tag:theconversation.com,2011:/us/topics/ka-s-sa-ed-77524/articlesKaïs Saïed – The Conversation2023-05-11T18:14:01Ztag:theconversation.com,2011:article/2055012023-05-11T18:14:01Z2023-05-11T18:14:01ZEn Tunisie, des médias muselés par un pouvoir toujours plus autoritaire<p>« Chaque après-midi, avant de quitter le bureau, j’éteins mon téléphone et je retire la carte SIM. Je ne veux pas que les autorités puissent savoir à chaque instant où je me trouve. » Ayman (le prénom a été modifié) est l’un des rares journalistes à oser critiquer les autorités tunisiennes. Alors que son patron a été arrêté et interrogé en février, il redoute désormais d’être inquiété à son tour.</p>
<p>Loin sont les jours grisants ayant suivi la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-tunisie-marque-sous-tensions-les-10-ans-de-la-fuite-de-ben-ali-12-01-2021-2409164_24.php">chute de l’autocrate Zine el-Abidine Ben Ali</a> (1987-2011), lorsque le secteur des médias tunisiens a été profondément transformé en même temps que le <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-la-face-cachee-des-societes-civiles-au-maghreb-un-espoir-pour-demain-148064">reste de la société</a>. Le printemps arabe de 2011 avait entraîné, comme en Égypte, l’effondrement d’un régime autoritaire alors qualifié de véritable <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2015-4-page-77.htm">État policier</a>. Puis, en très peu de temps, les Tunisiens étaient parvenus à mettre en place de nouvelles institutions démocratiques, notamment un Parlement fonctionnel, une présidence responsable et des tribunaux indépendants.</p>
<p>La révolution avait également favorisé le développement de <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/tunisie-medias-independants-presse-nawaat-inkyfada-alqatiba">nouveaux médias indépendants</a>, aussi bien des stations de radio que des chaînes de télévision et des journaux en ligne. La chaîne publique de télévision et de radio Al-Wataniyya a été restructurée pour devenir un radiodiffuseur public <a href="https://www.webmanagercenter.com/2011/09/21/110560/tunisie-medias-la-bbc-aux-commandes-du-chantier-de-transformation-de-la-wataniya/">sur le modèle de la BBC</a>. Le <a href="https://jamaity.org/association/syndicat-national-de-journalisme-tunisien/">syndicat des journalistes</a> s’est révélé un protecteur efficace des droits de la profession vis-à-vis des autorités. Les Tunisiens se sont ainsi rapidement habitués à une couverture critique de l’actualité et à des débats politiques animés à la télévision aux heures de grande écoute.</p>
<p>Aujourd’hui, tous ces acquis sont menacés… et les citoyens ne semblent pas s’en préoccuper outre mesure. Comment le pays en est-il arrivé là ?</p>
<h2>La face cachée des médias libres</h2>
<p>Depuis 2015, nous étudions les relations entre les médias et la politique en Tunisie dans le cadre d’un projet de recherche sur le <a href="https://www.nupi.no/en/projects-centers/journalism-in-struggles-for-democracy-media-and-polarization-in-the-middle-east">journalisme dans les luttes pour la démocratie</a>.</p>
<p>Au cours des sept dernières années, nous avons mené 55 entretiens, dont deux de groupe, avec des journalistes, des activistes et des politiciens tunisiens. L’objectif était de comprendre comment les journalistes gèrent l’instrumentalisation des médias et quel est leur rôle politique dans des contextes hybrides oscillant entre autocratie et démocratie. Notre dernière visite remonte à mars 2023, un an et demi après la <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20220330-tunisie-le-pr%C3%A9sident-ka%C3%AFs-sa%C3%AFed-dissout-le-parlement-huit-mois-apr%C3%A8s-l-avoir-suspendu">brusque suspension du Parlement par le président Kaïs Saïed</a>.</p>
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<p>Mais revenons d’abord en 2011, lorsque la Tunisie est passée d’un État policier où les médias faisaient partie du système de propagande de Ben Ali à un environnement médiatique soudainement libre (et initialement chaotique).</p>
<p>Le remodelage de la scène médiatique s’est déroulé dans un contexte de troubles politiques : une <a href="https://edinburghuniversitypress.com/book-journalism-in-the-grey-zone.html">situation politique hybride</a> de démocratisation continuellement contestée dans laquelle les élites politiques et économiques étaient désireuses d’exploiter les médias à leurs propres fins.</p>
<p>Le cas de Nabil Karoui, un homme d’affaires (PDG de la société de relations publiques Karoui & Karoui World) ayant bâti sa fortune sur la production audiovisuelle, les médias numériques et la publicité urbaine, en est un exemple typique : du fait de sa position de propriétaire de la chaîne de télévision la plus populaire de Tunisie, Nessma, il a personnellement influencé ses politiques éditoriales tout en agissant en tant que conseiller en communication de l’ex-président <a href="https://theconversation.com/essebsi-le-defunt-maestro-de-la-realpolitik-tunisienne-121997">Beji Caid Essebsi</a> (2014-2019).</p>
<p>Karoui est également apparu dans la série documentaire <a href="https://www.nessma.tv/fr/khalil-tounes"><em>Khalil Tounes</em></a> – consacrée à la couverture des activités d’une association caritative qu’il avait créée pour lutter contre la pauvreté – en même temps qu’il fondait son propre parti et que ses ambitions présidentielles devenaient de plus en plus claires. Si Karoui est un exemple particulièrement flagrant d’instrumentalisation des médias, de nombreux autres politiciens, propriétaires de médias et personnalités publiques ont été impliqués dans des intrigues et des transactions obscures.</p>
<p>Les journalistes ont vu l’un des grands acquis de la révolution – la liberté des médias – fondre sous leurs yeux, les chamailleries des politiciens et les textes rédigés sur commande par des éditorialistes peu scrupuleux suscitant au sein de la population tunisienne une profonde méfiance à la fois envers le monde politique et envers les médias d’information.</p>
<h2>Populisme contre journalisme : le président Kaïs Saïed et les médias</h2>
<p>L’élection présidentielle de septembre 2019 a mis aux prises deux populistes convaincus. Tous deux représentaient un danger pour les médias libres et critiques, mais de manière très différente.</p>
<p>Nabil Karoui, nous l’avons dit, était un charismatique magnat des médias qui utilisait sa propre chaîne de télévision pour manipuler le climat politique. Le conservateur Kaïs Saïed, <a href="https://www.france24.com/en/20191014-conservative-kais-saied-elected-president-of-tunisia-with-72-71-percent-of-vote">a finalement été élu avec 72,71 % des suffrages</a>, était un ancien professeur de droit à l’université qui évitait complètement les médias d’information. Saïed était surnommé « Robocop » en raison de son style mécanique lors des interviews. Sa campagne ne s’est pas appuyée sur les médias, mais sur des militants de base faisant du porte-à-porte et organisant des réunions publiques dans tout le pays.</p>
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<p>Saïed traite les médias avec le <a href="https://www.jeuneafrique.com/1367390/politique/tunisie-kais-saied-ou-la-pratique-personnelle-du-pouvoir/">même mépris que celui qu’il a manifesté à l’égard des partis politiques et du parlementarisme</a>. Les journalistes avec lesquels nous nous sommes entretenus en mars ont déclaré que la chaîne publique tunisienne avait été réduite à un organe de propagande. Saïed évite les relations avec les médias privés et préfère communiquer avec le public par le biais de messages postés sur Facebook, une plate-forme de communication très importante en Tunisie.</p>
<p>Lorsque les médias contactent le bureau du président pour obtenir des déclarations sur les affaires courantes, ils ne reçoivent aucune réponse. Il est révélateur que lors de l’ouverture du nouveau Parlement, le 13 mars, aucun journaliste des médias indépendants ou étrangers n’ait été autorisé à pénétrer dans le bâtiment afin d’éviter tout « <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/mar/13/press-banned-from-opening-session-of-new-tunisian-parliament-kais-saied">désordre</a> ».</p>
<h2>Le déclin du journalisme et la relativisation de la vérité</h2>
<p>L’antipathie du président pour les médias va de pair avec son intolérance à l’égard de toute critique et sa prédilection pour les théories du complot. Sa <a href="https://theconversation.com/tunisia-presidents-offensive-statements-targeted-black-migrants-with-widespread-fallout-201593">diatribe visant les Africains subsahariens</a>, en février, a fait couler beaucoup d’encre, mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Plusieurs dirigeants de l’opposition ont été emprisonnés depuis mars, accusés de <a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2023/02/tunisia-president-saied-must-immediately-stop-his-political-witch-hunt/">« conspiration contre la sécurité de l’État »</a>.</p>
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<p>Noureddine Boutar, directeur de la principale chaîne de radio indépendante de Tunisie, Mosaïque, a été arrêté en février pour <a href="https://www.mosaiquefm.net/fr/actualite-national-tunisie/1137635/detention-de-boutar-la-ligne-editoriale-de-mosaique-fm-derange">« atteinte au plus haut symbole de l’État et exacerbation des tensions dans le pays »</a>. Les journalistes que nous avons rencontrés en mars nous ont dit que simplement rapporter des faits sur les nombreux problèmes économiques et sociaux de la Tunisie pouvait leur valoir d’être accusés de répandre la peur au sein de la population (un crime désormais passible de poursuites pénales).</p>
