tag:theconversation.com,2011:/us/topics/ma-sante-2022-59980/articlesma santé 2022 – The Conversation2019-11-06T20:15:44Ztag:theconversation.com,2011:article/1256952019-11-06T20:15:44Z2019-11-06T20:15:44ZErreurs médicales, stress des soignants : comment éviter les pièges de lʼinformatisation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/300450/original/file-20191106-12487-7up8rh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C0%2C4506%2C3080&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les logiciels médicaux ne facilitent pas toujours la tâche des praticiens, au contraire…</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/male-doctor-office-working-computer-317573582?src=e9723e13-ae23-4863-93d3-89ddaa1dcd46-1-8">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>De nombreuses <a href="https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2676098">études</a> ont mis en évidence les <a href="https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2676098">ergonomies défaillantes</a> des <a href="https://www.caducee.net/DossierSpecialises/systeme-information-sante/dmi.asp">dossiers patients informatisés (DPI)</a>, qui <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/31189203">engendrent des erreurs médicales</a> ainsi <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamanetworkopen/fullarticle/2748054">qu’un stress et une surcharge de travail chez les médecins</a>.</p>
<p>Alors que le plan « Ma santé 2022 » prévoit de faire du <a href="https://www.dmp.fr/">dossier médical partagé</a> et de l’<a href="https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A13525">Espace numérique de santé</a> deux piliers des futures transformations numériques du secteur de la santé, il est important de tirer les leçons des problèmes posés par ces technologies de l’information plus anciennes afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs.</p>
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<a href="https://theconversation.com/telemedecine-e-sante-pourquoi-ca-coince-109047">Télémédecine, e-santé : pourquoi ça coince ?</a>
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<h2>Que sont les dossiers patients informatisés ?</h2>
<p>Les DPI sont des logiciels transversaux permettant de saisir, stocker et transmettre les données liées aux processus des soins des patients. Généralement, ils intègrent des modules de prescription médicale et d’administration des soins (par les infirmiers). Contrairement aux solutions développées sur mesure, ces logiciels sont généralement « sur étagère », c’est-à-dire qu’ils sont développés et commercialisés par un éditeur spécialisé, et non développés pour chaque contexte ou projet particulier.</p>
<p>Lancé en 2011 par la Direction générale de l’offre de soins, le <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/e-sante/sih/hopital-numerique/Hopital-Numerique">programme français Hôpital Numérique</a> visait à moderniser les systèmes d’information hospitaliers. Les politiques d’incitation à la généralisation des DPI se sont appuyées sur de multiples promesses, telles que traçabilité des informations de soin ou réduction du temps de saisie des données dans un seul logiciel (grâce à une base de données unique, complétant ou se substituant aux divers logiciels métiers ou pour chaque spécialité médicale).</p>
<p>En théorie, le DPI était séduisant et aurait dû reléguer les dossiers patients « papier » au rang d’antiquités. Malheureusement, les logiciels support du DPI ont été conçus et implémentés <a href="https://www.cegid.com/fr/faq/quest-quun-erp/">sur le modèle des progiciels de gestion intégrés</a>, à savoir une vision standardisée des processus de soin, qui s’est heurtée à la réalité diversifiée des contextes locaux et des différentes spécialités.</p>
<h2>Quand les logiciels ont des effets indésirables</h2>
<p>Les effets indésirables des DPI sont connus dans la littérature depuis de nombreuses années. Dès 2005, une <a href="https://pediatrics.aappublications.org/content/116/6/1506.short">étude</a> mettait en évidence l’augmentation inattendue de la mortalité des patients après l’implémentation d’un logiciel de prescription des médicaments. Par la suite, de nombreuses études ont révélé les conséquences négatives de l’implémentation et de l’usage des <a href="http://sante.lefigaro.fr/actualite/2013/07/10/20936-erreurs-medicales-logiciels-sante-mis-lindex">logiciels de prescription</a>, puis des dossiers patients informatisés.</p>
<p>Un article récent <a href="https://www.healthaffairs.org/doi/full/10.1377/hlthaff.2018.0699">« Identifying electronic health record usability and safety challenges in pediatric settings »</a> montre par exemple que que 36 % des rapports de sécurité liés à un DPI sont imputables à un manque d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Utilisabilit%C3%A9"><em>utilisabilité</em></a> de ces logiciels. Autrement dit, en situation de travail l’ergonomie de ces logiciels s’est avérée défaillante, résultant dans 18,8 % des cas en un préjudice pour le patient.</p>
<h2>Des problèmes de conception doublés de problèmes techniques</h2>
<p>Cette utilisabilité insuffisante entraîne une <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/31189203">augmentation du temps de documentation par les professionnels de santé</a>. Ceux-ci passent de plus en plus de temps à saisir, vérifier ou consulter les données du DPI. Qui plus est, ces logiciels peu intuitifs exigent une formation supplémentaire, et surtout une adaptation. Il faut en effet <a href="https://www.ticsante.com/story/4747/une-erreur-de-configuration-a-bloque-l-acces-au-dossier-patient-informatise-au-gh%C2%A0paris-sud.html">paramétrer ces logiciels standards</a> en fonction des processus et des services existant dans chaque hôpital et chaque service clinique.</p>
<p>Outre ces problèmes d’utilisabilité, des problèmes plus techniques persistent, entravant le travail des professionnels : défaillances techniques (<a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26732996">pannes allant jusqu’aux blocages de la prise en charge des patients</a> ; pertes de données ; bugs répétés ; temps de réponse longs ; failles de sécurité à la base de plusieurs attaques récentes, dont celle qui a <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/2017/05/13/nhs-cyber-attack-everything-need-know-biggest-ransomware-offensive/">paralysé le système de santé britannique en 2017</a>.</p>
<p>Ainsi, plus de 20 ans après les premières études et l’accumulation des preuves et des connaissances sur les problèmes engendrés par les dossiers patients informatisés, les médias continuent à régulièrement rendre compte des difficultés d’usage <a href="https://www.politico.com/story/2019/06/06/epic-denmark-health-1510223">contribuant au stress des médecins et aux erreurs médicales</a>.</p>
<h2>En France, on manque de données</h2>
<p>Qu’en est-il en France ? Les études françaises sur l’usage du DPI sont <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S138650561200175X">peu nombreuses</a>. On peut citer ici l’étude de Frédéric Kletz, menée sur une cinquantaine d’établissements, qui visait à évaluer les apports du DPI pour les professionnels de santé. Elle dresse un <a href="https://www.ticsante.com/story.php?story=3786&mjeton=alWUytSXA2ULDAKFXRvXGsdwY2FgjswWsPq3KakpoRU1xXl3KF61rWcsjeaQOPFR1MEh9wO_%20lr3SuDLKun1l_IVPgcOto02e&owner=4060332">bilan mitigé du dossier patient informatisé</a>. <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02305513/document">Une thèse de doctorat</a> très récente permet également de documenter et d’analyser les conséquences du DPI dans un hôpital français.</p>
<p>À défaut d’études et évaluations scientifiques, ainsi que de bases de données publiques et ouvertes sur les incidents liés aux DPI, on constate que divers <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/herault/montpellier/montpellier-que-on-ne-s-etonne-pas-si-deces-survient-calvaire-du-chu-face-aux-bugs-informatiques-1674323.html">articles</a> de presse relatent des <a href="https://www.bienpublic.com/faits-divers-justice/2019/08/14/120-cliniques-privees-victimes-d-une-cyberattaque">problèmes similaires</a>) à ceux identifiés par la littérature internationale depuis longtemps.</p>
<p>Si le retard pris par notre pays en matière de documentation de ces dysfonctionnements ne permet pas de conclusion définitive, il est permis de penser que les problèmes existants sont les mêmes que chez nos voisins. Cependant, l’absence de collecte d’information sur les problèmes d’usage des DPI (alors qu’elle existe pour les médicaments et le matériel médical) empêche de capitaliser sur ces expériences pour améliorer et fiabiliser l’usage des technologies de l’information en santé, et améliorer les processus de conception.</p>
<p>Diverses études ont néanmoins proposé de <a href="https://bmcmedinformdecismak.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12911-018-0615-9">bonnes pratiques</a> pour améliorer le fonctionnement, l’ergonomie et l’usage des DPI, dont il faudrait s’en inspirer.</p>
<h2>Des solutions peu appliquées</h2>
<p>Côté éditeurs, l’évaluation et la certification technique peuvent s’appuyer sur des normes internationales (par exemple les normes ISO pour la sécurité informatique – <a href="https://www.iso.org/fr/isoiec-27001-information-security.html">ISO 27000</a> – ou de qualité de service de l’information – <a href="https://www.iso.org/fr/standard/51986.html">ISO 20000</a>), le développement en <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9thode_agile">mode agile</a> avec la prise en compte des spécificités des utilisateurs (<a href="https://www.iso.org/standard/52075.html">norme ISO 9241-210</a>) et la certification de l’<a href="http://nosobase.chu-lyon.fr/Reglementation/2017/reglement/05042017.pdf"><em>utilisabilité</em> des dispositifs médicaux</a>. Cependant, ces normes ne sont pas obligatoires. La Haute Autorité de Santé propose une <a href="https://www.has-sante.fr/jcms/c_989142/fr/certification-des-logiciels-des-professionnels-de-sante">certification facultative</a> pour les logiciels d’aide à la prescription et, par extension, des DPI intégrant une aide à la prescription. D’autres <a href="https://www.has-sante.fr/jcms/c_2681915/fr/referentiel-de-bonnes-pratiques-sur-les-applications-et-les-objets-connectes-en-sante-mobile-health-ou-mhealth">recommandations portent sur les bonnes pratiques</a> liées au développement des logiciels et applications mobiles en santé.</p>
<p>Côté organisations de santé, l’adaptation des processus de soin, doublée d’un paramétrage fin des DPI, exigent des compétences internes dans les organisations, l’accompagnement au changement et la formation des professionnels de santé. Le premier Conseil du numérique en santé a d’ailleurs a mis en avant l’<a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/190425_dossier_presse_masante2022_ok.pdf">importance de l’accompagnement des acteurs</a> afin de réaliser les transformations numériques de la santé prévues par le plan « Ma Santé 2022 ».</p>
<p>Mais qu’elles concernent les éditeurs de logiciels ou les organisations de santé, ces bonnes pratiques exigent du temps, des ressources humaines et des dépenses supplémentaires, lesquelles ne sont pas toujours considérés comme prioritaires. Une solution pourrait être de favoriser les collaborations entre établissements de soins, éditeurs de logiciels et chercheurs en informatique et en sciences humaines et sociales (ergonomie, sciences de gestion, sociologie…).</p>
<p>La France devrait également se doter d’une base de report d’incidents liés aux DPI et autres logiciels de santé qui soit publique et exploitable à des fins de recherche. Certes, dans le cadre du <a href="https://www.ars.sante.fr/securite-informatique-signaler-un-incident">dispositif national de signalement des incidents informatiques dans les organisations de santé</a> mis en place en 2017, 140 incidents ont été répertoriés un an après. Cependant, aucune communication n’a été faite sur la nature et la portée de ces incidents. L’information sur les incidents liés aux logiciels de santé devrait être plus transparente pour favoriser les améliorations à la fois des logiciels et des processus de soin dans lesquels l’usage de ces logiciels s’insère.</p>
<p>Aux États-Unis, même si la <a href="https://www.fda.gov/medical-devices/mandatory-reporting-requirements-manufacturers-importers-and-device-user-facilities/manufacturer-and-user-facility-device-experience-database-maude">base MAUDE</a> n’est pas supposée recevoir des incidents sur les DPI (elle ne vise que les dispositifs médicaux dont les DPI américains sont exclus), elle regorge de nombreuses et précieuses informations sur les problèmes d’<em>utilisabilité</em>, d’implémentation, ou encore <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/31189203">sur les mésusages et les erreurs d’utilisation des dossiers patients informatisés</a>.</p>
<h2>Passer des recommandations aux certifications obligatoires</h2>
<p>La <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A62016CJ0329">justice européenne</a> a récemment reconnu qu’un « logiciel dont l’une des fonctionnalités permet l’exploitation de données propres à un patient, aux fins, notamment, de détecter les contre‑indications, les interactions médicamenteuses et les posologies excessives, constitue, pour ce qui est de cette fonctionnalité, un dispositif médical ».</p>
