tag:theconversation.com,2011:/us/topics/mangas-26525/articlesmangas – The Conversation2022-02-16T22:53:21Ztag:theconversation.com,2011:article/1767482022-02-16T22:53:21Z2022-02-16T22:53:21ZLes jeunes lisent-ils autre chose que des mangas ?<p>La lecture chez les jeunes de 15-20 ans est un enjeu majeur de l’avenir de notre société. En effet, alors que notre modèle sociétal a été construit par le livre et la lecture, la question se pose de plus en plus de savoir si les jeunes d’aujourd’hui liront encore demain : quel sera leur rapport au livre papier et numérique ? Quel temps consacreront-ils à la lecture face aux jeux vidéos et aux séries ? </p>
<p>Les <a href="https://www.culture.gouv.fr/Actualites/Enquete-les-jeunes-et-la-lecture">politiques publiques culturelles françaises</a> cherchent ainsi par divers dispositifs à inciter les jeunes générations à davantage se tourner vers le livre et la lecture. Instauré en 2019 pour les lycéens, le Pass Culture a été étendu en 2021 aux jeunes de 18 ans puis en 2022 aux classes de 4<sup>e</sup> et 3<sup>e</sup>. Il est destiné à favoriser l’accès des jeunes générations à la culture et notamment aux livres.</p>
<p>Les récents chiffres d’activité de ce dispositif en montrent le <a href="https://www.livreshebdo.fr/article/pass-culture-bien-plus-que-du-manga">succès</a> : 11 000 lieux culturels référencés, près de 3 000 librairies partenaires, 6 millions de réservations, plus de 50 % des dépenses dédiées au livre. Ces chiffres se sont ainsi accompagnés d’un concert de louanges sur les effets positifs de cette politique culturelle.</p>
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<p>Pour autant, il est permis de porter un regard plus critique sur les impacts réels de cette politique à destination des jeunes lecteurs. La question n’est donc plus « lisent-ils ? » mais « que lisent-ils ? » Cette analyse se veut ni « décliniste » ni alarmiste au sujet des jeunes d’aujourd’hui mais vise à porter un regard lucide et objectivé sur leurs pratiques de lecture à travers le prisme du Pass Culture.</p>
<h2>Le manga roi</h2>
<p>Dans les <a href="https://www.livreshebdo.fr/article/le-classement-des-meilleures-ventes-du-pass-culture">22 premières ventes du Pass Culture de l’année 2021</a>, nous trouvons 15 mangas, 5 romans et 2 ouvrages juridiques scolaires. Le diagnostic est implacable : le manga est roi. Introduite en France au début des années 1990, cette forme de bande dessinée d’origine japonaise publiée sous la forme de feuilleton connaît un vrai succès depuis une quinzaine d’années. Porté par un <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/10/22/edition-la-croissance-hors-norme-des-mangas-en-france_6099496_3234.html">phénomène générationnel et une politique marketing très efficace</a>, la France est devenue un des plus importants marchés au monde pour le manga. Il est non seulement en tête des ventes du Pass Culture mais depuis la crise sanitaire, ses ventes ont été dopées.</p>
<p>Les mangas occupent les 11 premières places du classement. La part des mangas dans le top 22 est de 95 % avec plus de 1,4 million d’exemplaires vendus. Le poids de ces ventes est tel que ces séries sont en rupture chez l’éditeur très fréquemment, générant une anxiété dans la gestion des stocks des librairies.</p>
<p>En tête, arrivent les grandes séries de manga : <em>One Piece</em> avec plus de 300 000 exemplaires vendus, <em>Demon Slayer</em> avec 191 000 exemplaires vendus et enfin <em>L’attaque des Titans</em> avec 186 000 exemplaires vendus. Le podium avec ces trois séries représente plus de 45 % des ventes du top 22.</p>
<p>Les ventes sont ainsi hyper concentrées sur le manga et sur les principales séries vendues.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/446099/original/file-20220213-21-17dtczx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/446099/original/file-20220213-21-17dtczx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/446099/original/file-20220213-21-17dtczx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/446099/original/file-20220213-21-17dtczx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/446099/original/file-20220213-21-17dtczx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/446099/original/file-20220213-21-17dtczx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/446099/original/file-20220213-21-17dtczx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les 22 premières ventes du Pass Culture de l’année 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pass Culture/LivreHebdo</span></span>
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<h2>Le poids des best-sellers</h2>
<p>Si l’on regarde plus attentivement les séries qui ont été achetées, il faut attendre <em>Death Note</em> (classé au 8<sup>e</sup> rang avec 72 000 exemplaires vendus soit quatre moins que <em>One Piece</em>) pour trouver une série moins « commerciale ». Les principaux titres vendus sont en effet des séries très médiatisées et faisant l’objet de campagnes marketing régulières (l’exemplaire collector récent de <em>One Piece</em> par exemple) et souvent relayées par des séries animées que beaucoup de jeunes lecteurs regardent également. Loin de nous l’idée de porter un jugement sur la qualité créative de ces ouvrages : <em>Berserk</em> ou <a href="http://www.slate.fr/story/199443/attaque-des-titans-anime-manga-fin-serie-generation-2010-wakanim-eren-jaeger-titan-japon"><em>L’attaque des Titans</em></a> sont ainsi de formidables épopées mêlant aventure et réflexion philosophique. Mais nous voulons insister sur le fait qu’il y a très peu de mangas non médiatisés dans ce classement, témoignant en cela de l’effet best-seller ultra présent dans cette liste de livres lus par les jeunes générations. Et même <em>Death Note</em>, dont nous parlions plus haut, est une série culte, connue et reconnue (on la trouve dans tous les CDI de collèges et toutes les librairies) et faisant souvent l’objet de rééditions spéciales.</p>
<p>Les autres livres du top 22 sont ainsi une autobiographie écrite par une célèbre youtubeuse (<em>Toujours plus</em>, classé 16<sup>e</sup> avec 11 600 exemplaires), une série historique dont l’adaptation Netflix est un succès (<em>La chronique des Bridgerton</em>, classé 17<sup>e</sup> avec 11 000 exemplaires) ou encore une série de fantasy récompensée par plusieurs prix littéraires jeunesse (<em>La Passe-miroir</em>, classée 22<sup>e</sup> sur 22 avec 5 300 exemplaires). Bref, que des best-sellers soutenus par les médias.</p>
<p>On mesure les écarts avec les meilleures ventes de manga qui chacune, vendent à plus de 100 000 exemplaires, soit plus de 10 fois plus !</p>
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<p>Alors bien sûr, on ne peut réduire la lecture des jeunes à une liste de 22 ouvrages qui en donnent une image forcément biaisée. Et naturellement, on pourra arguer qu’un livre lu reste un livre lu, quel qu’il soit, et qu’il vaut mieux lire un manga que rien du tout.</p>
<p>Mais cela donne néanmoins une idée de ce que privilégient les jeunes générations par le biais de ce dispositif alors que l’offre de lecture pour la jeunesse, y compris en bande dessinée classique, est pléthorique et ne se limite pas aux mangas, loin de là.</p>
<h2>De nouveaux clients pour les librairies ?</h2>
<p>Un autre élément positif de ce dispositif, indubitablement, est la fréquentation des librairies par les jeunes générations et la <a href="https://www.livreshebdo.fr/article/pass-culture-netflix-quest-ce-qui-se-cache-derriere-le-boom-du-manga">razzia sur certaines séries</a>. Plus de 400 000 jeunes ont ainsi acheté des livres grâce au dispositif Pass Culture.</p>
<p>On sait que les librairies s’efforcent depuis toujours d’attirer le jeune public et de lui proposer un choix éclectique, par des animations jeunesse, par des partenariats avec des écoles et, bien sûr, par leur capacité à proposer des romans qui font envie. Et on ne pourra donc que se féliciter de voir les jeunes lecteurs affluer en librairie grâce à cette aide publique.</p>
<p>Mais cette fréquentation est-elle durable ou n’est-elle qu’un effet d’aubaine provisoire ? Il est difficile de répondre à cette question en l’état actuel des choses ; seules l’analyse longitudinale des données et l’observation des pratiques de lecture permettront de mesurer les impacts de cette politique culturelle.</p>
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À lire aussi :
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<p>Les échos des libraires de terrain montrent qu’il n’est pas évident de fidéliser cette clientèle dont les comportements consuméristes s’apparentent davantage à du zapping et à la recherche de la satisfaction immédiate du besoin. Malgré la ténacité des libraires engagés dans la promotion de la diversité culturelle et leurs efforts, il est difficile de <a href="https://theconversation.com/fictions-pour-la-jeunesse-les-nouvelles-hero-nes-cassent-elles-vraiment-les-stereotypes-de-genre-169681">leur ouvrir l’horizon de lecture</a> en proposant d’autres titres ou d’autres mangas, moins médiatisés. </p>
<p>Dans le cadre du Pass Culture, le jeune public vient souvent pour acheter un numéro précis d’une série manga précise ; il est donc moins susceptible de décaler son achat pour une autre <a href="http://www.slate.fr/story/192891/manga-francais-alchimia-imperium-circus-ragnafall-culture">série conseillée par les libraires</a>. Le rôle des parents et du <a href="https://www.inegalites.fr/Les-pratiques-culturelles-selon-les-categories-sociales-et-les-revenus?id_theme=19">capital culturel</a> peut également constituer un facteur clef dans la capacité à s’ouvrir à d’autres lectures.</p>
<p>Il ressort ainsi de ces chiffres un bilan en clair-obscur :</p>
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<li><p>en clair, car loin des idées reçues, les jeunes lisent encore, et les politiques publiques culturelles peuvent avoir un véritable impact pour les accompagner,</p></li>
<li><p>mais en obscur, car on mesure malgré tout l’ampleur du travail encore à accomplir pour favoriser la diversité culturelle dans la lecture des jeunes générations. Il n’est ainsi pas évident de se libérer de l’influence consumériste, c’est là tout l’enjeu des politiques publiques et du travail des librairies.</p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/176748/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Piovesan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Derrière le succès du dispositif du Pass Culture, les pratiques de lecture des jeunes générations pourraient souffrir d’un déficit de diversité.David Piovesan, Maître de conférences HDR en sciences de gestion, iaelyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1696812021-11-16T18:49:38Z2021-11-16T18:49:38ZFictions pour la jeunesse : les nouvelles héroïnes cassent-elles vraiment les stéréotypes de genre ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/431055/original/file-20211109-15-1w1ne3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C1192%2C797&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jennifer Lawrence, dans le rôle de Katniss, héroïne de "Hunger games", et personnage apprécié par les adolescentes.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm-145083/photos/detail/?cmediafile=19851874">Allociné / Copyright Metropolitan FilmExport</a></span></figcaption></figure><p><em>C'est en se heurtant au réel et en multipliant les expériences que chaque enfant dessine son chemin vers l'âge adulte. Mais sa personnalité et ses convictions, il les forge aussi à partir des imaginaires dans lesquels il baigne et des histoires qu'on lui raconte. Notre série « L'enfance des livres » vous invite à découvrir la complexité et l'extraordinaire diversité de la littérature de jeunesse. Après un retour sur <a href="https://theconversation.com/cinq-auteurs-de-jeunesse-a-faire-absolument-decouvrir-aux-enfants-185235">quelques grands auteurs d'aujourd'hui</a>, <a href="https://theconversation.com/becassine-lheroine-qui-avait-du-mal-a-grandir-184751">une figure indémodable, Bécassine</a>, l'écriture de<a href="https://theconversation.com/parler-de-la-traite-des-esclaves-aux-enfants-alma-lhistoire-dun-roman-178796"> Timothée de Fombelle</a> et <a href="https://theconversation.com/trois-questions-sur-lhistoire-des-livres-pour-enfants-181098">une histoire des livres pour enfants</a>, ce dernier épisode se penche sur la littérature « young adult ».</em></p>
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<p>L’influence des personnages de fiction sur la représentation des normes de féminité et de masculinité chez les jeunes est un sujet souvent abordé du point de vue de la littérature qui leur est destinée. Dans cette catégorie, à l’exception de ce qui relève des intrigues de romance, les personnages féminins sont longtemps demeurés secondaires.</p>
<p>Des maisons d’édition dédiées à un public enfantin ont ainsi développé une production qui renverse les stéréotypes tenaces. On peut citer Talents hauts, où, par exemple, dans <em>La princesse et le dragon</em>, l’héroïne combat son dangereux ennemi par la force de son intelligence, libérant ainsi un prince charmant goujat qui lui reproche sa tenue vestimentaire débraillée. Elle s’émancipera de lui à son tour, renversant la position d’attente des princesses à l’égard des princes pour revendiquer de choisir quel prince lui convient ou non.</p>
<p>Du côté des productions pour adolescentes, adolescents et jeunes adultes, les stéréotypes de genre dans les productions qui leur sont destinées sont retravaillés dans le sens de contre-stéréotypes, voire de <a href="https://journals.openedition.org/jda/2967">néostéréotypes</a>. C’est le cas de la littérature dite « young adult ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/enfants-et-ados-neuf-romans-contre-les-stereotypes-de-genre-131885">Enfants et ados : neuf romans contre les stéréotypes de genre</a>
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<p>Cette catégorie marketing qui vise le public cible des 14-25 (voire 30 ans), désigne un ensemble de publications qui ne se caractérisent pas par un style littéraire identifié : il peut s’agir de dystopie comme de fantasy ou de romance. Les ouvrages considérés comme précurseurs sont tantôt <em>Harry Potter</em>, tantôt <em>Nos étoiles contraires</em> de John Green. Ce dernier livre met en récit l’histoire d’amour entre deux adolescents atteints de cancer et caractérise également la sous-catégorie de la « sick litt » dont la spécificité réside dans une histoire romantique endeuillée par la maladie.</p>
<h2>Des héroïnes fortes</h2>
<p>Parmi les personnages marquants de la « young adult », on peut citer Hermione d’<em>Harry Potter</em>, Triss de <em>Divergentes</em>, Katniss Everdeen de <em>Hunger Games</em> ; mais également Ellana dans <em>Le Pacte des Marchombres</em> de Pierre Bottero. Ces personnages ressortent de manière massive lorsqu’on interroge des lycéens et lycéennes sur les personnages de fiction qui les ont marqués.</p>
<p>À partir d’une <a href="https://journals.openedition.org/ges/351">enquête de réception</a> réunissant 77 entretiens avec des lycéens et lycéennes de classe moyenne, plutôt lecteurs et lectrices, il apparaît qu’elles sont systématiquement qualifiées par ces jeunes de « fortes », « indépendantes » et « badass ».</p>
