tag:theconversation.com,2011:/us/topics/montessori-31984/articlesMontessori – The Conversation2024-03-21T15:41:40Ztag:theconversation.com,2011:article/2258402024-03-21T15:41:40Z2024-03-21T15:41:40ZMaria Montessori au cinéma : ce que le film « La nouvelle femme » nous dit de sa pédagogie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/582890/original/file-20240319-22-fngmco.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C2568%2C1491&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les actrices Leïla Bekhti et Jasmine Trinca dans le film "La Nouvelle femme" de Léa Todorov</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm-289562/photos/detail/?cmediafile=22060798">Allociné/Copyright Geko Films Tempesta</a></span></figcaption></figure><p>La sortie du film <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Nouvelle_Femme"><em>La nouvelle femme</em></a> réalisé par Léa Todorov fait de nouveau parler de la vie de la pédagogue Maria Montessori, après notamment le téléfilm italien sorti en 2021 (<a href="https://www.sajedistribution.com/film/maria-montessori.html">« Maria Montessori, une vie au service des enfants »</a> de Gianluca Maria Tognazzi).</p>
<p>L’action se situe en un temps très restreint, en 1900, quelques années avant l’ouverture de la première « maison des enfants » et deux ans après la naissance hors mariage de son fils Mario, placé (et caché) en nourrice.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande-annonce du film <em>La nouvelle femme</em>, de Léa Todorov (2024).</span></figcaption>
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<p>Le film vient mettre la lumière ce que les chercheurs connaissent désormais bien, mais que le grand public connaît peu ou mal : la « Montessori avant Montessori » (cette émergence étant parfaitement bien mise en scène à la fin du film), engagée dans les réseaux et idées féministes de l’époque et à l’œuvre pour les enfants en situation de handicap, à l’École d’Ortophrénie de Rome.</p>
<p>Ce long métrage n’est donc ni un biopic, ni une fiction, mais un « biopic fiction » comme le propose le magazine <a href="https://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/La-Nouvelle-femme--comment-concoit-on-un-biopic-fiction-"><em>Première</em></a> : mélangeant volontairement faits et imaginaire, il s’intéresse moins à la vérité biographique qu’à « l’esprit » de cette dernière, des mots mêmes de la réalisatrice, ainsi qu’aux racines profondes de la vocation de la pédagogue. Sont ainsi esquissées, et c’est heureux, les contradictions chez son personnage principal (est-ce la cause des enfants ou l’ambition personnelle qui l’anime ?), ainsi que sa personnalité singulière, à la fois talentueuse et déroutante, déjà intransigeante et un brin autoritaire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-pedagogie-montessori-est-elle-efficace-ce-que-nous-disent-les-recherches-scientifiques-209697">La pédagogie Montessori est-elle efficace ? Ce que nous disent les recherches scientifiques</a>
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<p>Surtout, en créant un double imaginaire de Maria Montessori (Lily d’Alengy, une courtisane mère d’une petite fille dite « idiote »), Léa Todorov double l’accent mis sur les obstacles qui étaient ceux d’une femme dans un monde d’hommes (la médecine, et bientôt la pédagogie), obstacles que nous avons parfois du mal à nous représenter depuis notre début de XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Et si Lily d’Alengy parvient à la fin du film à renouer avec la maternité dont elle avait honte, Maria Montessori pour sa part s’en détache pour devenir « la » Montessori, écartant et sublimant sa propre maternité (comme le suggère la scène du rêve avec Mario). Le sens du film est ainsi moins de présenter une vérité biographique que de comprendre le sens de ce qui suivra, et qui est hors champ : une vie vouée à « la cause de l’enfant ».</p>
<h2>Filmer la pédagogie</h2>
<p>Cependant, au-delà de la pédagogue, le film parle-t-il de pédagogie, et que nous dit-il sur les pratiques concrètes ?</p>
<p>Il est intéressant de remarquer tout d’abord qu’il est fréquent de voir la pédagogie expliquée, ou même réduite, ce qui est potentiellement discutable, à la vie du pédagogue ou encore à ses options personnelles. C’est ce que propose, en partie seulement, le très bon documentaire <a href="https://www.cinematheque.fr/film/137024.html"><em>Révolution École</em></a>, réalisé en 2016 par Joanna Grudzinska sur l’éducation nouvelle.</p>
<p>En France, trois documentaires récents ont tenté à l’inverse de filmer les pratiques montessoriennes en les déconnectant cette fois de la figure pédagogique : <a href="https://www.montessori-lefilm.org/"><em>Le maître est l’enfant</em></a>, d’Alexandre Mourot (2017) et deux films plus confidentiels réalisés par Odile Anot, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SQKlmdnJ3zg"><em>Une enfance pour la vie</em></a> (2022) et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=X8b2keBSfX4"><em>Une éducation pour la vie</em></a> (2024).</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande-annonce du documentaire <em>Le maître est l’enfant</em>, d’Alexandre Mourot.</span></figcaption>
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<p>Dans le cas de <em>La nouvelle femme</em>, l’originalité du film réside sans doute dans le fait de mettre en scène la pédagogue à l’œuvre, donc de ne pas éluder les pratiques pédagogiques, notamment en filmant les enfants en situation de handicap. C’est peut-être un des sens du titre, contractant à la fois une référence au féminisme et aux idées nouvelles en éducation (<em>La nouvelle éducation</em>, qui colporta les idées montessoriennes en France à partir de 1921). Les pratiques forment ainsi un arrière-plan discret mais constant du film.</p>
<p>Remarquons ensuite qu’il s’agit d’une <em>proto</em>-pédagogie Montessori : les images nous montrent en effet les pratiques premières, tirées de la pédagogie d’Édouard Séguin. Nous remontons ainsi aux origines profondes des pratiques, la <a href="https://www.cairn.info/revue-reliance-2008-1-page-121.htm"><em>méthode physiologique</em> ou physio-psychologique_</a> fondée sur la stimulation des sens, parce que ces derniers, notamment le toucher, constituent chez Séguin la première forme de l’intelligence. Cette méthode vise ainsi à réveiller « tous les modes de vitalité des individus » : les cinq sens, si possible, mais aussi le renforcement musculaire (grâce aux balançoires ou aux échelles que l’on voit à l’image) ou encore les bains chauds et froids du début du film.</p>
<p>Ces principes sont encore d’actualité, même si beaucoup de pratiques (notamment le renforcement physique, peut-être à tort d’ailleurs) ont disparu : dans <em>La pédagogie scientifique</em>, Maria Montessori écrit, en parlant de l’enfant, qu’il s’agit de « raviver ses rapports avec le milieu, pour harmoniser la conscience avec la réalité extérieure ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pedagogie-montessori-les-ressorts-dun-engouement-qui-dure-105269">Pédagogie Montessori : les ressorts d’un engouement qui dure</a>
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<p>C’est à partir de cette « dynamique vitale » que Séguin affirme l’éducabilité de tous, y compris de les tous les « idiots » ; mais également la nécessité de réformer une éducation qu’il juge rétrograde, qui</p>
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<p>« consiste à parquer des milliers d’enfants dans des espèces de casernes, où, sans tenir compte des aptitudes physiques diverses, des besoins physiologiques variés, des dispositions intellectuelles différentes, on donne chaque jour à tous, indistinctement et exclusivement, quatre ou cinq rations d’aliments intellectuels que leur mémoire est chargée de digérer ».</p>
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<p>Écoles casernes, absence de mouvement, prévalence de la mémoire sur la pluralité des aptitudes enfantines… on croirait entendre un militant de l’éducation de nouvelle de l’entre-deux-guerres. Ces mots ont pourtant été écrits en 1846, soit 75 ans avant le premier Congrès de Calais de 1921, juste après la fondation de la Ligue internationale pour l’éducation nouvelle.</p>
<h2>Montessori et la confiance donnée à l’enfant</h2>
<p>Cette stimulation « méthodique » des sens, mais aussi de la volonté que reprend à son compte la jeune (elle a tout de même 30 ans !) Montessori ne se fait pas toujours sans effort, comme le suggère habilement le film grâce à plusieurs scènes où la pédagogue incite longuement un enfant à lever les jambes ou à attraper un objet.</p>
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<p>La réalisatrice prend ainsi son temps pour filmer les enfants, mais également les regards attentifs et concentrés des deux femmes ou leur action ajustée, fruit d’une interprétation pertinente du besoin enfantin, comme dans la scène de l’œuf avec Maria Montessori et Mario chez la nourrice (« il veut vous imiter », explique-t-elle).</p>
<p>Le film met également en scène le matériel, parfois avec des erreurs (une tour rose avec 8 cubes !) ou quelques mises en œuvre approximatives (écrire « plume » avec son <em>e</em> muet en français avec l’alphabet mobile, la liberté donnée aux enfants alors qu’elle n’arrive que plus tard). Mais il fait aussi des suggestions tout à fait pertinentes : la phrase écrite au tableau pour ceux ou celles qui savent lire, ou encore la place progressive de la musique amenée peu à peu par Lily d’Alengy.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pedagogie-montessori-dans-les-coulisses-du-succes-le-travail-demilie-brandt-entrepreneuse-de-la-petite-enfance-207568">Pédagogie Montessori : dans les coulisses du succès, le travail d’Emilie Brandt, entrepreneuse de la petite enfance</a>
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<p>Ce personnage interprété par Leila Bekhti en devient presque une suggestion d’Anna Maccheroni, la disciple de toujours de Maria Montessori, essentielle et oubliée, qui donna sa vie à l’éducation montessorienne et développa l’éducation musicale. Elle non plus ne se maria jamais, mais ne connut pas la maternité. On y voit également mises en scène la volonté scientifique des débuts ainsi que l’importance du corps et de la joie, avec laquelle contrastent constamment les pleurs de Mario.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/582881/original/file-20240319-24-4wqnc9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/582881/original/file-20240319-24-4wqnc9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/582881/original/file-20240319-24-4wqnc9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=604&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/582881/original/file-20240319-24-4wqnc9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=604&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/582881/original/file-20240319-24-4wqnc9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=604&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/582881/original/file-20240319-24-4wqnc9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=758&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/582881/original/file-20240319-24-4wqnc9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=758&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/582881/original/file-20240319-24-4wqnc9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=758&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tableau de Raphaël, <em>La Vierge à la chaise</em>.</span>
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<p>C’est pourquoi, enfin et surtout, le film insiste sur la confiance donnée à l’enfant et à « l’amour » qui teinte à la fois la pédagogie montessorienne et celle de Séguin. Ce dernier parlait « d’affection éclairée » et écrivait avoir « poursuivi dans le vide pendant quatre mois le regard insaisissable d’un enfant ». En cela, le film représente bien une forme de maternité romantique (mais peut-être efficace dans sa suggestion), entre féminisme mais aussi catholicisme. Le tableau de la vierge et l’enfant dans le bureau pourrait ainsi suggérer <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Vierge_%C3%A0_la_chaise"><em>La vierge à la chaise</em></a> de Raphaël accrochée dans la première « maison des enfants » et le catholicisme de la pédagogue.</p>
<p>Et cette idée, on la trouve encore vivace chez Montessori en 1950, deux ans avant sa mort, lorsqu’elle rendait hommage aux éducatrices de l’ombre (silencieuses et omniprésentes dans le film), œuvrant pour une « maternité scientifique » et collective.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225840/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bérengère Kolly ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Sorti en salles en mars, « La nouvelle femme », de Léa Todorov, se penche sur la vie de Maria Montessori. Au-delà de la pédagogue, que nous raconte ce film de sa pédagogie ?Bérengère Kolly, Maîtresse de conférences en sciences de l'éducation, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2096972023-09-26T19:11:11Z2023-09-26T19:11:11ZLa pédagogie Montessori est-elle efficace ? Ce que nous disent les recherches scientifiques<p>Née au début du XX<sup>e</sup> siècle, la pédagogie Montessori suscite un fort engouement depuis une vingtaine d’années en France. La multiplication de livres, jeux, écoles privées étiquetés « Montessori » témoigne de ce phénomène.</p>
<p>Mais, concernant l’efficacité de la pédagogie Montessori par rapport aux autres formes de pédagogie, que nous disent les recherches ?</p>
<p>Cette pédagogie plus que centenaire a-t-elle encore quelque chose à nous dire sur l’école d’aujourd’hui et celle de demain ?</p>
<h2>La pédagogie Montessori : une liberté dans un environnement cadré</h2>
<p>Fondée sur différents grands principes, la <a href="https://journals.openedition.org/rechercheseducations/10807">pédagogie Montessori</a> vise à offrir à l’enfant une certaine liberté d’apprentissage, dans un environnement cadré et adapté. Celui-ci se partage en plusieurs aires de découverte dédiées à la vie pratique, à la vie sensorielle, au langage et aux mathématiques. Notons aussi que les enfants évoluent en groupes multi-âges – de 3 ans à 6 ans par exemple, puis de 6 ans à 9 ans…</p>
<p>Le matériel présent dans la classe permet à l’enfant d’agir en <a href="https://www.cairn.info/les-grands-penseurs-de-l-education--9782361064655-page-55.htm">toute autonomie</a>. Il lui permet entre autres de se corriger seul, le rôle de l’enseignant étant avant tout d’observer l’enfant pour répondre de manière optimale à ses besoins, de l’accompagner dans ses initiatives et le rediriger si nécessaire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pedagogie-montessori-les-ressorts-dun-engouement-qui-dure-105269">Pédagogie Montessori : les ressorts d’un engouement qui dure</a>
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<p>Par ailleurs, l’environnement Montessori permet une <a href="https://theconversation.com/lecture-postures-emotions-comment-le-corps-nous-aide-a-comprendre-un-texte-159583">cognition incarnée</a>. Selon cette théorie les interactions sensori-motrices avec l’environnement favoriseraient le développement cognitif et les apprentissages des enfants. Autrement dit, on apprendrait mieux en interagissant corporellement avec l’environnement. Le matériel Montessori fait justement intervenir plusieurs sens, en particulier le toucher et la vue.</p>
<p>Par exemple, les <a href="https://theconversation.com/apprendre-a-lire-quels-defis-cela-represente-t-il-pour-les-eleves-de-primaire-212144">lettres rugueuses</a> invitent l’enfant à découvrir le tracé des lettres alphabétiques au travers du toucher, puis à en prononcer le son. Ce procédé favorise l’apprentissage de la lecture, en permettant à l’enfant d’associer directement le son des lettres à leur représentation graphique. Autre exemple du côté des concepts mathématiques : le matériel Montessori permet à l’enfant d’associer un nombre écrit à des unités physiquement palpables. À travers la vue et la manipulation, l’enfant peut ainsi renforcer sa compréhension des liens entre représentation spatiale et mathématique d’un nombre.</p>
<p>Enfin, contrairement aux idées reçues, Montessori ne rime pas avec une liberté sans limites. Des règles de vie régissent la classe et les adultes présents posent le cadre. Ainsi, si un objectif de cette pédagogie est de s’adapter au rythme de chacun et chacune, le respect de l’autre et de son travail est éminemment requis. En cohérence avec ce principe, les élèves d’écoles Montessori ne reçoivent ni récompenses ni punitions, ce qui permettrait de soutenir la coopération des élèves, tout en favorisant la motivation intrinsèque.</p>
<p>Ainsi, l’ensemble des caractéristiques de la pédagogie Montessori pourraient offrir aux enfants un cadre particulièrement favorable aux apprentissages et au développement psychologique. Les études menées depuis les trente dernières années semblent aller en ce sens, suggérant que divers aspects de la pédagogie Montessori pourraient avoir des effets bénéfiques sur les capacités cognitives, les compétences sociales, la créativité, le développement moteur et les résultats scolaires des enfants.</p>
<p>Cependant, jusqu’alors, aucun travail de synthèse n’avait réellement permis de conclure sur les effets de la pédagogie Montessori. Une méta-analyse parue récemment dans <em>Contemporary Educational Psychology</em>, une revue phare dans le champ de la psychologie du développement et de l’éducation, apporte un éclairage concernant les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0361476X2300036X">effets de la pédagogie Montessori sur le développement psychologique</a> et les apprentissages des enfants en école primaire.</p>
<h2>Des effets positifs sur les compétences sociales et les résultats scolaires</h2>
<p>Une méta-analyse est une synthèse statistique de plusieurs recherches empiriques portant sur un même objet d’étude. L’objectif est de connaître la tendance, positive ou négative, de l’ensemble des études portant sur le phénomène étudié. La méthodologie repose sur le calcul de tailles d’effets (en anglais « effect size »), qui permet de calculer le bénéfice ou le désavantage du groupe expérimental (les écoles ou les classes utilisant la pédagogie Montessori) par rapport au groupe témoin (les écoles ou les classes utilisant une autre pédagogie).</p>
<p>Les bases de données bibliographiques ont permis d’identifier et d’examiner scrupuleusement 109 articles publiés au cours des 30 dernières années. Ce recensement a permis de retenir 33 études expérimentales ou quasi expérimentales comparant la pédagogie Montessori à d’autres approches pédagogiques. L’ensemble de ces études ont porté sur plus de 21 000 élèves scolarisés en Amérique du Nord, en Asie et en Europe. Ces recherches ont permis de calculer 268 tailles d’effets.</p>
<p>Des méthodes statistiques apparues récemment (« multilevel meta-analysis ») ont permis de réaliser des analyses afin de contrôler tous les biais possibles (biais de publication, dépendances entre les tailles d’effets, etc.). On a pu ainsi calculer les tailles d’effets moyens en fonction des cinq domaines étudiés : les apprentissages scolaires, le développement cognitif, social, moteur ainsi que le domaine de la créativité.</p>
<p>Les résultats de cette méta-analyse montrent que la pédagogie Montessori a des effets positifs et significatifs sur les compétences sociales et sur les résultats scolaires. Autrement dit, comparativement à d’autres formes de pédagogies, elle permettrait un meilleur développement de la compréhension des situations sociales, de la capacité à résoudre des problèmes sociaux ou encore de la capacité à se mettre à la place de l’autre… Différentes caractéristiques de la pédagogie Montessori favoriseraient ce développement des compétences sociales, comme la valorisation de la coopération plutôt que la compétition ou encore l’encouragement au respect mutuel et au partage.</p>
<p>Par ailleurs, cette pédagogie contribue également et fortement à ce que les élèves obtiennent de meilleurs résultats scolaires en mathématiques, lecture, écriture, etc. Cet apport serait lié au matériel multisensoriel et autocorrectif présent dans la classe, mais également à l’absence de punitions et récompenses, encourageant la motivation intrinsèque de l’enfant.</p>
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<p>Les analyses des différents modérateurs n’ont pas révélé de différences selon le niveau scolaire (maternelle ou élémentaire), le type de revue dans laquelle est publiée l’étude (à comité de lecture ou non) et la zone géographique dans laquelle l’étude a été menée.</p>
<p>L’impact de la pédagogie Montessori sur les capacités cognitives, les compétences motrices et la créativité n’est pas significatif.</p>
