tag:theconversation.com,2011:/us/topics/jazz-28717/articlesjazz – The Conversation2024-02-07T15:41:40Ztag:theconversation.com,2011:article/2211802024-02-07T15:41:40Z2024-02-07T15:41:40ZLa musique improvisée, laboratoire de la démocratie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/574084/original/file-20240207-32-n3itj6.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C4%2C1034%2C681&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment concilier collectivement les choix individuels? </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.needpix.com/photo/download/124239/jazz-double-bass-music-concert-musical-instrument-drums-lectern-free-pictures-free-photos">Needpix</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>L’improvisation en musique, c’est la part d’imprévu laissée libre à l’expression des musiciens. Mais comment concilier collectivement les choix individuels ? Pour improviser ensemble, les musiciens recourent souvent à un référentiel commun qui structure le collectif dans le temps. Plus ce référentiel est générique, plus il offre de possibilités. Le degré de liberté qui en résulte dépend alors de la capacité des musiciens à s’appuyer sur ce référentiel. L’improvisation est particulièrement courante en jazz où ce référentiel est une grille harmonique qui décrit les accords successifs et leur durée. Cette grille est utilisée en boucle par les musiciens pour improviser.</p>
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<p>Dans cet exemple, le compositeur, pianiste et claviériste de jazz Antoine Hervé montre comment construire une phrase mélodique en s’appuyant sur une grille constituée de 8 accords successifs et issue de la chanson <em>Les feuilles mortes</em>.</p>
<p>Une telle grille est très générique, elle ne dicte pas aux musiciens ce qu’ils doivent jouer. Elle fournit juste un support, une trame. Si on comparait cette situation à l’improvisation théâtrale, la grille reviendrait à une succession de <em>didascalies</em> à partir desquelles les acteurs devraient improviser leur texte. Avec un tel support, impossible donc de prévoir ce que joueront les musiciens ou les acteurs. D’autant qu’un tel support n’a pas valeur de prescription, mais seulement de référentiel. Les musiciens peuvent l’interpréter à leur guise. Pour un accord donné, l’improvisateur pourra choisir justement de jouer les notes de cet accord, mais il pourra aussi faire le choix d’autres notes situées au-dessus ou au-dessous, en tenant compte des accords précédents ou suivants . L’improvisateur pourra encore préférer s’écarter de l’harmonie définie par la grille et recourir à des accords de substitution. Si la capacité à s’adapter à ce référentiel est caractéristique de tout bon improvisateur, celle de transcender la structure et la récurrence de ce bouclage pour en faire émerger une nouvelle structuration, spécifique à chaque improvisation, est souvent la marque des grands improvisateurs.</p>
<p>L’un des plus grands maîtres capables de dépasser la structure des grilles d’accord est assurément <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Coltrane">John Coltrane</a>, saxophoniste de jazz et compositeur américain (1926-1967). Une phrase musicale de Coltrane, recourant à des substitutions harmoniques, est étudiée dans l’exemple ci-dessous. Alors que la grille originale ne comporte que trois accords, suggérant dans le cas présent de ne recourir qu’à une seule couleur sonore (uniquement basée sur des notes blanches), Coltrane choisit de jouer huit autres accords dont certains sont très éloignés de la grille de référence (multiples notes noires). Les couleurs sonores qui en ressortent se superposent aux couleurs de la grille originale et donnent une impression tout à fait caractéristique et saisissante.</p>
<h2>Définir un référentiel</h2>
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<p>Malgré cette capacité à dépasser les contraintes d’un tel cadre, de nombreux musiciens se sont trouvés à l’étroit dans ce type de grille et ont cherché à explorer de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Hfs48_uvrtI">nouvelles approches</a> qui leur offriraient une plus grande liberté d’expression. <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-l_imaginaire_musical_entre_creation_et_interpretation_mara_lacche-9782296001282-21023.html">Le degré de liberté des approches improvisées</a> qui ont été explorées est de ce fait très variables. <a href="https://www.dacapopress.com/titles/derek-bailey/improvisation/9780306805288/">L’improvisation libre</a>, sans contraintes apparentes, s’est avérée très productive, mais d’autant plus périlleuse que les musiciens sont plus nombreux, conduisant certains d’entre eux à développer <a href="https://eud.u-bourgogne.fr/musicologie/652-electrique-miles-davis-9782364413160.html">d’autres approches pour structurer les improvisations en cours de performance</a>. Mais improviser explicitement la structure collective pose un problème fondamental : comment définir un référentiel et se le communiquer en cours de jeu ?</p>
<h2>Des informations visuelles</h2>
<p>Pour cela, les musiciens se sont souvent appuyés sur une information visuelle afin d’éviter d’interférer avec le son musical. C’est le cas notamment de la pièce <em>Cobra</em> introduite par John Zorn en 1984, tirant son nom du jeu de rôle éponyme, et basée sur un <a href="https://scholar.lib.vt.edu/ejournals/JRMP/2013/schyff.pdf">ensemble de pancartes gérées principalement par un musicien-prompteur</a> endossant le rôle de chef d’orchestre au sens littéral.</p>
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<p>Équipé de ses pancartes, le prompteur choisit et fait évoluer – en cours de jeu – les liens d’interactions entre participants sans plus de précisions sur ce qui doit être joué, offrant ainsi un certain degré de liberté individuelle aux instrumentistes. A sa discrétion, le prompteur peut déléguer temporairement la direction à un musicien, sur demande. Du point de vue esthétique, l’approche permet de sauter d’une ambiance musicale à une autre de manière très dynamique et souvent radicale. Les performances sont très interactives, parfois drôles, souvent inattendues. Le niveau de liberté individuelle qui en résulte est néanmoins assez limité car l’approche est extrêmement hiérarchique. C’est que le prompteur, ou son délégué temporaire, détiennent pleinement le pouvoir d’expression ou de silence sur son territoire sonore. De même, une délégation peut être annulée à tout instant par le prompteur en lançant une nouvelle consigne, ou en confiant la direction à un autre musicien du groupe qui l’aura sollicitée. La liberté individuelle est donc toute relative.</p>
<p>Dans cette vidéo, le <em>New England Conservatory</em> propose trois performances de <em>Cobra</em>, l’une des <em>game pieces</em> de John Zorn, par le <em>NEC Cobra Ensemble</em> dirigée par Anthony Coleman le 21 janvier 2015 :</p>
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<h2>Utiliser le langage des signes</h2>
<p>Introduite par Walter Thompson en 1974, le <em>Soundpainting</em> s’est beaucoup développé au cours des dix dernières années. Cette technique est basée sur un langage de signes dont le lexique dépasse aujourd’hui le millier. Les signes servent ici à prescrire l’action des musiciens de façon précise, en cours de performance, et permettent de construire des pièces complètes. L’approche donne les pleins pouvoirs au chef d’orchestre dont l’instrument de musique est l’orchestre au complet : le <a href="https://www.erudit.org/en/journals/circuit/2020-v30-n2-circuit05461/1071122ar.pdf"><em>soundpainter</em> improvise ainsi de l’orchestre comme on improviserait d’un instrument</a>. Une telle approche nécessite bien sûr un investissement collectif pour acquérir ce langage commun. Elle offre un très haut niveau de contrôle au soundpainter et permet de produire des performances remarquablement impressionnantes. Dans cette approche, la liberté individuelle est toutefois extrêmement réduite puisqu’elle concentre quasiment tous les pouvoirs musicaux sur le soundpainter : le musicien est totalement instrumentalisé, marionnettisé, comme dans cette performance de Soundpainting par le <em>Round Top Soundpaiting Orchestra</em> dirigée par Walter Thompson lors du festival Hill le 18 juin 2021 :</p>
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<h2>Construire le cadre au cours de l’improvisation</h2>
<p>Plus rares sont les approches qui se sont appuyées sur le son pour communiquer. En 1970, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Miles_Davis">Miles Davis</a> avait sommairement effleuré l’idée avec <em>Spanish Key</em>, l’un des morceaux de son album <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Bitches_Brew"><em>Bitches Brew</em></a>, mais n’avait pas cherché à l’approfondir. C’est que recourir au son fait ressortir de façon évidente le problème de communication : comment décrire et communiquer par un son-signe sans interférer avec le son-musique ? L’idée est paradoxale. C’est tout l’enjeu de <em>la grille ouverte</em> dont le terme <em>grille</em> fait référence à la succession d’accords évoquée plus haut.</p>
<p>Mais dans la grille ouverte, le cadre n’est plus défini à l’avance. C’est que l’objectif de cette approche est justement de s’appuyer sur un cadre qui ne soit pas figé, et, tout au contraire, de construire ce cadre en cours d’improvisation.</p>
<p>Et si cette grille est « ouverte » c’est en référence au concept d’<a href="https://www.babelio.com/livres/Eco-Loeuvre-ouverte/5017"><em>œuvre ouverte</em></a> introduit par Umberto Eco au début des années 1960 pour désigner des œuvres dont l’achèvement est volontairement laissé à l’interprète, au moment de la performance.</p>
<p>Umberto Eco voyait déjà en l’improvisation de jazz une forme ouverte. Mais l’idée de grille ouverte va plus loin en ouvrant également le cadre à l’improvisation. Plus qu’ouverte, Pierre Sauvanet y voit même une grille <a href="https://hal.ird.fr/ird-04035932"><em>ouvrante</em></a> parce qu’elle « ouvre le champ des possibles », et « dynamite, dans son principe même, les différents types de fermetures qui menacent tout processus d’improvisation en acte ».</p>
<p>Pour construire ce cadre en cours de performance, la grille ouverte est basée sur un ensemble de signes sonores que les musiciens pourront utiliser – en cours de jeu et par le son musical – pour définir le référentiel commun sur lesquels ils pourront s’appuyer pour improviser collectivement. En recourant à des signes musicaux, l’approche revient donc à <a href="https://hal.science/hal-02862598">« orienter l’improvisation à plusieurs […] de l’intérieur du discours musical »</a>. Il n’est pas non plus question ici d’un simple thème-signal qui annoncerait le passage d’une partie à la suivante mais d’un véritable langage expérimental, permettant la description détaillée d’un très large panel de référentiels.</p>
<p>La problématique de l’intégration de signes sonores au sein du son musique est complexe car les signes doivent pouvoir être perçus par les musiciens sans dénaturer la musique, devenir musique tout en restant détectables et intelligibles. Pour cela, les <a href="https://www.researchgate.net/publication/369771394_La_Grille_Ouverte">signes sont dotés de plasticité</a>. Dans les langages humains, cette plasticité résulte en partie de l’assemblage de consonnes et de voyelles qui assurent une redondance partielle de l’information contenue dans le signe et facilitent le transfert de cette information malgré les perturbations. Les mots, même largement déformés, restent en partie reconnaissable.</p>
<p>Pour s’en convaincre, on pourra prendre l’exemple du roman graphique <a href="https://www.dupuis.com/frnck/bd/frnck-tome-1-le-debut-du-commencement/66063"><em>Frnck</em></a> où le héros découvre un peuple qui s’exprime sans voyelle mais que l’on parvient tout de même à comprendre ; à l’inverse, on pourra penser au personnage Camille Chandebise dans <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Puce_%C3%A0_l%27oreille"><em>La puce à l’oreille</em></a> (1907) de Georges Feydeau, dont le parler est privé (et nous prive) de toute consonne. Voyelles et consonnes fournissent ainsi une redondance qui autorise un certain degré de déformation. En musique, on ne dispose ni de consonnes, ni de voyelles. Cette redondance doit donc être assurée par d’autres paramètres qui sont, pour la grille ouverte, le rythme et les modulations de hauteur.</p>
<p>Le lexique de grille ouverte est ainsi composé de <a href="https://www.europalingua.eu/ideopedia/index.php5">motifs sonores mélodico-rythmiques qui, associés les uns aux autres suivant une syntaxe prédéfinie, constituent un langage</a>. Plus précisément, il s’agit d’un métalangage puisque les signes offrent une grammaire descriptive, et dont l’objet est de définir le référentiel commun aux musiciens.</p>
<p>Contrairement aux approches qui l’ont précédé, le langage de grille ouverte est fondamentalement démocratique dans sa démarche. D’une part parce qu’il ne prescrit pas l’action des musiciens : il sert à proposer un référentiel générique commun. A eux de l’exploiter, mais éventuellement aussi de s’en écarter, ou de l’interpréter à leur convenance. D’autre part, parce que ce langage n’est pas nécessairement destiné à un chef qui serait l’unique dépositaire de l’autorité alors que les autres musiciens seraient privés d’influence explicite sur le collectif.</p>
<p>Le langage de grille ouverte est dans son principe utilisable par tous les musiciens, instruments à percussion inclus. Il offre ainsi, en puissance, la possibilité de construire démocratiquement le comportement collectif tout en préservant la liberté individuelle des participants. Il donne aussi la possibilité aux musiciens d’expérimenter des régimes aux libertés plus ou moins cadrées et leur confère la responsabilité à la fois individuelle et collective du résultat.</p>
<p>Les extraits suivants, issus d’enregistrements à <a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb47104063g">grille ouverte</a>
donnent à entendre quatre énoncés suivis de transition : (1) le saxophone soprano dit « Fa », (2) la contrebasse dit « Mineur Do-dièse », (3) le saxophone soprano dit « mineur Mi-bémol », (4) le saxophone ténor dit « Majeur Ré ».</p>
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<p>Les deux improvisations à grille ouverte suivantes (GO-9 et G0-12) n’ont pas été coupées. Elle permettent donc de se faire une idée de l’utilisation du langage en conditions pratiques.</p>
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<p>Malgré les imperfections, dont certaines font pleinement partie du processus de création (incompréhensions, malentendus, sous-entendus, etc.), ces enregistrements montrent le potentiel de l’approche.
