em>.</p>
<hr>
<p>Dans la famille hydrocarbures, je voudrais le gaz de couche ! Depuis une dizaine d’années, ce gaz non conventionnel est à l’origine d’une importante controverse environnementale en Moselle-Est. En cause : le projet de l’entreprise EGL, récemment rebaptisée Française de l’Énergie, qui vise à extraire et exploiter le gaz de couche du sous-sol lorrain. Il s’agit de méthane présent dans les couches de charbon, et la Moselle en recèlerait d’énormes quantités. La technique d’extraction pose toutefois problème. Présentée comme « non-invasive » par la société, elle consiste à pomper l’eau présente dans les veines de charbon afin de faire remonter le gaz vers la surface. Mais si cela peut suffire pour la phase exploratoire, l’<a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/gaz-de-houille-en-lorraine-egl-se-rebaptise-francaise-de-l-energie-772011.html">exploitation devrait avoir recours à la fracturation hydraulique</a> – la même méthode que pour le gaz de schiste. Les opposants au projet alertent donc sur le risque de graves dégâts environnementaux tels qu’une contamination des ressources naturelles locales.</p>
<p>Le projet de la Française de l’Énergie entraîne ainsi de vives contestations. Celles-ci se sont intensifiées ces dernières années, avec la création de nombreux collectifs et associations. Marieke Stein fait partie de l’un d’eux. Chercheuse à l’Université de Lorraine, elle a choisi de consacrer son travail de recherche à cette polémique, en étudiant les stratégies et motivations des différents acteurs. Aux étudiant·e·s du MJMN, elle est venue présenter son analyse du traitement médiatique de la controverse.</p>
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<h2>La presse, champ de bataille privilégié de la controverse</h2>
<p>Une controverse, comme le rappelle Marieke Stein à partir notamment des travaux de Cyril Lemieux, n’est autre qu’une situation de conflit. À ce titre, elle comprend des acteurs qui s’opposent au sein d’une structure triadique. Il s’agit des porteurs de projet, des opposants au projet, et du public tiers, qui inclut la sphère médiatique. Les différends se règlent au sein de cette triade, où chacun tente de faire pencher la balance en sa faveur, dans un équilibre constant entre confinement et déconfinement.</p>
<p>Les deux camps antagonistes, à savoir les porteurs de projet et les opposants, ont ainsi pour objectif de jouer sur la visibilité de la controverse : les premiers en faveur d’un confinement médiatique, puisque « moins on parle d’un projet, moins on aura de problèmes » ; les seconds, en faveur d’un processus inverse, afin de mettre au grand jour les débats, et d’attirer d’autres militants potentiels.</p>
<p>Si la presse a une si grande importance dans le déroulement d’une controverse, c’est que cet équilibre, que chacun tente de faire basculer de son côté, se joue pour beaucoup dans les pages des journaux. La sphère médiatique, par la lumière qu’elle peut faire sur tel ou tel évènement, joue un rôle majeur au sein du processus de confinement et déconfinement. Tel est l’un des objets de recherche de Marieke Stein : le traitement médiatique de la controverse sur les gaz de couche en Moselle-Est.</p>
<h2>460 articles passés au peigne fin</h2>
<p>Pour ce faire, sa méthode se veut la plus exhaustive possible, en se concentrant sur tous les articles consacrés au gaz de couche en Lorraine. Son corpus comprend ainsi, non seulement des articles de presse régionale et nationale comme <em>Le Républicain Lorrain</em> ou <em>Les Échos</em>, mais également des extraits de presse magazine ou financière. Au total, pas moins de 460 articles sont déjà passés sous les radars de la chercheuse. « Un peu minable par rapport au gaz de schiste », ironise-t-elle, celui-ci ayant suscité une couverture bien plus importante.</p>
<p>Le projet d’exploitation des gaz de couche en Moselle-Est commence en 2006, dans un silence médiatique relatif, d’après l’étude de Marieke Stein : à part quelques articles traitant des premiers permis d’exploration et demandes de forage, les journaux locaux demeurent muets. Ce mutisme se poursuit en 2010, en dépit d’un pic d’articles concernant l’exploitation du gaz de schiste, suite à la sortie du film Gasland, qui aborde les dangers de la fracturation hydraulique.</p>
<p>En 2012, toujours selon la chercheuse, un nouveau PDG, issu du monde de la finance et se définissant lui-même comme un lobbyiste, prend la tête d’EGL, future Française de l’Énergie, entreprise porteuse du projet. Ce dernier entre dans le jeu médiatique en entreprenant une stratégie de dédiabolisation, tandis que des voix militantes opposées au projet commencent à se faire entendre ; la triade est en place, et la controverse commence. Elle atteindra son paroxysme aux alentours de 2015, avec la naissance d’un nouveau projet d’exploitation des gaz de couche.</p>
<h2>Le Républicain Lorrain, pro gaz de couche ?</h2>
<p>Le journal quotidien de la région, <em>Le Républicain Lorrain</em>, est sans doute le média qui a le plus traité l’affaire. Et sa couverture est emblématique de la controverse, explique Marieke Stein. En effet, elle est loin d’être homogène sur toute la période de la polémique. Au cœur de la controverse, en 2015, le traitement des différents acteurs est alors équilibré. <em>Le Républicain Lorrain</em> rend compte des arguments des opposants et des réponses de la Française de l’Énergie. Les journalistes se déplacent sur la plateforme de forage et discutent avec les militants. Cependant, « les arguments des opposants sont systématiquement représentés comme des peurs, des angoisses, des récriminations », décrit Marieke Stein, qui parle de dissymétrie dans le traitement des discours.</p>
<p>Au fur et à mesure que la controverse enfle, de plus en plus de communes votent non au projet. « Cela commence à être très inquiétant pour cette société qui n’avait jamais rencontré d’opposition », continue Marieke Stein. Julien Moulin, PDG de la Française de l’Énergie, réagit tout de suite en multipliant les interviews. Ses interventions sont publiées en pages « Région », accompagnées de photos et d’illustrations. Au même moment, les actions des opposants sont cantonnées aux pages locales, avec de rares images. « Pour l’entreprise, généralement, le genre journalistique privilégié est l’interview », précise la chercheuse. Pourquoi l’interview ? </p>
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<p>« Déjà parce que c’est un genre noble, qui met en valeur l’argumentaire de la personne interviewée […] et je pense que ça permet aussi au journaliste de se dédouaner, de ne pas prendre la responsabilité de ce qui est dit. »</p>
</blockquote>
<p>La différence de traitement devient de plus en plus flagrante. On interviewe le premier militant venu, qui n’y connaît rien, et on l’érige en figure du mouvement. On réduit les arguments des opposants à des énumérations, alors que ceux de la société sont expliqués et détaillés. « De la part du Républicain Lorrain, il y a très clairement une volonté de faire passer les opposants pour des imbéciles », dénonce Marieke Stein. Alors pourquoi un tel parti pris ? Peut-être parce qu’au printemps 2016, la Française de l’Énergie devient annonceur du <em>Républicain Lorrain</em>, achetant de pleines pages de publicité. Et peut-être aussi parce que le groupe Crédit Mutuel, propriétaire du <em>Républicain Lorrain</em>, devient actionnaire de la Française de l’Énergie à hauteur de 4 % en 2016…</p>
<h2>Chercheuse et militante, « une posture parfois compliquée »</h2>