<p>Ce jugement explicite le fait que les fonctionnalités d’aide à la prescription et de vérification des prescriptions des médicaments sont des <a href="https://www.ansm.sante.fr/Activites/Mise-sur-le-marche-des-dispositifs-medicaux-et-dispositifs-medicaux-de-diagnostic-in-vitro-DM-DMIA-DMDIV/Logiciels-et-applications-mobiles-en-sante/(offset)/2">dispositifs médicaux</a>, donc aussi les DPI qui intègrent ces fonctionnalités. À ce titre, ces logiciels doivent répondre à de nombreuses exigences, dont certaines d’ergonomie (<em>utilisabilité</em>), pour être certifiés, recevoir le <a href="https://www.ansm.sante.fr/Dossiers/Dispositifs-medicaux/La-mise-sur-le-marche-d-un-dispositif-medical/(offset)/1">marquage CE</a> et être mis sur le marché. Ces exigences ne sont cependant pas évidentes à satisfaire pour des fonctionnalités aussi complexes que la prescription.</p>
<p>Par ailleurs, ces certifications sont chères et prennent du temps. Leur mise en place risque donc de favoriser les grandes entreprises au détriment des start-up. Pour pallier ce problème, on peut envisager un fléchage de financements publics afin de prendre en charge ces coûts, puisque l’objectif est in fine de construire des services de santé sécurisés pour les patients. Quoi qu’il en soit, normes et certifications doivent être imposées par le régulateur. Imaginerions-nous, dans le secteur aéronautique ou nucléaire, des logiciels qui soient laissés au seul bon vouloir des acteurs ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125695/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’histoire des dossiers patients informatisés montre qu’une mauvaise conception des logiciels utilisés par les soignants peut se traduire par une surcharge de travail et des erreurs médicales.Roxana Ologeanu-Taddei, Maitre de conférence habilitée à diriger des recherches en Management des systèmes d'information, Polytech Montpellier, Université de Montpellier, Université de MontpellierRomaric Marcilly, Chargé de mission Recherche, Centre hospitalier régional universitaire de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1038732018-10-08T16:29:37Z2018-10-08T16:29:37ZPlan « Ma santé 2022 », une occasion manquée ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/239749/original/file-20181008-72110-j5d3fy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C5958%2C3981&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La refonte du système de santé répondra-t-elle aux attentes ?</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Alors qu’il annonce un changement de paradigme du monde médical, adapté aux évolutions de la science et de la société, le plan <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/actualites-du-ministere/article/ma-sante-2022-les-10-mesures-phare-de-la-strategie-de-transformation-du-systeme">« Ma santé 2022 »</a> aurait pu être l’occasion de faire le lien entre un système de soins rénové et les enjeux de santé qui ne connaissent pas cette frontière sectorielle, à l’heure où une meilleure prise en compte des déterminants de la santé dans les politiques publiques s’impose comme une nécessité. Au lieu de cela, il se concentre sur la question des soins. Une occasion manquée ?</p>
<h2>La santé dépend de nombreux facteurs</h2>
<p>La définition de la santé donnée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), bien qu’elle soit perfectible, a le mérite de dépeindre efficacement un concept subjectif et protéiforme. Selon <a href="http://www.who.int/about/mission/fr/">cette définition extensive</a> figurant dans le préambule à la Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé adoptée en 1946, la santé représente une ressource centrale de la vie quotidienne.</p>
<p>On sait depuis longtemps que la santé est influencée par de nombreux facteurs qui se trouvent en dehors du système de santé : la possibilité de s’alimenter correctement, d’avoir un logement décent, un revenu suffisant, de bonnes conditions de travail, un environnement favorable à l’activité physique, etc. Il est de ce fait difficile de ne compter que sur le système de santé pour protéger la santé de la population.</p>
<p>C’est cette santé aux dimensions multiples qui figure parmi les priorités, comme l’a rappelé le Président Macron <a href="http://www.elysee.fr/declarations/article/transcription-du-discours-sur-la-transformation-du-systeme-de-sante-prendre-soin-de-chacun-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron/">dans son discours</a> du 18 septembre dernier sur la transformation du système de santé, intitulé « Prendre soin de chacun ».</p>
<h2>Mettre « la santé dans toutes les politiques » pour mieux prévenir</h2>
<p>Parmi les défis de santé publique, le tabagisme, la consommation d’alcool, l’obésité et l’exposition à la pollution atmosphérique étaient les facteurs de risque majeurs pour la santé <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/panorama-de-la-sante-2017_health_glance-2017-fr">dans les pays de l’OCDE en 2017</a>. Ces facteurs de risque tiennent pour certains à des comportements individuels, pour d’autres à l’environnement, ou découlent d’une combinaison des deux. Ils peuvent être combattus par la prévention primaire, qui vise, selon l’OMS, à empêcher l’apparition d’une maladie en agissant en amont.</p>
<p>Pollution de l’air, pesticides, « malbouffe » : de toute évidence, le lien entre la santé et ses déterminants extérieurs au système de soins est de plus en plus criant dans le débat public. À ce titre, les problèmes complexes de santé publique, qui touchent à plusieurs secteurs d’action publique, peuvent être résolus grâce à l’approche « santé dans toutes les politiques ».</p>
<p>Cette approche bâtie à partir du concept de promotion de la santé se développe dans de nombreux pays, et <a href="http://www.who.int/social_determinants/publications/health-policies-manual/key-messages-fr.pdf">incite à une action intersectorielle pour la santé non restrictive aux soins</a>. Une idée qui s’impose peu à peu est d’adopter une vision proactive à long terme afin de favoriser la santé et agir en amont de la survenue de problèmes de santé.</p>
<h2>Un plan axé sur la question des soins</h2>
<p>Le Président et son gouvernement se montrent tout à fait conscients de la nécessité de renforcer la prévention en France et d’en finir avec le « tout curatif ». Le plan <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/strategie-nationale-de-sante/priorite-prevention-rester-en-bonne-sante-tout-au-long-de-sa-vie">« Priorité Prévention »</a> adopté en mars dernier est à ce titre encore dans les esprits. La dimension préventive a également été très présente dans le discours du 18 septembre.</p>
<p>Pourtant, derrière un titre en apparence très inclusif, le plan « Ma santé 2022 » se consacre essentiellement à la question des soins. Son fil conducteur est le décloisonnement du financement, de l’organisation des soins, des exercices professionnels et des formations. « Ma santé 2022 » s’articule autour de trois engagements principaux. Il s’agit dans un premier temps de favoriser la qualité et de replacer l’usager au cœur du soin. Il s’agit aussi de créer un collectif de soins au service des usagers, avec une meilleure répartition des services de santé sur le territoire et une nouvelle façon d’exercer. Enfin, le plan prévoit d’adapter les métiers et les formations aux enjeux de la santé de demain notamment par la rénovation complète des études de santé, et par la modernisation et l’assouplissement du statut de praticien hospitalier.</p>
<p>Soulignant le décalage paradoxal entre l’excellence des soins à la française et les faiblesses de notre système préventif, Emmanuel Macron a rappelé lors de son discours la nécessité d’une révolution de la prévention avec un financement et une organisation adaptés. À ce titre, la mise en place imminente du service sanitaire est censée contribuer à mieux former les professionnels de santé à la prévention.</p>
<p>Le constat est clair et assumé : « notre système prévient mal », « on arrive trop tard », admet le Président Macron. En souhaitant « un système de santé qui prévienne et protège contre les risques de santé d’aujourd’hui et de demain » et « qui puisse accompagner les parcours de vie de chacun de nos concitoyens », le gouvernement s’inscrit parfaitement dans une vision positive et extensive de la santé, qui concerne bien les citoyens dans tous les aspects de leur vie, et non seulement les usagers.</p>
<h2>Centrée sur l’usager, un réforme qui manque son but ?</h2>
<p>Ce raisonnement n’est toutefois pas suivi jusqu’au bout, puisque « Ma santé 2022 » vise en premier lieu à « construire le système autour de l’usager ». Or, puisque la santé est une ressource de la vie, il semble illogique de l’appréhender uniquement par l’angle de l’« usager », alors que l’on pourrait avoir pour objectif « des citoyens en bonne santé ».</p>
<p>Des progrès ont pourtant déjà été accomplis : du traditionnel paternalisme médical, nous sommes passés à un système qui donne la parole et une place centrale à l’usager. La prochaine étape, déjà défendue par les acteurs de la promotion de la santé à travers le monde, est de laisser davantage de place à un citoyen acteur de sa santé, dans tous les domaines de sa vie : éducation, emploi, alimentation, environnement, etc.</p>
<p>Dans ce contexte, le plan « Ma santé 2022 » risque de laisser sur leur faim les partisans d’une approche globale de la santé. Son titre, déjà, prête à confusion, puisque le plan n’aborde concrètement qu’un seul aspect essentiel de la santé. Pour assurer sa cohérence et sa réelle complémentarité avec le Plan « Priorité Prévention », il aurait fallu nommer le plan « Soins 2022 » et non « Santé 2022 »…</p>
<h2>L’intersectorialité, grande absente de « Ma santé 2022 »</h2>
<p>La reconnaissance de la dimension sanitaire dans les politiques récentes (notamment dans le plan Vélo), dans le projet de loi en matière d’alimentation et d’agriculture, ou encore dans la mesure d’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000033016237&categorieLien=id">interdiction des néonicotinoïdes</a>, promettait une vision innovante, intersectorielle et progressiste du système de santé. Celle-ci ne se retrouve pas dans les trois grands engagements de « Ma santé 2022 ».</p>
<p>Il semble que les vieilles habitudes reprennent le dessus. L’intersectorialité et l’action transversale en santé sont les grandes absentes du plan, contrairement à la prévention et la promotion de la santé (bien que cette dernière n’y soit envisagée que dans le cadre du service sanitaire).</p>
<p>Or, l’intersectorialité aurait toute sa place pour contribuer à traiter la thématique du vieillissement, récurrente dans le plan « Ma santé 2022 ». Vieillir en bonne santé implique une dynamique par définition transversale et proactive. Celle-ci doit être mise en place en s’appuyant sur des secteurs d’activité aussi divers que l’aménagement urbain, l’alimentation, le maintien du lien social, le maintien d’un exercice physique adapté, notamment grâce à des offres provenant du milieu associatif.</p>
<p>Afin que « Ma santé 2022 » permette réellement la modernisation et le décloisonnement escomptés, il conviendrait donc de tirer profit du projet de loi annoncé pour 2019 pour faire davantage le lien entre le secteur des soins, le secteur, plus large, de la santé, et les autres secteurs.</p>
<h2>Un budget à revoir, des fonctions à créer</h2>
<p>S’agissant du budget consacré aux dépenses de santé, le plan du gouvernement ne prévoit ni de le diminuer ni de l’augmenter substantiellement. Il faudra néanmoins en repenser certains aspects afin que la santé soit aussi prise en compte dans les décisions d’autres secteurs, à travers par exemple des études d’impact en santé, ce qui impliquera de former et de sensibiliser les professionnels de ces secteurs aux enjeux transversaux de santé. Le développement d’une nouvelle dynamique sanitaire, plus adaptée aux problèmes complexes de santé publique actuels, serait facilité par un renforcement de l’action en santé au niveau ministériel via le Comité interministériel pour la santé (CIS), <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000029102405&dateTexte=&categorieLien=i">créé en 2014</a>.</p>
<p>En plus de ce comité, il pourrait être envisagé de créer un poste de Haut Commissaire à la santé publique ou d’un Secrétaire d’État à la santé publique sous l’autorité du premier ministre. Fort de la transversalité de son champ d’action sur les politiques publiques influençant les déterminants de la santé, ce commissaire pourrait fournir un travail complémentaire à celui du CIS et avoir un rôle de facilitateur des échanges entre ce comité, le Secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales et le Conseil national de pilotage des Agences régionales de santé.</p>
<p>Par ailleurs, pour compléter le volet formation des professionnels de « Ma santé 2022 », on pourrait envisager la <a href="https://www.presses.ehesp.fr/produit/sauvons-systeme-de-sante-dassurance-maladie/">création d’écoles interrégionales ou régionales des hautes études en santé publique</a>. Celles-ci regrouperaient les unités de recherches et d’enseignements en santé publique des services hospitaliers, de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), des universités, avec le soutien de l’École des hautes études en santé publique (EHESP) ou encore de l’École nationale supérieure de sécurité sociale (EN3S).</p>