Les musiques improvisées peuvent être <a href="https://theconversation.com/limprovisation-programmee-le-jazz-le-planifie-et-lindetermine-61063">porteuses de sens, au-delà du milieu musical</a>. La grille ouverte a bien sûr une visée esthétique. Mais l’expression y joue autant que les questionnements qu’elle sous-tend. Au-delà de son intérêt sensible, et au-delà du domaine musical, son ambition est de donner à penser ou repenser le monde et la société.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221180/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Mangiarotti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quand les différentes formes de musique improvisée permettent de réfléchir au fonctionnement d'un collectif.Sylvain Mangiarotti, Researcher at Centre d'Etudes Spatiales de la Biosphère (CESBIO), Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1667712021-08-25T13:24:56Z2021-08-25T13:24:56ZCharlie Watts, le batteur qui a mis du jazz dans le rock des Stones<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/417800/original/file-20210825-27-us1zw2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C1%2C919%2C695&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Charlie Watts, un héros musical très discret. </span> <span class="attribution"><span class="source">Daily Express/Hulton Archive/Getty Images</span></span></figcaption></figure><p>Aux grandes heures du rock, quand les batteurs étaient ces showmen à l’ego surdimensionné, Charlie Watts est toujours resté l’homme tranquille posté derrière un set de batterie modeste. Mais il faut dire que ce n’était pas un batteur comme les autres.</p>
<p>Membre des Rolling Stones de 1963 à <a href="https://apnews.com/article/rolling-stones-charlie-watts-died-c9551b21e2806b679bd0eeec0bb4ef2b">sa mort, survenue le 24 août 2021</a>, Watts a assuré la rythmique de leurs plus grands succès en insufflant sa sensibilité jazz et swing au son des Stones.</p>
<p><a href="http://people.bu.edu/blues/">Musicologue</a> et coéditeur du <a href="https://www.cambridge.org/core/books/cambridge-companion-to-the-rolling-stones/ED42FC0D0D389BCA24024C62306353E4"><em>Cambridge Companion to the Rolling Stones</em></a> – mais aussi fan qui a vu les Stones en concert plus de 20 fois au cours des cinq dernières décennies – je mesure à quel point Watts a joué dans le succès du groupe.</p>
<p>Comme <a href="https://www.inner-magazines.com/music/why-ringo-matters/">Ringo Starr</a> et d’autres batteurs qui ont émergé avec la pop britannique des années 1960, Watts a été influencé par le swing et le son des big bands qui étaient <a href="https://nationaljazzarchive.org.uk/explore/jazz-timeline/1940s?">extrêmement populaires au Royaume-Uni</a> dans les années 1940 et 1950.</p>
<h2>Modestie du jeu</h2>
<p>Watts était un batteur de jazz autodidacte ; des musiciens de jazz comme Jelly Roll Morton, Charlie Parker et Thelonious Monk <a href="https://www.newyorker.com/magazine/2012/07/23/tag-team">ont été pour lui des influences précoces</a>.</p>
<p>Dans une interview de 2012 accordée au <em>New Yorker</em>, il rappelle comment leurs disques <a href="https://www.newyorker.com/magazine/2012/07/23/tag-team">ont influencé son style de jeu</a> :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai acheté un banjo, et je n’aimais pas les points sur le manche. Alors j’ai enlevé le manche, et en même temps j’ai entendu un batteur appelé Chico Hamilton, qui jouait avec Gerry Mulligan, et j’ai voulu jouer comme ça, avec des balais. Je n’avais pas de caisse claire, alors j’ai mis la caisse de résonance du banjo sur un pied. »</p>
</blockquote>
<p>Le premier groupe de Watts, les Jo Jones All Stars, était un groupe de jazz : c’est pourquoi Watts a distillé des éléments jazzy dans la musique des Stones tout au long de sa carrière. Cette grande polyvalence stylistique a été essentielle aux incursions du groupe au-delà du blues et du rock, vers la country, le reggae, le disco, le funk et même le punk.</p>
<p>Son jeu était teinté d’une certaine modestie, liée à sa connaissance du jazz. Il s’assurait que l’attention n’était jamais portée sur lui ou sur son jeu de batterie – il n'y a pas de solos de batterie dans le rock – son rôle était simplement de faire avancer les chansons, de leur insuffler du mouvement.</p>
<p>Il utilisait un set de batterie assez <a href="https://www.gretschdrums.com/artists/charlie-watts">simple</a> – un modèle que l’on trouve plus souvent dans les quatuors et les quintettes de jazz. De même, l’utilisation occasionnelle par Watts de balais au lieu de baguettes – comme sur « Melody » dans l’album <em>Black and Blue</em> de 1976 – est un hommage direct aux batteurs de jazz.</p>
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<p>Mais Watts savait aussi s’adapter, tout en gardant sa sensibilité de jazzman. C’est le cas dans le R’n’B de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=nrIPxlFzDi0">(« I can’t Get No) Satisfaction »</a>, le rythme de samba infernal de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=GgnClrx8N2k">« Sympathy for the Devil »</a> – deux chansons où sa contribution est centrale.</p>
<p>Une chanson comme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3fa4HUiFJ6c">« Can’t You Hear Me Knocking »</a> de l’album <em>Sticky Fingers</em> de 1971 se développe, à partir d’un riff virtuose de Keith Richards, en une longue section instrumentale de latin jazz à la Santana, unique dans le catalogue des Stones, faite de séquences rythmiques syncopées et d’un style charleston qui permet à Watts de diriger les différentes sections musicales.</p>
<p>De même, la batterie de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=RbmS3tQJ7Os">« Gimme Shelter »</a>, comme dans d'autres classiques des Rolling Stones, reste à l'arrière-plan tout en étant toujours parfaitement placée… et en sachant créer la surprise.</p>
<h2>Alimenter la « salle des machines »</h2>
<p>Lorsque le bassiste Bill Wyman s’est retiré du groupe après la tournée <em>Steel Wheels</em> de 1989, c’est Watts qui a été chargé de choisir son remplaçant : ce fut Darryl Jones, qui correspondait à son style de batteur.</p>
<p>Mais il y avait un autre « partenariat » d’importance au sein du groupe. Charlie Watts jouait à contretemps, dans un style très complémentaire de celui de Richard, très syncopé et axé sur les riffs. Watts et Richards, à eux seuls, ont créé le groove d’un grand nombre des chansons des Stones, comme « Honky Tonk Women » ou « Start Me Up ». En live, Richards regarde Watts en permanence – il traque les accents musicaux et fait systématiquement correspondre leurs rythmiques et leurs contretemps.</p>
<p>Avec son jeu mesuré, parfois discret, Watts n’aspirait pas à devenir un <a href="https://www.loudersound.com/features/old-school-jazz-and-lacerated-hands-the-secrets-of-led-zeppelins-moby-dick">virtuose comme John Bonham de Led Zeppelin</a> ou <a href="https://www.youtube.com/watch?v=O5Up-qHTJdY">Keith Moon des Who</a>. Mais pendant près de six décennies, il a été fidèle au poste, comme le dit Richards, de la légendaire « salle des machines » des Rolling Stones.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166771/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Victor Coelho ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Batteur discret et influencé par le jazz, Charlie Watts est indissociable du son des Stones et de leur succès.Victor Coelho, Professor of Music, Boston UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1351022020-04-05T16:51:02Z2020-04-05T16:51:02ZLa musique adoucit-elle le confinement ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/325031/original/file-20200402-74869-1buyjg4.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C2707%2C1620&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'orchestre national interprète le Boléro de Ravel…en confinement. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.franceinter.fr/culture/un-bolero-de-ravel-en-confinement-avec-les-musiciens-de-l-orchestre-national-de-france">capture d'écran Youtube.</a></span></figcaption></figure><p>En pleine crise du Covid-19 et alors que les médias rapportaient jour après jour les chiffres hallucinants des décès en Italie, ont commencé à apparaître sur les média sociaux des vidéos de personnes confinées qui chantent et jouent de la musique sur les balcons de leur appartement. Une des première vidéos postée dans la ville de Benevento, non loin de Naples, montre un homme qui entonne la chanson populaire napolitaine <em>Vesuvio</em> accompagné de son tambourin traditionnel, tandis que 3 jeunes femmes sur un autre balcon l’accompagnent à distance, elles aussi au tambourin.</p>
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<figcaption><span class="caption">Une Tammurriata au balcon à Benevento, près de Naples.</span></figcaption>
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<p>Cette nouvelle forme d’expression et de partage a rapidement gagné de nombreuses villes et plusieurs autres pays. L’hymne de la lutte contre le virus en Espagne, chanté tous les soir sur les balcons, est un ancien tube des années quatre-vingt intitulé <a href="https://www.youtube.com/watch?v=FdqrjoY5uyo"><em>Resistiré</em></a>.</p>
<p>Par ailleurs, des chanteurs et des musiciens parfois très connus ont commencé à diffuser des concerts donnés depuis leur domicile. Ainsi, le chanteur canado-américain Neil Young, qui aurait dû entamer une nouvelle tournée, a diffusé dès le 20 mars le premier d’une série de concerts acoustiques intimistes qu’il a nommé les <a href="https://neilyoungarchives.com"><em>fireside sessions</em></a>. Pendant près d’une demi-heure, on le voit chanter certaines de ses chansons les plus connues. Il répète depuis lors l’exercice plus ou moins toutes le semaines.</p>
<p>Alors que le coronavirus provoque d’énormes dysfonctionnements dans l’industrie culturelle mondiale, entraînant des retards et des annulations, la <a href="https://www.theguardian.com/music/2020/mar/19/best-livestreamed-gigs-coronavirus-john-legend-chris-martin-code-orange">liste des des concerts virtuels en livestream</a> s’allonge de jour en jour. La prolifération de ces web-shows est grandement favorisée par les nouvelles technologies de communication qui permettent non seulement aux artistes de se trouver dans un lieu différent, parfois très éloigné, de leur public, mais aussi aux artistes isolés de jouer ensemble, comme l’ont montré les musiciens de l’Orchestre philharmonique de Rotterdam.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les membres de l’Orchestre philharmonique de Rotterdam jouent la 9ᵉ de Beethoven depuis leur domicile.</span></figcaption>
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<p>Les initiatives caritatives basées sur la musique ne manquent pas. Lionel Richie, par exemple, envisagerait de <a href="https://people.com/music/lionel-richie-we-are-the-world-for-coronavirus-victims/">relancer son titre <em>We are the world</em></a> interprété par le collectif <em>USA for Africa</em> en 1985, un collectif ad hoc de composé de grandes stars (de Bob Dylan à Bruce Springsteen en passant par Cindy Lauper ou encore Tina Turner) qui permit de récolter des sommes gigantesques pour lutter contre la famine en Ethiopie dans les années 80.</p>
<p>Les médias traditionnels ne sont pas en reste. Ainsi, la chaîne de télévision franco-allemande ARTE a décidé de mettre à la disposition de ses téléspectateurs <a href="https://www.arte.tv/fr/arte-concert/">600 concerts de tout genre en streaming gratuit</a>. Le 20 mars dernier, 180 radios européennes ont diffusés au même moment « You’ll never walk alone », en signe de solidarité et de soutien au personnel soignant. Dans une vidéo apparue online cette chanson, désormais connue comme l’hymne de l’équipe du Liverpool Football Club, est chanté par le personnel médical d’un hôpital à des collègues isolés dans l’unité de soins intensifs dédié au Covid-19.</p>
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<h2>Les fonctions de la musique</h2>
<p>Que signifie cette prolifération de la musique sur le web en cette période inédite de confinement et de crise sanitaire globale ? Quelle peuvent être les fonctions de la musique et des artistes dans un tel contexte ? Les fonctions sociales et politiques de la musique ont fait l’objet de nombreuses études et réflexions qu’il ne s’agit pas ici de restituer. Il nous semble toutefois opportun de distinguer les fonctions sociales, politiques et psychologiques potentielles de la musique dans le contexte actuel.</p>
