tag:theconversation.com,2011:/us/topics/homosexualite-20213/articleshomosexualité – The Conversation2024-03-24T17:50:00Ztag:theconversation.com,2011:article/2251212024-03-24T17:50:00Z2024-03-24T17:50:00ZComment les artistes queers se réapproprient leur image<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/583268/original/file-20240320-30-ltxkk7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=30%2C0%2C2014%2C1361&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Exposition Zanele Muholi à Glasgow : Somnyama Ngonyama, Hail, the dark lioness.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/glasgowschoolart/38562156676">Flickr / Alan McAteer</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Si la tradition artistique contribue à la légitimation d’un <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2007-2-page-45.htm">canon</a> – un modèle unique et hégémonique du point de vue social et politique – fondé sur le modèle masculin, blanc, cisgenre, hétérosexuel, valide et de classe sociale aisée, des groupes ou des individus minoritaires n’ont pas eu historiquement les moyens matériels de se représenter et sont alors dépeints par le regard dominant.</p>
<p>Dans mon ouvrage, <a href="https://www.double-ponctuation.com/produit/art-queer-precommande/"><em>Art queer. Histoire et théorie des représentations LGBTQIA+</em></a>_ (éditions Double ponctuation, 2024), j’investis différentes perspectives pour explorer l’art <em>queer</em>, en posant notamment la question de la manière de représenter des subjectivités <em>queers</em>.</p>
<p>Le terme « queer » est une expression anglophone désignant ce qui est « étrange », « bizarre », « tordu », et <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/la-pensee-straight-2/">s’oppose à celui de « straight »</a>, signifiant « droit » mais aussi « hétérosexuel ». Il est alors d’abord utilisé comme une insulte pour qualifier des sexualités non-hétérosexuelles au cours du XIX<sup>e</sup> siècle, avant d’être détourné de manière positive par les communautés concernées pour s’auto-qualifier, notamment avec l’émergence de groupes activistes comme <a href="https://queernationny.org/history">Queer Nation</a> dans les années 1980-1990 aux États-Unis, en pleine épidémie du sida.</p>
<p>Par son ancrage politique et social, mon travail met en évidence la réappropriation par les artistes LGBTQIA+ des images de leur propre communauté. Afin d’articuler la vie et l’expérience réelle des personnes avec l’image qui en est faite, des artistes s’emparent en particulier du format de la photographie.</p>
<h2>Travailler le passé et le présent</h2>
<p>Dans cette quête de « réparation » de la représentation des communautés <em>queers</em>, il est possible d’observer deux tendances. La première s’articule autour d’un retour sur le passé pour créer de l’archive politique, permettant à la communauté <em>queer</em> de s’identifier à des modèles. C’est le cas en particulier du travail de l’artiste libanais et <em>queer</em> <a href="https://www.mohamadabdouni.com/">Mohamad Abdouni</a> (1989-), qui vise à combler la lacune des images <em>queers</em> dans la culture libanaise.</p>
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<p>La deuxième tendance vise à travailler sur le présent, comme une sorte d’archive vivante, pour faire passer les corps minorés du statut d’objet à celui de sujet – à l’instar de l’artiste sud-africain·e non-binaire <a href="https://www.mep-fr.org/event/zanele-muholi/">Zanele Muholi</a> (1972-), avec la représentation des femmes lesbiennes noires en Afrique du Sud.</p>
<p>Tout en mettant en relation les notions de <em>queer</em> et de race (voir notamment : Michele Wallace, <a href="https://www.versobooks.com/products/1316-invisibility-blues"><em>Invisibility Blues</em></a>, Londres, Verso, 1990 ; bell hooks, <a href="https://aboutabicycle.files.wordpress.com/2012/05/bell-hooks-black-looks-race-and-representation.pdf"><em>Black Looks. Race and Representation</em></a>, Boston, South End Press, 1992), ces deux artistes confèrent à leurs séries de photographies un caractère documentaire et biographique, car elles se fondent sur la vie quotidienne des protagonistes photographiés. Si Abdouni et Muholi s’inscrivent dans l’élan de réappropriation des pratiques artistiques comme ce fut le cas au début du XX<sup>e</sup> siècle (avec Romaine Brooks ou Claude Cahun par exemple), faisant passer les personnes <em>queers</em> d’une position d’objet représenté à celle de sujet représentant, ils rompent avec les stratégies expérimentées lors de la crise de l’épidémie du sida, comme celles conceptuelles de Felix Gonzalez-Torres refusant le voyeurisme et le fétichisme pour laisser place à l’interprétation subjective. Ces deux artistes se tournent donc plutôt vers la fabrique de l’archive dont l’enjeu est la visibilité.</p>
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<p>Mohamad Abdouni réalise en 2022 une sorte de reportage photographique intitulé <em>Treat Me Like Your Mother. Trans Histories From Beirut’s Forgotten Past</em>, conservé à la Fondation arabe pour l’image, accompagné d’entretiens qui retracent les mémoires de dix femmes transgenres de Beyrouth dans les années 1980 et 1990. Abdouni raconte leurs souvenirs d’enfance, la guerre du Liban, les épisodes heureux de leurs vies et leur précarité. Il montre par exemple des images d’archives prises par des anonymes d’une femme transgenre nommée Em Abed dans des moments d’intimité : au milieu d’une fête, dans un bus, apprêtée ou sans maquillage. Commencée en 2006, la série <em>Being</em> de Muholi montre quant à elle la vie quotidienne de plusieurs couples de lesbiennes noires dans l’espace privé de la maison, posant de manière assurée, s’embrassant, se lavant, etc.</p>
<h2>Pour des récits collectifs</h2>
<p>Ces deux projets sont menés en relation étroite avec les communautés représentées : <em>Treat Me Like Your mother</em> de Mohamad Abdouni est réalisée en collaboration avec Helem, une association militante <em>queer</em> qui l’aide à rassembler des photographies, lesquelles feront également l’objet d’un numéro spécial de <a href="https://www.coldcutsonline.com/"><em>Cold Cuts</em></a>, un magazine collaboratif créé en 2017 consacré aux cultures <em>queers</em> dans la région de l’Asie du Sud-Est et de l’Afrique du Nord, dont il est rédacteur en chef. De son côté, Zanele Muholi collabore avec les membres – qui sont ses modèles – du <a href="https://inkanyiso.org/about/">collectif Inkanyiso</a> (« lumière » en isizulu, la langue natale de Muholi), lequel a fondé un média <em>queer</em> d’information et artistique créé la même année que la série.</p>
<p>L’impression de familiarité et de collectivité, renforcée pour l’un par un titre qui appelle au respect des femmes transgenres comme si elles étaient nos propres mères, et pour l’autre par une iconographie de l’espace intime, relève en fait d’un positionnement politique dans le champ de la représentation. En effet, la photographie permet ici de visibiliser sans altériser et essentialiser des récits inédits qui entrent en rupture avec les représentations canoniques, telles que celles de <a href="https://iris.unipa.it/retrieve/e3ad891a-f9e2-da0e-e053-3705fe0a2b96/0%20DE%20SPUCHES%20-%20Geotema%20Sguardi%20di%20genere%20Muholi.pdf">l’espace domestique entretenu par des femmes hétérosexuelles</a>.</p>
<h2>Changer de regard pour se (re)construire</h2>
<p>Le caractère documentaire des photographies de Mohamad Abdouni et de Zanele Muholi cherche à émanciper les membres de la communauté <em>queer</em> libanaise et sud-africaine d’un regard extérieur. Elles résistent au sensationnalisme humiliant et morbide des images banalisées dans les médias en valorisant d’autres représentations que celles produites en Occident, véhiculant une certaine représentation des sociétés non occidentales comme homophobes et transphobes. En effet, ce type de production, au plus près des personnes concernées, construit une image plus nuancée de ces sociétés, et déjoue le statut figé de victimes de violence et d’exclusion assigné aux personnes LGBTQIA+ en leur conférant une subjectivité et une agentivité.</p>
<p>Cette capacité à agir sur son environnement – en termes géographiques mais aussi politiques et sociaux – passe également par la capacité à agir sur soi-même : les personnes minoritaires sont capables de se définir, de se construire en négociation avec les rapports de domination d’un canon universel. Ce processus suscite dans l’art un changement de statut chez les artistes. Des artistes <em>queers</em> utilisent ainsi l’autoportrait photographique pour non seulement présenter un état de fait stabilisé et figé, mais aussi documenter le processus de construction de leur identité (voir le travail de Del LaGrace Volcano, notamment <em>The Drag King Book</em>, co-publié en 1999 avec Jack Halberstam).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Art queer. Histoire et théorie des représentations LGBTQIA+ », éditions Double ponctuation.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jérôme Pellerin-Moncler</span></span>
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<p>S’affranchir du regard dominant constitue un enjeu pour un certain nombre d’artistes contemporains, qui tentent ainsi de se réapproprier la manière dont leurs propres communautés sont représentées. En effet, il s’agit pour elles et eux de montrer qu’ils sont légitimes à être pris en compte, simplement du fait de leur existence. En offrant un nouvel espace de visibilité par la photographie, ces enjeux artistiques s’inscrivent dans le débat de la politique de représentation, déployé en particulier dans des travaux féministes des années 1970, qui mettent en exergue les rapports de pouvoir qui sous-tendent les représentations des femmes (voir à ce sujet, « Représenter les femmes, la politique de la représentation du soi », dans <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/chair-a-canons"><em>Chair à canons. Photographie, discours, féminisme</em></a>, Paris, éditions Textuel, 2016, pages 229 à 252).</p>
<p>Comme j’essaye de le montrer dans mes travaux, la manière dont les notions de genre ou de race (entre autres) prennent forme dans les images participe fondamentalement à la construction de l’identité d’un groupe social. Rassemblant des artistes à la fois incontournables et émergeants, des œuvres et des musées, la réflexion que je propose me semble contribuer à la connaissance d’un sujet encore en développement, dont les enjeux sont très actuels et vont sans doute marquer durablement les musées et l’histoire de l’art.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225121/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Quentin Petit Dit Duhal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Afin d’articuler la vie et l’expérience réelle des personnes avec l’image qui en est faite, des artistes s’emparent en particulier du format de la photographie.Quentin Petit Dit Duhal, Docteur en Histoire de l'art, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2172372024-01-09T17:55:29Z2024-01-09T17:55:29ZGay et militant au Rassemblement national : un engagement improbable ?<p>En début d’année 2023, le Rassemblement national lançait une association parlementaire pour <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/le-rn-lance-une-association-pour-combattre-le-poison-wokiste-qui-met-en-danger-la-civilisation-5323822">lutter contre le « wokisme »</a> et notamment, contre la « propagande LGBT dans les écoles ». Ces prises de position au sein du FN/RN sur les questions LGBT+ sont anciennes et elles renvoient l’image d’un <a href="https://www.cairn.info/les-faux-semblants-du-front-national--9782724618105-page-185.htm">parti « sexiste et homophobe »</a>.</p>
<p>La visibilité de <a href="https://tetu.com/2023/04/01/politique-rassemblement-national-elus-gays-parti-assemblee-vernis-arc-en-ciel-rn/">membres du parti ouvertement homosexuels</a> – pour l’essentiel des hommes gays – a donc souvent été perçue comme improbable ou, tout du moins, paradoxale.</p>
<p>La contradiction pourrait se résumer en ces termes : comment des hommes qui s’identifient comme gays peuvent-ils rejoindre un parti qui n’encourage pas les politiques en faveur des droits LGBT+, voire qui s’y oppose activement ?</p>
<h2>Un apparent paradoxe</h2>
<p>Dans un chapitre de l’ouvrage <a href="https://journals.openedition.org/lectures/62633"><em>Sociologie politique du Rassemblement national. Enquêtes de terrain</em></a>, j’ai cherché à dénouer les fils de l’apparent paradoxe entre l’orientation sexuelle et l’orientation politique des homosexuels frontistes.</p>
<p>Je me suis pour cela concentrée sur deux <a href="https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/portraits-sociologiques-dispositions-et-variations-individuelles">portraits sociologiques</a>, élaborés à partir d’entretiens approfondis avec des militants – Maxime, 23 ans au moment de l’enquête, et Julian, 27 ans – qui ont rejoint le parti après l’arrivée de Marine Le Pen à sa tête.</p>
<p>Ces deux cas étudiés sont loin d’épuiser l’ensemble des trajectoires possibles d’engagement de gays au FN/RN, mais le choix de resserrer ainsi l’analyse permet d’entrer dans le détail des parcours individuels et dans le concret des expériences au sein du parti. Ils montrent que loin de s’opposer, homosexualité et militantisme frontiste s’articulent et se façonnent mutuellement.</p>
<h2>Le conservatisme en héritage</h2>
<p>Maxime, étudiant en droit, est issu d’une famille des classes supérieures avec un père ingénieur et une mère universitaire qui a travaillé dans sa jeunesse pour Philippe de Villiers, le fondateur du parti souverainiste Mouvement pour la France. Il développe dès le plus jeune âge un intérêt pour la politique, avec des valeurs conservatrices de droite.</p>
<p>Dans la famille de Julian, la politique est également fortement valorisée : si son père avait un « devoir de réserve » en étant militaire dans la Marine nationale, sa mère a été attachée parlementaire auprès de députés de l’Union des Démocrates Indépendants (UDI) pendant quelques années.</p>
<p>Ses parents l’ont ainsi poussé à militer à son tour, ce qu’il fait, avant même d’être en âge de voter, en participant à la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. Bien que les membres de sa famille ne soutiennent pas directement le Front national, les valeurs conservatrices qu’ils véhiculent rendent probable l’adhésion de Julian à certaines des idées frontistes. Julian appartient en effet, selon ses mots :</p>
<blockquote>
<p>[à l’une de ces] « vieilles familles qui sont très croyantes, qui sont vraiment attachées à une terre, des familles très traditionnelles et conservatrices – on se le dit souvent : en cas d’épuration ethnique, on serait les derniers à rester avec les Le Pen ».</p>
</blockquote>
<h2>« peut-être que je finirai hétéro »</h2>
<p>L’importance de la religion catholique est un autre point mis en avant par les enquêtés pour expliquer leurs préférences politiques. Maxime dit par exemple que sa famille maternelle est proche de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie-X qui rassemble des catholiques qualifié·e·s de <a href="https://www.nouvelobs.com/education/20170719.OBS2319/integrisme-racisme-j-ai-ete-eleve-a-la-fraternite-saint-pie-x.html">« traditionalistes »</a>. Il passe sa scolarité dans une école privée catholique hors contrat où les sociabilités adolescentes rejoignent ses valeurs conservatrices :</p>
<blockquote>
<p>« Cathos tradi’, ils s’engagent pas politiquement, ils font plus de l’associatif, les trucs de la Manif pour tous et tout ça ».</p>
</blockquote>
<p>Avec ses camarades du lycée, il part ainsi manifester contre la « loi Taubira », <a href="https://www.gouvernement.fr/action/le-mariage-pour-tous">visant à ouvrir le mariage aux couples de même sexe</a>, au moment où elle est débattue à l’Assemblée en 2013. À cette période, il se définit comme hétérosexuel et n’a jamais eu de relation homosexuelle.</p>
<p>C’est à 19 ans, lors d’une soirée en boîte de nuit, qu’il a un premier rapport sexuel avec un homme alors qu’il est en couple avec une femme. Il quitte, peu de temps après, sa copine et entame des relations avec des partenaires de même sexe. Pour autant, son opposition au « Mariage pour tous » n’a pas varié :</p>
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<figcaption><span class="caption">KTO TV, 2013.</span></figcaption>
</figure>
<blockquote>
<p>« Je pense, et je le pense de plus en plus, que… les gays sont pas stables. Je vois le nombre de rapports sexuels que les gays peuvent avoir c’est… affreux ! […] pour un gosse je pense que c’est pas un bon modèle. Et le mariage entraîne la filiation. […] Je pense que le mode de vie aussi n’est pas sain. C’est pour ça aussi peut-être que je finirai hétéro. »</p>
</blockquote>
<p>La progressive définition de soi comme gay et la socialisation secondaire au sein d’espaces de sociabilité homosexuelle ne modifient donc pas fondamentalement les représentations qu’il avait auparavant de l’homosexualité.</p>
<h2>Défendre un ordre hétéronormé tout en étant gay</h2>
<p>Certains <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_commerce_des_pissotieres-9782707152039">travaux déjà anciens</a> ont fait l’hypothèse que le conservatisme d’hommes gays serait dû à la recherche d’une « respectabilité sociale » pour « compenser » le stigmate attaché à l’homosexualité.</p>
<p>Dans le cas de nos enquêtés, les attitudes politiques ne sont pas tant une conséquence de leur sexualité minorisée que de leurs socialisations conservatrices qui les mènent, d’une part, à rejoindre le Front national, et, d’autre part, à défendre un ordre hétéronormé tout en étant gay.</p>
<p>Leur position au sein du parti n’apparaît pas subversive à cet égard puisqu’ils promeuvent des valeurs familialistes qui valorisent l’hétérosexualité :</p>
<blockquote>
<p>« La vie à deux, le couple se fait entre un homme et une femme », « des enfants j’en voudrais mais uniquement avec une femme… »</p>
</blockquote>
<p>Cela étant, ils ne s’attachent pas non plus à défendre, dans toutes les sphères de leur existence, des opinions et des pratiques conservatrices. Tout en <a href="https://www.cairn.info/manuel-indocile-de-sciences-sociales--9782348045691-page-798.htm">considérant l’hétérosexualité comme supérieure</a>, ils s’identifient comme gays, participent plusieurs fois par semaine à des soirées avec d’autres homosexuels dans des bars ou des boîtes de nuit et ont de nombreuses relations sexuelles et affectives avec des hommes.</p>
<p>Leur rapport aux normes de genre est également ambivalent. En entretien, ils déprécient fortement les hommes « efféminés », dont ils cherchent à se distinguer, et disent préférer les <a href="http://iris.ehess.fr/index.php?2419">« gays très hétéros »</a>. Mais ils peuvent se révéler très différents au quotidien et dans la sphère intime. Ainsi, loin du <a href="https://www.liberation.fr/politique/lextreme-droite-obsedee-par-sa-virilite-20210613_JGSCXRLMP5ECFFQBJ5VF2M77OM/">stéréotype du militant viril d’extrême droite</a>, ils utilisent couramment des pronoms féminins pour se désigner ou encore affirment apprécier être « considéré comme la maîtresse, l’amante tu vois de ce mec-là ».</p>
<p>Cette ambivalence vis-à-vis de l’homosexualité et de la masculinité est parfois vécue sur le mode du <a href="https://www.politika.io/fr/article/habitus">« déchirement »</a> (« peut-être que je finirai hétéro » avec, dans « l’idéal », « une maison en pavillon, une femme, un 4x4, les gros chiens et… des enfants »), mais elle n’est pas tout le temps, ni systématiquement, source de tensions individuelles.</p>
<h2>Sociabilités gaies en milieu partisan</h2>
<p>L’engagement militant de gays au FN est lié à leurs dispositions politiques mais aussi au contexte partisan où il prend place. Leur expérience au sein du parti est notamment façonnée par l’existence de sociabilités gaies intrapartisanes auxquelles ils vont progressivement prendre part.</p>
<p>Maxime et Julian <a href="https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2011-1-page-7.htm">ne parlent pas de leur homosexualité</a> au moment où ils entrent dans le parti. Ils ne le font qu’une fois qu’ils y sont suffisamment insérés, après plusieurs mois pour l’un et un an et demi pour l’autre, et qu’ils constatent que l’homosexualité n’est pas un « problème » pour les militants qu’ils côtoient. Ils découvrent alors que la sphère militante donne accès à des espaces de sociabilité homosexuelle, à l’entre-soi gay lors de soirées en boîtes de nuit ou chez des militants par exemple.</p>
<p>Si cela ne constitue pas au départ une incitation à rejoindre le parti, cela contribue à inscrire leur engagement partisan dans la durée et s’apparente sous certains aspects à une <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1977_num_27_1_393715">rétribution de leur militantisme</a>.</p>
<p>Julian commente ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Y’a plein de mecs qui sont gays, mais alors là, même dans les cadres et compagnie. Y’avait un cadre qui était venu dans la section, dont je citerai pas le nom, on avait passé deux jours dans sa suite au Pullman où y’avait d’autres cadres du Front national qui nous avaient rejoints, on avait fait que baiser ! Fin bon, y’a pas de soucis là-dessus ! »</p>
</blockquote>
<p>Soulignons qu’il ne s’agit-là ni d’une spécificité du FN ni des militants gays : les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0011392113486659">liens intimes</a> font pleinement partie des expériences partisanes, où qu’elles se situent sur le spectre politique, même si les liens relevant de la sexualité sont rarement mis en avant.</p>
<h2>Le relatif contrôle de la visibilité homosexuelle</h2>
<p>L’homosexualité et sa visibilité ne sont cependant pas acceptées dans toutes les sphères du FN : il s’agit d’un vecteur d’affinités tout autant que d’oppositions intra-partisanes. Maxime explique par exemple avoir été fortement critiqué dans certains espaces où son homosexualité était connue :</p>
<blockquote>
<p>« Donc [pour eux] j’étais dans la bande de Philippot soi-disant, alors que pas du tout, j’étais bien content qu’il s’en aille d’ailleurs, j’étais plutôt dans la ligne de Marion [Maréchal]… Mais du coup j’étais dans les “mignons” à abattre. »</p>
</blockquote>
<p>La visibilité gaie vient parfois alimenter des logiques d’appartenance à des sous-groupes partisans. Maxime continue par ailleurs de « cacher » son homosexualité dans sa fédération d’origine, implantée dans le département rural où vivent ses parents, qu’il considère comme plutôt hostile envers les gays et au sujet de laquelle il conclut :</p>
<blockquote>
<p>« Y’a quand même plein de gens qui sont au Front national qui sont homophobes. »</p>
</blockquote>
<p>La publicisation de l’homosexualité à l’extérieur du parti est également fortement contrôlée. Ainsi Maxime a poursuivi en justice, avec le soutien du FN à l’époque, un journaliste qui l’a « outé » dans la presse, suite à sa participation à une manifestation contre le « Mariage pour tous ». L’enjeu du procès est alors, selon lui, de publiquement « affirmer qu’[il n’est] pas gay ».</p>
<h2>Les usages de l’homonationalisme</h2>
<p>Les expériences partisanes de Julian et Maxime sont également marquées par la progressive appropriation d’idées <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2013-1-page-151.htm">homonationalistes</a>. Ces idées reposent sur la stigmatisation de certaines populations, notamment racisées, en mobilisant de manière approximative et équivalente l’origine migratoire, l’appartenance religieuse, le lieu d’habitation, etc. Elles visent à les présenter comme étant intrinsèquement « homophobes » et les exclure de ce qui est pensé comme étant la « Nation française ».</p>
<p>Le parti est un lieu de production et de diffusion de l’homonationalisme, relayé par les cadres dans les <a href="https://www.liberation.fr/france/2010/12/20/pourquoi-marine-le-pen-defend-les-femmes-les-gays-les-juifs_701823/">discours officiels notamment depuis 2010</a> pour s’adapter aux normes de la compétition politique dans un contexte d’<a href="https://www.cairn.info/enquete-sur-la-sexualite-en-france--9782707154293-page-243.htm">acceptation croissante de l’homosexualité</a>.</p>
<p>Lorsque Julian et Maxime rejoignent le FN, ce n’est toutefois pas pour promouvoir des idées homonationalistes. Ils disent d’ailleurs n’avoir jamais connu de violences hétérosexistes de la part <a href="https://books.openedition.org/ined/14944">d’autres personnes que leurs proches</a>.</p>
<h2>Le souci de « la sécurité »</h2>
<p>L’homonationalisme n’est donc pas la cause de leur engagement politique mais les enquêtés vont, par la suite, le mobiliser comme une justification idéologique de leur affiliation au Front national.</p>
<p>Maxime commente ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Je pense que le vrai droit – et c’est pour ça qu’il y a autant de gays qui votent Front national, c’est impressionnant dans mon entourage, les gays, il doit y en avoir 60-70 % qui votent Front national – c’est la sécurité. Quand tu sors d’une boîte de nuit ou autre, tu tiens la main d’un gars et tu vas te faire agresser par la racaille du coin. […] j’ai pas forcément peur de l’islam. Mais la racaille qui interprète mal l’islam, ouais ouais c’est sûr ça peut faire peur ».</p>
</blockquote>
<p>Les militants participent, à leur tour, à diffuser ces idées sur la sécurité au sein de leur entourage ou via des supports de communication politique. Maxime poste régulièrement des tweets sur le sujet – comme celui disant que « les agressions homophobes sont causées par la montée de l’islamisme. Ne nous voilons pas la face » – qui sont ensuite « likés » par d’autres membres du parti.</p>
<p>La rhéthorique homonationaliste permet ainsi de justifier idéologiquement leur engagement en tant que gays et les conduit ponctuellement à donner une dimension politique à leur sexualité. Si l’expérience de l’homosexualité apparaît, au départ, marginale dans la formation de leurs préférences politiques, elle participe <em>in fine</em> à façonner leur engagement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217237/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maialen Pagiusco ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Loin de s’opposer, homosexualité et militantisme frontiste s’articulent et se façonnent mutuellement.Maialen Pagiusco, Doctorante, ATER en science politique, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2152982023-10-15T13:35:43Z2023-10-15T13:35:43ZPourquoi le comportement homosexuel est-il si courant chez les mammifères ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/552796/original/file-20231003-21-bhysm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C121%2C4256%2C2535&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/es/image-photo/two-monkey-friends-on-tree-110270648">Hung Chung Chih/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>De manière surprenante, le comportement sexuel entre individus du même sexe a été observé chez plus de 1 500 espèces animales, couvrant un large éventail de groupes taxonomiques. Ces espèces vont des invertébrés – tels que les insectes, les araignées, les échinodermes et les nématodes – aux vertébrés – tels que les poissons, les amphibiens, les reptiles, les oiseaux et les mammifères. Ce phénomène remet en question les explications conventionnelles de la reproduction et soulève des questions importantes sur son rôle et son évolution dans la nature.</p>
<p>C’est peut-être pour cette raison qu’il a attiré l’attention de plusieurs disciplines universitaires, notamment la zoologie et la biologie évolutive. Le comportement sexuel entre individus du même sexe est défini comme tout comportement momentané, qui est normalement exécuté avec un membre du sexe opposé, mais qui est plutôt dirigé vers des individus du même sexe. Ce type de comportement sexuel représente un mystère du point de vue de l’évolution, car il ne contribue pas directement à la reproduction.</p>
<p>Notre groupe de recherche a exploré l’évolution du comportement sexuel entre individus du même sexe chez les mammifères dans une étude qui vient d’être publiée <a href="https://doi.org/10.1038/s41467-023-41290-x">dans la revue <em>Nature Communications</em></a>.</p>
<p>Ce comportement semble être une tendance commune chez les mammifères. Jusqu’à présent, il a été observé chez environ 5 % des espèces, représentant au moins une espèce dans la moitié des familles de mammifères, et il est pratiqué avec une prévalence similaire par les mâles et les femelles.</p>
<p>Selon les données disponibles, ce comportement n’est pas distribué au hasard parmi les familles de mammifères, mais tend à être plus répandu dans certains groupes, en particulier chez les primates, où il a été observé chez au moins 51 espèces, allant des lémuriens aux grands singes.</p>
<p>Chez certaines espèces, ce comportement est occasionnel et ne se manifeste que dans des circonstances très spécifiques. En revanche, chez 40 % des espèces, le comportement homosexuel est une activité modérée, voire fréquente, pendant la saison des amours.</p>
<p>Ces résultats soulèvent des questions fascinantes sur la biologie et l’évolution de la sexualité dans le règne animal.</p>
<h2>Un moyen de renforcer les relations sociales</h2>
<p>Notre étude a fait une découverte intrigante en révélant des liens significatifs entre le comportement sexuel entre individus du même sexe chez les mammifères et leurs modèles de comportement social.</p>
<p>Notre analyse a révélé que les espèces qui présentent un comportement social plus développé chez les mâles et les femelles sont plus susceptibles de présenter ces interactions sexuelles entre individus du même sexe. Ces résultats étayent l’hypothèse selon laquelle ce comportement sexuel a été favorisé par l’évolution comme moyen d’établir, de maintenir et de renforcer les relations sociales susceptibles d’accroître les liens et les alliances entre les membres d’un même groupe.</p>
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<p>Cette analyse comparative phylogénétique a également mis en évidence un lien entre ce comportement sexuel et la violence intrasexuelle – entre individus du même sexe – mais uniquement dans le cas des mâles. Les espèces dont les mâles sont plus violents sont plus susceptibles de présenter ce comportement sexuel à un moment donné de leur vie.</p>
<p>L’étude suggère donc que le comportement sexuel entre individus du même sexe chez les mammifères non humains est une adaptation qui joue un rôle important dans le maintien des relations sociales entre les deux sexes et dans l’atténuation des conflits, principalement entre les mâles.</p>
<h2>Attention à l’extrapolation à l’humain</h2>
<p>Dans tous les cas, nous insistons sur la nécessité de faire preuve de prudence, car ces associations pourraient être dues à d’autres facteurs. En outre, les résultats n’excluent pas d’autres hypothèses sur l’évolution du comportement sexuel entre personnes de même sexe, qui doivent faire l’objet de recherches plus approfondies.</p>
<p>Il est également important de noter que les résultats ne doivent pas être utilisés pour expliquer l’évolution de l’orientation sexuelle chez l’homme. En effet, l’étude s’est concentrée sur le comportement sexuel entre individus de même sexe, défini comme des interactions de courtoisie ou d’accouplement à court terme, plutôt que comme une préférence sexuelle plus permanente.</p>
<p>Enfin, il convient de noter que le comportement sexuel n’a été étudié en détail que chez une minorité d’espèces de mammifères. Cela signifie que notre compréhension de l’évolution du comportement sexuel entre personnes de même sexe chez les mammifères pourrait changer à mesure que d’autres espèces seront étudiées à l’avenir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215298/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le comportement homosexuel est très répandu dans la nature, notamment chez les mammifères et en particulier chez les primates. Une analyse phylogénétique tente d’élucider l’origine et la fonction de ce phénomène.José María Gómez Reyes, Chair professor, Estación Experimental de Zonas Áridas (EEZA - CSIC)Adela González Megías, Universidad de GranadaMiguel Verdú, Universitat de ValènciaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2148842023-10-03T16:33:13Z2023-10-03T16:33:13ZConseils d’administration : la communauté LGBTQI+ reste largement sous-représentée<p>La plupart des entreprises aiment montrer leur engagement envers les personnes homosexuelles. En raison des progrès réalisés en matière de droits et de reconnaissance juridique au cours des dernières décennies, il est désormais courant d’afficher un logo arc-en-ciel au mois de juin, pendant le mois des fiertés LGBTQI+. De grandes entreprises telles que North Face, Anheuser-Busch InBev, Target ou encore Kohl’s ont ainsi récemment lancé des campagnes publicitaires inclusives mettant en lumière des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queers et intersexes (<a href="https://theconversation.com/fr/topics/lgbtq-64508">LGBTQI+</a>).</p>
<p>D’un point de vue commercial, il s’agit d’une stratégie qui porte ses fruits, « l’argent rose » pesant <a href="http://www.lgbt-capital.com/index.php?menu_id=2">3 500 milliards d’euros dans le monde, dont 874 milliards d’euros dans l’Union européenne</a>. Toutefois, de nombreux membres de la communauté LGBTQI+ <a href="https://www.washingtonpost.com/business/2023/06/16/lgbt-marketing-advertising-history-pride-month/">qualifient ces actions de « pinkwashing »</a> si elles ne sont pas soutenues par des mesures plus substantielles.</p>
<p>L’absence de ces mesures apparaît notamment lorsque l’on se penche sur les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/conseils-dadministration-101154">conseils d’administration</a> des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-20563">entreprises</a>. En effet, mes recherches sur le <a href="https://escp.eu/faculty-research/erim/Impact-Papers/Better-Business-Creating-Sustainable-Value">rôle des entreprises dans la sphère politique</a>, notamment sur les <a href="https://escp.eu/faculty-research/erim/Impact-Papers/Geopolitics-and-Global-Business-Impact">questions sociales</a> telles que les <a href="https://thechoice.escp.eu/tl-dr/advancing-global-lgbt-rights-through-the-big-business-of-sport/">droits des personnes LGBTQI+</a>, montrent que les plus hautes instances reflètent mal la diversité encore aujourd’hui.</p>
<p>Selon les <a href="https://outleadership.com/wp-content/uploads/2022/03/OutQUORUM-Report-2022-2.pdf">estimations d’OutLEADERSHIP, moins de 1 %</a> des 5 670 sièges des conseils d’administration des 500 plus grandes sociétés américaines en chiffre d’affaires sont ainsi occupés par des administrateurs membres de la communauté LGBTQI+. En Europe, nous ne disposons d’aucune donnée en la matière, ce qui peut paraître d’autant plus surprenant que la Commission européenne <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/ALL/?uri=CELEX:52020DC0698">s’est engagée en 2020 à multiplier les opportunités pour la communauté</a>.</p>
<h2>Des politiques homophobes coûteuses</h2>
<p>Les arguments en faveur de la diversité au sein des conseils d’administration apparaissent pourtant très convaincants. Selon l’un des plus grands <a href="https://www.accaglobal.com/gb/en/student/exam-support-resources/professional-exams-study-resources/strategic-business-leader/technical-articles/diversifying-the-board.html">organismes comptables</a> au monde, elle se traduit par « des prises de décision plus efficaces, une meilleure utilisation du vivier de talents [et] une consolidation de la réputation de l’entreprise et des relations avec les investisseurs ».</p>
<p>Les recherches menées par les cabinets de conseil <a href="https://www.bcg.com/publications/2018/how-diverse-leadership-teams-boost-innovation">BCG</a> et <a href="https://www.mckinsey.com/featured-insights/diversity-and-inclusion/diversity-wins-how-inclusion-matters">McKinsey</a> révèlent également que la diversité des équipes dirigeantes améliore la productivité, favorise l’innovation et augmente les performances financières.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Sur la base de données provenant de 657 entreprises américaines cotées en bourse entre 2003 et 2016, des <a href="https://www.forbes.com/sites/josiecox/2021/05/24/pride-pays-lgbt-friendly-businesses-are-more-profitable-research-shows/?sh=6d73b8523d07">chercheurs finlandais de l’université Aalto et de l’université de Vaasa</a> ont aussi observé que les entreprises ayant adopté des politiques de soutien à la communauté LGBTQI+ étaient à la fois plus rentables et mieux valorisées sur le marché boursier. Par exemple, en améliorant d’un écart-type sa note dans le <a href="https://www.hrc.org/resources/corporate-equality-index">Corporate Equality Index</a> de la Human Rights Campaign Foundation, une <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/acfi.12787">entreprise peut voir sa valeur boursière augmenter de 7 %</a>.</p>
<p>À l’inverse, les politiques homophobes et transphobes coûtent de l’argent. <a href="https://open-for-business.org/cee-economic-case">Open for Business</a> a publié un rapport estimant que la Hongrie, la Pologne et la Roumanie perdaient près de 7 milliards d’euros par an du fait de leurs politiques discriminatoires à l’encontre des personnes LGBTQI+. Pourtant, en augmentant de 10 % les droits des membres de cette communauté, ces pays pourraient enregistrer une hausse de 3 400 euros de leur PIB par habitant.</p>
<p>Par ailleurs, un conseil d’administration véritablement diversifié permettrait aux entreprises d’améliorer leur évaluation en matière de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ainsi que ceux, <a href="https://www.sshrc-crsh.gc.ca/funding-financement/nfrf-fnfr/edi-fra.aspx">promus au Canada</a>, relatifs à l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI). En occupant des postes de pouvoir, les membres de la communauté LGBTQI+ contribuent à renforcer la mission de leur entreprise au profit de la communauté mondiale. Ils peuvent notamment défendre les droits des minorités sexuelles dans les <a href="https://theconversation.com/companies-must-advocate-for-lgbt-rights-everywhere-in-the-world-not-just-where-its-easy-167915">quelque 70 pays où les relations homosexuelles constituent toujours un délit</a>.</p>
<h2>Comment progresser ?</h2>
<p>Il faut donc à présent se poser la bonne question : comment les entreprises peuvent-elles induire le changement ? Depuis longtemps, le recrutement des membres des conseils d’administration est perçu comme un exercice réservé aux initiés, où les administrateurs en fonction invitent leurs amis à siéger à leurs côtés. Quand ce n’est pas le cas, nombre de conseils d’administration <a href="https://hbr.org/2019/03/when-and-why-diversity-improves-your-boards-performance">recherchent des personnes occupant ou ayant occupé le poste de président-directeur général ou de directeur financier</a>.</p>
<p>Or, cette situation ne facilite guère les choses, car non seulement les LGBTQI+, <a href="https://theconversation.com/direction-dentreprise-les-femmes-perdent-du-terrain-elles-doivent-etre-strategiques-mais-la-culture-doit-aussi-changer-195508">mais également les femmes</a>, se battent déjà pour briser le plafond de verre afin d’obtenir des postes de direction. Pour diversifier le vivier de candidats qualifiés, les comités de nomination se doivent donc d’élargir leurs critères au-delà des personnes bénéficiant d’une expérience en tant que chef d’entreprise au sein de sociétés cotées en bourse.</p>
<p>Créée en 2022, l’<a href="https://lgbtqdirectors.org/">Association of LGBTQ+ Corporate Directors</a> affirme que le processus secret et non transparent de recrutement des membres des conseils d’administration fait obstacle à l’inclusion. Surtout, elle attire l’attention sur le nombre de <a href="https://blog.nacdonline.org/posts/lgbtq-inclusion-boardroom">personnes LGBTQI+ prêtes à siéger dans les conseils d’administration</a>.</p>
<p>Sur ce point, le programme <a href="https://outleadership.com/developing-talent/outquorum/">OutQUORUM BoardFit</a>, une initiative de OutLEADERSHIP, a été lancé en 2016 pour préparer les leaders LGBTQI+ à prendre place au sein des conseils d’administration. Dans le cadre de ce programme, une base de données de personnes prêtes à siéger au conseil d’administration a été créée. L’organisation encourage ainsi les directeurs et directrices d’entreprise LGBTQI+ à se déclarer, à se faire connaître et à encadrer les candidats qualifiés pour siéger au conseil d’administration.</p>
<p>Si les systèmes basés sur le volontariat tels que ceux énumérés ci-dessus échouent, il sera peut-être bientôt temps pour la Commission européenne de s’appuyer sur sa <a href="https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/policies/justice-and-fundamental-rights/combatting-discrimination/lesbian-gay-bi-trans-and-intersex-equality/lgbtiq-equality-strategy-2020-2025_en">stratégie 2020-2025 en faveur de l’égalité des personnes LGBTQ</a> I+ pour rendre obligatoire la représentation des minorités sexuelles au sein des conseils d’administration. Toutefois, il reste préférable que les entreprises n’attendent pas d’être obligées à agir pour le faire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214884/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ken Chan siège au conseil d'administration d'Open For Business et au conseil consultatif de l'Association canadienne des administrateurs de sociétés LGBTQ+.</span></em></p>Les habitudes en termes de nomination dans les plus hautes instances des entreprises freinent aujourd’hui les opportunités de carrières des employés issus des minorités sexuelles.Ken Chan, Global Executive PhD Candidate.As a practitioner-scholar, Ken's research interests are in corporate political activity and the role businesses play in the policy sphere including on social issues such as LGBTQ+ rights., ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2141842023-10-03T14:55:01Z2023-10-03T14:55:01ZManifs anti-trans : le parti conservateur pourrait tirer profit de la fracture sociale<p>La polarisation des débats sur les enjeux liés au genre et à la sexualité a donné lieu, la semaine dernière, à des manifestations et des contre-manifestations houleuses dans les villes du pays. </p>
