tag:theconversation.com,2011:/us/topics/mafia-30332/articlesmafia – The Conversation2023-11-28T17:18:13Ztag:theconversation.com,2011:article/2154892023-11-28T17:18:13Z2023-11-28T17:18:13ZRançongiciel, une plongée dans le monde de la cybercriminalité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/562106/original/file-20231128-21-99wzmm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=21%2C110%2C2025%2C2037&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les cybercriminels agissent en bandes très organisées, et surtout très modulables.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/un-homme-et-une-femme-sembrassent-sur-une-plage-avec-une-ville-en-arriere-plan-i31k6Ts2ShA">Dan Asaki, Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Europol vient d’<a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/11/28/demantelement-d-un-important-groupe-de-rancongiciels-en-ukraine_6202722_4408996.html">annoncer le démantèlement d’un groupe de rançongiciels en Ukraine</a>. Dans leur forme la plus basique, ces cyberattaques bloquent les systèmes informatiques et exfiltrent les données de la victime, promettant de les restituer contre rançon.</p>
<p>Ainsi, en août 2022, une cyberattaque attribuée au rançongiciel LockBit a <a href="https://www.cert.ssi.gouv.fr/cti/CERTFR-2023-CTI-002/">paralysé le centre hospitalier sud-francilien</a> en exfiltrant 11 Gigaoctets de données de patients et d’employés. L’hôpital a dû fonctionner en « mode dégradé » pendant plusieurs mois, avec les dossiers médicaux inaccessibles et des appareils de soin inutilisables. En juillet 2023, c’est le port de Nagoya, l’un des plus importants du Japon, qui a été obligé de s’arrêter pendant deux jours à cause d’un rançongiciel.</p>
<p>De l’exfiltration des données à leur revente sur des marchés illicites et aux menaces de rendre publiques les informations volées, jusqu’au fonctionnement très altéré des organisations victimes des attaques, la réalité du terrain est brutale, purement criminelle et vise sans discernement les particuliers, les hôpitaux, les écoles et toutes les organisations et entreprises vulnérables.</p>
<p>Les organisations cybercriminelles sont aujourd’hui bien organisées et leurs façons de procéder évoluent pour plus d’efficacité : l’économie et l’écosystème souterrains à l’origine de ces cyberattaques sont très modulables et se sont même « uberisé », ce qui les rend résilients aux démantèlements et actions en justice.</p>
<p>C’est une plongée dans ce monde de la cyberextorsion que nous vous proposons ici.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/559043/original/file-20231113-21-jkohlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="schéma du mode opératoire utilisé par des cybercriminels" src="https://images.theconversation.com/files/559043/original/file-20231113-21-jkohlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/559043/original/file-20231113-21-jkohlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/559043/original/file-20231113-21-jkohlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/559043/original/file-20231113-21-jkohlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/559043/original/file-20231113-21-jkohlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/559043/original/file-20231113-21-jkohlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/559043/original/file-20231113-21-jkohlm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le mode opératoire des cybercriminels utilisant des rançongiciels est en constante évolution.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jean-Yves Marion</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>L’extorsion cyber en constante évolution</h2>
<p>Quand on parle de rançongiciel, on pense à un programme malveillant qui va chiffrer (crypter) les données d’un ordinateur et demander une rançon pour rendre ces données. Par exemple, le <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-39907965">rançongiciel Wannacry</a>, qualifié de « sans précédent » par Europol, avait compromis environ 5 millions d’appareils en 2017, après avoir exploité une vulnérabilité pour se propager automatiquement.</p>
<p>Aujourd’hui, cette notion a évolué : les rançongiciels sont opérés par des humains qui explorent l’ensemble du système informatique compromis. Les attaques peuvent se déployer sur plusieurs mois, tenir compte des systèmes attaqués et « avancer » à l’intérieur du réseau informatique. Les données sensibles et d’autres informations peuvent être exfiltrées et stockées sur des serveurs contrôlés par les cybercriminels.</p>
<p>Le groupe cybercriminel Royal a par exemple publié en mai 2023 des informations de la ville de Dallas, y compris des <a href="https://www.cbsnews.com/texas/news/royal-ransomware-group-threatens-release-sensitive-information-dallas/">informations confidentielles sur la police et sur des affaires pénales</a>.</p>
<p>De fait, des données partiellement rendues publiques permettent déjà de faire pression sur la victime, et l’<a href="https://www.emsisoft.com/en/blog/44123/unpacking-the-moveit-breach-statistics-and-analysis/">exfiltration suffit à demander une rançon</a>. Les données peuvent aussi être <a href="https://theconversation.com/darknet-markets-generate-millions-in-revenue-selling-stolen-personal-data-supply-chain-study-finds-193506">revendues</a> à un tiers.</p>
<p>Les attaquants peuvent aussi procéder au chiffrement des données sur les serveurs de leur propriétaire. Ce mécanisme est dit de « double extorsion » : exfiltration et chiffrement.</p>
<p>Enfin, le harcèlement sur la victime peut aller jusqu’à une attaque par <a href="https://theconversation.com/quand-internet-ne-vous-rend-plus-service-87125">« déni de service (DDOS) »</a>, qui rendent les services web de la victime inaccessibles. On parle alors de « triple extorsion ».</p>
<p>Le gain financier est le principal moteur des campagnes de rançongiciels, et en fait il faudrait plutôt parler aujourd’hui d’« extortion-wares », qui mobilisent toute une économie souterraine.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/559044/original/file-20231113-23-32a8fq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="schéma de l’écosystème des rançongiciels" src="https://images.theconversation.com/files/559044/original/file-20231113-23-32a8fq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/559044/original/file-20231113-23-32a8fq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=489&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/559044/original/file-20231113-23-32a8fq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=489&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/559044/original/file-20231113-23-32a8fq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=489&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/559044/original/file-20231113-23-32a8fq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=614&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/559044/original/file-20231113-23-32a8fq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=614&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/559044/original/file-20231113-23-32a8fq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=614&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’écosystème des rançongiciels s’est ubérisé, avec des services disponibles, dont des fournisseurs de logiciels d’attaques ainsi « facilitées », qui permettent à de la main-d’œuvre relativement peu qualifiée en informatique, les « affiliés », de sous-traiter les attaques des commanditaires.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jean-Yves Marion</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Un écosystème souterrain</h2>
<p>Les organisations souterraines responsables de ces cyberextorsions ont gagné en maturité. Le <a href="https://www.europol.europa.eu/publication-events/main-reports/internet-organised-crime-assessment-iocta-2023">modèle <em>Ransomware as a Service</em> (RaaS) s’est imposé comme à la fois la structure principale d’organisation et comme modèle économique</a>.</p>
<p>Le RaaS est un ensemble d’acteurs qui monnayent des infrastructures, des services et des savoir-faire à leurs « affiliés » : c’est ainsi que ceux-ci disposent des moyens technologiques et humains pour réaliser concrètement les cyberattaques par rançongiciel.</p>
<p>Nos connaissances sur ce système cybercriminel proviennent d’interviews et des fuites d’information. Les <a href="https://www.wired.com/story/conti-leaks-ransomware-work-life/">« ContiLeaks » en particulier furent le fait de disputes entre les acteurs</a>. Pour certaines des fuites documentées sur ContiLeaks, les fuites émanent plus précisément de désaccords subséquents à l’invasion de l’Ukraine.</p>
<h2>Le monde de la cybercriminalité s’est ubérisé</h2>
<p>Dans ce modèle économique du <em>Ransomware as a Service</em>, le recrutement d’« affiliés » est essentiel : ce sont eux qui réalisent les cyberattaques grâce à un certain nombre d’outils et de panneaux de contrôle fournis par l’organisation cybercriminelle à l’initiative de l’attaque. Ces organisations sont assez disparates : il existe à la fois des groupes d’acteurs et des acteurs isolés. Dans tous les cas, ces organisations sont fragmentées – ce qui, on le verra par la suite, leur permet de se reconfigurer, en cas de démantèlement notamment.</p>
<p>Ce soutien « technique » permet de recruter des exécutants dont le niveau technique n’est pas forcément élevé, car ils bénéficient d’outils relativement faciles à mettre en œuvre. Ironiquement d’ailleurs, un groupe se nomme « Read the Manual ».</p>
<p>Autrement dit, le monde de la cybercriminalité s’est, lui aussi, ubérisé. Les profits sont partagés entre les commanditaires et les affiliés (environ <a href="https://www.theregister.com/2023/05/17/ransomware_affiliates_money/">70 % du paiement</a> de la victime est reversé à l’affilié).</p>
<h2>Ventes d’« accès » : comment pénétrer chez la victime</h2>
<p>Un des services les plus importants est celui des fournisseurs d’accès (<em>Internet Access Brokers</em>) qui vendent notamment des mots de passe et des cookies provenant de campagnes précédentes, soit de phishing qui cherche à manipuler une victime pour obtenir un mot de passe, soit d’infostealers qui sont des logiciels spécialisés dans le vol d’information, ou enfin à la suite d’une exfiltration de données par une précédente attaque d’un rançongiciel.</p>
<p>En 2021, l’attaque de Colonial Pipeline a forcé l’arrêt de toutes les opérations d’un pipeline qui transporte environ 400 millions de litres d’essence par jour, ce qui a amené le ministère américain de la Justice à <a href="https://www.reuters.com/technology/exclusive-us-give-ransomware-hacks-similar-priority-terrorism-official-says-2021-06-03/">élever les attaques par rançongiciel au niveau du terrorisme</a>. En effet, selon l’<a href="https://www.techtarget.com/searchsecurity/news/252502216/Mandiant-Compromised-Colonial-Pipeline-password-was-reused">audition de la commission de la sécurité intérieure de la Chambre des représentants des États-Unis</a>, l’accès initial au réseau s’est fait à partir d’un mot de passe réutilisé.</p>
<p>Ce type de « vente d’accès » se fait dans des marchés souterrains et des forums, comme RaidForums.</p>
<h2>Blanchiment des rançons : démêler les flux de cryptomonnaies</h2>
<p>Pour faire fonctionner l’écosystème, un autre service important est celui du blanchiment des rançons (en cryptomonnaies, souvent en Bitcoin). Pour cela, des outils informatiques sont utilisés : des « mixeurs » pour rendre les transactions financières intraçables, et des « échangeurs » pour échanger les cryptoactifs.</p>
<p>Afin de démanteler les services de blanchiment et d’arrêter les cybercriminels, les forces de l’ordre essaient de surveiller ces échanges de cryptomonnaies. C’est ainsi qu’une action internationale a permis de <a href="https://www.reuters.com/business/finance/us-treasury-dept-says-has-identified-bitzlato-ltd-money-laundering-concern-2023-01-18/.">démanteler la plate-forme d’échange de cryptoactifs Bitzlato</a>.</p>
<p>Une des limitations à ces actions internationales est que les organisations RaaS s’appuient le plus souvent sur des infrastructures hébergées dans des pays qui ne collaborent pas, ou peu, avec les forces de l’ordre européennes et américaines.</p>
<h2>Une économie souterraine résiliente</h2>
<p>Le <a href="https://www.enisa.europa.eu/publications/enisa-threat-landscape-2022">modèle RaaS permet de réduire les risques pour les cybercriminels</a>, comme l’observe le rapport 2022 de l’agence européenne pour la cybersécurité (Enisa). En effet, l’arrestation d’un seul cybercriminel n’est pas suffisante pour stopper les méfaits d’un rançongiciel : les groupes comme Conti se fragmentent et se recomposent en différents autres groupes.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/559042/original/file-20231113-16-nyo2lc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="frise chronologiques d’activités cybercriminelles" src="https://images.theconversation.com/files/559042/original/file-20231113-16-nyo2lc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/559042/original/file-20231113-16-nyo2lc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/559042/original/file-20231113-16-nyo2lc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/559042/original/file-20231113-16-nyo2lc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/559042/original/file-20231113-16-nyo2lc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/559042/original/file-20231113-16-nyo2lc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/559042/original/file-20231113-16-nyo2lc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Synthèse chronologique des activités connues du groupe cybercriminel FIN12, illustrant le fait que ce type de gang se désagrège et se reconstitue, ce qui démontre leur adaptabilité et leur résilience.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.cert.ssi.gouv.fr/uploads/CERTFR-2023-CTI-007.pdf">Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) -- septembre 2023. Licence ouverte (Étalab -- v2.0)</a></span>
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<p>Aussi efficaces soient-elles, les actions de justice internationale n’ont parfois qu’un effet limité. Par exemple, le <a href="https://www.europol.europa.eu/media-press/newsroom/news/world%E2%80%99s-most-dangerous-malware-emotet-disrupted-through-global-action">« world’s most dangerous malware »</a>, appelé Emotet, a été démantelé en janvier 2021… pour reprendre du service un an plus tard.</p>
<p>Ce constat peut sembler pessimiste mais ne doit pas masquer que les actions de justice secouent de fait le monde cybercriminel, comme l’ont montré l’<a href="https://www.europol.europa.eu/media-press/newsroom/news/cybercriminals-stung-hive-infrastructure-shut-down">opération offensive contre le rançongiciel Hive</a> ou le <a href="https://www.europol.europa.eu/media-press/newsroom/news/ragnar-locker-ransomware-gang-taken-down-international-police-swoop">démantèlement de Ragnar Locker</a> (suite notamment à une arrestation à Paris).</p>
<p>D’un point de vue économique, le modèle RaaS optimise le retour sur investissement (ROI). L’économie souterraine RaaS prospère. Elle est basée sur des <a href="https://theconversation.com/darknet-markets-generate-millions-in-revenue-selling-stolen-personal-data-supply-chain-study-finds-193506">marchés illicites</a> dans le dark web. En moyenne, un ransomware est vendu pour 56 dollars américains selon <a href="https://cybersecurity.att.com/blogs/security-essentials/an-assessment-of-ransomware-distribution-on-darknet-markets">l’étude menée entre novembre 2022 et février 2023</a>.</p>
<p>Les marchés souterrains sont très volatils et fragmentés. Cette fragmentation permet aux cybercriminels de poursuivre leurs activités commerciales, même après une saisie par les forces de l’ordre comme celles de <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2021/01/12/les-autorites-europeennes-demantelent-darkmarket-un-important-site-de-vente-en-ligne-du-marche-noir_6065989_4408996.html">DarkMarket</a> et de <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/04/05/hydra-market-plate-forme-de-vente-sur-le-dark-net-demantelee-par-la-justice-allemande_6120684_4408996.html">HydraMarket</a>.</p>
<h2>Cyberattaques et conflits armés : la naissance des « cyber-mercenaires » ?</h2>
<p>Des organisations clandestines prennent forme, disparaissent et renaissent, parfois instrumentalisées par les États, comme l’a montré le <a href="https://www.mandiant.com/resources/insights/ukraine-crisis-resource-center">conflit ukrainien</a>. Rien d’étonnant à cela, puisque les moyens d’une cyberattaque sont quasiment les mêmes, que l’objectif soit financier, d’espionnage ou de destruction.</p>
<p>Déjà en 2017, et malgré sa ressemblance avec le rançongiciel WannaCry déjà bien connu, les actions du <a href="https://www.wired.com/story/notpetya-cyberattack-ukraine-russia-code-crashed-the-world/">malware NoPetya</a> ont été destructrices, causant environ 10 milliards de dollars de dommages totaux, et préfigurant les cyberattaques menées pendant le <a href="https://theconversation.com/russie-ukraine-la-cyberguerre-est-elle-declaree-177036">conflit ukrainien à l’aide d’armes avec les « wipers »</a>, qui effacent les informations de systèmes compromis.</p>
<p>Les tensions géopolitiques pourraient encourager les acteurs à l’origine des rançongiciels à poursuivre les cyberconflits en cours : en adaptant légèrement leurs comportements, ils peuvent facilement devenir des sources d’espionnage, comme des « cyber-mercenaires ».</p>
<hr>
<p><em>Le <a href="https://www.pepr-cybersecurite.fr/">PEPR Cybersécurité</a> et le projet ANR-22-PECY-0007 sont opérés par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215489/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Yves Marion a reçu des financements de la start-uyp Cyber-Detect. Il conseille et détient des parts dans Cyber-Detect. </span></em></p>Les cybercriminels sont très actifs, et leur façon de procéder évolue pour être plus résilients face aux démantèlements.Jean-Yves Marion, Professeur d'informatique et directeur du Loria, CNRS, Inria, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2123112023-08-25T18:20:20Z2023-08-25T18:20:20ZMort de Evguéni Prigojine : le groupe Wagner cherchera-t-il à se venger ?<p>Evguéni Prigojine, le patron du groupe Wagner, est présumé mort. <a href="https://www.lapresse.ca/international/europe/2023-08-23/ecrasement-en-russie/le-patron-de-wagner-etait-a-bord-de-l-avion-confirme-l-agence-rossaviatsia.php">L’Agence russe du transport aérien a déclaré qu’il figurait sur la liste des dix passagers</a> du jet privé qui s’est écrasé en flammes près de Moscou. Toutes les personnes à bord sont mortes, et une <a href="https://www.cnbc.com/2023/08/24/prigozhin-presumed-dead-final-nail-in-coffin-for-russias-wagner-group.html">chaîne Telegram associée à Wagner a confirmé le décès</a> de celui-ci.</p>
<p>Les accidents d’avion sont fréquents, mais en Russie, tout événement inattendu pouvant avoir un caractère politique est considéré avec une grande méfiance. Un incident de cette ampleur va forcément jeter la suspicion sur le Kremlin. Il est peu probable que le régime de Vladimir Poutine soit en mesure de rejeter toute responsabilité dans l’accident, et il y aura très certainement des conséquences imprévues et non souhaitées.</p>
