tag:theconversation.com,2011:/us/topics/logiciel-libre-23511/articleslogiciel libre – The Conversation2021-11-04T19:16:49Ztag:theconversation.com,2011:article/1690712021-11-04T19:16:49Z2021-11-04T19:16:49ZComment la science ouverte peut faire évoluer les méthodes d’évaluation de la recherche<p>Des pandémies au changement climatique, en passant par l’automatisation et le <em>big data</em>, les défis du siècle sont immenses et impliquent, pour y répondre au mieux, que la science soit ouverte à tous. Il apparaît indispensable que les citoyens disposent du même accès à l’information que les chercheurs, et que les scientifiques aient accès à des référentiels de connaissances interconnectés et de haute qualité pour faire progresser notre compréhension du monde et <a href="https://theconversation.com/science-ouverte-et-covid-19-une-opportunite-pour-democratiser-le-savoir-164134">démocratiser le savoir</a>.</p>
<p>Ce sont en tout cas des principes directeurs du mouvement de la <a href="https://theconversation.com/la-science-ouverte-refaire-circuler-le-savoir-librement-133408">science ouverte</a>, qui estiment que la durabilité et l’inclusion lui sont essentielles et qu’ils peuvent être favorisés par des pratiques, des infrastructures et des modèles de financement partagés, qui garantissent la participation équitable des scientifiques d’institutions et de pays moins favorisés à la poursuite du savoir et du progrès.</p>
<p>Nous devons garantir que les <a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-chercheurs-ouvrent-ils-leurs-recherches-135707">bénéfices de la science</a> soient partagés entre les scientifiques et le grand public, sans restriction. Mais comment y parvenir ? Une partie de la réponse réside dans la construction de systèmes scientifiques nationaux capables de partager et d’améliorer une diversité de connaissances.</p>
<p>La prédominance des articles scientifiques en <a href="https://doi.org/10.3897/ese.2021.e59032">anglais</a> ainsi que le nombre encore trop faible de publications en <a href="https://doi.org/10.3897/ese.2021.e63663">accès ouvert</a> peuvent être dus à la plus grande pondération attribuée à ces publications lors des évaluations.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1429685724568244227"}"></div></p>
<p>Par conséquent, la pertinence des recherches rapportées dans ces publications pour les communautés locales peut être remise en question, du fait de la barrière de la langue. Voici quelques pratiques de science ouverte pour transformer les réglementations actuelles liées à l’évaluation pour les rendre plus en phase avec la performance et de l’impact de la recherche.</p>
<p>Pour rappel, c’est en France le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (<a href="https://www.hceres.fr/">HCERES</a>) qui est en charge d’évaluer les <a href="https://theconversation.com/le-hceres-conversation-avec-evelyne-lande-sur-levaluation-de-la-recherche-et-de-lenseignement-superieur-95037">produits de la recherche et les activités de recherche</a>.</p>
<h2>Atteindre le bon public</h2>
<p>La première étape pour s’assurer que notre travail atteigne le bon public est de le rendre largement accessible, comme avec <a href="https://doi.org/10.2138/gselements.16.1.6">l’accès ouvert aux publications</a>. Mais l’accessibilité ne signifie pas que notre public cible « verra » notre travail. Il existe des milliers de revues disponibles et personne n’a le temps ou les ressources nécessaires pour lire chaque publication.</p>
<p>La deuxième étape est de créer une communauté et d’impliquer le grand public. Les méthodes de communication en ligne (par exemple, Twitter, Reddit, Facebook, les blogs) ont souvent eu mauvaise réputation dans les cercles scientifiques et ne sont généralement pas perçues comme savantes.</p>
<p>Pourtant, ces plates-formes constitueraient un outil redoutablement efficace pour la transmission de la recherche. Cela peut être quelque chose d’aussi simple que d’écrire un article de blog (comme sur <a href="https://www.echosciences-hauts-de-france.fr/">Echosciences</a>), pour The Conversation, de participer à un podcast de communication scientifique, de tweeter nos dernières découvertes ou simplement de dessiner une bande dessinée ou un croquis scientifique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1280504763910631431"}"></div></p>
<p>Il est important que les connaissances que nous produisons puissent atteindre rapidement les personnes pour lesquelles elles sont pertinentes. C’est pourquoi les chercheurs engagés sont souvent visibles dans les cercles publics plutôt que dans les cercles académiques : ils sont fréquemment invités dans les médias de masse traditionnels, tels que les journaux, la radio et la télévision, et sont heureux de donner des présentations académiques populaires à des non-experts.</p>
<p>Par exemple, avec 6 chercheurs de 6 pays (Afrique du Sud, Chine, France, États-Unis, Grande-Bretagne et Indonésie), nous avons récemment écrit un article sur les pratiques de l’accès ouvert aux publications en sciences de la terre. Nous avons relayé nos travaux par un article de blog en indonésien, un deuxième en anglais, retranscrit les principaux résultats sur Wikipédia en Français, relayé sur les réseaux sociaux en Chine via Sina Weibo et en Asie plus largement via WeChat et à l’international via Facebook, Twitter et Reddit.</p>
<p>Le plus important est que nos connaissances soient dispersées et arrivent là où elles peuvent être comprises et utilisées.</p>
<h2>Changer les critères de l’évaluation</h2>
<p>Le développement de la science ouverte pose aussi la question de l’évaluation de la recherche et des chercheurs. Sa mise en œuvre nécessite en effet la prise en compte de l’ensemble des processus et activités de recherche dans l’évaluation et non seulement les articles publiés dans des revues internationales évaluées par les pairs.</p>
<p>Mais attention à ne pas tomber dans les travers de l’évaluation comme nous le soulignons avec <a href="https://doi.org/10.3897/ese.2021.e59032">quelques collègues</a>. Comment pouvons-nous espérer bénéficier d’une évaluation de la recherche basée sur le nombre d’articles, sur les citations de ces mêmes articles si les caractéristiques des citations et l’analyse des citations reflètent uniquement la citation de nos travaux dans des articles scientifiques et non pas l’impact direct de notre recherche, notamment vis-à-vis du grand public ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1230253354791600128"}"></div></p>
<p>La Déclaration de San Francisco sur l’évaluation de la recherche (<a href="https://sfdora.org/read/read-the-declaration-french/">Dora</a>) rendue publique en 2012 et le <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/le-manifeste-de-leiden-pour-la-mesure-de-la-recherche/">Manifeste de Leiden</a> publié en 2015 visent à améliorer les pratiques d’évaluation, en alertant notamment sur le mauvais usage de certains indicateurs bibliométriques dans le cadre de recrutements, de promotions ou d’évaluations individuelles de chercheurs.</p>
<p>À ce jour, plus de 2 300 organisations de plus de 90 pays ont signé la déclaration dont 57 en France et plus de 18 000 chercheurs, dont plus de 1 200, en France.</p>
<h2>Le facteur d’impact des journaux, indicateur biaisé</h2>
<p>Ces deux textes relèvent en particulier que les différentes parties prenantes des systèmes de recherche font usage de deux indicateurs, pourtant largement critiqués par la communauté scientifique.</p>
<p>La Déclaration de San Francisco insiste plus particulièrement sur le mauvais usage du facteur d’impact des journaux scientifiques (moyenne du nombre de citations des articles de ces revues publiés durant les deux années précédentes). Le mode de calcul de cet indicateur utilisé pour mesurer indirectement la visibilité d’une revue, crée un biais en faveur de <a href="https://doi.org/10.2138/gselements.16.4.229">certaines revues</a> et il peut en outre faire l’objet de manipulations.</p>
<p>De plus, il ne tient pas compte de la diversité des pratiques entre disciplines, ce qui peut introduire des biais dans les comparaisons entre scientifiques.</p>
<h2>Trop d’importance donnée au nombre de citations</h2>
<p>Le manifeste de Leiden s’attache lui à l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Indice_h">indice h</a>, proposé en 2005 par le physicien <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jorge_Hirsch">Jorge Hirsch</a> et dont l’usage s’est très rapidement répandu.</p>
<p>L’ambition de cet indicateur composite était de rendre compte simultanément du nombre de publications d’un chercheur et de leur impact scientifique, en comptabilisant le nombre de citations des articles publiés.</p>
<p>En réalité, la définition de cet indice, qui a séduit par sa simplicité, fait du nombre de publications la variable dominante et ne surmonte pas la difficulté qu’il y a à mesurer deux variables (nombre d’articles et nombre de citations) avec un seul indicateur.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1259948853656256514"}"></div></p>
<p>L’indice h met sur un pied d’égalité un chercheur ayant peu de publications, mais toutes très citées, et un chercheur très prolifique dont les publications sont peu citées. Par exemple, un chercheur ayant 5 publications toutes citées plus de 50 fois aura un indice h de 5. De même, un chercheur ayant 50 publications dont 5 citées au moins 5 fois aura un indice h de 5.</p>
<p>L’indice h dépend aussi de la base de données à partir de laquelle il est calculé comme nous le <a href="https://doi.org/10.3897/ese.2021.e59032">mentionnions</a> récemment, car seules les publications présentes dans la base de données sont prises en compte.</p>
<p>Dans le cadre de la science ouverte et la publication de résultats pour le grand public, les articles dans des revues locales (en langue du pays) ne seront pas considérés et donc les citations de ces travaux non comptabilisées dans ce type d’indicateur, créant ainsi des inégalités dans l’évaluation si des chercheurs ont fait l’effort de choisir cette voie de diffusion.</p>
<h2>D’autres indicateurs plus pertinents ?</h2>
<p>La Déclaration de San Francisco et le Manifeste de Leiden ne se contentent pas de critiquer ces deux indicateurs : ils avancent des recommandations en matière d’utilisation d’indicateurs scientométriques, notamment en matière d’évaluation.</p>
<p>Ces recommandations s’articulent autour d’un certain nombre de sujets : la nécessité de mettre un terme à l’utilisation d’indicateurs basés sur les revues, comme les facteurs d’impact, dans le financement, les nominations et les promotions ; celle d’évaluer la recherche sur sa valeur intrinsèque plutôt qu’en fonction de la revue où elle est publiée ; et celle d’exploiter au mieux les possibilités offertes par la publication en ligne (comme la levée de restrictions inutiles sur le nombre de mots, de figures et de références dans les articles et l’exploration de nouveaux indicateurs d’importance et d’impact).</p>
<p>Bien que l’évaluation ait toujours été associée à la recherche scientifique, la frénésie des critères dominants, comme la publication à outrance dans des revues réputées, pourrait être confrontée au transfert fait vers la société. Enfin, une <a href="https://doi.org/10.1186/s12874-021-01304-y">plus grande transparence</a> devrait être associée à l’adoption d’un ensemble plus diversifié de mesures pour évaluer les chercheurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169071/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Pourret a reçu des financements de l’ambassade de France en Indonésie dans le cadre du projet « Science & Impact » sur les pratiques de l'accès ouvert aux publications scientifiques en sciences de la terre.</span></em></p>Le développement de la science ouverte pose la question de l’évaluation de la recherche et des chercheurs mais aussi de nouveaux outils et pratiques à mettre en oeuvre.Olivier Pourret, Enseignant-chercheur en géochimie et responsable intégrité scientifique et science ouverte, UniLaSalleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1633702021-09-13T17:54:29Z2021-09-13T17:54:29ZFusion de trous noirs : d’où viennent ces phénomènes gravitationnels les plus violents de notre univers ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/420037/original/file-20210908-21-u0altz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1200%2C675&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Simulation de la fusion de deux trous noirs stellaires, basée sur la relativité générale en utilisant les données LIGO-Virgo.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.ligo.caltech.edu/image/ligo20160211d">SXS, the Simulating eXtreme Spacetimes Project, Caltech and Cornell University</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>L’astronomie gravitationnelle est née lors de la détection, en 2015, d’ondes gravitationnelles <a href="http://dx.doi.org/10.3847/2041-8205/826/1/L13">provenant de la fusion de deux trous noirs</a>. Depuis, de nombreux autres événements, <a href="https://doi.org/10.3847/2041-8213/abe949">fusions de trous noirs</a> mais aussi d’étoiles à neutrons, ont été observés. Les astronomes disposent aujourd’hui d’un nouveau messager pour étudier les phénomènes les plus violents de l’Univers à l’origine de ces ondes gravitationnelles, et ainsi en apprendre plus sur les lois et les origines de notre cosmos.</p>
<p>Cet évènement a aussi révélé quelque chose de surprenant : les trous noirs dont on a détecté la fusion étaient bien plus massifs que ce qui semblait probable jusqu’alors.</p>
<p>Ceci a soulevé de nombreuses questions sur la formation et l’évolution des trous noirs, et en particulier des couples de trous noirs – ceux qui peuvent fusionnent en laissant derrière eux une tempête d’ondes gravitationnelles que nous détectons parfois des milliards d’années plus tard (les ondes gravitationnelles voyagent jusqu’à nous à la vitesse de la lumière).</p>
<h2>Comment naît un couple de trous noirs ?</h2>
<p>L’histoire la plus commune de ces progéniteurs est la suivante : deux étoiles, souvent massives, naissent dans le même nuage interstellaire. Elles échangent de la matière au cours de leur vie, avant de finir par s’effondrer l’une après l’autre lors de deux événements de supernova, formant ainsi un duo de trous noirs. Ce couple continue alors inexorablement de se rapprocher, pendant un temps qui peut atteindre quelques milliards d’années, avant finalement de fusionner.</p>
<p>La fusion des trous noirs émet alors des ondes gravitationnelles, qui peuvent être détectées par des détecteurs d’ondes gravitationnelles comme LIGO-Virgo ou des détecteurs futurs, par exemple le <a href="https://in2p3.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/le-projet-einstein-telescope-detecteur-dondes-gravitationnelles-de-troisieme-generation-en"><em>Einstein Telescope</em></a> européen ou le <a href="https://cosmicexplorer.org/"><em>Cosmic Explorer</em></a> américain.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/i2u-7LMhwvE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Simulation de la fusion de deux trous noirs supermassifs (NASA Goddard).</span></figcaption>
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<h2>Couple stellaire : une vie semée d’embûches</h2>
<p>Si ce scénario est connu dans les grandes lignes, les conditions d’évolution précises amenant un couple d’étoiles à se transformer en binaire de trous noirs destinés ensuite à fusionner entre eux restent indéterminées.</p>
<p>L’histoire de ce couple stellaire est en effet semée d’embûches, et de nombreux paramètres entraîneront, ou non, la fusion de deux trous noirs : citons entre autres la masse initiale de chaque étoile, leur composition, leur séparation orbitale, ou encore leur vitesse de rotation. Le devenir du couple dépend également des propriétés de l’effondrement de chaque étoile en trou noir lors de sa supernova, du moment auquel il traverse la phase d’« enveloppe commune » avec sa partenaire, et de l’efficacité du transfert de masse vers sa partenaire au cours de l’évolution.</p>
<p>Cette phase d’« enveloppe commune » est une étape cruciale et pourtant méconnue de la vie du couple stellaire – c’est ce moment relativement bref au cours duquel une enveloppe de gaz commence à immerger entièrement la binaire, juste après la première supernova. Pendant cette phase, un important transfert de masse a lieu entre les deux astres, et l’orbite qui les sépare diminue considérablement.</p>
<p>Identifier les progéniteurs stellaires de fusions de binaires de trous noirs constitue donc un sujet au cœur des préoccupations des astrophysiciens, permettant de mieux prédire le nombre de ces fusions.</p>
<p>Afin de lever le voile sur ce mystère, <a href="https://doi.org/10.1038/nature18322">plusieurs études</a> ont <a href="http://dx.doi.org/10.3847/2041-8205/818/2/L22">déjà été conduites</a> dans le but de déterminer les paramètres des progéniteurs de fusions de trous noirs stellaires de grande masse, supérieure à 20 fois la masse du Soleil – comme on l’a vu, l’existence de trous noirs stellaires aussi massifs semblait peu probable avant leur détection par LIGO-Virgo.</p>
<p>À l’inverse, peu d’études se sont encore penchées sur les progéniteurs de trous noirs stellaires moins massifs (moins de 10 fois la masse du Soleil) qui pourraient fusionner. Si ces trous noirs « légers » sont par nature plus faciles à former, leur fusion n’en est pas pour autant assurée et le couple peut très bien se briser si les conditions requises ne sont pas réunies – les étoiles partant alors chacune de leur côté.</p>
<h2>Un code pour retracer l’histoire d’une vie stellaire</h2>
<p>C’est justement le but que nous nous sommes donné, dans le cadre d’une collaboration entre astrophysiciens des laboratoires <a href="https://fr.u-paris.fr/laboratoires/astrophysique-instrumentation-modelisation">Astrophysique, Instrumentation, Modélisation (CNRS/CEA/Université de Paris)</a> et <a href="https://apc.u-paris.fr/APC_CS/">Astroparticule & Cosmologie (CNRS/Université de Paris)</a> : caractériser les propriétés des étoiles progénitrices à l’origine des fusions de trous noirs stellaires « légers ».</p>
<p>Pour ce faire, nous avons reproduit l’évolution de ces couples d’étoiles massives (ce sont bien des étoiles dites « massives » – plusieurs fois la masse du Soleil – qui s’effondreront au final en trous noirs « légers ») en ajustant des paramètres cruciaux, avant de comparer les résultats obtenus aux détections de LIGO-Virgo.</p>
<p>Afin de reproduire l’évolution de ces couples stellaires, nous avons utilisé un code public, <a href="http://mesa.sourceforge.net/">MESA</a>, capable de simuler précisément l’évolution des étoiles, basée sur la modélisation de leur structure interne, à partir de la résolution, à chaque pas de temps, d’équations hydrodynamiques de la physique, ainsi que les interactions entre les étoiles au sein du couple. Nous avons adapté MESA afin d’y inclure les étapes liées à la formation du trou noir et au transfert de masse se produisant pendant la phase d’enveloppe commune.</p>
<p>Ainsi, partant d’un scénario d’évolution relativement classique (les deux étoiles naissent en même temps dans le même nuage interstellaire), nous avons réalisé plus de 66 000 simulations hydrodynamiques d’étoiles sur le calculateur du laboratoire APC. Si ce nombre est modeste comparé aux millions de simulations réalisées dans le cadre des modèles de synthèse de population habituellement utilisés, c’est parce que ces simulations d’évolution stellaire requièrent bien plus de temps de calcul, étant basées sur la résolution, à chaque pas de temps, d’équations hydrodynamiques. Cependant, elles se révèlent également bien plus précises, grâce à une simulation réaliste de l’intérieur des étoiles, et des changements provoqués par le transfert de matière et de moment cinétique.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/419800/original/file-20210907-2249-1hoh7pk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/419800/original/file-20210907-2249-1hoh7pk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/419800/original/file-20210907-2249-1hoh7pk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1333&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/419800/original/file-20210907-2249-1hoh7pk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1333&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/419800/original/file-20210907-2249-1hoh7pk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1333&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/419800/original/file-20210907-2249-1hoh7pk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1675&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/419800/original/file-20210907-2249-1hoh7pk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1675&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/419800/original/file-20210907-2249-1hoh7pk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1675&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Infographie de l’évolution des progéniteurs stellaires d’une fusion de trous noirs, telle que déterminée par cette étude.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Adapté de Garcia et al. 2021 par Sylvain Chaty et Elsa Couderc</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>66 000 simulations hydrodynamiques d’étoiles</h2>