<p>Jouer ou consommer de la musique (en audio seule ou en vidéos) peut être un moyen de s’occuper lorsque la vie tourne au ralenti, jour après jour. Bien que le télétravail ait connu une forte augmentation – forcée – suite au confinement, de nombreuses personnes se retrouvent contraintes de rester chez elles sans pouvoir travailler. Elles doivent parfois imaginer des solutions contre l’ennui qui s’installe au quotidien. Certaines s’adonnent à la musique, soit en se lançant ou en reprenant la pratique d’un instrument, soit en écoutant plus de musique qu’à l’habitude.</p>
<p>La pratique et la consommation de la musique peuvent être une réponse à l’anxiété causée par la situation actuelle. La grave crise sanitaire globale que nous traversons est inédite et inattendue pour la grande majorité de la population. Elle suscite bien de l’incertitude, des inquiétudes et des peurs pour l’avenir. Dans ce contexte, écouter ou jouer de la musique peut constituer un moyen de s’évader, de s’échapper mentalement, d’oublier momentanément la situation et les difficultés de la crise et du confinement et donc de préserver un bon équilibre mental.</p>
<h2>Expression et connexion</h2>
<p>L’histoire nous indique que la musique est un moyen d’exprimer sa peine, ses souffrances dans des situations extrêmes. Le Blues, par exemple, est le fruit de l’expérience indescriptible de l’esclavage vécue par les centaines de milliers d’Africain·e·s arraché·e·s de force à leur environnement pour être acheminé·e·s comme du bétail aux États-Unis d’Amérique. Sans avancer une comparaison dénuée de sens, on constate aujourd’hui aussi que des personnes expriment leur expérience et leurs souffrances à travers la musique. En France, par exemple, se présentant comme un brancardier en service, Monsieur Cheb a posté un freestyle qui raconte la difficulté du travail en hôpital non sans égratigner au passage la responsabilité du gouvernement dans la crise actuelle.</p>
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<p>Cette fonction expressive de la musique peut être individuelle et collective. La musique devient alors un moyen de rassemblent, de connexion à distance entre des personnes qui bien que ne se connaissent pas, vivent une même situation. Lorsque les gens chantent sur les balcons, lorsqu’il écoutent la même chanson à la même heure à la radio, ils se rapprochent, ils partagent une expérience commune de cette crise sanitaire, voire un sentiment d’appartenance à une communauté menacée par le virus. Au-delà, ils peuvent aussi exprimer leur solidarité les uns avec les autres mais aussi leur solidarité avec le corps médical qui travaille sans relâche pour sauver des vies. En France, par exemple, un clip de G7N est très explicite à ce propos.</p>
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<h2>Pragmatisme et politique</h2>
<p>Ces quelques illustrations n’épuisent évidemment pas le débat sur l’importance sociale et politique de la musique. Dire que la musique peut certainement aider de nombreuses personnes à traverser la crise ne revient pas non plus à en faire un outil univoque ou omnipotent.</p>
<p>Par ailleurs, d’aucuns peuvent trouver trivial de se pencher sur ces questions dans des circonstances tragiques. C’est une croyance qui ne tient pas compte des nombreuses applications pragmatiques de la musique. Dans le contexte actuel, la musique peut avoir par exemple des fins pédagogiques pour sensibiliser la population au danger du Covid-19 et montrer comment s’en protéger. Le Ndlovu Youth Choir, un groupe vocal issu d’une communauté d’Afrique du Sud ayant un accès limité à l’eau courante, a posté des clips vidéo sur YouTube dans lesquels ils expliquent en chantant et en dansant toutes les précautions afin de ne pas contracter le virus.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le clip de Ndlovu Youth sur comment de se laver correctement les mains dans un seau.</span></figcaption>
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<p>Mais si la musique peut servir de vecteur de solidarité humaine, elle peut aussi servir des fins politiques. L’enthousiasme suscité par l’apparition des premières « chansons au balcon » en Italie s’est accompagné d’une critique de la proposition de chanter l’hymne national lors de ces pratiques.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/324671/original/file-20200401-23157-a2ctil.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/324671/original/file-20200401-23157-a2ctil.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/324671/original/file-20200401-23157-a2ctil.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/324671/original/file-20200401-23157-a2ctil.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/324671/original/file-20200401-23157-a2ctil.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/324671/original/file-20200401-23157-a2ctil.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/324671/original/file-20200401-23157-a2ctil.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=523&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une des photos les plus repostées pour critiquer la proposition de chanter l’hymne italien aux balcons.</span>
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<p>Ces critiques dénonçaient le manque d’unité et d’égalité, dans un contexte ou le gouvernement était sous pression pour donner une première réponse à l’urgence croissante, et les gouvernements régionaux prenaient des directions différentes et souvent contradictoires.</p>
<p>L’idée de chanter l’hymne national, relancée par plusieurs politiciens et suivie par de nombreux citoyens, a été interprétée par d’autres comme la tentative de réaffirmer un patriotisme symbolique qui n’existe pas dans la pratique, dans un pays où les disparités internes risquent de s’accroître pendant une période critique comme celle que nous vivons actuellement.</p>
<p>Reste qu’à l’avenir, la bande-son collective de la crise du Covid-19 fera partie de notre patrimoine commun.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135102/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>En cette période de confinement et de distanciation physique, la musique joue un rôle ludique et soude les individus. Mais elle a bien d’autres fonctions.Marco Martiniello, Research Director FNRS Director, Centre d’Etude et des Migrations (CEDEM) Directeur de l'IRSS,Faculté des Sciences Sociales, Université de Liège, Université de LiègeAlessandro Mazzola, Post-doc Research Fellow, Sociologist, Guildhall School, City of London Corporation, Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1123672019-03-03T20:05:35Z2019-03-03T20:05:35ZLes 1 001 vies de Michel Legrand<p>Cet immense artiste nous a quittés le 26 janvier, à l’approche de ses 87 ans. Celui que nous pleurons d’abord, c’est le dernier des cinq compositeurs de la « nouvelle vague » (les autres étant George Delerue, Antoine Duhamel, Pierre Jansen et Maurice Jarre). Mais si l’impression de vide sidéral qu’il laisse est si grande, c’est parce que Michel Legrand s’est imposé, s’est infiltré dans notre quotidien, en étant partout, tout le temps. Cet homme n’a pas vécu une vie, il en a vécu mille et une. C’est pourquoi nous nous contenterons ici d’en recenser quelques-unes, dans l’espoir d’expliquer le lien singulier entre lui et nous.</p>
<p>Par souci de transparence et d’honnêteté, je dois avouer avoir eu la chance de connaître personnellement Michel Legrand et de l’avoir côtoyé pendant les cinq dernières années de sa vie.</p>
<h2>L’éternel enfant</h2>
<p>Si notre attachement à Michel Legrand est si fort, c’est sans doute parce qu’il est arrivé dans nos vies par la porte de l’enfance. À l’instar de nombreux de ses prédécesseurs (Debussy, Saint-Saëns ou Poulenc pour le XX<sup>e</sup> siècle notamment), il s’est plié à l’exercice difficile de s’adresser à un jeune public, sans perdre pour autant l’essence de son langage musical. Il y a, bien sûr les mélodies inoubliables qu’il a composées pour les films de Jacques Demy (et que le succès de <em>Peau d’âne</em> sur scène a continué de faire vivre), mais souvenons-nous du générique d’<em>Il était une fois la vie</em> (<a href="https://www.youtube.com/watch?v=f-7gRm3zPbc">et <em>l’espace</em></a> et <em>les explorateurs</em> et <em>les Amériques</em>), de celui d’<em>Oum le dauphin</em> (série immortalisée grâce au chocolat blanc Galak), de la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=14_L61k5ixk"><em>Flûte à six Schtroumpfs</em></a> et surtout, souvenons-nous que pour le film <em>Lady Sings the Blues</em> (Sidney J. Furie, 1972), il a composé « Happy », une chanson reprise par le très jeune Michael Jackson. Et puis il y a cette énigme insoluble, cette question éternellement sans réponse que pose Michel Legrand à tous les enfants : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Jd-LsgDZksI"><em>Où vont les ballons ?</em></a>. De là où il se trouve aujourd’hui, il le sait probablement.</p>
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<p>En 1946, Benjamin Britten racontait, en musique, les instruments de l’orchestre dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=4vbvhU22uAM"><em>The Young Person’s Guide to the Orchestra</em></a>. Quelques années plus tard, Michel Legrand applique le même principe au jazz dans la chanson <a href="https://www.youtube.com/watch?v=PLFgAMSQ22o">« Trombone, guitare et compagnie »</a></p>
<p>C’est ainsi qu’il est devenu, pour la plupart d’entre nous, une madeleine musicale que nous dégusterons toujours sans déplaisir mais avec un sentiment mêlé de joie et de nostalgie.</p>
<h2>Le cinéaste</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/261477/original/file-20190228-106365-1gvzseq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/261477/original/file-20190228-106365-1gvzseq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/261477/original/file-20190228-106365-1gvzseq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=321&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/261477/original/file-20190228-106365-1gvzseq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=321&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/261477/original/file-20190228-106365-1gvzseq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=321&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/261477/original/file-20190228-106365-1gvzseq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=403&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/261477/original/file-20190228-106365-1gvzseq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=403&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/261477/original/file-20190228-106365-1gvzseq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=403&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une image de <em>Cinq jours en juin</em>.</span>
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<p>Au début de l’été 1988, Michel Legrand décide d’ajouter une nouvelle corde à son arc, qui avait pourtant déjà fortement des allures de harpe, en passant derrière la caméra. Pour son premier film en tant que cinéaste (et co-scénariste), il décide de mettre en scène un épisode de sa propre vie. <em>Cinq jours en juin</em> raconte la fin de la Seconde Guerre mondiale et son casting (Annie Girardot et Sabine Azéma) élève au mieux cette touchante histoire de destins croisés, d’un pays qui fête sa Libération tandis que le jeune Michel (Mathieu Rozé) pleure son premier chagrin d’amour.</p>
<p>Malgré quelques discutables maladresses, Michel Legrand réussit pleinement à reconstituer cette époque et à nous faire entrer dans son cerveau d’homme-musique (avec toujours un crayon et du papier à portée de main pour composer) et de jeune musicien classique découvrant le jazz grâce aux soldats américains. La musique que compose le personnage est d’ailleurs celle du film composée par Michel Legrand, créant ainsi un effet miroir hautement poétique. Cerise sur le gâteau : Ray Charles lui fait l’honneur d’un duo à quatre mains et deux pianos pour un blues endiablé. Nous déplorons la disparition de ce film dont il est impossible de ne visionner ne serait-ce que la bande-annonce, faute de copies restaurées aux normes. J’ai néanmoins eu la chance le voir.</p>
<h2>L’auteur/compositeur/interprète</h2>
<p>Dès 1964, Michel Legrand ne veut plus se contenter de composer pour les autres. C’est pourquoi il devient l’interprète de ses propres chansons. Pour ce premier album, il dévoile toute la richesse de sa personnalité. Les paroles (signées Eddy Marnay et Claude Nougaro) y sont souvent amères (« Marion ne m’aimait pas », « L’Amour en scie », <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Z9QmGXfMIH8">« Alcatraz »</a>), derrière des arrangements d’apparence humoristique (<a href="https://www.youtube.com/watch?v=DUAqhWTw0-E">« Brûl’pas tes doigts »</a>, « Moi, je suis là »). Le summum étant probablement <a href="https://www.youtube.com/watch?v=n1E-W4N5um4">« Regarde la mort »</a>, une injonction à défier cette fatalité (décrite comme une femme et personnifiée par la trompette bouchée), sublimée par un boléro funèbre.</p>
