tag:theconversation.com,2011:/us/topics/kurdes-21580/articlesKurdes – The Conversation2023-11-30T17:00:05Ztag:theconversation.com,2011:article/2180692023-11-30T17:00:05Z2023-11-30T17:00:05ZComment les partis politiques kurdes gouvernent leurs populations<p><em>Les Kurdes sont l’un des plus importants peuples apatrides du monde. Ils seraient quelque 30 millions à vivre aujourd’hui en Turquie, en Irak et en Syrie. Plusieurs mouvements politiques militent depuis des décennies pour l’instauration d’autonomies régionales voire d’un Kurdistan indépendant au croisement de ces trois pays. <a href="https://www.karthala.com/accueil/3549-le-gouvernement-des-kurdes-gouvernement-partisan-et-ordres-sociaux-alternatifs.html">« Le gouvernement des Kurdes. Gouvernement partisan et ordres sociaux alternatifs »</a>, qui vient de paraître aux éditions Karthala sous la direction de Gilles Dorronsoro, professeur de sciences politiques à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre senior de l’Institut universitaire de France, met en évidence le rôle majeur que jouent les partis politiques dans l’instauration des nouveaux ordres sociaux dans les zones où ils détiennent le pouvoir. Nous vous présentons ici un extrait de l’introduction.</em></p>
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<p>Les « conflits kurdes » durent, sous des formes diverses et avec des périodes d’accalmie, depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Ils présentent la particularité de se développer simultanément sur plusieurs espaces étatiques – Turquie, Iran, Irak, Syrie – et mobilisent de plus la diaspora, principalement en Europe.</p>
<p>Depuis les années 1990, des interventions internationales et des guerres civiles, qui n’ont pas les Kurdes pour enjeu central, ont largement redéfini la carte politique du Moyen-Orient. Dans ces dynamiques complexes, qui se développent à de multiples échelles, notre objet d’études est l’émergence de régions kurdes autonomes en Syrie, en Irak et, de façon inaboutie, en Turquie où, même sans perspective réaliste de voir naître un État indépendant, des institutions kurdes administrent, parfois depuis une génération, des populations civiles.</p>
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<figcaption><span class="caption">Qui sont les Kurdes ? Le Monde, octobre 2017.</span></figcaption>
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<p>Ainsi, en Irak, la protection américaine à partir de 1991 a permis la formation d’un Gouvernement régional du Kurdistan (GRK), largement autonome de Bagdad. En Turquie, les partis de la mouvance apoïste ont acquis une forte assise municipale dans les années 1990 et des institutions kurdes ont concurrencé directement le gouvernement central – avant d’être démantelées par l’État turc pendant la « guerre des villes » (2015-2016). Après 2011, la guerre civile syrienne a permis au PYD (Parti de l’union démocratique) – la branche syrienne du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) – de créer des institutions qui administrent des populations kurdes (et non kurdes).</p>
<p>On vérifie ici que les guerres civiles, pourvu qu’elles durent, tendent à multiplier les institutions et à reconfigurer les rapports de pouvoir. En continuité avec le programme de recherches <a href="https://www.civilwars.eu/">« Social Dynamics of Civil Wars »</a>, nous avons souhaité explorer ce gouvernement des Kurdes par les Kurdes dans toute sa complexité et ses variations régionales.</p>
<p>Les régions autonomes sous contrôle de partis kurdes voient, avec un degré d’institutionnalisation variable, l’apparition d’ordres sociaux alternatifs, c’est-à-dire de hiérarchies identitaires, d’économies du droit et de la violence portées par des institutions en concurrence avec celles des régimes en place. Les études réunies ici mettent en évidence le rôle central des partis dans la constitution de la gouvernementalité kurde : genèse de nouvelles institutions, mise en place d’une nouvelle hiérarchie identitaire et, enfin, clientélisation des sociétés.</p>
<p>L’hypothèse sous-jacente à notre travail est que les partis politiques kurdes sont la matrice du gouvernement des populations, car – c’est une particularité par rapport à d’autres guerres civiles –, ils ont une histoire longue, un militantisme très ancré dans les sociétés locales et des projets politiques qui orientent effectivement leur action. Ils constituent la source principale des dispositifs qui façonnent la société – des rapports de genre au droit de la propriété.</p>
<p>Sans postuler une cohérence nécessaire de ces dispositifs, ni l’absence de contestation, au moins par l’inertie ou l’évitement, la capacité des partis – par exemple à juger, à transformer la hiérarchie ethnique ou à définir les règles d’une économie politique – instaure une relation de pouvoir profondément asymétrique avec le reste de la société.</p>
<p>Quel que soit le degré de complétude et de stabilité de ces ordres sociaux alternatifs, les partis politiques sont donc les acteurs qui définissent le nouvel ordre social par le biais de gouvernements partisans (Mède dans ce volume), dont la forme diffère, mais qui donnent à voir une faible autonomie des institutions publiques par rapport aux organisations politiques. Les mouvements politico-militaires qui nous intéressent en premier lieu – le PDK (Partiya Demokrata Kurdistanê, Parti démocratique du Kurdistan), le PKK, voire l’UPK (Union patriotique du Kurdistan) dans une moindre mesure – ont de fait une forte identité partisane.</p>
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<p>Dans ses pratiques, le PDK reprend en partie l’héritage du parti Baas, dans le sens d’un contrôle étroit de la société. En particulier, la convergence de la socialisation familiale et partisane permet une stabilité du militantisme, qui se conjugue avec le contrôle des instances dirigeantes par une élite liée à la famille Barzani.</p>
<p>Pour sa part, le PKK propose une idéologie ethno-nationaliste et internationaliste. Sa conversion au « confédéralisme démocratique » (Grojean dans ce volume) constitue certes une rupture, mais sa structure interne reste celle d’un mouvement léniniste organisé autour de cadres tenus à une discipline militaire, et la production d’un homme nouveau demeure la logique dominante. Par exemple le parti pratique, comme souvent dans les mouvements révolutionnaires, un contrôle de la sexualité, avec l’interdiction du mariage pour les cadres du mouvement (et des sanctions en cas de relations amoureuses).</p>
<p>Si l’on constate une même volonté de contrôle de la société par les partis, la mise en place d’institutions kurdes donne à voir deux modalités un peu différentes de gouvernement partisan. Le PKK cherche à pénétrer la société par la multiplication d’organisations qui sont en dernière instance sous le contrôle du parti. Pour leur part, le PDK et l’UPK limitent autant que possible le fonctionnement des institutions du Gouvernement régional du Kurdistan, notamment son accès aux ressources économiques. Après une période où certaines institutions se sont autonomisées (notamment le parlement), la compétition politique interne au Kurdistan irakien a finalement conduit à l’affirmation des partis au détriment des institutions (Mède dans ce volume).</p>
<p>Les ordres sociaux kurdes émergents imposent une nouvelle hiérarchie identitaire qui réorganise la société locale, notamment à travers les politiques culturelles, l’établissement de quotas, la gestion de la circulation et de l’installation des populations, la modification des circuits économiques (Haenni & Legrand dans ce volume ; Quesnay dans ce volume). Dans les zones de peuplement mixte, ces politiques entraînent une remise en question des solidarités de classe ou de territoire.</p>
<p>Sur un plan culturel, à partir des années 1990, l’autonomie des Kurdes en Irak entraîne initialement un recul de l’arabe au profit du kurde et, pour l’enseignement supérieur, de l’anglais.</p>
<p>Sur le plan démographique, les mouvements kurdes ont renversé les politiques d’arabisation en réinstallant des populations kurdes, notamment à Kirkouk (Quesnay dans ce volume). Les guerres civiles en Syrie et en Irak ont cependant créé des flux de réfugiés internes ou en provenance des pays voisins, qui ont remis en cause, au moins provisoirement, les équilibres démographiques. Par exemple, des centaines de milliers de réfugiés irakiens sunnites se sont réfugiés au GRK ; des Syriens arabes ont afflué dans l’enclave kurde d’Afrin.</p>
<p>Les trois espaces kurdes étudiés fonctionnent au sein d’économies politiques profondément différentes, mais toutes marquées par une compénétration très forte du politique et de l’économique. Ainsi, les partis dans le nord de l’Irak bénéficient d’une économie rentière où les revenus du pétrole sont déterminants, notamment pour le PDK, et ils contrôlent l’accès aux ressources publiques (emploi public, logement, bourses dans l’enseignement, etc.).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=909&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=909&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=909&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1142&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1142&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560785/original/file-20231121-21-5ortev.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1142&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Cet extrait est issu de « Le Gouvernement des Kurdes. Gouvernement partisan et ordres sociaux alternatifs », sous la direction de Gilles Dorronsoro, qui vient de paraître aux éditions Karthala.</span>
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<p>Par ailleurs, le cas du Rojava montre l’installation par le PYD d’une économie de guerre qui permet de financer le PKK dans sa lutte sur d’autres espaces (Irak et surtout Turquie). En Turquie, le mouvement kurde légal a cherché ces dernières années à créer les conditions de l’émergence d’un champ économique kurde, mais le projet apoïste a échoué en raison de la répression et, surtout, de l’impossibilité d’autonomiser une économie fortement capitalisée et totalement intégrée dans l’espace national (voir Nicolas Ressler-Fessy dans ce volume).</p>
<p>Le répertoire d’action et le projet politique des partis kurdes sont directement affectés par le contexte international. Tout d’abord, la phase actuelle (depuis 1991) se caractérise par une double action des mouvements kurdes à l’international : mobiliser pour obtenir des soutiens et mimer l’État en reprenant les formes canoniques de la diplomatie (rencontres au sommet, équipes de négociation). Si le PDK multiplie les signes symboliques de la construction d’une représentation paraétatique à l’étranger à partir du GRK – sans, par ailleurs, disposer de soutiens militants significatifs –, l’action du PKK est, elle, marquée par la coexistence d’un double régime, militant et diplomatique.</p>
<p>L’action transnationale de soutien (via le PKK en Europe) mobilise les militants d’extrême gauche autour d’un discours révolutionnaire, mais, en parallèle, le parti s’affiche comme un interlocuteur des États-Unis sans pour autant qu’il n’y ait de perspective de reconnaissance politique d’un parti listé comme terroriste par les puissances occidentales (Haenni & Legrand dans ce volume).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218069/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gilles Dorronsoro ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si les Kurdes n’ont pas su, à ce jour, obtenir un État indépendant et souverain, ils ont tout de même su instaurer dans certaines zones de nouvelles institutions et des ordres sociaux alternatifs.Gilles Dorronsoro, Professeur de science politique, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2063662023-05-25T16:48:57Z2023-05-25T16:48:57ZLes Turcs de l’étranger, un électorat acquis à Erdogan ?<p>Les résultats des élections législatives et du premier tour de la présidentielle turque de ce 14 mai 2023 ont été accueillis avec une certaine surprise par les médias français suivant la campagne, dans la mesure où nombre d’entre eux <a href="https://www.tf1info.fr/actualite/election-la-fin-de-l-ere-recep-tayyip-erdogan-une-presidentielle-cruciale-en-turquie-13304/">avaient annoncé</a> dans les jours précédents la fin de <a href="https://www.lopinion.fr/international/election-presidentielle-en-turquie-la-fin-de-lere-erdogan/">« l’ère »</a> ou du <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/turquie/presidentielle-en-turquie-la-fin-du-regne-erdogan_5814086.htm">« règne »</a> de Recep Tayyip <a href="https://theconversation.com/fr/topics/recep-tayyip-erdogan-21581">Erdogan</a>.</p>
<p>Un étonnement qui peut s’expliquer à la fois par les <a href="https://www.courrierinternational.com/article/elections-turquie-une-defaite-d-erdogan-au-premier-tour-n-est-plus-a-exclure">nombreux sondages</a> qui donnaient le président sortant défait par la coalition hétéroclite de six partis ayant fait front commun pour essayer de le faire chuter après 20 ans au pouvoir, mais aussi par une tendance au « wishful thinking » illustrant l’espoir du paysage politico-médiatique français de voir perdre le chef d’État turc.</p>
<p>Par exemple, parmi les Turcs de France amenés à livrer leurs analyses, seuls des opposants au gouvernement sortant ont été <a href="https://www.france.tv/france-5/c-ce-soir/c-ce-soir-saison-3/4840510-erdogan-la-fin-d-une-ere.html">invités à développer leur point de vue sur le sentiment politique national</a>, au détriment des sympathisants du président Erdogan. Un biais qui alimente le discours gouvernemental turc sur les <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/complorama/la-turquie-complotiste-a-l-heure-de-l-election-presidentielle_5842877.html">« complots étrangers » visant à faire chuter le gouvernement</a>, et qui contribue également à invisibiliser le vote des Turcs de France.</p>
<p>Ces derniers, comme la majorité des Turcs installés à l’étranger, sont en effet très majoritairement favorables au parti au pouvoir depuis l’ouverture des urnes dans les consulats de Turquie à l’occasion de l’élection présidentielle de 2014 qui fut la première à sacrer Recep Tayyip Erdogan. Jusqu’alors, le vote des ressortissants turcs n’était possible que depuis les postes-frontières de la Turquie, ce qui limitait bien plus la participation des expatriés.</p>
<h2>Les Turcs de l’étranger, un réservoir de voix pour Erdogan</h2>
<p>Avec 49,52 % des 55 833 000 suffrages exprimés au premier tour, il n’a manqué que 268 000 voix au président sortant pour être réélu dimanche 14 mai pour un troisième mandat présidentiel consécutif.</p>
<p>Or, sur l’ensemble des urnes dépouillées hors des frontières turques, l’actuel chef d’État a rassemblé 57,5 % des suffrages avec 1 047 740 électeurs, pour un taux de participation total des Turcs de l’étranger de seulement 50,73 %, alors que 88,82 % des votants se sont déplacés en Turquie. Une baisse de l’abstention des expatriés pourrait ainsi à elle seule suffire à faire réélire le président lors du second tour.</p>
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<p>Le chef de l’État et son gouvernement sont effectivement plus populaires auprès des ressortissants turcs qu’auprès des électeurs vivant en Turquie, comme l’illustrent les scores obtenus par Recep Tayyip Erdogan dans les quatre pays étrangers où les citoyens turcs sont le plus nombreux.</p>
<p>En Allemagne (avec 65,5 % des suffrages pour 475 593 électeurs), en France (64,8 %, 126 572), aux Pays-Bas (68,4 %, 98 265) et en Belgique (72,3 %, 50 318) il a ainsi à chaque fois obtenu un <a href="https://www.yenisafak.com/secim-cumhurbaskanligi-2023/dunya-secim-sonuclari">score qui aurait suffi à le faire réélire dès le premier tour</a>.</p>
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<p>Un large soutien que l’on retrouve également au niveau local dans la quasi-totalité des <a href="https://www.yenisafak.com/secim-cumhurbaskanligi-2023/yurtdisi-fransa-secim-sonuclari">neuf bureaux de vote installés sur le territoire français</a>, avec des scores plébiscitaires à Clermont-Ferrand (90,9 %), Lyon (86,3 %) et Orléans (85,8 %) ; d’autres larges victoires à Strasbourg (70,9 %), Mulhouse (65,8 %), Nantes (65,7 %) et Bordeaux (57,3 %) ; un résultat plus serré à Paris (51,2 %) et une seule défaite, à Marseille (42,8 % contre 56,3 % pour son principal adversaire, Kemal Kiliçdaroglu).</p>
<p>Ces résultats du candidat Erdoğan en France sont même meilleurs que lors de la présidentielle précédente, en 2018, quand il n’avait remporté « que » <a href="https://www.yenisafak.com/secim-cumhurbaskanligi-2018/yurtdisi-fransa-secim-sonuclari">63,7 % des suffrages dans le pays</a>, ce qui ne l’avait pas empêché d’être réélu dès le premier tour avec 52,6 % des voix sur l’ensemble des votants. En 2014, il avait rassemblé déjà <a href="https://www.memurlar.net/secim/haziran-2018-secim-sonuclari/cb-dunya.html">63,68 % des suffrages</a> dans les bureaux de vote installés sur le territoire français (il avait alors aussi été élu au premier tour, avec 51,79 %).</p>
<h2>Le cas de la France dans le paysage politique turc</h2>
<p>Lors des précédents scrutins, la France avait fait l’objet d’une campagne électorale à part entière, avec la venue de plusieurs personnalités du Parti de la Justice et du Développement) (AKP) au pouvoir. Le chef d’État en personne avait même pris part à de véritables meetings électoraux à Paris en 2010, Lyon en 2014 et <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/turquie-un-meeting-pro-erdogan-a-metz-fait-polemique_2094869.html9">Metz en 2017</a>.</p>
<p>Des rassemblements comparables ont également eu lieu à l’instigation des partis de l’opposition, comme le Parti démocratique des Peuples (HDP), dont certains députés et autres représentants sont participé à des débats citoyens en France, notamment <a href="https://www.kedistan.net/2018/05/28/meeting-marseille-garo-paylan/">à Marseille en 2018</a> à l’invitation d’associations arméniennes et kurdes locales. La spécificité du bassin électoral marseillais, plutôt favorable aux candidats anti-Erdoğan en 2023 comme en 2018 et 2014 – quand le président fut chaque fois au coude à coude avec le candidat du HDP, <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20210528-turquie-l-opposant-kurde-selahattin-demirtas-de-nouveau-condamn%C3%A9">Selahattin Demirtas, désormais emprisonné en Turquie</a> –, s’explique par <a href="https://www.researchgate.net/publication/346786184_Le_developpement_transnational_de_la_cause_kurde_etude_du_foyer_d%E2%80%99implantation_militante_en_region_marseillaise">l’implantation ancienne de réseaux kurdes et d’une importante diaspora arménienne</a> opposés aux gouvernements turcs successifs.</p>
<p>L’électorat turc présent sur le reste du territoire français est surtout constitué de personnes arrivées à la suite de la signature d’un <a href="https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1973_num_28_2_15411">accord d’envoi de main-d’œuvre signé avec la Turquie en 1965</a>, en grande partie issues des régions rurales de l’Anatolie, majoritairement acquises à l’AKP et à Erdoğan. De plus, cette population d’émigrés économiques et de leurs descendants est depuis longtemps particulièrement <a href="https://www.researchgate.net/publication/346786034_Les_Turcs_de_l%E2%80%99etranger_au_coeur_de_la_strategie_d%E2%80%99influence_internationale_d%E2%80%99Erdogan_etude_du_cas_franco-europeen">courtisée par les organisations de l’islam politique turc transnational</a>, dont le président turc est issu. Elle est aussi souvent ciblée par les discours nationalistes visant à renforcer les liens de la Turquie avec ses ressortissants résidant au-delà de ses frontières.</p>
<h2>Une exportation des dérives du système électoral turc</h2>
<p>L’une des principales réussites politiques du chef de l’État turc – en tant que premier ministre puis président, depuis 2003 – est justement d’avoir consolidé la synthèse entre l’islamisme et le nationalisme, comme l’illustre la coalition gouvernementale qu’il a formée avec le Parti d’Action nationaliste (MHP, extrême droite d’inspiration fasciste) depuis les élections de 2018. Ce parti qui va lui permettre à nouveau de former un gouvernement de coalition majoritaire à la suite des élections législatives de cette année avec ses 50 députés, est également l’organisation mère de la mouvance des « Loups gris ».</p>
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<p>Les « Loups gris » désignent une milice rassemblant de jeunes militants du parti qui a été, en France, officiellement <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/11/02/le-gouvernement-annonce-la-dissolution-des-loups-gris-mouvement-ultranationaliste-turc_6058211_823448.html">dissoute par un décret du Conseil des ministres en 2020</a>, suite à des manifestations violentes contre la communauté arménienne de Décines. De nouvelles violences ont eu lieu cette année dans cette même ville de l’agglomération lyonnaise dans le cadre des élections turques, puisque des assesseurs censés garantir le bon déroulé du scrutin et issus du Parti de la Gauche Verte (YSP) <a href="https://www.lepoint.fr/societe/presidentielle-en-turquie-des-opposants-d-erdogan-agresses-pres-de-lyon-12-05-2023-2519875_23.php">ont été agressés</a> lors de la fermeture du bureau de vote installé dans la commune pour les électeurs turcs de la région de Lyon.</p>
<p>La tenue même du scrutin dans des locaux d’ordinaire utilisés par l’organe consulaire du ministère des Affaires religieuses turques – l’Union des Affaires culturelles turco-islamiques (DITIB, <em>Diyanet İşleri Türk İslam Birliği</em>) de Lyon – <a href="https://www.leprogres.fr/politique/2023/05/11/elections-turques-la-deputee-tanzilli-saisit-le-procureur">pose par ailleurs question</a>, dans la mesure où la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043964778">loi contre le séparatisme</a> votée le 24 août 2021 en France interdit justement d’organiser des élections dans des bâtiments « servant habituellement à l’exercice du culte ou utilisés par une association cultuelle ». Or la Turquie est officiellement un État laïc au même titre que la France, bien que les <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/france-turquie-deux-laicites-que-tout-oppose_2137862.html">deux conceptions nationales de cette notion de laïcité soient profondément différentes</a>.</p>
<p>Reste qu’il peut demeurer gênant pour une partie de l’électorat turc lyonnais de se rendre dans un lieu associé à la pratique de l’islam sunnite, notamment dans la mesure où le principal opposant au président Erdoğan lors de cette élection a lui-même <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/05/10/elections-en-turquie-en-se-revendiquant-alevi-kemal-kilicdaroglu-a-brise-un-tabou_6172737_3232.html">proclamé son appartenance au mouvement religieux alévi</a>. Un culte traditionnellement marginalisé par l’organe gouvernemental responsable des affaires religieuses en Turquie comme à l’étranger, et qui est justement accusé d’être propriétaire des lieux dans lesquels a été organisé le vote des ressortissants turcs habitant dans la région de Lyon.</p>
<h2>Une polarisation croissante</h2>
<p>Cette transposition de la polarisation de plus en plus profonde du système politique turc s’observe dans cet exemple lyonnais mais aussi à Marseille, où des affrontements ont <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/presidentielle-en-turquie-une-bagarre-a-l-arme-blanche-dans-un-bureau-de-vote-a-marseille-2764382.html">également eu lieu à proximité du bureau de vote des Turcs de la région lors de ces élections</a>, ou encore en Allemagne, près de Stuttgart, où une dispute apparemment liée à ce même scrutin aurait fait <a href="https://tr.euronews.com/2023/05/11/almanyada-secim-kavgasi-iddiasi-mercedes-fabrikasinda-2-turk-isci-oldu">deux morts parmi des ouvriers turcs</a>.</p>
<p>Le comportement électoral des Turcs de l’étranger illustre ainsi l’évolution politique de la Turquie, dans la mesure où la persistance du soutien des expatriés au gouvernement actuel et au chef de l’État reflète leur popularité constante auprès d’une large base militante… mais aussi l’intégration de la synthèse idéologique islamo-nationaliste gouvernementale et de la rhétorique agressive qui l’accompagne par cet électorat qui n’hésite plus, dès lors, à s’en prendre directement à ses opposants, à l’étranger autant comme en Turquie. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206366/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rémi Carcélès bénéficie d'une bourse doctorale financée par l'Université d'Aix-Marseille ainsi que de fonds alloués par l'Institut des Hautes Études du Ministère de l'Intérieur (IHEMI), dans le cadre de son travail de recherche - portant sur "la transposition des conflits nationaux en contexte migratoire par l'étude des militantismes turcs, kurdes et arméniens en France" - il est notamment amené à côtoyer régulièrement des associations militantes turques pouvant être en lien avec des organisations mentionnées dans cet article.</span></em></p>Recep Tayyip Erdogan et son parti obtiennent de bien meilleurs scores auprès des Turcs installés en Europe occidentale qu’en Turquie même. Les élections de mai 2023 l’ont encore confirmé.Rémi Carcélès, Doctorant en science politique, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2023802023-03-27T16:51:24Z2023-03-27T16:51:24ZDerrière le cas de Pinar Selek, la recherche en danger en Turquie et ailleurs dans le monde<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/517861/original/file-20230328-452-k14h7p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C1917%2C1063&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pinar Selek pendant une conférence à Paris en 2010.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pinar_selek.jpg">Streetpepper/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Le combat de Pinar Selek se poursuit : réunie le 31 mars 2023, peu avant l'élection présidentielle de mai 2023, la cour d’assises d’Istanbul avait décidé de reporter l’audience au 29 septembre prochain et <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230331-pinar-selek-cible-d-une-traque-judiciaire-en-turquie-nous-luttons-de-fa%C3%A7on-tr%C3%A8s-d%C3%A9termin%C3%A9e">confirmé le mandat d’arrêt</a> émis contre cette citoyenne française, l’entravant dans sa liberté de circuler et, de fait, dans sa liberté de recherche et d’enseignement.</em></p>
<p><em>Pınar Selek n’est malheureusement pas la seule à être menacée par le pouvoir turc. Son combat pour obtenir justice, qui se poursuit depuis plus de 25 ans, est plus que jamais emblématique des risques qui pèsent sur la liberté académique dans son pays d'origine et ailleurs aussi. Universitaires, étudiants, personnalités du monde littéraire, avocats, juristes, élus, journalistes, militants de tous pays continuent à lui apporter <a href="https://pinarselek.fr/actualites/26-27-29-septembre-2023/">un soutien sans faille</a> auquel il est toujours <a href="https://www.helloasso.com/associations/karinca/formulaires/1">possible de contribuer</a>. Nous vous proposons de relire cet article que ses collègues lui avaient consacré peu avant l’audience du 31 mars 2023.</em></p>
<p>Ce 29 septembre 2023 se tiendra à Istanbul le procès contre <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2018-2-page-5.htm">Pinar Selek</a>, sociologue, écrivaine, militante féministe, antimilitariste et pacifiste, exilée en France depuis fin 2011 et qui risque la prison à vie en Turquie.</p>
<p>Elle subit depuis 25 ans une <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-persecution-sans-fin-de-pinar-selek-refugiee-en-france-16-01-2023-2504973_24.php">persécution judiciaire constante de la part du pouvoir turc</a>. La moitié d’une vie. Motif : son refus de révéler l’identité des personnes qu’elle a interrogées lors d’une enquête qu’elle a conduite sur les mouvements kurdes.</p>
<p>Arrêtée en juillet 1998, elle est <a href="https://www.dailymotion.com/video/xgmcli">torturée</a> et emprisonnée pendant plus de deux années. Elle apprend en prison qu’elle est accusée d’avoir déposé une bombe qui aurait explosé sur le marché aux épices d’Istanbul, faisant 7 morts et 121 blessés.</p>
<p>Libérée fin décembre 2000, elle est acquittée en 2006, en 2008, en 2011 et en 2014, les expertises ayant toutes montré que ce drame était dû à l’explosion accidentelle d’une bouteille de gaz. Bien que la justice turque l’ait blanchie à quatre reprises, le procureur a déposé un recours après chaque acquittement. Après un silence de près de neuf années, la Cour suprême de Turquie a annoncé l’annulation de son dernier acquittement et donc ce nouveau procès, qui se déroulera en son absence.</p>
<p>Avant même l’audience du 31 mars, Pinar Selek fait l’objet d’un <a href="https://www.lalsace.fr/faits-divers-justice/2023/01/16/mandat-d-arret-international-contre-pinar-selek-une-farce-judiciaire">mandat d’arrêt international</a> en vue de son emprisonnement immédiat en Turquie. Difficile de ne pas lier le « réveil » de la justice turque, neuf ans après le dernier acquittement de la chercheuse, au fait que l’année 2023 sera cruciale pour la Turquie, en raison des élections présidentielles et législatives prévues en mai et de la célébration du centenaire de la République turque.</p>
<p>Au-delà du sort personnel de Pinar Selek, cet épisode est révélateur de la répression dont les universitaires font l’objet en Turquie depuis des années et qui s’est encore intensifiée après la tentative de coup d’État de 2016.</p>
<h2>La liberté scientifique en danger</h2>
<p>« Je ne lâcherai rien », promet la <a href="https://www.liberation.fr/portraits/pinar-selek-la-chercheuse-recherchee-20220728_3EG5AYRYKBBXVFPMCMSE54UOCY/">« chercheuse recherchée »</a> pour <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2013/01/30/que-la-turquie-cesse-de-harceler-pinar-selek_1824500_3232.html">« crime de sociologie »</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=686&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=686&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=686&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=862&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=862&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=862&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Image pour le Comité de soutien à Pinar Selek, Pays basque. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://blogs.mediapart.fr/fred-sochard/blog/080323/justice-pour-pinar-selek">Fred Sochard</a>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Depuis son arrivée en France en 2011, elle a soutenu une <a href="https://www.theses.fr/164430822">thèse de doctorat</a> en sciences politiques à l’Université de Strasbourg, <a href="https://www.cairn.info/publications-de-Pinar-Selek--140498.htm">publié de nombreux travaux scientifiques</a> et enseigne à l’Université Côte d’Azur depuis 2016. Après l’aide du Programme national d’accueil en urgence des scientifiques et des artistes en exil <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/programme-PAUSE">(PAUSE)</a> les deux premières années, l’Université Côte d’Azur a créé pour elle un poste pérenne d’enseignante-chercheure en 2022.</p>
<p>À travers elle, c’est aussi la liberté académique qui est en jeu. Les présidences des universités Côte d’Azur et de Strasbourg, ainsi que de nombreux laboratoires de recherche et d’autres instances universitaires et scientifiques ont <a href="https://pinarselek.fr/actualites/soutien-a-pinar-selek-la-mobilisation-sorganise/">publiquement pris position</a> en sa faveur. Des collectifs de soutien universitaires, étudiants et militants se sont également constitués. Elle a été nommée <a href="https://sociologuesdusuperieur.org/cat/pinarselek">présidente d’honneur de l’Association des Sociologues de l’Enseignement Supérieur</a>. Une délégation de <a href="https://pinarselek.fr/actualites/une-centaine-deuropeen%c2%b7nes-convergeront-a-istanbul-le-31-mars-prochain-au-proces-de-pinar-selek/">près d’une centaine de représentants français et étrangers</a> des mondes civils, associatifs, culturels, artistiques, politiques, juridiques, scientifiques, universitaires et étudiants se rendront à Istanbul pour assister à son procès, exiger la vérité et demander officiellement que justice lui soit rendue.</p>
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<p>Engagée dans un mouvement d’ouverture des sciences sociales sur la société et de critique des postures scientistes au service de l’ordre établi, Pinar Selek est une « scientifique en danger ». Même si elle a obtenu la nationalité française en 2017, elle continue à subir la violence politique d’un régime autoritaire qui s’attaque à <a href="https://theconversation.com/la-liberte-scientifique-en-danger-sur-les-cinq-continents-130624">l’autonomie du monde académique</a> – un phénomène dont la Turquie n’a pas le monopole. Nombre d’<a href="https://www.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/les-chercheurs-etrangers-en-danger-ont-besoin-de-pause">universitaires</a> irakiens, syriens, afghans, égyptiens, turcs, iraniens et tant d’autres payent un <a href="https://theconversation.com/pourquoi-le-combat-de-fariba-adelkhah-est-le-combat-de-tous-139892">lourd tribut à la répression d’État</a>.</p>
<h2>Une situation qui s’est envenimée en Turquie depuis 2016</h2>
<p>La situation de Pinar Selek reflète la montée de l’autoritarisme en Turquie, particulièrement sensible depuis le renforcement des pouvoirs présidentiels consécutif au <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2017/04/16/le-premier-ministre-turc-proclame-la-victoire-du-oui-au-referendum-constitutionnel_5112199_3210.html">référendum d’avril 2017</a>.</p>
<p>Suite à la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-reportage-de-la-redaction/retour-sur-le-putsch-rate-de-2016-en-turquie-4604024">tentative de coup d’État du 15 juillet 2016</a> au cours de laquelle des centaines de civils, de soldats, de policiers ont perdu la vie, un grand nombre d’universitaires ont été <a href="https://laviedesidees.fr/La-chasse-aux-intellectuels-en-Turquie.html">désignés comme cibles par le président de la République, Recep Tayyip Erdoğan</a>. Les signataires de la <a href="https://mouvements.info/des-universitaires-pour-la-paix-en-turquie/">pétition des universitaires pour la paix</a> ont été accusés de terrorisme, victimes d’ostracisme professionnel, de poursuites judiciaires et de lynchage médiatique.</p>
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<p>Parmi eux, <a href="https://barisicinakademisyenler.net/node/314">549</a> universitaires ont été forcés de démissionner ou de prendre leur retraite, licenciés, révoqués et bannis de la fonction publique en vertu des décrets-lois. Le cas des <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2022/06/turkiye-free-the-gezi-7/">« sept de Gezi »</a> est emblématique de la répression massive des droits humains dans le pays. Parmi eux, l’éditeur et mécène Osman Kavala, emprisonné en 2017, a été condamné à la prison à vie pour avoir organisé et financé les manifestations de Gezi en 2013, sans possibilité de libération conditionnelle <a href="https://www.ldh-france.org/la-turquie-doit-liberer-sans-delai-osman-kavala/">après avoir été injustement reconnu coupable de tentative de coup d’État</a>. Même s’il y a eu une décision de la Cour constitutionnelle turque le 26 juillet 2019 les acquittant, ces universitaires ont perdu leur emploi et ont été victimes de harcèlement dans leur milieu professionnel. De plus, l’<a href="https://science-societe.fr/soutien-aux-universitaires-turcs-pour-la-paix/">Agence nationale de recherche turque</a> bloque leurs publications. Les accusations pour terrorisme continuent, en particulier en lien avec la question kurde. Ainsi, en octobre 2021, l’écrivaine Meral Simsek est condamnée à un an et trois mois d’emprisonnement pour <a href="https://actualitte.com/article/107920/international/turquie-l-autrice-et-editrice-kurde-meral-simsek-condamnee-en-appel">« propagande en faveur d’une organisation terroriste »</a>.</p>
<p>Les menaces pèsent également sur des chercheurs installés en France. En 2019, le mathématicien <a href="https://aoc.media/entretien/2019/11/15/tuna-altinel-mon-proces-na-aucune-raison-detre/">Tuna Altinel</a>, enseignant-chercheur à l’Université Lyon 1, accusé de propagande terroriste pour avoir participé, à Villeurbanne, à une réunion publique sur les crimes de guerre de l’armée dans le Sud-Est du pays, a été arrêté en Turquie. Libéré au bout de trois mois, il n’a pu récupérer son passeport et rentrer en France qu’en juin 2021, à l’issue d’une longue bataille <a href="https://blogs.mediapart.fr/amities-kurdes-de-lyon/blog/240522/trois-ans-apres-les-persecutions-contre-tuna-altinel-continuent">qui n’est pas terminée à ce jour</a>.</p>
<p>Des centaines d’arrestations abusives, des acquittements prononcés – le plus souvent annulés en appel par la Cour de cassation –, des affaires rejugées malgré les recommandations de la <a href="https://www.coe.int/fr/web/commissioner/country-monitoring/turkey">Cour européenne des droits de l’homme</a>, émaillent ce sombre tableau. Mais les nombreuses épreuves auxquelles chercheurs et chercheuses ont dû faire face ont renforcé leur solidarité, ainsi qu’en témoignent leurs récits rassemblés dans le <a href="https://www.amnesty.be/evenement/projection-debat-documentaire-living-truth-eylem">documentaire <em>Living in truth</em></a> d’Eylem Sen.</p>
<h2>Au nom de l’inconditionnalité de la liberté d’expression des chercheurs</h2>
<p>« En condamnant Pinar Selek, c’est à l’indépendance de la recherche en sciences sociales que s’attaque le gouvernement turc », titre une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/07/12/en-condamnant-pinar-selek-c-est-a-l-independance-de-la-recherche-en-sciences-sociales-que-s-attaque-le-gouvernement-turc_6134424_3232.html">tribune</a> d’un collectif d’universitaires parue dans <em>Le Monde</em> en juillet 2022. Le combat de Pinar Selek nous rappelle la vulnérabilité des chercheurs et chercheuses face aux attaques qu’ils et elles subissent dans de nombreux pays.</p>
<p>Les conférences et déclarations internationales réaffirment régulièrement la protection des libertés académiques, mais le maintien de celles-ci nécessite des combats permanents de la <a href="https://contrelarepressionenturquie.wordpress.com/">communauté universitaire</a> et elles ne sont, de fait, <a href="https://www.cairn.info/liberte-de-la-recherche--9782841749485-page-71.htm">jamais pérennes</a> : les étudiants, professeurs et chercheurs sont toujours au mieux suspectés ou menacés ; au pire arrêtés, torturés et tués, quand s’installent des pouvoirs forts auxquels ils refusent de se soumettre.</p>
<p>« Militante de la poésie », comme elle aime à se définir, Pinar Selek, qui est aussi l’autrice de romans et de contes pour enfants, fait l’objet d’une violence politique qui ne pourra être combattue que par la dénonciation et l’annulation de sa condamnation à perpétuité. Son combat sans relâche contre les injustices, les oppressions, les atteintes à la liberté académique aujourd’hui fragilisée en de <a href="https://academia.hypotheses.org/30191">nombreux endroits du monde</a>, illustre celui de tous les scientifiques menacés <a href="https://theconversation.com/la-liberte-academique-aux-prises-avec-de-nouvelles-menaces-171682">dans les pays autoritaires, mais aussi dans les démocraties</a>. Notre solidarité avec elle constitue plus qu’un devoir moral. Elle s’inscrit dans une lutte partagée au service de la liberté de la recherche et de l’exercice d’une citoyenneté qui doit plus que jamais s’affirmer comme <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/25/face-a-l-acharnement-du-pouvoir-turc-contre-la-sociologue-pinar-selek-les-pays-europeens-doivent-cesser-de-regarder-ailleurs_6166957_3232.html">transnationale</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202380/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valérie Erlich est membre du Comité de soutien Université Côte d'Azur à Pinar Selek</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Fanny Jedlicki est présidente de l'ASES. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pascale Laborier a reçu des financements de l'Institut Convergence Migrations .
