tag:theconversation.com,2011:/us/topics/gilets-jaunes-118981/articles« gilets jaunes » – The Conversation2023-09-13T19:52:41Ztag:theconversation.com,2011:article/2131102023-09-13T19:52:41Z2023-09-13T19:52:41ZComment le ressentiment nourrit le vote RN dans les zones rurales<p>La dernière élection présidentielle a réactivé des discussions sur l’existence de fondements géographiques à la fracture politique entre les Français. Il y aurait selon <a href="https://www.lepoint.fr/editos-du-point/jerome-fourquet-l-etat-de-la-france-d-apres-05-05-2022-2474389_32.php">certains acteurs du débat public</a>, une opposition entre la France des grandes métropoles d’un côté et la <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/france-espaces-ruraux-periurbains/cadrage">France de la périurbanité</a> et de la ruralité de l’autre.</p>
<p>Cette problématique est au cœur des réflexions de nombreux partis politiques aujourd’hui, <a href="https://www.liberation.fr/politique/pourquoi-la-gauche-na-pas-le-rural-au-beau-fixe-20230806_B6DRIUHD4RDGZHT3N4RWW4OPZM/?redirected=1">notamment au sein de la gauche</a>, comme en témoigne la <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/la-france-des-beaufs-le-ps-epingle-par-darmanin-pour-l-intitule-d-une-table-ronde-de-son-universite-d-ete-20230825">polémique suscitée</a> par l’intitulé de l’une des tables rondes organisées par le Parti socialiste (<a href="https://www.youtube.com/watch?v=NYQ3ppOFbiw">« La France périurbaine est-elle la France des beaufs ? »</a>).</p>
<p>De <a href="https://metropolitiques.eu/Une-opposition-politique-entre-les-grandes-agglomerations-et-le-reste-du.html">nombreuses études universitaires</a> montrent que le niveau de soutien pour le Rassemblement national (RN) est plus fort dans les territoires ruraux et périurbains que dans les grandes agglomérations, tandis qu’à l’inverse le niveau de soutien à LFI est bien plus faible sur ces territoires.</p>
<p>S’il existe un certain consensus sur ce constat descriptif – même si certains chercheurs dénoncent le caractère trop généralisant de ces catégories ou <a href="https://metropolitiques.eu/L-illusion-du-vote-bobo.html">nuancent l’ampleur</a> de la division –, il y a dissensus sur l’explication qu’on peut avancer pour rendre compte de ce phénomène. <a href="https://theconversation.com/zones-rurales-contre-zones-urbaines-deux-france-sopposent-elles-vraiment-dans-les-urnes-189609">Nous indiquions dans un précédent article</a> que ce soutien aux partis d’extrême droite n’était certainement pas réductible à la situation économique et sociale sur les territoires. Cet article pose que l’opposition entre les territoires ruraux et urbains comporte une dimension psychologique importante.</p>
<h2>La conscience rurale</h2>
<p>Les recherches en science politique à l’international mettent de plus en plus en évidence des facteurs de nature psychologique pour expliquer le comportement politique différencié des populations rurales. C’est le cas notamment des travaux qui mobilisent la grille d’analyse établie par la politiste Katherine Cramer pour saisir l’ascension politique d’un gouverneur <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/P/bo22879533.html">républicain populiste dans le Wisconsin</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’homme politique Scott Walker victorieux des élections primaires de septembre 2010 au Wisconsin, le 14 septembre 2010. Sa campagne très populiste a été documentée par la politiste Katherine Cramer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/b9/Scott_Walker_primary_victory_2010.jpg/1024px-Scott_Walker_primary_victory_2010.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Elle montre, en rendant compte des conversations entre les habitants, qu’il existe une véritable <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/american-political-science-review/article/abs/putting-inequality-in-its-place-rural-consciousness-and-the-power-of-perspective/A603EA36286F837AEB4F0CF250D4595A#">conscience rurale</a> basée sur l’identification sociale à un lieu de vie et un ressentiment vis-à-vis des habitants des zones urbaines qui revêt trois facettes.</p>
<p>Tout d’abord politique : les ruraux ont le sentiment que leurs préoccupations ne sont pas prises en compte par les dirigeants politiques et qu’ils sont insuffisamment représentés. Puis économique : ils ont l’impression d’être les derniers à bénéficier des ressources publiques. Enfin, culturelle : l’idée que leur mode de vie est radicalement différent de celui des urbains et qu’il est méprisé.</p>
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<p>Bien que le contexte américain soit différent à bien des égards, les concepts de Katherine Cramer nous semblent pertinents pour éclaircir le cas français pour deux raisons. D’une part, parce que les écarts de comportement électoral entre les ruraux et les urbains ne peuvent se résumer à la <a href="https://metropolitiques.eu/Une-opposition-politique-entre-les-grandes-agglomerations-et-le-reste-du.html">composition économique et sociale des territoires</a>. D’autre part, parce que des <a href="https://www.cairn.info/les-gars-du-coin--9782707160126.htm">travaux sociologiques</a> indiquent qu’il existe dans la <a href="https://theconversation.com/coq-maurice-et-autres-bruits-de-la-campagne-une-vision-fantasmee-de-la-ruralite-127241">ruralité</a> une forte identification au lieu de vie liée à l’appartenance des habitants à des réseaux d’interconnaissances localisés et qui se <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ceux_qui_restent-9782348044472">définissent en partie en opposition à d’autres groupes géographiques</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-r-comme-ruralite-159848">« Les mots de la science » : R comme ruralité</a>
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<h2>Un ressentiment géographique plus fort chez les ruraux</h2>
<p>Notre enquête par questionnaire pour le projet européen <a href="https://www.rudefrance.eu/">« Rural Urban Divide in Europe »</a> (RUDE) menée en France sur 4000 répondants en octobre 2022 fait apparaître un fossé géographique au niveau du ressentiment que les individus éprouvent vis-à-vis d’habitants d’autres zones géographiques.</p>
<p>La différence de niveau de ressentiment entre les ruraux et les urbains est particulièrement marquée en ce qui concerne le pouvoir politique. En effet, comme le montre la figure 1, 72 % des ruraux se sentent méprisés par les élites, contre près de moitié moins chez les urbains.</p>
<p>En outre, ce clivage est plus accentué encore sur la question de la représentation politique, puisque seulement 36 % des urbains pensent qu’il y a trop de députés ruraux qui ne représentent par les intérêts des habitants des zones urbaines, tandis qu’à l’inverse, 82 % des ruraux considèrent qu’il y a trop de députés issus des zones urbaines et qui ne représentent pas les intérêts des habitants qui vivent dans les zones rurales. Il est intéressant de noter que ce ressenti ne correspond pas à la représentativité effective des députés à l’Assemblée nationale où les <a href="https://journals.openedition.org/espacepolitique/7353">zones rurales sont plutôt surreprésentées</a>.</p>
<h2>La perception de l’allocation des ressources publiques creuse le fossé</h2>
<p>Toutefois, c’est la mesure du niveau de ressentiment vis-à-vis de l’allocation des ressources publiques qui constitue le fossé le plus important entre ruraux et urbains. Les habitants des zones rurales ont le sentiment, assez marqué, d’être moins bien dotés en ressources publiques par rapport aux autres zones géographiques. 85 % des ruraux pensent que le gouvernement dépense trop d’argent pour le développement des zones urbaines, alors que le développement des zones rurales serait laissé de côté. En revanche, seulement 23 % des urbains sont d’accord avec l’affirmation inverse, confirmant ainsi l’existence d’un sentiment particulièrement prononcé chez les ruraux d’être abandonnés par les pouvoirs publics.</p>
<p>Là aussi, ce ressenti contraste fortement avec la réalité objective. <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-etat-a-toujours-soutenu-ses-territoires-laurent-davezies/9782021451535">Les travaux de l’économiste Laurent Davezie</a> ont montré à plusieurs reprises que non seulement l’État investissait fortement dans ces territoires, mais qu’il y avait une forme de redistribution fiscale des habitants des grandes agglomérations vers les territoires ruraux. Enfin, ce clivage s’observe également concernant le ressentiment vis-à-vis des différences de mode de vie et valeurs selon les zones géographiques.</p>
<p>Pour le dire autrement, les habitants des zones rurales s’estiment en décalage et se sentent méprisés : 65 % des ruraux pensent que les personnes issues des zones urbaines ne respectent pas assez le mode de vie des personnes issues des zones rurales.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fractures-territoriales-et-sociales-portrait-dune-france-en-morceaux-112154">Fractures territoriales et sociales : portrait d’une France en morceaux</a>
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<h2>Un ressentiment géographique aux conséquences politiques lourdes</h2>
<p>L’ensemble de ces résultats rejoignent ceux du <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ceux_qui_restent-9782348044472">sociologue Benoît Coquard</a> qui concluait son enquête auprès de jeunes ruraux de l’Est en considérant qu’ils estimaient « ne pas compter aux yeux du pays, ou de ceux qui les gouvernent ». Il semble assez évident que ce ressentiment géographique asymétrique puisse influencer le vote des habitants de la ruralité.</p>
<p>D’autres données issues de l’enquête RUDE, présentées ci-dessous (cf. figure 2), nous donnent un aperçu de ces conséquences politiques. Les ruraux sont d’autant plus enclins à voter pour le « Rassemblement national » à une élection prochaine qu’ils éprouvent du ressentiment vis-à-vis des urbains.</p>
<p>En effet, le score du Rassemblement national est déjà plus élevé de 10 points de pourcentage chez les ruraux par rapport à la moyenne, mais de plus de 22 points chez les ruraux qui éprouvent un ressentiment géographique. Ainsi, s’il y avait une élection prochainement, les ruraux avec du ressentiment géographique voteraient deux fois moins que la moyenne nationale pour le parti « Renaissance », mais deux fois plus pour le « Rassemblement national ».</p>
<h2>Plusieurs constats</h2>
<p>Ces résultats nous invitent à poser plusieurs constats. Tout d’abord, il convient de souligner l’importance du contexte géographique pour rendre compte des représentations politiques des individus. Ensuite, de constater l’existence, à l’instar des États-Unis, d’une certaine forme de « conscience rurale », fondée sur une « politique du ressentiment ». Enfin, ces résultats conduisent à mettre en avant un écart important entre la réalité des inégalités territoriales et la perception qu’en ont les individus.</p>
<p>Les représentations qu’ont les individus des territoires où ils vivent, en comparaison avec les autres, jouent un rôle essentiel. Or, il est probable qu’elles soient en partie façonnées par les discours médiatiques et politiques. À cet égard, le RN <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/803581/vote-des-villes-vote-des-champs-quen-est-il-exactement/">a réussi à convaincre une partie des électeurs ruraux</a> qu’il était le parti d’une ruralité abandonnée et méprisée.</p>
<p>Face à cela, il convient pour les autres forces politiques de prendre en compte cette forme de « conscience rurale », fondée sur le ressentiment, pour construire un autre discours, qui ne soit ni misérabiliste, ni condescendant, et qui fasse sens vis-à-vis des représentations des habitants des zones rurales.</p>
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<p><em>Cet article a été co-rédigé avec Blaise Mouton, étudiant en Master à Sciences Po Grenoble.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213110/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kevin Brookes a reçu des financements de l'ANR "The rural-urban divide in Europe – RUDE" coordonnée par l'agence européenne NORFACE.</span></em></p>Les habitants des zones rurales se sentent méprisés sur les plans politiques, économique et culturel, une impression qui nourrit un vote de ressentiment.Kevin Brookes, Post-doctorant à Sciences Po Grenoble - Laboratoire PACTE, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2122922023-09-11T17:22:39Z2023-09-11T17:22:39ZDémocratie participative : une enquête inédite livre les enseignements du grand débat national<p>La plupart des démocraties occidentales connaissent aujourd’hui une défiance croissante à l’égard des élus et une participation électorale en berne. Pourtant, les citoyens expriment fréquemment leur volonté d’être davantage consultés et impliqués dans la prise de décision publique. On voit ainsi fleurir depuis quelques années de nouvelles formes de <a href="https://theconversation.com/comment-associer-citoyens-et-experts-aux-decisions-politiques-182338">démocratie participative</a>, comme des <a href="https://theconversation.com/reviser-la-constitution-par-referendum-la-pratique-peut-elle-contredire-le-texte-181425">référendums</a> locaux, des consultations publiques, des <a href="https://theconversation.com/a-paris-le-budget-participatif-est-un-outil-citoyen-surtout-tres-politique-129571">budgets participatifs</a>, des <a href="https://theconversation.com/convention-citoyenne-pour-le-climat-la-democratie-participative-vue-de-linterieur-141571">conventions citoyennes</a>, et bientôt peut-être un « préférundum » évoqué par le gouvernement.</p>
<p>Si de telles initiatives permettent à chacun d’exprimer ses opinions et ses préoccupations, la question de la représentation de l’ensemble de la population <a href="https://labo.societenumerique.gouv.fr/fr/articles/consultation-citoyenne-locale-en-ligne-quelle-repr%C3%A9sentations-des-publics-concern%C3%A9s/">est clairement posée</a>. Si certains groupes spécifiques se mobilisent particulièrement lors de ces consultations, alors le manque de diversité peut aboutir à une vision déformée des préférences de la population générale et porter au final préjudice au fonctionnement même de cette démocratie participative.</p>
<p><a href="https://rdcu.be/dlqvl">Dans une étude récente</a>, nous nous sommes interrogés sur les possibles limites de telles consultations citoyennes en termes de représentativité. L’expérience du grand débat national début 2019 apporte un éclairage original à cette question, par son caractère massif (près de 2 millions de Français se seraient exprimés durant cette période) et le contexte politique inédit et clivant du mouvement des « gilets jaunes ».</p>
<h2>Un grand débat lancé en plein mouvement des « gilets jaunes »</h2>
<p>Le mouvement des « gilets jaunes » a émergé mi-novembre 2018 avec des manifestations sur les ronds-points partout en France.</p>
<p>D’abord motivé par une hostilité aux taxes sur les carburants, au coût élevé de la vie et aux inégalités, le mouvement s’est ensuite élargi pour couvrir un ensemble de sujets liés à la justice sociale, fiscale ainsi qu’à la <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-quelle-democratie-veulent-ils-170146">démocratie</a>. En réponse aux épisodes de violence début décembre 2018, le président Macron a décidé de mettre en place un grand débat national.</p>
<p>En complément de <a href="https://theconversation.com/pouvoir-vivre-dignement-une-doleance-absente-de-la-campagne-presidentielle-180259">cahiers de doléances</a> dans les mairies et de réunions publiques locales ayant réuni près de 500 000 participants, la création d’une plate-forme numérique (<a href="https://granddebat.fr/">granddebat.fr</a>) ouverte de mi-janvier à mi-mars 2019 a permis d’interroger les Français sur quatre thématiques : la transition écologique, les impôts et les dépenses publiques, la démocratie et la citoyenneté, et enfin l’organisation de l’État et des services publics.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lecriture-expression-privilegiee-du-citoyen-en-colere-126471">L’écriture, expression privilégiée du citoyen en colère</a>
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<p>Cette consultation en ligne a connu un succès historique puisque plus de 400 000 participants ont répondu à au moins une des questions fermées posées sur la plate-forme, et plus de 275 000 à l’ensemble des questions.</p>
<p>Sa représentativité reste en revanche une énigme, les répondants au grand débat n’ayant été interrogés sur aucune de leurs caractéristiques (sexe, âge, catégorie sociale ou opinion politique par exemple). Personne ne sait donc si ces 400 000 répondants étaient plutôt jeunes ou vieux, cadres ou ouvriers, ou encore pro ou anti « gilets jaunes ». Tout juste a-t-on pu constater que les codes postaux les plus représentés sur <a href="https://granddebat.fr/">granddebat.fr</a> correspondaient à des <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/04/12/grand-debat-les-participants-representent-une-france-aisee-eduquee-proche-de-l-electorat-de-macron_5449567_3232.html">zones plutôt riches et ayant particulièrement voté pour Emmanuel Macron en 2017</a>.</p>
<h2>Qui étaient les 400 000 participants numériques au grand débat ?</h2>
<p>La question de savoir qui sont les participants au grand débat est centrale pour en tirer des conclusions pertinentes, surtout dans le contexte de crise politique des « gilets jaunes ». Les manifestants se sont-ils beaucoup exprimés sur la plate-forme gouvernementale ? Ou bien celle-ci a-t-elle surtout attiré une France favorable au gouvernement et opposée au mouvement ?</p>
<p>Pour le savoir, nous avons tiré profit d’une application Facebook indépendante du gouvernement, dénommée <a href="https://www.entendrelafrance.fr/">Entendre La France</a>, qui posait 14 questions identiques à celles du grand débat. Les utilisateurs pouvaient également y indiquer leur sexe, leur âge, leur diplôme, ainsi que leur soutien ou non au mouvement des « gilets jaunes ». Au total, plus de 15 000 personnes ont répondu à au moins une question sur l’application et 4 500 à l’ensemble des questions.</p>
<p>La combinaison de ces deux sources de données permet de mieux cerner les participants au grand débat. En comparant statistiquement les réponses données aux mêmes questions par les utilisateurs d’<a href="https://www.entendrelafrance.fr/">Entendre La France</a> sur Facebook (dont on connait le soutien ou l’opposition aux « gilets jaunes ») et ceux ayant répondu sur la plate-forme officielle grand débat (dont on ne connait aucune caractéristique individuelle), il est possible de déduire ou prédire le profil de ces derniers et en particulier leur soutien ou leur opposition au mouvement des « gilets jaunes ».</p>
<p>Sur la base de modèles prédictifs, nous parvenons à un résultat principal. Alors que 62 % des répondants sur Facebook disaient soutenir le mouvement des « gilets jaunes » et que le taux de soutien dans la population en général était de 52 % selon plusieurs enquêtes d’opinion durant cette période, nos estimations principales suggèrent que le taux de soutien n’était que de 39 % chez les participants sur la <a href="https://granddebat.fr/">plate-forme officielle</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-le-referendum-dinitiative-populaire-la-solution-108355">Débat : Le référendum d’initiative populaire, la solution ?</a>
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<p>Cet écart dans le soutien au mouvement des « gilets jaunes », avec une différence de 13 points entre les usagers de la plate-forme officielle et l’ensemble de la population française (39 % contre 52 %), est loin d’être anecdotique. Concrètement, cela signifie que les personnes hostiles au mouvement des « gilets jaunes » avaient une probabilité plus élevée de 67 % de contribuer à la plate-forme gouvernementale que celles soutenant le mouvement. Autrement dit, les anti « gilets jaunes » se sont beaucoup plus exprimés que les pro « gilets jaunes » pendant le grand débat. Cette autosélection des participants a donc nécessairement impacté les enseignements qui pouvaient être tirés de cette consultation massive.</p>
<p>Bien sûr, notre étude explore en détail les principaux biais méthodologiques pouvant altérer nos résultats. Par exemple, le fait que les usagers de Facebook soient plutôt jeunes (et selon toute vraisemblance plus jeune que ceux sur <a href="https://granddebat.fr/">la plate-forme officielle</a>) pourrait potentiellement perturber nos estimations. Dans les faits, la correction de tels biais liés à l’âge, le diplôme ou d’autres caractéristiques (par des techniques de repondération et de simulation) n’a que très peu d’impact sur notre résultat principal : il y a bien eu une mobilisation très inégale des Français sur la plate-forme officielle du grand débat, en fonction de leur soutien ou non au mouvement des « gilets jaunes ». Au final, on estime qu’entre 39 % et 45 % des quelque 400 000 participants numériques au grand débat soutenaient le mouvement, soit 7 à 13 points de moins que dans la population française en général à la même époque.</p>
<h2>Quelles leçons en tirer ?</h2>
<p>Notre étude ne permet pas de savoir si cette autosélection des participants relevait plutôt d’un boycott de la plate-forme officielle par les « gilets jaunes » (ils avaient d’ailleurs créé <a href="https://levraidebat.org/">leur plate-forme autonome</a>) ou bien d’une mobilisation particulièrement forte des opposants au mouvement. Quoi qu’il en soit, nos résultats montrent qu’une initiative de démocratie participative a priori très réussie d’un point de vue quantitatif peut en réalité aboutir à une vision biaisée de l’opinion publique dans son ensemble.</p>
<p>Or cette déformation peut avoir des conséquences très concrètes sur les enseignements qui sont tirés par les décideurs publics. Dans le cas présent, elle a pu influencer ou justifier certaines annonces d’Emmanuel Macron et Edouard Philippe au moment de la restitution du grand débat, qu’il s’agisse notamment de la forte baisse de l’impôt sur le revenu ou des propositions qui ont été écartées (la reconnaissance du vote blanc ou le référendum d’initiative citoyenne par exemple).</p>
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<p>De telles décisions politiques, prises de manière unilatérale ou en se basant sur une loupe déformante, peuvent nourrir un sentiment de défiance et une volonté de désengagement de la part des citoyens. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit lors de la deuxième grande initiative de démocratie participative de la Présidence d’Emmanuel Macron, la <a href="https://theconversation.com/convention-citoyenne-pour-le-climat-un-modele-democratique-prometteur-au-mandat-flou-127145">Convention Citoyenne pour le Climat</a>.</p>
<p>Lancée en avril 2019 à la suite du grand débat, cette convention reposait cette fois sur les discussions et délibérations d’un panel représentatif de 150 citoyens tirés au sort. Néanmoins, malgré la qualité de ce dispositif et des travaux de la convention, plusieurs propositions emblématiques des « 150 » furent écartées par le Gouvernement sans même attendre le débat parlementaire, suscitant un sentiment de gâchis et de trahison…</p>
<p>Au final, ce sont donc la représentativité des participants, puis la traduction politique des opinions exprimées qui constituent les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/04/04/les-espoirs-decus-de-la-democratie-participative_6120421_3232.html">deux enjeux cruciaux d’une démocratie participative véritablement légitime et efficace</a>. Sans forcément toujours passer par un tirage au sort, une bonne pratique facile à mettre en place consisterait à demander aux répondants de renseigner systématiquement leurs caractéristiques sociodémographiques, voire leur orientation politique. Cela permettrait de savoir rapidement si une consultation citoyenne donne une vision plutôt fidèle ou au contraire déformée de l’opinion des citoyens dans leur ensemble.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212292/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benjamin Monnery a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>François-Charles Wolff ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Résultats d’une étude récente portant sur le grand débat national et les limites des consultations citoyennes en termes de représentativité.Benjamin Monnery, Maître de conférences en économie, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresFrançois-Charles Wolff, Professeur en sciences économiques, IAE Nantes, IAE NantesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2012682023-04-10T19:24:57Z2023-04-10T19:24:57ZLa transition écologique mérite un nouveau contrat social<p>L’Europe subit depuis 2021 des chocs douloureux sur les prix des énergies qui résultent du cumul de plusieurs facteurs : la reprise de l’activité économique après la crise du Covid-19, la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/ukraine-21219">guerre en Ukraine</a> qui a contraint les approvisionnements en gaz et en pétrole, les effets de ce conflit sur le marché européen de l’électricité.</p>
<p>Ce contexte d’énergie rare et chère est douloureux, mais il donne un signal politique et économique fort : il souligne l’importance de diversifier les approvisionnements pour assurer notre sécurité énergétique et l’intérêt d’une sobriété pour réduire nos besoins. Ces efforts feront baisser les factures et préserveront nos capacités d’investissement ; mais elles feront aussi refluer les prix des énergies fossiles, au risque de relâcher les efforts de transformation profonde de nos modes de production, de consommation et de vie, nécessaires pour atteindre nos objectifs climatiques.</p>
<p>Aujourd’hui, comment maintenir ce signal politique et économique fort, d’une manière équitable et économiquement viable ?</p>
<h2>La crise des « gilets jaunes » comme déclencheur</h2>
<p>Avant la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/gilets-jaunes-118981">révolte des « gilets jaunes » (2018)</a>, qui a mené au gel de la taxe carbone, c’est la progression de la fiscalité énergétique qui devait jouer ce rôle de signal. </p>
<p>Cette politique était prise isolément et considérée comme un sujet plutôt technique : sa valeur était déterminée par les experts, ses modalités instaurées par l’administration, sa hausse votée par les parlementaires. </p>
<p>L’épisode des « gilets jaunes » a mis en lumière les limites de cette approche : la valeur du carbone, qui renchérit les énergies fossiles et nous incite à réduire nos consommations, rénover, acheter de nouveaux équipements, restructurer nos systèmes productifs et respecter les nouvelles normes et obligations, a de très larges implications économiques, sociales et politiques. Ces dernières doivent être envisagées et débattues collectivement. </p>
<p>Rappelons que par « valeur du carbone », on entend la valeur que l’économie et notre société donnent aux actions mises en œuvre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, notamment via les taxes, subventions, quotas, normes et réglementations, etc.). </p>
<h2>Diagnostiquer les difficultés et les solutions</h2>
<p>Pour trouver des réponses plus complètes à ces difficultés, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) a organisé tout au long de l’année 2021 une série de séminaires sur les conditions sociales, économiques, juridiques et politiques qui permettraient d’instituer une valeur croissante et équitable du carbone. </p>
<p>Ce travail collectif, qui a impliqué plus d’une trentaine d’intervenants et de 250 participants, vise à offrir un diagnostic partagé des difficultés, des pistes de solution, des arbitrages principaux et des voies de compromis possibles entre nos objectifs sociaux, économiques et écologiques. </p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/514170/original/file-20230308-22-br0g6b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Page récapitulant les différents objectifs proposés par la note de l’Ademe" src="https://images.theconversation.com/files/514170/original/file-20230308-22-br0g6b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514170/original/file-20230308-22-br0g6b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514170/original/file-20230308-22-br0g6b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514170/original/file-20230308-22-br0g6b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514170/original/file-20230308-22-br0g6b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514170/original/file-20230308-22-br0g6b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514170/original/file-20230308-22-br0g6b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://librairie.ademe.fr/cadic/7230/contrat-social-de-transition-2022-011883.pdf?modal_token=c57097e30ad5b36407f75b5be8698aa5&modal=true&cookies_allowed=true&g-recaptcha-response=&open=&firstname=jennifer&lastname=gall%C3%A9&email=jennifer.galle%40theconversation.fr&rgpd=on&newsletter=1&submitted=1&g-recaptcha-response=03AFY_a8X60eh4N1MsXz-OyvLKif-oreubYdKyyyZIqehCcF9gbmbnfZxKVaARtzcRyKaZ92jMs5esSOC3xv2ya5DFBCmevfx0Cme2IUdUWFmif6Uz9lK63H7Ph9LIpv1S7yUfGluHwE51pdqxVVbyl6VMiI1zZqB1e7KEMiMtwSgEFXunEIEA-uHm0dFQIIkIKX-uLz2oWW91Zr5IIXCTtMJrHaH4i5wXOGCv2_aX9ewnGzUGfl9aTeH6S4uzKQG4kzj8o59b2haJUBCWa4wzBJ3p9fm_uI7YfWmCBrtVUoRvzJHwYWiSAag5TkMqg5so1HNuKldPviyyftQnOl8QsG-_VnQPTSJ_l4Nq1GjxfUdMuWMluH3qZW-0vtbSl3BgI-QhybiJSCg-xSGofojnx8qXT8wDhGDDN3QNhIU5lr1HVjJuNlrfadCDEzx5_4o5EFsN2m4eSnpK63USY8cvfb4mbbrfdSuWG7SQ6GFDo6gPSQA2MP31tOaMi7E7n9KCqXnuxT-plJX1gcDoNw97-XoSz_UOOdjbP5BZa7p5aBOQtn2D8XJHcRMHESX5Tg56L4l5tMZOlVkkIP43HElFDBIDZjvkMedSVH0SuFKEVrBN9xSLpvhdRYBUTB8RS4MMabxneptIMUYRvs0n6-zxguP3o0CQKN9eYV3ygkkwWDXO8EKycOwSyzUit3si1gl98mUwFqZNbqlfcRDDngpg3XJmuPYzprLIJKMyul5n15bZPftEvWUb5ep94D3cehskT3I3rlCiD6m7uiOTBHJw_2XG_A7pqsRvNYID9LPfcXyJvkjc8wqOybvH3KXenff-yjk5OYO9w_Zaigfx7dC3UTf2iF5pRdbtISzUPdZYNnXgcxLpY36PUG6MgF6V8FwOe1Wxs2DQwIWdxn217mCOFxui7fTJoxF3hD-uAEKCWv9Q4WY_dBPV3QoTah-G1HHuyvmV6cX9Q6rrFQXAVOcBVbLptEWetjM8PkUd1bymaO-4KswqDtS3mvCi5b3SeNmvCEo8F03Tbs1p-Na9LX-3wU368NddYC_aWtjLtC2NAEiPiSSkCa8q-ywtwqUitmWBezC105MvwSZrwaRHzfZFH4f1lBiXNqR_xiqT9Cq-9kxVp_CQdggHvHELq_KkHsFQc3Vz2XPOXB8zUa9MkswV6_JM8b_cmFBQ9WBQTykqJoSz_8pA58yiEU_WOw73BY5wdAD3GXDNOQtSM8U4n3rC6MFCFjMgFM83gEfGlnPZHUSgEglNI41Oaq-aRDw5IIXpuCEFQ_MVIVDTmiaJ7lS88PQ_hjA4OF7LEA">Ademe</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Résultat de ces consultations, le document <a href="https://librairie.ademe.fr/cadic/7230/contrat-social-de-transition-2022-011883.pdf">« Pour un contrat social de transition. Propositions pour une réforme équitable de la valeur du carbone »</a> propose 4 principes et 10 recommandations pour construire une politique cohérente de conciliation de ces objectifs. Ces propositions se fondent sur une <a href="https://librairie.ademe.fr/cadic/7230/valeur-carbone-equitable_202207.pdf">revue approfondie de la littérature disponible et un rapport d’analyse détaillée</a>. </p>
<p>Plusieurs enjeux ressortent de ce diagnostic.</p>
<h2>La valeur du carbone doit progresser</h2>
<p>Le premier enjeu concerne la nécessité de faire progresser la valeur du carbone. Si, sur une longue période, les énergies fossiles bon marché ont permis une démocratisation de services énergétiques, elles ont construit nos dépendances actuelles. Et il serait contre-productif de maintenir artificiellement des prix bas.</p>
<p>Depuis les années 1960, le prix réel des carburants et la fiscalité des énergies fossiles sont en effet <a href="https://www.cfdt.fr/upload/docs/application/pdf/2012-12/etude_22economie_dune_fiscalite_carbone_en_france22_139_p_-_14_mo.pdf">restés globalement stables</a>, alors même que l’efficacité énergétique des véhicules s’est fortement améliorée. </p>
<p>Une heure de travail au smic suffit aujourd’hui à financer l’essence pour parcourir 100 km. Il en fallait six en 1960. En revanche, un logement ancien en centre-ville coûte aujourd’hui <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0301421513003534">sept fois plus cher qu’alors</a>. </p>
<p>La baisse du prix de la mobilité, longtemps vécue comme un progrès social, est devenue un piège pour les populations dépendant fortement de l’automobile, pour la qualité de l’air et pour le climat. Un piège pour ceux qui ont des horaires atypiques, qui vivent hors des centres-villes ; pour les agriculteurs, les routiers, les pêcheurs, dont le mode de vie repose encore sur l’usage quotidien des énergies fossiles.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251479/original/file-20181219-27755-mz2jma.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C880%2C582&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251479/original/file-20181219-27755-mz2jma.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251479/original/file-20181219-27755-mz2jma.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251479/original/file-20181219-27755-mz2jma.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251479/original/file-20181219-27755-mz2jma.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251479/original/file-20181219-27755-mz2jma.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251479/original/file-20181219-27755-mz2jma.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En 2015, 35,7 % des ménages français possédaient deux voitures ou plus.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.afpforum.com/AFPForum/Search/Results.aspx?pn=1&smd=1&mui=1&q=4784496777492216495_0">Damien Meyer/AFP</a></span>
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<h2>Payer la rente des pays exportateurs d’énergies fossiles</h2>
<p>Une faible valeur du carbone coûte cher aussi au plan macroéconomique et pour les finances publiques. La facture des importations d’énergie fossile est élevée et les subventions pour limiter les hausses de prix importantes.</p>
<p>La facture énergétique extérieure a ainsi plus que doublé, passant de 45 milliards d’euros en moyenne avant 2021 à <a href="https://lekiosque.finances.gouv.fr/fichiers/Etudes/Thematiques/A2022.pdf">plus de 100 milliards en 2022</a>. </p>
<p>La part des revenus des Français qui a été consacrée à payer la rente des pays exportateurs avait déjà <a href="https://ec.europa.eu/economy_finance/publications/occasional_paper/2013/pdf/ocp136_en.pdf">pratiquement doublé lors de la première décennie 2000</a>. Le « bouclier tarifaire », qui a pour objectif de limiter l’augmentation des prix de l’énergie pour les consommateurs français, coûtera de l’ordre de <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0273_projet-loi">45 milliards de fonds publics en 2023, soit 1,7 point de PIB, après avoir coûté près de 35 milliards en 2022</a>. Au total, ce sont autant de milliards d’argent public qui ne sont plus disponibles pour consommer, investir, financer la transition écologique ou notre protection sociale. </p>
<p>Pour rappel, le rapport <a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2019-rapport-la-valeur-de-laction-pour-le-climat_0.pdf">Quinet (2019)</a> estimait que la valeur du carbone (exprimée en euros par tonne de CO<sub>2</sub>) devrait progresser à environ 250 € en 2030, 500 € en 2040, 800 € en 2050, pour pouvoir atteindre l’objectif de neutralité carbone. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-hausse-du-prix-du-quota-de-co-une-arme-anti-charbon-200774">La hausse du prix du quota de CO₂, une arme anti-charbon</a>
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<hr>
<h2>Des politiques de conciliation</h2>
<p>Quelle que soit la combinaison de taxes, normes et obligations à instaurer, il s’agit de l’ordre de grandeur des coûts que les entreprises, ménages et administrations publiques devront assumer pour réduire les émissions et financer les investissements nécessaires. Pour toutes ces raisons, la discussion doit porter sur la façon, la moins coûteuse socialement et économiquement, de relever la valeur du carbone.</p>
<p>Les politiques publiques à privilégier sont donc celles qui suppriment progressivement les subventions aux énergies fossiles et renforcent la valeur du carbone, tout en conciliant ces objectifs avec ceux de protection des ménages et des entreprises vulnérables, de financement des alternatives bas carbone, de maîtrise des coûts de production, de l’inflation et des déficits.</p>
<p>Trois sujets majeurs de négociation se trouvent au cœur de ces « politiques de conciliation ».</p>
<h2>Considérer l’ensemble des finances publiques</h2>
<p>Un bon équilibre doit être trouvé entre des ressources nouvelles – apportées par les hausses de fiscalité environnementale, les baisses de dépenses fiscales et budgétaires défavorables à l’environnement –, et des besoins en dépenses nouvelles. </p>
<p>Dans ce cadre, se limiter à considérer la fiscalité environnementale et l’usage de ses recettes n’est pas suffisant. Par exemple, une augmentation de 18 €/an de fiscalité carbone dès 2023 pour atteindre 230 €/tCO2 en 2030 rapporterait environ 5 milliards de plus par an, ce qui est insuffisant pour financer l’ensemble des dépenses nouvelles. </p>
<p>Le Think Tank I4CE estime que le supplément d’investissements publics nécessaires pour atteindre les objectifs de la deuxième stratégie nationale bas carbone serait de l’ordre de <a href="https://www.i4ce.org/wp-content/uploads/2022/10/Panorama-des-financements-climat-edition-2022_au-16-12-22.pdf">24 milliards de plus d’ici à 2030</a>. </p>
<p>Les recettes d’une hausse (encore hypothétique) de fiscalité carbone ne seront donc pas suffisantes pour accompagner cet effort d’investissement tout en finançant également les mesures pour maîtriser les coûts de production et accompagner les plus vulnérables. Les marges de manœuvre budgétaires sont par ailleurs dépendantes d’objectifs plus globaux sur l’évolution des finances publiques. </p>
<h2>Accompagner les plus vulnérables</h2>
<p>Un équilibre doit aussi être trouvé entre des aides attribuées de façon large, qui ont un coût budgétaire important et génèrent des effets d’aubaine, et des aides très ciblées, qui augmentent le coût de gestion et risquent de manquer certains publics.</p>
<p>Il s’agit d’envisager un dispositif de gestion décentralisée des aides, avec les collectivités et les partenaires sociaux, qui privilégierait le ciblage des ménages vulnérables qui ne disposent pas encore d’alternative à l’usage des énergies fossiles. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/146762/original/image-20161121-4515-pslgre.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/146762/original/image-20161121-4515-pslgre.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/146762/original/image-20161121-4515-pslgre.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/146762/original/image-20161121-4515-pslgre.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/146762/original/image-20161121-4515-pslgre.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/146762/original/image-20161121-4515-pslgre.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/146762/original/image-20161121-4515-pslgre.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les familles monoparentales sont durement touchées par la précarité énergétique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/download/confirm/93831778?src=fGsTSUZsYrh84xkXqKmNuQ-2-28&id=93831778&size=huge_jpg">Shutterstock</a></span>
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</figure>
<p>L’analyse conduite par l’Ademe montre que le niveau de vulnérabilité ne recoupe que partiellement le niveau de richesse. À titre d’exemple, un quart des ménages qui se trouvent parmi les 10 % les plus pauvres <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/3-169OFCE.pdf">émettent plus d’énergies fossiles</a> qu’un quart des ménages qui se trouvent parmi les 10 % les plus riches. Parmi les 10 % les plus pauvres, la dépense additionnelle due à la hausse de taxe carbone et le rattrapage de la fiscalité du diesel en 2018 ont été pratiquement nuls pour les 10 % les moins consommateurs d’énergies fossiles, tandis que les 10 % qui en consommaient le plus ont dû <a href="https://www.iaee.org/en/publications/ejarticle.aspx?id=3509">faire face en moyenne à une dépense additionnelle de 227€</a>. </p>
<p>Il existe en effet des situations très hétérogènes en fonction des localisations, des types d’habitats et des systèmes de chauffage, sans que quelques variables suffisent à résumer cette vulnérabilité. Pourtant, les systèmes d’aides existants (chèque énergie, prime à la reconversion des véhicules, prêts à taux zéro, etc.) sont aujourd’hui différenciés uniquement selon le critère de niveau de revenu. </p>
<p>Il s’agit là d’un sujet majeur pour améliorer l’équité et la possibilité de faire progresser la valeur du carbone.</p>
<h2>Lever les exonérations et dérogations aux régulations environnementales</h2>
<p>De nombreux secteurs d’activité professionnelle bénéficient aujourd’hui de taux réduits et de remboursements partiels de fiscalité environnementale (aviation, pêche, routiers, agriculture…), ou de quotas gratuits pour les installations soumises au marché européen de quotas échangeables (industries grandes consommatrices d’énergie). </p>
<p>Ces régimes dérogatoires sont appliqués pour préserver la compétitivité de ces secteurs, par exemple du fait de leur exposition à la concurrence internationale. Les dépenses fiscales défavorables à l’environnement étaient ainsi évaluées à <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/286776-le-bouclier-energetique-degrade-limpact-environnemental-du-budget-2023#:%7E:text=Budget%20vert%20%3A%20augmentation%20des%20d%C3%A9penses%20d%C3%A9favorables%20%C3%A0%20l%E2%80%99environnement%20pour%202023,-Soci%C3%A9t%C3%A9&text=Les%20d%C3%A9penses%20de%20l%E2%80%99%C3%89tat,milliards%20explique%20cette%20forte%20hausse.">19,6 milliards d’euros en 2023</a>..</p>
<p>L’évolution des régimes dérogatoires ne devra pas accroître la difficulté des entreprises et branches qui sont particulièrement vulnérables économiquement et qui ne disposent pas d’alternatives à l’usage des énergies fossiles à court terme (industrie, agriculture et pêche, transport routier, etc.). </p>
<p>Qu’elle soit initiée au niveau national ou européen, la levée progressive de ces régimes demandera des négociations ciblées de contrats d’engagement et de protection entre l’État et les branches professionnelles. Ces négociations devront porter sur l’ensemble de la fiscalité et sur les obligations auxquelles sont soumis ces secteurs d’activité, mais aussi sur les aides publiques dont ils bénéficient.</p>
<h2>Vers un processus intégré</h2>
<p>Outre la volonté d’ouvrir rapidement des négociations élargies sur l’ensemble des enjeux soulevés ici, la construction d’une politique de conciliation nécessitera un processus de pilotage et d’évaluation pluriannuel et pérenne. </p>
<p>Il ne s’agit en effet pas de créer un énième processus parallèle ni une nouvelle institution, mais plutôt d’inclure la question de la conciliation des enjeux dans l’ensemble des processus de politiques générales : la gouvernance des finances publiques, les négociations de contrats entre États et régions, mais aussi entre État et branches d’activité professionnelle. </p>
<p>Les arbitrages et les compromis réalisés dans ce cadre devront être partagés de façon transparente avec les parties prenantes et le grand public. Il ne s’agit rien de moins que d’assurer non seulement l’équité et l’efficacité de l’action publique, mais également sa lisibilité et sa crédibilité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201268/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Quelles sont les conditions sociales, économiques, juridiques et politiques qui permettraient d’instituer une valeur croissante et équitable du carbone en France ?Emmanuel Combet, Docteur en économie (Phd), Sénior économiste à l'Ademe, Chercheur associé à la Chaire Energie et Prospérité, Ademe (Agence de la transition écologique)Patrick Jolivet, Directeur des études socio-économiques, Ademe (Agence de la transition écologique)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1928932023-03-07T18:21:17Z2023-03-07T18:21:17ZRedistribution des richesses : quand mobilisation contre la réforme des retraites et « gilets jaunes » se rejoignent<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/509209/original/file-20230209-14-1wycav.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C4%2C988%2C658&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En creux, les manifestants d’aujourd'hui contre la réforme des retraites rappellent aussi les revendications initiées par les « gilets jaunes» .