<p>Nombreux sont ceux qui considéraient que <a href="https://www.cnn.com/2023/08/24/opinions/wagner-chief-prigozhin-borrowed-time-putin-treisman/index.html">Prigojine vivait en sursis</a> depuis qu’il avait pris la tête d’un soulèvement raté contre les forces russes en juin, lorsqu’il avait non seulement exigé un changement à la tête de l’armée russe, mais aussi remis en question les raisons invoquées par Poutine pour justifier la guerre contre l’Ukraine.</p>
<h2>Élimination des opposants</h2>
<p>Bien que Prigojine ait déclaré que ses actes <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2023-06-26/putin-defense-chief-who-was-focus-of-wagner-mutiny-visits-troops?in_source=embedded-checkout-banner">n’étaient pas dirigés contre Poutine</a>, il aurait difficilement pu lui causer un plus grand affront. Poutine a l’habitude <a href="https://www.journaldemontreal.com/2022/11/23/assassines-emprisonnes-exiles-voici-le-sort-souvent-reserve-aux-grands-opposants-de-poutine">d’éliminer rapidement et sans pitié ses opposants pour bien moins que cela</a>.</p>
<p>Le matin où se produit la mutinerie, Poutine <a href="https://globalnews.ca/news/9791119/putin-wagner-group-rebellion/">qualifie les insurgés de traîtres et leurs actions de trahison</a>. Pourtant, dans l’après-midi, voyant que ses militaires et ses services de sécurité ne démontrent aucune envie de se battre pour lui, Poutine accorde l’amnistie aux mutins. Quelques jours plus tard, il rencontre Prigojine sans le punir.</p>
<p>Le dirigeant russe se trouve alors devant un dilemme insoluble. Son régime reposant sur le culte de la personnalité — malgré les tentatives bien intentionnées d’universitaires de <a href="https://doi.org/10.1080/00396338.2017.1282669">proposer des interprétations théoriques élaborées du « poutinisme »</a> — ne correspond pas au profil type des pays menés par des dirigeants autoritaires. Différents précédents et éléments historiques ou philosophiques ne font que brouiller les pistes en ce qui concerne les raisons et les motivations de Poutine.</p>
<p>Le règne de Poutine est à la fois plus simple et plus sinistre. Le dirigeant russe ne pense qu’au pouvoir et aux privilèges et, compte tenu de la nature de son régime implacable et corrompu, que le magazine <em>The Economist</em> onsidère comme un <a href="https://www.economist.com/europe/2023/08/23/yevgeny-prigozhins-reported-death-may-consolidate-putins-power?utm_content=article-link-1&etear=nl_today_1&utm_campaign=a.the-economist-today&utm_medium=email.internal-newsletter.np&utm_source=salesforce-marketing-cloud&utm_term=8/23/2023&utm_id=1734548">« État mafieux »</a>, il doit punir impitoyablement et ostensiblement les opposants afin de dissuader quiconque d’empiéter sur son pouvoir.</p>
<p>En général, la brutalité de Poutine a porté ses fruits et renforcé son image d’invincibilité. Ses opposants ont été tués par balle, empoisonnés, sont tombés d’une fenêtre ou se sont soudainement suicidés. Antony Blinken, secrétaire d’État américain, a lancé récemment : <a href="https://www.cnn.com/europe/live-news/russia-ukraine-war-news-07-21-23/h_57611fbdfa9f02986dafbb36c1dff340">« L’OTAN a une politique de porte ouverte, et la Russie a une politique de fenêtres ouvertes »</a>.</p>
<p>Poutine était toutefois conscient des risques liés à l’élimination de Prigojine. Et il avait de bonnes raisons d’être prudent.</p>
<h2>Les fidèles de Prigojine</h2>
<p>Contrairement à d’autres opposants ou dissidents, Prigojine disposait d’une base puissante. Si le groupe Wagner, qu’il a fondé avec Dmitri Outkine, a été étoffé grâce au recrutement de milliers de condamnés, l’organisation est néanmoins composée en majeure partie d’anciens militaires russes hautement qualifiés, souvent issus d’unités d’élite, qui sont demeurés farouchement fidèles à Prigojine.</p>
<p>Ces hommes peuvent devenir extrêmement dangereux s’ils sont en colère et concentrés sur une cause particulière.</p>
<p>Mais Poutine ne pouvait pas se permettre de laisser le chef de la mutinerie impuni.</p>
<p>La réaction rapide du groupe Wagner à la mort de Prigojine (et de son bras droit, Outkine), qui a déclaré sur la plate-forme Telegram que Prigojine était un <a href="https://fr.finance.yahoo.com/actualites/evgueni-prigojine-milliardaire-montant-estim%C3%A9-145340580.html?guccounter=1&guce_referrer=aHR0cHM6Ly93d3cuZ29vZ2xlLmNvbS8&guce_referrer_sig=AQAAAMJs97OA8A9_QWggoajMZUuUx4K16Lv7az25nc5enFHq4k9E6J-wS5cSvw2MjxpVM4hb1Gk3rX0_SQVpW4-9LLWbnrR8uCA7E2eSnkz-egUmPF_DUFq2i9nDalIezV4J80MAs-LBWeGxmSzwtttOQzRXa1eB7O376qHNh67DcuiB">« héros de la Russie, véritable patriote de sa patrie… décédé des suites des actions des traîtres à la Russie »</a>, constitue un avertissement concernant la suite des choses.</p>
<p>Quelques semaines avant la mutinerie, Prigojine était présenté comme un héros en Russie. À Rostov-sur-le-Don, lui et les mutins ont été accueillis avec enthousiasme par la population.</p>
<p>À mesure que se répandait la nouvelle de sa mort, les Russes ont commencé à déposer des masses de fleurs devant le quartier général de Wagner à Saint-Pétersbourg.</p>
<p>Poutine va sans doute paraître fort et redoutable à court terme, compte tenu de la couverture de l’accident par les médias d’État, mais il risque de finir par donner l’image d’un homme fourbe et de plus en plus désespéré.</p>
<p>À long terme, il n’est pas inconcevable que les principaux membres de Wagner, qui ont tant admiré Prigojine et lui ont été si loyaux, cherchent à se venger du dirigeant russe. Dans ce cas, Poutine, qui s’est toujours considéré comme un chasseur, pourrait bien devenir celui que l’on chasse.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212311/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurel Braun ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les principaux membres du groupe Wagner, fidèles à Evguéni Prigojine, chercheront probablement à se venger de sa mort. Vladimir Poutine vit-il désormais en sursis ?Aurel Braun, Professor, International Relations and Political Science, University of Toronto and Associate of the Davis Center Harvard University, University of TorontoLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2101462023-07-24T18:35:37Z2023-07-24T18:35:37ZLa France au cœur des trafics de drogue : un regard géopolitique<p>« Narco-État » : le terme est désormais très répandu pour qualifier un territoire où de colossales sommes d’argent issues du trafic de drogue structurent l’économie criminelle. Cette formule est parfois employée pour désigner certains pays européens, y compris la <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/stupefiants-le-senat-veut-eviter-que-la-france-ne-devienne-un-narco-etat-20">France</a>, la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/cultures-monde/anvers-face-a-l-explosion-du-trafic-de-coke-5207660">Belgique</a> et les <a href="https://www.europe1.fr/international/drogue-pourquoi-les-autorites-francaises-qualifient-les-pays-bas-de-narco-etat-4177348">Pays-Bas</a>.</p>
<p>Certes, au regard des milliards d’euros produits par les entreprises, ces trois pays sont loin d’être des narco-États où tout l’appareil de production serait dédié à une activité criminelle. Il n’en demeure pas moins que le crime organisé est en plein essor en <a href="https://www.europol.europa.eu/publications-events/main-reports/socta-report">Europe</a> et en <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/18/laure-beccuau-procureure-de-paris-l-infiltration-de-nos-societes-par-les-reseaux-criminels-depasse-toutes-les-fictions_6150397_3224.html">France</a>.</p>
<p>La drogue reste le premier facteur d’accumulation de richesse du crime organisé. Quelles sont les raisons qui font de la France un pays situé au cœur de la majorité des trafics sur le continent européen ?</p>
<h2>France : augmentation continue du trafic et de la consommation</h2>
<p>Pour dresser un état des lieux du trafic de drogue, les chercheurs s’appuient sur trois indicateurs : les saisies, les surfaces de production et les enquêtes de consommation. Ces informations peuvent être croisées avec les déclarations des trafiquants qui témoignent devant les tribunaux ou dans des <a href="https://crimhalt.org/1971/06/21/truand-mes-50-ans-dans-le-milieu-corso-marseillais/">livres</a>.</p>
<p>À l’échelle mondiale, le cannabis est de loin la drogue la plus consommée, mais la consommation de cocaïne augmente de manière significative, le <a href="https://www.unodc.org/unodc/en/data-and-analysis/world-drug-report-2022.html">nombre de saisies ayant explosé dans le monde depuis 2014</a>. Le marché de l’héroïne est relativement stable, tout comme celui des drogues de synthèse. La grande nouveauté est <a href="https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/sante-publique/lobservatoire-europeen-des-drogues-sinquiete-de-lexplosion-des-produits-de-synthese">l’essor des opioïdes de synthèse</a>.</p>
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<p>La situation de la France, notamment en <a href="https://insightcrime.org/wp-content/uploads/2023/03/2023-02-DP-BILAN-2022-LUTTE-CONTRE-LES-DROGUES.pdf">termes d’augmentation des saisies</a> (cf. tableau ci-dessous), est en cohérence avec la géopolitique mondiale des drogues.</p>
<p><iframe id="8PRr6" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/8PRr6/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ces 20 dernières années, l’offre de cocaïne s’est « démocratisée » et a fortement augmenté dans les quartiers urbains populaires comme dans les territoires ruraux. On observe une <a href="https://www.ofdt.fr/publications/collections/thema/la-cocaine-un-marche-en-essor-evolutions-et-tendances-en-france-thema/">hausse de la consommation de cocaïne proportionnellement aux autres drogues</a>.</p>
<p>Les prix médians de toutes les drogues sont relativement stables, mais la pureté des produits est de plus en plus élevée. Le cannabis consommé aujourd’hui en France contient <a href="https://www.europe1.fr/sante/de-plus-en-plus-fort-en-thc-le-cannabis-comporte-plus-de-risques-quavant-4038196">4 à 5 fois plus de THC que celui consommé il y a 20 ans</a>. Le nombre de personnes interpellées pour trafic de stupéfiants en France est en forte augmentation depuis 20 ans (doublement de 2005 à 2009). 44 000 personnes ont été interpellées en 2020.</p>
<p>Le secteur de la drogue générerait en France environ 3 milliards d’euros de gains par an et impliquerait <a href="https://www.la-croix.com/France/La-drogue-genere-23-milliards-deuros-chiffre-daffaires-France-2016-11-02-1200800282#">240 000 personnes pour le seul trafic de cannabis</a>. Un des principaux moyens de distribution des drogues en France demeure le consommateur-revendeur. Une partie d’entre eux constituent une multitude de petits réseaux d’usagers-revendeurs qui s’approvisionnent via un trafic de « fourmis », en particulier aux Pays-Bas ou en Espagne. Le reste de la drogue consommée en France est acheminée par des réseaux criminels qui profitent de la mondialisation de l’économie.</p>
<h2>Géopolitique des drogues en France : des contraintes structurelles</h2>
<p>Produites au Sud, les drogues sont consommées au Nord. Ni la France, ni la Belgique, ni les Pays-Bas ne sont en capacité de stopper leur arrivée. Le cannabis provient avant tout du Maroc, qui est l’un des principaux producteurs de résine de cannabis au monde. Cette production est un facteur de stabilité sociale dans la région du Rif, traditionnellement rebelle, très pauvre, où le <a href="https://le-cartographe.net/m/publications/89-atlas-des-mafias">cannabis fait vivre des centaines de milliers de personnes</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La culture du cannabis, une activité répandue au nord du Maroc.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://le-cartographe.net/m/publications/89-atlas-des-mafias).">Carte Fabrizio Maccaglia, Atlas des mafias, ed. Autrement, 2014, p. 47</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p>Si le cannabis marocain arrive si aisément en France, c’est dans une vaste mesure parce que Paris et Rabat ont des intérêts géopolitiques communs dont la préservation se fait au détriment de la lutte contre le trafic. Les forces de l’ordre sont tributaires de ces intérêts géopolitiques qu’elles ne maîtrisent pas. D’une part, une partie de l’élite politique et administrative marocaine est <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2004-1-page-63.htm">impliquée dans le trafic de drogue à travers des schémas de corruption</a> ; mais, d’autre part, le Maroc est un allié important de la France dans la <a href="https://ladepeche.mr/?p=4644">lutte contre le djihadisme</a> en Afrique du Nord et dans la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/04/20/madrid-salue-le-role-essentiel-du-maroc-en-matiere-migratoire_6170295_3212.html">lutte contre l’immigration clandestine</a>. C’est pourquoi, en dépit d’actions représsives dans les deux pays (éradication des plants de cannabis au Maroc et saisies en France), le trafic de cannabis perdure.</p>
<p>Notons également que, depuis cinq ans, le <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/749599/politique/maroc-la-nouvelle-route-de-la-cocaine/">Maroc est devenu un hub pour la cocaïne</a>, bien qu’il n’en soit pas producteur.</p>
<p>La cocaïne arrive en France par différents moyens. La voie maritime du commerce mondial demeure prégnante. La drogue voyage par conteneurs, avec la complicité de sociétés de transport ou à leur insu selon la technique du <em>rip off</em>. Les saisies de cocaïne dans le port du Havre sont passées de 2,8 tonnes en 2019 à 3,8 tonnes en 2020 puis 11 tonnes en 2021. Les ballots de cocaïne peuvent aussi être largués en mer et récupérés par des trafiquants, selon une <a href="http://www.annecoppel.fr/wp-content/uploads/1996/01/ATLAS-intro-XXIII.pdf">technique mise en place par les clans galiciens</a> dans les années 1980.</p>
<p>Aujourd’hui, <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/cocaine-les-antilles-guyane-zone-de-rebond-du-trafic-selon-un-rapport-de-l-ofdt-1380154.html">15 à 20 % du marché français de cocaïne est alimenté par la Guyane</a> et 55 % des quantités de cocaïne saisies à l’entrée en métropole <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/plus-de-la-moitie-de-la-cocaine-saisie-dans-l-hexagone-en-2022-provenait-des-antilles-guyane-1370926.html">proviennent des Antilles et de la Guyane réunies</a>. En 2021, le nombre de passeurs interpellés en Guyane a augmenté de 75 % par rapport à 2017 : 608 passeurs avaient été interpellés en 2017, pour 921 kilos saisis, contre <a href="https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/epfxco2d3.pdf">1 065 passeurs et 2 tonnes en 2021</a>. 50 passagers par avion en provenance de Kourou sont potentiellement des « mules » !</p>
<p>En outre, le trafic vers la France passe par les <a href="https://crimhalt.org/1971/06/21/crime-trafics-et-reseaux-geopolitique-de-leconomie-parallele/">zones de stockage mises en place par les trafiquants dans les années 2000</a> en Afrique subsaharienne (500 kilos saisis en 1997, 5 tonnes en 2007), puis dans les Caraïbes. Les trafiquants français installés dans les Caraïbes ont créé une « autoroute de la cocaïne par voilier » comme le démontrent les saisies de cocaïne depuis 10 ans.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les zones de transit de la cocaïne dans les Caraïbes et en Afrique. Carte de Pascale Perez, dans <em>Crime trafics et réseaux</em>, Ellipes, 2012, p. 61.</span>
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<p>De nouvelles routes s’ouvrent en envoyant la cocaïne par bateau en Russie et en Ukraine. Cette cocaïne revient ensuite sur le marché occidental par camion, comme en témoignent les saisies de cocaïne impliquant des <a href="https://www.lepoint.fr/monde/un-reseau-de-cocaine-demantele-un-coup-porte-au-milieu-des-balkans-25-07-2019-2326877_24.php">organisations serbes et monténégrines</a>. La guerre actuelle semble toutefois avoir provisoirement interrompu cette route.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La route « Amérique du Sud-Europe de l’Est » pour livrer la cocaine en Europe de l’Ouest. Carte Pascale Perez dans Crime trafics et réseaux, ed. Ellipes, 2012, p. 61.</span>
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<p>La France est également le terminal de la route de la soie… de l’héroïne. Fabriquée essentiellement en Afghanistan, l’héroïne <a href="https://espace-mondial-atlas.sciencespo.fr/fr/rubrique-strategies-des-acteurs-internationaux/carte-3C42-production-et-trafic-des-principales-drogues-(hors-cannabis)-situation-au-milieu-des-annees-2010.html">traverse toute l’Europe pour arriver en France à travers Milan puis la Suisse</a>.</p>
<p>Enfin, en ce qui concerne les drogues de synthèse, le trafic est moins documenté mais il fait l’objet d’un « trafic de fourmis », en particulier en provenance des Pays-Bas (et de la province belge du Limbourg) devenus le <a href="https://www.leparisien.fr/paris-75/ecstasy-la-viet-connection-decapitee-a-paris-apres-lincarceration-du-gros-et-une-saisie-de-120-kg-02-04-2023-IDAEDD7NPJCYBN7SSPIFSR6XK4.php">principal producteur d’ecstasy au monde</a>.</p>
<h2>La force des organisations criminelles françaises</h2>
<p>L’émergence des organisations trafiquantes des quartiers populaires est confirmée. Investies dans la vente de tous les stupéfiants soit en gros, soit en détail, elles gèrent <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/drogue/drogue-l-office-anti-stupefiants-a-permis-l-identification-de-pres-de-4000-points-de-deal-450-ont-ete-demanteles_4336949.html">4 000 grands points de deal en France</a> dans les grandes métropoles comme dans les villes moyennes.</p>
<p>Ces dernières années, on observe <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/288921.pdf">leur mainmise croissante sur le marché de la cocaïne</a>, la diversification des produits revendus dérivés du cannabis (variétés hybrides, huiles, résines, concentrés) et le recours de plus en plus fréquent aux livraisons à domicile via des « centrales d’achat » recourant aux <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/trafic-de-drogue-sur-snapchat-des-pubs-et-des-promos-comme-dans-l-economie-legale-3858056">techniques propres au marketing direct</a> (packaging, promotions, carte de fidélité…) par l’entremise des réseaux sociaux.</p>
<p>Pour protéger leur système, les coteries trafiquantes françaises n’hésitent plus désormais à <a href="https://crimhalt.org/1971/06/21/a-armes-illegales-le-trafic-darmes-a-feu-en-france/">employer des armes de guerre</a> lors des règlements de comptes. Les enlèvements et séquestrations liés au trafic de stupéfiants sont devenus une pratique courante en France : 129 en 2020, 128 en 2022, soit une fois tous les trois jours, les chiffres réels étant sans doute plus élevés, toutes les victimes ne se signalant pas au regard de leurs activités.</p>