<p>Au-delà de son statut de chercheuse, Marieke Stein n’est pas étrangère aux conflits autour de l’exploitation du gaz de couche lorrain : elle-même impliquée dans la controverse depuis un an et demi, dans le camp des opposants, elle occupe une position particulière :</p>
<blockquote>
<p>« C’est une posture extrêmement riche sur le plan heuristique, parce qu’elle permet justement d’interroger la question de la neutralité axiologique, indique-t-elle. Elle permet d’avoir constamment cette distance critique à l’esprit. »</p>
</blockquote>
<p>Si cette position s’avère source de richesse, par sa proximité avec les aspects les plus concrets et quotidiens de la controverse, elle est à double tranchant, pouvant aussi prêter à la critique. Elle impose donc une discipline, stricte et quotidienne, qui permet de faire la part des choses. Et, peut-être, de le faire de manière plus rationnelle :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai l’impression que les chercheurs qui sont moins impliqués peuvent peut-être avoir l’illusion d’une position surplombante, qui en fait n’est quand même pas étrangère aux points de vue subjectifs, résume-t-elle. Ma position est plus rationalisée encore que celle d’autres, parce que sans ça je n’aurais aucune crédibilité, ni à mes yeux, ni aux yeux de mes pairs. »</p>
</blockquote>
<p>Afin de séparer au mieux les deux aspects de sa posture, Marieke Stein s’est fixé une règle d’or : ne jamais réutiliser les données acquises au sein de ses recherches universitaires dans un but de lutte militante :</p>
<blockquote>
<p>« C’est une posture parfois compliquée, parce qu’on a parfois des données que vont nous donner les interlocuteurs qu’on aura envie d’utiliser dans la lutte. Mais je fais toujours très attention à ne pas le faire. »</p>
</blockquote>
<p>À choisir, en bonne chercheuse, elle préfère opter pour la méthode scientifique, au détriment de ses engagements militants : </p>
<blockquote>
<p>« Je sacrifie plutôt le poids que pourraient avoir certaines informations dans la lutte à la rigueur scientifique. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/92095/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Ballarini ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Atelier de recherche des étudiant·e·s du MJMN, 3/5. La chercheuse Marieke Stein analyse les différentes étapes de la polémique sur le gaz de couche en Moselle-Est.Loïc Ballarini, Maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/869612017-11-29T20:37:46Z2017-11-29T20:37:46ZDu Shanxi au Nord-Pas-de-Calais, des initiatives pour passer à l’après-charbon<p>La ville de Datong, située dans la province du Shanxi au nord de la Chine, ne doit pas son surnom au hasard. Pendant plus de trente ans, à partir des années 1980 jusqu’à 2010-2015, elle a été la <a href="http://www.france24.com/fr/20160418-chine-datong-charbon-fermeture-mines-industrie-pollution-emploi">« capitale du charbon »</a>. Dans un pays qui, encore récemment, <a href="https://theconversation.com/comment-la-chine-se-prepare-a-lapres-charbon-59291">dépendait essentiellement</a> de l’énergie produite par le charbon pour se chauffer, ce bassin minier fournissait à lui seul près de 8 % de la production nationale.</p>
<p>Mais depuis le début de la décennie 2010, la volonté des autorités chinoises de lutter contre la pollution a provoqué une baisse de la demande. Les puits de mine de cette région ont alors fermé les uns après les autres, laissant une population à l’abandon et des <a href="http://geopolis.francetvinfo.fr/villages-en-danger-dans-la-chine-du-charbon-115973">campagnes en crise</a>.</p>
<h2>Des transitions précaires et difficiles</h2>
<p>En France, le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais <a href="http://fresques.ina.fr/memoires-de-mines/fiche-media/Mineur00211/la-derniere-remontee-des-mineurs-a-la-fosse-9-9-bis-d-oignies.html">fermé à l’automne 1990</a>, est depuis cette période à la recherche de projets de reconversion et de mise en valeur de son territoire. Une zone ruinée par une longue exploitation du charbon dont les responsables n’ont, à aucun moment, pris la mesure des ravages durables qu’elle provoquait sur l’environnement.</p>
<p>Certaines initiatives, telles que la création du musée du <a href="http://www.louvrelens.fr">Louvre-Lens</a>, constituent des réussites qui contribuent à la revitalisation du bassin. Reste que le sous-sol, tel un gruyère dont les cavités seraient remplies de grisou, ce gaz souterrain redouté des mineurs à l’origine de très <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_catastrophes_et_accidents_dans_le_bassin_minier_du_Nord-Pas-de-Calais">nombreuses catastrophes houillères</a> dans le monde, constitue une menace permanente.</p>
<p>La province du Shanxi est l’une de ces <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/rust-belt"><em>rust belts</em></a> – littéralement « ceintures de rouille » – composant le paysage de nombreuses régions désertées par les industries, lorsque celles-ci ne pouvaient plus tirer profit des ressources locales minérales et/ou humaines. Dans l’optique d’aller vers une « Chine propre », on y a installé des <a href="http://www.konbini.com/fr/tendances-2/464558/">champs entiers</a> de panneaux solaires.</p>
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<p>Les populations ont souvent <a href="http://www.scmp.com/news/china/economy/article/1935326/decline-and-fall-broken-dreams-chinese-coal-mining-city">été déplacées</a> des villages miniers qui s’effondraient sous l’effet des galeries souterraines non <a href="http://www.cnrtl.fr/definition/remblayer">remblayées</a> et des terres agricoles polluées, vers des cités nouvellement construites où elles se sentent perdues et inutiles.</p>
<h2>Vers la transformation du grisou</h2>
<p>À Avion, en plein bassin minier non loin de Lens, une PME originaire de Forbach (Moselle) composée de huit personnes innove. Filiale de la Française de l’énergie, Gazonor vient d’installer le tout premier site d’exploitation en France d’électricité dite « verte », produite <a href="http://www.lavoixdunord.fr/254874/article/2017-10-28/sur-le-site-de-la-fosse-7-gazonor-produit-de-l-electricite-partir-du-grisou">à partir du grisou</a>.</p>
<p>Cette technique, bien connue en Allemagne, consiste à capter le gaz par le biais d’un convertisseur, puis à l’envoyer – avant qu’il ne se répande dans l’air et le pollue – dans un puissant moteur, pour ensuite le transformer en électricité. Très efficace et considéré comme écologique, ce procédé génère plus d’énergie que les éoliennes.</p>
<p><a href="http://www.lavoixdunord.fr/160481/article/2017-05-10/gazonor-va-bientot-transformer-le-grisou-en-electricite">Gazonor prévoit de produire</a> de quoi alimenter en électricité 9 000 personnes par an. Trois autres sites de la région sont à l’étude pour une rapide mise en route. Au total, il est estimé qu’une production de neuf mégawatts tous les douze mois – permettant de fournir 40 000 consommateurs – sera le rythme de croisière de Gazonor, et ceci pendant très longtemps, tant les réserves de grisou sont importantes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"924356342764195840"}"></div></p>
<p>Ce projet d’énergie « verte » a pourtant suscité la colère d’un certain nombre d’opposants, <a href="http://www.stop-gaz.fr/generalites/567-appel-des-opposants-au-gaz-de-couche-de-charbon-en-lorraine">notamment en Lorraine</a>. Ceux-ci protestaient contre toute exploitation de gaz « de couche » – houille et schiste –, redoutant l’injection de substances dangereuses dans la nappe phréatique. Mais, depuis la signature de l’accord tarifaire avec ERDF en octobre dernier, la production a démarré.</p>
<h2>La réhabilitation par le tourisme</h2>