<p>Comme nous l’avons mentionné plus haut, les effets de la pédagogie Montessori sur le développement et les apprentissages des enfants varient de faibles à élevés. Il serait intéressant de mener des études supplémentaires pour étayer les preuves actuelles. Les travaux futurs gagneraient à contrôler davantage de variables comme le statut socio-économique des familles, ou encore le degré d’implémentation de la pédagogie Montessori. En effet, comme l’ont montré différents travaux, il semblerait qu’une approche holistique de cette méthode soit plus efficace que son utilisation partielle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209697/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’engouement pour la pédagogie Montessori ne se dément pas. Mais va-t-il de pair avec son efficacité ? Une méta-analyse s’est penchée sur la question.Alison Demangeon, Docteure en psychologie du développement et de l'éducation, Université de LorraineYoussef Tazouti, Professeur des universités en Psychologie de l’éducation, 2LPN (Laboratoire Lorrain de Psychologie et Neurosciences, EA. 7489), Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2075682023-07-04T20:09:56Z2023-07-04T20:09:56ZPédagogie Montessori : dans les coulisses du succès, le travail d’Emilie Brandt, entrepreneuse de la petite enfance<p>Son nom est peu connu du grand public. Pourtant, <a href="https://ecolesnouvelles.hypotheses.org/?s=brandt">Émilie Brandt</a> (1879-1963) a eu un rôle décisif dans l’accueil de la petite enfance et son évolution dans la première moitié du XX<sup>e</sup> siècle en France. Son parcours singulier nous invite à la suivre de l’Alsace à Nice, en passant par Paris et la Haute-Marne, semant sur son passage nombre de jardins d’enfants et d’écoles de « jardinières d’enfants » au sein desquels la pédagogie se crée et se recrée, comme autant de pépinières d’où naitra, dans les années 1970 en France, la <a href="https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2001-3-page-146.htm">profession d’éducateurs de jeunes enfants</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/podcast-accompagner-la-rentree-en-creche-apprendre-a-se-separer-187478">Podcast « Accompagner la rentrée en crèche » : Apprendre à se séparer</a>
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<p>Émilie Brandt évolue dans le sillage des pédagogues du mouvement historique de <a href="https://doi.org/10.3917/cdle.031.0005">l’Éducation nouvelle</a> qui avait pour ambition de changer l’éducation pour changer le monde. Alors que le modèle scolaire républicain mis en place par Jules Ferry permet en France d’accueillir et d’instruire tout enfant dès l’âge de six ans, que l’école maternelle s’organise pour accueillir les enfants plus petits, sur le modèle des salles d’asile rénové par <a href="https://www.persee.fr/doc/hedu_0221-6280_1997_num_73_1_2897">Pauline Kergomard</a>, d’autres structures sont créées en ce tournant du XIX<sup>e</sup> au XX<sup>e</sup> siècle sur le modèle des jardins d’enfants du pédagogue <a href="https://education.persee.fr/doc/revpe_2021-4111_1905_num_47_2_5272">Friedrich Froebel</a>, dont le premier Kindergaten a ouvert en Prusse en 1837.</p>
<p>C’est dans ce contexte que s’inscrit le travail d’Émilie Brandt, que l’on pourrait qualifier d’entrepreneuse de la petite enfance vu le nombre de structures qu’elle a créées. Actrice majeure du développement de la formation professionnelle de la petite enfance, elle était convaincue de l’importance de l’élément sensoriel dans l’apprentissage et nous a légué une pédagogie accordant une place centrale à l’expérimentation, dans un environnement accueillant et bienveillant.</p>
<h2>Apprendre à l’enfant à observer et à expérimenter</h2>
<p>Ce qui caractérise les jardins d’enfants, c’est d’une part la pédagogie qui accorde une place centrale au jeu, considéré comme vecteur d’apprentissage, et d’autre part l’environnement, proche du modèle familial, et au plus près de la nature, pour permettre le plein épanouissement de l’enfant. En ce début du XX<sup>e</sup> siècle qualifié de « siècle de l’enfant » par l’écrivain suédoise <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ellen_Key">Ellen Key</a>, médecins, pédagogues, scientifiques se saisissent de l’éducation pour révolutionner les pratiques éducatives et <a href="https://journals.openedition.org/ries/10010">penser le bonheur de l’enfant à l’école</a>.</p>
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<img alt="Portrait de Froebel" src="https://images.theconversation.com/files/534831/original/file-20230629-29-fcyron.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/534831/original/file-20230629-29-fcyron.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=743&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/534831/original/file-20230629-29-fcyron.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=743&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/534831/original/file-20230629-29-fcyron.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=743&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/534831/original/file-20230629-29-fcyron.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=934&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/534831/original/file-20230629-29-fcyron.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=934&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/534831/original/file-20230629-29-fcyron.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=934&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Portrait de Froebel.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Frederick_Froebel_LCCN91794439.jpg">Popular Graphic Arts/Wikimedia</a></span>
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<p>Le regard qu’on porte sur l’enfant évolue : désormais, il est considéré comme une personne à part entière. Le temps est venu de mettre en œuvre la révolution copernicienne éducative, <a href="https://books.openedition.org/editionscnrs/7550?lang=en">comme l’affirme le psychologue de Genève Edouard Claparède</a>. Il faudra cependant attendre <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/efg/2009-n11-efg3879/044123ar.pdf">Françoise Dolto</a> et la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle pour que cette révolution concerne le bébé.</p>
<p>Mais revenons en 1907, au moment où Émilie Brandt, jeune femme alsacienne formée à l’Institut Froebel de Berlin, arrive à Paris et propose à <a href="https://www.editions-beauchesne.com/product_info.php?products_id=474">l’Abbé Viollet</a>, fondateur de nombreuses œuvres sociales dans le XIV<sup>e</sup> arrondissement, de créer un jardin d’enfants pour accueillir les enfants des familles ouvrières du quartier.</p>
<p>Très vite, cette structure organisée selon les méthodes froebeliennes se dotera d’une École d’éducation familiale qui participera à former les jardinières en lien avec de prestigieuses institutions telles le Collège Sévigné et le lycée de jeunes filles de Versailles. Durant cette même période, Émilie Brandt fonde également un jardin d’enfants à Barr, la ville de son enfance, dans une dépendance d’un hôtel, destiné aux enfants pauvres de la vallée.</p>
<p>En 1910, c’est à Thivet, dans la Haute-Marne, que nous retrouvons Émilie Brandt. Elle relate son expérience dans un <em>Manuel du jardin d’enfants</em>, publié chez Armand Colin en 1913. L’ouvrage regorge de détails pratiques, on y trouve l’emploi du temps sur une semaine, rapporté de façon méthodique et minutieuse. Dès les premières phrases, elle expose ce qu’elle entend par l’esprit de la méthode froebelienne :</p>
<blockquote>
<p>« À quoi s’applique exactement l’expression “jardins d’enfants” ? Ce n’est pas nécessairement à un jardin réel où viendraient s’amuser des enfants du matin au soir. Une pelouse peuplée de jeunes bébés pourra bien être un jardin avec des enfants, mais non pas un “jardin d’enfant”. Si Froebel a donné ce dernier titre à ses écoles enfantines, c’est qu’il y faisait régner une méthode d’éducation qui cultivait le jeune enfant d’une manière particulièrement heureuse et efficace. L’esprit de la méthode consiste à développer en toute liberté la nature individuelle de l’enfant dans une atmosphère de bon ordre et d’harmonie. »</p>
</blockquote>
<p>Pour réaliser un tel but, les jardinières d’enfants choisissent avec soin les objets qui vont permettre « l’étude et l’observation prolongée de l’enfant » et qui apportent vie aux « idées centrales », c’est-à-dire aux sujets d’enseignement, par lesquelles les enfants « apprennent à voir, à sentir et à vivre par eux-mêmes ». Et c’est bien parce qu’il n’y a « rien de figé dans l’enseignement qui en découle » que l’enseignement théorique doit être réduit au profit de la pratique, qui est exposée dans les pages suivantes à travers une dizaine de chapitres.</p>
<p>Des exemples de « causeries » autour d’une idée centrale, ici le blé, ou encore des leçons de géographie et de calcul, montrent comment Émilie Brandt s’appuie sur les évènements qui rythment le quotidien pour amener les enfants vers les apprentissages. Elle répond ainsi par la pratique aux théories de pédagogues qui prônent la globalisation des apprentissages, en partant de l’expérimentation, sans décloisonnement des matières, dans l’optique d’y mettre du sens.</p>
<p>En conclusion de l’ouvrage, elle précise que l’enfant, après avoir fréquenté le jardin d’enfants, aura comme avantage sur ses camarades de l’école de posséder « toute une série de notions générales », d’avoir « appris à observer par lui-même, à entendre, à toucher ce qui l’entoure », tout autant qu’à « comparer, à réfléchir, à former son jugement ».</p>
<h2>Former des éducateurs de jeunes enfants</h2>
<p>Son parcours conduit ensuite Emilie Brandt à Strasbourg, où elle crée dans les années 1920 une <a href="http://www.emiliebrandt.fr/">école nouvelle</a>, transférée à Limoges pendant la Seconde Guerre mondiale et qui s’implantera à Neuilly à la fin de la guerre, puis à Levallois en 1952. Cette année est celle de son centenaire, et l’on peut voir que c’est toujours la pédagogie Montessori, à laquelle Émilie Brandt se forme dès le début des années trente, qui en fait son attrait auprès des parents.</p>
<p>C’est à Nice, lors des cours d’été que donne Maria Montessori en 1932, qu’Emilie Brandt se convertit, si l’on peut dire, au montessorisme. L’intérêt porté par Froebel à l’observation et au développement de l’enfant se retrouve dans les théories de Maria Montessori qui se diffusent à travers le monde, depuis qu’elle a ouvert en 1907 la première « casa dei bambini » à Rome. L’approche scientifique de la doctoresse italienne permet de réactualiser la formation des professionnelles de la petite enfance à partir de la méthode qu’elle propose, mais aussi du matériel pédagogique qu’elle crée.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pedagogie-montessori-les-ressorts-dun-engouement-qui-dure-105269">Pédagogie Montessori : les ressorts d’un engouement qui dure</a>
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<p>Si le terme de <em>jardin d’enfants</em> reste pregnant dans le paysage de la petite enfance, le nom de Maria Montessori va progressivement effacer celui de Froebel. Émilie Brandt participera à <a href="https://www.cairn.info/revue-les-etudes-sociales-2022-1-page-179.htm">transmettre ce montessorisme</a> dans les écoles de formations où seront formées les nouvelles générations de jardinières.</p>
<p>Son action pour la formation des professionnelles de la petite enfance croise des réformes institutionnelles et des entreprises privées, qu’elle participe à fédérer après la seconde guerre mondiale lors de la création en 1946 de l’Association des centres de formation de jardinières éducatrices (ACFJE), dont elle est la présidente. L’association va mettre au point un programme de formation pour les jardinières qui donnera lieu à un examen commun à un certain nombre d’écoles.</p>
<p>Il faudra attendre 1973 pour que la formation des jardinières soit prise en charge par l’État, au moment où la profession évolue et devient celle d’éducateur de jeunes enfants. Toujours active, à plus de soixante-dix ans, Emilie Brandt donne, en 1954, à Nice, des « leçons pratiques » chez les sœurs Saint-Vincent de Paul à vingt-huit futures jardinières et exerce en tant que conseillère technique au centre de formation des jardinières d’enfants, poste qu’elle gardera jusqu’à la fin de sa vie.</p>
<p>En formant les jardinières aux méthodes actives, Émilie Brandt, a contribué à créer un réseau d’éducatrices qui à leur tour s’engagent sur le terrain et participent à <a href="https://www.cairn.info/revue-spirale-revue-de-recherches-en-education-2021-2-page-95.htm">faire de l’école un lieu d’épanouissement comme d’apprentissage</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207568/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabienne Serina-Karsky ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Émilie Brandt a été une figure importante de la réflexion sur la petite enfance et de la diffusion de la pédagogie Montessori au XXᵉ siècle. Retour sur son héritage.Fabienne Serina-Karsky, Maître de conférences HDR en Sciences de l'éducation, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2076452023-06-20T17:38:49Z2023-06-20T17:38:49ZSouffrances psychiques de l’enfant : pourquoi il faut miser sur les pratiques pédagogiques<p>Comment faire lorsqu’un enfant ou un adolescent est en souffrance psychique ? Si l’alerte a notamment été donnée en début d’année sur ce sujet délicat et en plein essor dans un rapport du <a href="https://www.hcfea.fr/">Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA)</a>, la question des traitements et des options thérapeutiques divise les spécialistes.</p>
<p>Paradoxalement, l’importance des pratiques éducatives reste peu connue, alors que les experts et les pouvoirs publics les mettent régulièrement en avant, <a href="https://www.hcfea.fr/">au côté des approches psychothérapeutiques, sociales et du soutien des familles</a>.</p>
<p>Elles font ainsi rarement l’objet d’une présentation détaillée dans les « guides de bonnes pratiques » et les recommandations des agences de santé, ou sont souvent réduites à des conseils sommaires qui ne rendent pas compte de la complexité ou de l’ingéniosité des techniques, concepts et dispositifs éducatifs favorables au développement ou à l’épanouissement de l’enfant. </p>
<p>Nous avons ici pour objectif de synthétiser certaines de ces approches, dont la mise en pratique serait pertinente pour des enfants et des adolescents en situation de souffrance psychique.</p>
<h2>La pédagogie au service de la santé mentale des enfants vulnérables</h2>
<p>Ces lacunes sont d’autant plus surprenantes que, durant ces deux derniers siècles, de nombreux pédagogues ont dédié leurs travaux à l’accompagnement spécifique des enfants les plus vulnérables. Leurs pratiques et modèles éducatifs ont même souvent été pensés en regard de ces besoins particuliers. Ils ont progressivement essaimé dans l’ensemble du champ pédagogique, pour intégrer les pratiques quotidiennes des enseignants et des éducateurs.</p>
<p>Penser des dispositifs éducatifs pour les enfants en situation de souffrance psychique ou de handicap implique d’envisager la pédagogie et les institutions pédagogiques dans leur ensemble. Leur déploiement engage à adapter les outils, les pratiques et les enjeux relatifs au savoir et à sa transmission, ainsi que le fonctionnement des groupes et des institutions éducatives au bénéfice de tous les enfants.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/et-si-lecole-tenait-grace-aux-pedagogies-differentes-155499">Et si l’école « tenait » grâce aux pédagogies différentes ?</a>
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<p>La pédagogie se définit comme théorie et pratique de l’action éducative. Elle concerne l’école et toutes les situations d’apprentissage, de transmission et de vivre ensemble. La question du bien-être, de la souffrance et du soin psychiques est au cœur de ses préoccupations.</p>
<p>Plusieurs figures de la discipline ont réfléchi à la construction d’environnements répondant aux difficultés de l’enfant, en partant de ses besoins. Ces recherches ont mis en évidence des invariants pédagogiques à un environnement et à une posture éducative propices à son développement.</p>
<p>On peut noter que ces pratiques se sont construites « dans les marges », avec des enfants en difficulté ou qui mettent les équipes en difficulté. Elles se caractérisent par un pragmatisme dont il pourrait être intéressant de s’inspirer.</p>
<h2>Des environnements adaptés pour répondre aux difficultés de l’enfant</h2>
<p>Enseignants, éducateurs et pédagogues peuvent puiser dans la tradition de l’éducabilité initiée par des médecins pédagogues, à l’instar de <a href="https://www.cairn.info/les-grands-penseurs-de-l-education--9782361064655-page-43.htm">Jean Itard</a>, d’Édouard Seguin (dont les <a href="https://www.fabert.com/editions-fabert/quinze-pedagogues-idees-principales-et-textes-choisis.3130.produit.html">apports respectifs seront repris par Maria Montessori</a>), ou encore d’Alfred Binet qui insiste sur la nécessité d’<a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-les_idees_modernes_sur_les_enfants_alfred_binet-9782296097209-30589.html">adapter la pédagogie au potentiel des enfants</a>. Tous ont cherché à appréhender l’enfant dans sa complexité psychologique et affective.</p>
<p>Cette perspective est également bien illustrée par le <a href="https://www.fabert.com/editions-fabert/pedagogues-contemporains-idees-principales-et-textes-choisis.3131.produit.html">travail de Fernand Deligny, référence de l’éducation spécialisée</a>, sur les conditions nécessaires à un environnement accompagnant, non pathologique et potentiellement réparateur à destination de l’enfant. <strong>Les différentes caractéristiques de ces environnements sont centrales :</strong></p>
<ul>
<li><strong>Sécurisant et prévisible</strong></li>
</ul>
<p>Une dimension fondamentale de l’éducation est de proposer un environnement structurant, prévisible, respectueux, où l’enfant est considéré comme une personne à part entière. Cela suppose d’être attentif à sa sécurité physique, matérielle et affective. Cette approche passe également par le fait d’ajuster le mobilier à leurs besoins – dans la tradition initiée par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pauline_Kergomard">Pauline Kergomard</a> ou <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie_Pape-Carpantier">Marie Pape-Carpantier</a> à l’école maternelle. L’aménagement de l’espace ou des règles de vie n’est pas anecdotique.</p>
<ul>
<li><strong>Respectueux de ses besoins physiologiques et psychologiques</strong></li>
</ul>
<p>Le <a href="https://www.cairn.info/revue-carrefours-de-l-education-2017-1-page-122.htm">pédagogue Ovide Decroly a construit tout un modèle</a> prenant en compte les centres d’intérêt et les besoins fondamentaux de l’enfant : ses questionnements se retrouvent dans les réflexions sur les rythmes de ce dernier, l’organisation des journées dans les espaces scolaires et périscolaires.</p>
<p>Dans cette perspective, les temps calmes et les récréations peuvent être des moments pédagogiques liés au jeu, <a href="http://tmtdm.free.fr/media/textes/Courants-pedagogiques-dans-l-Education-Nouvelle-Francine-Best.pdf">tel que pensé dans les mouvements d’Éducation populaire</a>. Un autre exemple concerne les projets de flexibilisation des espaces d’apprentissage, à l’école et dans la sphère familiale, le besoin de vivre dans un espace ritualisé avec des rythmes structurés laissant une place au besoin de jouer et d’expérimenter.</p>
<ul>
<li><strong>Reconnaissant l’intérêt de sa parole</strong></li>
</ul>
<p>L’importance des sentiments d’appartenance et d’attachement au groupe passe par le fait d’y être intégré, de se faire des amis et de prendre part aux processus décisionnels.</p>
<p>En développant des conseils d’enfants et en cherchant à prendre en compte leur parole, le pédiatre <a href="https://www.enseignants.hachette-education.com/livres/janusz-korczak-lamour-droits-lenfant-9782011706133">Janus Korczak</a> a permis d’éclairer ces enjeux, tout comme le pédagogue <a href="https://www.fabert.com/editions-fabert/pedagogues-contemporains-idees-principales-et-textes-choisis.3131.produit.html">Paulo Freire</a> dont les dispositifs dialogiques individuel/collectif intégraient la singularité d’un sujet.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-enseignements-de-paulo-freire-un-pedagogue-toujours-actuel-73079">Les enseignements de Paulo Freire : un pédagogue toujours actuel…</a>
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<p><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Maud_Mannoni">Maud Mannoni</a> et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7oise_Dolto">Françoise Dolto</a> ont, quant à elles, expérimenté des dispositifs pour favoriser le déploiement de l’expression des enfants et promu la prise en compte de leur parole – y compris quand ils n’ont pas encore acquis les compétences langagières ou sont en difficulté.</p>
<ul>
<li><strong>Où il est responsabilisé</strong></li>
</ul>