Elle est membre du comité de parrainage du programme PAUSE</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sylvie Monchatre est membre du collectif lyonnais de solidarité avec Pinar Selek</span></em></p>La sociologue turque Pinar Selek, réfugiée en France, est persécutée dans son pays depuis 25 ans. Son cas est emblématique des répressions visant les universitaires en Turquie – et ailleurs.Valérie Erlich, Maîtresse de conférences de sociologie, URMIS (Unité de recherche Migrations et Société), CNRS, IRD, Université Côte d’AzurFanny Jedlicki, Maîtresse de conférences de sociologie, Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Innovations Sociétales (LIRIS), Université Rennes 2Pascale Laborier, Professeure de science politique, Institut des sciences sociales du politique (ISP), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresSylvie Monchatre, Professeure de sociologie, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2008652023-03-21T00:08:46Z2023-03-21T00:08:46ZVingt ans après l’invasion américaine, l’Irak peut-il enfin connaître une paix durable ?<p><em>Il y a 20 ans, le 20 mars 2003, démarrait l’invasion de l’Irak par les États-Unis. Ce ne fut ni la première ni la dernière guerre à ravager cet État né en 1921. Dans <a href="http://www.lecavalierbleu.com/livre/lirak-dela-toutes-guerres-2/">« L’Irak par-delà toutes les guerres »</a>, paru le 16 février 2023 aux éditions Le Cavalier Bleu, Myriam Benraad, politologue spécialiste du Moyen-Orient, professeure à l’Université internationale Schiller et chercheure associée à l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (IREMAM), revient à la fois sur les décennies ayant précédé cette invasion et sur les années suivantes, marquées par la guerre civile, l’émergence de l’État islamique et, après la défaite de celui-ci, la difficile recherche d’un système politique susceptible d’empêcher le pays de basculer à nouveau dans un cycle d’extrême violence.</em></p>
<hr>
<p>Depuis l’offensive aussi spectaculaire que meurtrière de l’État islamique en 2014, puis la <a href="https://www.reuters.com/article/irak-ei-idFRKBN1E30DA-OFRTP">défaite du groupe jihadiste sous les assauts de la coalition internationale</a> entre 2017 et 2018, l’Irak continue d’occuper les feux d’une actualité aussi instable que cruelle. De fait, le pays meurtri par plusieurs décennies de conflits successifs, de même que par la <a href="https://www.undp.org/iraq/publications/impact-Covid-19-iraqi-economy">crise sanitaire provoquée par le Covid-19</a> sur une période plus récente, reste prisonnier d’une violence incessante et, il faut le reconnaître, difficilement déchiffrable si l’on se place du point de vue de l’observateur profane. Les Irakiens ont rejoint la catégorie de ces peuples broyés par les aléas d’un présent incertain et d’une guerre multiforme dont personne n’entrevoit véritablement la fin, bridant tout effort de prospective sur le long terme et toute explication satisfaisante des ressorts et dynamiques de la violence qui, ci et là, continue d’éclater.</p>
<p>Parallèlement à d’autres configurations sanglantes au Moyen-Orient, l’Irak continue ainsi de jouer sa partition malheureuse sur un échiquier régional et international toujours plus dense, complexe et agité. Or, si la période post-baasiste s’est singularisée par des degrés extrêmes de brutalité, il ne faut pas perdre de vue que l’Irak a connu beaucoup d’autres phases de conflictualité. La notion même de « violence » – comprise comme le résultat de l’éclatement d’un système social donné ou d’une fragilisation des normes de fonctionnement et des valeurs d’un groupe – n’a cessé de marquer toute l’histoire irakienne, Bagdad renvoyant encore de nos jours l’image d’une coercition absolue, quasi banalisée. La crise profonde amorcée au printemps 2003 fait en réalité suite à des décennies de déchirures dont on observe encore les conséquences funestes. Le <a href="https://www.senat.fr/questions/base/1998/qSEQ980709504.html">régime des sanctions imposé par les Nations unies à l’Irak dans les années 1990</a> fut, par exemple, l’un des plus sévères jamais infligés à un État dans toute l’histoire moderne, précédé par la guerre du Golfe (1990-1991) et la longue confrontation avec l’Iran (1980-1988).</p>
<p>L’exercice rétrospectif auquel on se laisse prendre n’en présente pas moins certaines limites. De fait, si des points de continuité lient indiscutablement la période d’occupation (2003-2011) et ses lendemains meurtriers (2011-2022) à d’autres épisodes douloureux de la trajectoire irakienne, chacune de ces phases est caractérisée par ses spécificités et logiques propres.</p>
<p>Au-delà de l’image d’Épinal à laquelle l’Irak renvoie souvent, celle d’un pays plongé dans les affres d’une violence omniprésente et continuelle, son histoire ne saurait se résumer à ce seul continuum. Avant de sombrer dans le chaos, l’Irak fut en effet l’épicentre d’une vie intellectuelle et politique vibrante. Durant des décennies, une société civile s’y est développée et celle-ci n’a d’ailleurs jamais disparu ; au contraire, défiant l’adversité, elle tente aujourd’hui de se reconstituer, comme ont pu l’illustrer les <a href="https://www.france24.com/fr/20191101-irak-sistani-mahdi-contestation-populaire-entree-deuxieme-mois">manifestations populaires de 2019</a>.</p>
<p>À partir des années 1920, l’Irak s’est doté des institutions réputées parmi les plus sophistiquées au Moyen-Orient, renfermant d’importants espaces d’expression autonome. Le pays a vu l’éclosion de multiples mouvements sociaux, tantôt tolérés, tantôt réprimés, mais qui dans l’ensemble ont bénéficié d’une réelle indépendance et produit un authentique sens contestataire parmi les civils. L’une des marques de ces mouvements a d’ailleurs toujours été leur sociologie plurielle, regroupant toutes les composantes ethniques et religieuses irakiennes autour d’idéaux et de revendications partagés.</p>
<p>On peut considérer que l’Irak a traversé trois séquences historiques décisives, qui ont profondément façonné son destin et son identité. La première renvoie à la <a href="https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/adel-bakawan-cent-ans-lirak-un-etat-nation.">fondation du pays en 1921</a>. À l’époque, l’Irak, dont le nom remonte à l’Antiquité, est un État embryonnaire, faiblement structuré et au corps social fragmenté.</p>
<p>Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les Britanniques ont reçu un mandat pour administrer les trois provinces ottomanes de Bagdad, Mossoul et Bassora, qu’ils décident de réunir au sein d’une même entité géographique tout en instaurant une monarchie placée sous la coupe d’un roi étranger. Mais la construction nationale irakienne ne va pas de soi. De fait, le pays est marqué par une importante diversité sociologique. Le poids des particularismes qui l’habitent est d’autant plus fort que la stratégie coloniale privilégie le monarque et Bagdad au détriment des périphéries, ou <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2007-1-page-17.htm">« marges dissidentes »</a> pour reprendre une expression proposée par l’historien Hamit Bozarslan. Chiites et Kurdes, mais aussi les classes les plus pauvres, s’opposent au pouvoir central. De même, au-delà des allégeances communautaires, une tension oppose les technocrates et la bourgeoisie commerçante et urbaine à un petit peuple des campagnes dépossédé et soustrait à l’autorité étatique.</p>
<p>Or, à mesure que s’accentuent l’exode rural et l’urbanisation, les Irakiens développent de nouveaux liens et un sentiment d’appartenance commune, notamment par l’entremise d’un système éducatif moderne. De manière inattendue, ils se réapproprient cet État national établi par la puissance coloniale. Cette (re)conquête s’opère précisément au nom du nationalisme qui se déploie et s’exprime lors d’importants soulèvements. <a href="https://books.openedition.org/editionscnrs/1454?lang=fr">En 1920 a ainsi lieu la Grande Révolution irakienne</a> qui mobilise toute la population contre la Couronne et porte en germe une nouvelle nation. <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/irak-declaration-1932.htm">En 1932, le pays accède formellement à l’indépendance</a>, certes relative car elle n’efface pas l’ampleur des divisions, y compris parmi des nationalistes écartelés entre une vision panarabe de la lutte et une tendance irakienne qui promeut une nation contenue au sein de ses frontières. La montée des inégalités et la multiplication des troubles conduit <a href="https://www.monarchiesetdynastiesdumonde.com/pages/actualites-des-monarchies-du-monde/moyen-orient/irak/le-14-juillet-1958-le-rideau-s-abaissait-sur-la-monarchie-irakienne.html">au renversement, en juillet 1958, de la monarchie</a> par un groupe d’officiers de l’armée qui proclament la République d’Irak et instaurent un régime militaire. Les réformes sociales alors mises en œuvre se révèlent un échec en aboutissant à une série de putschs. Le parti Baas fomente un coup d’État en 1963 qui culmine avec une première prise de pouvoir, puis un second en 1968 qui place Saddam Hussein au sommet de l’État.</p>
<p>S’ouvre dès lors une deuxième séquence de recomposition de l’Irak à travers l’avènement d’une domination extrême, pour ne pas dire totalitaire. Continuellement amoindrie, la société irakienne tente, par divers moyens – de l’opposition clandestine à la passivité désenchantée –, de survivre face à un État-Léviathan de plus en plus écrasant, qui n’a plus rien de comparable avec celui qui avait été créé par les Britanniques quelques décennies plus tôt.</p>
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<p>À l’encontre des rêves nourris par les premières générations de nationalistes, la recherche d’un consensus identitaire a fini par produire un système tyrannique, et non plus le modèle d’une nation triomphante comme Saddam Hussein aspire à la présenter. Au contraire, le régime lance une répression systématique contre toute forme d’opposition, réelle comme imaginée, y compris dans les rangs du parti, régulièrement purgés. Le discours révolutionnaire officiel sert dans les faits à liquider toute dissidence. Parmi ses adversaires se trouvent le Parti communiste, d’une part, et le mouvement indépendantiste kurde, de l’autre, que les baasistes s’emploient à briser par une violente politique d’arabisation.</p>
<p>La mouvance chiite politisée, active dans le sud et dans les quartiers pauvres des villes, est aussi la cible du Baas qui la perçoit comme affidée à l’Iran et à la <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/iran-comment-l-ayatollah-khomeini-a-proclame-la-republique-islamique-d-iran-7900096568">République islamique proclamée en 1979</a>. Pour Saddam Hussein, l’Iran cherche à défaire l’unité nationale de l’Irak en encourageant le confessionnalisme parmi les chiites. Or, sous l’unité déclamée par le dirigeant irakien, devenu « maître des mots », s’esquisse une concentration absolue de l’autorité.</p>
<p>Une troisième séquence est enfin celle au cours de laquelle aux rapports entre le régime et la société se substitue une personnalisation de l’État et son effacement derrière la figure du tyran. Saddam Hussein procède en effet à une destruction des institutions, à laquelle s’ajoutent la guerre contre l’Iran, encore peu étudiée et pourtant fondamentale, et l’échec militaire de l’Irak au Koweït qui exacerbe cette même logique. Proclamant sa victoire face à ses ennemis, internes et externes, le régime finit par récuser ses fondements idéologiques passés au profit d’une véritable prédation visant tout un chacun. <a href="http://www.cms.fss.ulaval.ca/recherche/upload/hei/fichiers/mriessaimichaellessard.pdf">Les années d’embargo qui débutent en 1990</a> et visent à priver le despote irakien de la rente pétrolière et de ses revenus n’affectent pas le régime à proprement dire, mais le figent. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture du livre « L’Irak par-delà toutes les guerres »" src="https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1037&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1037&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1037&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1303&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1303&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/512687/original/file-20230228-2258-mmbci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1303&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu de « L’Irak par-delà toutes les guerres », paru le 16 février 2023 aux éditions Le Cavalier bleu.</span>
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<p>Les sanctions permettent par ailleurs à Saddam Hussein de se présenter comme le dernier rempart du monde arabo-musulman face à l’impérialisme de l’Occident, et c’est dans le sang que les soulèvements <a href="https://www.liberation.fr/planete/1997/05/14/le-sud-de-l-irak-sous-la-terreur-le-pays-chiite-reste-marque-au-fer-rouge-par-la-feroce-repression-d_205717/">chiite</a> et <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/mars-1988-halabja-la-mort-chimique-2346044">kurde</a> sont écrasés. Exsangue, délégitimé et isolé, le régime adopte un discours communautaire et se retire de ses fonctions régaliennes. Les privations endurées par la population s’instituent en dictature de la nécessité que Saddam Hussein exploite pour parfaire son monopole de la violence et se maintenir au pouvoir. Mais l’embargo porte son coup de grâce à l’Irak, avant le chaos final engendré consécutivement par <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2005-1-page-9.htm">l’invasion américaine de 2003</a> puis l’assaut des jihadistes de l’État islamique une décennie plus tard.</p>
<p>L’ensemble de ces développements ont lourdement pesé sur l’Irak et continuent, à l’évidence, d’influer sur son présent. Malgré la reprise en 2017 du fief jihadiste de Mossoul – deuxième ville d’Irak située sur le Tigre et capitale de Ninive – par les forces irakiennes appuyées par la coalition internationale, et au-delà de nouvelles élections, l’Irak demeure dans une situation d’extrême fragilité. Dans un contexte de grande confusion, caractérisée à la fois par une abondance d’informations et une pénurie de sens, l’histoire mérite un détour critique afin de saisir avec nuance et acuité les enjeux auxquels le pays continue de faire face, et plus encore de dépasser les clichés, lieux communs et idées reçues qui restent légion à son sujet. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200865/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Vingt ans après l’offensive américaine, l’Irak demeure un État instable traversé par de fortes tensions.Myriam Benraad, Responsable du Département Relations internationales & Diplomatie / Schiller International University - Professeure / Institut libre d'étude des relations internationales et des sciences politiques (ILERI) - Chercheure associée / IREMAM (CNRS/AMU), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1963722022-12-29T17:42:31Z2022-12-29T17:42:31ZLes Kurdes, victimes indirectes de la guerre en Ukraine<p>La guerre en Ukraine a des répercussions géostratégiques importantes sur le Moyen-Orient et, notamment, sur le dossier kurde.</p>
<p>Cette guerre concentre toute l’attention de la Russie et une grande partie de celle des États-Unis, et rend donc ces deux acteurs moins enclins à s’opposer fermement aux opérations conduites par la Turquie contre le PKK (parti marxiste-léniniste pankurde). En outre, le contexte actuel contribue à créer une convergence objective entre Ankara et Téhéran sur la question kurde.</p>
<h2>Quand Ankara et Téhéran s’en prennent simultanément aux groupes kurdes</h2>
<p>La recherche d’un dialogue entre les puissances occidentales et Téhéran <a href="https://english.alarabiya.net/News/middle-east/2022/10/31/Military-option-is-on-the-table-if-needed-to-prevent-Iranian-nuclear-weapon-Malley">n’est plus à l’ordre du jour</a>.</p>
<p>Les Occidentaux fustigent l’Iran pour son <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20220910-nucl%C3%A9aire-france-allemagne-et-royaume-uni-doutent-s%C3%A9rieusement-des-intentions-de-l-iran">inflexibilité sur le dossier nucléaire</a> et son engagement aux côtés de la Russie en Ukraine, qui s’est matérialisé par la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/l-iran-reconnait-avoir-livre-des-drones-a-la-russie-avant-sa-guerre-contre-l-ukraine-20221105">livraison de drones à Moscou</a>.</p>
<p>De son côté, Téhéran dénonce l’ingérence des puissances occidentales <a href="https://www.plenglish.com/news/2022/09/21/iran-denounces-western-interference-in-its-internal-affairs/">dans ses affaires intérieures</a> (puisque ces puissances critiquent avec véhémence la répression du mouvement de contestation qui traverse le pays depuis le meurtre de la jeune Kurde Mahsa Amini) et le rôle déstabilisateur des États-Unis qui <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/gaillaud_washington_teheran_reconciliation_impossible_2022.pdf">affichent leur soutien à l’opposition iranienne</a> – à savoir les monarchistes, les <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Iran-sont-moudjahidines-peuple-2018-07-03-1200952241">Moujahidines du peuple</a> (comme composante politique identifiée) et aussi les manifestants actuels à l’intérieur du pays.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-la-guerre-en-ukraine-bloque-un-accord-sur-le-nucleaire-iranien-192061">Comment la guerre en Ukraine bloque un accord sur le nucléaire iranien</a>
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<p>Pendant ce temps, la Turquie met à profit le contexte de la guerre en Ukraine, qui lui a permis de <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/turquie-arbitre-guerre-ukraine-2022">renforcer son influence diplomatique</a>, pour mener une offensive militaire en Syrie contre les forces kurdes affiliées au PKK. La branche syrienne du PKK, le Parti de l’union démocratique (PYD), domine les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Forces_d%C3%A9mocratiques_syriennes">Forces démocratiques syriennes</a>, structure militaire hétéroclite composée de plusieurs dizaines de milliers de combattants.</p>
<p>Depuis le 20 novembre, Ankara <a href="https://www.dw.com/en/kurds-in-the-middle-east-why-are-they-under-fire/a-63850573">conduit une suite d’opérations militaires</a> qui ont pris la forme d’une série de raids aériens et de tirs d’artillerie contre les positions en Syrie et en Irak du PKK, tenu pour responsable de <a href="https://www.lexpress.fr/monde/proche-moyen-orient/attentat-a-istanbul-le-spectre-du-terrorisme-de-retour-en-turquie_2183539.html">l’attentat à la bombe qui a fait six morts à Istanbul le 13 novembre</a>. La Turquie prépare ses forces terrestres à un <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1318947/erdogan-envisage-une-operation-terrestre-en-syrie.html">engagement majeur dans le nord de la Syrie</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">La Turquie riposte à l’attentat d’Istanbul en frappant les régions kurdes de Syrie et d’Irak, France 24, 20 novembre 2022.</span></figcaption>
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<p>Téhéran, de son côté, a <a href="http://www.strato-analyse.org/fr/spip.php?article142">frappé les positions militarisées</a> dans le Mont Qandil (non nord-ouest de l’Irak) de plusieurs organisations kurdes – le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI), le Parti pour une Vie Libre au Kurdistan (PJAK, branche iranienne du PKK) et Komala (Organisation autonomiste kurde (de tendance maoïste). Ces groupes sont <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/21/l-iran-mene-de-nouvelles-frappes-au-kurdistan-d-irak_6150818_3210.html">accusés par Téhéran d’attiser les manifestations contre le régime</a> consécutives à la mort de Mahsa Amini.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/iran-quand-la-revolte-des-femmes-accueille-dautres-luttes-192156">Iran : quand la révolte des femmes accueille d’autres luttes</a>
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<p>Ces nouveaux développements démontrent que si, historiquement, la question kurde renvoie à une diversité de réalités et d’intérêts, le sentiment identitaire qui déborde les frontières et la trajectoire de certains mouvements indépendantistes, ainsi que <a href="https://www.institutkurde.org/info/opinion-wesre-americass-most-loyal-ally-in-syria-donst-forget-us-1232552220">leur alliance devenue inextricable avec les États-Unis</a>, fédèrent les deux principaux acteurs régionaux dans leur volonté de neutraliser la « menace intérieure kurde ».</p>
<h2>La passivité américaine</h2>
<p>Voilà près de 40 ans que des épisodes d’affrontements rythment l’histoire conflictuelle entre le PKK, créé en 1978 par Abdullah Öcalan (et inscrit depuis 1997 sur la <a href="https://www.state.gov/foreign-terrorist-organizations">liste américaine des organisations terroristes</a>), et les autorités turques. Le conflit armé, qui débute en <a href="https://rojinfo.com/le-15-ao%C3%BBt-1984-debut-dune-nouvelle-ere-dans-lhistoire-kurde/">1984</a> et atteint son paroxysme <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/conflitkurde">dans les années 1990</a>, est passé par plusieurs phases. Après une période d’accalmie à la fin de l’année 2012, faisant suite à des <a href="https://www.liberation.fr/planete/2013/01/10/kurdes-et-turcs-en-negociations-ouvertes_873047/">négociations entre les autorités turques et le PKK</a>, le conflit s’intensifie de nouveau à partir de 2015.</p>
<p>À la faveur de la guerre en Syrie et des évolutions sur le terrain, le PYD a connu une montée en puissance qui a accru les appréhensions d’Ankara. Pour la Turquie, cette force incarne une menace pesant sur son intégrité territoriale et son unité nationale puisque le projet du PKK (dont le PYD, nous l’avons dit, est la branche syrienne) est de créer un État kurde en séparant le Kurdistan de Turquie du reste du pays.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2017/06/25/le-vrai-visage-des-liberateurs-de-rakka/">Fer de lance de la lutte contre le groupe État islamique</a>, le PYD est soutenu par les États-Unis, même si ceux-ci cherchent dans le même temps à ménager leur allié stratégique turc. Pour ne pas heurter la Turquie et appuyer de manière directe le PYD, Washington a favorisé la création des <a href="https://rojinfo.com/les-fds-representent-toutes-les-composantes-du-nord-de-la-syrie/">Forces démocratiques syriennes</a> (FDS), une coalition hétéroclite qui reste perçue par Ankara comme une structure-écran dominée par le PKK, et qui contrôle le Nord-Est de la Syrie. Cette alliance fluctuante au gré des contextes et de la redéfinition des priorités américaines est d’abord conçue dans l’intérêt des États-Unis.</p>
<p>Les FDS se sont, en effet, retrouvées dans un rapport de dépendance élevé à l’égard de Washington. Plusieurs épisodes du conflit en Syrie ont illustré la faiblesse de la garantie de sécurité américaine, à l’exemple des batailles de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/990063/les-ambiguites-du-triangle-usa-turquie-kurdes-au-coeur-de-loffensive-contre-manbij.html">Manbij en 2016</a> et d’<a href="https://www.nytimes.com/2018/01/23/opinion/turkey-syria-kurds.html">Afrin en 2018</a> où les Kurdes ont été les otages des calculs américains, et traités davantage comme des partenaires circonstanciels que comme des alliés stratégiques.</p>
<p>L’opération militaire lancée par le président turc le 20 novembre pour <a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/turkeysource/the-risks-and-rewards-of-erdogans-next-military-operation/">neutraliser la menace kurde dans les zones syriennes situées le long des frontières méridionales de la Turquie</a> en refoulant les YPG (bras armé du PYD) à près de trente kilomètres de la frontière turque a ravivé les inquiétudes des forces kurdes, qui craignent que la Turquie ne bénéficie une nouvelle fois de la mansuétude de Washington.</p>
<p>Le commandant général des FDS, Mazloum Kobane Abdi, a en effet demandé aux États-Unis d’adopter une <a href="https://www.voanews.com/a/us-backed-kurdish-commander-us-needs-stronger-position-on-turkish-threat-/6855246.html">position plus ferme « face aux menaces turques »</a>. Il a également appelé la Russie – qui avait joué un rôle de médiateur lors de la précédente offensive turque en 2019 et obtenu un accord en vertu duquel l’armée syrienne et des forces russes se sont déployées le long de la frontière – <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20221129-syrie-les-kurdes-exhortent-moscou-%C3%A0-emp%C3%AAcher-une-offensive-terrestre-turque">à faire pression sur la Turquie</a>.</p>
<p>Cette opération militaire de la Turquie pour sécuriser ses zones frontalières est toutefois perçue par les observateurs occidentaux comme s’inscrivant dans un agenda électoral : il s’agit de renforcer la position de l’AKP dans la perspective des prochaines échéances électorales, après sa défaite en 2019 aux élections locales <a href="https://www.aljazeera.com/news/2019/4/2/erdogans-ak-party-loses-major-turkey-cities-in-local-elections">à Izmir, Istanbul et Ankara</a> sur fond de profonde <a href="https://www.courrierinternational.com/article/crise-en-turquie-l-inflation-sur-un-an-atteint-83-un-pic-inedit-depuis-1998">crise économique</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1602006253802242051"}"></div></p>
<p>Mais pour Bayram Balci, directeur de l’Institut français d’Études anatoliennes (IEFA), joint par téléphone, cette offensive militaire ne relève pas uniquement de l’instrumentalisation politique et obéit à un réel souci sécuritaire : « Les considérations de politique intérieure sont très importantes, les autorités turques veulent montrer que les responsables de l’attentat d’Istanbul ne sont pas restés impunis, et probablement également obtenir de meilleures chances de remporter les élections. Mais malgré cela, il y a une réalité dont nombre d’analystes ne veulent pas tenir compte : cette opération revêt un intérêt sécuritaire réel face à la menace que représente pour la Turquie la présence des milices kurdes à sa frontière. »</p>
<p>Bayram Balci estime que si jusque là ni les Russes, ni les Américains ne veulent d’une incursion militaire terrestre de la Turquie en Syrie, ils tolèrent toutefois les bombardements aériens et les tirs d’artillerie dans la mesure où ils « n’ont pas les moyens d’entrer en conflit avec Ankara et ont besoin d’elle dans le conflit en Ukraine ».</p>
<p>Pour Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe à Moscou, contacté également par téléphone, les Russes sont hostiles non pas aux Kurdes en tant que tels mais à leur alliance militaire avec les États-Unis, qui <a href="https://www.justsecurity.org/81313/still-at-war-the-united-states-in-syria/">continuent de garder sous leur contrôle la rive orientale de l’Euphrate</a> : « Moscou a régulièrement critiqué cette présence américaine et appelé les Kurdes à rompre cette alliance. Rien n’indique à ce stade que les FDS vont troquer leur allégeance aux Américains contre un retour dans le giron de Damas. Les Russes ont manifestement poussé pour que les Kurdes évacuent la bande de 30 km attenante à la frontière avec la Turquie dans les zones sous leur contrôle, mais cela n’a rien donné. Maintenant, il est vrai que l’entêtement des Kurdes à privilégier leur alliance avec Washington irrite les Russes. Mais cela ne va pas au-delà. »</p>
<h2>Une nouvelle donne appelée à durer ?</h2>
<p>Du côté de Washington, bien que le <a href="https://apnews.com/article/islamic-state-group-nato-syria-bucharest-turkey-bb1980f532b5a44cbc693897c853d9f1">durcissement de ton à l’égard la Turquie</a> pour tenter de dissuader Recep Tayyip Erdogan de lancer la phase terrestre de l’offensive augure d’un raidissement de la position américaine, les moyens de pression restent limités en raison de l’importance du rôle de la Turquie dans le conflit en Ukraine.</p>
<p>Sur ce dossier, Ankara tient une position ambivalente. D’une part, elle a contribué à l’effort de guerre de ses alliés de l’OTAN. D’autre part, elle <a href="https://www.euronews.com/2022/11/04/hungary-and-turkey-are-the-last-two-roadblocks-to-nato-membership-for-finland-and-sweden">continue de bloquer la tentative de l’OTAN d’accélérer l’adhésion de la Suède et de la Finlande</a> à l’Alliance en dépit des sollicitations américaines. Ankara est l’un des deux seuls pays membres de l’OTAN, avec la Hongrie, à ne pas avoir donné son aval à l’adhésion des pays nordiques. Washington dispose donc de peu de leviers de pression contre la Turquie dans ce contexte.</p>
<p>Quant à l’Iran, s’il n’a pas d’antagonisme majeur avec les FDS en Syrie, et ne semble pas résolument hostile au PKK en Irak, il est aujourd’hui, nous l’avons dit, engagé dans une confrontation militaire avec le PDKI, le PJAK et Komala, considérés parmi les forces motrices du soulèvement actuel contre le régime (soulèvement au moins partiellement imputé à Washington).</p>
<p>Une nouvelle donne s’esquisse donc : la convergence de la Turquie et de l’Iran qui voient désormais les acteurs kurdes comme des auxiliaires d’une stratégie américaine de déstabilisation. Les grandes puissances ayant à fort à faire ailleurs, les Kurdes risquent de ne pouvoir compter que sur leurs propres ressources pour faire face à cette double offensive…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196372/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pendant que l’attention russe et américaine est largement fixée sur l’Ukraine, Ankara et Téhéran s’attaquent aux forces kurdes, en Syrie et à la frontière Irak-Iran.Lina Kennouche, Docteur en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1921562022-10-19T17:08:36Z2022-10-19T17:08:36ZIran : quand la révolte des femmes accueille d’autres luttes<p>Depuis un mois maintenant, les <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20221013-mort-de-mahsa-amini-un-mois-de-manifestations-et-de-r%C3%A9pression-en-iran">manifestations se poursuivent en Iran</a> suite au décès de Mahsa Amini, 22 ans, battue à mort par la police des mœurs le 13 septembre.</p>
<p>Ces protestations, <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/iran/iran-plus-de-100-morts-depuis-le-debut-des-manifestations-et-plus-de-120-arrestations-6866aca2-4a0d-11ed-9784-e9ad79cbd945">sévèrement réprimées par le régime</a>, portaient initialement sur les droits des femmes. Mais, rapidement, d’autres revendications s’y sont ajoutées. Mieux le comprendre nécessite une approche intersectionnelle, car nous assistons à une convergence des luttes sociales derrière la cause des femmes : celle-ci va de pair avec l’apparition d’une nouvelle génération militante, de nouvelles revendications et de nouvelles formes d’action.</p>
<h2>Un soulèvement au nom de la cause des femmes</h2>
<p>Lors de la cérémonie de funérailles de Mahsa Amini, plusieurs femmes auraient ôté leur voile scandant le slogan « Jin Jiyan Azadi » (Femme Vie Liberté) afin de protester contre la loi imposant en toutes circonstances le port du hidjab. Très vite, ce slogan a été repris à travers le pays, notamment dans les universités de <a href="https://observers.france24.com/fr/moyen-orient/20221004-iran-manifestation-femmes-%C3%A9tudiants-r%C3%A9gime-universit%C3%A9-sharif-islam">Téhéran</a>, comme ElmoSanat, et de <a href="https://atalayar.com/fr/content/les-protestations-en-iran-setendent-aux-universites-et-aux-ecoles">Tabriz</a>. Ces manifestations ont suscité une <a href="https://www.20minutes.fr/monde/4003506-20221003-iran-repression-manifestation-prestigieuse-universite">réponse violente du régime</a>.</p>
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<p>Rappelons que l’obligation du hidjab en tant que question religieuse, politique et idéologique peut être considérée comme le <a href="https://theconversation.com/le-controle-du-corps-des-femmes-un-enjeu-fondamental-pour-la-republique-islamique-diran-192157">symbole de la politique répressive et inégalitaire</a> mise en œuvre en Iran dès le lendemain de la révolution de 1979 : les femmes font l’objet depuis plus de quarante ans de nombreuses mesures discriminatoires, qui les privent de nombre de leurs droits fondamentaux comme le droit de choisir leurs propres vêtements, le droit égal au divorce et à la garde des enfants, le droit de voyager à l’étranger, le droit d’être présentes dans certains espaces publics (tels les stades de football ou d’autres types de stades sportifs), le droit d’exercer certains métiers ou des postes clés comme président de la République, juge et plusieurs autres postes militaires et religieux.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-sportives-iraniennes-miroir-dun-pays-en-crise-132222">Les sportives iraniennes, miroir d’un pays en crise</a>
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<p>C’est pourquoi des militantes féministes qualifient l’Iran actuel d’<a href="https://theconversation.com/le-regime-iranien-est-un-apartheid-des-genres-il-faut-le-denoncer-comme-tel-191465">apartheid des genres</a> et dénoncent la <a href="https://women.ncr-iran.org/fr/2019/10/07/la-segregation-sexuelle-jusque-dans-les-creches-en-iran/">« ségrégation sexuelle systématique »</a> qui y a cours.</p>
<p>Ces dénonciations ont été récurrentes – et toujours réprimées – tout au long des plus de quarante-trois ans d’existence de la République islamique. À partir de 2017, on assiste à l’émergence de nouvelles formes de protestation (des protestations individuelles), portées par de nouvelles générations d’activistes féministes, et même à la mobilisation de divers groupes marginalisés et des hommes <a href="https://blogs.mediapart.fr/dornajavan/blog/210922/mahsa-amini-figure-des-luttes-pour-la-cause-des-femmes-en-iran">pour la cause des femmes</a>. Le 27 décembre 2017, Vida Movahed brandit un hidjab blanc, attaché au bout d’un bâton. Son geste a un <a href="https://www.liberation.fr/planete/2018/02/01/les-iraniennes-tombent-le-voile_1626859/">grand impact en Iran</a> et d’autres femmes suivent son exemple dans d’autres villes, jusqu’à aujourd’hui.</p>
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<p>L’une des spécificités du mouvement actuel réside dans le fait qu’aux revendications féministes se mêlent aussi des exigences liées à une autre cause, d’ordre cette fois ethnique.</p>
<h2>La cause ethnique</h2>
<p>L’Iran est un pays pluriethnique dont l’ethnie dominante – c’est-à-dire les Perses, qui occupent plutôt le plateau central du pays – ne représente que 50 % de la population totale. Parmi les <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Nation-et-minorites-en-Iran-face-au-fait-minoritaire-quelle-reponse.html">autres grands groupes ethnolinguistiques</a>, citons les Turcs azerbaïdjanais (entre 20,6 et 24 %), les Kurdes (entre 7 et 10 %), les Arabes (entre 3 et 3,5 %), les Baloutches (entre 2 et 2,7 %), les Turkmènes (entre 0,6 et 2 %) et les Lors (entre 2 % et 8,8 %)…</p>
<p>Des <a href="https://journals.openedition.org/remmm/8438">tensions ethniques importantes</a> existent en Iran au moins depuis le début du XX<sup>e</sup> siècle, quand a été mise en place une politique assimilationniste qui s’est notamment soldée par une répression violente des minorités ethniques des provinces iraniennes d’Azerbaïdjan, du Kurdistan, du Turkménistan, du Khouzistân et du Baloutchistan. Ces violences reprennent après la Seconde Guerre mondiale, avec l’écrasement de la <a href="https://www.cairn.info/identites-et-politique--9782724616354-page-67.htm">République autonome d’Azerbaïdjan (juillet 1945 – décembre 1946)</a> et de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9publique_de_Mahabad">république de Mahabad</a> (janvier 1946–décembre 1946) au Kurdistan.</p>
<p>Après la révolution de 1979, ces tensions ont continué de se manifester, particulièrement <a href="http://www.strato-analyse.org/fr/spip.php?article141">dans la province iranienne d’Azerbaïdjan</a> et au <a href="https://www.rferl.org/a/iran-khuzestan-poverty-separatism-bloody-war-memories/29515269.html">Khouzistân</a>.</p>
<p>C’est dans ce contexte qu’interviennent les événements dont nous sommes aujourd’hui témoins. Après la médiatisation du décès de Mahsa Amini, qui était kurde, les partis d’opposition kurdes ont appelé les villes du Kurdistan iranien à <a href="https://kurdistan-au-feminin.fr/2022/10/12/iran-manifestations-greve-mahsa-amini-jina-amini/">se mettre en grève générale</a>. Un appel qui a été suivi le 17 septembre par les commerçants et les habitants de Saqqez, ville natale de Mahsa Amini, où des centaines de personnes avaient assisté à ses funérailles, et dans certaines petites et grandes villes de la région.</p>
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<p>La minorité azerbaïdjanaise d’Iran a <a href="https://twitter.com/Maenochehr/status/1572532887039385601?s=20&t=hszvdMpS5A_p7vxlr5nhaQ">rejoint le mouvement</a> et soutenu les Kurdes avec le slogan <a href="https://twitter.com/MehdiJalali/status/1572290797810192386?s=20&t=E-7WKf6V4z-qMA1IrvdU2w">« l’Azerbaïdjan s’est réveillé et soutient le Kurdistan »</a>. Ce message de solidarité s’est propagé à d’autres régions et a mobilisé d’autres groupes ethnico-religieux comme les Arabes et les Baloutches.</p>
<p>Ce sont précisément les Baloutches qui ont payé le plus cher leur implication dans cette contestation. Le vendredi 30 septembre, une manifestation pacifique a été organisée par les minorités baloutches à Zahedan, ville de la province du Sistan-Baloutchistan dans le sud-est de l’Iran, en soutien aux Kurdes, mais aussi en protestation contre le viol d’une jeune fille baloutche de 15 ans par un chef de police dans la ville baloutche de Chabahar. La répression a été <a href="https://www.lejsl.com/defense-guerre-conflit/2022/10/06/manifestations-en-iran-que-s-est-il-passe-lors-du-vendredi-sanglant-a-zahedan">d’une immense violence</a> : près de 100 personnes auraient trouvé la mort. Un massacre que le régime justifie par la lutte contre le séparatisme.</p>
<h2>Nouvelles revendications, nouveaux acteurs</h2>
<p>De nouveaux acteurs apparaissent à travers cette révolte, à commencer par une nouvelle génération de militantes féministes avec un nouveau répertoire d’actions et un nouveau discours, et également une nouvelle génération appelée la <a href="https://observers.france24.com/fr/%C3%A9missions/les-observateurs/20221013-iran-la-g%C3%A9n%C3%A9ration-z-au-c%C5%93ur-des-manifestations">« génération Z »</a>, comme des <a href="https://www.marianne.net/monde/proche-orient/manifestations-en-iran-ecolieres-collegiennes-et-lyceennes-rejoignent-le-vent-de-la-revolte">jeunes lycéens ou collégiens</a>.</p>
<p>À partir de la deuxième semaine, des étudiants et lycéens ont commencé à manifester dans les universités, les lycées et collèges en scandant des slogans. Ce qui a poussé les forces de sécurité à attaquer des lycées lors de la quatrième semaine de manifestations. Lors de l’intervention policière du 13 octobre contre le lycée Shahed dans la ville d’Ardebil, au nord du pays, une lycéenne nommée <a href="https://twitter.com/yclaude/status/1581915315000475648">Esra Panahi</a> a été tuée et plusieurs dizaines de lycéennes ont été blessées et <a href="https://iranwire.com/en/politics/108607-schoolgirl-killed-in-custody-in-ardabil/">certaines arrêtées</a>, ce qui a déclenché des manifestations dans les <a href="https://iranwire.com/en/politics/108653-day-29-of-protests-fire-and-blood-from-ardabil-to-evin/">villes d’Ardabil et de Tabriz</a>. Plus de 1 700 personnes ont été arrêtées à Tabriz, selon Sina Yousefi, un avocat qui a été lui-même été <a href="https://twitter.com/ElyarKamrani/status/1581596620541788166?s=20&t=E-7WKf6V4z-qMA1IrvdU2w">arrêté par le gouvernement suite à la diffusion de cette information</a>.</p>
<p>De nombreuses femmes écrivains ont également annoncé qu’elles ne publieraient plus de livres sous la tutelle et l’audit du ministère de la Culture et de l’orientation islamique, chargé d’autoriser ou non les productions culturelles. Dans une <a href="https://twitter.com/AhrazHumanRight/status/1577050129344868352?s=20&t=E-7WKf6V4z-qMA1IrvdU2w">vidéo mise en ligne le 4 octobre</a>, Mahdieh Ahani, la directrice du magazine <em>Ban</em>, publié à Tabriz, se filmant tête nue, a brûlé son permis de travail devant la caméra tout en dénonçant l’obligation du hidjab et les mesures répressives envers les femmes, la censure et la liberté d’expression. De même, Atekeh Radjabi,une institutrice à Ahmadabad, s’est elle aussi <a href="https://twitter.com/CoordinatingA/status/1582396494291664896?t=Q2q0kl4JxP4246VS_ZDSOQ&s=03">filmée tête nue en déclarant faire la grève</a>.</p>
<p>Les étudiants ont également appelé à la grève dans de nombreuses universités chantant « les étudiants préfèrent la mort à l’humiliation », « Mort à l’oppresseur, qu’il soit roi ou mollah » et « Femme, vie, liberté ». Ils remettent en question d’une manière radicale non seulement les politiques et les lois imposées par le régime, mais aussi les normes et les valeurs culturelles, traditionnelles et religieuses instaurées dans la société iranienne.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1580743307537240065"}"></div></p>
<p>Leur contestation ne porte plus seulement sur l’obligation du port du voile : ils vont jusqu’à s’en prendre au <a href="https://www.letemps.ch/monde/iran-une-revolte-contre-fondements-republique-islamique">régime de la République islamique en tant que tel</a>, et ciblent le guide suprême Ali Khamenei, dont plusieurs photos accrochées dans les espaces publics ou dans les salles de cours, ont été brûlées et déchirées.</p>
<h2>Solidarités internationales et situation révolutionnaire</h2>
<p>Ces colères, largement diffusées à travers les réseaux sociaux, ont rapidement suscité des messages de solidarité adressés par de nombreuses femmes notamment en <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/turquie/les-manifestations-en-turquie-en-soutient-des-femmes-iraniennes-se-poursuivent-6a93b402-4260-11ed-9fec-b3708b1f58fa">Turquie</a>, au <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1313372/a-beyrouth-des-femmes-manifestent-en-signe-de-solidarite-avec-les-rassemblements-pour-mahsa-amini-en-iran.html">Liban</a>, en <a href="https://actu.orange.fr/societe/videos/des-militants-se-rassemblent-en-syrie-pour-soutenir-les-manifestants-iraniens-CNT000001TpnoU.html">Syrie</a> et dans divers pays occidentaux, y compris en <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20220930-des-f %C3 %A9ministes-fran %C3 %A7aises-apportent-leur-soutien-aux-iraniennes-qui-manifestent">France</a>.</p>