<p>Le système de santé est certes « atomisé et cloisonné », comme l’a rappelé le Président de la République, mais le décloisonnement doit être plus ambitieux et aller au-delà du secteur de la santé, afin de créer des situations « gagnant-gagnant » où les intérêts de deux secteurs ou plus peuvent converger. Des synergies peuvent être créées dans l’élaboration des politiques publiques et l’adoption des lois, en privilégiant une <a href="http://www.who.int/social_determinants/french_adelaide_statement_for_web.pdf">conciliation des différents intérêts sectoriels</a> et non le passage de la santé au second plan. Tel est l’esprit à adopter pour que la mise en œuvre de « Ma santé 2022 » soit réellement un engagement collectif et reflète fidèlement les enjeux actuels liés à notre santé.</p>
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<p><em>Pour en savoir plus :</em><br></p>
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<li><em>Bréchat P.-H. (2016) <a href="https://www.presses.ehesp.fr/produit/sauvons-systeme-de-sante-dassurance-maladie/">« Sauvons notre système de santé et d’assurance maladie »</a> Presses de l’EHESP</em><br></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/103873/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurence Warin a reçu un financement du Réseau doctoral en santé publique animé par l'EHESP pour réaliser sa thèse de doctorat en droit. </span></em></p>En axant le plan « Ma santé 2022 » sur les soins, le gouvernement a peut-être manqué l’occasion de faire le lien entre un système de soins rénové et les enjeux de santé intersectoriels.Laurence Warin, Doctorante à l’Institut droit et santé, Inserm UMRS 1145, Université Paris 5 (Paris Descartes) et membre du Réseau doctoral en santé publique animé par l’EHESP, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1026202018-10-08T16:29:07Z2018-10-08T16:29:07ZRefonte du système de santé : vers une indispensable culture de l’efficacité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/239700/original/file-20181008-72133-pynw0c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C15%2C1491%2C1062&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Améliorer l'efficacité du système de santé est un enjeu majeur de sa refonte.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Hérité des Trente Glorieuses, le système de santé français n’est plus en adéquation avec les besoins de la population actuelle. Le Président de la République a annoncé mardi 18 septembre un plan national pour sa transformation en profondeur, afin qu’il puisse répondre plus efficacement aux défis du XXI<sup>e</sup> siècle. Plusieurs questions se posent toutefois : que faut-il entendre par efficacité du système de santé ? Comment l’évaluer, et utiliser cette évaluation pour servir sa transformation ? Voici quelques pistes de réflexion.</p>
<h2>Le siècle de la santé publique</h2>
<p>Le XX<sup>e</sup> siècle a été marqué par des améliorations sans précédent de l’état de santé des populations dans les pays industrialisés. <a href="https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/graphiques-cartes/graphiques-interpretes/esperance-vie-france/">En France l’espérance de vie</a>, qui était de l’ordre de 25 ans au milieu du XVIII<sup>e</sup> siècle et de 40 à 45 ans en 1900, a aujourd’hui dépassé les 80 ans.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/239789/original/file-20181008-72110-17bu9lt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/239789/original/file-20181008-72110-17bu9lt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/239789/original/file-20181008-72110-17bu9lt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/239789/original/file-20181008-72110-17bu9lt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/239789/original/file-20181008-72110-17bu9lt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/239789/original/file-20181008-72110-17bu9lt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/239789/original/file-20181008-72110-17bu9lt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/239789/original/file-20181008-72110-17bu9lt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Progression de l’espérance de vie à la naissance entre 1970 et 2015 dans plusieurs pays de l’OCDE.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://stats.oecd.org/index.aspx?lang=fr">OCDE, 5 septembre 2018</a>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Cette accélération de l’augmentation de l’espérance de vie au cours du XX<sup>e</sup> siècle s’est accompagnée d’une accélération de la <a href="https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/graphiques-cartes/graphiques-interpretes/esperance-vie-france/">diminution de la mortalité infantile</a> au cours de la première année de naissance : de 15 % en 1900, elle est passée à 5 % en 1950, pour atteindre 0,39 % en 2015.</p>
<p>Ces améliorations sont la conséquence de la conjonction de plusieurs facteurs non seulement sociétaux et économiques, mais aussi structurels (développement de transports facilitant l’accès aux services de santé, réseau de traitement des eaux usées plus performant, augmentation du niveau d’éducation des populations…) techniques et scientifiques (découvertes biomédicales majeures telles que vaccination, antibiotiques, nouveaux types d’imagerie…).</p>
<h2>Ralentissement de la progression de l’espérance de vie</h2>
<p>Depuis 2015, la situation change : on observe dans les pays industrialisés un tassement, voir une inversion de la courbe de l’espérance de vie à la naissance, d’après les données collectées par l’organisation de coopération et de développement économique (OCDE).</p>
<p>Par ailleurs, la part des dépenses de santé courantes dans le produit intérieur brut (PIB) de ces pays a plus que doublé entre 1970 et 2017 même si l’on observe un tassement des courbes de la part de ces dépenses depuis 2015. En France cette augmentation a été de +121 % sur la période 1970-2017.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/239790/original/file-20181008-72121-mmw0jh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/239790/original/file-20181008-72121-mmw0jh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/239790/original/file-20181008-72121-mmw0jh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/239790/original/file-20181008-72121-mmw0jh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/239790/original/file-20181008-72121-mmw0jh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/239790/original/file-20181008-72121-mmw0jh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/239790/original/file-20181008-72121-mmw0jh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/239790/original/file-20181008-72121-mmw0jh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Évolution de la part des dépenses de santé dans le Produit Intérieur Brut (PIB) entre 1970 et 2015 dans plusieurs pays de l’OCDE.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://stats.oecd.org/index.aspx?lang=fr">OCDE, 5 septembre 2018</a>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour autant, peut-on établir une corrélation entre le tassement de ces deux courbes ? Sans doute pas, car il aurait fallu que la diminution des dépenses de santé soit antérieure à celle de l’espérance de vie.</p>
<h2>Un système hospitalo-centré à remodeler</h2>
<p>En France, le centralisme du système de santé est sans doute aujourd’hui la cause majeure des inégalités territoriales concernant l’offre de soins. Le système français est en effet organisé <a href="http://www.irdes.fr/documentation/syntheses/historique-des-reformes-hospitalieres-en-france.pdf">à partir et autour de l’hôpital</a>. Cette organisation s’est mise en place depuis l’après-guerre, via notamment les ordonnances de 1958 sur la réforme hospitalière, la réforme hospitalo-universitaire et la coordination des équipements sanitaires.</p>
<p>Ce système a largement bénéficié des retombées de la prospérité économique, jusque dans les années 1970. Aujourd’hui toutefois, cette organisation ne permet plus de répondre aussi efficacement que souhaité à des besoins de santé qui ont évolués, en raison notamment du développement de maladies chroniques et du vieillissement de la population.</p>
<p>L’un des plus grands défis qui s’annonce dans le cadre de la transformation du système de santé sera sans aucun doute le passage d’un système hospitalo-centré à un système organisé autour du parcours de soins/de l’épisode de soins.</p>
<h2>Traitements efficaces ne signifie pas forcément système de santé efficace</h2>
<p>Prouver qu’un traitement est efficace (qu’il apporte bien le bénéfice attendu en terme de guérison par exemple) ne suffit pas pour démontrer qu’un système de santé est efficace. À l’heure actuelle, les dépenses de santé jugées inutiles représenteraient 20 % des dépenses de santé dans les pays industrialisés <a href="https://www.oecd.org/els/health-systems/Tackling-Wasteful-Spending-on-Health-Highlights-revised.pdf">d’après une étude de l’OCDE</a> auprès de 35 pays et publiée en 2017.</p>
<p>Il s’agit par exemple d’actes chirurgicaux non indispensables, d’une sous-utilisation des médicaments génériques, ou encore de la récupération et de la correction d’erreurs médicales qui auraient pu être évitées. Le traitement des erreurs médicales dans les hôpitaux représenterait d’ailleurs la moitié des dépenses de santé inutiles selon le rapport de l’OCDE.</p>
<p>Rapporté au système de santé français, dont les dépenses relatives aux soins courants s’élèvent à près de 200 milliards d’Euros par années (<a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/ve-3.pdf">198,5 milliards d’euros en 2016</a>), ces dépenses de santé inutiles ou potentiellement évitables représenteraient donc près de 40 milliards d’euros chaque année.</p>
<h2>Nécessité d’une approche plus globale</h2>
<p>Une question supplémentaire se pose aujourd’hui au regard de l’augmentation des dépenses de santé et de la part de ces dépenses jugées inutiles : celle de l’efficience des soins. Cette efficience étant définie par le ratio de l’efficacité des soins par rapport à leur coût réel, en tenant compte aussi des risques associés à ces soins en termes de complications potentielles. Ce critère est devenu aussi important que l’efficacité d’un soin ou que les risques potentiels qu’il peut induire.</p>
<p>En conséquence, l’efficacité du système de santé ne peut être analysée qu’au travers de la relation interdépendante entre l’efficacité, la sécurité et le coût des soins. Dans cet esprit, le professeur Mickael E. Porter, à l’Université d’Harvard, aux États-Unis, a développé une approche fondée sur les « valeurs » du système de santé. Celle-ci est aujourd’hui portée par le consortium <a href="http://www.ichom.org/">International Consortium for Health Outcomes Measurement</a> (ICHOM).</p>
<p>Basée sur une plus grande transparence du système de santé et soutenue par ce qu’il est convenu d’appeler la démocratie sanitaire, c’est-à-dire intégrant les patients comme des éléments décideurs, l’approche proposée par Porter consiste en une vision globale de l’efficacité du système de santé, incluant aussi des indicateurs rapportés par les patients eux-mêmes. Ces indicateurs peuvent être par exemple la satisfaction des patients, mais aussi leur perception des complications associées aux soins ; la valeur étant porté par le score agrégé par l’ensemble des indicateurs choisis de manière concertée.</p>
<h2>Les systèmes de santé sont des systèmes complexes</h2>
<p>La nécessité de développer une approche plus globale de l’efficacité est aussi une conséquence des besoins particuliers induits par l’augmentation des maladies chroniques et par le vieillissement de la population.</p>
<p>Depuis les années 1990, la <a href="http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/protection-sociale/etablissements-sante/qu-est-ce-que-tarification-activite-t2a.html">tarification à l’activité</a> (T2A, qui consiste à payer les hôpitaux à partir du volume d’actes réalisés) a privilégié une vision fondée sur une évaluation réductrice de la performance des soins. En particulier l’approche fondée sur les parcours de soins fait s’éloigner l’hypothèse d’un système seulement compliqué (fondée par nature sur l’association entre le suivi de procédures et l’expertise clinique) au profit d’une hypothèse ou le système de santé répondrait de plus en plus aux critères définissant les systèmes complexes.</p>
<p>Le nombre d’interconnexions augmentant, la nature des soins devient plus imprévisible et dynamique, et fait que le système de santé ne peut être pensé sur la base de critères uniquement linéaires (corrélation entre des déterminants et le résultat attendu). Il s’agit d’un système complexe, dont l’humain (qu’il soit soignant ou patient) est la composante la plus importante. Appréhender un tel système dans sa globalité (clinique, individuelle, systémique et organisationnelle) nécessite le développement d’une recherche sur les services de santé ouverte à d’autres disciplines que les seules disciplines médicales et de santé.</p>
<p><a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/presse/dossiers-de-presse/article/strategie-de-transformation-du-systeme-de-sante">Cinq domaines</a> sont concernés par les choix stratégiques visant à accompagner la transformation du système de santé décidée par le premier ministre Édouard Philippe et la ministre de la Santé Agnès Buzyn :</p>