<p>Il existe encore, dans le milieu des journalistes, des voix fortes qui s’élèvent contre les atteintes à la liberté d’expression. Les responsables du Syndicat des journalistes avec lesquels nous avons échangé se savaient surveillés, mais refusaient de céder aux intimidations : quelques jours avant notre rencontre, ils avaient pris part à une <a href="https://www.aljazeera.com/news/2023/3/5/tunisian-opposition-defies-protest-ban-with-rally">marche pour la liberté</a>.</p>
<p>Le tableau d’ensemble n’en reste pas moins très sombre. Les contenus politiques ont pratiquement disparu des chaînes de télévision, alors qu’ils y étaient autrefois omniprésents. Les journalistes désireux d’écrire ou de réaliser des émissions sur les questions politiques ont de plus en plus de mal à en vivre. De plus, Kaïs Saïed semble avoir réussi à persuader une grande partie de la population que les médias font partie d’une élite corrompue et ne sont pas dignes de confiance. En conséquence, les gens s’informent toujours davantage à partir de rumeurs sur Facebook. Comme nous l’a confié un chercheur spécialiste des médias :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai eu du mal à convaincre ma propre famille que les affirmations largement exagérées de Saïed sur le nombre d’immigrés subsahariens étaient forcément absurdes, parce qu’il n’y a plus d’autorités “épistémologiques”. Les annonces et les rumeurs sur Facebook ont remplacé les informations vérifiées comme source d’information. »</p>
</blockquote>
<p>La quasi-disparition de tout journalisme sobre et critique ne contribue en rien à réduire l’intense polarisation de la politique tunisienne entre le <a href="https://www.reuters.com/article/tunisia-politics-idCAKBN2RA05Z">président, les islamistes et le très réactionnaire Parti destourien libre</a>. Ils ont tous en commun de s’en prendre avec véhémence aux journalistes. Chaque camp construit sa propre réalité et s’attaque férocement à ceux qui remettent en cause ses affirmations en cherchant à diffuser des <a href="https://inkyfada.com/en/">informations objectives et critiques</a>.</p>
<p>Certes, la Tunisie n’est pas, loin de là, le seul pays où la situation de la liberté de la presse n’est pas idéale : celle-ci est en danger aussi bien <a href="https://rsf.org/en/classement/2022/americas">sur le continent américain</a>, que <a href="https://rsf.org/en/classement/2022/europe-central-asia">dans certains pays d’Europe et d’Asie centrale</a> ou encore, bien sûr, en <a href="https://rsf.org/en/country/russia">Russie</a> – liste non exhaustive. Le journalisme critique et factuel est menacé dans de nombreuses sociétés prétendument libres et pluralistes, et la Tunisie est actuellement l’un des points chauds. Ce constat n’aide toutefois en rien les journalistes tunisiens…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205501/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jacob Høigilt a reçu des financements du Conseil norvégien de la recherche.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Kjetil Selvik a reçu des financements du Conseil norvégien de la recherche.</span></em></p>La liberté d’expression, principal acquis de la révolution tunisienne de 2011, est aujourd’hui gravement menacée par le président Kaïs Saïed.Jacob Høigilt, Professor of Arab studies, University of OsloKjetil Selvik, Research Professor in political science, Norwegian Institute of International AffairsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1970392023-01-30T19:03:44Z2023-01-30T19:03:44ZQuel avenir pour le populisme semi-autoritaire en Tunisie après les élections législatives ?<p>Avec la tenue des élections législatives des 17 décembre et 29 janvier, la Tunisie a franchi une nouvelle étape dans l’application de sa nouvelle <a href="https://www.jurisitetunisie.com/tunisie/codes/Constitution_2022/menu.html">Constitution de 2022</a>, adoptée <a href="https://www.cartercenter.org/news/pr/2022/tunisia-fr-010423.pdf">à l’initiative du président Saïed</a>, arrivé au pouvoir en 2019.</p>
<p>Ces élections étaient organisées neuf mois après la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/03/31/en-tunisie-la-dissolution-du-parlement-prolonge-la-crise-politique_6119915_3212.html">dissolution du précédent Parlement</a> par le président suite à l’échec du gouvernement Mechichi (2020-2021), soutenu par une coalition parlementaire menée par le parti islamiste Ennahdha, à <a href="https://journals.openedition.org/anneemaghreb/10400">faire face à la crise du Covid-19</a>. Elles ne peuvent pas être qualifiées de « non libres » ; pour autant, elles n’ont pas été pleinement libres et équitables.</p>
<p>Comme le dit le <a href="https://www.cartercenter.org/news/pr/2022/tunisia-fr-010423.pdf">Centre Carter</a>, l’une des ONG les plus fiables sur les questions électorales :</p>
<blockquote>
<p>« Si les élections ont été techniquement bien administrées, le processus qui les sous-tend a manqué de légitimité et n’a pas satisfait aux normes et obligations internationales et régionales. » </p>
</blockquote>
<p>Les électeurs l’ont compris en boycottant largement le scrutin. La très faible participation, qui s’est élevée à seulement <a href="https://www.aa.com.tr/fr/politique/tunisie-11-22-de-participation-aux-%C3%A9lections-l%C3%A9gislatives-anticip%C3%A9es-/2767824">11,22 % au premier tour</a> et <a href="https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20230130-second-tour-des-%C3%A9lections-l%C3%A9gislatives-en-tunisie-seulement-11-3-de-participation">11,3 % (chiffre provisoire)</a> au second, a représenté une abstention record et constitué un camouflet pour Kaïs Saïed puisqu’il souhaitait un taux de participation élevé – alors que la quasi-totalité des partis politiques du pays avaient <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2022/12/16/en-tunisie-lopposition-appelle-au-boycott-des-elections/">appelé les électeurs à ne pas se rendre aux urnes</a>). L’issue de ce processus électoral met à mal le système politique tunisien et fait peser des incertitudes sur l’avenir politique de Saïed, candidat potentiel à sa réélection en 2024.</p>
<h2>Un régime présidentiel qui réduit le Parlement à la portion congrue</h2>
<p>Ces élections ont mis en lumière à la fois la résilience et les limites du mode de gouvernance de président Saïed : de nature hybride, celui-ci s’apparente à ce que nous qualifions de <a href="https://merip.org/2021/10/populist-passions-or-democratic-aspirations-tunisias-liberal-democracy-in-crisis/">« populisme semi-autoritaire »</a>.</p>
<p>Un tel régime est porteur de certaines spécificités. En tête de celles-ci se trouve une approche individualiste de la politique, un style de gouvernement par décret, dans lequel peu ou pas de dialogue politique a lieu entre le décideur dominant, sorte de <em>caudillo</em> tunisien, et les corps intermédiaires. Cette approche individualiste est l’une des principales raisons pour lesquelles plusieurs grands partis – les islamistes d’Ennahdha, les sympathisants de l’ancien régime d’Addoustouri al-Hor, les sociaux-démocrates d’Attayar – ont boycotté les législatives, de la même façon qu’ils avaient <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/07/26/en-tunisie-les-tunisiens-approuvent-par-referendum-une-constitution-hyperpresidentialiste_6136168_3212.html">boycotté le référendum sur la nouvelle Constitution</a>. On assiste à l’érosion de l’espace concret de la politique au profit d’un seul acteur, sans pour autant que la liberté d’action politique soit totalement restreinte dans le pays.</p>
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<p>Dans l’actuel régime présidentiel, le chef de l’État ne peut être responsable devant le Parlement ou destitué, sauf dans des conditions exceptionnelles. Le nouveau Parlement issu des élections qui viennent de se tenir est paralysé du fait de certaines dispositions de la nouvelle Constitution : il lui est impossible de choisir le chef du gouvernement (celui-ci est désormais désigné par le président) et la représentation des partis est affaiblie.</p>
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<p>En effet, la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/09/16/en-tunisie-le-president-kais-saied-instaure-une-nouvelle-loi-electorale-marginalisant-les-partis-politiques_6141947_3212.html">nouvelle loi électorale</a>, publiée par Saïed le 15 septembre 2022 sous la forme d’un simple décret sans débat politique préalable, oblige les candidats à présenter leur candidature et à faire campagne individuellement et sans affiliation à un parti. En outre, le financement public des formations politiques est désormais interdit. Il est donc difficile pour l’électorat de distinguer les candidats affiliés à des partis et les très nombreux candidats qui se présentent comme indépendants. Le <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2022/12/16/en-tunisie-lopposition-appelle-au-boycott-des-elections/">boycott des élections</a> par les partis politiques a conduit à l’entrée d’un nombre élevé de députés indépendants au Parlement, compliquant la formation de blocs politiques influents et donc d’une opposition crédible.</p>
<h2>Un autoritarisme partiel</h2>
<p>Une autre caractéristique majeure du populisme semi-autoritaire est l’équilibre délicat entre la restriction de la liberté d’expression et le maintien de certains espaces de liberté. Par exemple, les personnalités de l’opposition qui vont à l’encontre de la ligne promue par la télévision d’État, laquelle est désormais <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/tunisie-l%C3%A9gislatives-le-snjt-appelle-%C3%A0-ne-pas-soumettre-la-t%C3%A9l%C3%A9vision-nationale-aux-ordres-de-l-isie/2789939">totalement alignée sur le président</a> ne sont plus les bienvenues depuis le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/07/26/en-tunisie-le-president-gele-les-activites-du-parlement-et-demet-le-premier-ministre-de-ses-fonctions_6089509_3212.html">coup de force du 25 juillet 2021</a> par lequel Kaies Saïed a proclamé l’état d’exception, suspendu le Parlement et s’est arrogé des prérogatives très élargies.</p>