<p>Ces 66 000 simulations constituent donc autant de combinaisons de paramètres qui ont pu être testées et comparées aux taux détectés par LIGO-Virgo de fusions de trous noirs dans cette gamme de masse.</p>
<p>Nous avons ainsi prédit des taux de fusion compris entre 0,2 et 5,0 par an dans notre « univers local », soit un volume d’univers dans un rayon de 1 giga parsec (qui correspond à 3,26 milliards d’années-lumière, soit environ 1/14 de la distance jusqu’à l’horizon de notre univers observable), distance à laquelle on peut observer les galaxies avec assez de détails mais où les effets d’évolution cosmique sont faibles.</p>
<p>Ceci correspond à 1,2 et 3,3 détections par an de ce type de fusion de trous noirs « légers » de moins de 10 masses solaires (soit des taux comparables aux événements détectés par LIGO-Virgo lors des premières campagnes d’observation).</p>
<p>Ce taux de détection est bien celui atteint par LIGO-Virgo, et ceci permet de dresser un profil plus précis des progéniteurs stellaires des trous noirs légers qui peuvent fusionner.</p>
<h2>Quelles étoiles peuvent donner naissance à des trous noirs qui fusionnent ?</h2>
<p><a href="https://www.aanda.org/articles/aa/abs/2021/05/aa38357-20/aa38357-20.html">Notre étude</a> montre que pour obtenir une fusion de trous noirs « légers », il faut partir de couples d’étoiles de masses spécifiques (de 25 à 65 masses solaires) avec une séparation initiale particulière (entre 30 et 200 rayons solaires). Les deux étoiles doivent suivre une évolution au cours de laquelle elles s’échangent de la matière.</p>
<p>Le résultat principal de cette étude est que le destin des progéniteurs stellaires dépend fortement des masses initiales des étoiles, de la perte de masse du fait des vents stellaires et de la séparation orbitale initiale. Les deux étoiles suivent une évolution similaire, avec un premier épisode de transfert de masse stable avant la formation du premier trou noir, puis un deuxième épisode de transfert de masse instable conduisant à une phase d’enveloppe commune, qui sera ensuite éjectée. Cette phase d’enveloppe commune joue un rôle fondamental, car seuls les progéniteurs survivant à cette phase sont capables ensuite de fusionner en un temps inférieur à la durée de vie de l’univers (temps de Hubble).</p>
<h2>Identifier les progéniteurs</h2>
<p>Notre étude propose également une nouvelle méthode d’identification des progéniteurs d’objets compacts, comme les trous noirs ou les étoiles à neutrons, à partir de simulations hydrodynamiques précises d’évolution stellaire, se rapprochant ainsi chaque jour d’une meilleure compréhension des origines des phénomènes gravitationnels parmi les plus violents de notre univers.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163370/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cette étude a été réalisée par des chercheurs issus des laboratoires français Astrophysique, Instrumentation, Modélisation (AIM, CNRS/CEA/Université de Paris) et Astroparticule & Cosmologie (APC, CNRS/Université de Paris). Ces travaux ont bénéficié du soutien financier du Laboratoire d'Excellence UnivEarthS (ANR-10-LABX-0023 et ANR-18-IDEX-0001, De l’évolution des binaires à la fusion d’objets compacts). Les simulations ont été toutes effectuées sur le cluster du laboratoire APC.</span></em></p>Pour observer les tempêtes gravitationnelles liées à la fusion de deux trous noirs, il faut d’abord faire naître non pas un, mais deux trous noirs. Comment ces conditions sont-elles réunies ?Sylvain Chaty, Astrophysicien, Professeur des Universités, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1641342021-08-22T16:41:36Z2021-08-22T16:41:36ZScience ouverte et Covid-19 : Une opportunité pour démocratiser le savoir ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/416780/original/file-20210818-19-3ji84w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C0%2C5168%2C3445&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le libre accès aux résultats scientifiques permet de lutter contre la pandémie.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/L8tWZT4CcVQ">National Cancer Institute, Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Nos chercheuses et chercheurs sont confrontés au quotidien au dilemme suivant, que la pandémie a révélé au grand public : « Comment faire bénéficier la société dans son ensemble des résultats de recherches financées par des fonds publics et qui concernent des questions de première importance pour l’humanité, alors que les grands éditeurs mettent ces travaux <a href="https://m.youtube.com/watch?feature=youtu.be&v=WnxqoP-c0ZE">sous séquestre</a> ? »</p>
<p>Depuis le début du siècle, un nouveau modèle a émergé pour briser les barrières qui enferment le savoir, celui de la <a href="http://www.academieroyale.be/fr/publications-academie-toutes-publications-detail/oeuvres-2/science-ouverte-defi-transparence/">science ouverte (Open Science)</a>, transparente et accessible à tous. Cette approche novatrice a convaincu de sa pertinence de nombreux chercheurs et des décideurs, au premier rang desquels l’Union européenne, la science ouverte constituant un pilier de <a href="https://ec.europa.eu/research/openscience/index.cfm">l’Espace européen de la Recherche (ERA)</a>.</p>
<p>Elle a même conquis certains éditeurs tels que les géants de l’édition Elsevier ou Springer qui transforment leurs modèles économiques et font désormais payer aux auteurs des frais de publication en libre accès. En France et pour l’année 2017, ces frais s’élevaient en moyenne – tous types d’éditeurs confondus – à <a href="https://www.couperin.org/negociations/depenses-apc/recueil-et-analyse-des-apc-2015-2017">1754 euros par article</a>.</p>
<p>D’autres modèles économiques sont possibles cependant, depuis le dépôt des articles sur des répertoires numériques jusqu’au financement public de l’édition en Open Access (par exemple, toujours en France, <a href="https://www.openedition.org/">OpenEdition</a>). La science ouverte, surtout quand elle n’est pas mise au service des éditeurs et de leurs profits, permet de démocratiser les savoirs, de surmonter les inégalités dans l’accès à la connaissance, en <a href="https://theconversation.com/comment-la-science-ouverte-peut-favoriser-la-recherche-de-qualite-dans-les-pays-a-faible-revenu-157984">particulier dans les pays et les institutions les plus pauvres</a>, tout en accroissant l’utilisation des preuves scientifiques en soutien à la prise de décision politique.</p>
<h2>Faire face à la pandémie</h2>
<p>Depuis janvier 2020, le paysage de l’édition scientifique s’est transformé de façon accélérée, s’éloignant toujours plus du <a href="http://corist-shs.cnrs.fr/sites/default/files/billets/rads_241014.pdf">modèle traditionnel de l’accès restreint et conditionnel à la connaissance</a>.</p>
<p>Répondant à l’appel des autorités scientifiques de douze pays et aux exhortations de <a href="https://news.un.org/en/story/2020/10/1076292">l’ONU</a>, de <a href="https://en.unesco.org/news/milestone-unescos-development-global-recommendation-open-science">l’Unesco</a>, de <a href="https://www.who.int/initiatives/act-accelerator">l’OMS</a> et de la <a href="https://cordis.europa.eu/article/id/418274-discover-oscovida-the-panosc-open-science-covid-analysis-platform-tracking-data-about-covid19/es">Commission Européenne</a>, la plupart des éditeurs commerciaux ont rendu disponibles aux chercheurs du monde entier et de façon <a href="https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/research_and_innovation/news/documents/coronavirus_open_access_letter.pdf">rétroactive</a> les articles relatifs à la Covid-19 et aux coronavirus. Les délais entre la soumission et l’acceptation des articles ont aussi été <a href="https://www.nature.com/articles/s41562-020-0911-0">considérablement diminués</a>, passant de cent à six jours en moyenne au cours des douze premières semaines de pandémie ! Il s’agit cependant ici d’un geste commercial temporaire plutôt que d’un basculement durable vers le libre accès généralisé à l’information scientifique, d’autant que la plupart de ces éditeurs continuent d’imposer aux auteurs des frais de publication qui ne cessent de croître.</p>
<p>Dans ce contexte, <a href="https://hal-cea.archives-ouvertes.fr/cea-02450327v2/document">on constate de plus en plus</a> que les chercheurs s’orientent vers des solutions de publication où ils ne cèdent pas leurs droits d’auteur aux éditeurs, où les résultats sont accessibles gratuitement et où les frais de publication, quand il y en a, reflètent le coût réel de la production.</p>
<h2>Adopter la « prépublication » rapide</h2>
<p>Un auteur peut aujourd’hui déposer sur un serveur informatique un manuscrit complet avant même que des pairs ne procèdent à son examen et avant la publication dans une revue à comité de lecture. Cette « <a href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Pr%25C3%25A9publication_(%25C3%25A9dition_scientifique)">prépublication</a> » (<em>preprint</em>) permet aux auteurs de revendiquer une idée, de prendre date et d’accélérer la diffusion gratuite de leur travail. Elle peut être modifiée ou mise à jour, commentée par des spécialistes et conservée sur le serveur de prépublication même si elle est publiée ultérieurement dans une revue. Les prépublications peuvent être citées et indexées et font l’objet d’une attention croissante dans les médias d’information et les réseaux sociaux. La tendance à prépublier doit toutefois s’accompagner d’une <a href="https://retractionwatch.com/retracted-coronavirus-covid-19-papers/">grande vigilance</a> quant à l’intégrité scientifique et la reproductibilité des résultats, sans quoi la crédibilité du processus serait remise en cause. Il est essentiel également que la presse généraliste, les décideurs politiques et le public comprennent le <a href="https://bmcmedresmethodol.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12874-021-01304-y">statut fragile et temporaire des informations contenues dans ces prépublications</a> qui demeurent en attente d’une consolidation, voire d’une confirmation.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/416782/original/file-20210818-21-1c2817y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/416782/original/file-20210818-21-1c2817y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/416782/original/file-20210818-21-1c2817y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/416782/original/file-20210818-21-1c2817y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/416782/original/file-20210818-21-1c2817y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/416782/original/file-20210818-21-1c2817y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/416782/original/file-20210818-21-1c2817y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La recherche biomédicale a besoin de données accessibles.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/jwWtZrm67VI">Christine Sandu/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>La pionnière des plates-formes de prépublication est <a href="https://arxiv.org/">arXiv</a>, née en 1991 et couramment utilisée depuis près de 30 ans par les physiciens et les mathématiciens. Plus récentes, <a href="https://connect.medrxiv.org/relate/content/181">medRxiv et bioRxiv</a>, <a href="https://www.researchsquare.com/coronavirus">Research Square</a> ou <a href="https://www.preprints.org/covid19">preprints.org</a> ont vu leurs dépôts d’articles augmenter de façon <a href="https://www.redactionmedicale.fr/2020/06/covid-19-15-000-pr%C3%A9prints-d%C3%A9pos%C3%A9s-en-mois-sur-40-plateformes-dont-4-000-sur-le-leader-medrxiv.html">très spectaculaire</a> durant la pandémie de Covid-19.</p>
<p>Ce succès confirme que, lorsque l’urgence prime, c’est <a href="https://connect.medrxiv.org/relate/content/181">vers ces outils rapides</a> que les chercheuses et chercheurs se dirigent en priorité, tant pour s’informer que pour informer. Les prépublications accélèrent également la mise en place de <a href="https://trustmyscience.com/nouvelle-culture-recherche-epidemie-coronavirus-change-maniere-scientifiques-communiquent/">collaborations internationales</a> permettant la compilation rapide d’un grand volume d’informations épidémiologiques et les manipulations d’un nombre gigantesque de données accumulées par de très nombreux scientifiques.</p>
<h2>Ouvrir l’accès aux données</h2>
<p>Au-delà de l’accès aux articles, la pandémie a souligné l’urgence de l’accès à des données génomiques, cliniques, mais aussi géographiques et économiques. Dès janvier 2020, les chercheurs ont téléchargé la séquence initiale du génome du SARS-CoV-2 dans une base de données en libre accès. Très vite également, la <a href="https://www.covid19dataportal.org/">plate-forme de données européenne sur la Covid-19</a> a rendu accessibles les données issues de grands centres de données biomédicales en Europe et au-delà. Des informations essentielles sur le virus, ses mutations, son infectiosité, sa sensibilité à des médicaments existants, le terrain génétique de ses victimes, sont ainsi instantanément accessibles à tous les chercheurs intéressés. Sans le partage à un stade initial des données, ni les méthodes de dépistage ni les vaccins n’auraient pu être développés aussi rapidement.</p>
<p>La qualité et la fiabilité d’un article scientifique, publié dans une revue ou en prépublication, reposent en outre sur la qualité et l’accessibilité des données qui le sous-tendent et qui doivent être vérifiables. La <a href="https://retractionwatch.com/retracted-coronavirus-covid-19-papers/">rétraction</a> du célèbre journal médical <em>The Lancet</em> <a href="https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)31180-6/fulltext">d’un article</a> sur l’inefficacité de l’hydroxychloroquine pour lutter contre la Covid-19 l’a démontré a contrario : les données, qui se sont avérées frauduleuses, n’étaient pas accessibles. Il faut donc encourager les scientifiques à <a href="https://www.rd-alliance.org/group/rda-covid19-rda-covid19-omics-rda-covid19-epidemiology-rda-covid19-clinical-rda-covid19-0">gérer leurs données</a> avec autant d’attention qu’ils publient leurs articles : en assurer la qualité scientifique – souvent <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11192-020-03587-2">trop faible</a> actuellement –, les déposer dans des <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/plan-de-gestion-de-donnees-recommandations-a-lanr/">répertoires numériques certifiés et interopérables</a>, selon les standards de leur discipline. À l’heure actuelle, seule une petite minorité des articles dédiés à la Covid-19 disponibles sur la base de données bibliographique en <em>Open Access PubMed Central</em> donne accès <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33935332/">aux données sous-jacentes</a>.</p>
<h2>Impliquer les sciences humaines</h2>
<p>Enfin, la pandémie, comme les autres défis de société, nécessite une collaboration entre spécialités. Si les sciences biomédicales tiennent le haut du pavé, la gestion de la communication et des politiques sanitaires ainsi que les effets de la crise sur la psychologie, l’économie et la culture requièrent d’urgence le partage des connaissances produites par les sciences humaines et sociales. La crise sanitaire y a suscité une prise de conscience et des efforts importants sont menés pour <a href="https://wprn.org/">rendre visibles</a> et <a href="https://covid19.eui.eu/About-the-Data-Portal">mettre en connexion</a> des initiatives jusqu’alors fragmentées.</p>
<p>Les chercheurs en sciences humaines et sociales s’impliquent également dans le débat public. Cent vingt académiques belges ont ainsi publié en Open Access des <a href="https://07323a85-0336-4ddc-87e4-29e3b506f20c.filesusr.com/ugd/860626_731e3350ec1b4fcca4e9a3faedeca133.pdf">propositions argumentées</a> pour une sortie de confinement durable tenant compte d’exigences d’équité sociale et de préoccupations environnementales. Les réflexions de certains d’entre eux ont été relayées également par le biais de <a href="https://www.cartaacademica.org/">chroniques</a> publiées en libre accès dans la presse traditionnelle, contribuant notamment à mettre la santé mentale et la dimension psychosociale de la crise à l’agenda des décideurs politiques, quand bien même les comités d’experts mandatés continuaient de privilégier les considérations cliniques et épidémiologiques.</p>
<p>Indépendamment de la discipline, c’est donc la communauté scientifique dans son ensemble qui a l’opportunité de s’affranchir de son addiction aux revues « à haut facteur d’impact » et accélérer la circulation du savoir dans la société. Puissent les transformations suscitées par la pandémie inciter les chercheurs à s’inscrire plus résolument dans une trajectoire où l’ouverture et le partage rendront à la science et à la recherche leur fonction originale : servir l’intérêt de chacun et de la collectivité.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article fait partie de la série « Les belles histoires de la science en libre accès », publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Pour en savoir plus, veuillez consulter la page <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/">Ouvrirlascience.fr</a>.</em></p>
<hr><img src="https://counter.theconversation.com/content/164134/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La crise de la Covid-19 souligne la nécessité de la libre circulation des résultats de la recherche. La science ouverte doit désormais s’étendre à toutes les disciplines et tous les défis de société.Bernard Rentier, Rector Emeritus, Professor Emeritus of Virology and Viral Immunology, Université de LiègeMarc Vanholsbeeck, Docteur en sciences de la communication, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1470512020-10-13T18:11:46Z2020-10-13T18:11:46ZLa lutte pour une agriculture libre : bricoler et partager pour s’émanciper<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/361032/original/file-20201001-22-v57jkw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C4%2C1495%2C958&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Bricoler et partager devient un geste politique.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/latelierpaysan/28004031801/in/album-72157667806902633/">L'Atelier Paysan/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Fabriquer ses propres machines, réparer son tracteur, échanger des semences, utiliser des logiciels open source : voici des actions qui visent à rendre les agriculteurs plus libres et plus autonomes. Ce sont des gestes qui montrent que le bricolage et le partage sont loin d’être des activités banales, mais des actes politiques.</p>
<p>Mais « libre » et « autonome » par rapport à quoi ? On dresse souvent le constat suivant : l’agriculture est devenue un <a href="https://www.northatlanticbooks.com/shop/soil-not-oil/">système verrouillé</a> et dépendant de quelques grandes entreprises. Les machines agricoles, vendues par des entreprises comme Iseki & Co (Japon) ou John Deere (Etats-Unis), sont de vraies boîtes noires, <a href="https://asmedigitalcollection.asme.org/memagazineselect/article/140/09/37/366630/Can-You-Repair-What-You-Own-For-Many-People-who">peu accessibles</a> et peu adaptables. La complexité des tracteurs les rend difficilement réparables par les agriculteurs.</p>