<ul>
<li><p>la qualité et la pertinence des soins ;</p></li>
<li><p>le financement et les rémunérations ;</p></li>
<li><p>le numérique en santé ;</p></li>
<li><p>les ressources humaines ;</p></li>
<li><p>l’organisation territoriale du système.</p></li>
</ul>
<p>Or il n’existe aujourd’hui que très peu d’équipes interdisciplinaires de recherche mêlant des compétences tenant à la fois à la clinique, la science des données, les approches conceptuelles des systèmes complexes et leur modélisation, impliquant des connaissances sur le fonctionnement cognitif des relations, mais aussi relevant des sciences de gestion et d’autres disciplines des sciences humaines et sociales. C’est pourtant un type d’approche fondamentalement interdisciplinaire qui permettra d’évaluer avec la plus grande justesse l’efficacité et l’efficience du système de santé dans les années future.</p>
<h2>Une obligation de moyens et non de résultats</h2>
<p>Les décisions guidant la transformation du système de santé devront être argumentées sur la base de données probantes démontrant le bien-fondé des orientations choisies. Toutefois, faire des choix argumentés risque de se heurter au fait que la médecine repose, en France comme dans d’autres pays, sur une obligation de moyens et non de résultats. L’<a href="http://droit-medical.com/perspectives/le-fond/68-fondements-responsabilite-medicale">arrêté de la Cour de cassation du 20 mai 1936</a> (dit arrêt « Mercier », du nom de la patiente dont le cas fut à l’origine du texte) précise en effet que</p>
<blockquote>
<p>« l’obligation de soins découlant du contrat médical et mise à la charge du médecin est une obligation de moyens ; le médecin ne pouvant s’engager à guérir, il s’engage seulement à donner des soins non pas quelconques mais consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science. »</p>
</blockquote>
<p>Dans ce contexte, il semble donc difficile d’aborder la notion d’efficacité du système de santé comme celle d’un résultat attendu, puisque le système ne permet pas de discuter légalement sur une obligation de résultat. C’est une limite importante du système de santé.</p>
<p>Des indicateurs de résultats commencent néanmoins à être développés et utilisés en France, comme cela est le cas de plus longue date dans les pays anglo-saxons en particulier. Il s'agit notamment des classements annuels des établissements de santé <a href="http://www.lepoint.fr/palmares-hopitaux/">du journal le Point</a>, ou de l’<a href="https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2058872/fr/iqss-2018-ete-ortho-evenements-thrombo-emboliques-apres-pose-de-prothese-totale-de-hanche-hors-fracture-ou-de-genou">indicateur ETE-ORTHO</a>, pour répondre à une demande de davantage transparence émanant des patients et usagers du système de santé.</p>
<p>La question reste cependant encore un tabou pour nombre de professionnels de la santé. L’exemple est sans doute caricatural, mais parlant : s’il existe depuis plusieurs années un indicateur obligatoire de la consommation des solutions hydro-alcooliques dans les établissements de santé, il n’existe pas en face de ce dernier un indicateur de résultat obligatoire concernant les infections nosocomiales de manière générale. Impossible donc de démontrer valablement l’efficacité des solutions hydro-alcooliques dans la réduction desdites infections…</p>
<p>Afin de soutenir les choix stratégiques les plus pertinents et les plus opportuns pour transformer le système de santé, il sera nécessaire de développer une réelle culture de l’efficacité, comme ce fut le cas pour la gestion des risques associés aux soins, avec le développement d’une culture de sécurité instaurée par le Programme national de sécurité des patients (PNSP) depuis 2013. Reste à en convaincre d’abord les professionnels de santé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102620/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Marie Januel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Mis en place après-guerre, le système de santé français n’est plus adapté aux besoins de la population. Nécessaire, sa refonte implique de pouvoir évaluer son efficacité. Ce qui n’est pas simple.Jean-Marie Januel, Professeur titulaire de la chaire d'excellence en Management de la santé, École des hautes études en santé publique (EHESP) Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1034632018-09-20T21:03:50Z2018-09-20T21:03:50ZAméliorer l’organisation de la prise en charge du patient pour lutter contre les actes médicaux inutiles<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/237359/original/file-20180920-129877-14tyyje.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C7%2C5168%2C3437&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Défaillances de coordination entre soignants ou défauts d'orientation des patients se traduisent parfois par des actes médicaux inutiles</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>L’activité de prise en charge du patient s’est complexifiée ces dernières années. Plus rapide, impliquant plus d’acteurs, présentant des recours technologiques plus variés, concernant des patients désireux de mieux comprendre… Prendre en charge un patient aujourd’hui n’a rien à voir avec ce qui se passait il y a à peine dix ans.</p>
<p>Pour qualifier cette complexité, on parle désormais de « parcours de santé » entre le domicile, les établissements de santé et médico-sociaux dans certains cas, et les professionnels de l’offre de soins primaire, médecins généralistes et pharmaciens de ville, notamment.</p>
<p>Notre système de soins a du mal à s’adapter à cette évolution. Il en résulte une désorganisation qui se traduit par une prescription importante d’actes inutiles. S’il existe une certaine fierté à souligner la qualité de la médecine française, de la recherche aussi, le système de santé vit une dégradation lente de son organisation.</p>
<p>Pour y remédier, le gouvernement souhaite réorganiser les soins, en développer des parcours coordonnés, regagnant du temps médical, centrant les efforts sur des objectifs de qualité… Dans ce contexte, la recherche en gestion peut apporter des pistes de réflexion, tant sur l’objectif que sur les changements envisagés.</p>
<h2>Les actes inutiles, un réservoir d’économies</h2>
<p>Le premier enseignement concerne l’objectif en lui-même. La chasse aux actes inutiles est devenue un leitmotiv non seulement en France, mais aussi à l’étranger. Plusieurs études internationales estiment en effet que les gaspillages dans les systèmes de santé de pays industrialisés sont importants : ils seraient de l’ordre de <a href="https://doi.org/10.1787/9789264266414-en">30 % des dépenses de santé</a>.</p>
<p>Il ne faut toutefois pas espérer que la chasse aux actes inutiles permettrait de réduire de 30 % les dépenses de santé. L’économie réalisée grâce à une plus grande pertinence des actes prescrits serait en effet moindre, car sur les 30 % des dépenses de santé qui correspondent à des gaspillages, seule un peu moins de la moitié est spécifiquement liée à des actes inutiles. Le reste est correspond aux coûts administratifs, à la régulation du prix du médicament et à la fraude.</p>
<p>Par ailleurs, il n’est pas évident de déterminer ce qui est « inutile ». Certains actes peuvent sembler inutiles a posteriori alors qu’ils suivent un raisonnement probabiliste, dans le cadre de la recherche d’un diagnostic. Dans la pratique, un médecin émet plusieurs hypothèses diagnostiques qui l’amènent à prescrire divers examens. Une fois le diagnostic identifié, les examens relatifs aux autres hypothèses peuvent être <a href="https://www.icsi.org/_asset/y74drr/eliminating-waste-in-the-us-healthcare-2012.pdf">considérés (à tort) comme des actes inutiles</a>.</p>
<p>Néanmoins, même si l’objectif n’est pas aussi ambitieux que certaines annonces le laissent entendre, la marge d’amélioration reste conséquente. Les analyses situent le gain potentiel entre 6 et 10 % des dépenses de santé, soient 10 à 20 milliards dans le cas français. Autrement dit, cet effort suffirait à maintenir le système de santé dans un état financièrement soutenable. Il y a là un vrai gisement, d’autant plus intéressant à considérer que l’effort de rationalisation n’engendre pas de tension sociale comme dans le cas d’une négociation d’enveloppes, de tarifs ou de rémunérations.</p>
<h2>Reconsidérer l’ensemble du parcours de soin</h2>
<p>Contrairement à une idée reçue, les causes des actes inutiles sont plus souvent des défauts organisationnels que des manques d’expertise dans les pratiques de soins. Ce sont des défaillances de coordination entre différentes étapes du parcours, des défauts d’orientation des patients qui se traduisent par des doublons de prescription et des surtraitements. L’enjeu est donc, au lieu de considérer une pratique individuelle de prescription, de <a href="https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2681495">viser un système mieux organisé</a>, c’est-à-dire mieux coordonné et personnalisé.</p>
<p>En ciblant l’organisation, d’autres enjeux pointés dans la littérature scientifique peuvent d’ailleurs être associés à l’objectif économique.</p>
<p>Ainsi en est-il des remontées d’expériences négatives de patients. Manque d’information, erreurs d’orientation, manques de vigilance… Des études montrent l’importance des causes organisationnelles dans la survenue de ces évènements indésirables. 70 % d’entre eux correspondent à des défauts organisationnels, <a href="https://www.health.org.uk/sites/health/files/DoChangesToPatientProviderRelationshipsImproveQualityAndSaveMoney_fullversion.pdf">essentiellement de communication</a>, et 40 % des erreurs de prescription médicamenteuses sont le résultat d’une mauvaise coordination à l’arrivée ou à la sortie du patient d’un établissement de santé.</p>
<p>L’amélioration de la qualité de vie au travail des professionnels pourrait également être envisagée. Selon différentes études, un médecin hospitalier passe en effet quotidiennement entre 15 et 25 % de son temps à rattraper des défauts d’organisation.</p>
<p>Enfin, les patients les plus vulnérables, qui sont souvent ceux qui ont le plus de besoins lors de leur prise en charge pourraient eux aussi bénéficier d’une amélioration de la qualité de l’organisation.</p>
<h2>Une transformation de l’organisation selon cinq axes</h2>
<p>Il s’agit donc de fixer le cadre général dans lequel placer la réforme de l’organisation des parcours de patients. Cinq composantes majeures de ce changement sont généralement proposées, et se retrouvent en grande partie dans les annonces faites par le président de la République Emmanuel Macron :</p>
<p><strong>1. L’évolution des professions existantes par la formation</strong><br></p>
<p>Sur ce point, le déficit est sensible en matière de matière de management, comme l’ont rapporté plusieurs études ces dernières années. Outre les compétences cliniques, la complexité des prises en charge nécessite aussi de former variété de professionnels à l’organisation, à la coordination, et à des compétences relationnelles. Il est aussi intéressant de noter sur ce volet la création du nouveau métier d’<a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/sante/qui-sont-les-assistants-medicaux-au-coeur-du-plan-sante_2035761.html">assistant médical</a> (4 000 postes pour décharger les médecins généralistes). L’un des enjeux sera de cerner précisément leur activité, le risque étant de voir naître des « super secrétariats », certes utiles, mais sans véritable aide au management et à la coordination en faveur du patient.</p>
<p><strong>2. Une meilleure structuration de l’offre de soins</strong><br></p>
<p>L’offre de soins primaire est actuellement trop disséminée, un problème auquel les <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/acces-territorial-aux-soins/article/communautes-professionnelles-territoriales-de-sante-se-mobiliser-pour-organiser">communautés professionnelles territoriales de santé</a> cherchent à répondre. L’offre hospitalière est trop redondante, ce que la <a href="https://www.cnews.fr/france/2018-09-18/carte-hospitaliere-une-reforme-qui-tranche-dans-le-vif-794623">gradation des activités</a> cherche à réduire.</p>
<p><strong>3. L’introduction de nouveaux modes de paiement des établissements et des professionnels</strong><br></p>
<p>Les paiements actuels n’incitent pas à la coordination, trop en silo, centrés sur l’hôpital (la <a href="http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/protection-sociale/etablissements-sante/qu-est-ce-que-tarification-activite-t2a.html">T2A</a>), et la rémunération des médecins libéraux (le paiement à l’acte, principalement). Des paiements à la coordination et à la qualité apparaissent comme des rémunérations plus adaptées ce que la réforme met en avant (notamment avec l’importance accordée au paiement à la qualité dans les hôpitaux).</p>
<p><strong>4. Le recours aux nouvelles technologies</strong><br></p>
<p>Il s’agira de favoriser le développement des systèmes d’informations partagées, et de s’appuyer sur le numérique et l’intelligence artificielle, pour permettre des suivis à distance et fiabiliser certaines étapes par des dispositifs de <a href="http://www-igm.univ-mlv.fr/%7Edr/XPOSE2014/Machin_Learning/D_Machine_Learning.html"><em>machine learning</em></a>.</p>