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<p>Très peu de débats politiques ont lieu à la télévision, notamment en raison de la pression exercée sur les propriétaires des chaînes de télévision privées. Un nouveau décret présidentiel, le <a href="https://www.letemps.news/2022/09/19/le-snjt-appelle-kais-saied-a-retirer-le-decret-n-54/">« décret n°54 »</a> (publié le 13 septembre 2022), menace la liberté d’expression en introduisant des peines pouvant aller jusqu’à 10 ans d’emprisonnement pour ce qui pourrait être assimilé à de la « propagation de fake news ». Certains militants politiques font déjà l’objet d’une enquête en vertu de la nouvelle loi.</p>
<p>Cependant, on trouve fréquemment des critiques du président dans les émissions politiques à la radio, dans la presse écrite et numérique, et sur les réseaux sociaux. Les opposants politiques de Saïed sont régulièrement invités dans la seule grande émission politique quotidienne de la chaîne privée Attessia TV et dans les principaux programmes politiques à la radio.</p>
<p>La façon dont les autorités traitent les manifestations politiques publiques est un autre exemple de cette approche hybride. Elles autorisent fréquemment les <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/tunisie-manifestation-de-l-opposition-contre-kais-saied-une-semaine-avant-les-legislatives">manifestations de rue de l’opposition</a>, mais ont tendance à limiter l’accès des militants à ces rassemblements, en mettant en place une série de barrages sur les routes menant à la capitale et dans le centre-ville.</p>
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<figcaption><span class="caption">Des milliers de Tunisiens manifestent contre le président Kaïs Saïed et la crise économique, France 24, 15 octobre 2022.</span></figcaption>
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<p>Une telle approche hybride rend difficile la comparaison du règne de Saïed avec l’autoritarisme de Ben Ali (président de 1987 à 2011). Non seulement Saïed semble être jusqu’à présent exempt de pression majeure aussi bien en interne qu’au niveau de la communauté internationale, mais il ne veut pas être comparé à tout autre dirigeant antérieur dans l’histoire de la Tunisie. Lorsqu’il parle de son style de gouvernement, il met l’accent sur le fait que la Tunisie vit sous son mandat <a href="https://www.researchmedia.org/key-notes-of-kais-saied-first-presidential-speech/">« une révolution culturelle sans précédent »</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/tunisie-avec-ka-s-sa-ed-la-percee-electorale-des-populistes-125438">Tunisie : avec Kaïs Saïed, la percée électorale des populistes</a>
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<p>Le populisme semi-autoritaire est un défi de taille pour le militantisme démocratique, notamment dans le contexte politique tunisien actuel. L’opposition est divisée entre le Front du salut,n dirigé principalement par le parti islamiste Ennahda, les sympathisants de l’ancien régime par Addoustour al-Horr, et les sociaux-démocrates dirigés par un groupe de cinq partis. Mais elle est peu attrayante pour les Tunisiens, notamment en raison de la période 2011-2019 séparant l’ère Ben Ali de l’arrivée au pouvoir de Saied, pendant laquelle une élite inefficace a été au pouvoir et <a href="https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/pourquoi-la-tunisie-a-perdu-dix-ans">n’a guère satisfait les attentes de l’électorat</a> en matière de réformes économiques et sociales.</p>
<p>De plus, elle <a href="https://www.wilsoncenter.org/article/tunisia-political-parties-and-democracy-crisis">refuse systématiquement</a> de faire une autocritique sérieuse et de se réconcilier avec sa base populaire. Saïed n’a pas besoin de mettre son opposition hors la loi et de devenir pleinement autoritaire tant que celle-ci ne sera pas politiquement capable de modifier l’équilibre des forces. C’est peut-être l’une des principales raisons qui expliquent la résilience de son régime.</p>
<h2>L’épée de Damoclès du FMI</h2>
<p>L’abstention record aux élections a cependant montré le désaveu populaire que subit Saïed et laisse augurer de menaces possibles sur son pouvoir.</p>
<p>Les prochaines « réformes douloureuses » qui seront introduites dans le sillage de l’accord final de la Tunisie avec le FMI, qui s’attarde encore au milieu d’une <a href="https://www.tap.info.tn/en/Portal-Economy/15847229-delay-in-reaching">incertitude grandissante</a>, pourraient se traduire par une forte contestation sociale.</p>
<p>Le principal paradoxe du populisme semi-autoritaire est la contradiction frappante entre ses déclarations (« le peuple est bon et l’élite est néfaste ») et ses politiques « anti-populaires ». Cette contradiction est flagrante dans le discours officiel sur les « réformes » à venir : d’une part, <a href="https://www.imf.org/fr/News/Articles/2022/10/15/pr22353-tunisia-imf-staff-reaches-staff-level-agreement-on-an-extended-fund-facility-with-tunisia">l’accord avec le FMI du 15 octobre 2022</a> négocié par le gouvernement déclare qu’il « supprimera progressivement les subventions qui incitent au gaspillage » et une privatisation éventuelle de certaines entreprises publiques est évoquée (comme l’a dit la directrice du FMI dans une <a href="https://thearabweekly.com/high-stakes-tunisia-after-imf-agreement">interview du 16 octobre 2022)</a> ; d’autre part, les déclarations répétées de Saïed refusent clairement la fin du système de subventions et la privatisation des entreprises publiques.</p>
<p>Ces contradictions pourraient mettre en danger le règne de Saïed, affaibli par le boycott généralisé des législatives, et qui doit probablement s’attendre, dans les prochains mois, à des troubles sociaux d’envergure.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197039/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tarek Kahlaoui ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le premier tour des législatives tunisiennes, en décembre, a été marquée par une abstention record, signe de la désaffection des citoyens à l’égard du régime hybride du président Saïed.Tarek Kahlaoui, Associate professor d'histoire et de relations internationales, South Mediterranean UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1673042021-09-05T16:57:07Z2021-09-05T16:57:07ZLa Tunisie, aux frontières de la légitimité démocratique<p>Depuis le 25 juillet 2021, date du coup de force du président tunisien Kaïs Saïed qui lui a permis, en utilisant l’article 80 de la Constitution, de congédier le gouvernement, de geler les travaux du Parlement et de s’arroger les pleins pouvoirs, le chef de l’État a affirmé à plusieurs reprises qu’il n’y aurait <a href="https://www.aa.com.tr/fr/politique/pr%C3%A9sident-tunisien-il-ny-aura-pas-de-retour-en-arri%C3%A8re/2343079">« pas de retour en arrière »</a>.</p>
<p>Le 24 août 2021, Kaïs Saïed a <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/tunisie-le-president-kais-saied-prolonge-le-gel-du-parlement-et-garde-les-pleins-pouvoirs-20210824">reconduit le régime d’exception et conservé ses pleins pouvoirs</a>. La réaction des organisations nationales de la société civile ne s’est pas fait attendre. Le 26 août, un <a href="https://www.businessnews.com.tn/des-organisations-nationales-a-kais-saied--les-bonnes-intentions-ne-suffisent-pas,520,111549,3">communiqué commun de six organisations représentatives</a> – syndicats de magistrats et de journalistes, associations féministes et groupes de défense des droits humains – a dénoncé des <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20210827-en-tunisie-les-craintes-d-une-d%C3%A9rive-de-ka%C3%AFs-sa%C3%AFed-vers-un-r%C3%A9gime-pl%C3%A9biscitaire">« pratiques arbitraires qui menacent les valeurs de citoyenneté, de démocratie et de droits humains »</a>.</p>
<p>Depuis, une question centrale préoccupe les esprits : sommes-nous en train d’assister à la fin du régime démocratique et à une restauration autoritaire en Tunisie ? Le pays cède-t-il vraiment aux sirènes de l’homme fort, ou réalise-t-il plutôt la volonté populaire d’en finir avec un régime parlementaire corrompu, <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/07/27/la-tunisie-berceau-des-printemps-arabes-cede-aux-sirenes-de-l-homme-fort_6089618_3212.html">tenu responsable de la crise politique et économique</a> ?</p>
<h2>La volonté populaire, un objet non encore identifié</h2>
<p>Pour répondre à cette question, il est important de rappeler qu’il existe un consensus assez large en Tunisie sur les <a href="https://orientxxi.info/magazine/tunisie-kais-saied-sauveur-ou-tyran,4948">origines de la crise politique</a> : revendications sociales et économiques de la révolution non satisfaites ; désaffection des citoyens à l’égard de leurs représentants jugés corrompus et, plus largement, de la classe politique dans son ensemble ; ingérence des <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/decryptages/lalliance-argent-medias-pouvoir-une-menace-serieuse-pour-lavenir-democratique-de-la">puissances économiques et politiques</a> dans les processus électoraux ; déclin du militantisme partisan ; affaiblissement des corps intermédiaires ; délitement de l’État… Si le contexte tunisien ne fait que confirmer la crise de la démocratie libérale qui touche de nombreux systèmes représentatifs un peu partout dans le monde, il n’en demeure pas moins que des divergences persistent quant au sens à donner au coup de force du 25 juillet 2021.</p>
<p>Depuis le début de cette nouvelle séquence politique, nous assistons à l’affrontement de trois lectures des enjeux politiques en Tunisie :</p>
<ul>