<p>La responsabilisation aide également à mieux s’inscrire dans le collectif. Des éducateurs comme <a href="https://www.cairn.info/revue-reliance-2005-3-page-144.htm">Anton Makarenko</a>, Janus Korzack, <a href="https://excerpts.numilog.com/books/9782402579247.pdf">Célestin</a> <a href="https://www.icem-pedagogie-freinet.org/les-invariants-pedagogiques">Freinet</a>, <a href="https://www.cairn.info/revue-reliance-2008-2-page-113.htm">Fernand Oury</a> et les tenants de la pédagogie institutionnelle ont, en ce sens, pensé les environnements éducatifs comme des institutions comprenant des conseils d’enfants ou des espaces de régulation du vivre ensemble, où les enfants ont un peu de pouvoir sur ce qui les concerne. Les échanges autour des retours sur expérience concourent à apprendre comment devenir responsable.</p>
<p>Il ne s’agit pas de céder sur la responsabilité de l’adulte, mais de créer un espace d’exercice de la citoyenneté avec une « montée en responsabilité » – concernant la participation à l’aménagement des lieux, les ajustements collectifs, scolaires et sociaux pour accueillir la diversité, etc.</p>
<ul>
<li><strong>De découverte et d’exercice de son pouvoir sur le monde</strong></li>
</ul>
<p>Les enfants ont besoin de ne pas toujours être soumis aux décisions des adultes et de pouvoir se mobiliser sur des activités choisies, ou de <a href="http://cirnef.normandie-univ.fr/?page_id=1412">proposer eux-mêmes des activités</a>, afin de pouvoir agir sur eux-mêmes ou sur le monde, et d’avoir prise sur ce qui les concerne. Ces principes apparaissaient en creux chez de nombreux spécialistes comme <a href="https://www.icem-pedagogie-freinet.org/book/export/html/29334">Maria Montessori avec sa théorie de la pédagogie du choix</a>.</p>
<ul>
<li><strong>Avec des adultes attentifs</strong></li>
</ul>
<p>Pour être en confiance, les enfants ont besoin d’être soutenus par des adultes qui veillent à la qualité de leur relation. La mise en perspective de l’importance de l’empathie et d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-approche-centree-sur-la-personne-2008-2-page-5.htm">attitude positive inconditionnelle par Carl Rogers</a> peut être un point de repère utile. Par ailleurs, les adultes doivent pouvoir assumer une fonction de médiation et d’étayage <a href="https://www.cairn.info/le-developpement-de-l-enfant--9782130589686.htm">entre directivité et semi-directivité, constate le psychopédagogue Jérôme Bruner</a>.</p>
<p>Faire l’expérience de la réussite et avoir un sentiment de compétences sont également essentiels comme le montrent les <a href="https://www.cairn.info/revue-savoirs-2004-5-page-9.htm">travaux d’Albert Bandura</a>. Par exemple <a href="https://journals.openedition.org/rfp/886">Célestin Freinet a repensé les questions d’évaluation pour les remplacer par des brevets de compétences</a> quand d’autres ont développé une <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782367174211-du-chef-d-oeuvre-pedagogique-a-la-pedagogie-du-chef-d-oeuvre-introniser-en-humanite-leonard-guillaume-jean-francois-manil-charles-pepinster/">« pédagogie du chef-d’œuvre »</a>.</p>
<p>Cela suppose de proposer des projets créatifs permettant d’exprimer ses affects (dans la lignée de l’<a href="https://www.cairn.info/jeu-et-education--9782130369783.htm">éducation nouvelle portée notamment par Germaine Tortel</a>), en association avec la pratique des jeux symboliques ou les pratiques de médiation culturelle dans les œuvres littéraires – comme le propose le psychopédagogue Serge Boimare dans une perspective de soutien et de réparation psychologique pour des enfants <a href="https://www.cairn.info/ces-enfants-empeches-de-penser--9782100521654.htm">« empêchés de penser »</a>.</p>
<ul>
<li><strong>Où les adultes sont eux-mêmes accompagnés</strong></li>
</ul>
<p>Dans le cadre ordinaire de l’école, nombreux sont les enseignants et les personnels éducatifs à dire leur difficulté à ne pas pouvoir ou ne plus savoir comment faire. Les formations sont de fait lacunaire et ne font pas suffisamment place aux expressions croisées et à l’analyse des situations et des savoirs d’expérience. Ce point constitue un enjeu majeur du bon accueil des enfants en situation de souffrance psychique à l’école.</p>
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<h2>Quelles perspectives en termes de santé mentale de l’enfant ?</h2>
<p>Ce patrimoine permet de penser des actions éducatives concrètes en faveur du soin, de l’éducation, de l’accompagnement et de la santé mentale de l’enfant. La plupart de ces propositions a fait l’objet de pratiques au long cours, de formalisations et de théorisations reconnues au niveau international, au point qu’elles ont progressivement intégré les pratiques ordinaires d’enseignement ou d’éducation spécialisée.</p>
<p>Ces propositions « très françaises » peuvent paraître datées dans un contexte national où la prévention universelle, l’éducation pour tous, les pédagogies nouvelles, le soin singulier apporté à la personne par des équipes pluridisciplinaires, l’ancrage dans le lieu de vie et la communauté ont longtemps dominé… Elles sont toutefois critiquées depuis plusieurs années par les promoteurs d’une standardisation des pratiques et de thérapies protocolisées, simples, courtes et symptomatiques.</p>
<p>Elles sont pourtant en ligne avec la littérature scientifique internationale, qui plaide pour une <a href="https://www.thelancet.com/journals/lanchi/article/PIIS2352-4642(20)3 0316-3/fulltext">« école promotrice de santé »</a> et une <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/wps.20869">« psychiatrie préventive »</a> intégrée dans des modifications des environnements de vie et dans des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/wps.20773">initiatives de promotion de la santé mentale et physique des jeunes</a>. Des points qui peuvent être mis en œuvre dans le cadre scolaire.</p>
<p>La conclusion de ces travaux est que prendre en compte de multiples facteurs liés au mode de vie des jeunes constitue une approche prometteuse pour lutter contre les troubles mentaux.</p>
<blockquote>
<p>« Au-delà de la simple mise en œuvre de programmes prêts à l’emploi, des ressources et des pratiques sont nécessaires pour faire progresser les résultats académiques et de santé. […] Dans les écoles, les professionnels de santé peuvent se positionner comme catalyseurs du changement structurel car ils ont des occasions de défendre et de participer à la mise en œuvre intersectorielle des réformes et innovations dans les systèmes scolaires pour promouvoir la santé de tous les élèves. » (<a href="https://www.thelancet.com/journals/lanchi/article/PIIS2352-4642(20)3 0316-3/fulltext">Supporting every school to become a foundation for healthy lives</a>, <em>The Lancet</em>, 2021)</p>
</blockquote>
<p>Concevoir des pratiques pédagogiques adaptées aux singularités de l’enfant, intégrées à son contexte d’apprentissage et de vie, et qui lui permettent de développer sa santé générale, sa créativité, son adaptabilité, ses capacités émotionnelles, relationnelles et à agir, est essentiel à sa bonne santé mentale. Les recommandations du HCFEA, dans la lignée de la recherche internationale, vont en ce sens.</p>
<p>Au moment où la <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2023/sante-mentale-premiers-resultats-de-l-etude-enabee-chez-les-enfants-de-6-a-11-ans-scolarises-du-cp-au-cm2">santé mentale et la souffrance psychique des plus jeunes font l’objet de vives préoccupations</a>, et où l’embolie du système de soin pédopsychiatrique ne permet plus de les recevoir dans des délais satisfaisants, ces réflexions ont pour objectif de rouvrir des pistes, de retrouver des leviers et des gestes éducatifs susceptibles de contribuer à leur accompagnement et de leur apporter des aides.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207645/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sébastien Ponnou est personnalité qualifiée au sein du Conseil de l'Enfance et de l'Adolescence du HCFEA. Il dirige plusieurs recherches pour lesquelles le CIRNEF et l'Université de Rouen Normandie ont perçu des financements d'organismes publics et de fondations mutualistes : Institut de Recherche Interdisciplinaire Homme et Société (IRIHS), Fondation EOVI - Fondation de l'Avenir, FEDER - Région Normandie.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Laurent Lescouarch est membre de l'ICEM Pédagogie Freinet et des Centres d'entrainement aux méthodes d'éducation active (CEMEA).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Xavier Briffault est, en tant que sociologue et épistémologue de la santé mentale, personnalité qualifiée au sein du Conseil de l'Enfance et de l'Adolescence du HCFEA.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Diane Bedoin, Dominique Méloni et Maryan Lemoine ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>En amont de toute prise en charge thérapeutique, la pédagogie recèle déjà de nombreux dispositifs prometteurs pour lutter contre la souffrance psychique des enfants. Comment et pourquoi ?Sébastien Ponnou, Psychanalyste, professeur des universités en sciences de l'éducation - CIRCEFT-CLEF, EA 4384, Université Paris 8 – Vincennes Saint-DenisDiane Bedoin, Professeure des Universités en Sciences du langage, Laboratoire DYLIS, Université de Rouen NormandieDominique Méloni, Maîtresse de conférences en sciences de l’éducation, spécialité psychologie de l’éducation. Psychologue clinicienne, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Laurent Lescouarch, Professeur des Universités en Sciences de l'Education, Université de Caen NormandieMaryan Lemoine, Maitre de conférences en sciences de l'éducation et de la formation, Université de LimogesXavier Briffault, Chercheur en sciences sociales et épistémologie de la santé mentale au Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société (CERMES3), Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2034822023-05-04T20:17:54Z2023-05-04T20:17:54ZÉduquer sans sanctionner ? Les malentendus de l’éducation positive<p>Comment réagir face aux caprices et aux actes de désobéissance d’un jeune enfant ? L’envoyer dans sa chambre pour le punir, est-ce être trop strict ou cela revient-il à lui fixer des limites nécessaires ? En ce printemps 2023, psychologues et familles se divisent de nouveau sur ces questions, ravivant le <a href="https://www.courrierinternational.com/article/vu-des-etats-unis-la-france-en-plein-debat-sur-les-limites-de-l-education-positive">débat autour d’une éducation sans contrainte et sans sanction, ou « positive »</a> – un idéal qui pourrait recouvrir de douces et dangereuses illusions.</p>
<p>Nul ne contestera qu’il fallait débarrasser le processus éducatif de toute violence physique et psychologique. <a href="https://theconversation.com/fessees-gifles-cris-les-enfants-humilies-font-des-adultes-fragilises-73669">La brutalité éducative</a> des siècles passés fait froid dans le dos. De la férule au bonnet d’âne, du <a href="https://theconversation.com/sanctions-scolaires-a-propos-de-la-rehabilitation-des-lignes-106372">pensum</a> au cachot, la liste des pratiques punitives déployées est terrible et presque infinie, comme l’a montré le <a href="https://www.puf.com/content/Dictionnaire_du_fouet_et_de_la_fess%C3%A9e_Corriger_et_punir"><em>Dictionnaire du fouet et de la fessée</em></a> récemment publié aux Presses universitaires de France. Le monde de la littérature n’a pas manqué de se faire l’écho de ces dérives. Pensons à Balzac dans <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/oeuvre/Louis_Lambert/149638"><em>Louis Lambert</em></a>, à Jules Vallès dans <a href="https://editions.flammarion.com/lenfant/9782081444867"><em>L’Enfant</em></a> ou encore à Paul Verlaine dans <a href="https://www.babelio.com/livres/Verlaine-Mes-prisons/16540"><em>Mes prisons</em></a>.</p>
<p>Cependant, bannir toute forme de violence ne revient pas à condamner l’autorité. La contrainte a ses vertus, la sanction aussi. Il est étonnant dans ce débat de voir comment l’histoire éducative est souvent falsifiée, voire tout simplement oubliée.</p>
<h2>L’école sans contrainte : l’échec d’une utopie</h2>
<p>Rappelons qu’une école sans contrainte et sans sanction a déjà existé, à travers l’expérience des <a href="https://www.jstor.org/stable/41201465">maîtres-camarades de Hambourg</a>, dans les années 1920. « Dès les premiers jours, les maîtres annoncèrent à leurs élèves qu’il n’existait plus de punition ni de sanction, qu’il ne serait plus question d’interdiction ou d’un règlement quelconque qui pourrait les gêner dans leur usage de leur pleine liberté », écrit <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jakob_Robert_Schmid">Jakob Robert Schmid</a> qui rapporte cette étonnante expérience dans <em>Le maître-camarade et la pédagogie libertaire</em>.</p>
<p>Les maîtres de Hambourg pensaient que seule la liberté, entendue comme absence de contrainte, pouvait faire émerger les trésors de l’enfance. Les maîtres ne voulaient plus être des maîtres : « Nous voulons enfin commencer à vivre fraternellement avec les enfants de l’école : nous voulons vivre avec eux en vrais camarades. »</p>
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<img alt="Lithographie d’Honoré Daumier où un élève prend la place du maître d’école" src="https://images.theconversation.com/files/523826/original/file-20230502-28-eldrum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/523826/original/file-20230502-28-eldrum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/523826/original/file-20230502-28-eldrum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/523826/original/file-20230502-28-eldrum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/523826/original/file-20230502-28-eldrum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=583&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/523826/original/file-20230502-28-eldrum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=583&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/523826/original/file-20230502-28-eldrum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=583&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Attends… j’te vas en donner… du maitre d’école », Honoré Daumier, lithographie, 1846.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Honor%C3%A9_Daumier,_Attends..._j%27te_vas_en_donner..._du_maitre_d%27%C3%A9cole,_1846,_NGA_6228.jpg">National Gallery of Art, CC0, via Wikimedia</a></span>
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<p>Cette expérience a incarné dans sa forme la plus radicale l’utopie d’un espace éducatif expurgé de toute forme de contrainte. Celle-ci s’est terminée par un retentissant échec, d’autant plus amer que, pendant plus de dix ans, ces maîtres novateurs ont fait preuve d’un enthousiasme peu commun. Zeidler, un des inspirateurs, dut reconnaître non sans tristesse que</p>
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<p>« partout où l’on se laissa guider par une confiance sans bornes dans le tact des enfants, dans leur force de volonté, dans leur persévérance, dans la sûreté de leur instinct et dans la tolérance des individus à former une communauté […], on vit se former des bandes d’indisciplinés ».</p>
</blockquote>
<p>Ne nous trompons pas, l’enfant a besoin d’être guidé et parfois contraint. Freud le dit, on ne peut plus clairement, dans ses <em>Nouvelles conférences</em> : « Lui donner la liberté de suivre toutes ses impulsions est impossible. Ce serait une expérience très instructive pour les psychologues, mais les parents n’y pourraient pas tenir et les enfants eux-mêmes subiraient de graves dommages ». Le travail éducatif appelle surtout à encourager, soutenir, valoriser, mais il ne peut se passer d’interdiction.</p>
<h2>La portée éducative de la sanction</h2>
<p>Les adeptes de l’idéologie du ni-ni (ni contrainte ni sanction) se réfèrent souvent pour étayer leur thèse à des expériences éducatives qui, contrairement à ce qu’ils peuvent dire, n’ont jamais banni la sanction. <a href="https://www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/histoires-de-musique/iasnaia-poliana-l-ecole-de-tolstoi-6010076">L’école de Iasnaïa Poliana</a>, ouverte par Tolstoï en 1859 pour quelques petites années, et qui est souvent citée comme modèle avait en fait recours à l’exclusion et à la privation.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/repenser-la-sanction-un-defi-pour-lecole-131370">Repenser la sanction, un défi pour l’école</a>
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<p><a href="https://theconversation.com/pedagogie-montessori-les-ressorts-dun-engouement-qui-dure-105269">Maria Montessori</a> est également convoquée. Or la <a href="https://www.reseau-canope.fr/savoirscdi/societe-de-linformation/le-monde-du-livre-et-de-la-presse/histoire-du-livre-et-de-la-documentation/biographies/maria-montessori.html">Casa dei Bambini</a>, qui rassemblait de très jeunes enfants, mentionne dans son règlement intérieur de 1913, que seront expulsés de l’école les « indisciplinés » et les enfants « négligés et sales ». Il y avait aussi des sanctions à Summerhill, l’école fondée en 1921 par le <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/libres_enfants_de_summerhill-9782707142160">pédagogue écossais Alexander Neill</a>, et qui se voulait un lieu libre. Or, qu’y découvre-t-on ?Des sanctions comme l’amende, l’avertissement, la corvée y étaient distribuées… par d’autres enfants érigés en tribunal. Le progressisme n’est pas toujours là où on le pense.</p>
<p>D’une manière générale, les écoles qui ont prétendu faire l’économie de toute sanction sont souvent des écoles qui ont accueilli des effectifs restreints, voire choisis, contrevenant ainsi au principe d’hospitalité. Ce sont aussi des écoles qui ont caché leurs pratiques punitives sous de prétendues sanctions « naturelles ». Ce sont enfin – chose qui n’est guère admissible – des écoles où les adultes se sont débarrassés du droit de punir pour le léguer aux enfants, comme ce fut le cas dans la célèbre école de Summerhill.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dejouer-les-pieges-de-leducation-positive-avec-la-philosophie-de-hegel-194869">Déjouer les pièges de l’éducation positive avec la philosophie de Hegel</a>
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<p>Les perspectives les plus novatrices ne sont pas celles qui ont tenté d’évincer la réalité de la sanction mais celles qui se sont attachées à lui donner une portée éducative. Elles ont notamment montré qu’une <a href="https://www.cairn.info/la-sanction-en-education--9782130591498.htm">sanction éducative</a> poursuit toujours une triple fin : réaffirmer une règle partagée, responsabiliser un jeune en train de grandir et lui signifier une limite. Elles ont également montré qu’une sanction éducative pouvait prendre une forme privative.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ujZ-tGUNUHw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Caroline Goldman : « On raconte une très belle histoire sur la parentalité qui est peu réaliste » (France Inter, avril 2023).</span></figcaption>
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<p><a href="https://theconversation.com/repenser-la-sanction-un-defi-pour-lecole-131370">La sanction éducative</a> est suspensive, elle suspend momentanément un droit, un pouvoir. Elle rétrécit, un instant, le champ des possibles et des opportunités. D’une phrase, elle réduit momentanément la puissance du sujet. « Je ne t’adresserai plus la parole car tu n’as pas arrêté cet après-midi de dire des choses désagréables ». « J’arrête de t’aider car, de ton côté, tu ne fais pas ce que tu dois faire, tu ne respectes pas le contrat ». « Retourne à ta place, tu pourras nous rejoindre quand tu auras vraiment envie de travailler et de t’impliquer ».</p>
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<p>Arrêtons de penser la sanction comme une peine, ce n’est plus à l’ordre du jour, la page est tournée. La sanction n’est pas là pour faire mal mais pour faire sens. Elle peut aussi, dans certaines circonstances, prendre une forme restaurative. « Tu as sali ce mur, tu vas maintenant le laver » ; « Tu n’arrêtes pas d’embêter le petit Paul, tu vas lui montrer ce que c’est que d’être grand, et tu vas l’aider à faire ses devoirs jusqu’à la fin de la semaine ». Réparer, c’est certes réparer quelque chose, c’est aussi et surtout réparer à quelqu’un.</p>
<h2>La règle, contrainte et garantie de droits</h2>
<p>L’idéologie du ni-ni revient aujourd’hui au galop avec l’éducation positive. Comme l’a bien vu <a href="https://journals.openedition.org/ries/8819">Denis Jeffrey, professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Laval</a>, on commence par taire et par renommer. On joue sur les mots à défaut de faire œuvre de pensée : « L’enseignant devient un accompagnateur ou un facilitateur, la règle une attente, la punition une conséquence ».</p>
<p>Assumons les mots : un enseignant enseigne, une règle est une règle. Peut-être est-il bon de rappeler qu’il y a trois lignes de sens dans l’idée de règle :</p>