<p>À Datong et ses alentours, la résignation domine chez les habitants qui se sentent oubliés par les autorités conduisant le pays à marche forcée sur le chemin de la modernité. Dans cette province réputée pour la cinquantaine de <a href="http://whc.unesco.org/fr/list/1039">grottes bouddhistes</a> de Yungang datant du V<sup>e</sup> siècle et leurs quelque 50 000 statues gravées à même la roche, la manne touristique déjà très importante viendra, sans doute, combler en partie le vide laissé par l’industrie minière.</p>
<p>Le site de Yungang, tout comme le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, sont inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. Si le premier attire énormément de visiteurs, il ne pourra jamais en être de même pour le second, en dépit de tous les efforts qui pourront être faits, y compris du Louvre-Lens et ses expositions. Néanmoins, malgré le chômage et la désindustrialisation qui le frappent, les habitants de cette région des Hauts-de-France sont très loin de la détresse qui règne, aujourd’hui, chez les travailleurs du Shanxi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86961/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Diana Cooper-Richet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En France et en Chine, différentes pistes de reconversion des bassins miniers, entre tourisme et production d'énergie « verte ».Diana Cooper-Richet, Chercheur au Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/489882016-04-06T04:35:41Z2016-04-06T04:35:41ZGaz de schiste : ni cet excès d’honneur, ni cette indignité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/117444/original/image-20160405-13530-kx5lv6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Puits de gaz de schiste en Pennsylvanie, région pionnière pour le « fracking » aux États-Unis.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/62459458@N08/7800508324/in/photolist-9TtTCY-oBqSLK-oF8cGm-cTixQA-cTiDmQ-dyYdw8-fc1SNC-bQejYz-fc1SGb-bBjErC-bBkJ59-bQejUr-cTixCf-bQejLp-bQejGr-bBkJ9W-bQejJB-bBjEvh-bBkJ3w-bBkJ7J-akiXtD-fc1SyE-fbLzUM-fbLzNk-cTiyfs-cQDTzJ-bVjdcF-ou7N6u-dz4FZq-oNbxtH-a1fVT3-oVzEcY-a1d61K-oTEgGV-oBrfxG-fFxZCm-cTiy4j-edch73-9ZTpzp-cTiDAs-cTiCm3-fMRc6v-fN8N6q-ddsmih-fN8NpN-fN8MvA-fN8MLm-duXjqd-duXjXu-fMRdS2/">Jeremy Buckingham/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Le gaz de schiste est présenté par certains économistes comme une manne miraculeuse stupidement boudée en France par quelques obscurantistes, tandis que certains écologistes y voient une menace de catastrophes majeures.</p>
<p>Pourtant, l’arrivée fin mars en Norvège du <a href="http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/03/25/le-gaz-de-schiste-americain-debarque-en-europe_4889844_3234.html">premier bateau exportant du gaz de schiste américain en Europe</a> (ou plus exactement de l’éthane issu de gaz de schiste) devrait permettre de dépasser cette opposition caricaturale et de prendre en compte différentes dimensions du débat :</p>
<p><strong>1. L’accès de l’Europe à une source de gaz bon marché est une aubaine économique, géopolitique et environnementale</strong> :</p>
<ul>
<li><p>l’importation de gaz américain limite l’écart des prix du gaz entre les deux continents et nous permet de bénéficier d’une énergie meilleur marché ;</p></li>
<li><p>l’importation de gaz américain rend l’Europe moins dépendante des pressions politiques de fournisseurs peu respectueux des droits de l’Homme ou de l’intégrité des pays voisins ;</p></li>
<li><p>le gaz est l’énergie fossile la moins émettrice de gaz à effet de serre ; or tant que les énergies renouvelables et nucléaires ne couvrent pas la consommation européenne, autant avoir recours à la moins nuisible des énergies fossiles.</p></li>
</ul>
<p><strong>2. L’exploitation de gaz de schiste européen dans les zones densément peuplées n’est probablement pas rentable</strong> :</p>
<ul>
<li><p>les contraintes d’une exploitation écologiquement responsable en Europe, dans des zones densément peuplées, entraînent un surcoût qui n’est probablement pas beaucoup moins élevé que le coût du transport intercontinental ;</p></li>
<li><p>le rôle du gaz de schiste dans la reprise économique américaine a été grossièrement exagéré, certaines prédictions sur les bénéfices d’une exploitation en France le sont aussi ;</p></li>
</ul>
<p><strong>3. L’énergie bon marché rend nécessaire la mise en place d’une taxation du carbone (ou d’un mécanisme équivalent) pour accélérer l’indispensable transition énergétique</strong></p>
<h2>Le gaz américain arrive en Europe et les prix s’effondrent</h2>
<p>Ce n’est pas une surprise, puisque les autorisations d’exportation ont été accordées par le gouvernement américain dès 2014 et que les investissements nécessaires dans des installations de liquéfaction et d’injection ont été engagés depuis trois ans. Pourtant, ceux qui appellent à exploiter au plus vite les gaz de schistes européens raisonnent souvent comme si les prix du gaz dans les deux régions ne devaient pas être affectés par cette possibilité de commerce entre elles. Le coût de transport par unité de gaz (MBtu, unité anglaise représentant environ 305 mètres cubes de gaz ou 0,3 kWh) serait compris entre 2,4 et 5 $ (en ajoutant la liquéfaction, le transport et la regazéification). Ce n’est pas négligeable, car le prix du gaz aux États-Unis oscillait ces dernières années entre 3 et 6 $. Mais cela entraînera à la baisse les prix européens, plutôt aux alentours de 9 à 12 $ jusqu’en 2014, tandis qu’ils étaient plutôt de 16 $ au Japon depuis l’accident de Fukushima.</p>
<p>Avec les énormes surcapacités américaines (au niveau de l'ALENA dans son ensemble, car les États-Unis continuent à importer du gaz très bon marché du Canada) et l’anticipation des exportations d’Amérique vers le reste du monde, les cours sont aujourd’hui tombés à moins de 2 $ aux États-Unis (cours au hub de liquéfaction Henry en Louisiane) et moins de 5 $ en Europe (prix spot du gaz russe livré à la frontière allemande). Les analystes considèrent que Gazprom, Statoil ou Sonatrach sont encore rentables à un <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01289073/document">prix livré en Allemagne de 3,8 $</a>. Le prix du gaz en Europe varierait donc entre 4 et 8 $/MBtu, surtout si les fournisseurs traditionnels de l’Europe tentent de limiter le développement des importations américaines.</p>
<h2>Une bouffée d’oxygène pour nos entreprises</h2>
<p>Une baisse générale du coût de l’énergie, si elle n’est pas immédiatement répercutée dans les prix de vente, apporte une bouffée d’oxygène bienvenue aux entreprises qui peuvent reconstituer leurs marges et donc leur capacité d’investissement. Nos entreprises ont ainsi bénéficié depuis un an des baisses de charge liée au CICE, d’un effet de change favorable par rapport au dollar et d’une énergie bon marché.</p>
<h2>Qui se soucie encore du détroit d’Ormuz ?</h2>
<p>Notre dépendance énergétique nous obligeait à ménager la susceptibilité de nos grands fournisseurs d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et de Russie, au prix d’accommodements avec les principes européens sur les droits de l’Homme ou le droit international. La diversification de nos fournisseurs allège nos contraintes et renforce notre pouvoir de négociation. La sécurité du détroit d’Ormuz n’est plus un objectif stratégique pour l’Occident.</p>
<h2>Exploiter le gaz de schiste en France coûterait plus qu’en importer</h2>
<p>Le prix de 2 $ aux États-Unis vient de leur énorme surcapacité et du fait que stocker du gaz a un coût. La plupart des gisements actuels perdent leur rentabilité lorsque les prix descendent au-dessous de 5 $ et beaucoup de puits sont gelés en attendant des jours meilleurs.
