tag:theconversation.com,2011:/us/topics/multilateralisme-55384/articlesmultilatéralisme – The Conversation2023-06-07T19:38:52Ztag:theconversation.com,2011:article/2067182023-06-07T19:38:52Z2023-06-07T19:38:52ZLa diplomatie des sommets est-elle utile ?<p>Les sommets internationaux se succèdent à une vitesse étourdissante. L’actualité récente a braqué le projecteur sur plusieurs de ces grands raouts : le <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/international-summit/2023/05/19-21/">G7 à Hiroshima</a> (19-21 mai), le <a href="https://theconversation.com/bachar-al-assad-a-la-ligue-arabe-le-retour-du-pestifere-syrien-sur-la-scene-internationale-205693">sommet de la Ligue arabe à Djeddah</a> (19 mai), le <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/joe-biden-ouvre-son-sommet-pour-la-democratie-20230329">sommet pour la démocratie</a> (à Washington, les 29-30 mars), sans oublier le tout récent <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/international-summit/2023/06/01/">sommet de la Communauté politique européenne à Chisinau</a>, le 1<sup>er</sup> juin, tenu alors qu’au même moment les <a href="https://www.nessma.tv/fr/internationale/actu/les-ministres-des-affaires-etrangeres-des-brics-se-reunissent-au-cap-pendant-deux-jours/454852">ministres des Affaires étrangères des BRICS</a> se réunissaient au Cap. Il y aura bientôt le <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_214116.htm">sommet de l’OTAN à Vilnius</a> les 11-12 juillet, puis celui du <a href="https://www.g20.org/en/g20-india-2023/new-delhi-summit/">G20 à Delhi</a>, les 9-10 septembre.</p>
<p>Bref, on assiste à une véritable inflation de sommets, ce qui semble indiquer que les parties prenantes y trouvent un intérêt certain. Comment ces rassemblements des dirigeants de la planète se déroulent-ils et, surtout, quelle est leur valeur ajoutée réelle ?</p>
<h2>Vienne 1815, Paris 1919 : les références</h2>
<p>Un sommet est une réunion des chefs d’État et de gouvernement où – normalement – se prennent des décisions importantes. <a href="https://www.herodote.net/9_juin_1815-evenement-18150609.php">Le Congrès de Vienne</a> (1814-1815), que l’on peut considérer comme le <a href="https://www.un.org/en/chronicle/article/congress-vienna-present-day-international-organizations">premier sommet international de tous les temps</a>, réunit les puissances victorieuses de l’époque (Autriche, Angleterre, Prusse, Russie) et dessine un nouvel équilibre européen qui subsistera, bon an mal an, jusqu’à 1914.</p>
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<p>Un peu plus d’un siècle après le Congrès de Vienne, la <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/relations-internationales/pratiques-diplomatiques-contemporaines/la-conf%C3%A9rence-de-la-paix-de-1919">Conférence de Paris de 1919</a> est celle des vainqueurs de la Première Guerre mondiale. Le <a href="https://mjp.univ-perp.fr/traites/1919versailles.htm">traité de Versailles</a> qui y est rédigé est le fruit des négociations conduites au château de Versailles de janvier à juin 1919 entre les trois chefs des principales puissances (Woodrow Wilson, Lloyd George et Georges Clemenceau).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/530350/original/file-20230606-25-lkg420.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530350/original/file-20230606-25-lkg420.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=559&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530350/original/file-20230606-25-lkg420.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=559&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530350/original/file-20230606-25-lkg420.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=559&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530350/original/file-20230606-25-lkg420.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=702&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530350/original/file-20230606-25-lkg420.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=702&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530350/original/file-20230606-25-lkg420.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=702&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La signature du Traite de Versailles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Extrait d’une vue stéréoscopique, auteur anonyme, photographe de l’armée française</span></span>
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<p>Le Congrès de Vienne puis la Conférence de Paris contiennent déjà en germes les postulats qui sont à la base de tout <a href="https://www.cairn.info/le-multilateralisme--9782707153333-page-73.htm">sommet</a> : un sommet est, d’abord, un exercice interétatique, et l’agenda est entièrement déterminé par la volonté des États participants, qui s’entendent pour faire prévaloir leurs vues. Il faut ensuite que les chefs d’État ou de gouvernement soient présents, car le succès d’un sommet dépend de la connivence existant entre eux : la diplomatie des sommets n’est pas la diplomatie multilatérale. C’est une diplomatie de nature oligarchique ou excluante : le G20 exclut 174 États (tous les États de l’ONU qui ne sont pas membres du G20). Au point qu’on a forgé le terme de <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/histoire-et-geopolitique/geopolitique-et-strategie/temps-des-humilies_9782738147233.php">« minilatéralisme »</a> pour décrire cette forme de gouvernance oligarchique. Enfin, ce qu’on recherche dans un sommet, c’est une vision commune, que chaque État s’engage à mettre en œuvre.</p>
<h2>Sommets réguliers et sommets extraordinaires</h2>
<p>Il est possible de distinguer les deux principales catégories de sommets : les sommets réguliers et les sommets extraordinaires.</p>
<p>Les premiers s’inscrivent dans une relation bilatérale ou minilatérale classique, marquée par une certaine périodicité : citons, entre autres exemples, les <a href="https://www.france-allemagne.fr/Archives-Les-sommets-franco,1670.html">sommets franco-allemands</a>, qui se tiennent deux fois par an, les <a href="https://www.francophonie.org/le-sommet-84">sommets bisannuels des États francophones</a> ou encore ceux des <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/asie-pacifique-debut-du-sommet-de-l-apec-en-pleines-tensions-sur-l-ukraine-et-la-coree-du-nord-20221118">États de l’Asie-Pacifique</a> (APEC) et de <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_50115.htm">l’OTAN</a>.</p>
<p>Ces sommets reposent sur des règles de fonctionnement bien huilées du fait de leur fréquence. Ils exigent des dirigeants qui y participent un certain niveau de préparation dans la mesure où ils seront soumis au jugement de leurs pairs. Ils facilitent les accords entre les chefs de gouvernement et d’État concernés car ceux-ci ont la possibilité, en échangeant directement, de conclure des négociations qui avaient pu être ralenties ou bloquées par les pesanteurs bureaucratiques. Ils définissent une temporalité, qui est celle séparant chronologiquement deux sommets. L’objectif est alors de terminer une négociation au sommet suivant. Enfin la visibilité (d’aucuns diront la scénographie) des sommets présente l’avantage d’inciter les dirigeants à faire de leur mieux pour surmonter les obstacles persistants et afficher des résultats concrets.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/530360/original/file-20230606-29-h0dwoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530360/original/file-20230606-29-h0dwoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530360/original/file-20230606-29-h0dwoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530360/original/file-20230606-29-h0dwoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530360/original/file-20230606-29-h0dwoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530360/original/file-20230606-29-h0dwoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530360/original/file-20230606-29-h0dwoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le 30 juin 2022, le premier ministre hongrois Viktor Orban, accompagné de ses ministres de la Défense et des Affaires étrangères, arrive au sommet de l’OTAN à Madrid. Rare occasion d’échanges entre la Hongrie et l’ensemble des autres membres de l’Alliance, avec lesquels elle est en désaccord sur la question de l’attitude à adopter vis-à-vis de la guerre en Ukraine.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/spain-madrid-30-june-2022-hungarys-2197424339">Belish/Shutterstock</a></span>
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<p>Les sommets extraordinaires, pour leur part, sont des événements diplomatiques qui, en principe, ne se produisent qu’une fois. L’un des plus fameux fut le <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2018/09/16/26010-20180916ARTFIG00121-17-septembre-1978-les-accords-de-camp-david-visa-pour-la-paix-israelo-egyptienne.php">sommet de Camp David</a> entre Israël et l’Égypte, en septembre 1978. Les Accords de Camp David signés à cette occasion débouchèrent sur un <a href="http://www.isd.sorbonneonu.fr/blog/ce-jour-dans-lhistoire-le-traite-de-paix-israelo-egyptien-du-26-mars-1979/">traité de paix bilatéral israélo-égyptien en mars 1979</a>. À la différence des sommets réguliers, ce type de sommet est soumis à la pression du temps. On ne peut pas reporter les points non conclus à un prochain sommet.</p>
<p>En amont du sommet, tout sera fait pour éviter l’échec. Ainsi, dans le domaine du désarmement nucléaire, les négociations entamées en 1969 à Helsinki sous la dénomination SALT (Strategic Arms Limitation Talks) avançaient avec peine. Mais l’annonce du <a href="https://www.cairn.info/revue-historique-2009-4-page-897.htm">sommet Nixon-Brejnev à Moscou en mai 1972</a> eut un effet d’accélération. Les <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/126">accords SALT</a> furent conclus entre les États-Unis et l’URSS en mai 1972, coïncidant avec le sommet de Moscou.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-brejnev-lantiheros-153946">Bonnes feuilles : « Brejnev, l’antihéros »</a>
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<p>Ces sommets extraordinaires sont souvent aussi des occasions de développer des liens personnels entre responsables politiques. On constate que les dirigeants américains sont friands d’organiser des sommets dans des lieux de semi-villégiature (Camp David, le <a href="https://www.latimes.com/archives/la-xpm-1992-05-04-mn-972-story.html">ranch des Reagan</a>, celui de <a href="https://www.letemps.ch/monde/ranch-crawford-jiang-zemin-rassurer-george-bush">George W. Bush</a>) où la priorité est donnée non pas tant aux réunions de travail qu’aux promenades et moments de détente, où les dirigeants sont supposés fendre l’armure et devenir plus… humains.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/530364/original/file-20230606-21-rsjkz0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530364/original/file-20230606-21-rsjkz0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530364/original/file-20230606-21-rsjkz0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530364/original/file-20230606-21-rsjkz0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530364/original/file-20230606-21-rsjkz0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530364/original/file-20230606-21-rsjkz0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530364/original/file-20230606-21-rsjkz0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">George W. Bush, Vladimir Poutine et leurs épouses pendant une balade dans le ranch des Bush à Crawford, Texas, le 4 novembre 2001.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://georgewbush-whitehouse.archives.gov/news/releases/2001/11/images/20011116.html">Eric Draper/Whitehouse.gov</a></span>
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<p>Les sommets du G7 (G8 jusqu’à l’exclusion de la Russie en 2014) sont préparés longtemps à l’avance par les sherpas, véritables « experts en sommets », ayant rang de vice-ministre ou de secrétaire d’État, parfois de conseiller diplomatique (<a href="https://www.liberation.fr/ecrans/1998/06/12/jacques-attali-conseiller-d-etat-ex-sherpa-de-mitterrand_241214/">Jacques Attali</a> fut le sherpa de François Mitterrand). Le terme est emprunté au vocabulaire des guides de montagne dans l’Himalaya. Les sherpas sont eux-mêmes assistés par des <a href="https://jp.ambafrance.org/1ere-reunion-des-sous-Sherpas">« sous-sherpas »</a>, l’un économique et financier, l’autre diplomatique. Les sherpas forment une communauté d’experts qui se rencontrent régulièrement et coordonnent les préparatifs des sommets. Leur proximité avec les chefs d’État ou de gouvernement fait d’eux des experts influents et incontournables.</p>
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<p><a href="https://www.cairn.info/revue-mondes1-2014-1-page-151.htm">Analysant le rôle des sherpas</a>, Noël Bonhomme explique que les « réunions des sherpas connurent une codification croissante marquée par le mimétisme vis-à-vis des sommets tant dans la durée que dans l’organisation du travail. […] Experts d’un domaine (les questions économiques) et chargés d’une mission spécifique (préparer les discussions), ils furent de plus en plus les maîtres d’œuvre d’exercice de diplomatie multiforme […] gérant aussi les aspects de plus en plus divers des sommets, des entretiens bilatéraux à la diplomatie publique. »</p>
<p>Les sherpas font le lien entre les dirigeants politiques et les négociateurs diplomatiques. Ce sont bien souvent eux qui forgent les compromis, même si c’est le pouvoir politique qui en tire tout le crédit. Ce sont eux, aussi, qui rédigent les traditionnelles déclarations politiques de fin de sommet, qu’on appelle communiqués finaux.</p>
<p>Enfin, il ne faut pas oublier le coût des sommets, de plus en plus onéreux, notamment à cause des frais liés à la protection des participants. Ainsi, le G7 de La Malbaie (Canada) en 2018 a coûté l’équivalent de 450 millions de dollars. Ce qui suscite évidemment des <a href="https://www.thestar.com/news/canada/2018/05/24/trudeau-defends-600-million-cost-of-quebec-g7-summit.html">réactions négatives dans l’opinion publique</a>. Avec les habituelles questions : a-t-on besoin des sommets ? Peut-on les rendre moins dispendieux ?</p>
<h2>De vraies limites, mais quelques mérites</h2>
<p>Tout paraît indiquer que la tendance contemporaine va vers une multiplication des sommets, qu’ils soient périodiques ou ad hoc. La diplomatie des sommets repose sur le prédicat que le concert des puissances est la condition nécessaire et suffisante d’une gouvernance mondiale efficace. Mais cette idée est quelque peu illusoire car ce sont d’abord les États qui assurent la régulation, que ce soit dans le domaine de la sécurité internationale ou du développement. Or les « G7 » et les « G20 » produisent souvent de la concertation sans décision, ce qui débouche inévitablement sur l’immobilisme.</p>
<p>Pourtant, les sommets ont quelques mérites. Tout d’abord, ils constituent une forme d’apprentissage à la négociation pour des États plutôt habitués aux postures unilatérales, comme ce fut le cas pour la Russie durant les 17 années (1997-2014) où elle appartint au G8. La diplomatie des sommets est de ce point de vue utile, parce qu’elle crée de la connivence entre les États – en cela, elle est dans la droite ligne des rapports de puissance inspirés du <a href="https://ehne.fr/fr/eduscol/terminale-sp%C3%A9cialit%C3%A9-histoire/terminale-sp%C3%A9cialit%C3%A9-histoire/th%C3%A8me-2-faire-la-guerre-faire-la-paix-formes-de-conflits-et-modes-de-r%C3%A9solution/faire-la-paix-par-les-trait%C3%A9s-les-trait%C3%A9s-de-westphalie-1648">Traité de Westphalie de 1648</a>, qui codifia la coexistence des États-nations souverains, débouchant sur le Concert européen du XIX<sup>e</sup> siècle (consacré par le Congrès de Vienne en 1815).</p>
<p>En même temps, elle favorise l’idéologie des « clubs » (le P5 du Conseil de sécurité, le G7 ou G8, etc.) qui entraîne une tension permanente entre ceux qui en sont et ceux qui voudraient en être – ce que l’on appelle la relégation, comme ce fut le cas pour l’Empire ottoman au XIX<sup>e</sup> siècle (il ne fut pas admis dans le Concert européen), et comme le montre l’exclusion de la Russie du G8 en 2014 après l’annexion de la Crimée. Cette relégation est également ressentie aujourd’hui par les puissances émergentes qui demandent à <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/270782-la-question-de-lelargissement-du-conseil-de-securite-de-lonu">élargir la composition du Conseil de sécurité</a> et se heurtent aux cinq membres permanents.</p>
<p>Concluons avec <a href="https://www.grasset.fr/livres/memoire-de-paix-pour-temps-de-guerre-9782246859710">Dominique de Villepin</a> : les sommets, estime l’ancien chef de la diplomatie française, « constituent une armature indispensable de la mondialisation pour amortir les chocs entre le niveau du multilatéralisme parfait et celui du pur jeu des puissances ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206718/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Raoul Delcorde ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>G7, G20, Asean, BRICS et tant d’autres : les sommets internationaux se suivent à une cadence de plus en plus rapprochée. Faut-il y voir de simples passages obligés ou ont-ils une vraie utilité ?Raoul Delcorde, Ambassadeur honoraire de Belgique, Professeur invité, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2040712023-05-31T16:20:57Z2023-05-31T16:20:57ZComprendre l’essor de la diplomatie scientifique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/529310/original/file-20230531-27-5nd0xx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=307%2C9%2C2619%2C2235&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><span class="source">Double Brain</span></span></figcaption></figure><p>La complexité croissante des défis environnementaux (dérèglement climatique, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/transition-ecologique-66536">transition écologique</a>), sanitaires (pandémie inédite) et des changements sociétaux induits par l’évolution de technologies disruptives (<a href="https://theconversation.com/fr/topics/intelligence-artificielle-ia-22176">intelligence artificielle</a>, réalité augmentée) implique toujours plus la sphère scientifique dans la gouvernance internationale, en fournissant de l’expertise basée sur des preuves scientifiques pour instruire les décisions de politiques publiques.</p>
<p>L’idée de développer une « diplomatie scientifique » a ainsi fait son chemin. <a href="https://royalsociety.org/topics-policy/publications/2010/new-frontiers-science-diplomacy/">Une définition</a> consensuelle de ce concept émerge en 2010 à la Conférence de la <a href="https://royalsociety.org/">Royal Society</a> britannique et de <a href="https://www.aaas.org/sites/default/files/New_Frontiers.pdf">l’American Association for the Advancement of Science</a> (AAAS). Elle met en avant le principe de coopération internationale : « La diplomatie scientifique est l’utilisation des interactions scientifiques entre les États pour résoudre les problèmes communs auxquels l’humanité est confrontée et pour établir des partenariats internationaux constructifs, fondés sur la connaissance. »</p>
<p>Cette définition, très large, donne lieu à deux acceptions de ce concept.</p>
<h2>Deux idées de la diplomatie scientifique</h2>
<p>La première de ces deux visions se construit dans un <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2014-2-page-9.htm">« nationalisme méthodologique »</a>. De ce point de vue, la diplomatie scientifique est, pour chaque État, avant tout une projection de son « soft power », un élément qui participe à promouvoir l’intérêt national et un moyen de favoriser la participation de sa communauté scientifique aux <a href="https://journals.openedition.org/philosophiascientiae/2064">coopérations transnationales</a>.</p>
<p>Lorsqu’un pays utilise la diplomatie scientifique en mettant en avant ses propres avancées scientifiques, il considère la coopération scientifique internationale comme un moyen de renforcer son pouvoir d’attractivité et de promouvoir ses intérêts nationaux tout en contribuant au progrès scientifique mondial. Cela lui confère une influence accrue sur la scène internationale et renforce sa réputation de leader technologique.</p>
<p>La seconde acception de la notion de diplomatie scientifique conçoit la science et la recherche comme <a href="https://www.sciencediplomacy.org/sites/default/files/global_science_diplomacy_for_multilateralism_2.0_0.pdf">« nouveaux acteurs de la gouvernance globale »</a>. Cette vision a donné lieu à la création de différents <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52021JC0003">partenariats</a> entre les gouvernements, le secteur privé, la société civile, le monde universitaire et la communauté scientifique. Tous ces partenariats sont essentiels pour un multilatéralisme inclusif et fonctionnel. Ainsi, dans le contexte de la crise sanitaire du Covid-19, les États ont démontré une volonté de coopérer par-delà les frontières nationales malgré certaines tendances isolationnistes.</p>
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<p>Il est important de considérer que ces deux visions peuvent coexister et être mises en pratique en même temps, mais la reconnaissance du rôle croissant de la science dans la gouvernance mondiale, émerge comme un nouveau paradigme considéré comme une évolution plus récente de la diplomatie scientifique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-pandemie-de-covid-19-eclairee-par-lhistoire-de-la-cooperation-sanitaire-internationale-137461">La pandémie de Covid-19 éclairée par l’histoire de la coopération sanitaire internationale</a>
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<p>Le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/covax-92564">mécanisme COVAX</a> en est une illustration. Ce système, <a href="https://www.who.int/fr/initiatives/act-accelerator/covax">qui vise à accélérer la mise au point et la fabrication de vaccins contre le Covid-19</a> et d’assurer un accès juste et équitable à ces vaccins à l’échelle mondiale, atteste de la pertinence de la mutualisation des ressources pour faire face aux crises.</p>
<h2>Les initiatives internationales de diplomatie scientifique</h2>
<p>Entre 2018 et 2021, l’Union européenne, dans le cadre d’<a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/horizon-2020-le-programme-de-l-union-europeenne-pour-la-recherche-et-l-innovation-46458">Horizon 2020</a> (programme européen pour la recherche et le développement), met en place et finance une stratégie pour une diplomatie scientifique régionale avec le projet <a href="https://www.insscide.eu/about/about-us/">InsSciDE</a>, premier consortium interdisciplinaire européen. Il engage des réseaux de diplomates et de scientifiques, des experts en stratégie et des décideurs politiques pour mettre la diplomatie scientifique au premier plan et mieux l’utiliser. Le second projet européen <a href="https://www.s4d4c.eu/about/">S4D4C</a> déploie la diplomatie scientifique dans un cadre transnational. En effet, les défis globaux requièrent des actions collaboratives entre les gouvernements, par-delà des frontières nationales et des <a href="https://www.s4d4c.eu/time-for-a-new-era-of-science-diplomacy">intérêts étatiques</a>.</p>
<p>Par ailleurs, afin de soutenir les dynamiques développées au sein de ces projets, la <a href="https://www.science-diplomacy.eu/about/eu-science-diplomacy-alliance/">EU Science Diplomacy Alliance</a>, dont fait partie la représentation de <a href="https://www.auf.org/europe-ouest/">l’Agence universitaire de la Francophonie en Europe occidentale</a>, a été créée en 2021.</p>
<p>Plusieurs plates-formes comme le <a href="https://gesda.global/how-it-all-started/">GESDA</a> (<em>Geneva Science and Diplomacy Anticipator</em>) ou le <a href="https://gspi.ch/">GSPI</a> (<em>Geneva Sciences Policy Interface</em>) ont été mises en place à partir de 2018 à Genève, et relayées par l’organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN). Le GSPI contribue à la construction d’une synergie entre les multiples acteurs menant des travaux et appels à projets sur l’interface entre la science et la diplomatie. Dans ce cadre sont mises en place des formations à destination des professionnels de la politique et autres parties prenantes désireuses de contribuer à l’élaboration de politiques éclairées par la science.</p>
<p>En 2021, <a href="https://ufmsecretariat.org/fr/">l’Union pour la Méditerranée</a> (UpM) a développé des actions placées sous le signe de la diplomatie scientifique pour faire face aux problèmes tels que la pénurie d’eau, les inondations, la fonte des glaciers, la salinisation et l’érosion côtière. Ces actions permettent d’aligner les agendas scientifiques et diplomatiques et favorisent des partenariats entre les <a href="https://ufmsecretariat.org/wp-content/uploads/2021/12/Report_Science_Innovation_Diplomacy_Mediterranean_ALTA.pdf">rives sud-est et nord.</a> et entre les <a href="https://auforg.sharepoint.com/:w:/r/sites/fichiers/_layouts/15/Doc.aspx?sourcedoc=%7B26CAD922-96BC-48A6-BBDF-3483FD3471F2%7D&file=Compte-rendu%20UFM-Science%20Diplomacy%20Conference.docx&action=default&mobileredirect=true">Suds de cette région</a>. En juillet 2021, l’UpM a adopté un <a href="https://ufmsecretariat.org/mediterraneanpavilion/?event=science-diplomacy-and-climate-change-the-mediterranean-as-a-global-testbed">nouvel agenda</a> pour la coopération en matière de recherche et d’innovation dans la région, mettant l’accent sur les énergies renouvelables, la santé et le <a href="https://www.researchgate.net/publication/352153770_Challenges_in_strategies_for_socioeconomic_democratization_Assessing_solidarity_economy_policies_in_Barcelona">changement climatique</a>.</p>
<p>Autre initiative notable, pendant l’été 2022, l’American Association for the Advancement of Science (AAAS) et The World Academy of Sciences (TWAS), (deux associations qui ont notamment pour objectif de promouvoir la science, de défendre la liberté académique et d’encourager la responsabilité scientifique) ont proposé une <a href="https://twas.org/opportunity/aaas-twas-course-science-diplomacy">formation professionnelle en diplomatie scientifique</a> destinée aux scientifiques, décideurs politiques et diplomates. Les parties prenantes ont pu explorer les principales questions de politique internationale contemporaines liées à la science, à la technologie, à l’environnement et à la santé, et élaborer un socle de compétences visant à aider les participants à mener par la suite des carrières à l’intersection de la science et de la diplomatie.</p>
<p>Les rapports du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat – <a href="https://www.unep.org/fr/resources/rapport/sixieme-rapport-devaluation-du-giec-changement-climatique-2022">GIEC</a> sont des exemples éminents de la production scientifique au cœur des négociations internationales. Le dernier rapport du GIEC fait le point sur l’état des connaissances, à partir de l’évaluation critique des éléments issus des publications scientifiques, et plaide pour des politiques publiques associées à l’investissement dans la recherche et le développement. Le rapport souligne, sur la base de preuves scientifiques (<em>evidence-based policy</em>), les risques associés au changement climatique.</p>
<h2>Perspectives d’une diplomatie scientifique pour l’espace francophone</h2>
<p>Dans le même temps, on observe une sous-représentation des pratiques de diplomatie scientifique au sein de la francophonie.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/pV4vpUb-MZs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Organisée, promue et diffusée, la diplomatie scientifique peut pourtant être le fer de lance du réseau francophone. Les pays membres de la Francophonie entretiennent des liens privilégiés susceptibles de <a href="https://www.francophonie.org/sites/default/files/2020-02/passeport_2020.pdf">favoriser la coopération politique, éducative, économique et culturelle</a>.</p>
<p>Divers outils, initiatives et réseaux sont dédiés à l’encouragement de ces pratiques au sein de la francophonie. <a href="https://ingsa.org/ingsa-news/franco-secretariat-2022/">Un réseau francophone</a> a été mis en place au sein de l’International Network for Governmental Science Advice (INGSA), afin de soutenir la formation en conseil scientifique, de documenter et encourager les pratiques y relatives, et de <a href="https://ingsa.org/divisions/francophonie/fr/">favoriser les maillages entre les différents milieux</a>.</p>
<p>Initié par l’Agence universitaire de la Francophonie, le <a href="https://www.auf.org/nouvelles/actualites/le-manifeste-pour-une-diplomatie-scientifique-francophone-est-disponible/">« Manifeste pour une Diplomatie scientifique francophone »</a> a été signé en octobre 2022, lors de la Conférence ministérielle francophone des ministres en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cette déclaration insiste sur le développement d’actions autour de la formation, de la production, de la valorisation et de la circulation des savoirs au service d’une gouvernance multilatérale – façon, pour la Francophonie, de contribuer à l’élaboration de réponses aux défis globaux.</p>
<p>En conclusion, la diplomatie scientifique est devenue essentielle pour la formulation de politiques fondées sur des preuves scientifiques et le partage de connaissances pour relever les défis mondiaux cruciaux. Les initiatives concrètes de diplomatie scientifique démontrent la pertinence des interactions scientifiques entre les États pour faire face aux crises et promouvoir des politiques éclairées par la science. Au sein de la francophonie, des réseaux et initiatives se développent pour encourager la diplomatie scientifique, ou elle émerge comme un concept visant à placer la science au cœur des décisions politiques dans une gouvernance multilatérale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204071/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La gestion de crises impliquant une connaissance toujours plus précise des enjeux scientifiques, la diplomatie s’est dernièrement mise à accorder davantage d’importance aux experts.Marielle Payaud, Professeur des Universités, Agence Universitaire de la Francophonie (AUF)Olfa Zéribi, Professeur des Universités, Directrice Régionale Europe Occidentale, Agence Universitaire de la Francophonie (AUF)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1949772022-11-23T20:10:36Z2022-11-23T20:10:36ZG20, sommet de la rivalité sino-américaine ?<p>Réuni à Bali les <a href="https://linktr.ee/G20PresidencyofIndonesia">14-16 novembre derniers</a>, le sommet du G20 s’est déroulé sous le double signe de la guerre en Ukraine et du face-à-face sino-américain.</p>
