tag:theconversation.com,2011:/us/topics/guerre-du-vietnam-45257/articlesguerre du Vietnam – The Conversation2023-11-30T14:25:36Ztag:theconversation.com,2011:article/2189432023-11-30T14:25:36Z2023-11-30T14:25:36ZHenry Kissinger, promoteur d’une « realpolitik » aux résultats largement controversés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/562729/original/file-20231130-21-mwj3np.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C1021%2C683&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Henry Kissinger a été conseiller à la sécurité nationale des États-Unis (1969-1975) et secrétaire d’État (1973-1977).
</span> <span class="attribution"><span class="source">Gerald R. Ford White House Photographs </span></span></figcaption></figure><p>Henry Kissinger, <a href="https://www.nytimes.com/2023/11/29/us/henry-kissinger-dead.html">décédé le 29 novembre 2023 à l’âge de 100 ans</a>, a exercé son influence sur la politique étrangère américaine pendant près d’un demi-siècle. En tant que <a href="https://scholar.google.ca/citations?user=7b6xo3QAAAAJ&hl=en">spécialiste de la politique étrangère américaine</a>, j’ai particulièrement travaillé sur <a href="https://doi.org/10.1017/S0020818311000324">l’action de Kissinger de 1969 à 1977</a>, période durant laquelle il fut conseiller à la sécurité nationale et secrétaire d’État sous les administrations Nixon et Ford. Tenant d’une vision étroite de l’intérêt national des États-Unis, il a mis en œuvre une <a href="https://theconversation.com/lessons-in-realpolitik-from-nixon-and-kissinger-ideals-go-only-so-far-in-ending-conflict-in-places-like-ukraine-179979">realpolitik</a> qui consistait principalement à tout faire, sur chaque dossier de politique étrangère, pour maximiser la puissance économique et militaire de Washington.</p>
<p>Cette approche transactionnelle a produit une série de résultats destructeurs. Sous la férule de Kissinger, l’action internationale des États-Unis a notamment été marquée par la fomentation de coups d’État aboutissant à la mise en place de dictatures meurtrières <a href="https://nsarchive.gwu.edu/briefing-book/chile/2020-11-06/allende-inauguration-50th-anniversary">comme au Chili</a> ; par des bombardements massifs se soldant par la mort de très nombreux civils <a href="https://gsp.yale.edu/sites/default/files/walrus_cambodiabombing_oct06.pdf">comme au Cambodge</a> ; ou encore par l’aliénation d’alliés potentiels <a href="https://www.nytimes.com/2020/09/03/opinion/nixon-racism-india.html">comme l’Inde</a>.</p>
<h2>Au diable les valeurs</h2>
<p>Dans sa <a href="https://www.worldcat.org/title/world-restored-metternich-castlereagh-and-the-problems-of-peace-1812-1822/oclc/964314724">thèse (qui deviendra le premier des nombreux ouvrages qu’il aura publiés)</a> consacrée au Congrès de Vienne de 1815, Kissinger affirme que l’action des responsables de la politique étrangère doit être mesurée à l’aune de leur capacité à identifier les changements politiques, militaires et économiques à l’œuvre dans le système international, puis à faire en sorte que ces changements jouent en faveur de leur pays.</p>
<p>Dans ce modèle de politique étrangère, les valeurs politiques comme l’attachement à la démocratie et aux droits de l’homme qui sont censées faire des États-Unis un acteur distinctif du système international ne jouent strictement aucun rôle.</p>
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<p>Cette vision des choses, présentée comme étant réaliste et pragmatique, ainsi que la place de Kissinger au sommet de l’establishment de la politique étrangère en tant que conseiller à la sécurité nationale et secrétaire d’État pendant près d’une décennie, ont fait de « Dear Henry » une sorte d’<a href="https://nypost.com/2022/07/09/henry-kissinger-every-president-but-biden-invites-me-to-white-house/">oracle de la politique étrangère</a> pour les décideurs politiques américains de tous bords.</p>
<p>Or l’examen de son bilan permet de mettre en évidence les problèmes posés par une conception si étroite de l’intérêt national. Son passage au gouvernement s’est caractérisé par des décisions politiques qui ont, pour la plupart, nui aux positions internationales des États-Unis.</p>
<h2>Carnage au Cambodge</h2>
<p>En arrivant à la Maison Blanche en 1968, Richard Nixon avait <a href="https://www.youtube.com/watch?v=5HBON-ZIyUE">promis une fin honorable</a> à la guerre du Vietnam. Toutefois, il a rapidement été confronté à un problème majeur lorsqu’il a cherché à s’assurer le contrôle de la situation sur le terrain : la porosité des frontières du Vietnam avec le Cambodge. Les soldats et les équipements militaires du Nord-Vietnam étaient en effet acheminés en grand nombre vers le Sud à travers le territoire cambodgien.</p>
<p>Pour résoudre ce problème, <a href="https://rowman.com/ISBN/9780815412243/Sideshow-Kissinger-Nixon-and-the-Destruction-of-Cambodia-Revised-Edition">Nixon a très significativement intensifié la campagne de bombardements</a> visant le Cambodge entamée par son prédécesseur Lyndon Johnson. Il a ensuite lancé une invasion terrestre du Cambodge pour couper les voies d’approvisionnement du Nord-Vietnam.</p>
<p>Comme l’explique William Shawcross dans <a href="https://rowman.com/ISBN/9780815412243/Sideshow-Kissinger-Nixon-and-the-Destruction-of-Cambodia-Revised-Edition">son livre de référence</a> sur le sujet, Kissinger a entièrement soutenu la politique cambodgienne de Nixon.</p>
<p>Bien que Phnom Penh n’ait pas été partie prenante au conflit vietnamien, les <a href="https://gsp.yale.edu/sites/default/files/walrus_cambodiabombing_oct06.pdf">bombardements américains sur le Cambodge</a> auraient été supérieurs en tonnage à l’ensemble de toutes les bombes larguées par les États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, y compris les bombes nucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki.</p>
<p>La campagne a causé la mort de plusieurs dizaines de milliers de Cambodgiens et en a déplacé des millions. Les destructions causées par les bombardements et l’occupation partielle par les Américains en 1970 ont <a href="https://www.nybooks.com/articles/1979/06/28/the-crime-of-cambodia/">joué un rôle déterminant</a> dans la déstabilisation politique et sociale du pays, qui a facilité l’instauration du <a href="https://gsp.yale.edu/case-studies/cambodian-genocide-program">régime génocidaire des Khmers rouges</a>, lequel aurait en <a href="https://www.economist.com/books-and-arts/2013/09/25/blood-meridian">quelques années au pouvoir, tué environ 2 millions de Cambodgiens</a>.</p>
<h2>Soutien à un leader génocidaire</h2>
<p>En 1970 et 1971, Nixon, conseillé et encouragé par Kissinger, a <a href="https://books.openedition.org/editionscnrs/13369?lang=fr">soutenu le dictateur pakistanais Muhammad Yahya Khan</a> dans sa <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/212279/the-blood-telegram-by-gary-j-bass/">répression génocidaire des nationalistes bengalis</a> et sa guerre contre l’Inde. On estime qu’<a href="https://www.smithsonianmag.com/history/genocide-us-cant-remember-bangladesh-cant-forget-180961490/">entre 300 000 et 1 million de Bengalis auraient été tués lors de ce conflit</a>. Khan souhaitait une éviction complète des Hindous du Pakistan oriental, une région qui allait, à l’issue d’une guerre sanglante, finalement obtenir son indépendance sous le nom de Bangladesh.</p>
<p>Des millions de réfugiés en provenance du Pakistan oriental fuirent alors vers l’Inde, qui tenta de faire valoir auprès de l’administration américaine que cet afflux massif représentait pour elle un fardeau colossal. Irrité par ces demandes, Kissinger acquiesça quand Nixon lui dit qu’il fallait peut-être que l’Inde – pourtant un pays démocratique comme les États-Unis – <a href="https://www.thedailystar.net/backpage/news/the-indians-need-mass-famine-nixon-2098869">subisse une « famine de masse »</a> pour apprendre à rester à sa place.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/502559/original/file-20221222-10182-ra4l8i.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="A tent crowded with people and their belongings" src="https://images.theconversation.com/files/502559/original/file-20221222-10182-ra4l8i.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502559/original/file-20221222-10182-ra4l8i.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502559/original/file-20221222-10182-ra4l8i.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502559/original/file-20221222-10182-ra4l8i.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502559/original/file-20221222-10182-ra4l8i.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502559/original/file-20221222-10182-ra4l8i.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502559/original/file-20221222-10182-ra4l8i.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Réfugiés dans un camp de fortune à Bongaon, fuyant les combats à la frontière entre l’Inde et le Pakistan, 26 juin 1971.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/refugees-in-a-makeshift-camp-at-bongaon-fleeing-fighting-on-news-photo/831668538?phrase=refugee%20india%20fleeing%20camp%201971&adppopup=true">Mark Edwards/Keystone Features/Getty Images</a></span>
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<p>Durant la troisième guerre indo-pakistanaise (décembre 1971), le duo est allé jusqu’à envoyer un porte-avions américain dans le golfe du Bengale pour intimider l’Inde, qui avait subi une série d’attaques transfrontalières de la part du Pakistan. La politique de soutien au Pakistan menée par Nixon et Kissinger à cette période a été pour beaucoup dans le <a href="https://indianembassy-moscow.gov.in/pdf/Indo%20Soviet%20Treaty_2021.pdf">rapprochement entre l’Inde et l’Union soviétique</a>. La diplomatie indienne s’est alors imprégnée d’une profonde méfiance envers Washington ; la plus ancienne et la plus grande démocraties du monde se sont donc éloignées l’une de l’autre pour des décennies. </p>
<h2>Au soutien de Saddam Hussein contre les Kurdes</h2>
<p><a href="https://www.csmonitor.com/1996/1018/101896.opin.column.1.html">En 1972</a>, Kissinger a accédé à la demande du chah d’Iran de fournir une aide militaire aux Kurdes d’Irak qui cherchaient à obtenir une patrie indépendante. L’objectif de l’Iran était de faire pression sur le régime irakien contrôlé par Saddam Hussein, tandis que <a href="https://history.state.gov/historicaldocuments/frus1969-76v27/d24">Kissinger cherchait avant tout à maintenir les Soviétiques hors de la région</a>. Le projet, <a href="https://history.state.gov/historicaldocuments/frus1969-76v27/d25">comme l’a souligné le chah</a>, reposait sur la conviction des Kurdes que les États-Unis soutenaient leur indépendance.</p>
<p>Mais les États-Unis ont abandonné les Kurdes à leur sort à la veille d’une offensive irakienne en 1975, <a href="https://archive.org/details/PikeCommitteeReportFull">Kissinger commentant froidement à cet égard que</a> « les opérations secrètes ne doivent pas être confondues avec un travail de missionnaire ».</p>
<p>En fin de compte, la défaite irakienne contre les Kurdes renforcera Saddam Hussein, qui durant les décennies suivantes continuera à déstabiliser la région, à tuer des centaines de milliers de personnes et à <a href="https://www.cairn.info/la-guerre-iran-irak--9782262043551-page-59.htm">déclencher des guerres</a>.</p>
<h2>« Pragmatique » jusqu’au bout</h2>
<p>Après son départ du gouvernement en 1977, à la suite de la défaite de Gerald Ford face à Jimmy Carter, Kissinger a fondé <a href="https://www.henryakissinger.com/">Kissinger Associates</a>, une société de conseil en géopolitique. Jusqu’à la fin de ses jours, il a <a href="https://www.henryakissinger.com/speeches/opening-statement-by-dr-henry-a-kissinger-before-the-senate-armed-services-committee/">toujours conseillé aux décideurs politiques américains</a> d’adapter leur politique aux intérêts des grandes puissances étrangères telles que la Russie et la Chine.</p>
<p>Ces positions étaient cohérentes avec sa conviction, maintes fois démontrée, que les intérêts des États-Unis prévalaient sur toute autre considération, à commencer par les droits des autres pays et peuples. C’est probablement aussi du fait de cette posture que Kissinger Associates a toujours pu bénéficier d’un accès privilégié aux élites politiques des grandes puissances non démocratiques.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/562731/original/file-20231130-27-a7apjl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/562731/original/file-20231130-27-a7apjl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/562731/original/file-20231130-27-a7apjl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/562731/original/file-20231130-27-a7apjl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/562731/original/file-20231130-27-a7apjl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/562731/original/file-20231130-27-a7apjl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/562731/original/file-20231130-27-a7apjl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Henry Kissinger continuera bien longtemps après son départ de la vie politique d’être reçu par divers responsables étrangers, comme ici en juin 2017 par Vladimir Poutine au Kremlin. Ce dernier a réagi à l’annonce du décès de l’ancien secrétaire d’État américain en saluant la mémoire d’un homme « sage et visionnaire ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://en.kremlin.ru/events/president/news/54910/photos/49206">Archives photographiques du Kremlin</a></span>
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<p>En mai 2022, Kissinger a <a href="https://www.nytimes.com/2022/05/25/world/europe/henry-kissinger-ukraine-russia-davos.html">publiquement affirmé</a> que l’Ukraine, victime d’une agression non provoquée de la part de la Russie, devrait céder les portions de son territoire internationalement reconnu dont s’étaient emparés la Russie elle-même (à savoir la Crimée) ou des mandataires de Moscou (cas des « Républiques populaires » de Donetsk et de Lougansk).</p>
<p>Kissinger a également soutenu que les États-Unis devaient s’adapter aux exigences de la Chine, <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-11-16/kissinger-warns-biden-of-u-s-china-catastrophe-on-scale-of-wwi?leadSource=uverify%20wall">et mis en garde</a> contre tout effort concerté des démocraties qui viserait à contrer la puissance et l’influence croissantes de Pékin.</p>
<p>La politique étrangère est, bien sûr, un univers extrêmement complexe et imprévisible. Mais la vision dite « réaliste » de Kissinger ne représente certainement pas la panacée en la matière, y compris pour les États-Unis. Des décennies durant, l’imposition de cette vision dénuée de la moindre considération morale a provoqué de nombreux désastres – une réalité que les responsables américains, ainsi que les simples citoyens, auraient intérêt à garder à l’esprit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218943/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jarrod Hayes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Henry Kissinger a profondément influencé la politique étrangère des États-Unis. Il a notamment soutenu sans états d’âme des dictateurs étrangers, y compris des auteurs de crimes de masse.Jarrod Hayes, Associate Professor of Political Science, UMass LowellLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2120692023-08-31T18:00:05Z2023-08-31T18:00:05ZLa renaissance de l’armée américaine après la guerre du Vietnam, un cas d’école pour toutes les organisations ?<p>Un peu oubliée aujourd’hui en Europe, la défaite militaire de l’armée américaine dans la <a href="https://theconversation.com/topics/guerre-du-vietnam-45257">guerre du Vietnam</a> (1955-1975) reste un traumatisme majeur dans la mémoire collective outre-Atlantique. L’évacuation précipitée de l’ambassade à Saigon le 30 avril 1975, marque le rattachement du <a href="https://theconversation.com/topics/vietnam-30356">Vietnam</a> du sud à la République démocratique du Vietnam (nord) sous influence communiste. C’est la fin de 20 ans de présence américaine (plus marquée à partir de 1964) après l’indépendance acquise par l’Indochine, ancienne colonie française.</p>
<p>Les <a href="https://theconversation.com/topics/armee-21672">forces armées</a> sud-vietnamiennes que les <a href="https://theconversation.com/topics/etats-unis-20443">États-Unis</a> soutenaient ont été défaites en dépit d’un soutien massif. Au plus fort du conflit, en 1968, ils sont <a href="https://www.herodote.net/La_guerre_du_Vietnam-synthese-1750.php">500 000 soldats américains sur place</a>. Avec près de 2 millions de civils (nord et sud) tués, près d’un et demi-million de soldats nord et sud-vietnamiens, et près de <a href="https://www.histoire-pour-tous.fr/guerres/5625-guerre-du-viet-nam-1959-1975.html">58 000 soldats américains</a> morts au combat, le <a href="https://www.studysmarter.fr/resumes/histoire/bipolarisation/guerre-du-vietnam/">bilan humain</a> est très lourd.</p>
<p>Politiquement, la guerre affaiblit les États-Unis. La société civile, qui un temps a soutenu la politique étrangère, se retourne et manifeste violemment sa désapprobation. Le scandale des <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2018/01/23/26010-20180123ARTFIG00335-15-juin-1971-l-affaire-des-pentagon-papers-detaillee-dans-le-figaro.php">Pentagon Papers</a>, la révélation en 1971 dans le <a href="http://www.nytimes.com/1971/06/13/archives/vietnam-archive-pentagon-study-traces-3-decades-of-growing-u-s.html"><em>New York Times</em></a> d’un document « ultra secret » retraçant l’origine de l’engagement américain, décrédibilise les institutions. Et le financement de la guerre estimé à USD 1 500 milliards en dollars de 2021 obère la capacité d’action du gouvernement fédéral.</p>
<p>Acteur en première ligne dans ce conflit, l’armée américaine a été profondément bouleversée par cet épisode douloureux. À l’échec militaire, en effet, s’était ajoutée la honte collective de massacres perpétrés contre des civils (Mӯ Lai) et l’ire internationale dans l’utilisation massive d’armes chimiques (agent orange). Seule la conscription permettait encore de « recruter » pour l’armée de terre. Au sein de l’armée américaine au Vietnam, la désobéissance passive s’était développée, les cas d’attaques fratricides de GIs contre leurs propres sous-officiers ou officiers s’étaient multipliés et l’usage de la drogue s’était largement répandu. Tout semblait être acceptable aux soldats pour « fuir » ce conflit qui, les dernières années, était largement perçu comme moralement répréhensible, humainement tragique et militairement sans issue.</p>
<p>À leur retour, beaucoup souffrent du regard porté sur eux par la société et du contraste entre leurs idéaux et les actes auxquels ils ont été contraints. C’est notamment là une partie du sens de la chanson <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-serie-musicale/bruce-springsteen-2946220">« Born in the USA »</a> que sort Bruce Springsteen en 1984, parfois faussement interprété comme un hymne nationaliste.</p>
