tag:theconversation.com,2011:/us/topics/msh-lorraine-44022/articlesMSH Lorraine – The Conversation2018-01-29T10:29:15Ztag:theconversation.com,2011:article/907062018-01-29T10:29:15Z2018-01-29T10:29:15ZPortrait de chercheur : Marie-Sol Ortola, Le Souffle d’Al-Andalus<p><em>Pour ses 10 ans, la <a href="http://msh-lorraine.fr/">Maison des Sciences de l’Homme Lorraine</a> a commandé à <a href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a> un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : <a href="http://www.msh-lorraine.fr/actualites/details/ouvrage-anniversaire-de-la-msh-l-archipel-des-possibles/">L’Archipel des Possibles</a>. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits</em>.</p>
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<p>« En retraçant la circulation des énoncés sapientiels ((maximes, sentences, proverbes…) de la Péninsule Ibérique du IX<sup>e</sup> au XV<sup>e</sup> siècle, entre cultures arabes, juives et chrétiennes, Aliento fait revivre l’une des apogées des civilisations étrangement absente de la mémoire collective ».</p>
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<p>Un ciel bleu de toute beauté. Au Brésil, à Belém. Un souvenir absolument triste. Des Amérindiens vivant libres, à moitié nus, et qui soudainement courent s’habiller au défilé d’évangélistes, de femmes et d’enfants, petite colonne missionnaire vêtue de blanc, venue au village pour asséner les leçons injurieuses d’un dieu qui les voulait rabaissés. Une révolte parmi d’autres. Dans les années 80, à Madrid. Des femmes s’arrachent avec la police pour protéger un jeune Maghrébin de l’expulsion. Au vrai, il y en avait une autre à dire sa solidarité en actes de résistance, et elle était celle-là. En feuilletant ces quelques images, on entre un peu dans l’histoire de Marie-Sol Ortola. Professeure de littérature espagnole du moyen-âge et du XVI<sup>e</sup> siècle au département d’études ibériques et ibéro-américaines de l’Université de Lorraine, elle incarne avec ferveur les enseignements d’une histoire magistralement minimisée, de formidables échanges des sagesses entre peuples et cultures en mouvements. L’un de ces grands moments des civilisations.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/203020/original/file-20180123-182945-1on0ytm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/203020/original/file-20180123-182945-1on0ytm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/203020/original/file-20180123-182945-1on0ytm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/203020/original/file-20180123-182945-1on0ytm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/203020/original/file-20180123-182945-1on0ytm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/203020/original/file-20180123-182945-1on0ytm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/203020/original/file-20180123-182945-1on0ytm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/203020/original/file-20180123-182945-1on0ytm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Marie-Sol Ortola.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sébastien Di Silvestro, iwsy-face.com</span></span>
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<p>Héritière d’une vision qui se rit encore, et la chose est amère, des blocs de civilisations hiératiques, des oppressions politiques, religieuses, des pouvoirs de l’argent, du haut d’un idéal juché sur un vieux canasson et qui n’a pour armement que le style de son expression. Et de cet esprit ouvert au seuil du Nouveau Monde qui défend les honnêtes et les petites gens dans un élan fantasque, merveilles, tentatives, des hommes enfiévrés d’être parmi les plus désespérés. Marie-Sol Ortola a toutes ces richesses de l’Espagne dans le sang. Ses yeux clairs fixent la réalité dans sa nudité. Au fil des conversations, ils s’abîment souvent dans une sorte de sfumato qui contemple gravement, à l’arrière-plan du tableau, les trésors, les pertes et les sacrifices, les impossibles révoltes et la marche inexorable du temps.</p>
<p>C’est un esprit insoumis, un tempérament, toujours prêt à rire ou à se cabrer, une pensée profondément humaine, maniant les cultures, les exemples et les mots à l’aisance d’une rigoureuse précision qui n’est que l’exigence du respect. En 2017, son grand programme est arrivé à un terme. Aussi, elle espère que de jeunes chercheurs en partagent le rêve à poursuivre et qu’ils aient les moyens de travailler. Pour la culture du projet qui domine l’Université et qui donne la primauté au financier avec accord ici où là, en suivant les cours des valeurs de politiques sporadiques, des orientations du moment, empêchant la création pérenne d’espaces de dialogues authentiques, elle n’a pas de mots assez durs.</p>
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<p>« Marie-Sol Ortola déplore l’éloignement du politique de l’univers scientifique, particulièrement en sciences humaines et sociales où la recherche fondamentale “est quelque part perdue”, dès lors qu’elle ne peut pas fournir d’utilité immédiate, “d’applications à courte vue”. »</p>
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<p>Ses propres recherches ont généré des créations de calculs, d’algorithmes, de bases de données, d’indexations, de systèmes d’annotations inédits, pouvant être réutilisés pour nombre d’applications, transposables dans le monde économique, mais après la phase fondamentale. La chercheuse donne des gages, et s’inscrit, puisque c’est le titre, dans les humanités numériques. Passant presque sous silence dans cette introduction par les aléas administratifs, que ses recherches menées avec une impressionnante liste de chercheurs et de spécialités, portées par la <a href="http://msh-lorraine.fr/">MSH</a>, par l’<a href="http://www.inalco.fr/">INALCO</a>, en partenariat avec l’<a href="http://www.atilf.fr/">ATILF</a>, l’Agence Nationale de Recherche, ressuscite tout un monde d’échanges, un passé d’une extraordinaire fertilité qui pourrait redéfinir avantageusement bien des identités actuelles, solidement cadenassées.</p>
<p>L’Aliento c’est le souffle de la rencontre au IX<sup>e</sup> siècle entre la tradition arabe de l’adab et d’al-Andalous, l’Espagne, qui devient une plaque tournante où circulent les savoirs venus d’orient passant aux royaumes chrétiens notamment par les centres monacaux du nord de la Péninsule, d’où ils se diffusent dès le XI<sup>e</sup> siècle. Puis par les traductions latines au XII<sup>e</sup> siècle, et du XIII<sup>e</sup> au XV<sup>e</sup> siècle par les traductions en langues venraculaires. En al-Andalus, l’adab rencontre également la tradition sapientielle juive, de la littérature midrashique. Inspirant la composition de recueils, d’œuvres originales, pendant deux cents ans.</p>
<p>À partir du XII<sup>e</sup> siècle, des recueils d’<em>exempla</em> et de <em>dits des philosophes</em> sont traduits vers l’hébreu, le latin et les langues romanes. Cet héritage complexe, d’une fabuleuse richesse, se retrouve dans la littérature espagnole du XV<sup>e</sup> et du XVI<sup>e</sup> siècles, ainsi que dans les proverbes espagnols, judéo-espagnols et maghrébins contemporains. Ainsi le projet <a href="https://www.aliento.eu">ALIENTO</a> pour Analyse Linguistique, Interculturelle d’ÉNoncés sapientiels et Transmission Orient/Occident-Occident/Orient, a entrepris depuis dix ans, de construire une immense base de données sur les sources, la transmission et la postérité des énoncés sapientiels (maximes, sentences et proverbes), de la Péninsule ibérique du IX<sup>e</sup> au XV<sup>e</sup> siècle entre trois cultures. Le réseau Aliento, initié par Marie-Sol Ortola et Marie-Christine Bornes Varol, retrace la circulation volatile de ces sagesses partagées et hybridées, leur cheminement, leur évolution, par-delà mille enjeux scientifiques pointus, liés aux traductions, aux réinterprétations culturelles, au poids des emprunts, au travers de langues parlées et écrites.</p>
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<p>« Les recherches d’Aliento alignent un nombre considérable de facteurs et d’éléments qui, reliés ensemble, disent les réalités effervescentes de ces époques constituant un bien de l’Humanité. »</p>
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<p>En ces matières, un travail d’une telle ampleur n’avait encore jamais été mené. Il existe une part de donquichottisme indéniable à vouloir livrer au grand public ces quelques 9570 énoncés, après les avoir scientifiquement reliés entre eux, dans toutes leurs langues et leurs versions pour offrir une circulation textuelle nouvelle et sans fin. Ces sagesses exprimées avec une telle force d’évidence perdurent donc dans bien des langues et expressions usuelles d’aujourd’hui. Et transportent incognito, de bouche en bouche, cette richesse d’origines. Imaginer des chrétiens, des juifs et des musulmans, dans les espaces où certains s’opposent si douloureusement, se référer à une même parole inconsciente de faire communauté, n’est pas sans évoquer quelques scènes férocement drôles.</p>
<p>Au-delà de la satire humaine, pour Marie-Sol Ortola, la quête des origines entre l’Ancien et le Nouveau Monde, aux parallèles et aux traits immuables qui font les choix semblables à une destinée, pourrait bien servir de fil conducteur et de morale à cette histoire intégralement espagnole.</p>
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<p><em>Lisez la suite de cet article en téléchargeant <a href="http://www.univ-lorraine.fr/sites/www.univ-lorraine.fr/files/documents/MSH2017/ortola_marie_sol.pdf">« Marie-Sol Ortola, Le Souffle d’Al-Andalus »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/90706/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Sol Ortola ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Portrait d’une spécialiste passionnée de la littérature espagnole du moyen-âge et du XVIᵉ siècle.Marie-Sol Ortola, Professeur de littérature espagnole (Renaissance et Moyen Age), Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/902832018-01-17T21:40:50Z2018-01-17T21:40:50ZPortrait de chercheur : Jean-Christophe Blanchard, une voix pour les morts<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/202339/original/file-20180117-53328-155kpbd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jean-Christophe Blanchard.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>Pour ses 10 ans, la <a href="http://msh-lorraine.fr/">Maison des Sciences de l’Homme Lorraine</a> a commandé à <a href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a> un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : <a href="http://www.msh-lorraine.fr/actualites/details/ouvrage-anniversaire-de-la-msh-l-archipel-des-possibles/">L’Archipel des Possibles</a>. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits</em>.</p>
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<p>« À partir de traces faibles, l’historien a recomposé une figure oubliée par l’histoire, celle de Jean‑François Didier d’Attel de Luttange, un noble du XVIII<sup>e</sup> égaré au XIX<sup>e</sup>, écrivain, compositeur, traducteur, mathématicien, bibliophile, numismate… aspirant à devenir un savant de l’universel. »</p>
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<p>Simultanément au passé et au présent, il vit entre deux temps. Entre permanence et mutation. Fasciné par les origines et les évolutions, il observe aussi, non sans ironie, entre amusement et ressentiment, les déviations du sens des symboles que bringuebalent les époques, parfois jusqu’à l’incohérence. Ou à l’ignorance, la marque la plus regrettable de l’oubli. Jean‑Christophe Blanchard est un spécialiste de l’héraldique et de l’emblématique lorraine des origines (XII<sup>e</sup> siècle) à nos jours. Un expert de la composition et des mécanismes d’utilisation des armoiries et plus largement des emblèmes représentés dans les armoriaux, les manuscrits enluminés, sur les sceaux, les monnaies et bien d’autres objets et monuments… L’étude de ces objets complexes implique de vastes connaissances en sciences de l’érudition : paléographie, diplomatique, codicologie, sigillographie, numismatique… Elle est, en définitive, la science de la communication par l’image de l’Ancien Régime et donc une connaissance de tout un monde. Car ces images héraldiques (ou emblématiques) sont, comme les armoriaux en particulier, <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00627071/PDF/L_armorial_d_AndrA_de_Rineck_une_propagande_dA_voyA_e.pdf">« un programme et une proclamation »</a> d’une identité qui rend compte des valeurs « idéologiques et militantes », des croyances, des savoirs, des aspirations autant que des stratégies de représentation de leur auteur ou commanditaire.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/202340/original/file-20180117-53310-1gvwar6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/202340/original/file-20180117-53310-1gvwar6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/202340/original/file-20180117-53310-1gvwar6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/202340/original/file-20180117-53310-1gvwar6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/202340/original/file-20180117-53310-1gvwar6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/202340/original/file-20180117-53310-1gvwar6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/202340/original/file-20180117-53310-1gvwar6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/202340/original/file-20180117-53310-1gvwar6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Jean‑Christophe Blanchard.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sébastien Di Silvestro</span></span>
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<p>En menant ses recherches sur l’intégration des armoiries dans la communication des élites, Jean‑Christophe Blanchard est aussi devenu un fin connaisseur des éléments constitutifs et des affichages des identités dans une approche des temps longs qui débute au Moyen Âge et perdure de nos jours. Du blason au logo. De l’armure au perfecto. Il se promène au milieu des rues, dans une histoire qu’il touche en continu, mesurant les écarts de paradigmes, les évolutions, les absences, et parfois les contresens, qui gravent et illuminent de la pierre aux néons, l’expression des sociétés d’hier à aujourd’hui. Pour exemple, il cite le monument « dit de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Place_de_la_Croix-de-Bourgogne">Croix de Bourgogne</a> », à Nancy, qui s’illustre par une croix de Lorraine.</p>
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<p>« Cette croix double, représentation symbolique d’une relique de la vraie croix rapportée en Anjou au XIII<sup>e</sup> siècle et vénérée par les princes angevins, fut introduite en Lorraine par René d’Anjou en 1431. »</p>
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<p>Le 5 janvier 1477, le petit-fils de ce dernier, René II, duc de Lorraine, gagne la bataille de Nancy contre Charles le Téméraire, trahi par les siens, et qui périt le crâne fendu jusqu’aux dents sous un coup de hallebarde. Le Duc victorieux ordonne la construction d’un monument à l’endroit même où l’on retrouva sa dépouille dénudée, pour honorer la mémoire du Prince vaincu et célébrer sa victoire. Puis le monument s’abîme. Il sera rebâti plusieurs fois avant de prendre, en 1928, la forme que nous lui connaissons actuellement. À cette date, on célèbre plus l’unité de la nation républicaine à travers toutes ses composantes, la Lorraine ayant été réintégrée à la France, que la victoire de René II.</p>
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<p>« Pourtant, les commémorations du 5 janvier voient régulièrement défiler sur cette place des adhérents lorrains du parti nationaliste français. Et on les voit, posant sur des photos diffusées sur leur site Internet, avec des drapeaux français portant la francisque de Vichy. Ces drapeaux sont une insulte à la mémoire des hommes qui ont voulu ce monument, des nationalistes certes, mais des républicains, plutôt des progressistes et dreyfusards ! Ils sont aussi une insulte aux idéaux de la Résistance dont la croix de Lorraine, est, entretemps, devenue le symbole ! » s’insurge l’Ingénieur d’études en laissant éclater sa colère.</p>
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<p>Docteur en histoire exerçant au sein du <a href="http://crulh.univ-lorraine.fr/">Centre de Recherche Universitaire Lorrain d’Histoire</a> de l’Université de Lorraine, Jean‑Christophe Blanchard ne donne pas de cours. Rien n’interrompt son tête-à-tête avec la matière, les archives et le dialogue respectueux qu’il noue avec les morts. Parfois, pour les réintégrer méticuleusement et à une juste place dans le récit des hommes. Toujours à compléter. Ses recherches actuelles relèvent d’une des plus belles aventures de cette veine.</p>
<p>Avec une dizaine de collègues dans presque autant de disciplines, il est à l’origine de la résurrection prochaine d’un de ces oubliés de l’histoire. « D’un noble du XVIII<sup>e</sup> égaré au XIX<sup>e</sup> », écrit Frédéric Plancard dans l’Est républicain. <a href="https://factuel.univ-lorraine.fr/node/7025">Jean‑François Didier d’Attel de Luttange</a>, descendant d’une famille anoblie dans la première moitié du XVI<sup>e</sup> siècle, était de cette génération d’entre deux siècles troublés, qui supportait mal le déclassement de la noblesse et participait de l’ancienne mouvance dont le but ultime consistait à être savant, à atteindre l’universel. Occupation tout aristocratique, la polymathie pour valeur suprême pouvait aussi bien constituer chez Attel de Luttange, une aspiration de nature, un refuge ou une réponse par le dépassement aux turpitudes d’une époque désorientée. Quand Monarchies, Républiques et Empires se succédaient au tempo d’une marche de l’histoire jusqu’alors inédite. Seule certitude, il produisait. Et en quantités formidables. Des romans, des romans historiques, des mathématiques, de la musique, des traités de numismatique… Il écrit le grec. Démesurément bibliophile il amasse plus de 3000 ouvrages de grande valeur qu’il léguera à sa mort à la ville de Verdun. Et c’est sur des traces très minces, que Jean‑Christophe Blanchard est parti à la rencontre d’un disparu auquel il va donner la main.</p>
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<p><em>Lisez la suite de cet article en téléchargeant <a href="http://www.univ-lorraine.fr/sites/www.univ-lorraine.fr/files/documents/MSH2017/blanchard_jean_christophe.pdf">« Jean‑Christophe Blanchard, Une Voix pour les morts »</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/90283/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>À partir de traces faibles, l’historien a recomposé une figure oubliée par l’histoire, un noble du XVIIIᵉ égaré au XIXᵉ aspirant à devenir un savant de l’universel.Jean-Christophe Blanchard, Docteur en histoire, ingénieur d'études au Centre de Recherche Universitaire Lorrain d'Histoire, Université de LorraineSylvie Camet, Professeure de littérature comparée, directrice de la MSH Lorraine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/892002018-01-10T20:17:38Z2018-01-10T20:17:38ZPortrait de chercheur : Grégory Hamez, Le dessous des cartes mentales<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/199260/original/file-20171214-27565-1secoog.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Grégory Hamez.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://iwsy-face.com">Sébastien Di Silvestro</a></span></figcaption></figure><p><em>Pour ses 10 ans, la <a href="http://msh-lorraine.fr/">Maison des Sciences de l’Homme Lorraine</a> a commandé à <a href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a> un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : <a href="http://www.msh-lorraine.fr/actualites/details/ouvrage-anniversaire-de-la-msh-l-archipel-des-possibles/">L’Archipel des Possibles</a>. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits</em>.</p>
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<p>« L’étude des représentations mentales de leur territoire des cadres et ouvriers d’une usine frontalière fournit de précieux renseignements sur les difficultés de l’espace européen à ouvrir des perspectives à la hauteur de sa géographie humaine. »</p>
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<p>Depuis les attentats de Paris et Bruxelles, les files d’attente s’allongent sur l’A22, l’axe autoroutier qui relie Lille à la Belgique. Les vieilles guérites ont repris du service. Plus de 200 douaniers tentent de couvrir les quelque 620 kilomètres de frontières entre la Belgique et la France. Une tâche d’une certaine amplitude quand 300 points d’entrées permettent le passage d’un pays à l’autre. Dans certains villages, il suffit de traverser la rue pour se retrouver « de l’autre côté ». Alors, les patrouilles sont de retour. Les temps changent et les lisières aussi. Grégory Hamez est un enfant de ces frontières.</p>
<p>Né entre Lille et Dunkerque, d’une famille implantée du côté francophone et néerlandophone, il a toujours vécu les frontières comme des lignes de transformations spatiales, propices à l’imaginaire et à l’observation. Lignes de démarcations ou pointillés, barrières ou discontinuités, les activités humaines qu’elles limitent ou appellent relèvent parfois du paradoxal. Dans sa propre famille, les grands-parents néerlandophones parlaient encore français, puis les cousins, plus du tout, malgré la faible distance géographique. Du coup, ils échangeaient en anglais, empruntant pour se rejoindre, la langue d’une frontière encore plus lointaine.</p>
<p>Quand en 1993, la Belgique concède une spectaculaire autonomie décisionnelle à ses régions et communes, faisant que le Roi des Belges, le chef de l’État belge, n’interviendra plus dans les processus de décision politique des entités fédérées, Grégory Hamez a 21 ans. Il voit alors des gens avec qui il se sent bien, se positionner clairement dans une autre voie. Un moment désarçonnant, questionnant, surprenant. Une prépa et des études à Paris 1 – Panthéon Sorbonne le ramènent par le choix d’un sujet de thèse à la magnétique de ces démarcations : <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00007191">« Du transfrontalier au transnational : approche géographique. L’exemple de la frontière franco-belge »</a>.</p>
<p>Dans cette étude sur l’évolution des frontières intérieures dans le contexte d’une intégration européenne toujours en croissance, le jeune chercheur se sert avec originalité des mariages mixtes entre Franco-belges, mettant en perspectives les données locales et nationales, comme outil de mesure des relations frontalières spontanées.</p>