<p><strong>5. L’évaluation</strong><br></p>
<p>Les quatre composantes précédentes, seules ou associées, constituent des innovations organisationnelles. Et l’évaluation de leur valeur ajoutée s’avère indispensable. Trop de changements d’organisation ont conduit par le passé à de fortes désillusions économiques et qualitatives, faute d’évaluation. La situation actuelle des dépenses publiques ne permet plus de s’appuyer sur des raisonnements intuitifs. Cette composante apparaît moins clairement dans les propositions faites, malgré des axes définis en matière de développement d’indicateurs.</p>
<h2>Tenir compte du vécu des patients</h2>
<p>Un défaut souvent identifié dans la recherche en gestion est de proposer des solutions déconnectées des pratiques réelles. Pour correctement mener la réforme du système de santé, il est nécessaire de « coller » à l’organisation réelle, telle que vécue par les patients.</p>
<p>Un récent rapport d’inspection a montré que plus de 800 millions d’euros avait été investis ces dernières années <a href="http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/154000098.pdf">dans des structures de coordination</a>. Mais bâtir des structures ne suffit pas à s’assurer d’une meilleure coordination. Celle-ci se situe avant tout dans la qualité des échanges entre professionnels de santé.</p>
<p>Autre point, des études sur les demandes des patients montrent qu’à côté des soins, de nouvelles exigences en termes de services à la personne apparaissent. Ainsi, une personne âgée, au moment d’une annonce d’hospitalisation, a souvent comme préoccupation la garde de son animal domestique lors de son absence. De plus en plus, la réponse organisationnelle doit être personnalisée, et en lien avec le patient.</p>
<p>Les exemples d’une vision « représentée » du parcours de soin, <a href="https://www.vuibert.fr/ouvrage/9782842762391-le-patient-et-le-systeme">déconnectée de la réalité</a>, sont légion. Le choix des indicateurs en fait partie : le public souhaite des mesures de résultats telle que la mortalité hospitalière, alors même que l’activité est par nature aléatoire, ce qui rend la corrélation entre résultats et efforts entrepris souvent faible. Autres exemples, la quête illusoire d’une standardisation absolue du travail (fondée sur la croyance que le respect d’un protocole suffit à rendre l’activité efficace, alors que l’organisation requiert de la flexibilité), ou l’oubli des usages réels de l’outil technologique (application numérique, nouvel appareil d’imagerie…) souvent décalés par rapport aux usages souhaités.</p>
<p>Ce n’est donc pas seulement de lois ou de constructions de structures dont il est question, mais d’attitudes au quotidien. Les médecins ont été éduqués à produire des actes à un instant donné, non à se représenter une organisation dans sa globalité, avec ce que cela présuppose d’anticipation sur les étapes aval, et de connaissance des étapes d’amont.</p>
<p>La capacité à penser l’ensemble de l’organisation d’un parcours, telle que les patients « l’affrontent », n’est pas spontanée, mais c’est pourtant d’elle dont dépendra en grande partie la réussite de la réforme du système de santé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/103463/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Etienne Minvielle est membre de Gustave Roussy et de l'école Polytechnique. Il participe à différents thinks tank et comités d'experts.</span></em></p>Réduire les actes médicaux inutiles rendrait le système de santé français plus efficace. Ce n’est pas impossible, mais requiert une meilleure organisation dans la prise en charge des patients.Etienne Minvielle, Médecin de santé publique, professeur de management, École des hautes études en santé publique (EHESP) Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1034912018-09-20T21:02:34Z2018-09-20T21:02:34ZRéforme de l’hôpital : la logique reste productiviste<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/237342/original/file-20180920-129874-tuc69l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=33%2C0%2C4459%2C2431&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le financement au parcours de soin pourrait être à double tranchant.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Mardi 18 septembre, le Président de la République Emmanuel Macron a présenté le plan « ma santé 2022 », une réforme « pour les cinquante années à venir » du système de santé français qui « souffre plus d’un problème d’organisation que financier ».</p>
<p>En termes organisationnels, il convient de mettre au crédit de cette réforme une volonté de positionner enfin les hôpitaux et le système de santé français au centre de problématiques modernes déjà largement abordées dans de nombreux pays, notamment outre-Atlantique : lutte contre les déserts médicaux, définition de parcours patient, suppression du <em>numerus clausus</em>, développement des soins de proximité et de la télé-médecine. Jusqu’ici, ces problématiques avaient été abordées dans les hôpitaux, mais sans véritable impulsion gouvernementale pour les aborder de manière globale et coordonnée.</p>
<p>En matière de financement des hôpitaux, qui reste un élément déterminant pour la qualité de la prise en charge des patients et de la vie au travail des personnels de santé, il convient de rester plus prudent sur l’impact réel des réformes proposées.</p>
<iframe src="https://players.brightcove.net/610043537001/S1JCzaFWl_default/index.html?videoId=5836300544001" allowfullscreen="" frameborder="0" width="100%" height="400"></iframe>
<p></p>
<h2>Un impact financier trop modéré ?</h2>
<p>Le plan « ma santé 2022 », dans son volet financier, a pour objectif de développer le <a href="https://theconversation.com/hopital-financement-au-parcours-de-soins-lhumain-avant-loutil-101076">financement au parcours de soin</a> des hôpitaux pour réduire la part de la tarification à l’activité (<a href="https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante-2017-1-p-61.htm">T2A</a>) à 50 % des modes de financement contre 63 % actuellement.</p>
<p>Le changement reste potentiellement assez limité (seul 13 % du budget d’un hôpital pourrait être financé par les parcours de soin). Ainsi, sur les 80 milliards d’euros budgétés chaque année dans les hôpitaux publics français, 10 milliards pourraient être attribués, à terme, selon cette nouvelle formule de financement. 40 milliards d’euros resteront attribués selon la formule de la T2A, pourtant tant décriée. Par ailleurs, environ 30 milliards d’euros resteront affectés par l’intermédiaire d’un système de dotation forfaitaire (dotation annuelle de financement, <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/professionnels/gerer-un-etablissement-de-sante-medico-social/financement/financement-des-etablissements-de-sante-10795/financement-des-etablissements-de-sante-glossaire/article/dotation-annuelle-de-financement-daf">DAF</a>, pour les soins de longue durée et soins de suite) et de missions d’intérêt général et de l’aide à la contractualisation (<a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/professionnels/gerer-un-etablissement-de-sante-medico-social/financement/missions-d-interet-general-et-d-aides-a-la-contractualisation-migac/article/migac">MIGAC</a>, notamment pour le financement des activités d’enseignement et de recherche, des SAMU et des SMUR).</p>
<p>Quand on sait que, pour l’année 2018 uniquement, le <a href="https://www.fhf.fr/Presse-Communication/Espace-presse/Communiques-de-presse/La-ligne-rouge-est-depassee-les-hopitaux-devraient-connaitre-un-deficit-historique-de-1-5-milliards-d-euros.-Reformes-structurelles-et-financieres-sont-desormais-vitales">déficit cumulé des hôpitaux publics est prévu à 1,6 milliard</a>, on est en droit de s’interroger sur la réelle ambition financière du Plan Santé. En effet, celui-ci ne traiterait, à terme, qu’un dixième environ des éventuels problèmes de financement de ces organisations. Des interrogations d’autant plus légitimes que le financement au parcours de soin prévu par la réforme devrait se limiter, du moins dans un premier temps, à deux pathologies chroniques (diabète et insuffisance rénale).</p>
<p>Au-delà de l’impact financier relativement modeste de la réforme, cette dernière questionne également l’efficacité et, surtout, la qualité de la prise en charge des patients autour d’un parcours de soin.</p>
<h2>Parcours de soin : améliorer la qualité de la prise en charge</h2>
<p>Comme pour la T2A avec la classification des séjours hospitaliers (DRG – <a href="http://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0004/162265/e96538.pdf"><em>Diagnosis Related Groups</em></a>, le financement au parcours de soin est inspiré du modèle de financement hospitalier anglo-saxon (USA, Canada, Royaume-Uni notamment).</p>
<p>La prise en charge par l’Assurance maladie se fait en fonction d’une standardisation du suivi des parcours de soin (<em>care pathway</em>) les plus récurrents dans les établissements de santé. Dans le modèle anglo-saxon du <em>care pathway</em>, les parcours sont organisés selon les étapes des soins (de la prévention et des soins primaires aux soins de courte durée jusqu’à ceux de réadaptation) et comprennent toute la gamme des services ou d’interventions chroniquement constatés sur les patients concernés. De <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/faam.12126">nombreuses études</a> démontrent l’intérêt clinique de ce type de suivi, notamment parce qu’il permet de comparer les interventions afin de déterminer celles qui ont le plus d’impact et celles qui ont la plus grande valeur ajoutée pour le patient.</p>
<p>Ainsi, selon <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/1468-0408.00037">certains de ces travaux</a>, en Grande-Bretagne, les parcours de soins permettraient de définir des normes de rendement clinique claires et explicites. Ils encourageraient la comparaison systématique des résultats réels avec ces normes. Au Canada, l’introduction, au cours des années 1980, d’outils de calcul des coûts cliniques et de budgétisation des parcours aurait joué un rôle important dans l’amélioration de la qualité des soins de santé. Sans que l’on sache toutefois exactement si ce sont les évolutions des outils de gestion ou des pratiques médicales qui ont permis cette amélioration…</p>
<h2>Un système de financement qui reste ambigu</h2>
<p>Parallèlement, dans les pays concernés par le parcours de soin, certaines <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/health/news/9644287/NHS-millions-for-controversial-care-pathway.html">études ou révélations</a> font, au contraire, part de pratiques financières fondées sur un pilotage de la performance des parcours, provoquant des effets non attendus et particulièrement indésirables pour les patients.</p>
<p>Ainsi, en Grande Bretagne, plusieurs scandales ont mis en avant des pratiques (malheureusement déjà constatées en France avec la T2A) qui privilégient la santé financière des hôpitaux plutôt que celle des patients. En effet, les hôpitaux publics anglais perçoivent une rémunération lorsqu’ils utilisent un parcours de soins standardisé (<em>care pathway</em>) de préférence à une tarification à l’acte plus personnalisée. Cette incitation financière a amené certains établissements à privilégier le protocole standardisé souvent au détriment de la santé du patient (diminution ou suppression de certains traitements en fin de vie, décès prématurés pour absence de personnalisation de la prise en charge…).</p>
<p>L’ambition du parcours de soin est de faciliter le suivi et l’amélioration des pratiques médicales par leur standardisation. Pour les pathologies les plus chroniques, il est indéniable que ce système est très pertinent, d’autant plus que l’introduction progressive de la <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/prises-en-charge-specialisees/telemedecine/article/la-telemedecine">télémédecine</a> permettra sans doute de fluidifier encore la prise en charge des patients. En revanche, les financements au parcours de soin restent très ancrés dans les <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2012-4-page-32.htm">logiques productivistes</a> de la T2A, pourtant dénoncées par les praticiens médicaux tout comme par le gouvernement actuel.</p>
<p>Ceci est assez symptomatique des logiques de performance et de résultat (issus de ce que certains appellent le <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1467-9299.1991.tb00779.x"><em>new public management</em></a>) qui structurent ce mode de financement. Comme elles avaient, à partir de 2004 en France, défini la T2A…</p>
<h2>La logique productiviste à l’hôpital demeure</h2>
<p>Des travaux revenant sur <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/0361368287900390">dix ans de pratique de parcours de soin au Royaume-Uni</a> ont suggéré que les principes qui sous-tendent les parcours de soins restaient très semblables à ceux de la gestion scientifique, elle-même étroitement liée à l’émergence de l’industrie de masse au XX<sup>e</sup> siècle. Avec le financement au parcours de soin, le danger pour le financement des hôpitaux reste le même : favoriser les activités standardisées et programmables qui entraînent des hospitalisations relativement courtes sans disposer, pour autant, de moyens complémentaires pour toutes les autres activités jugées plus complexes.</p>