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<p>Malgré tout, l’armée a néanmoins su renaître de ses cendres et se relever d’une crise quasi existentielle en utilisant des leviers à portée de main de toute organisation.</p>
<h2>Une cure d’apprentissage intensif</h2>
<p>A la suite d’investissements hasardeux ou d’un retournement brutal de conjoncture, toute entreprise peut traverser une (très) mauvaise passe. Il lui faut alors mobiliser les énergies, les partenaires et les ressources internes au service d’une vision audacieuse pour espérer en sortir. Et d’une certaine façon, c’est à cette jonction que se trouve l’armée américaine au milieu des années 70 : relever la tête ou dépérir (disparaître n’étant pas une option pour l’armée).</p>
<p>La situation de l’armée américaine au sortir du Viêt Nam a de singulier que c’est toute l’institution qui est touchée par la crise morale qu’elle traverse. Pour envoyer <a href="http://www.laguerreduvietnam.com/pages/ordre-de-bataille-1/personnel-militaire-americain-engage/">plus de 2 millions de soldats entre 1964 et 1973</a> risquer leur vie de l’autre côté de la planète, toute l’institution s’est engagée financièrement, matériellement et psychologiquement. La crise qui l’atteint questionne alors toutes les dimensions de l’organisation : sa capacité opérationnelle à remplir la mission attendue de la nation, mais aussi sa raison d’être ou ses valeurs, et enfin sa motivation à atteindre les objectifs. L’organisation a-t-elle encore la « force nerveuse » et les capacités matérielles pour sortir de l’ornière ?</p>
<p>Une poignée de généraux expérimentés et de membres du Congrès visionnaires s’engagent alors dans une réforme de l’institution avec un mot d’ordre : l’apprentissage permanent. Analysé à froid et sans états d’âme, l’échec militaire vietnamien s’explique en effet largement par <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/L/bo3649905.html">l’incapacité de l’armée à s’adapter à une guerre civile asymétrique</a> mêlant guerre des idées et guérilla, soldats et civils, la jungle, les villages et le milieu urbain.</p>
<p>Des premières graines sont ainsi plantées dès le milieu fin des années 1970 pour faire aujourd’hui de l’armée américaine une <a href="https://books.google.fr/books/about/Hope_Is_Not_a_Method.html?id=tATr-olAZMcC&redir_esc=y">organisation apprenante</a>. Une raison opérationnelle s’imposait : l’armée devait impérativement réacquérir les capacités individuelles et collectives pour développer l’efficacité opérationnelle en situation de combat. La formation intensive, l’éducation de l’esprit et l’entraînement des corps dans le cadre d’une doctrine adaptée et sur la base de standards explicites étaient incontournables.</p>
<p>Une raison psychologique a également justifié cette cure d’apprentissage intensive : le besoin de reconstruire la fierté dans l’institution et l’estime de soi. L’acquisition de compétences accroît le sentiment de maîtrise de son environnement, ce qui nourrit la confiance et rehausse l’estime de soi. La capacité à agir avec compétence a été identifiée comme un <a href="https://www.guilford.com/books/Self-Determination-Theory/Ryan-Deci/9781462538966">pilier de la motivation intérieure</a>.</p>
<h2>Devenir une organisation apprenante</h2>
<p>Ce mouvement de revitalisation par l’apprentissage était révolutionnaire par son envergure et visionnaire au regard des missions que la nation américaine allait confier à ses forces armées dans les années à venir : maintien de la paix, guerres contre-insurrectionnelles, soutien à reconstruction, opérations spéciales, intervention sous mandat ONU… La stratégie d’apprentissage et de développement de réelles compétences a permis de motiver les troupes. Elle a suscité la fierté d’appartenance, et a rendue l’armée à nouveau attractive auprès des jeunes Américains. Elle a enfin permis de développer de véritables capacités opérationnelles et adaptatives.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/544051/original/file-20230822-22-nvs17b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/544051/original/file-20230822-22-nvs17b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/544051/original/file-20230822-22-nvs17b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/544051/original/file-20230822-22-nvs17b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/544051/original/file-20230822-22-nvs17b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/544051/original/file-20230822-22-nvs17b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/544051/original/file-20230822-22-nvs17b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/544051/original/file-20230822-22-nvs17b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Fort Irwin en Californie, choisi comme National Training Center en 1979.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Fort_Irwin_National_Training_Center_-_Welcome_sign_-_2.jpg">Jarek Tuszyński/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Quels ont été les leviers de cette transformation ? L’armée a créé un commandement (TRADOC) unifiant doctrine et formation pour faciliter l’extension des standards et la mise en cohérence des pratiques au sein des unités. D’immenses terrains d’entrainement – le National Training Center à Fort Irwin en Californie ou le Joint Readiness Training Center à Fort Polk en Louisiane ont été créés pour faire vivre aux unités des entrainements ultraréalistes et de haute intensité. L’objectif était de leur permettre de dégager de véritables apprentissages opérationnels et de mettre à jour leurs capacités en lien avec les rapides évolutions technologiques. Les solutions de traçage utilisées – armement laser, satellite, observateurs in situ – ont accru massivement l’utilité des apprentissages des soldats. Les simulations se déroulent sous contraintes réalistes de matériel, de sommeil, et de renseignement et à l’échelle de bataillons entiers. <a href="https://books.google.fr/books/about/The_Defense_of_Hill_781.html?id=zGDZ43PhWEIC&redir_esc=y">Les unités apprennent ensemble et dans le dur</a>.</p>
<p>Reste que vivre des expériences mémorables ne suffit pas pour apprendre. Encore faut-il en tirer des leçons permettant d’améliorer la performance individuelle et collective. En s’appuyant sur son <a href="https://ari.altess.army.mil/history.aspx">centre de recherche comportementale</a>, l’armée américaine a développé une technologie d’apprentissage de l’expérience, l’<em>After Action Review</em>, qui permet à une équipe de structurer le débriefing de son action, d’identifier, pour elle-même, sa compréhension de la situation, ce qu’il faut continuer à développer, et ce qu’il faudrait mettre en œuvre pour être plus efficace à l’avenir. Cette méthode, déployée quotidiennement depuis 1980 lors des rotations des unités dans les centres d’entraînement, s’est diffusée au sein des unités de l’armée en <a href="https://hbr.org/2005/07/learning-in-the-thick-of-it">opération où elle a démontré sa contribution opérationnelle</a> en accélérant l’adaptation et l’apprentissage continu des unités sous le feu.</p>
<h2>Un investissement gagnant</h2>
<p>Les apprentissages ainsi développés sont rassemblés au sein du <a href="https://usacac.army.mil/core-functions/lessons-learned"><em>Center for Army Lessons Learned</em></a> (CALL), vérifiés, validés puis diffusés aux centres d’entraînement ou directement auprès des unités engagées. Ainsi, ce que l’on appelle le <a href="https://www.researchgate.net/publication/235701029_Experiential_Learning_Experience_As_The_Source_Of_Learning_And_Development">cycle de l’apprentissage par l’expérience</a> est intégralement déployé : à la suite d’une expérience réaliste (simulation ou opération), une équipe revisite et réfléchit sur son expérience à froid en croisant les regards ; puis, elle analyse les liens de causalité, réels ou présumés, qui ont présidé à l’action et à ses conséquences pour expliciter les croyances ou formuler des hypothèses ; et, enfin, elle identifie les circonstances concrètes dans lesquelles, à l’avenir, les nouvelles hypothèses pourront être testées, validées ou infirmées. Ces hypothèses peuvent porter sur la tâche collective à accomplir ou sur les dynamiques interpersonnelles au sein de l’équipe.</p>
<p>Depuis cette <em>learning revolution</em>, cet état d’esprit d’apprentissage permanent, fait d’ouverture d’esprit, d’expérimentations et d’humilité, a trouvé à s’exprimer, et avec succès, sur plusieurs théâtres d’opérations. En témoigne l’analyse approfondie de l’adaptation des unités de Marines engagées dans une <a href="https://books.google.fr/books/about/The_Marines_Take_Anbar.html?id=0prYwAEACAAJ&redir_esc=y">mission complexe à Anbar</a> au cours de la seconde campagne d’Irak (2003-2008).</p>
<p>Pour l’entreprise, mettre l’apprentissage au cœur de l’organisation est un investissement gagnant. Il implique un véritable leadership, une vision de long terme, une culture partagée de la performance collective, la mise en place d’un état d’esprit (confiance, sécurité psychologique, exemplarité des chefs) et d’outils et méthodes permettant de structurer l’apprentissage en continu, d’identifier les bonnes pratiques et de les diffuser. Mettre le <em>learning</em> au cœur de sa stratégie de performance, c’est ce qu’a fait l’armée américaine pour tourner la page de la débâcle du Vietnam. Pourquoi attendre de vivre un échec majeur pour se réinventer et faire du learning le cheval de bataille de sa compétitivité de demain ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212069/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Misslin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En pleine crise existentielle après sa débâcle au Vietnam, la US Army a su se relever en plaçant l'apprentissage au cœur de son quotidien, une inspiration potentielle pour nombre d'organisations.Thomas Misslin, Doctorant, Sciences de Gestion, Dauphine-PSL - Chef de projet, Executive Education, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1900242022-09-14T18:05:42Z2022-09-14T18:05:42ZAlgérie-Indochine : l’asymétrie mémorielle française<p>Emmanuel Macron vient d’effectuer une <a href="https://www.europe1.fr/politique/algerie-quel-bilan-pour-la-visite-demmanuel-macron-sur-place-4130470">visite officielle à Alger</a> afin de mettre en œuvre une « réconciliation mémorielle » entre les sociétés française et algérienne sur la guerre qui les a déchirées entre 1954 et 1962.</p>
<p>En juillet 2020, déjà, le président avait confié à l’historien Benjamin Stora une <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/07/24/emmanuel-macron-confie-a-l-historien-benjamin-stora-une-mission-sur-la-memoire-de-la-colonisation-et-de-la-guerre-d-algerie_6047236_3212.html">« mission sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie »</a>. Six mois plus tard, ce dernier rendait <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/16509">son rapport</a> comprenant des recommandations concrètes pour faciliter la réconciliation. En octobre 2021, <a href="https://www.france24.com/fr/france/20211016-17-octobre-1961-emmanuel-macron-va-reconna%C3%AEtre-une-v%C3%A9rit%C3%A9-incontestable">Emmanuel Macron déposait une gerbe</a> nationale sur les berges de Seine <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2021-4-page-32.htm">à la mémoire des militants algériens</a> tués par la police française en 1961.</p>
<p>Ces démarches étaient, certes, motivées par un besoin d’affronter le passé, par les tensions récentes entre la France et l’Algérie, par des <a href="https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2017-1-page-29.htm">problèmes irrésolus d’intégration</a> dans l’Hexagone, et sans doute des préoccupations politiques lors de la campagne électorale du président sortant en 2022. Il est néanmoins frappant de constater à quel point l’Algérie occupe une place beaucoup plus importante que celle de l’Indochine dans la mémoire française. Et cela, malgré le fait que la <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2009-1-page-339.htm">guerre d’Indochine</a>, qui a opposé la France au Vietnam d’Hô Chi Minh entre 1945 et 1954, fut la <a href="https://www.lhistoire.fr/indochine-la-guerre-de-d%C3%A9colonisation-la-plus-violente-du-xxe-si%C3%A8cle%C2%A0">guerre de décolonisation la plus violente du XXᵉ siècle</a>.</p>
<p>Comment expliquer cet oubli relatif du Vietnam à une époque où la France semble plus prête qu’auparavant à regarder son passé colonial en face ?</p>
<h2>La « rive algérienne » de la mémoire française</h2>
<p>La prédominance algérienne s’explique par divers facteurs. Le premier, démographique, fait ressortir le maigre poids de la <a href="https://www.cairn.info/revue-annales-de-demographie-historique-2007-1-page-85.htm">population des « Français d’Indochine »</a> – 35 000 personnes en 1945 – comparé au million de « Français d’Algérie » qui se comptaient de façon assez stable entre 1945 et 1962. Après la guerre d’Algérie, la majorité d’entre eux <a href="https://cairn.info/revue-pole-sud-2006-1.htm?contenu=sommaire">s’installèrent en France</a>. Le poids politique et l’influence mémorielle des Français d’Indochine resteront toujours plus modestes par rapport à ceux des Français d’Algérie installés en France après 1962.</p>
<p>Le deuxième facteur tient à l’origine des combattants eux-mêmes. Pour garder l’Algérie française, Paris ne vit d’autre choix que d’imposer la <a href="https://www.cairn.info/revue-historique-2007-1-page-165.htm">conscription</a> aux jeunes Français de métropole. Un million et demi de soldats français furent ainsi envoyés en Algérie. La guerre terminée, des porte-paroles, des associations, des maisons d’édition, d’anciens colons aussi, échangeront souvenirs, traumas, commémorations.</p>
<p>En Indochine, la situation était très différente : le gouvernement français avait fait appel au Corps expéditionnaire, à la Légion étrangère, mais surtout aux <a href="https://www.penseemiliterre.fr/ressources/30114/43/de-la-politique-de-jaunissement_cdt-cadeau.pdf">soldats de son Empire</a>. La majorité des « anciens d’Indo » étaient en fait originaires de l’Indochine, du Maghreb et l’Afrique subsaharienne. La guerre terminée, ils ont ramené leur mémoire avec eux. L’homme qui a bâti la dalle commémorative à Diên Biên Phu en 1992, pour honorer les soldats tombés pour la France dans cette bataille historique de 1954, était un Allemand, un ancien de la Légion.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/484042/original/file-20220912-20-zjibcx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Mémorial en pierre en l’honneur des morts français au Vietnam" src="https://images.theconversation.com/files/484042/original/file-20220912-20-zjibcx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484042/original/file-20220912-20-zjibcx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484042/original/file-20220912-20-zjibcx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484042/original/file-20220912-20-zjibcx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484042/original/file-20220912-20-zjibcx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484042/original/file-20220912-20-zjibcx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484042/original/file-20220912-20-zjibcx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Mémorial en l’honneur des soldats français morts lors de la bataille de Diên Biên Phu au Vietnam.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:French_War_Memorial_-_Dien_Bien_Phu_-_Vietnam_%2848159141076%29.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Troisième facteur : si des dizaines de milliers de harkis algériens, qui s’étaient battus comme supplétifs aux côtés des Français, s’installèrent en France après 1962 avec leur famille, les soldats vietnamiens ayant combattu les troupes d’Hô Chi Minh auprès des Français d’abord, puis des Américains jusqu’à la <a href="https://www.lhistoire.fr/%C3%A9ph%C3%A9m%C3%A9ride/30-avril-1975-chute-de-saigon">chute de Saigon</a> en 1975, refirent principalement leur vie en Amérique du Nord. La diaspora vietnamienne en France ne peut pas être comparée à la diaspora vietnamienne aux États-Unis, ni à celle des Algériens en France. Le poids politique et mémoriel de cette communauté vietnamienne de France est en conséquence beaucoup plus faible. En 2019, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) comptait <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3633212">846 400 immigrés algériens résidant sur le territoire français</a>. La même année, l’Institut national d’études démographiques (INED) estimait à <a href="https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/chiffres/france/immigres-etrangers/descendants-dimmigres-par-pays-dorigine/">1 207 000 le nombre d’enfants d’immigrés algériens résidant en France</a>, soit 2,1 millions de personnes sur deux générations.</p>
<p>La diaspora vietnamienne en France est la deuxième dans le monde après celle des États-Unis, laquelle est forte de 2 100 000 membres. L’Insee dénombrait en 2018 159 000 personnes résidant en France <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381755">nées dans toute l’ex-Indochine française</a> (Cambodge, Laos, Vietnam) ainsi que <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4186761">153 000 descendants directs d’au moins un parent né en ex-Indochine française</a>, soit 312 000 au total.</p>
<p>Que le président Macron se soit <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/11/30/la-therapie-memorielle-des-petits-enfants-de-la-guerre-d-algerie_6104100_823448.html">récemment adressé</a> aux « petits-enfants de la guerre d’Algérie » sans penser à évoquer leurs homologues vietnamiens est révélateur à cet égard.</p>
<p>Soulignons aussi que la guerre d’Algérie ne s’est jamais internationalisée comme ce fut le cas en Indochine. Cela a permis aux hommes politiques et anciens combattants français de présenter la guerre d’Indochine comme une lutte anticommuniste dans le cadre d’une coalition occidentale, non comme une <a href="https://www.lhistoire.fr/indochine-combat-pour-une-puissance-perdue">guerre coloniale</a> qu’elle fut assurément. La sortie de la France de la guerre d’Indochine apparut ainsi moins comme une défaite coloniale qu’un simple passage de flambeau anticommuniste aux Américains dans un lointain pays en Asie. Certes, la guerre d’Algérie eut un volet international, mais elle fut surtout une affaire coloniale. L’Indochine restera un enjeu géopolitique majeur dans les relations internationales jusque dans les années 1990.</p>