<p>À ce titre, elles sont désignées par leur autonomie et leur force morale, qualités qui sont également appréciées chez des personnages littéraires issus de la culture scolaire comme Phèdre et Antigone. Ces héroïnes classiques, emblématiques de transgressions sociales et politiques qu’elles assument, sont appréciées pour les mêmes raisons que les personnages de la « young adult », sans présumer des différences de genre littéraire et des transgressions réellement accomplies par les unes et les autres.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/431049/original/file-20211109-19-7054b7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/431049/original/file-20211109-19-7054b7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/431049/original/file-20211109-19-7054b7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/431049/original/file-20211109-19-7054b7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/431049/original/file-20211109-19-7054b7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/431049/original/file-20211109-19-7054b7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/431049/original/file-20211109-19-7054b7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le personnage de Phèdre est souvent décrit par les élèves qui découvrent les tragédies de Racine comme un personnage fort.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Alexandre_Cabanel_-_Ph%C3%A8dre.jpg">Phèdre, par Alexandre Cabanel</a></span>
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<p>Hermione connaît un succès particulier, amplifié par l’engagement féministe de son interprète à l’écran Emma Watson. Les caractéristiques d’Hermione et les prises de position publiques d’Emma Watson semblent se conforter. Hermione est louée pour son intelligence et son rôle central dans l’intrigue, même si elle apparaît peu transgressive dans l’univers d’<em>Harry Potter</em>.</p>
<p>Emma Watson, quant à elle, a été largement plébiscitée comme figure féministe dans une <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2019-3-page-75.htm">autre enquête</a> que nous avons menée, cette fois-ci auprès d’étudiants et étudiantes. Pour les jeunes femmes comme pour les jeunes hommes, Emma Watson est la figure féministe la plus citée, à hauteur de 40 %, en réponse à un questionnaire ayant obtenu 2000 réponses dans des établissements de Nouvelle-Aquitaine.</p>
<p>Au-delà de la prédominance d’Hermione, le caractère transgressif des personnages féminins de « young adult » est discuté par les personnes interrogées : si elles font preuve de force physique et d’intelligence, elles dépendent presque toujours, affectivement, d’un personnage masculin, avec lequel elles entretiennent une romance réelle ou latente. L’hétérosexualité presque obligatoire de ces personnages est relevée par le public pour lequel un personnage féminin transgressif n’est ni nécessairement hétérosexuel, ni nécessairement engagé dans une romance. </p>
<h2>Des schémas récurrents</h2>
<p>Le passage obligé par la romance dans la « young adult » est souligné par certaines lycéennes qui vont souligner que les histoires d’amour ne sont pas toujours crédibles. Ce point est important pour elles car les livres mais aussi les films ou les séries, sont en effet des supports d’apprentissage clairement revendiqués en matière amoureuse – le film d’amour le plus largement cité étant <em>Titanic</em>. Elles travaillent leur compétence émotionnelle dans ces loisirs.</p>
<p>Elles insistent sur l’évolution parfois trop schématique du personnage masculin, un « bad boy » qui se convertit en garçon sensible, amoureux et dévoué.</p>
<p>Ce point relève en fait d’un schéma récurrent des romances, basées sur la transformation du personnage masculin pour que puisse advenir la relation amoureuse souhaitée par l’héroïne (et par projection, par les lectrices).</p>
<p>Janice Radway a mis en évidence ce canevas narratif des romans Harlequin dès 1984 dans son étude classique, <em>Reading the Romance</em>, hélas jamais traduite intégralement en français (voir la <a href="https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_2000_num_13_51_1108">conclusion de l’ouvrage</a> traduite par Brigitte Le Grignou en 2001). Radway explique comment ce déroulement de l’intrigue, sans cesse renouvelé, reconduit un schéma patriarcal tout en permettant aux lectrices de vivre fantasmatiquement une autre fin que celle de leurs relations hétérosexuelles réelles.</p>
<p>Or, malgré l’évolution des caractéristiques des personnages, le principe narratif se répète dans les productions contemporaines. Ce n’est pas tant ce script amoureux – au sens de scénario répétitif inscrit dans les imaginaires – qui gêne. Les lectrices savent à quoi s’attendre en choisissant ces lectures. Les garçons ne disent pas en lire, voire s’en moquent comme de consommations féminines, alors même qu’ils reconnaissent devoir prendre conseil auprès de leurs amies filles en matière amoureuse. Ce qui suscite la critique relève de l’aptitude à rendre le déroulement de l’histoire assez fin psychologiquement pour que la lecture en soit crédible.</p>
<h2>Enjeu éducatif</h2>
<p>Cette réflexivité sur les procédés esthétiques, également appelée « appropriation esthétique », ne dépend pas de la classe sociale d’origine, ni de la filière de spécialisation au lycée. Des filles et garçons d’origine populaire, et en bac professionnel, en font preuve. Le contre-stéréotype de femme forte et indépendante apparaît ainsi comme un nouveau standard pour les jeunes qui lisent beaucoup et qui identifient un procédé répétitif. Par comparaison, les personnages masculins marquants sont beaucoup plus diversifiés : de <em>Jack et La Mécanique du cœur</em> aux personnages de mangas, y compris <em>Dragon Ball Z</em>, ces personnages se caractérisent par différentes combinaisons entre force physique, intelligence et sensibilité.</p>
<p>La sensibilité des personnages masculins est devenue une exigence comme cela a déjà été démontré. L’absence de personnages masculins centraux dans des intrigues sentimentales est soulignée par certains garçons qui s’en plaignent.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lectures-ces-classiques-quharry-potter-fait-decouvrir-a-vos-enfants-117719">Lectures : ces classiques qu’Harry Potter fait découvrir à vos enfants</a>
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<p>Un double enjeu éducatif peut dès lors être identifié. D’une part, les personnages féminins sont davantage travaillés et développés par des biens culturels destinés à la jeunesse dans un sens qui se veut féministe, visant à satisfaire l’horizon d’attente du public de jeunes femmes auxquelles il s’adresse. Mais pour les lectrices et lecteurs assidus, ces traits de personnalité se dévoilent comme un nouveau standard commercial qui ne remet pas en cause les schémas amoureux les plus classiques.</p>
<p>D’autre part, il manque aux garçons, dans un apprentissage amoureux – qu’ils disent, dans notre enquête, devoir beaucoup aux filles – de trouver des personnages masculins centraux et complexes dans une intrigue sentimentale. Cela permettrait de ne pas faire reposer exclusivement l’évolution des normes de genre sur des modèles de femmes fortes, ni de reconduire, malgré cette évolution, des scénarii amoureux où les hommes sont déresponsabilisés de tout travail relationnel.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169681/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Viviane Albenga ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si la littérature « young adult » met désormais en avant des personnages de jeunes femmes fortes et indépendantes, elle continue à se fonder sur des schémas amoureux très classiques.Viviane Albenga, Maîtresse de conférences en sociologie, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1193382019-07-04T21:31:18Z2019-07-04T21:31:18Z« Reine d’Égypte », ou les pharaons version manga<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/281613/original/file-20190627-76709-1vd1rb2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=79%2C0%2C1075%2C640&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans cette saga, Chie Inudoh revisite le destin de la pharaonne Hatchespsout. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.ki-oon.com/">Editions Ki-oon</a></span></figcaption></figure><p>Les mangas « historiques » sont en vogue depuis quelques années, tandis que l’Égypte ancienne fascine un large public depuis bien plus longtemps encore. Pas étonnant donc que la série <em>Reine d’Égypte</em> de la mangaka Chie Inudoh connaisse un grand succès. La traduction française du tome 5 vient de sortir, en février 2019, aux éditions Ki-oon. Mais, dans quelle mesure, peut-on parler de <a href="http://www.ki-oon.com/mangas/tomes-899-reine-d-egypte.html">manga « historique »</a> ?</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/281147/original/file-20190625-81762-cq1yf0.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/281147/original/file-20190625-81762-cq1yf0.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=727&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/281147/original/file-20190625-81762-cq1yf0.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=727&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/281147/original/file-20190625-81762-cq1yf0.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=727&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/281147/original/file-20190625-81762-cq1yf0.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=914&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/281147/original/file-20190625-81762-cq1yf0.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=914&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/281147/original/file-20190625-81762-cq1yf0.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=914&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Statue de la reine Hatchepsout coiffée du némès, Metropolitan Museum, New York.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.metmuseum.org/exhibitions/listings/2006/hatshepsut">New York Metropolitan Museum</a></span>
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<h2>Hatchepsout, une des plus anciennes reines de l’Histoire</h2>
<p>Au départ, l’auteure n’a pas vraiment choisi la facilité : elle aurait pu jeter son dévolu sur Cléopâtre ou Néfertiti, ces reines si célèbres depuis qu’elles ont été incarnées par les plus grandes stars : Elizabeth Taylor et Monica Bellucci pour la première, la top model Iman ou encore Rihanna pour la seconde.</p>
<p>Non, Chie Inudoh a préféré <a href="http://www.ki-oon.com/news/316-reine-d-egypte-nbsp%3B--une-reine-au-temps-des-pharaons-nbsp%3B.html">Hatchepsout</a> au nom exotique et même un peu difficile à prononcer.</p>
<p>Une originalité qui aura été payante car, si Hatchepsout n’est peut-être pas « la première grande souveraine de l’histoire de l’humanité », comme on peut le lire sur le site des éditions Ki-oon, elle est bien la première femme de pouvoir qui ait laissé de remarquables témoignages de son règne : le temple funéraire de Deir el-Bahari, des obélisques monumentaux et d’extraordinaires statues, comme celles qui sont aujourd’hui <a href="https://www.metmuseum.org/exhibitions/listings/2006/hatshepsut">exposées au Metropolitan Museum</a> à New York.</p>
<p>À toutes ces œuvres s’ajoute encore la <a href="https://www.theguardian.com/world/2007/jun/27/egypt.science">momie de la reine</a>, identifiée en 2007, qui nous apprend qu’elle était âgée d’environ 50 ans à sa mort.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/nefertiti-passions-et-polemiques-autour-dune-icone-pharaonique-94042">Néfertiti : passions et polémiques autour d’une icône pharaonique</a>
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<p>Fille du pharaon Thoutmosis I<sup>er</sup>, Hatchepsout régna au XV<sup>e</sup> siècle av. J.-C. avec son demi-frère et époux Thoutmosis II, l’inceste étant alors banal dans la famille royale. Lorsque Thoutmosis II mourut, Hatchepsout devint la régente de Thoutmosis III, le fils que son défunt mari, polygame, avait eu d’une épouse secondaire. Comme le nouveau monarque n’était qu’un enfant, c’était Hatchepsout qui dirigeait l’Égypte dans les faits. Après quelques années de règne, elle finit par prendre le titre de roi à l’issue d’une cérémonie de couronnement incluant des rites qui ne se pratiquaient normalement que pour des hommes. Il y avait dès lors officiellement deux souverains à la tête du royaume : l’enfant-pharaon et la reine-pharaon.</p>
<p>Dans l’art, Hatchepsout se fit parfois représenter comme un homme, revêtu des insignes masculins du pouvoir : la coiffe rayée appelée <em>némès</em>, la fausse barbe et le pagne court. Mais des années après sa mort, certaines de ces images seront volontairement brisées, tandis que le nom de la femme-pharaon, inscrit sur les monuments, sera effacé. Bien que la raison précise de ces destructions soit encore discutée, on peut y voir la preuve que le règne de la reine-pharaon n’avait pas fait l’unanimité en Égypte.</p>
<h2>La « reine aux attributs masculins »</h2>
<p>C’est précisément cette ambivalence qui a suscité l’intérêt de <a href="https://www.journaldujapon.com/2017/06/14/interview-chie-inudoh-hatchepsout-legypte-antique-a-son-manga/">Chie Inudoh</a> pour le personnage de Hatchepsout. Le titre japonais l’exprime clairement : « Histoire de la Reine aux attributs masculins ».</p>
<p>On remarque, cependant, que ce thème, porteur au Japon, n’est pas mis en avant par l’édition parue en France, où il a sans doute été jugé moins adapté aux attentes du public.</p>
<p>Chie Inudoh s’est inspirée de l’histoire de la souveraine, ou du moins de ce qu’on croit en connaître, car <a href="https://www.babelio.com/livres/Desroches-Noblecourt-La-Reine-mysterieuse--Hatshepsout/45640">bien des zones d’ombre</a> demeurent.</p>
<p>Mais ces lacunes ne lui ont guère posé de problème, comme elle en convient avec beaucoup de franchise et de modestie lors de ses interviews : elle a lu des ouvrages d’égyptologues, a examiné les collections pharaoniques du British Museum, mais n’a jamais eu l’intention de produire une reconstitution exacte de la réalité historique.</p>
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<p>Lorsque plusieurs thèses s’affrontent au sujet de la pharaonne, elle choisit la meilleure du point de vue narratif ; et quand une information manque, elle va la chercher sans scrupule à une autre époque, voire dans d’autres civilisations. Elle avoue même sa fascination pour le personnage de Daenerys Targaryen dans <em>Game of Thrones</em>, figure fantasmée de la femme puissante.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/281149/original/file-20190625-81745-11g4vkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/281149/original/file-20190625-81745-11g4vkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=830&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/281149/original/file-20190625-81745-11g4vkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=830&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/281149/original/file-20190625-81745-11g4vkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=830&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/281149/original/file-20190625-81745-11g4vkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1043&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/281149/original/file-20190625-81745-11g4vkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1043&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/281149/original/file-20190625-81745-11g4vkg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1043&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>Reine d’Égypte</em>, couverture du tome 1, éditions Ki-oon, 2017.</span>