<p>L’ampleur de la mobilisation est telle qu’il est possible de parler de <a href="https://www.france24.com/fr/vid %C3 %A9o/20221014-contestation-en-iran-cette-situation-r %C3 %A9volutionnaire-va-durer">situation révolutionnaire</a>. Pour la première fois, la cause des femmes n’est pas minimisée au profit des autres luttes et revendications, mais se trouve <a href="https://reporterre.net/Revolte-en-Iran-Le-slogan-Femme-vie-liberte-est-un-cri-du-c%C5%93ur">au cœur de cette insurrection</a>, et s’articule aux luttes des minorités nationales, des groupes marginalisés, des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/23/en-iran-la-classe-moyenne-malmenee-par-une-inflation-galopante_6131737_3210.html">classes moyennes et populaires exaspérées par la situation politique et économique</a>, ainsi qu’aux luttes environnementales. C’est ainsi qu’elle conduit à un soulèvement exceptionnel à travers tout le pays, qui semble parti pour durer.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192156/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorna Javan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le combat des femmes est rejoint en Iran par d’autres revendications, notamment en provenance des minorités ethniques.Dorna Javan, Doctorante et Enseignant vacataire en science politique à IEP de Lyon, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1914652022-09-28T15:07:04Z2022-09-28T15:07:04ZLe régime iranien est un apartheid des genres. Il faut le dénoncer comme tel<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/487102/original/file-20220928-22-ombepu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C42%2C4031%2C2969&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur cette photo prise clandestinement, on peut voir des femmes fuyant la police anti-émeute lors d'une manifestation dans le centre de Téhéran, en Iran. Ces manifestations sont réprimées brutalement.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo)</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.cnn.com/2022/09/21/middleeast/iran-mahsa-amini-death-widespread-protests-intl-hnk/index.html">Les troubles se poursuivent en Iran</a> après la mort en détention d’une jeune femme kurde de 22 ans, après avoir été arrêtée et apparemment battue par la <a href="https://www.cnn.com/2022/09/21/middleeast/iran-morality-police-mime-intl/index.html">police des mœurs iranienne</a>.</p>
<p>Les forces iraniennes ont placé Mahsa Zhina Amini en détention le 16 septembre 2022, parce qu’elle ne portait pas son hijab selon les règles.</p>
<p>En date du 10 octobre, <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/iran-protests-victims-b2198882.html?amp">au moins 185 personnes ont été confirmées</a> tuées et des <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2022/09/iran-deadly-crackdown-on-protests-against-mahsa-aminis-death-in-custody-needs-urgent-global-action/">centaines ont été arrêtées et blessées</a> lors des manifestations qui ont éclaté après la mort d’Amini.</p>
<p>En tant qu’universitaire d’origine kurde et <a href="https://cah.ucf.edu/languages/faculty-staff/profile/414">professeur d’études moyen-orientales à l’Université de Floride centrale</a>, j’ai déjà écrit sur le <a href="https://theconversation.com/kurds-targeted-in-turkish-attack-include-thousands-of-female-fighters-who-battled-islamic-state-125100">genre dans les cultures moyen-orientales</a> et les <a href="https://theconversation.com/unrest-in-iran-will-continue-until-religious-rule-ends-90352">manifestations iraniennes</a>.</p>
<p>À l’exception de condamnations sans nuances, la discrimination à l’égard des femmes en Iran est souvent passée sous silence alors que le monde n’en a que pour la <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2017/578024/EXPO_IDA(2017)578024_FR.pdf">limitation des capacités nucléaires du pays</a>.</p>
<p><a href="https://www.jstor.org/stable/45302144">Certains universitaires et militants</a> ont critiqué le droit international pour son manque d’initiative et d’action publique pour reconnaître la discrimination systématique des femmes en Iran comme un apartheid de genre et agir pour l’empêcher.</p>
<p>De nombreuses lois discriminatoires, y compris celles qui obligent les femmes à se couvrir la tête et le visage d’un hijab, <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/global-opinions/there-are-two-types-of-hijabs-the-difference-is-huge/2019/04/07/50a44574-57f0-11e9-814f-e2f46684196e_story.html">ne respectent ni la tradition ni la religion</a> et sont appliquées aux femmes de toutes les ethnies et de toutes les confessions.</p>
<p>Après tout, Amini n’était pas chiite, ni par son ethnie ni par sa religion.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur cette photo prise dans la clandestinité, le 21 septembre 2022 dans le centre de Téhéran, des manifestants scandent des slogans afin de dénoncer la mort en détention de Mahsa Amini.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo)</span></span>
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<h2>L’apartheid des genres en Iran</h2>
<p>La <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_iranienne">Révolution islamique de 1979</a> a instauré une république qui met en œuvre des politiques et des pratiques inhumaines de ségrégation et de discrimination raciales similaires à celles pratiquées en <a href="https://kinginstitute.stanford.edu/encyclopedia/apartheid">Afrique du Sud sous l’ancien régime brutal d’apartheid du gouvernement</a>.</p>
<p>Les lois et les politiques en Iran établissent et maintiennent la domination des hommes et de l’État sur les femmes et leur droit de choisir leurs propres vêtements ou d’obtenir un divorce. Les inégalités systématiques entre les sexes sont prescrites légalement et appliquées par le régime afin de priver les femmes du <a href="https://www.un.org/en/genocideprevention/documents/atrocity-crimes/Doc.10_International%20Convention%20on%20the%20Suppression%20and%20Punishment%20of%20the%20Crime%20of%20Apartheid.pdf">« droit à la vie et à la liberté »</a> et des <a href="https://www.un.org/en/genocideprevention/documents/atrocity-crimes/Doc.10_International%20Convention%20on%20the%20Suppression%20and%20Punishment%20of%20the%20Crime%20of%20Apartheid.pdf">« droits de la personne et libertés fondamentales »</a>, ce qui, selon <a href="https://www.un.org/en/genocideprevention/documents/atrocity-crimes/Doc.10_International%20Convention%20on%20the%20Suppression%20and%20Punishment%20of%20the%20Crime%20of%20Apartheid.pdf">l’article II de la Convention des Nations unies sur l’apartheid de 1973</a>, est considéré comme « le crime d’apartheid ».</p>
<p>Par exemple, selon <a href="https://iranhumanrights.org/2017/07/married-women-in-iran-still-need-permission-to-travel-abroad-under-amendment-to-passport-law/">l’article 18 de la loi iranienne sur les passeports</a>, une femme mariée a toujours besoin de l’autorisation écrite de son tuteur masculin pour voyager à l’étranger.</p>
<p>En Iran, les femmes ne peuvent occuper aucun poste au sein des systèmes judiciaire, religieux et militaire, ni être membres de l’<a href="https://www.brookings.edu/blog/markaz/2016/02/09/everything-you-need-to-know-about-irans-assembly-of-experts-election/">Assemblée des experts</a>, du <a href="https://irandataportal.syr.edu/political-institutions/the-expediency-council">Conseil de « de l’opportunité »</a> ou du <a href="https://www.britannica.com/topic/Council-of-Guardians">Conseil des gardiens</a>, les trois conseils les plus élevés de la République islamique.</p>
<p>Selon la loi, les femmes ne peuvent être ni présidentes ni chefs suprêmes de l’Iran. <a href="https://www.servat.unibe.ch/icl/ir00000_.html">Selon l’article 115</a>, le président de la République islamique doit être élu parmi les « hommes religieux et politiques ».</p>
<p>En outre, l’État iranien <a href="https://www.jstor.org/stable/45302144">a ajouté des éléments discriminatoires au Code pénal</a> — l’un de ces éléments est le principe selon lequel la valeur d’une femme est égale à la moitié de celle d’un homme.</p>
<p>Ce principe s’applique aux questions de compensation pour un meurtre ou lors de la séparation d’un héritage familial. Il s’applique également au poids accordé aux témoignages dans un cadre judiciaire ou à l’obtention d’un divorce.</p>
<p>Ces lois, politiques et pratiques, continuent de faire des femmes des citoyennes inférieures, inégales sur le plan juridique et social.</p>
<h2>La ségrégation dans la vie quotidienne</h2>
<p>L’État a également imposé une <a href="https://www.iranintl.com/en/202209012125">ségrégation systématique</a> dans les écoles, les hôpitaux, les universités, les transports, les sports et d’autres domaines importants de la vie quotidienne.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un feu brûle dans la rue, entouré de manifestants" src="https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur cette photo prise de manière clandestine, le 21 septembre 2022, des manifestants ont mis le feu et bloqué une rue afin de protester contre la mort en détention de Mahsa Amini. L’accès aux réseaux sociaux est devenu difficile en Iran.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo)</span></span>
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<p>Pendant plusieurs décennies, l’apartheid entre les sexes en Iran a relégué les femmes à l’arrière des bus avec une <a href="https://wcfia.harvard.edu/publications/women-place-politics-gender-segregation-iran">barre métallique les séparant</a> des hommes.</p>
<p>Sous la direction du gouvernement, les universités <a href="https://www.nytimes.com/2012/08/20/world/middleeast/20iht-educbriefs20.html">ont limité les options offertes aux femmes</a> et leur ont interdites l’accès à de nombreux domaines d’études.</p>
<p>Depuis la révolution de 1979, l’Iran <a href="https://www.hrw.org/news/2022/03/31/iran-women-blocked-entering-stadium#:%7E:text=Over%20the%20past%2040%20years,detention%2C%20and%20abuses%20against%20women">interdit généralement aux femmes</a> d’assister à des matchs de football et d’autres sports dans les stades. En août, <a href="https://ici.radio-canada.ca/sports/1908148/soccer-femmes-iran-stade-historique">pour la première fois en plus de 40 ans</a>, le régime iranien a autorisé des femmes à assister, dans le stade de la capitale, Téhéran, à un match opposant deux clubs masculins.</p>
<p>Les religieux jouent un rôle majeur dans la prise de décision. Ils <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20220330-iran-again-bans-women-from-football-stadium">ont affirmé que les femmes devaient être protégées</a> de l’atmosphère masculine et de la vue d’hommes à moitié vêtus lors d’événements sportifs.</p>
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<img alt="Des gens manifestent" src="https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des membres de la communauté iranienne et leurs partisans manifestent à Ottawa, le 25 septembre, afin de dénoncer le régime iranien, après la mort en détention de Mahsa Amini.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Justin Tang</span></span>
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<p>Dans le cadre de ces politiques discriminatoires, des termes persans tels que za’ifeh, qui signifie faible et incapable, ont trouvé leur place dans les <a href="https://vajehyab.com/dehkhoda/%D8%B6%D8%B9%DB%8C%D9%81%D8%A9">dictionnaires</a> comme synonymes de « femme » et « épouse ».</p>
<h2>« Femmes, vie, liberté »</h2>
<p>La tristement célèbre police des mœurs extrajudiciaire de l’Iran <a href="https://www.cnn.com/2022/09/21/middleeast/iran-morality-police-mime-intl/index.html">terrorise les femmes depuis des décennies</a>.</p>
<p>À l’instar des articles de la <a href="https://www.constituteproject.org/constitution/Iran_1989.pdf">Constitution de la République islamique d’Iran</a>, les principes de la police des mœurs sont fondés sur une interprétation des <a href="https://www.bl.uk/collection-items/hadith-collection">textes chiites canoniques</a> et sont mis en œuvre au moyen d’outils modernes de contrôle et de coercition.</p>
<p>En droit pénal international, les actes illicites commis dans le cadre d’un système d’oppression et de domination sont considérés comme des crimes contre l’humanité.</p>
<p>Comme le stipule la <a href="https://www.un.org/en/genocideprevention/documents/atrocity-crimes/Doc.10_International %20Convention %20on %20the %20Suppression %20and %20Punishment %20of %20the %20Crime %20of %20Apartheid.pdf">Convention sur l’apartheid des Nations unies</a>, ces crimes comprennent le déni des droits fondamentaux qui empêche un ou plusieurs groupes raciaux de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays.</p>
<p>Connu surtout pour le régime brutal de l’Afrique du Sud, l’apartheid vient du mot afrikaans qui signifie « séparation ». C’est <a href="https://www.sahistory.org.za/article/history-apartheid-south-africa">l’idéologie</a> qui a été introduite en Afrique du Sud en 1948 et soutenue par le gouvernement du Parti national.</p>
<p>Comme le stipule la <a href="https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx ?src=IND&mtdsg_no=IV-7&chapter=4&clang=_fr">Convention contre l’apartheid des Nations unies</a>, l’obligation de porter le hijab est au cœur de ce que j’appelle l’apartheid extrême entre les sexes en Iran, où un foulard mal placé peut entraîner jusqu’à <a href="https://en.radiofarda.com/a/anti-hijab-activist-in-iran-sentenced-to-15-years-in-prison/30133081.html">15 ans de prison</a>, des <a href="http://www.cnn.com/2010/WORLD/meast/09/04/iran.stoning/index.html">coups de fouet</a>, des <a href="https://www.middleeasteye.net/news/iranian-women-fined-260-bad-hijabs">amendes</a>, des arrestations inhumaines et illégales, voire la mort.</p>
<p>Des <a href="https://www.cnn.com/2018/02/05/middleeast/iran-hijab-law-report-intl/index.html">mouvements contre le hijab obligatoire</a> apparaissent chaque année en Iran, comme cette fois, à la suite du décès de Mahsa Zhina Amini.</p>
<p>En langue kurde, son nom vient de « jin », le mot pour femme, et partage une racine avec le mot pour vie, « jiyan ».</p>
<p>Ces mots kurdes sont au cœur du slogan qui a été le plus utilisé par les <a href="https://www.pbs.org/newshour/show/how-a-small-but-powerful-band-of-women-led-the-fight-against-isis">combattantes kurdes dans leur lutte contre l’État islamique</a> en Irak et en Syrie, et aujourd’hui, par les femmes de tout l’Iran contre la République islamique.</p>
<p>Ajoutez « azadi » — le mot kurde qui signifie liberté — et vous avez le slogan « Jin, Jiyan, Azadi », qui signifie « Femmes, vie, liberté ». Il résonne parmi les manifestants dans les rues d’Iran et du monde entier pour démanteler l’apartheid des genres de l’État iranien.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191465/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Haidar Khezri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le régime iranien met en œuvre des politiques et des pratiques de ségrégation et de discrimination similaires à celles pratiquées en Afrique du Sud sous l’apartheid.Haidar Khezri, Assistant Professor, University of Central FloridaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1814992022-04-24T20:28:15Z2022-04-24T20:28:15ZLe mouvement kurde et le travail de mémoire du génocide arménien encore menacés par l’État turc<p>Ce 24 avril 2022, la majorité des Français avaient les yeux rivés sur l’élection présidentielle. Les années précédentes, c’était pourtant bien la mémoire du peuple arménien massacré qui retenait toute l’attention.</p>
<p>Le 24 avril – une date choisie en référence à la rafle d’intellectuels arméniens de 1915 – est en effet devenu <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/genocide-armenien-chaque-annee-une-journee-de-commemoration">officiellement depuis 2019</a> une journée de commémoration du génocide arménien, que la France reconnaît <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000403928/">dans la loi depuis 2001</a>.</p>
<p>Cette année-là, le Premier ministre Édouard Philippe avait assuré que « la France entend contribuer à faire reconnaître le génocide arménien comme un crime contre l’humanité, contre la civilisation ».</p>
<h2>Un génocide toujours nié par l’État turc</h2>
<p>Lorsqu’un évènement malheureux survient au Kurdistan de Turquie, il est coutume de s’exclamer, comme on invoquerait la fatalité : « Cent ans de malédiction ! » L’origine de ce dicton populaire et le fantôme qu’elle évoque ne font aucun doute. Il se <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782343229065-la-malediction-le-genocide-des-armeniens-dans-la-memoire-des-kurdes-de-diyarbekir-adnan-celik-namik-kemal-dinc/">réfère au génocide des Arméniens</a>, déclenché dans l’Empire ottoman en avril 1915 par le Comité Union et Progrès.</p>
<p>Dans les régions kurdes, les chrétiens (près d’un tiers de la population, Arméniens et Assyriens) furent <a href="https://www.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah1-2003-1-page-123.htm">massacrés et déportés</a> avec la participation de collaborateurs locaux, au nom d’une fraternité turco-kurde conçue sous la bannière de l’islam.</p>
<p>Ce crime fondateur fait l’objet d’un <a href="http://adl.hayway.org/default_zone/documents/le_tabou_du_genocide_armenien.pdf">négationnisme farouche en Turquie</a>. Les élites de l’État-nation turc, depuis sa naissance en 1923, ont fait de <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/la-turquie-toujours-dans-le-deni-du-genocide-armenien_4368997.html">ce déni un socle de l’histoire officielle</a>, et lourdement criminalisé les voix et mémoires dissidentes. <a href="https://www.la-croix.com/Monde/En-Turquie-genocide-armenien-reste-tabou-2021-05-08-1201154729">Diffusé depuis le sommet de l’État</a>, le discours négationniste, <a href="https://enrs.eu/article/teaching-the-armenian-genocide-a-comparative-analysis-of-national-history-curriculums-and-textbooks-in-turkey-armenia-and-france">enseigné à l’école</a>, a tôt infusé l’ensemble de la société, dont une partie a hérité des biens arméniens confisqués et accaparés.</p>
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<figcaption><span class="caption">Génocide arménien : « L’État turc n’arrive pas à assumer son histoire » – France 24.</span></figcaption>
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<p>Pourtant, dans la capitale politico-culturelle du Kurdistan de Turquie, Diyarbakır, en 2015, des milliers de personnes <a href="https://armenianweekly.com/2015/05/01/armenian-genocide-commemorated-in-diyarbakir/">ont œuvré à la commémoration</a> du centenaire du génocide, point culminant du <em>réveil</em> <em>de mémoire</em>, dont le Kurdistan des deux décennies précédentes avait été le berceau. L’articulation publique de cette contre-mémoire s’inscrit dans un mouvement plus large d’éveil de la société civile.</p>
<h2>La contestation du récit national turc</h2>
<p>Dès les années 1990, de <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2005-4-page-101.html">nombreux groupes sociaux en Turquie</a> (femmes, mouvement LGBTI+, « minorités » religieuses et ethniques du pays) s’élèvent contre un récit officiel qui les a occultés, invisibilisés, criminalisés. Ils revendiquent une histoire propre, qui diffère de la glorieuse, linéaire et très nationaliste histoire imposée par les vainqueurs. Des bribes et fragments de mémoire diffus, jusqu’alors confinés dans la sphère privée, se rencontrent désormais sur la scène publique. Ces prises de parole se font écho les unes aux autres, se stimulent, et parfois se découvrent une relative communauté de destin, celle d’une oppression et d’une violence étatique récurrentes.</p>
<p>C’est ainsi notamment que le <a href="https://www.letemps.ch/monde/fantome-genocide-armenien-hante-kurdes">passé des Arméniens et celui des Kurdes s’unissent</a> sur un même registre « victimo-mémoriel ». En région kurde, des habitants « se souviennent » de cette mise en garde attribuée à des Arméniens sur le chemin de la déportation à leurs voisins kurdes : « Nous sommes le petit-déjeuner, vous serez le dîner ! »</p>
<p>Beaucoup plus proche dans le temps, les soldats turcs faisant la guerre aux combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), – qu’a lancé sur le sol turc une guérilla de décolonisation – dans la terrible décennie 1990 ne s’évertuaient-ils pas à les traiter de « bâtards d’Arméniens », la sinistre inscription conquérante et raciste.</p>
<h2>La tentative de faire émerger une conscience publique du génocide</h2>
<p>Avec <a href="https://merip.org/2020/08/the-armenian-genocide-in-kurdish-collective-memory/">l’apaisement relatif du conflit et les nouvelles dynamiques sociales</a>, les années 2000 sont propices à la remémoration et au questionnement. Il apparaît que la langue maternelle des Kurdes (<a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2009/12/09/progressivement-istanbul-autorise-la-langue-et-la-culture-kurdes-a-sortir-de-la-clandestinite_1278084_3214.html">longtemps interdite</a>), leur toponymie (turcisée mais toujours en usage), les récits de leur histoire orale et, plus silencieusement, leurs paysages, charrient irrémédiablement la mémoire de ce génocide. N’est-il pas temps, alors, de se confronter à ce passé, de se détourner de la voie des nationalismes excluants qui ont ensanglanté la région ? Pour qu’advienne le terme des <a href="https://information.tv5monde.com/info/ou-en-est-l-armenie-100-ans-apres-le-genocide-29928">« cent ans de malédiction »</a> ne faut-il pas se confronter au passé ?</p>
<p>Entraînée par les prises de parole profanes issues de la société civile et par un très fort désir de retour à la paix, l’émergence de la mémoire refoulée de 1915 fut aussi favorisée par la <a href="https://www.cairn.info/la-question-kurde--9782724607178-page-97.htm">mue idéologique du mouvement kurde</a>, qui dominait alors très largement la politique locale. En s’éloignant d’un prisme kurdocentré, fort d’un projet politique d’émancipation misant sur la résolution pacifique des conflits et la cohabitation des différences, celui-ci accompagna le déploiement du <em>travail de mémoire</em> qui s’opère dans le champ social. Ce travail de mémoire, pleinement embrassé par les municipalités kurdes, a débouché sur des <a href="https://aoc.media/analyse/2021/04/22/les-kurdes-et-la-construction-dune-contre-memoire-du-genocide-armenien/">actes symboliques</a> très forts notamment à Diyarbakir (restauration de monuments arméniens, changement de nom de rues, monuments d’hommage, etc.).</p>
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<figcaption><span class="caption">Les Arméniens commémorent le génocide de 1915 – Le Monde.</span></figcaption>
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<p>Entre 1999 (<a href="https://ovipot.hypotheses.org/11188">accession</a> du mouvement prokurde légal à la tête de la mairie de Diyarbakır) et 2015, divers acteurs se sont mobilisés pour la réhabilitation du passé multiculturel de la région et la reconnaissance du génocide de 1915. Cela s’est traduit <a href="https://www.newyorker.com/magazine/2015/01/05/century-silence">par une multitude d’initiatives</a>, de la recherche académique au champ littéraire, de l’organisation de rencontres, discussions et festivals à des entreprises architecturales, commémoratives et muséales, jusqu’aux excuses publiques au nom du peuple kurde. La <a href="https://armenianweekly.com/2015/01/23/dink-anniversary-diyarbakir/">commémoration qui eut lieu en 2015</a>, en présence de figures de proue du mouvement kurde (comme la mairesse de la ville Gültan Kışanak et le co-président du Parti démocratique des peuples Selahattin Demirtaş, tous deux actuellement derrière les barreaux), a constitué l’apogée de ce long cheminement.</p>
<h2>Le retour en force négationniste</h2>
<p>Las ! Entre 2015 et 2021, après <a href="https://www.lesechos.fr/2015/07/turquie-erdogan-juge-impossible-la-poursuite-du-processus-de-paix-avec-le-pkk-268595">l’échec du processus de paix initié en 2013</a>, une nouvelle offensive de l’État turc a conduit au presque anéantissement des efforts et réalisations de ce processus mémoriel polymorphe. L’« ouverture kurde » promise par Erdoğan à l’aube de son second mandat a été maigre et de courte durée : quelques avancées symboliques, mais surtout des pourparlers de paix historiques, dont les <a href="https://boutique.lemonde.fr/hors-series/hs-turquie.html">espoirs ont été balayés dès 2015</a> par un retour à l’option belliciste et répressive. Depuis la reprise de la guerre contre le mouvement kurde, la violence étatique, militaire et judiciaire s’est à nouveau abattue massivement, non seulement dans les régions kurdes, mais aussi contre tous les acteurs de la société civile qui osaient élever une voix critique en Turquie. Au Kurdistan, les autorités locales élues ont été <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2018-4-page-125.htm">remplacées par des <em>kayyum</em></a> (administrateurs) nommés par le gouvernement, parfaite incarnation du despotisme étatique.</p>
<p>À la suite de cette offensive de l’État, on assista également au retour en force d’un discours kurde de déni de responsabilité vis-à-vis du génocide de 1915. Il ne faut pas oublier, en effet, l’existence de voix kurdes depuis le début hostiles à ce processus de reconnaissance.</p>
<p>Cette hostilité s’ancrait dans des perspectives diverses. Les uns pensaient qu’à travers la « repentance », les Kurdes s’affaiblissaient et endossaient à tort le « crime du maître » (l’État turc est pour eux le seul coupable). D’autres, partisans d’un Kurdistan kurdo-kurde, ne voulaient pas entendre parler d’un passé kurdo-arménien susceptible d’entacher l’homogénéité et les revendications territoriales d’un nationalisme kurde classique. D’autres enfin, islamistes radicaux, s’appropriaient sans réserve la part de la propagande étatique consistant à dénoncer le mouvement kurde dans son ensemble comme un mouvement au service des intérêts arméniens et occidentaux.</p>
<h2>La mémoire du génocide, ennemie de l’État turc</h2>
<p>Si ces voix avaient été de fait marginalisées et discrètes durant la montée en puissance du mouvement de réhabilitation de la mémoire arménienne, elles se sont exprimées sans retenue après l’offensive gouvernementale belliqueuse et <em>mémoricide</em> de 2015.</p>
<p>Au cours de celle-ci, le <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/gosse-diyarbakir">quartier historique de Sur à Diyarbakır</a>, qui accueillait notamment l’église arménienne Surp Giragos restaurée avec l’appui politique et économique de la municipalité et le « Monument de la conscience commune » érigé deux ans auparavant, a été rasé en deux temps : par l’armée lors des affrontements des « guerres urbaines » de 2015, puis par la politique d’expropriation-reconstruction qui a suivi. Ce dernier exemple est emblématique de la <a href="https://aoc.media/analyse/2021/04/22/les-kurdes-et-la-construction-dune-contre-memoire-du-genocide-armenien/">permanence du désir d’annihilation de tout retour des traces</a> de l’ancienne présence arménienne qui obsède les autorités turques depuis plus d’un siècle.</p>
<p>La brutalité du <em>mémoricide</em> et le retour du cycle infernal de la guerre et de la répression ont coupé court à l’extraordinaire travail de mémoire accompli sur le long chemin de la reconnaissance. Ce processus fut d’autant plus singulier et profond qu’il s’est déroulé dans un État-nation négationniste, au sein d’un groupe subalterne (Kurdes) dont les acteurs ont la particularité d’être aussi, pour partie, les descendants de perpétrateurs directs du génocide aux côtés du groupe dominant au pouvoir un siècle auparavant.</p>
<p>Il mérite d’être salué et raconté notamment car il fait apparaître combien la reconnaissance du génocide des Arméniens, la lutte pour les droits des Kurdes, et la possibilité démocratique en Turquie restent intimement et irrémédiablement interreliées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181499/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Adnan Çelik est chercheur invité à l'Université de Cambridge et fait partie d'un projet de recherche sur les relations turco-arméniennes accueilli par le Programme interconfessionnel de Cambridge (Cambridge Interfaith Programme) et financé par la Fondation Calouste Gulbenkian. Les opinions exprimées sont celles de l'auteur. </span></em></p>Reconnu par vingt-neuf pays, le génocide arménien est encore nié par l’État turc. Ce tabou mémoriel est un enjeu crucial avec le droit des Kurdes et une démocratisation de la Turquie.Adnan Çelik, Chercheur anthropologue et historien, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1741092021-12-23T20:08:24Z2021-12-23T20:08:24ZIrak : le début d’une embellie ?<p>De par sa diversité ethnoreligieuse et sa position géostratégique, l’Irak se trouve fréquemment au centre de l’actualité internationale. Bordé par la Syrie et la Jordanie à l’Ouest, la Turquie au Nord, l’Arabie saoudite au Sud, et l’Iran à l’Est, l’Irak se situe en plein cœur du Moyen-Orient. Étendu sur 438 000 km<sup>2</sup>, le pays compte actuellement 40 millions d’habitants, répartis entre des populations majoritairement kurdes au Nord, sunnites au centre et chiites au Sud, ces derniers représentant environ 60 % de la population, contre 20 % pour chacun des deux autres groupes.</p>
<p>Le <a href="https://repozytorium.amu.edu.pl/bitstream/10593/24649/1/8Luizard--ConflictsandReligionsTheCaseofSyriaandIraq.pdf">facteur ethnoreligieux</a>, à l’origine de conflits récurrents, joue un rôle clé dans le système politique. C’est selon ce critère que sont réparties les positions clés de l’État : le président de la République doit être kurde, le premier ministre chiite, et le chef du Parlement, sunnite. Ces dispositions sont en vigueur depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, mais ne figurent pas dans la Constitution irakienne actuelle datant de 2005.</p>
<p>Après de nombreuses années marquées par de lourds conflits et des tragédies sanglantes, le pays peut entrevoir en cette année 2021 les premiers signes encourageants d’une réconciliation interne et d’un accroissement de son poids régional.</p>
<h2>La perspective d’un nouveau rôle de l’Irak au Moyen-Orient</h2>
<p>Lors de sa <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Le-pape-Francois-Irak-voyage-lhistoire-2021-03-07-1201144344">visite historique</a> en Irak en mars dernier, le pape François a adressé un message de paix au pays et à la région. Face aux <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/05/les-tribulations-des-chretiens-d-irak_6072083_3210.html">crises et conflits</a> auxquels elle a dû faire face, la communauté chrétienne d’Irak, estimée actuellement à environ 400 000 personnes, a vu sa taille diminuée par trois en l’espace de vingt ans. Ce premier voyage d’un pape en <a href="https://www.la-croix.com/Journal/Ninive-berceau-chretien-Mesopotamie-2018-03-31-1100928162">terres de Mésopotamie</a> démontre ainsi <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/08/le-message-d-espoir-du-pape-francois-en-irak_6072337_3232.html">l’espoir</a> de l’atteinte prochaine d’un apaisement et d’un développement durable aux niveaux national et régional.</p>
<p>La tenue à Bagdad le <a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/diplomatie-bagdad-un-sommet-pour-lirak-et-la-region">28 août dernier</a> d’une Conférence régionale sur la coopération et le partenariat des pays voisins de l’Irak illustre la volonté de l’État irakien de se placer au centre de ce nouveau processus moyen-oriental.</p>
<p>Organisé en la présence d’Emmanuel Macron, du président égyptien, du roi de Jordanie et des ministres des Affaires étrangères turc, iranien et saoudien, ce <a href="https://www.la-croix.com/Monde/En-Irak-defis-dun-sommet-regional-historique-2021-08-11-1201170388">sommet historique</a> permet à l’Irak de mettre en avant son importance diplomatique et son image internationale, notamment en matière de lutte contre le terrorisme et de dialogue régional.</p>
<p>Plusieurs événements avaient déjà confirmé la volonté du pays de se poser en possible médiateur dans la région. En avril dernier, la <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1259133/des-officiels-saoudiens-et-iraniens-se-sont-rencontres-a-bagdad-confirme-un-responsable-irakien.html">rencontre à Bagdad</a> entre des officiels saoudiens et iraniens a permis la tenue des premières discussions à ce niveau entre les deux puissances régionales depuis la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/01/03/l-arabie-saoudite-rompt-ses-relations-diplomatiques-avec-l-iran_4841095_3210.html">rupture</a> de leurs relations diplomatiques en 2016. De même, la <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1266473/premiere-visite-dun-chef-detat-egyptien-en-irak-depuis-des-decennies.html">visite</a> du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi en juin dernier a également constitué un événement exceptionnel : jamais un président égyptien ne s’était rendu en Irak depuis trente années.</p>
<p>En matière de lutte contre le terrorisme, les autorités irakiennes, en concertation avec les États-Unis, ont annoncé le 9 décembre dernier la <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20211209-l-irak-officialise-la-fin-de-la-mission-de-combat-des-%C3%A9tats-unis-sur-son-territoire">fin de la mission de combat</a> des forces de la coalition internationale contre Daech. Les quelque 2 500 soldats américains actuellement présents en Irak vont rester sur place pour former et conseiller les forces armées irakiennes. La fin de cette mission marque indéniablement un tournant majeur.</p>
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<figcaption><span class="caption">Irak : quelle souveraineté ? (<em>Le Dessous des cartes</em>, Arte, 11 décembre 2021).</span></figcaption>
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<h2>Une situation sécuritaire toujours fragile</h2>
<p>Malgré la multiplication de ces éléments encourageants pour le futur, l’Irak continue à connaître des soubresauts d’ordre sécuritaire liés à l’ingérence étrangère et à la présence continue de groupes terroristes, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2021/12/PERPIGNA_IBAN/64139">principalement Daech</a>.</p>
<p>En dépit de la proclamation par les autorités irakiennes de leur <a href="https://www.lesechos.fr/2017/07/la-reprise-de-mossoul-signe-la-fin-du-califat-de-Daech-en-irak-153155">victoire face à l’État islamique</a> en 2017, grâce à la restauration de leur souveraineté sur l’ensemble du territoire, ce dernier y est toujours présent et continue d’y mener des actions terroristes. La mort, fin novembre dernier, de cinq combattants kurdes suite à une <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/irak-cinq-combattants-kurdes-tues-dans-une-attaque-imputee-a-Daech-20211128">attaque de Daech</a> au nord de l’Irak en est la dernière illustration.</p>
<p>En complément de celle-ci et d’autres, sporadiques, il est à rappeler que le dernier <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Attentat-meurtrier-Bagdad-lEtat-islamique-avance-pions-Irak-2021-07-20-1201167144">attentat important</a> revendiqué par Daech en Irak, qui a fait une trentaine de victimes dans un marché d’un quartier chiite de Bagdad, ne date que du mois de juillet dernier.</p>
<p>En parallèle à la menace de Daech, la présence de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/25/en-irak-les-milices-chiites-pro-iran-tentent-de-surmonter-leur-revers-electoral_6099805_3210.html">milices chiites proches du régime iranien</a> accentue continuellement les possibilités de tensions dans le pays, d’autant plus que ces milices exigent le retrait total des forces américaines d’Irak. Des groupes proches de ces factions sont même allés jusqu’à donner sur les réseaux sociaux un <a href="https://www.memri.org/reports/iranian-backed-militias-iraq-declare-ultimatum-us-forces-must-leave-december-31-2021-or">ultimatum jusqu’au 31 décembre</a> pour leur départ. Le <a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2021-12-18/irak/deux-roquettes-tirees-pres-de-l-ambassade-americaine.php">tir de deux roquettes</a> dans la zone de l’ambassade américaine le 19 décembre s’inscrit dans ce climat. Sans provoquer de dégâts, ce type d’attaques contre les intérêts américains et les autorités irakiennes est chose courante ces derniers mois.</p>
<p>La plus grande preuve de la constance de cette instabilité sécuritaire est la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/07/bagdad-le-premier-ministre-irakien-sort-indemne-d-une-attaque-au-drone-piege_6101237_3210.html">tentative d’assassinat</a> qui a visé le premier ministre irakien Moustafa al-Kazimi dans la nuit du samedi 6 au dimanche 7 novembre. Sa résidence, située dans la <a href="https://www.globalsecurity.org/military/world/iraq/baghdad-green-zone.htm">zone verte</a> ultra-sécurisée de Bagdad, a en effet subi l’attaque de trois drones piégés. Un seul d’entre eux a réussi à exploser, blessant six gardes du corps du premier ministre, qui s’en est lui sorti indemne.</p>
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<figcaption><span class="caption">Irak : le premier ministre visé par une attaque de drone (TV5 Monde, 7 novembre 2021).</span></figcaption>
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<p>Condamnée par la plupart des pays étrangers, dont l’Iran et les États-Unis, cette attaque, non revendiquée, s’est déroulée alors que plusieurs centaines de combattants de la <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2017-4-page-29.htm?contenu=article">Mobilisation populaire</a>, groupe paramilitaire chiite proche du régime iranien, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/25/en-irak-les-milices-chiites-pro-iran-tentent-de-surmonter-leur-revers-electoral_6099805_3210.html">campent aux portes de la zone verte</a> depuis le 19 octobre dernier.</p>
<p>Ces mouvements s’inscrivent dans le contexte de la contestation des résultats des élections législatives qui se sont déroulées le 10 octobre dernier.</p>
<h2>Des élections parlementaires aux conséquences incertaines</h2>
<p>Les élections parlementaires ont vu la <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20211130-irak-le-parti-de-l-imam-chiite-moqtada-al-sadr-vainqueur-des-l%C3%A9gislatives">franche victoire</a> du parti du leader chiite Moqtada al-Sadr, qui a obtenu 73 sièges sur les 329 que comporte le Parlement, soit une nette hausse par rapport aux 54 obtenus en 2018. Il est à signaler le morcellement important du système politique comme conséquence majeure du scrutin, avec les six premiers partis réunis n’obtenant que 208 sièges, soit seulement 63 % du parlement. Les 121 autres sièges ont alors été partagés entre neuf partis ayant eu chacun de 3 à 14 sièges, ainsi que 60 parlementaires élus comme seuls représentants de leurs partis.</p>
<p>Lors de <a href="https://www.lemonde.fr/moyen-orient-irak/article/2018/08/10/irak-apres-recomptage-le-nationaliste-moqtada-al-sadr-remporte-les-legislatives_5340992_1667109.html">l’élection précédente</a>, le parti de Moqtada al-Sadr était devenu la première force politique du pays, avec une faible avance de 6 sièges sur le second parti, l’alliance Fatah, branche politique de la Mobilisation populaire. Les élections d’octobre dernier ont confirmé et renforcé la première position du parti de Sadr. Le parti du progrès, créé par le chef du parlement Mohamed al-Halbousi en 2019 et arrivé second, n’a en effet obtenu que 37 sièges. Quant à l’alliance Fatah, qui regroupe les principales factions chiites pro-régime iranien et soutenue par Téhéran, celle-ci n’est arrivée que cinquième avec 17 sièges, soit une baisse de 65 % depuis 2018. La coalition de l’État de droit, dirigée par l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki et proche du régime iranien, est quant à elle arrivée troisième avec 33 sièges, suivi par du parti démocratique du Kurdistan (PDK) avec 31 sièges.</p>
<p>Bien que chiite, Moqtada al-Sadr n’est pas proche du régime au pouvoir en Iran. Le succès de son parti aux élections implique donc qu’une partie non négligeable des chiites d’Irak ne fait pas automatiquement allégeance aux autorités iraniennes. Cette part de la population rejoint alors Sadr dans sa <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2010-3-page-73.htm">volonté</a> de mettre en avant la conservation de l’unité territoriale de l’Irak et l’affermissement d’un nationalisme irakien.</p>
<p><a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20211130-irak-le-parti-de-l-imam-chiite-moqtada-al-sadr-vainqueur-des-l%C3%A9gislatives">Les résultats électoraux</a> ont été validés par la commission électorale le 30 novembre 2021. Pour autant, la recherche d’un consensus pour la formation d’un nouveau gouvernement ne sera pas une tâche facile, d’autant plus que Sadr désire que celui-ci soit de « majorité », regroupant les principales forces gagnantes de l’élection, et non d’union nationale comme cela était traditionnellement le cas ces dernières années. Ainsi, pour obtenir au minimum le soutien de 165 parlementaires, Sadr devra à la fois négocier avec les Kurdes, à travers le PDK, les sunnites, avec le parti du progrès, et également de plus petits partis ou des indépendants. Il n’est également pas à exclure qu’un compromis soit trouvé avec des éléments de l’alliance Fatah et de la coalition de l’État de droit.</p>
<p>Ces tractations auront également lieu autour de l’élection d’un nouveau président de la République, qui se doit d’être kurde et d’obtenir au minimum deux tiers des votes des parlementaires, sachant que le mandat du président actuel, Barham Salih, se termine en octobre 2022. Ce sera alors à l’actuel ou à ce nouveau président de charger le candidat ayant reçu l’appui de la plus large coalition du Parlement de former un gouvernement.</p>
<p>Il est loin d’être certain que le parti de Moqtada al-Sadr réussisse à se mettre à la tête d’une coalition gouvernementale qui puisse diminuer la place de la religion et de l’influence des puissances étrangères, l’Iran en tête, dans les décisions des autorités irakiennes. Ceci d’autant plus que le <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Entretien-avec-Pierre-Jean-Luizard-La-crise-du-systeme-politique-irakien.html">système politique</a> actuel en Irak, difficilement réformable, reste incapable de résoudre les crises constantes du fait de son fonctionnement communautaire.</p>
<p>Nul doute que l’avenir politique et sécuritaire de l’Irak sera aussi influencé par des aspects économiques. Portée par <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2021/09/12/27-milliards-pour-un-si%C3%A8cle-de-total-en-irak/">ses ressources pétrolières</a>, dont les réserves sont actuellement les quatrièmes mondiales selon l’OPEP, l’économie irakienne constituera un facteur d’intérêt croissant pour les investisseurs internationaux.</p>
<p>À la vue de l’ensemble de ces éléments, il est certain que les prochains mois seront d’une grande complexité et d’une importance capitale pour l’avenir de l’Irak, pays qui continuera à faire la Une des médias internationaux les années à venir. Il est à espérer que ces mises en avant seront cette fois dues à une actualité positive.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174109/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Zakka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que l’Irak est en passe de réussir à se positionner comme un acteur régional important et indépendant, le pays doit toujours faire face à de nombreuses sources d’instabilité internes.Antoine Zakka, Enseignant-chercheur à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l'Institut Catholique de Lille, Institut catholique de Lille (ICL)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1655502021-08-05T17:43:02Z2021-08-05T17:43:02ZQuel avenir pour les États du Moyen-Orient ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/414394/original/file-20210803-27-146x94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3892%2C3034&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Nés en large partie des décisions des anciennes autorités coloniales, les États du Moyen-Orient sont-ils encore viables&nbsp;?