<p>Enfin, les <a href="https://www.persee.fr/doc/ihtp_0769-4504_1996_num_34_1_2369">intellectuels français critiques de la guerre d’Indochine</a> à l’époque se comptent sur les doigts d’une main. En revanche, la liste de ceux qui se sont opposés au conflit algérien est longue : Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Jacques Derrida, Franz Fanon et Pierre Bourdieu pour ne citer qu’eux. Même le cinéma français écarte les Vietnamiens. On voit les centurions français de la guerre d’Indochine dans les films de Pierre Schoendoerffer comme <a href="https://www.cairn.info/revue-inflexions-2019-3-page-37.htm"><em>La 317ᵉ Section</em></a> ou <a href="https://www.lemonde.fr/m-styles/article/2011/11/17/le-crabe-tambour-de-pierre-schoendoerffer_1605198_4497319.html"><em>Le Crabe-tambour</em></a>. On suit les soldats français dans les camps communistes après Diên Biên Phu. Mais on cherche en vain un film critique portant sur la toile de fond coloniale de la guerre d’Indochine qui serait comparable à la <a href="https://www.cairn.info/revue-inflexions-2019-3-page-159.htm"><em>Bataille d’Alger</em></a> de Gillo Pontecorvo.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484279/original/file-20220913-20-fi7apx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484279/original/file-20220913-20-fi7apx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=749&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484279/original/file-20220913-20-fi7apx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=749&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484279/original/file-20220913-20-fi7apx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=749&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484279/original/file-20220913-20-fi7apx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=941&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484279/original/file-20220913-20-fi7apx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=941&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484279/original/file-20220913-20-fi7apx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=941&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<h2>Et la « rive vietnamienne » ?</h2>
<p>Les Vietnamiens auraient pu demander des comptes à Paris à la fin de la guerre en 1954. Mais ce n’était pas si facile. La <a href="https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-l-institut-pierre-renouvin1-2012-2-page-57.htm">guerre américaine</a> éclipsa vite celle d’Indochine dans les années 1960. Puis survint la <a href="https://www.jstor.org/stable/25729173">troisième guerre d’Indochine</a>, qui opposa les communistes cambodgiens, vietnamiens et chinois en 1979. Les atrocités se cumulaient, s’écrasaient les unes sur les autres. Se préoccuper de l’Histoire, de la mémoire, quand le pays est encore en guerre ou tout est à reconstruire peut sembler difficile à entreprendre.</p>
<p>De nos jours, le gouvernement communiste du Vietnam ne tient pas particulièrement à se souvenir de ces pans conflictuels. Il répète à l’infini une histoire nationaliste héroïque, où la célèbre victoire sur l’armée française à <a href="https://www.cairn.info/la-guerre-d-indochine--9791021010192-page-431.htm">Diên Biên Phu</a> est un chaînon glorieux, primordial en termes mémoriels. Mais pour Hanoi, il est hors de question de réclamer la repentance de la France pour la guerre d’Indochine. Les massacres commis par l’armée française à la fin des années 1940 se commémorent au niveau local jusqu’à nos jours, mais le gouvernement actuel ne laisserait jamais ces <a href="https://www.herodote.net/16_mars_1968-evenement-19680316.php">« My Lai français »</a> mettre en danger ses relations avec la France.</p>
<p>Sans doute aussi, Hanoi, accolé à une Chine déterminée à jouer un rôle prédominant dans l’Indopacifique, ne souhaite pas mettre en cause ses relations discrètes, mais très importantes, avec les Américains et les Français. Au Moyen-Orient, aucun voisin de l’Algérie n’est une puissance un tant soit peu comparable à la Chine. Les dirigeants algériens ont donc les mains plus libres pour mobiliser différemment la mémoire vis-à-vis de la France.</p>
<p>Le contraste est patent entre la pensée mémorielle à Hanoi et à Alger, quand on songe à la volonté des dirigeants algériens depuis Abdelaziz Bouteflika, le président algérien entre 1999 et 2019, et son successeur, Abdelmadjid Tebboune, de faire le procès de la colonisation à la France. En 2021, le ministre algérien de la Communication <a href="https://www.lefigaro.fr/international/colonisation-alger-reclame-toujours-la-repentance-de-la-france-20210508">a demandé</a> « la reconnaissance officielle, définitive et globale, par la France, de ses crimes […] la repentance et des indemnisations équitables ». Emmanuel Macron, dans <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Pourquoi-torchon-brule-entre-France-lAlgerie-2021-10-03-1201178652">sa réplique</a>, a suscité la colère de la classe dirigeante à Alger en déclarant que l’Algérie s’est construite « sur une rente mémorielle » et « une haine de la France ». En signe de protestation, le <a href="https://www.rts.ch/info/monde/12538060-lalgerie-rappelle-son-ambassadeur-a-paris-apres-des-propos-demmanuel-macron.html">président algérien rappela son ambassadeur de Paris</a>. Aucun dirigeant communiste à Hanoi n’aurait jamais entamé un tel échange avec le gouvernement français.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/vers-une-reconciliation-franco-algerienne-189658">Vers une réconciliation franco-algérienne ?</a>
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<h2>France-Vietnam : la réconciliation s’est-elle vraiment déjà faite ?</h2>
<p>Au Vietnam comme en France, les dirigeants préfèrent regarder vers l’avenir. Ce fut déjà évident au début de la normalisation des relations franco-vietnamiennes à la fin de la guerre froide. Lorsque le président François Mitterrand effectua une <a href="https://www.universalis.fr/evenement/9-16-fevrier-1993-france-asie-visite-du-president-francois-mitterrand-au-vietnam-et-au-cambodge/">visite officielle au Vietnam en 1993</a> pour ouvrir un nouveau chapitre diplomatique, il mit surtout l’accent sur l’avenir.</p>
<p>Initiant une sorte de rituel qui continue jusqu’à nos jours, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1993/02/11/la-visite-du-president-francais-au-vietnam-m-mitterrand-estime-que-l-embargo-americain-n-a-plus-de-raison-d-etre_3914182_1819218.html">Mitterrand se rendit cependant sur le site de Diên Biên Phu</a> pour saluer l’héroïsme des combattants français tombés dans cette bataille épique, pour « ressentir tout ce qu’un Français peut éprouver devant le sacrifice de nos soldats, sans oublier les autres ». Dans ce voyage, Mitterrand était notamment accompagné de Pierre Schoendoerffer. Ce dernier venait de sortir son dernier film, <a href="https://www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2003-3-page-107.htm"><em>Dien Bien Phu</em></a>, qui louait justement l’esprit de « sacrifice » des soldats français lors de cette perte « tragique » et pourtant « héroïque » que fut la bataille de Diên Biên Phu.</p>
<p>Emmanuel Macron ne s’est jamais rendu au Vietnam, mais il y a <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/10641-retour-sur-le-voyage-au-vietnam-d-edouard-philippe">envoyé son premier ministre</a> Édouard Philippe, en visite officielle en 2018. Celui-ci déposa solennellement une gerbe devant le monument aux morts français à Diên Biên Phu. Il évoqua la guerre franco-vietnamienne rapidement avant de se tourner vers l’avenir :</p>
<blockquote>
<p>« Nos deux pays, parce qu’ils sont réconciliés avec leur passé regardent avec plus de force encore leur avenir partagé. »</p>
</blockquote>
<p>Son homologue vietnamien fit une déclaration allant dans le même sens. En effet, à la différence du gouvernement algérien, les dirigeants vietnamiens veulent éviter de souligner le passé colonial afin de mettre l’accent sur un nouveau « partenariat stratégique » en Asie. Pour Paris et Hanoi, la réconciliation est déjà acquise. Il faut tourner la page.</p>
<p>Toutefois, les cicatrices de la guerre sont encore présentes dans le tissu social vietnamien. Selon Bernard Fall, un <a href="https://cgoscha.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/28/2022/07/Bernard-Fall-This-isnt-munich.pdf">million de Vietnamiens sont morts lors du conflit indochinois (contre 21 000 décès français)</a>. La plupart étaient des civils. Mais peu de journalistes, écrivains ou chercheurs ont enquêté sur les blessures de la guerre d’Indochine vécues par les Vietnamiens. Et pourtant, de <a href="https://cgoscha.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/28/2022/02/massacres-indochine-images-2.pdf">nombreux monuments</a> commémorent les pertes civiles causées par la guerre. Il suffit de regarder au-delà de Diên Biên Phu.</p>
<p>Plusieurs Vietnamiens nous ont aussi laissés <a href="https://cgoscha.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/28/2022/08/nguyen-cong-luan-nationalist-viet-nam-wars.pdf">leurs témoignages</a>. Il faut les lire. Car briser un mur de silence est une chose, mais un manque d’écoute pérennise l’oubli.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190024/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christopher Goscha ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pourquoi, alors que le travail mémoriel sur la guerre d’Algérie est en cours en France, un travail similaire n’est-il pas effectué à propos de la guerre d’Indochine ?Christopher Goscha, Professor, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1671372021-09-13T17:53:48Z2021-09-13T17:53:48ZDes boat-people aux Afghans : les réfugiés, une cause politique pour le PS<p>La prise de Kaboul par les talibans et le séisme politique frappant la région ont eu des répercussions dans la politique intérieure de nombreux pays, à commencer par les États-Unis. En France également, les dirigeants de différents mouvements politiques ont réagi. Ainsi, Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste et député, a publié trois tweets relatifs à la chute de Kaboul dès le 15 août, <a href="https://twitter.com/faureolivier/status/1426862047866855425">l’un en son nom</a>, l’autre <a href="https://twitter.com/partisocialiste/status/1427022973857406984">au nom du PS</a>, et un <a href="https://twitter.com/arminarefi/status/1426967842797277187">retweet d’article de presse</a>.</p>
<p>Ces prises de parole, liées aux événéments précis de ces derniers jours, reflètent aussi l’histoire des mouvements politiques. Ainsi les prises de positions socialistes s'inscrivent dans l'histoire longue du PS, dont <a href="https://books.openedition.org/pur/50889?lang=fr">j'étudie la politique internationale depuis de nombreuses années</a>.</p>
<p>Bien que membre de l’Internationale socialiste et héritier d’une tradition ouvrière internationaliste qu’il ambitionne de renouveler, le Parti socialiste <a href="https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_2000_num_65_1_2874#xxs_0294-1759_2000_num_65_1_T1_0089_0000">refondé au congrès d’Épinay en 1971</a> reste une organisation dont l’ancrage et les objectifs ne sont pas d’abord internationaux. Il entend promouvoir un « nouvel internationalisme » pour « changer la vie » à toutes les échelles, mais ses préoccupations sont celles de ses militants et de son électorat.</p>
<p>Lorsqu’en 1973 le royaume d’Afghanistan devient une République à la suite d’un coup d’État mené avec l’appui militaire soviétique, puis lorsqu’un nouveau coup d’État débouche sur l’instauration de la République démocratique d’Afghanistan en 1978, le Parti ne réagit pas officiellement.</p>
<p>En effet, l’Afghanistan n’est alors pas central dans l’agenda politique français. Le pays entre réellement dans l’horizon diplomatique du PS à partir de son <a href="https://www.jeuneafrique.com/72000/archives-thematique/l-urss-envahit-l-afghanistan/">invasion par l’URSS</a> en décembre 1979, qui en fait un enjeu de Guerre froide de premier plan.</p>
<h2>Le PS face à l’invasion soviétique de l’Afghanistan</h2>
<p>Dès le 2 janvier 1980, un communiqué socialiste condamne l’ingérence soviétique au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et pointe le risque d’enlisement dans un « conflit meurtrier ». Le même jour, le président Valéry Giscard d’Estaing envoie une invitation à François Mitterrand et Georges Marchais, secrétaire général du Parti communiste, les conviant à s’entretenir avec le ministre des Affaires étrangères pour évoquer la situation afghane.</p>
<p>Le 11 janvier, Georges Marchais s’exprime à la télévision française en duplex de Moscou, d’où il apporte son soutien à l’intervention soviétique. S’ensuit une <a href="https://www.ina.fr/video/I08017706">passe d’armes à la télévision avec Pierre Joxe</a>, qui dénonce une direction communiste « justifiant l’injustifiable ».</p>
<p>Les tensions entre PS et PCF, déjà fortes depuis la rupture de l’union de la gauche (1972-1977), s’aggravent. Alors que l’invasion de l’Afghanistan marquait la fin incontestable de la Détente, la position du PCF fut dénoncée par le PS comme le signe de son réalignement indéniable sur Moscou - un réalignement auquel on pouvait même désormais imputer la fin des discussions sur la réactualisation du Programme commun.</p>
<p>Le sujet afghan, et à travers lui celui de l’URSS, sont ensuite régulièrement débattus dans l’arène politique française, par exemple lors des réflexions sur l’opportunité d’un boycott des Jeux olympiques de Moscou en 1980 (boycott rejeté par le PS).</p>
<p>S’emparant du sujet en mars 1981 pour critiquer la droite durant la campagne présidentielle, le candidat Mitterrand revient sur un épisode de juin 1980 : l’annonce giscardienne erronée d’un retrait significatif des troupes soviétiques d’Afghanistan. Il attaque alors la diplomatie du président sortant et le qualifie de « petit télégraphiste » de Moscou.</p>
<p>En juin 1981, l’entrée de ministres communistes au gouvernement de Pierre Mauroy suit la conclusion d’un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1981/06/25/le-texte-de-l-accord-p-s-p-c_2730407_1819218.html">« accord politique de gouvernement »</a> préalable entre le PS et le PCF. Sur le plan international, où les désaccords étaient majeurs, la ligne du PS mitterrandien s’impose : les signataires y « affirment le droit du peuple afghan à choisir son régime et son gouvernement et se prononcent pour le retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan et la cessation de toute ingérence étrangère ».</p>
<p>Fin 1982, l’Afghanistan compte toujours parmi les grandes causes internationales de mobilisation du PS, aux côtés du Salvador, de la Pologne et du Liban. <a href="https://archives-socialistes.fr/themes/archives/static/pdfviewer/?docid=367092&language=fra">Les objectifs socialistes affichés</a> sont de soutenir la circulation des informations émanant des mouvements de résistance afghans, d’aider au financement d’écoles publiques dans les zones tenues par les résistants, ainsi que l’installation d’un dispensaire au Pakistan pour les réfugiés afghans.</p>
<h2>Le PS et la question de l’accueil des réfugiés dans les années 1970</h2>
<p>Le 16 août 2021, la déclaration télévisée du président Emmanuel Macron à propos de potentiels <a href="https://www.youtube.com/watch?v=sJ1Yr-5FXV0">« flux migratoires irréguliers importants »</a> provoqua une polémique immédiate à gauche. Si, dans les années 1970, la question des réfugiés n’était pas encore un enjeu majeur dans le cas afghan, c'était déjà le cas pour d’autres populations.</p>
<p>À l’époque, la solidarité socialiste et internationaliste s’exerce en premier lieu en faveur de « camarades », de militants et de leurs proches. Celle-ci s’inscrit dans une vaste tradition internationaliste, que l’on retrouve par exemple dans l’aide apportée <a href="https://books.google.fr/books?id=HV6FBPol6iUC&pg=PA196&lpg=PA196&dq=psoe+toulouse">aux socialistes espagnols ayant fui la dictature franquiste</a> par la SFIO puis par le PS, de la reconstitution du PSOE en exil à Toulouse en 1944 à sa <a href="https://www.psoe.es/el-socialista/sucedio-en/sucedio-en-1974-el-congreso-de-suresnes/">refondation en 1974</a> à Suresnes notamment.</p>
<p>Dans ces années 1970, on songe surtout à la mobilisation exceptionnelle de l’ensemble des socialistes en faveur des exilés de la gauche chilienne, victimes en 1973 du coup d’État de Pinochet. Beaucoup d’<a href="https://journals.openedition.org/hommesmigrations/2722">initiatives locales</a> permirent de fournir aide, domicile ou emploi à ces réfugiés. La direction centrale socialiste, soutenant cet élan, chercha aussi à <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/le-parti-socialiste-francais-dans-la-recomposition-du-parti-socialiste-chilien-a-partir-de-1973/">l’orienter vers le Parti socialiste chilien</a>.</p>
<p>À côté de cette solidarité politique à l’égard d’homologues étrangers ayant choisi la France comme terre d’asile, les socialistes se mobilisèrent également dans des accueils présentés comme plus « humanitaires » que politiques.</p>
<p>Le PS prit par exemple part à l’immense vague française de solidarité envers les réfugiés d’Asie du Sud-Est, dont les départs sont provoqués dès le printemps 1975 par l’<a href="https://www.herodote.net/30_avril_1975-evenement-19750430.php">effondrement du Sud-Vietnam</a>, et <a href="https://www.histoire-immigration.fr/collections/1979-l-arrivee-des-refugies-d-asie-du-sud-est">s’intensifient en 1979</a> en raison de la crise économique vietnamienne, de la guerre sino-vietnamienne et de l’invasion du Cambodge par le Vietnam.</p>
<p>Fin juin 1979, interpellée par de nombreux militants et élus, la direction nationale donne ses consignes en faveur de la coordination de l’accueil de réfugiés par les municipalités, fédérations et sections. Un appel aux dons est aussi lancé pour financer l’envoi très médiatisé, en juillet 1979, d’un avion qui porte secours à 156 réfugiés. Or cette mobilisation du PS pour l’ex-Indochine fait partie d’une campagne nationale qui est un moment clé pour le champ humanitaire.</p>
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<figcaption><span class="caption">Arrivée de boat-people à Rouen le 22 juillet 1987, archive INA.</span></figcaption>
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<h2>L’accueil de réfugiés, un choix toujours politique</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/l-asile-et-l-exil--9782707198792-page-171.htm">Karen Akoka</a> montre combien cet épisode accompagne et nourrit la promotion d’une nouvelle idéologie sans-frontiériste contre le tiers-mondisme et le romantisme révolutionnaires.</p>
<p>Cette nouvelle pensée humanitaire présente la défense des droits humains comme une cause consensuelle et apolitique, alors même qu’elle correspond à l’intégration, dans les discours de solidarité internationale, de l’antitotalitarisme qui marque alors le débat intellectuel et politique. Cet antitotalitarisme et sans-frontiérisme s’accompagne chez certains d’un indéniable anticommunisme.</p>