<p>_Contre toute attente, ces unions stagnent à proximité de la frontière alors qu’elles augmentent sur le territoire national, preuve d’un effet de diffusion et de changement d’échelle transnationale, voire européenne. _</p>
<p>Au plan local, il explique cette stagnation par une diminution des relations entre Flamands de France et de Belgique, conséquence d’une divergence linguistique grandissante. Mais si l’on résume, plus la frontière est ouverte moins elle génère de relations dans sa périphérie immédiate. Voici l’un des paradoxes des frontières qui exercent d’autant plus d’attraction qu’elles ouvrent ou ferment à des différences.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/199259/original/file-20171214-27558-1f8fekv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/199259/original/file-20171214-27558-1f8fekv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/199259/original/file-20171214-27558-1f8fekv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/199259/original/file-20171214-27558-1f8fekv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/199259/original/file-20171214-27558-1f8fekv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/199259/original/file-20171214-27558-1f8fekv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/199259/original/file-20171214-27558-1f8fekv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/199259/original/file-20171214-27558-1f8fekv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Grégory Hamez.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sébastien Di Silvestro/iwsy-face.com</span></span>
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<p>Grégory Hamez raconte que les contacts au sein de sa famille installée de part et d’autre de la frontière étaient plus fréquents entre 1850 et 1950, alors qu’elle était « plus fermée », mais proposait un plus grand différentiel. De nombreux Belges venaient alors travailler ou résider en France, attirés par un système législatif et fiscal plus avantageux. Des usines ! Des usines, s’écrierait-on aujourd’hui, étaient alors implantées en France pour éviter des droits de douane français trop élevés. Des Belges venaient alors travailler dans les usines françaises en réplique parfaite de la situation actuelle entre la France et le Luxembourg.</p>
<p>Différentiel fiscal et salaire en moyenne 1,8 fois supérieur entraînent une attractivité du Luxembourg sans pour autant favoriser une identité conjointe, et même bien au contraire. Les travailleurs transfrontaliers le savent bien et le ruminent chaque matin dans les embouteillages de l’A31. Pour Grégory Hamez, tous ces éléments questionnent le projet européen dans une intégration qui se fait en dépit de l’hétérogénéité des territoires. Et devrait, selon lui, générer beaucoup plus d’opportunités de traverser les frontières pour aller chercher du travail ou commercer.</p>
<p>Le chercheur rêverait d’un service citoyen européen poussant chaque jeune entre 15 et 25 ans à passer un an dans un autre pays, pour les études, un travail associatif ou de droit privé, qu’importe, mais puisque les frontières sont ouvertes, que les gens bougent et se créent enfin cette identité commune. Pour l’instant, le projet reste en panne.</p>
<p><em>Pour étudier les mécaniques des frontières au plus près, dans un contexte précis reliant des hommes à une géographie dans une perspective de travail entre deux pays proches, Grégory Hamez a cofondé le <a href="http://greti.org/">Groupe de recherches transfrontalières interdisciplinaires</a> (GRETI).</em></p>
<p>Un regroupement des Universités de Lorraine, du Luxembourg et de la Sarre, membres de la « Grande Région », soutenu par la MSH, additionnant les compétences en géographie, linguistique, sciences de gestion et sociologie. Restait à trouver un terrain d’étude, un grand carrefour, pour comprendre, les mécaniques du travail transfrontalier, les échanges linguistiques, les trajectoires, les profils et les cartes mentales qui font qu’un individu tourne le dos ou est attiré par l’autre côté de la frontière, dans une représentation tout individuelle de son territoire.</p>
<p>Pour se dégoter le lieu, le groupe a la main heureuse. La cofondatrice du groupe, Claudia Polzin-Haumann, Professeur en apprentissage des langues à l’université de La Sarre, croise le PDG de l’usine smart à Hambach, qui en 2014, s’apprêtait à sortir la smart fortwo en collaboration avec Renault. Seul problème et pas des moindres, les Français de chez Renault ne parlent pas allemand et les interlocuteurs s’efforcent d’échanger en anglais. Le GRETI propose son aide pour mieux comprendre le passage des frontières linguistiques et le groupe smart lui demande en échange de bons procédés de lui livrer au terme des recherches un document de recommandation. Accord conclu. Les chercheurs sont en place.</p>
<p>Leur terrain de « jeux » est plus qu’alléchant. Le groupe Daimler propriétaire de l’usine-ville est allemand ainsi que son PDG. 85 % des personnels sont français avec un encadrement mixte. Le site d’Hambach se situe à proximité de la frontière allemande. Et l’usine inaugurée en 1997 par Helmuth Kohl et Jacques Chirac incarne une certaine réussite de la coopération franco-allemande. 1 600 personnes travaillent sur ce site de 68 hectares. Les chercheurs obtiennent alors un accès à des salariés, ouvriers et cadres, travaillant dans les trois groupes : production, support (commerce), nouvelles voitures. « Des conditions superbes ».</p>
<p>La composition du salariat étant franco-allemande, les chercheurs du GRETI décident d’employer une méthodologie mixte pour mener leurs entretiens. Afin que les salariés puissent s’exprimer librement dans la langue de leur choix. Ils commencent les entretiens dans un schéma semi-directif en posant des questions sur la vie dans l’entreprise et la communication. Mais le groupe smart demande un élargissement de la recherche pour interroger les salariés sur le sujet des langues.</p>
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<p>« On s’est mis à brosser très large et chacun apportait quelque chose sur la méthodologie. Les linguistes avaient leur propre questionnaire, sur les biographies linguistiques, les langues que les personnes parlaient au travail et chez eux, la langue dans laquelle ils regardaient la télé, la langue employée pour les réseaux sociaux et quels réseaux ? Idem pour les écrans d’ordinateur, les claviers azerty… Ces entretiens ont permis de dégager une sociologie humaine et linguistique », explique Grégory Hamez.</p>
</blockquote>
<p>De son côté, il glisse une étude sur la carte mentale. Dans ce procédé, il tend une feuille blanche à son interlocuteur en lui demandant de représenter les lieux qui comptent pour lui. Afin de visualiser s’il existe une forme d’ancrage territorial, un espace d’appartenance particulier. Dessins, mots, symboles, la représentation en elle-même n’avait aucune importance. Le géographe partait de l’hypothèse non dégrossie qu’il s’agissait d’un milieu mixte, de l’hybridité, de l’entre-deux. Déjà parce qu’il faut être bilingue pour entrer dans l’entreprise qui se situe à 5 km de la frontière allemande, dans une zone où on parle le « platt », un patois tonique. Cette idée reposait sur l’observation de ces salariés confrontés en permanence aux changements de langue, dans leurs trajets quotidiens, entre collègues, au téléphone.</p>
<p>Beauté de la science, l’hypothèse se révèle infondée et en laisse apparaître une autre. Même si les pratiques révélaient une certaine mixité, les cartes mentales présentaient de fortes déterminations nationales. En fait, la véritable distinction entre ces salariés des frontières résidait entre « nomades » et « sédentaires ». Grégory Hamez s’enthousiasme :</p>
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<p>« D’une part, il y avait des personnes avec une représentation du champ du monde de type : oui, aujourd’hui je travaille chez Smart, mais peut-être que l’an prochain je chercherai au Mexique ou en Chine. Des salariés en ouverture aux opportunités, mais pas enracinés. Et ce qui était surprenant, c’est que cette distinction n’avait rien à voir entre le fait d’être cadre ou ouvrier. »</p>
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<hr>
<p><em>Lisez la suite de cet article en téléchargeant <a href="http://www.univ-lorraine.fr/sites/www.univ-lorraine.fr/files/documents/MSH2017/hamez_gregory.pdf">« Grégory Hamez, Le dessous des cartes mentales »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/89200/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Grégory Hamez étudie les mécaniques des frontières au plus près, dans un contexte précis reliant des hommes à une géographie dans une perspective de travail entre deux pays proches.Grégory Hamez, Professeur de géographie et d'aménagement, Université de LorraineSylvie Camet, Professeure de littérature comparée, directrice de la MSH Lorraine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/891962018-01-03T22:44:07Z2018-01-03T22:44:07ZPortrait de chercheur : Valérie Serdon-Provost, un archer sur la montagne du temps<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/199256/original/file-20171214-27593-6e5r9z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Valérie Serdon-Provot par Sébastien Di Silvestro (https://iwsy-face.com/)</span> </figcaption></figure><p><em>Pour ses 10 ans, la <a href="http://msh-lorraine.fr/">Maison des Sciences de l’Homme Lorraine</a> a commandé à <a href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a> un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : <a href="http://www.msh-lorraine.fr/actualites/details/ouvrage-anniversaire-de-la-msh-l-archipel-des-possibles/">L’Archipel des Possibles</a>. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits.</em></p>
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<p>Spécialiste du monachisme lorrain et de la guerre au Moyen Âge, Valérie Serdon-Provost a mené des recherches sur nombre de grands sites archéologiques aux quatre coins du monde. Mais c’est actuellement au monastère Saint-Vanne à Verdun qu’elle procède à de fantastiques découvertes dans des sépultures mérovingiennes intactes.</p>
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<p>À vingt ans, sous le soleil blanc du Moyen-Orient, au fil de Nahr al-Urdun, Nehar haYarden, les noms arabes et hébreux du fleuve Jourdain, Valérie Serdon-Provost, confirme sa vocation de toujours en s’inscrivant dans les pas d’un professeur spécialiste de l’archéozoologie, sur un chantier archéologique du paléolithique ancien. Elle loge avec l’équipe, sur les bords du lac Tibériade dont le Talmud dit que les « fruits sont doux comme le son de la lyre » et découvre une discipline exigeant autant d’aptitudes physiques qu’intellectuelles. La condition pour devenir un voyageur du temps.</p>
<p>Elle est piquée par la beauté des paysages, le chant des oiseaux à l’aurore et l’exaltation des découvertes dans la touffeur et la poussière. Une flèche qui poursuit sa course dans des heures de patience méticuleuse au sein des atmosphères neutres des laboratoires, des observations et procédés chimiques qui recomposent la cible, des morceaux de réalités détruites, et reconvoquent à la vie des mondes entiers, des lambeaux de sols, au geste et à la culture des hommes disparus.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/199257/original/file-20171214-27575-2xo1zv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/199257/original/file-20171214-27575-2xo1zv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/199257/original/file-20171214-27575-2xo1zv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/199257/original/file-20171214-27575-2xo1zv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/199257/original/file-20171214-27575-2xo1zv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/199257/original/file-20171214-27575-2xo1zv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/199257/original/file-20171214-27575-2xo1zv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/199257/original/file-20171214-27575-2xo1zv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Valérie Serdon-Provot par Sébastien Di Silvestro (https://iwsy-face.com/).</span>
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<p>Elle ne comptera plus jamais ses heures, vivra sans réelle séparation entre vie privée et professionnelle et poursuivra sa passion en Israël, en Pologne, en Égypte, au Bangladesh, en Roumanie, en Syrie… De la mosquée des Omeyyades à la citadelle de Damas, d’Alexandrie aux rives du Brahmapoutre et de l’Euphrate… Le romanesque de ces noms pourrait escamoter l’autre réalité des années de formation historique ardue et de maîtrise nécessaire en sciences et techniques de laboratoire, en physique et chimie. Le privilège acquis de se rendre au bout du monde sur un <em>castrum</em> romain, une nécropole, une citadelle franque ou une cité oubliée, et la fulgurance d’une découverte sur un site programmé, ne s’obtiennent qu’au terme d’un vaste labyrinthe de recherches rendu difficile par un épineux maquis administratif.</p>
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<p>L’archéologie est autant un métier de passion que de résistance à tous les temps.</p>
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<p>À ce jeu Valérie Serdon-Provost est solidement armée, même si son regard couleur d’aigue-marine trahit l’impatience et parfois la lassitude de ces longues périodes d’entre-deux. Docteur en histoire et en archéologie médiévales, ses recherches actuelles au sein de la MSH s’articulent autour des fouilles du monastère Saint-Vanne, dans la citadelle haute de Verdun. Sur ce site, elle a connu l’une de ses plus grandes joies archéologiques à l’ouverture de tombes qui ont livré du mobilier du haut Moyen Âge exceptionnel, les défunts ayant été inhumés habillés, selon la pratique mérovingienne, avec leurs parures, leurs vêtements et attributs.</p>
<p>Valérie Serdon-Provost a pu mettre au jour des bijoux en argent, en or, en grenats de ces sépultures intactes, rescapées de siècles de pillages. La plupart de ces objets sont actuellement en cours d’étude ou dans le coffre des Archives Poincaré. Mais son obsession réside dans l’art de la guerre au Moyen Âge et plus particulièrement de son impact sur la société médiévale qui préside aux implantations stratégiques des bourgs castraux, des fortifications, et dessine, après un quasi millénaire, toute une sociologie des combattants et une économie de la guerre.</p>
<p>Elle s’intéresse aux aspects techniques des armes, des engins de siège à l’utilisation de la poudre, mais avant tout à l’archerie. <a href="http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=42">1/2Armes du diable : arcs et arbalètes du Moyen Âge1/2</a>, c’est le titre d’un livre qu’elle tire de sa thèse de doctorat. L’arme du diable ? Valérie Serdon-Provost, archère, la manie depuis de nombreuses années et entretient avec l’art et l’arme un lien tout à fait singulier. Alors, si le titre fait référence à la condamnation prononcée pendant le second concile de Latran, en 1139, son analyse pousse bien au-delà des études d’artefacts pour décrire toute une anthropologie de cette arme dont on retrouve des traces jusqu’au néolithique.</p>
<p>Elle étudie comment l’archerie, durant l’époque médiévale, influence les tactiques guerrières, mais aussi comment elle modèle la vie civile avec le développement des techniques de fabrication, la formation des compagnies d’archers en résidence dans les villes… Elle explore jusqu’en elle-même une archéologie du geste propre à chaque culture et civilisation. Et qui est sa façon si particulière d’atteindre l’histoire, en cœur plein.</p>
<p>Issue d’une famille de trois enfants et de nature un peu rebelle, Valérie Serdon-Provost savait dès l’âge de huit ans qu’elle voudrait être archéologue. Beaucoup en rêvent, peu en ont la fibre. Passionnée si jeune par l’histoire de l’art, sa mère l’emmène visiter un chantier d’archéologie préventive, sur un site présentant des vestiges d’une villa gallo-romaine dans la région lyonnaise. Déjà, elle fréquente les musées et participe à un chantier dès l’âge de seize ans. Puis elle enchaîne. Tout en hésitant longuement entre la préhistoire et le Moyen Âge.</p>
<p>Sa formation à Lyon, très orientée vers les confins de l’aube de l’humanité, semblait l’y prédestiner. Mais un premier chantier archéologique sur le site d’une nécropole mérovingienne la fixe sur cette période. Le rapport à l’écrit, la possibilité de confronter différentes sources et approches, absents en préhistoire, achèvent de la convaincre. Les dimensions anthropologiques et ethnologiques étant très présentes dans les deux périodes, ses connaissances en histoire des techniques et en métallurgie apprises pour l’étude de la préhistoire et proto-histoire constitueraient des atouts pour ses futures recherches sur l’armement au Moyen Âge.</p>
<p>En 1992, juste après cette véritable révélation scientifique en Terre sainte, sur les rives du Jourdain, elle obtient une bourse pour partir travailler en Pologne. Changement de décor, des terres brûlées de l’Orient aux brumes basses du nord d’un pays qui s’ouvrait à peine, un pays de forêts profondes, de chênes serrés formant des horizons d’ombres humides. Valérie Serdon-Provost débarque dans une zone rurale et immensément reculée pour effectuer des fouilles sur une motte castrale, une ville forte bâtie pour les chevaliers teutoniques très présents dans la région. Elle s’exerce au coude à coude avec un grand professeur polonais de l’Académie des Sciences qui la familiarise avec d’autres méthodes de confrontations des sources, dans une pratique ouverte à l’anthropologie et à l’ethnologie. Elle accède à la bibliographie, qui à cette époque, était encore écrite en français tandis que l’anglais domine aujourd’hui sans partage. Sur ce chantier, elle tisse des liens très forts avec de nombreux chercheurs de l’académie de Lodz et d’autres villes qui l’introduiront en Bulgarie et en Roumanie.</p>
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<p>Avec régularité, Valérie Serdon-Provost retournera dans chacun de ces pays qui conservent à ses yeux la charge émotionnelle puissante de ces moments de connivence entre découragement et extraordinaire.</p>
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<p>Ce dont elle n’est jamais à court. « Énorme choc », en 1994, elle rejoint en Égypte Jean‑Yves Empereur, directeur de recherche au CNRS et directeur du Centre d’études alexandrines, au moment où celui-ci fait capoter un projet municipal qui aurait recouvert l’ancien site du phare d’Alexandrie. En menant des fouilles terrestres et sous-marines, l’équipe découvre 5000 blocs architecturaux, des colonnes, des statues et une douzaine de sphinx. Valérie Serdon-Provost plonge en scaphandre autonome dans les eaux de la Méditerranée pour y effectuer des mesures et nettoyer des blocs afin d’établir une cartographie de ces découvertes.</p>
<p>Elle voyagera beaucoup en Égypte, et songe actuellement à retourner pour y monter un projet. D’un continent à l’autre, un ancien directeur de la Maison de l’Orient qu’elle avait connu durant ses études lyonnaises, lui propose d’effectuer des fouilles au Bangladesh. Alors, en 1995, Valérie Serdon-Provost entame une autre aventure qui durera onze ans et modifiera en profondeur sa façon de pratiquer l’archéologie. Elle y trouvera au fond bien plus que des vestiges, des liens affectifs et une connaissance empirique d’un présent transposable au passé.</p>
<p>Lire la suite en téléchargeant <a href="http://www.univ-lorraine.fr/sites/www.univ-lorraine.fr/files/documents/MSH2017/serdon1/2provot1/2valerie.pdf">« Valérie Serdon-Provost, Un archer sur la montagne du temps » serdon1/2provot1/2valerie.pdf</a></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/89196/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valérie Serdon-Provost a reçu des financements de
Ministère de la Culture et de la Communication
Université de Lorraine
Conseil Général de la Meuse
Région Lorraine</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sylvie Camet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Spécialiste du monachisme lorrain et de la guerre au Moyen Âge, Valérie Serdon-Provost a mené des recherches sur nombre de grands sites archéologiques aux quatre coins du mondeValérie Serdon-Provost, Maître de conférences en histoire et archéologie du Moyen Âge, Université de LorraineSylvie Camet, Professeure de littérature comparée, directrice de la MSH Lorraine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/891922017-12-20T20:29:03Z2017-12-20T20:29:03ZPortrait de chercheur : Sylvie Camet, l’inconditionnelle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/199245/original/file-20171214-27562-1bvfmu6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sylvie Camet par Sébastien Di Silvestro
(iwsy-face.com/)</span> </figcaption></figure><p><em>Pour ses 10 ans, la <a href="http://msh-lorraine.fr/">Maison des Sciences de l’Homme Lorraine</a> a commandé à <a href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a> un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : <a href="http://www.msh-lorraine.fr/actualites/details/ouvrage-anniversaire-de-la-msh-l-archipel-des-possibles/">L’Archipel des Possibles</a>. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits.</em></p>
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<p>Directrice de la Maison des Sciences de l’Homme Lorraine, Sylvie Camet mène des recherches dans la littérature en tant que source : féminisme (statut des filles, sœurs, épouses), groupes familiaux, elle explore la culture, la sociologie, l’histoire, la psychanalyse, la littérature et les arts en démasquant l’imposture d’une comédie humaine essentiellement masculine.</p>
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<p>« Vous avez de la chance, nous, nous héritons de tout », dit-elle, exhortant l’imagination de la jeunesse de ses étudiants tunisiens, juste après la chute du régime de Ben Ali. Les cours reprenaient à peine. Après des jours et des nuits d’angoisse, où elle dormait tout habillée, seule, prête à partir, sans pouvoir s’abandonner au sommeil. Après les tirs, les hurlements, le grand renversement de vingt-trois ans de dictature jaillissait l’espoir d’une impensable liberté, l’immense vitalité de tout un peuple au pouvoir de tout reconstruire et de se réinventer. Sylvie Camet traverse en écrivain ces événements, d’un regard absorbé par ces chroniques douloureusement gravées au présent de la mémoire.</p>