<p>Quatre albums s’échelonnent jusqu’à celui 1981, pour lequel, en plus de chanter et d’avoir composé la musique, Michel Legrand a aussi écrit tous les textes. Le contenu n’a plus rien à voir avec celui des premiers 33 tours. La voix a mûri et l’homme aussi. Il chante les merveilles de la paternité (« Eugénie »), pour sa fille qui a alors 10 ans, il parle de l’amour en des termes charnels et très sensuels (« Les Fleurs du mâle »), il décrit la lassitude amoureuse dans une magnifique mise en abyme où l’on a l’impression d’assister à une séparation en direct (« Le Pianiste amoureux »). Preuve, s’il en est, d’un réel changement : Michel Legrand y abandonne les scats vocaux (improvisations vocales sans paroles, sur des onomatopées) qui ont pourtant toujours été sa signature. Comment ne pas croire que cet album, si personnel, et pour lequel Michel Legrand s’est investi à chaque étape, n’est pas le reflet de son âme, l’accès direct à son intimité la plus profonde ?</p>
<h2>Le compositeur de musique savante</h2>
<p>En tant que compositeur essentiellement tourné vers le cinéma et la musique tonale (c’est-à-dire une musique basée sur les échelles majeure et mineure), Michel Legrand a incarné cette fracture artistique qui a pesé sur le XX<sup>e</sup> siècle et dont il a personnellement souffert. En effet, la musique de film n’était pas prise au sérieux par ceux qui se considéraient comme des compositeurs et rendaient impossible l’accès aux salles de concert pour les autres. L’un d’eux – Pierre Boulez – a écrit cette phrase d’anthologie : « tout musicien qui n’a pas ressenti la nécessité du langage dodécaphonique est inutile ».</p>
<p>Mais Michel Legrand ne s’est jamais imposé aucune barrière, il a travaillé et collaboré avec tellement d’artistes d’horizons si différents qu’il serait vain, sinon risqué de tenter d’en établir la liste exhaustive. Nonobstant les a priori et « qu’en dira-t-on ? », au crépuscule de sa vie, il décide de pulvériser cette ultime frontière, entre savant et divertissement, en achevant des projets, en réalisant des souhaits longtemps inexprimés. C’est ainsi qu’après avoir passé plus de quarante ans au placard et grâce à l’insistance de Natalie Dessay, l’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=vlaKSNe2d6U">oratorio <em>Life Cycle of a Woman</em></a> (rebaptisé <em>Between Yesterday and Tomorrow</em>) voit enfin le jour sur la scène du Théâtre des Champs Élysées en 2018, précédé par la mise en vente du CD fin 2017.</p>
<p>Bien évidemment, Michel Legrand ne s’arrête pas là. Il composera un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=M3SKhZLbtzw">ultime chef-d’œuvre</a>, une <a href="https://www.coursdesolfege.fr/lexique.php?definition=coda">coda beethovénienne</a>, comme un défi lancé à lui-même : un concerto pour piano résumant à lui seul toutes les influences qui ont fabriqué, façonné son langage musical. La virtuosité, qui n’a rien à envier à celle de Liszt ou Chopin, souligne et sert une musique aux frontières du jazz et du moderne. Michel Legrand réunit enfin ses deux amours en tendant la main à Gerswhin et Ravel, sans hiérarchisation. On ne pouvait imaginer boucle mieux bouclée.</p>
<h2>La bête de scène</h2>
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<p>De son plus jeune âge jusqu’à la fin de sa vie, Michel Legrand a été sur scène (il faisait salle comble en décembre dernier <a href="https://philharmoniedeparis.fr/fr/activite/concert/19135-michel-legrand">à la Philharmonie de Paris</a>) et il s’est amusé sur scène. Il a joué partout, seul, en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=XzNJ-HBgRSw">combo de jazz</a> ou avec <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3YokOVxbGi4">orchestre symphonique</a>. Rien ne l’a jamais arrêté. Et même lorsqu’il ne jouait pas, sa musique était sur scène. <em>Peau d’âne</em> au théâtre Marigny nous a encore récemment prouvé l’immortalité de son œuvre. Au mitan des années 1980, Michel Legrand entame une collaboration fructueuse avec l’écrivain Didier van Cauwelaert. Ensemble ils adapteront en 1996 et 1997, pour la scène des Bouffes Parisiens et dans différentes villes, le <em>Passe muraille</em>, la nouvelle de Marcel Aymé, et raconteront l’histoire de Dreyfus dans une éblouissante mise en scène de Daniel Benoin pour l’opéra de Nice en 2014.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/260580/original/file-20190224-195867-9sa7u2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/260580/original/file-20190224-195867-9sa7u2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/260580/original/file-20190224-195867-9sa7u2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/260580/original/file-20190224-195867-9sa7u2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/260580/original/file-20190224-195867-9sa7u2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/260580/original/file-20190224-195867-9sa7u2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/260580/original/file-20190224-195867-9sa7u2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’affiche du <em>Passe muraille</em>.</span>
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<p>Et nombreuses sont les comédies musicales que nous espérons voir ou revoir sur scène.</p>
<p>Je me contente ici de rappeler quelques-uns des rôles joués par Michel Legrand au cours de ses 86 années d’existence. Et c’est à dessein que j’utilise le verbe « jouer » car si quelqu’un s’est amusé de vivre et de faire de la musique à chaque seconde, c’est bien lui. Nous espérons donc qu’il continuera d’irradier nos vies par son soleil, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Pvc0AfhKbdE">lui qui voulait autrefois nous le vendre</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/112367/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cécile Chéraqui ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cet immense artiste nous a quittés le 26 janvier, à l’approche de ses 87 ans.Cécile Chéraqui, Doctorante en musique et musicologie au sein du l’Institut de recherche en musicologie, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1062192018-11-14T20:46:12Z2018-11-14T20:46:12ZJ’ai regardé les étoiles et dansé le jazz avec des migrants à l’université (2)<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/243584/original/file-20181101-83654-1x6g0bi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C130%2C1024%2C657&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Deuxième soirée astronomie à l'université Paris-Sud avec réfugiés, étudiantes et personnels</span> <span class="attribution"><span class="source">Hervé Dole</span></span></figcaption></figure><p><em>Suite et fin du récit, commencé <a href="https://theconversation.com/jai-regarde-les-etoiles-et-danse-le-jazz-avec-des-migrants-a-luniversite-1-106218">hier</a>, des rencontres avec les réfugiés accueillis sur demande du Préfet dans notre université.</em></p>
<hr>
<h2>Soirée astronomie du dimanche soir</h2>
<p>Avec les étudiants de l’<a href="https://www.alcor.asso.u-psud.fr/">association ALCOR</a>, nous nous installons avec deux télescopes et une paire de jumelles sur une butte ayant un horizon sud bien dégagé, proche de la présidence de l’<a href="http://www.u-psud.fr/">université Paris-Sud</a> et du décanat de la <a href="http://www.sciences.u-psud.fr/">faculté des sciences d’Orsay</a>. Trois planètes sont bien visibles depuis cet endroit, contrairement au site de la veille : Jupiter qui se couche, Saturne et Mars.</p>
<p>Je vais à la rencontre des réfugiés après leur dîner et invite les volontaires à venir. Nous sommes tous ravis de nous revoir. Je presse le pas afin que nous puissions observer <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jupiter_(plan%C3%A8te)">Jupiter</a>. Tous sont ravis d’observer les bandes de nuages sur la planète géante, ainsi que ses satellites galiléens. Je ne résiste pas à l’envie de raconter l’histoire du conflit entre <a href="https://promenade.imcce.fr/fr/pages4/491.html">Galilée</a> et les <a href="https://media4.obspm.fr/affaire-galilee/pages_histoire-galilee/affaire-galilee-text_impression.html">autorités religieuses</a>, dont l’observation des satellites tournant autour de Jupiter est un élément important. J’indique que ce qu’ils voient est quasiment de la météorologie du système solaire, sur une autre planète, puisque les bandes observables de Jupiter sont comme des nuages animés de vents contraires à grande vitesse.</p>
<p>Nous passons à <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Saturne_(plan%C3%A8te)">Saturne</a>, dont les anneaux fascinent tous ceux qui l’observent. Nous voyons en outre <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Titan_(lune)">Titan</a>, son satellite principal. C’est l’occasion de raconter l’aventure de la mission spatiale <a href="https://solarsystem.nasa.gov/missions/cassini/overview/">Cassini-Huygens</a>, avec l’atterrissage réussi du module européen <a href="http://sci.esa.int/cassini-huygens/">Huygens</a> sur la surface de Titan, découvrant notamment des rivières et lacs de méthane liquide.</p>
<p>Le point d’orgue est atteint avec l’observation de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mars_(plan%C3%A8te)">Mars</a>. Même si l’image est petite et que l’on ne voit pas bien la surface, on remarque néanmoins que la planète rouge est… blanche sur un bord. J’indique que c’est la calotte polaire, composée principalement de glace d’eau et de CO<sub>2</sub>, comme l’a très bien montré notre instrument <a href="https://www.ias.u-psud.fr/fr/content/mars-expressomega">OMEGA</a> à bord de la sonde européenne <a href="http://www.esa.int/Our_Activities/Space_Science/Mars_Express">Mars Express</a> (données spatiales que nos étudiants analysent en <a href="https://www.universite-paris-saclay.fr/fr/formation/master/m1-physique-fondamentale#presentation-m1">TP de master</a>, soit dit en passant).</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/243575/original/file-20181101-83657-1hqehae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/243575/original/file-20181101-83657-1hqehae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/243575/original/file-20181101-83657-1hqehae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/243575/original/file-20181101-83657-1hqehae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/243575/original/file-20181101-83657-1hqehae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/243575/original/file-20181101-83657-1hqehae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/243575/original/file-20181101-83657-1hqehae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Si on m’avait dit un jour que je parlerais du fond cosmologique à des réfugiés Afghans lors d’une soirée astronomique dans mon université : y aurais-je cru ? !</span>
<span class="attribution"><span class="source">Max de Habitat et humanisme</span></span>
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<p>Nous discutons, comme la veille, de galaxies et du <a href="http://public.planck.fr/notre-univers/rayonnement-fossile">fond cosmologique</a> (résidu lumineux du big bang, mais inobservable dans le domaine visible) observé par le <a href="http://public.planck.fr/resultats/290-d-un-univers-presque-parfait-au-meilleur-des-deux-mondes">satellite Planck</a>, auquel j’ai participé, d’expansion et d’âge de l’univers, puis de considérations philosophiques. Si on m’avait dit un jour que je parlerais du fond cosmologique et de <a href="http://sci.esa.int/planck/">Planck</a> à des réfugiés afghans lors d’une soirée astronomique à l’université, y aurais- je cru ? !</p>
<h2>Mes amis médecins entrent en scène</h2>
<p>Max et Victoire, les coordinateurs de l’<a href="https://www.habitat-humanisme.org/">association</a> qui se succèdent chaque jour, sont aux petits soins pour les réfugiés. Ils m’indiquent que des bénévoles viennent leur enseigner le français, et que c’est un préalable à toute insertion, ne serait-ce que pour ne pas se faire exploiter s’ils trouvent un travail. Insertion, université et éducation, travail : tout exige de se débrouiller en français. Pas facile pour les Afghans ou les Africains de l’est.</p>
<p>Max et Victoire me font part de leur souci concernant la santé de quelques réfugiés. Ils ont un médecin bénévole qui passe chaque semaine environ. Mais certains réfugiés n’ont pas pu le voir et souffrent. Je leur propose d’activer mon réseau. Alexis, ami et médecin, accepte immédiatement de venir passer une soirée deux jours plus tard.</p>