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/middle-east-under-magnifier-162063665">Popartic/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article est publié dans le cadre du cycle <a href="https://www.ipev-fmsh.org/fr/transition-from-violence-lessons-from-the-mena-region/">IPEV Live – Transition from violence : lessons from the MENA</a>, une série de 8 discussions en ligne, tous les mardis du 18 mai au 29 juin 2021.</em></p>
<p>Depuis leurs indépendances et jusqu’à l’avènement du Printemps arabe, les États du Moyen-Orient ont souffert de leur principe constituant, attribué aux volontés et arrangements entre les anciennes puissances coloniales. Si les exigences d’autonomie, d’arabité et de souveraineté exprimées par les habitants de la région furent satisfaites par l’indépendance, ces États n’en constituaient pas moins, du point de vue aussi bien de leurs peuples que de leurs élites et de leurs dirigeants, des entités artificielles créées et découpées à la guise des diplomaties occidentales.</p>
<p>Les guerres entre Arabes et Israéliens et le sort malheureux du peuple et des réfugiés palestiniens ont marqué et, en quelque sorte, confisqué l’histoire moderne de la région. Tout comme les <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/syrie-Sykes-Picot-1916.htm">accords de Sykes-Picot</a> et leur part de responsabilité dans la transformation du projet culturel de renaissance arabe en un projet nationaliste et idéologique.</p>
<h2>L’impact de plusieurs décennies de nationalisme arabe</h2>
<p>Or, ce fut le nationalisme arabe qui a largement empêché l’émergence du pluralisme politique et du débat civil au sein de ces sociétés. Les guerres avec Israël ont essentiellement servi d’excuses, dans de nombreux pays de la région, pour justifier des coups d’État et la mainmise des militaires sur la vie publique et constitutionnelle. Il suffit, pour s’en convaincre, de calculer le nombre de décennies passées au pouvoir par chacun des dictateurs arabes, y compris les chefs et les cadres de l’Autorité palestinienne.</p>
<p>Mais l’entreprise la plus radicale et la plus totalisante fut celle des régimes baasistes en Irak et en Syrie, surtout à la suite des accessions au pouvoir de Hafez Al-Assad et de Saddam Hussein, respectivement en 1970 et 1979. Le parti Baas a assumé une mission <em>déconstituante</em> de l’État en Irak et en Syrie pendant plus de trois décennies. Citoyens et élèves apprenaient en effet, dans les manuels scolaires et même dans la Constitution – syrienne en l’occurrence – que les États arabes étaient illégitimes, provisoires et voués à la disparition.</p>
<p>Ce messianisme politique promettant une unité arabe par la révolution baasiste s’accompagnait d’un déni démographique et culturel à l’égard des minorités, notamment les Kurdes. Un déni qui est allé jusqu’au <a href="http://guerredugolfe.free.fr/kurdes.htm">rasage de milliers de villages kurdes</a> dans le nord irakien durant la première guerre du Golfe, sans oublier les <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1998/03/NEZAN/3615">tueries massives aux armes chimiques</a> commises sous la dictature de Saddam Hussein. En Syrie, malgré les <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2015-1-page-e29.htm">changements constitutionnels de 2014</a> qui tentaient de relégitimer le pouvoir en place face à la rébellion, les droits culturels des Kurdes ne sont toujours pas reconnus. De telles semences idéologiques et criminelles implantées pendant à peu près un demi-siècle ne pouvaient que conduire à un éclatement social et institutionnel au moindre affaiblissement de ces Régimes-États.</p>
<p>Aujourd’hui, avec la désintégration territoriale des souverainetés syrienne et irakienne, les Kurdes ne veulent ni cohabiter ni construire leur avenir avec les Arabes. Or, tout comme les Arabes lors de leurs indépendances, les Kurdes se trouvent aujourd’hui devant l’impasse de l’hétérogénéité territoriale ; là où ils sont dominants, ils ne sont pas seuls, mais seulement majoritaires.</p>
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<p>Un <em>statu quo</em> territorial qui conserverait les États existants tout en favorisant une évolution des régimes et la mise en place de systèmes pluralistes et inclusifs ne semble pas à l’ordre du jour. Malgré le Printemps arabe et ses revendications sociales et post-idéologiques, l’heure est à la stagnation et à l’<a href="https://theconversation.com/moyen-orient-le-retour-a-letat-de-nature-64399">indétermination post-étatique</a>.</p>
<h2>La relation entre régime et État</h2>
<p>La crise syrienne a commencé en 2011 avec des <a href="https://www.liberation.fr/planete/2012/03/14/quand-la-syrie-se-revolta_803029/">manifestations populaires</a> exigeant des réformes politiques de la part du régime de Bachar Al-Assad. Ces revendications ne portaient ni sur le contenu identitaire ni sur les frontières nationales de l’État syrien. Elles élaboraient, et c’est là que se justifie leur caractère révolutionnaire, une conscience sociale et post-idéologique de la politique et un esprit constitutionnaliste de l’État.</p>
<p>Or, au Moyen-Orient, il n’y a pas de gouvernements dans un État mais plutôt des Régimes-États. Au sein des monarchies de cette région, le monarque ne symbolise pas l’unité de son peuple mais donne leur nom et leur nationalité à ses sujets. Ainsi, les populations de l’Arabie s’appellent bien « saoudiens » par référence à la souveraineté des Saoud. Les autres monarchies du Golfe présentent moins ce défaut, mais n’en restent pas moins articulées à un régime politique dépassé et sans avenir juridiquement sécurisé, celui de la monarchie médiévale et absolue. De même dans les systèmes dits « républicains » de la région, il n’y pas d’État pour ses habitants, mais seulement des États à hiérarchie ethnique : État nationaliste juif, État nationaliste arabe et peut-être, bientôt, État nationaliste kurde.</p>
<p>Autrement dit, l’homogénéité normative fait totalement défaut et tout conflit est donc voué à dépasser la dialectique justice/injustice, liberté/tyrannie ou peuple/régime politique. En effet, le cadre étatique finalisé au sein duquel se déroulerait l’affrontement entre plusieurs légitimités politiques n’existe pas encore, car la question de la légitimité politique au Moyen-Orient se pose au niveau de <a href="https://theconversation.com/espace-legal-et-espace-legitime-au-moyen-orient-49002">la <em>nature</em> de l’État</a> et non au niveau des luttes sociales et politiques au sein de celui-ci.</p>
<p>L’ouverture de l’espace syro-irakien aux influences régionales et internationales en a constitué la meilleure démonstration dans la mesure où, à la surprise générale, plusieurs embryons et types d’État ont fait surface.</p>
<p>Les Turcs, les Qataris et les Frères musulmans en général ne rêvaient pas d’une démocratie constitutionnelle et pluraliste en Syrie mais d’une constitutionnalité électorale et majoritaire de l’État, copiant les régimes de Morsi en Égypte, d’Erdogan en Turquie ou de Poutine en Russie. Ils ont réussi, d’après plusieurs opposants syriens, à accaparer et orienter les corps représentatifs de l’opposition syrienne, que ce soit au niveau diplomatique ou sur le terrain de guerre.</p>
<p>Quant à l’Iran et au Hezbollah, présents et très ambitieux en Syrie et en Irak, ils se réclament de l’islam chiite révolutionnaire et du système politique des mollahs et des ayatollahs. Ils jouent la carte des minorités de la région et orientent les conflits vers une irréductible opposition entre chiites et sunnites. Daech appartenait à la catégorie saoudienne et médiévale de la monarchie absolue, y ajoutant le devoir religieux du djihad et de l’expansion territoriale. Les Kurdes recopiaient et recopient encore l’erreur arabe et juive de l’État nationaliste et monolithique, et ainsi de suite.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"971675852999098370"}"></div></p>
<p>L’homogénéité normative signifie la <a href="http://www.revistasconstitucionales.unam.mx/pdf/3/art/art8.pdf"><em>sécurité juridique</em></a>. On peut traduire cette notion pour le Moyen-Orient comme ayant deux versants : l’accrochage de tout système politique à la légitimité populaire pour le versant philosophique (le Contrat), et l’accrochage des institutions de l’État à la souveraineté de la loi et des droits de l’homme pour le versant juridique (le Constitutionalisme).</p>
<p>Aujourd’hui, un changement de régime au Moyen-Orient pourrait signifier une transformation, voire une disparition de l’État, suivies d’une multitude de possibilités spatiales imprévisibles et impossibles à anticiper. L’existence juridique de la Syrie ou de l’Arabie saoudite, de l’Irak ou même de l’État d’Israël pourrait très facilement être remise en question. Les alternatives constituantes à ces États sont aussi variées que le nombre de minorités et d’ethnies présentes dans la région (Kurdes, Palestiniens, Druzes, chiites, etc.)</p>
<h2>Les questions d’avenir</h2>
<p>Le Printemps arabe a fait entrevoir, à ses débuts, un possible dépassement des idéologies identitaires et des régimes politiques au profit d’une fixation institutionnelle des États et d’une constitutionnalisation de leur vie politique. S’il est encore vivant, et si l’on veut entretenir sa suite et ses conséquences, il nous faudrait penser les problématiques suivantes :</p>
<ul>
<li><p>Quel est le statut historique du droit à l’autodétermination ? S’agissait-il d’un expédient et d’un d’idéal illusoire mais indispensable pour la sortie de l’Empire aux débuts du XX<sup>e</sup> siècle ? L’État du XXI<sup>e</sup> siècle devrait-il toujours représenter une expression identitaire du politique ?</p></li>
<li><p>Y a-t-il assez de place, d’espace, ou d’homogénéité démographique dans cette région pour satisfaire l’ensemble des légitimités politiques dites constituantes ? Où est la place de l’individu, de sa propre identité et de ses droits sociaux et politiques ?</p></li>
<li><p>La lutte du peuple kurde et celle du peuple palestinien devraient-elles se poursuivre dans le sens de l’autodétermination et de l’indépendance ? Ou bien faudrait-il repenser l’avenir de la région au sein d’États pluralistes et démocratiques, au service de tous leurs habitants et de tous leurs citoyens ? Cela ne résoudrait-il pas également les interrogations existentielles de certaines minorités émergentes, tels les alaouites en Syrie, les sunnites en Irak ou les chiites au Liban et ailleurs ?</p></li>
<li><p>Qu’en est-il des questions émergentes et extrêmement urgentes pour l’avenir de la région, comme le défi écologique, la gestion durable et la répartition équitable des ressources naturelles entre États ? La multiplication et l’apparition de nouveaux États ne constitueraient-elles pas, à cet égard, une menace encore plus grave que celle des conflits identitaires ?</p></li>
<li><p>Enfin, quelles sont les réponses que devraient apporter les initiatives civiles et privées face aux défis éthiques de la technologie, du flux des idées radicales par le web, ou du non-accès de millions de réfugiés à l’éducation et à l’information ? Comment former un <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03264927/document">pouvoir social-numérique</a> dépassant frontières et régimes et contribuant à une représentation civile et citoyenne de la chose politique ?</p></li>
</ul>
<p>Autant d’interrogations nécessaires pour les années à venir…</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/165550/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohamad Moustafa Alabsi a reçu des financements de Mellon Foundation Porgam for Displaced Scholars. </span></em></p>Au Moyen-Orient, les événements de la décennie passée ont profondément remis en cause les États existants, au point de menacer leur existence même.Mohamad Moustafa Alabsi, Chercheur postdoctoral au Mellon Fellowship Program, Columbia Global Centers, Amman, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1646752021-07-29T17:14:43Z2021-07-29T17:14:43ZSyrie : une stabilisation en trompe-l’œil<p>Le 26 mai dernier, le président syrien Bachar Al-Assad était réélu pour un quatrième septennat. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/27/syrie-bachar-al-assad-reelu-president-avec-95-1-des-voix_6081789_3210.html">Remporté avec 95 % des voix</a> face à deux <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210520-pr%C3%A9sidentielle-en-syrie-mahmoud-mare%C3%AF-l-opposant-choisi-par-le-r%C3%A9gime-pour-d%C3%A9fier-bachar-al-assad">figurants</a>, le scrutin fut avant tout l’occasion d’intensifier le culte de la figure présidentielle dans un contexte ambivalent. Alors que la précédente élection s’était tenue en 2014, soit à la veille des défaites militaires qui allaient provoquer l’intervention russo-iranienne l’année suivante, celle de 2021 survient alors que le régime est redevenu maître des <a href="https://www.courrierinternational.com/article/carte-la-syrie-morcelee-apres-dix-ans-de-guerre">deux tiers</a> du territoire national.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1417149083047931908"}"></div></p>
<p>La relative position de force de Damas ne doit toutefois pas occulter le fait que le pouvoir est économiquement exsangue par l’effet combiné des destructions de guerre, du contrôle des principales ressources pétrolières, situées dans l’Est, par les Forces démocratiques syriennes, et des sanctions occidentales : en mars 2021, tandis que s’aggravaient les <a href="https://newlinesinstitute.org/syria/syrian-regime-no-longer-able-to-provide-for-loyalists/">multiples pénuries</a>, la livre syrienne tombait temporairement à 1 % de sa valeur d’avant-guerre.</p>
<p>La traduction politique la plus spectaculaire de cette crise fut l’accroissement des tensions au sein du clan dirigeant, illustré par les messages vidéos qu’a diffusés en 2020 le magnat de l’économie nationale et cousin du président Rami Makhluf, protestant contre la saisie de ses actifs. Cette dernière mesure était elle-même liée, semble-t-il, à une <a href="http://hdl.handle.net/1814/67027">lutte d’influence</a> entre Makhluf et des hommes d’affaires associés à la première dame Asma al-Akhras.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte de l’état du conflit en juillet 2021" src="https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=496&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=496&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=496&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=623&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=623&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/412708/original/file-20210722-23-g6rbno.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=623&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La situation militaire en Syrie en juillet 2021 : en rose, les zones contrôlées par les loyalistes, en jaune, celles maîtrisées par les forces kurdes des FDS. La région d’Idlib est partagée entre zones soumises à des organisations d’opposition, en vert clair, et celles sous l’autorité des islamistes du Gouvernement Syrien de Salut, en blanc. La bande verte au Nord est sous contrôle de rebelles syriens alliés aux forces turques. La poche turquoise au sud-est correspond au territoire des « commandos de la Révolution », groupe rebelle soutenu par l’armée États-Unienne. Enfin, les territoires en violet et orange font l’objet de trêves entre le régime et respectivement des groupes rebelles et les FDS.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ermanarich/Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>La mainmise du régime sur la société reste fragile</h2>
<p>Largement contenu par la main de fer des autorités, le mécontentement populaire provoqué par les conditions économiques s’est toutefois exprimé, notamment durant la présidentielle, par des <a href="https://www.courrierinternational.com/article/contestation-nouvelles-manifestations-anti-assad-soueida-en-syrie">manifestations dans des localités du Sud</a>. Celles-ci demeurent aux mains d’anciens rebelles dits « réconciliés » en vertu d’accords négociés par la Russie en 2018, dans les provinces de Deraa et Quneitra, ou de milices locales d’autodéfense, s’agissant de la région druze de Suweida.</p>
<p>Rien n’indique que ces modestes épisodes de protestation soient les prémices d’un mouvement qui, à l’échelle nationale, parviendrait à surmonter à la fois la polarisation confessionnelle renforcée par le conflit, et la peur d’une nouvelle réponse impitoyable de la part du régime. En revanche, les actes d’opposition <em>armée</em> au régime ont d’ores et déjà repris un caractère endémique dans deux régions du pays. Dans la Badiya (désert), les attaques de l’organisation de l’État islamique (EI) ont fait cinq cents victimes en 2020, soit deux fois plus que l’année précédente, avant de refluer, sans disparaître, suite à un <a href="https://www.mei.edu/publications/new-general-and-fragile-peace-deir-ez-zor?s=09">sursaut militaire loyaliste</a>.</p>
<p>Dans les provinces méridionales de Deraa et Quneitra, des affrontements violents ont opposé d’anciens rebelles aux forces du régime qui tentaient d’investir leurs fiefs à la recherche d’auteurs supposés <a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2021-03-16/syrie/au-moins-21-soldats-du-regime-assad-tues-dans-une-embuscade-dans-le-sud.php">d’attaques armées</a>. En juin 2021, notamment, les hommes de Damas ont assiégé les quartiers de Deraa tenus par les anciens rebelles pour les contraindre à remettre leurs armes légères.</p>
<p>Dans ce contexte, il est extrêmement difficile d’attribuer la responsabilité des assassinats quotidiens et autres opérations de faible envergure qui secouent actuellement le sud du pays. Tandis que des combattants loyalistes et leurs collaborateurs locaux ont été assassinés par des vestiges de l’Armée syrienne libre et des cellules de l’EI, d’ex-commandants rebelles « réconciliés » semblent avoir payé de leur vie le fait d’entraver la volonté de Damas de révoquer les accords de 2018 pour <a href="https://carnegie-mec.org/diwan/83873">rétablir un contrôle direct sur la région.</a></p>
<h2>Les loyalistes divisés face à une guerre inachevée</h2>
<p>D’autres morts violentes, encore, paraissent liées aux rivalités entre les <a href="https://carnegie-mec.org/diwan/83873">différentes forces loyalistes</a> qui se disputent l’allégeance des anciens rebelles, dont les services de renseignements militaires du régime, des groupes pro-iraniens comme le Hezbollah libanais et la 4<sup>e</sup> Division blindée, ou encore le 5<sup>e</sup> Corps d’armée inféodé à la Russie. Ces rivalités se manifestent aussi sur la rive occidentale de l’Euphrate, où la Russie a coopté des unités de groupes paramilitaires comme les Forces de Défense nationale ou la Brigade al-Quds. Téhéran, lui, recrute <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210629-en-syrie-des-milices-pro-iraniennes-r%C3%A9pliquent-aux-raids-am%C3%A9ricains">ses affidés locaux</a> par le biais de ses Pasdaran (Corps des gardiens de la révolution islamique).</p>
<p>La prolifération des paramilitaires nourrit aussi la violence dans la province à majorité druze de Suweida. Face au déclin des financements alloués par le régime, certains groupes locaux se sont lancés dans le rançonnement de sunnites de la province voisine de Deraa, ranimant de ce fait un vieux <a href="https://hdl.handle.net/1814/70657">conflit foncier entre les deux communautés</a> : en 2020, des affrontements entre miliciens druzes et combattants prorusses du 5<sup>e</sup> Corps ont fait des dizaines de morts.</p>
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<p>L’autre grande limite de la « victoire » du régime est bien sûr son incapacité à reprendre le tiers restant du pays. Au nord-ouest, les rebelles sont protégés par l’armée turque, tandis que l’est de l’Euphrate est tenu par les Forces démocratiques syriennes (FDS) commandées par des militants kurdes et soutenues par les forces américaines. En juillet 2021, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=dPQnQwdn2ng">aucune modification significative des lignes de front</a> n’était survenue depuis le cessez-le-feu conclu le 5 mars 2020 par la Russie et la Turquie. Cette dernière, inquiète d’un nouvel afflux de réfugiés sur son territoire, venait alors de lancer une opération militaire d’envergure contre les forces du régime de Damas qui s’approchaient dangereusement de la ville d’Idlib tenue par les rebelles.</p>
<h2>À l’extérieur comme à l’intérieur des territoires du régime, chaos et violence</h2>
<p>Comme les territoires contrôlés par le régime, ceux qu’administrent ses rivaux connaissent également leur lot de crise économique, de contestation et de violence. S’agissant des territoires gouvernés par l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie, pendant civil des FDS, des <a href="https://syriadirect.org/beyond-conscription-what-does-manbijs-unrest-reveal-about-sdf-rule-in-northeast-syria/">manifestations violemment réprimées</a> en juin dernier dans la ville de Manbij sont venues souligner le ressentiment d’une partie des populations arabes envers un leadership kurde auquel elles reprochent notamment son régime de conscription.</p>
<p>Sur le plan militaire, les FDS combattent sur trois fronts. Dans le nord des provinces d’Alep et de Raqqa, des accrochages les opposent régulièrement à l’armée turque et aux factions rebelles unifiées par Ankara au sein de l’Armée nationale syrienne (ANS). Les relations avec le régime se sont aussi considérablement tendues après l’échec de négociations organisées début 2020 en vue d’un rapprochement politique. Les tensions ont culminé en avril dernier lorsque les FDS ont arraché à Damas le <a href="https://www.al-monitor.com/originals/2021/04/syrian-government-kurdish-forces-end-dispute-qamishli">contrôle de la quasi-totalité de la ville de Qamishli</a> après en avoir expulsé des paramilitaires des Forces de Défense nationale recrutés parmi les tribus arabes locales. Enfin, les FDS font, elles aussi, face à l’<a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/syrie-deux-ans-apres-la-chute-de-son-califat-le-groupe-etat-islamique-continue-d-etendre-son-influence_4325747.html">insurrection de basse intensité</a> que mène l’EI dans la province arabophone de Deir ez-Zor.</p>
<p>Les trois enclaves <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/syrie/offensive-turque-en-syrie/l-article-a-lire-pour-comprendre-l-offensive-turque-contre-les-forces-kurdes-en-syrie_3652771.html">directement contrôlées par l’armée turque</a> le long de la frontière nord (Afrin, A’zaz al-Bab et Tell Abiyad Ras al-’Ayn) sont fréquemment le théâtre d’attentats à la bombe et d’attaques armées perpétrés à la fois par des combattants kurdes des YPG (colonne vertébrale des FDS, liés au Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) opérant en Turquie) et par des cellules de l’EI.</p>
<p>La violence dans la région est aussi le produit de combats fratricides qui opposent régulièrement entre elles les factions rebelles inféodées à la Turquie. Principalement motivés par des considérations économiques telles que le contrôle de la contrebande, ces affrontements font émerger des lignes de fracture régionales (entre des factions locales et d’autres originaires de Deir ez-Zor ou de Damas) ou ethniques (entre Turkmènes et Arabes).</p>
<h2>Idlib, futur épicentre de l’implosion qui vient ?</h2>
<p>À Idlib, enfin, les islamistes de Hay’a Tahrir al-Sham (HTS) et leur façade civile, le Gouvernement syrien de salut, ont <a href="https://www.mei.edu/publications/hts-not-al-qaeda-it-still-authoritarian-regime-be-reckoned?s=09">renforcé leur mainmise sur la province</a> en réprimant à la fois la société civile et les factions jihadistes radicales. Celles-ci, à l’instar des pro-al-Qaïda de Hurras al-Din, dénoncent les compromis idéologiques d’HTS et en particulier sa coopération avec l’armée turque. En réponse à cette répression ont émergé de nouvelles formations jihadistes obscures qui ont posé des engins explosifs improvisés au passage de véhicules russes et turcs patrouillant dans la province.</p>
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<p>Les menaces extérieures pesant sur Idlib sont toutefois d’une tout autre ampleur. La <a href="https://www.la-croix.com/Syrie-Assad-prete-serment-quatrieme-septennat-2021-07-17-1301166730">reprise des bombardements loyalistes</a> durant le printemps 2021 pèse sur la vie des habitants, de même que la menace russe d’un veto contre la prolongation par le Conseil de Sécurité de l’ONU de l’aide humanitaire transfrontalière vers la province rebelle. À ce mécanisme, Moscou oppose sa demande de corridors humanitaires partant des territoires contrôlés par le régime, première étape vers le rétablissement graduel de la souveraineté de Damas sur Idlib.</p>
<p>Un compromis sur la poursuite de l’aide transfrontalière pour une durée de douze mois fut arraché de justesse en juillet 2021 mais la question du veto russe se posera à nouveau dans un an. Un tel veto <a href="https://www.thenewhumanitarian.org/analysis/2021/5/26/syria-aid-at-risk-in-security-council-vote">compromettrait très gravement la sécurité alimentaire</a> des trois millions d’habitants de la province d’Idlib. Par là même, elle exposerait cette dernière à un risque d’implosion économique qui pourrait, à son tour, mettre un point final au (très) relatif statu quo militaire qui prévaut en Syrie depuis seize mois.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164675/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Pierret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que Bachar Al-Assad vient d’être réélu président, l’illusion de stabilité du pays cache mal un chaos généralisé, susceptible de dégénérer à court terme.Thomas Pierret, Chargé de recherches à l’Institut de Recherches et d’Études sur les Mondes Arabes et Musulmans (IREMAM), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1569862021-03-21T17:42:12Z2021-03-21T17:42:12ZLa carte kurde dans le jeu de Joe Biden face à l’Iran<p>La politique syrienne de l’administration Biden ne peut être décorrélée de son approche des relations avec l’Iran. Or, en la matière, en dépit d’une <a href="https://www.nytimes.com/2021/02/18/us/politics/biden-iran-nuclear.html">volonté proclamée de négocier avec la République islamique</a>, la stratégie des pressions se poursuit, compliquant pour l’instant toute perspective de pourparlers avec Téhéran.</p>
<p>Le 28 février dernier, l’Iran a <a href="https://www.washingtonpost.com/national-security/iran-rejects-early-nuclear-talks-us/2021/02/28/e62ee95c-79f2-11eb-85cd-9b7fa90c8873_story.html">rejeté</a> une proposition de discussion informelle avec les pays européens et les États-Unis dans une configuration où Washington <a href="https://www.challenges.fr/monde/les-etats-unis-ne-leveront-pas-pour-l-instant-les-sanctions-contre-l-iran-dit-biden_749892">maintient les sanctions contre Téhéran</a> et refuse toujours de donner son consentement au déblocage des <a href="https://www.eastasiaforum.org/2021/02/19/resolving-south-koreas-iran-conundrum">fonds iraniens gelés en Corée du Sud</a>.</p>
<h2>Des soutiens de poids à la cause kurde au sein de la nouvelle administration</h2>
<p>L’administration Biden a en fait adopté une politique duale envers l’Iran, maintenant à la fois des canaux de négociation et de pression, notamment contre le principal allié de Téhéran, le régime syrien de Bachar Al-Assad.</p>
<p>La stratégie mise en œuvre sous le mandat de Donald Trump et consistant à dénier au régime syrien l’accès à une <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Dans-le-contexte-de-l-operation-militaire-turque-Source-de-paix-retour-sur-les.html">région particulièrement riche en ressources agricoles et énergétiques</a>, le nord-est du pays, sous contrôle des Forces démocratiques syriennes (FDS, coalition hétéroclite de forces supervisée par le PYD, branche syrienne du PKK), est poursuivie par une <a href="https://foreignpolicy.com/2021/03/05/biden-middle-east-team-pentagon-state-department-nsc/">nouvelle administration</a> qui compte en son sein d’ardents promoteurs de la cause kurde, à l’instar du coordinateur pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord au Conseil de sécurité nationale <a href="https://telquel.ma/2021/01/18/qui-est-brett-mcgurk-le-coordinateur-de-la-politique-americaine-au-moyen-orient-et-en-afrique-du-nord_1708148">Brett Mc Gurk</a> ou de la directrice pour la Syrie et l’Irak à ce même Conseil de sécurité nationale <a href="https://npasyria.com/en/37006/">Zehra Bell</a>.</p>
<p>Le premier a réaffirmé, à plusieurs reprises, le rôle incontournable joué par les FDS dans la stabilisation de la Syrie et défendu l’option d’un renforcement du soutien aux Kurdes, allant jusqu’à <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2018/dec/22/us-anti-isis-envoy-brett-mcgurk-quits-trump-syria-withdrawal">démissionner en décembre 2018</a> de son poste d’émissaire américain auprès de la coalition internationale anti-Daech pour marquer son opposition à la décision de Trump de retirer ses troupes de Syrie et d’abandonner ses alliés.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1359185290276048898"}"></div></p>
<p>Zehra Bell, en charge au sein de l’administration Biden des dossiers Syrie et Irak et proche collaboratrice de Brett Mc Gurk, a su quant à elle concilier sa précédente mission de chef de l’équipe d’intervention pour l’assistance à la transition en Syrie avec celle de conseillère informelle de Mazloum Abdi, commandant des FDS à Kobané.</p>
<p>Enfin, le nouveau secrétaire d’État, Antony Blinken, préconisait pour sa part en 2019 de renforcer le volet dissuasion de l’approche américaine, estimant qu’en Syrie, Washington a fait <a href="https://www.brookings.edu/blog/order-from-chaos/2019/01/04/america-first-is-only-making-the-world-worse-heres-a-better-approach/">« l’erreur de ne pas en faire assez »</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, dans les faits, l’administration américaine semble reconduire le pari stratégique du soutien aux Kurdes dans une zone d’<a href="https://www.mei.edu/publications/syrian-oil-crisis-causes-possible-responses-and-implications">importance vitale</a>. Cette mobilisation du facteur kurde est une constante de la politique américaine en Syrie.</p>
<h2>L’instrumentalisation des Kurdes au gré des priorités de l’agenda américain</h2>
<p>À mesure de l’évolution du conflit, les Kurdes se sont trouvés dans un rapport de dépendance stratégique trop élevé vis-à-vis de l’acteur américain, bien qu’ils n’aient jamais renoncé à leurs revendications nationalistes.</p>
<p>En 2011, dans le contexte de la crise, ils se distancient de l’opposition syrienne sous influence turque, en proie à des contradictions internes et accusée de ne pas reconnaître l’« identité kurde ». En juillet 2012, les Kurdes perçoivent dans le retrait partiel de l’armée syrienne du nord du pays l’opportunité d’occuper le vide et de concrétiser progressivement leurs aspirations. Mais l’évolution du rapport de force sur le terrain pulvérise cette dynamique autonome. Après l’offensive éclair du groupe État islamique (EI) en Syrie, les Kurdes se retrouvent <a href="https://www.reuters.com/article/ofrtp-syrie-islamistes-kobani-idFRKCN0HS1EH20141003">assiégés en octobre 2014 à Ain Arab</a> (Kobané), leur survie dépendant de l’aide des Américains après que les Russes, alliés à Damas, se soient montrés peu enclins à les soutenir.</p>
<p>Le poids de la réalité géopolitique et de ses contraintes impose donc aux Kurdes une alliance avec les États-Unis qui rend obsolète leur engagement idéologique – le PYD étant l’avatar du PKK turc, qui prône une idéologie <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=54A2DwAAQBAJ">anti-impérialiste</a> et est inscrit sur la <a href="https://www.state.gov/foreign-terrorist-organizations">liste américaine des organisations terroristes</a>.</p>
<p>Perçus comme la principale force combative et efficace dans la lutte contre le groupe EI, notamment après l’échec du <a href="https://www.lepoint.fr/monde/syrie-le-pentagone-reduit-son-programme-d-entrainement-de-rebelles-09-10-2015-1972215_24.php">programme américain de formation et d’équipement de rebelles syriens modérés</a>, les Kurdes deviennent le fer-de-lance de Washington et empêchent l’EI d’établir une liaison entre ses deux « capitales », Mossoul (en Irak) et Raqqa (en Syrie).</p>
<p>Cette coopération étroite entre les Américains et les Kurdes s’expliquerait, <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/syria/2019-04-16/hard-truths-syria">selon Brett Mc Gurk</a>, par la position intransigeante de la Turquie qui oppose une fin de non-recevoir aux demandes américaines de coordination opérationnelle dans le cadre de la lutte contre le groupe EI.</p>
<p>Une divergence d’approche dans la gestion de la crise syrienne a refroidi les relations entre Ankara et Washington. Alors que la Turquie réclamait une intervention militaire américaine massive à ses côtés pour favoriser un changement de régime en Syrie, elle se heurte au refus de Barack Obama en mai 2013. Les accrocs se sont multipliés à mesure que les États-Unis renforçaient leur soutien aux Kurdes sous couvert de lutte contre le groupe EI. Dans la perception d’Ankara, c’est bien l’aide américaine aux forces kurdes de Syrie – toutes liées au PKK perçu comme une menace pour l’intégrité territoriale et l’unité nationale de la Turquie – qui a dans une large mesure conforté les ambitions kurdes. De leur côté, les États-Unis voyaient d’un mauvais œil <a href="https://info.arte.tv/fr/turquie-daesherdogan-liaisons-dangereuses">l’attitude complaisante des Turcs à l’égard de l’EI</a> (une attitude s’expliquant par le fait que, aux yeux des Turcs, les deux dangers principaux étaient les <a href="https://information.tv5monde.com/info/kurdes-pour-la-turquie-pkk-plus-menacant-que-ei-46862">Kurdes</a> et le régime de Damas, plus que les groupes djihadistes).</p>
<p>Pourtant en dépit d’une alliance tactique avec les forces kurdes, Washington tente de ménager les intérêts de son partenaire stratégique turc. À plusieurs reprises, les Kurdes sont abandonnés à leur sort : l’épisode de la <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/2018/02/09/31002-20180209ARTFIG00284-bataille-d-afrine-la-trahison-des-kurdes-par-les-occidentaux.php">bataille d’Afrine</a> en 2018 en est une illustration éclatante.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/J_XRAyto87U?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le soutien aux Kurdes demeure ainsi tributaire des priorités de l’agenda américain, qui évolue au gré du contexte. Après l’annonce, en décembre 2018, du retrait américain de Syrie, vécue comme une <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/En-Syrie-Kurdes-sentent-trahis-2018-12-21-1200991068">véritable trahison par les Kurdes</a>, Trump réaménage sa décision, souscrivant au point de vue des néoconservateurs. La priorité donnée à l’objectif de l’affaiblissement de l’Iran conduit les États-Unis à utiliser à la fois les sanctions en tant que leviers de pressions politiques contre le régime iranien, et à recourir aux instruments de la guerre hybride à travers les opérations spéciales comme <a href="https://www.lepoint.fr/monde/mort-de-soleimani-une-operation-sans-precedent-pour-l-armee-americaine-03-01-2020-2356024_24.php">l’élimination du général iranien Soleimani</a>, et le soutien aux minorités, notamment les Kurdes en Syrie.</p>
<h2>Changement d’administration mais continuité de la politique américaine en Syrie</h2>
<p>La nouvelle administration conforte certains principes directeurs de la politique syrienne de la précédente.</p>
<p>Pour traiter avec l’Iran, qui n’a cessé de <a href="http://www.opex360.com/2020/07/09/liran-va-renforcer-la-defense-aerienne-syrienne/">renforcer sa présence militaire en Syrie</a>, ses capacités balistiques et son soutien aux groupes qui lui sont organiquement liés comme le Hezbollah, il est devenu important pour Washington de réduire son potentiel de nuisance à l’échelle régionale. La stratégie de <em>Ressources Denial</em> privant d’accès le régime de Damas aux ressources du nord-est syrien crée un enjeu politique intérieur majeur, avec le risque d’une résurgence de la contestation, d’autant que l’<a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/menasource/2021-budget-reveals-the-depth-of-syrias-economic-woes/">économie syrienne est exsangue</a>.</p>
<p>Mais cette approche est surtout conçue dans une logique de marchandage dans la perspective des négociations à venir avec l’Iran – bien que, pour l’instant, les <a href="https://responsiblestatecraft.org/2021/02/28/iran-rejects-meeting-as-bidens-slow-diplomacy-hits-predictable-snag/">conditions ne semblent pas réunies</a> pour progresser dans la direction d’un retour à l’accord nucléaire.</p>
<p>Les deux options – discuter avec l’Iran et faire pression sur la Syrie – ne sont pas contradictoires mais devraient permettre à terme aux Américains de négocier en position de force en posant de nouvelles conditions. Il s’agit également d’un gage donné à Israël <a href="https://newlinesmag.com/reportage/israel-to-biden-tehran-can-wait/">inquiet des perspectives d’un retour à l’accord sur le nucléaire et de la politique moyen-orientale</a> de la nouvelle administration américaine.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1327254837902401536"}"></div></p>
<p>Les <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-56205056">récentes frappes américaines en Syrie</a> en réponse aux attaques menées contre le personnel américain et de la coalition en Irak illustrent également cette volonté de l’administration Biden de ne pas séparer le cadre propre à la politique syrienne de celui, plus général, de la confrontation avec l’Iran, l’affaiblissement du rôle régional de ce dernier demeurant une priorité.</p>
<h2>Un pari risqué pour les Kurdes</h2>
<p>Quant aux Kurdes, s’ils s’enhardissent dans leurs prétentions territoriales en mettant à profit ce nouveau contexte, cette stratégie n’est pas sans conséquences.</p>
<p>D’un côté, l’engagement américain est loin d’être indéfectible et si l’équipe Biden voit aujourd’hui dans le facteur kurde un atout stratégique majeur, la configuration est susceptible d’évoluer au gré de la redéfinition des intérêts de Washington.</p>
<p>De l’autre, la gestion des ressources dans le nord-est de la Syrie est de plus en plus contestée par les populations arabes locales et réveille les antagonismes latents. Comme l’a rappelé, en janvier dernier, l’ex-ambassadeur américain en Syrie, Robert Stephen Ford <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/turkey/2021-01-25/us-strategy-syria-has-failed">dans un article pour Foreign Affairs</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les alliés kurdes syriens des États-Unis ont exacerbé les tensions régionales de longue date entre Arabes et Kurdes. Parmi les communautés arabes en particulier, il existe une frustration généralisée face à la domination politique kurde – rendue possible par les États-Unis – et au contrôle kurde des champs pétrolifères locaux. Les résidents arabes protestent également contre la corruption administrative présumée des FDS, les opérations antiterroristes brutales et les pratiques de conscription. Pour leur part, les forces kurdes ont commis des attentats à la voiture piégée contre des villes arabes sous contrôle militaire turc. Dans un tel environnement, chargé de tensions ethniques et de conflits tribaux, l’État islamique peut opérer avec l’acceptation tacite des communautés locales et recruter dans leurs rangs. »</p>