<p>Concernant les semences, il y a une situation de monopole avec trois multinationales (Bayer-Monsanto, ChemChina-Syngenta et Dow-DuPont) qui <a href="https://www.law.georgetown.edu/environmental-law-review/wp-content/uploads/sites/18/2019/05/GT-GELR190018.pdf">dominent le marché</a>. Et la plupart des logiciels utilisés dans les exploitations agricoles sont propriétaires (comme Agri4D, un logiciel de gestion pour arboriculteurs, céréaliers et vignerons, ou les logiciels de l’entreprise Isagri). La liste des conséquences négatives de cette emprise du marché sur les agriculteurs est longue : des prix élevés, des agriculteurs endettés, des produits standardisés, une diversité végétale et animale en décroissance, une vision d’une agriculture très productiviste et peu éthique, une dépendance envers les acteurs privés, une dévaluation et disparation des savoirs locaux et ancestraux notamment.</p>
<h2>Promouvoir l’autoconstruction</h2>
<p>Pour offrir des alternatives à cet ordre des choses, plusieurs initiatives ont vu le jour ces dernières années. Pour promouvoir l’autoconstruction d’équipements agricoles, des réseaux comme <a href="https://farmhack.org/tools">Farmhack</a> ont été lancés aux États-Unis (en 2011) puis en Angleterre (2015) et aux Pays-Bas (2016). En Grèce, la coopérative <a href="https://www.gocrete.net/melitakes/">Melitakes</a>, créée en 2016, s’est notamment lancée dans l’autoconstruction d’une batteuse de pois chiches. Et en France, des ateliers d’autoconstruction sont organisés à partir de 2009, donnant lieu à la création de <a href="https://www.latelierpaysan.org/">L’Atelier paysan</a> en 2014. Tous ces collectifs militent pour une autonomie « équipée » dans le double sens du terme : une autonomie qui se réalise à travers des équipements et une autonomie qui se transmet en équipe.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/362131/original/file-20201007-14-442vj6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/362131/original/file-20201007-14-442vj6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/362131/original/file-20201007-14-442vj6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/362131/original/file-20201007-14-442vj6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/362131/original/file-20201007-14-442vj6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=419&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/362131/original/file-20201007-14-442vj6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=419&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/362131/original/file-20201007-14-442vj6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=419&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Fabriquer soi-même une récolteuse de légumes, c’est possible. Ici le modèle inventé et partagé par Nikos Stefanakis et le groupe Melitakes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://i3.cnrs.fr/wp-content/uploads/2019/12/i3WP_19-CSI-02-Pantazis-Meyer.pdf">Alekos Pantazis</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>L’Atelier paysan est une coopérative qui promeut « une conception ascendante, inédite et subversive de machines et de bâtiments adaptés ». En pratique, l’Atelier paysan a formé environ 1 700 personnes et réalisé environ 80 tutoriels. La coopérative réalise et diffuse des plans de construction de machines agricoles sous licence libre (une licence qui permet d’user, modifier et redistribuer une œuvre). Une grande diversité de techniques est traitée, que ce soit des serres mobiles, des brosses à blé, ou encore des dérouleuses à plastiques par exemple. L’Atelier paysan plaide pour une <a href="https://www.latelierpaysan.org/Plaidoyer-souverainete-technologique-des-paysans">« souveraineté technologique »</a> des paysans et se positionne en faveur du <em>low-tech</em>. En même temps, il critique le modèle productiviste et fordiste de l’agriculture et une trop grande foi dans le numérique.</p>
<h2>La lutte pour la réparabilité</h2>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/361036/original/file-20201001-13-zmg7g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/361036/original/file-20201001-13-zmg7g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/361036/original/file-20201001-13-zmg7g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/361036/original/file-20201001-13-zmg7g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/361036/original/file-20201001-13-zmg7g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/361036/original/file-20201001-13-zmg7g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/361036/original/file-20201001-13-zmg7g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le <em>hacking</em> de tracteurs.</span>
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<p>L’autoconstruction va de pair avec la capacité de réparation des machines agricoles. La réparabilité des tracteurs est devenue l’exemple le plus médiatisé dans le domaine. L’histoire du <a href="http://openscience-thebetterscience.blogspot.com/2017/06/hacking-tractors-code-me-hacking.html">« hacking » de tracteurs</a> débute en 2017 quand des agriculteurs américains commencent à utiliser des logiciels piratés pour pouvoir réparer eux-mêmes leurs tracteurs de la marque John Deere. Leur action s’explique par le fait qu’il est techniquement et légalement impossible de réparer soi-même ces tracteurs. Seuls les techniciens de l’entreprise et les concessionnaires agréés peuvent réaliser le travail de réparation, car c’est eux seuls qui possèdent les logiciels indispensables pour faire le diagnostic, authentifier les pièces de rechange, redémarrer le moteur, etc. À ce problème s’ajoute le fait que la réparation est un processus lent et cher.</p>
<p>Ce qui, au départ, était une frustration technique et économique s’est vite transformé en <a href="https://www.vice.com/en_us/article/a34pp4/john-deere-tractor-hacking-big-data-surveillance">combat politique et juridique</a>. D’un côté, les agriculteurs se mobilisent pour que des projets de loi, comme le « Fair Repair Act », puissent contrecarrer les pratiques commerciales des constructeurs. Les agriculteurs demandent un « right to repair ». De l’autre côté, des acteurs comme John Deere (et aussi Apple) ont fait <a href="https://www.theguardian.com/environment/2017/mar/06/nebraska-farmers-right-to-repair-john-deere-apple">pression</a> – avec succès jusqu’ici – pour qu’un nouveau cadre légal ne voit pas le jour. En Europe, les débats autour du droit à la réparation ont aussi lieu actuellement, avec notamment les efforts de la <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/IP_19_5895">Commission européenne</a> pour instaurer le droit à la réparation pour tous les produits électroniques, en vigueur d’ici 2021.</p>
<h2>Les semences paysannes</h2>
<p>La semence est un autre objet à travers lequel se joue une bataille similaire : la majorité des semences sont commercialisées par des entreprises, qui en détiennent les droits de propriété intellectuelle à travers de brevets. Par conséquent, le libre-échange des semences et le développement de nouvelles variétés par les agriculteurs sont devenus rares. Ce qui était un bien partagé pendant des milliers d’années, développé et maîtrisé par les agriculteurs, est devenu un bien privé, avec une marchandisation qui se développe surtout à partir de la deuxième moitié du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Les mouvements autour des « semences paysannes » – et, plus largement, l’<a href="https://www.tandfonline.com/toc/fjps20/47/4">activisme des semences</a> – sont nés pour retransformer ce bien privé en bien commun, que ce soit dans des pays comme le Brésil, l’Inde ou l’Australie. En <a href="https://revues.cirad.fr/index.php/cahiers-agricultures/article/view/30713">Europe</a>, le mouvement s’est développé surtout dans les années 2000, par exemple en <a href="https://www.semencespaysannes.org/">France</a>, en <a href="https://redsemillas.org/">Espagne</a> et en <a href="https://www.semirurali.net/">Italie</a>.</p>
<p>Le <a href="https://www.semencespaysannes.org/">Réseau semences paysannes</a> est un collectif qui revendique une « autonomie semencière » et milite pour « défendre les droits fondamentaux des paysans sur leurs semences » en construisant « une alternative collective aux variétés industrielles ». Au niveau législatif, le combat des réseaux de semences paysannes a porté ses fruits : la vente de semences paysannes sera autorisée en Europe à partir de 2021. Mentionnons aussi l’initiative états-unienne <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/03066150.2013.875897">Open Source Seed Initiative</a>, fondée en 2012, qui s’inspire des instruments juridiques du mouvement des <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02374528">logiciels open source dans le domaine de la sélection végétale</a>. Elle a notamment développé un « pledge » (gage) qui défend les libertés open source des semences, c’est-à-dire la liberté de les conserver, replanter, partager, échanger, étudier et adapter.</p>
<h2>Des mondes sociotechniques à analyser</h2>
<p>Les mobilisations autour de l’autonomie, du bien commun et du partage ne sont évidemment pas récentes. Il est cependant intéressant d’observer que de nombreux collectifs se sont constitués ces dernières années pour défendre une agriculture plus souveraine et autonome, et que de nouveaux outils techniques et juridiques sont mobilisés dans ce combat. Des changements sémantiques voir éthiques ont lieu, avec <a href="https://link.springer.com/article/10.1051/agro/2009004">l’agro-écologie</a>, l’open source et la transition comme nouvelles références importantes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/361038/original/file-20201001-22-oslx9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/361038/original/file-20201001-22-oslx9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/361038/original/file-20201001-22-oslx9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/361038/original/file-20201001-22-oslx9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/361038/original/file-20201001-22-oslx9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/361038/original/file-20201001-22-oslx9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/361038/original/file-20201001-22-oslx9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pour réparer des machines agricoles, il faut parfois faire appel à des compétences en électronique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://tractorhacking.github.io/documentation/FutureReverseEngineering.html">Tractor hacking</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Les luttes pour une agriculture libre représentent des lieux empiriquement très riches, car elles rendent visibles et palpables les mondes sociaux des différents acteurs. Elles font apparaître une diversité d’enjeux – autour de l’autonomie, la convivialité, l’identité, le numérique, le design, les savoirs et apprentissages en jeu, les dimensions et tensions politiques, juridiques et économiques, les <a href="http://www.p2plab.gr/en/"><em>communs</em> et le <em>peer-to-peer</em></a>. Elles montrent que des objets comme une graine ou un tracteur soulèvent des questions d’ordre juridique et que le bricolage, le piratage et le partage sont, plus que jamais, des gestes politiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147051/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Morgan Meyer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Face au verrouillage des machines agricoles et des semences par des industriels, des agriculteurs utilisent les outils des communs pour promouvoir une agriculture libre.Morgan Meyer, Directeur de recherche CNRS, sociologue, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1357072020-06-22T17:13:31Z2020-06-22T17:13:31ZPourquoi les chercheurs ouvrent-ils leurs recherches ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/342447/original/file-20200617-94036-1uc9hk1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=156%2C0%2C6791%2C3968&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">On peut vouloir ouvrir pour partager les savoirs, être plus transparents, faire progresser la recherche plus rapidement... </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-vector/freedom-concept-hand-drawn-man-flying-722190496">Drawlab19/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Aux origines de la science ouverte, il y a une convergence de la pensée des <a href="https://fr.scribd.com/doc/270306844/A-Note-on-Science-and-Democracy-by-Robert-K-Merton">intellectuels d’après-guerre</a> favorables à la libre diffusion des savoirs scientifiques vers la société, comme <a href="https://www.nsf.gov/od/lpa/nsf50/vbush1945.htm">rempart aux totalitarismes</a>. La science ouverte, ou <a href="https://journals.openedition.org/cdst/277"><em>open science</em></a> aujourd’hui, <a href="https://books.openedition.org/oep/1707">se présente</a> d’abord par des valeurs de partage, de collaboration, de libre circulation des savoirs, de reproductibilité, de libre débat d’idées, de transparence et d’intégrité scientifique.</p>
<p>Qualifiés par certains d’utopie, <a href="https://royalsociety.org/topics-policy/projects/science-public-enterprise/report/">ses principes deviennent possibles</a> grâce au développement sans précédent des outils de communication et infrastructures numériques de la recherche. Mais sa mise en œuvre par les chercheurs reste, sans mauvais jeu de mots, une question ouverte. Car entre l’engagement des chercheurs dans des pratiques ouvertes et la reconnaissance de ces dernières pour l’évolution de leur carrière par leurs instances scientifiques et institutionnelles, un chemin reste à parcourir.</p>
<h2>Une tension entre pratiques des chercheurs et critères d’évaluation</h2>
<p>La science ouverte est le lieu d’une tension entre les injonctions des décideurs de la recherche et les pratiques réelles des chercheurs. Elle est souvent présentée à partir d’une approche « top-down » : des managers recommandent, rédigent des politiques dédiées et développent des discours prescriptifs. La rhétorique ainsi construite permet de justifier les efforts consentis à la mise en place d’infrastructures numériques, nationales ou <a href="https://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=ES_041_0177">européennes</a>, et permet de comprendre les <a href="https://www.wiley.com/en-fr/Re+Thinking+Science%3A+Knowledge+and+the+Public+in+an+Age+of+Uncertainty-p-9780745657073">dynamiques contemporaines complexes entre science et société</a>.</p>
<p>Une approche « bottom-up » décrit les pratiques des chercheurs dans leur travail quotidien. Elle prend en compte les intentions et les représentations individuelles ou collectives des chercheurs pour la mise en œuvre concrète de ce qu’ils estiment, eux, être une « science ouverte ». Car lorsqu’ils commentent les politiques en faveur de l’<a href="https://muse.jhu.edu/article/556221">« openness »</a>, les chercheurs pointent souvent des injonctions contradictoires : libérer la circulation des publications et des données peut s’opposer frontalement au principe de l’<a href="https://theconversation.com/chercheurs-_vs_-managers-la-guerre-des-mots-138384">évaluation des travaux de recherche</a> fondée sur la production de résultats originaux, positifs, exclusifs et publiés dans des revues de prestige. L’injonction à l’ouverture achoppe d’autant plus avec les domaines disciplinaires où la recherche repose sur des partenariats industriels (par exemple la chimie) requérant la confidentialité, tant pour les protocoles de recherche, les résultats et <em>a fortiori</em> les <a href="https://www.collexpersee.eu/projet/datacc/">données produites</a>.</p>
<h2>Au fondement des pratiques des chercheurs : éthique et intégrité de la science</h2>
<p>En Chine, en Europe et aux États-Unis, les premiers arguments avancés par les chercheurs pour expliquer leurs pratiques « ouvertes » sont d’ordre éthique. D’abord comme un contre-pied aux dérives provoquées par l’<a href="https://theconversation.com/chercheurs-_vs_-managers-la-guerre-des-mots-138384">hypercompétition</a> de la science, la course aux financements et la loi du <a href="https://theconversation.com/recherche-publish-or-perish-vers-la-fin-dun-dogme-128191"><em>Publish or Perish</em></a>. Les chercheurs présentent donc leurs pratiques d’ouverture comme une contribution à une science intègre et éthique : <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/leap.1169">ceux qui publient en Libre Accès</a> le font pour permettre à toutes et à tous d’<a href="https://theconversation.com/acces-a-la-litterature-scientifique-des-inegalites-encore-inacceptables-134848">accéder aux résultats de la recherche scientifique</a>, y compris dans les pays du Sud. Ceux qui décrivent de manière détaillée et exhaustive leur protocole de recherche le font pour en permettre la reproductibilité et donc le partage de leur expertise. Ceux qui participent à des processus d’évaluation ouverte (<a href="https://theconversation.com/science-ouverte-en-temps-de-coronavirus-publication-en-temps-reel-136397"><em>open peer reviewing</em></a>), ou acceptent de rendre publics leurs rapports, adhèrent à une vision transparente de la discussion scientifique.</p>
<p>Indifférents ou ignorants des arguments politiques faisant valoir la <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/amsterdam-call-for-action-on-open-science/">stimulation et l’accélération de l’économie</a>, les praticiens de la science ouverte sont soucieux d’une science « propre », qui véhicule des valeurs auxquelles ils s’identifient (diversité, accessibilité, reproductibilité, réutilisation). Dans ces cas de figure, les chercheurs ne se disent pas militer pour une science ouverte, mais pour une science intègre et éthique.</p>
<h2>La manufacture de la science ouverte</h2>
<p>Les disciplines ne sont pas homogènes en termes de pratiques ouvertes. Il existe des disciplines où l’ouverture se pose naturellement, car inscrite dans les structures et normes sociales de la communauté, par exemple la physique des hautes énergies est pionnière dans les pratiques de partage de pré-publications et de données de la recherche. <em>A contrario</em>, des disciplines plus « conservatrices », comme la chimie, qui en raison des enjeux économiques de ses avancées, accueille moins favorablement les invitations d’ouverture. Or, la recherche est aujourd’hui menée dans des collectifs, souvent pluridisciplinaires. L’observation des pratiques dans ces collectifs montre sur quels arguments la discussion – parfois l’âpre négociation – se fait pour intégrer des possibilités d’ouverture. Car les chercheurs disent ne pas décider de monter un projet de « science ouverte », mais faire « de la science » en y incluant de l’ouverture, là où c’est possible, sans compromettre leurs chances de reconnaissance scientifique.</p>
<p>Le projet de recherche est ainsi le creuset, la « manufacture », dans lequel sont mises en œuvre des pratiques d’ouvertures, dont certaines sont rodées (déposer une pré-publication dans une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Archive_ouverte">archive ouverte</a>) et d’autres sont plus expérimentales (mettre en place un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Plan_de_gestion_des_donn%C3%A9es">plan de gestion de données</a>, apprendre à paramétrer un <a href="https://edutechwiki.unige.ch/fr/Cahiers_de_Laboratoire_%C3%89lectroniques">carnet de laboratoire numérique</a>). Quelle que soit leur discipline, les chercheurs acquièrent leurs pratiques d’ouverture <a href="https://content.iospress.com/articles/information-services-and-use/isu190069">toujours en regard d’une expérience</a>, dans l’interaction avec le collectif, et dans la contrainte circonscrite au projet.</p>
<h2>Des sciences ouvertes, et non une seule</h2>
<p>L’ouverture ne s’avère <a href="https://journals.openedition.org/rfsic/5522">ni homogène ni pérenne</a> : certains favorisent l’ouverture dans <a href="https://jussieucall.org/">leurs modes</a> de communication scientifique (réseaux sociaux, archives ouvertes ou serveurs de pré-publications) ; d’autres se mobilisent autour des données (enrichissement par des métadonnées, partage sur des archives pour en permettre la réutilisation…), ou bien l’ouverture et de la mise à disposition des codes.</p>
<p>Selon le contexte de recherche, l’étape de leur carrière, le niveau de formation aux outils numériques, les chercheurs se spécialisent aussi dans leurs pratiques d’ouverture, comme ils se spécialisent dans un domaine scientifique. Ils <a href="https://www.talyarkoni.org/blog/2019/07/13/i-hate-open-science/">réfutent</a> donc souvent la dénomination <a href="https://content.iospress.com/articles/information-services-and-use/isu190069">estimée trop floue</a> d’« open scientists ».</p>