<ul>
<li><p>Qui dit règle dit régularité. Une règle est ce qui revient de manière régulière, en ce sens elle est prévisible ;</p></li>
<li><p>Issue du latin « regere » (diriger), la règle contraint ;</p></li>
<li><p>Enfin, ne l’oublions pas, elle garantit des droits. Éduquer n’est pas imaginer des stratagèmes pour dissimuler les règles sociales sous de prétendues contraintes naturelles, comme le suggère <a href="https://theconversation.com/enseigner-lautonomie-les-lecons-de-rousseau-face-a-notre-monde-en-reseau-174296">Rousseau dans l’<em>Émile</em></a> ; éduquer consiste à faire passer l’enfant d’une conception religieuse de la règle à une conception juridique, de <a href="https://www.justice.gouv.fr/histoire-et-patrimoine-10050/les-symboles-de-la-justice-21974.html">Thémis</a> à <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-cours-du-college-de-france/l-essence-des-lois-le-nomos-grec-et-la-lex-dans-le-droit-romain-1359534">Nomos</a>.</p></li>
</ul>
<p>Car la conception première est toujours religieuse. La règle est inévitablement appréhendée par l’enfant comme une instance transcendante (extérieure) et immuable. Elle est vécue comme une limite à ses projets, à ses désirs et à ses envies. Impressionnante et intimidante, elle incite, aussi paradoxale que cela puisse paraître, au jeu et à la transgression.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/apprendre-a-grandir-un-combat-a-mener-avec-susan-neiman-167066">Grandir</a>, c’est s’ouvrir à une conception juridique qui enferme trois caractéristiques sensiblement différentes. L’enfant comprend qu’on peut participer à la construction de la règle. Certes, une fois élaborée, elle accède à une forme de transcendance, mais cette transcendance est seconde. Elle est aussi modifiable : on peut la changer, l’améliorer, l’adapter. La règle est alors vécue moins comme une limite que comme un lien. Elle nous relie en exigeant les mêmes devoirs et en garantissant les mêmes droits. Le cœur du travail éducatif est précisément de faire entrer chaque enfant dans ce rapport apaisé et intelligent à la règle.</p>
<p>Plus fondamentalement, comment ne pas voir que, dans le procès éducatif, la contrainte a toute sa place. Disons-le déjà, elle n’est pas la violence. Elle apparaît de manière immédiate comme négative, mais elle enferme une positivité car elle est invitation à devenir autre. Quand elle est devenue autocontrainte, elle est conservée tout en étant dépassée car la capacité à s’autocontraindre offre la capacité à se rendre disponible. La contrainte ne me contraint plus, elle me libère car « la vraie liberté, comme le disait Montaigne, c’est de pouvoir toute chose sur soi ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203482/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eirick Prairat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Bannir la violence de l’éducation ne signifie pas condamner le principe même de l’autorité. L’histoire a d’ailleurs montré qu’une éducation sans sanction pouvait conduire à l’impasse.Eirick Prairat, Professeur de Philosophie de l’éducation, membre de l’Institut universitaire de France (IUF), Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1737732022-02-22T18:46:36Z2022-02-22T18:46:36ZMaternelle : l’autonomie des enfants, nouvelle priorité éducative ?<p>L’« autonomie » de l’enfant est devenue un leitmotiv de la société actuelle. Les institutions éducatives la recherchent, tout comme les parents. Et le monde du marketing n’est pas en reste : il nous a été donné de voir une paire de chaussures vantée pour… ses scratchs censés développer l’autonomie de leur très jeune propriétaire ! </p>
<p>Comment comprendre l’omniprésence de cette valeur contemporaine ? Quels en sont les enjeux ? Critiquer cette quête de l’autonomie enfantine est-il possible ? Ces questions supposent de revenir sur l’histoire des représentations du développement psychologique de l’enfant, ainsi que sur l’histoire de l’école.</p>
<p>En effet, l’évolution du statut de l’enfant à l’école maternelle est emblématique de la montée en puissance de ces injonctions à l’autonomie. Dans les années 1960-70, cette institution était considérée comme un « avant », voire un « ailleurs », vis-à-vis de l’école, préparant certes aux disciplines scolaires mais étant aussi un lieu de jeux et de fêtes, marqué par des relations affectives entre les enfants et la maîtresse.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lenfant-a-t-il-encore-une-place-a-la-maternelle-47607">L’enfant a-t-il encore une place à la maternelle ?</a>
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<p>Depuis les années 1980, les politiques éducatives n’ont eu de cesse de réformer cette institution pour la réorienter sur la transmission des apprentissages scolaires. La maternelle a été de plus en plus pensée comme le premier moment de l’école, jusqu’à devenir <a href="https://theconversation.com/instruction-obligatoire-des-3-ans-la-garantie-dune-ecole-plus-juste-114123">obligatoire en 2019</a>. Davantage que jadis, les enseignants doivent y justifier leur travail et montrer que de nombreux apprentissages ont lieu, réalisations des enfants à l’appui.</p>
<h2>Des émotions aux apprentissages</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-pedagogie-2020-4-page-156.htm">Une logique « productiviste »</a> se met ainsi en œuvre dès l’entrée en maternelle (2-3 ans). Les maîtresses n’ont pour ainsi dire plus le temps d’apprendre à l’enfant à devenir élève, mais ont besoin qu’il le soit déjà pour mener à bien les multiples activités scolaires attendues, avec un rythme dense. Dans ce contexte, se développent des attentes d’autonomie de l’enfant, aux multiples facettes.</p>
<ul>
<li><p>Il s’agit d’abord d’une autonomie dans les apprentissages scolaires : savoir se concentrer, réaliser seul une tâche jusqu’au bout, décoder les informations nécessaires pour la bonne réalisation de l’activité, etc.</p></li>
<li><p>Il s’agit aussi d’une <a href="https://www-cairn-info.distant.bu.univ-rennes2.fr/revue-les-sciences-de-l-education-pour-l-ere-nouvelle-2019-3-page-53.htm">autonomie affective</a>. L’enfant doit vite jouer son rôle d’élève, ce qui suppose un certain état émotionnel : capacité à ne pas jouer avec les camarades lors des moments d’activité par exemple, « maîtrise » de certaines émotions peu propices au travail scolaire, etc.).</p></li>
<li><p>Il s’agit enfin d’une autonomie dans la gestion de ses propres soins corporels. Les maîtresses de maternelle se pensent, plus encore que jadis : elles sont également plus diplômées, ce qui n’est pas sans lien), comme des enseignantes. Dès lors, elles considèrent que ce n’est pas de leur ressort de s’occuper de la dimension corporelle et hygiénique de l’enfant. Les enfants s’avèrent ainsi <a href="https://ijse.padovauniversitypress.it/issue/9/3">bien moins accompagnés</a> notamment aux toilettes qu’il y a une cinquantaine d’années.</p></li>
</ul>
<p>Ces attentes d’autonomie ne touchent pas que l’école maternelle. À la crèche, Catherine Bouve <a href="https://www.cairn.info/conjuguer-la-sante-de-l-enfant-et-de-la-famille-au--9782749248875-page-45.htm">s’inquiète d’évolutions similaires</a>. Nous avons pu constater que plusieurs crèches considèrent le développement de l’autonomie comme plus important que le développement de la sociabilité, par exemple.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/podcast-accompagner-la-rentree-en-creche-leveil-avant-tout-187480">Podcast « Accompagner la rentrée en crèche » : L’éveil avant tout ?</a>
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<p>Cette autonomie est alors notamment travaillée dans le cadre de l’habillage, du déshabillage, ou lors des moments de repas. Il s’agit de savoir faire seul, et tôt, sans avoir besoin de l’adulte.</p>
<h2>Une forme d’individualisme</h2>
<p>Plusieurs critiques peuvent être énoncées face à cette recherche d’autonomie enfantine. Premièrement, il apparaît que l’autonomie pourrait porter en creux la vision d’un individu n’ayant presque plus besoin des autres. Une forme d’individualisme, voire de solipsisme, pourrait être contenu au sein même de la notion. Cela est d’autant plus problématique que, côté enfant, l’apprentissage suppose toujours une interaction, un accompagnement par un autre, qui ouvre des voies nouvelles, ce que Vygotski nomme <a href="https://www.cairn.info/l-esprit-piagetien--9782130508922-page-237.htm">« zone proximale de développement »</a>.</p>
<p>Certaines pédagogies actuellement en vogue qui mettent au centre la notion d’autonomie, notamment d’inspiration montessorienne, aboutissent à <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-pedagogie-2020-2-page-119.htm">limiter les moments collectifs en classe</a>, par exemple, en supprimant les coins « regroupement » à l’école maternelle, symboles d’un apprentissage en commun (entre enfants, et entre enfants et adulte).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1074722056032452609"}"></div></p>
<p>Du côté affectif, il paraît aussi nécessaire de rappeler que l’enfant a besoin de liens. Même si les travaux de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Bowlby">Bowlby</a> ont été travaillés et en partie nuancés depuis les années 1950-60, ils avaient montré la nécessité de l’attachement (et du regard « positif » de l’adulte) pour que l’enfant développe un rapport « secure » de soi à soi.</p>
<p>À ce titre, certains ouvrages à destination des parents d’aujourd’hui (ici encore, d’inspiration montessorienne) inquiètent lorsqu’ils font primer l’activité individuelle et solitaire de l’enfant sur la relation à autrui, et ce, dès l’âge du bébé. C’est négliger que toute réalisation personnelle s’inscrit aussi dans un collectif, une communauté, qui lui donne sens et constitue un horizon d’attente.</p>
<p>Ces questions se posent d’autant plus du côté des enfants qui possèdent le moins de ressources à jouer ce rôle d’apprenant solitaire et autonome. Les enfants de milieu populaire ont moins été acculturés à jouer ce rôle d’élève ou pratiquer des jeux éducatifs ; les enfants vulnérables au niveau psychoaffectif (ceux par exemple qui ont subi des violences) ont sûrement davantage besoin d’une attention spécifique, etc.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/petite-enfance-ces-contraintes-qui-pesent-encore-sur-le-choix-des-modes-de-garde-162704">Petite enfance : ces contraintes qui pèsent encore sur le choix des modes de garde</a>
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<p>Dès lors, on saisit que la notion d’autonomie peut être le cache-sexe d’une logique de déresponsabilisation de la prise en charge des moins bien dotés. Au-delà de la petite enfance, il est par exemple attesté que les logiques qui entourent la prise en charge des chômeurs en réfèrent de plus en plus à des logiques de responsabilisation et d’« autonomie » (puiser en soi, en ses ressources supposées, <a href="https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2010-4-page-78.htm">être « acteur »</a>, plutôt que d’être accompagné par autrui ou la collectivité).</p>
<p>Dans les institutions de la petite enfance, l’enfant qui n’apprend pas comme attendu, ou ne joue pas la partition émotionnelle attendue, peut alors se voir reprocher son manque d’autonomie, qui peut aussi éventuellement être renvoyé aux parents.</p>
<h2>Liberté ou mise en ordre ?</h2>
<p>On saisit ainsi que l’autonomie est, in fine, liée à la notion d’ordre social. Que ce soit à l’école ou dans la famille, l’enfant autonome est un enfant qui fait seul, et précocement, ce que l’on attend de lui, sans que l’adulte ait besoin de le lui rappeler. Il est donc aussi profondément obéissant.</p>
<p>La croissance de la notion d’autonomie nous paraît à corréler à des attentes de mises en ordre sociales plus affirmées, fussent-elles en apparence parfois moins visibles. Ce n’est pas un hasard que la notion d’autonomie connaisse aussi un <a href="https://journals.openedition.org/nrt/10083">grand succès dans le monde du travail</a>. Le travailleur contemporain n’est pas dirigé à la baguette ; il a des marges d’initiative dont il est attendu qu’il se saisisse pour être créatif, force de proposition, de plus en plus performant, etc. Les écarts à cette discipline implicite n’en sont pas moins dûment réprimandés.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1436200261916270594"}"></div></p>
<p>En somme, la recherche d’autonomie de l’enfant pourrait être liée à la diffusion de valeurs néo-libérales : dissolution des solidarités, valorisation des « potentiels » supposés de chacun, délaissement des moins bien dotés, dans une société où la contestation est de moins en moins possible.</p>
<p>Initialement, le mot d’« autonomie » veut dire « se fixer ses propres règles », ce qui paraît très loin de l’usage actuel de la notion, qui consiste plutôt à se conformer à l’ordre social le plus tôt possible, et sans qu’il y ait besoin de rappel, au point même que l’on oublie qu’il s’agisse qu’une injonction (cela semble venir de l’enfant).</p>
<p>Pour conclure, la notion pourrait être retournée contre l’usage qui en est aujourd’hui fait, pour identifier des visions de l’éducation contraires à celles que nous venons de décrire. Accéder à l’autonomie serait apprendre, notamment grâce à autrui, à remettre en cause ces attentes de mises en ordre précoces, possiblement différentes de ce que l’individu-enfant veut pour lui-même et qui reste à inventer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173773/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ghislain Leroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour aider un enfant à grandir, le développement de l’autonomie doit-il primer par exemple sur celui de la sociabilité ? Retour sur une norme qui gagne du terrain, de l’école maternelle aux familles.Ghislain Leroy, Maître de conférences en sciences de l'éducation, chercheur au laboratoire CREAD, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1673872021-09-14T21:49:41Z2021-09-14T21:49:41ZDébat : Pourquoi y a-t-il si peu d’écoles alternatives en France ?<p>Les écoles « différentes », c’est-à-dire celles dont le projet se situe dans la filiation des pionniers de l’éducation nouvelle (Freinet, Montessori, Steiner, Freire, Oury…), ont en commun la mise en œuvre de méthodes actives et une approche globale des savoirs ; il s’agit de partir des intérêts et des questionnements de l’élève, une approche globale des savoirs, le <a href="https://www.canal-u.tv/video/etlv/olivier_francomme_actualite_internationale_de_la_pedagogie_freinet.59971">respect des rythmes</a> de chacun, le développement de l’autonomie et la responsabilisation.</p>
<p>En France, ces pédagogies sont <a href="https://www.revuepolitique.fr/pedagogies-alternatives-a-la-recherche-dune-autre-ecole/">peu développées</a>. Le contraste <a href="http://www.afdece.com/content/revues/RFEC15.pdf">avec la situation d’autres pays</a> est saisissant. On dénombre 22 000 <a href="https://www.actes-sud.fr/node/42138">écoles Montessori</a> dans le monde, mais seules <a href="https://www.ecoles-libres.fr/statistiques/">296 écoles en France</a> s’en réclament. Le mouvement Waldorf-Steiner compte <a href="https://www.freunde-waldorf.de/fileadmin/user_upload/images/Waldorf_World_List/Waldorf_World_List.pdf">plus de 3000 établissements</a> sur les cinq continents, mais seulement <a href="https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2021/07/14/la-pedagogie-steiner-un-cas-d-ecole-pour-ses-partisans-comme-pour-ses-detracteurs_6088265_3451060.html">22 écoles françaises</a>. La <a href="https://www.canal-u.tv/video/etlv/olivier_francomme_actualite_internationale_de_la_pedagogie_freinet.59971">pédagogie Freinet</a> serait pratiquée par 300 000 enseignants dans le monde, mais il n’existe que 21 écoles maternelles et primaires publiques « Freinet » en France.</p>
<p>Que ce soit dans le public ou dans le privé, en France, les écoles alternatives sont toujours restées minoritaires et à la marge des systèmes scolaires. Comment expliquer cette situation ?</p>
<h2>Retour sur le contexte institutionnel</h2>
<p>Tout d’abord, ces écoles et ces pédagogies ne bénéficient en France d’aucun soutien institutionnel. Dans le public, les écoles, collèges et lycées « différents », « expérimentaux », sont très peu nombreux. Comme nous l’avons montré <a href="https://www.cairn.info/revue-specificites-2017-1-page-119.htm">dans une étude longitudinale</a>, leur nombre est très stable sur la longue durée. Ainsi, les collèges et lycées « différents » de l’Éducation nationale étaient au nombre de 9 en 1983, et ils sont toujours 9 en 2021. Quant aux <a href="http://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/19035">écoles primaires Freinet</a>, il en existait 20 en 2001, 23 en 2013, et autant en 2021. Seules les structures alternatives pour les décrocheurs de plus de seize ans se sont multipliées depuis une décennie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-ecoles-montessori-et-freinet-evitons-les-malentendus-116844">Débat : Écoles Montessori et Freinet, évitons les malentendus !</a>
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<p>Certes, des établissements « différents » publics ont ouvert depuis quarante ans, mais dans le même temps, d’autres ont été fermés,</p>
<p>Quant aux écoles expérimentales publiques, elles sont pour la plupart d’entre elles fragilisées par des remises en cause et des tracasseries administratives. Ainsi, en juin 2019, la Fédération des établissements scolaires publics innovants <a href="https://www.fespi.fr/communique-de-presse-les-etablissements-experimentaux-de-leducation-nationale-fragilises/">avait alerté</a> sur la situation subie par la majorité des structures expérimentales du second degré de l’enseignement public : non-renouvellement des postes ou non-nominations des enseignants formés à ces pédagogies, remise en cause des projets, fin des dispositifs spécifiques…</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1071996921835913216"}"></div></p>
<p>Dans le privé, les écoles hors contrat ne bénéficient d’aucune subvention, et la pression institutionnelle à leur égard s’est amplifiée. L’instauration de la loi Gatel en 2018 a rendu la création d’une école privée hors contrat plus longue et plus complexe en renforçant le contrôle du maire et des services de l’État au moment de l’ouverture et en élargissant la liste des motifs d’opposition. La loi « confortant le respect des principes de la République » adoptée en juillet 2021 a instauré la possibilité de fermer par simple décision administrative une école hors contrat.</p>
<p>Ainsi, dans le privé comme dans le public, les équipes porteuses de projets innovants se voient imposer des conditions de fonctionnement précaires et sont sans cesse aux prises à des demandes de « normalisation » qui épuisent et découragent les promoteurs de ces pédagogies.</p>
<h2>Une conjonction de facteurs</h2>
<p>Comment expliquer l’attitude des autorités publiques ? La réponse à cette question est complexe. Le blocage n’est pas dû, pour prendre une image, à un « gros caillou », mais à une multitude de « grains de sable ».</p>
<p>En premier lieu, la France est un pays de tradition centralisatrice et unitaire. <a href="https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/41766">En Belgique, en Flandre</a>, chacun peut ouvrir une école à condition que le programme soit accepté par l’administration régionale et que les enseignants aient le diplôme requis ; l’école est alors subventionnée. Au Québec, un groupe de parents qui le souhaite a le droit – un droit établi dans la loi pour l’instruction – de demander la création locale d’une école alternative. Cela a permis <a href="https://repaq.org/wp-content/uploads/2020/12/Fonder-une-e%CC%81cole-alternative-au-Que%CC%81bec.pdf">l’ouverture de 7 écoles publiques différentes</a> entre 2010 et 2016. En France, l’idée que les citoyens peuvent initier un projet d’école ne fait pas partie de nos habitudes culturelles.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1074722056032452609"}"></div></p>
<p>Deuxièmement – mais ceci est lié à ce qui précède – l’attachement à l’idée d’égalité conduit souvent à penser que l’égalité des chances passe par un même enseignement dispensé à tous : tous les élèves français devraient suivre le même programme, avoir exactement le même nombre d’heures de mathématiques, entendre le même discours au même moment… Et ce, indépendamment de la variété des besoins, de la vitesse d’apprentissage, et des uns et des autres. L’idée que plusieurs chemins pourraient permettre de parvenir au même but n’est pas présente. Dans ce contexte, il n’y a pas de place pour la diversité éducative.</p>
<p>Troisièmement, la France est un pays où les exigences académiques sont fortes et où la priorité est donnée à la transmission du savoir. A l’opposé, dans les pays du Nord de l’Europe et les pays anglophones, le bien-être et l’épanouissement de la personnalité <a href="https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2010-4-page-46.htm">sont mis en avant</a> en priorité. Ce constat est valable pour l’ensemble du système scolaire français, mais c’est pour la maternelle qu’il est le plus vif.</p>
