tag:theconversation.com,2011:/us/topics/marchandisation-24331/articlesmarchandisation – The Conversation2023-11-15T21:16:05Ztag:theconversation.com,2011:article/2175062023-11-15T21:16:05Z2023-11-15T21:16:05ZLes supporters de clubs de football face à la marchandisation de leur sport<p>Le football professionnel fait aujourd’hui l’objet d’une forte marchandisation. En effet, les clubs de football adoptent des pratiques commerciales toujours plus sophistiquées dans le but de générer des sources de revenus supplémentaires : <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/07/25/qui-possede-les-clubs-de-foot-francais_6136111_4355770.html">ventes de parts de capital</a> à des investisseurs étrangers (en France, les six clubs de foot aux budgets les plus élevés sont désormais tous majoritairement détenus par des investisseurs étrangers) ; <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-decathlon-arena-de-quoi-le-naming-est-il-le-nom-1765430"><em>naming</em></a> des stades (les trois plus grands stades de clubs de Ligue 1 <a href="https://www.transfermarkt.fr/ligue-1/stadien/wettbewerb/FR1">portent le nom d’un sponsor</a>) ; <a href="https://football-observatory.com/L-inflation-sur-le-marche-des-transferts-des">transferts de joueurs</a> fréquents et pour des indemnités parfois colossales ; <a href="https://www.leparisien.fr/sports/football/psg/psg-une-tournee-en-asie-qui-rapporte-plus-de-20-millions-deuros-meme-sans-mbappe-23-07-2023-XWPE44HF25EK5H3ZOIBIZ7LWI4.php">tournées promotionnelles</a> dans les marchés émergents du football tels que l’Asie et les pays du Golfe ; <a href="https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Le-psg-portera-un-maillot-special-nouvel-an-chinois-face-a-reims/1376345">flocage des maillots des joueurs en mandarin</a> lors de matchs disputés pendant le Nouvel An chinois et diffusés en Chine ; mise en place de loges VIP dans les stades ; billetterie aux prix fortement différenciés selon le pouvoir d’achat et la disposition à payer des spectateurs…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-fin-du-foot-retour-sur-un-business-qui-derange-97337">La fin du foot ? Retour sur un business qui dérange</a>
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<p>Difficilement imaginables il y a encore 30 ans, ces pratiques sont aujourd’hui monnaie courante dans les principales ligues de football européennes. Mais l’expérience communautaire recherchée par les supporters de clubs peut-elle survivre à l’avènement du « foot business » ?</p>
<h2>La logique communautaire</h2>
<p>De nombreux supporters ne conçoivent pas leur relation au club qu’ils soutiennent en des termes purement marchands. Autrement dit, ils ne se considèrent pas comme de simples « clients » d’une organisation sportive qui leur fournirait, moyennant finances, un spectacle qu’ils espèrent être à la mesure de la somme d’argent dépensée. Leur rapport au club soutenu est plutôt régi par ce que l’on nomme en sociologie une <a href="https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-2011-2-page-33.htm">« logique communautaire »</a>.</p>
<p>Cela signifie que ces supporters se représentent le club auquel ils apportent leur soutien comme une « communauté » (en termes simples, comme un « nous ») dont ils se perçoivent comme des « membres » à part entière. Ce sentiment d’appartenance communautaire se manifeste notamment dans la manière dont ces supporters évoquent le club qu’ils affectionnent et les résultats sportifs qu’il obtient : ils en parlent généralement comme de « leur » club, de « leurs » victoires et de « leurs » défaites. « Nous avons gagné dans la douleur hier soir ! », peuvent-ils s’exclamer au lendemain d’un match remporté au forceps – à la surprise de leurs interlocuteurs non initiés au supportérisme, qui s’étonnent que l’on puisse s’arroger la victoire d’une équipe de football sans avoir foulé soi-même le terrain.</p>
<p>Cela dit, n’est pas pleinement « membre » d’un club qui veut. La logique communautaire exige des supporters qui y adhèrent de se conformer à une valeur cardinale : la <em>loyauté au club</em>. On ne peut légitimement considérer un club comme « le sien » qu’à condition de lui accorder une fidélité à toute épreuve. Faire défection à son club en période d’échec sportif ou, a fortiori, lui préférer un club rival sportivement plus performant, est vu comme une forme de trahison communautaire.</p>
<p>Inversement, rester fidèle à un club de sorte à pouvoir le tenir pour « le sien » offre au supporter animé par un esprit communautaire toute une série de gratifications psychosociales. Un fan loyal peut ainsi se prévaloir de sa fidélité auprès d’autres supporters acquis, comme lui, à la logique communautaire. En langage sociologique, il jouit d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-internationaux-de-psychologie-sociale-2018-1-page-119.htm">reconnaissance sociale auprès de son groupe de référence</a>.</p>
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<p>De plus, les jours de match au stade, un tel supporter peut éprouver le plaisir de se sentir « en communion » avec les autres membres de son club qui se trouvent réunis dans la même enceinte sportive que lui – à savoir les autres supporters, les joueurs, l’équipe dirigeante et le staff (il est révélateur à cet égard que les termes « communauté » et « communion » soient étymologiquement apparentés).</p>
<p>Ce sentiment d’appartenance commune transcende dans une certaine mesure les différences personnelles et socioculturelles qui peuvent exister entre membres du même club. Un supporter loyal tire également de la fierté des succès sportifs remportés par le club qu’il estime être « le sien » en vertu de la fidélité qu’il lui voue. La fierté de voir son équipe gagner des matchs et remporter des titres est ressentie comme d’autant plus légitime que les compétitions dans lesquelles celle-ci est engagée sont perçues comme <em>équitables</em>. En effet, il est plus aisé d’attribuer un succès sportif au <em>mérite</em> du club gagnant si l’on peut raisonnablement supposer que celui-ci n’a pas bénéficié d’un avantage indu vis-à-vis de ses adversaires.</p>
<h2>La marchandisation du football perçue comme une menace pour la logique communautaire</h2>
<p>Dans des recherches qualitatives en cours, nous étudions la façon dont des supporters de football mus par un tel esprit communautaire perçoivent et réagissent à la commercialisation croissante de leur sport.</p>
<p>Conformément à des enquêtes quantitatives menées auprès de fans de football – en Allemagne par exemple, <a href="https://de.statista.com/statistik/daten/studie/1280209/umfrage/meinung-zur-kommerzialisierung-im-fussball/">près de 75 % d’entre eux jugent la commercialisation du football « excessive »</a> – nous observons que la marchandisation du football est globalement mal accueillie par ces supporters. Cela s’explique principalement par le fait que ceux-ci y voient une menace pour les valeurs inscrites dans la logique communautaire à laquelle ils adhèrent.</p>
<p>Ainsi, les ventes de parts majoritaires de club à des investisseurs étrangers et le <em>naming</em> des stades sont souvent perçus comme des formes d’expropriation symbolique qui vont à l’encontre de l’esprit communautaire auquel ces fans sont attachés. Ces pratiques font qu’il leur devient plus difficile de considérer l’équipe qu’ils soutiennent et l’enceinte dans laquelle elle évolue comme « les leurs ».</p>
<p>De même, la mise en place de loges VIP et l’augmentation des écarts de prix des billets contribuent à une différenciation sociale au sein des stades qui peut faire obstacle au sentiment de « communion » entre spectateurs.</p>
<p>La multiplication et la banalisation des transferts de joueurs – qui font aujourd’hui généralement peu de cas de la valeur de loyauté au club qui tient tant à cœur à leurs supporters lorsqu’ils reçoivent une offre de contrat lucratif de la part d’un autre club – entrave quant à elle la construction d’un sentiment d’appartenance à un « nous » commun englobant les fans et les joueurs du même club.</p>
<p>Enfin, le libre jeu du marché a fait émerger au fil du temps une poignée de clubs qui se trouvent désormais en situation d’<a href="https://www.lemonde.fr/blog/latta/2023/06/13/en-championnat-les-clubs-riches-sevadent-par-le-haut/">« hyperdomination »</a> dans leurs championnats respectifs. Au-delà du fait qu’elle nuit au suspense des championnats nationaux, la concentration des moyens financiers et sportifs dans les mains de quelques clubs surpuissants écorne l’idée selon laquelle les compétitions nationales seraient encore raisonnablement équitables. L’impression de participer à une compétition équitable est pourtant nécessaire au développement d’un authentique sentiment de fierté chez les supporters des clubs qui en sortent victorieux.</p>
<p>Vu sous cet angle, il n’est guère surprenant que les supporters du PSG – dont les neuf championnats remportés depuis l’entrée au capital du fonds qatarien QSI en 2011 ne sont que logiques au vu des moyens financiers disproportionnés dont le club dispose à présent en comparaison de ses rivaux nationaux – focalisent dorénavant leurs espérances davantage sur la Ligue des Champions, compétition dans laquelle le PSG a l’occasion de se mesurer à des équipes dotées de moyens similaires.</p>
<h2>Dissonance cognitive et résistances à la marchandisation</h2>
<p>Si les supporters animés par un esprit communautaire se montrent globalement critiques de la marchandisation du football, ils sont toutefois comparativement peu nombreux à se détourner de ce leur club de cœur, y compris lorsque ce dernier met en œuvre des pratiques commerciales qu’ils désapprouvent.</p>
<p>Cela s’explique, en premier lieu, par l’idéal de loyauté auquel ces supporters sont attachés et qui leur procure, pour autant qu’ils s’y conforment, les gratifications psychosociales décrites plus haut. Mais le fait de maintenir, au nom de la valeur de loyauté inscrite dans la logique communautaire à laquelle ils adhèrent, leur soutien à leur club de cœur quand bien même celui-ci adopte des pratiques commerciales qu’ils perçoivent comme contraires à cette même logique, les place dans une situation inconfortable de <a href="https://theconversation.com/why-do-we-feel-bad-when-our-beliefs-dont-match-our-actions-blame-cognitive-dissonance-193444">« dissonance cognitive »</a> : ces supporters savent qu’au travers du soutien qu’ils continuent d’accorder à leur club, ils participent, ne serait-ce qu’indirectement, à la corruption de la logique communautaire qui pourtant leur est chère.</p>
<p>Pour réduire cette dissonance cognitive, les supporters peuvent adopter un large éventail de comportements. L’une des stratégies est la désignation d’un bouc émissaire, en l’occurrence d’un club rival encore plus « commercial » que le sien et en comparaison duquel le club que l’on soutient apparaît sous un meilleur jour. En Allemagne, cette fonction d’exutoire est actuellement remplie par le RB Leipzig, un club créé en 2009 par l’entreprise Red Bull dans un but commercial assumé. Le RB Leipzig est aujourd’hui <a href="https://www.theguardian.com/football/2016/sep/08/why-rb-leipzig-has-become-the-most-hated-club-in-german-football">violemment critiqué et chargé de tous les péchés</a> de la part des supporters des autres clubs de Bundesliga.</p>
<p>Une autre stratégie consiste à exercer une résistance à l’encontre de pratiques commerciales mises en place par la direction du club que l’on soutient. Cette résistance peut être active (à titre d’exemple, les supporters du PSG ont déployé en 2019 une <a href="https://www.lefigaro.fr/sports/scan-sport/actualites/les-supporters-manifestent-contre-le-naming-du-parc-des-princes-983714">banderole</a> pour protester contre un projet de <em>naming</em> du Parc des Princes) ou passive (de nombreux supporters refusent tout simplement de mentionner le nom du sponsor accolé au nom du stade de leur équipe).</p>
<h2>Des résistances persistantes et parfois insoupçonnées</h2>
<p>Malgré cette résistance, il semblerait que les supporters s’accommodent au fil du temps de certaines pratiques commerciales – surtout lorsque celles-ci sont progressivement adoptées par un nombre grandissant de clubs et perçues comme indispensables à la compétitivité de leur club. À titre d’exemple, les réactions suscitées par les rachats de club sont aujourd’hui bien moins virulentes qu’elles ont pu l’être par le passé.</p>