<p>En matière médicale, comme souligné plus haut, les principes du parcours du soin peuvent créer des situations bénéfiques tant pour l’organisation des hôpitaux que pour la santé des patients. En revanche, ce sont les modalités de construction et d’application de ces parcours qui nécessitent une réflexion en amont pour sortir de la logique productiviste actuellement en vigueur à l’hôpital. À travers le Plan Santé, le gouvernement veut-il réellement en sortir ? En ces périodes de restrictions budgétaires généralisées, il est permis d’en douter.</p>
<p>Même si d’autres mesures de la réforme vont, sans aucun doute, dans le sens attendu par les acteurs de santé (notamment la création de postes d’<a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2018/09/19/plan-sante-4-000-postes-d-assistants-medicaux-accessibles-apres-une-formation-d-un-an_5357473_4401467.html">assistants médicaux</a> et de <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/acces-territorial-aux-soins/article/communautes-professionnelles-territoriales-de-sante-se-mobiliser-pour-organiser">communautés territoriales de santé</a>), la problématique essentielle, partiellement éludée par cette réforme, reste la coordination d’un ensemble d’acteurs de la santé dont les intérêts (notamment financiers) divergent.</p>
<h2>Coordonner pour mieux organiser</h2>
<p>Des <a href="https://www.chaire-sante-territoires.org">travaux récents en management de la santé</a>, concentrant leur attention sur la cartographie des parcours de soin (notamment en cancérologie), révèlent les difficultés liées à la faible coopération des acteurs pour construire puis s’insérer dans ces parcours.</p>
<p>C’est donc avant tout pour que les acteurs puissent travailler ensemble et fluidifier les parcours que des incitations financières doivent être mobilisées. Chaque territoire de santé, chaque nation disposent de ses propres spécificités médicales. Celles de la France restent encore assez peu tournées vers la prise en charge collective et coordonnée du patient.</p>
<p>Mobiliser le parcours de soin à la fois comme modalité de prise en charge des patients et mode de financement des établissements ne semble pas incompatible. Cependant ceci ne peut se réaliser qu’en acceptant l’idée de sortir quelque peu de la logique productiviste du système hospitalier français, qui use tant les esprits que les organismes à l’hôpital, sans améliorer pour autant les finances des établissements.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/103491/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Mériade a reçu des financements de a reçu des financements de : Université Clermont Auvergne Fondation (UCA Fondation) (Université d'exercice)</span></em></p>Le dernier Plan Santé propose un financement au parcours de soin des hôpitaux français. Inspiré, comme pour la T2A, par le modèle anglo-saxon, ce système, malgré ses vertus, reste très productivisteLaurent Mériade, Enseignant chercheur en sciences de gestion - Titulaire de la chaire de recherche "santé et territoires" - IAE, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1034492018-09-18T23:17:34Z2018-09-18T23:17:34ZLes médecins, une ressource stratégique<p>En analyse stratégique, le diagnostic est constitué de deux phases indissociables. La première, l’analyse externe, a pour objectif d’identifier les éléments de l’environnement qui ont une influence sur l’activité. La seconde, l’analyse interne, met en évidence la « capacité stratégique », à savoir les atouts intrinsèques d’une organisation.</p>
<p>Appliquée (certes succinctement) au domaine de la santé, cette méthode apporte un autre éclairage sur les transformations du système de santé. Elle souligne le caractère hautement stratégique de la ressource médicale. Il ne suffira pas, pour repeupler les déserts médicaux, de seulement supprimer le <em>numerus clausus</em>.</p>
<h2>La toile de fond : les déserts médicaux</h2>
<p>18 % de la population française habite un désert médical, soit <a href="http://www.lagazettedescommunes.com/536068/nouvelle-carte-des-deserts-medicaux-votre-commune-est-elle-concernee/">près d’un Français sur cinq</a> ! Dans le même temps, le nombre de médecins généralistes libéraux devrait <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/er679.pdf">diminuer jusqu’en 2025, de même que celui des spécialistes en accès direct</a> (ophtalmologues, gynécologues ou psychiatres).</p>
<p>Cette situation pose en termes simples une réalité complexe : comment inciter des praticiens, de moins en moins nombreux, à s’installer sur des territoires manifestement peu attractifs ?</p>
<p>Au-delà de la question des effectifs se pose donc la question de leur répartition spatiale et des fameux « déserts médicaux » contre lesquels le gouvernement entend lutter. L’expression « désert médical » désigne une zone dans laquelle l’accès aux soins est très difficile pour les individus qui y résident. Ce concept s’applique à l’ensemble des professionnels de santé et pas seulement aux médecins.</p>
<p>Les déserts médicaux ne correspondent pas systématiquement à des zones rurales, mais également à des quartiers urbains sensibles et même des centres-villes, où l’accès à un médecin ne pratiquant pas de dépassement d’honoraires est parfois impossible.</p>
<iframe src="https://players.brightcove.net/610043537001/4k4QmRz5g_default/index.html?videoId=5765088471001" allowfullscreen="" frameborder="0" width="100%" height="400"></iframe>
<p><br></p>
<h2>Supprimer le <em>numerus clausus</em>, LA solution ?</h2>
<p>Si rien n’est fait, avec la baisse du nombre de médecins généralistes libéraux, l’augmentation du nombre de remplaçants et le <a href="http://www.remede.org/documents/les-jeunes-medecins-plus-enclins-a.html">renforcement de l’exercice de groupe</a>, le problème des déserts médicaux va encore s’accentuer dans les années à venir. Puisque les variations de la démographie médicale sont en partie dépendantes de celles du <a href="https://www.franceinter.fr/societe/qu-est-ce-que-le-numerus-clausus-avec-lequel-le-gouvernement-veut-en-finir"><em>numerus clausus</em></a>, qui limite le nombre d’étudiants pouvant poursuivre des études de médecine, que peut-on espérer de sa suppression ?</p>
<p>Le <em>numerus clausus</em> très bas que nous avons connu <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/fiche11-3.pdf">pendant plus de quinze ans</a> a entraîné une baisse préjudiciable du nombre de praticiens, qu’il faut désormais augmenter. Mais considérer que sa suppression permettrait de répondre au manque de médecins dans les territoires en souffrance serait une erreur ! En effet, le déficit de généralistes libéraux est lié à trois critères. Au <em>numerus clausus</em>, certes, mais également à une transformation sociétale (les jeunes médecins travaillent moins d’heures <a href="https://www.caissedesdepotsdesterritoires.fr/cs/ContentServer?pagename=Territoires/LOCActu/ArticleActualite&cid=1250265440223">que ceux de la génération précédente</a>) et aux disparités d’<a href="http://www.irdes.fr/recherche/rapports/564-pratiques-spatiales-d-acces-aux-soins.pdf#page=85">accès aux soins</a>. Supprimer le <em>numerus clausus</em> ne répartira donc pas mieux les médecins sur le territoire.</p>
<h2>Repenser l’accès aux soins</h2>
<p>Le Plan Santé ambitionne de lutter contre les déserts médicaux en transformant de manière globale notre système de santé. De nouvelles pistes sont esquissées : accroître plutôt le temps médical que le nombre de médecins grâce notamment à la télémédecine, la coordination entre médecins, infirmiers, kinés, le développement de nouvelles compétences pour les infirmiers ou les pharmaciens…</p>
<p>Mais il s’agit aussi d’inciter les praticiens à s’installer sur des territoires considérés comme peu attractifs. Chaque territoire tente des réponses plus ou moins convaincantes : les « maisons de santé », de leur vrai nom <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/structures-de-soins/article/les-maisons-de-sante-300889">« maisons de santé pluridisciplinaires »</a> (ou MSP) ont fleuri partout en France – <a href="https://www.essentiel-sante-magazine.fr/sante/acces-aux-soins/maisons-de-sante-deserts-medicaux">on en compte un millier aujourd’hui</a>. Elles permettent à des professionnels de santé libéraux de se regrouper en un même lieu, et semblent particulièrement plébiscitées par les jeunes médecins. Car la question se pose bien ainsi : comment un territoire peut-il s’avérer attractif aux yeux d’un médecin ?</p>
<h2>Comment attirer les médecins</h2>
<p>Les primes à l’installation d’abord. <a href="http://www.csmf.org/sites/default/files/documents/aides_installation_zone_deficitaire.pdf">De nombreuses aides existent</a>, notamment, depuis 2016, celle visant les jeunes médecins <a href="http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2016/05/24/20002-20160524ARTFIG00408-deserts-medicaux-l-assurance-maladie-veut-proposer-une-aide-supplementaire-aux-medecins.php">s’installant en « zone sous dotée »</a>.</p>
<p>À celles-ci s’ajoutent des dispositifs spécifiques locaux. Le Conseil Régional Auvergne Rhône Alpes prévoit ainsi une « prime d’engagement à l’installation prioritaire pour les futurs médecins généralistes », constituée d’une <a href="https://www.auvergnerhonealpes.fr/aide/181/289-prime-d-engagement-a-l-installation-en-zone-prioritaire-pour-les-futurs-medecins-generalistes-jeunesse-sante-sport-handicap.htm">aide financière de 10 000€</a> pour les étudiants en médecine de la région qui acceptent de travailler pendant au moins deux ans en zone prioritaire, c’est-à-dire dans un désert médical dûment identifié comme tel.</p>
<p>D’autres formules existent :le département de Saône-et-Loire a ainsi annoncé le <a href="http://www.lagazettedescommunes.com/511930/deserts-medicaux-la-saone-et-loire-veut-lancer-sa-task-force-de-medecins/">recrutement de 30 médecins généralistes</a>, tout en leur offrant la possibilité de travailler à temps partiel à l’hôpital.</p>
<p>Mais, de la même façon qu’on ne peut pas faire boire un âne qui n’a pas soif, ces mesures incitatives semblent bien dérisoires. Une approche purement quantitative est donc vouée à l’échec. Car le fond du problème est ailleurs : ce n’est pas tant le nombre de médecins qui compte, que leur envie d’aller exercer en libéral, a fortiori en milieu rural ou en zone urbaine défavorisée.</p>
<h2>Les médecins, une denrée rare</h2>
<p>Les établissements de santé se font la guerre, et ce n’est pas nouveau, pour <a href="http://www.blog-territorial.fr/hopitaux-strategie-dattractivite-medicale/">attirer les médecins les plus renommés</a>, gage d’une réputation de haut niveau, donc d’une patientèle toute acquise. En analyse stratégique, le <a href="http://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/014920639101700108">filtre VRIN</a> est couramment utilisé pour déterminer le caractère stratégique (ou non) d’une ressource. Si la ressource est à la fois valorisable, rare, inimitable et non substituable, elle est considérée comme stratégique.</p>
<p>Selon ces critères, quoi de plus stratégique que les médecins ? Ils sont à la fois valorisables (puisque ce sont eux qui génèrent les recettes), rares (du fait du <em>numerus clausus</em>, et d’autant plus dans certaines spécialités), inimitables (même si les robots se mettent à la médecine) et non substituables (seuls les médecins sont habilités à fournir certains gestes techniques ou à prescrire des médicaments).</p>
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<figcaption><span class="caption">Exemple de l’hôpital d’Ussel.</span></figcaption>
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<p>Pourtant, dans les hôpitaux, graal de tout praticien, <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_definitif_fhf_attractivite_medicale.pdf">1 poste sur 4 n’est pas pourvu</a>, avec bien entendu de fortes disparités selon les spécialités. Or, lorsqu’un hôpital peine à recruter, c’est sa survie même qui est en jeu, l’obligeant à nouer des partenariats avec d’autres établissements et à imaginer une <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2011-4-page-89.htm">véritable stratégie territoriale</a>. Cette dernière passe notamment par <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-179355-en-finir-avec-la-medecine-de-ville-et-la-medecine-hospitaliere-2154513.php">sortir de l’affrontement stérile entre médecine de ville et médecine hospitalière</a>. Il s’agit, autrement dit, de concevoir de véritables « parcours patient » dans lesquels chaque professionnel de santé a sa place.</p>
<p>C’est donc vers des coopérations territoriales durables que doit s’orienter notre système de santé. Il doit être à la fois centré sur le patient et valorisant pour ses forces vives. Au premier rang desquels les médecins.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/103449/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La mort annoncée du numerus clausus dans le cadre du Plan Santé ne suffira pas à faire reculer les déserts médicaux. Comment valoriser au mieux la ressource que représentent les médecins ?Catherine Dos Santos, Professeur de Management Stratégique, ESC Clermont Business SchoolAnne Albert-Cromarias, Enseignant-chercheur HDR, management stratégique, ESC Clermont Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1034602018-09-18T15:13:19Z2018-09-18T15:13:19ZComment faire reculer les déserts médicaux<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/237098/original/file-20180919-158237-f366p0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C4500%2C2984&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En zone rurale, difficile de trouver du personnel médical.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Mardi 18 septembre 2018, le président de la République Emmanuel Macron a présenté les orientations de la stratégie de transformation du système de santé. Celle-ci ambitionne notamment de résorber les déserts médicaux, ces portions de territoire sous-dotées en médecins. </p>