<p>La violence systémique déjà évoquée s’accompagne parfois d’une véritable <a href="https://www.lexpress.fr/societe/une-demi-tonne-de-cannabis-dans-un-local-municipal-debut-du-proces-lundi-a-bobigny_2070266.html">force de corruption</a>. À <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/drogue/trafic-de-drogue-une-maire-normande-et-son-adjoint-mis-en-examen-pour-complicite_5299789.html">Canteleu</a>, dans la banlieue de Rouen, une bande avait acquis un tel pouvoir d’intimidation qu’elle exerçait des pressions sur la mairie afin que celle-ci ferme les yeux sur ses activités. Les affaires de <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/trafic-jusqua-deux-ans-de-prison-pour-danciens-responsables-des-douanes-coupables-de-derives-avec-un-informateur-20220929_HWNCIRGQJJGNRHDN2SJZJ6CRAI/">corruption des forces de l’ordre</a> se succèdent. Sur la corruption du personnel politique, nous manquons de données judiciaires mais des <a href="https://crimhalt.org/1971/06/21/la-france-des-caids/">sources existent</a>.</p>
<h2>Les narco-comptoirs du nouveau banditisme français</h2>
<p>Les réseaux dits « de cité » sont <a href="https://www.autrement.com/atlas-des-mafias/9782746739604">très organisés</a> et efficaces en matière de logistique. Ils ne sont plus les petites mains des anciens gangsters français, qui dépendaient de l’approvisionnement de ces derniers. Dans les années 1990/2000, les caïds des cités devaient <a href="http://www.mafias.fr/2009/11/17/etats-generaux-de-lantimafia-2009/">se rendre en Espagne</a> pour discuter avec un narco-courtier de l’ancienne génération pour obtenir du cannabis. Depuis vingt ans, les narco-bandits des cités ont acquis une <a href="https://crimhalt.org/1971/06/25/la-guerre-de-lombre-2/">dimension transnationale</a> en s’approvisionnant directement en Colombie et au Maroc, où ils sont <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/12/17/le-caid-marseillais-hakim-berrebouh-extrade-et-mis-en-examen-pour-trafic-de-drogue_6106377_3224.html">parfois propriétaires des champs de cannabis</a>.</p>
<p>Des barons français du narcotrafic sont présents à Saint-Domingue, à Dubaï ou au Maroc, et <a href="https://www.20minutes.fr/monde/3304163-20220608-maroc-baron-francais-drogue-recherche-interpol-enfin-arrete">gèrent leur trafic à distance</a>. Aujourd’hui, les cartels colombiens peuvent même envoyer des chimistes en France pour <a href="https://www.lejdd.fr/societe/info-jdd-cocaine-des-colombiens-arretes-dans-laisne-133540">reconstituer la cocaïne dans un laboratoire de fortune</a>.</p>
<p>Enfin, les narcos français scellent des alliances avec des mafias internationales, comme dans le cas de <a href="https://www.20minutes.fr/societe/1970243-20161128-reseaux-mafia-italienne-france">« joint-ventures » entre les gangs des cités et la mafia calabraise</a> ou avec des <a href="https://www.lejdd.fr/societe/info-jdd-cocaine-des-colombiens-arretes-dans-laisne-133540">cartels internationaux de la drogue</a>.</p>
<p>Ce phénomène d’alliance est favorisé par le fait que la France est aussi une terre de repli, de blanchiment et parfois de trafic de drogue pour les organisations étrangères. Par exemple, la mafia albanophone joue un rôle important dans le trafic d’héroïne, particulièrement dans la région Rhône-Alpes, <a href="https://www.ledauphine.com/faits-divers-justice/2021/06/13/pays-de-savoie-quand-les-mafias-albanaises-inventent-le-uberheroine">où elle tient 90 % du trafic d’héroïne</a>.</p>
<p>Les données analysées ici révèlent la <a href="https://www.causeur.fr/face-a-la-drogue-la-confiscation-261291">relative inefficacité du dispositif répressif en France</a>. En plus du débat sur la légalisation des drogues, une des pistes qui pourrait être privilégiée est la <a href="https://crimhalt.org/2023/06/29/crimhalt-partenaire-du-projet-rinse-research-and-information-sharing-on-freezing-and-confiscation-orders-in-european-union/">confiscation des avoirs criminels générés par le trafic</a>.</p>
<hr>
<p><em>Cet article, rédigé à l’aide de la revue de presse quotidienne du site <a href="https://crimorg.com/">crimorg.com</a> a été co-écrit avec Mehdi Ajerar, spécialiste de la géopolitique du crime organisé et du terrorisme. Mehdi Ajerar a rédigé, à l’Université Paris 8, un mémoire de géopolitique sur les représentations criminelles du trafic de drogue à Saint-Ouen à l’Université Paris 8. Il est titulaire d’un <a href="https://formation.cnam.fr/rechercher-par-discipline/master-criminologie-securite-defense-renseignement-cybermenaces-1085602.kjsp">master 2 de criminologie au CNAM</a> et membre de l’association <a href="https://crimhalt.org/">Crim’HALT</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210146/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Rizzoli ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>S’il est exagéré de qualifier la France de « narco-État », le pays ne s’en trouve pas moins au cœur de nombreux trafics de drogue, celle-ci provenant aussi bien des Amériques que d’Afrique et d’Asie.Fabrice Rizzoli, Spécialiste des mafias et président de l'association Crim'HALT. Enseignant en géopolitique des criminalités., Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2083112023-07-17T19:22:06Z2023-07-17T19:22:06ZTrafic de stupéfiants : comment l’économie légale se rend co-responsable<p>Et si l’économie légale endossait une responsabilité non négligeable dans l’<a href="https://www.lepoint.fr/dossiers/monde/cocaine-europe-drogue-trafic-france-narcos/">explosion actuelle du trafic de stupéfiants</a> et en particulier de la <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-jt/france-2/20-heures/drogue-explosion-de-la-consommation-de-cocaine-en-france_5668124.html">cocaïne</a> ? On a souvent tendance à penser la réalité de façon manichéenne avec, d’un côté, le <a href="https://theconversation.com/topics/commerce-illegal-37412">monde de l’illégal</a> recourant communément à la violence et, de l’autre, une sphère légale, par essence saine et pacifique, prospérant indépendamment du crime.</p>
<p>La réalité est bien <a href="https://www.puf.com/content/La_face_cach%C3%A9e_de_l%C3%A9conomie">moins binaire</a>. Le comprendre devient un impératif afin de mieux combattre la banalisation de la consommation de stupéfiants en France et ailleurs. Cette consommation affecte nos économies, nos systèmes de santé et même nos <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-cocaine-represente-une-menace-pour-les-democraties-europeennes-27-11-2022-2499382_24.php">démocraties</a> avec les sommes d’argent dont dispose le commerce illégal à des fins de corruption, comme l’expliquait récemment au <em>Point</em> le directeur du Centre opérationnel d’analyse du renseignement maritime pour les <a href="https://theconversation.com/topics/drogues-27914">stupéfiants</a> regroupant six pays européens.</p>
<p>Trois exemples de détournement d’outils légaux au profit des narcotrafiquants illustrent comment l’économie légale fournit – parfois sciemment – des instruments de développement des activités criminelles, dont le trafic de stupéfiants. Il s’agit des <em>trust and company service providers</em>, des fournisseurs de <a href="https://theconversation.com/topics/telecommunications-33904">messagerie cryptée</a> et des infrastructures <a href="https://theconversation.com/topics/port-35998">portuaires</a>.</p>
<h2>Déclarer légalement une entreprise de couverture</h2>
<p>Le terme de « sociétés-écrans » revient régulièrement lorsqu’il s’agit de trafic de stupéfiants, qu’elles servent de façade légale pour l’activité illégale ou d’outil de blanchiment de l’argent sale.</p>
<p>Des prestataires légaux, les <em>trust and company service providers</em> (TCSP) (« prestataires de services aux sociétés et fiducies »), offrent en toute légalité des services d’enregistrement et de domiciliation des sociétés et fiducies permettant de garantir l’opacité sur la propriété réelle des entités. En quelques clics sur Internet, il est possible d’immatriculer une société dans une place <em>offshore</em> pour une somme modique et sans même forcément se déplacer.</p>
<p>Ces prestataires agissent en toute liberté malgré des <a href="https://www.fatf-gafi.org/en/publications/Methodsandtrends/Moneylaunderingusingtrustandcompanyserviceproviders.html">rapports</a> du Groupe d’action financière (Gafi) pointant la responsabilité de ces sociétés dans le blanchiment d’argent. Le Gafi est l’organisme mondial de surveillance du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.</p>
<p>En particulier, ces TCSP peuvent proposer, moyennant finance, des « directeurs désignés » (nominee directors), c’est-à-dire des personnes dont le nom apparaitra dans les registres en lieu et place du nom du véritable propriétaire (<em>beneficial owner</em>). Ils ne disposent d’aucun pouvoir opérationnel et décisionnel dans la société, n’ont pas non plus de droit d’accès ou de regard sur les comptes bancaires de la société : dit autrement, ce sont des hommes de paille. Cette option est évidemment fort appréciée des narcotrafiquants.</p>
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<p>L’approvisionnement de la France se fait via des organisations internationalisées pour l’import de gros. Ce sont ces organisations qui ont des sociétés-écrans. La <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-OFFSHORE-707-1-1-0-1.html">lutte est compliquée</a> car elle suppose de s’immiscer dans la souveraineté des places offshore. Le traçage des flux financiers est aussi difficile du fait de la multiplication des juridictions dans lesquelles les sociétés et les comptes bancaires associés sont créés.</p>
<h2>Des « WhatsApp » pour gangsters</h2>
<p>Les fournisseurs de messagerie cryptés ne peuvent pas non plus se dédouaner de certaines responsabilités. L’<a href="https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/gendinfo/enquetes/2020/retour-sur-l-affaire-encrochat">opération d’infiltration d’EncroChat</a> menée en 2020 sous l’égide d’Europol et d’Eurojust l’a bien mis en évidence. Elle a permis aux forces de l’ordre de divers pays associés d’accéder à plus de 120 millions de messages cryptés largement émis par des acteurs du narcobanditisme. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/constitutionnalite-d-une-preuve-penale-classee-secret-defense">jugé</a> que les éléments collectés ainsi par des moyens classés secret défense pouvaient être utilisés dans un procès sans porter atteinte aux droits de la défense.</p>
<p>C’est grâce à une société légale, EncroChat, vite surnommée « le WhatsApp des gangsters », qu’ils ont été envoyés. Les activités de cette entreprise de télécommunications des Pays-Bas ont cessé en juin 2020 juste après la révélation de l’infiltration du système par les forces de l’ordre.</p>
<p>Aujourd’hui placée sous enquête, l’entreprise proposait des téléphones modifiés aux fonctionnalités propres à attirer spécifiquement des organisations criminelles. Sans micro, ni caméra, ni GPS, ces téléphones n’étaient pas traçables. Ils étaient également reliés à un système de messagerie chiffrée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1671459308557541378"}"></div></p>
<p>Via ce canal, les criminels géraient divers points du trafic : organisation logistique de l’acheminement des stupéfiants, règlements des factures, approvisionnement en armes, location de services illégaux tels que des tueurs à gages… Toutes ces opérations pouvaient être réalisées en des temps record. Outre le cryptage des messages, le système offrait un ensemble d’options utiles aux activités criminelles. On retrouvait notamment la possibilité d’utiliser un code PIN spécifique pour effacer toutes les données du téléphone et pour afficher de fausses interfaces de nature à dérouter les enquêteurs qui se saisiraient de l’objet.</p>
<p>Assurant que l’offre de tels services n’était pas problématique, les dirigeants d’EncroChat ont toujours prétendu que le cryptage, le non-traçage et l’effacement des données répondaient à des besoins typiques des journalistes ou bien des activistes, donc de personnes craignant que leurs actions soient espionnées sans pour autant s’inscrire dans l’illégalité.</p>
<p>L’analyse par les forces de l’ordre des messages interceptés montre cependant que la quasi-totalité d’entre eux conduit à des membres d’organisations criminelles comme la Mocro-Maffia néerlandaise ou le cartel de Sinaloa. Sans boutiques, ni revendeurs officiels, il était d’ailleurs quasi nécessaire d’être coopté par le membre d’une organisation criminelle pour acquérir un « Encro ».</p>
<h2>Des ports qui ne s’estiment pas responsables</h2>
<p>Nombre de messages décryptés par les autorités concernaient l’organisation du transport des stupéfiants, notamment de la cocaïne. Or le mode principal d’acheminement des drogues reste la <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2016-4-page-119.htm">voie maritime</a>. Cela pose la question stratégique des zones portuaires et de l’utilisation en ces endroits d’infrastructures légales par des organisations criminelles.</p>
<p>Récemment, l’actualité a braqué les projecteurs sur les ports d’<a href="https://www.courrierinternational.com/article/drogues-anvers-et-rotterdam-points-d-entree-du-marche-europeen-de-la-cocaine">Anvers et de Rotterdam</a>, principaux ports européens et portes d’entrée de la cocaïne en Europe. Des saisies ont toutefois montré que d’autres ports européens sont concernés, en particulier, pour ce qui est de la France, <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/seine-maritime/havre/drogue-pres-de-2-tonnes-de-cocaine-saisies-sur-le-port-du-havre-le-19-fevrier-2724110.html">Le Havre</a>, <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/finistere/brest/saisie-de-343-kilos-de-cocaine-pres-de-brest-un-homme-interpelle-2796350.html">Brest</a> et <a href="https://www.ouest-france.fr/societe/faits-divers/quelque-400-kg-de-cocaine-saisis-par-les-douanes-sur-le-port-de-montoir-lundi-soir-a61f768a-f3dd-11ed-9f02-f7c1b8f6226c">Montoire-de-Bretagne</a>.</p>
<p>Le commerce mondial ne cesse de croître et passe à 90 % par les voies maritimes. D’après la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) ce sont plus de <a href="https://unctad.org/system/files/official-document/rmt2022overview_fr.pdf#page=5">11 milliards de tonnes de marchandises</a> qui circulent annuellement dans le monde sur des porte-conteneurs et des vraquiers. Loin de se répartir harmonieusement entre les différents ports, l’activité commerciale maritime est extrêmement <a href="https://www.mdpi.com/2220-9964/10/1/40">polarisée</a> avec de grands ports se livrant une concurrence sans merci pour capter toujours plus de flux.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/533476/original/file-20230622-5187-k1xtqg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Avec seulement 2 % de containers inspectés à Rotterdam, la porte est ouverte pour faire circuler en quantité importante des marchandises illégales.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Guilhem Vellut/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Cela se traduit par une <a href="https://theconversation.com/transport-maritime-40-ans-de-course-au-gigantisme-206780">course au gigantisme</a> des infrastructures – en réponse aussi au développement des capacités de charge des nouvelles générations de super porte-conteneurs – et à la rapidité de traitement du dépotage des cargaisons. Le <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/breves/rotterdam-10e-port-mondial-en-2019">port de Rotterdam</a> se targue ainsi de fonctionner <a href="https://www.marfret.fr/ports/rotterdam/">24h/24, 365 jours/365</a> et de prendre en charge un conteneur toutes les six secondes.</p>
<p>Naturellement, la quête d’une extrême fluidité dans la circulation des marchandises s’accommode mal du ralentissement induit par d’éventuels contrôles sur la nature – légale ou non – des marchandises. Au nom de l’efficience économique, le choix a clairement été fait de peu contrôler : environ <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/drogue-addictions/cocaine/reportage-saisies-records-de-cocaine-le-port-belge-d-anvers-plus-que-jamais-cible-par-les-narcotrafiquants_5593875.html">2 % des marchandises seulement sont inspectés</a>, totalement ou partiellement, à Anvers et Rotterdam, au détriment de la sécurité.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/533475/original/file-20230622-16-k1y1dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1147&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
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<p>Cela ouvre des possibilités majeures de dissimulation de marchandises illégales au milieu des chargements légaux avec un risque de détection faible. À cela s’ajoutent des stratégies pour dévier d’éventuels contrôles, là aussi en exploitant les failles de l’économie légale. Les organisations criminelles vont exploiter leur capacité de corruption pour obtenir la complicité de professions clefs comme les dockers, les douaniers, les transporteurs. Cette corruption passe par des pots-de-vin mais aussi par des pressions (menaces, éventuelles violences) sur les personnes.</p>
<p>Si le rôle des ports dans l’entrée de stupéfiants sur nos territoires est avéré, la route semble pourtant encore longue pour que les autorités portuaires en endossent pleinement la responsabilité si l’on en croit cet extrait du <a href="https://reporting.portofrotterdam.com/FbContent.ashx/pub_1011/downloads/v230308163517/Highligths-Annual-Report-2021-Port-of-Rotterdam-Authority.pdf#page=12">rapport annuel d’activité 2021 du port de Rotterdam</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le crime lié aux stupéfiants au port a régulièrement été dans l’actualité l’année dernière. S’attaquer à la criminalité subversive est un défi posé à la société dans son ensemble qui, à strictement parler, n’est pas de la responsabilité de l’Autorité du Port de Rotterdam. »</p>
</blockquote>
<p>Pourtant, une lutte efficace contre le trafic de stupéfiants doit intégrer le fait que l’économie légale fournit des « facilitateurs » auxquels il convient également de s’attaquer dans une logique d’entrave aux trafics.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208311/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clotilde Champeyrache ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Services d’immatriculation de sociétés-écrans, messageries cryptées et modes de régulation des infrastructures portuaires sont autant d’exemples de supports fournis par l’économie légale aux trafics.Clotilde Champeyrache, Associate Professor in Economics, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1523322020-12-30T22:40:35Z2020-12-30T22:40:35ZLes États-Unis, la France et la French Connection : retour sur les origines géopolitiques de la loi de 1970<p>La <a href="http://www.caat.online.fr/dossiers/loi1970.htm#:%7E:text=628%20du%20Code%20de%20la,fondamentalement%20comme%20une%20loi%20p%C3%A9nale.">loi de 1970</a> réprimant l’usage et le trafic de drogues, adoptée par la représentation nationale il y a cinquante ans, est trop souvent réduite à l’expression d’une « panique morale » affectant une classe politique <a href="https://www.pistes.fr/swaps/60_247.htm">affolée</a> par la progression de l’usage de drogues illicites dans la société française, ainsi que par la contestation politique et sociétale à l’œuvre dans des franges croissantes de la jeunesse depuis le mouvement de mai 1968.</p>
<p>Si cette dimension est bien réelle, les soubassements géopolitiques de la loi sont en revanche rarement mis en avant, notamment les pressions considérables exercées à l’époque par les États-Unis sur le gouvernement français. La France n’était pas loin, en effet, d’être considérée par Washington comme un vulgaire <a href="http://www.editions-galilee.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=2801">« État voyou »</a> puisqu’elle était non seulement l’allié le plus rétif du monde occidental, mais aussi la source principale de l’héroïne consommée en Amérique du Nord.</p>