Les puits américains sont souvent situés dans des zones peu peuplées et le propriétaire du sol a un intérêt direct à leur exploitation, de sorte qu’il en tolère facilement les nuisances. Une réglementation laxiste a entraîné beaucoup d’incidents (dans un peu moins de 1 % des forages) conduisant certains états à imposer un moratoire sur la fracturation hydraulique (L’État de New York dès 2010, le Québec et la France en 2011 et beaucoup d’autres depuis). Les préoccupations environnementales portent notamment sur la consommation d’eau, le retraitement des eaux contaminées réextraites et leur réinjection, le risque de pollution des aquifères voisins, de fuites de gaz, d’induction de microséismes, de nuisances liées aux transports induits.</p>
<p>Un <a href="https://royalsociety.org/%7E/media/policy/projects/shale-gas-extraction/2012-06-28-shale-gas.pdf">rapport conjoint des académies</a> des sciences et d’ingénierie britanniques fait le point sur les connaissances disponibles, puis prescrit les mesures à mettre en place pour que les procédures d’autorisation et de contrôle de l’exploitation d’un gisement garantissent la sécurité. Ainsi, les inconvénients liés à l’exploitation des gaz de schiste, là où elle serait autorisée, seraient comparables à ceux des autres sources d’énergie, dont aucune, à part les économies d’énergie, n’est exempte de contraintes, de risques et de nuisances.</p>
<p>Les mesures préconisées pour assurer la sécurité des riverains et de l’environnement ont cependant un coût, notamment lorsque le gisement est situé dans une zone densément peuplée comme la Brie. Ce coût est probablement supérieur à celui lié à l’importation de gaz étranger (je n’ai pas trouvé de chiffrage robuste et celui-ci dépend du contexte précis de chaque exploitation).</p>
<p>Certes, les États-Unis sont moins insensibles que par le passé aux nuisances de l’exploitation des gaz de schiste et on peut espérer que la réglementation y deviendra plus stricte, mais leur capacité de production est telle, avec une proportion importante dans des zones peu peuplées où les nuisances sont plus facilement tolérées, que les prix américains devraient rester durablement bas.</p>
<p>Compte tenu du surcoût d’une production propre en Europe et du fait que le gisement européen reste modeste par rapport à la consommation du continent même dans les estimations les plus optimistes, l’ancien président de Total, Christophe de Margerie, avait prévenu qu’il ne fallait pas espérer qu’une exploitation des gaz de schiste européens ait un impact important sur le prix du gaz en Europe.</p>
<h2>L’impact économique surestimé d’une exploitation en France</h2>
<p>D’autres raisons poussent néanmoins à envisager l’exploitation des gaz de schiste européens. En effet, s’il est plus confortable de négocier avec de nombreux fournisseurs que de dépendre d’un monopole ou d’un cartel, il l’est encore plus d’être indépendant, ne serait-ce que pour l’équilibre de notre balance commerciale. Certains attribuent de plus un effet d’entraînement économique très important au développement de l’exploitation locale des gaz de schiste. Une <a href="http://www.la-fabrique.fr/Ressource/l-industrie-americaine-simple-rebond-ou-renaissance">étude de La Fabrique de l’industrie</a> a cependant montré que l’impact des gaz de schiste sur le rebond impressionnant de l’économie américaine avait été très surestimé. </p>
<p>Ses bénéfices portaient surtout sur l’industrie extractive, ses fournisseurs (Vallourec, Technip, la Compagnie Générale de Géophysique et leurs homologues étrangers), sur la chimie de première transformation qui utilise le gaz comme matière première et sur les exploitants de centrales à gaz. Les autres secteurs économiques n’étaient que modérément affectés, d’autant que la division par deux des prix du gaz ne s’est pas répercutée sur celui de l’électricité aux États-Unis, certes déjà bien moins élevé qu’en Europe. 92 % de l’emploi de l’industrie manufacturière américaine est situé dans des secteurs pour lesquels la baisse des coûts de production liée aux pétroles et gaz de schiste est inférieure à 1 %.</p>
<h2>Le <em>peak oil</em> reporté aux calendes grecques</h2>
<p>La découverte d’hydrocarbures non conventionnels augmente largement et durablement les réserves exploitables, bien réparties sur diverses zones géographiques, ce qui rend une entente des producteurs moins facile. Ceci, avec la situation géopolitique et économique actuelle, a contribué à faire chuter drastiquement le prix du pétrole et du gaz et les incitations économiques aux économies d’énergie.</p>
<p>La baisse du prix du gaz par rapport aux autres énergies fossiles est en soi une bonne nouvelle. En effet, tant que les énergies renouvelables et nucléaires ne couvriront pas la consommation européenne, il faudra avoir recours à des énergies fossiles ; or le gaz est moins nuisible que le pétrole et surtout le charbon (tant qu'il est extrait proprement <a href="http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/ese3.35/full">ce qui n'a pas toujours été le cas</a> pour certains puits aux États-Unis). À pouvoir combustible égal, il émet aujourd’hui quatre fois moins de gaz à effet de serre que le charbon. Or des pays comme l’Allemagne qui ferme ses centrales nucléaires ou le Danemark dont le parc éolien ne produit que lorsqu’il y a beaucoup de vent <a href="http://www.la-fabrique.fr/Point_de_vue/les-defis-technologiques-de-la-transition-energetique">consomment énormément de charbon</a>. Le charbon étant plus facile à transporter que le gaz, l’autosuffisance énergétique américaine s’est d’abord traduite par l’arrivée en Europe de charbon bon marché, poussant un groupe comme Engie à mettre sous cocon des centrales à gaz beaucoup plus propres mais économiquement moins rentables que les centrales à charbon.</p>
<p>La chute du prix des énergies fossiles ne rend donc que plus urgente – mais aussi plus facile – la mise en place d’une taxe sur le carbone émis. Une telle taxe est réclamée par beaucoup d’industriels, y compris les compagnies pétrolières européennes, qui souhaitent une règle du jeu claire encourageant l’investissement dans la transition énergétique et des procédés plus sobres. Faute d’accord mondial sur une telle taxe et son montant, elle ne peut cependant être mise en place qu’accompagnée de mécanismes évitant que les entreprises des pays vertueux ne subissent une concurrence biaisée de la part de producteurs qui ne seraient pas assujettis à la taxe, comme nous le discutons dans un <a href="https://theconversation.com/taxer-le-carbone-sans-nuire-a-notre-competitivite-50372">autre article</a>.</p>
<h2>Conséquences du transport international des gaz de schiste</h2>
<p>En résumé, l’exportation des surplus de gaz américains a plusieurs conséquences :</p>
<ul>
<li><p>elle permet à l’industrie européenne de bénéficier d’approvisionnement en gaz bon marché et de mieux négocier avec ses fournisseurs historiques (Russie, Algérie, Qatar) ;</p></li>
<li><p>elle rend moins attractive l’exploitation d’éventuels gisements européens ;</p></li>
<li><p>elle permet de substituer une énergie fossile à d’autres dont les émissions de gaz à effet de serre sont bien plus importantes ;</p></li>
<li><p>elle risque de contribuer à décourager, du fait des prix peu élevés des énergies fossiles, l’investissement dans des procédés sobres, rendant d’autant plus urgentes des mesures volontaristes de soutien à la transition énergétique, et notamment l’instauration d’une forme de taxe sur le carbone émis.</p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/48988/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Thierry Weil est délégué de La Fabrique de l'industrie, laboratoire d'idées destiné à susciter et à enrichir le débat sur l'industrie.
Thierry Weil a réalisé antérieurement à 2004 diverses interventions de conseil ou d'encadrement de doctorants pour les groupes EDF et Suez Lyonnaise des Eaux.</span></em></p>Le gaz de schiste est présenté par certains économistes comme une manne miraculeuse boudée par les obscurantistes, tandis que certains écologistes y voient une menace de catastrophes. Analyse à froid.Thierry Weil, Membre de l'Académie des technologies, Professeur au centre d’économie industrielle, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/546702016-02-17T05:43:41Z2016-02-17T05:43:41ZCOP21, pétrole à 30 $ : c’est le moment de donner un prix au carbone !<p>La mise en œuvre des politiques climatiques après la COP21 est-elle menacée par la <a href="https://theconversation.com/le-gaz-de-schiste-americain-nouveau-prix-directeur-des-energies-53989">baisse</a> des prix des énergies fossiles ? Si pétrole, gaz et charbon sont moins chers, développera-t-on les énergies alternatives pour lutter contre le changement climatique ? On l’a vu en 2015 aux États-Unis, la <a href="http://www.eia.gov/forecasts/steo/report/us_oil.cfm">baisse de 35 %</a> du prix de l’essence a relancé la consommation de carburants. Pour éviter ces dérives, le moment est sans doute venu de donner un prix au carbone. C'est d'ailleurs ce que demandaient, en amont de la COP21, <a href="https://sites.google.com/a/chaireeconomieduclimat.org/tse-cec-joint-initiative/">200 économistes</a>, dans un manifeste pour un prix universel du carbone.</p>