<p>Pour tenter d’y parvenir, les pouvoirs publics ont privilégié depuis 2007 des mesures incitatives financières – telles que le <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/professionnels/se-former-s-installer-exercer/le-contrat-d-engagement-de-service-public-cesp/article/le-principe-du-cesp">contrat d’engagement de service public</a>, créé par la <a href="http://www.vie-publique.fr/actualite/panorama/texte-vote/loi-du-21-juillet-2009-portant-reforme-hopital-relative-aux-patients-sante-aux-territoires.html">loi « Hôpital, patients, santé, territoires » (HPST) du 21 juillet 2009</a>. Sans grand succès : selon la <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/publications/lavenir-de-lassurance-maladie">Cour des Comptes</a>, ces mesures ont un coût global estimé à 20,4 millions d’euros en 2015, pour 20 500 bénéficiaires…</p>
<p>Afin d'être efficace, la « régulation » de l’installation des médecins libéraux devra plutôt être repensée en tenant compte des aspirations des médecins. La réforme globale annoncée par le président de la République, d’un montant de 400 millions d’euros supplémentaires (situant l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie à 2,5 % pour l’année 2019), répond partiellement à cet enjeu majeur.</p>
<h2>Baisse de la densité médicale</h2>
<p>Selon le CNOM (Conseil National de l’Ordre des Médecins), au 1<sup>er</sup> janvier 2018, la densité médicale s’établit à <a href="https://demographie.medecin.fr/">155 médecins en activité régulière exerçant en libéral ou en activité mixte pour 100 000 habitants</a>. Le constat est sans appel : en Métropole, Paris est trois fois plus doté que l’Indre (respectivement 265 contre 93). Par ailleurs, au cours de la période 2010-2017, une baisse de la densité médicale en activité régulière a été observée dans 88 départements. Les plus fortes diminutions sont enregistrées dans la Creuse, l’Ariège et l’Aveyron. Qui plus est, depuis 2010, les inégalités interdépartementales de densité médicale sont restées constantes. </p>
<p>L’inadéquation de l’offre et de la demande de soins (autrement dit, les besoins) est désormais définie par l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000036021089&dateTexte=&categorieLien=id">Accessibilité Potentielle Localisée</a> (APL). Selon cet indicateur <a href="http://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dd17.pdf">8 % de la population française vit en zone sous-dense en médecins généralistes</a>, soit dans des communes au seuil de 2,5 consultations par an et par habitant. Ces communes ne sont pas réparties équitablement sur le territoire. Les régions les plus touchées sont Antilles-Guyane, Corse, Centre-Val-de-Loire, Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche Comté et Île-de France. Cette dernière région, particulièrement peuplée, rassemble à elle seule le cinquième des habitants des communes sous-denses.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/236907/original/file-20180918-143281-12nb1mk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/236907/original/file-20180918-143281-12nb1mk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/236907/original/file-20180918-143281-12nb1mk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=467&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/236907/original/file-20180918-143281-12nb1mk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=467&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/236907/original/file-20180918-143281-12nb1mk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=467&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/236907/original/file-20180918-143281-12nb1mk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=586&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/236907/original/file-20180918-143281-12nb1mk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=586&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/236907/original/file-20180918-143281-12nb1mk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=586&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Classement des communes sous-denses dans le zonage des médecins généralistes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dd17.pdf">Les dossiers de la DRESS n°17 - mai 2017</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La situation est particulièrement inquiétante concernant les médecins généralistes en activité régulière. Les effectifs ont, en effet, diminué de 9 % en dix ans. Au cours des sept dernières années, Paris est le second département à avoir enregistré la plus forte baisse du nombre de médecins généralistes (– 25 %). En outre, la distance d’accès à un médecin généraliste est passée de 4,3 km en 2005 à 5,1 km en 2015 attestant de la dégradation de la qualité du système d’accès aux soins primaires.</p>
<h2>Comprendre les aspirations des jeunes médecins</h2>
<p>Il est impératif de comprendre et d’entendre les aspirations des jeunes médecins, qui diffèrent sensiblement de celles de leurs aînés. Une féminisation accrue, une appétence pour l’exercice de groupe et le salariat, une durée de travail plus faible en sont les principales caractéristiques. Au moment de choisir un lieu d’installation, <a href="https://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_2012_num_455_1_10020">la qualité de vie et les compensations financières sont ainsi mises en concurrence</a>. </p>
<p>Pour répondre au défi de l’inégale répartition des médecins sur le territoire, il faut donc orienter les médecins vers les territoires sous-dotés, en les accompagnant dans leur souhait d’exercer en cabinet de groupe, dans une perspective pluriprofessionnelle, et en favorisant la qualité de vie au travail.</p>
<p>Pour ce faire quatre leviers pourraient être actionnés simultanément : réformer les études de médecine, aider à l’installation des médecins, accroître le temps médical disponible et limiter l’installation en zones surdotées.</p>
<h2>Réformer les études de médecine</h2>
<p>La fin du <em>numerus clausus</em> annoncée pour 2020 est cohérente avec un dispositif de régulation devenu aujourd’hui caduque. En effet, de nombreux médecins étrangers s’installent en France (25 % des nouvelles inscriptions à l’Ordre des médecins chaque année depuis dix ans) et les défis en termes de démographie médicale portent sur un horizon de moyen terme (2025). </p>
<p>Cependant la réforme annoncée est, pour l’heure, trop timorée pour structurellement modifier les pratiques et ce, dès la formation initiale. Il est nécessaire, en effet, de sortir du caractère monodisciplinaire et « hospitalo-centré » de la formation. Pour y parvenir, divers moyens sont disponibles :</p>
<ul>
<li>une ouverture aux sciences humaines et sociales (gestion du cabinet, économie de la santé) ;</li>
<li>des cours communs avec d’autres professionnels de santé pour préparer aux parcours de soins coordonnés ;</li>
<li>des stages hors CHU et d’une durée accrue dans les zones sous-dotées, en développant les possibilités de stage autonome en soins primaires ambulatoires supervisé ; </li>
<li>le recrutement de maîtres de stage des universités en médecine générale et l’internat rural. </li>
</ul>
<p>On sait, par exemple, que les lieux de stage durant les études <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/geographic-imbalances-in-doctor-supply-and-policy-responses_5jz5sq5ls1wl-en">peuvent influer sur les choix de localisation</a>. Les praticiens libéraux et les médecins des centres hospitaliers devraient également pouvoir davantage intervenir dans les formations.</p>
<h2>Accompagner l’installation des médecins</h2>
<p>Les incitations à s’installer dans les zones sous-médicalisées doivent être protéiformes. Elles peuvent porter sur les aménagements du temps de travail, une aide au logement, aux études, au remplacement des médecins, à l’exercice mixte et regroupé et une meilleure couverture des accidents du travail. Des mesures de prime abord anodines peuvent être déterminantes. Il a été montré, par exemple, que la présence d’au moins trois opérateurs d’accès haut débit à Internet <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-economie-2016-4-p-221.htm">influence significativement l’installation en zone rurale</a>. </p>
<p>L’annonce de la création de 400 médecins généralistes salariés en 2019, dans les zones sous-dotées, répond à une urgence bien comprise. Néanmoins, elle risque d’amorcer une segmentation du marché de l’offre de soins entre les médecins généralistes salariés, concentrés sur les zones sous-dotées, et les médecins généralistes libéraux. Il faut espérer, en outre, que cette segmentation ne s’accompagne pas d’une aggravation des différences territoriales de qualité des soins, vraisemblablement au détriment des populations défavorisées.</p>
<h2>Accroître le temps médical disponible</h2>
<p>La création de 4 000 postes d’assistants médicaux sur le quinquennat s’inscrit dans cette optique d’accroissement du temps médical. Elle ne doit cependant pas contraindre les médecins à accroître le nombre d’actes pour compenser une partie du coût salarial de ces assistants qui ne serait pas assurée par les pouvoirs publics. </p>
<p>Au sein de structures regroupées, collectives et pluriprofessionnelles, accroître le temps médical disponible pourrait également passer par des mécanismes de délégation de tâches aux infirmières. Le suivi des patients chroniques et le dépistage sont des candidats pertinents à cette délégation (comme dans le dispositif <a href="http://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/232-action-de-sante-liberale-en-equipe-asalee.pdf">Action de santé libérale en équipe</a> (ASALEE). Cette délégation peut sans doute s’avérer pertinente vis-à-vis des pharmaciens également, qui pourra en 2019 prendre en charge la vaccination contre la grippe.</p>
<p>En outre, le développement des <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/structures-de-soins/article/les-maisons-de-sante-300889">maisons de santé pluriprofessionnelles et des pôles de santé</a> semble à même de maintenir une offre de médecine générale dans les zones sous-dotées et de <a href="https://www.healthpolicyjrnl.com/article/S0168-8510(10)00159-4/pdf">libérer du temps médical</a>). </p>
<p>Enfin, les outils de coordination des professionnels de santé doivent être développés et rendus lisibles pour les acteurs de terrain – équipes de soins primaires (<a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/fiche_11-ps.pdf">ESP</a>), communautés professionnelles territoriales de santé (<a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/fiche_12.pdf">CPTS</a>), plateformes territoriales d’appui (<a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/professionnels/gerer-un-etablissement-de-sante-medico-social/plateformes-territoriales-d-appui/pta">PTA</a>). À ce sujet, un engagement sur 10 ans est proposé dans le cadre de la réforme afin d’inciter, sur les 18 prochains mois, la création de CPTS. </p>
<p>Par ailleurs, la généralisation du <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F10872">dossier médical partagé</a>, vieux serpent de mer du système de santé français, est essentielle afin de viser une meilleure pertinence des soins et un suivi optimal du parcours des patients. Elle doit se faire sous la houlette du médecin traitant, seul habilité à synthétiser de façon opérationnelle l’information sur le parcours de soin du patient. Si cette mesure constitue un coût à court terme pour les médecins, elle peut à moyen terme accroître le temps médical pertinent. </p>
<p>En outre, les incitations financières telles que le contrat solidarité territoriale médecin permettent théoriquement d’inciter les médecins à assurer des heures de consultation dans des zones sous-denses. L’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000037306389">avenant 6</a> conclu par l’assurance maladie vient renforcer la majoration financière des honoraires (de 10 % à 25 %), ce qui pourrait s’avérer plus incitatif. </p>
<p>Enfin, pour pallier localement les déficits d’offre médicale, les possibilités de cumul emploi-retraite ont été amplifiées (le plafond d’autorisation relevé le 1<sup>er</sup> janvier 2018 de 11 500 euros à 40 000 euros).</p>
<h2>Limiter l’installation en zones surdotées</h2>
<p>Cette option, politiquement délicate, n’a pas été retenue par le gouvernement. Pourtant, fin 2017, la Cour des Comptes a recommandé l’instauration d’un conventionnement sélectif des médecins (comme c’est le cas en Allemagne, par exemple). En France, les zones surdenses en médecins généralistes n’existent plus, ce qui rend impraticable cette proposition. </p>