<p>Pourtant, à la toute fin des années 1960, quand la loi est votée, l’épidémie d’héroïne n’en est qu’à ses débuts en France. Les usages sont encore marginaux : <a href="https://www.cairn.info/l-impossible-prohibition--9782262051570.htm">182 consommateurs seulement sont interpellés en 1969</a>. Mais aux États-Unis, il n’en va pas de même. Le pays, qui comptait 20 000 héroïnomanes à la fin de la Seconde Guerre mondiale, en recense, au milieu des années 1960, environ <a href="https://books.google.sm/books?id=4iIsUorX6wsC&hl=it">150 000</a>. Les consommations et le trafic se situent au cœur des métropoles américaines, notamment New York, et touchent particulièrement de jeunes hommes, y compris les <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2016-2-page-100.htm">engagés au Vietnam</a>, parmi lesquels ceux issus de la minorité noire sont surreprésentés. En 1971, Nixon déclare que l’abus de drogues est devenu <a href="https://www.youtube.com/watch?v=y8TGLLQlD9M">l’ennemi public numéro 1</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’Amérique du Nord a le triste privilège de compter le plus grand nombre d’héroïnomanes au monde. […] La toxicomanie aux États-Unis a maintenant pris l’allure d’une catastrophe nationale. Si nous ne venons pas à bout de ce fléau, c’est lui qui viendra à bout de nous. »</p>
</blockquote>
<h2>La France : « rogue state » ?</h2>
<p>Mais c’est la France, en réalité, qui est la cible de l’administration américaine. Celle-ci est, en effet, l’un des plus grands producteurs d’héroïne au monde grâce à ses filières corso-marseillaises. Dans les années 1960, elles produisent, selon le Bureau of Narcotics, l’ancêtre de la DEA, près de 75 % de l’héroïne consommée aux États-Unis, soit 8 à 10 tonnes par an. Et ce, dans l’indifférence à peu près générale de la classe politique locale et nationale. D’une part, parce que la production n’est pas destinée au marché hexagonal, les acteurs du trafic ne souhaitant pas attirer l’attention de la police, du gouvernement et de l’opinion sur leurs activités ; d’autre part, à cause des porosités entre le monde de la pègre et celui de la classe politique.</p>
<p>À Marseille, si la municipalité socialiste sait avoir recours, quand il le faut, aux services occasionnels rendus par la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=q_XY4ao426E">famille Guérini</a>, le gaullisme local a lui aussi des accointances avec le monde criminel, notamment par l’entremise de certains membres du Service d’action civique (SAC) recrutés, à la fin de guerre d’Algérie, pour lutter contre l’OAS, notamment dans le milieu proche de <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1973/11/21/dossier-d-comme-drogue-d-alain-jaubert_2547466_1819218.html">Marcel Francisci, surnommé aux États-Unis « M. Heroin »</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ljsYxOzRSEE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Tous ces facteurs s’inscrivent dans un contexte plus large caractérisé par l’hostilité relative que le pouvoir politique éprouve pour les États-Unis considérés comme une « force d’occupation ». Les années 1960 sont en effet le théâtre de tensions entre les deux pays du fait de la politique de De Gaulle visant à débarrasser la France et l’Europe occidentale de la <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2018-10-page-127.htm">tutelle américaine</a>. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Raymond Marcellin, en témoigne dans ses <a href="https://www.amazon.fr/Limportune-verite-Raymond-Marcellin/dp/2259003516/ref=sr_1_2?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&dchild=1&keywords=raymond+marcellin&qid=1608108574&s=books&sr=1-2">Mémoires</a> : </p>
<blockquote>
<p>« La férocité de la campagne menée par la presse américaine contre la France, et relayée par certains journalistes français, n’avait pas seulement, pour principale raison, le trafic de l’héroïne. La politique extérieure française soulevait la colère d’un grand nombre d’Américains. La construction de la force atomique française, la défense tous azimuts, l’embargo sur les armes pour Israël, les attaques contre le dollar et le déficit de la balance des comptes américaine, tout cet ensemble ne nous faisait pas une très bonne presse dans une partie de l’opinion publique américaine. »</p>
</blockquote>
<h2>Au cœur du trafic, Marseille</h2>
<p>Pourtant, les trafics d’héroïne entre la France et l’Amérique ne datent pas d’hier. Les filières françaises sont actives depuis au moins les <a href="http://pur-editions.fr/detail.php?idOuv=2233">années 1930</a>. C’est à cette époque que les premiers laboratoires apparaissent dans la région parisienne et à Marseille, dont le port est en connexion avec l’Indochine coloniale, où l’opium est légal depuis la création de la <a href="http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/38260">régie de l’opium en 1881</a>, ou encore avec la Turquie et l’Iran. En 1937, trois laboratoires d’héroïne sont démantelés en France, dont un recelait 100 kg d’héroïne, une saisie énorme au regard de celles réalisées dans le monde à l’époque, soit 867 kg.</p>
<p>Après la Seconde Guerre mondiale, la demande aux États-Unis se développant, le trafic s’intensifie et les exportations d’héroïne française prennent la direction de l’Italie où Cosa Nostra se charge de la réexpédition outre-Atlantique. À l’époque, l’État américain ne réagit pas. La priorité du moment n’est pas de lutter contre le trafic d’héroïne, mais d’endiguer l’expansion du mouvement communiste, très puissant en France, et en particulier à Marseille où le PCF est influent sur les docks, lieux de passage obligés des marchandises américaines envoyées en Europe occidentale dans le cadre du plan Marshall. Dans la lutte anticommuniste, les organisations criminelles corses sont alors considérées par le <a href="https://www.amazon.fr/gp/product/B0714FD8ZS/ref=dbs_a_def_rwt_hsch_vapi_tkin_p1_i0">Deep State américain</a> comme des <a href="https://www.franceinter.fr/oeuvres/la-politique-de-l-heroine-l-implication-de-la-cia-dans-le-trafic-des-drogues">alliées</a>.</p>
<p>Renforcées et légitimées par la guerre froide en raison de leur participation à la croisade contre les « rouges », les filières corso-marseillaises sont, au début des années 1960, aptes à répondre à la demande croissante d’héroïne sur le marché étatsunien. Ce que les Américains dénomment à l’époque la <a href="http://thierry-colombie.fr/livre/la-french-connection/">French Connection</a> n’est rien d’autre qu’une appellation générique désignant une multitude d’équipes indépendantes, parfois rivales. La French Connection n’est pas une organisation pyramidale, comme Cosa Nostra en Sicile ou aux États-Unis. Structurée autour d’un financeur, appartenant aux hautes sphères du milieu, qui avance les fonds pour acheter la morphine-base en Turquie et les infrastructures techniques nécessaires à sa transformation, l’équipe comprend un ou deux chimistes, un assistant et une multitude d’hommes de main (guetteurs, approvisionneurs) dont une partie va se charger de l’acheminement du produit vers la <a href="https://editions.flammarion.com/quand-j-etais-gangster/9782081352797">côte Est des États-Unis</a>. Le plus souvent dans des voitures, acheminées par bateau directement ou indirectement via <a href="https://www.franceculture.fr/societe/presse-french-connection-marseille-montreal-new-york">Montréal au Canada</a> ou Vera Cruz au Mexique. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376690/original/file-20201228-49525-1d9rw6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376690/original/file-20201228-49525-1d9rw6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=968&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376690/original/file-20201228-49525-1d9rw6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=968&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376690/original/file-20201228-49525-1d9rw6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=968&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376690/original/file-20201228-49525-1d9rw6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1216&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376690/original/file-20201228-49525-1d9rw6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1216&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376690/original/file-20201228-49525-1d9rw6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1216&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’animateur de télévision Jacques Angelvin (1914-1978) a raconté dans cet ouvrage publié chez Plon en 1968 ses cinq années de prison aux États-Unis. Condamné pour y avoir introduit une voiture contenant plus de 50 kilos d’héroïne, il affirme avoir été la victime d’une machination.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Plon</span></span>
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<p>De plus, en France, les laboratoires sont disséminés dans des villas de l’arrière-pays marseillais, tout en étant extrêmement mobiles, ne servant le plus souvent qu’une fois. Le système est parfaitement cloisonné. Les investisseurs ne sont jamais en contact direct avec les organisateurs matériels du trafic et se contentent de toucher les dividendes de leurs investissements. En outre, les équipes marseillaises activent une diaspora d’acteurs aux origines très disparates : contrebandiers installés au Mexique ; commerciaux rattachés à la société Pernod-Ricard ; anciens collaborateurs en fuite en <a href="https://www.outrostempos.uema.br/index.php/outros_tempos_uema/article/view/604">Argentine en 1945</a>… ainsi que des « occasionnels » de rencontre, recrutés comme mules : des diplomates guatémaltèques corrompus, un <a href="https://www.amazon.fr/French-Connection-Narcotics-International-Conspiracy/dp/1592280447/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&dchild=1&keywords=french+connection+robin+moore&qid=1608237246&s=books&sr=1-1">présentateur abusé de l’ORTF</a>…</p>
<h2>Le Bureau des narcotiques à Paris et à Marseille</h2>
<p>La démission de De Gaulle, en 1969, et l’arrivée concomitante au pouvoir de Georges Pompidou et de Richard Nixon à la tête de l’administration américaine précipitent les choses.</p>
<p>Dès ses premiers mois d’exercice, Nixon décide en effet, après avoir écrit une lettre à son homologue français pour se plaindre de la passivité des pouvoirs publics hexagonaux, de renforcer en France la présence du Bureau des Narcotiques et des drogues dangereuses (BNDD). L’ambassade américaine à Paris devient le siège central de la région Europe pour la lutte contre les drogues, tandis que des agents fédéraux sont missionnés à Marseille, au consulat américain, pour mettre la pression sur une police locale jugée passive.</p>
<p>En outre, Nixon exige la tenue d’une réunion au sommet avec la direction de la police judiciaire française afin de lancer une coopération renforcée avec les services français. Des réunions trimestrielles des deux côtés de l’Atlantique sont instituées. Parallèlement, le ministère de l’Intérieur fait de la lutte contre l’héroïne une priorité en renforçant <a href="https://www.amazon.fr/bataille-French-connection-Honor%C3%A9-G%C3%A9vaudan-ebook/dp/B07M68CQGG/ref=sr_1_2?dchild=1&qid=1608109229&refinements=p_27%3AHonor%C3%A9+G%C3%A9vaudan&s=books&sr=1-2">l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants
(OCRTIS)</a> qui faisait jusque-là figure de parent pauvre, voire misérable, de la police judiciaire, avec ses 16 fonctionnaires. Une antenne est créée à New York, chargée de faire l’interface entre les services français et américains, tenus désormais de partager leurs renseignements. En 1971, un protocole de coopération franco-américain est signé à Paris.</p>
<h2>Grandeur et misère de la loi de 1970</h2>
<p>Si c’est un lieu commun aujourd’hui d’affirmer que la loi de 1970, dans son aspect concernant la répression de l’usage, a constitué un <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/la-catastrophe-invisible/">échec</a>, il semble incontestable qu’elle n’est pas restée sans effet sur l’offre et qu’elle a contribué au démantèlement et à la démobilisation des filières corso-marseillaises de l’héroïne.</p>
<p>Alors qu’avant l’adoption de la loi, la législation prévoyait une peine de cinq années de prison pour la production de drogues illicites, le quadruplement des peines - vingt, voire trente ans de prison en cas de récidive - va dissuader un certain nombre d’acteurs de poursuivre leurs activités. À cet égard, le <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2012-3-page-89.htm">cas de Joseph Cesari</a>, l’un des meilleurs chimistes de son temps, est édifiant.</p>
<p>Arrêté une première fois à Aubagne, au Clos Saint-Antoine, en 1964, avec deux de ses assistants, à la faveur du démantèlement d’un laboratoire où près de 100 kg de morphine-base et autant d’héroïne pure sont saisis, le Corse est condamné en correctionnelle à sept ans de prison. Après une libération anticipée pour raisons de santé en 1970, il reprend très vite ses activités. Réarrêté en 1972, alors que la législation a entretemps changé, il est condamné cette fois à vingt ans de prison et se suicide peu après dans une cellule des Baumettes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1331841672620150786"}"></div></p>
<p>En outre, la police est plus efficace comme l’illustre, en 1972, la saisie record de plus de 400 kg d’héroïne à bord du <em>Caprice des Temps</em> dans le port de Marseille. À l’époque, de nombreux acteurs estiment que les coûts en termes répressifs excèdent largement les bénéfices, et se retirent d’un secteur qui leur a permis, qui plus est, d’accumuler des capitaux considérables - plusieurs milliards d’euros, recyclés dans d’autres domaines d’activité. Le dernier laboratoire est démantelé en 1981 à Saint-Maximin, tandis que la répression s’accroît encore suite à <a href="http://thierry-colombie.fr/livre/mort-juge-michel/">l’assassinat du juge Michel</a> dans un contexte où le milieu marseillais est marqué par des guerres intestines qui voient s’affronter une nouvelle génération incarnée par Gaétan Zampa et Jacques Imbert.</p>
<p>Dès lors, après des tentatives de délocalisation ratées dans d’autres régions, comme les <a href="https://www.lamontagne.fr/chambon-sur-lignon-43400/actualites/le-retour-rate-de-la-french-connection-en-auvergne_11242914/">Cévennes</a>, illustrées par la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1980/03/11/dix-personnes-sont-arretees-apres-la-decouverte-d-un-laboratoire-d-heroine_2816986_1819218.html">saisie en 1980 du laboratoire de Chambon-sur-Lignon</a>, la production se déplace dans des contrées plus accueillantes, notamment en Italie, comme le montre l’arrestation d’Antoine Bousquet, ancien de la « French », à Palerme, en Sicile la même année, et au Liban, où la guerre civile va favoriser la production d’opium et d’héroïne.</p>
<p>Certains membres de la French Connection se lancent pour leur propre compte dans le <a href="https://theconversation.com/aux-origines-de-la-cocaine-connection-en-france-125787">trafic émergent de cocaïne</a> ou se mettent au service des cartels colombiens, forts de leurs compétences acquises dans le trafic d’héroïne. Les coups de bélier policiers franco-américains des années 1970, par un classique <a href="https://vih.org/20150511/la-guerre-a-la-cocaine-a-lepreuve-de-leffet-ballon/">« effet ballon »</a>, n’auront abouti qu’à la dispersion des équipes aux quatre coins du monde, favorisant la <a href="https://www.erudit.org/en/journals/dss/1900-v1-n1-dss02700/1037782ar/abstract/">globalisation des réseaux transnationaux de trafiquants</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152332/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Allocation de recherche doctorale (ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche - ENS Cachan, 2008-2011). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Michel Gandilhon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il y a cinquante ans, le 31 décembre 1970, la France votait une loi majeure réprimant l'usage et le trafic des drogues. Retour sur les circonstances géopolitiques de l'adoption de ce texte controversé.Michel Gandilhon, Chargé d'enseignement, master de criminologie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Alexandre Marchant, Historien, enseignant, chercheur associé ISP , École Normale Supérieure Paris-Saclay – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1378412020-05-24T17:04:40Z2020-05-24T17:04:40ZRacket, vols, corruption : comment les réseaux criminels profitent de la crise sanitaire<p>La crise sanitaire exacerbe les carences d’un système économique défaillant et inégalitaire, qui s’en remet à la solidarité citoyenne pour faire face aux urgences de la pandémie. Alors que les gouvernements cherchent encore la direction à suivre après le confinement, les réseaux criminels construisent déjà le nouveau monde qui s’offre à eux. Leur capacité <a href="https://www.researchgate.net/publication/333255876_Social_Enterprise_Between_Crime_Economy_and_Democratic_Transformation_in_Southern_Italy">à profiter des crises est connue</a>. Pour reprendre les <a href="https://rep.repubblica.it/pwa/intervista/2020/04/06/news/cafiero_de_raho_i_clan_sfrutteranno_l_emergenza_per_mangiarsi_l_economia_-253334622/">termes</a> du commissaire italien antimafia Cafiero De Raho : « les clans exploiteront cette période d’émergence pour manger l’économie ».</p>
<p>Les secteurs économiques à fort potentiel de gains sont particulièrement investis par la criminalité. Dans les « zones grises » de la complicité et de la connivence, criminels, politiques, entrepreneurs et fonctionnaires nouent des alliances et échangent des faveurs, à la frontière entre légalité et illégalité.</p>
<h2>Une pénétration progressive de l’économie illégale</h2>
<p>Les réseaux criminels offrent protection et intermédiation aux acteurs économiques et professionnels, en échange de quoi ces derniers leur proposent des compétences dont ils sont dépourvus. Des capitaux illicites sont ainsi investis dans les marchés, ce qui entraîne la pénétration progressive de <a href="https://www.mulino.it/isbn/9788815284280">l’économie illégale dans l’économie légale</a>.</p>
<p>La criminalité organisée agit comme régulateur des activités économiques, en faisant baisser les coûts et en produisant des contextes favorables à la concurrence, y compris grâce à son réseau relationnel très étendu, facilitant captation d’informations et de collaborations.</p>
<p>Elle bénéficie en particulier de trois atouts qui lui assurent des avantages en termes de compétitivité sur le marché : le découragement de la concurrence par l’intimidation et la violence ; la réduction des coûts du travail par l’évasion fiscale et l’emploi des travailleurs au noir ; la disponibilité de liquidités pour les investissements par les activités illégales (trafic de drogue, usure, vente d’armes).</p>
<p>Si depuis la crise économique de 2008, ces formes d’entrelacement se sont structurées dans tous les pays, l’actuelle crise sanitaire les renforce car elle les étend aux services et aux solidarités.</p>