<p>Alors que le rachat de Manchester United par le milliardaire américain Malcolm Glazer dans les années 2000 s’était heurté à de fortes oppositions, la récente reprise de Newcastle United par un fonds d’investissement saoudien fut même <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2021/10/07/football-un-fonds-saoudien-rachete-le-club-anglais-de-newcastle_6097525_3242.html">frénétiquement acclamée</a> par bon nombre de supporters du club, qui se réjouissaient de la compétitivité retrouvée de leur équipe.</p>
<p>Pour autant, il serait faux de supposer que les supporters de football se résignent tout bonnement à la commercialisation de leur sport et se muent en de simples consommateurs. Diverses formes de résistance à la marchandisation du football persistent, et de nouvelles oppositions naissent parfois, y compris au sein de clubs que l’on aurait pu croire irrévocablement soumis à la logique marchande. Ainsi, parmi les spectateurs du RB Leipzig, un club pourtant créé de toutes pièces à des fins purement marketing, un <a href="https://www.nytimes.com/2020/08/18/sports/soccer/champions-league-leipzig-psg.html">groupe de supporters</a> s’est formé qui cherche à insuffler un esprit communautaire à leur club et à lui conférer une identité dissociée de la marque Red Bull – au grand dam de la direction du club. Même les clubs qui forment le fer de lance du « foot business » ne sont donc pas à l’abri de mouvements protestataires issus des rangs de leur propre public.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 6 au 16 octobre 2023 en métropole et du 10 au 27 novembre 2023 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217506/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Moritz Gruban a reçu des financements du Fonds National Suisse (FNS). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Aurélien Feix ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les supporters éprouvent à l’égard de « leur » club des sentiments forts qui sont mis à mal par les pratiques toujours plus commerciales en cours.Aurélien Feix, Professeur au département Droit des Affaires et Management de Ressources Humaines, TBS EducationMoritz Gruban, Postdoctoral researcher, Cambridge Judge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2100752023-08-21T15:47:27Z2023-08-21T15:47:27ZUne petite histoire de la « Suge » ou comment le service de sécurité de la SNCF s’est tourné vers le marché<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/538309/original/file-20230719-21-4i9jfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C51%2C1312%2C873&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jusque dans les années 1990, les agents de la Suge étaient, du fait de la nature de leurs missions, bien plus discrets qu'aujourd'hui.</span> <span class="attribution"><span class="source">cqfd2/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Vous les avez peut-être croisés au moment de partir en vacances : 2 800 agents patrouillent dans les gares et les <a href="https://theconversation.com/topics/train-26726">trains</a>, prêtent assistance lors d’opérations de contrôle des billets, enquêtent sur les vols de métaux, les tags qui ont lieu dans les emprises ferroviaires, ou les pratiques organisées de fraude de titres de transport. La <a href="https://theconversation.com/topics/sncf-37898">SNCF</a> est une des seules entités publiques, avec la RATP, à posséder son <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032285804#:%7E:text=Les%20services%20internes%20de%20s%C3%A9curit%C3%A9,au%20bon%20fonctionnement%20du%20service.">propre service de sécurité</a>. On le nomme « Service de Surveillance générale de la SNCF » ou plus communément la « Suge ».</p>
<p>C’est à son histoire que nous nous sommes intéressés dans nos <a href="https://www.cairn.info/la-sncf-a-l-epreuve-du-xxi-e-si%C3%A8cle--9782365123136-page-127.htm">travaux</a>. La Suge d’aujourd’hui ne ressemble plus aux agents en civil que l’on peut voir dans la bande dessinée <a href="https://www.furet.com/livres/la-brigade-du-rail-tome-1-le-tueur-du-lyon-geneve-frederic-marniquet-9782361181369.html"><em>La brigade du rail</em></a> de Frédéric Marniquet, Olivier Jolivet et Sylvaine Scomazzon. Dès les années 1970, un mouvement de transformations du service s’enclenche pour se concrétiser pleinement au tournant des années 1990, les dernières réformes ferroviaires parachevant un « agencement marchand » du service de sûreté.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/538282/original/file-20230719-17-th489k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538282/original/file-20230719-17-th489k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538282/original/file-20230719-17-th489k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538282/original/file-20230719-17-th489k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538282/original/file-20230719-17-th489k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538282/original/file-20230719-17-th489k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1007&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538282/original/file-20230719-17-th489k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1007&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538282/original/file-20230719-17-th489k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1007&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>En effet, à l’instar d’autres services de la SNCF, la Suge s’est lentement éloignée d’une régulation de nature « civique » pour adopter une <a href="https://journals.openedition.org/nrt/909">régulation de nature « marchande »</a>. La sûreté va être progressivement conceptualisée et gérée comme un bien échangeable sur un marché, au point même que la Direction de la Sûreté de la SNCF peut aujourd’hui vendre ses services à une société concurrente telle que Trenitalia, Renfe ou Transdev.</p>
<p>Cette évolution, nous avons pu la retracer grâce à l’exploration de fonds d’archives inédits conservés au Centre national des archives historiques de la SNCF situé au Mans. Ils ont été éclairés par des entretiens menés auprès de chefs d’équipes et d’agents.</p>
<h2>À l’origine, la protection des marchandises</h2>
<p>La Suge puise ses origines dans les « polices spéciales » mises en place au lendemain de la Première Guerre mondiale par les premières compagnies privées de chemin de fer, insatisfaites de l’action policière des forces publiques. Elle voit officiellement le jour en 1937 lors de la naissance de la SNCF. Ses agents ont longtemps exercé en civil, avec pour mission principale de lutter contre les vols de marchandises remises à la SNCF, commis en partie par des cheminots. Est alors explicitement exclue de leur mission la prévention des « actes de malveillance ou tentatives criminelles ».</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/538297/original/file-20230719-19-neulfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538297/original/file-20230719-19-neulfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538297/original/file-20230719-19-neulfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=866&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538297/original/file-20230719-19-neulfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=866&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538297/original/file-20230719-19-neulfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=866&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538297/original/file-20230719-19-neulfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1089&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538297/original/file-20230719-19-neulfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1089&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538297/original/file-20230719-19-neulfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1089&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une du magazine Stop Police du 5 décembre 1945.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Progressivement, leur mission s’élargit aux vols de biens appartenant à la SNCF et aux voyageurs, ainsi qu’aux délits spécifiquement cheminots (vols de caisse et trafic de titres de transport notamment). Pendant près d’un demi-siècle, les tâches des agents de la Suge consistent ainsi essentiellement en des filatures, planques, enquêtes et fouilles de placards des employés de la SNCF. Ils étaient alors naturellement peu appréciés de leurs collègues. La Surveillance générale va jusqu’à tenir un « fichier des indésirables » où sont inscrits les employés renvoyés pour vols répétés et autres fautes, afin d’éviter leur éventuelle réembauche.</p>
<p>Ces missions historiques vont néanmoins se trouver érodées par deux évolutions majeures des années 1970 et 1980 : la baisse tendancielle du transport de marchandises et la montée des préoccupations sécuritaires à l’échelle nationale.</p>
<p>À partir de 1984, en effet, le transport de voyageurs devance le fret en matière de recettes. Les services de la SNCF se tournent alors rationnellement vers leur nouveau client principal. D’autant que, en parallèle, les <a href="https://www.persee.fr/doc/aru_0180-930x_1996_num_71_1_1954">gares se transforment</a> : d’un lieu dont l’entrée et la sortie étaient strictement contrôlées, avec des gères-files et des salles d’attente qui pouvaient être fermées à clef avant accès au train, elles deviennent de <a href="https://www.persee.fr/doc/aru_0180-930x_1996_num_71_1_1950">véritables lieux de vie</a>, avec restaurants, marchands de journaux et autres services de la vie quotidienne.</p>
<p>Si la Suge n’est pas dissoute avec le déclin des convois de marchandises mais réorientée vers les voyageurs, c’est également parce que, dans le même temps, la <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_france_a_peur-9782707165039">délinquance</a> en général et celle dans les transports publics en particulier acquièrent une place de plus en plus importante dans l’agenda des autorités publiques. Au cours des années 1990, la SNCF procède ainsi à une grande reconfiguration du service, préfigurant une conception marchande de la sûreté ferroviaire.</p>
<h2>Donner de la visibilité à la sûreté</h2>
<p>En 1981, déjà, la Surveillance générale n’est plus sous la tutelle de la Direction du Transport mais de la Direction juridique, témoignant d’une attention plus grande aux questions de droit et de légalité. L’année suivante, des « dispositifs d’alerte automatique » font leur apparition dans certaines gares. Ils visent à la fois à obtenir l’intervention de la Police ou de la Gendarmerie et à « dissuader les malfaiteurs par le déclenchement d’une alarme sonore et puissante ».</p>
<p>Les choses s’accélèrent au tournant des années 1990, quand les ministères de l’Intérieur et de la Défense ont cherché à faire émerger les questions de sûreté comme « un objectif stratégique fondamental » des entreprises publiques. Le commissaire divisionnaire Guy Pochon est, dans ce cadre, détaché à la SNCF en 1989. Sa mission est d’étudier et de proposer des pistes à la Suge afin d’améliorer son action de protection des usagers et des agents. Il y importe ses savoir-faire policiers.</p>
<p>Pour l’entreprise, il s’agit désormais de mettre en visibilité son action en matière de sûreté auprès de ses clients voyageurs, de « montrer du bleu ». La sûreté n’est ainsi plus définie comme un enjeu de propriété privée (lutter contre le vol de marchandise), mais de <a href="https://www.cairn.info/revue-flux-2016-1-page-44.htm?ref=doi">maintien de l’ordre</a> (s’assurer du bon écoulement des flux et du bon déroulement des activités commerciales extra-ferroviaires).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538302/original/file-20230719-15-2kectt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538302/original/file-20230719-15-2kectt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=473&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538302/original/file-20230719-15-2kectt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=473&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538302/original/file-20230719-15-2kectt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=473&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538302/original/file-20230719-15-2kectt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=595&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538302/original/file-20230719-15-2kectt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=595&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538302/original/file-20230719-15-2kectt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=595&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les agents de la Suge se rendent aujourd’hui bien visibles, comme ici en gare de Houilles – Carrières-sur-Seine.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%BBret%C3%A9_ferroviaire#/media/Fichier:SUGE_-_S%C3%BBret%C3%A9_ferroviaire_Houilles_-_Carri%C3%A8res-sur-Seine_(2020).jpg">Kevin B/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il apparaît clairement que la sûreté est aujourd’hui pour la SNCF un argument de vente : garantir la sûreté est un préalable, une condition de possibilité du développement de l’activité de transport et des activités commerciales extraferroviaires. Cette fonction de support, les responsables de la Suge l’ont pleinement intégrée, comme nous l’indique un directeur :</p>