<p>Elle a quarante-neuf ans et vit pour la première fois, hors de la description des livres et des débats distanciés, la véritable implosion d’une réalité, cette respiration d’ozone brut qui survient avec l’orage dispersant en bourrasques imprévisibles toutes les formes de stabilité. Elle vit dans sa chair la terreur et la curiosité d’enchaînements, cette pure volatilisation de l’espace qui prend après coup, le nom de révolution. À la réouverture de la Faculté, où elle enseigne en détachement du Ministère des affaires étrangères, Sylvie Camet écrit dans un article pour les Temps Modernes :</p>
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<p>« C’est à Sousse que tout a commencé. Le camouflage des femmes comme l’expression des droits de l’homme. Je ne sais plus trop si je me souviens d’elle. Cette étudiante qui a été assise devant moi, des semaines, des semestres, elle-même, une autre, je l’ignore. Maintenant, quand je m’adresse au groupe, je la vois, son invisibilité focalise mon regard, elle m’apparaît nue tandis que les autres, dans leur vêture banale, se fondent et disparaissent, comme s’ils étaient ceux qui portaient le voile. Les longs pans bruns de sa robe, de sa tunique, de sa bure, son auréole d’indistinction, capte l’essentiel de ma curiosité. »</p>
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<p><em>D’une plume mimétique, elle décrit chaque trait saillant et même ces quelques instants d’amusement irréel que ces jeunes femmes ont dû éprouver, lors de leur première apparition en société, voilées du niqab.</em></p>
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<p>« Elles avaient l’air de marchandises importées, venues d’une Arabie lointaine, comme on ne la connaissait que par les écrans. Elles ont dû jouir de leur exotisme […] Elles se voilaient tandis qu’enfin les uns, les autres, tous, parlaient, existaient […] Je regarde encore et encore l’enregistrement vidéo, il n’y a aucun doute, c’est une affaire d’hommes. Il n’y a pas une fille dans leurs rangs, pas une fille pour défendre le niqab, je suppose que ce n’est pas un rôle de fille de se battre, j’espère que ce n’est pas un rôle de fille que de se battre pour sa propre éviction », décrit-elle dans une anthropologie glacée par ce retournement de situation, par cette contamination instantanée d’un corps social nouveau-né.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/199255/original/file-20171214-27583-1m86nv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/199255/original/file-20171214-27583-1m86nv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/199255/original/file-20171214-27583-1m86nv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/199255/original/file-20171214-27583-1m86nv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/199255/original/file-20171214-27583-1m86nv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/199255/original/file-20171214-27583-1m86nv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/199255/original/file-20171214-27583-1m86nv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/199255/original/file-20171214-27583-1m86nv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Sylvie Camet par Sébastien Di Silvestro(iwsy-face.com/).</span>
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<p>Sylvie Camet doit aux hasards qui n’en sont pas cette expérimentation à l’échelle de l’histoire d’un peuple si intimement liée à une partie essentielle de ses recherches comparées : les problématiques de l’identité, la définition de l’individu par rapport à certains groupes (famille, société, ethnie ou genre), autant de thèmes largement irrigués par un questionnement féministe profondément ancré. D’un double regard, entre une information mondiale et les cinquante mètres de rues tunisiennes où elle est confinée, derrière les persiennes, elle découvre comment, après une lueur d’espoir, la liberté des femmes à être et à se mouvoir est soudainement recouverte d’un linceul.</p>
<p>En fille du récit, elle écrit, elle écrit pour témoigner ou être témoin pour écrire, elle écrit pour s’engager ou elle s’engage pour écrire, elle écrit, dans la société, les systèmes politiques, les fins et les commencements, les cultures et les identités comparées, elle écrit dedans et à côté du temps qui passe, elle écrit par ce que c’est vivre, elle écrit pour ne pas mourir. Elle verra se déverser cette violence des hommes insensés rugissant leur menace d’égorger tout le monde, jusque dans les couloirs de l’université. Elle voit, elle note, elle raconte, mais ne crie pas… Qu’était-elle venue faire dans cette affreuse chronique ?</p>
<p>Ses recherches à l’épreuve du réel, fouillant la littérature comme lieu de consignation de l’action humaine, investiguant des sujets n’appartenant pas aux questions classiques de la littérature, avaient largement préparé son regard à ne voir aucune nouveauté, mais une amère déclinaison des trajectoires secondaires assignées aux femmes dans l’histoire de toutes les sociétés. Elle passe son chemin. Et est nommée à l’Université de Lorraine et par un itinéraire des hasards qui n’en sont pas, prend la direction de la MSH. Une institution complexe, interne à l’université et externe à la fois, croisant les chercheurs et les disciplines autour de projets audacieux, de visions neuves, mais souvent perçue comme concurrente des laboratoires. Les candidatures pour le poste ne sont pas légion. Entretenue des difficultés de l’exercice, « la seule chose qui m’a retenue, c’est que c’était impossible », dira-t-elle captée par cette mise au défi. Elle veut raviver l’esprit de l’institution. En s’appuyant sur une équipe formidable, Sylvie Camet entreprend de pousser les cloisons et la mécanique des dossiers.</p>
<p><em>Connaissant la solitude des chercheurs, cette solitude indispensable à leurs travaux, à leur concentration, leur illusion de faire cavalier seul, elle veut faire de la MSH une véritable maison, un lieu de joutes oratoires et de confrontations stimulantes entre pairs, un lieu où il devient possible de croiser les approches, d’aiguiser les regards critiques.</em> </p>
<p>Sylvie Camet veut faire entrer les arts, les conférences ouvertes, le public, de l’air. Ces échanges qui font l’essence même des sciences humaines et sociales. Dans une époque où leur influence se dilue sous la pression économique favorisant les sciences dures, c’est ce dernier modèle qui s’impose universellement : un résumé drastique en mots-clés, en mots-pouvoirs étriqués, un fonctionnement calqué sur les laboratoires en salles blanches, qu’elle juge comme la majorité de ses pairs, parfaitement inadaptés.</p>
<p>Dans l’institution, elle est entrée comme dans une aventure, armée d’exigence pour elle-même, d’un souci constant de ne jamais démériter, refusant toute forme de compromission, de faiblesse et de bassesse, hélas si courante. Grande ouverte, sa sensibilité perlée bascule aux déceptions routinières en un regard de sphinx inflexible et désabusé. D’un mot d’une justesse élaborée, d’un sourire un peu trop appuyé, elle fixe et renvoie l’importun à la médiocrité de son verbiage. À la Maison des Sciences de l’Homme, elle offre en puisant dans une vaste collection de visages, un esprit sémillant, pointu et distingué, mû par un désir de toutes histoires, même fantaisistes, pour peu qu’elles portent étonnement, richesse et relations humaines naturelles.</p>
<p>Avant d’entrer en fonction, elle ignorait les qualités de son étoffe pour diriger une équipe et cette autre institution. Coutumière de cette solitude pensée, d’une liberté de recherche et d’écriture qui dessinent une carrière aux multiples sujets poursuivant une obsession unique. Sylvie Camet ignorait, si elle pouvait représenter et relier tous ces chercheurs qui revendiquent une appartenance à une discipline, à un courant, à un sujet. Écrivaine du monde, avant d’être enseignant-chercheure, et en ne revendiquant rien, mais en s’intéressant à tout, sans volonté de pouvoir, mais inclinée à faire, rarement institution interdisciplinaire n’avait peut-être porté à sa tête un occupant d’une place si ouverte à ce vent salutaire de liberté.</p>
<p>Pourtant, Sylvie Camet demeure pour elle-même un vivant mystère. Ses recherches portent sur la différenciation entre œuvres mineures et majeures, sur la valeur intrinsèque, les modalités de recensions sociales, tout ce qui fait au fond l’implacable vérité de ces deux mensonges : la gloire et l’accessoire. Dans cette exploration des itinéraires et des façons d’advenir au monde où d’en partir sans laisser trace, il en est des œuvres d’art comme du destin des femmes, une longue histoire d’héritage, une quête de nature originelle, en lutte avec toutes les contrefaçons du destin.</p>
<p>Lisez la suite de cet article en téléchargeant <a href="http://www.univ-lorraine.fr/sites/www.univ-lorraine.fr/files/documents/MSH2017/camet_sylvie.pdf">«Sylvie Camet, L’inconditionnelle»</a></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/89192/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Camet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les problématiques de l’identité, la définition de l’individu par rapport à certains groupes, autant de thèmes largement irrigués par un questionnement féministe profondément ancré dans son travail.Sylvie Camet, Professeure de littérature comparée, directrice de la MSH Lorraine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/889332017-12-14T00:05:23Z2017-12-14T00:05:23ZPortrait de chercheur : Gerhard Heinzmann, avant de devenir savant<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/198427/original/file-20171210-27674-1qns7os.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Gerhard Heinzmann.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro </a></span></figcaption></figure><p><em>Pour ses 10 ans, la <a href="http://msh-lorraine.fr/">Maison des Sciences de l’Homme Lorraine</a> a commandé à <a href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a> un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : <a href="http://www.msh-lorraine.fr/actualites/details/ouvrage-anniversaire-de-la-msh-l-archipel-des-possibles/">L’Archipel des Possibles</a>. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits</em>.</p>
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<p>« Dans une époque où l’on s’honore des titres de spécialistes, le mot a quelque chose d’un peu suranné. Pourtant, la masse de connaissances qu’il suppose n’a jamais été aussi vaste. Gerhard Heinzmann est de ces hommes rares qui surplombent le tissage de la pensée. Et en suit tous les fils à l’intuition de la trame. Un savant, le mot est lâché. Un savant qui produit de la pensée vivante inspirée par l’histoire des idées dans un effort continu de prolongement et de remise en question. Dans ses cours, on n’apprend pas la philosophie, on la fait. »</p>
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<p>Au sein du laboratoire des <a href="http://poincare.univ-lorraine.fr/">Archives Poincaré</a>, qu’il a fondé à un chapitre du roman de sa vie, les disciplines n’ont pas de pré carré. Elles échangent, se confrontent, se nourrissent et se réorientent. Et les chercheurs pour lesquels il est ce mentor modeste, cet initiateur discret dont le « ja » offre la conviction des directions prises, fonctionne à la façon des sociétés savantes d’autrefois, quand la curiosité, l’étonnement et le bouillonnement pouvaient encore renverser la table des dogmes et des chapelles.</p>
<p>L’hyperspécialisation est sans aucun doute une nécessité de la masse des connaissances acquises, mais elle porte en elle le cloisonnement et incline la recherche vers une démarche d’amélioration continue. Mais ce n’est pas le sens de l’histoire des sciences. Et ce n’est qu’une forme de croyance de siècle qui évolue et redécouvre l’interaction au son d’un mot nouveau : interdisciplinarité. Cependant, pour Gerhard Heinzmann les critères de scientificité ont toujours été les mêmes pour toutes les disciplines qui doivent mener ce dialogue. Cet échange qui permet de sauter dans l’inconnu et de voir autrement ce qui est devenu commun.</p>
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<p>« Son œuvre imposante sert une rationalité empirique, pragmatique, délestée des représentations spéculatives, et embrasse tous les sujets, ne subdivise que pour comprendre et toujours à dessein de faire fonctionner ensemble. »</p>
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<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/198426/original/file-20171210-27719-4pyubo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/198426/original/file-20171210-27719-4pyubo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/198426/original/file-20171210-27719-4pyubo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/198426/original/file-20171210-27719-4pyubo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/198426/original/file-20171210-27719-4pyubo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/198426/original/file-20171210-27719-4pyubo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/198426/original/file-20171210-27719-4pyubo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/198426/original/file-20171210-27719-4pyubo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Gerhard Heinzmann par Sébastien Di Silvestro (iwsy-face.com).</span>
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<p>Philosophe, logicien, mathématicien, fondateur des Archives Poincaré, de la revue <a href="http://journals.openedition.org/philosophiascientiae/"><em>Philosophia Scientiae</em></a>, membre de l’Academia Europaea, de l’European Academy of Sciences, ancien directeur de la <a href="http://www.msh-lorraine.fr">MSH Lorraine</a>, à l’origine de myriades de congrès, conférences, workshops, il noue aux quatre coins du globe un réseau de penseurs et d’idées. Comme il l’a toujours fait depuis son enfance à Fribourg où les soirées se passaient à sonner d’une maison à l’autre pour échanger, dans un contexte intellectuel très privilégié, d’une éminence à l’autre. Cette autre histoire, il l’a racontée des milliers de fois, puisque c’est celle qui le mène à la carrière.</p>
<p>À côté de chez ses parents se tenait une maison de l’Ordinariat, louée par l’Archevêché aux professeurs de Théologie. Entre cinq et dix ans, le jeune Gerhard Heinzmann avait l’habitude de jouer dans sa cour. Sauf que parfois, le professeur Linus Bopp, recevait un philosophe avec lequel il échangeait tout en déambulant. La cour lui était alors interdite. La stature de l’homme qui le privait de recréation l’impressionnait. Lui aussi voudrait être philosophe. Dix ans plus tard, il apprendra son nom : Martin Heidegger. Un nom, un lien de contradicteur qui reviendra frapper à sa porte à différentes étapes d’une vie somme toute miraculeuse.</p>
<p>Pragmatique, Gerhard Heinzmann dit avoir eu la chance de naître à un endroit et un moment ouvert aux vents porteurs. Au vrai, son parcours n’ira d’un point à un autre qu’à la rencontre des esprits parmi les plus brillants de son époque. Et dans différents mondes. Car la patine toute professorale, le lustre de la mesure du geste, dissimulent à peine une jeunesse engagée à gauche dans une Allemagne post-nazie, une jeunesse exaltée, qui est allée partout, qui a pris et donné des coups.</p>
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<p>« La bande à Baader, Lucie Aubrac, Nelson Goodman, Stanley Kubrick, Jean‑Paul Sartre, Kuno Lorenz, Jack Lang, Cedric Villani (avec lequel il a écrit un livre), figurent dans le désordre et parmi tant d’autres, dans le livre de ses souvenirs. »</p>
</blockquote>
<p>Un ouvrage de contributions internationales, intitulé <a href="https://hal.univ-lorraine.fr/halshs-00556236"><em>Construction</em></a>, un mot qui résume le sens et la fantastique arborescence de ses travaux, a été consacré à son œuvre. Dans ce récit, il sera essentiellement question d’une vie qui démontre une philosophie en mouvement, une philosophie de l’action qui lit et relie tous les sujets du monde. Dans la grande clarté.</p>
<p>Il ne sait pas pourquoi il raconte tout ceci et si c’est bien utile. Alternativement, son sourire fait exploser une lumière sèchement coupée de moments de réflexion qui plongent tout au fond d’un abîme de pensées synchrones. Comme s’il voulait être compris à coup sûr, ou par déformation professionnelle, Gerhard Heinzmann ne prononce que des phrases courtes à la découpe de son accent germanique, des énoncés dénués de la moindre ambiguïté.</p>
<p>Finalement, confiera-t-il à voix basse, en fin d’échange, la logique classique est peu utile pour la vie face à l’ignorance. Peut-être accepte-t-il alors de s’ouvrir sur son histoire si peu ordinaire pour qu’elle reste consignée quelque part, à la marge d’une œuvre que ces événements ont façonnée. Né en 1950 à Fribourg, Gerhard Heinzmann est un enfant de l’après. Du lendemain dans la grande catastrophe allemande.</p>
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<p>« Il appartient à cette génération de la reconstruction qui porte durement le poids de la honte, cherche à réinventer l’avenir tout en se démarquant des ombres de ce passé qui brûle encore. »</p>
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<p>Alors que le pays redémarre en menant un lourd et difficile travail d’introspection, formant tous ses enfants au rejet viscéral de l’horreur, d’anciens nazis, d’anciennes convictions du Reich démembré, se dissimulent à tous les étages de la société. Et parfois même au vu et au su de tous. Grandissant au milieu de ces puissants mouvements contraires, Gerhard Heinzmann n’aura de cesse de trancher d’avec cette insupportable équivoque, par l’engagement le plus profond. À 67 ans, l’évocation de chaque nom lié à ce pan d’histoire, est ponctué, tête baissée, la mine grave, des sceaux de l’infamie : « Nazi », « lui aussi était un fasciste ».</p>
<p>Comme tout Allemand de cette époque, l’écartèlement de la guerre s’est inscrit au cœur de sa propre famille. Son grand-père avait loué une maison à un député de gauche. Sans une hésitation, Gerhard Heinzmann cite une date : le 17 mars 1933, le député Christian Nußbaum tire à travers la porte et tue les « deux flics » qui étaient venus procéder à son arrestation. « C’était comme s’il hébergeait un terroriste », s’exclame-t-il. À dix-huit ans, sa mère se trouve alors fille au pair, loin de chez elle, en Italie, et ne reviendra en Allemagne qu’en 1937, pour voir les siens, où elle rencontre son futur époux, alors jeune procureur de trente ans. Peu après le mariage en 1938, son père a été envoyé au service militaire puis au front et ne reviendra qu’en 1947. « Personne ne reparlerait de cette période », dit Gerhard Heinzmann en refermant le chapitre obscur.</p>
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<p><em>Lisez la suite de cet article en téléchargeant <a href="http://www.univ-lorraine.fr/sites/www.univ-lorraine.fr/files/documents/MSH2017/heinzmann-gherard.pdf">« Gerhard Heinzman, avant de devenir savant »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/88933/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Au sein du laboratoire des Archives Poincaré] qu’il a fondé, les disciplines n’ont pas de pré carré. Portrait d’un philosophe, logicien et mathématicien à l’œuvre imposante.Gerhard Heinzmann, Professeur de philosophie, Université de LorraineSylvie Camet, Professeure de littérature comparée, directrice de la MSH Lorraine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/885252017-12-06T21:24:32Z2017-12-06T21:24:32ZPortrait de chercheur : Jérôme Dinet, navigateur de l’esprit en mouvement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/197352/original/file-20171201-5416-18ar4p6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jérome Dinet.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://iwsy-face.com">Sébastien Di Silvestro</a></span></figcaption></figure><p><em>Pour ses 10 ans, la <a href="http://msh-lorraine.fr/">Maison des Sciences de l’Homme Lorraine</a> a commandé à <a href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a> un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : <a href="http://www.msh-lorraine.fr/actualites/details/ouvrage-anniversaire-de-la-msh-l-archipel-des-possibles/">L’Archipel des Possibles</a>. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits.</em></p>
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<p>« À l’accord d’un positionnement scientifique, politique et idéologique, l’ensemble de ses travaux vise à mettre la technologie au service de l’humain. Combinant psychologie du développement et ergonomie, Jérôme Dinet mène des recherches théoriques et fondamentales, aux implications infinies, essentiellement à destination des publics les plus fragiles : les enfants et les personnes âgées. »</p>
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<p>Le rebond à la hausse des accidents mortels en milieu urbain fonde la nécessité d’une approche globale : « Puisqu’on ne peut pas modifier l’humain, il faut changer son environnement ». La portée de ses recherches s’inscrit dans une vision bien plus large d’une société vieillissante qui conduit à repenser la ville et tout le jeu des interactions pour lutter contre les phénomènes de perte d’autonomie et d’isolement. À l’aide de technologies virtuelles au réalisme bluffant, Jérôme Dinet peut plonger ses sujets dans des environnements à risques pour comprendre les comportements, les ressentis et en extraire une connaissance à même de présider à la conception de la ville du futur. Au cours de ses travaux, le chercheur a pu mesurer combien il était difficile pour des personnes âgées de se déplacer, de prendre le métro, de retirer son argent, qui sont autant de tâches quotidiennes qui deviennent complexes avec l’âge.</p>
<p>Au sein du <a href="http://www.msh-lorraine.fr/index.php?id=852">projet MSH « Prismupa »</a>, croisant les apports de l’architecture, du génie des systèmes industriels, du génie informatique (en automatique et traitement de signal), en géographie (physique, humaine, économique et régionale), en médecine, en psychogérontologie, en psychologie (clinique, sociale et ergonomique), il a pu conduire une vaste expérimentation permettant d’identifier les facteurs impliqués dans la perception des risques associés aux environnements urbains. Si la force de ce collectif interdisciplinaire permet de mesurer et de croiser objectivement nombres de paramètres scientifiques complexes, tels que la coordination sensori-motrice, les antécédents médicaux, la perception des risques, l’auto-évaluation des capacités métacognitives, les facteurs environnementaux des zones d’habitation, la complexité des parcours à effectuer, il dégage également une longue liste d’observations simples de problématiques quotidiennes appelant autant de réponses pratiques urgentes.</p>