<p>Nous arrivons mardi vers 20h. On propose à mon ami médecin une chaise et une table dans le gymnase afin qu’il puisse examiner les patients. Alexis indique « il n’y aurait pas un endroit un peu plus calme et propice à l’intimité ? ». On trouve un coin dans le bout du couloir qui fera office de petit bureau. Les patients arrivent et se font prendre en charge.</p>
<p>Je déambule dans le gymnase et discute avec des réfugiés, quand des Afghans, avec qui j’ai passé beaucoup de temps les soirées précédentes, me demandent de venir à table pour des questions. Je vois des <a href="https://www.ofpra.gouv.fr/fr/asile/la-procedure-de-demande-d-asile/demander-l-asile-en-france">dossiers de demande d’asile</a> peu ou pas remplis. Ils me demandent de les aider à les remplir. J’accepte et découvre alors ce qu’est un tel dossier. Je discute avec eux pour traduire les informations et les écrire. Mais je me sens un peu mal à l’aise car les informations sont très intimes : religion, ethnie, parcours géographique avant de rentrer en France, éducation et dernier métier occupé, sans parler des liens familiaux et villages d’origine, état de santé. En leur demandant ces informations, je me sens inquisiteur malgré moi. Cependant, les aider me semble plus important que mes états d’âme. Je remplis cinq dossiers à la suite, le mot étant passé que je pouvais les remplir. Certains n’ont suivi que l’école primaire ou secondaire, et ont des métiers comme mécanicien auto ou menuisier. Ceux dont les dossiers sont déjà remplis ou traités ont des niveaux d’éducation beaucoup plus élevés. À la fin, on se congratule, tous ravis d’avoir franchi une étape importante.</p>
<p>Je jette un œil vers le couloir d’Alexis, et surprise : c’est devenu le dernier endroit à la mode où tout le monde se presse, chacun voulant sa consultation ou accompagnant un ami, et tout ce petit monde papote joyeusement ! Bonjour l’intimité. C’est dans cette atmosphère légère et dans ce joyeux petit bazar que mon ami voit 12 patients en une heure, et rédige des ordonnances. Il me dira après que trois avaient des pathologies sérieuses (otite purulente, impacts de balles dans le corps, suspicion de tuberculose), deux avaient des caries très avancées. Les autres souffraient plus légèrement de bronchite, sinusite, petite plaie. Un ou deux voulaient qu’on s’occupe d’eux, c’est bien normal, mais n’avaient pas grand-chose apparemment.</p>
<p>Je réussis à mobiliser un autre ami médecin, Yves, qui par ricochet active son réseau. Grâce à leur formidable solidarité, Yves et Éric, médecins, dégagent du temps pour recevoir les réfugiés dans la maison médicale de garde à Orsay de la <a href="http://www.paris-saclay.com/">communauté d’agglomération Paris-Saclay</a>, située non loin du gymnase. Rendez-vous est pris jeudi midi. Dans mon agenda chargé, je trouve du temps pour accompagner une quinzaine de réfugiés à cette maison médicale. Ahmed, un jeune malien, francophone et charismatique, sera le « chef » de cette petite expédition en ville, et sera chargé de ramener toute la troupe au retour. On plaisante sur le chemin. Mes amis médecins ont finalement vu des patients déjà auscultés il y a quelques jours, et me signalent ensuite que trois personnes ont des stress post-traumatiques… Cela redouble ma motivation de rendre l’accueil, temporaire à l’université, des réfugiés aussi agréable que possible. D’autres médecins peuvent se libérer plus tard, mais tous les patients ont été vus, donc il ne sera pas nécessaire de rajouter des séances.</p>
<h2>Match de foot, physique des particules, et bulles</h2>
<figure class="align-right ">
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<span class="caption">Les joueurs de foot, réfugiés et personnels de l’université Paris-Sud.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Max et Victoire de Habitat et humanisme</span></span>
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<p>Mes collègues physiciens et mathématiciens (de l’<a href="https://www.math.u-psud.fr/?lang=fr">Institut de mathématique d’Orsay</a>) ont aussi beaucoup donné de leur temps aux réfugiés pour ces échanges amicaux et ces partages qui revigorent tout le monde. Ils ont en particulier organisé un match de foot mémorable avec des équipes mélangées. Le LAL (<a href="https://www.lal.in2p3.fr/en/">Laboratoire de l’accélérateur linéaire</a>, CNRS et Paris-Sud) a organisé des visites de ses installations expérimentales de pointe, a proposé une introduction à la physique des particules, et a fait déambuler les réfugiés dans un centre de données scientifiques.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/243579/original/file-20181101-83632-1x1l4pr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/243579/original/file-20181101-83632-1x1l4pr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/243579/original/file-20181101-83632-1x1l4pr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/243579/original/file-20181101-83632-1x1l4pr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/243579/original/file-20181101-83632-1x1l4pr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/243579/original/file-20181101-83632-1x1l4pr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/243579/original/file-20181101-83632-1x1l4pr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Séquence bulles géantes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Max et Victoire de Habitat et humanisme</span></span>
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</figure>
<p>D’autres collègues physiciens ont organisé un atelier bulles avec mousses légères et bulles géantes avec un artiste. Les bulles, finalement, ont un effet similaire aux étoiles : on se retrouve tous comme des enfants quand on est en leur présence !</p>
<p>De passage un soir, je vois les Afghans jouer au cricket sur le parking. L’un d’entre eux m’explique les règles et décrit les phases de jeu qui se déroulent devant nous. Je crois comprendre quelques règles ! Il m’apprend quelques mots d’afghan, et me décrit son village d’origine, dans la région de Bamiyan.</p>
<h2>Soirée jazz le vendredi</h2>
<p>Conscient que la culture (au sens large, en incluant la science) est ce qui relie le mieux les humains, j’ai proposé d’organiser une soirée musique. Malgré la fin des vacances d’été, j’ai reçu des retours très rapides, favorables et enthousiastes à mes requêtes. En particulier, le <a href="http://www.paris-saclay.com/culture/conservatoires/crd-paris-saclay-311.html">conservatoire à rayonnement départemental Paris-Saclay</a>, opportunément situé à proximité du gymnase, a joué un rôle essentiel. Son directeur, directeur adjoint et ses enseignants ont tout de suite répondu présent, à l’image de Jean, le professeur de jazz qui m’a tout de suite répondu par SMS depuis le Japon avant son retour ! En quelques jours, l’octette nous propose trois dates, une salle est libérée.</p>
<p>Nous arrivons à 19h pour cette session d’une quarantaine de minutes. Les réfugiés semblent un peu intimidés dans ce bâtiment neuf, et s’assoient. Jean présente le groupe, et la musique commence. Les smartphones filment, les jambes démangent. Les musiciens invitent le public à venir jouer d’un instrument ou à danser ou chanter, mais les réfugiés demeurent timides. On sent néanmoins une écoute et une absorption de la musique comme rarement.</p>
<p>Le deuxième morceau se poursuit. La musique, finalement universelle, libère les corps : les mains frappent en rythme. Puis un homme se lève et se met à danser : une clameur l’accueille, les musiciens l’accompagnent, les autres redoublent leur ferveur rythmique en frappant dans les mains. On a gagné : le temps s’arrête, la musique, le rythme et la joie envahissent tout l’espace.</p>
<p>Le troisième et dernier morceau commence, et ce sont trois danseurs qui se lâchent désormais. Tout le public est debout, ça rie, ça frappe dans les mains. Un peu comme dans ces soirées d’ados, certains se poussent sur la piste sur le mode « vas-y, danse ! », et on voit qu’ils ont envie, mais qu’ils n’osent pas encore. J’ai assisté à de nombreux concerts, mais rarement l’émotion était aussi palpable. La musique agit comme une libération auprès de certains, même si cela doit être difficile de se lâcher quand on a vécu tant d’aventures. Le moment de grâce dure, puis le concert touche à sa fin. Chacun est rechargé. Les musiciens sont fiers et ravis d’avoir partagé ces moments, et me disent vouloir renouveler l’expérience le cas échéant. Nous prenons congé des musiciens et du conservatoire, et je rattrape le groupe dehors : tous sont en joie. Ils revivent ce moment intense en regardant les vidéos fraîchement capturées, se les partagent. Les danseurs sont les héros du jour.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/243576/original/file-20181101-83651-zlt1np.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/243576/original/file-20181101-83651-zlt1np.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/243576/original/file-20181101-83651-zlt1np.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/243576/original/file-20181101-83651-zlt1np.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/243576/original/file-20181101-83651-zlt1np.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/243576/original/file-20181101-83651-zlt1np.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/243576/original/file-20181101-83651-zlt1np.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Concert de jazz au conservatoire à rayonnement départemental Paris-Saclay. Les réfugiés dansent et battent le rythme dans une joie communicative.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Max et Victoire de Habitat et humanisme</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La culture rapproche les humains</h2>
<p>La venue des réfugiés à l’université sonnait comme une évidence : la culture, sous toutes ses formes, est universelle et rapproche les peuples. Quoi de mieux que la culture pour rapprocher les réfugiés des étudiants, des universitaires, des citoyens et pour leur permettre de poursuivre la construction de leur nouvelle vie ? Avec l’astronomie, le jazz, les bulles, la technologie, le sport, nous avons tenté d’accueillir au mieux nos hôtes. Nous avons tenté, au-delà de la mise à l’abri et de l’accueil d’urgence, de leur donner une certaine perspective en les ouvrant à des champs nouveaux. Ce faisant, nous avons découvert avec eux un monde plus riche, plus humain. Nous avons découvert aussi notre quotidien sous un nouveau jour, en particulier avec une générosité et un engagement immenses que nous ignorions chez des collègues et amis.</p>
<p>Nous avons reçu plusieurs témoignages de soutien et d’approbation pour ces actions envers les réfugiés, qui nous ont beaucoup touchés, tout comme la facilité à mobiliser les amis, collègues, connaissances. Nous avons ressenti un véritable engouement et un souhait d’aider, toutes affaires cessantes. Le Préfet de Région a d’ailleurs écrit à la Présidente de l’université :</p>
<blockquote>
<p>« Vous avez bien voulu mettre à disposition le gymnase de l’Université Paris-Sud pour accueillir 75 personnes, relevant de la demande d’asile. La mobilisation de vos locaux a contribué à l’accueil digne d’un public vulnérable. Aussi, je tenais à vous adresser mes sincères remerciements pour votre action ainsi que pour votre implication dans l’organisation de l’accueil des demandeurs d’asile, et vous saurez gré de bien vouloir y associer l’ensemble des personnes qui se sont mobilisées. » </p>
</blockquote>
<p>Ce message républicain, s’il est convenu et formel, honore la démarche d’accueil de nombreux acteurs et rappelle certaines valeurs fondamentales que nous partageons à tous les étages de l’état et en tant que citoyens.</p>
<p>Je retombe par hasard sur le fameux tube datant de 1985 de USA for Africa <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9AjkUyX0rVw">« We Are the World »</a> dont les paroles de M. Jackson et L. Richie me touchent comme jamais auparavant, même si le contexte est différent :</p>
<blockquote>
<p>« We can’t go on pretending day-by-day that someone, somewhere soon make a change. »</p>
</blockquote>
<p>À nous de faire changer le monde, maintenant. À nous d’accueillir et d’accompagner ces réfugiés qui nous enrichissent mutuellement. À nous de nous emparer de ce que l’humanité a produit de mieux, la culture, pour y parvenir.</p>
<hr>
<p><em>Merci à tous les collègues, amis et bénévoles d’avoir permis cet accueil digne.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/106219/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hervé Dole est l'un des Vice-Présidents de l'université Paris-Sud, chargé de "médiation scientifique, art, culture, société". Il est en outre auteur du livre "le coté obscur de l'univers" (2017, Dunod).