<p>La coalition <a href="https://millionmarch4children.squarespace.com/educational-material">One Million March 4 Children</a>, à l’origine des mobilisations, a dans sa mire un ensemble de composantes des programmes d’éducation à la sexualité dans les écoles, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tudes_de_genre">notamment la théorie du genre</a>. Elle <a href="https://millionmarch4children.squarespace.com/supporters">réunit des organisations de camionneurs, de droite radicale et différentes organisations religieuses</a>. </p>
<p>Porté par divers mouvements conservateurs, la <a href="https://theconversation.com/from-america-to-ontario-the-political-impact-of-the-christian-right-107400">présence des groupes chrétiens</a> à ces manifestations n’était pas surprenante. La forte présence de communautés immigrantes, notamment musulmanes, en a toutefois étonné plusieurs. Durant cette semaine-là, une association musulmane et le chroniqueur conservateur <a href="https://www.journaldemontreal.com/2023/09/23/justin-trudeau-haineux-en-chef-du-canada-devrait-cesser-dinsulter-les-canadiens-qui-ne-pensent-pas-comme-lui">Mathieu Bock-Côté</a>, aux spectres idéologiques opposés, ont tous deux dénoncé <a href="https://www.journaldemontreal.com/2023/09/26/identite-de-genre-lassociation-musulmane-denonce-les-propos-de-trudeau">l’appel à la tolérance du premier ministre Trudeau</a> dans des termes à peu près identiques. </p>
<p>Tant les politiques libertariennes en matière fiscale que très conservatrices en matière sociale ont le vent en poupe. Et il n’y a aucune raison qu’elles n’intéressent pas les membres de la diversité religieuse.</p>
<p>Alors que le Parti populaire (PPC) de Maxime Bernier fait des questions liées au genre son cheval de bataille, Pierre Poilievre s’est montré plus prudent à sauter dans la mêlée. Il a demandé à ses députés d’en faire autant. Mais son parti pourrait tirer profit de cette polarisation. Trois éléments semblent aller dans ce sens. </p>
<p>D’abord, le vote chrétien évangéliste sur les valeurs morales est déjà largement acquis au PCC. Deuxièmement, contrairement à plusieurs formations de droite populiste européenne, le PCC a peu de marge de manœuvre en matière de discours hostile à l’immigration. Un parti qui veut gagner les élections fédérales ne peut se mettre les communautés issues de l’immigration à dos. Puis, la recherche d’une ligne de fracture au sein des communautés immigrantes selon l’axe conservateur/libéral en matière de sexualité et de genre peut modifier l’équilibre des forces politiques à plus long terme. </p>
<p>Respectivement professeur de sociologie à l’UQAM et doctorant en science politique à l’Université de Montréal, nos recherches portent sur le nationalisme, le populisme et les conflits politiques au Québec et au Canada. </p>
<h2>La politisation des enjeux trans par la droite conservatrice</h2>
<p>Si la politisation des questions liées à la sexualité par la droite religieuse n’est pas nouvelle, les débats sur le genre et l’inclusion des personnes trans a récemment pris une importance accrue. </p>
<p>La droite américaine en fait un élément de sa critique du libéralisme depuis des années. <a href="https://www.hilltimes.com/story/2023/07/17/how-the-political-right-are-contesting-pride-month-in-canada/392313/">La récupération de ces enjeux est toutefois plus récente au Canada</a>. Le PPC de Maxime Bernier a inscrit son opposition à « l’idéologie du genre » à son programme. </p>
<p>Plus récemment, des projets de loi proposés par les gouvernements conservateurs du Nouveau-Brunswick et de <a href="https://theconversation.com/saskatchewan-naming-and-pronoun-policy-the-best-interests-of-children-must-guide-provincial-parental-consent-rules-212431">la Saskatchewan</a>, qui visent à obliger les directions d’écoles à avertir les parents d’une demande de changement de prénom ou de genre exprimée par leur enfant, <a href="https://policyoptions.irpp.org/fr/magazines/juillet-2023/poilievre-trans-republicains/">ont également suscité de vifs débats</a>. Ils opposent les « droits parentaux » aux droits des enfants trans de vivre en sécurité. Au Québec, l’utilisation de prénoms neutres et la <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/education/2023-09-12/blocs-sanitaires-dans-les-ecoles/drainville-exige-le-maintien-de-toilettes-non-mixtes.php">question des toilettes mixtes</a> s’ajoutent à cette liste des enjeux qui activent cette polarisation.</p>
<h2>Les valeurs conservatrices des minorités culturelles : une route vers la victoire ?</h2>
<p>Le PCC a obtenu des résultats en deçà de ses attentes aux trois dernières élections. Or, l’usure du pouvoir libéral, l’inflation et les difficultés d’accès à la propriété sont des thèmes permettant au parti de faire des gains chez les jeunes, particulièrement les hommes. </p>
<p>Aux dernières élections, le défi du PCC était de concilier le conservatisme social espéré par sa base, avec une plate-forme acceptable pour l’électorat centriste. Andrew Scheer et Erin O’Toole ont trébuché sur ce problème. </p>
<p>La majorité conservatrice de Stephen Harper en 2011 reposait sur la capture de circonscriptions à forte proportion immigrante, notamment à Mississauga, Brampton, Richmond Hill et Vaughan, dans la région de Toronto. Or, ces circonscriptions ne faisaient pas partie de la <a href="https://policyoptions.irpp.org/magazines/the-winner/the-emerging-conservative-coalition/">stratégie initiale de Harper</a>, mais la difficulté de rallier les nationalistes québécois l’a forcé à la réévaluer. Harper s’était alors tourné vers les minorités culturelles en banlieue de Toronto. Elles partageaient, outre les valeurs conservatrices, un attachement à la religion et à la libre entreprise. Harper a également introduit des <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/income-splitting-what-it-is-and-who-benefits-1.2818396">mesures fiscales favorables aux familles, majoritairement patriarcales</a>, qui valorisent le travail d’un seul parent et où un époux a des revenus beaucoup plus élevés que l’autre. </p>
<p>Aujourd’hui en avance dans les sondages, le PCC pourrait faire des gains aux dépens des libéraux à Markham, Vaughan, Richmond Hill, Whitby et Pickering-Uxbridge, dans certaines circonscriptions de Toronto, à Oakville et jusqu’aux banlieues de Hamilton. Le PCC pourrait aussi reprendre des circonscriptions dans le Grand Vancouver qu’il avait perdu aux mains des libéraux lors des dernières élections. </p>
<h2>La stratégie probable du PCC</h2>
<p>La politisation des enjeux liés au genre et à la sexualité est probablement perçue comme une opportunité par Poilievre de renouveler son électorat à l’approche de la prochaine élection. Pour y arriver, il est peu probable qu’il s’engage, à l’instar du Parti populaire, à limiter les droits des enfants transgenres ou à s’immiscer dans les champs de compétences des provinces. </p>
<p>Le PCC se contentera probablement de mobiliser des sifflets à chien dénonçant les « wokes » et d’appuyer les gouvernements provinciaux et les communautés religieuses dénonçant les programmes d’éducation sexuelle. </p>
<p>C’est ce que Poilievre a fait en août lors d’un rassemblement de la communauté pakistanaise de Toronto. Dans un <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/poilievre-lgbtq-pronouns-schools-1.6950029">discours prononcé dans le cadre des célébrations pour le Jour de l’Indépendance du Pakistan</a>, il s’est porté à la défense de la liberté de religion et du droit des parents de « transmettre leurs enseignements traditionnels à leurs enfants » et de les « élever avec leurs propres valeurs ». Plus tôt cet été, il s’était <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1991601/pierre-poilievre-plitique-713-taxe-carbone">opposé à ce que le gouvernement fédéral se mêle des débats au Nouveau-Brunswick</a>. </p>
<p>Le PCC pourrait bénéficier d’un <a href="https://angusreid.org/canada-culture-wars-gender-and-trans-issues/">appui</a> de la population sur ces enjeux. Même si les pratiques reliées aux transitions de genre <a href="https://www.lapresse.ca/dialogue/chroniques/ados-transgenres/la-verite-sur-les-transitions-medicales/2023-09-25/ados-transgenres/la-verite-sur-les-transitions-medicales.php">sont rarissimes</a>, elles suscitent l’ire des milieux conservateurs. </p>
<p>D’autres positions conservatrices, comme la <a href="https://nationalpost.com/news/local-news/poilievre-blames-wave-of-violence-in-alberta-on-prime-minister-justin-trudeau-and-ndp/wcm/d6805980-8a25-43ba-93be-fe44bd2d5b89">critique de la décriminalisation des drogues en Colombie-Britannique et du « wokisme » libéral en matière de criminalité</a>, pourraient aussi faire mouche. Ainsi, une stratégie axée sur le conservatisme fiscal, la loi et l’ordre, la famille traditionnelle et les valeurs conservatrices en matière de sexualité pourrait être très rentable pour le PCC. </p>
<h2>Quels dilemmes pour les partis d’opposition ?</h2>
<p>Cette stratégie du PCC remet également en question les stratégies du PLC et du NPD. Se présentant à la fois comme les défenseurs des communautés religieuses ou ethniques, des minorités sexuelles et de genre, mais aussi comme des critiques de la loi 21 du Québec sur la laïcité, ces partis ont entretenu des clientèles qui se retrouvent aux antipodes de cette polarisation sociale. </p>
<p>Cette évolution était prévisible. L’importante présence de certaines communautés culturelles dans les mobilisations anti-LGBTQ+ fait éclater l’idée simpliste véhiculée par la gauche identitaire selon laquelle la « diversité » serait nécessairement libérale et progressiste, parce que minoritaire. </p>
<p>Les communautés issues de l’immigration sont hétérogènes et leurs relations aux <a href="https://angusreid.org/canada-religion-interfaith-holy-week/">questions de liberté de conscience et d’expression</a> varient grandement. Mais leurs institutions communautaires, parfois religieuses et patriarcales, ne cadrent pas toujours avec l’orientation des libéraux et du NPD en matière de citoyenneté et diversité sexuelle.</p>
<p>Les réactions du milieu nationaliste québécois ont été équivoques sur ces questions. Le Bloc Québécois a manqué une occasion de prendre position en faveur des droits des minorités sexuelles avant ceux des parents à être indignés. Il a privilégié l’autonomie des provinces plutôt qu’une position de fond qui aurait été cohérente avec celle de Québec sur les dossiers de la liberté académique et de laïcité. </p>
<p>Le PCC pourrait cependant être confronté à l’éventualité où une province utilise la clause dérogatoire pour adopter une loi en lien avec les « droits parentaux », <a href="https://lactualite.com/actualites/une-injonction-est-accordee-sur-la-politique-sur-le-genre-a-lecole-en-saskatchewan/">utilisation récemment confirmée par Scott Moe en Saskatchewan</a>. Il serait délicat pour Poilievre de défendre l’utilisation de la clause dérogatoire dans les provinces conservatrices, mais de s’y opposer pour les lois du Québec sur la laïcité et la langue. </p>
<p>Une fenêtre semble ainsi s’ouvrir pour Poilievre et le PCC. L’usure du pouvoir, les cafouillages libéraux à répétition et les défis économiques y contribuent certainement. Cela dit, la croissance des communautés ethniques et religieuses et l’appui grandissant des jeunes au conservatisme s’inscrivent dans des changements sociaux et démographiques plus larges qui pourraient bousculer la donne politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214184/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le PCC de Pierre Poilièvre pourrait faire des gains en ralliant la droite libertarienne, les chrétiens évangélistes et les communautés immigrantes, notamment musulmanes, sur les enjeux de sexualité.Frédérick Guillaume Dufour, Professeur en sociologie politique, Université du Québec à Montréal (UQAM)François Tanguay, Doctorant, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2123972023-09-06T17:34:57Z2023-09-06T17:34:57ZLettonie : les défis du nouveau président<p>Le 8 juillet 2023, Edgars Rinkevics a pris ses fonctions de dixième président de la République de Lettonie, après avoir été élu par la Saeima, le Parlement. Âgé de 49 ans, ce diplomate chevronné, membre du parti centriste Nouvelle Unité, a traversé avec constance divers changements de coalition en conservant le portefeuille des Affaires étrangères qu’il occupait depuis octobre 2011. Avant cela, il avait été en poste au ministère de la Défense, puis directeur de la chancellerie du président de la République sous le mandat de Valdis Zalters (2008-2011).</p>
<p>Autant dire que le nouveau chef de l’État est une figure parfaitement insérée dans le paysage politique letton, mais également à l’étranger, où il incarne son pays avec un flegme souriant depuis près de douze ans.</p>
<p>Il arrive au pouvoir dans un contexte international et régional extrêmement tendu du fait de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/conflit-russo-ukrainien-117340">guerre en Ukraine</a> – un contexte qui a des effets majeurs à l’intérieur de son pays, frontalier de la Russie et de la Biélorussie, et dont un quart environ des 2 millions d’habitants sont des russophones…</p>
<h2>Une élection sur le fil</h2>
<p>Dans la discrète Lettonie, la campagne électorale n’a pas été de tout repos. Le président sortant, Egils Levits, s’était dans un premier temps porté candidat à sa propre succession, avant de <a href="https://www.fpri.org/article/2023/05/who-will-be-the-next-president-of-latvia/">jeter l’éponge</a>. Levits était soutenu par le parti national-conservateur « Alliance nationale », formation qui participait à la coalition au pouvoir, en compagnie de Nouvelle Unité et de Liste unie (une union de partis centristes). Lorsque Liste unie a décidé de présenter son propre candidat, un homme d’affaires peu expérimenté en politique, Uldis Pilens, Levits a préféré se retirer de la course. </p>
<p>Le lendemain, le Parti progressiste (social-démocrate, situé dans l’opposition) annonçait que sa candidate serait Elina Pinto, experte en gouvernance publique et activiste de la diaspora. Et quelques heures après, Nouvelle Unité, parti du premier ministre Krisjanis Karins, en poste depuis 2019, désignait Edgars Rinkevics comme candidat.</p>
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<p>Si son bilan positif en matière de politique étrangère semblait parler en sa faveur, il n’a d’abord pas pu compter sur le soutien de l’Alliance nationale, qui a jugé que le président et le premier ministre ne devaient pas être issus du même parti, ni sur celui des Progressistes donc, alors que ces derniers partagent sur bien des points les orientations sociales-libérales de Nouvelle Unité.</p>
<p>Lors du premier tour de scrutin, le ministre des Affaires étrangères a recueilli 42 voix, contre 25 pour Pilens et 10 pour Pinto. Le deuxième tour a donné exactement les mêmes résultats, avant que, conformément à la Constitution, Pinto ne se retire. Enfin, le 31 mai, <a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/observatoire/2004">Rinkevics a été élu</a> à l’issue du troisième tour de scrutin, emportant sur le fil, et grâce au ralliement des Progressistes, 52 des 100 voix du Parlement, Pilens en récoltant 25.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1665297344043298816"}"></div></p>
<p>Constitutionnellement, les prérogatives du président sont restreintes en Lettonie. Le chef de l’État peut toutefois opposer son veto à des lois et convoquer des référendums, privilèges dont avait usé en son temps <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2007-4-page-17.htm">Vaira Vike-Freiberga</a>, présidente de 1999 à 2007, qui avait parfaitement su trouver sa place dans le système letton, donnant de la substance à sa fonction par son autorité morale, notamment en incarnant son pays sur la scène européenne et internationale au moment de la double <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2004-4-page-99.htm">adhésion à l’UE et à l’OTAN</a>. Elle <a href="https://politiqueinternationale.com/revue/n114/grand-entretien/la-lettonie-est-de-retour">expliquait alors</a> que le rôle réduit du chef de l’État letton lui offre une large liberté pour se positionner au-dessus des débats politiciens et s’affranchir de certaines contingences.</p>
<h2>Un programme à forte teneur sociale</h2>
<p>Le choix du Parlement, même chaotique, signe finalement une volonté de continuité et de stabilité. Les priorités d’Edgars Rinkevics étaient globalement connues et son expérience en matière de politique étrangère vaut en quelque sorte assurance de cohérence. En ces temps particulièrement inquiétants pour le pays, l’heure n’est ni à l’aventurisme ni à l’expérimentation.</p>
<p>Les priorités de son prédécesseur, Egils Levits, avaient été l’identité (et notamment la <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/europe/lettonie-2polvalorisation.htm">promotion de la langue lettone</a>) mais aussi, dès le 24 février 2022, le <a href="https://georgiatoday.ge/president-of-latvia-egils-levits-the-only-side-is-ukraines-side/">soutien résolu à l’Ukraine</a> ; le président sortant a par exemple milité pour la création d’un <a href="https://theconversation.com/les-crimes-commis-en-ukraine-pourront-ils-un-jour-faire-lobjet-dun-proces-international-181021">Tribunal pénal international pour juger des crimes perpétrés par la Russie</a>. Il laisse toutefois l’image d’un chef de l’État relativement éloigné des préoccupations de ses administrés, ce qu’a révélé en particulier son attitude assez passive pendant la pandémie de Covid-19.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-etats-baltes-a-lepreuve-du-covid-19-une-certaine-idee-de-leurope-137761">Les États baltes à l’épreuve du Covid-19 : une certaine idée de l’Europe</a>
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<p>Lors de son <a href="https://www.president.lv/en/article/speech-president-latvia-edgars-rinkevics-saeima-8-july-2023">discours d’investiture devant la Saeima</a>, Rinkevics, sans surprise, a annoncé la poursuite de la politique étrangère qu’il avait mise en œuvre depuis tant d’années, insistant évidemment sur l’importance d’un soutien indéfectible à l’Ukraine. Il a par ailleurs souligné la fracture sociale qui perdure dans le pays, les écarts ne cessant de se creuser entre populations et entre régions, et affirmé que le <a href="https://www.populationdata.net/pays/lettonie/">déclin démographique de la Lettonie</a>, problème majeur du pays, ne sera pas résolu à coups de prestations sociales, insuffisantes pour promouvoir la natalité, mais en investissant significativement dans l’éducation, la santé et le logement, conditions nécessaires pour endiguer une émigration inquiétante, surtout parmi les jeunes. </p>
<p>Le nouvel élu a également mis l’accent sur la lutte contre la corruption et la criminalité, ainsi que sur la consolidation d’un pouvoir judiciaire fort et indépendant – des sujets qui traversent depuis plus de trente ans la société lettone. Il n’a pas été disert sur la question des populations russophones de Lettonie, même s’il est clair que, depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, celles-ci sont, encore plus qu’auparavant, <a href="https://www.lefigaro.fr/international/en-lettonie-la-communaute-russophone-sous-pression-le-recit-de-l-envoye-special-du-figaro-20221228">implicitement mises en demeure de devoir assurer leur loyauté à l’État letton</a>. Loyauté qui passe notamment par une condamnation ferme et sans appel des actions de la Russie. Mais le nouveau Président, ferme dans ses principes, est aussi un homme de consensus qui ne souhaite pas attiser artificiellement des tensions dont la Lettonie saura très bien se passer.</p>
<h2>L’Ukraine, une priorité évidente</h2>
<p>Depuis 2014 et, plus encore, depuis février 2022, l’engagement de Riga vis-à-vis de l’Ukraine ne s’est jamais démenti. Si l’aide fournie pèse certes peu en valeur absolue, la Lettonie se positionne, et c’est notable, en <a href="https://www.ifw-kiel.de/topics/war-against-ukraine/ukraine-support-tracker/">deuxième position des pays engagés en part de PIB</a> (1,1 % au 31 mai 2023), juste derrière l’Estonie et devant la Lituanie et la Pologne. Pour Edgars Rinkevics, les régimes russe et biélorusse menacent la région baltique, l’Europe et le monde. En la matière, le président entend persévérer dans son soutien à Kiev <a href="https://www.president.lv/en/article/president-latvia-latvia-has-provided-strong-support-ukraine-and-its-people-ever-illegal-annexation-crimea-2014-and-we-will-continue-provide-support-until-complete-victory-ukraine">jusqu’à la victoire complète de l’Ukraine</a>.</p>
<p>Cet engagement passe par un <a href="https://www.lefigaro.fr/international/edgars-rinkevics-le-pouvoir-russe-est-plus-faible-que-nous-le-pensions-20230628">appui actif</a> aux candidatures de Kiev à l’UE et à l’OTAN, le chef de l’État insistant sur les signaux nécessaires à envoyer tant à l’Ukraine (qui ne doit pas se décourager) qu’à la Russie (qui doit comprendre que les alliés de l’Ukraine ne l’abandonneront pas).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/MYrPgm-c7QI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>En <a href="https://www.president.lv/en/article/president-rinkevics-poland-plays-strategic-role-strengthening-regional-security">visite de travail en Pologne le 16 août</a>, Rinkevics a rencontré son homologue Andrzej Duda avec lequel il a échangé sur les questions de sécurité régionale, de soutien à l’Ukraine, de renforcement de la coopération bilatérale économique et en matière de défense, ainsi que sur la façon de mettre en œuvre les décisions adoptées lors du <a href="https://theconversation.com/lotan-et-lukraine-ou-va-t-on-apres-le-sommet-de-vilnius-210022">sommet de l’OTAN à Vilnius</a>.</p>
<p>Peu avant, il s’était rendu dans la région de Latgale, à la frontière avec la Biélorussie, afin d’y évaluer les risques induits par les orientations de ce pays désormais vassalisé par le Kremlin : qu’il s’agisse du <a href="https://fr.euronews.com/2023/07/06/a-la-frontiere-entre-la-pologne-et-la-bielorussierien-na-change-en-deux-ans">risque migratoire</a>, de la présence des <a href="https://www.lefigaro.fr/international/les-images-de-la-nouvelle-base-de-wagner-en-bielorussie-20230803">mercenaires de Wagner</a>, du <a href="https://www.bfmtv.com/international/asie/russie/le-deploiement-d-armes-nucleaires-russes-en-bielorussie-represente-t-il-une-menace-pour-l-europe_AV-202305260637.html">déplacement d’équipements nucléaires russes sur le territoire biélorusse</a> ou du fonctionnement de la <a href="https://theconversation.com/au-belarus-la-centrale-nucleaire-de-la-discorde-129722">centrale nucléaire d’Astravets</a>, les menaces émanant de ce pays sont perçues comme sérieuses par le président, qui dit par ailleurs vouloir veiller à la réduction des inégalités internes à son pays, <a href="https://www.osw.waw.pl/en/publikacje/osw-commentary/2023-03-15/far-behind-riga-latvias-problems-uneven-development">celles-ci affectant particulièrement cette région orientale de Lettonie</a>.</p>
<h2>Faire avancer la société</h2>
<p>Edgars Rinkevics souhaite voir se concrétiser deux projets qui font débat dans le pays depuis quelques années : d’une part, la ratification de la <a href="https://www.coe.int/fr/web/istanbul-convention">Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique</a>, adoptée par le Conseil de l’Europe en 2011, jusqu’ici bloquée en Lettonie par les conservateurs qui, curieusement, semblent sur ce sujet assez perméables au <a href="https://researchportal.helsinki.fi/en/publications/russia-and-the-istanbul-convention-domestic-violence-legislation-">discours véhiculé par la Russie</a>, selon lequel les textes internationaux de ce type mettent à mal la famille traditionnelle ; d’autre part, l’ouverture de l’union civile à tous les couples, sujet sur lequel le nouveau président s’était déjà clairement prononcé avant de prendre ses nouvelles fonctions. En 2022, la Cour constitutionnelle a reconnu les unions entre personnes de même sexe, mais le Parlement n’a rien fait pour appliquer cette décision, notamment en matière de protection juridique.</p>
<p>Or, quand Edgars Rinkevics s’exprime sur cette question, sa parole est particulièrement guettée. En effet, le 6 novembre 2014, il avait provoqué un tremblement de terre en postant laconiquement en anglais sur Twitter : « J’annonce fièrement que je suis gay… Bonne chance à tous… »</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"530450808132108288"}"></div></p>
<p>Quelques heures auparavant, <a href="https://twitter.com/edgarsrinkevics/status/530436835101904896?lang=fr">dans un autre tweet</a>, accompagné du hashtag #Proudtobegay, il avait annoncé que la Lettonie, où les couples homosexuels ne bénéficiaient jusqu’alors d’aucune reconnaissance légale (la <a href="https://www.wipo.int/wipolex/fr/legislation/details/7363">Constitution</a> a même été modifiée en 2005 pour leur interdire de se marier), allait créer un cadre juridique leur accordant des droits ; il avait alors annoncé qu’il se battrait en ce sens, même si cela devait provoquer une « méga-hystérie ».</p>
<p>Le lendemain, dans un nouveau tweet, il remerciait les internautes pour leur compréhension et leur soutien : « La vie continue. » Dans un pays réputé conservateur, son coming out n’a eu aucune incidence sur sa carrière, et il est notable que <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/lettonie-edgars-rinkevics-elu-premier-president-gay-20230531">son homosexualité est mise en avant essentiellement à l’étranger</a>, alors qu’elle est rarement mentionnée en Lettonie, où elle est jugée peu pertinente pour évaluer sa légitimité à occuper de hautes fonctions. Il n’en reste pas moins que Rinkevics est désormais le premier chef d’État ouvertement gay de l’histoire de la Lettonie, <a href="https://www.leparisien.fr/international/ces-rares-pays-qui-ont-elu-un-chef-detat-ouvertement-homosexuel-avant-la-lettonie-01-06-2023-IXADJVHUNBENNE65YJIURQ57K4.php">et même de l’histoire de tous les pays de l’Union européenne</a>.</p>
<h2>Une scène politique interne chahutée</h2>
<p>Les premières semaines du nouveau président sont quelque peu troublées par la chute du gouvernement, à la suite de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/08/14/en-lettonie-le-premier-ministre-demissionne-sur-fond-de-desaccords-entre-les-membres-de-sa-coalition_6185381_3210.html">démission, le 14 août, du premier ministre Krisjanis Karins</a>, qui a tiré les conclusions des désaccords persistant au sein de la coalition : pour favoriser le consensus, le chef du gouvernement a tenté de revoir les équilibres au sein de la coalition (composée, rappelons-le, de Nouvelle Unité, de l’Alliance nationale et de Liste unie), voire de l’élargir – propositions auxquelles se sont opposés ses deux partenaires.</p>
<p>Le 24 août, après avoir consulté les cinq formations présentes au Parlement, Rinkevics a nommé première ministre <a href="https://www.mk.gov.lv/en/employee/evika-silina">Evika Silina</a>, de Nouvelle Unité (jusque-là ministre de la Protection sociale). Elle est chargée de former rapidement un nouveau gouvernement de large coalition et d’obtenir le soutien du Parlement d’ici mi-septembre.</p>
<p>La démarche du président semble claire : pour avancer et mettre en œuvre une politique active, il est indispensable de rassembler et de chercher le consensus. Rinkevics n’est pas naïf, pourtant : il est peu probable que Silina parvienne à regrouper cinq formations loin d’être compatibles du fait des positions de principe d’Alliance nationale et des Progressistes. Le pari semble donc osé : il ne s’agit pas d’enfermer les cinq partis jusqu’à ce qu’ils trouvent un accord, <a href="https://www.baltictimes.com/rinkevics_nominates_evika_silina_for_prime_minister/">a-t-il affirmé</a>, mais il serait bon pour le pays que chacun laisse de côté ses émotions et commence des négociations.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212397/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Céline Bayou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Aux avant-postes de la guerre russo-ukrainienne, la Lettonie s’est récemment dotée d’un nouveau président qui devra, dans un contexte difficile, piloter une classe politique profondément divisée.Céline Bayou, Chercheuse associée au Centre de recherche Europes-Eurasie (CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2096312023-09-03T14:21:20Z2023-09-03T14:21:20ZRacisme sexuel : quand les migrants gays asiatiques font face à la fétichisation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539925/original/file-20230728-23-434fnd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C0%2C7695%2C5142&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le racisme sexuel se manifeste particulièrement sur les applications de rencontre.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/SFUDMknYuuk">Jiang Xulei - 青 晨 / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>« L’une des particularités des discriminations et du racisme qui touchent les populations asiatiques réside dans le fait qu’ils sont rarement dénoncés, débattus publiquement ou encore sanctionnés juridiquement. » Ces quelques lignes sont extraites des <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/etudes-et-recherches/2023/03/eclairages-lexperience-du-racisme-et-des-discriminations-des-personnes">conclusions</a> de l’étude <a href="https://www.migrations-asiatiques-en-france.cnrs.fr/projet-reactasie/resume-scientifique-du-projet-reactasie">REACTAsie</a>, publiée par le Défenseur des droits en mars 2023.</p>
<p>Cette étude a mis en lumière l’expérience du racisme et des discriminations vécues par les personnes originaires d’Asie de l’Est et du Sud-Est en France. </p>
<p>Celle-ci pénètre l’école, le <a href="https://theconversation.com/ah-ces-chinois-ils-travaillent-dur-quand-le-racisme-se-veut-bienveillant-147305">travail</a>, l’espace public. Mais elle se glisse aussi dans l’intimité, jusque dans nos lits. Si, comme le souligne <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/etudes-et-recherches/2023/03/eclairages-lexperience-du-racisme-et-des-discriminations-des-personnes">l’étude</a>, « les hommes asiatiques subissent des stéréotypes liés à leur masculinité souvent déniée ou dévalorisée », les migrants gays asiatiques, eux, font l’objet d’une accumulation d’oppressions <a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-i-comme-intersectionnalite-146721">entrelacées</a> en raison de leur statut migratoire, de leur orientation sexuelle et de leur condition de minorité raciale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1134028857416265728"}"></div></p>
<h2>Le rêve d’un « paradis gay »</h2>
<p>J’ai rencontré Jie (<em>NDLR : tous les prénoms ont été modifiés</em>) dans le cadre de ma <a href="http://dx.doi.org/10.13140/RG.2.2.14493.49129/1">recherche</a>. Celle-ci portait sur l’interrelation entre migration et sexualité chez d’(anciens) étudiants gays chinois en France. Jie s’identifie comme homosexuel, mais n’a pas encore fait son <em>coming-out</em> auprès de ses parents. Passionné par la culture étrangère, notamment occidentale, il a choisi d’étudier pendant sa licence en Chine la langue et la littérature françaises, avec le rêve d’étudier un jour en France. Y étant parvenu, Jie avait pour ambition d’obtenir un master, puis un doctorat, tout en cherchant à bénéficier d’une société <em>gay-friendly</em>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-touristes-lgbt-se-cachent-pour-mieux-voyager-163097">Comment les touristes LGBT+ se cachent pour mieux voyager</a>
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<p>La France, <a href="https://www.campusfrance.org/fr/ressource/chiffres-cles-2023">classée 6ᵉ</a> en matière du nombre d’étudiants internationaux accueillis en 2020, attire chaque année à peu près 30 000 étudiants chinois qui choisissent l’Hexagone pour diverses raisons : les frais d’inscription nettement moins élevés que dans les pays anglo-saxons, la qualité de l’enseignement supérieur, le riche patrimoine culturel et le diplôme occidental survalorisé sur le marché du travail chinois.</p>
<p>Pour certains, comme les Chinois LGBT+, la France est une destination d’études et d’installation particulièrement attrayante en raison de sa réputation de liberté. Comme Jie, de nombreux hommes gays en Chine perçoivent l’Occident comme un « paradis gay », où l’atmosphère est généralement plus libérale et tolérante, et où la reconnaissance juridique des minorités sexuelles est une réalité, avec le « mariage pour tous » souvent cité comme argument. Ainsi, il convient de souligner que la <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/P/bo27160091.html">quête de liberté sexuelle</a> est intrinsèquement liée à leur aspiration de <a href="https://www.theses.fr/2016ROUEL026">mobilité sociale ascendante à travers des études à l’étranger</a>.</p>
<h2>« Pas branché Asiatique » ou « J’adore les Asiat »</h2>
<p>Loin d’un environnement sociétal homophobe, les migrants gays chinois bénéficient d’une plus grande liberté sexuelle et ne ressentent plus le besoin de « cacher leur homosexualité », ce qui leur permet d’embrasser le « véritable soi-même ». Cependant, ils ne sont pas à l’abri d’autres formes de discrimination, comme le <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/une_minorite_modele_-9782348065125">racisme anti-asiatique</a>, dont sont également victimes leurs homologues hétérosexuels résidant en France. Même au sein de la communauté gay en France, les <a href="https://frictions.co/toutes-identites-confondues/la-couleur-du-desir/">Asiatiques subissent différentes formes de racisme sexuel</a> en raison de leurs traits phénotypiques ou de leur origine présumée.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kEwuosHiwPE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le chercheur australien Denton Callander définit le <a href="https://doi.org/10.1007/s10508-015-0487-3">racisme sexuel</a> comme « une forme spécifique de préjugé racial qui s’exprime dans le contexte du sexe ou de la romance ». Il est <a href="https://doi.org/10.1080/13691058.2012.714799">prévalent sur les plates-formes de rencontres</a> sous l’effet de la <a href="https://doi.org/10.1089/1094931041291295">désinhibition en ligne</a>. Les rencontres en ligne, étant perçues comme anonymes, virtuelles et dépersonnalisées, favorisent une expression plus libre des attitudes, perceptions et stéréotypes concernant la « race » lors de la recherche de partenaires. De plus, ces applications encouragent souvent les utilisateurs à s’identifier avec des étiquettes raciales simplifiées et permettent de rechercher et de filtrer les profils en fonction de l’origine « ethnique », par exemple, Asiatique, Noir, Latino, Blanc ou encore homme du Moyen-Orient (<a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/06/03/l-appli-de-rencontre-grindr-va-supprimer-son-filtre-de-recherche-par-origine-ethnique_6041640_4408996.html">bien que Grindr ait supprimé cette fonctionnalité en 2020</a>).</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Le racisme sexuel se manifeste non seulement par le rejet sexuel et la hiérarchisation, mais également par la fétichisation ou l’hypersexualisation des partenaires potentiels issus d’un groupe racialisé. Les gays chinois ou plus largement asiatiques rencontrent parfois des personnes qui affichent explicitement « Pas branché Asiatique ! » sur leur profil, ou qui répondent dès le premier message « Désolé, je ne m’intéresse pas aux Asiatiques. ». Jie a ainsi partagé son expérience :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai rencontré des personnes [sur des applications de rencontres] qui, bien qu’elles ne soient pas nécessairement racistes, véhiculaient certains stéréotypes qui m’ont mis mal à l’aise. Certains semblaient croire que les Chinois ou Asiatiques en général étaient physiquement plus faibles et devaient adopter un rôle passif, efféminé, soumis et docile. Malheureusement, j’ai également reçu des messages racistes […], tels que “Tu sais masser ?”, “Salut, les Asiat m’excitent.”, “Je peux te baiser ? Je paie bien !”, “Les Asiatiques sont ici pour chercher du sexe avec les Blancs, pour se faire baiser par nous !”, etc. […] Cependant, ce type de messages ne venaient pas uniquement d’un groupe racial spécifique. J’ai reçu aussi des messages racistes d’individus arabes et noirs. »</p>
</blockquote>
<p>En revanche, il existe un autre type d’hommes (souvent) blancs, surnommés <a href="https://doi.org/10.1080/14443050009387602">« rice queens »</a> (littéralement, les « reines du riz »), qui sont principalement attirés par des Asiatiques et affichent sur leur profil des déclarations telles que « J’adore les Asiatiques ! ».</p>
<p>Effectivement, certains enquêtés, comme Xin (25 ans, diplômé de master), affirment être très vigilants à ce type de personnes soupçonnées d’être fétichistes, car ils ne savent pas « s’ils [les] apprécient en tant que personnes telles qu’ils sont ou simplement en raison de [leur] origine asiatique ». Cette méfiance découle de l’expérience de se sentir réduits à un objet exotique ou à une simple fantaisie sexuelle pour les « rice queens ».</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/ChpTye-jpZH","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p><em>Pour dénoncer le racisme sur les applis de rencontre, Miguel Shema, journaliste au <a href="https://www.bondyblog.fr">Bondy Blog</a>, a lancé le compte Instagram « Personnes racisées vs. Grindr »</em></p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CeQOv86A623","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<h2>Préférence ou racisme ?</h2>
<p>Des expériences similaires sont partagées, mais les points de vue sur ce phénomène se révèlent différents. Pour Peng, étudiant en master de 29 ans :</p>
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<p>« Il est très difficile de tracer une ligne de démarcation entre préférence et racisme, car il est impossible de connaître la véritable signification derrière ces mots. »</p>
</blockquote>
<p>Néanmoins, Romain, migrant qualifié de 35 ans, peut personnellement comprendre ce genre de comportements, y voyant « des préférences sexuelles individuelles et un moyen efficace de trouver des partenaires sexuels désirables », ce qui soulève aussi l’idéal libertaire du choix inhérent à l’idéologie démocratique occidentale.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-enquete-devoile-les-ressentis-des-personnes-victimes-de-racisme-199114">Une enquête dévoile les ressentis des personnes victimes de racisme</a>
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<p>Il semble que certains hommes gays non blancs ne considèrent pas la discrimination raciale entre partenaires sexuels comme une expression du racisme, parce qu’ils participent eux-mêmes à une forme d’attraction et de discrimination fondées sur la « race ». On entend également le terme « potato queen » (reine de la pomme de terre) pour désigner les Asiatiques qui ne sortent qu’avec des hommes blancs.</p>
<p>Les gays chinois ont également leurs propres « préférences » sur les plates-formes de rencontres. Certains ne répondent jamais aux messages des « Arabes ou Noirs résidant dans le 93 [Seine-Saint-Denis] », qu’ils perçoivent comme « pauvres, non éduqués ou réfugiés », tandis que d’autres « trouvent les Arabes charmants » en raison de leurs barbe, virilité et côté dominant. Ces « préférences » et stéréotypes sont largement influencés par les représentations médiatiques, les normes sociales et les expériences individuelles.</p>
<p>Comme le rappelle l’<a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/reactasie-num_02.pdf">étude REACTAsie</a>, une multitude de facteurs inextricablement liés agissent de concert pour produire des situations d’injustice. Ainsi, l’expérience du racisme sexuel vécue par les gays chinois ne peut être pleinement appréhendée si on l’isole d’autres paramètres. Il s’agit d’une facette seulement de l’expérience migratoire. Pour mieux comprendre cette dernière, il apparaît essentiel d’adopter une perspective <a href="https://anamosa.fr/livre/pour-lintersectionnalite/">intersectionnelle</a> tenant notamment compte des relations de pouvoir inégales liées à la race, au genre, à la classe sociale et au statut de citoyenneté.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209631/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cai Chen a reçu des financements de la bourse Erasmus Mundus (2019-2021) et de la bourse MSH-ULB Seed Grant (2022-2023).</span></em></p>La France attire les migrants LGBT+ originaires de régimes oppressifs tels que la Chine. Une fois sur place, ils ne sont pas à l’abri d’autres formes de discrimination, y compris le racisme sexuel.Cai Chen, Doctorant en anthropologie sociale, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2071562023-07-26T18:17:51Z2023-07-26T18:17:51ZDu chemsex aux fêtes… La 3-MMC, cette drogue de synthèse qui gagne du terrain chez les jeunes<p>La <a href="https://www.ofdt.fr/ofdt/fr/trend/syntheseTREND2018_Paris_SSD.pdf">3-MMC</a> est une drogue de synthèse (ou <em>research chemical</em>) appartenant à la famille des cathinones, molécules ayant des propriétés stimulantes et empathogènes. Elle se présente sous la forme de poudre ou de cristaux, et est principalement consommée en sniff ou en injection.</p>
