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mort – The Conversation
2024-03-11T16:14:31Z
tag:theconversation.com,2011:article/224678
2024-03-11T16:14:31Z
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En Russie, la plainte étouffée des mobilisés et de leurs familles
<p>Le 26 février 2024, le <a href="https://www.kommersant.ru/doc/6533550">premier débat officiel de la campagne présidentielle russe a lieu à la télévision d’État</a>. Des quatre candidats autorisés à concourir, deux sont présents sur le plateau. Un troisième a envoyé un représentant à sa place. Le président sortant Vladimir Poutine, quatrième candidat de cette campagne, a déclaré, comme lors de tous les scrutins précédents, qu’il ne prendrait pas part aux débats.</p>
<p>La campagne électorale de 2024 se déroule dans un contexte sans précédent : la Russie conduit depuis deux ans une guerre de haute intensité contre l’Ukraine ; l’économie russe est placée sous de <a href="https://theconversation.com/russie-les-sanctions-occidentales-commencent-a-faire-effet-221623">lourdes sanctions</a> décrétées par les pays occidentaux ; plusieurs centaines de milliers de Russes ont quitté le pays ; et <a href="https://meduza.io/en/feature/2024/02/24/at-least-75-000-dead-russian-soldiers">au moins 75 000 soldats russes</a> ont perdu la vie sur le front.</p>
<p>On aurait pu s’attendre à ce que le sujet de la guerre soit central dans la campagne électorale. L’un des débats de la campagne a bien été consacré à « l’opération militaire spéciale » et a permis aux trois candidats de dérouler leur positionnement sur la guerre : attachement à la victoire totale pour les candidats communiste (Nikolaï Kharitonov) et nationaliste (Léonid Sloutski), volonté de lancer un processus de négociation pour le candidat se présentant comme libéral (Vladislav Davankov), sans que les contours ou les conditions de cette négociation ne soient précisés.</p>
<p>Cependant, l’essentiel des débats – qui n’ont pas passionné le public russe – ont été consacrés à d’autres sujets : l’éducation, la culture, l’économie, l’agriculture, la démographie, le logement, dans une confrontation routinisée et encadrée… Les candidats eux-mêmes ne se sont pas toujours déplacés pour les débats, se faisant représenter par d’autres personnes appartenant à leurs partis politiques.</p>
<h2>La guerre est l’affaire des familles des soldats</h2>
<p>De l’autre côté du spectre médiatique, la guerre est une réalité bien différente. Sur la chaîne Telegram <a href="https://t.me/putdomo/543">« Le chemin de la maison »</a>, qui regroupe les membres des familles des combattants mobilisés et compte plus de 70 000 abonnés, le deuxième anniversaire de la guerre n’est pas l’occasion d’une autocongratulation, mais d’une commémoration. « Voilà deux ans que l’opération militaire spéciale déchire et brise sans pitié nos cœurs. Détruit les familles. Fabrique des veuves, des orphelins, des personnes âgées isolées », peut-on y lire.</p>
<p>La critique de la guerre est <a href="https://t.me/PYTY_DOMOY/902">explicite</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a deux ans, la Russie tout entière a plongé dans le chaos et l’horreur. Plus personne ne peut faire des projets d’avenir. […] Nous nous sommes tous retrouvés en enfer. Nos familles ont été les premières à être broyées par l’appareil d’État, et votre famille et vos amis risquent de subir le même sort après notre destruction. »</p>
</blockquote>
<p>C’est en septembre-octobre 2022, au moment du déclenchement de la mobilisation militaire qui a permis à l’État russe d’enrôler de force et d’envoyer sur le front ukrainien près de 300 000 civils, souvent à peine formés au combat, que les premiers groupes de familles de soldats se sont formés. Se réunissant devant les administrations locales et postant des vidéos en ligne, ces femmes ne s’opposaient pas au principe de la mobilisation, mais critiquaient son déroulement chaotique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/aAgja19-_as?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéo du 4 novembre 2022.</span></figcaption>
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<p>La consigne donnée par le pouvoir central aux autorités locales était alors d’être réceptives aux demandes de ces familles, et de tenter de résoudre les problèmes qu’elles soulevaient. Après plusieurs mois de silence, le mouvement est redevenu actif à l’approche du premier anniversaire de la mobilisation, à la fin de l’été 2023.</p>
<p>Ce premier anniversaire n’était pas seulement un seuil symbolique : il s’accompagnait d’une attente de démobilisation. Si la durée de l’enrôlement n’était précisée dans aucun document ni formalisée dans aucune promesse, la fatigue et la conviction d’avoir déjà trop donné commençaient à se répandre dans les familles des mobilisés.</p>
<p>Loyaliste à ses débuts, demandant une nouvelle vague de mobilisation pour remplacer la première, la chaîne Telegram « Le chemin de la maison » s’est progressivement radicalisée et politisée face au refus des autorités d’entendre la demande de démobilisation. À l’approche de la campagne présidentielle, les activistes des groupes de femmes ont cherché à prendre contact avec les candidats pour leur demander d’endosser leurs revendications. Un seul candidat, Boris Nadejdine, opposé à la guerre, leur avait réservé un accueil favorable, mais avait été <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/08/russie-le-candidat-antiguerre-boris-nadejdine-exclu-a-son-tour-de-la-presidentielle_6215417_3210.html">rapidement empêché de concourir</a>. Le candidat Davankov a bien évoqué, lors du débat télévisé consacré à l’« opération militaire spéciale », le désir des familles de voir la guerre se terminer, sans aller plus loin. Vladimir Poutine, quant à lui, n’a pas abordé le sujet lors de son <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/29/vladimir-poutine-dans-son-discours-annuel-a-la-nation-met-en-garde-les-occidentaux-contre-une-menace-reelle-de-guerre-nucleaire_6219303_3210.html">discours annuel à la nation</a> : la démobilisation des combattants n’est pas vraiment à l’ordre du jour de cette campagne.</p>
<h2>Dans les pas des mouvements de mères de soldats ?</h2>
<p>L’analogie de ces groupes de femmes de mobilisés avec les mouvements des mères de soldats se rappelle rapidement à l’esprit de ceux qui connaissent l’histoire russe contemporaine. Les <a href="https://journals.openedition.org/lectures/12594">associations des mères de soldats</a> créées dans les dernières années de l’Union soviétique, à la fin de la guerre en Afghanistan, ont été des opposantes actives et puissantes aux deux guerres conduites par l’État russe en Tchétchénie, en 1994-1996, puis en 1999-2004.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580407/original/file-20240307-26-kaqsqw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Rassemblement de mères de soldats russes pendant la guerre de Tchétchénie, 1996. Sur les pancartes, on lit notamment des appels à la démobilisation adressés au ministre de la Défense de l’époque Pavel Gratchev.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://rightlivelihood.org/app/uploads/2016/09/1996-Soldiers-Mothers-Against-the-Chechen-war-Salzb05.jpg">rightlivelihood.org</a></span>
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<p>En dehors des situations de guerre, elles ont aussi sauvé des dizaines de milliers de conscrits des mauvais traitements, violences et risques de mort encourus dans l’armée russe. Les Mères de soldats ont été l’un des mouvements sociaux les plus influents dans la Russie des années 1990 et 2000. Les épouses de mobilisés reprennent-elles leur flambeau, et peuvent-elles peser sur la représentation de la guerre dans la société russe ?</p>
<p>Lorsque les premiers groupes de femmes ont pris la parole en septembre 2022, beaucoup de commentateurs <a href="https://eu.usatoday.com/story/opinion/columnists/2022/05/02/russian-mothers-putin-war-ukraine/9546447002/">y ont vu un espoir d’opposition de la société à la guerre</a>, mais ils ont rapidement déchanté devant le loyalisme affiché de ces épouses, mères et sœurs. En réalité, ce n’est pas l’absence de critique de la guerre qui distingue ces femmes de leurs illustres prédécesseuses. Bien des mamans de soldats envoyés combattre en Tchétchénie formulaient leur protestation de la même manière : si mon fils doit accomplir son devoir pour sa patrie, je n’ai rien à y redire, mais qu’en retour l’État le respecte. Ce qui distingue les deux mouvements, c’est plutôt la possibilité même de conduire une action collective.</p>
<h2>L’impossible dénonciation publique de la guerre</h2>
<p>Si les premières années postsoviétiques qui ont vu le développement des mouvements de Mères de soldats ont été une époque de chaos et de pauvreté, elles étaient aussi caractérisées par un pluralisme politique et une authentique liberté d’expression. Les activistes n’encouraient pas de risques personnels à manifester leur opposition, et leurs revendications étaient librement relayées par les médias et par des acteurs politiques.</p>
<p>L’efficacité de l’action des Mères tenait aussi à leur capacité à tisser des relations de travail avec des institutions militaires, dans une logique gagnant-gagnant : la vigilance des mères de soldats permettait à l’armée de repérer et de réparer un certain nombre de dysfonctionnements flagrants ; la coopération des militaires permettait aux Mères de mieux venir en aide aux soldats et à leurs proches.</p>
<p>Peu d’éléments de cette équation sont réunis dans la Russie de 2024. Si les mouvements de mères de soldats existent encore, leurs leaders ne peuvent plus dénoncer ouvertement la guerre. <a href="https://www.amnesty.fr/actualites/russie-des-lois-pour-reduire-les-voix-antiguerre-ukraine">Toute parole critique est sévèrement sanctionnée</a>, y compris dans la classe politique censée représenter l’opposition au parti du pouvoir. Les journalistes tentant de couvrir les cérémonies commémoratives des femmes de mobilisés sont <a href="https://www.themoscowtimes.com/2024/02/03/reporters-detained-at-moscow-protest-by-soldiers-wives-afp-a83966">immédiatement interpellés par les forces de l’ordre</a>. L’espace médiatique verrouillé ne permet pas aux activistes de se faire entendre au-delà des réseaux sociaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1753770811108762038"}"></div></p>
<p>La marge de manœuvre dans la discussion avec les autorités militaires semble aussi ténue, tant la marge d’action de l’armée est elle-même verrouillée par le contexte répressif et par une guerre difficile et vorace en ressources.</p>
<p>Enfin, la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/russie-plus-de-75-000-euros-aux-familles-de-certains-soldats-morts-en-ukraine-ou-en-syrie_5181916.html">manne financière promise aux combattants et à leurs familles</a> freine aussi, paradoxalement, le mouvement des femmes de mobilisés, en forçant certaines d’entre elles à se taire, et en ternissant l’image des autres, jalousées pour le pactole qu’elles sont supposées toucher.</p>
<h2>L’embarras du pouvoir</h2>
<p>Cependant, l’équation est aussi délicate à tenir pour le pouvoir russe, qui hésite à se lancer dans une répression ouverte contre les femmes de mobilisés. Les combattants engagés sur le front sont non seulement l’un des socles du récit héroïque sur la guerre, mais aussi un groupe sensible et potentiellement dangereux.</p>
<p>Si la rotation des troupes demandée par les femmes des mobilisés n’a pas encore été mise en œuvre, c’est sans doute en raison d’une difficulté à remplacer les combattants désormais aguerris, mais peut-être aussi d’une peur de l’effet que pourrait provoquer le retour de ces hommes dans leurs foyers. Traumatisés, maltraités, porteurs d’une expérience violente en décalage avec le récit officiel, les mobilisés, comme les soldats sous contrat, pourraient être difficiles à contrôler par le pouvoir après leur retour d’Ukraine.</p>
<p>Il est possible également que les autorités redoutent aujourd’hui une réaction de ces hommes s’ils apprenaient, alors qu’ils sont sur le front, que leurs épouses sont victimes de répressions. <a href="https://theconversation.com/cinq-questions-apres-la-marche-pour-la-justice-de-wagner-208593">La marche des combattants du groupe Wagner sur Moscou</a> est un précédent de mutinerie que le pouvoir ne souhaite sans doute pas voir se répéter.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2nOASfejREU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>De la même manière que le Kremlin a évité jusqu’à maintenant d’envoyer combattre des conscrits de 18 ans, pour ne pas voir se soulever les mères de soldats, il ménage pour l’heure les femmes de mobilisés. Le choix est donc celui, déjà éprouvé, de l’invisibilisation, de la répression indirecte et des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/25/la-rencontre-tres-encadree-de-vladimir-poutine-avec-des-meres-de-soldats-mobilises_6151660_3210.html">tentatives de cooptation</a>. Les forces de l’ordre n’emprisonnent pas les femmes de mobilisés, mais les militaires font pression sur elles, et tout espace médiatique leur est refusé. Un récit différent de la guerre ne doit pas percer dans la campagne présidentielle.</p>
<p>Cette stratégie s’inscrit parfaitement dans la volonté du pouvoir de rendre la guerre le moins présente possible dans l’espace public, afin de rassurer la population russe. Cependant, la fatigue de la guerre que le Kremlin espère voir se développer dans les sociétés occidentales <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/apres-deux-ans-de-guerre-en-ukraine-la-fatigue-de-l-opinion-publique-russe-7838880">est déjà visible à l’intérieur de la Russie</a>. Si le nombre de Russes viscéralement attachés à la poursuite de l’« opération militaire spéciale » a diminué au cours de l’année 2023 et <a href="https://www.chronicles.report/en">représente moins de 20 % de la population</a>, une majorité croissante, estimée à deux tiers de la population, <a href="https://www.extremescan.eu/post/second-demobilisation-how-public-opinion-changed-during-the-second-year-of-the-war">serait soulagée de voir la guerre s’arrêter</a>, même s’ils ne s’opposent pas ouvertement au conflit armé conduit par leur pays.</p>
<p>Pour ceux-là, le discours ronronnant d’une campagne dont la guerre est quasi absente joue un effet anesthésiant. Cependant, la partie de la Russie, combattants en tête, qui vit quotidiennement la guerre est une bombe à retardement pour la société russe, quels que soient les efforts du pouvoir pour la rendre invisible aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224678/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anna Colin-Lebedev ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Au moins 75 000 soldats russes sont morts en deux ans de guerre en Ukraine. Les familles des combattants mobilisés peinent à faire entendre leur inquiétude dans l’espace public.
Anna Colin-Lebedev, Enseignante-chercheuse en sciences politiques, spécialiste des sociétés postsoviétiques, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
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tag:theconversation.com,2011:article/222463
2024-02-06T14:39:01Z
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L’inhumation, la crémation… et bientôt l’humusation ? Que nous dit le droit ?
<p>L’inhumation et la crémation sont, pour l’heure, les deux seuls modes de <a href="https://theconversation.com/topics/funerailles-106268">funérailles</a> <a href="https://theconversation.com/topics/droit-21145">légaux</a> en France : pas d’alternative possible sur le territoire. Cette règle provient de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000021810111/2024-01-31/">loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles</a> et d’une suite de <a href="https://books.openedition.org/eua/4232">décrets à commencer par celui du 27 avril 1889 relatif à l’incinération</a>, textes toujours en vigueur aujourd’hui. Pourtant, des modes alternatifs de sépulture se développent actuellement dans le monde et se font même une place dans la loi de certains États. C’est notamment le cas de l’humusation.</p>
<p><a href="https://www.humusation.org/humusation-pourquoi-comment/">L’humusation</a> est un processus destiné à permettre un retour du corps à la terre par des micro-organismes présents dans un sol préparé à cet effet. Autrement dit, il s’agit d’une technique permettant d’enterrer le corps à même le sol afin qu’il puisse se transformer en humus sain et fertile.</p>
<h2>Pas de reconnaissance encore</h2>
<p><a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0794_proposition-loi">Une proposition de loi d’expérimentation</a> a été déposée début 2023 sur ce sujet à l’initiative d’Elodie Jacquier-Laforge, députée de l’Isère (MoDem). Est envisagé de procéder à une expérimentation sur le territoire français, dans les communes volontaires, afin de voir si l’humusation est un processus pouvant se concrétiser ou pas en France. Ce projet a su trouver de nombreuses personnes pour le porter, dès la même année, en témoigne cette <a href="https://www.humusation.org/cnof-sous-pression-france/">pétition</a> de l’association Humusation France qui a obtenu plus de 20 000 signatures.</p>
<p>Ce processus d’origine franco-belge n’a pour l’heure <a href="https://www.lalibre.be/belgique/societe/2024/01/17/enterrement-definitif-pour-lhumusation-la-pratique-qui-transforme-les-defunts-en-compost-est-interdite-partout-en-belgique-62FGDWUZAJCFVDR6BQ4QLVD7CI/">pas eu davantage de reconnaissance légale en Belgique</a> qu’en France, malgré là aussi de nombreux efforts de la part de ses défenseurs. C’est aux États-Unis qu’un processus similaire a été <a href="https://recompose.life/who-we-are/">légalisé pour la première fois</a>. L’État de Washington a autorisé la méthode <a href="https://recompose.life/">« recompose »</a> en 2019, un dérivé de l’humusation. Cette évolution finira d’ailleurs par atteindre d’autres États fédérés, comme la Californie et New-York.</p>
<p>L’argument principal donné à cet élan de légalisation est environnemental. Il a en effet été démontré que l’humusation est un processus plus respectueux de l’environnement que l’inhumation ou la crémation. Cet argument ne manque pas d’intérêt <a href="https://www.cairn.info/l-age-productiviste--9782707198921-page-587.htm?contenu=plan">à une époque de prise de conscience écologique</a>. Pourrait-on techniquement imaginer cela rapidement en <a href="https://theconversation.com/topics/droit-21145">droit</a> français ?</p>
<h2>Obstacles idéologiques et juridiques</h2>
<p>Pour répondre simplement à cette question, il faut garder en tête que le droit français accorde une place importante au corps humain privé de vie en le protégeant par le prisme de la dignité humaine, cette protection étant également étendue aux cendres humaines. Ce principe est inscrit à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000019983158">l’article 16-1-1 du code civil</a>. On peut y lire :</p>
<blockquote>
<p>« Les restes des personnes décédées […] doivent être traités avec respect, dignité et décence. »</p>
</blockquote>
<p>Deux obstacles donc à surmonter afin de permettre l’introduction de l’humusation en droit français. Le premier obstacle est idéologique, le second est juridique.</p>
<p>Sur le plan idéologique, tout dépend de la position adoptée par rapport à la notion de dignité humaine. Permettre à un corps humain sans vie de retourner à la terre sans cercueil, ni autres atours, est-il compatible avec l’idée que l’opinion publique peut se faire de la dignité humaine ? C’est bien sûr une question de point de vue et les <a href="https://www.cairn.info/hypnotherapie-et-troubles-du-deuil--9782100824922-page-49.htm?contenu=article">mœurs actuelles</a> ne semblent pas incompatibles avec un tel processus.</p>
<p>On ne retrouve d’ailleurs <a href="https://www.cairn.info/revue-interdisciplinaire-d-etudes-juridiques-2007-1-page-1.htm">pas de définition juridique</a> précise et gravée dans le marbre de la dignité humaine en France. Cela offre une liberté d’interprétation aux acteurs du droit et aux justiciables.</p>
<p>Sur le plan juridique, il faut de plus se demander si l’introduction d’un tel processus aux côtés de l’inhumation et de la crémation entraînerait oui ou non un grand bouleversement législatif : faudrait-il revoir et réformer beaucoup de textes ou cela peut-il se faire plus simplement ?</p>
<p>Il semble qu’une telle introduction n’entraînerait pas un grand bouleversement législatif. Elle nécessiterait, <em>a minima</em>, l’introduction du nouveau processus dans le Code général des collectivités territoriale et l’insertion du nouveau vocable dans le code pénal (au niveau des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000022375937">autorisations</a> à obtenir auprès des officiers publics). Une modification du code civil en la matière ne semble en revanche pas nécessaire puisque, comme cela a déjà été évoqué, ce n’est qu’une question de point de vue que de savoir si l’humusation est compatible, ou non, avec l’idée que dresse ce dernier de la dignité humaine après la mort. Une modification de ce texte ne serait que purement sémantique à des fins de cohérence du droit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222463/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jordy Bony ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Le système juridique français peut-il accepter facilement l’humusation, un nouveau mode de sépulture dont les défenseurs soulignent l’intérêt environnemental ?
Jordy Bony, Docteur et Instructeur en droit à l'EM Lyon, EM Lyon Business School
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tag:theconversation.com,2011:article/221363
2024-02-02T16:58:18Z
2024-02-02T16:58:18Z
Les animaux de compagnie sont de plus en plus mentionnés dans les notices nécrologiques
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/569862/original/file-20240115-15-82sgl2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=40%2C30%2C6700%2C5022&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">On a constaté que l’on mentionnait de plus en plus souvent un animal dans la rubrique nécrologique de son compagnon humain.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Les animaux remplissent différents rôles dans nos vies. Certaines personnes les considèrent comme des membres de la famille, tandis que d’autres apprécient le fait qu’ils les incitent à faire des promenades quotidiennes.</p>
<p>Qu’il s’agisse de <a href="https://theconversation.com/service-dogs-play-vital-roles-for-veterans-but-canadas-lack-of-standards-makes-travel-and-access-difficult-219470">chiens d’assistance</a>, d’<a href="https://humanipassion.com/sante/comprendre-chien-dassistance-quebec/">animaux de soutien émotionnel</a> ou d’une petite bête qui nous accueille à la porte de la maison, les animaux peuvent nous apporter joie, réconfort et compagnie. Il est donc naturel que ces relations qui se nouent au cours de notre vie se poursuivent – ou du moins soient commémorées – après la mort.</p>
<p>Le <a href="https://www.thestar.com/news/insight/this-humane-society-needs-a-bigger-home-what-happens-to-the-650-pets-buried-in/article_b25eba3a-99f7-11ee-a7f5-473bdce48588.html">Toronto Star</a> a récemment fait état des efforts déployés pour déterrer et déplacer plus de 600 animaux d’un cimetière pour animaux d’Oakville, en Ontario. Comme le montre cet article, et comme d’autres en <a href="https://muse.jhu.edu/book/46086/">témoignent</a>, l’enterrement, l’embaumement et l’incinération des animaux ne sont pas des pratiques nouvelles. Ces rites funéraires permettent de rendre hommage à un animal de compagnie et à tout ce qu’il représentait pour nous.</p>
<p>Mais qu’en est-il si c’est le propriétaire qui meurt en premier ? On a constaté que l’on mentionnait de plus en plus souvent un animal dans la rubrique nécrologique de son compagnon humain.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/569423/original/file-20240115-67455-vfr8d9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="A smiling woman carries a bulldog" src="https://images.theconversation.com/files/569423/original/file-20240115-67455-vfr8d9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569423/original/file-20240115-67455-vfr8d9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569423/original/file-20240115-67455-vfr8d9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569423/original/file-20240115-67455-vfr8d9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569423/original/file-20240115-67455-vfr8d9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569423/original/file-20240115-67455-vfr8d9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569423/original/file-20240115-67455-vfr8d9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Qu’il s’agisse de chiens d’assistance, d’animaux de soutien émotionnel ou d’une petite bête qui nous accueille à la porte de la maison, les animaux peuvent nous apporter joie, réconfort et compagnie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>L’évolution des notices nécrologiques</h2>
<p>La rédaction d’une notice nécrologique est un des nombreux actes que l’on accomplit après le décès d’un proche. Autrefois réservée à l’élite de la société, la <a href="https://doi.org/10.4324/9780203015964">nécrologie s’est démocratisée</a> et davantage de personnes sont aujourd’hui commémorées de cette façon.</p>
<p>Nous rédigeons des notices nécrologiques pour différentes raisons. Certains sont purement pratiques : il s’agit d’annoncer le décès d’une personne ou d’inviter la famille et les amis aux funérailles.</p>
<p>Mais les notices nécrologiques donnent aussi aux personnes endeuillées l’occasion de raconter l’histoire de quelqu’un qui leur était cher. Qui était-il ? Qu’aimait-elle ? Quelles étaient ses valeurs ?</p>
<p>Dans le cadre du projet <a href="https://nonreligionproject.ca/">« Nonreligion in a Complex Future »</a>, notre équipe a <a href="https://nonreligionproject.ca/obituaries/">analysé les notices nécrologiques</a> canadiennes du siècle dernier afin de comprendre l’évolution de la manière dont les gens commémorent leurs morts. Au fil des ans, on voit de plus en plus souvent la mention d’animaux.</p>
<p>Aussi récemment qu’en 1990, pas un seul des 53 avis de décès publiés un samedi donné dans le Toronto Star n’évoquait d’animaux de compagnie. Cette situation a toutefois commencé à changer progressivement. Nous découvrons qu’en 1991, Harriet sera « tristement regrettée par tous ses amis et ses animaux ». De même, Berton, décédé en 1998, est « regretté par son bon toutou Scamp ».</p>
<p>Au milieu des années 2000, de 1 à 4 % des notices nécrologiques mentionnaient des animaux de compagnie. Depuis 2015, ce chiffre a grimpé pour atteindre 15 %.</p>
<p>Il est vrai que cela ne représente pas des quantités énormes. Dans un échantillon de 3 241 avis de décès datant de 1980 à 2022, seuls 79 évoquent des animaux. Cette légère augmentation indique toutefois une transformation dans la manière dont les gens rédigent les notices nécrologiques.</p>
<h2>Raconter des histoires personnelles</h2>
<p>Nos recherches montrent que, du début des années 1900 jusqu’à aujourd’hui, les notices nécrologiques se sont progressivement allongées. Autrefois, les avis étaient courts, on y indiquait le nom du défunt, son âge et le lieu de son décès, le tout en l’espace d’environ quatre lignes. Ces dernières années, la longueur moyenne est passée à environ 40 lignes, certaines atteignant même plus de 100 lignes.</p>
<p>Cet espace supplémentaire permet d’ajouter des informations sur le défunt. Ainsi, plus de 80 % des notices nécrologiques récentes mentionnent les enfants de la personne décédée. La proportion était d’environ 50 % avant 1960.</p>
<p>Dans les notices nécrologiques récentes, il est plus probable que la formation, la profession ou les loisirs soient mentionnés. Au-delà d’une simple énumération, il est courant de voir des descriptions riches et détaillées. Plutôt que de lire le titre de son poste, nous apprenons qu’un homme était « un visionnaire dévoué qui est resté fier et loyal envers ses nombreux employés et collègues ».</p>
<h2>Nos amis à fourrure</h2>
<p>Les notices nécrologiques étant plus longues et détaillées, il semble normal que les animaux y figurent. Il est de plus en plus courant d’y mentionner l’animal de compagnie ou l’amour des animaux de la personne décédée. Ces passages deviennent également plus détaillés. Au-delà du nom de l’animal, nous apprenons s’il s’agissait d’un « caniche très chochotte », d’un « fidèle compagnon » ou du « meilleur chien de tous les temps ».</p>
<p>La profession est un autre <a href="https://doi.org/10.1080/07481187.2015.1056562">élément incontournable des notices nécrologiques</a>. Pour Mary, décédée en 2019, l’un des points forts de sa carrière chez Nestlé Purina, a été « l’intronisation de divers animaux de compagnie et chiens d’assistance héroïques au Temple de la renommée de Purina ». Ce n’était pas seulement une passion professionnelle, car Mary avait aussi six labradors noirs à la maison.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.1080/13576275.2020.1784122">Les passe-temps et les intérêts</a> sont également de plus en plus fréquents dans les avis de décès. Bobby, par exemple, aimait « s’asseoir dans son jardin avec sa chienne Chloe » et « laisser son perroquet bien-aimé, Pookie, le divertir ».</p>
<p>Plutôt que d’envoyer des fleurs à la famille, on demande souvent de <a href="https://www.lovetoknow.com/life/grief-loss/lieu-flowers-wording-ideas-etiquette">faire des dons à la mémoire du défunt</a>. Il n’est pas surprenant de voir que des groupes comme <a href="https://ontariospca.ca/">l’Ontario SPCA</a>, la <a href="https://www.farleyfoundation.org/">Fondation Farley</a> et divers groupes de protection de la nature gagnent en popularité.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/569428/original/file-20240115-67455-4xa2ar.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="A smiling golden retriever" src="https://images.theconversation.com/files/569428/original/file-20240115-67455-4xa2ar.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569428/original/file-20240115-67455-4xa2ar.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569428/original/file-20240115-67455-4xa2ar.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569428/original/file-20240115-67455-4xa2ar.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569428/original/file-20240115-67455-4xa2ar.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569428/original/file-20240115-67455-4xa2ar.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569428/original/file-20240115-67455-4xa2ar.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Il est de plus en plus courant de mentionner l’animal de compagnie d’une personne ou son amour des animaux dans sa notice nécrologique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>De nouvelles façons de pleurer les morts</h2>
<p>Cette tendance dans les avis de décès est révélatrice d’un changement sociétal plus large. En effet, les gens accordent de <a href="https://academic.oup.com/socrel/article-abstract/78/1/9/3053446">plus en plus de valeur à la nature</a> et aux <a href="https://doi.org/10.1177/00377686231170993">créatures non humaines</a>. Les raisons de cette évolution sont variées et complexes. Mais les données – tirées des notices nécrologiques et d’autres documents – laissent voir que les gens forgent des liens précieux avec la nature et les animaux.</p>
<p>Les notices nécrologiques révèlent d’autres transformations importantes de la manière dont nous commémorons les morts. Autrefois, il s’agissait de textes brefs et convenus (et il en reste encore dans ce genre). Mais de nos jours, les avis de décès sont souvent des fenêtres sur la vie d’une personne. Ils peuvent être <a href="https://www.thestar.com/opinion/contributors/an-ontario-woman-s-scathing-obituary-for-her-dad-raises-questions-do-we-have-to/article_aaaf6d28-0224-5c9a-9eaa-c124482e04bc.html">tristes ou tragiques</a>, mais aussi <a href="https://www.lex18.com/news/he-up-and-died-on-us-sons-hilarious-obituary-goes-viral">drôles, sarcastiques ou réconfortants</a>.</p>
<p>Par-dessus tout, les notices nécrologiques sont aujourd’hui plus personnelles. Pour commémorer le souvenir d’un être cher, les familles veulent faire connaître au monde entier ce qui rendait cette personne spéciale. Cela peut être raconté en parlant des activités, des gens ou des animaux de compagnie qui lui ont apporté de la joie. Pour certains, on se rappellera leur équipe de hockey préférée, la fois où ils ont réussi un trou d’un coup et, souvent, l’ami à fourrure qui se blottissait contre eux après une dure journée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221363/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Chris Miller ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Au fil des ans, les notices nécrologiques se sont allongées, laissant plus de place pour mentionner les animaux de compagnie, les passe-temps et les passions de la personne décédée.
Chris Miller, Postdoctoral fellow, Nonreligion in a Complex Future project, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/214348
2023-12-11T16:34:17Z
2023-12-11T16:34:17Z
Combien de temps vivra un être cher ? La réponse est difficile à entendre, mais ne pas savoir est encore pire
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/550115/original/file-20230922-27-gg4746.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=201%2C70%2C6508%2C4054&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Même pour un professionnel de la santé expérimenté, estimer l'espérance de vie d'un patient atteint d'une maladie grave est un défi.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Il est difficile pour les personnes atteintes d’une maladie qui limite l’espérance de vie de planifier leur avenir. Les cliniciens, en fonction de leur expérience, peuvent donner une estimation générale du temps qu’il reste à vivre à une personne — de quelques jours à quelques semaines, de quelques semaines à quelques mois, ou de quelques mois à quelques années. </p>
<p>Cependant, les patients et leurs partenaires de soins souhaitent souvent obtenir une estimation plus précise pour pouvoir prendre les dispositions et les décisions nécessaires en matière de soins.</p>
<p>Une prédiction précise de l’espérance de vie peut devancer la tenue de discussions sur les préférences et les souhaits en fin de vie, ainsi que la mise en place des soins palliatifs.</p>
<p>Mais même pour un clinicien expérimenté, <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pone.0161407">il peut être difficile d’estimer l’espérance de vie</a> d’un <a href="https://doi.org/10.1136/bmj.320.7233.469">patient atteint d’une maladie grave</a>. Cette évaluation doit reposer non seulement sur de grandes quantités de données, mais aussi sur une compréhension de la relation entre l’état de santé de base du patient, la complexité de ses problèmes de santé et la façon dont il réagit au traitement ou évolue sous celui-ci. </p>
<p>Voilà où les algorithmes prédictifs peuvent être utiles.</p>
<h2>Un outil pour avoir des discussions et planifier en temps opportun</h2>
<p><a href="https://www.projectbiglife.ca/respect-elder-life">RESPECT (Risk Evaluation for Support : Predictions for Elder life in their Communities Tool) est un outil de communication sur les risques</a> qui est alimenté par des algorithmes de prédiction estimant l’espérance de vie d’une personne — c’est-à-dire combien de temps cette dernière vivra. Cet outil a été mis au point par l’équipe de recherche du projet Big Life, et validé <a href="https://doi.org/10.1503/cmaj.200022">au moyen des données de soins de santé recueillies sur près d’un million d’aînés ayant reçu des soins à domicile et en milieu communautaire</a>, ou dans une maison de soins en Ontario.</p>
<figure>
<iframe src="https://player.vimeo.com/video/539710931" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">RESPECT a pour but d’aider les gens à planifier leurs soins palliatifs et leurs soins de fin de vie.</span></figcaption>
</figure>
<p>RESPECT a été conçu en tenant compte des besoins des patients en matière d’information et dans l’intention de donner aux patients et à leurs partenaires de soins les moyens d’agir. En leur fournissant des données sur l’espérance de vie et les expériences d’autres personnes ayant connu un parcours semblable, cet outil peut aider les patients à comprendre la trajectoire de leur maladie, à devancer les discussions concernant leurs préférences et leurs souhaits, et à demander le soutien dont ils ont besoin. </p>
<h2>Un outil pour les patients, les partenaires de soins et les cliniciens</h2>
<p><a href="https://www.projectbiglife.ca/respect-elder-life">RESPECT</a> a été lancé publiquement sur ProjectBigLife.ca en juillet 2021. <a href="https://www.projectbiglife.ca/">Ce site web</a> présente plusieurs calculateurs santé mis au point par l’équipe de recherche pour traduire les données probantes en outils susceptibles d’aider les Canadiens à réfléchir à leur santé et à planifier leurs soins.</p>
<p>Les gens doivent répondre à 17 questions sur leur santé et leur capacité à prendre soin d’eux-mêmes. RESPECT utilise ensuite les réponses fournies pour leur donner une estimation de leur espérance de vie, et ce, sur la base de renseignements recueillis sur des personnes présentant des caractéristiques semblables aux leurs. Les aînés peuvent utiliser le calculateur pour mieux comprendre leur déclin. Il en va de même pour leurs partenaires de soins et les professionnels de la santé qui ne peuvent prédire avec certitude l’espérance de vie d’une personne atteinte d’une maladie grave.</p>
<p>En plus de donner une estimation de l’espérance de vie, RESPECT fournit des mesures du déclin fonctionnel — par exemple, si le patient est capable de se déplacer dans sa maison et de se livrer aux activités de la vie quotidienne, comme se laver et cuisiner, sans aucune aide.</p>
<p>Un patient peut utiliser ces renseignements pour discuter de ses besoins en matière de soins avec ses partenaires de soins et ses fournisseurs de soins de santé. De même, les fournisseurs de soins de santé peuvent utiliser cet outil pour discuter avec leurs patients de ce à quoi ils peuvent s’attendre en fin de vie, et prévoir les mesures de soutien appropriées.</p>
<p>RESPECT est également utilisé activement dans les maisons de retraite et les foyers de soins de l’Ontario. De nombreux résidents de ces établissements ont une espérance de vie inférieure à deux ans. Lorsque les discussions sur les objectifs et les souhaits des aînés au regard du chemin qu’il leur reste à parcourir ont lieu en temps opportun, l’équipe de soins peut offrir aux personnes dont elle s’occupe la meilleure qualité de vie et de soins possible.</p>
<h2>Infrastructure durable</h2>
<p>L’un des objectifs de RESPECT est de fournir une infrastructure durable pour l’étude, l’apprentissage et l’amélioration de la façon dont nous utilisons les algorithmes prédictifs dans la prestation des soins de fin de vie.</p>
<p>Malgré les avantages qui sont observés dans le cadre des premières utilisations de RESPECT, de nombreuses questions subsistent en ce qui concerne le meilleur moment pour l’utiliser et la meilleure manière de le faire. Par exemple, une faible capacité de calcul — c’est-à-dire la compréhension des chiffres, des mathématiques et des statistiques — pourrait entraîner une mauvaise interprétation de l’estimation fournie par RESPECT. Bien que les ressources à l’appui de RESPECT aient été élaborées en collaboration avec les patients et leurs partenaires de soins, davantage de recherches sont encore nécessaires pour réduire ces inconvénients potentiels.</p>
<p>Pour assurer l’optimisation des avantages qui peuvent être tirés des algorithmes de prédiction tels que RESPECT, les épidémiologistes cliniques Douglas Manuel et Justin Presseau, ainsi que les co-auteurs du présent article, ont créé le système de santé apprenant RESPECT — un réseau de partenaires de soins, de chercheurs et de professionnels de la santé qui collaborent pour surmonter ces défis. Nous combinons la recherche et la pratique pour étudier et améliorer durablement les soins et l’expérience de fin de vie grâce à des algorithmes prédictifs.</p>
<h2>Prendre conscience de la situation n’est que le début</h2>
<p>Seulement <a href="https://www.cihi.ca/sites/default/files/document/access-to-palliative-care-in-canada-2023-report-fr.pdf">58 % des gens qui meurent au Canada</a> reçoivent une forme de soins palliatifs avant de mourir. Peu de personnes (13 %) ont la possibilité de mourir chez elles, avec le soutien d’une équipe de soins palliatifs à domicile.</p>
<p>Grâce à l’amélioration de notre compréhension de la fragilité et du déclin, RESPECT pourrait aider les cliniciens, les patients et leurs partenaires de soins à se préparer à un mauvais pronostic, et à élaborer un plan personnalisé en matière de soins.</p>
<p>Cependant, pour améliorer la prestation des soins de fin de vie au Canada et permettre aux Canadiens de mourir dans la dignité, il faut investir davantage dans notre système officiel de soins de santé pour répondre aux besoins des personnes en fin de vie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214348/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lysanne Lessard reçoit des fonds des Instituts de recherche en santé du Canada pour des recherches liées au système d'apprentissage en santé RESPECT. Elle est membre de l'Institut de recherche LIFE de l'Université d'Ottawa.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Amy T. Hsu reçoit des fonds des Instituts de recherche en santé du Canada pour la recherche liée au calculateur RESPECT.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Peter Tanuseputro reçoit des fonds des Instituts de recherche en santé du Canada pour la recherche liée au calculateur RESPECT.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sampath Bemgal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Une prédiction précise de l’espérance de vie peut devancer la tenue de discussions sur les préférences et les souhaits de fin de vie, ainsi que la mise en place des soins palliatifs.