<p>Ainsi, si les Vietnamiens secourus par les socialistes français n’étaient effectivement pas ciblés en fonction de leurs affiliations politiques, on ne peut qualifier la solidarité socialiste d’humanitarisme apolitique : par sa participation et dans ses déclarations, le PS était soucieux d’une part de se positionner contre les anticommunistes oublieux des responsabilités historiques du Japon, de la France et des États-Unis dans les difficultés de la région, et d’autre part de condamner les dysfonctionnements des régimes communistes d’Asie du Sud-Est, ainsi que leurs crimes et violations des droits humains.</p>
<p>L’accueil de réfugiés, militants politiques ou non, et les raisons qui le motivent, restait et reste ainsi un choix très politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167137/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Judith Bonnin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Fidèle à ses traditions, le PS a appelé à « se mobiliser » pour le peuple afghan dès le 15 août. Pour le parti, l’accueil de réfugiés est une tradition autant qu’une cause politique.Judith Bonnin, Maîtresse de conférences en histoire contemporaine, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1666872021-08-26T18:41:21Z2021-08-26T18:41:21ZKaboul 2021, Saigon 1975 : l’enjeu derrière les images d’évacuations d’enfants<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/418074/original/file-20210826-6429-1kdx690.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C6%2C4065%2C2697&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Photo publiée le 21&nbsp;août sur le compte Twitter officiel du Corps des Marines des États-Unis, prise à l’aéroport de Kaboul.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://twitter.com/USMC/status/1429502338306347014/photo/1">@USMC</a></span></figcaption></figure><p>Le retour en force des talibans depuis plusieurs mois et leur <a href="https://theconversation.com/afghanistan-le-triomphe-des-talibans-malgre-les-milliards-depenses-par-les-etats-unis-166158">prise du pouvoir récente à Kaboul</a> contraignent les puissances occidentales à évacuer d’Afghanistan leurs ressortissants, ainsi que les hommes et les femmes qui les ont accompagnés depuis 20 ans.</p>
<p>L’opération américaine en cours est marquée par un manque d’anticipation certain et rappelle l’évacuation en catastrophe de Saigon à la toute fin de la guerre du Vietnam en 1975. Des scènes issues des deux événements ont été mises en parallèle : <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/afghanistan-evacuation-americaine-comparee-chute-de-saigon_fr_61192fdde4b0454ed70ebb0e">hélicoptères s’extirpant du chaos</a>, désordre généralisé, gens en panique. Des images d’enfants afghans confiés par des adultes à des militaires américains renvoient au « Babylift » qui, en avril 1975, évacua du Vietnam plus de 2 000 enfants.</p>
<p>Un regard rétrospectif sur cette opération et ses modalités peut contribuer à mieux cerner les enjeux de l’enfance dans ce type de crise et les risques qui pèsent sur les enfants de Kaboul aujourd’hui.</p>
<h2>Comparaison n’est pas raison, mais quand même…</h2>
<p>Les médias insistent sur l’<a href="https://information.tv5monde.com/info/evacuations-de-kaboul-l-inevitable-comparaison-avec-la-chute-de-saigon-en-1975-420438">inévitable comparaison</a> entre ce qui se passe à Kaboul actuellement et le départ des derniers Américains du Vietnam en 1975. Certes, des images choisies se ressemblent ; certes ce sont de mauvaises passes pour les États-Unis qui, dans un cas comme dans l’autre, abandonnent une partie qu’ils ont été dans l’impossibilité de gagner militairement ou politiquement ; mais les contextes, les lieux, la géopolitique sont bien différents.</p>
<p>En outre, l’environnement médiatique n’est plus le même, et Joe Biden n’est pas Gerald Ford, président pendant deux ans et demi sans jamais avoir été élu à cette fonction, ni même à celle de vice-président. L’historien ne peut donc que se méfier des rapprochements hâtifs.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/q6FZ6aFbNvY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Néanmoins, il est vrai que les deux épisodes interrogent des éléments essentiels de la relation des États-Unis au monde : leur (im)puissance relative, leur positionnement vis-à-vis de pays dans lesquels ils ont combattu pendant 20 ans, leur responsabilité envers les populations autochtones, leur (in)capacité à sortir la tête haute de ce qui est apparaît comme des échecs.</p>
<p>Dans les deux cas, la question de la mise à l’abri des personnes qui ont travaillé pour les Américains est lourde de conséquences pour l’image de ceux-ci et pour la vie de celles-là et de leurs familles. À chaque fin de conflit (mondial, bilatéral, civil, colonial…) l’enfance constitue un enjeu crucial, car c’est souvent en son nom que l’on s’est battu : pour assurer la paix aux générations futures, leur liberté, leur avenir. Agir pour l’enfance, sauver les enfants, hier des griffes du régime communiste vietnamien, aujourd’hui de l’Émirat islamique des talibans, apparaît comme la dernière action possible, dotée d’une forte dimension cathartique.</p>
<h2>Opération « Babylift » : la dernière bataille de la guerre du Vietnam</h2>
<p>Conscient de l’enjeu représenté par l’enfance, Gerald Ford prit la décision de lancer l’<a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01090683/document">opération « Babylift »</a> (4-26 avril 1975) dont l’objectif était de faire sortir le plus grand nombre possible d’enfants du Vietnam.</p>
<p>Pour les Américains, dans le contexte de la guerre froide et avec un arrière-plan idéologique très prégnant, il ne pouvait être question de laisser aux mains des vainqueurs communistes les enfants métis nés de pères soldats américains et de mères vietnamiennes. Les enfants vietnamiens en cours d’adoption par des Occidentaux et plus globalement les orphelins de guerre étaient également concernés par cette évacuation, qui prit la forme d’une opération militaro-humanitaire, une des premières du genre. Cette évacuation a été marquée par le <a href="https://actu.orange.fr/societe/videos/sandie-quercy-survivante-du-crash-du-premier-avion-de-babylift-en-1975-au-vietnam-a-saigon-CNT000001x6Vl0.html">tragique accident du premier avion</a> décollant de Saigon dans lequel périrent environ 150 enfants, mais se poursuivit malgré tout. Au total, plus de 2 000 enfants arrivèrent aux États-Unis et 200 en France via l’Amérique.</p>
<p>En pleine débandade américaine et malgré l’accident tragique, l’opération « Babylift » a permis de donner une image positive des militaires, des pilotes, de l’armée américaine en général.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418064/original/file-20210826-27-1nu3pkj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418064/original/file-20210826-27-1nu3pkj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=919&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418064/original/file-20210826-27-1nu3pkj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=919&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418064/original/file-20210826-27-1nu3pkj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=919&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418064/original/file-20210826-27-1nu3pkj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1155&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418064/original/file-20210826-27-1nu3pkj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1155&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418064/original/file-20210826-27-1nu3pkj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1155&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un militaire américain nourrit un bébé au biberon sur la base aérienne de Clark (Philippines) pendant l’opération « Babylift », en avril 1975.</span>
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<p>Cette photo a été très utilisée à l’époque, donnant une image d’humanité, de compassion, d’attention à l’autre bien éloignée des comportements dénoncés par la presse et les mouvements anti-Vietnam. Mais pouvait-elle faire oublier la <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/photographie/kim-phuc-la-petite-fille-au-napalm-photographiee-au-vietnam-il-y-a-47-ans-se-raconte-dans-sauvee-de-l-enfer_3647071.html">photo de la petite Kim Phuc</a> courant nue sur une route après le bombardement au napalm de son village en 1972 ?</p>
<p>« Babylift » a été menée dans une grande confusion, le traçage des enfants étant impossible dans la panique générale. Pour <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1975/05/23/les-enfants-du-baby-lift_2588400_1819218.html"><em>Le Monde</em></a> (23/05/1975), « le sort de centaines d’enfants s’est trouvé fixé en quelques heures par des bonnes volontés parfois plus soucieuses des mauvaises consciences occidentales que du sort des enfants orphelins ».</p>
<p>Parmi les enfants, combien d’entre eux avaient encore leurs parents, de la famille ? Plusieurs mois après, certains enfants déclarent ne pas être orphelins et vouloir rentrer dans leurs familles. Une petite Vietnamienne de 12 ans confie un an après son arrivée qu’elle n’est pas orpheline mais la fille d’un responsable de la police de Saigon qui l’a fait partir pour la sauver, en lui interdisant de révéler la vérité.</p>
<h2>Risques et enjeux autour enfants afghans</h2>
<p>La situation des enfants à Kaboul aujourd’hui fait écho à celle de 1975. <a href="https://www.parismatch.com/Actu/International/Une-petite-Afghane-hissee-en-dehors-du-chaos-de-l-aeroport-de-Kaboul-1753832">Plusieurs images d’enfants extirpés de la foule</a> par des militaires américains gardant l’aéroport de Kaboul ont circulé sur les réseaux sociaux, accompagnées de commentaires sur le « sauvetage » de ces enfants. Vecteur médiatique fort, l’enfant est un emblème, un symbole, une cause qui provoque émotion, compassion, réaction face à l’injustice de la situation. Mais il faut aussi analyser ces images avec circonspection pour éviter tout risque d’instrumentalisation et réfléchir en profondeur à la situation des enfants afghans.</p>
<p>Par exemple, la vidéo dont est extraite cette photo a donné lieu à toutes sortes d’interprétations : la détresse et le sacrifice des Afghans qui abandonnent leurs enfants aux Américains ; la pire manière que les Américains ont de quitter le pays en s’emparant d’enfants mais en refusant que les parents les suivent ; ou, au contraire, le geste d’humanité face à la nécessité de sauver les enfants à tout prix du sort qui les attend sous les talibans. Les réactions étaient déjà les mêmes face à l’opération « Babylift » : certains y voyaient une ultime manifestation de l’impérialisme américain au mépris des vies humaines concernées quand d’autres critiquaient au contraire l’insuffisance de l’opération.</p>
<p>Deux jours plus tard (le 21 août), l’armée américaine a précisé que les militaires n’avaient pas pris en charge ce bébé pour l’envoyer aux États-Unis, mais pour le soigner car il était malade, avant de le rendre à sa famille. Comme souvent, <a href="https://www.sudouest.fr/international/asie/afghanistan/afghanistan-un-bebe-malade-donne-aux-militaires-americains-puis-soigne-a-l-aeroport-de-kaboul-5303242.php">cette mise au point officielle</a> n’a pas été reprise avec le même engouement sur les réseaux sociaux. Pour allumer un contre-feu médiatique, les autorités américaines ont publié d’autres photos – qui rappellent vraiment celle du « Babylift » présentée plus haut – de soldats s’occupant de bébés en attendant que leurs parents satisfassent aux formalités de départ sur l’aéroport.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1428841141965836293"}"></div></p>
<p>De son côté, le Foreign Office a dû rappeler que les militaires britanniques ne peuvent pas prendre en charge des enfants non accompagnés. En effet, depuis 1975, l’intérêt et les droits des enfants ont été inscrits dans de grands textes internationaux, notamment la <a href="https://theconversation.com/protection-et-emancipation-les-deux-faces-des-droits-de-lenfant-139062">Convention internationale des droits de l’enfant</a> de 1989 et la Convention de La Haye sur l’adoption internationale en 1993. Il y est stipulé que la place des enfants est avec leurs parents, à défaut avec leur famille puis avec leur communauté, dans leur pays de naissance. </p>
<p>Il n’en demeure pas moins que, selon l’UNICEF et l’Unesco, la situation des enfants en Afghanistan (victimes des combats, enfants-soldats, orphelins, malnutrition, régression de l’éducation des filles) nécessite des <a href="https://www.unicef.fr/article/en-afghanistan-les-enfants-entre-terreur-et-panique">actions humanitaires d’ampleur</a>. Ce qui laisse entières les questions si ardues et complexes du quoi faire et du comment.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166687/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yves Denéchère ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comme au moment de l’évacuation de Saigon il y a 46 ans, fleurissent actuellement les images d’enfants évacués en urgence de Kaboul par l’US Army. Les leçons de l’époque peuvent servir aujourd’hui.Yves Denéchère, Professeur d'histoire contemporaine, Université d'AngersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1112932019-02-25T21:08:34Z2019-02-25T21:08:34ZQuand les « héros » d’hier sont les criminels d’aujourd’hui<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/260462/original/file-20190222-195861-1kipclc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C10%2C2396%2C1584&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Interrogatoire d'un prisonnier 'Viet Cong' par les forces spéciales A-109 à Thuong Duc, 23 janvier 1967.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/cf/Vietconginterrogation1967.jpg">PFC David Epstein/US Army/Wikimedia</a></span></figcaption></figure><p>Au XX<sup>e</sup> siècle, 200 millions de personnes ont été décimées par leur gouvernement selon le politologue américain <a href="https://www.hawaii.edu/powerkills/NOTE1.HTM">Rudolph Joseph Rummel</a>. Ce nombre exclut les victimes de guerres « légitimes ».</p>
<p>D’après <a href="http://sk.sagepub.com/books/crime-and-human-rights">mes recherches</a>, les meurtres perpétrés par des gouvernements sont dix fois plus nombreux que ceux commis dans la société civile.</p>
<p>Malgré de telles données horrifiantes, le XX<sup>e</sup> siècle ne se distinguerait pas des précédents en termes de prévalence des atrocités. Sa singularité viendrait plutôt du fait qu’il s’agit du premier siècle au cours duquel l’humanité a mis en place des institutions qui répondent à la violence de masse et cherchent à la prévenir.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/260532/original/file-20190223-195867-f42e96.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/260532/original/file-20190223-195867-f42e96.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=314&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/260532/original/file-20190223-195867-f42e96.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=314&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/260532/original/file-20190223-195867-f42e96.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=314&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/260532/original/file-20190223-195867-f42e96.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=395&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/260532/original/file-20190223-195867-f42e96.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=395&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/260532/original/file-20190223-195867-f42e96.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=395&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Genghis Khan et Ong Khan. Illustration provenant d’un manuscrit de Jami al-tawarikh, XVᵉ siècle, Iran.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Gengis_Khan#/media/File:Djengiz_Kh%C3%A2n_et_Toghril_Ong_Khan.jpeg">Bibliothèque nationale de France/Wikimedia</a></span>
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<p>Les tribunaux pour juger les violations des droits de l’homme, les commissions de vérité, les programmes de réparation et les excuses publiques des chefs d’État font partie des nouveaux instruments. Ils ont contribué à changer la perception des responsables de crimes de masse. En effet, d’Agamemnon à Mao Zedong, en passant par Genghis Khan, peut-être Charlemagne, et surtout les commanditaires des croisades, tous ces autocrates ont été perçus comme des héros tout au long de l’Histoire. Leurs sanglants successeurs entrent désormais dans la mémoire collective des sociétés contemporaines comme criminels.</p>
<h2>Des institutions dédiées aux droits de l’homme</h2>
<p><a href="http://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/">Déclaration universelle des droits de l’homme</a>, <a href="https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CrimeOfGenocide.aspx">Convention pour la répression et la prévention du crime de génocide</a>, <a href="https://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/justice-penale-internationale/tpiy-tpir.shtml">tribunaux ad hoc</a> des années 1990 (ex-Yougoslavie, Rwanda, etc.), conférence diplomatique de Rome en 1998 à l’origine de la <a href="https://www.amnesty.fr/focus/cour-penale-internationale">première Cour pénale internationale</a> (CPI) permanente : les normes et institutions relatives aux droits humains se sont largement diffusées.</p>
<p>Il existe de <a href="http://www.humanityjournal.net/blog/the-demise-of-international-criminal-law/">vifs débats</a> quant à la légitimité et l’efficacité de ces tribunaux.</p>
<p>Pourtant, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1468-2478.2010.00621.x">des études sophistiquées</a> – notamment celles menées par les professeurs coréen Hun Joon Kim et américain Kathryn Sikkink en 2010 – montrent que les réponses de la justice pénale peuvent contribuer à l’amélioration de la situation des droits humains, et que les poursuites de la CPI ont eu un effet significatif sur la réduction des meurtres par les gouvernements et les groupes rebelles (ainsi que le confirment les <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/international-organization/article/can-the-international-criminal-court-deter-atrocity/0A64E6F29E839427A0A5398EBD2273CB">travaux récents</a> des universitaires américains Hyeran Jo et Beth A. Simmons en 2015).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/260457/original/file-20190222-195864-oawekr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/260457/original/file-20190222-195864-oawekr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/260457/original/file-20190222-195864-oawekr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/260457/original/file-20190222-195864-oawekr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/260457/original/file-20190222-195864-oawekr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/260457/original/file-20190222-195864-oawekr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/260457/original/file-20190222-195864-oawekr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, (Nations Unies).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/romanboed/13746910134">Roman Boed/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Tribunal de Nuremberg</h2>
