tag:theconversation.com,2011:/us/topics/irak-21326/articlesIrak – The Conversation2024-03-17T15:33:22Ztag:theconversation.com,2011:article/2207422024-03-17T15:33:22Z2024-03-17T15:33:22Z« L’envers des mots » : Urbicide<p><a href="https://fr.euronews.com/2015/02/11/la-nuit-ou-dresde-fut-reduite-en-cendres">Dresde</a> et <a href="https://encyclopedia.ushmm.org/content/en/gallery/bombing-of-warsaw">Varsovie</a> pendant la Seconde Guerre mondiale ou, plus récemment, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat/guerre-en-ukraine-les-villes-meurent-elles-aussi-1787296">Marioupol</a> en Ukraine sont autant d’exemples de villes entièrement détruites lors d’un conflit armé contemporain. Nœud logistique, centre industriel et cœur du pouvoir politique, la ville est toujours un objectif militaire, théâtre et enjeu des combats.</p>
<p>Si la destruction de la ville répond à des raisons stratégiques, et ce, depuis longtemps, son anéantissement pour des raisons symboliques est devenu un véritable objet d’étude depuis la diffusion par <a href="https://geographie-ville-en-guerre.blogspot.com/2008/10/la-notion-durbicide-dimensions.html">Benedicte Tratnjek</a> de la notion d’urbicide. Pour cette géographe spécialiste de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie et de Sarajevo, <a href="https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/urbicide">l’urbicide</a> renvoie à la « destruction rituelle » de la ville en tant que mode de vie pour des raisons souvent identitaires.</p>
<p>Composé de la racine latine <em>urbs</em> (la ville) et du suffixe <em>cide</em> (tuer), l’urbicide ne désigne pas la seule destruction matérielle d’une ville au cours d’un conflit mais aussi le meurtre de ce que les géographes appellent <a href="https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/urbanite">l’urbanité</a>, c’est-à-dire l’essence de l’urbain. Cette essence se définit souvent, sous la plume des géographes, par la densité (la ville est le lieu des fortes concentrations humaines) et le cosmopolitisme (la ville est le lieu où des populations aux identités plurielles se rencontrent).</p>
<p>En conséquence, mettre à bas l’urbanité revient à s’attaquer méthodiquement à ce qui permet ou symbolise le vivre-ensemble propre à l’environnement urbain. C’est dans cette optique que Tratnjek analyse la <a href="https://hal.science/medihal-00705117/">destruction de la bibliothèque de Sarajevo</a> lors du siège mené par les Serbes de 1992 à 1995. Fréquenté par toutes les communautés de la ville, ce bâtiment abritait des ouvrages provenant de toutes les populations des Balkans et symbolisait un passé commun à tous les Sarajéviens.</p>
<p>Dès lors, l’urbicide revient souvent à priver une ville de son identité de façon à anéantir tout trait d’union, tout sentiment d’appartenance commune aux populations diverses qui la composent.</p>
<p>L’urbicide est alors intimement lié à la destruction du patrimoine puisqu’il consiste souvent à « faire table rase du passé » comme le montrent les <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/carte-a-la-une/carte-a-la-une-ingiusto">destructions perpétrées par Daech à Mossoul en 2015</a>. La destruction des <a href="https://www.lemonde.fr/djihad-online/article/2016/05/16/en-irak-l-etat-islamique-revendique-la-destruction-d-une-partie-des-ruines-antiques-de-ninive_4920404_4864102.html">ruines de Ninive</a> et des églises chrétiennes syriaques vise à faire disparaître les traces de l’histoire pré-islamique de la ville ainsi que son passé cosmopolite pour lui substituer une identité nouvelle fondée sur un sunnisme rigoriste.</p>
<p>Dès lors, « la mise à mort » de l’identité d’une ville, de son histoire, s’intègre souvent à des politiques d’épuration ethnique ou religieuse comme <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/carte-a-la-une/carte-a-la-une-ingiusto">celles menées par Daech envers les chrétiens ou les chiites à Mossoul</a> ou <a href="https://www.persee.fr/doc/bagf_0004-5322_2006_num_83_4_2526">par les Serbes envers les musulmans en Bosnie</a>.</p>
<p>C’est pourquoi l’urbicide est souvent justifié par un discours, une <a href="https://shs.hal.science/halshs-00702685/">idéologie urbanophobe</a> qui condamne la ville en tant que telle. Assimilée au cosmopolitisme, aux identités plurielles et mouvantes, la ville se voit condamnée par tous les totalitarismes et les acteurs soucieux de diviser les territoires, de les délimiter autour d’identités qu’ils veulent pures et éternelles.</p>
<p>Dès lors, l’urbicide constitue bien un terme dont l’utilisation se diffuse de plus en plus dans les champs médiatique et politique. Il permet d’analyser les nouvelles modalités de nettoyage ethnique employées dans les régimes autoritaires. Ces États, à l’image de la Russie à Marioupol ou de la Turquie à <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/gosse-diyarbakir">Diyarbakir</a> (Kurdistan), entendent parfois effacer ainsi l’identité des peuples, des lieux et des villes qu’ils habitent afin d’annexer ou d’accroître leur contrôle sur un territoire.</p>
<p>Ensuite, le concept d’urbicide a une forte <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/lurbicide-en-ukraine-un-crime-contre-lhumanite-20220425_WOZ5QSAVB5GTFJSTR2VSW4MUSY/">résonance médiatique</a> : il permet de mobiliser, d’attirer l’attention de la communauté internationale sur des drames qui, faute de mots pour les caractériser, pourraient sombrer dans l’oubli.</p>
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<p><em>Cet article s’intègre dans la série <strong><a href="https://theconversation.com/fr/topics/lenvers-des-mots-127848">« L’envers des mots »</a></strong>, consacrée à la façon dont notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte à mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ?</em></p>
<p><em>De <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-validisme-191134">« validisme »</a> à <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-silencier-197959">« silencier »</a>, de <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-bifurquer-191438">« bifurquer »</a> à <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-degenrer-191115">« dégenrer »</a>, nos chercheurs s’arrêtent sur ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public. À découvrir aussi dans cette série :</em></p>
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<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-technoference-199446"><em>« L’envers des mots » : Technoférence</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-ecocide-200604"><em>« L’envers des mots » : Écocide</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-neuromorphique-195152"><em>« L’envers des mots » : Neuromorphique</em></a></p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/220742/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Firode ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La notion d’urbicide ne désigne pas seulement la destruction matérielle d’une ville au cours d’un conflit mais aussi le « vivre-ensemble » qu’elle représente.Pierre Firode, Professeur agrégé de Géographie, membre du laboratoire Médiations, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216712024-01-29T15:48:28Z2024-01-29T15:48:28ZLes États-Unis vers un conflit à grande échelle avec les Houthis du Yémen et les organisations politico-militaires irakiennes ?<p>Au Proche-Orient, la guerre de Gaza est en train d’acquérir une dynamique propre, ravivant le spectre de nouveaux conflits régionaux. Appuyé par les États-Unis, qui ont <a href="https://www.lepoint.fr/monde/les-etats-unis-livrent-des-munitions-a-israel-et-renforcent-leur-presence-militaire-08-10-2023-2538500_24.php">envoyé leur plus imposant navire de guerre dans la zone</a>, Israël mène, depuis l’assaut meurtier du Hamas le 7 octobre dernier, une guerre à grande échelle qui, <a href="https://theconversation.com/quelle-strategie-israelienne-pour-gaza-216050">aux yeux de nombreux observateurs</a>, ne viserait pas uniquement à éradiquer le groupe islamiste mais également à expulser les Palestiniens de Gaza en prenant pour cible les infrastructures et les populations civiles. La Cour internationale de Justice vient d’ailleurs d’<a href="https://apnews.com/article/israel-palestinians-south-africa-genocide-hate-speech-97a9e4a84a3a6bebeddfb80f8a030724">accepter d’instruire la plainte pour génocide déposée par l’Afrique du Sud</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/israel-devant-la-cour-internationale-de-justice-celle-ci-est-elle-devenue-un-substitut-a-un-conseil-de-securite-dysfonctionnel-220727">Israël devant la Cour internationale de justice : celle-ci est-elle devenue un substitut à un Conseil de sécurité dysfonctionnel ?</a>
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<p>Dans ce contexte, des acteurs non étatiques armés alliés à l’Iran ont lancé, dans une stratégie concertée, des représailles asymétriques contre Israël depuis la Syrie, le Liban, l’Irak et le Yémen. Ces acteurs mènent également des opérations offensives contre les forces américaines, perçues comme partie prenante de la guerre israélienne contre Gaza.</p>
<p>Une perception erronée des réalités locales conduit à réduire ces acteurs non étatiques au rôle de « proxies » : on a tendance à ne les voir que comme un réservoir de forces projetables que l’Iran actionne quand il le souhaite pour mener des actions offensives. Or, bien que ces acteurs convergent stratégiquement avec Téhéran sur le plan régional et font partie intégrante d’un axe de la dissuasion active face à Israël, ils disposent également d’une autonomie certaine et agissent conformément à leur propre agenda. Il en va ainsi aussi bien des <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2013-2-page-93.htm">organisations politico-militaires chiites</a> actives en Irak que des <a href="https://theconversation.com/qui-sont-les-houthis-cette-milice-yemenite-visee-par-les-frappes-americaines-et-britanniques-221149">Houthis au Yémen</a>.</p>
<h2>Escalade avec les organisations politico-militaires chiites en Irak</h2>
<p>En Irak, où les États-Unis conservent une présence de 2 500 soldats – en vertu d’un accord avec le gouvernement de Bagdad, pour conseiller et former les forces de sécurité irakiennes dans le cadre de la lutte anti-Daech –, une <a href="https://english.aawsat.com/arab-world/4786701-syria-extends-humanitarian-aid-delivery-bab-al-hawa-crossing">centaine d’opérations offensives ciblant l’armée américaine ont été dénombrées depuis le 17 octobre</a>.</p>
<p>En réponse, les États-Unis ont mené, le 4 janvier dernier, une attaque de drone qui a tué Mushtaq Jawad Kazim al-Jawari, également connu sous le nom d’Abu Taqwa, le chef du puissant groupe <a href="https://www.counterextremism.com/threat/harakat-hezbollah-al-nujaba-hhn">Harakat al-Nujaba</a>.</p>
<p>Aux côtés de plusieurs autres organisations – notamment la brigade Badr, Asaib Ahl al-Haq et Kataib Hezbollah, ce groupe relève du <a href="https://www.courrierinternational.com/article/finances-en-irak-une-force-paramilitaire-pro-iran-pese-sur-le-budget-de-l-etat">Hached al-Chaabi</a> – les « Forces de mobilisation populaire » irakiennes, ou FMP – une coalition de forces paramilitaires soutenue par l’Iran, poids lourd structurel en Irak.</p>
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<p>Sur la scène irakienne, les FMP apparaissent aujourd’hui comme un acteur politique puissant dont la légitimité a été renforcée par les <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2023/10/BAKAWAN/66186">succès obtenus sur le terrain face à Daech</a> et qui s’est vu accorder un statut officiel de branche auxiliaire des forces de sécurité irakiennes.</p>
<p>L’assassinat en janvier 2020 de leur chef adjoint <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/01/03/abou-mehdi-al-mouhandis-l-autre-victime-du-raid-contre-soleimani_1771652/">Mahdi el-Mohandes</a>, lors de la frappe américaine qui a tué le haut responsable iranien Qassem Soleimani, commandant de la Force Al-Qods du corps des Gardiens de la révolution islamique et architecte du développement du potentiel militaire de l’axe de la dissuasion active mis en place par Téhéran, n’a pas empêché les FMP de continuer de jouer un rôle clé en Irak.</p>
<p>Ni l’affaiblissement de leur leadership, ni les tensions avec leur rival chiite, le leader religieux et nationaliste Moqtada al-Sadr, qui ont dégénéré en <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20220830-irak-moqtada-al-sadr-hadi-al-ameri-qui-sont-les-principaux-acteurs-de-la-crise-politique">affrontements</a> aux <a href="https://orientxxi.info/magazine/iraq-the-al-sadr-dynasty-is-losing-ground,3979">ressorts multiples et locaux</a> en août 2022, n’ont fragilisé durablement la coalition. Au contraire : la nomination en octobre de la même année au poste de premier ministre de Mohammed Shia al-Soudani (proche de Nouri al-Maliki, premier ministre de 2006 à 2014) a donné aux FMP un nouvel élan. Comme le <a href="https://www.brookings.edu/articles/shiite-rivalries-could-break-iraqs-deceptive-calm-in-2023/">souligne</a> le chercheur de la Brookings Institution Ranj Alaaldin, « l’organisation s’est davantage ancrée dans l’État irakien, élargissant ses capacités économiques, diversifiant ses sources de revenus et étendant son réseau de mécènes ».</p>
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<p>C’est ainsi que la frappe américaine qui a tué le leader de Harakat-al-Nujaba a été <a href="https://www.airandspaceforces.com/us-kills-militia-leader-iraq/">qualifiée</a> d’« agression flagrante » et de « violation de la souveraineté et de la sécurité de l’Irak » par le porte-parole des forces de sécurité irakiennes, le général Yehia Rasool. Le ministère irakien des Affaires étrangères a employé des termes similaires.</p>
<p>La dangereuse escalade en cours (une base américaine en Irak a été <a href="https://fr.euronews.com/2024/01/21/irak-frappes-contre-une-base-militaire-abritant-des-troupes-americaines">bombardée le 21 janvier</a> par des groupes chiites irakiens) a obligé le gouvernement de Soudani – qui entretient des relations étroites avec l’Iran tout en étant un interlocuteur acceptable pour les États-Unis – <a href="https://www.afrique-asie.fr/le-premier-ministre-irakien-declare-que-bagdad-se-dirige-vers-la-fin-de-la-presence-militaire-americaine-dans-le-pays/">à affirmer sa volonté de mettre fin à la présence américaine en Irak</a>. Désormais, la question du retrait américain <a href="https://www.dhnet.be/dernieres-depeches/2024/01/26/bagdad-et-washington-vont-discuter-de-lavenir-de-la-coalition-antijihadistes-YKURWB46YRFORM2ES5DGP4RB5E/">est en discussion entre les États-Unis et les autorités de Bagdad</a>.</p>
<p>Force est de constater que les dynamiques belligènes initialement liées au contexte de la guerre de Gaza débordent de ce cadre et s’inscrivent désormais dans le cadre d’une confrontation directe entre les Américains et une partie des acteurs locaux.</p>
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<h2>Washington face à la détermination des Houthis</h2>
<p>Au Yémen également, il devient de plus en plus difficile pour les États-Unis d’éviter un engrenage irréversible après les <a href="https://www.lefigaro.fr/international/frappes-aeriennes-contre-les-houthis-au-yemen-tout-comprendre-a-la-riposte-des-etats-unis-et-du-royaume-uni-20240112">frappes de représailles du 2 janvier qui ont pris pour cible les positions des Houthis</a>.</p>
<p>Ces derniers, qui affirment agir en solidarité avec les Palestiniens de Gaza depuis le début de la guerre, ont <a href="https://www.newarab.com/news/us-uk-air-strikes-hit-yemen-fallout-gaza-war-grows">lancé de nombreuses attaques contre les navires considérés comme liés à Israël en mer Rouge</a>. À la suite des représailles de Washington, les Houthis ont averti que cette « agression américaine » « ne resterait pas sans réponse ».</p>
<p>Bien qu’il bénéficie du soutien opérationnel de l’Iran, le <a href="https://orientxxi.info/magazine/la-revanche-inattendue-du-confessionnalisme-au-yemen,0677">groupe est très enraciné localement</a> et s’est imposé à la faveur de ses succès militaires comme une force politique majeure contrôlant la capitale Sanaa et de larges parties du territoire dans le nord et l’ouest du pays à l’issue de sept ans de conflit avec Riyad.</p>
<p>Si le renversement du gouvernement yéménite en 2014 a constitué un facteur déterminant dans la décision saoudienne de lancer sa campagne aérienne le 26 mars 2015, des années d’enlisement dans la guerre du Yémen ont conduit Riyad à réviser sa position et à négocier avec le groupe. Après plusieurs mois de discussions, les deux acteurs <a href="https://www.wsj.com/world/middle-east/israel-hamas-war-jeopardizes-prospects-for-yemen-peace-e89553b9">ont adopté une feuille de route pour la résolution du conflit</a>.</p>
<p>Dans le contexte de l’escalade entre Israël et les Houthis, l’Arabie saoudite est soucieuse de maintenir la trêve intra-yéménite et une perspective de sortie d’un conflit qu’elle n’a pas gagné. C’est la raison pour laquelle Riyad a <a href="https://www.zonebourse.com/actualite-bourse/L-Arabie-saoudite-appelle-a-la-retenue-apres-les-frappes-au-Yemen-45727743/">exprimé son inquiétude et appelé à la retenue après les frappes aériennes</a> menées conjointement par les États-Unis et le Royaume-Uni.</p>
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<p>Face à la posture des Houthis, les États-Unis ont, à l’heure actuelle, des <a href="https://www.wsj.com/world/middle-east/u-s-led-coalition-warns-houthis-to-stop-ship-attacks-cfd490df">leviers d’action très limités</a>. Comme l’explique <a href="https://www.rand.org/pubs/commentary/2023/12/a-precarious-moment-for-yemens-truce.html">Alexandra Stark, chercheuse associée à la Rand Corporation</a>, « les dix dernières années de combats ont montré qu’il est peu probable que la coercition ou la force militaire suffisent à dissuader les Houthis. Au contraire, des représailles militaires importantes de la part des États-Unis risqueraient de provoquer une nouvelle escalade et d’ouvrir un nouveau front majeur dans la région, alors que les États-Unis et leurs partenaires régionaux ont, en matière de sécurité, investi beaucoup de temps et de ressources pour se dégager de la guerre au Yémen ».</p>
<p>Ces conclusions sont partagées par <a href="https://tcf.org/content/commentary/blood-in-the-water-how-the-gaza-war-spilled-into-the-red-sea:">Aron Lund</a>, analyste à l’Agence suédoise de recherche pour la défense, qui rappelle que les attaques directes contre des cibles houthies au Yémen risquent d’entraîner les États-Unis dans un conflit qu’ils ne peuvent pas gagner par leur puissance militaire :</p>
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<p>« Alors que des milliers de Palestiniens sont morts et que Gaza est en ruines, souffrant d’une famine généralisée, les revendications des Houthis trouvent un écho puissant non seulement au Yémen, mais aussi dans tout le Moyen-Orient et au-delà. L’administration Biden a provoqué un tollé mondial en soutenant son allié à l’extrême, en défendant les tactiques israéliennes brutales et en expédiant des armes pour aider Israël à poursuivre la guerre […]. Tant que le carnage à Gaza n’aura pas pris fin, toute résolution sérieuse de la crise en mer Rouge semble improbable. »</p>
</blockquote>
<h2>L’Amérique peut-elle s’engager sur tous les fronts ?</h2>
<p>Il est vrai que les interventions militaires de ces dernières années ont démontré l’impuissance des armées occidentales face à des adversaires ayant recours à des techniques de guerre asymétrique. Par ailleurs, l’enlisement dans une nouvelle guerre sans fin aurait un coût élevé pour Washington. Si dès son entrée en fonctions, l’administration Biden a <a href="https://theconversation.com/quelle-politique-pour-ladministration-biden-au-moyen-orient-150681">donné des garanties à Israël sur la permanence du soutien américain</a>, elle affichait également une volonté d’apaiser les tensions avec l’Iran pour se focaliser sur sa principale priorité stratégique, à savoir la compétition de puissance avec la Chine. Les cartes ont été rebattues avec la guerre en Ukraine. Washington a apporté dans un premier temps un appui financier massif à Kiev avant, dernièrement, de <a href="https://theconversation.com/why-the-us-and-its-partners-cannot-afford-to-go-soft-on-support-for-ukraine-now-217538">remettre cet engagement en cause</a>.</p>
<p>Du fait de leur engagement militaire inconditionnel aux côtés d’Israël, les États-Unis se retrouvent aujourd’hui confrontés au risque imminent d’une réactivation des conflits directs avec des acteurs locaux en Irak et au Yémen dans un contexte où ils peinent à la fois à se départir du bourbier ukrainien et à contenir les ambitions de puissance de la Chine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221671/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ces deux groupes liés à l’Iran s’en sont pris à Israël depuis le début des bombardements sur Gaza, suscitant des représailles américaines. Mais ces frappes ne suffiront pas à les faire renoncer.Lina Kennouche, Docteur en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2180692023-11-30T17:00:05Z2023-11-30T17:00:05ZComment les partis politiques kurdes gouvernent leurs populations<p><em>Les Kurdes sont l’un des plus importants peuples apatrides du monde. Ils seraient quelque 30 millions à vivre aujourd’hui en Turquie, en Irak et en Syrie. Plusieurs mouvements politiques militent depuis des décennies pour l’instauration d’autonomies régionales voire d’un Kurdistan indépendant au croisement de ces trois pays. <a href="https://www.karthala.com/accueil/3549-le-gouvernement-des-kurdes-gouvernement-partisan-et-ordres-sociaux-alternatifs.html">« Le gouvernement des Kurdes. Gouvernement partisan et ordres sociaux alternatifs »</a>, qui vient de paraître aux éditions Karthala sous la direction de Gilles Dorronsoro, professeur de sciences politiques à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre senior de l’Institut universitaire de France, met en évidence le rôle majeur que jouent les partis politiques dans l’instauration des nouveaux ordres sociaux dans les zones où ils détiennent le pouvoir. Nous vous présentons ici un extrait de l’introduction.</em></p>
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<p>Les « conflits kurdes » durent, sous des formes diverses et avec des périodes d’accalmie, depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Ils présentent la particularité de se développer simultanément sur plusieurs espaces étatiques – Turquie, Iran, Irak, Syrie – et mobilisent de plus la diaspora, principalement en Europe.</p>
<p>Depuis les années 1990, des interventions internationales et des guerres civiles, qui n’ont pas les Kurdes pour enjeu central, ont largement redéfini la carte politique du Moyen-Orient. Dans ces dynamiques complexes, qui se développent à de multiples échelles, notre objet d’études est l’émergence de régions kurdes autonomes en Syrie, en Irak et, de façon inaboutie, en Turquie où, même sans perspective réaliste de voir naître un État indépendant, des institutions kurdes administrent, parfois depuis une génération, des populations civiles.</p>
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<figcaption><span class="caption">Qui sont les Kurdes ? Le Monde, octobre 2017.</span></figcaption>
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<p>Ainsi, en Irak, la protection américaine à partir de 1991 a permis la formation d’un Gouvernement régional du Kurdistan (GRK), largement autonome de Bagdad. En Turquie, les partis de la mouvance apoïste ont acquis une forte assise municipale dans les années 1990 et des institutions kurdes ont concurrencé directement le gouvernement central – avant d’être démantelées par l’État turc pendant la « guerre des villes » (2015-2016). Après 2011, la guerre civile syrienne a permis au PYD (Parti de l’union démocratique) – la branche syrienne du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) – de créer des institutions qui administrent des populations kurdes (et non kurdes).</p>
<p>On vérifie ici que les guerres civiles, pourvu qu’elles durent, tendent à multiplier les institutions et à reconfigurer les rapports de pouvoir. En continuité avec le programme de recherches <a href="https://www.civilwars.eu/">« Social Dynamics of Civil Wars »</a>, nous avons souhaité explorer ce gouvernement des Kurdes par les Kurdes dans toute sa complexité et ses variations régionales.</p>
<p>Les régions autonomes sous contrôle de partis kurdes voient, avec un degré d’institutionnalisation variable, l’apparition d’ordres sociaux alternatifs, c’est-à-dire de hiérarchies identitaires, d’économies du droit et de la violence portées par des institutions en concurrence avec celles des régimes en place. Les études réunies ici mettent en évidence le rôle central des partis dans la constitution de la gouvernementalité kurde : genèse de nouvelles institutions, mise en place d’une nouvelle hiérarchie identitaire et, enfin, clientélisation des sociétés.</p>
<p>L’hypothèse sous-jacente à notre travail est que les partis politiques kurdes sont la matrice du gouvernement des populations, car – c’est une particularité par rapport à d’autres guerres civiles –, ils ont une histoire longue, un militantisme très ancré dans les sociétés locales et des projets politiques qui orientent effectivement leur action. Ils constituent la source principale des dispositifs qui façonnent la société – des rapports de genre au droit de la propriété.</p>
<p>Sans postuler une cohérence nécessaire de ces dispositifs, ni l’absence de contestation, au moins par l’inertie ou l’évitement, la capacité des partis – par exemple à juger, à transformer la hiérarchie ethnique ou à définir les règles d’une économie politique – instaure une relation de pouvoir profondément asymétrique avec le reste de la société.</p>
<p>Quel que soit le degré de complétude et de stabilité de ces ordres sociaux alternatifs, les partis politiques sont donc les acteurs qui définissent le nouvel ordre social par le biais de gouvernements partisans (Mède dans ce volume), dont la forme diffère, mais qui donnent à voir une faible autonomie des institutions publiques par rapport aux organisations politiques. Les mouvements politico-militaires qui nous intéressent en premier lieu – le PDK (Partiya Demokrata Kurdistanê, Parti démocratique du Kurdistan), le PKK, voire l’UPK (Union patriotique du Kurdistan) dans une moindre mesure – ont de fait une forte identité partisane.</p>
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<p>Dans ses pratiques, le PDK reprend en partie l’héritage du parti Baas, dans le sens d’un contrôle étroit de la société. En particulier, la convergence de la socialisation familiale et partisane permet une stabilité du militantisme, qui se conjugue avec le contrôle des instances dirigeantes par une élite liée à la famille Barzani.</p>
<p>Pour sa part, le PKK propose une idéologie ethno-nationaliste et internationaliste. Sa conversion au « confédéralisme démocratique » (Grojean dans ce volume) constitue certes une rupture, mais sa structure interne reste celle d’un mouvement léniniste organisé autour de cadres tenus à une discipline militaire, et la production d’un homme nouveau demeure la logique dominante. Par exemple le parti pratique, comme souvent dans les mouvements révolutionnaires, un contrôle de la sexualité, avec l’interdiction du mariage pour les cadres du mouvement (et des sanctions en cas de relations amoureuses).</p>
<p>Si l’on constate une même volonté de contrôle de la société par les partis, la mise en place d’institutions kurdes donne à voir deux modalités un peu différentes de gouvernement partisan. Le PKK cherche à pénétrer la société par la multiplication d’organisations qui sont en dernière instance sous le contrôle du parti. Pour leur part, le PDK et l’UPK limitent autant que possible le fonctionnement des institutions du Gouvernement régional du Kurdistan, notamment son accès aux ressources économiques. Après une période où certaines institutions se sont autonomisées (notamment le parlement), la compétition politique interne au Kurdistan irakien a finalement conduit à l’affirmation des partis au détriment des institutions (Mède dans ce volume).</p>
<p>Les ordres sociaux kurdes émergents imposent une nouvelle hiérarchie identitaire qui réorganise la société locale, notamment à travers les politiques culturelles, l’établissement de quotas, la gestion de la circulation et de l’installation des populations, la modification des circuits économiques (Haenni & Legrand dans ce volume ; Quesnay dans ce volume). Dans les zones de peuplement mixte, ces politiques entraînent une remise en question des solidarités de classe ou de territoire.</p>
<p>Sur un plan culturel, à partir des années 1990, l’autonomie des Kurdes en Irak entraîne initialement un recul de l’arabe au profit du kurde et, pour l’enseignement supérieur, de l’anglais.</p>
<p>Sur le plan démographique, les mouvements kurdes ont renversé les politiques d’arabisation en réinstallant des populations kurdes, notamment à Kirkouk (Quesnay dans ce volume). Les guerres civiles en Syrie et en Irak ont cependant créé des flux de réfugiés internes ou en provenance des pays voisins, qui ont remis en cause, au moins provisoirement, les équilibres démographiques. Par exemple, des centaines de milliers de réfugiés irakiens sunnites se sont réfugiés au GRK ; des Syriens arabes ont afflué dans l’enclave kurde d’Afrin.</p>
<p>Les trois espaces kurdes étudiés fonctionnent au sein d’économies politiques profondément différentes, mais toutes marquées par une compénétration très forte du politique et de l’économique. Ainsi, les partis dans le nord de l’Irak bénéficient d’une économie rentière où les revenus du pétrole sont déterminants, notamment pour le PDK, et ils contrôlent l’accès aux ressources publiques (emploi public, logement, bourses dans l’enseignement, etc.).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=909&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=909&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=909&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1142&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1142&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1142&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Cet extrait est issu de « Le Gouvernement des Kurdes. Gouvernement partisan et ordres sociaux alternatifs », sous la direction de Gilles Dorronsoro, qui vient de paraître aux éditions Karthala.</span>
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<p>Par ailleurs, le cas du Rojava montre l’installation par le PYD d’une économie de guerre qui permet de financer le PKK dans sa lutte sur d’autres espaces (Irak et surtout Turquie). En Turquie, le mouvement kurde légal a cherché ces dernières années à créer les conditions de l’émergence d’un champ économique kurde, mais le projet apoïste a échoué en raison de la répression et, surtout, de l’impossibilité d’autonomiser une économie fortement capitalisée et totalement intégrée dans l’espace national (voir Nicolas Ressler-Fessy dans ce volume).</p>
<p>Le répertoire d’action et le projet politique des partis kurdes sont directement affectés par le contexte international. Tout d’abord, la phase actuelle (depuis 1991) se caractérise par une double action des mouvements kurdes à l’international : mobiliser pour obtenir des soutiens et mimer l’État en reprenant les formes canoniques de la diplomatie (rencontres au sommet, équipes de négociation). Si le PDK multiplie les signes symboliques de la construction d’une représentation paraétatique à l’étranger à partir du GRK – sans, par ailleurs, disposer de soutiens militants significatifs –, l’action du PKK est, elle, marquée par la coexistence d’un double régime, militant et diplomatique.</p>
<p>L’action transnationale de soutien (via le PKK en Europe) mobilise les militants d’extrême gauche autour d’un discours révolutionnaire, mais, en parallèle, le parti s’affiche comme un interlocuteur des États-Unis sans pour autant qu’il n’y ait de perspective de reconnaissance politique d’un parti listé comme terroriste par les puissances occidentales (Haenni & Legrand dans ce volume).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218069/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gilles Dorronsoro ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si les Kurdes n’ont pas su, à ce jour, obtenir un État indépendant et souverain, ils ont tout de même su instaurer dans certaines zones de nouvelles institutions et des ordres sociaux alternatifs.Gilles Dorronsoro, Professeur de science politique, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2170302023-11-08T20:45:39Z2023-11-08T20:45:39ZFalloujah 2004 : un modèle de bataille urbaine pour Israël comme pour le Hamas<p>Lorsqu’on envisage la guerre urbaine, plusieurs images viennent spontanément à l’esprit : soldats américains prisonniers du tissu urbain à <a href="https://journals.openedition.org/rha/7214">Mogadiscio</a> (1993), tireurs tchétchènes tirant au lance-roquette sur des colonnes de chars russes en plein <a href="https://theconversation.com/finlande-1939-tchetchenie-1994-ukraine-2022-pourquoi-les-guerres-russes-se-ressemblent-elles-181730">Grozny</a> (1994-1996), IED (engins explosifs improvisés) explosant dans les rues de <a href="https://abcnews.go.com/WNT/story?id=280897">Falloujah</a> (2004)…</p>
<p>Au cours des années 1990 et 2000, les guerres asymétriques se sont de plus en plus déroulées dans les villes. Durant ces deux décennies, les tactiques des groupes non étatiques, voire terroristes, ont considérablement évolué. Ces groupes ont su de mieux en mieux employer le pouvoir égalisateur de la ville dans leurs affrontements avec des armées conventionnelles.</p>
<p>Dans le contexte actuel de l’offensive lancée par Tsahal à Gaza, en quoi les affrontements urbains des années 2000 nous permettent-ils d’anticiper les doctrines et tactiques que le Hamas pourrait mettre en œuvre à Gaza City ? Pour répondre à cette interrogation, il semble pertinent d’analyser ce laboratoire de guerre asymétrique qu’a été la <a href="https://www.letemps.ch/monde/images-combats-falloujah-revelent-face-cachee-victoire-americaine">deuxième bataille de Falloujah</a> pour Al-Qaida en Irak en novembre 2004, et d’examiner sous ce prisme le visage que pourrait prendre la bataille naissante à Gaza City. </p>
<p>Le parallèle entre Gaza et Falloujah s’impose comme une évidence puisque les deux affrontements mettent en scène une armée conventionnelle moderne confrontée au défi d’occuper et de sécuriser un environnement urbain contrôlé par une organisation terroriste (Al-Qaida en Irak pour Falloujah, le Hamas à Gaza).</p>
<h2>Falloujah 2004 : une bataille maison par maison</h2>
<p>Les sources relatives à la seconde bataille de Falloujah (la <a href="https://www.britannica.com/event/First-Battle-of-Fallujah">première</a>, de moindre ampleur, avait eu lieu quelques mois plus tôt), recueillis dans <a href="https://www.armyupress.army.mil/Portals/7/Primer-on-Urban-Operation/Documents/EyewitnessToWar_VolumeI.pdf">« Eyewitness to war »</a>, une compilation de témoignages de vétérans de Falloujah, font clairement ressortir une concentration systématique des affrontements urbains vers de micro-espaces confinés.</p>
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<p>Le lieutenant-colonel James Rainey, alors commandant de l’une des unités en tête de l’attaque de Falloujah (le deuxième bataillon du 7<sup>e</sup> régiment de cavalerie) (ici et plus bas, toutes les citations sont de militaires américains ayant pris part à la bataille, et issues de « Eyewitness to war »), insiste particulièrement sur cet aspect de la bataille de Falloujah :</p>
<blockquote>
<p>« La stratégie fondamentale de l’ennemi consistait à installer des poches de trois ou quatre hommes dans les bâtiments et à attendre que nous y entrions afin de nous priver de tous les avantages que nous avions sur eux. »</p>
</blockquote>
<p>L’abandon à l’armée américaine des voies de circulation et des espaces ouverts de la ville s’explique par la volonté de l’insurrection irakienne organisée par Al-Qaida de réduire l’asymétrie entre sa puissance de feu limitée et celle, très supérieure, de son adversaire. En maintenant le combat en zone confinée, les troupes insurgées espèrent échapper au soutien blindé dont disposent les troupes américaines engagées dans l’attaque de Falloujah.</p>
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<p>Ce confinement du champ de bataille permet aussi de se prémunir contre l’arme aérienne et la capacité américaine à observer l’ennemi via ses satellites et ses drones – ce qu’on peut appeler son « omniscience zénithale ». En effet, l’offensive sur Falloujah de novembre 2004 fait suite à un véritable siège aérien entamé depuis le retrait des troupes américaines de la ville en avril.</p>
<p>Au cours de ce siège, l’aviation américaine a pu systématiquement frapper les positions insurgées visibles depuis le ciel, ainsi que les djihadistes empruntant les principaux axes de la ville. Cette campagne de bombardements s’est accompagnée d’un exode massif des populations civiles, privant ainsi Al-Qaida de boucliers humains potentiels.</p>
<p>L’omniscience zénithale de l’armée américaine, la régularité des frappes aériennes et la puissance des appuis blindés ont certainement persuadé les insurgés d’Al-Qaida d’abandonner leurs positions fortifiées mais exposées situées au nord-est de la ville, dans le quartier d’Askari notamment, pour se replier à l’intérieur des habitations. Privés de mobilité, empêchés de combattre sur les grandes artères de la ville, les insurgés se sont donc vus contraints de se cantonner à un combat confiné, dans de micro-espaces.</p>
<p>De même, à Gaza, l’absence de résistance significative à la progression rapide des blindés de Tsahal le long des grandes artères, et notamment le <a href="https://www.dimsumdaily.hk/israeli-tanks-enter-gaza-city-cutting-key-road-and-dividing-territory/">long de la route Salaheddine et de la N10</a>, semble confirmer que le Hamas entend reproduire la doctrine d’Al-Qaida en Irak : <a href="https://www.afpc.org/publications/articles/the-gaza-ground-war-what-to-expect">délaisser les points d’embuscade en zone ouverte pour se concentrer sur les <em>kill zones</em></a>, ces micro-espaces conçus et aménagés pour tuer les militaires ennemis et non pour conserver un territoire.</p>
<p>Tout comme à Falloujah en 2004, le combat urbain à Gaza pourrait donc se confiner dans des espaces densément bâtis. À Falloujah, l’essentiel des <em>kill zones</em> aménagées par les défenseurs se situait dans le quartier du Jolan. Comme cela sera plus tard le cas de la vieille ville de Gaza pour le Hamas, ce quartier de Falloujah présentait plusieurs avantages pour les insurgés : particulièrement dense, le Jolan possédait une voirie extrêmement étroite qui l’enclavait, comme le souligne un vétéran américain :</p>
<blockquote>
<p>« Le 3-1 (le 3<sup>e</sup> bataillon du 1<sup>er</sup> régiment de cavalerie) se situe à la jonction de la ligne Kathy, prêt à longer la rivière pour frapper le cœur du Jolan. Le 2-7 (le deuxième bataillon du 7<sup>e</sup> régiment de cavalerie) ne peut se diriger vers l’ouest de la ville parce que les rues sont trop étroites et denses, c’est donc un pur combat d’infanterie. »</p>
</blockquote>
<p>La nature du tissu urbain, dense et étroit, privait les forces américaines de soutien blindé et réduisait les distances d’engagement, rendant ainsi difficiles les tirs indirects (aviation et artillerie). Ces atouts en faisaient un espace privilégié pour les <em>kill zones</em>, comme pourrait le devenir aujourd’hui Gaza City pour le Hamas.</p>
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<p>Le Hamas pourrait aussi s’inspirer des micro-aménagements qu’Al-Qaida en Irak avait mis en place à Falloujah en 2004. Les <em>kill zones</em> conçues à Falloujah exploitaient au maximum les opportunités qu’offre l’habitat arabe, celui-ci étant utilisé comme un piège destiné à enfermer les soldats américains dans un micro-champ de bataille particulièrement favorable aux insurgés :</p>
<blockquote>
<p>« Dans chacun de ces bâtiments, il y avait des “trous de souris” (Mouse Holes). Si vous entriez par la porte, vous étiez confronté à des trous percés dans les murs partout dans la pièce – au-dessus, à l’arrière, sur les côtés – tous concentrés dans la pièce centrale dans laquelle vous entriez. C’était une “kill zone” et il était impossible d’en sortir vivant. »</p>
</blockquote>