<li><p>Une première lecture, reprenant les <a href="https://nawaat.org/2021/08/01/tunisia-and-the-obsolete-western-political-imaginary/">représentations orientalistes les plus désuètes</a>, persiste à voir le peuple tunisien comme une masse uniforme, inerte et homogène largement manipulable, au pire par un leader charismatique et au mieux par les puissances régionales et occidentales.</p></li>
<li><p>Une deuxième lecture fidèle aux diktats de la « transitologie démocratique » assimile démocratie et représentation. Elle fait du système représentatif l’expression absolue et indiscutable de la volonté du peuple, feignant d’oublier que l’idée d’après laquelle le Parlement représente parfaitement le peuple est <a href="https://lafabrique.fr/en-quel-temps-vivons-nous/">pour le moins discutable</a>. Cette analyse qui s’en tient à un respect minutieux de la Constitution, supposée être garante de la démocratie et de la volonté populaire, interprète la situation actuelle en Tunisie comme un <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/opinion-fr/tunisie-coup-etat-kais-saied-inconstitutionnel">coup d’État</a> préjudiciable à l’avenir politique du pays.</p></li>
<li><p>Une troisième lecture défendue par le mouvement social extra-parlementaire qui a porté Kaïs Saïed au pouvoir interroge les frontières du politique en usant du slogan de la révolution <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2016-1-page-72.htm">« le peuple veut la chute du régime »</a>. Dans cette lecture, le désir de communauté incarné par la formule « le peuple veut » ne peut qu’être conflictuel et en opposition frontale aux institutions politiques classiques, dont le Parlement, largement dominé par le parti islamiste <em>Ennahdha</em>.</p></li>
</ul>
<p>La normalisation des relations d’<em>Ennahdha</em> avec les anciens du régime, sa course effrénée vers l’accaparement des rouages de l’État – afin de garantir sa survie politique dans un mépris total des revendications de la révolution – et le désir maintes fois exprimé par les Tunisiens de moralisation de la vie politique sont au centre du conflit entre <a href="https://orientxxi.info/magazine/tunisie-pour-le-president-kais-saied-la-democratie-peut-etre-une-idee-neuve,3391">ce mouvement extra-parlementaire</a> et l’élite gouvernante, bien plus que le rapport à l’islam politique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Tunisie : heurts devant le Parlement sur fond de crise politique • France 24, 26 juillet 2021.</span></figcaption>
</figure>
<h2>La redéfinition récurrente des frontières de la légitimité démocratique</h2>
<p>Ce n’est pas la première fois en Tunisie que les frontières de la légitimité démocratique et, plus globalement, les frontières du politique sont redéfinies. Face aux différentes crises qui se sont succédé depuis la fuite de Ben Ali et à la fluidité de la conjoncture politique s’est esquissée une ouverture sans cesse renouvelée des cadres de la légitimité politique, autorisant des projets de « politique autrement » ou « ailleurs » sous des formes souvent très diverses, voir contradictoires.</p>
<p>Ces ouvertures ont été tout autant à l’initiative des élites politiques et économiques que des acteurs des mouvements sociaux. Elles s’incarnent par exemple dans les luttes sociales qui, sans forcément chercher à subvertir volontairement les modes de fonctionnement préétablis, créent de nouveaux espaces politiques autonomes permettant de mettre en place des <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/en-tunisie-le-peuple-au-chevet-de-l-etat-dans-la-lutte-contre-le-coronavirus_2125317.html">réseaux d’entraide sociale pour gérer la crise pandémique</a> face à la défaillance de l’État ou favorisant l’appropriation des territoires et espaces longtemps confisqués par le pouvoir central. Ces expériences nous invitent non seulement à analyser le moment politique actuel à travers le prisme d’activités politiques électorales, partisanes et gouvernementales, mais aussi à prendre en considération les acteurs à la marge de la politique institutionnelle, leurs discours, leurs pratiques et les représentations qui tendent à renouveler les contours de l’espace politique et à déplacer les frontières.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1354759449873932295"}"></div></p>
<p>Mais ces différents coups portés au système sont-ils suffisants pour mettre totalement fin au régime politique et économique qui a gouverné la Tunisie pendant plus de cinquante ans ? La réponse est évidemment non.</p>
<p>L’expérience tunisienne de ces dix dernières années révèle que le <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Entretien-avec-Bertrand-Badie-Bilan-dix-ans-apres-les-Printemps-arabes.html">système a une capacité de résilience insoupçonnée</a> et que l’élite politique et économique gouvernante trouve le moyen de s’arranger avec les anomalies et les monstres qu’elle crée.</p>
<h2>Kaïs Saïed peut-il gouverner seul ?</h2>
<p>Le recours populaire à la « bonne autorité » incarnée par Kaïs Saïed – supposé, dans un même mouvement, réhabiliter l’ordre moral et faire écouter les revendications révolutionnaires – est d’abord symptomatique de l’incapacité des partis classiques de l’opposition existants et des différentes structures intermédiaires à <a href="https://blog.mondediplo.net/retour-d-une-conflictualite-radicale-en-tunisie">prendre en main l’affrontement démocratique contre la classe gouvernante</a>.</p>
<p>Les attentes élevées placées par le peuple dans le président risquent d’être rapidement déçues au regard de la capacité du système économique et politique qui a gouverné la Tunisie pendant plus de cinquante ans à se régénérer.</p>
<p>À cet égard, rappelons que la Tunisie n’a jamais été gouvernée par un seul homme. Elle a été historiquement sous l’emprise d’un parti-État policier soutenu par des pouvoirs économiques veillant selon les époques à maintenir un contrat social assurant un minimum de redistribution des richesses.</p>
<p>En l’absence de cette configuration, la grande inconnue porte sur la nature des alliances que Kaïs Saïed va devoir négocier avec ceux qui détiennent le pouvoir économique d’un côté et ceux qui continuent à maîtriser les rouages de l’État et notamment le ministère de l’Intérieur de l’autre.</p>
<p>Va-t-il réussir à faire les concessions nécessaires pour se maintenir au pouvoir sans trahir les attentes très élevées de larges franges de la population tunisienne ? Plus généralement, la question omniprésente est de savoir si, et comment, il va mettre fin à cette phase transitoire et aux mesures exceptionnelles qui vont avec.</p>
<h2>La sortie de crise : changer les institutions ou les personnes ?</h2>
<p>Là aussi, les avis divergent sur la bonne manière de sortir de cette phase institutionnelle censée être exceptionnelle.</p>
<p>Certains craignent la restauration autoritaire et proposent l’organisation d’élections anticipées pour faire élire un nouveau Parlement et nommer un nouveau gouvernement en espérant voir l’émergence de nouvelles personnes à la hauteur des défis politiques actuels. D’autres considèrent que c’est le régime politique actuel qui est la source de tous les dysfonctionnements et défendent la nécessité de <a href="https://www.leaders.com.tn/article/32213-comment-entrer-rapidement-dans-la-troisieme-republique-democratique-deux-feuilles-de-route-et-deux-scenarios-pour-la-tunisie">passer à la troisième république</a>, avec une nouvelle Constitution et un nouveau régime politique qui neutraliserait les dérives actuelles.</p>
<p>Or, les différentes crises politiques vécues en Tunisie montrent que les enjeux d’un changement institutionnel ne peuvent pas se réduire uniquement à un problème de personnes ou à la nature des défis politiques et socio-économiques auxquels une société est confrontée. Il s’agit donc de passer d’une approche techniciste dans la mise en place des changements institutionnels à une approche socio-culturelle qui intègre les attentes locales d’un « bon gouvernement » des hommes et dont dépend la légitimité des institutions et leur <a href="https://www.afd.fr/fr/ressources/redessiner-les-relations-etatcollectivites-locales-en-tunisie-enjeux-socio-culturels-et-institutionnels-du-projet-de-decentralisation">appropriation par les populations locales</a>.</p>
<p>Loin de toute opposition réductrice entre d’un côté un fétichisme du principe démocratique désincarné et, de l’autre, la peur d’un inconscient collectif qui serait par essence épris d’autoritarisme, ce qui caractérise le processus révolutionnaire tunisien, c’est son extraordinaire capacité à inventer des institutions officielles ou parallèles et son travail continuel de réélaboration des possibles du « politique », au sens large de l’art de gouverner. Cette imagination politique collective renforce l’idée que la seule manière de préparer le futur est de ne pas l’anticiper, de ne pas le planifier, mais de consolider pour elles-mêmes les formes d’organisation de la vie à l’écart et en dépit du régime politique et économique dominant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167304/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hèla Yousfi est membre du Cercle des économistes arabes.</span></em></p>Plus qu’un changement de dirigeants ou de Constitution, le peuple tunisien semble réclamer une réinvention du « politique », au sens large de l’art de gouverner.Hèla Yousfi, Maître de conférences, DRM-MOST, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1670022021-08-31T18:50:42Z2021-08-31T18:50:42ZTunisie, vers un bonapartisme libéral ?<p>Comment qualifier le moment historique par lequel passe actuellement la Tunisie sinon par le recours au concept universel de bonapartisme, qui désigne le gouvernement d’un État républicain et centralisé, dirigé par un chef concentrant tous les pouvoirs entre ses mains ?</p>