Lysanne Lessard, Associate Professor, Telfer School of Management, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa
Amy T. Hsu, Brain and Mind-Bruyère Research Institute Chair in Primary Health Care in Dementia, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa
Peter Tanuseputro, Associate Professor, Division of Palliative Care, Department of Medicine, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa
Sampath Bemgal, Assistant Professor, Information Systems, University of New Brunswick
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/215363
2023-10-30T19:08:59Z
2023-10-30T19:08:59Z
Toussaint : et si nous rendions hommage aux morts anonymes ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/554742/original/file-20231019-21-o38xpj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C24%2C1272%2C693&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Au cimetière parisien de Thiais, « le jardin de la fraternité » accueille des personnes mortes dans l'anonymat.</span> <span class="attribution"><span class="source">Y.Benoist</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Il est enterré au cimetière parisien de Thiais, dans ce qui est poétiquement nommé « le jardin de la fraternité », mais que l’on appelle plus souvent « le carré des indigents ». Ici, s’alignent des pierres tombales planes et sans ornement, toutes absolument identiques. La seule chose qui permet de les distinguer est la plaque qui y est parfois fixée et où figurent les nom et prénom du défunt, ainsi que ses dates de naissance et de mort. Mais la mention inscrite sur la sienne est déroutante : « X Masculin », suivis de deux dates aussi étranges que fictives : « 01/01/1500, 01/01/1500 ».</p>
<p>Découvert mort sur la voie publique, il ne possédait aucun papier sur lui. Les médecins de l’Institut médico-légal (IML) ne sont pas parvenus à l’identifier. La mairie de Paris a pris en charge l’inhumation. Dans ce contexte, comment l’accompagner au cimetière ? Quelle sépulture lui offrir ?</p>
<p>Les rites funéraires ont de nombreuses fonctions : ils sont des <a href="https://www.berose.fr/IMG/pdf/les_rites_de_passage_1909.pdf">rites de passage</a> et permettent aux vivants de <a href="https://www.editions-hermann.fr/livre/derniere-demeure-fixe-yann-benoist">socialiser la mort</a>. Mais ils servent aussi à sauvegarder la mémoire du groupe : une famille, une tribu ou une nation construit son identité autour de la fabrication d’une histoire commune. Or, ce sont les ancêtres qui vont constituer cette mémoire. Les funérailles et les commémorations permettent de réaffirmer leur existence en les nommant. En Occident, les sépultures jouent un rôle essentiel dans ce travail de mémoire, l’identité du défunt étant inscrite dans le marbre.</p>
<h2>Effacées de la mémoire collective</h2>
<p>Parfois, la mort est même l’occasion de réattribuer une identité à ceux qui ont longtemps vécu dans l’anonymat. C’est le cas de certains sans-abris très isolés : au cours des funérailles, ils retrouvent un nom, une identité, et une filiation. La famille, quant à elle, retrouve son intégrité en comblant ce vide dans la généalogie.</p>
<p>Malheureusement, les funérailles n’assurent pas toujours leur rôle mémoriel. Lorsqu’aucune famille ne peut prendre en charge les obsèques, la mairie de la commune du lieu de décès, ou celle du lieu de résidence, est tenue de financer l’inhumation. Celle-ci aura lieu dans le terrain commun du cimetière constitué par les places hors concession. « Le jardin de la fraternité » désigne par exemple le terrain commun du cimetière parisien de Thiais.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554741/original/file-20231019-30-8mmi03.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C161%2C908%2C663&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554741/original/file-20231019-30-8mmi03.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554741/original/file-20231019-30-8mmi03.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554741/original/file-20231019-30-8mmi03.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554741/original/file-20231019-30-8mmi03.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554741/original/file-20231019-30-8mmi03.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554741/original/file-20231019-30-8mmi03.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Photo d’une tombe d’un mort anonyme, cimetière de Thiais.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Hinde Maghnouji</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Or dans ce contexte, et en l’absence de proches du défunt, les funérailles sont souvent réduites à leur minimum. En outre, Les tombes des terrains communs ne portent pas systématiquement la plaque nominative permettant d’identifier le mort, même lorsque cette identité était connue. À titre d’exemple, lors d’une de mes visites au « carré des indigents » en 2019, j’ai noté que sur les 612 tombes de la division 48, seules 321, soit 52,5 % étaient pourvues d’une de ces plaques. Le jour de leur mort, ces personnes ne sont donc pas seulement passées de vie à trépas, elles ont aussi perdu leur identité par l’anonymat éternel. Elles ont été effacées de la mémoire collective.</p>
<p>D’autres défunts isolés étaient déjà des anonymes avant leur entrée au cimetière. Ce fut, par exemple, le cas de cet homme enterré en 2019 au cimetière de la Guillotière à Lyon. Sans doute en indélicatesse avec la justice, vivant en squat, il n’était connu de ses compagnons que par un surnom. Ses empreintes digitales renvoyaient à trois (fausses) identités différentes.</p>
<h2>Inhumation ne signifie pas toujours ritualité</h2>
<p>L’anonymat est aussi le lot de tous ceux dont le corps a été retrouvé (sur la voie publique, une plage de méditerranée ou ailleurs) sans que rien ne permette de les identifier. Il arrive en effet que ces personnes ne portent aucun document sur elles. Ce peut être, par exemple, le cas de migrants. C’est également souvent le cas des sans-abris, qui, victimes de vols, perdent parfois tous leurs documents officiels.</p>
<p>Dans ces situations, une enquête de police est menée et une autopsie peut être pratiquée. Si elles sont infructueuses, le défunt sera enterré sous X. Comme pour tous les morts isolés et sans ressources, c’est la ville qui prendra en charge l’inhumation dans le terrain commun du cimetière communal. Mais inhumation ne signifie pas toujours ritualité.</p>
<p>En effet, les rites funéraires étant <a href="https://www.cairn.info/revue-tumultes-2001-1-page-29.htm">affaire de mémoire</a>, il est d’usage que les membres de la famille du défunt portent la responsabilité des funérailles. Ce groupe travaille ainsi à sa propre définition. Affaire de filiation, le rite funéraire est donc une affaire privée. Les pouvoirs publics ne se donnent donc qu’un devoir : financer l’inhumation et une sépulture temporaire (cinq ans), sans ritualité.</p>
<h2>Des « homo-détritus »</h2>
<p>On remarque que l’état ne s’y investit davantage que lorsque ses représentants considèrent que le défunt peut représenter la mémoire de la nation. C’est ainsi que certains morts ont le droit à des hommages nationaux, qu’il s’agisse de <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i00013183/le-discours-d-andre-malraux-lors-de-l-entree-au-pantheon-de-jean-moulin">Jean Moulin</a> ou de <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/johnny-fabrique-dun-heros/00082075">Johnny Halliday</a>, dès qu’il est admis qu’ils participent à l’histoire du pays.</p>
<p>Les morts sans nom ne participent pas à cette mémoire. Les pouvoirs publics ne financeront alors qu’une prestation minimum, « low cost » comme disent les employés des services funéraires.</p>
<p>Déritualisée, l’inhumation sera limitée à une procédure technique visant à se débarrasser d’un cadavre encombrant. <a href="https://www.sciencedirect.com/science/journal/23525525">Le corps du défunt ne sera plus un signifiant du sujet</a>, mais un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/journal/23525525/3/1">déchet biologique à ensevelir</a>. Les morts anonymes ne sont donc plus, pour reprendre les mots de l’anthropologue Daniel Terrolle, <a href="http://www2.univ-paris8.fr/sociologie/fichiers/terrolle2016b.pdf">que des « homo-détritus »</a>. Ils seront pour toujours absents de l’histoire de la communauté.</p>
<p>Cette situation ne laisse pas tout le monde indifférent, et, <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2002-2-page-17.htm">depuis les années 2000 et partout en France</a>, des associations tentent, avec leurs moyens, d’améliorer la situation.</p>
<p>La plus connue est sans doute le collectif <a href="https://www.mortsdelarue.org/">« les morts de la rue »</a> à Paris. Créé en 2003, il s’est d’abord fixé comme objectif d’alerter sur la mortalité des SDF, puis en est rapidement venu à accompagner, au cimetière de Thiais, tous les morts isolés, et parmi eux nombre d’anonymes.</p>
<p>Les bénévoles sont là pour prononcer quelques mots, et à défaut de pouvoir citer son nom, rappeler que le mort était un individu dans toute sa singularité et qu’à sa façon, il a participé à l’histoire de la collectivité. Tous les ans, le collectif organise une commémoration où sont lus les noms des morts de la rue de l’année. Au milieu des noms, la mention « un homme », ou une « femme » souligne l’anonymat de certains défunts.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554744/original/file-20231019-17-tfcx4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554744/original/file-20231019-17-tfcx4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554744/original/file-20231019-17-tfcx4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554744/original/file-20231019-17-tfcx4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554744/original/file-20231019-17-tfcx4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554744/original/file-20231019-17-tfcx4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554744/original/file-20231019-17-tfcx4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cimetière à Lyon.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Y.Benoist</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>À Marseille, une association a choisi de se nommer <a href="http://fr.ap-hm.fr/vie-a-l-hopital/les-associations/marseillais-solidaires-des-morts-anonymes">« Marseillais solidaires avec les morts anonymes »</a>. Elle rappelle ainsi que chaque défunt compte pour la communauté. Malheureusement, ces associations ont toujours des moyens très limités et ne peuvent assurer qu’une humble présence.</p>
<p>Mais l’état est-il vraiment démuni face à ces morts anonymes ? Sommes-nous contraints d’oublier les laissés-pour-compte ? Un exemple bien connu nous permet de penser que non. Comme le remarquait Danielle Hervieu-Léger <a href="https://soundcloud.com/user-897145586/les-sdf-et-leurs-obseques">lors d’un séminaire du Césor</a>, il existe des morts, pourtant anonymes, qui loin d’être effacés de l’histoire, y participent en première place. Ainsi en est-il des morts pour la guerre gisant glorieusement dans les cimetières militaires, pourtant sobres et impersonnels. Le soldat inconnu, loin d’être un paria, est un membre essentiel de l’histoire national. De fait, le statut de héros de ces défunts sans nom, compense l’absence de nom et les sort de l’anonymat.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/556646/original/file-20231030-21-9e0e10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/556646/original/file-20231030-21-9e0e10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/556646/original/file-20231030-21-9e0e10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/556646/original/file-20231030-21-9e0e10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/556646/original/file-20231030-21-9e0e10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/556646/original/file-20231030-21-9e0e10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/556646/original/file-20231030-21-9e0e10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Tombe du Soldat inconnu, Arc de Triomphe de l’Étoile, Paris.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Tombe_du_Soldat_inconnu_(France)#/media/Fichier:Paris_Arc_de_Triomphe_de_l'%C3%89toile_Grabmal_des_Unbekannten_Soldaten_2.jpg">Zairon/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ne serait-il pas temps que l’état assume aussi le sort de tous les morts anonymes, non pas seulement victimes de la guerre, mais aussi de la violence sociale qui tuent dans la rue ou sur le chemin de nos frontières ? Ne serait-il pas temps de réintroduire dans la mémoire commune ceux qui, vivant sur notre territoire, ont nécessairement participé à notre histoire ? Ne serait-il pas temps d’assumer complètement notre histoire, au-delà du récit angélique ? Il serait pour cela nécessaire de leur accorder un statut digne de leur humanité, une ritualité respectueuse et une sépulture chargée d’une symbolique positive. Et la charge symbolique est importante, car la façon d’honorer nos morts reflète notre façon de traiter les vivants.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215363/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>L’article s’appuie sur une recherche commandée par le Collectif les Morts de La Rue avec un financement sur appel d’offre de la fondation des Services Funéraires de la Ville de Paris. »</span></em></p>
Parfois, la mort est l’occasion de réattribuer une identité à ceux qui ont longtemps vécu dans l’anonymat, c’est le cas de certains sans-abris qui retrouvent ainsi un nom, une identité, une filiation.
Yann Benoist, Docteur en anthropologie sociale, Inserm
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/212224
2023-09-26T13:32:13Z
2023-09-26T13:32:13Z
Planification anticipée de l’AMM : les notaires sont-ils prêts à leur nouveau rôle ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/549440/original/file-20230920-21-1idz5c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=56%2C0%2C6240%2C4119&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les notaires pourraient bientôt avoir un rôle à jouer dans les demandes anticipées d'aide médicale à mourir anticipée. Mais sont-ils prêts?</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Il est impossible de demander de façon anticipée l’aide médicale à mourir (AMM) au Québec. Mais cela s’apprête à changer. </p>
<p>En effet, le 7 juin 2023, l’Assemblée nationale du Québec <a href="https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/aide-medicale-a-mourir-le-projet-de-loi-sur-les-soins-de-fin-de-vie-adopte-48523">a adopté le projet de Loi n°11 concernant les soins de fin de vie</a>. Il autorise les personnes aptes atteintes d’une maladie grave et incurable menant éventuellement à l’inaptitude à consentir aux soins à formuler une demande anticipée d’AMM. Elles pourraient ainsi en bénéficier une fois devenues inaptes. Par exemple, une personne diagnostiquée avec la maladie d’Alzheimer pourrait se prévaloir de ce droit.</p>
<p>Lors de l’étude détaillée du projet du projet de loi n°11, la Chambre des notaires du Québec (CNQ) <a href="https://www.cnq.org/wp-content/uploads/2021/05/493804-Commission-speciale-sur-levolution-de-la-LSFV-_-Memoire-CNQ-_-Mai-2021.pdf">a conseillé que les demandes anticipées d’AMM soient formulées uniquement par acte notarié</a>. Bien que cette recommandation n’ait pas été retenue, <a href="https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/aide-medicale-a-mourir-le-projet-de-loi-sur-les-soins-de-fin-de-vie-adopte-48523">l’article 29.10 du projet de loi n°11</a> mentionne les notaires comme faisant partie des professionnels compétents pouvant verser une demande anticipée d’AMM dans le registre.</p>
<p>Mais sont-ils prêts ?</p>
<p>Nous sommes une équipe de recherche interuniversitaire comprenant des expertes en droit, en notariat, en soins palliatifs et en santé communautaire. Nous avons réalisé 25 entrevues avec des notaires pratiquant au Québec dans l’objectif d’explorer leur pratique professionnelle concernant la planification anticipée des soins. Les notaires participants ont en moyenne 12 ans de pratique et les trois-quarts sont des femmes. Ils sont établis dans un total de 10 régions administratives.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/demandes-anticipees-daide-medicale-a-mourir-voici-comment-dautres-pays-lencadrent-206241">Demandes anticipées d’aide médicale à mourir : voici comment d'autres pays l'encadrent</a>
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<h2>Les notaires interviennent déjà</h2>
<p>Depuis 1989, les notaires interviennent dans la planification anticipée des soins. </p>
<p>En effet, il est possible d’effectuer devant notaire un mandat de protection (anciennement mandat en cas d’inaptitude) dans lequel un mandataire est désigné, et où des volontés de fin de vie sont indiquées afin de guider le mandataire. De plus, depuis le 10 décembre 2015, une personne majeure et apte peut rédiger des directives médicales anticipées (DMA) au moyen d’un formulaire qui est ensuite versé dans un registre géré par la Régie de l’assurance maladie du Québec. Ce formulaire peut être rempli devant deux témoins ou encore par acte notarié en minute. </p>
<h2>Flou autour de l’acharnement thérapeutique</h2>
<p>Selon les notaires participants à notre enquête et enregistrant déjà les volontés de fin de vie de leurs clients, la vaste majorité d’entre eux s’opposent à l’acharnement thérapeutique et souhaitent l’indiquer dans leur mandat de protection. </p>
<p>Or, cette notion d’acharnement thérapeutique est fort vague et n’est pas définie médicalement. Devant ce flou, des notaires ont exprimé que certains clients voudraient ajouter des précisions supplémentaires, mais qu’ils leur recommandent alors de consulter un médecin étant donné leur manque de connaissances médicales. </p>
<h2>Compléter des directives médicales anticipées : une pratique qui divise</h2>
<p>Certains notaires font activement la promotion des DMA et proposent d’emblée le service à leurs clients qui complètent un testament ou un mandat de protection. </p>
<p>D’autres, au contraire, refusent de compléter des DMA puisqu’ils ne perçoivent pas de plus-value à leurs services. En effet, étant donné leur manque de connaissances médicales, ils ne se sentent pas outillés pour répondre adéquatement aux questions de leurs clients sur les <a href="https://www.ramq.gouv.qc.ca/fr/citoyens/assurance-maladie/exprimer-directives-soins-cas-inaptitude">situations cliniques et les cinq soins mentionnés dans les directives médicales anticipées</a>. Ils conseillent alors à leurs clients de compléter leurs DMA devant témoins. </p>
<p>D’autres ont été informés par des clients, ou lors de formation, que les DMA n’étaient pas consultées systématiquement par les médecins. </p>
<h2>Besoin criant de formation et de collaboration avec le domaine médical</h2>
<p>Malgré certaines divergences, un élément fait l’unanimité chez les notaires participants, soit le besoin criant de formation, notamment à la lumière de l’entrée en vigueur des demandes anticipées d’AMM. </p>
<p>Des notaires participants vont même jusqu’à suggérer que seuls les notaires accrédités ou spécialisés devraient avoir le droit de participer au processus entourant les demandes anticipées d’AMM. En fait, ils craignent que sans formation, des notaires refusent de s’investir dans cette pratique, alors même que l’intérêt de la clientèle est très fort. </p>
<p>De nombreux notaires ont le sentiment de communiquer des informations imprécises à leurs clients et se questionnent sur la manière dont les volontés de fin de vie qu’ils enregistrent sont actualisées dans le réseau de la santé et des services sociaux. </p>
<p>Une formation conjointe avec des professionnels de la santé et des services sociaux pourrait permettre aux notaires de prodiguer des conseils éclairés à leurs clients et d’être plus à l’aise avec la partie de leur travail qui touche à la planification anticipée des soins.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212224/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ariane Plaisance a reçu un financement de la Chambre des notaires du Québec pour réaliser une étude sur la pratique professionnelle des notaires. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Christine Morin, Louise Bernier et Sammy-Ann Lalonde ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>
Une formation avec des professionnels de la santé pourrait permettre aux notaires de prodiguer des conseils éclairés à leurs clients et d’être plus à l’aise dans la planification anticipée de l’AMM.
Ariane Plaisance, Stagiaire post-doctorale, Université du Québec à Rimouski (UQAR)
Christine Morin, Professor, Université Laval
Louise Bernier, Full Professor, Université de Sherbrooke
Sammy-Ann Lalonde, Étudiante à la maîtrise en droit notarial (L.L.M.), bachelière au baccalauréat en droit (L.L.B.) et maître à la maîtrise en sciences de la vie et droit (M.S.V.D.), Université de Sherbrooke
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tag:theconversation.com,2011:article/210504
2023-08-03T14:36:45Z
2023-08-03T14:36:45Z
Vous avez perdu un être cher : 4 signes qui indiquent que vous avez peut-être besoin de consulter un professionnel de l'accompagnement au deuil
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539823/original/file-20230727-21-stn6k1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le dialogue vous aide à accéder à vos ressources internes.</span> <span class="attribution"><span class="source">Getty Images</span></span></figcaption></figure><p>Le deuil est une réaction naturelle à la perte d'un être cher. Cette perte peut varier de la mort à la fin d'une relation. Il peut également s'agir de la perte d'une élection ou d'une partie du corps suite à une amputation. Le deuil est naturel et normal. Il sert de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/15305816/">moyen psychologique de protection contre le choc</a> provoqué par la perte. </p>
<p>Vivre le deuil causé par la mort d'un être cher est un parcours émotionnellement difficile. L'intensité de votre réaction variera en fonction de facteurs tels que la nature du décès de l'être cher, votre relation avec lui et son âge. Par exemple, les morts violentes ou la perte d'un enfant ont tendance à susciter une douleur plus profonde qu'une mort naturelle ou le décès d'une personne âgée. </p>
<p>En tant que <a href="https://www.cuea.edu/?page_id=12280">psychologue conseiller</a> qui étudie les traumatismes et la façon dont les communautés traversent le deuil, je pense que comprendre les symptômes du deuil et reconnaître les signes indiquant que vous avez du mal à surmonter votre perte en ne comptant que sur vous-même sont essentiels pour <a href="https://www.ourhouse-grief.org/grief-pages/grieving-adults/four-tasks-of-mourning/">favoriser la guérison et le bien-être de manière générale</a>. </p>
<h2>Symptômes du deuil</h2>
<p>Les symptômes courants du deuil peuvent être classés en <a href="https://psycnet.apa.org/record/1998-06044-005">quatre catégories</a>.</p>
<p><strong>Symptômes physiques</strong> : ils affectent les fonctions biologiques du corps humain. Ils peuvent inclure un changement des habitudes alimentaires, comme une suralimentation ou une perte d'appétit. Vous pouvez également ressentir une perte générale d'énergie et des problèmes gastro-intestinaux, comme la constipation et les maux d'estomac. Votre système immunitaire peut également s'affaiblir, ce qui rend plus facile de tomber malade. </p>
<p><strong>Symptômes intellectuels</strong> : ils affectent la dimension cognitive. Ils comprennent des déficits de concentration, tels que l'exécution répétée de petites tâches pour accomplir des travaux simples. On peut être confus, entraînant une désorganisation et des difficultés à se souvenir de certaines choses, comme le nom des enfants ou de certaines pièces de la maison. Prendre des décisions et apprendre de nouvelles choses peuvent également devenir difficiles. Cette réaction est le résultat de la pression accablante et des perturbations que le deuil <a href="https://speakinggrief.org/get-better-at-grief/understanding-grief/cognitive-effects">exerce sur le cerveau</a>.</p>
<p><strong>Symptômes sociaux :</strong> il s'agit notamment de la façon dont vous vous comportez avec les autres après la perte d'un être cher. Certaines personnes peuvent se replier sur elles-mêmes et cesser les activités qu'elles aiment. D'autres peuvent se montrer irritables ou avoir des sautes d'humeur. Elles peuvent également devenir plus dépendantes et avoir besoin de la présence et du soutien d'autres personnes, même pour prendre des décisions simples.</p>
<p><strong>Symptômes spirituels :</strong> ils concernent les croyances et les valeurs religieuses ou spirituelles. Le deuil peut vous amener à vous demander où était votre Dieu lorsque votre proche est décédé. Vous pouvez douter du pouvoir de votre Dieu ou de l'efficacité de vos prières. Ces réactions spirituelles sont une tentative pour comprendre le deuil par la quête d'un nouveau sens <a href="https://www.counseling.org/docs/default-source/vistas/a-shift-in-the-conceptual-understanding-of-grief---using-meaning-oriented-therapies-with-bereaved-clients.pdf?sfvrsn=4acab18c_12#page=2">en se tournant vers une puissance supérieure pour obtenir des réponses</a>.</p>
<p>Tous ces symptômes sont des réactions normales à la perte d'un être cher. Ils ne sont pas nécessairement problématiques. Cependant, les symptômes de deuil peuvent être considérés comme nocifs s'ils <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamapsychiatry/fullarticle/2788766#:%7E:text=The%20DSM%2D5%2DTR%20criteria,the%20lost%20person%20to%20a">persistent plus longtemps que la normale</a> (généralement plus de 12 mois) ou s'ils affectent votre fonctionnement à un point tel que vous n'êtes plus en mesure d'accomplir vos activités quotidiennes normales sans heurts. </p>
<h2>Les signes montrant que vous ne parvenez pas à faire face</h2>
<p>Les personnes qui ne parviennent pas à surmonter leur chagrin après la perte d'un être cher <a href="https://www.psychiatry.org/patients-families/prolonged-grief-disorder">présentent plusieurs symptômes</a>. Ces symptômes sont les suivants :</p>
<p><strong>Chagrin intense et prolongé:</strong> bien que le deuil soit un processus naturel qui prend du temps, une période prolongée de chagrin intense peut indiquer que vous avez besoin d'un soutien supplémentaire. Si votre chagrin persiste au-delà de six mois sans amélioration ou soulagement significatif, il peut être bénéfique de demander l'aide d'un professionnel.</p>
<p><strong>Perturbation de la vie quotidienne</strong>: le deuil peut perturber la vie quotidienne, mais s'il affecte de manière significative votre capacité à fonctionner, c'est peut-être le signe qu'une aide professionnelle est nécessaire. S'il vous est difficile de vous concentrer sur des tâches, de prendre des décisions ou d'effectuer des activités de routine en raison d'une tristesse accablante, vous avez peut-être besoin d'une aide psycholoqique pour surmonter le deuil. Vous pourriez également avoir besoin du soutien de vos pairs ou de vos proches. </p>
<p><strong>Souffrance émotionnelle persistante</strong> : les sentiments de vide, de solitude et une profonde nostalgie envers la personne décédée sont des aspects normaux du processus de deuil. Toutefois, si ces émotions deviennent envahissantes et perturbent constamment votre vie quotidienne, il est peut-être temps d'envisager de demander une aide professionnelle. Les conseillers en matière de deuil peuvent vous aider à gérer des émotions complexes et à trouver des mécanismes d'adaptation sains. Ces mécanismes comprennent le sport, la prière, tenir un journal de réflexion ou la célébration d'anniversaires liés à la personne décédée. </p>
<p><strong>Pensées ou comportements autodestructeurs:</strong> dans certains cas, le deuil peut conduire à penser à nuire à soi-même ou à un désir de rejoindre la personne décédée. Ces sentiments intenses d'impuissance et de désespoir nécessitent une attention immédiate. Si vous avez des pensées suicidaires persistantes ou si vous adoptez des comportements autodestructeurs, comme la consommation de drogues, pour tenter de soulager la douleur, contactez un conseiller en matière de deuil ou à un professionnel de santé mentale. C'est essentiel pour votre sécurité et votre bien-être.</p>
<h2>La voie à suivre</h2>
<p>Demander de l'aide professionnelle n'est pas un signe de faiblesse ou d'incapacité à gérer le deuil par soi-même. Au contraire, le conseil en matière de deuil offre un espace sécurisé pour exprimer vos émotions, acquérir des connaissances précieuses et apprendre des stratégies adaptées à vos besoins spécifiques. </p>
<p>Lorsque vous êtes dans cet espace sécurisé, parlez de ce que vous ressentez. Cela vous aidera à exprimer des émotions que vous aviez peut-être refoulées auparavant. Cela vous aide également à accéder à vos ressorts internes, telles que la résilience, la spiritualité et un discours positif sur vous-même. Ce dialogue vous permet également d'accepter la perte et à avancer dans votre vie. </p>
<p>Sortir du deuil prend du temps. Chercher de l'aide est une démarche courageuse pour trouver du réconfort et rétablir votre bien-être.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210504/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stephen Asatsa does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>
Le deuil est une réaction naturelle face à la perte d'un être cher, mais s'il perturebe considérablement votre vie, il est peut être temps de chercher l'aide d'un professionnel.
Stephen Asatsa, Counseling Psychologist, Catholic University of Eastern Africa
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/209843
2023-07-25T17:53:12Z
2023-07-25T17:53:12Z
Inverser la mort : l’étrange histoire de la réanimation
<p>La plupart d’entre nous savent probablement – plus ou moins – comment réanimer l’un de nos semblables. Même si vous n’avez pas suivi de cours de <a href="http://www.cfrc.fr/">réanimation cardio-pulmonaire (RCP)</a>, vous avez probablement vu la technique de nombreuses fois à la télévision ou au cinéma.</p>
<p>Les premiers moments de l’histoire de la réanimation étaient, à bien des égards, dramatiques. Ainsi, le 1<sup>er</sup> juin 1782, un journal de Philadelphie rapportait la dernière prouesse en matière de réanimation : un enfant de cinq ans avait été ramené à la vie après s’être noyé dans la rivière Delaware.</p>
<p>Le petit Rowland Oliver jouait sur l’un des quais animés qui avaient été construits lorsque l’industrialisation s’était propagée sur les rives du Delaware lorsqu’il est tombé à l’eau. Il a lutté pendant 10 minutes, puis s’est retrouvé inerte. Un ouvrier l’a sorti de l’eau et l’a ramené chez lui.</p>
<p>Bien que l'enfant ait été rendu visiblement sans vie à sa famille, le journal rapportait que ses parents se sont aperçus qu’il était seulement « mort en apparence ». Cela les a galvanisés, et ils sont passés à l’action. Ils « lui ont immédiatement enlevé tous ses vêtements, l’ont giflé » et « l’ont frotté avec des chiffons de laine trempés dans de l’alcool ».</p>
<p>Le médecin, arrivé peu après, a fait la même chose. Ils ont également plongé les pieds du petit Rowland dans de l’eau chaude et lui ont administré un agent émétique (vomitif) par voie orale. Après environ 20 minutes, la vie est revenue dans le corps du petit garçon. Une petite saignée a été pratiquée, pour atténuer d’éventuels effets secondaires, et le jeune Rowland a vite retrouvé sa vivacité habituelle.</p>
<h2>Sociétés humanitaires</h2>
<p>Ce récit n’était qu’une illustration parmi d’autres des nombreuses histoires de réanimations réussies diffusées dans les journaux par les <a href="https://www.rcpe.ac.uk/sites/default/files/jrcpe_49_2_mccabe.pdf">sociétés humanitaires</a> nouvellement créées à cette époque.</p>
<p><a href="https://royalhumanesociety.org.uk/the-society-history-and-archives/history/">Ces sociétés</a> ont émergé au milieu du XVIII<sup>e</sup> siècle à Amsterdam, ville notoirement connue pour ses canaux… dans lesquels un nombre croissant de personnes se noyaient. Leur but était d’éduquer le public sur le fait que la mort – du moins par noyade – n’était pas forcément absolue, et que les passants avaient le pouvoir d’empêcher les noyés apparemment morts de rejoindre réellement l’au-delà.</p>
<p>À Philadelphie, la résurrection du petit Rowland a rendu ces idées crédibles, et a inspiré la société humanitaire locale : celle-ci a installé le long des rivières de la ville des kits contenant des médicaments, des outils et des instructions pour ranimer les noyés.</p>
<p>Les méthodes ont évolué au fil du temps, mais jusqu’au XIX<sup>e</sup> siècle, les efforts de réanimation consistaient essentiellement à stimuler le corps pour le remettre en mouvement mécaniquement parlant. Les sociétés humanitaires recommandaient souvent de réchauffer la victime de la noyade et de pratiquer une respiration artificielle. Quelle que soit la méthode, le plus important était de redémarrer la machine corporelle.</p>
<p>La stimulation externe – les frottements et les massages pratiqués par les parents du jeune Rowland – était essentielle. De même, la stimulation interne, généralement par l’introduction de rhum ou d’une autre concoction stimulante dans l’estomac, était courante. Mais une autre méthode destinée à exciter l’intérieur du corps était plus étonnante : les sociétés humanitaires proposaient en effet de procéder à une <a href="https://www.resuscitationjournal.com/article/S0300-9572(19)30500-3/fulltext">« fumigation au tabac »</a> du côlon des victimes de noyade. Oui, vous avez bien lu : les efforts de réanimation exigeaient de souffler de la fumée de tabac dans l’anus d’un noyé apparemment morte.</p>
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<img alt="Une femme noyée est réanimée par un lavement à la fumée de tabac" src="https://images.theconversation.com/files/430009/original/file-20211103-21-3hjyf5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/430009/original/file-20211103-21-3hjyf5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/430009/original/file-20211103-21-3hjyf5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/430009/original/file-20211103-21-3hjyf5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/430009/original/file-20211103-21-3hjyf5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=514&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/430009/original/file-20211103-21-3hjyf5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=514&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/430009/original/file-20211103-21-3hjyf5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=514&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Illustration : une femme noyée est réanimée par un lavement à la fumée de tabac.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wellcome Collection</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Au XX<sup>e</sup> siècle, d’autres dangers ont émergé, eux aussi potentiellement mortels. Tout comme les noyades se sont multipliées au XVIII<sup>e</sup> siècle, en raison de l’utilisation accrue des voies navigables résultant de l’industrialisation, l’avènement de l’électricité généralisée – et des lignes électriques – ainsi que des automobiles notamment, ont ajouté l’électrocution et l’intoxication au gaz aux causes de mort possibles…</p>
<h2>Un nouveau lieu de stimulation</h2>
<p>Les méthodes de réanimation ont également évolué, les efforts se concentrant de plus sur la stimulation du cœur. Pour cela, il arrivait de manipuler un corps apparemment mort afin de le disposer dans différentes positions. Les compressions thoraciques et les techniques de respiration artificielle sont aussi devenues de plus en plus courantes.</p>
<p>Mais ces modifications de techniques n’ont pas enlevé à la réanimation son caractère « démocratique » : elle pouvait être pratiquée par quasiment n’importe qui. Ses applications restaient cependant spécifiques à certaines circonstances. En effet, la mort apparente ne pouvait résulter que d’un nombre limité de situations…</p>
<p>Les choses ont changé au milieu du XX<sup>e</sup> siècle. À cette époque, la réanimation a commencé à acquérir une réputation de traitement miraculeux, utilisable pour toutes sortes de « morts ». Les personnes capables de prodiguer ces traitements sont devenues plus spécialisées, et la réanimation s’est bientôt limitée aux professionnels médicaux ou intervenants d’urgence. De nombreuses raisons expliquent ce changement, mais une en particulier a joué un rôle crucial dans cette mutation : la reconnaissance du fait que les accidents chirurgicaux causaient eux aussi des morts apparentes.</p>
<p>Lorsque le chirurgien américain <a href="https://www.researchgate.net/publication/271915780_Never_a_Simple_Choice_Claude_S_Beck_and_the_Definitional_Surplus_in_Decision-Making_About_CPR">Claude Beck</a> parlait de ses propres tentatives de refonte de la réanimation, au milieu du XX<sup>e</sup> siècle, il évoquait souvent ce qu’était cette discipline lorsqu’il était encore en formation, à la fin des années 1910.</p>
<p>À l’époque, se souvenait-il, si le cœur d’un patient s’arrêtait sur la table d’opération, les chirurgiens ne pouvaient rien faire d’autre que d’appeler les pompiers et d’attendre qu’ils apportent un « pulmotor », le précurseur des respirateurs artificiels que nous connaissons aujourd’hui. Comme si tout le monde pouvait pratiquer la réanimation, sauf les professionnels médicaux…</p>
<p>Trouvant cela inacceptable, Beck s’est lancé à la recherche d’une méthode de réanimation adaptée aux dangers particuliers de la chirurgie.</p>
<p>Les nouvelles techniques que Beck, et d’autres chirurgiens avec lui, ont expérimentées alors reposaient toujours sur la stimulation. Mais elles s’appuyaient quelque chose dont les chirurgiens bénéficiaient plus ou moins exclusivement : l’accès à l’intérieur du corps. L’une de ces nouvelles méthodes consistait à appliquer de l’électricité directement sur le cœur (défibrillation). Une autre consistait à plonger la main dans la poitrine du patient, et à masser manuellement son cœur en était une autre.</p>
<p>Beck considérait ses premiers succès au bloc opératoire comme une promesse que ses techniques pourraient voir leur efficacité encore étendue. En conséquence, il a élargi sa définition de ce qu’était un patient ranimable. Il a ajouté à la catégorie relativement restreinte des personnes « apparemment mortes » toutes celles qui n’étaient pas « absolument et indiscutablement mortes ».</p>
<p>Beck a réalisé plusieurs films témoignant de ses succès. L’un d’eux, <em>The Choir of the Dead</em> (« Le chœur des morts »), montrait les 11 premières personnes que Beck était parvenu à réanimer se tenant debout, maladroitement côte à côte, tandis qu’il leur demandait tour à tour, sur un ton étonnamment jovial : « De quoi êtes-vous mort ? »</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1375084086256091136"}"></div></p>
<p>« Le chirurgien Claude Beck posant aux côtés de ses patients ressuscités »</p>
<p>Les techniques mises en place dans les espaces médicaux découlaient directement de la réanimation pratiquée ailleurs, elles en constituaient une extension, en quelque sorte. Il est cependant rapidement devenu évident que ces méthodes médicales, privilégiant l’accès à l’intérieur du corps, ne pourraient pas être facilement démocratisables.</p>
<p>Cela ne signifie pas que Beck n’a pas essayé de faire en sorte qu’elles sortent du cercle médical. Il imaginait même un monde où ceux qui étaient formés à ses méthodes transporteraient un scalpel de chirurgien sur eux, toujours prêts à ouvrir une poitrine pour masser un cœur et le faire repartir…</p>
<p>Mais la communauté médicale s’est révoltée, vent debout contre cette idée. Elle était non seulement inquiète de voir émerger des « civils-chirurgiens », mais aussi soucieuse de maintenir son monopole professionnel sur l’intérieur du corps.</p>
<p>Ce n’est qu’avec l’avènement, plusieurs années plus tard, de la méthode, moins choquante, de compression thoracique que l’imprimatur démocratique de la réanimation a été rétabli.</p>
<p>La vision de Beck selon laquelle la mort est généralement réversible a persisté. Elle a atteint son apogée en 1960, lorsque des études médicales déclarèrent que le taux de survie de la réanimation s’établissait à <a href="https://jamanetwork.com/journals/jama/article-abstract/328956">« plus de 70 % »</a>. Des études ultérieures <a href="https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/656324">ont corrigé cette conclusion trop optimiste</a>, mais la réputation de la réanimation en tant que traitement largement applicable et extrêmement efficace était déjà établie. Et il semblerait <a href="https://www.bmj.com/company/newsroom/patients-overestimate-the-success-of-cpr/">qu’elle persiste encore aujourd’hui, si l’on en croit des rapports récents</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209843/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Caitjan Gainty dirige le projet Healthy Scepticism financé par le Wellcome Trust.</span></em></p>
La réanimation a heureusement beaucoup évolué depuis les premières tentatives à base de lavements à la fumée de tabac.