</span></em></p>Suite et fin du récit. Échanges émouvants et poignants sous les étoiles, ou dans un concert jazz avec les réfugiés accueillis à l’université.Hervé Dole, Professeur (astrophysique et physique) - Institut d'Astrophysique Spatiale (CNRS & Univ. Paris-Sud), Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1054022018-10-22T21:26:59Z2018-10-22T21:26:59ZTerritoires : ces entrepreneurs « capricieux » qui réussissent loin des métropoles<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/241626/original/file-20181022-105761-16yuy43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=241%2C0%2C689%2C334&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">C'est un enfant du pays qui est à l'origine du Parc Naturopôle Nutrition Santé, à Saint-Bonnet-de-Rochefort, dans l'Allier.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.parc-naturopole.fr/upload/presse/presse_8.pdf">parc-naturopole.fr</a></span></figcaption></figure><p>À l’heure des clusters et de la constitution de grands ensembles, sommes-nous condamnés à vivre dans un pays composé d’une poignée de grandes métropoles polluées et surpeuplées, entourées d’un grand « vide », faute d’emplois et de dynamisme ? Tout pourrait le laisser penser, surtout lorsque les élus locaux font de la question de l’attractivité territoriale leur Graal. Pourtant, et fort heureusement, des entrepreneurs « capricieux » décident de sortir de sentiers trop battus : ils s’installent en milieu rural… et réussissent. Ne faut-il pas voir en eux des aventuriers des temps modernes ?</p>
<h2>« Caprice entrepreneurial » ?</h2>
<p>Certains entrepreneurs démontrent avec succès qu’une activité peut être développée dans des environnements a priori peu favorables. Par exemple, les départements de l’Aveyron, du Lot, de la Corrèze ou du Cantal sont rarement cités autrement que pour moquer leur dimension rurale. Pourtant, c’est dans cette zone que se situe la <a href="https://www.mecanicvallee.com/qui-sommes-nous/">« Mecanic Vallée »</a>, regroupant quelques 210 entreprises pour 13 000 emplois !</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/241592/original/file-20181022-105764-zd1pf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=210%2C72%2C776%2C777&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/241592/original/file-20181022-105764-zd1pf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/241592/original/file-20181022-105764-zd1pf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/241592/original/file-20181022-105764-zd1pf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/241592/original/file-20181022-105764-zd1pf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/241592/original/file-20181022-105764-zd1pf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/241592/original/file-20181022-105764-zd1pf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Plus de 200 entreprises sont installées dans la « Mecanic Vallée », zone qui s’étend sur quatre départements ruraux.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.mecanicvallee.com">Mecanicvallee.com</a></span>
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<p>La ville de Montluçon, dans l’Allier, est peu réputée pour son tourisme haut de gamme. Mais c’est bien là qu’un hôtel quatre étoiles va ouvrir ses portes au printemps prochain, par la volonté (le rêve ?) d’un <a href="https://www.lamontagne.fr/montlucon/travaux-urbanisme/allier/2018/09/27/le-nouveau-proprietaire-du-chateau-saint-jean-a-montlucon-annonce-sa-reouverture-en-avril-prochain_12995271.html">entrepreneur en bâtiment du cru</a>, ayant fait fortune dans l’hôtellerie de luxe.</p>
<p>Personne ne connaît Saint-Bonnet-de-Rochefort, charmant village d’un peu plus de 600 âmes à une trentaine de kilomètres de Vichy. Cela n’a pas empêché un enfant du pays qui a développé, partant de rien, son entreprise de parapharmacie. Aujourd’hui, il existe même un <a href="http://www.parc-naturopole.fr/naturopole-entreprises.asp?reference=19">pôle d’excellence rurale</a> qui s’est constitué avec d’autres sociétés. À la clé, plusieurs centaines d’emplois…</p>
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<figcaption><span class="caption">Vidéo de présentation du Parc Naturopôle Nutrition Santé, à Saint-Bonnet-de-Rochefort dans l’Allier.</span></figcaption>
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<p>À Marciac, commune du Gers de 1 200 habitants, se déroule depuis 1978 un <a href="http://www.jazzinmarciac.com/">festival de jazz</a>, lancé à l’époque par une poignée d’amateurs et aujourd’hui réputé mondialement. Pourtant éloigné des grandes métropoles (Toulouse est à deux heures de voiture, Pau et Tarbes une heure à environ), le village attire chaque été 200 000 visiteurs et les plus grandes têtes d’affiche de la planète. Autour de ce Festival s’est créé tout un écosystème, et donc une activité économique : ouverture d’une nouvelle salle, « l’Astrada », qui propose des concerts toute l’année, ou encore mise en place d’une classe de collège supplémentaire avec cours de jazz en option.</p>
<p>Ces exemples montrent qu’il n’y a pas de fatalité et que la désertification vécue par une grande partie des territoires français n’est pas inéluctable (ce que montrent d’ailleurs les cas de plusieurs pays voisins).</p>
<p>Mais comment expliquer les décisions d’entreprises de s’installer sur un territoire réputé peu attractif, où les ressources et les compétences nécessaires au développement d’un projet ambitieux manquent a priori ? Nous pensons que ces choix entrepreneuriaux, sorte de <a href="https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2010-6-page-152.htm?1=1&DocId=322635&hits=6166+6152+6126+6123+6000+5380+5370+5176+4852+4701+4354+866+863+809+700+15">« caprice entrepreneurial »</a>, sont (à certaines conditions) parfaitement rationnels et conformes à un mode de raisonnement stratégique performant : aller là où les autres ne sont pas.</p>
<p>La philosophie asiatique enseigne que le « vide » exprime en réalité un potentiel de transformation qui ne demande qu’à se remplir. Pour ce qui est d’un territoire, « vide » est donc le contraire de « rien ». Les paysages naturels, les forêts, l’eau pure et l’air frais – autant d’éléments qui ont disparu dans les métropoles – mais aussi parfois les traditions ancestrales et les savoir-faire sont là perçus comme des opportunités.</p>
<h2>La dictature de l’attractivité</h2>
<p>Une vision radicalement différente de celle qui guide les débats et l’action publique. Une vision selon laquelle il y aurait les territoires gagnants, pour l’essentiel quelques grandes métropoles disposant de toutes les infrastructures et ressources qu’offre la modernité (transports, système de santé, éducation, nouvelles technologies, emplois, etc.), et les autres… Tous les autres : hameaux, bourgs, villages, villes petites et moyennes, qui se dévitalisent chaque jour un peu plus de façon apparemment inexorable, notamment sous l’effet de la transformation du modèle agricole qui a vidé les campagnes.</p>
<p>Un phénomène d’amplification de cet antagonisme semble même se produire, un peu à la manière du restaurant plein qui attire toujours plus de clients au détriment du restaurant voisin d’autant plus délaissé qu’il est déjà peu fréquenté. Avec, bien sûr, un cortège d’effets pervers pour des villes de plus en plus peuplées et déshumanisées : <a href="https://www.autoplus.fr/actualite/Embouteillage-Classement-Monde-Pollution-Retard-1513544.html">congestion</a> des axes de déplacements, <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/environnement-et-sante/pollution-respirer-dans-les-grandes-villes-equivaut-a-fumer-selon-une-etude_2890191.html">pollution de l’air</a>, <a href="http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2017/01/02/01016-20170102ARTFIG00290-decouvrez-la-carte-des-crimes-et-delits-en-france-et-dans-le-grand-paris.php">criminalité en hausse</a>, problèmes d’habitat, etc.</p>
<p>Pour les territoires de la « diagonale du vide » (opportunément rebaptisée <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/diagonale-faibles-densites">« diagonale »</a> des faibles densité)), les géographes, les économistes et les pouvoirs publics ont fourni de nombreux diagnostics et rapports, parfois assortis de quelques recommandations pour les redynamiser. Sans grands résultats jusqu’à présent. Il faut dire que le déséquilibre entre zones dotées très différemment en ressources nécessiterait une intervention massive de la puissance publique qui semble <a href="http://www.europe1.fr/economie/collectivites-la-baisse-des-dotations-a-mis-un-coup-darret-aux-depenses-locales-estime-la-cour-des-comptes-3763892">moins que jamais à l’ordre du jour</a>. Alors que faire ?</p>
<h2>Approcher les territoires par les entrepreneurs</h2>
<p>« La folie, c’est de se comporter de la même manière et de s’attendre à un résultat différent », aurait dit Albert Einstein. Nous proposons donc de changer de perspective et de nous pencher sur les décisions de ces entrepreneurs et décideurs situés dans des zones perçues comme peu attractives. Nous pensons en effet que les sciences de gestion, qui se sont emparées relativement récemment de la question des territoires, permettent de l’éclairer sous un jour nouveau. C’est dans ce sens que vont les exemples, parmi ceux que nous avons cités en début d’article.</p>
<p>Bien au-delà de l’action publique, la réussite de ces initiatives se fonde surtout sur la personnalité des entrepreneurs, leur choix délibéré et stratégique de s’installer <a href="https://theconversation.com/ici-plutot-quailleurs-une-decision-strategique-pour-lentreprise-et-les-territoires-91272">ici plutôt qu’ailleurs</a>, ainsi que sur leur capacité à identifier des ressources disponibles et à <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2011-4-page-141.htm">construire des proximités activables</a>. Espérons que ce message apporte une petite contribution à l’idée d’un aménagement du territoire plus équilibré et durable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/105402/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le prisme du créateur d’entreprise offre une vision différente des territoires réputés peu attractifs et invite à repenser l’antagonisme entre métropoles dynamiques et monde rural.Anne Albert-Cromarias, Enseignant-chercheur HDR, management stratégique, ESC Clermont Business SchoolAlexandre Asselineau, Directeur de la Recherche BSB, enseignant-chercheur en Stratégie et Management stratégique, Burgundy School of Business Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/901392018-01-18T19:17:29Z2018-01-18T19:17:29ZQuand les musiciennes de jazz s’insurgent contre le sexisme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/202118/original/file-20180116-53320-pzj0ke.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La contrebassiste Joelle Leandre.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/55/Joelle_Leandre_Kult_04.JPG">Schorle/Wikipédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Chaque année depuis 1986, <a href="https://www.Facebook.com/pg/LesVictoiresduJazz/about/?ref=page_internal">Les Victoires du Jazz</a> couronnent les meilleurs musiciens de jazz français. EN 2017, tous les nominés (toutes catégories confondues) étaient <a href="http://evenements.francetv.fr/emissions/les-victoires-de-la-musique/les-victoires-du-jazz_571377">des hommes</a>. Il y a 20 ans, cela n’aurait pas fait débat, mais aujourd’hui, difficile de ne pas remarquer qu’il y a quelque chose qui cloche, quelque chose d’obsolète dans ce club de messieurs. Il y a 20 ans de cela, les musiciennes de jazz auraient peut-être hésité à se mettre en colère. Heureusement, ce n’est plus le cas.</p>
<p>La joueuse de contrebasse Joelle Leandre, 66 ans, a <a href="http://www.culturejazz.fr/spip.php?article3233">écrit une lettre ouverte</a> aux Victoires, dans laquelle elle critique cette remise de prix et pose <em>la</em> question : « Comment se fait-il qu’au XXI<sup>e</sup> siècle, encore et encore, aucune femme ne soit nommée ? »</p>
<p>On ne peut séparer le jazz de la notion de prise de risques ; il est associé à des révolutions esthétiques et sociales. Le jazz a joué un rôle fondamental dans la lutte contre les <a href="https://theconversation.com/how-an-afro-jewish-band-rocked-nazi-occupied-denmark-22456">discriminations raciales et sociales</a> et a été un outil incontournable de promotion pour la démocratie et le <a href="http://www.firstpost.com/living/watch-rajeev-raja-talks-about-his-indo-jazz-band-and-how-the-genre-is-all-inclusive-4259975.html">dialogue interculturel</a>.</p>