<p>Tenu en l’absence de Vladimir Poutine, <a href="https://www.lefigaro.fr/international/poutine-sera-absent-du-g20-car-son-agenda-ne-lui-permet-pas-de-s-y-rendre-20221111">officiellement pour une question d’agenda trop chargé</a>, mais en présence de Xi Jinping, peu après le <a href="https://theconversation.com/20-congres-du-pcc-un-xi-jinping-plus-puissant-que-jamais-a-la-tete-dune-chine-fragilisee-193583">XXᵉ Congrès du Parti communiste chinois</a> où il a encore renforcé son emprise sur son pays, et de Joe Biden, quelques jours après des midterms <a href="https://theconversation.com/apres-les-elections-de-mi-mandat-quattendre-de-la-presidence-biden-194464">moins négatives que prévu pour le Parti démocrate</a>, ce sommet très attendu aura été un concentré des dynamiques internationales en cours sur la planète.</p>
<h2>Le G20, un sommet des puissants</h2>
<p>Le G20, <a href="https://www.g20.org/about-the-g20/">cénacle où les États les plus puissants du système international</a> se retrouvent annuellement, est souvent décrit comme une rencontre « en vain », tant le <a href="https://esprit.presse.fr/article/guehenno-jean-marie/la-crise-du-multilateralisme-38076">multilatéralisme est aujourd’hui en difficulté</a>.</p>
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<p>Pour autant, ce moment est l’occasion pour les dirigeants d’organiser des réunions bilatérales importantes tout en participant pleinement au cadre multilatéral et d’affirmer leurs positions sur les grandes questions internationales (sécurité, changement climatique, migrations, économie et finance ou encore développement).</p>
<p>Ce forum international regroupe dix-neuf États <a href="https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/stronger-europe-world/eu-g20_fr">et l’Union européenne</a>. Les chefs d’État et de gouvernement, mais aussi les présidents des banques centrales et les ministres des Finances en composent l’agenda.</p>
<p>Il semble important de rappeler ce que représente le G20. Les pays membres pèsent <a href="https://www.oecd.org/g20/about/">80 à 85 % du PIB mondial</a>, 75 % du commerce international et 60 % de la population de la planète. La majeure partie des problématiques internationales y sont donc abordées, et des décisions majeures peuvent y être prises.</p>
<p>L’édition de 2022 aura toutefois été dominée, plus que jamais, par le tête-à-tête entre les deux plus grandes puissances actuelles, la guerre en Ukraine et le ralentissement économique mondial.</p>
<h2>Rencontre Xi-Biden : un G2 à l’intérieur du G20 ?</h2>
<p>En amont du sommet, Joe Biden et Xi Jinping <a href="https://www.lepoint.fr/monde/rencontre-xi-biden-au-g20-de-bali-l-europe-attendra-14-11-2022-2497734_24.php">se sont rencontrés pendant trois heures</a>.</p>
<p>Ce déplacement a été la deuxième visite hors de Chine de Xi Jinping depuis le début de l’épidémie de Covid-19, après <a href="https://theconversation.com/quand-la-chine-organise-un-nouvel-espace-de-vassalite-190932">sa participation au sommet de l’OCS en septembre (Ouzbékistan)</a> et la visite d’État au Kazakhstan qu’il a effectuée dans la foulée.</p>
<p>Au lendemain du 20<sup>e</sup> Congrès du PCC, qui a entériné dans la durée le pouvoir de Xi en Chine, malgré des difficultés tous azimuts (ralentissement économique fort, chômage, dettes, vieillissement, etc.), le sommet a été l’occasion pour Pékin d’affirmer l’étendue de son influence dans son environnement régional et d’y disputer le leadership américain – et cela, d’autant plus qu’il a eu lieu en Asie.</p>
<p>L’entrevue Biden-Xi aura probablement été le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/14/joe-biden-et-xi-jinping-prets-au-dialogue_6149791_3210.html">principal enjeu international de ce sommet</a>. Jamais encore Joe Biden n’avait rencontré Xi Jinping depuis son accession à la présidence des États-Unis début 2021. Les deux hommes ont affiché une <a href="https://www.letemps.ch/monde/g20-bali-xi-biden-oeuvrent-un-degel">forme de décontraction, malgré les tensions</a>, et assuré avoir abordé <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2022/11/14/readout-of-president-joe-bidens-meeting-with-president-xi-jinping-of-the-peoples-republic-of-china/">toutes les grandes questions</a> structurant les relations internationales et la relation bilatérale : péninsule coréenne et sécurité, Taïwan, Xinjiang, droits de l’homme, questions commerciales et technologiques ou encore la cybersécurité.</p>
<p>Voilà déjà des années que <a href="https://www.brookings.edu/articles/the-united-states-and-china-a-g-2-in-the-making/">certains observateurs</a> évoquent un monde régi par un « G2 », les États-Unis et la Chine sa partageant en quelque sorte le <a href="https://www.scmp.com/news/china/article/3198852/world-edge-new-cold-war-abandoned-g2-concept-china-us-ties-may-find-its-moment-sun">contrôle des affaires internationales</a>. La réalité, plus nuancée, montre que si ces deux acteurs se trouvent bien au cœur des équilibres du monde, on constate également une affirmation des émergents d’une part et l’impact majeur des réalités géoéconomiques d’autre part.</p>
<p>L’Indonésie, l’Inde, une partie du Moyen-Orient et d’autres pays encore profitent des sommets du G20 pour faire entendre leur voix, favorisant une <a href="https://theprint.in/world/india-will-give-voice-to-other-developing-countries-during-g20-presidency-pm-modi/1218539/">désoccidentalisation progressive des affaires internationales</a>. Ces « Tiers-Voix » évitent de choisir de façon définitive entre Pékin et Washington (avec difficulté), et s’efforcent de jouer leur propre partition.</p>
<p>Dans le même temps, les évolutions géoéconomiques structurent les choix tactiques et stratégiques de <a href="https://economictimes.indiatimes.com/news/india/india-indonesia-host-track-ii-dialogue-in-run-up-to-g20-summit-with-focus-on-voices-of-developing-countries/articleshow/95434525.cms">l’ensemble des États et des autres acteurs du système international</a>. Les tendances des marchés européen, <a href="https://www.reuters.com/world/japan-says-world-needs-unity-one-voice-saying-russia-must-pay-high-price-2022-07-08/">nord-est asiatique (Japon, Corée du Sud et Taïwan)</a> et nord-américain donnent vie à un ensemble multipolaire hétérogène.</p>
<p>Le sommet du G20 marque aussi une inflexion du triomphalisme chinois des réunions précédentes, inflexion due aux difficultés du grand projet des Nouvelles routes de la soie. La fameuse « Belt and Road Initiative » (BRI) est <a href="https://asiatimes.com/2022/11/indonesia-china-and-the-future-of-the-belt-and-road/">progressivement délaissée par le Parti</a> au bénéfice d’une nouvelle stratégie dite <a href="https://www.fmprc.gov.cn/mfa_eng/zxxx_662805/202211/t20221116_10976578.html">« GDI – Global Development Initiative »</a></p>
<ul>
<li>aveu de faiblesse ou marque de l’échec du projet BRI dix ans après son lancement et la projection d’une « Chine première puissance mondiale en 2049 »…</li>
</ul>
<p>De l’autre côté, le concept d’Indopacifique <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/oceans-et-mondialisation/articles-scientifiques/espace-indopacifique-geopolitique">partagé par un nombre croissant d’États régionaux et extrarégionaux</a> tend à s’affirmer et à se consolider sur des sujets aussi bien diplomatiques que commerciaux. Des exercices interarmes multilatéraux (avec un tropisme naval fort) à la question de la vulnérabilité des milieux et de la biodiversité, les États asiatiques (Asie du Sud-Est, Japon, Corée du Sud, Taïwan, Inde) et occidentaux (Australie, États-Unis, Canada, UE, etc.) donnent du lustre aux formats multilatéraux <a href="https://www.mod.go.jp/en/d_act/exc/india_pacific/india_pacific-fr.html">à plusieurs échelles et dans divers domaines</a>. Une large partie des pays de l’UE, ainsi que les États-Unis et le Japon, semblent déterminés à apporter leur soutien au développement de cette immense zone, objet des attentions chinoises, lesquelles accroissent <a href="https://thediplomat.com/2022/10/will-the-bri-survive-economic-decoupling/">l’endettement de pays déjà fragiles</a>.</p>
<h2>Un multilatéralisme non occidental ?</h2>
<p>La voix d’autres États est elle aussi importante dans la recomposition régionale. Et notamment la voix de la France, <a href="http://www.newspress.fr/Communique_FR_316359_592.aspx">qui participe actuellement au sommet de l’APEC</a>. Alors que Joe Biden n’y participe pas, il y a un intérêt fort pour Paris d’y marquer sa présence en <a href="https://www.elysee.fr/admin/upload/default/0001/10/c3852600ccbecbccb2fa05ecf147fa307a79ac17.pdf">défendant sa vision dite « Indopacifique »</a>, basée sur le multilatéralisme, le développement, la coopération et la lutte contre le réchauffement climatique.</p>
<p>Emmanuel Macron, qui se rendra en Chine en 2023, a rencontré Xi Jinping au G20 (une première depuis 2019). Il souhaite, en particulier, <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/ukraine-macron-a-demande-a-xi-d-appeler-poutine-a-revenir-a-la-table-des-negociations-20221115">faire évoluer la position de Pékin sur le conflit en Ukraine</a>. Une partie des pays présents entendaient faire pression sur la Russie, notamment au sujet des questions de sécurité alimentaire. Ils auraient aimé rallier la Chine à la condamnation de la guerre. Mais même si Xi s’est déclaré opposé à l’usage de l’arme nucléaire, il n’emploie toujours pas le terme de « guerre » et <a href="https://www.atlanticcouncil.org/content-series/fastthinking/what-did-xi-and-biden-just-accomplish/">ne condamne pas ouvertement et explicitement l’action russe en Ukraine</a>. La Chine continue d’entretenir son lien diplomatico-stratégique avec Moscou, contre l’ordre international onusien.</p>
<p>La crise du multilatéralisme, le vide laissé par Poutine et son affaiblissement diplomatique encouragent le déploiement des volontés non occidentales dans la région – où <a href="https://www.courrierinternational.com/article/influences-l-union-africaine-veut-se-faire-une-place-dans-le-cenacle-du-g20">l’Union africaine, par exemple, souhaite gagner en visibilité</a>), où l’Inde, la Chine et les pays du Sud-Est asiatique alternent entre concurrence forte et interdépendance commerciale.</p>
<p>Alors que la présidence du <a href="https://www.indiatoday.in/india/story/india-2023-g20-summit-more-than-200-events-pm-modi-2297152-2022-11-14">G20 revient à l’Inde pour l’année 2023</a> et <a href="https://en.mercopress.com/2021/11/03/brazil-will-host-g20-summit-in-2024">au Brésil pour l’année suivante</a>, la grande leçon de ce G20 est peut-être que, parallèlement au duel américano-chinois, l’émergence des « Tiers-voix » non occidentales se fait de plus en plus sentir…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194977/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du FDBDA.</span></em></p>Si le récent G20 de Bali a été l’occasion de la première rencontre entre Xi Jinping et Joe Biden, il a aussi vu l’affirmation de plusieurs autres acteurs.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1820912022-05-01T16:44:20Z2022-05-01T16:44:20ZL’OMC face au défi du plurilatéralisme<p>L’<a href="https://docs.wto.org/dol2fe/Pages/SS/directdoc.aspx?filename=q:/WT/L/1129.pdf&Open=True">accord</a> signé en décembre dernier par 67 des 164 pays membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a fait la joie de João Aguiar Machado, représentant permanent de l’Union européenne auprès de l’organisme. La conclusion des négociations est venue comme une respiration pour un organisme qui n’était pas parvenu à un résultat significatif depuis 2013. Le texte vise à <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/omc-un-accord-pour-faire-decoller-le-commerce-des-services-1369512">simplifier les procédures administratives et réglementaires relatives aux échanges de services</a>, qui représentent aujourd’hui plus de 20 % du commerce mondial.</p>
<p>Une respiration, car l’OMC traverse aujourd’hui une <a href="https://www.cairn.info/revue-paysan-et-societe-2021-3-page-17.htm">crise profonde</a>, incapable de conclure le <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/dda_f/dda_f.htm">cycle de Doha</a>, ouvert en 2001, et de réguler le commerce mondial. Celle qui a pris le relais du <em>General agreement on tariffs and trade</em> (Gatt) au 1<sup>er</sup> janvier 1995 ne semble également plus en mesure de remplir sa fonction de règlement des conflits commerciaux. Les États-Unis, en particulier, se sont <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/12/10/l-organisation-mondiale-du-commerce-depose-les-armes_6022296_3234.html">opposés au renouvellement des juges</a> d’appel de son Organe de règlement des différends.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1466419495690453000"}"></div></p>
<p>De nombreux observateurs voient l’avenir de l’OMC dans le <a href="https://www.g20-insights.org/policy_briefs/boosting-g20-cooperation-for-wto-reform-leveraging-the-full-potential-of-plurilateral-initiatives/">développement du plurilatéralisme</a>. Par accord plurilatéral, on désigne un traité signé entre un nombre limité de pays en vue de libéraliser les échanges dans un secteur en particulier. Cette libéralisation peut se faire « à géométrie variable », étant donné que disparaît le besoin d’un <a href="https://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/10thi_f/10thi07_f.htm">consensus</a> entre un panel très large de pays comme c’est le cas à l’OMC. La généralisation de ces accords mettrait également fin au principe de l’engagement unique, en vertu duquel aucun thème de négociation ne peut faire l’objet d’un accord séparé. C’est l’adage « rien n’est conclu tant que tout n’est pas conclu ».</p>
<p>Les accords plurilatéraux en vigueur reconnus par l’OMC sont à ce jour au nombre de quatre. Les <a href="https://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/tif_f/agrm10_f.htm">deux premiers</a> sont entrés en vigueur au début des années 1980, à la suite du Tokyo round. Ils concernent le commerce des aéronefs civils et l’octroi de marché publics et unissent respectivement 33 et 48 parties. Le <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/inftec_f/inftec_f.htm">troisième</a>, signé à l’origine par 29 participants de la Conférence ministérielle de l’OMC qui s’est tenue à Singapour en décembre 1996, porte sur les technologies de l’information. Outre la signature de l’accord de décembre dernier, des négociations plurilatérales sont en cours sur le <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/ecom_f/joint_statement_f.htm">commerce électronique</a> (86 pays participants), les <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/envir_f/ega_f.htm">biens environnementaux</a> (46 pays participants), les <a href="https://www.lesechos.fr/2016/06/tisa-cet-accord-commercial-dont-on-ne-parle-pas-1111467">services</a> (50 pays participants) et la participation des <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/msmes_f/msmes_f.htm">Micro, petites et moyennes entreprises (MPME)</a> au commerce international (91 pays participants).</p>
<p>Avec la multiplication des accords plurilatéraux, l’OMC deviendrait alors un <a href="https://academic.oup.com/jiel/article/9/4/823/852466?login=true">« club de clubs »</a>, selon l’expression de Robert Z. Lawrence, professeur à Harvard et ancien conseiller économique du président Clinton. Cette dynamique de « petits pas » semble cependant conduire à une libéralisation globale des échanges autant qu’elle risque, au contraire, de déboucher sur une nouvelle fragmentation du multilatéralisme. Plusieurs arguments plaident en fait pour chacune des deux thèses.</p>
<h2>Préparer le terrain au multilatéralisme</h2>
<p>La première thèse est celle du <a href="https://www.wto.org/french/news_f/news18_f/trdev_17jul18_f.htm">« plurilatéralisme ouvert »</a> ou « plurilatéralisme inclusif ». Les accords plurilatéraux conclus dans le cadre de l’OMC ont, par définition, une vocation multilatérale : tout membre de l’OMC non-signataire d’un accord plurilatéral existant pourra y adhérer par la suite.</p>
<p>Par effet domino, un nombre croissant de pays ont donc adhéré aux différents accords plurilatéraux existants. Ainsi, l’Accord sur les Marchés Publics et surtout l’Accord sur les Technologies de l’Information ont exercé un effet d’attraction sur les pays tiers. Le second, signé au départ par 29 pays, comprend aujourd’hui 82 pays réalisant 97 % du commerce des produits des technologies de l’information.</p>
<p><iframe id="29D0q" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/29D0q/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Pareil accord peut, à titre expérimental, préparer le terrain au multilatéralisme. Il permet en effet de mesurer l’intérêt des pays membres de l’OMC pour un sujet que l’on envisage de mettre à l’ordre du jour de l’agenda. La « multilatéralisation » des accords plurilatéraux se trouve d’ailleurs facilitée lorsque la clause de la nation la plus favorisée est incorporée. Dans ce cas, les pays tiers ou non membres bénéficient en effet des avantages qui sont accordés aux pays membres.</p>
<h2>Logique d’exclusion</h2>
<p>Il y a cependant un revers à la médaille. La multiplication des accords plurilatéraux présente également des risques pour le multilatéralisme. Comme nous le soulignions dans une <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2016-2-page-143.htm">recherche</a> récente, le danger principal est celui d’une fragmentation du système commercial mondial.</p>
<p>Coexisteraient en effet deux types de pays, les « insiders », c’est-à-dire les pays membres des accords plurilatéraux, et les « outsiders », ceux qui en seraient exclus. Parmi ces derniers, devraient figurer la plupart des pays les moins développés. Dans les premières expériences d’accords, il apparaît déjà que les sujets des négociations sont choisis par les pays ayant un poids important dans le commerce mondial. Les services, le commerce des produits des technologies de l’information, ou les marchés publics sont des sujets d’un grand intérêt pour ces pays mais qui restent peu pertinents pour la très grande majorité des pays les moins développés.</p>
<p>Les pays en développement les plus pauvres ne souhaitent d’ailleurs pas adhérer à l’accord sur les technologies de l’information, de crainte que leurs entreprises du secteur ne soient rapidement éliminées par la concurrence d’entreprises étrangères plus compétitives.</p>
<p><iframe id="oebEw" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/oebEw/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Autre symbole de cette logique d’exclusion, aucune proposition de négociation commerciale plurilatérale ne porte, à ce jour, sur les produits agricoles. Il s’agit pourtant là d’un secteur dans lequel bon nombre de pays en développement sont très compétitifs.</p>
<p>On pourrait objecter à l’argument selon lequel les accords plurilatéraux visent à marginaliser les pays les moins développés que ces derniers pays auront tout loisir d’y adhérer quand leurs économies se seront développées. Soulignons cependant qu’il est difficile de rejoindre après coup un accord commercial déjà négocié, car il devient alors difficile de faire prévaloir ses intérêts.</p>
<h2>Éviter le « bol de spaghettis »</h2>
<p>Une règle émergente tend également à dire qu’un accord plurilatéral ne peut être « multilatéralisé » que si une « masse critique » de pays en est partie prenante. Cette masse critique permet de se prémunir du risque de comportement de passager clandestin de la part des principaux acteurs.</p>
<p>Cela favorise la marginalisation et l’exclusion des pays les moins développés. En effet, en raison de leur faible poids dans les échanges mondiaux, ces pays ne sont pas en mesure de constituer de masse critique et sont donc exclus a priori des négociations en vue de conclure des accords plurilatéraux à vocation multilatérale.</p>
<p>En résumé, face à la crise de l’OMC et au risque de démantèlement du système multilatéral actuel, le cadre de négociation plurilatéral constitue une étape intermédiaire pouvant conduire à terme à un multilatéralisme consolidé et renforcé. Ce but ne peut cependant être atteint que si les pays en viennent à s’accorder sur un <a href="https://www.g20-insights.org/policy_briefs/boosting-g20-cooperation-for-wto-reform-leveraging-the-full-potential-of-plurilateral-initiatives/">certains nombres de principes</a>.</p>
<p>Les accords plurilatéraux semblent devoir être ouverts à tous les membres, y compris, et surtout, aux pays les moins développés. Ceux-ci doivent faire l’objet d’une attention particulière, participer aux négociations et pouvoir adhérer aux accords existants lorsqu’ils le souhaitent.</p>
<p>Par ailleurs, une coordination doit être établie entre les différents accords plurilatéraux afin d’éviter tout chevauchement pouvant déboucher sur l’adoption de règles divergentes sur des questions proches, voire identiques. On parle de « bol de spaghetti de règles ». Une place doit, pour cela, être réservée pour des études d’impacts <em>ex ante</em> et des évaluations <em>ex post</em> des accords plurilatéraux.</p>
<p>Il paraît, enfin, important que les négociations soient menées de manière transparente. Le succès de la dynamique plurilatérale en cours semble dépendre dans une large mesure de l’adoption et du respect de ces principes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182091/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Dupuy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des accords construits par un nombre limité de pays avec la vocation de s’élargir à tous ? Telle semble être la voie actuellement empruntée à l’OMC. Avec les risques d’exclusion qui lui sont liés.Michel Dupuy, Professeur d'économie internationale, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1738142022-01-05T11:22:32Z2022-01-05T11:22:32ZL’atout de la puissance militaire française dans l’UE<p>Les candidates et candidats à l’élection présidentielle française ont pris l’habitude d’annoncer aux électeurs les lois et les décisions qu’ils feront adopter par l’UE sitôt élus.</p>
<p>Cette attitude relève de la pensée magique.</p>
<p>En effet, l’UE est un régime politique qui se caractérise par un pouvoir réparti entre une pluralité d’acteurs et de centres de décision. Les institutions qui regroupent les dirigeants des gouvernements nationaux doivent ainsi composer avec cette sorte de pouvoir exécutif européen qu’est la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/20330-quest-ce-que-la-commission-europeenne">Commission européenne</a>.</p>
<p>En outre, le <a href="https://www.europarl.europa.eu/portal/fr">Parlement européen</a> est bien plus indépendant que ne le sont les assemblées nationales, dont les majorités parlementaires sont dépendantes des chefs de gouvernement et des ministres issus de leurs rangs. Quant à l’autre assemblée qu’est le <a href="https://www.touteleurope.eu/institutions/le-conseil-de-l-union-europeenne/">Conseil de l’Union européenne</a>, ce parlement des vingt-sept États membres, le droit de veto y a presque disparu et les accords se font à la majorité qualifiée. Enfin, le président français, comme ses homologues, ne représente à Bruxelles qu’un 27<sup>e</sup> du temps de parole dans la définition des orientations du <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/european-council/">Conseil européen</a> (qui réunit les chefs d’État et de gouvernement).</p>
<p>La capacité d’un président français à imprimer sa marque sur la vie politique de l’UE est donc proportionnelle à sa capacité à convaincre ses homologues et à fabriquer des majorités politiques. Une politique européenne n’adviendra que lorsque le Parlement européen (assemblée des 705 députés élus au suffrage universel qui se regroupent par familles politiques et non par nationalités) se sera mis d’accord avec le Conseil de l’UE et avec la Commission (en charge de l’exécution des dites politiques et de l’intérêt général européen transcendant les intérêts nationaux et catégoriels). Un tel accord suppose en amont que se dégagent deux majorités en sa faveur : au sein du Parlement européen, et au sein du Conseil de l’UE.</p>
<h2>L’UE et l’« arrogance » française</h2>
<p>On pourrait penser que la capacité du dirigeant d’un État membre à peser sur les décisions de l’UE est proportionnelle au poids de son pays au sein de l’ensemble européen. Ce n’est pas si simple.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’Union européenne : comment ça marche ?</span></figcaption>
</figure>
<p>Depuis 1950 (<a href="https://www.herodote.net/9_mai_1950-evenement-19500509.php">création de la CECA</a>) et 1957 (<a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/les-traites-de-rome-1957/">traité de Rome</a> instituant la Communauté économique européenne), le système politique européen a été voulu et conçu comme antithèse du fameux « concert des nations » dont les congrès de Vienne (1815) et de Versailles (1919) auront été deux des manifestations les plus parlantes. L’Europe politique ne carbure ni au rapport de force, ni à la domination, ni à la hiérarchie entre les nations. Elle fonctionne à l’égale dignité de ses membres, quel que soit leur poids ; à la prise en compte de la pluralité des points de vue et des intérêts ; et donc à la délibération qui produit du compromis et de l’intérêt général.</p>
<p>Corporatismes et intérêts particuliers cherchent à se faire entendre et à peser, de même (et c’est heureux !) que les représentations idéologiques. Il y a parfois des arrangements contraires à la morale publique. Bien sûr. Mais, dans l’ensemble, l’Europe est un régime démocratique. La France y est influente lorsqu’elle sait convaincre et qu’elle sait écouter. Or, la façon pyramidale et solitaire qu’ont les présidents français de la V<sup>e</sup> République d’exercer le pouvoir et de mettre en scène leurs certitudes limite l’influence française au sein du système politique européen.</p>
<p>Les nombreuses <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/12/09/presidence-francaise-de-l-ue-emmanuel-macron-souhaite-une-europe-puissante-dans-le-monde-pleinement-souveraine_6105392_823448.html">propositions d’approfondissement</a> de l’UE avancées par Emmanuel Macron ne sont ainsi pas parvenues à dissiper le traditionnel cliché d’arrogance française. Au contraire, seule la crise pandémique du Covid-19 et ses graves conséquences économiques et sociales ont convaincu les dirigeants européens de relancer la construction européenne au moyen de politiques disruptives et inédites, dont plusieurs, comme le financement d’investissements communs <a href="https://investir.lesechos.fr/marches/actualites/des-bons-du-tresor-de-la-zone-euro-projet-sense-mais-sensible-1840186.php">par l’émission de bons du Trésor européens</a>, étaient proposées par le président français depuis le début de son mandat.</p>
<p>Le cliché de l’arrogance française sur la scène politique européenne se nourrit d’une double représentation : d’une part, les dirigeants français prétendent <a href="https://www.liberation.fr/evenement/2003/02/19/jacques-chirac-jette-un-froid-a-l-est_431400/">mieux savoir que les autres</a> ce qui est bon pour l’Europe – c’est l’impression qu’ils donnent ; d’autre part, les dirigeants français ne sauraient ni réformer ni moderniser leur pays, et leurs certitudes ne seraient donc pas crédibles.</p>
<p>Ainsi, la constance des dirigeants français du XXI<sup>e</sup> siècle (de Chirac à Macron) à <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/la-france-a-l-offensive-pour-lancer-la-reforme-des-regles-europeennes-sur-la-dette-et-le-deficit-20210414">vouloir réformer</a>, voire supprimer, les critères de Maastricht va de pair avec des dépenses et un endettement publics français élevés et en progrès constants, un déficit commercial structurel, une désindustrialisation accélérée ces dix dernières années et un chômage persistant.</p>
<p>En conséquence de quoi, la France n’est pas considérée comme un modèle dont s’inspirer en matière de politiques publiques en Europe.</p>
<p>Pour ces différentes raisons, les propositions de Paris n’ont de chances d’être influentes que portées par un gouvernement français en étroite liaison avec ceux d’un ou plusieurs autres pays, notamment de l’Allemagne. Le <a href="https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/plan-de-relance-europeen-quelles-sont-les-prochaines-etapes/">plan de relance</a> a beau résonner avec une certaine vision française des politiques publiques européennes, il est devenu concevable lorsque dix pays l’ont proposé en principe, que le Conseil européen a demandé à la Commission de le rédiger, et que le <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/05/18/la-france-et-l-allemagne-proposent-un-plan-de-relance-europeen-de-500-milliards-d-euros_6040040_3234.html">couple franco-allemand en a proposé une version possible</a>.</p>
<h2>La géopolitique, atout inattendu de la France dans l’UE…</h2>
<p>Pour autant, l’influence de la France dans l’UE est aujourd’hui grandissante dans un registre inattendu : celui de la résolution des crises et des défis géopolitiques. Avec <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/06/12/l-europe-en-quete-d-une-autonomie-strategique-encore-contestee-et-peu-tangible_6083824_3210.html">son antienne de l’Europe-puissance</a> (aujourd’hui rebaptisée autonomie stratégique), la classe politique française a longtemps été soupçonnée de chercher à utiliser l’Europe pour déployer une politique mondiale dont la France n’aurait plus seule les moyens.</p>
<p>Il se trouve que depuis le début des années 2010, de plus en plus d’Européens s’accordent à considérer que l’environnement international est porteur de menaces : la Russie (et, dans une moindre mesure, la Turquie) cherche à <a href="https://www.lefigaro.fr/international/l-europe-peine-a-riposter-aux-tentatives-de-destabilisation-russes-20210318">déstabiliser plusieurs pays de l’UE</a> et <a href="https://theconversation.com/faut-il-salarmer-des-nouveaux-bruits-de-bottes-a-la-frontiere-russo-ukrainienne-173224">entretient des conflits à ses frontières</a> ; la Chine communiste considère l’Europe comme un vaste gisement de ressources de différentes sortes qu’elle <a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/doc/questions-d-europe/qe-569-fr.pdf">cherche à capter</a> au profit de son économie et de sa puissance ; avec le trumpisme, les États-Unis <a href="https://theconversation.com/diplomatie-de-quoi-lamerique-de-joe-biden-est-elle-le-nom-168880">ne peuvent plus être considérés</a> comme un allié indéfectible et fiable dans la durée ; le djihadisme, en essor, cible tout particulièrement l’Europe.</p>
<p>Dans ce nouveau contexte, la situation de la France, puissance militaire moyenne à vocation mondiale (force de frappe nucléaire, industrie de défense parmi les premières au monde, première armée de l’UE, cinq bases militaires à l’étranger, expérience certaine des opérations extérieures, deuxième domaine maritime mondial) est regardée dans l’UE avec un œil neuf.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1270639884374548480"}"></div></p>