Les Gilets Jaunes, Acte 62 Bordeaux, 2020.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/patrice_calatayu/49405531306/">Patrice Calatayu,/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le mouvement social d’opposition à la réforme des retraites qui rassemble un grand nombre de personnes et reçoit un fort soutien de l’opinion, rappelle, certes, la capacité des organisations syndicales à mobiliser mais aussi que la revendication salariale et le travail constituent encore un sujet de mobilisation collective.</p>
<p>Longtemps escamotée dans le débat public, elle concerne aussi bien les salaires sous leur forme de rémunération que les pensions de retraites liées aux contributions sociales.</p>
<p>Le conflit social qui a touché les <a href="https://www.lexpress.fr/economie/carburant-les-raffineries-de-france-en-greve_1795017.html">raffineries et plates-formes pétrolières</a> au mois d’octobre 2022 a mis en lumière la persistance de la question salariale dans la conflictualité sociale. La répartition des fruits du travail et des profits était <a href="https://snjcgt.fr/wp-content/uploads/sites/11/2022/10/CGT-Industries-petrolieres-La-re%CC%81alite-salariale-11-oct.-2022.pdf">au cœur de la contestation</a>. Ce phénomène n’est pas nouveau mais l’absence de redistribution aux travailleuses et travailleurs des <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/10/27/totalenergies-annonce-un-benefice-de-6-6-milliards-de-dollars-au-troisieme-trimestre-2022_6147526_3234.htm">bénéfices records du groupe</a>, au moment où l’inflation ronge la capacité des ménages à subvenir à leurs besoins élémentaires, suscite un sentiment d’injustice.</p>
<p>C’est l’un des points essentiels qui cimente l’opposition au projet de loi sur les retraites. C’est aussi l’un des points qui avait entraîné le mouvement des « gilets jaunes » mais dans un cadre bien différent.</p>
<h2>Un mécontentement commun mais des approches différentes</h2>
<p>Dans le contexte des dernières semaines, les syndicats ont montré leur capacité à initier et encadrer la <a href="https://theconversation.com/les-syndicats-peuvent-ils-encore-peser-dans-les-mouvements-sociaux-190802">conflictualité sociale</a>, les uns privilégiant le compromis avec la direction, les autres la défense des revendications salariales.</p>
<p>Le temps semble loin de la mobilisation « spontanée » des « gilets jaunes », en dehors des organisations syndicales, <a href="https://laviedesidees.fr/Syndicalisme-et-gilets-jaunes.html;https://books.openedition.org/pul/48271">qui ont suivi et accompagné</a> – plus qu’ils ne l’ont initié – la contestation des projets de loi sur les retraites de 2019-2020 et 2023.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/MuHPtf6kLt0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Tours : Les « gilets jaunes », le retour ? (Nouvelle République, 14 janvier 2023).</span></figcaption>
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<p>Aujourd’hui, les « gilets jaunes », <a href="https://reporterre.net/Reforme-des-retraites-et-ecologie-les-Gilets-jaunes-font-leur-rentree">qui ont poursuivi leur mobilisation</a> depuis novembre 2018, relaient les conflits sociaux sur les salaires et les retraites sur les réseaux sociaux et sur les ronds-points. Leur présence sur les blocages, en manifestation et plus occasionnellement sur les ronds-points à l’automne et l’hiver 2022-2023, reconfigure les relations.</p>
<p>Certains étaient ainsi aux côtés des syndicalistes lors de la journée d’action du 18 octobre 2022 pour demander une juste répartition des fruits du travail entre les salariés et les actionnaires. D’autres ont appelé à prendre part aux blocages des raffineries, <a href="https://www.vivre-villes.fr/lyon/economie-actualite-lyon/2023/02/01/reforme-des-retraites-greve-tres-suivie-a-la-raffinerie-de-feyzin-hier-mardi-31-janvier-un-mouvement-destine-a-durer/">comme à Feyzin</a> (Rhône).</p>
<h2>Des syndicats tenus à distance</h2>
<p>Nous avons analysé les données issues d’un questionnaire passé durant les six premiers mois des « gilets jaunes » de novembre 2018 à mars 2019. Bien que ces données comportent des limites, elles sont significatives de la diversité des personnes engagées, de leurs parcours et valeurs durant la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2019-5-page-869.htm">phase la plus intense</a> du mouvement social.</p>
<p>L’étude de la base de questionnaires permet d’apporter quelques éclairages sur la composition du mouvement et la présence de personnes ayant adhéré ou adhérente à un syndicat.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-candidats-pro-ric-favoris-des-gilets-jaunes-182821">Les candidats pro-RIC, favoris des « gilets jaunes »</a>
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<p>Malgré la surreprésentation de personnes syndiquées ou l’ayant été dans le mouvement des « gilets jaunes », les organisations syndicales sont tenues à distance, notamment pour des raisons liées à leur prise de position jugée défavorable au mouvement social.</p>
<p>Le secrétaire général de la Confédération générale du travail, Philippe Martinez, avait ainsi déclaré le <a href="https://www.letelegramme.fr/bretagne/p-martinez-la-cgt-ne-defile-ni-avec-l-extreme-droite-ni-avec-les-patrons-video-16-11-2018-12135916.php">16 novembre 2018</a> :</p>
<blockquote>
<p>« On ne défile ni avec les gens d’extrême droite ni avec des patrons, qui, quand ils parlent de taxes, parlent aussi de cotisations sociales et autres droits sociaux »</p>
</blockquote>
<p>Ces paroles coïncident aussi avec des <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/12/06/gilets-jaunes-les-syndicats-a-mots-prudents_1696465/">expériences mitigées</a> de l’engagement syndical chez les « gilets jaunes ». Certains reprochent le manque de combativité ou de soutien des syndicats, d’autres redoutent d’être phagocytés par ces organisations.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/508352/original/file-20230206-19-uiqrbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508352/original/file-20230206-19-uiqrbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508352/original/file-20230206-19-uiqrbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508352/original/file-20230206-19-uiqrbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508352/original/file-20230206-19-uiqrbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508352/original/file-20230206-19-uiqrbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508352/original/file-20230206-19-uiqrbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508352/original/file-20230206-19-uiqrbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Photo du groupe Facebook du Collectif de Bassens.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/CollectifdeBassens">Collectif de Bassens</a></span>
</figcaption>
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<h2>Un contournement de l’espace de la négociation collective</h2>
<p>Nos résultats montrent que le mouvement social des « gilets jaunes » témoigne d’un contournement de <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/220519/salaires-comment-les-gilets-jaunes-ont-court-circuite-les-negociations-collectives">l’espace de la négociation collective</a>. Face à l’impossibilité de porter cette revendication salariale dans l’entreprise, les personnes engagées dans les « gilets jaunes » l’ont revendiquée sur les ronds-points et durant les actes du samedi.</p>
<p>La composition du mouvement peut ainsi contribuer à éclairer la manière dont la question salariale a été contournée par les « gilets jaunes » dans un premier temps, puis concurrencée et occultée par le RIC à partir de l’Acte 8 (5 janvier 2019 et au-delà), avant que le mouvement ne s’en saisisse à nouveau sur la question des retraites en 2020 puis en 2023.</p>
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<p>En effet, il faut se rappeler que le salaire et les revenus des plus riches sont invoqués comme motifs de colère et d’injustice. Le travail étant envisagé pour beaucoup comme une valeur centrale dans leur <a href="https://samuelhayat.wordpress.com/2018/12/05/les-gilets-jaunes-leconomie-morale-et-le-pouvoir">économie morale</a>,mais insuffisamment. Comme le soulignent différentes enquêtes, le sujet politique des « gilets jaunes » dans les premières semaines du mouvement est le <a href="https://doi.org/10.1057/s41253-020-00143-5">peuple du travail</a>, ou le peuple des personnes qui vivent ou aimeraient pouvoir vivre de leur travail.</p>
<p>Moins visible que le <a href="https://theconversation.com/primaire-populaire-ric-tirage-au-sort-la-participation-est-elle-la-solution-148584">référendum d’initiative citoyenne</a> (RIC), la question salariale remonte au mois de novembre 2018 lorsque des « gilets jaunes » étaient <a href="https://www.lefigaro.fr/societes/2018/11/22/20005-20181122ARTFIG00279-plusieurs-sites-de-total-bloques-par-des-grevistes-et-des-gilets-jaunes.php">engagés</a> dans les blocages de raffinerie, l’occupation de sites de production ou dans des conflits sociaux, notamment dans le secteur de la santé – fonction publique hospitalière, transport sanitaire.</p>
<h2>Des revendications similaires</h2>
<p><a href="https://giletsjaunes.hypotheses.org">Nos enquêtes</a> et celles de l’équipe du laboratoire <a href="https://books.openedition.org/pul/48156?lang=fr">Triangle à Lyon</a> montrent cependant que ces revendications n’ont pas disparu et présentent une <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2019-5-page-869.htm">articulation plus complexe</a>, propre aux <a href="https://ejpr.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/1475-6765.12153">« mouvements anti-austérité »</a> qui ont émergé depuis la crise de 2008 pour demander davantage de justice sociale et de démocratie, mouvements qui se passent aussi parfois des organisations syndicales.</p>
<p>À travers une analyse des termes utilisés se dessinent différents registres d’expression de la <a href="https://theconversation.com/le-beau-travail-une-revendication-ouvriere-trop-souvent-oubliee-173446">question du travail</a> qui permettent de comprendre comment une partie des personnes mobilisées peuvent se reconnaître dans d’autres mouvements sociaux.</p>
<p>À l’aune de ces données, on peut analyser aujourd’hui la manière dont les conflits sociaux actuels rechargent la contestation des « gilets jaunes » en mobilisant des personnes qui s’étaient désengagées, d’une part, et d’autre part comment les « gilets jaunes » passent d’initiateurs de mouvement social en 2018 à accompagnateurs aujourd’hui.</p>
<p>Ainsi, en Gironde, nous observons un nombre significatif de collectifs et de « gilets jaunes » encore actifs, partie prenante des cortèges contre le projet de loi sur les retraites présenté au Conseil des ministres du 23 janvier 2023 par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, et par le ministre du Travail, du plein emploi et de l’insertion, l’ancien socialiste Olivier Dussopt.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192893/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Magali Della Sudda est membre du Conseil de surveillance de la Fondation pour l'écologie politique et experte auprès de l'Institut La Boétie. </span></em></p>La présence des « gilets jaunes » sur les mobilisations sociales ravive les débats sur les inégalités salariales et une plus juste répartition des ressources.Magali Della Sudda, Politiste et socio-historienne, Sciences Po BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1828212022-05-23T19:55:00Z2022-05-23T19:55:00ZLes candidats pro-RIC, favoris des « gilets jaunes »<p>Le vote des « gilets jaunes » a souvent été catalogué comme un vote de rejet. Dans un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/pops.12826">article récent</a>, nous nous appuyons sur une expérimentation conduite pendant le mouvement pour mettre en évidence que les considérations programmatiques, à commencer par le référendum d’initiative citoyenne (RIC), occupent la première place dans leurs logiques de vote.</p>
<p>Une littérature abondante s’est intéressée aux liens entre les caractéristiques des électrices et des électeurs et les caractéristiques des candidates ou candidats. Il a notamment été souligné que les citoyens préfèrent les candidats qui leur ressemblent. Ce principe de congruence (<a href="https://doi.apa.org/doiLanding?doi=10.1037%2F0003-066X.59.7.581">« voter-politican congruency »</a>) se décline selon trois grandes dimensions : une dimension statutaire (on préfère un candidat proche par son profil social), une dimension idéologique (on préfère un candidat qui partage nos idées et valeurs politiques), et une dimension plus programmatique (on préfère un candidat qui défend nos revendications, sans être forcément de la même origine sociale, ou de la même couleur politique).</p>
<p>Pour autant, comment les électeurs arbitrent-ils entre ces trois conditions quand elles ne sont simultanément remplies par un même candidat. En situation de choix électoral contraint, est-ce qu’on va préférer un candidat qui nous ressemble politiquement à un candidat qui nous ressemble idéologiquement, ou qui nous ressemble programmatiquement plutôt qu’idéologiquement ?</p>
<p>Le mouvement des « gilets jaunes » constitue un cas d’étude particulièrement intéressant pour étudier ce type de dilemme. Outre les questionnements qui l’ont travaillé sur la <a href="https://lundi.am/Les-Gilets-jaunes-et-la-question-democratique-Samuel-Hayat">légitimité et la nature de la représentation</a>, le mouvement a en effet été traversé par une tension forte entre une exigence de congruence statutaire (un représentant issu du peuple), une exigence de congruence idéologique (un représentant qui rejette le système partisan et l’opposition gauche-droite) et une exigence de congruence politique (un représentant qui soutient les doléances exprimées par le mouvement).</p>
<h2>Saisir les choix électoraux de façon réaliste</h2>
<p>Pour mieux comprendre comment s’organisent les préférences électorales des « gilets jaunes », nous avons eu recours à une expérimentation conjointe, une méthode souvent utilisée en science politique pour approcher la réalité des <a href="https://doi.org/10.1017/9781108777919.004">arbitrages électoraux</a>. L’expérimentation a été conduite dans le cadre d’une grande enquête en ligne, administrée auprès de 2 743 participants ou soutiens au mouvement <a href="https://www.pacte-grenoble.fr/programmes/grande-enquete-sur-le-mouvement-des-gilets-jaunes">entre décembre 2018 et mars 2019</a>.</p>
<p>Concrètement, nous avons posé une question formulée ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Dans le tableau suivant, les candidats A et B sont deux candidats qui sollicitent votre suffrage pour être élus à l’Assemblée nationale lors de prochaines élections législatives. Merci de lire la description de chacun des deux candidats, puis d’indiquer votre préférence entre ces deux candidats. Même si vous n’êtes pas entièrement sûr de vous, merci d’indiquer lequel d’entre les deux vous préférez. »</p>
</blockquote>
<p>Une série de vignettes étaient ensuite présentées, sur lesquelles apparaissaient les différents traits testés et relevant respectivement de la personne du candidat, de son idéologie et des <a href="https://www.giletsjaunes-coordination.fr/informations/quelles-revendications">principales revendications portées par le mouvement des « gilets jaunes »</a> (instaurer le <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/presidentielle-ric-rip-50-nuances-de-referendums-dans-les-programmes-des-candidats">référendum d’initiative citoyenne</a>, augmenter le smic, rétablir l’ISF, réduire les taxes sur les carburants – à quoi a été ajoutée la limitation des flux migratoires qui a fait débat à l’intérieur du mouvement).</p>
<p>Le principe de l’expérimentation est que chaque répondant se voit proposer de choisir entre (trois) paires de candidats dont les attributs sont tirés aléatoirement (figure 1). Sur cette base, il est possible d’isoler statistiquement les effets propres de chaque attribut, tout en contrôlant les caractéristiques sociales et politiques des répondantes et répondants.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/462291/original/file-20220510-14-yfptfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/462291/original/file-20220510-14-yfptfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462291/original/file-20220510-14-yfptfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=787&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462291/original/file-20220510-14-yfptfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=787&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462291/original/file-20220510-14-yfptfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=787&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462291/original/file-20220510-14-yfptfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=989&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462291/original/file-20220510-14-yfptfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=989&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462291/original/file-20220510-14-yfptfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=989&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 1. Exemple de vignette proposée et présentant une combinaison aléatoire de caractéristiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">F. Gonthier, T. Guerra</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>« RIC en toutes matières »</h2>
<p>La figure 2 montre le degré de soutien à chaque attribut, net du soutien aux autres traits testés. Trois grands résultats se dégagent. D’abord, le sexe, l’âge et le niveau de diplôme sont globalement peu clivants, à l’exception des candidats diplômés de grandes écoles qui sont largement rejetés. Ensuite, un candidat qui défend les revendications phares du mouvement tend à être préféré à un candidat enseignant, travailleur social ou ouvrier – plus proche donc du <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/01/26/qui-sont-vraiment-les-gilets-jaunes-les-resultats-d-une-etude-sociologique_5414831_3232.html">profil moyen des « gilets jaunes » en termes de profession</a>. Ce type de candidat est également préféré à un candidat qui signalerait une forme de proximité idéologique avec le mouvement en affirmant que « la plupart des responsables politiques sont corrompus ».</p>
<p>Enfin, parmi les revendications, c’est celle du RIC est la plus fortement soutenue ; ce qui est cohérent avec la <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-quelle-democratie-veulent-ils-170146">centralité</a> gagnée progressivement par ce thème dans le mouvement. Des analyses supplémentaires montrent d’ailleurs qu’un candidat défendant le RIC sera préféré dans tous les cas de figures, quelles que soient donc ses autres caractéristiques. En clair, la préférence pour un candidat soutenant le RIC conditionne toutes leurs autres préférences.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/462292/original/file-20220510-22-g6c9ps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/462292/original/file-20220510-22-g6c9ps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462292/original/file-20220510-22-g6c9ps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=696&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462292/original/file-20220510-22-g6c9ps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=696&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462292/original/file-20220510-22-g6c9ps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=696&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462292/original/file-20220510-22-g6c9ps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=875&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462292/original/file-20220510-22-g6c9ps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=875&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462292/original/file-20220510-22-g6c9ps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=875&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 2. Caractéristiques préférées d’un candidat aux yeux des « gilets jaunes ». Les coefficients à droite du seuil de 0,5 indiquent une probabilité de soutien plus marquée pour la caractéristique considérée, celles à gauche une probabilité de rejet plus prononcée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">F. Gonthier, T. Guerra</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les logiques de vote intègrent aussi des considérations programmatiques</h2>
<p>Un grand nombre de commentateurs ont affirmé que le vote des « gilets jaunes » serait avant tout de type protestataire, prompt à céder aux appels populistes des leaders charismatiques. Nos résultats invitent à relativiser cette lecture. Loin d’être uniquement motivées par le rejet des élites, les logiques de vote intègrent aussi des considérations programmatiques, à commencer par le RIC. De ce point de vue, ils ne se distinguent pas des électeurs ordinaires, dont les chercheurs ont souligné <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0261379418302257?via%3Dihub">qu’ils préféraient une représentation fondée sur des préférences politiques partagées</a> (substantive representation) à une représentation fondée seulement sur des caractéristiques sociales partagées (descriptive representation).</p>
<p>Surtout, nos résultats éclairent les performances à l’élection présidentielle des candidats ayant le plus ouvertement soutenu le RIC – à savoir <a href="https://lafranceinsoumise.fr/category/niche-parlementaire-2019/ric/">Jean-Luc Mélenchon</a>, <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/marine-le-pen-detaille-sa-revolution-referendaire-202358">Marine Le Pen</a> ou encore Jean Lassalle dont le gain électoral conséquent au premier tour (666086 voix de plus qu’en 2017) tient sans doute en grande partie à la labellisation de son programme par les collectifs œuvrant pour la <a href="https://label.ric-france.fr/">mise en place du RIC</a>. Certes, le soutien affiché aux réformes démocratiques n’est pas suffisant à faire élire un candidat. Mais il a pour mérite de contribuer à dynamiser une campagne et ramener aux urnes un électorat populaire démobilisé mais sensible à l’enjeu de représentation démocratique.</p>
<p><em>Cet article a été co-publié dans le cadre du partenariat avec <a href="https://poliverse.fr">Poliverse</a> créé par une équipe de chercheurs et qui propose des éclairages sur le fonctionnement et le déroulement de la présidentielle.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182821/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Gonthier a reçu des financements de l'ANR Les Gilets jaunes : approches pluridisciplinaires des mobilisations et politisations populaires (ANR-20-CE41-0010) </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Tristan Guerra a reçu des financements de l'ANR Les Gilets jaunes : approches pluridisciplinaires des mobilisations et politisations populaires (ANR-20-CE41-0010).</span></em></p>Les résultats d’une expérimentation réalisée pendant le mouvement des « gilets jaunes », montrent que les candidats préférés dans une élection sont ceux qui soutiennent le RIC.Frédéric Gonthier, Professeur de science politique, Sciences Po GrenobleTristan Guerra, Doctorant en science politique, Sciences Po GrenobleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1816692022-04-27T13:37:58Z2022-04-27T13:37:58ZPrésidentielle française : l’inexorable montée de la « droite radicale »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/459883/original/file-20220426-16-ccqiod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C8093%2C5403&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Marine Le Pen, du RN, prend la parole devant ses partisans après l'annonce des premiers résultats du second tour de l'élection présidentielle française, à Paris, le 24 avril 2022. Malgré sa défaite, la droite radicale poursuit sa montée, rejoignant des électeurs de toutes les classes sociales, et de toutes les régions.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Francois Mori)</span></span></figcaption></figure><p>Emmanuel Macron a été réélu président en récoltant <a href="https://www.resultats-elections.interieur.gouv.fr/presidentielle-2022/index.html">58,55 % des suffrages</a>, avec un écart de 17 % sur sa rivale Marine Le Pen du Rassemblement national (RN).</p>
<p>C’est un résultat moins serré que ce que <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_sondages_sur_l%27%C3%A9lection_pr%C3%A9sidentielle_fran%C3%A7aise_de_2022">laissaient entrevoir les sondages</a>. En termes de pourcentage du vote exprimé, l’appui à Macron est <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/vrai-ou-fake-presidentielle-emmanuel-macron-est-il-le-plus-mal-elu-des-presidents-de-la-ve-republique-comme-l-affirme-jean-luc-melenchon_5101528.html">parmi les résultats les plus élevés depuis 1965</a>.</p>
<p>En revanche, en pourcentage des électeurs inscrits, le résultat de Macron est seulement à <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/284916-resultats-de-la-presidentielle-2022-emmanuel-macron-est-reelu">38,52 %</a>, ce qui est faible pour une présidentielle française. Ce résultat n’est pas une surprise. Les politiques de Macron, de la gestion de la crise des « Gilets jaunes » à celle de la Covid-19, ont accentué l’<a href="https://fr.statista.com/statistiques/729013/avis-des-francais-sur-emmanuel-macron/">impopularité</a> du président en exercice, surtout auprès des classes ouvrières. C’est donc <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/1er-tour-abstentionnistes-sociologie-electorat">chez les soixante ans et plus et les cadres supérieurs</a> qu’il a reçu un appui le plus net, aux deux tours.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Emmanuel Macron le bras levé" src="https://images.theconversation.com/files/459884/original/file-20220426-22-hlzvbr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459884/original/file-20220426-22-hlzvbr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459884/original/file-20220426-22-hlzvbr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459884/original/file-20220426-22-hlzvbr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459884/original/file-20220426-22-hlzvbr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459884/original/file-20220426-22-hlzvbr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459884/original/file-20220426-22-hlzvbr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le président français, Emmanuel Macron, salue ses partisans à Paris, France, au soir de l’élection présidentielle, le 24 avril 2022. Ses politiques, de la gestion de la crise des « Gilets jaunes » à celle de la Covid-19, ont accentué l’impopularité du président en exercice, surtout auprès des classes ouvrières.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Christophe Ena)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le RN a quant à lui récolté 41,45 % du suffrage exprimé. C’est son meilleur résultat aux présidentielles. La formation avait récolté 20 % contre Jacques Chirac en 2002 et 33 % contre Macron en 2017. Au deuxième tour, Le Pen a bénéficié sans surprise de <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/second-tour-profil-des-abstentionnistes-et-sociologie-des-electorats">l’appui de 73 % de l’électorat qui a voté Zemmour au premier tour</a>. Elle a aussi profité de l’appui de <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/second-tour-profil-des-abstentionnistes-et-sociologie-des-electorats">près d’un électeur sur cinq qui avait voté pour La France Insoumise au premier tour</a>.</p>
<p>Une partie du vote RN semble être un vote « sanction » contre la <a href="https://www.opendemocracy.net/en/france-presidential-election-le-pen-macron-melenchon/?utm_term=Autofeed&utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Facebook#Echobox=1649849970">politique de droite du président</a>. Il n’est donc pas facile de démêler ce qui relève du vote en faveur du RN d’une part, de ce qui relève du vote anti-Macron, anti-élites et antisystème de l’autre.</p>
<p>Le deuxième tour a enfin été marqué par l’abstention de près de 28,2 % des électeurs, dans un contexte de droitisation des débats. Ce taux est en croissance depuis <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/presidentielle-2022-l-abstention-au-second-tour-avoisinera-les-28-soit-2-6-points-de-plus-qu-en-2017-selon-notre-estimation-ipsos-sopra-steria_5096371.html">2007</a>, mais ce n’est pas le plus élevé que la France ait connu. Les plus jeunes, en particulier, ont tourné le dos aux deux partis sortis vainqueurs du premier tour. Comme le <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/grand-entretien-presidentielle-2022-comment-interpreter-le-resultat-de-marine-le-pen-entre-banalisation-et-plafond-de-verre_5099893.html">souligne l’historien Nicolas Lebourg</a>, cet abstentionnisme peut induire une présentation « déformée » de la société française, alors que les enquêtes d’opinion font état d’une France globalement plus tolérante sur un ensemble de questions sociales.</p>
<p>En tant que chercheurs en sociologie politique, dont nous analysons les dynamiques au Canada et en Europe de l’Ouest, nous croyons essentiel de saisir les polarisations actuelles dans leur dimension politique, idéologique et sociohistorique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme passe devant des affiches de Jean-Luc Mélenchon" src="https://images.theconversation.com/files/459885/original/file-20220426-14-a74ibi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459885/original/file-20220426-14-a74ibi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459885/original/file-20220426-14-a74ibi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459885/original/file-20220426-14-a74ibi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459885/original/file-20220426-14-a74ibi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459885/original/file-20220426-14-a74ibi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459885/original/file-20220426-14-a74ibi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une femme passe devant des affiches du leader d’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon avant un meeting de La France Insoumise à Hendaye, dans le sud-ouest de la France, le 30 mars 2022. Le Pen a profité de l’appui de près d’un électeur sur cinq qui avait voté pour La France Insoumise au premier tour.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Bob Edme)</span></span>
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</figure>
<h2>« Droitisation » et enracinement de l’extrême droite</h2>
<p>L’extrême droite de l’échiquier politique réussit désormais à aller chercher des voix depuis <a href="https://www.resultats-elections.interieur.gouv.fr/presidentielle-2022/006/976/index.html">Mayotte</a> jusqu’au XVI<sup>e</sup> arrondissement de Paris, où Reconquête et le RN y cumulaient déjà <a href="https://www.leparisien.fr/paris-75/presidentielle-a-paris-dans-le-xvie-voter-le-pen-nest-pas-chic-alors-on-y-vote-maintenant-zemmour-11-04-2022-ZA562IQKXRHVPFHASYFS7RNJI4.php">23,28 %</a> des suffrages, un score plus élevé que dans le reste de la capitale.</p>
<p>Les formations de Le Pen et Zemmour ont ainsi ratissé aussi bien auprès des « déclassés économiques » (<a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/1er-tour-abstentionnistes-sociologie-electorat">ouvriers et petits employés</a>) qu’auprès des <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/radioscopie-du-zemmourisme/">classes les plus aisées</a> de la population française.</p>
<p>Le vote d’extrême droite est bien un vote interclasses. L’élection présidentielle a confirmé la consolidation pérenne d’un électorat de droite radicale en France.</p>
<h2>La signification du vote RN</h2>
<p>Les électeurs du RN s’inscrivent dans une fracture générationnelle. Ils sont plus présents chez les 34 à 59 ans que chez les 60 ans et plus. Ces derniers sont <a href="https://www.economist.com/europe/2022/04/16/thank-the-elderly-for-keeping-europes-extremists-out-of-power">très favorables à Macron</a>, tandis que les moins de 34 ans sont plus favorables à La France Insoumise. Les 50-59 ans sont les premiers à se trouver dans ce vote RN. La génération des primovotants est celle où le taux d’abstention est le plus élevé.</p>
<p>Il est tentant de lire l’élection à travers l’opposition entre les <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/carte-resultats-presidentielle-2022-decouvrez-les-scores-du-second-tour-de-l-election-dans-votre-commune_5099896.html">centres urbains et les campagnes</a>. Cette opposition contribue à expliquer les clivages dont profite la droite populiste à plusieurs endroits. En France, par contre, l’opposition ne se vérifie pas exactement. Plus précisément, elle ne traduit pas <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/160422/vote-le-pen-sortir-d-une-lecture-binaire-entre-urbain-et-rural">l’hétérogénéité du vote rural</a>.</p>
<p>Les électeurs du RN s’inscrivent également dans une <a href="https://www.leparisien.fr/elections/presidentielle/presidentielle-2022-second-tour-age-revenus-profession-qui-a-vote-pour-macron-ou-le-pen-24-04-2022-YBWF7LJUGBD7FI2RN7NNXTL6IY.php">fracture sociale</a>. Il canalise ainsi l’expression d’un vote de protestation. De manière symptomatique, les <a href="https://www.lepoint.fr/presidentielle/presidentielle-marine-le-pen-renverse-les-antilles-24-04-2022-2473201_3121.php">Outre-mers ont voté pour lui en 2022</a>. Cela est d’autant plus significatif que Macron y était arrivé en tête en 2017 sur un message de rupture avec la politique conventionnelle. La Guadeloupe, la Martinique et la Guyane ont placé la France Insoumise en tête au 1<sup>er</sup> tour, mais <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/04/24/presidentielle-2022-marine-le-pen-largement-en-tete-aux-antilles-et-en-guyane_6123517_823448.html">l’abstentionnisme au second, doublé d’un transfert de votes vers la droite, a favorisé le RN</a>.</p>
<p>Ce vote de protestation explique aussi une partie des transferts de la gauche vers la droite d’électeurs chez qui l’opposition aux élites et au système est devenue plus importante que l’axe gauche-droite. Le mouvement de protestation contre les mesures sanitaires a participé à ce <a href="https://theconversation.com/ladhesion-aux-complots-et-aux-populismes-une-question-deducation-174929">brouillage des cartes</a> qui a bénéficié aux complotistes ou aux défiants à l’égard de l’État central. Ainsi entre 2017 et 2022, plusieurs nouveaux gains du RN ont été effectués dans des régions comme le sud-est qui ont connu <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/pourquoi-la-defiance-vaccinale-est-elle-plus-forte-dans-le-sud-de-la-france/">d’importantes mobilisations contre la couverture vaccinale</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des jeunes femmes portent une pancarte et un porte-voix lors d’une manifestation" src="https://images.theconversation.com/files/459889/original/file-20220426-22-jx81iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459889/original/file-20220426-22-jx81iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459889/original/file-20220426-22-jx81iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459889/original/file-20220426-22-jx81iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459889/original/file-20220426-22-jx81iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459889/original/file-20220426-22-jx81iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459889/original/file-20220426-22-jx81iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation contre le passe vaccinal à Bayonne, dans le sud-ouest de la France, le 14 août 2021. Le mouvement de protestation contre les mesures sanitaires a participé au brouillage des cartes électorales traditionnelles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Bob Edme)</span></span>
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</figure>
<h2>Comment catégoriser le Rassemblement national ?</h2>
<p>L’enracinement du RN, au-delà de sa base historique, pose l’enjeu de qualification de ce pôle à l’extrême droite de l’échiquier politique.</p>
<p>On peut parler d’une forme de national-populisme, telle qu’elle existe dans d’autres démocraties libérales représentatives. Il faut souligner qu’elle conserve des liens (organisationnels, financiers, idéologiques) avec l’extrême droite historique.</p>
<p>Tout au long de la campagne, la lutte politique entre les partis a été accompagnée d’une lutte classificatoire pour catégoriser le RN comme formation politique.</p>
<p>En France, le <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/NoteBaroV13_GI_socialpopulisme_mars2022_V4.pdf">CEVIPOF</a> évoquait ainsi le « social populisme » de Le Pen et le « capitalisme populaire » de Zemmour. Ces catégories étaient censées rendre mieux compte du déplacement du programme politique de Le Pen vers « la gauche », car contenant davantage de mesures « sociales » ou « redistributives » qu’en 2017 et 2002.</p>
<p>S’il est vrai que la rhétorique du RN de 2022 a cherché à séduire un électorat populaire, les solutions envisagées par la formation à la crise du pouvoir d’achat restent néolibérales (baisse des impôts) et nativistes (appels contre le péril d’une « submersion migratoire »).</p>
<p>En effet, le RN affiche un programme de droite très classique sur le plan économique : soutien aux petites entreprises : baisse des taxes sur les produits énergétiques ; soutien à « la valeur travail » ; exonération d’impôt sur le revenu pour tous les moins de trente ans ; entrée précoce facilitée sur le marché du travail (dès 16 ans) ; baisse de l’impôt sur les successions ; <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/240322/le-vrai-faux-serieux-budgetaire-de-marine-le-pen">austérité budgétaire sur le plan fiscal</a>, non remise en cause de l’âge de départ à la retraite, etc.</p>
<h2>Nouvelles déclinaisons de l’extrême droite</h2>