</blockquote>
<p>Sans le soutien américain, les Kurdes ne pourraient assumer cette politique de plus en plus affirmée de revendication territoriale. Mais en faisant le pari exclusif de Washington pour parvenir à former une entité territoriale enclavée dans le nord-est de la Syrie, ils courent le risque, cette fois, d’un conflit ethnique. </p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156986/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Affaiblir l’Iran en promouvant l’autonomie kurde dans le nord-est de la Syrie voisine : telle est la ligne complexe choisie par l’administration Biden.Lina Kennouche, Doctorante en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1361482020-04-19T17:57:11Z2020-04-19T17:57:11ZIdlib : vers un rapprochement entre la Turquie et les États-Unis ?<p>Début 2020, la guerre civile syrienne semble toucher à sa fin : seule la province d’Idlib demeure sous le joug des rebelles. Cette région, jusqu’alors épargnée grâce au cessez-le-feu négocié avec la Turquie en septembre 2018, est pourtant la cible d’une offensive du régime de Damas le 27 février dernier, qui se solde par la mort d’une trentaine de soldats turcs. Une escalade s’ensuit. La Turquie contre-attaque, laissant ses alliés de l’Alliance atlantique perplexes. S’ils témoignent leur solidarité à Ankara, ils n’en redoutent pas moins qu’un conflit éclate entre un allié de l’OTAN et la Russie, sans qui l’offensive d’Al-Assad n’aurait pas été possible.</p>
<p>Face à l’éventualité d’un tel développement qui ne sied ni à Moscou ni à Ankara, les deux pays s’accordent sur la mise en place d’un <a href="http://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20200305-syrie-les-pr%C3%A9sidents-turc-et-russe-s-entendent-cessez-le-feu-%C3%A0-idleb">nouveau cessez-le-feu</a> le 5 mars, prévoyant l’instauration d’un corridor de sécurité de 6 km de profondeur le long de certaines sections de la stratégique autoroute M4 qui traverse la province d’Idlib et est surveillée conjointement par des patrouilles russes et turques.</p>
<p>Mais au-delà de la résolution de la guerre civile syrienne, se joue à Idlib la place de l’État pivot turc sur les échiquiers américain et russe. Cet épisode illustre en effet la fragilité de la relation turco-russe et la dépendance d’Ankara envers une OTAN qu’elle a <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/syrie-le-president-turc-demande-le-soutien-concret-de-l-otan-20200309">directement sollicitée</a> ; il pourrait favoriser un apaisement de la relation turco-occidentale et contribuer à ce que la Turquie s’éloigne de la Russie.</p>
<h2>Les fractures turco-américaines</h2>
<p>Afin de comprendre dans quelle mesure la crise d’Idlib peut permettre d’envisager une amélioration de la relation turco-occidentale, on ne peut faire l’économie du contexte dans lequel elle s’inscrit. Parce que les tensions entre Washington et Ankara sont particulièrement vives, cet article privilégie l’étude de la relation turco-américaine.</p>
<p>Depuis le début de la guerre civile syrienne, les contentieux n’ont cessé de croître entre la Turquie et ses alliés de l’OTAN, à commencer par les États-Unis. Alors qu’en 2011 Ankara s’engage, de concert avec la France, dans le soutien à la rébellion face à Al-Assad, l’administration Obama adopte une position plus timorée, condamnant certes le régime de Damas mais se montrant peu encline à s’investir dans ce conflit et à soutenir concrètement l’opposition.</p>
<p>Cette oscillation n’est pas sans générer de l’amertume à Ankara qui réclame en outre, depuis fin 2012, la création d’une zone de sécurité à sa frontière pour faire face à l’afflux massif de réfugiés qui cherchent l’asile en Turquie et en Europe, ce que les <a href="https://www.publicaffairsbooks.com/titles/derek-chollet/the-long-game/9781610396608/">Américains refusent</a>. La rancœur turque s’accroît encore lorsque l’administration Obama, suite à l’utilisation de gaz sarin par le régime d’Al-Assad en 2013 contre sa population – ligne rouge fixée par les Américains –, <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2013/09/01/01003-20130901ARTFIG00018-le-volte-face-de-barack-obama-sur-la-syrie.php">fait volte-face</a> et annule au dernier moment l’opération prévue.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1035413571755225088"}"></div></p>
<p>Surtout, c’est l’arrivée de Daech sur le terrain syrien qui place la relation entre la Turquie et l’Occident au bord du précipice. Car en 2014, afin de lutter contre l’État islamique, les Américains et les Européens décident de soutenir et d’armer le PYD/YPG en dépit des fortes objections formulées par Ankara qui considère ces formations comme étant des émanations du PKK, groupe terroriste kurde opérant contre son pays. L’anti-américanisme des Turcs est alors à son paroxysme. Du côté des Américains, la déception grandit également face à la dérive autoritaire qui s’esquisse à Ankara et la réticence de l’allié turc à agir décisivement contre Daech (le YPG/PKK étant l’ennemi prioritaire).</p>
<p>Le coup d’État de juillet 2016 en Turquie et les gigantesques <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/turquie-la-purge-sans-fin-derdogan-994557">purges</a> qui s’ensuivent aggravent les tensions entre Washington et Ankara, le gouvernement AKP allant jusqu’à accuser les États-Unis d’avoir contribué à la tentative de putsch, tandis que l’administration Obama déplore les manquements démocratiques turcs.</p>
<p>Dans ce contexte, la <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/united-states/2018-05-08/friends-benefits">Turquie se rapproche de la Russie</a> qui, contrairement à ses alliés européens et américains, s’est empressée de témoigner sa solidarité aux Turcs suite au coup d’État. Ce rapprochement russo-turc débouche même sur l’acquisition par Ankara de missiles anti-aériens russes, les <a href="https://www.trtworld.com/turkey/what-does-the-purchase-of-russian-s-400s-mean-to-turkey-409563">S-400</a>, nouvelle source de friction entre la Turquie et l’Occident. Non seulement un allié de l’OTAN achète du matériel militaire à la Russie, mais surtout le système des S-400 est jugé incompatible avec les F-35 de l’OTAN que la Turquie devait recevoir, au motif que Moscou pourrait recueillir des renseignements sur ces F-35 de <a href="https://www.csis.org/analysis/great-unwinding-us-turkey-arms-sales-dispute">nature à compromettre leurs capacités</a>. La livraison de ces appareils à Ankara est donc suspendue.</p>
<h2>L’occasion d’apaiser les relations avec la Turquie ?</h2>
<p>Pourtant, la relation russo-turque n’est guère solide, les deux partenaires étant des rivaux historiques et soutenant des camps opposés dans divers conflits régionaux que ce soit en Libye ou en Syrie, le cas d’Idlib en étant l’illustration la plus notable. Cette collision russo-turque peut dès lors permettre d’envisager un rapprochement turco-occidental. On l’a dit, face à l’assaut d’Al-Assad, Ankara s’est tournée de nouveau vers ses alliés de l’OTAN et <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_173923.htm">a convoqué l’article 4 de l’Alliance atlantique</a>, en vertu duquel « tout allié peut demander des consultations chaque fois qu’il estime que son intégrité territoriale, son indépendance politique ou sa sécurité est menacée ».</p>
<p>Le secrétaire général de l’organisation, Jens Stoltenberg, s’empresse d’<a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/opinions_174288.htm">apporter son soutien à la Turquie</a>, suivi du secrétaire d’État américain <a href="https://www.state.gov/secretary-pompeos-remarks-to-the-press/">Mike Pompeo</a>. Dans la foulée, la Turquie <a href="https://www.nytimes.com/2020/02/27/world/middleeast/russia-turkey-syria-war-strikes.html">réitère sa volonté</a> de voir l’OTAN établir une zone de sécurité dans le nord-est de la Syrie afin de limiter l’afflux massif de réfugiés se dirigeant vers le territoire turc et de protéger les civils d’Idlib ; peut-être peut-on aussi y voir une tentative d’Erdogan de peser sur les négociations d’après-guerre afin que les Kurdes du nord-est de la Syrie soient <a href="https://www.nytimes.com/2020/02/22/opinion/syria-turkey-refugees.html">tenus à l’écart de son pays</a>.</p>
<p>De plus, non sans ironie, Ankara, qui vient de recevoir les S-400 russes, réclame à ses alliés des missiles Patriot américains pour faire face à l’offensive syro-russe. Si l’Espagne, dans le cadre de l’OTAN, les fait parvenir à la Turquie, Washington, elle, appose une condition préalable : <a href="https://www.state.gov/u-s-ambassador-to-nato-kay-bailey-hutchison-on-u-s-engagement-in-nato/">qu’Ankara rende le système des S-400 inopérable</a>, ce que le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Çavusoǧlu, refuse pour l’heure.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1235538047443193857"}"></div></p>
<p>Convaincre les Turcs de ne pas activer les S-400 serait un accomplissement majeur en vue du sauvetage de la relation turco-américaine. Le Sénat ne serait alors pas en mesure d’apposer des sanctions à la Turquie en vertu du <a href="https://www.treasury.gov/resource-center/sanctions/Programs/Pages/caatsa.aspx">CAATSA (Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act)</a> comme il s’apprête à le faire.</p>
<p>Si le retrait des troupes américaines du nord-est de la Syrie en octobre 2019 a déjà permis une amélioration – la question des milices kurdes n’étant plus source de friction –, retirer la seconde épine fragilisant cette relation permettrait de consolider ce rapprochement. En revanche, comme le souligne un <a href="https://fas.org/sgp/crs/mideast/R44000.pdf">rapport du Congressional Research Service</a>, en cas d’échec Trump ne pourra plus faire pression sur le Congrès pour empêcher la mise en place desdites sanctions, dont l’adoption aurait très probablement pour conséquence d’attiser la rancœur des Turcs, qui se rapprocheraient alors de la Russie et l’Iran, <a href="http://www.theses.fr/2019USPCA051">crainte majeure</a> des États-Unis depuis les années 1990. Il faut dire que l’État pivot turc est considéré comme une pièce maîtresse de l’échiquier eurasiatique et moyen-oriental américain, indispensable pour contrer l’influence de Moscou et Téhéran dans ces régions ; son détournement définitif de l’Occident, tel celui de l’Iran en 1979, serait une perte stratégique majeure.</p>
<h2>Une sortie de crise en perspective ?</h2>
<p>Si une fenêtre d’opportunité s’ouvre bel et bien aujourd’hui, il n’est pas certain que la relation turco-américaine se solidifie à terme.</p>
<p>Certes, dans un contexte où la superpuissance américaine se désengage des affaires du Moyen-Orient et où la Turquie, a contrario, souhaite jouer un rôle de leader régional, on peut imaginer qu’une collaboration se maintienne, les États-Unis sous-traitant certains dossiers à la puissance émergente turque. Seulement, les intérêts d’Ankara peuvent parfois se heurter à ceux de Washington ou à ceux d’autres alliés des États-Unis tels Israël ou l’Arabie saoudite. Ainsi, selon toute vraisemblance, dans un contexte où la communauté de valeurs libérales s’érode, la relation turco-américaine a vocation à devenir ad hoc et donc à être moins idéalisée que par le passé.</p>
<p>Par ailleurs, notons qu’en dehors de la dimension militaire et stratégique, la relation bilatérale est très faiblement instituée dans ses composantes économique et culturelle, la rendant très vulnérable dès que surviennent des conflits régionaux ou des divergences de points de vue puisque <a href="http://www.theses.fr/2019USPCA051">rien de fort ne la soude</a>.</p>
<p>Pour consolider la relation bilatérale, il faudrait donc pallier ces lacunes. Surtout, pour que cette relation puisse s’améliorer substantiellement, il faudrait régler les problèmes posés par le fort anti-américanisme des Turcs et l’hostilité à la Turquie d’Erdogan de la société civile américaine et du Congrès.</p>
<p>Ainsi, si la crise d’Idlib pouvait permettre de sauver la relation turco-américaine du naufrage, elle ne saurait suffire pour la remettre à flot à long terme. Reste à savoir dans quelle mesure l’actuelle crise sanitaire du Covid-19 détournera encore davantage l’attention des États-Unis des enjeux moyen-orientaux. L’administration Trump – ou celle de son successeur – sera-t-elle prête à s’investir dans cet effort ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136148/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Margaux Magalhaes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’offensive syrienne sur la poche d’Idlib a forcé la Turquie à se tourner vers Washington et vers l’OTAN. L’alliance d’Ankara avec les forces occidentales reste toutefois fragile.Margaux Magalhaes, Enseignante chercheuse , Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1350012020-03-31T18:20:26Z2020-03-31T18:20:26ZLa Turquie et ses voisins face à l’épidémie<p>Alors que la Chine semble avoir endigué l’épidémie sur son territoire, le coronavirus continue son expansion mondiale. En Europe, les gouvernements prennent les uns après les autres des mesures similaires pour lutter contre la propagation du virus mais peinent à avancer de concert. Si sur le plan sanitaire le Covid-19 nous met face à un danger commun, les enjeux sociaux, politiques et économiques en lien avec son développement restent propres à chaque territoire et chaque juridiction.</p>
<p>Cet article présente un état des lieux de la situation turque et de ses espaces frontaliers sud-ouest, sud et sud-est, à savoir les îles grecques qui abritent actuellement de nombreux migrants ; l’espace nord-syrien (à l’Ouest Idlib, proie à d’importants mouvements de populations ; à l’Est la région du Rojava sous domination kurde et les zones occupées par l’armée turque) ; et enfin l’île divisée de Chypre. Malgré les conflits et les divisions que connaît cette région du monde, cette approche régionale met en évidence l’impossibilité de gérer la pandémie sans coopération.</p>
<h2>Nouvelles de Turquie</h2>
<p>Le 10 mars 2020, la propagation du virus Covid-19 connaît une croissance rapide dans plusieurs pays d’Europe. Le ministre turc de la Santé, Fahrettin Koca, <a href="https://www.aa.com.tr/en/health/turkey-at-high-risk-for-coronavirus-health-minister/1761018">déclare</a> alors que si aucun cas n’a encore été répertorié dans le pays, le risque est extrêmement élevé. Il incite ses concitoyens à limiter les contacts, à rester chez eux et à prendre des mesures pour protéger leurs aînés.</p>
<p>L’absence du moindre cas révélé paraît alors surprenante. L’Iran teste positivement ses deux premiers patients atteints du Covid-19 le 19 février. Dès le 23, Ankara annonce la fermeture de sa frontière avec Téhéran et la suspension des vols à destination et originaires d’Iran. Si le niveau des échanges entre les deux pays n’est pas particulièrement élevé, à échelle locale, certaines villes de l’est du pays, comme Van par exemple, sont en contact fréquent avec la population voisine.</p>
<p>Dès le lendemain de la déclaration du ministre de la Santé, le 11 mars 2020, un citoyen turc, de retour d’Europe, est testé positif. Une semaine plus tard, le 18 mars, Recep Tayyip Erdogan <a href="https://www.al-monitor.com/pulse/originals/2020/03/erdogan-speech-coronavirus.html">annonce</a> la mise en place de mesures économiques majeures. Parallèlement aux ordres de confinement partiel (confinement pour les plus de 65 ans, fermeture des écoles et des universités, bars, clubs, restaurants, administrations et entreprises considérées comme non essentielles), le président turc annonce le déblocage d’un fonds de 100 milliards de livres turques, soit un peu plus de 14 milliards d’euros, pour soutenir les entreprises ; le gel des prêts bancaires des entreprises auprès des banques turques ; et la suspension du paiement des assurances nationales dans près de 11 secteurs d’activité.</p>
<p>Au vu de la crise économique dans laquelle le pays est plongé depuis 2016, l’impact de ces décisions est difficile à mesurer pour l’économie turque. Sur le plan sanitaire, le gouvernement élargit la pratique des tests aux 81 provinces du pays et non plus seulement aux principaux foyers d’infection. Malgré l’attitude proactive et rassurante des autorités, une partie de la population turque s’inquiète de la rétention d’informations qui semble être opérée. Le 19 mars 2020, l’organisation Reporters sans frontières (RSF) dénonçait ainsi l’arrestation de deux journalistes turcs pour avoir révélé la contamination d’un médecin, dans la province de Bartın au bord de la mer Noire pour cause de <a href="https://twitter.com/RSF_inter/status/1240645428028284928">« trouble à l’ordre public »</a>. L’information a été confirmée et les journalistes libérés. Le 26 mars, c’est un journaliste d’Izmir qui a été entendu par la police <a href="https://twitter.com/RSF_fr/status/1243148513334222848">pour avoir évoqué deux nouveaux cas de Covid-19 dans sa région</a>. Au 29 mars 2020, le bilan officiel fait état de <a href="https://ahvalnews.com/turkey-coronavirus/turkey-confirms-23-new-deaths-coronavirus-total-cases-spike-9217-live-blog">9127 cas déclarés et de 131 morts</a>. Selon les décomptes de l’<a href="https://91-divoc.com/pages/covid-visualization/">université Johns Hopkins</a>, la Turquie fait maintenant partie des pays où le nombre de cas augmente le plus rapidement. Les hôpitaux turcs ont d’ores et déjà reçu de l’équipement et des médicaments de Chine et <a href="https://www.middleeasteye.net/news/coronavirus-turkey-using-special-drug-china-treat-patients">se préparent à la vague à venir</a>.</p>
<h2>La situation des réfugiés aux frontières de la Turquie</h2>
<p>Le 13 mars 2020, l’organisation Médecins sans frontières exprime dans un <a href="https://www.msf.fr/actualites/coronavirus-plus-que-jamais-l-urgence-de-l-evacuation-des-camps-grecs">communiqué</a> l’urgence d’évacuer les camps grecs de réfugiés où sont installés les migrants. Et pour cause ! À eux cinq, les hotspots des îles de Chios, Lesbos, Samos, Kos et Leros « accueillent » actuellement une population de 42 000 personnes. L’insalubrité de ces camps, due au faible nombre de points d’eau et à la promiscuité des populations qui y sont installées, rend tout confinement impossible et en fait des lieux à très hauts risques de contamination. Le camp de la Moria sur l’île de Lesbos, qui compte à lui seul une population d’environ 20 000 habitants, et en est l’exemple le plus consternant.</p>
<p>Contrairement à ce qui a été véhiculé dans les médias ces dernières semaines, les statistiques du Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations-Unies montrent que les arrivées migratoires sur les îles depuis les côtes turques sont stables et <a href="https://data2.unhcr.org/en/situations/mediterranean/location/5179">n’ont pas connu de pic particulier</a>. Aussi, aucun cas de coronavirus n’a été officiellement répertorié dans le camp pour le moment. Mais les arrivées régulières de populations venues de Turquie constituent un réel risque de propagation. Si le virus venait à se répandre, les dispensaires de santé implantés sur les îles seront incapables de faire face.</p>
<h2>La province d’Idlib en Syrie</h2>
<p>Ces dernières semaines, les combats opposant les forcées armées turques et les forces d’opposition syriennes aux troupes du président Bachar Al-Assad ont forcé un million de personnes à fuir vers le nord en direction de la frontière turque. La plupart ont trouvé refuge dans des écoles, des mosquées et des camps de fortune notamment gérés par la Turquie. La situation sanitaire est si dramatique qu’il serait risible d’espérer voir se mettre en place des mesures sérieuses pour lutter contre la propagation du virus.</p>
<p>Plus à l’Est, les régions occupées par Ankara sont soumises aux <a href="https://twitter.com/Aufildubosphore/status/1243300226175315970">mêmes mesures que la Turquie</a>. L’administration kurde du Nord-Est, particulièrement isolée depuis le retrait américain, a appelé au confinement de sa population <a href="https://www.kurdistan24.net/en/news/c8dc5da3-a2b9-4161-a8e4-de0e67b2121b">malgré des moyens très limités</a>, son approvisionnement en eau étant sous le contrôle de l’armée turque <a href="https://www.kurdistan24.net/en/news/cfa20d02-03e5-4ea3-968f-f65e08d86311">depuis l’offensive d’octobre 2019</a> et les moyens de dépistage étant pour l’instant <a href="https://rojavainformationcenter.com/2020/03/interview-world-health-organization-syria-rep-on-coronavirus-in-north-and-east-syria/">centralisés à Damas</a>.</p>
<p>Le 22 mars, le régime syrien déclarait son premier cas reconnu de coronavirus. Dès le lendemain, le 23 mars, le secrétaire général des Nations-Unies Antonio Guterres appelait à un cessez-le-feu total en Syrie afin que des moyens puissent être déployés pour endiguer l’épidémie dans un pays où une grande partie du système de santé a été détruit. Au-delà du risque vécu par les réfugiés, la contamination de ces populations qui ne pourraient être soignées constitue un <a href="https://foreignpolicy.com/2020/03/26/syrias-revenge-on-the-world-will-be-a-second-wave-of-coronavirus/">réel risque de seconde vague de propagation</a>.</p>
<h2>Politique de gestion à Chypre</h2>
<p>Au sud-est de la Turquie, l’épidémie de coronavirus donne un nouveau tour au conflit qui oppose les deux parties de l’île de Chypre. Un cas d’école pour aborder la sécuritisation croisée des enjeux sanitaires, migratoires, économiques et sociopolitiques en temps de pandémie mondiale.</p>
<p>Dès février 2020, la rupture par la Turquie de l’accord migratoire qui la lie à l’UE entraîne de très fortes tensions à la frontière greco-turque. La République de Chypre est concernée depuis 2016 par une très forte augmentation du nombre de demandeurs d’asile. Selon les données du Cyprus Refugee Council, le <a href="https://www.asylumineurope.org/reports/country/cyprus">nombre de primo-demandeurs d’asile est passé de 3 055 en 2016 à 7 760 en 2018</a>. Pour 2019, selon l’avis de plusieurs associations qui travaillent auprès des primo-arrivants, le nombre dépasse celui de 2018, faisant officiellement de Chypre le pays de l’UE avec le plus haut taux de demandeurs d’asile dans sa population (3,5 % selon les autorités locales).</p>
<p>Alliée traditionnelle de la Grèce, la République s’efforce d’« européaniser » sa propre situation, en formulant son cas comme découlant du non-respect par la Turquie de l’accord migratoire afin de <a href="https://www.infomigrants.net/en/post/18724/cyprus-asks-for-eu-help-as-migrant-numbers-soar">solliciter un appui de Bruxelles</a>. La plupart des arrivées venant du Nord, le discours officiel tend à faire le lien entre le conflit, l’ingérence turque et l’augmentation des arrivées, un discours <a href="https://cyprus-mail.com/2020/03/03/anastasiades-concerned-by-deliberate-efforts-to-alter-cyprus-demographic-character-update-3/">qui ne se vérifie pas sur le terrain</a>.</p>
<p>Dans le même temps, l’épidémie de coronavirus, qui semblait pour le moment se concentrer sur l’Asie, commence à toucher l’Europe, et en particulier l’Italie, ou le premier décès local intervient le 21 février. Entre le 28 février et le 9 mars, le gouvernement de la République de Chypre prend deux mesures, officiellement non liées : <a href="http://press.cydialogue.org/2020/03/09/gcc-press-review-9-mar-2020/">envoi de 21 garde-frontières à la frontière gréco-turque</a> et fermeture, pour la première fois depuis les années 2000, de quatre postes-frontières de la Ligne verte, dont les <a href="https://in-cyprus.philenews.com/coronavirus-four-checkpoints-to-close-for-seven-days-as-government-steps-up-measures/">deux postes piétons les plus importants pour l’industrie touristique du Nord</a>.</p>
<p>Des manifestations tendues ont lieu au point de passage principal, dans le centre de Nicosie, pendant une semaine, des deux côtés. Alors que des militants pro-réunification et les autorités turques-chypriotes demandent la <a href="https://cyprus-mail.com/2020/02/29/police-looking-at-footage-from-ledra-st-protest-after-scuffles/">réouverture du passage</a>, des supporters du parti d’extrême droite ELAM, proche du parti grec neo-nazi Aube Dorée, demandent la <a href="https://www.lgcnews.com/elam-demands-closure-of-all-border-check-points/">fermeture rapide de tous les autres checkpoints</a>. Une procédure de fermeture irréalisable en temps normal, la réglementation de la Ligne verte relevant de Bruxelles. Une déclaration évoquant un <a href="https://in-cyprus.philenews.com/cyprus-unveils-measures-on-green-line-to-tackle-irregular-migration/">futur durcissement des conditions de passage de la frontière</a> avait déjà entraîné un rappel des règles en vigueur de la part de la Commission en novembre dernier.</p>
<p>Depuis, la situation a empiré. Le 10 mars, les premiers cas sont détectés de chaque côté, et les deux gouvernements ont fermé les frontières internes et externes et confinent leur population. Plus de passages officiels donc, mais pour combien de temps ? Certains, au sud, seront partisans de les maintenir fermés le plus longtemps possible. La pandémie laissera des traces ici, comme dans de nombreux territoires où la fermeture des frontières est devenue ces dernières années une revendication politique de premier plan.</p>
<p>Sur le plan migratoire, les mesures prises dans le sud sont pourtant peu efficaces : la fermeture des checkpoints n’empêche pas les passages, qui se poursuivent dans des zones boisées. Elles sont aussi décalées vis-à-vis des mesures sanitaires : les demandes d’asile ne sont plus étudiées depuis le 17 mars selon l’association Cyprus Asylum Council, bien avant la mise en place du confinement total le 25 mars. Une partie auront un impact sur le long terme : la mise en quarantaine du camp de réception de Purnara est défendue comme mesure prophylactique mais <a href="https://cyprus-mail.com/2020/01/27/plans-for-closed-centres-for-asylum-seekers-to-curb-illegal-migration/">envisagée avant la crise</a>. Pour la première fois, un bateau de 175 Syriens a été refoulé au large de l’île le 20 mars, officiellement pour cause d’épidémie. Les associations accusent le gouvernement d’utiliser l’épidémie comme d’une excuse pour envoyer un signal aux candidats à la migration. Le bateau s’est échoué le lendemain sur une plage du Nord.</p>
<p>À Chypre-Nord, le gouvernement a beau jeu de mettre en valeur <a href="https://www.20minutes.fr/monde/2745223-20200321-chypre-175-syriens-debarquent-partie-nord-ile">l’accueil que le pays a fait au bateau syrien</a>, avec le soutien d’associations locales financées par l’Union européenne. Exsangue financièrement, sous perfusion turque, il semble vouloir lutter contre les conséquences économiques du confinement en exacerbant les différences entre les Turcs-chypriotes et les étrangers, réservant un sort flou aux citoyens turcs : si Chypre-Nord a fermé ses frontières aux Turcs, même détenteurs d’un visa, les résidents bénéficieront des mesures de soutien économique, contrairement aux autres étrangers. Ces derniers, qui forment près de 20 % de la population, privés également des services de transferts de fonds, se retrouvent dépendants d’une aide alimentaire essentiellement privée.</p>
<p>Les touristes européens, chez qui les premiers cas du Covid-19 ont été identifiés, ont été rapatriés, mais les près de 30 000 étudiants africains et moyen-orientaux, accusés de grossir les rangs des travailleurs clandestins tout en faisant vivre une des principales industries de service du territoire, concentrent les <a href="https://gazeddakibris.com/tatar-afrika-kokenli-insanlari-adaya-kim-getirdiyse-sorumlulugu-da-onlardadir/">angoisses d’une partie de la population locale</a>. Si bien que plusieurs politiciens ont appelé à les expulser massivement ou à les <a href="http://m.detaykibris.com/ticaret-odasi-baskani-deniz-ulkede-kalan-yabancilar-telli-bolgeye-konsun-213203h.htm">parquer dans des camps militaires</a>.</p>
<h2>L’indispensable coopération</h2>
<p>Chacun à leur manière, les acteurs politiques de la région tentent de mettre en place le nécessaire pour limiter la propagation du virus sur leur territoire. Persiste alors une interrogation. Dans quelle mesure ces politiques d’endiguement pourront-elles être efficace si l’espace voisin n’est pas en capacité d’agir aussi efficacement ? Ni la mer, ni les barricades, ni les tranchées n’arrêtent le virus. Celui-ci nous place face à une évidence : l’impérieuse nécessité de coopérer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135001/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Adrian Foucher a bénéficié d'une allocation doctorale du Ministère de l'Enseignement Supérieure et de la Recherche et est membre du collectif de chercheur.e.s indépendant Noria.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Théotime Chabre a bénéficié d'une allocation doctorale du Ministère de l'Enseignement Supérieure et de la Recherche ainsi que de financements pour des séjours de recherche à Chypre, en Turquie et à Bruxelles dans le cadre de l'Institut Convergences Migration. Il est également membre du collectif de chercheur.e.s indépendant Noria</span></em></p>L’épidémie affecte fortement la Turquie, qui a engagé des dépenses colossales pour soutenir ses entreprises, et menace les zones voisines comme le nord de la Syrie, Chypre et les îles grecques.Adrian Foucher, Doctorant en géographie, membre de l'équipe Monde arabe et Méditerranée, UMR Citeres et membre de l'axe Migration et Mobilité de l'Institut français d'études anatoliennes à Istanbul, Université de ToursThéotime Chabre, Doctorant en sociologie et sciences politiques, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1325512020-03-01T16:53:58Z2020-03-01T16:53:58ZComprendre la politique d’accueil turque à l’égard des réfugiés syriens<p>En mars 2016, la Turquie et l’Union européenne signaient un <a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/que-contient-l-accord-ue-turquie-sur-les-migrants.html">accord pour mettre fin aux traversées migratoires de la Turquie vers l’Europe</a>. Responsable depuis cette date du gardiennage des frontières européennes, le gouvernement turc, et à sa tête le président Recep Tayyip Erdogan, menace régulièrement les Européens d’ouvrir le « robinet migratoire ». Vendredi 28 février, la <a href="https://www.aljazeera.com/news/2020/02/turkish-soldiers-killed-air-raid-syria-idlib-200227211119672.html">mort de 33 soldats turcs</a> suite à des opérations aériennes du régime syrien marque un sérieux revers à la fois militaire et politique pour Ankara qui réclame le soutien de l'UE et de l'Otan. Pour mettre la pression sur les Occidentaux, les autorités d'Ankara viennent de conduire, ce week-end, plusieurs dizaines de milliers de réfugiés aux frontières grecque et bulgare. Un bras de fer s’engage autour de la question des réfugiés, complètement instrumentalisée par la politique turque. </p>
<p>Comment en est-on arrivé là ? Quels sont les ressorts de la politique turque sur ce dossier ?</p>
<h2>Comment la Turquie est devenue la première terre d’accueil au monde ?</h2>
<p>Début 2011, un vent de manifestations souffle en Syrie. De nombreux chercheurs et experts de la région <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Pas_de_printemps_pour_la_Syrie-9782707177759.html">analysent</a> alors ces mouvements dans la continuité des printemps arabes. Le gouvernement baasiste les perçoit-il comme des révoltes susceptibles de le renverser ? Ce qui est sûr, c’est que la <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/09/15/syrie-six-mois-de-revolte-et-de-repression_1572834_3218.html">répression est brutale</a>.</p>
<p>Dès le mois d’octobre, l’<a href="https://www.lemonde.fr/blog/syrie/2011/10/17/que-sait-on-de-l%E2%80%99armee-syrienne-libre/">Armée syrienne libre</a> se constitue. En lutte contre les forces du régime, elle prend le contrôle d’une partie du nord-ouest du pays. Ankara, pourtant engagée dans une politique de rapprochement avec Damas, <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2012-3-page-93.htm">se positionne contre son alliée</a>, soutient les rebelles et mène une politique qualifiée de <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2016-4-page-87.htm">« porte ouverte »</a> à l’égard des réfugiés venus de Syrie. Le gain potentiel est de taille pour la Turquie : en cas de chute du régime syrien, elle bénéficierait de la reconnaissance du nouveau pouvoir en place et d’un statut d’acteur humanitaire de premier plan. C’est sans compter avec les puissants alliés de Damas et l’<a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00841955/file/Syrie_Guerre_civile_et_internationalisation_du_conflit_2_.pdf">internationalisation du conflit</a> qui va l’inscrire dans la durée.</p>
<p>Dès 2013, plus de 200 000 Syriens ont trouvé refuge en Turquie ; ils seront 2,5 millions en 2015 et 3,6 millions en 2020. À partir de 2014, ces arrivées font de la Turquie le <a href="https://www.unhcr.org/56655f4e0.pdf">premier pays d’accueil au monde pour les réfugiés devant le Pakistan</a>. Ces statistiques issues des services migratoires turcs sont à prendre avec des pincettes, mais l’importante présence syrienne sur le territoire turc est indéniable.</p>
<p>À proprement parler, les Syriens ne sont pas des réfugiés, tel que l’entend la <a href="https://www.unhcr.org/fr/convention-1951-relative-statut-refugies.html">Convention de Genève de 1951</a>. Ils bénéficient d’un statut de « protection temporaire » qui leur donne accès gratuitement aux différents services d’État – hôpitaux, système éducatif… – et au marché du travail. Dans les faits, la situation est plus nuancée, nombre de Syriens travaillant de façon informelle et <a href="http://www.gam.gov.tr/files/5-2.pdf">dans des conditions parfois jugées indignes</a>.</p>
<h2>Au-delà de l’accueil, une politique d’intégration</h2>
<p>Depuis 2011, une faible proportion de Syriens choisit de s’installer dans les camps de réfugiés ouverts par le gouvernement, préférant les grandes villes du pays et leurs périphéries : Istanbul et Izmir à l’ouest, en raison de l’attractivité économique qu’elles suscitent ; la province d’Hatay, Kilis, Gaziantep et Şanlıurfa au sud, pour leur proximité géographique avec la Syrie.</p>
<p>Le facteur local joue un rôle important dans les conditions d’accueil. L’espace turc est vaste, d’une grande diversité ; aussi les situations diffèrent-elles fortement d’un endroit à un autre. À Kilis, ville située à la frontière turco-syrienne, la <a href="https://ahvalnews.com/refugees/kilis-police-take-arabic-lessons-migrants-exceed-local-population">population syrienne a dépassé en nombre la population turque</a>. Tout le contraire d’Antakya, située également à la frontière, où les Syriens sont globalement absents et installés dans des villes périphériques plus modestes. À Gaziantep, important pôle économique régional, les Syriens sont particulièrement visibles et participent au dynamisme économique de la ville. Dans les rues de Gaziantep, l’arabe est devenu aussi courant que le turc. À Izmir, les Syriens sont particulièrement rassemblés dans le district de Basmane, jusque-là peuplé majoritairement de Kurdes.</p>
<p>Balayeurs de rue, collecteurs de déchets, travailleurs saisonniers, employés, cadres et chefs d’entreprise, commerçants, restaurateurs, étudiants… À l’exception de la fonction publique nécessitant la nationalité turque, les Syriens sont présents dans les différentes couches de la société. En 2018, plus de 50 000 Syriens (le nombre a depuis augmenté) au profil d’ingénieurs, de médecins, d’entrepreneurs, parlant le turc et répondant à une liste de critères attestant de leur motivation à rester en Turquie, ont obtenu la nationalité turque. À noter que, au cours des entretiens pour l’obtention de la nationalité, il est par exemple demandé aux candidats s’ils ont pour projet de quitter le pays et, aux hommes célibataires, s’ils aimeraient épouser une femme turque.</p>
<p>Du côté de la population, la présence syrienne est perçue de manière de <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/growing-anti-syrian-sentiment-in-turkey">plus en plus mitigée</a>. Depuis 2016, le pays est victime d’une importante <a href="https://orientxxi.info/magazine/turquie-une-economie-ballotee,3105">crise économique</a> et traversé par de profonds <a href="https://www.lepoint.fr/monde/l-economie-turque-malmenee-par-l-instabilite-politique-18-06-2019-2319455_24.php">remous politiques</a>. La présence syrienne fait l’objet de tensions de plus en plus vives, la société turque n’échappant pas à ce réflexe universel qui consiste à désigner l’étranger comme responsable de tous les maux.</p>
<h2>L’imbrication de l’humanitaire et du militaire</h2>
<p>Le 9 octobre 2019, le lancement de l’<a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Dans-le-contexte-de-l-operation-militaire-turque-Source-de-paix-retour-sur-les.html">opération militaire « Source de paix »</a>, en réaction au départ des troupes américaines dans le nord-est syrien, interroge. Le pouvoir turc annonce vouloir instaurer un <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2019/02/23/97001-20190223FILWWW00169-syrie-erdogan-veut-une-zone-de-securite-sous-controle-turc.php">bandeau de sécurité</a> où seraient réimplantés 2 millions de Syriens présents sur son sol. L’enjeu pour Ankara est de nature purement sécuritaire.</p>
<p>L’objectif affiché étant d’anéantir les YPG – groupe armé kurde de Syrie perçu par Ankara comme l’extension du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, un mouvement considéré par la Turquie, les <a href="https://www.state.gov/foreign-terrorist-organizations/">États-Unis</a> et l’<a href="https://www.irishtimes.com/news/eu-puts-kurdish-pkk-iran-rebels-on-terror-list-1.422013">Union européenne</a> comme terroriste) –, les Syriens seraient un moyen de noyer démographiquement cette zone de peuplement kurde. Mais ce plan est-il seulement réaliste ? Dans le nord-est, la situation est pour l’instant figée. La ville de Kobané est toujours entre les mains des Kurdes. Dans l’ouest, en revanche, les <a href="https://www.lepoint.fr/monde/syrie-environ-70-combattants-tues-dans-de-violents-affrontements-a-idleb-01-12-2019-2350660_24.php">violents affrontements pour le contrôle d’Idlib</a> opposant les Turcs et l’armée nationale syrienne d’un côté aux forces loyalistes du régime syrien et russes de l’autre a provoqué l’exode de 900 000 personnes aux portes de la frontière turque. L’ONU réclame un cessez-le-feu et l’installation d’un couloir humanitaire en réaction à la <a href="https://news.un.org/en/story/2020/02/1057551">plus grave crise depuis le début du conflit syrien</a>.</p>
<p>Depuis 2011, la politique d’accueil turque développée à l’égard des réfugiés originaires de Syrie est indéniablement l’une des plus élaborées dans le domaine. Les Nations unies n’ont par ailleurs pas manqué de saluer le volontarisme turc au cours des grands rassemblements humanitaires qui se sont tenus ces dernières années. Mais les derniers événements interrogent quant à la manière dont Ankara pourrait « utiliser » les réfugiés dans sa gestion des conflits en cours et montrent toute l’ambiguïté de sa politique humanitaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132551/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Adrian Foucher a bénéficié d'un contrat doctoral de la part du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche et est membre du collectif de chercheur.e.s Noria.
Cet article a bénéficié de l'aide financière du Migration Media Award, prix journalistique récompensant des travaux dans le domaine des migrations, financé par l'Union européenne.