<p>Quelles que soient <a href="https://theconversation.com/limpasse-du-contre-terrorisme-au-sahel-52171">ses limites et ses lacunes</a>, la politique française de lutte contre le djihadisme au Sahel (Serval puis Barkhane ; impulsion du G5 Sahel) s’est européanisée. D’une part avec la force Takuba, qui regroupe des forces spéciales de <a href="https://www.defense.gouv.fr/operations/actualites2/barkhane-task-force-takuba-la-france-passe-le-commandement-a-la-suede">dix États membres de l’UE</a> ; d’autre part, avec l’implication des Européens dans la <a href="https://www.coalition-sahel.org/coalition-pour-le-sahel/">Coalition internationale pour le Sahel</a>, dont le siège est à Bruxelles. Cette dernière rassemble des ressources humaines et financières de pays européens, africains et américains pour l’aide au développement et au renforcement des services et des politiques publics. Ce sont deux signaux faibles qu’à l’invitation de la France, les Européens seraient en train de considérer le Sahel comme la frontière sud de l’UE.</p>
<p>De façon comparable, la perception de l’implication de la France en Libye a changé. Elle était classiquement perçue par les autres pays de l’Union comme une facette de l’interventionnisme post-colonial d’une France « gendarme de l’Afrique ». Après avoir été <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/06/26/en-libye-le-pari-perdu-de-la-france_6044218_3212.html">critiquée</a> pour son interventionnisme en échec dans la guerre civile, la France est dorénavant un peu plus vue par l’UE comme porteuse d’une expérience spécifique mobilisable au service des intérêts des Européens : ramener la paix civile et à la stabilité politique aux portes de l’Europe tout en y endiguant l’immixtion des États turc et russe. <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20211111-libye-une-conf%C3%A9rence-internationale-%C3%A0-paris-pour-soutenir-le-fragile-processus-%C3%A9lectoral">La conférence de Paris sur la Libye</a> de novembre 2021 a été conçue comme le prolongement de <a href="https://www.auswaertiges-amt.de/fr/newsroom-/-/2467900">celle de Berlin</a> du mois de juin précédent. Français, Allemands et Italiens convergent dorénavant plus qu’ils ne rivalisent dans leur appréhension de la crise libyenne.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1282289592029319169"}"></div></p>
<p>Cette convergence se nourrit notamment d’un diagnostic partagé sur une Russie et une Turquie dont les menées déstabilisent les politiques européennes dans la région méditerranéenne. En Libye, donc, où la Turquie et la Russie sont devenues deux acteurs influents à la faveur de l’absence de politique commune des Européens dans la guerre civile. En Syrie, où la Russie a soutenu avec succès le régime de Bachar Al-Assad, adversaire des Européens, tandis que la Turquie a attaqué et affaibli les Kurdes, alliés des Européens contre Daech. À Chypre, la Turquie occupe militairement la partie nord de cet État membre de l’UE. En République centrafricaine et au Mali, la Russie cherche à perturber, voire à saper, les politiques françaises et européennes en Afrique centrale et au Sahel. Moscou déploie dans ces deux pays un dispositif hybride qui mêle l’implantation cœur du pouvoir de la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/au-mali-la-france-resiste-aux-mercenaires-de-wagner-20211205">compagnie de mercenaires russe Wagner</a> et la diffusion d’une propagande très hostile à la présence française.</p>
<p>Le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/13/tensions-entre-la-grece-et-la-turquie-la-france-envoie-deux-rafale-et-deux-batiments-de-la-marine-nationale_6048868_3210.html">vigoureux soutien</a> de la marine française à la Grèce durant les quelques semaines où la marine turque a pénétré son espace maritime pour en contester la souveraineté hellène et européenne a montré de façon inédite que l’UE comptait sur la spécificité militaire française pour faire face à des menaces extérieures.</p>
<p>Face aux agressions de l’administration Poutine (déstabilisation et morcellement de l’Ukraine pour punir les Ukrainiens de se rapprocher de l’UE ; <a href="https://theconversation.com/la-bielorussie-detat-pivot-a-nouveau-rideau-de-fer-en-europe-165454">instrumentalisation de la dictature biélorusse</a> pour provoquer une crise des réfugiés sur la frontière orientale de l’UE ; <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/deux-navires-militaires-russes-violent-lespace-maritime-de-la-suede-1381647">viol des espaces maritimes</a>, <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/le-danemark-denonce-la-violation-de-son-espace-aerien-par-deux-avions-russes-20210611">aériens</a> et <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/l-union-europeenne-denonce-le-cyberespionnage-russe-et-menace-de-sanctions-20210924">cyber</a> des États membres de l’UE riverains de la Baltique…), la force de dissuasion nucléaire de la France n’apparaît plus seulement comme une bizarrerie ou un particularisme.</p>
<p>Le <a href="https://euradio.fr/2019/12/09/dou-ca-vient-le-format-normandie/">format Normandie</a> (forum quadripartite de gestion du conflit de l’Est ukrainien) initié par les autorités françaises et allemandes, peut être perçu comme la mise au service de l’intérêt général européen de la tradition diplomatique française de gestion des crises militaires. Cela d’autant plus qu’il s’agit d’une démarche qui n’est pas solitaire mais menée avec l’Allemagne. Il y a certes débat entre, d’un côté, le couple franco-allemand, et, de l’autre, la Pologne et les États baltes sur l’opportunité de dialoguer ou non avec les autorités russes ; pour autant, tous s’accordent à considérer qu’il y a une menace russe et qu’il convient de la parer ensemble.</p>
<h2>… et de son plaidoyer pour l’Europe de la défense</h2>
<p>Le classique plaidoyer des dirigeants français pour une Europe de la défense, quels qu’en soient les contours, est désormais considéré avec plus d’attention et d’intérêt. Puisque l’administration Biden <a href="https://www.lesoir.be/405750/article/2021-11-10/europe-de-la-defense-avec-la-benediction-du-president-biden">semble encourager</a> les progrès de cette dernière dans le cadre de sa réassurance de l’Alliance atlantique, le chantier de l’Europe de la défense pourrait bien être la plus féconde des nombreuses priorités de la <a href="https://www.touteleurope.eu/presidence-du-conseil-de-l-union-europeenne/qu-est-ce-que-la-pfue-la-presidence-francaise-du-conseil-de-l-union-europeenne/">présidence française du conseil de l’UE</a> du premier semestre 2022.</p>
<p>L’UE, <a href="https://www.lemonde.fr/prix-nobel/article/2012/10/12/le-prix-nobel-de-la-paix-est-decerne-a-l-union-europeenne_1774412_1772031.html">prix Nobel de la paix en 2012</a>, s’est en sept décennies édifiée en dehors du (voire en opposition au) paradigme de la puissance et du rapport de force. Face au retour de la géopolitique qui bouscule ce fondement de la construction européenne, l’aptitude persistante de la France à l’autonomie stratégique et aux interventions militaires offre à sa classe politique une chance d’être écoutée par ses homologues européennes. En ce sens, la présidence semestrielle du Conseil de l’UE par la France en 2022 est pour le président Macron une opportunité d’en finir avec le stéréotype de l’arrogance française.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173814/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Unique puissance nucléaire de l’UE, forte de son expérience militaire, la France a l’opportunité d’être écoutée par des Européens qui doivent faire face à des menaces géopolitiques.Sylvain Kahn, Professeur agrégé d'histoire, docteur en géographie, Centre d'histoire de Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1718592021-11-18T21:33:25Z2021-11-18T21:33:25ZL’OMC joue-t-elle sa survie lors de sa douzième conférence ministérielle à Genève ?<p>Du 30 novembre au 3 décembre 2021 se tiendra, à Genève en Suisse, la douzième conférence ministérielle (CM-XII) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la neuvième du Programme de Doha pour le développement (PDD), lancé en 2001 et initialement censé se conclure en 2005.</p>
<p>Cette conférence ministérielle se tient dans un contexte particulier marqué par l’accentuation de la crise d’efficacité et de légitimité du multilatéralisme commercial. D’une part, l’OMC se révèle incapable de délivrer des accords opérationnels, le dernier (l’Accord sur la facilitation du commerce) date de 2017 et le « joyau de la couronne » multilatérale, à savoir le mécanisme de règlement des différends, reste bloqué depuis décembre 2019 suite aux critiques adressées à son organe d’appel (OA).</p>
<p>D’autre part, l’OMC est contestée et contournée par les initiatives bilatérales et régionales et un retour des pratiques discriminatoires et restrictives avec la crise pandémique. La Conférence ministérielle de Genève sera-t-elle une énième étape dans cette crise ou marquera-t-elle une réelle relance du processus de négociation ?</p>
<h2>Le Covid long… de l’économie mondiale</h2>
<p>Cette douzième conférence ministérielle se déroule alors que le système commercial international subit les <a href="https://www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2015/wp1506.pdf">effets récessifs</a> liés à la crise de Covid-19 qui s’agrègent au grand ralentissement consécutif de la crise financière globale de 2007-2009.</p>
<p>Plusieurs facteurs expliquent cette <em>slowbalisation</em>. Outre les crises successives, le rythme de développement des chaînes de valeur globales s’est ralenti et celles-ci se sont réorganisées sur des bases plus régionalisées. Déjà à l’œuvre depuis 2011 suite à la triple catastrophe survenue au Japon et aux inondations en Thaïlande, le phénomène pourrait prendre de l’ampleur, la crise sanitaire ayant entraîné une rupture dans les chaînes d’approvisionnement dommageable pour les firmes, et révélé les vulnérabilités des économies nationales face à ce mode d’organisation de la production.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1250116377924567042"}"></div></p>
<p>Enfin, le retour des logiques de puissance, de souveraineté comme paramètre clé des relations économiques internationales. On assiste à une arsenalisation des interdépendances économiques avec l’affirmation de politiques mercantilistes (productives et technologiques), la sécurisation des enjeux économiques internationaux (sécurité énergétique, alimentaire, sanitaire, climatique, technologique) sur fond de rivalités de puissance et de reconfiguration des alliances stratégiques (nouvelle alliance Indo-Pacifique, rénovation de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, projet chinois de Route de la soie, etc.).</p>
<h2>Multilatéralisme conflictuel</h2>
<p>Comme nous le relevions dans un récent <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02897845">article</a> de recherche, les nouveaux équilibres de puissance ont progressivement érodé la grammaire du système commercial multilatéral fondé sur la non-discrimination (égalité de traitement), la réciprocité et le leadership. Les nouvelles puissances émergentes ne s’inscrivent pas dans une logique d’égalité de traitement – au contraire, elles revendiquent un traitement spécial plus favorable, auquel elles ont d’ailleurs droit – et elles rompent avec le principe du « traitement national » en favorisant, par tout un ensemble de distorsions internes, leurs firmes nationales.</p>
<p>La « réciprocité », elle aussi, est mise à mal, car elle repose sur l’échange de concessions tarifaires alors que, désormais, ce sont les obstacles normatifs et réglementaires qui prévalent, qu’il s’agisse d’investissement, de concurrence, de marchés publics ou de normes sanitaires.</p>
<p>Depuis la crise financière globale de 2008, la puissance installée (États-Unis) est désormais moins disposée au compromis face à la puissance ascendante (Chine). Il semble loin le temps où Washington établissait des relations commerciales « normales et permanentes » (mai 2000) avec la Pékin, condition de son accession l’année suivante à l’OMC (décembre 2001). Qualifiée, depuis 2008, de « rival stratégique », le G7 de Carbis Bay (2021) officialise son statut de « rival systémique, [de] partenaire sur les enjeux globaux et [de] concurrent » économique.</p>
<h2>« Dernière chance »</h2>
<p>C’est dans ce contexte que les États membres préparent la douzième conférence ministérielle, qui aurait qualifiée par la nouvelle directrice générale, la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala, de <a href="https://www.twn.my/title2/wto.info/2021/ti211023.htm">conférence de la dernière chance</a> où se joue la survie de l’OMC. Cette dramaturgie, traditionnelle dans ce genre de situation, n’en est pas moins révélatrice d’une série d’enjeux sur lesquels les États membres devront trouver des compromis.</p>
<p>Tout d’abord, des enjeux institutionnels. C’est ici la possibilité de résoudre le d’<a href="https://boris.unibe.ch/12178/7/CottierElsig_Governing.pdf">impossibilité décisionnelle</a> qui se pose et, en filigrane, la capacité de relancer le multilatéralisme commercial. Selon ce triangle, il serait impossible d’aboutir à un accord commercial à 164 États membres sur la base du consensus tout en respectant la règle de l’engagement unique (« l’on n’est d’accord sur rien tant que l’on n’est pas d’accord sur tout »).</p>
<p>Même s’il convient d’en relativiser l’importance dans la compréhension des blocages des négociations, ce trilemme a le mérite de préciser les paramètres de la rénovation de l’OMC en tant que système de négociations. À ce titre, l’option plurilatérale semble la plus probable depuis l’adoption des <a href="https://unctad.org/news/developing-countries-and-trade-negotiations-e-commerce#:%7E:text=Over%2080%20members%20of%20the%20World%20Trade%20Organization,conference%20to%20be%20held%20when%20conditions%20so%20permit.">Joint Statement Initiatives</a> (JSI) en 2017 par des groupes restreints de pays (le Groupe d’Ottawa, en particulier) comme moyen d’avancer certaines négociations. Ainsi, en parallèle aux « accords de consensus », une place plus conséquente serait faite aux « accords de masse critique » ouvrant la voie à une OMC à géométrie variable, centrée sur des négociations sectorielles.</p>
<p>Ce multilatéralisme comme emboîtement d’accords plurilatéraux permettrait de prendre compte l’hétérogénéité structurelle et le pluralisme institutionnel qui caractérisent, désormais, le système des échanges internationaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1036839773548232706"}"></div></p>
<p>Le second enjeu institutionnel est celui de la réforme de la procédure de règlement des différends. Les États membres devront trouver un compromis faute de quoi l’efficacité et la légitimité de l’OMC seront mises à rude épreuve. La Conférence ministérielle actera-t-elle un projet de réforme de la procédure d’appel ou celui du renforcement des disciplines ? C’est cette seconde option qui semble rencontrer le soutien des principales économies, Chine exceptée. Toutefois, un consensus semble inatteignable d’ici fin novembre sur le dossier de la réforme de la procédure de règlement des différends.</p>
<p>Ensuite, les enjeux de négociations, c’est-à-dire l’avenir du PDD. Soit y mettre un terme au risque de décrédibiliser le système, particulièrement aux yeux des pays en développement (PED) et des pays les moins avancés (PMA). Soit les États membres se contentent, à l’instar de ce qui a cours depuis 2009, de formules incantatoires sans lendemain sur la nécessité de conclure ce cycle. Scénario tout aussi préjudiciable.</p>
<p>La CM-XII pourrait acter la mutation du PDD en une série de négociations, plus ou moins en rapport avec le programme original, reflétant les intérêts des puissances majeures, à savoir les 7 pays conviés aux réunions salon vert ces dernières semaines : États-Unis, Union européenne, Chine, Inde, Australie, Brésil, Afrique du Sud.</p>
<h2>Transformations structurelles</h2>
<p>En raison de la conjoncture, une déclaration sur la garantie d’un accès rapide et équitable aux vaccins et aux produits essentiels pour la lutte contre le Covid-19 sera adoptée. En revanche, celle concernant une dérogation de trois années à certaines dispositions de l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle concernant les vaccins et traitements anti-Covid-19 sera difficile à obtenir.</p>
<p>Il est, également, attendu une décision sur l’agriculture, étalon de mesure du succès ou non des ministérielles. Sur les huit dossiers de la négociation (accès aux marchés, supports internes, concurrence à l’exportation, restrictions aux exportations, coton, stock public pour sécurité alimentaire, mécanisme de sauvegarde spécial pour les PED et transparence), les trois derniers pourraient donner lieu à un texte, peu d’avancées sont attendues pour les autres.</p>
<p>De même, une configuration favorable à une ministérielle « ambitieuse » en matière d’environnement semble se dessiner. Une décision sur les subventions à la pêche préjudiciable et une initiative sur le commerce écologiquement durable des plastiques sont attendues. Des déclarations relatives au rôle des politiques commerciales dans la lutte contre les changements climatiques, la sécurité alimentaire, les systèmes alimentaires durables et la restauration de la biodiversité ainsi que sur la libéralisation des biens et services environnementaux pourraient figurer dans la déclaration finale.</p>
<p>Enfin, les enjeux systémiques qui portent sur la finalité de la gouvernance multilatérale des échanges. Quel modèle de globalisation devrait promouvoir l’OMC à l’aune de la triple crise économique, écologique et sanitaire qui se déploie actuellement et dans les années à venir ?</p>
<p>Le modèle historique d’ouverture des marchés et de démantèlement des protections au-delà des frontières selon le principe de réciprocité en vue d’accroître les exportations n’est plus opérationnel au regard des transformations structurelles et géopolitiques produites par la globalisation. La CM-XII pourrait être l’occasion d’ouvrir une réflexion, pas uniquement, sur des réformes de procédures, mais également sur la finalité de la gouvernance commerciale multilatérale.</p>
<p>La lutte contre les changements climatiques et leurs effets devrait-elle être au centre des nouvelles négociations ? La réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) devrait-elle en constituer l’objectif premier de l’OMC ? De fait, savoir si le régime commercial de l’OMC est un levier ou un obstacle à une globalisation praticable socialement et écologiquement et à quelles conditions il pourrait l’être semble un préalable à tout réinvestissement dans le cadre multilatéral.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171859/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mehdi Abbas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Organisation mondiale du commerce se réunira fin novembre pour tenter de lever des points de blocage qui subsistent depuis des années.Mehdi Abbas, Maître de conférence, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1696522021-10-11T19:06:14Z2021-10-11T19:06:14ZLutte contre l’évasion fiscale : les Pandora Papers révèlent le chemin qu’il reste à parcourir<p>La liste était déjà longue : Offshore Leaks, Panama Papers, Paradis Papers, LuxLeaks, ou Open Lux. Il faut désormais ajouter à ces révélations celles des Pandora Papers. Cette nouvelle enquête a été réalisée, comme les précédentes par le Consortium international des journalistes d’investigation (<a href="https://www.icij.org/">ICIJ</a>). Les fins limiers ont dépouillé <a href="https://www.msn.com/fr-fr/video/actualite/pandora-papers-des-centaines-de-personnalit-c3-a9s-publiques-c3-a9clabouss-c3-a9es/">11,9 millions de documents</a>. La nouveauté tient au fait que sept présidents et quatre premiers ministres en exercice, un ancien président du Fonds monétaire international et des centaines de responsables politiques sont cités. Le montant des avoirs dissimulés serait de 11 300 milliards de dollars, soit environ 9 400 milliards d’euros.</p>
<p>Les Caraïbes, le Luxembourg, les îles Vierges, l’État américain du Delaware, où le président Joe Biden a fait sa carrière, restent les territoires sur lesquels la fraude peut s’épanouir. Le secret bancaire conjugué au secret des affaires, les sociétés-écrans et les sociétés d’investissement, comme BlackRock, ont pris des positions stratégiques attirant le produit de la fraude et de tous les trafics. La financiarisation des économies facilite les opérations.</p>
<h2>Ce qui a déjà été fait</h2>
<p>Cependant, il serait faux de considérer que rien n’a été fait depuis la crise de 2008. Les différents G20, depuis celui de <a href="https://www.lefigaro.fr/patrimoine/2009/04/02/05001-20090402ARTFIG00514-le-g20-sanctionnera-les-paradis-fiscaux-non-cooperatifs-.php">Londres en 2009</a>, expriment avec constance une volonté politique de renforcer l’échange d’informations à des fins fiscales dans un souci de transparence mais aussi de combattre l’érosion des bases d’imposition, ou encore de contrarier l’utilisation abusive des conventions fiscales qui conduit certains contribuables ingénieux à être en situation de double non-imposition. L’échange automatique de renseignements est une réalité.</p>
<p>À l’initiative de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), depuis 2018, une norme commune de déclaration (NCD) a permis d’échanger des renseignements sur 47 millions de comptes à l’étranger, pour une <a href="https://www.oecd.org/tax/transparency/rapport-mise-en-oeuvre-AEOI-2019.pdf">valeur totale de 4 900 milliards d’euros</a>. L’initiative d’échange automatique de renseignements, inscrit dans 4 500 conventions fiscales bilatérales, représente un mouvement <a href="https://www.larcier.com/fr/l-impot-dans-une-economie-mondialisee-2021-9782802770282.html">d’échanges d’informations</a> sans précédent. Tout ceci ne doit pas être sans conséquence sur le contrôle fiscal et les recettes publiques qui, notamment, financent des services et participent à la vie économique du pays.</p>
<h2>Ce qui se fait actuellement</h2>
<p>À la demande du G20, l’OCDE a conçu quinze actions dans le cadre de son plan <a href="https://www.oecd.org/tax/beps/about/">Base Erosion and Profit Shifting (BEPS)</a> et mis en place une <a href="https://www.oecd.org/fr/ctp/conventions/convention-multilaterale-pour-la-mise-en-oeuvre-des-mesures-relatives-aux-conventions-fiscales-pour-prevenir-le-beps.htm">convention multilatérale</a> pour la mise en œuvre de mesures relatives aux conventions fiscales. L’objectif est de prévenir l’érosion de la base d’imposition et des transferts de bénéfices vers des États à fiscalité privilégiée et où, généralement, le secret sous toutes ses formes est cultivé.</p>
<p>Il s’agit là de lutter contre le « chalandage fiscal » (<em>treaty shopping</em>), qui fait partie de l’ingénierie fiscale des entreprises qui choisissent de localiser les profits en fonction de la fiscalité des pays. Cet exercice nous place dans la zone grise de l’évasion, avec le risque d’aboutir à « une <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/9789264225329-fr.pdf">double non-imposition</a> », comme le souligne l’OCDE. Autrement dit, le profit ou le produit n’est ni taxé dans le pays de la source ni dans le pays de destination où il sera appréhendé.</p>
<p>La convention multilatérale vise également à lutter contre la <a href="https://www.larcier.com/fr/l-impot-dans-une-economie-mondialisee-2021-9782802770282.html">manipulation des prix de transfert</a>, c’est-à-dire les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises associées.</p>
<p>Les États signataires ont la possibilité d’émettre des réserves, faisant qu’une partie de la convention peut ne pas être appliquée. Il est possible que les standards proposés soient déjà dans le droit interne de l’État, ce qui rend inutile le dispositif de la convention, ou que l’État ne souhaite pas appliquer une partie du texte.</p>
<p>Par exemple, la Chine a posé des <a href="https://www.oecd.org/tax/dispute/China-Dispute-Resolution-Profile.pdf">réserves</a> sur toute la partie de la convention ayant trait à l’arbitrage car elle considère que cette « justice privée » porte atteinte à sa souveraineté. Cette position de principe dépasse la question fiscale.</p>
<p>Les États qui ont signé la convention ont envoyé un message politique fort, mais pour beaucoup d’entre eux, celle-ci n’est pas encore ratifiée, notamment par les parlements nationaux.</p>
<p>Il est donc trop tôt pour porter un jugement définitif sur la mise en œuvre de la Convention. Laissons le temps aux États d’intégrer les nouvelles dispositions dans leur droit conventionnel, de modifier éventuellement leur droit interne et leurs pratiques administratives.</p>
<h2>Ce qu’il reste à faire</h2>
<p>Ces initiatives multilatérales laissent cependant plusieurs questions essentielles en suspens. Comment rendre plus transparentes, sauf à les interdire, les sociétés-écrans qui dissimulent le ou les bénéficiaires effectifs d’une distribution de bénéfices ? Comment faire pour que les sociétés d’investissements dévoilent, un plus qu’elles ne le font, les personnes physiques et morales qui y participent ?</p>
<p>Le droit des sociétés, le droit bancaire et le droit des affaires, qui restent pour l’essentiel des droits d’abord nationaux, doivent encore être modifiés par aller plus loin dans la lutte contre l’évasion fiscale. Tout ceci n’a de sens que si le chantier est ouvert au niveau mondial. Ces difficultés juridiques pourraient être surmontées avec une volonté politique, mais il faudra effectivement compter sur les résistances et les oppositions de <a href="https://theconversation.com/recevoir-des-millions-pour-cacher-des-billions-les-pandora-papers-demasquent-aussi-les-facilitateurs-du-crime-financier-169438">ceux qui, aujourd’hui, vivent du système</a>.</p>
<p>Les exigences de transparence pourraient également être renforcées dans la lignée des initiatives lancées depuis 2008. Les administrations fiscales nationales pourraient en outre se montrer réactives, avec des procédures allégées et des échanges plus fluides. L’harmonisation des procédures d’investigation et de contrôle faciliterait en outre la lutte contre la fraude. Or, nous en sommes encore loin.</p>
<p>Enfin, les sanctions applicables pourraient être renforcées en interdisant par exemple toute forme de négociation des amendes et des pénalités. La privation des droits civiques, ou encore rendre public les noms et qualités des fraudeurs pourraient également être mis en œuvre.</p>
<p>Un pas vient d’être fait en matière d’harmonisation fiscale avec l’accord sur l’<a href="https://www.liberation.fr/economie/impot-mondial-sur-les-societes-lirlande-et-lestonie-rentrent-dans-le-rang-au-prix-dun-compromis-20211008_CPLZIKRB2ZEVFHLQJHAGA2PUN4/">impôt minimum mondial sur les multinationales à 15 %</a>. À ce jour, 136 pays, dont l’Irlande qui proposait un taux inférieur pour attirer les sociétés sur son territoire, en ont accepté le principe.</p>
<p>Le principe de cet accord est d’avoir une taxation pays par pays, sans compensation possible entre les entités. Autrement dit, le profit réalisé en Espagne sera imposé dans ce pays, sans compensation possible avec une perte générée en Italie. Cette solution évite qu’avec des montages les multinationales aillent loger leurs profits dans des États particulièrement attractifs. C’est toute l’architecture mondiale de la fiscalité qui se trouve ainsi affectée.</p>
<p>En attendant d’aller plus loin, il est probable que le Consortium de journalistes publie de nouvelles révélations quant à la fraude fiscale internationale. Une fois la convention multilatérale de l’OCDE et l’impôt minimum de 15 % en place, elles pourraient être moins nombreuses… même si l’on ne peut pas exclure qu’il restera encore quelques trous dans la raquette.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169652/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Lambert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Même si des progrès ont été réalisés depuis 2008, les exigences de transparence ou encore les sanctions pourraient être renforcées.Thierry Lambert, Professeur de droit fiscal, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1664502021-08-25T19:08:36Z2021-08-25T19:08:36ZL’Asean face au coup d’État militaire en Birmanie : impuissance ou complicité ?<p>Voilà plus de six mois que les militaires birmans ont accompli le <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/birmanie/coup-d-etat-en-birmanie-la-junte-ne-reculera-devant-rien-pour-arriver-a-ses-fins_4349747.html">brutal coup d’État</a> qui a renversé, le 1<sup>er</sup> février dernier, le gouvernement légal issu des élections législatives de novembre 2020, <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/legislatives-en-birmanie-le-parti-d-aung-san-suu-kyi-revendique-une-victoire-ecrasante-20201109">triomphalement remportées</a> par la LND (Ligue nationale pour la démocratie), le parti de Aung San Suu Kyi, l’icône nationale de la lutte pour la démocratie et Prix Nobel de la Paix 1991 (dont <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/la-chute-d-une-icone-aung-san-suu-kyi-etoile-de-la-democratie-birmane-exclue-du-prix-sakharov_4087437.html">l’image a beaucoup pâli</a> du fait de sa position complaisante à l’égard des terribles exactions de son armée dans la crise des Rohingyas de 2017).</p>
<p>Après avoir arrêté <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/birmanie-aung-san-suu-kyi-arretee-et-inculpee-pour-avoir-enfreint-une-loi-commerciale_fr_601a8baec5b668b8db3d5508">« la dame de Rangoon »</a> ainsi que le <a href="https://www.reuters.com/article/us-myanmar-politics-charges-idUSKCN2AV09K">président en fonction</a> et plusieurs ministres issus du même parti, et dissous le Parlement élu – tout cela sous des prétextes aussi fallacieux que grotesques –, les putschistes ont lancé une répression sauvage qui a déjà fait à ce jour <a href="https://fr.euronews.com/2021/08/19/myanmar-plus-de-1000-morts-en-six-mois">plus de 1 000 morts</a> au sein de la population (5 500 personnes ayant par ailleurs été arrêtées, 257 déjà jugées et 26 condamnées à la peine capitale) ! <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/en-birmanie-la-population-rejette-massivement-le-coup-de-force-des-militaires-1288315">Très majoritairement opposée</a> à ce nouveau putsch, cette dernière résiste depuis lors avec courage, par tous les faibles moyens dont elle dispose.</p>
<h2>L’Asean en première ligne</h2>
<p>Débordée par la gestion de la pandémie de Covid-19, concentrée sur d’autres priorités ailleurs dans le monde et bloquée par le <a href="https://www.un.org/press/fr/2007/CS8939.doc.htm">veto</a> que Pékin et Moscou, parrains complaisants des généraux birmans, ont opposé à un projet de résolution du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant le coup d’État, la communauté internationale n’a pas réagi de manière très énergique.</p>
<p>Elle a trouvé une échappatoire commode en se débarrassant de la résolution de la crise sur l’<a href="https://asean.org/">Asean</a> – l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est, créée en 1967 sous la férule des États-Unis, alors en train de s’embourber dans la guerre du Vietnam.</p>