<h2>Un système bancaire parallèle</h2>
<p>La première zone de risque vient des liquidités dont disposent les réseaux criminels, liquidités qui leur permettent d’octroyer des crédits à la manière d’un système bancaire parallèle.</p>
<p>En fournissant aux entreprises les fonds nécessaires pour résister à la crise et relancer leurs activités après le confinement, ils s’assurent une présence stable sur les marchés. C’est le cas, de plusieurs restaurants et hôtel de luxe qui, durant le confinement, ont accepté des <a href="https://lavialibera.libera.it/it-schede-128-camorra_e_covid_una_fonte_rivela_gli_usurai_hanno_gia_preso_alcune_attivita_a_sud_di_napoli">prêts à usure de la Camorra</a>, dans une commune au sud de Naples.</p>
<p>Dans ce contexte particulier, les entreprises en difficulté acceptent plus facilement les capitaux illégaux et les formes de protection et de collaboration, ce qui finit par phagocyter des entités économiques jusqu’alors saines. Les affaires criminelles s’orientent également vers le rachat d’entreprises au bord de la faillite (notamment de petites et moyennes entreprises), et en profitent pour blanchir des capitaux illicites. Ces ressources illégales concurrencent directement le soutien aux entreprises mis en place par les gouvernements.</p>
<h2>S’endetter auprès de la mafia</h2>
<p>La demande de liquidité, sous forme de prêt à usure, concerne aussi les personnes, comme le montre Enza Rando de l’association italienne Libéra, qui lutte contre les <a href="https://www.libera.it/schede-1277-coronavirus_allarme_libera_molti_imprenditori_cercano_aiuto_da_usurai_denunce_in_calo">criminalités organisées et la corruption</a> :</p>
<blockquote>
<p>« En ce moment, les personnes en difficulté ne dénoncent plus les usuriers mais elles vont plutôt les chercher, ce qui est le plus alarmant. Les cas d’usure, on les connaîtra après l’émergence du coronavirus mais, pour le moment, il y a très peu d’appels à notre numéro vert. »</p>
</blockquote>
<p>La fragilité de certaines populations, dont tous les revenus proviennent des économies informelles ou du travail au noir, a été exacerbée par l’impossibilité de sortir et de bénéficier des amortisseurs sociaux, tel le chômage partiel prévu par la plupart des États européens.</p>
<p>À titre d’exemple, en Italie, environ 3,7 millions de travailleurs sont irréguliers et à l’arrêt du fait de la pandémie. Une économie cachée qui compte pour environ 200 milliards, <a href="https://www.istat.it/it/archivio/234323">soit 12,1 % du PIB italien</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, non seulement la mafia octroie des prêts, mais elle se paye le luxe d’annuler toute échéance durant la période de confinement et va jusqu’à proposer des aides matérielles, comme des denrées alimentaires, des médicaments ou du matériel sanitaire.</p>
<p>À Palerme, un délinquant local, frère du boss mafieux Giuseppe Cusimano, a organisé des distributions gratuites de paniers alimentaires dans l’un des quartiers les plus pauvres de la ville. Le <a href="https://rep.repubblica.it/pwa/locali/2020/04/08/news/palermo_il_fratello_del_boss_della_droga_fa_la_spesa_per_lo_zen-253439286/">journaliste</a> ayant relaté cet épisode est aujourd’hui menacé par ces mêmes réseaux, qui invitent la population à leur témoigner sa gratitude.</p>
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<figcaption><span class="caption">Konbini, comment la mafia profite du coronavirus.</span></figcaption>
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<p>Au Mexique, des membres présumés d’un cartel de la drogue livrent aussi des denrées alimentaires à des familles à faible revenu. Les boîtes dans lesquelles sont stockés les aliments portent la marque du logo du clan, <a href="https://www.facebook.com/laexpansion.chiapas.9/posts/647989576035198">« Cartel del Golfo »</a>, rappelant ainsi aux bénéficiaires qu’il ne s’agit pas d’aides publiques.</p>
<p>Par ces opérations de « bienfaisance », les réseaux criminels restaurent des formes de consensus populaire, toutes mobilisables ultérieurement sous forme de dette et de lien de subordination.</p>
<h2>Racketter le consensus social</h2>
<p>De même, l’offre de « petits boulots » (distribution de denrées ou services aux personnes isolées) permet de créer des liens de dépendance et d’établir un contrôle dans les territoires. Dans les favelas brésiliennes, les trafiquants de drogue maintiennent leurs relations avec la population grâce à ces services de proximité. Ils imposent même le confinement aux familles pauvres, se présentant à eux comme des protecteurs plus attentifs à leur sécurité sanitaire que le <a href="https://www.occrp.org/en/daily/11930-organized-crime-enforcing-quarantine-in-brazilian-favelas">gouvernement de Bolsonaro</a>.</p>
<p>À l’inverse, dans la ville sicilienne de Messine, une centaine de personnes a participé au cortège funéraire du boss local, sans aucune intervention de police, et malgré le <a href="http://www.messinaora.it/notizia/2020/04/13/esclusiva-messina-ecco-le-foto-del-corteo-funebre-per-il-fratello-del-boss-pentito/128987">confinement</a>.</p>
<p>Dans les deux cas, on peut y voir l’expression du consensus social dont disposent les réseaux criminels, qui profitent de cette crise pour se poser en substituts de l’État, notamment là où le système de <em>welfare</em> fait défaut. Par ailleurs, le nombre de <a href="https://lavialibera.libera.it/it-schede-65-gli_effetti_indesiderati_del_coronavirus_le_sei_opportunita_illecite_per_le_mafie">vols de matériel sanitaire a augmenté</a>.</p>
<p>Ces marchés (fabrication de masques, de gel hydroalcoolique, recyclage et destruction des déchets sanitaires, etc.) intéressent tout particulièrement les groupes criminels déjà installés ou émergents. À titre d’exemple, entre le 3 et le 10 mars 2020, plus de 34 000 masques chirurgicaux contrefaits ont été saisis par les autorités répressives du monde entier dans le cadre de <a href="https://www.europol.europa.eu/newsroom/news/how-criminals-profit-covid-19-pandemic">l’opération PANGEA</a> soutenue par Europol.</p>
<h2>Boom de la corruption</h2>
<p>Grâce aux liquidités dont ils disposent, les réseaux criminels peuvent contrôler ou racheter des entreprises légales en mesure de remporter des contrats de fourniture d’équipements de santé. Ils peuvent aussi mobiliser leurs réseaux pour intervenir sur des marchés publics ouverts dans l’urgence et dont les critères de contrôle en matière d’accès sont faibles. Comme l’affirmaient récemment <a href="https://www.biznews.com/global-citizen/2020/04/09/coronavirus-covid-19-corruption-kleptocrats">deux juges</a>, le Sud-africain Richard J. Goldstone et l’Américain Mark L. Wolf :</p>
<blockquote>
<p>« Nous pouvons prédire avec confiance que la réponse à la pandémie sera une aubaine pour les kleptocrates – une opportunité pour les dirigeants corrompus de nombreux pays de s’enrichir. »</p>
</blockquote>
<p>Le réseau OCCRP <a href="https://www.occrp.org/en">(Organized crime and corruption reporting project)</a> qui observe les réseaux de criminalité organisée, <a href="https://www.occrp.org/en/coronavirus/opaque-coronavirus-procurement-deal-hands-millions-to-slovenian-gambling-mogul">relate de nombreux cas de corruption</a> : en Slovénie, près d’un tiers des quelque 80 millions d’euros de contrats accordés par l’État dans le contexte de la crise sanitaire ont été destinés à des entreprises privées, et notamment à un homme d’affaires spécialisé dans les jeux de hasard et l’immobilier, alors qu’un autre marché a été attribué à une petite entreprise produisant des jus de fruits et de l’huile.</p>
<p>En Italie, les sociétés de deux hommes d’affaires accusés à plusieurs reprises de fraude ont obtenu 64 millions d’euros de contrats d’État pour la fourniture d’équipements de protection aux <a href="https://www.occrp.org/en/daily/12007-italy-grants-covid-19-public-contracts-to-alleged-fraudsters">autorités publiques</a>.</p>
<p>Partout, de tels cas se multiplient à la faveur du relâchement des dispositifs anticorruption et au nom d’une simplification administrative qui faciliterait les investissements dans la production de matériel sanitaire. Il s’agit d’une fausse solution : Human Rights Watch, Global Witness et Transparency International ont co-signé une <a href="https://transparency-france.org/actu/covid-19-fmi-rendre-les-fonds-covid-19-transparents-et-redevables/#.XqBuxy9Ph0s">lettre</a> adressée au FMI, demandant que les décaissements rapides de plus de mille milliards de dollars d’aide aux gouvernements « ne se fassent pas au détriment de la transparence de base et des mesures anticorruptions raisonnables, qui devraient être exigées des pays bénéficiaires »</p>
<h2>L’affaiblissement de la réprobation morale</h2>
<p>L’affaiblissement de la réprobation morale de l’illégalité sera l’une des conséquences de ces formes d’infiltration criminelle.</p>
<p>Dans un marché capitaliste et une société en crise, il semblera légitime de faire appel aux ressources de la criminalité et à son offre structurée de services illégaux, devenue indispensables. Le recours aux réseaux apparaîtra d’autant plus « justifié » que les frontières entre licite et illicite seront fragiles et le recours à ces réseaux considéré comme le seul moyen de rester sur le marché et de survivre économiquement. Ce qui renforcera la baisse généralisée du coût moral des activités de collusion avec la criminalité.</p>
<p>Face à cela, deux formes d’intervention institutionnelles sont possibles : l’une répressive et l’autre préventive. Les États peuvent d’abord chercher à circonscrire les zones de risque en accroissant les contrôles de police et en élargissant les pouvoirs des préfets. C’est le cas en Italie.</p>
<p>Des juges réclament également l’installation d’une <a href="https://www.occrp.org/en/daily/12056-two-judges-call-for-an-international-anti-graft-court">Cour internationale anticorruption (IACC)</a>, qui pourrait récupérer les gains mal acquis blanchis. Cependant, la voie répressive n’intervient qu’ex-post, une fois les dégâts déjà produits.</p>
<h2>Prévenir et mobiliser</h2>
<p>C’est pour cela que d’autres interventions, de type préventif, sont nécessaires, dans l’immédiat et à tous les niveaux. Notamment, avec des aides publiques aux populations les plus touchées, des exonérations fiscales, des guichets de signalement d’usure, des dispositifs d’accès au crédit simplifiés, etc.</p>
<p>De manière complémentaire, la mobilisation citoyenne est indispensable pour lutter contre l’ancrage territorial des réseaux criminels. Les exemples sont nombreux : en Italie, <a href="https://www.libera.it/schede-1274-linea_libera_contro_mafie_e_corruzione">l’association Libera</a> a mis en place une permanence téléphonique pour signaler les infiltrations criminelles et les prêts à usure et pour accompagner les demandes d’accès aux aides publiques.</p>
<p>À Naples, des paniers solidaires sont accrochés aux balcons afin de permettre à chacun de donner ou de prendre librement des aliments.</p>
<p>Dans les quartiers nord de Marseille ou en banlieue parisienne, les associations de quartier distribuent des tablettes pour les élèves confinés ou <a href="https://www.facebook.com/avecnous13/ethttp://lepoles.org/">produisent de masques</a>.</p>
<p>Au-delà de l’aide matérielle, il s’agit en effet de rester présent dans ces territoires, pour limiter les risques d’infiltration et de recrutement, mais aussi pour éviter une légitimation des réseaux criminels, de crainte d’avoir à en subir les répercussions après le confinement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137841/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elisabetta Bucolo est membre de DeMains Libres. </span></em></p>Les réseaux criminels ont saisi l’occasion d’exploiter la crise sanitaire ce qui risque de renforcer leur pouvoir économique à l’échelle mondiale.Elisabetta Bucolo, Maîtresse de Conférences en Sociologie et membre du Lise-Cnrs, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/989782018-07-05T02:25:43Z2018-07-05T02:25:43ZRepérer les décharges sauvages grâce aux satellites<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/225171/original/file-20180627-112623-1tsh48u.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C866%2C509&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Surveillance spatiale des dépôts sauvages de déchets.</span> <span class="attribution"><span class="source">Google Earth</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Plus d’un millier de décharges illégales voient le jour en Angleterre chaque année. Et ce ne sont que des chiffres officiels. En 2016, James Bevan, à la tête de l’Agence pour l’environnement britannique, qualifiait les ordures de <a href="https://www.theguardian.com/environment/2016/sep/22/ea-chief-waste-is-the-new-narcotics">« nouveaux stupéfiants »</a>. Il déclarait ainsi à propos de la criminalité environnementale : </p>
<blockquote>
<p>« C’est un peu ce que furent les drogues aux années 1980 : le système ne s’était pas encore rendu compte de l’énormité de ce qui se passait et tentait de rattraper son retard. »</p>
</blockquote>
<p>La situation actuelle dépasse de loin le problème des décharges sauvages que l’on trouve sur les chemins de campagne. Le trafic de déchets peut ainsi prendre la forme d’une véritable criminalité organisée, et le Royaume-Uni possède aujourd’hui la <a href="https://www.belfasttelegraph.co.uk/news/northern-ireland/eu-fines-over-failure-to-clean-up-illegal-dump-could-leave-us-bankrupt-campaigners-warn-31009118.html">plus grande décharge illégale d’Europe</a>. Cette déchetterie, située à Derry en Irlande du Nord, contient plus d’un <a href="https://www.irishtimes.com/news/environment/stormont-struggles-with-millions-of-tonnes-of-dumped-waste-1.2856625">million de tonnes</a> de déchets entreposés illégalement : soit plus de détritus que ce que produit le pays en un an.</p>
<p>Le gouvernement tente d’intensifier sa lutte contre cette criminalité. Afin de répondre à la menace, le secrétaire de l’Environnement, Michael Gove, a annoncé un <a href="https://www.gov.uk/government/news/government-steps-up-the-fight-against-waste-criminals">examen complet</a> des mesures gouvernementales. Cette démarche arrive à point nommé car l’intervention des autorités s’avère indispensable.</p>
<p>Ce type de criminalité environnementale pose également de plus en plus problème au niveau international. Selon Interpol, le trafic de déchets est l’une des branches du crime organisé connaissant l’expansion la plus rapide ; il peut potentiellement rivaliser avec le trafic de stupéfiants en terme d’échelle et de profits. Il coûterait aux pays européens la somme faramineuse de <a href="http://europa.eu/rapid/press-release_IP-12-18_en.htm">72 à 90 milliards d’euros par an</a> et concerne notamment la fraude fiscale à l’enfouissement des déchets, des pertes pour les entreprises responsables de leur traitement ainsi que des coûts d’assainissement. Mais ce n’est pas tout. En Grande-Bretagne, les pompiers dépensent chaque année <a href="http://www.cfoa.org.uk/20972">16 millions de livres</a> pour éteindre les incendies qui prennent dans ces déchetteries sauvages.</p>
<p>Jusqu’à présent, l’Europe exportait ses déchets en grande quantité. En 2016, un <a href="https://www.politico.eu/article/europe-recycling-china-trash-ban-forces-europe-to-confront-its-waste-problem/">cinquième de tous les déchets plastiques</a> de l’Union européenne a été expédié en Chine. Mais, depuis janvier, Pékin <a href="https://theconversation.com/china-bans-foreign-waste-but-what-will-happen-to-the-worlds-recycling-85924">refuse</a> les gros volumes étrangers. Certains pays européens subissent depuis une crise dans la gestion des ordures. Cette situation contribue à faire augmenter la quantité de déchets se retrouvant dans des sites illégaux.</p>
<p>Les décharges illégales ne possèdent pas la sécurité adéquate et représentent une menace réelle pour la santé publique et l’environnement. À Derry, par exemple, la déchetterie est dangereusement située près de la rivière Faughan qui alimente la ville en eau potable. En Italie, dans la région de Naples, certains cancers liés aux déchets toxiques ont ainsi atteint des taux dépassant – <a href="https://www.independent.co.uk/life-style/health-and-families/health-news/europes-largest-illegal-toxic-dumping-site-discovered-in-southern-italy-an-area-with-cancer-rates-80-10327157.html">parfois de 80 %</a> – la moyenne nationale.</p>
<h2>Problèmes en pagaille</h2>
<p>Certains gouvernements européens ont préféré fermer les yeux. Localiser une décharge prend du temps et de l’argent : enquêtes, poursuites et nettoyages coûtent cher. D’autres gouvernements ont cependant accordé d’importantes ressources pour s’attaquer à ce problème. L’Agence anglaise de l’environnement a ainsi reçu <a href="https://hansard.parliament.uk/commons/2018-06-07/debates/2EE8E238-95FF-48C1-B979-D0A0C1A3C665/WasteCrime">30 millions de livres</a> supplémentaires pour intégrer la gestion de ce problème dans son budget 2017.</p>
<p>Malgré les efforts des autorités pour lutter contre cette criminalité, le problème n’a jamais semblé aussi difficile à régler. La détection des sites illégaux de déchets se révèle difficile, les organismes de contrôle comptant beaucoup sur les dénonciations. En outre, le déversement des ordures étant très rentable, il est organisé et volontaire. Les approches régulatrices traditionnelles ont souvent été <a href="http://www.esauk.org/esa_reports/20170502_Rethinking_Waste_Crime.pdf">critiquées</a> pour leur manque de volontarisme dans l’identification de ces sites illégaux.</p>
<p>Pour résoudre ce problème, la technologie satellitaire s’avère prometteuse. C’est pourquoi, avec un professeur de l’observation terrestre et un analyste du renseignement militaire, j’ai co-fondé <a href="http://www.space-evidence.net/">« Air and Space Evidence »</a> (ASE), une entreprise qui a vu le jour à l’University College de Londres.</p>
<p>En utilisant des données collectées par des satellites et des algorithmes d’identification des décharges, nous sommes ainsi devenus la première entreprise au monde à proposer un service de surveillance depuis l’espace pour détecter ces déchetteries illégales.</p>
<h2>Voir d’en haut</h2>
<p>Ce système spatial constitue une petite révolution car il permet une surveillance régulière et à faible coût. La détection de décharges illégales peut ainsi être rapide, permettant aux autorités d’intervenir plus tôt. Il est également possible de catégoriser ces lieux selon les niveaux de risques : les autorités peuvent ainsi prioriser leurs inspections de terrain pour viser les sites les plus dangereux.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/223346/original/file-20180615-85858-1fxz129.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/223346/original/file-20180615-85858-1fxz129.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/223346/original/file-20180615-85858-1fxz129.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=219&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/223346/original/file-20180615-85858-1fxz129.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=219&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/223346/original/file-20180615-85858-1fxz129.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=219&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/223346/original/file-20180615-85858-1fxz129.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=276&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/223346/original/file-20180615-85858-1fxz129.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=276&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/223346/original/file-20180615-85858-1fxz129.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=276&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La décharge Waste4Fuel, à Cornwall.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Environment Agency LIDAR</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si l’utilisation de données satellitaires dans ce secteur reste encore limitée, cette situation pourrait bientôt évoluer puisque la taxe sur les décharges peut être aussi <a href="https://www.letsrecycle.com/news/latest-news/landfill-tax-illegal-penalties-force/">appliquée aux sites illégaux</a> depuis avril 2018, et non plus uniquement aux décharges autorisées. Les sommes d’argent en jeu devraient être conséquentes.</p>