<p>Plusieurs politologues, sociologues et historiens, de Cas Mudde et Pierre André Taguieff à <a href="https://hal.umontpellier.fr/hal-03130579">Nicolas Lebourg et Jean-Yves Camus</a>, répertorient différentes vagues d’extrême droite depuis 1945 : populismes protestataires et identitaires, droite radicale, national-populisme, etc. Ces catégories visent à rendre compte du fait que l’extrême droite s’est transformée depuis l’après-guerre, une époque où elles revendiquaient ouvertement une filiation avec les partis fascistes, qu’elles ne cachaient pas leur volonté d’en finir avec la démocratie libérale.</p>
<p>Pour décrire les formations d’extrême droite contemporaines, plusieurs trouvent plus précise la catégorie de <a href="https://voxeurop.eu/fr/cas-mudde-nous-sommes-actuellement-dans-la-quatrieme-vague-de-lextreme-droite-dapres-guerre/">droite radicale</a>, qui prône le nativisme, l’autoritarisme et le populisme.</p>
<p>Ces formations reprennent généralement le <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/03/31/presidentielle-2022-derriere-la-normalisation-de-marine-le-pen-un-projet-qui-reste-d-extreme-droite_6119942_6059010.html">répertoire classique de l’extrême droite</a>. Mais elles s’en démarquent en cherchant à s’intégrer dans le jeu électoral classique et en incluant à leur répertoire d’actions une défense sélective des valeurs libérales (droits des femmes, égalité et liberté, par exemple), ce que ne faisaient pas les extrêmes droites historiques. Le RN correspond bien à cette catégorie.</p>
<p>Pour ces raisons, la catégorie de droite radicale nous paraît plus précise que celle de « social-populisme » qui ne décrit pas clairement le programme économique du RN, tout en entraînant un risque de confusion avec les formations de gauche populiste latino-américaines.</p>
<h2>Le RN : une formation de droite radicale nationale-populiste</h2>
<p>Le RN s’intègre plus largement dans un national-populisme. Ce dernier cadre la vie politique en fonction de deux axes de mobilisation.</p>
<p>Sur un axe vertical, il oppose le peuple aux élites. Le projet d’une « révolution référendaire » est un classique du <em>texbook</em> populiste qui y voit une façon de plébisciter un pouvoir exécutif fort en <a href="https://theconversation.com/reviser-la-constitution-par-referendum-la-pratique-peut-elle-contredire-le-texte-181425">neutralisant les contre-pouvoirs</a>.</p>
<p>Sur un axe horizontal, il oppose les nationaux aux étrangers, en insistant sur la <a href="https://mlafrance.fr/programme">« priorité nationale »</a> pour l’accès aux droits sociaux : prestations familiales, propriété et logement. Les appels récurrents à la préservation de la « civilisation », une forme euphémisée des thèmes du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_remplacement">« grand remplacement »</a> agissent enfin comme des sifflets à chien pour capter l’électorat de Zemmour.</p>
<p>Si certains politologues estiment que le populisme a pu avoir comme effet positif de favoriser l’inclusion de voix au sein du processus démocratique dans certains pays, notre évaluation à long terme de son influence est moins optimiste. Dans sa phase actuelle, le national-populisme des droites radicales s’inscrit essentiellement dans un mouvement de dé-démocratisation et de remises en question des piliers de la démocratie libérale, des droits civils et sociaux, consolidés depuis la Seconde Guerre mondiale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181669/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Djamila Mones est Responsable de la Recherche et du Contenu pour l'Institut d'études internationales de Montréal (IEIM).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Frédérick Guillaume Dufour ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le vote d’extrême droite est devenu un vote interclasses, présent en ville comme en campagne. L’élection présidentielle a confirmé la consolidation pérenne d’un électorat de droite radicale en France.Frédérick Guillaume Dufour, Professeur en sociologie politique, Université du Québec à Montréal (UQAM)Djamila Mones, Doctorante en Sociologie | PhD Candidate in Sociology, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1802592022-04-07T19:10:00Z2022-04-07T19:10:00ZPouvoir « vivre dignement », une doléance absente de la campagne présidentielle<p>À rebours des thèmes de la campagne présidentielle, les enquêtes d’opinion montrent de fortes attentes citoyennes sur des <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/six-priorites-francais-oubliees-campagne-presidentielle/00102291">questions de santé, d’emploi et d’environnement</a>.</p>
<p>Ce décalage ne peut que surprendre au regard des demandes exprimées lors du mouvement social des Gilets jaunes et du Grand Débat censé y répondre. Dès le mois de novembre 2018, des doléances sont recueillies par des Gilets jaunes sur <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2019-5-page-869.htm">les ronds-points et lieux d’action</a> de ce mouvement. Les maires ruraux de France <a href="https://www.amrf.fr/wp-content/uploads/sites/46/2019/01/Synth%C3%A8se-Globale-V2.pdf">reprennent cette initiative</a> entre le 8 décembre et le 11 janvier 2019.</p>
<p>Enfin, le gouvernement a demandé aux maires de laisser des cahiers d’expression libre entre le 15 janvier 2019 et le 15 mars, en parallèle du « Grand débat ». </p>
<p>Mais contrairement aux engagements pris par le chef de l'Etat, les entreprises privées qui ont numérisé une partie des contributions n'ont pas rendu<a href="https://lesjours.fr/obsessions/cahiers-doleances-grand-debat/"> ces fichiers publics</a>. La Bibliothèque nationale de France où ils seraient conservés n'a toujours pas donné l'accès aux équipes de recherche publique et les Archives nationales de France, qui ont les inventaires des fonds numérisés, ont refusé de nous les communiquer. Nous avons donc fait le choix de numériser et transcrire nous-mêmes ces cahiers de doléances dont les originaux sont conservés aux Archives départementales.</p>
<h2>Une recherche citoyenne</h2>
<p>L’ensemble des cahiers, hormis ceux tenus distinctement par des Gilets jaunes, a été versé en février 2019 aux services de la Préfecture puis classés et rendus accessibles aux Archives départementales, conformément aux règles en vigueur. Les Cahiers des Gilets jaunes étaient ouverts sur les ronds-points, tandis que ceux des maires ruraux ou du gouvernement étaient ouverts en mairie ou dans les permanences parlementaires et déposés aux archives du département.</p>
<p>C’est ainsi que notre équipe, composée de citoyennes et citoyens – Gilets jaunes ou non – et d’universitaires, a pu dépouiller l’intégralité des cartons communicables au public. Après anonymisation, numérisation et transcription des documents, nous avons obtenu un corpus de 1996 contributions étudiées à l’aide d’un logiciel libre <a href="http://iramuteq.org">IraMuteQ</a>. Cette analyse permet de distinguer des « classes » de mots, autant d’ensembles thématiques qui dessinent des sous-groupes d’attentes convergentes.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/456155/original/file-20220404-17-vx4fdo.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/456155/original/file-20220404-17-vx4fdo.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/456155/original/file-20220404-17-vx4fdo.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/456155/original/file-20220404-17-vx4fdo.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/456155/original/file-20220404-17-vx4fdo.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/456155/original/file-20220404-17-vx4fdo.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1030&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/456155/original/file-20220404-17-vx4fdo.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1030&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/456155/original/file-20220404-17-vx4fdo.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1030&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Archives départementales, [5999W92]</span>
<span class="attribution"><span class="source"> ANR GILETSJAUNES - Doléances</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>L'examen des cahiers ouverts en Gironde où <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03622949">nous avons conduit nos recherches </a> révèle les demandes en matière de niveau de vie, de fiscalité, de service public ou encore de transition écologique, que nous avons désignées sous l'expression «pouvoir de vivre». Le terme de pouvoir d'achat focalise sur la consommation, or les doléances portent davantage sur la satisfaction de besoins que le désir de consommation et d'achat.</p>
<p>Nous avons mis en évidence l’importance de nombreuses préoccupations peu évoquées jusqu'à présent <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/04/02/presidentielle-2022-comment-le-pouvoir-d-achat-a-redessine-la-fin-de-la-campagne_6120256_823448.html">dans la campagne électorale</a> à partir d’une enquête basée sur des méthodes <a href="https://giletsjaunes.hypotheses.org/480">quantitatives et qualitatives</a>. Dans les dix classes différentes que nous avons identifiées, le thème de la justice sociale apparaît majeur, confirmant <a href="https://www.sudouest.fr/gironde/blasimon/dans-les-cahiers-de-doleances-le-recit-d-une-fracture-sociale-2859219.php">les observations de maires et journalistes locaux</a>.</p>
<h2>La justice sociale au cœur des revendications girondines</h2>
<p>La revendication de pouvoir vivre dignement de son travail ou de sa retraite est la plus citée (15,4% du corpus). Elle passe par l’augmentation des salaires comme le propose cet homme de St Germain du Puch « Que le travail trouve sa juste rémunération » ; ou l’accès à l’emploi pour cette femme de Cenon « du travail en CDI pour les jeunes ». À Libourne, l’« augmentation du SMIC, même les ‘gens de rien’ ont besoin de vivre dignement » est réclamée. Un Audengeois demande aussi « l’indexation des retraites sur l’inflation ».</p>
<p>Les conséquences du désengagement de l’État dans les politiques sociales renforcent les inégalités. La prise en charge de la dépendance par des groupes privés pose question pour cette Blanquefortaise « La vieillesse n'est pas une notion qui s'achète. Les EHPAD devraient tous être en loi 1901 ». « La santé voit ses moyens diminuer drastiquement. Il n'y a pas d'économie à faire sur la santé » pour ce couple d'Audenge.</p>
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<a href="https://theconversation.com/prise-en-charge-des-personnes-agees-quel-role-pour-les-departements-177410">Prise en charge des personnes âgées : quel rôle pour les départements ?</a>
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<p>Le pouvoir de vivre aborde aussi la solidarité. Ainsi cette demande de Blaye sur la « revalorisation des salaires, des retraites, des pensions d’invalidité et de reversion ». La doléance de cette mère de famille de Blaye reflète le besoin de solidarité envers les personnes ou leurs proches en situation de handicap : </p>
<blockquote>
<p>« Je demande juste de pouvoir vivre dignement avec notre salaire et avoir un peu plus de moyens et encadrement pour les familles, comme moi, qui ont un enfant en situation de handicap ».</p>
</blockquote>
<p>Alors que le quinquennat s’est ouvert sur <a href="https://www.huffingtonpost.fr/christophe-robert/macron-sest-engage-a-atteindre-lobjectif-zero-sdf-mais-la-realite-est-tout-autre-pour-les-personnes-sans-abri_a_23495350/">la promesse</a> de reloger les personnes <a href="https://theconversation.com/a-paris-les-personnes-sans-domicile-et-en-situation-de-handicap-exclues-de-lurgence-sociale-170999">sans abris</a>, cette autre femme de Parempuyre va plus loin et demande de « construire de nouveaux centres d’accueil temporaire des SDF […] car la France doit être le pays des droits de l’homme et montrer l’exemple ». </p>
<p>L’accès au logement est évoqué régulièrement, comme à Montussan où on plaide pour « le rétablissement et l'extension de l'encadrement des loyers pour accéder à un toit dans des conditions décentes ».</p>
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<a href="https://theconversation.com/portrait-s-de-france-s-alerte-sur-laggravation-des-inegalites-francaises-175539">Portrait(s) de France(s) : Alerte sur l’aggravation des inégalités françaises</a>
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<h2>Mieux répartir la fiscalité pour mieux redistribuer</h2>
<p>La fiscalité (13,1% du corpus) constitue un des leviers de la justice sociale. Dans les doléances, la suppression de l’ISF est un symbole très fort de l’injustice ressentie. Ce Blayais demande comme beaucoup d’autres « le rétablissement de l’ISF ». On dénonce l’évasion fiscale des grandes entreprises qu’il « faut combattre avec férocité au lieu de s’attaquer aux classes pauvres et moyennes » pour cet homme de Bouliac et l’absence de solidarité des plus fortunés. </p>
<p>Sur le rond-point d’Audenge sur le Bassin d'Arcachon, les Gilets jaunes étaient mobilisés et ont recueilli des doléances. On propose la « Suppression du CICE qui avantage fiscalement les grandes sociétés », de « Taxer les dividendes à la source, les plus- values boursières, les GAFA. Lutter contre les paradis fiscaux ». Se profile une conscience de classe : « Est-il légitime que les méga riches (+ de 10M€ de biens, capitaux, actions etc) participent de moins en moins au pot commun ? Ce qui implique une participation plus importante des couches sociales inférieures » pour cet anonyme de Blaye. </p>
<p>La justice fiscale est indissociable de la question environnementale pour cette personne de 74 ans à Saint-Ciers-sur-Gironde, qui évoque la « nécessité de maintenir une fiscalité écologique pour financer la transition énergétique et lutter contre le réchauffement climatique en mettant en pratique le principe pollueur. Certaines contributions proposent de manière très détaillées des mesures concrètes et témoignent d'un connaissance approfondie de certains sujets, sans qu'il soit possible de déterminer l'origine de ces informations - expertise professionnelle, savoir militant, information lues dans la presse ou en ligne. L’augmentation des dépenses contraintes et des prélèvements (CSG) est perçue comme une injustice : « restituez-nous la CSG que vous nous avez indûment prélevée » écrivent ce Mérignacais et cette Cubzacaise. Le même grief est formulé à l’encontre de la TVA, « le taux de TVA n’est pas juste, trop élevé pour les produits de première nécessité, pas assez haut sur les produits de grand luxe » écrit une personne de Gradignan.</p>
<h2>Développer les services publics</h2>
<p>Les services publics doivent pallier <a href="https://objectifaquitaine.latribune.fr/politique/2019-02-26/bordeaux-metropole-la-gironde-et-les-gilets-jaunes-807395.html">aux inégalités sociales et territoriales(14% du corpus)</a>. À Artigues, on enjoint de continuer à: </p>
<blockquote>
<p>« financer l’éducation, la santé, la sécurité […], la justice, la recherche, les arts, la culture, le service public est le vrai moyen pour niveler les inégalités sociales ». </p>
</blockquote>
<p>Leur privatisation inquiète cet homme de Le Temple « Arrêt des privatisations des services publics »,tout autant que leur disparition pour cette personne d'Avensan « Par pitié maintien des services publics ». Ils concernent aussi l’aménagement du territoire « Recréer les Services Publics pour que ne meurent pas les petites communes et villes moyennes » suggère ce Blayais, pointant la disparité entre métropole et ruralité. Le pouvoir de vivre s'exprime aussi par le souhait d’une « vraie démocratie participative, écologique et sociale pour l'avenir de nos enfants sur la planète Terre »(St Girons d'Aigues Vives).</p>
<p>Certaines de ces demandes appartiennent aux revendications habituelle de la gauche - la défense des services publics, la défense de l'impôt comme instrument de redistribution ou le développement des transports publics. D'autres sont spécifiques au mouvement des Gilets jaunes et transcendent le clivage gauche/droite, comme le Référendum d'initiative citoyenne, la reconnaissance du vote blanc, repris dans différents programmes électoraux en 2022. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-quelle-democratie-veulent-ils-170146">« Gilets jaunes » : quelle démocratie veulent-ils ?</a>
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<h2>Où sont les doléances dans la présidentielle ?</h2>
<p>Aujourd'hui, ce n'est qu'au terme d'une campagne jugée atone et démobilisante, que la question centrale du pouvoir de vivre apparaît dans les programmes, confirmant le scepticisme des citoyennes et citoyens. </p>
<p>Tout en participant aux «cahiers de doléances», ils étaient partagés sur l’efficacité de la démarche. Les <a href="https://theconversation.com/portrait-s-de-france-s-alerte-sur-laggravation-des-inegalites-francaises-175539">inégalités se sont creusées</a> et l’exécutif est loin d’avoir satisfait cette demande de « pouvoir de vivre ». En revanche, s’exprimait une confiance plus forte dans les maires pour écouter les attentes: « Merci de m’avoir lu, votre tâche est difficile mais vous êtes les élus du peuple, nos représentants, faites nous honneur » enjoignait il y a trois ans ce Ruscadien.</p>
<p>La demande d'écoute de la part <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-quelle-democratie-veulent-ils-170146">des représentantes et représentants politiques</a> semble davantage satisfaite par les élus locaux du fait de leur plus grande proximité. A la veille de l’élection présidentielle, les personnes que nous avons rencontrées dans le cadre de notre enquête ne peuvent que constater la difficulté des candidats et candidates à porter ces demandes et la faible attention médiatique sur certaines d’entre elles.</p>
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<p><em>Danielle & Gilbert Lefebvre, Stéphane Mestre, Marcel Guilhembet, membres d’On-the-Ric ont contribué à cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180259/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Magali Della Sudda participe à l'équipe de recherche doléances - ANR GILETS JAUNES</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Nicolas Patin participe à l'équipe de recherche doléances - ANR GILETS JAUNES.</span></em></p>Une enquête inédite auprès de membres des « gilets jaunes » et d’habitants en Gironde montre une forte demande citoyenne pour plus de justice sociale et écologique exprimée à travers le pouvoir de vivre.Magali Della Sudda, Politiste et socio-historienne, Sciences Po BordeauxNicolas Patin, Historien, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1807012022-04-06T21:22:59Z2022-04-06T21:22:59ZÀ quoi pourrait ressembler une « démocratie réelle » ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/456445/original/file-20220405-3023-9jhq5k.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C17%2C3872%2C2567&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Assemblée à Puerta del Sol au printemps 2011.</span> <span class="attribution"><span class="source">H.Nez</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>« Gilets jaunes », Grand débat national, Convention citoyenne pour le climat : le mandat présidentiel qui s’achève a été marqué par un <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2019-4-page-143.htm">mouvement social d’ampleur</a>, revendiquant une démocratie plus directe via le <a href="https://theconversation.com/et-si-les-municipales-etaient-loccasion-de-mettre-en-place-un-ric-130896">référendum d’initiative citoyenne</a> (RIC), et des réponses institutionnelles au goût d’inachevé.</p>
<p>Entre une actualité marquée par la guerre en Ukraine et un débat public monopolisé par les thèses de l’extrême droite sur l’immigration, l’islam et la sécurité, la question démocratique est loin d’être centrale dans cette campagne électorale. Il est pourtant <a href="https://anamosa.fr/livre/democratie/">urgent de penser le renouvellement de nos démocraties</a> affaiblies tant par des tendances internes vers plus d’autoritarisme et d’inégalités, que par la concurrence de régimes autocratiques.</p>
<p>Mais à quoi pourrait ressembler une « démocratie réelle » ? Le cas espagnol, qui constitue un <a href="https://www.routledge.com/Refiguring-Democracy-The-Spanish-Political-Laboratory/Feenstra-Tormey-Casero-Ripolles-Keane/p/book/9781032179131">véritable laboratoire politique depuis une décennie</a>, est à ce sujet riche d’enseignements. <a href="https://editions-croquant.org/hors-collection/799-democratie-reelle-l-heritage-des-indignes-espagnols.html">Le principal héritage des Indignés</a>, rassemblés autour du slogan « Démocratie réelle maintenant » à partir du 15 mai 2011 (d’où l’appellation de « mouvement du 15M »), est d’avoir généré une nouvelle génération d’activistes désormais investis dans une multitude de microsphères militantes et d’institutions. Ils ont joué un rôle majeur dans le développement de pratiques démocratiques, bien après <a href="https://laviedesidees.fr/Les-Indignes-et-la-democratie-des.html">l’expérimentation d’un campement autogéré en assemblées à Puerta del Sol</a>.</p>
<p>Leurs réponses à la crise des régimes représentatifs ont été multiples, en s’appuyant sur différentes conceptions de la démocratie – directe, participative, délibérative, représentative – et déclinaisons pratiques (assemblées, outils numériques, tirage au sort, référendum d’initiative populaire, etc.), qui peuvent s’articuler dans des combinaisons inédites.</p>
<h2>Une démocratie hybride</h2>
<p>Une partie des Indignés ont rejoint, à partir de 2014, les coalitions citoyennes municipales qui ont remporté de nombreuses villes en 2015. <a href="https://theconversation.com/le-bilan-des-mairies-du-changement-en-espagne-131127">Dans ces « municipalités du changement »</a>, des processus de démocratie participative ont été mis en place.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-pole-sud-2019-2-page-23.html">L’expérience d’Ahora Madrid (Maintenant Madrid) (2015-2019)</a> est probablement la plus ambitieuse. Impulsée par des élus et des techniciens qui s’étaient politisés au moment du 15M ou plus tôt dans le mouvement de la culture libre (qui promeut la liberté de diffuser et de modifier des œuvres créatives dans l’esprit des logiciels libres) ou des associations de quartier, elle a reposé sur des processus de démocratie directe numérique, des instances participatives de quartier et une assemblée citoyenne tirée au sort.</p>
<p>Il s’agissait de dépasser la relation de représentation, en instaurant notamment un système de votations citoyennes proche de l’expérience suisse. Tous les résidents âgés d’au moins 16 ans (soit plus de 2,7 millions de personnes) pouvaient faire une proposition et voter sur la plate-forme numérique <a href="https://decide.madrid.es/"><em>Decide Madrid</em></a>. Si une proposition recueillait le soutien d’un certain nombre d’électeurs (le seuil était fixé à 2 % puis à 1 %), elle était soumise à un référendum dont le gouvernement s’engageait à respecter le résultat.</p>
<p>L’Observatoire de la ville, instauré en fin de mandature, incarne <a href="https://ia903000.us.archive.org/1/items/DemocraciasFuturasVisiones/MLIC_articulos_digital_links_bioCorregida.pdf">l’hybridation de différentes logiques démocratiques</a>. Cette chambre citoyenne délibérative permanente, composée de 49 citoyens tirés au sort, devait se réunir huit fois par an et se renouveler tous les ans. Pour dépasser les limites des votations citoyennes (seulement deux propositions sont parvenues à recueillir les soutiens nécessaires au cours de la législature), leur principale tâche était d’évaluer la proposition la plus votée sur <em>Decide Madrid</em> et de décider si elle devait faire l’objet d’un référendum. Ils pouvaient également travailler n’importe quel aspect des politiques municipales, afin de développer leurs propres propositions.</p>
<p>Il n’a pas été possible d’évaluer les effets d’un tel dispositif, car la victoire électorale de la droite quelques mois après son lancement en 2019 a mis fin à l’initiative. Une chambre permanente de citoyens tirés au sort pourrait néanmoins être mise en place dans d’autres contextes à différentes échelles de gouvernement, <a href="https://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2019-21-page-5.htm?ref=doi">comme en Belgique</a>.</p>
<h2>Un droit de veto sur toutes les lois</h2>
<p>Certains Indignés, souvent impliqués dans le <a href="https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/168-podemos-de-l-indignation-aux-elections.html">parti politique de gauche alternative Podemos</a> créé en janvier 2014 (au pouvoir depuis janvier 2020 dans le cadre d’un gouvernement de coalition dirigé par les socialistes), sont également entrés dans les Parlements régionaux à partir de 2015.</p>
<p>En Andalousie, un député régional et son conseiller ont inventé un système de « Démocratie 4.0 » qui permettrait aux citoyens, en fonction des enjeux perçus de chaque acte législatif, de voter directement les lois (sur leur ordinateur avec une carte d’identité électronique) ou de laisser leurs représentants les voter pour eux. En cas de vote direct, un algorithme enlèverait cette proportion de vote à l’ensemble des députés.</p>
<p>Si ce projet n’a pas été mis en pratique en raison de la position minoritaire de Podemos au Parlement régional andalou, il est particulièrement stimulant pour repenser la relation de délégation du pouvoir et gagnerait à être accompagné d’une réflexion sur la délibération en amont du vote des lois.</p>
<p>L’objectif serait de mettre en place un droit de veto et d’instaurer ainsi une dose de démocratie directe dans le cadre des régimes représentatifs. Les citoyens ne participeraient pas en permanence, mais ils pourraient s’opposer à des lois qu’ils estiment néfastes, comme <a href="http://www.slate.fr/story/197681/loi-securite-globale-espagne-ley-mordaza-baillon-similaire-autocensure-libertes-information-droits">« la loi bâillon »</a> adoptée par le Parlement espagnol en décembre 2014 qui réduit considérablement le droit d’expression et de manifestation. On imagine la portée d’une telle mesure en France où plusieurs projets législatifs – comme la <a href="https://editions-croquant.org/livres-numeriques/532-pdf-production-et-legitimation-dune-reforme.html">loi travail en 2016</a> ou le projet de loi sur les retraites en 2019-2020 – ont fait l’objet de grandes manifestations et ont parfois été imposés en contournant le vote des parlementaires.</p>
<p>Cette proposition originale alliant démocratie directe et démocratie représentative implique une <a href="https://icariaeditorial.com/antrazyt/4379-nueva-gramatica-politica.html">autre conception de la représentation</a> qui n’implique pas la dépossession des électeurs vis-à-vis de leurs représentants. La représentation cesserait ainsi d’être une obligation pour devenir un droit.</p>
<p>En Espagne, les changements institutionnels sont restés limités à l’échelle nationale. Podemos avait certes repris certaines revendications des Indignés, comme la <a href="https://madrid.tomalaplaza.net/2011/05/26/acampada-sol-consensua-cuatro-lineas-de-debate/comment-page-16/">refonte du système électoral</a>, mais une réforme de la Constitution aurait nécessité davantage d’appuis au sein du Parlement. Il sera intéressant, à cet égard, d’analyser les effets de mouvements sociaux qui ont récemment abouti à un processus d’assemblée constituante, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2022/01/GAUDICHAUD/64194">comme au Chili</a>.</p>
<h2>Changer la démocratie sans prendre le pouvoir</h2>
<p>Une autre partie des Indignés ont continué à se mobiliser en dehors des institutions, dans des associations et des initiatives locales d’inspiration anarchiste comme les <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781315574875-6/converging-movements-miguel-mart%C3%ADnez-%C3%A1ngela-garc%C3%ADa-bernardos">squats autogérés</a>. Ils ont contribué à renforcer des collectifs existants, à l’instar de la <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2019-1-page-94.htm">Plateforme des victimes de l’hypothèque</a> (PAH) qui lutte depuis février 2019 contre la multiplication des expulsions de logement suite à la crise économique de 2008, et à en créer de nouveaux.</p>
<p>Des mobilisations massives, comme les <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2014-1-page-49.htm">marées citoyennes en défense des services publics</a> (en 2012 et 2013) ou le <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2018-4-page-155.htm">mouvement féministe qui connaît un renouveau important depuis 2018</a>, reposent en partie sur l’impulsion des Indignés et s’organisent également en assemblées.</p>
<p>Souvent réduits à l’émergence de nouvelles formations politiques comme Podemos, les effets du 15M se situent donc aussi dans les transformations d’organisations du mouvement social. Un engagement pourtant généralement présenté comme très limité dans le temps a ainsi eu un impact à long terme : même s’il y a un temps court de l’événement, celui-ci introduit un horizon normatif (une « démocratie réelle ») qui réoriente les modes d’action collective.</p>
<p>Cet horizon se décline en exigences pratiques qui viennent se heurter aux manières instituées de faire de la politique, jugées très négativement par les Indignés, et aboutissent à des renouvellements de pratiques dans les milieux militants. Cela s’est traduit par une prise en compte croissante des enjeux de démocratie interne dans une diversité d’organisations, une revitalisation du tissu associatif local et une multiplication des initiatives autonomes comme les coopératives, les <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2017-1-page-63.htm">squats d’activités et les réseaux de solidarité</a> – autant d’expériences qui pourraient inspirer les citoyens mobilisés en France.</p>
<p>Or, ces actions menées en dehors du champ institutionnel contribuent à renforcer la démocratie, en modifiant les perceptions du monde social et les pratiques politiques qui sont loin de se résumer aux partis et aux élections. Le fait de se focaliser sur la seule conquête du pouvoir d’État par les urnes néglige en effet des vecteurs importants de transformations sociales et politiques, comme le montrent par exemple les mouvements féministe ou antiraciste qui ont connu de véritables succès dans leur capacité à <a href="https://www.syllepse.net/changer-le-monde-sans-prendre-le-pouvoir-_r_76_i_362.html">changer le monde sans prendre le pouvoir</a>.</p>
<p>Il ressort donc de l’expérience espagnole un concept de « démocratie réelle » pluriel, qui nous invite à penser une diversité de réponses à la crise des régimes représentatifs, certes différentes mais complémentaires, depuis à la fois les institutions et l’espace des mouvements sociaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180701/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Héloïse Nez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le cas espagnol sur les expériences de démocratie directe pourrait être riche d’enseignements pour la France.Héloïse Nez, Maîtresse de conférences en sociologie, UMR CITERES, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1776862022-03-30T18:13:05Z2022-03-30T18:13:05ZComment le piège des théories du complot s’est refermé sur le mouvement des « gilets jaunes »<p>Le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/gilets-jaunes-62467">mouvement des « gilets jaunes »</a> a profondément marqué l’imaginaire politique et social du pays. Né sur les réseaux sociaux de façon largement spontanée, ce mouvement de protestation contre l’augmentation du prix des carburants s’est matérialisé dans la rue et sur les ronds-points fin 2018. Les revendications des « gilets jaunes » se sont rapidement étendues à d’autres sujets, sans pour autant se cristalliser en un projet politique défini susceptible de fédérer l’intégralité du mouvement.</p>
<p>Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, le <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2019/01/12/01002-20190112ARTFIG00126-de-l-acte-i-a-l-acte-ix-la-mobilisation-des-gilets-jaunes-en-chiffres.php">pic de mobilisation</a> des « gilets jaunes » – 288 000 personnes environ sur tout le pays – a été atteint lors des manifestations du samedi 17 novembre 2018. La participation n’a ensuite cessé de diminuer. Néanmoins, le mouvement a continué de faire l’objet d’une large couverture médiatique. L’ombre des « gilets jaunes » a encore récemment plané sur divers mouvements sociaux, tels que celui des <a href="https://www.liberation.fr/economie/social/dans-le-cortege-des-gilets-jaunes-anti-pass-quand-on-est-de-gauche-on-suit-qui-dans-la-rue-20210911_JNEVOLRT3JBVLDKQ23S66YBKO4/">anti-pass sanitaire</a> ou des <a href="https://theconversation.com/convois-de-la-liberte-les-gilets-jaunes-en-heritage-177033">« convois de la liberté »</a>. On y a en effet croisé des figures des « gilets jaunes » ou des manifestants s’en réclamant. La hausse vertigineuse du prix des carburants liée à la guerre en Ukraine ouvre aujourd’hui la <a href="https://www.leparisien.fr/economie/carburants-les-prix-historiquement-hauts-plombent-le-budget-des-francais-24-01-2022-LF665EKPXZBNVGWW3MCYQJIXZY.php">possibilité d’un retour du mouvement</a> sur le devant de la scène.</p>
<h2>Des questions non résolues</h2>
<p>Si le phénomène « gilets jaunes » a suscité quantité d’analyses et de commentaires, certaines de ses caractéristiques demeurent débattues. C’est le cas, notamment, de la place prise par les théories du complot dans le mouvement. De telles théories ont été nombreuses à circuler sur les réseaux sociaux des « gilets jaunes », comme celles soutenant que l’attentat de Strasbourg de décembre 2018 aurait été <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/14/gilets-jaunes-et-attaque-de-strasbourg-le-poison-complotiste_5397433_3232.html">commandité par le gouvernement français lui-même</a> ou que ce dernier cherchait secrètement à <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2018/12/05/le-pacte-de-marrakech-agite-les-gilets-jaunes-et-entraine-son-lot-de-fake-news_a_23609338/">organiser la perte de la souveraineté de la France en matière d’immigration</a>.</p>
<p>Certains commentateurs, dont l’<a href="https://www.atterres.org/">« économiste attéré »</a> <a href="https://blog.mondediplo.net/le-complotiste-de-l-elysee">Frédéric Lordon</a>, ont pourtant affirmé que la sensibilité à des théories de ce genre était marginale parmi les « gilets jaunes » et que les accuser de complotisme n’avait d’autre but que de les discréditer :</p>
<blockquote>
<p>« L’anticomplotisme est devenu par excellence la grammaire disqualificatrice des pouvoirs installés, à qui ne reste d’autre argument que de saturer le paysage avec des errements, au reste fort minoritaires, pour ne plus avoir à engager la discussion sur les contenus. »</p>
</blockquote>
<p>Cette thèse est-elle fondée ? Plus généralement, peut-on identifier des propriétés cognitives et sociales des « gilets jaunes » ayant joué un rôle dans leur adhésion au mouvement ou qui en auraient résulté ?</p>
<h2>Caractéristiques des « gilets jaunes »</h2>
<p>Pour apporter un éclairage sur ces questions, nous avons procédé à de nouvelles analyses d’un <a href="https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/drupal_fjj/redac/commun/productions/2019/0220/rapport_complot.pdf">sondage</a> de décembre 2018 conduit par l’Ifop pour la <a href="https://www.jean-jaures.org/">Fondation Jean-Jaurès</a> et <a href="https://www.conspiracywatch.info/">Conspiracy Watch</a> sur un panel représentatif de la population de 1760 personnes. Ce sondage les questionnait sur leur positionnement à l’égard du mouvement des « gilets jaunes », sur leur situation socio-économique, sur leur perception de la société ainsi que sur leur niveau d’adhésion à 10 théories du complot (sans lien avec le mouvement).</p>
<p>Si nous ne sommes pas à l’initiative de ce sondage, certains items, dont une <a href="https://doi.org/10.3389/fpsyg.2013.00225">mesure standardisée de la sensibilité au complotisme</a>, y ont été ajoutés à notre demande. Cette « échelle de complotisme » interroge le positionnement des répondants face à des affirmations génériques (par exemple, « Je pense qu’il existe des organisations secrètes qui influencent grandement les décisions politiques ») plutôt qu’à l’égard de théories du complot spécifiques, comme celles testées par ailleurs dans le sondage (par exemple, « Le gouvernement américain a été impliqué dans la mise en œuvre des attentats du 11 septembre 2001 »).</p>
<p><a href="http://doi.org/10.5334/irsp.556">Nos analyses</a>, récemment publiées dans l’<a href="https://www.rips-irsp.com/"><em>International Review of Social Psychology</em></a>, font apparaître que le fait de se dire membre des « gilets jaunes » est statistiquement corrélé avec le fait de déclarer :</p>
<ul>
<li><p>des niveaux d’études et de revenus plus faibles que la moyenne</p></li>
<li><p>des fins de mois plus difficiles et des départs en vacances plus rares</p></li>
<li><p>une plus forte dépendance à la voiture</p></li>
<li><p>un attachement moindre à la démocratie</p></li>
<li><p>une confiance moindre dans les institutions et les médias</p></li>
<li><p>le sentiment d’avoir moins bien réussi sa vie</p></li>
<li><p>une vision plus pessimiste du futur et plus nostalgique du passé</p></li>
<li><p>une utilisation plus fréquente des réseaux sociaux et de YouTube pour s’informer</p></li>
<li><p>une sensibilité plus marquée aux croyances paranormales</p></li>
<li><p>une sensibilité plus marquée au complotisme : positionnement plus élevé sur « l’échelle de complotisme » et adhésion plus forte aux 10 théories du complot testées</p></li>
</ul>