Cet article ne reflète que le point de vu de son auteur.</span></em></p>La Turquie est aujourd’hui la première terre d’accueil au monde : elle héberge sur son territoire des millions de Syriens ayant fui la guerre civile. Une politique qui n’est pas dénuée d’ambiguïtés.Adrian Foucher, Doctorant en géographie, membre de l'équipe Monde arabe et Méditerranée, UMR Citeres et membre de l'axe Migration et Mobilité de l'Institut français d'études anatoliennes à Istanbul, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1252722019-10-19T08:37:42Z2019-10-19T08:37:42ZParmi les Kurdes visés par l’offensive turque : les milliers de femmes qui ont affronté Daech<p>Les combattants kurdes qui font face à l’offensive turque – dont on vient d’apprendre la <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Turquie-suspend-provisoirement-offensive-Syrie-2019-10-18-1201055128">suspension temporaire</a> – ont comparé la décision de Donald Trump de retirer les troupes américaines du nord de la Syrie à un <a href="https://www.thetimes.co.uk/edition/world/trump-has-stabbed-us-in-the-back-over-us-troop-withdrawal-claim-kurds-7mb8w8ql6">« coup de poignard dans le dos »</a>.</p>
<p>Depuis le début des bombardements, le 9 octobre, les opérations militaires menées par l’armée turque dans le nord de la Syrie contre les Forces démocratiques syriennes – qui sont les alliés les plus déterminés et les plus efficaces de Washington dans la guerre contre Daech – ont fait <a href="https://www.straitstimes.com/world/middle-east/amnesty-accuses-turkey-of-war-crimes-in-syria">au moins 72 morts parmi la population</a> et plusieurs autres dans les rangs des combattants kurdes, au sein desquels les pertes pourraient se compter en <a href="https://www.reuters.com/article/us-syria-security-turkey-usa/thousands-flee-hundreds-reported-dead-in-turkish-attack-on-us-allied-kurds-in-syria-idUSKBN1WP0VH">dizaines</a>, voire en <a href="https://www.aljazeera.com/news/2019/10/turkey-military-operation-syria-latest-updates-191011060434166.html">centaines</a>.</p>
<p>Les combattants kurdes sont des partenaires majeurs des États-Unis au Moyen-Orient. Entre 2003 et 2017, ils ont contribué à renverser le régime de Saddam Hussein, <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/middleeast/iraq/10896557/Iraq-crisis-al-Qaeda-inspired-forces-battle-Kurdish-fighters-on-the-frontline-of-a-new-war.html">lutté contre Al-Qaïda</a> et <a href="https://www.cnn.com/2017/09/27/middleeast/kurdish-independent-state/index.html">chassé Daech</a> du nord de l’Irak et de la Syrie.</p>
<p>Les femmes <a href="http://www.bbc.co.uk/news/resources/idt-sh/female_front_line">ont largement participé</a> à ces combats, comme c’est le cas depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, période à laquelle la commandante kurde Kara Fatma <a href="https://cdnc.ucr.edu/cgi-bin/cdnc?a=d&d=DAC18871114.2.56">dirigea un bataillon ottoman</a> de 700 hommes et 43 femmes contre l’Empire russe.</p>
<p>C’était certes inhabituel à l’époque, mais les femmes kurdes font depuis longtemps figure d’exceptions dans un Moyen-Orient en général très conservateur.</p>
<h2>Qui sont les Kurdes ?</h2>
<p>Le Kurdistan, où je suis né, est l’une des plus grandes nations du monde à ne pas avoir d’État propre. Quelque 35 millions de Kurdes occupent une région montagneuse qui s’étend sur une partie de la Turquie, de l’Iran, de l’Irak, de la Syrie et de l’Arménie.</p>
<p>Le peuple kurde a été divisé une première fois sur le plan politique au XVII<sup>e</sup> siècle, quand son territoire a été réparti entre les <a href="https://thediplomat.com/2014/08/this-16th-century-battle-created-the-modern-middle-east/">empires ottoman et safavide</a>. Lorsque l’érudit romain Pietro Della Valle se rendit dans la région, il s’étonna d’y croiser « des femmes kurdes qui se déplaçaient en toute liberté, sans porter le hijab ». Il précisa par ailleurs dans <a href="https://quod.lib.umich.edu/e/eebo/A65012.0001.001?view=toc">son carnet de voyage de 1667</a> qu’elles « s’entretenaient avec les hommes, Kurdes comme étrangers, sans la moindre difficulté ».</p>
<p>Après la Première Guerre mondiale, les <a href="https://www.britannica.com/event/Sykes-Picot-Agreement">accords Sykes-Picot</a>, conclus entre la Grande-Bretagne et la France, ont conduit au tracé de frontières arbitraires au sein du Moyen-Orient <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/world/kurdistan-independence-referendum/how-kurds-became-part-of-iraq">et à la création de protectorats coloniaux</a>. Ce partage a de nouveau divisé le peuple kurde, en quatre pays distincts : la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie tels que nous les connaissons aujourd’hui.</p>
<p>Depuis, les Kurdes n’ont eu de cesse de se battre pour leur indépendance. Au cours des dernières décennies, ils sont parvenus à établir des régions autonomes en <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/world/kurdistan-independence-referendum/history-of-britain-and-the-kurdish-people/">Irak</a> et en Syrie.</p>
<p>En revanche, leur <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1057/9780230513082_6">lutte armée</a> se poursuit en Iran et en Turquie. Les deux pays considèrent que cette minorité ethnique représente une menace terroriste et <a href="https://www.amnesty.org/en/countries/middle-east-and-north-africa/iran/report-iran/">oppriment les populations kurdes en toute impunité</a>.</p>
<p>Cette configuration a placé le Kurdistan – qui se trouve être, sur son territoire, une nation plutôt pacifique et prospère, car dotée <a href="https://www.economist.com/news/middle-east-and-africa/21587271-iraqi-kurds-haven-peace-being-buffeted-last-turmoil">d’importantes réserves pétrolières</a> – au cœur d’un véritable bourbier sur le plan géopolitique.</p>
<p>Jusqu’à la récente volte-face de Donald Trump, les États-Unis ont apporté leur concours aux Kurdes en Syrie, en Irak et en Iran, ce qui s’est révélé <a href="https://www.reuters.com/investigates/special-report/mideast-crisis-kurds-land/">essentiel dans le cadre de la lutte contre Daech</a>, puisque pas moins de <a href="https://www.washingtonpost.com/national-security/pentagon-wont-take-over-islamic-state-prisons-if-partner-forces-withdraw-officials-say/2019/10/08/32ba187e-e9d9-11e9-9c6d-436a0df4f31d_story.html">11 000 membres de l’organisation terroriste ont été capturés</a>.</p>
<p>Or la Turquie, alliée des États-Unis, estime que les Forces armées syriennes sont intimement liées au <a href="http://www.bbc.com/news/world-europe-20971100">Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK</a>, lequel se bat en faveur de l’autonomie kurde en Turquie depuis les années 1980.</p>
<p>En mai 2018, plus de 250 personnes ont été tuées lorsque la Turquie <a href="http://www.bbc.com/news/world-middle-east-43447624">a bombardé la ville syrienne d’Afrin, à majorité kurde</a>, considérée par l’armée turque comme un « corridor terroriste ».</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/296518/original/file-20191010-188814-vn0ny4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/296518/original/file-20191010-188814-vn0ny4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/296518/original/file-20191010-188814-vn0ny4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/296518/original/file-20191010-188814-vn0ny4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/296518/original/file-20191010-188814-vn0ny4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/296518/original/file-20191010-188814-vn0ny4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/296518/original/file-20191010-188814-vn0ny4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/296518/original/file-20191010-188814-vn0ny4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des panaches de fumée s’élèvent du côté syrien, aux abords de la frontière sud-est de la Turquie, au cours des bombardements des forces turques, le 10 octobre 2019.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.apimages.com/metadata/Index/APTOPIX-Turkey-US-Syria/089e0fb4fdc44d3c820608d92280a802/3/0">Lefteris Pitarakis/AP</a></span>
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<h2>Les féministes du PKK</h2>
<p>Si le PKK, mouvement marxiste-léniniste fondé en 1978, fait sans conteste figure d’<a href="https://www.washingtonpost.com/news/monkey-cage/wp/2017/03/21/how-competition-helped-then-hurt-kurds-in-turkey/">adversaire de l’État turc</a>, il s’agit aussi de l’un des mouvements les plus féministes de tout le Moyen-Orient.</p>
<p>L’organisation politique a tenu son premier congrès sur les droits des femmes en 1987. À cette occasion, Sakine Cansiz, cofondatrice du parti <a href="http://www.bbc.com/news/world-europe-20968375">assassinée en 2013</a>, faisait valoir que le principe fondateur du PKK, à savoir « l’émancipation de tous », s’appliquait aussi aux femmes.</p>
<p>Aujourd’hui, l’une des priorités politiques du parti consiste en la reconnaissance expresse de la place essentielle des <a href="http://www.e-flux.com/journal/63/60907/to-make-a-world-part-iii-stateless-democracy/">minorités religieuses, des dissidents et des femmes au sein de la vie démocratique</a>.</p>
<p>Dans les régions autonomes kurdes d’Irak et de Syrie, les femmes jouissent des <a href="https://theconversation.com/turkish-attack-on-syria-endangers-a-remarkable-democratic-experiment-by-the-kurds-125105">mêmes droits que les hommes</a>. Par ailleurs, le gouvernement régional kurde irakien <a href="https://thekurdishproject.org/history-and-culture/kurdish-women/">compte une plus forte proportion de femmes</a> que le gouvernement du Royaume-Uni, par exemple (30 % contre 20 %).</p>
<p>La charte de la Fédération syrienne semi-autonome du Kurdistan, établie en 2012, prévoit que les femmes occupent au moins <a href="http://www.e-flux.com/journal/63/60907/to-make-a-world-part-iii-stateless-democracy/">40 % des postes dans la fonction publique</a>. Chaque institution publique syrienne kurde doit en outre être coprésidée par un homme et par une femme.</p>
<p>Les femmes représentent par ailleurs <a href="https://thekurdishproject.org/history-and-culture/kurdish-women/">30 % des combattants kurdes déployés au Moyen-Orient</a>. Plus de 25 000 Kurdes sont par ailleurs mobilisées en Syrie au sein des Unités de protection des femmes, brigades exclusivement féminines reflétant les <a href="https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37467">principes d’émancipation des femmes du PKK</a>. À titre de comparaison, l’armée américaine ne compte que <a href="https://www.cnn.com/2013/01/24/us/military-women-glance/index.html">14 % de femmes dans ses rangs</a>.</p>
<p>Ce sont des troupes kurdes féminines qui ont sauvé des milliers de Yazidis <a href="https://www.aljazeera.com/news/2016/07/iraq-yazidis-living-fear-mount-sinjar-160726063155982.html">pris au piège par Daech sur le mont Sinjar en Irak</a> en 2014, et ont participé à la <a href="https://www.cnn.com/2017/10/20/middleeast/raqqa-syria-isis-total-liberation/index.html">libération de la ville de Raqqa du joug de l’organisation terroriste en 2017</a>.</p>
<h2>Égalité au front, mais pas sur tous les fronts</h2>
<p>Malgré la relative liberté dont jouissent les femmes au Kurdistan par rapport à d’autres régions du Moyen-Orient, l’égalité des sexes n’est pas un fait accompli dans la société kurde.</p>
<p>En 2014, au Kurdistan irakien, seuls <a href="https://www.opendemocracy.net/westminster/zeynep-n-kaya/women-in-post-conflict-iraqi-kurdistan">12 juges sur 250 étaient des femmes, et le gouvernement ne comptait qu’une ministre</a>. Les mutilations génitales féminines, les mariages d’enfants et les crimes d’honneur – l’assassinat de femmes accusées d’avoir déshonoré la famille d’un homme – <a href="http://www.nytimes.com/2010/11/21/world/middleeast/21honor.html">persistent</a>, notamment dans les zones rurales du territoire kurde. De plus, à ma connaissance, les préoccupations féministes telles que l’égalité salariale ou le mouvement #MeToo ne sont pas d’actualité dans la région. </p>
<p>Il apparaît par ailleurs clairement, d’un point de vue historique, que de nombreuses dirigeantes kurdes de renom n’ont réussi que dans la mesure où leur émancipation ne remettait pas en cause l’autorité masculine. Au cours de la Première Guerre mondiale, Lady Adela Khanum, alors à la tête de la province kurde d’Halabja, a sauvé la vie de <a href="https://thekurdishproject.org/history-and-culture/famous-kurds/lady-adela-khanum/">nombreux officiers de l’armée britannique sur le champ de bataille</a>, ce qui lui a valu d’être surnommée la « Princesse des braves ».</p>
<p>Il se trouve qu’elle n’avait accédé au pouvoir à la mort de son mari. Bien qu’elle ait gouverné la province de 1909 à 1924, elle n’a rien fait de particulier en faveur des droits des femmes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/209981/original/file-20180312-30994-cr7n6t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/209981/original/file-20180312-30994-cr7n6t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/209981/original/file-20180312-30994-cr7n6t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/209981/original/file-20180312-30994-cr7n6t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/209981/original/file-20180312-30994-cr7n6t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=428&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/209981/original/file-20180312-30994-cr7n6t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=428&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/209981/original/file-20180312-30994-cr7n6t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=428&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Alors que les femmes britanniques se battaient encore pour obtenir le droit de vote, la dirigeante kurde Lady Adela menait ses propres troupes dans le cadre de la Grande Guerre.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Lady_Adela#/media/File:Lady_Adela.jpg">Wikimedia</a></span>
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</figure>
<h2>Une liberté durement acquise</h2>
<p>Bien souvent, lorsque les femmes kurdes ont été perçues comme défiant l’autorité masculine, elles l’ont payé très cher, parfois de leur vie.</p>
<p>C’est ce qui est arrivé à la toute première femme à avoir combattu au sein de l’armée kurde. Margaret George Malik a rapidement gravi les échelons d’une hiérarchie exclusivement masculine dans les années 1960, ce qui l’a amenée à diriger les troupes kurdes au cours de la guerre d’indépendance contre l’Irak.</p>
<p>Elle a été <a href="http://kurdishquestion.com/oldarticle.php?aid=beyond-kurdistan-remembering-those-who-lost-their-lives-for-the-kurds">assassinée en 1969 dans des circonstances non élucidées</a>. Certains historiens pensent qu’elle a été tuée par son amant pour avoir rejeté sa demande en mariage, tandis que d’autres sont convaincus qu’elle a été assassinée par les autorités kurdes, qui voyaient d’un mauvais œil son influence croissante. Quoi qu’il en soit, le meurtre de Margaret Malik témoigne des combats que doivent encore mener les femmes kurdes aujourd’hui.</p>
<p>Il est intéressant de noter que, dans la langue kurde, le mot « femme », <em>jin</em>, a la même racine que le terme utilisé pour désigner la vie, <em>jiyan</em>. <em>Jin</em> et <em>jiyan</em> sont par ailleurs tous deux liés au mot <em>jan</em>, qui renvoie aux contractions de l’accouchement.</p>
<p>Dans une région où de multiples menaces pèsent sur elles – qu’il s’agisse des frappes de la Turquie, des actes terroristes perpétrés par Daech ou des multiples manifestations du patriarcat –, les femmes du Kurdistan se battent pour rester en vie et demeurer libres, au prix d’efforts considérables et courageux.</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Damien Allo pour <a href="http://www.fastforword.fr/">Fast ForWord</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125272/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Haidar Khezri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’offensive turque contre le Kurdistan met notamment en danger des milliers de femmes qui ont héroïquement combattu Daech.Haidar Khezri, Assistant Professor, University of Central FloridaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1234742019-10-10T21:36:59Z2019-10-10T21:36:59ZUn corridor de la paix est-il possible après le retrait des troupes américaines au nord-est de la Syrie ?<p>Le 7 octobre, Donald Trump crée la surprise en annonçant le retrait de l’armée américaine de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/07/washington-donne-son-accord-a-une-offensive-turque-en-syrie_6014519_3210.html">certaines zones</a> aux abords de la frontière turque dans le nord de la Syrie. C’est un revirement de taille. Prenant Le Pentagone, le Département d’État et les services de renseignement à rebours, le président américain décide finalement de satisfaire la Turquie, son allié de l’OTAN depuis 1952, au détriment de son allié kurde depuis 2014 contre Daech, le PYD. Cette action permet à Ankara de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/09/la-turquie-annonce-le-debut-d-une-offensive-dans-le-nord-est-syrien_6014849_3210.html">lancer une offensive</a> dans la zone est syrienne contre les milices kurdes.</p>
<p>Par ailleurs <a href="https://www.ft.com/content/b548a604-d3ac-11e9-a0bd-ab8ec6435630">des pourparlers</a> continuent avec Washington afin que la Turquie reçoive finalement les avions de chasse américains F-35, ce qui avait été prohibé suite à son achat des missiles anti-aériens S-400 aux Russes.</p>
<p>Ce tournant majeur déterminera la possibilité de <a href="https://www.nytimes.com/2019/10/07/us/politics/trump-turkey-syria.html?action=click&module=Top%20Stories&pgtype=Homepage">confier à la Turquie la responsabilité</a> des membres européens de Daech détenus par les Kurdes.</p>
<p>Ce geste du président américain, couplé à sa volonté d’établir la zone de sécurité réclamée depuis de longs mois par Ankara au nord-est de la Syrie, laisse présager une amélioration de la relation turco-américaine.</p>
<p>Bien sûr, tous les griefs n’ont pas disparu et des contentieux demeurent tels la présence de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/fethullah-gulen-28324">Fethullah Gülen</a> aux États-Unis (instigateur présumé du coup d’État militaire en Turquie en juillet 2016), l’acquisition des S-400, la dimension de la zone de sécurité, l’envoi de réfugiés syriens présents en Turquie dans celle-ci ou encore la lenteur avec laquelle, selon Ankara, les États-Unis s’occupent de la création de cette zone.</p>
<p>Mais sa mise en place est essentielle afin que survive la relation turco-américaine, et plus largement turco-occidentale, qui pourrait bien imploser en cas d’échec, et ce en dépit de l’annonce de Trump le 7 octobre dernier. Non seulement les Européens ne s’alignent pas sur la position du président américain, mais ce dernier est également isolé dans ce dossier aux États-Unis, laissant présager d’éventuels revirements.</p>
<p>Pour saisir ces enjeux, il convient d’expliquer au préalable l’origine des tensions autour de la question kurde, qui empoisonne depuis plusieurs décennies la relation entre les États-Unis et la Turquie.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=574&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=574&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=574&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=721&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=721&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/295984/original/file-20191008-128652-1kt31c4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=721&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">« L’environnement stratégique de la mer Noire » (2015).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://cartotheque.sciences-po.fr/?wicket:interface=:14::::">FNSP/Sciences Po</a></span>
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<h2>L’origine des tensions</h2>
<p>Lors de la guerre du Golfe de 1990-1991, les premières tensions entre les Américains et les Turcs voient le jour autour de la question kurde. En effet, afin de satisfaire l’allié américain et de s’assurer de la durabilité de leur lien, la Turquie décide de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14782800600892242">rejoindre l’effort de guerre contre l’Irak</a>. Seulement, outre des conséquences économiques désastreuses (l’Irak étant alors son deuxième partenaire commercial), la <a href="https://www.jstor.org/stable/2622709">guerre renforce les ambitions autonomistes des Kurdes de Turquie</a>.</p>
<p>Car le PKK – organisation terroriste kurde ciblant l’héritière de l’Empire ottoman <a href="https://www.cfr.org/interactive/global-conflict-tracker/conflict/conflict-between-turkey-and-armed-kurdish-groups">depuis 1984</a> – se saisit de l’occasion pour reprendre les armes après une courte trêve. À cela s’ajoute la fuite de 500 000 Kurdes du nord de l’Irak vers le sud-est de la Turquie, déjà peuplée principalement de Kurdes.</p>
<p>Afin de limiter l’afflux de ces réfugiés, Ankara entreprend de créer une zone de sécurité au nord de l’Irak où seront protégés les Kurdes, dans le cadre de l’opération <a href="https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2016/06/Syrian-Refugees-and-Turkeys-Challenges-May-14-2014.pdf">« Provide Comfort »</a>.</p>
<p>Mais loin de régler la question kurde, cette initiative <a href="https://foreignpolicy.com/2018/09/11/the-u-s-turkey-relationship-is-worse-off-than-you-think/">permet au PKK d’établir sa base arrière en Irak</a>, d’où il entraîne ses recrues et conçoit ses attaques contre la Turquie.</p>
<p>Les Turcs s’inquiètent aussi du soutien et de la protection apportés par les Américains aux Kurdes d’Irak, la superpuissance ayant besoin d’alliés d’opposition à Saddam Hussein sur le terrain. Ce choix des États-Unis alimente le <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2014-1-page-199.htm">« syndrome de Sèvres »</a> des Turcs, c’est-à-dire leur crainte constante que des forces étrangères cherchent à affaiblir leur pays et à mettre à mal son intégrité territoriale. Pourtant, les Américains ne semblent pas entendre cette peur.</p>
<h2>Une défiance croissante envers les États-Unis</h2>
<p>La défiance envers la superpuissance s’accroît encore lors de la guerre en Irak de 2003. Les Turcs s’interrogent : ne risquerait-elle pas de plonger une nouvelle fois la Turquie dans une crise économique, de renforcer les Kurdes et de déstabiliser un pays frontalier ? Mais les Américains ignorent à nouveau les inquiétudes de leur allié ; dès lors, l’opinion publique turque considère la superpuissance comme une <a href="https://www.newamerica.org/fellows/policy-papers/is-the-united-states-losing-turkey/">menace directe à sa sécurité</a>.</p>
<p>Comme Ankara le redoutait, le PKK reprend sa guérilla en septembre 2003 après avoir mis fin unilatéralement au cessez-le-feu en vigueur depuis 1999. Le gouvernement turc alerte les autorités américaines présentes en Irak ; or, Washington ne se résout guère à aider son allié de l’OTAN à faire face à un terrorisme qui la cible.</p>
<p>Il faut attendre 2006 pour que les États-Unis viennent en aide à Ankara après qu’Erdoğan a menacé d’envahir le nord de l’Irak pour régler le problème du PKK. Alors, Washington accepte de partager du renseignement avec son allié sur les bases irakiennes du PKK et autorise Ankara à mener des opérations militaires au nord de l’Irak. Reste que la relative inaction des États-Unis renforce l’idée répandue au pays d’Atatürk que l’intention de la superpuissance est de diviser la Turquie pour établir un Kurdistan, alors que l’inactivité américaine provient de son <a href="https://wikileaks.org/plusd/cables/05ANKARA561_a.html">implication prioritaire dans le chaos irakien</a>.</p>
<h2>L’importance de la « zone tampon » syrienne pour apaiser les tensions</h2>
<p>La Turquie a donc progressivement perdu confiance en son allié américain. Le printemps arabe syrien renforce cette tendance quand, en dépit des promesses formulées par Barack Obama, celui-ci ne s’engage guère en Syrie contre Bachar Al-Assad, n’aide qu’a minima la Turquie à soutenir l’opposition même lorsque le dictateur syrien franchit la ligne rouge américaine en gazant sa population. Washington redoute en effet la radicalisation de l’opposition et souhaite en outre se focaliser sur le « nation building at home », c’est-à-dire sur la politique intérieure américaine.</p>
<p>Les États-Unis n’aident pas non plus la Turquie à instaurer une zone de sécurité au nord de la Syrie afin qu’elle puisse faire face à l’afflux de réfugiés qui arrive massivement dans son pays (ils sont près de <a href="https://edition.cnn.com/2012/04/06/world/europe/turkey-syrian-refugees/index.html">2000 par jour</a> à entrer en Turquie en 2012).</p>
<p>Pis, depuis l’été 2014, Obama décide d’armer et de soutenir le PYD – milice kurde syrienne créée par le PKK en 2005 – face à Daech. Alors même que depuis 2013 la question kurde était en voie de résolution politique en Turquie, elle <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2018-3-page-35.htm?contenu=resume">redevient une question sécuritaire</a>.</p>
<p>Face à Daech, les Occidentaux somment les Turcs de s’allier aux Kurdes armés, alors qu’une telle coopération menacerait, selon Ankara, l’intégrité territoriale de son pays et la sécurité de ses citoyens. Son refus conduit de nombreux Occidentaux à s’interroger sur la fiabilité de l’allié turc et sur les bienfaits qu’aurait son éventuelle expulsion de l’OTAN. Pour la Turquie, il apparaît alors que cette alliance n’est pas pleinement réciproque : les Occidentaux somment les Turcs de protéger leur sécurité quand eux-mêmes ne cherchent guère à protéger la sienne. D’ailleurs contrairement aux promesses formulées par les Américains, à savoir que le PYD ne s’installera pas aux frontières turques en Syrie et sera repoussé à l’est de l’Euphrate, les milices prennent bel et bien possession de ces villes frontière à l’ouest du fleuve, d’où les interventions militaires turques à Afrin ou à Jarabulus.</p>
<h2>Eloigner les milices kurdes</h2>
<p>Dans ce contexte, on comprend l’importance que revêt la mise en place d’une zone tampon au nord de la Syrie pour Ankara : il s’agit d’assurer sa sécurité en éloignant les milices kurdes de sa frontière afin qu’ils n’établissent ni une base arrière contre la Turquie (comme lors de la guerre du Golfe) ni un Kurdistan qui menacerait son intégrité territoriale.</p>
<p>La question du retour des réfugiés syriens dans leur pays, qui sont environ <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20190816.AFP2541/refugies-le-ras-le-bol-des-pays-voisins-de-la-syrie-apres-8-ans-de-guerre.html">3,6 millions en Turquie</a>, est aussi essentielle.</p>
<p>Tel « Provide Comfort », les Turcs envisagent la zone tampon syrienne comme une zone de sécurité où pourraient s’installer ces réfugiés. Sauf que, contrairement au cas irakien, des Arabes s’installeraient dans des terres kurdes, ce qui affaiblirait la quête autonomiste de ces derniers.</p>
<p>La mise en place de cette zone tampon est également importante pour l’Occident. Elle permettrait de témoigner de sa solidarité envers la Turquie, au risque que celle-ci ne décide de quitter à terme une alliance qu’elle estimerait ne guère la protéger. Pour l’Amérique, victime de son <a href="http://www.theses.fr/2019USPCA051">« complexe iranien »</a>, l’enjeu est d’éviter que l’État pivot turc, tel l’Iran en 1979, passe du statut de meilleur ami au Moyen-Orient à celui d’ennemi.</p>
<p>Ne tente-t-elle pas déjà de chercher des alternatives du côté de la Russie ? Ne menace-t-elle pas de ne plus contenir les réfugiés souhaitant se rendre en Europe si une zone de sécurité n’est pas créée ?</p>
<h2>Reconstitution d’un partenariat stratégique</h2>
<p>En raison de l’ancienneté des contentieux entre les États-Unis et la Turquie autour de la question kurde, reconstruire la confiance sera sans doute une entreprise de longue haleine et la zone tampon ne saurait être suffisante à cette fin.</p>
<p>D’ailleurs si sa mise en place constituerait une étape majeure vers la reconstitution de ce partenariat stratégique, elle acterait sans doute, en cas d’échec, la fin de l’alliance entre la Turquie, les États-Unis et l’Europe et menacerait, par voie de conséquence, l’intégrité de l’OTAN – alliance au demeurant déjà fortement fragilisée par des différends transatlantiques.</p>
<p>Il faut dire que la dégradation entre les trois acteurs ne peut être comprise qu’au travers du prisme de la question kurde : la crise que traverse la relation triangulaire est structurelle et trouve son origine dans l’<a href="http://www.theses.fr/2019USPCA051">affaiblissement de l’ordre libéral international</a>.</p>
<p>La question kurde n’est donc qu’un symptôme – certes majeur – de cette relation triangulaire déliquescente. Mais elle pourrait désormais briser cette alliance sécuritaire.</p>
<p>L’Europe ne condamne-t-elle pas la décision de Trump et l’attaque turque ? <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/syrie/offensive-turque-en-syrie-la-france-condamne-et-saisit-le-conseil-de-securite-de-l-onu-6557038">La France n’a-t-elle pas saisi</a> le conseil de sécurité de l’ONU contre les agissements d’un allié de l’OTAN ? Un corridor de la paix pourra-t-il dans ces conditions voir le jour ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/123474/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Margaux Magalhaes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une « zone tampon » de sécurité en Syrie est essentielle mais le revirement de Trump risque de compromettre durablement les relations entre la Turquie, l’UE et les États-Unis.Margaux Magalhaes, Enseignante chercheuse , Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1201742019-07-10T19:01:30Z2019-07-10T19:01:30ZLes États-Unis au Proche-Orient : un grand jeu risqué<p>Si le Proche-Orient regorge hélas de drames et de tensions – du <a href="https://theconversation.com/les-guerres-du-yemen-106806">Yémen</a> à l’Irak ou à la Syrie –, deux dossiers engagent aujourd’hui plus particulièrement la stratégie américaine et les équilibres internationaux. Le premier est, bien entendu, celui de la relation avec l’Iran, qui fait l’objet de toutes les spéculations, de toutes les escalades verbales, et pourrait servir de détonateur à tous les scénarios. Le second est celui de la Palestine, dont la dangerosité vient à l’inverse de l’absence d’engagement américain, dans un discours pétri d’arrières pensées bien plus que de coups d’éclat.</p>
<p>Dans les deux cas, un jeu de dupes et de miroirs semble s’être engagé entre les différents acteurs du pouvoir américain eux-mêmes, entre différents protagonistes régionaux, et se répercute sur la stabilité régionale comme globale. Du traitement de ces deux dossiers, ni la politique étrangère, ni les politiques étrangères arabes, ni le jeu des autres puissances ne sortiront indemnes.</p>
<h2>La politique étrangère américaine : faire et défaire</h2>
<p>L’issue de la stratégie – ou de l’absence de stratégie – actuellement engagée par Washington en Iran et en Palestine déterminera, en grande partie, la crédibilité internationale des États-Unis, au-delà de la région, et au-delà de la période de l’administration Trump. D’abord parce que ce sont les États-Unis qui défont aujourd’hui ce qu’ils ont fait eux-mêmes : il sera donc important de voir si les dégâts seront réparables à l’avenir, ou pas.</p>
<p>C’est l’Amérique – celle de George Bush senior puis de Bill Clinton – qui a rebondi sur le processus d’Oslo au début des années 1990, pour aboutir à la poignée de main Arafat-Rabin de 1993, et qui a ensuite fait pression sur les acteurs (certes en vain) pour poursuivre les négociations, en y engageant ses diplomates les plus chevronnés. C’est l’Amérique désormais qui fait disparaître toute référence à un État palestinien, en confiant le dossier au gendre du Président, qui ignore tout de la négociation internationale.</p>
<p>C’est encore l’Amérique – celle d’Obama – qui a ramené l’Iran à la table des négociations pour aboutir à un <a href="https://theconversation.com/le-double-pari-de-laccord-nucleaire-avec-teheran-50326">accord sur le contrôle du nucléaire</a>, en juillet 2015, et faire souffler un vent d’apaisement sur une relation ô combien conflictuelle depuis 1979. C’est l’Amérique de Trump qui a déchiré cet accord, et renoue avec une rhétorique de confrontation. Quoi que l’on pense de l’accord de 2015, quoi que l’on pense des ratés et retards d’un processus israélo-palestinien considéré comme moribond, le dialogue continuait, l’Amérique revendiquait encore un rôle d’arbitre impartial, même si peu y croyaient. Elle n’y prétend même plus aujourd’hui.</p>
<h2>Guerre des camps au sein de l’administration américaine</h2>
<p>En tombant le masque, l’administration Trump prend un risque multiple. Celui de renoncer à sa position surplombante, pour descendre dans l’arène et voir inévitablement émerger d’autres puissances s’opposant à sa vision : Moscou s’y est déjà engouffré.</p>
<p>Celui également de mettre ses propres alliés en situation difficile : progresser par le non-dit vers un rapprochement entre l’État hébreu et les monarchies du Golfe (et leurs alliés comme l’Égypte) est une chose, leur demander de cautionner publiquement l’abandon de la cause palestinienne en est une autre.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quel-rapprochement-possible-entre-israel-larabie-saoudite-et-abu-dhabi-79319">Quel rapprochement possible entre Israël, l’Arabie saoudite et Abu Dhabi ?</a>
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<p>Celui enfin d’enflammer la région, si l’une de ces deux situations bascule dans le chaos : qu’une étincelle mette le feu aux poudres dans le Golfe, ou qu’éclate une nouvelle intifada, ou de nouvelles violences autour de la question palestinienne, et il sera difficile à l’Amérique de reprendre pied.</p>
<p>Enfin, il est désormais visible que plusieurs camps s’affrontent dans le processus décisionnel américain, qui tablent sur l’amateurisme ou l’absence de réel intérêt du Président Trump sur ces dossiers pour avancer leurs pions. Une course s’est engagée entre ceux qui souhaitent limiter les tensions, et ceux qui comptent bien les précipiter.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1143575196172992519"}"></div></p>
<p>Si le Président semble n’avoir aucun autre agenda précis que de se mettre en scène en « deal maker », soufflant le chaud et le froid à la recherche, comme en Corée du Nord, de quelques rebondissements spectaculaires, d’autres ont une vision. Elle peut consister à promouvoir le changement de régime en Iran, quel que soit le prix régional à payer – comme pour son conseiller John Bolton. Ou encore à gagner du temps sur la question palestinienne, et faire le jeu du premier ministre israélien actuel, <a href="https://twitter.com/stephenWalt/status/1143575196172992519">comme le craignent certains analystes aux États-Unis</a> mêmes. L’issue de cette confrontation sera cruciale pour l’avenir de la politique étrangère américaine.</p>
<h2>L’effacement des politiques étrangères arabes</h2>
<p>Les politiques étrangères arabes subiront, elles aussi, un test important. Elles sont en fort déclin depuis plusieurs décennies, ayant cédé le pas devant les trois puissances régionales (non arabes) qui façonnent désormais l’essentiel de l’agenda régional et de ses initiatives : l’Iran, la Turquie, Israël.</p>
<p>Le premier a prospéré sur les erreurs américaines, surtout depuis la guerre irakienne de 2003. Ankara rêve de reconquérir un rôle pivot, par de profondes restructurations souverainistes aussi bien internes qu’externes, qui l’amènent à se montrer incontournable aussi bien qu’inflexible, sur des dossiers aussi différents que la crise des réfugiés syriens, la question kurde, ou l’achat de missiles à Moscou. Le troisième, Israël, a obtenu un soutien quasi inconditionnel de Washington, et n’a aucune raison, dans ce contexte, de procéder à des concessions.</p>
<p>Sur cette toile de fond, en poussant ses alliés saoudien ou égyptien dans la voie de la confrontation avec l’Iran, en leur demandant de relayer un <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/06/25/palestine-un-plan-americain-ni-fait-ni-a-faire_5481135_3232.html">plan inacceptable pour les Palestiniens</a>, en privilégiant ouvertement la carte de l’homme fort plutôt que celle des réformes internes, ou en soufflant sur les braises de la rupture saoudo-qatarie, la Maison Blanche n’aide pas les diplomaties arabes à retrouver une centralité régionale. Elle pourrait le payer cher un jour, car on imagine mal une solution aux principaux maux de la région sans acteur arabe de poids pour la soutenir.</p>
<p>Riyad, qui a déjà été <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2002-4-page-59.htm">à l’origine d’un plan de paix en 2002</a> et qui, en réalité, a les moyens, donc la vocation potentielle d’incarner ce possible renouveau diplomatique arabe, peut difficilement se permettre d’épouser explicitement le plan Kushner, présenté d’abord comme <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/jun/26/jared-kushner-deal-of-the-century-israel-palestine-bahrain">« le deal du siècle »</a>, puis comme le flop, voire la provocation, de la décennie.</p>
<p>Derrière le royaume saoudien, les Émirats arabes unis partagent l’agenda saoudo-américain actuel, au point parfois de l’inspirer. Leur influence régionale progresse, leur savoir-faire militaire aussi. Mais leur succès réside actuellement dans la discrétion de leur posture, et à ce titre ne permet pas de reprendre, pour l’instant du moins, le flambeau du leadership arabe.</p>
<p>Les autres ne sont pas en mesure de le faire : le Qatar, malgré une influence réelle, est affaibli par sa brouille avec l’Arabie, l’Irak et la Syrie, pour les raisons que l’ont sait, sont empêchés pour une durée indéterminée (même si l’Irak redevient une priorité diplomatique) ; l’Égypte a perdu de sa centralité, et reste désorganisée par les turbulences actuelles.</p>
<p>Le vide diplomatique arabe au Proche-Orient, sans doute accentué par la gestion américaine actuelle du double dossier iranien et palestinien, aura un prix élevé pour l’Amérique.</p>
<h2>Un concert des puissances sans l’Occident</h2>
<p>La nature ayant horreur du vide – celui laissé à la fois par l’effacement des politiques étrangères arabes et par les errances de la stratégie américaine – la question se pose de savoir si d’autres acteurs entreront en scène.</p>
<p>La gestion de l’affaire syrienne par le trio Moscou-Téhéran-Ankara (pourtant à bien des égards contre-nature), dit « processus d’Astana », a donné un avertissement de ce que pourrait être un Moyen-Orient géré en l’absence des puissances à la fois occidentales et arabes. D’autres schémas que ceux qui voyaient les États-Unis et leurs alliés gérer les crises dans la région, sont donc possibles.</p>
<p>Avant même l’entrée en scène toujours possible de la Chine, avant même le réveil d’acteurs dont les liens avec le Golfe sont déjà nombreux, comme l’Inde, mais après déjà plusieurs années de retour diplomatique et militaire russe (<a href="https://theconversation.com/lintervention-russe-en-syrie-mission-accomplie-56300">à la faveur de la guerre syrienne en 2015</a>), le Proche-Orient s’avère être un test intéressant des combinaisons multipolaires à venir.</p>
<p>Le concert des puissances s’y fait maintenant sans l’Occident, confirmant une tendance entamée en réalité depuis longtemps : suites de la révolution iranienne de 1979, retrait franco-américain du Liban au début des années 1980 (notamment après le double attentat contre les forces des deux pays en octobre 1983), funeste guerre américaine en Irak en 2003 (alors que la guerre du Koweït en 1991 avait permis à Washington d’ancrer son influence), enlisement – un peu plus loin – en Afghanistan… La « fatigue » du Moyen-Orient a pris l’Amérique, et avec elle ses alliés européens. Ces derniers n’ont, d’ailleurs, plus l’ambition d’y jouer aucun rôle, sauf rebondissement miraculeux après les nominations récentes à Bruxelles.</p>
<p>Une poursuite du dialogue iranien entamé après 2015, même en durcissant le ton pour en améliorer les contours, un plan de paix sérieux et compétent pour la question israélo-palestinienne (dont tout le monde connaît, depuis longtemps, les pistes possibles), aurait permis aux États-Unis, à leurs alliés européens et à leurs partenaires arabes, de reprendre l’initiative. Il faudra vraisemblablement attendre une autre administration américaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/120174/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Charillon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Plusieurs camps s’affrontent dans le processus décisionnel américain, qui tablent sur l’amateurisme ou l’absence de réel intérêt du Président Trump sur ces dossiers pour avancer leurs pions.Frédéric Charillon, professeur de science politique, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1198022019-07-03T20:29:42Z2019-07-03T20:29:42ZIstanbul : les premières leçons de la double victoire d’Ekrem İmamoğlu<p>Le 23 juin dernier, Ekrem İmamoğlu, le candidat du parti d’opposition CHP (Parti républicain du Peuple), a été élu <a href="https://www.al-monitor.com/pulse/originals/2019/06/ekrem-imamoglu-chp-wins-istanbul-mayor-race-blow-to-akp.html">maire d’Istanbul</a>, l’emportant largement sur Binali Yıldırım, représentant de l’AKP, le parti de Recep Tayyip Erdoğan, au demeurant ancien premier ministre et fidèle de longue date du président turc.</p>
<p>Cette élection partielle faisait suite à l’<a href="http://www.hurriyetdailynews.com/election-body-rules-in-favor-of-re-run-of-istanbul-elections-143202">annulation par le Conseil supérieur des élections</a> (YSK) du succès du même İmamoğlu, le 29 mars 2019, avec moins de 14 000 voix d’avance sur son rival. Remise en cause pour des motifs peu crédibles, la victoire initiale d’İmamoğlu s’est donc muée en un triomphe, le candidat du CHP obtenant, cette fois, 54,21 % des voix, et devançant son adversaire de plus de 700 000 voix.</p>
<p>Trois mois après des élections municipales qui étaient apparues comme un revers pour l’AKP (Parti de la justice et du développement) et ses alliés nationalistes du MHP (Parti du mouvement nationaliste), ces derniers ayant perdu six des dix plus grandes villes de Turquie (dont Ankara), le score flatteur réalisé par İmamoğlu inflige un tel camouflet à Erdoğan que l’on s’interroge déjà sur ses conséquences politiques à plus long terme.</p>
<h2>Les raisons immédiates d’un double échec</h2>
<p>Les difficultés de l’AKP à Istanbul ne sont pas vraiment une surprise. Depuis le référendum de 2017, où le « non » l’avait emporté dans l’ancienne capitale ottomane, l’influence du parti au pouvoir y paraissait sérieusement contestée. Toutefois, le scrutin du 23 juin n’indique pas seulement une érosion d’influence, mais un véritable basculement politique, car la perte par l’AKP de quartiers, comme Üsküdar ou Fatih, qui apparaissaient comme des bastions imprenables du parti, indique clairement que Binali Yıldırım a été lâché par une partie de son électorat. C’est le cas, notamment, de sa frange la plus libérale, qui n’a pas accepté l’annulation fallacieuse de l’élection d’İmamoğlu.</p>
<p>Dans un pays où existe une culture électorale ancienne, on admet mal que l’on cherche à gagner un scrutin hors des urnes. Par un tweet cinglant, l’ex-président Gül, ancien numéro deux de l’AKP, n’avait pas hésité à comparer les arguments ayant présidé à la réorganisation de l’élection à Istanbul, aux arguties qui avaient été invoquées par la Cour constitutionnelle, en 2007, pour essayer d’empêcher <a href="https://ovipot.hypotheses.org/76">son élection à la présidence de la République</a>.</p>
<p>L’autre grande erreur de l’AKP et de son allié MHP (Parti d’action nationaliste), dans cette élection, aura été de jouer la carte de la polarisation à outrance. Ceci a eu pour effet de mobiliser en faveur d’İmamoğlu tous ceux qui voulaient infliger une défaite mémorable à Erdoğan. Lorsque l’équipe de Yıldırım a pris conscience de ce phénomène, en <a href="http://www.hurriyetdailynews.com/opinion/serkan-demirtas/akp-changes-strategy-for-istanbul-rerun-polls-144109">tentant de re-municipaliser sa campagne</a>, elle l’a fait de façon maladroite, en ayant recours à des catalogues de promesses et d’annonces de grands travaux rappelant par trop le nationalisme clivant de l’AKP, dont ses électeurs se sont lassés en cette période de crise économique.</p>
<h2>L’AKP dépassé par la nouvelle dynamique de l’opposition</h2>
<p>À l’inverse, İmamoğlu a beaucoup travaillé à rassurer ses électeurs potentiels, retenant les bonnes leçons de consensus, administrées par l’AKP, à ses débuts. L’histoire retiendra ce paradoxe : il y a 25 ans, étoile montante de la politique turque, Erdoğan promettait aux Stambouliotes inquiets de ne pas interdire l’alcool dans les cafés de Beyoğlu. Lors de sa campagne, İmamoğlu a pour sa part annoncé qu’il ne lèverait pas l’interdiction de l’alcool dans les cafés gérés par la municipalité.</p>
<p>Recep Tayyip Erdoğan redoutait ces élections municipales et en particulier celle d’Istanbul. L’an passé, dès les lendemains de sa victoire, plus facile que prévu, aux législatives et présidentielles, <a href="http://www.hurriyetdailynews.com/erdogan-calls-on-party-to-gear-up-for-local-polls-137464">il avait tenté de mobiliser les cadres et les militants de son parti sur cette échéance</a>. En vain !</p>
<p>Les enfants des néo-urbains qui l’avaient élu maire d’Istanbul à la surprise générale, en 1994, ne semblent plus voir en lui le héros des nouvelles classes moyennes musulmanes. Ils n’ont pas été sensibles, en tout cas, aux ultimes messages de campagne de Binali Yıldırım, qui leur promettaient l’entrée gratuite à l’université, avec en prime 10GB d’Internet.</p>
<p>Finalement ce qui frappe le plus, au lendemain de cette double élection à Istanbul, c’est l’incapacité de l’AKP à conjurer un échec prévisible. Au-delà des erreurs de campagne, cela tient à des raisons de fond.</p>
<h2>Les raisons de fond d’une défiance durable</h2>