<p>Les <em>kill zones</em> irakiennes reposaient ainsi sur un ensemble d’aménagements destinés à transformer les maisons d’habitation en véritables pièges. Tout d’abord, les insurgés condamnaient les portes secondaires et les fenêtres afin d’obliger les forces américaines à pénétrer dans la maison par la porte principale. Puis ils perçaient des « trous de souris », un ensemble d’ouvertures permettant de créer des angles de tir ad hoc à l’intérieur de la maison, souvent concentrées sur la pièce principale et l’entrée du bâtiment.</p>
<p>Ces trous de souris avaient trois fonctions : exposer les soldats américains sans couverture à des tirs directs, les empêcher de s’échapper de la <em>kill zone</em> et, enfin, rendre impossible l’acheminement de renforts. Ainsi refermé, le piège isolait complètement les soldats américains du reste du champ de bataille tout en les plaçant dans une situation désastreuse.</p>
<p>Après l’embuscade, les insurgés pouvaient enfin compter sur les « rat holes », ou trous de rats, un réseau de tunnels leur permettant de circuler de maison en maison :</p>
<blockquote>
<p>« L’ennemi a également creusé des “trous de rats” reliant entre eux des bâtiments différents. N’oubliez pas que tous ces bâtiments sont entourés de murs ; les trous de rats permettaient à l’ennemi de se déplacer d’un bâtiment à l’autre […]. Quand nous entrions dans un bâtiment, ils passaient par ces “trous de rats” pour se réfugier dans le bâtiment voisin ; et ils revenaient une fois que nous avions nettoyé le bâtiment et l’avions quitté. »</p>
</blockquote>
<p>En plus d’exposer les soldats américains, ces <em>kill zones</em> garantissaient donc des axes de repli aux insurgés qui pouvaient alors les utiliser pour se projeter sur les arrières de l’ennemi ou pour abandonner le combat et rejoindre la population civile.</p>
<h2>La ville comme piège</h2>
<p>Ces aménagements conçus pour transformer la ville en piège destinée à tuer pourraient être mis en œuvre à grand échelle par le Hamas dans Gaza City où le tissu urbain est propice à de telles <em>kill zones</em>. Ainsi n’est-il pas impossible que les « trous de rats » d’Al-Qaida puissent servir de modèle aux tunnels du <a href="https://videos.lesechos.fr/lesechos/sujet-actus/le-metro-de-gaza-le-labyrinthe-souterrain-du-hamas/qzkrruu">« métro de Gaza »</a> du Hamas.</p>
<p>Dès lors, la bataille de Falloujah en novembre 2004 constitue bien un précieux retour d’expérience (<em>retex</em>) pour les armées conventionnelles en proie à la guérilla urbaine, comme le montre la réalisation du <a href="https://www.rtbf.be/article/baladia-la-mini-gaza-ou-les-soldats-israeliens-de-tsahal-sentrainent-pour-la-guerre-urbaine-contre-le-hamas-11281111">camp israélien d’entraînement au combat urbain de Badalia</a>, réplique parfaite d’une ville arabe conçue en 2005 en plein désert du Néguev avec l’aide de l’armée américaine et de ses enseignements tirés de Falloujah. D’ailleurs, fin octobre, le major général américain James Glynn, qui a combattu à Falloujah en 2004, <a href="https://www.thenationalnews.com/world/us-news/2023/10/30/general-glynn-israel-advice/">s’est rendu en Israël pour apporter son expertise à Tsahal</a>.</p>
<p>Mais Falloujah reste avant tout un laboratoire qui a permis de renouveler les stratégies des groupes terroristes en milieu urbain, ce qui ne sera pas sans influence sur les tactiques qu’utilisera le Hamas face à Tsahal. Le <a href="https://www.gov.il/en/Departments/General/hamas-manual-on-urban-warfare">manuel de guérilla urbaine du Hamas</a> saisi par Tsahal en 2014 à Gaza lors de l’opération <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_2014_num_60_1_4747">« Bordure protectrice »</a> comporte sans doute des enseignements tirés par le Hamas des doctrines et tactiques utilisées par Al-Qaida en Irak. Malheureusement, ce document n’est pas, à l’heure actuelle, entièrement mis à la disposition des chercheurs. Mais une chose est certaine : pour le Hamas à Gaza comme pour Al-Qaida à Falloujah en 2004, la ville n’est plus pensée comme un territoire, une forteresse à défendre, mais plutôt comme une arme destinée à tuer des soldats ennemis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217030/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Firode ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À Falloujah, en 2004, les soldats américains s’étaient heurtés à une résistance acharnée des insurgés. Cette guerre urbaine est porteuse de nombreuses leçons pour l’engagement de Tsahal à Gaza.Pierre Firode, Professeur agrégé de Géographie, membre du laboratoire Médiations, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2163062023-10-30T19:08:14Z2023-10-30T19:08:14ZComment l’Iran mobilise son « Axe de la Résistance » face à Israël<p>L’attaque dévastatrice du Hamas le 7 octobre a changé la donne au Moyen-Orient. Le dossier israélo-palestinien, relégué au second plan depuis au moins une dizaine d’années, est brutalement revenu au cœur de la géopolitique régionale.</p>
<p>Alors que la guerre en cours entre le Hamas et Israël <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/risks-wider-war-iran-and-its-proxies">enhardit les mandataires de l’Iran dans la région</a>, tous les acteurs impliqués (étatiques ou non étatiques) manœuvrent dans un jeu de pouvoir très complexe qui peut conduire à une guerre régionale à part entière ; mais un tel scénario peut être évité par une fin négociée.</p>
<h2>Vers une « unité des fronts »</h2>
<p>Nous sommes entrés en territoire inconnu, car les <a href="https://theconversation.com/quelle-strategie-israelienne-pour-gaza-216050">objectifs politiques et militaires israéliens n’ont pas été définis de façon claire</a>, ce qui rend cette guerre de vengeance différente de toutes les opérations israéliennes précédentes contre le Hamas, que ce soit en termes de durée, d’objectifs ou de nombre de victimes des deux côtés.</p>
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<p>La rhétorique des responsables israéliens, dont certains ont nié l’existence de civils innocents à Gaza, <a href="https://news.yahoo.com/israeli-president-says-no-innocent-154330724.html">comme l’a fait le président de l’État hébreu</a>, a oscillé entre une position maximaliste et minimaliste, allant de l’appel à une occupation totale de Gaza <a href="https://www.lapresse.ca/international/2023-10-15/israel-et-le-hamas-en-guerre/l-occupation-de-gaza-par-israel-serait-une-grave-erreur-selon-biden.php">malgré les avertissements du président américain</a> à la création d’une zone tampon et à la « simple » destruction de l’infrastructure du Hamas.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1716804959881343181"}"></div></p>
<p>Le 7 octobre, au moment où le Hamas déclenchait son opération sans précédent, Mohammed Deif, le commandant militaire de sa branche armée a <a href="https://fr.timesofisrael.com/liveblog_entry/le-commandant-du-hamas-a-gaza-exhorte-les-arabes-israeliens-et-les-etats-voisins-a-prendre-les-armes/">appelé</a> tous les Arabes et musulmans et, spécialement, l’Iran et les États et organisations qu’il domine, à se lancer dans une guerre totale contre Israël. Il a cité, dans cet ordre, le Hezbollah libanais, l’Iran, le Yémen, les milices chiites irakiennes et la Syrie. Il a proclamé ce jour comme « celui où votre résistance contre Israël converge avec la nôtre », dans ce que l’on appelle <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1334129/le-hezbollah-consacre-lunite-des-fronts-.html">« l’unité des fronts »</a>, qui est une stratégie de dissuasion initiée par le Hezbollah.</p>
<p>Cette stratégie de dissuasion consiste à coordonner, politiquement et militairement, les réponses de toutes les milices mandataires de l’Iran dans la région et à se rassembler pour se soutenir mutuellement si l’une d’entre elles est attaquée. La multiplicité des fronts dominés par les milices par procuration de l’Iran peut dissuader les adversaires de Téhéran de passer à l’action… ou au contraire accélérer la descente de la région dans un chaos total.</p>
<h2>Tensions majeures à la frontière libanaise</h2>
<p>Après le 7 octobre, la situation sécuritaire s’est rapidement détériorée à la frontière libanaise d’Israël, du fait d’escarmouches de plus en plus intenses entre Tsahal et le Hezbollah.</p>
<p>De plus, deux nouveaux éléments intéressants sont apparus sur le front libanais. Pour la première fois depuis la fin de la guerre civile, nous avons assisté à la réémergence « temporaire » des forces Al-Fajr, la branche militaire de la Jamaa Islamiya. Cette milice libanaise islamiste sunnite, qui a été dissoute en 1990, a annoncé qu’elle participait aux hostilités au-delà des frontières libanaises israéliennes « en défense de la souveraineté libanaise, de la mosquée Al Aqsa et en solidarité avec Gaza et la Palestine ». Le 29 octobre, elle a <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1355189/israel-intensifie-son-offensive-contre-gaza-internet-en-cours-de-retablissement-dans-lenclave-j-23-de-la-guerre-israel-hamas.html">lancé des missiles depuis le Liban vers Kiryat Shmona, dans le nord d’Israël</a>. Cette milice combat de façon quasi-indépendante du Hezbollah (même s’il existe une coordination militaire entre les deux organisations).</p>
<p>En outre, le <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1354234/le-hezbollah-entraine-le-liban-dans-la-guerre-armee-israelienne.html">Hamas et le Jihad islamique palestinien au Liban</a> ont publié des communiqués assumant l’entière responsabilité de plusieurs attaques contre Israël. Ils ont lancé ces attaques depuis les territoires libanais, rappelant les années où le sud du Liban était dominé par les activités militaires de l’OLP palestinienne (à partir de 1969), au point d’être surnommé <a href="https://www.naharnet.com/stories/en/300905">« Fatah Land »</a>.</p>
<p>Leur participation aux hostilités est encore limitée, mais elle est importante en termes symbolique. Il est clair que le Hezbollah coordonne les activités de toutes les milices opérant à la frontière libanaise pour envoyer un message clair : la zone est ouverte à toutes les factions islamistes et non islamistes, invitées à se joindre, même symboliquement, à la lutte contre Israël dans le but d’exprimer leur solidarité avec Gaza. En d’autres termes, le Hezbollah déclare que ce combat n’est pas sectaire, mais qu’il unit les musulmans et concerne tous les Arabes et les musulmans.</p>
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</figure>
<p>Ce message d’unité musulmane contre Israël intervient après des années de sectarisation du Moyen-Orient. Le Hezbollah n’a mené que des attaques limitées contre Israël depuis la fin de la guerre israélo-libanaise de 2006, et est <a href="https://www.frstrategie.org/programmes/observatoire-du-monde-arabo-musulman-et-du-sahel/consequences-lintervention-militaire-hezbollah-syrie-sur-population-libanaise-chiite-rapports-avec-israel-2017">intervenu militairement en Syrie pour appuyer le régime de Damas</a>, combattant alors dans le camp opposé au Hamas, lequel s’était porté au soutien du camp anti-Assad.</p>
<p>Cette prise de position avait valu au Hezbollah de devenir très impopulaire aux yeux des populations sunnites de la région. En se joignant à la lutte contre Israël, le Hezbollah se réaffirme aux yeux de l’ensemble des Arabes de la région non pas en tant qu’acteur sectaire, mais plutôt en tant que groupe révolutionnaire islamique qui vise à mettre fin à l’arrogance israélienne.</p>
<p>Ce recadrage correspond à l’image qu’il se faisait de lui-même. Le Hezbollah se considère en effet comme un modèle pour le Hamas et d’autres forces islamiques qui luttent contre Israël. Malgré leurs divergences sur la guerre en Syrie, ils ont restauré leurs relations en août 2007 et les hauts commandants du Hamas, comme <a href="https://youtu.be/pgjiAF98s_s?si=VakJEkLE1cxkRhwc">Ismaël Haniyeh</a> (le chef du bureau politique du Hamas) et <a href="https://youtu.be/Hje4sfEmv0M?si=5gzcb-0hlOfjJy3z">Yahia Sinwar</a> (chef du bureau politique du Hamas à Gaza), ont publiquement remercié l’Iran pour son aide précieuse en matière de financement, de logistique et d’approvisionnement en armes.</p>
<h2>Le rôle des Houthis du Yémen</h2>
<p>L’attaque du Hamas est survenue à un moment au Moyen-Orient où les États-Unis ont tenté d’étendre les <a href="https://www.lepoint.fr/monde/israel-qu-est-ce-que-les-accords-d-abraham-10-10-2023-2538807_24.php">accords de paix d’Abraham</a> (qui ont permis ces dernières années, un rapprochement entre Israël et plusieurs États arabes, sous la férule de Washington) à <a href="https://theconversation.com/rapprochement-arabie-saoudite-israel-le-difficile-pari-de-washington-213139">l’Arabie saoudite</a>.</p>
<p>Ces accords, qui visent à établir les bases d’une nouvelle architecture de sécurité au Moyen-Orient afin d’assurer une meilleure sécurité régionale aux alliés des États-Unis, <a href="https://www.iris-france.org/179388-hamas-israel-quelles-consequences-diplomatiques-et-securitaires-au-moyen-orient/">sont désormais menacés</a>, et la normalisation entre Israël et Riyad <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/09/attaque-du-hamas-le-rapprochement-entre-israel-et-l-arabie-saoudite-a-l-epreuve-de-la-guerre_6193318_3210.html">semble à présent une perspective fort improbable</a>.</p>
<p>L’échec annoncé de ce réchauffement est d’autant plus dommageable pour Washington que les Chinois ont, il y a quelques mois, enregistré un succès diplomatique majeur en <a href="https://theconversation.com/iran-arabie-saoudite-un-compromis-diplomatique-sous-legide-de-pekin-201828">négociant une détente entre l’Arabie saoudite et l’Iran</a>, après de longues années de soutien de Téhéran aux milices yéménites houthies qui combattaient l’Arabie saoudite au Yémen. Dans le cadre de ce rapprochement entre Riyad et Téhéran, des <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230920-guerre-au-y%C3%A9men-apr%C3%A8s-des-entretiens-positifs-les-rebelles-houthis-ont-quitt%C3%A9-riyad">pourparlers se sont tenus entre les houthis et les Saoudiens</a> pour soutenir le processus de paix au Yémen.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1715667908280406330"}"></div></p>
<p>Les <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2018-2-page-17.htm">Houthis</a> sont une autre partie de l’axe iranien dans la région. Leur ascension en tant qu’acteur politique et militaire yéménite les a enhardis. Ils ont déclaré qu’ils étaient <a href="https://www.aa.com.tr/en/middle-east/yemen-rebels-threaten-to-join-hamas-attack-on-israel-if-us-intervenes-in-conflict/3014839">prêts à se joindre au Hamas dans une guerre totale contre Israël</a> pour défendre Gaza et la mosquée Al-Aqsa. En guise de démonstration de force, ils ont lancé le 19 octobre trois missiles de croisière et des drones qui ont été <a href="https://www.opex360.com/2023/10/20/le-navire-americain-uss-carney-a-intercepte-des-missiles-et-des-drones-lances-depuis-le-yemen/">interceptés par un destroyer américain en mer Rouge</a>. Selon les États-Unis, ces missiles se dirigeaient « potentiellement vers Israël ». L’attaque est en soi symbolique, mais elle envoie un message politique fort qui réaffirme la primauté stratégique des liens des Houthis avec <a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2022/10/Asia-Focus-185.pdf">« l’Axe de la résistance »</a> soutenu par l’Iran et signale la volonté de la milice de s’engager militairement dans des guerres ou des tensions régionalisées ou internationalisées.</p>
<p>Cela a été clairement défini dans le <a href="https://youtu.be/3o81HN19Uic?si=f88VMotBX40E8izo">discours de leur chef</a>. Les Houthis disposent d’un formidable <a href="https://www.mei.edu/publications/houthis-red-sea-missile-and-drone-attack-drivers-and-implications">arsenal de missiles à longue portée</a> qui seraient capables de frapper Israël. Tous ont été soit saisis à l’État yéménite en 2014, soit acheminés par l’Iran.</p>
<p>Les attaques de missiles lancées par les Houthis ont coïncidé avec d’autres <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1354940/les-forces-americaines-attaquees-16-fois-en-syrie-et-en-irak-depuis-le-debut-du-mois.html">attaques menées par des milices chiites soutenues par l’Iran</a>, visant des bases américaines et des garnisons accueillant des soldats américains en Irak et en Syrie. L’Iran a stratégiquement externalisé le risque de confrontation directe avec les États-Unis et Israël via son <a href="https://www.defense.gouv.fr/dems/syntheses-documentaires-supprimer/axe-resistance-lexpansionnisme-regional-iranien">Axe de la Résistance</a> : quand de telles attaques ont lieu, sa responsabilité n’est pas directement engagée. Ce positionnement accroît son influence dans les négociations directes et indirectes ainsi que son influence régionale.</p>
<h2>Une guerre totale est-elle possible ?</h2>
<p>Pour conclure, tous les acteurs semblent marcher sur une corde suspendue au-dessus du cratère d’un volcan. Ils attendent tous d’en savoir plus sur les objectifs politiques et militaires de la guerre israélienne à Gaza et de pouvoir évaluer les capacités de résistance du Hamas à l’attaque dont il fait l’objet.</p>
<p>Si l’armée israélienne enregistre des pertes importantes, la position stratégique de l’axe soutenu par l’Iran s’améliorera, sans frais pour Téhéran mais à un coût terrible pour la population de Gaza et à Hamas.</p>
<p>Mais que se passerait-il si Israël menaçait l’existence même du Hamas après une invasion terrestre ? Les intenses escarmouches aux frontières libanaises d’Israël se transformeraient-elles alors en une guerre à part entière ? L’Iran se joindrait-il aux hostilités ? Et si Israël se sentait renforcé par le soutien inconditionnel de l’Occident à son droit à se défendre et considérait cette solidarité comme un blanc-seing pour frapper l’Iran, dont l’ambition nucléaire effraie les responsables de l’État hébreu ? Dans un tel cas de figure, et face à la riposte de Téhéran, les États-Unis utiliseront-ils leurs destroyers dans la région de la Méditerranée orientale pour attaquer l’Iran et défendre Israël ?</p>
<p>À ce stade, impossible d’apporter de réponse tranchée à toutes ces questions. Nous pouvons seulement constater que la région semble se diriger vers une nouvelle phase où la sectarisation des politiques étrangères des acteurs régionaux sera reléguée au second plan, la détente entre l’Iran et l’Arabie saoudite se consolidera, la question palestinienne s’imposera pour longtemps au premier plan, et les milices mandataires iraniennes s’affirmeront de plus en plus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216306/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hussein Abou Saleh ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Iran rechigne à entrer directement en guerre contre Israël, mais mobilise volontiers les Houthis du Yémen et les milices chiites d’Irak, ainsi que le Hezbollah libanais.Hussein Abou Saleh, Docteur associé au Centre d'études et de recherches internationales (CERI), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2142912023-09-28T19:13:50Z2023-09-28T19:13:50ZSe réorganiser dans un contexte extrême : les leçons des forces spéciales américaines<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/550002/original/file-20230925-27-g4bkc2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=42%2C27%2C979%2C637&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Intervenant aux côtés de l’armée conventionnelle, environ 3500 hommes des forces spéciales opéraient en Irak en 2004.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/us-army-usa-special-forces-armed-with-colt-556-mm-m16a2-assault-rifles-scan-7da4d8">Picryl</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En 2004, l’Irak est une poudrière. Un an après l’invasion américaine qui renversa le régime de Saddam Hussein, la guerre est gagnée sur le terrain mais la paix se révèle amère. La rébellion des populations, l’influence d’Al-Qaida ou encore les réseaux mafieux entraînent chaque jour un peu plus le pays vers le chaos. Dès le début de cette période d’instabilité croissante, et aux côtés des forces conventionnelles, les forces spéciales américaines – environ 3,500 hommes regroupés au sein de la Task Force 714 (TF714) – vont se trouver à la pointe de la lutte contre ces réseaux.</p>
<p>Face à une issue du conflit plus qu’incertaine, le général Stanley McChrystal, à la tête de la TF714, va dans un premier temps solliciter davantage les hommes et les machines pour passer d’une dizaine à une vingtaine de raids par mois. Toujours à la pointe du dispositif, ces raids atteignent les têtes pensantes et les lieutenants des réseaux terroristes avec l’objectif de dégrader les structures hiérarchiques de l’ennemi et le désorganiser. C’est une véritable performance organisationnelle. Et pourtant, rien n’y fait : la violence augmente, la vitesse de récupération des insurgés surprend, les infiltrations de fedayin s’intensifient et les autorités locales sont débordées.</p>
<p>Devant ce constat, qui mettra deux ans à se cristalliser dans les esprits des dirigeants, McChrystal va poser une vision qui découle de la conviction longuement murie selon laquelle <a href="https://www.amazon.com/Share-Task-General-Stanley-McChrystal/dp/1591844754/ref=sr_1_4?crid=23PRC3ZI09DFS&keywords=stanley+mcchrystal&qid=1695132444&s=books&sprefix=stanley+mcchrystal%2Cstripbooks-intl-ship%2C251&sr=1-4">il faut soi-même fonctionner en réseau pour battre un réseau</a>. C’est en effet la première fois dans l’histoire qu’une insurrection capitalise sur le numérique. Pour s’organiser, les insurgés et les terroristes internationaux laissent de côté la structure hiérarchique traditionnelle pour lui préférer le réseau. Dans ce réseau, les liens sont souples et changeants, la prise de décision et l’action sont décentralisées, les sources de financement sont multiples et la communication s’effectue à la vitesse de la bande passante.</p>
<h2>De 20 à 300 raids par mois</h2>
<p>Pour espérer prendre de vitesse l’adversaire, les forces spéciales doivent donc radicalement changer leur façon de s’organiser. Or, l’armée américaine doit son existence juridique à une loi du Congrès : ses missions, son organigramme, son recrutement, et son financement dépendent tous du droit américain. Changer la structure de TF714 n’est donc pas une option pour le Général McChrystal. Quand bien même le Congrès accepterait de revisiter l’organisation de l’armée, le temps nécessaire se compterait en années pour qu’une hypothétique loi passe. Impensable.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Les forces d’opérations spéciales irakiennes effectuent un exercice de sauvetage d’otages à Bagdad, en Irak" src="https://images.theconversation.com/files/550004/original/file-20230925-21-gt7fhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550004/original/file-20230925-21-gt7fhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550004/original/file-20230925-21-gt7fhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550004/original/file-20230925-21-gt7fhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550004/original/file-20230925-21-gt7fhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550004/original/file-20230925-21-gt7fhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550004/original/file-20230925-21-gt7fhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les forces d’opérations spéciales irakiennes effectuent un exercice de sauvetage d’otages à Bagdad, en Irak.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Isof-1.jpg">Halasadi/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour accompagner ses forces dans leur mutation, pour que ses unités soient plus rapides, plus agiles et autonomes, fassent circuler librement l’information, <a href="https://www.amazon.com/Transforming-US-Intelligence-Irregular-War/dp/1626167656/ref=sr_1_4?qid=1695132316&refinements=p_27%3ARichard+Shultz&s=books&sr=1-4&text=Richard+Shultz">récoltent et partagent le renseignement</a>, le général n’a qu’un levier de changement : la culture. Autrement dit, c’est en faisant <a href="https://www.amazon.com/Team-Teams-Rules-Engagement-Complex/dp/1591847486/ref=sr_1_1?crid=1RB0A3HDY7858&keywords=teams+of+teams&qid=1695131985&s=books&sprefix=teams+of+team%2Cstripbooks-intl-ship%2C176&sr=1-1">évoluer les relations au sein de la communauté</a> (culture) plutôt qu’en changeant l’organigramme (structure) qu’il sera possible d’imiter les comportements d’un réseau, et peut-être de battre Al-Qaida et les insurgés à leur propre jeu en Irak.</p>
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<p>Or, la matrice de l’armée américaine, y compris celle des forces spéciales, est celle du modèle bureaucratique fondé schématiquement sur la hiérarchie, la division du travail, le réductionnisme, la spécialisation, le respect formel de règles écrites, la distinction décision-exécution, le caractère unidirectionnel de l’information qui remonte et celui de la décision qui descend, le tout au service de l’efficience par l’optimisation des moyens.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-renaissance-de-larmee-americaine-apres-la-guerre-du-vietnam-un-cas-decole-pour-toutes-les-organisations-212069">La renaissance de l’armée américaine après la guerre du Vietnam, un cas d’école pour toutes les organisations ?</a>
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<p>Pour fonctionner en réseau, McChrystal va alors pratiquer une autonomisation (empowerment) maximale des unités à l’intérieur de fenêtres de tir étroites de 24 heures. Tous les jours à la même heure, des centaines puis des milliers d’acteurs vont se connecter pour partager le renseignement et revisiter les priorités. Fort de cette information, les unités vont agir en autonomie et mener toutes les actions que la situation sur le terrain exige, selon elles, sans autorisation de la chaîne hiérarchique. En se connectant à d’autres unités voire à d’autres entités à l’intérieur du gouvernement américain (DIA, CIA, FBI…), ces unités vont à la fois alimenter le flux d’information en temps réel et en même temps bénéficier de l’information issue d’autres points de contact, le tout pour agir dans l’instant.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Les forces d’opérations spéciales de l’US Air Force et un pilote secouru après une mission de sauvetage réussie" src="https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=434&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=434&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550007/original/file-20230925-17-4me52s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=434&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les forces d’opérations spéciales et un pilote secouru après une mission de sauvetage réussie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/us-air-force-usaf-special-operation-forces-sof-personnel-and-a-rescued-us-military-5ce9bf">Picryl</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Pour éviter que les cellules autonomes ne transforment l’organisation en anarchie, le temps de décision autonome est court et l’espace de décision est très clair (zones de « no go » etc.). Ce fonctionnement va libérer les énergies et les actions. De 10-20 raids par mois, TF714 va en exécuter près de 300 par mois à partir de 2006, et ce pendant plusieurs années, sans moyens supplémentaires. Étonnamment, non seulement le nombre d’actions entreprises va croître, mais leur qualité également. En témoignent l’exploitation et la dissémination accélérées du renseignement entre les nodules du réseau américain, en temps réel, ce qui enrichit « l’intelligence » distribuée entre les unités et donc leur vitesse et pertinence dans l’action.</p>
<h2>Capacités apprenantes</h2>
<p>Le pilotage de cette transformation illustre les <a href="https://onesearch.wesleyan.edu/discovery/fulldisplay/alma9932145040903768/01CTW_WU:CTWWU">capacités apprenantes de la TF714</a> pourtant sous contraintes extrêmes : </p>
<ul>
<li><p>un leadership qui commence par changer lui-même, en profondeur, puis qui porte avec passion une vision renouvelée en adoptant les comportements qui en découlent (accent sur la qualité de la relation, sur l’importance de la confiance, de l’humilité) ; </p></li>
<li><p>(faire) admettre l’insuffisance d’actions pourtant exécutées à la perfection ; </p></li>
<li><p>tester de nouvelles approches et effectuer une réinitialisation du modèle d’efficacité dans le nouvel environnement en conservant et diffusant les méthodes qui donnent des résultats ; </p></li>
<li><p>ne pas sanctionner les expérimentations qui échouent ou déçoivent, les diffuser pour éviter de les répéter ; </p></li>
<li><p>accepter de constamment faire évoluer ses certitudes et ses schémas mentaux face au réel (« ground truth ») ; </p></li>
<li><p>identifier les forces dans l’organisation et s’en inspirer ; </p></li>
<li><p>repérer les élastiques identitaires qui réactivent les réflexes comportementaux et sont des freins à l’adoption de la nouvelle vision ; </p></li>
<li><p>ou encore, passer du paradigme dans lequel l’information est le pouvoir à celui dans lequel le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9jRkACywckE">partage est le pouvoir</a>.</p></li>
</ul>
<p>Cette transformation organisationnelle, intégralement accomplie sous le feu, <em>in</em> <em>situ</em>, de manière expérimentale et sans toucher à une ligne ou une case de l’organigramme, constitue un cas d’école : il montre en effet que pour se transformer et s’adapter à l’environnement il ne s’agit pas d’écarter les changements structurels de sa boite à outils, mais qu’il s’agit d’y inclure également la culture managériale et le leadership comme puissants adjuvants au service d’une démarche stratégique renouvelée.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/managers-et-si-vous-vous-inspiriez-des-methodes-de-larmee-205888">Managers, et si vous vous inspiriez des méthodes de l’armée ?</a>
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</p>
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<img src="https://counter.theconversation.com/content/214291/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Misslin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans l’Irak déstabilisé par la chute de Saddam Hussein en 2003, les unités d’élite américaines ont transformé leur culture – sans toucher à l’organigramme – pour tenter de répondre au chaos.Thomas Misslin, Doctorant, Sciences de Gestion, Dauphine-PSL - Chef de projet, Executive Education, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2073392023-06-13T17:57:44Z2023-06-13T17:57:44ZL’État islamique est-il défait ?<p><em>Si depuis la perte de ses fiefs irakien et syrien, Mossoul et Raqqa, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/etat-islamique-20355">l’État islamique</a> n’administre plus aucun territoire, l’organisation, dont se réclament plusieurs entités terroristes en <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/mali/le-point-sur-les-franchises-de-Daech-qui-frappent-en-afrique_4354447.html">divers points de la planète</a>, continue d’inquiéter. En témoigne un <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/02/1132162">rapport onusien</a> présenté au Conseil de sécurité en 2022 : la <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20220525-afghanistan-l-organisation-%C3%A9tat-islamique-revendique-quatre-attentats-%C3%A0-la-bombe">reprise d’attentats dans ses anciens bastions</a> et son extension sur le continent africain, notamment <a href="https://fr.africanews.com/2023/04/21/au-sahel-le-groupe-etat-islamique-etend-sa-predation/">au Sahel</a>, révèlent entre autres la persistance de l’idéologie de l’État islamique. Dans son nouvel ouvrage <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/l-etat-islamique-est-il-defait/#">« L’État islamique est-il défait ? »</a>, qui vient de paraître aux Éditions CNRS, Myriam Benraad, politologue française spécialiste du monde arabe, professeure en relations internationales à l’Université internationale Schiller et chercheuse associée à l’Institut de Recherches et d’Études sur les Mondes Arabes et Musulmans (IREMAM, unité mixte de recherche qui associe le CNRS et l’Université d’Aix-Marseille) dresse une typologie des facteurs de la défaite de l’organisation jihadiste</em>. </p>
<hr>
<p>« La nuit dernière, sous ma direction, les forces armées américaines, dans le nord-ouest de la Syrie, ont mené avec succès une opération de contre-terrorisme visant à protéger les citoyens américains et nos alliés, et à faire du monde un lieu plus sûr. Grâce à la compétence et au courage de nos forces, nous avons supprimé du champ de bataille Abou Ibrahim al-Hachimi al-Qouraychi, leader de l’État islamique ». </p>
<p>Dans <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2022/02/03/statement-by-president-joe-biden-3/">cette adresse du 3 février 2022</a>, Joe Biden prenait acte de la liquidation d’un des dirigeants jihadistes les plus recherchés au monde. Le président américain se gardait néanmoins d’évoquer une « défaite » de l’État islamique. </p>
<p>Depuis son apparition en Irak à l’automne 2006, plusieurs de ses commandants ont en effet été tués, par trois administrations successives, sans jamais que la mort d’un seul de ces hommes ne conduise à la dissolution définitive du mouvement : <em>[Al-Baghdadi en 2019, puis Al-Qouraychi en février 2022]</em>, puis Abou Hassan, mort quelques mois plus tard en octobre 2022 lors d’une opération de l’Armée syrienne libre dans la province de Deraa, lui-même remplacé par Abou Hussein, vétéran du jihad irakien. Cela étant, les pertes et les destructions endurées par les jihadistes ont été si lourdes au cours des dernières années qu’ils n’ont jamais pu reprendre la main. Dès lors, peut-on raisonnablement parler de défaite de l’État islamique ? </p>
<p>Cette question ne manquera pas d’interpeller les lecteurs, profanes ou fins connaisseurs, tant ce mouvement a fait couler d’encre ces dernières années. Au-delà des réponses hétérogènes que l’on serait tenté d’y apporter, il faut revenir sur la notion de « défaite » pour poser le décor.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/guerre-contre-le-terrorisme-comment-sortir-de-la-spirale-sans-fin-de-la-vengeance-204862">Guerre contre le terrorisme : comment sortir de la spirale sans fin de la vengeance ?</a>
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<p>Relevons qu’il n’existe aucune définition fixe du terme dans le champ des études stratégiques, et en science politique plus largement. Une « défaite » n’est-elle que militaire et physique ? Revêt-elle au contraire une connotation plus symbolique ? De plus, pour s’ancrer dans la durée, une défaite ne doit-elle pas s’assortir de transformations sociopolitiques, économiques et culturelles plus profondes ? </p>
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<p>S’interroger sur la « nature » de la défaite de l’État islamique, pour reprendre <a href="https://www.routledge.com/Understanding-Victory-and-Defeat-in-Contemporary-War/Angstrom-Duyvesteyn/p/book/9780415481649">l’approche théorique développée par Jan Angstrom et Isabelle Duyvesteyn</a>, permet sans doute de repositionner un certain nombre de débats clés, en particulier au moment où les doutes grandissent quant à l’avenir des opérations de contre-insurrection au Moyen-Orient.</p>
<p>Parmi les mouvances jihadistes ayant altéré le cours de l’histoire, il n’est pas excessif de dire que l’État islamique fait figure de chef de file. Partout où il s’est établi, puis déployé, de son terreau moyen-oriental jusqu’en Asie et en Afrique, il a meurtri les sociétés exposées à ses actes, lorsqu’il ne les a pas tout simplement dévastées.</p>
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<p>Chronologiquement, l’État islamique a émergé au croisement d’une trajectoire irakienne brutalisée et d’une transhumance militaire à travers une partie importante du monde musulman. Puisant son inspiration et son orientation dans un registre salafiste-jihadiste, le groupe terroriste n’a jamais eu pour but de réformer les systèmes établis mais plutôt de les anéantir au nom de son utopie.</p>
<p>À ce titre, sa défaite ne fait aucun doute. Tout entier lancé dans une conquête internationale, l’État islamique a échoué à s’ancrer dans l’espace. De la même manière, ses attaques spectaculairement meurtrières ont fini par se retourner contre lui. Ses capacités et ressources sont ainsi fortement diminuées. Assiégé et écrasé dans ses bastions irakien et syrien, l’État islamique a été pourchassé partout où il sévissait. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture du livre « L’État islamique est-il défait ? »" src="https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu du livre « L’État islamique est-il défait ? » paru aux éditions CNRS le 1ᵉʳ juin 2023.</span>
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<p>Pour autant, aborder la problématique de sa défaite implique de ne pas céder au piège d’une lecture manichéenne, ou d’une simplification de l’idée même de défaite. L’État islamique est vaincu, certes, mais n’oublions pas que le phénomène surpasse sa seule dimension armée. </p>
<p>Il est aussi une militance intergénérationnelle dont les racines remontent au jihad antisoviétique des années 1980, une tentation nihiliste détruisant aussi bien la géographie que l’altérité. Par-delà sa défaite, l’État islamique a surtout su produire du temps, s’implanter aux marges de sociétés en proie à de violents conflits, et transcender sa base partisane première.</p>
<p>Pour mesurer au plus près sa défaite, il faut se méfier en outre des récits officiels et médiatiques en vogue, des perspectives trop statiques, envisager la déroute des jihadistes dans ce qu’elle contient de tangible, d’objectif, de durable. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207339/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des années durant, Daech a terrorisé les populations syrienne et irakienne, et commis de nombreux attentats en Europe, en Afrique, en Asie. Aujourd’hui, peut-on dire que la nébuleuse a disparu ?Myriam Benraad, Responsable du Département Relations internationales & Diplomatie / Schiller International University - Professeure / Institut libre d'étude des relations internationales et des sciences politiques (ILERI) - Chercheure associée / IREMAM (CNRS/AMU), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2008652023-03-21T00:08:46Z2023-03-21T00:08:46ZVingt ans après l’invasion américaine, l’Irak peut-il enfin connaître une paix durable ?<p><em>Il y a 20 ans, le 20 mars 2003, démarrait l’invasion de l’Irak par les États-Unis. Ce ne fut ni la première ni la dernière guerre à ravager cet État né en 1921. Dans <a href="http://www.lecavalierbleu.com/livre/lirak-dela-toutes-guerres-2/">« L’Irak par-delà toutes les guerres »</a>, paru le 16 février 2023 aux éditions Le Cavalier Bleu, Myriam Benraad, politologue spécialiste du Moyen-Orient, professeure à l’Université internationale Schiller et chercheure associée à l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (IREMAM), revient à la fois sur les décennies ayant précédé cette invasion et sur les années suivantes, marquées par la guerre civile, l’émergence de l’État islamique et, après la défaite de celui-ci, la difficile recherche d’un système politique susceptible d’empêcher le pays de basculer à nouveau dans un cycle d’extrême violence.</em></p>
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<p>Depuis l’offensive aussi spectaculaire que meurtrière de l’État islamique en 2014, puis la <a href="https://www.reuters.com/article/irak-ei-idFRKBN1E30DA-OFRTP">défaite du groupe jihadiste sous les assauts de la coalition internationale</a> entre 2017 et 2018, l’Irak continue d’occuper les feux d’une actualité aussi instable que cruelle. De fait, le pays meurtri par plusieurs décennies de conflits successifs, de même que par la <a href="https://www.undp.org/iraq/publications/impact-Covid-19-iraqi-economy">crise sanitaire provoquée par le Covid-19</a> sur une période plus récente, reste prisonnier d’une violence incessante et, il faut le reconnaître, difficilement déchiffrable si l’on se place du point de vue de l’observateur profane. Les Irakiens ont rejoint la catégorie de ces peuples broyés par les aléas d’un présent incertain et d’une guerre multiforme dont personne n’entrevoit véritablement la fin, bridant tout effort de prospective sur le long terme et toute explication satisfaisante des ressorts et dynamiques de la violence qui, ci et là, continue d’éclater.</p>