<p>La consommation de 3-MMC, associée à celle de GHB/GBL, est initialement <a href="https://www.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2017-2-page-151.htm?contenu=resume">rattachée au milieu du <em>chemsex</em></a>, pratique de consommation de drogues en contexte sexuel, qui est essentiellement le fait d’hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), dans des contextes de sexe à plusieurs. Les <a href="https://www.ofdt.fr/publications/collections/thema/chemsex-slam">chemsexeurs</a> attribuent souvent à la 3-MMC des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1158136019300556">propriétés aphrodisiaques</a> facilitant les rapports sexuels (augmentation du désir, facilité à avoir une érection, retardement de l’éjaculation…).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/chemsex-les-dessous-de-lalliance-dangereuse-du-sexe-et-des-amphetamines-157804">« Chemsex » : les dessous de l’alliance dangereuse du sexe et des amphétamines</a>
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<p>Ces dernières années, une diffusion des usages de 3-MMC au-delà des contextes de chemsex est constatée par différents acteurs travaillant dans le champ de la réduction des risques. Cette substance est désormais consommée par des hommes et des femmes qui ne s’identifient pas toujours comme LGBTQI+, et en dehors de tout contexte sexuel.</p>
<p>Cette tendance est notamment rapportée en Nouvelle-Aquitaine par des usagers et usagères et par des professionnels de réduction des risques, interrogés dans le cadre de cette enquête. Cet article met en lumière, de manière sociologique, les motivations à la consommation de 3-MMC d’usagers qui ne sont pas chemsexeurs, les réseaux de vente de cette substance et les conséquences sanitaires rapportées.</p>
<h2>Des motivations liées au coût et aux effets de la 3-MMC</h2>
<p>Les usagers et usagères de 3-MMC semblent être le plus souvent des personnes jeunes, plutôt insérées socialement et polyconsommatrices, qui ont expérimenté d’autres drogues illicites (cannabis, cocaïne, MDMA/ecstasy…) avant d’essayer la 3-MMC. Certaines ont été initiées par des amis pratiquant le chemsex ou proches de ce milieu, d’autres par des personnes hétérosexuelles éloignées du chemsex. Les consommations ont presque systématiquement lieu en contexte festif, dans des clubs techno et des <em>raves</em> urbaines, parfois lors de soirées privées. D’après des intervenants en espace festif alternatif en Nouvelle-Aquitaine, les usages de 3-MMC semblent plus rares dans les <em>free parties</em> en espace rural, les usages étant davantage visibles en ville.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/nouvelles-drogues-les-cathinones-de-synthese-circulent-de-plus-en-plus-en-france-187684">Nouvelles drogues : les cathinones de synthèse circulent de plus en plus en France</a>
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<p>Les usagers rapportent apprécier les effets de ce produit, qui se situent entre ceux de la MDMA/ecstasy (amplification des ressentis sensoriels, effets entactogène et empathogène) et de la cocaïne (diminution de la sensation de fatigue, facilité à aller vers autrui et à échanger). Ils consomment principalement en sniff. Arthur a 22 ans, travaille dans le secteur de la restauration et consomme des substances diversifiées, notamment de la 3-MMC en contexte festif (essentiellement en club techno et dans des <em>afters</em> privées). Il apprécie les effets stimulants de la 3-MMC, qui lui donne « envie de faire des trucs » : « Tu prends une trace et tu cours un marathon ! » Contrairement à de nombreux chemsexeurs, Arthur ne lie pas ce produit à un effet aphrodisiaque, affirmant que cette consommation ne lui donne « pas envie de baiser ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Bu7khVwlOb8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Trois minutes sur : 3-MMC, la nouvelle cocaïne ? (OFDT, 2023).</span></figcaption>
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<p>Autre élément central rapporté par les consommateurs, le coût : le prix au gramme de la 3-MMC en Nouvelle-Aquitaine est d’environ 40 euros (avec un prix bas de 30 euros et un prix haut de 50 euros), contre un prix courant de 60 euros le gramme pour la cocaïne.</p>
<p>Dans son mémoire de sociologie intitulé <em>Les nouveaux produits de synthèse : entre politiques prohibitives et a priori. Étude des particularités des carrières de consommateurs de 3-MMC</em>, réalisé à l’Université de Bordeaux, <a href="https://www.linkedin.com/in/m%C3%A9lina-lapeyronie-soula-367473280/">Mélina Lapeyronie-Soula</a> a interrogé neufs consommateurs de 3-MMC, dont huit ne pratiquent pas le chemsex. La plupart des usagers interrogés présente le faible coût de ce produit, comparé à celui de la cocaïne, comme une motivation importante à l’usage. Selon Mélina Lapeyronie-Soula, le fait que la 3-MMC ait des effets proches de deux drogues bien connues et appréciées des usagers (la MDMA/ecstasy et la cocaïne) et que son prix soit assez faible contribue à sa diffusion en espaces festifs.</p>
<h2>Vente en ligne de drogues, livraison et achat en espaces festifs</h2>
<p>La 3-MMC a toujours été commandée <em>via</em> Internet par les chemsexeurs, qui se procurent la substance sur le <em>dark web</em> et sur des sites illégaux sur le <em>surface web</em>. Du fait des changements législatifs autour des drogues de synthèse, notamment concernant les <a href="https://nltimes.nl/2021/05/27/netherlands-restricts-designer-drug-3-mmc">plateformes de vente aux Pays-Bas</a>, les molécules vendues comme de la 3-MMC peuvent régulièrement s’avérer être des dérivés (notamment de la 3-CMC, aux propriétés similaires). Pour les chemsexeurs qui ne souhaitent pas acheter en ligne, il est possible de se fournir <em>in real life</em> (IRL) essentiellement via des réseaux d’usagers-revendeurs eux-mêmes chemsexeurs. On a donc depuis plusieurs années à faire à des réseaux de vente IRL très communautaires, assez fermés aux personnes ne pratiquant pas le chemsex.</p>
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<p>Ce modèle a évolué, et il est désormais possible pour des personnes éloignées du milieu du chemsex d’acheter de la 3-MMC IRL. La substance est vendue en espaces festifs par des <em>dealers</em> et usagers-revendeurs, au même titre que la cocaïne ou la MDMA/ecstasy. Il est également possible de se faire livrer de la 3-MMC à son domicile par des réseaux de livraison opérant dans la ville de l’usager, la substance n’échappant pas à <a href="https://www.ofdt.fr/ofdt/fr/trend/lyon19.pdf"><em>l’ubérisation du deal</em></a> en cours depuis maintenant plusieurs années. Plusieurs usagers rapportent ainsi que la disponibilité de la 3-MMC s’est accrue en 2022 et 2023, et que la substance est désormais assez facile à trouver. Si Arthur estime que la 3-MMC reste moins disponible en espaces festifs que la cocaïne ou l’ecstasy, il rapporte que « <em>la 3</em> » est bien plus facile à acheter aujourd’hui :_ « C’est répandu maintenant, tu peux trouver facilement _ ».</p>
<h2>Les conséquences sanitaires de la consommation de 3-MMC</h2>
<p><a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0955395915000729">Les conséquences sanitaires ont bien été identifiées au sein du public chemsexeur</a>, qui peut cumuler trouble de l’usage de drogues et addiction au sexe, et qui est régulièrement confronté à des problématiques liées au consentement, aux pratiques sexuelles à risque et à des problématiques générées par l’injection. Concernant les conséquences spécifiquement rattachées à la 3-MMC, elles sont similaires à celles liées à la cocaïne (<em>craving</em>, insomnies, perte d’appétit…) et à la MDMA/ecstasy (redescentes difficiles avec idées noires, regret d’avoir accepté certaines pratiques sexuelles ou de s’être rapproché de personnes vers lesquelles l’usager n’aurait pas été s’il avait été sobre…).</p>
<p>Les usagers de 3-MMC en espaces festifs échappent aux problématiques associées au chemsex, mais pas aux conséquences directes de l’usage de cette substance qui, lorsqu’elle est consommée en sniff, semble particulièrement nocive pour les cloisons nasales. Les usagers se plaignent en effet de douleurs intenses lors de la prise en trace : Antoine, un usager polyconsommateur de 25 ans, a ainsi testé la 3-MMC et n’a pas apprécié, « parce que ça arrache le nez ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/OtKrR3_TiJw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La 3-MMC : une drogue d’initié devenue populaire (Libération, 2022).</span></figcaption>
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<p>Les professionnels de réduction des risques commencent à voir arriver dans leurs structures des usagers de 3-MMC qui ne sont pas chemsexeurs, et qui se plaignent d’une perte de contrôle de l’usage et des conséquences sanitaires rapportées. Une association de réduction des risques intervenant en <em>free</em> et <em>rave parties</em> explique ainsi que des usagers de 3-MMC se plaignent par exemple d’insomnie, de nausées, de <em>bad trip</em> et de <em>craving</em>. Ces usagers étant souvent polyconsommateurs, le motif de prise en charge initial en addictologie n’est pas toujours la 3-MMC ; d’après les professionnels rencontrés, la plupart des usagers semblent consulter pour des problèmes de consommation de cocaïne ou d’alcool.</p>
<p>Une éducatrice spécialisée en CSAPA bordelais a ainsi rencontré un usager consommant « de la 3-MMC en dehors de tout contexte sexuel, pour expérimenter, pour faire la fête », qui venait demander de l’aide pour ses « usages de cocaïne ». Notons cependant que, comme pour les autres drogues, la plupart des usages de 3-MMC sont récréatifs et n’entraînent pas de conséquences sanitaires majeures.</p>
<p>Si la 3-MMC est, pour le moment, moins visible en espaces festifs que d’autres psychostimulants, il y a fort à parier que sa diffusion ne fait que commencer, et que les expérimentations se multiplieront dans les années à venir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207156/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sarah Perrin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Initialement rattachée au milieu du chemsex, la 3-MMC se diffuse de plus en plus en milieu festif. Regard sur les motivations des consommateurs grâce à une enquête menée en Nouvelle-Aquitaine.Sarah Perrin, Docteure en sociologie, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2064542023-06-05T15:47:29Z2023-06-05T15:47:29ZLes couples de même sexe sont-ils de plus en plus nombreux ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/528592/original/file-20230526-11069-1jdpul.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C0%2C2998%2C1994&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En France, environ 150 000 couples de même sexe habitent ensemble. Cela représente 1 % des couples cohabitants.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/vs-fjU4sQos">Tallie Robinson / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Désormais reconnus juridiquement dans une <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-1-page-1.htm">cinquantaine de pays</a>, les couples de même sexe sont également mieux repérés par la <a href="https://theconversation.com/sante-cardiovasculaire-et-minorites-sexuelles-vers-une-meilleure-prise-en-compte-en-france-205873">statistique</a> publique. Exploitant les derniers recensements et enquêtes, nous avons examiné leurs caractéristiques en Europe, au Canada, aux États-Unis et en Australie. Les couples de même sexe sont-ils en augmentation ? Les tendances sont-elles les mêmes pour les couples de femmes et d’hommes ? Quel est le pourcentage de couples mariés ? Où habitent-ils ? Ces caractéristiques varient-elles beaucoup selon les pays ?</p>
<p>Premier constat : partout où les statistiques sont disponibles, celles-ci révèlent une <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-1-page-1.htm">augmentation de la fréquence</a> des couples de même sexe cohabitants. Leur fréquence a triplé aux États-Unis entre 2000 et 2021 pour atteindre 1,8 % des ménages comprenant un couple. Au Canada, ils représentaient 1,1 % des familles comprenant un couple en 2021, contre seulement 0,5 % pour les couples de même sexe en 2001. On observe la même tendance en Australie avec 1,4 % des couples au recensement de 2021 contre 0,3 % à celui de 2001.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/528331/original/file-20230525-29-65n14z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Proportion de couples de même sexe parmi l’ensemble des couples" src="https://images.theconversation.com/files/528331/original/file-20230525-29-65n14z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528331/original/file-20230525-29-65n14z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=732&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528331/original/file-20230525-29-65n14z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=732&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528331/original/file-20230525-29-65n14z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=732&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528331/original/file-20230525-29-65n14z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=920&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528331/original/file-20230525-29-65n14z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=920&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528331/original/file-20230525-29-65n14z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=920&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-1-page-1.htm">Wilfried Rault, 2023, Population & Sociétés, n° 607</a></span>
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<p>L’augmentation de la fréquence des couples de même sexe est également perceptible en Europe. En Allemagne, leur part a plus que doublé entre 2010 et 2019 pour atteindre 0,7 % des couples à cette dernière date. En Espagne, elle est passée de 0,7 % en 2013 à 1 % en 2020. Le même type d’évolution a été observé au Royaume-Uni : les ménages comprenant un couple de même sexe représentaient 1 % des ménages conjugaux en 2015 et 1,4 % en 2018. En France, on comptait 170 000 personnes en couple de même sexe cohabitant en 2011, contre près de 305 000 personnes en 2020, soit 1 % des couples cohabitants.</p>
<h2>Les couples de femmes augmentent plus</h2>
<p>L’augmentation du nombre de <a href="https://theconversation.com/marcher-dans-la-rue-double-peine-pour-les-lesbiennes-123021">couples de femmes</a> est plus marquée que celle de couples d’hommes. Minoritaires en Espagne (39 % des couples de même sexe en 2020) et en France (43 % en 2020), les couples de femmes sont aussi nombreux que les couples d’hommes en 2021 au Canada et en Australie, et ils sont majoritaires aux États-Unis (52 %).</p>
<p>La sociodémographie des couples de même sexe révèle ainsi une augmentation sensible de leur nombre, celle-ci provenant à la fois d’une amélioration des outils de la statistique et d’une hausse de ces situations conjugales qui sont davantage acceptées socialement. Il est également possible que des personnes qui dissimulaient leur situation conjugale dans un contexte plus défavorable la déclarent désormais.</p>
<p>Une limite importante à la plupart de ces recensements est à noter : ils reposent sur la composition du logement et ne tiennent pas compte des configurations conjugales non cohabitantes, qui concernent plus souvent les couples de même sexe. En France par exemple, l’enquête <a href="https://books.openedition.org/ined/15898?lang=fr">Famille et logements</a> réalisée en 2011 a permis d’établir que les couples non cohabitants étaient 4 à 5 fois plus fréquents chez les personnes en couple de même sexe que chez celles en couple de sexe différent.</p>
<p>Les personnes en couple de même sexe sont, aussi, en moyenne, plus jeunes que celles en couple de sexe différent. En Australie, la moitié des personnes en couple de même sexe a moins de 40 ans (49 ans pour les personnes en couple de sexe différent).</p>
<p>De tels écarts apparaissent également en France où les femmes et les hommes en couple de même sexe ont en moyenne 41 et 44 ans respectivement, contre 51 et 53 ans pour les femmes et hommes en couple de sexe différent. La part de personnes en couple de même sexe est ainsi plus élevée dans les jeunes générations : 2 % des 25-29 ans sont en couple de même sexe, c’est deux fois plus que le pourcentage sur l’ensemble des couples (1 %). Leur part tombe à 0,4 % parmi les 60-75 ans en couple.</p>
<h2>Des couples moins souvent mariés</h2>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/528333/original/file-20230525-15-dtvyq8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Proportion de couples de même sexe et de sexe différent mariés, pacsés et en union libre en France selon l’âge (%)" src="https://images.theconversation.com/files/528333/original/file-20230525-15-dtvyq8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528333/original/file-20230525-15-dtvyq8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=531&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528333/original/file-20230525-15-dtvyq8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=531&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528333/original/file-20230525-15-dtvyq8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=531&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528333/original/file-20230525-15-dtvyq8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=667&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528333/original/file-20230525-15-dtvyq8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=667&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528333/original/file-20230525-15-dtvyq8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=667&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-1-page-1.htm">Wilfried Rault, 2023, Population & Sociétés, n° 607</a></span>
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<p>Les couples de même sexe sont, en moyenne, moins souvent mariés que les couples de sexe différent. Aux États-Unis, 89 % des couples de sexe différent sont mariés (2019), mais seulement 58 % des couples de même sexe – depuis 2015 ils peuvent se marier dans tous les États du pays. Au Canada, où le mariage a été ouvert aux couples de même sexe en 2005, les écarts sont également marqués (74 % contre 37 % en 2021). Il en est de même en France où le mariage de deux personnes de même sexe est possible depuis 2013 : 73 % des couples de sexe différent sont mariés en 2020, contre 40 % des couples de femmes et 37 % des couples d’hommes. Ces différences sont en partie imputables au fait que ces couples sont plus jeunes et plus récents, donc moins enclins à avoir déjà eu recours au mariage. <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-1-page-1.htm">Ils ont aussi une moindre préférence pour le mariage à âge identique</a>.</p>
<p>Les couples de même sexe vivent moins souvent avec des enfants que les couples de sexe différent, surtout les hommes, même si la tendance générale est à la hausse. En Australie, en 2016, un quart des ménages constitués d’un couple de femmes comprenait également au moins un enfant, et en 2021, 38 %. Pour les hommes, la proportion est passée de 4 % à 7 %.</p>
<p>On observe ces mêmes tendances dans tous les pays étudiés. Au Canada, en 2021, 23 % des couples de même sexe résident avec des enfants, avec, là-aussi, des disparités très fortes entre les couples de femmes et les couples d’hommes : 33 % des premiers vivent avec des enfants et 11 % des seconds. C’est la même chose en France en 2020 où 27 % des couples de femmes et 6 % des couples d’hommes vivent avec au moins un enfant dans le ménage. Ceci explique par ailleurs pourquoi les <a href="https://doi.org/10.3917/popu.1904.0499">couples de femmes sont un peu plus souvent mariés que les hommes</a>.</p>
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<img alt="Deux femmes avec un bébé" src="https://images.theconversation.com/files/528596/original/file-20230526-15-7em0f0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528596/original/file-20230526-15-7em0f0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528596/original/file-20230526-15-7em0f0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528596/original/file-20230526-15-7em0f0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528596/original/file-20230526-15-7em0f0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528596/original/file-20230526-15-7em0f0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528596/original/file-20230526-15-7em0f0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En France, 27 % des couples de femmes cohabitants et 6 % des couples d’hommes cohabitants vivent avec au moins un enfant.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/uaQpinemVoo">Kenny Eliason/Unsplash</a></span>
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<h2>Les métropoles, forces d’attractivité</h2>
<p>L’attractivité des grandes métropoles pour les minorités sexuelles a été observée de longue date. Du fait de <a href="https://theconversation.com/comment-les-touristes-lgbt-se-cachent-pour-mieux-voyager-163097">l’anonymat qu’elles permettaient</a>, mais aussi parce que celles-ci étaient pourvues en lieux de sociabilités et d’espaces de rencontres, les grandes villes ont très tôt représenté des lieux où il était plus facile de vivre une <a href="https://theconversation.com/etre-gay-en-guadeloupe-entre-homophobie-et-prejuges-raciaux-136884">sexualité souvent stigmatisée et réprimée</a>. Femmes et hommes en couple de même sexe vivent nettement plus souvent dans les grandes métropoles que les personnes en couple de sexe différent. Au recensement de 2021, 42 % des couples de même sexe canadiens résidaient dans l’une des trois plus grandes unités urbaines du pays (Toronto, Montréal, Vancouver) contre 34 % des couples de sexe différent. Cette tendance se retrouve dans les autres pays de l’étude pour lesquels l’information est disponible.</p>
<p>Aux États-Unis, les États de l’ouest du pays et ceux comprenant de grandes métropoles (État de New York, Washington DC, Massachusetts, Floride, Californie) sont des lieux de forte implantation des couples de même sexe. Tandis qu’ils représentent 1,5 % de l’ensemble des ménages conjugaux dans l’ensemble des États-Unis en 2019, le pourcentage de couples de même sexe est bien plus élevé dans certaines aires urbaines (≥2,4 %) : San Francisco, Portland, Seattle et Orlando.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-match-de-pedes-homophobie-ordinaire-et-heterosexualite-imposees-97710">Un « match de pédés » : homophobie ordinaire et hétérosexualité imposées</a>
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<h2>Une déconcentration favorisée avec le numérique ?</h2>
<p>En France, en 2020, les couples de même sexe sont plus nombreux en région parisienne et dans la ville de Paris que dans le reste du territoire. Tandis que 2,6 % des hommes et des femmes en couple hétérosexuel résident à Paris et 14,6 % dans l’agglomération parisienne, c’est le cas respectivement de 15,8 et 30 % des hommes et 6,1 % et 18,4 % des femmes en couple de même sexe. Ces dernières sont donc moins concentrées à Paris et plus réparties dans l’ensemble du territoire que les couples d’hommes. Cette répartition différente est observée dans tous les pays où de telles statistiques sont disponibles. Les couples de même sexe sont plus présents dans les départements des grandes métropoles du pays, notamment en Loire-Atlantique, Gironde, Rhône, Haute-Garonne, Hérault, Bouches-du-Rhône.</p>
<p>L’acceptation sociale croissante et l’essor de sociabilités fondées sur des espaces numériques pourraient favoriser une relative déconcentration. Le pourcentage de couples de même sexe qui vivent à Paris est d’ailleurs plus faible en 2020 qu’il ne l’était en 2011. On observe une telle déconcentration dans d’autres pays, au Canada notamment.</p>
<p>Dans l’ensemble, les caractéristiques des couples de même sexe se rapprochent de celles des couples de sexe différent sur plusieurs points. Pour autant, <a href="https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/25008/population.societes.530.site.rencontres.conjoint.fr.pdf">leurs spécificités</a> restent fortes et les expériences individuelles distinctes. Si la reconnaissance juridique et sociale des couples de même sexe figure parmi les grandes transformations de la famille et de la vie privée depuis la fin du XX<sup>e</sup> siècle, le processus de banalisation des minorités sexuelles est <a href="https://www.ined.fr/fichier/rte/General/Publications/Grandes%20enqu%C3%AAtes/Virage/virage-chapitre10.pdf">loin d’être abouti</a>.</p>
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<p><em>Ce texte est adapté d’un article publié par l’auteur dans « Population et Sociétés » n° 607, <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-1-page-1.htm">« Les couples de même sexe dans les pays occidentaux. Mieux reconnus et plus nombreux »</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206454/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Wilfried Rault ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En se basant sur des recensements récents, une étude de l’INED fait le point sur la démographie des couples de même sexe en Occident.Wilfried Rault, Directeur de recherche à l'INED, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2056382023-05-16T18:42:22Z2023-05-16T18:42:22ZMariage pour tous : Bègles, 2004, un moment de bascule<p>Le 17 mai 2023 marque la célébration des 10 ans de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000027414540">loi dite du « mariage pour tous »</a>. Outre le droit de se marier, le texte a donné la possibilité juridique aux couples gays et lesbiens d’adopter des enfants et a permis aux familles <a href="https://theconversation.com/pma-et-homoparentalite-que-sait-on-vraiment-du-developpement-des-enfants-de-meres-lesbiennes-124397">homoparentales</a> d’être reconnues et protégées légalement. Bien qu’il ait laissé de côté certaines revendications concernant l’homoparentalité, il a constitué une étape majeure sur le chemin de l’égalité des droits des personnes LGBT, comme le <a href="https://www.cairn.info/au-dela-du-pacs--9782130519904.htm?ora.z_ref=cairnSearchAutocomplete">Pacs</a> en 1999.</p>
<p>Si le gouvernement socialiste de Jean-Marc Ayrault a été l’artisan institutionnel de cette réforme portée avec verve par la garde des Sceaux Christiane Taubira, la loi de 2013 est le résultat d’années de luttes qui se sont jouées sur différents terrains depuis les années 1990. Elles ont été menées, souvent à bas bruit, par une pluralité d’acteurs et d’actrices investis dans le combat pour l’égalité des <a href="https://theconversation.com/protection-des-droits-lgbt-dans-le-monde-quel-role-pour-les-multinationales-171649">droits LGBT</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/5Z4We5N8z2M?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Allocution de Christiane Taubira lors de l’adoption définitive du mariage pour tous à l’Assemblée nationale.</span></figcaption>
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<p>Parmi eux, des associations LGBT et de lutte contre le Sida, des figures engagées du monde intellectuel mais aussi des juristes, des avocates et avocats qui ont ferraillé en justice, des journalistes qui ont cherché à médiatiser cette cause et enfin, des militants et des personnalités politiques qui ont œuvré au sein des partis de gauche, embrassant ces revendications au fil des années et au gré d’événements.</p>
<p>Or, il en est un qui fut une bascule dans <a href="https://theses.hal.science/tel-03402012">l’histoire des luttes pour la conquête des droits conjugaux et parentaux des gays et des lesbiennes</a> : le « mariage de Bègles », une action proche de la désobéissance civile, organisée par un petit groupe réuni pour l’occasion en un collectif informel.</p>
<p>Premier mariage unissant deux hommes, il fut célébré par le député-maire Vert Noël Mamère en la mairie de Bègles (Gironde), près de dix avant que la loi ne légalise les unions de même sexe, et eut des effets importants sur la politisation des causes du mariage et de l’homoparentalité en France.</p>
<h2>Affirmation du principe d’égalité des droits</h2>
<p>À l’origine, une affaire d’<a href="https://www.lemonde.fr/vous/article/2004/02/03/sebastien-35-ans-brule-vif-parce-que-homosexuel_351546_3238.html">agression homophobe</a> qui aboutira finalement à un <a href="https://www.liberation.fr/societe/2006/09/26/non-lieu-dans-une-affaire-d-agression-homophobe-presumee_5143/">non-lieu</a>. Face à cet acte, associations et militantes et militants gays et lesbiens réclament au gouvernement de Jean-Pierre Raffarin une loi contre l’homophobie.</p>
<p>Le philosophe Didier Eribon, auteur de <em>Réflexions sur la question gay</em>, et le juriste Daniel Borrillo, spécialiste des discriminations et des droits LGBT, veulent aller plus loin, convaincus depuis plusieurs années déjà qu’on ne pourra lutter efficacement contre les discriminations, l’homophobie et la transphobie tant que les gays, les lesbiennes et les trans n’auront pas les mêmes droits que les personnes hétérosexuelles.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2004/03/16/manifeste-pour-l-egalite-des-droits_356939_1819218.html">« Manifeste pour l’égalité des droits »</a> publié le 17 mars 2004 dans <em>Le Monde</em>, ils réclament, avec le soutien de personnalités issues des mondes intellectuel, artistique et politique, l’accès des couples homosexuels au mariage et à l’adoption, et celui des lesbiennes et des femmes célibataires à la procréation médicalement assistée.</p>
<p>Ils appellent les maires à célébrer des unions entre personnes du même sexe à la faveur d’une interprétation libérale du code civil, arguant que celui-ci ne définit pas le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme ; ils appellent aussi les parlementaires à changer la loi et les juges à interpréter l’interdiction du mariage homosexuel comme une violation du principe constitutionnel d’égalité des droits.</p>
<p>Parmi les signataires du manifeste, des maires, dont Noël Mamère, s’engagent à unir des couples homosexuels si on les sollicite. Le 31 mars, le premier édile de Bègles officialise sa position. Il déclare lors d’une conférence de presse, par l’intermédiaire des rédacteurs du manifeste, être prêt à célébrer des mariages « sans se soucier de savoir si la loi le lui permet […] puisqu’il s’agit pour lui de faire un geste politique d’affirmation du principe d’égalité des droits », comme le rapporte Didier Eribon dans son livre <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/sur-cet-instant-fragile-9782213622798"><em>Sur cet instant fragile</em></a>.</p>
<h2>« Stratégie de scandalisation »</h2>
<p>Pour les auteurs et signataires du texte, le manifeste n’est pas une fin en soi mais le préalable à une action politique soigneusement préparée et mise en œuvre par le groupe. Trois avocats connus pour leur engagement dans la défense des droits des personnes LGBT jouent notamment un rôle fondamental dans la préparation de la stratégie judiciaire de cette action : Caroline Mécary, Yann Pedler et Emmanuel Pierrat.</p>
<blockquote>
<p>« Le législateur n’était pas prêt à ouvrir le mariage aux couples homosexuels. […] Donc on décide de provoquer la réaction. […] Avec un paradoxe, c’est qu’on plaidait à la fois que le droit nous le permettait et on était aussi dans la logique de dire, soit le droit nous le permet et c’est formidable, soit il ne nous le permet pas et ce n’est pas très grave parce qu’on va secouer le cocotier suffisamment. » (Entretien avec Emmanuel Pierrat, 13 juin 2013)</p>
</blockquote>
<p>Cet appel du collectif à la transgression des normes juridiques et sociales relève, pour reprendre les termes du politiste Michel Offerlé, d’une <a href="https://www.lgdj.fr/sociologie-des-groupes-d-interet-9782707607850.html">« stratégie de scandalisation »</a>.</p>
<p>En cela, l’opération est réussie. Le mariage de Bègles, avant même qu’il ne soit célébré, crée un <em>scandale</em> jusqu’au plus haut niveau de l’État, amenant le président Jacques Chirac et son ministre de la Justice à <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2004/04/29/comme-le-gouvernement-jacques-chirac-invoque-la-loi-contre-le-mariage-homosexuel_363087_1819218.html">réagir</a>.</p>
<p>L’approche sociologique du scandale développée par <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2005-3-page-9.htm">Damien de Blic et Cyril Lemieux</a> permet d’expliquer en quoi cette union a été un moment de transformation sociale : pour eux, le scandale est une épreuve à travers laquelle est réévalué collectivement l’attachement à des normes. Avec l’affaire de Bègles, les positions et les représentations sociales autour du mariage et de l’homoparentalité se reconfigurent.</p>
<h2>Le mariage gay mis à l’agenda médiatique</h2>
<p>Avant cela, la cause du mariage n’avait qu’un très faible écho médiatique en France ; aucun travail spécifique n’avait été engagé par les associations LGBT sur ce thème et les partis politiques n’avaient pas intégré cette question à leur agenda. En quelques mois, l’affaire du mariage de Bègles va changer la donne.</p>
<p>La première transformation majeure concerne la <em>médiatisation de la revendication du mariage</em>. Celle-ci avait brièvement émergé à l’occasion des débats sur le Pacs, mais le sujet avait quasi disparu de l’agenda médiatique depuis le vote de la loi en 1999.</p>
<p>À l’inverse, la question de l’homoparentalité connaissait une montée en puissance grâce au travail de pédagogie et de visibilisation des familles homoparentales mené par l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), ainsi qu’à la faveur de mobilisations dans les arènes de justice dont <a href="https://www.lgdj.fr/l-amour-et-la-loi-9782362790607.html">Caroline Mécary</a> a été l’une des figures de proue.</p>
<p>Or, le mariage de Bègles <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/2575081001016/mariage-homosexuel-a-begles">a fait surgir et s’installer durablement la revendication du mariage dans les médias</a>.</p>
<p>Le deuxième changement d’ampleur a trait à <em>l’agenda des associations LGBT</em>. Le mariage de Bègles va entraîner une adhésion plus claire et plus massive aux revendications liées au mariage et à l’homoparentalité et faire tomber les résistances internes au mouvement. À partir de 2004, l’accès aux droits conjugaux et familiaux deviennent les enjeux prioritaires de l’agenda LGBT, notamment en vue des élections présidentielles de 2007.</p>
<p>Plus spécifiquement, la cause du mariage devient tout autant le symbole de l’accès à « l’égalité des droits » que le moyen d’y parvenir.</p>
<p>Alors même que la cause homoparentale était essentiellement portée indépendamment du mariage, à partir de 2004, se produit une confluence des mobilisations en faveur de ce dernier et de l’homoparentalité. Celle-ci se matérialise à travers l’articulation entre <em>ouverture du mariage</em> et <em>ouverture de l’adoption</em> aux couples de même sexe posées de manière indissociable l’une de l’autre, la première emportant la seconde, tandis que les autres revendications (PMA, GPA, filiation) passent à un plan plus secondaire.</p>
<h2>Le PS emboîte le pas et dit oui au mariage gay</h2>
<p>Enfin, l’affaire de Bègles entraîne la mise à l’agenda politique simultanée des enjeux du mariage et de l’homoparentalité par un effet en chaîne. Au cours de cet épisode, Dominique Strauss-Kahn, alors député socialiste du Val-d’Oise et candidat à la primaire de son parti en vue de l’élection présidentielle de 2007, fait un coup politique : il prend publiquement position en faveur du mariage et de l’adoption dans <a href="https://www.liberation.fr/france/2004/05/11/pour-moi-l-adoption-par-un-couple-homo-c-est-oui_478997/"><em>Libération</em></a>.</p>
<p>Alors même que le Parti socialiste était encore très divisé au sujet de ces revendications, la déclaration de DSK entraîne un alignement de la direction du PS sur la sienne et contraint plus largement l’ensemble des formations politiques à se positionner sur ces questions. À partir de 2004, ces questions deviennent des enjeux de clivages entre partis, en particulier durant les campagnes présidentielles.</p>
<p>Quelques mois après la célébration du mariage de Bègles, celui-ci fut annulé. Noël Mamère fut condamné par la justice et suspendu de ses fonctions pendant un mois pour cet acte politique. Mais ses instigateurs et instigatrices pouvaient savourer leur victoire : leur action avait permis de faire entrer ces revendications dans le débat politique.</p>
<p>Aujourd’hui, presque 20 ans plus tard, <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/04/23/quel-est-le-bilan-chiffre-du-mariage-pour-tous-dix-ans-apres_6170659_4355770.html">plus de 70 600 couples de personnes de même sexe sont mariés en France</a>, selon les données de l’Insee arrêtées fin 2022.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205638/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuelle Yvert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En 2004, le « mariage de Bègles », célébré illégalement, constitua un tournant dans les luttes pour les droits LGBT. Il a ouvert la voie au mariage pour tous, dont on fête aujourd’hui les dix ans.Emmanuelle Yvert, Chercheuse en science politique, École Normale Supérieure Paris-Saclay – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1906132022-09-15T18:13:37Z2022-09-15T18:13:37ZLa garçonne des années 1920, une figure ambivalente<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/484667/original/file-20220914-9486-vx0wjd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C13%2C1323%2C883&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Garçonne vue par le dessinateur Edouard Chimot en 1939.</span> <span class="attribution"><span class="source">Collection particulière</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Alors que miss France 2024, Eve Gilles, déchaîne les commentaires parce qu'elle est la première couronnée portant des cheveux courts, revenons sur la révolution de la garçonne, il y a un siècle. Une révolution inachevée, qui montre l'extraordinaire résistance aux changements dans les normes de genre.</p>
<p>La garçonne est à la fois une mode – le look années 1920 – et une figure mythique – la jeune femme moderne et affranchie sexuellement – prise dans un autre mythe, celui des Années folles. Inventé par Joris-Karl Huysmans, écrivain et critique d’art, le terme évoque à la fois la « garce », la féminisation inédite et oxymorique de « garçon » et la « garçonnière ». Sa popularité vient du <a href="https://www.retronews.fr/arts/long-format/2022/02/22/le-scandale-de-la-garconne-roman">roman éponyme de Victor Margueritte</a> publié il y a cent ans, en 1922. <em>La garçonne</em>, dans la France d’après-guerre, naît sous le signe du scandale. L’auteur est notamment radié de la Légion d’honneur, à la suite de plaintes venant des milieux conservateurs, catholiques et natalistes agissant au nom de la défense de la morale publique.</p>
<p>Puis les journaux, les livres, les films, les caricatures, les pamphlets vont faire de cette garçonne une figure-repoussoir, responsable du désordre des mœurs. C’est un mythe qui s’ancre à Paris, lieu à la fois fascinant et effrayant, où la charge sexuelle est très forte, mais qui est aussi présent dans d’autres grandes villes comme <a href="https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/oeuvre/cdLArn6">Berlin</a>, Londres et New York, Le Caire ou encore Tokyo. Le mot, bien que difficile à traduire, s’exporte bien. En Allemagne, dans les années 1920, une revue lesbienne porte ce nom. Et en Roumanie, les salons de coiffure adoptent la coupe « à la garçonne » en français. C’est la première fois que les femmes portent les cheveux courts : une révolution.</p>
<h2>Emancipation corporelle et sexuelle</h2>
<p>La garçonne qualifie une <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/cd/1988-v4-n2-cd1040478/7208ac.pdf">allure un peu garçonnière</a>. La presse de mode de nos jours emploie encore régulièrement ce terme délicieusement rétro et très évocateur. Dès les années 1920, la garçonne apparaît paradoxale et multiple.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484649/original/file-20220914-7468-431uc3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484649/original/file-20220914-7468-431uc3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=845&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484649/original/file-20220914-7468-431uc3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=845&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484649/original/file-20220914-7468-431uc3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=845&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484649/original/file-20220914-7468-431uc3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1062&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484649/original/file-20220914-7468-431uc3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1062&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484649/original/file-20220914-7468-431uc3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1062&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’actrice Vilma Bánky portant un chapeau cloche, 1927.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cloche_(couvre-chef)#/media/Fichier:Vilmabanky.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le terme peut désigner simplement une femme à la mode. <a href="https://www.dailymotion.com/video/x3cl87">Une mode qui est révolutionnée par Paul Poiret, Chanel</a>, parmi d’autres. Porter la petite robe noire qui découvre bras et jambes, avec un long sautoir en perles et un chapeau cloche, c’est déjà être une garçonne. Mais il y a aussi la garçonne plus androgyne ou masculine, aux cheveux gominés, qui porte le costume d’homme et fume en public. Sans oublier les sportives, de plus en plus nombreuses, adeptes du short et du pantalon.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/484642/original/file-20220914-4859-moa09n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484642/original/file-20220914-4859-moa09n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484642/original/file-20220914-4859-moa09n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=974&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484642/original/file-20220914-4859-moa09n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=974&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484642/original/file-20220914-4859-moa09n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=974&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484642/original/file-20220914-4859-moa09n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1224&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484642/original/file-20220914-4859-moa09n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1224&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484642/original/file-20220914-4859-moa09n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1224&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La footballeuse brune, 1926, Ángel Zárraga.</span>