<blockquote>
<p>« Au-delà de protéger les agents de la SNCF, c’est aussi un gage pour nous, pour faire venir la clientèle dans les trains. »</p>
</blockquote>
<p>L’utilisation récurrente du terme « client » pour désigner le voyageur est assez révélatrice de l’intégration par les agents Suge, de la portée commerciale de leur mission.</p>
<h2>Des uniformes et des contrats</h2>
<p>Deux éléments en particulier matérialisent ces évolutions. Le plus visible, sans doute, est le passage à l’uniforme dans les années 1990, changement qui a pu être <a href="https://www.theses.fr/2017PESC1052">mal vécu par certains agents</a>. Exit l’investigation policière en civil, les filatures et les enquêtes et l’impression valorisante de passer pour un inspecteur de police et d’inspirer la méfiance ; désormais, c’est la polyvalence qui est mise en avant. Aider un parent avec sa poussette, demander aux personnes d’enlever leurs pieds des sièges, intimer aux voyageurs d’arrêter de fumer, disperser un groupe de jeunes jugé trop bruyant, renseigner et orienter des usagers sur les quais, établir une <a href="https://www.theses.fr/2022UPSLD055">contravention pour outrage sexiste</a>, intervenir en cas de violence, contacter les forces de l’ordre si besoin, voilà ce qu’attend un directeur de zone sûreté :</p>
<blockquote>
<p>« La posture du métier a complètement changé. On est beaucoup plus sur une posture de prévention et de visibilité, de service aux clients. Quand on est en civil et armé, on se fiche bien de donner un horaire à quelqu’un qui vous le demande dans une gare : il ne sait pas que vous êtes de l’entreprise. Quand on a “SNCF” dans le dos, l’attitude n’est pas la même : elle se rapproche des autres métiers de l’entreprise. »</p>
</blockquote>
<p>L’autre grande évolution concerne le fonctionnement interne dans la mesure où la direction de la sûreté se met à entretenir des relations contractuelles avec les autres entités de la SNCF. Chaque année, des contrats sont établis au niveau national puis déclinés dans les entités territoriales du groupe, à partir d’un catalogue de prestations : enquête, contrôle, diagnostic, sécurisation des trains et des gares, lutte antifraude, expertise. La sûreté devient ainsi un service consommable qui s’échange sur un marché interne à l’entreprise ferroviaire en fonction du prix des prestations et des ressources humaines et matérielles dont dispose la Suge.</p>
<p>Des évaluations différentielles des priorités en matière de sûreté peuvent alors avoir lieu entre ces différents acteurs. Au moment de notre enquête à la gare du Nord, par exemple, les responsables de l’activité « Voyages » demandaient systématiquement que des agents soient présents au départ voire à l’intérieur du dernier TGV de la journée. Le personnel de la Suge avait, lui, l’impression que cette mission n’était plus prioritaire, comme l’a souligné un agent interviewé :</p>
<blockquote>
<p>« Tout le monde sait que le dernier train est sécurisé, il ne se passe donc jamais rien : on préférerait être du côté Transilien où les enjeux sont plus importants. »</p>
</blockquote>
<p>Ces relations contractuelles obligent également la direction de la sûreté à soigner sa légitimité : la base de données Cézar répertoriant les faits de sûreté a été mise en place, de même que des procédures de <em>reporting</em>. Ensemble, ils permettent d’avoir une représentation des évènements ayant lieu dans les emprises ferroviaires et un suivi serré de l’activité des agents Suge. Ce fonctionnement est porteur <a href="https://journals.openedition.org/sdt/1157?lang=en">d’une représentation comptable du travail de la Suge</a> : le bon chef d’équipe est celui qui remplit le nombre d’heures prévues.</p>
<h2>Une marchandisation en question</h2>
<p>On est là en plein dans ce que le sociologue Michel Callon nomme <a href="https://www.pressesdesmines.com/produit/sociologie-des-agencements-marchands/">« agencement marchand »</a>. Ce processus se caractérise entre autres par la « passivation d’un bien », c’est-à-dire, un cadrage qui fait de ce bien un objet d’échange, et par l’« activation d’agences qualculatrices », c’est-à-dire, la formalisation de prestations et leur valuation. C’est bien ce qu’il advient à la sûreté ferroviaire, d’autant plus que les réformes de 2015 et de 2018 autorisent la SNCF à vendre ses prestations de sûreté aux entreprises ferroviaires concurrentes, ainsi qu’aux gestionnaires d’infrastructures et aux autorités organisatrices de transport.</p>
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<p>Cet agencement marchand de la sûreté pose alors aux moins deux questions. La première est celle de la légitimité des priorisations, avec un risque de surfocalisation sur les usagers et comportements qui « gênent » l’activité commerciale (notamment <a href="https://journals.openedition.org/sdt/19923">vers les SDF</a> et les <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520304413/adventure-capital">groupes de jeunes racisés</a>) sans représenter un véritable risque du point de vue de la sûreté. La seconde est celle de l’arbitrage entre les différents commanditaires : les contrats d’une autorité organisatrice de transport seront-ils, par exemple, prioritaires sur les demandes des entreprises ferroviaires ? Comment garantir une équité entre les différents territoires ?</p>
<p>Ces questions paraissent d’autant plus importantes alors qu’il est régulièrement question d’élargir les pouvoirs des agents de la Suge (et du service homologue de la RATP). Ils peuvent désormais, par endroit, <a href="https://actu.fr/societe/contre-le-terrorisme-et-les-violences-la-sncf-peut-desormais-vous-fouiller-en-seine-maritime_39103722.html">fouiller les bagages de n’importe quel voyageur ou procéder à une palpation de sécurité</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210075/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Florent Castagnino a reçu des financements d'Université Paris-Est, de l'association Rail&Histoire, et de l'Agence Nationale de la Recherche. </span></em></p>Les transformations du service de sécurité de la SNCF reflètent largement l’histoire de l’entreprise ferroviaire, du déclin du fret jusqu’à l’ouverture à la concurrence.Florent Castagnino, Enseignant chercheur en sociologie, IMT Atlantique – Institut Mines-TélécomLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2066622023-06-12T14:51:12Z2023-06-12T14:51:12ZFaut-il une collaboration entre villes et commerçants pour réussir une piétonnisation ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/531395/original/file-20230612-15-dbyrjc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C6211%2C4138&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des gens déambulent sur la rue Ste-Catherine, devenue piétonne. Pour réussir une piétonnisation, commerçants et dirigeants doivent être en harmonie.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Le développement des rues piétonnes a atteint un sommet en 2020 au Québec, en réponse à la pandémie. On souhaitait notamment assurer une <a href="https://theconversation.com/comment-va-t-on-circuler-dans-les-villes-tout-en-etant-distancie-137244">distanciation</a> entre les piétons et permettre l’ouverture des terrasses des restaurants et des bars.</p>
<p>Plusieurs d’entre elles continueront à opérer selon ce mode cet été. Le modèle fait des émules. Ce n’est pas surprenant, puisque les résultats sont parfois fort impressionnants. </p>
<p>Par exemple, la <a href="https://www.nyc.gov/html/dot/downloads/pdf/streets-for-recovery.pdf">ville de New York</a> rapporte des ventes taxables de 20 % supérieures et une meilleure rétention des commerces sur les rues piétonnes, par rapport à celles comparables. Malheureusement, peu de villes ont ainsi rendu publiques des données objectives des retombées de leurs programmes. </p>
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<img alt="graphique" src="https://images.theconversation.com/files/529678/original/file-20230601-16-kkv04o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/529678/original/file-20230601-16-kkv04o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/529678/original/file-20230601-16-kkv04o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/529678/original/file-20230601-16-kkv04o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/529678/original/file-20230601-16-kkv04o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/529678/original/file-20230601-16-kkv04o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/529678/original/file-20230601-16-kkv04o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Variation du nombre de restaurants et bars sur des rues piétonnes (Open Streets) en comparant à des rues contrôles et à la moyenne du quartier à New York.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Streets for Recovery : The Economic Benefits of the NYC Open Streets Program</span></span>
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<p>Dans le cadre de la recherche préparatoire à son mémoire de maîtrise, Roxane Bédard, sous ma direction, a produit un inventaire de ces initiatives au Québec, principalement basé sur la couverture médiatique des projets de piétonnisation. En tant que chercheurs intéressés par les politiques publiques, les villes et la mobilité durable, nous nous intéressons aux acteurs et aux facteurs de succès des projets de transformation de rues. </p>
<p>Ainsi, les Sociétés de Développement Commercial (SDC) sont devenues des facilitatrices souvent indispensables dans les démarches de piétonnisation. Celles-ci ont démontré pouvoir convaincre leurs membres, structurer des solutions acceptables, négocier avec les villes, obtenir des fonds publics pour mener à bien ces activités et maintenir l’engagement de leurs membres, parfois sur le long terme. </p>
<p>Les SDC peuvent également rassembler des voix divergentes. Les restaurants, bars et commerces « de routine », de quartier et de consommation spontanée sont ceux qui gagnent le plus d’une piétonnisation. Au contraire, les propriétaires de commerces dits de « destination », attirant une clientèle vivant plus loin, intéressée par un produit spécialisé difficile à trouver ailleurs, craignent la perte de stationnement et d’achalandage. </p>
<h2>Pas seulement dans les grandes villes, mais plus difficile en région</h2>
<p>Dans les dernières années, près d’une quarantaine de rues commerciales piétonnes ont été déployées au Québec. </p>
<p>Avant la pandémie, des projets de piétonnisation existaient, autant à Montréal et Québec qu’en région, mais généralement dans une logique événementielle et ponctuelle. Le centre-ville de Trois-Rivières est ainsi passé depuis 2020 d’une piétonnisation les <a href="https://www.lechodetroisrivieres.ca/actualites/culturel/294296/lanimation-estivale-du-centre-ville-un-incontournable">vendredi et samedi soir</a> à une rue piétonne <a href="https://www.v3r.net/a-propos-de-la-ville/communications/actualites/retour-de-la-pietonnisation-dune-partie-de-la-rue-des-forges">permanente lors de la saison estivale</a>. <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1978358/economie-environnement-commerces-abitibi">Rouyn-Noranda</a> et <a href="https://www.latribune.ca/2023/03/22/well-nord--une-pietonnisation-limitee-et-un-sens-unique-cet-ete-acc5cd6704b3ecbc645b979859bfd2e9/">Sherbrooke</a> ont suivi des trajectoires similaires. </p>