<p>Mais lors des négociations climatiques de décembre dernier, l’instauration d’un tel prix s’est avérée impossible et l’<a href="http://www.developpement-durable.gouv.fr/COP21-l-Accord-de-Paris-est-adopte,45809.html">Accord de Paris</a> ne consacre qu’un bref et assez vague paragraphe (n°137) à cette tarification. À défaut d’un accord international, celle-ci devra donc être mise en place progressivement et dans le cadre de politiques nationales.</p>
<h2>Réguler les émissions de CO<sub>2</sub> par les prix…</h2>
<p>La théorie économique suggère que l’action contre la pollution doit être menée jusqu’au point où les coûts de réduction des émissions deviennent plus élevés que l’avantage retiré de la réduction des dommages. Mais pour le changement climatique, cette analyse coût-avantage se heurte à la difficulté, voire à l’impossibilité, de l’évaluation monétaire des impacts.</p>
<p>Certains économistes, on pense à <a href="http://www.econ.yale.edu/%7Enordhaus/homepage/RICEmodels.htm">W. Nordhaus</a>, se risquent néanmoins à l’exercice à l’aide de modèles rigoureux en termes formels, mais extrêmement synthétiques. Leurs résultats ignorent notamment les risques d’<a href="https://www.ncdc.noaa.gov/paleo/abrupt/story2.html">emballement climatique</a> et indiquent le plus souvent la nécessité d’une action, mais seulement d’une action modeste. Cela correspond à un faible prix du carbone, de l’ordre de 15 à 50 $ par tonne de CO<sub>2</sub> pour 2030, comme indiqué notamment dans les études de l’<a href="http://www3.epa.gov/">Environmental Protection Agency</a> sur le <a href="http://www3.epa.gov/climatechange/EPAactivities/economics/scc.html">coût social du carbone</a> pour les États-Unis.</p>
<p>L’approche est différente en France, où le « rapport Quinet » a permis en 2008 de définir une <a href="http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/094000195/">valeur tutélaire du carbone</a> dont l’application générale permettrait de respecter les engagements internationaux de la France, le « facteur 4 » notamment – soit la division par 4 des émissions en 2050. Confirmées en 2013, ces évaluations – dont le point focal est la valeur de 100 €/tCO<sub>2</sub> en 2030, au moins deux fois plus que le_ Social Cost of Carbon_ américain – ont été incorporées dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte (<a href="http://www.developpement-durable.gouv.fr/-La-transition-energetique-pour-la-.html">TECV</a> ) de 2015.</p>
<p>La valeur tutélaire du carbone devait à l’origine permettre de prendre seulement en compte un prix du carbone dans les choix d’investissements publics. Demain, si le parlement le confirme dans le vote des lois de finance à venir, elle constituera la base de la fiscalité carbone imposée aux énergies d’origine fossile. On passerait alors avec la loi TECV d’un prix du carbone indicatif pour le secteur public à une véritable taxe carbone guidant les acteurs économiques. Notons ici que 100€/tCO<sub>2</sub> ne représentent que 25c/l d’essence, soit la moitié de la baisse engrangée depuis deux ans ; c’est dire que les marges de manœuvre sont grandes !</p>
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<figcaption><span class="caption">Comment fonctionne le système des quotas d’émission ? Une vidéo de France 24 (novembre 2015).</span></figcaption>
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<p><br></p>
<h2>… ou par le système des quotas</h2>
<p>La régulation par les prix n’est pas la seule solution possible pour contrôler les émissions de CO<sub>2</sub> : on peut aussi agir directement sur les quantités en créant un système de quotas. Ces derniers sont initialement attribués gratuitement ou bien mis aux enchères, ils peuvent ensuite être échangés sur un marché : se forme alors un prix, qui sera d’autant plus élevé que le nombre de quotas est faible.</p>
<p>Le système de la taxe carbone ne garantit pas que l’objectif quantitatif sera atteint. Au contraire, et c’est son avantage, le système des quotas garantit que l’on n’émettra pas plus que prévu. C’est pourquoi, à partir de la signature du Protocole de Kyoto (1997) et jusqu’à la Conférence de Copenhague (2009), le modèle de régulation des émissions le plus exploré a été celui d’un contrôle des quantités avec : un plafond global d’émission, des dotations de quotas par pays, un marché mondial des quotas. </p>
<p>C’est aussi dans cet esprit que la Commission européenne a instauré, dès 2005, son <a href="http://www.developpement-durable.gouv.fr/-Systeme-d-echange-de-quotas-.html">système</a> communautaire d’échange de quotas d’émission pour le secteur électrique et les industries grosses consommatrices d’énergie. Il couvre aujourd’hui près de la moitié des émissions en Europe (40 % en France car le secteur électrique, avec beaucoup de nucléaire, y est moins émetteur de CO<sub>2</sub>).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/111648/original/image-20160216-19241-194poh4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/111648/original/image-20160216-19241-194poh4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/111648/original/image-20160216-19241-194poh4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/111648/original/image-20160216-19241-194poh4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/111648/original/image-20160216-19241-194poh4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/111648/original/image-20160216-19241-194poh4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/111648/original/image-20160216-19241-194poh4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/111648/original/image-20160216-19241-194poh4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le système communautaire d’échange de quotas d’émission en Europe instauré en 2005.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Chaire d’économie du climat</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Ce système a bien permis une réduction importante des émissions dans les secteurs concernés. Le problème est que cette réduction est davantage imputable à la crise économique, à la désindustrialisation de l’Europe et au progrès rapide des énergies renouvelables – tous facteurs qui ont réduit la demande de permis – qu’à l’effet-prix des quotas. Ces prix ont fluctué autour de 20 €/tCO<sub>2</sub> de 2005 à 2008, ils ont été ensuite de l’ordre de 15 € de 2008 à 2012 et ils sont depuis plutôt à un niveau de 7-8 €/tCO<sub>2</sub>. Cela représente seulement 6 €/MWh pour une centrale thermique au charbon, dont le coût de production est de l’ordre de 45 €/MWh. C’est donc un prix du carbone insuffisant pour modifier les décisions d’investissement et d’exploitation, dans un contexte d’effondrement des prix du gaz et du charbon.</p>
<p>La Commission européenne est donc aujourd’hui confrontée au véritable défi que constitue la réforme du système communautaire d’échange de quotas d’émission. Mais cette réforme, indispensable pour assurer la réduction des incertitudes et un niveau de prix minimum, est aujourd’hui refusée par les nouveaux pays membres de l’UE, au premier rang desquels la <a href="http://www.euractiv.fr/section/europe-de-l-est/news/la-pologne-porte-plainte-contre-la-reforme-du-marche-du-carbone/">Pologne</a>, pays dont le système énergétique énergétique reste dominé par le charbon.</p>
<h2>Une tarification en marche</h2>
<p>Impossibilité d’introduire un « prix universel du carbone » dans l’Accord de Paris, difficulté du choix d’une valeur de référence pour 2030, crise du marché européen des quotas : les perspectives pour une tarification du carbone semblent apparemment bien incertaines. Et pourtant, le mouvement est en marche et un grand nombre de pays ont d’ores et déjà introduit des prix du carbone, par les différents dispositifs évoqués plus haut.</p>
<p>Depuis 1991 et dans le cadre d’une réforme générale de sa fiscalité, la <a href="http://www.actu-environnement.com/ae/news/fiscalite-environnement-taxe-carbone-energie-pollution-15325.php4">Suède</a> a progressivement introduit une taxe carbone : initialement fixée à 27 €/tCO<sub>2</sub> avec exonération des industriels, elle a été progressivement portée à plus de 100 €/tCO<sub>2</sub> (à l’exception des industries soumises au marché européen des quotas). Malgré le niveau élevé et grâce à une mise en œuvre précautionneuse, l’économie suédoise ne s’est pas effondrée…</p>
<p>Les marchés de quotas se développent aussi : la Californie, le Québec et l’Ontario, qui ont <a href="http://affaires.lapresse.ca/economie/quebec/201510/08/01-4908031-neuf-etats-pourraient-rejoindre-le-quebec-dans-le-marche-du-carbone.php">fusionné leurs marchés carbone</a> pourraient être rejoints par neufs autres États américains. La Chine, après avoir testé différents systèmes de quotas dans sept <a href="http://www.i4ce.org/download/chine-une-etude-de-cas-de-tarification-du-carbone/">expériences pilotes</a>, s’est engagée lors de la COP21 à instaurer un <a href="http://www.reuters.com/article/us-climatechange-summit-china-carbontrad-idUSKBN0TR18420151208">marché national</a> du carbone couvrant la moitié de ses émissions dès 2017. Toutes ces expériences seront à suive de près, et elles pourraient même être riches en enseignements pour la réforme du marché européen.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/111636/original/image-20160216-19256-gpwu7t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/111636/original/image-20160216-19256-gpwu7t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/111636/original/image-20160216-19256-gpwu7t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/111636/original/image-20160216-19256-gpwu7t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/111636/original/image-20160216-19256-gpwu7t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/111636/original/image-20160216-19256-gpwu7t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=374&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/111636/original/image-20160216-19256-gpwu7t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=374&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/111636/original/image-20160216-19256-gpwu7t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=374&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Panorama mondial des prix du carbone en 2015 (www.i4ce.org).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p><br></p>