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<p>La garçonne incarne une émancipation corporelle et sexuelle. Elle ne se soumet plus aux contraintes et rejette le corset, symbole des entraves qui caractérisent les apparences féminines. Son corps est androgyne, mince, filiforme. La poitrine est effacée : bandée, aplatie par les robes à taille basse, voire éradiquée par le bistouri. C’est une rupture esthétique considérable, que l’on interprète comme un refus des rondeurs maternelles. Dans l’imaginaire collectif, nourri par le roman de Victor Margueritte, la garçonne est bisexuelle, nymphomane et rejette la maternité. Elle ne respecte plus l’ordre des sexes. Elle ignore l’ordre des races. Elle ne reconnaît pas non plus les frontières entre les classes : sous le chapeau cloche, la bourgeoise et la crémière se ressemblent.</p>
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<p>Il s’agit bien d’un mythe même si, dans la vraie vie, des femmes réelles ont pu inspirer telle ou telle facette de cette figure : Chanel, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/lisez-le-journal-de-mireille-havet-figure-eblouissante-et-tragique-du-paris-lesbien-des-annees-folles-2307409">Mireille Havet</a>, <a href="https://theconversation.com/josephine-baker-ou-les-chemins-complexes-de-lexemplarite-167062">Joséphine Baker</a>, <a href="https://gallica.bnf.fr/blog/08042021/marthe-hanau-la-banquiere-des-annees-folles?mode=desktop">Marthe Hanau</a>, Violette Morris… Mais, dans la vraie vie, les femmes des années 1920 n’ont ni le droit de vote, ni le droit de porter le pantalon. Et la France, avec une majorité bleu-horizon à la Chambre des députés, accroît la répression de l’avortement tout en interdisant les discours attentatoires à la natalité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484643/original/file-20220914-26-s8j45v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484643/original/file-20220914-26-s8j45v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=788&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484643/original/file-20220914-26-s8j45v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=788&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484643/original/file-20220914-26-s8j45v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=788&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484643/original/file-20220914-26-s8j45v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=990&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484643/original/file-20220914-26-s8j45v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=990&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484643/original/file-20220914-26-s8j45v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=990&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Gabrielle Chanel en 1928.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Coco_Chanel#/media/Fichier:Gabrielle_Chanel_en_marini%C3%A8re.jpg">Wikimedia</a></span>
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<h2>Un sujet piège pour les féministes</h2>
<p>Pourtant, les transgressions accomplies par la garçonne construisent la modernité. Cela passe par une rupture jugée violente, à l’époque, avec les traditions. C’est ce que l’on peut dire avec le recul du temps et nos mots à nous. Mais il faut se méfier de l’anachronisme. Et donc comprendre comment le phénomène a été perçu à l’époque. Cette exploration historique nous réserve quelques surprises. Par exemple sur le positionnement des féministes. La réforme vestimentaire n’a jamais été leur priorité. En 1922, le <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/le-suffrage-universel/la-conquete-de-la-citoyennete-politique-des-femmes/contre-le-vote-des-femmes-florilege">Sénat rejette le suffrage des femmes</a>. Et puis la plupart des féministes veulent l’égalité tout en cultivant la différence des genres, qui passe aussi par les apparences. </p>
<p>Tous les changements vestimentaires des femmes étant perçus comme les étapes d’une masculinisation fatale, les féministes craignent une indifférenciation des sexes, qui leur est justement déjà reprochée par les antiféministes. C’est donc pour elles un sujet piège. D’autant plus qu’elles se méfient d’une mode qui dévoile le corps. La féministe <a href="https://gallica.bnf.fr/conseils/content/madeleine-vernet">Madeleine Vernet</a> parle même « d’incitation au viol » à propos des bas couleur chair appréciés des garçonnes. Les féministes veulent « une seule morale pour les deux sexes », mais en alignant la morale sexuelle des hommes sur celle des femmes, et non l’inverse.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484653/original/file-20220914-4859-1gj2g9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484653/original/file-20220914-4859-1gj2g9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=754&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484653/original/file-20220914-4859-1gj2g9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=754&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484653/original/file-20220914-4859-1gj2g9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=754&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484653/original/file-20220914-4859-1gj2g9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=947&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484653/original/file-20220914-4859-1gj2g9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=947&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484653/original/file-20220914-4859-1gj2g9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=947&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’artiste Claude Cahun, Autoportrait, 1927.</span>
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<p>De son côté, Colette estime que la garçonne crée une nouvelle norme. La garçonne est, certes, libérée du corset, mais elle doit avoir un corps de jeune adolescent, et donc se bander les seins, faire des régimes, se mettre au sport… Cette pression des nouveaux diktats de la mode et cette exigence d’androgynie qui déplaisent à l’écrivaine. Elle avait pourtant coupé ses cheveux dès 1902 et était experte en libération des mœurs…</p>
<p>Autre trouble : la dimension homosexuelle de la garçonne. Les années 1920 représentent un moment de visibilité important dans l’histoire de l’homosexualité féminine. La lesbienne masculine est en quelque sorte une « garçonne accomplie », avec des cheveux très courts, et parfois un pantalon. Garçonne est un euphémisme pour dire le lesbianisme, lequel est toujours considéré comme une déviance contre-nature, mais aussi comme une pathologie sociale liée au désir d’indépendance des femmes. Les garçonnes bisexuelles et homosexuelles sont très présentes sur la scène du Paris nocturne et hédoniste. Le sport, avec la célèbre figure de Violette Morris, diffuse également des images de garçonnes.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/484644/original/file-20220914-13-c7dawr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484644/original/file-20220914-13-c7dawr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484644/original/file-20220914-13-c7dawr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1021&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484644/original/file-20220914-13-c7dawr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1021&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484644/original/file-20220914-13-c7dawr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1021&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484644/original/file-20220914-13-c7dawr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1283&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484644/original/file-20220914-13-c7dawr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1283&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484644/original/file-20220914-13-c7dawr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1283&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Violette Morris devant son magasin d’accessoires automobiles parisien, porte de Champerret, en 1928.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Violette_Morris#/media/Fichier:Violette_Morris_devant_son_magasin_d'amagasin_d%E2%80%99accessoires_automobile_parisien,_Porte_de_Champerret_(1928).jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>C’est certainement avec les stars androgynes du cinéma au tournant des années vingt et trente, avec Marlène Dietrich, Greta Garbo et Louise Brooks, que l’androgynie gagne en légitimité esthétique. Ces actrices attirantes, mystérieuses et un peu dominatrices séduisent les hommes et les femmes. Elles créent du « trouble dans le genre », pour reprendre l’expression de Judith Butler. Ce qui prend, évidemment, une tournure politique.</p>
<h2>Un mythe qui penche à droite</h2>
<p>Aussi peut-on se demander si « la garçonne » est un mythe de gauche ou droite. À première vue, c’est un peu embrouillé. Le « père » de la « garçonne », Victor Margueritte, est en 1922 un homme de gauche qui défend le droit des femmes à disposer de leur corps.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/484645/original/file-20220914-8366-enu955.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484645/original/file-20220914-8366-enu955.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484645/original/file-20220914-8366-enu955.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484645/original/file-20220914-8366-enu955.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484645/original/file-20220914-8366-enu955.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484645/original/file-20220914-8366-enu955.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484645/original/file-20220914-8366-enu955.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484645/original/file-20220914-8366-enu955.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Louise Brooks en 1927.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Gar%C3%A7onne_(mode)#/media/Fichier:Louise_Brooks_ggbain.32453u.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>De quoi ancrer ce mythe à gauche ? Pas vraiment. Les forces de gauche condamnent l’immoralité du roman, jugé pornographique. L’héroïne a lu <em>Du mariage</em> de Léon Blum. C’est embarrassant… Si le début du roman semble valoriser l’émancipation sexuelle des femmes – l’héroïne est bisexuelle, fréquente des prostituées, multiplie les amants, se drogue –, sa fin consacre un retour absolu à la norme puisque Monique se laisser pousser les cheveux, se marie, et deviendra mère dans la suite du roman.</p>
<p><em>La Garçonne</em> envoie donc, politiquement, des messages contradictoires. De plus, même si son auteur prend la pose de l’écrivain social attaché à l’émancipation humaine, son roman se rattache à un imaginaire croisant l’homophobie, le racisme et l’antisémitisme.</p>
<p>La garçonne obsède les conservateurs : la dénigrer, c’est une façon d’activer un autre mythe, celui de l’éternel féminin, tout en douceur maternelle et en soumission. Des écrivains comme <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/repliques/paul-morand-l-homme-et-l-oeuvre-7961704">Paul Morand</a> ou <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/une-vie-une-oeuvre/maurice-sachs-1906-1945-la-mauvaise-reputation-7221855">Maurice Sachs</a> décrivent alors une société qui a perdu ses repères, menacée de toutes parts. Dans ce chaos, la garçonne joue sa partition. Incarnation de la masculinisation des femmes, elle est accusée de déviriliser les hommes. Les discours anti-garçonne dépeignent une société en perdition à cause de « l’inversion des sexes » et de la « prolifération de l’homosexualité » ; ils fabriquent un contre-modèle dont on a un bon exemple dans la série des <em>Brigitte</em>, de Berthe Bernage. Créer des peurs pour réclamer le retour à l’ordre : le procédé ne date pas d’aujourd’hui. Son efficacité a de quoi nous faire réfléchir.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/sh5atMsLrQY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Derrière ces peurs déclinistes, en partie nourries par des traumatismes de la guerre, on retrouve avant tout l’opposition à l’émancipation des femmes et la défense d’un modèle de société patriarcale. Dans les années 1920 comme aujourd’hui, ce qui est en jeu mêle sexe et race, par exemple dans ce qu’il est convenu d’appeler les inquiétudes démographiques. </p>
<p>Pendant que <em>Madame ne veut pas d’enfant</em> (titre d’un roman à succès de Clément Vautel paru en 1924), l’immigration « explose »… Il est intéressant de décortiquer les fake news de l’époque, comme les rumeurs prétendant que les cheveux courts provoquent la calvitie ou, à l’inverse, activent la pilosité faciale. Il est nécessaire d’aller au-delà d’une image de la garçonne, héroïne positive lissée par la mode et pacifiée par le temps, pour montrer ce qu’a d’explosif cette figure créée pour le meilleur et pour le pire. Créée, aussi, pour être détruite, dans un geste d’exorcisme. Un avertissement pour le temps présent.</p>
<hr>
<p><em>Christine Bard a publié « Les garçonnes. Modes et fantasmes des Années folles », Paris, Autrement, 2021.</em></p>
<p><em>À l’occasion du centenaire du roman de Victor Margueritte, <a href="https://temos.cnrs.fr/actualite/itineraires-de-la-garconne/">elle coorganise avec Marine Chaleroux et Bruna Holderbaum le colloque « Itinéraires de La Garçonne » les 16-17 septembre 2022</a> à l’Université d’Angers, <a href="mailto:colloquelagarconne@gmail.com">colloquelagarconne@gmail.com</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190613/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christine Bard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Femme émancipée à l’allure androgyne, la figure de la garçonne fut aux avant-postes de la modernité. Mais elle déchaîna aussi la haine des conservateurs, effarés par cette figure transgressive.Christine Bard, Professeure d'histoire contemporaine , Université d'AngersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1840442022-06-07T18:18:20Z2022-06-07T18:18:20ZLutte contre l’homophobie et la transphobie : le rôle méconnu des réseaux internes aux grandes entreprises et institutions<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/467160/original/file-20220606-16-fk8xfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’association Flag&nbsp;! est créée en 2001. Devenue FLAG&nbsp;! elle grandit progressivement pour représenter les agents LGBT+ des ministères de l’Intérieur et de la Justice.
Pompiers, Policiers municipaux et leurs alliés
</span> <span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>On compte aujourd’hui de plus en plus de chars aux insignes des entreprises dans les différentes « marches des fiertés LGBTQI+ » (anciennement dénommées « gay pride ») organisées actuellement en France. Nous sommes dans ce que certains médias décrivent comme la <a href="https://www.liberation.fr/lifestyle/la-saison-du-pinkwashing-est-ouverte-20210517_RHSJUASVCBDSTMKPPZG3IOKWXM/">« saison du <em>pink washing</em> »</a> : autrement dit, comme la promotion de la diversité est devenue un enjeu de <a href="https://doi.org/10.3917/rai.035.0087">réputation</a> pour les entreprises, se montrer LGBT-friendly constituerait une variation, souvent superficielle, de cette stratégie de <a href="https://www.challenges.fr/femmes/la-verite-sur-le-pink-washing-cette-pratique-marketing-qui-exploite-les-personnes-lgbti_770591">communication</a>.</p>
<p>Cependant, ces enjeux de communication peuvent également pousser les organisations à mener des actions plus concrètes pour <a href="https://doi.org/10.4000/sociologies.10690">lutter contre les discriminations</a>. En particulier, les employés défilant au côté d’un char de leur employeur dans leur tenue de travail (ou dans un polo reprenant les codes de leur uniforme, comme c’est le cas de <a href="https://www.flagasso.com/l-association.html">FLAG !</a>, qui n’a pas eu l’autorisation de défiler en uniforme officiel de police ou de gendarmerie), contribuent à donner de la visibilité aux minorités LGBTQI+ au sein de leur institution.</p>
<p>Comme nous le montrons dans un travail de <a href="https://doi.org/10.1177/0001839220963633">recherche</a> récent, les militants qui ont cherché à mobiliser leur employeur depuis le début des années 2000 en créant des associations LGBT sur leur lieu de travail ont en effet permis de promouvoir une meilleure lutte contre l’homophobie et la transphobie.</p>
<h2>Prise en compte tardive</h2>
<p>Les premiers développements d’associations LGBT dans des grandes entreprises et administrations ne se sont pas faits sans heurt en France. Entre 2000 et 2010, ces associations commencent à se structurer dans une période marquée par deux faits majeurs.</p>
<p>D’une part, le <a href="https://www.cairn.info/au-dela-du-pacs--9782130519904.htm">Pacte civil de solidarité</a>, instauré en 1999, est à la fois une première reconnaissance des droits des couples LGBT, mais c’est aussi un moment qui souligne l’ampleur des inégalités qui restent entre les couples homosexuels et hétérosexuels, en termes de mariage, d’accès à la filiation, et de reconnaissance des droits des couples dans la vie sociale et professionnelle (<a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/a-la-une/2016/04/pension-de-reversion-les-personnes-homosexuelles-desormais-traitees-a-egalite">pension de réversion</a>, <a href="https://www.researchgate.net/publication/336721062_Companies_Can_Do_Better_than_the_Law_Securing_Rights_for_Minorities_as_an_Insider_Activist_in_French_Corporations">congé de parentalité</a>, etc.).</p>
<p>D’autre part, le début des années 2000 est marqué par une montée des enjeux de <a href="https://doi.org/10.3917/sopr.023.0009">promotion de la diversité</a>. Les organisations publiques et privées mettent en œuvre des politiques diversités, valorisées par un <a href="https://journals.openedition.org/revdh/4182">label et une charte</a>, mais qui ne se cristallisent dans les faits <a href="https://doi.org/10.3917/rai.035.0107">que sur quelques actions concrètes</a> en faveur de l’égalité professionnelle femme-homme, l’inclusion des personnes en situation de handicap et des seniors. La lutte contre l’homophobie et la transphobie n’était alors pas prise en compte sérieusement par les entreprises, quand bien même les risques d’agressions homophobes et transphobes demeuraient <a href="https://www.autrecercle.org/page/etude-etre-lgbt-au-travail-en-2011">importants</a> (et restent toujours significatifs dans le <a href="https://www.sos-homophobie.org/informer/rapport-annuel-lgbtiphobies">monde professionnel</a>).</p>
<p>Les réseaux LGBT se développent dans ce contexte, où de nombreux employeurs communiquent copieusement sur leur implication pour promouvoir la diversité, mais où <a href="https://doi.org/10.3917/vuib.bende.2018.01.0171">presque aucune action concrète</a> n’était mise en œuvre pour lutter contre l’homophobie et la transphobie, dans un contexte d’importantes <a href="https://doi.org/10.3917/jdj.325.0026">tensions LGBT-phobes</a> dans la société.</p>
<p>La « promotion de la diversité » reste un terme plastique et très <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/W/bo24550454.html">large</a>, qui peut concerner beaucoup de minorités (genre, origine, religion, handicap, etc.). L’enjeu des réseaux LGBT que nous avons étudiés était de « sortir des points de suspension de la diversité » : c’est-à-dire d’acquérir une véritable reconnaissance, d’assurer que l’entreprise réagisse en cas d’actes homophobes ou transphobes, et mette en place de vraies campagnes de sensibilisation et de formation pour lutter contre l’homophobie et la transphobie.</p>
<h2>Tracts, campagnes et quizz</h2>
<p>Se mobiliser au sein de sa propre entreprise peut être difficile, voire <a href="https://www.researchgate.net/publication/294723383_Social_Activism_In_and_Around_Organizations">risqué pour sa carrière</a>.</p>
<p>En analysant les archives de ces réseaux LGBT, nous avons pu constater que leur première stratégie n’était pas contestataire, mais a consisté à produire eux-mêmes une panoplie d’outils de sensibilisation, de formation, et de gestion des cas d’homophobie et de transphobie.</p>
<p>Dans les premières années après leur création, ces réseaux ont mis en place des tracts pédagogiques pour expliquer certains concepts (outing, coming out, description des identités sous l’acronyme LGBTQIA+) et ont conçu des campagnes d’affichage, des formations, des quizz, afin de sensibiliser le plus de collègues possible.</p>
<p>Ils ont également mis en œuvre des lignes d’écoute ou des sites de recueil de témoignages pour faire remonter les cas d’agressions LGBT-phobes dans leur organisation. Ils ont donc, gratuitement, produit une quantité importante de contenus et de services que leur employeur pouvait simplement réutiliser pour mettre en œuvre des actions concrètes pour lutter contre l’homophobie et la transphobie.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’association FLAG ! a réutilisé pour un tract les codes d’un procès-verbal pour sensibiliser les agents des ministères de l’Intérieur et de la Justice aux infractions homophobes et transphobes.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le but de ces associations était que leur employeur prenne acte de toutes ces productions pour les diffuser plus largement dans l’organisation. Ici, les réseaux LGBT pouvaient s’appuyer sur les enjeux de réputations de leur employeur, qui se déclarait engagé pour la diversité, voire candidatait au label. Si l’entreprise ne soutenait pas les actions de sa propre association LGBT interne, celle-ci le dénonçait via des communiqués de presse qui pouvaient nuire à sa réputation et démontrer la superficialité de son engagement.</p>
<p>Ainsi, ces réseaux pouvaient proposer d’organiser des stands de sensibilisation le <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/journee-mondiale-contre-lhomophobie-la-transphobie-et-la-biphobie">17 mai</a>, des formations pour lutter contre les LGBT-phobies, etc. Refuser de telles actions démontrerait clairement le manque d’implication de la direction pour mener des actions concrètes contre ces formes de discriminations. D’autres réseaux cherchaient à impliquer différents acteurs de l’entreprise (syndicats, direction) dans leur projet de campagne de sensibilisation. Ainsi, le premier but de ces associations était d’inciter progressivement leur employeur à accepter, puis prendre part, dans des actions de lutte contre les LGBT-phobies.</p>
<p>Si l’engagement pour la diversité ne semblait pas susciter d’opposition dans les organisations, les actions pour rendre visibles les communautés LGBT et lutter contre les LGBT-phobies ont elles été victimes d’actes homophobes et transphobes. Certaines actions de sensibilisations ont par exemple été malmenées (tracts déchirés, insultes, outing, refus de la participation d’employé⋅e⋅s à la marche des fiertés). Les actions de ces réseaux ont donc rendu visibles des formes d’homophobie et de transphobie auparavant latente dans l’organisation, afin de mettre leur employeur face à leurs responsabilités et les inciter à agir, plutôt que d’étouffer les cas de discriminations.</p>
<p>En analysant les actions de ces réseaux sur une vingtaine d’années, on voit comment ils ont progressivement obtenu une plus grande implication de la part de leurs employeurs. Ces réseaux ont aussi amplifié leur champ d’action à mesure qu’ils étaient reconnus par leurs organisations, passant d’une revendication d’être inclus dans les politiques diversité, à l’égalité concrète des droits pour les couples et parents homosexuels, à l’inclusion concrète des personnes trans dans l’entreprise.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184044/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lisa Buchter ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au-delà des critiques de « pink washing » adressées aux entreprises, des actions concrètes sur les lieux de travail ont contribué à faire avancer la cause des LGBTQI+.Lisa Buchter, Professeure assistante en sociologie, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1754022022-04-24T20:30:15Z2022-04-24T20:30:15ZQuels sont les noms qui rayonnent dans la littérature lesbienne ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/459310/original/file-20220422-11-nsydf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=36%2C3%2C1018%2C614&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Affiche proposée pour une exposition des Archives lesbiennes de Paris, en 1984</span> <span class="attribution"><span class="source">Michèle Larrouy</span></span></figcaption></figure><p>Dans un <a href="https://theconversation.com/ce-que-font-les-lesbiennes-a-la-litterature-147800">article publié sur The Conversation</a> l’an dernier, j’évoquais la littérature lesbienne en tant qu’objet d’étude littéraire mal connu : peu étudié, difficile à cerner, en dépit de l’intérêt qu’il représente à la fois pour l’histoire de la littérature des femmes, et pour la manière dont, aux XX<sup>e</sup> et XXI<sup>e</sup> siècles, on pense la théorie littéraire.</p>
<p>L’histoire lesbienne perturbe les canons établis, les normes narratives, les codes de la langue : au-delà de son point d’ancrage social, amoureux, politique ou philosophique – selon l’angle par lequel on préfère aborder le sujet du lesbianisme – elle interroge profondément l’objet littéraire et ses définitions.</p>
<h2>Noms absents et noms cryptés, dissimulés</h2>
<p>Pourtant, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Traude_B%C3%BChrmann">Traude Bührmann</a>, écrivaine allemande correspondante à la revue <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lesbia_Magazine"><em>Lesbia Magazine</em></a> au cours des années 1980-1990, se demandait en novembre 1994 : « Quels sont les noms qui rayonnent dans la littérature lesbienne ? […] Quelle est l’importance des noms dans la littérature lesbienne ? » Car la réponse ne va pas de soi.</p>
<p>D’une part, ces noms sont trop mal connus. Il s’agit de cultures qui se propagent de bouche à oreille, de livres qui rencontrent des difficultés toutes particulières à être édités, puis diffusés et lus. L’histoire n’en est pas faite, sauf dans les cercles militants ou les milieux contre-culturels ; elle reste inaccessible à une grande majorité du public et sa diffusion a reposé longtemps sur les engagements bénévoles de quelques-unes.</p>
<p>D’autre part, les noms de la littérature lesbienne ont eux-mêmes été cryptés par une partie des autrices. Certaines d’entre elles écrivent leur œuvre ou partie de leur œuvre sous pseudonyme. L’exemple qui a le plus fait jaser les publics lesbiens (même français), au cours de la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle, est sans doute celui de Patricia Highsmith : autrice de polars à succès, elle publie sous le pseudonyme de Claire Morgan <em>The Price of Salt</em> en 1952 (d’abord traduit par <em>Les Eaux dérobées</em> par Emmanuelle de Lesseps, puis connu sous le nom de <em>Carol</em>). Les rumeurs circulent, mais la véritable identité de l’autrice n’est révélée qu’en 1990.</p>
<p>En outre, le cryptage des noms est lié à un travail romanesque caractéristique de la littérature lesbienne des années 1970 : à l’heure du Nouveau Roman et des déconstructions romanesques en particulier, « la plupart des protagonistes n’avaient pas de nom propre », rappelle Traude Bührmann.</p>
<blockquote>
<p>« Elles s’appelaient Je, parfois Tu ou Elle. Pour savoir quelle est Je ou Tu ou Elle et dans quelle histoire, je dois connaître le nom de l’écrivaine, le titre du livre, et peut-être la date ou le lieu de sa parution. Cette protagoniste n’a donc pas une vie autonome, un futur indépendant. Elle n’a pas de nom qui puisse briller librement et éternellement au ciel du cosmos lesbien. »</p>
</blockquote>
<p>Et puis, bien entendu, s’il est parfois difficile de se rappeler les noms de la culture lesbienne, c’est aussi parce qu’ils sont tus, victimes d’un double silence : celui qui marque en général l’histoire culturelle des femmes, celui qui pèse sur la reconnaissance sociale du lesbianisme. Ces dernières semaines, on a vu souvent nier la <a href="https://www.liberation.fr/societe/droits-des-femmes/mais-qui-cherche-a-rendre-rosa-bonheur-hetero-20220401_Q5GPZRJ7O5CBLLOYCZSYBFDOMI/">vie lesbienne de Rosa Bonheur</a>, dont l’œuvre est mise en avant en cette année anniversaire. <a href="https://homoromance-editions.com/actualites/deces-de-lautrice-helene-de-monferrand-les-amies-dheloise.html">Le décès d’Hélène de Monferrand</a>, le 14 février 2022, n’a rencontré presque aucun écho dans les médias, même littéraires : elle était pourtant l’une des autrices principales de la littérature lesbienne des années 1990. </p>
<p>Il a fallu attendre <a href="https://etudeswittig.hypotheses.org/937">l’inauguration du jardin Monique Wittig</a>, en septembre 2021, pour que le mot « lesbienne » figure pour la première fois sur une plaque publique en France ; en mars 2022, <a href="https://www.komitid.fr/2022/03/11/plaque-pour-suzanne-leclezio-et-a-yvonne-ziegler-la-difficile-evocation-publique-de-lhomosexualite-dun-couple-de-resistantes/">l’hommage à Suzanne Leclézio et Yvonne Ziegler</a> omet de mentionner leur homosexualité et présente la seconde comme l’« amie bénévole » [sic !] de la première.</p>
<h2>S’il faut des noms…</h2>
<p>Difficile, donc, de voir rayonner les noms de la littérature lesbienne. Dans l’article « Ce que font les lesbiennes à la littérature », un grand nombre étaient cités déjà ; ceux des autrices les mieux connues, mais à vrai dire, l’article en oubliait beaucoup d’autres.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ce-que-font-les-lesbiennes-a-la-litterature-147800">Ce que font les lesbiennes à la littérature</a>
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<p>Même en se concentrant strictement sur l’histoire française de la littérature lesbienne (dont la définition pose problème, je renvoie sur ce point à l’article précédent et surtout, à l’ouvrage à paraître), on aurait pu citer par exemple les autrices recensées par Paula Dumont dans les quatre tomes de <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-entre_femmes_300_oeuvres_lesbiennes_resumees_et_commentees_paula_dumont-9782343054704-45899.html">son dictionnaire lesbien <em>Entre femmes</em></a>, dont les noms s’égrènent tout au long des XX<sup>e</sup> et XXI<sup>e</sup> siècles. Ou bien ceux – et il y aura de nouveau ici des oublis – de Gabrielle Reval, Jeanne Galzy, Hélène de Zuylen, Renée Dunan, Élisabeth de Clermont-Tonnerre, Célia Bertin, Juliette Cazal, Hélène Bessette, Irène Monesi, Françoise Mallet-Joris, Suzanne Allen, Nella Nobili, Rolande Aurivel, Jocelyne François, Mireille Best, Maryvonne Lapouge-Pettorelli, Danielle Charest, Geneviève Pastre, Cy Jung, Danièle Saint-Bois, Sabrina Calvo, Évelyne Rochedereux, Wendy Delorme, Ann Scott, Élodie Petit, Joëlle Sambi, plus récemment encore Pauline Gonthier, Tal Piterbraut-Merx, Jo Güstin, Alice Baylac (etc.).</p>
<p>Cela n’est rien encore si l’on ne cite pas aussi les noms de toutes celles et ceux qui, depuis des décennies, ont tâché de restituer cette histoire, de la faire vivre, de l’éditer et de la diffuser en dépit des résistances rencontrées au sein du champ littéraire. Il faut citer l’émergence des maisons d’édition lesbiennes à la fin des années 1990, l’évolution de l’édition et de la critiques spécialisées jusqu’à nos jours : les éditions Geneviève Pastre, les éditions Gaies et Lesbiennes, KTM Éditions, Homoromance, etc. Outre les noms déjà donnés, il faut citer les amorces de théorisation fournies par Marie-Jo Bonnet dans son important ouvrage <em>Les Relations amoureuses entre les femmes du XVI<sup>e</sup> siècle au XX<sup>e</sup> siècle</em> ; le travail fourni par les Archives lesbiennes, ainsi que par les revues qui ont commencé à voir le jour dans les années 1970. <em>Quand les femmes s’aiment</em>, <em>Désormais</em>, <em>Lesbia</em> et <em>Vlasta</em> surtout, en France, dont les pages ont notamment recueilli les critiques littéraires et artistiques de Catherine Gonnard, Suzette Robichon, Michèle Causse, Elisabeth Lebovici, Hélène de Monferrand, Danielle Charest, Évelyne Auvraud, Odile Baskevitch, Chantal Bigot et d’autres. Elles ont mené depuis plus de quarante ans un travail extrêmement précieux d’investigation, d’analyse et d’historicisation de la culture lesbienne – travail parfois mal reconnu lui-même.</p>
<p>Aujourd’hui ce travail de fond est relayé et approfondi par l’ensemble des plates-formes papier (<em>Jeanne Magazine</em>, <em>Panthère première</em>, <em>La Déferlante</em>), numériques (Roman Lesbien, Lesbien raisonnable, Mx Cordelia, Planète Diversité et quantité d’autres) ou radio (travail de Clémence Allezard sur France Culture notamment, Gouinement lundi, Radio parleur) qui permettent de faire connaître l’histoire des littératures lesbiennes. Impossible de citer tous les noms, tous les sites : ils foisonnent, peut-être particulièrement ces dernières années.</p>
<p>En ce qui concerne la recherche en littérature, cette profusion récente est en tout cas particulièrement flagrante, bien qu’elle ne corresponde pas encore à la reconnaissance évidente de ce sujet d’étude. Alors qu’elle est menée depuis la fin des années 1980, par des chercheuses précurseuses comme Gaële Deschamps ou bien <a href="https://www.jstor.org/stable/40620098?seq=1">Catherine Écarnot</a>, elle a longtemps peiné à s’institutionnaliser. Au-delà des thèses monographiques qui, souvent, abordent le sujet du lesbianisme en littérature, relativement peu d’articles scientifiques sont publiés en France sur cette question. On peut citer à cet égard le travail de <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02735801/document">Marta Segarra</a>, ou le travail particulièrement important mené ces derniers temps par Marie Rosier et Gabriela Cordone, principalement à propos de la scène lesbienne hispanophone : <a href="https://pufc.univ-fcomte.fr/revues/sken-graphie/scenes-queer-contemporaines.html">dans l’un des derniers numéros de la revue universitaire bisontine <em>Skén&graphie</em></a> ainsi que dans la revue <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2021-4-page-104.htm"><em>Mouvements</em></a>, elles se sont récemment attachées à analyser ce que peut signifier le lesbianisme en littérature, l’histoire de ses théorisations et les enjeux d’une recherche qui approfondisse ces questions. Enfin, on peut citer l’engouement très net de jeunes chercheur·ses pour le sujet : il semble que le <a href="https://lesjaseuses.hypotheses.org/3798">nombre de mémoires explicitement consacrés à la littérature lesbienne</a> ait énormément augmenté depuis 2020, et de plus en plus de projets se montent pour en valoriser le travail (à l’instar du <a href="https://bigtata.org/depot-electronique-de-memoires-et-theses-lgbtqia">dépôt électronique Big Tata</a>).</p>
<p>On se rend compte aussi d’un décalage entre aspirations de recherche et contenus déjà disponibles, lorsqu’on tente de réunir, à ce sujet, journées d’études ou séminaires. Un certain nombre de chercheur·ses sont engagé·e·s sur le sujet : le succès du <a href="https://www.ille.uha.fr/wp-content/uploads/2019/03/Programme-Sapphic-Vibes-%C3%A0-imprimer-final-1.pdf">colloque <em>Sapphic Vibes</em> en mars 2019</a>, organisé à l’université de Mulhouse, en est témoin. Néanmoins le sujet lesbien reste largement moins traité et moins maîtrisé, au sein de l’université, que son pendant masculin : en attestent les difficultés rencontrées par les organisateur·ices de <a href="http://www.ens-lyon.fr/formation/catalogue-de-cours/lgcg3104/2021">cours</a> ou de <a href="https://www.ens.psl.eu/agenda/seminaire-litterature-et-homosexualites/2017-05-09t140000">séminaires</a> qui souhaitent se pencher sur le sujet des rapports entre littérature et homosexualité tout en étant conscient·e·s des paramètres de genre à considérer, dont les séances comptent pourtant pour finir une bonne majorité de références masculines.</p>
<h2>Une histoire à relire, de nouvelles recherches à mener</h2>
<p>Ces listes sont longues et fastidieuses : c’est vrai. Mais elles signalent clairement, aussi, que la littérature lesbienne (française en l’occurrence) est loin de ne compter que deux ou trois noms isolés les uns des autres ; elle a une histoire longue, riche, nourrie par des dialogues entre écrivain·e·s, militant·e·s, étudiant·e·s et chercheur·ses, lecteurs et lectrices, archivistes, maisons d’éditions et libraires, depuis des dizaines d’années.</p>
<p>Nous avons tenté, dans un <a href="http://www.lecavalierbleu.com/nouveautes-a-paraitre/">ouvrage à paraître fin mai aux éditions du Cavalier bleu</a>, <em>Écrire à l’encre violette. Littératures lesbiennes en France de 1900 à nos jours</em>, de retracer cette histoire. À savoir : 80 % des droits d’auteur de l’ouvrage seront versés à la <a href="https://www.fondslesbien.org/">LIG</a>, afin de reconnaître la dimension entièrement collective de cette recherche.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/459301/original/file-20220422-26-k669ku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459301/original/file-20220422-26-k669ku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459301/original/file-20220422-26-k669ku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459301/original/file-20220422-26-k669ku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459301/original/file-20220422-26-k669ku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459301/original/file-20220422-26-k669ku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459301/original/file-20220422-26-k669ku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Aurore Turbiau, Margot Lachkar, Camille Islert, Manon Berthier, Alexandre Antolin, Écrire à l’encre violette. Littératures lesbiennes en France de 1900 à nos jours, Paris, Le Cavalier bleu, 2022.</span>
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<p>Notre étude prend son départ en 1900 : sont alors publiées en France plusieurs œuvres ouvertement lesbiennes, après des siècles d’un silence quasi entier. Ensuite, des années folles à l’après-guerre, de l’histoire militante des années 1970 à la naissance de l’édition spécialisée après 1990, jusqu’à l’ébullition du début du XXI<sup>e</sup> siècle, ce sont des centaines de textes qui disent et théorisent leur propre existence. Ils parcourent tous les genres : récits de soi, romans de science-fiction et de fantasy, poésie, bande dessinée, expérimentation formelle, théâtre, romance et polar, littérature jeunesse, chanson.</p>
<p>Traude Bührmann disait encore, à propos des noms de la littérature lesbienne, qu’« une fois que les caractères ont des noms et des auras spécifiques, elles se représentent elles-mêmes et s’inscrivent dans la mémoire des lectrices avec leur figure et leur visage unique, leurs doigts et leur haleine. […] Des noms peuvent épeler une histoire. Des noms peuvent exprimer des idées, évoquer une vision du monde. » Nous espérons que cet ouvrage, <em>Écrire à l’encre violette</em>, contribuera à donner matière à cette mémoire fragile et malmenée, qu’il pourra participer à son tour à faire briller ces noms « au ciel du cosmos lesbien » (et littéraire, en général !).</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été relu par les co-auteurices du livre « Écrire à l’encre violette » : Margot Lachkar, Camille Islert, Manon Berthier et Alexandre Antolin.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175402/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurore Turbiau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’histoire lesbienne interroge profondément l’objet littéraire et ses définitions.Aurore Turbiau, Doctorante en littérature comparée, membre du collectif Les Jaseuses, membre de Philomel-Initiative Genre, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1797082022-03-31T17:54:30Z2022-03-31T17:54:30ZComment les employés LGBTQIA+ adaptent leurs usages des réseaux sociaux vis-à-vis de leur entreprise<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/453339/original/file-20220321-5945-1ck8w91.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=124%2C40%2C874%2C603&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les médias sociaux ont contribué à brouiller la frontière entre vie privée et vie professionnelle.