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<h2>« Faire pop »</h2>
<p>Chie Inudoh avoue aussi sans détour son intention de « faire pop » ; c’est-à-dire de permettre au lecteur d’entrer facilement dans l’histoire. Le manga « historique » s’inscrit ainsi dans le développement plus général que connaît aujourd’hui le divertissement basé sur l’histoire, un phénomène parfois nommé <a href="https://lyonelkaufmann.ch/histoire/2016/11/15/etre-historienne-a-lere-de-lhistotainment/">« histotainment »</a>.</p>
<p>La démarche de la mangaka n’est donc pas prioritairement égyptologique, mais d’abord littéraire et artistique, voire commerciale. Elle quantifie elle-même les deux composantes de son œuvre : 20 % de réalité pour 80 % de fiction. Cela a le mérite d’être honnête : on ne l’accusera pas de surestimer la part historique.</p>
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<h2>Des questions très actuelles</h2>
<p>Pour « faire pop », l’auteure nous présente Hatchepsout comme l’une des premières féministes de l’Histoire ; ce qui, en dépit des zones d’ombre qui demeurent sur la pharaonne, a toutes les chances d’être un <a href="http://www.lefigaro.fr/bd/2017/06/20/03014-20170620ARTFIG00014--reine-d-egypte-la-premiere-feministe-de-l-histoire-en-manga.php">pur anachronisme</a>.</p>
<p>La véritable Hatchepsout n’a, de toute évidence, jamais entendu défendre les droits des femmes égyptiennes. En se donnant une image parfois virile, selon les représentations du moment, elle pensait surtout renforcer son pouvoir personnel et, par la même occasion, affirmer la puissance de son royaume, alors que son corégent Thoutmosis III n’était encore qu’un jeune garçon.</p>
<p>Chie Inudoh attribue à son héroïne une psychologie très contemporaine. Au début de l’histoire, Hatchepsout est une adolescente révoltée par les traditions misogynes de son peuple. Elle refuse obstinément de jouer le rôle qui lui est assigné par son frère-époux. « Je veux décider moi-même de ma vie », s’écrie-t-elle. « Pourquoi je suis une fille ? Je n’ai pas choisi de naître dans ce corps […] Les femmes sont-elles vraiment inférieures ? »</p>
<p>La pharaonne pose des questions très actuelles sur la place des femmes dans la société. Elle se demande ce qu’est la féminité : une parure, des vêtements, une coupe de cheveux, un rôle social à jouer ? Autant de questions que la véritable reine n’a guère dû se poser, au contraire de certaines jeunes femmes d’aujourd’hui.</p>
<p>À travers ces thèmes, <em>Reine d’Égypte</em> est susceptible de « parler » à un large public de notre époque. L’auteure s’attend à ce que beaucoup de lectrices s’identifient à Hatchepsout, la rebelle, tandis qu’un certain nombre de lecteurs seront sans doute fascinés par la femme puissante, aux tenues très sexy. Le message féministe est, en effet, associé à des scènes parfois torrides et orgiaques, montrant Thoutmosis II, en bon mâle dominant, profitant à loisir des charmes de ses sublimes concubines.</p>
<p>Chie Inudoh a aussi l’habileté de rendre progressivement son héroïne plus complexe ; ce qui permet à la narration de demeurer toujours très captivante. Après s’être opposée à Thoutmosis II de manière aussi frontale qu’inutile, elle en vient à préférer la ruse et même le crime, puisqu’elle finira par empoisonner son frère-époux. La pacifiste se transforme en tueuse, quand cela devient vraiment nécessaire pour elle. On croit reconnaître l’influence de Daenerys, mais en moins flamboyant tout de même !</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/281614/original/file-20190627-76713-1cpotd8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/281614/original/file-20190627-76713-1cpotd8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/281614/original/file-20190627-76713-1cpotd8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/281614/original/file-20190627-76713-1cpotd8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/281614/original/file-20190627-76713-1cpotd8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/281614/original/file-20190627-76713-1cpotd8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/281614/original/file-20190627-76713-1cpotd8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>Reine d’Égypte</em>, une planche du tome 1, éditions ki-oon, 2017.</span>
<span class="attribution"><span class="source">éditions Ki-oon</span></span>
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<h2>Le paradoxe du divertissement historique</h2>
<p>Malgré ces anachronismes revendiqués par l’auteure, le manga n’en délivre pas moins des informations précises et variées sur l’Égypte pharaonique : culte des divinités, croyances funéraires, art et architecture, vie quotidienne… De la même manière, un peu paradoxale, les jeux vidéo « historiques » comme <em>Assassin’s Creed</em>, dont la fonction est avant tout ludique, peuvent également jouer un rôle pédagogique. On y retrouve d’ailleurs un même souci de « faire pop » pour s’adapter aux attentes de notre époque, bien que le sujet soit censé traiter du passé.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dans-assassins-creed-origins-une-antiquite-mondialement-correcte-107639">Dans « Assassin’s Creed Origins », une Antiquité « mondialement correcte »</a>
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<p>Mais, alors que la civilisation de l’Égypte ancienne, pourtant si passionnante, n’occupe plus qu’une place limitée dans les programmes scolaires en France, on ne peut que remercier très chaleureusement Chie Inudoh d’avoir su mettre au goût du jour le nom d’une pharaonne morte il y a 3 500 ans. Et on se laisse volontiers emporter par le charme de cette <em>Reine d’Égypte</em>, pourtant si imparfaitement historique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/119338/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les mangas « historiques » sont en vogue depuis quelques années, tandis que l’Égypte ancienne fascine un large public depuis bien plus longtemps encore.Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1118002019-02-17T21:28:54Z2019-02-17T21:28:54Z« Nicky Larson » et le parfum de la polémique facile<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/258834/original/file-20190213-181604-11p79so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=63%2C0%2C2764%2C1220&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Nicky Larson et le parfum de Cupidon, de Philippe Lacheau.</span> <span class="attribution"><span class="source">Allociné</span></span></figcaption></figure><p>L’annonce d’une adaptation française de <em>Nicky Larson</em>, animé japonais tiré du manga <em>City Hunter</em> de Tsukasa Hojo programmé dans l’hexagone au sein du <em>Club Dorothée</em> a fait frémir les médias. Philippe Lacheau et ses comparses, après s’être illustrés sur Canal+, ont investi les salles obscures avec des comédies comme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=iVqW3Gl3OMA"><em>Babysitting</em></a> ou encore <a href="https://www.youtube.com/watch?v=7jniyVsrfv8"><em>Alibi.com</em></a> sont aux commandes du long métrage, et les critiques ont fusé dès l’annonce du projet.</p>
<p>Que ce soit vis-à-vis de l’affiche du film ou de la première bande-annonce, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=zyPuwpqbKhE">« La bande à Fifi »</a> ne partait pas en terrain conquis. Depuis, de nombreuses personnalités d’Internet, notamment les spécialistes de la culture geek comme le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=YTyuVWOdDhw&t=587s">Chef Otaku</a> ou encore le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=B76y3bxl_bY">Joueur du Grenier</a> ont loué la fidélité du long métrage à l’œuvre originelle de Hojo, qu’il s’agisse de l’animé édulcoré ou du manga, bien plus sombre. Pourtant, les critiques professionnelles françaises ne semblent pas goûter la plaisanterie, reprochant à <em>Nicky Larson</em> d’être trop axé sur les gags à caractère sexuel, et de se rendre coupable de misogynie voire d’homophobie.</p>
<p>La question du sens de lecture est ici largement sollicitée car les arguments des détracteurs du film, souvent peu développés, peuvent être très facilement retournés et renvoyés drastiquement à leurs auteurs.</p>
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<h2>« Nicky Larson est misogyne »</h2>
<p>Dans <em>Qu’est-ce qu’un bon film ?</em>, Laurent Jullier établit le fait qu’au cinéma il faut savoir discerner le descriptif du prescriptif. Le personnage de Nicky Larson est un misogyne, un obsédé sexuel et même parfois un harceleur. Pourtant, à aucun moment, que ce soit dans l’œuvre de Hojo ou dans l’adaptation de Lacheau, ce comportement n’est glorifié. Le personnage est d’ailleurs souvent puni par sa comparse Laura, qui est un personnage profondément humain à l’éthique irréprochable qui vient souligner la vulgarité et la dimension surréaliste de ses adjuvants.</p>
<p><em>Nicky Larson</em> est descriptif, et non prescriptif : il n’invite pas à se rabaisser à ce type d’agissements, mais au contraire il les dénigre et les ridiculise. Ce n’est pas la première fois que la critique française s’insurge : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=56LgLP-Yxtc"><em>Elle</em></a>, de Paul Verhoeven, a été <a href="https://www.huffingtonpost.fr/delphine-aslan/elle-fait-bander-les-crit_b_10253466.html">accusé de faire l’apologie de la culture du viol</a> en présentant une protagoniste désireuse de revivre son agression. <em>Elle</em>, c’est elle, au singulier, pas au pluriel, et les généralités, faciles à établir, sont souvent la preuve d’un manque profond de réflexion. Dans un registre humoristique plus proche du film de Lacheau, les deux opus d’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=wx2m0mOQ37w"><em>OSS 117</em></a> de Michel Hazanavicius n’ont semble-t-il pas été taxés de machisme, de racisme et d’antisémitisme, des systèmes de pensée qui dominent pourtant totalement la personnalité du héros incarné par Jean Dujardin.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/258827/original/file-20190213-181599-bqosqq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/258827/original/file-20190213-181599-bqosqq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/258827/original/file-20190213-181599-bqosqq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/258827/original/file-20190213-181599-bqosqq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/258827/original/file-20190213-181599-bqosqq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/258827/original/file-20190213-181599-bqosqq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/258827/original/file-20190213-181599-bqosqq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans une logique de respect complet de l’œuvre originale, Philippe Lacheau a intégré le gag visuel du maillet de 100 Tonnes utilisé par Laura (Elodie Fontan) afin de punir symboliquement les comportements déviants du personnage titre (Philippe Lacheau).</span>
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<p>Le personnage de Laura, de par ses cheveux courts et sa façon de s’habiller, est souvent prise pour un homme voire même moquée par son associé, et cet élément est également au cœur des critiques sur la prétendue misogynie du film. Mais Laura, victime des réflexions désobligeantes des autres personnages, permet aux spectateurs de s’identifier, et souligne de fait l’absurdité de cet acharnement et la dimension très obtuse des esprits qui en sont à l’origine.</p>
<p>Bien que le film de Lacheau soit conçu pour fonctionner en totale autonomie, souvenons-nous que le personnage de Kaori (le nom original de Laura) est travestie en gangster lors de sa première apparition dans le manga d’origine, signant le point de départ du <em>running gag</em> sur son identité de genre. <em>Nicky Larson</em> dénonce et se moque ouvertement de ces individus balourds englués dans leurs préjugés au sujet des femmes. Laura est un personnage fort, bien plus fort que la grande majorité des personnages masculins du film, et se pose comme l’égale du garde du corps donnant son titre à l’œuvre.</p>
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<figcaption><span class="caption">Dans les années 1980, Didier Bourdon fustigeait la diffusion d’animés japonais au sein du Club Dorothée. Aujourd’hui, après Les Inconnus, il est en tête d’affiche d’une adaptation de l’un de ces produits culturels venus du Japon.</span></figcaption>
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<h2>Nicky Larson est homophobe</h2>
<p>Sous l’emprise du parfum de Cupidon, le personnage titre tombe amoureux contre son gré de son commanditaire, incarné par Didier Bourdon, donnant alors lieu à des scènes de fantasmes homo-érotiques tournées en dérision. Nicky Larson a 48 heures pour trouver l’antidote sous peine d’être éternellement amoureux d’une personne qu’il n’aime et ne désire pas. <a href="https://twitter.com/GingerForce1/status/1094344899682541568">Pour certains internautes</a> qui pourfendent le film, ce personnage cherche à « guérir » de son homosexualité, et le film est donc ouvertement homophobe. Pourtant, on peut aussi considérer que la question qui se trouve au cœur de l’intrigue est plutôt celle du consentement. C’est dans le but de détruire un parfum pouvant servir d’arme à des individus qui font fi du consentement d’autrui que Nicky et Laura partent à sa recherche. Mieux, l’attirance d’un machiste galvanisé par sa masculinité pour un autre individu de sexe masculin sert un propos bien plus profond, visant à mettre à mal le mythe de la virilité.</p>
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<span class="caption">Loin d’être une simple caution sexy pour le film, Laura est un personnage complexe qui permet de réfléchir à la question du genre et aux règles implicites du patriarcat. Les rares moments où elle est sexualisée sont tournés en dérision pour amorcer des gags lui conférant, entre autres, un rôle de comic relief plus réaliste.</span>
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<p>Dans son ouvrage éponyme, sous-titré « un piège pour les deux sexes », <a href="https://www.youtube.com/watch?v=5dEtiEYRFNA">Olivia Gazalé</a> établit que la notion de virilité est non seulement un outil d’asservissement pour les femmes mais également pour les hommes qui se sentent obligés, consciemment ou inconsciemment, de correspondre à des archétypes virilistes visant à les enfermer dans un modèle unique. Quiconque ne marche pas dans les clous est rejeté, moqué voire violenté.</p>