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<p>Regroupant à l’origine les quatre pays d’Asie du Sud-Est habituellement alliés au camp occidental – la Thaïlande, la Malaisie, Singapour et les Philippines – et le plus grand de la région – l’Indonésie, qui a rejoint le camp pro-américain après la très violente prise de pouvoir de Suharto dans la foulée de son coup d’État de 1965 –, cette organisation régionale avait pour but de faire contrepoids, en pleine guerre froide, au bloc communiste d’Asie orientale, mené par la Chine.</p>
<p>Ayant doublé le nombre de ses membres au fil des années – adhésion du sultanat de Brunei en 1984, puis, après la fin de la guerre froide, du Vietnam en 1995, du Laos et du Cambodge en 1997 et enfin de la Birmanie en 1999 – et regroupant donc aujourd’hui dix pays aux régimes politiques fort différents, l’Asean s’est essentiellement concentrée sur la coopération économique.</p>
<p>Au nom du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures de ses membres et de la règle de l’unanimité, elle s’est en effet rarement mêlée de politique, à l’exception de la seule Indonésie, qui a <a href="http://www.jcreview.com/fulltext/197-1582797357.pdf">joué un rôle</a> dans la résolution du conflit entre le Vietnam et le Cambodge au début des années 1990 et pour faciliter la <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2012-3-page-295.htm">transition démocratique de la Birmanie en 2008-2010</a>.</p>
<h2>Des États membres majoritairement favorables à la junte</h2>
<p>Cette année, après le coup de force du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/02/10/le-nouvel-homme-fort-de-la-birmanie-un-general-sans-charisme-et-juriste-pointilleux_6069396_3210.html">terne général Min Aung Hlaing</a> et des « petits hommes verts » de la Tatmadaw, l’armée birmane, l’Asean a d’abord mis près de trois mois à s’organiser et à réagir.</p>
<p>À l’instigation du président Jokowi et de sa courageuse ministre des Affaires étrangères, Retno Marsudi, l’Indonésie, qui est de facto le leader de l’association et accueille son secrétariat à Jakarta, a finalement réussi à convaincre la Malaisie, Singapour et même le sultanat de Brunei (qui assure depuis le début de l’année sa présidence tournante) d’organiser un sommet spécial. Celui-ci a eu lieu à <a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20210424-sommet-de-l-asean-jakarta-appelle-la-junte-birmane-%C3%A0-restaurer-la-d%C3%A9mocratie">Jakarta le 24 avril</a>. Toutefois, trois des pays membres – la Thaïlande, les Philippines et le Laos – n’ont pas daigné y envoyer leurs chefs d’État, sous divers prétextes fallacieux, se faisant représenter par leurs ministres des Affaires étrangères.</p>
<p>De plus, si le chef de la junte putschiste birmane avait été convié, cela n’a pas été le cas des représentants du gouvernement provisoire formé par des membres de la LND et du Parlement dissous, ainsi que des représentants de plusieurs des mouvements <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/05/06/en-birmanie-une-guerre-ignoree-redouble-de-violence_6038782_3210.html">rebelles séparatistes</a> qui résistent au pouvoir central depuis l’indépendance en 1948 d’un pays qui n’a jamais achevé son unité nationale. Min Aung Hlaing a été poliment tancé à Jakarta et en est reparti muni d’une feuille de route en cinq points pour mettre un terme aux violences, trouver une sortie de crise négociée et rétablir la démocratie. Pour faciliter ce processus, il était convenu que l’Asean nommerait un envoyé spécial expérimenté, chargé de rapprocher les deux parties et de faire émerger une telle solution.</p>
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<p>Depuis lors, la situation est restée désespérément bloquée. La junte birmane a superbement ignoré la feuille de route de l’Asean, prétextant qu’elle en tiendrait compte quand l’ordre serait rétabli ! Le général putschiste, qui a annoncé récemment qu’il n’organiserait finalement pas les nouvelles « élections législatives libres » <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20210801-birmanie-six-mois-apr%C3%A8s-le-coup-d-%C3%A9tat-le-chef-de-la-junte-promet-des-%C3%A9lections-d-ici-deux-ans">promises avant 2023</a>, s’est autoproclamé premier ministre, imitant fidèlement en cela la stratégie qu’avait appliquée en 2014 son clone militaire thaïlandais, <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2015/03/30/en-thailande-prayuth-chan-ocha-l-homme-qui-n-aime-pas-les-journalistes_4606047_3216.html">Prayut Chan-O-Cha</a>. Ce dernier avait alors en effet chassé une autre femme du pouvoir, la première ministre Yinluck Shinawatra, puis organisé en 2018 des élections manipulées qui lui ont permis d’être élu et d’occuper ce poste jusqu’à ce jour. Le même scénario semble se dessiner en Birmanie.</p>
<p>En même temps, l’armée a continué à réprimer durement la population et à instruire le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/06/14/en-birmanie-ouverture-du-premier-proces-contre-aung-san-suu-kyi_6084028_3210.html">procès surréaliste de Aung San Suu Kyi</a> et des responsables politiques proches d’elle. De son côté, la population continue sa résistance passive et l’opposition à la junte <a href="https://plus.lesoir.be/387991/article/2021-08-05/birmanie-malgre-les-epreuves-lopposition-resiste-la-junte">s’est organisée</a> en fédérant la plupart des mouvements de rébellion et <a href="https://www.courrierinternational.com/article/rebellion-la-birmanie-vers-la-guerre-civile">mène la vie dure à l’armée</a> dans plusieurs des régions frontalières du pays. L’objectif visé est de renvoyer l’armée dans ses baraquements et de favoriser la création d’un État fédéral du Myanmar dans lequel toutes les régions ethniques bénéficieraient d’une plus grande autonomie. Mais cette coalition ne jouit d’aucun appui politique, est isolée, divisée et peine à se doter d’un armement qui lui permettrait de lutter efficacement.</p>
<h2>Une médiation pour rien ?</h2>
<p>Tout cela a bien sûr des conséquences délétères pour la Birmanie, <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/covid-la-situation-en-birmanie-est-desesperee-avertit-le-royaume-uni-a-l-onu-20210729">durement frappée par la pandémie de Covid-19</a>, dont l’économie est <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/leconomie-de-la-birmanie-risque-de-se-retrouver-a-genoux-la-chine-en-embuscade-1392918">au bord du gouffre</a> et où la <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/en-birmanie-la-situation-sanitaire-est-catastrophique-notamment-a-cause-de-la-junte-militaire-au-pouvoir_4700457.html">situation sanitaire et alimentaire est devenue catastrophique</a>.</p>
<p>Il est d’ailleurs tout à fait possible que la situation dégénère en véritable <a href="https://www.economist.com/asia/2021/06/24/myanmars-civil-war-is-becoming-bloodier-and-more-brutal">guerre civile durable</a>, certains observateurs n’hésitant pas à dire que l’évolution de la situation leur <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2021/apr/04/is-myanmar-the-new-syria-rising-violence-threatens-a-repeat-tragedy">rappelle</a> la manière dont les choses se sont déroulées au début du conflit en Syrie. Une telle dégradation aurait des conséquences très graves pour tous les pays voisins, à commencer par ceux de l’Asean, qui ne manqueraient pas de voir affluer des millions de réfugiés chez eux, comme cela a été le cas pour le Bangladesh après la répression féroce envers la minorité musulmane des Rohingyas menée par la même armée birmane.</p>
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<p>De son côté, l’Asean a mis un temps infini à nommer son envoyé spécial et à l’imposer à la junte birmane. Elle <a href="https://www.reuters.com/world/asia-pacific/asean-appoints-bruneis-erywan-yusof-envoy-myanmar-sources-2021-08-04/">vient enfin de le faire début août</a> en la personne de Erywan Yusof, vice-ministre des Affaires étrangères du Brunei. Cela n’est guère encourageant. Yusof s’était en effet déjà rendu à Rangoon début juin avec le secrétaire général de l’Asean, Lim Jock Hoi, lui aussi ressortissant du petit sultanat, tous deux adoptant alors une attitude complaisante sinon déférente à l’égard du général putschiste, donnant l’impression d’une quasi-reconnaissance diplomatique. Certes, c’est « moins pire » que si l’Asean avait choisi Virasakdi Futrakul, ancien vice-ministre des Affaires étrangères de Thaïlande, dirigée par un « frère d’armes et d’affaires » sur lequel le bourreau de Rangoon sait pouvoir compter, qui était pressenti au préalable et avait sa préférence. Mais il eut été autrement plus crédible de désigner Hassan Wirajuda, le très chevronné et respecté ancien ministre des Affaires étrangères indonésien, ou Razali Ismail, un diplomate malaisien expérimenté qui avait été l’envoyé spécial de l’ONU dans les années 2000 pour faciliter la réconciliation nationale en Birmanie.</p>
<p>Il n’y a donc pas grand-chose à attendre de cette médiation et la junte birmane va continuer à jouer la montre et le pourrissement. Il est très improbable qu’une solution impliquant le retour à la légitimité démocratique soit trouvé lors du sommet annuel de l’Asean qui se tiendra en novembre prochain à Bandar Seri Begawan, la capitale du sultanat de Brunei. Et comme ce dernier transmettra alors la présidence de l’association au Cambodge pour l’année 2022, les perspectives ne sont pas beaucoup plus favorables dans un avenir proche. On ne peut en effet guère s’attendre à ce que le <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2020/10/22/cambodge-hun-sen-est-soutenu-par-des-generaux-responsables-dabus">régime dictatorial et corrompu de Hun Sen</a>, totalement sous la coupe de la Chine, se préoccupe beaucoup de la démocratie en Birmanie.</p>
<h2>Le dogme de la stabilité</h2>
<p>Ce fiasco fait d’impuissance et de complicité dans lequel l’Asean est en train de perdre le peu de crédibilité qui lui restait (sans parler de la manière dont elle se déshonore dans cette affaire) n’est guère surprenant. Les membres de cette association sont en fait représentatifs de régimes politiques très différents mais en majorité non démocratiques et la règle du consensus préalable à toute décision la rend stérile. Comment, en effet, concilier les points de vue de deux pays considérés comme des démocraties, l’Indonésie et la Malaisie (même si elles restent imparfaites et montrent des signes de stagnation voire de régression ces derniers temps), avec ceux d’un régime hybride autoritaire comme Singapour ou de véritables dictatures aux mains d’une junte militaire comme la Thaïlande, d’un parti communiste unique et totalitaire comme le Vietnam et le Laos, d’un homme fort vénal et inamovible comme le Cambodge ou d’un populiste brutal comme les Philippines, sans parler du monarque absolu aux sympathies islamistes qui règne sur le sultanat de Brunei ?</p>
<p>La plupart des pays membres de l’Asean se moquent comme d’une guigne de la démocratie et de la situation des droits de l’homme en Birmanie et ailleurs. Leur seul intérêt est la stabilité politique régionale, garante de croissance économique, et le fait que cela passe par l’imposition d’un régime militaire brutal et sanguinaire ne leur pose guère d’états d’âme. Ils partagent d’ailleurs cette position avec la Chine qui domine la région et n’est motivée que par ses intérêts économiques et stratégiques.</p>
<p>L’Indonésie, devenue depuis <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/430">1998</a> le membre le plus démocratique de l’Asean, est donc bien seule à pousser pour une solution négociée. Mais elle fait actuellement face à une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/03/covid-19-en-indonesie-le-nombre-de-deces-quotidiens-est-le-plus-eleve-au-monde_6090442_3210.html">seconde vague de Covid dévastatrice</a>, étant de loin le pays le plus infecté dans la région par la pandémie, son économie est durement affectée et elle a d’autres soucis plus importants sur le plan domestique.</p>
<p>De plus, elle peut difficilement donner des leçons à ses voisins en termes de respect des droits de l’homme vu la <a href="https://theconversation.com/le-conflit-entre-lindonesie-et-la-papouasie-occidentale-ou-comment-un-pays-colonise-est-devenu-colonisateur-164110">situation de répression</a> qui règne dans ses deux provinces séparatistes à majorité mélanésienne de Papua. Quant aux deux autres pays favorables à une négociation qui permettrait le retour de la démocratie à Rangoon, la Malaisie est affaiblie par une <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20210820-malaisie-face-%C3%A0-une-crise-politique-le-roi-nomme-un-nouveau-premier-ministre">crise gouvernementale</a> durable qui mobilise l’essentiel de son énergie et Singapour a certes un poids économique non négligeable mais est un nain politique.</p>
<p>De plus, le <a href="http://www.regardcritique.ca/article/la-culture-diplomatique-de-l-asean/">principe de non-ingérence</a> à la base de l’association paralyse son action. Il ne faut donc pas espérer l’adoption de la seule solution qui aboutirait à un règlement de la crise birmane : la reconnaissance du gouvernement provisoire d’opposition à la junte et la mise de la Birmanie au ban de l’Asean et de la communauté internationale tant que les militaires n’auront pas quitté le pouvoir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166450/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Luc Maurer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La communauté internationale a chargé l’Asean de régler la crise birmane. Mais les pays membres de l’organisation se montrent très complaisants à l’égard de la junte qui a pris le pouvoir à Rangoon.Jean-Luc Maurer, Professeur honoraire en études du développement, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1589662021-04-21T19:53:08Z2021-04-21T19:53:08ZLe Quad, pilier de la stratégie indo-pacifique de l’administration Biden ?<p>La compétition de puissance Chine-États-Unis entamée sous l’administration Trump tourne à l’affrontement avec la présidence Biden. Celle-ci s’efforce de rallier activement alliés et partenaires asiatiques et européens au sein d’une alliance des démocraties au service d’une diplomatie des valeurs incarnée par un « Quad plus » au format multidimensionnel.</p>
<p>La réunion du 12 mars 2021 des dirigeants des quatre pays fondateurs du Dialogue de sécurité quadrilatéral (Quad) – le Japon, les États-Unis, l’Australie et l’Inde –, à l’initiative américaine, semble indiquer que ce mécanisme a vocation à devenir central dans le cadre d’une stratégie indo-pacifique renouvelée des États-Unis. La <a href="https://www.aninews.in/news/world/us/free-open-indo-pacific-essential-for-future-of-our-countries-biden-at-quad20210312195953/">décision de Joe Biden</a> de s’en saisir aussi rapidement, tout comme le communiqué suivant la réunion, marque la revitalisation d’une enceinte à l’agenda diplomatique jusqu’ici sans substance et qui avait du mal à dépasser la perception de n’être qu’un bloc anti-chinois.</p>
<h2>La voie étroite entre vision américaine et coopération inclusive</h2>
<p>De fait, depuis sa création en 2007 en marge du Forum régional de l’Asean, le Quad n’avait réussi qu’à cristalliser l’attention sur le manque de cohérence de son discours et de ses objectifs en dépit de l’implication du <a href="https://www.tokyoreview.net/2020/10/leading-from-the-kantei-japan-and-the-quad/">premier ministre japonais Shinzo Abe</a>. Celui-ci n’a pas ménagé ses efforts pour en faire une plate-forme rassemblant quatre démocraties asiatiques, dont les capacités politiques, économiques et maritimes pouvaient donner corps à sa vision d’un « Indo-Pacifique libre et ouvert ».</p>
<p>On le sait, les réticences tant de l’Inde que de l’Australie à s’y engager activement, de crainte de compromettre leur politique d’équilibre vis-à-vis de la Chine, ont longtemps limité les velléités de coordination diplomatique et d’interactions militaires au sein du Quad. La relance des discussions depuis 2017 dans un contexte de tensions maritimes croissantes avec la Chine sort à peine le Quad de protocoles informels. Il faudra attendre la décision de Canberra en novembre 2020 d’accepter l’invitation indienne à l’exercice d’entraînement américano-indien Malabar pour voir le groupe s’affirmer. Le Quad se donne alors les moyens de s’afficher comme un mécanisme pouvant potentiellement projeter une capacité militaire. D’autant plus que le Japon est devenu membre permanent de Malabar depuis 2015.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1282161381932806145"}"></div></p>
<p>Depuis son entrée en fonctions, la nouvelle administration américaine a entériné le concept d’« Indo-Pacifique libre et ouvert » qui avait marqué le discours stratégique dominant de la présidence Trump tout en endossant une même ligne très ferme vis-à-vis de la Chine.</p>
<p>Le Conseiller à la sécurité nationale Jack Sullivan a souligné la centralité du concept tandis que le président Biden a saisi toute l’importance du Quad en tant que cadre de coopération multidimentionnelle pour développer une vision indo-pacifique inclusive, ce que n’avaient pas réussi à faire ses prédécesseurs, y compris l’administration Obama. Ce faisant, il a favorisé la définition d’un agenda pragmatique reflétant les préoccupations de sécurité régionales de l’heure, à savoir la lutte contre la Covid-19. L’une des premières initiatives du Quad à destination notamment de l’Asean est la <a href="https://www.lowyinstitute.org/the-interpreter/quad-gives-boost-india-s-vaccine-diplomacy">fabrication de vaccins du laboratoire américain Johnson & Johnson en Inde</a> avec le soutien financier et logistique des États-Unis, du Japon et de l’Australie.</p>
<h2>L’« esprit du Quad », une alternative démocratique à la BRI chinoise</h2>
<p>Le communiqué conjoint publié après le Sommet du 12 mars, au ton volontaire, marque ce nouveau départ. Décrivant l’esprit du Quad, le <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2021/03/12/quad-leaders-joint-statement-the-spirit-of-the-quad/">texte précise</a>, en guise de préambule :</p>
<blockquote>
<p>« Nous aspirons à une région libre, ouverte, inclusive, saine, ancrée dans les valeurs démocratiques et non contrainte par la coercition. »</p>
</blockquote>
<p>Une formule qui suggère un champ d’action commun assez large et varié. En effet, les défis mentionnés englobent tout autant l’impact économique et sanitaire de la Covid-19, le changement climatique mais aussi des préoccupations communes touchant le cyberespace, les technologies critiques, le contre-terrorisme, les investissements dans des infrastructures de qualité, l’assistance humanitaire.</p>
<p>On notera une rédaction sans équivoque touchant le domaine maritime où, sans être nommée, la Chine figure en filigrane. Il est en particulier question d’une collaboration visant à « relever les défis de l’ordre maritime fondé sur des règles dans les mers de Chine orientale et méridionale » qui laisse entrevoir la perspective d’actions communes concernant la défense de la <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/montego-bay">Convention de Montego Bay</a> sur le droit de la mer et la liberté de navigation.</p>
<p>Les quatre pays se sont engagés à créer <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2021/03/12/fact-sheet-quad-summit/">trois groupes de travail</a> sur les vaccins et le climat, avec notamment le souci d’une mise en œuvre effective de l’Accord de Paris et les technologies émergentes. Ce dernier groupe met un accent particulier sur des problématiques clés de la vision indo-pacifique défendue par le Quad – une régio que la Chine a particulièrement investie à travers sa « Belt and Road Initiative« » (BRI). Il s’agit de corriger la vulnérabilité constatée des partenaires en matière de connectivité avec une attention particulière portée au développement de standards en matière de communication, mais aussi de renforcer l’indépendance des chaînes d’approvisionnement logistique.</p>
<h2>Revitalisation des alliances américaines et multilatéralisme maritime à la carte</h2>
<p>Outre le Quad, le renforcement des alliances traditionnelles se trouve clairement intégré à la stratégie indo-pacifique de l’administration Biden.</p>
<p>Dès le 15 mars, pour leur premier déplacement à l’étranger depuis leur entrée en fonctions, les secrétaires d’État et de la Défense américains, Antony Blinken et Lloyd Austin, se sont rendus au Japon et en Corée du Sud, cette dernière étant pressentie comme le membre potentiel d’un Quad + qui pourrait aussi englober des États de l’Asean.</p>
<p>Lloyd Austin a ensuite visité l’Inde du 19 au 21 mars tandis qu’Antony Blinken rencontrait son homologue chinois en Alaska pour des entretiens dont l’alacrité a donné le ton de futures relations américano-chinoises qui tournent au rapport de force économique, diplomatique et militaire. Sur ce dernier point, l’amiral Philip Davidson, qui dirige l’US <em>Indo-Pacific Command</em>, a sonné l’alarme lors d’une <a href="https://www.washingtontimes.com/news/2021/mar/9/Adm-Philip-Davidson-US-deploy-missiles-deter-china/">audition devant la Commission sénatoriale des forces armées américaines</a>, soulignant le danger représenté par l’érosion de la dissuasion conventionnelle de Washington comme de ses alliés face au développement des capacités chinoises. Selon son analyse, d’ici à 2025, la Chine surclassera la marine américaine dans la région avec trois porte-avions et six navires d’assaut amphibies contre un porte-avions et deux navires d’assaut amphibies. Pour lui, il y a un risque sérieux que ce déséquilibre pousse la Chine à modifier unilatéralement le statu quo régional, notamment vis-à-vis de Taiwan. Pour pallier ce déséquilibre, Philip Davidson recommande la mise en place d’un réseau de missiles de frappe de précision le long de la première chaîne d’îles (formée par une ligne reliant Japon-Taiwan – Philippines) dans le cadre de l’Initiative de dissuasion du Pacifique visant à contenir la stratégie anti-accès de la Chine.</p>
<p>Nommé à la tête du Commandement pour l’Indo-Pacifique en mai 2018, l’amiral Davidson incarne la continuité stratégique de la vision indo-pacifique américaine de Donald Trump à Joe Biden. Son analyse sur la réalité d’une menace militaire chinoise croissante s’accorde parfaitement avec celle du président actuel, qui estime qu’au-delà des efforts de modernisation, la clé d’un endiguement efficace contre la Chine réside dans les alliés et les partenaires des États-Unis. Il semblerait que les efforts de réengagement diplomatique et militaire annoncés par Joe Biden se concrétisent par l’institutionnalisation et l’opérationnalisation d’un Quad élargi. Dans ce cadre, la Corée du Sud, Singapour et le Royaume-Uni sont pressentis pour figurer au sein d’un premier « Quad+ ».</p>
<p>La France, puissance indo-pacifique riveraine aux capacités navales significatives, devrait elle aussi se voir fortement sollicitée. Pour l’heure, deux de ses unités déployées pour une mission d’instruction et d’entraînement en Asie, le bâtiment amphibie Tonnerre et la frégate Surcouf ont participé à l’exercice multinational « La Pérouse » début avril 2021 en baie du Bengale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1381620895010193416"}"></div></p>
<p>Cet exercice, le deuxième du genre organisé par la France dans la région, rassemblait les principales marines de l’Indo-Pacifique ; soit, outre la marine française, ses homologues japonaises, australiennes américaines et indiennes. Au-delà de la recherche d’une plus grande interopérabilité entre marines du premier cercle indo-pacifique, ce format à cinq indique que plusieurs configurations maritimes sont possibles et peuvent utilement co-exister au gré de partenariats stratégiques existants. Ainsi, <a href="https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage_en/94898/TheEUneedsastrategicapproachfortheIndo-Pacific">l’Union européenne</a>, qui est en cours de conceptualisation d’une vision indo-pacifique et qui ambitionne d’être un acteur maritime reconnu, peut utilement s’insérer dans ces formats sous la forme d’une contribution d’un État membre, que ce soit la France, l’Allemagne ou les Pays-Bas, puissances indo-pacifiques proclamées. </p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158966/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marianne Péron-Doise ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Dialogue de sécurité quadrilatéral (Quad), qui regroupe le Japon, les États-Unis, l’Australie et l’Inde, prend de plus en plus d’ampleur dans le cadre de la rivalité américano-chinoise.Marianne Péron-Doise, Chercheur Asie du Nord et Sécurité maritime Internationale, chargé de cours Sécurité maritime, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1576542021-03-25T21:08:58Z2021-03-25T21:08:58ZLe Forum de Paris sur la paix, nouvel outil du multilatéralisme ou instrument du soft power français ?<p>Le 11 novembre 2018, à l’occasion du centenaire de l’armistice ayant sonné la fin de la Première Guerre mondiale, la France a créé, et tenu à la Villette, pendant trois jours, la première édition du <a href="https://parispeaceforum.org/fr/">« Forum de Paris sur la Paix »</a> (Paris Peace Forum), qui a réuni 6 000 participants, dont 65 chefs d’État et de gouvernement, des acteurs nationaux, des dirigeants d’organisations internationales et des acteurs de la société civile (ONG, sociétés privées, syndicats, think tanks, experts), ainsi que de nombreux journalistes. Le but de cette grande rencontre internationale était de promouvoir l’instauration d’une paix, d’un multilatéralisme et d’une coopération durables au niveau mondial, en trouvant des solutions pratiques aux principaux défis actuels concernant la gouvernance mondiale. Deux autres éditions se sont tenues en <a href="https://parispeaceforum.org/fr/2019/06/18/forum-de-paris-sur-la-paix-2019-la-liste-des-solutions-de-gouvernance-qui-seront-presentees/">2019</a> et en <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/societe-civile-et-volontariat/forum-de-paris-sur-la-paix/article/la-3e-edition-du-forum-de-paris-sur-la-paix-construire-un-monde-meilleur-apres">2020</a> (en ligne pour 2020).</p>
<p>Quels sont le rôle et le statut de ce nouveau forum : s’agit-il d’un nouvel outil du multilatéralisme international, aux côtés de l’ONU, ou plutôt d’un instrument du soft power français ?</p>
<h2>Le cheminement d’une idée jusqu’à sa réalisation</h2>
<p>Le créateur de l’idée de cet événement, et son directeur général, l’historien français <a href="https://www.youtube.com/watch?v=I6QSQAgCaQ4">Justin Vaïsse</a>, nous confie :</p>
<blockquote>
<p>« L’origine de ce Forum se trouve dans les réflexions qui ont été conduites depuis une vingtaine d’années dans l’administration française, au sein du Quai d’Orsay, où la réflexion sur la diplomatie d’influence et les outils d’influence, la diplomatie de réseau, nous ramenait toujours à comparer les outils français aux outils britanniques. Il y a eu plusieurs notes et réflexions émanant du Quai d’Orsay sur l’idée d’un lieu, comme le château de la Celle-Saint Cloud, où on inviterait les penseurs, les gens influents et les décideurs du monde entier, et où on se retrouverait périodiquement pour discuter. »</p>
</blockquote>
<p>À partir de 2015-2016, l’idée a été reprise, notamment en réfléchissant à la diplomatie des forums et des think tanks chinois. Justin Vaïsse, alors directeur du <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/le-ministere-et-son-reseau/le-centre-d-analyse-de-prevision-et-de-strategie/">Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie (CAPS)</a>, a donc initié la réalisation d’études, par des consultants, sur la pratique en la matière dans d’autres pays. En 2015, Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, a commandé à Yves Saint-Geours, ambassadeur de France en Espagne, un rapport sur les think tanks français, qui a été <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/le-ministere-et-son-reseau/le-centre-d-analyse-de-prevision-et-de-strategie/pour-aller-plus-loin/article/le-rapport-saint-geours">rendu public en 2016</a>. </p>
<p>Les think tanks français sont historiquement d’une taille et d’une influence modestes par rapport à nos voisins britannique et allemand et par rapport aux États-Unis, même s’ils sont soutenus par le CAPS. La France apparaît en effet, juge Justin Vaïsse, comme une grande puissance diplomatique – grâce à son réseau d’ambassades et à ses institutions universalistes comme l’Alliance française – mais cela ne se vérifie pas au niveau de la force d’influence internationale.</p>
<p>En 2017, Pierre Buhler, ancien ambassadeur, rédige un autre <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/20170511_-_version_web_-_rapport_sur_la_strategie_francaise_d_influence__cle061191.pdf">rapport</a>, consacré aux outils d’influence et cherchant à définir les moyens d’accroître le poids de la France dans le débat d’idées, dans la régulation de la globalisation et dans les initiatives internationales. Ce rapport, commandé par le CAPS, se voulait utile au nouveau président du pays, élu cette année-là.</p>
<p>« On avait été très inspirés par l’expérience de la COP 21, qui avait été une expérience réussie pour mêler la société civile et les diplomates. On avait aussi été attentifs aux efforts qui avaient été faits ici et là pour renforcer le rôle de Paris comme place multilatérale, comme place internationale, un peu comme il y a le New York multilatéral de l’ONU, ou la Genève internationale. Paris est un lieu unique en ce qu’il rassemble plus d’une cinquantaine d’organisations internationales. »</p>
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<p>Une fois Emmanuel Macron élu, Justin Vaïsse, qui a fait partie du groupe d’experts ayant soutenu sa campagne, contribue à son <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/08/29/discours-du-president-de-la-republique-a-l-ouverture-de-la-conference-des-ambassadeurs">discours d’août 2017 à la conférence des ambassadeurs</a> et lui souffle, à cette occasion, l’idée d’une grande conférence annuelle, tout en expliquant que ce forum doit être indépendant de l’État. En septembre 2017, il reçoit une lettre de mission du président Macron qui lui demande de prendre en charge l’organisation de la première édition de ce forum, qui doit répondre à la crise du multilatéralisme mais aussi être « un outil de rayonnement et d’influence pour la France ».</p>
<p>À l’automne 2017, l’Élysée décide d’inviter tous les anciens combattants de la Grande Guerre à commémorer le centième anniversaire de l’armistice le 11 novembre 2018 à Paris. De nombreux chefs d’État annoncent leur présence. Pour Justin Vaïsse, c’est « une chance énorme qu’il fallait saisir ». Il dépose son rapport en décembre 2017 ; et en janvier 2018, Emmanuel Macron annonce, <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/01/04/voeux-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron-au-corps-diplomatique">dans ses vœux au corps diplomatique</a>, la tenue prochaine du Forum de Paris sur la Paix. « “Forum sur la gouvernance globale” aurait mieux décrit l’objet, mais “Paris Peace Forum” sonnait mieux », confie Justin Vaïsse. </p>