<p>Cependant, les femmes dans le jazz – et dans la musique en général – ont été historiquement reléguées à des rôles très spécifiques, quand elles n’étaient pas complètement oubliées. On tolérait, à la rigueur, qu’elles soient chanteuses ou pianistes. Mais qu’elles s’emparent d’un saxophone, d’une contrebasse ou – crime de lèse-majesté – d’une batterie, c’était clairement hors de question. Il était communément admis que ces instruments n’étaient pas faits pour les femmes.</p>
<p>Dans <a href="https://www.jstor.org/stable/3344880">« Le stéréotype sexospécifique des instruments de musique »</a>, une étude menée par Ables et Porter en 1978, les répondants disaient percevoir certains instruments classiques des groupes de jazz tels que la batterie, le trombone et la trompette comme « masculins », alors que la flûte et le violon étaient considérés comme « féminins ».</p>
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<p>La profusion de <a href="https://www.reddit.com/r/Jazz/comments/jof41/hey_rjazz_got_any_good_jazz_jokes_ill_start_how/">blagues misogynes</a> qui circulent dans le milieu de la musique, ainsi que le <a href="http://bust.com/music/15677-no-man-s-band.html">peu de mise en valeur des groupes féminins dans les années 1930 et 1940</a> ont largement contribué à populariser l’idée selon laquelle une femme qui joue du saxophone n’est qu’un phénomène exotique et amusant. Le documentaire de Judy Chaikin, <em>The Girls in the Band</em> (2011), montre ce que les femmes ont enduré pour lutter contre l’objectivation sexuelle qui sévit dans le monde du jazz.</p>
<p>Les pianistes <a href="http://www.nytimes.com/2013/08/22/arts/music/marian-mcpartland-jazz-pianist-and-npr-radio-staple-dies-at-95.html">Marian McPartland</a> et <a href="https://www.alicecoltrane.com/">Alice Coltrane</a>, la saxophoniste <a href="http://www.janeirabloom.com/bio.html">Jane Ira Bloom</a>, la tromboniste <a href="http://www.independent.co.uk/arts-entertainment/obituary-melba-liston-1089881.html">Melba Liston</a>, et la musicienne et compositrice <a href="https://www.bbc.co.uk/music/artists/3b2234ea-2169-41dc-9524-0b896fa69c4c">Carla Bley</a> sont quelques exemples de musiciennes respectées pour leur art, depuis la fin des années 1970.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/201650/original/file-20180111-101495-169lisp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/201650/original/file-20180111-101495-169lisp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=859&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/201650/original/file-20180111-101495-169lisp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=859&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/201650/original/file-20180111-101495-169lisp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=859&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/201650/original/file-20180111-101495-169lisp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1079&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/201650/original/file-20180111-101495-169lisp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1079&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/201650/original/file-20180111-101495-169lisp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1079&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jane Ira Bloom.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.janeirabloom.com/photos.html">Johnny Moreno/http://www.janeirabloom.com</a></span>
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<p>Aujourd’hui, les femmes occupent des positions de premier plan dans l’enseignement, la recherche et la promotion du jazz. Monika Herzig, présidente du groupe d’intérêt de recherche sur le « réseau d’éducation jazz » (<a href="http://jazzednet.org/advancing-education/research/">JENRing</a>, ou Ros Rigby, présidente du réseau des promoteurs de jazz intra-européens <a href="http://www.europejazz.net/ejn-board-and-staff">Europe Jazz Network</a>, en sont des exemples parfaits. Et, pour être précis, Les Victoires du Jazz ont déjà récompensé – bien que trop rarement – des artistes féminines – Anne Paceo (batterie) et Airelle Besson (trompette) font partie de ces lauréates.</p>
<p>Cependant, difficile de trouver un exemple de film (en dehors de la comédie <em>Some Like It Hot</em>) qui met en scène une femme instrumentiste dans un groupe de jazz. Inutile d’aller voir en 2016 (<em>La La Land</em>) ou en 2014 (<em>Whiplash</em>) – pas de trace des femmes non plus. Et ce n’est là que la partie visible d’un monde encore majoritairement dominé par les hommes.</p>
<p>La discrimination sexuelle n’est pas l’apanage du monde du jazz. Chaque année, en janvier, le magazine <em>Revolver</em> publie son calendrier <a href="https://www.revolvermag.com/tags/hottest-chicks-hard-rock">« Les femmes les plus sexy du Hard Rock »</a>, dans lequel on voit des musiciennes tenir des poses lascives avec leurs instruments. Lors d’une conférence de presse en Australie en juin 2016, où elle lançait son exposition numérique, <a href="http://www.factmag.com/2016/06/01/bjork-speaks-out-against-music-industry-sexism/">Björk a déclaré</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le fait que je sois une femme et que je puisse faire ce que je fais, c’est vraiment unique. J’ai été vraiment chanceuse. Mais j’ai dû abattre des murs. Ce qui est vraiment macho, par exemple, c’est le journalisme musical. C’est vraiment comme un club masculin. Ils aiment la musique qui est… eh bien, faite en grande partie pour les hommes. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/201649/original/file-20180111-101508-1nsjrgk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/201649/original/file-20180111-101508-1nsjrgk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/201649/original/file-20180111-101508-1nsjrgk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/201649/original/file-20180111-101508-1nsjrgk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/201649/original/file-20180111-101508-1nsjrgk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/201649/original/file-20180111-101508-1nsjrgk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/201649/original/file-20180111-101508-1nsjrgk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Mary Osborne, Vi Redd, Dottie Dodgion, Marian McPartland et Lynn Milano sur scène à New York en 1977.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/tommarcello/428863385/in/photolist-DU39i-CB7LT-9rHusm-9rEwnZ-fzf9X9-DwPEi-9rHubQ-9rEvzP-9rEvCg-9rEwrc-9rEwbD-9rEwdp-9rEweK-9rHuqf-9rHv3L-9rHtUY-9rEwSc-dQjK47-9rHuT7-9rHtTu-9rHtzC-9rEwua-9rEw34-9rEvqc-9rHuVN-9rHtuL-9rEvUM-9rHtR1-9rEvEe-9rHuE7-9rEwyF-9rEwgg-nFJeGt-9rHuyw-9rEvJ8-9rEwWg-9rHuPs-9rEvvZ-9rEwwn-9rEvVP-9rHuHw-nDHqid-9rEwvk-nFGZ5U-9rHuK7-9rEwFi-9rEwGB-9rEwzZ-9rHuuY-9rHuf1">Tom Marcello/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans la musique classique, les choses ne sont pas très différentes. L’Orchestre philharmonique de Vienne n’acceptait pas de musiciennes parmi ses membres permanents <a href="http://www.osborne-conant.org/vpo2011.htm">jusqu’en 1997</a>. La <a href="https://www.theguardian.com/world/2003/jan/10/gender.arts">harpiste Anna Lelkes</a>, qui avait joué dans l’orchestre pendant 26 ans, a été la première à être acceptée comme membre officiel de sexe féminin, en 2003. Mais il faudra neuf ans de plus et une campagne médiatique passionnée pour que d’autres femmes intègrent ce cercle très fermé.</p>
<p>En 1967, George T. Simon a écrit dans son livre <a href="https://www.amazon.co.uk/Big-Bands-George-T-Simon/dp/0028724208"><em>The Big Bands</em></a> : « Seul Dieu est capable de créer un arbre, et seuls les hommes sont capables de jouer un jazz de qualité. » Simon a débuté sa carrière comme batteur et a été l’un des commentateurs de jazz les plus influents pendant l’ère du swing, en tant que rédacteur en chef adjoint puis rédacteur en chef de <em>Metronome</em>. dans la pratique, les musiciennes avaient démontré qu’il avait tort bien avant qu’il écrive ces lignes. Mais il avait une voix. La voix qui a écrit l’histoire du jazz, qui a légitimé les « grands » du monde du jazz était une voix masculine.</p>
<h2>#Metoo</h2>
<p>Inspirées par le mouvement <a href="https://theconversation.com/balancetonporc-ou-comment-les-reseaux-sociaux-nous-forcent-a-devenir-temoins-86119">#MeToo</a>, plusieurs musiciennes de jazz du monde entier ont fondé le collectif <a href="http://www.wehavevoice.org">« We Have Voice »</a> afin de lutter contre les violences sexuelles et la discrimination sexuelle dans le monde de la musique. Le premier article de leur <a href="http://www.wehavevoice.org">manifeste en ligne</a> insiste sur leur « engagement à créer une culture d’équité dans [notre] monde professionnel ». Leur site propose également une définition du harcèlement sexuel, des informations utiles sur les agressions, le consentement et même des conseils destinés aux spectateurs.</p>
<p>En s’appuyant sur l’action des pionnières qui les ont précédées, ces femmes ont pris position. Ce sont des musiciennes informées, éduquées, qui ont voyagé et qui rencontrent du succès, et qui ne peuvent plus supporter le sexisme de leur milieu professionnel. Une nouvelle génération de femmes soulignant ce qui est absolument évident – l’équité est une notion indissociable de la musique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/90139/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jose Dias ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Aux dernières Victoires du jazz, aucune femme n’était nommée.Jose Dias, Senior Lecturer in Music, Manchester Metropolitan UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/610632016-06-24T04:43:47Z2016-06-24T04:43:47ZL’improvisation programmée : le jazz, le planifié et l’indéterminé<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/127909/original/image-20160623-30267-5suwdk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/shinagawa/4514916652/in/photolist-7SY8qy-tRVfLv-5QdzXU-3gzLXw-9mq16W-BNgDWG-AT4jhm-9VdYLh-AT4jPy-BEZiiN-BorxyQ-AT4f53-Bh4pR4-AT4jwQ-BQzrPB-ATaerM-AT4fvJ-dneG4w-Borwn1-aqDkgp-ATakLv-6bLdkF-BEZh4o-Bh4r6Z-BQzrEP-ATaeGM-BQzs2k-BHhLGt-7JbRVx-9aY1iX-9mmVGP-Bh4rm8-BEZgxy-BorwnG-4GsQVx-ATaiNc-BQzoVk-BQzu2x-Borw5N-dJWct7-Bh4rDT-BEZgQ7-Bh4qka-Bh4ust-9mq1qw-5geQRq-kd3pQ-aqDHbR-ATaeYP-AT4enb">Leonardo Shinagawa/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>L’improvisation dans les entreprises est généralement considérée selon deux formes bien particulières.</p>
<p>Soit elle se manifeste pour pallier un manque ou une défaillance de la planification. L’<a href="https://faculty.fuqua.duke.edu/%7Emoorman/Publications/AMR1998.pdf">improvisation</a> participe dans ce cas au processus de maintenance d’un dispositif par nature imparfait, faisant office d’huile dans les rouages.</p>
<p>Soit elle exprime l’incompétence de celui qui, ne sachant pas faire, se débrouille comme il peut, utilisant sa seule spontanéité et son soi-disant « bon sens ».</p>
<p>Or, s’il est un domaine où l’improvisation est reine, c’est bien le jazz. Il a d’ailleurs attiré sur ce point l’attention des <a href="http://www.diateino.com/fr/94-jazz-et-leadership.html">sciences de gestion</a> il y a plus de deux décennies. Et ce qu’il nous apprend semble s’opposer au moins en partie à cette vision de l’improvisation en entreprise.</p>
<h2>En jazz, les règles sont d’argent, l’improvisation d’or</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/127910/original/image-20160623-30253-ifjhjp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/127910/original/image-20160623-30253-ifjhjp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/127910/original/image-20160623-30253-ifjhjp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=896&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/127910/original/image-20160623-30253-ifjhjp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=896&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/127910/original/image-20160623-30253-ifjhjp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=896&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/127910/original/image-20160623-30253-ifjhjp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1126&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/127910/original/image-20160623-30253-ifjhjp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1126&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/127910/original/image-20160623-30253-ifjhjp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1126&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Improvisation.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/herval/2089391271/in/photolist-4bCFer-aNKcc-4oU9Q-zVfwp-4va7ML-5eFGYM-rQdBYB-4nMTim-5Qdx7m-5Qdx7b-o6rJzf-opbQ5i-coANj-BHhMan-q7MKMs-BQzsEp-BQzuTx-cpVgHq-Borzaq-Borxpm-BEZgoL-AT4iKj-AT4hy1-BQztb4-BNgyrU-BorB4L-7SY8qy-tRVfLv-5QdzXU-3gzLXw-9mq16W-BNgDWG-AT4jhm-9VdYLh-AT4jPy-BEZiiN-BorxyQ-AT4f53-Bh4pR4-AT4jwQ-BQzrPB-ATaerM-AT4fvJ-dneG4w-Borwn1-aqDkgp-ATakLv-6bLdkF-BEZh4o-Bh4r6Z">Herval/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En premier lieu, les jazzmen réputés pour leurs improvisations sont considérés comme des musiciens hors pair. L’improvisation est même consubstantielle de l’esprit du jazz, au point qu’on peut se demander s’il est possible de se définir comme jazzman sans savoir improviser. Dès lors, improvise non celui qui ne sait pas, mais celui qui maîtrise tout ou partie de son art. Mieux, son identité d’artiste se fonde sur sa capacité d’improvisateur, au point, d’ailleurs, que son style est reconnaissable dès les premières notes (tels un Keith Jarrett, un John Coltrane ou un Bill Evans).</p>