<p>Nicky Larson est un archétype des années 1980 totalement conforme à cette idée de mâle dominateur avide de sexe hétérosexuel et le fait qu’il soit éperdument amoureux d’un autre homme remet totalement en question son système de pensée : est-ce grave d’être amoureux de ce personnage-là ? Oui, car il n’y a aucun consentement, et non pas parce que c’est un amour homosexuel. Le film est une œuvre outrancière et les gags qui pleuvent autour de cette <em>bromance</em> sont justement là pour grossir le trait, pour parodier une vision très hétérosexualisée de l’homosexualité : ce qu’imagine Nicky, ce sont des clichés, car il en est un lui-même, se refusant à déclarer ouvertement sa flamme à Laura, cette femme qu’il ne peut aimer, peut-être justement parce qu’elle est trop garçonne à son goût, une préférence dictée par son emprisonnement dans ce fameux mythe de la virilité qui lui impose des archétypes et des chemins totalement balisés.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/259000/original/file-20190214-1736-1u717fd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/259000/original/file-20190214-1736-1u717fd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/259000/original/file-20190214-1736-1u717fd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/259000/original/file-20190214-1736-1u717fd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/259000/original/file-20190214-1736-1u717fd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=442&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/259000/original/file-20190214-1736-1u717fd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=442&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/259000/original/file-20190214-1736-1u717fd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=442&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les personnages masculins du film sont en proie à leurs pulsions mais aussi en constante lutte avec leur propre virilité.</span>
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<p>Cri d’amour générationnel au <em>Club Dorothée</em> enrobé d’une avalanche de clins d’œil à l’œuvre de Tsukasa Hojo (version papier ou écran), comédie policière et <em>buddy movie</em> dans lequel, pour une fois, les deux protagonistes ne sont pas seulement des hommes, <em>Nicky Larson</em> peut soulever certains questionnements qui paraissent douteux au premier abord. Mais au-delà du pur divertissement se trouve une réflexion bien plus profonde qu’il n’y paraît sur les codes qui régissent les rapports entre les genres et la vie amoureuse.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/111800/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Labrude ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Graveleux, misogyne et homophobe : les critiques pleuvent sur « Nicky Larson et le parfum de Cupidon ». Mais est-ce la seule façon de cerner le film ?Guillaume Labrude, Doctorant en études culturelles, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/989062018-07-03T20:14:28Z2018-07-03T20:14:28ZUn manga amérindien : l’art haïda, un métissage des genres<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/225672/original/file-20180702-116143-1f8s4wk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C590%2C1029%2C750&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">_A Tale of Two Shamans_.</span> <span class="attribution"><span class="source">Michael Nicoll Yahgulanaas</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><blockquote>
<p>« De tous les arts dont subsiste le témoignage, celui des Premières Nations de la côte Nord-Ouest est certainement l’un des plus grands. »</p>
</blockquote>
<p>C’est en ces termes que s’exprimait en 1974 Claude Lévi-Strauss, à l’occasion <a href="https://www.museedelhistoire.ca/cmc/exhibitions/aborig/reid/reid09f.shtml">d’une exposition</a> dédiée à l’artiste <a href="http://theravenscall.ca/en">Bill Reid, l’un des plus connus de sa génération</a>, d’origine haïda – nation indienne du Nord-Ouest américain (Colombie-Britannique).</p>
<p>Or, cet intérêt de l’anthropologue français pour l’art et la communauté haïda a séduit un autre artiste plus contemporain <a href="http://mny.ca/en/">Michael Nicoll Yahgulanaas</a>, inventeur d’un genre graphique original : le « manga haïda ».</p>
<h2>Un style propre : la <em>formline</em></h2>
<p>Cette appellation, plutôt insolite, définit une forme d’expression visuelle hybride qui permet à l’auteur non seulement de célébrer la mémoire culturelle des Haïda, mais aussi de traiter des défis auxquels sont confrontés toutes les sociétés aujourd’hui : les conflits, les guerres, l’impact des activités humaines sur l’environnement et les changements climatiques ou encore les relations interculturelles.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225652/original/file-20180702-116132-15e8y6r.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225652/original/file-20180702-116132-15e8y6r.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=751&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225652/original/file-20180702-116132-15e8y6r.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=751&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225652/original/file-20180702-116132-15e8y6r.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=751&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225652/original/file-20180702-116132-15e8y6r.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=943&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225652/original/file-20180702-116132-15e8y6r.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=943&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225652/original/file-20180702-116132-15e8y6r.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=943&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Couvertures de l’œuvre, <em>A Tale of Two Shamans</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225653/original/file-20180702-116139-nzk7ac.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225653/original/file-20180702-116139-nzk7ac.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=655&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225653/original/file-20180702-116139-nzk7ac.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=655&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225653/original/file-20180702-116139-nzk7ac.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=655&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225653/original/file-20180702-116139-nzk7ac.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=823&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225653/original/file-20180702-116139-nzk7ac.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=823&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225653/original/file-20180702-116139-nzk7ac.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=823&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>Red</em>, couverture.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Yahgulanaas introduit dans le manga un élément graphique et stylistique appartenant aux cultures de la côte Nord-Ouest, la <em>formline</em> ou ligne figurative. Elle est une ligne sinueuse peinte en noir qui s’enfle et se contracte, et délimite les contours du sujet représenté.</p>
<p>En l’utilisant dans ses mangas, comme <a href="https://cotroafs.com/servlet/BookDetailsPL?bi=16622778549&searchurl=&cmtrack_data=cm_abecat%3D100203057"><em>A Tale of Two Shamans</em></a> (2001) et <a href="http://mny.ca/en/work/14/RED"><em>Red</em></a> (2009, un best-seller au Canada), l’artiste traduit ainsi matériellement une conviction inébranlable : celle qu’au-delà des différences entre les modes de pensée autochtone et occidental, les peuples quelle que soit leur origine peuvent s’unir autour d’interrogations communes.</p>
<h2>Un artiste à l’interface de communautés qui s’ignorent</h2>
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<span class="caption">Les deux chamanes dans la ville de Sk’a.aaws.</span>
<span class="attribution"><span class="source">_A Tale of Two Shamans_, 2011</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Yahgulanaas est né en 1954 d’un père d’origine écossaise et d’une mère haïda appartenant <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Michael_Nicoll_Yahgulanaas">à une longue lignée d’artistes</a> qui ont fait la réputation de cet art tout au long du XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Il a pour ancêtre le célèbre maître sculpteur et orfèvre, Charles Edenshaw (1839-1920), père de son arrière-grand-mère maternelle. C’est autour de la trentaine qu’il a accolé au patronyme de son père le nom du clan de sa mère « Yahgulanaas », Ceux-du-milieu-du-village, de la moitié Corbeau (les Haïda sont divisés en deux moitiés matrilinéaires, les Corbeaux et les Aigles), affirmant ainsi son double héritage.</p>
<p>Conscient des différences existant entre l’univers autochtone et l’univers non-autochtone, il s’efforce depuis son jeune âge d’<a href="https://www.straight.com/article-98050/re-collecting-the-coast">« évoluer sur la ligne de partage entre les deux communautés »</a> et se positionne clairement à l’interface de ces communautés qui s’ignorent, voire sont hostiles les unes envers les autres.</p>
<p>À l’instar d’un autre artiste et activiste haïda, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Guujaaw">Gujaaw</a> (Gary Edenshaw), Yahgulanaas a mené pendant de longues années une <a href="http://www.douglas-mcintyre.com/book/all-that-we-say-is-ours">lutte farouche contre l’exploitation forestière de l’archipel des Haïda Gwaii</a>, marquée par l’organisation en 1985 d’un blocus de quarante jours d’une piste forestière sur l’île de Lyell.</p>
<p>Cette action a été couronnée d’un franc succès, conduisant à la création d’un parc national deux ans plus tard en accord avec les gouvernements fédéral et provincial de la Colombie-Britannique.</p>
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<span class="caption">Un art graphique à l’interface de plusieurs mondes.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Tout au long des années 1970 et 1980, le jeune artiste <a href="https://www.blackdogonline.com/imported-products-20/the-seriousness-of-play">a mis son talent de dessinateur au service de sa communauté</a> en publiant des bandes dessinées pour dénoncer l’exploitation forestière, les répercussions des coupes à blanc et les risques environnementaux engendrés par la circulation des navires pétroliers dans le détroit d’Hécate qui sépare l’archipel des Haïda Gwaii du continent.</p>
<p>Ses longues années de militantisme consacrées à la défense du territoire haïda et de l’environnement ont marqué sa production artistique forte de milliers de dessins. Yahgulanaas est aussi un artiste multimédia, à l’imagination bouillonnante, qui réalise aussi bien des sculptures monumentales pour l’espace public que des œuvres de petites dimensions.</p>
<h2>Le « manga haïda », un genre hybride</h2>
<p>Si l’on en croit Yahgulanaas, le terme « manga » pour définir le type d’images qu’il produit lui aurait été suggéré lors d’un séjour au Japon par des étudiants qui le considéraient comme un mangaka, un auteur de mangas.</p>
<p>Cette désignation venait à point nommé pour définir un genre original conjuguant les modalités de représentations caractéristiques du manga japonais et le style graphique haïda influencé par la technique de la calligraphie chinoise, ce qui donne au tracé des lignes qui délimitent les cases une grande fluidité et au récit une plus grande fantaisie ou liberté.</p>
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<span class="caption">La démarche de l’auteur se distingue des artistes produisant uniquement de l’art ethnique traditionnel.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Red</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>C’est dans ce cadre qu’il a forgé l’expression « manga haïda » : la formule dans laquelle les deux termes sont à la fois opposés et complémentaires subsume plusieurs lignes de force qui irriguent le discours de l’artiste : elles sont d’ordre artistique, culturel, politique, et identitaire.</p>
<p>Si bien évidemment, Yahgulanaas revendique haut et fort son origine haïda, sa démarche se distingue des artistes produisant uniquement de l’art ethnique traditionnel.</p>
<p>Dessinateur-illustrateur autodidacte, il maîtrise un vaste éventail de techniques qui inclut notamment celle de l’aquarelle chinoise apprise en 1999 auprès du peintre cantonnais Cai Ben Kwon.</p>
<p>Il tient aussi une partie de son inspiration des estampes japonaises de l’école <em>ukiyo-e</em> (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ukiyo-e">images du monde flottant</a>) et de la tradition des mangas.</p>
<p>L’objectif de Yahgulanaas est de s’affranchir d’une pratique artistique traditionnelle en travaillant un art visuel hybride empruntant à différentes traditions, qu’elles soient haïda, occidentales, chinoises ou japonaises, qu’il s’agisse d’une technique ou d’un mode de figuration singulier.</p>
<h2>Au-delà de l’opposition entre tradition et modernité</h2>
<p>Les récits qu’il met en scène trouvent leur origine dans la tradition orale haida. <em>A Tale of Two Shamans</em> est une libre adaptation d’une légende recueillie dans trois dialectes locaux par l’ethnologue <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/John_R._Swanton">John Swanton</a> en 1900-1901.</p>
<p>Comme bon nombre d’intellectuels et d’artistes autochtones de cette région, Yahgulanaas mobilise pour la conception de ses scénarios les grands travaux classiques de l’ethnologie de la fin du XIX<sup>e</sup> siècle et du début du XX<sup>e</sup> (dont <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Franz_Boas">Franz Boas</a> avait fourni le modèle), et qui constituent aujourd’hui une source inépuisable sur la mythologie des sociétés de la côte Nord-Ouest.</p>
<p>Ainsi, l’histoire de Red (qui, à l’image de nombreux personnages de manga, a les cheveux roux) s’inspire d’une histoire vraie située dans un passé non défini et transmise au sein de la famille de Yahgulanaas. Il s’agit d’un jeune homme qui, aveuglé par le désir de vengeance, aurait pu entraîner sa communauté dans une guerre meurtrière.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/dBbLiEqUZ-g?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Yahgulanaas à propos de <em>Red</em> et de sa technique.</span></figcaption>
</figure>
<p>Les images dessinées par Yahgulanaas sont par ailleurs inspirées de documents visuels ou d’objets haïda que les spécialistes peuvent aisément identifier.</p>
<p>Les deux récits ont pour cadre les paysages des Haïda Gwaii, certaines séquences se déroulant dans le décor des villages traditionnels avec leurs rangées de maison construites en bord de mer devant lesquelles se dressent des mâts héraldiques et des mâts funéraires.</p>
<figure class="align-center ">
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<figcaption>
<span class="caption">Coffre mortuaire du chamane.</span>
<span class="attribution"><span class="source">_A Tale of Two Shamans_, 2011</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center ">
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<figcaption>