<p>En revanche s’agissant des densités médicales de spécialistes chirurgicaux, des écarts très importants sont observés, allant de 1 à 12. Les départements les mieux dotés sont Paris (103), le Rhône (57), les Alpes-Maritimes (56) et les Bouches-du-Rhône (51), loin devant le Gers (13), la Haute-Saône (13), la Creuse (12) et Mayotte (8). Il paraît ainsi nécessaire de réguler ces écarts en ciblant les bassins les plus dotés, même si des risques de contournement peuvent exister (accroissement du nombre d’installations en secteur non conventionné ou dans des zones limitrophes). </p>
<p>Dans les zones surdotées telles que Paris, l’interdiction – provisoire – de toute installation de spécialistes chirurgicaux de secteur 2 pourrait être préconisée. Dans la même veine, un conventionnement pourrait être conditionné à la réalisation de consultations « avancées » régulières en zones sous-denses (avis du <a href="https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2017/2017_27_deserts_medicaux.pdf">Conseil économique social et environnemental, décembre 2017</a>). </p>
<p>Une autre option consiste à contraindre, dans ces territoires surdotés, les nouveaux médecins à signer l’option de pratique tarifaire maîtrisée (OPTAM) afin de plafonner les dépassements d’honoraires. Ces mesures spécifiques et ciblées ne peuvent cependant pas se substituer à une politique globale d’incitations à l’installation des médecins en zones sous-denses.</p>
<p>En définitive, le constat réalisé par le gouvernement est largement partagé et les actions proposées vont dans le bon sens (coordination, incitation à la coopération et à la pertinence, ciblage des zones sous-denses). Reste à voir s’il pourra, à moyen terme, réussir la révolution des études de médecine, obtenir l’adhésion des médecins à ces changements qui s’imposent, et réguler les zones surdenses en spécialistes…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/103460/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Barnay ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La résorption des déserts médicaux est un enjeu de santé publique majeur. Le plan santé du gouvernement propose de nouveaux outils pour y parvenir. Une réforme qui va dans le bon sens ?Thomas Barnay, Professeur en sciences économiques, Directeur de l'Unité de Recherche ERUDITE, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/763322017-06-13T20:50:18Z2017-06-13T20:50:18ZLes États-Unis peuvent-ils inspirer davantage la transformation du système de santé français ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/237121/original/file-20180919-158222-xpjdz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C113%2C2048%2C1247&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Salt Lake City, dans l'État américain de l'Utah, est le moteur de la High Value Healthcare collaborative.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/countylemonade/7707261420">Garrett / FlickR</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Tout le monde veut voir sa santé protégée, comme le garantit le préambule ajouté en 1946 à la Constitution, texte fondateur de la V<sup>e</sup> République française. Encore faut-il que le système de santé et d’assurance maladie le permette, partout sur le territoire. Or on observe une déconstruction de sa qualité, avec une dégradation de la solidarité. Comment y remédier ?</p>
<h2>S'inspirer davantage de l'exemple américain</h2>
<p>Le gouvernement français a lancé le mardi 18 septembre 2018 , le plan « Ma santé 2022 » (https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/presse/dossiers-de-presse/article/ma-sante-2022-un-engagement-collectif) de transformation en profondeur du système de santé articulé autour de 3 engagements prioritaires :
- placer le patient au coeur du système et faire de la qualité de sa prise en charge la boussole de la réforme ;
- organiser l’articulation entre médecine de ville, médico-social et hôpital pour mieux répondre aux besoins de soins en proximité ;
- repenser les métiers et la formation des professionnels de santé.</p>
<p>Ces engagements suivent 5 axes prioritaires :
- qualité des soins & pertinence des actes ;
- organisation territoriale ;
- modes de financement et de régulation ;
- ressources humaines et formation ;
- numérique)</p>
<p>Ces engagements et ces axes prioritaires correspondent depuis déjà une quinzaine d’années à ceux de systèmes qui ont réussi leur transformation en profondeur et il ne faut pas hésiter à tourner le regard vers eux pour s’en inspirer davantage, même s’ils viennent d’un pays rarement cité en exemple en ce qui concerne son système de santé : les États-Unis d’Amérique. Et particulièrement l’un de ses États, l’Utah.</p>
<h2>Des systèmes de santé moins chers, plus efficients, socialement efficaces</h2>
<p>Des travaux comparatifs entre différents pays ont pu être menés entre 2010 et 2018 notamment lors des séminaires « Prospective santé 2020 », organisés par l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et la Chaire santé de Sciences Po. Ils montrent que parmi les systèmes de santé existants aux États-Unis, certains obtiennent de meilleurs résultats pour un coût moindre de celui constaté en France. </p>
<p>Ainsi, selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé cités par <em>Time Magazine</em> en 2008, les dépenses de santé par personne étaient plus basses dans l’Utah que dans la moyenne des États-Unis (3 972 dollars contre 7 026 dollars), et plus bas qu’en France (4 056 dollars). Pourtant, par la qualité des soins qui y sont dispensés, l’Utah se rangeait en 2004 <a href="http://content.healthaffairs.org/content/early/2004/04/07/hlthaff.w4.184.full.pdf">parmi les meilleurs États américains</a>. Ces résultats doivent beaucoup à Intermountain Healthcare, système de santé et d’assurance maladie privé à but non lucratif considéré comme l’un des meilleurs du monde selon <a>J.-A. Muir Gray,</a>, directeur du service national des connaissances du National Health Service (NHS) du Royaume-Uni ou <a href="https://www.bmj.com/content/346/bmj.f3668">Chris Ham</a>, chief executive of the Kings fund du Royaume-Uni.</p>
<h2>L'Utah, moteur de la High Value Healthcare collaborative</h2>
<p>Intermountain Healthcare fait partie du réseau de la High Value Healthcare collaborative (HVHC). Cette association regroupe <a href="https://highvaluehealthcare.org/members/">12 systèmes de santé vertueux à travers le pays</a> et vise à l’amélioration constante de la qualité des actions en faveur de la santé, des soins et des organisations – ce qu’on appelle l’efficience clinique et l’efficience organisationnelle ou la pertinence des soins et des actions en faveur de la santé – pour près de 70 millions d’usagers au total.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/173565/original/file-20170613-16825-oup335.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/173565/original/file-20170613-16825-oup335.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/173565/original/file-20170613-16825-oup335.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/173565/original/file-20170613-16825-oup335.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/173565/original/file-20170613-16825-oup335.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/173565/original/file-20170613-16825-oup335.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/173565/original/file-20170613-16825-oup335.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Hall d’entrée de l’hôpital McKay-Dee, à Ogden (Utah), appartenant à Intermountain Healthcare.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Intermountain Healthcare</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces systèmes ont par exemple démontré que l’efficience clinique et organisationnelle permet d’économiser près de 40 % des dépenses de santé consacrées par l’Assurance maladie aux assurés de 65 ans et plus présentant des maladies chroniques, selon un <a href="http://www.bmj.com/bmj/section-pdf/186247?path=/bmj/342/7799/Analysis.full.pdf">article paru dans le British medical journal en 2011</a>. Ces économies sont ensuite redistribuées aux professionnels de santé et aux usagers pour renforcer la solidarité et réduire les inégalités de santé (ce que l’on peut appeler l’efficacité sociale). </p>
<p>Ces systèmes, également plus durables, pourraient encore plus inspirer les décideurs français pour aller plus loin et plus vite. Le plan « Ma santé 2022 » met en effet l'accent sur la qualité des soins et la pertinence des actes. De même, l’efficience est l’un des objectifs mentionnés explicitement dans la loi de modernisation de notre système de santé de 2016. Ce texte renforce « l’alignement stratégique entre l’État et l’assurance maladie avec des objectifs relatifs à l’efficience du système » notamment par un « plan national de gestion du risque et d’efficience du système de soins décliné dans chaque région ».</p>
<h2>Un programme efficace de santé mentale</h2>
<p>Dans le domaine de la santé mentale, Intermountain healthcare s’illustre avec un programme appelé « MentalHealthIntegration ». Celui-ci intègre les soins primaires (centres de prévention, maisons de santé pluridisciplinaires) et les soins hospitaliers. De cette façon, les patients bénéficient d’une prise en charge graduée en fonction de leurs besoins dans le temps. </p>
<p>Là encore, les résultats sont probants, selon l’<a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?download=1&ID_ARTICLE=SPUB_150_0199">analyse de la littérature scientifique que nous avons publiée dans la revue Santé publique en 2015</a>. Plus de 50 % des patients pris en charge atteignent la rémission ou une amélioration significative, comparé à seulement 20 % pour les patients non pris en charge par le programme.</p>
<p>S’inspirer des réussites à l’étranger, comme celles d’Intermountain Healthcare, pour améliorer notre système de santé et d’assurance maladie, c’est la voie que j’explore dans mon livre, <a href="https://www.presses.ehesp.fr/produit/sauvons-systeme-de-sante-dassurance-maladie/"><em>Sauvons notre système de santé et d’assurance maladie</em></a>, publié aux Presses de l’EHESP. </p>
<p>Il est en effet possible de concilier les impératifs économiques avec la satisfaction des usagers et des soignants, ainsi qu’avec l’amélioration de l’état de santé de la population et l’accroissement de la qualité des soins. Ce sont les trois objectifs (en anglais, <em>triple aim</em>) conceptualisés par Donald Berwick, ancien président de l’Institut pour l’amélioration des soins (Institute for healthcareimprovement, IHI) des États-Unis. Ces trois objectifs sont le fondement nécessaire de la transformation des systèmes de santé et d’assurance maladie à travers le monde.</p>
<p>Cela passe par la mise en place de l’efficience organisationnelle et de l’efficience clinique. Les coûts de la « non-qualité » (c’est-à-dire le gaspillage ou tout service sans vraie valeur ajoutée pour le patient) sont ainsi réduits, tout comme les prescriptions inutiles ou les activités en doublon pour les établissements. Le nombre d’infections nosocomiales (c’est à dire contractées à l’hôpital) ou autres événements indésirables graves diminue également.</p>
<h2>Le système français, moins envié qu'auparavant</h2>
<p>Il y a une quinzaine d’années, le système français était envié à l’étranger. Ce n’est plus le cas. Certes la France se situe encore au 15<sup>e</sup> rang mondial (sur 195 pays) pour la qualité et l’accessibilité de son système de santé, selon une étude publiée le 18 mai <a href="http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(17)30818-8/fulltext">par la revue médicale The Lancet</a>, tandis que les États-Unis se classent seulement, eux, au 35<sup>e</sup> rang. </p>
<p>Pourtant, les systèmes qui font figure d’exemples aujourd’hui sont celui de l’Utah et les 11 autres regroupés dans le réseau américain HVHC. Ils sont une source d’inspiration pour la France, le Royaume-Uni, la Suisse, la Suède ou l’Espagne et la Communauté autonome basque en particulier. Tous ont envoyé des représentants à Salt Lake City pour étudier ce modèle et établir des partenariats.</p>
<p>Aux États-Unis, Intermountain Healthcare et son assurance maladie (baptisée SelectHealth) <a href="http://www.ksl.com/?nid=148&sid=7873613">ont été cités comme référence</a> par l’ancien président Barack Obama, lors de sa réforme du système de protection sociale de 2010. </p>
<p>Si « l’Obamacare » est aujourd’hui menacé, l’émergence de systèmes tels qu’Intermountain Healthcare et ceux de la HVHC, indépendamment de toute présomption idéologique néolibérale, est rassurante. Elle montre en effet que le modèle « État républicain » qui est le nôtre peut être renforcé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76332/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Henri Bréchat bénéficie depuis 2013 d'un accord de "fellowship" avec Intermountain Heathcare, pour des échanges sur les bonnes pratiques des systèmes de santé (sans contrepartie financière). Il a obtenu en juin 2017 une bourse d'un an pour étudier à l'université de Stanford et à Intermountain Healthcare l'efficience des systèmes de santé. </span></em></p>Pour réinventer le système de santé français, à bout de souffle, il faut prendre exemple sur des pays qui font mieux pour moins cher. C’est le cas de l’Utah, un État de l’Ouest des États-Unis.Pierre-Henri Bréchat, Médecin, spécialiste en santé publique et en médecine sociale, professeur affilié, École des hautes études en santé publique (EHESP) Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.