<p>Il ajoute que l’idée du Forum reposait aussi sur « le constat que dans plusieurs domaines, l’ONU ne suffisait pas », et qu’il fallait donc « agir en soutien et en complément de l’ONU », tout en prenant garde à « ne pas empiéter sur ce que faisait l’ONU ». En février 2018, il se rend à New York, rencontre des dirigeants onusiens et veille bien à leur dire que le Forum n’entend pas faire de l’ombre à l’ONU mais l’aider à rayonner. Mission couronnée de succès puisque Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a été présent au Forum en 2018, 2019 et 2020 – ce qui, selon Justin Vaïsse, a « garanti à tout le monde que le Forum était ONU-compatible ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1336468101945180165"}"></div></p>
<h2>Des financements importants et essentiellement privés</h2>
<p>Le Forum a bénéficié de financements provenant de fondations et institutions essentiellement privées comme la fondation allemande Koerber, l’institut Montaigne, l’IFRI ou encore Sciences Po. Voulant une égalité Nord-Sud, les organisateurs ont cherché des partenaires de pays du Sud, comme la fondation Getulio Vargas (Brésil), l’Observer Research Foundation (Inde), la fondation Mo Ibrahim (Soudan), mais se sont heurtés à plusieurs refus. En 2019 toutefois, le Forum intègre la participation d’une organisation mexicaine et d’une organisation indienne, et en 2020 d'une organisation indonésienne et de la Fondation Aga Khan.</p>
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<p>Entre-temps, Édouard Philippe a abandonné la candidature française à l’Exposition universelle 2025, ce qui libère des énergies – celle de Marc Reverdin, diplomate de talent que Justin Vaïsse embauche dès janvier 2018 pour devenir le Secrétaire général du Forum, ou celle de Pascal Lamy, jusque-là en charge de la candidature 2025, et qui deviendra président du Conseil d’orientation, puis président du Conseil exécutif à partir de 2019. Justin Vaïsse recrute aussi Sarah Geniez, de la Mairie de Paris, dotée des compétences événementielles nécessaires, pour organiser l’événement.</p>
<p>De grandes entreprises multinationales occidentales comme Google et Microsoft contribuent aussi au financement, ainsi que l’Union européenne, la Banque mondiale (la première année), et de grandes agences de développement. En effet, l’idée est, comme le dit Justin Vaïsse, que « le Forum doit être auto-suffisant, auto-porté, et qu’il échouerait à terme s’il était porté par des subsides publics ». Le gouvernement français n’a apporté que 8 % du budget en moyenne sur les trois années. Par contraste, les fondations privées ont apporté la plus grosse partie du financement, comme la fondation Luminate qui a versé plus d’1,2 million d’euros sur les trois années. </p>
<h2>Un sommet orienté vers l’action, par le soutien à des projets concrets</h2>
<p>Justin Vaïsse précise que le Forum n’a pas seulement pour but de dialoguer, mais aussi d’agir, en soutenant des projets (par le biais d’un appel à projets) et en mobilisant des acteurs divers : organisations, entreprises, fondations, experts, ONG, citoyens…</p>
<p>Parmi des centaines de projets candidats, issus du monde entier, le Forum en a sélectionné une centaine par an, autour des thèmes suivants : paix & sécurité ; développement ; économie inclusive ; nouvelles technologies ; environnement ; culture & éducation. Il leur a permis de se présenter, pour en retenir au final dix, qui deviennent pendant un an des projets accompagnés, c’est-à-dire soutenus par le Forum.</p>
<p>Débats, tables rondes, ateliers et présentations de projets se sont succédé, ainsi que, la première année, un <a href="https://blog.okfn.org/2018/11/27/paris-peace-forum-hackathon-a-new-chance-to-talk-about-open-data/">hackaton</a> (marathon de programmation) animé par des développeurs volontaires pour faire de la programmation de manière collaborative. Une « Bibliothèque de la paix » est symboliquement dressée en 2018 au centre de la Grande Halle de la Villette, chaque dirigeant y déposant un livre de son pays incarnant l’aspiration à la paix. Seul bémol, <a href="https://blog.okfn.org/2018/11/27/paris-peace-forum-hackathon-a-new-chance-to-talk-about-open-data/">Donald Trump a boudé le Forum</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1194206764805296128"}"></div></p>
<p>À titre d’exemple, l’ONG <a href="https://www.eces.eu/fr/">ECES (Centre européen d’appui électoral)</a>, a participé au Forum en 2020 et a eu la chance de voir son projet sélectionné parmi les dix projets retenus pour bénéficier d’un soutien d’un an. Cette fondation privée à but non lucratif créée en 2010, et basée à Bruxelles, agit dans plus de 50 pays, et promeut « le <a href="https://www.eces.eu/fr/">développement démocratique durable à travers la fourniture de services de conseil</a>, d’appui opérationnel et de gestion de projet […] dans le domaine de l’assistance électorale et démocratique ». Son projet présenté au Forum de Paris sur la Paix concernait son action en Éthiopie. L’ECES garde une très bonne impression de sa participation au Forum et estime en avoir retiré d’immenses bénéfices, jugeant cette expérience « palpitante ».</p>
<h2>Un lieu exceptionnel pour les échanges et le réseautage</h2>
<p>À l’occasion du Forum en 2018, plus de 50 chefs d’État ainsi que 130 entreprises et des ONG ont signé <a href="https://pariscall.international/fr/">« l’Appel de Paris pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace »</a>, visant à protéger les citoyens des cyberattaques, qui affirme neuf principes de sécurisation du cyberespace. Même si les <a href="https://www.nytimes.com/2018/11/12/us/politics/us-cyberattacks-declaration.html">États-Unis ne l’ont pas signé</a>, cet appel a eu un retentissement important, étant perçu comme une avancée démocratique.</p>
<p>Pour <a href="https://www.asfcanada.ca/">Avocats sans frontières Canada</a>, ONG qui y a participé, « l’événement facilite à la fois le réseautage entre les acteurs et actrices de la société civile, ce qui peut accélérer les rencontres fortuites qui conduisent à des collaborations durables, tout en offrant à ces mêmes acteurs une vitrine auprès de représentant·e·s étatiques et d’organisations internationales auxquels ils n’ont pas toujours accès. »</p>
<p>Cette ONG relate ce qu’a permis sa participation au Forum :</p>
<blockquote>
<p>« Mme Assitan Diallo, Association des femmes africaines pour la recherche et le développement, était avec nous. C’est l’une des principales sociologues féministes du Mali et elle était là au nom d’une coalition d’organisations de défense des droits humains et des droits des femmes. Ce fut une opportunité pour elle de s’adresser directement à un large auditoire pour porter la voix des femmes maliennes. »</p>
</blockquote>
<p>Justin Vaïsse souligne lui aussi l’« effet de réseau », les rencontres inattendues que le Forum a suscitées, la <a href="http://www.academie-francaise.fr/serendipite">« sérendipité »</a> entre des gens très différents. Le lieu, la grande halle de La Villette, un vaste espace sans portes et sans barrières, est idéal pour faire se rencontrer les gens, souligne-t-il. À cet égard, l’édition 2020, qui au dernier moment a dû se faire en ligne à distance, n’a pas pu permettre tous ces échanges.</p>
<h2>Des défauts et des critiques</h2>
<p>Mais plusieurs défauts apparaissent : comme l’observe la branche canadienne de l’ONG Avocats sans frontières, les coûts de participation sont élevés (2 000 euros de frais de stand), et le processus d’inscription complexe :</p>
<blockquote>
<p>« Il devrait y avoir une différenciation marquée des tarifs pour les ONG et organisations caritatives et de petite taille par rapport aux entreprises privées et aux grandes agences internationales ou gouvernementales, et même des appuis financiers pour la participation des premières. Le Forum réunit plusieurs acteurs très puissants dont plusieurs ont des moyens financiers conséquents. Dans ce contexte, le Forum pourrait adopter des mesures de lutte contre les inégalités. »</p>
</blockquote>
<p>De plus, cette ONG regrette que l’éclairage ait été centré sur les « grandes vedettes » (dirigeants gouvernementaux et de grandes agences, etc.), et fait observer qu’« on pourrait braquer encore plus les projecteurs sur les actrices et acteurs du terrain qui sont à la base des initiatives sélectionnées ».</p>
<p>De plus, « l’omniprésence de l’anglais et des anglicismes dans les communications officielles du Forum » est regrettable, souligne l’ONG, insistant : « parce qu’il s’agit du Forum <em>de Paris</em> sur la paix, la langue française devrait y être valorisée ».</p>
<p>Le financement important issu de firmes américaines comme Google et Microsoft peut également nuire à l’indépendance et à l’objectivité des discussions.</p>
<p>Enfin, on semble observer un fossé Nord-Sud, malgré la volonté affichée d’une représentation égalitaire. Ainsi, le président de la République du Niger, Mahamadou Issoufou, a regretté que les <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20181112-forum-paix-multilateralisme-variable-pays-africains">propos des dirigeants africains ne suscitent que peu d’écho sur la scène mondiale</a>, malgré l’importance des thématiques africaines dans les dossiers traités par les organisations internationales. Certes, les organisateurs du Forum ont beaucoup fait pour associer les pays du Sud, donnant la parole, pour l’un des discours d’ouverture de la deuxième édition, à Félix Tshisekedi, le président de la République démocratique du Congo.</p>
<h2>La question du désarmement, paradoxalement peu traitée</h2>
<p>Alors que ce Forum est, dans son intitulé, consacré à la paix, en réalité la question du désarmement a été peu traité. L’enjeu du désarmement nucléaire n’a été abordé que partiellement, et seulement la première année en 2018, du fait que l’ICAN (<a href="https://www.icanw.org/">International Campaign to abolish nuclear weapons</a>, Prix Nobel de la Paix 2017), était représenté au Forum cette année-là.</p>
<p>Pour Annick-Suzor Weiner, physicienne et professeure émérite, vice-présidente de Pugwash-France (mouvement de scientifiques engagés pour le désarmement nucléaire et prônant la résolution pacifique des conflits) et d’IDN (Initiatives pour le Désarmement nucléaire), « les thèmes des éditions récentes du Forum ne faisaient pas une grande place, malgré son intitulé, à la construction de la paix. Si ICAN (International Campaign to abolish nuclear weapons, Prix Nobel de la Paix 2017), était représenté au Forum en 2018, les autres associations (Mouvement de la Paix, Pugwash et IDN) dont le projet commun n’avait pas été retenu en 2018, n’ont pas trouvé d’entrée thématique leur permettant de le soumettre lors des éditions suivantes ». « On peut le regretter, estime Annick Suzor-Weiner, dans une période d’accroissement des tensions, y compris entre pays dotés de l’arme nucléaire, et de remise en question des grands traités internationaux. »</p>
<p>Au final, ce Forum, certes imparfait, apparaît surtout comme une formidable occasion d’échanges et de rencontres entre ONG, experts, dirigeants, fondations et organismes divers, permettant de faire dialoguer des spécialistes de questions différentes (aide au développement, soutien à la démocratie, cybersécurité, promotion des droits humains…), et de différents pays. Il sert à la fois au rayonnement international de la France et de la ville de Paris, et à renforcer le multilatéralisme en lien avec l’ONU.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157654/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Chloé Maurel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La France organise annuellement depuis 2018 le Forum de Paris sur la paix, une réunion multilatérale qui s’impose peu à peu comme une plate-forme de discussion importante au niveau mondial.Chloé Maurel, SIRICE (Université Paris 1/Paris IV), Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1502172020-11-19T23:29:08Z2020-11-19T23:29:08ZL’UE a-t-elle de bonnes raisons de se réjouir de l’élection de Joe Biden ?<p>À l’annonce de l’élection de Joe Biden comme 46e président des États-Unis, le soulagement était palpable dans les capitales européennes. Il est vrai que sous le tandem Obama-Biden (2008-2016), les États-Unis considéraient toujours les Européens comme des alliés, ce qui n’était plus le cas lors de la présidence Trump (2016-2020).</p>
<p>Pour autant, le retour de Joe Biden au pouvoir est-il si favorable aux Européens ?</p>
<h2>De l’URSS comme ennemi commun aux divergences sur le climat</h2>
<p>Commençons par un dossier fondamental : la lutte contre le changement climatique. Les Européens se réjouissent du <a href="https://www.facebook.com/joebiden/photos/on-day-one-ill-rejoin-the-paris-agreement-and-then-rally-the-world-to-push-our-p/10157381578471104/">retour annoncé des États-Unis dans les Accords de Paris</a>. Il ne faudrait pas oublier, pour autant, que ces Accords de Paris, signés en 2016 et souvent présentés comme une grande victoire pour l’humanité entière, ont surtout consisté à tenter de réparer les conséquences du désastreux <a href="https://www.lemonde.fr/le-rechauffement-climatique/article/2009/12/19/la-bilan-decevant-du-sommet-de-copenhague_1283070_1270066.html">sommet de Copenhague de 2009</a> sur le climat. À Copenhague, Barack Obama et le premier ministre chinois Wen Jiabao avaient <a href="https://www.actu-environnement.com/ae/news/conclusion_conference_compenhague_9232.php4">enterré le protocole de Kyoto</a> qui faisait, depuis 1997, la fierté des Européens. Lors du sommet climatique de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Protocole_de_Kyoto">Kyoto</a>, un grand nombre de pays industrialisés s’étaient engagés sur la voie d’un mécanisme mutuellement contraignant de réduction des gaz à effet de serre. Les accords de Paris ont pérennisé cet abandon. </p>
<p>Copenhague – un sommet tenu, soulignons-le, alors que Joe Biden était le vice-président des États-Unis –, marque le début d’une dissonance entre les alliés américains et européens sur la manière de voir et d’orienter la mondialisation, ces derniers promouvant une régulation par des normes juridiques multilatérales si possible contraignantes et à vocation mondiale. C’est de ce moment que date la focalisation américaine sur sa relation de compétition et d’interdépendance avec la Chine et l’apparition de l’idée d’une sorte de G2 de fait. L’accord sino-américain sur le dos des Européens à Copenhague témoigne aussi du recul de la recherche d’un intérêt global dans les motivations des puissances mondiales, et de la montée du <a href="https://www.cairn.info/le-reflux-de-l-europe--9782724614619-page-49.htm">souverainisme</a>, c’est-à-dire, selon Zaki Laïdi, d’une absence de vision globale du monde et d’une action surtout motivée par l’intérêt particulier (national). La fin des années 2000 révèle une divergence entre une Union européenne universaliste et des États-Unis travaillés par un souverainisme déjà au pouvoir en Chine, en Russie, en Turquie et sur le point d’y parvenir en Inde et au Brésil.</p>
<p>Les années 2008-2016 doivent ainsi nous alerter sur la future administration Biden : bien qu’attaché au multilatéralisme, aux alliances et à l’idée d’une responsabilité mondiale des États-Unis, le duo Obama-Biden a dans les faits souvent négligé cette dernière pour se centrer sur les intérêts de la société et de l’économie américaines : dollar sous-évalué, <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/sanctions-contre-liran-le-cauchemar-des-entreprises-francaises-144617">procès</a> intentés à des dirigeants d’entreprises européens dans le cadre de l’embargo visant l’Iran, <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Entreprises/Airbus-coup-dune-enquete-corruption-%C3%89tats-Unis-2018-12-20-1200990935">mise en accusation d’Airbus</a>…</p>
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<p>Rien de neuf, cela dit. Dans les crises des années 1970, l’administration du président Nixon et de son secrétaire d’État Kissinger prit une <a href="https://www.franceculture.fr/geopolitique/truman-nixon-obama-les-rapports-tortures-entre-les-etats-unis-et-leurope">série de décisions unilatérales peu soucieuses des intérêts des Européens</a> (notamment dans les secteurs monétaire et commercial). Toutefois, durant la guerre froide (1947-1991), face à l’impérialisme soviétique, Américains et Européens étaient toujours, <em>in fine</em>, d’accord sur l’essentiel. La convergence des intérêts américains et européens était alors très forte : ils avaient un ennemi commun, l’URSS.</p>
<p>Aujourd’hui, et c’est heureux, ni les Européens ni les Américains n’ont plus d’ennemis – au sens classique d’un État représentant pour eux un danger existentiel. La Chine est un adversaire commun ; c’est tout de même différent. Et les acteurs qui se déclarent plus ou moins ouvertement ennemis des Occidentaux utilisent les « armes des faibles » : le terrorisme (Daech, Al-Qaïda), ou le conflit asymétrique ou gelé dans le voisinage de l’Europe (des conflits entretenus par la Russie en Ukraine et en Transcaucasie ; par la Turquie à Chypre, en Libye et au Karabakh ; par l’Iran en Palestine et au Liban). Avec le retour d’une administration démocrate, le pouvoir de nuisance de ces acteurs est de nature à renforcer le lien transatlantique car il s’en prend aux valeurs qu’Américains et Européens ont en commun.</p>
<p>Trump, depuis 2016, avait <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1237247/entre-trump-et-les-europeens-quatre-ans-de-desamour.html">détourné</a> les États-Unis de cette communauté de valeurs avec les Européens : c’est sans précédent depuis 1941. Peut-être cela se reproduira-t-il au XXIe siècle, l’avenir le dira. Mais pas durant le mandat de Joe Biden. Avec lui, les États-Unis vont <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20201107-joe-biden-pr%C3%A9sident-le-retour-multilat%C3%A9ralisme-made-in-usa">réinvestir les institutions multilatérales</a> et l’OTAN <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/20201115-joe-biden-et-l-otan">ne sera plus « en état de mort cérébrale »</a>. Rappelons que le « pivot vers l’Asie » qu’avait enclenché l’administration Obama ne l’avait pas empêchée de <a href="https://www.voaafrique.com/a/obama-annonce-le-deploiement-de-1000-soldats-amercains-en-pologne-dans-le-cadre-de-l-otan/3409190.html">renforcer le flanc oriental de l’OTAN face aux nuisances russes</a>, ni de déployer <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20170110-afrique-barack-obama-heritage-etats-unis-diplomatie">Africom</a>, le commandement militaire de l’armée américaine en Afrique décidé en 2007, gage d’une coopération étroite avec les Européens dans le renseignement et la logistique militaires en particulier. Barkhane, l’opération militaire française au Sahel, en témoigne.</p>
<h2>Pour une Conférence eurasiatique sur la sécurité commerciale</h2>
<p>Il n’en demeure pas moins que les Européens devront, avec Biden, affirmer leurs intérêts et leur vision du monde avec fermeté, habileté et ténacité, dans la mesure où le président américain nouvellement élu défendra ceux de son pays – d’autant plus âprement s’il n’a <a href="https://www.lefigaro.fr/elections-americaines/un-programme-impossible-a-appliquer-sans-un-senat-allie-pour-biden-20201105">pas de majorité au Sénat</a>. Pour rester un pôle mondial et autonome, les Européens ne peuvent plus compter sur une convergence avec les États-Unis dans plusieurs domaines cruciaux : <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/etats-unis-europe-chine-japon-le-match-des-energies-843391.html">l’énergie</a>, le <a href="https://www.cairn.info/revue-l-europe-en-formation-2017-1-page-111.htm">changement climatique</a>, le <a href="https://www.connaissancedesenergies.org/afp/les-etats-unis-moins-dependants-du-petrole-etranger-200108">Moyen-Orient</a>… Ils étaient déjà engagés avec eux dans un <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/273926-etats-unis-union-europeenne-de-la-competition-la-defiance">bras de fer structurel dans les secteurs agricole, aéronautique, spatial et de l’économie numérique</a>.</p>
<p>Avec Biden, les Européens seront à nouveau en capacité d’impliquer les Américains à leurs côtés face à la volonté de nuisance de la Russie de Poutine. Mais ils devront en échange continuer à se <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/armement-la-pologne-ce-pays-europeen-qui-achete-made-in-usa-a-tour-de-bras-841555.html">fournir</a> grandement auprès de l’<a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2017/12/11/l-industrie-de-l-armement-plus-prospere-que-jamais_5227888_3234.html">industrie de défense américaine</a> et à prendre à leur charge un <a href="http://www.senat.fr/rap/r18-626/r18-6263.html">financement croissant de l’OTAN</a> – c’est le prix à payer pour cet héritage au long cours devenu très lourd de la fragmentation de l’industrie de défense en Europe.</p>
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<p>Trump a mené une guerre commerciale en même temps contre les <a href="https://www.lopinion.fr/edition/wsj/guerre-commerciale-face-a-chine-trump-mene-coalition-refractaires-187859">Chinois</a> et contre les <a href="https://www.lavoixdunord.fr/698842/article/2020-01-22/donald-trump-menace-l-europe-d-une-guerre-commerciale">Européens</a>, par souverainisme et par nationalisme. Face à l’objectif chinois défini dès Deng Xiaoping de faire de la Chine le plus grand marché du monde en même temps qu’une puissance exportatrice, les intérêts européens et américains sont pourtant bien plus convergents que divergents. D’autant que chacune des deux entités est le principal partenaire commercial de l’autre. Sous Biden, les Européens pourront conforter leur nouvelle approche à l’égard de la Chine (qualifiée de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/20/la-commission-europeenne-appelle-enfin-un-chat-un-chat-et-la-chine-un-rival-systemique_5438531_3232.html">« rival systémique »</a> depuis mars 2019) en négociant à leur profit avec les Américains cette convergence stratégique. Ce faisant, les Européens pourraient harmoniser, bien plus qu’ils ne le font aujourd’hui, leurs différentes visions des relations avec la Chine, en cédant beaucoup moins qu’auparavant aux sirènes des « nouvelles routes de la soie », des sommets et des voyages bilatéraux à Pékin et des <a href="https://www.fdbda.org/2020/01/le-format-171-un-outil-au-service-de-la-politique-europeenne-de-pekin-defiant-lue/">sommets « 17+1 »</a> qui divisent les Européens entre eux.</p>
<p>À propos de cohésion diplomatique, les Européens devraient se souvenir avec quel talent ils ont piloté l’improbable processus d’Helsinki (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, 1973-1975) au moyen duquel ils ont habilement <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2013-3-page-55.htm">imposé leur agenda</a> tant à l’URSS de Brejnev qu’à l’Amérique de Nixon. Les 35 pays signataires s’engageaient en effet à respecter les frontières et la souveraineté de tous les autres, à proscrire l’ingérence, à promouvoir la coopération et les échanges culturels, scientifiques et universitaires entre eux et à garantir les droits de l’homme.</p>
<p>C’est pourquoi l’Union européenne devrait prendre l’initiative d’une Conférence eurasiatique sur la sécurité commerciale qui se déroulerait sur plusieurs années. Il s’agirait de promouvoir des relations économiques équitables et régulées dans tous leurs aspects entre tous les pays du continent eurasiatique (y compris l'Océanie) plus les États-Unis et le Canada. Les Européens seraient dans leur zone d’excellence : la négociation multilatérale, le droit, la concertation, la capacité à lier ensemble plusieurs points de vue et une pluralité d’intérêts et de dossiers, de pays de toutes tailles et de toutes cultures, la promotion des échanges et de l’ouverture équitables, du progrès et du développement. Une telle initiative contraindrait les 27 et leurs partenaires de l’Espace économique européen à définir entre eux des positions communes sur tous les sujets de discussion.</p>
<p>L’administration Biden, qui se voudra l’héritière de celles de Wilson et de Roosevelt, et qui se donnera pour ambition d’ordonner la mondialisation, ne pourra refuser. Le gouvernement de Xi Jinping, qui ne cesse de plaider pour le dialogue et les forums de tous types pendant qu’il poursuit ses objectifs unilatéraux avec détermination, non plus.</p>
<p>Ce serait sortir par le haut de la <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Monde/LOrganisation-mondiale-commerce-menacee-paralysie-2019-12-09-1201065275">paralysie de l’OMC</a>, et une manière de reconnecter la diplomatie climatique avec le monde réel de l’économie et de la compétition entre États. Et d’amener la Russie, la Turquie et l’Iran dans le jeu multilatéral global à travers leur point faible : l’économie.</p>
<p>L’élection de Biden est une opportunité pour les Européens… à la condition qu’ils attirent les Américains sur le terrain de jeu où ils sont talentueux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150217/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La victoire de Biden ouvre pour les Européens une fenêtre d’opportunité : ils pourraient lancer une Conférence eurasiatique sur la sécurité commerciale, qui rassemblerait l’UE, Washington et Pékin.Sylvain Kahn, Professeur agrégé, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1493812020-11-05T20:01:38Z2020-11-05T20:01:38ZÀ quoi pourrait ressembler la politique étrangère de Joe Biden ?<p>À quoi ressemblera la politique étrangère d’une Amérique post-trumpienne, avec Joseph Biden et Kamala Harris à sa tête ? Assistera-t-on à la fermeture d’une parenthèse baroque et tumultueuse, pour retrouver la « vie internationale d’avant » ? Verra-t-on se bâtir un nouveau socle pour une nouvelle diplomatie américaine ?</p>
<p>L’après-Trump, du point de vue de l’action extérieure américaine, pose d’abord beaucoup de questions. En la matière, le 46<sup>e</sup> président devra tenir compte d’une nouvelle donne, inédite aussi bien du point de vue intérieur américain que du point de vue international. </p>
<p>Si Joseph Biden, contrairement à son prédécesseur, est un <a href="https://www.cfr.org/election2020/candidate-tracker/joe-biden">connaisseur des questions mondiales</a>, sa tâche ne sera pas aisée pour autant.</p>
<h2>Les questions</h2>
<p>La première interrogation qui vient à l’esprit a trait à l’importance des dégâts causés par un Donald Trump qui a fait évoluer les fondamentaux en quatre ans. Ces dégâts sont-ils réparables ? Suffisamment pour permettre à Biden de se replacer dans la ligne de la « retenue » propre aux années Obama ? L’ancien président (2009-2017) avait amorcé un retrait de la scène mondiale, avec un moindre recours à l’intervention militaire, des discours d’apaisement (<a href="https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/2014/05/28/remarks-president-united-states-military-academy-commencement-ceremony">à West Point en mai 2014</a>), le choix de <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/09/23/en-2013-m-obama-avait-renonce-a-des-raids-en-syrie_4492488_3218.html">ne pas frapper le régime syrien</a> en août 2013, ou des concepts novateurs, comme le <a href="https://www.cairn.info/journal-politique-americaine-2012-1-page-49.htm">« leadership from behind »</a> en Libye, en 2011. Il s’était efforcé de donner une cohérence à l’action extérieure américaine. Cohérence parfois jugée trop intellectuelle, et mal comprise de ses principaux alliés, mais cohérence quand même, surtout comparée à l’action erratique et impulsive de son successeur.</p>
<p>Autre question majeure : quelle influence sur les dossiers internationaux auront les équipes déjà constituées par Biden (et qui, en toute vraisemblance, seront confirmées dans leur intégralité par le nouveau Sénat à majorité démocrate) ? Le long parcours politique du nouveau président lui confère une expérience rare. Il a notamment présidé la commission des Affaires étrangères du Sénat. Les grands noms, déjà connus, de son administration se caractérisent par leur compétence : le francophone <a href="https://www.fp4america.org/antony-blinken">Antony Blinken</a>, secondé par <a href="https://www.belfercenter.org/person/ambassador-wendy-r-sherman">Wendy Sherman</a> (la négociatrice de l’accord nucléaire iranien) au département d’État ; l’ex-général <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20210118-%C3%A9tats-unis-qui-est-lloyd-austin-le-prochain-ministre-de-la-d%C3%A9fense">Lloyd Austin</a> à la Défense (caution donnée aux électeurs afro-américains, déterminants dans la victoire de Biden) ; <a href="https://buildbackbetter.gov/nominees-and-appointees/jake-sullivan/">Jake Sullivan</a> à la sécurité nationale ; le diplomate <a href="https://carnegieendowment.org/experts/1014">William Burns</a> à la CIA ; et <a href="https://www.jeuneafrique.com/1084121/politique/linda-thomas-greenfield-lex-madame-afrique-dobama-nommee-par-biden-a-lonu/">Linda Thomas-Greenfield</a> comme représentante aux Nations unies… Autant de penseurs chevronnés de l’action extérieure et, pour la plupart, de vétérans de l’administration Obama.</p>
<p>Le Sénat démocrate aura également son importance : <a href="https://www.menendez.senate.gov/about">Bob Menendez</a> – la vieille garde –, mais aussi <a href="https://www.murphy.senate.gov/about">Chris Murphy</a> et <a href="https://www.coons.senate.gov/about">Chris Coons</a> (issu de la « Delaware connection »). La domination démocrate - obtenue in extremis - sur toute la branche législative de l’administration pourrait aussi favoriser l’émergence d’approches bipartisanes en politique étrangère, un domaine où les clivages sont moins marqués que sur les questions de politique intérieure. Des passerelles existent avec des cercles républicains modérés qui pourraient retrouver de l’oxygène après la chute de la maison Trump. </p>
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<p>Y a-t-il des courants identifiables dans la nouvelle administration démocrate ? Entre « restaurationists » et « reformers » – partisans de restaurer la politique étrangère traditionnelle ou, à l’inverse, de prendre un nouveau départ –, la balance pourrait pencher en faveur de ces– derniers, notamment sur la question d’un découplage avec la Chine, sur l’alliance avec les démocraties et sur la promotion internationale des normes libérales. Un courant plus progressiste situé à la gauche du Parti démocrate, plus enclin à la rupture (notamment dans un sens plus environnementaliste), ou plus porté vers le Sud que vers les alliés traditionnels des États-Unis, comme la vieille Europe, et centré autour des personnes de Bernie Sanders et Elisabeth Warren, tentera également de se faire entendre. L’ancien candidat aux primaires démocrates <a href="https://www.lepoint.fr/monde/etats-unis-la-revelation-pete-buttigieg-futur-ministre-des-transports-16-12-2020-2406131_24.php">Pete Buttigieg</a>, l’une des figures réformatrices montantes, hérite lui de l’important poste de secrétaire aux Transports et reste pour le moment en réserve de la politique étrangère américaine. </p>