<p>L’exemple des données de la recherche est le plus illustratif : le chercheur peut opter pour des stratégies différentes pour « ouvrir » ses données selon le financement (ou son absence), l’objet de recherche, le collectif impliqué, l’avancement de sa carrière, le besoin de reconnaissance, le niveau de connaissance et de maîtrise des principes éthiques et techniques de l’ouverture des données. Et plus fondamentalement, selon la conviction du chercheur de la <a href="https://hdsr.mitpress.mit.edu/pub/jduhd7og/release/7">valeur de réutilisation de ses propres données</a>. Autant de paramètres qui entrent en compte dans la constitution de pratiques, qui se révéleront dans la forme et dans le temps.</p>
<h2>L’avenir de la science ouverte dépend de la reconnaissance des pratiques d’ouverture dans l’évaluation des carrières</h2>
<p>Même si des pratiques ouvertes se développent, le défi du déploiement de la science ouverte à large échelle relève encore du projet pour la plupart des domaines disciplinaires. Nos travaux nous apprennent que le chemin à parcourir ne dépend pas tant de la défense des valeurs de la science ouverte auxquelles les chercheurs adhèrent ou de la maîtrise des infrastructures numériques dans leur travail. Le chemin dépend surtout de la reconnaissance par les politiques d’évaluation de leurs <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/types-de-documents-productions-et-activites-valorisees-par-la-science-ouverte-et-eligibles-a-une-evaluation/">efforts pour l’ouverture</a> même s’il ne donne pas lieu à des résultats.</p>
<p>L’observatoire international des pratiques que nous avons mené a permis de <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01973467/document">pointer ce nœud gordien</a> de manière particulièrement prégnante <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/leap.1284">chez les jeunes chercheurs</a>. Alors que ces derniers adhèrent et partagent les valeurs de la science ouverte, alors qu’ils montrent une réelle maîtrise des infrastructures numériques associées et qu’ils en voient le potentiel, ils n’envisagent pas d’y souscrire tant que les critères d’évaluation ne changent pas. L’avenir réaliste de la science ouverte dépend donc de l’intégration des pratiques et principes d’<em>openness</em> par les instances d’évaluation officielles et institutionnelles de la recherche.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article fait partie de la série « Les belles histoires de la science ouverte » publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Pour en savoir plus, visitez le site <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/">Ouvrirlascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135707/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Chérifa Boukacem-Zeghmouri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les motivations des chercheurs pour ouvrir leurs recherches sont multiples, mais les jeunes s’interrogent sur la prise en compte de ces pratiques dans l’évaluation, en particulier à l’embauche.Chérifa Boukacem-Zeghmouri, Professeure des Universités, Université Claude Bernard Lyon 1Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1393312020-05-27T18:15:40Z2020-05-27T18:15:40ZD’un laboratoire universitaire à 40 millions d’utilisateurs, l’aventure d’un logiciel libre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/337627/original/file-20200526-106836-1dcxmwr.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C326%2C1024%2C559&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une représentation graphique de dépendances dans des problèmes « SAT » </span> <span class="attribution"><span class="source">Daniel Le Berre</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Le numérique est devenu un outil indispensable de la science et l’accès aux programmes informatiques est un enjeu important. Pour la <a href="https://theconversation.com/reproduire-un-resultat-scientifique-plus-facile-a-dire-qua-faire-129848">reproductibilité de la recherche</a> bien sûr, mais plus encore pour diffuser des informations, des « détails », que l’on trouve <a href="https://paperswithcode.com">rarement</a> dans les articles scientifiques eux-mêmes.</p>
<p>Les logiciels ont pour particularité d’être exploitables sans en comprendre tous les détails s’ils sont suffisamment bien conçus, à la différence des articles scientifiques. On peut considérer qu’il s’agit de « connaissances exécutables ». Leur diffusion en dehors des laboratoires a donc un potentiel d’impact important sur la société. Une autre particularité des logiciels est qu’ils évoluent, ne serait-ce que pour s’adapter à leur environnement qui évolue sans cesse. Comment permettre l’essaimage de ces outils uniques ?</p>
<h2>Les laboratoires de recherche créent des logiciels</h2>
<p>La complexité d’un logiciel varie : du script utilitaire (l’équivalent d’un marteau dans un atelier) à un environnement complet (l’atelier complet du forgeron, avec tous ses outils), en passant par des preuves de concept créées à l’occasion de master ou de thèses (les nouveaux outils, qui n’ont pas encore été optimisés et dont l’usage n’est pas encore répandu). Dans bien des cas, un code n’est pas initialement conçu pour perdurer ou être réutilisé… alors qu’il pourrait être utile à d’autres, et que sa diffusion pourrait avoir de la valeur.</p>
<p>Nombre de logiciels créés dans les laboratoires de recherche ne sont pas écrits par des spécialistes du développement logiciel, mais par les chercheurs eux-mêmes, quelle que soit leur spécialité. La priorité est alors d’écrire des programmes qui correspondent aux formules, algorithmes, processus, modèles qu’ils étudient, avant toute considération de génie logiciel. Ce qui caractérise ces logiciels, c’est la complexité du sujet traité : ce qu’ils font est généralement compréhensible des spécialistes uniquement. C’est ce qui rend difficile leur maintenance par une tierce personne.</p>
<p>Enfin, les logiciels développés dans le cadre d’un travail de recherche sont avant tout conçus pour être utilisés dans un environnement contrôlé : celui du laboratoire. De fait, leur utilisation dans un autre environnement peut s’avérer compliqué : matériel, système d’exploitation, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Compilateur">compilateurs</a> (qui permettent de passer du code source au code exécutable par la machine), fonctionnement dépendant de matériels ou de logiciels qu’on ne peut pas diffuser, etc.</p>
<h2>Les logiciels sont des outils qui évoluent sans cesse</h2>
<p>Un logiciel évolue, c’est dans sa nature. Si son périmètre fonctionnel ne change pas, il faudra l’adapter au fur et à mesure de sa diffusion à de nouveaux systèmes d’exploitation, nouvelles architectures, nouveaux compilateurs, etc. Mais aussi et surtout corriger les bugs trouvés lors de l’usage du logiciel dans un environnement différent de celui du laboratoire.</p>
<p>Idéalement, il faut aussi permettre aux utilisateurs de contacter les auteurs du logiciel : de la simple adresse mail à la liste de diffusion, du forum de discussion à un outil spécifique pour gérer les demandes d’évolution ou de correction du logiciel.</p>
<p>Pour mettre à disposition un logiciel, il faut déterminer les conditions d’utilisation, c’est-à-dire choisir une licence. Une des solutions pour partager l’effort de maintenance des logiciels de laboratoire est de choisir une licence libre, pour permettre à l’utilisateur d’adapter lui-même le logiciel a ses besoins.</p>
<h2>Les logiciels libres</h2>
<p>Les <a href="https://www.gnu.org/philosophy/free-sw.fr.html">logiciels libres</a> sont des logiciels pour lesquels le ré-utilisateur dispose de quatre droits fondamentaux : les utiliser, les étudier (leur code source), les modifier et les redistribuer. On trouve souvent des logiciels dont le code source est disponible dans le monde académique, mais pour un usage académique uniquement. Ce ne sont pas, par définition, des logiciels libres, qui sont libres pour tous.</p>
<p>Comme l’utilisation est libre pour tous, l’accès au logiciel est gratuit. Ce sont généralement les services autour du logiciel qui sont payants (le support, l’intégration, le développement de fonctionnalités spécifiques, etc.).</p>
<p>Comme un logiciel évolue, l’idéal est de diffuser à l’aide d’un dépôt de code dit « incrémental », qui permet de facilement comparer les différentes versions, et de les maintenir. Il existe actuellement bon nombre de solutions, appelées des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Forge_(informatique)">« forges »</a> permettant d’intégrer un dépôt incrémental de code, un système de gestion de tickets et des procédures de construction automatique du logiciel à partir de son code source. Ces forges facilitent l’échange de code entre développeurs à l’aide de propositions de modifications sur le dépôt de code. Ces contributions ne sont pas anodines et doivent être prises en compte dans la gestion de la <a href="https://www.persee.fr/doc/rei_0154-3229_2002_num_99_1_3021">propriété intellectuelle</a>.</p>
<p>En réalité, donner accès au code source d’un logiciel n’est généralement pas suffisant pour permettre son adoption : il faut idéalement disposer de tests automatiques (vérifier automatiquement que pour un certain nombre d’entrées, les sorties attendues sont obtenues) et d’un moyen simple de construire l’application à partir de son code source. C’est ce qui permet de vérifier qu’une modification du code n’entraîne pas de dysfonctionnement évident dans l’application, et, pour un futur utilisateur, de s’assurer qu’il aura la possibilité de maintenir lui-même le logiciel en cas de nécessité.</p>
<h2>Sat4j : d’un laboratoire universitaire à une utilisation indirecte massive par des développeurs</h2>
<p><a href="https://www.sat4j.org/">Sat4j</a> est une bibliothèque d’outils permettant de résoudre « le plus simple des problèmes difficiles », le problème SAT et ses variantes. Il s’agit d’un problème « pivot », qui permet de résoudre beaucoup d’autres problèmes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ils-ne-savaient-pas-que-cetait-insoluble-alors-ils-lont-resolu-124624">Ils ne savaient pas que c’était insoluble, alors ils l’ont résolu</a>
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</p>
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<p>Ces outils ne sont pas destinés au grand public, plutôt aux chercheurs, aux étudiants de master ou à des ingénieurs spécialisés. Contrairement aux autres outils développés dans la communauté scientifique orientés vers la performance pure – la vitesse de résolution des problèmes, Sat4j a été conçue dès le départ comme une brique réutilisable pour les utilisateurs du langage Java.</p>
<p>Sat4j <a href="https://sonarqube.ow2.org/dashboard?id=org.ow2.sat4j%3Aorg.ow2.sat4j.pom">comporte</a> actuellement 45 000 lignes de code et pratiquement 2900 tests automatiques. Sat4j a été développée initialement en 2004 par deux enseignants-chercheurs de l’université d’Artois, une « petite » université de 11 000 étudiants située dans le bassin minier, au sein du <a href="http://www.cril.univ-artois.fr">Centre de Recherche en Informatique de Lens</a>. Elle a été dès le départ conçue pour être réutilisable hors du monde académique, notamment en la diffusant sous une <a href="https://www.gnu.org/licenses/lgpl-3.0.en.html">licence libre permettant son utilisation dans tout type de logiciel</a>. Sat4j a été diffusée dès ses premières versions par le <a href="http://www.ow2.org/">consortium ObjectWeb</a> qui fournissait le dépôt de code, les listes de diffusion et la gestion de tickets nécessaire à son évolution.</p>
<p>En 2007, la plate-forme ouverte <a href="https://www.eclipse.org">Eclipse</a> cherchait une solution pour résoudre le problème de dépendances de ses greffons (ou <em>plugin</em>, en anglais). Eclipse est une plate-forme qui fournit et produit des outils pour réaliser des logiciels – elle est souvent utilisée comme base pour des outils développés par de grandes sociétés, comme IBM, Oracle ou SAP. Chaque module dépend d’autres modules, ou est incompatible avec d’autres. Quand on installe un « greffon », c’est-à-dire un ou plusieurs modules complémentaire, il faut veiller à respecter les dépendances et incompatibilités entre modules.</p>
<p>Il s’agit en fait de résoudre le problème SAT. Si les outils ad hoc développés initialement fonctionnaient correctement quand le nombre de greffons était réduit, le succès de la plate-forme a nécessité une refonte complète de la gestion des dépendances. La bibliothèque Sat4j a été sélectionnée car elle répondait au besoin fonctionnel d’Eclipse, était maintenue et parce que la licence a pu être adaptée pour les besoins d’Eclipse.</p>
<p>En juin 2008, Eclipse 3.4 sortait avec un nouveau système de gestion de ses greffons basé sur Sat4j. Un seul bug dans ce contexte a été trouvé dans la bibliothèque depuis (très rapidement, et corrigé dans la version de septembre 2008). L’intégration a été affinée pendant deux ans, avec notamment la mise en place d’un mécanisme d’explication quand l’installation d’un « greffon » n’est pas possible, dans le cadre d’un contrat avec la société Genuitec. En juin 2010, une « place de marché pour greffons » (un <em>app store</em> spécialisé pour développeurs informatiques) <a href="https://marketplace.eclipse.org">a été ouverte pour Eclipse</a> – basée sur Sat4j.</p>
<p>Toutes les installations de greffons sur ce marché se font à l’aide de Sat4j, soit plus de 40 millions d’installations à ce jour. C’est aussi le cas de toute mise à jour, toute installation manuelle dans Eclipse ou dans les logiciels basés sur Eclipse. Cependant, ce travail est caché. Pratiquement aucun utilisateur d’Eclipse ne connaît l’existence de Sat4j.</p>
<p>Si la dernière version officielle de Sat4j, intégrée dans Eclipse, est sortie il y a sept ans, la bibliothèque continue d’évoluer au fil de nos travaux de recherche.</p>
<p>Sat4j a dès le départ été développé à l’aide du logiciel libre Eclipse : un juste retour des choses, qui souligne le potentiel de co-construction des logiciels libres.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article fait partie de la série « Les belles histoires de la science ouverte » publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Pour en savoir plus, visitez le site <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/">Ouvrirlascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139331/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Daniel Le Berre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Développés par une communauté pionnière du « libre » et de l’ouverture, les logiciels sont des outils bien particuliers en science. Le mode de diffusion peut faire la différence.Daniel Le Berre, Professeur en informatique, CRIL CNRS UMR 8188, Université d'ArtoisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1246242019-10-04T08:19:34Z2019-10-04T08:19:34ZIls ne savaient pas que c’était insoluble, alors ils l’ont résolu<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/295279/original/file-20191002-49369-1idgg8x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C19%2C2192%2C1308&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Interconnections. Bell Systems. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://es.wikipedia.org/wiki/Wire-wrap#/media/Archivo:Crossbar-banjo1-hy.jpg">Yeatesh at the English Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Un nouvel « entretien autour de l’informatique », celui de Daniel Le Berre, Médaille CNRS de l’Innovation 2018, enseignant-chercheur en informatique à l’Université d’Artois, au Centre de recherche en informatique de Lens. Daniel Le Berre est l’initiateur et le développeur principal du solveur Sat4j, un logiciel libre utilisé par des millions de personnes à travers le monde. Cet article est publié en collaboration avec le <a href="https://www.lemonde.fr/blog/binaire/">Blog Binaire</a>.</em></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/295281/original/file-20191002-49365-5kgk0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/295281/original/file-20191002-49365-5kgk0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/295281/original/file-20191002-49365-5kgk0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/295281/original/file-20191002-49365-5kgk0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/295281/original/file-20191002-49365-5kgk0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/295281/original/file-20191002-49365-5kgk0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/295281/original/file-20191002-49365-5kgk0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Daniel Le Berre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Frédérique PLAS/CRIL/CNRS</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p><strong>Binaire :</strong> tu es chercheur en intelligence artificielle. Comment devient-on chercheur en IA ?</p>
<p><strong>D. L. B. :</strong> Je suis un pur produit de l’Université. Je n’avais aucune idée de ce qu’était le métier d’enseignant-chercheur avant d’en rencontrer à la fac à Brest. J’ai été particulièrement impressionné par la diversité des connaissances en informatique de mes enseignants en licence et maîtrise d’informatique et je me suis dit : quel métier formidable ; je veux faire ça ! Cela m’a donné envie de faire une thèse. J’ai choisi l’informatique car j’aime depuis le collège utiliser des ordinateurs (on avait un Bull Micral 30 à la maison pour faire la comptabilité de la ferme). Je suis de cette génération qui a eu la chance d’une initiation à l’informatique au lycée. Ça a disparu ensuite pour n’être réinstallé que depuis peu. Après Brest, je suis parti à Toulouse pour sa réputation en intelligence artificielle. C’est là que j’ai découvert le problème SAT autour duquel j’ai travaillé depuis. Après ma thèse, je suis parti en post-doc en Australie, c’est à cette période que j’ai découvert la conférence SAT au cours d’un atelier à Boston en 2001. Quelques semaines après mon arrivée à Lens en septembre 2001, on me proposait de co-organiser la compétition SAT. J’avais plongé dans le grand bain, le bain des grands !</p>
<p><strong>On ne va pas faire durer plus le suspense. Si tu nous disais ce que c’est que ce fameux problème SAT, sans doute le problème le plus étudié en informatique.</strong></p>
<p>Le problème SAT est un problème parmi les plus simples des problèmes compliqués.</p>
<p>Imaginez un immeuble avec des pièces éclairées par des ampoules. Chaque ampoule peut être éclairée par un ou plusieurs interrupteurs, dans une position donnée (ouvert ou fermé). Chaque interrupteur peut contrôler une ou plusieurs ampoules, et on connaît pour chaque ampoule les interrupteurs associés. Les interrupteurs sont au pied de l’immeuble. On cherche à éclairer toutes les pièces de l’immeuble. Ce n’est pas toujours possible (par exemple si l’on dispose de deux pièces reliées chacune seulement à une position différente de l’interrupteur, on ne pourra jamais éclairer les deux pièces en même temps). Dès que l’on associe plus de 2 interrupteurs à une ampoule, ce problème est difficile.</p>
<p>Un algorithme simple permet de résoudre le problème. On met tous les interrupteurs à <em>off</em> et on essaie. Si ça ne marche pas, on essaie ensuite toutes les configurations possibles avec un seul interrupteur à <em>on</em>, puis deux… Si j’ai 3 interrupteurs, cela fait 8 configurations à tester ; avec 4, ça en fait 16… À chaque interrupteur que j’ajoute, je double le nombre de configurations à tester. On vous parle souvent de croissance exponentielle dans les journaux. Là c’est vraiment exponentiel. C’est vite effrayant : dès que le nombre d’interrupteurs est plus grand que 270, le nombre de configurations à tester est plus grand que le nombre d’atomes dans l’univers !</p>
<p>SAT est une abréviation pour <em>boolean SATisfiability problem</em> ou en français <em>SATisfaisabilité de formules booléennes</em>. En résumé, on nomme problème SAT un problème de décision visant à savoir s’il existe une solution à une série d’équations logiques données. Un algorithme qui résout le problème SAT est appelé un solveur SAT. Je suis un spécialiste de ces solveurs SAT.</p>
<p><strong>SAT est un problème très branché en informatique. Pourquoi ? À quoi ça sert de le résoudre ?</strong></p>
<p>La raison de sa popularité est qu’il sert de problème pivot pour résoudre beaucoup d’autres problèmes : on traduit le problème original en SAT, on utilise un solveur SAT pour obtenir une réponse, et ensuite on interprète ce résultat par rapport au problème original. Cela fait des solveurs SAT des outils de résolution de problèmes combinatoires génériques.</p>