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<p>« Explorer la ville par le regard d’une personne âgée. »</p>
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<p>Par exemple, pour les personnes à partir de 70 ans, les besoins physiologiques liés à l’âge ou encore les difficultés locomotrices constituent un vecteur de repliement dans des villes où le positionnement des commodités (toilettes publiques, bancs pour se reposer, etc.) n’a pas été pensé en maillage d’étapes. Dans cette étude, les spécialistes de la psychologie, de la géographie humaine, de l’architecture et de l’urbanistique, s’attachent à ce volet et à une perspective plus large pour réinventer des espaces plus sécurisants, comme les parkings ou les rues piétonnes. In fine, l’un des objectifs est de lutter contre « le sentiment d’insécurité » qui prédomine chez les personnes âgées qui finissent par s’isoler, alors qu’une action documentée sur les facteurs physiques et environnementaux peut leur rouvrir la ville, en jouant sur la « simple » présence de plantes, de surfaces agréables au toucher, de certains sons, d’images, de couleurs…</p>
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<span class="caption">Jérôme Dinet par Sébastien Di Silvestro (iwsy-face.com).</span>
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<p>En combinant les analyses comportementales, attitudinales et les techniques d’oculométrie (ou eyetracking), Jérôme Dinet et ses équipes peuvent aussi bien suivre les trajectoires physiques des individus que leurs explorations visuelles. La restitution de données numériques leur permet de voir combien de fois, combien de temps et selon quel trajet une personne explore visuellement son environnement afin d’en retirer autant d’informations quantitatives que subjectives. Ses recherches révèlent l’impuissance d’une prévention essentiellement descriptive, et expliquent pourquoi les personnes âgées ne suivent pas forcément les signaux, les feux et subissent des accidents mortels. Parce que le trajet est un effort pour toute personne vieillissante, et qu’accéder la boulangerie nécessite de traverser plusieurs voies (de bus, de voitures, de vélos…), et que le passage clouté est éloigné d’un nombre de pas trop durement compté…</p>
<p>Alors, quand Jérôme Dinet dit qu’il travaille à « rendre le monde plus vivable », profondément attaché à l’humain, sa parole ne relève en rien du slogan. Ses recherches font école à l’international et apportent des solutions recherchées aux États-Unis, en Suède, au Japon, et plus généralement dans tous les pays concernés par la sécurité. Dans une dynamique en plein essor et en fédérant des compétences de nombreux collègues tout aussi motivés que lui, il a créé un nouveau laboratoire qui ouvrira ses portes en janvier 2018 (le Laboratoire Lorrain de Psychologie et Neurosciences pour la Dynamique des Comportements ; 2LPN). Ses capacités exploratoires des navigations humaines, des ressentis, des comportements dans des environnements physiques reproduits dans des réalités virtuelles intéressent également les secteurs marchands, l’armée, et l’automobile autonome.</p>
<p>Pionnier reconnu dans son domaine, accaparé par ses recherches captivantes, Jérôme Dinet prend néanmoins le temps de faire des réunions d’information en milieu scolaire ou de répondre gracieusement aux questions qui lui sont posées sur la dangerosité des écrans ou tout autre sujet d’actualité qui nécessite le regard d’un psychologue sur des problématiques impliquant des interactions entre des individus et des environnements physiques ou numériques (par exemple, le cyberharcèlement). Cette activité qui lui coûte en temps et en argent, et non valorisable devant les institutions ou les collègues qui pourraient en rire, il la mène comme étant une partie primordiale de « son job ». Fonctionnaire vivant de l’argent public, Jérôme Dinet estime qu’être utile au plus proche constitue la moindre des choses et que tout chercheur se devrait de vulgariser et de porter ce qu’il fait auprès du grand public. Dans le même engagement, ses cours à l’Université se déroulent dans un échange ludique, vivant et font appel à la curiosité des étudiants.</p>
<p>Sociologiquement, Jérôme Dinet n’avait que très peu de chance d’accéder un jour à la fonction d’enseignant-chercheur. Et c’est sans aucun doute pourquoi il navigue avec tant de plaisir et d’aisance dans chacune de ses dimensions.</p>
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<p><em>Lisez la suite de cet article en téléchargeant <a href="http://www.univ-lorraine.fr/sites/www.univ-lorraine.fr/files/documents/MSH2017/dinet_jerome.pdf">« Jérôme Dinet, navigateur de l’esprit en mouvement »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/88525/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Psychologue du développement, il mène des recherches théoriques et fondamentales, essentiellement à destination des publics les plus fragiles : les enfants et les personnes âgées.Jérôme Dinet, Professeur en psychologie du développement, Université de LorraineSylvie Camet, Professeure de littérature comparée, directrice de la MSH Lorraine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/880512017-11-29T20:37:09Z2017-11-29T20:37:09ZPortrait de chercheur : Christophe Luxembourger, l’enfance de nos « et moi »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/196178/original/file-20171123-18029-oikces.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Christophe Luxembourger.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro/wsy-face.com</a></span></figcaption></figure><p><em>Pour ses 10 ans, la <a href="http://msh-lorraine.fr/">Maison des Sciences de l’Homme Lorraine</a> a commandé à <a href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a> un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : <a href="http://www.msh-lorraine.fr/actualites/details/ouvrage-anniversaire-de-la-msh-l-archipel-des-possibles/">L’Archipel des Possibles</a>. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits.</em></p>
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<p>« Qui suis-je ? Qu’est-ce que je fais là ? Comment je sais que c’est moi ? Lorsque l’enfant était enfant, il ne savait pas qu’il était enfant… Pourquoi suis-je moi et pourquoi pas toi ? Pourquoi suis-je ici et pourquoi pas là ?… Ce que je vois, entends, sens, n’est-ce pas l’apparence du monde devant le monde ?… Comment se fait-il que moi, qui suis moi, avant de devenir, je n’étais pas, et qu’un jour moi qui suis moi, je ne serai plus ce moi que je suis. »</p>
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<p>Des questions inaugurales. Parmi les toutes premières interrogations dans l’ordre de la connaissance. Comme elles semblent naturelles. Aller de soi. Comme il est attendu ce moment où l’enfant sort de l’indifférencié. Quand soudain, vers 3 ans, il s’élève de la ravissante bouillie de mots à la délicate singularisation du « je », puis se tient au sein du monde où il se représente et se reconnaît : « je me vois ». Et le monde avec lui. Cette expression d’apparence innée procède pourtant d’une longue construction cognitive avec inconnues.</p>
<p>En l’état des théories actuelles de l’esprit, l’émergence de la conscience réflexive pourrait plonger ses racines jusqu’au contexte et à l’environnement fœtal. Dès le départ « je » est une histoire unique. Un itinéraire fragile. Les maladies, les troubles et les environnements toxiques peuvent impacter sévèrement cette évolution. Au point que certains enfants n’apprennent pas à dire « je » et/ou ne se reconnaissent pas dans le miroir. Quand « je » est absent, il faut le dégager des décombres de l’histoire qui l’a enseveli et le réveiller de son silence.</p>
<p>Christophe Luxembourger, ex-enseignant en premier degré, puis psychologue scolaire, puis psychologue clinicien, docteur en psychologie, n’a pas choisi ce sujet par hasard. L’homme a toujours été au contact de l’enfance, proche de cette curiosité insatiable, de cette spontanéité rieuse qui préserve les siennes. Il aura même construit sa carrière pour trouver les outils permettant de répondre à ces besoins rencontrés sur le terrain. Avec celui de réparer. Symboliquement, son parcours présente de ces engagements semblables à ceux des prêtres-ouvriers qui s’impliquent auprès des familles et vont bien au-delà de la fonction.</p>
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<p>« Ses interrogations humaines et entêtées ne s’accommodent d’aucune réponse sèche. »</p>
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<p>Pour permettre à ces enfants de redevenir les acteurs du film de leur vie, Christophe Luxembourger a initié un vaste projet à la MSH. En collaboration avec d’autres psychologues et des spécialistes en informatique et traitement du signal des images, il a établi une échelle de développement, une référence qui faisait défaut jusqu’ici. Une méthode et une série de différents tests applicables en laboratoires ou en milieu scolaire qui permettent le repérage des enfants en difficultés.</p>
<p>Des résultats sont au rendez-vous. L’enseignant du premier degré sera allé au bout de son chemin en se construisant avec ce sujet qui répondait à un besoin primordial. Même s’il ne l’avoue qu’à mots pudiques, son regard embué de ces souvenirs de rejaillissement en exprime la gratification immense. Quand « je » réapparais, c’est un peu comme une nouvelle naissance.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/196177/original/file-20171123-18021-2ufv3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/196177/original/file-20171123-18021-2ufv3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/196177/original/file-20171123-18021-2ufv3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/196177/original/file-20171123-18021-2ufv3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/196177/original/file-20171123-18021-2ufv3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/196177/original/file-20171123-18021-2ufv3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/196177/original/file-20171123-18021-2ufv3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/196177/original/file-20171123-18021-2ufv3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Christophe Luxembourger, par Sébastien Di Silvestro.</span>
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<p>Au moment de signer l’autorisation de droit à l’image attachée à cet article, Christophe Luxembourger sourit. Il reconnaît la nécessité d’un formalisme qui pèse un peu sur ses propres expériences. Pour recevoir des enfants et leurs familles, pour avoir le droit de leur poser des questions, d’enregistrer les séances en vidéo, son Projet Emile (Enfant Miroir Identité Langage Énonciation) est soumis à une autorisation du comité de protection des personnes validant le respect des règles en matière de recherche psychologique. Un exercice d’équilibre fin, puisque la validation de ses entretiens est soumise au même protocole de testing qu’un médicament. Le comité évalue le caractère indésirable ou bénéfique des entretiens. L’absence de changement, d’impact, sous le large parapluie du principe de précaution. Pourtant, l’interaction provoquée par son expérimentation vise précisément un changement bénéfique qui pourrait tout autant se produire dans le champ de la vie quotidienne.</p>
<p>Christophe Luxembourger accepte ce poids administratif, mais en individu pratique, habité par sa mission, il en mesure l’impact en regard du nombre d’expériences menées, du nombre d’enfants et de familles à aider. Il fait confiance à sa propre éthique construite au fil d’un parcours en recherches d’outils, toujours en butte à des limites d’exercice, des cadres étriqués. Sa légitimité puise avant tout dans sa longue expérience de terrain.</p>
<p>Né à Saint-Avold dans une famille de mineurs, Christophe Luxembourger est un enfant curieux de tout, de son environnement propice à l’observation du conditionnement social. Pendant les vacances, il travaille dans les fermes, dans les mines de Forbach et remonte du trou la gueule noire du charbon qui fait l’histoire de la région. Enseignant « parce que c’est un beau métier de s’intéresser aux enfants », il est avec eux dans l’échange, l’humour, la légèreté et l’attention profonde. Il s’engage également dans un institut de jeunes sourds et apprends la langue des signes. La structure est modeste, familiale. Elle accueille beaucoup d’enfants de Verdun qui cumulent les problèmes sociaux et psychologiques. Ici, déjà, Christophe a beaucoup à faire avec les parents qu’il visite chez eux autant par simplicité de la démarche que pour comprendre et mesurer le contexte familial.</p>
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<p>« Son obstination à répondre efficacement aux besoins de jeunes en difficultés l’aura systématiquement placé et à la marge professionnelle et au cœur du sujet. »</p>
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<p>Qu’il s’agisse de handicap ou d’autres difficultés, il ne comprend pas pourquoi certains « gamins intelligents » ne réussissent pas à l’école. Sans relâche, Christophe s’interroge sur chaque cas et cherche à comprendre « pourquoi ça ne fonctionne pas ». Ce qui le pousse à reprendre des études en psychologie pour exercer en milieu scolaire. Toutefois, l’apprentissage de la relation entre psychologie et éducation ne lui suffit pas, il veut pouvoir remonter à la source de chaque histoire. Il entreprend alors un cursus de psychologue clinicien, puis de psychopathologie à Paris et enchaîne sur l’étude du langage et sur un DEA psychosocial. Pour reconstituer les causes d’un dysfonctionnement à partir des énoncés des enfants.</p>
<p>C’est donc tardivement, en 2008, qu’il achève sa thèse sur « Estime de soi, identité langage et logique interlocutoire. Reconnaissance de soi et système identitaire ». Avec ces études en poche, Christophe Luxembourger n’aura jamais à fournir de solution monobloc inopérante. À l’inverse, il pourra tresser les fils de sa compréhension d’un vaste champ de déterminants. Paradoxalement, ce parcours de terrain ne correspond pas au modèle de l’universitaire idéal, hyper spécialisé et publiant sur une constellation de sujets à vitesse de croisière. Pas plus qu’au profil de psychologue scolaire, métier qu’il a abandonné assez vite et de guerre lasse d’avoir toujours à défendre sa manière de travailler plutôt que de remplir pleinement son rôle d’aidant.</p>
<p>Étrangement, son obstination à répondre efficacement aux besoins de jeunes en difficultés l’aura systématiquement placé et à la marge professionnelle et au cœur du sujet. Aujourd’hui dans la recherche, il s’épanouit et publie. Particulièrement au sein d’EMILE, ce projet MSH qui pour la première fois au long d’une carrière construite dans un but unique cumule les compétences interdisciplinaires, la technologie et les autres moyens d’investiguer globalement l’histoire et les besoins d’un enfant.</p>
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<p><em>Lisez la suite de cet article en téléchargeant <a href="http://www.univ-lorraine.fr/sites/www.univ-lorraine.fr/files/documents/MSH2017/luxembourger_christophe.pdf">« Christophe Luxembourger, l’enfance de nos “et moi” »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/88051/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Christophe Luxembourger, ex-enseignant en premier degré, puis psychologue scolaire, puis psychologue clinicien, docteur en psychologie, n’a pas choisi ce sujet par hasard.Christophe Luxembourger, Psychothérapeute, chercheur, Laboratoire de recherche InterPsy, Université de LorraineSylvie Camet, Professeure de littérature comparée, directrice de la MSH Lorraine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/878132017-11-22T21:34:42Z2017-11-22T21:34:42ZPortrait de chercheur : Nejmeddine Khalfallah, langue arabe : le renouveau par les mots<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/195484/original/file-20171120-18538-1rlx867.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Nejmeddine Khalfallah.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://iwsy-face.com">Sébastien Di Silvestro</a></span></figcaption></figure><p><em>Pour ses 10 ans, la <a href="http://msh-lorraine.fr/">Maison des Sciences de l’Homme Lorraine</a> a commandé à <a href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a> un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : <a href="http://www.msh-lorraine.fr/actualites/details/ouvrage-anniversaire-de-la-msh-l-archipel-des-possibles/">L’Archipel des Possibles</a>. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits.</em></p>
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<p>« Moderniser la langue, c’est moderniser la vision du monde. »</p>
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<p>En arabe littéral ancien, <em>’Ayn</em> ne possède pas moins de 30 sens. Le ‘ayn, c’est l’œil, et donc également l’espion, mais également la source, puisqu’elle est l’œil de la terre, mais aussi par extension le cash, l’argent et donc le notable, l’or… Cette polysémie pléthorique caractérise l’arabe littéral, matrice de tous les textes passés et contemporains. Cette norme écrite provient à l’origine d’un parler transdialectal de l’Arabie antique. Outre d’immenses richesses de mémoires écrites, formant son patrimoine classique, cette langue connaîtra un événement linguistique majeur qui la fixe au travers de l’avènement du Coran.</p>
<p>Alors que l’arabe représente l’une des grandes langues internationales, l’écrit millénaire diffère fortement de l’arabe dialectal, le parler quotidien de la rue. Néanmoins, c’est uniquement au travers de sa forme littérale, que peuvent s’exprimer par l’écrit tous les pays arabophones dont les locuteurs textuels doivent jongler avec ce trésor muséalisé pour traduire les concepts de la modernité, du droit, de la politique, des technologies, de la mode… Un exercice de haute voltige particulièrement significatif pour la presse qui mène au quotidien cet éternel combat philosophique des mots contre les mots, pour en faire jaillir une pensée limpide et transmissible.</p>
<p>Nejmeddine Khaffalah mesure mieux que quiconque l’ampleur et les difficultés culturelles de cette colossale entreprise de modernisation. Maître de conférences en linguistique et civilisation arabe, il a entamé cet immense travail entre linguistique, droit, littérature, didactique et néologie, semble-t-il, depuis toujours. Dès l’enfance.</p>
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<p>« Mais il entre dans la carrière par une thèse de 502 pages sur “La théorie du sens d’après ‘Abd al-Qāhir al-Ğurğānī”, thèse où il sur penche sur l’unique penseur arabe classique à avoir abordé une réflexion essentielle à tous les domaines de l’expression écrite en questionnant le concept de ma’nā que l’encyclopédie de l’Islam définit comme étant à la fois : la grammaire, la philosophie et la poésie. »</p>
</blockquote>
<p>La clé de lecture structurelle étant elle-même à déchiffrer, Nejmeddine Khalfallah n’aura de cesse d’en établir les logiques pour raccorder les sens à une ère contemporaine qui en a profondément besoin. Il publie beaucoup, dont des ouvrages pédagogiques tels que <em>Les 50 règles incontournables de l’arabe</em>, participe à nombre de colloques, enseigne à Orléans, à la Sorbonne, à Polytechnique, en école de commerce, à l’Institut des langues orientales, à Sciences Po.</p>
<p>Animé par la flamme d’une passion authentique pour les mots et les langues, en érudit de la pensée, il construit des ponts entre les époques et les mondes qui l’ont fait grandir et devenir l’homme qu’il est. Comme une invitation à le rejoindre dans cette compréhension qui rassemble sans jamais dénaturer. Une main tendue d’un côté et de l’autre de la Méditerranée.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/195792/original/file-20171122-6061-1g9lqfb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/195792/original/file-20171122-6061-1g9lqfb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/195792/original/file-20171122-6061-1g9lqfb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/195792/original/file-20171122-6061-1g9lqfb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/195792/original/file-20171122-6061-1g9lqfb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/195792/original/file-20171122-6061-1g9lqfb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/195792/original/file-20171122-6061-1g9lqfb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/195792/original/file-20171122-6061-1g9lqfb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Nejmeddine Khalfallah, par Sébastien Di Silvestro (https://iwsy-face.com/).</span>
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<p>L’homme, une hauteur physique, a ces élégances orientales de maintien et de chaleur, de manières accortes, un vernis de respect des autres et de lui-même, mettant en relief les intentions les plus franches. Chacune de ses phrases charrie des mots précis, des mots subtils, des mots en cascades, des mots de vérités mesurées, tressant la dentelle d’une pensée de chacun de ces fils, pour en offrir tous les motifs et donner tout à comprendre dans une limpidité étoffée.</p>
<p>Naturellement, son statut d’intellectuel en fait un héritier des splendeurs de l’Islam classique, si mal connues et trop souvent absentes de la mémoire collective de cette rive de la mer, mais le chercheur se refuse tout discours apologique. Même pour combler ces lacunes d’un hexagone essentiellement instruit des périodes coloniales et suivantes.</p>
<p>Car, d’un pied dans chaque monde il sait que tout discours dans ce sens pourrait servir d’alibi, aux idéologies qui utilisent ces moments d’apogée de l’histoire pour condamner le présent et s’enfermer dans un communautarisme. Soucieux de ces étudiants qu’il repère fragiles, Nejmeddine Khalfallah suit une voie d’entre-deux.</p>