<p>Politiquement, l’extrême gauche et, davantage encore, l’extrême droite sont surreprésentées chez les personnes qui se disent membres des « gilets jaunes ».</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/448306/original/file-20220224-47163-uio7ov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/448306/original/file-20220224-47163-uio7ov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/448306/original/file-20220224-47163-uio7ov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=162&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/448306/original/file-20220224-47163-uio7ov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=162&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/448306/original/file-20220224-47163-uio7ov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=162&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/448306/original/file-20220224-47163-uio7ov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=204&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/448306/original/file-20220224-47163-uio7ov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=204&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/448306/original/file-20220224-47163-uio7ov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=204&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Orientation politique des répondants selon leur positionnement à l’égard des « gilets jaunes ». Lecture : 1.00 = extrême gauche, 2.00 = gauche, 3.00 = centre, 4.00 = droite, 5.00 = extrême droite.</span>
<span class="attribution"><span class="source">P. Wagner-Egger, J. Adam-Troian, L. Cordonier, et coll. (2022)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nous avons alors conduit une analyse statistique qui fait ressortir que certains de ces facteurs peuvent être regroupés dans les catégories suivantes :</p>
<ul>
<li><p>Capital économique : niveau de revenus, régularité des départs en vacances…</p></li>
<li><p>Croyances irrationnelles : niveau de sensibilité au complotisme et aux croyances paranormales</p></li>
<li><p>Anomie : à savoir, le sentiment que la société se délite (niveau de pessimisme à l’égard du futur et de défiance envers les institutions et les médias)</p></li>
</ul>
<p>Sur cette base, nous avons calculé un modèle mathématique qui permet d’estimer comment ces trois groupes de facteurs, ainsi que le niveau d’études, la dépendance à la voiture et le fait de se dire membre des « gilets jaunes » s’influencent mutuellement.</p>
<p>Résultat : un faible niveau d’études et de capital économique, ainsi qu’une forte dépendance à la voiture seraient des facteurs explicatifs de l’appartenance au mouvement des « gilets jaunes ». L’appartenance à ce mouvement viendrait alors renforcer les croyances irrationnelles et le sentiment d’anomie de ses membres.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/448310/original/file-20220224-47163-l4jxxf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/448310/original/file-20220224-47163-l4jxxf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/448310/original/file-20220224-47163-l4jxxf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=239&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/448310/original/file-20220224-47163-l4jxxf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=239&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/448310/original/file-20220224-47163-l4jxxf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=239&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/448310/original/file-20220224-47163-l4jxxf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=300&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/448310/original/file-20220224-47163-l4jxxf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=300&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/448310/original/file-20220224-47163-l4jxxf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=300&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Modèle d’équation structurelle visant à estimer la manière dont les facteurs retenus s’influencent entre eux. Une flèche indique la direction d’un lien causal possible. Le signe de la valeur (<em>beta</em> standardisé) indique si le facteur influence positivement ou négativement l’autre facteur. Les valeurs entre parenthèses correspondent aux écarts-types. Les astérisques indiquent que les liens présentés sont statistiquement significatifs (<em>p</em><0.001).</span>
<span class="attribution"><span class="source">P. Wagner-Egger, J. Adam-Troian, L. Cordonier, et coll. (2022)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des conséquences néfastes</h2>
<p>Notre étude confirme que des facteurs socio-économiques ont joué un rôle dans l’adhésion au mouvement des « gilets jaunes ». Dépendance à la voiture et budgets restreints ont logiquement pu inciter les personnes concernées à manifester leur mécontentement contre la hausse du prix des carburants et, plus largement, contre le coût élevé de la vie.</p>
<p>Nous avons également observé que le fait de se dire membre des « gilets jaunes » est associé à des facteurs cognitifs : sentiment d’anomie (vision pessimiste du futur, défiance envers les institutions et les médias) et adhésion à des croyances irrationnelles (complotistes, notamment). Soulignons que nos analyses suggèrent qu’il s’agit probablement là davantage de <em>conséquences</em> que de causes de l’appartenance à ce mouvement.</p>
<p>Si le sentiment d’anomie et la mentalité complotiste ont crû chez le « gilets jaunes », c’est peut-être en raison de la dureté, voire de la violence du maintien de l’ordre lors de certaines manifestations ainsi que d’une couverture médiatique du mouvement perçue par ses membres comme injuste et avilissante. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que la défiance à l’égard des institutions et des médias, tout comme la sensibilité aux interprétations « alternatives » du monde proposées par les théories du complot se soient renforcées dans leurs rangs.</p>
<p>De telles conséquences ont très certainement été néfastes pour le mouvement. Si les théories du complot, en suscitant de l’indignation chez ceux qui y croient, permettent de mobiliser et de fédérer, elles constituent <a href="https://www.ekr.admin.ch/f847.html">pourtant une impasse politique</a>. En effet, le prisme complotiste empêche de poser un diagnostic pertinent sur la situation et rend la dénonciation d’injustices sociales inaudible pour le reste de la population.</p>
<p>Le piège des théories du complot s’est ainsi refermé sur le mouvement des « gilets jaunes », le poussant progressivement vers une certaine marginalité politique, quelle que soit la légitimité des colères et des revendications qu’il a pu porter. La contestation sociale en France devra à l’avenir éviter ce piège si elle veut retrouver son rôle démocratique de mise en évidence des injustices pour initier le changement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177686/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Cordonier dirige la recherche à la Fondation Descartes, qui n'a aucun lien avec cet article ou avec l'étude qui y est présentée.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Florian Cafiero, Gérald Bronner et Pascal Wagner-Egger ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Une nouvelle analyse de données collectées fin 2018 permet de mieux comprendre quelle place les théories du complot ont prise chez les « gilets jaunes » ainsi que les motifs d’appartenance au mouvement.Laurent Cordonier, Sociologue - Docteur en sciences sociales, Université Paris CitéFlorian Cafiero, Ingénieur de recherche, CNRS, GEMASS, Sorbonne UniversitéGérald Bronner, Professeur de sociologie cognitive, Université Paris CitéPascal Wagner-Egger, Senior lecturer, University of FribourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1780382022-02-28T19:32:51Z2022-02-28T19:32:51ZLa concentration des employeurs a-t-elle pu contribuer au mal-être territorial ?<p><em>Fin 2018, 70 % des sympathisants du mouvement des « gilets jaunes » touchaient un revenu inférieur au revenu médian, et les manifestations ont concerné des communes ayant connu de fortes baisses du taux d’emploi. Dans leurs <a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/lettre/abstract.asp?NoDoc=12918">travaux</a>, Axelle Arquié et Julia Bertin, économistes au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) montrent que dans les territoires où la concentration des employeurs est plus élevée les salaires sont, toutes choses égales par ailleurs, plus bas, surtout pour les plus pauvres. Elles répondent aux questions d’Isabelle Bensidoun, économiste et adjointe au directeur du CEPII.</em></p>
<hr>
<p><strong>Le mouvement des « gilets jaunes » a exprimé un profond mal-être dans certains territoires. Quels liens entre ce mouvement et une réalité peu visible, celle de la concentration des employeurs ?</strong></p>
<p>Les revendications portées par les « gilets jaunes » ont en effet rapidement dépassé la contestation initiale d’une nouvelle taxe sur le carburant pour exprimer le mal-être et le déclassement des classes moyennes et populaires, ressentis tout particulièrement au sein de certains territoires. La dimension territoriale de ce mouvement est essentielle : son originalité politique tient ainsi à une territorialisation très dispersée, avec des actions protestataires profondément <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2020-4-page-177.htm">ancrées dans l’espace local</a>.</p>
<p>L’emploi en particulier constitue une dimension majeure de cette mobilisation : les communes où les <a href="https://www.cae-eco.fr/Territoires-bien-etre-et-politiques-publiques">baisses du taux d’emploi</a> ont été les plus marquées entre 2010 et 2015 sont également celles qui ont connu des épisodes importants. La dégradation des conditions de travail et la probabilité accrue de faire face à des périodes d’emploi discontinues ont aussi été des <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2020-4-page-177.htm">facteurs fondamentaux d’engagement</a> au sein du mouvement. Et ce mouvement est également indissociable d’un niveau de vie, et donc de salaires, relativement bas : <a href="https://www.cepremap.fr/2019/02/note-de-lobservatoire-du-bien-etre-n2019-03-qui-sont-les-gilets-jaunes-et-leurs-soutiens/">70 % des sympathisants</a> ont ainsi un revenu inférieur au revenu médian.</p>
<p>Or, la concentration des employeurs est indissociablement liée à ces deux causes structurelles de mécontentement : des salaires bas et des emplois en nombre insuffisant. Si les « gilets jaunes » n’ont bien entendu pas dénoncé les effets d’une concentration excessive des employeurs, celle-ci a pu contribuer à façonner les inégalités d’emploi dont ceux-ci souffrent au sein de territoires négligés.</p>
<p><strong>Cela signifie que lorsque la concentration des employeurs est forte, les salaires sont plus bas et les emplois moins nombreux ?</strong></p>
<p>Absolument. C’est ce que montrent les travaux qui se sont intéressés aux effets de la concentration des employeurs. Celle-ci dépend à la fois du nombre et du poids des employeurs potentiels d’un salarié dans la zone d’emploi où il travaille.</p>
<p>Un salarié de l’imprimerie autour d’Avignon a pour alternative une trentaine d’établissements sans qu’aucun d’entre eux ne domine le marché de l’emploi : la concentration des employeurs y est faible. À l’inverse, un salarié de l’industrie chimique autour de Roubaix se trouve face à un marché du travail concentré : seuls quatre employeurs, dont certains ont un poids prépondérant, sont présents.</p>
<p>Et les écarts entre territoires sont très importants, comme le montre la carte ci-dessous qui fait apparaître une « diagonale de la concentration », allant du sud-ouest au nord-est de la France.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/448843/original/file-20220228-17-125ju3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/448843/original/file-20220228-17-125ju3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/448843/original/file-20220228-17-125ju3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=506&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/448843/original/file-20220228-17-125ju3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=506&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/448843/original/file-20220228-17-125ju3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=506&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/448843/original/file-20220228-17-125ju3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=636&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/448843/original/file-20220228-17-125ju3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=636&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/448843/original/file-20220228-17-125ju3j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=636&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Carte : Disparités de la concentration des employeurs, par département, en 2019. Note : La concentration des employeurs est d’autant plus élevée que la couleur est foncée.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/lettre/abstract.asp?NoDoc=12918">Arquié et Bertin, 2021</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Et en effet, une forte concentration des employeurs a deux conséquences majeures pour le bien-être des habitants. Tout d’abord, sur un marché du travail plus concentré, le pouvoir de négociation des salariés est largement réduit : ceux-ci sont alors contraints d’accepter des salaires plus bas ce qui entame leur niveau de vie. Plus inquiétant encore, les baisses de salaires ne sont pas réparties uniformément et les salariés les moins bien rémunérés sont les <a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/lettre/abstract.asp?NoDoc=12918">plus vulnérables</a> face à la concentration des employeurs avec des pertes de revenus plus importantes que les salariés mieux payés.</p>
<p>Ensuite, une hausse de la concentration des employeurs se traduit par une <a href="https://ideas.repec.org/a/eee/jeborg/v184y2021icp506-605.html">baisse des créations d’emploi</a>, et donc in fine par un taux de chômage plus important. Une explication classique à ce phénomène, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0169721811024099">celle du monopsone</a>, l’équivalent du monopole sur le marché du travail, est que ces offres d’emploi mal rémunérées ne trouvent pas preneurs.</p>
<p>Une explication alternative est que lorsque la concentration des employeurs fait basculer le rapport de force en leur faveur, ces derniers peuvent exiger davantage de leurs salariés actuels. En leur ajoutant par exemple de nouvelles tâches sans rémunération additionnelle, sans que ceux-ci puissent s’y opposer sous peine de se retrouver au chômage en l’absence d’alternatives crédibles ailleurs. Dans ce contexte, les employeurs ont moins d’incitation à créer de nouveaux emplois.</p>
<p>Selon la région où nous vivons, nous faisons ainsi face à un marché du travail bien différent. Et comme la mobilité géographique et sectorielle des travailleurs est faible, la grande majorité des salariés restent dépendants de leur marché du travail.</p>
<p><strong>Que peut-on faire pour ces salariés tributaires de marchés du travail dominés par quelques gros employeurs en position de force ?</strong></p>
<p>Il est important de ne pas seulement compenser les pertes de revenus de ces salariés par des transferts, mais de mener en parallèle une politique de redynamisation des territoires, avec pour objectif d’attirer des employeurs dans les zones où ils se sont raréfiés. Cela permettrait de rééquilibrer les rapports de force entre salariés et employeurs, avec in fine un impact positif sur l’emploi et les salaires.</p>
<p>Cette politique de rééquilibrage territorial des marchés du travail permettrait des implantations d’entreprises qui favoriseraient le redéploiement d’un tissu local en matière de services de proximité, source de bien-être majeure pour les résidents. <a href="https://lobsoco.com/etude-exclusive-qui-sont-les-gilets-jaunes-leurs-soutiens-leurs-opposants/">Les communes ayant connu des épisodes de mobilisation</a> des « gilets jaunes » se caractérisent en effet par une dégradation des conditions de vie, avec une raréfaction des équipements locaux, des services publics (tribunaux de grande instance, hôpitaux, etc.), mais aussi des commerces de proximité.</p>
<p>Une commune d’où a <a href="https://www.cae-eco.fr/Territoires-bien-etre-et-politiques-publiques">disparu une épicerie</a> a ainsi plus de chances d’avoir connu une forte mobilisation de « gilets jaunes » et une augmentation de l’abstention aux dernières élections présidentielles. Et l’implantation de nouvelles entreprises exercera un effet d’entraînement d’autant plus important sur le reste de la zone d’emploi si celles-ci font partie du secteur industriel.</p>
<p>La campagne présidentielle, au cours de laquelle beaucoup des candidats s’engagent en faveur de la réindustrialisation, gagnerait à mettre au cœur des débats cette dimension territoriale. Si les outils pour attirer les entreprises sont connus (fiscalité locale, subventions ciblées), il est difficile <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0047272706001691">d’influencer l’implantation des entreprises</a>. Cela réclamerait une approche stratégique qui définisse le type d’entreprises à attirer en fonction du tissu industriel et du type de main-d’œuvre spécifique à chaque région.</p>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la série du CEPII « L’économie internationale en campagne » un partenariat CEPII – The Conversation</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178038/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La concentration du marché du travail dans une zone donnée conditionne le pouvoir de négociation et donc les salaires de la population.Axelle Arquié, Économiste, CEPIIIsabelle Bensidoun, Adjointe au directeur, CEPIIJulia Bertin, Économiste, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1763352022-02-22T18:37:31Z2022-02-22T18:37:31ZDébat : Retrouver le chemin vers les « petits pays renouvelables »<p>Zones agricoles, aires périurbaines, friches industrielles, massifs forestiers… Quels destins post-carbone pour les territoires les moins peuplés ? À l’heure des choix de société, les enjeux territoriaux et urbains doivent être au cœur du débat public.</p>
<p>Il faut aujourd’hui souligner la nécessité de <a href="https://www.eceee.org/library/conference_proceedings/eceee_Summer_Studies/2011/4-transport-and-mobility-how-to-deliver-energy-efficiency160/dense-cities-in-2050-the-energy-option/">flécher des investissements vers ces territoires</a> et de piloter la transition par des métriques locales.</p>
<p>Au-delà de leurs vocations agricoles, ces « pays » – <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_r%C3%A9gions_naturelles_de_France">au sens des régions naturelles</a> – sont nos « bassins versants écologiques », nos indispensables puits carbone +1,5 °C-compatibles.</p>
<h2>Brève histoire des bassins versants écologiques</h2>
<p>Avant l’impasse thermo-industrielle, nos campagnes étaient autonomes vis-à-vis des flux liés aux activités humaines. Le métabolisme était local et fortement circulaire. L’énergie était renouvelable : biomasse, avec parfois des moulins à vent ou à eau.</p>
<p>Souvent excédentaires en production par rapport à leurs besoins propres (énergie, alimentation, matières organiques, etc.), ces pays constituaient les <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10113-011-0275-0">corolles d’abondance des villes et des bourgs</a>.</p>
<p>Avant les révolutions industrielles, avant l’ère extractiviste, ces régions étaient autant de « petits pays renouvelables », au sens de leur capacité à équilibrer besoins et productions. Il faut retrouver ce chemin : faire décroître la pression écologique des densités et, en parallèle, renforcer le potentiel de ces bassins versants, en articulant leurs proximités et en renforçant leurs symbioses.</p>
<p>Voilà la clé pour (re)composer le puzzle de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ou_atterrir_-9782707197009">« l’atterrissage »</a> planétaire.</p>
<h2>Les zones peu denses, nouveau défi politique</h2>
<p>Les habitants des zones peu denses réclament de l’attention, comme en a témoigné la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/gilets-jaunes-62467">crise des « gilets jaunes »</a>, et d’être réintégrés au cœur du pacte social.</p>
<p>Un nouveau récit reste à bâtir, de nouvelles fiertés à inventer, mettant fin au déclassement social, associé parfois à un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=srDH_zxjyRw">imaginaire de « France moche »</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1214621724119093248"}"></div></p>
<p>Zones égarées <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Diagonale_du_vide">dans la « diagonale du vide »</a>, franges périurbaines isolées, la réparation du monde passera par la reconfiguration de ces pays. Plus que de <em>smart cities</em>, les projets politiques doivent se concentrer sur les bourgs et les zones pavillonnaires : ils sont de formidables leviers de transitions, des espaces de libertés et d’expérimentations.</p>
<p>Redécouvrons leur potentiel pour nourrir les densités : pour une alimentation soutenable, pour tous nos intrants (eau, énergie, matières…) et pour nos exutoires (réabsorption du CO<sub>2</sub>, déchets…).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/3DPyKQ829II?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande-annonce du film de Marie-Monique Robin « Qu’est-ce qu’on attend ? » (Bandes-annonces, 2020).</span></figcaption>
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<p>Pour l’énergie, une <a href="https://www.dailymotion.com/video/x81l1pe">esthétique des renouvelables</a> est à inventer, anticipant le « surgissement » de ces infrastructures – selon le récent rapport de RTE, <em>Futurs énergétiques 2050</em>, on devrait de 14 000 à 35 000 mats pour l’éolien terrestre et de 0,1 à 0,3 % du territoire pour le photovoltaïque, selon les différents scénarios – et dépasser les polémiques de l’impact paysager. Nos campagnes et nos franges méritent une nouvelle ambition esthétique.</p>
<p>Pour illustrer cette nouvelle géographie post-carbone, <em>matriochkas</em> du local au global, <a href="https://bit.ly/3rq0a7D">j’illustre</a> dans le graphique ci-dessous <a href="https://ecosociete.org/livres/manuel-de-transition">l’empreinte écologique d’Hopkins</a>, à l’échelle d’une commune de 5000 habitants.</p>
<p>Le récit de ce territoire spatialise la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ville_en_transition">convergence entre besoins et productions, entre évolution des usages et celui des sols</a>. Ces « petits pays renouvelables » constituent la clé du changement ; la mise en œuvre de cette nouvelle fierté réclame de nouveaux instruments.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/443692/original/file-20220201-28-1q6vhlv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/443692/original/file-20220201-28-1q6vhlv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/443692/original/file-20220201-28-1q6vhlv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=601&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/443692/original/file-20220201-28-1q6vhlv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=601&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/443692/original/file-20220201-28-1q6vhlv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=601&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/443692/original/file-20220201-28-1q6vhlv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=755&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/443692/original/file-20220201-28-1q6vhlv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=755&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/443692/original/file-20220201-28-1q6vhlv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=755&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dynamique des bassins versants écologiques d’Hopkins pour une ville de 5000 habitants, d’une aire communale de 25km², insérée dans son territoire et à proximité des autres villes et villages. Au fur et à mesure de la transition, les bassins versants écologiques ne se superposent plus et redeviennent à terme excédentaires.</span>
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<h2>Spatialiser les aides à la transition</h2>
<p>En zones peu denses, la dépendance à l’automobile va de pair avec des tissus résidentiels souvent énergivores. Cette conjugaison mobilité-bâtiment alourdit le budget des ménages et grève les émissions CO<sub>2</sub>, qui peuvent aisément atteindre <a href="https://issuu.com/raphael_menard/docs/200801_energie_mati_re_architecture_raphael_menard">4000 euros par an</a> (en prenant pour base 15 000 km par an avec une voiture thermique et une maison de 100 m<sup>2</sup> chauffée au fioul et mal isolée).</p>
<p>Une politique publique spécifique et cohérente permettrait de conjuguer efficacité du bâti, transition des mobilités et reconfiguration des sols (dont la désartificialisation). Des crédits d’impôt vers la rénovation des existants, des incitations spécifiques pour les toits solaires, des primes à la conversion ou de « retrofit électrique » (consistant à modifier des fonctions technologiques dans des systèmes vieillissants) vers des mobilités peu émettrices.</p>
<p>Ce fléchage serait évalué lors de la déclaration fiscale, selon la localisation du domicile principal ; un dispositif similaire pourrait être dévolu à la fiscalité des entreprises – par exemple, poids des charges de mobilité pour une entreprise d’artisanat dans le milieu rural, comme pour les agriculteurs et le matériel agricole thermique.</p>
<p>Le croisement entre le revenu du ménage (et pourquoi pas aussi pour les entreprises !) et cette taxonomie « éco-géographique » déclencherait des dispositifs type bonus-malus et/ou de crédit d’impôt.</p>
<p>Avec volontarisme, et sous dix ans, les dépenses pourraient être divisées par cinq et les émissions de gaz à effet de serre au moins d’autant : <a href="https://issuu.com/raphael_menard/docs/200801_energie_mati_re_architecture_raphael_menard">700 euros par an de dépenses, contre 4000 auparavant, et le passage de 12 tonnes de CO₂ par an à moins d’une tonne</a>, suite à la rénovation thermique de l’habitat et à la transition mobilitaire.</p>
<p>Ces mesures seraient couplées à l’arrêt de toute artificialisation avec une prime au m<sup>2</sup> renaturé, et au renforcement du potentiel de séquestration carbone. Ces « petits pays renouvelables » engageraient de nouvelles dynamiques locales et la relocalisation des bassins d’emploi.</p>
<h2>Une nouvelle cartographie</h2>
<p>Cette mise en œuvre suppose pilotage et de nouveau outils, comme le suivi cadastral des densités d’émission et de séquestration carbone. L’estimation de la densité d’émissions pour les ménages et les entreprises serait basée sur la collecte des informations de la déclaration fiscale, en comprenant quelques valeurs complémentaires à renseigner comme les dépenses et la nature des achats annuels d’énergie pour le bâti et la mobilité notamment.</p>
<p>Associée au mode d’occupation des sols, cette cartographie apporterait une métrique du métabolisme des territoires. Ce nouveau type de cadastre – notamment <a href="https://www.arep.fr/">développé par AREP</a> sous l’acronyme EMC2B (énergie, matière, carbone, climat et biodiversité) – serait accessible à tous et permettrait de suivre à toute échelle de temps et d’espace le changement de régime écologique.</p>
<p>Plus largement, cette documentation consoliderait la trajectoire de la France, futur (petit) pays (re)devenu renouvelable, illustrant une méthode déclinable à bien d’autres.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176335/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Raphaël Ménard dirige l’AREP (filiale de SNCF Gares & Connexions). </span></em></p>Zones agricoles, aires périurbaines, friches industrielles, massifs forestiers… La réparation du monde passera par la reconfiguration de ces espaces géographiques et sociopolitiques.Raphaël Ménard, Enseignant à l’École d’architecture de la ville & des territoires Paris-Est, président d’AREP, Université Gustave EiffelLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1765932022-02-16T10:03:26Z2022-02-16T10:03:26ZLes consultations citoyennes peuvent-elles redéfinir la légitimité politique ?<p>Aurait-on vécu en France, d’autres crises économiques, sociales, sanitaires et environnementales si les citoyens avaient été consultés ?</p>
<p>Ces dernières années, on a pu constater la volonté de renforcer l’ancrage de la prise de décision publique sur les préférences citoyennes pour des raisons de transparence et d’efficacité de l’action publique.</p>
<p>Les décideurs politiques visent notamment à instaurer une gestion plus performante et plus démocratique au bénéfice des citoyens à l’exemple de la <a href="https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/">Conférence citoyenne sur le climat</a> et le <a href="https://granddebat.fr/">« grand débat national »</a> sous l’égide de l’État pour faire suite à la <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/la-crise-des-gilets-jaunes-en-dix-dates-139738">crise des « gilets jaunes »</a>. Mais pas que, se sont aussi développés les <a href="https://www.cco-villeurbanne.org/a-propos/le-projet/">jurys citoyens</a>, les <a href="https://www.conseilscitoyens.fr/">conseils de citoyens</a>, les <a href="https://www.lotetgaronne.fr/fileadmin/mediatheque/Lot-et-Garonne/01-Documents/Actualites/05_2021/CCC-compte-rendu-et-annexes.pdf">conseils consultatifs de citoyens</a> et les <a href="https://caen.fr/conseils-de-quartiers">conseils de quartiers</a> dans les instances des collectivités territoriales. Ces outils permettent aux citoyens d’observer, d’amender, de proposer, de conseiller les décideurs politiques afin qu’ils puissent adapter les programmes d’action publique, juger des choix effectués et, des effets sur la collectivité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-les-citoyens-evaluent-les-decisions-publiques-141749">Quand les citoyens évaluent les décisions publiques</a>
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<p>La crise sanitaire a fait émerger un écosystème citoyen au sein des collectivités territoriales autour d’un certain nombre d’outils de consultation : comité de citoyen de transparence aux <a href="https://www.martinique.gouv.fr/Actualites/Creation-d-un-comite-citoyen-de-transparence">Antilles</a> et, sur la métropole, la mise en place de <a href="https://www.tours.fr/services-infos-pratiques/726-comite-de-liaison-citoyen.htm">comité de liaison citoyen</a>, de <a href="https://www.grenoble.fr/1950-convention-citoyenne-covid-19.htm">convention citoyenne Covid-19</a>, de <a href="https://debats.bordeaux.fr/pages/commission-citoyenne-crise-sanitaire">commission citoyenne de crise sanitaire</a>. Ces différents outils ont pour objectif de faire participer les citoyens à la connaissance de la crise sanitaire et adapter et améliorer les décisions prises pour vivre avec la Covid-19.</p>
<p>Cette dynamique citoyenne s’est élargie au sein du gouvernement avec la création d’un <a href="https://www.franceinter.fr/societe/vaccination-covid-un-comite-de-citoyens-avec-qui-et-pour-quoi-faire">comité de citoyen sur la stratégie vaccinale</a>. Ces différentes instances citoyennes sont souvent à l’initiative des décideurs politiques en place.</p>
<h2>Des candidats à l’élection présidentielle encouragent le dialogue citoyen</h2>
<p>À ce jour, ce volontarisme politique s’observe principalement chez les candidats de gauche (<a href="https://melenchon2022.fr/programme/">Jean-Luc Mélenchon</a> ; <a href="https://www.2022avechidalgo.fr/notre_programme">Anne Hidalgo</a> ; <a href="https://www.fabienroussel2022.fr">Fabien Roussel</a> ; <a href="https://www.jadot2022.fr/programme">Yannick Jadot</a>) et d’extrême droite (<a href="https://mlafrance.fr/programme">Marine Le Pen</a>). Les autres candidats ne semblent pas s’y intéresser ou n’ont pas encore répondu dans ce sens.</p>
<p>Reste une question : celle du mode de prise en compte par ces candidats de ces consultations. En d’autres termes, faut-il muter d’une démocratie représentative à une démocratie directe ?</p>
<p>On pourrait ici faire référence au <a href="https://www.participation-et-democratie.fr/qu-est-ce-qu-un-jury-citoyen">Jury Citoyen</a> qui amène généralement la constitution d’un groupe de citoyens ordinaires (entre 15 et 25 personnes) tirés au sort et qui s’engage à être assidu tout au long d’un processus de délibération qui dure quelques jours. Les participants sont mis en situation d’apprentissage sous la coordination d’experts ou de représentants d’intérêts organisés : ils sont accompagnés jusqu’à la formulation de leur jugement. La décision finale, le « vote », résulte alors d’un débat public confrontant différents points de vue pour aboutir à un consensus.</p>
<p>Faut-il les rendre à l’avenir largement décisionnelles, c’est-à-dire inscrire la participation citoyenne dans la durée, par des échanges, des prises de position enchevêtrées mais aussi dissociées au fil du temps, en considérant l’avis, les besoins et les attentes des citoyens ? On pourrait ici faire référence aux <a href="https://conseilcitoyen-tg.fr/a-propos-du-conseil-citoyen">conseils citoyens</a> composés de deux collèges paritaires. Le premier concerne des habitants dits « citoyens ordinaires » tirés au sort ; le second est celui de représentants d’associations ou d’autres acteurs locaux (commerçants, professions libérales…).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/oqlOepv9KMI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Ce maire varois propose une consultation citoyenne pour choisir qui parrainer à la présidentielle, BFMTV, 16 janvier 2022.</span></figcaption>
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<h2>Le RIC, un outil plébiscité par plusieurs candidats</h2>
<p>La crise des « gilets jaunes » et l’une de leur revendication les plus marquante, le Référendum d’Initiative Populaire (RIC) semblent avoir eu un effet chez de nombreux candidats.</p>
<p>Cet outil ressort pour approuver ou rejeter une politique mais souvent à la « sauce » des candidats : Référendum d’Initiative Populaire pour Marine Le Pen ; Référendum d’Initiative Citoyenne pour Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo et Yannick Jadot. Et pour <a href="https://d3n8a8pro7vhmx.cloudfront.net/fabienroussel2022/pages/217/attachments/original/1643038967/exe_la_france_des_jours_heureux_LIVRE_stc.pdf">Fabien Roussel</a>, un référendum pourra être déclenché lorsqu’un million de citoyens auront demandé à être consultés sur des questions relevant de l’organisation des pouvoirs publics, des changements constitutionnels, ou des traités internationaux.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-lurgence-democratique-commence-par-le-bas-109598">« Gilets jaunes » : l’urgence démocratique commence par le bas</a>
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<p>Toutefois, Anne Hidalgo, Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon se démarquent en allant un peu plus loin dans l’institutionnalisation du partage de la décision avec les citoyens sur du long terme. Pour <a href="https://www.2022avechidalgo.fr/des_citoyens_acteurs_de_la_democratie_au_quotidien">Anne Hidalgo</a>, l’idée d’un Conseil de la Société Civile et une Conférence Départementale de la participation sera mise en place dans chaque département. <a href="https://www.lepoint.fr/politique/jadot-invite-la-societe-civile-dans-sa-campagne-via-un-conseil-de-la-democratie-30-10-2021-2449939_20.php">Yannick Jadot</a> a quant à lui, a invité la société civile à participer à sa campagne via un Conseil de la démocratie. Quant à la proposition de Jean-Luc Mélenchon, celle-ci semble aller encore plus loin, puisque son projet d’une nouvelle constitution, sous le contrôle des citoyens avec la création d’une <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/l-assemblee-constituante-voulue-par-jean-luc-melenchon-est-elle-possible-58777">Assemblée constituante</a>, participerait à la VI<sup>e</sup> République démocratique.</p>
<h2>Appel citoyen</h2>
<p>Dans ces différents contextes, les décisions ne seraient plus le fait d’un unique décideur tout puissant mais bien le fruit d’une concertation entre plusieurs parties prenantes ayant des intérêts différents.</p>
<p>Les citoyens, en observant et analysant l’action publique, en prodiguant des conseils et des recommandations aux autorités ayant une influence effective sur la décision publique œuvrent à la prise en compte des intérêts et des besoins des citoyens dans la gestion de tous types de crises. En contrepartie, ils sont informés, consultés et donc partie prenante de la décision publique.</p>
<p>Nous avons mené une <a href="https://blog.ecole-management-normandie.fr/fr/societe/consultation-citoyenne-a-vent-poupe-crise-sanitaire-de-2020/">étude</a> sur 315 personnes du 20 avril au 11 mai 2020, lors du premier confinement, sur la question de l’anticipation et de la gestion de la crise sanitaire dans ce cadre citoyen.</p>
<p>Les résultats montrent que les individus ont perçu un déficit d’information et de gestion collective durant la crise. Il ressort un besoin d’instauration d’instances citoyennes fondées sur la co-construction de l’action collective dans le domaine médical. Pour autant, cet écosystème citoyen montre que la démarche se déploie dans un schéma centraliste (les politiques restent les seuls décideurs), ce qui laisse peu de place aux citoyens dans le processus décisionnel.</p>
<h2>Crise de la légitimité politique</h2>
<p>On se retrouve ici confronté aux limites de l’exercice. Les décideurs politiques pensent avoir toute légitimité pour décider. Certains ne comprennent pas pourquoi les citoyens remettraient en cause leur mandat. Pour eux, le citoyen n’est pas reconnu comme <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/convention-citoyenne-les-senateurs-ecologistes-interpellent-gerard-larcher-qui">légitime pour codécider</a>.</p>