<p>Depuis le milieu des années 1980, le jeu libre et la place des activités artistiques ne cessent de diminuer, les programmes sont toujours plus contraignants et plus axés sur les apprentissages fondamentaux, sur le modèle de l’élémentaire. Les textes officiels qui entrent en vigueur en septembre 2021 sont focalisés sur les disciplines (lire, écrire, compter…), <a href="http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/12/15122020Article637436125234706744.aspx">avec des évaluations</a> dès l’âge de 2-3 ans.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/instruction-obligatoire-des-3-ans-la-garantie-dune-ecole-plus-juste-114123">Instruction obligatoire dès 3 ans : la garantie d’une école plus juste ?</a>
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<p>Un quatrième facteur explicatif est à chercher du côté de la formation des élites. Ces représentations sont particulièrement fortes chez les cadres de l’Éducation nationale, peu formés à accepter les « pas de côté ». Le mode de désignation de la hiérarchie joue dans ce sens. « Il y a bien vacances de postes, appel à candidatures, mais finalement les candidats les plus rénovateurs ne sont pas admis à concourir », <a href="https://www.decitre.fr/livres/eduquer-et-former-9782912601018.html">affirmait</a> Antoine Prost en 1998 à propos de l’inspection générale. Cela n’a pas changé depuis. Les membres de l’institution sont aussi d’anciens très bons élèves : ils leur est difficile de mettre en question un système qui leur a permis de réussir.</p>
<h2>Des enjeux de représentation</h2>
<p>Il y a une petite vingtaine d’années, <a href="http://www.marielaureviaud.sitew.fr/fs/Root/dznc5-Hugon_Viaudrendezvousmanque_s.pdf">nous avions écrit</a> avec Marie-Anne Hugon un article analysant la faible diffusion des pédagogies différentes en France. Nous affirmions alors qu’elles étaient peu répandues parce qu’elles étaient très mal connues, notamment de la part des familles ; et que leur représentation dans l’opinion publique était souvent péjorative. Depuis, cette situation a nettement évolué.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/tKO4BLhdlSI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande-annonce du documentaire « Être et devenir » sur le homeschooling.</span></figcaption>
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<p>L’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication leur a permis de se faire connaître très largement. La réalisation et la diffusion de vidéos, devenues plus faciles techniquement, ont permis de diffuser sous une forme plus accessible, à la fois un discours critique vis-à-vis du système scolaire (comme le montre par exemple le <a href="http://www.alphabet-derfilm.at/">documentaire « Alphabet »</a>) et une meilleure connaissance des alternatives – en témoigne, parmi d’autres, le succès du film <a href="http://www.etreetdevenir.com/EED.fr.html">« Être et devenir »</a>.</p>
<p>Un mouvement en faveur d’une éducation plus respectueuse des enfants, dans un souci d’écoute et de respect de leurs besoins et de leurs émotions (« parentalité positive ») se développe, et favorise aussi la recherche d’une forme scolaire plus bienveillante. Dans un contexte d’accentuation du consumérisme scolaire et de défiance croissante <a href="https://journals.openedition.org/ries/3059?lang=en">à l’égard de l’École</a> où rechercher le « meilleur » établissement pour son enfant est devenu la norme, un nombre croissant de familles souhaitent que leurs enfants puissent bénéficier des pédagogies nouvelles.</p>
<p>Du côté des enseignants, il est plus difficile de mesurer à quel point la connaissance et la représentation des pédagogies nouvelles a évolué. Leur formation ne fait quasiment <a href="https://www.cairn.info/revue-specificites-2017-1-page-119.htm">aucune place</a> à ces pratiques alors qu’on sait que c’est un des <a href="https://www.alphil.com/index.php/a-paraitre/l-ecole-autrement-les-pedagogies-alternatives-en-debat.html">facteurs</a> favorisant le développement de ces pratiques. On peut, à l’opposer, citer des exemples étrangers : ainsi, en <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=numero&no=53944&no_revue=926&razSqlClone=1">République tchèque</a>, des programmes américains sont proposés clés en main aux étudiants en formation qui peuvent par ailleurs choisir de se spécialiser dans les pédagogies alternatives. En Belgique, à Liège, depuis 2010, une formation continue est mise en place sur trois ans pour les enseignants des écoles Freinet, ce qui a largement contribué au développement des écoles Freinet dans cette ville.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1115477150222704641"}"></div></p>
<p>Les enseignants français connaissent donc mal ces pédagogies. Une étude récente du ministère de l’Éducation nationale a montré récemment qu’au collège, la <a href="https://www.education.gouv.fr/premiers-resultats-de-l-enquete-sur-les-pratiques-d-enseignement-epode-en-2018-au-college-305057">majorité d’entre eux</a> « plébiscitent un mode d’enseignement caractérisé par une démarche directe, structurée et fortement guidée », autrement dit une pédagogie traditionnelle. Une des raisons à cette situation est qu’ils se sentent peu formés et peu compétents pour s’engager dans des pratiques autres : par exemple, moins de 25 % d’entre eux déclarent se sentir capables d’<a href="https://www.education.gouv.fr/la-formation-continue-un-levier-face-la-baisse-du-sentiment-d-efficacite-personnelle-des-enseignants-10007">aider les élèves</a> à développer leur esprit critique.</p>
<p>Certes, un nombre croissant d’enseignants découvrent les pédagogies différentes par d’autres moyens que celui de la formation institutionnelle et souhaitent s’en inspirer dans leurs classes, par exemple en <a href="https://www.cairn.info/revue-specificites-2019-1-page-14.html">favorisant le travail en autonomie</a>, en développant le travail en classes « inversées » ou « flexibles » ou la <a href="https://www.lenfantdanslanature.org/l-enfant-dans-la-nature">pédagogie de la nature</a>. Mais nombreux sont ceux qui doutent de leur efficacité et préfèrent le maintien de routines professionnelles qui présentent l’avantage d’être familières à tous, enseignants, parents, élèves. Au final, la question de la diffusion des pédagogies nouvelles touche aux représentations, c’est-à-dire à un domaine très éloigné du rationnel.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167387/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Laure Viaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>On parle beaucoup aujourd’hui de la pédagogie Montessori ou de classe dans la nature. Mais si ces approches suscitent la curiosité, peu d’écoles s’en revendiquent encore par rapport à d’autres pays.Marie-Laure Viaud, Maîtresse de conférences en sciences de l'éducation, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1554992021-03-23T19:00:18Z2021-03-23T19:00:18ZEt si l’école « tenait » grâce aux pédagogies différentes ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/387264/original/file-20210302-15-1imzpxa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C4%2C995%2C661&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les pédagogies « différentes » regroupent des démarches, certes hétérogènes, mais qui ont en commun de se démarquer de la pédagogie « traditionnelle » caractérisée, pour le dire vite, par un enseignement magistral, identique pour tous.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/back-school-concept-people-sign-wood-1290567466">Shutterstock</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Les pédagogies « différentes » regroupent un vaste ensemble de démarches, certes hétérogènes (pédagogies Freinet, Montessori, Steiner…), mais qui ont en commun de se démarquer de la pédagogie « traditionnelle » caractérisée, pour le dire vite, par un enseignement magistral, identique pour tous, instaurant des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89valuation_sommative">évaluations sommatives</a> (c’est-à-dire visant à évaluer un niveau) et ne s’appuyant pas sur les questions et les connaissances des élèves.</p>
<p>Mais, quelle place ces pédagogies différentes tiennent-elles dans le système éducatif français ? Entre établissements privés et publics regroupés, en partie, au sein de la FESPI (Fédération des établissements scolaires publics innovants) et les écoles où un seul enseignant ou une petite équipe les mettent en place, il est difficile de dresser un état des lieux précis.</p>
<p>Les données disponibles permettent néanmoins de considérer que leur place est marginale dans le système éducatif français : ainsi Marie-Laure Viaud <a href="https://www.nathan.fr/catalogue/fiche-produit.asp?ean13=9782092788509">estimait</a>, dans son ouvrage de 2008, à environ 20 000 les enfants scolarisés dans des écoles pratiquant de telles pédagogies.</p>
<p>A cela, il convient d’ajouter une partie des quelques centaines d’innovations recensées et les maîtres qui expérimentent telle ou telle pratique (texte libre, entretien du matin, projet…) dans leur classe, ce qui est encore plus difficile à quantifier.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1071996921835913216"}"></div></p>
<p>Malgré cette place marginale, les <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/18056011-comprendre-les-pratiques-et-pedagogies-differentes-yves-reuter-berger-levrault">pédagogies différentes</a> font l’objet de polémiques récurrentes et médiatisées qui portent sur les principes d’enseignement (le pouvoir ou non des élèves sur la vie scolaire, la possibilité qui leur est donnée de s’exprimer, les conceptions de la discipline…), les fonctionnements et leurs effets indésirables (la confusion qui risquerait d’exister entre activités et apprentissages, la quantité d’implicites…), le public concerné (qui serait plutôt favorisé) ou encore les résultats qui ne seraient pas vraiment probants. Les positions exprimées, rarement appuyées sur des études détaillées, sont généralement tranchées.</p>
<h2>S’efforcer de comprendre et de décrire</h2>
<p>Je me suis efforcé de surmonter ces a priori, en demeurant très prudent et en évitant de verser dans une dérive apologétique : il existe en effet des pédagogies alternatives très différentes et des manières variées de les faire vivre. Je me suis appuyé sur des recherches de durée conséquente et croisant de multiples techniques de recherche.</p>
<p>J’ai ainsi travaillé sur les <a href="https://www.cairn.info/revue-les-sciences-de-l-education-pour-l-ere-nouvelle-2013-3-page-13.htm">expérimentations</a> instaurées par la loi « Fillon ». J’ai aussi étudié, pendant cinq ans, avec une équipe pluridisciplinaire, la pédagogie Freinet <a href="https://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article21#:%7E:text=Fonctionnements%20et%20effets%20d%E2%80%99une%20p%C3%A9dagogie%20alternative%20en%20milieu%20populaire,%E2%80%99Harmattan%2C%20Paris%2C%202008.&text=L%E2%80%99ouvrage%20dirig%C3%A9%20par%20Yves,%C3%A0%20en%20%C3%A9valuer%20les%20effets.">dans un milieu très défavorisé</a>. Et, plus récemment, je me suis attaché à comprendre la pédagogie de projet mise en place <a href="http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2019/12/18122019Article637122509561121670.aspx">dans l’école Vitruve</a>, une des plus anciennes écoles pratiquant une pédagogie différente à Paris.</p>
<p>De fait, au-delà des simplifications hâtives, les fonctionnements instaurés et leurs effets sont complexes à décrire. La compréhension de ce qui est mis en place nécessite, outre une véritable humilité et un temps conséquent sur le terrain, le croisement de nombre de données issues de différentes techniques (observations, questionnaires, entretiens, analyses de documents sollicités ou non…), des échanges formels ou informels avec les divers acteurs (enseignants, élèves, parents d’élèves, personnel de service, intervenants ponctuels…), ainsi que la prise en compte de multiples dimensions (apprentissages disciplinaires ou non disciplinaires, éducation à la citoyenneté, bien-être, climat scolaire…).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1073562192010756098"}"></div></p>
<p>Je ne reviendrai pas sur tous ces éléments que je développe dans mon dernier ouvrage, <em>Comprendre les pratiques et pédagogies différentes</em>, dans lequel je propose en outre un référentiel afin de mieux comprendre et analyser les fonctionnements et effets produits ainsi qu’une analyse des obstacles que rencontre la diffusion de ces pédagogies, obstacles dont une partie tient d’ailleurs, parfois, à certaines rigidités du discours des militants pédagogiques.</p>
<h2>Les pédagogies différentes : une nécessité ?</h2>
<p>J’ai encore essayé de mettre au jour quelques éléments, susceptibles de relativiser certaines polémiques. On peut certes émettre des critiques à l’encontre des démarches différentes. Le débat est absolument légitime.</p>
<p>Encore ne faudrait-il pas oublier les effets problématiques, soulignés par différentes enquêtes internationales, des démarches classiques qui demeurent dominantes en France : lassitude et burn-out d’un certain nombre d’enseignants, problèmes de niveau des élèves comparé à d’autres pays, ennui ou décrochage…</p>
<p>De fait, les pédagogies différentes se développent finalement tout autant sur les convictions et les engagements de certains que sur les faiblesses et les dysfonctionnements des pratiques scolaires classiques : manque d’information ou de compagnonnage avec les familles, imposition systématique sans la moindre latitude dans les tâches et les manières de les effectuer, situations peu motivantes, manque de coopération, de différenciation, d’écoute et de prise en compte des connaissances possédées par les élèves, évaluations aux critères souvent flous et tendant à stigmatiser les erreurs…</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1327968946201485313"}"></div></p>
<p>Certaines de ces difficultés amènent d’ailleurs nombre de familles à confier leur enfant à des établissements qui pratiquent des pédagogies différentes. Elles conduisent aussi certains enseignants à modifier leurs pratiques pour retrouver le goût d’enseigner, obtenir un climat plus apaisé et des résultats plus satisfaisants.</p>
<p>Il conviendrait aussi de se rappeler que les pédagogies différentes sont nées, au moins en partie, des problèmes rencontrés par les pédagogies classiques, que les dispositifs pour élèves en difficulté se sont appuyés et s’appuient souvent encore sur des pratiques issues des pédagogies alternatives et que nombre d’expérimentations dans des lieux particulièrement difficiles empruntent les dispositifs qu’elles mettent en œuvre aux pédagogies différentes.</p>
<p>De même, nombre de structures de lutte contre le décrochage scolaire s’appuient, elles aussi, sur de tels dispositifs afin de redonner goût et sens à la scolarité. On pourrait ainsi dire que ces pédagogies ont été et demeurent des laboratoires vivants et des sources de renouvellement pour les pratiques pédagogiques.</p>
<p>Par conséquent, je dirais volontiers que la marginalité quantitative que j’évoquais en ouverture de cet article peut faire écho à ce que Jean‑Luc Godard a exprimé à plusieurs reprises à propos de la fonctionnalité des marges. Tel a été le cas le 7 mars 1987, lors de la remise des César du cinéma français, lorsqu’il a été couronné d’un « César d’honneur ». Jean‑Pierre Elkabach l’avait alors présenté comme l’« éternel marginal du cinéma » et avait déclaré « tout drôle de ·le voir là, au milieu des professionnels du cinéma ». Jean‑Luc Godard avait alors eu cette réplique demeurée célèbre : « Vous savez, la marge c’est ce qui fait tenir les pages ensemble. ».</p>
<p>Les relations entre les démarches pédagogiques différentes et le système scolaire sont, peut-être, au moins en partie, du même ordre. La question vaut en tout cas la peine d’être posée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155499/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yves Reuter ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Même si la proportion d’écoles pratiquant des pédagogies alternatives reste marginale dans le système éducatif, elles constituent des laboratoires vivants et décisifs pour repenser les apprentissages.Yves Reuter, Professeur émérite en didactique, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1474792020-10-05T21:47:34Z2020-10-05T21:47:34ZInstruction à domicile : de quoi parle-t-on ?<p>Le 2 octobre, lors de son discours du détaillant les mesures du plan d’action de lutte contre les séparatismes, le président de la République Emmanuel Macron a annoncé qu’à partir de la rentrée 2021, l’instruction à l’école sera obligatoire pour tous, dès 3 ans, et que l’instruction à domicile serait limitée aux impératifs de santé.</p>
<p>Ce type d’éducation alternatif qu’est l’école à la maison se trouve ainsi sous le feu des projecteurs. Comment définir ce mode d’apprentissage qui, tout en étant très marginal, est en progression depuis plusieurs années ? En quoi les mesures actuelles vont-elles changer les choses pour les familles ?</p>
<h2>Un mode d’éducation ancien et légal</h2>
<p>La loi Ferry du 28 mars 1882 instaure l’instruction obligatoire, qui se déroule au sein d’établissements scolaires, publics ou privés, ou dans les familles. Cette disposition est toujours aujourd’hui en vigueur à travers <a href="https://www.codes-et-lois.fr/code-de-l-education/article-l131-2">l’article L.131-2</a> du Code de l’Éducation.</p>
<p>Ce choix souligne que c’est l’instruction qui est obligatoire, et non l’école, mais aussi que, d’un point de vue historique, l’éducation des enfants relève de la prérogative des parents. En construisant une institution scolaire publique pour tous depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, l’État a marginalisé ce mode d’éducation parentale, tout en lui conservant un statut légal en France au nom de la liberté d’enseignement.</p>
<p>À ce titre en restreignant l’instruction à domicile « notamment à des impératifs de santé », le président de la République a assuré <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/10/02/lutte-contre-les-separatismes-l-instruction-scolaire-a-domicile-sera-strictement-limitee-a-annonce-macron_6054520_3224.html">avoir pris</a> « une décision, sans doute l’une des plus radicales depuis les lois de 1882 et celles assurant la mixité scolaire entre garçons et filles en 1969 ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Macron interdit l’enseignement à domicile sauf pour raisons de santé dès 2021 (<em>Huffington Post</em>, 2 octobre).</span></figcaption>
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<p>Il ne s’agit toutefois pas d’une interdiction mais d’une limitation stricte de la liberté d’enseignement en famille, ce qui évitera les recours pour inconstitutionnalité.</p>
<h2>Une alternative en progression</h2>
<p>Dans son intervention le président de la République a souligné la « nécessité » d’une telle mesure par les risques que fait peser l’essor de ce mode d’apprentissage. Plus de 50 000 enfants pratiqueraient l’instruction à domicile en 2020. <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/10/02/lutte-contre-les-separatismes-l-instruction-scolaire-a-domicile-sera-strictement-limitee-a-annonce-macron_6054520_3224.html">Une augmentation</a> par rapport au chiffre donné de 41 000 à la rentrée 2019 et 35 000 en 2018.</p>
<p>C’est toutefois un <a href="https://www.editions-hatier.fr/livre/les-pedagogies-alternatives-9782401034921">courant éducatif alternatif</a> qui reste très marginal et représente moins de 0,5 % des enfants en âge d’être scolarisés. Néanmoins, c’est une augmentation notable d’autant plus que les contours de ce mouvement émergent, objet d’étude et de <a href="https://journals.openedition.org/rfp/8581">recherches</a> récent, sont encore peu connus.</p>
<p>La non scolarisation apparaît comme une opposition à l’école comme institution en tant que telle, publique ou privée. Mais ces <a href="https://www.pug.fr/produit/1751/9782706145643/refus-et-refuses-d-ecole">refus de l’école</a> sont liés à de multiples choix des familles qu’ils soient médicaux, pédagogiques, humains, environnementaux, alimentaires, mais aussi, sans qu’aucun chiffre ne soit donné, religieux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1280831113716523009"}"></div></p>
<p>La législation actuelle définit deux cas de non-scolarisation. Tout d’abord, l’instruction à domicile comme « choix » de la famille où l’instruction peut être dispensée par les parents ou toute autre personne de leur choix sans qu’aucun diplôme ne soit requis. C’est ce premier cas qui est remis en cause dans le plan présidentiel du 2 octobre 2020.</p>