</span> </figcaption></figure><p>Malgré l’attention grandissante portée aux actions en faveur de la diversité et de l’inclusion, il reste beaucoup à faire. Le <a href="https://www.cfr.org/backgrounder/marriage-equality-global-comparisons">mariage entre personnes de même sexe</a>, par exemple, n’est légal que dans 28 pays. En outre, le fait d’être transgenre reste <a href="https://www.forbes.com/sites/jamiewareham/2020/09/30/this-is-where-its-illegal-to-be-transgender-in-2020/?sh=7e454a8d5748">criminalisé</a> dans 13 pays, et ces personnes ne peuvent pas changer de sexe dans au moins 47 pays.</p>
<p>Le manque de soutien juridique est également apparent sur le lieu de travail, où de nombreuses personnes <a href="https://www.mckinsey.com/business-functions/people-and-organizational-performance/our-insights/lgbtq-plus-voices-learning-from-lived-experiences">s’abstiennent de révéler</a> leur statut LGBTQIA+ afin d’éviter d’éventuelles discriminations et obstacles dans leur progression de carrière. En effet, agir professionnellement signifie souvent adopter des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0018726709103457?journalCode=huma">comportements hétéronormatifs</a>, tels que le choix des vêtements, le ton de la voix, en évitant les maniérismes et les conversations qui pourraient mettre en évidence leur identité sexuelle.</p>
<p>Certains employés LGBTQIA+ cherchent ainsi à ne pas divulguer ou à contrôler les informations les concernant dans les conversations en présence de leurs collègues. Cependant, les canaux des médias sociaux, tels que Facebook, Instagram, Twitter, TikTok, et bien d’autres, sont chaque jour plus omniprésents dans les situations liées au travail, présentant de nouveaux contextes pour les LGBTQIA+.</p>
<p>S’opposant à l’idée de cacher ou de contrôler les informations sur soi, les médias sociaux permettent aux employés et aux managers d’avoir des aperçus de la vie de chacun au-delà de l’environnement de travail traditionnel. Les messages postés de chez soi sur Twitter, à propos des difficultés liées au travail ou même les actions menées par l’entreprise sur TikTok sont des exemples courants de la manière dont les médias sociaux brouillent de plus en plus les frontières entre vie professionnelle et la vie privée.</p>
<p>Nous réfléchissons tous, d’une façon ou d’une autre, aux moyens de <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/amr.2011.0235">nous présenter</a> de manière favorable en ligne afin d’accroître notre notoriété et d’obtenir le respect de nos pairs ainsi que de nos supérieurs. Pourtant, les LGBTQIA+ peuvent être confrontés à des défis supplémentaires dans ce processus. Notre <a href="https://journals.aom.org/doi/epdf/10.5465/amj.2020.0586">récente recherche</a>, issue de 480 heures d’observation et 20 entretiens avec des employés homosexuels, suggère que les médias sociaux créent un dilemme pour ces employés.</p>
<h2>Une frontière vie professionnelle-privée plus floue</h2>
<p>Pour ces derniers, ces plates-formes sont généralement considérées comme des <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/2005615X.2017.1313482">espaces sûrs</a> où ils peuvent s’exprimer de manière plus authentique. Lorsque les lignes de démarcation entre vie professionnelle et vie privée s’estompent sur la toile, les employés se posent la question suivante : comment faire pour que les médias sociaux restent des espaces sûrs et, dans ce même temps, maintenir une posture professionnelle ? En fin de compte, nous avons constaté que les employés n’ont pas de réponse précise à cette question, et tentent de gérer cette situation au mieux, en adoptant trois comportements possibles :</p>
<p><strong>Comportement en miroir</strong> : incertains des impacts possibles des médias sociaux sur leur carrière, la plupart des employés tentent d’atteindre des niveaux de divulgation similaires dans les situations en présentiel et en ligne, dans un continuum allant du maintien secret à la révélation de leur sexualité. Calvin*, analyste en ressources humaines, illustre ce comportement ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne poserais jamais une photo de moi et de mon partenaire sur mon bureau, et je ne dis pas que je suis gay. Si on me demande, je ne mens pas… En ligne, je ne crée pas de groupe spécial, mais je ne poste pas beaucoup non plus, et je ne posterais jamais une photo où j’embrasse mon partenaire, par exemple. »</p>
</blockquote>
<p>D’autres, comme Gabriel, cadre commercial, adoptent plusieurs mécanismes supplémentaires, comme créer une fausse relation amoureuse avec une amie, la poster et la taguer sur des photos. Il contrôle également chaque demande d’amitié et évite d’utiliser des expressions qui pourraient exposer son homosexualité dans les interactions en face à face et en ligne.</p>
<p><strong>Déstigmatisation en ligne</strong> : certains employés ont le sentiment d’être limités au travail et ont besoin de repousser les limites de ce qui est considéré comme professionnel. Ils utilisent les médias sociaux pour amplifier leur voix dans des efforts de déstigmatisation en ligne, qui sont souvent impossibles au travail. Ethan, cadre en marketing, donne un exemple de ce comportement :</p>
<blockquote>
<p>« Aujourd’hui, j’adopte une posture plus militante, sans me soucier autant du qu’en-dira-t-on. Par exemple, l’une de mes dernières photos sur Instagram est une belle photo de mon partenaire et moi sur la plage, avec une esthétique très “girly”. »</p>
</blockquote>
<p>En agissant ainsi, il fait en sorte que les médias sociaux restent des espaces sûrs, et montre également aux autres collègues que l’expression de l’homosexualité n’est pas un manque de professionnalisme. Mario, analyste marketing, a mentionné Ethan comme un modèle à suivre. Comme lui, il partage intentionnellement des messages sur les causes LGBTQIA+ et des sujets plus légers, comme les divas de la pop et les <a href="https://theconversation.com/le-meme-un-objet-politique-173950">mèmes</a>.</p>
<p><strong>Refus de l’effondrement du contexte</strong> : à titre d’exception, les employés peuvent ne pas considérer que les médias sociaux provoquent de plus en plus l’effondrement du contexte du travail et de la vie privée, adoptant des comportements disparates dans les situations en face à face et en ligne. C’est le cas de Francis (coordinateur marketing), qui mentionne :</p>
<blockquote>
<p>« Je sépare complètement vie privée et vie professionnelle. Je ne parle pas de mes affaires au travail. Personne n’a rien à voir avec ça. »</p>
</blockquote>
<p>Cependant, ils ne transfèrent pas ces inquiétudes à l’environnement en ligne, où il était généralement ouvert sur sa sexualité. Il s’est donc comporté différemment dans les situations en face à face et en ligne.</p>
<h2>Des mesures face aux problèmes</h2>
<p>Nous avons constaté que le fait de surveiller et de contrôler constamment qui voit quoi et quand en ligne est stressant pour les employés homosexuels, qui sous-estiment souvent les efforts nécessaires que les médias sociaux exigent. En effet, le terme « miroir » vient du terme anglais « fun house mirrors » (miroirs déformants des parcs d’attractions), dans lequel on voit des images déformées inattendues de soi-même. Cacher des informations et maîtriser les configurations de confidentialité sur les médias sociaux constituent des tâches laborieuses, et les collègues pourraient facilement trouver des informations sur la sexualité de leurs pairs.</p>
<p>Le fait de nier l’effondrement de contexte ne semble pas non plus profiter aux employés, car les collègues ne comprennent pas pourquoi on se comporte différemment dans les situations en face à face et en ligne. Ethan commente qu’il est « difficile de comprendre une personne comme Francis car il finit par reproduire des préjugés, en montrant qu’on ne peut pas être gay ici ».</p>
<p>Ces difficultés à contrôler les images en ligne sur les médias sociaux sont peut-être la raison pour laquelle certains employés adoptent des efforts de déstigmatisation. Fatigués des mécanismes constants et croissants pour correspondre à un type « professionnel » idéal, ces employés concluent que la normalisation et la différenciation de leurs sexualités sont la meilleure ligne de conduite.</p>
<p>Malgré l’orientation spécifique de notre recherche, les médias sociaux et le comportement professionnel ont un impact plus ou moins important sur tous les employés. D’après nos recherches, les organisations pourraient prendre certaines mesures face les problèmes que nous avons identifiés dans notre étude :</p>
<ul>
<li><p><strong>La sensibilisation</strong> : développer une formation sur les médias sociaux pour les employés et les managers et discuter des éventuels biais inconscients impliqués dans les interactions en ligne quotidiennes pourrait être une bonne mesure pour sensibiliser aux problèmes liés aux médias sociaux. La première étape consiste à problématiser ces interactions qui génèrent des problèmes pour de nombreux employés.</p></li>
<li><p><strong>Des stratégies et des politiques claires</strong> : au lieu d’encourager l’utilisation des médias sociaux de manière informelle uniquement, les organisations pourraient mieux relier le rôle des médias sociaux à des stratégies organisationnelles plus larges. Un grand nombre des insécurités que nous avons observées sur le terrain provenaient d’un manque de clarté sur le rôle des médias sociaux au travail.</p></li>
<li><p><strong>Cartographier et inclure les personnes marginalisées</strong> : dans notre étude, l’entreprise a décidé de cartographier les employés qui s’exprimaient sur les problèmes dont ils souffraient, tant au travail que sur les médias sociaux. Cette démarche a été essentielle pour le développement de leurs actions inclusives, qui ont également pris en compte les impacts potentiels des médias sociaux dans les interactions quotidiennes sur le lieu de travail.</p></li>
</ul>
<p>Permettre à ces employés de participer à la formulation des actions et des objectifs a une double fonction : (1) elle apporte une légitimité aux actions de l’entreprise aux yeux des autres employés, car ceux qui souffrent sont également engagés à aider l’organisation à s’améliorer ; et (2) elle devient un guide fiable pour les responsables, qui sont rassurés que leurs actions reflètent les problèmes ressentis par les employés.</p>
<hr>
<p><em>* Les prénoms ont été modifiés.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179708/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucas Amaral Lauriano ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si certains employés revendiquent ouvertement leurs préférences sexuelles, d’autres adoptent des stratégies de dissimulations.Lucas Amaral Lauriano, Assistant Professor, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1797762022-03-24T18:41:33Z2022-03-24T18:41:33ZLe conflit russo-ukrainien est aussi une question de regard sur les sexualités<p>La « Lettre du dimanche » du 12 mars dernier publiée par <em>Le Grand Continent</em>, revue éditée par le Groupe d’études géopolitiques, association indépendante domiciliée à l’École normale supérieure et reconnue d’intérêt général, commençait entre autres par ceci :</p>
<blockquote>
<p>« À l’issue de la messe du dimanche de la Saint-Jean, le 6 mars dernier, le patriarche Kirill a prononcé un sermon justifiant l’invasion militaire de l’Ukraine – toujours euphémisée et réduite à des opérations d’aide aux pro-Russes du Donbass – et endossant l’argumentaire négationniste de Poutine sur l’Ukraine. Mais le chef de l’Église orthodoxe de Russie va plus loin. Dans une rhétorique aussi fleurie en anathèmes qu’un retable de l’Apocalypse, il dénonce une guerre des civilisations, et fait notamment de l’homosexualité l’emblème du vice démocratique qui voudrait corrompre la nation russe. La “parade de la gay pride” serait à ses yeux le test suprême que l’Occident ferait passer aux sociétés pour les soumettre à son esprit de décadence. Face à ce péril, la Russie resterait la garante des valeurs traditionnelles, qu’elle contribue implicitement à maintenir en venant en aide à la population ukrainienne, pour laquelle, Carême oblige, il faudrait demander “pardon” au Seigneur ».</p>
</blockquote>
<p>L’attention portée au discours du patriarche Kirill est essentielle. Il y a bien quelque chose de « vertigineux » dans la prise de position du chef de l’Église orthodoxe. Pour en mesurer les enjeux et faire de cette prise de position une force pour notre compréhension des choses et pour aider à sortir de la crise, il est indispensable de ne pas s’en tenir à notre indignation. Il faut déplacer le problème.</p>
<h2>« Valeurs traditionnelles »</h2>
<p>L’intégration officielle des homosexualités, et plus largement la reconnaissance des mouvements LGBTQIA+ dans les débats publics prennent leurs racines dans les féminismes et les études de genre, dont l’origine est indéniablement occidentale, et en particulier américaine. Il est donc aisé, si l’on veut observer à grands traits, d’imputer l’ensemble de ces mouvements à l’« Occident ».</p>
<p>On peut dire que ce qui y est en jeu est la notion essentielle de liberté. Qu’il faille y voir une corruption provocatrice et destructrice de l’« Occident » à l’égard de ce que l’« Occident » n’est pas est autre chose. La difficulté est que des propos comme ceux du patriarche Kirill trouvent un écho positif chez des populations qui ne sont pas convaincues de la revendication de liberté que nous connaissons de ce côté-ci du conflit russo-ukrainien.</p>
<p>La difficulté s’accroît lorsque l’on constate que tout le monde n’est pas totalement convaincu, en « Occident » même, de la pertinence de toutes les revendications LGBTQIA+. Le problème, tel qu’il est posé par le patriarche Kirill si l’on en croit la <em>Lettre du dimanche</em>, est celui de la conservation des « valeurs traditionnelles ». Sous ces termes, qui sont en passe de ne plus rien vouloir dire de quelque côté que ce soit du conflit russo-ukrainien, se signale un enjeu humain fondamental. On peut le présenter sommairement de la manière suivante.</p>
<p>Aussi lents soient ses progrès, l’évolution de la culture « occidentale » a quelque chose de majoritairement « féminin », en ce sens qu’elle est de toute évidence une culture de la libération. Libération des femmes, libération des genres, libération des humains eu égard à tout donné naturel – « essentiel » au sens de la philosophie classique – qui serait censé borner le vouloir. On veut pouvoir tout vouloir, par définition sans limite.</p>
<p>La notion de libération appartient prioritairement au champ du « féminin ». Si l’on part du principe simple que le féminin est à l’origine la certitude de pouvoir faire ce que le féminin fait – porter un enfant –, alors le féminin est d’abord continuité du vivant donné. À partir de là, puisque l’on désire ce que l’on n’est pas et n’a pas, le féminin est ouverture à l’inconnu, au non-donné. Il est dynamique de libération par rapport au donné initial. Et la réciproque est vraie. Le masculin est de facto discontinuité d’avec la matrice maternelle – féminine –, et donc désir de recouvrer continuité, identité ou un « sol » ferme et stable.</p>
<hr>
<p>
<em>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sexualites-un-regard-philosophique-le-feminin-et-le-masculin-cles-de-comprehension-du-monde-161126">« Sexualités, un regard philosophique » : le féminin et le masculin, clés de compréhension du monde</a>
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</em>
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<hr>
<p>« Féminin » et « masculin » ne sont pas superposables à « femmes » et « hommes ». Ils constituent deux manières d’être au monde irréductibles, qui contribuent à circonscrire le domaine de la « fin de l’Histoire » dont il a été question dans un précédent article. La « fin de l’Histoire » concerne bien l’avènement de l’idée et, partout où cela se présente, de la réalité de l’État de droit. Mais l’aventure humaine continue, en particulier du fait que nous sommes toutes et tous faits de deux manières d’être au monde irréductibles, qui dépendent totalement l’une de l’autre et s’entrelacent sans cesse, de façon plus ou moins heureuse selon les cas et circonstances.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1504969987903172611"}"></div></p>
<p>De l’« autre » côté, qu’artificiellement le patriarche Kirill institue comme étant le « bon », le côté russe, l’on défend des « valeurs traditionnelles », par exemple l’importance accordée au fait « naturel » de l’existence de deux sexes initiaux constitutifs des êtres humains.</p>
<p>Si l’« Occident » tel qu’entendu ici est bien « féminin » dans son évolution, il s’opposerait alors à une posture « masculine » devenant archaïque, s’adossant à – si ce n’est s’arc-boutant sur – l’existence de deux sexes, à l’origine de la possibilité des humains. Dans un tel horizon, les homosexualités représentent les comportements déviants reprochés par le patriarche Kirill.</p>
<h2>Du plus petit au plus grand</h2>
<p>Il est évident que, dans le contexte de la guerre offensive faite à l’Ukraine par la Russie, aussi justifiée sur le plan géopolitique soit cette guerre aux yeux des Russes, le « masculin » dont il s’agit est dévoyé, car instrumentalisé dans le cadre d’un conflit frontal avec son autre – avec un « féminin » jugé corrompu et corrupteur.</p>
<p>Dans ce qui est ici en jeu, nous ne sommes cependant pas confrontés à un simple conflit entre « Orient » et « Occident », dont la question des sexualités ne serait qu’un instrument. Se joue dans ce conflit, d’une façon aussi dévoyée soit-elle, une tension entre deux manières d’être au monde constitutives de tous les humains, à quoi s’adossent les conflits, les extrémismes, les radicalisations de tous ordres, et ceci depuis bien longtemps, comme nous le montrions dans <em>Terrorisme et féminisme, Le masculin en question</em> (Éditions de l’Aube, 2016).</p>
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<figcaption><span class="caption">Terrorisme et féminisme, le masculin en question (TV5 Monde, 2016).</span></figcaption>
</figure>
<p>Et ceci se joue indépendamment des sexes biologiques de chacune et chacun, et donc par-delà femmes et hommes. Il s’agit d’une « tension » au sens de la « tension artérielle » entre féminin et masculin considérés comme deux manières d’être au monde dont le monde entier est habité.</p>
<p>Deux observations pour finir.</p>
<p>Même si nous nous reproduisons grâce aux sciences et aux techniques, en pouvant désormais si nous le voulons nous passer de relations hétérosexuelles, nous sommes toutes et tous issus de deux types de gamètes, des gamètes mâles et des gamètes femelles. Ce qui veut dire que nous portons toutes et tous en nous et féminin (gamètes femelles) et masculin (gamètes mâles).</p>
<p>S’il y a donc quelque chose comme du « féminin » et du « masculin » qui nous constitue toutes et tous, cela se joue au niveau le plus petit – chaque individu quel que soit son sexe –, et au niveau le plus grand, à l’échelle de conflits comme celui auquel nous sommes malheureusement confrontés.</p>
<p>Que soient invoqués des enjeux comme ceux des mouvements LGBTQIA+ dans le cadre de conflits susceptibles de mettre en danger l’existence de l’humanité entière signale que l’enjeu des sexualités que nous effleurons ici est tout sauf secondaire. Et loin de seulement s’indigner, l’on doit toutes et tous, si l’on veut y comprendre quelque chose et si l’on veut contribuer à l’apaisement, se demander ce qui, de part et d’autre de la situation, à la fois s’y joue et y est dévoyé. Pour creuser la question, on pourra se rapporter à la <em>Phénoménologie des sexualités, la modernité et la question du sens</em>, publiée en janvier 2021 chez L’Harmattan.</p>
<p>Si nous voulons contribuer un tant soit peu à l’apaisement au cœur de la crise, nous devons impérativement continuer d’identifier ce qui de la mondialisation fait sens et inversement. Et les relations entre les sexualités jouent sur la question un rôle déterminant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179776/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Bibard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le chef de l’Église orthodoxe a soutenu le conflit en Ukraine, invoquant une guerre des civilisations et faisant de l’homosexualité l’emblème du vice démocratique qui veut corrompre la nation russe.Laurent Bibard, Professeur en management, titulaire de la chaire Edgar Morin de la complexité, ESSEC Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1578042021-12-23T19:59:23Z2021-12-23T19:59:23Z« Chemsex » : les dessous de l’alliance dangereuse du sexe et des amphétamines<p>Le phénomène est apparu aux États-Unis et dans certaines grandes villes européennes, au début des années 2000. Le « chemsex », ou <em>chemical sex</em>, associe de façon inédite les rapports sexuels à la prise de drogues comme la cocaïne, la kétamine ou les cathinones. Il se développe aujourd’hui en France, tout en restant largement méconnu – surtout quant à ses dangers, à court et long termes.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/comment-les-amphetamines-de-synthese-se-sont-imposees-173453">Produit de synthèse d’une substance présente dans les feuilles de khat</a>, les cathinones jouissent d’un succès grandissant. Membre de la vaste famille des amphétamines, elles doivent cette popularité au fait qu’elles augmentent la libération de dopamine, neurotransmetteur central du circuit de la récompense.</p>
<p>L’arrivée de ces molécules de synthèse dans l’Hexagone est récente : la <a href="https://www.ofdt.fr/BDD/sintes/ir_100331_mephedrone.pdf">première saisie date de 2007</a>. Depuis, leur consommation, <a href="https://www.ofdt.fr/publications/collections/periodiques/lettre-tendances/nouveaux-produits-de-synthese-dix-ans-de-recul-sur-la-situation-francaise-tendances-127-octobre-2018/">longtemps restreinte à un cercle étroit</a> d’expérimentateurs fréquentant les blogs spécialisés (e-psychonautes) ou d’anciens toxicomanes, n’a pas tardé à prendre de l’ampleur chez les HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes).</p>
<p>Ce succès tient en partie aux caractéristiques du stupéfiant en lui-même, mais aussi à l’émergence concomitante de plusieurs facteurs le favorisant : applications mobiles de rencontres, GHB (dont nous parlerons plus loin) et efficacité des médicaments destinés à prévenir et traiter le virus de l’immunodéficience humaine (VIH).</p>
<h2>Les nombreux facteurs qui expliquent son succès</h2>
<p>Notons d’abord que les cathinones de synthèse sont plutôt bon marché du fait de leur production relativement simple, et ce alors que leurs effets sont puissants et sans apparition d’une tolérance lors d’une consommation régulière. Une différence notable avec l’ecstasy, qui impose d’espacer les prises pour garder un effet maximum.</p>
<p>Soulignons aussi l’<a href="https://techcrunch.com/2009/03/25/gay-dating-makes-its-way-to-the-iphone/?guccounter=1&guce_referrer=aHR0cHM6Ly93d3cuZ29vZ2xlLmNvbS8&guce_referrer_sig=AQAAANJ6eigulNZzLYdCNUnJGpDBxLRE7VHmYAtqENyVtHXZ2fEIy4OdBxsop71m0OzHHSnEp8NVOE7Fk6HDbWkJVT2vNH8zRYVvEw49q0RdKT-WSmZROqB2SrSlEWIssb21-FNQ-mzZqitTPesJYMcs4TRnOTt0hcL9ojTbSfxtS3um">impact des applications mobiles de rencontres en géolocalisation sur les comportements</a>, dont la plus célèbre (Grindr) fut lancée en 2009. Ces applications facilitent la rencontre de partenaires partageant les mêmes envies sexuelles, mais leur diffusion s’est accompagnée de la <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2014-2-page-152.htm">fermeture de lieux de convivialité gay</a>. De manière paradoxale, la facilité des rencontres s’est parfois accompagnée d’un isolement affectif douloureux chez des personnes ayant pourtant de nombreux partenaires sexuels.</p>
<p>Ensuite, après des décennies marquées par la crainte du Sida, sa meilleure prise en charge a rendu possible dans les années 2000 une nouvelle période de libération sexuelle. En effet, si les traitements antirétroviraux ne permettent toujours pas de guérir, ils sont très sûrs, bien tolérés et <a href="https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(19)30418-0/fulltext">empêchent la transmission du VIH</a>. De plus, la prophylaxie pré-exposition (<a href="https://www.sidaction.org/actualites/la-prep-mode-demploi-572">PrEP</a>), autorisée en France depuis juillet 2017, protège efficacement du VIH les personnes ayant <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28747274/">des rapports non protégés avec des partenaires multiples</a>.</p>
<p>Enfin, le GHB (acide 4-hydroxybutanoïque ou γ-hydroxybutyrate), autre drogue de synthèse popularisée au début des années 2010, a contribué au succès du chemsex. Ce neurotransmetteur est <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/2691926/">naturellement synthétisé par certains neurones</a> et se fixe dans le cerveau sur des récepteurs à GHB et GABA (acide γ-aminobutyrique), comme le font l’alcool et les anxiolytiques. Ses effets relaxant et sédatif expliquent son usage médical comme anesthésiant.</p>
<p>Classé comme stupéfiant depuis 1999, le GHB est en théorie difficile à se procurer… mais c’est loin d’être le cas du GBL (γ-butyrolactone). Solvant très utilisé dans l’industrie, le GBL est rapidement métabolisé en GBH après ingestion. Couramment qualifié de « drogue des violeurs », car parfois utilisé comme produit de soumission chimique, il est associé volontairement par beaucoup de consommateurs avec les cathinones dans la pratique du chemsex.</p>
<p>Impuissant, le monde médical voit émerger l’usage combiné des cathinones et du GBL/GHB depuis 10 ans à travers le prisme de la prise en charge des infections sexuellement transmissibles.</p>
<h2>En lien avec les infections sexuellement transmissibles</h2>
<p>Au tournant des années 2010, les problématiques liées à la consommation de drogues paraissaient secondaires dans la prise en charge hospitalière des personnes vivant avec le VIH. Les anciens toxicomanes étaient pour la plupart sevrés, ou sous traitement substitutif par Subutex ou méthadone ; les consommations de psychotropes concernaient les mêmes produits que dans la population générale, à savoir le tabac, l’alcool, les benzodiazépines et le cannabis.</p>
<p>On s’aperçut néanmoins qu’un petit nombre de patients présentaient de manière surprenante de multiples infections sexuellement transmissibles : VIH, hépatite A et C mais aussi syphilis, gonococcie, chlamydiose… En 2013, le service de consultation au CHU de Montpellier dont je suis l’un des praticiens rapportait des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25119693/">cas d’infections sexuellement transmissibles (IST) multiples liées à l’usage de cathinones</a>. Ces patients présentaient des comportements sexuels particulièrement à risques, lesquels paraissant favorisés par l’usage de drogues alors méconnues.</p>
<p>L’enquête menée la même année dans le service de consultation auprès de 1 000 patients infectés par le VIH révéla que <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01890116">2,7 % d’entre eux consommaient des cathinones et 7,1 % du GBL</a>.</p>
<h2>Un usage banalisé</h2>
<p>Depuis, la consommation s’est considérablement banalisée. À partir de 2017 et l’arrivée de la PrEP, de nombreuses consultations hospitalières ont intégré un volet préventif destiné aux personnes à risque d’infection par le VIH. Qu’il s’agisse de consultants jeunes (démarrant leur sexualité dans une ère moins anxiogène) ou plus âgés (abordant avec enthousiasme leur retour au célibat après une période en couple), la liberté procurée par cette prévention et les applications de rencontres expose aussi les plus fragiles à l’aliénation du chemsex.</p>
<p>De nouveaux termes sont venus s’immiscer dans la routine des consultations : « chem » pour chemsex, « 3-MMC » ou « 4-MEC » pour 3-Methylmethcathinone et 4-Methylethcathinone (méphédrone), « G hole » pour perte de conscience liée à un surdosage de GBL/GHB…</p>
<p>Le profil du consommateur s’est, lui, enrichi de multiples visages animés d’autant de motivations : trentenaires timides cherchant le lâcher-prise, quinquagénaires en quête d’une libido renouvelée, homosexuels en conflit avec une éducation ou une culture homophobe ou simples hédonistes.</p>
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<img alt="Une boite et une tablette de Viagra sont posées sur une table" src="https://images.theconversation.com/files/436642/original/file-20211209-141979-sdpeqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436642/original/file-20211209-141979-sdpeqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=775&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436642/original/file-20211209-141979-sdpeqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=775&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436642/original/file-20211209-141979-sdpeqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=775&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436642/original/file-20211209-141979-sdpeqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=974&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436642/original/file-20211209-141979-sdpeqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=974&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436642/original/file-20211209-141979-sdpeqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=974&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les cathinones entraînent des troubles de l’érection. Qui conduit de nombreux jeunes hommes à avoir recours au Viagra.</span>
<span class="attribution"><span class="source">SElefant/Wikimedia/Pfizer</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>Parallèlement, il est à noter que la demande de prescription pour un médicament de la dysfonction érectile est devenue plus fréquente en fin de consultation de prévention ou de traitement des infections sexuellement transmissibles : les cathinones stimulent en effet la libido… mais inhibent l’érection. Si bien qu’à 20 ou 30 ans à peine, l’usager régulier de ces produits de synthèse consomme souvent déjà à forte dose des médicaments de la famille du Viagra.</p>
<h2>Le problème du « craving »</h2>
<p>Les nombreux nouveaux consommateurs que nous voyons désormais arriver en consultation méconnaissent ces risques, comme celui de la dépendance. Or lorsque que la pratique du chemsex avec usage de cathinones devient régulière, il est rare que la consommation cesse ensuite. Le « craving », ou besoin impulsif de consommation, est très marqué avec cette amphétamine : <a href="https://www.academia.edu/49329610/Instability_of_the_ecstasy_market_and_a_new_kid_on_the_block_mephedrone">85 % des utilisateurs pourraient le ressentir</a>. <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20675396/">Le risque de dépendance</a> est quant à lui <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1360-0443.2011.03502.x.">estimé à 30 %</a></p>
<p>Le craving est l’un des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1369-1600.2011.00384.x">principaux problèmes liés à l’usage des cathinones</a> et s’explique par l’activation du circuit de la récompense. L’envie de consommer viendrait de la persistance d’une concentration élevée de dopamine alors que le taux de sérotonine (autre neurotransmetteur qui contrebalance normalement l’effet de la dopamine) serait revenu à la normale : ce qui provoque une période de stimulation, et secondairement le besoin impérieux du produit.</p>
<p>Chez le rongeur, où le craving a été confirmé par des expériences d’auto-administration de cathinones, on constate qu’en comparaison avec d’autres drogues comme la métamphétamine, les rats s’administrent quotidiennement des quantités cumulées très élevées (<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23739178/">31,3 mg/kg/jour pour la cathinone contre 4 mg/kg/jour pour la méthamphétamine</a>. Parmi les drogues actuellement utilisées, le risque d’abus lié aux cathinones de synthèse serait ainsi l’un des plus élevés observé.</p>
<h2>Sur la pente de l’addiction</h2>
<p>Ces quatre dernières années, les histoires tragiques liées aux cathinones se banalisent dans les hôpitaux et les centres d’information et de dépistage des IST. Les personnes les plus fragiles sont les plus susceptibles de voir leur consommation augmenter, leur intégration sociale se fragmenter et leur psychisme basculer vers la dépression ou la paranoïa.</p>
<p>Le caractère récent de l’usage de cathinones associées au GBL, de même que la relative rareté du sevrage complet chez les consommateurs réguliers, laisse présager à moyen terme une accentuation des problèmes de santé liés à l’usage prolongé. Que deviendra dans dix ans cette génération qui expérimente de nouvelles pratiques combinant PrEP, applications mobiles de rencontres et drogues de synthèses ?</p>
<p>La chute dans l’addiction passe souvent par une succession d’étapes. La modalité de consommation en est une. Les cathinones peuvent se consommer par voie orale, voire rectale. Mais ces voies digestives, associées à une lente augmentation des concentrations sanguines de cathinones, sont délaissées par la majorité des usagers expérimentés au profit de la voie nasale, qui permet une élévation rapide des taux sanguins. S’ajoute enfin la voie injectable, donnant accès à un effet encore plus violent (le <em>slam</em>, « claque » en anglais).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/437187/original/file-20211213-23-t5s1m5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte figurant le contenu des seringues par catégorie de drogue détectée à Paris en 2019 (domination des cathinones, à 67 %)" src="https://images.theconversation.com/files/437187/original/file-20211213-23-t5s1m5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/437187/original/file-20211213-23-t5s1m5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/437187/original/file-20211213-23-t5s1m5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/437187/original/file-20211213-23-t5s1m5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/437187/original/file-20211213-23-t5s1m5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=555&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/437187/original/file-20211213-23-t5s1m5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=555&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/437187/original/file-20211213-23-t5s1m5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=555&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les cathinones peuvent se consommer par voies orale, rectale, nasale ou par injection. Cette dernière pratique signant le passage vers la toxicomanie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">E. Tuaillon/D’après European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction (2021), An analysis of drugs in used syringes from sentinel European cities : Results from the ESCAPE project</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Cette dernière pratique marque un passage à la fois symbolique et pharmacologique vers la toxicomanie, jusqu’à conduire certains consommateurs à des injections compulsives pluriquotidiennes. La fréquence et le contexte de consommation sont d’autres étapes sur la pente de l’addiction aux cathinones.</p>
<h2>De l’événement festif à la pratique quotidienne</h2>
<p>Les consommateurs occasionnels, limitant la pratique du chemsex à quelques événements festifs dans l’année, demeurent heureusement nombreux. Mais d’autres en font un usage régulier en particulier le week-end.</p>
<p>Dans ce cas, la consommation débute fréquemment le vendredi soir et peut se prolonger jusqu’au samedi parfois au dimanche. Elle devient souvent régulière, comme un rituel festif de fin de semaine, perturbant plus ou moins l’humeur et le travail pendant la semaine, quand le cerveau est en disette de dopamine.</p>
<p>Beaucoup de nouveaux adeptes réguliers du chemsex ont lié l’<a href="http://www.slate.fr/story/204533/tribune-urgence-chemsex-hommes-gays-temps-covid-19-sexe-drogues-consommation-aides-medicales">augmentation de leur consommation de cathinones aux restrictions sanitaires imposées par la pandémie de Covid-19</a>.</p>
<p>Le contexte sexuel de l’usage des produits constitue par ailleurs un autre indicateur de la sévérité de l’addiction. Pour les personnes peu ou pas dépendantes, l’acte sexuel reste possible et désirable sans cathinones. Pour d’autres, la sexualité n’est plus attrayante que dans le cadre de la pratique du chemsex. Au stade suivant, la notion même de chemsex s’efface au profit de la seule consommation de drogue.</p>
<p>Dans les cas d’addiction les plus sévères, le produit est consommé deux à trois fois par semaine, souvent par voie injectable, et à plusieurs reprises dans une même journée. Il entraîne des phases d’éveil de 48h à 72h, suivies de phases de sommeil prolongé.</p>
<p>Comme pour d’autres drogues, les risques de la consommation des cathinones et du GHB tiennent à l’inexpérience des nouveaux consommateurs et aux conséquences de l’addiction des usagers expérimentés avec des décès par accident domestique ou de la voie publique, suicide ou arrêt cardiorespiratoire par overdose.</p>
<p>Le nombre de morts directement ou indirectement attribuables à ces produits est délicat à établir du fait de la difficulté de distinguer la part d’accidents et de suicide liés à leur usage. En 2017, une vingtaine de décès vraisemblablement en lien avec le chemsex étaient rapportés par le Comité de coordination régionale de lutte contre le VIH de Lyon (COREVIH Lyon-Vallée du Rhône).</p>
<h2>La prévention : une véritable priorité</h2>
<p>Beaucoup de pratiquants du chemsex ne se considèrent pas comme usagers de drogues. Ceux qui sont conscients de l’addiction refusent souvent une prise en charge difficile et n’offrant pas de traitement substitutif.</p>
<p>Aussi la prévention doit-elle devenir une priorité. Il faut expliquer les mécanismes neurologiques de l’addiction, inciter les consommateurs réguliers, occasionnels et potentiels à sortir du déni et à voir les difficultés de ceux qui, dans leur entourage, sont devenus dépendants.</p>
<p>La prise de conscience contribue à prévenir ou réduire les risques liés à l’usage des cathinones et du GBL.</p>
<p>Au-delà des consultations spécialisées des hôpitaux, c’est toute la société qui est appelée à prendre conscience de la problématique des cathinones.</p>
<p>Pour l’heure, le chemsex fait parler de lui dans la <a href="https://www.lemonde.fr/blog/realitesbiomedicales/2019/06/27/chemsex-quand-drogues-et-sexe-forment-un-duo-fatal/">presse</a>, des <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/foule-continentale/foule-continentale-26-mars-2021">émissions de radio</a>, dans la <a href="https://www.grasset.fr/livres/chems-9782246820277">littérature</a>. Mais ceci sans discours de prévention des pouvoirs publics, alors que parallèlement la répression se met en place.</p>
<p>Pendant longtemps, les vendeurs, eux-mêmes consommateurs et socialement bien insérés, ont été peu inquiétés par la police et la justice. Ce n’est plus le cas. Les consommateurs sont convoqués pour des rappels à la loi et des peines de prison ferme sont prononcées contre les vendeurs. Début 2021, un médecin de la région de Montpellier, consommateur et fournisseur, a été <a href="https://www.midilibre.fr/2021/01/26/piscenois-deux-ans-de-prison-pour-le-medecin-trafiquant-de-stupefiants-9334003.php">condamné et interdit d’exercer</a>.</p>
<p>Dans un tel contexte, l’absence d’interdiction de commercialisation de solvant contenant du GBL est un paradoxe. La France a promulgué en 2011 un arrêté interdisant sa vente au public, mais pas sa commercialisation pour les professionnels.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Six bidons saisis et sachets de poudre" src="https://images.theconversation.com/files/436672/original/file-20211209-172173-nhfl4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436672/original/file-20211209-172173-nhfl4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436672/original/file-20211209-172173-nhfl4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436672/original/file-20211209-172173-nhfl4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436672/original/file-20211209-172173-nhfl4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=404&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436672/original/file-20211209-172173-nhfl4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=404&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436672/original/file-20211209-172173-nhfl4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=404&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Si le GHB, ou drogue du violeur, est interdite à la vente, le GBL (que notre corps dégrade naturellement en GHB) reste un solvant industriel disponible à la vente pour les professionnels (saisie de bidons suspectés de contenir du GBL, États-Unis).</span>
<span class="attribution"><span class="source">United States Department of Justice/DEA/Wikimedia</span></span>
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</figure>
<p>Le GBL reste donc disponible, et sa consommation s’est accrue ces dernières années. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) s’en est <a href="https://archiveansm.integra.fr/var/ansm_site/storage/original/application/2a125986cd8595b85fe889425d7ab57a.pdf">alarmée en décembre 2018</a>. Les <a href="https://www.dailymotion.com/video/x7fes0k">recommandations de l’ANSM</a>, qui visaient à renforcer les limites de commercialisation du GBL, semblent pour l’instant être restées lettre morte.</p>
<p>Alors que les campagnes de prévention devraient être la priorité, elles demeurent très rares. On peut citer par exemple celle mise en place dès 2018 par le COREVIH Lyon-Vallée du Rhône, incluant un site web, des conférences, des <a href="https://www.lyonetlavalleedurhonesanssida.fr/spots-videos">vidéo</a>. On notera également qu’en mars 2021 le Conseil de Paris a voté en faveur d’un « plan d’information et de réduction des risques sur le chemsex », et souhaite <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/11/25/paris-veut-agir-face-a-l-essor-du-chemsex_6103588_3224.html">mettre en place d’outils d’ici fin février 2022</a>. L’un des porteurs du projet, l’adjoint à la Maire de Paris et militant <a href="https://tetu.com/2020/06/10/jean-luc-romero-michel-avec-le-chemsex-on-va-vers-quelque-chose-de-tres-grave">Jean-Luc Romero-Michel</a>, a lui-même perdu son mari en 2018 des suites d’une overdose.</p>
<p>Il faut espérer que ces initiatives marquent le début d’une période nouvelle, celle d’une réaction des pouvoirs publics face aux enjeux de la prévention des risques liés aux amphétamines de synthèse.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157804/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Edouard TUAILLON est membre de la Société française de microbiologie.