<p>Au-delà des jugements de valeur amenant à prendre parti pour ou contre tel ou tel type de gouvernement, la tâche des intellectuels critiques est de produire une théorie politique à même de <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2016-4-page-7.htm">« s’élever au-dessus de la banalité […] et de penser avec les grands auteurs »</a>.</p>
<p>De ce point de vue, trois éléments plaident en faveur d’une analyse théorique de la séquence tunisienne actuelle en termes de moment bonapartiste : le tournant historique du 25 juillet 2021 ; le besoin irrésistible d’un leader ; et l’interrogation à propos d’un éventuel retour à l’autoritarisme, sur un modèle s’inspirant partiellement de l’Égypte de al-Sissi.</p>
<h2>Le tournant historique du 25 juillet</h2>
<p><a href="http://kapitalis.com/tunisie/2021/07/29/le-25-juillet-2021-un-virage-historique-a-saisir-pour-remettre-la-tunisie-sur-les-rails/">L’histoire retiendra cette date symbolique</a> qui a permis d’écarter du pouvoir les islamistes et leurs alliés qui avaient, durant 10 ans, <a href="https://www.webmanagercenter.com/2021/06/16/469329/presentation-a-tunis-de-louvrage-tunisie-la-transition-bloquee/">mené le pays vers la déroute financière, politique et morale</a>. La raison invoquée pour le gel des activités du Parlement ainsi que le limogeage du gouvernement est celle de « péril imminent menaçant les institutions de la nation et l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics » (Article 80 de la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/tn2014.htm">Constitution de 2014</a>).</p>
<p>Aucune force politique issue des partis ou de la société civile n’aurait pu déloger les islamistes des positions privilégiées qui ont permis à leurs élus d’exercer leur domination, au prix du délitement de l’État et de l’éclatement d’un lien social mis à mal par la <a href="https://www.jeuneafrique.com/508376/politique/tunisie-les-manifestations-contre-la-cherte-de-la-vie-tournent-a-laffrontement-violent/">cherté de la vie</a> et la montée de l’<a href="https://lapresse.tn/46315/insecurite-que-faire-face-au-brigandage-urbain/">insécurité</a>. Das ce contexte, le subterfuge conjoint de l’État et de la société, dont la résilience est profondément ancrée, fut de recourir à un « coup de force », en se référant à l’article 80 pour neutraliser les menaces encourues par l’édifice étatique et l’ordre social.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1426218388876111877"}"></div></p>
<p>Cet épisode <a href="https://www.marianne.net/monde/afrique/tunisie-le-coup-detat-de-kais-saied-et-larmes-de-crocodile-des-commentateurs">ne peut pas être qualifié de coup d’État</a> puisque le maître d’œuvre du tournant historique – le président de la République – est un personnage civil disposant d’une <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/presidentielle-en-tunisie-victoire-ecrasante-de-kais-saied_2103197.html">forte légitimité électorale</a> et que cet épisode s’est déroulé sans effusion de sang. Les arrestations qui ont eu lieu et se poursuivent portent uniquement sur des affaires de malversations ou d’agressions. Les résultats ne se sont pas fait attendre. Par exemple, la production de phosphates a repris, à la suite de l’arrestation ordonnée par la présidence des responsables des <a href="https://www.jeuneafrique.com/1159483/politique/tunisie-a-gafsa-lintrouvable-solution-a-la-crise-du-phosphate/">10 ans de blocage</a> de ce secteur, dont un <a href="https://www.businessnews.com.tn/arrestation-du-depute-lotfi-ali-pour-blaniment-dargent-et-enriissement-illicite,520,111393,3">député</a> connu pour sa responsabilité personnelle dans cette affaire.</p>
<p>Aucun homme politique n’a été jusqu’ici arrêté pour ses convictions politiques et idéologiques – plusieurs députés <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/tunisie-arrestation-d-un-depute-critique-du-president-indique-son-parti_2155853.html">affirment avoir été interpellés pour ces raisons</a>, mais leur arrestation est en réalité consécutive à des <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/08/02/en-tunisie-plusieurs-deputes-arretes-apres-la-levee-de-leur-immunite-parlementaire_6090283_3212.html">plaintes pour des agressions</a> et insultes à l’encontre des forces de sécurité.</p>
<p>De plus, les islamistes parlent librement dans les médias et <a href="https://www.jeuneafrique.com/1208574/politique/tunisie-kais-saied-soctroie-le-pouvoir-executif-ennahdha-denonce-un-coup-detat/">dénoncent le « coup d’État »</a> sans être inquiétés. Ils ne sont pas les seuls à verser dans cette thèse, qui est <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20210827-en-tunisie-les-craintes-d-une-d%C3%A9rive-de-ka%C3%AFs-sa%C3%AFed-vers-un-r%C3%A9gime-pl%C3%A9biscitaire">également développée</a> par nombre de juristes et d’intellectuels de l’opposition libérale. Sur ce plan, l’islamisme trouve des alliés objectifs en dehors de son champ de cooptation et d’influence. Cependant, nulle part ailleurs, les représentants de l’islamisme n’ont été écartés avec autant de tact politique. En cela, le pays sert toujours de laboratoire pour les nouvelles expériences, hier comme aujourd’hui.</p>
<p>Parce qu’elles se réfèrent à la légitimité plus qu’à la légalité, les mesures du 25 juillet 2021 constituent un tournant plus important que celui du 14 janvier 2014 ayant permis de mettre fin au régime policier de Ben Ali.</p>
<p>Bref, la Tunisie est en train d’écrire une nouvelle page de son histoire, en accueillant un changement politique substantiel, <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/en-tunisie-le-president-aux-pleins-pouvoirs-kais-saied-est-critique-mais-tres-populaire_4704611.html">soutenu par une majorité absolue de l’opinion publique nationale</a> qui a fêté, dans la liesse populaire, l’acte d’émancipation collective qu’est la clôture officielle de la parenthèse islamiste.</p>
<h2>Le besoin irrésistible d’un leader charismatique</h2>
<p>Depuis la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1987/11/10/tunisie-apres-la-destitution-du-president-habib-bourguiba_4072867_1819218.html">déposition de Bourguiba par le général Ben Ali en 1987</a>, le peuple tunisien est devenu comme « orphelin » d’un chef qui préside à sa destinée. Telle est la perception collective découlant d’un <a href="https://lapresse.tn/106538/abdelhamid-largueche-professeur-dhistoire-conseiller-en-patrimoine-ancien-membre-du-comite-du-patrimoine-mondial-a-lunesco-a-la-presse-si-le-bras-de-fer-continue-l/">imaginaire historique dominé par la figure du « chef juste »</a> – figure équivalente au niveau symbolique à celle de « l’émir » ou de « l’imam juste » en islam.</p>
<p>C’est dans ce sens que la mémoire du bourguibisme fut réactivée lors du règne de la « Troïka » (2011-2014) – c’est-à-dire la coalition au pouvoir durant cette période, au sein de laquelle des libéraux tels que le Congrès pour la République de Moncef Marzouki ou le parti Ettakatol de Mustapha Ben Jaâfar côtoyaient les islamistes d’Ennahdha. Ces derniers dominaient largement ladite coalition, et imposèrent un discours et des pratiques néo-salafistes en rupture avec le style de vie national dit <a href="https://brill.com/view/journals/melg/8/2-3/article-p131_2.xml?language=en">« tunisianité »</a> – ce mélange de pragmatisme, de compromis et de « joie de vivre ».</p>
<p>À cela s’ajoute une <a href="https://www.aa.com.tr/fr/afrique/inlucc-la-majorit%C3%A9-des-tunisiens-estime-que-la-corruption-s-est-aggrav%C3%A9e-depuis-2011/2194491">généralisation de la corruption durant les dix dernières années</a> qui créa l’anomie au sein d’une société dominée par l’idéologie de l’égalitarisme alors même qu’elle assistait, impuissante, à la montée du favoritisme et de l’enrichissement illégal des nouveaux dirigeants. D’où la demande pressante d’un homme fort qui soit capable d’instaurer l’ordre et la sécurité. C’est à ce titre que le candidat « outsider » Kaïs Saïed fut élu comme président puis acclamé, lors de son discours du 25 juillet, comme étant le héros national, l’homme providentiel.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1415211692712206339"}"></div></p>
<p>L’anti-parlementarisme ambiant n’est que l’expression de la nostalgie d’un État fort et d’une identité structurante du lien social. L’émergence d’un chef charismatique résulte, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_domination-9782707174918">comme l’a montré Max Weber</a> d’une relation sociale ayant des traits spécifiques, à savoir la reconnaissance du charisme par les gouvernés, l’imposition de nouvelles règles juridiques et une communautarisation émotionnelle dont la cohésion découle d’un attachement personnel au chef et à ses proches. De facto, la Tunisie est engagée de plain-pied dans la (re)production du pouvoir d’un chef charismatique, en tant que réponse à l’incapacité des groupes politiques d’assurer le commandement et l’autorité nécessaires à la survie de l’ordre social.</p>
<h2>Retour à l’autoritarisme vs république libérale</h2>
<p>La concentration des pouvoirs entre les mains d’un président plébiscité par le peuple est de nature à provoquer le <a href="https://www.cerclegermainedestael.org/tunisie-une-democratie-en-crise-et-la-tentation-du-retour-a-lautoritarisme/">retour à l’autoritarisme</a>, selon des analystes critiques des mesures du 25 juillet. Le prolongement de l’état d’exception pourrait transformer l’État de droit en un État de police, voire d’arbitraire.</p>
<p>De telles craintes pourraient être justifiées s’il n’y avait pas eu le formidable acquis démocratique de la révolution libérale de 2011 qui a réussi, au terme d’une dizaine d’années, à instaurer une sphère publique de débat et d’exercice des libertés. Phénomène remarquable, les institutions de l’État sont empreintes de continuité malgré les changements opérés au niveau de l’exécutif, aussi bien en 2011 lors de la « révolution de la dignité » qu’en 2021, à l’occasion des mesures présidentielles. Un des secrets de cette continuité, c’est que l’armée se veut républicaine et au service du pouvoir civil, et non l’inverse.</p>