Caitjan Gainty, Senior Lecturer in the History of Science, Technology and Medicine, King's College London
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/206241
2023-06-13T13:07:43Z
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Demandes anticipées d’aide médicale à mourir : voici comment d'autres pays l'encadrent
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/531301/original/file-20230612-172706-a8bd44.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=60%2C0%2C6720%2C4476&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">C'est une question de mois avant que les demandes anticipées d'aide médicale à mourir soit légalisées au Québec, avec des critères bien définis. D'autres pays le permettent déjà. Comment balisent-ils cette aide? </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/s-32.0001">L’aide médicale à mourir</a> (AMM) présentement en vigueur au Canada est administrée à une personne apte à y consentir. Elle consiste en l’administration, par un médecin, de médicaments qui causera la mort dans les prochaines minutes.</p>
<p>Comme dans toutes interventions, le médecin a la responsabilité de s’assurer que la personne consent à ce traitement de manière libre et éclairée. Le <a href="https://educaloi.qc.ca/capsules/consentir-a-des-soins-de-sante-ou-les-refuser/#:%7E:text=Le%20consentement%20libre%20et%20%C3%A9clair%C3%A9&text=Un%20consentement%20est%20%C2%AB%20libre%20%C2%BB%20lorsqu,de%20la%20pression%20sur%20lui.">consentement</a> est considéré libre lorsqu’il est donné de plein gré, c’est-à-dire sans subir de pression d’une tierce personne. Il est considéré éclairé lorsque la personne connaît les risques et bénéfices du traitement, ainsi que ses alternatives. </p>
<p>Pour le moment, la <a href="https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/s-32.0001">loi québécoise</a> ne permet pas de demander l’AMM de manière anticipée, par exemple à la suite d’un diagnostic de maladie d’Alzheimer qui rendra ultérieurement la personne inapte à consentir aux soins. <a href="https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/aide-medicale-a-mourir-le-projet-de-loi-sur-les-soins-de-fin-de-vie-adopte-48523">Cela changera d’ici deux ans</a>, tel qu’annoncé le 7 juin 2023 par la ministre déléguée à la Santé et aux Aînés, Sonia Bélanger. La ministre s’accorde effectivement ce délai pour mettre sur pied le processus de demandes anticipées d’AMM. </p>
<p>Nous sommes une équipe de recherche interuniversitaire comprenant des expertes en droit, en notariat, en soins palliatifs et en santé communautaire. Nous avons toutes réalisé des recherches empiriques et théoriques sur les enjeux complexes et interdisciplinaires entourant la prise de décision médicale anticipée.</p>
<p>En vue de contribuer aux discussions concernant le processus de demandes d’AMM anticipées, l’objectif de cet article est d’explorer brièvement comment les autres juridictions ayant légalisé cette pratique, soit les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et la Colombie, l’encadrent. </p>
<h2>Notaires ou médecins ?</h2>
<p>Dans le cadre de l’étude détaillée du projet du projet de loi 11, la Chambre des notaires du Québec (CNQ) a recommandé, dans un <a href="https://www.cnq.org/publications-cnq/memoire-sur-le-projet-de-loi-no-11/">mémoire</a> déposé le 15 mars 2023, que les demandes anticipées d’AMM soient formulées uniquement par acte notarié. Selon la Chambre, cette manière de procéder atteste du consentement libre et éclairé du demandeur. </p>
<p>La recommandation de la CNQ tranche avec celle émise par le <a href="https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2019/19-828-04W.pdf">Groupe d’experts indépendants sur la question de l’inaptitude et l’aide médicale à mourir</a> en 2019. Ce comité a été constitué et mandaté par le ministre de la Santé et des Services sociaux pour examiner la délicate question de l’application éventuelle de l’AMM aux personnes devenues inaptes ayant préalablement fait une demande anticipée. Tel que rapporté dans <a href="https://theconversation.com/amm-voici-pourquoi-il-serait-injustifie-de-rejeter-les-demandes-anticipees-201636"><em>La Conversation</em></a>, le groupe d’experts a conseillé que la personne apte signe un formulaire prescrit par le ministre à la suite d’une consultation avec un médecin.</p>
<h2>Pays-Bas : compétent dès 16 ans</h2>
<p>Depuis le 1<sup>er</sup> avril 2002, aux Pays-Bas, l’article 2 du <a href="https://wfrtds.org/dutch-law-on-termination-of-life-on-request-and-assisted-suicide-complete-text/"><em>Termination of Life on Request and Assisted</em></a> stipule qu’un patient âgé de 16 ans ou plus qui est apte à consentir aux soins peut rédiger une demande anticipée d’euthanasie (selon les mots employés dans ladite loi). </p>
<p>Si, à un moment ultérieur, la personne n’est plus en mesure d’exprimer sa volonté due à un état de conscience altéré ou à un coma, un médecin peut accepter la directive anticipée en tant qu’équivalent à un consentement. Le médecin doit s’assurer qu’il n’y a pas d’alternatives raisonnables à l’euthanasie. Finalement, un comité examinateur (médecin, éthicien, juriste) évalue dans chaque cas spécifique si l’euthanasie a été pratiquée conformément aux critères.</p>
<h2>Belgique : pour personnes inconscientes seulement</h2>
<p>En Belgique, la <a href="https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body.pl?language=fr&caller=summary&pub_date=02-06-22&numac=2002009590">loi du 28 mai 2002</a> relative à l’euthanasie permet à une personne apte de compléter une <a href="https://www.health.belgium.be/sites/default/files/uploads/fields/fpshealth_theme_file/formulaire_de_declaration_euthanasie.pdf">déclaration écrite</a> dans laquelle elle demande l’euthanasie de manière anticipée. Cette déclaration écrite suit un modèle prévu par la loi où sont désignés obligatoirement deux témoins et facultativement des personnes de confiance. </p>
<p>Toute personne capable d’exprimer sa volonté, qu’elle soit majeure ou mineure émancipée, peut rédiger une déclaration anticipée. L’euthanasie, demandée de manière anticipée alors que la personne était apte, ne peut être pratiquée que si la personne est dans un état d’inconscience irréversible et incapable d’exprimer sa volonté. Ainsi, les personnes souffrant de démence qui ne sont <a href="https://lop.parl.ca/sites/PublicWebsite/default/fr_CA/ResearchPublications/2015116E">pas inconscientes ne sont pas éligibles</a>.</p>
<p>Avant de pratiquer l’euthanasie, le médecin a l’obligation de consulter un autre médecin à propos du caractère irréversible de l’état de santé du ou de la patiente, ainsi que les personnes de confiance mentionnées sur la demande s’il y a lieu.</p>
<h2>Luxembourg : personne majeure et apte</h2>
<p>Au Luxembourg, la <a href="https://sante.public.lu/dam-assets/fr/publications/e/euthanasie-assistance-suicide-questions-reponses-fr-de-pt-en/euthanasie-assistance-suicide-questions-fr.pdf">loi du 16 mars 2009</a> sur l’euthanasie et l’assistance au suicide indique que toute personne majeure et apte peut manifester en avance ses dispositions de fin de vie et les circonstances et conditions dans lesquelles elle désire recevoir une euthanasie. </p>
<p>Les demandes doivent obligatoirement être enregistrées auprès de la Commission nationale de Contrôle et d’Évaluation. Le demandeur ou la demanderesse doit désigner une personne de confiance qui fera le lien avec un médecin traitant au moment opportun. Pour pouvoir avoir recours à l’euthanasie, le patient ou la patiente doit être dans une situation d’inconscience irréversible ou souffrir d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable. Ainsi, comme en Belgique, les personnes souffrant de démence qui ne sont <a href="https://lop.parl.ca/sites/PublicWebsite/default/fr_CA/ResearchPublications/2015116E">pas inconscientes ne sont éligibles</a>.</p>
<h2>Colombie : approbation d’un comité</h2>
<p>En Colombie, la <a href="https://www.minsalud.gov.co/Normatividad_Nuevo/Resoluci%C3%B3n%201216%20de%202015.pdf">résolution</a> reconnaît la valeur d’une demande anticipée d’euthanasie depuis 2015. </p>
<p>Lorsqu’une directive anticipée est indiquée sur un document approprié, le représentant ou la représentante de la personne visée peut faire la demande en son nom au moment jugé opportun. Malgré l’existence d’une telle directive, le représentant ou la représentante peut retirer cette demande et choisir une alternative. Dans tous les cas, avant de procéder à l’euthanasie, la demande doit être approuvée par un comité composé d’un médecin spécialisé dans la pathologie de la personne visée autre que le médecin traitant, d’un avocat et d’un psychologue clinicien ou d’un psychiatre.</p>
<h2>La juridiction diffère, mais la collaboration demeure</h2>
<p>Les lois encadrant le processus de demandes anticipées d’aide médicale à mourir diffèrent d’une juridiction à l’autre. Toutefois, dans tous les cas, la collaboration interdisciplinaire et intersectorielle est nécessaire. </p>
<p>Si Québec choisit de suivre la recommandation de la Chambre des notaires, à savoir que les demandes d’aide médicale à mourir sont complétées uniquement par leurs membres, il pourrait être judicieux que ces derniers aient, au minimum, accès à des formations spécifiques. Il faut en effet s’assurer que leur client ou cliente connaisse de façon juste et précise le traitement proposé, en occurrence l’aide médicale à mourir, ses risques et bénéfices et les alternatives.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206241/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ariane Plaisance a reçu des financements de la Chambre des notaires du Québec.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Christine Morin a reçu des financements de la Chambre des notaires du Québec. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Diane Tapp est membre de l'Ordre des infirmiers et infirmières du Québec.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Louise Bernier et Sammy-Ann Lalonde ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>
La loi québécoise ne permet pas les demandes anticipées d’aide médicale à mourir. Mais cela pourrait changer rapidement. Des pays l’appliquent déjà. Comment encadrent-ils cette pratique ?
Ariane Plaisance, Stagiaire post-doctorale, Université du Québec à Rimouski (UQAR)
Christine Morin, Professor, Université Laval
Diane Tapp, Professeure titulaire, Université Laval
Louise Bernier, Full Professor, Université de Sherbrooke
Sammy-Ann Lalonde, Étudiante à la maîtrise en droit notarial, Université de Sherbrooke
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/205491
2023-06-06T19:51:11Z
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Débat : L’intelligence artificielle peut-elle accompagner les personnes en deuil ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/530094/original/file-20230605-29-txypkm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C1278%2C808&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Par l'intermédiaire d'un robot conversationnel, il est désormais possible d'échanger avec l'avatar d'une personne disparue.</span> </figcaption></figure><p>Le débat sur <a href="https://theconversation.com/chatgpt-pourquoi-tout-le-monde-en-parle-197544">ChatGPT et les IA génératives</a> n’en finit pas de rebondir, à travers les nouvelles applications qu’il suscite à peine quelques mois après sa mise en ligne. Un récent documentaire d’<em>Envoyé spécial</em> sur France 2 (27 avril 2023) présentait justement une application qui utilise GPT-3 et permet à l’utilisateur de recréer un dialogue avec des personnes disparues. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=RgyOAWt3d1M">« Project December (Simulate the Dead) »</a> est sans doute un cas extrême d’usage d’un agent conversationnel issu de GPT-3 mais nous dit beaucoup du manque de repères des sociétés dites occidentales pour faciliter le deuil de manière collective et encadrée dans le temps comme l’ont fait les civilisations qui nous précèdent.</p>
<h2>Discuter avec nos chers disparus</h2>
<p>« Project December » permet à quiconque, pour 10 dollars, d’ouvrir un compte et de discuter avec un programme d’intelligence artificielle (breveté) qui simule les propos d’une personne décédée pour un maximum de cent échanges et une durée d’une heure. Il faut pour cela renseigner un long questionnaire qui comporte deux grandes rubriques : identité de la personne (nom, surnom, dates, lieux, professions et même nom du chien si nécessaire), traits de personnalité (décrits de façon très binaire : ex : sûr/confiant/stable vs soucieux/nerveux/perturbé) auxquelles s’ajoute un extrait de texte produit par ces personnes décédées. Le reportage d’<em>Envoyé spécial</em> montre ainsi un homme qui vient de perdre sa mère et qui pose chaque jour des questions à son avatar synthétique, questions qu’il n’avait pas pu lui poser avant son décès.</p>
<p>Pour les besoins du reportage, le créateur de l’application organise aussi, en compagnie du journaliste, un dialogue avec l’agent conversationnel au-dessus de la tombe du philosophe, poète et naturaliste américain <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/ils-ont-pense/thoreau-l-arpenteur-1308444">Henry David Thoreau</a> en utilisant une de ses citations les plus célèbres : « le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins », conforme à son idéologie libertarienne prônant toujours « moins d’état » – une idéologie qui est <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-code-a-change/le-code-a-change-5377655">aussi celle de la Silicon Valley</a>.</p>
<p>Questionné artificiellement via l’application sur les usages toxiques éventuels de l’outil « Project December », l’avatar simulé de Thoreau répond que toute la responsabilité repose sur l’utilisateur, comme dans le cas d’un constructeur automobile qui ne peut pas être considéré comme responsable des comportements des mauvais conducteurs.</p>
<h2>Un mépris des processus de deuil ?</h2>
<p>Le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/22/le-solutionnisme-technologique-cette-foi-en-l-innovation-qui-evite-de-penser-le-changement_6166463_3232.html">solutionnisme technologique</a> nommé ainsi par le <a href="https://www.contretemps.eu/solutionnisme-technologique-mythes-silicon-valley-facebook-zuckerberg/">chercheur Evgeny Morozov</a>, dans son élan disruptif, semble balayer toute pensée un tant soit peu argumentée des conséquences psychiques ou culturelles d’un tel traitement de la relation avec les morts.</p>
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<p>Il méprise les enjeux anthropologiques des <a href="https://theconversation.com/comment-penser-la-mort-en-france-200562">processus de deuil</a> et toutes les connaissances sur ce processus développées à la fois par la psychologie et par l’étude des traditions.</p>
<p>Si la psychanalyse considère le deuil comme un processus psychique par lequel une personne parvient à se détacher de la personne disparue et à donner du sens à cette perte, les fêtes des morts dans les traditions anciennes contribuent à un processus similaire, redonner un sens à la vie.</p>
<p>Prenons l’exemple de la fête des Morts au Mexique : elle dure deux jours, et consiste à visiter la tombe où reposent les défunts de la famille, à faire un repas autour d’elle, en musique. Selon les cas, une veille est organisée durant toute la nuit. À cette occasion, les cimetières sont remplis de familles, d’une grande quantité de fleurs orange et de bougies. Tout cela crée une ambiance particulièrement vivante. Les familles installent aussi provisoirement un autel à la maison avec les portraits des défunts, des fleurs, de la nourriture, des bougies, etc.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/530050/original/file-20230605-17-p7n0ak.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530050/original/file-20230605-17-p7n0ak.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530050/original/file-20230605-17-p7n0ak.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530050/original/file-20230605-17-p7n0ak.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530050/original/file-20230605-17-p7n0ak.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530050/original/file-20230605-17-p7n0ak.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530050/original/file-20230605-17-p7n0ak.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Dia de los Muertos, au Mexique, un rituel collectif de commémoration des morts.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Esqueletos_de_decoraci%C3%B3n_de_D%C3%ADa_de_Muertos.JPG">Wikimedia</a></span>
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<p>Trois dimensions sociales et psychiques ressortent de ces rituels : </p>
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<li><p>la fête des morts – le deuil – est une invitation collective, </p></li>
<li><p>le contact recherché avec les défunts n’a rien de spiritiste, on ne pose pas de questions précises</p></li>
<li><p>la fête des morts a une durée bien délimitée. </p></li>
</ol>
<p>Ces trois aspects font comprendre le soin apporté à la santé mentale individuelle et collective des sociétés. Le souvenir des morts se réalise dans un cadre de rencontres sociales et de protocoles qui aident à l’ancrage dans la vie.</p>
<h2>Un deuil sans intermédiaire</h2>
<p>Dans nos sociétés occidentales, le christianisme et les thérapies ont pris en charge ce processus de deuil sous des formes déjà affaiblies. Les rituels chrétiens ont tendance <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/la-religion-devoilee-une-nouvelle-geographie-du-catholicisme">à s’épuiser</a> – en 2018, 48 % des Français souhaitent une cérémonie religieuse lors de leur décès – bien que le prêtre continue à jouer un rôle d’intermédiaire-clé, même pour les non-croyants. Les thérapeutes, eux, effectuent ce travail contre rémunération, tandis que le personnel médical se retrouve en situation de gérer ces moments de deuil bien au-delà de ses fonctions.</p>
<p>Par contraste, l’application « Project December » ne semble pas endosser la moindre responsabilité lorsqu’elle place les personnes en situation de relation solitaire avec des conversations simulant les pensées de la personne décédée. S’il y a bien une forme de médiation – en l’occurrence, celle de l’intelligence artificielle –, celle-ci sort de tout cadre collectif, au risque d’amplifier l’espace des fantasmes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-internet-change-la-maniere-de-faire-son-deuil-101908">Comment Internet change la manière de faire son deuil</a>
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<p>Chacun est laissé à sa souffrance, à ses peurs, que l’agent conversationnel doit obturer ou encourager par des réponses, toujours très banales. L’usager témoignant dans le reportage d’<em>Envoyé spécial</em> raconte sa vie ordinaire ou exprime ses sentiments à sa mère. Il lui parle comme si elle n’était pas décédée, ce qui fait craindre à ses enfants qu’il reste enfermé dans cette « relation ».</p>
<p>Or, dans ces rites de passage, les mots doivent être choisis prudemment pour aider à retrouver une place, la sienne et celle de la personne décédée. C’est pour cette raison que des intermédiaires sont mobilisés dans toutes les traditions. Même si l’usager n’est pas dupe et que l’application l’encourage à s’exprimer, elle tend à éliminer les médiateurs humains, sans filet de sécurité : une façon risquée d’« ubériser » les prêtres, les chamanes et les thérapeutes…</p>
<h2>Les nécessaires temps de silence</h2>
<p>Dans les rites ou la thérapie du deuil, des temps de silence s’imposent. Les rituels établissent une période précise consacrée au deuil ou à la commémoration des décédés, ce qui libère la vie quotidienne de cette relation. L’IA à base de GPT-3 ne laisse jamais l’utilisateur en silence, c’est un bavard impénitent, une machine à réponses. Elle n’est pas capable d’accompagner dans une écoute profonde, mais tourne, même en boucle, pour pallier à l’absence, le vide insupportable qui est au fond le plus grand drame du deuil.</p>
<p>L’enfermement solitaire dans un dialogue simulé, fondé sur quelques indices réalistes en utilisant de modèles statistiques probabilistes de la langue, a quelque chose d’obscène : il amplifie encore nos tendances commercialement encouragées à vivre dans un monde du « fake », fondé sur des trames narratives articulées aux codes publicitaires.</p>
<p>Une fois de plus, ce sont les artefacts (les interfaces et les algorithmes) qui sont supposés combler un manque criant d’intersubjectivité, de lien social, de dynamique d’échanges authentiques. Ces objets de substitution deviennent cependant critiques dans les cas de deuils et ne devraient pas être manipulés sans précaution. Les agents conversationnels de type GPT prospèrent cependant sur l’incapacité de nos sociétés dites rationnelles à fournir des repères sur une question si fondamentale pour l’âme humaine <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Imagined_Communities">comme le soulignait l’anthropologue Benedict Anderson</a>.</p>
<p>Des applications comme Project December reflètent un laisser-faire anti-institutions que l’on rencontre dans toutes les firmes de la Silicon Valley à travers leur slogan « Rough Consensus and Running Code », expression de John Perry Barlow dans son <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9claration_d%27ind%C3%A9pendance_du_cyberespace">« manifeste pour l’indépendance du cyberspace »</a> de 1996.</p>
<p>Selon cette doctrine, les décisions de développement des applications, des normes, des services relèvent d’un consensus vague entre les parties prenantes et la production du code ne doit jamais s’arrêter, facilitant les innovations disruptives qui n’anticipent pas leurs conséquences sociales et culturelles.</p>
<p>Ce désencastrement de l’IA vis-à-vis des principes sociaux et organisationnels et sa prétention à tout refonder sur la base de la puissance de ses calculs probabilistes qui optimisent tout, se retrouvent ici dans ce jeu avec l’esprit des morts. On jongle avec les relations avec les morts comme on jongle avec les mots.</p>
<p>Comment réguler ce « running code » irresponsable dès lors qu’il est si aisé à reproduire et que les frontières des états ne sont en rien suffisantes <a href="https://www.boullier.bzh/livres/propagations-un-nouveau-paradigme-pour-les-sciences-sociales/">pour freiner son adoption immédiate dans tous les pays</a>, sans respect pour aucune législation existante ?</p>
<p>Seuls les grands ensembles institutionnels qui sont aussi des grands marchés comme l’Europe ont la puissance nécessaire pour obliger toutes ces IA et leurs applications à demander une « autorisation préalable de mise sur le marché », comme cela se fait pour la plupart des produits de l’industrie, de l’alimentation aux médicaments, en passant par l’automobile. L’<a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/artificial-intelligence-act-voici-ce-que-prepare-l-union-europeenne-pour-encadrer-l-ia-6603830">IA Act</a> en cours de validation en Europe tout comme <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/05/05/intelligence-artificielle-joe-biden-rappelle-aux-patrons-du-secteur-leur-devoir-d-affronter-les-dangers-de-leurs-logiciels_6172177_3234.html">l’administration Biden</a> doivent prendre la mesure de ces enjeux anthropologiques dans leurs tentatives de régulation, puisque même nos relations avec les morts peuvent en être affectées, alors qu’elles sont constitutives de notre <a href="https://theconversation.com/quest-ce-qu-etre-en-deuil-le-point-de-vue-du-psychologue-191000">sensibilité humaine</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205491/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Mieux vivre le deuil à l’aide d’un « agent conversationnel » qui permet de prolonger la conversation avec des proches disparus représente une rupture anthropologique qu’il faut questionner.
Dominique Boullier, Professeur des universités émérite en sociologie. Chercheur au Centre d'Etudes Européennes et de Politique Comparée, Sciences Po
Rebeca Alfonso Romero, Doctorante en géographie culturelle, Sorbonne Université
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/206423
2023-05-30T16:11:42Z
2023-05-30T16:11:42Z
Les politiques publiques doivent-elles sauver des vies ou des années de vie en plus ?
<p>Les dépenses publiques pour réduire la mortalité doivent-elles tenir compte de l’âge ? Par exemple, à la suite d’une intense vague de chaleur ou d’une violente épidémie, convient-il d’éviter d’abord le décès d’enfants, d’adultes ou de vieilles personnes ? Dit autrement, pour un budget donné doit-on chercher à sauver le plus grand nombre de vies possibles, sans opérer de distinction d’âge parmi elles, ou sauver le plus grand nombre d’années de vie possibles en privilégiant la population qui bénéficie d’une espérance de vie plus longue car plus jeune ?</p>
<p>La question est vivement débattue chez les économistes. Elle y prend la forme d’un choix de l’emploi de la valeur d’une vie humaine uniforme ou de la valeur d’une année de vie humaine, deux notions qui peuvent être mises en regard des dépenses publiques pour évaluer leur pertinence et les comparer. Nous préconisons de compter selon les années de vie gagnées – donc selon l’âge – lorsque les aléas frappent avant tout les personnes âgées. Comme dans le cas des canicules ou du Covid-19. Rappelons qu’en France <a href="https://www.inserm.fr/wp-content/uploads/2017-11/inserm-rapportthematique-surmortalitecaniculeaout2003-rapportfinal.pdf">86 % des décès de la canicule de 2003</a> et <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5432505?sommaire=5435421">83 % des décès de l’épidémie du SARS-CoV-2</a> ont affecté des personnes de 70 ans et plus.</p>
<h2>Quelle est la « valeur statistique d’une vie » ?</h2>
<p>Avant d’argumenter ce choix, nous devons revenir à quelques notions et principes de base du calcul économique. Afin de mieux répartir les dépenses publiques pour sauver des hommes, l’économie appliquée a besoin de chiffres. Pour décider quelles actions mener contre les accidents de la route ou contre le tabagisme, il est nécessaire de comparer leurs coûts aux bénéfices en termes de vies humaines épargnées. Et comme le coût s’exprime en euros, il faut bien aussi exprimer les bénéfices en euros.</p>
<p>On arrive ainsi à la notion consacrée de « valeur statistique d’une vie ». Attention, il ne s’agit pas du prix d’une vie : depuis la fin de l’esclavage, il n’y a plus de marché, donc de prix des vies humaines. Il ne s’agit pas plus d’une valeur de <em>la</em> vie, et encore moins de <em>la</em> valeur de <em>la</em> vie. Il s’agit d’une valeur statistique à double titre. En premier lieu, elle reflète la diminution d’un risque individuel de décès qui résulte d’une politique publique. À ce titre, elle ne doit pas être confondue avec une valeur des vies humaines. En second lieu, elle concerne un individu non identifié.</p>
<p>Imaginons une société de 100 000 individus qui envisagent de financer un projet public de sécurité. Supposons que chacun soit prêt à payer 100 euros en moyenne pour réduire la probabilité de décès de 3/100 000 à 1/100 000, soit 2 décès en moins pour l’ensemble de cette société. On en déduira une « valeur statistique d’une vie » de 5 millions d’euros (100.000x100/2). Ou, selon une formulation bien meilleure mais plus longue, « le coût d’évitement d’une mort anonyme additionnelle » de 5 millions d’euros.</p>
<p>Cette approche statistique constitue un instrument d’aide à la décision publique visant à réduire le risque de mortalité et à le faire le plus intelligemment possible. L’État ne peut pas consacrer exclusivement son budget à sauver des vies humaines. Il est important d’estimer s’il convient de dépenser un peu plus pour prévenir les maladies cardio-vasculaires que pour les soigner, pour lutter contre l’alcool et l’héroïne, ou encore pour réduire les accidents de la route et d’avion. L’enjeu est d’épargner le plus de vies possible avec un budget donné.</p>
<p>Bien entendu, la mort ne peut pas être perpétuellement évitée. Intuitivement, la valeur d’un individu pour retarder sa mort dépend du temps gagné – un an c’est mieux qu’une semaine – et de l’âge – un an de plus à 40 ans c’est mieux qu’un an de plus à 80 ans. D’où la seconde notion, celle de « valeur statistique d’une année de vie », pour désigner la perte d’une année de vie en moins.</p>
<h2>Trois millions d’euros en moyenne pour une vie sauvée en plus</h2>
<p>Une des méthodes largement utilisées pour estimer ces valeurs consiste à demander aux individus eux-mêmes ce qu’ils sont prêts à payer pour une réduction du risque. Les montants déclarés sont ensuite agrégés et les moyennes calculées.</p>
<p>Le recensement le plus complet des études portant sur la valeur d’une vie humaine sauvée est celui produit par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 2012. Il couvre les quelque 1000 études académiques faites sur le sujet ; il les classe selon le type de risque pris en compte (transports, santé, environnement), selon le type d’enquêtes (questionnaire administré face à face, par téléphone, par échanges de courriels, etc.), selon la méthode (analyse contingente dans laquelle on demande à l’interviewé la somme d’argent qu’il est prêt à consacrer pour une réduction de X de son risque de décès au cours de l’année prochaine ; ou l’analyse conjointe où on demande à l’interviewé son choix entre deux situations qui lui sont proposées et qui diffèrent par le risque et par la somme d’argent qu’il doit payer). Ce recensement a abouti à une <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/fr/environment/la-valorisation-du-risque-de-mortalite-dans-les-politiques-de-l-environnement-de-la-sante-et-des-transports_9789264169623-fr">valeur moyenne statistique d’une vie de 3 000 000 euros</a> pour l’ensemble de l’OCDE.</p>
<p>À côté de ces nombreuses estimations de la valeur statistique d’une vie, celles qui portent sur l’année de vie sont plus rares. Citons comme exemple une étude, portant sur plus d’un millier de personnes interrogées en 2010 dans plusieurs pays européens, qui aboutit à un montant de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1470160X10002116">40 000 euros pour la valeur d’une année de vie</a>. La question portait sur leur consentement à payer pour un gain d’espérance de vie de 3 mois ou de 6 mois selon un scénario de réduction de la pollution plus ou moins ambitieux.</p>
<p>Derrière ce type de résultats, il faut imaginer des protocoles aussi précis que complexes (en particulier pour expliquer les difficiles notions de risque et de probabilité) et des jeux de questions testées avec rigueur et formulées avec soin. Il faut savoir aussi que les valeurs obtenues dans les réponses sont dispersées parmi les individus soumis à la même enquête.</p>
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<p>Plus élevée pour les individus plus riches, par exemple. Idem pour les valeurs moyennes obtenues d’une enquête à l’autre selon les protocoles choisis et les questions posées. Elles sont plus élevées pour un programme de santé que pour un projet d’aménagement routier. Pour tenir compte des progrès théoriques et de la multiplication des travaux appliqués, les valeurs officiellement recommandées ou adoptées par les administrations évoluent d’ailleurs avec le temps.</p>
<p>En France, la valeur statistique d’une vie est ainsi passée de la première référence en1970 à la plus récente en 2013 <a href="https://jeromemathis.fr/livre/">d’un peu moins de 300 000 d’euros d’aujourd’hui à un peu plus de trois millions</a> d’aujourd’hui. L’un des auteurs de cet article a d’ailleurs dirigé les réflexions et les travaux qui ont abouti en 2013 au choix de ce montant ainsi qu’au montant de 160 000 euros pour la valeur statistique de l’année de vie. Le <a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/archives/Elements-pour-une-r%C3%A9vision-de-la-valeur-de-la-vie-humaine.pdf">rapport</a> qui justifie ces valeurs précise qu’il est utile de recourir à l’année de vie perdue pour compléter les analyses et les calculs quand « la question de l’âge se pose ». Il ne recommande pas toutefois dans ce cas d’employer uniquement cette valeur. Il convient désormais de trancher ce ni oui ni non.</p>
<h2>Fair innings</h2>
<p>Pourquoi proposons-nous d’opter en faveur d’une valeur tenant compte de l’âge ?</p>
<p>Examinons d’abord les conséquences d’un tel choix. Les personnes âgées ayant moins d’années à vivre devant elles, le passage d’une comptabilité en valeur d’une vie perdue à une comptabilité en année de vie perdue conduit à retenir proportionnellement moins de projets de réduction du risque de mortalité en leur faveur. Par exemple, dans le choix entre un projet qui évite des décès de canicule et un projet qui évite des décès d’accident de la route et donc bénéficie à une population plus équilibrée en âge, le premier sera économiquement plus avantageux, toutes choses égales par ailleurs.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">En France, la valeur statistique d’une vie est ainsi passée de la première référence en1970 à la plus récente en 2013 d’un peu moins de 300 000 d’euros d’aujourd’hui à un peu plus de trois millions d’aujourd’hui.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.wallpaperflare.com/label-tag-string-shape-card-space-paper-mockup-design-space-wallpaper-awxrs">Wallpaperflare</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Le choix d’une valeur ou d’une autre relève ainsi d’un souci de justice intergénérationnelle, soit celui de privilégier les vieilles générations soit celui de privilégier les jeunes générations.</p>
<p>Privilégier ces dernières et non l’inverse repose sur l’idée que chacun disposerait d’une durée d’existence semblable égale à l’espérance de vie de sa classe d’âge. Toute personne qui décèderait plus tôt subirait une injustice que la collectivité devrait prévenir. Ce <a href="https://www.jstor.org/stable/27504067">principe</a> est défendu par un économiste de la santé anglais, Alan Harold Williams. Il s’est inspiré des réflexions d’un <a href="https://philpapers.org/rec/HARTVO-4">philosophe compatriote</a>. En référence au sport national de l’Angleterre, il porte le nom d’argument du <em>Fair innings</em>, ce dernier terme désignant une manche du jeu de cricket pour l’équipe du batteur.</p>
<p>Il pose que l’évitement de décès de personnes ayant franchi ou s’approchant du cap de la vieillesse n’est pas acceptable s’il peut seulement être obtenu en coûtant des vies à ceux qui en sont loin. Une telle situation apparaît quand la société s’est fixé un budget contraint pour les dépenses de santé et de sécurité civile. Plus largement, l’argument du <em>Fair innings</em> rejoint l’idée d’une <a href="https://hal-univ-paris-dauphine.archives-ouvertes.fr/halshs-03670001/">réduction légitime des inégalités de durée de vie</a> entre les individus.</p>
<p>Observons que ce principe n’est pas sans références imagées. Par exemple à travers la formulation populaire « d’années de bonus » pour qualifier celles au-delà de l’espérance de vie. Ou même dans la Bible spécifiant que « Les jours de nos années <a href="https://lire.la-bible.net/76/detail-traduction/chapitres/verset/Psaumes/90/10/SEG">s’élèvent à 70 ans</a> » et suggérant que ceux qui vivent plus longtemps n’ont pas à en tirer orgueil car <a href="https://www.bibliaplus.org/fr/commentaries/4/commentaire-biblique-par-albert-barnes/psaume/90/10">ils n’y sont pour rien</a>.</p>
<h2>Courbe en U renversé</h2>
<p>Dès lors, quelle valeur du coût d’une année de vie en moins évitée choisir ?</p>
<p>Une première façon consiste à la déterminer à partir de la « valeur statistique d’une vie » en la saucissonnant. Pour un individu de 40 ans bénéficiant d’une espérance de vie de 78 ans, la valeur d’une tranche d’une année de vie est égale à la « valeur statistique d’une vie » divisée par 38 (i. e., 78 – 40). Mais pour tenir compte dans le temps de l’arbitrage entre consommer aujourd’hui ou demain, il est nécessaire d’actualiser le nombre d’années de vie au dénominateur. C’est l’approche suivie dans le rapport cité plus haut qui aboutit au montant de 160.000 euros en prenant un taux d’actualisation de 3 %.</p>
<p>Cette façon de faire est très commode car on dispose d’un beaucoup plus grand nombre de travaux qui déterminent directement la valeur statistique « d’une vie » plutôt que « d’une année de vie ». Une de ses principales faiblesses est que le résultat est très sensible au taux d’actualisation alors qu’il n’a pas été observé. Il résulte d’un choix des experts et ce choix comporte donc une part d’arbitraire.</p>
<p>Une seconde méthode repose encore sur la « valeur statistique d’une vie » mais considère qu’elle n’est pas indépendante de l’âge. Un grand nombre d’enquêtes et de modèles laissent penser en effet que c’est bien le cas. Ils montrent que la valeur d’une vie en fonction de l’âge prend approximativement la forme d’un U renversé. Elle augmente rapidement au cours des jeunes années, se stabilise à l’âge adulte et diminue plus ou moins vite au cours de la vieillesse. La forme précise du U renversé et donc la valeur d’une année de vie selon l’âge, qui n’est donc plus constante contrairement à la première méthode, diffère cependant beaucoup selon les études.</p>
<p>Une troisième façon consiste à repérer à travers des questions auprès des individus comment leur déclaration sur la valeur d’années de vie additionnelles varie selon leur âge. Il existe cependant extrêmement peu de travaux en France ou ailleurs procédant de cette façon.</p>
<p>En attendant que ce type d’enquêtes directes se développent ou d’autres avancées de la recherche, nous suggérons d’employer l’une des deux autres méthodes. Mais nous recommandons que la présentation des résultats pour évaluer telle ou telle dépense publique soit accompagnée d’une étude de sensibilité au taux d’actualisation et courbes de U renversés choisies.</p>
<p>Concluons par deux observations qui rejoignent les débats et réflexions actuelles sur la fin de vie. En premier lieu, la pondération des vies sauvées par le nombre d’années de vie gagnées doit naturellement tenir compte de la qualité de vie au cours de ces années gagnées. C’est un autre pan bien fourni de la recherche économique qui prolonge ceux mentionnés ici. Il s’est notamment développé dans le secteur de la santé. En second lieu, notre proposition doit être discutée et débattue au-delà des experts de la question et de l’administration. Il ne s’agit pas d’un choix technocratique. Les citoyens doivent y être associés et en délibérer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206423/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Plusieurs travaux ont tenté d’apporter des réponses à ce dilemme qui reste largement débattu chez les économistes.