<p>Sur le plan économique, les années de croissance qui avaient contribué à pérenniser les gouvernements de l’AKP, contre vents et marées, sont révolus. La fin de la crise et le retour aux équilibres, <a href="https://www.dailysabah.com/economy/2019/03/20/inflatiohttp:/www.hurriyetdailynews.com/opinion/guven-sak/lessons-from-turkeys-election-season-144558n-to-see-single-digits-by-september-with-structural-measures">périodiquement annoncés par Berat Albayrak</a>, le ministre des Finances et gendre du chef de l’État, ne font plus illusion.</p>
<p>À cela s’ajoute l’inquiétude engendrée par la politique étrangère de Recep Tayyip Erdoğan. L’achat de missiles de défense S-400 russes, qui fait la Une de la presse turque depuis plusieurs semaines, a sans doute influencé le scrutin stambouliote. Il n’y a qu’à voir l’obstination mise par Erdoğan à obtenir de Donald Trump, en marge du dernier sommet du G20 au Japon, l’<a href="http://www.hurriyetdailynews.com/erdogan-urges-world-to-keep-khashoggi-case-on-agenda-144569">assurance qu’il n’y aurait pas de sanctions des États-Unis</a>.</p>
<p>Ajoutée à la multiplication des interventions militaires extérieures de la Turquie et à ses rapprochements avec des « alliés » précaires comme la Russie ou l’Iran, cette diplomatie du grand écart laisse l’opinion publique de plus en plus sceptique.</p>
<p>Parallèlement, la négation de la question kurde s’est avérée à nouveau illusoire. La forte mobilisation du HDP en faveur d’İmamoğlu, lors des deux élections à Istanbul, a joué un rôle déterminant. Erdoğan, pour sa part, a d’ailleurs lui-même tenté de mobiliser les Kurdes conservateurs en faveur de son candidat, avant d’essayer d’instrumentaliser une <a href="http://www.hurriyetdailynews.com/erdogan-says-ocalans-letter-indicates-power-struggle-between-outlawed-pkk-and-demirtas-144369">déclaration d’Abdullah Öcalan appelant les électeurs kurdes à « rester neutres »</a>, deux jours avant le scrutin. L’élection renouvelée d’Istanbul a confirmé que la cause kurde restait une donnée incontournable du système politique turc.</p>
<h2>Une victoire pleine de contradictions</h2>
<p>Pour conclure, il est important d’observer que la victoire d’Ekrem İmamoğlu reflète toutes les contradictions et l’hybridité politique de ce système.</p>
<p>Dans un pays marqué encore par les purges qui ont suivi le coup d’État manqué de juillet 2016, où des universitaires purgent des peines de prison ferme pour avoir signé une pétition et où le leader du parti kurde HDP (Parti démocratique des peuples), toujours présent au Parlement, est incarcéré depuis près de trois ans sans procès, comment peut-on expliquer qu’un candidat de l’opposition puisse être élu à la tête de la plus grande ville du pays ?</p>
<p>Montrant comment les Turcs savent utiliser les opportunités qui leur restent offertes, un <a href="http://www.hurriyetdailynews.com/opinion/guven-sak/lessons-from-turkeys-election-season-144558">éditorialiste</a> résumait récemment cette ambivalence en ces termes :</p>
<blockquote>
<p>« Les élections peuvent être injustes, mais elles sont encore libres. »</p>
</blockquote>
<p>Un commentaire que les dignitaires l’AKP ont désormais tout loisir de méditer, avant les prochaines élections générales prévues en 2023.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/119802/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean Marcou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le scrutin du 23 juin à Istanbul n’indique pas seulement une érosion d’influence, mais un véritable basculement politique en Turquie.Jean Marcou, Directeur des relations internationales, Sciences Po GrenobleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1150802019-04-18T19:39:01Z2019-04-18T19:39:01ZBiélorussie, Turquie : l’Union européenne à l’heure des États pivots<p>À l’heure où l’Union européenne (UE), ébranlée par le Brexit, semble oublier le problème de la fixation de ses frontières et celui de la gestion de son voisinage, il est urgent de s’en souvenir. C’est ce qu’a fait le récent <a href="https://www.festivalgeopolitique.com/">Festival de géopolitique de Grenoble</a> – qui avait, cette année, pour titre évocateur (« Dés)union européenne ? » –, en consacrant l’une de ses conférences à deux États frontaliers, que l’on qualifie parfois de « pivots » de l’Europe, la Biélorussie et la Turquie.</p>
<p>La notion de pivot, qui est au cœur de la pensée géopolitique contemporaine depuis les <a href="https://www.iwp.edu/docLib/20131016_MackinderTheGeographicalJournal.pdf">écrits de H.J. Mackinder</a>, a souvent donné lieu à des critiques. Bien qu’il soit difficile d’esquisser un consensus sur ce qui est le caractère propre d’un État pivot, on peut dire que deux fonctions lui sont traditionnellement reconnues : celles de <a href="http://egea.over-blog.com/article-24294447.html">réunification et d’articulation</a> des ensembles à la jonction desquels il se situe.</p>
<p>Dans cette optique, on comprend que l’idée puisse être utilisée pour caractériser le positionnement de la Biélorussie et de la Turquie, vis-à-vis de l’UE, à plus forte raison au moment où celui-ci connaît, dans un cas comme dans l’autre, une évolution notable.</p>
<p>En effet, si la candidature de la Turquie semble s’être durablement enlisée, la crise des réfugiés liée au conflit syrien a revalorisé la position stratégique de ce pays, et mis à l’ordre du jour la nécessité d’une redéfinition par l’UE de ses relations avec Ankara.</p>
<p>Considérée comme un satellite de la Russie depuis qu’Alexandre Loukachenko, son président toujours en fonction, en a pris la tête en 1994, la Biélorussie résiste aujourd’hui au vieux projet d’une fusion avec son grand voisin – ce qui par contrecoup revalorise les relations de Minsk avec l’UE.</p>
<h2>Des ponts entre plusieurs mondes</h2>
<p>Dans le cas de la Biélorussie, la fonction de pivot géopolitique tient moins à sa puissance réelle – ce qui la distingue notamment de la Turquie – qu’à sa situation géographique sensible et aux atouts stratégiques que celle-ci lui confère.</p>
<p>L’actuel territoire de l’État biélorusse constitue une <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/etat-tampon/">zone tampon</a> entre l’Union européenne et la Russie. Cette situation de rencontre entre deux mondes se retrouve dans de nombreux caractères de la Biélorussie (son <a href="http://www.nouvelle-europe.eu/images/stories/ene_identite_bielorussie.pdf">identité</a>, ses références culturelles, la structure de ses <a href="https://wits.worldbank.org/CountrySnapshot/en/BLR">échanges commerciaux</a>…) et permet également de comprendre comment ce pays de l’espace post-soviétique peut contribuer aux échanges politiques et économiques entre l’UE et la Russie.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/269337/original/file-20190415-147522-1mxm9ah.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/269337/original/file-20190415-147522-1mxm9ah.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/269337/original/file-20190415-147522-1mxm9ah.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/269337/original/file-20190415-147522-1mxm9ah.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/269337/original/file-20190415-147522-1mxm9ah.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=480&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/269337/original/file-20190415-147522-1mxm9ah.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=480&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/269337/original/file-20190415-147522-1mxm9ah.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=480&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La Turquie et la Biélorussie, sur les marges de l’UE.</span>
<span class="attribution"><span class="source">DR</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Héritière de l’Empire ottoman, la Turquie est moins un État tampon qu’une puissance régionale, qui évite à l’UE d’être directement au contact des crises du Moyen-Orient et peut contribuer à la stabilité des Balkans grâce aux relations privilégiées multiples qui y sont les siennes (Bosnie-Herzégovine, Serbie, Macédoine, Kosovo, Albanie…).</p>
<p>À cela s’ajoutent des atouts stratégiques importants : sa présence sur deux continents, son accès à deux mers et aux détroits du Bosphore et des Dardanelles, son voisinage de l’Iran et du monde arabe.</p>
<p>Bien que le tournant autoritaire qu’elle connaît actuellement ait dégradé sa relation avec l’UE, la Turquie reste un lieu de passage entre l’Europe et l’Asie, qui a mené de longue date des réformes d’inspiration occidentale, qui en font aujourd’hui le seul pays musulman où le statut de la personne échappe à l’application totale ou partielle de la charia.</p>
<h2>Des espaces de plus en plus importants en termes d’infrastructure</h2>
<p>Pour en venir à des préoccupations plus immédiates, on observe que le rôle pivot de la Biélorussie et de la Turquie devient de plus en visible en termes d’infrastructures de transport terrestres et énergétiques.</p>
<p>En Biélorussie, la ligne ferroviaire Orcha-Brest est désormais un axe stratégique entre la Russie et le reste de l’Europe. Cette colonne vertébrale du pays se poursuit au nord avec les lignes Moscou-Vitebsk, Polotsk-Daugavpils-Riga, dont l’objectif est de créer une liaison directe avec la mer Baltique. Des axes routiers doublent ces axes ferroviaires. Sur les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_autoroutes_de_la_Bi%C3%A9lorussie">12 « autoroutes »</a> biélorusses actuelles, la plupart permettent une liaison entre l’UE et la Russie. La Biélorussie est l’un des pays d’Europe de l’Est qui possède le plus d’<a href="http://belarusfacts.by/en/belarus/economy_business/key_economic/rw/">autoroutes</a> par rapport à sa superficie.</p>
<p>En terme de transports terrestres, la Turquie a fortement développé au cours des deux dernières décennies ses réseaux ferroviaires (notamment ses lignes de TGV) et autoroutiers. Elle se trouve au débouché de projets balkaniques importants (maillage autoroutier de plus en plus dense, rénovation des réseaux ferroviaires). À l’Est, dans le Caucase une <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2017/10/31/ferroviaire-bakou-tbilissi-kars-nouvelles-etapes-de-la-route-de-la-soie_5208303_3234.html">ligne de chemin de fer reliant Bakou à Kars, via Tbilissi</a> a, en outre, été inaugurée, en octobre 2017.</p>
<p>La Biélorussie se situe également sur la voie de passage du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Yamal-Europe">gazoduc Yamal-Europe</a> qui relie Torjok (Russie) à Lebus (Allemagne). Ce dernier alimente en gaz l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique et la Pologne. Le tronçon nord de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ol%C3%A9oduc_Droujba">oléoduc Droujba</a> passe, lui aussi, par le territoire biélorusse.</p>
<p>Pour sa part, depuis la fin du monde bipolaire, la Turquie est devenue le théâtre d’un grand jeu pétrolier et gazier intense. L’oléoduc <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ol%C3%A9oduc_Bakou-Tbilissi-Ceyhan">Bakou-Tbilissi-Ceyhan</a> (BTC) et le gazoduc <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Gazoduc_Bakou-Tbilissi-Erzurum">Bakou-Tbilissi-Erzurum</a> (BTE) évacuent, depuis déjà une quinzaine d’années, le pétrole et le gaz de la Caspienne vers le port turc de Ceyhan et les marchés européens.</p>
<p>Mais, désormais, les enjeux pour ce pays, qui ambitionne de devenir un hub énergétique, se situent plutôt dans le couloir énergétique sud-européen, avec des projets de gazoducs occidental (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Gazoduc_transanatolien">TANAP</a>) et russe (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Turkish_Stream">TurkStream</a>), et en Méditerranée orientale, avec la découverte de gisements gaziers considérables dans les espaces maritimes chypriote, israélien et égyptien.</p>
<h2>Des pivots stratégiques sur les marches de l’Europe</h2>
<p>Les crises en Ukraine et en Syrie ont offert récemment de nouvelles opportunités à la Biélorussie et à la Turquie pour accroître leur rôle de pivots stratégiques.</p>
<p>Alexandre Loukachenko a ainsi utilisé la crise ukrainienne pour raffermir les positions de son pays dans le contexte régional, en misant sur une neutralité ambiguë, si on reprend les termes de Ioulia Shukan dans son étude <a href="http://institut-crises.org/la-bielorussie-apres-la-crise-ukrainienne-etude-de-lirsem-n50">« La Biélorussie après la crise ukrainienne »</a>.</p>
<p>Dès le début du conflit, le président biélorusse a trouvé sa place. Les pourparlers du 5 septembre 2014, dans sa capitale, ont donné lieu aux accords <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Protocole_de_Minsk">« Minsk 1 »</a>. À la suite de l’échec de ceux-ci, Minsk a accueilli un sommet réunissant les dirigeants français, allemand, ukrainien et russe, qui s’est soldé par la conclusion des accords <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Minsk_II">« Minsk 2 »</a>. Depuis, Minsk a été le théâtre de nombreuses rencontres visant à trouver un règlement pacifique au conflit ukrainien.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/269339/original/file-20190415-147508-goqpkf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/269339/original/file-20190415-147508-goqpkf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/269339/original/file-20190415-147508-goqpkf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/269339/original/file-20190415-147508-goqpkf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/269339/original/file-20190415-147508-goqpkf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/269339/original/file-20190415-147508-goqpkf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/269339/original/file-20190415-147508-goqpkf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">À Minsk, en février 2015.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Normandy_format_talks_in_Minsk_(February_2015)_03_cropped.jpeg">Bureau de presse du Kremlin/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce dernier n’étant toujours pas résolu, la Biélorussie continuera probablement à jouer ce rôle de médiateur, prenant un statut particulier dans le voisinage européen oriental. Il y a là, sans doute, une carte nouvelle à jouer pour Loukachenko, dans ses relations ô combien complexes avec l’UE.</p>
<p>Marginalisée dans le conflit syrien, du fait de son refus d’apporter un soutien aux Kurdes du PYD-YPG face à Daech, la Turquie est revenue au cœur du règlement de cette crise en y intervenant militairement à deux reprises et en entrant dans le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/01/24/syrie-a-astana-une-chance-pour-la-paix_5068214_3232.html">processus d’Astana</a>.</p>
<p>Ce cycle de négociations, présenté tantôt comme alternatif, tantôt comme complémentaire de celui qui se déroule à Genève sous l’égide de l’ONU, a consacré une convergence stratégique d’Ankara et de Moscou, qui se traduit par ailleurs actuellement par la décision turque d’acquérir le système russe de <a href="http://www.hurriyetdailynews.com/turkey-sticks-to-s-400-deal-despite-us-pressure-141375">missiles de défense S-400</a>.</p>
<p>Cette stratégie eurasiatique éloigne certes les Turcs de leurs alliés occidentaux. Mais ces derniers sont désormais divisés, et l’on a pu observer que la guerre économique déclenchée par Donald Trump a rapproché, par ailleurs, Bruxelles d’une Turquie, qui demeure membre de l’OTAN et qui ne semble pas vouloir renoncer à sa candidature à l’UE.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115080/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Situées aux marges de l’UE, la Turquie et la Biélorussie présentent deux fonctions stratégiques, celles de réunification et d’articulation des ensembles à la jonction desquels elles se situent.Jean Marcou, Directeur des relations internationales, Sciences Po GrenobleKatsiaryna Zhuk, Professeur en géopolitique et design informationnel, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1150202019-04-07T19:48:51Z2019-04-07T19:48:51ZEn Turquie, la leçon des maires kurdes sur l’égalité entre femmes et hommes<p><a href="https://www.aljazeera.com/news/2019/03/test-erdogan-stake-turkish-local-elections-190327190617999.html">Le 31 mars</a>, les citoyens turcs ont été appelés aux urnes pour élire leurs maires et conseillers municipaux.</p>
<p>Les résultats ont ébranlé l’hégémonie politique du parti au pouvoir du président Recep Tayyip Erdoğan, le Parti de la justice et du développement (AKP) <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/turquie/municipales-en-turquie-erdogan-en-passe-de-perdre-les-deux-principales-villes-du-pays-6297343">qui accuse désormais</a> les pays de l’Europe de l’Ouest et les États-Unis d’avoir interféré dans le vote de ses concitoyens.</p>
<p>Ainsi, contrairement <a href="https://www.haberturk.com/secim/secim2014/yerel-secim/partiler">aux élections de 2014</a>, où l’AKP avait remporté la victoire, l’opposition a effectué une percée considérable, prenant le contrôle de grandes villes comme <a href="https://www.france24.com/fr/20190402-turquie-municipales-erdogan-akp-kurdes-revers-grandes-villes-istanbul-ankara-izmir-antalya">Istanbul</a>, Ankara, Izmir, Adana, Antalya et Mersin.</p>
<p>Mais au-delà de cet événement notable, les élections municipales turques ont mis en avant un autre phénomène : l’élection de très nombreuses femmes dans les municipalités kurdes.</p>
<h2>37 femmes maires et 34 co-maires</h2>
<p>En effet, 37 femmes ont été élues maires, dont 24 représentantes du <a href="https://kazete.com.tr/haber/652-kadin-adaydan-59u-belediye-baskani-secildi-59420">Parti démocratique des peuples, pro-kurde</a> (HDP). Trente-quatre autres femmes travailleront également en tant que co-maires, bien que non officiellement, grâce au système de coprésidence mis en place par l’HDP, qui implique l’exercice conjoint de la fonction de maire par un binôme homme-femme.</p>
<p>Il s’agit là d’une avancée notable, étant donné que l’Assemblée nationale turque ne compte que <a href="https://data.worldbank.org/indicator/sg.gen.parl.zs">17 % de femmes</a> et que la représentativité des femmes à l’échelle régionale reste marginale, avec <a href="https://journals.openedition.org/anatoli/620">moins de 3 %</a> d’élues. Les partis politiques turcs ont longtemps été réticents à laisser les femmes s’impliquer. Parmi les candidats aux municipales de 2019, seuls 7,89 % étaient des femmes, dont seulement 10,8 % dans les grandes villes.</p>
<p>Pourtant, le HDP a ouvert la voie avec une <a href="http://ka-der.org.tr/yerel-secimlerde-kadin-adaylar-yine-gormezden-gelindi/">liste de candidats totalement paritaire</a>. Ce choix fait figure d’exception, puisque la liste de l’AKP d’Erdoğan ne comptait que 1,25 % de femmes et celle du principal parti d’opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), guère davantage, avec <a href="http://ka-der.org.tr/yerel-secimlerde-kadin-adaylar-yine-gormezden-gelindi/">5,23 % de candidates</a>. Même si la représentation des femmes n’est que de <a href="http://ka-der.org.tr/">2,66 % à l’échelle locale</a>, elle a nettement augmenté dans les <a href="https://journals.openedition.org/anatoli/620">municipalités pro-kurdes</a>.</p>
<h2>Une politique efficace</h2>
<p>Cette avancée est due en grande partie aux quotas instaurés par l’HDP, qui rendent obligatoire la parité femme-homme sur les listes de candidats et à la tête du parti. Inspiré par les Verts allemands, ce système a été mis en place pour la première fois en 2005 par le <a href="https://catlakzemin.com/9-kasim-2005/">Parti de la paix et de la démocratie (DTP)</a>, pro-kurde, pour la présidence du parti, avant d’être élargi aux candidats aux municipales lors du scrutin de 2014.</p>
<p>La même année, pour la première fois dans l’histoire du DTP et de la Turquie, le parti a fait campagne pour l’élection de binômes femme-homme sur l’<a href="https://www.tbmm.gov.tr/develop/owa/tasari_teklif_sd.onerge_bilgileri?kanunlar_sira_no=194084">ensemble de ses listes</a>, expliquant :</p>
<blockquote>
<p>« L’élargissement du système de coprésidence et sa mise en place dans les municipalités permettra aux femmes d’être davantage représentées sur la scène politique. Sauf erreur, aucun pays au monde n’a jamais mis en place un tel système à l’échelle municipale. La Turquie a ainsi l’occasion d’innover en matière d’opportunités structurelles et d’être un exemple pour les autres pays. »</p>
</blockquote>
<h2>Des municipalités kurdes paritaires</h2>
<p>En tant qu’héritier du DTP, le HDP s’est engagé à maintenir ce système en dépit des pressions exercées par le gouvernement. Il s’est heurté à des obstacles juridiques, sous le prétexte qu’un tel système violerait la <a href="http://www.lawsturkey.com/law/municipality-law-5393">Loi sur les municipalités</a>. Le gouvernement en a profité <a href="https://www.reuters.com/article/us-turkey-kurds/turkey-detains-co-mayors-of-mainly-kurdish-city-of-diyarbakir-idUSKCN12P2SI">pour instaurer des mesures répressives en 2016</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/266844/original/file-20190401-177175-1v5602z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/266844/original/file-20190401-177175-1v5602z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/266844/original/file-20190401-177175-1v5602z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/266844/original/file-20190401-177175-1v5602z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/266844/original/file-20190401-177175-1v5602z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/266844/original/file-20190401-177175-1v5602z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/266844/original/file-20190401-177175-1v5602z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Tract de campagne d’Ahmet Türk et Figen Altındağ, candidats du HDP, pour les municipales de 2019.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>En dépit des pressions, les municipalités kurdes ont généralisé ce concept, quoique de façon officieuse. Toutes les mairies remportées par le parti pro-kurde lors des élections de 2014 ont été dirigées en binôme femme-homme. Bien que le système de coprésidence à la tête d’un parti ait été mis en place ailleurs, celui des co-maires est spécifique aux partis pro-kurdes en Turquie.</p>
<p>Même si l’HDP n’est pas autorisé à présenter des binômes sur ses listes du fait des restrictions légales – un seul candidat par fonction –, le parti a fait campagne en faveur des co-maires. À présent qu’il s’est imposé dans 58 municipalités – dont 24 ont été remportées par des candidates –, toutes seront dirigées conjointement par un homme et une femme.</p>
<h2>Les femmes sous-représentées partout dans le monde</h2>
<p>Depuis vingt ans, la participation des femmes à la vie politique s’est progressivement accrue dans le monde entier. La proportion de sièges occupés par des femmes dans les parlements et assemblées nationales a également augmenté, <a href="https://data.worldbank.org/indicator/sg.gen.parl.zs">passant de 13 % en 1998 à 24 % en 2019</a>.</p>
<p>Cependant, <a href="http://www.unwomen.org/en/what-we-do/leadership-and-political-participation/facts-and-figures">elles restent sous-représentées à l’échelle mondiale</a> et ne participent pas autant à la vie politique que les hommes.</p>
<p>L’Amérique est le continent qui s’en sort le mieux : la représentation des femmes y atteint 30,6 % grâce à la mise en place de quotas dans de nombreux pays d’Amérique latine. L’Europe occupe la seconde place avec 28,6 %, suivie de l’Afrique sub-saharienne (23,9 %), de l’Asie (19,9 %), des pays arabes (19 %) et de l’Océanie (16,3 %).</p>
<p>Bien que la représentation des femmes dans les plus hautes sphères du pouvoir soit encore loin d’être suffisante, <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/canadian-journal-of-political-science-revue-canadienne-de-science-politique/article/do-women-do-better-in-municipal-politics-electoral-representation-across-three-levels-of-government/2E56EAEFE93789391D66A49F08B0B127">certains chercheurs affirment</a> qu’elles peuvent être mieux représentées à l’échelle municipale.</p>
<p>Plusieurs raisons peuvent contribuer à expliquer ce phénomène : des campagnes moins chères, et donc moins de difficultés financières, un emploi du temps plus souple, un nombre de déplacements réduits, et l’idée selon laquelle les femmes seraient plus intéressées par les problématiques « locales ».</p>
<h2>Des résultats contradictoires</h2>
<p>Cette hypothèse peut difficilement être vérifiée, faute d’un corpus d’études internationales suffisamment conséquent. Néanmoins, les données collectées jusqu’ici mettent en évidence des résultats contradictoires.</p>
<p>En 2013, dans les 28 pays de l’Union européenne, seuls <a href="https://unstats.un.org/unsd/gender/downloads/worldswomen2015_report.pdf">14 % des maires et des conseillers municipaux étaient des femmes</a>. En France, <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/592981/16-de-femmes-maires-au-pays-de-marianne-a-quand-la-parite/">84 % des maires sont des hommes</a>.</p>
<p>Aux États-Unis, en 2019, seuls <a href="https://www.cawp.rutgers.edu/levels_of_office/women-mayors-us-cities-2019">20,9 % des maires de villes de plus de 30 000 habitants sont des femmes</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/266863/original/file-20190401-177193-14rc8pg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/266863/original/file-20190401-177193-14rc8pg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/266863/original/file-20190401-177193-14rc8pg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=351&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/266863/original/file-20190401-177193-14rc8pg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=351&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/266863/original/file-20190401-177193-14rc8pg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=351&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/266863/original/file-20190401-177193-14rc8pg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=441&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/266863/original/file-20190401-177193-14rc8pg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=441&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/266863/original/file-20190401-177193-14rc8pg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=441&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Évolution du nombre de femmes maires en France depuis 1974 (graphique de 2015).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:%C3%89volution_du_nombre_de_femmes_maires_en_France.png">Docteur Saint James/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Pourquoi est-il important de donner plus de place aux femmes sur la scène politique ?</h2>
<p>La sous-représentation des femmes en politique révèle une carence démocratique de taille dans le monde entier. Selon les experts, inclure davantage les femmes dans la vie politique permettrait de renforcer la démocratie et d’assurer la mise en place de mesures favorables aux femmes, correspondant à leurs besoins et à leurs attentes. Une étude de 2006 indique qu’à mesure que le nombre de femmes politiques augmente, la <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1467-9477.2006.00149.x">voix des femmes est de plus en plus entendue</a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/267088/original/file-20190402-177181-8ur8hs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/267088/original/file-20190402-177181-8ur8hs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/267088/original/file-20190402-177181-8ur8hs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=566&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/267088/original/file-20190402-177181-8ur8hs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=566&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/267088/original/file-20190402-177181-8ur8hs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=566&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/267088/original/file-20190402-177181-8ur8hs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=711&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/267088/original/file-20190402-177181-8ur8hs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=711&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/267088/original/file-20190402-177181-8ur8hs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=711&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La vie politique continue d’être dominée par les hommes. Ici, le président des États-Unis, George W. Bush, et la chancelière allemande, Angela Merkel, rejoignent d’autres chefs d’État et ministres pour la photo officielle, le 29 novembre 2006 au sommet de l’OTAN à Riga, en Lettonie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://georgewbush-whitehouse.archives.gov/news/releases/2006/11/images/20061129_p112906pm-0304-515h.html">White House photo by Paul Morse</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Aujourd’hui, outre les gouvernements, de nombreuses organisations internationales, de l’<a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:52010DC0078">Union européenne</a> à l’<a href="https://www.mrfcj.org/pdf/Solemn_Declaration_on_Gender_Equality_in_Africa.pdf">Union africaine</a>, s’efforcent de faire augmenter la participation des femmes à la vie politique.</p>
<p>Cependant, les <a href="https://www.fawcettsociety.org.uk/news/women-candidates-face-explicit-resistance-and-discrimination-within-political-parties">comportements et les pratiques discriminatoires, de même que les stéréotypes genrés</a> perdurent en matière d’accession aux postes de responsabilité et aux promotions, ce qui empêche les femmes d’accéder à de plus hautes fonctions.</p>
<h2>Vers une démocratie véritablement égalitaire ?</h2>
<p>Le parti pro-kurde cherche à promouvoir une plus grande implication des femmes en politique, tout en démocratisant et en décentralisant l’organisation monopolistique du pouvoir au sein des institutions politiques, dominées par les hommes.</p>
<p>Ses objectifs <a href="https://ore.exeter.ac.uk/repository/bitstream/handle/10871/16023/TasdemirS.pdf?sequence=1&isAllowed=y">tranchent donc nettement</a> avec la politique ultra-masculinisée du pays et de cette région.</p>
<p>Inclure les femmes dans l’administration locale a permis aux municipalités pro-kurdes de travailler en étroite collaboration avec des associations de femmes et la société civile pour aborder des problématiques comme la <a href="https://www.hdp.org.tr/images/UserFiles/Documents/Editor/Kayyumlarkadinkazanimlarininasiletkiliyor.pdf">violence faite aux femmes, l’accès au marché du travail et l’éducation à l’échelle municipale</a>.</p>
<p>Au-delà de l’importance symbolique de la présence de figures féminines en charge des affaires de la ville, et de l’élaboration de lois visant à promouvoir l’égalité homme-femme, le système des co-maires a également eu pour effet d’accroître la participation et l’aspiration des femmes à participer à la vie politique locale.</p>
<h2>Briser définitivement le plafond de verre</h2>
<p>Promouvoir des femmes au statut de co-maire est aussi une façon de briser le plafond de verre qui les empêche de progresser dans leur carrière.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/266870/original/file-20190401-177178-1n53yhk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/266870/original/file-20190401-177178-1n53yhk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/266870/original/file-20190401-177178-1n53yhk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/266870/original/file-20190401-177178-1n53yhk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/266870/original/file-20190401-177178-1n53yhk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/266870/original/file-20190401-177178-1n53yhk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/266870/original/file-20190401-177178-1n53yhk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sezai Temelli (à gauche) et Pervin Buldan (à droite), les co-présidents du Parti démocratique des peuples, pro-kurde, pendant un meeting de campagne en 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AFP</span></span>
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</figure>
<p>A ce jour, en dépit de tous ces avantages, la parité des municipalités kurdes n’est pas encore institutionnalisée, à cause des restrictions juridiques et de l’opposition politique à laquelle elle se heurte.</p>
<p>Des études plus approfondies permettraient d’analyser les dynamiques de pouvoir créées par le système de co-présidence, qu’il s’applique à la direction du parti ou aux municipalités. Néanmoins, cette mesure peut servir d’exemple à d’autres pays pour favoriser l’implication politique des femmes à l’échelle locale, non seulement au niveau législatif mais aussi sur le plan décisionnel.</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Iris Le Guinio pour <a href="http://www.fastforword.fr/">Fast for Word</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115020/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hazal Atay a reçu des financements de la Commission européenne dans le cadre d'Actions Marie Skłodowska-Curie.</span></em></p>Les élections municipales en Turquie ont révélé un système innovant d’égalité entre hommes et femmes politiques.Hazal Atay, Ph.D candidate, INSPIRE Marie Skłodowska-Curie Fellow, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1044922018-10-08T16:29:54Z2018-10-08T16:29:54ZComment la torture déchire les sociétés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/239471/original/file-20181005-72110-8y6cr6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C7%2C4913%2C3245&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Utö, Finlande, graffiti. La torture est un processus qui ne se limite pas à l'acte ni au moment où celui-ci survient mais qui se poursuit sur des générations.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/VBe9zj-JHBs"> aaron blanco tejedor/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Munir est un Kurde d’une quarantaine d’années. Nous nous sommes vus plusieurs fois chez lui, avec sa famille, et à la clinique où il suit une thérapie. Il a mis longtemps avant d’accepter de se confier.</p>
<p>Même si sa femme savait qu’il voyait un médecin pour enrayer les effets à long terme de la torture qu’il avait subie en tant que militant kurde sous le régime de Saddam Hussein en Irak, elle ignorait les détails de ce qui s’était passé lors de ses différentes incarcérations. Encore moins savait-elle qu’il avait été violé dans les locaux d’une unité du Mukhabarat, le tristement célèbre service de renseignement du régime.</p>
<p>Munir évoque son séjour en prison en ces termes : « J’ai tout perdu là-bas, y compris ma virilité ». Les séquelles de sa détention ont provoqué maintes disputes entre lui et sa femme, qui s’étonnait de son manque d’intérêt pour les rapports sexuels. Le temps qu’il a passé en prison et la façon dont cette période affecte sa relation conjugale font de son emprisonnement un marqueur temporel synonyme d’émasculation, à la fois à cause du viol et de l’image négative qu’il renvoie à sa femme.</p>
<p>Munir est l’une des nombreuses personnes que j’ai rencontrées dans le cadre de mon travail de <a href="https://sov.hypotheses.org/722">recherche ethnographique</a> auprès des patients et des professionnels de santé d’une ONG danoise en <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/01459740.2018.1462807">2003-2004 et 2016-2018</a>.</p>
<h2>Accepter le traumatisme des victimes</h2>
<p>Depuis plus de 30 ans, cette ONG offre un suivi médical interdisciplinaire aux victimes de la torture. Mon champ de recherches se situe donc au cœur de ce que Didier Fassin et Richard Rechtman appellent <a href="https://press.princeton.edu/titles/8917.html"><em>L’ Empire du Traumatisme</em></a>, c’est-à-dire l’ensemble des études psychiatriques, manuels et théories qui ont fait du traumatisme de la victime un concept culturellement et moralement acceptable.</p>
<p>De nombreux Danois se plaignent du fait que, sur les quelque 160 000 réfugiés ayant obtenu le droit de résider dans le pays, beaucoup ne font pas l’effort de s’intégrer : ils n’apprennent pas le Danois, ne travaillent pas et n’ont pas, dans l’ensemble, un <a href="https://www.b.dk/nationalt/danskerne-rykker-til-hoejre-to-ud-af-tre-vil-begraense-muslimsk-indvandring">comportement « typiquement » danois</a>. Pourtant, le sentiment d’appartenance à un pays ne se manifeste pas toujours par des <a href="http://www.manchesteruniversitypress.co.uk/9780719089589">gestes culturels familiers</a>, comme le fait de serrer la main aux personnes des deux sexes, de boire de l’alcool ou d’envoyer les jeunes enfants à la crèche au lieu de s’en occuper à la maison.</p>
<p>Ce que les détracteurs de l’immigration ont tendance à oublier, c’est que le travail de réadaptation à la vie quotidienne est l’une des principales difficultés auxquelles sont confrontées les victimes de la torture ou de toute autre forme de traumatisme – <a href="https://www.integrationsviden.dk/familie-sundhed/traumer-1/traumeundersogelse-undersogelse-af-indsatsen-for-flygtninge-med-traumer-i-danmark/#.Vff0qhHtlBc">un tiers des réfugiés installés au Danemark ont été torturés ou témoins d’actes de torture</a> –, mais aussi leurs thérapeutes.</p>
<p>Il est essentiel de comprendre pourquoi ce processus est si difficile, non seulement pour les victimes, mais aussi pour leur famille.</p>
<h2>La torture constitue une inversion fondamentale des rapports sociaux</h2>
<p>En effet, les réfugiés souffrant de traumatismes ont souvent du mal à tisser de nouveaux liens sociaux dans leur pays d’accueil parce que leurs repères ont été profondément bouleversés, au point qu’ils risquent de ne jamais se reconstruire.</p>
<p>Comme l’écrit le philosophe autrichien <a href="https://www.ushmm.org/research/publications/academic-publications/full-list-of-academic-publications/at-the-minds-limits-contemplations-by-a-survivor-on-auschwitz-and-its">Jean Améry</a>, la torture constitue une inversion fondamentale des rapports sociaux.</p>
<p>En se fondant sur sa propre expérience dans les camps de concentration pendant la Seconde Guerre mondiale, il explique que la torture ne se limite <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17456902">jamais au lieu et au moment précis</a>) où un individu est victime d’un bourreau. L’expérience provoque une <a href="https://forskning.ruc.dk/da/publications/ofre-i-lidelsens-moralske-%C3%B8konomi-humiliation-retaliation-and-sac">remise en question si profonde</a> de ce qui fait de nous des êtres humains qu’elle peut fondamentalement fausser <a href="https://www.cambridge.org/core/books/emotions-and-mass-atrocity/4F0A9C1E28E837B008C021FA0479B277">notre existence sociale</a>, y compris, et surtout, les relations avec l’entourage proche et moins proche.</p>
<p>Pour mieux comprendre les répercussions de la torture subie par Munir, nous pouvons nous appuyer sur la façon dont l’anthropologue Shahla Talebi dépeint la violence et le sentiment de perte à travers le cas d’une Iranienne, emprisonnée pendant le règne du Shah puis sous la République islamique, qui s’est suicidée après sa sortie de prison. Shahla Talebi a elle-même connu la torture et <a href="https://www.jstor.org/stable/10.2979/jmiddeastwomstud.2011.7.1.39?origin=JSTOR-pdf&seq=1#page_scan_tab_contents">des conditions de détention atroces à Téhéran pendant dix ans</a>. Dans son livre <a href="https://www.sup.org/books/title/?id=20116"><em>Ghosts of Revolution</em></a>, elle explique que la vie après la torture peut paraître insupportable, et que c’est ce qui a poussé sa codétenue à se suicider :</p>
<blockquote>
<p>« La gravité des séquelles qui résultent de nombreuses formes de violence, y compris les attentes et les jugements de la société relatifs à son sexe, l’empêchent de redéfinir sa subjectivité dans sa vie actuelle et au-delà de ces séquelles. »</p>
</blockquote>
<h2>Répercussions sur les proches et les générations futures</h2>
<p>Munir ne s’est pas suicidé, mais il mène un combat difficile pour redéfinir sa subjectivité en tant qu’homme, et passer de son statut de militant kurde à celui de père aimant et d’époux responsable. En dépit de son secret, il conserve – selon ses propres mots – une relation d’amitié et de tendresse très forte avec sa femme mais veille à ne jamais parler devant elle et leurs enfants des violences qu’il a subies. La façon dont il s’occupe de sa famille est clairement influencée par ce souvenir occulté, et le sentiment d’avoir perdu sa virilité. Le traumatisme de son viol ne ressurgit donc pas seulement lors de ses moments d’intimité avec sa femme mais aussi dans ses efforts continuels pour prendre soin des siens.</p>
<p>L’anthropologue Veena Das nous offre un moyen de comprendre le ressenti de Munir – ce mélange de découragement et d’instinct protection – en nous invitant à <a href="http://anthropology.jhu.edu/2015/01/01/affliction-health-disease-poverty">prendre en compte les forces conjointes des liens de parenté, de la politique et de la souffrance</a> qui envisagent la torture comme un acte singulier alors qu’elle est constamment ancrée dans l’ordinaire. Elle affecte les liens sociaux, au sein de la famille et ailleurs.</p>
<h2>La thérapie est-elle efficace ?</h2>
<p>Tout en soulignant combien le processus de guérison et de redéfinition de soi peut être complexe, des études récentes concluent que même si la thérapie n’est pas efficace pour le survivant lui-même, elle l’est lorsqu’on mesure ses effets à l’échelle de la famille : les <a href="https://bmchealthservres.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12913-018-3145-3">enfants des survivants qui reçoivent une aide médicale accèdent en général à une meilleure situation économique et sociale</a>.</p>
<p>Parallèlement, d’autres études indiquent que le traumatisme causé par la torture augmente le <a href="https://ajph.aphapublications.org/doi/abs/10.2105/AJPH.2007.120634">risque de violence au sein de la famille</a>, ce qui rejoint l’analyse de Jean Améry selon laquelle elle bouleverse profondément les rapports sociaux.</p>
<p>Le personnel soignant auprès duquel j’effectue mon travail de recherche est confronté à ces défis depuis des années. Il existe donc une sorte de paradoxe dans le fait d’essayer de réduire les effets secondaires de la torture, tout en sachant qu’ils sont très difficiles à traiter. Comme indiqué précédemment, le bénéfice d’une prise en charge psychologique n’est parfois même pas perceptible avant la deuxième génération. Comment ce paradoxe s’exprime-t-il dans le cadre de la thérapie et au-delà ?</p>
<h2>Le mur</h2>
<p>Une psychothérapeute confirmée m’a raconté qu’elle venait de mettre en place un programme avec une patiente qui lui avait expliqué ce que ces rendez-vous à la clinique lui donnaient la possibilité de se laisser aller, de craquer, tout en ayant la sensation qu’il y avait un mur dans son dos, de sorte que même si elle s’effondrait, il y avait toujours quelque chose ou quelqu’un derrière elle pour l’aider à se relever et à reconstruire sa relation avec ses enfants.</p>
<p>Lors des séances de thérapie, elle n’avait pas à sauver les apparences, ni à expliquer pour quelles raisons elle se sentait mal parce que les médecins le savaient déjà.</p>
<p>Cette femme et sa thérapeute reconnaissent toutes deux l’aspect symbolique de ce mur. Il signifie que le patient et son médecin s’accordent sur ce qu’implique la souffrance de la victime et sur le fait que rien ne peut l’empêcher de s’effondrer, mais qu’ils admettent aussi que cet effondrement fait partie du processus de reconstruction des repères sociaux fracturés du survivant. À terme, cela permet la guérison de la personne elle-même ou, à défaut, de ses enfants.</p>
<hr>
<p><em>Cet article est publié en collaboration avec la Plateforme Internationale <a href="http://www.fmsh.fr/en/research/24279">Violence et Sortie de la Violence</a> (FMSH). Traduit de l’anglais par Iris Le Guinio pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast for Word</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104492/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lotte Buch Segal a reçu des financements de NOS-HS de 2014-2017. GRANT_NUMBER: 219988</span></em></p>Les « anti-migrants » oublient que la réadaptation à la vie quotidienne est l’un des principaux obsctacles auxquels sont confrontées les victimes de la torture ou de toute autre forme de traumatisme.Lotte Buch Segal, Professeure assistante en anthropologie, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH), University of CopenhagenLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/969732018-05-28T20:46:49Z2018-05-28T20:46:49ZL’opposition turque peut-elle s’unir et faire obstacle à Erdoğan ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/220605/original/file-20180528-80640-1y55on9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=48%2C22%2C1807%2C1388&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le président turc Recep Tayyip Erdoğan pourrait-il connaître sa première défaite aux élections de juin?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/en/erdogan-turkey-demokratie-2155938/">Pixabay/geralt</a></span></figcaption></figure><p>Initialement prévues pour fin 2019, des « élections présidentielles et parlementaires anticipées » défendues par <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/apr/18/turkey-to-hold-snap-elections-on-24-june-says-erdogan">Devlet Bahçeli</a>, partenaire politique de Recep Tayyip Erdoğan et chef de file du Parti d’action nationaliste (MHP), se tiennent en Turquie ce <a href="https://www.brookings.edu/blog/order-from-chaos/2018/04/23/turkeys-snap-elections-and-the-future-of-turkish-democracy/">24 juin 2018</a>. </p>
<p>Ces élections sont nécessaires au président sortant pour se maintenir au pouvoir. Pourtant le parti du président, l'AKP pourrait être mis en danger: en effet ses opposants ont formé une coalition et ont désigné le professeur de physique <a href="http://www.liberation.fr/planete/2018/06/22/en-turquie-muharrem-ince-l-inconnu-devenu-premier-opposant_1661345">Muharrem Ince</a> en mai comme candidat du Parti républicain du peuple (CHP, laïque). Et tandis que les Turcs vont aux urnes ce dimanche, des milliers de volontaires se sont mobilisés dans les bureaux de votes pour surveiller le processus électoral et <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/240618/mobilisation-massive-pour-empecher-les-fraudes-aux-elections-en-turquie">empêcher que le président de «voler» les élections</a>. </p>