<p>À la différence de l’Égypte, la Tunisie n’est pas une société militaire et il existe un équilibre politique assuré par la société civile dont le pivot est la <a href="https://www.cairn.info/revue-tumultes-2012-1-page-71.htm">Centrale syndicale</a>, partenaire social privilégié de l’État et acteur incontournable de la gouvernance. Ce phénomène est unique dans le monde arabe.</p>
<p>Il y aurait besoin de rappeler, concernant le moment bonapartiste partagé par les deux pays phares des révolutions arabes que sont l’Égypte et la Tunisie, la différence entre le bonapartisme autoritaire et le bonapartisme libéral. En témoigne, toutes proportions gardées, le <a href="https://www.lhistoire.fr/de-napol%C3%A9on-%C3%A0-de-gaulle-la-tentation-bonapartiste">vécu français</a> au cours du Second Empire (1852-1870) et lors du retour du général de Gaulle au pouvoir en 1958.</p>
<p>En restaurant l’autorité de l’État face à l’anarchie parlementaire rejetée par le peuple dans sa majorité absolue, le président Saïed se veut, en tant que figure de leadership, plus proche de De Gaulle que de Napoléon III. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il <a href="https://www.espacemanager.com/kais-saied-ce-nest-pas-cet-age-que-je-vais-commencer-une-carriere-de-dictateur.html">reprit récemment à son compte</a> un fameux mot de De Gaulle :</p>
<blockquote>
<p>« Ce n’est pas à cet âge que je vais commencer une carrière de dictateur. »</p>
</blockquote>
<p>L’espoir est que le changement opéré ne se déroule pas selon le schéma hégélien où les grands faits de l’histoire universelle adviennent deux fois ; la première fois comme une tragédie et la seconde fois comme une farce, <a href="https://editions.flammarion.com/le-18-brumaire-de-louis-bonaparte/9782081204959">selon la formule de Karl Marx</a>.</p>
<p>Cet espoir se nourrit de l’existence d’une société civile structurée et du rôle décisif des femmes dont la <a href="https://www.jeuneafrique.com/1138537/politique/serie-tunisie-ichraf-chebil-saied-la-tres-discrete-epouse-du-chef-de-letat-3-3/">première dame</a> – juge de fonction – est une illustration éloquente.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167002/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohamed Kerrou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les récents événements tunisiens invitent à convoquer la notion de bonapartisme – l’action du président Saïed semblant à cet égard relever du bonapartisme libéral plus que du bonapartisme autoritaire.Mohamed Kerrou, Professeur de sciences politiques, Université de Tunis El ManarLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1649582021-07-26T17:34:24Z2021-07-26T17:34:24ZTunisie : entre crise sanitaire et politique, le président Kaïs Saïed tente de reprendre la main<p>La Tunisie, plongée dans une gouvernance désinvolte, absorbée par les tensions politiciennes, peu attentive aux conseils des scientifiques et aux ressorts mondiaux de la catastrophe, voit aujourd’hui sa situation sanitaire critique doublée d’une crise institutionnelle inédite. Dimanche 25 juillet, lors d’une réunion d’urgence, le président Kaïs Saïed a en effet décidé de <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/07/26/en-tunisie-le-president-gele-les-activites-du-parlement-et-demet-le-premier-ministre-de-ses-fonctions_6089509_3212.html">limoger le chef du gouvernement</a>, Hichem Mechichi, afin d’assumer lui-même le pouvoir exécutif. Dans le même mouvement, il a <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/07/26/en-tunisie-la-crise-politique-atteint-son-sommet_6089547_3212.html">gelé les activités de l’Assemblée</a> pour 30 jours et levé l’immunité parlementaire des députés.</p>
<p>Ces décisions s’inscrivent, selon le président, dans la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/tn2014.htm">constitution</a> (notamment son article 80, qui permet des mesures d’exception en cas de « péril imminent ») et font écho aux manifestations antigouvernementales, <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20210725-en-tunisie-des-milliers-de-manifestants-d%C3%A9filent-contre-leurs-dirigeants">particulièrement nombreuses hier</a>. Ce coup de force ouvre une ère de potentielles dérives politiques pour la transition démocratique tunisienne, qui n’a pas connu une telle configuration depuis la mise en place de la constitution en 2014.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1419582691071102978"}"></div></p>
<p>Cet évènement exceptionnel entre en collision avec plusieurs crises. La situation sanitaire en Tunisie, particulièrement meurtrière cet été (ce mois de juillet 2021, avec ses <a href="https://inkyfada.com/fr/2021/07/06/covid-19-dashboard-tunisie/">2987 morts</a>, enregistre le pire taux de mortalité depuis le début de la pandémie), est l’une d’entre elles, mais les difficultés du système de santé tunisien ne sont que le reflet de celles des politiques publiques dans leur ensemble, qui perdurent depuis plusieurs années. Malgré les espoirs qu’elle a pu susciter chez la population, la révolution tunisienne de 2011 n’aura pas suffi à rompre définitivement avec de mauvaises pratiques héritées du régime précédent.</p>
<h2>Quand la politique tourne le dos à la société</h2>
<p>Rappelons que le président Zine El Abidine Ben Ali, qui gérait le pays depuis 1987, <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/09/19/ben-ali-l-ancien-president-tunisien-est-mort_6012295_3212.html">s’enfuit en Arabie saoudite</a> le 14 janvier 2011 pour y mourir en septembre 2019. Le choc de ce départ spectaculaire, qui marque le point culminant de quatre semaines de mobilisations, est de taille. Dans l’ensemble de la région sud méditerranéenne, des <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/reporters/20210205-2011-une-histoire-de-printemps-les-r%C3%A9volutions-arabes-vues-par-france-24">répercussions immédiates</a> se font sentir, ainsi qu’un espoir partagé : faire tomber les régimes autoritaires en place et changer les conditions sociales et économiques des pays touchés par la vague des soulèvements.</p>
<p>L’allumage révolutionnaire tunisien crée alors une panique dans la classe politique, le temps de mettre sur les rails une nouvelle <a href="https://www.lemonde.fr/tunisie/article/2014/01/26/le-premier-ministre-tunisien-a-compose-son-gouvernement_4354757_1466522.html">dynamique constitutionnelle</a> et d’élaborer un système électoral, le tout en quelques semaines. Ces premiers pas bénéfiques n’ont cependant pas suffi à rompre avec les arcanes d’une gestion politique et économique commandée non pas par les besoins du pays, mais par des systèmes d’exploitation tracés et appliqués par les dirigeants, sans laisser de marges de manœuvre aux échelons locaux. Cette logique est <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/0539018416658154">toujours prégnante</a>, comme la période 2011-2020 l’a démontré : les intérêts macro-économiques continuent à configurer les conditions de vie et les liens au sein de la société tunisienne, au nom de la bonne insertion de la Tunisie dans les marchés mondiaux.</p>
<p>La vague des changements survenus depuis 2011 renferme certes des facteurs positifs, comme la liberté d’expression. Celle-ci entraîne une véritable créativité culturelle et artistique, mais <a href="https://www.webmanagercenter.com/2018/11/21/427073/la-tunisie-compte-1-million-700-pauvres/">sans répercussions économiques ni politiques sensibles pour la population</a>. Le bien-être espéré n’arrive pas, quand les privilèges et injustices engendrés par des décennies d’autoritarisme continuent de commander les affaires publiques. Les classes moyennes et inférieures sont les <a href="http://ins.tn/publication/carte-de-la-pauvrete-en-tunisie-septembre-2020">plus touchées</a> par l’absence de politiques sociales.</p>
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<p>La santé illustre à souhait la dynamique discriminante, notamment dans l’accès aux soins, <a href="https://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Publications/Tendance_%C3%A9conomique_-_Quelles_politiques_pour_faire_face_aux_in%C3%A9galit%C3%A9s_d%E2%80%99acc%C3%A8s_aux_soins_en_Tunisie.pdf">inégal entre les classes sociales</a> et entre les régions. Au fil des années post-2011, l’expérience des citoyens et des citoyennes accuse des dégradations matérielles et morales qui divisent le pays et l’opinion.</p>
<p>Sur le plan économique, la cherté de la vie favorise les circuits parallèles. En perdant les <a href="https://www.lecourrierdelatlas.com/une-depreciation-du-dinar-tunisien-est-elle-inevitable/">deux tiers de sa valeur</a> depuis 2010, le dinar tunisien accroît le déséquilibre commercial. L’importation fleurit au gré des choix de consommation : les voitures et les produits de luxe continuent à envahir le marché, alors que les besoins immédiats et nécessaires (entre autres en médicaments) <a href="https://lapresse.tn/74148/penurie-des-medicaments-la-crise-nest-toujours-pas-resolue/">sont difficilement satisfaits</a>.</p>
<p>Sur le plan social, l’émigration prend des proportions hémorragiques pour les diplômés en mal d’insertion : universitaires, médecins, ingénieurs cherchent à se placer dans des pays plus demandeurs. L’émigration irrégulière <a href="https://lapresse.tn/81843/ftdes-augmentation-inquietante-de-la-migration-irreguliere-des-mineurs-1-400-mineurs-ont-fui-le-pays-en-2020/">devient plus massive</a> et meurtrière pour une jeunesse qui décroche de l’enseignement et rêve de l’eldorado européen. Les côtes italiennes sont la première cible des embarcations affrétées par des intermédiaires de plus en plus prospères, malgré la surveillance et les accords avec les <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Migrants-lUnion-europeenne-souhaite-signer-accord-Tunisie-2021-05-20-1201156772">pays voisins</a>.</p>