Il a reçu des soutiens financiers, bourse de recherches subventions des organisations suivantes : l'Agence national de recherche sur le Sida et les hépatites virales (ANRS), l'Université et du CHU de Montpellier, des groupements Interrégionaux de Recherche Clinique et d'innovation, la fondation Pierre Fabre, les laboratoire Gilead et ViiV, les sociétés Biomérieux, Biocentric et DiaSorin</span></em></p>De nouvelles formes de toxicomanie associées à la pratique sexuelle, le « chemsex », s’installent en France. Décryptage d’un succès dont les risques sont sous-estimés par ses usagers.Edouard TUAILLON, Professeur des Universités-Praticien Hospitalier. Domaines d'expertise : maladies infectieuses, virologie, santé sexuelle, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1728912021-11-30T18:57:19Z2021-11-30T18:57:19ZLa qualité de vie des personnes vivant avec le VIH n’est pas qu’une question de santé<p>Quarante ans après les premiers cas de sida, les personnes vivant avec le VIH peuvent, grâce à un accès durable à un traitement antirétroviral, prétendre à une espérance de vie dite « normale ». Nous en sommes même venus désormais à <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24152939/">considérer l’infection par le VIH comme une maladie chronique</a>). </p>
<p>Pourtant, malgré cet important changement de paradigme, l’accès à un traitement, bien qu’indispensable, ne garantit pas le retour à un état de santé parfait <a href="https://www.who.int/fr/about/governance/constitution">au sens où l’entend l’Organisation mondiale de la santé</a> (OMS), c’est-à-dire « un état de complet bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». </p>
<p>Les personnes vivant avec le VIH restent en effet plus vulnérables que la moyenne, en raison du risque plus élevé qu’elles encourent de développer d’autres maladies, telles que maladies cardiovasculaires, diabètes ou cancers notamment. Ce surrisque est directement ou indirectement associé au virus, à son traitement, ou à leurs conditions socio-économiques et/ou habitudes de vie. Par ailleurs, ces personnes subissent diverses sortes de stigmatisations liées au VIH. </p>
<p>Cette situation amène à aller au-delà du contrôle du virus lui-même, afin de s’assurer que ceux et celles qui vivent et vieillissent avec le VIH gardent une bonne « qualité de vie ». </p>
<h2>Qu’est-ce que la « qualité de vie » ?</h2>
<p>Derrière ce terme un peu flou se cache un véritable concept scientifique, auquel sont associés un cadre théorique et des outils méthodologiques et statistiques très robustes. </p>
<p>La qualité de vie a initialement été considérée principalement comme un critère de jugement, dans le cadre de l’évaluation thérapeutique. À ce titre, « qualité de vie » a longtemps été entendue comme « qualité de vie liée à la santé ». C’est dans cette perspective que diverses échelles de mesure ont été construites et validées. </p>
<p>Les choses ont changé progressivement dans les années 1990. À cette époque, on commence à considérer que cette vision essentiellement « liée à la santé » est trop réductrice. L’OMS cherche alors à proposer une définition de la qualité de vie ayant un ancrage international, allant au-delà du prisme purement médical. En 1994, une nouvelle définition de la qualité de vie est adoptée. Il s’agit désormais de</p>
<blockquote>
<p>« La perception qu’a un individu de sa place dans l’existence, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lesquels il vit, en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes. Il s’agit d’un large champ conceptuel, englobant de manière complexe la santé physique de la personne, son état psychologique, son niveau d’indépendance, ses relations sociales, ses croyances personnelles et sa relation avec les spécificités de son environnement. »</p>
</blockquote>
<p>Sur cette base, des échelles ont été construites puis validées afin de mesurer la qualité de vie, autrement dit afin d’objectiver un concept qui est par définition subjectif. En ce sens, cette définition est importante, car elle permet de penser la qualité de vie comme étant non seulement subjective, mais aussi ancrée culturellement et dynamique.</p>
<h2>Intégrer la réalité des contextes de vie aux concepts scientifiques</h2>
<p>Dans le cadre des recherches visant à appréhender les effets d’innovations thérapeutiques tels que les trithérapies ou encore le traitement préventif du VIH (la « Prophylaxie pré-ExPosition » ou PrEP), le recours au concept de qualité de vie apparaît essentiel pour garder une approche globale du vécu des personnes. </p>
<p>En effet, bien souvent les effets des thérapeutiques sont évalués sur des dimensions purement biomédicales (charge virale, taux de lymphocytes T CD4, vomissements, fatigue musculaire…), ou en ciblant spécifiquement certaines dimensions de la santé mentale tels que les troubles anxio-dépressifs ou les troubles du sommeil, par exemple. Or, aucun des outils conceptuels disponibles ne permet d’appréhender le vécu des personnes dans la diversité de ses dimensions, dans l’importance que chacune revêt pour la personne. </p>
<p>Seul le concept de qualité de vie le permet, en tenant compte par exemple de la difficulté à se lever le matin, de la survenue de rêves étranges, de la mésestime de soi, du manque d’envie, du peu de plaisir, de la difficulté à se nourrir liée à des douleurs stomacales, etc. Un questionnaire portant sur la qualité de vie permet par exemple d’explorer comment la peur de l’annonce de la maladie au(x) partenaire(s) affecte la vie affective et sexuelle, la qualité et la densité du réseau social et familial, les stigmatisations dans l’emploi, etc. </p>
<p>C’est dans ce contexte que les premiers travaux autour de la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH ont été menés. Associées initialement aux recherches sur l’adhésion aux traitements lorsque les trithérapies ont été diffusées, les études de la qualité de vie ont participé à la transformation de la prise en charge et au déploiement de nouvelles recherches sur le sujet. </p>
<p>Grâce à elles ont pu être mis en évidence <a href="https://www.researchgate.net/publication/271881304_L%E2%80%99evaluation_psychosociale_de_la_qualite_de_vie_des_personnes_infectees_par_le_VIH">l’impact du vécu subjectif</a> des effets indésirables sur la qualité de vie, et l’importance de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/17159583/">dépasser la vision biomédicale</a>) centrée sur la gravité des symptômes ou des effets secondaires. </p>
<p>Ces premiers travaux se sont déroulés dans un environnement propice pour se saisir des enjeux psychosociaux auxquels étaient confrontées les personnes vivant avec le VIH. </p>
<h2>Des associations très tôt associées à la recherche scientifique</h2>
<p>Premières à se mobiliser et proposer des actions d’accompagnement (pour certaines dès la première moitié des années 1980, à une époque où les réponses de l’État et du milieu médical tardaient à émerger), les associations de lutte contre le VIH ont développé une réelle expertise des publics et de leurs besoins et spécificités, tant globalement qu’au niveau local. </p>
<p>En 1992, elles ont intégré les structures de recherche telles que l’Agence Nationale de Recherches sur le Sida et les hépatites virales, sous la forme du <a href="https://www.trt-5.org/missions-interlocuteurs-et-activites-du-trt-5-de-1992-a-nos-jours/">collectif inter-associatif TRT-5</a> (« Traitement et Recherche Thérapeutique », 5 car fondé initialement par 5 associations), dont l’objectif est de <a href="https://www.trt-5.org/le-trt-5-ses-missions/">« faire valoir les besoins et de défendre les droits des personnes infectées par le VIH »</a>.</p>
<p>Cette place de collaboratrices a permis de déployer des approches adaptées et pertinentes pour évaluer les conditions de vie au-delà, de la seule prise du traitement. Les associations ont pu apporter un éclairage concret et pragmatique sur les enjeux auxquels doit faire face la recherche, en mettant par exemple leur expertise au service de la création de questionnaires dédiés, notamment sur la sexualité des personnes. </p>
<p>De cette façon, des interrogations pertinentes sur la réalité des contextes de vie ont pu être intégrées à des concepts scientifiques solides. Leur objectivation et leur intégration dans les études longitudinales ont notamment permis de mettre en évidence scientifiquement ce qui était vécu sur le terrain par les personnes séropositives. </p>
<p>Dans un second temps, les données recueillies durant des années de suivi ont montré l’impact majeur des déterminants psychosociaux, plus spécifiquement des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/17689377/">discriminations perçues</a> ou des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/18434958/">relations complexes avec le corps médical</a>. </p>
<p>Elles ont par exemple révélé que le fait que les médecins ne considèrent pas le vécu des patients et la gêne associée aux effets secondaires des traitements a un impact direct, négatif, sur la relation de confiance censée s’établir. Or, une dégradation de cette relation n’est pas anodine, car la confiance est associée à l’observance au traitement, c’est-à-dire à la capacité à prendre son traitement selon les recommandations médicales.</p>
<h2>Mieux prendre en compte les réalités de la vie des patients</h2>
<p>Dernièrement, les outils d’évaluation de la qualité de vie commencent à être mobilisés dans le cadre de la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/17266562/">recherche observationnelle</a> <a href="https://www.researchprotocols.org/2018/6/e147/">et en soins courants</a>. L’objectif est de mieux prendre en compte les réalités de vie et les informations rapportées par les patients eux-mêmes au moment de la consultation, ce qui permet une meilleure appréhension de la santé globale des personnes vivant avec le VIH. </p>
<p>Souvent, les données qui permettent d’évaluer l’efficacité d’un traitement s’intéressent à des résultats dans des domaines spécifiques comme les douleurs ou les effets secondaires par exemple. L’utilisation du critère qualité de vie a permis de montrer que le vécu de discrimination ou les relations avec les autres affectent aussi bien la santé que les effets indésirables des traitements. </p>
<p>Recueillir ces données systématiquement et de manière standardisée permettrait que les problématiques telles la dépression ou l’isolement social soient décelées par les soignants et idéalement aborder dans le cadre de la prise en charge. Les recherches conduites auprès d’autres populations (telles que les personnes âgées, les personnes souffrant de troubles dépressifs…) montrent ainsi qu’intégrer une évaluation de la qualité de vie au suivi peut conduire <a href="https://link.springer.com/article/10.1007%2Fs11136-008-9430-6">à une amélioration de la communication entre soignant et soigné</a>).</p>
<p>Les données sur la qualité de vie issues de grandes études pluridisciplinaires (pour les plus récentes, co-construites avec les personnes concernées), ont par ailleurs mis en évidence l’existence de populations clés, telles que les personnes migrantes ou les travailleuses du sexe, qui sont particulièrement vulnérables <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25533922/">à divers égards</a>. Les données de l’<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31350379/">enquête Parcours</a> (une étude sur le VIH, l’hépatite B et la santé dans les parcours de vie de migrants subsahariens vivant en Île-de-France) ont par exemple révélé que 58 % des migrants subsahariens qui ont contracté le VIH après leur migration ont été infectés au cours des 6 premières années en France.</p>
<p>C’est sur la base de ces données de terrain, issues des partenariats étroits entre chercheurs et populations concernées, que les rapports d’experts proposent des orientations claires sur la prise en charge des personnes vivant avec le VIH.</p>
<h2>Des facteurs de vulnérabilité qui accroissent la dégradation de la qualité de vie</h2>
<p>Toutes ces connaissances montrent que le cumul de facteurs de vulnérabilités rend la qualité de vie de certaines sous-populations vivant avec le VIH particulièrement dégradée. Certains facteurs de vulnérabilité ne se contentent pas d’être cumulatifs, mais sont exponentiels, c’est-à-dire qu’ils interagissent entre eux de façon à produire des situations particulièrement sensibles et complexes, nécessitant des prises en charge ou des accompagnements spécifiques.</p>
<p>Un exemple emblématique est le cas d’une femme trans, migrante, sans revenus, qui s’est enfuie de son pays pour échapper à la mort, et est arrivé sur le sol français sans parler la langue. Séropositive, elle avait peur de se rendre dans les hôpitaux, faute d’être titulaire d’une carte de séjour. Une association de pairs a pu la rencontrer, grâce aux personnes qu’elle suivait. Des médiatrices parlant sa langue ont alors pu échanger avec elle, et la rapprocher du système de santé. Parallèlement, l’association l’a accompagné dans ses démarches afin d’obtenir une carte de séjour, un logement, et suivre une formation. 5 ans plus tard, elle a du travail, un logement, est sous traitement antirétroviral et parle le français.</p>
<p>Cet exemple illustre l’intérêt d’adopter une approche <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33421105/">« intersectorielle »</a>, autrement dit de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19348518/">croiser différentes caractéristiques des populations</a> telles que genre, situation socio-économique, statut administratif, lieu de vie, etc. pour mieux appréhender la façon dont les vulnérabilités interagissent entre elles, et pour fournir une prise en charge adaptée aux personnes vivant avec le VIH.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été écrit en collaboration avec Diane Leriche, <a href="https://www.trt-5.org/qui-sommes-nous/bilan-annee-2019/">coordinatrice du TRT5-CHV</a>, et Hélène Meunier, médiatrice de santé au sein de l’association ENVIE à Montpellier et <a href="https://www.trt-5.org/qui-sommes-nous/bilan-annee-2019/">membre indépendante du TRT5-CHV</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172891/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Diana Barger a reçu des financements de l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes (<a href="https://www.anrs.fr">https://www.anrs.fr</a>).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marie Préau a reçu des financements de l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes (<a href="https://www.anrs.fr">https://www.anrs.fr</a>).</span></em></p>Longtemps, la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH n’a été mesurée qu’à l’aune de critères biomédicaux : contrôle de la charge virale, effets indésirables… Une vision bien trop réductrice.Diana Barger, Post-doctorante, Institut de Santé Publique d'Epidémiologie et de Développement, Université de BordeauxMarie Préau, Directrice adjointe INserm U1296 "Radiations : Défense, Santé, Environnement », Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1716492021-11-23T20:08:45Z2021-11-23T20:08:45ZProtection des droits LGBT dans le monde : quel rôle pour les multinationales ?<p>Il est désormais courant que les grandes entreprises s’associent à des événements LGBT tels que le <a href="https://www.vogue.fr/mode/article/mois-des-fiertes-capsules-mode-tolerance">mois des fiertés</a>, la <a href="https://www.journee-mondiale.com/268/journee-internationale-du-coming-out.htm">journée internationale du coming out</a> (le 11 octobre) ou la <a href="https://www.journee-mondiale.com/71/journee-internationale-contre-l-homophobie.htm">journée internationale contre l’homophobie</a>, la transphobie et la biphobie (le 17 mai). Aux États-Unis, plusieurs centaines d’entreprises américaines ont formé une coalition au sein de la Human Rights Campaign, qui milite, au Congrès, en faveur d’une loi qui offrirait des protections juridiques aux personnes LGBT.</p>
<p>Les militants émettent parfois des critiques contre ces soutiens, perçus comme profitant de leurs combats. Ce qui nous intéresse ici est plutôt le fait que ces pratiques restent limitées à certains pays. La solidarité des entreprises reste rarement observable dans des pays où les gouvernements s’avèrent hostiles à la communauté LGBT.</p>
<p>Cela concerne une grande partie du monde. Selon l’International Lesbian and Gay Association, <a href="https://ilga.org/state-sponsored-homophobia-report-2020-global-legislation-overview">69 pays</a> criminalisent actuellement les rapports homosexuels consentis. Dans certains pays, la peine encourue est la mort. Y faire son coming out, c’est ainsi parfois mettre sa vie en danger.</p>
<p>Et si les multinationales présentes dans des pays hostiles utilisaient leur influence économique et leurs ressources pour faire progresser la protection des personnes LGBT, de la même manière qu’elles défendent l’égalité dans les pays occidentaux ? Différentes études considèrent la question.</p>
<h2>Le modèle de « l’avocat »</h2>
<p>Puisque les multinationales contribuent à l’économie de leur pays d’accueil, elles possèdent un accès privilégié aux responsables gouvernementaux. Cela peut représenter une occasion de faire part de leurs préoccupations concernant les lois et pratiques LGBT hostiles d’un pays. D’autant plus étant donné les ressources que les entreprises investissent dans leur activité politique et leur programme de responsabilité sociale.</p>
<p>Certains <a href="https://www.businessinsider.com/lgbtq-oil-workers-face-tough-reality-abroad-antigay-laws-2020-8">critiques</a> soutiendront que les multinationales doivent respecter les lois de leur pays d’accueil et éviter les activités qui pourraient avoir un impact négatif sur leurs intérêts commerciaux. Mais les multinationales peuvent-elles vraiment assumer pleinement leur responsabilité sociale en ce cas, d’autant plus si sont concernées des personnes LGBT qui comptent parmi leurs employés, fournisseurs ou clients ?</p>
<p>Il existe, dans les faits différents degrés d’action pour protéger les personnes LGBT dans les pays hostiles. Si un soutien public peut créer des tensions entre l’entreprise et le gouvernement hôte, et mettre potentiellement les personnes LGBT en danger, il alors être plus prudent de plaider en coulisses. Cela peut se faire dans le cadre d’engagements permanents avec les législateurs ou de manière ponctuelle, lorsque la protection des personnes LGBT est directement évoquée lors de réunions d’affaires.</p>
<p>L’une des approches suggérées par Coqual, un groupe de réflexion mondial à but non lucratif, est le “<a href="https://coqual.org/reports/out-in-the-world/">modèle de l’avocat</a>”. Il invite les entreprises à faire directement pression sur les gouvernements hôtes ou à apporter un soutien symbolique à la communauté LGBT locale.</p>
<p>Selon le pays, il n’est peut-être pas encore réaliste d’obtenir l’égalité totale pour les personnes LGBT, comme la reconnaissance des mariages entre personnes de même sexe. Il est peut-être plus facile d’obtenir des protections fondamentales comme la décriminalisation, des lois sur les crimes haineux et des politiques de non-discrimination pour les personnes LGBT.</p>
<h2>Des arguments à avancer</h2>
<p>Une autre approche de la défense des droits LGBT par les entreprises consiste à faire partie d’une coalition mondiale d’entreprises partageant les mêmes idées. Open For Business, une organisation à but non lucratif basée à Londres, mène, par exemple, des recherches sur les avantages économiques de l’intégration des personnes de cette communauté.</p>
<p>L’une de ses récentes études a révélé que les <a href="https://open-for-business.org/working-globally-report">talents LGBT tiennent compte des lois d’un pays</a> lorsqu’ils choisissent un travail à l’étranger ou les destinations de leurs voyages d’affaires. Une autre a mis en évidence <a href="https://static1.squarespace.com/static/5bba53a8ab1a62771504d1dd/t/60d1b199e098bd3ca30df42b/1624355229493/The+Economic+Case+for+LGBT%2B+Inclusion+in+CEE+EN+July+2021.pdf">l’impact économique négatif</a> des politiques hostiles aux LGBT en Europe centrale et orientale.</p>
<p>Autant d’arguments utilisables par les entreprises pour démontrer les méfaits des lois et pratiques hostiles aux personnes LGBT.</p>
<h2>Courir après l’« argent rose »</h2>
<p>Les simples effets d’annonce ne suffisent par ailleurs pas. Une entreprise qui se targue d’être un lieu de travail agréable pour les personnes LGBT et qui court après « l’argent rose », expression qui renvoie au pouvoir d’achat des personnes homosexuelles, mais qui prend peu de mesures pour lutter contre la persécution de ces mêmes personnes, risque d’être critiquée à juste titre sur son véritable engagement envers la communauté. Pour finalement des résultats économiques inverses à ceux escompter.</p>
<p>Des risques réputationnels sont, enfin, encourus lorsque des multinationales ont une présence importante dans des pays hostiles tout en se présentant comme des entreprises favorables aux LGBT dans les pays occidentaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171649/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ken Chan est membre du Board of Trustees à Open For Business.</span></em></p>Les grandes entreprises ont les moyens d’être vectrices de progrès dans des pays aux lois hostiles et peuvent s’appuyer sur des arguments solides. D’autant que cela ne dessert pas leurs intérêts.Ken Chan, Global Executive Ph.D. Candidate, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1696642021-10-26T18:27:05Z2021-10-26T18:27:05ZConnaissez-vous le vrai James Bond ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/428543/original/file-20211026-27-1g8npbq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C14%2C1992%2C1318&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans le dernier JamesBond, le héros s'est retiré en Jamaïque. </span> <span class="attribution"><span class="source">Allociné</span></span></figcaption></figure><p>James Bond parcourt notre planète depuis bientôt 70 ans. Depuis la publication du premier roman de Ian Fleming <em>Casino Royale</em> (1953) jusqu’à <em>Mourir peut attendre</em> sorti aujourd’hui en version 3D, l’agent secret le plus reconnaissable du monde fait à chaque sortie l’objet de débats auprès des fans, de querelles d’interprétations et conflits de définitions chez les bondologues. Agent provocateur, il défraie la chronique depuis 1958, à commencer par le célèbre article de Paul Johnson dans le <em>New Statesman</em> : « Sex, snobbery and sadism », qui accuse Fleming de dépraver la jeunesse et de participer à la décadence de l’Empire.</p>
<p>Par la même occasion, il propulse James Bond sur une orbite populaire exponentielle, faisant de lui bien plus qu’une icône majeure de la culture populaire, mais un nouveau phénomène de la culture de masse. En 1965, au moment où <em>Thunderball</em> (<em>Opération Tonnerre</em>) attire les foules du monde entier, Oreste Del Buono et Umberto Eco publient <a href="http://www.librinlinea.it/titolo/il-caso-bond-eco-umberto-dedalus-del-bu/SBL0280327">« Il Caso Bond »</a> chez Bompiani, dans lequel ils étudient ce phénomène du point de vue sociologique, politique, sexologique, psychanalytique, technologique, et littéraire.</p>
<p>L’article de Eco fera date : l’auteur y accuse Ian Fleming de collage et de bricolage littéraire, associant romans victoriens et science-fiction. Le jeune docteur Eco remporte ainsi une bataille de critique contre Mister Fleming, signant même l’arrêt de mort du James Bond littéraire en Italie et en France, en traitant la structure binaire du récit de fascisante. Les romans de Fleming demeureront des best-sellers dans les pays anglophones et sont encore à ce jour des « classiques » de la littérature britannique, consacrés par des versions prestigieuses du type Pléiade.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/UkAr4Eo4DfM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Mais si le James Bond littéraire est définitivement sorti du radar de l’intelligentsia française, son avatar cinématographique s’est constitué en objet d’étude privilégié des Cultural Studies. Avec la sortie de <a href="https://www.worldcat.org/title/bond-and-beyond-the-political-career-of-a-popular-hero/oclc/831965713?referer=null&ht=edition"><em>Bond and beyond : The political career of a popular hero</em></a> de Bennett et Woollacott en 1987, James Bond est devenu un cas d’école pour étudier l’évolution des représentations identitaires, ethniques, de race, de classe, de genre, etc. Il est cependant un domaine de l’univers bondien qui est resté curieusement inexploré alors qu’il constitue le sujet même de la saga, à savoir le monde de l’espionnage lui-même. Point aveugle ou œil du cyclone ?</p>
<h2>Un auteur lié au monde de l’espionnage</h2>
<p>À l’instar du Président Kennedy, le premier directeur de la CIA, Allan Dulles (1953 à 1961) était également un grand fan de Fleming et il a écrit un article « The spy boss who loves James Bond » dans lequel il rend hommage à son ami Fleming et à ses romans qui constituent selon lui une source d’inspiration inestimable pour la CIA. JF Kennedy citait également <em>From Russia with Love</em> dans sa liste de livres de chevet et Fleming envoyait chaque nouveau roman dédicacé aux frères Kennedy.</p>
<p>Parallèlement, Fleming savait également que parmi ses lecteurs les plus perspicaces figuraient les agents du KGB, à qui il adressait des messages, comme dans <em>From Russia With Love</em> où chacun des membres du bureau y est décrit en détail d’après les renseignements d’un indique de Fleming. Fleming utilise ainsi ses romans pour tester ses sources et informations, semer la pagaille au sein du KGB, communiquer des messages et des inventions, des scénarios et une vision du monde, faire circuler des fake news, que les lecteurs et fans vont s’empresser de vérifier et « fact checker » en engageant une correspondance avec Fleming, pour signaler l’adresse erronée du KGB ou le choix inadapté du Berreta 418 pour 007. Le Major Boothroyd, auteur de l’un de ces courriers, est ainsi entré dans les romans et dans la légende sous le nom de Q. Ainsi, Ian Fleming n’est pas seulement le directeur des correspondants étrangers au <em>Sunday Times</em>, il est à la tête d’une agence internationale de renseignements ad hoc, qui communique par le truchement de ces romans.</p>
<p>Désigné par le terme d’« intelligence » par les Anglo-saxons, le domaine de l’espionnage et du renseignement méritent d’être exploré à travers James Bond, dès lors qu’Ian Fleming a lui-même utilisé ses romans et les films (EON Production se prononce Ian Production, comme son prénom) comme couverture pour ses activités dans le domaine du renseignement, de la communication et de l’« intelligence », dont l’exploration nous conduit à interroger les liens qui unissent Ian Fleming et James Bond, <a href="https://ornithology.com/bond-james-bond/">cet ornithologue</a> à qui Fleming a « chipé » le nom, sous prétexte qu’il le trouvait à la fois banal et viril.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/431099/original/file-20211109-23-edvbq7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/431099/original/file-20211109-23-edvbq7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/431099/original/file-20211109-23-edvbq7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/431099/original/file-20211109-23-edvbq7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/431099/original/file-20211109-23-edvbq7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/431099/original/file-20211109-23-edvbq7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/431099/original/file-20211109-23-edvbq7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">James Bond (à gauche) et Ian Fleming (à droite) à Goldeneye, en Jamaïque.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Mary Bond.</span></span>
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<p>La photo ci-dessus, prise à Goldeneye à la Jamaïque par Mary Bond, nous montre James Bond à gauche et Ian Fleming à droite, tout sourire, en 1964. Mary Bond, l’épouse de James Bond et romancière, laisse entendre dans la biographie de son mari, <em>To James Bond With Love</em>, qu’il y avait une sacrée connivence entre ces deux larrons, et que s’ils ne s’étaient officiellement jamais rencontrés en dehors de ce photo shoot, ils partageaient bien des choses, à commencer par leur éducation britannique, leur sens de l’humour et leur amour pour la Jamaïque et les oiseaux. Ou plus exactement les « birds », terme recouvrant simultanément les oiseaux, les femmes… et les missiles en anglais. L’occasion d’innombrables blagues chez les ornithologues, allusions et messages pour les lecteurs de Fleming ?</p>
<h2>Entre Bond et Fleming, une vraie complicité</h2>
<p>Né aux États-Unis en 1900, James Bond fréquente la prestigieuse école privée de Harrow durant la Première Guerre mondiale, recevant l’accent et la formation qui distingue l’élite britannique au moment où le nationalisme britannique est à son apogée. Trop jeune néanmoins pour s’engager sur le front, Bond se distingue néanmoins à Harrow comme l’un des « most illustrious old boys ». Bond poursuit ses études supérieures à Cambridge, à Trinity College, l’alma mater des célèbres espions dits de Cambridge où il fréquente le <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/University_Pitt_Club">cercle très fermé des membres du Pitt Club</a>, dont <a href="https://historyofspies.com/the-cambridge-spy-ring/">Guy Burgess et Anthony Blunt, deux des cinq de Cambrige</a> font partie. Si James Bond n’a jamais figuré sur aucune liste d’espions de Cambrige, suite à la défection de Burgess et Maclean à Moscou en 1952, il s’est retrouvé sur la liste rouge des <em>old boys</em> de Cambridge suspectés par la CIA.</p>
<p>C’est là précisément qu’Ian Fleming s’envole pour sa résidence de Jamaïque, Goldeneye – qui porte le nom d’un oiseau et le nom de code d’une opération dirigée par Ian Fleming durant la Seconde Guerre mondiale. En trois semaines, il rédige son premier roman <em>Casino Royale</em> dont le protagoniste est un agent secret nommé Bond, James Bond. « Pourquoi, James Bond ? » se redemande Fleming dans une interview. « James Bond m’est apparu dans ma bibliothèque, sur la couverture de <em>Birds of the West Indies</em>, qui est « ma bible » à la Jamaïque.</p>
<p>Dix ans et 12 romans et 9 nouvelles plus tard, James Bond est devenu l’agent secret le plus connu de la planète. Depuis, l’ornithologue James Bond n’a plus jamais été inquiété par la CIA, seulement harcelé en pleine nuit par des fans de 007. Qui oserait à présent soupçonner James Bond d’espionnage sans passer pour un fanatique qui ne saurait plus discerner entre fiction et réalité ? Le dernier à se livrer à cet exercice périlleux fut Jim Wright dans son ouvrage <em>The real James Bond : A true story of identity theft, avian intrigue, and Ian Fleming</em> publié <a href="https://www.the-tls.co.uk/articles/real-james-bond-jim-wright-book-review/">chez Schiffer en 2020</a>. Dans cette biographie extrêmement bien documentée et illustrée sur le véritable James Bond, Wright ose néanmoins poser la question de savoir si James Bond était un espion américain. Wright conclut que non. Mais la question n’est-elle pas plutôt de savoir si James Bond serait au service secret de Sa Majesté ?</p>
<p>En ouvrant <em>Birds of the West Indies</em> publié en Grande-Bretagne par Riverside Press Cambridge, l’unique ouvrage que James Bond ait écrit avec plus d’une centaine d’expéditions dans les Caraïbes à son actif mais sans aucun spécimen d’oiseau nouveau découvert, on est en droit de se demander à quoi il occupait son temps muni d’une paire de jumelles (007) et d’un permis de tuer… des oiseaux ?</p>
<p>Sachant que « bird » dans le jargon militaire anglais signifie missile, que James Bond connaissait chaque plage, crique et baie de cochons, ne serait-il pas envisageable de lire le <em>Field guide to the West Indies</em> plein de cartes et de descriptions topographiques comme un guide ou une source de renseignements militaires, selon les intentions. Ce guide, publié à Cambridge a été écrit à l’intention d’un lectorat britannique et américain avec cette dédicace : « To my many friends in the West Indies, in appreciation of their hospitality and assistance ». « Friends » étant un mot clé qui nous rappelle le célèbre l’article d’E.M. Foster publié en 1939, auquel les espions de Cambridge ont également souvent fait référence, et dans lequel on peut lire : « If I had to choose between betraying my country and betraying my friend, I hope I should have the guts to betray my country. » (Si je devais choisir entre trahir mon pays et trahir un ami, j’ose espérer que j’aurais le courage de trahir mon pays.)</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/428544/original/file-20211026-21-1whujt0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/428544/original/file-20211026-21-1whujt0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=537&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/428544/original/file-20211026-21-1whujt0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=537&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/428544/original/file-20211026-21-1whujt0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=537&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/428544/original/file-20211026-21-1whujt0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=674&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/428544/original/file-20211026-21-1whujt0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=674&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/428544/original/file-20211026-21-1whujt0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=674&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">James Bond, l’ornithologue, à l’académie des sciences naturelles de Philadelphie, en 1974.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/James_Bond_(ornithologue)">Wikimedia</a></span>
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<p>Dans cette perspective, la patrie de James Bond ne serait peut-être pas les États-Unis ni même le Royaume-Uni, mais une patrie d’amis ayant trouvé leur refuge à la Jamaïque. Ian Fleming y a vécu son rêve, entouré d’une bande d’amis nommés Noël Coward, Cecil Beaton, William Plomer, Truman Capote… tous gays, comme les espions de Cambridge, à une époque où l’homosexualité est encore un crime en Grande-Bretagne.</p>
<p>James Bond faisait-il partie de ce cercle restreint d’amis intimes ? Était-il l’un des leurs ? Les biographies de Mary Bond et la photo de Fleming et Bond, ainsi que la dédicace qu’Ian Fleming laisse à James Bond dans son livre <em>You Only Live Twice</em> : « To the real James Bond from the thief of his identity, Ian Fleming, Feb 5. 1964 (A great day !) » laissent entendre que oui. Dans le roman de Fleming <em>Dr. No</em> et le film avec Pierce Brosnan, <em>Die Another Day</em>, James Bond se présente en tant qu’ornithologue. Dans le dernier opus <em>No Time to Die</em>, Bond/Craig prend sa retraite à Goldeneye, l’ancien repère de Fleming. La boucle est bouclée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169664/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Ornithologue spécialiste de l’avifaune des Caraïbes, le véritable James Bond est devenu un ami de Fleming, qui lui avait volé son nom… Mais Bond n’était-il vraiment qu’un spécialiste des oiseaux ?Luc Shankland, Professeur d'anglais, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 Nathalie Mazin-Chapignac, Professeure d'anglais, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1659002021-08-22T16:34:58Z2021-08-22T16:34:58ZAux États-Unis, l’invocation de la liberté religieuse continue d’entraver les droits des couples mariés de même sexe<p>La Cour suprême américaine a récemment rendu un arrêt de portée limitée dans l’affaire <a href="https://www.supremecourt.gov/opinions/20pdf/19-123_g3bi.pdf"><em>Fulton v. City of Philadelphia</em></a>, réaffirmant que la moindre défaillance en matière de neutralité de l’État (au niveau fédéral et fédéré) et d’application générale de toute loi ou réglementation est susceptible de représenter une entrave substantielle à la liberté religieuse, ce qui relève d’une enfreinte à la clause de libre exercice des cultes du I<sup>er</sup> Amendement.</p>
<p>À l’unanimité des neuf juges, la Cour reconnaît que la ville de Philadelphie a failli à son obligation d’impartialité en mettant un terme au contrat qui la liait à une agence de placement familial catholique (<a href="https://cssphiladelphia.org/"><em>Catholic Social Services</em></a>, CSS), laquelle, au nom de ses croyances religieuses, refuse l’agrément des couples adoptifs de même sexe unis par les liens du mariage.</p>
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<p>Ce jugement, qui fait suite à l’arrêt rendu dans l’affaire <a href="https://www.supremecourt.gov/opinions/17pdf/16-111_j4el.pdf"><em>Masterpiece Cakeshop</em></a> (2018), quand la Cour avait donné raison à un pâtissier qui avait refusé, pour des raisons religieuses, de confectionner un gâteau de mariage pour un couple d’hommes, conforte un peu plus le principe de liberté religieuse tel que l’entend la Cour suprême.</p>
<h2>Un procès d’intention contre Catholic Social Services ?</h2>
<p>CSS et plusieurs de ses familles d’accueil ont attaqué en justice la ville de Philadelphie pour hostilité caractérisée à l’égard de convictions religieuses solidement ancrées, en lien avec une conception traditionnelle du mariage comme le « lien sacré entre un homme et une femme ».</p>
<p>Le président de la Cour suprême, John Roberts, auteur de l’opinion majoritaire, s’appuie notamment sur des éléments contextuels probants qui montrent que la ville n’avait aucune intention d’engager une approche conciliatrice pour permettre à CSS de poursuivre sa participation aux procédures d’agrément. Or l’histoire montre que l’Église catholique a fait preuve d’un engagement sans faille pour servir les intérêts de la communauté philadelphienne et de ses orphelins depuis 1798 ; et cela, dans le respect le plus strict de ses principes religieux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1406282849947471885"}"></div></p>
<p>À l’origine de cette affaire, il y a un représentant de l’archidiocèse de Philadelphie, qui aurait affirmé en 2018 que CSS ne peut pas expertiser les demandes éventuelles de couples mariés de même sexe, dans la mesure où la délivrance d’un agrément constituerait une marque d’approbation du mariage des couples de même sexe. Selon la Cour, c’est sur la base de simples conjectures – relayées dans la presse – que la ville de Philadelphie a alors décidé d’ouvrir une enquête dont les conclusions font nettement apparaître une volonté de nuire aux convictions religieuses ancestrales de cette agence privée. En effet, lors de l’audition de CSS, un membre de la commission des ressources humaines de la ville déclare aux représentants de cette agence que « les choses ont changé depuis 100 ans » et qu’« il serait formidable de suivre les enseignements du pape François, la voix de l’Église catholique ».</p>
<p>Or, la liberté de conscience couvre un spectre très large de croyances placées sous les auspices du I<sup>er</sup> Amendement, sans qu’il soit nécessaire de juger de leur cohérence et de leur acceptabilité (<a href="https://supreme.justia.com/cases/federal/us/450/707/"><em>Thomas v. Review Bd. of Ind. Employment Security Div</em></a>., 1981). D’après Roberts, ce jugement réprobateur exprimé lors de l’audition de CSS suffit à démontrer que la commission a outrepassé ses prérogatives, en disqualifiant de manière hostile les croyances de CSS, ce qui constitue une violation du principe de neutralité – qui est au cœur de la conception états-unienne de la séparation des Églises et de l’État – ainsi que du libre exercice de la religion garanti par le I<sup>er</sup> Amendement (<a href="https://www.oyez.org/cases/1992/91-948"><em>Church of Lukumi Babalu Aye v. Hialeah</em></a>, 1993).</p>
<p>Roberts juge cohérent l’ensemble des conditions d’agrément fixées par cette agence, y compris les dispositions exceptionnelles à l’endroit des couples homosexuels ou hétérosexuels en concubinage, qui sont également exclus du dispositif. En revanche, les personnes homosexuelles célibataires restent éligibles. Dans ces conditions, les accusations de « discrimination fondée sur l’orientation sexuelle » sont pour le moins ténues, voire infondées, puisqu’aucune famille homoparentale n’a déposé la moindre demande d’agrément auprès de CSS. En outre, l’obligation d’égalité de traitement, issue du XIV<sup>e</sup> Amendement, est respectée dans la mesure où plus d’une vingtaine d’agences s’engagent à délivrer des agréments aux couples de même sexe et que, d’après Roberts, CSS promet, le cas échéant, de transférer à ces agences de telles demandes qu’elle recevrait.</p>