<p>Bien que la plupart des piétonnisations de 2020 aient été couronnées de succès, aucun de ces projets n’ont été reconduits en 2023 dans les autres villes recensées, soit <a href="https://lelacstjean.com/actualite/le-centre-ville-dalma-sanimera/">Alma</a>, <a href="https://lecourrier.qc.ca/le-rapport-de-saint-hyacinthe-technopole-rendu-public/">Saint-Hyacinthe</a>, <a href="https://www.lenouvelliste.ca/2021/04/14/Covid-19-rues-pietonnes-et-terrasses-elargies-encore-cet-ete-a-shawinigan-9c4f70f784ec580ec57d9d675a3ea505/">Shawinigan</a>, <a href="https://www.lechodelatuque.com/actualites/sdc-partenariat-avec-la-sadc-et-trois-nouveaux-axes-dintervention/">La Tuque</a> et <a href="https://www.lanouvelle.net/actualites/la-rue-notre-dame-demeurera-ouverte/">Victoriaville</a>. La SDC de La Tuque déclare toutefois avoir vu l’intérêt de s’impliquer dans l’urbanisme et l’embellissement, tandis que celles de Victoriaville et de Saint-Hyacinthe retourneront à l’animation ponctuelle. </p>
<p>L’abandon des projets de piétonnisation semble ainsi plus fréquent en région. À Montréal, un <a href="https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwix0KiFnaX_AhVijIkEHew8DhAQFnoECAkQAQ&url=http%3A%2F%2Fville.montreal.qc.ca%2Fpls%2Fportal%2Fdocs%2FPAGE%2FARROND_VSP_FR%2FMEDIA%2FDOCUMENTS%2FPROGRAMME_RUES_PIETONNES_2017.PDF&usg=AOvVaw1k8ngt948H7iZbFNaOoR2B">programme</a> de subvention de rues piétonnes et partagées en vigueur depuis 2015 facilite certainement le succès et la pérennisation de celles-ci. <a href="https://www.ledevoir.com/societe/791899/urbanisme-les-pietons-ont-conquis-le-plateau-mont-royal">Ainsi à Montréal cet été, dix rues seront piétonnes</a>. Mont-Royal le sera durant quatre mois plutôt que trois.</p>
<p>Un programme panquébécois de subventions pourrait aider à remédier cette disparité. En effet, cela pourrait clarifier les objectifs et les modalités de la piétonnisation tout en partageant le fardeau des coûts.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/529875/original/file-20230602-15-1t42o1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/529875/original/file-20230602-15-1t42o1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=813&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/529875/original/file-20230602-15-1t42o1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=813&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/529875/original/file-20230602-15-1t42o1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=813&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/529875/original/file-20230602-15-1t42o1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1021&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/529875/original/file-20230602-15-1t42o1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1021&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/529875/original/file-20230602-15-1t42o1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1021&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Foule piétonne marchant sur la rue Sainte-Catherine dans le Village à Montréal sous les boules roses en 2016..</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Carl Campbell)</span></span>
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<h2>Partager le risque politique de la piétonnisation</h2>
<p>Bien qu’une SDC ne soit pas nécessaire à la piétonnisation, elle y est très utile. </p>
<p>Elle permet notamment à la Ville de déléguer les responsabilités d’animation et de gestion et de traiter avec un unique interlocuteur. Dans le quartier Mile-End, à Montréal, faute d’une SDC, un conseiller municipal a dû aller voir chacun des commerçants pour leur expliquer le concept de rue partagée. </p>
<p>Pour les commerçants, une SDC permet d’avoir une voix forte et unie auprès des élus pour mettre des ressources en commun, réclamer des aménagements favorables aux commerces et obtenir des <a href="https://journalmetro.com/local/2792940/societes-developpement-commercial-montreal-132-trois-ans/">fonds</a>. Des subventions qui stimulent le dynamisme des artères commerciales tout en améliorant la qualité de vie tendent à établir un <a href="https://www.ledevoir.com/bis/625500/le-pari-reussi-de-la-pietonnisation">certain consensus</a>. </p>
<p>La création de rues piétonnes encourage la mobilité active, ce qui peut être mal vu des automobilistes. Ainsi, les politiciens municipaux peuvent partager une partie du risque politique de ces changements dans l’aménagement avec la SDC. Le maire de <a href="https://www.lechodelatuque.com/actualites/la-rue-commerciale-sera-pietonniere-cet-ete/">La Tuque</a>, disait en 2020 qu’il n’avait jamais osé piétonniser son centre-ville, même s’il y pensait depuis longtemps, mais qu’avec le soutien de la SDC, c’était maintenant le bon moment. La participation des acteurs commerciaux peut servir d’impulsion au projet même s’il s’agit d’une décision de la municipalité.</p>
<p><a href="https://www.lanouvelle.net/actualites/notre-dame-en-partie-pietonniere-pas-que-des-heureux/">La SDC</a> peut également rejeter une partie de la responsabilité sur la Ville en cas de problèmes, puisque que cette dernière est formellement responsable du projet. En somme, à travers le processus de piétonnisation, la Ville et la SDC forment une relation fort symbiotique ! </p>
<h2>Vers une transformation de la mobilité</h2>
<p>La piétonnisation d’artères commerciales est une démarche importante dans la transition vers une mobilité durable. </p>
<p>Pour que les commerçants puissent collectivement participer à cette transformation, ils devront probablement militer au-delà de leur tronçon commercial respectif, et en considérer plus généralement l’accès par des modes alternatifs. En effet, si on réduit ou complique l’accès à une artère commerciale en automobile, on doit l’augmenter par d’autres modes de transport pour qu’elle conserve son dynamisme, son attractivité et son bassin de clientèle. Ainsi, <a href="https://www.st-hyacinthe.ca/services-aux-citoyens/transport-collectif/horaire-dautobus">sans transport collectif</a> vers le centre-ville le dimanche à Saint-Hyacinthe, on a restreint en partie l’accès à l’artère. </p>
<p>En se mobilisant pour diversifier les modes d’accès à leurs artères commerciales, particulièrement si elles sont piétonnisées, les SDC du Québec pourraient devenir des alliées de taille à la mobilité durable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206662/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ugo Lachapelle a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), notamment pour travailler sur le rôle des différentes formes d'accès à l'alimentation dans la mobilité quotidienne et la possession d'automobile. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Roxane Bédard est subventionnée par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), notamment pour travailler sur le rôle des différentes formes d'accès à l'alimentation dans la mobilité quotidienne et la possession d'automobile. </span></em></p>La piétonnisation est une bonne stratégie pour démarquer les artères commerciales des centres commerciaux. Les SDC sont devenues des facilitatrices souvent indispensables de cette démarche.Ugo Lachapelle, Professeur au département d'études urbaines et touristiques, Université du Québec à Montréal (UQAM)Roxane Bédard, Auxiliaire de recherche en études urbaines, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1220682019-09-04T17:32:02Z2019-09-04T17:32:02ZEntre le « tout gratuit » et le « tout payant » la société perd ses repères<p>Suppression totale des tickets de transport en commun, comme pour les <a href="https://www.20minutes.fr/paris/2592727-20190901-paris-comment-profiter-gratuite-transports-commun-plus-jeunes">Parisiens seniors, les personnes handicapées et les enfants</a>, <a href="https://www.clubic.com/telecharger/actus-logiciels/article-842984-1-passez-libre-selection-logiciels-libres-open-source.html">logiciels offerts</a> tels que LibreOffice, OpenOffice, VLC Media Player, Blender ou encore Clementine, <a href="http://www.lefigaro.fr/flash-actu/petit-dejeuner-gratuit-a-l-ecole-cantine-a-un-euro-des-elus-denoncent-un-coup-de-com-20190424">petits déjeuners et goûters</a> donnés à l’école, <a href="https://www.presse-citron.net/banque-en-ligne/carte-bancaire/">cartes bancaires gratuites</a>… De plus en plus d’initiatives publiques et privées tendent vers une généralisation de la gratuité.</p>
<p>Pourtant à l’inverse, un phénomène opposé émerge en France et dans le monde : celui de la privatisation totale – défendant l’idée que tout service doit être rémunéré –, y compris, ce qui peut paraître impensable, le vivant. Il nous semble nécessaire de nous pencher sur certains excès liés au tout-privé.</p>
<p>Ainsi, nombreux sont ceux qui défendent le « paiement à l’usage » généralisé, comme nous avons pu en discuter dans un <a href="https://theconversation.com/la-privatisation-des-routes-une-idee-a-lencontre-du-modele-social-francais-120179?utm_source=twitter&utm_medium=twitterbutton">précèdent article</a> pour The Conversation.</p>
<p>Dans cette perspective, il est alors à craindre que le concept du « tout-payant », entraîne la défaillance des contreparties, c’est-à-dire des clients, laissant une majorité de la population sur le carreau avec des conséquences économiques désastreuses.</p>
<p>Mais qu’en est-il réellement ? Plusieurs concepts ont cheminé en parallèle de cette approche. L’un d’eux, ardemment défendu aujourd’hui, est celui de l’open source, qui s’oppose violemment au principe de l’usager-payeur et évolue depuis les années 1980. Ces modèles peuvent-ils cependant changer la façon de concevoir les politiques publiques oscillant entre le tout-payant et la gratuité ?</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/288929/original/file-20190821-170918-1hsfaa1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/288929/original/file-20190821-170918-1hsfaa1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/288929/original/file-20190821-170918-1hsfaa1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/288929/original/file-20190821-170918-1hsfaa1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/288929/original/file-20190821-170918-1hsfaa1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/288929/original/file-20190821-170918-1hsfaa1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/288929/original/file-20190821-170918-1hsfaa1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Conférence de Richard Stallman « Les logiciels libres : les droits humains dans votre ordinateur » lors de la fête de l’Humanité 2014.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Stallman#/media/Fichier:Richard_Stallman_-_F%C3%AAte_de_l'Humanit%C3%A9_2014_-_010.jpg">Thesupermat/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<h2>Le modèle de l’open source</h2>
<p>Le logiciel libre a été créé par <a href="https://stallman.org/">Richard Matthew Stallman</a> dans les années 1980. Il lance en 1983 le <a href="http://www.gnu.org/">projet GNU</a> et la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/GNU">licence publique générale</a> connue sous le sigle GPL. Stallman estime que les programmes informatiques doivent être librement utilisés, analysés et modifiés.</p>
<p>À la fin des années 1990, l’appellation « open source » se substitue à celle du logiciel libre pour désigner les programmes réalisés collectivement, de manière décentralisée et dont le code source est disponible et modifiable, créant ainsi de nouveaux logiciels et des applications originales.</p>
<p>Patrice Bertrand, président de l’Open World Forum 2012 <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20120917trib000719886/ceci-est-une-revolution-ce-que-l-open-source-a-change-.html">rappelait dans un article de <em>La Tribune</em> que</a> :</p>
<blockquote>
<p>« À certains égards, l’open source est un mouvement humaniste. Il considère que le logiciel est, à la manière de la connaissance scientifique, une forme de patrimoine de l’humanité, un bien commun que nous enrichissons collectivement, pour le bien-être de tous. »</p>
</blockquote>
<p>Ce n’est donc pas l’idée d’un logiciel gratuit, mais d’un programme libre dans le sens où tout le monde peut l’amender, le transformer.</p>
<h2>Une logique libertaire noyautée par la marchandisation</h2>
<p>Globalement, dans la logique libertaire des défenseurs de l’open source, c’est la mise en accès libre de codes sources de logiciels pour une accessibilité publique et gratuite (Open Office, Bootstrap…). Ce modèle bascule cependant progressivement vers un monde davantage marchand.</p>