<p>Pourquoi, alors mettre en place des outils de participation citoyenne ? Les décideurs politiques cherchent-ils tout simplement à faire le « buzz » d’une véritable démocratie participative ? On constate que ces différentes instances citoyennes ne s’inscrivent pas durablement <a href="https://www.lejdc.fr/nevers-58000/actualites/les-conseils-citoyens-de-nevers-en-sommeil-les-raisons-d-un-echec_13738612/">dans le temps</a>.</p>
<p>Beaucoup d’entre elles sont en sommeil, certaines se sont éteintes d’elles-mêmes, d’autres vivotent, d’autres demeurent des <a href="https://www.europe1.fr/societe/cloture-de-la-convention-citoyenne-pour-le-climat-ses-membres-jugent-durement-lexecutif-4028239">effets d’annonce</a>. L’initiative alsacienne impulsée par les élus de sortir de la région Grand Est montre une volonté d’associer les citoyens à l’avenir de la région mais sera-t-elle suivi des faits ou est-ce un simple outil de communication ?</p>
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<figcaption><span class="caption">Alsace : une consultation citoyenne pour sortir du Grand est, France 3.</span></figcaption>
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<p>Si les citoyens expriment un fort besoin de participer à la prise de décision publique, beaucoup d’entre eux pensent que les décideurs n’ont pas confiance en <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/convention-citoyenne-les-elus-ne-peuvent-plus-revendiquer-le-monopole-de-la">leur parole</a>. Ce constat peut être un frein à la démocratie participative.</p>
<p>Quant aux décideurs politiques, ils ont peur de perdre leur légitimité politique, de se laisser déborder voire de ne pas savoir répondre aux choix citoyens. Par conséquent, la pertinence de la décision citoyenne résiderait dans « le vote » qui reste pour ces décideurs « le seul moment et/ou le seul outil » où les <a href="https://www.cairn.info/revue-participations-2019-2-page-217.htm">citoyens peuvent décider</a>.</p>
<h2>Un volontarisme politique contrasté</h2>
<p>Ce volontarisme politique pourrait procéder de la mauvaise utilisation voire de l’instrumentalisation de la démocratie participative par les décideurs.</p>
<p>Ces derniers peuvent en effet trouver dans la participation citoyenne l’opportunité de conforter leur image, de porter leurs options propres et leurs intérêts politiques, et se sentir dès lors nullement engagés par les positions citoyennes. Les politiques peuvent également <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-economie-2016-2-page-93.htm">courir des risques</a> quant à leur réélection en prenant des décisions finales fondées sur les seuls résultats de la consultation citoyenne.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/gestion-de-crise-mieux-integrer-la-reponse-des-citoyens-141741">Gestion de crise : mieux intégrer la réponse des citoyens</a>
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<p>Les décideurs politiques devraient s’adapter aux moyens dont ils disposent et aux garanties juridiques et éthiques pour faire de la consultation citoyenne un vrai outil effectif dans la décision publique. La consultation citoyenne aiderait à mieux considérer les élus et permettrait d’éviter des situations difficiles, telles les lacunes en matière d’information.</p>
<p>Les décisions, prises dans l’urgence et souvent improvisées pour faire face aux <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/04/faisons-de-cette-crise-sanitaire-l-occasion-de-renforcer-la-vitalite-de-notre-democratie_6062117_3232.html">crises majeures</a>, l’ont été sans consultation démocratique, avec des controverses récurrentes qui suscitent de la défiance voire du rejet, contrariant l’acceptabilité sociale et dès lors l’efficacité des mesures adoptées.</p>
<p>C’est donc la pertinence de la gouvernance des politiques publiques à l’œuvre, avant et pendant les crises, qui se trouve réinterrogée. Il convient de chercher à tirer tous les enseignements des problèmes rencontrés tant du point de vue de l’anticipation que de la gestion de crise pour chercher à préciser comment pourrait être refondée sur ces bases l’action collective. Ce fameux « effet miroir » où les citoyens vivant le quotidien peuvent aider les décideurs politiques à mieux connaître les attentes et les besoins citoyens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176593/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Angélique Chassy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que les initiatives visant à consulter les citoyens se multiplient, une question se pose : faut-il muter la démocratie représentative vers une démocratie directe ?Angélique Chassy, Docteure en Sciences Economiques - EM-Normandie - Business School - Enseignante-Chercheure, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1770332022-02-14T18:13:40Z2022-02-14T18:13:40Z« Convois de la liberté » : les « gilets jaunes » en héritage ?<p>Depuis plus d’une dizaine de jours, les actions protestataires font rage au Canada à la suite de l’instauration d’une obligation vaccinale pour les camionneurs canadiens transfrontaliers, et la capitale du pays est paralysée par des centaines de camions et des milliers de personnes.</p>
<p>Sous l’appellation de « Liberty convoy », cette mobilisation fait actuellement les gros titres en Amérique du Nord et s’exporte progressivement en Europe. En France, des dizaines de groupes Facebook et de fils Télégram se réclamant du « convoi de la liberté » sont apparus pour organiser un rassemblement similaire. Par ce biais, les manifestants ont appelé à rejoindre Paris par la route les vendredi 11 et samedi 12 février 2022.</p>
<p>Alors que le cortège se préparait, de nombreux commentateurs ont rapidement fait le rapprochement entre la version française du <a href="https://www.franceinter.fr/societe/convoi-de-la-liberte-en-france-ce-qu-il-faut-savoir-sur-ce-mouvement-anti-pass-qui-s-inspire-du-canada">« convoi de la liberté » et le mouvement des « gilets jaunes »</a>. Ils soulignent les ressemblances marquantes entre les deux mobilisations sur de nombreux terrains. C’est notamment le cas des modalités d’actions, comme les blocages de certains points routiers ou d’opérations escargots qui étaient déjà <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2019-5-page-869.htm">particulièrement prisés par le mouvement des « gilets jaunes »</a>.</p>
<p>Bien que la question du passe vaccinal ne se pose que récemment, certaines de leurs revendications paraissent également similaires et sont teintées d’une même opposition au gouvernement actuel, par exemple quant au <a href="https://laviedesidees.fr/L-impouvoir-d-achat.html">pouvoir d’achat</a> ou au <a href="https://www.cairn.info/revue-participations-2020-3-page-221.htm">contrôle des élus</a>.</p>
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<p>Alors qu’il était devenu plus rare d’entendre parler du mouvement des « gilets jaunes » dans la sphère médiatique ces derniers mois, de tels rapprochements semblent mettre en évidence l’héritage de cette précédente mobilisation de vaste ampleur dans l’<a href="https://www.cairn.info/revue-parlements-2021-3-page-166.htm">imaginaire collectif des luttes sociales</a> et du paysage contestataire français.</p>
<p>Cette filiation n’est toutefois pas que symbolique : en plus de l’usage d’un <a href="https://www.cairn.info/dictionnaire-des-mouvements-sociaux--9782724611267-page-454.htm">répertoire d’actions</a> qui s’attaque à la <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-une-crise-logistique-113399">gestion et logistique des flux</a>, on retrouve dans le « convoi de la liberté » une organisation décentralisée sur le territoire et au leadership plurivocal. En d’autres termes, la version française du « convoi de la liberté » semble tout autant s’inspirer de son homologue canadien que s’inscrire dans la lignée stratégique, logistique, et donc <a href="https://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=141">organisationnelle du précédent mouvement des « gilets jaunes »</a>.</p>
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<a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-quelle-democratie-veulent-ils-170146">« Gilets jaunes » : quelle démocratie veulent-ils ?</a>
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<h2>Une organisation plus fluide des mouvements sociaux</h2>
<p>Il serait impossible de comprendre comment un tel convoi a pu être si vite planifié et comment des milliers de véhicules ont ainsi pu affluer des quatre coins de la France pour rejoindre la capitale sans tenir compte de l’existence de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/9780470674871.wbespm001">mouvements en sommeil</a>, tels les « gilets jaunes », qui viennent contribuer à l’organisation de cette mobilisation émergente.</p>
<p>En effet, les mouvements sociaux sont <a href="https://www.jstor.org/stable/3096934">rarement des entités cloisonnées</a> ; ils s’influencent mutuellement et certains mouvements peuvent donner naissance à de nouvelles mobilisations. Par ailleurs, l’arrêt des actions protestataires visibles n’est pas toujours synonyme de la fin d’un mouvement. Certaines structures de mobilisation sont parfois <a href="https://www.cairn.info/dictionnaire-des-mouvements-sociaux--9782724611267-page-17.htm">« mises en veille »</a>, expliquant dès lors que certains mouvements puissent se transformer ou émerger à nouveau.</p>
<p>Tout particulièrement, la résurgence actuelle d’un nouveau mouvement dont l’organisation est qualifiée par les médias de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/blocage-ces-anti-pass-francais-et-europeens-veulent-imiter-les-routiers-canadiens">« nébuleuse »</a> invite ainsi à revenir sur la façon dont nous pensons la notion d’appartenance (membership), <a href="https://www.routledge.com/Membership-Based-Organizations-of-the-Poor/Chen-Jhabvala-Kanbur-Richards/p/book/9780415748599">question centrale</a> dans les analyses sur l’organisation des mouvements sociaux.</p>
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<a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-medias-et-internet-les-premiers-enseignements-108517">« Gilets jaunes », médias et Internet : les premiers enseignements</a>
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<p>Historiquement, les <a href="https://www.cairn.info/sociologie-des-mouvements-sociaux--9782707169358-page-49.htm">recherches sur les mouvements sociaux</a> ont souligné l’importance d’une structure organisationnelle pour pouvoir mobiliser des ressources. Ces ressources peuvent être de nature matérielle, humaine, morale, ou encore culturelle, dans le but de renforcer l’efficacité de la contestation, ou à défaut de la maintenir dans le temps.</p>
<p>Dans cette perspective, l’organisation d’une action protestataire est alors prise en charge par les personnes affiliées à une structure (un syndicat ou une organisation de mouvement social par exemple), autrement dit ses membres (employés, adhérents, bénévoles, etc.). Cette idée a longuement encouragé à penser le succès et la longévité des mouvements sociaux et des actions contestataires comme dépendants d’une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0170840612464610">organisation formelle</a>, le plus souvent centralisée.</p>
<p>Les récents développements académiques ont néanmoins <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1354068813519969">questionné le rôle de ces organisations formelles</a> dans les mobilisations de masse et ont proposé un <a href="https://journals-sagepub-com.ezp.em-lyon.com/doi/full/10.1177/1350508411423697">regard plus nuancé</a>.</p>
<p>L’expansion d’Internet a en effet permis l’émergence de formes organisationnelles aux frontières plus <a href="https://www.jstor.org/stable/40926740">fluides</a> et ouvertes et a rendu possible la coordination entre des individus qui gardent l’anonymat. Ainsi, de nombreuses études, dont par exemple les travaux influents de <a href="https://www.wiley.com/en-us/Networks+of+Outrage+and+Hope%3A+Social+Movements+in+the+Internet+Age%2C+2nd+Edition-p-9780745695761">Manuel Castells</a>, ont notamment montré que les plates-formes en ligne et les réseaux sociaux avaient joué un rôle significatif dans plusieurs des vagues protestataires des dernières années, comme cela a pu être le cas pour <a href="https://anthrosource.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1548-1425.2012.01362.x">Occupy Wall Street</a> par exemple.</p>
<p>Les cas des « gilets jaunes » et du « convoi de la liberté » ont particulièrement bien su tirer parti de réseaux sociaux ou de plates-formes en ligne afin d’ouvrir des <a href="https://journals-sagepub-com.ezp.em-lyon.com/doi/full/10.1177/00018392211008880#_i41">espaces d’auto-organisation</a> de la logistique d’actions décentralisées.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/446208/original/file-20220214-13-1vnsu34.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/446208/original/file-20220214-13-1vnsu34.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=610&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/446208/original/file-20220214-13-1vnsu34.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=610&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/446208/original/file-20220214-13-1vnsu34.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=610&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/446208/original/file-20220214-13-1vnsu34.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=767&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/446208/original/file-20220214-13-1vnsu34.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=767&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/446208/original/file-20220214-13-1vnsu34.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=767&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Capture d’écran prise sur le groupe Convoy France Officiel du réseau social Télégram.</span>
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<p>Par ce biais, de multiples formes d’entraide se sont ainsi créées pour grossir les rangs de la mobilisation : groupes de covoiturage, propositions d’hébergement, contribution à l’intendance par l’achat de nourriture ou de boissons pour le collectif, etc. Or la mobilisation de telles ressources s’est effectuée de façon complètement indépendante à l’existence d’une structure formelle et organisationnelle commune.</p>
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<a href="https://theconversation.com/les-gilets-jaunes-peuvent-ils-survivre-sans-leaders-111769">Les « gilets jaunes » peuvent-ils survivre sans leaders ?</a>
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<h2>Des membres contributeurs et non plus affiliés ou adhérents</h2>
<p>En raison de l’émergence de ces formes organisationnelles aux frontières plus fluides, il devient alors d’autant plus pertinent et important de se détacher d’une compréhension de l’appartenance en termes d’affiliation formelle. Dans le monde de l’entreprise, cette affiliation formelle se caractérise en général par le fait d’être employé de l’organisation. Dans un mouvement social, il peut s’agir par exemple d’être syndiqué, d’avoir sa carte dans un parti, ou de faire partie du registre des membres d’une association.</p>
<p>À la place, afin de penser l’organisation des mouvements sociaux, il faudrait plutôt faire porter notre regard sur la <a href="https://journals-sagepub-com.ezp.em-lyon.com/doi/full/10.1177/0893318915624163">contribution apportée par les individus à cette organisation</a>, impliquant dès lors d’interroger les pratiques des acteurs, ce qu’ils font et la façon dont ils participent à l’organisation d’un mouvement à un moment précis. Plutôt que de considérer a priori des membres organisateurs, cette distinction admet alors que les personnes organisatrices peuvent varier d’une action à l’autre. De plus, elle reconnaît les contributeurs « invisibles » de l’organisation, ceux qui ne sont pas visibilisés comme leaders ou qui ne sont pas rattachés à une organisation politique.</p>
<p>En plus de permettre de penser les membres organisateurs indépendamment d’une organisation formalisée, ce concept de membre-contributeur offre également la possibilité de considérer les acteurs comme faisant partie de plusieurs organisations à la fois. Ainsi, lors de mon propre travail de recherche sur le mouvement des « gilets jaunes », il arrivait que des personnes mobilisées dans les manifestations soient aussi membres d’une organisation d’un autre mouvement social, adhérentes d’une association politisée, ou affiliées à un parti politique. Pour autant, il aurait été biaisé d’exclure ces profils des analyses ou de réduire la définition des « gilets jaunes » aux simples primomanifestants.</p>
<p>Cette idée n’est pas nouvelle : la <a href="https://www.cambridge.org/core/books/organization-outside-organizations/D3EAAB5B59EA486FE497E7C9557AB005">multiappartenance organisationnelle</a> est déjà reconnue notamment dans les études portant sur l’organisation des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1350508418821008">formes contemporaines de travail</a> telles que les communautés de coworkers, de participants dans les processus d’innovation ouverte ou de travailleurs des plates-formes. Ces phénomènes sont organisés à différents degrés, et de la même façon que pour les mouvements sociaux, leur organisation repose autant sur des dynamiques informelles que sur des relations explicites et officielles. Les frontières de ces collectifs sont plus floues, les membres ne sont pas toujours clairement définis et contribuent souvent à plusieurs entreprises à la fois.</p>
<p>Appliquée à l’organisation des mouvements sociaux, cette compréhension de l’appartenance s’avère aussi très utile pour examiner des mobilisations telles que les « gilets jaunes » ou le « convoi de la liberté ». En effet, le débat public s’est régulièrement enflammé à propos d’une prétendue frontière entre « vrais » et « faux » « gilets jaunes », tentant notamment de distinguer des <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/gilets-jaunes-anarchistes-militants-d-extreme-droite-qui-sont-les-casseurs-a-l-origine-des-violences-samedi-a-paris_3082543.html">« casseurs »</a> en gilet ou des militants jugés opportunistes du reste du mouvement.</p>
<p>Il est par ailleurs fréquent de lire des articles cherchant à <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2003-1-page-74.htm">segmenter différentes entités dans un mouvement protestataire</a> (les anti-vaccins, les « gilets jaunes », les black blocs, les syndicalistes, etc.) ou d’encourager à l’adoption d’une structure organisationnelle permettant de sanctionner et d’exclure d’éventuels <a href="https://www.lesechos.fr/2018/12/les-gilets-jaunes-ou-comment-remedier-au-vide-organisationnel-1121783">« passagers clandestins s’appuyant sur la dynamique du groupe pour servir des intérêts propres »</a>.</p>
<p>Au contraire, étudier des membres-contributeurs invite à reconnaître que les acteurs militants peuvent avoir plusieurs casquettes, en d’autres termes des appartenances organisationnelles multiples, sans que cela soit nécessairement incohérent ou opportuniste. Ainsi, de la même façon que les « gilets jaunes » avant eux, les participants au « convoi de la liberté » semblent avoir su composer avec leur volonté de contribuer à l’organisation d’une même mobilisation de grande ampleur, tout en conservant leurs revendications respectives.</p>
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<p><em>La thèse d’Élise Lobbedez est encadrée par le professeur David Courpasson</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177033/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elise Lobbedez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La version française du « convoi de la liberté » semble tout autant s’inspirer de son homologue canadien que s’inscrire dans la lignée stratégique et organisationnelle du mouvement des « gilets jaunes ».Elise Lobbedez, PhD candidate, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1655002021-11-08T20:39:30Z2021-11-08T20:39:30ZPolitiques climatiques : selon les pays, une perception des consommateurs qui diffère<p>Ces dernières années, les conséquences du changement climatique sont devenues plus visibles. Des incendies détruisent les forêts et menacent les populations en Méditerranée, les inondations dues aux crues des rivières ne se comptent plus, les canicules se succèdent et le niveau des océans continue dangereusement de s’élever.</p>
<p>Le dernier rapport du <a href="https://www.ipcc.ch/languages-2/francais/">GIEC</a> publié en août 2021 est alarmant et incite les États à prendre des décisions politiques ambitieuses et contraignantes. Mais que pensent les consommateurs des actions de leur pays en matière de changement climatique ? Plus particulièrement, les actions prises par les pays impactent-elles les attitudes des consommateurs vis-à-vis de leur pays ?</p>
<p>Avec notre équipe de recherche, nous avons mené une étude auprès de plus de 1300 consommateurs américains, français et marocains qui apporte quelques éléments de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1069031X20963712">réponses</a>. Les États-Unis, la France et le Maroc sont intéressants à considérer en matière d’action climatique car ils ont tous les trois joué un rôle important dans les engagements envisagés à l’échelle internationale, notamment à partir de la COP21.</p>
<h2>Les citoyens sensibles aux mesures climatiques</h2>
<p>Quels que soient leur nationalité et leur pays de résidence, les consommateurs interrogés ne se montrent pas insensibles aux actions de lutte contre le changement climatique. Face à la mise en œuvre de mesures allant dans ce sens par leur pays, l’image qu’ils en ont est améliorée. Le modèle d’équations structurelles que nous avons construit permet de mettre en évidence ces liens : chez les Américains, le coefficient de régression est de 0,39, chez les Français, de 0,30 et chez les Marocains, de 0,55. Autrement dit, si l’évaluation par les consommateurs des actions climatiques menées par leur pays augmente d’un point, leur bienveillance vis-à-vis de leur pays augmentera respectivement de 0,39, 0,30 et 0,55 chez les Américains, les Français et les Marocains.</p>
<p>En d’autres mots, nous consommateurs sommes sensibles aux actions de notre pays, telles que la mise en place de programmes environnementaux, l’offre de services publics compatibles avec l’environnement (transports en commun utilisant de l’énergie renouvelable…) ou le recyclage des déchets. Il semblerait donc que tous les pays désireux d’améliorer leur cote de popularité devraient investir dans des actions de lutte contre le changement climatique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1329730591420510209"}"></div></p>
<p>À y regarder de plus près néanmoins, ce constat est à nuancer. Tous et toutes ne répondent pas avec la même intensité aux initiatives nationales en faveur du climat.</p>
<p>Des trois pays au sein desquels nous avons enquêté, les Marocains apparaissent les plus réceptifs. Les Français portent quant à eux le regard le moins positif des trois sur leur propre pays lorsqu’il s’attaque à ces enjeux. Comment expliquer ces différences ?</p>
<h2>Un engagement environnemental précoce de la France</h2>
<p>Les pays étudiés ont une histoire différente quant au changement climatique. Si les trois affichent un rôle prépondérant dans les accords internationaux relatifs au changement climatique, ils ont néanmoins adopté face à lui des postures différentes. La France a accueilli la COP 21 en 2015, le Maroc l’a organisée en 2016, tandis qu’en 2017 les États-Unis <a href="https://theconversation.com/laccord-de-paris-sans-washington-un-electrochoc-positif-78809">se retiraient des accords de Paris</a> – avant de les <a href="https://theconversation.com/le-retour-des-etats-unis-dans-laccord-de-paris-forcement-une-bonne-nouvelle-pour-le-climat-150345">réintégrer en 2021</a>.</p>
<p>Ils ont toutefois débuté leurs actions de protection de l’environnement et leur lutte contre le changement climatique à des moments distincts. La France a une ancienneté certaine dans les actions environnementales alors que les États-Unis et le Maroc ne se sont engagés officiellement que récemment dans la protection de l’environnement.</p>
<p>Dans la France des années 1980-1990, une série de mesures avaient déjà été prises pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre, limiter la dépendance à l’énergie fossile et favoriser la biomasse-énergie – effluents d’élevage, biodéchets des ménages, boues de stations d’épuration, etc. Ces dispositions ont contribué à construire un contexte institutionnel particulièrement propice pour accompagner les débats et décisions à l’échelle internationale liés au changement climatique.</p>
<h2>États-Unis et Maroc, des efforts plus récents</h2>
<p>Pour sa part, le Maroc n’a institutionnalisé sa politique en la matière que très récemment, mais ses actions sont nombreuses : un <a href="http://www.umi.ac.ma/wp-content/uploads/2020/11/ODD-13-A8-Plan-climat-national-horizon-2030.pdf">plan climat national 2020-2030</a> a été présenté en 2009 à la COP15, la nouvelle constitution de 2011 qui reconnaît le développement durable comme un droit pour les citoyens marocains, le <a href="https://germanwatch.org/en/CCPI">classement de l’indice de performance climatique</a> qui reconnaît le Maroc comme étant dans le top 10 mondial, ou la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/05/06/au-maroc-les-rates-de-la-strategie-solaire_6079389_3212.html">centrale solaire Noor</a> qui prévoit d’exporter de l’énergie vers l’Europe.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le Maroc construit la plus grande centrale solaire du monde (Euronews, 28 octobre 2016).</span></figcaption>
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<p>Aux États-Unis, le changement climatique apparaît aussi comme une préoccupation plus récente. Le pays dépendant principalement des énergies fossiles, les divisions sont fortes en son sein. Ainsi, seuls 23 États sur les 50 ont rejoint la <a href="http://www.usclimatealliance.org/">US Climate Alliance</a>, une coalition visant à réduire les gaz à effet de serre.</p>
<p>Dans ce contexte, la Californie est un État leader <a href="http://www.usclimatealliance.org/">pour la lutte contre le changement climatique</a>. Des programmes sont mis en place pour réduire l’utilisation du pétrole de 50 % dans les véhicules automobiles, ou <a href="http://www.usclimatealliance.org/">doubler l’efficacité énergétique dans les bâtiments</a>.</p>
<h2>Les Français plus critiques</h2>
<p>Malgré cette avance de la France et la <a href="https://www.greenflex.com/wp-content/uploads/2016/05/2016_GF-ETUDE-ETHICITY-2016-Livret.pdf">préoccupation de ses citoyens</a>, l’engagement précoce de l’Hexagone sur les questions environnementales a essentiellement mobilisé les institutions publiques et les acteurs économiques, <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2011-1-page-155.htm">beaucoup plus timidement la société civile</a>. Si les Français <a href="https://www.greenflex.com/wp-content/uploads/2016/05/2016_GF-ETUDE-ETHICITY-2016-Livret.pdf">ont des attentes en matière d’environnement</a>, ils se montrent également plus réticents vis-à-vis de certaines mesures contraignantes de lutte contre le changement climatique, <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2011-1-page-155.htm">telles que l’augmentation du prix de l’essence</a>.</p>
<p>Les décisions prises par les institutions nationales semblent mieux reçues chez les Marocains et les Américains. Toutefois, les premiers appellent de leurs vœux des actions climatiques de grande <a href="https://www.undp.org/publications/peoples-climate-vote">envergure</a> autour notamment de la gestion de l’eau potable pour le futur, et deux tiers des Américains estime que leur gouvernement devrait faire plus pour le <a href="https://www.pewresearch.org/science/2020/06/23/two-thirds-of-americans-think-government-should-do-more-on-climate/">climat</a>.</p>
<h2>Le rôle de communication des entreprises</h2>
<p>Les actions prises à l’échelle nationale pour lutter contre le changement climatique ont donc un impact certain sur les attitudes des consommateurs vis-à-vis de leur pays. Il apparaît alors opportun que les entreprises visant un marché international relayent les actions prises par leurs gouvernements pour lutter contre le changement climatique, en promouvant le caractère local de leurs produits par exemple. Le « made in » local prend ici toute son ampleur.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1359434235585650688"}"></div></p>
<p>Dans ces stratégies internationales, les spécificités des contextes locaux doivent être prises en compte. Ainsi, des communications visant à combiner les efforts nationaux aux efforts des entreprises locales seront plus efficaces dans des pays comme les États-Unis ou le Maroc.</p>
<p>En France, une de nos études laisse penser que les citoyens attendent davantage d’efforts des <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/IJRDM-08-2020-0292/full/html">entreprises que du gouvernement</a>. On peut ainsi supposer qu’une politique de communication principalement basée sur les actions mêmes de l’entreprise plutôt que sur celles du gouvernement serait plus efficace en France pour encourager la consommation de produits locaux et soutenir la lutte contre le changement climatique.</p>
<p>Des études supplémentaires sont attendues pour évaluer et identifier les communications efficaces pour renforcer l’impact des actions menées au niveau des entreprises et des pays pour lutter contre le changement climatique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/165500/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une étude menée auprès de 1 300 citoyens, français, marocains et étasuniens, révèle que les Français sont moins réceptifs envers les actions de leur pays en faveur du climat.Delphine Godefroit-Winkel, Professeur associé de marketing, TBS EducationMarie Schill, Maître de conférences, HDR, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Mine Ucok Hughes, Associate Professor of Marketing, California State University, Los AngelesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1701462021-10-27T11:19:53Z2021-10-27T11:19:53Z« Gilets jaunes » : quelle démocratie veulent-ils ?<p>Le mouvement des « gilets jaunes » a décontenancé tous les commentateurs politiques, experts comme universitaires. Rarement ces dernières années un mouvement aura-t-il suscité autant de débats sur le profil de ses partisans, leurs revendications et attentes.</p>
<p>La question des préférences démocratiques des gilets jaunes a donné lieu à des interprétations très contrastées. Beaucoup se sont appuyés sur la centralité de la revendication du Référendum <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/12/07/qu-est-ce-que-le-referendum-d-initiative-citoyenne-demande-par-des-gilets-jaunes_5394287_4355770.html">d’Initiative Citoyenne</a> et le fort rejet des élites pour lire une volonté de démocratie directe permanente, qui remplacerait les formes conventionnelles de <a href="https://www.cairn.info/revue-le-debat-2019-2-page-95.htm">représentation politique</a>.</p>
<p>Certains ont plutôt vu dans l’organisation horizontale du mouvement et ses assemblées citoyennes les germes d’une vision <a href="https://mouvements.info/relocalisation-politique-protestataire/">« municipaliste libertaire »</a> et citoyenne de la politique basée sur le local et l’autonomie.</p>
<p>D’autres ont préféré dépasser ces lectures opposées, en montrant que malgré leur critique sévère des élus et des organisations politiques, les gilets jaunes ne demandent pas vraiment l’abolition de la représentation politique traditionnelle, mais plutôt sa <a href="https://www.cairn.info/revue-participations-2020-3-page-221.htm">refondation autour de trois principes</a> : le contrôle des représentants, l’écoute des revendications des citoyens et la proximité géographique et statutaire des élus.</p>
<h2>Davantage de contrôle des élus par les citoyens</h2>
<p>Prolongeant ces analyses, nous avons choisi de mobiliser plusieurs sources de données pour bien appréhender toutes les facettes du rapport à la démocratie des gilets jaunes. Nous nous sommes d’abord appuyés sur deux enquêtes quantitatives par Internet, l’une réalisée auprès d’un échantillon de 1 910 gilets jaunes contactés par le biais des principaux <a href="http://www.enquetegiletsjaunes.fr/">groupes Facebook du mouvement</a>, l’autre permettant la comparaison avec un <a href="https://www.pacte-grenoble.fr/programmes/popeuropa">échantillon national représentatif de 1 313 Français.es</a>.</p>
<p>Les deux enquêtes demandaient aux participants s’ils seraient prêts à soutenir le référendum révocatoire, le référendum législatif, le tirage au sort, les consultations citoyennes, les propositions d’initiative citoyenne et le municipalisme (Figure 1).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/427053/original/file-20211018-167373-psomz2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/427053/original/file-20211018-167373-psomz2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427053/original/file-20211018-167373-psomz2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427053/original/file-20211018-167373-psomz2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427053/original/file-20211018-167373-psomz2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427053/original/file-20211018-167373-psomz2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427053/original/file-20211018-167373-psomz2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427053/original/file-20211018-167373-psomz2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 1. Question fermée posée dans l’enquête en ligne.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les trois premières innovations relèvent de la démocratie directe puisqu’elles impliquent une <a href="https://www.decitre.fr/livres/ric-le-referendum-d-initiative-citoyenne-explique-a-tous-9782364051874.html">prise de décision des citoyens à laquelle les élus doivent se conformer</a>. Les trois dernières répondent davantage à un modèle de démocratie participative au sens où les citoyens font des propositions aux élus qui conservent le pouvoir législatif.</p>
<p>D’abord, aucune des six innovations proposées n’est soutenue par une majorité de Français ou de gilets jaunes (Figure 2) ; ce qui traduit une profonde défiance vis-à-vis des institutions démocratiques qui se vérifie dans <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/le-barometre-de-la-confiance-politique.html">d’autres enquêtes</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/427054/original/file-20211018-21-j2kr68.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/427054/original/file-20211018-21-j2kr68.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427054/original/file-20211018-21-j2kr68.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427054/original/file-20211018-21-j2kr68.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427054/original/file-20211018-21-j2kr68.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427054/original/file-20211018-21-j2kr68.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427054/original/file-20211018-21-j2kr68.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427054/original/file-20211018-21-j2kr68.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Figure 2. Soutien aux innovations démocratiques (%).</span>
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</figure>
<p>Ensuite, les gilets jaunes ont davantage tendance à soutenir les innovations démocratiques qui facilitent le contrôle des élus et la décision directe des citoyens. Près de la moitié d’entre eux choisit ainsi le référendum révocatoire et le référendum législatif, contre 36 % pour les Français. À l’inverse, ils sont moins enclins à opter pour des réformes de type démocratie participative, qu’elles soient plus exigeantes en termes de ressources mobilisées par les citoyens, comme les propositions de loi portées par la société civile (9 %) ; ou qu’elles nécessitent la collaboration avec les élus, comme les consultations citoyennes (15 %).</p>
<p>La sociologie globale du mouvement éclaire ce résultat. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/01/26/qui-sont-vraiment-les-gilets-jaunes-les-resultats-d-une-etude-sociologique_5414831_3232.html">Comme nous l’avons indiqué ailleurs</a>, les gilets jaunes constituent une population de travailleurs précaires, à distance des institutions politiques et des partis, et donc peu à même d’assumer les coûts d’une démocratie participative ou délibérative.</p>
<p>Des modélisations statistiques plus élaborées montrent d’ailleurs peu de différences en fonction du sexe, de l’âge, du lieu de résidence ou du nombre de manifestations auxquelles les répondants ont pris part.</p>
<p>Les gilets jaunes sont donc nettement plus favorables que le reste de la population française au référendum – pratique démocratique reposant sur le plébiscite populaire. Des analyses complémentaires indiquent qu’ils le sont encore plus quand ils ont voté Le Pen, Dupont-Aignan ou Cheminade en 2017.</p>
<h2>Des aspirations démocratiques plurielles</h2>
<p>Le soutien à première vue assez homogène aux mécanismes de contrôle citoyen masque toutefois la cohabitation de différentes aspirations démocratiques. On peut mieux en prendre la mesure en analysant la manière dont les gilets jaunes mettent en mots leur rapport aux institutions et aux représentants politiques.</p>