<p>Chercheur, évoluant exclusivement dans la pensée critique, il explique inlassablement que l’arabe s’est aussi développé, comme nombre de langues, des apports du grec, du latin, de l’hébreu et de l’araméen. Ne jamais cacher l’histoire, mais ne jamais l’amplifier. Sur cette ligne seulement, et avec tout ce qu’elle doit contenir d’exigence de soi-même face aux uns comme autres, Nejmeddine Khalfallah peut envisager de mener ses recherches, dont les mécaniques s’insèrent ici et là, pour élargir et éclairer la vision de tous.</p>
<p>Ce vaste travail, Nejmeddine Khalfallah l’a débuté dès l’enfance, à Monastir, en Tunisie. Issu d’une famille de notables religieux étudiant le droit musulman depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, son grand-père avait reçu une formation classique à la grande mosquée de La Zaytūna. Étudiant brillant, il fut l’auteur de quinze ouvrages. Nejmeddine Khalfallah baigne dès son plus jeune âge dans le droit musulman, le soufisme, les sciences linguistiques, la terminologie des dictionnaires. À la mort de ce grand-père, le fils hérite de cette précieuse bibliothèque.</p>
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<p>« En pleine période de colonisation, se procurer des livres, alors imprimés en Égypte et en Inde, relevait de la gageure. »</p>
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<p>Sans autre source adaptée à l’enfance, pour faire l’éducation de son fils, le père de Nejmeddine Khalfallah lui demande de chercher des mots dans les dictionnaires anciens. Plongé dans ces vénérables ouvrages, il découvre le sens des mots, les strates et cette fabuleuse polysémie qui plantent en lui les graines d’une passion qui ne fera que grandir. Pendant ses études à la Faculté des Lettres et Sciences humaines à Sousse, puis à Tunis, puis en France à l’INALCO, à l’EHESS, il se confronte aux méthodes françaises et aux contraintes de la recherche avec spécialité et donc à tous les piliers de la sémantique moderne. L’étudiant vit alors entre deux mondes, deux références opposées que rien n’unit de prime abord. Issu d’une tradition savante, Nejmeddine Khalfallah, tente de mélanger un peu tout, en cherchant un domaine lui permettant d’englober les méthodologies correspondant à ses recherches.</p>
<p>Agacé par les anciens dictionnaires arabes truffés de mots abscons, de références obscures sans rapport avec la réalité de la Tunisie des années 90, il décide, par ce sentiment de décalage entre termes archaïques et réalité, de travailler sur la terminologie juridique, associant le droit à la lexicologie. Ce choix d’un littéraire désireux de travailler sur les aspects normatifs du droit, révèle déjà l’intention d’utilité de ses travaux. Alors que les lexicographes partaient dans de lointaines escapades en Syrie, à Bagdad ou Yémen pour rechercher le sens des mots anciens, à ajouter aux encyclopédies phénoménales du X<sup>e</sup> siècle, Nejmeddine Khalfallah emprunte la voie de la néologie légitimée par une approche juridique. Car, explique-t-il, le droit pénal musulman est qualifié de sévère et le sens d’un mot, quand on applique une peine, revêt tout à coup un caractère beaucoup plus dangereux. À l’époque, une personne pouvait être punie pour avoir tenu des propos diffamatoires. En droit, la notion implique une nuisance faite à la notoriété. Cependant, les juristes étaient perplexes. Le terme de l’arabe classique <em>gdaf</em> qui est utilisé pour « diffamatoire » signifiait jeter, lancer une pierre. Dès lors, comment qualifier le propos ? Quelle pierre ? Qu’est-ce qu’une pierre ? Tous les propos sont-ils diffamatoires ? L’étymologie française en est d’ailleurs assez proche : diffamer, lancer des pics. Après maintes recherches, Nejmeddine Khalfallah découvre que seuls les propos accusant de crimes sexuels seraient diffamatoires. Preuve qu’une polysémie anodine pouvait avoir de graves conséquences.</p>
<p>Nejmeddine Khalfallah mène actuellement des recherches sur les transformations de la sémantique des mots du droit religieux vers un droit positif, dans le but de montrer cet effort de laïcisation sémantique appelé à produire les termes et les notions clés d’un droit positif laïque et contemporain.</p>
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<p><em>Lisez la suite de cet article en téléchargeant <a href="http://www.univ-lorraine.fr/sites/www.univ-lorraine.fr/files/documents/MSH2017/khalfallah_nejmeddine.pdf">« Nejmeddine Khalfallah, Langue arabe : le renouveau par les mots »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/87813/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Animé par la flamme d’une passion authentique pour les mots et les langues, en érudit de la pensée, il construit des ponts entre les époques et les mondes qui l’ont fait grandir.Nejmeddine Khalfallah, Maître de conférences, arabe, Université de LorraineSylvie Camet, Professeure de littérature comparée, directrice de la MSH Lorraine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/872332017-11-15T20:04:40Z2017-11-15T20:04:40ZPortrait de chercheur : Martina Schiavon, L’Appel du bureau des longitudes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/194032/original/file-20171109-13351-14lscvf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Martina Schiavon par Sébastien Di Silvestro (https://iwsy-face.com/) </span> </figcaption></figure><p><em>Pour ses 10 ans, la <a href="http://msh-lorraine.fr/">Maison des Sciences de l’Homme Lorraine</a> a commandé à <a href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a> un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : <a href="http://www.msh-lorraine.fr/actualites/details/ouvrage-anniversaire-de-la-msh-l-archipel-des-possibles/">L’Archipel des Possibles</a>. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits.</em></p>
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<p>« Elle éprouve une fascination solaire pour l’éclat du métal mat, les vieilles photos en pied de scientifiques-militaires et marins décorés d’aventures, les mécaniques de précision reléguées qui racontent encore les déserts de poussière, les pôles, les mers, la terre, les avancées et le moteur de la guerre, pour toutes ces tentatives des hommes d’une autre époque et d’un regard révolu, qui, ensemble, chacun à sa place, recherchaient les savoirs, les techniques et les instruments qui répondraient aux besoins d’expansion de leur temps ».</p>
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<p>À l’histoire officielle de l’académie des sciences, aux découvertes illustres et autres tableaux napoléoniens définitifs, Martina Schiavon préfère la patiente reconstitution du réel parcouru d’idées, d’essais, de croisements, de réussites et d’échecs qui formulent le véritable récit de l’évolution des sciences et techniques. De sa voix vivace comme les eaux du Livenza (un important fleuve de l’Italie), elle emporte son auditoire dans l’effervescence des Sociétés de Physique, de Mathématique, de Géographie, des écoles Polytechnique, Normale, de l’Institut de France… du XVIII<sup>e</sup> au XX<sup>e</sup> siècle. Elle ressuscite les groupes, les personnages, les réseaux et leurs instruments oubliés dans leur contexte anthropologique pour donner à comprendre comment se pensait « in situ » la science et pour quel besoin, à un moment donné. En suivant les progressions de terrains, des colonies aux montagnes d’Italie, dont la configuration explique chaque décision, jusque dans les ateliers des artistes-artisans, fabricants d’objets uniques qui marquèrent l’histoire du seul poinçon de leur exigence. Dans ces chroniques des temps modernes, chaque rouage compte.</p>
<p>Cette passion curieuse pour la microhistoire a dévié Martina Schiavon d’une carrière tracée de physicienne magnétiquement happée par le besoin de comprendre comment co-naissent les découvertes. Aujourd’hui maître de conférences en épistémologie, histoire des sciences et des idées, membre statutaire du laboratoire d’histoire des sciences et de philosophie des Archives Poincaré, cette lauréate du prix d’histoire militaire de thèse du Ministère de la Défense est également membre de la commission d’histoire de la géodésie et de la géophysique, ainsi que du conseil consultatif du bureau des longitudes. Un prestigieux cabinet d’histoire, créé par une loi de la Convention nationale du 7 messidor An III (25 juin 1795) après audition d’un rapport de l’Abbé Grégoire.</p>
<p>Fondé à l’origine pour « reprendre la maîtrise de la mer aux Anglais par l’amélioration de la détermination des longitudes en mer » et pour être « chargé de la rédaction de la Connaissance des Temps et du perfectionnement des tables astronomiques » avec les observatoires de Paris et de l’école militaire, le Bureau des Longitudes prenait « tous les instruments qui appartiennent à la Nation », sous sa responsabilité. Au XIX<sup>e</sup> siècle, il connaîtra un nouvel essor avec la réalisation des éphémérides par son « Service des Calculs » et mènera de grandes expéditions scientifiques, dont les mesures géodésiques qui feront du mètre une invention française. Son influence grandit tout au long du XX<sup>e</sup> siècle avec la fondation du Bureau International de l’Heure en 1919, du Groupe de Recherches en Géodésie Spatiale en 1971 et du Service International de la Rotation de la Terre en 1981.</p>
<p>Martina Schiavon signe son entrée dans la carrière et dans le projet de l’institution avec une thèse au titre limpide : <em>Itinéraire de la précision</em>. Une tout autre et captivante histoire. Celle de la mesure de l’homme, de ses jalons, de ses progrès, de sa longue marche, de la balle de revolver aux étoiles.</p>
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<p>« À la Révolution, les mesures subjectives avaient fait leur temps ».</p>
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<p>Le corps, les coudes et les pouces pouvaient permettre de vendre une étoffe avec une part variable à concurrence de la longueur du membre, mais pas à un État d’imposer des taxes justes. Martina Schiavon plante le décor de sa recherche dans le milieu des Géodésiens, des savants et fabricants d’instruments de précision en France entre 1870 et 1930. Tout au long du XVIII<sup>e</sup> siècle, le Bureau des Longitudes avait diligenté des expéditions en Laponie, en Équateur et en France où Jean‑Baptise Joseph Delambre fut chargé de mesurer par un système de triangulation et d’outil astronomique, la distance de Rodez à Dunkerque.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/194031/original/file-20171109-13323-11p9h93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/194031/original/file-20171109-13323-11p9h93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/194031/original/file-20171109-13323-11p9h93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/194031/original/file-20171109-13323-11p9h93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/194031/original/file-20171109-13323-11p9h93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/194031/original/file-20171109-13323-11p9h93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/194031/original/file-20171109-13323-11p9h93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/194031/original/file-20171109-13323-11p9h93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Martina Schiavon par Sébastien Di Silvestro (https://iwsy-face.com/).</span>
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<p>Le mètre, soit le 40 000 000<sup>e</sup> de l’arc du méridien de la terre fut défini au-delà de nombreuses controverses scientifiques et révisions ultérieures. « Cette une très jolie définition parce qu’on prend une unité naturelle comme référence que personne ne peut discuter. A contrario avec le yard, les Anglais se dotaient d’une mesure chargée de relations mystiques puisqu’elle découle de la pyramide de Khéops. Ce qui était impossible dans une France attachée à la séparation entre science et croyance », analyse Martina Schiavon avec une égale curiosité pour les deux options.</p>
<p>La seule définition du mètre, fierté tricolore qui commence à être utilisée des Pays-Bas au Canada entre 1816 et 1871, ne sert à rien pour l’industrie et l’armée. Pour fabriquer des projectiles avec une certaine tolérance, dans toute la France en vue d’un assemblage à Paris, il leur faut développer des multiples et sous-multiples du mètre. Les militaires seront donc les premiers à adopter et à pousser au développement de cette mesure objective. Martina Schiavon déplore :</p>
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<p>« En France, l’histoire est assez particulière avec une appellation de collaborateurs qui pointe en réalité des militaires. Mais qu’il s’agisse de scientifiques de laboratoires ou de ces collaborateurs, tous sortaient de Polytechnique. Et ils étaient de niveau scientifique égal même si les livres d’histoire ne parlent que des scientifiques avec un distinguo caricatural entre ceux qui travaillent pour le bien et les autres pour la recherche d’applications guerrière. »</p>
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<p>Remontant le fil de son intrigue, elle découvrira que nombre d’Académiciens des Sciences en mathématique, géographie et navigation du XIX<sup>e</sup> siècle appartenaient à l’armée. La différenciation en deux corps ne s’opérerait progressivement qu’après les deux guerres mondiales. Martina Schiavon entreprend alors des recherches plus focalisées sur ces relations inexplorées.</p>
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<p>« Elle découvre que des ingénieurs militaires travaillent dans les laboratoires avec un statut très particulier ».</p>
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<p>Et ce sont eux qui assurent le rôle d’intermédiaire avec les fabricants d’instruments de précision, passés sous silence de l’histoire officielle qui les cantonne à un rôle de simples exécutants alors qu’ils constituaient de véritables partenaires de la chaîne scientifique. Leurs extraordinaires réalisations en faisaient des artisans-artistes conservant jalousement leurs secrets. Martina cite pour exemple le théodolite, un instrument de géodésie complété d’un instrument optique essentiel en topographie et en ingénierie. « Les vis et les pas de vis de cet instrument étaient calculés spécifiquement pour cet objet. Emporté par des militaires sur des terrains comme l’Algérie ou l’Amérique du Sud, si l’instrument se casse, le seul moyen d’intervenir dessus est de le ramener à son fabricant à Paris », s’exclame Martina considérant chacun de ces objets comme une archive de ces savoirs-faire et relations nouées dans un but précis.</p>
<p>Si la France possède la culture de l’objet unique et des réseaux créatifs centralisés plaçant à proximité géographique de l’académie des sciences nombre de sociétés de toutes les disciplines, fréquentées à l’envi par les uns et les autres, l’Allemagne suit (déjà) une tout autre logique. Bismarck entend placer les industriels sous une forme de dépendance économique. Après 1870, ces derniers devront présenter à Berlin leurs instruments pour tests et calibrages tout en répondant à une méthodologie de fabrication. Ainsi, ouvre-t-il la voie à la standardisation et à la production en série.</p>
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<p><em>Lisez la suite de cet article en téléchargeant <a href="http://www.univ-lorraine.fr/sites/www.univ-lorraine.fr/files/documents/MSH2017/schiavon_martina.pdf">« Martina Schiavon, L’Appel du bureau des longitudes »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/87233/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Sa passion curieuse pour la microhistoire a dévié Martina Schiavon d’une carrière tracée de physicienne magnétiquement happée par le besoin de comprendre comment co-naissent les découvertes.Martina Schiavon, Maître de conférences HDR en épistémologie, histoire des sciences et des idées, Université de LorraineSylvie Camet, Professeure de littérature comparée, directrice de la MSH Lorraine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/867902017-11-08T21:56:16Z2017-11-08T21:56:16ZPortrait de chercheur : Samuel Nowakowski, Ressource humaine<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/192996/original/file-20171102-26430-yifow4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Samuel Nowakoswki par Sébastien Di Silvestro</span> </figcaption></figure><p><em>Pour ses 10 ans, la <a href="http://msh-lorraine.fr/">Maison des Sciences de l’Homme Lorraine</a> a commandé à <a href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a> un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : <a href="http://www.msh-lorraine.fr/actualites/details/ouvrage-anniversaire-de-la-msh-l-archipel-des-possibles/">L’Archipel des Possibles</a>. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits.</em></p>
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<p>« C’est un électron libre penseur. Un “deep learner” créatif et collaboratif dont l’histoire et les engagements sourcent l’évolution des TIC des vingt dernières années qu’il parsème de premières cadencées à haute fréquence. »</p>
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<p>Pionnier des usages du numérique, créateur de la première mise en réseau d’écoles françaises à Saint-Dié-des-Vosges en 1995, il a été le premier à posséder une ligne ADSL, à concevoir le premier département multimédia pour les chaînes thématiques du Groupe Canal Plus, à initier une des premières sociétés développant des architectures sous Linux pour les scolaires… Chacun de ces « hits » contribue à élargir un réseau qui le propulse au cœur de la matrice (<em>tu veux un cookie ?</em>) : il rencontre Steve Jobs qui l’invite dans le Saint des Saints à Cupertino pour travailler sur les briques du premier iMac. Il voyage et travaille avec les équipes de Silicon Graphics… Samuel Nowakowski vit alors un âge d’or, une synchronicité avec l’Annonciation d’un siècle numérique qui allait devenir le monde.</p>
<p>Autre étage, ses recherches actuelles s’articulent toutes autour de problématiques d’éducation et de systèmes accompagnants non intrusifs. Notamment au sein de la MSH, avec un projet baptisé ADN ou comment l’être numérique, démultiplié, dans un écosystème numérique peut modifier les processus d’apprentissage, réinventer utilement le rapport au savoir, à la mémoire, dans un environnement pédagogique adapté… Parce qu’en devenant le monde, le numérique en a déplacé l’axe et qu’il convient de dégager les nouvelles bonnes pratiques pour en tirer les avantages attendus.</p>
<p>Il faut dire que le logiciel idéologique de Samuel Nowakowski puise dans la littérature d’anticipation et les mouvements issus des années 70 qui envisageaient les technologies du futur comme un moyen de libérer l’homme, de revoir les hiérarchies, de générer de nouvelles formes de collaborations (<em>encore un cookie ?</em>). Les technologies doivent servir l’homme et non l’asservir. Alors si Samuel gratte du « welcome to the machine », ses travaux sur l’errance numérique, entre mathématiques et philosophie, replacent systématiquement l’homme au centre, pour lutter contre tous les phénomènes d’ubérisation qui relèguent l’homme à un statut d’agent périphérique. Pour lui, le défi actuel est bien celui d’une reconquête humaine. « Pour que le rêve d’une génération ne devienne pas le cauchemar de la suivante ». Partout, dans les Ateliers des possibles, à la radio, Samuel s’investit pour nourrir ce qui peut et doit exister de meilleur. Au nom du vieux rêve (<em>on va faire attention avec les cookies</em>). Son chant des patriotes de l’universel numérique est un chant de joie, un hymne volutionaire.</p>
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<p>« Il a le profil de ces hommes d’entre deux siècles. »</p>
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<p>De ceux qui ont rêvé et vu naître une ère nouvelle. Un rêve de toiles devenu la source de tous les possibles, de tous les profits, de tous les enjeux. « Original Geek ». Dans les années 80, ton goût de la technologie, de l’épopée, de la science-fiction d’Asimov et de Gibson, des jeux de rôles, de tout ce romantisme un peu foutraque qui deviendrait un nouvel humanisme, faisait de toi une sorte de marginal. Et en 30 ans, du fond de la classe et des garages tu as supplanté l’Ancien Monde et construit les nouvelles règles et les multinationales. En le reliant, tu as fait entrer tout le monde dans celui qui était le tien. Pendant que TF1 diffuse du Marvel à 20 h 50, et que nombre de tes choix présélectionnés sont à la demande et le monde au bout de tes doigts, et inversement, parfois tu t’interroges, sur l’ère de l’information, avec le même effroi, qu’avant toi, ceux de l’atome, du terrifiant pouvoir de tout relier et inversement.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/192997/original/file-20171102-26438-1boc795.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/192997/original/file-20171102-26438-1boc795.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/192997/original/file-20171102-26438-1boc795.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/192997/original/file-20171102-26438-1boc795.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/192997/original/file-20171102-26438-1boc795.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/192997/original/file-20171102-26438-1boc795.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/192997/original/file-20171102-26438-1boc795.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/192997/original/file-20171102-26438-1boc795.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Samuel Nowakowski par Sébastien Di Silvestro https://iwsy-face.com/.</span>
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<p>Ses élèves lui vouent une sorte de culte détendu. Parce qu’il les autonomise, les respecte et crée les conditions d’un développement qui leur est propre. Parce que sa pédagogie répond aux exigences de leur génération. Peut-être aussi parce qu’il leur ressemble plastiquement, avec ses gros pulls, ses baskets, cette barbe de trois jours qui lui confèrent de faux airs d’éternel étudiant. Mais il ne faut pas s’y tromper. S’il joue de la guitare et soutient dans ses « nowakowskismes » radiophoniques que la culture numérique et de l’Internet demeure punk par essence brute, c’est que pour lui l’informaticien doit se faire philosophe, réintégrer le sens premier dans les nouveaux outils.</p>