<p>Ensuite, les cas où l’enfant ne peut être scolarisé, pour de multiples raisons et en particulier médicales. Les services du rectorat donnent dans ce cas un avis favorable pour une inscription au Centre national d’enseignement à distance (CNED). Par ce biais, les enfants non scolarisés ont la possibilité d’obtenir un enseignement avec un suivi pédagogique effectué par un professeur et un relevé de notes.</p>
<p>Actuellement, après la déclaration de l’instruction dans la famille, <a href="http://www.ac-toulouse.fr/dsden12/cid132294/education-inclusive.html">deux enquêtes</a> sont menées par les services publics :</p>
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<li><p>D’une part, une enquête à caractère social, afin de vérifier que l’instruction est dispensée dans des conditions compatibles avec l’état de santé de l’enfant et le mode de vie de la famille.</p></li>
<li><p>D’autre part, une enquête à caractère pédagogique, afin de s’assurer que l’enseignement dispensé est conforme au droit de l’enfant à l’instruction.</p></li>
</ul>
<p>Un contrôle annuel vise à vérifier la progression de l’enfant dans le cursus mis en œuvre par les personnes responsables en fonction de leurs choix éducatifs.</p>
<h2>Des contrôles de plus en plus stricts</h2>
<p>Le président de la république <a href="https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/separatismes-qui-sont-ces-enfants-qui-ne-vont-pas-a-l-ecole-7800875529">a dénoncé le fait</a> que des enfants soient « déscolarisés parce que leurs parents ne veulent plus qu’ils suivent l’école de la République ». Cette situation marque la vigilance de plus en plus étroite envers des modes d’éducation « hors système ».</p>
<p>La méfiance des gouvernements envers la non scolarisation est internationale. Si dans certains pays, comme l’Allemagne, l’instruction à domicile est déjà réduite à des cas exceptionnels, les restrictions et les contrôles sont de plus en plus stricts, comme en Espagne ou en Grèce, lorsque ce mode d’éducation est encore légal.</p>
<p>Depuis avril 2018, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000036798673?r=bQqWdt8KQ8">loi Gatel</a> a renforcé les contrôles des écoles hors contrat. Toujours en 2018, le plan national de prévention de la radicalisation visait à améliorer l’organisation et la mise en œuvre du contrôle des familles non scolarisantes.</p>
<p>En 2019, la <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/269264-loi-ecole-de-la-confiance-du-26-juillet-2019-loi-blanquer#:%7E:text=La%20loi%20abaisse%20l%E2%80%99%C3%A2ge,jusqu%E2%80%99%C3%A0%20ses%2018%20ans.">loi du 26 juillet 2019</a>, dite de « l’école de la confiance », précise dans son article 19 le besoin d’un renforcement du contrôle de l’instruction au nom même d’un droit pour tous à l’éducation.</p>
<h2>Éducation à domicile et écoles hors contrat</h2>
<p>Le discours du 2 octobre a créé un lien direct entre les séparatismes, l’instruction à domicile et les écoles hors contrat qui sont les réelles cibles des mesures contre le séparatisme religieux. La porosité existe entre les familles non scolarisantes et certaines écoles hors contrat. Ces dernières, qui ne reçoivent aucun subside public, peuvent ne pas suivre les programmes mais sont toutefois assujetties au socle commun de connaissances, garant d’un suivi des apprentissages.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/separatisme-une-loi-est-elle-vraiment-necessaire-146683">Séparatisme : une loi est-elle vraiment nécessaire ?</a>
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<p>Certaines de ces écoles accueillent une partie du temps scolaire des familles qui souhaitent que leurs enfants puissent acquérir une vie sociale. Mais, clairement, l’amalgame entre les deux formes d’éducation est préjudiciable aux familles qui ont fait des choix éducatifs hors de toute considération religieuse ou doctrinaire. Par ailleurs, sur les 1700 établissements privés hors contrat, un tiers seulement sont des établissements confessionnels, les autres étant des établissements laïques et alternatifs pratiquant par exemple la pédagogie Montessori.</p>
<p>Emmanuel Macron a parlé d’écoles illégales fermées, souvent administrées par des extrémistes religieux. Depuis 2018, une dizaine d’écoles hors contrat sont soupçonnées d’endoctrinement religieux. Le ministre de l’Éducation nationale Jean‑Michel Blanquer souligne que cette loi contre le séparatisme améliorera l’arsenal juridique pour protéger les enfants de tout embrigadement. La question même des modalités de cette nouvelle loi est posée.</p>
<p>Les mesures annoncées ont été un <a href="https://www.france24.com/fr/20201003-l-%C3%A9cole-obligatoire-d%C3%A8s-trois-ans-scandalise-les-familles-qui-pratiquent-l-instruction-%C3%A0-domicile">coup de tonnerre</a> pour les parents qui pratiquent l’instruction à domicile. Le plan d’action détaillé le 2 octobre vise à assurer « l’école pour tous ». Clairement, la suspicion sera plus grande envers ce mode d’éducation et les contrôles renforcés seront plus stricts.</p>
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<figcaption><span class="caption">Des parents du Limousin s’opposent à la fin de l’école à domicile (France 3 Nouvelle-Aquitaine).</span></figcaption>
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<p>Ce rappel que l’institution scolaire est le garant d’une instruction commune en permettant à tous les enfants de se rencontrer fait de l’école l’élément majeur de notre démocratie, comme le rappelle <a href="http://www.meirieu.com/LIVRES/ce-que-lecole-peut-encore-pour-la-democratie.htm">Philippe Meirieu</a>. L’école publique reste le lieu privilégié de la mixité sociale, des échanges et des apprentissages, encore faut-il qu’on lui en donne les moyens.</p>
<p>Quels seront les choix futurs des familles qui pratiquent actuellement l’instruction à domicile ? Assistera-t-on à une politique « attractive » de l’enseignement privé pour attirer ces familles ? A contrario, l’école publique se devra d’être exemplaire en étant inclusive, à l’écoute de tous les parents soucieux du bien être de leurs enfants. Être conforme à ses engagements est le seul moyen d’être l’école de tous.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147479/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Wagnon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis la loi Ferry de 1882, c’est l’instruction, et non l’école, qui est obligatoire en France. Alors que l’école à la maison progresse, les annonces d’Emmanuel Macron le 2 octobre changent la donne.Sylvain Wagnon, Professeur des universités en sciences de l'éducation, Faculté d'éducation, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1324662020-02-26T20:24:24Z2020-02-26T20:24:24ZÀ la recherche d’une meilleure école ? Regards sur un tour du monde des pédagogies<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/317167/original/file-20200225-24664-197niv9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C22%2C997%2C688&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour réinventer l'école, il est important de tirer les leçons d'expériences menées dans différents pays et contextes.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><em>Les voyages forment la jeunesse, dit-on. La popularité de programmes d’échanges universitaires comme Erasmus ne dément pas cette idée. Et si voir de nouveaux horizons aidait aussi à mieux enseigner ? Certains acteurs de l’éducation n’hésitent pas en tout cas à se lancer dans de véritables périples pour repérer de <a href="https://www.letelegramme.fr/france/juliette-perchais-dans-une-classe-il-faut-des-regles-30-08-2019-12370015.php">bonnes pratiques</a> et <a href="https://www.vousnousils.fr/2012/07/10/2-enseignants-font-le-tour-du-monde-des-ecoles-en-2-cv-530384">se confronter</a> à d’autres points de vue sur leur métier.</em></p>
<p><em>Désormais professeur des écoles en région parisienne, Émile Le Menn a relaté son tour du monde sur un <a href="https://tourdumondedespedagogies.com/">blog</a> puis dans un <a href="https://www.editions-retz.com/pedagogie/domaines-transversaux/l-ecole-autrement-mon-tour-du-monde-des-pedagogies-alternatives-9782725636757.html">livre</a> aux éditions Retz, dont Sylvain Connac, spécialiste des pédagogies coopératives, nous propose une lecture.</em></p>
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<p>Dans sa vie d’élève puis d’éducateur, Émile Le Menn a trouvé « beaucoup à redire à nos écoles françaises ». Au-delà du manque de contact avec la nature, de la liberté de mouvement restreinte dans des classes de petite taille où règne l’enseignement magistral, il regrette le poids des origines sociales sur la réussite et le peu d’échanges avec les parents d’élèves.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/317205/original/file-20200225-24676-1k8oxbp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/317205/original/file-20200225-24676-1k8oxbp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=960&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/317205/original/file-20200225-24676-1k8oxbp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=960&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/317205/original/file-20200225-24676-1k8oxbp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=960&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/317205/original/file-20200225-24676-1k8oxbp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1206&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/317205/original/file-20200225-24676-1k8oxbp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1206&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/317205/original/file-20200225-24676-1k8oxbp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1206&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Comment transformer l’école sans se réfugier dans des propositions qui ne seraient que de « la poudre aux yeux » ? Alors qu’il prépare le concours de professeur des écoles, Émile Le Menn décide de répondre à cette question par un tour du monde des écoles alternatives. En 7 mois, il a ainsi parcouru 9 pays (France, Allemagne, Royaume-Uni, Finlande, Norvège, Canada, Autriche, Émirats arabes unis, Nouvelle-Zélande), pour visiter 18 écoles différentes.</p>
<p>Durant ce périple, il dit avoir été amené à « invalider » bon nombre de ses idées initiales sur l’éducation. Il revient de ce voyage, non pas avec LA méthode pédagogique idéale, mais avec des idées précises de ce que pourrait devenir une école accessible et profitable à tous, et qu’il relate dans <a href="https://www.editions-retz.com/pedagogie/domaines-transversaux/l-ecole-autrement-mon-tour-du-monde-des-pedagogies-alternatives-9782725636757.html"><em>L’école autrement</em></a>.</p>
<h2>Pédagogies nouvelles en questions</h2>
<p>La solution pour refonder l’école est-elle à chercher du côté de l’Éducation nouvelle, sur laquelle les discours abondent actuellement ? De ses visites dans des écoles Freinet, Steiner et Montessori, Émile Le Menn ne retient pas que du bon. Principalement en raison de l’emprise des adultes sur les enfants et parce qu’il trouve que ces pédagogies anciennes, construites dans un monde suranné, évoluent très peu.</p>
<p>Il reconnaît à la pédagogie Freinet son projet révolutionnaire, mais il regrette que l’autonomie accordée aux élèves se fasse dans un cadre très normé. Il apprécie, dans les écoles Montessori où il s’est rendu, les libertés accordées aux enfants, mais il reproche le carcan limité et figé des activités ainsi qu’un manque de vision sociétale, de volonté progressiste en éducation.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/apprendre-a-lecole-freinet-67615">Apprendre à l’école Freinet</a>
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<p>Il se montre surtout perplexe avec les écoles qui fonctionnent en pédagogie Steiner-Waldorf, au sein de l’ensemble plus large de l’anthroposophie, un mouvement d’ésotérisme chrétien que connaissent peu d’enfants et de familles inscrits dans ces établissements. Il admet que cette pédagogie cherche à rendre les enseignements vivants (par des poèmes, des chants, un suivi long des adultes, l’absence de manuels…) mais il conteste la « manière presque industrielle de travailler », les élèves réalisant la même tâche au même moment.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pedagogies-alternatives-une-galaxie-aux-finalites-politiques-variees-107248">Pédagogies alternatives : une galaxie aux finalités politiques variées</a>
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<p>Il apporte également une analyse critique sur des écoles qui, pour nous français, apparaissent comme idéales : celles des pays nordiques, Finlande et Norvège. Il souligne une culture éducative riche, priorisant le bien-être des enfants sur leurs performances et la faible importance accordée à la formation de futurs citoyens adaptés au monde économique.</p>
<p>Mais il est revenu déçu des pratiques pédagogiques observées, pas forcément très modernes, les élèves passant « le plus clair de leur temps assis devant leur professeur à exécuter des tâches qu’il leur attribue ».</p>
<h2>Vers une école démocratique</h2>
<p>Émile Le Menn détaille donc, en synthèse de toutes les observations et des entretiens qu’il a menés, la vision que cette expérience lui a permis de construire : une école « démocratique », beaucoup influencée par des penseurs de l’éducation comme <a href="https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2007-4-page-59.htm">Alexander Neill</a>, <a href="https://www.mamaeditions.com/auteurs/daniel-greenberg">Daniel Greenberg</a> ou <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=auteurs&obj=artiste&no=6728">Bernard Collot</a> (en France). Le projet éducatif qu’il défend laisse les enfants choisir leurs activités scolaires et leur donne la possibilité d’agir sur leur environnement, notamment sur le fonctionnement de leur établissement.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le parcours d’Alexander Neill, par Philippe Meirieu.</span></figcaption>
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<p>La coopération occupe une place forte, puisque les enfants sont encouragés à travailler à plusieurs et à réaliser avec d’autres des productions abouties. Ils se réunissent régulièrement en conseils démocratiques, pour aborder collectivement les projets communs, les problèmes du groupe et ses réussites.</p>
<p>Les enfants peuvent ainsi développer des compétences sociales comme la persévérance, l’autorégulation, la compassion, la gratitude, le courage… « L’un des objectifs est de percevoir les autres est soi-même sous un angle positif. Le petit Patrick n’est pas seulement timide, il est aussi courageux et généreux ! » Une pédagogie de projet est régulièrement pratiquée pour rendre les activités scolaires plus motivantes, plus variées, plus concrètes et transdisciplinaires.</p>
<p>La priorité est donc mise plus sur l’épanouissement personnel que sur la réussite aux évaluations. Le rôle des adultes est de créer l’environnement permettant le bonheur individuel des enfants ainsi que la dynamique de leur collectif. Par exemple, ils interviennent pour faire perdurer leur motivation et constituent des groupes multiâges pour que l’hétérogénéité des élèves devienne une richesse.</p>
<h2>Frustrations et apprentissages</h2>
<p>De notre point de vue, si une école, telle que la dessine Émile Le Menn, parvenait à se construire et à devenir une tradition pédagogique, elle apporterait indéniablement une puissance éducative très enviable.</p>
<p>Toutefois, la collecte très sérieuse de données réalisée dans ces 18 écoles n’a pas permis de mettre à jour d’autres éléments constituant l’acte d’éduquer. En effet, la place des savoirs est très peu évoquée dans cette enquête. Ils apparaissent seulement à travers l’idée d’une variété d’activités qui dépasse les seules (et quelques) disciplines habituellement enseignées à l’école.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/repenser-la-sanction-un-defi-pour-lecole-131370">Repenser la sanction, un défi pour l’école</a>
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<p>Cet enrichissement du milieu est surtout pensé pour les enfants qui peuvent difficilement compter sur la richesse de leur contexte familial. C’est, entre autres, à cette fin que les familles soient invitées à entrer dans l’école pour proposer des ateliers aux enfants.</p>
<p>Or, même si l’expérience de ce voyage souligne bien l’importance de la nécessaire tension entre l’individu et le groupe, elle ne montre pas assez celle propre à tout acte éducatif : émanciper et acculturer.</p>
<p>Plusieurs fois, il ressort que les contraintes seraient problématiques pour les enfants. « Un enfant que l’on frustre, que l’on coupe dans ses envies peut difficilement être heureux ». Or, la philosophie de l’éducation, couplée aux recherches en sociologie de l’éducation ou en psychologie de l’enfance rappellent régulièrement la richesse de ces frustrations, qui, sans devenir des violences, sont des sources réelles de désirs, de dépassements et donc d’ouvertures et d’apprentissages.</p>
<p>Ces frustrations concernent souvent, à l’école, l’absence de savoirs. Lorsqu’ignorer devient problématique et au moment où ces manques sont comblés, les savoirs se présentent telles des « épaules de géants », comme le décrivait <a href="https://www.cahiers-pedagogiques.com/Jean%E2%80%91Pierre-Astolfi-une-oeuvre-a-redecouvrir">Jean‑Pierre Astolfi</a>. Grâce à l’appropriation de ces éléments de culture, le monde est plus accessible et sa compréhension est facilitée par ce que d’autres, avant nous et ailleurs, ont pu mettre à disposition de notre entendement.</p>
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<figcaption><span class="caption">Professeure de français, Juliette Perchais explique pourquoi elle s’est elle aussi lancée dans un tour du monde des écoles (Le Huffington Post).</span></figcaption>
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<h2>Plaisir d’enseigner</h2>
<p>Au sein d’une école démocratique, Émile Le Menn explique que les adultes doivent « se garder d’exposer les enfants à des savoirs déterminés arbitrairement et donc ne proposer aucune activité tant que les élèves n’en ont pas fait la demande ». Il regrette en même temps que certaines de ces écoles ne cherchent pas à faire rencontrer aux enfants des domaines dont ils ignorent l’existence. Or, l’épanouissement est aussi possible par la culture, il ne dépend pas seulement du sentiment d’être heureux et d’appartenir à un groupe.</p>
<p>Nous défendons même que c’est un rôle essentiel des enseignants que de susciter le désir de savoir chez leurs élèves. Bien évidemment, pas en les soumettant à des flots d’informations sans aucun sens pour eux. Pas plus en tentant de « modeler » leur cerveau en fonction de ce que l’on souhaite qu’ils deviennent. Mais en visant une joie d’apprendre, résultant de réponses obtenues aux questions qu’ils se posent.</p>
<p>Mettre les élèves face à des obstacles, les laisser prendre conscience qu’ils bloquent, entendre leurs questions, puis leur donner les moyens de résoudre avec d’autres ces problèmes à l’aide de savoirs qu’ils n’ont pas encore eu la chance de découvrir. Voilà certainement l’essence de l’école, que les meilleures chaînes YouTube ne pourront jamais compenser. Voici également une raison solide d’atteindre le plaisir d’enseigner, en voyant les élèves réussir ce que précédemment ils n’imaginaient même pas.</p>
<p>Les écoles visitées par Émile Le Menn et décrites dans cet ouvrage ne semblent pas encore arrivées à cette étape de leur évolution. Peut-être en raison d’une <a href="https://www.cairn.info/la-peur-d-enseigner--9782100576630.htm">peur d’enseigner</a>. Peut-être aussi parce que l’on a trop souvent opposé, de manière stérile, une école de l’épanouissement à une école des savoirs. C’est une grande chance que de pouvoir désormais relever ce défi et construire une école digne des enjeux de l’éducation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132466/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Connac ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors qu’il se destinait à devenir professeur des écoles, Émile Le Menn a parcouru 9 pays et visité 18 écoles. Mais a-t-il déniché la clé du système éducatif idéal ?Sylvain Connac, Maître de conférences, Université Paul Valéry – Montpellier IIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1168442019-05-22T18:45:56Z2019-05-22T18:45:56ZDébat : Écoles Montessori et Freinet, évitons les malentendus !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/275951/original/file-20190522-187157-932wvk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C20%2C4608%2C3042&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Si les classes Montessori sont équipées d'un matériel spécifique, leur pédagogie est loin de s'y résumer.</span> <span class="attribution"><span class="source">Bérengère Kolly</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Début mai 2019, France Info publiait un article au titre évocateur, <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/education/enquete-franceinfo-on-s-est-fait-avoir-decus-des-parents-retirent-leurs-enfants-d-ecoles-montessori_3425351.html">« On s’est fait avoir : déçus, les parents retirent leurs enfants d’écoles Montessori »</a>. Le problème est posé en ces termes : « Ce n’est pas à la pédagogie Montessori qu’ils en veulent, mais à la façon dont ces écoles l’ont appliquée ». Cette question ne se pose pas que dans le cadre des écoles Montessori, mais également pour d’autres pratiques comme la pédagogie Freinet. On ne peut parler de ces pédagogies en occultant leurs conditions de mise en œuvre. Voici quelques éléments pour resituer les enjeux et mettre la question des pratiques correctes au centre du débat.</p>