<p>Ces améliorations ne sont pas le fruit de l’existence des tribunaux en eux-mêmes et de ses effets dissuasifs directs, mais plutôt celui des mémoires collectives générées par les poursuites pénales. Ces dernières ont d’abord un effet culturel : elles rendent illégitime la violence de masse. Cela a dans un second temps un effet dissuasif : une fois que les processus judiciaires ont généré une mémoire collective délégitimant la violence de masse, l’utilisation de celle-ci disparaît de l’arbre décisionnel des acteurs.</p>
<p>De telles idées ont dû inspirer le président américain Franklin D. Roosevelt lorsqu’il a reconnu, vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, que les procès constituaient une réponse appropriée aux crimes nazis. Comme exposé par le <a href="http://www.upenn.edu/pennpress/book/14144.html">professeur de droit américain Stephan Landsman</a>, Roosevelt était convaincu que :</p>
<blockquote>
<p>« La question de la culpabilité d’Hitler – et de celle de ses malfaiteurs – ne devait pas être laissée ouverte à débat. Toute cette matière nauséabonde devrait être consignée dans un procès-verbal indélébile sur la base de témoignages donnés sous serment et des documents écrits afférents. »</p>
</blockquote>
<p>Procureur en chef américain du tribunal militaire international, Robert Jackson, fit à l’époque valoir dans sa déclaration liminaire :</p>
<blockquote>
<p>« Nous devons établir des événements incroyables par des preuves crédibles. »</p>
</blockquote>
<p>Roosevelt et Jackson ont ainsi utilisé un procès criminel pour forger une mémoire collective. Cette position s’inscrit dans une conception durkheimienne des procès comme de puissants rituels, capables d’inculquer au public des normes morales et juridiques ainsi qu’une distinction entre le bien et le mal.</p>
<p>Elle se révèle également dans la lignée d’un nouveau corpus d’érudition néo-durkheimienne, qui conçoit la punition pénale comme un « acte de parole dans lequel la société se parle à elle-même de son identité morale » <a href="https://www.jstor.org/stable/25652119?seq=1#page_scan_tab_contents">suivant les termes du sociologue américain Philip Smith</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Archives INA, Tribunal de Nuremberg, ouverture du procès.</span></figcaption>
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<h2>Forger une mémoire collective</h2>
<p>Dans le même ordre d’idées, le sociologue Jeffrey Alexander considère le Tribunal de Nuremberg comme le créateur d’images, de symboles, de totems et d’histoires qui ont inculqué à un public mondial le sens des crimes nazis comme <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1368431002005001001">traumatisme culturel</a>.</p>
<p>Le droit pénal devient ainsi un instrument de lutte pour la mémoire collective – entendue comme des notions d’événements passés qui sont partagées, mutuellement reconnues et renforcées par une collectivité – des crimes de masse. Du fait de leur pouvoir de représentation, les tribunaux sont un outil pour faire comprendre à une société – même réticente – que la violence de masse est une forme de violence criminelle. Plusieurs études menées par des sociologues et des historiens ont documenté ce pouvoir de représentation.</p>
<p>Dans <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.1086/669797?mobileUi=0&journalCode=ajs"><em>American Memories : Atrocities and the Law</em></a>, King et moi-même montrons comment les récits de violence de masse produits par les tribunaux affectent davantage que d’autres récits les représentations publiques.</p>
<p>Le procès contre des soldats américains pour un massacre commis dans le village de My Lai pendant la guerre du Vietnam en est un exemple. Bien qu’en concurrence avec un <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/american-journal-of-international-law/article/the-my-lai-massacre-and-its-coverup-beyond-the-reach-of-law-the-peers-commission-report-with-a-supplement-and-introductory-essay-on-the-limits-of-law-joseph-goldstein-burke-marshall-and-jack-schwartz-eds-new-york-the-free-press-1976-pp-586-illustrations-1095-cloth-295-paper/C96FBB0A8B262B7E578730A206C1FD41">récit produit par une commission militaire</a> sous la direction du général Peers, et avec un <a href="https://www.newyorker.com/magazine/1972/01/22/i-coverup">récit journalistique</a> lauréat du prix Pulitzer (<em>My Lai 4</em>, par Seymour Hersh), c’est le récit du procès qui a le plus eu d’impact sur les comptes rendus de médias et les descriptions de manuels scolaires au cours des décennies qui ont suivi.</p>
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<figcaption><span class="caption">« An evening with Seymour Hersh, Pulitzer Prize-winning journalist », 29 novembre 2018, National Humanities Center.</span></figcaption>
</figure>
<p><a href="https://www.luminosoa.org/site/books/10.1525/luminos.4/">Dans un ouvrage plus récent</a> sur les représentations de la violence de masse dans la région soudanaise du Darfour (<em>Representing Mass Violence</em>), je montre que les droits humains et les comptes rendus de la CPI sur la violence ont affecté plus fortement des milliers de reportages de médias que des <a href="https://www.jstor.org/stable/10.1086/682403?seq=1#page_scan_tab_contents">récits très différents</a> portés par l’aide humanitaire ou la diplomatie.</p>
<h2>Une histoire limitée des crimes de masses</h2>
<p>Une mise en garde s’impose toutefois, car les procès narrent toujours une histoire limitée sur les crimes de masse et les violations des droits humains.</p>
<p>En raison de la <a href="https://yalebooks.yale.edu/book/9780300109849/memory-judgment">logique institutionnelle spécifique du droit pénal</a>, ils se concentrent sur le comportement de quelques individus, sans tenir compte des conditions structurelles et culturelles de la violence de masse.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/260456/original/file-20190222-195879-gvp1yj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/260456/original/file-20190222-195879-gvp1yj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/260456/original/file-20190222-195879-gvp1yj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/260456/original/file-20190222-195879-gvp1yj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/260456/original/file-20190222-195879-gvp1yj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/260456/original/file-20190222-195879-gvp1yj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/260456/original/file-20190222-195879-gvp1yj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Réfugiés de la guerre du Darfour, ici près d’un réservoir à Genenia, à l’ouest de la région, 2007.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/War_in_Darfur#/media/File:Displaced_persons_with_water_tank_in_Genenia,_West_Darfur_in_2007.jpg">Nite Owl/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Liés par des classifications juridiques, ils font en outre abstraction des <a href="http://assets.cambridge.org/052184/4061/frontmatter/0521844061_frontmatter.pdf">spectateurs et des prédicateurs de la haine</a>, quel que soit leur rôle dans le déploiement de la violence.</p>
<p>De plus, en se concentrant sur une période de temps limitée, ils dé-historisent et leurs règles de preuve diffèrent de celles des sciences sociales. La logique binaire de culpabilité et de non-culpabilité du droit pénal ne laisse pas de place aux nuances de gris que les psychologues sociaux <a href="http://www.beacon.org/Between-Vengeance-and-Forgiveness-P347.aspx">pourraient reconnaître</a>.</p>
<p>Les procès pénaux peuvent être de puissants producteurs de souvenirs collectifs des violations graves des droits humains et délégitimer la violence de masse en fournissant une base de connaissance. Néanmoins, étant donné les contraintes de représentation des procès, ils devraient être complétés par d’autres mécanismes institutionnels tels que les commissions vérité.</p>
<p>Ces dernières offrent une perspective plus large. Conjointement avec les procès, elles peuvent alimenter des mémoires collectives qui délégitimeront la violence de masse et feront entrer les responsables de crimes de masse dans la mémoire collective en tant que criminels.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/197451/original/file-20171203-5416-cd2l2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/197451/original/file-20171203-5416-cd2l2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=279&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/197451/original/file-20171203-5416-cd2l2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=279&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/197451/original/file-20171203-5416-cd2l2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=279&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/197451/original/file-20171203-5416-cd2l2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=350&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/197451/original/file-20171203-5416-cd2l2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=350&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/197451/original/file-20171203-5416-cd2l2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=350&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Traduction et collaboration éditoriale : Aurélie Louchart pour RFIEA.</em></p>
<p><em>Cet article a d’abord été publié sur le journal de RFIEA, <a href="http://fellows.rfiea.fr/dossier/la-memoire-collective-moteur-de-l-avenir-des-societes/article/hier-heros-aujourd-hui">Fellows n°50</a>. Le réseau des quatre instituts d’études avancées a accueilli plus de 500 chercheurs du monde entier depuis 2007. Découvrez leurs productions sur le site <a href="http://fellows.rfiea.fr/">Fellows</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/111293/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joachim Savelsberg a reçu des financements de National Science Foundation (USA). Il est membre d' associations professionnelles dans les sciences sociales en Allemagne et aux États-Unis. Il est professeur de sociologie et de droit à l'University of Minnesota et le Arsham and Charlotte Ohanessian Chair au sein de cette université. Il est aussi un résident de l'Institut d'Études Avancées de Paris.</span></em></p>Au cours du XXᵉ siècle, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, des institutions ont permis de changer l’image des autocrates, longtemps perçus comme des héros.Joachim Savelsberg, Professeur de sociologie, Université du Minessota, Institut d'études avancées de Paris (IEA) – RFIEALicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1045742018-10-18T21:46:48Z2018-10-18T21:46:48ZTuer ou ne pas tuer : le dilemme moral ignoré par les robots tueurs<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/240844/original/file-20181016-165905-1u79lio.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C0%2C4565%2C2596&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dépourvus de conscience, les robots tueurs pourraient, demain, ne pas être jugés pour leurs actes.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><blockquote>
<p>« Si des humains peuvent parfois se montrer inhumains, pourquoi des non-humains ne pourraient-ils pas se faire plus humains qu’eux, c’est-à-dire mieux se conformer aux principes normatifs définissant le fait de se conduire “humainement” ? » (<a href="http://lafabrique.fr/theorie-du-drone/">Grégoire Chamayou</a>)</p>
</blockquote>
<p>Les robots létaux autonomes suscitent une forte inquiétude auprès du grand public. Cette dernière est alimentée par des mouvements qui militent pour l’interdiction de tels systèmes d’armements. Récemment, le <a href="https://futureoflife.org/">Future of Life Institute</a> a ainsi diffusé un petit film, très inquiétant, où l’on voit des mini drones équipés de systèmes de reconnaissance faciale se poser sur des têtes humaines afin d’y faire exploser leur charge creuse. Heureusement, il ne s’agit là que d’une fiction.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/HipTO_7mUOw?wmode=transparent&start=3" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Le robot tueur est par essence beaucoup plus qu’une arme, puisqu’il est apte à <em>choisir</em> et <em>décider</em> de lui même de tirer sur une cible ennemie. Étant dépourvus de conscience, les robots tueurs ne peuvent être tenus pour responsables de leurs actes. Ils ne peuvent donc être jugés, ils doivent répondre à d’autres modes de régulation. L’autonomie des robots tueurs permet non seulement de transformer la conduite des opérations militaires, mais également le paradigme même de la guerre. Les conséquences sociales, voire morales de l’usage des robots tueurs sont donc loin d’être négligeables.</p>
<p>Ces questions doivent être mises en perspective <a href="https://www.initiales.org/livre/14178904-robots-tueurs-la-guerre-deshumanisee-les-rob--martel-eric-favre">dans le cadre d’un processus global d’automatisation de la guerre</a>. Nous allons nous intéresser ici à un aspect crucial de l’arrivée des robots létaux autonomes : leur capacité à décider de leur propre chef de tirer et donc tuer des combattants ennemis.</p>
<h2>La guerre : une activité très humaine</h2>
<p>La guerre est essentiellement une activité régie par des règles et des conventions humaines résultant de normes culturelles et religieuses. Mais elle a également sa propre logique qui défie les conventions. Pour le grand <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-De_la_guerre-2000-1-1-0-1.html">théoricien militaire Clausewitz</a>, elle est « un acte de violence […] qui théoriquement n’a pas de limite ». Ce que les <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/Guerres-justes-et-injustes">propos d’Eisenhower tendraient à confirmer</a> :</p>
<blockquote>
<p>« En ayant recours à la force, on ne savait pas où on allait […] Plus on s’enfonçait profondément dans le conflit, moins il y avait de limites […] sauf celles de la force elle-même. »</p>
</blockquote>
<p>Pour résumer, l’on pourrait affirmer comme le général Sherman durant la Guerre de Sécession, avant de faire évacuer puis brûler la ville d’Atlanta, que <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/Guerres-justes-et-injustes">« la guerre est l’enfer »</a>.</p>
<p>Néanmoins, ces tendances sont contenues, et de façon paradoxale, par les militaires eux-mêmes qui, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Michael_Walzer">selon le philosophe Michael Walzer</a>, sont désireux de distinguer « la tâche à laquelle ils consacrent leur vie d’une boucherie pure et simple » par le respect des conventions de la guerre.</p>
<h2>Les conventions de la guerre</h2>
<p>Les conventions de Genève couvrent deux aspects : le <em>jus ad bellum</em>, droit de déclencher et faire la guerre, et le <em>jus in bello</em>, droit dans la guerre, qui nous concerne particulièrement.</p>
<p>Ce dernier part d’un axiome fondateur : la distinction entre les combattants et les civils. Les premiers ont le droit de tuer en vertu du fait qu’ils peuvent eux-mêmes être tués ; les seconds doivent en être préservés. De cette distinction fondamentale découle quatre grands principes :</p>
<ul>
<li><p>humanité ;</p></li>
<li><p>nécessité militaire ;</p></li>
<li><p>proportionnalité ;</p></li>
<li><p>discrimination.</p></li>
</ul>
<p>Deux principes nous intéressent particulièrement. Le premier, le principe de <em>proportionnalité</em> prescrit que s’il est admissible que des civils soient tués afin de détruire des objectifs ennemis d’importance, cela doit être fait dans une juste mesure.</p>
<p>Selon le journaliste Andrew Cockburn, l’armée américaine considérerait aujourd’hui en Afghanistan <a href="https://us.macmillan.com/books/9781250081636">qu’un ratio de 30 civils tués</a> pour chaque chef taliban abattu serait acceptable.</p>
<p>Le second, le principe de <em>discrimination</em> stipule qu’il faut veiller à clairement différencier les civils des combattants militaires.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/PpZOko43920?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le respect de ces deux principes dépend fortement de l’intensité du conflit en cours. Ainsi au Vietnam, les commandants, déstabilisés par un ennemi fuyant, ordonnaient systématiquement le bombardement des villages d’où quelques coups de feu étaient tirés.</p>
<h2>L’opposition aux robots tueurs</h2>
<p>Elle se joue principalement sur les deux critères vus précédemment. En ce qui concerne le <em>facteur de discrimination</em>, l’on ne peut nier qu’il représente un point faible de ces machines : comment différencier, en effet, un soldat qui se rend d’un soldat en armes, ou d’un soldat blessé ?</p>
<p>Si, actuellement, les techniques de reconnaissance de forme sont aptes à distinguer des uniformes, elles font néanmoins, comme l’affirme le roboticien Noel Sharkey, <a href="https://www.paxforpeace.nl/media/files/deadlydecisionsweb.pdf">des confusions grossières</a>. Par contre, il est très difficile pour un robot d’identifier un soldat blessé, voire un soldat déposant les armes.</p>
<p>À cela s’ajoute le critère de <em>proportionnalité</em> : une machine peut-elle décider d’elle-même combien de civils pourraient être tués afin de détruire sa cible ?</p>
<p>Pour renforcer ces deux grands arguments, les opposants aux robots tueurs posent un principe d’<em>humanité</em>. Ils partent du principe que les humains ne sont pas rationnels puisqu’ils ont des émotions et se fient à leur intuition. Dans leur majorité, ils manifestent une certaine répulsion à l’idée de tuer leur prochain. C’est ainsi que des études effectuées après la Seconde Guerre mondiale ont montré qu’en moyenne <a href="https://www.crcpress.com/Governing-Lethal-Behavior-in-Autonomous-Robots/Arkin/p/book/9781420085945">seuls 18,75 % des soldats américains</a> placés en situation d’engagement avaient usé de leur arme.</p>
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<p>Cette très vive opposition embarrasse les militaires et explique leurs hésitations quant à l’usage de ces armes. Mais nombreux sont ceux qui, au sein de l’institution, pensent que des puissances comme la Chine ou la Russie n’auront certainement pas ces appréhensions morales et n’hésiteront pas à développer à l’avenir ce type d’armements.</p>
<p>L’arrivée des robots tueurs serait donc inéluctable et mériterait d’être anticipée.</p>
<h2>Qui est responsable ?</h2>