<span class="caption">Coffre collecté par Charles Newcombe.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Royal BC Museum and Archives</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le lecteur averti peut par exemple aisément établir une ressemblance entre le dessin du coffre mortuaire où repose le cadavre du chamane (p.28-29) et l’objet collecté à Skedans par Charles Newcombe pour l’American Museum of Natural History, avec la figuration du blason de la chèvre de montagne qui en ornait un de ses côtés (photo du coffre in situ).</p>
<p>Les vêtements et les accessoires portés par les protagonistes sont caractéristiques des costumes « traditionnels » et renvoient soit à des rôles soit à une classe sociale.</p>
<p>Yahgulanaas joue aussi sur des temporalités historiques différentes. Ainsi un personnage masculin, Elder, a le visage barré d’une grosse moustache – le port de la moustache étant devenu à la mode chez les autochtones de la côte Nord-Ouest à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. Parmi les personnages féminins, l’une, Jaada, porte une robe à la coupe occidentale et un sac en bandoulière (p. 71, 106), tandis que la chamane Spirit Dangerous to Offend a l’allure d’une jeune femme sexy, torse nu, portant de grands anneaux aux oreilles.</p>
<figure class="align-center zoomable">
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<figcaption>
<span class="caption"><em>Red</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un genre adapté aux traditions haïda</h2>
<p>Selon Yahgulanaas, le manga est mieux adapté au style narratif et à la spécificité des traditions orales haïda que la BD.</p>
<p>Il soutient ainsi que cette dernière a tendance à camper des héros bons ou mauvais alors que les personnages décrits dans les mythes de la côte Nord-Ouest offrent une très grande complexité, à l’instar, par exemple, <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01324646">du célèbre décepteur Corbeau, créateur du monde et des hommes</a>, doté de qualités contradictoires puisque par exemple il est à la fois avare et généreux.</p>
<p>Ainsi, <a href="http://www.cornellpress.cornell.edu/book/?GCOI=80140100267050">note-t-il</a> :</p>
<blockquote>
<p>« J’utilise un mélange unique de dessins style BD et de motifs traditionnels pour amener le lecteur à remettre en cause ses préjugés et ses fantasmes à propos d’un peuple qui produit des récits moralement ambigus comme c’est le cas pour Corbeau. »</p>
</blockquote>
<h2>Double reconfiguration</h2>
<p>D’un point de vue artistique, la formule « manga haïda » permet à la fois l’adaptation d’un <a href="https://www.billreidgallery.ca/products/the-seriousness-of-play?variant=12286244126803">style « ethnique » avec ses règles canoniques</a> à une autre tradition graphique et la mise à distance de la tradition de la BD grâce à l’adoption du style manga.</p>
<p>Cette double reconfiguration stylistique lui ouvre un espace imaginaire au sein duquel sont mises au jour, selon lui, des affinités entre les différentes cultures du Nord Pacifique, celles de la côte Nord-Ouest et celles de l’Asie septentrionale.</p>
<p>Elle participe également d’une posture d’ordre politique puisque l’association de ces deux styles relègue à l’arrière-plan l’influence graphique euro-américaine associée à l’idée de domination coloniale sur les cultures autochtones. <a href="https://www.blackdogonline.com/imported-products-20/the-seriousness-of-play">Il explique</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le manga m’a séduit parce qu’il ne fait pas partie d’une tradition coloniale […] et qu’il n’est pas lié à la colonisation de notre pays ; en [plus] le manga a des racines dans le Nord Pacifique comme l’art haïda. »</p>
</blockquote>
<h2>« La ligne noire devient un support avec lequel un personnage entre en action »</h2>
<p>Yahgulanaas est cependant allé plus loin dans l’expérimentation et le métissage des genres : il a en effet utilisé les <em>formlines</em> curvilignes comme les cadres des cases. Ce qui signifie que les espaces négatifs créés par les lignes figuratives noires ainsi définies dans les conventions de l’art de la côte Nord-Ouest deviennent dans le manga des espaces pleins au sein desquels se déroule l’action et évoluent les personnages.</p>
<figure class="align-center ">
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<figcaption>
<span class="caption">Quand la ligne devient surface de l’eau.</span>
<span class="attribution"><span class="source">_A Tale of Two Shamans_</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les <em>formlines</em> font partie du récit lui-même, le plein étant considéré comme l’espace de la narration. Parfois une scène ou un personnage – ou une partie de son corps – déborde du cadre et empiète sur une autre case. La ligne noire devient un support avec lequel un personnage entre en action, qu’il saisit ou auquel il s’accroche, ou au-dessus duquel il se penche. Elle se transforme en élément du paysage – elle se fait surface de l’eau sur laquelle navigue le canot d’Elder (<em>A Tale of Two Shamans</em>, p. 13), ou entre dans la composition du dessin d’un arbre ou de celui de la lisière de la forêt (<em>Red</em>, p. 97). Elle dessine les contours de la silhouette d’un personnage, ou devient une arme – en l’occurrence, l’arc qui va tuer Red, comme si l’arc était un fragment d’un tout.</p>
<figure class="align-center ">
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<figcaption>
<span class="caption">La ligne de forme se change en arc.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Certains auteurs comme l’<a href="https://anth.ubc.ca/faculty/nicola-levell/">anthropologue Nicola Levell</a> ou l’artiste <a href="https://www.youtube.com/watch?v=4d1zFGQW2i4">Judith Ostrowitz</a> ont remarqué que la <em>formline</em> n’est pas seulement pour Yahgulanaas un élément stylistique purement formel utilisé dans ses mangas.</p>
<p>C’est en quelque sorte une métaphore visuelle ou un support discursif à partir duquel il confronte la vision du monde haïda aux manières de voir occidentales, qu’il s’agisse des notions d’espace-temps ou de relations entre les êtres qui le peuplent et leur rapport avec l’environnement.</p>
<p>Dans sa démarche artistique, Yahgulanaas s’inscrit en faux par rapport à la tradition occidentale de la bande dessinée et le traitement des bordures blanches où l’espace devient le temps, ce qui structure le récit dans une forme narrative qui ne convient pas selon lui à l’esprit haïda.</p>
<p>Cette idée est exprimée graphiquement dans un dessin humoristique à l’encre intitulé « In the Gutter » (2011) où l’artiste se moque de la manière dont sont utilisés les bordures, qui sont des espaces vides auxquels il donne une signification politique et historique.</p>
<figure class="align-left zoomable">
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<figcaption>
<span class="caption">In the Gutter », reproduit dans Nicola Levell, Michael Nicoll Yahgulanaas. The Seriousness of Play, 2016, p75.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ainsi pour Yahgulanaas – et cela est parfaitement illustré dans <em>Red</em> – la saturation des espaces vides ou cases par des images et le caractère « plein » (s’opposant au vide des caniveaux) des <em>formlines</em> est une manière d’administrer une leçon d’histoire en dénonçant le récit couramment admis que le territoire colonisé par les Euro-Canadiens était un espace vide – une <em>terra nullius</em> – alors qu’il était habité par des peuples souverains gouvernés par leur propres lois.</p>
<p>Enfin, Yahgulanaas instaure grâce à ses mangas haïda un dialogue à l’échelle mondiale. Dans <em>Red</em>, le montage d’images articulées autour du tracé sinueux et, à première vue, fragmenté des <em>formlines</em>, ne se comprend véritablement que lorsque le lecteur arrive en fin d’ouvrage.</p>
<p>Là, une double page l’accueille et reproduit la fresque murale de 5m de haut sur 2m de large, composée de 108 planches peintes à l’aquarelle, qui est à l’origine de la création du manga.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/225663/original/file-20180702-116147-1cyyzgf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225663/original/file-20180702-116147-1cyyzgf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225663/original/file-20180702-116147-1cyyzgf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=223&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225663/original/file-20180702-116147-1cyyzgf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=223&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225663/original/file-20180702-116147-1cyyzgf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=223&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225663/original/file-20180702-116147-1cyyzgf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=280&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225663/original/file-20180702-116147-1cyyzgf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=280&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225663/original/file-20180702-116147-1cyyzgf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=280&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les <em>formlines</em> des planches de <em>Red</em>, mises côte à côte, forment un nouveau dessin (p. 110-111).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La reconstruction du mural fait apparaître comme en surimposition l’image stylisée d’une entité surnaturelle ou d’un blason haïda (figure animale ou ancêtre d’un groupe social). Cette image stylisée fidèle aux canons de l’art bidimensionnel de la côte Nord-ouest, qui n’a rien à voir avec la trame du récit, fait le lien entre toutes les planches/pages de l’œuvre.</p>
<p>Non avare d’explications, Yahgulanaas souligne que la présence inattendue du motif doit faire prendre conscience qu’il existe différentes et diverses réalités en dehors de notre propre monde. Mais il y a plus encore :</p>
<blockquote>
<p>« La fresque murale est une manière de comprendre comment nous sommes tous liés les uns aux autres et comment nous circulons dans un même espace. »</p>
</blockquote>
<hr>
<p><em>Billet publié en collaboration avec le blog de la revue d’anthropologie et sciences humaines <a href="https://blogterrain.hypotheses.org/">Terrain</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/98906/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le manga « haïda » de l’artiste amérindien Yahgulanaas ouvre un dialogue graphique entre les différentes cultures du Nord Pacifique, celles de la côte Nord-Ouest et celles de l’Asie septentrionale.Marie Mauzé, Anthropologue, Directrice de recherche au CNRS, Laboratoire d'anthropologie sociale, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/931452018-03-11T20:20:12Z2018-03-11T20:20:12ZHip-hop, mangas, jeux vidéo : le futur de la culture, c’est maintenant ! Conversation avec Pierre-Jean Benghozi<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/209788/original/file-20180310-30969-1qguw9j.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=25%2C15%2C1274%2C763&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Conversation avec Pierre-Jean Benghozi.</span> <span class="attribution"><span class="source">Xerfi Canal</span></span></figcaption></figure><p>« Sous le radar », l’industrie du jeu vidéo ? Assurément, elle l’est encore largement. Comme beaucoup d’autres de ces « choses » sur lesquelles la recherche a mission première de porter le regard et de proposer des « mots » neufs.</p>
<p>Les imaginaires du hip-hop et des mangas dialoguent-ils avec le monde des jeux vidéo, comme le propose Pierre-Jean Benghozi à l’occasion de cette interview ? Assurément, aussi. Jugeons plutôt : « J’fais le tour de la plaine avec Epona/t’as pas rêvé j’ai pas fini clochard » (PNL, <a href="https://genius.com/Pnl-naha-lyrics">« Naha »</a>, en référence au « chef d’œuvre » (selon jeuxvideo.com) <a href="http://www.jeuxvideo.com/news/620274/20-20-a-zelda-la-note-decomplexee.htm"><em>The Legend of Zelda</em></a>) ; ou encore </p>
<blockquote>
<p>J’suis dans l’premier Mario<br>
À chaque fois qu’j’ai fini l’jeu, ça repart à zéro<br>
En plus rapide, en plus dur<br>
J’devais être plus mûr, j’ai dû m’tromper d’futur<br>
(OrelSan, <a href="https://genius.com/Orelsan-san-lyrics">« San »</a>)… </p>
</blockquote>
<p>C’est pourquoi d’ailleurs on s’était essayé à une brève chronique : <a href="https://theconversation.com/pnl-music-ou-la-strategie-du-jeu-video-80729">« PNL, ou la stratégie du jeu vidéo »</a>.</p>
<p><a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/livre/?GCOI=27246100054280&fa=author&person_id=2022">L’ouvrage</a>, coécrit avec Philippe Chantepie et publié aux presses de Sciences Po donnera lieu à une note de lecture signée d’<a href="https://www.essca.fr/professeurs-recherche/corps-professoral/salvador-elisa/">Elisa Salavador</a>. Ce texte est à paraître dans un prochain numéro de la <em>Revue française de gestion</em>. Élisa Salvador y insiste sur la conclusion des auteurs, sous forme d’une affirmation : </p>
<blockquote>
<p>« À tous ces titres, qu’on le déplore, qu’on s’en réjouisse ou qu’on l’analyse seulement, le secteur de jeu vidéo apparaît bien comme l’industrie culturelle du siècle commencé », « une industrie culturelle qui vient en prolongement de l’audiovisuel et des médias. »</p>
</blockquote>
<p>Comment ne pas partager ce constat en effet, si l’on en juge par la façon bien peu amicale dont le groupe Vivendi s’est invité au capital d’Ubisoft… Une tentative de <a href="https://www.capital.fr/entreprises-marches/guillemot-bollore-qui-est-le-plus-tetu-chez-ubisoft-1257071">prise de contrôle</a> devenue depuis véritable guerre de tranchées entre Vincent Bolloré et les fondateurs, les frères Guillemot. Avec des combats qui n’ont plus grand-chose à envier au célèbre jeu <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Tekken"><em>Tekken</em></a>.</p>
<p>La thèse de Pierre-Jean Benghozi et Philippe Chantepie peut se résumer en une formule-choc d’OrelSan : « Le futur c’est maintenant ! » Un futur qui se construit logiquement avec des bagarres dans le présent, sur des parkings, façon <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_Theft_Auto"><em>Grand Theft Auto</em></a>. Avec pour personnages principaux les Bolloré, Drahi, Niel et autres Pigasse… Comme le met en scène de manière hilarante, <a href="http://www.legorafi.fr/2017/02/27/la-police-stoppe-une-bagarre-sur-le-parking-dun-supermarche-entre-vincent-bollore-patrick-drahi-et-matthieu-pigasse/">Le Gorafi</a>.</p>
<p><strong>Présentation de Pierre-Jean Benghozi</strong></p>
<p><em>Ancien élève de l’École polytechnique, titulaire d’un doctorat et d’une habilitation à diriger les recherches de l’Université Paris Dauphine, Pierre-Jean Benghozi est directeur de recherche au CNRS et professeur à l’École polytechnique où il a dirigé le pôle de recherche en économie et gestion. Dans ce cadre, il a contribué à fonder la chaire innovation et régulation des services numériques.</em></p>
<p><em>Spécialiste reconnu de l’économie numérique et des industries de contenus ainsi que de l’analyse des chaînes de valeur et des modèles d’affaires associés aux marchés du commerce électronique, notamment dans les industries créatives, Pierre Jean‑Benghozi est membre du Collège de l’<a href="https://www.arcep.fr/index.php?id=8343">Autorité de régulation des communications electroniques et des postes</a> (ARCEP) depuis 2013. Il suit plus particulièrement les dossiers du très haut débit fixe, les relations avec les collectivités territoriales, le marché « entreprise » et les usages publics du numérique.</em></p>