<p>L’application la plus visible du problème SAT est la vérification de processeurs. C’est cette application qui a motivé à la fin des années 90 la conception des solveurs SAT modernes, capable de résoudre des problèmes avec des millions d’interrupteurs. Un autre problème a donné lieu à beaucoup de travaux en intelligence artificielle au début des années 1990, celui de la planification : choisir quelles actions effectuer pour atteindre un but étant données une situation initiale et une description des actions possibles. Des chercheurs ont montré qu’ils arrivaient à résoudre super efficacement le problème de planification avec des solveurs SAT. En fait, il y a tout un paquet de problèmes différents que l’on rencontre en pratique qui demandent des techniques semblables. On se rend compte pour une liste croissante de ces problèmes qu’une approche générique par traduction à SAT est plus efficace qu’une approche dédiée. Cela s’explique notamment par les performances impressionnantes des solveurs SAT actuels.</p>
<p>Le problème SAT est posé sur des variables qui valent 0 ou 1 (les positions des interrupteurs, <em>on</em> ou <em>off</em>). C’est simple un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bool%C3%A9en">booléen</a> et c’est facile à réaliser sur un ordinateur. Du coup, on peut réaliser des solveurs vraiment bien optimisés. On a par exemple inventé des structures de données super intelligentes pour mémoriser ce qu’on a déjà appris ou ce qu’il nous reste à apprendre du problème posé. Et cela compense largement le fait qu’au lieu de travailler directement sur le problème original, comme la planification, on bosse sur une représentation du problème avec SAT.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/295282/original/file-20191002-49356-1sh2aj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/295282/original/file-20191002-49356-1sh2aj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=608&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/295282/original/file-20191002-49356-1sh2aj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=608&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/295282/original/file-20191002-49356-1sh2aj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=608&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/295282/original/file-20191002-49356-1sh2aj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=764&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/295282/original/file-20191002-49356-1sh2aj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=764&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/295282/original/file-20191002-49356-1sh2aj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=764&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Visualisation d’un problème SAT.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Daniel Le Berre</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Le problème est finalement assez simple mais il faut se montrer très intelligent pour le résoudre rapidement. Il faut trouver des raisonnements plus intelligents que ceux consistant par exemple à vérifier l’une après l’autre les solutions possibles.</p>
<p>On fait même des trucs de plus en plus compliqués, comme de faire causer un solveur SAT qui cherche à trouver une solution et un autre qui essaie de montrer qu’il n’y en a pas.</p>
<p><strong>Tu as reçu la médaille de l’innovation pour tes travaux sur le solveur SAT4j. Que fait ce solveur en particulier ?</strong></p>
<p><a href="https://www.sat4j.org/">SAT4j</a> est mon troisième solveur SAT en Java, un langage de programmation très populaire chez les développeurs, mais pas dans la communauté SAT. Java n’est pas considéré comme particulièrement rapide alors que la rapidité est le cœur du sujet pour un solveur SAT, parce qu’il y a énormément de choses à calculer à l’intérieur. Alors, ça peut sembler une drôle d’idée de développer un solveur SAT en Java. Pourtant, Java est utilisé par des gens d’horizons divers. Il n’y a pas de raisons pour que les programmeurs Java, et c’est une énorme communauté, soient exclus de la technologie des SAT solveurs, que cette techno soit réservée aux programmeurs d’autres langages ! SAT4j a été conçu pour la communauté Java, pour y diffuser les avancées de la communauté SAT, et en appliquant les principes du génie logiciel que j’enseigne à mes étudiants. Depuis juin 2008, la plate-forme ouverte Eclipse, souvent connue comme un environnement de développement de logiciel mais encore plus utilisée par de nombreuses sociétés comme base de leurs outils, s’appuie d’ailleurs sur Sat4j pour résoudre « ses dépendances logicielles » : savoir quels composants sont nécessaires pour ajouter une fonctionnalité particulière, sachant qu’ils ne sont pas tous compatibles. Du coup, Sat4j est sans doute le solveur SAT le plus utilisé dans le monde.</p>
<p>J’ai juste mis les résultats d’une communauté scientifique à la portée d’un public très large.</p>
<p><strong>Quand on parle d’IA aujourd’hui, on veut souvent dire apprentissage automatique ou réseaux de neurones. Ton IA à toi se situe ailleurs. Où ?</strong></p>
<p>Mon labo est spécialisé en « Intelligence artificielle symbolique » : on formalise le raisonnement, en particulier le raisonnement mathématique. Cela nous permet de faire des outils qui obtiennent automatiquement des preuves. Les solveurs SAT permettent d’obtenir des raisonnements dans une logique très pauvre. Mais nous nous intéressons aussi à des raisonnements dans des logiques plus sophistiquées, en rajoutant des ingrédients aux fils et interrupteurs de départ. Nous sommes là en plein dans l’intelligence artificielle.</p>
<p>Un avantage par rapport aux approches d’apprentissage statistique, c’est qu’avec l’IA symbolique, on peut expliquer les résultats : on dispose des étapes du raisonnement, des preuves, ce qu’on n’a pas avec les résultat d’un réseau neuronal. Évidemment, quand on n’y arrive plus avec l’IA symbolique, on peut essayer avec de l’apprentissage automatique. Dans de nombreuses applications, on combine d’ailleurs ces deux types d’approches.</p>
<p>Quand j’étais en thèse je faisais un truc qui ne servait à personne, qui n’était pas du tout sexy à l’époque, car on ne pouvait résoudre que des problèmes avec quelques centaines d’interrupteurs. Cependant, chacun apportait sa contribution à l’enrichissement des connaissances, qu’elles soient théoriques ou pratiques. En 2001, à partir de toutes les connaissances accumulées jusque-là, des étudiants de master de Princeton ont fait progresser considérablement le domaine en construisant un solveur fondé sur un excellent compromis entre complexité et efficacité. Il y a vraiment eu un avant et un après ce <a href="https://www.princeton.edu/%7Echaff/software.html">solveur</a>. Cela a permis de résoudre certains problèmes avec des dizaines de milliers d’interrupteurs, une vraie révolution pour l’informatique. L’apprentissage automatique a apporté une autre révolution, beaucoup plus médiatisée celle-là.</p>
<p>Mais l’intelligence artificielle a de nombreuses facettes. Attendez-vous à voir arriver d’autres révolutions en informatique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124624/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le solveur Sat4j est un logiciel libre utilisé par des millions de personnes. Entretien avec son développeur, en co-édition avec le Blog Binaire.Serge Abiteboul, Directeur de recherche à Inria, membre de l'Académie des Sciences, École normale supérieure (ENS) – PSLCharlotte Truchet, Maître de conférence en informatique, Université de NantesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1220682019-09-04T17:32:02Z2019-09-04T17:32:02ZEntre le « tout gratuit » et le « tout payant » la société perd ses repères<p>Suppression totale des tickets de transport en commun, comme pour les <a href="https://www.20minutes.fr/paris/2592727-20190901-paris-comment-profiter-gratuite-transports-commun-plus-jeunes">Parisiens seniors, les personnes handicapées et les enfants</a>, <a href="https://www.clubic.com/telecharger/actus-logiciels/article-842984-1-passez-libre-selection-logiciels-libres-open-source.html">logiciels offerts</a> tels que LibreOffice, OpenOffice, VLC Media Player, Blender ou encore Clementine, <a href="http://www.lefigaro.fr/flash-actu/petit-dejeuner-gratuit-a-l-ecole-cantine-a-un-euro-des-elus-denoncent-un-coup-de-com-20190424">petits déjeuners et goûters</a> donnés à l’école, <a href="https://www.presse-citron.net/banque-en-ligne/carte-bancaire/">cartes bancaires gratuites</a>… De plus en plus d’initiatives publiques et privées tendent vers une généralisation de la gratuité.</p>
<p>Pourtant à l’inverse, un phénomène opposé émerge en France et dans le monde : celui de la privatisation totale – défendant l’idée que tout service doit être rémunéré –, y compris, ce qui peut paraître impensable, le vivant. Il nous semble nécessaire de nous pencher sur certains excès liés au tout-privé.</p>
<p>Ainsi, nombreux sont ceux qui défendent le « paiement à l’usage » généralisé, comme nous avons pu en discuter dans un <a href="https://theconversation.com/la-privatisation-des-routes-une-idee-a-lencontre-du-modele-social-francais-120179?utm_source=twitter&utm_medium=twitterbutton">précèdent article</a> pour The Conversation.</p>
<p>Dans cette perspective, il est alors à craindre que le concept du « tout-payant », entraîne la défaillance des contreparties, c’est-à-dire des clients, laissant une majorité de la population sur le carreau avec des conséquences économiques désastreuses.</p>
<p>Mais qu’en est-il réellement ? Plusieurs concepts ont cheminé en parallèle de cette approche. L’un d’eux, ardemment défendu aujourd’hui, est celui de l’open source, qui s’oppose violemment au principe de l’usager-payeur et évolue depuis les années 1980. Ces modèles peuvent-ils cependant changer la façon de concevoir les politiques publiques oscillant entre le tout-payant et la gratuité ?</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/288929/original/file-20190821-170918-1hsfaa1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/288929/original/file-20190821-170918-1hsfaa1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/288929/original/file-20190821-170918-1hsfaa1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/288929/original/file-20190821-170918-1hsfaa1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/288929/original/file-20190821-170918-1hsfaa1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/288929/original/file-20190821-170918-1hsfaa1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/288929/original/file-20190821-170918-1hsfaa1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Conférence de Richard Stallman « Les logiciels libres : les droits humains dans votre ordinateur » lors de la fête de l’Humanité 2014.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Stallman#/media/Fichier:Richard_Stallman_-_F%C3%AAte_de_l'Humanit%C3%A9_2014_-_010.jpg">Thesupermat/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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</figure>
<h2>Le modèle de l’open source</h2>
<p>Le logiciel libre a été créé par <a href="https://stallman.org/">Richard Matthew Stallman</a> dans les années 1980. Il lance en 1983 le <a href="http://www.gnu.org/">projet GNU</a> et la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/GNU">licence publique générale</a> connue sous le sigle GPL. Stallman estime que les programmes informatiques doivent être librement utilisés, analysés et modifiés.</p>
<p>À la fin des années 1990, l’appellation « open source » se substitue à celle du logiciel libre pour désigner les programmes réalisés collectivement, de manière décentralisée et dont le code source est disponible et modifiable, créant ainsi de nouveaux logiciels et des applications originales.</p>
<p>Patrice Bertrand, président de l’Open World Forum 2012 <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20120917trib000719886/ceci-est-une-revolution-ce-que-l-open-source-a-change-.html">rappelait dans un article de <em>La Tribune</em> que</a> :</p>
<blockquote>
<p>« À certains égards, l’open source est un mouvement humaniste. Il considère que le logiciel est, à la manière de la connaissance scientifique, une forme de patrimoine de l’humanité, un bien commun que nous enrichissons collectivement, pour le bien-être de tous. »</p>
</blockquote>
<p>Ce n’est donc pas l’idée d’un logiciel gratuit, mais d’un programme libre dans le sens où tout le monde peut l’amender, le transformer.</p>
<h2>Une logique libertaire noyautée par la marchandisation</h2>
<p>Globalement, dans la logique libertaire des défenseurs de l’open source, c’est la mise en accès libre de codes sources de logiciels pour une accessibilité publique et gratuite (Open Office, Bootstrap…). Ce modèle bascule cependant progressivement vers un monde davantage marchand.</p>
<p>De nouveaux acteurs économiques, <a href="https://fultron.net/qui-etaient-les-grands-acteurs-open-source-il-y-a-10-ans/">comme</a> Sun Microsystems, IBM ou Novell, investissent le secteur en plein essor – porté par la pression médiatique et les lobbies – avec de véritables stratégies de vente de solutions, de prestations de service et de rentabilité des investissements.</p>
<p>Aujourd’hui, selon une <a href="https://www.globalsecuritymag.fr/1-entreprise-sur-2-estime-l-open,20181119,82222.html">étude</a> de Pierre Audouin Consultants, le marché l’open source français pèse 4,4 milliards d’euros, soit plus de 10 % du secteur des logiciels et services avec une croissance annuelle de 8 %. Nous sommes loin de l’image du hippie utopiste ou du gentil hacker.</p>
<p>La littérature économique traite ce phonème sous l’angle <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-regionale-et-urbaine-2005-3-page-397.htm?contenu=plan#s2n5">individualiste</a>, se penchant sur l’intérêt donnant une rationalité à cet acte. En effet, l’agent économique, ici le développeur, met à disposition de la communauté un logiciel virtuel avec des contreparties monnayables dans la sphère marchande, notamment la réputation acquise au sein des communautés.</p>
<h2>Des logiciels ouverts nécessaires</h2>
<p>Le scandale <a href="https://www.usine-digitale.fr/article/l-affaire-volkswagen-relance-le-debat-sur-l-open-source-dans-l-automobile.N352321">Volkswagen</a>, de 2009 à 2015 avait pourtant relancé le débat sur l’open source dans le monde de l’automobile et démontré l’intérêt des logiciels ouverts.</p>
<p>Le constructeur allemand avait en effet embarqué dans ses véhicules un système permettant de détecter les contrôles d’émissions de particules et d’en truquer les résultats pour être en conformité avec la loi et les <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2016/12/08/dieselgate-bruxelles-passe-a-la-maniere-forte_5045633_3234.html">standards exigés en Europe</a> et aux États-Unis notamment.</p>
<p>Les codes utilisés dans l’industrie automobile sont protégés par le <a href="https://www.copyright.gov/legislation/dmca.pdf">Digital Millennium Copyright Act</a> aux États-Unis et par l’<a href="https://www.eff.org/deeplinks/2019/03/european-copyright-directive-what-it-and-why-has-it-drawn-more-controversy-any">European Copyright Directive</a> en Europe, mais un droit d’accès peut être accordé. Or, les constructeurs peuvent refuser cette latitude en invoquant des raisons techniques, ou <a href="https://www.smartcopying.edu.au/information-sheets/tafe/technological-protection-measures/technological-protection-measures-2018">« technological protection measures »</a> (TPMs).</p>
<p>Mais si l’open source n’est pas réellement toujours synonyme de gratuité, certaines organisations ont fait ce pari.</p>
<h2>La gratuité dans les transports</h2>
<p>Récemment, la communauté urbaine de Dunkerque annonçait la <a href="https://www.telerama.fr/idees/a-dunkerque,-les-transports-gratuits-tracent-leur-route,n5528416.php">totale gratuité de ses transports en commun</a>. La démarche <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01535544">est ancienne</a> : Compiègne avait initié le mouvement dès 1975 et une trentaine d’autres villes françaises lui ont emboîté le pas (Châteauroux, Gap, Niort, Vitré, Aubagne…).</p>
<p>La fréquentation des bus a immédiatement bondi au détriment de la voiture, avec des conséquences positives sur l’environnement, les fameuses externalités (retombées positives ou négatives d’une action) : <a href="https://www.francebleu.fr/infos/transports/dunkerque-le-succes-du-bus-gratuit-se-confirme-1547223917">au bout de quatre mois</a>, + 120 % le week-end et + 50 % en semaine. Et les chiffres <a href="https://www.lavoixdunord.fr/594386/article/2019-06-06/depuis-sa-gratuite-le-bus-transporte-65-de-voyageurs-en-plus">ne cessent d’augmenter</a>.</p>
<p>La gratuité des transports publics à l’échelle d’un pays entier existe aussi avec l’<a href="https://www.weforum.org/agenda/2018/06/estonia-is-making-public-transport-free/">Estonie depuis 2018</a> et le <a href="https://www.bbc.com/worklife/article/20190128-the-cost-of-luxembourgs-free-public-transport-plan">Luxembourg pour 2020</a>.</p>
<p>L’objectif est évidemment de pousser les automobilistes à substituer leurs véhicules par les modes communs plus vertueux écologiquement tout en désengorgeant les agglomérations. Le modèle est critiqué, notamment par la Fédération des associations d’usagers des transports (Fnaut) qui met en évidence des vices cachés.</p>
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<figcaption><span class="caption">La gratuité des transports a été adoptée dans plusieurs communes françaises.</span></figcaption>
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<p>Premier grief, la déconsidération des biens liée à la gratuité engendrerait l’accroissement des dégradations. L’argument a été vite balayé par le <a href="https://www.la-croix.com/Economie/gratuite-transports-urbains-idee-gagne-lEurope-2018-09-04-1200966061">maire de Dunkerque</a> qui évoque 60 % de dégradations en moins pendant les week-ends de gratuité.</p>
<p>Le second argument suppose que la gratuité ne permet pas un report modal significatif de la voiture vers le transport public, selon l’<a href="https://www.lesechos.fr/2018/03/ces-villes-ou-les-transports-en-commun-sont-gratuits-987068">organisation patronale</a> des opérateurs. Le cas de Dunkerque prouve pourtant le contraire.</p>
<p>Face à ces expériences intéressantes et apparemment réussies, la généralisation de la privatisation semble cependant une tendance lourde y compris de ce qui semblait être des biens communs gratuits et accessibles à tous ou du vivant.</p>
<h2>La marchandisation du vivant</h2>
<p>Les paysans ne peuvent plus produire naturellement leurs propres graines. Les semences désormais stériles et accaparées par les grands groupes internationaux tels Bayer (Monsanto), doivent être achetées chaque année au prix fort, plongeant les agriculteurs dans la misère. Nous le constatons depuis longtemps en Inde où des millions de paysans ont été réduits à l’exode urbain, <a href="https://www.france24.com/fr/20130705-reporters-inde-ogm-monsanto-Maharastra-Mahyco-coton-agriculeurs-suicide-france24">y laissant parfois la vie</a>. Aujourd’hui, <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/france-2/cash-investigation/videos-privatisation-du-marche-des-semences-tomates-hybrides-quatre-sequences-a-retenir-du-cash-investigation-sur-le-business-des-fruits-et-legumes_3496807.html">quatre multinationales</a> (avec DuPontDow, Syngenta et Limagrain) possèdent deux tiers des semences et trois quarts des pesticides mondiaux.</p>
<p>Ainsi une <a href="https://www.bioaddict.fr/article/cash-investigation-comment-les-multinationales-controlent-et-modifient-les-varietes-de-semences-a6256p1.html">enquête de Cash Investigation</a> a révélé que le kilo de graines de tomate pouvait atteindre 400 000 euros.</p>
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<figcaption><span class="caption">Extrait de Cash Investigation.</span></figcaption>
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<p>Au-delà des semences, c’est l’ensemble du vivant qui est privatisable dans de nombreux pays.</p>
<p>L’appropriation du patrimoine génétique est apparue en 1980 aux États-Unis. En 1972, le microbiologiste <a href="https://lemelson.mit.edu/resources/ananda-chakrabarty">Ananda Chakrabarty</a>, au service de General Electric, dépose une demande de brevet pour une bactérie génétiquement modifiée capable d’absorber le pétrole. La Cour suprême américaine estimera en <a href="https://caselaw.findlaw.com/us-supreme-court/447/303.html">1980</a> que la loi sur les brevets ne doit pas faire de distinction entre le vivant et l’inanimé.</p>