<p>Dans une zone test de 7 000 km<sup>2</sup> en Grande-Bretagne, nous avons ainsi identifié 207 sites classés comme suspects. Un tel système de surveillance étendu à tout un pays permettrait de prélever des pénalités fiscales pouvant se chiffrer en millions de livres.</p>
<p>Au Royaume-Uni, toutes ces amendes vont à l’administration fiscale et non à l’autorité de réglementation environnementale. En Irlande, en revanche, c’est l’organisme régulateur qui touche l’argent ; ce dernier peut recevoir jusqu’à 80 % de l’argent des amendes concernant les sites de déchets illégaux. Il serait certainement logique que le HMRC travaille plus étroitement avec les organismes de réglementation pour lutter contre la criminalité environnementale et toucher une partie de l’argent récolté.</p>
<p>Les satellites modernes – déjà utilisés au Royaume-Uni pour détecter les fraudes aux subventions agricoles et les déversements de pétrole – sont capables d’identifier des objets aussi petits que des bouches d’égout. Les autorités pourraient vraiment tirer avantage de ces progrès technologiques pour éliminer la pollution croissante relative aux décharges sauvages.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/98978/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ray Purdy est l’un des directeurs et fondateurs de « Air & Space Evidence » (et il possède des actions dans cette société). Air & Space Evidence a reçu des fonds directs de l’Open Data Incubator for Europe, du Scottish Environmental Protection Agency (via le programme « EU Life Smart Waste ») ainsi que de l’European Space Agency. À l’University College London et à l’Imperial College London, il a également reçu des subventions de recherche de l’European Commission and Arts and Humanities Research Council. </span></em></p>Les décharges illégales coûtent des millions au gouvernement britannique. Mais la technologie satellitaire pourrait aider à y mettre un terme.Ray Purdy, Senior Research Fellow in Law, University of OxfordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/949932018-04-16T21:33:11Z2018-04-16T21:33:11ZVers l’orbanisation de l’Europe ?<p>Viktor Orban et la Fidesz ont remporté les élections législatives en Hongrie dimanche 8 avril 2018. Avec plus de 48 % des suffrages et plus du tiers des sièges, ils progressent significativement <a href="https://theconversation.com/election-en-hongrie-lavenir-de-leurope-se-joue-aussi-a-budapest-94182">par rapport aux deux précédents scrutins</a> qui, déjà, les avaient mené au pouvoir en 2010 et en 2014.</p>
<p>Cette troisième victoire de rang signale une évolution structurelle de la vie politique européenne. Cette évolution peut être baptisée « l’orbanisation » de l’Europe. Cette orbanisation se déploie sur trois volets : l’illibéralisme, le nationalisme européen, et le souverainisme communautaire.</p>
<h2>Le chantre de la démocratie illibérale</h2>
<p>Viktor Orban se proclame le chantre de la démocratie illibérale. Et il fait ce qu’il dit. Inventé par le <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2003-4-page-163.htm">publiciste américain Fareed Zakaria</a>, ce concept désigne un régime où le multipartisme et les élections sont libres ; mais où l’écosystème du libéralisme politique que sont la séparation des pouvoirs, les contre-pouvoirs et l’État de droit, sont asséchés et anémiés. C’est ce qui se passe en Hongrie depuis 2010.</p>
<p>Par exemple, il n’y a pas de censure ; mais, faute de moyens, il n’y a plus de presse d’opposition. En économie également, le pluralisme est mis à mal, la concurrence et la liberté d’entreprendre cèdent de plus au plus au népotisme.</p>
<p>Dans un ouvrage documenté, rigoureux et courageux, une équipe d’universitaires dirigée par <a href="https://www.euractiv.fr/section/elections/interview/la-hongrie-dorban-un-etat-mafieux/">Balint Magyar</a> qualifie le système de gouvernement mis en place par Viktor Orban et son parti d’État mafieux. Viktor Orban n’est donc pas un fasciste ou un dictateur ; c’est en homme de son siècle qu’il pervertit et sape la démocratie.</p>
<h2>Au nom de la pureté du peuple</h2>
<p>Viktor Orban fait ensuite de l’appartenance à la nation hongroise l’alpha et l’oméga de la vie de chacun. Au nom de la pureté du peuple qui constitue toute nation, forcément homogène, il est xénophobe, anti-roms et antisémite.</p>
<p>Pour autant, son nationalisme est du XXI<sup>e</sup> siècle : il n’oppose ni ne hiérarchise les nations entre elles, mais veut les prévenir de tout mélange. Il considère que les nations européennes doivent s’allier ensemble pour empêcher la venue de migrants du monde arabo-musulman. Des individus qu’il réduit à une essence fixe, culturelle et religieuse, qui pourraient contaminer ou dissoudre les sociétés européennes, figées elles aussi dans des essences intemporelles, selon lui, léguées par le christianisme.</p>
<p>Dans sa vision du monde comme d’un choc entre communautés et entre civilisations, son nationalisme est donc européen. Il est, là encore, un homme de son temps et non du siècle passé.</p>
<h2>Souveraineté nationale et appartenance européenne</h2>
<p>Viktor Orban prône enfin un souverainisme communautaire. Classiquement, les nationalistes et xénophobes d’Europe sont si attachés à la souveraineté nationale qu’ils détestent la construction européenne, qui est supranationale et mutualise les souverainetés.</p>
<p>Si Orban, en populiste qu’il est, critique violemment les élites dirigeantes de Bruxelles au motif qu’elles trahiraient les peuples, il ne remet pas pour autant en cause l’appartenance de son pays à l’UE. Il trouve formidable que, grâce à celle-ci, les Européens soient plus forts et plus solidaires, quitte à faire son marché dans les politiques publiques de l’UE en en détournant les règles – celles des marchés publics tout particulièrement.</p>
<p>Illibéralisme, nationalisme européen et souverainisme communautaire. Il y a orbanisation de l’Europe car cette doctrine éprouvée par huit ans de pouvoir et trois victoires électorales de rang déteint aujourd’hui sur le territoire de l’UE.</p>
<h2>Radicalisation de la droite classique, européanisation de l’extrême droite</h2>
<p>Au Parlement européen, la Fidesz de Viktor Orban est plus que jamais membre du grand parti populaire européen qui fédère les partis de droite classique, démocrates-chrétien et conservateurs. Sur sa vision de fermeture aux migrants et au cosmopolitisme, il y fait des émules.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/214993/original/file-20180416-587-1byhg2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/214993/original/file-20180416-587-1byhg2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/214993/original/file-20180416-587-1byhg2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/214993/original/file-20180416-587-1byhg2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/214993/original/file-20180416-587-1byhg2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/214993/original/file-20180416-587-1byhg2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/214993/original/file-20180416-587-1byhg2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Viktor Orban et Vladimir Poutine, en février 2016, à Moscou.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/0f/Vladimir_Putin_and_Viktor_Orb%C3%A1n_%282016-02-17%29_10.jpg/1024px-Vladimir_Putin_and_Viktor_Orb%C3%A1n_%282016-02-17%29_10.jpg">Kremlin.ru/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le gouvernement polonais <a href="https://theconversation.com/lunion-europeenne-et-la-pologne-le-grand-ecart-84018">ultra conservateur et nationaliste du parti PiS</a> (droit et justice) en place depuis fin 2015 cite Orban en exemple. L’<a href="https://theconversation.com/autriche-le-retour-de-lextreme-droite-au-pouvoir-dans-un-silence-assourdissant-89287">Autriche</a> est, depuis décembre 2017, gouvernée par une coalition entre le grand parti démocrate chrétien membre du PPE du chancelier Kurz, l’ÖVP, et le parti d’extrême droite FPÖ du vice-chancelier Strache. Tous deux viennent d’accueillir Orban à bras ouverts pour une visite politique.</p>
<p>Le FPÖ a retiré la sortie de l’UE ou de l’euro de son programme. Les autres partis d’extrême droite du Parlement européen, comme le Front national français ou la Lega italienne, qui a devancé le parti de droite Forza Italia <a href="https://theconversation.com/en-italie-laboratoire-et-avant-garde-du-scenario-dune-coalition-contre-nature-92899">aux élections italiennes du 4 mars dernier</a>, font maintenant de même.</p>
<p>Depuis huit ans, Viktor Orban et son parti la Fidesz ont ouvert la voie à une radicalisation de la droite classique, à l’européanisation de l’extrême droite, et à une synthèse doctrinale entre la droite et l’extrême droite.</p>
<p>Ce faisant, Viktor Orban, loin de chercher à casser la construction européenne, agit de façon à la faire sortir du courant des Lumières dans lequel elle s’inscrit depuis 1950, pour la détourner vers cette tradition dite des anti-Lumières, ce contre courant dont on avait, depuis la défaite des fascismes en 1945, oublié l’importance culturelle et politique dans l’histoire de l’Europe.</p>
<p>La souveraineté européenne prônée par Emmanuel Macron sur la Pnyx, à la Sorbonne et ce mardi au Parlement européen de Strasbourg, s’inscrit résolument, quant à elle, dans le sillon, aujourd’hui post-nationaliste et pacificateur, des Lumières.</p>
<p>L’affrontement franco-français du second tour de la présidentielle se déroule maintenant à l’échelle européenne. L’adversaire d’Emmanuel Macron se nomme dorénavant Viktor Orban et l’orbanisation de l’UE.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/94993/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Viktor Orban, loin de chercher à casser la construction européenne, agit de façon à la faire sortir du courant des Lumières dans lequel elle s’inscrit depuis 1950.Sylvain Kahn, Professeur agrégé, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/938692018-03-26T22:33:49Z2018-03-26T22:33:49ZÀ Rio de Janeiro, un assassinat « pour l’exemple »<p>Le Brésil vient d’être le théâtre d’un assassinat qui a une forte dimension politique : non seulement parce que la victime est une jeune élue issue des favelas, mais surtout parce que l’attentat met en lumière la radicalisation d’une frange de l’électorat quelques mois avant les élections générales.</p>
<h2>Rio de Janeiro, 14 mars 2018</h2>
<p>Le 14 mars vers 21h30, la voiture de Marielle Franco, membre de l’Assemblée législative de la ville de Rio de Janeiro, a été la cible d’un attentat qui a toutes les apparences du professionnalisme. La jeune élue (38 ans), exécutée de quatre balles dans la tête, est décédée sur le coup, ainsi que son chauffeur, Anderson Pedro Gomes. La nouvelle, un coup de tonnerre à l’unisson de l’énorme orage qui s’abattait sur Rio cette nuit-là, a aussitôt plongé dans le deuil et la consternation une bonne partie de la population, bien au-delà des sympathisants du PSOL (Parti Socialisme et Liberté), la formation de gauche dans laquelle Marielle Franco militait.</p>
<p>Le lendemain, jour des obsèques des deux victimes, à Rio de Janeiro et aussi dans plusieurs grandes villes où des hommages avaient lieu, l’émotion était palpable et ne se dissipe pas, plus de dix jours après les faits. Pour bien des consciences, le choc est très comparable à celui provoqué en France par le massacre de la rédaction de <em>Charlie Hebdo</em>, polémiques incluses. Loin de provoquer un sursaut d’unanimité nationale, la mort de Marielle Franco fait au contraire ressortir les fractures politiques de la société brésilienne.</p>
<h2>Un crime politique en pleine intervention militaire à Rio de Janeiro</h2>
<p>L’attentat contre Marielle Franco survient dans une conjoncture très particulière. Depuis le 16 février, en effet, la sécurité publique de Rio de Janeiro est placée <a href="http://lemonde.fr/ameriques/article/2018/02/16/les-militaires-reprennent-le-controle-de-la-securite-a-rio-de-janeiro_5258271_3222.html">sous la responsabilité du général Walter de Souza Braga Netto et de l’armée fédérale</a> et, non, comme la Constitution le prescrit, sous celle du gouverneur de l’État de Rio de Janeiro et de la gendarmerie (police militaire) régionale.</p>
<p>Cette mesure exceptionnelle a été décrétée par le président Michel Temer au prétexte que l’insécurité battait des records et qu’il fallait faire de l’ancienne capitale du Brésil un laboratoire pour le reste du pays. Plusieurs États, notamment dans le Nord et le Nord-Est, ont pourtant des taux d’homicides bien plus affolants que la ville-vitrine du Brésil.</p>
<p>Annoncée de manière solennelle et tonitruante, la décision présidentielle a surpris tout le monde, à commencer par le principal intéressé, le général Braga Netto. L’intervention ne s’appuie sur aucun plan d’action longuement mûri et le financement de l’opération donne lieu à divers cafouillages. L’intervention fédérale à Rio de Janeiro est le fruit d’une improvisation et d’une gesticulation purement politiciennes. Elle est, pour l’instant, absolument stérile sur le plan des résultats et entachée du plus grave meurtre politique commis récemment au Brésil.</p>
<h2>Les calculs politiciens de Michel Temer</h2>
<p>Jusqu’à la mort de Marielle Franco, Michel Temer pensait avoir réalisé un <a href="http://brasil.estadao.com.br/noticias/geral,intervencao-e-uma-jogada-de-mestre-diz-temer,70002201193">« coup de maître »</a> avec l’intervention fédérale. Cerné par la justice pour des faits très graves, le « roi des coups » cherche à s’assurer une immunité durable et à échapper à l’impuissance du « canard boiteux » en fin de mandat. Temer fait planer l’hypothèse de sa candidature à sa propre succession en 2018, malgré des intentions de vote qui stagnent à 1 % et une impopularité historique dans les annales politiques brésiliennes.</p>
<p>En posant à l’homme fort qui défend les « bons citoyens » (« cidadões de bem ») contre les « bandits » et en s’appuyant sur l’armée, l’institution la moins discréditée selon les sondages, Temer s’efforce d’acquérir sur le terrain sécuritaire l’adhésion que l’économie ne lui a pas apportée et de glaner les quelques points qui lui permettraient d’exister dans la campagne qui s’annonce. La lutte contre la criminalité et ses modalités sont très clivantes dans cette période préélectorale au Brésil et préoccupe surtout la <em>classe média</em> (toute la bourgeoisie, de la petite à la grande).</p>
<p>Mais voilà que l’assassinat de Marielle Franco, au cœur d’une ville de Rio de Janeiro protégée par l’armée fédérale, semble un véritable camouflet adressé à celle-ci et résonne comme un message politico-mafieux adressé aux militants engagés dans la défense des droits humains comme l’était Marielle Franco.</p>
<h2>Marielle Franco, une personnalité hors du commun</h2>
<p>Née en 1979 dans la favela da Maré, l’une des plus dures de Rio de Janeiro, Marielle Franco évoquait <a href="https://www.mariellefranco.com.br/quem-e-marielle-franco-vereadora">sur sa page personnelle</a> les événements qui avaient décidé de sa vocation.</p>
<p>Le premier est un fait divers tristement banal dans les favelas de Rio. Lorsque Marielle préparait le bac, l’une de ses condisciples avait été tuée par une balle perdue lors d’un affrontement entre trafiquants et policiers. Les <a href="https://oglobo.globo.com/rio/estado-ja-teve-632-vitimas-de-balas-perdidas-em-2017-21558941">victimes collatérales</a> des échanges de tirs se comptent chaque année par centaines dans l’État de Rio de Janeiro. Sa maternité à l’âge de 19 ans était à l’origine, selon elle, de son engagement en faveur du droit les droits des femmes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/stusgqI7uLY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Marielle Franco était aussi l’incarnation d’une méritocratie et d’une ascension sociale qui semblaient possibles sous les gouvernements Lula et <a href="https://theconversation.com/apres-la-destitution-de-dilma-rousseff-lacte-ii-de-la-crise-politique-au-bresil-65187">Dilma Rousseff</a>. Boursière, elle avait pu faire des études supérieures et obtenir un master en administration publique dans une université fédérale.</p>
<h2>Une spécialiste des politiques sécuritaires et une militante des droits humains</h2>
<p>Son mémoire de recherche portait précisément sur les « unités de police pacificatrice » (UPP), implantées dans les bidonvilles de Rio à partir de 2008, et, globalement les <a href="https://theconversation.com/bresil-catastrophe-en-vue-86789">politiques sécuritaires</a> dont elle constatait concrètement les effets délétères au quotidien.</p>
<p>Les interventions des forces de l’ordre, gendarmes ou soldats fédéraux se soldent par des affrontements sanglants entre police et trafiquants, des exécutions sommaires, des vendettas et règlements de compte, des victimes collatérales. Les principales victimes de cette violence sont les jeunes hommes noirs. <a href="http://www.ipea.gov.br/atlasviolencia/download/2/2017">En 2015, le taux d’homicide pour l’ensemble de la population</a> était de 28,9 ‰ (34 ‰ dans l’État de Rio de Janeiro), tandis que celui des noirs s’élevait à 37,7 ‰ (39,2 ‰ dans l’État de Rio de Janeiro).</p>
<p>Marielle Franco dénonçait, quelques jours avant d’être abattue, les exactions commises par le 41<sup>e</sup> Bataillon de la police militaire, réputé l’un des plus meurtriers, dans le quartier modeste d’Acari.</p>
<p>La guerre des gendarmes et des trafiquants à Rio de Janeiro s’est compliquée avec l’émergence d’un troisième acteur, les « miliciens », des policiers, ex-policiers ou para-policiers, qui, sous couvert de protéger les habitants des zones périphériques les placent sous leur coupe, les rackettent et usent des mêmes agissements criminels que les « bandits » qu’ils prétendent combattre.</p>
<h2>Qui a tué Marielle Franco ?</h2>
<p>Aussi les soupçons, confortés par les premières pistes de l’enquête, conduisent-ils vers les escadrons de la mort que forment ponctuellement certains policiers et/ou « miliciens ». Les « vengeances » de ces tueurs véreux n’hésitent pas à frapper aussi des autorités publiques. <a href="http://lemonde.fr/ameriques/article/2011/08/12/bresil-une-juge-qui-combattait-la-mafia-assassinee-a-rio_1559093_3222.html">En 2011, la juge Patricia Acioli</a>, qui avait poursuivi des gendarmes pour divers meurtres, a été « punie » de 21 balles dans la tête et le thorax.</p>