François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris - PSL
Emile Quinet, Professeur émérite Ecole des Ponts-ParisTech et membre associé de Paris School of Economics, École des Ponts ParisTech (ENPC)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/203860
2023-05-23T17:50:33Z
2023-05-23T17:50:33Z
La personne de confiance : cet accompagnant (mal connu) de la fin de vie
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/523189/original/file-20230427-637-yjanau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=26%2C44%2C5964%2C3943&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La personne de confiance peut être le porte-parole qui occupe la première place dans la hiérarchie des témoignages auprès des équipes médicales lorsque vous êtes dans l’incapacité de vous exprimer.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/mains-vieille-vieillesse-âgé-2906458/">Sabine Vanerp / Pixabay</a></span></figcaption></figure><p>Sur votre <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/03/29/trottinette-electrique-l-age-minimum-d-utilisation-va-passer-a-14-ans_6167355_823448.html">trottinette électrique</a>, vous rentrez d’une soirée. C’est bête. Vous n’avez pas senti arriver dans votre dos cette voiture. Maintenant inconscient, vous souffrez d’un traumatisme crânien grave. Vos parents et votre petit(e) ami(e) <a href="https://theconversation.com/patients-en-etat-vegetatif-ou-commence-lobstination-deraisonnable-dans-les-soins-93825">se déchirent</a> dans les couloirs d’un hôpital sur une décision de limitation thérapeutique. <a href="https://theconversation.com/la-clause-de-conscience-chez-les-professionnels-de-sante-quelle-application-pour-la-fin-de-vie-199427">Les soignants</a> les regardent, désemparés. Qui devraient-ils écouter dans cette famille frappée par la douleur ?</p>
<h2>Un porte-parole choisi par le patient</h2>
<p>La personne de confiance peut être le porte-parole qui occupe la première place dans la hiérarchie des témoignages auprès des équipes médicales lorsque vous êtes dans l’incapacité de vous exprimer. Encore faut-il l’avoir désignée. Auriez-vous choisi votre père, votre mère ou votre petit(e) ami(e) ? Si vous êtes en pleine possession de vos capacités cognitives, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041721063">loi française</a> vous autorise, à tout moment de votre vie, à nommer un membre de votre famille, un ami ou même votre médecin généraliste. Cette nomination doit se faire par écrit, sur un document co-signé par le patient et la personne désignée.</p>
<p>En France, <a href="https://www.parlons-fin-de-vie.fr/wp-content/uploads/2023/02/BVA-CNSPFV-Les-directives-anticipees-le-regard-des-Francais-et-des-medecins-generalistes-6-fevrier-2018-Presentation.pdf">seuls 11 % des patients</a> rédigent des <a href="https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2016-11/da_formulaire_v2_maj.pdf">directives anticipées</a>. La majorité des patients laissent ainsi leur fin de vie dans les mains de l’équipe médicale et de leurs proches, <a href="https://theconversation.com/fin-de-vie-plutot-que-des-directives-anticipees-parlons-de-directives-concertees-194573">sans plus d’instructions</a>. Lorsque les proches ont des avis divergents, comme dans le cas de <a href="https://www.huffingtonpost.fr/life/article/l-affaire-vincent-lambert-met-en-lumiere-l-importance-des-directives-anticipees_145432.html">l’affaire Vincent Lambert</a>, il peut être intéressant de nommer une personne de confiance, avec qui vous auriez eu une discussion libre sur vos volontés médicales.</p>
<h2>Un dispositif mal connu</h2>
<p><a href="https://osf.io/wh9ct/">Une recherche en cours</a> montre le manque de statistiques nationales régulières et exhaustives sur la désignation de personnes de confiance par les patients en France. Plusieurs articles scientifiques indiquent que la situation varie dans le temps et dans l’espace, avec certaines études rapportant des taux de désignation <a href="https://www.em-consulte.com/article/767882/le-point-de-vue-des-patients-sur-la-personne-de-co">inférieurs à 50 %</a> et d’autres des <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4391307/">taux supérieurs à 50 %</a>
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<p>La connaissance du dispositif est encore perfectible dans la population. Une <a href="https://www.researchgate.net/publication/257696332_Connaissances_et_pratiques_vis-a-vis_de_la_designation_de_la_personne_de_confiance_au_centre_hospitalier_de_Cayenne_Guyane">étude de 2013</a> rapporte que les patients comprennent mal comment la personne de confiance est désignée : plus de la moitié des patients interrogés pensaient qu’une désignation à l’oral suffisait.</p>
<p>Les individus ont aussi tendance à <a href="https://www.researchgate.net/publication/303028970_Personne_de_confiance_un_partenaire_dans_la_decision_partagee">confondre</a> personne de confiance et personne référente. Certes, la personne référente reçoit des informations en cas de problème, mais elle n’a pas le rôle de porte-parole des volontés du patient.</p>
<p><a href="https://osf.io/wh9ct/">La recherche</a> montre aussi que les individus attribuent à la personne de confiance des tâches qui ne sont pas celles prévues par la loi. Par exemple, les patients et les personnes de confiance évoquent l’aide aux tâches de la vie quotidienne, la gestion des problèmes administratifs ou encore le rôle de médiateur dans les relations familiales ou dans les relations entre l’équipe médicale et les proches.</p>
<h2>Est-ce que je voudrais mourir comme ça ?</h2>
<p>Lorsque l’état du patient ne permet pas aux soins médicaux de le guérir se pose la question de la « qualité du décès ». Seulement <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/18443263/">35 % des infirmières</a> sont satisfaites de la qualité de la mort de leur patient. Or, la désignation par le patient d’une personne de confiance est un des facteurs favorisant leur perception d’une « bonne » mort.</p>
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<p>La présence d’une personne de confiance peut avoir un <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31287201/">effet sur le type de décision</a> prise par les équipes médicales dans les situations de fin de vie. Lorsque les proches perçoivent un traitement comme disproportionné et non bénéfique, cela <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26092498/">peut influencer</a> les décisions des équipes médicales. Certaines personnes de confiance endossent un <a href="https://www.researchgate.net/publication/303028970_Personne_de_confiance_un_partenaire_dans_la_decision_partagee">rôle de protecteur</a> du patient et tentent de maintenir leurs proches en vie, malgré l’avis des soignants.</p>
<h2>Pourquoi la diffusion du dispositif n’est-elle pas plus large ?</h2>
<p><a href="https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2002/3/4/2002-303/jo/article_11">Plus de 20 ans</a> après l’introduction de ce dispositif dans la boite à outils des patients, les taux de désignations de personne de confiance sont variables. Cela provient en partie du défaut d’information de la population, mais ce n’est pas le seul frein. <a href="https://osf.io/wh9ct/">La recherche</a> montre que des facteurs organisationnels, psychologiques et culturels viennent entraver le déploiement du dispositif en France.</p>
<p>Par exemple, les professionnels de santé indiquent qu’ils n’ont pas toujours le <a href="https://www.em-consulte.com/article/767883/mise-en-%C2%8Cuvre-dune-procedure-de-designation-dune-p">temps de fournir des informations</a> sur les droits des patients. On observe une <a href="https://www.researchgate.net/publication/260370647_Audit_Medical_record_documentation_among_advanced_cancer_patients">réduction de la durée d’hospitalisation</a>, ce qui limite les interactions des patients et des familles avec les soignants sur ce type de sujet. Dans les hôpitaux, l’arrivée de patients en situation d’inconscience constitue une autre contrainte organisationnelle. Dans les maisons de retraite, une <a href="https://www.sciencespo.fr/liepp/sites/sciencespo.fr.liepp/files/DEMEPECO%202022.pdf">autre recherche en cours</a> indique que le développement de troubles cognitifs empêche régulièrement une désignation adéquate de personnes de confiance lors des admissions.</p>
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<img alt="Couple marchant dans la forêt" src="https://images.theconversation.com/files/523191/original/file-20230427-30-9fog6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/523191/original/file-20230427-30-9fog6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/523191/original/file-20230427-30-9fog6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/523191/original/file-20230427-30-9fog6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/523191/original/file-20230427-30-9fog6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/523191/original/file-20230427-30-9fog6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/523191/original/file-20230427-30-9fog6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Certains patients craignent que le rôle de personne de confiance soit trop difficile à assumer pour leurs proches. Il s’agit de l’un des nombreux facteurs psychologiques freinant la désignation d’une personne de confiance.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/coupler-âgé-en-marchant-tombe-6653517/">EddiKphoto/Pixabay</a></span>
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<p>L’absence de désignation d’une personne de confiance peut également s’expliquer par des facteurs psychologiques. Il peut être difficile pour une personne âgée <a href="https://www.em-consulte.com/article/65491/les-directives-anticipees-et-la-personne-de-confia">d’envisager la perte de ses capacités</a> physiques et mentales liées au processus de vieillissement et de mort. Les jeunes patients en bonne santé peuvent <a href="https://hal.univ-lorraine.fr/hal-02466053">avoir du mal à imaginer les conséquences d’un accident</a> qui les laisserait inconscients.</p>
<p>Par ailleurs, les <a href="https://journals.lww.com/ccmjournal/Fulltext/2003/06000/Patient_autonomy_versus_parentalism.00017.aspx">conflits familiaux</a> peuvent rendre difficile le choix d’une personne de confiance pour un patient. En outre, <a href="https://journals.lww.com/ccmjournal/Fulltext/2003/06000/Patient_autonomy_versus_parentalism.00017.aspx">s’imaginant le poids</a> que pourrait représenter ce rôle de personne de confiance, certains patients préfèrent n’accabler aucun de leur proche.</p>
<p>Enfin, culturellement, en France, les relations entre les médecins et les patients sont <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01721998/document">traditionnellement paternalistes</a>. Cela peut conduire certains patients à <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0738399118308140">ne pas s’investir dans les décisions médicales</a>, et par extension s’abstenir de nommer un porte-parole de leurs volontés. Il est également important de noter que la propension des patients à vouloir participer ou non à la prise de décision médicale peut varier selon <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0738399118308140">différents facteurs</a> tels que l’âge, la taille du foyer, le nombre d’enfants, le nombre de médicaments pris quotidiennement ou le type de maladie.</p>
<h2>Quel avenir pour la personne de confiance ?</h2>
<p>Faut-il alors réformer ce dispositif ? Avant toute chose, il faudrait avoir une vision globale de l’efficacité de celui-ci. Celle-ci manque.</p>
<p>Il est par exemple <a href="https://www.sciencespo.fr/liepp/fr/content/decision-medicale-pour-autrui-evaluation-du-dispositif-de-la-personne-de-confiance.html">rare</a> de trouver des données françaises comparant les choix de thérapies des personnes de confiance et des patients… un comble quand le rôle de la personne de confiance est de transmettre les volontés du patient inconscient. Pour pallier cette lacune, une <a href="https://liraes.u-paris.fr/projet-demepeco/">expérimentation</a> est menée par <a href="https://www.sciencespo.fr/liepp/fr/content/decision-medicale-pour-autrui-evaluation-du-dispositif-de-la-personne-de-confiance.html">Sciences Po Paris</a>, l’<a href="https://liraes.u-paris.fr/projet-demepeco/">Université Paris Cité</a> et le <a href="https://leep.univ-paris1.fr/accueil.htm">Laboratoire d’Économie expérimentale de Paris</a> ce printemps-été 2023 avec des personnes en couple depuis plus de 2 ans (les couples intéressés peuvent <a href="http://www.demepeco.com/">s’inscrire ici</a>).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/faire-evoluer-les-conditions-de-la-fin-de-vie-prenons-le-temps-dy-travailler-202563">Faire évoluer les conditions de la fin de vie ? Prenons le temps d’y travailler</a>
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<p>À ce jour, la <a href="https://osf.io/wh9ct/">recherche</a> suggère que l’application du dispositif existant doit être renforcée, en favorisant une véritable culture de l’accompagnement des patients et de leurs proches. Cela nécessite une prise en charge par des professionnels formés à la <a href="https://www.em-consulte.com/article/65491/les-directives-anticipees-et-la-personne-de-confia">gestion de la souffrance psychique</a>, tels que les psychologues, à deux moments clés : la désignation de la personne de confiance et la prise de décision médicale.</p>
<p>Enfin, il est nécessaire d’élargir la formation des soignants aux questions relatives à la fin de vie. Celles-ci occupent <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/21/fin-de-vie-les-limites-de-la-formation-initiale-et-continue-des-medecins_6166317_3224.html">six à dix heures</a> seulement dans le deuxième cycle des études médicales. Il est urgent de mieux informer tous les acteurs et de redéfinir l’acte de soin comme un accompagnement global du patient, tant psychologique que physique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203860/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maïva Ropaul a reçu des financements de l’ANR et l’État au titre du programme d’investissements d’avenir dans le cadre du LABEX LIEPP (ANR-11-LABX-0091, ANR-11-IDEX-0005-02) et de l’IdEx Université de Paris (ANR-18-IDEX-0001). </span></em></p>
En France, il est possible de choisir un proche qui informera les soignants de nos décisions médicales si on n’est plus en mesure de le faire. Pourquoi ce dispositif n’est pas plus utilisé ?
Maïva Ropaul, Maître de conférences en sciences de gestion, Université Paris Cité
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/205885
2023-05-21T14:59:35Z
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Comment aider les enfants à comprendre et à accepter la mort
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/526822/original/file-20230517-29-a930xz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C1920%2C1264&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jusqu'à l'âge de 5 ans, les enfants considèrent la mort comme un état temporaire ou réversible.</span> <span class="attribution"><span class="source">Tomsickova Tatyana/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Si la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/mort-36097">mort</a> est indissociable de notre humanité, dès notre naissance, il s’agit d’un concept abstrait, difficile à comprendre pour les enfants, et qu’ils ne peuvent appréhender que progressivement. Comprendre la mort, c’est comprendre son rapport à la vie.</p>
<p>Parfois, les questions à ce sujet surgissent en observant le monde qui nous entoure. Par exemple, en voyant des têtards dans une mare, un enfant va nous demander : « Pourquoi les grenouilles existent-elles ? Que se passe-t-il quand elles meurent ? Et est-ce que moi aussi, je vais mourir ? »</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ces-grandes-questions-que-nous-posent-les-enfants-et-comment-y-repondre-141845">Ces grandes questions que nous posent les enfants (et comment y répondre)</a>
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<p>Les premiers contacts avec la mort se produisent souvent à travers le décès d’un membre de la famille ou la perte d’un animal de compagnie. Ces expériences sont souvent vécues sans que l’enfant mesure vraiment ce qu’implique la mort.</p>
<p>Comprendre la mort, c’est accepter ses <a href="https://quod.lib.umich.edu/m/mfr/4919087.0001.107/--children-s-concepts-of-death?rgn=main;view=fulltext">caractéristiques innées et définitives</a>. C’est comprendre que la mort, d’une part, est universelle et que tout ce qui vit meurt ; d’autre part, qu’elle est irréversible et que lorsque le corps meurt, il ne peut pas revenir à la vie. Que le corps perd toutes ses capacités lorsqu’il meurt, comme la capacité de penser, d’apprendre ou de rire. Et cela implique aussi de comprendre qu’il y a des causes externes et internes à la mort.</p>
<h2>Une perception de la mort qui évolue avec l’âge de l’enfant</h2>
<p>Jusqu’à l’âge de 2 ans environ, les enfants ne reconnaissent pas la mort comme faisant partie de la vie et ne comprennent pas ce que signifie mourir. Lors du décès d’un proche, ils peuvent réagir comme si de rien n’était, bien qu’ils perçoivent la tristesse ou le chagrin des autres.</p>
<p>Entre 2 et 5 ans, ils conçoivent la mort comme un état temporaire ou réversible. Ils demandent souvent quand grand-mère reviendra, car pour eux, mourir n’est pas la fin de la vie. À cet âge, ils interprètent les informations qu’ils reçoivent de manière littérale. Par conséquent, des phrases telles que « elle dort », « elle est partie dans un endroit meilleur » ou « elle est allée au paradis » peuvent créer des malentendus ou des idées fausses.</p>
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<p>Vers l’âge de 5 ans, ils commencent à comprendre ce que signifie la mort. Les interrogations typiques sont les suivantes : « où va-t-on quand on meurt, est-ce que je vais mourir un jour, est-ce que ça fait mal de mourir ? » Bien que curieux, ils peuvent se montrer incrédules ou découragés lorsqu’ils réalisent que la mort est irréversible et universelle. Ils posent souvent des questions et s’inquiètent de mourir un jour.</p>
<p>Vers l’âge de 9 ans, ils comprennent que la mort est permanente et qu’elle a une cause. Et c’est plus tard, à l’adolescence, que le concept de la mort commence enfin à être élaboré dans l’esprit de chacun. Cependant, bien que les adolescents comprennent ce que signifie la mort, ils n’ont peut-être pas encore la maturité émotionnelle nécessaire pour accepter ce qu’elle implique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ce-que-les-enfants-comprennent-de-la-mort-et-comment-leur-en-parler-170414">Ce que les enfants comprennent de la mort – et comment leur en parler</a>
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<p>Si l’enfant n’a jamais été confronté à un décès dans son entourage, il lui est difficile d’accepter que la mort est inévitable. Les enfants qui ont vécu ce type d’expérience ont une conception plus réaliste et plus concrète de la mort.</p>
<p>Les films, les histoires ou les jeux vidéo peuvent être une source pour aborder le sujet. Cependant, ils véhiculent souvent une vision magique ou irréaliste : les personnages reviennent à la vie après être tombés d’une falaise, avoir reçu plusieurs balles ou avoir eu la tête coupée en deux.</p>
<p>Lorsque les enfants sont très jeunes, leurs capacités cognitives ne leur permettent pas de distinguer que ce qui est montré à l’écran est fantastique ou irréel. S’ils le demandent, il faut essayer de le leur expliquer.</p>
<h2>Compréhension de la mort : le rôle des facteurs culturels</h2>
<p>La compréhension de la mort dépend de la culture dans laquelle l’enfant est socialisé. En Occident, la mort est considérée comme faisant partie de la vie et dire au revoir à un être cher signifie dire « au revoir » pour toujours. Dans la culture orientale, la mort est considérée comme une continuité de la vie, avec la croyance que l’âme continue à vivre après la mort du corps.</p>
<p>La culture mexicaine est un bon exemple de l’influence de la culture sur la compréhension de la mort. Le <a href="https://www.cultura.gob.mx/turismocultural/publi/Cuadernos_19_num/cuaderno16.pdf">jour des morts</a>, les Mexicains rendent hommage à leurs proches, célèbrent la vie et la mort et se souviennent de ceux qui sont morts avec affection et joie. Les familles mexicaines racontent à leurs enfants des histoires sur leurs ancêtres et parlent ouvertement de la mort avec eux. Cette présence de la mort dès le plus jeune âge atténue la peur de la mort et permet aux enfants d’appréhender naturellement ce moment de vie.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/511747/original/file-20230222-684-olmky2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/511747/original/file-20230222-684-olmky2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511747/original/file-20230222-684-olmky2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511747/original/file-20230222-684-olmky2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511747/original/file-20230222-684-olmky2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511747/original/file-20230222-684-olmky2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511747/original/file-20230222-684-olmky2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511747/original/file-20230222-684-olmky2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Jour des morts à Michoacán, Mexique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/es/image-photo/day-dead-michoacan-mexico-1036592326">DAVID PANIAGUA GUERRA/Shutterstock</a></span>
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<p>Chez les enfants ayant des croyances religieuses <a href="https://srcd.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1467-8624.2012.01743.x">coexistent</a> l’idée que la mort est irréversible et la croyance surnaturelle que l’âme vit dans l’au-delà.</p>
<p>Les croyances religieuses rassurent et donnent un sens à la mort, les <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33433287/">rituels</a> aidant à surmonter la perte d’un être cher. Une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/2153599X.2016.1238844?journalCode=rrbb20&">revue</a> d’études a conclu que les personnes ayant de fortes croyances religieuses ou, à l’inverse, les non-croyants ont moins peur de la mort. Toutefois, si les enfants apprennent qu’ils peuvent être <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S002209651730471X#b0205">jugés</a> ou punis après la mort, ils peuvent craindre la fin de la vie.</p>
<h2>Comment aider les enfants à comprendre la mort</h2>
<p>Parler de la mort avec les enfants est difficile pour les adultes, car cela implique de faire face à leurs propres peurs. Nous nous inquiétons de savoir si nos enfants seront effrayés ou quel impact cela aura sur eux. Cependant, des conversations honnêtes sont nécessaires.</p>
<p>Expliquer que la mort est irréversible nécessite un langage adapté à l’âge de l’enfant. On peut expliquer aux plus jeunes que, lorsque nous mourons, notre corps s’arrête de fonctionner et ne fonctionnera plus jamais. Les enfants plus âgés sont mieux à même de comprendre le processus biologique de la mort. Des expériences antérieures avec des animaux ou des plantes aident les enfants à comprendre le cycle de la vie.</p>
<p>Les films pour enfants peuvent également être utilisés. Par exemple, des scènes telles que celle du <a href="https://www.imdb.com/title/tt0110357/"><em>Roi Lion</em></a>, où, observant la savane, Simba apprend que tous les êtres vivants sont liés et que, lorsqu’une créature meurt, elle nourrit la terre et qu’une nouvelle vie naît, faisant de la mort une partie du cycle de la vie. Ou encore des films comme <a href="https://www.imdb.com/title/tt2380307/"><em>Coco</em></a>, qui se déroule le jour des morts, véhiculant l’idée que les êtres chers ne disparaîtront jamais tant que nous nous souviendrons d’eux.</p>
<p>S’il est bon d’être honnête et de confirmer à l’enfant que tout être humain meurt, certaines idées peuvent atténuer sa détresse. Nous pouvons lui faire comprendre que la plupart des gens meurent lorsqu’ils sont très âgés ou très malades.</p>
<p>Il est important d’encourager l’enfant à <a href="https://theconversation.com/fr/topics/emotions-28337">exprimer ses craintes et ses émotions</a>, en lui montrant qu’il est normal d’être très triste ou d’avoir peur de mourir un jour. Quand on leur dit que ce sont des sentiments normaux, que tout le monde éprouve, il est plus facile pour eux d’exprimer leurs inquiétudes.</p>
<p>Le fait de leur montrer notre soutien et notre volonté de parler les aide dans ce processus complexe qu’est l’acceptation de la mort.</p>
<p>Enfin, nous devons les encourager à profiter de la vie, à apprécier le moment présent et à se souvenir de ceux qui ne sont plus là pour qu’ils continuent à faire partie de nous.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205885/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Comment réagir face aux questions d’un enfant qui demande ce qui se passe quand on meurt ? Quelques pistes pour adapter sa réponse à chaque âge et mieux comprendre son évolution psychologique.
Mireia Orgilés, Catedrática de Universidad. Experta en Tratamiento Psicológico Infantil, Universidad Miguel Hernández
José Pedro Espada, Catedrático de Psicología, Universidad Miguel Hernández
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/203645
2023-05-12T14:49:55Z
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Faut-il continuer à exposer les momies égyptiennes dans nos musées ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/525685/original/file-20230511-36798-5ofdrb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C0%2C1583%2C1197&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Momie recouverte de ses "cartonnages", époque ptolémaïque, IIIe - IIe siècle avant J.-C.
Louvre,Département des Antiquités égyptiennes. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Mummy_Louvre.jpg">Wikipédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Pièces maîtresses dans les collections des grands musées, les momies sont perçues aujourd’hui comme des symboles incontournables de l’Égypte antique. Entre fascination et dégoût, elles attirent la curiosité des visiteurs du monde entier.</p>
<p>Pourtant, la question éthique liée à l’exposition de restes humains fait débat. Si cette pratique était considérée, au XIX<sup>e</sup> siècle, comme un moyen de se cultiver et d’appréhender l’histoire, le monde muséal et les scientifiques s’interrogent aujourd’hui sur son bien-fondé.</p>
<h2>Peut-on présenter des restes humains ?</h2>
<p>Depuis 1990, aux États-Unis, la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Native_American_Graves_Protection_and_Repatriation_Act">loi NAGPRA</a> permet aux tribus amérindiennes et hawaïennes de <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2008/02/25/les-musees-face-aux-demandes-de-restitution-de-restes-humains_1015361_3244.html">se voir restituer les restes humains</a> et objets funéraires de leurs <a href="https://eprints.soton.ac.uk/37954/">ascendants biologiques connus entreposés dans les musées</a>. Cette loi témoigne de l’importance, pour certaines communautés autochotones de « s’approprier leur histoire ».</p>
<p>Leurs descendants étant difficilement identifiables au vu de leur caractère antique, les défunts momifiés d’Égypte ont été longtemps exposés sans provoquer de protestations. Mais comme le <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9780203841310/contesting-human-remains-museum-collections-tiffany-jenkins">rapportait la sociologue Tiffany Jenkins</a> en 2010 : « Les restes humains de tous âges, qui ne font l’objet d’aucune revendication de la part d’un groupe communautaire, sont devenus l’objet de préoccupations concernant leur manipulation, leur exposition et leur stockage, exprimées par certains membres de la profession muséale ».</p>
<p>En 2008, la galerie égyptienne du <a href="https://egyptmanchester.wordpress.com/2008/05/06/covering-the-mummies/">musée de l’Université Manchester a ainsi recouvert trois de ses momies</a> d’un linceul blanc pour cacher les corps, après avoir reçu de nombreuses plaintes des visiteurs.</p>
<p>Dans un <a href="https://egyptmanchester.wordpress.com/2008/05/06/covering-the-mummies/">communiqué du 6 mai 2008</a>, le musée indiquait : « Le recouvrement a été effectué afin que les restes humains soient traités avec respect et que les corps exposés restent conformes à la politique du musée de Manchester en matière de restes humains » et un « corps caché est un corps respecté ».</p>
<p>Mais <a href="https://www.academia.edu/2940129/_Thinking_makes_it_so_reflections_on_the_ethics_of_displaying_Egyptian_mummies">au-delà de la question morale (que montrer ?)</a>, comment prouver aux visiteurs la nature humaine des momies sans les montrer, ou en montrant des momies « cachées » ? Est-il possible d’accompagner cette « rencontre » de façon didactique mais sans sensationnalisme ?</p>
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<p>D’autres voix s’élèvent contre l’exposition de corps momifiés, notamment celle d’une minorité réactionnaire qui associe <a href="https://www.routledge.com/The-Mummys-Curse-Mummymania-in-the-English-speaking-world/Day/p/book/9780415340229">« l’acte de regard » au voyeurisme</a>, à la pornographie ou celles défendant l’idée que les momies devraient être réintroduites dans leurs tombeaux ou n’auraient jamais dû être déterrées, comme si « les morts possédaient un droit inaliénable à rester enterrés pour toujours… » comme <a href="https://www.researchgate.net/publication/274216327_%27Thinking_makes_it_so%27_reflections_on_the_ethics_of_displaying_Egyptian_mummies">l’écrit l’anthropologue et égyptologue Jasmine Day</a>, qui a réfléchi à ces questions éthiques.</p>
<p>Malgré ces contestations, une <a href="https://www.researchgate.net/publication/276192655_Visitor_Perceptions_of_Ancient_Egyptian_Human_Remains_in_Three_United_Kindom_Museums">étude montre que 82,5 % des musées britanniques acceptent sans réticence l’exposition des momies</a>.</p>
<p>Depuis 2023, le British Museum a pris cependant soin <a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-11661057/British-Museum-bans-word-MUMMY-respect-3-000-year-old-dead.html">d’éviter d’utiliser le terme <em>momie</em></a> au profit de « restes momifiés » ou « personnes momifiées ».</p>
<h2>Les momies et la mort : entre horreur et fascination</h2>
<p>Depuis le début XX<sup>e</sup> siècle, les regards sur la mort ont changé. Les progrès scientifiques et médicaux ont contribué à l’augmentation de l’espérance de vie et à une baisse du taux de mortalité. En outre, avec la professionnalisation de l’industrie funéraire et la disparition progressive de coutumes comme les veillées funéraires, les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Homme_devant_la_mort">contacts avec les cadavres et les discussions sur la mort ont peu à peu déserté les foyers</a> transformant la question en tabou.</p>
<p>La vision de « restes humains » peut donc s’avérer plus <a href="https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2017-06-16/pourquoi-les-histoires-de-momies-nous-font-fremir-bdc5bd58-3a57-43f1-9de5-f84f0b88f8cf">choquante voire anxiogène</a> pour le public. Se retrouver nez-à-nez avec une momie peut provoquer une réaction de dégoût, de <a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-histoires-de-momies-nous-font-elles-fremir-79046">peur</a>, de moquerie ou encore de déni chez certaines personnes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/525933/original/file-20230512-15-1s2ejc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525933/original/file-20230512-15-1s2ejc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525933/original/file-20230512-15-1s2ejc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525933/original/file-20230512-15-1s2ejc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525933/original/file-20230512-15-1s2ejc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525933/original/file-20230512-15-1s2ejc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525933/original/file-20230512-15-1s2ejc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des visiteurs regardent les momies au British Museum.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Egyptian_mummies,_British_Museum.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Selon <a href="https://www.researchgate.net/publication/274216327_%27Thinking_makes_it_so%27_reflections_on_the_ethics_of_displaying_Egyptian_mummies">Jasmine Day</a>, « L’exposition de restes humains n’est pas choquante en soi, mais elle peut être considérée comme telle par des visiteurs dont le milieu culturel ne les a pas préparés à la rencontre avec les morts ».</p>
<p>Le dégoût face à une momie renvoie à la crainte de notre propre mort. Pour canaliser cette peur, la démystifier et rendre la mort plus acceptable, certains utilisent l’humour, d’autres nient l’authenticité des momies, ou encore leur humanité.</p>
<p>Ce « déni d’humanité » s’explique en partie par l’influence de la culture populaire, qui depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, a façonné dans l’inconscient collectif une image « type » de la momie. Une représentation renforcée par le stéréotype créé de toutes pièces par l’industrie hollywoodienne d’une momie démembrée et drapée de bandages en lambeaux. Certains musées, par ailleurs, n’exposent que des momies artificielles pour ne pas choquer les visiteurs : c’est le cas du <a href="https://www.arnabontempsmuseum.com/the-field-museums-mummies-real-or-fake/">Field Museum avec sa fausse momie de Toutankhamon</a>, contribuant peut-être à les reléguer au rang d’objets.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/525926/original/file-20230512-27-87bdge.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525926/original/file-20230512-27-87bdge.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=734&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525926/original/file-20230512-27-87bdge.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=734&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525926/original/file-20230512-27-87bdge.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=734&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525926/original/file-20230512-27-87bdge.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=922&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525926/original/file-20230512-27-87bdge.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=922&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525926/original/file-20230512-27-87bdge.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=922&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une image du film « Mummy’s Tomb » (Universal, 1942), produit pas Lon Chaney.</span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-histoires-de-momies-nous-font-elles-fremir-79046">Bien qu’elles puissent faire peur</a>, susciter parfois du dégoût, les momies n’en demeurent pas moins des sources archéologiques fascinantes et souvent l’une des principales « attractions » des musées. <a href="https://britishmuseum.iro.bl.uk/concern/books/b4326384-afb3-451c-9a4b-09637786ebd4?locale=fr">Une enquête menée au British Museum en 1993</a> révélait ainsi que « la visite des expositions égyptiennes est la principale raison pour laquelle un tiers de tous les visiteurs viennent au musée… ».</p>
<h2>Une attraction orchestrée</h2>
<p>Notre société contemporaine véhicule un mélange de fascination et de répulsion pour les momies. Carter Lupton (historien, anthropologue et chercheur spécialiste des momies égyptiennes), parle même de « relation amour-haine. »</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/525934/original/file-20230512-22491-uzia3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/525934/original/file-20230512-22491-uzia3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525934/original/file-20230512-22491-uzia3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=833&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525934/original/file-20230512-22491-uzia3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=833&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525934/original/file-20230512-22491-uzia3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=833&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525934/original/file-20230512-22491-uzia3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1046&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525934/original/file-20230512-22491-uzia3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1046&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525934/original/file-20230512-22491-uzia3g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1046&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Affiche du film La Momie (1932). On peut voir le cercueil placé à la verticale dans lequel est placé Boris Karloff interprétant la momie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Momie_(film,_1932)#/media/Fichier:Mummy_32.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’« attraction répulsive » (Jasmine Day) des momies est orchestrée par les musées eux-mêmes, qui créent parfois des représentations fictives, participant à une forme de manipulation de la mort. Placées dans un contexte très éloigné de leur provenance (les tombes), souvent entourées d’autres momies et artefacts, elles sont quelque peu déshumanisées et donnent aux visiteurs une vision erronée de l’Égypte ancienne. Comme le <a href="https://uio.academia.edu/SaphinazAmalNaguib">rappelle Shafinaz Amal-Naguib</a>, « les collections égyptiennes et leurs conservateurs sont des créateurs de mythes », ainsi « ils induisent le rêve et le fantasme chez les autres ».</p>
<p>Bien qu’aujourd’hui, la majorité des musées tentent de casser les nombreux clichés médiatiques associés à l’Égypte ancienne, certains surfent parfois sur les stéréotypes dans l’optique d’attirer toujours plus de visiteurs. Ainsi, visiblement inspiré par l’affiche du film <em>Mummy</em> (1932), le British Museum présente verticalement le <a href="https://www.britishmuseum.org/collection/object/Y_EA22542">cercueil de la momie « maudite »</a> ([numéro d’inventaire BM EA22542]. Une présentation qui n’a aucune valeur historique, ce qui est tout de même rappelé dans le cartel et sur le site du musée.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/525935/original/file-20230512-20345-4cs0n6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525935/original/file-20230512-20345-4cs0n6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525935/original/file-20230512-20345-4cs0n6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525935/original/file-20230512-20345-4cs0n6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525935/original/file-20230512-20345-4cs0n6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525935/original/file-20230512-20345-4cs0n6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525935/original/file-20230512-20345-4cs0n6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un visiteur devant des sarcophages présentés à la verticale, semblable aux films hollywoodiens.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un objet marketing</h2>
<p>La momie et l’Égypte ancienne en général représentent aussi une manne commerciale pour les musées : stylos, porte-clés, t-shirts… Ces boutiques de musées participent à une certaine ambivalence entre sphère scientifique/historique et sphère commerciale « égypotmaniaque » <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-cours-de-l-histoire/egyptomanie-une-tres-longue-histoire-9994881">qui ne date pas d’hier</a>.</p>
<p>Pour vendre, les musées jouent avec la perception de l’Égypte ancienne en créant des représentations souvent peu fidèles aux objets originaux, comme avec la copie du <a href="https://www.metmuseum.org/art/collection/search/552627">sarcophage d’Itamun</a> (1070-1000 av. J.-C) métamorphosé par <a href="https://store.metmuseum.org/kidrobot-ancient-egyptian-coffin-8-inch-dunny-80054761">kidrobots en figurine campée sur des pieds</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/525930/original/file-20230512-15-jqqfs4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525930/original/file-20230512-15-jqqfs4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525930/original/file-20230512-15-jqqfs4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525930/original/file-20230512-15-jqqfs4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525930/original/file-20230512-15-jqqfs4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525930/original/file-20230512-15-jqqfs4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525930/original/file-20230512-15-jqqfs4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Sarcophage d’Itamun (à gauche) et jouet kidrobots.</span>
</figcaption>
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<h2>Faciliter la rencontre avec les momies</h2>
<p>En 2020, une équipe d’universitaires anglais reproduisaient la voix de Nesyamun, prêtre de Thèbes ayant vécu sous le règne du <a href="https://www.pharaon-magazine.fr/actualites/actualit/rams-s-xi-et-la-fin-des-rams-s">Pharaon Ramsès XI</a> (1098-1069 avant J.-C). Grâce à la bonne conservation de la momie et des nouvelles avancées technologiques, les chercheurs ont permis à cet illustre personnage de prononcer sa première syllabe ! Selon <a href="https://www.bfmtv.com/sciences/des-chercheurs-britanniques-ont-redonne-la-parole-a-une-momie-vieille-de-3000-ans_AN-202001240074.html">Joann Fletcher</a>, archéologue à l’université d’York (faisant allusion aux inscriptions hiéroglyphiques évoquant la vie après la mort) : « C’était écrit dans son cercueil, c’est ce qu’il voulait. D’une certaine façon, nous avons réussi à réaliser ce souhait. »</p>
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<p>Malgré les <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/dessine-moi-un-dimanche/segments/chronique/156207/evelyne-ferron-histoire-egypte-science">critiques</a>, la « recréation » de la voix de Nesyamun visait d’abord à recontextualiser le personnage et à redonner vie à cet être humain ayant vécu il y a 3 000 ans, en montrant aux visiteurs que les <a href="https://theconversation.com/ramses-ii-le-patient-egyptien-202267">momies</a> conservées dans nos musées ne sont pas uniquement des objets aux pouvoirs occultes.</p>
<p>Les musées ont la capacité de modifier notre perception et notre compréhension sur l’Égypte antique. Par des connaissances précises, grâce aux progrès technologiques (reconstitutions faciales…) elles quittent le monde des objets pour réintégrer celui des humains.</p>
<p>Pour faciliter la rencontre avec les momies, certains musées rivalisent d’ingéniosité. Ainsi au Nubia Museum d’Assouan en Égypte, les momies sont présentées dans une galerie maintenue dans l’obscurité jusqu’à l’entrée du visiteur. Au musée de Louxor (Égypte), la momie de Ramsès I<sup>er</sup> est isolée dans une pièce sombre, semblable à une tombe.</p>
<p>Pour éviter tout débat éthique, de plus en plus de musées donnent le choix de voir ou de ne pas voir, respectant la sensibilité de chacun. Des panneaux d’affichage comme au British Museum, mettent en garde sur le caractère choquant à la vue d’une momie et invite au respect des morts.</p>
<p>Les anciens égyptiens croyaient en la vie après la mort et plaçaient à proximité de la momie ou contre celle-ci, dans les bandelettes, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Livre_des_morts_des_Anciens_%C3%89gyptiens"><em>Livre des morts</em></a>, un ensemble de rouleaux de papyrus recouverts de formules funéraires. On comprend mieux leurs croyances avec le véritable titre du <em>Livre des morts</em>, <em>Pour sortir au jour</em>. L’exposition des momies permet, en un sens, de leur donner une seconde vie.</p>
<p>Enfin, comme le précise l’égyptologue <a href="https://books.google.fr/books/about/Vie_et_mort_d_un_pharaon_Toutankhamon.html?id=mLd7DwAAQBAJ&redir_esc=y">Christiane Desroches-Noblecourt</a>, « dire le nom d’un mort, c’est le faire revivre ». <a href="https://books.google.fr/books/about/Ancient_Egypt_Digging_for_Dreams.html?id=yKW4zQEACAAJ&redir_esc=y">L’exposition britannique de 2001</a> encourageait d’ailleurs les visiteurs à réciter une prière égyptienne pour les défunts extraite du livre II du <em>Livre des morts</em> :</p>
<blockquote>
<p>« Moi, défunt, Osiris, je pénètre à mon gré soit dans la région des morts, soit dans celle des vivants sur la terre, partout où me conduit mon désir ».</p>
</blockquote>
<p>Une certaine solennité qui permet a minima de rendre leur humanité et leur identité aux momies exposées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203645/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Vanthournout ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Est-il possible d’accompagner la « rencontre » avec les corps momifiés de façon didactique mais sans sensationnalisme ?