<p>Ainsi, en 1982, deux généticiens d’Harvard, Phil Leder et Timothy Stewart, introduisent dans une souris des gènes qui la rendent vulnérable au cancer et déposent le <a href="https://www.nytimes.com/1988/04/13/us/harvard-gets-mouse-patent-a-world-first.html">brevet de l’oncosouris</a>.</p>
<p>La souris est alors en quelque sorte « privatisée », à partir du moment où il est considéré que l’organisme modifié est une invention et donc brevetable.</p>
<p>Aujourd’hui, la pratique est relativement courante puisque nombreux parmi les brevets déposés aux États-Unis <a href="https://www.gerbeaud.com/nature-environnement/biopiraterie-privatisation-vivant.php">concernent des organismes vivants</a>.</p>
<h2>Les espaces naturels vers le tout privé</h2>
<p>Les espaces sont souvent privés (propriétés, terrains…), mais certains territoires qui paraissaient appartenir à l’humanité, c’est-à-dire en quelque sorte à personne, deviennent la proie de toutes les tentations financières. On pense ainsi à l’extension rapide des plages privées dans le monde même si la <a href="http://www.actunautique.com/2015/08/juridique-peut-on-privatiser-une-plage-publique.html">France</a> demeure restrictive en la matière ou encore la privatisation des mers et des océans, qui, <a href="https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=6&ved=2ahUKEwiDp5Sa4IDkAhUBhxoKHSs5DekQFjAFegQIBhAC&url=https%3A%2F%2Fdroitsetoceans.sciencesconf.org%2Fdata%2Fpages%2FNathalie_ROS.pdf&usg=AOvVaw1sq3hrQs2hnBIR4diM8F5d">selon la professeure de droit public Nathalie Ros</a> « cesse peu à peu d’être un mythe pour devenir une réalité ».</p>
<p>L’<a href="https://www.lejournalinternational.fr/Arctique-basses-tensions-sous-les-hautes-latitudes_a3660.html">appropriation de l’Arctique</a> est également en marche : cette zone géostratégique clef et riche en ressources (hydrocarbures, terres rares, métaux…) suscite intérêt et jalousie de la part d’États comme la Chine. On note aussi la vente et location d’îles paradisiaques en <a href="https://www.monplusbeauvoyage.fr/privatisation-ile-reve-nukutepipi-polynesie-francaise-voyage-luxe/">Polynésie française</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’atoll de Nukutepipi appartient désormais aux plus offrants…</span></figcaption>
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<p>Enfin l’espace lui-même se privatise. Le <a href="https://www.congress.gov/bill/114th-congress/house-bill/2262">Space Act</a> voté en 2015 par les États-Unis, permet aux firmes américaines de prospecter l’eau, les métaux, les <a href="https://www.cieletespace.fr/actualites/les-etats-unis-et-le-luxembourg-veulent-s-entendre-pour-forer-les-asteroides">astéroïdes et les planètes</a>, de les extraire, les exploiter et les vendre, laissant la plupart des pays incapables techniquement et financièrement d’envoyer des aéronefs dans l’espace sur la touche.</p>
<p>Nous sommes donc loin du du <a href="https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19670016/index.html">Traité de l’espace de 1967</a> qui interdisait justement cette exploitation privée des ressources extra-terrestres…</p>
<h2>La guerre des mots</h2>
<p>A cette liste viennent se rajouter les projets de privatisation <a href="https://theconversation.com/la-privatisation-des-routes-une-idee-a-lencontre-du-modele-social-francais-120179?utm_source=twitter&utm_medium=twitterbutton">des routes</a> ; les barrages hydrauliques en France avec les risques que cela comporte en termes de sécurité ; les projets liés à l’<a href="https://transhumanistes.com/homme-augmente/">homme augmenté</a> ; et même les mots.</p>
<p>Ces derniers deviennent le centre de toutes les attentions. Nous nous souvenons tous d’un secrétaire d’État au commerce (Thomas Thévenoud) qui eut maille à partir avec le fisc et qui déclara souffrir de phobie administrative. Il finit par <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20180208.OBS1901/phobie-administrative-en-plein-scandale-thomas-thevenoud-a-depose-la-marque-a-l-inpi.html">déposer cette expression à l’Institut national de la propriété industrielle</a> (<a href="https://www.inpi.fr/fr">INPI</a>). Le combat contre Yves Saint-Laurent pour interdire l’appellation de son <a href="https://www.lesechos.fr/1993/12/yves-saint-laurent-condamne-en-appel-pour-son-parfum-champagne-917204">parfum Champagne</a> en 1993 est aussi encore dans nos esprits. La privatisation syntaxique vaut quelques <a href="https://www.linkedin.com/pulse/ancien-monde-vs-nouveau-attention-coup-de-gueule-romain-cristofini/">coups de gueule sur les réseaux</a>.</p>
<p>La propriété intellectuelle aboutit ainsi à des abus <a href="https://www.numerama.com/pop-culture/472279-il-y-a-toujours-des-entreprises-qui-cherchent-a-privatiser-des-mots-du-langage-courant.html">traqués</a> par les journalistes Lionel Maurel et Thomas Fourmeux et qui indiquent quelques exemples afin de</p>
<blockquote>
<p>« dénoncer ce racket qui repose sur l’appropriation abusive d’un mot courant ».</p>
</blockquote>
<p>Face à cette généralisation, un risque peut survenir, celui de défaut de la contrepartie.</p>
<h2>Le risque de contrepartie</h2>
<p>Le risque de contrepartie, principe financier, repose sur le risque de défaillance d’un emprunteur qui ne peut plus rembourser l’ensemble de sa dette. De manière extensive, c’est l’incapacité au perdant ou au débiteur de payer le gagnant ou le créancier. La crise des subprimes en 2007 en est la <a href="https://www.louisbachelier.org/mesure-du-risque-de-contrepartie/">parfaite illustration</a>, créant une crise mondiale sans précédent.</p>
<p>Or, la privatisation tous azimuts entraîne non seulement un nouveau coût supplémentaire pour des biens et des services auparavant gratuits (plages, routes, semences…), mais en outre cette charge augmente rapidement. L’exemple du <a href="https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal%3A212342/datastream/PDF_01/view">rail</a> est édifiant.</p>
<p>En effet, malgré le discours arguant la baisse des tarifs induit par la privatisation du transport ferroviaire, les exemples allemands et anglais la réfutent.</p>
<p>Ainsi, en Grande Bretagne, les prix du billet <a href="https://francais.rt.com/economie/48427-privatisation-rail-grande-bretagne-un-echec">sont six fois supérieurs</a> à la moyenne européenne pour un service de moindre qualité et ont bondi de <a href="https://trends.levif.be/economie/entreprises/privatisation-du-rail-le-point-dans-les-grands-pays-d-europe/article-normal-800801.html">25 %</a> (hors inflation) depuis 1995. La hausse est plus spectaculaire encore en Allemagne. De 2005 à 2016, les tarifs moyens <a href="https://www.bastamag.net/Baisse-des-effectifs-hausse-des-tarifs-qualite-de-service-moyenne-les-realites">ont explosé de 40 %</a> pour les trains régionaux (environ 2,2 fois plus vite que l’inflation sur la période) et de 31 % pour les trains longue distance (environ 1,7 fois plus vite que l’inflation). Dans tous les cas, une entreprise privée intègre dans ses <a href="https://www.fipeco.fr/pdf/0.58478900%201522218955.pdf">charges le coût du capital</a> qui représente la rémunération qu’elle doit verser aux actionnaires et aux agents qui l’ont financée.</p>
<p>De ce fait, elle est dans l’obligation de le répercuter dans le prix de vente final et s’avère systématiquement plus chère qu’une entreprise publique. Ou alors elle abandonne le produit non rentable comme récemment Medtronic qui a <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/france/diabete-l-unique-fabriquant-au-monde-de-pompes-insuline-implantees-arrete-sa-production-6478952">stoppé la fabrication de la pompe à insuline</a>, pourtant vitale pour nombre de jeunes diabétiques.</p>
<h2>Le leurre du tout gratuit ?</h2>
<p>Rappelons cependant que la gratuité est un leurre puisqu’elle repose généralement sur des prélèvements fiscaux ou sociaux, tels les soins à l’hôpital par les cotisations sociales salariales et patronales. Elle peut aussi trouver sa contrepartie dans la <a href="https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Numerique/lucrative-economie-donnees-personnelles-2018-04-11-1200930923">vente des données personnelles</a> comme le pratiquent Facebook ou Google.</p>
<p>De même le troc n’est pas non plus la gratuité puisqu’il y a échange marchand, seule l’intermédiation monétaire ayant été éliminée.</p>
<p>Il n’est pas question ici de remettre en cause la propriété, mais de dénoncer les dérives dangereuses d’une privatisation globale.</p>
<p>Rendons hommage à <a href="https://next.liberation.fr/livres/2009/04/28/michel-serres-la-marchandise-c-est-l-equilibre-la-culture-c-est-l-accroissement_653194">Michel Serres</a>, récemment disparu :</p>
<blockquote>
<p>« Si vous avez du pain, et si moi j’ai un euro, si je vous achète le pain, j’aurai le pain et vous aurez l’euro et vous voyez dans cet échange un équilibre, c’est-à-dire : A a un euro, B a un pain. Et dans l’autre cas B a le pain et A a l’euro. Donc, c’est un équilibre parfait. Mais, si vous avez un sonnet de Verlaine, ou le théorème de Pythagore, et que moi je n’ai rien, et si vous me les enseignez, à la fin de cet échange-là, j’aurai le sonnet et le théorème, mais vous les aurez gardés. Dans le premier cas, il y a un équilibre, c’est la marchandise, dans le second il y a un accroissement, c’est la culture. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/122068/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>S’il n’est pas question ici de remettre en cause la propriété, il est essentiel de s’attarder sur les dérives d’une privatisation globale et regarder de plus près les tentatives du tout-gratuit.Eric Vernier, Directeur de la Chaire Commerce, Echanges & Risques internationaux - ISCID-CO, Université du Littoral Côte d'Opale, Chercheur au LEM (UMR 9221), Université de LilleL'Hocine Houanti, Associate professor, ExceliaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1201402019-07-16T17:02:14Z2019-07-16T17:02:14ZPour en finir avec le « numérique »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/284310/original/file-20190716-173329-15k0gbc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C5%2C1908%2C1270&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Il est temps de reprendre la main!</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/ipad-comprim%C3%A9-technologie-touch-820272/">Pixabay</a></span></figcaption></figure><p>Le code est loi, <a href="https://www.harvardmagazine.com/2000/01/code-is-law-html">disait Lessig</a> il y a quelques années. <a href="https://www.nytimes.com/2011/02/06/books/review/Siegel-t.html">Morozov</a> explique bien à quel point les services proposés par les multinationales du numérique portent des valeurs précises qui ne sont jamais neutres. <a href="https://www.fsf.org/blogs/rms/20140407-geneva-tedx-talk-free-software-free-society/">Richard Stallmann</a> – fondateur du projet GNU et président de la <em>Free Software Foundation</em> – va plus loin : un ordinateur, dit-il, est une machine universelle qui calcule tous ce qu’on lui demande ; la question est de savoir qui demande à la machine d’effectuer les calculs ; on est là devant deux possibilités :</p>
<ul>
<li><p>l’usager est le maître du code et il est donc le maître de la machine ;</p></li>
<li><p>l’usager n’est pas le maître du code et il est donc à la merci de la machine – ou plus précisément de celui qui est maître de son code et donc typiquement une entreprise privée.</p></li>
</ul>
<p>Les téléphones portables, les tablettes et toutes leurs applications fonctionnent sur des logiciels dont le code appartient à des entreprises privées. Nous ne savons pas exactement ce que fait ce code, nous n’utilisons donc pas ces appareils, mais nous sommes plutôt utilisés par eux.</p>
<p>Concrètement :</p>
<ul>
<li><p>notre vie est influencée et structurée par ces outils sans que nous puissions précisément en comprendre les principes. Les affordances des plates-formes nous poussent à certaines pratiques, les notifications scandent nos rythmes de vie, les formats des données et des documents structurent l’organisation de notre pensée ;</p></li>
<li><p>nous ne savons pas ce qui est fait de nos données et qui y peut accéder.</p></li>
</ul>
<p>La même chose peut être dite – avec quelques nuances – des ordinateurs portables propriétaires. Apple, notamment, met en place des politiques qui restreignent de plus en plus de pouvoir à l’usager. Le fonctionnement de la machine devient complètement opaque souvent en protestant la nécessité de rendre les choses « simples » ou d’augmenter la sécurité. L’argument qui est devenu très vendeur est de ne pas donner à l’usager la main sur ses appareils pour éviter qu’il fasse des dégâts involontaires. Tout fonctionne indépendamment de l’usager, tout se configure de façon autonome, nous ne devons rien comprendre. Le prix à payer est que nous ne savons plus ce que nous faisons. Oui, nous ne faisons pas d’efforts pour comprendre la machine, mais en revanche nous sommes entre ses mains.</p>
<p>L’injonction à l’usage de logiciel et matériel propriétaire gagne en force et pouvoir – et cela n’est pas de la faute des entreprises privées, mais des usagers et, surtout, des institutions.</p>
<p>Or, s’il est normal que la littéracie numérique ne soit pas très développée chez des utilisateurs que personne n’a formés à ce propos, il me semble cependant aberrant que les institutions publiques – et les acteurs privés – n’entreprennent rien pour contrer ce phénomène et qu’ils soient au contraire à l’origine de cette multiplication de l’occupation de notre espace de vie par les privés.</p>
<p>Voici quelques exemples concrets issus de sphères différentes de notre vie quotidienne.</p>
<hr>
<p>
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<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-numerique-une-notion-qui-ne-veut-rien-dire-116333">Le « numérique », une notion qui ne veut rien dire</a>
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<hr>
<h2>L’usage d’applications propriétaires dans les échanges privés</h2>
<p>Je pense en particulier à WhatsApp, Messanger/Facebook, Snapchat, Instagram, Twitter. Petite anecdote : je n’ai pas de Smartphone (pour les raisons que je viens de détailler). Depuis quelques années, je n’ai presque plus de contacts quotidiens avec mes parents (pourtant italiens !). Ils avaient l’habitude de communiquer avec moi par mail, mais depuis l’adoption de WhatsApp, ils considèrent que je ne suis pas joignable – je suis pourtant devant mon ordinateur connecté à longueur de journée. Ils préfèrent envoyer des messages sur WhatsApp à ma conjointe en lui demandant de me les relayer. Le contact familial est pris en otage par une compagnie privée. Au lieu que de devenir plus simple – avant il n’y avait pas ces possibilités de connexion, il fallait passer par une cabine téléphonique et un appel international… etc. –, le contact devient plus difficile, presque impossible, à moins d’adopter une application. </p>
<p>Vous me direz : mais même l’appel téléphonique passait par une société. Oui, bien sûr, mais le monde n’était pas investi par une compagnie unique. Et de plus, ces compagnies étaient contrôlées par les États… Le téléphone était perçu comme relevant de l’utilité publique. Or la philosophie de la privatisation de l’espace public voudrait que j’achète un téléphone avec un des deux systèmes d’exploitation possibles (iOS ou Android de Google) et que j’installe une application qui appartient à Facebook. Si je n’accepte pas ces conditions, je suis exclu de la communication avec mes parents – pour la petite histoire, j’essaie de les obliger à m’écrire des courriels ou à m’appeler sur mon fixe.</p>
<h2>L’usage obligatoire de logiciels propriétaires dans le cadre des institutions publiques</h2>
<p>Docx, PDF, Internet Explorer (oui, encore lui) sont bien souvent des canaux obligés lorsque nous avons affaire aux institutions publiques ! Autre anecdote : je suis en train de demander la citoyenneté canadienne. Le seul moyen pour compléter cette demande est de remplir un formulaire PDF en utilisant Acrobat Reader. Impossible de le faire en utilisant un autre logiciel. Je suis donc obligé d’installer un logiciel propriétaire si je veux bénéficier de mes droits. Un formulaire HTML aurait été accessible par tous – en utilisant un standard ouvert. Formulons-le ainsi pour que la dimension d’aberration soit plus évidente : la seule manière pour devenir citoyen canadien est de passer par la société Adobe. </p>
<p>Encore une fois, bien sûr, dans une société industrialisée et capitaliste, nous sommes depuis toujours confrontés à ce type de problèmes : pour remplir un formulaire papier, je suis obligé d’acheter du papier à une société privée, un stylo qui lui aussi est produit par une société privée… mais, dans ce cas, il y a plusieurs sociétés entre lesquelles je peux choisir et, surtout aucune de ces sociétés ne détient le brevet du papier ou du stylo (sauf les BICs, mais il existe d’autres types de stylos !). Dans le cas d’Adobe, le format du formulaire, son accessibilité, la structure de ses données sont établis par Adobe et par lui seul.</p>
<h2>L’usage obligatoire d’applications et de software propriétaires dans le cadre d’institutions privées d’utilité publique</h2>
<p>Un exemple : les banques. Il s’agit évidemment de sociétés privées, mais qui ont des responsabilités à l’égard de l’ensemble des citoyens. Or, il est désormais quasiment impossible d’être client d’une banque sans avoir recours à des logiciels ou du matériel propriétaire. Pour accéder à son compte, il faut un Smartphone – propriétaire – sur lequel faire tourner des applications – propriétaires – sous le contrôle, au choix, de Google ou d’Apple. Encore une fois, en tant qu’usagers, nous sommes obligés d’être clients de ces deux entreprises si nous voulons avoir une vie normale dans notre société. Pourquoi donc ?</p>
<h2>L’usage généralisé du format docx comme format texte</h2>
<p>Le format docx est désastreux pour une <a href="https://eriac.hypotheses.org/80">série de raisons</a>. Mais ce n’est pas là la question. Le problème est que son usage est banalisé par les maisons d’édition, les institutions publiques et privées. Au lieu que de produire du texte, nous sommes obligés de produire du docx. Le format, évidemment, n’est pas neutre : il propose une conception particulière du texte et du document. L’accessibilité, en outre, dépend seulement du bon vouloir de Microsoft. Comment est-il possible que nous soyons pris dans la dynamique de transformation de l’écriture en une propriété d’une boîte américaine ?</p>
<p>L’usage de logiciel propriétaire par l’université et par l’éducation. À l’université, on présuppose que les membres de la communauté – étudiants, chercheurs, administrateurs – utilisent MacOs ou Windows. L’ensemble des services est pensé exclusivement pour ces deux plates-formes. Aucune assistance n’est garantie pour les systèmes libres. Souvent, il est impossible d’effectuer les tâches quotidiennes si on n’a pas un Mac ou un PC Windows. Les logiciels proposés sont toujours propriétaires – Word, PowerPoint, Excel, Endnote… Dans le domaine de l’éducation primaire – ce qui est encore plus grave –, on associe le passage au numérique avec l’adoption généralisée des iPads. Or, il me semble absolument délirant de confier l’éducation publique à une entreprise privée. Mais, concrètement, c’est exactement ce qui arrive : les livres de texte deviennent des applications iPad, gérées et maintenues par Apple. C’est Apple qui décide de leurs vies, de leurs licences de distribution, de leurs accessibilités, de la date de leurs sorties, de leurs ergonomies. Nous voyons de grandes institutions se réjouir de leur progrès, car elles ont adopté ces technologies.</p>
<p>De cette manière, nous sommes progressivement en train d’abandonner la chose publique – ainsi que nos vies privées – entre les mains d’une poignée d’entreprises. Je le répète : la responsabilité ne revient pas à ces entreprises, mais à nous-mêmes et à nos institutions qui – par commodité ? Par facilité ? À cause des pressions commerciales ? À cause de notre ignorance ? – ne faisons rien pour défendre l’usage d’alternatives libres.</p>
<h2>Il existe des alternatives</h2>