<p>Pour cela, nous avons d’abord procédé à <a href="http://www.iramuteq.org/">l’analyse textuelle</a> d’une question ouverte de l’enquête en ligne qui proposait aux gilets jaunes de restituer, avec leurs mots, leurs perceptions du mouvement (Figure 3). Ce premier travail a ensuite été complété par l’analyse et le codage d’une trentaine d’entretiens approfondis réalisés, au printemps 2019, avec des gilets jaunes aux profils variés sur leurs conceptions du système politique.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/427353/original/file-20211019-18921-1b9zyi8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/427353/original/file-20211019-18921-1b9zyi8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427353/original/file-20211019-18921-1b9zyi8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=221&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427353/original/file-20211019-18921-1b9zyi8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=221&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427353/original/file-20211019-18921-1b9zyi8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=221&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427353/original/file-20211019-18921-1b9zyi8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=277&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427353/original/file-20211019-18921-1b9zyi8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=277&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427353/original/file-20211019-18921-1b9zyi8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=277&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 3. Question ouverte posée dans l’enquête en ligne.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces analyses font apparaître deux grands types de discours. Le premier est centré sur les difficultés sociales auxquelles les gilets jaunes sont confrontés dans leur vie quotidienne, et dont les <a href="https://blogs.lse.ac.uk/europpblog/2019/11/19/the-yellow-vests-an-economic-populism-that-is-neither-left-nor-right-wing/">représentants politiques sont tenus pour responsables</a>.</p>
<p>Les querelles partisanes, rejetées comme autant de conflits mesquins détournant le personnel politique des intérêts réels d’un « peuple qui souffre », sont fustigées. Les élus, en particulier Emmanuel Macron qui cristallise et personnalise un grand nombre de critiques, sont vus comme des élites aux privilèges financiers exorbitants, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/2041905819838152">coupées des réalités</a>.</p>
<p>Comme le souligne Thierry (45 ans, technicien aéronautique qui rejoint avec les gilets jaunes son premier mouvement) :</p>
<blockquote>
<p>« depuis tout petit on vous éduque en vous disant que l’élu c’est une idole. Non, l’élu, faut revenir sur les fondamentaux, c’est un mec que tu paies quoi, c’est ton employé ».</p>
</blockquote>
<p>C’est en ce sens que la révocation est plébiscitée : elle traduit le désir que les élus soient traités comme des travailleurs au service du bien commun. Ce premier discours est plutôt porté par des gilets jaunes financièrement fragiles, peu diplômés, éloignés de l’univers politique et du vote, et qui font pour la première fois l’expérience d’un mouvement social.</p>
<p>Le second grand discours fait plus directement référence à la démocratie, la citoyenneté retrouvée et des principes républicains comme la solidarité, la fraternité ou la justice sociale. Il prend surtout la forme d’un plaidoyer pour une participation plus directe des citoyens. Le RIC est ainsi valorisé et avec lui, tous les outils institutionnels permettant d’inclure davantage de citoyens à la décision politique et d’écouter toutes les sensibilités politiques.</p>
<p>Particulièrement sensibles au manque de contre-pouvoirs de la V<sup>e</sup> République, les gilets jaunes qui articulent ce discours sont aussi sont très critiques des élus, mais ils concentrent leurs critiques sur la figure et la fonction présidentielle plutôt que sur la personne d’Emmanuel Macron. Nos analyses montrent qu’ils sont aussi plus diplômés, plus politisés – généralement dans des organisations de gauche – et plus fortement investis dans le mouvement.</p>
<h2>Deux faces d’un même appel à la souveraineté populaire</h2>
<p>Les deux types de discours sur la démocratie que nous avons identifiés renvoient à des clivages internes au mouvement des gilets jaunes, qui rassemble des militants dont les niveaux de politisation et les valeurs politiques sont différents. Mais elles font plus fondamentalement signe vers une même volonté de restaurer une démocratie dont tous se disent profondément insatisfaits, en remettant la souveraineté populaire au centre.</p>
<p>Tandis que certains gilets jaunes, animés par un <a href="https://brill.com/view/journals/popu/3/1/article-p1_1.xml">profond anti-élitisme</a>, veulent soumettre les élus à des contraintes plus fortes pour rétablir une forme de vertu collective, d’autres préfèrent être impliqués davantage dans la pratique des institutions. Les uns et les autres plaident donc pour que le peuple, agent de contrôle ou de régulation des décisions publiques, occupe une place plus importante dans l’édifice institutionnel français.</p>
<p>À l’heure où la <a href="https://www.ledauphine.com/politique/2021/10/15/gilets-jaunes-le-contexte-est-favorable-a-leur-retour">« saison 2 » du mouvement</a> connaît un début plutôt timide, ces résultats suggèrent que les gilets jaunes aspirent à jouer un rôle démocratique plus entier et moins ponctuel que dans l’isoloir ou dans la rue.</p>
<hr>
<p><em>Notre analyse s’inscrit dans le cadre du collectif ANR, <a href="https://anr.fr/Projet-ANR-20-CE41-0010">« Les gilets jaunes : approches pluridisciplinaires des mobilisations et politisations populaires »</a>, piloté par <a href="https://durkheim.u-bordeaux.fr/Notre-equipe/Chercheur-e-s-et-enseignant-e-s-chercheur-e-s/CV/Magali-Della-Sudda">Magali Della Sudda</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170146/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Représentants d’une France en colère, les « gilets jaunes » aspirent à refonder la démocratie par un meilleur contrôle des élus, davantage d’écoute et de participation des citoyens.Frédéric Gonthier, Professeur de science politique, Sciences Po GrenobleCamille Bedock, Chargée de recherche, CNRS, Université de BordeauxChloé Alexandre, Doctorante en science politique, Sciences Po GrenobleStéphanie Abrial, Ingénieure de recherche au CNRSTristan Guerra, Doctorant en science politique, Sciences Po GrenobleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1692032021-10-20T19:28:28Z2021-10-20T19:28:28ZL’intelligence collective au cœur des enjeux politiques et sociaux<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/424793/original/file-20211005-19-1pjagtk.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3235%2C2153&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Assemblée Générale de la Nuit debout à Paris, place de la République, le 10 avril 2016.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:NuitDeboutParis.png">Olivier Ortelpa / WikiCommons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>En avril 2016, en réaction à la <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/le-mouvement-nuitdebout-contre-la-loi-travail_1778837.html">« loi Travail »</a>, nous assistions à l’émergence du mouvement autogéré « Nuit debout », une <a href="https://droit.univ-rennes1.fr/actualites/nuit-debout-des-citoyens-en-quete-de-reinvention-democratique">initiative citoyenne</a> prenant la forme de manifestations sur des places publiques avec pour but de faire émerger une convergence des luttes.</p>
<p>Dans la continuité, émerge en octobre 2018 le mouvement social des « gilets jaunes », en réaction à <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/11/08/du-declencheur-local-a-la-revolte-globale-la-convergence-des-luttes-dans-le-monde_6018514_4355770.html">« des régimes politiques vieillissants et à la montée des inégalités »</a>, et dont l’une des revendications principales portait sur la mise en place du <a href="https://www.leparisien.fr/politique/c-est-quoi-le-ric-le-referendum-que-reclament-les-gilets-jaunes-10-12-2018-7965093.php">référendum d’initiative citoyenne (RIC)</a>.</p>
<p>Ces mouvements ont participé par leur ampleur à un <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/ca-a-reveille-une-conscience-collective-un-an-apres-le-debut-du-mouvement-le-gilet-jaune-come-dunis-se-souvient_3701259.html">éveil des consciences</a>, aussi bien citoyennes que <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/11/16/ce-mouvement-nous-a-transformes-temoignages-de-gilets-jaunes-apres-un-an-de-contestation_6019388_3224.html">politiques</a>, sur la nécessité d’inclure plus efficacement les Français dans les processus de décision du gouvernement.</p>
<p>Entre ces deux évènements, l’élection présidentielle de 2017 a atteint un taux d’abstention record (25,3 % au second tour) qui n’avait pas été observé depuis <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/05/07/presidentielle-2017-abstention-record-pour-un-second-tour-depuis-l-election-de-1969_5123757_4854003.html">l’élection de 1969</a> (31,1 % au second tour). Plus récemment, le taux d’abstention aux élections régionales (juin 2021) a atteint le niveau record de 65,7 %, contre <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/abstention/elections-regionales-l-abstention-au-second-tour-atteint-65-7-selon-une-estimation-d-ipsos-sopra-steria_4680401.html">41,59 % en 2015</a>.</p>
<p>Cette augmentation constante du taux d’abstention est le résultat d’une <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/regionales/regionales-l-abstention-est-liee-a-une-defiance-envers-la-politique-et-un-manque-d-informations-selon-notre-sondage_4676901.html">défiance des citoyens envers la politique</a> et non seulement d’un désintérêt pour la chose : 90 % des abstentionnistes-répondants considèrent ce phénomène comme le résultat d’une « rupture entre les citoyens et la vie politique » ; 84 % y voient un signal d’alarme ; 65 % considèrent que cette abstention constitue quelque chose « d’inquiétant pour notre démocratie ».</p>
<p>Ces évènements politiques et sociaux sont les conséquences directes des limites d’un système politique usé et démontrent un besoin fondamental de se recentrer sur des démarches d’<a href="https://www.liberation.fr/debats/2020/09/01/l-intelligence-collective-a-l-oeuvre_1798296/">intelligence collective</a> pour ré-ouvrir un espace commun de réflexion et d’échange, avec pour finalité concrète la formalisation de nouvelles directives politiques et institutionnelles. En réponse à ces évènements, le gouvernement a mis en place des démarches jusque-là inédites en France : le « grand débat national », lancé par le président de la République (15 janvier – 15 mars 2019), et la « convention citoyenne pour le climat » (octobre 2019 – juin 2020).</p>
<h2>Le grand débat national (GDN)</h2>
<p>Le <a href="https://granddebat.fr/">GDN</a> a rassemblé 645 000 personnes pour près de deux millions de contributions et mobilisé plus de 10 000 réunions locales. Même si ces chiffres sont encourageants, il s’avère que le taux de participation est directement lié à la <a href="https://www.leparisien.fr/politique/qui-a-vraiment-participe-au-grand-debat-10-03-2019-8028324.php">situation socio-professionnelle des citoyens</a>, avec un bien plus grand taux de participation chez les populations aisées, si bien que le débat est <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/2019-annee-des-grands-debats-mais-pour-quels-resultats_fr_5dfb5c91e4b01834791c1a2a">« filtré sociologiquement »</a>. </p>
<p>De plus, parmi 645 000 personnes, seules 475 000 ont réellement contribué au grand débat, soit <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2019/03/19/01002-20190319ARTFIG00173-le-grand-debat-national-a-t-il-vraiment-ete-un-succes.php">0,7 % de la population française</a>, avec une <a href="https://www.reuters.com/article/france-grand-d-bat-jeunes-idFRKCN1PQ4E1-OFRTP">absence remarquée des 16-24 ans</a>. Plus important encore, la plupart des contributions (71,5 %) sont des réponses à des questions à choix multiples, le GDN prenant ainsi davantage la forme d’un sondage que d’un espace d’échange, de réflexion et d’innovation.</p>
<p>Le GDN concernait 4 thèmes : transition écologique, fiscalité, démocratie et citoyenneté, organisation de l’état et des services publics. Seulement, ces thèmes ont été fixés en amont du débat par le gouvernement et <a href="https://www.linternaute.com/actualite/politique/1761600-grand-debat-national-les-quatre-axes-retenus-par-philippe/">sans consultation des citoyens</a>, limitant ainsi le champ des propositions possibles. De fait, certains thèmes essentiels pour les citoyens demeurent de grands absents du GDN, comme l’<a href="https://www.latribune.fr/economie/france/l-emploi-grand-oublie-du-grand-debat-national-804155.html">emploi</a>, l’éducation ou la <a href="https://www.horizonspublics.fr/vie-citoyenne/grand-debat-national-un-bilan-prendre-avec-precaution">santé</a>. Finalement, seuls <a href="https://www.horizonspublics.fr/vie-citoyenne/grand-debat-national-un-bilan-prendre-avec-precaution">8 % des participants</a> au grand débat se disent satisfaits des thèmes choisis.</p>
<p>Enfin, le GDN place les citoyens dans une position de consultants extérieurs et en aucun cas de décisionnaires : 650 pages de <a href="https://granddebat.fr/pages/syntheses-du-grand-debat">synthèses</a> viennent clarifier les préoccupations et les avis des Français, mais aucun système légal ne vient garantir la mise en place des solutions qui y sont évoquées. Le gouvernement a, à plusieurs reprises, précisé « qu’il ne s’agissait que d’un échantillon qualitatif de l’<a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/04/08/le-bilan-du-grand-debat-en-six-questions_5447417_823448.html">opinion publique</a>, et non d’une série de votes ».</p>
<p>Les points les plus populaires formulés dans le GDN n’ont ainsi <a href="https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/wp-content/uploads/2021/03/CCC-rapport_Session8_GR-1.pdf">pas aboutis</a> : réduction du nombre de parlementaires (86 %), prise en compte du vote blanc (69 %), adoption du référendum d’initiative citoyenne (à l’origine du grand débat, et pourtant absente des propositions formulées par le gouvernement). Même si certaines mesures ont étés adoptées par le gouvernement depuis, notamment concernant le pouvoir d’achat, la plupart des points abordés par le président de la République après le GDN sont encore en discussion : réduction du nombre de parlementaires, suppression de niches fiscales, réduction de la part de l’énergie nucléaire, interdiction du glyphosate, réforme des retraites…</p>
<h2>La convention citoyenne pour le climat</h2>
<p>La C3 est une des mesures annoncées des suites du GDN, elle regroupe 150 citoyens tirés au sort parmi la population française, avec pour but de proposer des mesures structurantes afin assurer une transition écologique efficace d’ici 2030. Après sept sessions de travail (octobre 2019 – juin 2020), ont émergé <a href="https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/">149 propositions</a> sur 6 axes thématiques : le déplacement, la consommation, le logement, le travail, l’alimentation et la constitution.</p>
<p>Lors du dernier rassemblement de la C3 (26-28 février 2021), les membres ont évalué les réponses apportées par le gouvernement à leurs propositions : sur les 98 votants, 38 ont jugé les décisions du gouvernement <a href="https://reporterre.net/Macron-et-le-climat-3-3-sur-10-selon-la-Convention-citoyenne">très insatisfaisantes</a>, 33 insatisfaisantes, 14 passables, 2 satisfaisantes et 5 très satisfaisantes, avec pour finalité une note générale de 3,3/10 concernant la possibilité que les décisions du gouvernement permettent d’atteindre l’objectif fixé à la création de la convention. Le président de la République annonçait une retranscription sans filtres des productions de la C3, mais dans les faits 90 % des propositions n’ont pas été retenues par l’exécutif, soit 134 mesures sur les 149 présentées. Dans le détail, 53 % des propositions sont <a href="https://reporterre.net/Convention-pour-le-climat-seules-10-des-propositions-ont-ete-reprises-par-le-gouvernement">rejetées</a> (79 propositions), 37 % sont modifiées ou selon les participants « édulcorées » (55 propositions), alors que seulement 10 % sont reprises sans modification (15 propositions).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/425282/original/file-20211007-21-1y9nwl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Assemblée de la Convention Citoyenne pour le climat composée de citoyens tirés au sort" src="https://images.theconversation.com/files/425282/original/file-20211007-21-1y9nwl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/425282/original/file-20211007-21-1y9nwl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/425282/original/file-20211007-21-1y9nwl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/425282/original/file-20211007-21-1y9nwl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/425282/original/file-20211007-21-1y9nwl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/425282/original/file-20211007-21-1y9nwl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/425282/original/file-20211007-21-1y9nwl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">En juin 2020, la Convention Citoyenne pour le climat composée de citoyens tirés au sort a rendu un rapport et 149 propositions pour lutter contre le dérèglement climatique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Katrin Baumann/C3</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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</figure>
<p>Les propositions retenues par le gouvernement sont essentiellement cosmétiques : créer des parkings relais ; des vignettes vertes pour les véhicules les moins émetteurs ; taxer davantage le carburant pour l’aviation de loisirs ; généraliser l’éducation à l’environnement dans le modèle scolaire… Parmi les <a href="https://reporterre.net/Convention-pour-le-climat-seules-10-des-propositions-ont-ete-reprises-par-le-gouvernement">15 propositions retenues</a>, trois seulement se distinguent : le changement des chaudières au fioul et à charbon d’ici 2030 dans les bâtiments neufs et rénovés ; la réduction de la consommation d’énergie des bâtiments du secteur tertiaires et des espaces publics ; l’interdiction de toute artificialisation des terres si des réhabilitations sont possibles. Cette sélection du gouvernement est à l’origine de l’insatisfaction des membres de la C3, qui la juge non représentative du travail de fond réalisé en réunion, et qui dénoncent un <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/climat-la-convention-citoyenne-fustige-le-manque-dambition-du-gouvernement-1294103">« manque d’ambition du gouvernement »</a>, un projet « vidé de sa substance, édulcoré ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/convention-citoyenne-pour-le-climat-un-modele-democratique-prometteur-au-mandat-flou-127145">Convention citoyenne pour le climat : un modèle démocratique prometteur au mandat flou</a>
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<h2>L’intelligence collective comme outil de la vie politique</h2>
<p>Même si les démarches présentées jusqu’ici sont inédites en France, elles ne le sont pas pour autant dans le monde : cette méthode de travail, dite d’approvisionnement par les foules (<a href="https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2011-1-page-254.htm">« crowdsourcing »</a>), remporte déjà de nombreux succès dans la recherche scientifique, donnant lieu à ce que l’on nomme « les forums du Web 2.0 », des espaces numériques dans lesquels des milliers de personnes pronostiquent chaque jour les événements et solutions de demain, notamment dans le cadre de l’écologie (<a href="http://oro.open.ac.uk/38002/">EvidenceHub</a>, <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s00146-017-0710-y">EnergyUse</a>, EcoForum).</p>
<p><a href="https://www.editionsladecouverte.fr/l_intelligence_collective-9782707126931">L’intelligence collective</a> peut être définie comme « une intelligence partout distribuée, sans cesse valorisée, coordonnée en temps réel, qui aboutit à une mobilisation effective des compétences ». Son étude a mené à des conclusions encourageantes : il est déjà reconnu que dans des conditions optimales, les groupes de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/20508840.2016.1259823">non-experts</a> peuvent être <a href="https://www.pnas.org/content/101/46/16385">plus efficaces</a> qu’un expert isolé, un phénomène dû à la capacité des groupes à faire preuve d’une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0003347210005221 ?via %3Dihub">correction mutuelle des biais individuels</a>.</p>
<p>Ces groupes s’avèrent d’autant plus efficaces lorsque leurs membres démontrent de la <a href="https://www.researchgate.net/publication/286512331_Collective_Intelligence_and_Group_Performance">diversité</a> dans leurs modes de vie et de pensée, qu’ils mettent à profit un <a href="https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rsos.150222">leadership dynamique et participatif</a>, dans lequel les membres s’ajustent mutuellement sur leurs rôles en fonction des besoins du groupe, et font preuves d’une <a href="https://ofew.berkeley.edu/sites/default/files/evidence_for_a_collective_intelligence_factor_in_the_performance_of_human_groups_woolley_et_al.pdf">riche intelligence émotionnelle</a>, soit la capacité d’un individu à identifier et préserver les états émotionnels d’autrui.</p>
<p>Ces éléments ne sont pas systématiquement valorisés dans la vie politique, alors qu’ils sont le fondement même du processus d’intelligence collective.</p>
<h2>L’intelligence collective au service des consciences politiques</h2>
<p>Nous assistons à un <a href="https://www.cairn.info/nouvelle-sociologie-politique-de-la-france-2021%E2%80%939782200628727-page-203.htm ?ref=doi">changement</a> aussi bien de fond que de forme dans les manifestations publiques : longtemps considérées comme des lieux de contestation, les manifestations se tournent désormais davantage vers une <a href="https://www.cairn.info/nouvelle-sociologie-politique-de-la-france-2021%E2%80%939782200628727-page-203.htm ?ref=doi">démarche solutionniste</a>, formalisant et proposant des alternatives concrètes pour répondre aux enjeux actuels, aménageant ainsi un espace fertile pour l’essor d’intelligence collective. Le GDN et la C3 ont émergé pour répondre à cette évolution, qui s’incarne notamment au travers d’une demande citoyenne : celle de prendre part activement aux processus décisionnels.</p>
<p>L’une des expressions les plus représentatives de ce besoin se trouve à l’origine même du débat : la mise en place du référendum d’initiative citoyenne (RIC), qui permettrait aux citoyens d’être à l’initiative de projets de loi. De tels manœuvres sont des illustrations de ce besoin d’adopter des démarches d’intelligence collective pour co-construire les politiques publiques de demain. Il existe actuellement 8 formes potentielles de <a href="https://www.ric-france.fr/ric-referendum-initiative-citoyenne">RIC</a>, chacune de ses formes renvoyant à une dimension particulière de la vie politique et donc à une demande spécifique, assurant ainsi leur complémentarité.</p>
<p>Le collectif « Démocratie ouverte » proposait en 2018 un RIC amélioré, rebaptisé dans ce contexte <a href="https://culture-ric.fr/fonctionnement-de-ric/ric-referendum-dinitiative-citoyenne-et-dintelligence-collective/">RIC<sup>2</sup></a> pour « Référendum d’Initiative citoyenne et d’intelligence collective », qui s’articule autour de quatre étapes : l’initiative citoyenne, un débat public structuré, un jury citoyen tiré au sort et la mise en place du référendum par un vote majoritaire.</p>
<p>Plusieurs dispositifs privilégiés par le gouvernement français ressemblent au <a href="https://theconversation.com/debat-le-referendum-dinitiative-populaire-la-solution-108355">RIC</a>, notamment le référendum d’initiative partagé, consultatif ou d’initiative présidentielle. Seulement, ces propositions rejettent l’aspect le plus fondamental d’une telle démarche : </p>
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<p>« Les initiatives citoyennes sans référendums, ainsi que les référendums sans initiative citoyenne ne fournissent pas réellement la possibilité pour les citoyens de produire directement la loi. »</p>
</blockquote>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-le-referendum-dinitiative-populaire-la-solution-108355">Débat : Le référendum d’initiative populaire, la solution ?</a>
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<p>La question de l’initiative citoyenne est essentielle car au fondement de notre démocratie et de notre conscience politique : nous évoluons en France dans une démocratie représentative, un modèle régulièrement contesté pour ses nombreuses <a href="https://journals.openedition.org/siecles/1099#ftn1">limites</a>.</p>
<p>C’est actuellement au rôle de consultants extérieurs que sont limités les citoyens au travers des actions collectives comme le GDN ou la C3. En l’état, le pari de l’intelligence collective n’est fait que dans un sens : la participation des citoyens est réelle, mais elle se fait sans le soutien des décideurs, limitant ainsi toutes possibilités d’entrer dans une démarche d’intelligence collective réelle et durable.</p>
<hr>
<p><em>L’auteur de cet article est doctorant au laboratoire InterPsy de l’Université de Lorraine. Il réalise une thèse (« L’intelligence collective des groupes en situation de résolution de problèmes ») sous la direction de Martine Batt, Professeur à l’Université de Lorraine, et Emile Servan-Schreiber, Dr. en psychologie cognitive au Massachusetts Institute of Technology (MIT).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169203/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexis Jeffredo a reçu des financements de la Métropole du Grand Nancy dans le cadre de sa thèse sur l'intelligence collective.</span></em></p>Pour changer les institutions politiques et raviver le processus démocratique, pourquoi ne pas miser sur la participation citoyenne et l’intelligence collective ?Alexis Jeffredo, Doctorant en psychologie sociale et cognitive, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1684142021-10-13T19:16:12Z2021-10-13T19:16:12ZLes mobilisations contemporaines contre les injustices réhabilitent la radicalité politique<p>À travers les prises de position de Sandrine Rousseau, la primaire EELV a été l’occasion de mettre dans le débat public la question de la réhabilitation d’une radicalité politique et sociale à la fois dans le diagnostic et les réponses à apporter.</p>
<p>Cette réhabilitation amène à dépasser la quasi-réduction, au XXI<sup>e</sup> siècle, de la radicalité au danger du radicalisme entendu comme la prise de pouvoir d’un autoritarisme religieux par la violence, en particulier lié au phénomène djihadiste.</p>
<p>La dimension radicale de l’engagement se distingue clairement du paradigme explicatif de la <a href="https://www.cairn.info/dictionnaire-des-mouvements-sociaux--9782724623550-page-482.htm">radicalisation</a> « recouvrant à la fois les dérives individuelles, le passage à l’acte terroriste ou l’usage de la violence politique ».</p>
<p>Pour reprendre les travaux de la sociologue <a href="https://www.erudit.org/en/journals/lsp/2012-n68-lsp0495/1014803ar/">Isabelle Sommier</a>, les engagements sont revendiqués comme radicaux au sens où ils s’inscrivent dans « une posture de rupture vis-à-vis de la société d’appartenance, acceptent au moins en théorie le recours à des formes non conventionnelles d’action politique éventuellement illégales, voire violentes ».</p>
<p>Le politiste <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/13684310211027111">Felix Butzlaff</a>, examine les reconfigurations du rapport à l’émancipation depuis le XIX<sup>e</sup> siècle et leurs répercussions sur les mouvements sociaux et les partis politiques contemporains.</p>
<p>Il structure son analyse autour de l’examen de trois ambiguïtés conceptuelles sur la lecture et la compréhension du processus émancipateur : le rôle de l’autolibération (<em>self-liberation</em>) dans le « qui » (<em>who ?</em>) de l’émancipation, celui d’un but positif (utopie, idéologie…) dans le « vers quoi » (<em>to what end ?</em>) et la place respective des dimensions individuelle et collective de l’engagement dans le « comment » (<em>in what way ?</em>).</p>
<p>La reconfiguration contemporaine des partis politiques et des mouvements sociaux autour d’une conception de plus en plus individualiste, autocentrée et processuelle explique, selon lui, la difficulté de l’organisation politique de l’émancipation. Il l’associe à une approche où les mobilisations « ne sont pas guidées par des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0032321717741233">buts prédéfinis</a>, mais constituent des arènes pour des expérimentations et des <em>alternatives symboliques</em> dans un sens foucaldien. »</p>
<h2>Une enquête auprès de 130 responsables d’association et activistes</h2>
<p>En se demandant si, et de quelle manière, les différentes revendications qui émergent à notre époque se rejoignent dans un horizon émancipateur commun, ma recherche s’inscrit en complémentarité avec les <a href="https://oxford.universitypressscholarship.com/view/10.1093/0199264996.001.0001/acprof-9780199264995">travaux</a> sur la crise contemporaine de la <a href="https://www.cambridge.org/fr/academic/subjects/politics-international-relations/comparative-politics/democratic-deficit-critical-citizens-revisited?format=HB&isbn=9780521197519">démocratie</a> <a href="https://link.springer.com/article/10.1057/s41253-019-00095-5">représentative</a>, sur les continuités et ruptures historiques en jeu dans les mouvements des places ou les <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/_gilets_jaunes____hypotheses_sur_un_mouvement-9782348043703">Gilets</a> <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2019-4-page-12.htm">jaunes</a> et avec ceux reposant sur une approche quantitative des mobilisations pour la justice sociale et <a href="https://reporterre.net/Qui-manifeste-pour-le-climat-Des-sociologues-repondent">écologique</a>.</p>
<p>Afin d’analyser les modalités d’expression de cet horizon émancipateur commun, j’ai effectué, entre juin 2019 et août 2020, soit avant et pendant la crise sanitaire de Covid-19, une <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100141670">enquête qualitative</a> auprès de 130 responsables d’associations ou de collectifs féministes, antiracistes, écologistes, antispécistes et/ou de lutte contre la pauvreté et pour la justice sociale, mais aussi d’entrepreneurs·ses sociaux·ales et d’activistes se revendiquant d’affiliations plurielles et « fluides ».</p>
<p>Cette enquête questionne une cohabitation paradoxale : la prise de conscience de la nécessité de faire alliance pour être efficace et la méfiance vis-à-vis d’une convergence des luttes potentiellement source d’occultation des divergences entre militant·e·s et revendications ainsi que des hiérarchies et luttes pour l’hégémonie.</p>
<h2>Des « utopies réelles » comme seul réalisme</h2>
<p>Les responsables d’association et activistes interviewé·e·s ne se situent pas que dans le <em>contre</em>, mais aussi dans le ou plutôt les <em>pour</em> au pluriel, puisqu’il s’agit à travers la diversité des tactiques (plaidoyer, désobéissance civile) et des expérimentations du « faire (en) commun » de mettre en œuvre des <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/trois-utopies-contemporaines-9782213705088">« utopies réelles »</a>.</p>
<p>Les expérimentations prennent la forme d’une réappropriation collective de l’espace et de la parole par des performances, telles que des collages, des flash mob, des occupations jusqu’à la mise en place de zone à défendre (ZAD) ou la création de lieux questionnant le plus possible, voire mettant en suspens, les rapports de domination.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/f04PFWcr63Q?wmode=transparent&start=71" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les ZAD, des tentatives contemporaines de réalisations d’« utopies réelles ».</span></figcaption>
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<p>Dans un contexte de discrédit de l’approche réformiste jugée trop peu efficace, voire trompeuse, l’utopie en actes est valorisée comme une repolitisation nécessaire, et même – paradoxalement – comme le seul pragmatisme à l’ère des urgences sociales et écologiques. Considérant que les répertoires d’actions « classiques » telles que les manifestations ou le plaidoyer ne sont pas suffisants, et qu’une rupture révolutionnaire ne serait ni réaliste ni souhaitable, la construction d’« <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/utopies_reelles-9782707191076">alternatives émancipatrices</a> dans les espaces et les fissures » du système existant est ainsi présentée comme formant « des institutions, des relations et des pratiques […] ici et maintenant, qui préfigurent un monde idéal ».</p>
<p>Les mobilisations contemporaines contre les injustices sont ainsi d’une radicalité fluide, dans la mesure où elles reposent sur le diagnostic de l’interdépendance des dominations pour faire émerger celle des émancipations. Valorisée en tant que démarche d’appréhension des injustices par ce qui les constitue, cette radicalité fluide caractérise aussi les modalités de l’engagement et leurs expressions. Le modèle du « grand soir » est mis à distance dans le rejet de ce qui est associé à une mise en doctrine, tout comme celui des « petits matins qui chantent » pour se revendiquer de celui des « petits jardins », des « jardins partagés ». La méfiance envers ce qui est associé à un risque de recomposition d’une unité hégémonique, voire totalitaire, amène à prendre de la distance vis-à-vis de toute généralisation, qu’elle soit procédurale ou idéologique.</p>
<h2>Co-construire l’émancipation dans le « faire (en) commun »</h2>
<p>« Si tu es venu pour m’aider, tu perds ton temps, mais si tu es venu parce que tu penses que ta libération est liée à la mienne, alors travaillons ensemble » : nombreuses et nombreux sont les responsables d’association et activistes interviewé·e·s qui citent cette célèbre phrase attribuée à l’activiste aborigène d’Australie Lisa Watson pour appeler à la vigilance face à la tentation de penser le « qui » des mobilisations dans une recomposition des dominations, et non dans une logique de co-construction émancipatrice. L’enjeu est de partager une émancipation qui ne se réduise pas à un moment ou un acte libérateurs, mais qui consiste dans « la <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2019-3-page-63.htm?contenu=resume">transformation des relations</a> et des identités antérieures, la définition de nouvelles subjectivités ».</p>
<p>Deux questions restent en suspens. Comment procéder pour tenir compte des divergences dans les échanges et/ou les alliances ? Est-ce que les expérimentations et les réponses locales déboucheront sur une synergie spontanée ou sur des rencontres, des alliances ou des politiques de coalition construites ?</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/425902/original/file-20211012-17-1tavp0e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Presses de Sciences Po" src="https://images.theconversation.com/files/425902/original/file-20211012-17-1tavp0e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/425902/original/file-20211012-17-1tavp0e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=943&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/425902/original/file-20211012-17-1tavp0e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=943&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/425902/original/file-20211012-17-1tavp0e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=943&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/425902/original/file-20211012-17-1tavp0e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1186&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/425902/original/file-20211012-17-1tavp0e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1186&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/425902/original/file-20211012-17-1tavp0e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1186&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Pour son ouvrage <em>Radicales et fluides</em>, Réjane Sénac a enquêté auprès de 130 responsables d’association, activistes et entrepreneurs sociaux.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Le suspens est de nature différente entre ces deux interrogations : la première n’a pas été abordée explicitement par les personnes interviewées alors que la seconde a été posée comme une question sans réponse, voire une question qui devait rester ouverte pour ne pas perdre son pouvoir transformatif.</p>
<p>Les militant·e·s et activistes interviewé·e·s abordent souvent le lien entre local et global de manière elliptique, voire énigmatique, à travers une affirmation métaphorique – « les îlots feront les archipels » –, métaphore associée principalement au <a href="http://www.atelierdecreationlibertaire.com/Pour-un-municipalisme-libertaire,897.html">municipalisme libertaire</a> ou aux travaux sur l’identité-relation des philosophes et écrivains <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Traite-du-Tout-Monde">Édouard Glissant</a> et <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/manifestes-9782348060595">Patrick Chamoiseau</a>.</p>
<p>Les mobilisations contemporaines contre les injustices sont ainsi à la fois radicales, par les remises en cause qu’elles portent, et fluides, dans le « comment » et le « vers quoi » des réponses qu’elles incarnent.</p>
<hr>
<p><em>Ce texte présente la recherche analysée dans l’ouvrage <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100141670&fbclid=IwAR1338nz6588bD-A2ThMmiM2seB379rtDpK2QtoXF1mrMeUr8agaf72tixM#h2tabtableContents">« Radicales et fluides. Les mobilisations contemporaines »</a>, Presses de Sciences Po, 2021.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168414/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Réjane Sénac a reçu pour cette recherche des financements de Sciences Po, de son Programme de recherche et d'enseignement des savoirs sur le genre - PRESAGE et du Centre de recherches politiques de Sciences Po - CEVIPOF.