<h2>Un contexte à prendre en compte</h2>
<p>Nous assistons depuis quelques années à un double mouvement de fuite de l’école publique et de <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/08/31/hors-contrat-comment-comprendre-le-succes-des-ecoles-alternatives_5348308_4355770.html">prolifération</a> d’écoles hors contrat, coûteuses, et sans garantie sur la qualité de ce qui y est proposé. Accuser la pédagogie Montessori d’être à l’origine d’un tel mouvement, c’est confondre l’effet et la cause, et ne pas voir que les maux qu’ils entraînent (consumérisme, marketing généralisé) sont ceux de notre société en général.</p>
<p>Au malaise des parents s’ajoute celui des enseignants, confrontés à des injonctions pédagogiques (le <a href="http://cache.media.eduscol.education.fr/file/Actualites/23/2/Lecture_ecriture_versionWEB_939232.pdf">guide</a> pour enseigner la lecture et l’écriture au CP en est un exemple), faites au nom d’une « science » dictant les conduites éducatives et limitant de fait leur liberté pédagogique. Ainsi, ceux qui fuient l’école actuelle semblent rechercher un autre rapport à l’enfance que celui qu’institue l’école de la République.</p>
<h2>Des limites à l’interprétation</h2>
<p>Vouloir enseigner autrement ne suffit pas. Il existe une façon correcte de pratiquer les pédagogies Montessori ou Freinet. Tentons une comparaison avec la musique : il y a une manière juste, pour un musicien, de jouer une partition. Le grand interprète est précisément celui qui sait rendre compte, de la manière la plus profonde et fine possible, de l’intention du compositeur. Le grand interprète est celui qui sait transmettre une émotion ou une vision personnelle tout en restant fidèle à l’esprit de l’œuvre.</p>
<p>Ceci signifie qu’une pratique correcte n’est pas dogmatique, mais rigoureuse, permettant d’accéder au sens véritable de la pédagogie. Il ne s’agit pas de culpabiliser les enseignants, mais de dire qu’il existe des limites identifiables à l’interprétation. Par exemple, réduire la pédagogie Freinet à une pédagogie des droits de l’enfant, ou la pédagogie Montessori à une pensée autoritaire, ou au contraire, laxiste, contredirait les textes.</p>
<p>La rigueur suppose également de rappeler qu’aux techniques et à la pensée s’ajoute un style pour l’éducateur ou l’enseignant : une manière d’être, de construire la relation, qui est identifiable, et non laissée au gré des circonstances ou des personnes, même s’il y a toujours une manière personnelle et créative d’habiter ce style.</p>
<h2>Des lieux de référence</h2>
<p>Comme la partition est une trace de l’intention du compositeur, les textes pédagogiques sont une trace de l’intention du pédagogue et constituent un corpus incontournable. Montessori, comme Freinet, sont des pédagogies systémiques, possédant une cohérence interne, se déployant dans le temps. Pour cela, Montessori comme Freinet ont identifié un lieu de protection et de référence pour les pratiques.</p>
<p>Chez Montessori, il s’agit du contenu des formations protégées par l’<a href="https://montessori-ami.org/">Association Montessori Internationale</a>, créée en 1929, et du matériel, qui constitue un socle indispensable pour permettre l’activité spécifique de l’adulte. Chez Freinet, il s’agit de l’École Freinet de Vence, et de l’<a href="http://ecolefreinet.org/">Institut Freinet de Vence</a> créé en 1964. Bien entendu, ces lieux restent soumis aux aléas de l’histoire, et la question peut se poser de leur légitimité au fil du temps. Mais ils peuvent donner un certain nombre de points de repère.</p>
<h2>Des raccourcis à éviter</h2>
<p>Les publications qui se multiplient sur ces deux pédagogies sont problématiques. Entre erreurs historiques ou réductions à des trucs et astuces qui n’ont parfois rien à voir avec ces pédagogies (« coffrets Montessori », ou gadgets pédagogiques, comme les ceintures de couleurs), ces ouvrages que l’on trouve aux côtés des livres de développement personnel sur les étals des magasins n’apportent rien, ni aux pratiques concrètes, ni aux attentes que suscite le malaise éducatif actuel, car ils sont trop fragmentaires.</p>
<p>Ces deux pédagogues que sont Montessori et Freinet ont fait autorité en matière éducative en dehors de leurs stricts réseaux fermés. Si cette diffusion est positive et contribue aux débats sur l’éducation, le revers de la médaille serait d’enfermer ces pensées dans une suite de procédés « clinquants », selon le mot de Freinet.</p>
<h2>Confronter textes et terrain</h2>
<p>Il n’y a aucun moyen de garantir par avance la qualité des pratiques. Dès lors, un label ou une charte, une formation initiale, et pour le cas montessorien, l’insertion au sein du mouvement Montessori, ne resteront que des indices pour les parents. Notre travail de chercheur, l’un <a href="https://www.hachette.fr/auteur/berengere-kolly">sur Montessori</a>, l’autre <a href="http://pur-editions.fr/detail.php?idOuv=1608">sur Freinet</a>, consiste précisément à rendre compte, de la manière la plus précise possible, à la fois de la lettre et de l’esprit de ces pratiques.</p>
<p>Cela suppose une connaissance réelle des textes et des archives, et engage une immersion dans les pratiques candidates à être considérées comme correctes, en coopération avec des praticiens expérimentés. À ces exigences du chercheur de terrain s’ajoute, pour chacun de nous, une expérience personnelle directe de ces pédagogies. Celle-ci est une aide précieuse pour restituer la teneur et le sens des pratiques.</p>
<h2>Ne pas confondre penseurs et disciples</h2>
<p>Parler de pratiques correctes implique aussi de garder une certaine honnêteté intellectuelle vis-à-vis de la biographie des pédagogues eux-mêmes.</p>
<p>D’abord, il ne faut pas considérer sur le même plan le pédagogue et ses disciples : même du vivant des pédagogues, il existe des disciples autoproclamés qui déforment leur message, ou des praticiens formés qui n’ont pas compris la signification profonde de la pédagogie, comme cela peut arriver dans le Mouvement Freinet. Rendre compte de ces nuances est nécessaire pour ne pas faire dire aux pédagogues ce que nous aimerions qu’ils aient dit.</p>
<p>Ensuite, il est important de lutter contre les mythes et de restituer les ambiguïtés. Le catholicisme de Maria Montessori, par exemple, est à envisager dans toute sa complexité, selon les périodes de sa vie, ses choix de vie, sa proximité avec la théosophie ou sa pensée vitaliste (le vitalisme est condamné par le Vatican en 1907). Concernant Freinet, l’image du bricoleur communiste qui a été véhiculée de l’intérieur du Mouvement Freinet ne correspond en rien à ce que fut l’itinéraire intellectuel de ce pédagogue.</p>
<h2>Des influences à explorer</h2>
<p>Montessori et Freinet portent des intuitions communes que nous souhaitons explorer et mettre en valeur. L’opposition traditionnelle de ces deux pédagogues est non seulement inféconde mais caricaturale. Affirmation d’un respect radical de l’enfance, rôle des pratiques corporelles et de l’expression enfantine, considération de la puissance enfantine, rôle du psychisme et de la régénération : autant de thématiques qui s’adossent également à des sources communes, comme la pensée orientale, sans compter que Maria Montessori a aussi influencé les pratiques d’Élise et Célestin Freinet.</p>
<p>En conclusion, le malaise ressenti par des familles peut les conduire à rechercher hors de l’<a href="https://www.autrement.com/Catalogue/essais-et-documents/la-riposte">école pour tous</a>, laïque et gratuite, des alternatives éducatives. Mais leur éventuelle déception ne devrait-elle pas les motiver à s’investir avec professeurs et chercheurs pour proposer une reconstruction profonde du système d’enseignement ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/116844/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’engouement pour les pédagogies alternatives a son revers : la multiplication d’écoles privées dont la qualité laisse à désirer. Remise en contexte suite aux déceptions exprimées par des parents.Bérengère Kolly, Maîtresse de conférences en sciences de l'éducation, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Henri-Louis Go, Maître de conférences en philosophie de l'éducation, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1147712019-04-08T19:58:57Z2019-04-08T19:58:57ZConnaissez-vous les pédagogies critiques ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/268116/original/file-20190408-2898-199s7lt.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=18%2C46%2C2226%2C1094&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Fresque représentant Paulo Freire, père des pédagogies critiques</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Painel.Paulo.Freire.JPG">Luiz Carlos Cappellano/CEFORTEPE</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Il est à la mode actuellement en France de parler des pédagogies alternatives dans la continuité de l’éducation nouvelle qui, au début du XX<sup>e</sup> siècle, entendait remettre les besoins de l’enfant au cœur du système, et favoriser une posture plus active des élèves. Les auteurs historiques souvent cités sont Steiner, Freinet, Montessori…</p>
<p>Dans un <a href="http://theconversation.com/pedagogies-alternatives-une-galaxie-aux-finalites-politiques-variees-107248">récent article</a>, Sylvain Wagnon a essayé de clarifier cette galaxie, en distinguant notamment deux pôles d’attraction :</p>
<blockquote>
<p>« Les idéaux de mixité sociale et de transformation de l’éducation restent des points d’ancrage forts dans la mouvance Freinet et Decroly alors que les courants Steiner et Montessori mobilisent avant tout le développement de la personnalité. »</p>
</blockquote>
<p>Aujourd’hui en France, le pôle « mixité sociale et transformation » est incarné par les pédagogies Freinet. C’est à cette mouvance que l’on rattache aussi en général le pédagogue brésilien Paulo Freire. Or, s’il existe « des liens pédagogiques, notamment sur les valeurs » entre les deux penseurs, aucun lien n’existe entre les deux penseurs sur les plans historique et géographique, comme l’explique <a href="https://www.eyrolles.com/Loisirs/Livre/les-pedagogies-freinet-9782212570182/">Sylvain Connac</a> dans un entretien au Café pédagogique.</p>
<p>Le travail de Paulo Freire a inspiré un ensemble de pédagogies à travers le monde, que l’on appelle généralement les <a href="https://agone.org/contrefeux/lespedagogiescritiques/">« pédagogies critiques »</a>. Parmi celles-ci on peut citer : la pédagogie critique féministe, la pédagogie anti-raciste et décoloniale, la pédagogie critique de la norme, la pédagogie <em>queer</em>, la pédagogie anti-oppressive, la pédagogie intersectionnelle, l’écopédagogie…</p>
<p>S’il est peu connu en France, Paulo Freire est pourtant l’un des auteurs les plus cités au monde dans le domaine des sciences humaines et sociales, et son œuvre, honnie par le président d’extrême-droite brésilien <a href="http://www.cahiers-pedagogiques.com/Le-president-qui-voulait-baillonner-l-education">Jair Bolsonaro</a>, est étudiée dans les plus prestigieuses universités de la planète, en particulier anglo-saxonnes.</p>
<h2>Une enjeu de transformation sociale</h2>
<p>Paulo Freire (1921-1997) a été parfois en Europe associé à l’éducation nouvelle. Pourtant, il s’en est clairement distancié. Ainsi écrivait-il par exemple dans un <a href="https://iresmo.jimdo.com/2016/12/26/bibliographie-de-paulo-freire-en-fran%C3%A7ais/">ouvrage d’entretien</a>, en 1987 :</p>
<blockquote>
<p>« Il n’y a pas de doute que le mouvement de l’éducation nouvelle, et le mouvement progressiste, ou celui de l’école moderne, ont donné de bonnes contributions pour ce processus d’éducation, mais la critique de l’éducation nouvelle en est restée, en général, au niveau de l’école et ne s’est pas étendue à l’ensemble de la société. La marque d’un engagement sérieux, dans l’éducation libératrice, est pour moi, une critique qui dépasse les murs de l’école. Il ne suffit pas en dernière analyse de critiquer les écoles traditionnelles, ce que nous devons critiquer, c’est le système capitaliste qui a produit ces écoles. »</p>
</blockquote>
<p>Cette phrase permet de comprendre ce qui différencie très nettement la visée de Paulo Freire de celle des pédagogies alternatives. Ce dernier ne vise pas avant tout à transformer les méthodes pédagogiques, mais à transformer la société à travers la pédagogie. En particulier, il s’est illustré dans les dernières années de sa vie par une critique d’un enseignement techniciste au service des impératifs du marché économique néolibéral.</p>
<p>Par conséquent, ce que les continuatrices et les continuateurs de Paulo Freire ont retenu, c’est en premier lieu la finalité qu’il assigne à l’éducation et à la pédagogie. L’éducation vise à développer la conscience sociale des inégalités sociales, des discriminations ou encore des dangers écologiques. Ce processus est appelé « conscientisation ».</p>
<p>Passé dans la langue française, ce terme provient à l’origine de l’œuvre de Freire. Mais cette notion a chez lui à l’origine un sens très précis : celui d’un processus par lequel les opprimés prennent conscience de leur situation sociale d’oppression pour la transformer. C’est la signification du titre de son ouvrage le plus célèbre : <a href="https://www.cairn.info/pedagogie-de-l-autonomie--9782749236391.htm"><em>Pédagogie des opprimés</em></a>, rédigé en 1968. Traduit dans plus d’une vingtaine de langues, il n’est plus à l’heure actuelle disponible en français.</p>
<h2>L’éthique avant la technique</h2>
<p>Mais la pédagogie de Paulo Freire ne se caractérise pas uniquement par sa finalité, même si celle-ci est un point remarquable de sa pédagogie et qui suffirait à pouvoir déjà l’identifier, tant la notion de « conscientisation » est emblématique de cet auteur. Elle met en avant l’agir éthique avant l’agir technique. C’est le sens de son dernier ouvrage publié de son vivant : <a href="https://www.editions-eres.com/ouvrage/3094/pedagogie-de-l-autonomie"><em>Pédagogie de l’autonomie</em></a> (Ères, 2013).</p>
<p>Il doit en partie sa célébrité à une <a href="https://journals.openedition.org/ries/7198">méthode d’alphabétisation</a> des adultes qu’il a élaborée dans les années 1950 et expérimentée par la suite dans plusieurs pays du monde. Néanmoins, au-delà de ce domaine précis, son œuvre a trouvé un écho dans tous les champs de l’éducation, de la maternelle à l’université, en passant par l’éducation populaire.</p>
<p>Ce ne sont pas une méthode et ses techniques qui la caractérisent, mais un certain nombre de principes qui caractérisent « l’agir éthique » pédagogique et norment « l’agir technique » didactique.</p>
<ul>
<li><p>Le premier consiste dans le fait de considérer que nul n’est totalement savant, ni totalement ignorant. Cela conduit en particulier les enseignantes et les enseignants s’inspirant de l’approche freirienne à prendre en compte les savoirs sociaux que possèdent les apprenantes et apprenantes sur leur propre oppression.</p></li>
<li><p>Le deuxième principe consiste à considérer que le processus d’émancipation éducatif fait dialoguer différents types de savoirs. Il s’agit d’un côté des savoirs tirés de l’expérience des apprenants – savoirs sociaux et culturels – et, de l’autre, des savoirs scientifiques théoriques des enseignants.</p></li>
<li><p>Le troisième principe consiste à refuser tout processus éducatif qui conduise à réifier l’être humain. L’éducation ne consiste ni à dresser un animal, ni à programmer une machine. L’éducation est un processus qui consiste à favoriser l’émergence du sujet comme personne morale.</p></li>
<li><p>Enfin, l’éducation est un processus qui vise l’augmentation de la conscience sociale critique afin de développer la capacité des sujets – qu’ils soient socialement opprimés ou socialement privilégiés – à s’engager pour transformer la société vers plus de justice sociale et environnementale.</p></li>
</ul>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/268108/original/file-20190408-2918-1hjgsxu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/268108/original/file-20190408-2918-1hjgsxu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=980&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/268108/original/file-20190408-2918-1hjgsxu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=980&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/268108/original/file-20190408-2918-1hjgsxu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=980&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/268108/original/file-20190408-2918-1hjgsxu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1231&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/268108/original/file-20190408-2918-1hjgsxu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1231&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/268108/original/file-20190408-2918-1hjgsxu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1231&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
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</figure>
<p>Les pédagogies critiques ont commencé à se développer dans les aires linguistiques anglaise, espagnole et portugaise à partir des années 1980. Elles ont trouvé en particulier un champ spécifique d’expansion dans les « éducations à » : éducation à la citoyenneté, à l’égalité, à l’écologie, aux médias, à la sexualité…</p>
<p>Mais elles trouvent des applications également dans les disciplines scolaires plus traditionnelles en s’intéressant aux usages sociaux des mathématiques et des sciences ou encore au développement de la littératie critique. Il apparaît ainsi très étonnant que l’aire francophone soit restée en dehors de ce mouvement pédagogique international.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/114771/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pereira Irène est membre de la Fondation Copernic, Sud Education. </span></em></p>Apparues dans la continuité de l’œuvre du pédagogue brésilien Paulo Freire, les pédagogies critiques désignent un ensemble de pédagogies que l’on confond à tort avec l’éducation nouvelle.Irène Pereira, Professeur de philosophie, chercheuse en philosophie et sociologie, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1072482018-12-09T20:08:14Z2018-12-09T20:08:14ZPédagogies alternatives : une galaxie aux finalités politiques variées<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/248990/original/file-20181205-186064-1rf6vka.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C5%2C991%2C660&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les pédagogies alternatives se revendiquent des courants d'éducation nouvelle, comme la pédagogie Montessori. </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Sur les douze millions d’enfants et adolescents scolarisés en France, seules quelques dizaines de milliers de jeunes seraient inscrits dans des cursus revendiquant des pédagogies alternatives. Des sites de diffusion des militants comme le printemps de l’éducation avancent le chiffre de 60 000 enfants concernés. Un chiffre « officiel » de 24 851 enfants est donné par le rapport de la Miviludes (<a href="https://www.derives-sectes.gouv.fr/sites/default/files/publications/francais/Rapport-au-Premier-ministre_2013-2014_Miviludes.pdf">Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires</a>) pour les enfants non-scolarisés en famille ou à distance.</p>
<p>Si l’on s’arrête aux statistiques, le phénomène peut donc sembler marginal. Néanmoins leur progression est réelle et les discours des militants de ces pédagogies rencontrent un grand écho dans les médias et une partie de la société. Nous avons, dans une étude récente de la <a href="https://journals.openedition.org/trema/4131">revue Tréma</a>, esquissé une analyse de la définition et des contours de cette galaxie hétéroclite.</p>
<p>Quel point commun entre une école « traditionnaliste » religieuse et une école Montessori, entre une école Freinet et le homeschooling ? Analyser cette nébuleuse, c’est tenter d’établir les principes fédérateurs de ces mouvements sans sous-estimer les oppositions entre les acteurs des différents courants. C’est aussi souligner le rôle effectif des initiateurs, des soutiens et des ramifications idéologiques et financières.</p>
<h2>L’éducation nouvelle en héritage</h2>