<p>Il suffit de prendre un moment pour regarder – par exemple sur le <a href="https://directory.fsf.org/wiki/Main_Page">répertoire de la FSF</a> – pour constater que, pour tous les besoins que je viens de mentionner, il y a des solutions de type libre. Libres dans le sens que leur code est ouvert – et que donc il est possible de savoir ce qu’il opère –, qu’il peut être modifié et adapté à des besoins spécifiques – qui seront donc définis par les usagers et les communautés au lieu d’être fixés par une entreprise particulière – outre qu’être aussi gratuits, ce qui n’est pas la chose la plus importante, mais qui peut également servir d’argument.</p>
<p>Des exemples :</p>
<ul>
<li><p>des systèmes d’exploitation GNU-Linux qui permettent de faire tourner nos machines en évitant qu’elles fassent ce qu’elles veulent ;</p></li>
<li><p>des logiciels libres pour remplacer les logiciels propriétaires ;</p></li>
<li><p>du matériel qui respecte la liberté des usagers en rendant publiques ses spécifications techniques.</p></li>
</ul>
<p>L’objection qu’on entend souvent est que ces alternatives « ne fonctionnent pas ». Concrètement cela signifie que souvent ces logiciels demandent une prise en main plus complexe. Bien sûr : dès qu’il s’agit de choisir, il est nécessaire d’avoir une compréhension de base qui demande une étude. Mais cette étude est la condition de la liberté. Si nous voulons être maîtres de nos machines, il faut que nous soyons capables de leur demander ce que nous voulons.</p>
<p>Cela demande des efforts, certes ; mais ces efforts sont au fondement de la possibilité de liberté. Au nom de la simplicité et des interfaces <em>user friendly</em>, nous renonçons peu à peu à être maîtres de notre vie. Dans une situation orwellienne, nous sommes prêts à déléguer notre vie à des entreprises pour éviter l’effort de nous demander ce que nous voulons faire.</p>
<p>Or, évidemment, il n’est pas possible de demander ces efforts juste aux utilisateurs. Il est indispensable que les usagers soient accompagnés, sensibilisés et aidés par les instances institutionnelles et publiques. Si l’on pense aux enfants, la question devient encore plus claire : leur éducation sera entre les mains d’Apple et Google si nous ne prenons pas la peine de prôner des alternatives à leurs monopoles.</p>
<h2>Que faire ?</h2>
<p>En premier lieu, ce sont les institutions qui doivent s’engager dans cette démarche. Il est nécessaire que toutes les activités institutionnelles puissent être réalisées avec du logiciel et du matériel non propriétaires et que les solutions libres soient les solutions recommandées. Il doit évidemment rester possible d’accomplir ces tâches avec du logiciel propriétaire, cela doit rester une option pour garantir la liberté des usagers : si vous voulez utiliser un Mac, un PC Windows, soyez les bienvenus, mais nous privilégions les solutions libres – et nous offrons support pour ces solutions. Les institutions devraient aussi contribuer au développement du logiciel libre en investissant dans ce domaine pour leurs infrastructures numériques – au lieu que continuer à déléguer les GAFAM.</p>
<p>Ensuite, il est nécessaire d’obliger les acteurs privés d’utilité publique à faire la même chose. Et d’exhorter aussi l’ensemble des acteurs privés.</p>
<p>Le changement d’usages et la diffusion de pratiques libres seront un pivot pour déterminer les producteurs de matériel à s’aligner à la philosophie du libre. Les producteurs de matériel qui fonctionne exclusivement avec du logiciel propriétaires doivent être pénalisés.</p>
<p>Ces actions publiques doivent être accompagnées par une véritable démarche de sensibilisation à ces enjeux et un investissant important en formation. L’éducation doit être au fondement pour rendre libres les utilisateurs de demain.</p>
<p>« Le numérique » n’existe pas comme phénomène uniforme. Il y a dans les pratiques et les technologies des univers différents et parfois même opposés. Nous devons en être conscients et agir de conséquence. Il faut lutter pour que le monde ne se réduise pas à la propriété d’une poignée d’entreprises.</p>
<hr>
<p><em><a href="https://theconversation.com/le-numerique-une-notion-qui-ne-veut-rien-dire-116333">Retrouvez la première partie de cette chronique ici</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/120140/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Soit l’usager est le maître du code et il est donc le maître de la machine, soit il n’est pas le maître du code et il est donc à la merci d’une entreprise privée.Marcello Vitali-Rosati, Professeur agrégé au département des littératures de langue française, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1078572018-12-02T20:44:34Z2018-12-02T20:44:34ZPour lutter contre le changement climatique, inspirons-nous de Linux !<p>Les différentes COP (pour « Conférences des parties »), dont la 24<sup>e</sup> édition s’est ouverte ce dimanche à Katowice en Pologne, ont permis des avancées majeures en termes d’action collective autour du changement climatique. Mais les dispositifs intergouvernementaux, aussi indispensables soient-ils, ne pourront à eux seuls résoudre la question climatique. Longtemps objet scientifique, aujourd’hui sujet politique, la protection du climat est plus que jamais l’affaire de tous.</p>
<p>De quels leviers disposons-nous pour rendre cette complexité intelligible et cette entreprise humaine possible ?</p>
<h2>« Tout commentaire sera le bienvenu, tout apport aussi »</h2>
<p>Lorsque Linus Torvalds, étudiant finlandais de 21 ans, se lance dans le projet fou de développer <a href="https://www.learnlinux.ie/content/linus-torvalds-original-announcement-usenet">son propre système d’exploitation</a> pour son micro-ordinateur 386, c’est par jeu et pour défier les systèmes propriétaires de Microsoft et d’Apple, coûteux et complexes. En 1991, il poste un noyau de code et lance un appel à contribution. Linux devient en quelques années l’une des plus grandes réalisations communautaires du logiciel libre.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/247934/original/file-20181129-170229-ng04yi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/247934/original/file-20181129-170229-ng04yi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/247934/original/file-20181129-170229-ng04yi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/247934/original/file-20181129-170229-ng04yi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/247934/original/file-20181129-170229-ng04yi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/247934/original/file-20181129-170229-ng04yi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/247934/original/file-20181129-170229-ng04yi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/247934/original/file-20181129-170229-ng04yi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le post de Linus Torvald qui fit naître l’aventure Linux.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.learnlinux.ie/content/linus-torvalds-original-announcement-usenet">Learn Linux</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est le prototype de la <a href="http://blogfr.p2pfoundation.net/2017/06/17/pair-a-pair-nouveau-modele-de-societe-centre-communs/">production par les pairs</a>, qui a donné naissance à un paradigme social ayant inspiré de nombreux projets collaboratifs, dont Wikipedia ou encore les revues scientifiques en libre accès telles que <a href="http://www.economics-ejournal.org/"><em>Economics</em></a> ou <a href="https://journals.openedition.org/geocarrefour/"><em>Géocarrefour</em></a>.</p>
<p>Le processus de construction collaborative s’étend bien au-delà du numérique : la démarche constitue un renouveau social que les anglophones désignent sous le terme de <em>commoning</em> (« faire commun »). Popularisé par l’historien <a href="http://www.utoledo.edu/al/history/faculty/plinebaugh.html">Peter Linebaugh</a>, ce concept nous autorise à un apprentissage par expérimentation et un processus d’essais et d’erreurs collectifs, mis en avant par la politologue <a href="https://blog.mondediplo.net/2012-06-15-Elinor-Ostrom-ou-la-reinvention-des-biens-communs">Elinor Ostrom</a>.</p>
<p>Qu’en est-il de la protection du climat ? Quelle communauté est à même de la décréter et de la pratiquer ?</p>
<h2>Un savoir sous tutelle scientifique</h2>
<p>On ne s’improvise pas climatologue ou glaciologue. Ce sont donc d’obscurs modèles globaux et de bien complexes travaux académiques qui sont les vecteurs d’alerte des décideurs et de l’opinion publique.</p>
<p>Dès 1972, la publication de <a href="https://collections.dartmouth.edu/teitexts/meadows/diplomatic/meadows_ltg-diplomatic.html"><em>The Limits to growth</em></a> (aussi appelé « rapport Meadows ») par une équipe de scientifiques du Massachusetts Institute of Technology, met déjà en avant la <a href="https://theconversation.com/la-collapsologie-est-elle-une-science-87416">possibilité d’effondrement</a> du système planétaire sous la pression de la croissance industrielle et démographique.</p>
<p>En 1988, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) est créé. Son dernier rapport <a href="http://ipcc.ch/report/sr15/">publié en octobre 2018</a>, synthèse de 6 000 articles scientifiques, est sans appel. Le changement climatique affecte déjà nos écosystèmes et les populations partout dans le monde. Limiter nos émissions est donc une nécessité et il est urgent d’amorcer une transition rapide et d’une ampleur sans précédent dans toute la société et dans tous les secteurs.</p>
<p>C’est sur la base de cette connaissance que les processus politiques internationaux se sont mis en route.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1067742724638605312"}"></div></p>
<h2>Les prémices du changement, la voie politique</h2>
<p>Dès 1988, « l’évolution du climat » et ses effets négatifs sont qualifiés par les États de « préoccupation commune de l’humanité ». L’Accord de Paris de 2015, résultat d’un processus politique sans précédent, vient consolider cette position. Cette qualification renvoie à la nature vitale du climat pour l’humanité et donc à l’importance de l’action ; à sa nature globale et donc à l’importance de la coopération ; à la nécessité de l’action collective et donc à l’importance de l’universalité de l’action.</p>
<p>L’invocation du commun traduit ici un besoin de dépassement des logiques individuelles au profit d’une cause supérieure. Ce dépassement a ses limites car la responsabilité de protéger le climat est différenciée.</p>
<p>Cette formule est commode : elle légitime l’action collective des États, tout en s’assurant que les implications juridiques associées restent limitées. L’insuffisance des contributions à la lutte contre le réchauffement prévues par les pays au regard des objectifs de l’Accord de Paris en <a href="https://www.novethic.fr/actualite/environnement/climat/isr-rse/climat-des-contributions-nationales-encore-loin-d-atteindre-les-2-c-143907.html">témoigne</a> aujourd’hui. Il faut donc voir dans cette référence davantage un point de départ qu’un point d’arrivée.</p>
<h2>Un bien commun global, entendre la voix de tous</h2>
<p>La préservation du climat est en passe de devenir un bien commun global. Il ne s’agit pas ici d’un glissement sémantique : les efforts, traditionnellement portés par la communauté internationale, s’ouvrent à l’humanité. On passe ainsi d’acteurs étatiques aux individus et groupes, quelle que soit leur appartenance nationale. On ne s’inscrit plus uniquement dans le présent et l’actuel, on se projette dans le futur, en incluant les générations de demain.</p>
<p>Avec le <a href="https://talanoadialogue.com/">dialogue Talanoa</a> – instauré à la COP23 en référence à cette tradition du Pacifique de dialogues participatifs et transparents pour prendre des décisions collectives –, entreprises, villes, société civile, citoyens, nous devenons tous les artisans du climat.</p>
<p><a href="http://amp.dw.com/en/four-climate-change-lawsuits-to-watch-in-2018/a-42066735">Par la protestation</a>, notamment, comme aux Pays-Bas où les autorités publiques ont été récemment enjointes de <a href="https://theconversation.com/larret-urgenda-un-espoir-face-a-linertie-des-politiques-climatiques-105869">renforcer leur politique</a> de lutte contre les émissions de GES sur la demande d’une fondation et de quelques 886 citoyens. Aux États-Unis, où une action a été jugée recevable par la <a href="https://www.actu-environnement.com/ae/news/climat-justice-plainte-politique-americaine-USA-Trump-27854.php4">Cour de district de l’Oregon fin 2016</a>, alors qu’elle était menée par des enfants de 8 à 20 ans, agissant au nom des générations futures, pour faire reconnaître la responsabilité de l’administration Obama pour défaillance dans la lutte contre les émissions de GES.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"846056255877758981"}"></div></p>
<p>Par l’action aussi. Les dispositifs planétaires, comme les COP, ne pourront à eux seuls résoudre la question climatique. La construction de nouvelles utopies collectives, locales, porteuses de modes de vie durables, est ainsi devenue aussi indispensable qu’urgente. L’ensemble de ces initiatives forme le noyau d’une gouvernance climatique qualifiée par <a href="https://laviedesidees.fr/Elinor-Ostrom-par-dela-la-tragedie-des-communs.html">Elinor Ostrom de « polycentrique »</a>. Ces réponses multiples et variées participent au processus apprenant du changement climatique permettant de faire émerger une cohérence globale de l’action.</p>
<h2>D’une science à un savoir du climat</h2>
<p>Les connaissances ne prennent sens qu’en se partageant et en étant reprises et modifiées par leurs usagers. La science climatique a permis de construire des diagnostics et des modèles globaux complexes, qui restent illisibles pour nombre d’entre nous. L’humanité peut-elle devenir une communauté apprenante et développer un savoir du climat, plus horizontal et multiforme ?</p>
<p>L’expérience Linux nous est précieuse car une piste consiste en la création et la production de connaissances en mode ouvert et intégrant. Des initiatives émergent autour du climat : la plate-forme du <a href="https://talanoadialogue.com/">dialogue Talanoa</a>, les <a href="https://www.paris.fr/actualites/volontaires-du-climat-a-paris-on-agit-1000-volontaires-reunis-a-l-hotel-de-ville-6142">Volontaires du Climat à Paris</a>, <a href="https://alternatiba.eu/">Alternatiba</a>, le <a href="https://transitionnetwork.org/">mouvement des villes en transitions</a>, etc.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Xl-fRQ2Tgr8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« J’peux pas, j’ai climat », une vidéo de mobilisation lancée en novembre 2018 par des YouTubeurs et des personnalités belges. (Le Biais Vert/YouTube).</span></figcaption>
</figure>
<p>Ces dernières partent de l’hypothèse suivante : nous sommes tous concernés par le changement climatique, nous sommes tous légitimes pour agir à toutes les échelles territoriales, nous sommes tous artisans d’un savoir commun autour du climat. Tel Linus Torvalds voyant arriver de nombreux développeurs participant à son projet, l’humanité bénéficiera des apports de chacun dans la construction d’un savoir autour d’une trajectoire de transition bas carbone et résiliente.</p>
<p>Cette construction par les pairs de la transition met en exergue sa nature protéiforme et polycentrique. La prise en compte des différentes échelles territoriales, et donc de leurs spécificités, ancrera la transition dans la réalité sociale et institutionnelle de chacune de ces échelles. La mise en œuvre des réponses aux défis climatiques, ancrés dans ces réalités, participera à un processus transformatif écologique global, traduisant les chiffres scientifiques en mots et les mots en actions. La transition sera aussi sociale et institutionnelle, ou ne sera pas, faute de cohésion autour de sa réalisation.</p>
<p>Nous le voyons, les défis climatiques sont immenses et la tâche semble presque impossible mais l’expérience des communs nous propose une approche. Il n’est pas nécessaire de construire la réponse unique et universelle à ce problème complexe, le simple fait de commencer à traiter la question en communauté dessine déjà une trajectoire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/107857/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Godin a reçu des financements de MISTRA. Il est membre du Centre d’économie de l’Université de Paris Nord (CEPN). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Stéphanie Leyronas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les dispositifs intergouvernementaux comme la COP24 ne pourront à eux seuls résoudre la crise climatique. La protection du climat est plus que jamais l’affaire de tous.Stéphanie Leyronas, Chargée de recherche sur les communs, Agence française de développement (AFD)Antoine Godin, Économiste-modélisateur, Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1044232018-10-15T21:38:30Z2018-10-15T21:38:30ZCe qu’enseigne la philosophie africaine sur le syndrome de culpabilité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/240090/original/file-20181010-72113-i7pv5n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=20%2C6%2C4580%2C3055&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">'Peu importe ce qui arrive dans la vie, la famille devrait toujours être priorité.': Philosophie Ubuntu.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/fwK-UbV1UQ4">Nathaniel Tetteh/Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Après avoir réchappé à une tragédie, comme un tsunami, certaines personnes <a href="https://www.japantimes.co.jp/news/2015/03/10/national/survivors-speak-grief-guilt-life-tsunami/">disent</a> ressentir de la culpabilité à l’idée d’avoir survécu tandis que des innocents ont péri à côté d’elles. De la même façon, des spécialistes sud-africains m’ont confié se sentir coupables d’avoir quitté leurs villages et « réussi » dans la société post-apartheid du pays, alors que leurs ex-voisins vivent toujours dans la pauvreté.</p>
<p>Est-il justifié de ressentir de la culpabilité dans de telles circonstances ?</p>
<p>Selon moi, alors que la morale occidentale, très répandue, sous-entend que la culpabilité du survivant est irrationnelle, la tradition philosophique africaine nous donne les clés pour comprendre en quoi elle peut être positive.</p>
<p>En gros, la culpabilité du survivant correspond à un sentiment injustifié. Plus précisément, c’est le mal-être que ressent une personne dont l’entourage a été tué (ou gravement blessé) alors qu’elle-même ne l’a pas été, ou parce qu’elle n’a pas pu sauver ses proches. Et ce, même si elle n’est absolument pas responsable de leur décès (ou de leurs souffrances).</p>
<p>Beaucoup de survivants de gigantesques tragédies dont ils ne sont pas moralement responsables avouent se sentir coupables. Prenons l’exemple des Juifs qui ont réchappé à la Shoah, ou celui des soldats qui sont sortis vivants d’une guerre. On a également observé ce syndrome chez des Japonais qui avaient survécu à un tsunami, comme le <a href="http://www.nationmultimedia.com/life/Tsunami-of-guilt-30179002.html">raconte</a> le réalisateur Tatsuya Mori.</p>
<p>Le jour du tremblement de terre, j’étais en train de boire une bière avec des amis à Ropponai. Des milliers de personnes ont perdu la vie pendant que je buvais une bière. Je n’avais aucune idée de ce qui était en train de se passer mais, quand j’ai su, j’ai eu honte. Je me suis senti coupable.</p>
<p>Était-ce justifié ?</p>
<h2>La culpabilité du survivant est-elle irrationnelle ?</h2>
<p>Si l’on en croit l’approche généralement véhiculée par la morale occidentale, cette culpabilité est irrationnelle.</p>
<p><a href="https://plato.stanford.edu/entries/utilitarianism-history/">L’utilitarisme</a>, l’un des deux principaux courants de cette morale, soutient en effet que chacun de nos actes doit être motivé par l’amélioration de notre société. La seule raison morale de se sentir coupable dépend de l’utilité de ce sentiment. C’est donc tout naturellement qu’un utilitariste dira :</p>
<p>Rien ne sert de se sentir coupable simplement parce qu’on a survécu. Mieux vaut passer à autre chose.</p>
<p>Selon le <a href="https://plato.stanford.edu/entries/kant-moral/#HumFor">kantisme</a>, l’autre doctrine morale en vigueur en Occident, nous devons traiter les autres avec respect, en vertu de leur capacité à prendre des décisions rationnelles. Si l’on abuse de cette capacité, en mettant par exemple les autres en danger de façon inconsidérée, il est alors légitime de se sentir coupable, ou d’être condamné pour ce comportement. Cela revient à se considérer soi-même – et à considérer l’autre – comme un agent responsable de ses actions.</p>
<p>Cependant, en ce qui concerne la culpabilité du survivant, la plupart des kantiens diront :</p>