<p>De nouveaux acteurs économiques, <a href="https://fultron.net/qui-etaient-les-grands-acteurs-open-source-il-y-a-10-ans/">comme</a> Sun Microsystems, IBM ou Novell, investissent le secteur en plein essor – porté par la pression médiatique et les lobbies – avec de véritables stratégies de vente de solutions, de prestations de service et de rentabilité des investissements.</p>
<p>Aujourd’hui, selon une <a href="https://www.globalsecuritymag.fr/1-entreprise-sur-2-estime-l-open,20181119,82222.html">étude</a> de Pierre Audouin Consultants, le marché l’open source français pèse 4,4 milliards d’euros, soit plus de 10 % du secteur des logiciels et services avec une croissance annuelle de 8 %. Nous sommes loin de l’image du hippie utopiste ou du gentil hacker.</p>
<p>La littérature économique traite ce phonème sous l’angle <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-regionale-et-urbaine-2005-3-page-397.htm?contenu=plan#s2n5">individualiste</a>, se penchant sur l’intérêt donnant une rationalité à cet acte. En effet, l’agent économique, ici le développeur, met à disposition de la communauté un logiciel virtuel avec des contreparties monnayables dans la sphère marchande, notamment la réputation acquise au sein des communautés.</p>
<h2>Des logiciels ouverts nécessaires</h2>
<p>Le scandale <a href="https://www.usine-digitale.fr/article/l-affaire-volkswagen-relance-le-debat-sur-l-open-source-dans-l-automobile.N352321">Volkswagen</a>, de 2009 à 2015 avait pourtant relancé le débat sur l’open source dans le monde de l’automobile et démontré l’intérêt des logiciels ouverts.</p>
<p>Le constructeur allemand avait en effet embarqué dans ses véhicules un système permettant de détecter les contrôles d’émissions de particules et d’en truquer les résultats pour être en conformité avec la loi et les <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2016/12/08/dieselgate-bruxelles-passe-a-la-maniere-forte_5045633_3234.html">standards exigés en Europe</a> et aux États-Unis notamment.</p>
<p>Les codes utilisés dans l’industrie automobile sont protégés par le <a href="https://www.copyright.gov/legislation/dmca.pdf">Digital Millennium Copyright Act</a> aux États-Unis et par l’<a href="https://www.eff.org/deeplinks/2019/03/european-copyright-directive-what-it-and-why-has-it-drawn-more-controversy-any">European Copyright Directive</a> en Europe, mais un droit d’accès peut être accordé. Or, les constructeurs peuvent refuser cette latitude en invoquant des raisons techniques, ou <a href="https://www.smartcopying.edu.au/information-sheets/tafe/technological-protection-measures/technological-protection-measures-2018">« technological protection measures »</a> (TPMs).</p>
<p>Mais si l’open source n’est pas réellement toujours synonyme de gratuité, certaines organisations ont fait ce pari.</p>
<h2>La gratuité dans les transports</h2>
<p>Récemment, la communauté urbaine de Dunkerque annonçait la <a href="https://www.telerama.fr/idees/a-dunkerque,-les-transports-gratuits-tracent-leur-route,n5528416.php">totale gratuité de ses transports en commun</a>. La démarche <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01535544">est ancienne</a> : Compiègne avait initié le mouvement dès 1975 et une trentaine d’autres villes françaises lui ont emboîté le pas (Châteauroux, Gap, Niort, Vitré, Aubagne…).</p>
<p>La fréquentation des bus a immédiatement bondi au détriment de la voiture, avec des conséquences positives sur l’environnement, les fameuses externalités (retombées positives ou négatives d’une action) : <a href="https://www.francebleu.fr/infos/transports/dunkerque-le-succes-du-bus-gratuit-se-confirme-1547223917">au bout de quatre mois</a>, + 120 % le week-end et + 50 % en semaine. Et les chiffres <a href="https://www.lavoixdunord.fr/594386/article/2019-06-06/depuis-sa-gratuite-le-bus-transporte-65-de-voyageurs-en-plus">ne cessent d’augmenter</a>.</p>
<p>La gratuité des transports publics à l’échelle d’un pays entier existe aussi avec l’<a href="https://www.weforum.org/agenda/2018/06/estonia-is-making-public-transport-free/">Estonie depuis 2018</a> et le <a href="https://www.bbc.com/worklife/article/20190128-the-cost-of-luxembourgs-free-public-transport-plan">Luxembourg pour 2020</a>.</p>
<p>L’objectif est évidemment de pousser les automobilistes à substituer leurs véhicules par les modes communs plus vertueux écologiquement tout en désengorgeant les agglomérations. Le modèle est critiqué, notamment par la Fédération des associations d’usagers des transports (Fnaut) qui met en évidence des vices cachés.</p>
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<figcaption><span class="caption">La gratuité des transports a été adoptée dans plusieurs communes françaises.</span></figcaption>
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<p>Premier grief, la déconsidération des biens liée à la gratuité engendrerait l’accroissement des dégradations. L’argument a été vite balayé par le <a href="https://www.la-croix.com/Economie/gratuite-transports-urbains-idee-gagne-lEurope-2018-09-04-1200966061">maire de Dunkerque</a> qui évoque 60 % de dégradations en moins pendant les week-ends de gratuité.</p>
<p>Le second argument suppose que la gratuité ne permet pas un report modal significatif de la voiture vers le transport public, selon l’<a href="https://www.lesechos.fr/2018/03/ces-villes-ou-les-transports-en-commun-sont-gratuits-987068">organisation patronale</a> des opérateurs. Le cas de Dunkerque prouve pourtant le contraire.</p>
<p>Face à ces expériences intéressantes et apparemment réussies, la généralisation de la privatisation semble cependant une tendance lourde y compris de ce qui semblait être des biens communs gratuits et accessibles à tous ou du vivant.</p>
<h2>La marchandisation du vivant</h2>
<p>Les paysans ne peuvent plus produire naturellement leurs propres graines. Les semences désormais stériles et accaparées par les grands groupes internationaux tels Bayer (Monsanto), doivent être achetées chaque année au prix fort, plongeant les agriculteurs dans la misère. Nous le constatons depuis longtemps en Inde où des millions de paysans ont été réduits à l’exode urbain, <a href="https://www.france24.com/fr/20130705-reporters-inde-ogm-monsanto-Maharastra-Mahyco-coton-agriculeurs-suicide-france24">y laissant parfois la vie</a>. Aujourd’hui, <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/france-2/cash-investigation/videos-privatisation-du-marche-des-semences-tomates-hybrides-quatre-sequences-a-retenir-du-cash-investigation-sur-le-business-des-fruits-et-legumes_3496807.html">quatre multinationales</a> (avec DuPontDow, Syngenta et Limagrain) possèdent deux tiers des semences et trois quarts des pesticides mondiaux.</p>
<p>Ainsi une <a href="https://www.bioaddict.fr/article/cash-investigation-comment-les-multinationales-controlent-et-modifient-les-varietes-de-semences-a6256p1.html">enquête de Cash Investigation</a> a révélé que le kilo de graines de tomate pouvait atteindre 400 000 euros.</p>
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<figcaption><span class="caption">Extrait de Cash Investigation.</span></figcaption>
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<p>Au-delà des semences, c’est l’ensemble du vivant qui est privatisable dans de nombreux pays.</p>
<p>L’appropriation du patrimoine génétique est apparue en 1980 aux États-Unis. En 1972, le microbiologiste <a href="https://lemelson.mit.edu/resources/ananda-chakrabarty">Ananda Chakrabarty</a>, au service de General Electric, dépose une demande de brevet pour une bactérie génétiquement modifiée capable d’absorber le pétrole. La Cour suprême américaine estimera en <a href="https://caselaw.findlaw.com/us-supreme-court/447/303.html">1980</a> que la loi sur les brevets ne doit pas faire de distinction entre le vivant et l’inanimé.</p>
<p>Ainsi, en 1982, deux généticiens d’Harvard, Phil Leder et Timothy Stewart, introduisent dans une souris des gènes qui la rendent vulnérable au cancer et déposent le <a href="https://www.nytimes.com/1988/04/13/us/harvard-gets-mouse-patent-a-world-first.html">brevet de l’oncosouris</a>.</p>
<p>La souris est alors en quelque sorte « privatisée », à partir du moment où il est considéré que l’organisme modifié est une invention et donc brevetable.</p>
<p>Aujourd’hui, la pratique est relativement courante puisque nombreux parmi les brevets déposés aux États-Unis <a href="https://www.gerbeaud.com/nature-environnement/biopiraterie-privatisation-vivant.php">concernent des organismes vivants</a>.</p>
<h2>Les espaces naturels vers le tout privé</h2>
<p>Les espaces sont souvent privés (propriétés, terrains…), mais certains territoires qui paraissaient appartenir à l’humanité, c’est-à-dire en quelque sorte à personne, deviennent la proie de toutes les tentations financières. On pense ainsi à l’extension rapide des plages privées dans le monde même si la <a href="http://www.actunautique.com/2015/08/juridique-peut-on-privatiser-une-plage-publique.html">France</a> demeure restrictive en la matière ou encore la privatisation des mers et des océans, qui, <a href="https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=6&ved=2ahUKEwiDp5Sa4IDkAhUBhxoKHSs5DekQFjAFegQIBhAC&url=https%3A%2F%2Fdroitsetoceans.sciencesconf.org%2Fdata%2Fpages%2FNathalie_ROS.pdf&usg=AOvVaw1sq3hrQs2hnBIR4diM8F5d">selon la professeure de droit public Nathalie Ros</a> « cesse peu à peu d’être un mythe pour devenir une réalité ».</p>
<p>L’<a href="https://www.lejournalinternational.fr/Arctique-basses-tensions-sous-les-hautes-latitudes_a3660.html">appropriation de l’Arctique</a> est également en marche : cette zone géostratégique clef et riche en ressources (hydrocarbures, terres rares, métaux…) suscite intérêt et jalousie de la part d’États comme la Chine. On note aussi la vente et location d’îles paradisiaques en <a href="https://www.monplusbeauvoyage.fr/privatisation-ile-reve-nukutepipi-polynesie-francaise-voyage-luxe/">Polynésie française</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’atoll de Nukutepipi appartient désormais aux plus offrants…</span></figcaption>
</figure>
<p>Enfin l’espace lui-même se privatise. Le <a href="https://www.congress.gov/bill/114th-congress/house-bill/2262">Space Act</a> voté en 2015 par les États-Unis, permet aux firmes américaines de prospecter l’eau, les métaux, les <a href="https://www.cieletespace.fr/actualites/les-etats-unis-et-le-luxembourg-veulent-s-entendre-pour-forer-les-asteroides">astéroïdes et les planètes</a>, de les extraire, les exploiter et les vendre, laissant la plupart des pays incapables techniquement et financièrement d’envoyer des aéronefs dans l’espace sur la touche.</p>
<p>Nous sommes donc loin du du <a href="https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19670016/index.html">Traité de l’espace de 1967</a> qui interdisait justement cette exploitation privée des ressources extra-terrestres…</p>
<h2>La guerre des mots</h2>
<p>A cette liste viennent se rajouter les projets de privatisation <a href="https://theconversation.com/la-privatisation-des-routes-une-idee-a-lencontre-du-modele-social-francais-120179?utm_source=twitter&utm_medium=twitterbutton">des routes</a> ; les barrages hydrauliques en France avec les risques que cela comporte en termes de sécurité ; les projets liés à l’<a href="https://transhumanistes.com/homme-augmente/">homme augmenté</a> ; et même les mots.</p>
<p>Ces derniers deviennent le centre de toutes les attentions. Nous nous souvenons tous d’un secrétaire d’État au commerce (Thomas Thévenoud) qui eut maille à partir avec le fisc et qui déclara souffrir de phobie administrative. Il finit par <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20180208.OBS1901/phobie-administrative-en-plein-scandale-thomas-thevenoud-a-depose-la-marque-a-l-inpi.html">déposer cette expression à l’Institut national de la propriété industrielle</a> (<a href="https://www.inpi.fr/fr">INPI</a>). Le combat contre Yves Saint-Laurent pour interdire l’appellation de son <a href="https://www.lesechos.fr/1993/12/yves-saint-laurent-condamne-en-appel-pour-son-parfum-champagne-917204">parfum Champagne</a> en 1993 est aussi encore dans nos esprits. La privatisation syntaxique vaut quelques <a href="https://www.linkedin.com/pulse/ancien-monde-vs-nouveau-attention-coup-de-gueule-romain-cristofini/">coups de gueule sur les réseaux</a>.</p>
<p>La propriété intellectuelle aboutit ainsi à des abus <a href="https://www.numerama.com/pop-culture/472279-il-y-a-toujours-des-entreprises-qui-cherchent-a-privatiser-des-mots-du-langage-courant.html">traqués</a> par les journalistes Lionel Maurel et Thomas Fourmeux et qui indiquent quelques exemples afin de</p>