<p>Sa culture est encyclopédique. Ses postulats, nourris. Derrière l’arrondi de ses lunettes brille une exigence que rien n’adoucit. Une accroche rageuse. Cultivée ou non, sa ressemblance avec Steve Jobs demeure assez singulière. Le parallèle est aisé, au sein de l’Université, ses cours en Info-Com constituent une véritable révolution. L’automaticien s’y est fait prophète (<em>le dormeur doit se réveiller</em>), a réussi avec la structure des automatismes là où les communautés des années 70 ont échoué. Son programme baptisé <a href="https://theconversation.com/elie-ou-comment-inverser-le-rapport-au-savoir-66791">ELIE (environnements collaboratifs en ligne)</a> qui emprunte aux trois lois de la robotique du bon docteur Asimov, constitue une expérience initiatique soft qui engage par ces commandements :</p>
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<p>« Toi étudiant, toi enseignant qui rejoint ELIE, ces 4 lois tu respecteras : coconstruire ELIE en 7 séances. Être présent à toutes les séances. Répondre aux objectifs d’ELIE. Organiser le commun. »</p>
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<p>Fini le cours magistral, avec cette structure primaire Samuel Nowakowski se pose en ressource d’une démarche collective qui se construit efficacement. Les étudiants s’organisent, se coordonnent, deviennent acteurs, et se constituent en sous-groupes répondant aux sous-objectifs pédagogiques. Les participants se dotent librement d’outils pour répondre à leurs besoins et s’évaluent in fine entre pairs. Visiblement, ce programme développe l’autodétermination, la confiance, l’engagement, le bien-être, tout en constituant une expérimentation de socioconstruction, de conscientisation de ses déterminants comme de l’usage des outils. Une démarche qui permet d’apprendre et d’apprendre à apprendre. « Do it yourself », fais le toi-même, plus qu’un leitmotiv, une réponse au besoin d’interaction permanente d’une jeunesse hyperconnectée.</p>
<p>Le programme représente également une formule adaptée aux problématiques d’un enseignement international qui se doit de prendre en compte toutes les cultures des étudiants au sein d’un même cours. Dans sa grotte ergonomique, ELIE, sorte « d’école des prophètes numériques », propose une formation de conscience au savoir-être et au savoir-faire pour des jeunes amenés à travailler en groupe dans un environnement dématérialisé. Injecter de la conscience dans la borne passante, se réapproprier les possibles, reprendre l’architecture des méthodes et redistribuer les savoirs constitue une problématique brûlante des technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE), autant qu’un projet politique ancré à la racine. Reboot <em>.</em></p>
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<p><em>Lisez la suite de cet article en téléchargeant <a href="http://www.univ-lorraine.fr/sites/www.univ-lorraine.fr/files/documents/MSH2017/nowakowski_samuel.pdf">« Samuel Nowakowski, Ressource humaine »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86790/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Portrait d’un électron libre penseur. Un « deep learner » créatif et collaboratif dont l’histoire et les engagements sourcent l’évolution des TIC des 20 dernières années.Samuel Nowakowski, MCF en Humanités numériques, Université de LorraineSylvie Camet, Professeure de littérature comparée, directrice de la MSH Lorraine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/859352017-11-01T22:54:44Z2017-11-01T22:54:44ZPortrait de chercheurs : Manuel Rebuschi et Maxime Amblard… systématique du chaos<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/190833/original/file-20171018-32358-178a08s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manuel Rebuschi / Maxime Amblard par Sébastien Di Silvestro.</span> </figcaption></figure><p><em>Pour ses 10 ans, la <a href="http://msh-lorraine.fr/">Maison des Sciences de l’Homme Lorraine</a> a commandé à <a href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a> un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : <a href="http://www.msh-lorraine.fr/actualites/details/ouvrage-anniversaire-de-la-msh-l-archipel-des-possibles/">L’Archipel des Possibles</a>. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits.</em></p>
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<p>« Une schématique de la folie ? Pas tout à fait et bien plus. Un exercice aux limites de la compréhension. Une exploration des lois qui sous-tendent en pointillés les règles universelles des actes de paroles censés établir la structuration de la raison. Ils s’aventurent au-devant de ce qui résiste à l’entendement, aux intersections, questionnent la rationalité et ses dysfonctionnements d’une façon inédite. Ils n’ont ni conclusion ni slogan. Pourtant ils démontrent qu’il est possible de reconstruire un point de vue démembré par la schizophrénie… Alors la folie est ailleurs. Et la raison aussi. »</p>
</blockquote>
<p>La visée formelle de leurs travaux autour d’un sujet généralement dominé par les représentations abstraites a soulevé des légions de questions de méthodologie, de conceptualisation, de terminologie, de protocoles, d’interprétation, de décryptage, de validations… Leur projet, qui étudie les disruptions du discours chez des patients, s’intitule SLAM pour schizophrénie et langage : analyse et modélisation.</p>
<p>Le titre fait naturellement référence à la poétique de l’art oratoire urbain, ou va-t-on savoir avec ces deux personnalités singulières, adeptes des références en cascades et du cryptage à SLAM pour : <em>simultaneous localization and mapping</em> (localisation et cartographie simultanées), une approche d’autonomie pour les robots qui permet de construire ou d’améliorer simultanément une carte de leur environnement pour mieux s’y retrouver. Car le propos est aussi d’aider la médecine et la psychologie en redéfinissant le protocole de médiation avec les patients, en fournissant des mesures objectives des avancées… Mais le duo ne met aucun aspect en avant de l’autre, tant ce projet assume en cohérence ses multiples visées.</p>
<p>SLAM constitue avant tout un défi théorique pour une approche pragmatique qui rend compte du statut d’une capacité humaine « en zone de conflit » mental. Et pourrait potentiellement dégager des analyses automatisées du respect formel dans tous les discours. « Génial » ou « dangereux » se répondent-ils l’un l’autre avec un sourire. À ce jeu sur le fil, le duo est armé d’un puissant esprit d’aventure scientifique autant que d’une éthique de fer. L’un est informaticien et logicien, maître de conférences HDR à l’Université de Lorraine, chercheur au <a href="http://www.loria.fr">LORIA</a> principalement en traitement automatique du langage naturel, en formalisme informatique, en formalisme linguistique et dans le discours pathologique.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/190834/original/file-20171018-32367-mcuvni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/190834/original/file-20171018-32367-mcuvni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/190834/original/file-20171018-32367-mcuvni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/190834/original/file-20171018-32367-mcuvni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/190834/original/file-20171018-32367-mcuvni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/190834/original/file-20171018-32367-mcuvni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/190834/original/file-20171018-32367-mcuvni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/190834/original/file-20171018-32367-mcuvni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Maxime Amblard par Sébastien Di Silvestro.</span>
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<p>À l’origine, le parcours de Maxime Amblard s’orientait vers la cryptographie qui relie épistémologiquement l’informatique et le langage. Grand front, grands yeux, d’un châtain clair qui commence à peine à grisonner, large sourire et un peu hipster sur les bords, il refuse catégoriquement de faire de la génération en traitement de la langue. Quand nombre de ses collègues « font des trucs mainstream » en produisant des modèles probabilistes pour intelligences artificielles, lui préfère la face nord avec pioche en bois. Son « truc » à lui, serait de créer un modèle formel qui puisse analyser la finesse de l’interaction sémantique dans les dialogues. Alors les « stats », très peu pour lui, ici on parle de « super construction » avec problématiques de modélisation vertigineuses.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/190835/original/file-20171018-32375-1qylnr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/190835/original/file-20171018-32375-1qylnr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/190835/original/file-20171018-32375-1qylnr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/190835/original/file-20171018-32375-1qylnr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/190835/original/file-20171018-32375-1qylnr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/190835/original/file-20171018-32375-1qylnr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/190835/original/file-20171018-32375-1qylnr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/190835/original/file-20171018-32375-1qylnr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Manuel Rebuschi par Sébastien Di Silvestro.</span>
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<p>L’autre est mathématicien et philosophe. C’est le latin du duo, à la fois lumineux et animé d’une virulente détermination équilibrée par cette retenue de la pensée précise. Maître de conférences HDR en philosophie et rédacteur en chef de la prestigieuse revue <em>Philosophia Scientae</em>, responsable de l’axe « Humanités numériques, langage, connaissance et société » de la MSH, coresponsable de l’axe « Approche de la connaissance : logique, métaphysique et histoire de la philosophie » des Archives Poincaré, Manuel Rebuschi se passionne pour l’épineuse question de l’intentionnalité. « Comment on prête des états mentaux, comment on s’interprète les uns les autres, comment on se comprend ». Il partage avec Maxime cet élan pour les sujets « raisonnablement circonscrits ». Ses recherches s’articulent autour de la logique, de l’épistémologie, de la philosophie du langage, de la philosophie de l’esprit et les sciences cognitives.</p>
<p>Ensemble, au travers du projet MSH SLAM, ils font dialoguer la psychologie, la linguistique, l’informatique et la philosophie en générant des découvertes propres à chaque discipline et font émerger autant de conceptions collectives nouvelles. Pour eux, le chaos n’est qu’un autre nom de ce qui n’est pas encore compris. Alors ils y plongent et à tâtons méthodiques, en ressortent avec des matrices lumineuses.</p>
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<p>« SLAM fait partie de ces projets rares qui innovent véritablement en matière d’interdisciplinarité, ouvrent des voies théoriques et pratiques, tout en refusant les dérivés applicatifs à courte vue. »</p>
</blockquote>
<p>Les approches disciplinaires s’y respectent, s’y nouent et y gagnent en force de pénétration. Les chercheurs y interagissent en société savante d’aujourd’hui. À l’origine, c’est une conversation entre Michel Musiol, professeur des universités en psychologie, qui travaillait déjà sur l’analyse pragmatique des conversations avec des schizophrènes, et Manuel Rebuschi qui a allumé la mèche du projet. Le philosophe a envisagé ce qu’il pouvait apporter en termes de formalisme à la démarche purement psychologique. Alors ils ont commencé à travailler à la systématisation d’un format selon une approche logique, à voir, et dissocier les sémantiques…</p>
<p>C’est là qu’est intervenu Maxime avec sa trousse à logiques-outils permettant d’inscrire cette recherche dans le cadre de l’informatique linguistique permettant d’établir des liens à coups sûrs sur des quantités de données imprescriptibles pour l’esprit humain. Dans cette analyse des discours qui dysfonctionnent, chaque chercheur et chaque discipline trouve son compte tout en élaborant quelque chose de neuf. Pour le philosophe, cette recherche propose une réflexion nouvelle sur la rationalité, la compréhension du contexte de la folie. Tout en posant des questions épistémologiques comme celle de la « naturalisation » (c’est-à-dire la question de la réduction de l’analyse aux méthodes des sciences de la nature) : « Qu’est-ce qui résiste ? Est-ce parce qu’on est déviant ? Ou c’est juste à cause d’un problème d’ordre génétique ou autre. Ou la problématique se situe-t-elle parfois au niveau des règles qui ne sont pas les mêmes, des normes rationnelles qui ne sont pas les mêmes… Ce qui rejoint les questions des linguistes. Parce que certaines règles sont posées comme universelles alors qu’on a ici des gens qui ne les respectent pas.</p>
<p>Alors qu’est-ce que ça veut dire ? L’étude enseigne bien sûr sur les gens eux-mêmes, mais également sur le statut des règles. Il y a une espèce d’équilibre réfléchi dans tout ça… », analyse Manuel Rebuschi. Pour le logicien et informaticien, cette étude représente un double défi autant qu’une source d’inspiration structurelle pour ses autres travaux : « Quelque chose dysfonctionne dans les dialogues en question. Il y a certes un niveau d’anomalie de langue qui est rare, parce que très abstrait.</p>
<p>Or, si l’on fait des grandes classifications des différentes tranches d’analyse de la langue, c’est clairement plus que la sémantique qui ne va pas. Ce sont des phénomènes rares. Aller regarder comment ça dysfonctionne c’est chercher à expliquer comment et pourquoi on n’arrive pas à rendre compte d’une interaction normale. Ce qui est très intéressant pour des tas de raisons. Si je travaille sur les différentes typographies d’états mentaux possibles, ce qui m’intéresse, c’est ce que ça nous dit du processus de construction d’une représentation abstraite d’un contenu en langue naturelle », s’enthousiasme Maxime Amblard.</p>
<p>Il faut dire que la société contemporaine est parcourue tout entière par des problématiques de traitement informatique de la langue. Nombre d’utilités procèdent par une modélisation de type statistique qui simule par ne pas dire singe la communication humaine. Ce qui est très efficace et limité. Alors, même si cette ambition lointaine ne se lit qu’entre les lignes, la combinaison de leurs travaux, en s’attachant au dysfonctionnement, attaque par un autre versant le dur du noyau central du fonctionnement de la pensée et de la langue qui l’exprime.</p>
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<p><em>Lisez la suite de cet article en téléchargeant <a href="http://www.univ-lorraine.fr/sites/www.univ-lorraine.fr/files/documents/MSH2017/amblard_rebuschi.pdf">« Manuel Rebuschi/Maxime Amblard, Systématique du chaos »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/85935/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Leur projet, qui étudie les disruptions du discours chez des patients, s’intitule SLAM pour schizophrénie et langage : analyse et modélisation.Maxime Amblard, Maître de Conférences HDR en informatique, Université de LorraineManuel Rebuschi, Maître de conférences en philosophie, Université de LorraineSylvie Camet, Professeure de littérature comparée, directrice de la MSH Lorraine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/859312017-10-25T19:52:38Z2017-10-25T19:52:38ZPortrait de chercheur : Carole Bisenius‑Penin, Exogénèse de l’écrivain<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/190827/original/file-20171018-32361-1rgvxz8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Carole Bisenius Penin par Sébastien Di Silvestro.</span> </figcaption></figure><p><em>Pour ses 10 ans, la <a href="http://msh-lorraine.fr/">Maison des Sciences de l’Homme Lorraine</a> a commandé à <a href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a> un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : <a href="http://www.msh-lorraine.fr/actualites/details/ouvrage-anniversaire-de-la-msh-l-archipel-des-possibles/">L’Archipel des Possibles</a>. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits.</em></p>
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<p>« En France, les droits d’auteurs ne représentent que 12 % des revenus des écrivains qui majoritairement doivent exercer un second métier. Paradoxe tricolore, la figure sacrée héritée du XVIII<sup>e</sup> siècle conditionne encore un enseignement de littérature, un système d’édition et de médiatisation qui refusent toujours d’envisager l’écriture en tant que métier ».</p>
</blockquote>
<p>Elle en a assez. Assez de ces illusions entretenues sur les écrivains par l’institution universitaire qui cire lentement d’intouchables figures de monuments aux morts. « Et ce fut une apparition », disait Flaubert, comme si la magie de la littérature pouvait se passer d’arcanes, de travail, de ficelles à dissimuler sous peine de ravaler le statut d’écrivain au rang de simple prestidigitateur.</p>
<p>La chose serait hélas entendue, académique : l’écrivain est vieux, un génie et un homme. Un démiurge, que dit-on, un Dieu, puisqu’il tire de lui-même sa propre origine du néant. Et la littérature, sa création, procéderait tout entière de la même mythologie. Elle serait pure vocation, innée, ou rien, « raus ». D’éminents sociologues garderaient encore le temple. Et gare à l’étudiant en lettres qui oserait souiller l’autel de sa prose.</p>
<p>Au pays des gloires de Voltaire, d’Hugo, de Proust et de Flaubert écrire n’est toujours pas un métier. Et donc écrire ne s’apprend pas. Même si toute la société moderne se nourrit de récits ciselés dans la matière écrite. Même à l’heure des réseaux sociaux, ces stéréotypes confits depuis le XIX<sup>e</sup> siècle sont encore servis à toutes les sauces.</p>
<p>Carole Bisenius-Penin aligne ces faits avec la distance de celle qui possède un pied dans les deux mondes. Au Québec, où elle a mené notamment des recherches sur les ateliers d’écriture, comme aux États-Unis, la question de la composition créative à l’université a été institutionnalisée depuis 30 ans. En France, le statut d’écrivain est au-dessus de tout et donc inatteignable. D’ordre posthume même du vivant. Quoi de plus normal quand le métier qui n’en est pas un ne permet pas à celui qui l’exerce de vivre. Une étude récente du Ministère de la Culture <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-comment-sauver-cette-espece-en-voie-de-disparition-lecrivain-53579">« propose une photographie inédite de la situation économique et sociale des auteurs du livre »</a>. La majorité doit exercer une seconde activité (souvent d’enseignant ou de journaliste), les droits d’auteurs ne représentant que 12 % de leurs revenus. Et 47 % d’entre eux gagnent moins que le smic. Malgré une tendance baissière entamée depuis quelques années, en gras, le secteur de l’édition se porte bien. D’ailleurs, son profil ressemble à s’y méprendre à un décalque du statut d’écrivain : on y figure en lettres d’or capitales ou à la marge.</p>
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<p>« Trois éditeurs réalisent à eux seuls 50 % du chiffre d’affaires total. »</p>
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<p>Et 80 % si on compte les 10 premiers éditeurs. Enfin, 20 % réalisent 90 % de dépôts de la Bibliothèque Nationale de France. Des chiffres qui posent de sérieuses questions sur le cercle vicié de la création. De questions sur sa nature contrôlée par une idéologie dominante et d’un système production, diffusion, médiatisation, génétiquement adapté. Si loin si proche est le domaine plus vaste de Carole Bisenius-Penin.</p>
<p>Sa carrière tout entière dresse avec minutie la cartographie vivante des caractérisations et possibles de l’écrivain, des contraintes et choix de sa production, de ses conditions environnementales, sociales, de ses besoins, de ses relations, de ses interactions avec le public, les médias, les dispositifs de financement et de création, les territoires, les institutions et la mémoire. Jusqu’à son activité cérébrale pendant l’écriture qu’elle ira mesurer. Carole Bisenius-Penin aligne les questions et avance des propositions qui en nourrissent d’autres… Elle dirige, initie, échange, produit, enseigne, écrit, décrit : une « science subtile » au mille et une vies de contraintes adressant leurs invitations oulipiennes au seul dépassement de l’imagination. <em>Because that’s the job</em>… Un métier, on vous dit.</p>
<p>Entre journalisme et enseignement, elle a longuement hésité. Autant dire que le métier d’écrivain lui collait à la peau. Comme cette autre carrière plus courte dans le temps que son diplôme de danse du Centre National de Danse de Lyon lui aurait permis d’embrasser. Si elle s’est construite et avec et ailleurs et autrement, ce chassé des possibles dit à quel point et depuis combien de temps Carole Bisenius-Penin fait corps avec les questions de contraintes.</p>
<p>Avec cette limite du corps qu’enseigne la danse classique au difficile respect de la règle chorégraphique. Là où tout au bout d’une stricte observance dressée sur pointe, le corps, la règle et l’expression fusionnent en une sorte de liberté sous contrainte qui n’est jamais que la forme gracieuse d’une liberté conquise, un porté vers une liberté pleine. De ce pas, elle est allée vers la littérature. Une voie qu’elle a dû débrouiller et construire au-delà de l’obstacle, l’autre contrainte d’une dyslexie.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/190828/original/file-20171018-32348-n5g1vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/190828/original/file-20171018-32348-n5g1vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/190828/original/file-20171018-32348-n5g1vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/190828/original/file-20171018-32348-n5g1vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/190828/original/file-20171018-32348-n5g1vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/190828/original/file-20171018-32348-n5g1vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/190828/original/file-20171018-32348-n5g1vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/190828/original/file-20171018-32348-n5g1vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carole Bisenius Penin par Sébastien Di Silvestro.</span>
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<p>Dans la vallée des anges où elle est née, Carole Bisenius-Penin avait trouvé dans la bibliothèque maternelle une inspiration exigeant le grand écart. La rencontre avec le texte ne fût donc pas une « apparition » mais bien « un sport régulier », combatif, une hygiène de la fascination faite des grandes histoires classiques qu’elle décortique malgré la versatilité des lettres obstinées à s’inverser.</p>