<p>Un baromètre dit clairement l’ampleur et la persistance de ces déséquilibres. Chaque mois, le nombre de mouvements sociaux <a href="https://ftdes.net/observatoire/">dépasse le millier</a>. Les contestataires s’en prennent d’abord aux manquements des pouvoirs publics (conditions de recrutement opaques, répartition inégale des chances et ressources…). Alors que la corruption constitue l’un des principaux travers visés, elle a pris des proportions graves contribuant à affaiblir l’autorité de l’État, ainsi que son statut de pôle central de décision. Le mécontentement a culminé hier dans les manifestations antigouvernementales qui ont rassemblé <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20210725-en-tunisie-des-milliers-de-manifestants-d%C3%A9filent-contre-leurs-dirigeants">plusieurs milliers</a> de personnes.</p>
<p>Ces problèmes concrets semblent échapper à l’attention des décideurs, préoccupés par les notations internationales en <a href="https://www.aa.com.tr/fr/afrique/tunisie-fitch-ratings-d%C3%A9grade-la-note-souveraine-%C3%A0-b-avec-perspectives-n%C3%A9gatives/2298650">baisse constante</a> et les difficultés à arracher le quatrième emprunt du Fonds Monétaire International. Celui-ci se montre particulièrement réticent à l’accorder, faute de parvenir à faire appliquer ses directives de réformes.</p>
<p>Dans cette crise aggravée de la gouvernance publique, le pays traverse une troisième vague de Covid particulièrement coûteuse en vies humaines : le nombre de décès se maintient à plus de 100 par jour, s’approchant des 18 000 morts pour une population de 12 millions de personnes. L’état d’urgence sanitaire est décrété depuis le 8 juillet 2021, au milieu d’une gestion de la santé publique pour le moins désastreuse.</p>
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<h2>Une santé de moins en moins publique</h2>
<p>Parmi les causes de cette gestion erratique, l’instabilité des ministres chargés de la santé. Quinze se sont succédé depuis 2011, et la valse s’est accélérée depuis 2020 avec l’arrivée du Covid. Cinq ministres ont été nommés en seize mois ; le dernier en date, <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20210720-tunisie-le-ministre-de-la-sant%C3%A9-faouzi-mehdi-limog%C3%A9-en-plein-rebond-%C3%A9pid%C3%A9mique">Faouzi Mehdi</a>, est limogé le 20 juillet par le Premier ministre en pleine campagne de vaccination.</p>
<p>Le ballottement au sommet du système de santé fait écho à d’autres signes alarmants : l’état des hôpitaux se détériore (un jeune résident meurt ainsi dans un ascenseur en décembre 2020), les patients achètent leurs propres médicaments faute d’en trouver dans les stocks mis en perce, des morts inexpliquées se multiplient, comme <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/03/10/la-tunisie-sous-le-choc-apres-la-mort-de-onze-bebes-dans-un-hopital_5434118_3212.html">celles des nouveaux nés de mars 2019</a>, les soins des populations rurales sont insuffisants.</p>
<p>Pourtant, depuis les années 1990, la libéralisation du marché du soin et de la pharmacie a largement permis le raccordement de l’économie tunisienne au marché mondial de la maladie. L’élite instruite se tourne vers les professions de santé et les laboratoires pharmaceutiques se multiplient, grâce à une faculté créée à Monastir en 1975.</p>
<p>Ce développement se fait au détriment de l’hôpital public, qui a progressivement commencé à se vider de ses moyens et de ses <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/392696/societe/tunisie-grand-exode-medecins/">ressources humaines</a>, malgré l’essor de la médecine de ville (surtout dans les grands centres). <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Nous-sommes-livres-nous-memes-Tunisie-hopitaux-extenues-Covid-19-2021-07-13-1201166151">Des médecins</a> ont révélé cette évolution toxique et dangereuse dans un pays aux lois sociales imparfaites et doté d’une infrastructure hospitalière mal répartie. Malgré la multiplication des cliniques privées, le chômage des médecins est aujourd’hui un des plus élevés (15 % environ), notamment parmi les femmes.</p>
<p>Il n’en a pas toujours été ainsi. Aujourd’hui encore, le secteur médical tunisien garde une solide réputation internationale, qu’il tire essentiellement de son système de formation. Celui-ci bénéficie depuis l’indépendance de liens universitaires avec la France ; un Institut Pasteur existe ainsi à Tunis depuis 1893 et la faculté de médecine créée en 1964 est un établissement aligné sur les standards pédagogiques français. À Tunis, à Sousse, à Sfax et à Monastir pour la médecine dentaire, le pays compte aujourd’hui quatre facultés !</p>
<p>L’amélioration des conditions sanitaires dans la Tunisie post-indépendance a contribué à ériger l’image du médecin comme acteur social privilégié et comme membre d’une communauté scientifique mondialisée. Cette double affiliation a fait connaître aux praticiens tunisiens deux ou trois décennies heureuses, grâce à un travail clinique valorisé par la recherche et des conditions de travail bénéficiant du matériel nécessaire. L’arrivée des restrictions financières dans le secteur public, la dévalorisation de la recherche, la multiplication d’entreprises privées important l’équipement sanitaire et la marchandisation internationale du soin en plein essor vont rendre le métier de médecin plus ingrat, <a href="https://news.gnet.tn/70-des-medecins-de-famille-souhaitent-quitter-la-tunisie">surtout dans le secteur public</a>.</p>
<p>La même <a href="https://books.openedition.org/iheid/2550?lang=fr">économie mondialisée</a> de la maladie encourage d’autres filières : elle stimule la formation d’infirmiers et d’infirmières, ainsi que de divers thérapeutes dont le nombre a augmenté grâce à une demande locale en hausse. Reliée à l’Europe, aux pays du Golfe et à l’Afrique, la médecine tunisienne va opérer une mutation de ses services. À partir des années 2000, elle renfloue de plus en plus les services publics et les cabinets de ville en France et en Allemagne, en répondant également aux nombreux appels d’offres des pays du Golfe, nettement plus avantageux que les conditions désormais offertes au niveau tunisien.</p>
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<p>Grâce à la libéralisation de la pratique, le secteur médical est également nourri par des <a href="https://www.cairn.info/journal-mondes-en-developpement-2012-1-page-81.htm">patients des pays voisins</a> qui trouvent en Tunisie des professionnels (souvent francophones) et des centres spécialisés en cardiologie, en médecine esthétique, en chirurgie des traumatismes, en gynécologie (le circuit de la procréation médicalement assistée, ou PMA, y est notamment prospère).</p>
<p>Un véritable tourisme médical s’est mis en place, avec ses agences et ses circuits de cliniques, de fournisseurs et de spécialistes. À partir de mars 2020, la Covid-19 a grippé cette mobilité sanitaire en privant les cliniques et cabinets de ces « touristes » libyens, algériens et subsahariens. La population atteinte du Covid, à même de payer ses soins, n’a pas tout à fait remplacé cette patientèle devenue un poumon vital pour l’exercice de la médecine en Tunisie. Elle a cependant fourni un adjuvant intéressant en ce temps de crise : on attend des études sur le sujet.</p>
<h2>Le coronavirus, une crise fatale</h2>
<p>La crise traversée par la Tunisie est sociale, politique et économique avant d’être sanitaire. Les efforts surhumains des professionnels de santé mobilisés (les <a href="https://www.oecd.org/coronavirus/policy-responses/covid-19-dans-la-region-mena-impact-sur-les-inegalites-de-genre-et-reponses-apportees-en-soutien-aux-femmes-f7da7585/">femmes</a>, comme partout, sont aux premières loges) depuis quinze mois n’ont pas réussi à préserver le pays d’un rebond particulièrement sévère. Les décès ne sont plus contenus sous la barre des 100 morts par jour depuis des semaines.</p>
<p>La durée de l’épidémie, l’absence de mesures adéquates pour diminuer la contagion (notamment en limitant les déplacements), l’indiscipline d’une population livrée à elle-même (puisqu’on ne fournit pas de masques aux plus démunis et que les tests PCR coûtent le double du SMIG tunisien) sont venues pointer les défaillances du gouvernement d’Hichem Mechichi, dépassé, sans cohésion ni vision. La succession des variants vient encore alourdir les dégâts de cet été 2021 : plus de 4500 nouveaux cas par jour en moyenne sur la dernière semaine de juillet, et des <a href="https://inkyfada.com/fr/2021/07/06/covid-19-dashboard-tunisie/">besoins en réanimation</a> qui dépassent largement les lits disponibles.</p>
<p>La campagne de vaccination achève de révéler les incohérences internes à la Tunisie, en plus des déséquilibres d’une gouvernance internationale de courte vue. L’expérience tunisienne pose en effet avec acuité la question de l’inégalité des soins à travers le monde.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1342205915957755910"}"></div></p>
<p>Condamnée à passer par la plate-forme COVAX, développée par l’OMS et destinée aux pays ne parvenant pas à se fournir des doses par le marché classique, la Tunisie fait les frais de l’impréparation de sa population à un traitement informatisé des inscriptions sur la <a href="https://www.aa.com.tr/fr/sante/covid-19-tunisie-environ-3-5-millions-de-citoyens-inscrits-sur-la-plateforme-de-vaccination-evax/2308457">plate-forme locale EVAX</a> ; les lenteurs de la vaccination sont en partie dues à l’accessibilité difficile de ce site pour les gens âgés et isolés. Le pays subit également les effets d’une offre aléatoire de matériel et de vaccins, en raison de la concurrence internationale.</p>