<blockquote>
<p>« dénoncer ce racket qui repose sur l’appropriation abusive d’un mot courant ».</p>
</blockquote>
<p>Face à cette généralisation, un risque peut survenir, celui de défaut de la contrepartie.</p>
<h2>Le risque de contrepartie</h2>
<p>Le risque de contrepartie, principe financier, repose sur le risque de défaillance d’un emprunteur qui ne peut plus rembourser l’ensemble de sa dette. De manière extensive, c’est l’incapacité au perdant ou au débiteur de payer le gagnant ou le créancier. La crise des subprimes en 2007 en est la <a href="https://www.louisbachelier.org/mesure-du-risque-de-contrepartie/">parfaite illustration</a>, créant une crise mondiale sans précédent.</p>
<p>Or, la privatisation tous azimuts entraîne non seulement un nouveau coût supplémentaire pour des biens et des services auparavant gratuits (plages, routes, semences…), mais en outre cette charge augmente rapidement. L’exemple du <a href="https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal%3A212342/datastream/PDF_01/view">rail</a> est édifiant.</p>
<p>En effet, malgré le discours arguant la baisse des tarifs induit par la privatisation du transport ferroviaire, les exemples allemands et anglais la réfutent.</p>
<p>Ainsi, en Grande Bretagne, les prix du billet <a href="https://francais.rt.com/economie/48427-privatisation-rail-grande-bretagne-un-echec">sont six fois supérieurs</a> à la moyenne européenne pour un service de moindre qualité et ont bondi de <a href="https://trends.levif.be/economie/entreprises/privatisation-du-rail-le-point-dans-les-grands-pays-d-europe/article-normal-800801.html">25 %</a> (hors inflation) depuis 1995. La hausse est plus spectaculaire encore en Allemagne. De 2005 à 2016, les tarifs moyens <a href="https://www.bastamag.net/Baisse-des-effectifs-hausse-des-tarifs-qualite-de-service-moyenne-les-realites">ont explosé de 40 %</a> pour les trains régionaux (environ 2,2 fois plus vite que l’inflation sur la période) et de 31 % pour les trains longue distance (environ 1,7 fois plus vite que l’inflation). Dans tous les cas, une entreprise privée intègre dans ses <a href="https://www.fipeco.fr/pdf/0.58478900%201522218955.pdf">charges le coût du capital</a> qui représente la rémunération qu’elle doit verser aux actionnaires et aux agents qui l’ont financée.</p>
<p>De ce fait, elle est dans l’obligation de le répercuter dans le prix de vente final et s’avère systématiquement plus chère qu’une entreprise publique. Ou alors elle abandonne le produit non rentable comme récemment Medtronic qui a <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/france/diabete-l-unique-fabriquant-au-monde-de-pompes-insuline-implantees-arrete-sa-production-6478952">stoppé la fabrication de la pompe à insuline</a>, pourtant vitale pour nombre de jeunes diabétiques.</p>
<h2>Le leurre du tout gratuit ?</h2>
<p>Rappelons cependant que la gratuité est un leurre puisqu’elle repose généralement sur des prélèvements fiscaux ou sociaux, tels les soins à l’hôpital par les cotisations sociales salariales et patronales. Elle peut aussi trouver sa contrepartie dans la <a href="https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Numerique/lucrative-economie-donnees-personnelles-2018-04-11-1200930923">vente des données personnelles</a> comme le pratiquent Facebook ou Google.</p>
<p>De même le troc n’est pas non plus la gratuité puisqu’il y a échange marchand, seule l’intermédiation monétaire ayant été éliminée.</p>
<p>Il n’est pas question ici de remettre en cause la propriété, mais de dénoncer les dérives dangereuses d’une privatisation globale.</p>
<p>Rendons hommage à <a href="https://next.liberation.fr/livres/2009/04/28/michel-serres-la-marchandise-c-est-l-equilibre-la-culture-c-est-l-accroissement_653194">Michel Serres</a>, récemment disparu :</p>
<blockquote>
<p>« Si vous avez du pain, et si moi j’ai un euro, si je vous achète le pain, j’aurai le pain et vous aurez l’euro et vous voyez dans cet échange un équilibre, c’est-à-dire : A a un euro, B a un pain. Et dans l’autre cas B a le pain et A a l’euro. Donc, c’est un équilibre parfait. Mais, si vous avez un sonnet de Verlaine, ou le théorème de Pythagore, et que moi je n’ai rien, et si vous me les enseignez, à la fin de cet échange-là, j’aurai le sonnet et le théorème, mais vous les aurez gardés. Dans le premier cas, il y a un équilibre, c’est la marchandise, dans le second il y a un accroissement, c’est la culture. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/122068/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>S’il n’est pas question ici de remettre en cause la propriété, il est essentiel de s’attarder sur les dérives d’une privatisation globale et regarder de plus près les tentatives du tout-gratuit.Eric Vernier, Directeur de la Chaire Commerce, Echanges & Risques internationaux - ISCID-CO, Université du Littoral Côte d'Opale, Chercheur au LEM (UMR 9221), Université de LilleL'Hocine Houanti, Associate professor, ExceliaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1103832019-01-29T20:48:48Z2019-01-29T20:48:48ZMobiliser les sciences de gestion pour réussir la transition écologique et sociale<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/255547/original/file-20190125-108342-1aubzhd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=29%2C17%2C968%2C648&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Certains auteurs soulignent que l’économie rend compte d’une dépendance de l’Homme par rapport à la nature et à ses semblables.</span> <span class="attribution"><span class="source">Werner Rebel / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La question de la soutenabilité n’est pas simple à traiter car nous faisons face à un double péril : l’exploitation abusive des ressources naturelles met en danger <a href="https://www.ipcc.ch/">l’équilibre du climat</a> et de <a href="https://www.ipbes.net/">la biodiversité</a>, et <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/le-capital-au-xxie-siecle-thomas-piketty/9782021082289">les inégalités croissantes</a> condamnent notre capacité à faire société. Dans son livre « Insoutenables inégalités », le chercheur Lucas Chancel nous montre d'ailleurs clairement que les deux questions, sociale et environnementale, <a href="http://www.lespetitsmatins.fr/collections/insoutenables-inegalites-pour-une-justice-sociale-et-environnementale">ne peuvent pas être dissociées</a>. </p>
<p>Face à de tels enjeux, les sciences de gestion peuvent grandement contribuer à l'affirmation d’une double solidarité : celle qui relie les hommes et la nature, et celle qui unit les hommes entre eux. Un tel effort ne se décrète pas. Il s’organise. Et c’est là que <a href="https://www.editions-eres.com/ouvrage/4341/solidarite-et-organisation-penser-une-autre-gestion">leur apport est déterminant</a>. Il faut toutefois reconnaître que la solidarité n’est que peu prise en compte dans l’histoire de la pensée organisationnelle. </p>
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<figcaption><span class="caption">« Solidarité et organisation : penser une autre gestion », par Philippe Eynaud (Vidéo FNEGE Médias, janvier 2019).</span></figcaption>
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<p>On peut même affirmer qu’elle est négligée dans l’enseignement de la gestion, dont la pédagogie reste trop centrée sur le modèle de l’entreprise marchande et sur ses attendus. Pourquoi les manuels de gestion retiennent-ils de <a href="https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2009-4-page-28.htm">Smith</a> le concept de « main invisible » et pas son attention à la question de la redistribution ? Et pourquoi ne jamais mentionner <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/De_tocqueville_alexis/democratie_1/democratie_tome1.html">Tocqueville</a> lorsqu’il répond à Smith en pointant l’apport des organisations démocratiques dans la richesse des nations ? </p>
<h2>Réhabiliter le projet solidaire de l'économie</h2>
<p>Pour sortir de ces impasses, il y a, selon nous, trois perspectives à travailler. La première consiste à repenser l’organisation économique sous l’angle du projet solidaire. Pour cela, un auteur nous est particulièrement utile : <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/bibliotheque-des-savoirs/la-subsistance-de-l-homme">Karl Polanyi</a>. Cet économiste hongrois du XXe siècle pointe en effet ce qu’il nomme le « sophisme économique ». Selon lui, une erreur commune consiste à réduire l’économie à la seule économie de marché. </p>
<p>À partir d’une approche historique et anthropologique, Polanyi montre de manière claire que l’économie a une vocation bien plus large car elle rend compte d’une dépendance de l’Homme par rapport à la nature et à ses semblables. À ce titre, il propose de nommer « économie substantive » l’économie qui comprend dans son périmètre la redistribution et la réciprocité. </p>
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<figcaption><span class="caption">« L'économie de marché selon Karl Polanyi », entretien avec Jérôme Maucourant, Maître de conférences de sciences économiques à l’Université Jean-Monnet de Saint-Etienne (IUT).</span></figcaption>
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<p>Cet élargissement est particulièrement important pour l’étude des organisations. Elle permet notamment de réintroduire - et de légitimer – l’activité des associations dans le champ économique sans pour autant les forcer à entrer dans des relations purement marchandes. Elle permet aussi de repenser l’action publique à l’aune de cette redéfinition de l’économie. Dès lors, on peut faire l’hypothèse que l’organisation de l’économie substantive appelle une gestion substantive ; ou, dit autrement, que l’économie solidaire suppose pour sa mise en œuvre une gestion solidaire. Tout l’enjeu reste maintenant d’en définir son contenu et ses attributions.</p>
<p>Là encore, Polanyi nous est utile. Il décrit avec précision le processus de marchandisation qu’ont connu tour à tour le travail, la monnaie et la nature. Pour lui, ces trois ressources sont des marchandises « fictives ». Il en veut pour preuve qu’aucune d’entre elles n’a été créée dans l’objectif initial d’une marchandisation. Si la fiction se maintient, c’est qu’elle procède d’une construction idéologique largement relayée dans les sociétés modernes. Cela fait sa force, mais aussi sa faiblesse. Si la fiction est dénoncée, le processus socio-économique peut être inversé et la gestion solidaire se mettre au service d’un réencastrement de ces trois éléments. </p>
<h2>S'appuyer sur des exemples déjà nombreux</h2>
<p>De nombreuses pratiques en témoignent déjà. Concernant le travail, les innovations sociales des <a href="http://www.theses.fr/2017PSLED035">coopératives d’activité et d’emploi</a> sont particulièrement intéressantes à analyser. En permettant à des autoentrepreneurs de retrouver un statut de salarié et en leur offrant le statut d’associés de la coopérative, elles insufflent une solidarité à des acteurs isolés et précarisés par les logiques de marché. Dans la mouvance des logiciels libres et des licences publiques, des <a href="http://plateformes.coopdescommuns.org/">plateformes numériques coopératives</a> émergent pour refuser l’ubérisation du travail en offrant un autre mode de gouvernance pour les utilisateurs. Concernant la monnaie, les exemples sont également éloquents. Partout, des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Les_monnaies_alternatives-9782707186362.html">monnaies alternatives et solidaires</a> sont créées et inventées. Elles participent à l’émergence d’une <a href="https://www.finansol.org/">finance solidaire</a>. Elles permettent de reconstruire du lien social, de réinscrire une partie des choix économiques sur les territoires et d’autoriser l’appropriation citoyenne selon des modes démocratiques. </p>
<p>Concernant la nature, les innovations sont multiples. À partir de l’exemple impulsé par les associations de maintien de l’agriculture paysanne (<a href="http://www.reseau-amap.org/">AMAP</a>), des logiques de circuits courts se sont construites et organisées. Des modèles organisationnels d’un nouveau genre comme celui de <a href="https://terredeliens.org/">Terre de liens</a>, d’<a href="https://www.habitat-humanisme.org/">Habitat et humanisme</a>, d’<a href="https://www.enercoop.fr/">Enercoop</a>, de <a href="https://www.colibris-lemouvement.org/">Colibris</a>, ou les nombreuses initiatives numériques et solidaires échangeant au sein de <a href="http://plateformes.coopdescommuns.org/">plateforme en communs</a> permettent d’engager de nouveaux modes d’organisation solidaires sur les territoires. Dans ce contexte, les organisations multi parties prenantes comme les sociétés coopératives d’intérêt collectif (<a href="http://www.les-scic.coop/sites/fr/les-scic/">SCIC</a>) voient leur nombre augmenter car elles sont à même de relever les défis de la gestion du pluralisme qui peut s’exprimer localement.</p>