<p>Dernière interrogation, et pas des moindres : quelle sera l’influence de la vice-présidente Kamala Harris, membre de la <a href="https://www.buzzfeednews.com/article/emmaloop/kamala-harris-intelligence-committee-russia-republicans-2020">commission du renseignement au Sénat</a> ? Sur quels dossiers internationaux aura-t-elle la main ? <a href="https://www.vox.com/2020/8/14/21364014/kamala-harris-vice-president-foreign-policy">Comment</a> voit-elle l’Europe (elle qui vient de la côte ouest), le Moyen-Orient, le monde émergent (elle qui a des origines indiennes et caribéennes) ? L’âge de Joseph Biden (78 ans) donne naturellement à la vice-présidence une importance inédite : Kamala Harris pourrait être amenée à poursuivre l’action du président dès la fin du premier mandat, voire terminer celui-ci si le titulaire connaissait des problèmes de santé.</p>
<h2>Le contexte : une Amérique abîmée, un monde transformé</h2>
<p>L’élection de Biden est singulière pour une autre raison : pour la première fois depuis un siècle et demi, un président doit composer avec une Amérique divisée, déchirée, au bord d’une guerre civile qui ne dirait pas son nom. Trump a attisé les haines, les Américains se battent entre eux, la question raciale explose, la pandémie mondiale frappe l’économie et le phénomène de vérité alternative étend sa toile. La priorité est donc d’abord intérieure. Se consacrer trop, et trop publiquement, à l’international serait périlleux.</p>
<p>Mais le monde a besoin de l’Amérique. La crise économique est mondiale. L’anti-américanisme retrouve ses niveaux de l’ère néoconservatrice. Les Alliés doutent, voire s’affrontent (la Turquie, avec la Grèce et la France). L’OTAN a besoin d’une reprise en main. Les États-Unis, sous Trump, se sont retirés de nombreux cadres multilatéraux, laissant le champ libre à quelques acteurs ambitieux ou perturbateurs. Le dérèglement climatique s’intensifie, avec lui toute la question environnementale, et Trump s’en est retiré. Le Moyen-Orient est dans l’impasse, et Trump s’en est retiré. Les partenariats dans le Pacifique sont nécessaires, et Trump s’en est retiré. Les organisations internationales sont sollicitées, l’OMS l’une des premières, et Trump s’en est retiré. Les populismes illibéraux prolifèrent, et Trump les a encouragés, indirectement et souvent directement.</p>
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<p>Un doute de taille se fait pourtant jour : si l’Amérique veut retrouver son leadership… le monde l’acceptera-t-il ? La Chine, en quatre ans, a profité des erreurs de Trump. Son projet de nouvelle route de la soie (ou Belt and Road Initiative) est à ce jour le seul projet stratégique global de taille, avec des moyens provisionnés, disponible sur le marché mondial. La Russie et la Turquie, ont également profité des complaisances de Washington depuis 2016 pour déployer des stratégies d’influence qui ne sont plus uniquement régionales. Les relations internationales sont redevenues plurielles.</p>
<h2>La marge de manœuvre</h2>
<p>Que peut, dès lors, faire une administration Biden ? Certes, l’Amérique, première puissance militaire, économique et culturelle du monde, dispose de certains leviers. Mais le Vietnam, la Somalie, l’Afghanistan, l’Irak ou la Syrie témoignent que cela ne suffit pas toujours.</p>
<p>Réinvestir dans le multilatéralisme ? C’est probable, avec un retour dans les grandes organisations et traités internationaux desquels Donald Trump était sorti : <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/climat-avec-biden-un-vrai-retour-des-etats-unis-dans-l-accord-de-paris-861217.html">Accord de Paris</a> sur le climat, <a href="https://financialtribune.com/articles/national/105473/preconditions-for-us-return-to-jcpoa">JCPOA</a> sur le nucléaire iranien (à condition sans doute que Téhéran fasse machine arrière sur ses dernières initiatives en matière d’enrichissement), <a href="https://www.bbc.com/news/world-us-canada-53332354">financement de l’Organisation mondiale de la Santé</a>… Dans le Pacifique, la réactivation du <a href="https://www.afr.com/policy/economy/he-s-no-milton-friedman-but-biden-will-back-the-trans-pacific-trade-partnership-20200825-p55oz1">TPP (Trans-Pacific Partnership)</a>, un temps imaginé par Obama pour tisser une alliance sans la Chine, pourrait également retrouver un souffle.</p>
<p>Rassurer les Alliés traditionnels ? C’est à l’évidence une priorité. L’Alliance atlantique doit être réparée. Un changement d’atmosphère dans la relation transatlantique est souhaitable, même si les attentes américaines sur un plus grand partage du fardeau par les Européens, demeureront, comme elles préexistaient d’ailleurs à Trump. Tout ne sera pas réglé une fois Trump parti : on songe aux débats autour de <a href="https://www.nationaldefensemagazine.org/articles/2019/12/13/eu-should-remain-open-to-us-defense-industry">l’ouverture du marché européen aux industries de défense américaines</a> et du <a href="https://ec.europa.eu/commission/news/european-defence-fund-2019-mar-19_fr">Fonds européen de la défense</a>.</p>
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<p>Retrouver un discours de soutien à la démocratie et aux droits humains ? La base du parti démocrate le réclame, mais comment le décliner dans les relations avec la Chine (Hongkong, les Ouïghours, Taïwan…), <a href="https://www.reuters.com/article/usa-election-gulf-idUSKBN2770MP">l’Arabie saoudite</a> (que Biden a qualifiée d’État paria), la Turquie (dont l’atténuation récente de la rhétorique montre tout de même que Ankara sent que le vent tourne à Washington) ? S’impliquer à nouveau au Moyen-Orient ? La relation Biden-Nétanyahou sera plus compliquée qu’avec Trump. Le nouveau président ira-t-il jusqu’à rééquilibrer le balancier en faveur de la Palestine ? On sait déjà que la remise en cause du déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem-Est est <a href="https://apnews.com/article/47c2d807cbb563b747cee29aaefeda5a">peu probable</a>.</p>
<p>Mais la plus grande difficulté pour une administration Biden risque de venir de l’absence de système international identifiable. Bipolarité ici (en Asie, où plusieurs puissances tentent d’éviter d’avoir à choisir entre Washington et Pékin), multipolarité ailleurs (en Méditerranée et au Proche-Orient, où toutes les puissances s’invitent). Montée en puissance des sociétés civiles, d’acteurs privés omnipotents (par les nouvelles technologies de communication), mais fermeture croissante de nombreux régimes politiques. Démonstration d’efficacité des démocraties asiatiques face à la crise sanitaire, mais ce sont les autoritarismes qui avancent leurs pions. Guerres hybrides (comme en Ukraine) ou rapides et brutales (comme au Nagorno-Karabakh), combinaisons étatiques/non étatiques (les réseaux religieux financés par des États), « sharp power » (pouvoir de nuisance par la désinformation) contre « soft power » (pouvoir de séduction des démocraties) : le paysage stratégique se brouille.</p>
<p>La puissance des États-Unis repose toujours en grande partie sur un système international bâti par eux au sortir de la Seconde Guerre mondiale, et en partie sur leur formidable capacité d’adaptation et leur aptitude à rebondir après des revers. Le premier terme de l’équation a été largement ruiné par la présidence Trump, et arrivait de toute manière à obsolescence. Le second doit être reconstruit autour d’une vision (que l’on souhaite partagée avec l’Europe), et c’est à cette tâche que devra s’atteler la nouvelle administration.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/149381/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Joe Biden aura sans doute une politique étrangère largement différente de celle de son prédécesseur. Tour d’horizon de ce à quoi devrait ressembler la ligne de Joe Biden en la matière.Frédéric Charillon, professeur de science politique, Université Clermont Auvergne (UCA)Patrick Chevallereau, Consultant international sur les questions de défense et de sécurité. Chargé de cours à l'Université Clermont Auvergne, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1395752020-06-15T20:29:07Z2020-06-15T20:29:07ZLe jour d’après : Briser trois mythes sur l’état du monde après la pandémie<p>Décideurs et penseurs s’accordent pour affirmer que la pandémie du Covid-19 transformera radicalement et durablement le monde dans lequel nous vivons. Évènement majeur, à l’instar des moments clés de l’histoire récente tels que la chute du mur de Berlin ou les attentats du 11 septembre 2001, ses conséquences politiques et économiques ne seront véritablement visibles qu’à long terme.</p>
<p>Les écrits se multiplient pour alerter sur les risques et plaider pour des orientations politiques, laissant apparaître les luttes idéologiques à l’œuvre dans les différentes capitales. D’aucuns distordent les perceptions sur trois évolutions clés : le monde post-coronavirus marquerait la victoire de l’autoritarisme sur la démocratie ; il favoriserait la recrudescence des États faibles ou faillis ; il accélérerait le déclin de l’ordre libéral et renforcerait la compétition entre les grandes puissances. Ces théories continuent de voir le monde à travers les yeux de <a href="https://www.persee.fr/doc/bude_1247-6862_1972_num_31_4_3490">Thucydide pour qui l’épidémie de la « peste » d’Athènes</a>, au V<sup>e</sup> siècle avant notre ère, conduisit à un cataclysme et à une désintégration sociétale.</p>
<p>À rebours de ces discours, l’objectif de ce texte est d’effectuer une estimation des changements à venir en fonction des tendances actuelles et des connaissances scientifiques sur les raisons pour lesquelles les pandémies peuvent susciter des dynamiques plus positives.</p>
<h2>Mythe n° 1 : la revanche de l’autoritarisme sur la démocratie</h2>
<p>Une idée reçue qui prend de l’ampleur ces temps-ci est que les <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/covid-19-les-autoritaires-vont-ils-lemporter-sur-les-democraties">régimes autoritaires</a> seraient mieux armés pour lutter contre la propagation de la pandémie. Certes, pris de panique et insuffisamment préparés, certains gouvernements ont dû prendre des mesures radicales, contraires aux valeurs de la démocratie libérale, <a href="https://theconversation.com/union-europeenne-la-frontiere-comme-antidote-a-lepidemie-134844">fermant les frontières</a>, restreignant les échanges, confinant les populations. Certains hommes politiques, à l’instar de <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/orban-a-cree-la-premiere-coronadictature-du-monde-selon-ce-specialiste-de-lue_fr_5e85fa56c5b60bbd73509448">Viktor Orban en Hongrie</a>, ont instrumentalisé la crise pour accentuer la dérive autoritaire en renforçant un pouvoir devenu absolu pour un temps indéterminé.</p>
<p>Cependant, n’oublions pas que la crise actuelle a été provoquée par un régime autoritaire. Malgré des avertissements constants, la Chine n’a pas pris les mesures nécessaires pour réguler les marchés d’animaux aux conditions sanitaires déplorables où sont nés plusieurs virus graves des dernières décennies. Le régime chinois a également manipulé les informations, censuré les premiers médecins qui avaient détecté le virus et a retardé l’édiction de mesures qui s’imposaient, favorisant ainsi la diffusion de la maladie non seulement en Chine, mais aussi à travers le monde entier.</p>
<p>Par contraste, les régimes démocratiques voisins comme le <a href="http://www.lavie.fr/actualite/monde/taiwan-japon-coree-du-sud-ces-democraties-d-asie-qui-tiennent-le-virus-en-respect-13-05-2020-106225_5.php">Japon, la Corée du Sud et Taiwan</a> ont réussi à limiter l’expansion de l’épidémie, non pas en concentrant le pouvoir ou en niant le danger, mais en privilégiant la transparence et en suivant les prescriptions d’organismes scientifiques autonomes, afin de faciliter l’acceptation par la population d’un sacrifice commun difficile. Une étude de <a href="https://www.economist.com/graphic-detail/2020/02/18/diseases-like-covid-19-are-deadlier-in-non-democracies"><em>The Economist</em> publiée en février</a> tend à démontrer que les démocraties font mieux : le taux de mortalité provoqué par les maladies épidémiques y est plus faible que dans les États non démocratiques.</p>
<p>Même si quelques régimes autoritaires ont réussi à développer des systèmes de santé efficaces – à l’instar de la Chine, de <a href="https://theconversation.com/cuba-face-au-coronavirus-dans-lile-et-dans-le-monde-135455">Cuba</a> et de l’Arabie saoudite, il est désormais bien établi que l’absence de démocratie a des effets <a href="https://www.thelancet.com/journals/lanpub/article/PIIS2468-2667(20)30030-X/fulltext">désastreux sur la prévention, le contrôle et le traitement des épidémies</a>. Pour assurer la santé de la population en période d’épidémie, <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=950879">il convient au contraire</a> d’établir de nouvelles normes de responsabilité publique, de renforcer la capacité des citoyens à exprimer des désaccords et des doléances, de rendre les informations librement disponibles, de coopérer au niveau international et de développer la recherche scientifique indépendante.</p>
<h2>Mythe n° 2 : davantage d’États faillis</h2>
<p>Les États faibles ou faillis souffrent d’un triple déficit : d’autorité, de légitimité et de capacité. Ils peuvent dès lors constituer une menace pour la sécurité internationale. D’aucuns soutiennent que la crise sanitaire pourrait balayer sur son passage ces <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/04/03/coronavirus-les-experts-du-quai-d-orsay-redoutent-le-coup-de-trop-qui-destabilise-l-afrique_6035470_3212.html">États incapables de protéger leur population</a>. En réalité, cette crise met aussi en exergue la vulnérabilité des États perçus comme solides : les puissances européennes manquent cruellement de masques, de tests, de matériels médicaux, etc. Mais rien ne garantit que les conséquences de la pandémie soient uniformément négatives pour l’État.</p>
<p>Les rancunes, divisions et affiliations ethno-politiques ont été <a href="https://biepag.eu/wp-content/uploads/2020/05/BiEPAG-Les-Balkans-occidentaux-au-temps-de-la-pand%C3%A9mie-mondiale-FR.pdf">mises de côté en Bosnie-Herzégovine</a> pour lutter plus efficacement contre la pandémie. Milorad Dodik, le chef des Serbes de Bosnie et avocat de la sécession de la <em>Republika srspka</em>, a lui-même appelé à un effort uni. Face à une crise provenant de l’extérieur, plutôt que fabriquée par les élites politiques locales, les institutions étatiques se révèlent cruciales pour limiter la propagation du virus, ce qui nécessite une prise de décision conjointe. Il est probable que ce moment soit de courte durée : les tensions ethno-politiques pourraient revenir, les élites continuant à instrumentaliser les nationalismes. Cette pandémie démontre toutefois que les divisions peuvent être surmontées pour le bien commun et que l’action d’une structure institutionnelle légitime est nécessaire pour assurer la sécurité.</p>
<p>Par ailleurs, les capacités de ces États sont souvent mal évaluées, notamment en Afrique, en raison des difficultés à mesurer des fonctionnements complexes et différents. En conséquence, on néglige souvent que la flexibilité, l’inventivité et l’adaptabilité combinées à des initiatives intelligentes permettent aux sociétés d’être résilientes, plus efficaces et de sortir de la crise plus rapidement qu’attendu. Ces politiques intelligentes se font parfois par mimétisme grâce à la diffusion des bonnes pratiques, mais aussi grâce à une meilleure préparation des structures ayant eu affaire à d’autres épidémies infectieuses telles qu’Ebola récemment.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/covid-19-le-retour-de-letat-en-afrique-139627">Covid-19, le retour de l’État en Afrique ?</a>
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<p>Un simple coup d’œil sur les scènes nationales présentes et passées permet de constater que les développements institutionnels les plus profonds ont été précédés par des <a href="https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante1-2012-1-page-35.html">crises et scandales sanitaires</a>. Ces crises poussent l’État à développer ses capacités, à créer et gérer des organisations complexes et spécialisées, à mobiliser ses ressources et, enfin, à renforcer son pouvoir de contrôle sur l’usage de la contrainte. Les populations elles-mêmes se tournent vers les entités étatiques pour les protéger, renforçant ainsi la légitimité et la raison d’être de celles-ci : la pandémie contribue donc à accroître les fonctions sécuritaires de l’État wébérien, faisant de la sécurité sanitaire un bien public et une mission régalienne.</p>
<h2>Mythe n° 3 : la fin de l’ordre international libéral</h2>
<p>La crise peut paraître propice au repli sur soi, au renforcement des mouvements nationalistes et à l’intensification de la compétition entre grandes puissances. Les premiers réflexes semblent en apparence donner raison aux tenants de cette vision. Pour eux, l’interdépendance rend les États plus vulnérables et crée davantage de problèmes qu’elle n’apporte de solutions. Cependant, cette forme de protectionnisme engendre des coûts considérables et se révèle à long terme néfaste pour tout le monde. <a href="https://www.lapresse.ca/debats/opinions/202005/25/01-5274963-la-tentation-du-protectionnisme-les-indeniables-benefices-des-echanges-et-des-avantages-compares.php">La fermeture des marchés augmente les coûts</a> des produits et empêche de lutter efficacement contre la pandémie, menace à terme les intérêts des États et contribue à dégrader profondément les relations interétatiques.</p>
<p>En réalité, si l’on sort du flux quotidien de l’actualité pour prendre un peu de recul en mobilisant nos savoirs, il n’y a aucune raison logique de penser que l’ordre post-coronavirus serait moins libéral et se déplacerait vers l’Est. Pour qu’une telle transformation se réalise, il faudrait que la crise actuelle décime largement les ressources de la puissance américaine – inégalée à ce jour – tout en épargnant celles de la Chine, et que de surcroît la puissance émergente se positionne radicalement contre l’ordre international qui prévaut.</p>
<p>De fait, la crise actuelle prouve le caractère profondément interconnecté du monde. L’interdépendance implique avant toute chose de construire et d’intensifier l’infrastructure globale de coopération multilatérale. Des initiatives sont prises, un peu partout dans le monde, pour coordonner la réaction à la pandémie.</p>
<p>Des formes (in)formelles et transnationales de coopération ont émergé pour aider les hôpitaux à faire face à l’afflux de malades, gérer la recherche sur la pandémie, partager les informations essentielles et lancer des fonds de secours. Les <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2020/05/04/how-international-organizations-are-stepping-up-respond-pandemic/">organisations internationales se mobilisent</a> pour répondre à la pandémie. La solidarité européenne se met en route, les États s’entraident.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1268045972212416512"}"></div></p>
<p>L’UE a commencé à prendre des mesures pour <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/05/19/plan-de-relance-europeen-l-allemagne-prete-a-un-geste-de-solidarite-sans-precedent_6040087_3234.html">relancer l’économie</a> durement touchée. Le G20 prépare un <a href="http://www.rfi.fr/fr/afrique/20200520-dette-quatre-pays-ont-obtenu-moratoire-club-paris-mali-g20">plan d’aide aux pays en développement</a>. L’Inde, quant à elle, a pris l’initiative d’élaborer une <a href="https://www.theweek.in/news/world/2020/03/15/with-saarc-video-call-india-leads-regional-response-to-coronavirus-pandemic.html">réponse régionale commune</a> avec les autres pays de l’Asie du Sud. L’Assemblée générale de l’ONU a approuvé par consensus début avril une résolution <a href="https://apnews.com/7ebca40e0e9135b44459b99476077c1a">appelant à la coopération internationale</a> et au multilatéralisme.</p>
<p>Cette situation rappelle que les acteurs internationaux rationnels sont incités à privilégier des actions multilatérales susceptibles de déboucher sur de meilleurs résultats. Le monde a réalisé de grandes choses dans le passé en travaillant ensemble – l’<a href="https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/223060/WER5520_148-148.PDF">éradication de la variole</a> en est un exemple du domaine des maladies infectieuses. Un simple détour par l’histoire démontre que de nouveaux modes de coopération internationale succèdent aux grandes situations de crise : le « comité d’hygiène » de la SDN, ancêtre de l’OMS, est né suite à la grippe espagnole.</p>
<h2>Vers une meilleure coopération internationale ?</h2>
<p>La coopération n’est certes pas automatique : pour que chaque État joue son rôle, il doit s’assurer que les autres feront de même. Dans les faits, une puissance ascendante telle que la Chine défend certains aspects du libéralisme intergouvernemental et économique. Elle est surtout opposée au libéralisme politique susceptible de menacer la légitimité de son régime autoritaire. Pour ces raisons, il est probable que l’ordre international libéral soit préservé et consolidé dans certains domaines, en particulier la santé et l’économie. Le renforcement des capacités mondiales de résistance aux maladies infectieuses et le redressement économique global passent par des traités et accords multilatéraux, par les organisations internationales et les institutions qui font les règles et normes, surveillent leur respect, résolvent les problèmes, et fournissent des biens publics mondiaux.</p>
<p>En ce sens, loin d’accroître les rivalités de puissance, l’hégémon américain est incité à reprendre sa place de leader sur la scène mondiale et à s’engager activement en faveur de la coopération car cela lui permettra 1) de limiter l’impact du coronavirus, d’en sortir plus rapidement, de se prémunir et de mieux lutter contre les pandémies à l’intérieur de ses frontières ; et 2) de maintenir sa place dominante à long terme dans le monde, en reproduisant l’écart qui sépare sa position de celle de ses rivaux potentiels. Même si elles demeurent modestes à ce stade, l’assistance et l’aide américaine aux institutions multilatérales telles que le FMI ont été revues à la hausse. Et lorsque Donald Trump a décidé de suspendre le financement de l’OMS, il a aussi souligné la nécessité de <a href="https://www.lopinion.fr/edition/international/oms-pas-d-argent-americain-reforme-menace-donald-trump-217552">réformer l’organisation</a> pour la rendre plus efficace.</p>
<p>Malgré l’imprévisibilité de l’administration Trump et ses <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/16/trump-et-l-oms-un-jeu-dangereux_6036778_3232.html">préoccupations électorales de court terme</a>, il est plausible que les États-Unis sortent progressivement d’une compréhension isolationniste de l’approche « America first » pour exercer de nouveau leur leadership et leur influence sur le monde en soutenant la gouvernance globale. Les États-Unis demeureront une puissance globale, et la pandémie du coronavirus leur rappelle qu’elles ont toujours des « intérêts globaux ».</p>
<p>La pandémie n’effacera pas les défis préexistants. Ils persisteront dans le monde post-coronavirus. Les conflits n’ont pas cessé et les tensions subsisteront. Il est peu probable que les différences de visions sur certains aspects de l’ordre international soient effacées. Cependant, cette situation nous rappelle l’existence de jeux à somme positive. Tout le monde gagne à y coopérer. En renforçant les autres, on assure en retour sa propre sécurité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139575/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ardijan Sainovic ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À l’encontre de l’alarmisme ambiant, de nombreux signes laissent penser que des changements positifs sont possibles à long terme.Ardijan Sainovic, Chercheur postdoctoral au Centre Emile Durkheim, Sciences Po BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1360312020-04-09T19:20:07Z2020-04-09T19:20:07ZDébat : L’Europe doit-elle vraiment nous faire honte ?<p>L'Eurogroupe a bouclé cette nuit son plan de soutien de 500 milliards d'euros à l'économie européenne. Du jamais vu. Le ministre français de l’Économie avait pourtant déclaré le 8 avril à 5h du matin que l’Europe lui faisait <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/coronavirus-le-coup-de-gueule-de-le-maire-pres-lechec-des-negociations-europeennes_fr_5e8d8ce8c5b6e1d10a6c2d40">honte</a>. Comme si le défi complètement inédit auquel font face les Européens ne suffisait pas, l’habituelle défiance envers l’Europe fait son retour dans l’espace public et dans les médias, construite et porté par des voix légitimement bien installées. </p>
<p>L’Europe fait donc honte à un ministre qui parle au nom des Français et d’une majorité qui adhère au projet européen ; pis encore, <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/confinement-et-coronavirus-leurope-en-danger-de-mort-selon-delors_fr_5e7f3bd8c5b6cb9dc1a10d93">selon Jacques Delors</a>, grande autorité européenne s’il en est, elle serait menacée d’un danger mortel. Par l’épidémie de Covid-19 dont sont déjà morts 50 à 60 000 de nos compatriotes européens ? Non : par sa désunion et son incompétence.</p>
<h2>Une Europe « incompétente » ?</h2>
<p>Ce discours récurrent revient à chaque grande crise. L’<a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2004/06/09/comment-fut-rejete-en-1954-le-projet-d-une-communaute-europeenne-de-defense_368211_3214.html">échec de la communauté européenne de défense en 1954</a> ? Le jour le plus noir de l’Europe, selon Konrad Adenauer, arrière-grand-père politique de Mme Merkel. Pourtant, en 1957, les Six membres de la communauté européenne charbon acier accouchaient de la <a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/les-traites-de-rome-1957.html">Communauté économique européenne</a> devenue Union européenne en 1993.</p>
<p>C’est dans la crise financière, économique et sociale des années 1970 réputée la balayer que l’Europe des Neuf inventa le <a href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/7124614a-42f3-4ced-add8-a5fb3428f21c/9eec77e2-c94d-42d3-beed-a8413e26654c">Système monétaire européen</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"805790126106349569"}"></div></p>
<p>Plus tard, que n’a-t-on entendu comme <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2010/07/08/l-europe-serait-elle-condamnee-a-disparaitre_1385214_3232.html">sombres prédictions</a> entre 2008 et 2015, lors de la crise des dettes souveraines ? La plupart de ces funestes oracles qui, déjà, déploraient sa désunion et son incompétence, ont dû reconnaître en 2018 la formidable résilience de cette UE et de cette zone euro, qui, à coup de <a href="https://www.economie.gouv.fr/facileco/bce-creation-monetaire-dette-publique">rachats sur le marché secondaire des bons du Trésor émis par les pays européens</a>, de <a href="https://www.consilium.europa.eu/media/20386/st00tscg26-fr-12.pdf">Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de la zone euro</a>, de <a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/qu-est-ce-que-le-mecanisme-europeen-de-stabilite-mes.html">Mécanisme européen de stabilité</a>, d’<a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/banking-union/">union bancaire</a>, ont consolidé l’entité territoriale la plus prospère et la <a href="https://www.bfmtv.com/economie/l-union-europeenne-combat-mieux-les-inegalites-que-le-reste-du-monde-1690285.html">moins inégalitaire</a> de l’espace mondial.</p>
<p>Certes, les inégalités y ont <a href="https://www.challenges.fr/economie/pourquoi-les-inegalites-progressent-en-europe_651458">sensiblement cru</a>. Mais globalement <a href="https://www.lepoint.fr/monde/les-inegalites-augmentent-dans-l-ue-mais-moins-qu-ailleurs-23-05-2019-2314697_24.php">moins qu’ailleurs</a>, et avec des variations très importantes selon les territoires et les pays. Et rien ne dit que les sociétés qui ont le plus souffert – Irlande, Portugal, Grèce – auraient mieux tiré leur épingle du jeu sans l’euro ; la Grèce a hélas et cruellement fait l’objet d’un <a href="https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/la-defaite-de-la-grece-la-defaite-de-l-europe-491792.html">traitement politique punitif</a> de la part des 18 autres États membres de la zone, mais son appartenance à celle-ci lui a évité la banqueroute.</p>
<h2>Une Union fragile ?</h2>
<p>Que n’a-t-on enfin entendu au lendemain du vote de 2016 ayant enclenché le Brexit ? Ils n’étaient vraiment pas nombreux, ceux qui diagnostiquaient qu’il n’y aurait pas d’<a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2016/06/22/20002-20160622ARTFIG00079-brexit-le-risque-d-un-effet-domino-en-europe.php">effet domino</a>, notamment car le Brexit <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/le-brexit-n-est-donc-pas-un-traumatisme-les-cassandres-de-l-europe-ont-eu-tort-792668.html">signalait davantage une crise du particularisme britannique qu’une crise européenne</a>. Mais, dans l’espace public français, pour bon nombre de leaders d’opinion, surtout s’ils font profession de leur attachement à l’UE, il faut que l’Europe soit sans cesse prise en défaut puisqu’ils attendent d’elle ce qu’ils n’exigent d’aucune autre institution ni d’aucun autre acteur : la perfection.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"746637341897424896"}"></div></p>
<p>Et pourtant… Même si les écrits restent, la mémoire est courte. Ce discours sur une Europe décevante et fragile se répand comme une petite musique. Avec des formules typiques, entendues par exemple dans la <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-26-mars-2020">chronique géopolitique de la matinale radiophonique de France la plus écoutée</a> : « Je ne veux vraiment pas ajouter à l’Europe bashing, mais il faut bien reconnaître que… »</p>
<h2>Réalités et limites d’une entité fédérale</h2>
<p>Précisément, que faut-il bien reconnaître ?</p>