Charles Vanthournout, Professeur d'histoire-géographie et Doctorant en égyptomanie américaine, Université de Lorraine
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tag:theconversation.com,2011:article/203579
2023-05-08T18:06:37Z
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Dans les débats sur la fin de vie, prendre en compte la voix des lycéens
<p>La remise du rapport de la <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/09/13/lancement-du-debat-sur-la-fin-de-vie">Convention citoyenne sur la fin de vie</a> le 3 avril 2023 a clos la période de concertation de 6 mois ouverte en octobre 2022 pour « donner à chacun de nos concitoyens l’opportunité de se pencher sur ce sujet, de s’informer, de s’approprier la réflexion commune et de chercher à l’enrichir ». Au-delà de la délicate question de l’évolution de la loi et de l’aide active à mourir, l’idée était aussi de donner aux Français les moyens de s’approprier les termes du débat.</p>
<p>En effet, selon le sondage <em>BVA Opinon</em> d’octobre 2022, <a href="https://www.bva-group.com/sondages/les-francais-et-la-fin-de-vie-2/">« Les Français et la fin de vie »</a>, la moitié des citoyens se sentent mal informés à ce sujet. Ils connaissent peu des dispositifs comme le <a href="https://theconversation.com/fin-de-vie-plutot-que-des-directives-anticipees-parlons-de-directives-concertees-194573">système des directives anticipées</a> (permettant à chacun de laisser un document précisant ses souhaits) ou le principe de la <a href="https://sante.gouv.fr/soins-et-maladies/prises-en-charge-specialisees/les-soins-palliatifs-et-la-fin-de-vie/la-prise-en-charge-palliative-et-les-droits-des-personnes-malades-et-ou-en-fin/article/designer-sa-personne-de-confiance">personne de confiance</a> (qui accompagnera le patient au cours de sa prise en charge).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/faire-evoluer-les-conditions-de-la-fin-de-vie-prenons-le-temps-dy-travailler-202563">Faire évoluer les conditions de la fin de vie ? Prenons le temps d’y travailler</a>
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<p>Alors que s’ouvre une nouvelle étape du débat avec l’annonce, par le président de la République, de l’élaboration d’un plan décennal pour la prise en charge de la douleur et les soins palliatifs et la « co-construction entre le Gouvernement, les parlementaires et les parties prenantes, d’un <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/04/03/reception-des-membres-de-la-convention-citoyenne-sur-la-fin-de-vie">projet de loi sur la fin de vie</a> d’ici la fin de l’année 2023 », il s’agit de s’appuyer pleinement sur les enseignements d’une démarche citoyenne très large. Outre le grand intérêt du <a href="https://www.lecese.fr/convention-citoyenne-sur-la-fin-de-vie">rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie</a>, il s’agit de faire le bilan des 245 débats organisés par les Espaces de réflexion éthique régionaux.</p>
<h2>Réfléchir sur les conditions de l’aide active à mourir</h2>
<p>Une attention toute particulière doit aussi être portée à des publics traditionnellement peu consultés sur les questions de la fin de vie, comme les <a href="https://www.bva-group.com/sondages/les-francais-et-la-fin-de-vie-2/">18-34 ans</a>. C’est ainsi que l’Espace éthique Île-de-France a mis en place une démarche de réflexion avec quatre établissements – le lycée Jeanne d’Albret à Saint-Germain-en-Laye, le lycée Jehan de Chelles, les lycées Pierre-Gilles de Gennes et Henri IV à Paris.</p>
<p>L’objectif n’était pas de produire, en quatre séances de trois heures, des recommandations en vue d’une éventuelle évolution de la loi ni de constituer un panel représentatif des « jeunes » mais de recueillir les points d’attention des participants. Il s’agissait d’approfondir avec eux leurs réflexions sur les thématiques choisies collectivement, et de construire un espace public leur permettant d’échanger des arguments, des accords et des désaccords synthétisés dans un <a href="https://www.espace-ethique.org/concertation-fin-de-vie">rapport et une cartographie des controverses</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-face-a-lincertitude-faire-entrer-la-reflexion-ethique-a-lecole-147338">Débat : Face à l’incertitude, faire entrer la réflexion éthique à l’école</a>
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<p>Si la méthode de consultation des lycéens est différente de celle de la Convention citoyenne ou d’autres dispositifs mis en œuvre – travail transpartisan avec les députés et les sénateurs, avis des sociétés savantes, rencontres organisées par les espaces de réflexion éthique régionaux… –, elle ne doit pas pour autant les ignorer. Cette mosaïque d’approches forme un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/hast.1318">« système délibératif » global</a> qui apporte de la richesse au débat public et permet de toucher un public diversifié – les étudiants en médecine, les personnes âgées dans des EHPADs, des soignants, des élus, etc.</p>
<p>Les membres de la Convention citoyenne et les lycéens qui ont participé à la consultation de l’Espace éthique Île-de-France partent du même constat : le manque d’information de nos concitoyens sur les droits des patients et les soins palliatifs. Autre point commun, nous pouvons observer un attachement fort au système de santé et une profonde imprégnation de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. La question du respect des choix du patient, de son autonomie décisionnelle, de son consentement, et la notion d’une égalité de traitement font partie des principes rappelés par les participants.</p>
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<figcaption><span class="caption">Débat sur la fin de vie : Emmanuel Macron veut un projet de loi pour « un modèle français » (France 24, avril 2023).</span></figcaption>
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<p>Pourtant, alors que les conventionnels soulignent d’abord « l’inégalité d’accès à l’accompagnement en fin de vie » et la nécessité de garantir « un accès aux soins palliatifs », les lycéens consultés ont préféré se concentrer une éventuelle légalisation de l’aide active à mourir afin de soulager les souffrances réfractaires, qu’elles soient somatiques ou psychiques.</p>
<p>En effet, contrairement aux arguments « pour » et « contre » <a href="https://theconversation.com/pourquoi-se-dirige-t-on-vers-une-legalisation-de-leuthanasie-en-france-190414">l’euthanasie</a> et le suicide assisté qui ont été débattus au sein de la Convention citoyenne – même si les conventionnels se sont prononcés majoritairement en faveur d’une ouverture de l’aide active à mourir – les lycéens et les étudiants de la consultation ne montrent pas de désaccord de départ sur l’aide active à mourir. Aucune voix de participant ne s’est élevée contre, alors que les animateurs leur en ont donné l’occasion à plusieurs reprises.</p>
<h2>Construire une cartographie des controverses</h2>
<p>Le débat s’est alors ouvert sur les critères d’accès à l’aide active à mourir, sur les droits des patients, le rôle des médecins et leur éventuelle spécialisation, les formations nécessaires pour accompagner au mieux les patients les familles, ou encore les souffrances qui doivent être prises en compte (somatiques, psychiques, existentielles, etc.) et la manière de les mesurer.</p>
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<p>Ainsi, alors que la Convention citoyenne traite de manière systématique des conditions d’accès à l’aide à mourir (conditions médicales, nationalité, âge, etc.), les lycéens approfondissent des enjeux qui leurs tiennent à cœur : l’accès éventuel des mineurs ou des personnes ayant des troubles psychiques, le rôle des familles dans le choix du patient, la capacité de discernement du patient, le soulagement des souffrances psychiques ou existentielles, ou encore le risque de marchandisation.</p>
<p>A partir de ces réflexions, la mise en situation amène les lycéens, comme les conventionnels, à imaginer un parcours très encadré de soin et d’accompagnement des personnes qui feraient une demande d’aide active à mourir avec un soutien psychologique, un consentement répété, ou encore une possibilité d’arrêter le processus à tout moment.</p>
<p>On le voit ici, il ne s’agit pas d’énoncer des opinions définitives. Au contraire, la cartographie des controverses, tout comme le « nuancier des opinions » du rapport de la Convention citoyenne permettent d’entrer dans la complexité des débats et des arguments qui ont été échangés. Ce sont des questionnements profondément éthiques qui se sont exprimés :</p>
<ul>
<li><p>Devrait-il y avoir une spécialisation de certains soignants formés pour procéder à l’aide active à mourir, ou bien tous les soignants devraient-ils être en mesure de répondre, dans leurs services, à une demande d’aide active à mourir ?</p></li>
<li><p>L’aide active à mourir est-elle une continuité des soins ou une rupture ?</p></li>
<li><p>La médecine doit-elle passer de la perspective de guérison du malade à un rôle d’accompagnement ?</p></li>
<li><p>Comment évaluer une demande d’aide à mourir ? Qui juge que la demande est légitime ?</p></li>
</ul>
<p>Ces questions, telles qu’elles se sont exprimées, ne trouveront pas de réponses binaires « vrai/faux », « bien/mal », ou « juste/injuste ». Elles ouvrent un champ de réflexion sur les enjeux tels qu’ils sont posés par les Français en 2023 sur la <a href="https://theconversation.com/comment-penser-la-mort-en-france-200562">fin de vie</a>. En cela, nous pensons que ces dispositifs de concertation et de consultation citoyenne sont de nature à structurer le débat public et à guider les choix politiques qui pourront être faits.</p>
<p>Reste donc de ces débats une richesse de questionnements qui aura été signalée par tous les participants, et une manière apaisée de partager nos accords et nos désaccords. Comme le souligne une participante à la consultation lycéenne, « cette expérience a été en effet très enrichissante. J’ai appris à discuter et réfléchir autour d’un sujet que je ne connaissais pas à l’origine et que j’ai pu par ailleurs approfondir. Il était également intéressant de prendre le temps d’écouter les autres et de pouvoir intervenir à tout moment ». Nous espérons que la rédaction de la loi et sa discussion seront éclairées par ces débats.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203579/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sébastien Claeys ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les 18-34 ans sont traditionnellement peu consultés sur les questions autour de la fin de vie. Ils ont pourtant des avis à partager sur le sujet, nous montre une consultation menée avec quatre lycées.
Sébastien Claeys, Professeur associé et responsable du Master Conseil éditorial, responsable du débat public et de la communication à l'Espace éthique Île-de-France, Sorbonne Université
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2023-03-29T18:29:52Z
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Comment penser la mort en France ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/517160/original/file-20230323-18-k6xiol.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C26%2C3583%2C2365&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En France, pour le moment, il n'y a pas en de vision commune qui soit structurée culturellement, sur le sujet de la fin de vie.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/b7et_H9nvdQ">Jr Korpa/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>« Le cadre de l’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits dans le cadre actuel de la fin de la vie ? » C’est la question à laquelle devaient répondre les 185 personnes tirées au sort pour participer à la <a href="https://conventioncitoyennesurlafindevie.lecese.fr/">convention citoyenne sur la fin de vie</a>. Les premières délibérations <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/euthanasie/fin-de-vie-la-balle-est-dans-le-camp-du-gouvernement-selon-le-comite-de-gouvernance-de-la-convention-citoyenne_5669201.html">tendent vers un avis favorable</a> à l’aide active à mourir bien que les propositions doivent être encore affinées et les conclusions attendues pour le 2 avril.</p>
<p>Ce débat pose certes le problème de la mort (le mourir qui mène à être mort), mais aussi de la vie qui s’achève (la fin de la vie). Or, pour le moment, il n’y a pas en France de vision de fond qui soit structurée culturellement. Une telle vision permettrait de penser la mort progressivement et pas de façon partielle comme aujourd’hui : on ne pense à la mort que lorsque l’on est touché de près ou lorsque l’on est gravement malade ou très âgé. Ainsi, ce sont toujours des cas particuliers de demande d’euthanasie ou de suicide qui déclenchent l’ire des uns et la passivité des autres.</p>
<p>Que se passe-t-il dans l’Hexagone qui empêche de généraliser une éthique de la fin de la vie ? Et une fois cette éthique appliquée, comment passer à la pratique ?</p>
<p>La France est un pays de lointaines racines catholiques. Mais pour des raisons historiques, la « fille aînée de l’Église » a dérogé progressivement à ces origines, en renonçant à la monarchie de droit divin. Le clergé perd, à la Révolution, son influence majeure mais reste symboliquement à l’origine d’une véritable anthropologie de la vie des Français. Le christianisme préside à la naissance, le mariage et la mort, sans oublier les <a href="https://ccfr.bnf.fr/portailccfr/jsp/index_view_direct_anonymous.jsp?record=bmr:UNIMARC:8605622">nombreux rites religieux</a> dont les communions des enfants qui rappellent leur appartenance spirituelle à la première religion de France. Les autres religions des Français et même l’athéisme reposent aussi sur les mêmes représentations.</p>
<p>Les deux guerres mondiales ont, par la suite, remis en cause les croyances en un Dieu protecteur de la vie et <em>a minima</em> de l’âme. À l’issue de ces conflits mondiaux, le doute porté sur les croyances qui n’ont pu empêcher les millions de morts, est renforcé par les améliorations de la qualité de vie. La médecine, l’hygiène, les meilleures conditions économiques de l’Occident contribuent à déplacer la peur de la mort vers la peur du vieillissement.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/506793/original/file-20230127-18-1cr4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/506793/original/file-20230127-18-1cr4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506793/original/file-20230127-18-1cr4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506793/original/file-20230127-18-1cr4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506793/original/file-20230127-18-1cr4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506793/original/file-20230127-18-1cr4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506793/original/file-20230127-18-1cr4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506793/original/file-20230127-18-1cr4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p><em>« Controverses » est un nouveau format de The Conversation France. Nous avons choisi d’y aborder des sujets complexes qui entraînent des prises de positions souvent opposées, voire extrêmes. Afin de réfléchir dans un climat plus apaisé et de faire progresser le débat public, nous vous proposons des analyses qui sollicitent différentes disciplines de recherche et croisent les approches.</em></p>
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<h2>Comment la mort est devenue intime</h2>
<p>La génération qui suit la Seconde Guerre mondiale et le désenchantement du monde après la <a href="https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/anthropologie-de-la-mort-9782228880145">désagrégation des repères culturels ou religieux</a>, est ensuite marquée par deux demandes : celle de l’individu qui aspire à une autonomie telle qu’il choisirait même sa mort, d’autre part, celle d’une assistance technique pour mourir parce que l’individu reste seul face à ses choix.</p>
<p>Or, la mort est une question intime. Ou du moins cette question s’est intimisée après les grandes périodes historiques de mort collective : les épidémies, les grandes catastrophes, les atrocités de guerre. Évidemment, les massacres guerriers en Ukraine d’avril 2022 ou le dernier tremblement de terre de Turquie et de Syrie (6 février 2023) renvoient encore des images de mort collective. Mais la mort reste, en dehors de ces exceptions, dans l’alcôve hospitalière ou, plus rarement dans la chambre transformée en annexe de l’hôpital par les services de soins à domicile.</p>
<p>L’évolution économique de l’humanité tend vers un rejet de tout ce qui rend son mode de vie désagréable. La laideur, la pauvreté, le handicap, le vieillissement sont des limites que l’humain occidental rejette. Outre la souffrance, il rejette aussi l’effet miroir de ces personnes non conformes. Dans ce sens, le <a href="https://www.jstor.org/stable/24469879">mourant est une figure exécrée</a>.</p>
<p>C’est du moins une figure maintenue cachée et réservée à une catégorie professionnelle (les soignants) qui, par contamination, devient, elle aussi taboue. Le Covid a renforcé l’image clivée des soignants. Héroïsés par leur travail, le temps de l’épidémie, <a href="https://lcp.gallimard.fr/en/products/le-dernier-souffle">ils sont questionnés sur leur rôle en fin de vie</a>.</p>
<p>C’est pourquoi la population des soignants et des médecins reste encore en France, sauf cas exceptionnel, le dernier rempart à l’euthanasie ou au suicide assisté. En Suisse, ce sont des associations (Exit, Dignitas, Lifecircle, Pegasos) qui contribuent à faire disparaître le lien social entre médecine et suicide assisté.</p>
<p>Cependant, même si ce ne sont pas des médecins qui se chargent du moment décisif, ils sont présents dans ces associations et un psychiatre a toujours un entretien avec le requérant pour limiter les demandes de personnes irresponsables et incapables. La question de l’aide active à mourir rencontre cependant une certaine opposition puisque 13 sociétés savantes dont la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), particulièrement représentatives en France puisque regroupant près de 800 000 soigants, ont rédigé un <a href="https://sfap.org/system/files/avis_ethique_commun_-_160223.pdf">« avis éthique »</a>. Cet avis refuse « catégoriquement la démarche euthanatique », c’est-à-dire « la préparation » et « l’administration d’une substance létale ».</p>
<h2>La mort peut-elle être digne ?</h2>
<p>Existe-t-il donc une mort digne et une mort indigne ? La mort digne correspondrait à ce que nous avons détaillé plus haut : ce serait une belle mort, la « vraie » mort (la traduction littérale de « euthanasie »), une mort contrôlée, maîtrisée, esthétisée.</p>
<p>La mort naturelle, précédée par une agonie, serait au contraire « indigne » et devrait être chassée de notre société. Or cette mort naturelle qui nous rattache aux espèces animales semble insupportable à certains. La mort indigne serait donc la <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782702142868-euthanasie-le-debat-tronque-louis-puybasset-marine-lamoureux/">mort animalisée</a>. Elle est rappelée par les partisans de l’euthanasie dans l’expression « je ne veux pas mourir comme un chien ».</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/517163/original/file-20230323-28-xx9mpu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/517163/original/file-20230323-28-xx9mpu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517163/original/file-20230323-28-xx9mpu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517163/original/file-20230323-28-xx9mpu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517163/original/file-20230323-28-xx9mpu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517163/original/file-20230323-28-xx9mpu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517163/original/file-20230323-28-xx9mpu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517163/original/file-20230323-28-xx9mpu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La mort naturelle, précédée par une agonie, qui nous rattache aux espèces animales semble insupportable à certains.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/mLIMM-tiitI">Jr Korpa/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>L’humanisation de la mort consisterait donc à l’artificialiser grâce à des drogues, des subterfuges ou des accompagnements qui la dénient. Notons que la sédation profonde et continue jusqu’au décès n’offre pas toute certitude quant à la façon dont se déroulera la mort, comme les souffrances psychologiques ou physiologiques liées à la sédation et à l’isolement au moment du décès.</p>
<p>Si la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès est un droit donné par la <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/19353-bioethique-quelle-prise-en-charge-de-la-fin-de-vie">loi Claeys-Leonetti</a>, depuis le 2 février 2016, elle se fait parallèlement et de façon cohérente à l’arrêt des traitements favorisant le maintien de la vie, comme l’hydratation et la nutrition.</p>
<p>Cette sédation peut être pratiquée en établissement de santé, mais également à la maison ou en Ehpad. La sédation relève d’une décision collégiale impliquant tous les professionnels impliqués dans l’accompagnement du patient. De plus, un médecin extérieur au groupe habituel des soignants et médecins, doit prendre part à la décision. Le médecin responsable du patient devra alors en informer le patient ou sa personne de confiance s’il n’est pas capable de s’exprimer et à défaut, ses proches (avec l’accord du patient).</p>
<p>L’Hypnovel est le nom commercial du Midazolam qui est recommandé en première intention par la <a href="https://www.has-sante.fr/jcms/c_2832000/fr/comment-mettre-en-oeuvre-une-sedation-profonde-et-continue-maintenue-jusqu-au-deces">Haute Autorité de Santé</a>. C’est une benzodiazépine dont les effets sont la diminution de la douleur et de l’anxiété, la somnolence et la relaxation musculaire. Paradoxalement, le Midazolam peut provoquer des effets indésirables comme l’agitation, la confusion et les hallucinations. Aussi les proches doivent être prévenus de possibilités de « réveils » et d’autres phénomènes surprenants.</p>
<h2>Des problèmes éthiques</h2>
<p>Le débat sur la fin de la vie en France a souvent donné l’impression d’avancer par à-coups en France. Il n’a pas permis aux Français de se situer en rédigeant leurs directives anticipées, parce qu’il est impossible de s’imaginer au moment de sa mort. Finalement, le projet de loi donne l’impression de décider pour autrui alors que la représentation de soi mourant est impossible.</p>
<p>Il a fallu distinguer les homicides des euthanasies par amour ou par nécessité. Donner la mort à quelqu’un qui est sans pouvoir d’agir ou de penser est un problème éthique : comment s’assurer que c’est bien ce qu’il souhaite ? Ou encore que ce qu’il a souhaité auparavant correspond toujours à ce qu’il souhaite maintenant ? Un mourant n’est-il jamais ambigu à l’égard de sa propre mort ? C’est bien sûr aussi un problème moral : comment choisir de donner la mort en situation extrême ? La question de la temporalité des directives anticipées se pose. Leur constance dans le temps (bien qu’elles soient renouvelables) et leur adaptation aux moments critiques est une question non réglée.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/517162/original/file-20230323-14-qu4iur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/517162/original/file-20230323-14-qu4iur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517162/original/file-20230323-14-qu4iur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517162/original/file-20230323-14-qu4iur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517162/original/file-20230323-14-qu4iur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517162/original/file-20230323-14-qu4iur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517162/original/file-20230323-14-qu4iur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517162/original/file-20230323-14-qu4iur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Donner la mort à quelqu’un qui est sans pouvoir d’agir ou de penser soulève de nombreuses questions éthiques.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/8PAZHvgjZk0">Jr Korpa/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Un problème déontologique de plus se greffe pour les médecins et les soignants dont le serment et le choix vont vers le soin et le maintien en vie. L’intérêt de la loi est qu’elle parle à la communauté. Si toute personne a le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000212121/">droit d’accéder à des soins palliatifs</a> et à un accompagnement, les unités de soins palliatifs sont en nombre insuffisant pour accueillir tous les Français comme le rappelle le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/01/16/recit-d-une-fin-de-vie-face-aux-insuffisances-de-l-hopital-je-m-epuise-dans-des-demarches-qui-n-aboutissent-pas-mon-pere-lui-s-enfonce_6158084_3224.html">récit de Vanessa Schneider</a> dans <em>Le Monde</em>.</p>
<p>Sur le site de la <a href="https://www.sfap.org/">Société française d’accompagnement et de soins palliatifs</a> (SFAP) on trouve 152 unités de soins palliatifs et 426 unités mobiles de soins palliatifs en France. 5057 lits identifiés de soins palliatifs sont répartis dans 835 établissements.</p>
<p>La répartition de ces centres est inégalitaire : l’Île-de-France, le Nord Pas de Calais, la Bretagne, les régions Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur sont très bien dotées, le Limousin, l’Auvergne et la Normandie, le plus faiblement. Voilà donc la France face à ses responsabilités : les soins palliatifs, alternative heureuse à l’euthanasie, sont impraticables pour tous.</p>
<h2>Accompagner les morts</h2>
<p>Même lorsqu’un de ses membres va mourir, la famille n’aborde pas la mort de ce proche. Le seul moment auquel la mort soit abordée est le 1<sup>er</sup> et le 2 novembre (fête des morts), lorsque les enfants, en vacances de la Toussaint, circulent entre les maisons d’un village pour récolter des bonbons.</p>
<p>Cette récupération de <a href="https://www.mollat.com/livres/507534/damien-le-guay-la-face-cachee-d-halloween">l’Halloween américaine</a> par les Français est récente (années 90). Certes, les enfants revêtent quelques costumes de sorciers et de sorcières et éventuellement arborent un squelette brodé sur un collant sombre. Cependant qui parle de la réelle signification de cette fête des morts ? Qui connaît le <a href="https://journals.openedition.org/lhomme/31739">rôle d’intermédiaire des enfants à l’égard des morts</a> pour lesquels ils intercèdent. Qui sait qu’en distribuant des gourmandises aux enfants, il s’agit de « réconforter » les morts et de les raccompagner à leur place, outre-tombe ?</p>
<p>La visite annuelle des morts est célébrée dans la plupart des civilisations pour ne pas les oublier certes mais aussi <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/psychologie/psychotherapie/apprivoiser-la-mort_9782738112705.php">pour ne pas oublier la mort</a>.</p>
<p>Ce que nous aurions sérieusement tendance à faire, même avec les informations permanentes dont nous bénéficions. Au contraire, la mort présentée quotidiennement dans les nouvelles du jour, a tendance à nous faire « cliver » la réalité. La mort, c’est pour les autres, ceux dont on parle à la télé ou dans les séries. Nous restons bien protégés sur nos canapés à voir défiler tous les malheurs du monde, comme si la mort ne nous concernait pas.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/des-oeuvres-dart-pour-continuer-de-vivre-avec-les-morts-197295">Des œuvres d’art pour continuer de vivre avec les morts</a>
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<h2>La mort fait partie du vivant</h2>
<p>La mort n’est pourtant pas que ce phénomène de désorganisation du vivant, elle fait partie du vivant. L’idée que notre environnement terrestre soit limité, que l’humain devienne responsable de la planète a complexifié la perspective purement spirituelle de la mort. La dimension matérielle de la mort est repassée au premier plan. Ainsi est apparue <a href="https://theconversation.com/compostage-des-defunts-les-enjeux-sanitaires-dune-nouvelle-pratique-funeraire-191538">l’idée de l’humusation</a> qui propose la transformation de l’être aimé en 18 sacs de compost en trois mois. Cette idée exprime sans précaution ce que les restes humains peuvent devenir au même titre que ce qui persiste d’un végétal.</p>
<p>Dans de nombreuses cultures, l’humain, le corps humain, sont sacrés.</p>
<p>C’est pourquoi ils sont traités avec autant de déférence par les cultures humaines. La dévotion pour le cadavre a connu des excès, pour notre plus grande admiration avec la découverte des sarcophages de Toutankhamon. Mais elle a aussi brillé par ses manquements. Dans le cas du nazisme, ce sont non seulement l’assassinat de millions de personnes, mais de plus, la disparition sans hommage de millions de corps. Les rites funéraires sont ainsi le moyen d’avoir accès aux plus anciennes traces de civilisations. Les négliger sciemment, comme dans le cas de génocides, est une profonde négation de l’autre, en ce qu’il a de plus intime.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/517166/original/file-20230323-18-pel2q8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="https://Unsplash.com/fr/photos/75A3W87fqA4" src="https://images.theconversation.com/files/517166/original/file-20230323-18-pel2q8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517166/original/file-20230323-18-pel2q8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517166/original/file-20230323-18-pel2q8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517166/original/file-20230323-18-pel2q8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517166/original/file-20230323-18-pel2q8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517166/original/file-20230323-18-pel2q8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517166/original/file-20230323-18-pel2q8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dans de nombreuses cultures, l’humain, le corps humain, sont sacrés..</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jr Korpa/Unsplash</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Avec l’aide médicale à mourir, on peut se questionner sur l’évolution de ces rites.</p>
<p>Une mort « aidée » peut-elle faire l’objet d’autant de rites qu’une mort accidentelle ou naturelle ?</p>
<p>On peut en effet rappeler que l’Église <a href="https://www.fayard.fr/histoire/histoire-du-suicide-9782213595726">refusait des funérailles chrétiennes</a> au suicidé, c’est-à-dire à celui qui impose sa volonté devant celle de Dieu pour reprendre ce qui lui a été donné.</p>
<h2>La nécessité des rites</h2>
<p>Avec <a href="https://www.rencontressantepubliquefrance.fr/wp-content/uploads/2022/06/BACQUE.pdf">l’étude Covideuil</a> (financée par l’Agence Nationale de la Recherche en 2021), nous avons pu montrer que l’expérimentation du deuil sans rites et sans rencontre a eu un effet sur la santé physique et mentale des endeuillés.</p>
<p>Parmi les 274 personnes rencontrées, la majorité déplorait de n’avoir pu revoir leur défunt. Inviter la famille et les amis était restreint et la possibilité d’une cérémonie ultérieure est une promesse qui n’a pas pu être tenue (18 mois après le décès, les personnes réinterrogées regrettaient de n’avoir pu procéder aux invitations). Les rites funéraires sont cependant encore aujourd’hui dépendants du modèle des funérailles religieuses, quelle que soit la pratique du défunt et des endeuillés.</p>
<p>L’épidémie de Covid aura peut-être valorisé d’autres rites à distance comme pour la France où il s’agissait plutôt d’annonces sur les réseaux sociaux. Les cimetières virtuels sont encore peu utilisés. En revanche, une forme de syncrétisme spirituel a permis, aux familles ou aux individus de dresser de petits autels à la maison avec des fleurs, des photos. On est loin des expérimentations sud-coréennes avec hologramme parlant et lunettes de réalité virtuelle.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2022-1-page-41.htm">Les deadbots</a>, modèles de simulation de conversation avec un défunt à partir de tous les mots produits dans sa vie, ne sont pas encore en passe de supprimer les rites. Les gestes, les déambulations et enfin les références à une vie spirituelle connue de tous les croyants et tous les laïques qui partagent une culture donnée, sont encore réclamés par les familles en deuil.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/517165/original/file-20230323-28-fvfyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/517165/original/file-20230323-28-fvfyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517165/original/file-20230323-28-fvfyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517165/original/file-20230323-28-fvfyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517165/original/file-20230323-28-fvfyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517165/original/file-20230323-28-fvfyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517165/original/file-20230323-28-fvfyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517165/original/file-20230323-28-fvfyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Durant l’épidémie de Covid, les deuils sans rites et sans rencontre ont eu un effet sur la santé physique et mentale des endeuillés.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/bzwWFMjCvyA">Jr Korpa/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Si les euthanasies et les <a href="https://www.ieb-eib.org/fr/">suicides assistés</a> concernent une minorité de décès, les pays qui les ont adoptés anciennement comme les Pays-Bas, a vu leur nombre tripler en 20 ans, ce qui représente 4,2 % des décès.</p>
<p>La question de l’aide médicale à mourir n’est donc pas un épiphénomène mais semble se constituer comme un puzzle : l’Europe (dont certains états sont encore en discussion comme la France et l’Italie) et certains états des États-Unis et de l’Australie, la Colombie, le Canada ont autorisé l’aide légale à mourir.</p>
<p>Le consensus sur la fin de la vie douloureuse et insupportable a déjà été trouvé dans l <a href="https://sante.gouv.fr/soins-et-maladies/prises-en-charge-specialisees/les-soins-palliatifs-et-la-fin-de-vie/la-prise-en-charge-palliative-et-les-droits-des-personnes-malades-et-ou-en-fin/article/comprendre-la-loi-claeys-leonetti-de-2016">es lois Leonetti et Claeys-Leonetti</a>. Pour les autres cas, le débat de la convention citoyenne est un modèle d’autoformation à la mort qu’il serait intéressant de développer dans la population française. Dans ces conditions d’éducation à la mort, les Français pourraient mieux se préparer à la fin de leur vie sans hâter leur mort par défaut d’information.</p>
<p>Ce n’est donc pas seulement un débat sur la fin de la vie qui doit être lancé mais un débat sur la fin de la mort et sur la mort tout court.</p>
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<h2>À découvrir aussi</h2>
<p><a href="https://theconversation.com/la-clause-de-conscience-chez-les-professionnels-de-sante-quelle-application-pour-la-fin-de-vie-199427"><em>La clause de conscience chez les professionnels de santé : quelle application pour la fin de vie ?</em></a></p>
<p><a href="https://theconversation.com/comment-la-question-de-la-grande-vieillesse-bouscule-le-debat-sur-la-fin-de-vie-198000"><em>Comment la question de la grande vieillesse bouscule le débat sur la fin de vie</em></a></p>
<p><a href="https://theconversation.com/euthanasie-comprendre-les-positions-des-candidats-a-la-presidentielle-71655"><em>Euthanasie : comprendre les positions des candidats à la présidentielle</em></a></p>
<p><a href="https://theconversation.com/pourquoi-se-dirige-t-on-vers-une-legalisation-de-leuthanasie-en-france-190414"><em>Pourquoi se dirige-t-on vers une légalisation de l’euthanasie en France</em></a></p>
<p><a href="https://theconversation.com/debat-francais-sur-leuthanasie-lecons-dallemagne-du-portugal-et-despagne-158170"><em>Débat français sur l’euthanasie : leçons d’Allemagne, du Portugal et d’Epagne</em></a></p>
<p><a href="https://theconversation.com/quand-les-morts-secouent-nos-habitudes-73386"><em>Quand les morts secouent nos habitudes</em></a></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200562/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Frédérique Bacqué ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les débats autour de l’aide active à mourir ouvrent une discussion plus large sur la mort.