<p><strong>L’interview de Pierre-Jean Benghozi</strong></p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kZwIFEb_6G8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/93145/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Les imaginaires du hip-hop et des mangas dialoguent-ils avec le monde des jeux vidéo, comme le propose Pierre-Jean Benghozi à l’occasion de cette interview ? Assurément.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/764282017-04-20T18:18:06Z2017-04-20T18:18:06Z« Ghost in the Shell », fabrique à avatars<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/165928/original/file-20170419-2431-1atmece.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une image tirée du générique de l'anime d'Oshii </span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Sorti le 29 mars 2017 en France, <em>Ghost in the Shell</em> est une nouvelle adaptation du manga de Masamune Shirow par le réalisateur britannique Rupert Sanders. Première dans l’histoire transmédiatique de l’œuvre : il s’agit ici d’un film en prises de vue réelles et non d’une nouvelle mouture animée à l’instar du film éponyme de Mamoru Oshii en 1995 et de sa suite, <em>Innocence</em>, en 2004.</p>
<p>Le long métrage de Rupert Sanders a depuis fait couler beaucoup d’encre et de salive, notamment en servant, à tort, d’exemple de <a href="http://info.arte.tv/fr/ghost-shell-et-le-concept-du-whitewashing"><em>whitewashing</em></a> hollywoodien, mais aussi, et surtout, en mécontentant les aficionados de l’animé.</p>
<p><a href="http://www.lesinrocks.com/2017/03/31/cinema/ghost-shell-en-quoi-ladaptation-hollywoodienne-trahit-elle-le-manga-culte-11927627/">Dans son article</a> « Ghost in the Shell : en quoi l’adaptation hollywoodienne trahit-elle le manga culte ? », Bruno Deruisseau écrit dans les colonnes des Inrockuptibles :</p>
<blockquote>
<p>« Le “Ghost in the Shell” de Mamoru Oshii est l’histoire d’une fusion ultime entre la robotique et l’humanité, de l’inquiétante création d’une conscience artificielle, d’une post-humanité à la fois matérielle et immatérielle capable d’infiltrer chaque réseau. Son récit est d’une poésie, d’une profondeur et d’une ampleur folles. Le remake hollywoodien sorti 22 ans plus tard en a complètement trahi le propos et évacué la complexité. »</p>
</blockquote>
<p>Les podcasteurs <a href="http://www.dailymotion.com/video/x5gp8g2">Durendal</a> et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9t5_7mofZ-8">Le Fossoyeur de Films</a> désignent également le film d’Oshii comme « œuvre originelle » dans leurs critiques acerbes de cette nouvelle adaptation.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/165930/original/file-20170419-2401-9kh169.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/165930/original/file-20170419-2401-9kh169.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=566&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/165930/original/file-20170419-2401-9kh169.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=566&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/165930/original/file-20170419-2401-9kh169.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=566&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/165930/original/file-20170419-2401-9kh169.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=711&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/165930/original/file-20170419-2401-9kh169.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=711&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/165930/original/file-20170419-2401-9kh169.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=711&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un artwork de Masamune Shirow qui a servi de couverture au premier tome du manga.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pourtant, cette dernière n’est pas un remake de l’animé de 1995, lequel n’est pas non plus « l’œuvre originelle ». Prépublié dès 1989 dans les pages du <em>Young Magazine</em>, <em>Ghost in the Shell</em> est un <em>seinen</em>, un manga pour jeunes adultes, écrit et dessiné par Masamune Shirow, auteur spécialisé dans le <a href="http://www.bm-aubenas.fr/blog/livres-et-presse/recits-post-apocalyptiques">post-apocalyptique</a> et le <a href="http://www.zones-subversives.com/le-cyberpunk-science-fiction-et-critique-sociale">cyberpunk</a> comme peuvent en témoigner ses précédentes productions, <em>Black Magic</em>, <em>Appleseed</em> ou encore <em>Dominion</em>.</p>
<p>Si la presse spécialisée et les dilettantes de YouTube s’évertuent à se référer au film de Mamoru Oshii plutôt qu’au véritable auteur de l’œuvre, c’est d’une part parce qu’ils sont mal renseignés – les informations étant pourtant accessibles –, mais également parce que le manga et ses différentes adaptations sont sujets à une double paternité.</p>
<h2>Le fantôme et le coquillage</h2>
<p>Le <em>Ghost in the Shell</em> de Mamoru Oshii retrace les grandes lignes du premier manga éponyme de Masamune Shirow, auquel firent suite <em>Man Machine Interface</em> et <em>Human Error Processor</em> en 1991. Cette adaptation est un condensé des centaines de pages dessinées par l’auteur, au même titre que le film animé <em>Akira</em> de Katsuhiro Otomo, en 1988, résumait avec une certaine exhaustivité l’étendue de son propre manga.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/165931/original/file-20170419-2418-ai99hc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/165931/original/file-20170419-2418-ai99hc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/165931/original/file-20170419-2418-ai99hc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/165931/original/file-20170419-2418-ai99hc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/165931/original/file-20170419-2418-ai99hc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/165931/original/file-20170419-2418-ai99hc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/165931/original/file-20170419-2418-ai99hc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une image tirée de l’anime d’Oshii : quand la Section 9 découvre le piratage d’un cerveau cybernétique par le Puppet Master.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La particularité du film d’Oshii est de se focaliser sur les questionnements philosophiques et métaphysiques de son personnage principal, le Major Motoko Kusanagi, un cyborg remettant en cause la définition même d’humanité.</p>
<p>En évitant de s’étendre sur les nombreuses scènes d’action de la bande dessinée originelle, le réalisateur en a extrait la substantifique moelle, créant une œuvre calme, réfléchie et plus facilement lisible que son aînée d’encre et de papier. Car le <em>Ghost in the Shell</em> de Masamune Shirow est avant tout un thriller politique mâtiné d’action ultra-violente, un déluge de fusillades, d’explosions et de filatures en tout genre au gré desquelles éclatent parfois des scènes de pur comique, notamment grâce aux fushikomas, des robots arachnoïdes plein d’humour que l’on ne retrouvera ni dans les films d’Oshii ni dans celui de Sanders (ils réapparaissent néanmoins en 2015 dans <em>Ghost in the Shell : The New Movie</em> de Kazuya Nomura).</p>
<p>Il n’en demeure pas moins que des questionnements philosophiques, métaphysiques, mais également éthiques et politiques surgissent dans les pages de Shirow, que ce soit au détour de certains dialogues, ou de certaines situations après relecture, ou simplement dans les multiples notes de bas de page qui font toute la particularité de son récit. En un sens, Mamoru Oshii a mis en avant, dans son film, ce qui était sous-entendu dans le manga, rendant ainsi <em>Ghost in the Shell</em> beaucoup plus évident sur ces points précis. Le réalisateur s’est fait l’interprète du mangaka, là où la vision de Sanders est davantage restée dans le sous-texte.</p>
<h2>Une nouvelle adaptation sous influence</h2>
<p>Si le matériau de base de Masamune Shirow semble aujourd’hui faire bien moins autorité que ses adaptations par Mamoru Oshii, c’est aussi et surtout parce que le film de Rupert Sanders, bien qu’adaptant avec plus de détails le premier arc du manga que ne l’a fait son homologue animé, reprend parfois plan pour plan certaines scènes iconiques des longs métrages de 1995 et 2004.</p>
<p>Que ce soit le Major se déshabillant sur le toit d’un gratte-ciel avant de plonger dans le vide, un androïde-geisha rappelant les gynoïdes d’<em>Innocence</em> ou encore un gros plan sur un verre dans lequel le Docteur Dahlin éteint une cigarette, Rupert Sanders assume pleinement ses influences visuelles… à tel point qu’il finit par brouiller les pistes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/165933/original/file-20170419-2418-1e2umyc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/165933/original/file-20170419-2418-1e2umyc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/165933/original/file-20170419-2418-1e2umyc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/165933/original/file-20170419-2418-1e2umyc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/165933/original/file-20170419-2418-1e2umyc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/165933/original/file-20170419-2418-1e2umyc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/165933/original/file-20170419-2418-1e2umyc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le corps du Major (Scarlett Johansson) est réparé suite à sa destruction partielle.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>En caricaturant, c’est comme si Tim Burton avait copié en prises de vues réelles certains plans du dessin animé <em>Alice in Wonderland</em> de 1951 pour sa nouvelle adaptation en 2010, et que la critique avait présenté <em>Alice</em> comme une invention des productions Walt Disney plutôt que de mentionner le roman de Lewis Carroll.</p>
<p>Certains contes populaires ont traversé les siècles grâce aux adaptations, mais il n’en demeure pas moins que leurs origines ne sont pas cinématographiques. L’erreur est strictement la même dans le cas de <em>Ghost in the Shell</em>.</p>
<p>Cependant, la multiplicité des supports demeure, dans ce cas précis, un élément essentiel des travaux initiés par Masamune Shirow et ses différents héritiers. Car au-delà de toute hiérarchisation entre manga, film animé et film <em>live action</em>, l’œuvre doit ici s’appréhender dans son ensemble et ne doit pas être vue comme une succession d’adaptations, de portages, de traductions ou même de merchandising éhonté. Ce qui n’est pas le cas au Japon, la carrière du mangaka s’étant notamment poursuivie dans le domaine du jeu vidéo.</p>
<p>Tout ce qui compose <em>Ghost in the Shell</em> fait partie intégrante de son ADN. Pour comprendre l’œuvre initiée par Shirow, pour l’assimiler et, finalement, pour l’apprécier, il faut en étudier chaque forme.</p>
<p>En 2006, dans son ouvrage <em>Convergence Culture : Where Old and New Media Collide</em>, Henry Jenkins écrivait à propos de l’œuvre des sœurs Wachowski éminemment inspirée par le manga et ses différentes adaptations :</p>
<blockquote>
<p>« “Matrix” est un divertissement adapté à la culture contemporaine de la convergence, qui intègre différentes narrations pour créer une histoire si ramifiée qu’il faut plusieurs supports, plusieurs formes pour lui rendre justice. »</p>
</blockquote>
<p>Il en va de même pour <em>Ghost in the Shell</em> : le film de Rupert Sanders apporte certains éléments à l’histoire de ses protagonistes, notamment le passé du Major et la cybernétisation de Batou, qui étaient jusqu’alors largement passés sous silence.</p>
<p>Débutée sous forme de manga, cette œuvre de science-fiction s’est déclinée sur de multiples supports (longs métrages de cinéma, téléfilms, séries animées, jeux vidéo et même romans) afin de <a href="https://motherboard.vice.com/en_us/article/how-the-new-ghost-in-the-shell-trailer-stacks-up-to-the-source-material">développer au maximum</a> toutes les strates de sa narration.</p>
<p>Espionnage, action, réflexion, humour et parfois même érotisme sont autant de dimensions qui font l’essence de <em>Ghost in the Shell</em>, la transformant finalement en un objet culturel impossible à contenir sur un seul medium, à l’instar de l’un de ses principaux personnages, le Puppet Master, un esprit surdéveloppé passant de corps en corps pour survivre jusqu’à l’éternité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76428/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Labrude ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La dernière adaptation de « Ghost in the Shell », n’est pas un remake de l’anime de 1995, lequel n’est pas non plus « l’œuvre originelle » qui aurait inspiré le long-métrage.Guillaume Labrude, Doctorant en études culturelles, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/751582017-04-02T21:30:10Z2017-04-02T21:30:10ZCe que « Ghost in the shell » aurait à nous dire sur demain<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/162508/original/image-20170326-18970-1e4jel5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Major, un cerveau déconnecté du corps</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.allocine.fr/film/fichefilm-226739/photos/detail/?cmediafile=21358591">Paramount Pictures/Allociné</a></span></figcaption></figure><p>Le film <em>Ghost in the shell</em> met en scène des humains greffés de prothèses artificielles en tous genres, des androïdes et autres gynoïdes, ces robots anthropomorphes sexués à l’apparence toujours avantageuse. Toute cette faune technologique illustre la pénétration toujours plus profonde de la machine dans le corps de l’humain. Pénétration qui va jusqu’à effacer la distinction entre être biologique et machine pensante. La confusion est d’autant plus grande que le monde de <em>Ghost in the shell</em> a fait le choix de l’utilisation de machines à l’apparence toujours plus humaine, dans toutes les strates des activités courantes, que l’on parle de travail ou de loisirs, de vie privée ou publique.</p>
<h2>Qu’est-ce qu’un être humain ?</h2>
<p>Le vibrant exemple de cette confusion inhérente au film est le Major, le personnage joué par Scarlett Johansson. Tout au long du film, elle n’aura de cesse de s’interroger sur sa propre nature… Et pour cause : de l’être humain qu’elle fut, ne reste que le cerveau. Tout le reste de son être est un corps artificiel remarquablement conçu tant en termes d’apparence que de performances. « Elle allie la souplesse et la créativité de l’humain à la puissance et la précision du robot » dit d’elle un des autres protagonistes qui ne voit dans le Major qu’une arme quasi parfaite, oubliant commodément l’origine de ce qui anime la mécanique qu’il vend.</p>
<p>Or, dans le contexte du film, ce qui anime le corps du Major se nomme un <em>ghost</em>, essence digitale d’une personnalité. Le ghost, c’est l’équivalent informatique de l’âme, concept imaginé par Masamune Shirow, auteur du manga original, paru en 1989. Ainsi, âme enfermée dans une coquille et privée de sa mémoire soi-disant pour lui permettre de survivre au traumatisme de la destruction de son corps, le Major agit en bon petit soldat et dézingue du terroriste à qui mieux mieux et sans état d’âme.</p>