<p>En vertu de ce principe Ronald C. Arkin, un roboticien, propose de concevoir des machines agissant de façon plus éthique que ces sujets imparfaits que sont les combattants humains. Il considère que <a href="https://www.crcpress.com/Governing-Lethal-Behavior-in-Autonomous-Robots/Arkin/p/book/9781420085945">« confrontés à l’horreur du champ de bataille »</a>, les soldats voient leur capacité de jugement brouillée par les émotions et le stress du combat. Ils auraient donc tendance à commettre des atrocités. Les robots létaux autonomes seraient donc la solution permettant de garantir le respect des lois de la guerre.</p>
<p>Pour Grégoire Chamayou, le problème se situe à un autre niveau. Jusqu’à présent l’arme qui est une chose et le combattant qui est une personne, donc juridiquement responsable, ont toujours été séparés. Le robot létal autonome est lui un ensemble dans lequel l’arme et le combattant sont confondus : agent et instruments sont liés écartant toute possibilité de responsabilité juridique. Comment juger une machine ? Il voit ainsi une chose qui se met à faire usage d’elle-même.</p>
<p>La possibilité d’accorder le droit de tuer à des machines ne serait pas sans conséquence. Si l’on prend en compte qu’à la guerre, le droit de tuer est habituellement réservé aux combattants en vertu du fait qu’ils peuvent eux-mêmes être tués, considérer qu’ils peuvent être éliminés par une machine <a href="http://lafabrique.fr/theorie-du-drone/">« équivaudrait à mettre l’homicide sur le même plan que la destruction d’une pure chose matérielle »</a>.</p>
<p>Cette question n’est pas que militaire. Elle aura forcément des répercussions dans l’usage d’autres systèmes automatiques tels que les voitures autonomes. On le voit déjà avec les répercussions d’accidents mortels ayant impliqué ce type de véhicules : qui est responsable ?</p>
<hr>
<p><em>L’auteur publie le 18 octobre <a href="https://www.initiales.org/livre/14178904-robots-tueurs-la-guerre-deshumanisee-les-rob--martel-eric-favre">« Robots tueurs. La guerre déshumanisée, les robots et drones autonomes visent zéro mort »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104574/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric Martel-Porchier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’autonomie des robots tueurs permet non seulement de transformer la conduite des opérations militaires, mais également le paradigme même de la guerre.Eric Martel-Porchier, Docteur en Sciences de Gestion/Chercheur associé au LIRSA, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/987482018-06-28T21:57:40Z2018-06-28T21:57:40ZL’art de la résistance : entretien avec James C. Scott<p>Comment résister à l’État lorsqu’il compromet nos libertés ? Comment faire entendre sa voix quand on est réduit au silence ? L’anarchie est-elle une vaine utopie comme la qualifient souvent ses détracteurs ?</p>
<p>Voici seulement quelques-unes des questions posées au politologue, anthropologue et penseur anarchiste James C. Scott (Université de Yale).</p>
<p>Durant un entretien exclusif avec les professeurs Benjamin Ferron, Claire Oger et leurs étudiants de Master 2 « Communication politique et publique en France et en Europe » (UPEC, UFR LLSH), James Scott a débattu des stratégies de résistance politique de ceux que l’on nomme, à tort, les « sans-voix ». Des tribus montagnardes de l’Asie du Sud-est aux serfs français en passant par les anciens esclaves marrons du Grand Marais Lugubre de Caroline du Nord, Scott brosse une vaste histoire des résistances face aux tendances autoritaires ou plus couramment à l’emprise des États. Extraits édités pour The Conversation France.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/CxYcDzar-IM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Entretien avec James C. Scott, Benjamin Ferron (UPEC) et Clea Chakraverty (The Conversation Frane).</span></figcaption>
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<h2>Organisation et anarchisme</h2>
<p><strong>Q</strong> : En 2012 vous avez écrit un ouvrage intitulé <a href="http://www.luxediteur.com/catalogue/petit-eloge-de-lanarchisme"><em>Petit éloge de l’anarchisme</em></a> expliquant que votre conversion à l’anarchisme résultait d’une déception vis-à-vis de l’idée de changement révolutionnaire. L’anarchisme, expliquez-vous, est avant tout une pratique mêlant un intérêt pour le débat politique contradictoire, un principe d’incertitude et la soif de connaissance.</p>
<p>Comment articulez-vous vos analyses portant sur les pratiques discrètes de résistance « infrapolitique », souvent de nature individuelle et aux effets de long terme, avec les logiques de l’action politique, davantage collective et de court terme ?</p>
<blockquote>
<p>« La diversité des motivations et des formes d’organisation rend les gens plus difficilement contrôlables. »</p>
</blockquote>
<p><strong>James Scott</strong> : Je pense que la plupart des révolutions réussies ont d’abord été liées au rassemblement de personnalités dont les objectifs étaient très différents. L’analyse omet souvent les biais inconscients des événements. C’est seulement après coup, lorsqu’émerge un conquérant ou un vainqueur que l’histoire est réécrite en présentant un mouvement centralisé et bien plus organisé qu’il ne l’était.</p>
<p>Or, cette diversité des motivations et des formes d’organisation rend les gens plus difficilement contrôlables. Je l’ai observé à de nombreuses reprises en <a href="http://www.laviedesidees.fr/Zomia-la-ou-l-Etat-n-est-pas.html">Asie du Sud-est</a>. Il n’y a pas de chef avec qui il faut négocier. Un autre exemple nous vient de <a href="https://libcom.org/history/1903-1981-anarchism-in-poland">Pologne</a>. Le mouvement anarchiste a été très fort, du fait qu’il n’existait pas de centralisation. Certes, au début les gens ont mis du temps à se mobiliser. Mais ensuite, ils sont restés solidaires et présents. Cette particularité propre aux mouvements anarchistes à l’échelle globale est à la fois leur point fort et leur point faible.</p>
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<span class="caption">Le mouvement global Anonymous illustre une forme de protestation anarchiste où il n’y a pas de chef avec qui négocier ou qui puisse être contrôlé.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://4.bp.blogspot.com/-qxqVTMWrBtA/UI_0YC7quLI/AAAAAAAACeE/zIxcVAfajpU/s1600/anonymous1.jpg">jinezpravy.blogspot</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><strong>Q</strong> : Votre travail fait aujourd’hui écho à de très nombreux mouvements de résistance contemporains, remettant en cause à la fois l’autorité de l’État mais aussi le modèle capitaliste et l’homogénéisation des cultures. On pense à Occupy Wall Street, <a href="https://theconversation.com/are-frances-nuitdebout-protests-the-start-of-a-new-political-movement-57706">Nuit debout</a> ou les ZAD en France. Comment les analysez-vous ?</p>
<p><strong>J.S. :</strong> Je commencerais par réfléchir à la façon dont des mouvements sociaux similaires ont existé. Revenons en arrière. Je suis un soixante-huitard fortement influencé par la guerre du Vietnam. Et mon travail en <a href="https://yalebooks.yale.edu/book/9780300021905/moral-economy-peasant">Malaisie</a> m’a amené à m’interroger sur le monde paysan, auquel j’ai finalement dédié toute ma vie.</p>
<p>La classe paysanne est la plus importante au monde, non seulement en termes démographiques mais aussi <a href="https://yalebooks.yale.edu/book/9780300182910/against-grain">historiques</a>. Que veut dire le « développement » ? Si ce terme signifie quelque chose alors il doit d’abord faire sens pour le monde paysan, sinon, au diable le développement !</p>
<p>En étudiant les paysans et <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt1nq836">leurs formes de résistance</a> j’ai appris que les mouvements révolutionnaires centralisés finissent toujours à un moment ou à un autre par remplacer l’État ou l’autorité qu’ils ont pour but de combattre. Or, si la révolution devient l’État, elle devient mon ennemie.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/223580/original/file-20180618-85845-5blwy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/223580/original/file-20180618-85845-5blwy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/223580/original/file-20180618-85845-5blwy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/223580/original/file-20180618-85845-5blwy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/223580/original/file-20180618-85845-5blwy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/223580/original/file-20180618-85845-5blwy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/223580/original/file-20180618-85845-5blwy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">James Scott : « L’anarchisme est avant tout une pratique mêlant un intérêt pour le débat politique contradictoire, un principe d’incertitude et la soif de connaissance ».</span>
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<p>C’est pour cela qu’il faut observer les méthodes par lesquelles les mouvements d’opposition prennent le pouvoir : comment ces mouvements s’organisent-ils ? Comment se développent-ils ? Comment les élites se comportent-elles ? Je suis contre les mouvements dits de résistance qui reproduisent un schéma hiérarchique car quelque part, ils ne font que reproduire les organisations étatiques en place.</p>
<h2>Les arts secrets de la résistance</h2>
<p><strong>Q</strong> : Vous utilisez dans un <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2012-1-page-112.htm">article publié en 2012</a> des exemples historiques, et plus particulièrement un cas précis d’exhumation des corps durant la guerre civile espagnole pour montrer que les modes de résistances ne sont pas toujours frontaux, ce que vous appelez l’infrapolitique. Mais n’est-ce pas un acte politique public ?</p>
<p><strong>J.S. :</strong> J’ai en effet utilisé l’exemple de l’exhumation de corps de membres du clergé durant la guerre civile de 1936 en Espagne afin de montrer qu’il s’agissait là d’un acte symbolique très puissant, public et éminemment politique. Ce n’est pas un acte caché. L’acte infrapolitique est celui qui ne peut être révélé, souvent parce que les acteurs sont soumis à des régimes autoritaires où leurs agissements peuvent avoir des conséquences fatales pour eux ou leurs familles. Prenons la désertion et la mutinerie. La mutinerie est un acte politique, public. Mais la désertion peut être un acte politique tout aussi efficace, sans pour autant apparaître en tant que tel.</p>
<p>En France, Emmanuel Le Roy Ladurie et d’autres ont montré que la résistance des paysans <a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1974_num_29_1_293451">au cours du XVIIIᵉ siècle</a> et dont je traite dans <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&amp;lr=&amp;id=0GJnasTiZlwC&amp;oi=fnd&amp;pg=PP2&amp;dq=Decoding+Subaltern+Politics:+Ideology,+Disguise,+and+Resistance+in+Agrarian&amp;ots=H4iy3jBfVq&amp;sig=9hSzRVNu_qx7JjgmFrrIDl4E1tQ"><em>Decoding Subaltern Politics : Ideology, Disguise and Resistance in Agrarian Politics</em></a>, passe par des tactiques assez similaires.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/223560/original/file-20180618-85863-1r3cs25.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/223560/original/file-20180618-85863-1r3cs25.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=416&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/223560/original/file-20180618-85863-1r3cs25.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=416&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/223560/original/file-20180618-85863-1r3cs25.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=416&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/223560/original/file-20180618-85863-1r3cs25.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/223560/original/file-20180618-85863-1r3cs25.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/223560/original/file-20180618-85863-1r3cs25.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Abbaye d’Ardenne, France. Grenier à dîme, May 2008.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Ardenne-grange.jpg?uselang=fr">Laurent Hosansky Goéland/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En plus des émeutes ou manifestations classiques, ils ont ainsi développé un nombre considérable de stratégies afin d’éviter la dîme comme cacher le grain, tromper le collecteur quant aux chiffres de la récolte, etc. J’ai vu la même chose se passer en Malaisie dans les années 1970, où les villageois, refusant de payer un tribut qu’ils estimaient inique, s’organisaient pour payer avec le plus mauvais des riz récoltés !</p>
<p><strong>Q</strong> : Les actes illégaux sont-ils infrapolitiques ?</p>
<p><strong>J.S. :</strong> Si vous étiez ne serait-ce qu’un quart anarchiste vous n’utiliseriez même pas ce terme d’illégal ! Blague à part, l’illégalité doit être constamment questionnée et remise dans son contexte. Pensez aux lois juives ou à l’apartheid !</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/223561/original/file-20180618-85825-1tm1m9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/223561/original/file-20180618-85825-1tm1m9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/223561/original/file-20180618-85825-1tm1m9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/223561/original/file-20180618-85825-1tm1m9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/223561/original/file-20180618-85825-1tm1m9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/223561/original/file-20180618-85825-1tm1m9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/223561/original/file-20180618-85825-1tm1m9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">F*ck the red hand, cross the street. (Au diable la main rouge, traversez la rue !)*.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/walkingsf/9277224959/">Eric Fischer/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’absurdité de la légalité peut parfois prendre des formes triviales. En Allemagne où j’ai travaillé un temps dans une ferme, je prenais le train toujours au même endroit : près d’un feu rouge. Le soir il n’y avait strictement personne, aucune voiture à l’horizon sur des kilomètres. Pourtant les gens attendaient sept minutes que le feu passe au vert. Et si je ne faisais pas comme eux, ils me rappelaient à l’ordre.</p>
<p>C’est une anecdote mais elle révèle bien que, si toutes les lois ne sont pas aussi triviales, beaucoup renforcent et concentrent les structures du pouvoir qui permettent de contrôler les individus, et que ces lois, souvent illégitimes, doivent être remises en cause.</p>
<p>De la même façon, les outils illégaux ne sont pas en soi des outils infrapolitiques. Prenons l’exemple du <em>dark web</em>, cité par certains comme militant car garant d’anonymat. Si son usage se cantonne à envoyer des messages de haines, ou permettre à des individus de se venger, en dehors de toute action collective entreprise dans le but de défendre un groupe opprimé, alors il n’y a pas d’acte politique, juste un acte de malveillance.</p>
<h2>Le rôle des médias</h2>
<p><strong>Q :</strong> De nombreux acteurs sociaux, y compris révolutionnaires, s’appuient désormais sur les nouveaux médias, attirent une audience différente de leur base, dans une tendance que certains interprètent comme une forme de <a href="https://www.palgrave.com/us/book/9783319726366">communication politique propre au capitalisme</a>. Se rebeller doit désormais passer par une étape <a href="http://www.cambridge.org/us/academic/subjects/politics-international-relations/comparative-politics/marketing-rebellion-insurgents-media-and-international-activism?format=HB&amp;isbn=9780521845700">« marketing »</a>. En quoi cela a-t-il changé la façon dont les résistances « cachées » s’organisent ?</p>
<p><strong>J.S</strong> : Je ne suis pas un spécialiste des nouveaux médias ou des réseaux sociaux mais avec la distance je dirais que ces formes de communication ont surtout accéléré le volume d’informations disponibles, les rumeurs et leurs sources. Or la vraie question est de savoir de quelle manière ces circulations répondent finalement à une attente des usagers ?</p>
<p>Martin Luther King Jr. a par exemple changé son discours d’années en années afin de répondre aux attentes de ses paroissiens. Dans une certaine mesure, ce sont eux qui ont donné forme à sa pensée aussi, qui l’ont nourrie. La parole des sans-voix est amplifiée lorsqu’elle fait écho aux attentes de son audience. Cette dernière donne corps au message au moins autant que celui le porte.</p>
<blockquote>
<p>« La parole des sans-voix est amplifiée lorsqu’elle fait écho aux attentes de son audience. »</p>
</blockquote>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/6Fs8vSsJg-A?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Martin Luther King Jr., discours « aimer tes ennemis » (<em>loving your enemies</em>), 1957, Alabama.</span></figcaption>
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<p><strong>Q :</strong> Une jeune femme a récemment été l’objet de nombreuses critiques en France en raison du voile qu’elle porte alors qu’elle est représentante d’un syndicat étudiant. Comment interprétez-vous ce type de réaction, et selon vous, le port du voile peut-il être une forme de résistance, d’acte infrapolitique ?</p>
<p><strong>J.S. :</strong> En tant que praticien des sciences sociales, je ne suis pas intéressé par le fait qu’elle porte un voile. Ce qui m’intéresse en revanche c’est de savoir si elle le fait avec une certaine intention ou revendication, mais là réside le problème : on ne peut jamais savoir ce qui se trame dans la tête d’un individu, ni lui prêter des intentions. En sciences sociales, ce qui importe c’est de comprendre l’impact social d’un acte individuel. Comment les autres (musulmans ou non) ont-ils réagi ? Et pourquoi ? C’est un problème public. Or, ce qui est intéressant ici, est le fait que même si elle porte un voile parce qu’elle a froid à la tête, et que le monde l’interprète comme une manifestation politique, alors cela <em>devient</em> une manifestation politique.</p>
<h2>Au-delà de l’État</h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/223587/original/file-20180618-85830-1h88yy4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/223587/original/file-20180618-85830-1h88yy4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/223587/original/file-20180618-85830-1h88yy4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/223587/original/file-20180618-85830-1h88yy4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/223587/original/file-20180618-85830-1h88yy4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/223587/original/file-20180618-85830-1h88yy4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/223587/original/file-20180618-85830-1h88yy4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vue sur la rivière Yamne, Arunachal Pradesh, nord-est indien, une région que Scott englobe dans la Zomia.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://cleaswords.wordpress.com/category/recherches-ethnographiques/#jp-carousel-110">Clea Chakraverty</a></span>