<p>1) Que l’UE est une entité fédérale. Comme aux États-Unis, comme en Allemagne, comme en Espagne (et même comme en Italie…), ce sont surtout les <a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/le-fonctionnement-de-l-europe-de-la-sante.html">entités fédérées qui décident des politiques de santé publique</a>, pas le gouvernement fédéral. C’est en raison de cette caractéristique que, dans le cadre juridique prévu par les traités européens, neuf États membres ont <a href="https://euobserver.com/coronavirus/147742">fermé leurs frontières</a> à la libre circulation des personnes interne à l’UE et à l’espace Schengen. <a href="https://theconversation.com/union-europeenne-la-frontiere-comme-antidote-a-lepidemie-134844">Rien ne prouve</a> que ce soit l’échelle pertinente de fermeture d’un territoire dans le cadre d’une crise sanitaire dont on voit bien qu’elle touche de façon différenciée des espaces au sein d’un même pays ; mais c’est à cette échelle que les gouvernements sont élus et peuvent donner le sentiment qu’ils décident.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/326935/original/file-20200409-119167-ivicgs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/326935/original/file-20200409-119167-ivicgs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/326935/original/file-20200409-119167-ivicgs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/326935/original/file-20200409-119167-ivicgs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/326935/original/file-20200409-119167-ivicgs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/326935/original/file-20200409-119167-ivicgs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/326935/original/file-20200409-119167-ivicgs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les institutions de l’Union européenne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">europa.eu</span></span>
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<p>2) Que les Européens ont considérablement appris de la précédente crise des années 2008-2015 ; dans les domaines qui sont du ressort du gouvernement fédéral à la mode européenne, de <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/covid-19-coronavirus-outbreak-and-the-eu-s-response/">nombreuses décisions déterminantes</a> ont été prises très rapidement – en moins d’un mois. En Europe, cet exécutif mutualisé est, selon les cas, ou bien la Commission européenne, ou bien le Conseil des dirigeants des États membres de l’UE ou de la zone euro. Ces deux-là sont épaulés par la Banque centrale européenne qui, même si elle prend ses décisions en toute indépendance – et, hélas, sans rendre de comptes –, est en interaction permanente avec eux.</p>
<p>En moins d’un mois, mars-avril 2020, l’ensemble des politiques et des instruments de soutien à la dépense publique créés entre 2010 et 2014 dans la tourmente de la crise financière ont été mis en œuvre : rachats sur le marché secondaire des bons du Trésor émis par les pays européens ; mécanisme européen de stabilité ; union bancaire. Les Européens ont de plus <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/20/coronavirus-l-ue-prend-la-decision-inedite-de-suspendre-les-regles-de-discipline-budgetaire_6033897_3210.html">suspendu les critères de Maastricht</a> (qui font converger les budgets des États ayant fait le choix de la monnaie européenne), et <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/coronavirus-commission-europeenne-adapte-son-controle-des-aides-d-etat#.Xo8e9NMzai4">assoupli la législation sur les aides d’État</a> (créée pour casser les monopoles et les rentes). La Banque européenne d’investissement <a href="https://www.eib.org/fr/about/initiatives/covid-19-response/index.htm">se mobilise massivement</a> pour soutenir les banques qui soutiennent les PME. En un mot, l’UE, avec l’euro qui est la deuxième devise mondiale, garantit un montant d’endettement public sans précédent, colossal, et à hauteur du sinistre économique et social. La réalité est bien celle-ci : l’<a href="https://www.liberation.fr/debats/2020/03/25/covid-19-le-retour-de-l-etat-providence_1782897">État-providence</a> est une réalité mutualisée par les Européens dans le cadre de l’UE.</p>
<p>3) Alors que la santé publique, on l’a dit, n’est pas une politique fédéralisée, la Commission et les États viennent de créer une <a href="https://fr.euronews.com/2020/03/19/la-commission-europeenne-lance-une-reserve-strategique-de-materiel-medical">réserve stratégique de matériel médical</a> : la tragédie de la pénurie de masques et de respirateurs dans plusieurs pays européens en raison de leurs choix de politiques publiques nationaux ne se produira pas une seconde fois. Quant à la <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_20_386">fabrication des tests et à la recherche sur le vaccin</a>, l’UE est en train d’y contribuer avec son budget spécifique.</p>
<p>Des manifestations de chacun pour soi et d’égoïsme, de type <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-la-saisie-de-4-millions-de-masques-lyon-par-la-france-enerve-la-suede-6797642">réquisition de cargaisons de masques</a>, bien que peu nombreuses, ont légitimement choqué les opinions publiques : elles ont pour cette raison été moins nombreuses que les actions de solidarité bilatérales (<a href="http://www.leparisien.fr/economie/coronavirus-les-pays-europeens-s-engagent-a-fournir-des-masques-a-leurs-voisins-13-03-2020-8279550.php">envoi de masques</a>, <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/sante/l-allemagne-la-suisse-le-luxembourg-ces-pays-qui-accueillent-des-malades-francais_2121720.html">accueil transfrontalier de patients dans les hôpitaux</a>).</p>
<p>Tout en prenant très vite des décisions stratégiques, les Européens continuent, en ce moment même, au niveau des ministres des Finances, de <a href="https://www.franceculture.fr/economie/face-au-covid-19-lunion-europeenne-joue-son-avenir-au-corona-bond">débattre</a> de l’émission de bons du trésor européens pour s’endetter ensemble au nom de l’UE et du détail des modalités de mobilisation du mécanisme européen de stabilité. Alors qu’il y a dans chaque pays européen une vie politique pluraliste composée de multiples partis en désaccord, il y a en Europe deux plans de débats : celui des familles politiques, et celui des cultures politiques et économiques nationales. Ce n’est pas un signe de désunion mais la caractéristique que l’Europe est un pays supranational de type fédéral. Le débat sur les eurobonds n’a jamais été aussi furieusement d’actualité. Que diront les Cassandres dans deux ou trois ans quand, non seulement l’UE sera toujours vive, mais que les bons du Trésor européens auront été émis ?</p>
<h2>Pourquoi l’Europe est-elle si décriée ?</h2>
<p>Comment peut-on déplorer l’affaissement du multilatéralisme et de l’esprit de coopération au niveau mondial, s’inquiéter de l’obsession égoïste et à courte vue de politiques publiques monopolisées par les seuls intérêts stato-nationaux (situation actuelle des États-Unis, de la Chine, de la Russie, du Brésil et, de plus en plus, de l’Inde) et, en même temps, affirmer que l’Europe est en échec, alors que tant de signes montrent que les Européens ne cessent de mutualiser leurs défis et leurs recherches de solutions, et à se comporter si peu égoïstement ensemble ? </p>
<p>L’Europe est actuellement la seule macro-région, le seul « pays » qui fait du multilatéralisme et du pluralisme son mode d’agir politique privilégié. Si Bruno Le Maire peut dire que l’Europe lui fait honte, c’est précisément pour cette raison : tous les membres de la zone euro tiennent à un accord ; ils sont d’accord sur leur envie de trouver une solution multilatérale et partagée ; mais il y a débat et confrontation sur le dispositif à inventer et mettre en œuvre. Ne peut-on le reconnaître ? Et ne peut-on reconnaître qu’il en est ainsi depuis 70 années ?</p>
<p>Depuis 70 ans on s’est habitué de la part des eurosceptiques à cette joie mauvaise face aux dissensions ponctuelles et à leur prophétie d’une Europe mortelle et en dessous de tout qu’ils espèrent autoréalisatrice. Mais on ne s’habituera jamais complètement au catastrophisme récurrent des Cassandre europhiles. En ces temps de confinement, ce registre est fatigant et contre-productif. On a bien compris la démarche sous-jacente : dans le but de susciter un redressement, de se reprendre, d’accélérer, d’atteindre la perfection et l’idéal normatif, il conviendrait de sonner l’alerte ; de faire peur ! Comme si on n’avait pas déjà assez peur comme ça… Pour tirer parti de la construction européenne, qui est un fait perfectible mais bien vivant et plutôt en phase avec la demande sociale des Européens, est-il vraiment bienvenu d’ajouter de la peur à la peur ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136031/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les eurosceptiques critiquent la réaction de l’UE à la crise sanitaire et c’est bien normal, ils sont dans leur rôle ; mais pourquoi tant de pro-Européens leur emboîtent-ils le pas ?Sylvain Kahn, Professeur agrégé, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1347102020-03-26T18:48:06Z2020-03-26T18:48:06ZCrise du coronavirus : le temps de la colère<p>Déclarations de soutien et <a href="https://www.un.org/fr/coronavirus-covid-19/%C2%AB-une-crise-humaine-qui-fait-appel-%C3%A0-notre-solidarit%C3%A9-%C2%BB">marques de solidarité à l’échelle planétaire</a> ; bonté, bienveillance et fraternité ; <a href="https://www.ledauphine.com/sante/2020/03/20/vincent-chriqui-on-ne-s-en-sortira-que-par-l-entraide">appels à l’entraide entre les nations</a>… La crise du coronavirus aura indéniablement mis en lumière des valeurs et émotions qui semblaient s’être évanouies sous le poids des calculs court-termistes et individualistes de chacun. Depuis un certain temps, la somme de ces égoïsmes interrogeait les fondements de nos sociétés et de nos modes de gouvernance. Néanmoins, par-delà l’urgence sanitaire, les élans collectifs actuels pourraient ne pas résister à ce que cet épisode historique nous révèle de plus sombre dans la durée.</p>
<p>L’irritation diffuse que ressentent les populations, provisoirement reléguée au second plan par <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-vivre-confine-peut-nous-reveler-nous-memes-6788465">d’autres affects tout aussi puissants</a> (peur, tristesse, désespoir…), se verra sans doute ravivée dans un avenir proche lorsqu’il sera question de dresser un premier bilan. De fait, la pandémie qui s’aggrave chaque jour davantage fragilise en profondeur tous les pays concernés par ses répercussions humaines, politiques, sociales et économiques. Sur fond d’incompréhension bien réelle, de doute, d’effroi, et d’une rancœur palpable face à l’imprévoyance et au retard pris par les autorités pour l’affronter, la <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/03/20/coronavirus-l-etat-tente-d-eteindre-la-colere-et-l-inquietude-des-chauffeurs-routiers_6033833_3234.html">colère progresse inexorablement</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1242177590825230337"}"></div></p>
<h2>Des sociétés entre peur et indignation</h2>
<p>De toute évidence, l’enchaînement rapide des événements a provoqué et continuera d’alimenter des craintes immenses parmi une majorité de peuples pris de court par cette dégradation encore inattendue il y a peu et particulièrement spectaculaire.</p>
<p>La cacophonie des décisions politiques provoque aussi une indignation grandissante. Partout en Europe, l’exaspération croît en réponse à une gestion qualifiée d’erratique, voire d’irresponsable, <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/03/10/la-grande-bretagne-s-en-lave-les-mains_1781215">comme en Grande-Bretagne où Boris Johnson avait tout d’abord réagi par l’indifférence</a> avant de faire marche arrière. Ailleurs dans le monde, les réactions de colère se succèdent, de la Chine où est apparu le virus et où le gouvernement a tardé à prendre la mesure de l’épidémie, à l’Afrique largement impréparée et où les théories du complot sur cette « maladie de Blancs » vont bon train.</p>
<p>Dans le contexte français, si <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/coronavirus-93-des-francais-approuvent-le-confinement-sondage-exclusif_fr_5e725657c5b63c3b64891c01">quasiment tous les citoyens approuvent les mesures de confinement décrétées mi-mars par Emmanuel Macron</a>, les incertitudes augmentent à mesure que les jours s’écoulent. Naturelle, cette anxiété est aussi source de grogne dans de nombreux cercles et milieux professionnels. Initialement contenue, l’indignation du corps médical – celle des médecins et des soignants au premier plan, débordés et épuisés, réclamant masques, matériels et lits dans des hôpitaux submergés – <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/temoignage-coronavirus-coup-de-colere-d-un-medecin-de-noirmoutier-ile-en-surchauffe-6786944">s’exprime désormais au grand jour</a>. Le 19 mars, le collectif « C19 » déposait plainte contre l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn et le premier ministre Édouard Philippe <a href="https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200320.OBS26322/coronavirus-des-medecins-portent-plainte-contre-edouard-philippe-et-agnes-buzyn.html">pour « mensonge d’État »</a>.</p>
<p>Fin 2019, les réformes programmées par le gouvernement avaient causé l’ébullition sociale ainsi qu’une série de mobilisations et de grèves qui se poursuivaient toujours en début d’année. Ces mesures ont été ajournées et des plans d’aide sont mis en branle tous azimuts afin de soutenir entreprises, salariés, précaires, démunis, et de prévenir l’effondrement. Mais la gronde des travailleurs et syndicats n’en est que <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/03/19/coronavirus-la-colere-gagne-les-salaries-contraints-de-travailler-par-leurs-entreprises_6033612_3234.html">partiellement et superficiellement apaisée</a>. Elle est en outre latente face à l’arrivée en province de nombreux Parisiens « venus répandre le virus » dans tout le pays en rejoignant maisons de campagne et résidences secondaires pour y passer le confinement.</p>
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<h2>Vif emportement au sommet des États</h2>
<p>Les frontières se sont fermé les unes après les autres, effet immédiat de l’impitoyable propagation du nouveau virus et <a href="http://www.slate.fr/story/188667/covid-19-mondialisme-isolationnisme">symptôme d’un repli plus structurel à l’heure du retour en force des nationalismes et du succès des populismes</a>. Parallèlement à la rancœur sourde des peuples face à cette tragédie globale, l’irritation des États au plus haut niveau couve elle aussi. Depuis les couloirs de l’Élysée, <a href="https://www.femmeactuelle.fr/actu/news-actu/coronavirus-emmanuel-macron-ulcere-face-au-comportement-idiot-des-francais-qui-vivent-comme-si-de-rien-netait-2092153">l’agacement très personnel du président français</a> face au non-respect des mesures de protection mises en œuvre a pesé dans leur durcissement graduel.</p>
<p>Outre-Atlantique, Donald Trump, dont l’impulsivité est bien connue, est à l’avant-garde d’une <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2020/03/trumps-dangerous-party-line/608383/">flambée de griefs visant la Chine</a>, qu’il accuse d’avoir menti durant de longs mois sur le danger du Covid-19 en dissimulant des données essentielles. À dessein, le dirigeant américain évoque à présent de manière explicite dans chaque allocution publique et chaque tweet un « virus chinois » pour dépeindre l’« ennemi invisible ». <a href="https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200317.OBS26169/coronavirus-trump-parle-un-d-un-virus-chinois-et-provoque-la-colere-de-pekin.html">Si cette référence a suscité l’ire de Pékin</a>, qui y voit une preuve évidente de racisme et de xénophobie, Trump l’assume pour sa part pleinement.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1240243188708839424"}"></div></p>
<p>La « distanciation sociale » imposée aux sociétés trouve par conséquent son équivalent diplomatique au cœur des règlements de comptes entre dirigeants mondiaux et au travers de leurs échanges parfois virulents. Ainsi, via ses ambassades, la <a href="https://www.thedailybeast.com/china-launches-a-fake-news-campaign-to-blame-the-us-for-coronavirus">Chine diffuse l’idée que le virus a été artificiellement créé par les États-Unis</a>. Quant au ressentiment russe, s’il se veut certes plus froid et mesuré en la matière, il n’est pas absent et <a href="https://www.nytimes.com/2020/03/19/world/europe/coronavirus-russia-putin.html">Vladimir Poutine sait pertinemment que cette crise pourrait le faire vaciller</a>. L’aigreur s’amplifie encore alors que, dans de nombreux autres pays, ministres et officiels de premier ordre sont eux-mêmes testés positifs, reflétant une prise de conscience tardive.</p>
<h2>Le multilatéralisme en ligne de mire</h2>
<p><a href="https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/Le-Covid-19-multilateralisme-2020-03-21-1201085310">Au-delà des nations et États, cette foudre générale paraît trouver dans le multilatéralisme une cible désignée</a>. L’affaiblissement des institutions nées de la fin de la Seconde Guerre mondiale et des formes de coopération axées autour des principes de démocratie et de paix n’est, de ce point de vue, pas nouvelle. Depuis des années, l’action – ou plutôt l’inaction patente – de ces instances supposées appréhender les grands défis de demain fait l’objet de critiques acerbes. Accusé d’incurie, taxé d’inutilité du fait de son incapacité à répondre aux enjeux présents, le système multilatéral faisait déjà face, avant la pandémie, à des menaces sérieuses.</p>
<p>Pourtant mobilisée, <a href="https://www.letemps.ch/monde/loms-ne-sortira-indemne-cette-pandemie">l’Organisation mondiale de la santé est notamment pointée du doigt pour n’avoir su alerter à temps de l’ampleur de la crise</a>. Dès février, le courroux des Chinois avait envahi les réseaux sociaux suite au décès du médecin lanceur d’alerte Li Wenliang, de la province de Wuhan. Comment l’OMS pouvait-elle ignorer la censure par Pékin d’informations vitales relatives à cette épidémie ? Alors que ses représentants soulignaient récemment <a href="https://www.ladepeche.fr/2020/03/21/comment-survivre-au-confinement-les-conseils-de-lorganisation-mondiale-de-la-sante,8812648.php">qu’il était « normal d’éprouver de la confusion ou de la colère » face à cette crise majeure</a>, leur rôle et leur crédibilité se trouvent en réalité foncièrement remis en cause.</p>
<p>Enfin, si l’Union européenne resserre les rangs, beaucoup considèrent qu’elle n’a <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/18/le-coronavirus-revele-les-insuffisances-de-l-union-europeenne_6033534_3232.html">pas su se montrer à la hauteur du drame en cours</a>, victime de ses propres insuffisances et privée d’une politique sanitaire commune. Symptomatiquement, l’Italie – le pays le plus durement frappé à ce jour sur le vieux continent – s’est détournée de l’aide européenne en sollicitant l’appui matériel de la Chine, de Cuba et même du Vénézuéla en vue de sauver son système de santé au bord de la faillite.</p>
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<p>Quelle sera l’issue de cette catastrophe sanitaire ? Une colère partagée et durable, y compris une fois l’urgence immédiate passée ? Le sentiment de désarroi observable aura partout, à n’en point douter, des effets au long cours : défiance accrue envers les autorités en place, soutien bien plus prononcé encore aux mouvements populistes, replis individualistes en tout genre. Tout ne reviendra pas « comme avant ». Mais un tel constat ne signifie pas pour autant que le mécontentement trouvera un quelconque débouché.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/134710/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après la sidération et la peur, c’est désormais la colère qui monte partout dans le monde, parmi les populations comme parmi les responsables politiques. Les conséquences seront durables.Myriam Benraad, Chercheuse et professeure associée en science politique et relations internationales, IREMAM, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1230222019-09-09T17:31:26Z2019-09-09T17:31:26ZEn 2019, l’obsession budgétaire prévaut toujours sur les enjeux climatiques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/291102/original/file-20190905-175710-1gux5d6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=40%2C11%2C925%2C654&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La vision comptable et court-termiste des États interdit aujourd'hui de bien poser les problèmes. </span> <span class="attribution"><span class="source">Maradon 333 / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Selon les dernières estimations de l’Insee, la dette publique française s’établissait à 2 358,9 milliards d’euros au premier trimestre, <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4177916">soit 99,6 % du PIB</a>. Conséquence de 45 exercices budgétaires déficitaires consécutifs, cette dette réduit nos marges de manœuvre à un moment pourtant décisif de notre histoire collective – même si le déficit devait être légèrement supérieur aux anticipations dans le <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/budget-2020-le-gouvernement-peine-a-atteindre-son-objectif-de-deficit-1129978">budget 2020</a>. Car, comment pourrions-nous seulement espérer répondre efficacement aux grands enjeux du XXI<sup>e</sup> siècle, transition écologique en tête, si l’État stratège reste enfermé dans une vision comptable et court-termiste de ses finances, jusqu’à poser en objectif majeur le fait de stabiliser la <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/la-dette-publique-atteint-presque-100-du-pib-apres-avoir-augmente-au-premier-trimestre_3512175.html">dette en deçà de la barre symbolique des 100 % du PIB</a> ?</p>
<h2>S’offrir un horizon et des objectifs communs</h2>
<p>Or, une telle vision nous interdit de bien poser les problèmes. Quel meilleur exemple pour l’illustrer que celui de la dette des nouveau-nés français ? Selon les chiffres couramment avancés par nos dirigeants et certains économistes, chaque bébé qui naît en France aurait déjà contracté une dette de <a href="http://www.lefigaro.fr/marches/2008/10/13/04003-20081013ARTFIG00488-sarkozy-propose-milliards-d-euros-contre-la-crise-.php">plusieurs dizaines de milliers d’euros</a>.</p>
<p>Outre de passer sous silence la question de l’<a href="https://www.ladocumentationfrancaise.fr/ouvrages/9782111453272-parlons-dette-en-30-questions">actif de la France</a> (chaque nouveau-né hérite aussi d’une fraction de notre patrimoine national), une telle approche est inadéquate à deux égards. D’une part, parce que si notre inaction nous amène à hypothéquer l’avenir de ce nouveau-né, il sera bien en peine de s’acquitter de sa dette. D’autre part, parce qu’un tel problème ne saurait tolérer la lecture statique qu’impose un indicateur mélangeant indifféremment des stocks et des flux.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Dette de la France : idées fausses et vérités cachées », Alexandre Mirlicourtois, directeur de la conjoncture et de la prévision chez Xerfi (Xerfi canal, 2018).</span></figcaption>
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<p>Plusieurs générations succéderont à celle qui voit le jour actuellement, et elles seront solidaires de l’actif, comme du passif. Dès lors, ces milliers d’euros d’endettement individuel devraient être dilués sur <em>n</em> générations, <em>n</em> correspondant à l’espérance de vie – <a href="https://cjf.qc.ca/revue-relations/publication/article/dette-de-letat-vs-dette-des-menages/">potentiellement infiniment longue</a> – de l’État. Pour l’ensemble de ces raisons, la question n’est pas tant de savoir à quel horizon la dette de l’État doit être remboursée, mais de savoir comment offrir un horizon à cet enfant qui est né, et à tous ceux restant à naître.</p>
<h2>Le spectre d’une crise sans frontière</h2>
<p>Cette question a une résonance toute particulière alors que le 23 septembre prochain s’ouvrira l’édition 2019 <a href="https://www.un.org/en/climatechange/un-climate-summit-2019.shtml">du Climate Action Summit</a>, durant laquelle les États devront préciser leurs engagements pour faire face à l’urgence climatique. Or, selon le dernier rapport du GIEC, contenir la progression de la température globale à +1,5 degré ne peut s’envisager sans une réduction drastique de <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/climat-leurope-serait-en-capacite-de-diviser-par-deux-ses-emissions-dici-2030-1003560">45 % des émissions de gaz à effet de serre</a> à l’horizon 2030.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/291098/original/file-20190905-175696-14mganh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/291098/original/file-20190905-175696-14mganh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/291098/original/file-20190905-175696-14mganh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/291098/original/file-20190905-175696-14mganh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/291098/original/file-20190905-175696-14mganh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/291098/original/file-20190905-175696-14mganh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/291098/original/file-20190905-175696-14mganh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Inondations à Jakarta, qui ne sera plus capitale de l’Indonésie en 2040.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Findracadabra/Shutterstock</span></span>
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<p>Cet objectif revêt une importance cruciale alors que les cris d’alarme émanant de la communauté scientifique se multiplient. Mentionnons, par exemple, la <a href="https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/rechauffement-climatique-hausse-oceans-nepargnera-pas-grandes-puissances-mondiales-60711/">montée des eaux</a> sur les côtes (qui a même récemment poussé l’Indonésie à envisager de <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/lindonesie-veut-implanter-sa-nouvelle-capitale-dans-lest-de-borneo-1348226">déplacer sa capitale de Jakarta</a>, directement menacée, vers Bornéo à horizon 2024), l’effondrement des <a href="https://www.science-et-vie.com/archives/rendements-agricoles-la-grande-panne-38083">rendements agricoles</a>, ou encore les <a href="https://www.lci.fr/planete/en-cours-une-penurie-d-eau-extremement-elevee-touche-pres-d-un-quart-de-la-population-mondiale-2128965.html">pénuries d’eau potable</a> entraînant des conflits d’usage, y compris dans les pays européens. </p>
<p>Un changement de paradigme aussi brutal aurait des répercussions majeures tant du point de vue humain qu’économique, provoquant des <a href="https://www.europe1.fr/international/143-millions-de-migrants-climatiques-potentiels-dici-2050-3603704">vagues migratoires</a> d’ampleurs inédite, tout autant que de vives tensions internationales sous fond de contrôle de l’<a href="https://www.futura-sciences.com/planete/dossiers/developpement-durable-geopolitique-guerre-eau-622">eau</a> ou des gisements de matières premières, notamment des métaux rares.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-21Y3I7rtd8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« La guerre des métaux rares avec Guillaume Pitron » (France Culture, 2018).</span></figcaption>
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<p>Le scénario de crise qui se profile n’aura de frontière ni géographique, ni générationnelle. Un <a href="https://liverman.faculty.arizona.edu/sites/liverman.faculty.arizona.edu/files/2018-08/Steffen%20et%20al%202018%20Trajectories%20of%20the%20Earth%20System%20in%20the%20Anthropocene_0.pdf">article</a> publié dans la revue scientifique américaine PNAS en 2018 fait d’ailleurs état que, même en respectant les accords de Paris, la Terre connaîtra des réactions en chaîne qui conduiront à des augmentations de température de +4 à +5 degrés par rapport à la période préindustrielle.</p>
<p>Quelle que soit l’ampleur de la crise, nous pouvons néanmoins nous donner collectivement les moyens de l’infléchir. Or, la transition écologique se heurte à un <a href="https://theconversation.com/conversation-avec-etienne-espagne-climatiser-la-finance-pour-financer-le-climat-71282">problème structurel de financement</a>, à plus forte raison en Europe où le Pacte de stabilité et de croissance oblige les États à une gestion rigoureuse de leurs finances.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/conversation-avec-etienne-espagne-climatiser-la-finance-pour-financer-le-climat-71282">Conversation avec Étienne Espagne : « Climatiser la finance pour financer le climat »</a>
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<p>Résumons-nous. D’un côté, la préservation des ressources et écosystèmes nécessaires à la vie humaine. De l’autre, des équations budgétaires à équilibrer et des dettes à rembourser. Certains chercheurs y voient tout le <a href="https://theconversation.com/apres-nicolas-hulot-francois-de-rugy-et-les-dilemmes-de-lecologie-politique-102525">« dilemme »</a> de l’écologie politique.</p>
<p>D’autres, un décalage vertigineux entre les enjeux et les moyens d’action réellement mis en œuvre. Si l’enjeu est d’éviter une <a href="https://theconversation.com/la-sixieme-extinction-aura-t-elle-lieu-116864">sixième extinction de masse</a>, pourquoi se priver de politiques publiques plus ambitieuses et déterminées fléchées, par exemple, vers la rénovation thermique des logements, la résilience des villes, la mise à l’échelle des transports en commun, ou encore la création de filières d’excellence hydrogène/méthanisation ?</p>
<h2>Des décideurs qui jouent au poker</h2>
<p>L’inaction est d’autant plus préoccupante que, outre de générer un retour sur investissement positif et d’apporter leur contribution à la lutte contre le réchauffement climatique, les investissements de cette nature sont également des remparts à divers conflits sociaux. Il est désormais admis que l’élévation des températures a des conséquences politiques qui peuvent favoriser l’instabilité et l’insécurité, et expliquer la recrudescence des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0095069613001289">meurtres, viols, larcins et autres crimes et délits</a>. Au-delà, un scénario funeste s’esquisse : la raréfaction des ressources pourrait entraîner des situations de stress extrêmes sur les marchés et aboutir à des conflits sociaux et armés majeurs. </p>
<p>Nous en sommes déjà témoins en <a href="https://www.liberation.fr/planete/2018/03/15/dans-la-guerre-en-syrie-le-changement-climatique-a-eu-un-effet-catalyseur_1635831">Syrie</a>. Et un juste devoir de mémoire nous rappelle d’ailleurs que de la Révolution française aux empires ottoman et romain, de nombreux cycles conflictuels du passé peuvent être expliqués à travers le prisme de la raréfaction des ressources et/ou des <a href="https://www.lepoint.fr/phebe/phebe-des-effets-du-petit-age-glaciaire-sur-les-conflits-07-11-2018-2269326_3590.php">épisodes climatiques remarquables</a>. Voulons-nous vraiment croire que des causes identiques pourraient aboutir à des résultats différents ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1036989055609786368"}"></div></p>
<p>D’une certaine façon, la situation dans laquelle nous nous trouvons est à rapprocher de la réflexion du <a href="https://video-streaming.orange.fr/actu-politique/un-entrepreneur-doit-prendre-des-lecons-de-poker-julien-pillot-CNT0000019Chsp.html">joueur de poker placé en situation d’incertitude</a>. Sa première option est de « payer pour voir » pour se donner une chance d’empocher le pot, mais aussi au risque de tout perdre. À l’inverse, sa seconde option consiste à « se coucher » pour s’acheter du temps à la table, glaner de l’information, et choisir des coups moins incertains.</p>