</span></em></p>Après une enquête auprès de 130 militants, activistes et entrepreneurs, Réjane Sénac livre une analyse des formes d’engagement contemporaines.Réjane Sénac, Politologue, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1683272021-09-27T20:45:08Z2021-09-27T20:45:08ZLuttes contre le passe sanitaire et la vaccination : un été confus<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/422317/original/file-20210921-15-dbis6j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=27%2C0%2C2016%2C1363&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestation anti pass sanitaire du 14 Août 2021 à Besançon.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jbracco/51381651860/">Jordan Bracco / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Si elle connaît une érosion constante depuis la mi-août, la répétition hebdomadaire de dizaines de rassemblements et manifestations où se côtoient opposants au passe sanitaire et <em>anti-vax</em> constitue un fait marquant. Les mobilisations estivales sont en effet exceptionnelles, et sans constituer un raz de marée, celles-ci on pu rassembler jusque plus de <a href="https://www.france24.com/fr/france/20210731-covid-19-troisi%C3%A8me-samedi-de-manifestations-en-france-contre-le-passe-sanitaire">200 000 participants</a>. Il faudrait certes faire la part d’un effet de loupe médiatique : le mouvement a eu aussi la vertu de meubler une actualité des week-ends somnolente, d’offrir aux télévisions des images fortes, des propos parfois provocateurs.</p>
<p>La réussite d’un <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/sociologie_des_mouvements_sociaux-9782348054624">mouvement social</a> se marque souvent dans sa capacité à fédérer des personnes et des groupes par ailleurs différents à maints égards mais que rassemble pour un temps le sentiment d’une menace, une indignation, l’atteinte à un intérêt. Mais encore faut-il que ce qui les cimente soit assez solide pour que le collectif se cristallise, ne serait-ce que le temps d’une mobilisation.</p>
<p>Pareille diversité est bien présente dans le profil des participants aux rassemblements du samedi. Une typologie fine demanderait des enquêtes qui n’existent pas encore. Mais on peut discerner une composante de participants professionnellement affectés. Ce sont les métiers (services de <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/280821/en-moselle-le-reseau-des-gilets-jaunes-structure-la-mobilisation-anti-passe-sanitaire">santé</a> et de <em>care</em>, pompiers) visés par une obligation vaccinale avec le risque de perte de salaire s’ils ne s’y plient pas. Ce sont aussi, mais la logique est déjà autre, des <a href="https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/manif-anti-pass-sanitaire-un-rassemblement-organise-samedi-14-aout-a-gueret-1628862332">professionnels</a> devenus, à leur corps défendant, les supplétifs des contrôle du passe, ce qui alourdit leur travail (cafetiers, restaurateurs…).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/422320/original/file-20210921-19-japcvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Manifestantes brandissant des pancartes contre la vaccin lors d’une manifestation à Besançon le 14 août 2021" src="https://images.theconversation.com/files/422320/original/file-20210921-19-japcvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/422320/original/file-20210921-19-japcvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/422320/original/file-20210921-19-japcvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/422320/original/file-20210921-19-japcvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/422320/original/file-20210921-19-japcvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/422320/original/file-20210921-19-japcvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/422320/original/file-20210921-19-japcvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Manifestantes brandissant des pancartes contre la vaccin lors d’une manifestation à Besançon le 14 août 2021.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jbracco/51380854518/">Jordan Bracco/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<h2>Des discours disparates</h2>
<p>Une autre composante associe celles et ceux qui sont opposés à la vaccination, et ce serait encore un raccourci que de les voir homogènes. Il est des <em>anti-vax</em> de principe pour des raisons <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/la-sensibilite-catholique-tradi-fil-conducteur-de-nombreux-reseaux-antivax_2157523.html">religieuses</a>, par croyance en la puissance de défenses « naturelles » du corps humain dès lors qu’on se plie à ce qu’ils définissent comme une vie saine.</p>
<p>Certains participants, par l’outrance ou le scandale des propos, comme la pancarte à suggestion antisémite qui valut à une <a href="https://www.republicain-lorrain.fr/faits-divers-justice/2021/09/08/pancarte-antisemite-cassandre-fristot-devant-la-justice-pour-provocation-a-la-haine-raciale">manifestante</a> messine trois mois de prison avec sursis – sont aussi de « bons clients » pour les médias qui leur donnent une place peut être généreuse. D’autres encore tiennent des propos extravagants sur le vaccin comme visant à l’euthanasie douce d’une part de la population mondiale ou engendrant la soumission à de mystérieux pouvoirs (pour illustration, <a href="https://ondevraitenparler.wordpress.com/2021/04/16/les-vaccins-covid-19-sont-des-armes-de-destruction-massive-et-pourraient-aneantir-la-race-humaine-dr-vernon-coleman-traduction-en-francais">ce texte</a>).</p>
<p>Mais il est aussi des <em>anti-vax</em> qui se posent des questions spécifiques sur ces vaccins mis en service de façon accélérée, sur la pertinence de vacciner leurs adolescents que ce virus menace peu.</p>
<p>Enfin une autre composante du mouvement n’est en rien hostile aux vaccins, mais conteste les effets du passe sanitaire sur les <a href="https://www.liberation.fr/societe/manif-anti-pass-a-paris-on-nest-plus-egaux-entre-citoyens-dans-ce-pays-20210807_DFXTST6XOFAHVHRNDHGOKS7SBA/">libertés publiques</a>, la manière dont il institue de facto deux catégories de citoyens ou sur la manière dont sont protégées les données relatives aux personnes vaccinées.</p>
<p>Dans un certain nombre de villes, ce sont aussi des réseaux nés de la mobilisation <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/280821/en-moselle-le-reseau-des-gilets-jaunes-structure-la-mobilisation-anti-passe-sanitaire?onglet=full">« gilets jaunes »</a> qui se saisissent de ces enjeux pour remobiliser.</p>
<h2>Une dimension politique qui clive</h2>
<p>Mais si cette hétérogénéité fait – relativement – nombre, elle est trop centrifuge pour fabriquer un « nous ». Beaucoup d’<a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/010921/manifestation-contre-le-passe-sanitaire-gauche-y-aller-ou-pas">observateurs</a> on pu voir des anti-passe (souvent plutôt de gauche) se tenir à distance ostentatoire des <em>anti-vax</em>, et vice-versa.</p>
<p>C’est aussi la dimension politique qui clive. Le fait que, spécialement dans le sud méditerranéen, par exemple à <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/08/07/passe-sanitaire-a-toulon-la-droite-nationaliste-au-premier-rang-des-mobilisations_6090871_3244.html">Toulon</a>, une présence d’extrême – droite soit visible, parfois structurante est répulsive pour une part des participants potentiels.</p>
<p>La faiblesse du mouvement tient encore aux tensions vécues par certains de ses participants, tels ces <a href="https://www.sudradio.fr/societe/patrick-bourdillon-la-cgt-nest-pas-opposee-a-la-vaccination-en-tant-que-telle/">syndicalistes</a> hospitaliers, vaccinés et partisans du vaccin, qui se mobilisent par solidarité avec des collègues rétifs à passer par le centre de vaccination.</p>
<p>Le fait que beaucoup de samedis parisiens ont vu <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/paris/plusieurs-dizaines-de-milliers-de-personnes-manifestent-de-nouveau-contre-le-pass-sanitaire-a-paris-2246800.html">quatre cortèges</a> distincts illustre jusqu’à la caricature la « divergence des luttes ».</p>
<p>Un détail parlant a été peu commenté. Voici sans doute la première fois que des manifestations donnent lieu à des évaluations à l’unité prés (175 503 personnes le 21 août), peu contestées. Une technique consensuelle de comptage des manifestants aurait-elle été découverte ? Non. Si les chiffres du ministère de l’Intérieur sont repris sans trop de discussions, c’est que, s’ils peuvent être ponctuellement bien coordonnés comme à Toulon, les protestataires n’ont ni structure de coordination, ni porte-paroles nationaux qui leur permettent d’avancer leur contre-chiffrage, d’intervenir – au-delà d’un fugitif micro-trottoir – sur les plateaux TV.</p>
<h2>Des « mouvements orphelins »</h2>
<p>Mais la faiblesse du mouvement vient aussi de ce qu’il relève des « <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01144010">mouvements</a> <a href="https://www.palgrave.com/gp/book/9781137385789">orphelins</a> » qui, s’ils peuvent susciter intérêt ou sympathies, ne peuvent pas être adoptés par des partis ou des figures politiques, parce que trop encombrant ou sulfureux. On pourrait objecter que le mouvement dispose d’un parrain zélé en la personne de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/08/07/florian-philippot-tente-de-surfer-sur-le-mouvement-anti-passe-sanitaire_6090797_823448.html">Florian Philippot</a>.</p>
<p>Mais celui-ci n’entraîne derrière lui que de modestes troupes. Et sa présence jointe à celle de complotistes, parfois d’obscurantistes, à des épisodes violents est de celles qui rendent le mouvement peu fréquentable aux forces politiques. Aucun parti important ne prendra le risque de se voir associé à un mouvement dont certaines composantes revendiquent une conception de la liberté individuelle peu soucieuse d’une vision du bien commun, brandissent des pancartes racistes, professent un mépris sans complexe pour la science. La position difficile de <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/pass-sanitaire/presidentielle-2022-rallier-les-anti-pass-sanitaire-du-samedi-nouvelle-strategie-de-jean-luc-melenchon_4752539.html">Jean-Luc Mélenchon</a> l’illustre qui, tout en soutenant la dimension de défense des libertés du mouvement anti-passe, en est réduit à dire son exaspération : « Nous en avons assez de l’extrême droite et des antisémites. Fichez le camp de nos manifestations ! »</p>
<h2>Une hostilité qui nourrit les mobilisations</h2>
<p>Alors « circulez, il n’y a plus rien à voir », qu’une curiosité estivale qui s’étiole avec l’automne ? On aurait tort de le penser. Le mouvement, avec ses composantes syndicales et « gilets jaunes », illustre la pérennité d’une hostilité mobilisée contre le président de la République et son gouvernement, la contestation d’une société inégalitaire où les écarts de richesse et de sécurité d’emploi se sont encore creusées pendant la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/travail-la-pandemie-massivement-creuse-les-inegalites-salariales">pandémie</a>… Le fait que le président de la République annonce depuis mi-septembre de nombreuses <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/presidentielle-2022-macron-fait-campagne-avec-le-chequier-de-la-france-denonce-bertrand-7900074058">mesures avantageuses</a> pour diverses catégories populaires, suscitant les critiques de l’opposition – suggère que ce risque a été bien perçu par l’exécutif.</p>
<p>Cette mobilisation suggère aussi la montée d’exaspérations – qu’illustre l’obsessionnel et ambigu mot d’ordre de liberté sur les pancartes des manifestants devant ce qu’il faut bien appeler la restriction continue des <a href="https://www.amnesty.fr/pays/france">libertés publiques</a> par une séquence d’états d’urgence antiterroriste, d’alerte sanitaire depuis six ans. La réalité de ces périls n’est pas contestable. Mais combien de pays européens ont poussé aussi loin la suspicion sur la vertu civique de leurs citoyens, symbolisée par l’obligation de se munir d’« autorisations dérogatoires » pour aller acheter sa baguette.</p>
<h2>Des gouvernants trop impérieux ?</h2>
<p>Enfin s’il est salubre de critiquer les débordements en tout genre de certains manifestants, on peut questionner aussi la verticalité, parfois l’<a href="https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/pr-gilbert-deray-les-antivax-revelateurs-d-une-societe-malade-de-son-egoisme-et-inculture_2156827.html">arrogance de discours</a> qui, au nom de la Raison et du savoir, ferment l’espace des questions qu’il serait convenable de débattre, identifient critiques et ignares.</p>
<p>Contrairement à ce que dit le <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/allier/vichy/quand-claude-malhuret-senateur-de-l-allier-s-en-prend-aux-leaders-de-pacotille-des-anti-vax-et-des-anti-pass-2244667.html">sénateur Malhuret</a>, il n’est nul besoin de « savoir situer la vésicule biliaire » pour questionner les effets le bilan de politiques de santé portées depuis vingt ans par élus de gauche et de droite et hauts fonctionnaires des ARS à partir d’une visée de rationalisation des coûts. Comme l’ont montré de nombreux <a href="https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/la-casse-du-si%C3%A8cle/">travaux de sociologie de la santé</a>, ces politiques publiques ont affaibli l’<a href="https://www.sudouest.fr/politique/primes-et-deprime-a-l-hopital-une-annee-a-bout-de-souffle-1625331.php">institution hospitalière</a> et ses capacités, démoralisé ses personnels avec les effets observables dès le pic du premier confinement.</p>
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<p>On peut dès lors questionner ce que ce que le sociologue <a href="https://openlibrary.org/books/OL1715123M/The_McDonaldization_of_society">Georges Ritzer</a> nomme l’irrationalité de la rationalité : faire la chasse aux minutes perdues par une aide-soignante à discuter avec un patient est-ce rogner un coût ou un geste à potentiel thérapeutique ?</p>
<p>Il n’est pas davantage besoin d’un bac + 5 pour questionner les palinodies officielles sur l’improbable essor du virus en France, les usages du masque – dont la <a href="https://www.bfmtv.com/replay-emissions/bourdin-direct/sibeth-ndiaye-face-a-jean-jacques-bourdin-en-direct-20-03_VN-202003200277.html">porte-parole du gouvernement</a> disait le 20 mars 2020 sur BFM TV qu’il n’était pas indispensable et que sa pose était un geste « technique » qu’elle n’aurait su maîtriser – ou pour demander par quel prodige biologique les pompiers doivent se vacciner quand les policiers, sécrétant apparemment des anticorps spécifiques, en sont dispensés.</p>
<p>Il n’est encore pas inconvenant que se déploie un débat, éclairé par chercheurs et praticiens, sur le bien-fondé d’une série de choix : manque de moyens de la recherche publique (et privée si on pense aux équipes de recherche décimées chez Sanofi), mise en évidence par la pandémie de territoires <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/voici-la-carte-de-france-des-deserts-medicaux-3896746">sous-médicalisés</a>, vaccination des adolescents. Ce qu’invite encore à mettre en débat cette crise grave et durable, ce sont les effets contre productifs d’une vision et d’une division très verticale entre ceux qui savent et les autres dans la culture des élites françaises, d’un a priori défiant quant au civisme et aux compétences des citoyens. Aujourd’hui encore les messages officiels se ponctuent d’un « On prend soin de vous », là où la communication de santé de nos voisins allemands repose sur le « nous », suggérant une population active et consciente.</p>
<p>Le principe d’un espace public est de chercher à ce qu’émergent des décisions raisonnées et rationnelles, cela exclut que quiconque puisse se poser en seul propriétaire de la Raison.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168327/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Erik Neveu n' est membre d'aucun parti ou syndicat. Il cotise à l'Association Francaise de Science Politique, à diverses institutions caritatives (Secours Populaire, etc) et à l'Association de solidarité France-Palestine. Il ne reçoit de fonds d'aucun sponsor, groupe financier ou mecène quelconque. Comme beaucoup d'universitaires ou d'intellectuels, il lui arrive de signer des pétitions.</span></em></p>Souvent comparées au mouvement des « gilets jaunes » car présentes chaque samedi et composées de profils divers, les manifestations contre le passe sanitaire et l’obligation vaccinale ont rythmé l’été.Erik Neveu, Sociologue, Université de Rennes 1 - Université de RennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1683532021-09-26T16:31:26Z2021-09-26T16:31:26ZLa carte de la crise économique ne se superpose pas à celle des « gilets jaunes »<p>Il semble assez facilement envisageable d’observer les impacts différenciés de la crise selon les secteurs d’activité. Cela apparaît de façon assez immédiate pour ceux ayant connu des fermetures comme les restaurants. On peut, pour d’autres, identifier une baisse durable de la demande, par exemple en ce qui concerne le tourisme d’affaires ou l’aéronautique.</p>
<p>L’exercice s’avère cependant beaucoup moins aisé en ce qui concerne les territoires. De nouvelles fractures géographiques ont-elles fait leur apparition ? Telle est la question que le gouvernement nous posait au mois de janvier dans l’objectif d’ajuster les politiques publiques de soutien aux entreprises. Cette interrogation a fait l’objet du <a href="https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2021/06/m-006-03_2021-rapport_rebond_eco_territoires.pdf">rapport</a> remis au mois de juin au premier ministre Jean Castex.</p>
<p>Inspiré par nos <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3599482">travaux</a> portant sur l’importance des variables territoriales sur le coût des fermetures durant la pandémie aux États-Unis, il met en évidence de fortes disparités dans l’Hexagone. Fait surprenant, elles n’ont pas forcément à voir avec des fragilités préexistantes à la crise.</p>
<h2>Impact territorialisé et ressenti</h2>
<p>En six mois de mission, nous nous sommes déplacés dans les treize régions de France métropolitaine et avons mobilisé des données de l’Insee et de la Dares dans des calculs statistiques et économétriques. Il s’agissait de distinguer ce qui, dans la baisse d’activité, provenait de la spécialisation industrielle des territoires et des facteurs purement locaux qui ne sont pas spécifiques à l’industrie.</p>
<p>En utilisant pour indicateur la baisse de la masse salariale, une hétérogénéité saisissante apparaît. Les 10 % des bassins d’emplois qui ont été les plus touchés par la crise ont ainsi connu une baisse d’activité qui est deux fois et demie supérieure à la moyenne.</p>
<p>Cet impact différencié de la crise d’un territoire à l’autre ne se résume pas à des différences sectorielles. Autrement dit, une entreprise d’un même secteur a connu une baisse d’activité très différente selon qu’elle est localisée à Roissy, dans la montagne, dans le Maine-et-Loire ou en Haute-Loire.</p>
<p>Ceci se reflète dans le ressenti des habitants. En France, il n’existe pas d’enquête qui permette de le mesurer en continu et selon des zones géographiques précises. Pour l’observer, nous avons téléchargé tout au long de la crise quelque 20 millions de messages Twitter géolocalisés dont nous avons interprété le caractère positif ou négatif à partir de la nature des emojis ou de la connotation des mots qui étaient utilisés.</p>
<p>Globalement, l’optimisme baisse très fortement au moment des confinements et des couvre-feux au niveau national. Mais nous avons aussi pu vérifier aussi qu’à un niveau très local, celui-ci avait particulièrement baissé pendant les 12 premiers mois de la crise à Roissy, dans la montagne, à Toulouse… c’est-à-dire dans des zones particulièrement touchées par la crise économique.</p>
<h2>Une crise aveugle aux dynamiques préexistantes</h2>
<p>Nous avons ensuite comparé cette géographie de la baisse d’activité avec la géographie des fragilités structurelles que l’on détectait en France. Celles-ci s’étaient notamment manifestées au moment de la crise des « gilets jaunes ».</p>
<p>Un effet assez inattendu a pu être mis en évidence. La géographie de la baisse d’activité ne recouvre pas la géographie des fragilités structurelles. Autrement dit, la carte de la crise économique ne se superpose pas avec celle des « gilets jaunes », du chômage ou de la pauvreté. La crise a touché de manière équivalente des territoires qui étaient assez prospères avant la crise (par exemple, les zones de montagnes) et des territoires qui étaient plus fragiles.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/422200/original/file-20210920-14395-1jx8ob8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/422200/original/file-20210920-14395-1jx8ob8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/422200/original/file-20210920-14395-1jx8ob8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/422200/original/file-20210920-14395-1jx8ob8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/422200/original/file-20210920-14395-1jx8ob8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/422200/original/file-20210920-14395-1jx8ob8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=610&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/422200/original/file-20210920-14395-1jx8ob8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=610&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/422200/original/file-20210920-14395-1jx8ob8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=610&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les bassins d’emploi les plus fragiles avant la crise… (Le degré de fragilité agrège taux de chômage, taux de pauvreté et solde migratoire des actifs)</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/422201/original/file-20210920-18-1eh2oit.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/422201/original/file-20210920-18-1eh2oit.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/422201/original/file-20210920-18-1eh2oit.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=467&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/422201/original/file-20210920-18-1eh2oit.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=467&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/422201/original/file-20210920-18-1eh2oit.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=467&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/422201/original/file-20210920-18-1eh2oit.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=587&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/422201/original/file-20210920-18-1eh2oit.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=587&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/422201/original/file-20210920-18-1eh2oit.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=587&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">… ne sont pas nécessairement les plus durement frappés.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Par exemple, parmi les 300 bassins d’emplois français, les deux qui ont connu la plus forte baisse d’activité entre mars 2020 et février 2021, sont un bassin d’emplois situé à la montagne (la Tarentaise) et un bassin d’emploi de la région parisienne (Roissy). Or, avant la crise, le premier bassin s’avérait prospère et l’autre plutôt fragile.</p>
<p>Il n’y a ainsi pas vraiment de corrélation entre l’impact de la crise et les fragilités d’avant. La crise a touché aveuglément des territoires dynamiques et atones.</p>
<h2>L’amorce d’un exode urbain</h2>
<p>Il semble par ailleurs que les grandes villes soient les grandes perdantes de la crise, alors que les tendances précédentes étaient à la métropolisation. La baisse d’activité y a été près de deux fois supérieure à celle que l’on a observée dans tous les autres territoires.</p>
<p>L’écart entre les grandes métropoles et le reste du territoire s’est même accru au moment de la première levée des restrictions à l’été 2020. Elle s’est accompagnée de l’amorce d’un exode urbain très marqué en provenance du cœur de ses grandes métropoles et à destination des départements périphériques plus ruraux et moins denses.</p>
<p>Par exemple à Paris, entre le 2<sup>e</sup> semestre 2019 et le 2<sup>e</sup> semestre 2020, les acquisitions par des Parisiens de maisons dans un autre département ont globalement progressé de plus de 30 %, avec des pics dans des départements comme l’Eure (plus 150 %), le Loiret (plus 150 %), l’Orne (plus de 100 %), et l’Eure-et-Loir (plus de 70 %).</p>
<p>Le même phénomène se produit autour de Lyon, vers les départements de l’Ain, de l’Isère, ou de la Loire. Idem pour les départements du Var et du Vaucluse qui accueillent des habitants en provenance de Marseille, en provenance de Toulouse pour les départements du Gers et de l’Aude, et en provenance de Nantes pour les départements du Maine-et-Loire et de la Vendée.</p>
<p>C’est aussi dans cette mesure que la crise actuelle semble devoir aussi être l’occasion d’interroger en profondeurs les modalités d’intervention de l’État en soutien des territoires fragiles.</p>
<hr>
<p><em>Pour aller plus loin : Cliquez <a href="https://www.jeannoelbarrot.fr/rapport-barrot">ici</a> pour lire le rapport Barrot remis au premier ministre, et ici pour écouter l'interview accordée par l'auteur au site <a href="https://www.hec.edu/en/knowledge/instants/jean-noel-barrot-building-bridges-between-research-and-politics">Knowledge@HEC</a> (en anglais).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168353/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Noël Barrot est secrétaire général du Mouvement démocrate et député de la 2e circonscription des Yvelines. Il a reçu pour mission de la part du Premier ministre en janvier 2021 d’identifier les territoires les plus touchés par la crise et d'accompagner leur rebond économique.</span></em></p>Les baisses d’activité enregistrées localement, qui pèsent sur le ressenti des populations, concernent à la fois des territoires prospères et d’autres qui présentent des fragilités structurelles.Jean-Noël Barrot, Enseignant-chercheur en économie, HEC Paris Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1625422021-06-10T21:56:53Z2021-06-10T21:56:53Z« Recevoir en pleine face la colère populaire » : la gifle ou les aléas du voyage présidentiel en province<p>Quelle importance accorder à la gifle que le président de la République, Emmanuel Macron, a reçue lors d’un déplacement à Tain-l’Hermitage le 8 juin 2021 ? Le corps physique de l’individu Emmanuel Macron a apparemment peu souffert de cette violence somme toute contenue et ritualisée : la gifle relève des atteintes physiques mineures mais <a href="https://blogs.letemps.ch/veronique-dreyfuss-pagano/2021/06/09/la-gifle-un-geste-qui-a-une-longue-histoire/">symboliquement stigmatisantes</a>, et pouvait autrefois donner lieu à réparation lors <a href="https://www.theatre-classique.fr/pages/pdf/CORNEILLEP_CID.pdf">d’un duel</a>.</p>
<p>En revanche, dans le registre de la symbolique politique, l’attaque du corps du monarque républicain n’est pas anodine en ce qu’elle s’attaque à la fonction.</p>
<p>L’ensemble du personnel politique a d’ailleurs condamné cet acte violent selon cette lecture (« il en va des fondements de notre démocratie » a déclaré le premier ministre applaudi à l’Assemblée), tandis que paradoxalement le président en minimisait la portée (« il faut relativiser cet incident… c’est de la bêtise »). En soulignant cependant qu’« il ne faut rien céder à la violence, en particulier la violence contre tous les représentants de la chose publique ». Il invitait en concluant cette brève déclaration <a href="https://www.lci.fr/politique/gifle-emmanuel-macron-appelle-a-relativiser-dans-une-interview-au-dauphine-2188213.html">« à remettre toute cette violence à sa juste valeur »</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1402291941270827014"}"></div></p>
<h2>Des épiphénomènes dissonants</h2>
<p>Si une telle violence est en France globalement rare et marginale – sachant que les services de sécurité font en sorte qu’elle ait de moins en moins d’occasions de s’exprimer –, une violence du même ordre a pu resurgir épisodiquement dans le passé récent, que cela soit lors des campagnes présidentielles (Emmanuel Macron avait aussi reçu un œuf sur la tête lors de celle de 2017), ou lors des moments mettant en contact le personnel politique avec des foules (Nicolas Sarkozy fut agrippé par le revers de la veste, Manuel Valls giflé, François Hollande enfariné).</p>
<p>Sans compter les chahuts, les insultes, les chants hostiles et les affrontements avec les forces de l’ordre de « comités d’accueil » tenus de plus en plus éloignés des cortèges officiels.</p>
<p>Ces quelques épiphénomènes dissonants sont souvent hypertrophiés dans les comptes-rendus médiatiques. Ils ne doivent pourtant pas faire oublier que, depuis la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, la mécanique parfaitement rodée <a href="https://journals.openedition.org/lectures/360">du voyage présidentiel en province</a> fonctionne le plus souvent sans fausses notes, conjuguant acclamations des foules en liesse et applaudissements nourris de citoyens ravis d’accueillir le président de la République.</p>
<p>Cela n’a rien de fortuit, c’est même la justification principale de ces dispositifs.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1111237074320019456"}"></div></p>
<h2>Le voyage présidentiel : cadrage formel et nécessité de l’informel</h2>
<p>L’événement violent s’est produit dans le contexte d’un « Tour de France » morcelé, entrepris par Emmanuel Macron quelques jours plus tôt, à un an de l’élection présidentielle. Il s’agit en fait d’un ensemble d’aller-retour dans le pays, étalés sur plusieurs mois.</p>
<p>Cette nouvelle « itinérance », selon le mot des communicants du président, avait commencé sans heurts peu avant dans le département du Lot, à Saint-Cirq-Lapopie. Ce petit village touristique paisible avait déjà servi de toile de fond à d’autres immersions d’Emmanuel Macron « dans les territoires » alors qu’il était ministre.</p>
<p>Cette démarche n’est pas sans rappeler l’« itinérance mémorielle » de novembre 2018, à l’occasion de la fin de la Première Guerre mondiale. Il s’agissait, le temps de quelques jours, de « briser la vitre qui sépare traditionnellement le président du pays », selon les mots de son entourage, <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/en-direct-emmanuel-macron-le-programme-de-l-itinerance-memorielle-7795457232">« quitte à recevoir, en pleine face, la colère populaire »</a>. Ce nouveau voyage est envisagé autant comme un temps de célébration du président que comme un moment agonistique, où il pourra défendre sa politique si l’occasion lui en est donnée.</p>
<p>Le sens politique de tels déplacements est objectivement très faible tant ils sont prévisibles. Ils ne prennent un poids politique qu’à travers les commentaires médiatiques qu’ils suscitent. Ceux-ci portent d’ordinaire sur des éléments périphériques et quelques anecdotes, en marge de la routine officielle auxquelles les exégètes professionnels entendent donner de l’importance. Tout compte fait, la gifle reste comme le seul moment notable d’un déplacement qui reprend les modalités classiques d’un genre désormais stabilisé.</p>
<p>Le déplacement des commentaires des éditorialistes, des chaînes d’information, des professionnels et des profanes sur les réseaux sociaux numériques, vers le micro-événement constitué par « la gifle » illustre bien, en creux, les conditions ordinaires de félicité de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0263276486003002002">ces « rencontres » avec le « peuple »</a>. Entre déclinaison formelle et routinière d’un genre et moments informels planifiés, le déroulé habituel de ces déplacements ne suscite ordinairement que peu de commentaires.</p>
<h2>Le bain de foule, un rituel bien rodé</h2>
<p>Les voyages présidentiels font en effet l’objet depuis longtemps d’une organisation rigoureuse. Le bon déroulement du rituel impose de maîtriser l’agencement des divers éléments qui peuvent le constituer. Il faut pour cela tenir compte des multiples contraintes d’un planning minuté, avec ses aspects protocolaires (choix des interlocuteurs à rencontrer, notamment les élus locaux), ses « temps forts » à réaliser (inauguration d’un équipement, retrouvailles, remise de médaille, rencontre avec des citoyens ordinaires, des responsables d’associations, des fractions particulièrement méritantes de la population, etc.), ses moments de convivialité. Tout cela constitue la mise en récit d’une immersion harmonieuse et d’une communion avec les autochtones.</p>
<p>Parmi les séquences ritualisées, celle du bain de foule occupe une place particulière : elle est l’acmé de la rencontre avec le Peuple et se présente comme un des moments d’« informalisation ». Il s’agit dans ce cas de prévoir de brefs temps de relâchement des contraintes au sein d’un dispositif qui reste globalement sous contrôle.</p>
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<p>Mu par un élan irrépressible, le président s’approche des citoyens, tenus jusqu’alors à bonne distance derrière des barrières. Il serre des mains, embrasse femmes et enfants, prononce un compliment pour chacun, s’attarde parfois pour quelques phrases. Surtout, il manifeste sens de l’écoute et contentement d’approcher les « vrais » Français dont il se sentirait trop souvent éloigné par sa charge.</p>
<p>On a vu ainsi, juste avant la scène de la gifle, Emmanuel Macron, « échapper » à son service de sécurité pour se précipiter vers les habitants. Tout compte fait, la séquence de la gifle vient s’insérer au seul bref moment véritablement informel, dans un court interstice de flottement, avant que les services de sécurité ne se repositionnent et maîtrisent l’agresseur. Le président poursuit ensuite (presque) sans encombre le rituel informalisé, selon le plan prévu.</p>
<h2>Le corps du monarque républicain au centre de la cible</h2>
<p>Pour être ancien, le rituel républicain du voyage présidentiel comme temps de « rencontre » avec les Français n’est pas pour autant resté à l’écart des enjeux politiques contemporains. Le président sous la V<sup>e</sup> République tient sa légitimité du suffrage universel direct : il a donc un rôle politique beaucoup plus central que dans les régimes précédents. Cette importance est également symbolique, puisque sa place <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/38013-comment-caracteriser-le-regime-politique-de-la-ve-republique">s’est transformée</a> au fil du temps depuis 1958 selon les pratiques et les usages des différents occupants de l’Élysée.</p>
<p>La médiatisation grandissante de la vie politique, déjà importante dans les années 1980, a pris un tournant décisif avec les possibilités offertes de recueil et de circulation accélérée de l’information à partir des années 2000. <a href="https://www.armand-colin.com/lego-politique-essai-sur-lindividualisation-du-champ-politique-9782200283100">L’individualisation plus générale de la vie publique</a> a contribué au succès d’entreprises politiques, qui se présenteront au fil du temps de <a href="https://www.puf.com/content/La_fin_des_partis">moins en moins comme les émanations de collectifs partisans</a> que comme des aventures individuelles de conquête du pouvoir. Les primaires avec leurs affrontements télévisés ont été le symptôme le plus visible de ce changement en 2017, et le cas de la campagne d’Emmanuel Macron est à cet égard exemplaire.</p>
<p>La mobilisation de tous les outils de valorisation individuelle par le personnel politique de premier plan – <a href="http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=4939">qui n’est pas propre à la France</a> – au service d’une présence constante dans les médias, notamment socionumériques, valorise l’action mais elle banalise en même temps le corps et la fonction présidentielle.</p>
<p>L’inflexion du rôle symbolique du président lors du quinquennat d’Emmanuel Macron est pour beaucoup dans le fait qu’il apparaisse, sans doute encore plus nettement que ses prédécesseurs, comme l’auteur et l’incarnation quasi unique de la politique menée.</p>
<h2>La part de risque</h2>
<p>A de multiples reprises au cours du quinquennat, le président est apparu au centre des dispositifs pensés comme des réponses politiques aux crises qui se sont présentées. Le « Grand Débat » dans ses diverses déclinaisons, la gestion de la crise sanitaire (qui articule notamment le conseil de Défense aux décisions personnelles du président), l’instrumentalisation de dispositifs délibératifs soumis ensuite au bon vouloir présidentiel (comme dans le cas de la Convention Citoyenne pour le Climat) : autant de rappels constants d’une incarnation personnelle de l’autorité politique.</p>
<p>Les écarts langagiers qu’Emmanuel Macron s’est autorisés (« qu’ils viennent me chercher », « ceux qui ne sont rien », « le pognon de dingue », « travailler pour se payer un costard », « traverser la rue pour trouver du travail »…) ont sonné comme des marques personnelles d’arrogance. Elles semblaient parfois adresser un défi à des fractions de la population déjà éloignées socialement et géographiquement des décideurs politiques et plus encore du « nouveau monde » promu par le président.</p>
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<p>Résultat d’un choix assumé, mais sans doute aussi en grande partie contraint, puisque <a href="https://journals.openedition.org/lectures/34148">l’entreprise Macron</a> n’a pas les bases solides et anciennes de ses principaux opposants, l’extrême personnalisation du pouvoir a placé symboliquement le président au cœur de la responsabilité politique. Emmanuel Macron apparaît pour ces raisons le seul et unique interlocuteur du ressentiment des oubliés de sa politique. Y compris quand ce ressentiment se cristallise dans la violence d’une gifle.</p>
<p>Après le mouvement des « gilets jaunes » et les nombreuses manifestations qui ont émaillé ses précédents déplacements, la gifle rappelle que, symboliquement au moins, ce retour au terrain comportera encore longtemps pour Emmanuel Macron, peut-être plus que pour tout autre, une part de risque difficile à maîtriser.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162542/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Leroux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La gifle d’Emmanuel Macron a résonné dans la sphère médiatique comme un coup de tonnerre. Quelle importance donner à ce geste, pour l’homme comme pour la fonction qu’il représente ?Pierre Leroux, Professeur en sciences de l’information et de la communication, chercheur titulaire au Laboratoire Arènes, Université catholique de l’Ouest Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1604072021-05-06T18:23:32Z2021-05-06T18:23:32Z« Quelle démocratie ? » (1 / 3) : La démocratie française est-elle en crise ?<p><em>« In extenso », des podcasts en séries pour faire le tour d’un sujet.</em></p>
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<p>La démocratie, c’est littéralement le pouvoir exercé par le peuple. Elle ne se déploie évidemment pas de la même manière sous toutes les latitudes. Les États qui ont choisi ce régime, ou prétendent l’avoir choisi, l’appliquent chacun avec leur histoire, leurs institutions, leurs aspirations. Dans certains d’entre eux, la crise sanitaire a eu des impacts sur l’exercice de la démocratie.</p>
<p>The Conversation a choisi d’explorer cette notion à travers une série de podcasts réalisée avec l’Institut des hautes études pour la science et la technologie, et intitulée « Quelle démocratie ? ». On y parle de ses évolutions aux États-Unis, en France et en Chine. Les deux premiers États sont indéniablement des démocraties, même s’ils font régulièrement l’objet de critiques sévères. La Chine, elle, est un régime autoritaire qui, pourtant, se prétend démocratique. Comment la démocratie s’exerce-t-elle, se construit-elle, quels dangers la menacent ?</p>