<p>Parallèlement à d’autres configurations sanglantes au Moyen-Orient, l’Irak continue ainsi de jouer sa partition malheureuse sur un échiquier régional et international toujours plus dense, complexe et agité. Or, si la période post-baasiste s’est singularisée par des degrés extrêmes de brutalité, il ne faut pas perdre de vue que l’Irak a connu beaucoup d’autres phases de conflictualité. La notion même de « violence » – comprise comme le résultat de l’éclatement d’un système social donné ou d’une fragilisation des normes de fonctionnement et des valeurs d’un groupe – n’a cessé de marquer toute l’histoire irakienne, Bagdad renvoyant encore de nos jours l’image d’une coercition absolue, quasi banalisée. La crise profonde amorcée au printemps 2003 fait en réalité suite à des décennies de déchirures dont on observe encore les conséquences funestes. Le <a href="https://www.senat.fr/questions/base/1998/qSEQ980709504.html">régime des sanctions imposé par les Nations unies à l’Irak dans les années 1990</a> fut, par exemple, l’un des plus sévères jamais infligés à un État dans toute l’histoire moderne, précédé par la guerre du Golfe (1990-1991) et la longue confrontation avec l’Iran (1980-1988).</p>
<p>L’exercice rétrospectif auquel on se laisse prendre n’en présente pas moins certaines limites. De fait, si des points de continuité lient indiscutablement la période d’occupation (2003-2011) et ses lendemains meurtriers (2011-2022) à d’autres épisodes douloureux de la trajectoire irakienne, chacune de ces phases est caractérisée par ses spécificités et logiques propres.</p>
<p>Au-delà de l’image d’Épinal à laquelle l’Irak renvoie souvent, celle d’un pays plongé dans les affres d’une violence omniprésente et continuelle, son histoire ne saurait se résumer à ce seul continuum. Avant de sombrer dans le chaos, l’Irak fut en effet l’épicentre d’une vie intellectuelle et politique vibrante. Durant des décennies, une société civile s’y est développée et celle-ci n’a d’ailleurs jamais disparu ; au contraire, défiant l’adversité, elle tente aujourd’hui de se reconstituer, comme ont pu l’illustrer les <a href="https://www.france24.com/fr/20191101-irak-sistani-mahdi-contestation-populaire-entree-deuxieme-mois">manifestations populaires de 2019</a>.</p>
<p>À partir des années 1920, l’Irak s’est doté des institutions réputées parmi les plus sophistiquées au Moyen-Orient, renfermant d’importants espaces d’expression autonome. Le pays a vu l’éclosion de multiples mouvements sociaux, tantôt tolérés, tantôt réprimés, mais qui dans l’ensemble ont bénéficié d’une réelle indépendance et produit un authentique sens contestataire parmi les civils. L’une des marques de ces mouvements a d’ailleurs toujours été leur sociologie plurielle, regroupant toutes les composantes ethniques et religieuses irakiennes autour d’idéaux et de revendications partagés.</p>
<p>On peut considérer que l’Irak a traversé trois séquences historiques décisives, qui ont profondément façonné son destin et son identité. La première renvoie à la <a href="https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/adel-bakawan-cent-ans-lirak-un-etat-nation.">fondation du pays en 1921</a>. À l’époque, l’Irak, dont le nom remonte à l’Antiquité, est un État embryonnaire, faiblement structuré et au corps social fragmenté.</p>
<p>Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les Britanniques ont reçu un mandat pour administrer les trois provinces ottomanes de Bagdad, Mossoul et Bassora, qu’ils décident de réunir au sein d’une même entité géographique tout en instaurant une monarchie placée sous la coupe d’un roi étranger. Mais la construction nationale irakienne ne va pas de soi. De fait, le pays est marqué par une importante diversité sociologique. Le poids des particularismes qui l’habitent est d’autant plus fort que la stratégie coloniale privilégie le monarque et Bagdad au détriment des périphéries, ou <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2007-1-page-17.htm">« marges dissidentes »</a> pour reprendre une expression proposée par l’historien Hamit Bozarslan. Chiites et Kurdes, mais aussi les classes les plus pauvres, s’opposent au pouvoir central. De même, au-delà des allégeances communautaires, une tension oppose les technocrates et la bourgeoisie commerçante et urbaine à un petit peuple des campagnes dépossédé et soustrait à l’autorité étatique.</p>
<p>Or, à mesure que s’accentuent l’exode rural et l’urbanisation, les Irakiens développent de nouveaux liens et un sentiment d’appartenance commune, notamment par l’entremise d’un système éducatif moderne. De manière inattendue, ils se réapproprient cet État national établi par la puissance coloniale. Cette (re)conquête s’opère précisément au nom du nationalisme qui se déploie et s’exprime lors d’importants soulèvements. <a href="https://books.openedition.org/editionscnrs/1454?lang=fr">En 1920 a ainsi lieu la Grande Révolution irakienne</a> qui mobilise toute la population contre la Couronne et porte en germe une nouvelle nation. <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/irak-declaration-1932.htm">En 1932, le pays accède formellement à l’indépendance</a>, certes relative car elle n’efface pas l’ampleur des divisions, y compris parmi des nationalistes écartelés entre une vision panarabe de la lutte et une tendance irakienne qui promeut une nation contenue au sein de ses frontières. La montée des inégalités et la multiplication des troubles conduit <a href="https://www.monarchiesetdynastiesdumonde.com/pages/actualites-des-monarchies-du-monde/moyen-orient/irak/le-14-juillet-1958-le-rideau-s-abaissait-sur-la-monarchie-irakienne.html">au renversement, en juillet 1958, de la monarchie</a> par un groupe d’officiers de l’armée qui proclament la République d’Irak et instaurent un régime militaire. Les réformes sociales alors mises en œuvre se révèlent un échec en aboutissant à une série de putschs. Le parti Baas fomente un coup d’État en 1963 qui culmine avec une première prise de pouvoir, puis un second en 1968 qui place Saddam Hussein au sommet de l’État.</p>
<p>S’ouvre dès lors une deuxième séquence de recomposition de l’Irak à travers l’avènement d’une domination extrême, pour ne pas dire totalitaire. Continuellement amoindrie, la société irakienne tente, par divers moyens – de l’opposition clandestine à la passivité désenchantée –, de survivre face à un État-Léviathan de plus en plus écrasant, qui n’a plus rien de comparable avec celui qui avait été créé par les Britanniques quelques décennies plus tôt.</p>
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<p>À l’encontre des rêves nourris par les premières générations de nationalistes, la recherche d’un consensus identitaire a fini par produire un système tyrannique, et non plus le modèle d’une nation triomphante comme Saddam Hussein aspire à la présenter. Au contraire, le régime lance une répression systématique contre toute forme d’opposition, réelle comme imaginée, y compris dans les rangs du parti, régulièrement purgés. Le discours révolutionnaire officiel sert dans les faits à liquider toute dissidence. Parmi ses adversaires se trouvent le Parti communiste, d’une part, et le mouvement indépendantiste kurde, de l’autre, que les baasistes s’emploient à briser par une violente politique d’arabisation.</p>
<p>La mouvance chiite politisée, active dans le sud et dans les quartiers pauvres des villes, est aussi la cible du Baas qui la perçoit comme affidée à l’Iran et à la <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/iran-comment-l-ayatollah-khomeini-a-proclame-la-republique-islamique-d-iran-7900096568">République islamique proclamée en 1979</a>. Pour Saddam Hussein, l’Iran cherche à défaire l’unité nationale de l’Irak en encourageant le confessionnalisme parmi les chiites. Or, sous l’unité déclamée par le dirigeant irakien, devenu « maître des mots », s’esquisse une concentration absolue de l’autorité.</p>
<p>Une troisième séquence est enfin celle au cours de laquelle aux rapports entre le régime et la société se substitue une personnalisation de l’État et son effacement derrière la figure du tyran. Saddam Hussein procède en effet à une destruction des institutions, à laquelle s’ajoutent la guerre contre l’Iran, encore peu étudiée et pourtant fondamentale, et l’échec militaire de l’Irak au Koweït qui exacerbe cette même logique. Proclamant sa victoire face à ses ennemis, internes et externes, le régime finit par récuser ses fondements idéologiques passés au profit d’une véritable prédation visant tout un chacun. <a href="http://www.cms.fss.ulaval.ca/recherche/upload/hei/fichiers/mriessaimichaellessard.pdf">Les années d’embargo qui débutent en 1990</a> et visent à priver le despote irakien de la rente pétrolière et de ses revenus n’affectent pas le régime à proprement dire, mais le figent. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture du livre « L’Irak par-delà toutes les guerres »" src="https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1037&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1037&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1037&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1303&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1303&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1303&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu de « L’Irak par-delà toutes les guerres », paru le 16 février 2023 aux éditions Le Cavalier bleu.</span>
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<p>Les sanctions permettent par ailleurs à Saddam Hussein de se présenter comme le dernier rempart du monde arabo-musulman face à l’impérialisme de l’Occident, et c’est dans le sang que les soulèvements <a href="https://www.liberation.fr/planete/1997/05/14/le-sud-de-l-irak-sous-la-terreur-le-pays-chiite-reste-marque-au-fer-rouge-par-la-feroce-repression-d_205717/">chiite</a> et <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/mars-1988-halabja-la-mort-chimique-2346044">kurde</a> sont écrasés. Exsangue, délégitimé et isolé, le régime adopte un discours communautaire et se retire de ses fonctions régaliennes. Les privations endurées par la population s’instituent en dictature de la nécessité que Saddam Hussein exploite pour parfaire son monopole de la violence et se maintenir au pouvoir. Mais l’embargo porte son coup de grâce à l’Irak, avant le chaos final engendré consécutivement par <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2005-1-page-9.htm">l’invasion américaine de 2003</a> puis l’assaut des jihadistes de l’État islamique une décennie plus tard.</p>
<p>L’ensemble de ces développements ont lourdement pesé sur l’Irak et continuent, à l’évidence, d’influer sur son présent. Malgré la reprise en 2017 du fief jihadiste de Mossoul – deuxième ville d’Irak située sur le Tigre et capitale de Ninive – par les forces irakiennes appuyées par la coalition internationale, et au-delà de nouvelles élections, l’Irak demeure dans une situation d’extrême fragilité. Dans un contexte de grande confusion, caractérisée à la fois par une abondance d’informations et une pénurie de sens, l’histoire mérite un détour critique afin de saisir avec nuance et acuité les enjeux auxquels le pays continue de faire face, et plus encore de dépasser les clichés, lieux communs et idées reçues qui restent légion à son sujet. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200865/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Vingt ans après l’offensive américaine, l’Irak demeure un État instable traversé par de fortes tensions.Myriam Benraad, Responsable du Département Relations internationales & Diplomatie / Schiller International University - Professeure / Institut libre d'étude des relations internationales et des sciences politiques (ILERI) - Chercheure associée / IREMAM (CNRS/AMU), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1741092021-12-23T20:08:24Z2021-12-23T20:08:24ZIrak : le début d’une embellie ?<p>De par sa diversité ethnoreligieuse et sa position géostratégique, l’Irak se trouve fréquemment au centre de l’actualité internationale. Bordé par la Syrie et la Jordanie à l’Ouest, la Turquie au Nord, l’Arabie saoudite au Sud, et l’Iran à l’Est, l’Irak se situe en plein cœur du Moyen-Orient. Étendu sur 438 000 km<sup>2</sup>, le pays compte actuellement 40 millions d’habitants, répartis entre des populations majoritairement kurdes au Nord, sunnites au centre et chiites au Sud, ces derniers représentant environ 60 % de la population, contre 20 % pour chacun des deux autres groupes.</p>
<p>Le <a href="https://repozytorium.amu.edu.pl/bitstream/10593/24649/1/8Luizard--ConflictsandReligionsTheCaseofSyriaandIraq.pdf">facteur ethnoreligieux</a>, à l’origine de conflits récurrents, joue un rôle clé dans le système politique. C’est selon ce critère que sont réparties les positions clés de l’État : le président de la République doit être kurde, le premier ministre chiite, et le chef du Parlement, sunnite. Ces dispositions sont en vigueur depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, mais ne figurent pas dans la Constitution irakienne actuelle datant de 2005.</p>
<p>Après de nombreuses années marquées par de lourds conflits et des tragédies sanglantes, le pays peut entrevoir en cette année 2021 les premiers signes encourageants d’une réconciliation interne et d’un accroissement de son poids régional.</p>
<h2>La perspective d’un nouveau rôle de l’Irak au Moyen-Orient</h2>
<p>Lors de sa <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Le-pape-Francois-Irak-voyage-lhistoire-2021-03-07-1201144344">visite historique</a> en Irak en mars dernier, le pape François a adressé un message de paix au pays et à la région. Face aux <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/05/les-tribulations-des-chretiens-d-irak_6072083_3210.html">crises et conflits</a> auxquels elle a dû faire face, la communauté chrétienne d’Irak, estimée actuellement à environ 400 000 personnes, a vu sa taille diminuée par trois en l’espace de vingt ans. Ce premier voyage d’un pape en <a href="https://www.la-croix.com/Journal/Ninive-berceau-chretien-Mesopotamie-2018-03-31-1100928162">terres de Mésopotamie</a> démontre ainsi <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/08/le-message-d-espoir-du-pape-francois-en-irak_6072337_3232.html">l’espoir</a> de l’atteinte prochaine d’un apaisement et d’un développement durable aux niveaux national et régional.</p>
<p>La tenue à Bagdad le <a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/diplomatie-bagdad-un-sommet-pour-lirak-et-la-region">28 août dernier</a> d’une Conférence régionale sur la coopération et le partenariat des pays voisins de l’Irak illustre la volonté de l’État irakien de se placer au centre de ce nouveau processus moyen-oriental.</p>
<p>Organisé en la présence d’Emmanuel Macron, du président égyptien, du roi de Jordanie et des ministres des Affaires étrangères turc, iranien et saoudien, ce <a href="https://www.la-croix.com/Monde/En-Irak-defis-dun-sommet-regional-historique-2021-08-11-1201170388">sommet historique</a> permet à l’Irak de mettre en avant son importance diplomatique et son image internationale, notamment en matière de lutte contre le terrorisme et de dialogue régional.</p>
<p>Plusieurs événements avaient déjà confirmé la volonté du pays de se poser en possible médiateur dans la région. En avril dernier, la <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1259133/des-officiels-saoudiens-et-iraniens-se-sont-rencontres-a-bagdad-confirme-un-responsable-irakien.html">rencontre à Bagdad</a> entre des officiels saoudiens et iraniens a permis la tenue des premières discussions à ce niveau entre les deux puissances régionales depuis la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/01/03/l-arabie-saoudite-rompt-ses-relations-diplomatiques-avec-l-iran_4841095_3210.html">rupture</a> de leurs relations diplomatiques en 2016. De même, la <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1266473/premiere-visite-dun-chef-detat-egyptien-en-irak-depuis-des-decennies.html">visite</a> du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi en juin dernier a également constitué un événement exceptionnel : jamais un président égyptien ne s’était rendu en Irak depuis trente années.</p>
<p>En matière de lutte contre le terrorisme, les autorités irakiennes, en concertation avec les États-Unis, ont annoncé le 9 décembre dernier la <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20211209-l-irak-officialise-la-fin-de-la-mission-de-combat-des-%C3%A9tats-unis-sur-son-territoire">fin de la mission de combat</a> des forces de la coalition internationale contre Daech. Les quelque 2 500 soldats américains actuellement présents en Irak vont rester sur place pour former et conseiller les forces armées irakiennes. La fin de cette mission marque indéniablement un tournant majeur.</p>
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<figcaption><span class="caption">Irak : quelle souveraineté ? (<em>Le Dessous des cartes</em>, Arte, 11 décembre 2021).</span></figcaption>
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<h2>Une situation sécuritaire toujours fragile</h2>
<p>Malgré la multiplication de ces éléments encourageants pour le futur, l’Irak continue à connaître des soubresauts d’ordre sécuritaire liés à l’ingérence étrangère et à la présence continue de groupes terroristes, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2021/12/PERPIGNA_IBAN/64139">principalement Daech</a>.</p>
<p>En dépit de la proclamation par les autorités irakiennes de leur <a href="https://www.lesechos.fr/2017/07/la-reprise-de-mossoul-signe-la-fin-du-califat-de-Daech-en-irak-153155">victoire face à l’État islamique</a> en 2017, grâce à la restauration de leur souveraineté sur l’ensemble du territoire, ce dernier y est toujours présent et continue d’y mener des actions terroristes. La mort, fin novembre dernier, de cinq combattants kurdes suite à une <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/irak-cinq-combattants-kurdes-tues-dans-une-attaque-imputee-a-Daech-20211128">attaque de Daech</a> au nord de l’Irak en est la dernière illustration.</p>
<p>En complément de celle-ci et d’autres, sporadiques, il est à rappeler que le dernier <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Attentat-meurtrier-Bagdad-lEtat-islamique-avance-pions-Irak-2021-07-20-1201167144">attentat important</a> revendiqué par Daech en Irak, qui a fait une trentaine de victimes dans un marché d’un quartier chiite de Bagdad, ne date que du mois de juillet dernier.</p>
<p>En parallèle à la menace de Daech, la présence de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/25/en-irak-les-milices-chiites-pro-iran-tentent-de-surmonter-leur-revers-electoral_6099805_3210.html">milices chiites proches du régime iranien</a> accentue continuellement les possibilités de tensions dans le pays, d’autant plus que ces milices exigent le retrait total des forces américaines d’Irak. Des groupes proches de ces factions sont même allés jusqu’à donner sur les réseaux sociaux un <a href="https://www.memri.org/reports/iranian-backed-militias-iraq-declare-ultimatum-us-forces-must-leave-december-31-2021-or">ultimatum jusqu’au 31 décembre</a> pour leur départ. Le <a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2021-12-18/irak/deux-roquettes-tirees-pres-de-l-ambassade-americaine.php">tir de deux roquettes</a> dans la zone de l’ambassade américaine le 19 décembre s’inscrit dans ce climat. Sans provoquer de dégâts, ce type d’attaques contre les intérêts américains et les autorités irakiennes est chose courante ces derniers mois.</p>
<p>La plus grande preuve de la constance de cette instabilité sécuritaire est la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/07/bagdad-le-premier-ministre-irakien-sort-indemne-d-une-attaque-au-drone-piege_6101237_3210.html">tentative d’assassinat</a> qui a visé le premier ministre irakien Moustafa al-Kazimi dans la nuit du samedi 6 au dimanche 7 novembre. Sa résidence, située dans la <a href="https://www.globalsecurity.org/military/world/iraq/baghdad-green-zone.htm">zone verte</a> ultra-sécurisée de Bagdad, a en effet subi l’attaque de trois drones piégés. Un seul d’entre eux a réussi à exploser, blessant six gardes du corps du premier ministre, qui s’en est lui sorti indemne.</p>
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<figcaption><span class="caption">Irak : le premier ministre visé par une attaque de drone (TV5 Monde, 7 novembre 2021).</span></figcaption>
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<p>Condamnée par la plupart des pays étrangers, dont l’Iran et les États-Unis, cette attaque, non revendiquée, s’est déroulée alors que plusieurs centaines de combattants de la <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2017-4-page-29.htm?contenu=article">Mobilisation populaire</a>, groupe paramilitaire chiite proche du régime iranien, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/25/en-irak-les-milices-chiites-pro-iran-tentent-de-surmonter-leur-revers-electoral_6099805_3210.html">campent aux portes de la zone verte</a> depuis le 19 octobre dernier.</p>
<p>Ces mouvements s’inscrivent dans le contexte de la contestation des résultats des élections législatives qui se sont déroulées le 10 octobre dernier.</p>
<h2>Des élections parlementaires aux conséquences incertaines</h2>
<p>Les élections parlementaires ont vu la <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20211130-irak-le-parti-de-l-imam-chiite-moqtada-al-sadr-vainqueur-des-l%C3%A9gislatives">franche victoire</a> du parti du leader chiite Moqtada al-Sadr, qui a obtenu 73 sièges sur les 329 que comporte le Parlement, soit une nette hausse par rapport aux 54 obtenus en 2018. Il est à signaler le morcellement important du système politique comme conséquence majeure du scrutin, avec les six premiers partis réunis n’obtenant que 208 sièges, soit seulement 63 % du parlement. Les 121 autres sièges ont alors été partagés entre neuf partis ayant eu chacun de 3 à 14 sièges, ainsi que 60 parlementaires élus comme seuls représentants de leurs partis.</p>
<p>Lors de <a href="https://www.lemonde.fr/moyen-orient-irak/article/2018/08/10/irak-apres-recomptage-le-nationaliste-moqtada-al-sadr-remporte-les-legislatives_5340992_1667109.html">l’élection précédente</a>, le parti de Moqtada al-Sadr était devenu la première force politique du pays, avec une faible avance de 6 sièges sur le second parti, l’alliance Fatah, branche politique de la Mobilisation populaire. Les élections d’octobre dernier ont confirmé et renforcé la première position du parti de Sadr. Le parti du progrès, créé par le chef du parlement Mohamed al-Halbousi en 2019 et arrivé second, n’a en effet obtenu que 37 sièges. Quant à l’alliance Fatah, qui regroupe les principales factions chiites pro-régime iranien et soutenue par Téhéran, celle-ci n’est arrivée que cinquième avec 17 sièges, soit une baisse de 65 % depuis 2018. La coalition de l’État de droit, dirigée par l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki et proche du régime iranien, est quant à elle arrivée troisième avec 33 sièges, suivi par du parti démocratique du Kurdistan (PDK) avec 31 sièges.</p>
<p>Bien que chiite, Moqtada al-Sadr n’est pas proche du régime au pouvoir en Iran. Le succès de son parti aux élections implique donc qu’une partie non négligeable des chiites d’Irak ne fait pas automatiquement allégeance aux autorités iraniennes. Cette part de la population rejoint alors Sadr dans sa <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2010-3-page-73.htm">volonté</a> de mettre en avant la conservation de l’unité territoriale de l’Irak et l’affermissement d’un nationalisme irakien.</p>
<p><a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20211130-irak-le-parti-de-l-imam-chiite-moqtada-al-sadr-vainqueur-des-l%C3%A9gislatives">Les résultats électoraux</a> ont été validés par la commission électorale le 30 novembre 2021. Pour autant, la recherche d’un consensus pour la formation d’un nouveau gouvernement ne sera pas une tâche facile, d’autant plus que Sadr désire que celui-ci soit de « majorité », regroupant les principales forces gagnantes de l’élection, et non d’union nationale comme cela était traditionnellement le cas ces dernières années. Ainsi, pour obtenir au minimum le soutien de 165 parlementaires, Sadr devra à la fois négocier avec les Kurdes, à travers le PDK, les sunnites, avec le parti du progrès, et également de plus petits partis ou des indépendants. Il n’est également pas à exclure qu’un compromis soit trouvé avec des éléments de l’alliance Fatah et de la coalition de l’État de droit.</p>
<p>Ces tractations auront également lieu autour de l’élection d’un nouveau président de la République, qui se doit d’être kurde et d’obtenir au minimum deux tiers des votes des parlementaires, sachant que le mandat du président actuel, Barham Salih, se termine en octobre 2022. Ce sera alors à l’actuel ou à ce nouveau président de charger le candidat ayant reçu l’appui de la plus large coalition du Parlement de former un gouvernement.</p>
<p>Il est loin d’être certain que le parti de Moqtada al-Sadr réussisse à se mettre à la tête d’une coalition gouvernementale qui puisse diminuer la place de la religion et de l’influence des puissances étrangères, l’Iran en tête, dans les décisions des autorités irakiennes. Ceci d’autant plus que le <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Entretien-avec-Pierre-Jean-Luizard-La-crise-du-systeme-politique-irakien.html">système politique</a> actuel en Irak, difficilement réformable, reste incapable de résoudre les crises constantes du fait de son fonctionnement communautaire.</p>
<p>Nul doute que l’avenir politique et sécuritaire de l’Irak sera aussi influencé par des aspects économiques. Portée par <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2021/09/12/27-milliards-pour-un-si%C3%A8cle-de-total-en-irak/">ses ressources pétrolières</a>, dont les réserves sont actuellement les quatrièmes mondiales selon l’OPEP, l’économie irakienne constituera un facteur d’intérêt croissant pour les investisseurs internationaux.</p>
<p>À la vue de l’ensemble de ces éléments, il est certain que les prochains mois seront d’une grande complexité et d’une importance capitale pour l’avenir de l’Irak, pays qui continuera à faire la Une des médias internationaux les années à venir. Il est à espérer que ces mises en avant seront cette fois dues à une actualité positive.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174109/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Zakka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que l’Irak est en passe de réussir à se positionner comme un acteur régional important et indépendant, le pays doit toujours faire face à de nombreuses sources d’instabilité internes.Antoine Zakka, Enseignant-chercheur à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l'Institut Catholique de Lille, Institut catholique de Lille (ICL)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1673332021-12-08T20:33:34Z2021-12-08T20:33:34ZAfghanistan : un pays ne devient pas une démocratie parce que des puissances occidentales l’ont décidé<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/432474/original/file-20211117-19-135weu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5094%2C3450&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des combattants talibans bloquent les routes après une explosion dans un hôpital militaire à Kaboul, le 2 novembre. Les puissances occidentales ont échoué à faire de l'Afghanistan un État de droit.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Ahmad Halabisaz) </span></span></figcaption></figure><p>Trois mois après la chute de Kaboul et la prise de pouvoir des talibans, l’Afghanistan <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/22/afghanistan-la-ruee-vers-l-aeroport-de-kaboul-cause-plusieurs-morts_6092052_3210.html">s’enfonce dans une grave crise alimentaire</a>. Selon les chiffres du Programme alimentaire mondial (PAM), 3,2 millions enfants de moins de 5 ans souffriront de malnutrition aiguë d’ici la fin de l’année.</p>
<p>À cela s’ajoute une <a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2021-11-11/l-afghanistan-iesau-bord-de-l-effondrement-economique.php">économie en banqueroute</a>, un chômage généralisé <a href="https://www.tvanouvelles.ca/2021/09/26/climat-de-terreur-en-afghanistan-ils-croient-beaucoup-dans-le-principe-de-rapport-de-force">et une population terrifiée, notamment les femmes</a>. Comment ce pays <a href="https://www.humanite.fr/etats-unisafghanistan-2-313-milliards-de-dollars-le-cout-de-la-strategie-canonniere-719562">sur lesquels des milliards de dollars se sont abattus</a> peut-il en être rendu là ? C’est que 20 ans de présence militaire américaine n’a fait qu’exacerber les problèmes.</p>
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<img alt="Une femme voilée tient un bébé dans ses bras" src="https://images.theconversation.com/files/432476/original/file-20211117-21-1wgzmqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432476/original/file-20211117-21-1wgzmqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432476/original/file-20211117-21-1wgzmqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432476/original/file-20211117-21-1wgzmqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432476/original/file-20211117-21-1wgzmqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432476/original/file-20211117-21-1wgzmqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432476/original/file-20211117-21-1wgzmqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une femme tient l’un de ses deux bébés en cours de traitement dans le service de malnutrition de l’hôpital pour enfants Indira Gandhi de Kaboul, le 5 octobre 2021. La famine menace 3,2 millions d’enfants.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Felipe Dana)</span></span>
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</figure>
<p>L’Afghanistan s’ajoute en effet à la liste des pays où l’intervention militaire dirigée par des puissances occidentales a généré un nouveau cycle de violence et d’instabilité sociale, ce qui a eu pour effet de bloquer les transitions politiques censées mener à une forme d’État de droit.</p>
<p>Si l’usage de la force a entraîné un changement de régime et démembré certains groupes terroristes, la difficulté est demeurée entière d’aménager une organisation sociale paisible qui répond aux besoins des populations. De l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d%27Irak">Irak</a> à l’Afghanistan en passant par la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Deuxi%C3%A8me_guerre_civile_libyenne">Libye</a> et les <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/securite-desarmement-et-non-proliferation/terrorisme-l-action-internationale-de-la-france/l-action-de-la-france-au-sahel/article/la-force-conjointe-g5-sahel-et-l-alliance-sahel">pays du Sahel</a>, la chute des dictatures et la lutte contre le terrorisme n’ont pas ouvert la voie à l’émancipation des peuples et à la démocratie, ni à relever les défis du développement humain, social et politique. Pourquoi ?</p>
<p>En tant que directeur de la Chaire de recherches interethniques et interculturelles de l’Université du Québec à Chicoutimi, je m’intéresse notamment à la radicalisation islamique depuis la défaite de l’État Islamique (EI).</p>
<h2>L’échec du « nation building »</h2>
<p>C’est en termes d’échec politique et diplomatique qu’il faut interpréter le retour au pouvoir des talibans : l’intervention militaire des Américains et de leurs alliés occidentaux n’a pas été précédée et accompagnée d’une réflexion sur la complexité socio-anthropologique de l’Afghanistan et sur les dispositifs politiques et institutionnels nécessaires à sa transition.</p>
<p>Il est vrai que <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/12/13/l-accord-de-bonn-prevoit-un-retour-progressif-a-la-democratie_254726_1819218.html">l’Accord de Bonn</a> a été un moment important de délibération sur le devenir démocratique et la pacification de la société afghane. L’objectif de cet accord visait à jeter les bases sociales et institutionnelles d’une paix durable, de la stabilité et du respect des droits de la personne.</p>
<p>Mais la nature provisoire de cet accord n’a pas permis de réaliser ces objectifs. En fait, l’empressement d’organiser des élections démocratiques et la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/31/lakhdar-brahimi-la-paix-etait-possible-avec-les-talibans-mais-encore-eut-il-fallu-qu-on-leur-parle_6092908_3210.html">sous-évaluation de l’enracinement communautaire des talibans</a> ont empêché l’ONU et les puissances occidentales de concevoir une transition politique susceptible d’asseoir la société afghane sur des bases institutionnelles solides et durables. Le « nation building » a échoué parce que le système international et les démocraties libérales soutiennent des transitions politiques qui ne prennent pas au sérieux la <a href="https://www.un.org/ruleoflaw/fr/thematic-areas/international-law-courts-tribunals/transitional-justice/">problématique de la justice transitionnelle</a>. On n’a pas tenu compte du caractère multiculturel de la société afghane, de la représentativité des différentes communautés et régions du pays, de la redistribution des richesses et du partage du pouvoir.</p>
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<img alt="Soldats pointant leurs armes dans le désert" src="https://images.theconversation.com/files/432475/original/file-20211117-17-7ldjy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432475/original/file-20211117-17-7ldjy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432475/original/file-20211117-17-7ldjy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432475/original/file-20211117-17-7ldjy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432475/original/file-20211117-17-7ldjy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432475/original/file-20211117-17-7ldjy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432475/original/file-20211117-17-7ldjy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des combattants frontaliers talibans participent à un exercice d’entraînement à Lashkar Gah, dans le sud-ouest de l’Afghanistan, le 25 octobre 2021. Tout au long de l’occupation américaine, les talibans sont demeurés enracinés dans le pays.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Abdul Khaliq)</span></span>
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<p>En Afghanistan — comme au Mali et au Tchad, où les Occidentaux ont voulu instaurer la démocratie, les considérations électorales et les solutions militaires ont marginalisé la question pourtant centrale de l’organisation éthique et politique de la coexistence sociale. Une élection démocratique n’est pas synonyme d’une organisation démocratique de la société et d’une démocratisation de la gouvernance. Avant même de promouvoir la démocratie et l’État de droit, ne faudrait-il pas s’interroger sur les conditions nécessaires à une vie commune paisible et juste et sur la nature des pouvoirs censés garantir la paix sociale et la justice politique ?</p>
<p>Des considérations géopolitiques et la lutte hégémonique entre les grandes puissances conduisent très souvent à privilégier des solutions inefficaces et des questions périphériques, qui n’aident en rien les peuples brimés par la tyrannie et la misère.</p>
<h2>Une instrumentalisation politique de l’islam</h2>
<p>La chute de Kaboul ne doit pas seulement être analysée sous l’angle des insuffisances de la diplomatie et des actions des Occidentaux. Le succès des talibans tient aussi à des raisons idéologiques qui ont permis de repositionner la <a href="https://theconversation.com/afghanistan-le-triomphe-des-talibans-malgre-les-milliards-depenses-par-les-etats-unis-166158">mouvance islamiste tant au niveau social que sous-régional</a>. Les leaders de l’organisation ont su se réorganiser autour d’une stratégie qui s’articule autour du respect de la souveraineté nationale et de la défense de l’islam.</p>
<p>C’est à la faveur d’une réinterprétation radicale de l’islam et de l’exigence d’un Émirat islamique que les talibans ont rebâti leur critique de l’invasion américaine et des puissances occidentales.</p>
<p>L’inefficacité des gouvernements successifs depuis 2001 et leur immense corruption ont permis cette instrumentalisation politique de l’islam de la part des talibans. Les nouveaux maîtres de l’Afghanistan ont su attirer la <a href="https://timbuktu-institute.org/index.php/toutes-l-actualites/item/507-les-mouvements-islamiques-en-afrique-et-la-reconnaissance-internationale-des-talibans">sympathie d’organisations musulmanes, notamment africaines, comme la Ligue des Oulémas musulmane</a>.</p>
<p>Cela dit, le <a href="https://www.lefigaro.fr/international/afghanistan-la-reconnaissance-du-regime-taliban-en-question-au-g20-20211011">régime reste isolé sur la scène internationale</a>. Peu après leur prise de pouvoir, les talibans <a href="https://www.lindependant.fr/2021/08/17/pas-de-represailles-respect-du-droit-des-femmes-les-talibans-adoptent-un-ton-conciliant-lors-de-leur-premiere-conference-a-kaboul-9737123.php">ont tenté d’apaiser les craintes sur le sort réservé aux femmes</a>. Mais <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/afghanistan/entretien-pour-olivier-roy-on-a-sous-estime-la-strategie-des-talibans-24a13c0e-fe9a-11eb-b25b-e686c75688fc">cette posture, loin d’être la conséquence d’un profond changement idéologique</a>, est en réalité un <a href="https://theconversation.com/les-talibans-nont-pas-change-dapres-les-femmes-assujetties-a-leur-regime-extremiste-166322">calcul politique</a> visant à se positionner comme un acteur fréquentable sur la scène internationale, <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2021/09/eu-saudi-arabia-first-human-rights-meeting-must-not-be-a-whitewash/">comme l’Arabie saoudite tente de le faire depuis quelques années</a>.</p>
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<img alt="Trois femmes vêtues de noir et voilées debout devant une porte" src="https://images.theconversation.com/files/432477/original/file-20211117-25-inl2ve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432477/original/file-20211117-25-inl2ve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432477/original/file-20211117-25-inl2ve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432477/original/file-20211117-25-inl2ve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432477/original/file-20211117-25-inl2ve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432477/original/file-20211117-25-inl2ve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432477/original/file-20211117-25-inl2ve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des femmes à l’Université de Kaboul, le 11 septembre 2021. Le retour des talibans a un impact considérable sur la vie des femmes, qui doivent recommencer à se voiler intégralement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Felipe Dana)</span></span>
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<p>Il est difficile d’évaluer l’appui réel de la population afghane au type d’islam promu par les talibans. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/22/afghanistan-la-ruee-vers-l-aeroport-de-kaboul-cause-plusieurs-morts_6092052_3210.html">La ruée vers l’aéroport de Kaboul</a>, au lendemain de la chute de la capitale, témoigne d’une peur évidente face au nouveau régime. Mais la société afghane <a href="https://nouvelles.ulaval.ca/2021/10/06/le-retour-des-talibans-au-pouvoir-4348c38b8be26c9339147854f88baaa2">demeure largement conservatrice, analphabète et pauvre</a>.</p>
<p>La démocratie comme mode de gouvernement de la société n’a pas réussi à gagner les esprits. Les logiques communautaires, les rivalités tribales et la <a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2021-09-15/corruption-en-afghanistan/des-millions-de-dollars-et-de-l-or-trouves-chez-d-anciens-dirigeants.php">généralisation de la corruption</a> ont entraîné un écrasement des structures officielles de la gouvernance au profit des talibans.</p>
<p>Le président américain Joe Biden <a href="https://www.journaldequebec.com/2021/08/16/retrait-dafghanistan-biden-decline-la-responsabilite">a en partie raison lorsqu’il impute aux responsables politiques</a> et à l’armée afghans le retour au pouvoir des talibans. Leur victoire est idéologique et sociale avant d’être politique. Les Américains et leurs alliés ont échoué dans leur tentative de « nation building ». Mais des facteurs endogènes ont pavé la voie à l’absence d’un modèle de gouvernance politique capable de représenter une alternative durable à celle proposée par les talibans.</p>
<p><em>Amadou Sadjo Barry, professeur de philosophie au Cégep de Saint-Hyacinthe et chercheur associé au CELAT, a participé à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167333/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>khadiyatoulah Fall a reçu des financements du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada( CRSHC). Depuis novembre 2021, il est ministre conseiller à la présidence de la république du Sénégal.