Marie-Frédérique Bacqué, Professeure de psychopathologie clinique, directrice du CIEM (Centre International des Études sur la Mort), Université de Strasbourg
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/178579
2023-02-07T15:13:28Z
2023-02-07T15:13:28Z
Mort : combien de temps restons-nous conscients ? Notre vie défile-t-elle vraiment devant nos yeux ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/450443/original/file-20220307-51485-13vlbfz.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=18%2C10%2C2389%2C1685&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La mort demeure un mystère.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>La première fois que j’ai réussi à dépasser l’horreur évoquée par le concept de la mort et que je me suis demandé ce que l’on pouvait éprouver quand on meurt, j’avais environ 15 ans. Je venais de découvrir certains aspects atroces de la Révolution française et comment les têtes y tombaient, séparées du corps par la guillotine.</p>
<p>Une phrase qui m’a beaucoup marqué alors et dont je me souviens à ce jour est celle de <a href="https://www.britishmuseum.org/collection/term/BIOG189611">Georges Danton</a>, qui, le 5 avril 1794, jour de son exécution publique, <a href="https://www.imdb.com/title/tt0083789/">dit à son bourreau</a> : « Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut la peine ». Quelque quinze années plus tard, étant devenu chercheur en neurosciences cognitives, j’ai commencé à me demander dans quelle mesure un cerveau soudainement séparé du corps pouvait encore percevoir son environnement et peut-être même, penser.</p>
<p>Danton voulait que sa tête soit montrée, mais pouvait-il voir ou entendre les gens du peuple ? Était-il resté conscient, ne serait-ce que pendant un bref instant ? Comment son cerveau a-t-il cessé de fonctionner ?</p>
<p>Le 14 juin 2021, ces questions se sont violemment posées à nouveau. J’étais parti en urgence pour Avignon, en France, sur convocation de ma mère parce que mon frère était dans un état critique, quelques jours après avoir brusquement reçu un diagnostic de cancer des poumons en phase terminale. Quand j’ai atterri à Marseille, on m’a annoncé que mon frère était parti quatre heures auparavant. Une heure plus tard, je l’ai trouvé sur un lit d’hôpital, immobile et beau, la tête légèrement tournée sur le côté comme s’il dormait profondément. Seulement, il ne respirait plus et son corps était froid.</p>
<p>Peu importe à quel point j’ai refusé d’y croire, ce jour-là, et pendant les mois qui ont suivi, l’esprit extraordinairement brillant et créatif de mon frère s’était évaporé, et il ne se manifesterait plus que par les <a href="https://4rt.fr">œuvres d’art laissées derrière lui</a>. Or, au cours du moment ultime que j’ai pu passer avec le corps sans vie de mon frère, j’ai ressenti le besoin de lui parler.</p>
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<img alt="Cerveau et onde électroencéphalographiques" src="https://images.theconversation.com/files/449767/original/file-20220303-15-1dzbulb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C51%2C4900%2C3044&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/449767/original/file-20220303-15-1dzbulb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/449767/original/file-20220303-15-1dzbulb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/449767/original/file-20220303-15-1dzbulb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/449767/original/file-20220303-15-1dzbulb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/449767/original/file-20220303-15-1dzbulb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/449767/original/file-20220303-15-1dzbulb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Que peuvent nous dire les ondes cérébrales ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-illustration/brain-waves-eeg-activity-3d-illustration-1572129928">(Shutterstock)</a></span>
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<p>Et c’est ce que j’ai fait, malgré 25 ans de recherche sur le cerveau et sachant parfaitement bien qu’environ six minutes après que le cœur s’arrête et que la circulation sanguine vers le cerveau est interrompue, ce dernier commence à mourir. Rapidement, la détérioration atteint un point de non-retour et la <a href="https://www.goodreads.com/book/show/125777.The_Feeling_of_What_Happens">conscience fondamentale</a> –notre capacité à ressentir que l’on est ici et maintenant, et que nos pensées sont les nôtres – est perdue. Se pourrait-il qu’il soit resté quelque chose de l’esprit de mon frère tant aimé pour entendre ma voix et générer une pensée, cinq heures après qu’il se soit éteint ?</p>
<h2>Quelques études scientifiques</h2>
<p>Des études scientifiques ont été menées dans le but de mieux comprendre les témoignages de personnes qui ont vécu une <a href="https://www.scientificamerican.com/article/what-near-death-experiences-reveal-about-the-brain/">expérience de mort imminente</a>. L’expérience temporaire de la mort a été associée à une sensation de flottement extra-corporel, à un sentiment de bonheur profond, l’impression d’être appelé vers un au-delà, à la vision d’une lumière qui brille au-dessus, mais aussi à de profondes poussées d’anxiété ou à un vide et un silence absolu. Une des limites importantes des études portant sur de telles expériences, c’est qu’elles se concentrent exagérément sur la nature des expériences elles-mêmes et négligent souvent le contexte qui les précède.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/UyyjU8fzEYU?wmode=transparent&start=1" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Certaines personnes ayant subi une anesthésie alors qu’elles étaient en bonne santé ou ayant été impliquées dans un accident entraînant une soudaine perte de conscience ont peu de raisons de ressentir une anxiété profonde lorsque leur cerveau commence à cesser de fonctionner. En revanche, quelqu’un qui a des antécédents prolongés de maladie grave ou qui aurait des projets de vie en cours pourrait vivre un moment ultimement difficile. Et il paraît fondamental aussi de prendre en compte les conceptions spirituelles de la personne vis-à-vis de la mort biologique.</p>
<p>Il n’est pas facile d’obtenir l’autorisation d’étudier les événements biologiques qui prennent place dans le cerveau pendant nos derniers moments de vie. <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fnagi.2022.813531/full">Un article récent</a> présente une analyse de l’activité électrique du cerveau chez un homme de 87 ans ayant subi un traumatisme à la tête lors d’une chute, alors qu’il s’éteignait, après une série de crises d’épilepsie et un arrêt cardiaque. Comme il s’agit d’une première publication de telles données recueillies lors de la transition de la vie à la mort, l’article reste très spéculatif en ce qui concerne les « expériences de l’esprit » qui pourraient accompagner la transition vers la mort.</p>
<p>Les chercheurs ont découvert que certaines ondes cérébrales, appelées alpha et gamma, changeaient de rythme alors même que le sang avait cessé de circuler et donc d’oxygéner le cerveau. Ainsi qu’ils l’écrivent : « Étant donné que le couplage croisé entre les activités alpha et gamma est impliqué dans les processus cognitifs et l’accès à la mémoire chez l’individu sain, on peut faire l’hypothèse intéressante qu’une telle activité traduit un dernier <em>rappel de vie</em> qui pourrait avoir lieu quand la mort est imminente ».</p>
<p>Cependant, un tel couplage est loin d’être rare dans le cerveau sain et cela ne signifie donc pas que notre vie défile devant nos yeux à ce moment-là. Par ailleurs, l’étude n’a pas pu répondre à l’une de mes questions premières : combien de temps après l’arrêt de l’apport d’oxygène au cerveau l’activité neuronale fondamentale disparaît-elle ? L’article ne fait état que de l’activité cérébrale enregistrée sur une période d’environ 15 minutes, et ne couvre que quelques minutes après la mort.</p>
<p>Chez le rat, des <a href="https://www.pnas.org/doi/full/10.1073/pnas.1308285110">expériences</a> ont établi qu’après quelques secondes, la conscience disparaît. Et après 40 secondes, la grande majorité de l’activité neuronale a cessé. Certaines études ont également montré que cet arrêt du cerveau s’accompagnait <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0304394011005234">d’une libération de sérotonine</a>, une substance chimique associée à l’excitation et aux sentiments de bien-être.</p>
<p>Mais qu’en est-il de nous ? Si les êtres humains peuvent être réanimés après six, sept, huit ou même dix minutes dans <a href="https://www.quora.com/How-much-time-will-it-take-for-your-brain-to-die-after-the-heart-stops-beating">certains cas extrêmes</a>, l’arrêt complet du cerveau pourrait théoriquement prendre des heures.</p>
<p>Au cours de mes lectures, j’ai rencontré nombre de théories essayant d’expliquer pourquoi notre vie défilerait devant nos yeux alors que le cerveau se prépare à mourir. Peut-être s’agit-il d’un pur artifice associé à l’augmentation soudaine d’activité neurale biologiquement liée à l’arrêt du cerveau ? Peut-être est-ce la manifestation d’un dernier recours, un mécanisme de défense du corps essayant de contrecarrer le processus de mort imminente ? Ou peut-être s’agit-il encore d’un réflexe génétiquement programmé profondément enraciné, qui garde notre esprit « occupé », alors que se déroule l’événement le plus difficile à « vivre » de toute notre existence ?</p>
<p>Mon hypothèse est quelque peu différente : si, comme je le crois, notre motivation existentielle la plus profonde est de comprendre le sens de notre propre existence, voir notre vie défiler devant nos yeux pourrait être l’ultime tentative – aussi désespérée soit-elle – de trouver une réponse, à une vitesse nécessairement vertigineuse, car il ne reste plus de temps.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/death-can-our-final-moment-be-euphoric-129648">Death: can our final moment be euphoric?</a>
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<p>Et que nous réussissions ou non, ou même si nous sommes dans l’illusion d’avoir réussi, cela doit mener à un moment de béatitude absolue. J’espère que les recherches futures dans ce domaine, portant sur des enregistrements plus prolongés de l’activité neuronale après la mort, et peut-être invoquant l’imagerie cérébrale, donneront de la substance à cette idée – qu’elle se manifeste pendant des minutes ou des heures, pour l’amour de mon frère, et celui de nous tous.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178579/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Thierry ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les humains peuvent être réanimés au bout de 10 minutes, ce qui signifie que nous pouvons avoir un certain niveau de conscience immédiatement après la mort.
Guillaume Thierry, Professor of Cognitive Neuroscience, Bangor University
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/197295
2023-01-08T16:41:43Z
2023-01-08T16:41:43Z
Des œuvres d’art pour continuer de vivre avec les morts
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/503273/original/file-20230105-19-ucbg5t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C77%2C7337%2C4825&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un pont. 2016. Oscar Tuazon. Ce type d’œuvre, commanditée par un individu ou un collectif avec l'organisation des 'Nouveaux Commanditaires' permet une forme d'intercession entre les défunts et 'ceux qui restent'.</span> <span class="attribution"><span class="source">© Œuvre réalisée dans le cadre de l'action Nouveaux commanditaires initiée par la Fondation de France. Médiation Le Consortium, Dijon. Photo : Samuel Cornavali</span></span></figcaption></figure><p><em>Les morts peuvent-ils faire agir les vivants ? Dans la continuité de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/au_bonheur_des_morts-9782707194084">ses travaux précédents</a>, la philosophe Vinciane Despret raconte dans « Les morts à l’œuvre » <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/les_morts_a_l_oeuvre-9782359252439">cinq histoires</a> où des morts proches ou éloignés dans le temps ont obligé les vivants à leur donner une nouvelle place. Ceux qui « restent » ont en effet commandé une œuvre grâce à un protocole politique et artistique nommé le programme des <a href="http://www.nouveauxcommanditaires.eu/">Nouveaux Commanditaires</a>. Ce protocole consiste à choisir un artiste et à décider en commun d’une œuvre. Il va transformer en profondeur les commanditaires. Extrait de l’introduction.</em></p>
<hr>
<p>Je me suis particulièrement intéressée aux œuvres commandées dans le cadre de ce <a href="http://www.nouveauxcommanditaires.eu/fr/44/le-protocole">protocole</a> où la demande d’œuvre émergeait suite à un décès – qu’il soit proche ou éloigné dans le temps.</p>
<p>Ces commandes me touchaient tout particulièrement parce que j’y voyais un exemple remarquable du fait que des morts font agir des vivants. Par la grâce du protocole, <a href="https://www.lespressesdureel.com/sommaire.php?id=2903&menu=">véritable intercesseur</a>, des morts sont dotés de la puissance de continuer à agir dans ce monde, non seulement en aidant les vivants à « faire avec ce monde » mais également en le transformant par le vecteur d’une œuvre. Ce sont ces morts que j’ai appelés « ceux qui insistent ».</p>
<h2>« Nos morts en commun »</h2>
<p>Ils insistent, et ils peuvent le faire parce que certains les ont entendus insister – parfois des proches, parfois des très éloignés. Et parfois les proches sont rejoints, dans la réponse à une telle insistance, par des très éloignés. Aussi ces défunts qui prolongent leur existence par la grâce de ceux qui entendent leur appel deviennent-ils « nos morts en commun » (cette formulation avait été proposée par Xavier Douroux).</p>
<p>Ils étaient les morts de quelques-uns, parfois ceux des proches endeuillés, parfois, pour les plus anciens d’entre eux, ceux de leurs contemporains ; puis des collectifs s’agencent autour d’eux, répondent à l’insistance, « commandent » l’œuvre, et ces morts de quelques-uns, ou ces morts d’un passé quasi oublié, prennent de l’importance, trouvent une nouvelle place ou reviennent au présent, et leur aura et ce qu’ils rendent capable de faire s’étendent dans l’espace et dans le temps.</p>
<p>Les voilà donc, par l’étrange puissance des œuvres, eux-mêmes à déborder. Alors, si le protocole a bien une dimension politique, avec ces morts qui insistent et avec ces vivants qui prennent en charge la réponse à cette insistance par une mise en œuvre, ces commandes inscrivent le processus dans une pratique résolument <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/cosmopolitiques-9782359252224">« cosmopolitique »</a>.</p>
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<img alt="Le jardin perpétuellement fleuri. Mario Airo Œuvre réalisée dans le cadre de l’action Nouveaux commanditaires initiée par la Fondation de France. Photo : Falke Lambrechts" src="https://images.theconversation.com/files/503269/original/file-20230105-24-bm41jz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503269/original/file-20230105-24-bm41jz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503269/original/file-20230105-24-bm41jz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503269/original/file-20230105-24-bm41jz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503269/original/file-20230105-24-bm41jz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503269/original/file-20230105-24-bm41jz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503269/original/file-20230105-24-bm41jz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le jardin perpétuellement fleuri. Mario Airo.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Œuvre réalisée dans le cadre de l’action Nouveaux commanditaires initiée par la Fondation de France. Photo : Falke Lambrechts</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’histoire n’est pas terminée</h2>
<p>Ils insistent, disais-je, mais ils insistent à propos de quoi ? Je crois que nul ne le sait précisément au début. Tout ce que l’on peut dire, c’est que quelqu’un ou quelques-uns disent qu’ils sentent qu’il y a quelque chose à faire. Que l’histoire n’est pas terminée. L’un ou l’autre de « ceux qui restent » va sentir l’insistance et s’en saisir. Sans nécessairement savoir ce qui est attendu, et surtout sans savoir où cela mènera.</p>
<p>C’est une insistance sourde, un appel <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/inchoatif">inchoatif</a> : c’est l’œuvre qui donnera forme à cette insistance, qui lui offrira, tant dans son élaboration que dans son aboutissement, une réponse. Une réponse, qui, on va le voir, débordera largement la question.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/503270/original/file-20230105-14-4s0jeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Obélisques. CC/BS. 2007. Stephen Gontarski" src="https://images.theconversation.com/files/503270/original/file-20230105-14-4s0jeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503270/original/file-20230105-14-4s0jeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503270/original/file-20230105-14-4s0jeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503270/original/file-20230105-14-4s0jeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503270/original/file-20230105-14-4s0jeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503270/original/file-20230105-14-4s0jeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503270/original/file-20230105-14-4s0jeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Obélisques. CC/BS. 2007. Stephen Gontarski.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Œuvre réalisée dans le cadre de l’action Nouveaux commanditaires initiée par la Fondation de France. Médiation Le Consortium, Dijon. Photo : Bertrand Gautier</span></span>
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<p>L’œuvre, ici, quelle que soit sa forme – plastique, musicale, architecturale, théâtrale, littéraire –, devient alors monument, au sens de Gilles Deleuze et Félix Guattari dans <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Qu_est_ce_que_la_philosophie__-2024-1-1-0-1.html"><em>Qu’est-ce que la philosophie ?</em></a> « L’acte du monument n’est pas la mémoire, mais la fabulation. »</p>
<p>En d’autres termes, l’acte du monument n’est pas le relais d’un passé à préserver, mais écart au départ de ce dont il s’agit de faire mémoire – débordement, encore. Il s’agit de reprendre ce passé, c’est un acte de reprise, et de le reprendre dans des formes fabulatives qui lui donnent une chance de modifier le futur du présent qui commémore ce passé – et le terme « reprise » désigne à la fois, par ces heureuses coïncidences sémantiques, l’art de la couture et du ravaudage, l’art de combler ce qui manque, l’art de guérir les tissus, et l’art d’assurer un relais.</p>
<p>Il s’agit bien, je l’ai découvert au cours de mon enquête, d’une pragmatique de la commémoration comme fabrique d’une mémoire qui « fait commun ».</p>
<h2>Reprendre la vie autrement</h2>
<p>« Faire avec une fois encore. » Cela n’a rien à voir avec le deuil, dans sa forme classiquement surannée – voire sa forme un peu autoritaire dans les théories psychologiques qui enjoignent à l’oubli : c’est la reprise d’une vie qui insiste.</p>
<p>C’est avec la vie, celle qui n’est plus mais qui est encore d’une autre manière, celle qui résiste à son effacement, que le faire avec opère ce que je considère comme une série de métamorphoses, par l’œuvre, par ses débordements inattendus.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/503271/original/file-20230105-2013-rscs3m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="L’affaire des incendies. En souvenir de Vaux et Petit. 2009. Anita Molinero ADAGP, Paris, 2009/Œuvre réalisée dans le cadre de l’action Nouveaux commanditaires initiée par la Fondation de France. Médiation Le Consortium, Dijon. Photo : André Morin" src="https://images.theconversation.com/files/503271/original/file-20230105-2013-rscs3m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503271/original/file-20230105-2013-rscs3m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503271/original/file-20230105-2013-rscs3m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503271/original/file-20230105-2013-rscs3m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503271/original/file-20230105-2013-rscs3m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503271/original/file-20230105-2013-rscs3m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503271/original/file-20230105-2013-rscs3m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’affaire des incendies. En souvenir de Vaux et Petit. 2009. Anita Molinero.</span>
<span class="attribution"><span class="source">ADAGP, Paris, 2009/Œuvre réalisée dans le cadre de l’action Nouveaux commanditaires initiée par la Fondation de France. Médiation Le Consortium, Dijon. Photo : André Morin</span></span>
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<p>Le travail de commémoration est inéluctablement dans ce cas création : commémorer, « faire mémoire avec » ceux qui insistent, les faire exister au présent sur un mode qui oblige et qui (nous) tienne. Non pas porter le deuil, moins encore en assumer le « travail » – ce qui ne serait qu’une autre façon de rendre absent, insistons là-dessus. Il s’agit de répondre à ceux qui insistent et expérimenter les manières de le faire.</p>
<p>Faire honneur à ce qui arrive ou à ce qui est arrivé en inventant, même s’il s’agit d’un désordre du monde, d’un drame, de quelque chose qui n’aurait jamais dû se produire. Avec cette invention, il s’agit de se donner une chance non de défaire ce qui a été tramé, non de refaire ce qui a été défait par la mort, mais de prolonger ailleurs, irriguer vers le futur, changer un petit bout de monde (pour commencer !) pour lui donner une nouvelle chance. Ceux qui ne sont plus continuent alors, par la grâce de l’œuvre qu’ont commandée ceux qui restent, d’aider à renouer avec la vie, avec les autres, à faire exister d’autres perspectives, d’autres liens, d’autres façons de vivre ensemble.</p>
<h2>Une forme très singulière de l’héritage</h2>
<p>Chacune de ces œuvres, de ce fait, s’apparente alors à une forme très singulière de l’héritage. D’abord parce que la dimension du don y est très présente, et que le travail de la commande s’inscrit dans ce type d’échanges – les fonds qu’il s’agit de trouver, l’engagement des commanditaires, le travail des médiateurs financé par un mécène – pendant trente ans, dans le cadre de sa tradition de soutien de l’innovation dans tous les domaines, la Fondation de France a assumé toute la mise en œuvre en France et en Europe de ce nouveau mode d’action – le temps que consacrera l’artiste et qui débordera très rapidement celui de la simple commande.</p>
<p>Mais l’œuvre relève également de l’héritage dans un autre sens. En quoi est-elle un don ? Elle a beau être orientée « pour » celui ou celle qui n’est plus et même si chacun de ceux qui participent à la commande a bien le sentiment qu’il y a une forme – voire une nécessité – de don fait à l’intention d’un ou de plusieurs défunts, la question « qui lègue ? » et « qui lègue quoi ? » reçoit de multiples réponses, dont aucune n’est déterminante et n’élimine les autres.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503272/original/file-20230105-20-gvgj5j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503272/original/file-20230105-20-gvgj5j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503272/original/file-20230105-20-gvgj5j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503272/original/file-20230105-20-gvgj5j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503272/original/file-20230105-20-gvgj5j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503272/original/file-20230105-20-gvgj5j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503272/original/file-20230105-20-gvgj5j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Couverture de l’ouvrage de Vinciane Despret, « Les morts à l’œuvre », 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.editionsladecouverte.fr/les_morts_a_l_oeuvre-9782359252439">La Découverte</a></span>
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</figure>
<p>Sont-ce les vivants aux morts ? Oui, sans conteste, les vivants offrent à leurs défunts ce supplément biographique qui leur permet d’agir sous d’autres formes – l’œuvre de ce fait « représente » quelque chose de la vie de celui ou celle qui n’est plus, au double sens d’une représentation et d’une manière de permettre de se re-présenter, d’être à nouveau présent.</p>
<p>Est-ce le mort aux vivants ? Oui également, d’une certaine manière, l’œuvre devient son legs à ceux qui restent. Mais c’est plus qu’un legs ; comme on le verra, dans chacune des situations que je vais relayer, les vivants vont être amenés bien ailleurs, vont bénéficier de bien d’autres choses dont le « faire œuvre » sera le vecteur. Et les vivants se sentent redevables de ce que le mort continue, à travers ce processus, à faire pour eux, et des effets de sa présence. L’œuvre assure la continuité de la vie, et comme œuvre elle en offre les excès : elle fait excéder la présence. Sous d’autres formes.</p>
<hr>
<p><em>L’autrice vient de publier <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/les_morts_a_l_oeuvre-9782359252439">« Les morts à l’œuvre »</a> aux éditions de la Découverte, 2023.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197295/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vinciane Despret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
En commémorant un défunt à travers une œuvre d’art on se donne une chance prolonger ailleurs un petit bout de monde.
Vinciane Despret, Professeur de philosophie, Université de Liège
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/192138
2022-10-29T14:37:04Z
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Mais où se trouve la momie de Cléopâtre ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/490885/original/file-20221020-1633-lyaomr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1280%2C714&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Valerie Leon dans Blood from the Mummy’s Tomb (en français : La Momie sanglante), 1971.</span> </figcaption></figure><p>Rien ne subsiste du tombeau « d’une élévation et d’une somptuosité étonnantes » que Cléopâtre se fit édifier, non loin du palais royal, au nord-est d’Alexandrie, selon l’auteur antique Plutarque (<em>Vie d’Antoine</em> 74).</p>
<p>Vaincue par Octave, le futur empereur Auguste, la reine y fait entasser toutes ses richesses, au cours de l’été 30 av. J.-C.</p>
<p>Lorsqu’il pénètre dans Alexandrie, le vainqueur craint que Cléopâtre se donne la mort en mettant le feu à ses trésors. Il souhaite s’emparer d’elle vivante autant que de ses richesses qui seront, espère-t-il, les principaux ornements de son triomphe à Rome.</p>
<p>Au même moment, Marc Antoine, maître déchu de l’Orient romain et amant de Cléopâtre, rate son suicide. Il se frappe avec son glaive, mais pas suffisamment fort pour mourir sur le coup. À l’agonie, se vidant de son sang, il est transporté par des serviteurs jusqu’au tombeau de la reine. Comme les portes en ont été barricadées, Marc Antoine mourant doit être hissé jusqu’à une fenêtre au moyen de cordes. Une fois arrivé au sommet, il expire dans les bras de sa maîtresse.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/490886/original/file-20221020-16-dic0zh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490886/original/file-20221020-16-dic0zh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=842&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490886/original/file-20221020-16-dic0zh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=842&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490886/original/file-20221020-16-dic0zh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=842&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490886/original/file-20221020-16-dic0zh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1058&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490886/original/file-20221020-16-dic0zh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1058&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490886/original/file-20221020-16-dic0zh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1058&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>Antoine mourant rapporté à Cléopâtre</em>, tableau d’Eugène-Ernest Hillemacher, 1863. Grenoble, Musée de Peinture et Sculpture.</span>
</figcaption>
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<h2>Un mausolée en forme de tour</h2>
<p>L’anecdote racontée par Plutarque a l’avantage de nous renseigner quelque peu sur l’aspect de la dernière demeure de Cléopâtre : c’était une haute tour, suivant le modèle du fameux mausolée d’Halicarnasse, élevé au IV<sup>e</sup> siècle av. J.-C., par Mausole, dynaste de Carie, dans l’actuelle Turquie.</p>
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<p>Octave, raconte Plutarque, envoya ses hommes s’emparer de Cléopâtre. Ils parvinrent à pénétrer dans le mausolée, en passant par une ouverture qui se trouvait dans la partie supérieure de l’édifice et réussirent à immobiliser la reine, au moment où elle allait se tuer d’un coup de poignard.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/490889/original/file-20221020-14-rhvllf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490889/original/file-20221020-14-rhvllf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=642&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490889/original/file-20221020-14-rhvllf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=642&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490889/original/file-20221020-14-rhvllf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=642&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490889/original/file-20221020-14-rhvllf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=806&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490889/original/file-20221020-14-rhvllf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=806&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490889/original/file-20221020-14-rhvllf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=806&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Reconstitution du mausolée d’Halicarnasse. Bodrum, Musée d’archéologie sous-marine.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les hommes d’Octave vérifient que leur prisonnière ne porte plus aucune arme sur elle. Puis Cléopâtre est placée en résidence surveillée dans une chambre du palais royal. C’est là qu’elle parvient à se suicider au moyen d’un serpent qui lui est apporté, caché sous des figues, selon l’étonnant scénario évoqué par Plutarque. Un suicide fascinant <a href="https://theconversation.com/coucher-avec-cleopatre-et-mourir-183664">qui connut une étonnante postérité littéraire et artistique</a>.</p>
<h2>Cléopâtre et Marc Antoine réunis dans la mort</h2>
<p>Le corps de la reine est alors, de toute évidence, embaumé, comme l’ont été les dépouilles de ses prédécesseurs, Alexandre le Grand et les souverains de la dynastie des Ptolémée dont elle est l’ultime représentante. La momie est ensuite déposée dans le mausolée, où la rejoint le corps de Marc Antoine. Le Romain avait, en effet, formulé dans son testament le souhait que sa dépouille soit placée à côté de celle de Cléopâtre (Plutarque, <em>Vie d’Antoine</em> 58). Et la reine avait confirmé cette ultime volonté dans une lettre adressée à Octave quelques instants avant son suicide (Plutarque, <em>Vie d’Antoine</em> 85).</p>
<p>Le mausolée n’a pas été retrouvé. Ce qu’il en reste doit reposer aujourd’hui quelque part sous les eaux de la zone orientale du grand port d’Alexandrie. L’archéologue Franck Goddio y a mené des recherches sous-marines en 1996, sans parvenir <a href="https://www.liberation.fr/culture/1996/11/12/le-palais-de-cleopatre-en-eau-trouble-scepticisme-apres-la-decouverte-de-vestiges-sous-marins-de-l-a_188756/">à identifier les vestiges du fameux monument</a>.</p>
<p>Par contre, le témoignage de Plutarque <a href="https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2020-07-13/pourquoi-on-ne-trouve-toujours-pas-la-tombe-de-cleopatre-malgre-de-recentes-decouvertes-8e65fc70-380b-4ae6-8a22-93c8c35f0728">contredit formellement l’hypothèse avancée par l’archéologue Kathleen Martinez</a>, qui pensa, au début des années 2000, pouvoir découvrir la sépulture de Cléopâtre et Marc Antoine à Taposiris Magna, à quelque 40 kilomètres à l’ouest d’Alexandrie.</p>
<p>La forte médiatisation de ces recherches traduit néanmoins le puissant intérêt que suscite toujours, auprès du grand public, le tombeau de la reine devenue mythique.</p>
<h2>Dévotion posthume pour une souveraine regrettée</h2>
<p>Cet intérêt remonte aux années qui suivirent la mort de Cléopâtre. La reine fit l’objet d’un culte posthume, sans doute parce qu’elle fut une dirigeante politique compétente, regrettée par ses sujets, au contraire de la légende de la putain royale, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/cleopatre-le-genie-politique/une-reine-en-son-royaume-ep3-7842254">diffusée par la propagande d’Octave</a>.</p>
<p>C’est ce que suggère un graffiti en égyptien démotique, gravé au IV<sup>e</sup> siècle apr. J.-C., dans le temple de la déesse Isis à Philae, évoquant une « statue de Cléopâtre » <a href="https://www.babelio.com/livres/Schwentzel-Cleopatre--La-deesse-reine/784074">qui fut redorée par un prêtre nommé Pétésénouf</a>.</p>
<p>Sur une plaquette en bronze du II<sup>e</sup> ou du III<sup>e</sup> siècle apr. J.-C., l’historien Richard Veymiers est parvenu à lire, entre les représentations de divinités égyptiennes, une <a href="https://www.cairn.info/revue-archeologique-2014-1-page-37.htm">inscription grecque signifiant</a> : « Grand est le nom de Sarapis, grande est Néôtéra l’invincible ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/490890/original/file-20221020-11-bn1td.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490890/original/file-20221020-11-bn1td.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=118&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490890/original/file-20221020-11-bn1td.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=118&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490890/original/file-20221020-11-bn1td.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=118&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490890/original/file-20221020-11-bn1td.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=148&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490890/original/file-20221020-11-bn1td.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=148&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490890/original/file-20221020-11-bn1td.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=148&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Plaquette en bronze aux noms de Sarapis et Néôtéra. Paris, Cabinet des Médailles.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.cairn.info/revue-archeologique-2014-1-page-37.html">cairn</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Théa Néôtéra, ou « Déesse la plus jeune », est le surnom divin que prit Cléopâtre en 37 av. J.-C. Le texte pourrait ici, me semble-t-il, faire référence à la reine divinisée, vue comme la manifestation terrestre la plus récente de la déesse Isis, épouse du grand dieu Sarapis.</p>
<p>Le mausolée de Cléopâtre à Alexandrie était au cœur de ces dévotions posthumes. Il fut certainement fermé et pillé lors de la christianisation de l’Empire romain, à la fin du IV<sup>e</sup> siècle apr. J.-C. Ses restes s’effondrèrent ensuite dans la mer lors des séismes qui frappèrent Alexandrie et ses environs au début du Moyen Âge.</p>
<h2>Bonaparte et la momie de Cléopâtre</h2>
<p>La dépouille de Cléopâtre disparut vraisemblablement lors du pillage de son tombeau. Elle n’en continua pas moins <a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-histoires-de-momies-nous-font-elles-fremir-79046">à hanter les esprits</a>, suscitant de nombreux fantasmes en Occident, à partir de la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Conséquence de l’égyptomanie ambiante, les momies sont alors à la mode. Le Cabinet des médailles, à Paris, aurait conservé la dépouille de l’ancienne reine, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/cleopatre-le-genie-politique/mourir-plutot-que-subir-ep4-1100991">selon une légende relayée par la presse de l’époque</a>.</p>
<p>On racontait que le cadavre de Cléopâtre avait été découvert lors de l’expédition de Bonaparte en Égypte. Le général lui-même aurait passé une nuit avec elle dans sa tente, dressée au pied d’une pyramide. Il l’aurait ensuite rapportée en France, dans ses bagages, et remise au Cabinet des médailles.</p>
<p>Mais la dépouille ne supporta pas le climat parisien. Elle se mit à pourrir et fut finalement enterrée dans le jardin de la Bibliothèque nationale de France. Cette légende repose sur quelques faits réels, <a href="https://antiquitebnf.hypotheses.org/7790">comme l’a montré Julien Olivier</a>, conservateur à la BNF.</p>
<p>Il y avait bien, au XIX<sup>e</sup> siècle, une momie exposée au Cabinet des médailles que des étudiants, férus d’égyptologie, se plaisaient à nommer « Cléopâtre ». Il est possible que, détériorée par l’humidité, elle ait finalement été enfouie du côté de la rue Vivienne.</p>
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<span class="caption">Evandale et Rumphius découvrent la momie de Tahoser. Théophile Gautier, <em>Le Roman de la momie</em>, illustration de Georges-Antoine Rochegrosse.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Séduisantes dépouilles</h2>
<p>De cette légende se dégage un érotisme nécrophile également présent dans la littérature du XIX<sup>e</sup> siècle. « Oh ! que je donnerais volontiers toutes les femmes de la terre pour avoir la momie de Cléopâtre ! », <a href="https://books.openedition.org/pul/20091?lang=fr">écrit Gustave Flaubert dans <em>Par les champs et par les grèves</em> (1847)</a>.</p>
<p>Dans <em>Le pied de momie</em>, nouvelle de Théophile Gautier (1840), le <a href="https://journals.openedition.org/aes/1760?lang=en">narrateur fait l’acquisition du pied embaumé d’une princesse égyptienne</a> dont il entend se servir comme presse-papier. Il décrit l’objet avec délectation : « Les doigts étaient fins, délicats, terminés par des ongles parfaits, purs et transparents comme des agathes (sic) ».</p>
<p>Gautier est aussi l’auteur du célèbre <em>Roman de la momie</em> (1858) qui confirme ce lien fantasmé entre beauté féminine et mort. Dans ce livre, deux archéologues, Lord Evandale et le docteur Rumphius, découvrent la <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8626654k/f15.image">momie parfaitement conservée d’une jeune souveraine égyptienne nommée Tahoser</a>.</p>
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<span class="caption">La « main de Cléopâtre ». Collection privée.</span>
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<h2>La « main de Cléopâtre »</h2>
<p>Au XIX<sup>e</sup> siècle, des voyageurs occidentaux, toujours plus nombreux, visitent la vallée du Nil afin d’assouvir leur passion pour l’Égypte ancienne. Ils pouvaient y acheter, en guise de souvenirs, des objets antiques dont le marché n’était alors guère réglementé. Les plus audacieux rapportaient <a href="https://www.researchgate.net/publication/326827533_Ancient_Corpses_as_Curiosities_Mummymania_in_the_Age_of_Early_Travel">chez eux des morceaux de momie</a> qu’ils exhibaient fièrement à leurs invités, lors de soirées mondaines.</p>
<p>Parmi ces restes macabres, une main féminine, présentée comme celle de Cléopâtre, est acquise par Sir Thomas Bowser (1749-1833), officier britannique, lors de son passage en Égypte en 1794. Redécouverte chez un collectionneur américain, elle est vendue aux enchères en 2011.</p>
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<span class="caption">Affiche du film <em>Blood from the Mummy’s Tomb</em> (en français : <em>La Momie sanglante</em>) de Seth Holt, 1971.</span>
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<h2>Films d’horreur et égyptomanie sanglante</h2>
<p>La momie de Cléopâtre apparaît au cinéma, dès 1899, grâce à Georges Méliès qui choisit Jehanne d’Alcy pour incarner la toute première pharaonne cinématographique. L’œuvre nous fait assister à la profanation du tombeau de la reine. Sa momie est carbonisée mais Cléopâtre surgit soudain de la fumée.</p>
<p>Plus tard, en 1971, Valerie Leon incarne une nouvelle momie de reine égyptienne, extrêmement bien conservée, dont la main droite, <a href="https://www.lefilmetaitpresqueparfait.fr/2020/04/la-momie-sanglante-seth-holt-1971.html">devenue immortelle, a été amputée par de cruels prêtres égyptiens</a>.</p>