<p>L’idée d’alternative n’est pas récente puisque les courants d’éducation nouvelle issus des pédagogues Célestin Freinet, Maria Montessori, Rudolf Steiner et Ovide Decroly sont présents en France depuis la première moitié du XX<sup>e</sup> siècle et se sont construits en réaction à l’école traditionnelle. Les pédagogies alternatives du XXI<sup>e</sup> siècle apparaissent différentes dans leurs finalités politiques, leurs modalités et leurs assises scientifiques.</p>
<p>Vu qu’elles se composent principalement d’établissements privés hors contrat, la question des liens avec l’institution scolaire est posée. En étudiant les discours des différents courants, on se rend bien compte que les « attaques » contre l’enseignement public ne sont pas toutes de même nature.</p>
<p>Les militants de l’instruction à domicile sont dans une opposition de principe à l’école mais d’autres mouvements, comme les écoles démocratiques, prônent <a href="https://www.colibris-lemouvement.org/passer-a-laction/creer-son-projet/creer-un-lieu-deducation-alternatif">des stratégies de contournement ou de concurrence au nom de la liberté pédagogique</a>. S’agit-il d’une résistance conjoncturelle ? Cela participe-t-il à la libéralisation et la privatisation de l’éducation ? Ces questions restent encore en suspens.</p>
<h2>Les neurosciences en arrière-plan</h2>
<p>Dans <a href="https://www.autrement.com/Catalogue/essais-et-documents/la-riposte">son dernier ouvrage</a>, Philippe Meirieu a précisé avec lucidité les enjeux des débats actuels entre les tenants d’une école « traditionnelle », les militants de l’éducation nouvelle et les militants des pédagogies alternatives actuelles qui souhaitent de façon radicale redéfinir l’ensemble des relations pédagogiques par une condamnation de la domination adulte. Philippe Meirieu les définit comme des « hyperpédagos », ce qui peut être discuté, car certains militants refusent l’idée même de pédagogie perçue comme outil de domination de l’enfant.</p>
<p>Derrière cette typologie se décèle un clivage politique. Les mouvements Freinet, mais aussi dans une moindre mesure Decroly, revendiquent une finalité émancipatrice et une transformation politique de l’éducation, alors que les mouvements alternatifs actuels se disent le plus souvent « apolitiques » en mettant en avant « l’évidence » du développement personnel légitimé par les neurosciences. Cependant, ce refus d’être « étiqueté » n’empêche pas un discours et des pratiques qui renvoient à des univers politiques et pédagogiques bien identifiés.</p>
<p>Les pédagogies alternatives du XXI<sup>e</sup> siècle, qu’elles soient hors ou dans l’école, se revendiquent implicitement ou explicitement des courants d’éducation nouvelle du début du XX<sup>e</sup> siècle. Elles en sont parfois des émanations directes, comme c’est le cas pour les écoles Montessori ou les classes Freinet. Néanmoins, les assises scientifiques des deux courants, ne sont pas les mêmes.</p>
<p>Les courants d’éducation nouvelle <a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_2005_num_151_1_3288">sont issus des réflexions et des pratiques</a> de la psychologie de l’enfant et de la psychologie sociale. Les pédagogies alternatives du XXI<sup>e</sup> siècle, tout en reprenant une partie de ce corpus, <a href="http://www.arenes.fr/livre/lois-naturelles-de-lenfant/">légitiment leurs pratiques</a> par les avancées des sciences cognitives et en particulier des neurosciences. On assiste d’ailleurs à une sorte d’alliance entre neuroscientifiques et militants des pédagogies alternatives face à l’enseignement public.</p>
<h2>Sortir des mythes</h2>
<p>Notre analyse de la galaxie des pédagogies alternatives met en avant trois archipels aux finalités politiques divergentes voir antagonistes.</p>
<ul>
<li><p>Le premier archipel est celui des courants historiques de l’éducation nouvelle (Decroly, Montessori, Steiner ou Freinet), bien présents aujourd’hui dans le paysage éducatif français public et privé. Il ne s’agit aucunement d’un « front » commun. Les idéaux de mixité sociale et de transformation de l’éducation restent des points d’ancrage forts dans la mouvance Freinet et Decroly alors que les courants Steiner et Montessori mobilisent avant tout le développement de la personnalité.</p></li>
<li><p>Le second archipel propose un projet pédagogique centré sur la « tradition », sur la transmission des savoirs avant toute socialisation. Cet ensemble est principalement composé d’écoles catholiques traditionnalistes. Ces écoles sont idéologiquement en opposition avec la plupart des écoles alternatives prônant une transformation sociétale. Néanmoins, cette mouvance perçoit dans certaines écoles alternatives, une convergence dans ce contournement de l’enseignement public et dans cette libéralisation de l’éducation.</p></li>
<li><p>Enfin, le troisième archipel, qui aujourd’hui se développe, est une nébuleuse regroupant tout un ensemble d’expériences pédagogiques, d’associations et d’acteurs qui s’appuient sur les concepts d’éducation familiale, de développement personnel et de neurosciences. Son essor reste quantitativement négligeable mais médiatiquement et politiquement très offensif. L’un des aspects nouveaux est cette captation de l’idée d’innovation par des écoles ou expériences qui ne s’attachent pas à une forme éducative particulière. On y assiste à un tiraillement entre un repli individualiste et une volonté de transformer le système en place.</p></li>
</ul>
<p>Hier comme aujourd’hui, l’école est bien évidemment un enjeu politique. La difficulté des réformateurs de l’intérieur du système éducatif public est bien de défendre l’idée d’une école du bien commun, tout en étant critique de ce système éducatif. Cela ne signifie pas que la situation est immuable mais il nous semble qu’il faut sortir des mythes.</p>
<p>L’éducation nouvelle n’est pas un mouvement uniforme, elle n’a pas irrigué de son « pédagogisme » le système éducatif français – les réformateurs restent marginalisés au sein de l’enseignement public. Le combat pour définir une éducation émancipatrice est encore davantage d’actualité face à un individualisme social grandissant et un nationalisme exacerbé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/107248/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Wagnon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Sont-elles un tremplin vers une société plus bienveillante ? Ou marquent-elles une volonté de repli sur soi ? Derrière la diversité des pédagogies nouvelles, il y a toujours des finalités politiques.Sylvain Wagnon, Professeur des universités en sciences de l'éducation, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/965792018-05-17T22:15:22Z2018-05-17T22:15:22ZVu du Moyen Âge : Apprends ou va-t-en !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/219247/original/file-20180516-155579-q53px0.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C47%2C1997%2C1215&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vie de St Cuthbert, British Library, Yale Thompson 26, fol. 35v.</span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Une célèbre peinture, datée de 1394, décore une salle de classe médiévale, à Winchester. On y lit l’inscription suivante : « Ou apprends, ou va-t-en ! ».</p>
<p>Il y a un jeu de mots en latin, qu’on perd à la traduction, puisque « apprends » se dit <em>disce</em> et « va-t-en » <em>discede</em>. C’est donc un calembour, un bon mot, une blague, probablement écrite pour faire rire les élèves. Mais qu’est-ce qu’elle nous dit ?</p>
<h2>Des écoles au Moyen Âge ?</h2>
<p>Contrairement à une image encore très répandue, une part non négligeable de la population médiévale reçoit une instruction, au moins de base. Au début du IX<sup>e</sup> siècle, Charlemagne a même tenté d’implanter un peu partout des écoles pour que tous les garçons puissent y accéder, dans l’idée de former des bons chrétiens, donc des bons sujets.</p>
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<p>À partir du XII<sup>e</sup> siècle, des écoles urbaines se développent un peu partout. C’est une époque d’essor intellectuel, qui va également voir l’<a href="https://theconversation.com/vu-du-moyen-age-luniversite-la-plus-medievale-des-institutions-francaises-84225">apparition des universités</a>. La bourgeoisie urbaine devient de plus en plus riche, et veut jouer un rôle actif dans la société : en Italie apparaissent de nouvelles formes politiques, les régimes communaux des cités États, et des nouvelles pratiques spirituelles, comme les ordres mendiants. Toute cette population comprend très bien l’importance de l’instruction, et envoie ses enfants à l’école, souvent gratuite ou très peu chère ; les filles y vont également. On y <a href="https://actuelmoyenage.wordpress.com/2016/09/08/lire-et-ecrire-cest-du-bouleau/">apprend au moins à lire et à écrire</a>, souvent à compter, et si on est doué on peut enchaîner avec des études supérieures, dans une université ou, comme Dante, dans un <em>studium</em>, une sorte de collège tenu par les Mendiants.</p>
<h2>Apprendre ou partir : la formule de l’échec scolaire ?</h2>
<p>Revenons à notre peinture. Celle-ci semble renvoyer à une approche pédagogique radicalement opposée à la façon dont on conçoit l’éducation aujourd’hui : celle-ci est en effet obligatoire jusqu’à 16 ans en France. Autrement dit, aujourd’hui vous n’avez pas le choix entre apprendre ou partir : même si vous n’apprenez rien, vous êtes tenus de rester.</p>
<p>Pourtant, on n’est pas si loin, avec cette formule, de la façon dont fonctionne notre système : si vous apprenez, vous passez les niveaux, donc vous restez ; alors que sinon les portes se ferment petit à petit, au fil des mauvaises notes et des examens ratés. Bref, vous apprenez ou on vous dit de partir… On sait que cette formule mène à un système scolaire stressant, globalement peu efficace, qui <a href="http://www.lemonde.fr/campus/article/2016/09/27/comment-le-systeme-francais-aggrave-ineluctablement-les-inegalites-scolaires_5003800_4401467.html">reproduit les inégalités sociales</a>. Apprendre ou partir : cela peut même revenir à dire que les élèves qui n’apprennent rien ne méritent pas leur place à l’école, et donc qu’il faut, via des examens et des sélections, écrémer le corps estudiantin à intervalles réguliers. Cette idée est dangereuse et nuisible à l’égalité des chances, qui est l’un des idéaux républicains les plus importants. Les mobilisations des universités au cours de ces dernières semaines soulignent bien l’<a href="https://theconversation.com/parcoursup-la-perennisation-des-inegalites-sociales-94928">importance de ces enjeux</a>.</p>
<h2>L’école, ça fait mal</h2>
<p>En réalité, il y a une troisième partie à cette peinture, qui dit dans sa version intégrale : « apprends, va-t-en ou prends-toi des coups ». Il faut l’entendre, évidemment, au sens propre : au Moyen Âge, les maîtres n’hésitent pas à jouer du bâton pour corriger un élève paresseux ou distrait. Évidemment, plus de coups aujourd’hui dans l’éducation (enfin, sauf quand la police ou les milices d’extrême-droite s’en chargent, mais c’est une autre histoire).</p>
<p>Reste que l’alternative posée par le graffiti du XIV<sup>e</sup> siècle est au cœur de l’éducation telle que la vivent probablement la plupart des élèves aujourd’hui : sois tu apprends et tout va bien, sois tu pars et tu en baves, soit tu t’accroches et tu souffres. On aimerait croire que la majorité des élèves vivent leur parcours scolaire sur le premier mode, mais on peut hélas penser que c’est le troisième qui domine. La <a href="http://souffrance-scolaire.com/">souffrance scolaire</a> n’est pas qu’un mythe ni qu’un mot. Il faudrait vraiment inventer une école où personne ne se prendrait de coups.</p>
<h2>Une éducation active</h2>
<p>Mais on peut aussi entendre le message de cette peinture d’une autre façon : il donne un rôle actif à l’élève. C’est lui qui doit apprendre – autrement dit, décider d’apprendre – ou choisir de partir.</p>
<p>La devise ne dit pas : apprends ou tu ne passeras pas en 5<sup>e</sup>, apprends ou tu n’auras pas ton bac, apprends ou tu n’auras jamais de travail. L’élève est en charge de son propre parcours d’apprentissage : à lui de décider s’il veut rester ou s’il préfère partir. Ce départ d’ailleurs n’est pas présenté comme un échec. Au-dessus du mot « apprends », il y a une mitre d’évêque, car à l’époque l’instruction mène souvent au clergé ; au-dessus de l’expression « va-t’en », il y a une épée et une plume, symboles de professions séculaires. Autrement dit, quitter l’école n’est pas un échec qui condamne tout la vie : cela signifie simplement que l’on s’engage dans une autre voie.</p>
<p>Ce rôle actif de l’élève, c’est probablement le grand point commun de toutes les pédagogies alternatives contemporaines, de Freinet à Montessori. Cela ne revient pas, contrairement à ce que disent leurs détracteurs, à laisser tomber tous les cadres, mais au contraire à multiplier le nombre d’activités proposées, au sein même de la classe, afin de permettre à l’élève de choisir ce qu’il veut apprendre : pendant que certains lisent, d’autres écrivent, comptent, construisent, dessinent (et pas que sur les tables). Comme si, devant chaque activité, on laissait le choix à l’élève : apprends ou pars, pas hors de l’école mais vers une autre activité, et tu reviendras vers la première plus tard. À l’arrivée, on a une école qui respecte davantage les rythmes, les goûts, les envies de chaque élève, et qui fait profiter l’ensemble de la classe de toutes les dynamiques individuelles. Personne ne part, et, surtout, personne ne prend de coups…</p>
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<p><em>Retrouvez l’auteur de cet article sur le blog <a href="https://actuelmoyenage.wordpress.com/">Actuel Moyen Âge !</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/96579/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Florian Besson ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une célèbre peinture, datée de 1394, décore une salle de classe médiévale, à Winchester. On y lit l’inscription suivante : « Ou apprends, ou va-t-en ! ».Florian Besson, Docteur en histoire médiévale de l'Université Paris-Sorbonne et ATER à l'Université de Lorraine (Metz), Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/666172016-10-11T22:47:34Z2016-10-11T22:47:34ZJ’ai lu Céline Alvarez<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/140576/original/image-20161005-20139-xpo5w9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Screen Shot at</span> </figcaption></figure><p>Ceci n’est pas vraiment un article. De forme hybride, ce billet reprend un Storify (@laurencedecock1) de ma lecture de l’ouvrage de Céline Alvarez, tête de vente aujourd’hui, et qui provoque des controverses importantes. La forme est choisie. Elle épouse une nouvelle manière d’occuper les débats publics. Dynamique, percutante, mais solidement référencée, elle vise à fournir une grille de lecture et d’intelligibilité rapide des enjeux.</p>
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<p>« L’enfant naît câblé pour apprendre et pour aimer. Chaque jour, les neurosciences nous révèlent son incroyable potentiel. Pourtant, par manque d’information, nous lui imposons un système éducatif inadapté qui freine son apprentissage et n’encourage pas sa bienveillance innée. Plus de 40 % de nos enfants sortent du primaire avec des lacunes qui les empêcheront de poursuivre une scolarité normale ».</p>
</blockquote>
<p>(Présentation de l’ouvrage <a href="http://www.arenes.fr/livre/lois-naturelles-de-lenfant/"><em>Les lois naturelles de l’enfant</em></a>, de Céline Alvarez, édité aux Arènes en septembre 2016.)</p>
<p>Céline Alvarez, qui a grandi à Argenteuil, s’est consacré à l’enseignement tout en travaillant des pédagogies différentes pour « révéler le potentiel » des enfants. Elle met en place une expérimentation dans une maternelle de Gennevilliers, où elle a enseigné, mêlant pédagogie Montessori et neurosciences. Mais ses concepts, ses travaux et sa pensée sont-ils si <a href="http://www.lemonde.fr/festival/article/2014/09/04/celine-alvarez-une-instit-revolutionnaire_4481540_4415198.html">révolutionnaires</a> ?</p>
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<p>Le livre reprend l’aventure de départ : études de neurosciences et linguistique, concours de PE, <a href="https://lamaternelledesenfants.wordpress.com/">expérimentation en 2011 à Gennevilliers</a>.</p>
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<p>Petit aparté : la méthode Montessori a été inventée au début du XX<sup>e</sup> siècle, en pleine vague de naissance de l’Education Nouvelle. La psychologie de l’enfant est en plein boom, on découvre qu’indexer la réflexion sur l’école à celle des découvertes sur la psychologie de l’enfant serait sans doute intéressant.</p>
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<figcaption><span class="caption">La méthode Montessori remonte au début du XXe siècle.</span></figcaption>
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<p>Et Céline Alvarez de mettre au défi l’Education nationale devant les pratiques qu’elle propose afin de redonner aux enfants le goût de l’école, notamment afin de lutter contre le <a href="http://www.cahiers-pedagogiques.com/Voir-et-comprendre-les-premiers-signes">décrochage scolaire</a>.</p>
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<p>Redevenons un peu sérieux. La réception de cet ouvrage, <a href="http://www.20minutes.fr/societe/1936723-20161005-pourquoi-livre-celine-alvarez-veut-revolutionner-education-carton">réimprimé déjà trois fois</a> en un mois, est énorme, et dit beaucoup de l’état de l’école et des médias.</p>
<p>Pourtant il n’y a presque aucune référence sur l’Education nouvelle ou les pédagogies alternatives, hormis une longue bibliographie anglo-saxonne.</p>
<p>Il existe pourtant des articles notamment sur la <a href="https://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=SOC_080_0099">reliance</a> dont elle traite.</p>
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<p>En lisant certains articles, on peut aussi voir comment on est passé de l’idée d’<a href="https://www.cairn.info/revue-carrefours-de-l-education-2011-1-page-41.htm.">éducation naturelle</a> à celle de « loi naturelle » avec Céline Alvarez.</p>
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<p>J’ai trouvé certains de ses propos sur l’indifférence, le désintérêt pour l’amour de certaines familles défavorisées stigmatisants et violents.</p>
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<p>Il faut aller plus loin, creuser ce qui se trouve derrière les pédagogies <a href="http://www.huffingtonpost.fr/2016/08/28/vrai-faux-ecoles-montessori_n_11661124.html">dites</a> Montessori, éliminer les <a href="https://www.meirieu.com/ARTICLES/educ_nouv_malentendus.pdf">malentendus</a> liés à l’Education nouvelle, se pencher sur son <a href="https://histoire-education.revues.org/1371">histoire</a>.</p>
<p>Pour aller plus loin, lire : <a href="http://www.brunogarnier.com/article-bibliograhie-de-bruno-garnier-67087305.html">Bruno Garnier</a>, <a href="http://www.univ-rouen.fr/version-francaise/outils/m-gutierrez-laurent-180684.kjsp">Laurent Guttierez</a>, <a href="https://www.canal-u.tv/video/eduscol/presentation_du_programme_de_l_enseignement_moral_et_civique_intervention_de_m_kahn_pierre.18662">Pierre Kahn</a>,</p>
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<figcaption><span class="caption">Pierre Kahn sur l’enseignement moral et civique.</span></figcaption>
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<p>Et bien sûr <a href="https://educ19e21e.hypotheses.org/les-membres/membres-associe-es/antoine-savoye">Antoine Savoye</a>, pour l’histoire de l’éducation nouvelle et le GFEN, Mouvement Freinet ICEM, pour son actualité.</p>
<p>Ce Storify soulève quelques questions. La première est inhérente à la place des pédagogies alternatives dans l’école publique. L’expérience relatée a l’avantage de remettre à l’agenda cette question tout en soulevant l’idée d’une hostilité ou frilosité de l’institution ; je n’en suis pas certaine, je pense que certaines pédagogies alternatives sont passées dans les classes et « hybridées » par les pratiques (Freinet, Montessori etc.), mais j’admets le manque de formation des enseignants, surtout dans le Secondaire encore très hostile aux pédagogies.</p>
<p>La seconde question relève de la tendance actuelle à la personnification, voire à la « starisation » de parcours individuels. Si l’on comprend la soif de reconnaissance, on ne peut occulter l’effet d’invisibilisation (voire culpabilisation) de l’immense majorité d’enseignants plus anonymes. Enfin, les subventions privées interrogent l’autonomie du service public et la pénétration de logiques néo-libérales dans l’institution. Ce n’est pas le sujet le moins brûlant.</p>
<p>Tout cela reste à penser, et à débattre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/66617/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Comment interpréter le succès de l’ouvrage de Céline Alvarez ? Ce livre nous parle-t-il vraiment d’école ?Laurence De Cock, Docteure en sciences de l'éducation, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.