<p>Les cartouches utilisées pour tuer Marielle Franco proviennent d’un lot de munitions qui appartenait initialement à la police fédérale et a été détourné à des fins criminelles. Certaines d’entre elles ont réapparu en 2015, dans l’État voisin de São Paulo, <a href="https://www1.folha.uol.com.br/cotidiano/2018/03/municao-liga-caso-marielle-a-maior-chacina-de-sp.shtml">à l’occasion du massacre de 17 personnes</a> par des gendarmes venus appliquer la loi du talion.</p>
<p>Or toute une partie de l’opinion, surtout dans la <em>classe média</em> conservatrice, prend fait et cause pour tout ce qui porte l’uniforme, applaudit aux méthodes expéditives, est nostalgique du temps des militaires où, croit-on, le « bon citoyen » pouvait dormir la porte ouverte.</p>
<p>Les plus modérés ont exprimé leur tristesse à l’occasion de la mort de Marielle Franco, mais en la relativisant immédiatement et en refusant d’en faire un symbole, une disparition plus signifiante que les autres 61 600 homicides perpétrés en 2017 dans le pays.</p>
<h2>« Bons citoyens » vs « bandits »</h2>
<p>De nombreux commentaires, adressés aux journaux en ligne ou sur les réseaux sociaux, s’indignent qu’on puisse soupçonner la police et désignent les trafiquants comme les probables auteurs du crime. La droite extrême s’en donne à cœur joie pour calomnier Marielle Franco à longueur de tweets et de rumeurs, qui en font la femme d’un parrain de la drogue et la représentante élue d’une faction criminelle, ce qui est absolument faux.</p>
<p>Plus simplement, on la rend responsable de sa propre mort. Depuis longtemps, la droite radicale pose une sinistre équation qui fait des défenseurs des droits humains, militants associatifs, élus ou religieux, ou personnalités apparentées à la gauche brésilienne, les complices des « bandits », voire des « bandits » eux-mêmes. Tous les habitants des favelas, peuplés d’une majorité d’afro-descendants, sont pour elle des « bandits », qu’il est licite d’éliminer.</p>
<p>Le colonel de gendarmerie Washington Lee Abe, dans l’État du Paraná, a synthétisé dans un <a href="http://noticias.band.uol.com.br/cidades/noticias/100000904863/coronel-questiona-comocao-por-marielle-por-que-virar-martir.html">message posté dans une revue en ligne</a> toute la haine que peut susciter une Marielle Franco dans la droite radicale, bien implantée parmi les forces de l’ordre :</p>
<blockquote>
<p>« Pourquoi ériger cette édile en martyr ? Représente-t-elle le peuple ? Quel peuple ? Quel segment du peuple ? Les « bons citoyens » ? »</p>
</blockquote>
<p>La réponse sous-entendue est que, non, Marielle Franco ne représentait pas les « bons citoyens ». Elle ne pouvait pas les représenter car elle n’en faisait ontologiquement pas partie… Le militaire compare ensuite la discrétion qui entoure la mort « au combat » des policiers et le « tapage » que provoque « la mort de cette “personne” conseillère municipale, défenseure des droits humains, mère, homosexuelle (comme elle se présente elle-même). »</p>
<p>On aura noté les guillemets, comme des pincettes, pour dénier à Marielle Franco la qualité de « personne » que seuls méritent les « bons citoyens », nécessairement blancs, mâles et hétérosexuels. En plus de posséder tous les attributs qui signalent le « bandit », Marielle Franco était une femme politique, engeance détestée par l’extrême droite militaire qui considère les élus comme des parasites et déteste viscéralement la démocratie représentative.</p>
<p>Cette droite radicale s’estime en guerre perpétuelle, hier contre les « subversifs », aujourd’hui contre les « bandits ». Qui pouvait, à ses yeux, mieux incarner le nouveau visage de la « subversion » que Marielle Franco, noire, habitante d’une favela, homosexuelle, intellectuelle, engagée à gauche et détentrice d’un mandat électif ?</p>
<h2>« Marielle présente ! »</h2>
<p>Par sa trajectoire, son charisme, son intelligence et son élégance, Marielle Franco représentait, pour ceux qui la pleurent aujourd’hui, l’espoir d’un renouveau de la gauche et d’un projet de société plus juste, tolérante et moins inégalitaire. Les femmes, les noirs, les pauvres, la jeunesse, les LGBT, bénéficiaient d’une représentante au verbe redoutable.</p>
<p>Dans les rassemblements en hommage à Marielle Franco, on met en exergue l’une de ses phrases : « ils croyaient nous enterrer mais nous étions des graines » et on scande régulièrement « Marielle présente ! » pour conjurer l’absence. Sa mort lui a conféré une notoriété nationale qu’elle n’avait pas de son vivant et en a fait un symbole qui excède les frontières du Brésil.</p>
<p>Pour l’heure, il est difficile de mesurer quel sera à moyen terme l’impact de son assassinat. Marielle Franco semble réaliser un miracle posthume, le rapprochement, en tout cas à Rio de Janeiro, d’une gauche en proie aux pires divisions.</p>
<p>À l’inverse, sa mort marque une gradation dans la haine et le racisme qui s’expriment de plus en plus dans l’espace public. Elle renforce une polarisation qui commence à prendre une tournure explosive et pourrait servir de prétexte à une dérive encore plus autoritaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93869/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Armelle Enders ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La mort de Marielle Franco marque une gradation dans la haine et le racisme qui s’expriment de plus en plus ouvertement dans l’espace public au Brésil.Armelle Enders, Historienne (Institut d'Histoire du Temps Présent), CNRS, Université Paris 8 – Vincennes Saint-DenisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/752452017-04-03T21:06:33Z2017-04-03T21:06:33ZCornes de rhinocéros : pourquoi le trafic a explosé<p>Un rhinocéros du zoo de Thoiry a été <a href="http://www.francetvinfo.fr/animaux/especes-menacees/rhinoceros-abattu-au-zoo-de-thoiry-la-france-nouveau-terrain-de-chasse-des-braconniers_2086919.html">tué le 7 mars dernier</a> ; sa principale corne a été sciée et volée. C’est la première fois qu’un rhinocéros vivant était abattu dans un zoo en Europe dans le but de dérober sa corne.</p>
<p>La même semaine, en une seule journée, 13 rhinocéros ont été découverts morts en Afrique du Sud, abattus par des braconniers. En 2016, le nombre d’animaux tués <a href="https://www.environment.gov.za/projectsprogrammes/rhinodialogues/poaching_statistics#2016">s’est élevé à 1 054 individus</a>. À titre de comparaison, en 2007, seuls 13 rhinocéros avaient été braconnés dans ce pays.</p>
<h2>Des populations en net déclin</h2>
<p>Il resterait, selon des comptages réalisés en 2015, <a href="https://www.iucn.org/content/iucn-reports-deepening-rhino-poaching-crisis-africa">moins de 30 000 rhinocéros</a> dans le monde. On compte pour cet animal cinq espèces différentes : en Afrique se trouvent le rhinocéros blanc (environ 20 400 spécimens, dont 18 500 en Afrique du Sud) et le rhinocéros noir (5 200 spécimens, dont 1 900 en Afrique du Sud). En Asie subsistent le rhinocéros indien, qui vit en Inde et au Népal (3 500 spécimens), le rhinocéros de Sumatra (250 spécimens) et le rhinocéros de Java (50 spécimens seulement).</p>
<p>Chaque rhinocéros adulte peut porter jusqu’à quelques kilogrammes de cornes, selon son âge et son espèce, le rhinocéros blanc étant le plus pourvu (jusqu’à 6 kg). Le rhinocéros indien et le rhinocéros de Java n’ont qu’une corne tandis que les 3 autres espèces en possèdent deux.</p>
<p>Les rhinocéros africains (blancs et noirs) se trouvent principalement en Afrique du Sud, en Namibie, au Kenya et au Zimbabwe. Alors que seuls 62 rhinocéros avaient été braconnés sur tout le continent africain en 2006, ce chiffre atteint 262 individus l’année suivante et 1 090 individus en 2013 (dont 90 % en Afrique du Sud).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/163453/original/image-20170331-31760-1ot427g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/163453/original/image-20170331-31760-1ot427g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/163453/original/image-20170331-31760-1ot427g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=361&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/163453/original/image-20170331-31760-1ot427g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=361&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/163453/original/image-20170331-31760-1ot427g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=361&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/163453/original/image-20170331-31760-1ot427g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=454&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/163453/original/image-20170331-31760-1ot427g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=454&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/163453/original/image-20170331-31760-1ot427g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=454&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Nombre et provenance des rhinocéros braconnés en Afrique entre 2006 et 2014.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://cites.org/sites/default/files/eng/cop/17/WorkingDocs/E-CoP17-68-A5.pdf">R. Emslie et al.</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>En 2015, ce sont en tout 1 342 rhinocéros (blancs et noirs) qui ont été braconnés sur le continent africain. Ces dernières années, on a tué en Afrique du Sud autant voire plus de rhinocéros qu’il n’en naît naturellement dans le parc de Kruger et les fermes privées.</p>
<h2>De <strong>fausses</strong> vertus thérapeutiques</h2>
<p>La corne de rhinocéros est utilisée dans la médecine traditionnelle asiatique pour soigner fièvres et maladies cardio-vasculaires ; elle est très prisée en Chine et au Vietnam ; plus récemment, on la trouve prescrite comme traitement anticancéreux ou aphrodisiaque.</p>
<p>Il n’existe toutefois aucune validation scientifique de telles vertus thérapeutiques. Mais ces croyances infondées favorisent une flambée de la demande de poudre de corne en Asie. Les prix grimpent toujours plus hauts : jusqu’à 60 000 dollars le kg… soit plus cher que l’or !</p>
<p>La corne de rhinocéros est en fait simplement composée de kératine agglomérée – une protéine présente dans les ongles des animaux et des humains – et de quelques acides aminés et minéraux, phosphore et calcium.</p>
<p>Selon l’ONG WWF, la demande de corne de rhinocéros <a href="http://www.wwf.fr/nos_priorites/especes_menacees/identifier_les_especes_prioritaires/rhinoceros/rhinoceros_d_afrique/">a explosé au milieu des années 2000</a>, tout particulièrement au Vietnam en raison de la parution d’informations selon lesquelles un officiel du gouvernement atteint d’un cancer serait entré en rémission grâce à son usage.</p>
<p>Il existe aussi une demande en Chine et à Hong-Kong pour confectionner des objets qui peuvent être des signes extérieurs de richesse (bijou, coupe libatoire) ; avant les années 2000, il existait de même un marché pour les manches de poignards (<em>djamba</em>) au Yémen.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/66099/original/image-20141202-20585-1tcd271.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1638%2C1169&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/66099/original/image-20141202-20585-1tcd271.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/66099/original/image-20141202-20585-1tcd271.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/66099/original/image-20141202-20585-1tcd271.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/66099/original/image-20141202-20585-1tcd271.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/66099/original/image-20141202-20585-1tcd271.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/66099/original/image-20141202-20585-1tcd271.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La corne du rhinocéros, un amas de kératine.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://pixabay.com/en/rhino-horn-horns-head-side-424474/">Efraimstochter</a></span>
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</figure>
<h2>Un trafic criminel juteux</h2>
<p>Le commerce illicite des espèces sauvages constitue le 4<sup>e</sup> marché illégal au monde, après les stupéfiants, les produits contrefaits et la traite des êtres humains. Il concerne chaque année des dizaines de millions de spécimens d’animaux et de plantes. En 2014, on a estimé sa valeur entre <a href="https://cites.org/eng/international_dimension_of_illegal_wildlife_trade">10 et 20 milliards de dollars</a>.</p>
<p>Il existe aujourd’hui des <a href="https://www.unodc.org/unodc/en/frontpage/2014/May/wildlife-crime-worth-8-10-billion-annually.html">preuves très claires</a> que des <a href="http://globalinitiative.net/wp-content/uploads/2016/07/Global-Initiative-Tipping-Point-Part1-July-2016.pdf">groupes du crime organisé</a> sont impliqués dans le braconnage du rhinocéros et le commerce illégal de ses cornes pour alimenter la médecine traditionnelle de certains pays d’Asie.</p>
<p>Ce commerce illégal est désormais l’une des activités criminelles les plus structurées auxquelles est actuellement confrontée la CITES – la Convention de Washington qui réglemente le commerce international des espèces –, aidée dans son combat par Interpol, Europol, l’OMD (Organisation mondiale des douanes) et l’ONUDC (Office des Nations unies de lutte contre les drogues et les crimes).</p>
<p>Avant les années 2000, les pressions sur les pays consommateurs (Yémen, Corée, Taiwan et Chine) pour stopper ce commerce de cornes ont provoqué, jusqu’en 2007, une baisse du braconnage et une remontée des effectifs de rhinocéros en Afrique. Mais au mitan des années 2000, suite à l’émergence du marché vietnamien, le braconnage a repris de façon spectaculaire.</p>
<p>Selon l’ONUDC, les principales cargaisons de corne proviennent, par ordre d’importance, d’Afrique du Sud, du Mozambique (où il n’y a plus de rhinocéros vivants mais où il y avait beaucoup de braconniers qui venait sévir dans le parc Kruger sud-africain), du Zimbabwe et du Kenya.</p>
<p>Au début des années 2010, les Émirats arabes unis et l’Europe font office de plaque tournante : Prague a ainsi découvert en 2011 une filière de ressortissants tchèques chasseurs de trophées en Afrique du Sud qui les revendaient à leur retour à des commerçants vietnamiens.</p>
<p>De nombreux vols de cornes (90 entre janvier 2011 et juin 2012) ont également eu lieu dans des muséums et des salles des ventes partout en Europe, des méfaits perpétrés par la filière dite « irlandaise » des <a href="https://www.vice.com/en_se/article/rathkeale-rovers-irish-traveller-gang-rhino-horn-chinese-artefact-theft">Rathkeale Rovers</a> démantelée par Europol. Le Vietnam, la Chine et la Thaïlande sont, respectivement, les principaux pays importateurs de ces cornes volées.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"847385073888313344"}"></div></p>
<h2>La filière des trophées</h2>
<p>Le commerce de la corne de rhinocéros est banni au niveau international depuis 1977 par la <a href="https://cites.org/fra/disc/text.php">Convention CITES</a> signée par 182 pays.</p>
<p>Sur la base d’un système de permis et de certificats délivrés sous certaines conditions, la CITES a inscrit environ 35 000 espèces sauvages réparties en trois groupes (appelées « Annexes ») en fonction du niveau de protection requis. La première annexe comprend toutes les espèces menacées d’extinction : le commerce de leurs spécimens n’est pas autorisé sauf conditions exceptionnelles. La seconde concerne les espèces qui ne sont pas nécessairement menacées d’extinction, mais dont le commerce des spécimens est surveillé pour éviter une exploitation incompatible avec leur survie. La troisième comprend toutes les espèces protégées au sein d’un pays qui a demandé aux autres pays membres de la CITES leur assistance pour en contrôler le commerce.</p>
<p>Le rhinocéros blanc se trouve à la fois en Annexe II (pour l’Afrique du Sud et le Swaziland) et en Annexe I (pour tous les autres pays d’Afrique concernés). Les quatre autres espèces sont en Annexe I.</p>
<p>Mais l’importation de trophées de chasse de rhinocéros incluant la corne en tant qu’effet personnel est autorisé en provenance d’Afrique du Sud et du Swaziland, sans toutefois pouvoir être vendu dans le pays d’arrivée ; d’autre part, les rhinocéros blancs élevés dans des ranchs privés en Afrique du Sud peuvent être exportés vivants vers des destinations appropriées et acceptables (zoos), selon les termes de la Convention CITES.</p>
<p>Notons que, ponctuellement, des rhinocéros (blancs ou noirs) en Annexe I de la CITES peuvent être exceptionnellement chassés et leurs trophées exportés de certains pays d’Afrique sous certaines conditions (il faut un avis de prélèvement non préjudiciable formulé au préalable par le pays d’exportation) ; c’est ainsi le cas de la Namibie. Cette situation a concerné moins de 10 spécimens en 10 ans.</p>
<p>Entre 2006 et 2011, 1 344 trophées de chasse, incluant donc des cornes de rhinocéros africains (toutes espèces confondues) ont ainsi été exportées légalement comme effets personnels. Ils provenaient principalement d’Afrique du Sud et dans une moindre mesure de Namibie. Le Vietnam en fut le premier importateur, devant les USA, l’Espagne et la Russie.</p>
<p>Avant 2006, en Afrique du Sud, un peu moins de 75 chasses aux trophées de rhinocéros ont été organisées. Puis, subitement, les demandes de permis de chasse ont commencé à affluer en provenance du Vietnam ; après une phase d’observation, il a été conclu que les cornes de rhinocéros chassés avaient été illégalement revendues dans ce pays. En 2012, l’Afrique du Sud a donc mis un terme à ces autorisations pour les ressortissants vietnamiens.</p>
<h2>Que faire ?</h2>
<p>Fin septembre 2016 à Johannesburg, lors de la dernière réunion mondiale de la CITES, le Swaziland a déposé une proposition visant à permettre un commerce limité et réglementé de la corne de rhinocéros blanc. Ce pays possède en effet une petite population de rhinocéros blancs d’environ 75 individus vivants protégés dans des parcs, mais a connu une période de braconnage intense de rhinocéros entre 1988 et 1992, où 80 % des animaux furent décimés. Le Swaziland disposait donc d’un stock important de cornes, qu’il souhaitait vendre. Cette proposition a été soumise au vote et rejetée par une majorité des pays.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"784667803894816768"}"></div></p>
<p>Lors de cette même conférence, le gouvernement sud-africain n’a pas souhaité proposer de lever le moratoire international sur le commerce de la corne de rhinocéros dans son pays. Depuis plusieurs années, le débat fait rage entre opposants et partisans de la légalisation de la vente de la corne. Les fermiers sud-africains estiment que l’interdiction du commerce ne fait qu’alimenter le braconnage ; ils assurent également pouvoir répondre à la demande asiatique en fournissant des cornes de rhinocéros qui n’auront pas été tués : les éleveurs savent couper la corne avec une scie, une procédure indolore pour l’animal qui est anesthésié pendant une quinzaine de minutes et la corne repousse une fois qu’elle a été coupée correctement. Il faut également souligner que protéger les rhinocéros au sein des ranchs coûte des millions d’euros aux fermiers qui doivent faire face à l’acharnement des braconniers.</p>