<p>Un bel exemple d’égyptomanie et d’érotisme sanglant.</p>
<hr>
<p>Christian-Georges Schwentzel a publié en septembre 2022 <a href="https://www.puf.com/content/Cl%C3%A9op%C3%A2tre"><em>Cléopâtre</em>, aux éditions PUF, collection « Biographies »</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192138/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
En ces temps de fête de la Toussaint et de célébrations d'Halloween, rien de tel qu'une histoire de momie sur fond d'égyptomanie teintée d'érotisme…
Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de Lorraine
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tag:theconversation.com,2011:article/191538
2022-10-06T18:35:19Z
2022-10-06T18:35:19Z
Compostage des défunts : les enjeux sanitaires d’une nouvelle pratique funéraire
<p>Si nous évitons le plus souvent de penser à notre mort, nous savons néanmoins que notre vie s’achèvera tôt ou tard… Dès lors, il reviendra à nos proches de faire le nécessaire – si possible en respectant nos volontés, mais dans un cadre légalement restreint.</p>
<p>En France, seules deux dispositions funéraires sont envisageables : l’inhumation ou sa crémation. Toutefois, il est désormais établi que les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0045653522025188">bilans sanitaires et environnementaux de ces pratiques sont mauvais</a> : pollution des sols, saturation des cimetières et immobilisation à long terme d’espaces urbains, consommation importante d’énergie ou encore émission de gaz à effet de serre sont autant de sources de préoccupation.</p>
<p>Dans ce contexte, les pratiques funéraires « alternatives » sont de plus en plus plébiscitées. Dans l’Hexagone, nombreux sont ceux qui souhaiteraient que leur corps puisse être (littéralement) recyclé : c’est le principe de l’humusation, une forme de compostage appliquée aux défunts. Il s’agit d’entourer la dépouille de fragments végétaux pour permettre sa décomposition par les micro-organismes.</p>
<p>Bien que directement inspirée des processus biologiques, cette biodégradation soulève de nombreuses questions.</p>
<h2>L’humusation et la loi</h2>
<p>L’évocation de l’humusation provoque souvent dégoût et ironie, mais cette pratique est loin d’être incongrue : aux États-Unis, le compostage des corps humains a été légalisé dans l’État de Washington en 2019, suivi par les États du Colorado, de l’Oregon, du Vermont et de Californie (2022).</p>
<p>En France, l’obstacle législatif est important. Il est ainsi énoncé clairement dans le Code général des collectivités territoriales que « le maire ou, à défaut, le représentant de l’État dans le département, pourvoit d’urgence à ce que toute personne décédée soit ensevelie ou inhumée […] ». Pourtant, bien que le bilan environnemental exact d’une crémation ou d’un enterrement varie selon les pratiques, leur impact est indéniable (notamment du fait de la confection des cercueils, des monuments funéraires, etc.)</p>
<p>Dans le sillage des évolutions écologistes en cours, l’<a href="http://humusationfrance.org/">idée de l’humusation</a> a fait progressivement son <a href="https://www.humusation.org/">chemin parmi la société civile</a>, les médias et jusqu’à l’Assemblée nationale. Dans une <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2021-2022/seance-du-vendredi-17-decembre-2021">proposition d’amendement (n°3179) visant à permettre l’humusation à titre expérimental</a>, la députée Élodie Jacquier-Laforge arguait ainsi que l’humusation était une pratique respectueuse de l’environnement.</p>
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<h2>Une pratique douce ?</h2>
<p>L’humusation repose sur le principe de dégradation naturelle des chairs. La dépouille du défunt est déposée sur un lit de broyats végétaux, puis recouverte de ce même matériau. On crée ainsi une butte de quelques mètres cubes au centre duquel se trouve le corps. Cette disposition le protège des fluctuations extérieures, des animaux charognards et favorise l’action des micro-organismes responsables de sa décomposition.</p>
<p>Au bout de trois mois environ, il est nécessaire de retourner la butte, c’est-à-dire de mélanger le broyat végétal afin de renouveler les particules au contact du corps et d’aérer l’ensemble. Cette opération doit être renouvelée deux à trois fois, jusqu’à obtention d’un substrat homogène. L’objectif est d’obtenir une dégradation totale des tissus mous : après un an environ, seuls les os doivent subsister. Ceux-ci peuvent également être broyés et réintégrés au mélange afin que toute la <a href="http://omafra.gov.on.ca/french/engineer/facts/10-064.html">matière organique soit dégradée et transformée en humus</a>.</p>
<p>Si ce protocole semble assez simple, voire rustique, sa mise en œuvre n’en est pas moins délicate. Tout d’abord parce que l’opération nécessite de la place, du temps et de la manutention (lors des retournements). De ce point de vue, une mise en œuvre rapide et à grande échelle semble à l’heure actuelle délicate. Mais des pratiques similaires sont régulièrement déployées aux États-Unis et au Canada pour la gestion de dizaines de tonnes de carcasses animales, avec une efficacité reconnue.</p>
<p>Ensuite parce que la réussite de l’humusation repose pour beaucoup sur le savoir-faire du <a href="https://formations.ademe.fr/formations_economie-circulaire_devenir-maitre-composteur-:-prevention-et-gestion-de-proximite-des-biodechets_s4719.html">maître-composteur</a> : granulométrie du broyat, ratio carbone/azote, humidité, fréquence de retournement, etc. sont autant de paramètres déterminants pour le bon déroulement de l’opération.</p>
<p>Parallèlement à ces aspects techniques, d’importantes contraintes sanitaires existent : non seulement le processus doit être efficace et inodore, mais il doit également conduire à l’inactivation des pathogènes. Car les pratiques funéraires se sont notamment développées au sein des sociétés humaines afin de prévenir les risques de transmission des maladies…</p>
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<h2>Risques et santé publique</h2>
<p>Depuis l’arrivée de Sapiens en Europe il y a 50 000 ans environ, on estime que plus de <a href="https://journals.openedition.org/tc/6863">trois milliards de tonnes de cadavres humains se seraient décomposées</a>, imprégnant de fait notre environnement, de la terre que nous foulons à nos aliments et jusqu’à l’air que nous respirons.</p>
<p>Si cette idée nous traverse rarement l’esprit, c’est pourtant une des premières objections qui fait surface lorsqu’est abordé le sujet de l’humusation. Il semble en effet <em>a priori</em> risqué de laisser les corps se dégrader naturellement, qui plus est à proximité des vivants. Cette crainte légitime est cependant à mettre en regard de la pratique traditionnelle de l’inhumation. Car enterrer de manière répétée des corps dans un même lieu (cimetière) et à seulement quelques dizaines de centimètres de profondeur comporte des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0048969722000419">risques sanitaires et environnementaux</a>.</p>
<p>Une récente étude suggère ainsi une possible voie de transmission des virus par la percolation des eaux des cimetières (même si ce cas est peu probable, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048969722025694">notamment dans le cas du SARS-CoV-2, très sensible à la dégradation environnementale</a>). À défaut de réelle étude d’impact, l’article R. 2223-2 du Code Général des Collectivités territoriales prévoit seulement pour l’implantation de nouveaux cimetières que « les terrains les plus élevés et exposés au nord sont choisis de préférence. Ceux-ci doivent être choisis sur la base d’un rapport établi par l’hydrogéologue ». Est également surveillé le <a href="https://www.afif.asso.fr/francais/conseils/legislation/cimetieres.html">risque que le niveau des plus hautes eaux de la nappe libre superficielle se retrouve à moins d’un mètre du fond des sépultures</a>.</p>
<p>Les contraintes liées à l’installation des cimetières sont donc étonnamment peu contraignantes, sans même parler des emplacements anciens, progressivement englobés au cœur des villes et dont l’implantation n’a jamais fait l’objet d’une réelle analyse de risques…</p>
<p>Dans le cas de l’humusation, le principe directeur pour assurer la sûreté sanitaire est celui d’une combinaison de chaleur et de durée. En effet, la présence autour du corps de matériaux végétaux et d’oxygène permet aux microorganismes d’augmenter la température locale jusqu’à des niveaux élevés (de 60 à 70 °C environ). L’objectif est d’atteindre un couple température/durée qui garantisse la stérilisation, ou tout du moins la réduction drastique du nombre de virus, de bactéries et autres pathogènes.</p>
<p>Cependant, l’augmentation de température ne suffit pas pour assurer la stérilisation totale : aucune condition d’enfouissement ni de compostage ne permet de neutraliser les prions ni les endospores produites par les bactéries sporulées (des genres <em>Bacillus</em> ou <em>Clostridium</em> par exemple).</p>
<p>La crémation ne pose pas ce problème, les températures extrêmement élevées employées garantissant la destruction des agents pathogènes.</p>
<h2>Des interrogations éthiques</h2>
<p>Interpellé dès 2016 par la sénatrice Élisabeth Lamure, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve arguait d’un objectif éthique en indiquant que l’humusation faisait débat au regard de « l’absence de statut juridique des particules issues de cette technique » et de « sa compatibilité avec l’article 16-1-1 du code civil ». Cet article prévoit que « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence ».</p>
<p>La dimension éthique de l’humusation pourrait pourtant s’intégrer au cadre légal préexistant.</p>
<p>À la fin du processus, un tamisage de l’humus obtenu pourrait être réalisé afin de récupérer les tissus minéralisés, dont la dégradation peut nécessiter plusieurs siècles. Ces restes seraient alors placés dans une urne ou un cercueil adapté, selon les mêmes dispositions que lors des exhumations administratives (c’est-à-dire lors de la reprise des concessions abandonnées dans les cimetières).</p>
<p>Resterait le substrat créé par la décomposition conjointe des chairs et des apports végétaux. La solution la plus simple serait son incinération… mais une telle pratique serait en contradiction totale avec la philosophie de l’humusation, qui se veut une approche naturelle et écologique permettant le retour des corps au cycle de la vie.</p>
<p>La dispersion en espace naturel ou dans les zones dédiées des cimetières serait dès lors la meilleure option. Elle pourrait aisément se conformer à la législation sur la dispersion des cendres issues de l’incinération. L’article L. 2223-18-2 détermine de manière limitative la destination des cendres, qui peuvent notamment être dispersées en pleine nature ou dans un espace aménagé à cet effet (jardin du souvenir prévu par les articles L. 2223-1 et 2). La loi n°2008-1350 du 19 décembre 2008 a en effet conféré aux cendres issues de la crémation un statut et une protection comparables à ceux accordés à un corps inhumé.</p>
<h2>Vers un débat de société ?</h2>
<p>En 2016, le ministre de l’Intérieur avait mentionné la nécessité de réfléchir à ce sujet de manière approfondie avec le <a href="https://www.collectivites-locales.gouv.fr/competences/conseil-national-des-operations-funeraires-cnof">Conseil national des opérations funéraires</a>, de nouveau évoqué lors de l’amendement de 2021. Mais les travaux sur l’humusation semblent pour le moment limités, certains députés allant jusqu’à mentionner de <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2021-2022/seance-du-vendredi-17-decembre-2021">potentiels conflits d’intérêts</a>.</p>
<p>Le principal frein semble plutôt être le manque de données scientifiques, techniques et sociologiques pour appréhender objectivement les risques et les attentes liés à cette pratique. L’ouverture d’un plus large débat est donc attendue car, quelques soient les obstacles, une telle évolution ne peut se faire sans intégrer les grands enjeux environnementaux, de santé publique… Mais aussi la volonté des principaux intéressés.</p>
<p>Les deux premiers convergent dans le cadre de l’approche de <a href="https://theconversation.com/le-concept-one-health-doit-simposer-pour-permettre-lanticipation-des-pandemies-139549">santé globale One health</a>, qui vise à améliorer la santé des populations en favorisant leur intégration harmonieuse à l’environnement. Les candidats à l’humusation arguent aussi de leur droit à une mort qui les apaise et les rassure, et invoquent leur droit à disposer librement de leur corps et au respect de leur vie privée, prévu par la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales.</p>
<p>Le débat sur les suites de la mort ne fait donc que commencer.</p>
<hr>
<p><em>Élise Charrier, Diplômée d’un Master en Droit de l’environnement, Université de Nantes, a participé à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191538/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Damien Charabidze a une activité bénévole et indépendante de conseil scientifique pour l'association Humusation France (dont il n'est pas membre).</span></em></p>
Légale dans d'autres États, l'humusation, ou compostage du corps humain, est interdite en France. En quoi consiste cette pratique funéraire plus « naturelle » ? Et quels sont les risques sanitaires ?
Damien Charabidze, Docteur en Biologie, Chercheur, Expert judiciaire, Université de Lille
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tag:theconversation.com,2011:article/190414
2022-09-13T09:20:52Z
2022-09-13T09:20:52Z
Pourquoi se dirige-t-on vers une légalisation de l’euthanasie en France ?
<p>Le président de la République a lancé une concertation nationale sur la fin de vie, à l’occasion de la publication le 13 septembre 2022 de l’avis que le Comité consultatif national d’éthique consacre notamment à l’évolution possible de la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.</p>
<p><a href="https://www.ccne-ethique.fr/node/529?taxo=0">Dans cet avis n° 139</a>, le CCNE revient sur sa position de 2013. Le Comité considère en effet « qu’il existe une voie pour une application éthique de l’aide active à mourir, mais qu’il ne serait pas éthique d’envisager une évolution de la législation si les mesures de santé publique recommandées dans le domaine des soins palliatifs ne sont pas prises en compte. »</p>
<h2>Politisation de la fin de vie</h2>
<p>Après s’être sécularisée, individualisée puis médicalisée, notre approche de la mort s’est politisée, suscitant des débats de société. À défaut de recours moraux ou religieux incontestés, des législations tentent de « l’encadrer ».</p>
<p>Depuis les années 1980 se discute un <em>art de mourir</em> qui suscite des tensions profondes et des positionnements idéologiques controversés. Ce parcours complexe, dans un domaine intime qui concerne les valeurs profondes des sociétés humaines, est jalonné d’événements et d’étapes, dont témoigne l’évolution de notre législation entre 1999 et 2016, que nous détaillerons plus loin.</p>
<p>Chacun aspire à vivre jusqu’au terme de son existence, chez soi, de manière digne, en société. La vision d’une mort instrumentalisée et anonyme dans le contexte technique d’un service hospitalier est une source d’effroi que l’on refuse, quitte à solliciter de la médecine le dénouement anticipé, faute d’autres solidarités espérées.</p>
<p>Est-il désormais l’heure d’envisager en France, de manière responsable, une conception de la fin de vie médicalisée qui autoriserait, avec un encadrement strict, une pratique de l’euthanasie ?</p>
<p>Évoquer les conditions de la mort lorsque l’on n’y est pas confronté, pour soi ou un proche, laisse la liberté d’y penser sans autre enjeu que de s’y préparer. Mais face à la réalité, les circonstances sont toujours inattendues, spécifiques, délicates, douloureuses, pour ne pas dire exceptionnelles.</p>
<h2>Un événement « exceptionnel » face à la routine et l’idéalisation</h2>
<p>Il n’y aurait rien de plus redoutable que de systématiser des procédures et des protocoles selon des critères inspirés par une idéalisation compassionnelle de la mort dans la dignité, voire dans la liberté.</p>
<p>L’histoire doit nous rendre vigilants à l’égard de représentations, de discours, de normes et d’un esprit de système donnant prétexte à justifier l’injustifiable, y compris en respectant les formes de la légalité.</p>
<p>L’expérience pervertie et criminelle d’une euthanasie politisée et institutionnalisée, au nom de considérations légitimant la transgression, nous force à un devoir de rigueur, de retenue et à une exigence éthique insoumise aux tentations des renoncements.</p>
<blockquote>
<p>« La notion de mort dans la dignité me paraît respectable comme une existence qui l’aurait été. L’idée même d’euthanasie me révulse car je sais, d’expérience, qu’elle peut être appliquée de manière dogmatique, mécanique, inhumaine. » (Bernard Kouchner, « La mort douce », France-Soir, 18 janvier 1999)</p>
</blockquote>
<p>L’euthanasie est un acte ayant pour intention d’interrompre volontairement et médicalement une vie. Elle se distingue du suicide, voire du suicide médicalement assisté, en ce que l’intervention directe du médecin provoque la mort. <a href="https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/2021-02/avis063.pdf">« Celle-ci consiste en l’acte d’un tiers qui met délibérément fin à la vie d’une personne dans l’intention de mettre un terme à une situation jugée insupportable »</a>.</p>
<p>Une législation octroyant au médecin le droit de donner la mort est-elle la réponse civilisée aux défis d’une souffrance existentielle dans notre exposition à la finitude, aux détresses des maladies ou des handicaps, voire aux altérations du grand âge qui parfois entament la force et l’envie de les surmonter ?</p>
<h2>Penser la fin de vie</h2>
<p>Autrefois valorisée, la souffrance était spiritualisée et rédemptrice. Aujourd’hui, la personne malade veut qu’on lui épargne l’insupportable et n’admet plus les consolations de l’au-delà. Elle revendique comme un droit fondamental l’apaisement de souffrances indues. La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé indique dans l’article L. 1110-5 que :</p>
<blockquote>
<p>« Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée. »</p>
</blockquote>
<p>La loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie reconnaît ce droit, au point même d’admettre que son « double effet » pourrait abréger l’existence de la personne (sans intention pour autant de provoquer directement sa mort) :</p>
<blockquote>
<p>« Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade […] »</p>
</blockquote>
<p>« Le droit de ne pas souffrir » justifierait-il, en certaines circonstances, l’exercice d’une « aide active à mourir » ?</p>
<h2>Assister la fin de vie</h2>
<p>Au moment où le président de la République souhaite engager une concertation nationale sur la fin de vie, rappelons l’article 1 de la proposition de loi donnant et garantissant le droit à une fin de vie libre et choisie adoptée par la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale le 1<sup>er</sup> avril 2021, ayant fait l’objet d’un vote favorable en séance plénière le 8 avril 2021.</p>
<p>Il est assez évident que cet article constituera le point déterminant de la future législation relative à la fin de vie :</p>
<blockquote>
<p>« Toute personne capable et majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, provoquant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable, peut demander à disposer, dans les conditions prévues au présent titre, d’une assistance médicalisée active à mourir. »</p>
<p>« L’assistance médicalisée active à mourir est définie comme la prescription à une personne par un médecin, à la demande expresse de celle‑ci, d’un produit létal et l’assistance à l’administration de ce produit par un médecin […] »</p>
</blockquote>
<p>Cette « assistance médicalisée active à mourir » vise donc à répondre par l’euthanasie à la sollicitation d’une personne malade ou en fin de vie éprouvant une « souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable ».</p>
<p>Témoigner par un acte d’euthanasie notre respect à la personne qui n’en peut plus de l’existence qu’elle subit, est-ce la réponse humaine que notre société doit lui apporter, est-ce celle qui est attendue de notre part ?</p>
<p>La question mérite d’être posée, car plus complexe que l’injection létale déléguée à un médecin, assumer nos devoirs de non-abandon à l’égard de celui qui va mourir est un engagement éthique et politique au fondement même de la responsabilité humaine. Et c’est à cette valeur inconditionnelle qu’il nous faut être attentifs, d’une tout autre portée qu’une position favorable ou non à l’euthanasie, favorable ou non aux soins palliatifs.</p>
<h2>Le devoir d’humanité envers celui qui part</h2>
<p>Oui, être présent à ce que vit la personne dans la maladie et à l’approche de sa mort, lui témoigner la persistance de ce qui nous est commun en humanité, c’est avoir le souci d’apaiser et de consoler ses souffrances mais sans postuler que cette tâche est impossible ou inutile au point d’y renoncer en déterminant les règles de son euthanasie.</p>
<p>Trop de personnes vivent leurs dernières heures dans l’exiguïté et l’inconfort d’un box aux urgences de l’hôpital, faute de bénéficier de l’hospitalité et de la bienveillance que nous leur devons. D’autres meurent dans des établissements sanitaires ou médico-sociaux encore peu préparés à leur prodiguer l’attention et le réconfort d’une assistance humaine digne.</p>
<p>Le « mal mourir » interroge les lieux de soin et d’accompagnement, y compris le domicile, là où, pour toutes sortes de raisons, la préoccupation du « bien vivre » a été reléguée au regard d’autres contingences, notamment d’ordre gestionnaire, organisationnel, voire économique.</p>
<p>Notre impréparation aux circonstances humaines de la maladie chronique, aux situations de handicap et de dépendance induit des maltraitances que certains ne supportent plus. Doit-on se résigner à admettre ce que le constat de carences institutionnalisées semble révéler de notre détachement social aux plus vulnérables ? Doit-on se résoudre aux normes et aux protocoles médicalisés d’une mort par compassion ?</p>
<p>Les techniques de la réanimation médicale, l’évolution sur un long temps de maladies dont le pronostic annonçait par le passé une échéance de mort rapprochée, ainsi que la longévité de l’existence, rendent parfois indistincte la frontière entre vie et « survie artificielle ». Solliciter de la part du médecin une « aide active à mourir » peut alors sembler préférable à la continuation d’une existence ramenée au sentiment d’une souffrance dont il faudrait se délivrer.</p>
<p>Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les services hospitaliers de longs séjours au même titre que des établissements accueillant des personnes en situation de handicap sont apparus ces dernières années comme les symboles du « mal mourir ».</p>
<p>Si les scandales de fins de vie indignes doivent être dénoncés, il ne faudrait pas pour autant renoncer à évoquer ces morts intimes qui se vivent dans la sollicitude et la pudeur d’un accompagnement respectueux, au domicile ou en établissement. Nous y découvrons les valeurs d’une présence humaine jusqu’au bout, fort éloignées de toute « obstination déraisonnable », attentive à l’histoire d’une personne reconnue dans le droit de vivre sa vie jusqu’à son terme.</p>
<p>Nos visions péjoratives de la mort médicalisée, en réanimation ou dans l’isolement et l’anonymat d’une institution, ne sauraient nous inciter à conclure qu’une mort choisie et anticipée est la seule réponse adaptée.</p>
<p>N’a-t-on pas à repenser les conditions d’une fin de vie préservée dans son intégrité et son intimité, vécue dans un environnement humain et social à la hauteur d’attentes et de considérations vraies ?</p>
<h2>Une difficile législation</h2>
<p>Dès le 6 avril 1978, une <a href="http://www.senat.fr/dossier-legislatif/s77780301.html">législation favorable à l’euthanasie a été envisagée pour reconnaître le « droit de vivre sa mort »</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Ce texte donne le moyen de s’épargner les douleurs, et d’épargner aux autres le tragique spectacle d’un corps convulsé ou celui triste, d’un corps étale et inerte. Il prétend non pas désarmer l’homme face à la mort, mais l’armer devant la douleur. Ne renversons pas la proposition. La vie reste le sursis. Le glissement vers la mort, le répit. Et non l’inverse. Les temps primitifs sont révolus. L’homme est avant tout un être doué d’intelligence et non un être de chair. Prétendre le contraire réduirait l’homme à peu de choses. » (Proposition de loi n° 301 relative au droit de vivre sa mort, Assemblée nationale, 6 avril 1978)</p>
</blockquote>
<p>Pour autant, quatre textes législatifs successifs ne sont pas encore parvenus à instituer l’euthanasie dans notre pays :</p>
<ul>
<li><p>En 1999, la loi n° 99-477 destinée à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000212121/">« garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs »</a> ;</p></li>
<li><p>En 2002, l’article L. 1110-5 2002-303 de la loi « relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé » vise à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000006685747/2002-03-05">« assurer à chacun une vie digne jusqu’à sa mort »</a> ;</p></li>
<li><p>En 2005, la loi n° 2005-370 vise à reconnaître le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000446240/#:%7E:text=%2D%20Lorsqu%E2%80%99une%20personne%2C%20en,inscrite%20dans%20son%20dossier%20m%C3%A9dical.">« droit des malades en fin de vie »</a> ;</p></li>
<li><p>Enfin, en 2016, la loi n° 2016-87 crée <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000031970253/">« de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie »</a>.</p></li>
</ul>
<p>La législation française actuelle est opposée à l’euthanasie, lui préférant la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès. À la demande de la personne malade ou en fin de vie, une injection est pratiquée en vue de la plonger dans un coma jusqu’à sa mort.</p>
<p>Une controverse porte cependant <a href="https://www.lemonde.fr/fin-de-vie/article/2015/10/31/marquons-les-limites-entre-sedation-profonde-et-euthanasie_4800755_1655257.html">sur l’assimilation de cette sédation profonde et continue à une forme d’euthanasie</a> ou d’agonie lente, l’exécutif n’ayant pas estimé politiquement opportun de soutenir explicitement le droit à l’euthanasie.</p>
<p>La loi ne concerne d’ailleurs pas seulement « des personnes en fin de vie » mais également, indistinctement, « des malades […] atteints d’une affection grave et incurable », qui, décidant « d’arrêter un traitement [qui] engage [leur] pronostic vital à court terme et est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable », peuvent solliciter « une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience main – tenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie. »</p>
<p>Sommes-nous, en 2022, dans un contexte sociopolitique favorable à considérer que la réflexion développée depuis près de 40 ans aboutisse à l’ultime étape du parcours législatif : celle de la légalisation ou de la dépénalisation de l’euthanasie ?</p>
<h2>Maîtriser ou subir ?</h2>
<p>La prise en compte de l’autonomie d’une personne et de sa volonté de maîtriser son existence, en restant préoccupé jusque dans les conditions de la mort de sa dignité et de sa qualité de vie, est-elle l’argument justifiant de relativiser ou d’abolir des principes d’humanité qui ne se discutaient pas ?</p>
<p>Sénèque, dans un contexte culturel bien différent de notre modernité, affirmait déjà :</p>
<blockquote>
<p>« Je choisis moi-même mon bateau quand je m’embarque et la maison où je veux habiter ; j’ai le même droit de choisir le genre de mort, par où je vais sortir de la vie. » (Sénèque, Lettres à Lucilius, 26.)</p>
</blockquote>
<p>La société française s’est sécularisée et, dans un domaine aussi sensible que celui qui concerne la fin de vie, les convictions traditionnelles ont évolué. Être soucieux de la dignité de la vie en certaines circonstances extrêmes peut inciter à discuter les justifications d’une vie encore digne d’être vécue. Il ne s’agit donc pas tant d’affirmer le « droit de mourir dans la dignité » que de revendiquer celui de ne pas poursuivre une existence qui s’avérerait incompatible avec des valeurs personnelles.</p>
<p>Le 24 février 1987, le sénateur Henri Caillavet, président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), affirmait dans <em>Le Monde</em> :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a deux façons d’aborder la mort. La maîtriser ou la subir. En cela, le suicide conscient est l’acte authentique de la liberté de l’homme. Pour tous ceux qui considèrent que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue, que d’un bien elle est devenue une malédiction, nul pouvoir, serait-il religieux, médical, législatif, moral, ne saurait se dresser contre leur décision de mourir, parce qu’ils sont seuls juges de la qualité de leur vie. » (Henri Caillavet, « L’euthanasie : un mot qui ne doit pas faire peur », Le Monde, 24 février 1987.)</p>
</blockquote>
<h2>Le contexte social de la mort a changé</h2>
<p>La médicalisation de la fin de vie est venue remplacer les rites du trépas. À l’exception d’événements exceptionnels, la perte d’un membre de notre communauté n’est plus inscrite dans le paysage social. Les endeuillés sollicitent des psychologues là où, auparavant, les solidarités et les accompagnements spirituels conféraient un sens aux moments du départ.</p>
<p>Les derniers témoins de notre vie seront plus souvent des professionnels de santé que les personnes auxquelles nous étions attachés. On meurt en anonyme dans un lieu qui n’est pas familier, avec comme ultime demande à faire reconnaître celle d’une « assistance médicalisée active à mourir ».</p>
<p>La société est sollicitée aujourd’hui non plus pour témoigner sa sollicitude à celui qui meurt mais pour lui reconnaître le droit d’abréger une existence qui semble ne plus être digne d’une considération sociale. Un tel constat est révélateur de nos conceptions du vivre ensemble et de notre souci du bien commun.</p>
<p>Il ne s’agirait donc pas tant d’instituer les conditions recevables d’une pratique de l’euthanasie que d’estimer, dans certaines circonstances exceptionnelles, que pouvoir solliciter l’aide active d’un médecin pour mettre un terme à l’évolution inexorable des souffrances d’une maladie relève d’une conception de nos obligations politiques.</p>
<h2>Les évolutions des avis du Comité consultatif national d’Éthique</h2>
<p>Le 27 janvier 2000, dans son avis n° 63 <a href="https://www.ccne-ethique.fr/node/239?taxo=75">« Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie »</a>, le CCNE proposait le concept « d’exception d’euthanasie » et en développait certaines justifications :</p>
<blockquote>
<p>« Le Comité renonce à considérer comme un droit dont on pourrait se prévaloir la possibilité d’exiger d’un tiers qu’il mette fin à une vie. La valeur de l’interdit du meurtre demeure fondatrice, de même que l’appel à tout mettre en œuvre pour améliorer la qualité de la vie des individus. Par ailleurs, la perspective qui ne verrait dans la société qu’une addition de contrats individuels se révèle trop courte, notamment en matière de soins, là où le soignant ne serait plus considéré que comme un prestataire de services. Mais, ce qui ne saurait être accepté sur le plan des principes et de la raison discursive, la solidarité humaine et la compassion peuvent le faire leur. Face à certaines détresses, lorsque tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance se révèle insupportable, on peut se trouver conduit à prendre en considération le fait que l’être humain surpasse la règle et que la simple sollicitude se révèle parfois comme le dernier moyen de faire face ensemble à l’inéluctable. Cette position peut être alors qualifiée d’engagement solidaire. »</p>
</blockquote>
<p>Dans son avis n° 121 du 13 juin 2013 <a href="https://www.ccne-ethique.fr/node/181#:%7E:text=L%E2%80%99avis%20N%C2%B0121,le%20rapport%20de%20la%20Commission">« Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir »</a>, le CCNE revient sur cette option :</p>
<blockquote>
<p>« Certains membres du CCNE considèrent que le suicide assisté et l’euthanasie doivent – au moins dans certaines circonstances – être légalisés. Ils estiment que le respect de la liberté des individus doit aller jusqu’à ce point et permettre d’autoriser des tiers qui accepteraient de leur prêter assistance à le faire, sans risque majeur pour les liens de solidarité au sein de la société. Le Comité estime cependant majoritairement que cette légalisation n’est pas souhaitable : outre que toute évolution en ce sens lui paraît, à la lumière notamment des expériences étrangères, très difficile à stabiliser, il souligne les risques qui en découlent au regard de l’exigence de solidarité et de fraternité qui est garante du vivre ensemble dans une société marquée par de nombreuses fragilités individuelles et collectives et des carences importantes dans le champ de la politique relative à la fin de vie. »</p>
</blockquote>
<p>Dans son avis n° 139 du 13 septembre 2022 « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité » le CCNE revient sur sa position de 2013 pour retenir cette fois « l’hypothèse d’une dépénalisation de l’euthanasie » : « Certaines « situations limites » qui avaient déjà été évoquées par le CCNE dans son avis n° 129 conduisent à nous interroger à nouveau sur l’hypothèse d’une dépénalisation de l’euthanasie. Il s’agit de la situation des personnes atteintes d’une maladie grave et incurable, évolutive, mais conservant leurs capacités de discernement, et dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme mais à moyen terme, n’étant pas en capacité physique de se suicider, mais qui en expriment le désir de façon constante ; comment justifier que le soulagement des souffrances – s’il était permis à d’autres, physiquement valides, via l’assistance au suicide – leur soit refusé du fait de leur handicap ? La discrimination que générerait un tel refus pour les personnes non valides mais mentalement autonomes serait éthiquement critiquable. »</p>
<p>Il ne m’appartient pas ici de me prononcer sur ce qui est « éthiquement critiquable »</p>
<p>L’euthanasie est parfois assimilée à un meurtre :</p>
<blockquote>
<p>« Plus qu’un meurtre, l’euthanasie est considérée comme un assassinat en raison de la préméditation qu’elle implique et de la faiblesse de la personne concernée, qui constituent des circonstances aggravantes. La volonté de la victime, même expressément démontrée, ne modifie en rien la qualification pénale du geste, et l’auteur d’une euthanasie ne peut s’en prévaloir. » (<a href="https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/inegaux-devant-mort-droit-mourir-ultime-injustice-sociale">Robert Holcman, Inégaux devant la mort. « Droit à mourir, l’ultime injustice sociale », Paris, Dunod, 2015</a>)</p>
</blockquote>
<h2>La question des limites</h2>
<p>De ce fait, autoriser l’euthanasie, considérer cet acte comme l’ultime expression de nos solidarités suscite des controverses à la hauteur de ce qui apparaît comme une transgression. D’autant plus que dans les quelques pays européens qui ont dépénalisé l’euthanasie, les stricts critères encadrant au départ les pratiques ont évolué au point de donner droit à des demandes qui ne relèvent plus des principes édictés pour éviter les risques d’extensions incontrôlables des pratiques.</p>
<p>À terme, des limites tiendront-elles, dès lors que toutes sortes de bonnes raisons sont avancées pour les dépasser ? Défend-on les droits de la personne affectée de souffrances psychiques ou atteinte d’une maladie d’Alzheimer, voire seulement trop âgée pour avoir envie de poursuivre son existence, en convenant possible de lui permettre de bénéficier de cette libération d’une mort donnée par un médecin ?</p>
<p><a href="https://www.ccne-ethique.fr/node/529?taxo=0"> Dans son avis n° 139</a>, le CCNE pose encore quelques limitations « éthiques » au recours à l’euthanasie : « Si le législateur décide de légiférer sur l’aide active à mourir, la possibilité d’un accès légal à une assistance au suicide devrait être ouverte aux personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances physiques ou psychiques réfractaires, dont le pronostic vital est engagé à moyen terme. La demande d’aide active à mourir devrait être exprimée par une personne disposant d’une autonomie de décision au moment de la demande, de façon libre, éclairée et réitérée, analysée dans le cadre d’une procédure collégiale. »</p>
<p>On a observé l’inconsistance de cette résolution formelle à l’usage extensif des législations qui ont précédé la France dans la dépénalisation ou la légalisation de l’euthanasie.</p>
<p>Il nous faudrait être plus attentifs à cette tentation de recourir à des instances éthiques pour cautionner, « au nom de l’éthique », des choix politiques qui justifiaient une intelligence du réel soucieuse de valeurs qui ne se bradent pas.</p>
<p>La concertation nationale débute en ce mois de septembre 2022, alors que la société française est confrontée à d’autres urgences qui auraient pu justifier, plus que l’euthanasie, un débat public.</p>
<p>Le président de la République estime le temps venu de cette conquête prioritaire du « droit de mourir dans la dignité » en bénéficiant « d’une assistance médicalisée active à mourir ». Anticiper les conditions de sa mort, les limites que l’on pose au temps de son mourir relève d’une démarche respectable et nécessaire à la fois philosophique et politique.</p>
<p>Les conditions sont-elles pour autant favorables à une délibération collective sur la fin de vie, dans un contexte sanitaire marqué par les tragédies de la pandémie, l’effondrement du système hospitalier, les difficultés d’exercice au quotidien auprès des personnes en situation de dépendance ou de handicap, et tant de précarité qui affectent le vivre ensemble ?</p>
<hr>
<p><em>Emmanuel Hirsch est notamment auteur de : « Faut-il autoriser l’euthanasie ? » (First, 2019), « Vincent Lambert. Une mort exemplaire ? » (Le Cerf, 2020) et « Apprendre à mourir » (Grasset, 2008)</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190414/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Hirsch ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Depuis plus de quarante ans, la France n'arrive pas à organiser une réflexion sur l'euthanasie à la hauteur des enjeux humains posés. Alors qu'un débat national va être lancé, ce temps est-il venu ?
Emmanuel Hirsch, Professeur d'éthique médicale, Université Paris-Saclay
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/180347
2022-04-04T18:35:57Z
2022-04-04T18:35:57Z
Vidéo : « Et si… la technologie nous rendait immortels ? »
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/456100/original/file-20220404-9425-1ria8k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1917%2C1077&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Capture d'écran de la vidéo : « Et si la technologie nous rendait immortels »</span> <span class="attribution"><span class="source">Anthony Barthélémy / Universcience / The Conversation France </span></span></figcaption></figure><figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/1eHKLnhaxWs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Et si… la technologie nous rendait immortels ?</span></figcaption>
</figure>
<p>Les premières applis permettant de « converser » avec un proche disparu font leur arrivée sur le marché. Une véritable économie de l’« immortalité numérique » commence à poindre. Tout cela repose sur les progrès en intelligence artificielle, couplés à l’accès sans cesse étendu à nos données personnelles… Doit-on craindre le potentiel addictogène d’un monde virtuel où les êtres chers ne meurent jamais ?.. Les questions autour des enjeux éthiques de l’immortalité numérique sont posées à Laurence Devillers, professeure en intelligence artificielle à Sorbonne Université et chercheuse CNRS et Laurent Bibard, philosophe, diplômé de Sciences Po Paris et directeur de la filière Management et philosophie à l’ESSEC.</p>
<hr>
<p><em>Réalisation : Anthony Barthélemy. Coordination éditoriale : Yseult Berger et Benoît Tonson. Production : Universcience, en partenariat avec The Conversation France 2022.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180347/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Créer des doubles virtuels immortels : quelles sont les conséquences sur notre rapport à la vie et à la mort ?