<p>Cette bonne conscience est entretenue par le charmant docteur Ouelet, incarné par Juliette Binoche. Cette dernière conforte chez la jeune femme la conviction que sa survie ne passait que par cette folle expérience : greffer son cerveau mourant sur un corps robotique, mettre un ghost dans une enveloppe artificielle.</p>
<p>Pourtant, à plusieurs reprises, le Major, dans son corps réparable à l’infini, lance, désespérée : « Qui suis-je ? Que suis-je ? », interrogations qu’il faut entendre comme : « Suis-je encore humaine quand d’humain il ne me reste qu’un organe : mon cerveau ? »</p>
<p>Le film suggère une réponse grâce à une autre affirmation du Major : « Ils nous ont volé notre mémoire… mais ce sont nos actes qui nous définissent ! » L’humain se définirait-il alors uniquement au travers de ses actes, dissociés de tout contexte historique ? Cependant, pour qu’il y ait acte, il faut une intention. Cette intention peut avoir deux origines : l’instinct – de survie, faim, soif, peur – ou la volonté, a priori nourrie de l’expérience.</p>
<h2>Un cerveau dissociable du corps ?</h2>
<p>Ce que sous-entend également l’affirmation du Major c’est que l’humain pourrait être réduit aux seules capacités de son cerveau, indépendamment des interactions qu’il entretient avec l’ensemble du corps, indépendamment des interactions avec son environnement… un cerveau librement dissociable de son corps. Pourtant, les dernières recherches laissent apparaître une diffusion des neurones bien au-delà de la seule boîte crânienne et de son extension naturelle, la moelle épinière… un déploiement qui va <a href="http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/01/31/le-ventre-notre-deuxieme-cerveau_4354317_3246.html">jusqu’à l’estomac</a> et ses 200 millions de neurones… jusqu’aux quelques 40 000 autres neurones qui <a href="http://www.epochtimes.fr/front/14/3/24/n3509539/le-cur-fonctionnerait-il-comme-le-cerveau-.htm">font battre le cœur</a>.</p>
<p>Et si l’humain, sa personnalité, était un tout qui dépasse la somme des éléments, des organes qui le composent ? Et si la quête du Major était vaine ? Car, <a href="https://www.letemps.ch/sciences/2016/05/03/greffe-tete-projet-fou-un-docteur-frankenstein-chinois">séparée de son corps</a>, elle ne serait plus qu’une fraction d’elle-même… mieux encore : implanté dans un nouveau corps originel, peu importe que celui-ci soit biologique ou artificiel… son cerveau ne développerait-il pas alors une tout autre personnalité ?</p>
<p>Sans convoquer un Robocop à l’allure de dinosaure en comparaison de la plastique parfaite de Scarlett Johansson qui prête son corps au Major et sans attendre le monde de <em>Ghost in the shell</em>, on peut observer ce que, dès aujourd’hui, informaticiens et médecins mettent en œuvre pour réparer un corps blessé. La chirurgie réparatrice s’applique à faire des merveilles et cela d’autant mieux avec de nouveaux alliés technologiques toujours plus efficaces telle que les imprimantes 3D. Celle-ci permettant de fabriquer des prothèses à la mesure de chaque individu.</p>
<p>Par contre, quand on aborde le remplacement d’organes, tels les organes sensoriels, les choses se compliquent : en effet, l’implantation d’une oreille, d’un œil artificiel nécessitent que le biologique sache communiquer avec l’artificiel, difficulté joliment illustrée au début du film par le mariage, l’alliance, la fusion d’un neurone biologique avec une extension artificielle.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/162691/original/image-20170327-3288-5zxwgw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/162691/original/image-20170327-3288-5zxwgw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/162691/original/image-20170327-3288-5zxwgw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/162691/original/image-20170327-3288-5zxwgw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/162691/original/image-20170327-3288-5zxwgw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/162691/original/image-20170327-3288-5zxwgw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/162691/original/image-20170327-3288-5zxwgw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/162691/original/image-20170327-3288-5zxwgw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">De l’homme au cyborg.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/ff/Bj%C3%B6rk_AIFOL_MoMA.jpg">sashimomura/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>On connaît les implants cochléaires qui permettent, dans certaines conditions, à des malentendants de recouvrer l’ouïe. Depuis quelques années, d’autres implants, posés sur le nerf optique, <a href="http://www.inserm.fr/thematiques/neurosciences-sciences-cognitives-neurologie-psychiatrie/dossiers-d-information/retine-artificielle">rendent à des non-voyants la vue</a>, au moyen d’une caméra. Ce nouveau miracle de la technologie est lui aussi soumis à condition : il faut, entre autres, que le patient ait, un jour, vu ; il faut que le cerveau sache ce qu’est voir…</p>
<p>Les sourds entendent, les aveugles verront (à ce jour, la résolution accessible est de l’ordre de 60 pixels), les paralytiques marcheront au moyen de muscles artificiels, les malades du cœur seront pourvus d’un organe infatigable… On pourrait sans peine continuer la liste des technologies de remplacement des déficiences organiques humaines. Tous ces « éléments », les uns mis à côté des autres, sont autant d’espoir pour les patients… Mais ce sont aussi les briques d’un Lego qui, une fois assemblé, pourrait bien remplacer une proportion toujours plus grande du corps biologique chez un même individu.</p>
<p>Ces prothèses développées et utilisées par nécessité médicale deviendront, un jour, des améliorations techniques, puis ludiques. Et l’état corporel extrême du Major – un individu composé majoritairement d’organes artificiels – ne semble plus tant appartenir à la fiction que cela… Alors, à quelles conditions et jusqu’à quelle proportion de prothèses artificielles serons-nous prêts à implanter dans un même corps ? Une quantité croissante de prothèses au risque de perdre sa propre personnalité ? À chacun de chercher la réponse… en lui-même !</p>
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<p><em>Vidéo coproduite par le Huffington Post et Futur Hebdo</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/75158/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Parent ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>« Dis-moi quel film tu regardes, je te dirai quel avenir tu te prépares » pourrait tout aussi bien dire le prospectiviste…Olivier Parent, Auditeur de l’IHEST, Institut des hautes études pour la science et la technologie (IHEST)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/712242017-01-15T21:45:08Z2017-01-15T21:45:08ZCosplay, mangas et cultures geek : la revanche des consommateurs<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/152740/original/image-20170115-11803-zlk8f5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le concours de « cosplay » de Geekopolis, én 2014.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/">Stéphane Gallay/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Cette chronique présente les pratiques culturelles contemporaines de la majorité des Français, celles qui existent le plus souvent en dehors de toute institution publique, une culture à zéro subvention, « marginalité d’une majorité » comme l’écrivait Michel de Certeau.</em></p>
<hr>
<p>De dos, à gauche, la stature haute et imposante du père, à droite, plus petite, plus élégante aussi, la mère. Chacun, de part et d’autre, tient par la main un enfant. De leur tête moulée dans une capuche en simili cuir très brillant, dépassent de petites oreilles pointues, triangulaires. De leurs épaules descend jusqu’à leurs chevilles une large cape en latex noir : c’est la famille Batman au salon « Geekopolis », le 17 mai 2014.</p>
<p>Depuis l’<a href="https://fr.Wikimedia.org/wiki/%C3%89cole_de_Francfort">École de Francfort</a>, avec Theodor Adorno et Walter Benjamin en particulier, l’évocation d’une « culture de masse » génère immédiatement pour le sens commun une série de qualificatifs le plus souvent péjoratifs : consommation, passivité, apathie, isolement d’un côté ; de l’autre, impérialisme, domination, standardisation. Les mêmes qualificatifs ont pu être utilisés abondamment à l’endroit de cultures contemporaines, qu’elles soient d’origine hollywoodienne ou asiatique, des cultures dites « jeunes », « geeks » ou <a href="https://fr.wiktionary.org/wiki/otaku">« otaku »</a>, liées au cinéma, aux séries, aux jeux vidéo, aux mangas notamment. À l’extrême, ces cultures que l’on peut rassembler sous la bannière « geek » ont depuis généré la figure du <a href="http://www.slate.fr/story/98961/hikikomori">« hikikomori »</a>, l’individu qui vit devant son ordinateur et ne sort plus de sa chambre.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/les-pratiques-culturelles-populaires-bien-vivantes-mais-invisibles-68888">Pour nuancer ces perceptions communes</a>, il suffit de passer quelques heures dans l’une des multiples conventions géantes qui se tiennent un peu partout en Europe tout au long de l’année et qui ont pour nom Japan Expo, Manga Expo ou Geekopolis. Dans des espaces préfabriqués standardisés que sont les centres de congrès et d’exposition – et que <a href="http://lhomme.revues.org/24099">Marc Augé</a> ne manquerait d’appeler – à tort – des « non-lieux », se retrouvent chaque année des millions de personnes dans un environnement bigarré et acidulé – la Japan Expo de Paris a rassemblé 234 852 visiteurs en 2016.</p>
<h2>Des sociabilités réinventées</h2>
<p>Qu’en est-il de la consommation standardisée et de la passivité de ces consommateurs ? En circulant dans les allées, la succession des stands semble bien indiquer le règne de l’<a href="https://www.cairn.info/revue-communications-2012-2-page-51.htm">industrie culturelle</a>, dans un consumérisme extrême où tout se vend, et tout s’achète. Les rapports sociaux ne semblent possibles que via le merchandising : du t-shirt à l’effigie des héros de séries télévisées, de productions hollywoodiennes, aux dessins animés ou aux derniers jeux vidéos, le matérialisme se mêle ici aux hautes technologies numériques.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/152692/original/image-20170113-11828-hcf1gn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/152692/original/image-20170113-11828-hcf1gn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/152692/original/image-20170113-11828-hcf1gn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/152692/original/image-20170113-11828-hcf1gn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/152692/original/image-20170113-11828-hcf1gn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/152692/original/image-20170113-11828-hcf1gn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/152692/original/image-20170113-11828-hcf1gn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/152692/original/image-20170113-11828-hcf1gn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Sur un stand.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Les acteurs de l’industrie mondialisée de la culture de masse sont tous présents : constructeurs de console, d’ordinateurs, éditeurs et producteurs de jeux vidéo et de l’audiovisuel.</p>
<p>À bien observer tout ce monde, un doute s’installe néanmoins quant à l’isolement réel des joueurs de jeux vidéo et autres geeks. Si le phénomène « hikikomori » existe, ici au contraire plusieurs milliers de personnes se côtoient, souvent déguisées, dans une effervescence bon enfant et sonore. La diversité des modes de sociabilités attire l’attention. Au-delà des relations économiques impersonnelles, de toute évidence cette culture de masse rassemble non seulement un grand nombre de publics, mais leur présence ici se décline en une gamme très variée de sociabilités rarement observables en un seul endroit au même moment.</p>
<p>Petits groupes d’amis déguisés, déambulations et repas en famille, flirts, apprentissages de savoir-faire liés aux jeux, conférences, pratiques sportives autour des jeux vidéo, de drôles de combats, au sabre laser (ambiance Starwars), au gourdin (ambiance Seigneur des Anneaux), mais on observe aussi toute une gamme de pratiques culturelles.</p>
<h2>Le préjugé de la standardisation esthétique</h2>
<p>La culture, vraiment ? À regarder de près en effet, c’est un autre préjugé qui est ébranlé, celui de la standardisation des formes esthétiques. La redondance est forte bien sûr pour certains personnages et certains thèmes de séries télévisés ou de mangas, mais leur présence se décline en maintes formes et usages. C’est plutôt la diversité des pratiques autour des mêmes thèmes qui attire l’attention. Ici, un concert de chant en lien avec l’univers d’un jeu vidéo à l’ambiance médiévale, là une performance de danse exubérante, ici une galerie de planches originales de mangas destinés aux collectionneurs, là encore, un peintre s’affaire sur une toile représentant une scène de science-fiction et plus loin se trouve une exposition d’arts plastiques – des sculptures, reproductions de scènes de la série <em>Captain Tsubasa</em> (mieux connue sous le nom d’<em>Olive et Tom</em> en France), ou des origamis reproduisant des Pokémon.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/152693/original/image-20170113-11816-12h8btu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/152693/original/image-20170113-11816-12h8btu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/152693/original/image-20170113-11816-12h8btu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/152693/original/image-20170113-11816-12h8btu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/152693/original/image-20170113-11816-12h8btu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/152693/original/image-20170113-11816-12h8btu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1004&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/152693/original/image-20170113-11816-12h8btu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1004&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/152693/original/image-20170113-11816-12h8btu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1004&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des pratiques diversifiées.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Contrairement aux pratiques sportives ou strictement ludiques évoquées plus haut, il s’agit là de pratiques qui se construisent toutes autour d’enjeux esthétiques. Des pratiques proprement culturelles donc, qui reposent sur des cadres imposés par l’industrie, mais dont les composantes sont partout reformulées pour devenir des enjeux esthétiques.</p>
<h2>Une réappropriation active</h2>
<p>Les modes d’expression à l’œuvre reprennent les formes et les codes de diffusions des mondes de l’art (H. S. Becker) : concerts, expositions, théâtre, performances. Les réappropriations de l’esthétique formatée par l’industrie sont partout observables, dans une esthétique remise en scène par les consommateurs eux-mêmes. Les consommateurs deviennent diffuseurs culturels.