</span></em></p>Une élection démocratique n’est pas synonyme d’une organisation démocratique de la société et de sa gouvernance. À cet égard, la tentative de faire de l’Afghanistan une démocratie est un échec total.khadiyatoulah Fall, Professor, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1711322021-11-18T21:57:38Z2021-11-18T21:57:38ZLes multiples conséquences du retrait américain du Moyen-Orient<p>À l’heure où la <a href="https://www.economist.com/by-invitation/2021/08/18/francis-fukuyama-on-the-end-of-american-hegemony">prise de conscience</a> du déclin relatif de la puissance des États-Unis s’impose peu à peu, les acteurs régionaux du Moyen-Orient s’apprêtent à remplir le vide stratégique laissé par le départ des forces américaines.</p>
<p>Deux facteurs majeurs ont contribué au <a href="https://www.lopinion.fr/edition/international/jean-pierre-filiu-moyen-orient-americain-est-mort-nos-yeux-253913">recul des États-Unis dans la région</a>.</p>
<p>D’un côté, la rivalité de puissance engagée entre Washington et Pékin s’est exacerbée ces dernières années. Depuis 2008 et l’annonce du <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2013-2-page-7.htm">pivot vers l’Asie</a> par Barack Obama, les Américains sont préoccupés par l’endiguement de la Chine, qu’ils exercent via le soutien à la sécurité et à la défense du Japon, de Taïwan, de la Corée du Sud, et aussi via le dialogue stratégique et diplomatique avec l’Inde et une partie de l’Asie du Sud-Est. Les États-Unis, de plus en plus mobilisés par ce front, ont aujourd’hui moins de capacités à consacrer au Moyen-Orient. Cette redéfinition des priorités stratégiques a <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20210901-turning-from-afghanistan-the-us-sets-focus-on-china">précipité leur retrait d’Afghanistan</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-quad-pilier-de-la-strategie-indo-pacifique-de-ladministration-biden-158966">Le Quad, pilier de la stratégie indo-pacifique de l’administration Biden ?</a>
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<p>D’un autre côté, la stratégie américaine au Moyen-Orient s’est soldée par une succession d’échecs. La « guerre au terrorisme » <a href="https://www.journaldemontreal.com/2021/08/26/echec-total-loccident-a-t-il-perdu-la-guerre-contre-le-jihad">n’a pas permis</a> de refaçonner le paysage régional conformément aux intérêts de Washington. Quant à la stratégie de pression maximale sur Téhéran employée par Donald Trump, elle s’est révélée politiquement inefficace voire contre-productive, le régime de Téhéran ayant fait la démonstration de sa résilience en poursuivant le développement de son <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/le-monde-est-a-nous-les-missiles-balistiques-symbole-de-la-puissance-militaire-iranienne_3758291.html">potentiel militaire et balistique</a> et en renforçant sa capacité de projection de forces selon un axe régional qui s’étend du <a href="https://www.al-monitor.com/originals/2021/10/iran-pakistan-work-strengthen-ties-afghan-situation-remains-fluid">sud du Pakistan</a> à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/18/le-savoir-faire-iranien-au-service-des-factions-palestiniennes-de-gaza_6080584_3210.html">Gaza</a>.</p>
<h2>La fin de la présence globale américaine</h2>
<p>Désormais, la capacité des États-Unis à maintenir une présence globale adéquate par le biais de leurs bases stratégiques est remise en question.</p>
<p>En mars dernier, une équipe spéciale composée de quinze hauts fonctionnaires du Pentagone a <a href="https://www.politico.com/news/2021/02/10/biden-pentagon-task-force-china-468413">commencé à œuvrer</a> à l’élaboration d’un plan global visant à préparer les forces américaines, déployées dans diverses parties du monde, à une éventuelle mission pour faire face à la menace chinoise. Washington a d’ores et déjà <a href="http://politico.com/news/2021/09/11/missile-defense-saudi-arabia-511320">retiré</a> d’Arabie saoudite certains matériels militaires lourds, notamment des batteries de missiles Patriot ainsi qu’un porte-avions, dans le but de redéployer ces équipements sur le front asiatique. Cette idée d’un retrait progressif a été confortée par les révélations des médias américains sur le projet du Pentagone de créer une <a href="https://gnews.org/1328566/">« force permanente » dans le Pacifique occidental</a> pour faire face à la Chine.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1407387830494638084"}"></div></p>
<p>Au Moyen-Orient, la plus grande base militaire américaine est la <a href="https://militarybases.com/overseas/qatar/al-udeid/">base aérienne d’Al-Udeid</a>, au Qatar, qui accueille <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/9/10/infographic-us-military-presence-around-the-world-interactive.">11 000 membres des services américains et de la coalition</a> anti-Daech agissant dans le cadre de l’opération <a href="https://www.inherentresolve.mil/">Inherent Resolve</a>.</p>
<p>Aux installations militaires dans le Golfe s’ajoute une présence en Irak où <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/9/10/infographic-us-military-presence-around-the-world-interactive">2 500 soldats</a>) américains sont déployés dans le cadre d’un accord de sécurité avec le gouvernement de Bagdad, et en Syrie où se trouveraient encore <a href="https://www.lalibre.be/international/moyen-orient/2021/02/09/les-forces-americaines-en-syrie-ne-sont-plus-la-pour-proteger-le-petrole-264FIWKMLFEC7HWJW2MWPT3YHI/">900 militaires américains</a>) à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/20/en-syrie-une-base-americaine-visee-par-une-attaque_6099290_3210.html">al-Tanf</a>, dans le sud-est du pays, ainsi qu’au nord-est aux côtés des Forces démocratiques syriennes (coalition hétéroclite de forces sous la direction des Kurdes).</p>
<p>Dans la perspective d’un désengagement inéluctable de Syrie et d’<a href="https://www.bbc.com/news/world-us-canada-57970464">Irak</a>, et de l’allègement de la présence américaine dans le Golfe – des développements dictés par l’impératif stratégique de la confrontation avec la Chine –, une nouvelle donne s’esquisse et le rôle des acteurs régionaux semble appelé à se renforcer.</p>
<h2>Un Moyen-Orient reconfiguré par les acteurs régionaux ?</h2>
<p>En dépit du <a href="https://www.cairn.info/le-moyen-orient-et-le-monde--9782348064029-page-145.htm">retour en force de la Russie au Moyen-Orient</a> et des ambitions que nourrit la Chine pour cette région dans le cadre de sa confrontation stratégique avec Washington, Moscou et Pékin n’entendent pas y jouer un rôle aussi central que celui que les États-Unis y ont tenu au cours des vingt dernières années.</p>
<p>Les dynamiques régionales restructurant déjà la scène géopolitique devraient encore s’affermir au détriment du « Grand jeu » des puissances internationales, qui apparaît moins décisif qu’auparavant. Confrontés à la perspective d’un retrait militaire américain prochain qui laisserait les mains libres à un Iran plus assuré, les alliés régionaux de Washington ont cherché à s’adapter à la nouvelle donne.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1432578323582967808"}"></div></p>
<p>En septembre 2019, des forces yéménites alliées à Téhéran ont mené une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/14/arabie-saoudite-deux-installations-petrolieres-attaquees-par-des-drones_5510368_3210.html">attaque majeure</a> contre les installations du géant pétrolier saoudien Aramco, sans que cet épisode n’entraîne de réaction de la part de Washington. Cet événement a ébranlé la confiance que Riyad pouvait avoir dans la pérennité du soutien des États-Unis.</p>
<p>Quelques jours plus tard, le ministre émirati des Affaires étrangères <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1187322/les-eau-jouent-la-moderation-face-a-liran.html">s’est rendu en Iran</a> pour chercher l’apaisement, les Émirats étant alliés à l’Arabie saoudite. Avec l’arrivée de la nouvelle administration américaine, qui se distancie de la politique saoudienne en <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210204-joe-biden-met-fin-au-soutien-am%C3%A9ricain-%C3%A0-la-coalition-saoudienne-au-y%C3%A9men">mettant fin à son appui à la guerre du Yémen</a> et en réengageant des discussions avec l’Iran, Riyad a, à son tour, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1278226/entre-riyad-et-teheran-le-rapprochement-saccelere.html">amorcé des négociations avec Téhéran</a>. La préoccupation de Riyad et d’Abu Dhabi est donc de limiter les répercussions de la politique de la nouvelle administration américaine sur les questions clés du Moyen-Orient – principalement l’Iran – et de compenser les pertes qui en découlent.</p>
<h2>Vers un retour dans le jeu du régime de Damas</h2>
<p>Le retrait américain d’Afghanistan semble annoncer un retrait militaire plus général des États-Unis de la région – une idée qu’accréditent les développements récents et, notamment, la <a href="http://www.opex360.com/2021/10/21/une-base-americaine-situee-dans-le-sud-de-la-syrie-a-ete-la-cible-dune-attaque-coordonnee/">prise pour cible de la base américaine d’al-Tanf en Syrie par des forces alliées à l’Iran</a>, ainsi que les attaques répétées contre les intérêts américains ces dernières années en Syrie et en Irak. La Syrie ne revêt en effet aujourd’hui qu’une <a href="https://foreignpolicy.com/2021/08/25/assad-middle-east-preparing-united-states-exit-syria/">importance limitée</a> pour l’administration Biden, qui n’a pas nommé d’envoyé spécial dans ce pays.</p>
<p>En conséquence, les pays arabes qui, depuis 2011, s’étaient montrés hostiles au régime syrien ont progressivement engagé un processus de normalisation. Les Émirats arabes unis avaient rouvert une ambassade <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20181228-syrie-emirats-arabes-unis-rouvrent-leur-ambassade-damas">à Damas</a> dès 2018 ; le 27 septembre dernier, Amman a <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20210929-les-vols-commerciaux-entre-la-jordanie-et-la-syrie-vont-reprendre">rouvert</a> le principal poste-frontière entre la Jordanie et la Syrie ; un <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1274092/importation-de-gaz-egyptien-un-plan-de-travail-approuve-lors-dune-reunion-quadripartite-a-amman.html">accord</a> a été trouvé entre l’Égypte, la Jordanie, la Syrie et le Liban pour acheminer du gaz égyptien vers Beyrouth via Damas ; et l’Égypte se dit désormais favorable à la <a href="https://www.al-monitor.com/originals/2021/09/egypt-steps-efforts-restore-syrias-position-arab-world">réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe</a>, dont elle avait été suspendue en 2011.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1456282589371719680"}"></div></p>
<p>Ces convergences avec Damas doivent permettre aux acteurs régionaux de préserver leurs intérêts et de jouer un rôle dans la phase post-conflit en cas de retrait américain de Syrie. Quant à la Turquie, si elle demeure hostile au régime d’Assad, Ankara ne nourrit cependant plus, dans un contexte où le rapport de forces a significativement évolué en faveur de Damas et ses alliés, d’ambition de changement politique en Syrie.</p>
<p>En Irak, bien que les États-Unis maintiennent encore une présence militaire, de nouveaux acteurs de nouveaux acteurs entrent en jeu, à l’exemple de la France (Total s’est récemment vu accorder un <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2021/09/12/27-milliards-pour-un-siecle-de-total-en-irak/">important contrat d’investissement</a>). Surtout, Bagdad ne veut plus être un champ de confrontation entre l’Iran et l’Arabie saoudite, et cherche au contraire à jouer un <a href="https://atalayar.com/fr/content/lirak-est-de-retour-sur-la-carte-diplomatique-en-tant-que-nouveau-m%C3%A9diateur-du-moyen-orient">rôle de médiation</a> dans le processus de négociations entre ces deux acteurs.</p>
<p>Les discussions bilatérales en cours pourraient aboutir à une <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/iran-des-discussions-constructives-en-cours-avec-larabie-saoudite-pour-parvenir- %C3 %A0-la-paix-au-y %C3 %A9men/2374433">entente</a>, le ministre saoudien des Affaires étrangères ayant récemment qualifié la relation avec l’Iran d’« amicale », signe que l’Arabie se montre moins encline à poursuivre une politique régionale offensive à présent qu’elle ne bénéficie plus d’un soutien américain. Le processus de négociations n’est cependant pas exempt de contradictions, comme l’illustre la récente <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/larabie-saoudite-coupe-contact-avec-le-liban-1360064">crise diplomatique entre Riyad et Beyrouth</a>, Riyad rejetant le poids grandissant du Hezbollah, allié organique de l’Iran, au Liban. Un accord aurait toutefois inéluctablement des implications sur la solution politique au Yémen et pourrait favoriser une stabilisation au Liban.</p>
<h2>La politique ambivalente des Émirats arabes unis</h2>
<p>En un an, Abu Dhabi a développé des relations de coopération très avancées avec Israël. Depuis la signature des <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/05/20/les-accords-d-abraham-signes-entre-israel-et-plusieurs-etats-arabes-doivent-etre-preserves_6080883_3232.html">accords d’Abraham</a> le 15 septembre 2020, les échanges ont été croissants, comme l’illustre la <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/rencontre-usa-israel-emirats-pour-relancer-la-dynamique-des-accords-de-normalisation_2160357.html">rencontre trilatérale</a> du 13 octobre dernier entre Américains, Israéliens et Émiratis pour aborder les progrès accomplis depuis un an et les perspectives de collaboration économique et politique à venir, réunion au cours de laquelle Tel-Aviv et Abu Dhabi ont affiché une <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1277828/nucleaire-iranien-israel-et-abou-dhabi-intensifient-la-pression-sur-washington.html">convergence de vues</a> sur la question du nucléaire iranien.</p>
<p>Pour autant, les Émirats restent pragmatiques et soucieux de maintenir un dialogue avec l’Iran. En effet, l’action d’Abu Dhabi n’est pas inféodée à son partenariat avec l’Arabie saoudite, ni même à sa coopération plus récente avec Israël. Rappelons que les Émirats ont <a href="https://www.courrierinternational.com/article/peninsule-arabique-les-emirats-retirent-des-troupes-du-yemen-ont-ils-une-autre-idee-en-tete">retiré la plupart de leurs troupes terrestres du Yémen</a> en 2019 et réengagé un dialogue avec l’Iran la même année à la suite des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/13/la-marine-americaine-assiste-deux-navires-attaques-dans-le-golfe-d-oman_5475675_3210.html">attaques attribuées à Téhéran contre des pétroliers dans le détroit d’Ormuz</a>, décision motivée par la crainte d’une offensive militaire iranienne et par un doute sur une implication américaine à leurs côtés en cas de concrétisation d’un tel scénario.</p>
<p>Cette tendance à la coopération s’est poursuivie notamment à travers le <a href="https://english.alaraby.co.uk/news/uae-releases-700-million-frozen-iranian-funds">déblocage de fonds iraniens qui étaient gelés dans les banques émiraties</a> et la fourniture à plusieurs reprises d’une <a href="https://atalayar.com/fr/content/les-emirats-envoient-une-quatri %C3 %A8me-aide-m %C3 %A9dicale- %C3 %A0-liran-pour-lutter-contre-la-pand %C3 %A9mie">aide médicale à l’Iran</a> durant la crise sanitaire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1333144450613260288"}"></div></p>
<p>Les observateurs avertis <a href="https://www.inss.org.il/publication/uae-foreign-policy/">notent</a> que la volonté d’Abu Dhabi d’augmenter son implication et ses investissements dans la bande de Gaza est une orientation qui résulte également du changement d’administration aux États-Unis et de la politique adoptée par le président Joe Biden sur des questions d’importance stratégique, au premier rang desquelles l’Iran.</p>
<p>Ainsi, si la représentation partagée entre les Émirats et Israël d’une menace régionale incarnée par l’Iran justifiant le rapprochement perdure, elle a toutefois <a href="https://www.inss.org.il/publication/abraham-accords-one-year/">perdu de son acuité</a> avec le changement intervenu aux États-Unis. Les choix stratégiques de l’administration actuelle et les nouvelles dynamiques régionales entraînent des réactions très inquiètes en Israël.</p>
<h2>Israël, grand perdant des nouvelles dynamiques régionales ?</h2>
<p>Les commentaires politiques qui ont accompagné la tenue de la réunion trilatérale du 13 octobre dernier témoignent de l’amplitude de la divergence entre Israéliens et Américains au sujet de l’Iran.</p>
<p>Comme le rapporte le média <a href="https://www.al-monitor.com/originals/2021/10/lapids-washington-visit-brings-israel-little-assurance-iran"><em>Al Monitor</em></a>, lors de cette réunion, les Israéliens souhaitaient obtenir de Washington l’assurance d’un « plan d’urgence opérationnel conjoint » en cas d’échec des négociations avec Téhéran, mais les Américains sont restés muets sur les moyens à adopter dans pareil scénario, se limitant à exprimer leur intention d’explorer « d’autres options si l’Iran ne change pas de direction ». Comme l’a <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/.premium.HIGHLIGHT-israel-s-daily-warnings-on-iran-are-falling-on-deaf-ears-in-washington-1.10342291">résumé</a> dernièrement le journaliste israélien Amos Harel dans <em>Haaretz</em>, les Israéliens ne sont pas parvenus « à inciter l’administration Biden à accroître la pression sur Téhéran ».</p>
<p>Ces réticences américaines à envisager l’option militaire pour retarder la « maturation nucléaire » de l’Iran sont également évoquées par l’ancien premier ministre travailliste Ehud Barak qui considère que <a href="https://www.haaretz.com/middle-east-news/iran/as-iran-nears-a-nuclear-warhead-israel-might-have-to-reveal-its-own-atomic-power-1.10233347">l’Iran se trouve déjà au seuil de l’arme nucléaire</a>.</p>
<p>Selon lui, sur la question du nucléaire, l’Iran n’est pas la principale préoccupation des États-Unis :</p>
<blockquote>
<p>« Ils peuvent accepter l’Iran comme un État du seuil. Pour nous, ce défi est beaucoup plus menaçant et plus proche, surtout à long terme […] Il n’est pas certain que les États-Unis possèdent actuellement des plans militaires opérationnels capables de retarder la maturation de la capacité nucléaire iranienne pendant un nombre considérable d’années. De même, il n’est pas clair si même Israël a des plans d’urgence réalisables pour retarder de quelques années l’obtention par l’Iran de l’arme nucléaire. »</p>
</blockquote>
<p>Israël est tout autant inquiet de la relation que développent les pays du Golfe avec la Chine et voit d’un mauvais œil l’ambition de Pékin de mettre à profit le retrait américain pour renforcer son influence. La principale crainte de Tel-Aviv est de voir les technologies israéliennes exportées vers le Golfe fuir vers la Chine et, de là, vers l’Iran.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/chine-arabie-saoudite-a-lassaut-de-lor-noir-167205">Chine–Arabie saoudite : à l’assaut de l’or noir</a>
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</em>
</p>
<hr>
<p>L’autre appréhension d’Israël concerne les investissements des entreprises du Golfe dans les infrastructures israéliennes. Yoel Guzansky et Galia Lavi, chercheurs à l’INSS, <a href="https://www.inss.org.il/publication/china-gulf-states">pointent</a> « le risque d’une plus grande exposition aux entreprises chinoises qui ont des liens étroits avec les entreprises du Golfe, investissent dans celles-ci et peuvent éventuellement les acquérir à un moment donné ».</p>
<p>Le reflux de l’influence américaine aura donc des conséquences inévitables sur Israël en tant qu’acteur organiquement lié aux États-Unis, qui doit à la fois composer avec les nouvelles orientations stratégiques américaines, éloignées de ses préoccupations sécuritaires immédiates, et avec les nouvelles dynamiques régionales qui confortent la position de l’Iran.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171132/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Absorbés par leur rivalité avec la Chine, les États-Unis se détournent du Moyen-Orient. Une reconfiguration complexe s’annonce dans la région.Lina Kennouche, Doctorante en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1655502021-08-05T17:43:02Z2021-08-05T17:43:02ZQuel avenir pour les États du Moyen-Orient ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/414394/original/file-20210803-27-146x94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3892%2C3034&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Nés en large partie des décisions des anciennes autorités coloniales, les États du Moyen-Orient sont-ils encore viables&nbsp;?
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/middle-east-under-magnifier-162063665">Popartic/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article est publié dans le cadre du cycle <a href="https://www.ipev-fmsh.org/fr/transition-from-violence-lessons-from-the-mena-region/">IPEV Live – Transition from violence : lessons from the MENA</a>, une série de 8 discussions en ligne, tous les mardis du 18 mai au 29 juin 2021.</em></p>
<p>Depuis leurs indépendances et jusqu’à l’avènement du Printemps arabe, les États du Moyen-Orient ont souffert de leur principe constituant, attribué aux volontés et arrangements entre les anciennes puissances coloniales. Si les exigences d’autonomie, d’arabité et de souveraineté exprimées par les habitants de la région furent satisfaites par l’indépendance, ces États n’en constituaient pas moins, du point de vue aussi bien de leurs peuples que de leurs élites et de leurs dirigeants, des entités artificielles créées et découpées à la guise des diplomaties occidentales.</p>
<p>Les guerres entre Arabes et Israéliens et le sort malheureux du peuple et des réfugiés palestiniens ont marqué et, en quelque sorte, confisqué l’histoire moderne de la région. Tout comme les <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/syrie-Sykes-Picot-1916.htm">accords de Sykes-Picot</a> et leur part de responsabilité dans la transformation du projet culturel de renaissance arabe en un projet nationaliste et idéologique.</p>
<h2>L’impact de plusieurs décennies de nationalisme arabe</h2>
<p>Or, ce fut le nationalisme arabe qui a largement empêché l’émergence du pluralisme politique et du débat civil au sein de ces sociétés. Les guerres avec Israël ont essentiellement servi d’excuses, dans de nombreux pays de la région, pour justifier des coups d’État et la mainmise des militaires sur la vie publique et constitutionnelle. Il suffit, pour s’en convaincre, de calculer le nombre de décennies passées au pouvoir par chacun des dictateurs arabes, y compris les chefs et les cadres de l’Autorité palestinienne.</p>
<p>Mais l’entreprise la plus radicale et la plus totalisante fut celle des régimes baasistes en Irak et en Syrie, surtout à la suite des accessions au pouvoir de Hafez Al-Assad et de Saddam Hussein, respectivement en 1970 et 1979. Le parti Baas a assumé une mission <em>déconstituante</em> de l’État en Irak et en Syrie pendant plus de trois décennies. Citoyens et élèves apprenaient en effet, dans les manuels scolaires et même dans la Constitution – syrienne en l’occurrence – que les États arabes étaient illégitimes, provisoires et voués à la disparition.</p>
<p>Ce messianisme politique promettant une unité arabe par la révolution baasiste s’accompagnait d’un déni démographique et culturel à l’égard des minorités, notamment les Kurdes. Un déni qui est allé jusqu’au <a href="http://guerredugolfe.free.fr/kurdes.htm">rasage de milliers de villages kurdes</a> dans le nord irakien durant la première guerre du Golfe, sans oublier les <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1998/03/NEZAN/3615">tueries massives aux armes chimiques</a> commises sous la dictature de Saddam Hussein. En Syrie, malgré les <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2015-1-page-e29.htm">changements constitutionnels de 2014</a> qui tentaient de relégitimer le pouvoir en place face à la rébellion, les droits culturels des Kurdes ne sont toujours pas reconnus. De telles semences idéologiques et criminelles implantées pendant à peu près un demi-siècle ne pouvaient que conduire à un éclatement social et institutionnel au moindre affaiblissement de ces Régimes-États.</p>
<p>Aujourd’hui, avec la désintégration territoriale des souverainetés syrienne et irakienne, les Kurdes ne veulent ni cohabiter ni construire leur avenir avec les Arabes. Or, tout comme les Arabes lors de leurs indépendances, les Kurdes se trouvent aujourd’hui devant l’impasse de l’hétérogénéité territoriale ; là où ils sont dominants, ils ne sont pas seuls, mais seulement majoritaires.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/OfiZjqFAgIo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Un <em>statu quo</em> territorial qui conserverait les États existants tout en favorisant une évolution des régimes et la mise en place de systèmes pluralistes et inclusifs ne semble pas à l’ordre du jour. Malgré le Printemps arabe et ses revendications sociales et post-idéologiques, l’heure est à la stagnation et à l’<a href="https://theconversation.com/moyen-orient-le-retour-a-letat-de-nature-64399">indétermination post-étatique</a>.</p>
<h2>La relation entre régime et État</h2>
<p>La crise syrienne a commencé en 2011 avec des <a href="https://www.liberation.fr/planete/2012/03/14/quand-la-syrie-se-revolta_803029/">manifestations populaires</a> exigeant des réformes politiques de la part du régime de Bachar Al-Assad. Ces revendications ne portaient ni sur le contenu identitaire ni sur les frontières nationales de l’État syrien. Elles élaboraient, et c’est là que se justifie leur caractère révolutionnaire, une conscience sociale et post-idéologique de la politique et un esprit constitutionnaliste de l’État.</p>
<p>Or, au Moyen-Orient, il n’y a pas de gouvernements dans un État mais plutôt des Régimes-États. Au sein des monarchies de cette région, le monarque ne symbolise pas l’unité de son peuple mais donne leur nom et leur nationalité à ses sujets. Ainsi, les populations de l’Arabie s’appellent bien « saoudiens » par référence à la souveraineté des Saoud. Les autres monarchies du Golfe présentent moins ce défaut, mais n’en restent pas moins articulées à un régime politique dépassé et sans avenir juridiquement sécurisé, celui de la monarchie médiévale et absolue. De même dans les systèmes dits « républicains » de la région, il n’y pas d’État pour ses habitants, mais seulement des États à hiérarchie ethnique : État nationaliste juif, État nationaliste arabe et peut-être, bientôt, État nationaliste kurde.</p>
<p>Autrement dit, l’homogénéité normative fait totalement défaut et tout conflit est donc voué à dépasser la dialectique justice/injustice, liberté/tyrannie ou peuple/régime politique. En effet, le cadre étatique finalisé au sein duquel se déroulerait l’affrontement entre plusieurs légitimités politiques n’existe pas encore, car la question de la légitimité politique au Moyen-Orient se pose au niveau de <a href="https://theconversation.com/espace-legal-et-espace-legitime-au-moyen-orient-49002">la <em>nature</em> de l’État</a> et non au niveau des luttes sociales et politiques au sein de celui-ci.</p>
<p>L’ouverture de l’espace syro-irakien aux influences régionales et internationales en a constitué la meilleure démonstration dans la mesure où, à la surprise générale, plusieurs embryons et types d’État ont fait surface.</p>
<p>Les Turcs, les Qataris et les Frères musulmans en général ne rêvaient pas d’une démocratie constitutionnelle et pluraliste en Syrie mais d’une constitutionnalité électorale et majoritaire de l’État, copiant les régimes de Morsi en Égypte, d’Erdogan en Turquie ou de Poutine en Russie. Ils ont réussi, d’après plusieurs opposants syriens, à accaparer et orienter les corps représentatifs de l’opposition syrienne, que ce soit au niveau diplomatique ou sur le terrain de guerre.</p>
<p>Quant à l’Iran et au Hezbollah, présents et très ambitieux en Syrie et en Irak, ils se réclament de l’islam chiite révolutionnaire et du système politique des mollahs et des ayatollahs. Ils jouent la carte des minorités de la région et orientent les conflits vers une irréductible opposition entre chiites et sunnites. Daech appartenait à la catégorie saoudienne et médiévale de la monarchie absolue, y ajoutant le devoir religieux du djihad et de l’expansion territoriale. Les Kurdes recopiaient et recopient encore l’erreur arabe et juive de l’État nationaliste et monolithique, et ainsi de suite.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"971675852999098370"}"></div></p>
<p>L’homogénéité normative signifie la <a href="http://www.revistasconstitucionales.unam.mx/pdf/3/art/art8.pdf"><em>sécurité juridique</em></a>. On peut traduire cette notion pour le Moyen-Orient comme ayant deux versants : l’accrochage de tout système politique à la légitimité populaire pour le versant philosophique (le Contrat), et l’accrochage des institutions de l’État à la souveraineté de la loi et des droits de l’homme pour le versant juridique (le Constitutionalisme).</p>
<p>Aujourd’hui, un changement de régime au Moyen-Orient pourrait signifier une transformation, voire une disparition de l’État, suivies d’une multitude de possibilités spatiales imprévisibles et impossibles à anticiper. L’existence juridique de la Syrie ou de l’Arabie saoudite, de l’Irak ou même de l’État d’Israël pourrait très facilement être remise en question. Les alternatives constituantes à ces États sont aussi variées que le nombre de minorités et d’ethnies présentes dans la région (Kurdes, Palestiniens, Druzes, chiites, etc.)</p>
<h2>Les questions d’avenir</h2>
<p>Le Printemps arabe a fait entrevoir, à ses débuts, un possible dépassement des idéologies identitaires et des régimes politiques au profit d’une fixation institutionnelle des États et d’une constitutionnalisation de leur vie politique. S’il est encore vivant, et si l’on veut entretenir sa suite et ses conséquences, il nous faudrait penser les problématiques suivantes :</p>
<ul>
<li><p>Quel est le statut historique du droit à l’autodétermination ? S’agissait-il d’un expédient et d’un d’idéal illusoire mais indispensable pour la sortie de l’Empire aux débuts du XX<sup>e</sup> siècle ? L’État du XXI<sup>e</sup> siècle devrait-il toujours représenter une expression identitaire du politique ?</p></li>
<li><p>Y a-t-il assez de place, d’espace, ou d’homogénéité démographique dans cette région pour satisfaire l’ensemble des légitimités politiques dites constituantes ? Où est la place de l’individu, de sa propre identité et de ses droits sociaux et politiques ?</p></li>
<li><p>La lutte du peuple kurde et celle du peuple palestinien devraient-elles se poursuivre dans le sens de l’autodétermination et de l’indépendance ? Ou bien faudrait-il repenser l’avenir de la région au sein d’États pluralistes et démocratiques, au service de tous leurs habitants et de tous leurs citoyens ? Cela ne résoudrait-il pas également les interrogations existentielles de certaines minorités émergentes, tels les alaouites en Syrie, les sunnites en Irak ou les chiites au Liban et ailleurs ?</p></li>
<li><p>Qu’en est-il des questions émergentes et extrêmement urgentes pour l’avenir de la région, comme le défi écologique, la gestion durable et la répartition équitable des ressources naturelles entre États ? La multiplication et l’apparition de nouveaux États ne constitueraient-elles pas, à cet égard, une menace encore plus grave que celle des conflits identitaires ?</p></li>
<li><p>Enfin, quelles sont les réponses que devraient apporter les initiatives civiles et privées face aux défis éthiques de la technologie, du flux des idées radicales par le web, ou du non-accès de millions de réfugiés à l’éducation et à l’information ? Comment former un <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03264927/document">pouvoir social-numérique</a> dépassant frontières et régimes et contribuant à une représentation civile et citoyenne de la chose politique ?</p></li>
</ul>
<p>Autant d’interrogations nécessaires pour les années à venir…</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/165550/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohamad Moustafa Alabsi a reçu des financements de Mellon Foundation Porgam for Displaced Scholars. </span></em></p>Au Moyen-Orient, les événements de la décennie passée ont profondément remis en cause les États existants, au point de menacer leur existence même.Mohamad Moustafa Alabsi, Chercheur postdoctoral au Mellon Fellowship Program, Columbia Global Centers, Amman, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1627192021-06-17T14:27:58Z2021-06-17T14:27:58ZLes racines – très anciennes – du racisme anti-Noir dans le monde arabe<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/406838/original/file-20210616-22-1w6kfoo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=28%2C28%2C3098%2C2067&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les Noirs constituent un pourcentage important de la population arabe mondiale.