<p>Dans ce premier épisode, « La démocratie française est-elle en crise ? », nous abordons les défis démocratiques auxquels notre pays est aujourd’hui confronté, de la défiance croissante envers les élites aux questionnements sur la représentativité des élus, en passant par la remise en cause du « système » comme on l’a vu avec les Gilets jaunes…</p>
<p>Pour discuter de tous ces sujets, nous accueillons Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférences en philosophie à Sorbonne Université et président du Collège de philosophie.</p>
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<p><em>Conception, Françoise Marmouyet et Grégory Rayko. Production, Romain Pollet</em>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Ce podcast prolonge une intervention tenue dans le cadre du webinaire <a href="https://www.ihest.fr/ihest-mediatheque/la-democratie-francaise-a-lepreuve-des-crises/">« La démocratie française à l'épreuve des crises ? »</a> enregistré le 4 février 2021 dans le cadre du cycle de formation de l’Institut des hautes études pour la science et la technologie (<a href="https://www.ihest.fr/">IHEST</a>) « Les régimes démocratiques à l’épreuve des transitions ? La question de la gouvernance. »</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160407/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Comment la démocratie s’exerce-t-elle, quels dangers la menacent ? Réflexions sur les défis qu’affronte la démocratie française.Grégory Rayko, Chef de rubrique International, The Conversation FranceFrançoise Marmouyet, Coordinatrice éditoriale, The Conversation FranceRayane Meguenni, Chef de projet podcasts, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1520302020-12-16T19:17:20Z2020-12-16T19:17:20ZComment le fichage policier est-il contrôlé ?<p><a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/12/07/le-gouvernement-elargit-trois-fichiers-de-renseignement_6062511_4408996.html">Quelques médias</a> s’en sont fait récemment l’écho : le gouvernement a très récemment étendu les possibilités de collecte d’informations ayant trait aux opinions politiques et mêmes religieuses dans le cadre de certains fichiers de police. Cette modification résulte de plusieurs <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042607323">décrets du 2 décembre</a> dernier et concerne trois fichiers déjà contestés et relatifs aux troubles à <a href="https://www.laurent-mucchielli.org/index.php?post/2011/04/03/Trois-nouveaux-fichiers-pour-%8Etendre-cette-fois-ci-la-m%8Emoire-gendarmique">la sécurité publique</a> : PASP, GIPASP et EASP.</p>
<p>La critique contre <a href="https://journals.openedition.org/champpenal/10843?lang=fr">les fichiers de police</a> n’est pas nouvelle, et revient régulièrement sur le devant de l’actualité. Que ce soit suite à la mise en place du <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/674441/non-respect-du-confinement-pourquoi-le-delit-est-il-conteste/">confinement</a>, suite à des événements ayant mobilisé <a href="https://www.leparisien.fr/societe/migrants-un-decret-va-creer-un-fichier-des-mineurs-isoles-31-01-2019-8000997.php">l’opinion publique</a>, ou dans le cadre de <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/cinq-questions-sur-le-fsprt-le-fichier-sur-la-radicalisation-en-france-1243291">la lutte antiterroriste</a>, le fichage policier semble prendre de plus en plus de place dans la boite à outils des gouvernements.</p>
<h2>Un régime de fichiers de police original</h2>
<p>Pourtant, le fichage est en France relativement encadré. Si les fichiers de police échappent au <a href="https://www.cnil.fr/fr/reglement-europeen-protection-donnees">Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD)</a>, ils ne sont pas hors de contrôle. Au niveau européen, c’est la <a href="https://www.cnil.fr/fr/directive-police-justice-de-quoi-parle-t">directive police – justice</a> qui en fixe les contours généraux. </p>
<p>À l’échelle nationale, les fichiers de police entrent dans le cadre législatif de tout traitement de données à caractère personnel : la <a href="https://www.cnil.fr/fr/la-loi-informatique-et-libertes">loi Informatique et Libertés</a> du 6 janvier 1978, régulièrement modifiée et amendée.</p>
<p>Pour autant, le régime des fichiers de police est original en plusieurs points. </p>
<p>Si les droits accordés aux <a href="https://www.cnil.fr/fr/le-droit-dacces-aux-fichiers-de-police-de-gendarmerie-et-de-renseignement">individus fichés</a> sont nécessairement moindres que ceux qui bénéficient aux utilisateurs de services commerciaux (ne serait-ce que quant à l’éventualité d’un droit de retrait par exemple), c’est surtout quant à leur processus d’édiction (établissement d'un acte de loi) et de contrôle que l’étude précise devient intéressante.</p>
<h2>Naissance et évolution des fichiers de police</h2>
<p>Tout d’abord, comment naissent ou évoluent les fichiers de police ? Les articles 31 et 32 de la loi Informatique et Libertés imposent un processus clair : les fichiers de police sont « autorisés par arrêté du ou des ministres compétents », ou, lorsque le fichier porte sur des données particulièrement sensibles, par « décret en Conseil d’État », c’est-à-dire par le Premier ministre, après avis du Conseil d’État. </p>
<p>Juridiquement, les arrêtés ou les décrets sont des textes réglementaires : ils sont pris par le pouvoir exécutif, sans consultation, ni débat, ni vote du Parlement.</p>
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<figcaption><span class="caption">Être fiché S, ça veut dire quoi ?</span></figcaption>
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<p>Bien que cette compétence soit régulièrement contestée (ici compris par un <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i4113.asp">rapport parlementaire</a>), au nom de l’impact que peuvent avoir ces fichiers sur les libertés fondamentales et de la nécessité d’un <a href="https://theconversation.com/fichiers-sanitaires-un-destin-trace-vers-la-surveillance-generalisee-141894">débat démocratique</a> sur ces questions, la très grande majorité des fichiers de police est ainsi issue de textes réglementaires. La récente extension n’échappe pas à la règle puisqu’il s’agit de trois décrets.</p>
<h2>Peu de contraintes</h2>
<p>Pour autant, le gouvernement n’est pas seul à la barre. Les mêmes articles 31 et 32 précisent ainsi que, dans tous les cas, les projets d’institution ou de modification des fichiers de police doivent être soumis, pour avis, à la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL). L’avis rendu doit également être publié.</p>
<p>Ce contrôle, en apparence rassurant puisque la CNIL est une autorité administrative parfaitement indépendante et garante des libertés, n’en est pourtant pas un. L’avis rendu n’a en effet aucune portée contraignante pour le gouvernement : comme elle le <a href="https://www.cnil.fr/fr/publication-des-decrets-relatifs-aux-fichiers-pasp-gipasp-et-easp-la-cnil-precise-sa-mission">souligne</a> elle-même, « cet avis ne constitue pas une « autorisation » ou un « refus » de la CNIL ».</p>
<p>Cette absence de contrainte résulte d’une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000441676?r=d0uDwmyoje">modification législative de 2004</a>, puisque avant cette date, l’autorité disposait d’un véritable droit de veto, dont elle est désormais privée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1336046145320181762"}"></div></p>
<p>L’exemple de l’extension récente des trois fichiers de police est sur ce point éclairant. Dans <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042608200">son avis</a>, si la CNIL validait certains points rendus nécessaires, elle mettait en garde le gouvernement sur de nombreux autres, notamment sur le périmètre très étendu de certaines données ou sur leur caractère automatisé.</p>
<p>Les décrets finalement publiés n’ont tenu aucun compte de ces critiques. Plus encore, des ajouts ont été faits après la consultation de la CNIL, notamment sur les données relatives aux opinions politiques, comme le souligne l'autorité dans un récent <a href="https://www.cnil.fr/fr/publication-des-decrets-relatifs-aux-fichiers-pasp-gipasp-et-easp-la-cnil-precise-sa-mission">communiqué de presse.</a></p>
<p>Il faut rappeler d’ailleurs que le projet transmis à la CNIL est souvent incomplet, ou très différent de celui finalement publié. Le délai est également très court : la CNIL ne dispose que de huit semaines, pour étudier parfois des centaines de pages lors de la mise en place d’un nouveau fichier.</p>
<h2>La CNIL contrôle mais pour quels résultats ?</h2>
<p>La CNIL n’est pas la seule à intervenir lors du processus d’édiction ou de modification des fichiers. <a href="https://www.conseil-etat.fr/le-conseil-d-etat/missions">Le Conseil d’État</a>, organe napoléonien de conseil et de contrôle du gouvernement, doit également donner son avis avant la publication des décrets qui portent sur des données particulièrement sensibles : ce sont les « décrets en Conseil d’État » mentionnés plus haut. Les avis rendus sont tenus secrets, sauf volonté explicite du gouvernement, et l’avis ne contraint pas non plus le gouvernement.</p>
<p>Le gouvernement n’a donc les mains liées par aucun acteur, et peut librement prendre tout arrêté ou tout décret en matière de fichiers de police. Quid alors du contrôle, a posteriori, de ces textes ? Là encore, ce sont les mêmes acteurs que l’on retrouve : la CNIL et le Conseil d’État.</p>
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<figcaption><span class="caption">La CNIL, 40 ans et toujours dans l’air du temps !</span></figcaption>
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<p>La CNIL, en tant qu’autorité indépendante, a en effet aussi en charge le contrôle et le suivi des <a href="https://www.cnil.fr/fr/comment-se-passe-un-controle-de-la-cnil">fichiers en activité</a>, dont les fichiers de police. Ce pouvoir permet à la CNIL de se déplacer dans les lieux de stockage et de consultation des données, et d’accéder au fichier pour faire une vérification précise et rigoureuse.</p>
<p>Néanmoins, ces contrôles nécessitent des moyens humains importants, alors que la CNIL est l’une des autorités de régulation des données les moins dotées de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/vie-privee-union-europeenne-une-si-delicate-protection-des-donnees">l’Union Européenne</a>. La CNIL ne dispose en outre d’aucun pouvoir de sanction face à l’État, comme elle en a pourtant <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/cookies-la-cnil-inflige-des-amendes-de-100-et-35-millions-d-euros-a-google-et-amazon-20201210">en matière commerciale</a> : elle peut seulement ici adresser un avertissement, là encore non contraignant, à l’autorité publique, en cas de <a href="https://www.liberation.fr/societe/2013/06/13/les-fichiers-de-police-toujours-truffes-d-erreurs_910680">défaillances</a>, qui sont pourtant régulières. Les rapports issus de ces visites ne sont en outre pas rendus publics.</p>
<p>Certains décrets à l’origine de fichiers de police excluent même tout contrôle de la CNIL, ce que l’article 19 paragraphe IV de <a href="https://www.cnil.fr/fr/la-loi-informatique-et-libertes#article19">la loi de 1978</a> permet, mais ce n’est pas le cas pour les fichiers concernés par les modifications du 2 décembre dernier.</p>
<h2>Le rôle du Conseil d'Etat</h2>
<p>Le Conseil d’État, en tant cette fois qu’organe de contrôle des actes administratifs, apparaît alors comme le seul véritable vecteur d’un contrôle contraignant. En effet peut être attaqué directement devant lui <a href="https://www.conseil-etat.fr/demarches-services/les-fiches-pratiques-de-la-justice-administrative/introduire-une-requete-devant-le-conseil-d-etat">tout acte</a> réglementaire de portée nationale. Les arrêtés ou décrets instituant ou modifiant des fichiers de police peuvent donc faire l’objet d’un recours par ce biais.</p>
<p>C’est alors la « section du contentieux » du Conseil d’État qui se prononce, qui est <a href="https://www.conseil-etat.fr/le-conseil-d-etat/organisation">statutairement étanche</a> de la « section de l’intérieur » qui joue le rôle de conseil du gouvernement. Dit autrement, ce ne sont pas les mêmes conseillers que ceux qui avaient rendu l’avis. Le Conseil d’État a ici le rôle d’une juridiction de contrôle des actes réglementaires, à la fois de leur légalité (conformité à la loi), de leur constitutionnalité (conformité à la constitution, dans une certaine mesure) et de leur conventionnalité (conformité aux textes internationaux, comme la <a href="https://www.echr.coe.int/documents/convention_fra.pdf">Convention Européenne des Droits de l’Homme</a>).</p>
<p>Les modifications des fichiers PASP, GIPASP et EASP issus des décrets du 2 décembre pourront donc être portées devant le Conseil d’État. Un recours est d’ailleurs en préparation par plusieurs associations, dont la <a href="https://www.laquadrature.net/2020/12/08/decrets-pasp-fichage-massif-des-militants-politiques/">Quadrature du Net</a>. Néanmoins, les procédures judiciaires sont longues, et les résultats en matière de fichage <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/conseil-d-etat-valide-en-l-encadrant-decret-creant-fichier-des-mineurs-isoles">souvent décevants</a>. Par ailleurs, en attendant ce recours et son résultat, les fichiers ainsi modifiés sont d’ores et déjà en activité, puisque les textes réglementaires sont d’application immédiate.</p>
<h2>Le Conseil constitutionnel impuissant</h2>
<p>D’aucuns pourraient ici penser à une intervention du Conseil constitutionnel, dont <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2020/2020801DC.htm">les censures</a> sont souvent médiatiques (comme par exemple lors de la récente loi Avia sur les contenus haineux sur Internet). Il n’en est pas question ici. En effet, le Conseil constitutionnel ne contrôle que <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19551-quel-est-le-role-du-conseil-constitutionnel">la constitutionnalité</a> des lois, et non des règlements.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/n2EiH8jY9bA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Haine sur Internet : la loi Avia censurée par le Conseil constitutionnel.</span></figcaption>
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<p>Il est d’ailleurs intéressant de noter ici que <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042611567/2020-12-05">le fichier PASP</a> prévoit une durée de conservation des données de « dix ans après l'intervention du dernier événement » alors même que ce type de limitation potentiellement infinie avait été <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2011/2011625DC.htm">déclaré inconstitutionnel</a>(§72) par le Conseil constitutionnel lors du contrôle d’un des rares textes législatifs en matière de fichiers de police. Mais ici, pas de Conseil constitutionnel donc.</p>
<p>Avec une CNIL relativement impuissante, un Conseil d’État souvent peu protecteur et des textes réglementaires qui semblent prévoir une collecte de données toujours plus importante, les fichiers de police ont un bel avenir devant eux, sans, pour le moment, de débat démocratique ni de limites véritables. L'application des décrets du 2 décembre 2020 devra donc être particulièrement surveillée. </p>
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<p><em>L'auteur de l'article effectue sa thèse sous la direction de Virginie Peltier.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152030/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yoann Nabat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les récentes critiques contre les fichiers de polices ravivent le débat concernant les libertés et la protection des données individuelles. De la CNIL au Conseil d'Etat qui contrôle le fichage ?Yoann Nabat, Doctorant en droit privé et sciences criminelles, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1426022020-07-17T12:39:07Z2020-07-17T12:39:07ZPodcast : Voiture électrique, des politiques incitatives à la portée limitée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/347131/original/file-20200713-18-b9ut94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C17%2C5751%2C3811&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour le consommateur, le coût d’acquisition élevé, l’autonomie limitée ou encore le temps de recharge freinent l’achat d’un véhicule propre.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://image.shutterstock.com/image-photo/person-transportation-by-eco-car-600w-666353731.jpg">Friends Stock / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le marché des véhicules électriques est qualifié par les économistes de « défaillant » : il subsiste essentiellement au moyen de subventions et mécanismes incitatifs mis en place par l’État pour aiguiller le comportement des constructeurs et des clients. La convention citoyenne pour le climat plaide d’ailleurs en faveur d’une révision du système.</p>
<p>Mais comment mettre en place, en parallèle de ces incitations, une politique de taxation souvent très mal perçue par la société civile ?</p>
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<p><a href="https://open.spotify.com
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<a href="https://podcasts.apple.com/au/podcast/voiture-%C3%A9lectrique-des-politiques-incitatives-%C3%A0-la/id1516230224?i=1000485282790"><img src="https://images.theconversation.com/files/233721/original/file-20180827-75984-1gfuvlr.png" alt="Listen on Apple Podcasts" width="268" height="68"></a></p>
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<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/316809/original/file-20200224-24655-nzeb7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/316809/original/file-20200224-24655-nzeb7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/316809/original/file-20200224-24655-nzeb7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/316809/original/file-20200224-24655-nzeb7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/316809/original/file-20200224-24655-nzeb7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/316809/original/file-20200224-24655-nzeb7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/316809/original/file-20200224-24655-nzeb7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/316809/original/file-20200224-24655-nzeb7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
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<p><em>La preuve par trois : les experts de The Conversation déclinent 3 aspects d’une question d’actualité en 3 épisodes à écouter, à la suite ou séparément ! Dans cette série, Julien Pillot, enseignant-chercheur à l’INSEEC School of Business & Economics, revient sur trois propositions formulées par la convention citoyenne pour le climat : la controversée limitation de la vitesse maximale autorisée sur autoroutes, les mécanismes d’incitations pour les véhicules propres et le projet de taxe aux frontières</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/142602/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Pillot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les marges de manœuvre budgétaires limitées de l'État compliquent la remise à plat d'un système de bonus / malus qui n'a pas encore fait décoller le marché.Julien Pillot, Enseignant-Chercheur en Economie et Stratégie (Inseec U.) / Pr. et Chercheur associé (U. Paris Saclay), INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1418912020-07-06T20:20:55Z2020-07-06T20:20:55ZDébat : La Convention citoyenne pour le climat… et après ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/345770/original/file-20200706-3953-13gzdld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le 29 juin 2020, Emmanuel Macron s’adressent aux 150 citoyens de la Convention. </span> <span class="attribution"><span class="source">CHRISTIAN HARTMANN/POOL/AFP</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Par certains aspects, la toute récente Convention citoyenne pour le climat rappelle le Grenelle de l’environnement, cet ensemble de rencontres organisées fin 2007 pour débattre et élaborer un agenda du développement durable en France.</p>
<p>Avec le Grenelle, le pays s’engageait pour la première fois dans un débat organisé autour de parties prenantes censées refléter la diversité de la société civile. Avec la Convention citoyenne, l’idée est de se passer des corps intermédiaires, en faisant directement dialoguer des citoyens tirés au sort, les plus représentatifs possible de la population française.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/5UOw0STghPQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Grenelle de l’environnement : les engagements de Nicolas Sarkozy. (Ina Société, 2007).</span></figcaption>
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<h2>L’exemple irlandais</h2>
<p>Inédit en France, ce type d’exercice a été mené dans d’autres pays pour sortir du blocage des institutions politiques face à des « questions qui fâchent ». L’exemple le plus abouti est celui de <a href="https://laviedesidees.fr/Les-assemblees-citoyennes-en-Irlande.html">l’Irlande</a>. En 2014 puis 2016, des assemblées de citoyens tirés au sort y ont ouvert la voie de la légalisation de l’avortement et du mariage de personnes de même sexe.</p>
<p>Comme le <a href="https://www.hautconseilclimat.fr/">Haut Conseil pour le climat</a>, une autre création de la Macronie, la Convention citoyenne a été constituée dans l’urgence, en réaction à la crise des « gilets jaunes » qui a débuté fin 2018. Mais au lieu de travailler sur un mandat précis, sa mission ratissait très large :</p>
<blockquote>
<p>« Définir des mesures permettant de réduire d’au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre en France dans un esprit de justice sociale. »</p>
</blockquote>
<p>Le <a href="https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/pdf/ccc-rapport-final.pdf">résultat</a> est un ensemble de <a href="https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/">149 propositions, regroupées autour de cinq thématiques</a> couvrant les différents aspects de nos modes de vie ; on trouve également un supplément portant sur des propositions de réforme constitutionnelle ainsi qu’un ajout sur quelques pistes possibles de financement qui ne comprend, il faut le souligner, aucune proposition chiffrée.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/convention-citoyenne-pour-le-climat-la-democratie-participative-vue-de-linterieur-141571">Convention citoyenne pour le climat : la démocratie participative vue de l’intérieur</a>
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<h2>Les questions qui fâchent</h2>
<p>Le premier commentaire qui vient à la lecture des propositions est de saluer le travail accompli par les 150 citoyens composant cette « France en miniature » qui s’est réunie pendant neuf mois.</p>
<p>Leur rendu montre combien il est crucial de changer la façon dont nous consommons, nous déplaçons, nous logeons, nous travaillons, pour accélérer la baisse des émissions de gaz à effet de serre qui détraquent le climat. La transition climatique ne se fera pas au bon rythme sans une remise en cause de nos modes de vie.</p>
<p>Les citoyens ont-ils pour autant découvert un nouveau sésame permettant d’augurer une accélération de la transition bas carbone ?</p>
<p>Sur le plan du contenu, la quasi-totalité des propositions reformule des constats déjà bien connues des experts, en particulier de ceux, très majoritairement issus de la mouvance écologique, qui ont accompagné les citoyens. De l’accent mis sur la rénovation énergétique des bâtiments aux appels à la relance du ferroviaire, une grande partie des mesures préconisées étaient déjà présentes dans le Grenelle de l’environnement.</p>
<p>Et les « questions qui fâchent » ? Celle de la taxe carbone – pourtant <a href="https://theconversation.com/taxe-carbone-les-centimes-de-la-discorde-106552">à l’origine de la mobilisation des « gilets jaunes »</a> et de cette démarche de convention citoyenne – a été, par exemple, évacuée. Cela permet à Emmanuel Macron de « verdir » la fin du quinquennat, au moins dans les mots, en reportant la question à plus tard. C’est une première limite de l’exercice.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/hausse-de-la-taxe-carbone-quels-impacts-sur-le-porte-monnaie-89634">Hausse de la taxe carbone : quels impacts sur le porte-monnaie ?</a>
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<h2>Combien de milliards pour la transition ?</h2>
<p>Une autre limite concerne l’absence d’évaluation financière des propositions.</p>
<p>Une évaluation a certes été proposée par l’Institut I4CE qui a rendu public un <a href="https://www.i4ce.org/convention-citoyenne-une-ambition-climat-rehaussee-un-cout-raisonne/">chiffrage</a> le 22 juin, dès le lendemain de la publication du rapport. Les dépenses publiques additionnelles sont ici estimées à 13 milliards par an, ramenées à 6-8 milliards en tenant compte du chiffrage de certaines recettes que pourraient apporter à l’État quelques-unes des mesures proposées.</p>
<p>Ce chiffrage peut paraître surprenant, tant par la rapidité de son exécution que par la faiblesse des montants obtenus. Emmanuel Macron s’est empressé de saisir la balle au bond en <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/06/29/le-president-emmanuel-macron-repond-aux-150-citoyens-de-la-convention-citoyenne-pour-le-climat">promettant la somme correspondante</a> (15 milliards en deux ans) dans la loi de finances. Exit donc la délicate question des financements.</p>
<p>Ce tour de passe-passe ne peut échapper à aucun observateur rigoureux : la majorité des dépenses publiques requises pour atteindre les objectifs de la Convention citoyenne ne sont pas du ressort de l’État, mais des collectivités territoriales. Or, elles n’apparaissent ni dans le chiffrage de I4CE ni dans l’engagement du président.</p>
<h2>Trois propositions pour la suite</h2>
<p>La mauvaise leçon à tirer de cette première expérience de démocratie participative serait de n’y voir qu’un subterfuge permettant à la tête de l’exécutif d’enterrer à bon compte les questions difficiles en matière de transition bas carbone.</p>
<p>Loin d’aligner mon propos sur les commentaires parfois désobligeants qui ont accompagné la remise du travail des 150, je me permets de formuler, en tant que citoyen directement concerné, trois propositions pour la suite.</p>
<p>En premier lieu, ne pas enterrer la question de la <a href="https://theconversation.com/110km-h-sur-autoroute-lanalyse-couts-benefices-debride-le-debat-democratique-141474">limitation de vitesse à 110 km</a> sur les autoroutes.</p>
<p>C’est une question qui fâche ? Précisément : c’est dans ce type de situation que la démocratie délibérative doit permettre de débloquer la décision. J’attends donc que les 150 nous éclairent sur les raisons de leur choix en la matière, pour empêcher le politique de se défausser sur l’une des mesures qui potentiellement pourrait faire gagner beaucoup de tonnes de CO<sub>2</sub> à court terme.</p>
<p>En second lieu, je propose qu’on s’interroge sur les termes mêmes du mandat confié aux citoyens. L’objectif d’une baisse de 40 % des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2020 ne me semble en effet pas contraignant : il est dans la stricte continuation de la tendance en vigueur depuis 2005 (voir ci-dessous). Or, il est urgent de le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/15/christian-de-perthuis-il-est-urgent-de-reviser-a-la-hausse-les-objectifs-climatiques_6039781_3232.html">rehausser</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/345259/original/file-20200702-111242-vd8bx7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/345259/original/file-20200702-111242-vd8bx7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/345259/original/file-20200702-111242-vd8bx7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/345259/original/file-20200702-111242-vd8bx7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/345259/original/file-20200702-111242-vd8bx7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/345259/original/file-20200702-111242-vd8bx7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/345259/original/file-20200702-111242-vd8bx7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/345259/original/file-20200702-111242-vd8bx7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="source">De Perthuis</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>La bonne question est de savoir de combien… Les experts ont bien sûr leur opinion sur cette question qui ne manquera pas, elle aussi, de fâcher. Pourquoi ne pas poser la question aux 150 ?</p>
<p>En troisième lieu, soulignons que la réponse d’Emmanuel Macron à la Convention oppose de façon caricaturale l’approche des citoyens à celle de la décroissance. Telles qu’elles sont formulées, les propositions des 150 éludent en effet la question.</p>
<p>Quand on accélère la transition bas carbone, on génère de nouveaux investissements et des emplois qui sont favorables à la croissance. Simultanément, on accélère le désinvestissement des énergies fossiles ; cela a un coût économique et social qui bride l’activité. Où est ce coût dans les propositions des 150 et comment le minimiser en finançant les reconversions ?</p>
<p>Voilà une nouvelle question difficile qu’il faudrait soumettre à la délibération citoyenne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141891/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian de Perthuis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Limitation de la vitesse, objectif de baisse des émissions de gaz à effet de serre et décroissance, trois enjeux qui restent essentiels au-delà des résultats de la Convention.Christian de Perthuis, Professeur d’économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1326312020-05-19T20:58:39Z2020-05-19T20:58:39ZLe référendum, un outil à améliorer<p>Revendication phare des « gilets jaunes » et de <a href="https://www.20minutes.fr/politique/2736035-20200309-municipales-2020-candidatures-ric-reste-mouvement-gilets-jaunes">nombreuses listes électorales</a>, le référendum n’a <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100996600">pas vraiment bonne presse dans les cercles académiques</a>.</p>
<p>Il revient pourtant régulièrement sur le devant de la scène, notamment en période de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/05/18/remaniement-referendum-dissolution-le-casse-tete-de-macron-pour-l-apres_6039979_823448.html">crise politique</a> comme celle que doit affronter aujourd’hui l’exécutif français. Néanmoins, les élites politiques, tout comme de nombreux universitaires y restent souvent opposés, a fortiori depuis le Brexit. Or les résultats du vote référendaire sur le Brexit ne devrait avoir aucune influence sur la manière dont nous jugeons cet outil démocratique. De même, les élections de Donald Trump ou Jair Bolsonaro, par exemple, ne suffisent pas à conclure que l’élection est, en soi, un mécanisme démocratique intrinsèquement défaillant.</p>
<p>Ce qu’il convient d’étudier, plutôt que des cas particuliers, ce sont les caractéristiques du référendum qui en font un outil souhaitable ou indésirable. Or, celles-ci ne sont pas immuables. Il existe une très grande variété de procédures référendaires possibles, de l’<a href="https://theconversation.com/debat-le-referendum-dinitiative-populaire-la-solution-108355">initiative citoyenne</a> à l’initiative gouvernementale en passant par les référendums abrogatoires (pour annuler une loi), révocatoires (pour révoquer un·e élu·e) ou encore constitutionnels.</p>
<p>De plus, ces différents types de référendum peuvent être organisés selon une pluralité de manières, en fonction de leur temporalité, du processus d’élaboration de la question, ou encore du cadrage du débat public, par exemple.</p>
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<h2>Prendre les critiques au sérieux</h2>
<p>Ce qui compte, en particulier pour la qualité d’une procédure référendaire, c’est la mesure dans laquelle les citoyens, appelés à s’exprimer par le vote, sont informés des enjeux de la question posée (et exposés à des opinions diverses sur ce sujet). En d’autres termes, il s’agit de veiller à la qualité délibérative de la procédure. Car c’est sur ce point particulier que le référendum est le <a href="https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/le-referendum-un-instrument-defectueux.html">plus critiqué</a> :</p>
<ul>
<li><p>les électeurs ne répondent pas toujours à la question posée ;</p></li>
<li><p>le référendum force à un choix manichéen ;</p></li>
<li><p>les électeurs sont souvent insuffisamment informés à propos des enjeux ;</p></li>
<li><p>ils sont souvent insuffisamment exposés à des points de vue différents ;</p></li>
<li><p>ceux qui choisissent la question ont un pouvoir de manipulation important ;</p></li>
<li><p>les termes du débat sont fixés dès le départ et ne peuvent pas évoluer en fonction de l’évolution des discussions ;</p></li>
<li><p>enfin, le référendum a des effets clivants et difficilement réversibles.</p></li>
</ul>
<p>Ces critiques étant toutes fondées, on aurait tort de voir dans le référendum un outil démocratique idéal, voire une panacée face à la crise des institutions représentatives traditionnelles.</p>
<h2>Améliorer la procédure référendaire</h2>
<p>Rien n’empêche néanmoins de réfléchir à des manières d’améliorer les procédures référendaires en tenant compte de ces critiques. En effet, les <a href="https://www.oxfordscholarship.com/view/10.1093/0198295685.001.0001/acprof-9780198295686">attentes des citoyens à l’égard de leurs institutions ont évolué</a>. Beaucoup ne se satisfont plus d’une stricte division du travail entre représentants et représentés et aspirent à peser davantage sur les décisions collectives (ce qui n’est évidemment pas le cas de tous les citoyens). Dans cette perspective, le référendum peut apparaître comme un moyen d’assouvir une certaine soif de participation. Il peut en outre avoir pour fonction de réduire l’écart représentatif, c’est-à-dire l’écart entre ce que veut la majorité des citoyens et ce que décident leurs représentants.</p>
<p>Dès lors, si l’on croit que le référendum doit avoir une place même dans un cadre essentiellement représentatif, que peut-on imaginer pour répondre aux critiques mentionnées ci-dessus ?</p>
<p>Le fait que les électeurs ne répondent pas toujours à la question posée est essentiellement lié à l’initiative gouvernementale. Quand c’est le gouvernement en place qui lance une procédure référendaire, il est difficile d’éviter que celle-ci tourne au plébiscite – c’est-à-dire un vote d’approbation ou de désapprobation du gouvernement –, étant donné que les citoyens ont peu d’autres moyens d’exprimer leur insatisfaction de manière aussi forte. Avec l’<a href="https://www.fypeditions.com/le-referendum-dinitiative-citoyenne-ric-explique-a-tous/">initiative citoyenne</a>, ce problème est bien moindre.</p>
<p>Pour réduire le caractère manichéen, on peut imaginer des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0261379415000384">référendums à questions multiples</a> comme cela a déjà été pratiqué en Suisse et en Suède notamment, en veillant alors à une méthode de vote appropriée pour faire face aux difficultés d’interprétation des résultats bien connues des théoriciens du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_du_choix_social">choix social</a>.</p>
<p>Pour améliorer le degré d’information des citoyens sur les enjeux de la question, un modèle très intéressant est à l’essai depuis plusieurs années en <a href="https://www.cairn.info/revue-participations-2019-1-page-93.htm">Oregon</a> (comme dans d’autres États des États-Unis), ainsi qu’en <a href="https://www.aka.fi/en/strategic-research-funding/blogeja/2019/maija-setala-citizens-initiative-review-and-finnish-local-politics/">Finlande</a> et en <a href="https://demoscan.ch/">Suisse</a>. Il s’agit d’inviter un panel de citoyens tirés au sort à « préparer » le référendum, en se penchant sur la question, en délibérant, avant de transmettre à l’ensemble des électeurs un livret rassemblant les principaux arguments pour et contre la proposition considérée, afin d’exposer les électeurs à différents points de vue.</p>
<p>On pourrait également imaginer confier à ce « mini-public » tiré au sort la rédaction de la question (éventuellement en dialogue avec les initiateurs), afin de réduire les risques de manipulation partisane.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le référendum d’initiative citoyenne en Suisse, un modèle à suivre ?</span></figcaption>
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<p>Quant au fait que les termes du débat sont souvent fixés d’emblée, une fois pour toutes, une alternative intéressante est le <a href="https://www.publicdeliberation.net/jpd/vol15/iss1/art8/">référendum itératif</a>. Celui-ci pose une succession de questions à la population, à des moments distincts, en fonction de l’évolution du débat (la dernière question étant binaire et liante). Il semble d’ailleurs qu’une telle procédure, certes plus lente et coûteuse, soit susceptible d’accroître le degré d’information des citoyens.</p>
<p>Enfin, pour rendre la procédure référendaire moins clivante et moins irréversible, on pourrait imaginer que les citoyens soient invités à <a href="https://www.academia.edu/37467930/Des_r%25C3%25A9f%25C3%25A9rendums_plus_d%25C3%25A9lib%25C3%25A9ratifs_Les_atouts_du_vote_justifi%25C3%25A9_Participations_2018_">justifier leur vote</a>, en sélectionnant une ou plusieurs justifications possibles parmi celles qui seraient proposées sur leur bulletin de vote.</p>
<p>De la sorte, le résultat brut du référendum (la proposition recevant le soutien majoritaire) serait accompagné d’une information plus fine sur les motivations des citoyens. Cela permettrait de réinterpréter, à un stade ultérieur, la validité de la décision collective à la lumière de ses justifications (sont-elles encore valables aujourd’hui ?). Enfin, on pourrait imaginer que les pouvoirs publics s’inspirent des motivations exprimées par la minorité défaite pour adapter le projet.</p>
<p>Si une majorité se prononçait, par exemple, en faveur de l’instauration d’un revenu de base inconditionnel mais que la minorité défaite exprimait une forte préoccupation pour les effets d’une telle mesure sur le taux d’emploi des femmes, le gouvernement pourrait envisager des mesures additionnelles veillant à éviter un décrochage massif des femmes par rapport à l’emploi.</p>
<h2>Libérer l’imagination</h2>
<p>On le voit, le référendum n’est pas une forme monolithique. S’il n’est certainement pas la réponse à tous les maux démocratiques de notre époque, on aurait tort de le juger définitivement avant d’avoir poussé plus loin l’expérimentation démocratique.</p>
<p>En étant à l’écoute critique des <a href="https://www.routledge.com/The-Routledge-Handbook-to-Referendums-and-Direct-Democracy/Morel-Qvortrup/p/book/9781138209930">pratiques diverses</a> aux <a href="https://www.rowmaninternational.com/book/let_the_people_rule/3-156-9f3ecd44-58ab-4235-9c05-b80697edd605">quatre coins du monde</a> et en libérant notre imagination, nous pourrions enrichir nos démocraties d’un outil potentiellement intéressant en raison de son caractère très inclusif (tout le monde est invité à prendre part à la décision) et de la forte légitimité qu’il est susceptible de générer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132631/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Etienne Vandamme a reçu des financements du Fonds national belge pour la recherche scientifique (FNRS). </span></em></p>Loué par les « gilets jaunes », ridiculisé par le Brexit, envisagé par l’exécutif, le référendum reste brûlant d’actualité. Est-ce un outil démocratique de qualité ?Pierre-Etienne Vandamme, Chercheur en théorie politique, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.