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<p><strong>Q</strong> : Vous avez beaucoup écrit sur l’Asie du Sud-est et vous vous tournez aujourd’hui vers le Myanmar. Pouvez-vous nous en dire plus ? ?</p>
<p><strong>J.S. :</strong> Je m’intéresse désormais au fleuve Irrawady. Les derniers développements socio-économiques dans la région en disent long sur la façon dont l’humain s’approprie les phénomènes naturels et les transgressent.</p>
<p>L’Irrawady est considérée comme la voie royale pour comprendre la culture birmane. En aval comme en amont, les habitants partagent la même langue, les mêmes pratiques culturelles. Mais si vous faites une vingtaine de kilomètres vers les montagnes, tout change.</p>
<p>C’est ce phénomène qui m’intéresse : ce qu’a déjà montré Fernand Braudel avec la <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/champs-histoire/la-mediterranee">Méditerranée</a>. Les cultures se forgent grâce à l’eau. Les cartes terrestres n’ont qu’un rôle limité et c’est bien pour cela que les anciens états se construisaient près de sources d’eau qui leur permettaient de se développer mais aussi d’échapper aux autres systèmes étatiques.</p>
<p><strong>Q</strong> : Vous avez d’ailleurs évoqué ce point avec <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/lessai-et-la-revue-du-jour-14-15/zomia-ou-lart-de-ne-pas-etre-gouverne-revue-socio"><em>Zomia</em></a> en revenant sur les pirates échappant à l’état. Où en êtes-vous de cette réflexion désormais ?</p>
<p><strong>J.S. :</strong> Si j’avais une autre vie, je travaillerais sur la « Zomia humide » ! Les marais, les étendues d’eau, les mangroves sont de formidables cachettes et poches de libertés.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/223565/original/file-20180618-85845-198bm7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/223565/original/file-20180618-85845-198bm7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/223565/original/file-20180618-85845-198bm7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=731&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/223565/original/file-20180618-85845-198bm7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=731&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/223565/original/file-20180618-85845-198bm7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=731&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/223565/original/file-20180618-85845-198bm7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=919&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/223565/original/file-20180618-85845-198bm7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=919&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/223565/original/file-20180618-85845-198bm7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=919&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Peinture de David Edward Cronin montrant des ex-esclaves, « Marrons » dans le Grand Marais Lugubre, 1888.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Great_Dismal_Swamp_maroons#/media/File:Great_Dismal_Swamp-Fugitive_Slaves.jpg">David Edward Cronin/Wikimedia</a></span>
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<p>Le <a href="http://upf.com/book.asp?id=SAYER001%20?">Grand Marais Lugubre</a> à la frontière de la Caroline de l’ouest et du nord de la Virginie, aux États-Unis, a été pendant des années une cachette idéale pour les esclaves marrons n’ayant pas pu rejoindre le Canada. 7000 d’entre eux ont vécu là, et certains sont nés sans avoir jamais vu d’hommes blancs ! Ils pouvaient chasser, cueillir des fruits et même récolter quelques denrées comme le maïs.</p>
<p>De même dans les eaux malaisiennes, les Orang Laut, nomades de la mer, ont longtemps sillonné les eaux pour se soustraire aux sultans malais, à qui ils vendaient parfois leurs services, comme les corsaires, mais à qui ils refusaient de payer l’impôt.</p>
<p>Les océans, comme les montagnes sont des espaces ouverts qui empêchent l’état de contrôler, taxer et enfermer les populations. Ce sont encore des espaces garants de liberté.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/223579/original/file-20180618-85834-1i6ri4p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/223579/original/file-20180618-85834-1i6ri4p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=293&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/223579/original/file-20180618-85834-1i6ri4p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=293&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/223579/original/file-20180618-85834-1i6ri4p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=293&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/223579/original/file-20180618-85834-1i6ri4p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=369&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/223579/original/file-20180618-85834-1i6ri4p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=369&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/223579/original/file-20180618-85834-1i6ri4p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=369&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>James Scott était l’invité du Centre d’études des discours, textes, écrits et communications (Céditec) le 22 mai 2018 et sa conférence a constitué un préalable au colloque <a href="https://sansvoix.sciencesconf.org/">« Donner la parole aux “sans-voix” ? Acteurs, dispositifs et discours »</a> [Sans Voix] organisé par le même laboratoire et la Faculté des Lettres, Langues et Sciences humaines les 21 et 22 juin 2018. Clea Chakraverty a contribué à l’entretien.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/98748/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Quelles sont les autres formes de résistance que la confrontation frontale? Entretien avec James Scott, penseur «anarchiste», berger et anthropologue.Benjamin Ferron, Maître de conférences, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Claire Oger, Professeure en sciences de l’information et de la communication, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)James C. Scott, Anthropologist, Sterling Prof Political Science; Acting Dir Agrarian Studies, Yale UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/911992018-02-05T18:43:56Z2018-02-05T18:43:56Z« Pentagon Papers » ou quand les journalistes se font lanceurs d’alerte<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/204825/original/file-20180205-19918-bw7lw3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Publier ou ne pas publier ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.allocine.fr/film/fichefilm-254356/photos/detail/?cmediafile=21458189">Allociné </a></span></figcaption></figure><p>En 1971, les États-Unis d’Amérique sont enlisés depuis de nombreuses années dans la guerre du Viêt Nam. Combien d’années, en fait ? Délicat de le dire. En 1998, un soldat américain mort en 1956 – <a href="http://www.vvmf.org/Wall-of-Faces/200003/RICHARD-B-FITZGIBBON-JR">Richard B. Fitzgibbon</a> – fut ajouté au <em>Vietnam Vétéran Mémorial Fund</em> à l’occasion d’un communiqué du gouvernement qui statuait également que certains « conseillers militaires » morts à partir du 1<sup>er</sup> novembre 1955 devaient être considérés comme tombés durant la guerre du <a href="http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http%3A%2F%2Fwww.defense.gov%2Freleases%2Frelease.aspx%3Freleaseid%3D1902">Viêt Nam</a>.</p>
<p>La guerre du Vietnam a donc officiellement débuté en 1955 pour s’achever en 1975 par la chute de Saïgon. Mais les premiers rapports et autres études rédigés par les militaires et experts américains ont été réalisés avant la guerre indochinoise française (1946-1954). Ainsi lorsque des journalistes sont contactés en 1971 par <a href="http://www.ellsberg.net">Daniel Ellsberg</a>, un vétéran américain, on compte des milliers de pages rassemblées au fil des années par Le Pentagone. La diffusion de <a href="https://www.mtholyoke.edu/acad/intrel/pentagon/pent1.html">7 000 pages « secret défense »</a> au grand public, les <em>Pentagon Papers</em>, va amener l’opinion publique américaine à rejeter cette guerre en même temps que consolider le rôle de la presse américaine comme quatrième pilier de la démocratie.</p>
<p>Le film éponyme de Spielberg, <a href="http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=254356.html"><em>The Pentagon Papers</em></a>, présente avec force et maestria le combat de certains journalistes qui relayèrent le lanceur d’alerte D. Ellsberg. Ce faisant, ils devinrent à leur tour, au nom de leur journal, des lanceurs d’alerte auprès de la société civile américaine et internationale. Ils furent alors confrontés à deux paradoxes, reflets des intérêts divergents de deux légitimités : la leur et celle de l’institution qu’ils dérangaient en alertant !</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ZwYOVGYq9Zg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Le paradoxe moral pour l’individu</h2>
<p>Avant d’alerter ou de signaler un fait immoral ou illégal, chaque individu se pose la question de la révélation mettant en cause une personne physique ou morale. Au-delà du sujet et de l’objet même de l’alerte, le poids de la société et de l’Histoire peut faire obstacle à la révélation ou à la divulgation d’informations. Un dilemme moral se pose alors à l’individu qui hésite entre parler ou se taire. Il hésite entre, d’un côté, briser le silence au nom de la vérité et, de l’autre, rester dévoué à une entité, ici le gouvernement américain, alors leader du monde libre (nous sommes en pleine guerre froide).</p>
<p>Bien que certains le considèrent comme l’individu qui en sait <a href="https://www.amazon.fr/femme-qui-savait-vraiment-trop/dp/2749135087">« vraiment trop »</a>, ou simplement l’ennemi de l’intérieur, le lanceur d’alerte est celui dont la loyauté à ses valeurs (« sa colonne vertébrale éthique »](http://www.management-aims.com/archives.php?v=16&y=2013)), le pousse à œuvrer, non pour son seul intérêt, mais pour celui de la société civile. C’est pourtant de <a href="https://theconversation.com/lanceur-dalerte-et-loyaute-vis-a-vis-de-lemployeur-66849">déloyauté</a> qu’il est accusé de prime abord et aux yeux de tous. Sa bonne foi, comme ses compétences, sont continuellement mises en doute.</p>
<p>Les intérêts divergents de deux légitimités s’entrechoquent alors : la raison d’État vs les valeurs individuelles ; l’éthique étatique vs l’éthique individuelle. Une contradiction évidente surgit entre l’intérêt personnel qui est de servir ses valeurs au péril de sa vie (ou de sa <a href="https://theconversation.com/il-faut-proteger-les-lanceurs-dalerte-47950">carrière</a>) et celui de l’État tout puissant, qui doit, au nom de sa « raison », protéger la société civile de la vérité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/204842/original/file-20180205-19952-1wrilg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/204842/original/file-20180205-19952-1wrilg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/204842/original/file-20180205-19952-1wrilg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/204842/original/file-20180205-19952-1wrilg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/204842/original/file-20180205-19952-1wrilg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/204842/original/file-20180205-19952-1wrilg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/204842/original/file-20180205-19952-1wrilg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La rédaction du <em>Washington Post</em> attend la décision de la Cour Suprême.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.allocine.fr/film/fichefilm-254356/photos/detail/?cmediafile=21458189">Allociné</a></span>
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<h2>Le paradoxe moral pour l’État</h2>
<p>À ce premier paradoxe moral pour le lanceur d’alerte vient s’ajouter celui que vivent les dirigeants de l’État lui-même : pourquoi protéger des journalistes qui, par leur alerte, viennent mettre à mal sinon la pérennité, en tout cas la réputation, de toutes les administrations qui se sont succédé depuis près de 20 ans en mettant en œuvre une <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2007-3-p-95.htm"><em>realpolitik</em></a> au profit des citoyens américains ?</p>
<p>Ainsi, aux côtés d’un paradoxe moral individuel, il existe un paradoxe moral pour l’État. Ce dernier se trouve en forte tension entre, d’un côté, la défense légitime de ses intérêts (faire taire les journalistes) et, de l’autre, la promotion des valeurs qui le fondent (liberté de la presse, par exemple).</p>
<p>Des lois ou des valeurs qui favorisent des comportements mettant face à face l’éthique individuelle et l’éthique d’une institution ne peuvent qu’amener une situation paradoxale pour ceux qui sont censés appliquer et faire respecter l’éthique de cette institution. L’État et ses dirigeants sont ainsi mis sous tension : la défense des lois et des valeurs démocratiques nourrit quasiment une injonction paradoxale pour ceux qui ont aussi la charge d’assurer la pérennité de l’État, envers et contre tout.</p>
<h2>Le paradoxe organisationnel ou institutionnel</h2>
<p>Il n’est pas anodin de considérer que le lanceur d’alerte devient un objet de recherche en même temps qu’un héros moderne au moment où la prise d’initiative par les citoyens (au travers des <a href="https://www.law.duke.edu/grouplit/papers/classactionalexander.pdf"><em>class actions</em></a>, par exemple), la délégation de responsabilité à tous les échelons des entreprises, comme la promotion des valeurs éthiques dans toutes les strates de la société ont fini par s’imposer comme un discours général au sein des institutions. Ces dernières décennies, la révolution numérique associée à la volonté de transparence a accéléré le phénomène via l’échange d’informations et l’interaction grandissante de tous les acteurs-citoyens.</p>
<p>Dans un tel contexte, on ne saurait regretter l’influence croissante que tend à prendre la figure du lanceur d’alerte : à quel titre peut-on reprocher à des salariés/citoyens d’exercer leur liberté d’expression appuyée par leur expertise alors qu’ils ont été formés et/ou sont reconnus parce qu’ils incarnent une expertise, laquelle est indispensable au bon exercice de leur fonction ? Voilà un dernier paradoxe que seules les démocraties les plus solides et les plus ambitieuses peuvent dépasser.</p>
<h2><em>Washington Post</em> vs. <em>New York Times</em></h2>
<p>Nous ne reviendrons pas ici sur la <a href="http://www.lemonde.fr/cinema/article/2018/01/23/pentagon-papers-le-new-york-times-rappelle-la-vraie-histoire-de-son-scoop_5245626_3476.html">polémique légitime</a> qu’a fait naître le film de Spielberg. En effet, le scoop des <em>Pentagon Papers</em> est d’abord celui du <em>New York Times</em> qui est d’ailleurs revenu récemment sur l’histoire complexe de cette <a href="https://www.nytimes.com/topic/subject/pentagon-papers">fuite</a>. Ce n’est qu’après que le <em>Washington Post</em> accompagna ces « leaks ».</p>
<p>Mais, au-delà de la vérité chronologique et journalistique, le film est avant tout un grand hommage à ceux qui ont le courage de la vérité et qui mènent le combat de la <em>parrêsia</em>, la parole vraie, comme l’écrivait <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/le-courage-de-la-verite-michel-foucault/9782020658706">Foucault</a>. L’épilogue qui ouvre sur l’immeuble du Watergate est un appel fait à tous les lanceurs d’alerte, passés et présents, journalistes, employés, cadres ou simplement citoyens, de l’Amérique de Nixon… à celle de Trump !</p>
<p><em>Pour de plus amples développements, voir l’article sur le « double paradoxe moral et managérial » des lanceurs d’alerte à paraître en 2018 dans la revue _M@n@gement</em> par les mêmes auteurs_.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/91199/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Tous les lanceurs d’alerte sont confrontés aux intérêts divergents de deux légitimités : la leur et celle de l’institution qu’ils dérangent !Patrice Cailleba, Professeur, ESC PauSandra Charreire Petit, Professeur de management, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/882832017-11-30T21:08:33Z2017-11-30T21:08:33ZLes défis de l’enseignement supérieur au Vietnam<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/196761/original/file-20171128-28899-149hfiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le principal défi du Vietnam demeure son marché du travail saturé face à un accroissement du nombre de jeunes et d'étudiants.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://maxpixel.freegreatpicture.com/Siagon-Chi-Ho-Vietnamese-City-Vietnam-Minh-2463460">Max Piwxel</a></span></figcaption></figure><p>Le Vietnam comme de nombreux autres pays a, en une vingtaine d’années, développé son offre universitaire en raison d’un <a href="https://cres.revues.org/2968">afflux massif d’établissements étrangers et de capitaux privés</a>. Durant l’année académique 2016-2017, notre pays comptait 235 établissements d’enseignement supérieur (170 publics, 60 privés et 5 universités de capitaux étrangers allemands, américains, anglais, japonais ou français). Cette offre a permis de répondre aux besoins variés d’une population de 640 000 jeunes qui souhaitent faire des études supérieures dans un <a href="https://ries.revues.org/4471">contexte</a> où les financements et soutiens de l’état restent limités.</p>
<h2>Chômage et limites financières</h2>
<p>Le premier défi est le <a href="https://www.lecourrier.vn/le-taux-de-chomage-des-jeunes-augmente/370481.html">chômage</a> qui touche environ 200 000 jeunes diplômés parmi les 1,1 million de chômeurs dans tout le pays <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/vietnam/presentation-du-vietnam/">selon les statistiques</a> de 2017 du Ministère du Travail, des Affaires sociales et des Invalides de guerre. L’une des principales raisons réside dans le décalage entre les contenus plutôt théoriques enseignés à l’université et les compétences professionnelles demandées par les entreprises. De plus, les systèmes d’orientations professionnelles des lycées laissent encore à désirer. Les jeunes sont mal orientés et leurs parents persuadés que l’avenir reste dans les métiers permettant de bien gagner leur vie tels que le management, la banque, la finance, la comptabilité, ce qui cause une saturation du marché.</p>
<p>Le deuxième défi concerne l’<a href="https://www.lecourrier.vn/autonomie-de-luniversite-les-chances-de-reussite/181728.html">autonomie de l’université</a> sur presque tous les plans : ouverture de nouvelles formations, ressources humaines, recherche scientifique, coopération internationale, financement et investissement…</p>