<p>En second lieu, l’improvisation n’est pas un pis-aller en marge d’une pratique réglée. Elle alimente systématiquement le processus de création musicale. Elle ne corrige pas les défaillances d’un fonctionnement planifié. Elle s’intègre de manière programmée dans l’activité de production artistique.</p>
<p>D’ailleurs, certains mouvements de jazz se sont bâtis à travers la place qu’ils ont offerte à l’activité improvisée. Ainsi, le swing propose d’exposer un thème préécrit auquel succèdent des parties improvisées dans lesquelles chaque instrument s’exprime. Miles Davis pousse plus loin l’improvisation en proposant un thème peu ou pas écrit laissant libre cours à l’improvisation de la structure du morceau. Enfin, le free jazz joue la carte d’une improvisation débridée fondée sur des règles minimalistes telles « 3mn » et « absence de fin ».</p>
<p>L’improvisation de jazz est ainsi le lieu de production d’un morceau qui émerge d’une conversation. La rythmique interagit avec un thème récurrent au sein duquel des moments de création improvisés font « vivre » le morceau.</p>
<p>Or, dans quelles mesures les organisations peuvent-elles, sur le modèle du jazz, penser les lieux et/ou les moments d’improvisation ? Comment une structure organisationnelle essentiellement conçue pour garantir la stabilité et la reproductibilité d’un système saurait-elle sans honte admettre l’improvisation comme condition de sa réussite ?</p>
<h2>Improvisation en entreprise : quelques pratiques vertueuses</h2>
<p>Cette question, certaines entreprises ont commencé à se la poser et à lui trouver des réponses. Ainsi en est-il d’une grande banque française. Dans cette période troublée pour les banques, ces organisations usent intensivement de procédures qui tentent de quadriller la totalité de leurs pratiques, des premiers contacts en agence jusqu’aux décisions les plus élevées et les plus globales.</p>
<p>Pourtant, une banque de détail a décidé, face à la concurrence des banques en ligne, de valoriser ses agences en les métamorphosant de purs lieux de vente sous contrôle en des espaces d’expériences clients.</p>
<p>Hier, une agence était totalement dessinée de manière centralisée : l’architecture intérieure, les plages horaires d’ouverture, les horaires du personnel, les modalités d’interactions avec les clients étaient décidées par le siège et communs à toutes les agences. Le rythme de l’agence était également soumis à celui du siège et de ses processus décisionnels.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/127911/original/image-20160623-30250-18u9yal.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/127911/original/image-20160623-30250-18u9yal.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/127911/original/image-20160623-30250-18u9yal.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/127911/original/image-20160623-30250-18u9yal.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/127911/original/image-20160623-30250-18u9yal.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/127911/original/image-20160623-30250-18u9yal.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/127911/original/image-20160623-30250-18u9yal.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/127911/original/image-20160623-30250-18u9yal.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">On peut improviser, même dans la banque.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/sdho/1118299424/in/photolist-2GPzsy-93Y1TW-dd823c-K3CZv-8k7F4Q-4RrrPW-9oj6qQ-6AQjpg-5nwwdJ-7vAaZa-dizNo-bLFDBH-s4foVc-7ehya-HzeLQL-6oR2m2-nbE92r-nuz1Rk-9og9xF-p7gHPH-8x1rM-JnKMQz-bgfz6X-s61mqS-EYLZ4W-8MXF5f-7rhLxS-rpQdHq-oieEpc-eX7ecP-2aK1pc-s5ggKA-nFNXmX-6BmZRg-dE1pze-djvQzH-4vnyDW-p5voS-nuimtB-pinovC-6Bmzk6-6jiGY-93XPch-22UbNX-5nFUpz-brYMo4-kNSQb-aqXXfj-dSZkW7-dSZi2w">Sean Hayford Oleary/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Aujourd’hui, chaque agence peut choisir d’aménager librement son architecture d’intérieur ; elle définit ses horaires en fonction de son secteur ; ses collaborateurs suivent des horaires adaptées aux pics de fréquence des visites client ; elle construit une partie de son rythme et de son intensité de fonctionnement sur des « moments de vie » clients, événements marquants (mariage, décès, accident) dont les incidences émotionnelles mobilisent une vigilance particulière de la part du collaborateur ; enfin, le siège accepte de suspendre ses processus pour s’adapter aux demandes terrain venant des agences, ajustements facilités par la création de relations personnelles entre collaborateurs de l’agence et du siège.</p>
<p>Cette transformation ne s’est pas mise en place du jour au lendemain. Elle a été décidée par la direction générale, lancée sur le plan national, portée localement par les directions régionales et mise en place par les directeurs d’agence. Très vite, les collaborateurs de terrain se sont méfiés des limites à la liberté qui leur étaient offertes, illustrant déjà parfaitement les conditions d’une juste interaction entre structure et improvisation. À la grande surprise, par exemple, des collaborateurs de l’agence de Grenoble, la direction régionale a répondu positivement à toutes leurs propositions, propositions collectivement élaborées durant les horaires d’ouverture de l’agence qui avait été fermée pour l’occasion.</p>
<h2>Le collectif, l’autonomie et l’initiative</h2>
<p>Surtout, cette mise en œuvre s’est accompagnée de l’organisation de véritables « répétitions » au sens musical du terme, lors desquelles les collaborateurs en agence jouaient des situations relatives à ces « moments de vie », non pour en tirer des procédures standardisées, mais pour :</p>
<ol>
<li><p>revenir au travail réel ;</p></li>
<li><p>saisir, au sein d’une activité pour partie nécessairement planifiée, l’existence de moments imprévisibles, mais récurrents et constitutifs de la vie de l’agence ;</p></li>
<li><p>accepter le fait que ceux-ci sont d’une complexité telle qu’ils ne peuvent être programmés dans les plus petits détails, mais qu’ils mobilisent l’initiative et l’ingéniosité individuelle et collective.</p></li>
</ol>
<p>Qu’est donc cette capacité d’initiative si ce n’est celle d’improviser face à l’événement, de mobiliser ce que les Grecs appelaient l’intelligence pratique (ou de situation) ? Mais cette improvisation est, à l’instar du jazz, encastrée, enserrée dans un dispositif structurant notamment composé d’un lieu physique, d’outils informatiques et surtout, d’une finalité. Il s’agit en effet, toujours, de rendre un service bancaire techniquement efficace et humainement respectueux des singularités individuelles, celles des collaborateurs dans leur façon de puiser dans leurs ressources propres faisant écho à celles des clients chacun immergé dans son « moment de vie ».</p>
<p>Cette volonté d’intégrer de façon programmée l’indétermination dans une structure n’est pas nouvelle et a déjà pris des formes variées. Ainsi, Toyota est réputé depuis des décennies (au point qu’elle en est devenue un modèle) pour avoir permis à chaque opérateur d’arrêter le processus de production. En effet, dans la culture japonaise, chaque ressource matérielle est par nature susceptible d’avoir des comportements imprévus et surprenants. C’est donc celui qui en est le plus proche qui est le mieux à même d’en saisir les signes.</p>
<p>Dans un autre registre, 7-Eleven, chaîne japonaise de commerce de proximité, a délocalisé les décisions d’achats de produits vendus. Chaque boutique de quartier choisit, de façon autonome, les produits qu’elle met à la vente en fonction des observations qu’elle a faites de ses clients et de leurs habitudes de consommation.</p>
<h2>L’improvisation programmée, un nouveau cadre pour penser et agir</h2>
<p>Dans ces multiples cas, l’improvisation n’est pas réduite à compenser les défaillances d’une planification souhaitée comme parfaite. Elle ne serait, dans ce cas, qu’une improvisation spontanée rendue nécessaire par le contexte critique. Elle n’est pas non plus cantonnée à des lieux dans lesquels elles seraient naturellement survalorisées, comme les laboratoires de R&D dans lesquels officieraient des bricoleurs de génie.</p>
<p>Elle est en revanche délibérément inscrite dans une complémentarité avec des interactions planifiées/scriptées/« procéduralisées » qui ne disparaissent pas, mais encadrent des lieux dans lesquels la vie s’écoule avec toutes ses indéterminations.</p>
<p>Programmer l’improvisation dans l’organisation, comme le font les jazzmen dans une structure musicale suppose, finalement, d’accepter que la contingence, l’indéterminé, l’incertitude ne sont pas solubles dans la planification, le programme, l’algorithme ; que face à l’événement « aberrant » la solution n’est pas d’accumuler les procédures, les prévisions ou le reporting.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/127917/original/image-20160623-30259-1ef2q78.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/127917/original/image-20160623-30259-1ef2q78.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/127917/original/image-20160623-30259-1ef2q78.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=906&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/127917/original/image-20160623-30259-1ef2q78.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=906&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/127917/original/image-20160623-30259-1ef2q78.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=906&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/127917/original/image-20160623-30259-1ef2q78.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/127917/original/image-20160623-30259-1ef2q78.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/127917/original/image-20160623-30259-1ef2q78.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Franck Barrett « Yes to the Mess ».</span>
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<p>Dès lors, il existe des modalités d’apprentissage et d’exercices spécifiques à l’improvisation, comme l’a montré Frank J. Barrett dans son ouvrage <a href="https://hbr.org/product/yes-to-the-mess-surprising-leadership-lessons-from-jazz/10225-HBK-ENG"><em>Yes to the mess</em></a>. De plus, improviser conduit à voir son stock d’expériences passées non comme un ensemble de certitudes acquises, mais comme des hypothèses à éprouver dans la situation présente. Cette vision résonne avec les propos de Confucius affirmant que « L’expérience est une lanterne que l’on porte sur le dos et qui n’éclaire jamais que le chemin parcouru ».</p>
<p>Une organisation apte à vivre sereinement planification et improvisation doit être finalement en mesure d’identifier les zones de complexité créatrices de valeur ajoutée, en lien avec sa stratégie. En laissant à ces endroits de la place à ces collaborateurs pour qu’ils puissent y exercer leurs talents, elle détient peut-être là un levier essentiel pour améliorer l’engagement de ses membres, pour associer productivité et plaisir au travail.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/61063/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’improvisation programmée, ou comment s’inspirer du jazz pour marier le planifié et l’indéterminé.Raffi Duymedjian, Professeur associé,, Grenoble École de Management (GEM)Jean-Marc Pistorello, Intervernant innovation, Grenoble École de Management (GEM)Marc Prunier, Responsable Ingénierie Pédagogique et Responsable du LAB d'innovation pédagogique "periScope", Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.