<p>Alors que la question de la réallocation des investissements pour la transition énergétique émerge progressivement comme le sujet majeur des prochaines années, plusieurs initiatives visent à assurer la prise en compte de la valeur sociale des investissements bas carbone. À l’international, l’initiative <a href="http://www2.centre-cired.fr/Actualites/article/moving-the-trillions-a-debate-on-positive-pricing-of-mitigation-actions"><em>« Moving the trillions »</em></a>, en France les rapports sur les <a href="http://www.elysee.fr/communiques-de-presse/article/rapport-mobiliser-les-financements-pour-le-climat-de-pascal-canfin/">financements pour le climat</a> ou sur la création <a href="http://www.strategie.gouv.fr/publications/une-proposition-financer-linvestissement-bas-carbone-europe">d’actifs carbone</a> vont exactement dans ce sens.</p>
<p>La dernière des propositions en date est celle de Barak Obama qui envisage d’introduire, pour son plan sur les transports propres, une <a href="https://www.whitehouse.gov/the-press-office/2016/02/04/fact-sheet-president-obamas-21st-century-clean-transportation-system">taxe de 10 $</a> par baril de pétrole produit aux États-Unis (soit environ 50 $/tCO<sub>2</sub>) et la recette, de l’ordre de 32 milliards de dollars chaque année, serait réinvestie dans le financement des infrastructures publiques. Elle est soutenue par d’autres propositions aux États-Unis, telles que celle d’une <a href="http://www.project-syndicate.org/commentary/time-for-a-carbon-tax-by-kemal-dervis-and-karim-foda-2016-02">taxe carbone variable</a> pour compenser les fluctuations des <a href="https://theconversation.com/prix-du-petrole-comment-decrypter-les-chocs-et-les-contre-chocs-53656">prix du pétrole</a>.</p>
<p>Propositions multiples, prix du carbone multiples. Les économistes les plus attachés à la <a href="http://debate.tse-fr.eu/column/un-prix-unique-du-carbone-pour-reduire-les-emissions?language=fr">théorie pure</a> argueront que cela ne garantit pas l’efficacité économique qu’apporterait un prix universel et unique du carbone. Mais compte tenu de la diversité des situations initiales – en termes de contraintes économiques, techniques et fiscales – la solution de la construction ascendante (<em>bottom-up</em>) des politiques climatiques, telle qu’issue de <a href="https://theconversation.com/non-la-cop-ne-fut-pas-un-sommet-pour-rien-52262">l’Accord de Paris</a>, est sans doute aujourd’hui la seule voie praticable pour la nécessaire tarification du carbone.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/54670/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrick Criqui est membre du conseil scientifique de la Fondation Nicolas Hulot</span></em></p>La question du prix du carbone est aussi cruciale que complexe pour la mise en œuvre des politiques de lutte contre le changement climatique.Patrick Criqui, Directeur de recherche au CNRS, laboratoire GAEL axe Économie du développement durable et de l’énergie (EDDEN), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/539892016-02-08T05:48:33Z2016-02-08T05:48:33ZLe gaz (de schiste) américain, nouveau prix directeur des énergies ?<p>La baisse des prix du pétrole, de 100 $/bl à l’été 2014 à moins de 30 $ aujourd’hui, entraîne-t-elle celle des autres énergies fossiles, charbon et gaz naturel ? Cela n’a rien d’évident car, si toutes les énergies ont beaucoup baissé depuis les sommets de 2008, il apparaît cette fois que la baisse des prix du pétrole a plutôt suivi celle du gaz américain et du charbon et non l’inverse.</p>
<p>Dans le monde de l’énergie – après les chocs pétroliers de 1973 et 1979 –, la question du prix du pétrole comme « prix directeur » des autres énergies constituait un thème récurrent. Il y avait de très bonnes raisons à cela. Rappelons d’abord qu’avant les nationalisations des années 1970, il n’y avait pas de vrai marché international du pétrole, car les transactions se faisaient au sein de compagnies intégrées, de la production à la distribution. Et notons, qu’aujourd’hui encore, les <a href="https://fr.Wikipedia.org/wiki/Prix_spot">« échanges spots »</a>, s’ils permettent de révéler un prix, ne représentent qu’une petite partie des transactions physiques sur les marchés énergétiques, effectuées le plus souvent dans le cadre de contrats de fourniture à long terme. Le prix du pétrole sert alors de base pour l’indexation de ces contrats, en particulier pour le gaz naturel.</p>
<h2>Le mètre-étalon</h2>
<p>Mais il y a une autre raison pour laquelle le prix de l’or noir peut influencer celui des autres fossiles : « le pétrole est un liquide », rappelait <a href="http://www.independent.co.uk/news/people/obituary-paul-frankel-1560213.html">Paul Frankel</a>, facilement transportable et stockable ; de par ses caractéristiques physiques, il a donc longtemps constitué l’énergie de bouclage du système énergétique mondial. Le pétrole pouvait satisfaire tous les besoins énergétiques, du chauffage à la production d’électricité. Et ce, alors même qu’il était irremplaçable dans les transports et la chimie. Cette asymétrie dans les capacités des différentes énergies à satisfaire divers besoins expliquait que le prix du pétrole ait alors été le « mètre-étalon » des prix de l’énergie : s’il baissait, il imposait une pression concurrentielle plus forte aux autres sources, s’il augmentait, la pression se relâchait.</p>
<p>Les conditions ne sont aujourd’hui plus les mêmes, car dans tous les pays industrialisés, et de plus en plus dans les pays émergents, le pétrole est réservé à ses usages spécifiques : transports et chimie, alors que chauffage et production électrique au fuel sont de plus en plus marginaux. Pourquoi subsisterait-il alors un lien fort entre le prix du pétrole et celui des autres énergies ? S’il demeure une corrélation d’ensemble, sur la nouvelle scène énergétique les causalités ne sont plus tout à fait ce qu’elles étaient.</p>
<h2>Un « index naturel » à partir de l’année 2000</h2>
<p>Pour explorer les fluctuations simultanées des prix du pétrole, du gaz et du charbon, le hasard nous fournit un « index naturel » : en 2000, le prix du pétrole était de 20 $/bl, celui du charbon de 20 $/t et celui du gaz naturel de 2 $/MBtu. Il s’agit vraiment d’une pure coïncidence puisque les quantités d’énergie ne sont pas les mêmes : un prix de 20 $/bl de pétrole correspond à un prix à la tonne équivalent pétrole (tep) de 140 $ ; 20 $/t de charbon correspondant à 30 $/tep ; enfin 2 $/MBtu à 80 $/tep. Les décotes traduisent en effet la hiérarchie des qualités des énergies : en 2000, la valeur d’une unité d’énergie sous forme de charbon et de gaz représentait respectivement 21 % et 57 % de celle du pétrole.</p>
<p>Retenons donc les prix de quatre énergies significatives (voir le graphique ci-dessous) : pour le pétrole, une moyenne de trois bruts de référence – West Texas Intermediate, Brent de la Mer du Nord, brut de Dubai ; pour le gaz naturel, il est indispensable de distinguer le prix sur le <em>Henry Hub</em> (interconnexion gazière majeure de Louisiane) aux États-Unis et le prix pratiqué par le russe Gazprom sur le marché européen ; enfin, pour le charbon, nous considérons le prix à l’exportation de l’Afrique du Sud. À partir du point de convergence de 2000, il devient possible de tracer les évolutions de ces prix. On constate alors que ces variations sont de même ampleur, qu’elles sont le plus souvent simultanées, mais que des décrochages apparaissent, révélateurs des nouvelles conditions des industries énergétiques. Afin d’analyser la dispersion autour des variations des prix du pétrole, on a tracé autour de cette série de prix un « halo », qui correspond à plus ou moins 10 $ autour de la valeur centrale.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/109789/original/image-20160201-32237-f9iksh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/109789/original/image-20160201-32237-f9iksh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/109789/original/image-20160201-32237-f9iksh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=478&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/109789/original/image-20160201-32237-f9iksh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=478&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/109789/original/image-20160201-32237-f9iksh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=478&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/109789/original/image-20160201-32237-f9iksh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=601&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/109789/original/image-20160201-32237-f9iksh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=601&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/109789/original/image-20160201-32237-f9iksh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=601&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>La crise de 2008</h2>