</span> <span class="attribution"><span class="source">(Brett Jordan/Unsplash)</span></span></figcaption></figure><p>Dans les pays à dominante arabe « blanche », les Noirs arabes sont sous-représentés et largement invisibles. Ils sont également <a href="https://csalateral.org/forum/cultural-constructions-race-racism-middle-east-north-africa-southwest-asia-mena-swana/introduction-el-zein/">écartés des institutions politiques, universitaires, artistiques et religieuses</a>. Les deux termes ne s’excluent pourtant pas l’un l’autre : certains Noirs sont arabes et certains Arabes sont noirs.</p>
<p>En tant qu’intellectuel arabe en Occident – je suis professeur de langue et de littérature arabes à l’Université de Waterloo – m’exprimer sur le racisme anti-noir dans le monde arabe me place dans une position délicate.</p>
<p>Jusqu’à récemment, le sujet était tabou dans la société arabe. En 2004, cette situation a commencé à changer lorsque le critique culturel bahreïni Nader Kadhim a publié en arabe un <a href="https://www.almadasupplements.com/view.php?cat=7831">livre</a> portant sur l’image des Noirs dans l’imaginaire arabe médiéval, et que je traduis en ce moment en anglais afin de sensibiliser l’Occident à leur situation.</p>
<p>Le racisme anti-Noir dans le monde arabe n’est pas un phénomène détaché du contexte mondial. Depuis la mort de George Floyd, le mouvement « Black Lives Matter » s’est répandu dans le monde entier, et les Arabes noirs y voient une occasion <a href="https://www.csmonitor.com/World/Middle-East/2020/0622/Voicing-solidarity-against-US-racism-Arabs-expose-scourge-at-home">d’alerter l’opinion publique</a> sur l’oppression dont ils sont victimes quotidiennement.</p>
<h2>Les racines du racisme arabe</h2>
<p>Nader Kadhim a créé le terme al-istifraq, ou « africanisme », pour décrire l’étude de la manière dont les Arabes noirs sont perçus, imaginés et représentés dans les écrits arabes. Son livre souligne les éléments fondamentaux qui caractérisent ce discours.</p>
<p>L’africanisme part du constat que les récits arabes classiques et médiévaux – notamment la littérature de voyage, les livres de géographie, d’astronomie, d’astrologie, d’histoire, de théologie, les biographies, les sciences marines, la philosophie et la médecine ancienne – représentent tous les Noirs en tant qu’inférieurs. Aujourd’hui encore, cette représentation péjorative est présente dans de <a href="https://scenearabia.com/Life/Arab-Anti-Blackness-Racism-and-the-Violence-that-Doesn-t-Get-A-Hashtag">nombreux aspects de la culture arabe moderne</a>.</p>
<p>Selon la théorie de Nader Kadhim, cette image négative découlerait de trois courants : (1) la conception anthropologique controversée selon laquelle la culture – y compris la religion, la langue, les lois et les valeurs – définit ce que signifie être humain ; (2) le <a href="https://press.princeton.edu/books/paperback/9780691123707/the-curse-of-ham">récit biblique de Noé et la malédiction de son fils Cham</a> – dont la peau aurait été plus foncée – condamnant ses descendants à la servitude ; et (3) la <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/bulletin-of-the-school-of-oriental-and-african-studies/article/abs/world-in-arab-eyes-a-reassessment-of-the-climes-in-medieval-islamic-scholarship/86BB53AF4BBC155B0FCECB8A7D83A089#">théorie des sept climats du philosophe grec Ptolémée</a>, selon laquelle l’emplacement géographique d’une personne détermine sa race – la proximité du soleil « cuirait » les humains selon une échelle du cru au brûlé.</p>
<h2>La diffamation des Arabes</h2>
<p>En 2014, j’ai présenté un article intitulé <em>Waiting for Obama : The Forgotten Black in Iraq</em> lors d’un symposium à l’Université York intitulé <em>Home and Land, Transnationalism, Identity and Arab Canadians</em>. L’article démontrait comment le discours raciste et discriminatoire des Irakiens déstabilise la conception de la patrie chez les Afro-Irakiens.</p>
<p>Durant la période de questions, un romancier arabe réputé a nié l’existence du racisme anti-noir dans le monde arabe. Par la suite, il est venu me trouver pour me demander : « Pourquoi dénigrez-vous notre culture ? »</p>
<p>En mai dernier, j’ai animé un événement intitulé <a href="https://uwaterloo.ca/culture-and-language-studies/news/deconstructing-africanism-image-black-people-arab-imaginary"><em>Deconstructing Africanism : the Image of Black People in the Arab Imaginary</em></a> autour du livre de Nader Kadhim. L’une des principales préoccupations exprimées par le public arabe était que l’activité insistait sur le côté raciste de leur culture. Après l’événement, une connaissance qui y avait participé m’a appelé pour me demander : « Pourquoi étaler ainsi nos travers ? »</p>
<p>J’ai réfléchi pour savoir si c’était mon intention de dépeindre ma propre culture de manière négative. Pas vraiment, mais je reconnais que d’autres Arabes puissent le percevoir ainsi.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/wE1hO8WX4TI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La conférence de Nader Kadhim sur la négritude et les racines du racisme anti-Noir dans la culture arabe.</span></figcaption>
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<h2>Aérer le linge sale</h2>
<p>Je viens de Bassora, en Irak, où la majorité des Arabes sont « blancs » comme moi. Quelques années après avoir déménagé au Canada, j’ai commencé à me renseigner sur le racisme en Occident. J’ai également subi un changement d’identité raciale, en passant d’« Arabe blanc » à « personne de couleur ». Cette reconfiguration raciale, très nouvelle et très personnelle, m’a amené à réfléchir au racisme qui affecte la communauté noire de Bassora.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les Irakiens noirs de Bassora militent pour une meilleure représentation politique et davantage d’inclusion.</span></figcaption>
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<p>Certains Irakiens ne sont même pas conscients que des Irakiens noirs sont présents dans leur pays depuis des siècles. Le racisme disséminé à l’encontre des Afro-Irakiens déstabilise leur sentiment d’appartenance.</p>
<p>Pour répondre à ce racisme, j’ai entrepris d’explorer les racines du racisme anti-noir dans ma culture et j’ai découvert qu’il est même plus ancien que l’Islam. J’ai commencé à écrire, à traduire et à documenter le patrimoine culturel des Arabes noirs, mais je me heurte sans cesse à des résistances. Certains Arabes refusent de reconnaître qu’il puisse y avoir du racisme dans leur propre communauté.</p>
<p>Ce travail de sensibilisation comporte certains risques personnels, dont celui d’être considéré comme un « comprador », un complice en quelque sorte, qui agirait pour le compte des institutions occidentales. Ce qui pourrait entraîner mon exclusion complète des cercles intellectuels de la diaspora arabe et faire de moi une cible dans mon pays d’origine. Je ressens une tension entre la célébration de la richesse et de la beauté de ma culture (j’ai créé un festival culturel arabe annuel) et la dénonciation de ses travers.</p>
<p>La ligne est très mince entre le fait de militer pour la justice raciale et d’en rajouter quant à la diabolisation des Arabes. Et en effet, dévoiler des aspects moins reluisants pourrait être nuisible. Cependant, en tant qu’intellectuel canado-irakien jouissant de certains privilèges, j’estime qu’il est de mon devoir de les utiliser en faveur de la justice raciale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162719/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Amir Al-Azraki bénéficie d'un financement de la subvention Explore de l'Université de Waterloo/Conseil de recherche en sciences sociales et humaines.</span></em></p>Les Arabes noirs font face au racisme et à la discrimination dans l’ensemble du monde arabe. Exposer ce racisme anti-Noir est un travail difficile, mais essentiel.Amir Al-Azraki, Assistant Professor, Arabic language and literature, Renison University College, University of WaterlooLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1565292021-03-04T19:11:53Z2021-03-04T19:11:53ZLes paris du pape François en Irak<p>Malgré la montée, depuis deux semaines, des <a href="https://www.courrierinternational.com/depeche/irak-dix-roquettes-sur-une-base-abritant-des-americains-deux-jours-avant-la-visite-du-pape.afp.com.20210303.doc.9468lb.xml">tensions entre l’Iran et les États-Unis</a> – un conflit dont l’Irak reste un terrain majeur – et malgré l’escalade des violences intérieures, notamment dans la province de Dhi Qar, où le pouvoir <a href="https://raseef22.net/article/1081783">réprime la contestation</a>, le voyage pastoral et diplomatique du pape François entre les 5 et 8 mars 2021 a été maintenu.</p>
<p>L’intensité des préparatifs, entamés de longue date par le Saint-Siège et les autorités locales, dont le très actif cardinal et Patriarche des Chaldéens Louis Raphaël Sako, finit par intriguer. Que vient faire le pape dans ce pays meurtri et sous influence ? Quelles sont ses intentions et peuvent-elles être couronnées de succès ?</p>
<h2>L’enjeu de la présence chrétienne en Irak</h2>
<p>La première raison de ce voyage est bien sûr de conforter les chrétiens d’Irak. Une occasion exceptionnelle leur est offerte de sensibiliser le monde à leur <a href="https://www.arabnews.fr/node/64706/monde-arabe">tragédie</a>, dans l’accumulation des tragédies irakiennes.</p>
<p>L’enjeu, pour les responsables chrétiens du pays, est de retrouver leurs ressources humaines et financières en prévision d’un retour de leur communauté éparse, à la faveur de la paix, <a href="https://www.la-croix.com/Religion/chretiens-Bagdad-revent-dexil-visite-pape-2021-02-05-1201139030">ce qui semble à courte vue irréaliste</a>. Regroupant désormais moins de 1 % des 38,4 millions d’Irakiens, les chrétiens de l’ancienne Mésopotamie sont en cours de transplantation migratoire.</p>
<p>Ayant connu de grandes tribulations aux XIX<sup>e</sup> et XX<sup>e</sup> siècles, on estime qu’ils étaient encore 6 % avant 2003, dont près de 800 000 à Bagdad. Aujourd’hui, leur nombre dans la capitale a chuté à 75 000. L’intervention américaine a transformé leur singularité en dernier stigmate. À Bagdad, les lieux de culte ont été attaqués dès les premiers attentats de 2004 : la cathédrale syriaque <em>Sayidat al-Najat</em> – où le pape va se rendre – a subi une <a href="https://www.theguardian.com/world/2004/aug/02/iraq.michaelhoward">explosion à la voiture piégée</a> dans une attaque simultanée contre plusieurs églises, commanditée par le chef terroriste Zarqaoui. Cette même cathédrale a essuyé une autre <a href="https://www.liberation.fr/planete/2010/11/02/messe-de-bagdad-l-obscur-carnage_690718/">attaque d’Al-Qaeda</a>, pendant l’office de la Toussaint 2010, faisant une soixantaine de victimes dont le prêtre en chaire, le père Thar.</p>
<p>L’<a href="https://www.franceinter.fr/emissions/le-zoom-de-la-redaction/le-zoom-de-la-redaction-19-aout-2020#:%7E:text=Ils%20%C3%A9taient%201%2C5%20million,av%C3%A8nement%20du%20groupe%20%C3%89tat%20Islamique.">hémorragie des chrétiens d’Irak</a> a précédé la fuite par millions des Irakiens à partir de 2004. Leur exode s’est <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2015/01/24/refugies-etat-islamique-irak_n_6537886.html">accéléré</a> avec l’installation de Daech dans les terres sunnites. À Mossoul – autre lieu de passage de François –, surnommée jadis la <a href="https://www.la-croix.com/Monde/En-pleine-reconstruction-Mossoul-attend-chretiens-2021-03-02-1201143407">Jérusalem de Mésopotamie</a>, les chrétiens assyriens et syriaques étaient près de 50 000 avant la première guerre du Golfe. Leur nombre est passé à 5 000 en 2014.</p>
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<p>Le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/224254/irak-elect-violence">kidnapping</a> de l’archevêque syriaque Basil George Casmoussa en 2005, une série d’<a href="http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/145921%26fr%3Dy.html">attentats et d’enlèvements ciblés en 2007</a>, l’assassinat après torture de l’évêque assyro-chaldéen <a href="https://www.nytimes.com/2008/03/14/world/middleeast/14iraq.html">Paulo Faraj Rahho</a> en 2008, l’attentat contre un <a href="https://www.cath.ch/newsf/bombe-contre-un-bus-d-etudiants-dans-la-plaine-de-ninive/">bus d’étudiants</a> venus de Qaraqosh en 2010 : tous ces évènements ont précipité leur fuite, avant même l’arrivée de l’État islamique.</p>
<p>70 familles seulement vivraient encore à Mossoul. Les 150 000 chrétiens de la plaine de Ninive, dont 50 000 syriaques de Qaraqosh – autre ville que <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Voyage-pape-Irak-Qaraqosh-recherche-legerete-perdue-2021-03-02-1201143323">visitera François</a> – ont tout quitté pour échapper au <a href="https://www.20minutes.fr/monde/1431911-20140825-irak-onu-accuse-etat-islamique-nettoyage-ethnique-religieux">nettoyage ethnoreligieux</a> qui a également frappé les <a href="https://www.infochretienne.com/en-irak-les-chretiens-et-les-yezidies-subissent-un-nettoyage-ethnique/">yézidis</a>, les <a href="https://lephenixkurde.tumblr.com/post/114786953522/les-shabaks-victimes-meconnues-de-Daech">Shabaks</a> et les <a href="https://www.trt.net.tr/francais/turquie/2017/07/06/ankara-indigne-apres-le-massacre-de-turkmenes-d-irak-par-Daech-765535">Turkmènes</a> chiites. Ils se sont réfugiés dans l’antique terre d’Erbil (Arbèle) devenue kurde – où le pape se rendra aussi – et dans les camps de réfugiés, au Liban, en Jordanie et en Turquie. Depuis, 55 000 d’entre eux ont réussi à quitter le Moyen-Orient. <a href="https://www.jadaliyya.com/Details/27531">25 000 sont revenus à Qaraqosh</a>. Les autres sont restés à Erbil. La petite <a href="https://www.cath.ch/newsf/les-communautes-religieuses-en-irak-les-armeniens-7-7/">Église arménienne</a>, issue de la diaspora marchande et des réfugiés du génocide ottoman, s’est vidée de ses fidèles depuis 2003. À Bassorah, sur les 4 500 familles assyriennes présentes avant 2003, <a href="http://fraternite-en-irak.org/a-bassorah-fraternite-en-irak-offre-un-refuge-aux-plus-pauvres/">il n’en reste plus que 200</a>.</p>
<p>Tout cela est éminemment tragique et douloureux. Mais pour le dire crûment, beaucoup d’Irakiens ont énormément souffert, et l’exode des chrétiens d’Irak ne les émeut pas outre mesure, d’autant que les chrétiens n’ont jamais été présents partout dans le pays.</p>
<h2>L’enjeu de l’unité œcuménique</h2>
<p>Qu’en est-il pour les chrétiens qui ne sont pas partis ? De grands efforts matériels ont été déployés pour réparer les édifices emblématiques, comme le couvent dominicain et le clocher de <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/irak-retour-a-mossoul-sur-le-chantier-de-notre-dame-de-l-heure-ravagee-par-Daech-7900004464">Notre-Dame de l’Heure à Mossoul</a> qui a servi de centre de torture sous Daech. Idem pour <a href="https://www.mesopotamiaheritage.org/monuments/leglise-chaldeenne-al-tahira-de-mossoul/">l’église chaldéenne Al-Tahira</a> que le pape visitera. De même, <a href="https://www.mesopotamiaheritage.org/monuments/leglise-syriaque-catholique-mar-touma-de-mossoul/">l’église syriaque orthodoxe de Mar-Touma</a> est en train d’être reconstruite, grâce au financement de l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit (<a href="https://www.aliph-foundation.org/fr">ALIPH</a>), qui a par ailleurs soutenu la réhabilitation du <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Mar-Behnam-renaissance-dun-lieu-saint-partage-2017-12-14-1200899373">mausolée-monastère de Mar Benham</a>, dynamité par Daech en 2015.</p>
<p>Mais l’autre véritable enjeu – outre la sécurisation des personnes, l’effort éducatif et médical et les opportunités de travail, à l’instar des besoins de tous les Irakiens – est de finaliser, en le rendant tangible avec cette visite, <a href="https://www.la-croix.com/Debats/Le-Saint-Siege-Eglises-dIrak-role-novateur-pape-Francois-2021-02-26-1201142740">l’effort de communion entrepris depuis le concile catholique de Vatican II</a> entre les différentes Églises chrétiennes d’Orient que le Pape va rencontrer. Ces dernières, par leurs strates et leur diversité, récapitulent des siècles de morcellements ou d’empiètement entre territoires canoniques, justifiés par des divergences théologiques qui échappent aujourd’hui à l’entendement.</p>
<p>Ainsi les Assyriens descendent-ils de <a href="https://www.choisir.ch/societe/histoire/item/3735-l-histoire-de-de-l-eglise-assyrienne-de-l-orient">l’Église d’Orient</a>, dite aussi Église de Mésopotamie ou Église perse, entièrement autocéphale sous l’Empire sassanide. Elle a aujourd’hui deux branches : l’Église « historique », siégeant à Erbil, et l’Église chaldéenne, qui est son pendant catholique à Bagdad. À côté des Assyriens, une autre Église des origines un peu plus « tardive », l’Église syriaque, s’est formée avec les descendants des chrétiens syriens et arabes de l’Église d’Antioche, qui ont fui la répression de l’Empire byzantin au VI<sup>e</sup> siècle. L’Église syriaque a deux branches, comme l’assyrienne.</p>
<p>Un tel émiettement, auquel s’ajoute la présence de chrétiens convertis, soit anciennement, soit plus récemment au protestantisme évangélique – <a href="https://www.cairn.info/revue-les-champs-de-mars-irsem-2015-1-page-108.htm">par ailleurs mal vu pour son prosélytisme et ses origines américaines</a> – affaiblit la voix et les intérêts communs des chrétiens d’Irak, si on enlève leur avantage démultiplicateur comme réseau d’émigration. Le regroupement œcuménique des Églises en un lien opérationnel et protecteur, dont Rome serait le garant et qui rattacherait les diasporas entre elles en les « universalisant », pourrait fabriquer une cohérence à double détente. Il permettrait des actions concertées, de répartition et de coordination entre les acteurs de terrain ; surtout, il mettrait en évidence le cercle vertueux de la bonne entente qui servirait d’exemple à suivre pour le dialogue interreligieux.</p>
<h2>L’enjeu de l’unité irakienne ?</h2>
<p>C’est ici que se situe l’enjeu le plus audacieux mais peut-être aussi le plus problématique de la visite de François, si l’on tentait de le conjecturer.</p>
<p>Il s’agirait de fabriquer, à partir de l’établissement pérenne de relations interconfessionnelles entre l’ensemble des acteurs religieux d’Irak, un chemin exemplaire de réconciliation nationale et, très paradoxalement, de dépolarisation religieuse.</p>
<p>La démarche est celle de la diplomatie interreligieuse, comme antidote à la toxicité confessionnelle qui a contaminé toute la société irakienne depuis l’embargo qui a suivi la première guerre du Golfe, avec la <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2001-3-page-138.htm">« campagne pour la foi »</a> de Saddam Hussein. Durant ces années déterminantes où le tissu social a commencé à se déliter, alors que les bombardements de cette première guerre avaient détruit toutes les infrastructures et affaibli l’État, le ressentiment communautaire s’est développé, ressentiment que la brutale politique de <a href="https://journals.openedition.org/remmm/3451">dé-baassisation</a>, parallèle au processus de démocratisation, a renforcé après 2003, quand les États-Unis ont semblé favoriser les chiites. C’est ainsi que sont apparues les milices sunnites, les groupes islamistes terroristes et les contre-milices chiites…</p>
<p>Certes, la jeunesse irakienne d’aujourd’hui, très nombreuse mais <a href="https://www.france24.com/fr/20190219-irak-avenir-economie-chomage-masse-jeunesse-corruption-austerite-entreprenariat">sans travail et sans ressources</a>, est épuisée par le discours sectaire. Elle <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/28/sans-pays-pas-d-ecole-la-jeunesse-irakienne-rejoint-le-mouvement-de-contestation_6017200_3210.html">manifeste</a> ardemment, depuis deux ans, sunnites et chiites confondus, une aspiration vitale pour la liberté, la démocratie, la fin de la corruption et la fin de la mainmise iranienne sur le pays. Elle a même obtenu la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/contestation-en-irak-sunnites-et-chiites-unis-contre-le-pouvoir">démission d’un premier ministre</a>.</p>
<p>Certes, le cardinal chaldéen Louis Raphaël Sako a réussi à organiser une <a href="https://www.lavie.fr/actualite/geopolitique/le-pape-en-irak-rencontrer-le-grand-ayatollah-ali-al-sistani-cest-rencontrer-le-monde-chiite-71757.php">rencontre historique entre le pape et le Grand ayatollah Ali-Al-Sistani</a> dans la ville de Najaf, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2004/01/22/al-sistani-le-pape-chiite-de-nadjaf_350041_1819218.html">décrite</a> par Pierre-Jean Luizard comme le Vatican chiite. Al-Sistani <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Le-pape-rencontre-layatollah-Sistani-conscience-irakienne-2021-02-27-1201142859">est devenu « la conscience irakienne »</a>, défenseur d’un Irak indépendant des influences étrangères, c’est-à-dire de l’Iran, <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2013-2-page-93.htm">dont la présence par milices</a> et partis politiques (Coalition Sairoun et Coalition Al-Fatha) interposés est absolument prégnante.</p>
<p>Al-Sistani est connu pour refuser <a href="https://journals.openedition.org/assr/21941">l’interprétation iranienne du velayat-e-faqhi</a> (littéralement la tutelle des jurisconsultes) et pour défendre une citoyenneté nationale commune transcendant les clivages religieux et ethniques du pays. Mais, même si Al-Sistani ne peut être comparé en rien à <a href="https://www.france24.com/fr/20200212-contestation-en-irak- %C3 %A0-quoi-joue-le-leader-chiite-moqtada-al-sadr">Moqtada Al-Sadr</a>, leader chiite des quartiers pauvres et ancien chef de l’Armée du Madhi, les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/12/31/en-irak-l-emprise-des-milices-chiites_6064924_3210.html">milices chiites qui se sont formées à son appel contre l’État islamique en 2014</a> poursuivent leur mainmise dans les territoires sunnites, à côté de l’armée irakienne, et en opposition aux autres milices chiites pro-iraniennes également bien présentes, malgré l’assassinat du général iranien Ghassem Soleimani à Bagdad en janvier 2020.</p>
<p>Ces milices entretiennent la peur et la rancœur par leurs méthodes. Elles restent dominantes au cœur du pouvoir irakien où les institutions chiites nationales n’ont jamais eu autant d’influence. Le pouvoir religieux chiite, anti-ou pro-iranien, n’est pas un truchement de la réconciliation en Irak.</p>
<p>Enfin, du côté sunnite, <a href="https://www.courrierinternational.com/article/impair-les-sunnites-oublies-de-la-visite-du-pape-francois-en-irak">aucune rencontre n’est prévue</a>, alors même que François va rencontrer des représentants kurdes à Erbil et <a href="https://rcf.fr/la-matinale/ur-le-pape-rencontrera-les-minorites-religieuses-heritieres-d-abraham">prier avec des Yézidis, mandéens et Kakaïs à Ur</a>, ville de naissance d'Abraham selon la Bible. Comment comprendre un tel manque, dans cette manœuvre interreligieuse ? Est-ce parce qu’il n’y a aucun responsable sunnite qui soit suffisamment représentatif de la population ? Est-ce parce qu’il n’y a actuellement aucun contact entre dignitaires sunnites, chrétiens et chiites ? Est-ce parce que les personnes pressenties ont décliné la proposition ? Est-ce parce que personne ne veut se rapprocher des sunnites considérés comme infréquentables après le soutien d’une partie d’entre eux à l’État islamique ? En tout cas, cette absence <a href="https://raseef22.net/article/1081783">a été critiquée par le député sunnite de la province de Salâh ad-Dîn</a>, Muthanna al-Samarrai, critique reprise par les médias arabes. Elle risque de réduire à néant les chances de mise en place d’une « coalition » interreligieuse qui plaiderait pour un Irak uni et indépendant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156529/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Blandine Chelini-Pont ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La visite du pape François en Irak vise à conforter les derniers chrétiens de ce pays et à contribuer au dialogue inter-religieux. Mais le pape ne rencontrera aucun représentant sunnite…Blandine Chelini-Pont, Professeur des Universités en histoire contemporaine, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1506812020-11-29T17:52:19Z2020-11-29T17:52:19ZQuelle politique pour l’administration Biden au Moyen-Orient ?<p>L’arrivée de Joe Biden à la tête des États-Unis entraîne une redéfinition de la politique américaine au Moyen-Orient. Des <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/united-states/2020-01-23/why-america-must-lead-again">inflexions de fond</a> sont attendues ; pour autant, le président élu ne semble pas inscrire son engagement dans une rupture totale par rapport aux choix politiques de son prédécesseur.</p>
<p>Selon l’adage « Policy is People », il est essentiel de connaître la composition définitive de l’équipe que va former Biden avant de tirer des conclusions trop tranchées sur le contenu de la politique moyen-orientale de la nouvelle administration. L’expérience Trump a illustré une nouvelle fois que le président ne peut se prévaloir d’un rôle sans partage en matière de politique étrangère : une pluralité de conseillers interviennent dans ce domaine et les opinions ne sont pas unanimes en ce qui concerne sa conduite. Les <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20201123-etats-unis-joe-biden-annonce-les-premiers-noms-de-la-future-%C3%A9quipe-dirigeante">nominations annoncées</a> de Tony Blinken au département d’État, de Jake Sullivan à la direction de la Sécurité nationale, et d’Avril Haines à la tête du renseignement national, tous proches collaborateurs de Biden, portent pour l’instant à croire que la tendance qu’imprimera la nouvelle équipe à la politique américaine dans la région sera en phase avec les déclarations d’intention de Joe Biden et de sa vice-présidente, Kamala Harris, ainsi qu’avec leurs prises de position publiques sur certains dossiers.</p>
<h2>Soutien attendu à Israël</h2>
<p>Sur l’épineux dossier israélo-palestinien, l’équipe Biden ne remettra sans doute pas en cause les acquis de la politique du fait accompli initiée sous l’administration précédente, à commencer par le <a href="https://www.lapresse.ca/international/etats-unis/2020-04-29/joe-biden-dit-qu-il-maintiendra-l-ambassade-des-etats-unis-a-jerusalem-s-il-est-elu">transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem</a>) et la reconnaissance de l’<a href="https://www.jns.org/senior-campaign-official-says-biden-would-keep-golan-heights-recognition/">annexion par Israël du plateau du Golan</a>. La ligne défendue par Kamala Harris, partisane déclarée d’Israël, en est le garde-fou principal.</p>
<p>« <a href="https://www.timesofisrael.com/5-jewish-things-to-know-about-us-vice-president-candidate-kamala-harris">Plutôt Aipac que JStreet</a> » – autrement dit, plus proche de l’American Israel Public Affairs Committee, groupe de pression défendant les intérêts de la droite dure israélienne, que de l’organisation rassemblant des membres du Congrès et de la communauté juive américaine favorables à la solution à deux États –, elle a publiquement réaffirmé l’engagement de Joe Biden à maintenir un « soutien inconditionnel à Israël » et à garantir sa « <a href="https://www.middleeasteye.net/news/kamala-harris-pledges-unconditional-support-israel">supériorité militaire qualitative</a> ».</p>
<p>L’amitié, le soutien et l’admiration de Harris pour Israël s’enracinent dans son histoire personnelle. La vice-présidente <a href="https://www.timesofisrael.com/radical-left-try-again-on-israel-vp-elect-harris-may-be-to-right-of-biden">l’évoque volontiers</a> : dans sa jeunesse, elle a milité au sein du Jewish National Fund, organisation-sœur américaine du <a href="https://www.kkl-jnf.org/about-kkl-jnf/">KKL</a>, qui est une association israélienne en charge de planter des arbres sur les ruines des villages palestiniens et qui se trouve engagée, selon <em>Haaretz</em>, dans des batailles juridiques pour <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/.premium-jnf-working-to-evict-palestinian-family-from-east-jerusalem-1.5630218">faire expulser des familles palestiniennes de Jérusalem-Est</a>. L’engagement personnel de Harris emporte la conviction que, lors du mandat qui s’ouvre, la défense des intérêts sécuritaires d’Israël continuera de représenter la priorité de Washington, bien plus qu’une juste résolution de la question palestinienne.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1325746436139520000"}"></div></p>
<p>De surcroît, bien que Joe Biden n’ait pas d’alchimie personnelle avec Benyamin Nétanyahou, qui vient de perdre un <a href="https://theconversation.com/lelection-de-joe-biden-vue-disrael-149706">ami intime en la personne de Donald Trump</a>, il n’en demeure pas moins un allié et « grand ami d’Israël », comme l’a déclaré le premier ministre israélien lui-même dans un <a href="https://www.leparisien.fr/international/presidentielle-americaine-netanyahou-felicite-biden-grand-ami-d-israel-et-remercie-trump-08-11-2020-8407216.php">tweet de félicitations au nouveau président élu</a>. Sa proximité moins grande avec Nétanyahou ne suffit donc pas à considérer qu’il reviendra sur les décisions de son prédécesseur. Néanmoins, et dans la mesure où Biden, conformément à la position traditionnelle du Parti démocrate, se déclare en <a href="https://fr.timesofisrael.com/biden-dit-au-roi-de-jordanie-etre-desireux-de-soutenir-une-solution-a-2-etats">faveur de la « solution des deux États</a> », il pourrait être enclin à rouvrir le consulat américain à Jérusalem-Est, à <a href="https://www.trtworld.com/middle-east/un-agency-for-palestinians-hopes-biden-will-restore-funding-41295">rétablir la participation des États-Unis au budget de l’UNRWA</a> et à réaffirmer son soutien à l’Autorité palestinienne, qui a d’ores et déjà annoncé la <a href="https://in.reuters.com/article/israel-palestiniens-idFRKBN27X2DB">reprise de sa coopération sécuritaire avec Israël</a>.</p>
<p>Pour autant, les <a href="https://www.middleeasteye.net/news/us-election-2020-joe-biden-will-not-condition-aid-israel-campaign-adviser-says">propos</a> du futur secrétaire d’État de Joe Biden, Tony Blinken, accréditent l’hypothèse du maintien inconditionnel de l’aide militaire américaine à Israël. Le président du groupe JStreet reconnait lui-même que le <a href="https://fr.timesofisrael.com/j-street-sapprete-a-proner-une-reintegration-dans-laccord-nucleaire-iranien/">« retour à une approche équilibré sur Israël »</a> ne figure pas au rang des priorités de Biden.</p>
<p>L’intellectuel américano-palestinien Rachid el-Khalidi, professeur à Colombia, estime dans son livre <a href="https://news.wttw.com/2013/04/25/brokers-decei"><em>Brokers of Deceit : How the U.S. Has Undermined Peace in the Middle East</em></a> qu’il s’agit là d’une constante de la politique conduite par Washington. Selon lui, derrière le discours en trompe-l’œil sur la solution des deux États, toutes les administrations américaines successives ont cautionné la politique du fait accompli et exercé des pressions sur la partie palestinienne pour l’amener à négocier dans les conditions les plus désavantageuses.</p>
<h2>Un retour à l’accord de 2015 sur l’Iran ? Pas si simple…</h2>
<p>Sur le volet des relations avec l’Iran, Biden s’inscrit dans la continuité de Barack Obama, dont il partage la conviction que pour contrer la montée en puissance de la Chine, il est nécessaire d’atténuer les tensions avec Téhéran. Or un réchauffement des relations américano-iraniennes implique préalablement de trancher la question du retour des États-Unis dans l’accord sur le nucléaire de 2015 ou de le renégocier pour y inclure des restrictions sur le programme balistique iranien. Rappelons que lorsque les États-Unis ont signé le JCPOA en juillet 2015, l’Iran était affaibli par les sanctions, ostracisé sur la scène internationale et acculé en Syrie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1328535422927065088"}"></div></p>
<p>La convergence entre l’Arabie saoudite et la Turquie sur le terrain syrien a donné naissance à l’Armée de la Conquête qui mène une <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20150425-syrie-prise-jisr-al-choughour-idlib-bastion-regime-assad">série d’offensives victorieuses dans le Nord</a>, et prend Jisr Choughour et Idlib, progressant jusqu’à Sahl el Ghab, aux portes de Lattaquié. En très mauvaise posture, les alliés du régime syrien en appellent à l’implication militaire de la Russie qui intervient finalement en septembre 2015 pour inverser la vapeur.</p>
<p>Avec l’entrée en action de Moscou, non seulement Damas et ses alliés reprennent du terrain mais Téhéran exploite le contexte pour accroître sa présence militaire en Syrie (c’est plus qu’un renforcement du soutien militaire au régime syrien). Afin de contrer le développement de ce potentiel militaire de l’Iran en Syrie, lsraël initie alors la stratégie des « Operations between Wars » et mène, de l’aveu même de l’ancien chef d’état-major interarmées israélien Gadi Ezeinkot, <a href="https://www.israelhayom.com/2019/01/13/eizenkot-israel-has-attacked-thousands-of-targets-in-syria/">« des milliers d’attaques »</a> contre les Iraniens en Syrie, sans parvenir à freiner cette dynamique.</p>
<p>Dès lors, la dimension balistique apparaît comme un problème central car la dissuasion iranienne modifie les règles du jeu stratégique sur le terrain, comme l’a illustré en juin 2019 l’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/13/la-marine-americaine-assiste-deux-navires-attaques-dans-le-golfe-d-oman_5475675_3210.html">attaque par Téhéran de deux pétroliers dans le détroit d’Ormuz</a>.Il est donc peu plausible que la nouvelle administration, dans un contexte géopolitique transformé, accepte un simple retour à l’accord de 2015. Mais reste à savoir si Biden fera montre de flexibilité tactique en levant les sanctions et en acceptant dans un premier temps le cadre du JCPOA pour renégocier par la suite, ou s’il énoncera dès le départ fermement les grands paramètres d’un nouvel accord (qui comportera donc des restrictions imposées au programme balistique iranien). De son côté, l’Iran est résolument opposé à l’idée d’une renégociation, faisant toutefois connaître sa disposition <a href="https://www.arabnews.fr/node/33086/monde-arabe">à revenir « automatiquement » au respect intégral de ses engagements du JCPOA</a> en cas de levée des sanctions.</p>
<h2>Inquiétudes à Riyad</h2>
<p>Concernant l’Arabie saoudite et les Émirats, la différence d’approche est claire entre Trump et Biden. Tandis que le premier s’est illustré dans le choix inédit et remarqué de <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2017/05/20/pourquoi-trump-a-choisi-larabie-saoudite-pour-son-premier-depla_a_22097037/">visiter Riyad</a> immédiatement après son élection, le second a, dans une critique aux accents déplaisants, qualifié durant sa campagne l’Arabie saoudite d’<a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2020-11-10/apres-l-indulgence-de-trump-riyad-face-a-la-fermete-proclamee-de-biden.php">« État-paria »</a>.</p>
<p>Les déclarations de Biden scellent donc une détérioration réelle de la relation avec les Saoudiens et Émiratis qui <a href="https://spectator.us/whistleblower-andy-khawaja-micropayments/">ont financé la campagne</a> de Trump en 2016 et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/12/elections-americaines-les-pays-du-golfe-craignent-un-nouvel-obama_6059462_3210.html">craignent un retour à la vision d’Obama</a>. Le lâchage par ce dernier des régimes de Moubarak et de Ben Ali, pourtant alliés de Washington, <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2016-4-page-18.htm">son acceptation des Frères musulmans</a> ainsi que <a href="https://www.liberation.fr/planete/2009/03/20/la-main-tendue-d-obama-a-l-iran_547398">sa main tendue à l’Iran</a>, ont constitué de sérieux sujets de préoccupation pour Riyad.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1326033391851102209"}"></div></p>
<p>La volatilité du contexte stratégique a ainsi conduit l’Arabie saoudite à développer ses liens avec Moscou et Pékin, principaux concurrents des États-Unis, une situation nouvelle qui pourrait ouvrir la voie à une diversification des partenariats. Biden n’a aucune sympathie pour le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salmane et ses positions belliqueuses, et exprime <a href="https://inthesetimes.com/article/joe-biden-yemen-war-saudi-arabia-presidential-election-foreign-policy">son opposition à la guerre au Yémen</a> ; pour autant, le partenariat stratégique avec Riyad, qui traduit également la prégnance des <a href="https://merip.org/2020/06/the-defense-industrys-role-in-militarizing-us-foreign-policy/">intérêts du complexe militaro-industriel</a>, dans l’élaboration de la politique étrangère américaine, reste solide.</p>
<h2>L’Irak, la Syrie et le Liban vus à travers le prisme iranien</h2>
<p>Pour ce qui est de l’Irak, le nouveau président américain apparaît comme une figure problématique : partisan de l’intervention américaine en 2003, il a également été l’instigateur d’un <a href="https://www.nytimes.com/2007/07/30/world/americas/30iht-letter.1.6894357.html">plan pour la partition</a> du pays en trois États. Aujourd’hui, en dépit de l’importance que revêt Bagdad sur l’échiquier régional, dans un contexte de rivalité sino-américaine et de priorité donnée à l’endiguement de la puissance chinoise, un désengagement militaire de la région semble inéluctable, même si la question divise profondément l’establishment américain. Malgré une <a href="https://www.fr24news.com/fr/a/2020/08/trump-reaffirme-son-intention-de-retirer-toutes-les-troupes-americaines-dirak.html">intention maintes fois réitérée</a> par Donald Trump, la crainte que le vide laissé par un retrait américain soit comblé par l’Iran a jusqu’ici empêché la concrétisation de cette décision.</p>
<p>Aussi, sur la politique que conduira Biden en Irak, les orientations ne se dessinent pas encore de façon claire. Mais il est en revanche certain que, dans la perspective des négociations avec l’Iran, les Américains devront conserver une capacité de nuisance en s’ouvrant à de nouvelles forces y compris au sein de la Marjaïya, la plus haute autorité religieuse chiite, pour contrer l’influence iranienne. Depuis la chute du régime de Saddam Hussein, cette autorité tient un rôle prépondérant au sein de la communauté chiite irakienne. C’est sur pression de la Marjaïya que les forces américaines ont accepté la tenue d’élections législatives en 2005. En 2014, dans le contexte de l’offensive de l’EI sur Mossoul, cette autorité émet une fatwa sur le « djihad défensif » qui conduit un million de chiites à se porter volontaires pour combattre le groupe.</p>
<p>L’approche américaine du dossier syrien demeure la grande inconnue, mais elle pèsera également lourdement sur les perspectives de négociations avec l’Iran. Si Washington entend renouer le dialogue avec Téhéran, il le fera en appuyant sur les points de faiblesse de ce dernier, notamment la Syrie. Pour les États-Unis, il demeure indispensable de refouler l’influence régionale de l’Iran ; or, jusqu’ici, la bataille menée par Trump pour affaiblir le potentiel militaire de Téhéran a été un échec patent. Il est fort probable que l’offensive se poursuive sous l’administration Biden qui, tout en cherchant à négocier, entendra également mettre en difficulté l’Iran sur le terrain syrien. La <a href="https://www.lecommercedulevant.com/article/29903-les-enjeux-de-la-loi-cesar">loi César</a>, qui prévoit notamment le gel de l’aide à la reconstruction et des sanctions contre le régime de Damas et toutes les personnes et entreprises collaborant avec celui-ci, demeure dans cette optique un instrument incontournable pour maintenir la pression sur le pouvoir de Bachar Al-Assad.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1329752622656614401"}"></div></p>
<p>Enfin, vis-à-vis du Liban, la posture américaine pourrait se révéler moins intransigeante sous la nouvelle administration. La ligne adoptée par Trump se résumait par « étrangler le Liban pour étrangler le Hezbollah », mais cette politique s’est avérée totalement <a href="https://libnanews.com/les-sanctions-contre-le-hezbollah-non-productives-emmanuel-macron-a-donald-trump/">contre-productive</a> comme l’a fait remarquer en août dernier Emmanuel Macron à son homologue américain. La nouvelle administration pourrait marquer sa différence en revenant à une politique de pression plus ciblée contre le Hezbollah… même s’il est encore bien tôt pour démêler les intentions de la politique concrète qui sera mise en œuvre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150681/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quelle politique Joe Biden conduira-t-il à l’égard des pays du Proche et du Moyen-Orient ? Ce tour d’horizon montre qu’il ne fera pas systématiquement l’inverse de son prédécesseur.Lina Kennouche, Doctorante en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1424242020-09-10T18:39:26Z2020-09-10T18:39:26ZLes yézidis : du trauma au combat politique<p>En août 2014 l’État islamique (EI) a attaqué les yézidis de la région de Sinjar (Irak). Des milliers d’hommes ont été tués, des milliers de femmes et enfants ont été kidnappés et des centaines de milliers de yézidis ont été contraints à l’exil. Les <a href="https://oxfordre.com/religion/view/10.1093/acrefore/9780199340378.001.0001/acrefore-9780199340378-e-254">yézidis</a>, (communauté confessionnelle ou ethno-confessionnelle partagée entre l’Irak, la Syrie, la Turquie et le Caucase) inconnus de l’Occident, ont fait la une des journaux, portant leur attention, dans la très grande majorité des cas, sur les esclaves sexuelles.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/356784/original/file-20200907-16-1e5icxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356784/original/file-20200907-16-1e5icxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356784/original/file-20200907-16-1e5icxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356784/original/file-20200907-16-1e5icxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356784/original/file-20200907-16-1e5icxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=696&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356784/original/file-20200907-16-1e5icxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=696&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356784/original/file-20200907-16-1e5icxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=696&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Répartition de la population yézidie en Irak et en Syrie.</span>
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<p>Les yézidis, dans leur malheur, ont incarné pour l’Occident les victimes par excellence de l’EI. Dans un élan de compassion, des actions ont été mises en place par les gouvernements ou par des ONG et associations : programmes d’aide humanitaire, programmes de soutien psychologique pour les femmes ex-captives, procédures d’accueil. La nomination de Nadia Murad ex-captive de l’EI pour le <a href="https://www.lemonde.fr/prix-nobel/article/2018/10/05/nadia-murad-des-chaines-de-l-etat-islamique-au-prix-nobel-de-la-paix_5365315_1772031.html">prix Nobel de la Paix en 2018</a> s’inscrit dans cette suite d’actions.</p>