<p>Mais le gouvernement sud-africain vient d’indiquer qu’il pourrait autoriser l’exportation, en tant qu’effet personnel, de deux cornes par touriste. Un assouplissement dans les termes utilisés sur les permis CITES qui comporte un risque de détournement et d’utilisation commerciale.</p>
<p>En Europe, des mesures ont déjà été prises pour restreindre la circulation ou la vente des corne (mêmes celles très anciennes provenant d’animaux chassés avant l’existence de la Convention CITES) et la France a publié en août 2016 un arrêté qui interdit « le colportage, l’utilisation commerciale, la mise en vente, la vente ou l’achat de corne brute et de morceaux de cornes de rhinocéros ». Dans le cadre de la nouvelle <a href="http://www.vie-publique.fr/actualite/panorama/texte-discussion/projet-loi-relatif-biodiversite.html">loi biodiversité (2016)</a>, les peines pour trafic ont également été sévèrement alourdies : le commerce illicite d’espèces sauvages (et de leurs parties ou produits) en bande organisée, peut être désormais puni jusqu’à 750 000 € d’amende et 7 ans de prison.</p>
<p>Entre la crise de braconnage des années 1990 et celle vécue actuellement, deux éléments de contexte ont complètement changé. Il y a tout d’abord le crime organisé qui s’est emparé de ce trafic, beaucoup moins puni que d’autres (comme les stupéfiants)… même si les choses sont en train de changer grâce à de nouvelles législations dans de nombreux pays.</p>
<p>Il y a aussi ce phénomène inquiétant de la présence d’intermédiaires asiatiques sur le continent africain dont le rôle grandissant dans les trafics à destination de l’Asie de l’Est – qu’il s’agisse de cornes de rhinocéros, d’ivoire d’éléphant et désormais d’<a href="http://www.20minutes.fr/planete/2034495-20170321-afrique-apres-ivoire-peau-anes-coeur-trafic-meurtrier">ânes domestiques africains</a> – a été plusieurs fois signalé par la presse africaine.</p>
<p>Il faut toutefois rester optimiste et pugnace. En activant les réseaux nationaux, régionaux et sous-régionaux de lutte contre cette fraude – désormais coordonnés par l’ICCWC, un consortium qui regroupe la CITES et des organisations de lutte contre la fraude –, le combat contre la criminalité transnationale <a href="https://cites.org/fra/news/pr/Wildlife_enforcement_networks_meet_to_further_strengthen_collaboration_to_combat_industrial_scale_crime_03102016">devrait s’intensifier</a> et a déjà obtenu de très bons résultats.</p>
<p>Reste aux autorités des pays d’Asie concernés à sensibiliser leurs populations pour décourager le recours à la corne. La Chine a déjà commencé et le Vietnam a <a href="https://cites.org/fra/CITES_SG_remarks_destruction_ivory_rhino_horn_vietnam_12112016">brûlé en novembre 2016</a> un stock. Mais certains disent que cette prise de conscience nécessitera une génération… Trop long pour espérer sauvegarder les 30 000 rhinocéros de la planète ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/75245/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jacques Rigoulet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis le milieu des années 2000, la demande en corne de rhinocéros sur les marchés illégaux a littéralement explosé. L’Afrique du Sud est tout particulièrement concernée.Jacques Rigoulet, Vétérinaire, expert CITES, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/632732016-08-22T04:42:55Z2016-08-22T04:42:55ZL’organisation État islamique est-elle une structure mafieuse ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/134524/original/image-20160817-3602-avowu9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Salvatore Riina et Haji Bakr.</span> <span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span></figcaption></figure><p>Daech est souvent considérée, à l’instar d’Al-Qaeda, comme une organisation usant de tous les moyens à sa disposition dans un but idéologique. Elle serait donc l’héritière des organisations terroristes apparues depuis la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, la mort <a href="http://www.lemonde.fr/international/article/2015/04/25/haji-bakr-le-cerveau-de-l-etat-islamique_4622761_3210.html">d’Haji Bakr</a> en 2014, ancien colonel des services secrets irakiens, et la <a href="http://www.spiegel.de/international/world/islamic-state-files-show-structure-of-islamist-terror-group-a-1029274.html">découverte de ses dossiers</a> a mis à nu une organisation d’abord préoccupée par des problématiques d’efficacité pour laquelle la religion paraît revêtir une simple fonction instrumentale.</p>
<p>Si l’on s’intéresse de plus près à cette organisation, l’on y verra des similitudes troublantes avec les organisations de type mafieux, qu’il s’agisse de structures italiennes (Cosa nostra, ’Ndrangheta, Camorra), russes (Bratva) ou chinoises (Sociétés noires). Ainsi, plutôt que d’avoir affaire à une organisation centralisée, fondée sur une discipline idéologique forte, ce nouveau terrorisme serait représenté par des groupes agissant avec une liberté certaine qui n’est pas sans rappeler le fonctionnement des <em>cosce</em> (familles) siciliennes.</p>
<h2>Qu’est ce que la mafia ?</h2>
<p>Contrairement à une idée répandue dans de nombreux films et romans, il ne s’agit pas d’une organisation dédiée en priorité au trafic de stupéfiants composée de truands ayant des pratiques folkloriques barbares. La mafia est avant tout un regroupement assez souple de petites structures qui <a href="http://www.scienceshumaines.com/j-ai-travaille-directement-sur-des-cas-d-infiltration-mafieuse_fr_22143.html">use de sa capacité d’intimidation</a> comme le définit, d’ailleurs le <a href="http://digilander.libero.it/quadernigiuridici/association_mafieuse.htm">droit pénal italien</a>. On peut séparer ce type d’organisation en deux niveaux : la haute mafia, ou mafia en gants blancs et la basse mafia ou mafia militaire. De ce système, le grand public ne connaît généralement que cette dernière avec ses tueurs. C’est à la mafia militaire qu’échoit l’exécution des basses œuvres comme les meurtres et donc le maintien du système d’intimidation, rouage essentiel du système.</p>
<p>Pour les magistrats <a href="http://www.lacontreallee.com/catalogue/un-singulier-pluriel/les-derniers-mots-de-falcone-et-borsellino">Falcone, Borsellino</a> et <a href="http://www.lacontreallee.com/catalogue/un-singulier-pluriel/le-retour-du-prince">Scarpinato</a>, haute et basse mafia se complètent. La première assure une certaine impunité à la seconde en ralentissant les enquêtes et en garantissant à ses « soldats » des acquittements, des non-lieux ou des procès cassés pour vice de forme. La basse mafia résulte d’ailleurs, au départ, d’un travail de <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/L-Esprit-de-la-cite/Un-pouvoir-invisible">rassemblement et de structuration de bandits siciliens par des aristocrates</a>, de là son usage de rituels issus de la charbonnerie sicilienne. La mafia se caractérise par une tension permanente entre ces deux « niveaux », haute et basse mafia qui s’achèvera en Sicile par la prise de pouvoir, temporaire, de cette dernière en 1982.</p>
<h2>Comment se met en place un phénomène mafieux ?</h2>
<p>En comparant l’avènement de la mafia sicilienne au XIX<sup>e</sup> siècle et celui de la mafia russe dans les années 90, <a href="http://www.cnrseditions.fr/sociologie/6472-societes-du-crime-clotilde-champeyrache.html">Champeyrache</a> a montré qu’un phénomène de type mafieux apparaît dans des situations de transitions économiques et sociales particulières. C’est également le cas de l’Irak des années 2000 avec une variante significative : l’occupation américaine et la résistance violente qu’elle déclenche.</p>
<p>Dans les trois cas précédents, l’on assiste à une mutation profonde du système légal et institutionnel. Les élites voient leur pouvoir directement menacé par ces transformations. Dans les cas sicilien et russe, elles décident de réagir en favorisant la mise en place d’organisations criminelles afin de garantir la permanence de leur pouvoir. Ainsi des barons violents vont s’associer à des bourgeois affairistes en recrutant des bandits siciliens pour contrer la mise en place d’un système libéral légaliste apporté par les autorités piémontaises lors de la réunification en 1860.</p>
<p>Les apparatchiks soviétiques de la Russie des années 90, voient, eux, leur pouvoir ébranlé par l’apparition d’un système légal libéral et donc l’apparition de concurrents potentiels. L’utilisation d’hommes de main, souvent des anciens du KGB, va les aider à faire main basse sur la plupart des actifs du pays tout en restant formellement dans un état de droit.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/134321/original/image-20160816-13037-6gm0gd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/134321/original/image-20160816-13037-6gm0gd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=469&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/134321/original/image-20160816-13037-6gm0gd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=469&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/134321/original/image-20160816-13037-6gm0gd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=469&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/134321/original/image-20160816-13037-6gm0gd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=589&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/134321/original/image-20160816-13037-6gm0gd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=589&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/134321/original/image-20160816-13037-6gm0gd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=589&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Salvatore Riina au debut de sa « carrière ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Toto_Riina#/media/File:Salvatore_Riina.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Quant à l’Irak, la débaasification menée par les Américains constitue une déclaration de guerre à l’égard des élites sunnites fortement imbriquées dans l’appareil d’état irakien. Exclues, du jour au lendemain, de toute position dominante, leur réaction ne pouvait être qu’à la hauteur de l’agression. La menace étant d’une autre nature, elles ne purent réagir qu’en favorisant l’émergence d’organisations terroristes de résistance. Mais ne nous trompons pas, pour ces élites, ces organisations terroristes ont plus un caractère instrumental qu’idéologique. Si l’occupation américaine avait été plus « pragmatique » avec une phase de transition douce, sans débaasification, ne doutons pas qu’aurait alors émergé une mafia irakienne.</p>
<p>Très rapidement, les anciens gradés des services secrets irakiens, peu islamisés pour la plupart, ont perçu le caractère porteur de la connotation islamique et ont infiltré Al Qaïda en Irak. Comme l’a montré la mort <a href="http://www.spiegel.de/international/world/islamic-state-files-show-structure-of-islamist-terror-group-a-1029274.html">d’Haji Bakr</a> en 2014, les ex <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Iraqi_Intelligence_Service">Moukhabarat irakiens</a> (services secrets) sont omniprésents au sein de l’organisation État islamique. Ils ont par la suite repris le modèle du djihad qu’ils ont développé à une échelle nouvelle faisant massivement appel à des volontaires étrangers.</p>
<h2>Ce que l’histoire de la mafia nous enseigne</h2>
<p>Les mafias italiennes, des organisations désormais vieilles de plus d’un siècle et demi, sont une source intéressante d’informations. Elles nous apprennent d’abord que le versant militaire de ces organisations a sa propre logique qui échappe généralement à leurs instigateurs et concepteurs. La résilience de ces organisations est particulièrement forte, mais pourtant, l’état est loin d’être démuni lorsqu’au lieu de privilégier une stricte réponse policière, il fait appel à l’étendue de ses moyens économiques. Intéressons-nous donc à cinq leçons tirées de l’histoire de la mafia.</p>
<p><strong>1. L’outil finit par prendre le pouvoir</strong></p>
<p>L’exercice de la violence permet toujours à la mafia militaire d’acquérir son autonomie, voire une position hégémonique à l’égard de la « haute » mafia. C’est ainsi qu’en 1982, après la seconde guerre de la mafia en Sicile, qui a fait entre cinq cents et mille morts, sa composante militaire prend le pouvoir : le chef des « corléonais » se retrouve ainsi en position d’inverser les rôles et de donner des directives à Salvo Lima, l’homme fort de la démocratie chrétienne en Sicile. Cette hégémonie sera de courte durée, dès 1993, le chef de la mafia militaire sicilienne sera arrêté, condamnant cette dernière à un rôle nettement plus discret. C’est très probablement le cas de l’organisation État islamique qui s’est affranchi de ses instigateurs.</p>
<p><strong>2. Une fois qu’elle a pris le pouvoir, la mafia militaire se laisse entraîner dans une spirale croissante de violence</strong></p>
<p>Porteurs d’une croyance immodérée dans la force de l’intimidation, donc de la violence, les mafias militaires se laissent facilement entraîner dans une escalade criminelle qu’elles ne sont plus elles-mêmes en mesure de contrôler. Les années 80, époque de la toute-puissance des corléonais, ont été particulièrement violentes en Sicile. Cette criminalité explosive ne pouvait qu’entraîner une réaction forte de l’état italien à laquelle la mafia ne sut réagir que par la violence. C’est ainsi qu’en 1992, à la suite de la confirmation en cassation de la condamnation de nombreux mafieux, Salvatore « Toto » Riina ordonnera l’assassinat des juges Falcone et Borsellino, suivis de plusieurs attentats, dont celui de la galerie des offices à Florence. L’accélération d’une violence débridée de l’organisation État islamique semble palpable depuis 2015. Comme la mafia, cette dernière peut difficilement raisonner autrement qu’en termes d’intimidation par la terreur, sans comprendre l’effet contre-productif que cette dernière peut avoir. La réaction des puissances locales (Irak, Syrie et Iran) et des grandes puissances à cette terreur est manifeste et finira par entraîner la chute de Mossoul et Raqa, les deux capitales de fait du « Califat ».</p>
<p><strong>3. Plus elle est violente, plus elle est fragile</strong></p>
<p>Le <a href="http://www.lacontreallee.com/catalogue/un-singulier-pluriel/les-derniers-mots-de-falcone-et-borsellino">juge Falcone</a> était formel : c’est lorsque la mafia est discrète qu’elle assure le mieux son emprise sur le territoire. Les meurtres ne font que révéler ses difficultés organisationnelles et sa volonté d’affirmer une autorité qui lui paraît menacée. Les années 80, marquées par une résistance sourde au pouvoir autocratique de Toto Riina, et la tenue du maxi-procès furent particulièrement violentes en Sicile. Cette brutalité atteignit son paroxysme au début des années 90 lorsque les sentences du maxi-procès furent confirmées. De la même façon les difficultés militaires croissantes de l’organisation État islamique depuis 2015 vont de pair avec une violence accrue.</p>
<p><strong>4. Les têtes de l’hydre repoussent presque toujours</strong></p>
<p>Après chaque grand reflux de la mafia, l’état italien a cru en avoir fini pour de bon. Ce fut d’abord le cas dans les années 30, puis à la fin des années 60 mais elle fut, à chaque fois en mesure de réapparaître. Après l’arrestation de Toto Riina en 1993, l’état italien sembla avoir gagné la partie, mais l’affaiblissement de Cosa nostra ne fit que permettre l’émergence de la très dangereuse ’Ndrangheta calabraise. De par sa souplesse le système mafieux possède une extraordinaire capacité de résilience. C’est également le cas de l’organisation État islamique qui a connu des hauts et bas depuis sa création en 2006.</p>
<p><strong>5. La réponse n’est pas seulement policière</strong></p>
<p>Le grand ennemi de la mafia est bien l’état italien lorsqu’il est en mesure d’utiliser sa puissance économique couplée à sa force policière. L’une des clés du succès des mafias réside dans leur capacité à fournir des « situations » aux jeunes italiens issus de milieux défavorisés. Les années 60 furent une <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/L-Esprit-de-la-cite/Un-pouvoir-invisible">période difficile</a> pour le recrutement des mafieux, les Siciliens préférant les nombreux emplois de fonctionnaires proposés dans ces années placées sous le signe du rattrapage économique des régions méridionales. Cela n’a pas toujours été une panacée : le développement du <a href="http://www.cnrseditions.fr/sociologie/6472-societes-du-crime-clotilde-champeyrache.html">port de containers de Gioia Tauro</a> a ainsi largement bénéficié à la ’Ndrangheta. Mafia et Daech s’adressent à un même public, des <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/L-Esprit-de-la-cite/Un-pouvoir-invisible"><em>« riens mélangés à rien »</em></a> selon l’expression sicilienne, des individus <a href="http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20160215/etr.html">qui ne sont <em>« personne »</em></a> selon le <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/010316/les-patrons-des-dgse-et-dgsi-sceptiques-face-la-reponse-securitaire">directeur de la DGSI</a>.</p>
<p>Néanmoins leur rapport à leurs « soldats » est totalement opposé. La mafia prend grand soin de choisir ses futures recrues à qui elle offre une situation en échange d’une insécurité physique pour le restant de leurs jours. Elle prend également grand soin d’économiser ses hommes, cela d’autant plus qu’ils ont démontré leur efficacité meurtrière. À l’inverse, Daech accepte tout le monde à qui elle offre une « situation » de djihadiste en échange d’une mort quasi certaine : cette organisation ne cherche absolument pas à préserver ses tueurs les plus efficaces.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/134322/original/image-20160816-13028-oftdvp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/134322/original/image-20160816-13028-oftdvp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/134322/original/image-20160816-13028-oftdvp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/134322/original/image-20160816-13028-oftdvp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/134322/original/image-20160816-13028-oftdvp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/134322/original/image-20160816-13028-oftdvp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/134322/original/image-20160816-13028-oftdvp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Chars détruits à Azaz, Syrie, 2016.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/christiaantriebert/7955551210/in/photolist-d81hd3-f9N9Mo-f9NdiL-f9xXPk-pE3qBz-f9Nbas-f9NaBY-asycb6-FC7u6R-FFC7Uu-FiWMRh-FC7tng-FHYvgF-FC7tHB-ENwWoy-FC7td8-FHYvoK-FHPGuR-oiwWGd-FiS48u-FCccPH-ENJ1WD-FzJHtQ-ENwUff-FiS3NS-FFC481-FzJJgw-FHYuwp-FHUXSe-FiS3rE-FC7rUB-FzJHjS-FiHdSh-FzNduE-FC3X4r-FzDtiA-FFC86m-FFwMph-FFFB4j-ENtnCQ-ENBCqQ-FFwMvQ-FiWGuW-FFwMi5-ENtqwL-FFLeRQ-FFLfJb-ENzcdZ-FiNvPo-FFC429">Christiaan Triebert/Flicker</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/63273/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric Martel-Porchier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si l’on s’intéresse de plus près à Daech, l’on y verra des similitudes troublantes avec les organisations de type mafieux, qu’il s’agisse de structures italiennes, russes ou chinoises.Eric Martel-Porchier, Docteur en Gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.