La réappropriation des codes de l’industrie culturelle va encore plus loin lorsque de spectateurs les personnes présentes passent à une pratique active, lorsqu’elles s’engagent dans une activité de création.</p>
<p>C’est le cas de ceux que nous observons dans les <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/L-art-comme-experience">nombreux ateliers de création</a> et qui travaillent des matières surprenantes ici le plastique, là le polystyrène ailleurs d’autres matériaux plus classiques. Peindre, dessiner, sculpter, coudre, les pratiques créatives sont multiples dans les ateliers. Affairés à l’extrême les participants se saisissent à leur manière des héros et des ambiances de jeux, de film et démontrent imagination et créativité. L’attention esthétique est de tous les instants.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/152741/original/image-20170115-11792-17setww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/152741/original/image-20170115-11792-17setww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/152741/original/image-20170115-11792-17setww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/152741/original/image-20170115-11792-17setww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/152741/original/image-20170115-11792-17setww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/152741/original/image-20170115-11792-17setww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/152741/original/image-20170115-11792-17setww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/152741/original/image-20170115-11792-17setww.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Un atelier sculpture à Geekopolis.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/search/?l=commderiv&q=geekopolis">Stéphane Gallay/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Et puis, nous rencontrons une mère et sa fille. Elles ont respectivement autour de 50 et 20 ans. Elles ont passé l’année à fabriquer leur propre costume : madame est en Pikachu, sa fille en Eevee (ce sont des monstres Pokémon). Comme celui de la famille Batman, cet exemple montre aussi la dimension intergénérationnelle de ces pratiques.</p>
<p>C’est donc un monde qui permet des pratiques collectives tout au long de l’année, grâce à de longs moments de préparation des costumes. Car globalement, la quasi-totalité des personnes déguisées ont réalisé leur costume.</p>
<h2>La culture comme résistance</h2>
<p>La créativité n’est pas la création. L’aura de l’artiste <a href="https://fr.Wikimedia.org/wiki/L%E2%80%99%C5%92uvre_d%E2%80%99art_%C3%A0_l%E2%80%99%C3%A9poque_de_sa_reproductibilit%C3%A9_technique">chère à Walter Benjamin</a> a peu à voir avec ces pratiques culturelles. Reste que l’expérience et l’intention esthétique sont bien au cœur de ce que font les publics des conventions. Les finalités en jeu sont plutôt de l’ordre de l’animation, mêlant registre ludique et festif. Mais nous sommes loin d’une expérience de consommation passive. Au contraire, il s’agit là plutôt d’appropriation, d’imagination et de créativité.</p>
<p>Par mille pratiques, les consommateurs se réapproprient ainsi l’espace organisé par les industries culturelles. Ces « activités fourmilières », ces « bricolages » et ces « braconnages » sont autant de formes de résistance à l’économie culturelle dominante. Comme aimait le penser <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/L-invention-du-quotidien-I">Michel de Certeau</a>, les consommateurs sont toujours des producteurs, avec leurs manières d’employer les produits imposés par un ordre économique.</p>
<p>C’est donc une façon de vivre la culture comme résistance, non une résistance révolutionnaire radicale, plutôt une somme de microrésistances d’appropriation. Dans les routines, les liens faibles et les difficultés banales du quotidien, ces pratiques réinstaurent des sociabilités fortes et une poétique de la quotidienneté. Elles tissent des relations passionnées, sensibles, autour des esthétiques, des thèmes et des héros des films, des jeux et des mangas (par opposition aux modes de sociabilités froids et aux liens faibles <a href="http://www.editions-recherches.com/fiche.php?id=21">qu’analysait Isaac Joseph</a>). Et paradoxalement cette résistance ne concerne pas uniquement les industries culturelles. Elle se construit aussi par rapport à la normativité artistique, celle des mondes de la culture et des arts <a href="https://fr.Wikimedia.org/wiki/Culture_l%C3%A9gitime">« légitimes »</a>, et de ceux, autoproclamés, des professionnels de la culture et du Ministère de la Culture.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/71224/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Fabrice Raffin a reçu des financements du ministère de la Culture et du ministère de l’Écologie.</span></em></p>Plongée dans le monde des conventions « geeks », où s’inventent des sociabilités et des esthétiques originales, selon une réappropriation active des codes de l’industrie culturelle.Fabrice Raffin, Maître de Conférence à l'Université de Picardie Jules Verne et chercheur au laboratoire Habiter le Monde, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/576272016-04-12T10:11:39Z2016-04-12T10:11:39ZFrédéric Oudéa doit-il démissionner ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/118338/original/image-20160412-15875-1qw4jv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Ken le Survivant.</span> </figcaption></figure><p>Quand j’étais gamin, il y avait un dessin animé qui hantait mes fantasmes, que je dégustais le mercredi après-midi et je crois bien que je n’étais pas le seul. Délirant au sens propre, il véhiculait une sorte de magie – peut-être parce qu’il était porteur d’une Scène esthétique au sens de <a href="https://theconversation.com/scene-esthetique-et-strategie-a-nouveaux-maux-nouveaux-mots-57504">Franck Tannery et Michel Filippi</a>. Ce dessin animé, c’était Ken le Survivant. Avec cette formule, devenue culte : « tu ne le sais pas encore, mais tu es déjà mort… ».</p>
<p>Pour le gamin que j’étais, si ce dessin animé était un vrai moment de bonheur, c’était aussi parce qu’il était porteur d’un espoir. Venu de nulle part, littéralement seul contre tous, Ken était une sorte de Bruce Lee : les ennemis, il les abattait un à un, à la chaîne. Ils étaient dix, cent, mille, et ils ne pouvaient rien y faire : avec un doigt, Ken faisait imploser les cervelles. Et ceci, toujours au nom de la justice, puisqu’il s’agissait de défendre le faible contre le fort, le seul contre la bande, le martyr contre les voyous.</p>
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<p>Comme je n’y connais rien en mangas, comme de ce Ken le Survivant j’avoue ne plus avoir qu’un très lointain souvenir – sinon que les dialogues étaient à hurler de rire… –, je préfère m’arrêter sur la formule stratégique de notre super-héros, celle qui lui confère ses super pouvoirs, ce fameux : « Tu ne le sais pas encore, mais tu es déjà mort… ».</p>
<h2>Quand l’arrogance finit par imploser</h2>
<p>Dans chaque épisode, si ma mémoire est bonne, revenait inlassablement cette dramaturgie : un doigt, posé au milieu du front, annonçait le pire quelques secondes plus tard pour l’adversaire de Ken. En gros, il lui semblait impossible de perdre la tête, et c’était pourtant bel et bien ce qui allait lui arriver.</p>
<p>Ce temps, suspendu, avait quelque chose de fascinant. Le regard de Ken était empli d’une détermination sans faille mêlée d’un sentiment presque troublant d’une condamnation à la fatalité : Ken avait fait ce qu’il avait à faire, il n’allait prendre aucun plaisir à l’agonie d’un adversaire mille fois plus fort que lui, et il ne subsistait donc que cette assurance : l’avenir était déjà écrit. Comme ce rêve que font tous les écoliers (ou étudiants) : au moment du contrôle (du partiel), le stylo avance seul et donne les bonnes réponses.</p>
<p>Évidemment, ce qui donnait toute sa saveur à la scène, c’était le corps figé et le regard médusé de l’adversaire : « Tu penses me vaincre avec un doigt ? Ta cervelle doit être aussi dense que de l’eau… », rétorquait-il (chaque adversaire ayant sa personnalité et son style propre avant l’implosion de son crâne). Et le point commun était toujours celui-ci : l’adversaire, pétri d’arrogance et d’assurance dans sa force invincible, ne pouvait donner crédit à Ken qu’il pourrait être « déjà mort », au surplus avec un simple « doigt » posé au milieu du front. Quelques secondes plus tard, il essayait de fuir en hurlant de douleur, avant d’imploser littéralement.</p>
<h2>Stratégie et super-héros</h2>
<p>Je ne sais si des travaux de recherche en stratégie se sont sérieusement interrogés sur la mythologie que véhicule le personnage de Ken le Survivant. J’ignore aussi ce que sont les ressorts qui créent cette attraction pour le super-héros, le sauveur, le superman ou l’<em>avenger</em>. Et je ne sais pas non plus pourquoi les enfants ensuite, quand ils enfilent leurs déguisements, font plus que se rêver en Ken, ou Batman mais le deviennent, l’espace de quelques instants.</p>
<p>Ce que je sais en revanche, c’est que cela fonctionne, indéniablement, et qu’il n’y a rien de raisonnable là-dedans puisqu’à l’évidence on ne peut pas voler, on ne roule pas dans des Batmobiles et qu’on ne peut pas faire exploser la tête d’un adversaire avec un doigt.</p>
<h2>Super-pouvoirs et contre-pouvoirs</h2>
<p>C’est d’ailleurs pour ça que, dans la vraie vie, comme tout un chacun peut être emporté au-delà de lui même par le vertige de ses réussites, ou – ce qui revient au même – être victime d’une sorte d’aveuglement au désastre, on a inventé des choses étonnantes qui permettent de ne pas en arriver à de tels extrêmes (le fameux doigt au milieu du font avec les conséquences que l’on connaît). Ces choses s’appellent des contre-pouvoirs. Leur objectif ? Préserver autant que possible les petits face aux délires des grands… parce que sinon ce ne serait « pas juste ».</p>
<p>En gouvernance d’entreprise, le contre-pouvoir principal porte un nom : le conseil d’administration. C’est lui qui nomme, mais qui peut aussi démissionner un P-DG lorsqu’à l’évidence il a failli à l’exercice de la mission pour laquelle il est rémunéré : certes, se soucier de la richesse des actionnaires, pour la société de capitaux, cotée ; mais aussi être le garant de cette « chose » qui n’existe pas (en droit) mais au développement de laquelle des milliers d’employés agissent tous les jours à en accomplir l’œuvre commune : l’entreprise.</p>
<h2>Les conseils de « voisin Totoro »</h2>
<p>Évidemment, ce <a href="http://www.societegenerale.com/fr/connaitre-notre-entreprise/gouvernance/conseil-d-administration">conseil d’administration</a> est composé d’élus. Il a lui aussi des comptes à rendre quant à la façon dont il exerce sa mission. Il est composé de membres clairement et nommément identifiés, avec des durées de mandats. Et parfois il a juste besoin d’une petite pichenette – <a href="https://www.privatebanking.societegenerale.fr/fr/press/news/conseil-deadministration-exprime-son-soutien-total-direction-generale-aux-salaries-groupe/">au milieu du front</a> ? – pour trouver ce tout petit supplément d’âme qui se situe à l’antécédence d’une indépendance non pas espérée mais bien réelle : le <a href="http://www.desideespourdemain.fr/index.php/post/2009/08/03/339-claude-bebear-vous-avez-dit-independance#.Vww4pmMrX4A">courage</a>, comme l’explique Claude Bébéar.</p>
<p>Claude Bébéar, cette sorte peut-être moins de « Ken le Survivant » que de cher <a href="http://www.kanpai.fr/culture-japonaise/mon-voisin-totoro-analyse">« voisin Totoro »</a> d’un capitalisme français qui en manque souvent cruellement. Puisqu’il reste dans mon esprit de jeune chercheur comme celui qui aura été à l’origine d’une sacrée jurisprudence stratégique : un doigt, posé au début de l’été, sur le front de Jean-Marie Messier. Lequel peinait visiblement lui aussi, à l’époque, à reconnaître que cela faisait longtemps qu’il était déjà trop tard pour espérer continuer.</p>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/57627/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Si Ken le Survivant débarquait aujourd’hui au conseil d’administration de le Société Générale, coincée entre l’affaire Kerviel et les Panama papers, sur quel front poserait-il son doigt ?Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.