<h2>L’AKP fragilisé</h2>
<p>Erdoğan doit faire face à plusieurs problèmes qui ont récemment affaibli son parti, tant sur le plan national qu’international. <a href="https://www.reuters.com/article/us-mideast-crisis-syria/erdogan-we-will-strangle-u-s-backed-force-in-syria-before-its-even-born-idUSKBN1F41HJ">L’intervention militaire en Syrie</a> est une impasse sans espoir de <a href="https://www.quora.com/What-happens-if-the-Turkish-Afrin-operation-fails-due-to-stiff-resistance">retrait ni de victoire à l’horizon</a> tandis que l’économie, qui constituait jusque-là une carte maîtresse de l’AKP, a plongé de <a href="http://www.intellinews.com/beyond-the-bosphorus-why-hasn-t-turkey-s-economy-fallen-apart-137144/">manière inattendue</a>. De même, l’<a href="http://www.hurriyetdailynews.com/turkish-lira-falls-to-another-historic-low-against-us-dollar-129822">effondrement dramatique de la lire turque</a> a réduit le pouvoir d’achat de la population.</p>
<p>Enfin, la crédibilité en berne du système judiciaire est source d’inquiétude jusque dans les rangs des partisans du président. Selon un sondage récent, <a href="https://www.turkishminute.com/2016/11/24/poll-shows-97-percent-turks-lack-trust-judiciary/">97 % des Turcs ne font plus confiance à la Justice</a>.</p>
<h2>Des conditions tout sauf idéales</h2>
<p>Pour la première fois depuis l’arrivée d’<a href="https://www.theglobalist.com/turkey-presidency-recep-tayyip-erdogan-africa/">Erdoğan au pouvoir</a> il y a 16 ans, ces élections sont susceptibles de modifier la donne. Toutefois, le contexte <a href="http://www.hurriyetdailynews.com/turkish-government-to-extend-state-emergency-for-seventh-time-130267">d’état d’urgence</a> dans lequel elles se déroulent laisse craindre que les conditions ne soient pas réunies pour assurer un scrutin libre et impartial.</p>
<p>La Turquie a récemment été rétrogradée au rang de pays « non libre » selon plusieurs indices internationaux, dont celui de <a href="https://freedomhouse.org/report/freedom-world/2018/turkey">Freedom House</a>. Les campagnes menées par l’opposition sont décapitées à mesure que le gouvernement étend sa mainmise sur les médias, plaçant ainsi le pays à la <a href="https://rsf.org/en/rsf-index-2018-historic-decline-press-freedom-ex-soviet-states-turkey">157ᵉ place (sur 180)</a> en matière de liberté de la presse.</p>
<p>Et, ce, jusqu’en France comme en témoignent les <a href="http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2018/05/27/01016-20180527ARTFIG00088-des-pro-erdogan-font-retirer-la-une-du-point-qui-qualifie-le-president-turc-de-dictateur.php">récentes attaques de militants pro-Erdoğan</a> à l’encontre de kiosquiers. Plusieurs d’entre eux – ainsi qu’un agent JCDecaux – ont été sommés de retirer de leur vitrine l’affiche de la une de l’hebdomadaire <em>Le Point</em> qui qualifiait le président turc de dictateur.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1000725477269688322"}"></div></p>
<h2>L’opposition unie</h2>
<p>Usant de son charisme et de toutes les <a href="http://factcheckingturkey.com/domestic-politics/claim-turkish-president-unfairly-using-state-resources-389">ressources gouvernementales</a> dont il dispose, Erdoğan a muselé ses opposants et s’est habitué, depuis 16 ans, à être le seul véritable candidat. La convocation d’élections anticipées semble toutefois avoir donné un second souffle aux partis d’opposition qui vont présenter des candidats face à lui.</p>
<p>Le <a href="https://bianet.org/english/politics/196409-democratic-move-by-chp-15-mps-move-to-iyi-party">transfert inattendu de 15</a> députés du Parti républicain du peuple (CHP) vers le Bon Parti (Parti Iyi) a modifié les rapports de force, dans la mesure où ces deux partis peuvent se mesurer à l’AKP d’Erdoğan s’ils font front commun avec le Parti démocratique populaire (HDP), pro-kurde et de gauche.</p>
<p>Le Bon Parti centriste, conduit par une figure politique reconnue, <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/may/03/turkey-meral-aksener-time-for-the-men-in-power-to-feel-fear">Meral Aksener</a>, est donc bien placé pour se lancer dans la bataille et réduire les chances de l’AKP d’obtenir une majorité écrasante au Parlement.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/220609/original/file-20180528-80620-24xo3e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/220609/original/file-20180528-80620-24xo3e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/220609/original/file-20180528-80620-24xo3e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/220609/original/file-20180528-80620-24xo3e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/220609/original/file-20180528-80620-24xo3e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/220609/original/file-20180528-80620-24xo3e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/220609/original/file-20180528-80620-24xo3e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cette femme peut-elle prendre la tête de la Turquie ? Meral Akşener prononce le discours inaugural de son parti, le 25 octobre 2017.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.amerikaninsesi.com/a/meral-aksenerin-partisi-resmen-kuruldu/4085866.html">Yıldız Yazıcıoğlu//Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une « dame de fer » pour Ankara ?</h2>
<p>Meral Akşener, qui a été ministre de l’Intérieur au milieu des années 1990, une <a href="https://www.dailysabah.com/op-ed/2015/08/21/has-turkey-turned-back-to-the-90s">période difficile en Turquie</a>, semble prête à affronter Erdoğan. Forte de son passé nationaliste et d’une attitude modérée, elle s’est imposée comme un choix pragmatique et s’est attelée à combler le vide créé par le président au centre de l’échiquier politique.</p>
<p>Son discours consensuel s’adresse aussi bien aux nationalistes laïques que pro-islamiques, aux conservateurs modérés, aux sociaux-démocrates ainsi qu’à certains Kurdes. Pour un grand nombre de Turcs, elle possède la détermination qui faisait défaut à <a href="http://www.hurriyetdailynews.com/iyi-party-leader-aksener-dismisses-joint-candidacy-rumors-for-elections-130795">Abdullah Gül</a>, ex-président et camarade de longue date d’Erdoğan (Gül, qui a retiré sa candidature, <a href="http://www.hurriyetdailynews.com/chp-leader-hints-gul-was-threatened-by-top-soldier-131282">aurait subi des pressions de la part du chef d’état-major général</a>).</p>
<h2>Un guerrier venu du CHP ?</h2>
<p>Leader du principal parti d’opposition, le CHP, Kemal Kiliçdaroğlu a <a href="http://www.hurriyetdailynews.com/muharrem-ince-likely-presidential-nominee-of-turkeys-main-opposition-chp-131266">désigné Muharrem İnce</a>, un député qui n’a pas la langue dans sa poche, pour affronter le président sortant.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/220610/original/file-20180528-80650-1ui8rmc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/220610/original/file-20180528-80650-1ui8rmc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=652&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/220610/original/file-20180528-80650-1ui8rmc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=652&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/220610/original/file-20180528-80650-1ui8rmc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=652&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/220610/original/file-20180528-80650-1ui8rmc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=820&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/220610/original/file-20180528-80650-1ui8rmc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=820&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/220610/original/file-20180528-80650-1ui8rmc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=820&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Muharrem İnce, député et candidat aux élections présidentielles du Parti républicain du peuple (CHP).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Muharrem_%C4%B0nce.jpg">Yildiz Yazicioğlu/VOA</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>Tout aussi déterminé et combatif que Meral Akşener, Muharrem İnce séduit également les électeurs laïques. Cependant, son nationalisme laïc trop marqué risque de lui faire perdre les voix des Kurdes et des conservateurs, bien qu’il ait la capacité d’enflammer les foules.</p>
<p>Muharrem İnce doit s’appuyer sur une stratégie en deux étapes : il lui faut d’abord remporter la majorité des votes de l’opposition pour accéder au second tour, puis se montrer suffisamment souple et rassembleur pour coaliser l’opposition contre Erdoğan. Il devra, pour ce faire, convaincre les Kurdes et les conservateurs modérés, privés de leurs droits par les récentes mesures d’Erdoğan.</p>
<h2>Un candidat derrière les barreaux</h2>
<p>Le nationalisme galopant d’Erdoğan a eu pour conséquence d’éloigner les Kurdes du gouvernement, alors qu’ils représentent plus de 10 % des électeurs. En l’absence d’une victoire nette dès le premier tour, leur vote sera déterminant pour désigner le vainqueur au second tour.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/220611/original/file-20180528-80637-645wlp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/220611/original/file-20180528-80637-645wlp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=752&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/220611/original/file-20180528-80637-645wlp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=752&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/220611/original/file-20180528-80637-645wlp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=752&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/220611/original/file-20180528-80637-645wlp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=945&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/220611/original/file-20180528-80637-645wlp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=945&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/220611/original/file-20180528-80637-645wlp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=945&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le 25 mai 2018, le HDP a demandé à la Cour constitutionnelle de libérer Selahattin Demirtaş, estimant qu’il est éligible et qu’il jouit encore de ses droits politiques et civiques.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Selahattin_Demirta%C5%9F#/media/File:Selahattin_Demirta%C5%9F.png">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Selahattin Demirtaş, le leader emprisonné du <a href="https://uk.reuters.com/article/uk-turkey-security-kurds/turkey-detains-pro-kurdish-leaders-ahead-of-congress-party-idUKKBN1FT16S">parti pro-kurde de gauche HDP</a>, est également candidat.</p>
<p>Bien que ses chances d’être présent au second tour soient quasiment inexistantes, Demirtaş et son parti seront incontournables. Si le HDP ne dépasse pas le seuil des 10 %, l’AKP d’Erdoğan obtiendra sans doute une majorité écrasante au parlement, ce qui confortera sa position dominante.</p>
<h2>Un combat serré</h2>
<p>Lors du premier tour, les militants votant pour le candidat de leur parti, il est peu probable qu’un d’eux atteigne la majorité simple (50 % plus une voix) requis pour être élu, à moins que l’on assiste d’ici là à un nouveau découpage de la carte électorale.</p>
<p>Les deux principaux candidats d’opposition, Muharrem İnce et Meral Akşener, ont publiquement déclaré qu’<a href="http://www.yenicaggazetesi.com.tr/muharrem-ince-ben-kalamazsam-akseneri-desteklerim-190758h.htm">ils appelleraient à voter</a> pour celui des deux qui aura obtenu le plus de suffrages. S’ils respectent ce consensus et continuent à mener une campagne rigoureuse et stratégique, les partis d’opposition sont à même de s’unir au sein d’une coalition anti-Erdoğan au second tour. Ils devront aborder un large éventail de questions, allant de l’exploitation de la religion à la coexistence de différents groupes et individus, et proposer des solutions pacifiques aux problèmes régionaux.</p>
<p>Un discours convaincant sur la crise économique, la <a href="https://www.aljazeera.com/indepth/opinion/2016/02/turkey-pervasive-political-social-polarisation-160207140647531.html">polarisation sociale</a> et l’<a href="http://factcheckingturkey.com/foreign-policy/claim-turkish-president-isolated-internationally-426">isolement international</a> pourrait de fait constituer le socle de la victoire pour le futur président.</p>
<p>C’est en tenant un discours ferme, mais ouvert et modéré, en se montrant rationnel, pragmatique et charismatique que le candidat de l’opposition pourra rassembler la minorité sectaire des Alevis, la minorité ethnique des Kurdes, les nationalistes turcs, les sociaux-démocrates et les conservateurs modérés.</p>
<p>En tout état de cause, si l’opposition échoue et qu’Erdoğan gagne une nouvelle fois les élections, la perspective d’une démocratie libérale en Turquie sera renvoyée aux calendes grecques.</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Catherine Biros pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast for Word</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/96973/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Erdoğan doit faire face à plusieurs problèmes qui ont récemment affaibli son parti, tant sur le plan national qu’international. Une coalition de l’opposition en Turquie pourrait-elle le défier?Ahmet Erdi Öztürk, Research Asistant, Université de StrasbourgFatih Ceran, PhD student, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/947732018-04-19T21:06:23Z2018-04-19T21:06:23ZQuel avenir pour les femmes kurdes d’Irak et de Syrie ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/215629/original/file-20180419-163978-1l8os9y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C6%2C1341%2C988&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les femmes kurdes ont été à la fois actrices et enjeux du conflit contre Daech. À quel prix? (photos issues du compte flickr du mouvement de guérilla kurde).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/kurdishstruggle/26009321417/">Kurdish YPG Fighters/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>L’opération militaire « Rameau d’olivier », relativement mal-nommée, débutée le 20 janvier contre l’enclave kurde d’Afrine dans le Nord-ouest syrien, <a href="https://www.slate.fr/story/159940/kurdistan-syrie-peur-ankara-turquie">a été menée d’une main de fer</a> par le gouvernement turc, qui vise ainsi à détruire les fondements d’un gouvernement autonome kurde dans la région.</p>
<p>Tandis que la France, au risque d’énerver Ankara, a récemment <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/guerre-en-syrie/20180330.OBS4401/la-france-va-t-elle-envoyer-des-soldats-pour-aider-les-kurdes-en-syrie.html">réitéré son soutien aux Kurdes de Syrie</a>, alliés précieux de la coalition dans la lutte contre Daech, le projet d’autonomie kurde lui pourrait vivre ses derniers instants. Et avec ce projet, celui de l’autonomie et montée en puissance des femmes kurdes, à la fois actrices et enjeux médiatiques de cette tragédie géopolitique.</p>
<h2>Un partage inique</h2>
<p>La région kurde de l’Irak est la seule qui jusqu’à présent a bénéficié d’une autonomie <a href="https://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2015-1-page-21.htm">reconnue par l’État central</a> (constitution irakienne de 2005), créant un précédent.</p>
<p>Cette région est l’aboutissement d’un partage territorial, initié par la France et la Grande-Bretagne au Moyen-Orient à la fin de la Première Guerre mondiale. Ces pays ont divisé le territoire kurde entre quatre états : l’Iran, l’Irak, la Syrie et la Turquie.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/215625/original/file-20180419-164001-1o7cxih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/215625/original/file-20180419-164001-1o7cxih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/215625/original/file-20180419-164001-1o7cxih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/215625/original/file-20180419-164001-1o7cxih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/215625/original/file-20180419-164001-1o7cxih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/215625/original/file-20180419-164001-1o7cxih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/215625/original/file-20180419-164001-1o7cxih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/215625/original/file-20180419-164001-1o7cxih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Carte de la répartition de la population kurde en 2003. D’après David McDowall, <em>A Modern History of the Kurds</em>, 2003, dans « Afrique et mondialisation », MOOC, Sciences Po.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://cartotheque.sciences-po.fr/media/Population_kurde_au_Moyen-Orient/2805/">FNSP. Sciences Po -- Atelier de cartographie</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>Les populations kurdes y ont subi <a href="https://www.sciencespo.fr/mass-violence-war-massacre-resistance/en/document/dersim-massacre-1937-1938">depuis lors des persécutions</a>, des déportations, des massacres, le <a href="https://www.persee.fr/doc/espos_0755-7809_1997_num_15_1_1791">déni de leur existence</a> en tant que peuple et des actes de génocide).</p>
<p><a href="https://archive.org/details/TheKurdsAndKurdistanASelectiveAndAnnotatedBibliographyBibliographiesAndIndexesInWorldHistory">Sa population</a> se compose principalement de Kurdes sunnites mais comprend également des minorités ethniques telles que des Turcomans et des Arabes ainsi que des minorités religieuses de confessions yézidie et de diverses confessions chrétiennes.</p>
<h2>Une longue histoire de résistance</h2>
<p>La société kurde irakienne a été l’objet d’une occupation prolongée, a subi le joug d’une dictature sanguinaire et a traversé les affres de plusieurs guerres mettant en jeu à la fois l’Irak et le Kurdistan : une guerre contre l’Iran, deux guerres du Golfe, un génocide, une guerre civile parmi les Kurdes eux-mêmes.</p>
<p>De 2004 à 2014, le Kurdistan a joui d’une paix retrouvée qui lui permettait d’entamer une reconstruction grâce à son statut de région autonome, le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK). Toutefois, en 2014, le Kurdistan a du s’engager dans une <a href="http://www.liberation.fr/debats/2015/12/08/la-question-kurde-a-l-heure-de-Daech_1419266">guerre contre Daech</a> qui s’apprêtait à envahir le Kurdistan, ayant au préalable prononcé les Kurdes apostats, c’est-à-dire destinés à être exécutés. Aujourd’hui, les tensions intestines et l’hostilité manifeste du gouvernement irakien menacent les progrès en cours dans la société kurde.</p>
<p>Face aux multiples tentatives visant à les mettre en échec ou les annihiler, la société et la culture kurde se distinguent par une <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Monde/La-longue-histoire-de-la-question-kurde-2014-10-26-1227315">longue histoire de résistance</a>, dans laquelle es femmes kurdes sont à la fois actrices et enjeu.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/215626/original/file-20180419-163971-47io2l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/215626/original/file-20180419-163971-47io2l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/215626/original/file-20180419-163971-47io2l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/215626/original/file-20180419-163971-47io2l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/215626/original/file-20180419-163971-47io2l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/215626/original/file-20180419-163971-47io2l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/215626/original/file-20180419-163971-47io2l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>Les Filles du soleil</em>, film d’Eva Husson en lice à Cannes en 2018 raconte la vie de ces combattantes kurdes, avec l’actrice iranienne Golshifteh Farahani.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.allocine.fr/film/fichefilm-253969/photos/detail/?cmediafile=21498438">Wild Bunch</a></span>
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<h2>Un projet de société féministe</h2>
<p>Les femmes ont été partie prenante de la lutte pour <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13642987.2016.1192535">défendre les droits des kurdes</a>.</p>
<p>Elles s’associent à un projet résolument national porté par la vaste majorité des Kurdes irakiens, comme en témoigne le <a href="https://theconversation.com/au-kurdistan-irakien-une-nouvelle-etape-sur-le-chemin-de-lindependance-84651">résultat du référendum du 25 septembre 2017</a>, se prononçant à 92,7 % en faveur de l’indépendance. Cependant, les femmes proposent aussi un récit national prenant en compte leurs revendications propres et se sont mobilisées pour contribuer à l’élaboration d’un projet de société qui intègre pleinement les droits de femmes.</p>
<p>En effet, bien qu’ils soient traversés par des tensions, <a href="https://warwick.ac.uk/fac/soc/pais/people/pratt/publications/mjcc_004_03_06_al-ali_and_pratt.pdf">nationalisme et féminisme</a> ne sont pas nécessairement incompatibles. Les femmes kurdes se sont investies dans une contestation du modèle patriarcal porteur de traditions et de normes qui leur assignent des rôles sociaux contraignants et selon lesquels elles sont le dépositaire de l’honneur familial et communautaire.</p>
<p>Un modèle que l’islam traditionnel ne fait que renforcer. La société kurde en pleine transformation post-2003 a présenté aux femmes des opportunités nouvelles dont elles se sont saisies pour accroître leur capacité d’action et leur participation politique, civique et sociétale.</p>
<p>Elles se sont appuyées sur le discours des partis politiques qui vantent modernisme et égalité entre les femmes et les hommes, mais elles doivent aussi combattre les influences traditionnelles auxquels les partis sont sensibles dans leurs visées électorales.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/215627/original/file-20180419-163962-1d6oidv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/215627/original/file-20180419-163962-1d6oidv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=516&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/215627/original/file-20180419-163962-1d6oidv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=516&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/215627/original/file-20180419-163962-1d6oidv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=516&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/215627/original/file-20180419-163962-1d6oidv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=649&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/215627/original/file-20180419-163962-1d6oidv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=649&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/215627/original/file-20180419-163962-1d6oidv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=649&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Drapeau kurde. Le projet national kurde propose d’impliquer les femmes à tous les niveaux de la société.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/kurdishstruggle/15481588504/">Kurdish Army/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Tous les partis intègrent la participation des femmes dans un projet national : les partis politiques laïcs qui dominent la scène et les partis islamiques qui recueillent 17 % des votes. Ces derniers incorporent les femmes tout en proposant des normes conformes à leur interprétation de la chariah, dont certaines femmes se réclament, mais que la majorité d’entre elles perçoit comme une entrave à l’égalité de genre.</p>
<h2>Activisme institutionnel</h2>
<p>Les femmes kurdes poursuivent leur action jusqu’au sein du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) dans un parlement qui leur réserve 30 % des sièges. La mise en place par le GRK <a href="https://www.humanite.fr/kurdistan-nous-inventons-de-nouvelles-formes-de-democratie-558404">d’institutions et de libertés démocratiques</a> ont facilité l’expansion de l’activisme féminin. Notamment, des médias indépendants ainsi que des ONG et des associations ont ouvert de nouvelles avenues de participation aux femmes, des sphères d’action qu’elles tendent à privilégier. Les femmes kurdes proposent un projet sociétal qui démarque la société kurde de son homologue arabe irakien et célèbrent l’autonomie du Kurdistan en promouvant les droits des femmes ainsi que des normes différentes pour les relations de genre.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/215632/original/file-20180419-163995-qw79kf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/215632/original/file-20180419-163995-qw79kf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/215632/original/file-20180419-163995-qw79kf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/215632/original/file-20180419-163995-qw79kf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/215632/original/file-20180419-163995-qw79kf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/215632/original/file-20180419-163995-qw79kf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/215632/original/file-20180419-163995-qw79kf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jeunes Kurdes en mission à Afrin, février 2018.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/kurdishstruggle/40025918072/">Kurdish YPG Fighters</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Par exemple, la <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2011/07/26/kurdistan-irakien-la-loi-interdisant-les-mutilations-genitales-feminines-constitue">loi de 2011</a> contre les mutilations génitales féminines a démontré cette volonté de combattre la violence contre les femmes et a été emblématique de cette autodéfinition kurde.</p>
<p>Cette loi a été le fruit de larges mobilisations dont les femmes ont été la cheville ouvrière et sanctionne un spectre très vaste de violences faites aux femmes, tels que les mariages forcés, les divorces forcés/répudiations, les entraves à l’emploi par le chef de famille, le droit du chef de famille d’infliger un châtiment corporel, l’excision, les crimes d’honneur, le viol et même le viol conjugal.</p>
<h2>Une radicalité progressiste</h2>
<p>Ces dispositions législatives se caractérisent par leur radicalité, les plus avancées dans le monde arabo-musulman sur le thème de la violence contre les femmes. La loi sur le statut personnel, quant à elle, a considérablement restreint les possibilités de polygamie – sans l’interdire toutefois – et a octroyé aux femmes des droits en ce qui concerne la garde des enfants et le témoignage en justice.</p>
<p>La région autonome se différencie clairement de l’Irak par ces dispositions législatives alors que la <a href="http://www.europe1.fr/emissions/le-journal-du-monde/irak-ce-projet-de-loi-qui-inquiete-les-femmes-3493700">loi irakienne</a> continue d’accorder des circonstances atténuantes aux coupables de crimes d’honneur (des peines très réduites), octroie au chef de famille le droit d’infliger des châtiments corporels et remet entre les mains des communautés religieuses la régulation du statut personnel.</p>
<p>La mobilisation des femmes kurdes, et par extension, la société kurde, marque une exception dans un Moyen-Orient patriarcal où la tradition de la supériorité de l’homme constitue le principe générateur et régulateur des relations de pouvoir et des modes d’action.</p>
<p>Or, aujourd’hui, les retombées de la guerre contre Daech en Irak et au Kurdistan, les interventions militaires turques, doublées d’une crise politique et économique, enrayent les progrès à venir sur les droits des femmes dans le projet national, et, de fait, la possibilité d’un projet démocratique progressiste unique en son genre dans la région.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/194148/original/file-20171110-29364-1vw6o0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/194148/original/file-20171110-29364-1vw6o0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/194148/original/file-20171110-29364-1vw6o0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/194148/original/file-20171110-29364-1vw6o0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/194148/original/file-20171110-29364-1vw6o0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=375&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/194148/original/file-20171110-29364-1vw6o0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=375&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/194148/original/file-20171110-29364-1vw6o0w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=375&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Cet article est publié en collaboration avec le numéro 38 de Fellows publié par RFIEA, intitulé <a href="http://fellows.rfiea.fr/dossier/minorites-religions-genre-dans-la-construction-de-l-etat">Minorités, religions, genre dans la construction de l’État</a>. Le réseau des quatre instituts d’études avancées a accueilli plus de 500 chercheurs du monde entier depuis 2007. Découvrez leurs productions sur le site <a href="http://fellows.rfiea.fr/">Fellows</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/94773/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Danièle Joly est également membre du Panel et Plateforme Sortie de la Violence (FMSH).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Adel Bakawan est directeur Général du Kurdistan Centre for Sociology (KCS), Soran University.</span></em></p>La fin du projet d’autonomie kurde emportera-t-elle avec elle l’avenir des femmes kurdes, à la fois actrices et enjeux médiatiques de la géopolitique syro-irakienne ?Danièle Joly, Sociologue, professeure émérite, Université de Warwick, Fellows 2011-IEA de Paris, Institut d'études avancées de Paris (IEA) – RFIEAAdel Bakawan, Sociologue, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/938352018-04-17T20:27:51Z2018-04-17T20:27:51ZLes minorités musulmanes et issues de l’islam : histoire d’une non-reconnaissance<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/215051/original/file-20180416-584-5rqoox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C4%2C2686%2C1456&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Tableau de Jean-Baptiste Huysmans représentant le chef algérien l'émir Abd-el-Kader, protégeant les chrétiens à Damas en 1860, lors des massacres commis par les Druzes.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/92/Jean-Baptiste_Huysmans_1.jpg">Gros et Delettrez, catalogue de vente publique Orientalisme et Art islamique,/Wikimedia</a></span></figcaption></figure><p><em>Pierre-Jean Luizard est intervenant au <a href="https://www.collegedesbernardins.fr/recherche/liberte-de-religion-et-de-conviction-en-mediterranee-les-nouveaux-defis">séminaire «Liberté de religion et de conviction en Méditerranée : les nouveaux défis»</a> du Collège des Bernardins.</em></p>
<p>« L’islam est la religion de l’État »… Telle une litanie, on retrouve l’expression dans toutes les Constitutions arabes (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Egypte, Irak, Jordanie, Yémen, Oman, Émirats arabes unis, Qatar, Bahreïn, Koweït) et en Iran. Là où il n’y a pas de Constitution (Arabie saoudite), la religion musulmane est la seule autorisée. Ensuite vient s’ajouter la référence à la <em>sharî’a</em> et le degré plus ou moins grand où les lois doivent s’inspirer de celle-ci, ce qui aboutit à des formulations diverses. </p>
<p>Gouverner au nom d’Allah a pris bien des aspects différents. La Syrie risque cette affirmation: « La religion du président de la République est l’islam. » Le Liban vit, depuis sa création en 1920, les affres du confessionnalisme politique qui instaure des quotas pour chacune des 18 confessions reconnues en 1943. </p>
<p>Seule la Turquie ne fait pas référence à la religion dans ses textes constitutionnels. La laïcité est, en revanche, explicitement nommée comme fondatrice de l’État-nation turc. Mais il ne s’agit aucunement d’une laïcité de séparation, l’État contrôlant l’islam à travers la présidence des Affaires religieuses (<em>Diyanet</em>). La reconnaissance officielle des confessions non musulmanes en Turquie (chrétiennes et juives) s’inspire finalement du droit musulman et du système ottoman des millets qui leur octroie une relative autonomie interne. </p>
<p>En revanche, les sectes issues de l’islam ne jouissent d’aucune reconnaissance et n’ont donc pas d’existence légale, à l’image des alévis. Quant aux chiites duodécimains, sans être officiellement reconnus, ils bénéficient d’une tolérance qui se mesure à l’aune des relations avec l’Iran voisin. Istanbul a en effet la tradition d’accueillir les opposants iraniens au pouvoir en place à Téhéran.</p>
<p>C’est donc l’absence de séparation entre religion et État qui domine dans le monde arabe, en Iran et en Turquie, qu’on soit en contexte officiel musulman ou laïque.</p>
<h2>Une source supplémentaire de conflits</h2>
<p>Dans un tel contexte, le sort des minorités musulmanes ou issues de l’islam – 42 millions de croyants dans le monde (ibadites, alaouites, druzes, alévis, yézidis, bahaïs, ahmadis, etc) – ajoute une source de conflits à celui généré par des États à la légitimité souvent fragile, notamment en ce qui concerne les États arabes.</p>
<p>L’histoire des statuts des minorités chiites (zaydites, ismaéliennes) et sunnites (en pays chiites) est également questionnée. On va de la non-reconnaissance officielle (sunnites/chiites) à l’anathème (yézidis, bahaïs, ahmadis), en passant par différents degrés de rejet. Les gouvernements s’inspirent pour cela de la position des autorités religieuses du pays où elles sont majoritaires. La question du pluralisme interne à l’islam, centrale dans les conflits en cours, est ainsi posée. Quant aux athées, qui n’ont aucune visibilité sociale, ils se heurtent souvent à des lois qui les obligent à se cacher.</p>
<p>C’est un islam fortement influencé par le réformisme musulman qui s’est imposé. Il inspire tous les acteurs religieux et politiques et peut être considéré comme une idéologie dominante. Plusieurs cas de figure se présentent selon les pays et les minorités en question :</p>
<ul>
<li><p>La reconnaissance officielle, comme c’est le cas pour les yézidis en Irak depuis 2005, des sunnites, des chiites et des druzes au Liban.</p></li>
<li><p>La non-reconnaissance officielle : l’exemple des relations sunnites-chiites-ibadites.</p></li>
<li><p>La non-reconnaissance des minorités se réclamant, malgré des divergences internes, de l’islam (alaouites, alévis, druzes). A l’exception du Liban pour les druzes.</p></li>
<li><p>Les anathèmes sur les sectes accusées d’être « hérétiques » et sorties de l’islam (bahaïs, ahmadis, yézidis).</p></li>
</ul>
<p>Il convient de rappeler brièvement la situation des communautés les plus engagées dans des conflits.</p>
<h2>Les alaouites</h2>
<p>Les alaouites (1,8 million, entre 10 et 12% de la population syrienne) ont des croyances et des pratiques hétéroclites : mélange de conceptions chiites ismaéliennes, mésopotamiennes antiques et chrétiennes. Les alaouites n’ont aucun rituel musulman, mais ils se conforment au rite dominant pour se protéger. Ils vivent dans le Jabal Ansâriyye et le long du littoral méditerranéen en Syrie, mais aussi au Liban et dans le Hatay aujourd’hui turc (sandjak d’Alexandrette). Ils sont péjorativement appelés nusayris (de Nusayr, mort en 880). </p>
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<span class="caption">Bachar al-Assad, le président syrien, lors d'une visite au Brésil en 2011.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bashar_al-Assad.jpg">Fabio Rodrigues Pozzebom / Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Le mandat français les a reconnus pour la première fois à travers un État (ou Territoire) des Alaouites (1920-1936). Depuis le début du XXème siècle, un rapprochement avec les chiites duodécimains s’est amorcé à l’initiative d’ulémas chiites libanais. La victoire de la République islamique en Iran a encore accéléré ce rapprochement. </p>
<p>Les alaouites ont pris le contrôle du parti Baas et de l’armée syrienne dans les années 1960 à travers le clan des Assad, aujourd’hui en guerre contre la majorité arabe sunnite du pays (69% de la population syrienne).</p>
<h2>Les yézidis</h2>
<p>Les yézidis (800 000 âmes dans le monde, dont 600 000 en Irak et en Syrie – 150 000 personnes -, en Turquie, Arménie, Russie). Il s’agit d’une secte dualiste kurde qui ne se revendique pas musulmane, mélange de soufisme et de manichéisme iranien, avec une réhabilitation d’Iblis (Satan), devenu l’Ange Paon (Malek Tawus), parmi sept autres anges vénérés. Le tombeau du fondateur de la secte, cheikh Adi (VIIIème ou XIII ème siècles). à Lalesh, près de Mossoul, est leur lieu le plus sacré. </p>
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<span class="caption">Rencontre au XIXème siècle entre des leaders yézidis et le clergé chaldéen en Mésopotamie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/96/Yezidischld.JPG">Wikimedia</a></span>
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<p>La société yézidie est organisée selon un système de castes : <em>Mîr</em> (Prince, chef spirituel et religieux), <em>Baba Cheikh</em> (Pape), <em>Cheikh</em>, <em>Pîr</em> (Vieux), <em>Murid</em> (simple croyant). Les yézidis ont une conception ethnique de leur groupe : on naît et on meurt yézidi et aucune conversion n’est possible. </p>
<p>Les yézidis ont été soumis à des persécutions répétées de la part des tribus bédouines arabes Shammar, en 1840 et 1892, mais aussi en 1935, pour les soumettre à la conscription dont les Ottomans les avaient dispensés en 1872 à cause de leurs tabous alimentaires concernant certains légumes jugés impurs. </p>
<p>Eux-mêmes souvent persécutés, les yézidis ont cependant participé en 1932 au massacre des Assyro-chaldéens par le général kurde Békir Sidqi. En 2014, l’État islamique a tenté d’éradiquer la communauté dont plusieurs milliers de membres ont été tués ou réduits en esclavage.</p>
<h2>Les druzes</h2>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/215047/original/file-20180416-105522-kf2bif.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/215047/original/file-20180416-105522-kf2bif.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/215047/original/file-20180416-105522-kf2bif.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/215047/original/file-20180416-105522-kf2bif.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/215047/original/file-20180416-105522-kf2bif.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/215047/original/file-20180416-105522-kf2bif.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/215047/original/file-20180416-105522-kf2bif.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sultan Pacha al Atrash, leader druze de la révolution en Syrie dans les années 20.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.google.fr/search?q=druzes+Liban&tbm=isch&source=lnt&tbs=sur:fmc&sa=X&ved=0ahUKEwjS9pvp-r7aAhVJY1AKHXGZAgwQpwUIHg&biw=1440&bih=687&dpr=1#imgrc=QMU65dQtpc0KwM:">Wikimedia</a></span>
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<p>Les druzes (1,2 million d’âmes répartis entre le Liban – 400 000 -, la Syrie – 600 000 -, Israël – 120 000 et la Jordanie) sont une secte ésotérique qui se rattache à l’ismaélisme fatimide. Al-Hâkim (VIème calife fatimide et Imam ismaélien mort au Caire en 1021) serait, selon eux, une manifestation de l’intellect universel. Au Liban, deux grandes familles rivales, les Jumblatt et les Yazbaki, ont longtemps dominé la communauté. </p>
<p>En compétition avec les maronites du Mont-Liban contre lesquels ils se sont engagés dans des massacres de grande ampleur, ils ont été reconnus en 1842 par la Porte à travers un double caïmacamat maronito-druze pour la montagne libanaise. Depuis 1920, les druzes sont reconnus au Liban comme l’une des confessions libanaises.</p>
<p>Certaines communautés (alaouites, druzes) se sont orientées vers les partis nationalistes arabes ou syriens pour échapper à leur condition de minorités. La démarche s’est soldée par un échec avec un retour à une dynamique identitaire.</p>
<h2>Les alévis</h2>
<p>Les estimations divergent sur leur nombre : officiellement, les alévis sont entre 10 et 15 % de la population turque; mais, d’après les sources alévies, ils représenteraient entre 20 à 25 % de la population nationale. On avance le chiffre de 15 à 20 millions d’alévis. Majoritairement turque, la communauté compte une minorité kurde. </p>
<p>Suite aux répressions exercées sous l’Empire ottoman et la République, les communautés alévies ont pris l’habitude de pratiquer leur culte en secret (<em>taqîya</em>). L’alévisme se rattache au chiisme à travers le sixième Imam (Ja’far al-Sâdiq) et Haci Bektas Veli (1209-1271), fondateur de l’ordre des Bektachi, dont la généalogie remonte au sixième Imam. Très imprégné de traditions soufies et chamanistes, ses croyances sont assimilables à une forme de panthéisme. </p>
<p>Longtemps attirés par les partis de la gauche laïque et soutien du kémalisme, ses membres ont depuis peu une démarche identitaire alévie qui va de la revendication d’une reconnaissance officielle à une séparation de la religion et de l’État. </p>
<h2>Les bahaïs</h2>
<p>Les bahaïs sont une ramification au XIXème siècle de la secte bâbie de Perse, elle-même issue du cheikhisme, émanant au XVIII ème siècle du chiisme duodécimain. En 2011, cette religion mettait en avant dans ses documents le chiffre de 7 millions de membres appartenant à plus de 2 100 groupes ethniques, répartis dans plus de 189 pays. Son centre spirituel et administratif est situé à Haïfa et Acre en Israël. Baha Allâh (1817-1892) se proclama en effet Porte ouverte sur l’Imam (<em>bâb)</em> à Haïfa. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/215048/original/file-20180416-566-kqi1ar.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/215048/original/file-20180416-566-kqi1ar.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=494&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/215048/original/file-20180416-566-kqi1ar.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=494&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/215048/original/file-20180416-566-kqi1ar.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=494&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/215048/original/file-20180416-566-kqi1ar.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=621&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/215048/original/file-20180416-566-kqi1ar.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=621&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/215048/original/file-20180416-566-kqi1ar.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=621&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des Bahais à Baku (en 1909)</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/ca/Bahais_in_Baku.png">Wikimedia</a></span>
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<p>Le bahaïsme a évolué vers un mélange accommodant de syncrétisme, d’humanisme, de pacifisme et d’amour universel. En Iran, les bahaïs sont considérés comme hérétiques et persécutés avec une extrême rigueur.</p>
<h2>La Ahmadiyya</h2>
<p>On compte environ 10 millions d’ahmadis dans le monde, dont environ 600 000 ahmadis en Afrique de l’Ouest. Il s'agit d'une secte hétérodoxe réformiste messianiste fondée par Mirza Ghulâm Ahmad (1835-1908). Mirza Ghulâm s’est proclamé mahdi et prophète. Les sunnites les considèrent comme sortis de l’islam. Depuis une scission en 1914, ce mouvement comprend deux courants distincts, la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Communaut%C3%A9_musulmane_Ahmadiyya">Communauté musulmane Ahmadiyya</a> (qadiyani) et le <a href="https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Mouvement_Ahmadiyya_de_Lahore&action=edit&redlink=1">Mouvement Ahmadiyya de Lahore</a>. </p>
<p>Après la partition de l’Inde et la naissance du Pakistan en 1947, le rameau qadiani s’est installé au Pendjab. Il est considéré comme une déviation de l’islam. Les Lahorites sont bien plus l’objet de répression. En 1999, le mouvement revendiquait 4,7 millions de membres au Pakistan, ce qui était contesté par les autorités musulmanes. Environ 130 000 ahmadis se seraient réfugiés en Inde.</p>
<h2>Les zaydites</h2>
<p>Les zaydites sont des chiites reconnus comme une branche de l’islam par les chiites duodécimains (dont ils ne reconnaissent que les cinq premiers Imams) et par les sunnites. Ils ont dominé les hauts plateaux du Yémen du XXème siècle jusqu’en 1962. Le printemps arabe de 2011 a accéléré un processus identitaire zaydite qui a abouti à la guerre civile à grande échelle au Yémen et à la constitution d’une coalition militaire sunnite dirigée par l’Arabie saoudite pour combattre les rebelles houthistes (du nom d’un chef zaydite).</p>
<p>Alaouites, druzes et alévis, issus pour certains des <em>ghûlât</em> (ceux qui divinisent Ali), ont en en commun de pratiquer le culte du secret (<em>sirr</em>) et la dissimulation (<em>ketmân</em>, <em>taqîya</em>) avec une transmission traditionnellement orale des principes de leur religion. Le recours à l’écrit, du fait notamment de la diaspora consécutive aux conflits, a engagé un processus identitaire nouveau.</p>
<p>Les processus à l'oeuvre vont dans le sens d'affirmations identitaires généralisées rendant difficiles, voire impossibles, toutes reconnaissances réciproques. De ce fait, l'avenir des minorités musulmanes ou issues de l'islam dans le monde musulman n'a jamais été plus hypothétique qu'aujourd'hui.</p>
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<p><em><a href="https://www.collegedesbernardins.fr/">Le Collège des Bernardins</a> est un lieu de formation et de recherche interdisciplinaire. Acteurs de la société civile et religieuse entrent en dialogue autour des grands défis contemporains, qui touchent l’homme et son avenir.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93835/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Jean Luizard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le sort des minorités musulmanes ou issues de l’islam ajoute une source de conflits à celui généré par des États à la légitimité souvent fragile, notamment en ce qui concerne les États arabes.Pierre-Jean Luizard, directeur de recherche, responsable du programme du GSRL, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.