<h2>Sortir d'une rationalité formelle</h2>
<p>Une troisième perspective de travail est offerte par l’œuvre de <a href="https://www.jstor.org/stable/25610817?seq=1#page_scan_tab_contents">Guerreiro Ramos</a>. Pour ce sociologue brésilien, le renouveau de la théorie des organisations suppose de repenser la question de la rationalité. À la rationalité formelle prônée par les logiques de marché, il est nécessaire de juxtaposer une rationalité substantive en lien avec l’économie substantive analysée par Polanyi. </p>
<p>Il y a là, selon Guerreiro Ramos, une faute de pensée à rabaisser l’homme à un être qui calcule. Cela bloque en effet sa capacité à distinguer le vice de la vertu. Cet évincement de la dimension éthique propre à la rationalité formelle est caractéristique de la pensée organisationnelle dominante. L’irruption de l’informatique dans le débat est l’illustration de cette dérive : le propre d’un algorithme économique est de calculer et non de se poser des questions morales. Aucune valeur supérieure ne vient altérer ou perturber son enchaînement d’opérations logiques. Il nous faut sortir de cette impasse. Pour cela, il est possible d’élargir la vision du champ à ce que Guerreiro Ramos nomme la « para-économie » : c’est-à-dire aux organisations dont la finalité ne se réduit pas à une vision marchande. En visibilisant les organisations associatives, communautaires, familiales, il est possible de revaloriser le travail désintéressé qui est le propre des acteurs associatifs, des passionnés, des amateurs, des bricoleurs et de tous ceux qui participent d’un nouvel <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/l-age-du-faire-michel-lallement/9782021190496">âge du « faire »</a> (mouvement des makers) et d’un <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Vers_une_r%C3%A9publique_des_biens_communs__-545-1-1-0-1.html">partage des communs</a>. </p>
<h2>Défendre la socio-diversité</h2>
<p>Pour une société plus humaine, Gueirrero Ramos propose de protéger politiquement ces enclaves afin d’éviter qu’elles ne soient gagnées par les logiques marchandes. Pour cet auteur, il est crucial de ne pas transposer les outils de la gestion d’entreprise vers d’autres organisations (qu’elles soient publiques, coopératives ou associatives). Ces outils sont en effet porteurs d’une « <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00263141/document">technologie invisible</a> » (au sens de <a href="https://theconversation.com/columns/michel-berry-274327">Michel Berry</a>, fondateur de l'école de Paris du Management) propres à subvertir la rationalité substantive et les logiques démocratiques qui les animent, voire à les faire disparaître.</p>
<p>Un parallèle est ainsi nécessaire entre défense de la biodiversité et défense de la socio-diversité (au sens de la diversité des formes organisationnelles et notamment de la préservation des formes démocratiques non marchandes). En effet, un lien essentiel et profond rend solidaires les transitions énergétiques et démocratiques. Devant la menace d’une apocalypse technocratique, nous pouvons opposer la <a href="http://www.lesconvivialistes.org/pdf/Manifeste-Convivialiste.pdf">société conviviale</a>. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/255812/original/file-20190128-108334-1gzrjj1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/255812/original/file-20190128-108334-1gzrjj1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/255812/original/file-20190128-108334-1gzrjj1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/255812/original/file-20190128-108334-1gzrjj1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/255812/original/file-20190128-108334-1gzrjj1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/255812/original/file-20190128-108334-1gzrjj1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/255812/original/file-20190128-108334-1gzrjj1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Face à l’hégémonie du modèle de l’entreprise marchande et à son individualisme amoral, nous pouvons faire le choix de l’organisation démocratique et porter une attention renouvelée <a href="https://www.editions-eres.com/ouvrage/3787/la-gestion-des-associations">à la gestion des associations</a> et aux formes organisationnelles solidaires. Les nouvelles <a href="https://www.demain-lefilm.com/">expériences citoyennes et solidaires</a> qui s’inventent chaque jour dans le monde témoignent de nouvelles façons de conjuguer <a href="https://www.editions-eres.com/ouvrage/4341/solidarite-et-organisation-penser-une-autre-gestion">solidarité et organisation</a>. Gestion <a href="https://gess.sciencesconf.org/">solidaire</a>, gestion des <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Vers_une_r%C3%A9publique_des_biens_communs__-545-1-1-0-1.html">communs</a>, gestion du <a href="https://editionutopia.wordpress.com/2014/03/30/le-buen-vivir-pour-imaginer-dautres-mondes/">bien vivre</a> sont autant de pistes de recherche à prendre en compte dans le cadre d’un dialogue et d’un programme de recherche international. Elles augurent de nouvelles pratiques adaptées pour une transition sociale et environnementale plus que jamais nécessaire. Par leur capacité à être au plus près de l’action de terrain, les sciences de gestion ont un rôle essentiel à jouer sur ce plan. Encore faut-il pour elles accompagner et outiller le renouveau de l’imaginaire collectif que cela suppose.</p>
<hr>
<p><em>L'auteur de cet article a publié avec Genauto Carvalho de França Filho le livre « Solidarité et organisation : penser une autre gestion » aux Éditions érès le 3 janvier 2019.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/110383/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Eynaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si la discipline parvient à s’émanciper du modèle de l’entreprise marchande, elle pourra apporter des réponses essentielles face aux enjeux actuels. Certains auteurs ont déjà ouvert la voie.Philippe Eynaud, Professeur en sciences de gestion, IAE Paris – Sorbonne Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/723832017-04-26T21:58:08Z2017-04-26T21:58:08ZLa Russie, ce pays où la gestation pour autrui est légitime<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/164514/original/image-20170407-29399-yi66c7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Deux femmes en conversation dans la rue, à Moscou. En Russie, la maternité de substitution est autorisée et suscite peu le débat. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/dmitryzhkov/30284412254/in/album-72157674964518821/">Dmitry Ryzhkov/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>La gestation pour autrui (GPA) fait partie des sujets majeurs qui seront discutés lors les <a href="http://www.lemonde.fr/societe/article/2018/01/06/bioethique-des-etats-generaux-pour-ouvrir-le-debat-le-plus-largement-possible_5238174_3224.html">États généraux de la bioéthique</a>, à partir du 18 janvier. Cette vaste consultation des citoyens précède la révision des lois de bioéthique prévue pour 2019. En France, la GPA est actuellement interdite. </p>
<p>Souvent désignée sous le nom de « mères porteuses », cette technique consiste, pour la gestatrice, à porter un embryon formé par les gamètes d'un couple, puis à remettre l'enfant à la naissance à ces parents d'intention.</p>
<p>Le <a href="http://www.ccne-ethique.fr/fr">Comité consultatif national d’éthique</a> (CCNE), avait rendu le 27 juin 2017 <a href="http://www.ccne-ethique.fr/fr/publications/avis-du-ccne-du-15-juin-2017-sur-les-demandes-societales-de-recours-lassistance#.Wl8Lq5OdUWp">un avis très attendu</a> dans lequel il rejetait la légalisation de la GPA. Un peu plus tôt, son président, Jean‑François Delfraissy, avait posé les termes du débat <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-27-janvier-2017">sur France Inter</a>. D’un côté, avait-il déclaré, « il y a un besoin sociétal absolument indiscutable pour un certain nombre de couples d’avoir une grossesse portée par autrui ». Et de l’autre, « des jeunes femmes (…) sont vendues pour ensuite devenir des porteuses de grossesses (…) dans des entreprises à but mercantile ».</p>
<h2>La Russie, un des pays les plus libéraux</h2>
<p>Pour éclairer cette question sensible, il est intéressant de s’extraire de sa propre culture et de regarder comment les mères porteuses sont perçues dans d’autres pays, selon leur histoire, leur sociologie et leurs traditions. Le cas de la Russie, rarement abordé, est intéressant à plus d’un titre. Le premier enfant né d’une maternité de substitution y a vu le jour en 1995. La technique y est autorisée, ce pays étant généralement rangé dans la catégorie des plus libéraux en la matière. Cependant les couples étrangers sont beaucoup moins nombreux à se rendre en Russie pour en bénéficier que dans le pays voisin, l’Ukraine, en raison de dispositions légales qui la rendent plus hasardeuse.</p>
<p>Pour un État, le <a href="https://assets.hcch.net/docs/b4114840-8e21-4f34-b054-43fe4c01ab32.pdf">choix de prohiber ou d’autoriser la pratique des mères porteuses</a> dépend largement de la conception que celui-ci se fait de la procréation, de la filiation et de la parenté. En Russie, la GPA est considérée comme l’une des mesures susceptibles d’augmenter le taux de natalité face à une situation démographique préoccupante. C’est aussi une manière jugée légitime de résoudre un problème de fertilité. De ce fait, le débat se place moins sur le plan moral que juridique.</p>
<p>La technique est autorisée mais son encadrement comporte des lacunes. Ainsi, une mère porteuse peut finalement décider de garder l’enfant, sans recours possible des parents intentionnels. Inversement, la gestatrice n’est pas protégée si les parents d’intention refusent d’accueillir l’enfant, par exemple si celui-ci naît handicapé.</p>
<h2>Des discussions en cours à l’assemblée nationale russe</h2>
<p>Aussi les discussions à la Douma (l’équivalent russe de l’Assemblée nationale) portent-elles surtout sur la nécessité d’instituer un cadre légal détaillé qui protégerait toutes les parties au contrat de GPA, c’est-à-dire la mère porteuse, les parents intentionnels mais aussi l’enfant.</p>
<p>La loi fédérale en vigueur sur les techniques de procréation médicale remonte à 1993, à l’époque de l’URSS. Cette année-là, un chapitre intitulé « l’activité médicale lors de la planification de la famille et d’encadrement de la capacité de procréer de l’homme » a été introduit dans la législation relative à « la protection de la santé des citoyens ». Des précisions ont ensuite été apportées par deux ordonnances du ministère de la Santé en 2003 puis en 2012.</p>
<p>Les conditions d’accès à ces techniques sont comparables à celles existant en France. Selon l’ordonnance de 2012, les actes ne peuvent viser un autre but que celui de réparer les conséquences d’un dysfonctionnement pathologique à l’origine de la stérilité, ou d’éviter la transmission d’une maladie génétique.</p>
<h2>La procréation assistée, autorisée aux femmes célibataires</h2>
<p>Le recours à ces techniques est possible pour les couples, mariés ou non, composés d’une femme et d’un homme et, contrairement à la France, aux femmes célibataires. Dans ses différents textes, le législateur utilise le terme « époux », n’ouvrant ainsi l’accès expressément qu’aux couples mariés hétérosexuels. Mais contrairement à la France, l’ouverture de la PMA aux couples homosexuels n’est pas débattue.</p>
<p>C’est la jurisprudence qui s’est prononcée sur l’accès à la gestation pour autrui pour un ou une célibataire. Dans un premier temps, ce droit a été reconnu à une femme célibataire, en 2009. Dans cette affaire, le tribunal a jugé que conformément à la loi fédérale de 1993, une femme célibataire a le droit de se réaliser en tant que mère au même titre qu’une femme mariée.</p>
<p>Par la suite, la jurisprudence a reconnu le même droit à un homme célibataire. Ce même accès aux techniques de procréation médicale pour les hommes et pour les femmes a été déduit du principe d’égalité entre la femme et l’homme posé par la Constitution de la Fédération de Russie.</p>