<h2>Du salon de beauté au prix Nobel pour la paix</h2>
<p>Nadia Murad est une jeune femme d’origine modeste. Son destin bascule le 3 août 2014, lorsque son village – Kocho, au sud des monts Sinjar – est envahi par l’EI. Les assaillants divisent les habitants en plusieurs groupes : les hommes et les personnes âgées sont exécutés et jetés dans des fosses communes ; les femmes et les enfants sont enlevés.</p>
<p>Ces femmes sont par la suite vendues sur des marchés aux esclaves, tandis que les enfants sont enrôlés dans les rangs de l’EI. <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/peace/2018/murad/55710-nadia-murad-nobel-lecture-3/">Nadia Murad a alors 21 ans</a>.</p>
<blockquote>
<p>« Je rêvais de finir mes études secondaires, d’ouvrir un salon de beauté dans notre village et de vivre près de ma famille à Sinjar. Mais ce rêve a tourné au cauchemar. »</p>
</blockquote>
<p>En quelques heures, elle voit périr sa mère et six de ses frères avant d’être emmenée avec deux de ses sœurs à Mossoul. Elle racontera plus tard aux médias occidentaux comment elle fut contrainte à l’esclavage sexuel, comment elle tenta une première fois de s’enfuir, comment elle fut rattrapée et sévèrement punie. Pendant des semaines, elle passa de propriétaire en propriétaire jusqu’au jour où elle parvint à s’échapper. Elle courut alors dans les rues en frappant aux portes jusqu’à ce qu’une famille musulmane sunnite accepte de l’héberger. Celle-ci lui donna les papiers d’identité de leur fille pour qu’elle puisse passer la frontière et rejoindre un camp de réfugiés près de Dohuk au Kurdistan irakien.</p>
<p>Sous un prénom d’emprunt, Nadia Murad réalisa un <a href="https://www.lalibre.be/international/la-sixieme-nuit-j-ai-ete-violee-par-tous-les-gardes-salman-a-dit-elle-est-a-vous-maintenant-54e9fd2a35701001a1dfe527">premier témoignage</a> en février 2015, publié dans le journal <em>La Libre Belgique</em>. En septembre 2015, l’ONG américaine Yazda l’aida à rejoindre sa sœur en Allemagne. L’association avait été fondée un an plus tôt par des yézidis vivant aux États-Unis pour porter assistance aux yézidis de la région de Sinjar.</p>
<p>Elle sut mettre à profit pour Nadia Murad et d’autres femmes dans la même situation une politique de quotas que le gouvernement du Baden-Württemberg venait d’adopter. Le sort de Nadia, parvenue en Allemagne, attira l’attention de l’avocate <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2019/02/10/le-combat-damal-clooney-en-faveur-des-yezidis/">Amal Clooney</a>, spécialiste du droit international. Par son entremise, Nadia Murad est amenée à témoigner devant le Conseil de sécurité des Nations unies. À la suite de cette intervention, le Conseil s’engage à aider l’Irak à réunir les preuves des crimes commis contre les yézidis. La jeune femme est nommée en 2016 « Ambassadrice de bonne volonté de l’ONU pour la dignité des survivants de la traite des êtres humains ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Alexandria Bombach,On her shoulders, Los Angeles, RYOT Films, 95 min, 2018.</span></figcaption>
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<p>La même année, elle reçoit le prix Sakharov pour la liberté de l’esprit avec Lamia Haji Bachar, autre rescapée de l’EI, et le prix des droits de l’homme Václav-Havel. En 2018, elle reçoit le prix Nobel de la paix, partagé avec Denis Mukwege. Nadia Murad est l’auteur <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/pour-que-je-sois-la-derniere-9782213705545">d’un récit</a> sur son calvaire paru en 2018. Un film documentaire lui a également été consacré, ainsi que de nombreux articles de journaux dans la presse internationale.</p>
<h2>Des victimes exemplaires</h2>
<p>Depuis 2014, les médias occidentaux ont porté à maintes reprises leur attention sur le sort des yézidis, et en particulier sur celui des esclaves sexuelles. Les femmes interviewées sont questionnées sur les violences personnelles qu’elles ont subies. Le portrait de ces femmes est celui de victimes exemplaires ayant enduré les pires supplices tout en conservant leur foi. Dans une époque que Didier Fassin et Richard Rechtman décrivent comme un <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/hors-collection/l-empire-du-traumatisme">« empire du traumatisme »</a>, les esclaves sexuelles ont ému l’Occident et semblent avoir gagné, par leur histoire personnelle traumatique, le statut de « victimes légitimes ».</p>
<p>Leur trauma n’est plus considéré comme une simple condition psychique qui les affecte et leur confère une communauté de destins. Il acquiert, continuent les auteurs, une « légitimité » morale en vertu de laquelle est établie la justesse de leurs plaintes.</p>
<p>Nadia Murad est ainsi devenue, contre toute attente, la porte-parole principale des yézidis, rompant avec les règles strictes qui dominent la communauté yézidie, régie par un système de groupes endogames, héréditaires et strictement hiérarchisés.</p>
<h2>Un court-circuit des autorités traditionnelles</h2>
<p>Traditionnellement, les porte-paroles des yézidis sont le <em>mîr</em>, chef spirituel des yézidis (dont le statut est héréditaire), et le conseil spirituel dirigé par le <em>baba cheikh</em> et constitué d’hommes issus de <a href="https://books.google.fr/books/about/Yezidism_its_Background_Observances_and.html?id=OTQqAQAAMAAJ&redir_esc=y">lignages religieux</a>.</p>
<p>Nadia Murad est une femme, jeune, d’un lignage de disciples (<em>mirîd</em>). Rien ne la prédestinait à devenir ambassadrice de son groupe. Au regard des règles en vigueur dans la communauté, Nadia Murad aurait même dû être excommuniée pour avoir eu des relations sexuelles avec des non-yézidis.</p>
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<img alt="Deux chefs religieux yezidis" src="https://images.theconversation.com/files/356941/original/file-20200908-18-ise3nc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356941/original/file-20200908-18-ise3nc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356941/original/file-20200908-18-ise3nc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356941/original/file-20200908-18-ise3nc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356941/original/file-20200908-18-ise3nc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356941/original/file-20200908-18-ise3nc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356941/original/file-20200908-18-ise3nc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Mîr Tahsin Saied Beg (à gauche) avec le baba cheikh Khurto Hajji Ismail, chefs religieux des Yezidis d’Iraq.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jesidische_Geistliche.jpeg">Shalwol/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Cette règle était appliquée jusqu’en 2014 de manière stricte. Cependant, au vu du nombre des viols – des femmes ont été kidnappées dans la quasi-totalité des familles de la région de Sinjar –, le <em>mîr</em> a déclaré que les femmes réduites en esclavage par l’EI pourraient effectuer un « baptême de réintégration » au temple de Lalesh.</p>
<h2>« Redevenir » yézidies</h2>
<p>Situé dans les montagnes du Kurdistan irakien, ce temple constitue le lieu de pèlerinage principal des yézidis. Le rituel, qui inclut des ablutions avec l’eau de la source sacrée (<em>kaniya spî</em>), fut inventé pour ce cas spécifique et a permis aux anciennes captives de « redevenir » yézidies.</p>
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<img alt="Temple yezidi de Lalish" src="https://images.theconversation.com/files/354572/original/file-20200825-14-rt5o29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/354572/original/file-20200825-14-rt5o29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/354572/original/file-20200825-14-rt5o29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/354572/original/file-20200825-14-rt5o29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/354572/original/file-20200825-14-rt5o29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/354572/original/file-20200825-14-rt5o29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/354572/original/file-20200825-14-rt5o29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Temple de Lalish ou Lalesh, dans les montagnes du Kurdistan irakien.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lalesh#/media/Fichier:Lalish.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Les dispositifs médico-sociaux mis en place en Occident à leur égard et l’attention médiatique qu’elles ont reçue ont certainement également contribué à leur préserver une place au sein de la communauté.</p>
<p>Mes interlocuteurs yézidis apprécient Nadia Murad. Ils la suivent sur Facebook et postent des commentaires en pluies de cœurs à chacune de ses actions. Ils admirent son courage pour parler de choses si intimes en public et son combat pour la cause de leur communauté. C’est surtout le cas des plus jeunes d’entre eux : les personnes âgées sont parfois plus réservées. D’après Rehan, une yézidie de 18 ans originaire de Sinjar, réfugiée dans la Drôme :</p>
<blockquote>
<p>« les vieux pensent à l’honneur (namûs) et à la honte (șerm) et ils n’aiment pas qu’on parle trop de Nadia ».</p>
</blockquote>
<p>La publicité internationale autour de l’esclavagisme sexuel pratiqué par l’EI a souligné l’incapacité des hommes yézidis à défendre l’honneur de leurs femmes.</p>
<p>Lors de la commémoration du génocide de Sinjar organisée le 3 août 2019 à Sarcelles par l’ONG Voice of Ezidis, Diler, 25 ans, originaire de Sinjar et réfugié à Soissons, <a href="https://www.rfi.fr/en/france/20190805-yazidi-genocide-commemoration-france-islamic-state-iraq">confiait à une journaliste de RFI</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Quand ta sœur est kidnappée et utilisée comme esclave sexuelle et que tu réalises que tu ne peux rien faire, alors tu perds ta dignité et ton respect. »</p>
</blockquote>
<p>Ce genre de témoignage est en fait peu courant dans les médias, où les paroles d’hommes, d’enfants et de personnes âgées sont rares. Les voix qui s’éloignent du stéréotype narratif sur les yézidis – les femmes captives et la narration victimaire qui y est associée – s’expriment surtout dans les discussions intracommunautaires, mais restent sous-représentées dans les médias.</p>
<h2>« Le visage du génocide »</h2>
<p>Aujourd’hui, Nadia Murad est peu ou prou la seule personne yézidie connue internationalement. Sa visibilité et sa légitimité sont le fruit d’un travail complexe mené largement en dehors de sa communauté d’origine.</p>
<p>L’Américaine Elizabeth Schaeffer-Brown fut l’une des personnes impliquées dans ce processus. En tant que cofondatrice d’une société de conseil et de relations publiques aux États-Unis, <a href="https://www.latimes.com/opinion/story/2019-10-10/yazidi-nobel-peace-prize-nadia-murad">elle prit en charge</a> la campagne de promotion de Nadia Murad :</p>
<blockquote>
<p>« C’était mon travail de persuader l’élite sociale, économique et politique que soutenir Nadia et les yézidis leur permettrait de se présenter au monde comme vertueux. Notre petite équipe avait travaillé à faire augmenter la valeur (value) de Nadia […] en faisant d’elle le visage du génocide. Quand Nadia a gagné le prix Nobel, elle est devenue une marque (<em>a brand</em>), une célébrité. Les pays, les millionnaires et les ONG ont payé cher la fondation Nadia’s Initiative pour que Nadia vienne leur parler. »</p>
</blockquote>
<p>Ce travail parfaitement ciblé et informé permit à la narration victimaire de Nadia Murad de se transformer en un combat politique. Nadia Murad demande aujourd’hui une réparation collective : la reconnaissance du crime de génocide commis par l’EI à Sinjar et le jugement des coupables par une cour internationale.</p>
<h2>Impact concret</h2>
<p>En incarnant les victimes de l’EI et en leur donnant voix, Nadia Murad occupe une place stratégique au croisement des intérêts des yézidis et de ceux de la communauté internationale. Érigée en victime exemplaire, elle a désormais accès aux plus hautes instances diplomatiques et politiques (ONU, gouvernements, G10, etc.).</p>
<p>Ceci lui permet de demander, voire de « proposer », d’égal à égal. À la suite, par exemple, de l’entretien qu’elle eut avec le président français Emmanuel Macron en 2018, un <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/10/26/communique-entretien-du-president-de-la-republique-avec-mme-nadia-murad-prix-nobel-de-la-paix-201">communiqué de l’Élysée annonçait</a> :</p>
<blockquote>
<p>« en réponse à la proposition de Nadia Murad, la France accueillerait 100 femmes yézidies victimes de l’EI, libérées mais actuellement bloquées et sans soins dans les camps de réfugiés du Kurdistan irakien ».</p>
</blockquote>
<p>Une telle communication montre à la fois la force et les limites de l’action d’une victime diplomate. Sa « proposition », telle qu’elle est entendue et représentée par la diplomatie française, ne semble porter que sur les femmes.</p>
<h2>Les limites de l’approche victimaire</h2>
<p>Dans les faits, la France a également accueilli leurs enfants, et parfois leur mari lorsque celui-ci était encore en vie (près de 500 personnes en tout). Mais dans le contexte émotionnel induit par la figure de Nadia Murad, les victimes à secourir n’étaient pas ces familles yézidies vivant dans la détresse. L’aide mise en place ne devait concerner spécifiquement que les femmes qui ouvraient l’accès au droit d’asile pour les autres survivants, comme si la cause des yézidis en tant que communauté était subordonnée à celle des femmes en tant que genre opprimé.</p>
<p>Le rôle politique d’une victime exemplaire est également limité par le principe même de sa légitimité : son statut lui permet de dénoncer et de demander réparation, mais pas de prendre part aux choix concrets qui affectent la politique régionale, ni même de promouvoir auprès de son auditoire international les particularités culturelles de sa communauté d’origine.</p>
<p>Ainsi, alors que différents groupes politiques pourraient soutenir un projet de reconstruction de la région de Sinjar (prokurde ou pro-Irak par exemple), Nadia Murad ne se prononce pour aucune d’entre elles. Elle ne parle jamais des spécificités de la communauté yézidie comme l’obligation d’endogamie ou l’organisation en castes hiérarchisées.</p>
<h2>Un diplomatie par l’émotion</h2>
<p>Nadia Murad incarne ainsi parfaitement la barbarie de l’État islamique et justifie le combat à l’encontre de cette idéologie. Mais elle ne porte, elle-même, aucune autre cause si ce n’est celle fort générale de la justice et des droits de l’Homme. Pour les yézidis eux-mêmes, elle n’est qu’une des nombreuses victimes exemplaires dont ils gardent la mémoire.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/356918/original/file-20200908-18-1mjk3kw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356918/original/file-20200908-18-1mjk3kw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356918/original/file-20200908-18-1mjk3kw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356918/original/file-20200908-18-1mjk3kw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356918/original/file-20200908-18-1mjk3kw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356918/original/file-20200908-18-1mjk3kw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356918/original/file-20200908-18-1mjk3kw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des bougies sont allumées sur la stèle en hommage aux victimes de Sinjar le 3 août 2020 à Sarcelles (commémoration organisée par les associations « Voice of Ezidis » et « Union des Yezidis de France »).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Estelle Amy de la Bretèque</span></span>
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<p>Davantage que les méfaits d’un système de pensée totalitaire et extrémiste, ces figures incarnent l’un des rares points de consensus au sein de la communauté et dans ses relations avec les sociétés environnantes. Le massacre de Sinjar n’est en effet pas le premier dont les yézidis furent victimes. Dans le calendrier yézidi, Sinjar est le 74ème massacre (<em>ferman</em>). Pour ne citer que les deux précédents <em>ferman</em>, le 73ème, en 2007, est l’explosion de deux voitures piégées dans la région de Sinjar (à Qahtaniya et Siba Cheikh Khidir) qui a fait plus de 500 victimes. Le 72ème <em>ferman</em> était le génocide arménien de 1915-16 au cours duquel de nombreux yézidis ont aussi été tués.</p>
<p>La mémoire des persécutions fait émerger une diplomatie par l’émotion qui constitue aujourd’hui le cadre dans lequel les yézidis peuvent faire entendre leur voix et espérer agir en tant que minorité dans l’arène internationale.</p>
<hr>
<p><em>Billet publié en collaboration avec le <a href="http://blogterrain.hypotheses.org/">blog de la revue Terrain</a>. Dans le numéro 73, <a href="https://journals.openedition.org/terrain/19542">« Homo diplomaticus »</a>, Terrain s’écarte de la diplomatie traditionnelle pour observer des pratiques émergentes, ou non occidentales, en prêtant une attention spéciale aux adaptations et aux inventions des vaincus</em>.</p>
<p><em>Cet article est republié dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/142424/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Estelle Amy de la Bretèque remercie le Cpa-Ethnopôle « Migrations frontières, mémoires » de Valence pour son soutien logistique lors de ses recherches de terrain auprès des Yézidis de la Drôme.</span></em></p>Victimes par excellence de l’État Islamique, les yezidis sont aujourd’hui représentés par Nadia Murad, figure de la scène internationale qui rompt pourtant avec les traditions de sa communauté.Estelle Amy de la Bretèque, Anthropologue, Ethnomusicologue, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1321342020-02-19T19:44:02Z2020-02-19T19:44:02ZIran : une accélération de l’histoire ?<p>Le 21 février, les Iraniens se rendront aux urnes pour les <a href="https://www.france24.com/fr/20200214-l%C3%A9gislatives-en-iran-les-conservateurs-%C3%A0-la-recherche-de-tous-les-pouvoirs">élections législatives</a>. Elles se dérouleront dans un contexte délicat. En effet, au cours des six derniers mois, <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/38513-iran-40-ans-apres-la-revolution-islamique">les crises auxquelles est confrontée la République islamique</a> se sont considérablement aggravées, enchevêtrées et accélérées.</p>
<h2>Contestation en Irak et au Liban</h2>
<p>Curieusement, cette nouvelle phase n’a pas débuté à l’intérieur même de l’Iran mais dans les deux pays du Moyen-Orient où Téhéran a le plus d’influence : l’Irak et le Liban.</p>
<p>En Irak, une contestation violente a éclaté en octobre 2019. Les manifestants protestaient contre le chômage et la corruption des élites politiques mais aussi, et c’est plus inquiétant pour Téhéran, contre ses ingérences dans les affaires de leur pays. Alors que la <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Irak-repression-contre-manifestants-anti-pouvoir-sintensifie-2020-01-27-1201074465">répression</a> s’est abattue, les protestataires, pour la plupart chiites, ont accusé les milices pro-iraniennes de tirer sur la population. L’image de l’Iran est aujourd’hui écornée, surtout auprès de la jeunesse contestataire du pays, dans un Irak par ailleurs politiquement fragilisé.</p>
<p>Au Liban, des manifestations contre le gouvernement ont également débuté en octobre 2019, prenant de l’ampleur pour se transformer en <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/liban/liban-des-centaines-de-manifestants-de-nouveau-dans-la-rue-au-lendemain-de-violences-inedites-6696756">contestation générale</a>. Face à ce mécontentement populaire sans précédent, les deux mouvements chiites libanais les plus importants, Amal et le Hezbollah, proches de l’Iran, ont tenté de contenir la protestation antisystème. Mais rapidement, le <a href="https://www.france24.com/fr/20191024-manifestations-liban-sud-nabatiye-chiites-hezbollah-amal">soulèvement a gagné les fiefs chiites du sud du pays</a>. Pour la première fois, des critiques venant du camp chiite ont été formulées publiquement contre ces deux partis, les plaçant sur la défensive face à leur propre opinion publique. Cet affaiblissement inattendu de ses relais dans ce pays clé pour sa stratégie au Levant n’est pas une bonne nouvelle pour Téhéran.</p>
<h2>Vers une militarisation de la crise irano-américaine ?</h2>
<p>Au plan international, la confrontation irano-américaine qui, depuis le retrait unilatéral des États-Unis de l’accord sur le nucléaire en mai 2018, était essentiellement politique et économique, a pris en 2019 une dimension militaire plus inquiétante.</p>
<p>Au printemps, des <a href="https://www.lepoint.fr/monde/ormuz-le-detroit-ou-tremble-le-monde-31-07-2019-2327820_24.php">incidents se sont produits dans le golfe Persique et le détroit d’Ormuz</a>. En juin, un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/20/l-iran-a-abattu-un-drone-americain-au-dessus-du-golfe_5478900_3210.html">drone américain était abattu dans l’espace aérien iranien</a> et en septembre une attaque sans précédent a frappé les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/14/arabie-saoudite-deux-installations-petrolieres-attaquees-par-des-drones_5510368_3210.html">installations pétrolières de l’est de l’Arabie saoudite</a>. Les rebelles Houthis du Yémen, réputés proches de l’Iran, l’ont revendiquée. Téhéran a nié toute implication, sans convaincre Washington et Riyad, tandis que la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni déclaraient conjointement qu’il en portait la responsabilité.</p>
<p>Face à ces événements, qui ont sévèrement affecté sa crédibilité, Washington n’a pas riposté directement. La situation a évolué le 27 décembre, après une opération de milices pro-iraniennes <a href="http://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20191228-irak-nouveaux-tirs-roquette-base-coalition-kirkouk">contre une base militaire américaine en Irak</a> faisant un mort côté américain. Jusqu’à ce moment, Téhéran et Washington avaient soigneusement évité la responsabilité de causer la « première victime ». En riposte, les Américains ont bombardé le surlendemain une base d’une milice irakienne pro-iranienne, <a href="https://www.lepoint.fr/monde/americain-tue-en-irak-les-represailles-americaines-font-19-morts-dans-les-rangs-des-pro-iran-30-12-2019-2355136_24.php">faisant 19 morts</a>.</p>
<p>Le 31 décembre, les milices populaires irakiennes Hachd al-Chaabi, liées à Téhéran, ont organisé une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/31/mort-a-l-amerique-des-manifestants-attaquent-l-ambassade-americaine-a-bagdad-apres-des-raids_6024458_3210.html">attaque contre l’ambassade américaine à Bagdad</a>. Le 1<sup>er</sup> janvier, elles se sont retirées. Deux jours plus tard, à la surprise générale, un <a href="https://theconversation.com/etats-unis-iran-du-conflit-economique-a-laffrontement-militaire-129319">raid américain</a> près de l’aéroport de Bagdad tuait le général Ghassem Soleimani, commandant en chef de la force Qods en charge des opérations extérieures des Gardiens de la révolution, et homme clé du régime iranien en Irak, ainsi que le n°2 des milices populaires irakiennes proche de Téhéran.</p>
<p>La réponse iranienne sera rapide. Le 7 janvier, après avoir prévenu les autorités irakiennes, l’Iran <a href="https://actu.fr/monde/en-represailles-liran-tire-missiles-contre-deux-bases-americaines-irak_30620308.html">tire une vingtaine de missiles</a> contre deux bases américaines en Irak. Tout en annonçant de nouvelles sanctions contre l’Iran, Donald Trump a minimisé les dégâts occasionnés par cette opération et déclaré apprécier l’intervention militaire mesurée de Téhéran. Si le climat bilatéral est plutôt à la prudence et à la désescalade, l’Irak reste aujourd’hui – comme depuis 2003 –, un champ de bataille entre les deux pays. Jusqu’ici, Washington et Téhéran semblent vouloir éviter une guerre qui se déroulerait sans doute en territoire iranien, mais le risque d’erreur de calcul ou de dérapage, aux conséquences incalculables, ne peut être écarté.</p>
<h2>L’incertitude nucléaire</h2>
<p>Autre dossier international qui a rebondi : le nucléaire. Téhéran a revu sa stratégie depuis le mois de mai 2019. Ce changement est motivé par la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/iran/les-etats-unis-sanctionneront-tout-pays-qui-continue-a-acheter-du-petrole-iranien_3410237.html">fin des dérogations</a> accordées par les États-Unis aux huit pays qui étaient encore autorisés à acheter du pétrole iranien. L’Iran ne bénéficiant plus des retombées économiques de l’accord, il a décidé de <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/l-iran-suspend-certains-de-ses-engagements-de-l-accord-sur-le-nucleaire_2076927.html">cesser graduellement d’appliquer une partie de ses engagements</a>. Une stratégie de « dérapage contrôlé » en quelque sorte, visant à mettre la pression sur les signataires – notamment européens – pour qu’ils se désolidarisent de Washington et aident la République islamique à faire face au renforcement des sanctions.</p>
<p>Début janvier 2020, Téhéran annonce sa décision de <a href="https://www.lepoint.fr/monde/nucleaire-l-iran-s-affranchit-de-toute-limite-sur-ses-centrifugeuses-05-01-2020-2356244_24.php">ne plus limiter le nombre de ses centrifugeuses</a>. Dans ces conditions, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni se déclarent contraints de <a href="https://onu-vienne.delegfrance.org/JCPoA-reunion-extraordinaire-de-la-Commission-conjointe-a-Vienne-28-juillet">saisir la Commission conjointe</a> prévue par le mécanisme de règlement des différends (paragraphe 36 de l’accord de juillet 2015) qui prévoit un long parcours jusqu’à une éventuelle saisine du Conseil de sécurité et un possible retour aux sanctions d’avant 2015. Une perspective qui n’est réjouissante pour personne. On constate d’ores et déjà une prise de distance de l’Iran à l’égard de ses partenaires européens. Même s’il cherche à montrer qu’il n’est pas isolé sur la scène internationale – Pékin, Moscou et Téhéran ont organisé des <a href="https://edition.cnn.com/2019/12/27/asia/china-russia-iran-military-drills-intl-hnk/index.html">manœuvres navales conjointes</a> de faible ampleur dans le détroit d’Ormuz –, la plus grande incertitude entoure désormais les évolutions autour de ce dossier.</p>
<h2>Le régime face à la contestation intérieure</h2>
<p>Entre-temps, l’Iran a connu l’une des plus importantes contestations populaires de son histoire.</p>
<p>Le 15 novembre, un haut conseil de coordination économique – organe créé de toutes pièces pour éviter tout débat au Parlement et au Conseil des ministres – annonçait une augmentation importante du prix de l’essence. Quelques heures plus tard, des <a href="https://lexpansion.lexpress.fr/actualites/1/actualite-economique/manifestations-en-iran-apres-une-hausse-des-prix-de-l-essence_2107560.html">manifestations</a> éclataient un peu partout dans le pays. Les slogans des protestataires ont ciblé le régime dans son ensemble : conservateurs, modérés, président et Guide suprême. Rapidement, elles ont tourné à l’émeute. De nombreux bâtiments publics ont été incendiés et des axes routiers bloqués. Le 16 novembre, le gouvernement a procédé à une <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-coupure-d-internet-teste-la-patience-et-l-ingeniosite-des-iraniens-23-11-2019-2349136_24.php">coupure sans précédent d’Internet</a>. Ce couvre-feu numérique et médiatique d’une semaine a permis au régime de réprimer à huis clos. L’agence Reuters a avancé le chiffre de <a href="https://fr.reuters.com/article/World/idFRKBN1YR1XT">1 500 morts</a>. Des milliers de personnes auraient été arrêtées. Rien de comparable aux manifestations qui avaient déjà secoué l’Iran les <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/iran/l-article-a-lire-pour-comprendre-les-manifestations-en-iran_2541929.html">années précédentes</a>.</p>
<p>Pour <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2019/01/17/iran-une-repression-implacable">Human Rights Watch</a>, il s’agit de la répression la plus sanglante depuis la révolution de 1979. Si la mort de Ghassem Soleimani a soulevé l’indignation en Iran, faisant passer ces événements au second plan et semblant même unifier la population derrière le régime, ce « consensus » a été de très courte durée. Les <a href="https://www.sudouest.fr/2020/01/07/funerailles-de-soleimani-en-iran-au-moins-30-morts-dans-une-bousculade-7030538-4803.php">graves incidents</a> survenus lors des funérailles de Soleimani (plus de 50 morts), puis la <a href="https://theconversation.com/vol-ps752-une-combinaison-mortelle-dinsouciance-et-dincompetence-de-liran-129757">dissimulation et les atermoiements du régime</a> autour du crash du vol 752 d’Ukrainian International Airlines (176 morts), ainsi que les <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/iran-pour-khamenei-le-drame-amer-de-l-avion-ne-doit-pas-faire-oublier-le-sacrifice-de-soleimani-20200117">déclarations</a> du Guide mettant l’accent sur le « martyre » de Soleimani au détriment des victimes de la catastrophe ont indigné l’opinion iranienne.</p>
<p>Alors que la contestation est restée bien présente, le climat préélectoral a été marqué par <a href="https://www.france24.com/fr/20200213-en-iran-la-campagne-des-l%C3%A9gislatives-est-lanc%C3%A9e-sans-de-nombreux-r%C3%A9formistes">l’éviction de la grande majorité des candidats réformistes</a>, ce qui ne laisse guère de choix à une population déjà désabusée. L’abstention pourrait être très importante, ce qui bénéficiera aux conservateurs. Rien n’augure d’un apaisement du climat politique, tant en interne qu’à l’international.</p>
<h2>Une économie en crise</h2>
<p>Toujours sur le plan domestique, les problèmes économiques ont été amplifiés par la politique de « pression maximale » imposée par Donald Trump. En mai, nous l’avons dit, Washington a mis fin aux exemptions de sanctions pour les principaux importateurs de pétrole de l’Iran et <a href="https://www.journaldemontreal.com/2019/09/20/iran-trump-annonce-les-sanctions-les-plus-severes-jamais-imposees-a-un-pays">renforcé les sanctions visant le secteur bancaire</a> de ce pays. Les exportations de brut ont <a href="https://www.reuters.com/article/us-iran-oil-products/sanctions-choke-irans-crude-sales-but-oil-product-exports-booming-idUSKCN1VN0H4">chuté de plus de 80 %</a>.</p>
<p>Si Téhéran a réussi à maintenir des échanges commerciaux avec l’Europe et <a href="https://difusion.ulb.ac.be/vufind/Record/ULB-DIPOT:oai:dipot.ulb.ac.be:2013/298432/TOC">la Chine</a>, ceux-ci se sont cependant réduits et stabilisés à un bas niveau. L’économie devrait continuer à se contracter – elle a connu une <a href="https://www.reuters.com/article/us-iran-economy-imf/iran-economy-to-shrink-95-this-year-amid-tighter-us-sanctions-says-imf-idUSKBN1WU28M">récession de 9,5 % en 2019 selon le FMI</a>, ce qui représente sa plus forte contraction depuis l’apogée de la guerre Iran-Irak en 1984. La chute des ventes de pétrole a également entraîné une baisse des recettes en devises de l’Iran (- 20 % par rapport à 2013). Des devises auxquelles Téhéran aurait en outre des difficultés à accéder, en raison des restrictions imposées à son secteur financier. </p>
<p>En conséquence, il aurait du mal à soutenir sa monnaie et à prévenir l’inflation <a href="https://www.statista.com/statistics/294320/iran-inflation-rate/">(31 % cette année selon le FMI)</a>. Sa monnaie <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2019-06-25/risk-stalking-iran-s-sanction-scarred-currency-is-off-the-charts">a perdu 50 % de sa valeur par rapport au dollar</a> sur le marché non officiel depuis mai 2018, ce qui a renchéri les biens et produits importés, y compris ceux de première nécessité (médicaments, langes pour bébé etc.). <a href="https://www.theguardian.com/world/2020/jan/17/ordinary-iranians-suffer-but-regime">1,6 million d’Iraniens seraient tombés dans la pauvreté</a>, annulant plusieurs années d’efforts sous l’administration Rohani. Enfin, le <a href="https://www.imf.org/external/datamapper/LUR@WEO/OEMDC/ADVEC/WEOWORLD/IRN">taux de chômage</a> est passé à 16,8 % en 2019 selon le FMI. Au final, même si quelques perspectives d’amélioration peuvent se dessiner, l’économie iranienne reste sous pression, confrontée à ses défis structurels et assiégée par les sanctions économiques américaines. Un immense défi pour le pouvoir.</p>
<h2>Un régime sclérosé…</h2>
<p>Face à ces développements, que peut faire Téhéran ? Quand un régime se trouve confronté à de graves problèmes internes et à une économie exsangue, que sa politique régionale est contestée, à l’intérieur comme à l’extérieur, et que plane sur lui le risque d’être entraîné dans un conflit majeur, il se doit de réagir. Sa marge de manœuvre est loin d’être inexistante. À l’intérieur, il peut lâcher du lest, promettre de mieux tenir compte des droits de l’homme et ouvrir davantage d’espace à la société civile. Au plan économique, il peut encourager l’initiative privée pour dynamiser son économie, s’attaquer à la corruption et aux lenteurs administratives, promouvoir les investissements internes et étrangers, lutter contre le chômage et la fuite des cerveaux. Par rapport au système régional et global, il peut adopter une stratégie de repli et de réassurance, développer un climat de confiance, réduire la peur et l’hostilité, en montrant son rejet de tout expansionnisme et sa volonté de négocier pour aplanir les divergences avec ses voisins et les États rivaux au niveau international.</p>
<p>Or, que font les responsables de République islamique après cette période tumultueuse que vient de vivre le pays ? Rohani lance un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/01/16/en-iran-l-impossible-appel-a-l-unite-nationale-de-rohani_6026088_3210.html">appel à l’unité nationale</a> sans condamner les Gardiens de la révolution responsables du crash du Boeing ukrainien et sans dire un mot des victimes de la répression de novembre 2019. Quant à Khamenei, son discours n’a rien à voir avec une quelconque réconciliation nationale, son objectif étant la consolidation de sa base. Aucune démission, aucun responsable civil ou militaire démis de ses fonctions, aucune poursuite judiciaire lancée… aucun changement donc. Alors que l’histoire s’accélère, le régime iranien reste identique à lui-même : incapable de se réformer en profondeur ou même de connaître un Thermidor, sclérosé, dans l’impasse, et pesant sur une <a href="https://theconversation.com/limmense-colere-de-la-societe-iranienne-127696">société</a> de plus en plus désespérée. Et ce ne sont pas les législatives du 21 février, à l’issue connue d’avance, qui y changeront quoi que ce soit…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132134/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les législatives iraniennes du 21 février ne changeront rien à la situation catastrophique d’un pays isolé, économiquement sinistré et en proie à une contestation intérieure massive.Thierry Kellner, Chargé de cours (politique étrangère de la Chine), Université Libre de Bruxelles (ULB)Mohammad Reza Djalili, professeur émérite, Institut des hautes études internationales et de développement de GenèveLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1305882020-02-06T18:19:20Z2020-02-06T18:19:20ZUn tribunal international pour juger les djihadistes de Daech ?<p>La fin de l’État islamique (EI) approche et laisse place à de nouvelles interrogations concernant le sort de ses combattants, dont il faut rappeler qu’ils sont issus de plus de 50 pays différents. Au niveau européen, d’après le <a href="https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/2725/files/2020/01/CAT_conf7nov2019.pdf">Centre d’analyse du terrorisme</a>, pas moins de 5 000 personnes ont rejoint la zone irako-syrienne, dont 1 300 Français. Au total, d’après le <a href="https://undocs.org/fr/S/2019/570">dernier rapport rendu à l’ONU</a>, il y aurait actuellement sur les territoires syrien et irakien 30 000 combattants étrangers encore en vie.</p>
<p>Selon certaines informations, 12 000 combattants de l’EI, dont 2 500 à 3 000 étrangers, seraient <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/17/irak-le-drian-a-bagdad-pour-discuter-du-sort-des-combattants-etrangers-de-l-etat-islamique_6015847_3210.html">détenus dans des prisons contrôlées par les Kurdes en Syrie</a>. D’autres, dont le nombre n’est pas connu, sont détenus dans des prisons irakiennes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/313935/original/file-20200206-43128-1w6epep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/313935/original/file-20200206-43128-1w6epep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/313935/original/file-20200206-43128-1w6epep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/313935/original/file-20200206-43128-1w6epep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/313935/original/file-20200206-43128-1w6epep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=370&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/313935/original/file-20200206-43128-1w6epep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=370&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/313935/original/file-20200206-43128-1w6epep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=370&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Image du documentaire <em>Daech, naissance d’un État islamique</em>, de Jérôme Fritel (2015).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Troisième Œil Productions/Arte</span></span>
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<h2>Quel tribunal existant serait compétent pour les juger ?</h2>
<p>La première hypothèse serait de faire juger ces personnes par leurs États respectifs, c’est-à-dire les États dont ils possèdent la nationalité (sachant que les lois d’extradition varient d’un État à l’autre). Cette solution présenterait l’avantage que chaque individu soit effectivement jugé. Toutefois, elle aurait aussi le net désavatange de soumettre ces individus à des droits différents, des peines différentes, mais surtout des garanties en matière de droit au procès équitable différentes. Il n’en reste pas moins que c’est ce que souhaitent les autorités sur place. Le ministre des Affaires étrangères irakien, Mohamed Ali Al-Hakim, a estimé en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/25/le-jugement-en-irak-des-combattants-etrangers-de-l-ei-est-de-plus-en-plus-compromis_6016826_3210.html">octobre 2019</a> au sujet des combattants étrangers que « les pays concernés doivent prendre des mesures nécessaires et appropriées pour les juger ».</p>
<p>La seconde hypothèse à l’échelon national serait de laisser les États où les crimes ont été commis juger les djihadistes de Daech. Toutefois, certains avocats français et observateurs d’ONG estiment que les <a href="https://www.lci.fr/terrorisme/djihadistes-francais-condamnes-a-mort-en-irak-la-france-est-elle-dans-l-illegalite-2129548.html">prévenus ne bénéficient pas d’un procès équitable en Irak et en Syrie</a>. Des associations de familles de djihadistes ont dernièrement dénoncé les humiliations et les tortures qu’ont pu subir les condamnés. C’est notamment le cas du <a href="http://www.famillesunies.fr/">collectif « Familles unies »</a>. De <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041515060&categorieLien=id">nombreuses condamnations à mort ont déjà été prononcées</a> (dont au moins <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/un-jour-dans-le-monde/un-jour-dans-le-monde-29-janvier-2020**">11</a> à l’encontre de Français). Cette solution ne semble donc pas la plus appropriée.</p>
<p>Les États de l’UE, entre autres, sont globalement favorables à cette solution qui aurait l’avantage de ne pas rapatrier les djihadistes sur le territoire européen, où ils pourraient, même depuis la prison, propager leur idéologie. La position française a toutefois légèrement changé ces derniers mois. En effet, début janvier, la ministre de la Justice a estimé qu’il faudrait peut-être songer à <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/01/12/nicole-belloubet-emet-l-hypothese-d-un-rapatriement-des-djihadistes-francais_6025572_3224.html">juger nos nationaux en France</a>.</p>
<h2>Qu’en est-il de la Cour pénale internationale ?</h2>
<p>La CPI a compétence pour juger les actes constitutifs de crime contre l’humanité, de génocide, de crime de guerre ou d’agression dès lors qu’ils sont commis sur le territoire d’un État membre ou par un ressortissant d’un État membre.</p>
<p>Concrètement, la Cour pourrait juger certains de ces individus non pas pour « terrorisme » (la Cour n’a pas compétence pour ce crime spécifique) mais pour crime contre l’humanité, de guerre, d’agression ou génocide. Pour cela, deux hypothèses sont à étudier.</p>
<p>Selon la première, il faudrait que les faits aient été commis sur le territoire d’un État membre. Or le territoire de Daech communément admis correspondait à une zone à cheval sur l’Irak et la Syrie, deux États qui ne sont pas parties à la Cour. La CPI ne peut donc pas juger les faits qui y ont été commis. Bagdad et Damas pourraient, en théorie, « consentir à ce que la Cour exerce sa compétence » pour une période précise (Article 12-3 du <a href="https://legal.un.org/icc/statute/french/rome_statute(f).pdf">Statut de la Cour</a>). Une solution qui semble peu réalisable.</p>
<p>Mais Daech a également agi (par le biais d’attentats par exemple) sur le territoire de certains États parties à la CPI (Afghanistan, Mali, France…).</p>
<p>Pour la seconde, il faudrait que les djihadistes soient ressortissants d’un État partie à la CPI. Ce serait par exemple le cas des djihadistes français, belges, allemands… Actuellement, 122 États ont ratifié le Statut de la Cour ; potentiellement, tous les djihadistes ressortissants d’un de ces États pourraient être poursuivis devant la Cour.</p>
<p>Là encore, l’issue risque d’être compliquée car, pour mener ses enquêtes, la Cour aurait besoin de se rendre sur place, et cela ne se fera pas sans la coopération des États où les actes ont été commis… Ce qui semble très peu probable pour une bonne partie des États concernés, à commencer par l’Irak et la Syrie.</p>
<p>Concrètement, cela signifie que la Cour pénale internationale n’aurait qu’une compétence très limitée concernant les faits commis par des djihadistes, et aucune compétence pour les faits commis par des djihadistes n’ayant pas la nationalité d’un État partie sur le territoire syrien et irakien.</p>
<p>Il ne serait pas dans l’intérêt de ces deux États de coopérer avec la Cour pénale internationale car les enquêteurs se doivent d’être indépendants et neutres. Ce qui signifie qu’ils devraient enquêter sur la situation globale : sur les actes commis par les membres de Daech, mais aussi sur ceux commis par des représentants des régimes officiels irakien et syrien. Et l’on comprend aisément que les dirigeants de ces États ne voudront pas qu’une Cour se mèle de leurs affaires internes.</p>
<h2>Pourquoi pas un tribunal international ?</h2>