<p>Les ramener au bercail, dans l’ordre des combinaisons sensées, aura sans doute exigé de Carole de plonger bien plus profondément dans la structure de l’écrit, armée de ses questions et représentations particulières. Elle ne dira rien de cet effort. Même s’il préface l’enchaînement de ses appuis. Grand jeté, l’enfant « un peu sauvage » et « livrovore » deviendra une spécialiste renommée de la théorie et de la contrainte littéraire.</p>
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<p>« À ses yeux, cette contrainte qu’elle tutoie aujourd’hui par habitude représente moins une entrave qu’une formidable « pompe à imagination » dont elle étudie et collectionne les mécaniques avancées. »</p>
</blockquote>
<p>Ses recherches s’attachent en partie à ces romans subordonnés à des règles aussi exigeantes que libératrices (par exemple : contraintes mathématiques pour Jacques Roubaud, ou alphabétiques pour Georges Perec), genres et sous-genres, méta-textualité, réécriture, ateliers d’écriture et Oulipo. L’Ouvroir de littérature potentielle créé par Raymond Queneau et François le Lionnais, qui se définit d’abord parce qu’il n’est pas : un mouvement littéraire, un séminaire scientifique, de la littérature aléatoire. Ce groupe de littéraires et de mathématiciens rejoint en nombre par des auteurs comme Perec et Calvino s’y définissent (avec un humour ciblant « les illusions du surréalisme et l’engagement de type sartrien » pour trouver de nouvelles formes littéraires), « comme des rats qui construisent eux-mêmes le labyrinthe dont ils cherchent à sortir ».</p>
<p>Carole Bisenius-Penin a beaucoup publié sur l’Oulipo et particulièrement sur <em>Si par une nuit d’hiver un voyageur</em> d’Italo Calvino. Un des grands vertiges littéraires du XX<sup>e</sup> siècle. Un livre infini qui s’adresse à son lecteur (et entretient une relation amoureuse avec une lectrice) et met en scène avec maestria son processus de lecture interne. Un livre qui comporte onze débuts de romans pastichant les catégories romanesques en révélant leur structure dans un fabuleux récit gigogne, fractal : roman d’espionnage dans le brouillard, roman russe « sordide », journal d’exilé politique, roman scabreux sur fond de guerre civile. Le goût et l’intérêt majeur de Carole Bisenius-Penin pour ces œuvres ouvertes font émerger de sa recherche professorale une aspiration plus intime à percer les processus de création de ses contemporains.</p>
<p>Elle écrit. Et a publié un roman. Son vert de jade assume sans ciller ce rôle de cavalière solitaire. Si elle étudie les règles, elle brise volontiers les dogmes. À commencer par la pratique de l’écriture qu’elle enseigne à ses étudiants au sein d’un système universitaire français qui commence à peine à tolérer cette sortie des seules études théoriques et historiques de la littérature (un projet a été déposé auprès de l’Agence Nationale de la Recherche, l’université de Paris 8 et les Beaux-Arts du Havre proposent des cursus ouverts sur la création). « J’essaie d’expliquer à mes collègues qu’un sculpteur a besoin de sculpter. Un musicien de jouer. Parce que dans ce pays on enseigne les lettres sans en faire ! », constate Carole, animée de ce pragmatisme d’outre-Atlantique permettant aux Québécois et aux Américains d’apprendre à écrire et même d’en faire un job prisé à déclinaisons multiples.</p>
<p>À ce stade, il convient de rappeler que l’étude de la littérature dans une société qui la reconnaîtrait pour telle ne conduirait pas nécessairement à l’enseignement. Information, contenus web, fictions, fictions interactives, storytelling, communication, toute la société moderne procède de l’écrit. Elle est compétence. Mais également passeport diplomatique pour la compréhension de l’autre et des composantes culturelles et sociales d’une époque. Parce qu’elle entre librement dans tous les sujets, elle est connaissance du monde.</p>
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<p><em>Lisez la suite de cet article en téléchargeant <a href="http://www.univ-lorraine.fr/sites/www.univ-lorraine.fr/files/documents/MSH2017/bisenius_penin_carole.pdf">« Carole Bisenius-Penin, Exogénèse de l’écrivain »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/85931/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Parcours d’une chercheuse passionnée qui interroge encore et encore la place, l’image et le statut de l’écrivain dans la société.Carole Bisenius-Penin, Maître de conférences Littérature contemporaine, CREM, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/858022017-10-18T21:23:44Z2017-10-18T21:23:44ZPortrait de chercheur Nicolas Brucker : de l’ombre dans la lumière<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/190464/original/file-20171016-30962-s8poke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption"> NICOLAS BRUCKER par Sébastien Di Silvestro</span> </figcaption></figure><p><em>Pour ses 10 ans, la <a href="http://msh-lorraine.fr/">Maison des Sciences de l’Homme Lorraine</a> a commandé à <a href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a> un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : <a href="http://www.msh-lorraine.fr/actualites/details/ouvrage-anniversaire-de-la-msh-l-archipel-des-possibles/">L’Archipel des Possibles</a>. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits.</em></p>
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<p>« Le nom de l’auteur de “La Belle et la Bête”, Marie Leprince de Beaumont avait été presque effacé des mémoires alors qu’elle figurait parmi les écrivains les plus lus de son temps. Parce qu’elle était femme et difficile à étiqueter, sa redécouverte s’apprête à faire revivre une époque de combats entre Lumières et Anti-Lumières à la frontière de pensées nettement moins tranchées que celles retenues par l’histoire. »</p>
</blockquote>
<p>Faut-il commencer par elles ou elle ou lui ? Chacun décrivant l’autre au point d’en être indissociable comme le halo de la flamme. Quand l’histoire devient le mythe entretenu du progrès rectiligne et que c’est le père Guillotin qui corrige la copie, les pensées et les têtes qui demeurent à la postérité ont voué toutes les autres au fil de la lame d’une époque qui a vigoureusement tranché. Elles sont les recherches de Nicolas Brucker, sur les antiphilosophes et leurs dialogues vipérins, enroulés jusqu’à l’étouffement avec ceux des lumières. La mémoire collective en retient le plus souvent les « jean-foutre », les satires et autres savoureuses invectives qui régalaient alors les gazettes, la poésie, le théâtre et les romans. Tout l’enfièvrement de la mutation, des valeurs et clivages d’un siècle, qui accoucherait d’une révolution dans ses dernières heures, façonne ce versant glissé dans l’ombre des passés.</p>
<p>Parce qu’on ne saute pas de l’ancien régime aux lumières comme d’une date à l’autre sur une frise. Parce qu’il fut un temps de combat pour et contre les points cruciaux des idées militantes, pour la liberté de conscience, le droit à l’égalité et à la liberté religieuse (dont la société actuelle conserve des manifestations descendantes), ces répliques intelligentes, d’intérêt littéraire et historique, enseignent la richesse d’équivoques autant que les abandons de ces temps révolus.</p>
<p>Elle est une incarnation de ce large spectre des lumières, des jaillissements et contractions, de ces luttes paradigmatiques pour la conquête de l’esprit du temps. La redécouverte de son parcours appelle à une révision de l’opposition traditionnelle tracée par l’historiographie française entre « lumières et antis ». Son nom, Marie Leprince de Beaumont a survécu par l’entremise d’une minuscule frange de son œuvre à la fabuleuse résonance.</p>
<p>L’auteure de « La Belle et la Bête » comptait au XVIII<sup>e</sup> siècle parmi les écrivaines les plus connues en France et d’un bout à l’autre de l’Europe. En dépit de cette condition féminine qui lui herse l’entrée d’une Société royale et de la renommée posthume, la vie exceptionnelle de cette journaliste, romancière, pédagogue, gouvernante, échappe à toutes les nomenclatures.</p>
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<p>« Son œuvre engagée distille « instruction et élévation » pour le progrès humain, la diffusion des connaissances, le droit de la femme au savoir et à l’égalité intellectuelle tout en menant des réflexions sur les hiérarchies sociales, les libertés et l’égalité. »</p>
</blockquote>
<p>La flamme d’une auteure de lumières. À ceci près qu’elle s’inspire largement des saintes Écritures et met en garde ses contemporains contre les légèretés du divertissement. Deux traits qui l’inscrivent à rebours dans le courant apologétique des antis. Trouble histoire d’une lueur brûlant conjointement du divin de la raison. Trois siècles plus tard, cette vie en actes qui renverse les catégories établies, attise la curiosité des chercheurs qui la reconstituent comme un puzzle au sein d’un splendide projet MSH regroupant des collaborations provenant des États-Unis, du Québec, d’Espagne, d’Angleterre, d’Allemagne et des Pays-Bas… Des thèses et des colloques s’enchaînent pour recomposer l’énigme d’une ample œuvre de dialogues moraux.</p>
<p>Et de la vie de cette femme qui connut et la misère et plusieurs mariages, une femme qui subvenait à ses propres besoins, aspirait aux plus hautes reconnaissances intellectuelles tout en se faisant pédagogue d’une jeunesse qu’elle imprimait de sa « dévotion éclairée ». Un tempérament qui s’illustre par Le triomphe de la vérité, son premier livre, qu’elle remit en main propre au roi Stanislas. Pourtant son nom ne réside plus qu’à la marge des productions Disney et dans les bonnes feuilles du Cabinet des fées. Ce projet sonne l’heure d’un nouvel avènement de cette auteure prérévolutionnaire. Une renaissance. Et c’est là qu’il intervient.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/190465/original/file-20171016-30971-phvwj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/190465/original/file-20171016-30971-phvwj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/190465/original/file-20171016-30971-phvwj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/190465/original/file-20171016-30971-phvwj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/190465/original/file-20171016-30971-phvwj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/190465/original/file-20171016-30971-phvwj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/190465/original/file-20171016-30971-phvwj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nicolas Brucker par Sébastien Di Silvestro.</span>
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<p>En première ligne de cette redécouverte. Sa passion pour les esprits fins et les formes affûtées des contre-argumentations a déjà tiré plusieurs de ces antihéros des limbes de la mémoire. Cette recherche doit assez peu au hasard. Comme elle (MLPB), Nicolas Brucker envisage la charge épanouie de sa vocation au service de la formation de consciences éclairées.</p>
<p>Le XVIII<sup>e</sup>, son siècle de spécialité, est parcouru tout entier de ces questions morales qui font les bagages aux voyages de la jeunesse. Encore faut-il que la thèse soit honnête et les questions embrassées dans leur complexité. L’ombre n’est que l’autre face de lumière. Il n’y a pas de belle sans la bête. Et inversement. Le conte, c’est peut-être ce que l’histoire illumine d’une trop grande clarté. Ce qui se perd, Nicolas Brucker va le rechercher.</p>
<p>Que peut attendre le chercheur à la veille de la résurrection publique d’une œuvre littéraire ? À la tentation du style, Nicolas Brucker rétorque en concédant au plaisir de la formule : « Mais nos espoirs sont les plus grands ! » Position détendue, regard droit. L’exultation d’une longue et fructueuse recherche qui approche de son terme traverse ce corps qui la contient avec élégance. En décembre, un colloque international fera émerger le portrait intégral de l’écrivaine éparpillée dans l’oubli. Dès après, un site Internet, des publications et des projets accompagnés seront proposés aux enseignants de nombreux pays.</p>
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<p>« La coulisse bruisse. Le livret est présenté comme majeur. »</p>
</blockquote>
<p>Habillé d’une veste en velours côtelé, d’une écharpe nouée en lavallière, mains fines et fortes, barbe taillée, jambes croisées, manières accortes, la présence de Nicolas Brucker révèle un goût prononcé pour les lignes de transitions subtiles. Il y a dans ce visage, quelque chose d’ancien, une ferme résolution brossée à la soie d’une bienveillance sensible. La part du marbre s’attache à restaurer la noblesse d’écriture de figures anti-lumières ravalées par l’histoire au rang de simples contradicteurs.</p>
<p>En 2006, Nicolas Brucker donnait le ton de sa direction de recherches en publiant une thèse sur <em>Le Comte de Valmont ou les égarements de la raison</em> de l’abbé Gérard. Ce roman qui avait fait grand bruit au XVIII<sup>e</sup> et au XIX<sup>e</sup> siècle, dresse dans le genre épistolaire, rien de moins que le récit de la conversion chrétienne du jeune Valmont parvenu aux limites essoufflées des idées subversives de son temps. Un tour de force et de « passe-passe décrétant la chrétienté des lumières ». « L’objet inclassable, le phénomène d’édition », sera salué par Chateaubriand comme « un exemple de roman chrétien ».</p>
<p>Nicolas Brucker n’aura de cesse de rétablir la connaissance des talents de cette veine qui lui vaudront son habilitation à diriger des recherches sur « lumières et religion ». D’autres que Marie Leprince de Beaumont lui doivent déjà leur reviviscence. À commencer par Élie Catherine Fréron le directeur de la célèbre <em>Année littéraire</em>, le journal de critique qui concourut à faire interdire l’Encyclopédie en 1759 et à retirer le privilège donné aux libraires-imprimeurs. Voltaire assurera au virulent et cependant courtois gazetier une postérité réduite à de violentes satires et pièces de théâtre que résume le dérisoire d’un surnom : le frelon. Nicolas Brucker rendra une justice contemporaine à la précision d’une pique qui ne perce pas sans idée.</p>
<p>Cependant, il faut se garder d’imaginer que l’inclination du chercheur pour tous ces grands réactionnaires dise quoi que ce soit d’immédiat de ses positions personnelles. Ses investigations dans le purgatoire de la mémoire n’absolvent en rien ces plumes remarquables de la faute d’opinion jugée par l’histoire. À l’inverse, elles dissertent une autre vision du récit au réalisme poétique des contours progressifs, des flous d’approche et couleurs en demi-teinte en lieu et place des grandes fresques dépeintes à coups de palettes flamboyantes. À dominante de rouge cocardier. Et voici que le marbre met à jour ses parties tendres. Car tous ces auteurs ferraillent contre un monde nouveau qui leur échappe autant qu’il les condamne à passer.</p>
<p>Nicolas Brucker explique… d’un regard qui voit s’effriter et se perdre l’or ancien d’une certaine majesté de plume :</p>
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<p>« Chacun d’eux reste attaché à une certaine notion du goût de la littérature. Le grand siècle est leur modèle ainsi que les grands auteurs : Boileau, Racine, La Fontaine. Leur combat était noble et ne visait qu’à faire exister encore ce monde des grands genres, d’une société plus hiérarchique qui offrait une autre place à l’artiste que celle qui était en train de voir le jour. Jusqu’alors, ils étaient pensionnés. Artistes d’État, payés pour louer la grandeur du monarque. Et les voici qui se retrouvent à devoir percer par leurs propres moyens. À devoir conquérir l’opinion publique. C’est l’irruption de la loi du marché face à la nostalgie du Versailles de Louis XIV. »</p>
</blockquote>
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<p><em>Lisez la suite de cet article en téléchargeant <a href="http://www.univ-lorraine.fr/sites/www.univ-lorraine.fr/files/documents/MSH2017/brucker_nicolas.pdf">« Nicolas Brucker, De l’ombre dans la lumière »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/85802/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Redécouvrir Marie Leprince de Beaumont, auteure de « La Belle et la Bête » à travers le parcours d'un chercheur en littérature spécialiste du XVIIIe siècle.Nicolas Brucker, Professeur, Langue et littérature françaises, Université de LorraineSylvie Camet, Professeure de littérature comparée, directrice de la MSH Lorraine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/853042017-10-11T19:03:09Z2017-10-11T19:03:09ZPortrait de chercheur Christophe Benzitoun : à quand, la révolution de l’orthographe française ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/189051/original/file-20171005-9788-bfnena.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=60%2C0%2C816%2C339&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Christophe Benzitoun par Sébastien Di Silvestro</span> </figcaption></figure><p><em>Pour ses 10 ans, la <a href="http://msh-lorraine.fr/">Maison des Sciences de l'Homme Lorraine</a> a commandé à <a href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a> un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : <a href="http://www.msh-lorraine.fr/actualites/details/ouvrage-anniversaire-de-la-msh-l-archipel-des-possibles/">L'Archipel des Possibles</a>. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits.</em></p>
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<p>« Saviez-vous que la complexité de l’orthographe du français était tout à fait intentionnelle ? Qu’elle a été décidée par une poignée de lettrés élitistes soucieux de conserver leur primauté. Dans une confusion entre langue et orthographe, le mythe entretenu « du génie de la langue française » fait toujours obstacle à toute tentative de réforme. »</p>
</blockquote>
<p>Ah ! Ça ira, ça ira, ça ira, les fautes d’orthographe on les pendra. Est-ce une impossible (r)évolution d’une langue française intouchable et la plus conservatrice de toutes les langues romanes ? Combien de centaines, de milliers d’heures un enfant s’échine-t-il paradoxalement à apprendre à écrire correctement une langue natale qui lui vient à l’oral aisément ? La codification écrite de la langue incarne une bastille de l’Ancien Régime autant qu’un mythe républicain. Elle constitue d’ailleurs, le seul sujet d’accord entre les politiques de tous bords : on ne touche pas à l’orthographe de la langue française, comme si langue et orthographe constituaient un même objet. Tout au plus envisage-t-on, comme un sparadrap sur l’hémorragie « d’une langue qui ne fait que se perdre depuis des siècles », des réformes improductives de son enseignement. </p>
<p>Au prolongement de normes purement arbitraires datant en grande partie du XVIII<sup>e</sup> siècle, à l’usage d’une élite latiniste, à l’exemple du Bescherelle et de sa soixantaine de conjugaisons, ses litanies d’exceptions, à mémoriser sans autre possibilité, perdure comme un livre saint, un objet du rituel d’ascension vers la perfection de la norme. Et un vecteur de discrimination selon qu’on naît dans un milieu ou un autre. Alors que la langue orale est à tout le monde et libre par nature. Le passage à l’écrit pourrait être considérablement simplifié comme dans nombre de pays ayant procédé à ces réformes, libératoires d’autant d’heures d’apprentissage des savoirs vivants et non conventionnels. N’y a-t-il pas matière à nous interroger sur nos intransigeances à voir le français balafré par des fautes d’une orthographe sans raison scientifique, sans référence à une quelconque origine donnée ?</p>
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<p>« Ces réactions épidermiques, ce sens du sacrilège fautif, ne proviendrait-il pas de la façon dont le mystère du signe nous serait inculqué ? »</p>
</blockquote>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/189052/original/file-20171005-9797-au9eyk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/189052/original/file-20171005-9797-au9eyk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/189052/original/file-20171005-9797-au9eyk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/189052/original/file-20171005-9797-au9eyk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/189052/original/file-20171005-9797-au9eyk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/189052/original/file-20171005-9797-au9eyk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/189052/original/file-20171005-9797-au9eyk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/189052/original/file-20171005-9797-au9eyk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Christophe Benzitoun par Sébastien Di Silvestro.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://iwsy-face.com/">(https ://iwsy-face.com/)</a></span>
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<p>Comme une lente et douloureuse conformation dont les diplômes attesteraient de la communion, faisant de chaque locuteur victorieux un prosélyte inflexible. En clair, le culte d’une orthographe impeccable relève-t-il d’un phénomène purement anthropologique, d’une croyance ? Ah, le fameux génie de la langue française… Avec ses 26 lettres héritées en grande partie du latin pour transcrire 36 sons, auxquelles l’orthographe ajoute des accents, combine des lettres (par exemple <em>ch</em>, <em>gn</em>, <em>in</em>) pour transcrire des sons déjà codés par d’autres caractères (<em>ph/f</em>, <em>au/o</em>, <em>ai/é</em>, <em>ç/s</em>).</p>
<p>Mais il n’existe aucune différence audible entre <em>où</em> et <em>ou</em> et pourtant on est capable de savoir s’il s’agit d’un adverbe ou d’une conjonction de coordination.</p>
<p>Et comment savoir, pour le restituer spontanément, qu’il y a un « r » à la fin de <em>monsieur</em> ? Mais cela s’apprend, monsieur, et par cœur… Cette combinatoire de lettres permet effectivement de représenter les 36 sons du français, mais au prix d’une effroyable complexité hérissée d’une centaine de possibilités. Par comparaison le <a href="https://theconversation.com/lortografe-ca-sert-a-koi-75876">finnois n'en possède qu'une vingtaine</a>.</p>
<p>Voici pêle-mêle, quelques questions délicates voire explosives, que soulève méthodiquement Christophe Benzitoun, chercheur en sciences du langage à l’Université de Lorraine et membre du laboratoire <a href="http://www.atilf.fr/">ATILF</a>. L’écoute de son argumentaire linguistique étayé par une vision nourrie des dimensions historiques, sociologiques et anthropologiques heurte durement toutes les préconceptions, pointe les incohérences en cascade et porte des propositions frappées du sceau de l’évidence.</p>