<p>La période considérée commence par une phase baissière, avec de faibles écarts de 1995 à 2000. On rencontre alors le point fixe déjà mentionné : 20 $/bl, 20 $/t, 2 $/MBtu. Puis commence la montée des prix, concomitante de l’accélération de la croissance tirée par <a href="http://www.usinenouvelle.com/article/les-nouveaux-visages-de-l-industrie-des-pays-emergents.N144953">l’industrie des pays émergents</a> et <a href="http://www.economie.gouv.fr/facileco/crise-dette-publique">l’endettement des pays du Nord</a>. Certains évoquent pour cette période le <a href="https://en.Wikipedia.org/wiki/2000s_commodities_boom">« supercycle des matières premières »</a>. Pour l’énergie, le prix du pétrole augmente lentement jusqu’en 2003, avant d’attaquer une montée rapide qui le mènera au sommet des 140 $/bl à l’été 2008, avant <a href="http://www.liberation.fr/futurs/2009/09/14/le-jour-ou-lehman-brothers-a-fait-faillite_581337">la chute de Lehman Brothers</a>.</p>
<p>De manière remarquable, les autres énergies se maintiennent dans le halo autour du prix du pétrole ce qui signifie que leur prix relatif, avec la décote de qualité déjà mentionnée, se maintient sur toute la période. Une seule exception : le gaz américain, dont le prix connaît par trois fois au moins sur cette période (2000, 2002, 2005) des pics à plus de 8 $/MBtu qui le détachent du halo pétrolier. C’est à cette période que se prépare la future révolution des gaz de schiste…</p>
<p>Après le boom, la crise : en quelques mois, de l’été à l’hiver 2008, les énergies passent du niveau 140-160 (14-16 pour le gaz) au niveau 40-60 (4-6 pour le gaz), soit une division par trois.</p>
<h2>La révolution des gaz de schiste</h2>
<p>C’est le moment où le gaz américain diverge. Alors que dès le milieu de l’année 2009, pétrole, charbon sud-africain et gaz russe remontent vers le niveau 100-120 (10-12 pour le gaz russe), le gaz sur le <em>Henry Hub</em> demeure collé au plancher, autour de 4 $/MBtu, avec des pointes à 6 et des baisses à 2. C’est très clairement le résultat de la révolution des gaz de schiste qui bouleverse l’économie énergétique et bientôt toute l’économie américaine. Cette révolution a été préparée par des décennies de recherche sur les <em><a href="https://en.Wikipedia.org/wiki/Synthetic_fuel">synfuels</a></em>, mais elle est déclenchée par la convergence des techniques du <a href="http://www.ifpenergiesnouvelles.fr/Espace-Decouverte/Les-cles-pour-comprendre/Les-sources-d-energie/Les-hydrocarbures-non-conventionnels/Les-techniques-de-production-des-petroles-et-gaz-de-schiste">forage horizontal multidirectionnel</a> et de <a href="http://www.csur.com/sites/default/files/Hydr_Frac_French_web.pdf">la fracturation hydraulique</a> et rendue possible par les niveaux élevés de prix de toute la décennie précédente.</p>
<p>Quant au gaz russe, il reste accroché au pétrole et l’écart se creuse entre les États-Unis et l’Europe : entre 2012 et 2014 le prix du gaz y est deux fois et demie plus élevé. Comme le prix du gaz en Asie est encore plus élevé qu’en Europe (plus de 15$/MBtu pour les importations japonaises entre 2011 et 2014), on comprend que les États-Unis aient bénéficié d’un énorme avantage compétitif et ainsi mener une campagne de réindustrialisation sur la base d’une énergie bon marché, jusqu’à relocaliser de la chimie de base. On comprend aussi que l’administration Obama ait pu baser sa politique climatique essentiellement sur la substitution du charbon par le gaz naturel – de schiste – dans la production d’électricité. Rappelons qu’un kWh produit à partir du charbon conduit à deux fois plus d’émissions qu’à partir du gaz. Cela évidemment tant que l’on ne prend pas en compte les <a href="http://www.carbonbrief.org/fugitive-emissions-from-shale-gas-our-qa">émissions fugitives de méthane</a> associées à la production des gaz de schiste et sans parler du coût des <a href="http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/04/17/gaz-de-schiste-quelles-consequences-sanitaires_4403545_3244.html">impacts environnementaux locaux</a>.</p>
<p>L’approvisionnement gazier européen, dépendant du gaz russe, indexé sur les prix du pétrole, reste donc très cher jusqu’en 2014. Et cela d’autant plus que le prix du charbon sur le marché mondial, après être remonté en 2009-2010 s’effrite rapidement en raison de la baisse de la consommation américaine. Et voilà pourquoi les centrales thermiques en fonctionnement en Europe, et particulièrement en Allemagne, sont des centrales à charbon et non des centrales à gaz. Car au même moment le prix des quotas d’émission sur le marché européen est à des niveaux insignifiants, largement insuffisants pour freiner le retour du charbon dans le pays de l’<em>Energiewende</em> (« le tournant énergétique »).</p>
<h2>Le gaz américain nouveau prix directeur… mais pour combien de temps ?</h2>
<p>Résumons. Alors que le pétrole est de plus en plus concentré sur ses usages captifs – carburants et pétrochimie –, le terrain de la compétition entre gaz et charbon est celui de la production d’électricité. On l’a vu, le gaz l’emporte aux États-Unis où il devient un élément central – le seul ? – de la politique climatique américaine et de son <em><a href="http://www.liberation.fr/terre/2015/08/04/climat-obama-va-au-charbon_1358522">Clean Power Plan</a></em>. La demande de charbon américaine diminue d’autant et la baisse des prix se répercute sur le marché européen. Comme le gaz russe reste indexé sur le pétrole, le gaz est éliminé de la production électrique en Europe.</p>
<p>Le gaz américain a donc entraîné la baisse du prix du charbon, mais il faut attendre 2014 pour que le pétrole se mette, lui aussi, à baisser. Apparemment aucun rapport, si ce n’est un facteur commun de déprime : le <a href="http://www.wsj.com/articles/the-world-struggles-to-adjust-to-chinas-new-normal-1440552939">ralentissement économique général</a>. Mais ce n’est pas si simple, car ce qui a fait jusqu’à aujourd’hui la capacité de résistance des gaz de schiste à la baisse des prix, c’est que leur développement a été soutenu par celui des pétroles de schiste. Or c’est précisément contre ces pétroles de schiste que l’Arabie saoudite a déclenché <a href="https://theconversation.com/prix-du-petrole-comment-decrypter-les-chocs-et-les-contre-chocs-53656">sa deuxième guerre des prix</a> à partir de la fin 2014.</p>
<p>Pendant combien de temps encore le développement des hydrocarbures non conventionnels aux États-Unis exercera-t-il une pression générale à la baisse du prix des fossiles ? Impossible à dire aujourd’hui. Et les gaz de schiste ont résisté depuis maintenant de nombreuses années. Mais la guerre des prix pourrait être plus meurtrière sur le pétrole. Si l’<a href="http://www.theglobeandmail.com/report-on-business/industry-news/energy-and-resources/downturn-reaches-us-shale-industry-as-production-scaled-back/article28156309/">« industrie américaine des schistes »</a> était gravement touchée, on aurait alors, en effet collatéral, un retour à la normale avec une reconvergence et une remontée synchronisée du prix des énergies fossiles…</p>
<p><br>
<em><a href="http://www.enerdata.net/enerdatauk/press-and-publication/energy-news-001/american-shale-gas-new-benchmark-price_36412.html">La version anglaise</a> de cet article est disponible sur le site d’<a href="http://www.enerdata.net/">Enerdata</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/53989/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrick Criqui est membre du conseil scientifique de la Fondation Nicolas Hulot</span></em></p>Comment le développement, depuis 2009, des hydrocarbures non conventionnels aux États-Unis a entraîné la baisse des prix du pétrole, ancien « mètre-étalon » des prix de l’énergie.Patrick Criqui, Directeur de recherche émérite au CNRS, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/533152016-01-20T06:08:21Z2016-01-20T06:08:21ZPorter Ranch, l’avant-goût d’un futur énergétique dominé par le gaz naturel ?<p>Depuis fin octobre 2015, une énorme quantité de gaz naturel se déverse dans le ciel californien suite à une <a href="http://www.lemonde.fr/planete/article/2016/01/08/envahis-par-le-methane-les-hauts-de-porter-ranch-desertes_4843981_3244.html">fuite massive de méthane</a> sur le site d’une compagnie de distribution gazière de Porter Ranch, en banlieue de Los Angeles. Jusqu’à 1 200 tonnes par jour s’écoulent ainsi, sans que les responsables soient en mesure d’y remédier. L’injection de boue pour sceller le puits ou encore le creusement d’une conduite dérivée pour réduire la pression – à peu près 200 fois celle de la pression atmosphérique – ont été vains. Seules l’aspiration et la capture du méthane pourraient permettre de résoudre ce problème plus rapidement. Cette fuite représente à ce jour l’une des plus importantes jamais observée.</p>
<p>Ce qui inquiète dans cette affaire, au-delà des conséquences néfastes sur la santé de la population locale, c’est l’impact éventuel sur le réchauffement global : le méthane, composant principal du gaz naturel, possède en effet une capacité considérablement plus élevée que le gaz carbonique à piéger la chaleur. Si une petite fuite n’a qu’un effet limité sur le climat, un accident tel que celui de Porter Ranch est susceptible de réduire à néant les progrès réalisés par la Californie dans sa lutte pour la réduction des gaz à effet de serre.</p>