<p>Ainsi, pour la Cour, il ne fait aucun doute que la ville de Philadelphie a fait montre d’une attitude discriminante à l’égard de la liberté religieuse, en refusant tout compromis, alors que la réglementation en vigueur le permettait. Pire, elle impose un dilemme cornélien, en enjoignant à CSS d’agréer les couples de même sexe, sous peine de radiation définitive. En vertu du <em>Religious Freedom Restoration Act</em> (1993), cette affaire relève donc d’un examen strict de constitutionnalité. De surcroît, la procédure d’agrément des familles d’accueil de CSS n’a pas vocation à servir l’intérêt général au sens strict du terme.</p>
<h2>La Cour divisée sur la pertinence de la jurisprudence de l’affaire <em>Employment Division v. Smith</em> (1990)</h2>
<p>Dans cette <a href="https://www.oyez.org/cases/1989/88-1213">affaire</a>, la Cour avait conclu que des lois neutres d’application générale ne pouvaient constituer une violation de la clause de libre exercice du I<sup>er</sup> Amendement. L’État de l’Oregon était en droit de proscrire l’utilisation du peyotl (un psychotrope puissant) dans le cadre de rituels religieux, et de refuser l’allocation chômage à toute personne ayant été licenciée pour avoir enfreint cette règle.</p>
<p>D’après les représentants de la ville de Philadelphie, CSS ne serait pas en mesure d’objecter une exemption religieuse puisque l’agence aurait manqué à ses obligations contractuelles qui proscrivent la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle, principe figurant également dans l’arrêté relatif aux pratiques professionnelles équitables (<a href="https://sarapennsylvania.org/wp-content/uploads/2013/03/Philadelphia-Fair-Practices-Ordinance.pdf"><em>Fair Practices Ordinance</em></a>), promulgué par la ville de Philadelphie.</p>
<p>Si l’on suit la logique des accusés, s’appuyant sur la jurisprudence rendue dans <em>Smith</em>, CSS devait se conformer à ses obligations sans se prévaloir de la clause de libre exercice du I<sup>er</sup> Amendement, étant donné que ces clauses s’appliquent de manière générale et neutre. Toutefois, Roberts s’emploie à démontrer que la ville de Philadelphie a commis une erreur d’exécution dans la mesure où l’interdiction de la discrimination ne relève pas d’une application générale, car les termes du contrat en vigueur prévoient des exceptions à la règle :</p>
<blockquote>
<p>« Rejet de la demande : le prestataire ne doit pas rejeter un enfant ou une famille, y compris, sans toutefois s’y limiter, les parents d’accueil ou adoptifs potentiels, pour des services, en raison de leur orientation sexuelle, à moins qu’une dérogation ne soit accordée par le Commissaire ou son représentant, à sa seule discrétion. »</p>
</blockquote>
<p>En d’autres termes, il revenait à la ville de Philadelphie d’établir un intérêt impérieux qui justifierait son traitement exceptionnel vis-à-vis de CSS. Or, « maximiser le nombre de parents adoptifs » et « protéger la ville contre toute responsabilité juridique » ne sont pas des motifs suffisamment crédibles aux yeux de la Cour, en l’absence d’éléments factuels précis et solides. En revanche, d’après Roberts, « garantir une égalité de traitement des familles d’accueil et des enfants qui leur sont confiés » est effectivement une nécessité absolue vu que « notre société a fini par reconnaître que les personnes homosexuelles et les couples de même sexe ne peuvent être traités comme des parias sociaux ou comme des êtres inférieurs en dignité et en valeur. » (<a href="https://www.supremecourt.gov/opinions/17pdf/16-111_j4el.pdf"><em>Masterpiece Cakeshop</em></a>, 2018).</p>
<p>Toutefois, rien ne saurait justifier le traitement défavorable auquel CSS a été soumis, puisque, dans l’état actuel des choses, cette agence n’a commis aucun impair incompatible avec cette obligation d’égalité de traitement. Si des dérogations sont possibles vis-à-vis d’autres agences d’adoption, dans une perspective laïque, alors CSS était en droit d’exiger un traitement similaire. Ainsi, il n’est nul besoin d’arbitrer le présent litige du point de vue de la jurisprudence rendue dans <em>Smith</em>, selon les juges.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1406980223048974342"}"></div></p>
<p>De manière habile et stratégique, Roberts, en tant qu’institutionnaliste, soutenu par les juges progressistes, consolide la jurisprudence actuelle, pour le moins hostile à la liberté religieuse. En revanche, trois autres des neuf juges de la Cour suprême, les conservateurs Alito, Thomas et Gorsuch, se positionnent favorablement face aux arguments avancés par la ville de Philadelphie, de sorte qu’un cheminement reste possible pour infirmer le jugement dans <em>Smith</em> afin de mieux sanctuariser les croyances et pratiques religieuses qui se heurteraient à l’application générale d’une loi, ce qui ouvrirait la voie à une politique d’exemptions religieuses. Dans son opinion convergente de 77 pages, Alito met en évidence la principale défaillance technique du jugement rendu dans <em>Fulton</em> pour mieux justifier un revirement de la jurisprudence actuelle :</p>
<blockquote>
<p>« La ville n’a pas hésité à faire pression sur CSS pour qu’elle cède, et si la ville veut contourner la décision d’aujourd’hui, elle peut simplement éliminer le pouvoir d’exemption jamais utilisé. Si elle fait cela, alors, voilà, la décision d’aujourd’hui disparaîtra – et les parties reviendront au point de départ. La ville prétendra qu’elle est protégée par <em>Smith</em> ; CSS soutiendra que <em>Smith</em> devrait être annulé ; les tribunaux inférieurs, liés par <em>Smith</em>, rejetteront cet argument ; et CSS déposera une nouvelle requête devant cette Cour pour contester <em>Smith</em>. »</p>
</blockquote>
<h2>L’égalité des Américain·e·s LGBTQ+ sur le plan fédéral : l’impasse</h2>
<p>Bien que la légitimité des lois anti-discrimination, fondées notamment sur l’orientation sexuelle, soit renforcée, cette affaire devrait interpeller le mouvement LGBTQ+ sur les limites actuelles de la judiciarisation de la liberté religieuse afin de la rendre intégralement compatible avec l’égalité des personnes LGBTQ+.</p>
<p>Un changement de paradigme s’impose. Le mouvement pourrait prôner, au contraire, une approche délibérative bilatérale, afin d’atteindre une résolution coopérative, au lieu de s’attaquer frontalement aux croyances religieuses des fidèles par opérateur juridique interposé – une démarche qui reste profondément contre-productive. En effet, elle conforte les prétentions des chrétiens conservateurs qui se disent « persécutés dans leur foi » et alimente une forte réaction négative, sur le plan politique, dans les États conservateurs, notamment depuis le jugement rendu dans <a href="https://theconversation.com/victoire-historique-la-cour-supreme-americaine-vote-en-faveur-des-droits-lgbtq-141488"><em>Bostock</em></a> (2020) et la défaite de Donald Trump. <a href="https://twitter.com/ACLU/status/1408818876331266052">Une centaine de projets de loi</a> discriminatoires contre les Américain·e·s transgenres ont été déposés, interdisant à ces personnes tout accès aux transitions médicales ainsi qu’à certaines compétitions sportives.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1408818876331266052"}"></div></p>
<p>Au Congrès, dans l’optique d’adopter l’<a href="https://theconversation.com/victoire-historique-la-cour-supreme-americaine-vote-en-faveur-des-droits-lgbtq-141488"><em>Equality Act</em></a> – qui prévoit justement d’amender le titre VII de la loi sur les droits civiques de 1964 afin de garantir que soient protégées l’orientation sexuelle et l’identité de genre contre la discrimination dans les domaines y compris l’accès au crédit bancaire, à l’éducation et à la fonction de juré –, l’absence d’une majorité de 60 sénateurs démocrates (ils sont aujourd’hui 48 contre 50 républicains et 2 indépendants), qui seule permettrait de neutraliser la <a href="https://theconversation.com/fact-check-us-lobstruction-parlementaire-lun-des-obstacles-majeurs-a-venir-pour-joe-biden-153902">filibuste</a>, est une aubaine pour Mitch McConnell, actuel chef de la minorité, et le Parti républicain. Ceux-ci se livrent à une <a href="https://eu.usatoday.com/story/news/politics/2021/02/25/marjorie-taylor-greene-criticized-anti-transgender-sign-tweets/6822977002/">guerre</a> sans merci contre le genre en tant que concept social et politique de la construction des sexes.</p>
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<p>Les discussions sont au point mort et la polarisation actuelle ne permet pas à Joe Biden d’avancer plus sereinement sur son programme de réformes. Dans ce contexte morose, une r<a href="https://www.washingtonblade.com/2021/06/23/white-house-meeting-with-lgbtq-leaders-renews-hope-for-equality-act/">encontre avec les leaders du mouvement LGBTQ+</a> a été organisée à la Maison Blanche pour réaffirmer l’engagement total du gouvernement Biden vis-à-vis de l’égalité LGBTQ+, bien qu’aucune stratégie d’influence visant à convaincre certains sénateurs républicains, ni même un calendrier d’adoption de la loi n’aient fuité.</p>
<p>Enfin, les propos tenus par l’un des membres de la commission RH de la ville de Philadelphie sont sujets à caution. En effet, les multiples déclarations encourageantes du pape François, qui s’est déclaré favorable <a href="https://www.youtube.com/watch?v=zhOuFEa52KA">aux unions civiles pour les couples de même sexe</a> (<a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=289909.html"><em>Francesco</em></a>, 2020), ne doivent pas occulter les efforts qui restent à faire sur le plan doctrinal et hiérarchique pour permettre aux catholiques LGBTQ+, en dissonance cognitive, d’être mieux intégrés, tant que « <a href="https://www.nytimes.com/2021/06/27/world/europe/pope-sends-more-mixed-messages-on-lgbtq-rights.html">Dieu ne pourra en aucun cas bénir le péché</a>. » Le Vatican s’est effectivement inquiété d’un projet de loi du gouvernement italien qui s’apprêtait à condamner la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre ainsi que les crimes homophobes. Reste à savoir à quel moment opportun les déclarations du pape François seront suivies par des actes forts de la part du Vatican.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"616613580922712065"}"></div></p>
<p>Il appartient donc aux Églises d’entreprendre les démarches nécessaires pour participer à l’effort d’inclusion dans la lutte contre les discriminations, selon un calendrier qu’elles jugeront approprié. Sur le plan doctrinal, plusieurs <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2015/12/21/where-christian-churches-stand-on-gay-marriage/">exemples</a> d’Églises attestent que seul le recours à la démocratie participative, dans le respect mutuel de positions contradictoires, permettra, à terme, de désarmer la politisation, parfois haineuse, de la foi afin que des lieux de culte soient en mesure de contribuer au plein épanouissement des fidèles LGBTQ+. Comme l’écrit la chercheuse <a href="https://utsnyc.edu/faculty/serene-jones/">Serene Jones</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il nous faut comprendre que Dieu est assez grand pour admettre d’innombrables formes de culte et de louange tout en explorant les spécificités de nos propres traditions religieuses. Mais aucune religion ne détient le monopole de la vérité et dans un monde pluraliste, personne ne devrait agir en ce sens. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/165900/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Castet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Aux États-Unis, un arrêt de la Cour suprême vient à nouveau souligner le difficile équilibre entre liberté religieuse et égalité des personnes LGBTQ+ avec le reste de la population.Anthony Castet, Maître de Conférences civilisation nord-américaine, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1649642021-07-26T17:36:13Z2021-07-26T17:36:13ZLes lois anti-discrimination peuvent-elles suffire à assurer l’inclusion ?<p>En 1968, le lendemain de l’assassinat de Martin Luther King, une professeure mène une <a href="https://youtu.be/tHjSu5Nez7I">expérience restée célèbre</a> en raison de sa démonstration de la façon dont nous succombons à la discrimination. Jane Elliott répartit les élèves de sa classe en fonction de la couleur de leurs yeux et leur donne un brassard selon leur groupe. Elle leur affirme ensuite que la couleur des yeux est une extension de leur race.</p>
<p>Elle place alors les enfants aux yeux marron sur les deux premiers rangs, et leur donne la priorité pour les pauses et la nourriture. Jane Elliott observe rapidement que les enfants aux yeux marron prennent une attitude dominante, humiliant les enfants aux yeux bleus. Elle remarque également que les enfants aux yeux bleus font montre de plus de soumission et cessent d’apprendre. Le lendemain, la professeure inverse les rôles et voit rapidement le comportement des enfants changer.</p>
<p>L’expérience a, par la suite, été largement documentée et reproduite dans différents contextes. Elle a prouvé au monde qu’il était ridiculement facile de simuler un environnement générateur de préjudices et enseigne que ce ne sont pas les préjudices qui engendrent la discrimination, mais bien la discrimination qui engendre les préjudices.</p>
<p>Ce constat appelle une question : les lois anti-discrimination suffisent-elles à combattre les préjudices ? Sont-elles réellement le meilleur moyen pour lutter contre ce problème ? Nos travaux mettent en évidence leurs limites.</p>
<h2>Adéquation à la réalité</h2>
<p>Où et comment les lois nous protègent n’est pas une question à laquelle il est aisé de répondre. Les lois européennes luttent contre la discrimination à travers un éventail de 15 critères : le sexe, la race, la couleur, l’origine ethnique, l’origine sociétale, les traits génétiques, la langue, la religion et les croyances, les opinions politiques ou de tout autre type, l’appartenance à une minorité nationale, la propriété, la naissance, le handicap, l’âge et l’orientation sexuelle.</p>
<p>Pour évaluer la situation, nous avons étudié quatre facteurs. Premièrement, le périmètre matériel des lois. De nombreuses lois anti-discrimination concernent par exemple spécifiquement le lieu de travail et s’appliquent à peine à d’autres contextes.</p>
<p>Deuxièmement, les règles procédurales. Qui peut porter plainte ? Qui peut représenter les victimes (un syndicat par exemple) ? Qui doit prouver quoi ? Il faut aussi, troisièmement, s’intéresser aux dispositions de fond et aux exceptions (certaines personnes peuvent être légalement discriminées si la discrimination naît d’une véritable exigence professionnelle par exemple).</p>
<p>Enfin, les sanctions et compensations doivent être considérées. Ces dernières doivent être adéquates, mais la recherche nous démontre que c’est rarement la réalité.</p>
<p>Le meilleur moyen de comprendre les limites de la loi est de se pencher sur des études de cas.</p>
<h2>Pas de micro-preuves</h2>
<p>Depuis 2000, la <a href="https://www.wiley.com/en-us/Microaggression+Theory%3A+Influence+and+Implications-p-9781119420040">théorie des micro-agressions</a> a été largement adoptée comme moyen d’analyser la discrimination au travail. D’après cette théorie, des micro-insultes peuvent survenir lorsqu’un individu fait preuve d’un manque de considération ou de respect envers une personne parce qu’elle appartient à un groupe donné.</p>
<p>Les micro-attaques surviennent lorsqu’un individu utilise des déclarations discriminatoires pour exprimer une critique sociétale. Les micro-invalidations surviennent lorsqu’un individu invalide l’expérience d’une personne, d’une femme par exemple, en lui intimant le silence ou en refusant de reconnaître ses compétences à leur juste valeur.</p>
<p>Pour lutter contre les micro-agressions, il reste difficile d’utiliser les lois anti-discrimination. Celles-ci nécessitent en effet une victime qui porte plainte. Les micro-agressions, bien qu’elles engendrent un préjudice réel, posent le problème du manque de preuves et de la perception d’avoir bel et bien été dénigré.</p>
<h2>Inutilité ? Supposition erronée</h2>
<p>Cela ne signifie cependant pas que toute loi s’avère inutile.</p>
<p>En Italie, en 2013, un célèbre professeur de droit et pénaliste nommé Carlo Taormina déclare que les personnes homosexuelles sont des « anomalies génétiques » et ajoute dans une interview à la radio :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne veux pas les voir près de moi, elles me dégoûtent ».</p>
</blockquote>
<p>Puisque ces commentaires ne visaient pas un individu spécifique et qu’ils n’ont pas eu lieu dans un espace de travail, on pourrait croire que la loi ne s’applique pas à ce genre de contexte.</p>
<p>La supposition s’avère erronée. Les différentes cours, au terme d’une longue suite de procès en appel jusqu’à la plus grande instance juridique de l’<a href="https://citizenrights.euroalter.com/wp-content/uploads/2015/08/M.-Cellini-The-Right-to-Non-Discrimination-on-the-ground-of-sexual-orientation-2015.pdf">Union européenne</a>, <a href="https://gcn.ie/lawyer-charged-job-discrimination-case-gay-people-genetic-anomalies/">ont toutes statué contre Carlo Taormina</a> et, en conséquence, les tribunaux italiens l’ont sommé de verser 10 000 euros de dommages et intérêts.</p>
<h2>Manger des pâtes d’une autre marque ?</h2>
<p>Une autre étude de cas montre cependant que la loi n’a pas nécessairement à intervenir et présente une entreprise qui a su trouver une façon bien plus efficace de corriger son attitude.</p>
<p>En 2013, <a href="https://www.theguardian.com/world/2013/sep/26/pasta-firm-barilla-boycott-gay">Guido Barilla</a>, milliardaire à la tête du groupe Barilla, exprime au cours d’un célèbre programme diffusé sur une radio italienne son opinion au sujet des homosexuels, leur suggérant d’aller manger des pâtes d’une autre marque. Il ajoute :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne ferai jamais une publicité avec une famille homosexuelle, pas par manque de respect, mais parce que nous ne sommes pas en accord avec eux ».</p>
</blockquote>
<p>Sa déclaration provoque un tollé international et mène à un immense boycott de la marque. Au lieu de persister dans cette voie, la société Barilla a fait machine arrière et va à la rencontre de <a href="https://www.parksdiversity.eu/">Parks Liberi e Uguali</a>, une association à but non lucratif œuvrant à promouvoir l’inclusion de la communauté LGBT, et de la <a href="https://tylerclementi.org/">Tyler Clementi Foundation</a>, qui lutte contre l’intimidation et le harcèlement en ligne.</p>
<p>L’entreprise <a href="https://www.barillagroup.com/en/diversity-inclusion">introduit ensuite des formations</a> pour lutter contre les préjugés inconscients auprès de la totalité de son personnel. Elle devient même une société modèle en matière de lutte contre la discrimination et un employeur inclusif.</p>
<h2>Créer des cultures</h2>
<p>En analysant le rôle de la loi dans la prévention de la discrimination, il devient clair qu’au lieu de nous reposer sur la loi comme unique méthode dissuasive, le meilleur moyen de promouvoir la diversité est de développer une culture qui n’aura plus besoin d’avoir recours à ce genre de procès.</p>
<p>Les entreprises devraient trouver des moyens de créer des cultures où les risques de micro-agressions sont réduits et où chaque employé éprouve un sentiment d’appartenance. Il est important pour cela d’adopter une approche holistique de l’inclusion et d’aller au-delà de la simple formation.</p>
<p>Nous devons concevoir l’inclusion au travail au travers de changements réels. Il semble également crucial pour les entreprises de voir au-delà de l’intérêt commercial de l’inclusion et de montrer à leurs employés que créer un lieu de travail inclusif offre une bien meilleure expérience professionnelle et personnelle pour tous.</p>
<hr>
<p><em>Cette contribution a été initialement publiée en anglais sur le site <a href="https://theconversation.com/les-lois-anti-discrimination-peuvent-elles-suffire-a-assurer-linclusion-164964">Knowledge@HEC</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164964/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Matteo Winkler ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Efficaces dans certains cas les lois ne trouvent souvent pas à s’appliquer en raison de leur périmètre, des procédures à suivre ou des preuves à apporter. Ce constat appelle d’autres initiatives.Matteo Winkler, Professeur associé en droit et fiscalité, HEC Paris Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1630972021-06-23T19:02:09Z2021-06-23T19:02:09ZComment les touristes LGBT+ se cachent pour mieux voyager<p>C’est officiel : l’Union européenne <a href="https://www.euronews.com/travel/2021/05/19/the-eu-is-welcoming-vaccinated-travellers-in-summer-2021-here-s-what-you-need-to-know">s’ouvre aux voyages</a> cet été. En dépit des <a href="https://www.nytimes.com/2021/04/25/world/europe/american-travel-to-europe.html">restrictions de quarantaine et des certificats de vaccination</a>, la réouverture des frontières apparaît comme une bonne nouvelle, en particulier pour les communautés LGBTQ+ (lesbienne, gay, bi, trans, et autres) qui ont été confrontées à <a href="https://www.nbcnews.com/feature/nbc-out/it-bleak-how-pandemic-economy-has-affected-lgbtq-people-n1262077">plus de difficultés</a> que le reste de la population pendant la pandémie de Covid-19.</p>
<p>Ces dernières années, ce tourisme a connu un réel essor. Avant le Covid-19, le marché générait au niveau mondial plus de <a href="https://www.outnowconsulting.com/latest-updates/press-centre/lgbt-travel-market-annual-spend-now-exceeds-usd$218-billion.aspx">218 milliards de dollars américains</a> par an. Devenus un segment à part entière, les voyageurs LGBTQ+, et plus particulièrement les hommes homosexuels, voyagent <a href="https://www.hospitalitynet.org/file/152008162.pdf">plus fréquemment</a> et affichent des habitudes de dépenses supérieures à la moyenne.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/407408/original/file-20210621-34876-d54yeg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/407408/original/file-20210621-34876-d54yeg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/407408/original/file-20210621-34876-d54yeg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/407408/original/file-20210621-34876-d54yeg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/407408/original/file-20210621-34876-d54yeg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/407408/original/file-20210621-34876-d54yeg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/407408/original/file-20210621-34876-d54yeg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/407408/original/file-20210621-34876-d54yeg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte des pays qui criminalisent les personnes LGBT+.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.humandignitytrust.org/lgbt-the-law/map-of-criminalisation/">Humandignitytrust.org</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pourtant, le tourisme et la planification des voyages restent un processus ardu pour les voyageurs gays. En 2021, quelque <a href="https://www.humandignitytrust.org/lgbt-the-law/map-of-criminalisation/">71 pays</a> criminalisent les activités sexuelles entre personnes de même sexe et, dans 11 pays, ces actes sont passibles de la peine de mort. Même parmi les pays les plus progressistes, les crimes de haine et les violences contre les homosexuels <a href="https://www.nbcnews.com/feature/nbc-out/anti-gay-hate-rise-parts-europe-report-finds-n1130176">ne sont pas rares</a>. Confrontés à une discrimination généralisée, les voyageurs homosexuels continuent de faire face à la sécurité et à l’inégalité.</p>
<h2>Utopie « post-gay »</h2>
<p>Marqués par des perceptions normalisées des modes de vie gays, l’adoration de la masculinité hégémonique et le déclin de l’engagement communautaire, les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0016718512002692">discours « post-gay »</a> supposent que la stigmatisation de la communauté gay appartient désormais au passé.</p>
<p>Certains de ces points focaux sont attribués aux <a href="https://www.theguardian.com/world/2020/jun/25/party-and-protest-lgbtq-radical-history-gay-liberation-stonewall-pride">succès de la politique gay</a>. Bon nombre des libertés dont jouit aujourd’hui une grande partie du monde occidental ont été longtemps combattues sur les marches des palais de justice, que ce soit pour le <a href="https://books.google.de/books/about/The_Engagement.html?id=qxGuDwAAQBAJ&redir_esc=y">droit au mariage</a> ou <a href="https://www.nytimes.com/2020/06/15/us/gay-transgender-workers-supreme-court.html">contre les discriminations professionnelles</a>.</p>
<p>Pourtant, loin d’une utopie « post-gay », une étude récente (à paraître) que nous avons menée révèle que la discrimination à l’encontre de la communauté gay n’a pas disparu, mais qu’elle est au contraire devenue plus insidieuse.</p>
<p>D’ailleurs, si la <a href="https://www.marketwatch.com/story/celebrities-boycott-hotels-in-wake-of-bruneis-anti-gay-law-how-to-travel-the-world-safely-2019-04-08">sécurité</a> a toujours été un problème pour les voyageurs LGBTQ+, cet aspect ne suffit plus à dissuader les hommes gays de voyager. Ainsi, de nombreux voyageurs rejettent l’idée que la culture ou la législation d’un pays puisse influer sur leur choix de destination, comme en témoigne un répondant :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai choisi une destination qui n’était pas forcément “gay-friendly”, mais ça ne m’a pas empêché d’y aller en vacances… Je ne comprends pas vraiment le concept de tourisme LGBT parce que… on est tous pareils. Gay ou hétéro, pour moi, c’est exactement la même chose ».</p>
</blockquote>
<p>Dans ces destinations, les hommes s’adaptent en minimisant des caractéristiques et des comportements spécifiques stigmatisés via des processus de conformité hétéronormative. Un interviewé le reconnaît :</p>
<blockquote>
<p>« Quand je voyage en couple, j’évite de prendre mon partenaire par la main ou de l’embrasser en public, ou d’avoir un geste d’affection un peu trop fort. Si je peux me taire, c’est mieux. En ce qui concerne les vêtements, j’essaie de faire attention car on ne sait pas comment ils vont réagir ».</p>
</blockquote>
<p>Ce témoignage montre combien les <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2010/nov/30/the-end-of-camp-straight-acting-gay">attentes hétéronormatives</a> sont devenues ancrées. Elles s’étendent au-delà des manifestations physiques pour inclure les dimensions comportementales les plus subtiles de l’identité d’une personne : les gestes des mains, la façon de marcher, une tenue, un look.</p>
<p>Les moindres éléments d’information peuvent envoyer un mauvais signal, souligne un voyageur :</p>
<blockquote>
<p>« Si vous regardez quelqu’un de travers ou si vous observez un détail qui vous plaît chez une personne, cela peut être très mal interprété ».</p>
</blockquote>
<p>Cette anxiété omniprésente à l’idée de « s’intégrer » illustre une autre forme de préjugés auxquels les homosexuels sont de plus en plus exposés, qui ne proviennent non pas de la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/19419899.2020.1716056">culture hétéro-dominante</a>, mais de la communauté gay elle-même.</p>
<h2>« Type gay idéal »</h2>
<p>Ces fractions et divisions sont attisées par la montée du « néo-tribalisme », <a href="http://www.firstpost.com/weekend-specials/the-guysexuals-guide-to-gay-tribes-and-what-they-mean-6659691.html">popularisé par des plates-formes de rencontre</a> telles que Grindr. Les hommes gays sont désormais de plus en plus appelés à s’identifier à des stéréotypes physiques :</p>
<blockquote>
<p>« Vous pouvez cocher une case, et ils appellent ça des “tribus” dont vous faites partie, ou autre. Je m’identifierais à quoi ? Jock (stéréotype de l’athlète en Amérique du Nord), Muscle (musclé), Daddy (à la recherche de partenaires plus jeunes), Bear (poilu), Butch Queen (drag queen au look masculin) ? ».</p>
</blockquote>
<p>Cela donne lieu à l’émergence d’une élite sociale « homonormative » fondée presque entièrement sur le physique. On convoite des expressions banalisées d’un corps hyper-masculin et un engouement pour les muscles. Les fêtes, qui en sont venues à <a href="https://theconversation.com/how-the-gay-party-scene-short-circuited-and-became-a-moneymaking-bonanza-153424">dominer l’espace du tourisme gay</a>, ponctuent notamment l’importance de ce « type gay idéal ».</p>
<p>Or, tout cela entraîne d’autres formes de discriminations, en particulier pour ceux qui n’incarnent pas ces marqueurs de statut. Les personnes <a href="https://www.pride.com/firstperson/2016/4/28/no-fats-no-fems-shirt-everything-thats-wrong-gay-community">obèses, efféminés et les non-Blancs</a> peuvent ainsi revenir déçues de leur voyage :</p>
<blockquote>
<p>« En tant que personne de couleur, je me suis aussi sentie un peu négligée. Le fait de ne pas être super musclé, ou blanc, ou autre, a eu un effet, je pense, sur ma confiance générale. J’ai réalisé que la culture gay n’était pas inclusive. Au contraire, c’est très exclusif ».</p>
</blockquote>
<p>Cette exclusion peut même entraîner une augmentation de la toxicomanie, une surconsommation d’alcool, voire des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/002214650804900405">comportements sexuels à risque</a>.</p>
<p>Pour expliquer les stéréotypes négatifs au sein de la communauté gay, certains s’en prennent aux offres dédiées spécifiquement aux LGBTQ+. La critique s’articule autour des bars gays, des soirées dédiées ou encore des plates-formes de location communautaire comme MisterB&B. Un répondant reprend même dans sa critique des <a href="https://www.researchgate.net/publication/311364775_Funny_scary_dead_Negative_depictions_of_male_homosexuality_in_American_advertising">arguments</a> selon lesquelles les homosexuels sont en quelque sorte responsables de l’effondrement des valeurs traditionnelles et de la moralité sexuelle :</p>
<blockquote>
<p>« Ce que l’on trouve dans les bars et quartiers gays, c’est de la débauche, des gens qui sont là pour s’amuser, du tourisme sexuel, des soirées décalées. Je ne juge pas, mais ce n’est pas ma façon de vivre ».</p>
</blockquote>
<p>Avec l’attrait des sensibilités « post-gay », au milieu des brochures de voyage sur papier glacé et des clichés Instagram de rêve, il est facile de se perdre dans <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2019/06/battle-gay-rights-over/592645/">l’illusion</a> que la lutte pour les droits des homosexuels touche enfin à sa fin. Mais ne vous y trompez pas, il s’agit bien d’un fantasme.</p>
<p>Ce qui a changé, ce sont les origines de la discrimination – un processus désormais très individualisé. Les fragmentations et les stigmatisations au sein de la communauté gay renforcent mutuellement celles qui proviennent de l’extérieur.</p>
<p>Derrière le mythe d’une société « post-gay », les voyageurs gays masquent toujours volontairement leurs différences par rapport à une culture hétéro-dominante et se conforment également de plus en plus aux attentes homonormatives. La lutte pour l’acceptation sociale est donc loin d’être terminée, même si les interdictions de voyager le sont.</p>
<hr>
<p><em>Florian Maurice, ancien étudiant en master à l’ICN Business school, a participé à la rédaction de cet article</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163097/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Lors de leurs séjours, les visiteurs homosexuels témoignent d’une double discrimination liée à culture hétéro-dominante mais aussi à la communauté gay elle-même.Alexandra S. Rome, Assistant Professor of Marketing, ICN Business SchoolJack Sheldon Tillotson, Assistant Professor, University of VaasaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1540132021-02-03T15:27:10Z2021-02-03T15:27:10ZRestrictions sur les dons de sang par les homosexuels : une mesure dépassée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/382017/original/file-20210202-15-1ln7xth.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Actuellement, pour les hommes, l'admissibilité au don de sang repose directement sur leur orientation sexuelle.</span> <span class="attribution"><span class="source">shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>À la suite du <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1091711/hema-quebec-sang-contamine-canada-indemnisation-archives">scandale du sang contaminé</a>, au milieu des années 1980, le Canada a interdit aux hommes homosexuels de faire un don de sang. Cette mesure a subi certains assouplissements depuis, mais elle demeure discriminatoire et n’est pas appuyée par la science.</p>
<p>Depuis cet événement, l’interdiction complète a toutefois été remplacée par une abstinence de 5 ans, et a continué de diminuer lentement pour atteindre 3 mois à l’heure actuelle.</p>
<p>La pandémie de Covid-19 aura donc eu, pour certains, un avantage inattendu. Forcés à l’abstinence en raison du confinement, quelques <a href="https://www.inspq.qc.ca/espace-itss/les-hommes-ayant-des-relations-sexuelles-avec-d-autres-hommes-harsah">hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes – ensuite identifiés par l’acronyme HARSAH –</a> auront finalement pu donner du sang, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1670205/plasmavie-legault-dons-sang-premier-ministre-entendu-sherbrooke">répondant à l’appel lancé en juin dernier par François Legault</a>. Certains avaient alors <a href="https://www.lapresse.ca/covid-19/2020-06-13/des-homosexuels-choques-d-etre-exclus-de-l-appel-aux-dons-de-sang">été choqués d’être exclus</a> de cet appel aux dons.</p>
<p>Cette situation a soulevé de nouveau une problématique que le premier ministre Justin Trudeau avait pourtant promis de régler <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1320637/don-sang-homosexuels-liberaux-promesse">lors de sa campagne électorale de 2015</a>. Il souhaitait alors <a href="https://lactualite.com/actualites/appel-aux-dons-de-sang-au-canada-des-homosexuels-sont-choques-detre-exclus/">modifier le règlement discriminatoire</a> imposé à Héma-Québec par Santé Canada.</p>
<p>Actuellement, pour les hommes, l’admissibilité au don de sang repose directement sur leur orientation sexuelle. Le nouveau règlement prendrait plutôt en compte la présence de comportements sexuels à risque dans les mois précédant le don.</p>
<p>La pandémie ayant également eu un impact sur les dons de sang, la modification du règlement permettrait à davantage d’hommes de contribuer en cette période difficile. En tant que chercheurs en bioéthique, nous avons réfléchi aux enjeux que soulève cette situation.</p>
<h2>Du sang « dangereux »</h2>
<p><a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1168589/sante-canada-hema-quebec-societe-canadienne-sang">Mis en place dans la foulée du scandale du sang contaminé, en 1986, le premier règlement de Santé Canada</a> interdisait aux hommes ayant eu une relation sexuelle avec d’autres hommes après 1977 de donner du sang. Dans les années 1980 et 1990, 2000 patients avaient alors été contaminés par le VIH et 60 000 par l’hépatite C.</p>
<p>La <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Contaminated_haemophilia_blood_products#Canada">Commission d’enquête sur l’approvisionnement en sang au Canada</a> avait recommandé en 1997 la création de Héma-Québec pour assurer la sécurité des produits sanguins utilisés. Un long procès s’en était suivi et en 2001, la Cour Suprême du Canada jugeait la Croix-Rouge, responsable alors des produits sanguins, coupable de négligence.</p>
<p>Toutefois, comme la prévalence du VIH/sida était particulièrement élevée chez les hommes homosexuels et que leurs pratiques sexuelles avaient été reliées à la transmission de la maladie, ils avaient été montrés du doigt et exclus du don de sang. Pour la majorité des gens, le lien était fait : d’une pratique d’abord basée sur la précaution, une discrimination supplémentaire était née. Le VIH/sida était la maladie des homosexuels et leur sang était donc dangereux pour le reste de la population.</p>
<h2>Une chance sur 23 millions</h2>
<p>À la suite du scandale, plusieurs tests de détection du virus avaient été instaurés pour assurer la qualité des produits sanguins administrés. Avec les années, la recherche sur le VIH/sida ayant entraîné une mise à jour considérable des connaissances sur cette maladie, certains assouplissements ont vu le jour.</p>
<p>Ainsi, l’exclusion complète est passée, en 2013, à 5 ans d’abstinence, puis à 1 an en 2016. En 2019, cette précaution était diminuée à 3 mois ; on évaluait alors le risque de transmission du VIH par transfusion sanguine à <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/sante/2019-05-08/les-homosexuels-pourront-donner-du-sang-apres-trois-mois-d-abstinence">moins de 1 chance sur 23 millions</a>. Sur le <a href="https://www.hema-quebec.qc.ca/sang/donneur-sang/puis-je-donner/homme-ayant-eu-une-relation-sexuelle-avec-un-homme.fr.html">site d’Héma-Québec</a>, on peut toutefois encore lire :</p>
<blockquote>
<p>Il est légitime et nécessaire d’interdire le don de sang chez certains groupes à risque. La fréquence d’infection au VIH demeure aujourd’hui beaucoup plus élevée chez les HARSAH que dans la population générale. La prévalence du VIH se situe à près de 15 % chez ce groupe par rapport à bien moins de 1 % chez les hétérosexuels ou les lesbiennes.</p>
</blockquote>
<p>Cette situation n’est pas unique au Québec. Récemment, une alliance d’organismes français a porté plainte devant la Commission européenne pour discrimination envers les HARSAH. Ils s’appuyaient sur la différence du traitement réservé aux hétérosexuels, qui eux doivent n’avoir eu <a href="https://www.franceinter.fr/societe/don-du-sang-des-homosexuels-quels-pays-l-autorisent-et-sous-quelles-conditions-en-europe">qu’un seul partenaire sexuel lors des quatre mois précédant le don</a>.</p>
<h2>Une règle discriminatoire</h2>
<p>De son côté, la <a href="https://www.lesoleil.com/actualite/sante/interdiction-aux-homosexuels-de-donner-du-sang-le-canada-evolue-a-pas-de-tortue-8d775a1c8604cb91427a0b67c41e6764">Grande-Bretagne</a> jugeait également l’exclusion à vie discriminatoire, et scientifiquement non justifiée, argumentant que les statistiques suggéraient bien la prudence, mais pas l’interdiction.</p>
<p>Plusieurs pays européens ont déjà franchi ce pas : l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Pologne et la République tchèque évaluent les comportements à risque et tous ces pays ont un point en commun : malgré l’ouverture des critères d’accessibilité au don de sang, aucun événement indésirable n’est survenu.</p>
<p>Bien que l’application du principe de précaution demeure essentielle, d’importants acteurs comme la Société canadienne du sang et même Héma-Québec réclament depuis plusieurs années une modification à ce règlement de Santé Canada.</p>
<p>En effet, ils lui demandent de mettre fin à la stigmatisation imposée aux HARSAH. Selon eux, les donneurs devraient être sélectionnés non pas en fonction de leur appartenance à un groupe jugé à risque, mais plutôt sur la base de leurs comportements individuels. Ils permettraient ainsi à un groupe déjà très discriminé de contribuer à l’effort commun de don de sang, et ils contribueraient également à dissiper certains préjugés tenaces sur les HARSAH.</p>
<h2>Mentir pour donner du sang</h2>
<p>L’enjeu demeure complexe. D’un côté, les organismes canadiens responsables de l’approvisionnement en sang doivent suivre la recommandation de la Commission, selon laquelle le principe de sécurité prime sur les autres principes et politiques. De l’autre, la communauté scientifique canadienne et internationale reconnaît clairement que l’exclusion systématique d’individus jugés à risque en raison de leur appartenance à un groupe n’est pas justifiée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1239925173383462912"}"></div></p>
<p>Au contraire, elle contribue uniquement au maintien de préjugés provenant d’une autre époque. Entre les mesures appliquées et son discours revendicateur, même Hema-Québec montre un malaise face à une discrimination aveugle en <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1168589/sante-canada-hema-quebec-societe-canadienne-sang">poursuivant ses démarches pour remplacer la période d’abstinence par une évaluation des comportements à risque</a>.</p>