<h2>Une rémunération complémentaire occulte pour la gestatrice</h2>
<p>En Russie, la gestatrice n’est, officiellement, pas rémunérée. Seuls les frais médicaux liés à sa grossesse et ceux du quotidien durant cette période peuvent être prévus par le contrat. Une compensation pour la perte de salaire liée à l’arrêt du travail peut s’y ajouter. En général <a href="http://www.courrierinternational.com/article/2010/04/29/12-500-euros-le-bebe">il existe une rémunération complémentaire occulte</a>, dont il est impossible de solliciter le remboursement devant la justice en cas de non-exécution du contrat par la gestatrice.</p>
<p>Selon l’article « Les mères porteuses » de la revue <em>Ogonyok N4</em> du 1<sup>er</sup> février 2010, la rémunération variait en 2009 entre 15 000 (13 700 euros) et 20 000 dollars (18 300 euros), voire plus pour une gestatrice correspondant à certaines exigences de niveau d’étude.</p>
<p>« Mater semper certa est » disait, en latin, le droit romain : l’identité de la mère est toujours certaine. Cette règle s’applique aussi dans le droit russe. À la naissance, la mère est celle qui met l’enfant au monde, autrement dit la mère porteuse. Le droit russe fait ainsi primer la réalité physique sur la génétique.</p>
<h2>La mère porteuse doit donner son accord à la naissance</h2>
<p>Pour que la filiation de l’enfant avec les parents génétiques (les parents d’intention) puisse être établie, ces derniers doivent obtenir l’accord explicite de la mère porteuse après la naissance de l’enfant. Le Conseil constitutionnel russe a en effet affirmé la constitutionnalité du principe selon lequel les parents d’intention ne peuvent pas figurer dans l’acte de naissance de l’enfant en qualité de parents sans l’accord de la mère porteuse.</p>
<p>Une fois obtenu l’accord de la gestatrice, la filiation est établie au profit des parents d’intention et la gestatrice ne peut plus revenir sur sa décision. Aucun lien de filiation n’est maintenu à son égard ; le lien de filiation et les effets qui en découlent sont intégralement transférés au couple commanditaire. Le nom de la mère porteuse n’apparaît pas sur l’acte de naissance de l’enfant.</p>
<p>Du fait que la mère porteuse est la mère légale de l’enfant à sa naissance, elle peut décider de le garder. Sans recours possible pour la mère d’intention. La mère porteuse ne dispose pas de cette prérogative en Ukraine, par exemple, où ce sont les termes du contrat qui priment.</p>
<p>Ce pouvoir donné à la mère porteuse en Russie fait débat. Une partie des juristes se prononce en faveur de la suppression de la règle « Mater semper certa est », au motif qu’elle vide la convention de maternité pour autrui de son sens. Une telle évolution irait dans le sens du mécanisme juridique existant aux États-Unis pour la GPA. D’autres juristes veulent maintenir cette règle, estimant qu’elle évite de faire du corps de la femme un objet susceptible de transactions commerciales.</p>
<h2>La mère porteuse doit parfois élever l’enfant sans l’avoir souhaité</h2>
<p>La législation russe actuelle pose un deuxième problème. Il arrive en effet que les parents d’intention refusent d’établir la filiation avec l’enfant. Si le couple s’est séparé entre temps, par exemple. Ou bien si l’enfant naît handicapé. Dans ce cas, la gestatrice devient la mère légale de l’enfant dont elle a accouché et doit endosser la charge d’élever un enfant qu’elle n’a pas souhaité.</p>
<p>Un projet de loi avait été déposé à la Douma le 19 juin 2016 dans l’idée de remédier à ces deux difficultés. Le texte supprimait l’obligation d’obtenir l’accord de la gestatrice pour la transcription des parents d’intention sur le registre d’état civil en qualité de parents de l’enfant. Il prévoyait également, en cas d’abandon de l’enfant par les parents d’intention et par la gestatrice, de procéder automatiquement à l’inscription des parents d’intention dans l’acte de naissance de l’enfant. Mais ce projet a été rejeté, le 13 avril 2017, par le Comité de la famille, de la femme et de l’enfant de la Douma.</p>
<p>Un autre projet de loi visant une interdiction absolue de la GPA tant qu’il n’existe pas un encadrement législatif garantissant une protection des droits et des intérêts de la gestatrice, de <a href="http://website-pace.net/documents/19855/2463558/20160921-SurrogacyRights-FR.pdf/1b33ac68-47d2-4534-a21d-11250cc9bd72">l’enfant</a> et des parents d’intention, a été déposé à la Douma le 27 mars 2017. La première lecture de ce projet de loi à la Douma était prévue le 10 janvier 2018, mais a été reportée à une date ultérieure.</p>
<p>Lors d'une réunion au mois de juillet 2017, le Comité de la famille, de la femme et de l’enfant de la Douma n’a pas approuvé l'initiative d’interdiction de la GPA. Le ministère de la Santé a adopté la même position. « Le problème d’infertilité masculin et féminin est majeur en Russie, a affirmé Oleg Philippov, chef-adjoint du Bureau de l’aide aux enfants et à la procréation du ministère de la Santé. L’interdiction de la GPA ne ferait qu’aggraver la situation. Mais il faut moderniser la législation ».</p>
<p>Ainsi, dans ce pays où la GPA – qui existe depuis plus de vingt ans – n’est pas fondamentalement remise en question, la manière de la pratiquer suscite encore des débats, pas si différents de ceux qui se tiennent en France ou ailleurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/72383/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alla Dyuka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En Russie, la question d’interdire la maternité de substitution se pose à nouveau. Mais les vrais débats concernent les garanties offertes à la mère porteuse et aux parents d’intention.Alla Dyuka, Juriste en droit international de la famille, doctorante, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/537032016-01-27T21:03:35Z2016-01-27T21:03:35ZLoi biodiversité : ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/109403/original/image-20160127-26817-g89ooj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les gorges de la Cesse (Hérault), un site récemment classé. Le dispositif du classement a été reconduit par la loi sur la biodiversité. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Karst_minerve.jpg">Hugo Soria/Wikimedia</a></span></figcaption></figure><p>Discuté au Sénat ces jours derniers, le projet de <a href="http://www.france24.com/fr/20160126-le-senat-adopte-le-projet-loi-biodiversite">« loi pour la reconquête de la biodiversité »</a> a suscité de vifs débats. L’attention s’est notamment focalisée sur les articles qui renforceraient la compensation ; c’est-à-dire la possibilité donnée aux aménageurs du territoire (en transports, énergie, logements, etc.) de compenser les pertes qu’ils infligeraient à la biodiversité en développant leurs projets. </p>
<p><a href="http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/01/18/la-nature-un-bien-marchand_4849060_3232.html">Certains y voient le risque</a> d’une porte grande ouverte à la dégradation de la nature, qui la transformerait en un bien mis sur le marché et échangeable. Soyons clairs : les fondements de la politique de protection de la nature correspondent bien plus à un impératif moral de défense d’un patrimoine essentiel qu’à la mise en valeur marchande de la nature dans la seule perspective de répondre à nos besoins économiques du moment. </p>
<p>Néanmoins, dans le contexte actuel d’une demande croissante d’infrastructures, d’emplois et de logements, et avec les objectifs fixés par la loi de transition énergétique, les projets d’aménagement du territoire, consommateurs d’espaces naturels, vont être amenés à se multiplier ces prochaines années. L’espace et les financements étant limités, n’est-il pas nécessaire de se doter d’une stratégie réaliste de maîtrise de ces pressions accrues qu’auront à subir les habitats naturels ? Les dispositions de la loi ne représentent-elles pas, dans cette perspective, une opportunité à ne pas manquer, si l’on fait la part des choses entre les risques inhérents à ces dispositifs et les possibilités d’action qu’ils offrent ?</p>
<h2>Éviter et réduire… avant de compenser</h2>
<p>D’abord, craindre que la généralisation de la compensation représente un « droit à détruire », c’est presque inverser la perspective. Environ <a href="http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/primeur326.pdf">70 000 hectares</a> de nature sont actuellement détruits chaque année en France, pour laisser la place à des projets d’aménagement. La porte est donc déjà bien ouverte. Un mécanisme qui permettrait de négocier sa fermeture – certes partielle – représente ainsi un progrès potentiel : notamment, le projet de loi réaffirme le principe de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC), suivant laquelle un aménageur ne pourra compenser les pertes infligées à la nature qu’une fois qu’il aura prouvé avoir tout mis en œuvre pour éviter ces pertes d’abord, pour les réduire ensuite. </p>
<p>Les efforts et la vigilance seront certes indispensables, et devront s’attacher à la qualité de la mise en œuvre des décisions et à la concrétisation des engagements. La mobilisation citoyenne sera également nécessaire dans le cadre des dispositifs prévus pour encadrer, surveiller et concerter la mise en œuvre de la séquence ERC. Dispositifs dans lesquels les associations de défense de l’environnement françaises se trouvent encore souvent isolées et peu soutenues.</p>
<h2>Limiter la substituabilité des territoires</h2>
<p>Par ailleurs, le projet prévoit de proposer des compensations « clés en main » aux aménageurs, pour compenser leurs destructions en achetant des unités de biodiversité, créées et vendues par ces projets. Faut-il y voir un danger de « financiarisation » de la nature ? En réalité, nombreux sont les travaux qui montrent qu’un tel dispositif ne peut se développer que comme le résultat d’une volonté politique forte de protection de la biodiversité, renforcée par une mise en œuvre administrative ferme. </p>
<p>C’est flagrant aux <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-economique-2015-2-page-151.htm">États-Unis</a>, où le développement d’un système de compensation a nécessité l’engagement politique de stopper la perte nette des surfaces naturelles, et la reprise de cet engagement au niveau fédéral, puis par des décisions administratives, de justice, etc. D’autre part, la modeste expérience française sur ce sujet montre que les services de l’État, ayant la main sur la procédure, se sont montrés prudents, et ont généralement refusé que la compensation soit réalisée trop loin des zones détruites. Rigoureusement mis en œuvre, ces dispositifs limitent en fait la substituabilité d’un espace naturel par un autre. Chaque compensation constitue <a href="http://www.iddri.org/Publications/Les-dispositifs-institutionnels-regissant-la-compensation-biodiversite-en-France-Gouvernance-de-marche-ou-accords-bilateraux">une transaction individualisée</a> ; ces dispositifs ne donnent donc pas lieu à une multiplicité de transactions comme ce serait le cas dans un véritable marché.</p>
<p>En d’autres termes, la partie véritablement marchande du mécanisme de compensation, qui existe indubitablement, est en fait le dernier maillon d’une longue chaîne de décisions politiques et administratives, qui la réglementent et la conditionnent. Au final, on est donc loin d’un laissez-faire libéral et d’une remise des clés de la nature aux entreprises. Le <a href="http://invaluable.fr/cadre-legal-et-institutionnel-de-la-compensation-biodiversite-french-only/">dispositif reste très encadré</a>, même si pour l’avenir, la vigilance semble de rigueur pour maintenir la pression politique et un contrôle administratif constants, nécessaires à une application effective. Sans ces conditions, davantage qu’une marchandisation de la nature, le risque reste plutôt celui d’une poursuite de la consommation accélérée de nos espaces naturels par des processus d’aménagement peu contraints.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/53703/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Contrairement à ce qu’en disent ses détracteurs, la loi sur la biodiversité adoptée par le Sénat ce 26 janvier 2016, ne remet pas les clés de la nature aux entreprises.Yann Laurans, Directeur de programme Biodiversité, IddriRenaud Lapeyre, Chercheur biodiversité et services environnementaux, IddriLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.