<h2>La fracturation hydraulique en cause</h2>
<p>Et que dire si de telles fuites venaient à se multiplier dans un avenir où l’on aurait massivement recours au gaz naturel pour remplacer le charbon dans la production d’électricité ? Les États-Unis prévoient en effet une <a href="http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/08/03/le-charbon-au-c-ur-de-la-problematique-climatique-aux-etats-unis_4709903_3244.html">telle évolution</a>, s’appuyant sur leurs énormes ressources de gaz non conventionnel et la possibilité de les exploiter grâce à la technique de la <a href="http://www.arte.tv/fr/qu-est-ce-que-le-gaz-de-schiste-et-la-fracturation-hydraulique/7258938,CmC=7264280.html">fracturation hydraulique</a> _(fracking) _.</p>
<p>Dans la petite ville de Porter Ranch – nouvellement construite dans la vallée de San Fernando sur les contreforts des montagnes de San Bernardino, à seulement 40 km du centre de Los Angeles –, la Southern California Gas Company (SoCalGas) exploite d’énormes gisements de gaz naturel (avec 111 puits sur 1 500 ha), et ce en grande partie à l’aide de techniques liées au <em>fracking</em>. Elle stocke d’autre part dans ses anciens puits, pour une grande partie déjà exploités grâce à cette technique, le gaz dont elle n’a pas immédiatement besoin.</p>
<p>Des réserves de gaz naturel de millions de m<sup>3</sup> sont également stockées un peu partout en Californie : c’est l’ampleur de ce stockage qui inquiète le gouverneur Jerry Brown. En décrétant l’état d’urgence pour protéger les habitants de Porter Ranch, ce dernier a également prescrit une évaluation de la sécurité des puits de la région et exige désormais qu’ils soient inspectés régulièrement, tout particulièrement les plus anciens. Les habitants de l’État de Californie ne sont en général pas au courant de l’existence de tels puits de stockage dans leur voisinage.</p>
<h2>Des risques pour la santé et le climat</h2>
<p>Pour les habitants de Porter Ranch, cette fuite représente un danger sanitaire : d’abord à court terme, non pas tant à cause du méthane lui-même, mais bien des produits toxiques et odorants qu’on y ajoute pour permettre de détecter plus facilement les fuites, ou encore de ceux contenus dans le liquide utilisé pour la fracturation hydraulique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/108646/original/image-20160119-29762-anwabr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/108646/original/image-20160119-29762-anwabr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/108646/original/image-20160119-29762-anwabr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/108646/original/image-20160119-29762-anwabr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/108646/original/image-20160119-29762-anwabr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/108646/original/image-20160119-29762-anwabr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/108646/original/image-20160119-29762-anwabr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La petite ville californienne de Porter Ranch.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>À ce titre, le composant chimique le plus dangereux est probablement le benzène. Depuis le début de la fuite, l’analyse d’échantillons d’air a mis en évidence à plusieurs reprises des concentrations très élevées de ce composant, un produit carcinogène qui pourrait avoir un effet à long terme sur la santé, malgré les démentis de <a href="https://www.alisoupdates.com/main">SoCalGas</a>. Les effets les plus visibles – nausées, maux de tête, saignements de nez – ont d’ailleurs poussé la population à exiger que les responsables politiques fassent évacuer trois mille personnes environ.</p>
<p>L’autre enjeu de taille pour le futur concerne le climat. La quantité de méthane qui s’échappe – que l’on peut visualiser du ciel à l’aide de caméras infrarouges – semble avoir atteint des niveaux élevés en novembre pour ralentir à la mi-janvier. De par son ampleur, cette fuite n’est pas sans conséquence : l’effet de serre du méthane par molécule excède de beaucoup celui du gaz carbonique, lui conférant un potentiel d’impact climatique bien plus puissant que le CO<sub>2</sub>.</p>
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<h2>Accélération du réchauffement global</h2>
<p>Si l’on effectue une comparaison sur l’horizon temporel du CO<sub>2</sub> – généralement évalué à 100 ans –, le méthane a un pouvoir de réchauffement global (PRG) de 32 (estimé molécule par molécule). Mais le temps de résidence dans l’atmosphère du méthane est en fait nettement plus court, une douzaine d’années environ. Calculé à l’horizon de 20 ans et en tenant compte des interactions avec les aérosols et autres gaz, le PRG du méthane est alors de près de 100 ! Une augmentation de la concentration de méthane dans l’atmosphère provenant des activités liées à l’extraction (en tenant compte des fuites) ou au transport de gaz naturel a ainsi le potentiel d’accélérer le réchauffement global (en sus de l’échauffement dû au CO<sub>2</sub>) sur une période d’environ 10 à 15 ans suivant son émission.</p>
<p>Le méthane atmosphérique ne provient, bien sûr, pas seulement de la production de gaz naturel : d’autres sources entrent en jeu dans son bilan global, qu’elles soient naturelles ou anthropiques, dérivées d’organismes vivants, « biogéniques », ou pas. Les flux associés sont difficiles à mesurer et varient dans le temps. Les calculs les plus élaborés montrent que 70 % du méthane de l’atmosphère proviennent de sources biogéniques comme les marécages, la culture du riz, les élevages d’animaux domestiques, les décharges, les forêts et les océans. Dans la plupart de ces cas, le méthane est le résultat de la fermentation de macromolécules organiques par l’intermédiaire de bactéries, dites « méthanogènes ».</p>
<p>Par comparaison avec le CO<sub>2</sub>, qui est chimiquement inactif, le méthane réagit avec d’autres éléments présents dans l’atmosphère ce qui joue un rôle prépondérant sur son temps de résidence et donc son impact climatique. Le principal puits de méthane provient de son oxydation par le radical hydroxyle OH dans la troposphère, qui en élimine environ 85 % à l’échelle globale, le reste étant capté par les sols (par des processus de dépôts secs ou humides) et par l’oxydation par OH dans la stratosphère. Ces réactions chimiques font que l’estimation précise des taux de production et de disparition du méthane à l’échelle globale demeure relativement imprécise.</p>
<p>Malgré cette incertitude plus élevée que celle affectant le bilan de dioxyde de carbone, on a néanmoins aujourd’hui suffisamment d’informations pour conclure qu’à l’heure actuelle, les sources anthropiques de méthane dominent le bilan de la dernière décennie (~ 60 %) et que les émissions provenant de la production d’énergie et de l’extraction du gaz et du pétrole sont de l’ordre de 15 à 30 % des émissions totales, ces valeurs ne pouvant qu’augmenter avec une production accélérée de gaz naturel conventionnel et surtout de <a href="http://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences/environnement-developpement-durable/gaz-de-schiste_9782738130570.php">gaz de schiste</a> ).</p>
<h2>Une hausse des fuites à craindre</h2>
<p>Le gouvernement Obama, qui soutient l’utilisation du gaz naturel, a mis en place des mesures de protection pour limiter ce qu’on appelle le « <a href="http://www.wri.org/blog/2013/04/close-look-fugitive-methane-emissions-natural-gas">méthane fugitif</a> », celui qui s’échappe lors de la production et du transport du gaz aux utilisateurs. On se souciait jusqu’ici peu des fuites associées au stockage du gaz. En effet, tant qu’il n’en existe que très peu, leur rôle sur le climat demeure marginal. Mais dès lors que les puits vieillissent et perdent de leur étanchéité, des fuites considérables sont à craindre. Et avec la multiplication des puits, de grandes quantités de méthane pourraient s’échapper.</p>
<p>Considérant la forte croissance de la production de gaz naturel non conventionnel extraits des schistes prévue par l’Agence Internationale pour l’énergie, Exxon Mobile et BP, dans les prochaines <a href="http://www.aapg.org/publications/news/explorer/column/articleid/24633/long-range-outlook-for-oil-and-natural-gas">décennies</a>, il est statistiquement certain que des accidents vont survenir. La fuite de Porter Ranch présage peut-être ainsi d’une impossibilité de recourir au gaz aussi largement que l’avait prévu Washington pour tenter de contenir l’ampleur du changement climatique, tel que prévu par le récent <a href="https://theconversation.com/accord-de-paris-sur-le-climat-lambition-na-pas-ete-sacrifiee-52255">Accord climatique de Paris</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/53315/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Gautier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La grave fuite de méthane survenue en Californie interroge sur les limites de la transition énergétique engagée par le gouvernement Obama.Catherine Gautier, Professor Emerita of Geography, University of California, Santa BarbaraLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.