<p>Ainsi, plusieurs HARSAH vivant dans une relation stable depuis plusieurs années choisissent plutôt de mentir pour contourner le critère des 3 mois, mentionnant que la <a href="https://www.latribune.ca/actualites/sherbrooke/mentir-pour-donner-du-sang-25892f14f8d1c60bb28fd161c9fb67e9">désobéissance est préférable à l’inaction</a> causée par cette injustice.</p>
<h2>Une précaution exagérée</h2>
<p>Au niveau de la recherche, l’injustice est aussi présente. Comme la <a href="https://www.newswire.ca/fr/news-releases/etude-de-seroprevalence-des-donneurs-de-sang-2-23-de-la-population-adulte-du-quebec-aurait-contracte-la-covid-19-854251649.html">prévalence de la Covid-19 dans la population est mesurée</a> notamment à partir du sang recueilli par les dons, le groupe des HARSAH, qui pourrait représenter jusqu’à 5 % de la population, s’en trouve exclu.</p>
<p>Il est étonnant qu’une mesure discriminatoire et qui ne s’appuie pas sur la science soit encore appliquée aujourd’hui. Bien que la précaution demeure essentielle, tous les acteurs impliqués mentionnent que la règle devrait se baser sur les comportements à risque et non sur l’orientation sexuelle. Un changement permettrait de réduire certains préjugés tenaces envers ceux à qui on refuse injustement de donner du sang.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154013/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La pandémie de Covid-19 aura eu pour certains un avantage inattendu. Forcés à l’abstinence, quelques hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes auront pu donner du sang.Bryn Williams-Jones, Interim director of the Department of Social and Preventive Medicine & Director of the Bioethics Program, École de santé publique de l’Université de Montréal, Université de MontréalSimon Legault, Student, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1503292020-11-23T20:30:35Z2020-11-23T20:30:35ZL’Église catholique face aux unions civiles homosexuelles<blockquote>
<p>« Les personnes homosexuelles ont des droits à être dans une famille, ils sont enfants de Dieu, ils ont le droit à une famille. On ne peut pas expulser quelqu’un d’une famille ou lui rendre la vie impossible pour cette raison. Ce que nous devons faire c’est une loi d’union civile, car ils ont le droit à une couverture légale. C’est ce que j’ai défendu. »</p>
</blockquote>
<p>Ces paroles du pape François, datant d’un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=VOcLWcW6Elw">interview de 2019</a> par une journaliste mexicaine et reprises en partie de manière inédite dans un documentaire présenté à Rome le 21 octobre dernier, ont suscité des interrogations sur un changement dans l’enseignement de l’Église catholique par rapport aux unions légales entre personnes de même sexe.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ocXc_SpmI48?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption"><em>Francesco</em>, bande annonce du documentaire inédit consacré au pape François, présenté le 21 octobre au festival international du film de Rome.</span></figcaption>
</figure>
<p>Il n’y avait pourtant rien de nouveau : en 2017, dans ses entretiens avec <a href="https://www.editions-observatoire.com/content/Politique_et_soci%C3%A9t%C3%A9">Dominique Wolton</a>, le pape avait déjà avancé l’expression « union civile » pour l’union entre personnes de même sexe, en affirmant que le « mariage » était entre un homme et une femme. Par ailleurs, dans l’interview de 2019, le pape souligne que ses propos n’équivalent pas à « approuver les actes homosexuels ».</p>
<p>Quel est donc l’enseignement de l’Église catholique sur l’homosexualité, spécialement en rapport à la loi, et le pape François apporte-t-il quelque chose de nouveau ? Nous ne pouvons qu’esquisser ici un rapide parcours de la Bible et de la Tradition, dans leur contexte politique et culturel, avant de revenir sur les propos du pape.</p>
<h2>Une condamnation claire de la pratique homosexuelle</h2>
<p>Dans l’ouvrage <a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb466216281"><em>Qu’est-ce que l’homme ?</em></a> de 2019, la Commission biblique pontificale, rassemblant des exégètes de différents pays reconnus pour leur expertise dans l’interprétation des textes, rappelle que la Bible « ne parle pas de l’inclination érotique vers une personne de l’autre sexe, mais seulement des actes homosexuels », et qu’elle en parle peu.</p>
<p>La condamnation légale de la pratique homosexuelle est très claire aux chapitres 18 et 20 du livre du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9vitique">Lévitique</a>, l’un des cinq livres de la Torah juive.</p>
<p>Les auteurs de relations sexuelles entre hommes sont déclarés passibles de la peine capitale. Une peine présente dans d’autres civilisations antiques. Dans le Nouveau Testament, la condamnation morale de la pratique homosexuelle ne se trouve expressément que sous la plume de saint Paul.</p>
<p>Dans le premier chapitre de l’épitre aux <a href="https://www.aelf.org/bible/Rm/1">Romains</a>, les relations homosexuelles tant féminines que masculines sont qualifiées de « contre nature » (παρά φύσιν en grec). La référence majeure reste l’intégration de la différence sexuelle dans l’acte créateur (Genèse 1-2).</p>
<p>À noter que la Commission invite <em>in fine</em> tout lecteur à être intelligemment attentif au contexte culturel dans lequel les expressions bibliques ont été forgées et les sanctions disciplinaires édictées.</p>
<p>L’interprétation de ces textes doit être complétée par l’apport des sciences humaines et de la théologie et il convient de considérer les personnes dans leur singularité propre.</p>
<h2>Un rejet qui s’inscrit dans une structure sociale ancienne</h2>
<p>Qu’en est-il de la tradition ? Dans l’antiquité chrétienne et le Moyen-Âge, l’attirance vers les personnes de même sexe n’est pas vue comme une structure possible de la personnalité.</p>
<p>Selon le théologien <a href="https://www.edizionicantagalli.com/shop/amare-nella-differenza/">Maurizio Faggioni</a>, rejoignant en partie <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_sexualit%C3%A9">Michel Foucault</a>, cette compréhension s’établit vers la fin du XVI<sup>e</sup>.</p>
<p>Les lois des premiers empereurs chrétiens, en continuité avec leurs prédécesseurs païens immédiats, menacent de mort la prostitution masculine, en étendant parfois cette sanction à toute relation homosexuelle.</p>
<p>Dans le même temps, les théologiens condamnent les relations homosexuelles. Ainsi saint Jean Chrysostome dans son <a href="https://books.google.fr/books/about/Hom%C3%A9lies_sur_les_%C3%A9p%C3%AEtres_de_saint_Pau.html?id=qzw1DwAAQBAJ&redir_esc=y">commentaire de l’épitre aux Romains</a> ou Saint Augustin dans les <a href="http://www.la-pleiade.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-de-la-Pleiade/Les-Confessions-Dialogues-philosophiques"><em>Confessions</em></a>.</p>
<p>Durant le Moyen-Âge, alors que les pénitentiels – <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/casuistique">livres de casuistique</a> (soit la forme d’argumentation utilisée en théologie morale) à l’usage des confesseurs – prévoient plusieurs années de pénitence pour l’union sexuelle entre hommes, des peines canoniques sont édictées en parallèle aux peines infligées par le pouvoir civil.</p>
<p>Ainsi le concile de Latran III en 1178 reprend les sanctions déjà prévues par le concile de Tolède de 693 : la réduction à l’état laïc et l’exil pour les clercs, l’exil et l’excommunication pour les laïcs, accompagné de la flagellation et de la tonsure dégradante.</p>
<p>Le quatrième concile de Latran, en 1215, prévoit la suspension des clercs s’étant livrés à la sodomie, et leur renvoi définitif en cas de célébration de la messe malgré la suspension.</p>
<p>Dans le même temps, la prédication et les traités de théologie fustigent les pratiques homosexuelles, témoignant par là même de leur présence active. <a href="https://www.thomas-d-aquin.com/Pages/Traductions/STIIa-IIae.pdf">Thomas d’Aquin</a> range l’acte homosexuel parmi les péchés de luxure les plus graves.</p>
<h2>Un véritable dispositif punitif</h2>
<p>À partir du XV<sup>e</sup> siècle est organisé, tant dans le domaine civil que religieux, un véritable dispositif punitif envers l’homosexualité. Ainsi, le pape Saint Pie V, dans la constitution <em>Cum primum</em> de 1566, appelle à punir sans indulgence « l’exécrable vice libidineux contre nature ».</p>
<p>Au siècle suivant, <a href="http://patristica.net/denzinger/enchiridion-symbolorum.html">Alexandre VII</a> demande aux confesseurs de ne pas faire preuve de laxisme sur la question ?</p>
<p>À partir de la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle, la culture progressivement sécularisée en Occident, continue à voir la personne pratiquant l’homosexualité comme délinquante, à l’exception de la France révolutionnaire, qui dépénalise le <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/2151">« crime de sodomie »</a> en 1791.</p>
<p>L’historien <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/4430/l-eglise-et-la-sexualite">Guy Bédouelle et ses collègues</a> rappellent que l’homosexualité a été réprimée en Allemagne jusqu’en 1969 et au Royaume-Uni jusqu’en 1982.</p>
<p>Dans l’Église catholique, malgré les débats traversant la médecine et d’autres disciplines dès la fin du XIX<sup>e</sup>, les théologiens moralistes restent réticents à minorer la culpabilité du comportement homosexuel.</p>
<p>Le <a href="https://www.droitcanonique.fr/codes/cic-1917-15">code de droit canonique de 1917</a> prévoit une peine d’« infamie de droit » pour un laïc, de sanctions pouvant aller jusqu’à l’exclusion de l’état clérical pour un clerc.</p>
<h2>La déclaration « Persona humana » et ses suites</h2>
<p>Des changements apparaissent à partir de la déclaration <a href="http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_19751229_persona-humana_fr.html"><em>Persona humana</em></a> de la congrégation pour la Doctrine de la Foi, en 1975.</p>
<p>Soit 10 ans après le Concile Vatican II, qui a suscité une réforme majeure dans l’Église, et au milieu d’évolutions rapides dans la société civile : <a href="https://www.franceculture.fr/sciences/guerir-des-cerveaux-malades-quand-lhomosexualite-redevient-une-maladie-honteuse">l’OMS sort l’homosexualité</a> de la liste des pathologies psychiques en 1976.</p>
<p>Pour l’Église, les relations homosexuelles restent moralement injustifiables, mais elle admet que la culpabilité des personnes doit être « jugée avec prudence » et demande que les homosexuels soient « accueillis avec compréhension ».</p>
<p>En tant que tel, la question de l’homosexualité a disparu du <a href="https://www.droitcanonique.fr/codes/cic-1983-1">code de droit canonique</a> en 1983. Le clerc qui ne serait pas fidèle à ses engagements, que ce soit avec une personne de l’autre sexe ou de son propre sexe, encourt des peines similaires.</p>
<p>En <a href="http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_19861001_homosexual-persons_fr.html">1986</a>, la même Congrégation écrit que la législation doit respecter la dignité de toute personne homosexuelle, en sanctionnant toute malveillance et tout « geste violent » à son égard, sans pour autant « protéger » le comportement homosexuel qui ne peut être considéré équivalent « à l’expression sexuelle de l’amour conjugal ». En <a href="http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_19920724_homosexual-persons_fr.html">1992</a>, elle affirme que « l’orientation homosexuelle » étant considérée désordonnée « ne constitue pas une qualité comparable à la race, l’origine ethnique, etc., en ce qui concerne la non-discrimination ». En règle générale « l’homosexualité […] ne devrait donc pas constituer le fondement de revendications juridiques ».</p>
<p>Enfin, en <a href="http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_20030731_homosexual-unions_fr.html">2003</a>, la Congrégation considère que si une certaine tolérance de l’État envers les unions homosexuelles peut se comprendre, « les législations favorables aux unions homosexuelles sont contraires à la droite raison car elles confèrent des garanties juridiques, analogues à celles de l’institution matrimoniale, à l’union entre deux personnes du même sexe ». Elle réfute par ailleurs :</p>
<blockquote>
<p>« l’argumentation selon laquelle la reconnaissance juridique des unions homosexuelles serait nécessaire pour éviter que des homosexuels vivant sous le même toit ne perdent […] la reconnaissance effective des droits communs qu’ils ont en tant que personnes ».</p>
</blockquote>
<p>Selon elle en effet, ces personnes « peuvent toujours recourir […] au droit commun pour régler les questions juridiques d’intérêt réciproque ».</p>
<h2>Une attitude nettement plus compréhensive</h2>
<p>Au long de son histoire, l’Église catholique a plutôt suivi l’évolution sociale et sa traduction juridique envers l’homosexualité, du moins en Occident, celles-ci étant plus ou moins sensibles à son enseignement moral.</p>
<p>La doctrine récente exprime en revanche clairement une opposition à la reconnaissance juridique des unions homosexuelles, alors même qu’elle favorise une attitude nettement plus compréhensive que par le passé des personnes homosexuelles.</p>
<p>Par rapport à la rediffusion récente des propos du pape François, la Secrétairerie d’État a précisé dans une note interne que le pape « a fait référence à certaines dispositions de l’État, certainement pas à la doctrine de l’Église ».</p>
<p>Nous pouvons en conclure que, tout en réaffirmant l’impossibilité pour l’Église catholique de reconnaître les unions homosexuelles comme l’équivalent d’un mariage, le pape avance la possibilité pour un État de choisir une forme légale de reconnaissance de ces unions dans le but d’assurer les droits économiques et sociaux de chacun. C’est une concession sur le terrain de la juridiction civile par rapport au document de 2003.</p>
<p>Concession qui reste à confirmer dans le temps. Mais la doctrine concernant tant la réprobation des relations homosexuelles que le mariage compris exclusivement entre un homme et une femme reste inchangée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150329/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Brice de Malherbe ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En dépit des propos du pape François sur l’union civile entre personnes de même sexe, la doctrine de l’Église sur l’homosexualité demeure inchangée.Brice de Malherbe, Professeur à la Faculté Notre-Dame de Paris et co-directeur du département de recherche « éthique biomédicale » du Collège des Bernardins, Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1478002020-10-18T16:17:59Z2020-10-18T16:17:59ZCe que font les lesbiennes à la littérature<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/363740/original/file-20201015-13-16lu3rf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C306%2C2048%2C1201&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment étudier les propriétés littéraires des oeuvres signées par des lesbiennes, dans un monde qui leur laisse si peu de place? </span> <span class="attribution"><span class="source">Melon du Lagon/Twitter.</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>On a vu ces derniers temps sur les réseaux se déchaîner une énième vague d’indignation contre certaines propositions féministes : en l’occurrence, contre la parution du livre d’Alice Coffin sur <a href="https://www.grasset.fr/livres/le-genie-lesbien-9782246821779"><em>Le Génie lesbien</em></a> – contre les propos qu’elle y tient, ou surtout contre ceux qu’on lui fait tenir en la caricaturant.</p>
<p>Pourtant, outre la question des femmes, c’est toute une forme d’hégémonie culturelle que dénonce Alice Coffin. Une hégémonie qui est en même temps masculine, blanche, hétérosexuelle – c’est-à-dire qu’elle redéploie sur le terrain culturel les dominations qui ont cours par ailleurs dans nos sociétés. Ça n’est pas <em>un</em> continent de la littérature ou de l’histoire de l’art qui est négligé par les canons officiels (médiatiques, universitaires, scolaires : ceux dont parle Alice Coffin), mais une multitude : globalement, collectivement en France, <a href="http://www.slate.fr/story/192066/tribune-litterature-se-conjugue-au-masculin-autrices-representation-manuels-scolaires">nous lisons très peu de femmes</a>, <a href="https://www.telerama.fr/livre/les-auteurs-africains-grands-oublies-du-nobel,148990.php">très peu de noir·es</a>, très peu de lesbiennes. Or c’était bien l’objet de son livre, que la polémique qui a été lancée contre elle a en partie fait oublier – polémique, il faut le rappeler, précisément antiféministe et lesbophobe car fondée sur un fantasme stéréotypé de « la haine des hommes ».</p>
<p>Il s’agissait au départ de parler du « génie lesbien » : de la place des lesbiennes, des rôles qu’elles jouent dans la constitution de la culture collective, et qu’on reconnaît peu. Sans détailler ici les idées qu’Alice Coffin développe dans son livre (il faudra le lire !), voici quelques pistes pour mieux connaître la littérature lesbienne – ses autrices, son histoire, ses théories.</p>
<h2>Petit historique : de Sappho à Despentes</h2>
<p>La grande poétesse lesbienne, celle que tout le monde cite comme figure tutélaire et image de l’insurpassable poétique, c’est Sappho, poétesse antique à la réputation mythique. On la connaît, heureusement, aujourd’hui : mais on ne connaît qu’une infime partie de son œuvre, la majorité ayant été détruite puis, au fil des siècles, abîmée par des traductions successives qui en niaient ou en déformaient le sens lesbien, ou par des lectures fétichisantes. En France, c’est notamment grâce au travail de Renée Vivien au début du XXᵉ siècle, poétesse lesbienne elle-même, <a href="https://www.persee.fr/doc/mots_0243-6450_1996_num_49_1_2133">qu’on a pu relire l’œuvre de Sappho</a>, sans plus la trahir.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/363741/original/file-20201015-19-cxhqx4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/363741/original/file-20201015-19-cxhqx4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=481&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/363741/original/file-20201015-19-cxhqx4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=481&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/363741/original/file-20201015-19-cxhqx4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=481&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/363741/original/file-20201015-19-cxhqx4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=604&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/363741/original/file-20201015-19-cxhqx4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=604&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/363741/original/file-20201015-19-cxhqx4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=604&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Reverie, de John William Godward, ou une vision fantasmée de Sappho.</span>
</figcaption>
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<p>Entre Sappho et Renée Vivien (ou <a href="https://www.jeanne-magazine.com/le-magazine/2020/03/20/portrait-natalie-clifford-barney-lamazone_19193/">Natalie Clifford Barney</a>, écrivaine lesbienne proche de Vivien qui écrit à la même époque), dans l’histoire littéraire française des lesbiennes : le vide. Les « femmes qui aiment les femmes » ont vécu, elles ont sans doute écrit : on n’en a gardé que peu de traces. La plupart des histoires de la littérature française qui se sont penchées sur la question jusqu’à présent ne citent en fait en guise de textes « lesbiens » que des œuvres écrites par des hommes sur les lesbiennes. En premier lieu, de la littérature pornographique : de même que <a href="https://www.franceinter.fr/societe/google-a-enfin-change-son-algorithme-chercher-lesbienne-ne-renvoie-plus-a-des-contenus-pornographiques">jusqu’à récemment</a>, en tapant « lesbienne » dans un moteur de recherche, on avait plus de chances de tomber sur du contenu pornographique que sur du contenu culturel ou militant lesbien, on a plus de chances de trouver des figures de lesbiennes dans la littérature érotique masculine que dans la littérature classique.</p>
<p>Parmi les ouvrages littéraires, on cite <em>La Religieuse</em> de Diderot en tout premier chef, paru en 1760 ; puis <em>La Fille aux yeux d’or</em> de Balzac et <em>Mademoiselle de Maupin</em> de Théophile Gautier (parus tous les deux en 1835), et les « Femmes damnées » de Baudelaire (1857), quelques nouvelles de Maupassant. Jennifer Waelti-Walters parle d’un <a href="https://www.mqup.ca/damned-women-products-9780773521100.php?page_id=73&">« male gaze »</a> (regard masculin) sur les lesbiennes, seul regard considéré comme socialement et littérairement acceptable, le seul qui soit resté : en littérature, on ne connaît donc les lesbiennes que de <a href="https://www.lesinrocks.com/2020/02/06/cinema/actualite-cinema/iris-brey-on-est-tous-le-produit-du-male-gaze/">cette manière voyeuriste</a>, rarement pour en dire du bien ou les considérer avec respect. Elles sont en général soit des figures repoussoir de femmes monstrueuses, masculines, dénaturées (<a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2011-1-page-76.htm">« dégénérées », comme dirait Michèle Causse</a>), soit des paroxysmes de fantasmes sexuels.</p>
<p>Terry Castle dit aussi, en se fondant sur l’analyse des mêmes textes, que la représentation des lesbiennes en littérature, avant le XX<sup>e</sup> siècle, est impossible : elle n’est pas assimilable dans un récit traditionnel car, comme l’a montré Eve Kosofsky Sedgwick, le canon littéraire occidental s’est construit sur le question et la représentation des liens que les hommes entretiennent entre eux. Dans ce sens, la figure de la lesbienne est <em>impossible</em> car elle vient former une « nouvelle structure homosociale <em>féminine</em> » et par là questionne « radicalement », dans le récit, « la possibilité de la construction du lien social masculin » : d’où, montre Terry Castle, une tendance très nette des récits « lesbiens » à faire mourir ou disparaître les lesbiennes à la fin du récit (pour toutes ces analyses, je renvoie à la lecture de son livre <a href="https://web.stanford.edu/%7Ecastle/cgi-bin/wordpress/writing/books/the-apparitional-lesbian/"><em>The Apparitional Lesbian</em></a>, et à celui de Sedgwick qui a été traduit en français, <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/epistemologie-du-placard/"><em>L’Épistémologie du placard</em></a>).</p>
<p>La fin du XIX<sup>e</sup> siècle et le XX<sup>e</sup> siècle tout de même, enfin, voient surgir pour de bon les lesbiennes en littérature : pendant la Belle Époque et dans les décennies qui suivent, elles sont relativement nombreuses, ces femmes érudites et célèbres, lesbiennes ou bisexuelles, qui écrivent depuis leur expérience : Natalie Clifford Barney, Liane de Pougy (<a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782072819049-correspondance-amoureuse-nathalie-barney-liane-de-pougy/">dont la correspondance vient d’être éditée</a>), <a href="https://autobiosphere.files.wordpress.com/2019/10/communique-vivien-treize-poecc80mes.pdf">Renée Vivien</a>, Lucie Delarue-Mardrus, Colette, Mireille Havet… Mais elles sont associées à un parfum de décadence et de scandale : elles sont sulfureuses, leurs livres ne sont pas à mettre dans n’importe quelles mains. On les oublie : peu à peu, leur lecture est réservée à des cercles d’initié·es, érudit·es de la culture lesbienne ou spécialistes de la littérature de la Belle Époque.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/363743/original/file-20201015-21-fg5xyt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/363743/original/file-20201015-21-fg5xyt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=667&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/363743/original/file-20201015-21-fg5xyt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=667&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/363743/original/file-20201015-21-fg5xyt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=667&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/363743/original/file-20201015-21-fg5xyt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=838&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/363743/original/file-20201015-21-fg5xyt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=838&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/363743/original/file-20201015-21-fg5xyt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=838&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Natalie Clifford Barney, volontiers présentée comme autrice sulfureuse.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Natalie_Clifford_Barney_with_dog.jpg">Wikipedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les années 1960-1980 apportent un renouveau : en France les œuvres de Violette Leduc, puis de <a href="https://www.franceculture.fr/litterature/monique-wittig-lesbienne-revolutionnaire">Monique Wittig</a> surtout, donnent une nouvelle place aux lesbiennes en littérature – elles sont relativement peu lues, mais le symbole est là : en 1973, Monique Wittig, qui a reçu en 1964 le prix Médicis pour son roman <em>L’Opoponax</em>, publie <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Le_Corps_lesbien-1895-1-1-0-1.html"><em>Le Corps lesbien</em></a> au sein des prestigieuses éditions de Minuit. Ces années-là, qui sont des années de grande effervescence féministe, théorique et politique, voient s’élaborer le courant du « lesbianisme politique » et l’idée d’une culture et d’une (ou d’) identité(s) lesbienne(s) : c’est vraiment à partir de là qu’on peut parler de littérature lesbienne sans risquer l’anachronisme. </p>
<p>Un réseau international d’autrices lesbiennes se constitue : elles voyagent et se rencontrent, Monique Wittig, Michèle Causse, Cathy Bernheim, en France, Nicole Brossard, Jovette Marchessault, Pol Pelletier, Marie-Claire Blais et d’autres au Québec, elles se rendent visite et s’inspirent (ou rejettent !) des <a href="https://www.onf.ca/film/quelques_feministes_americaines/">idées des sœurs américaines</a> – Kate Millett, Adrienne Rich, Ti-Grace Atkinson, Mary Daly, etc. Elles participent aux mêmes revues (<em>Amazones d’hier, lesbiennes d’aujourd’hui</em>, <em>Feminist Issues</em>, <em>Masques</em>, <em>Lesbia</em>, <em>Vlasta</em>…). Ensemble, elles portent de nouvelles propositions théoriques pour le féminisme et pour le lesbianisme, et de nouvelles visions de la littérature. Mais en dépit de cette grande effervescence, qui se joue largement à un niveau international, la littérature lesbienne reste une littérature d’initié·es.</p>
<p>Aujourd’hui, on est généralement capable de citer une ou deux autrices contemporaines françaises lesbiennes ou bisexuelles : on connaît, au moins de nom, Virginie Despentes. Quand on connaît bien le monde littéraire français, on cite un peu en vrac, sans toujours trop savoir à quel point il s’agit de littérature lesbienne ou non : Nina Bouraoui, Hélène de Monferrand, Anne Garréta, Constance Debré, Fatima Daas, Anne Pauly, Pauline Delabroy-Allard… Michèle Causse, en 1990, parlait d’une différence fondamentale entre les écrits lesbiens des années 1960-1970 et ceux que l’on pouvait écrire 23 ans après :</p>
<blockquote>
<p>« Dire “Je t’aime” [d’une femme à une autre femme] en 1960 n’est pas dire “je t’aime” en 1990. Tout un mouvement féministe, tout un corpus littéraire soutiennent le mot en 1990. » (« Entretiens avec Michèle Causse », 2016, p. 143.)</p>
</blockquote>
<p>Aujourd’hui la littérature lesbienne a une histoire, et s’est assurée un public pour la suivre – même si c’est sur des bases encore très incertaines, et hors des canons officiels.</p>
<h2>L’histoire littéraire des lesbiennes : une histoire difficile à écrire</h2>
<p>L’histoire littéraire des lesbiennes est extrêmement mal connue, particulièrement du grand public, mais même au sein des communautés féministes ou LGBT+.</p>
<p>Plusieurs phénomènes jouent dans cette ignorance : d’abord, le simple phénomène socio-historique qui fait que les « lesbiennes », à strictement parler, n’ont d’histoire que récente. Si les femmes se sont toujours aimées dans l’histoire occidentale, elles n’ont globalement qu’assez récemment accédé à la possibilité pragmatique de vivre hors du mariage hétérosexuel, et n’ont analysé leur condition et formulé de théories politiques qui leur soient propres que vers la fin du XX<sup>e</sup> siècle : les « lesbiennes » apparaissent comme identités politiques à partir des années 1970 environ. Difficile, donc, de parler de romans lesbiens ou d’autrices lesbiennes en regardant les siècles passés, difficile aussi de cerner la bisexualité.</p>
<p>Il y a aussi l’important phénomène du placard, et tout ce qui est lié à la lesbophobie latente de la société : quand bien même une femme aime des femmes, il est fréquent qu’elle ne soit pas connue du public en tant que lesbienne, soit qu’elle n’ait jamais fait son <em>coming out</em>, soit qu’elle ne parle jamais, dans ses œuvres ou les entretiens qu’elle donne, de cet aspect-là de sa vie – notamment pour éviter d’y être sans cesse assignée, pour éviter qu’on néglige de vraiment lire son œuvre. Qui sait, citant Marguerite Yourcenar comme l’une des grandes autrices du XX<sup>e</sup> siècle, qu’elle a vécu toute sa vie avec une femme ? Elle a toujours refusé d’en parler publiquement.</p>
<blockquote>
<p>« Cela devient un texte à thème social et il attire l’attention sur un problème social. Quand cela arrive à un texte, il est détourné de son but premier qui est de changer la réalité textuelle dans laquelle il s’inscrit. En effet du fait de son thème il en est destitué, il n’y a plus accès, il en est banni (souvent simplement par la mise au silence, l’épuisement de l’édition), il ne peut plus opérer comme texte par rapport à d’autres textes passés ou contemporains. Il n’intéresse plus que les homosexuels. Pris comme symbole ou adopté par un groupe politique, le texte perd sa polysémie, il devient univoque. Cette perte de sens et le manque de prise sur la réalité textuelle empêchent le texte d’accomplir la seule opération politique qu’il puisse accomplir : introduire dans le tissu textuel du temps par la voie de la littérature ce qui lui tient à corps. » (Monique Wittig, <em>La Pensée straight</em>, 2018, p. 116.)</p>
</blockquote>
<p>Puis, bien sûr, il faut compter, comme pour l’histoire littéraire des femmes en général, l’« oubli » progressif de leurs œuvres : elles ont plus de mal que les hommes à se faire éditer, à trouver un public, et quand bien même c’est le cas, on néglige souvent ensuite de valoriser leurs écrits, de les faire résonner avec d’autres œuvres contemporaines, de les rééditer, de travailler dessus, de les inscrire dans l’histoire de la littérature. Il est dangereux, pour une écrivaine, d’être femme, et plus encore d’être lesbienne et d’en parler.</p>
<h2>Sujets et objets de la littérature : ce que font les lesbiennes à la théorie littéraire</h2>
<p>On l’a dit ces jours-ci au sujet des œuvres « de femmes », cela risque de paraître <em>encore pire</em> pour des œuvres « lesbiennes » : mais enfin, pourquoi s’intéresser spécifiquement à ces œuvres-là, plutôt qu’en général à la littérature ? <em>Ne risque-t-on pas d’oublier ce qu’est la vraie qualité littéraire d’une œuvre, à force d’idéologie ?</em></p>
<p>Or la littérature lesbienne est une vraie question de théorie littéraire. D’abord tout simplement parce qu’il faut la définir : <a href="https://fantasygenre.hypotheses.org/38">à partir de quand peut-on dire qu’un texte est lesbien ou non ?</a>. Ça n’est pas si simple, en raison de tout ce qui se joue historiquement, socialement et politiquement, derrière la littérature. Faut-il qu’une histoire d’amour ou une histoire sexuelle entre femmes soit représentée ? Pourquoi pas retenir ce critère, mais on acceptera alors parmi les « romans lesbiens » des œuvres parfois écrites par des hommes, parfois écrites par fétichisation des relations lesbiennes, parfois largement misogynes et lesbophobes.</p>
<p>Faut-il alors qu’il s’agisse d’une autrice, et qu’elle soit lesbienne ou bisexuelle ? Oui, mais d’abord comment savoir qu’une autrice est lesbienne ou bisexuelle, ou non ? – beaucoup sont encore dans le placard, beaucoup y sont restées toute leur vie. Et puis, quand bien même une autrice est lesbienne ou bisexuelle, elle ne parle pas forcément de relations lesbiennes dans son œuvre, elle peut décider de ne tisser aucun lien entre sa vie privée et son œuvre : ira-t-on forcer la chose en déclarant à sa place que son œuvre est lesbienne ?</p>
<p>Et que faire des multiples cas de textes qui sortent totalement des normes du « récit », brouillent le sens et empêchent qu’on y lise clairement des « histoires » lesbiennes ? Beaucoup des textes de Monique Wittig, Michèle Causse ou, dans le domaine québécois, Nicole Brossard, par exemple, apparaissent comme très difficiles à lire, sont parfois réputés illisibles : c’est un phénomène très récurrent chez les autrices lesbiennes, significatif d’un rapport singulier à la littérature. Pour certain·es chercheur·ses, il en devient critère de définition de la littérature lesbienne : pour celles et ceux-là, on peut parler de littérature lesbienne à partir du moment où un texte déconstruit en même temps les normes du récit et les normes du patriarcat – où il est subversif des conventions sociales et littéraires. Mais des critères de ce type en ont entraîné certaines à considérer, par exemple, des textes de Faulkner comme textes lesbiens.</p>
<p>À tout prendre, il est exclu de ne considérer les choses qu’à un niveau thématique : il ne suffit pas de parler de lesbiennes pour qu’un texte soit lesbien, il ne suffit pas qu’une autrice soit lesbienne pour qu’elle écrive un texte lesbien, il faut aussi qu’il y ait une question <em>littéraire</em> qui soit posée.</p>
<p>Ces questions occupent certain·e·s chercheur·se·s en théorie littéraire ; du côté des écrivaines elles-mêmes, on retrouve les mêmes interrogations, plus immédiatement liés à un problème d’<em>écriture</em> – et non seulement de théorie. Nicole Brossard le disait à Lori Saint-Martin : il est difficile d’écrire l’amour lesbien, quand on arrive au sein d’une langue et au sein d’une culture qui, jusqu’alors, ne lui ont pas laissé de place. Quels mots peut-on utiliser pour parler de la femme que l’on aime ou que l’on désire, lorsqu’on est soi-même une femme (narratrice ou autrice) ?</p>
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<p>« [En littérature] L’amour a toujours été un élément déclencheur d’écriture et souvent de renouveau. L’amour nous fait perdre nos points de repère pour mieux nous les redonner dans l’essentiel de ce que nous sommes et de ce que nous avons reconnu dans l’autre. Tout devient possible et pourtant, comment traduire dans une langue chargée de la subjectivité masculine l’amour lesbien ? Comme s’il s’agissait de transposer dans la langue une dimension inconnue de l’amour dans laquelle deux femmes sont simultanément sujets d’intérêt l’une pour l’autre, c’est-à-dire symboliquement porteuses d’un sens positif. » (Nicole Brossard, <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2004-1-page-104.htm">« La lucidité, l’émotion »</a>, 2003)</p>
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<p>La question fondamentale est celle du sujet de la littérature : qui écrit ? D’ordinaire, dans la culture scolaire, dans la culture universitaire, dans nos représentations collectives, « l’écrivain » est un homme ; par défaut, également, il est en général un homme qui aime les femmes (je renvoie à la culture scolaire qui nous parle naïvement de l’universalité du thème de « l’amour » dans telle ou telle œuvre – universalité presque systématiquement déclinée au masculin, orientée vers la fascination qu’exerce « la » femme).</p>
<p>Les femmes, elles, sont ordinairement <em>objets</em> : elles sont là parce qu’elles sont les êtres aimés, ou parce qu’elles sont les muses – mais elles ne jouent pas de rôle actif, elles représentent ce que l’on désire.</p>
<p>D’un point de vue littéraire, l’écriture des lesbiennes pose un faisceau de questions complexes à la littérature. Si, femmes, l’on veut écrire, il faut <em>à la fois</em> qu’on puisse devenir sujets de la littérature – qu’on trouve une place dans l’histoire littéraire, qu’on trouve d’autres mots pour s’y situer ; si, lesbiennes ou bisexuelles, on veut écrire l’amour d’une femme pour une autre, il faut en plus pouvoir peindre l’<em>autre</em> comme objet à son tour – mais loin des traditions misogynes qui retirent aux femmes, en littérature, leur capacité d’agir. Pour Michèle Causse, il s’agit là d’un « inédit » absolu de la littérature :</p>
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<p>« L’existence lesbienne ne peut pas être un plagiat. Elle est dans la nécessité de s’inventer et de se dire dans l’inédit. Parce qu’elle ne s’est pas dite. » (Michèle Causse, <em>op. cit.</em>, p. 142)</p>
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<h2>Le précieux travail des militant·es : n’éliminer personne, rétablir un équilibre</h2>
<p>La littérature lesbienne est un sujet d’études littéraires qui mérite largement qu’on s’y intéresse : beaucoup trop mal connu, il pose des questions qui sont pourtant cruciales non seulement pour les communautés lesbiennes, mais pour la société dans son ensemble, pour la culture et la manière dont collectivement on la construit – et, d’un point de vue beaucoup plus précis, pour la recherche en théorie littéraire.</p>
<p>Les ressources sont rares : l’histoire littéraire des lesbiennes n’a pas été faite, ou elle est restée inaccessible. Les ouvrages cités dans cet article, même quand ils ne s’intéressent spécifiquement qu’à la littérature française, appartiennent presque tous à la recherche anglo-saxonne ; quelques rares ouvrages parus en France sur la question sont restés confinés dans les vieux stocks des librairies (je pense par exemple à la traduction du livre de Dolores Klaich, <a href="https://www.desfemmes.fr/essai/femme-et-femme/"><em>Femme et Femme</em></a>, jamais réédité et manifestement très rarement lu, aux éditions des Femmes), ou sans qu’on daigne leur accorder le statut d’ouvrages de référence, fiables et nécessaires pour construire l’histoire littéraire. Les références bibliographiques se transmettent hors des circuits institutionnels, par bouche-à-oreille.</p>
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<p>Un étudiant nous demandait naïvement il y a quelques mois, à une amie et à moi, de lui donner quelques références de manuels ou d’histoires littéraires synthétiques à consulter pour se renseigner sur l’histoire de la littérature lesbienne : nous n’avons pas su lui répondre, il n’y en a pas à notre connaissance dans le domaine français. En fait, sans <em>le travail et la recherche des militant·es</em> – journalistes, comme Alice Coffin, ou chercheur·ses, libraires, bibliothécaires, archivistes, etc. – qui s’efforcent de donner de leur temps pour aller chercher ces ressources quand elles sont difficiles d’accès, on n’y arriverait pas. Le travail de journalistes comme Alice Coffin est précieux – loin d’éliminer quoi que ce soit de la culture générale, il empêche que des pans entiers de notre histoire et de nos réflexions collectives soient envoyés aux oubliettes et méprisés par l’effet de l’ignorance. Donnons la conclusion à Michèle Causse :</p>
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<p>« Sans un regard lesbien, encore aujourd’hui, nombre de lesbiennes seraient enterrées. […] Les femmes, les lesbiennes peuvent bien écrire tout ce qu’elles veulent, aucun homme ne les aurait entérinées, ne les aurait nommées. Il a fallu cette énorme revanche historique de féministes nanties d’outils critiques pour que tout d’un coup cette écriture émerge. » (Michèle Causse, <em>op. cit.</em>, p. 153.)</p>
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<p class="fine-print"><em><span>Aurore Turbiau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La littérature lesbienne, ou les littératures lesbiennes, sont très largement méconnues. Quelles autrices peut-on citer ? Quelles œuvres?Aurore Turbiau, Doctorante en littérature comparée, membre du collectif Les Jaseuses, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.