<p>Le chercheur a parfaitement conscience que la diffusion de ses travaux porte comme un vent de tempête et qu’il récoltera l’ire collective de toute une société cabrée autour de ce sujet politique, emblématique de l’identité nationale. Et c’est justement pourquoi il veut en découdre. Tout en contenant sa propre radicalité pour faire valoir sa logique implacable. Parce qu’il s’agit d’un sujet hautement politique, Christophe Benzitoun défend l’idée qu’une langue, comme tout objet, doit être pensée dans son caractère pratique, totalement occulté pour l’écriture du français qui constitue selon lui un modèle de sélection renforçant les inégalités sociales au sein même du système d’enseignement censé les résorber. Il parle de la souffrance des professeurs ne disposant pas du temps nécessaire pour inculquer toutes ces normes, de celle des élèves, pour des résultats médiocres et sans solution. De toutes ces heures gaspillées dans une société où l’échange par écrit n’a jamais été aussi vaste et aussi déterminant.</p>
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<p>« Le chercheur établit également un lien de cause à effet entre le déclin de la francophonie et cette surnorme que d’autres pays ont considérablement allégée. »</p>
</blockquote>
<p>Le plus drôle, dit-il, c’est qu’au fond personne n’a de pouvoir direct sur l’orthographe du français. En pratique chaque réforme intervient par un jeu de transactions obscures et se diffuse principalement à travers l’école et les concours, sans aucun cadre législatif ou juridique clair en dehors de ces deux secteurs.</p>
<p>Le chercheur rappelle, que la discrimination par la langue ne constitue en aucun cas un dommage collatéral, mais bien une conséquence tout à fait intentionnelle comme en atteste cette célèbre citation de Mézeray en 1673 : « [L’Académie] déclare qu’elle désire suivre l’ancienne orthographe qui distingue les gens de lettres d’avec les ignorants et les simples femmes. » Et voilà, poursuit-il, pourquoi les formes orthographiques ont été sciemment éloignées, et le plus possible, d’une écriture à base de règles intuitives. Et que <em>sonneur</em> prend deux « n » alors que <em>sonore</em> n’en prend qu’un. </p>
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<p>Non content d’arrêter les rayons du soleil,<br>
Brave l’effort de la tempête.<br>
Tout vous est Aquilon ; tout me semble Zéphyr<br>
(La Fontaine, <a href="http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/chenroso.htm">« Le chêne et le roseau »</a>). </p>
</blockquote>
<p>Même si l’on ne savait plus immédiatement à « quel sein » se vouer, peut-être qu’à la lumière de ses travaux frondeurs, l’heure d’une vraie réforme pourrait enfin sonner.</p>
<p>À force de baigner dans le milieu des laboratoires de linguistique et à l’usure des pluies du nord, Christophe Benzitoun a perdu son accent de Marseille. Si certains travaillent dur pour se défaire de ce marqueur régional, lui ne le souhaitait pas. Les politiques qui prennent ou perdent leur accent à l’envi, au gré des lieux et des moments, bref ces aigrefins de la parole, l’amusent en mode mineur. Les instrumentalisations, les faux discours qu’il décortique en moins d’une seconde ont tendance à le faire sortir de ses gonds. Christophe Benzitoun incarne un mélange d’ouvertures et de profondes convictions armées et souvent à contre-courant. Mais parler de lui serait donner prise à des représentations qu’il juge largement inopportunes. Le chercheur met toujours en avant le collectif, le laboratoire, les échanges. Ses prises de fonction font valoir les valeurs d’une nouvelle génération. Cependant cette discrétion au versant privé est inversement proportionnelle à une véritable soif d’interaction et de partage de ses sujets de recherches.</p>
<p>Au milieu de toutes ces polémiques sur la complexité du langage où interviennent des académiciens et des auteurs de littérature, il regrette l’absence remarquable des spécialistes de la linguistique, très présents des années soixante aux années quatre-vingt, et puis d’un coup passés à la trappe. La faute à trop de jargon, à une trop faible accessibilité, ou à un manque d’implication dans la société ? L’autocritique de sa profession se fait sévère. Pour lui, l’image publique du chercheur concentre les mêmes suspicions que celle des politiques, avec une égale perte d’influence.</p>
<hr>
<p><em>Lisez la suite de cet article en téléchargeant <a href="http://www.univ-lorraine.fr/sites/www.univ-lorraine.fr/files/documents/MSH2017/benzitoun_christophe.pdf">« Christophe Benzitoun, À quand, la révolution de l'orthographe française ? »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/85304/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>De questions délicates voire explosives, que soulève méthodiquement le chercheur en sciences du langage.Christophe Benzitoun, Enseignant-chercheur en sciences du langage, Université de LorraineSylvie Camet, Professeure de littérature comparée, directrice de la MSH Lorraine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/849192017-10-04T21:05:46Z2017-10-04T21:05:46ZPortrait de chercheur : Christian Chelebourg, l’étant moderne<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/188137/original/file-20170929-19343-7o9rm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=74%2C0%2C830%2C302&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Christian Chelebourg.</span> </figcaption></figure><p><em>Pour ses 10 ans, la <a href="http://msh-lorraine.fr/">Maison des Sciences de l’Homme Lorraine</a> a commandé à <a href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a> un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : <a href="http://www.msh-lorraine.fr/actualites/details/ouvrage-anniversaire-de-la-msh-l-archipel-des-possibles/">L’Archipel des Possibles</a>. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits.</em></p>
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<p>« L’entrée de l’étude critique des mangas, séries télés, bandes dessinées et autres fictions contemporaines transmedias à l’université n’est pas sans raviver quelque éternel combat entre modernes et classiques. Pourtant, elle révèle l’esprit d’une époque dans une anthropologie sociale découvrant notamment le profond ressentiment des nouvelles générations pour les legs difficiles de leurs aînés. »</p>
</blockquote>
<p>Il soutient que Walt Disney est probablement un des plus grands artistes du XX<sup>e</sup> siècle. Et dirige des thèses sur la représentation de la famille dans Batman, sur le « girl power », un mouvement qui transforma réellement le féminisme dès 1995, et trouve sa substance dans… les Spice Girls. Les zombies ne lui font pas peur. Visiblement pas plus que le rôle d’iconoclaste au sein de l’Université. Avec sa voix de stentor, Christian Chelebourg ferraille dur, la passion sous armure, pour l’étude de corpus que très peu abordent. </p>
<p>Il faut dire que ses objets d’études protéiformes ne se limitent pas aux seuls textes, mais impliquent des investigations à rebondissements traversant tous les médias contemporains : télévision, radio, bandes dessinées, cinéma, jeux vidéo… Responsable du cursus « études culturelles », ce spécialiste du XIX<sup>e</sup> siècle et du romantisme se fait notamment l’ambassadeur des fictions actuelles qui irriguent la société en flots continus, mais ne parvenaient jusqu’alors que par filets aux pieds des marches de l’institution. S’il veut les étudier, les comprendre et les diffuser, c’est parce qu’elles représentent un véritable enjeu de connaissance du siècle, parce qu’elles en distillent les formes, les peurs, les aspirations et les messages décryptés d’une nouvelle génération.</p>
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<p>« Une génération qui semble crier son indignation au sacrilège du “sacrifice du fils” ».</p>
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<p>La même éternelle bataille entre modernes et classiques, anime parfois encore l’Université sur la légitimité et les tutelles de ces objets d’études atypiques qui sonnent l’irruption du manga et de la télévision dans la poétique de l’imaginaire, l’enseignement et la recherche. Alors, va pour « Littérature jeunesse ». Ce sera le titre transitoire. Car l’entrée en matière n’est pas dénuée de logique quand c’est un dix-neuvièmiste vernien (chercheur travaillant sur la vie et l’œuvre de Jules Verne), passionné de récits extraordinaires qui contribue à ouvrir cette brèche entre les mondes et les époques. On lui avait d’ailleurs prédit que son goût pour le genre lui barrerait la route de l’enseignement puis de la recherche. Lui, semble plus que jamais convaincu que c’est aux seuls croisements que commencent les aventures qui font les grandes histoires.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/188138/original/file-20170929-10771-1n62r27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/188138/original/file-20170929-10771-1n62r27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/188138/original/file-20170929-10771-1n62r27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/188138/original/file-20170929-10771-1n62r27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/188138/original/file-20170929-10771-1n62r27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/188138/original/file-20170929-10771-1n62r27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1056&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/188138/original/file-20170929-10771-1n62r27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1056&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/188138/original/file-20170929-10771-1n62r27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1056&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Christian Chelebourg vu par Sébastien Di Silvestro.</span>
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<p>Et dire qu’à l’origine, Christian Chelebourg voulait faire sa thèse sur Paul Claudel… Entre linguistique et littérature. Une thèse en stylistique. En présentant deux sujets à son futur directeur, il était convaincu que sa « proposition bis » sur Jules Verne serait recalée d’office. Sauf que celui-ci « ne pouvait pas piffer Claudel », dans le texte. Christian écope alors d’un ticket pour une thèse en forme de tour du monde fantastique en huit années sur « construction du texte et construction de l’imaginaire dans les voyages extraordinaires de Jules Verne ». L’imaginaire le rattrapait déjà. L’imaginaire le rattraperait encore. Et il faudrait toujours le justifier. Comme dans ce collège de Bourgogne où un professeur de 3<sup>e</sup> versait déjà dans la litanie : « Tu n’aimes qu’Arsène Lupin, Sherlock Homes, H.G. Wells… La littérature… Ça ne sert à rien d’aller dans cette voie ». Pourtant, c’est bien la voix du récit qui l’aura conduit jusqu’ici.</p>
<p>Christian s’éclipse à la pause d’une réunion du Laboratoire de recherches dont il est le directeur <a href="http://lis.univ-lorraine.fr/">« Littérature, Imaginaire, Sociétés »</a> (LIS). Ce soir, les débats entre enseignants-chercheurs ont été vifs. La restructuration du laboratoire en axes mêlant des disciplines et des travaux aussi variés que la fabrique du texte, Imaginaire et poétique, Sociétés, Langues et Cultures, ne va pas sans soulever quelques questions passionnées au sujet de ces énoncés qui regroupent un peu pêle-mêle des sujets parfois sans lien entre eux et des chercheurs en littérature, en langues, littérature et civilisation romane. Il fait déjà nuit.</p>
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<p>« Christian Chelebourg rempile sa veste en cuir et ajuste son Stetson qui en font une silhouette bien connue des cent pas de la déambulation de l’Université, dans la lumière jaune, quelqu’un de reconnaissable, quelque part entre Van Helsing et Indiana Jones. »</p>
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<p>Il bourre sa pipe songeant aux deux heures de route retour qui l’attendent quotidiennement pour aller à Dijon où il demeure. Et souffle une sphère de fumée dont il contemple l’étiolement froid. Alors il accepte de raconter de sa voix musclée d’enseignant et de conteur, une jeunesse heureuse en Côte d’Or, avec un père, cuisinier d’un restaurant étoilé, responsable, avec sa mère, d’un grand hôtel pendant l’hiver. Parfois, le jeune Christian s’y retrouvait absolument seul. « C’était <em>Shining</em>, Kubrick ! », s’enthousiasme-t-il. Sa rencontre avec la littérature pourrait tenir à l’un de ces moments intenses qui plantent avec discrétion la graine d’une vocation. Avec le Dracula de Bram Stoker sous le bras, il s’installe dans la véranda de l’hôtel déserté, avec une lampe et une couverture. Il plonge dans le récit tandis que tombe le crépuscule et que les ombres s’allongent sur les herbes noires du jardin. Malgré la peur qui montait, malgré l’imagination qui peuplait la pénombre, « j’étais incapable de m’arrêter de lire ce récit fantastique », se souvient-il en tirant sur sa pipe.</p>
<p>Bien des années plus tard, alors qu’il enseigne dans le milieu de la formation, dans la lutte contre l’illettrisme, Christian Chelebourg veut se créer un CV cohérent avec sa thèse pour prétendre à un poste universitaire. Alors il continuera de lire sans relever la tête et publiera énormément, dans un jet pur dix-neuvième siècle, qui irriguera sa première carrière. Il publie sur Gérard de Nerval, Balzac, Victor Hugo, Prosper Mérimée, Alphonse Daudet, Alexandre Dumas et Théophile Gautier. Et s’il tente d’éviter la seconde moitié du dix-neuvième et la grande période naturaliste-réaliste qui le barbe un peu, il met en quelque sorte le siècle en « coupe réglée ».</p>
<p>Devenu Maître de Conférences, il veut une vue sur Océan et candidate à Brest et à la Réunion. Il obtient la possibilité d’une île, avec des étudiants brillants et un mode de vie qui le créolisera positivement aux entournures. Il publie de nombreux ouvrages sur Jules Verne, le Romantisme, Prosper Mérimée… Mais c’est au génie de la littérature et à une rencontre avec un éditeur qu’il devra sa seconde carrière, vouée tout entière à l’imaginaire et au cœur d’un véritable débat à enjeux.</p>
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<p><em>Lisez la suite de cet article en téléchargeant <a href="http://www.univ-lorraine.fr/sites/www.univ-lorraine.fr/files/documents/MSH2017/chelebourg_christian.pdf">« Christian Chelebourg, L’Etant moderne »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/84919/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Parcours de Christian Chelebourg, directeur du laboratoire Littérature, Imaginaire, Société (LIS). La passion du récit.Christian Chelebourg, Professeur de Littérature française et Littérature de jeunesse, Université de LorraineSylvie Camet, Professeure de littérature comparée, directrice de la MSH Lorraine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/847122017-09-27T22:46:18Z2017-09-27T22:46:18ZPortrait de chercheur : Jean‑Sébastien Rey, Genèses textuelles<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/187537/original/file-20170926-13681-9fvafc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jean-Sébastien Rey</span> <span class="attribution"><span class="source">Sébastien Di Silvestro</span></span></figcaption></figure><p><em>Pour ses 10 ans, la <a href="http://msh-lorraine.fr/">Maison des Sciences de l’Homme Lorraine</a> a commandé à <a href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a> un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : <a href="http://www.msh-lorraine.fr/actualites/details/ouvrage-anniversaire-de-la-msh-l-archipel-des-possibles/">L’Archipel des Possibles</a>. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits.</em></p>
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<p>« On n’a pas la main sur la parole de Dieu », a-t-il l’habitude de dire à ses étudiants. Car le seul texte écrit par le doigt créateur, Moïse l’a jeté à terre et anéanti. Une image symbolique de la difficultueuse passion des chercheurs des Écritures. Car la reconstruction de cette parole, sa compréhension au travers des textes transmis, des versions émanant de temps et de traditions différentes, interroge, confronte et traverse en millénaires la vie et la mort des civilisations qui en épaississent le mystère.</p>
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<p>Jean‑Sébastien Rey rentre à peine de Jérusalem où il va régulièrement étudier les fragments des manuscrits de la mer Morte, en ayant accès aux originaux, à la réalité des parchemins et de la fibre des papyrus découverts dans les grottes de Qumrân au milieu du 20<sup>e</sup> siècle. Pourtant familier des Écritures, cet esprit scientifique ne peut réprimer un long silence de respect humble et fasciné à chaque vision éblouie de l’un des textes sacrés de l’Humanité. En être si proche, par le savoir et le geste demeure un privilège au bout d’un long chemin. Une aventure de conscience face à l’énigme de la foi qu’unit l’horizon vacillant de l’histoire au sortir de la nuit des temps. Philologue sémitique, et plus largement spécialiste de la littérature juive et chrétienne de l’époque hellénistique et romaine, Jean‑Sébastien Rey a été l’élève de deux des grandes autorités mondiales de ces 970 manuscrits précédant de plusieurs siècles les plus anciens exemplaires connus du texte hébreu.</p>
<p>Or, les manuscrits de la mer Morte soulèvent de nouvelles et délicates questions sur la forme textuelle de ce que l’on a coutume d’appeler « la bible ». Comme s’il s’agissait d’un ouvrage unique, connu dans sa forme originale et ancestrale. À l’instar de nombreux autres textes identifiés, les manuscrits de la mer Morte apportent un témoignage manifeste de divergences cruciales qu’il n’est plus possible d’ignorer.</p>
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<p>« Hors du strict fait religieux, ces dissimilitudes dans le récit de portée civilisationnelle font ressurgir des questions théologiques, législatives, politiques, sociales et culturelles fondamentales. »</p>
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<p>Alors, du Caire à Jérusalem en passant par Cambridge, Jean‑Sébastien Rey qui lit l’hébreu, le grec, le syriaque et l’araméen (des variantes dialectales semblables à toutes les langues du nord-ouest sémitique), mène « des fouilles en bibliothèque », pour contribuer à construire une nouvelle rationalisation, un nouveau paradigme scientifique de lecture et d’édition de cet « un multiple » sacré. Pour le chercheur, cette quête relève d’un accomplissement personnel.</p>
<p>Le scientifique qu’il est devenu étant aujourd’hui en mesure d’apporter des réponses aux interrogations de l’étudiant qu’il n’a jamais cessé d’être. Dans l’élan qui l’avait toujours animé de clarifier le religieux par une pensée méthodique.</p>
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<span class="caption">Jean‑Sébastien Rey.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sébastien Di Silvestro</span></span>
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<p>Au lycée, Jean‑Sébastien Rey suit des cours de licence de théologie en auditeur libre à Aix en Provence et est fasciné par les thèses de Wellhausen exposées par un professeur jésuite. Déjà au 19<sup>e</sup> siècle, la théorie démontrait que la bible était le fruit de quatre documents, quatre rédactions successives : le Yahviste, l’Elohiste, le deutéronomiste et le sacerdotal. Ce qui expliquerait la présence de deux récits de la création, deux récits de déluges imbriqués et tissés l’un dans l’autre où une fois Noé prend un couple d’animaux et une autre fois sept. Une fois le déluge dure quarante jours, une autre cent cinquante, etc. Si la thèse est encore débattue de nos jours, Wellhausen affirmait bien que la Torah était le fruit de quatre strates rédactionnelles successives. En tout cas, pour Jean‑Sébastien Rey, cette hypothèse frotte l’étincelle d’une volonté de comprendre cette genèse textuelle, de percer ses secrets d’élaboration pour ne jamais en avoir une lecture naïve. D’autant que le 19<sup>e</sup> siècle avait tranché en faveur d’un concept de Urtext supposant l’idée d’un texte original censé précéder le texte massorétique hébreu et la Septante grecque. Mais à présent, les manuscrits de la mer Morte et de la Genizah du Caire remettent en question cette représentation.</p>
<p>Et c’est ainsi qu’en fondant le projet « Pluritext » porté par la Maison des Sciences de l’Homme lorraine et soutenu par les Agences nationales de recherche française et allemande, Jean‑Sébastien Rey, épaulé par une équipe internationale comprenant des traductologues, des épigraphistes, des paléographes et des linguistes, se confronte à un défi de proportion littéralement biblique. Et qui pose avec autant de force que de prudence, au sein d’une vaste communauté de chercheurs en quête, des questions clés : existe-t-il un original reconstructible ? Quel est le rôle des scribes, des traducteurs, des phénomènes d’acculturations au travers des appropriations hébraïques, latines, grecques, des problématiques linguistiques et de vocalisation qui changent le sens ? En présence d’autant de versions, de langues, d’époques, à quels textes les religieux peuvent-ils se référer ? Comment publier une bible en regard de la pluralité des sources ? Et c’est au fond toute la puissance de ces interrogations ultimes. En définitive, quel est le texte de la bible ? Ce qui revient à se demander scientifiquement qu’est-ce que la bible exactement ?</p>
<p>La foi pourrait objecter qu’il n’y a pas d’âme au bout du scalpel et que la méthode utilisée, la démarche empruntée déterminent la nature de la découverte, la qualité de l’expérience. Mais il s’agit ici d’une question purement textuelle, formelle, non confessionnelle, où seule compte la démonstration. Puisqu’au commencement était le verbe… Mais lequel ?</p>
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<p><em>Lisez la suite de ce portrait en téléchargeant <a href="http://www.univ-lorraine.fr/sites/www.univ-lorraine.fr/files/documents/MSH2017/rey_jean_sebastien.pdf">« Jean‑Sébastien Rey, Genèses textuelles »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/84712/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Parcours d’un enseignant-chercheur en théologie. Avec, en toile de fond, la difficultueuse passion des chercheurs des Écritures.Frédérique Rey, Professeur des Universités en théologie, Université de LorraineSylvie Camet, Professeure de littérature comparée, directrice de la MSH Lorraine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.