<blockquote>
<p>« Tu n’as rien fait de mal. Tu n’as donc aucune raison de te sentir coupable ».</p>
</blockquote>
<p>Comme l’<a href="https://books.google.co.za/books?id=Wg3kOKtiO50C&pg=PA103&lpg=PA103&dq=Strictly+speaking,+survivor+guilt+is+not+rational+guilt,+for+surviving+the+Holocaust,+or+surviving+battle%E2%80%A6.is+not+typically+because+a+person+has+deliberately+let+another+take+hi">énonce</a> un kantien contemporain :</p>
<blockquote>
<p>À strictement parler, la culpabilité du survivant n’est pas rationnelle, dans la mesure où une personne ne laisse pas délibérément l’autre affronter le danger à sa place pour survivre à la Shoah ou à une guerre.</p>
</blockquote>
<h2>L’expression de l’Ubuntu</h2>
<p>La culpabilité du survivant acquière une dimension différente et révélatrice quand on l’analyse à l’aune d’<a href="https://www.thoughtco.com/the-meaning-of-ubuntu-43307">Ubuntu</a>, une philosophie sud-africaine qui prend ses racines dans les valeurs des peuples de cette région. Elle est souvent résumée ainsi :</p>
<p>« Ce sont les autres qui font de nous ce que nous sommes ».</p>
<p>Au cœur de cette maxime, il y a l’idée que pour devenir une véritable personne, ou pour vivre d’une façon véritablement humaine, il faut cultiver les relations avec l’autre, en se préoccupant de son confort et en partageant son style de vie. L’intellectuel sud-africain <a href="http://africacenturyconference.co.za/prof-muxe-nkondo-long-profile/">G.M. Nkondo</a> <a href="https://philarchive.org/archive/METEIAv1">note</a> que les adeptes de la philosophie Ubuntu ont tendance à :</p>
<blockquote>
<p>« exprimer leur engagement vis-à-vis du bien-être de la communauté au sein de laquelle leurs identités se sont formées, ainsi qu’un besoin de vivre leur vie en la liant à celle de leur communauté ».</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/UT-3Eh65kkA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Obama reprend le concept d’Ubuntu dans un discours en Afrique du Sud, lors d’un hommage à Nelson Mandela, 2013.</span></figcaption>
</figure>
<p>Nous nous construisons donc à mesure que nous sympathisons avec autrui, que nous l’aidons à améliorer sa condition, que nous identifions à lui, et que nous établissons une relation d’interdépendance. Selon de nombreuses interprétations de l’Ubuntu, et bien que chacun en soit digne, ceux avec qui nous avons déjà partagé toutes ces expériences ont droit à davantage d’attention et de dévouement, d’où les maximes corollaires : « La famille d’abord » et « Charité bien ordonnée commence par soi-même ».</p>
<p>Selon cette interprétation, nous devenons plus humains en ressentant la culpabilité du survivant, à condition qu’il s’agisse d’une manifestation de loyauté ou de solidarité. Cette culpabilité apparaît généralement quand périssent ou souffrent des personnes auxquelles nous nous identifions, ou avec lesquelles nous vivons. Normalement, elle ne s’exprime pas quand des étrangers périssent (ou souffrent) à l’autre bout de la planète. Elle peut être considérée comme le signe de moralité, et comme l’expression sensible de l’attachement et de l’implication que l’on ressent vis-à-vis de sa communauté.</p>
<p>Comme je l’ai formulé dans une contribution à la future <a href="http://onlinelibrary.wiley.com/book/10.1002/9781444367072"><em>Encyclopédie internationale de la morale</em></a>, la culpabilité du survivant est un moyen de ressentir des sentiments négatifs en diapason avec les malheurs rencontrés par ceux dont nous partageons l’identité. C’est aussi une manière d’estimer qu’on n’a pas tout fait pour les sauver, même si on n’a manqué à aucun devoir et, donc, pas mal agi. Enfin, pour reprendre les <a href="https://opinionator.blogs.nytimes.com/2011/07/03/war-and-the-moral-logic-of-survivor-guilt/">termes</a> d’un autre érudit, c’est une façon de comprendre pourquoi, alors que l’on y a échappé :l’angoisse de la culpabilité et la douleur brute qu’elle engendre permettent de partager un peu de ce destin tragique.</p>
<p>La culpabilité du survivant peut être démesurée, mais ceci est vrai de n’importe quelle émotion négative. Prenez l’exemple d’une personne qui n’est vraiment pas disposée à ressentir cette culpabilité. Peut-on dire d’elle qu’elle ne se sentait pas liée à ceux qui ont péri, ou qu’ils ne comptaient pas à ses yeux ? L’Ubuntu nous aide à comprendre non seulement pourquoi la culpabilité du survivant est propre à la condition humaine, mais aussi pourquoi elle doit l’être.</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Elisabeth Mol et Bamiyan Shiff pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast for Word</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104423/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thaddeus Metz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que la morale occidentale sous-entend que la culpabilité du survivant est irrationnelle, la tradition philosophique africaine donne les clés pour comprendre en quoi elle peut être positive.Thaddeus Metz, Distinguished Research Professor of Philosophy, University of JohannesburgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/942672018-04-19T21:17:03Z2018-04-19T21:17:03ZDans la famille « innovation sociale », je demande… les hackers !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/214849/original/file-20180414-577-gcexjb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C2%2C796%2C438&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption"></span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/theocrazzolara/24228432367/">Theo Crazzolara/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><h2>L’éthique hacker : une innovation sociale !</h2>
<p>Si <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Steven_Levy">Steven Levy</a> a mis en lumière <a href="https://theconversation.com/hacktivisme-fondamentaux-hackers-ignorance-et-prejuges-93936">six principes qui fondent l’éthique hacker</a> dès 1984, dix-sept années plus tard <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pekka_Himanen">Pekka Himanen</a> philosophe finlandais allait lui donner un nouvel éclairage.</p>
<p>En 2001 il abordera la thématique sous trois angles qui remettront en cause des modes de fonctionnements humains et organisationnels considérés jusqu’alors comme immuables dans le monde physique. Dans son ouvrage <a href="https://bit.ly/2qHLQYx">« L’Éthique hacker et l’esprit de l’ère de l’information »</a> il distinguera alors :</p>
<ul>
<li><p>L’éthique du travail.</p></li>
<li><p>L’éthique de l’argent.</p></li>
<li><p>L’éthique du réseau.</p></li>
</ul>
<p><strong>Ses apports contribueront à établir l’existence d’une véritable innovation sociale</strong>, une innovation qui pourrait être reproduite hors de l’univers de la technologie.</p>
<p>Pekka Himanen mettra en avant le fait que pour certaines communautés hackers, <strong>la motivation n’est pas générée par l’argent</strong>. Si elle se rétribue, son unique monnaie est la curiosité et la passion !</p>
<p>Cette réalité est avérée notamment pour les hackers évoluant dans le monde du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Logiciel_libre">logiciel libre</a>, de quoi remettre en cause quelques certitudes d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Harpagon">Harpagons</a> humains.</p>
<p>Il mettra également en exergue un autre élément fondamental : <strong>l’absence de hiérarchie dans l’organisation du travail</strong>. Au sein de la communauté, la coopération directe prime sur toute forme d’autorité hiérarchique. Un constat d’autant plus important que l’absence d’autorité hiérarchique semblait – jusqu’à ce qu’elle soit prouvée dans les faits – inconcevable, celle-ci semblant indispensable aux hommes pour coordonner un travail quel qu’il soit, du plus simple au plus complexe.</p>
<h2>Le rôle social des hackers</h2>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/212736/original/file-20180330-189813-19apblj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/212736/original/file-20180330-189813-19apblj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/212736/original/file-20180330-189813-19apblj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/212736/original/file-20180330-189813-19apblj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/212736/original/file-20180330-189813-19apblj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/212736/original/file-20180330-189813-19apblj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/212736/original/file-20180330-189813-19apblj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Hacker.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/hacker-de-s%C3%A9curit%C3%A9-cyber-internet-2002907/">Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour les <em>white hat</em>, outre leur curiosité à comprendre les choses avant de les admettre comme un fait établi, il s’agit pour eux de mettre leur savoir et leur savoir-faire technologique au service des autres. Lorsqu’ils constatent d’éventuelles dérives ou des manquements d’entreprises ou d’états (volontaires ou involontaires), que de nombreux citoyens ne sont pas en mesure (par manque de savoir) d’identifier, ils interviennent pour les éclairer.</p>
<p>Si vous cherchez qui sont les premiers <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lanceur_d%E2%80%99alerte">lanceurs d’alertes</a> de notre TechnoMonde, les voilà !</p>
<h2>Le hacker est d’abord un lanceur d’alerte par la preuve !</h2>
<p>Tout comme un chercheur, une chercheuse, <a href="http://www.zdnet.fr/blogs/l-esprit-libre/vote-electronique-en-france-aux-usa-tout-baigne-hum-39846518.htm">s’il (elle) est en mesure de démontrer la non-fiabilité d’un système de vote électronique par exemple, il (elle) le fait savoir</a>.</p>
<p>La mission bénévole d’un <em>white hat</em> ne consiste pas à faire plaisir, ni à contrarier quiconque. Elle vise à porter à connaissance de façon pédagogique aux citoyens ce à quoi ils sont exposés. Dans le cas du vote électronique, que j’évoque, être pour ou contre est hors débat : Cela fonctionne, est fiable techniquement, répond à un principe démocratique essentiel : l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Isonomie">isonomie</a>… ou pas !</p>
<p>La tentation que pourraient avoir un nombre restreint d’individus d’établir une tyrannie technologique et à imposer au plus grand nombre un nouveau mode de fonctionnement et d’interrelations au service de leurs seuls et uniques intérêts ne relève pas de l’impensable. C’est par ailleurs une tyrannie d’autant plus facile à initier dans une époque où la déesse numérique souffre difficilement la critique. <a href="http://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/03/22/ce-qu-il-faut-savoir-sur-cambridge-analytica-la-societe-au-c-ur-du-scandale-facebook_5274804_4408996.html">Le dernier scandale Facebook</a>, à défaut d’être réjouissant, aura peut-être eu le mérite de convaincre les plus sceptiques.</p>
<p>Nul ne contestera que la technologie colonise notre planète à une vitesse fulgurante, ceci étant dit, la question qui se pose est simple, tout comme la réponse : qui d’autres que ces sentinelles sont en mesure d’alerter les hommes sur des lendemains qui pourraient déchanter ?</p>
<p>Qui d’autres que ces antihéros, parfois injustement décriés et caricaturés, dont <a href="https://bit.ly/2qHLQYx">Pekka Himanen écrivait</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les hackers veulent réaliser leurs passions et ils sont prêts à accepter que la poursuite de tâches intéressantes ne soit pas toujours synonyme de bonheur absolu. »</p>
</blockquote>
<p><em>À suivre</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/94267/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
L’éthique hackers : les dessous d’une innovation sociale.Yannick Chatelain, Enseignant Chercheur. Head of Development. Digital I IT, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/520242015-12-17T05:42:56Z2015-12-17T05:42:56ZLes ordinateurs nuisent gravement à la science, mais il est possible d’y remédier (1)<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/106121/original/image-20151215-23166-11lft9r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le superordinateur Cray XT5 livré au Lawrence Berkeley National Laboratory.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/berkeleylab/4025866115/">Berkeley Lab/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Ce que l’on appelle la reproductibilité des résultats est l’un des fondements de la science. Popularisée par le scientifique britannique <a href="http://www.bbk.ac.uk/boyle/boyle_learn/boyle_introduction.htm">Robert Boyle</a> dans les années 1660, elle se fonde sur l’idée qu’une découverte doit pouvoir être reproduite avant d’être acceptée comme une connaissance scientifique.</p>
<p>En principe, vous devez être capable de produire le même résultat que moi si vous suivez la méthode que j’ai décrite en annonçant ma découverte dans une publication relue par les pairs. Par exemple, si les chercheurs peuvent reproduire une donnée montrant l’efficacité d’un nouveau médicament pour traiter une maladie, c’est un signal positif indiquant que ce produit pourrait soigner tous ceux qui souffrent de la pathologie. Si ce n’est pas le cas, on pourrait se demander quel accident, ou quelle erreur, a abouti au résultat favorable original. On en viendrait ainsi à douter de l’utilité de ce médicament.</p>
<p>Tout au long de la longue histoire de la science et jusqu’à récemment, les chercheurs ont exposé leurs méthodes d’une manière qui permettait la reproduction indépendante de leurs résultats. Mais, depuis l’introduction des ordinateurs personnels et des logiciels qui ont évolué pour être toujours plus faciles à utiliser, la reproductibilité de beaucoup de travaux est remise en question, sinon devenue impossible. Dans le processus de recherche, trop d’étapes sont désormais brouillées en raison de l’opacité qui prévaut dans l’utilisation des ordinateurs, outils dont de nombreux chercheurs sont devenus dépendants. Cela rend presque impossible la reproduction des résultats par un scientifique d’un autre laboratoire.</p>
<p>Récemment, plusieurs groupes ont proposé des solutions, similaires, à ce problème. Ensemble, ils souhaitent sortir les données scientifiques de cette sorte de boîte noire des manipulations informatiques non visibles. Les chercheurs, le public et la science elle-même en tireraient bénéfice.</p>
<h2>Processus obscur</h2>
<p>La statisticienne <a href="http://edge.org/annual-question/2014/response/25340">Victoria Stodden</a> a décrit le statut particulier de l’ordinateur personnel dans l’histoire de la science. Les PC ne sont pas simplement des instruments – comme un télescope ou un microscope – qui permettent de nouvelles recherches. L’ordinateur est révolutionnaire d’une façon différente ; c’est une petite usine à fabriquer toutes sortes de « possibilités » pour discerner de nouveaux éléments ordonnés dans les données scientifiques.</p>
<p>Il est difficile de trouver un chercheur d’aujourd’hui qui travaille sans ordinateur, même dans des disciplines qui ne reposent pas fortement sur des données quantitatives. Les écologues utilisent des ordinateurs pour simuler les effets des catastrophes sur les populations animales ; les biologistes les font tourner pour fouiller d’énormes quantités de données ADN ; les astronomes les font fonctionner pour contrôler de vastes lignées de télescopes, puis pour analyser les données collectées ; les océanographes les utilisent dans le but de combiner les informations provenant des satellites, des bateaux et des bouées pour prédire les climats ; les sciences sociales ont recours à eux pour découvrir et prédire les effets d’une politique ou pour analyser les entretiens. Les ordinateurs sont utiles aux chercheurs dans presque toutes les disciplines pour identifier ce qui est intéressant dans la masse de données recueillie.</p>
<p>Les PC sont aussi des outils personnels. Nous avons, globalement, usage exclusif de notre propre ordinateur et les fichiers et dossiers qu’il contient sont généralement considérés comme étant personnels, cachés à la vue des autres. Préparer les données, les analyser, visualiser les résultats, autant de tâches accomplies sur l’ordinateur, en privé. Ce n’est qu’à la toute fin du processus que sort, dans un journal vendu au public, un article résumant toutes ces actions privées.</p>
<p>Le problème, c’est que la science moderne est si complexe, et la plupart des articles de journaux si courts, qu’il est impossible d’inclure dans la publication les détails de beaucoup d’éléments importants, relatifs aux méthodes et aux décisions prises par le chercheur tandis qu’il analysait ses données sur son ordinateur. Comment, dans ces conditions, un autre scientifique pourrait-il juger de la validité de ces résultats ou reproduire l’analyse ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/101143/original/image-20151107-16263-lyvih5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/101143/original/image-20151107-16263-lyvih5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/101143/original/image-20151107-16263-lyvih5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/101143/original/image-20151107-16263-lyvih5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/101143/original/image-20151107-16263-lyvih5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/101143/original/image-20151107-16263-lyvih5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/101143/original/image-20151107-16263-lyvih5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Reproduire des données sans savoir quel a été le chemin parcouru.</span>
<span class="attribution"><span class="source">US Army</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Transparence</h2>
<p>Les statisticiens de Stanford <a href="http://statweb.stanford.edu/%7Ewavelab/Wavelab_850/wavelab.pdf">Jonathan Buckheit and David Donoho</a> ont abordé ces questions dès 1995, une époque où l’utilisation généralisée de l’ordinateur personnel était encore une pratique relativement récente.</p>
<blockquote>
<p>Un article à propos de science informatique dans une publication ne relève pas d’un savoir, il est simplement une <strong>publicité</strong> pour ce savoir. La connaissance réelle est, elle, constituée de l’environnement complet de développement du logiciel et de l’ensemble complet d’instructions qui a généré les données chiffrées.</p>
</blockquote>
<p>Ils ont ainsi fait une proposition radicale. Cela veut dire que tous les fichiers privés sur nos ordinateurs personnels et le travail d’analyse que nous avons réalisé pour préparer l’article à la publication devraient être rendues publiques en même temps que l’article du journal.</p>
<p>Ce serait là un changement considérable dans la façon de travailler des scientifiques. Nous devrions nous y préparer à partir du moment où nous commençons n’importe quel travail sur l’ordinateur pour pouvoir au final le rendre visible à tous. Pour beaucoup de chercheurs, il s’agit là d’une idée accablante. Victoria Stodden a énoncé <a href="http://www.iassistdata.org/conferences/2010/presentation/1394">l’objection la plus importante à ce partage des fichiers</a> : le temps consacré à préparer les fichiers en produisant de la documentation, et à les nettoyer. La seconde inquiétude réside dans le risque de ne pas être crédité si quelqu’un d’autre utilise le travail.</p>
<p>Pourtant, la réflexion avance sur la manière de faire progresser la question, avec des propositions de nouveaux outils à la disposition des chercheurs. C’est ce que nous verrons dans un <a href="https://theconversation.com/de-nouveaux-outils-informatiques-pour-une-activite-scientifique-ouverte-2-52469">second article</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/52024/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ben Marwick a reçu des financements de l'organisme Australian Research Council. Il est membre associé de l'institut eScience de l'université de Washington (Data Science Fellow). Il est un contributeur des organisations suivantes : Software Carpentry, Data Carpentry, et rOpenSci. Il est actuellement chercheur associé au Centre for Archaeological Science à l'université de Wollongong.</span></em></p>L’ordinateur personnel a révolutionné la science. Pratique pour le chercheur, il rend aussi plus obscur le processus par lequel la découverte s’organise. Reproduire les résultats devient une gageure.Ben Marwick, Associate Professor of Archaeology, University of WashingtonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.