<p>Sur le <a href="http://www.veille.univ-ap.info/veille/systeme-academique/">plan financier</a>, les universités autonomes ne reçoivent plus, pour le moment, des financements de l’État pour les salaires du personnel ou le fonctionnement ou les investissements dans les infrastructures. Par contre, ils ont le droit d’augmenter les frais de scolarité selon une feuille de route jusqu’à ce que les recettes couvrent les dépenses de leurs activités.</p>
<p>Pourtant, l’augmentation des frais de scolarité constitue elle-même un défi parce que le PIB par habitant du Vietnam était de <a href="https://www.populationdata.net/pays/viet-nam/">2 200 dollars US par an en 2016</a> et les frais de scolarité varient entre 350 et 800 dollars par an plus les dépenses de logement et de nourriture (environ 800 dollars par an) coûtent une fortune pour plusieurs familles rurales.</p>
<p>Les universités doivent chercher donc un modèle économique qui leur permettrait d’équilibrer la qualité et le prix afin d’attirer les étudiants dans le contexte où le nombre d’étudiants baisse depuis deux ans et que la concurrence entre les universités devient de plus en plus accrue.</p>
<h2>L’assurance qualité pour relever les défis</h2>
<p>Un département d’assurance qualité au sein du Ministère de l’Éducation et de la formation (MEF) <a href="https://ries.revues.org/789?lang=en">a été mis en place en 2003</a>. Plusieurs textes réglementaires en la matière ont aussi été approuvés, parmi lesquels les référentiels qualité des établissements d’enseigement supérieur (10 critères, 61 sous-critères) et des programmes de formation universitaire (11 critères, 50 sous-critères).</p>
<p>Quatre centres vietnamiens d’accréditation de la qualité de l’éducation indépendants du MEF ont été créés afin de réaliser des activités d’évaluation externe et d’accréditation selon les procédures fixées par le MEF. Outre les référentiels vietnamiens, les institutions peuvent choisir les standards européens (ceux de HCERES) ou asiatiques (ceux de l’Asean).</p>
<p>Le soutien du réseau francophone et de l’AUF dans une application de démarche-qualité est donc crucial, d’autant plus que le gouvernement a déclaré que toutes les universités <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01475554/document">devraient être accréditées</a> d’ici à 2020.</p>
<p>Plus concrètement, les universités membres de l’AUF en Asie-Pacifique bénéficient, dans le cadre des projets de démarche qualité, des formations à l’emploi de quatre guides de démarche qualité dans quatre domaines : plan de développement, offre de formation licence et master, formation doctorale, structuration de la recherche. Ces guides, composés des questions ouvertes suggérant des pistes de réflexions et d’actions, visent une amélioration continue de la qualité. L’emploi de ces guides est flexible, prêt à être adapté aux besoins spécifiques des universités tels que le partenariat avec les entreprises pour résoudre le problème du chômage ou l’internationalisation pour l’alignement de l’université sur le niveau régional.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/88283/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nguyen Thi Cuc Phuong est membre du bureau CONFRASIE.</span></em></p>Le Vietnam doit faire face à une hausse accrue de ses étudiants ne trouvant pas suffisamment de débouchés : l’assurance qualité et l’accréditation peuvent aider à relever les défis à venir.Nguyen Thi Cuc Phuong, Vice-rectrice, professeur, département de français, Université de HanoiLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/767532017-06-05T19:11:17Z2017-06-05T19:11:17ZLes vieilles enseignes du Vietnam en voie de disparition<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/171867/original/file-20170601-25684-1u2b7yw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un portrait populaire et artisanal d'Arnold Schwarzenegger, faisant de la publicité pour une salle de musculation située à Hô Chi Minh-Ville ; photographié en 2011.</span> <span class="attribution"><span class="source">C. Nualart</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Depuis le début du XX<sup>e</sup> siècle, le Vietnam a connu d’énormes changements urbains. Saïgon est devenue Hô Chi Minh-Ville et la cité, au passé colonial puis communiste, s’est transformée en une <a href="http://www.humanite.fr/ho-chi-minh-ville-en-plein-doi-moi-573408">métropole dynamique et moderne</a>. Cependant, cette évolution n’a pas fait totalement disparaître les reliques du passé.</p>
<p>Lorsque je travaillais à Saïgon entre 2010 et 2015, j’ai aperçu de rares fois des enseignes de magasins artisanales – vestiges de la culture populaire passée du pays – qui m’ont fascinée.</p>
<h2>Du zinc vintage et un savoureux bol de nouilles</h2>
<p>En 1952, un chariot de restauration rapide s’est mis à vendre des nouilles de riz sur Tran Cao Van, une rue bordée d’arbres qui est devenue un lieu prisé à Saïgon. Pendant plus de trente ans, le propriétaire du chariot a gagné sa vie dans ce coin de rue. Le temps que le Vietnam <a href="https://www.herodote.net/histoire/synthese.php?ID=1750&ID_dossier=34">gagne ses guerres</a>, instaure son indépendance et établisse – dans une certaine mesure – un régime nouveau, le fabricant de nouilles avait quitté son chariot pour un magasin situé à proximité.</p>
<p>Afin que ses clients fidèles puissent le retrouver facilement, le propriétaire donna à son restaurant le nom de la rue sur laquelle il avait toujours travaillé, marquant le lieu par une grande enseigne tridimensionnelle en zinc.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/164646/original/image-20170410-8834-1o22dq3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/164646/original/image-20170410-8834-1o22dq3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/164646/original/image-20170410-8834-1o22dq3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/164646/original/image-20170410-8834-1o22dq3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/164646/original/image-20170410-8834-1o22dq3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/164646/original/image-20170410-8834-1o22dq3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/164646/original/image-20170410-8834-1o22dq3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’enseigne intérieure du restaurant Pho Cao Van, réalisée dans les années 1970 et photographiée en 2015.</span>
<span class="attribution"><span class="source">C. Nualart</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans les années qui suivirent, au fur et à mesure que les Vietnamiens qui avaient fui les conflits revenaient visiter leur pays, la réputation du restaurant prit une dimension internationale grâce à ses bouillons savoureux et à <a href="https://www.tripadvisor.fr/Restaurant_Review-g293925-d11444360-Reviews-Pho_Cao_Van-Ho_Chi_Minh_City.html">ses pho réconfortants</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, c’est Hong, la fille adoptive du propriétaire, âgée de 60 ans, qui dirige le restaurant Pho Cao Van. Elle a pratiquement grandi sur place, dans ce lieu qui n’a pas vraiment changé depuis son ouverture. D’ailleurs, les deux enseignes artisanales, qui datent des années 1970, y sont toujours accrochées, l’une à l’intérieur du restaurant, l’autre sur sa façade.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/164645/original/image-20170410-8876-ird801.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/164645/original/image-20170410-8876-ird801.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/164645/original/image-20170410-8876-ird801.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/164645/original/image-20170410-8876-ird801.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/164645/original/image-20170410-8876-ird801.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=432&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/164645/original/image-20170410-8876-ird801.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=432&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/164645/original/image-20170410-8876-ird801.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=432&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’enseigne originale du restaurant, fabriquée dans les années 1970, se trouve à l’extérieur.</span>
<span class="attribution"><span class="source">C. Nualart</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dehors, à côté du lettrage en 3D soudé à la main, se trouve une enseigne en plastique qui fait la publicité d’une marque de boissons ; selon Hong, cette enseigne a été installée après la <a href="http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/portfolio/2005/04/29/30-avril-1975-le-jour-de-la-chute-de-saigon_644770_3216.html">chute de Saïgon</a>. Craignant les vols et les pillages – la ville n’étant plus sûre –, sa famille a préféré prendre ses précautions en cachant le coûteux lettrage en zinc au sein du magasin, jusqu’à ce que la situation se calme. Ils l’ont ainsi remplacé par l’enseigne en plastique qui est restée là depuis.</p>
<p>Peu après que le lettrage en zinc ait été rangé à l’intérieur, la lampe électrique, qui était située au-dessus de l’entrée de la boutique, a été emportée. De nos jours, au Vietnam, les vieilles enseignes métalliques sont vendues, ce qui explique en partie la rareté des enseignes liées à la période de la guerre.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/164647/original/image-20170410-8861-1pl4us6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/164647/original/image-20170410-8861-1pl4us6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/164647/original/image-20170410-8861-1pl4us6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/164647/original/image-20170410-8861-1pl4us6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/164647/original/image-20170410-8861-1pl4us6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=662&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/164647/original/image-20170410-8861-1pl4us6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=662&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/164647/original/image-20170410-8861-1pl4us6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=662&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Hong, dans le restaurant Pho Cao Van, en 2015.</span>
<span class="attribution"><span class="source">C. Nualart</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>L’horlogerie de Vinh Loi</h2>
<p>À Cholon, le <a href="http://www.cap-vietnam.com/node/33976">quartier chinois d’Hô Chi Minh-Ville</a>, une enseigne en métal doré encore plus ancienne décorait l’entrée de l’horlogerie de Vinh Loi. Aujourd’hui, seuls une silhouette poussiéreuse et quelques trous de perçage noircis sur la devanture rappellent que se trouvaient ici des lettres métalliques, fabriquées vers 1964.</p>
<p>Lorsque je le questionne à propos de ces traces, le propriétaire semble ravi de m’informer que le lettrage a été volé il y a trois ans. Vinh estime que les lettres ont été prises parce qu’elles étaient vieilles et précieuses, ce qui lui paraît être un honneur.</p>
<p>« Technologie de montres et d’horloges », énonce une rangée de caractères chinois dorés, figurants sur le mur du fond de la boutique de Vinh. Ces caractères ont été installés il y a près d’un demi-siècle, en même temps que l’ancien lettrage extérieur. Dans ce quartier, où les <a href="http://paristimes.net/fr_culture/immigr-chinoise-ntheanh.html">colons chinois</a> se sont installés à la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle, les caractères bilingues sont encore assez répandus.</p>
<p>La valeur patrimoniale de ces vieux caractères n’est souvent pas appréciée à sa juste valeur. Le voleur qui a dérobé le lettrage de Vinh a ainsi peu de chance de reconnaître qu’il s’agit en fait d’une antiquité, comme aime à le penser le propriétaire du magasin. Il semble d’ailleurs plus plausible que le lettrage ait été vendu comme ferraille, la couleur bronze de la pièce ayant pu conduire le voleur à espérer en tirer un bon prix.</p>
<figure class="align-center ">
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<figcaption>
<span class="caption">Dans la boutique de Vinh Loi, le lettrage des années 1960, photographié en 2015.</span>
<span class="attribution"><span class="source">C. Nualart</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le culturiste qui peignait</h2>
<p>Une affiche peinte à la main d’une salle de gymnastique publique et qui représentait… Arnold Schwarzenegger en personne a également disparu – elle a été vendue, pas volée. Depuis 1975, l’année marquant la fin de la guerre du Vietnam, Phu Sy Hue, le premier professeur de culturisme de la salle de gym en question, y entraîne des haltérophiles. D’après les souvenirs de Phu, le portrait d’Arnold Schwarzenegger – inspirée d’une représentation connue de l’époque – a été installé sur le bord de la route pour la première fois vers 1980.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/164649/original/image-20170410-8879-1xhiqn0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/164649/original/image-20170410-8879-1xhiqn0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=746&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/164649/original/image-20170410-8879-1xhiqn0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=746&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/164649/original/image-20170410-8879-1xhiqn0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=746&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/164649/original/image-20170410-8879-1xhiqn0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=938&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/164649/original/image-20170410-8879-1xhiqn0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=938&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/164649/original/image-20170410-8879-1xhiqn0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=938&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Phu Sy Hue, culturiste de longue date, en 2015.</span>
<span class="attribution"><span class="source">C. Nualart</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>À cette époque, le Vietnam ne recevait pas de touristes et avait peu de contacts avec le monde au-delà de ses frontières : la représentation de l’ancienne vedette hollywoodienne était donc très exotique. L’enseigne a été peinte pour le club par un de ses membres, Tri, un culturiste pratiquant qui, bien que n’ayant jamais été un dessinateur d’enseigne professionnel, avait étudié la peinture.</p>
<p>Depuis l’avènement de l’impression numérique à la fin des années 1990, la profession est devenue si rare que peu de magasins pourraient commander une telle enseigne.</p>
<p>Au début des années 1990, un touriste américain est passé devant l’enseigne du club de gym et, manifestement impressionné par cette étrange découverte, l’a achetée pour une somme qui, compte tenu de la disparité de revenus entre les deux pays, semblait une bonne affaire pour les deux parties concernées.</p>
<p>Tri a immédiatement commencé à peindre une enseigne de remplacement (cf. image en tête de cet article), qui, du début des années 1990 jusqu’à 2013 environ, a été accrochée à la porte d’entrée du club de gym. L’enseigne a ensuite été enlevée lors de travaux de construction et a été entreposée sur le parking près de la salle de musculation. À nouveau, un étranger disposant d’une monnaie forte l’a aperçue et s’est proposé de l’acheter.</p>
<p>L’intérêt pour ces représentations illustre le pouvoir des célébrités, <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2004-3-page-19.htm">qui font rayonner la culture populaire américaine de par le monde</a>. Depuis la rénovation du club de gym en 2015, une enseigne sans charme, réalisée numériquement, vante désormais les installations de musculation.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/164898/original/image-20170411-26712-bmf50q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/164898/original/image-20170411-26712-bmf50q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=565&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/164898/original/image-20170411-26712-bmf50q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=565&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/164898/original/image-20170411-26712-bmf50q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=565&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/164898/original/image-20170411-26712-bmf50q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=709&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/164898/original/image-20170411-26712-bmf50q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=709&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/164898/original/image-20170411-26712-bmf50q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=709&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’entrée du club de santé possède désormais une enseigne sans charme, réalisée numériquement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">C. Nualart</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Hô Chi Minh-Ville au 21<sup>e</sup> siècle</h2>
<p>Bien que le paysage urbain du Vietnam change rapidement, certaines choses demeurent : Tri, culturiste et dessinateur d’enseigne amateur, gère désormais une boutique de médecine traditionnelle, située non loin de la salle de gym ; quant à Phu, bien qu’ayant maintenant la soixantaine, il continue à s’entraîner.</p>
<p>Le développement phénoménal de Hô Chi Minh-Ville au XXI<sup>e</sup> siècle, documenté notamment <a href="http://news.yale.edu/2016/12/06/qa-anthropologist-erik-harms-luxury-and-rubble-today-s-saigon">par l’anthropologue Erik Harms</a> a sans doute causé la disparition de nombreuses vieilles enseignes. Tandis que les universitaires et le monde de l’art débattent de ce qui mérite d’être collectionné et préservé dans les musées et les archives, les centres-villes – au Vietnam comme ailleurs – reflètent l’évolution des mœurs de la société.</p>
<p><a href="https://www.routledge.com/Advertising-and-Public-Memory-Social-Cultural-and-Historical-Perspectives/Schutt-Roberts-White/p/book/9781138934689">La recherche révèle</a> que les principales raisons pour lesquelles les enseignes fabriquées en usines sont devenues la norme au Vietnam sont leur coût réduit, la rapidité de leur livraison et, par-dessus tout, leur facilité d’acquisition. Or, de nos jours, les dessinateurs d’enseignes sont encore plus difficiles à trouver à Hô Chi Minh-Ville que le parfum de nostalgie qui émane de leurs vieilles enseignes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76753/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cristina Nualart ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les enseignes artisanales recouvraient autrefois de nombreux murs vietnamiens. Avec le temps, cette culture matérielle s’est extrêmement raréfiée.Cristina Nualart, Researcher of Contemporary Art, Universidad Complutense de MadridLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.