<p>La dernière solution serait de créer un tribunal international pour juger de cette situation précise, un tribunal <em>ad hoc</em>. Il existe deux types de tribunaux internationaux. D’une part, ceux établis par des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU : le <a href="https://www.icty.org/fr/le-tribunal-en-bref">Tribunal international pour la Yougoslavie</a> (1993) et le <a href="https://unictr.irmct.org/fr/accueil">Tribunal international pour le Rwanda</a> (1994). D’autre part, ceux créés à travers des accords passés entre les Nations unies et les États concernés : <a href="https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/0/1adf75435d6055ebc1256c21003d544c">Tribunal spécial pour la Sierra Leone</a> (2002), <a href="https://www.eccc.gov.kh/fr/node/39457">Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens</a> (2003), <a href="https://www.stl-tsl.org/fr">Tribunal international pour le Liban</a> en (2006). Le droit y est mixte, et la procédure aussi.</p>
<p>L’idée de la mise en place d’un tribunal international chargé de juger les crimes commis par Daech est notamment défendue par Karim Khan, Conseiller spécial de l’ONU et chef de l’équipe d’enquêteurs sur Daech créée en 2017 par la <a href="https://www.un.org/securitycouncil/fr/content/sres2379-2017">résolution 2379</a>. Il estime, en effet, qu’il faudrait <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/le-chef-des-enqueteurs-de-l-onu-plaide-pour-un-nuremberg-de-Daech_2092171.html">« juger Daech avec un tribunal à l’image de Nuremberg »</a>.</p>
<p>Toutefois, on imagine mal les États membres du Conseil de sécurité se mettre d’accord pour imposer la création d’un tel tribunal. En effet, les situations irakienne et syrienne ne font pas l’unanimité au sein du Conseil de Sécurité. Les États-Unis et la Russie ne partagent pas du tout les mêmes positions, n’ont pas les mêmes alliés dans la région. Il semble très peu concevable qu’ils se mettent d’accord sur la façon dont cela devrait être géré, d’autant qu’ils craindraient sans doute que leurs propres agissements soient jugés…</p>
<p>Et on imagine encore moins que l’Irak ou la Syrie demandent la création, en collaboration avec les Nations unies, d’un tribunal destiné à juger les actes commis sur leur territoire (ne serait-ce que parce que, comme dans le cas de la CPI évoqué plus haut, un tel tribunal devrait pouvoir juger les membres des différents « camps »).</p>
<p>Toutes ces solutions ont des avantages et des défauts. La plus souhaitable serait probablement la création d’un tribunal international où le droit serait uniforme et le droit au procès équitable garanti, mais une telle option semble quasiment impossible. La solution la plus plausible et à moindre mal serait que les États de nationalité des djihadistes se chargent des procès (plutôt que laisser cette charge aux tribunaux irakiens et syriens). Cette solution serait probablement, de toutes les options possibles, la moins attentatoire aux droits de l’homme.</p>
<p>Toutefois, là encore, les États ne sont pas tous d’accord sur le sort à accorder à leurs nationaux. Certains, on l’a dit, souhaitent que les États où les faits ont été commis jugent leurs nationaux (le but étant de ne pas avoir à récupérer des djihadistes dans leurs prisons afin qu’ils convertissent d’autres prisonniers). D’autres, comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Belgique, ou encore les Pays-Bas, préconisent la création d’un tribunal sous l’égide des Nations unies. Enfin, quelques États commencent, à l’instar de la France, à vouloir juger eux-mêmes leurs ressortissants. Le débat reste ouvert…</p>
<hr>
<p><em>Cet article est republié dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/130588/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Camille Cressent ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment juger les combattants de Daech ? Tour d’horizon des diverses options envisageables, des tribunaux locaux à des juridictions internationales qui seraient créées ad hoc.Camille Cressent, Doctorante en droit international public - ATER, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1309132020-02-04T19:50:48Z2020-02-04T19:50:48ZAprès la mort de Soleimani, peut-on mettre un terme aux guerres au Moyen-Orient ?<p>Dans les jours qui ont suivi la disparition de Ghassem Soleimani et d’Abou Mehdi al-Mouhandis, des <a href="https://www.ft.com/content/4d0e4e78-2df1-11ea-a126-99756bd8f45e">commentateurs</a> ont voulu voir dans cet acte l’annonce d’une <a href="https://www.newyorker.com/news/daily-comment/the-dangers-posed-by-the-killing-of-qassem-suleimani">possible guerre au Moyen-Orient</a>. Ce discours, parfois combiné à un éloge de la stabilité que l’action contre le chef de guerre iranien aurait mise en péril, tend quelque peu à faire oublier ce qu’est la région aujourd’hui.</p>
<h2>Une région en état de guerre depuis des années</h2>
<p>Au cours des neuf dernières années, la guerre en Syrie a fait plus de <a href="https://www.nytimes.com/2018/04/13/world/middleeast/syria-death-toll.html">500 000 morts</a> ; celle au Yémen s’est traduite par <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/oct/31/death-toll-in-yemen-war-reaches-100000">plus de 100 000 victimes</a> ; l’Irak est loin d’être pacifié et la Libye encore moins.</p>
<p>Il faut ajouter à ce tableau la poursuite de manifestations d’ampleur en Iran, où la répression, en décembre, a entraîné la <a href="https://www.reuters.com/article/us-iran-protests-specialreport/special-report-irans-leader-ordered-crackdown-on-unrest-do-whatever-it-takes-to-end-it-idUSKBN1YR0QR">mort d’environ 1 500 personnes</a> ; les <a href="https://www.nbcnews.com/news/us-news/hundreds-injured-lebanon-amid-continued-crackdown-beirut-protests-n1118621">mouvements de protestation au Liban</a> continuent ; et les <a href="https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/?destination=%2fworld%2fmiddle_east%2fegypt-expands-its-crackdown-to-target-foreigners-journalists-and-even-children%2f2019%2f10%2f30%2fd83ef1ae-f1a2-11e9-b2da-606ba1ef30e3_story.html%3f">violations des droits de l’homme en Égypte</a> se sont encore accrues en 2019. En outre, <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20190702-us-experts-Daech-not-defeated-despite-losing-territory-in-iraq-syria/">Daech aussi est loin d’être vaincu</a>.</p>
<p>Au Moyen-Orient, les guerres – aux dimensions simultanément civile et extérieure – ne sont pas une réalité future, mais un fait présent. Les premières victimes en sont les civils.</p>
<p>Les « récits » sur la stabilité – qu’on ne confondra pas avec la désescalade – paraissent courts, quand ils ne visent pas à conforter les régimes autoritaires et leurs parrains. Si le <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2020/01/qassem-solemani-iran-response-hezbollah-hamas/604849/">fait de tuer Soleimani</a> n’est <a href="https://theconversation.com/elimination-de-ghassem-soleimani-une-dangereuse-escalade-dans-la-politique-americaine-dassassinats-cibles-129308">pas un acte légal</a> et si l’on peut discuter de son opportunité, les <a href="https://www.aljumhuriya.net/en/content/soleimani-syria-legacy-death-and-devastation">massacres que le général a supervisés</a> et les <a href="https://www.newstatesman.com/world/middle-east/2020/01/qasem-soleimani-brutalised-middle-east-bloodshed-far-over">actions de déstabilisation qu’il a engagées</a> en Irak, en Syrie et au Liban <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/jan/05/soleimani-death-huge-blow-to-iran-plans-for-regional-domination">ne font l’objet d’aucun doute</a>. </p>
<p>Ces faits ont été justement <a href="https://fr.franceintheus.org/spip.php?article9512">rappelés par la France</a>. Certains se sont inquiétés d’une <a href="https://www.lepoint.fr/debats/araud-que-signifie-l-assassinat-de-soleimani-par-les-americains-06-01-2020-2356261_2.php">guerre plus qu’improbable</a> entre les États-Unis et l’Iran, mais nul ne peut considérer qu’il convient de laisser le Moyen-Orient dans l’état où il se trouve aujourd’hui. Il est trop aisé, aussi, d’estimer que la <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2020/01/12/liran-a-deja-gagne-sa-guerre-dirak-contre-les-etats-unis/">mort de Soleimani entérinerait la victoire de l’Iran</a>.</p>
<p>Les menées déstabilisatrices de l’Iran comme de la Russie exigent une réponse et une stratégie que nul n’a aujourd’hui formulées. La stabilisation, devant des acteurs qui œuvrent dans le sens contraire, n’est pas une politique car elle signifierait l’acceptation du fait accompli et de leur emprise. Une intervention massive n’est pas plus souhaitable. Dès lors, que faire ?</p>
<h2>Peut-on sauver l’Irak ?</h2>
<p>L’Irak est dans un état de quasi-conflit permanent depuis quarante ans : guerre Iran-Irak (1980-1988, plus d’un million de victimes et utilisation d’armes chimiques par Saddam Hussein), première guerre du Golfe (1990-1991), intervention américaine (2003-2011) et guerre civile (2006-2008), seconde guerre civile à partir de 2011 et apparition de l’État islamique (2013), formation de la coalition anti-Daech (2014), nouvelles manifestations durement réprimées en 2019 (<a href="https://news.un.org/en/story/2019/12/1052641">plus de 400 morts</a>), etc.</p>
<p>Au cours des dernières périodes, les milices irakiennes chiites – principalement les forces de mobilisation populaire soutenues par l’Iran sous l’autorité de Soleimani – ont joué un rôle déterminant dans le contrôle du pays, le <a href="https://www.wsj.com/articles/the-sinister-genius-of-qassem-soleimani-11578681560">général de la force Al-Qods ayant d’ailleurs également favorisé certains éléments sunnites</a>. Un temps considéré comme l’incarnation du courant chiite anti-iranien, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1203657/moqtada-sadr-a-lassaut-de-la-revolution.html">Moqtada al-Sadr paraît désormais jouer la carte de Téhéran</a> comme en témoigne la manifestation qu’il a organisée le 24 janvier 2020 contre la présence américaine.</p>
<p>Toutefois, tous les chiites irakiens sont loin de prêter allégeance à Téhéran. <a href="https://time.com/5723831/iraq-protests/">Lors des dernières manifestations</a> en Irak, on a vu, à l’instar du Liban, apparaître une volonté de <a href="https://www.france24.com/en/20200120-iraq-protesters-battle-security-forces-in-bid-to-shut-baghdad-streets">lutter contre le régime dans toutes ses composantes</a> et de bannir la division sectaire chiites/sunnites en <a href="https://www.newyorker.com/news/news-desk/the-middle-easts-great-divide-is-not-sectarianism">large partie imposée de l’extérieur</a> et <a href="https://tcf.org/content/report/waning-relevance-sunni-shia-divide/">qui ne correspond que très imparfaitement aux conflits réels</a>.</p>
<p>Enfin, <a href="https://www.pbs.org/newshour/show/why-the-caliphates-fall-is-a-milestone-but-not-the-end-for-isis">après la chute de Mossoul et de Raqqa</a>, Daech a <a href="https://syriadirect.org/news/with-new-tactics-and-targets-isis-demonstrates-resilience-in-syria-interactive-map/">changé de tactique de combat</a> en <a href="https://www.mei.edu/sites/default/files/2018-11/PP10_Hassan_ISISCT.pdf">se fondant dans la population</a>.</p>
<p>L’Irak n’est jamais sorti de ses divisions. Son président et son premier ministre ne contrôlent pas réellement l’ensemble du territoire, <a href="https://warontherocks.com/2019/11/a-state-with-four-armies-how-to-deal-with-the-case-of-iraq/">ni même l’ensemble des forces armées</a>. La <a href="https://www.transparency.org/country/IRQ">corruption</a> y est l’une des plus élevées du monde, rendant le pays <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-lirak-peut-il-devenir-un-lieu-sur-pour-les-investisseurs-internationaux-1029811">impropre à recevoir des investissements</a> étrangers significatifs, et la pauvreté <a href="https://thearabweekly.com/poverty-resentment-corruption-among-engines-continuing-protests-iraq">atteint plus d’un cinquième de ses habitants</a>.</p>
<p>Les États-Unis, depuis la chute de Saddam Hussein, n’ont jamais eu une <a href="https://www.csis.org/analysis/americas-failed-strategy-middle-east-losing-iraq-and-gulf">stratégie cohérente pour le pays</a>. Le premier dilemme est le suivant : d’un côté, au-delà de la lutte contre Daech, un départ complet des forces américaines laisserait le champ libre à l’Iran ; de l’autre, devant le slogan répété « ni Iran, ni États-Unis », l’Amérique doit montrer qu’elle peut être un élément de sécurité et de bonne administration. Est-ce encore possible ? Le passif de Washington est trop lourd et la <a href="https://www.politico.com/news/magazine/2020/01/12/iran-middle-eastern-problem-soleimani-figured-out-097350">diffusion de l’influence iranienne</a>, fût-elle rejetée par une majorité, semble trop profonde. D’où un second dilemme : au-delà de la tendance au désengagement de Donald Trump, une présence militaire forte de l’Amérique paraît peu acceptable pour la population, mais une assistance à la marge est condamnée à ne produire aucun effet.</p>
<h2>La Syrie au cœur de notre abandon</h2>
<p>En Syrie, l’Iran, mais aussi la Russie, agissent en terrain conquis en raison de leur appui au régime Assad qui, sans eux, se serait effondré en 2015 – d’où le <a href="https://www.reuters.com/article/us-mideast-crisis-syria-soleimani-insigh/how-iranian-general-plotted-out-syrian-assault-in-moscow-idUSKCN0S02BV20151006">plaidoyer de Soleimani auprès de Poutine</a> pour une intervention. Au-delà de leur <a href="https://www.mei.edu/publications/russia-iran-and-competition-shape-syrias-future">concurrence dans la prédation des richesses du pays</a>, Moscou et Téhéran ont le même intérêt en termes de <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/vladimir-poutine-guerre-russe-syrie-change-ordre-du-monde-XXI-e-siecle_fr_5c931dbee4b0da33837f0675">déstabilisation de la région et de destruction des normes internationales</a>. Les différences sont aussi tangibles : les crimes de guerre commis par Assad et ses alliés sont sans comparaison. La guerre y est ouverte et permanente.</p>
<p>Autant la situation en Irak rendait une nouvelle intervention d’ampleur infaisable politiquement et militairement, autant en Syrie, après les attaques chimiques contre la Ghouta, <a href="https://theconversation.com/la-guerre-dextermination-en-syrie-et-la-fin-du-sens-commun-66342">pendant le siège d’Alep</a>, voire aujourd’hui, une action pour éviter les massacres du régime était possible. Nous aurions pu non seulement sauver des centaines de milliers de vies, mais aussi mettre un terme aux opérations de la Russie et de l’Iran. Nous avons abandonné les civils, mais également <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/sommes-nous-trop-laches-pour-mettre-fin-a-la-guerre-dextermination-dassad-et-poutine-en-syrie_fr_5e060cb5e4b0843d36058f98">renoncé à toute politique de dissuasion</a> et refusé de prendre au sérieux les menaces stratégiques posées par ces pays. Nous avons laissé ces influences prospérer au cœur du Moyen-Orient sans en mesurer les conséquences d’ensemble.</p>
<h2>S’engager pour le Liban</h2>
<p>Le Liban est le champ d’affrontements liés à un récit sectaire qui a donné lieu à une guerre civile (1975-1990) dont le bilan oscille entre 130 et 200 000 victimes civiles. Les affrontements comme les attentats n’y ont jamais entièrement cessé. Si le Liban n’est plus le quasi-protectorat syrien qu’il fut jusqu’au milieu des années 2000, les <a href="https://thearabweekly.com/syria-political-influence-beats-odds-again-lebanon">liens avec le régime Assad persistent dans une partie de la classe politique</a>.</p>
<p>Les accords de partage du pouvoir – et des ressources – entre chrétiens et chiites liés au Hezbollah soutenu par l’Iran ont montré leur fragilité et se sont traduits par une impasse politique et économique. Le Liban continue d’être soumis à des influences extérieures et n’est pas parvenu à s’en émanciper. Les protestations actuelles ont traduit, en même temps que l’écœurement devant la corruption, la <a href="https://carnegie-mec.org/2019/11/10/for-emergency-economic-rescue-plan-for-lebanon-pub-80307">crise économique</a> et la faillite du gouvernement, une <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/manifestations-au-liban-les-raisons-de-la-colere">envie d’unité et de fierté nationale retrouvées</a>. Ce sentiment prévaut dans l’ensemble des « communautés », y compris chez les chiites.</p>
<p>Au-delà des rivalités prédatrices des clans au pouvoir, la seule effective « stabilisation » du Liban ne peut provenir que d’un combat contre les ingérences étrangères, en particulier de l’Iran et de la Syrie. Le renforcement définitif du régime de Damas grâce à ses parrains pourrait avoir des conséquences sur l’existence du Liban en tant qu’État indépendant. Les États occidentaux ne semblent pas savoir comment agir devant la crise qui sous-tend le pays, la plupart de leurs contacts anciens paraissant promis à un retrait de la scène politique. Or, s’ils abandonnaient le Liban comme ils ont lâché la Syrie, ils subiraient une défaite stratégique supplémentaire en laissant le contrôle du pays à des régimes hostiles à nos valeurs et menaçants pour notre sécurité.</p>
<h2>La stratégie au Moyen-Orient commence par les récits</h2>
<p>S’il fallait rappeler la situation dans ces trois pays, c’est d’abord pour montrer que l’Iran est, depuis longtemps, le facteur majeur de déstabilisation de la région. Il faut y ajouter le Yémen où les Houthis, pourtant membres à l’origine de la <a href="http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1381963-yemen-la-guerre-actuelle-n-est-pas-un-conflit-chiites-sunnites-c-est-plus-complexe.html">secte zaydite en rupture avec le chiisme iranien</a>, se sont de plus en plus tournés vers Téhéran, le jeu des puissances régionales et l’absence de stratégie de l’Occident ayant <a href="https://theconversation.com/yemen-strategie-de-lurgence-lurgence-dune-strategie-98862">exporté dans ce pays un conflit sectaire qui lui était étranger</a>. Cette déstabilisation définit la <a href="https://www.iiss.org/publications/strategic-dossiers/iran-dossier/iran-19-03-ch-1-tehrans-strategic-intent">stratégie du régime iranien, qui y a consacré des ressources considérables</a>. En Syrie, la Russie y a vu un élément concordant avec la sienne.</p>
<p>Un autre récit, empruntant à un <em>whataboutisme</em> devenu commun, met en avant le danger représenté par l’Arabie saoudite plutôt que sur celui de Téhéran. Or, autant il importe de condamner les <a href="https://www.france24.com/fr/20190903-yemen-crimes-guerre-arabie-saoudite-rapport-experts-onu-condamnation-tribunal">crimes de guerre de Riyad au Yémen</a>, la <a href="https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/ ?destination= %2fworld %2f2019 %2f11 %2f26 %2fsaudi-arabias-crackdown-dissent-keeps-going-here-are-latest-arrests %2f %3f">répression sans fin de ses dissidents</a>, l’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/23/cinq-condamnations-a-mort-prononcees-a-l-encontre-des-meurtriers-de-khashoggi_6023872_3210.html">assassinat barbare de Jamal Khashoggi</a> et le financement par <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/comment-le-salafisme-d-arabie-saoudite-gangrene-l-islam-des-balkans_1911343.html">certains réseaux wahhabites du salafisme en Europe</a>, autant il n’existe pas d’expansionnisme régional et de volonté de déstabilisation du Moyen-Orient de la part du Royaume.</p>
<p>On doit plutôt craindre, <a href="http://www.slate.fr/story/170586/arabie-saoudite-confiance-politique-internationale">comme nous l’avions souligné</a>, une absence de stratégie et de vision globale qui empêche de considérer Riyad comme un allié conséquent, y compris pour contrer Téhéran. Les <a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/syriasource/bashar-al-assad-and-the-greater-arab-world/">déclarations accommodantes du Prince héritier envers Assad</a>, déterminées par sa hantise du Printemps arabe, en sont l’un des signes.</p>
<p>Dès lors, une <em>pax persica</em> ne signifierait en rien une « stabilisation », mais au contraire la poursuite d’un chaos dont profiteraient sur le plan stratégique la Russie, la Chine et Daech. Elle rendrait aussi la Turquie, membre de l’OTAN, encore plus dépendante de la Russie. Elle renforcerait la tendance à l’autoritarisme de tous les régimes de la région, leur action de répression ajoutant à l’instabilité et au développement du terrorisme. Enfin, elle ferait peser une menace sécuritaire directe sur l’Europe et l’Amérique.</p>
<p>Le contrôle par Téhéran ou ses milices des gouvernements en Syrie, en Irak et au Liban ne saurait être considéré comme acceptable pour l’Occident, ni sur le plan des principes, ni en termes stratégiques. Ces trois pays sont les pièces d’une stratégie coordonnée. « Traiter » l’action de l’Iran en Irak sans le faire en Syrie et au Liban, voire au Yémen, n’aurait aucun sens. On ne saurait dissocier dans une nécessaire contre-offensive Téhéran et Moscou. Cela signifie pour l’Europe comme pour les États-Unis une stratégie qui repose sur trois principes clairs.</p>
<p>D’abord, nous devons accroître notre présence et notre action d’assistance envers l’Irak tout en prêtant une attention plus forte à la lutte contre la corruption et aux populations civiles. Ensuite, il nous faut aider le Liban à se débarrasser de l’ancienne division sectaire et être plus clairs sur les réformes que le gouvernement doit mettre en place pour sortir le pays de son impéritie. Enfin, voire surtout, en <a href="https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/ ?destination= %2fopinions %2fglobal-opinions %2fsoleimanis-death-offers-a-chance-to-fix-us-policy-on-syria %2f2020 %2f01 %2f09 %2faded2716-330d-11ea-a053-dc6d944ba776_story.html %3f">Syrie</a>, nous ne pouvons considérer comme acceptable que le pays soit aux mains d’un <a href="https://www.internationalaffairs.org.au/australianoutlook/justice-syria-international-criminal-court/">criminel contre l’humanité</a> et ses parrains. Vouloir lutter, comme le fait Israël, contre la menace iranienne dans ce pays en recourant à des frappes ciblées n’a qu’une portée limitée si cela s’accompagne d’une <a href="https://www.haaretz.com/middle-east-news/.premium-syria-s-assad-has-become-israel-s-ally-1.6240499">impunité pour le régime Assad et la Russie</a>. Ces actions supposent un réengagement diplomatique avec les pays du Golfe aujourd’hui enclins à accepter le fait accompli dans le contexte du vide laissé par le désengagement américain, commencé sous Obama et amplifié sous Trump, et la pusillanimité de l’Europe devant les menées du Kremlin.</p>
<p>Existe-t-il toutefois une telle volonté des deux côtés de l’Atlantique ?</p>
<hr>
<p><em>Cet article est republié dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/130913/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Tenzer est président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique (CERAP), un think tank français neutre politiquement et indépendant de tout parti et groupe d'intérêts.</span></em></p>Ghassem Soleimani n’incarnait pas la stabilité, au contraire. Pour autant, son assassinat ne va évidemment pas apaiser un Moyen-Orient en proie aux guerres et à la déstabilisation politique.Nicolas Tenzer, Chargé d'enseignement International Public Affairs, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1298182020-01-14T21:09:11Z2020-01-14T21:09:11ZLa crise entre les États-Unis, l’Iran et l’Irak : la fin du droit international ?<p>Depuis une dizaine de jours, le conflit larvé entre les États-Unis
et l’Iran a connu une inquiétante escalade, avec un raid meurtrier le 3 janvier qui a notamment causé la mort d’un haut responsable du régime iranien, Ghassem Soleimani, puis une action militaire le 8 contre deux bases de l’armée américaine stationnées en Irak. À ce moment précis, beaucoup ont craint un embrasement de la région, au vu de la force des armées en présence, et c’est avec un certain soulagement que les <a href="https://www.journaldemontreal.com/2020/01/07/iran-trump-fera-une-declaration-mercredi-matin">propos plus apaisants du président Trump</a> ont été accueillis.</p>
<p>Comme on pouvait s’y attendre, ces événements ont suscité des réticences, pour ne pas dire des critiques très vives, de divers spécialistes du droit international (comme <a href="https://www.ejiltalk.org/the-killing-of-soleimani-and-international-law/">Mary Ellen O’Connell, de l’Université de Notre-Dame</a>, <a href="https://www.ejiltalk.org/the-soleimani-strike-and-self-defence-against-an-imminent-armed-attack/">Marko Milanovic, de l’Université de Nottingham</a>, ou <a href="https://www.bbc.com/news/world-51007961">Ralph Wilde, de l’University College London</a>), dont certains ont tout simplement annoncé la mort (comme <a href="https://francais.rt.com/magazines/interdit-d-interdire/69993-iran-usa-la-guerre-est-elle-declaree">Stéphane Rials, de l’Université Paris 2</a>). Pourtant, les États-Unis comme l’Iran ont envoyé une lettre au Conseil de sécurité pour développer une argumentation juridique relativement précise, tournant autour de la légitime défense au sens de <a href="https://www.lawfareblog.com/us-and-iran-submit-article-51-letters-use-force">l’article 51 de la Charte des Nations unies</a>. Ces arguments sont-ils fondés ? Ou ne masquent-ils pas tout simplement une politique de force qui tend à éroder, si non à saper, la Charte ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1215374196987060224"}"></div></p>
<h2>Les arguments américains…</h2>
<p>Dans leur lettre du 8 janvier, les États-Unis dénoncent une « série d’attaques » qui auraient préalablement été menées par l’Iran et affirment qu’ils avaient, dès lors, la possibilité de le frapper afin de le « dissuader » d’en mener de nouvelles. L’aspect purement préventif de l’exécution de Soleimani, dont on a prétendu qu’il planifiait des actions meurtrières contre les États-Unis, a été dénoncé par plusieurs spécialistes de droit international, à la fois en raison du manque de preuves avancées à son appui et de sa fragilité sur le plan juridique.</p>
<p>Absente de la Charte ou de la jurisprudence existante, la « guerre » ou la « légitime défense préventive » a en effet été fermement condamnée par l’immense majorité des États, en particulier <a href="https://www.lgdj.fr/le-droit-contre-la-guerre-9782233007001.html">après l’invasion de l’Irak en 2003</a>. Quant aux attaques iraniennes antérieures dénoncées par les États-Unis, un examen attentif des faits allégués laisse pour le moins perplexe. Les incidents qui ont touché leur ambassade le 31 décembre 2019 à Bagdad (aucun mort ni blessé parmi le personnel diplomatique) ainsi que l’action menée par une milice liée à l’Iran le 27 décembre 2019 contre une de leurs bases militaires (un sous-traitant mort et quatre soldats blessés) semblent bien loin d’atteindre le seuil d’une « agression armée » qui, selon le texte de l’article 51 de la Charte, conditionne le déclenchement d’une légitime défense.</p>
<p>Selon la jurisprudence existante, cette notion doit s’entendre assez strictement, précisément pour éviter un engrenage belliqueux : il ne suffit donc pas de pointer un incident ou un accrochage, mais de montrer que l’on est devant l’une des « formes les plus graves de l’emploi de la force » (<a href="https://www.icj-cij.org/fr/affaire/70">Cour internationale de Justice, Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua</a>, Recueil 1986, p. 101, par. 191).</p>
<p>L’administration Trump se réfère encore à des incidents antérieurs, tels <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/20/l-iran-a-abattu-un-drone-americain-au-dessus-du-golfe_5478900_3210.html">l’interception d’un drone américain en juin 2019</a> dans l’espace aérien iranien (selon l’Iran) ou international (selon les États-Unis) ou des accrochages avec des navires de diverses nationalités dans le Golfe. Mais, là encore, ces actes isolés (et qui ne visent pas tous les États-Unis, ce qui empêche ces derniers de s’en prévaloir pour fonder une légitime défense individuelle) peuvent difficilement être assimilés à une agression armée.</p>
<p>On rappellera en ce sens que la Cour internationale de Justice a déjà été amenée à se prononcer sur une série d’incidents dans le Golfe arabo-persique, au début des années 2000. Prenant en compte une série d’entre eux, qui avaient été invoqués par les États-Unis pour <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_2003_num_49_1_3752">bombarder des plates-formes pétrolières iraniennes</a> en légitime défense, la Cour constate que « même pris conjointement […] ces incidents ne semblent pas à la Cour constituer une agression armée contre les États-Unis […] » (<a href="https://www.icj-cij.org/fr/affaire/90">C.I.J., Affaire des Plates-formes pétrolières (Iran/États-Unis), Recueil 2003, p. 192, par. 64</a>). En transposant ces propos aux événements plus récents, il est manifeste que la « légitime défense » peut difficilement fonder l’action militaire menée contre l’Iran le 3 janvier dernier.</p>
<h2>… et les arguments iraniens</h2>
<p>Est-ce à dire que l’Iran était en droit de riposter en lançant des frappes contres les bases des États-Unis en Irak, le 8 janvier ? Il est permis d’en douter. Certes, on peut sans doute estimer que le raid qui a abouti à la mort de Soleimani, l’un des plus hauts responsables militaires de l’État iranien, est suffisamment grave pour atteindre le seuil d’une agression armée. Cependant, et en tout état de cause, rien ne peut justifier le bombardement d’un État comme l’Irak, lequel n’a donné son consentement ni aux frappes iraniennes, ni aux actions militaires des États-Unis.</p>
<p>On touche ici à l’un des problèmes les plus aigus soulevés par ces événements. Les deux États en conflit font comme s’ils étaient habilités à utiliser le territoire irakien comme un champ de bataille, en le bombardant à plusieurs reprises : rappelons à cet égard une action militaire des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/29/apres-la-mort-d-un-de-ses-ressortissants-washington-frappe-cinq-bases-du-hezbollah-irakien_6024345_3210.html">États-Unis le 29 décembre dernier, qui a fait une trentaine de victimes irakiennes</a>. Or, pour que les armées américaine ou iranienne soient en mesure de viser l’Irak conformément au droit international, il faudrait démontrer que ce dernier a été directement impliqué soit dans les attaques iraniennes contre les États-Unis, soit dans l’action de ces derniers contre le général Soleimani. Une tâche qui s’avère plus que délicate à accomplir au vu des protestations récurrentes de Bagdad, et que ni les États-Unis ni l’Iran n’ont d’ailleurs même envisagées dans leurs lettres adressées à l’ONU.</p>
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<p>C’est dans ce contexte que certains ont annoncé la « mort du droit international », les États s’estimant libres de lancer des actions militaires sur le territoire d’États souverains, sans même chercher à se justifier. L’avenir dira si ce précédent, qui s’ajoute à d’autres (il suffit de penser aux attaques menées par la Turquie contre les Kurdes en Syrie ou en Irak, par exemple), est de nature à rendre obsolète l’instrument élaboré en 1945 en vue d’éloigner les perspectives d’une Troisième Guerre mondiale…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129818/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Corten ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les États-Unis ont tué Ghassem Soleimani sur le territoire irakien, et l’Iran a réagi en visant des bases américaines situées en Irak. Victime collatérale de cette affaire : le droit international…Olivier Corten, Professeur de droit international, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1293082020-01-03T18:12:00Z2020-01-03T18:12:00ZÉlimination de Ghassem Soleimani : une dangereuse escalade dans la politique américaine d'assassinats ciblés<p>Le général iranien Ghassem Soleimani, commandant de la Force Al-Qods, l'unité d'élite des Gardiens de la révolution, a été tué <a href="https://www.theguardian.com/world/live/2020/jan/03/iran-general-qassem-suleimani-killed-us-trump-drone-strike-baghdad-reaction-live-updates#block-5e0f1fc18f085eda5c1116ef">par une frappe aérienne américaine</a> aux premières heures du 3 janvier.</p>
<p>Il s'agit du développement le plus récent et le plus important du conflit par procuration qui oppose les États-Unis à l'Iran. Ce conflit se déroule en large part sur le territoire irakien. Il y a quelques jours à peine, l’ambassade américaine à Bagdad a subi une <a href="https://www.bbc.co.uk/news/world-middle-east-50966958">attaque</a> que l’administration Trump a explicitement attribuée à l’Iran. Les autorités iraniennes, notamment par la voix du ministre des Affaires étrangères <a href="https://twitter.com/JZarif/status/1212946202280579073">Javad Sharif</a>, ont affirmé qu’en assassinant Soleimani les États-Unis avaient commis un « acte de terrorisme international » et s’étaient engagés dans <a href="https://www.asianage.com/world/middle-east/030120/extremely-dangerous-foolish-escalation-iran-on-us-air-strike-that-killed-soleimani.html">« une escalade extrêmement dangereuse et imprudente »</a>.</p>
<p>S'il est trop tôt pour prévoir les conséquences qu’aura cette opération américaine, l'assassinat du général iranien est indéniablement le signe d'une escalade de la politique américaine d'assassinats ciblés. Il s’agit également d’un précédent dangereux en matière de politique internationale.</p>
<p>Dans son <a href="https://www.defense.gov/Newsroom/Releases/Release/Article/2049534/statement-by-the-department-of-defense/">communiqué</a>, le Département de la Défense des États-Unis a justifié la frappe aérienne en affirmant que Soleimani « préparait activement des attaques contre des diplomates et militaires américains en Irak et dans toute la région », rappelé que la Force Al-Qods est considérée par le gouvernement américain comme une organisation terroriste étrangère, et souligné que l’opération visait à protéger le personnel américain à l’étranger et à prévenir de futures attaques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1212929029415661575"}"></div></p>
<p>Mais Soleimani était aussi un officiel d’un pays étranger. Et il n'est pas évident qu'il représentait une menace imminente pour des ressortissants américains. Le communiqué du Département de la Défense ne donne aucun détail sur ce dernier point. Or ces deux aspects – le statut de la cible et la nature de la menace qu’elle représentait – étaient jusqu’ici des éléments fondamentaux dans toute décision d’élimination ciblée ou de frappe préventive prise par le gouvernement américain.</p>
<h2>La justification des assassinats ciblés, de Reagan à Obama</h2>
<p>Depuis le milieu des années 1970, un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/16161262.2018.1430431">décret</a> interdit aux agences du gouvernement américain de se livrer à des assassinats. Cependant, tout en maintenant l'interdiction d'assassinat, l'administration de Ronald Reagan s'est efforcée de créer l'espace juridique et politique dont elle avait besoin pour éliminer des terroristes quand elle le jugeait bon. Les avis juridiques rendus à cette époque par la CIA et le Pentagone suggéraient que le recours à la force pour lutter contre le terrorisme était <a href="https://repository.law.umich.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1036&context=mlr">une tout autre affaire</a> et ne relevait donc pas de l’interdiction frappant la pratique des assassinats.</p>
<p>Comme l'indique clairement la <a href="https://fas.org/irp/offdocs/nsdd/nsdd-138.pdf">Directive sur les décisions relatives à la sécurité nationale n°138</a>, l'administration Reagan fondait sa position sur l’idée que ces mesures étaient préventives et prises en légitime défense contre des cibles constituant une menace imminente pour les intérêts et le personnel des États-Unis.</p>
<p>Précédent important dans la perspective de l'assassinat de Soleimani plusieurs décennies plus tard : certains membres de l'administration Reagan ont également fait valoir que les éliminations ciblées pouvaient viser non seulement des terroristes, mais aussi des dirigeants d’États soutenant le terrorisme. Bien que certains désaccords subsistent, plusieurs sources primaires et secondaires semblent convenir que l'administration Reagan <a href="https://www.nytimes.com/1987/02/22/magazine/target-qaddafi.html">a tenté de tuer le leader libyen Mouammar Kadhafi</a> lors d'une frappe aérienne sur son quartier général et son domicile en 1986. Si les membres de l'administration Reagan ont maladroitement nié que Kadhafi, qui avait survécu au bombardement, avait été directement visé , ils espéraient aussi, comme l'administration Trump aujourd'hui, que l'attaque aurait un effet dissuasif.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/308447/original/file-20200103-11939-urpast.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/308447/original/file-20200103-11939-urpast.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/308447/original/file-20200103-11939-urpast.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/308447/original/file-20200103-11939-urpast.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/308447/original/file-20200103-11939-urpast.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/308447/original/file-20200103-11939-urpast.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/308447/original/file-20200103-11939-urpast.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Donald Trump, un précédent dangereux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Al Drago/Bloomberg/Getty Images</span></span>
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</figure>
<p>Au lendemain du 11 Septembre, l’élimination de terroristes avérés et suspectés est devenue un élément central de la politique antiterroriste américaine. Le nombre de frappes de drones a nettement augmenté, en particulier pendant le premier mandat de Barack Obama.</p>
<p>Toutefois, au cours de son second mandat, Obama a fait un <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/european-journal-of-international-security/article/obama-administrations-conceptual-change-imminence-and-the-legitimation-of-targeted-killings/15DB8DEE802628A4F76D300C2E82421F">effort tardif et peu convaincant</a> pour rendre la politique antiterroriste américaine plus conforme aux normes juridiques internationales relatives au recours à la force en cas de légitime défense. Son administration a alors insisté davantage sur le fait que l'élimination d'un terroriste n'était possible qu'à la condition que celui-ci représente une menace imminente pour les États-Unis. Mais la définition de la notion d'imminence adoptée par l'équipe d'Obama s'est révélée particulièrement souple. Cette justification juridique a créé des précédents internationaux que d'autres États (comme la Turquie et le Pakistan) ont été plus qu'heureux de reprendre à leur compte.</p>
<p>L'attaque qui a tué Soleimani va cependant au-delà de la pratique américaine récente et semble rendre explicite une opinion qui était restée quelque peu implicite dans les années Reagan. Il semblait jusqu’ici clairement établi que les seules personnes auxquelles l'interdiction d'assassinat ne s'appliquait pas étaient les acteurs terroristes non étatiques représentant une menace imminente. Or Soleimani était <a href="https://www.newyorker.com/magazine/2013/09/30/the-shadow-commander">en charge, côté iranien, de la guerre par procuration</a> qui met aux prises les États-Unis et l'Iran. Il ne s'agissait toutefois pas d'une guerre déclarée, ce qui aurait fait de Soleimani une cible légitime (comme le <a href="https://nationalinterest.org/blog/buzz/killing-yamamoto-how-america-killed-japanese-admiral-who-masterminded-pearl-harbor-attack">général japonais Yamamoto</a> pendant la Seconde Guerre mondiale). Même s’il était un militaire, il était indéniablement un haut responsable étranger ; par conséquent, son élimination semble enfreindre l'interdiction d’assassinat, ou au moins la remettre explicitement en cause.</p>
<h2>La politique de Trump</h2>
<p>La justification publiée par le Département de la Défense offre un compte-rendu détaillé des actions passées de Suleimani, indiquant :</p>
<blockquote>
<p>Il avait orchestré des attaques contre des bases de la coalition en Irak au cours des derniers mois – en particulier l’attaque du 27 décembre – à l’origine de morts et de blessés supplémentaires parmi les soldats américains et irakiens. Le général Soleimani a également approuvé les attentats de cette semaine contre l’ambassade des États-Unis à Bagdad.</p>
</blockquote>
<p>Mais il n'y a pas de preuve détaillée du fait qu’il représentait une menace imminente. Ce point peut sembler mineur, mais il se trouve au cœur de la justification légale de la frappe aérienne. Tout porte à croire que Soleimani n'a pas été tué parce qu'il représentait une menace imminente, mais plutôt en guise de représailles pour les événements récents et pour dissuader l’Iran de se livrer à d’autres attaques à l’avenir.</p>
<p>D’ailleurs, Agnès Callamard, rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, a déjà suggéré que les États-Unis pourraient avoir agi illégalement dans cette affaire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1212918159096864768"}"></div></p>
<p>L'administration Trump a, jusqu'à présent, refusé d'expliquer et de justifier sa politique d'assassinats ciblés. Ce qui est sûr, c’est que cette dernière opération sape encore plus les normes internationales et américaines en matière d'assassinats et crée certainement un précédent international dangereux dans ce domaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129308/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Luca Trenta a reçu des financements de la British Academy pour son Rising Star Engagement Award en 2017.</span></em></p>L'administration Trump n'est que la dernière administration américaine en date à repousser les limites de la loi pour éliminer ses ennemis étrangers.Luca Trenta, Senior Lecturer in International Relations, Swansea UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1280662019-12-01T19:25:02Z2019-12-01T19:25:02ZQuelles stratégies pour compléter la réponse militaire contre le terrorisme ?<p>L’<a href="https://www.20minutes.fr/societe/2661423-20191127-crash-helicopteres-mali-hommage-national-lieu-lundi-invalides">hommage national</a> aux <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/11/27/apres-la-mort-de-treize-soldats-au-mali-macron-face-au-defi-de-la-presence-francaise-au-sahel_6020663_3210.html">13 soldats morts</a> dans le crash de deux hélicoptères au Mali aura lieu ce lundi 2 décembre, une semaine après l’accident survenu lors d’une opération d’envergure lancée quelques jours plus tôt dans la vallée d’Eranga, située au sud d’Indelimane, dans le Liptako, région du centre-est du Mali où sévit l’organisation État islamique au grand Sahara (EIGS).</p>
<p>Cette région dite des « trois frontières » située entre Mali, Burkina et Niger, est la zone d’action du groupe EIGS depuis sa création en 2015. Il compte <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/assassinat-d-un-militaire-francais-ce-que-l-on-sait-de-l-etat-islamique-au-grand-sahara_2105536.html">100 à 200 combattants</a> sur ce territoire du centre-nord du pays.</p>
<p>En août 2014, 22 pays se sont unis pour lutter militairement contre Daech, mais maintenant que les frappes de la coalition <a href="http://www.rfi.fr/moyen-orient/20191014-syrie-retrait-americain-recompose-militaire">ont cessé en Syrie</a>, il ne reste plus guère que la France pour combattre la progression des mouvements djihadistes au Sahel. Protéger notre sécurité et nos libertés qui sont nos biens communs, c’est pourtant l’affaire de tous.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/NcSMyQ_NvT0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Mali : Florence Parly salue « les 13 héros morts pour la France » (ministère des Armées).</span></figcaption>