Laurence Devillers, Professeur en Intelligence Artificielle, Sorbonne Université
Laurent Bibard, Professeur en management, titulaire de la chaire Edgar Morin de la complexité, ESSEC
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/178733
2022-03-10T20:29:08Z
2022-03-10T20:29:08Z
La menace nucléaire agitée par Poutine réactive notre conscience de la finitude
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/450673/original/file-20220308-27-t5gnkz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C42%2C1278%2C868&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Avec la guerre en Ukraine, des problèmes que nous pensions surmontés depuis longtemps ont refait leur apparition.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/illustrations/radioactif-attention-panneaux-1361418/">Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Nous avons, du fait des circonstances, des plus locales aux plus vastes l’occasion de reprendre clairement conscience du fait que nous sommes mortels. Dans un contexte de crise climatique et deux ans après le début de la pandémie de Covid-19, le monde s’inquiète désormais de voir le président russe Vladimir Poutine agiter la menace de l’arme nucléaire en Ukraine et des conséquences de fin du monde qui en découleraient.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1499014218149945346"}"></div></p>
<p>Redécouvrir vraiment que nous sommes mortels pourrait sembler une catastrophe, et c’est tout le contraire. Voici pourquoi : croire que nous sommes immortels, c’est se tromper fondamentalement sur nous-mêmes.</p>
<p>Nos habitudes de faire l’autruche ont la vie dure. Nous avons cru pendant quelques décennies que nous avions dépassé les problèmes les plus importants. Nous sommes devenus hyper-consommateurs, nous parions sur les nouvelles technologies et l’« intelligence artificielle ».</p>
<p>À l’image d’Elon Musk qui promet les premières implantations de puces dans les cerveaux humains dans l’année, nous résistons difficilement aux promesses d’immortalité du transhumanisme, sans réflexion sur ce que cela signifie ou signifierait si l’on rêve à une immortalité acquise grâce aux biotechnologies, entre autres.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1489185090571628544"}"></div></p>
<p>La recherche du profit à tout crin a aussi de son côté la vie dure. Nous ne jurons que par les marchés et une économie d’entrepreneurs et de start-up. Ceci malgré une crise du climat gigantesque et les conflits de toute part, y compris en Europe… Nous sommes forts pour nous bercer d’illusions. Et nous continuons le plus souvent nos routes comme si de rien n’était.</p>
<p>Nous rêvions d’un contrôle et d’une transparence totale du réel. Jusqu’à l’ivresse. L’ivresse non plus d’un rêve d’immortalité, pis : d’une présupposition d’immortalité. Nous nous posons des problèmes d’immortels. Or nous sommes mortels, le monde tel qu’il devient nous le redit assez.</p>
<p>Mais nous nous entêtons dans ce que l’on a emmagasiné de croyances notamment depuis 1989, depuis ce moment où a pu être crédible un temps le principe « TINA », pour « There is no alternative » (il n’y a pas d’alternative). Sous-entendu, il n’y a pas d’alternative au libéralisme à tout crin, aux nouvelles technologies, à la présupposition que nos corps sont infiniment plastiques, et que l’on peut, sur tous les plans allant de la santé au sexe, en faire absolument ce que l’on veut.</p>
<h2>Idéologies d’aujourd’hui</h2>
<p>Comme le disait Jacques Brel, nous nous posons des problèmes d’immortels, alors que nous sommes mortels, et nous avons envie de l’oublier. Mais le redécouvrir a du bon, et plus encore : notre désir d’immortalité entraîne un déni de réalité des autres et de nous-mêmes. Redécouvrir que nous sommes mortels nous éveille de nouveau aux autres, et à nous-mêmes.</p>
<p>Reconnaître notre vulnérabilité et notre finitude a d’abord pour effet la redécouverte du sens de la solidarité. Cela nous ouvre à faire désormais plus attention aux autres que ce qui est de coutume. Par exemple à nos prédécesseurs, aux personnes âgées.</p>
<p>Ces dernières semaines, les cas de maltraitances dans les Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), révélées dans le livre <em>Les Fossoyeurs</em> du journaliste Victor Castanet, sont venus rappeler cruellement que le sort des personnes âgées est de plus en plus massivement celui de l’isolement et de l’épuisement.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ehpad-et-maltraitance-comment-sortir-de-la-crise-176045">Ehpad et maltraitance : comment sortir de la crise ?</a>
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<p>Rien qu’à observer ce que nous devenons à vivre ainsi, nous devrions avoir la lucidité d’endiguer à la racine les illusions d’immortalité qui nous taraudent, nous fascinent, nous font perdre tout sens de la réalité, de la réflexion, et du sens de nos vies.</p>
<p>Reconnaître notre finitude nous aide à nous dessiller le regard sur notre situation. En nous réapprenant l’honnêteté, le sens de la contradiction, et la complexité du monde.</p>
<p>Jusqu’ici, pris dans une ère de surconsommation, de course de plaisir en plaisir, de nouveaux produits en nouveaux produits, nous étions en pleine contradiction. Car tout en surconsommant de tout, nous étions capables de clamer que nous nous inquiétons du climat, des crises géopolitiques en cours et à venir, de l’environnement, des questions de santé publique, de la défense des libertés.</p>
<p>Bref, de toutes sortes de choses qui font les idéologies d’aujourd’hui.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1500713868678639616"}"></div></p>
<p>Savoir que l’on est mortel, le savoir vraiment, est une chance : celle de saisir chaque instant tel qu’il s’offre, totalement.</p>
<p>La prise de conscience de notre mortalité est sans doute à la racine du sens même de nos vies. Nous étions en train de l’oublier plus que jamais. Du fait des illusions que favorisent les nouvelles technologies avec la kyrielle indéfinie des « mondes » virtuels qu’elles rendent possibles. Mais les mondes virtuels ne sont que virtuels. Ils ne sont pas les mondes de la vraie vie et de la vraie mort. Or jusqu’à nouvel ordre à tous égards, nous n’avons vous et moi qu’une vie qui nous soit connaissable, ici et maintenant. Et nous n’aurons toutes et tous qu’une mort.</p>
<h2>Le temps du seul essai</h2>
<p>La plus heureuse des morts est sans doute du style de celle d’un homme comme Emmanuel Kant, qui a eu le temps de prendre conscience qu’il allait mourir, et juste avant, d’éprouver et de dire : « es ist gut » (« c’est bien »). C’est bien, c’est-à-dire : j’ai vécu comme je pensais qu’il fallait tenter de vivre. J’ai à la fois fait ce que je devais tenter de faire, et véritablement vécu.</p>
<p>Le temps d’un essai. Le temps du seul essai qui nous soit donné sur cette Terre, aussi fait soit-il de multiples étapes, découvertes, tentatives. Encore faut-il pour que l’essai soit composé de véritables tentatives, vivre pleinement ces dernières. Comme si c’était à chaque fois la dernière fois. Chaque jour le dernier jour. Alors chaque jour est intensément vécu, éprouvé, accueilli, d’autant plus riche.</p>
<p>Un proverbe tibétain dit qu’il faut vivre chaque jour comme si c’était le dernier, et apprendre comme si l’on en avait pour l’éternité :</p>
<blockquote>
<p>« Apprends comme si tu devais vivre pour toujours et vis comme si tu devais mourir ce soir ».</p>
</blockquote>
<p>Nous, nous inversons les choses. Nous vivons comme si l’on savait tout. Il est grand temps que nous réapprenions que c’est « lorsque notre propre mort (nous)… dit quelque chose », que nous commençons à vivre, comme le dit le philosophe Alexandre Kojève. Nous accomplissons alors pleinement notre humanité. On vit alors chaque jour comme si c’était le dernier, en apprenant comme si cela n’allait jamais s’arrêter.</p>
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<a href="https://theconversation.com/2022-ah-cueillir-le-bonheur-174299">2022 : Ah… cueillir le bonheur !</a>
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<p>Si malheureusement les circonstances actuelles, dont la situation politique, nous réveillent, on peut se dire qu’en un certain sens c’est une chance à saisir. Il y a parmi les humains, certaines et certains dont le métier est de cultiver le sens du présent ici et maintenant, qui le recréent plus intensément que quiconque : les artistes. Nous avons intérêt à nous mettre à l’écoute de ceux d’entre eux que nous aimons, si nous voulons réapprendre à vivre.</p>
<p>Pour qu’il ne soit jamais, comme le craignait Aragon, trop tard.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178733/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Bibard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
La prise de conscience de notre mortalité est sans doute à la racine du sens même de nos vies. Nous étions en train de l’oublier.
Laurent Bibard, Professeur en management, titulaire de la chaire Edgar Morin de la complexité, ESSEC
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/175677
2022-02-02T18:36:49Z
2022-02-02T18:36:49Z
Bonnes feuilles : « La grande résurrection du business de la mort »
<p><em>Comment un marché ankylosé en 1992 est-il devenu particulièrement dynamique en 2022 ? La mort serait-elle devenue tendance ? Ou est-ce dû à l’ingéniosité de nombreux acteurs qui, surfant sur les évolutions culturelles, législatives et technologiques, sont parvenus à presque faire « aimer » le trépas ?</em></p>
<p><em>Ces acteurs, ce sont non seulement les pompes funèbres bien sûr, interlocuteurs inévitables des familles et de l’entourage du défunt, mais également les innombrables start-up qui cherchent à disrupter un à un les différents marchés mortuaires, comme Grantwill qui veut être le « premier réseau social post mortem », ou encore Testamento qui attaque les notaires avec son offre de testaments olographes sécurisés.</em></p>
<p><em>Ce sont ces acteurs, leurs offres et leur manière d’opérer que Faouzi Bensebaa et Fabien Eymas analysent dans leur livre <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-le_business_de_la_mort_les_acteurs_du_trepas_en_france_faouzi_bensebaa_fabien_eymas-9782343250816-72040.html">Le business de la mort</a> (Éditions L’Harmattan), dont nous vous proposons ici les bonnes feuilles…</em></p>
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<h2>Des marchés (dé)réglementés</h2>
<p>La dynamisation du marché de la mort débute notamment avec la promulgation de la <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2007-2-page-19.htm">loi Sueur</a> qui a sonné le glas du monopole communal sur les pompes funèbres. Cela a entraîné le développement d’un petit nombre d’acteurs privés qui, profitant de la structure oligopolistique du marché, ont pu faire <a href="https://www.lesechos.fr/pme-regions/actualite-pme/pompes-funebres-lopacite-des-tarifs-perdure-1359277">croître les prix</a> et augmenter ainsi leur chiffre d’affaires.</p>
<p>Néanmoins, le marché des pompes funèbres et, de manière plus générale, les marchés liés à la mort apparaissent encore réglementés. Lorsqu’une personne décède, il est nécessaire de respecter la temporalité précisée par les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006136105/#:%7E:text=(Articles%2078%20%C3%A0%2092)%20%2D%20L%C3%A9gifrance&text=L%E2%80%99acte%20de%20d%C3%A9c%C3%A8s%20sera,complets%20qu%E2%80%99il%20sera%20possible.">textes de loi</a>. Par exemple, le constat du décès doit être réalisé <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F909">par un médecin sous 24h</a> et la crémation ou l’inhumation doit intervenir dans une <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F14935#:%7E:text=L%E2%80%99inhumation%20doit%20avoir%20lieu,au%20plus%20apr%C3%A8s%20le%20d%C3%A9c%C3%A8s.">fourchette</a> située entre 48h après le décès au plus tôt et 6 jours au plus tard. La réglementation joue également un rôle dans le développement de marchés liés à la mort. En la matière, la France apparaît frileuse et sa <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000008260055/">réglementation empêche</a> – à tort ou à raison – le développement de marchés comme celui de la cryogénisation, de la dispersion des cendres ou du suicide assisté.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/442768/original/file-20220126-25-b8jbhn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/442768/original/file-20220126-25-b8jbhn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/442768/original/file-20220126-25-b8jbhn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=955&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/442768/original/file-20220126-25-b8jbhn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=955&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/442768/original/file-20220126-25-b8jbhn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=955&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/442768/original/file-20220126-25-b8jbhn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1200&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/442768/original/file-20220126-25-b8jbhn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1200&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/442768/original/file-20220126-25-b8jbhn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1200&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
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<p>En imposant la dispersion de l’ensemble des cendres du défunt au même endroit, la législation française réduit la possibilité, pour les familles, de recourir à certaines prestations créatives qui se développent à l’étranger. Pourtant, le développement de la crémation – 1 % des décès en 1980 contre <a href="https://www.leparisien.fr/societe/les-francais-preferent-maintenant-la-cremation-a-l-inhumation-01-11-2018-7932726.php">près de 40 % aujourd’hui</a> – accroît la demande potentielle de différenciation dans la dispersion des cendres. S’il est envisageable, en France, de faire disperser ses cendres en pleine nature (forêt, mer, etc.), leur transformation en diamant, leur envoi dans l’espace lointain ou le dépôt d’une partie d’entre elles dans un <a href="https://www.20minutes.fr/insolite/1596555-20150427-sextoy-contenir-cendres-etre-aime">godemichet</a> comme le propose un designer néerlandais n’apparaissent pas possibles. Faut-il le regretter ?</p>
<p>Concernant le sujet plus sensible du suicide assisté, une législation à contre-courant permet à un pays, en l’occurrence la Suisse, de bénéficier d’un avantage concurrentiel vis-à-vis du reste du monde. Concrètement, ce marché ne pouvant exister qu’en Suisse, ce pays attire de nombreux ressortissants européens non suisses désirant mettre fin à leur jour, faisant de la Confédération helvétique la destination phare du « <a href="https://www.letemps.ch/suisse/lessor-tourisme-mort-inquiete-autorites-tessinoises">tourisme de la mort</a> ».</p>
<p>Même en matière d’obsèques animales, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000030679624">tout n’est pas possible</a>. Si les bêtes de 40 kg au plus peuvent être inhumées sur la propriété familiale, c’est dans une fosse d’une profondeur d’au moins 1 mètre et à une distance de 35 mètres au minimum des habitations et des points d’eau. Mais les inhumations dans des cimetières pour animaux – celui d’Asnières-sur-Seine (92) date de 1899 ! – et, surtout, les crémations ont le vent en poupe. Aux États-Unis, ce sont <a href="https://www.pulvisurns.com/blogs/news/the-rising-popularity-of-pet-cremation#:%7E:text=According%20to%20a%20survey%20by,99%25%20end%20up%20with%20cremation.">plus de 500 000 animaux</a> par an qui ont droit à des funérailles !</p>
<h2>Une ubérisation en cours ?</h2>
<p>À défaut de pouvoir se lancer sur des marchés juridiquement inaccessibles, les start-up françaises attaquent les entreprises traditionnelles des pompes funèbres et… les notaires ! Les premières, accusées de pratiquer des prix opaques – et donc forcément abusifs – doivent faire face à l’émergence de pompes funèbres en ligne qui proposent des prestations comparables tout en promettant des prix cassés.</p>
<p>Paradoxalement, l’arrivée de ces entreprises numériques dans les années 2010 n’a pas empêché – tant s’en faut – l’inflation des prix pratiqués par les pompes funèbres traditionnelles. Certainement profitent-elles ou ont-elles profité de la faible attirance de leurs clients – des personnes âgées en moyenne de 60 à 70 ans – pour le commerce en ligne. Certainement un simple répit qui appelle une évolution en profondeur d’acteurs qui bénéficient de la situation d’urgence à laquelle sont confrontées les familles.</p>
<p>Un autre exemple de tentative d’ubérisation d’acteurs historiques est celui de la start-up <a href="https://testamento.fr/fr/services/testament-express">Testamento</a> s’attaquant au monopole de fait des notaires sur le marché des testaments. Mais, à y regarder de plus près, il nous semble qu’il ne s’agit pas d’une attaque frontale, mais bien plutôt d’une proposition complémentaire qui ne devrait pas – pour l’instant en tout cas – mettre les notaires en difficulté.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/442762/original/file-20220126-25-ywdsxq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/442762/original/file-20220126-25-ywdsxq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/442762/original/file-20220126-25-ywdsxq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=248&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/442762/original/file-20220126-25-ywdsxq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=248&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/442762/original/file-20220126-25-ywdsxq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=248&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/442762/original/file-20220126-25-ywdsxq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=312&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/442762/original/file-20220126-25-ywdsxq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=312&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/442762/original/file-20220126-25-ywdsxq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=312&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Testamento, un concurrent pour les notaires ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">Capture d’écran</span></span>
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<p>En effet, il existe trois types de testaments : olographe, authentique et mystique. Le premier est rédigé et conservé par le testateur lui-même, alors que les deux autres nécessitent l’intervention d’un notaire : pour la rédaction et la conservation dans le cas du testament authentique et simplement pour la conservation dans le cas du testament mystique.</p>
<p>Bien entendu, il est beaucoup plus difficile de contester un testament authentique qu’un testament olographe. C’est là qu’intervient Testamento qui, en fournissant des modèles, propose de sécuriser la rédaction d’un testament olographe. Il apparaît ainsi que, pour l’heure, Testamento cherche davantage à exploiter une pratique hors marché – la rédaction d’un testament olographe – qu’à concurrencer les notaires sur leur marché ô combien captif des testaments authentiques.</p>
<p>Mais les marchés relatifs à la mort ne sont pas simplement affectés par une digitalisation que l’on retrouve dans la plupart des secteurs, les technologies les plus modernes sont aussi mobilisées afin de découvrir la clé de l’éternité et de ressusciter les morts.</p>
<h2>La technologie pour ne pas mourir…</h2>
<p>La quête de l’éternité est ancienne. Dès l’Antiquité, la manière de s’alimenter, en particulier, est associée à la longévité humaine – ou plutôt divine, car l’ambroisie ou le nectar étaient réservés aux Dieux. <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-malheur-des-uns/sisyphe-ou-le-sens-de-labsurde#:%7E:text=Sisyphe%2C%20dans%20les%20po%C3%A8mes%20d,parce%20qu%E2%80%99il%20la%20d%C3%A9sirait.">Sisyphe</a> a payé le prix fort pour avoir convoité une immortalité inaccessible aux simples mortels.</p>
<p>Les progrès technologiques réalisés ces dernières décennies se sont accompagnés de projets que certains considèrent comme fous, pathétiques ou, bien au contraire, désirables et prometteurs. Il s’agit d’abord de la cryogénisation qui, comme nous l’avons indiqué, n’est pas autorisée en France et fait le bonheur d’une poignée d’entreprises, essentiellement, étasuniennes, qui congèlent corps et/ou têtes de personnes décédées d’une maladie incurable et qui doivent être réveillées dès lors que les avancées médicales permettront de les soigner. Pour ceux qui ont fait le choix de ne congeler que la tête, d’autres avancées scientifiques sont nécessaires à un « réveil » auquel les obstacles ne manquent pas, quel que soit ce qui a été cryogénisé.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/442765/original/file-20220126-13-1tkc5by.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/442765/original/file-20220126-13-1tkc5by.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/442765/original/file-20220126-13-1tkc5by.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/442765/original/file-20220126-13-1tkc5by.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/442765/original/file-20220126-13-1tkc5by.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/442765/original/file-20220126-13-1tkc5by.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/442765/original/file-20220126-13-1tkc5by.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/442765/original/file-20220126-13-1tkc5by.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des corps sont conservés dans de l’azote liquide à -196 °C, avec l’espoir de les ramener un jour à la vie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Dan</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le transhumanisme peut dès lors apparaître comme une solution technologique plus moderne et moins hasardeuse, même si nous n’en sommes encore en la matière qu’au stade de la recherche et qu’aucune offre ne soit donc commercialisée. Mais cette recherche est prometteuse. Des scientifiques tout à fait sérieux considèrent que la <a href="https://www.science-et-vie.com/corps-et-sante/une-nouvelle-technique-ouvre-l-espoir-de-reparer-tous-les-tissus-a-l-aide-des-cellules-souches-6673">régénération d’un organe endommagé à partir des cellules souches</a> du même individu constitue un objectif réaliste. D’autres annonces, comme celles de copier l’esprit humain pour le transférer dans un autre corps ou sur un ordinateur, apparaissent en revanche plus hasardeuses.</p>
<p>Des entrepreneurs très connus tels qu’Elon Musk se sont lancés dans l’aventure du transhumanisme. C’est en 2016 avec la création de <a href="https://www.rtl.fr/actu/sciences-tech/l-implant-cerebral-d-elon-musk-bientot-teste-sur-des-humains-7900117383">Neuralink</a> que le fondateur de SpaceX et de Tesla a emboîté le pas du transhumanisme. Neuralink a pour mission de développer des implants électroniques dont la fonction consiste à améliorer les capacités du cerveau humain. À la fin de l’été 2020, la start-up d’Elon Musk a montré qu’elle avait conçu un implant qui, installé sur le cerveau d’un cochon, pouvait lire son activité cérébrale et la communiquer à un ordinateur. À terme, un tel implant pourrait permettre aux humains de diriger des machines par la pensée…</p>
<h2>… ou faire revivre les morts</h2>
<p>À défaut de pouvoir compter sur les technologies transhumanistes immédiatement, il est possible de « ressusciter » les morts, partiellement sans doute. Au moins trois options sont envisageables.</p>
<p>La première, c’est d’utiliser un robot conversationnel ou chatbot pour continuer à échanger avec le défunt après sa mort. C’est ce qu’a fait James Vlahos pour continuer à dialoguer avec son père. Le bon fonctionnement du robot conversationnel nécessite l’enregistrement préalable par le défunt d’histoires, anecdotes et autres récits de vie que le robot racontera ensuite à la demande. Mais, mieux encore, le robot, grâce à l’intelligence artificielle, est capable réarranger les mots issus des enregistrements, de manière à produire des phrases et donc des conversations nouvelles et non stéréotypées…</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/oQ7V74s6e04?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Cette option apparaît compatible avec la deuxième qui nous vient du Japon. En 2018, une artiste japonaise a en effet mis au point un robot exhibant le visage d’une personne décédée et, grâce à un programme informatique intégré, imitant les gestes et la voix du défunt. Associé au robot conversationnel de James Vlahos, ce robot se rapprocherait encore davantage de la personne décédée.</p>
<p>La troisième option consiste à rendre visite au(x) défunt(s) dans un monde virtuel en s’appuyant sur la technologie de la réalité virtuelle. C’est ce qu’a pu faire une Sud-Coréenne, début 2020, dans une émission diffusée à la télévision. En mêlant les photos de sa fille de 7 ans décédée trois ans plus tôt et les mouvements d’un enfant, l’entreprise Vive Studio a créé un personnage ressemblant trait pour trait à la progéniture de la maman.</p>
<p>Ces évolutions ne vont pas sans poser de questions. En particulier, ces moyens technologiques permettant de faire revenir ou de faire vivre autrement les morts posent la question de la faisabilité du deuil. Des questions que se posent parfois eux-mêmes les créateurs de ces substituts technologiques aux morts. Ainsi James Vlahos exprime-t-il la contradiction entre sa volonté d’amélioration de son dadbot – robot papa – et sa volonté de ne pas le rendre trop réel afin de permettre le deuil…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175677/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Testaments en ligne, cryogénisation, chatbots pour communiquer avec un défunt… Les innovations sont nombreuses et ne se semblent pas apparaître au détriment d'un business plus traditionnel
Faouzi Bensebaa, Professeur de sciences de gestion, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
Fabien Eymas, Maître de conférences en sciences de gestion, Université de Haute-Alsace (UHA)
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tag:theconversation.com,2011:article/174131
2022-01-09T17:11:03Z
2022-01-09T17:11:03Z
Littérature et indignation : vous avez dit « swiftien » ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/438659/original/file-20211221-13-os6lys.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C0%2C2142%2C1616&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Négriers jetant par-dessus bord les morts et les mourants - un typhon approche, 1840. Musée des Beaux-Arts de Boston. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_N%C3%A9grier#/media/Fichier:Slave-ship.jpg">Wikipédia. </a></span></figcaption></figure><p>Il en va des polémistes comme de la langue d’Esope. Ils sont la pire des choses, quand ils portent le venin dans la plume. A contrario, quand l’humeur belliqueuse qu’ils affichent dans leurs écrits – on l’oublie, mais un polémiste a toujours la guerre en tête – se révèle pour ce qu’elle est : un puissant antidote aux agents de corruption à l’œuvre sur les esprits comme sur la langue, la postérité leur réserve le meilleur de ce qu’elle peut leur offrir.</p>
<p>L’homme d’église mais aussi de plume que fut Jonathan Swift (1667-1745) aura jeté toutes ses forces dans les combats de son temps : querelle des Anciens et des Modernes (<em>La Bataille des livres</em>, 1704), mais aussi conflits à répétition entre Lilliputiens (Anglais) et Bflefusciens (Français).</p>
<p>Mais qu’on n’aille pas croire que ces batailles appartiennent à un passé révolu. Deux événements récents, à propos desquels l’opinion continue de s’écharper, à savoir le Brexit et la crise migratoire, ont vu resurgir des traits swiftiens dans le traitement littéraire et fictionnel qui leur a été réservé. Sans prétendre égaler le maître, Ian McEwan, dans <em>Le Cafard</em>, et Éric Fottorino, avec sa nouvelle intitulée <a href="https://le1hebdo.fr/journal/migrants-sommes-nous-encore-humains/377/article/la-pche-du-jour-5044.html">« La Pêche du jour »</a>, n’ambitionnent pas moins de rendre à César, en l’occurrence à Swift, ce qui lui revient. D’où la question : y aurait-il une actualité Swift ? Et si oui, quels seraient les traits définitoires du génie swiftien ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1471247446072180736"}"></div></p>
<p>Reconnaissons d’emblée que, transparente pour un lectorat anglophone, l’appellation « swiftien » ne parle guère au public français. Et ce, alors que d’autres adjectifs formés sur le même modèle, comme kafkaïen ou ubuesque, sont passés, eux, dans le langage commun, pour désigner des situations assez comparables, où l’absurde le dispute à l’intolérable.</p>
<p>À l’évidence, <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Histoires/Les-noms-d-epoque">à la bourse des noms d’époque</a> ou d’auteurs, la cote de Jonathan Swift ne brille pas du même éclat que celle de Kafka ou d’Alfred Jarry, l’auteur de l’impayable <em>Ubu Roi</em>.</p>
<h2>Une réception biaisée et tronquée</h2>
<p>Pourtant, Swift n’est pas le premier venu. Il est vrai que sa réception, en France, est un cas d’école en matière de réception culturelle biaisée ou tronquée. De lui, on retient une formule, « Nul homme n’est une île », prononcée en chaire, à la Cathédrale St Patrick de Dublin, ainsi qu’un personnage de fiction, Lemuel Gulliver (littéralement Lemuel le Pigeon, ou le Jobard). C’est beaucoup… et c’est peu.</p>
<p>Très tôt traduit en français, par l’abbé Desfontaines en 1727, <em>Les Voyages de Gulliver</em> a laissé dans l’ombre ses pamphlets, dont la nature il est vrai topique, liée au contexte intellectuel et idéologique de l’époque, ne facilite pas leur compréhension immédiate. De surcroît, si la figure de Gulliver est devenue populaire urbi et orbi, sa perception, en France, demeure celle d’un personnage de la littérature pour la jeunesse. Or, le <em>Voyage</em> se veut avant tout un conte philosophique pour adultes avertis, ce que montre en particulier le quatrième et dernier périple, accompli au pays des chevaux dotés de raison. À son retour, car tout dans ce type de littérature de voyage est affaire, non de départ mais bien de retour, <a href="https://www.presses.ens.fr/465-offshore-revenir-devenir-gulliverou-l-autre-voyage.html">comme l’a compris Jean Viviès</a>, Gulliver se mue en un personnage atrabilaire et misanthrope, vomissant la race humaine et reniant femme et enfants pour trouver refuge auprès des chevaux de son écurie. Pour un peu, au risque de brouiller les pistes, on qualifierait volontiers le récit de voltairien, tant un lecteur francophone y trouverait des traces de l’ironie présidant à l’écriture de <em>Candide</em> ou de <em>Zadig</em>.</p>
<h2>Un maître du pamphlet</h2>
<p>Objectivement, toutefois, le qualificatif de voltairien ne fait pas beaucoup avancer la compréhension du phénomène. Ce qu’il y a de plus swiftien, chez Swift, c’est sa veine polémiste, alimentée par les querelles, principalement religieuses et politiques, de l’époque. Ainsi, avec son <em>Argument contre l’abolition du christianisme</em>, ou son <em>Conte du Tonneau</em>, Swift s’y prend si bien, ou si mal, c’est selon, qu’il se met à dos tous les belligérants, anglicans, dissidents, catholiques. C’est clairement dans ce sillage-là que s’inscrit <em>Le Cafard</em> de Ian McEwan. Rendu amer par le succès du Brexit dans les urnes, le fabuliste contemporain se plaît à camper Boris Johnson et la classe britannique anglaise sous les traits de repoussants cafards, ourdissant sous les feux de la rampe l’absurde scénario du « Reversalisme ». S’il paraît donner des gages à Kafka, l’auteur de la <em>Métamorphose</em>, la filiation demeure swiftienne, tant le furieux débat entre partisans et adversaires de la sortie du Royaume-Uni n’a rien à envier, en matière de bêtise et de pulsion suicidaire, eu égard à ce que sont les véritables enjeux géopolitiques, aux vaines querelles entre « petis boutiens » et « gros boutiens ».</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1051&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1051&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1051&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1321&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1321&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1321&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Modeste proposition… » de Swift, édition de 1729.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Modeste_Proposition#/media/Fichier:A_Modest_Proposal_1729_Cover.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>En 1729, Swift, toujours lui, ferraillait cette fois contre les Anglais et leur politique du pire en terre irlandaise. À preuve, sa <em>Modeste Proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public</em>, au titre trop explicite pour être honnête. Un physiocrate de l’époque – on parlerait aujourd’hui d’un technocrate –, y prend la plume, censément pour se fendre d’une proposition à même de régler le problème récurrent de la pauvreté et de la famine sévissant en Irlande, terre natale de Swift, patriote sourcilleux, répétons-le.</p>
<p>Mais <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-archives-de-lete/lhumour-noir-de-jonathan-swift">l’ironie du propos</a> réside justement dans la dissociation ménagée entre la figure de l’économiste et celle de l’auteur. Le premier prévoit d’ôter aux parents impécunieux leurs nourrissons et de les confier à des nourrices entretenues sur des fonds privés. Une fois engraissés, ces innombrables enfants de sujets catholiques seront vendus aux riches propriétaires terriens, Anglais dans leur immense majorité, qui les consommeront sous forme de ragoût ou de fricassée à déguster toutes affaires cessantes. Quand le cannibalisme se pare de vertus philanthropiques ! À condition de passer par pertes et profits le préalable indispensable à la réalisation d’un projet aussi monstrueux : l’interdit qui pèse sur la chair humaine, qu’on ne saurait manger sans enfreindre un tabou majeur et constitutif de l’idée même de famille et de société humaine. Sous ses apparences de provocation « hénaurme » (adjectif, pour le coup, rabelaisien), l’insensibilité du physiocrate, à rebours de l’empathie de Swift, vise à changer la nature de l’indignation qui gagne à la lecture du traité.</p>
<p>Rejeter la « proposition » en poussant des cris d’orfraie, c’est se tromper de cible. Le vrai scandale est ailleurs, dans la réalité d’une île livrée sans défense à la colonisation britannique, rien moins qu’authentiquement cannibale, pour le coup. Il aura donc fallu en passer par les pouvoirs de l’horreur pour réveiller les consciences…</p>
<p>En conséquence de quoi sera décrété swiftien tout énoncé à la fois dérangeant et éveillant, apte à laisser un goût amer en bouche, car procédant à grand renfort d’humour noir, ou de paradoxes insoutenables, et n’hésitant pas à piétiner, le plus allègrement du monde, les codes du bon goût et de la décence.</p>
<h2>Consentements au meurtre</h2>
<p>« La pêche du jour », par Éric Fottorino, remonte tout cela dans ses filets, et bien plus encore. Un dialogue s’y engage entre un pêcheur et un client potentiel, attiré par la promesse de poisson frais. En matière de fraîcheur, le pêcheur ne craint personne : sur son étal trônent, à côté de la bonite et du requin, « du » Malien », « du » Somalien, ou bien encore « de » l’Erythréen. Les cadavres de migrants naufragés lors de leur tentative de traversée de la Méditerranée constituent en effet l’essentiel de sa pêche miraculeuse. Son salut économique en dépend, à lui l’ancien professeur d’humanités gréco-latines ( !), désormais réduit à se faire pêcheur au lendemain de la crise de la dette publique grecque. Et de vanter les mérites d’une denrée ô combien nourrissante, allant même jusqu’à reprocher aux navires humanitaires, type Aquarius, de lui ôter le pain de la bouche, en sauvant de la noyade les malheureux dont il se fait, lui, le « nettoyeur » anthropophage. En son temps, déjà, Montaigne faisait observer, sur le mode non de la fiction mais de l’argumentation, que les soi-disant « Cannibales » n’étaient pas ceux qu’on croyait, et qu’en Occident « nous les surpassons en toute sorte de torture ».</p>
<p>Ce que Fottorino réunit, c’est à la fois une précision extrême dans le rendu d’une situation historique, qui est aussi un naufrage de l’humanité tout entière, et une déconnexion totale d’avec ce qui fait l’ordinaire d’une poissonnerie, bien sûr, mais surtout l’ordinaire des réactions émotionnelles. En lieu et place du sentiment d’horreur attendu, priment, au pire, le cynisme, au mieux l’indifférence polie. Et Fottorino de stigmatiser, de la plus rude, mais salutaire des façons, nos trop fréquents « consentements au meurtre », <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/7924/le-consentement-meurtrier">pour parler comme Marc Crépon</a>. Notre coupable renoncement à l’humain, d’un mot.</p>
<h2>Cogner fort pour faire réagir</h2>
<p>Non content de rappeler la macabre scène d’ouverture de <em>Our Mutual Friend</em> (<em>L’Ami commun</em>, 1865), de Charles Dickens, dans lequel le personnage de Jesse Hexam récupère les cadavres flottant sur la Tamise à l’aide de sa gaffe, pour leur faire les poches, Fottorino va jusqu’à exhumer l’écho lointain d’une controverse historique, qui avait beaucoup agité en son temps l’opinion publique, britannique en l’occurrence.</p>
<p>En 1781, en route pour la Jamaïque, le capitaine du négrier Zong avait donné l’ordre de jeter par-dessus bord 142 esclaves en piètre état sanitaire, de façon à pouvoir prétendre toucher la prime d’assurances pour « pertes en mer ». Rendue publique, l’affaire avait ulcéré les consciences, et ce durablement, au point qu’en 1840, le peintre J.M.W. Turner avait représenté la scène, dans un tableau devenu célèbre, <em>Le Négrier jetant par-dessus bord les morts et les mourants</em> – un typhon approche, prêtant ainsi main forte à la cause abolitionniste.</p>
<p>De même, « La Pêche du jour » fend-elle à grands coups de hache les eaux glacées et désespérantes de l’égoïsme, imposant, entre autres traits swiftiens, l’animalisation de l’humain, le cynisme comme principe de dévoilement, ou bien encore l’aptitude à énoncer l’intolérable, voire l’innommable, sans en paraître le moins du monde affecté. Il faut avoir l’estomac bien accroché pour pousser aussi loin le compagnonnage avec l’atroce :</p>
<blockquote>
<p>« La chair des enfants est un must. Nous avons parfois un bébé mort-né dans le ventre de sa mère. On ouvre. Une viande très appréciée. J’ai un client d’origine brésilienne. Tous les deux ou trois jours, il me demande si j’ai ce qu’il veut. Il prétend que, sous la dent, le fœtus est aussi tendre que la bosse du zébu. […]
Il arrive aussi qu’une femme sur le point d’accoucher perde les eaux en pleine mer. Un sens aigu de l’à-propos, vous ne trouvez pas ? »</p>
</blockquote>
<p>Rien de plus nécessaire, pourtant, si l’on veut que swiftien, au même titre que sadien, devienne le plus astringent des ferments, le plus actif des révulsifs. Et rime, même imparfaitement, avec contemporain. Swift, plus que jamais notre contemporain, chaque fois que, face à la vulnérabilité et à la mortalité d’autrui, le secours et la sollicitude attendus font défaut. Et que s’impose, sans complaisance aucune, la nécessité d’un prompt (<em>swift</em>, en anglais) retour aux fondamentaux de l’humanité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174131/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Porée ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Transparente pour un lectorat anglophone, l’appellation « swifitien », en littérature, ne va forcément de soi pour le public français.
Marc Porée, Professeur de littérature anglaise, École normale supérieure (ENS) – PSL
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