<p>En plus d’une diplomatie plus mobilisée et d’une gestion territoriale dans l’intérêt de la population, il aurait fallu traiter la crise par une politique de proximité s’appuyant sur les ressources de la médecine locale. La Tunisie a accumulé une expérience en matière de médecine préventive, de <a href="http://www.latunisiemedicale.com/article-medicale-tunisie_3458_fr">vaccination infantile et infectieuse</a> tout comme dans la fabrication des vaccins. Le pays était en droit de compter également sur des autorités concentrées sur la gestion de la Covid-19 et les divers ajustements qu’elle exige des soignants et des politiques. Au lieu de cela, la Tunisie s’est vue <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/03/26/en-tunisie-le-scandale-des-dechets-importes-illegalement-d-italie_6074533_3212.html">livrée aux lobbies financiers</a> et aux tractations économiques répondant aux plus offrants et aux clients solvables.</p>
<p>Comme après la Révolution de 2011, la Tunisie doit s’en remettre aux aides spontanées, aux renforts de la médecine militaire, à l’énergie des bénévoles et à l’élan de solidarité de pays, associations et ressortissants à l’étranger. Bien qu’elle permette à la Tunisie de ne pas sombrer totalement dans la <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/coronavirus-en-tunisie-un-afflux-de-dons-sauve-le-pays-d-une-catastrophe-sanitaire-7900057045">catastrophe sanitaire</a>, cette bienveillance active n’aura pas suffi à éviter une crise politique majeure, latente depuis des années mais révélée et amplifiée par la pandémie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164958/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kmar Bendana ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que la Tunisie est durement frappée par le variant Delta, l’action du président Kaïs Saïed fait basculer un pays jusqu’ici politiquement paralysé dans l’inconnu.Kmar Bendana, Professor, Contemporary History, Université de la ManoubaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1245702019-10-18T09:04:33Z2019-10-18T09:04:33ZTunisia’s new president elected on a wave of optimism for major change<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/297394/original/file-20191016-98666-1gcsh3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Supporters of Kais Saied during his campaign
</span> <span class="attribution"><span class="source">EPA-EFE/MOHAMED MESSARA</span></span></figcaption></figure><p>Kaïs Saïed <a href="https://www.dw.com/en/tunisia-kais-saied-wins-presidential-election-exit-polls/a-50811781">has won</a> Tunisia’s presidential election. </p>
<p>This triumph came at the expense of the two forces that have dominated Tunisia’s political landscape since the 2011 revolution: Islamism and nationalist secular parties.</p>
<p>Over the past eight years, these two movements failed to meet the urgent demands of the people, expressed in the famous revolutionary slogan: work, freedom and dignity. </p>
<p>The alliance between these two forces – represented on the one hand by the Islamist <a href="https://www.britannica.com/topic/Ennahda-Party">Ennahdha</a> party and, on the other, by the secularist parties <a href="https://www.jeuneafrique.com/762924/politique/tunisie-les-divisions-se-creusent-au-sein-de-nidaa-tounes/">Nidaa Tounes</a> and <a href="https://www.jeuneafrique.com/716563/politique/tunisie-tahya-tounes-le-nouveau-parti-dans-le-giron-de-youssef-chahed">Tahya Tounes</a> – sparked far-reaching crises: <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/581537/economie/crise-en-tunisie-pourquoi-lautomne-sera-chaud/">an economic crisis</a>, <a href="https://www.leaders.com.tn/article/26508-habib-touhami-la-crise-de-la-democratie-representative-et-la-montee-de-l-abstention">a crisis of representative politics</a> and <a href="https://www.leaders.com.tn/article/19976-la-crise-des-valeurs-en-tunisie-le-foot-comme-exemple">a crisis of social and moral values</a>.</p>
<p>The establishment confiscated power and was incapable of meeting the urgent demand for jobs and justice. It created a <a href="https://theconversation.com/en-tunisie-un-peuple-demoralise-une-jeunesse-revoltee-et-des-elites-paralysees-90196">gulf between the State and society</a>. </p>
<p>Its disdain for young people and the forces of the revolution gave rise to populism in the country. In this context, populism embodies the political language of those excluded from governance, growth and development. </p>
<p>Though populism is heterogeneous in nature, it often revolves around a powerful, enterprising figurehead. </p>
<p>Throughout his campaign Saïed positioned himself as the absolute embodiment of the will of the people. He is known for his courtly use of literary Arabic and his constitutional expertise. He projects moral rigidity and brings with him a <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/decryptages/kais-saied-un-projet-de-democratie-radicale-pour-la-tunisie">utopian project to transform Tunisian executive power</a>. This was hugely popular with young voters. </p>
<h2>Disillusioned youth</h2>
<p>Eight years after <a href="https://www.aljazeera.com/indepth/inpictures/2015/12/tunisian-revolution-151215102459580.html">Tunisia’s popular revolution</a>, and the move from authoritarianism to democratic pluralism, the mostly young people who drove political change <a href="https://www.france24.com/fr/20180118-arrestations-tunisie-politique-etat-pousse-jeunes-violence-manifestations-casseurs">felt betrayed.</a></p>
<p>There was a feeling that the new leaders, though democratically elected, usurped the “Revolution of Dignity” (as it is known in Tunisia). Representative democracy was <a href="http://www.slate.fr/story/181575/tunisie-sidi-bouzid-election-presidentielle-democratie-jeunesse-chomage-vote-abstention">perverted</a> for <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/315318/politique/tunisie-corruption-nepotisme-a-etages/">private, partisan and mafia-type interests</a>.</p>
<p>The youth, and large swathes of the middle and lower classes, were destabilised by a high cost of living and a lack of employment. <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20150702.AFP2834/le-desenchantement-des-jeunes-tunisiens-quand-l-exclusion-nourrit-le-jihadisme.html">This disenchantment</a> created a hotbed for populism. </p>
<p>The drive for change is still there, and this presidential election provided the opportunity for a legal revolution.</p>
<h2>Platform of morality</h2>
<p>Kaïs Saïed is a law professor who based his platform on his respect for the new Constitution and the rule of law. He is also in favour of local, decentralised power as a way to address unemployment and the marginalisation of citizens and regions. </p>
<p>To win, he said that he would purge <a href="https://www.huffpostmaghreb.com/entry/l-enigmatique-kais-saied-son-projet-et-ses-reseaux_mg_5d849ee2e4b070d468cacebb">his programme</a> of any references to inheritance equality, the decriminalisation of homosexuality, and the abolition of the death penalty. These are subjects that are seen as the concerns of the elite, as opposed to the people. </p>
<p>Saïed has a reputation for integrity and honesty that was unparalleled among his rivals, who are largely seen as <a href="http://www.leparisien.fr/international/presidentielle-en-tunisie-kais-saied-l-austere-professeur-18-09-2019-8154240.php">arrogant and often ignorant</a>.</p>
<h2>Saïed’s support</h2>
<p>Saïed’s support is underpinned by a structure for political change embodied by the Forces of Tunisian Youth made up of students, the unemployed and the marginalised.</p>
<p>Lacking financial resources and headquarters, this new horizontal structure was inspired by the revolutionary social movement and brings together leftists, social conservatives and extreme-right activists from the former Leagues for the Protection of the Tunisian Revolution. </p>
<p>These youth express themselves and organise on social media, with official pages, closed support groups, and a codified language via Facebook, Telegram, WhatsApp and Messenger.</p>
<p>Their platforms help circulate flattering pictures and bombastic declarations by Kaïs Saïed, described as a cross between a “vigilante Robocop” and “Gaddafi without the oil”. </p>
<p>In this way, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1187803/comment-kais-saied-a-seduit-la-jeunesse-tunisienne.html">young people</a> campaigned for the orator. </p>
<p>Within the media, various populist figures expressed their support for Saïed. As a “revolutionary candidate”, he also garnered support from the Ennahdha party and the Salafists. </p>
<p>This support has pushed Tunisia in a new direction, with more radical than moderate values, privileging Islam over secularism. </p>
<p>History tells us that populist rhetoric and populist government can bring about the best and worst outcomes. The best would be the renewal of the rusted state system, with across-the-board social innovation and the ascendance of a new, younger generation of leaders. </p>
<p>The worst would be the deterioration of the centralised state, already sorely tested since the fall of the former regime. </p>
<p>In that case, political demagogy, economic collapse and social disorder could usher in a new era.</p>
<p><em>Translated from the French by Alice Heathwood for Fast ForWord.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124570/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohamed Kerrou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Throughout his campaign Saïed positioned himself as the absolute embodiment of the will of the people.Mohamed Kerrou, Professeur de sciences politiques, Université de Tunis El ManarLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.