</figure>
<p>La mort des treize soldats français ne cessera de nous rappeler que l’État islamique et l’instauration du « califat » ne concernent plus seulement la Syrie et l’Irak. Le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau a proclamé un <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2014/08/24/boko-haram-califat-islamique-nigeria_n_5704319.html">« califat islamique »</a> au nord-est du Nigeria le 24 août 2014. Ce groupe islamiste nigérian lié à Al-Qaïda prend de l’ampleur en essayant de gagner du terrain dans cette zone. Il menace les pays voisins, tout comme l’État islamique le faisait au Moyen-Orient. Le modus operandi de ces deux organisations présente de nombreuses similitudes bien que la spécificité de Boko Haram se situe dans le fait d’<a href="https://www.france24.com/fr/20150223-femmes-armes-guerre-boko-haram-nigeria-secte-islamiste-attentat-suicide-fillette">utiliser des femmes et de très jeunes filles</a> pour commettre des attentats-suicides.</p>
<h2>Appréhender le problème autrement</h2>
<p>Pour honorer la mémoire des victimes du terrorisme et celles des soldats morts au combat, il faut donc tout mettre en œuvre pour venir à bout de ces hydres malveillantes.</p>
<p>De nouvelles pistes doivent être explorées. La première mènerait vers une compréhension plus pointue de la résilience du mouvement en étudiant l’architecture organisationnelle complexe de Daech qui agrège divers sous-systèmes. Cette structure permet au mouvement de fonctionner même lorsque l’un de ces systèmes est atteint ou affaibli. Le système de filiales et de franchises apporte des éclairages essentiels sur la capacité de Daech à fédérer des mouvements djihadistes dispersés dans le monde qui risquent de former à terme une « méta-organisation Daech 2.0. ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1196542931785662465"}"></div></p>
<p>Dans une <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00408514/document">méta-organisation</a>, les membres ne sont pas des individus mais des organisations qui partagent un trait d’identité en commun et décident de créer une entité pour les représenter, pour partager l’information, pour agir en commun afin de mieux maîtriser leur environnement. Daech a créé une nouvelle forme organisationnelle rampante, imprévisible, difficile à qualifier, et donc in extenso à combattre.</p>
<h2>La réponse militaire reste insuffisante</h2>
<p>Considérer que Daech est une organisation militaire relève, comme le souligne le spécialiste du renseignement Jean‑François Gayraud, d’une <a href="https://books.google.fr/books?id=QFI7DwAAQBAJ&pg=PT148&lpg=PT148&dq=Jean%E2%80%91Fran%C3%A7ois+Gayraud+persistance+r%C3%A9tinienne">« persistance rétinienne »</a>. Autrement dit, l’application de modèles connus à des phénomènes sociaux émergents mènerait à préparer la guerre de demain avec des conceptions d’hier.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.asafrance.fr/images/legrier_fran%C3%A7ois-regis_la-bataille-d-hajin.pdf">article</a> intitulé « La bataille d’Hajin : victoire tactique, défaite stratégique ? » publié dans la « Revue Défense Nationale » de février 2019, François-Régis Legrier, commandant la task force Wagram au Levant d’octobre 2018 à février 2019, écrivait :</p>
<blockquote>
<p>« Une bataille ne se résume pas à détruire des cibles comme au champ de foire […] Seul une vue globale du problème aurait permis d’ébaucher une stratégie globale et d’éviter le constat amer de voir Daech resurgir là où on l’a chassé il y a deux ans. »</p>
</blockquote>
<p>En Syrie, l’excellente connaissance du territoire (topographie, météo, localisation des ressources) a conféré à Daech le coup d’avance. À ceci s’opposerait donc une excellente connaissance de Daech.</p>
<p>Sur le plan financier et matériel, la deuxième piste consisterait à identifier des moyens d’assécher les ressources du mouvement de manière à empêcher les investissements dans de nouvelles actions.</p>
<p>Une surveillance accrue des systèmes financiers internationaux, notamment par des applications de l’intelligence artificielle qui permettent le traitement d’une grande quantité de données et la corrélation de variables que seule la puissance d’une machine peut effectuer. À cela s’ajoute une surveillance accrue des infrastructures de transport qui constituent des bases arrières logistiques et des lieux de transfert de marchandises, de matériel et d’armes.</p>
<p>Enfin, un système de détection d’émergence d’activités djihadistes assurerait un monitoring en temps réel des zones sensibles avec la collaboration des acteurs présents sur le terrain (ONG, entreprises, etc.). Des systèmes de remontée d’information immédiate seraient mis en place pour déceler les modifications dans l’environnement avec des paramètres spécifiques.</p>
<h2>Pauvreté et vulnérabilités</h2>
<p>Les avis divergent quant à l’espérance de vie du mouvement mais les zones de prédilection de Daech possèdent des caractéristiques spécifiques : un gouvernement faible, la présence d’une minorité musulmane opprimée, un grand nombre de ressources naturelles et des groupes ethniques qui se déchirent. Ces lieux sont relativement faciles à identifier. L’État islamique se nourrit également du délitement d’états quasi impossibles à réformer. Ces derniers ne peuvent en effet plus représenter l’ensemble de la population et se sont rendus vulnérables par une corruption endémique et une incapacité à assumer leurs responsabilités (par exemple, le paiement des fonctionnaires).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/260187/original/file-20190221-195892-neyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/260187/original/file-20190221-195892-neyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/260187/original/file-20190221-195892-neyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/260187/original/file-20190221-195892-neyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/260187/original/file-20190221-195892-neyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/260187/original/file-20190221-195892-neyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/260187/original/file-20190221-195892-neyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les mouvements djihadistes en question sont les suivants : Al-Qaeda au Maghreb islamique, Ansar Dine, Mouvement pour l’unicité du jihad en Afrique de l’Ouest, Al-Morabitoune, Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, État islamique au Grand Sahara, Ansaroul Islam.</span>
<span class="attribution"><span class="source">DR</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La pauvreté de certains territoires peut inciter des populations isolées à rejoindre les mouvements djihadistes pour obtenir une source de revenus. Les agences internationales et bailleurs du fonds de l’aide au développement sont également concernés car une partie de l’aide versée peut être détournée dans les régions les plus pauvres, soit par l’extorsion, soit par des incitations plus ou moins coercitives à acheter des « services de sécurité ». En témoignent les <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/les-activites-du-cimentier-francais-lafarge-en-syrie-a-jalabiya_1870732.html">déboires du cimentier Lafarge</a> en Syrie.</p>
<h2>Atouts de l’économie dématérialisée</h2>
<p>D’autres éléments favorisent la résilience du mouvement comme l’impossibilité de réguler Internet pour empêcher son expansion virtuelle. L’usage des outils et des technologies de collaboration du Web 2.0 lui confère une grande agilité. Les adhérents deviennent des acteurs d’un écosystème et rejoignent des communautés de membres et des groupes d’intérêts dispersés dans le monde. Ce sens du collectif permet de réunir des expertises internes et externes, d’évoluer vers une plus grande transversalité et d’exploiter les brèches des systèmes traditionnels dans le secteur financier par exemple.</p>
<p>Daech joue de la complexité du difficile traçage des comptes pour bâtir et exploiter son propre réseau bancaire et l’inscrire dans un système international. L’ouverture des marchés, le déclin de l’État-providence, les privatisations, la déréglementation de la finance et du commerce international tendent à favoriser la croissance des activités illicites, ainsi que l’internationalisation d’une économie criminelle concurrente.</p>
<p>Dans la phase initiale, l’organisation criminelle introduit ses bénéfices illégaux sur les circuits financiers à travers une série de déplacement des fonds, souvent dans des centres financiers off shore, communément appelés « paradis fiscaux », afin de les éloigner de leur source. La seconde phase consiste à réintégrer ces fonds dans des activités économiques légitimes pour leur donner l’apparence d’une origine légale afin de pouvoir les utiliser.</p>
<p>Seule une stratégie à 360° permettra donc de faire converger ces divers champs d’analyse. Le succès de cette démarche découlera en conséquence nécessairement de collaborations disciplinaires, interorganisationnelles et interétatiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128066/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurence Frank ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’accident qui a coûté la vie à 13 soldats français au Mali, le 25 novembre dernier, rappelle que d’autres pistes doivent être explorées.Laurence Frank, Professeure de management stratégique, ESC Clermont Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1269452019-11-18T19:55:34Z2019-11-18T19:55:34ZDaech, un écran de fumée idéologique sur un business très rentable<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/301495/original/file-20191113-77300-1xa1w83.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=79%2C10%2C1038%2C698&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les puits de pétrole controlés par l'État islamique, qui lui assuraient 25% de des ses ressources en 2015, ont été détruits lorsque ses combattants ont battu en retraite.</span> <span class="attribution"><span class="source">Odd Andersen / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Le 27 octobre 2019, le président américain Donald Trump a annoncé sur Twitter la <a href="https://www.sudouest.fr/2019/10/27/le-chef-de-daesh-est-mort-confirme-trump-6752716-6093.php">mort du chef de Daech</a>, Abou Bakr al-Baghdadi, lors d’une opération militaire américaine menée dans le nord-ouest de la Syrie. Cet événement constitue le point d’orgue des opérations militaires de la coalition internationale antijihadiste menée par les États-Unis et clos l’offensive menée en février 2019 par la coalition arabo-kurde des Forces démocratiques syriennes (FDS) pour liquider territorialement <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/etat-islamique-daech-daesh/">l’État islamique</a>. </p>
<p>La mort d'al-Baghdadi marquera-t-elle la fin de Daech ? Rien n’est moins sûr. L'organisation est devenue en quelques années le groupe le plus puissant et le plus attractif de toutes les formations djihadistes. Si les frappes des Occidentaux ont réduit le territoire occupé, Daech conserve une capacité de mobilisation idéologique dans de nombreuses régions du monde, en Occident, au Sahel, aux Philippines ou encore en Somalie. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1188948812339011590"}"></div></p>
<p>Daech a bâti, grâce à l’assise territoriale, un système économique autosuffisant et diversifié qui repose sur un large éventail d’activités industrielles et commerciales, de ressources naturelles et de matières premières, du pétrole aux denrées agricoles en passant par les minerais. </p>
<p>Selon les dernières données disponibles issues de l'analyse de 26 rapports parlementaires, la valeur théorique des actifs sous le contrôle de l’État islamique (réserves de pétrole, réserves gazières, minerais, actifs monétaires) était estimée à <a href="http://cat-int.org/wp-content/uploads/2017/03/Financement-EI-2015-Rapport.pdf">2 260 milliards dollars</a> fin 2015, date de l'apogée de l'organisation. </p>
<p>Et si le califat n’était qu’un écran destiné à masquer un business model extrêmement lucratif ? Le califat ne serait donc ni un projet de société, ni une terre promise, ni la réminiscence d’un modèle de cité islamique de l’âge d’or, mais une stratégie d’affaires savamment élaborée, fondée sur le pillage, pour accumuler des richesses en un temps record.</p>
<h2>Une ingénierie financière redoutable</h2>
<p>Le <a href="http://www.slate.fr/story/89025/finance-eiil-irak">pillage de la banque de Mossoul</a> a rapporté près de 400 millions de dollars à Daech en 2014, ce qui lui a permis de changer de dimension et de verser, dans la durée, des salaires aux combattants, de fidéliser des soutiens et d’acheter des armes. </p>
<p>Daech a contrôlé jusqu'à une vingtaine de puits de pétrole en Syrie et en Irak, captant <a href="http://cat-int.org/wp-content/uploads/2017/03/Financement-EI-2015-Rapport.pdf">60% de la production irakienne</a>. 10% du PIB de l’Irak aurait été aux mains de Daech, soit 40 milliards de dollars. Les revenus de la vente/contrebande du pétrole auraient oscillé selon les estimations entre 500 000 et un million de dollars par jour. </p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://cat-int.org/wp-content/uploads/2017/03/Financement-EI-2015-Rapport.pdf">Centre d'analyse du terrorisme</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En 2015, le pétrole a rapporté 600 millions de dollars au mouvement, l’exploitation du phosphate 250 millions de dollars, la production de gaz près de 60 millions, le ciment 400 millions et l’agriculture 200 millions. L’extorsion, qui constituait la première source de financement sous la forme de diverses taxes, amendes, redevances et confiscations, a rapporté près de 800 millions. Le montant des dons atteignait lui environ 50 millions.</p>
<p>Daech affiche une grande maîtrise des canaux de financement possibles en combinant diverses sources : </p>
<ul>
<li><p>Le système de revenus physiques : recettes locales, fiscalité, amendes et droits de douanes, commerce des ressources naturelles, racket des citoyens et des entreprises, confiscations de biens, commerce des otages, pillages d’antiquités, trafics d’êtres humains, de matériel de guerre et d’œuvres d’art ;</p></li>
<li><p>Le système de revenus dématérialisés : systèmes financiers virtualisés, contrôle de succursales bancaires, nouvelle monnaie indexée sur le cours de l’or convertible en Turquie, crypto-actif (monnaies virtuelles), financement participatif (<a href="https://theconversation.com/terrorisme-et-optimisation-fiscale-la-face-sombre-du-financement-participatif-125506">crowdfunding</a>), dons en provenance de pays sympathisants comme la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar.</p></li>
</ul>
<p>Le mouvement bénéficie de complicités bancaires à l’échelle internationale. De gros soupçons pèsent sur la porosité de l’infrastructure bancaire du Liban, de Chypre, de Malaisie, d’Indonésie ou encore de la Turquie. Des prête-noms et des sociétés-écrans émettent de faussent factures et enregistrent des transactions fictives. L’importante trésorerie disponible a d’ailleurs permis de corrompre des fonctionnaires de plusieurs pays, dont des Syriens opposés au régime de Bachar al-Assad. </p>
<p>Daech paye à prix d’or des intelligences bancaires pour ouvrir des comptes, via des sociétés-écrans, reproduisant en quelque sorte « le <a href="http://www.iiac.cnrs.fr/article1242.html">modèle supranational d’al-Qaïda</a> », explique Dawod Hosham chercheur au CNRS. Il faut transférer du cash pour assurer aux têtes pensantes du groupe un moyen de se mettre à l’abri, y compris les proches et familles, mais aussi pour permettre aux cellules de se projeter vers de nouvelles opérations terroristes.</p>
<h2>Daech dans la guerre des talents</h2>
<p>Daech a capté l’immense potentiel qu’offrent les nouvelles technologies pour créer une organisation résiliente et pérenne. Derrière les images moyenâgeuses de combattants du désert se cache un système d’affaires des plus actuels. Le progrès offre à Daech une couverture globale de l’idéologie qui permet à tout sympathisant, où qu’il soit dans le monde, de rallier le mouvement. En plus de la presse écrite (Dabiq, Dar al-Islam), Daech aurait produit près de 15 000 documents de propagande, dont 800 vidéos et une vingtaine de revues traduites en 11 langues, dont le mandarin. </p>
<p>Entre 2011 et 2017, la propagande a permis de construire un bataillon de 20 000 à 50 000 hommes avec des prisonniers libérés et des transfuges d’Al-Qaïda. Les troupes comprenaient en 2017, 4 000 Saoudiens, 2 000 Tunisiens, 450 Allemands, 200 Belges, 300 britanniques, 1 432 Français et des combattants d’Afghanistan, de Somalie, de Bosnie, de Tchétchénie, du Waziristan (nord-ouest du Pakistan), du Mali, du Liban, du Maroc et de l’Algérie, selon les données issues des différents rapports des commissions d'enquête parlementaires. </p>
<p>Le mythe de l’adhésion de personnes peu instruites et en situation de désarroi a été largement déconstruit. Daech recrute des cerveaux et cible des intellectuels, des financiers et des hauts diplômés tels que des médecins et des ingénieurs pour conduire des opérations internationales d’une grande complexité. Ces professionnels perçoivent des salaires plus élevés que ceux du marché local. </p>
<h2>Structure 2.0.</h2>
<p>La stratégie de recrutement de Daech s’est avérée efficace et peu coûteuse. L’État islamique est ainsi devenu l’organisation terroriste la plus riche et le mouvement le plus violent du monde. La rentabilité de ce business model induit aujourd'hui un risque de « franchisage ». Le modèle opérationnel extrêmement lucratif, pourrait en effet le devenir encore davantage s’il était vendu à d’autres groupes terroristes en échange de redevances (royalties). </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/301491/original/file-20191113-77300-1gjlc8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/301491/original/file-20191113-77300-1gjlc8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/301491/original/file-20191113-77300-1gjlc8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/301491/original/file-20191113-77300-1gjlc8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/301491/original/file-20191113-77300-1gjlc8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/301491/original/file-20191113-77300-1gjlc8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/301491/original/file-20191113-77300-1gjlc8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La franchise, nouvel axe de développement ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">Musaib Mushtaq / Shutterstock</span></span>
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<p>Mais la grande force du modèle se situe dans la capacité du mouvement à s’approprier et à combiner des pratiques issues du crime organisé, du terrorisme, des sectes, du domaine militaire, de la société civile, du monde de l’entreprise et de l’administration publique. La structure de type 2.0., immatérielle et mondialisée, permet de poursuivre l’expansion du mouvement sans territoire physique, ce qui amène de nouvelles difficultés à lui appliquer un cadre juridique et à exercer une surveillance internationale qui permettrait de contrer sa propagation. </p>
<hr>
<p><em>Cet article est extrait de l'étude plus détaillée « L’État Islamique/Daech : Business model et terrorisme 2.0 » (à paraître) qui reconstitue le modèle économique et la configuration organisationnelle de Daech rédigée en collaboration avec Alain Bauer, professeur de criminologie au CNAM de Paris.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/126945/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurence Frank ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L'assise territoriale que l'organisation terroriste a pu se constituer entre 2014 et 2019 lui a permis de développer de plusieurs sources de revenus à la fois physiques et dématérialisés.Laurence Frank, Professeure de management stratégique, ESC Clermont Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1259792019-10-28T19:24:30Z2019-10-28T19:24:30ZLa mort de Baghdadi est un coup dur pour Daech, mais elle ne sera pas fatale à l’organisation terroriste<p>« Un homme très mauvais » a été tué, et « le monde est désormais plus sûr ». Difficile de reprocher à Donald Trump le sentiment exprimé pour annoncer la mort du chef de Daech, Abou Bakr al-Baghdadi.</p>
<p>C’était sans aucun doute un homme très mauvais. Durant les dix années où il a dirigé l’organisation terroriste, des dizaines de milliers de gens ont atrocement souffert, ou trouvé la mort, au Moyen-Orient et dans le monde entier.</p>
<p>Il serait aussi effectivement logique de penser que le monde est plus sûr, à présent que Baghdadi est mort. Malheureusement, rien ne prouve que ce sera bien le cas.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/DcrBbXUf5-4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Manque de stratégie</h2>
<p>La « guerre contre le terrorisme », c’est-à-dire la campagne militaire internationale qui a commencé après les attentats du 11 septembre 2001 pour éradiquer la menace posée par Al-Qaïda puis par Daech, a été presque intégralement réactive et tactique.</p>
<p>Jamais elle n’a eu de <a href="https://www.csis.org/analysis/looking-beyond-syria-and-isis-americas-real-strategic-needs-middle-east">but stratégique cohérent</a>, que ce soit en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Somalie, aux Philippines, ou ailleurs.</p>
<p>Les plus grandes coalitions militaires de tous les temps ont combattu les plus puissants réseaux terroristes que le monde ait connus. Cette guerre a tué, directement ou indirectement, des centaines de milliers de personnes. Des centaines de milliards de dollars ont été dépensés, <a href="https://www.csis.org/analysis/peace-afghanistan-iraq-syria-libya-and-yemen">sans grand résultat</a>.</p>
<p>Les <a href="https://edition.cnn.com/2019/10/27/politics/isis-abu-bakr-al-baghdadi-operation-donald-trump/index.html">opérations des forces spéciales</a> qui visaient Baghdadi à Idleb et son bras droit, Abul-Hasan al-Muhajir (le porte-parole de Daech), à Alep ont néanmoins été couronnées de succès, assurant aux Américains une victoire tactique aux conséquences remarquables.</p>
<p>C’est un choc énorme pour Daech. Mais nul ne sait combien de temps ses effets se feront sentir. Si l’on en croit les leçons de ces vingt dernières années, il ne sera vraisemblablement pas fatal au mouvement.</p>
<p>Avant ces attaques, l’insurrection islamique regagnait de l’élan en Irak, en Syrie et ailleurs, et il faudra plus que la perte de ses deux principaux dirigeants pour l’arrêter.</p>
<h2>Baghdadi, chef de Daech</h2>
<p>Baghdadi n’est peut-être pas irremplaçable mais, pour Daech, il était à bien des égards l’<a href="http://csweb.brookings.edu/content/research/essays/2015/thebeliever.html">homme qui est arrivé au bon moment</a>. Il a supervisé la reconstruction de l’organisation, qui était au plus mal il y a dix ans. Il a joué un rôle essentiel dans son déploiement en Syrie, gonflé les rangs des dirigeants terroristes, mené une guerre éclair dans le nord de l’Irak, conquis Mossoul et instauré un « califat ».</p>
<p>Aux yeux de ses partisans, <a href="https://www.smh.com.au/world/middle-east/who-was-islamic-state-leader-abu-bakr-al-baghdadi-20191028-p534rh.html">sa crédibilité</a> en tant qu’érudit et chef religieux islamiste n’est pas près d’être égalée.</p>
<p>Ce solitaire violent et intégriste n’était pas un chef des plus charismatiques, ni une véritable source d’inspiration. Mais il a su assumer ses fonctions, soutenu par d’anciens dirigeants militaires et agents de renseignements irakiens opérant le plus souvent dans l’ombre et formant le cœur de la hiérarchie de Daech.</p>
<p>Pour le « califat », il était vraiment l’homme de la situation. Et en ce sens, il était unique.</p>
<h2>Hiérarchie</h2>
<p>Quinze ans après le déploiement d’Al-Qaïda en Irak, sous le commandement d’Abu Musab al-Zarqawi, et presque dix ans après que Baghdadi a pris la tête de Daech, il est incroyable de penser qu’on sait encore si peu de choses sur la hiérarchie de cette organisation.</p>
<p>Ce qui est clair, c’est que l’insurrection a largement profité de la politique de « débaasification », qui visait à évincer l’idéologie nationaliste arabe suite à l’<a href="https://www.washingtonpost.com/news/worldviews/wp/2014/06/16/iraqs-crisis-dont-forget-the-2003-u-s-invasion/">invasion de l’Irak en 2003</a> et à renverser le régime de Saddam Hussein. Le renvoi de milliers de technocrates et de chefs militaires en grande majorité sunnites a été une véritable aubaine pour la rébellion naissante.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299034/original/file-20191028-113953-waz4z5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299034/original/file-20191028-113953-waz4z5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299034/original/file-20191028-113953-waz4z5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299034/original/file-20191028-113953-waz4z5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299034/original/file-20191028-113953-waz4z5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299034/original/file-20191028-113953-waz4z5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299034/original/file-20191028-113953-waz4z5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Donald Trump annonçant la mort du leader de Daech.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jim Watson/AFP</span></span>
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<p>Daech a toujours été une organisation hybride. Publiquement, elle se présente comme un mouvement religieux, animé par des convictions religieuses. Mais, en <a href="https://www.washingtonpost.com/world/middle_east/the-hidden-hand-behind-the-islamic-state-militants-saddam-husseins/2015/04/04/aa97676c-cc32-11e4-8730-4f473416e759_story.html">coulisse</a>, des agents de renseignements baassistes expérimentés ont détourné cette image religieuse pour établir un état policier, se servant de la terreur religieuse pour exalter, intimider et contrôler.</p>
<p>Cela n’enlève rien aux initiatives de Zarqawi et Baghdadi. Bien au contraire, ils ont réussi à mobiliser un sentiment religieux, d’abord au Moyen-Orient, puis un peu partout dans le monde. <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-47286935">Plus de 40 000 personnes</a> ont fait le voyage pour rejoindre les rangs de Daech, inspirés par l’idéal utopiste d’une révolution religieuse. Baghdadi a été exemplaire dans son rôle de calife et de chef religieux.</p>
<p>Les optimistes estiment que la mort de Baghdadi mettra Daech au placard pour plusieurs mois, voire plusieurs années. L’organisation peinera à <a href="https://www.washingtonpost.com/world/middle_east/baghdadis-death-a-turning-point-for-islamic-state/2019/10/27/2d28c3b6-f900-11e9-9e02-1d45cb3dfa8f_story.html">retrouver l’élan</a> qu’il a su lui insuffler.</p>
<p>De manière plus réaliste, les répercussions de cet événement dépendront fortement de la capacité des autorités à appréhender les leaders du mouvement et à les mettre hors d’état de nuire avant qu’ils aient une chance de s’établir.</p>
<h2>Et maintenant ?</h2>
<p>Il semblerait que Daech envisage de se reconstruire dans les territoires non contestés au nord de la Syrie, à Idleb et Alep, hors du contrôle du régime de Bachar Al-Assad à Damas, des Forces démocratiques syriennes (FDS) dans le nord-est de la Syrie, et du gouvernement irakien de Bagdad.</p>
<p>En restant optimiste, il y a un mince espoir que le succès des <a href="https://foreignpolicy.com/2019/10/27/isis-islamic-state-leader-baghdadi-killed/">opérations conduites dimanche</a>, marquées par une étroite collaboration entre l’armée américaine et les FDS, persuadent Trump de revenir sur sa décision de mettre fin au partenariat avec les FDS en retirant ses <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2019/10/us-intelligence-disaster-looming-syria/600226/">forces spéciales et aériennes</a> déployées sur place.</p>
<p>Le fait que Baghdadi et al-Muhajir aient tous deux été retrouvés à moins de cinq kilomètres de la frontière turque laisse penser que le contrôle turc du nord de la Syrie est loin d’être suffisant pour appréhender les leaders islamiques émergents.</p>
<p>Refonder le modèle du partenariat établi ces cinq dernières années avec les FDS à prédominance kurde dans le nord-est de la Syrie pourrait se révéler critique pour limiter l’<a href="https://time.com/5711828/al-baghdadi-dead-isis-future/">émergence de nouveaux chefs de Daech</a>. Il semble que l’<a href="https://www.newsweek.com/isis-new-leader-baghdadi-running-things-1468025">implantation géographique</a> des quelques successeurs de Baghdadi les plus susceptibles de s’établir en Syrie du Nord soit déjà connue.</p>
<p>Même dans le meilleur des cas, on ne peut en réalité qu’espérer ralentir la reconstruction de l’insurrection islamiste, ce qui permettra de gagner du temps pour réinstaurer une stabilité politique et sociale au nord de la Syrie et de l’Irak.</p>
<hr>
<p><em>Traduit du français par Typhaine Lecoq-Thual pour <a href="http://www.fastforword.fr/">Fast ForWord</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125979/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Greg Barton est engagé dans une série de projets visant à comprendre et à contrer l'extrémisme violent en Australie et en Asie du Sud-Est qui sont financés par le gouvernement australien.</span></em></p>Après la mort de Baghdadi, la question est de savoir comment on pourra neutraliser les prochains leaders de Daech, afin d’éviter la réémergence du mouvement.Greg Barton, Chair in Global Islamic Politics, Alfred Deakin Institute for Citizenship and Globalisation, Deakin UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1234742019-10-10T21:36:59Z2019-10-10T21:36:59ZUn corridor de la paix est-il possible après le retrait des troupes américaines au nord-est de la Syrie ?<p>Le 7 octobre, Donald Trump crée la surprise en annonçant le retrait de l’armée américaine de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/07/washington-donne-son-accord-a-une-offensive-turque-en-syrie_6014519_3210.html">certaines zones</a> aux abords de la frontière turque dans le nord de la Syrie. C’est un revirement de taille. Prenant Le Pentagone, le Département d’État et les services de renseignement à rebours, le président américain décide finalement de satisfaire la Turquie, son allié de l’OTAN depuis 1952, au détriment de son allié kurde depuis 2014 contre Daech, le PYD. Cette action permet à Ankara de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/09/la-turquie-annonce-le-debut-d-une-offensive-dans-le-nord-est-syrien_6014849_3210.html">lancer une offensive</a> dans la zone est syrienne contre les milices kurdes.</p>
<p>Par ailleurs <a href="https://www.ft.com/content/b548a604-d3ac-11e9-a0bd-ab8ec6435630">des pourparlers</a> continuent avec Washington afin que la Turquie reçoive finalement les avions de chasse américains F-35, ce qui avait été prohibé suite à son achat des missiles anti-aériens S-400 aux Russes.</p>
<p>Ce tournant majeur déterminera la possibilité de <a href="https://www.nytimes.com/2019/10/07/us/politics/trump-turkey-syria.html?action=click&module=Top%20Stories&pgtype=Homepage">confier à la Turquie la responsabilité</a> des membres européens de Daech détenus par les Kurdes.</p>
<p>Ce geste du président américain, couplé à sa volonté d’établir la zone de sécurité réclamée depuis de longs mois par Ankara au nord-est de la Syrie, laisse présager une amélioration de la relation turco-américaine.</p>
<p>Bien sûr, tous les griefs n’ont pas disparu et des contentieux demeurent tels la présence de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/fethullah-gulen-28324">Fethullah Gülen</a> aux États-Unis (instigateur présumé du coup d’État militaire en Turquie en juillet 2016), l’acquisition des S-400, la dimension de la zone de sécurité, l’envoi de réfugiés syriens présents en Turquie dans celle-ci ou encore la lenteur avec laquelle, selon Ankara, les États-Unis s’occupent de la création de cette zone.</p>
<p>Mais sa mise en place est essentielle afin que survive la relation turco-américaine, et plus largement turco-occidentale, qui pourrait bien imploser en cas d’échec, et ce en dépit de l’annonce de Trump le 7 octobre dernier. Non seulement les Européens ne s’alignent pas sur la position du président américain, mais ce dernier est également isolé dans ce dossier aux États-Unis, laissant présager d’éventuels revirements.</p>
<p>Pour saisir ces enjeux, il convient d’expliquer au préalable l’origine des tensions autour de la question kurde, qui empoisonne depuis plusieurs décennies la relation entre les États-Unis et la Turquie.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=574&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=574&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=574&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=721&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=721&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=721&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">« L’environnement stratégique de la mer Noire » (2015).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://cartotheque.sciences-po.fr/?wicket:interface=:14::::">FNSP/Sciences Po</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’origine des tensions</h2>
<p>Lors de la guerre du Golfe de 1990-1991, les premières tensions entre les Américains et les Turcs voient le jour autour de la question kurde. En effet, afin de satisfaire l’allié américain et de s’assurer de la durabilité de leur lien, la Turquie décide de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14782800600892242">rejoindre l’effort de guerre contre l’Irak</a>. Seulement, outre des conséquences économiques désastreuses (l’Irak étant alors son deuxième partenaire commercial), la <a href="https://www.jstor.org/stable/2622709">guerre renforce les ambitions autonomistes des Kurdes de Turquie</a>.</p>
<p>Car le PKK – organisation terroriste kurde ciblant l’héritière de l’Empire ottoman <a href="https://www.cfr.org/interactive/global-conflict-tracker/conflict/conflict-between-turkey-and-armed-kurdish-groups">depuis 1984</a> – se saisit de l’occasion pour reprendre les armes après une courte trêve. À cela s’ajoute la fuite de 500 000 Kurdes du nord de l’Irak vers le sud-est de la Turquie, déjà peuplée principalement de Kurdes.</p>
<p>Afin de limiter l’afflux de ces réfugiés, Ankara entreprend de créer une zone de sécurité au nord de l’Irak où seront protégés les Kurdes, dans le cadre de l’opération <a href="https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2016/06/Syrian-Refugees-and-Turkeys-Challenges-May-14-2014.pdf">« Provide Comfort »</a>.</p>
<p>Mais loin de régler la question kurde, cette initiative <a href="https://foreignpolicy.com/2018/09/11/the-u-s-turkey-relationship-is-worse-off-than-you-think/">permet au PKK d’établir sa base arrière en Irak</a>, d’où il entraîne ses recrues et conçoit ses attaques contre la Turquie.</p>
<p>Les Turcs s’inquiètent aussi du soutien et de la protection apportés par les Américains aux Kurdes d’Irak, la superpuissance ayant besoin d’alliés d’opposition à Saddam Hussein sur le terrain. Ce choix des États-Unis alimente le <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2014-1-page-199.htm">« syndrome de Sèvres »</a> des Turcs, c’est-à-dire leur crainte constante que des forces étrangères cherchent à affaiblir leur pays et à mettre à mal son intégrité territoriale. Pourtant, les Américains ne semblent pas entendre cette peur.</p>
<h2>Une défiance croissante envers les États-Unis</h2>
<p>La défiance envers la superpuissance s’accroît encore lors de la guerre en Irak de 2003. Les Turcs s’interrogent : ne risquerait-elle pas de plonger une nouvelle fois la Turquie dans une crise économique, de renforcer les Kurdes et de déstabiliser un pays frontalier ? Mais les Américains ignorent à nouveau les inquiétudes de leur allié ; dès lors, l’opinion publique turque considère la superpuissance comme une <a href="https://www.newamerica.org/fellows/policy-papers/is-the-united-states-losing-turkey/">menace directe à sa sécurité</a>.</p>
<p>Comme Ankara le redoutait, le PKK reprend sa guérilla en septembre 2003 après avoir mis fin unilatéralement au cessez-le-feu en vigueur depuis 1999. Le gouvernement turc alerte les autorités américaines présentes en Irak ; or, Washington ne se résout guère à aider son allié de l’OTAN à faire face à un terrorisme qui la cible.</p>
<p>Il faut attendre 2006 pour que les États-Unis viennent en aide à Ankara après qu’Erdoğan a menacé d’envahir le nord de l’Irak pour régler le problème du PKK. Alors, Washington accepte de partager du renseignement avec son allié sur les bases irakiennes du PKK et autorise Ankara à mener des opérations militaires au nord de l’Irak. Reste que la relative inaction des États-Unis renforce l’idée répandue au pays d’Atatürk que l’intention de la superpuissance est de diviser la Turquie pour établir un Kurdistan, alors que l’inactivité américaine provient de son <a href="https://wikileaks.org/plusd/cables/05ANKARA561_a.html">implication prioritaire dans le chaos irakien</a>.</p>
<h2>L’importance de la « zone tampon » syrienne pour apaiser les tensions</h2>
<p>La Turquie a donc progressivement perdu confiance en son allié américain. Le printemps arabe syrien renforce cette tendance quand, en dépit des promesses formulées par Barack Obama, celui-ci ne s’engage guère en Syrie contre Bachar Al-Assad, n’aide qu’a minima la Turquie à soutenir l’opposition même lorsque le dictateur syrien franchit la ligne rouge américaine en gazant sa population. Washington redoute en effet la radicalisation de l’opposition et souhaite en outre se focaliser sur le « nation building at home », c’est-à-dire sur la politique intérieure américaine.</p>
<p>Les États-Unis n’aident pas non plus la Turquie à instaurer une zone de sécurité au nord de la Syrie afin qu’elle puisse faire face à l’afflux de réfugiés qui arrive massivement dans son pays (ils sont près de <a href="https://edition.cnn.com/2012/04/06/world/europe/turkey-syrian-refugees/index.html">2000 par jour</a> à entrer en Turquie en 2012).</p>
<p>Pis, depuis l’été 2014, Obama décide d’armer et de soutenir le PYD – milice kurde syrienne créée par le PKK en 2005 – face à Daech. Alors même que depuis 2013 la question kurde était en voie de résolution politique en Turquie, elle <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2018-3-page-35.htm?contenu=resume">redevient une question sécuritaire</a>.</p>
<p>Face à Daech, les Occidentaux somment les Turcs de s’allier aux Kurdes armés, alors qu’une telle coopération menacerait, selon Ankara, l’intégrité territoriale de son pays et la sécurité de ses citoyens. Son refus conduit de nombreux Occidentaux à s’interroger sur la fiabilité de l’allié turc et sur les bienfaits qu’aurait son éventuelle expulsion de l’OTAN. Pour la Turquie, il apparaît alors que cette alliance n’est pas pleinement réciproque : les Occidentaux somment les Turcs de protéger leur sécurité quand eux-mêmes ne cherchent guère à protéger la sienne. D’ailleurs contrairement aux promesses formulées par les Américains, à savoir que le PYD ne s’installera pas aux frontières turques en Syrie et sera repoussé à l’est de l’Euphrate, les milices prennent bel et bien possession de ces villes frontière à l’ouest du fleuve, d’où les interventions militaires turques à Afrin ou à Jarabulus.</p>
<h2>Eloigner les milices kurdes</h2>
<p>Dans ce contexte, on comprend l’importance que revêt la mise en place d’une zone tampon au nord de la Syrie pour Ankara : il s’agit d’assurer sa sécurité en éloignant les milices kurdes de sa frontière afin qu’ils n’établissent ni une base arrière contre la Turquie (comme lors de la guerre du Golfe) ni un Kurdistan qui menacerait son intégrité territoriale.</p>
<p>La question du retour des réfugiés syriens dans leur pays, qui sont environ <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20190816.AFP2541/refugies-le-ras-le-bol-des-pays-voisins-de-la-syrie-apres-8-ans-de-guerre.html">3,6 millions en Turquie</a>, est aussi essentielle.</p>
<p>Tel « Provide Comfort », les Turcs envisagent la zone tampon syrienne comme une zone de sécurité où pourraient s’installer ces réfugiés. Sauf que, contrairement au cas irakien, des Arabes s’installeraient dans des terres kurdes, ce qui affaiblirait la quête autonomiste de ces derniers.</p>
<p>La mise en place de cette zone tampon est également importante pour l’Occident. Elle permettrait de témoigner de sa solidarité envers la Turquie, au risque que celle-ci ne décide de quitter à terme une alliance qu’elle estimerait ne guère la protéger. Pour l’Amérique, victime de son <a href="http://www.theses.fr/2019USPCA051">« complexe iranien »</a>, l’enjeu est d’éviter que l’État pivot turc, tel l’Iran en 1979, passe du statut de meilleur ami au Moyen-Orient à celui d’ennemi.</p>
<p>Ne tente-t-elle pas déjà de chercher des alternatives du côté de la Russie ? Ne menace-t-elle pas de ne plus contenir les réfugiés souhaitant se rendre en Europe si une zone de sécurité n’est pas créée ?</p>
<h2>Reconstitution d’un partenariat stratégique</h2>
<p>En raison de l’ancienneté des contentieux entre les États-Unis et la Turquie autour de la question kurde, reconstruire la confiance sera sans doute une entreprise de longue haleine et la zone tampon ne saurait être suffisante à cette fin.</p>
<p>D’ailleurs si sa mise en place constituerait une étape majeure vers la reconstitution de ce partenariat stratégique, elle acterait sans doute, en cas d’échec, la fin de l’alliance entre la Turquie, les États-Unis et l’Europe et menacerait, par voie de conséquence, l’intégrité de l’OTAN – alliance au demeurant déjà fortement fragilisée par des différends transatlantiques.</p>
<p>Il faut dire que la dégradation entre les trois acteurs ne peut être comprise qu’au travers du prisme de la question kurde : la crise que traverse la relation triangulaire est structurelle et trouve son origine dans l’<a href="http://www.theses.fr/2019USPCA051">affaiblissement de l’ordre libéral international</a>.</p>
<p>La question kurde n’est donc qu’un symptôme – certes majeur – de cette relation triangulaire déliquescente. Mais elle pourrait désormais briser cette alliance sécuritaire.</p>
<p>L’Europe ne condamne-t-elle pas la décision de Trump et l’attaque turque ? <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/syrie/offensive-turque-en-syrie-la-france-condamne-et-saisit-le-conseil-de-securite-de-l-onu-6557038">La France n’a-t-elle pas saisi</a> le conseil de sécurité de l’ONU contre les agissements d’un allié de l’OTAN ? Un corridor de la paix pourra-t-il dans ces conditions voir le jour ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/123474/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Margaux Magalhaes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une « zone tampon » de sécurité en Syrie est essentielle mais le revirement de Trump risque de compromettre durablement les relations entre la Turquie, l’UE et les États-Unis.Margaux Magalhaes, Enseignante chercheuse , Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.