<p>Ramené à notre problématique, « payer pour voir » pousserait nos dirigeants à poursuivre un <em>business as usual</em> qui a toutes les chances de maximiser les profits de court terme, mais aussi d’hypothéquer le long terme. A contrario, ces derniers pourraient faire le choix de réviser leur stratégie, de « s’acheter du temps », ce qui en l’espèce pourrait se traduire par une action coordonnée à l’échelle planétaire et une modification de quelques règles du jeu institutionnel. La principale difficulté réside dans la réconciliation entre le temps long de la nature et le temps court de l’économie, des (dirigeants) politiques et des citoyens.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"943397234070220800"}"></div></p>
<p>Cette tension avait d’ailleurs été formulée <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2019-7-page-29.html">dès 1975</a> par l’anthropologue Margaret Mead qui déclarait alors :</p>
<blockquote>
<p>« Si les peuples du monde ne font pas l’effort de saisir les conséquences démesurées et à long terme de ce qui semble d’abord être de petits choix instantanés, la planète tout entière pourrait être en danger ».</p>
</blockquote>
<p>Or, ni les mandats politiques, ni les cycles économiques, ni même la vie humaine ne présentent un horizon suffisamment long pour mettre en cohérence les activités anthropiques avec le temps long que la nature exige. Aucun individu, aucune entreprise, ni même aucun État, aussi responsable soit-il dans sa politique, son mode de production ou de consommation, n’a le pouvoir d’infléchir la tendance en agissant unilatéralement. Face à cet abîme d’impuissance, la tentation est encore plus grande de privilégier l’individualisme de court-terme, de garder les choses en l’état même quand <a href="https://www.francebleu.fr/infos/transports/l-ecotaxe-poids-lourds-definitivement-enterree-1479466587">on les sait contraires à l’intérêt général</a>.</p>
<p>Le fait que les externalités négatives les plus manifestes aient d’abord touché les populations lointaines a également largement contribué à un certain immobilisme doublé d’une illusion dans les pays occidentaux : à force d’inertie, le manège continue de tourner, mais la fête est finie depuis longtemps.</p>
<h2>Pas de salut sans revigorer les institutions</h2>
<p>Le constat est là : le mur climatique et toutes ses conséquences les plus funestes ne pourront être évités sans le concours d’institutions supranationales fortes et pérennes, qui résistent <a href="https://theconversation.com/nicolas-hulot-face-au-mur-des-lobbies-102300">aux lobbys</a>, aux <a href="https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/pourquoi-trump-menace-encore-de-quitter-lomc-1124329">salves politiques</a>, et aux intérêts d’individus d’abord <a href="https://theconversation.com/la-societe-et-ses-acteurs-politiques-jeu-de-miroirs-65964">soucieux d’eux-mêmes</a>. Plus que jamais, leur mission ne doit pas être de veiller scrupuleusement au respect de traités archaïques, mais de fédérer les acteurs, de catalyser le progrès, de faciliter l’émergence de nouveaux marchés et compétences, tout en accompagnant le déclin de l’héritage des révolutions industrielles. Et plus que jamais, notre devoir est de les renforcer plutôt que de les affaiblir, quand bien même souffleraient fort les vents du <a href="https://theconversation.com/ritournelles-du-protectionnisme-le-chant-des-sirenes-69322">protectionnisme</a>, du <a href="https://www.liberation.fr/debats/2018/11/15/le-reveil-des-nationalismes_1692327">nationalisme</a> et de l’<a href="https://culture.univ-lille1.fr/fileadmin/lna/lna68/lna68p16.pdf">obscurantisme</a>.</p>
<p>Les institutions internationales sont les seules en capacité d’orienter l’économie vers des modes de production et de consommation qui préservent un avenir, pour les générations actuelles comme futures. Non pas en justifiant toutes nos inactions par la dette qu’elles auraient à supporter, mais tout au contraire en finançant de façon massive et immédiate la lutte contre le changement climatique qui est seule garante d’avenir.</p>
<p>Tandis que le péril climatique nous aspire, la dette publique continue d’être présentée comme un fardeau et d’être combattue par les instances européennes. Au moment de conclure cet article, osons quelques questions : serons-nous capable de <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2019-7-page-29.html">faire face au jugement de nos enfants</a> si nous n’avons d’autre justification à notre inaction qu’une règle budgétaire ne reposant sur <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20101001trib000554871/a-l-origine-du-deficit-a-3-du-pib-une-invention-100-francaise.html">aucun fondement économique</a>, fixant arbitrairement à 3 % du PIB le plafond d’endettement annuel ? La nature des enjeux ne mériterait-elle pas que les dépenses fléchées vers la transition écologique <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/sortir-linvestissement-vert-deficit-budgetaire-cest-possible/00086171">soient sorties du Pacte de solidarité et de croissance</a> ? Car à quoi bon s’alarmer de l’endettement des générations futures si nous créons, hier comme aujourd’hui, les conditions de notre propre extinction ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/123022/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Pillot est coordinateur du think tank trans-partisan "Le Jour d'Après" qui entend participer aux débats sur les réformes structurelles nécessaires à la modernisation et l'efficacité de notre modèle social, économique et institutionnel, en dépassant les clivages partisans.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Philippe Naccache ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les objectifs en matière de dette publique entravent les États face à une crise climatique qui exige désormais une réponse institutionnelle à l’échelle mondiale.Philippe Naccache, Professeur Associé, INSEEC Grande ÉcoleJulien Pillot, Enseignant-Chercheur en Economie et Stratégie (Inseec U.) / Pr. et Chercheur associé (U. Paris Saclay), INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1221522019-08-22T20:11:33Z2019-08-22T20:11:33ZDu multilatéralisme aux coalitions hétéroclites<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/288758/original/file-20190820-170956-x6isb6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=248%2C58%2C750%2C517&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La coopération entre acteurs divers, nouvelle réponse aux défis contemporains&nbsp;?</span> <span class="attribution"><span class="source">REDPIXEL.PL / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les échanges internationaux connaissent actuellement un ralentissement très important qui amène à remettre en cause le phénomène de mondialisation. Bien que les chaînes de valeur de la plupart des produits n’aient jamais été aussi <a href="https://www.youtube.com/watch?v=oLtZCH-RdVI">imbriquées et éclatées</a> à l’échelle mondiale, la période qui s’ouvre se caractérise, et ce sera sans doute le cas pour plusieurs années, par un véritable repli national. Perçue comme étant à l’origine de nos problèmes les plus divers (hausse des inégalités, réchauffement climatique…), la mondialisation est également porteuse de réelles vertus, notamment en constituant l’une des briques essentielles de la paix lorsqu’elle prend la forme du <a href="http://www.maphilosophie.fr/voir_un_texte.php?%24cle=Le%20doux%20commerce">« doux commerce »</a> cher à Montesquieu.</p>
<h2>Une véritable crise du multilatéralisme</h2>
<p>Visant clairement à pacifier des relations internationales trop souvent conflictuelles et débouchant sur la guerre, le multilatéralisme est un mode d’organisation des relations interétatiques qui repose sur la coopération et l’instauration de règles communes. Aujourd’hui clairement remis en cause dans des pays émergents comme le Brésil, mais aussi et surtout par l’administration Trump, le <a href="https://theconversation.com/commerce-international-le-multilateralisme-etait-mort-vivant-trump-lacheve-97893">multilatéralisme est en péril</a>. Il avait pourtant permis, et c’est de loin sa contribution la plus importante, de maintenir la paix, notamment en Europe, région du monde où elle était loin d’être habituelle. C’est ce que rappelait récemment le philosophe Michel Serres en évoquant les <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2016/09/18/2421145-michel-serres-c-est-l-epoque-des-soixante-dix-paisibles.html">« soixante-dix paisibles »</a> pour qualifier la dernière période de paix (relative) vécue en Europe.</p>
<p>Il est, de ce point de vue, révélateur de constater que les avancées les plus significatives du dernier G20 d’Osaka en juin aient concerné les <a href="https://www.courrierinternational.com/article/vu-du-japon-au-g20-les-rencontres-bilaterales-preferees-aux-negociations-de-groupe">dossiers bilatéraux</a> alors qu’aucune solution n’a été trouvée pour permettre de pérenniser le fonctionnement de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont le <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/dispu_f/dispu_f.htm">tribunal</a> est toujours <a href="https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/l-omc-un-gendarme-mondial-du-commerce-paralyse_2087384.html">bloqué par les États-Unis</a> qui empêchent la nomination de nouveaux juges.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1009158250971979776"}"></div></p>
<p>La réduction des échanges mondiaux ne constitue pas forcément une mauvaise nouvelle. En faisant reculer le commerce de concurrence (celui qui consiste à importer et à exporter des produits de même nature) plus que le commerce de complémentarité (celui qui vise des produits n’étant pas fabriqués par les importateurs), elle diminue l’impact environnemental des transports sans forcément priver les consommateurs des produits non fabriqués sur leur territoire national.</p>
<p>Certains entrevoient même un possible renouveau des politiques industrielles. Les effets des possibles mouvements de réindustrialisation auraient ainsi des <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/politique-industrielle-mode-demploi-pour-le-xxie-siecle-1034548">effets bénéfiques</a> sur les plans économiques, sociaux et environnementaux.</p>
<h2>De nouvelles formes de coopération</h2>
<p>Toutefois, la crise du multilatéralisme risque de compliquer la résolution de ces problèmes liés au climat ou à la biodiversité. C’est en effet à l’heure où nous aurions le plus besoin d’engagements et d’actions mis en œuvre collectivement, et le plus globalement possible, que la coordination internationale fait le plus défaut. Fort heureusement, c’est précisément sur ce dernier terrain que de nouvelles initiatives voient le jour.</p>
<p>Celles-ci impliquent des pouvoirs publics, des organisations internationales, des ONG, des entreprises de toutes tailles et de tous secteurs. Elles prennent donc la forme de coalitions hétéroclites d’acteurs qui prennent leurs responsabilités en trouvant dans le collectif la possibilité de renforcer leurs contributions individuelles. Citons par exemple le cas du géant de l’agroalimentaire Danone et du réseau BSR (Business for Social Responsibility) qui ont lancé fin 2018 la plate-forme <a href="http://www.oecd.org/fr/economie/l-ocde-bsr-et-danone-lancent-une-initiative-sur-3-ans-pour-renforcer-la-croissance-inclusive-par-le-biais-d-une-collaboration-public-prive.htm">« Business for Inclusive Growth »</a> (B4IG) « dans le but d’accélérer le processus d’action contre les inégalités et en faveur de l’inclusion ». À plus petite échelle, l’initiative <a href="https://www.lesbonsclics.fr/">« Les bons clics »</a> réunit une entreprise de l’Économie sociale et solidaire (ESS), une start-up, trois associations qui œuvrent pour l’insertion sociale, et un réseau d’associations locales pour lutter contre l’exclusion numérique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/AefvBofg2qo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les Bons Clics, une plate-forme pédagogique pour aider les personnes en difficulté sur le numérique.</span></figcaption>
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<p>À l’heure où elles s’interrogent sur le sens et où elles <a href="https://www.lepoint.fr/economie/loi-pacte-la-maif-veut-devenir-la-premiere-grande-entreprise-a-mission-03-06-2019-2316564_28.php">redéfinissent leurs missions</a>, de nombreuses entreprises ont l’occasion de dépasser, dans l’intérêt de tous, leur stricte vocation économique. Une telle évolution plaiderait en faveur de la vision proposée par l’économiste Éloi Laurent dans <a href="http://editionslesliensquiliberent-blog.fr/impasse-collaborative-eloi-laurent/">son dernier ouvrage</a> « L’impasse collaborative », mettant la coopération entre acteurs divers au cœur des évolutions souhaitables et en cours de la société.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122152/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugues Poissonnier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À l’heure où les systèmes de coopération interétatiques s’enfoncent dans la crise, de nouvelles formes de coopération voient le jour pour répondre aux grands défis actuels.Hugues Poissonnier, Professeur d'économie et de management, Directeur de la Recherche de l’IRIMA, Membre de la Chaire Mindfulness, Bien-Etre au travail et Paix Economique, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1092702018-12-30T17:38:31Z2018-12-30T17:38:31Z« Les vents sont contre nous » : la porte étroite de la liberté<p>« Les vents sont contre nous » : ainsi commençait en ce début de décembre une discussion avec un ami, haut responsable français. C’était avant le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2018/12/19/syrie-donald-trump-envisage-un-retrait-rapide-des-troupes-americaines_5399950_3210.html">retrait des troupes américaines de Syrie</a> et de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2018/12/21/les-etats-unis-decident-d-un-retrait-important-des-troupes-americaines-d-afghanistan_5400653_3210.html">moitié d’entre elles d’Afghanistan</a>, suivi de la <a href="https://www.cnbc.com/2018/12/21/mattis-resignation-letter-is-must-read-warning-about-the-future.html">démission du général Mattis</a>, mais ceux-ci, en cette fin d’année, n’ont fait que confirmer le retrait annoncé des États-Unis de la scène du monde et des alliances dont ils sont la clé de voûte</p>
<p>Que les perspectives du monde soient assez lugubres pour l’année qui s’ouvre, en tout cas pour ceux qui sont attachés à la liberté et au droit, relève du lieu commun. Encore faut-il ne pas se complaire dans cet abattement et tenter de dessiner les quelques leviers dont nous pouvons encore disposer.</p>
<p>Nous devons aussi appréhender avec justesse le phénomène dont il est question et qui noue les dimensions internationale et intérieure. La première est l’érosion de la sécurité du monde dont la traduction est la guerre chaude et des <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/mar/04/why-is-world-at-war-syria-democratic-republic-congo-yemen-afghanistan-ukraine">centaines de milliers de victimes</a>. Les forces qui pourraient les arrêter ou les prévenir sont de plus en plus ténues.</p>
<p>La seconde dimension a trait aux menaces non seulement <a href="https://freedomhouse.org/report/freedom-world/freedom-world-2018">pour la liberté</a> et les <a href="https://www.theguardian.com/inequality/2018/jan/31/human-rights-new-rule-of-law-index-reveals-global-fall-basic-justice">droits de l’homme</a>, mais aussi pour leur défense et les principes qui les sous-tendent. On aurait tort de traiter des menaces militaires et stratégiques indépendamment d’une guerre idéologique que nous livrent les puissances hostiles.</p>
<p>Une large partie des dirigeants et des peuples peinent à articuler les éléments de cette double menace et donc à la comprendre, comme si la fracture entre l’interne et l’externe était leur horizon mental indépassable. Une variante paradoxale de cette attitude réside sans doute dans la croyance qu’on pourrait se protéger du monde, façon de perdre encore plus le contrôle sur notre destinée.</p>
<h2>La fin des garde-fous de notre sécurité</h2>
<p>Beaucoup se demandaient au début de l’ère Trump si le Président américain allait finalement se ranger à la <a href="https://warontherocks.com/2018/11/between-populism-and-internationalism-conservative-foreign-policy-after-trump/">doctrine républicaine classique des quarante dernières années en matière de politique étrangère</a>, mélange d’interventionnisme et de proclamation – au moins formelle – de défense des libertés, ou s’il finirait par éliminer tous les obstacles à la voie d’un désengagement progressif qu’il avait annoncé durant sa campagne.</p>
<p>La réponse est sans ambiguïté la seconde branche de l’alternative, encore renforcée par un élément d’incohérence sur le seul point « interventionniste » qu’il avait mis en avant : l’Iran. Une politique de <a href="https://www.theguardian.com/world/live/2018/may/08/iran-nuclear-deal-donald-trump-latest-live-updates">désengagement de l’accord nucléaire avec l’Iran</a> (JCPOA) et de <a href="https://www.cfr.org/article/return-us-sanctions-iran-what-know">retour des sanctions à l’égard de Téhéran</a> vont de pair avec un <a href="https://eu.usatoday.com/story/opinion/2018/12/19/donald-trump-ordering-troops-syria-iran-israel-iraq-hezbollah-column/2367883002/">refus de traiter sérieusement la menace de déstabilisation iranienne</a> sur le terrain. Une maxime courante voulait que, désormais, les États-Unis ne fussent nulle part à eux seuls la solution aux conflits, mais que, quasiment partout, ils en demeuraient un élément essentiel. C’est dans ce vide où nous nous trouvons.</p>
<p>Ce retrait américain n’est certes pas nouveau, mais il comporte aussi des aspects originaux. En effet, le <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/idees/462804/le-grand-renoncement-ou-les-etats-unis-face-au-genocide-syrien">refus du président Obama d’intervenir en Syrie</a> en 2013 après les frappes chimiques sur la Ghouta et en <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/feb/10/epic-failure-of-our-age-how-west-failed-syria">2016 lors du siège d’Alep</a>, la <a href="https://foreignpolicy.com/2015/09/24/5-steps-to-help-ukraine-end-the-crisis-and-restore-some-stability-in-eastern-europe/">rétorsion mesurée lors de l’invasion du Donbass</a> et l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, et même auparavant, l’<a href="https://www.brookings.edu/opinions/george-w-bush-was-tough-on-russia-give-me-a-break/">absence de réaction adéquate du président George W. Bush</a> lors de l’attaque russe contre la Géorgie en 2008 indiquaient déjà un reflux de la volonté des États-Unis de prendre au sérieux leur rôle de « gendarme du monde ».</p>
<p><a href="https://www.brookings.edu/opinions/president-obamas-confused-logic-on-syria/">Leur politique en Syrie</a> et en <a href="http://www.pewresearch.org/fact-tank/2018/10/05/after-17-years-of-war-in-afghanistan-more-say-u-s-has-failed-than-succeeded-in-achieving-its-goals/">Afghanistan</a> était tout sauf cohérente et certains doutaient même qu’il n’y ait jamais eu une <a href="https://foreignpolicy.com/2016/09/21/obamas-syria-strategy-is-the-definition-of-insanity/">stratégie construite</a>. Leur politique européenne était aussi minimaliste et le <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2016/sep/25/obama-failed-asian-pivot-china-ascendant">« pivot vers l’Asie » de Barack Obama</a> est resté assez symbolique. Les doutes sur la solidité de la garantie américaine s’étaient déjà exprimés à ce moment-là. De même, le <a href="https://www.globalpolicy.org/international-justice/the-international-criminal-court/us-opposition-to-the-icc.html">refus de Washington d’adhérer au Traité de Rome sur la Cour pénale internationale</a> a été une constante de sa politique. Mais il n’en restait pas moins que l’<a href="https://www.jpost.com/International/Obama-outlines-doctrine-of-multilateralism-in-foreign-policy-speech-354647">engagement américain au sein du système multilatéral</a> était plein et entier, de même qu’au sein de la <a href="https://www.state.gov/s/seci/c72810.htm">coalition dans le combat contre Daech</a>.</p>
<h2>Le renforcement des puissances déstabilisatrices</h2>
<p>Trump fait franchir une nouvelle étape aux États-Unis dans ce qui n’est plus seulement un retrait des responsabilités, mais une entreprise de sape de l’ordre international et de ses principes qui va bien au-delà du <a href="https://www.brookings.edu/blog/planetpolicy/2018/06/01/one-year-since-trumps-withdrawal-from-the-paris-climate-agreement/">retrait de l’Accord de Paris sur le climat</a> et de ses <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2018/12/the-fog-of-trumps-trade-war/577495/">guerres commerciales</a>. La position américaine à l’ONU devient de plus en plus faible en raison des critiques du Président contre les <a href="http://time.com/5406130/we-reject-globalism-president-trump-took-america-first-to-the-united-nations/">principes mêmes de l’organisation</a> et elle devrait s’accentuer avec le <a href="https://www.newyorker.com/news/current/whats-the-real-reason-nikki-haley-resigned-as-un-ambassador">départ de Nikki Haley</a>.</p>
<p>Le principe même d’une politique d’alliance a été aussi dénoncé par la Maison Blanche, ce qui renouvelle les <a href="https://foreignpolicy.com/2018/01/29/trumps-shadow-hangs-over-nato-transatlantic-alliance-europe-defense-deterrence-europe-mattis-jens-stoltenberg/">doutes sur la garantie américaine dans le cadre de l’OTAN</a>. Dès le début, la politique en faveur du soutien à la démocratie concrétisée par de multiples programmes d’aide aux ONG et aux médias libres dans les pays autoritaires <a href="https://carnegieendowment.org/2018/10/01/can-u.s.-democracy-policy-survive-trump-pub-77381">est de plus en plus menacée</a>, même si certains <a href="https://carnegieendowment.org/2018/11/16/three-ways-new-congress-can-defend-democracy-abroad-pub-77736">programmes directement décidés par le Congrès</a> devraient se maintenir.</p>
<p>Ce retrait a deux conséquences en termes de sécurité. La première est qu’elle renforce la latitude d’action, certes déjà forte, des puissances déstabilisatrices. Il n’est point fortuit que Moscou renforce sa pression sur Kiev avec le <a href="https://www.brookings.edu/blog/order-from-chaos/2018/12/03/the-battle-for-azov-round-1-goes-to-russia/">blocage de la Mer d’Azov</a> et la <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-46356111">capture de marins ukrainiens</a>, qui s’ajoutent aux <a href="http://khpg.org/en/index.php?id=1527519105">soixante-dix prisonniers politiques ukrainiens</a>, dont Oleg Sentsov, déjà illégalement détenus, mais aussi l’<a href="https://www.news.com.au/technology/innovation/military/satellite-photos-reveal-buildup-of-russian-forces-on-ukraine-border/news-story/d549e80d791c9abe63adf6107e564283">amassement croissant de troupes à la frontière ukrainienne</a>.</p>
<p>Au Moyen-Orient, quasiment plus rien ne semble arrêter cette même Russie, ainsi que l’Iran et le régime Assad, de <a href="https://www.atlantico.fr/decryptage/3508193/idlib--poutine-et-erdogan-tentent-de-gagner-du-temps-et-poutine-du-terrain-nicolas-tenzer">reprendre le contrôle entier de la Syrie</a> – avec les <a href="https://www.abc.net.au/news/2018-12-03/syrian-war-crimes-evidence-strongest-since-nuremberg-trials/10577206">crimes massifs</a> que cela laisse augurer –, quitte à laisser au Nord une petite enclave sous contrôle turc, sans même évoquer le <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2018/08/baghdadi-recording-iraq-syria-terrorism/568471/">renforcement des positions de Daech</a>.</p>
<p>Ce retrait américain constitue aussi une incitation forte pour des <a href="http://www.slate.fr/story/170586/arabie-saoudite-confiance-politique-internationale">régimes censément alliés</a>, tels que l’<a href="http://time.com/5467935/putin-bin-salman-g20/">Arabie saoudite</a> et l’<a href="https://www.nationalreview.com/2018/06/russia-egypt-relationship-foreign-policy/">Egypte</a>, à se rapprocher de la Russie, à n’avoir plus aucune limite dans leur <a href="https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/?destination=%2fopinions%2fglobal-opinions%2foppression-in-the-middle-east-is-worse-than-ever--and-trump-is-encouraging-more%2f2018%2f12%2f02%2f99d711d8-f402-11e8-bc79-68604ed88993_story.html%3f">politique d’oppression des oppositions internes</a> et, là aussi, à <a href="https://www.independent.co.uk/voices/donald-trump-omar-al-bashir-visit-syria-assad-sudan-damascus-rehabilitation-middle-east-a8687071.html">réhabiliter le régime de Damas</a> que la <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/dec/26/arab-league-set-to-readmit-syria-eight-years-after-expulsion">Ligue arabe s’apprête à accueillir</a> à nouveau et qui ne subira <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2018-12-27/russia-says-syria-s-assad-is-popular-likely-to-win-re-election">plus aucune pression</a> pour s’engager dans un processus de transition. La réouverture annoncée par les Émirats arabes unis et Bahreïn d’une ambassade à Damas constitue aussi un signal dans ce sens. Cela renforce logiquement la <a href="https://www.jpost.com/Middle-East/Analysis-Iran-benefits-Israel-loses-from-US-withdrawal-from-Syria-574926">menace pesant sur Israël</a>. De manière générale, ce retrait laisse augurer à moyen terme un <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2018/12/trump-shouldnt-withdraw-troopshe-should-rebrand/578695/">regain de violence sans retenue en Syrie</a> dont les conséquences pourraient être dramatiques dans l’ensemble de la région et au-delà.</p>
<p>De manière générale, ce doute sur la garantie américaine peut conduire à un jeu individuel de certaines puissances, y compris en Asie, pour <a href="https://www.scmp.com/news/asia/east-asia/article/2179472/japan-mulls-sending-navy-vessels-chinese-fleet-review">se protéger momentanément d’adversaires historiques</a> au détriment d’un optimum global de sécurité que des alliances claires permettaient. Le rêve trumpien d’accords transactionnels au détriment de solidarités fondamentales devient une prophétie auto-réalisatrice avec le désengagement de Washington.</p>
<h2>L’isolement de la France à l’ONU</h2>
<p>La seconde conséquence est l’isolement de la France au sein du P5 – le groupe des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations unies – et des puissances démocratiques sur la scène mondiale. Traditionnellement, les trois membres permanents des pays démocratiques de ce Conseil jouaient à l’unisson lors des crises graves – avec certes des positions différentes de la France de celles des États-Unis lors de certaines résolutions sur Israël et de la seconde guerre d’Irak notamment. Avec Washington moins investie et le <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2018/oct/14/the-guardian-view-on-brexit-delusions-diminishing-britains-standing">Royaume-Uni affaibli par la perspective du Brexit</a>, la France peut se retrouver en première ligne en face de la Russie et de la Chine.</p>
<p>En dehors de ce cercle limité, quelles puissances démocratiques comptent réellement ? Pour l’heure, l’<a href="https://www.handelsblatt.com/today/opinion/political-dwarf-germany-pays-lip-service-to-foreign-policy-responsibilities/23581850.html?ticket=ST-2574736-jvi12kqWXAeoSSAWcciR-ap4">Allemagne</a> est loin d’avoir accédé au rang de leader diplomatique mondial, voire européen. <a href="https://carnegieindia.org/2017/09/14/india-s-strategic-choices-china-and-balance-of-power-in-asia-pub-73108">L’Inde</a> continue de jouer un rôle d’équilibre ambigu et le Brésil, qui était sensiblement sur la même ligne, vient de tomber dans le camp populiste.</p>
<p>La Corée est légitimement centrée sur ses relations avec son jumeau du nord et le Japon reste obsédé par sa propre sécurité. <a href="http://www.internationalaffairs.org.au/australianoutlook/australia-strategic-ambiguity/">L’Australie</a> reste dans une position de mi-chemin, ce qu’accentue la fissuration de son consensus intérieur. Le président indonésien, malgré plusieurs appels au sein même de son propre pays suggérant de faire jouer à Djakarta un rôle plus prononcé, reste focalisé sur la scène intérieure. Il y a deux mois, dans cette même ville, lors d’une table ronde sur le rôle que pouvaient jouer dans un proche avenir les moyennes grandes démocraties, la réponse a été sans ambiguïté : manquaient et l’unité et la volonté.</p>
<h2>Une nouvelle guerre idéologique globale ?</h2>
<p>On n’aura rien compris à l’approfondissement de la menace qui nous guette dans les prochaines années tant qu’on continuera à la penser soit selon les termes de la géopolitique classique fondée sur des intérêts d’abord territoriaux et économiques dont l’habillage idéologique serait en quelque sorte second – en gros la <em>doxa</em> en vogue depuis la fin de la Guerre froide, qui apparaîtrait à cet égard comme une parenthèse –, soit en appliquant précisément une grammaire tirée de l’affrontement des deux Blocs.</p>
<p>La première erreur conduit à ne pas analyser correctement la nature de la <a href="https://www.ukrinform.fr/rubric-polytics/2457016-nicolas-tenzer-haut-fonctionnaire-francais-president-du-centre-detude-et-de-reflexion-pour-laction-politique-cerap.html">menace posée par la Russie de Poutine</a> notamment – mais aussi l’Iran et, pour l’instant dans une moindre mesure, la Chine – et ses objectifs véritables. Elle peut aussi, par inférence, amener certains analystes à imaginer des stratégies fondées sur des alliances et contre-alliances entre États, indépendamment de leur régime, fondées sur des intérêts et à croire en la possibilité par ce biais de parvenir à une forme d’équilibre au moins provisoire.</p>
<p>Logiquement, enfin, la tentative d’écarter ou de relativiser la dimension idéologique du combat que nous livrent nos adversaires et à construire des alliances d’intérêts amène à laisser de côté les populations, leurs aspirations et leurs révoltes. Elle installe, ce faisant, l’idéologie « stabilocratique » qui induit un fort penchant pour des régimes présumés stables sans percevoir leur intrinsèque instabilité.</p>
<h2>La guerre actuelle est tout sauf froide</h2>
<p>La seconde erreur consiste à décalquer les schémas de la Guerre froide sur l’affrontement actuel avec la Russie, période où, au demeurant, le risque nucléaire était sans doute plus grand qu’aujourd’hui. La Guerre froide était, d’une certaine façon, une rivalité entre deux Blocs, chacun essayant de préserver ou de conquérir des États pour sa cause.</p>
<p>Elle reposait aussi sur des alliances solides, fondées sur une perception claire des amis et des ennemis, dans le contexte aussi, dans certaines régions du monde (Vietnam, Afrique), de prolongement des soubresauts des conflits liés à la décolonisation et à ce qui était vendu ironiquement comme émancipation. Les systèmes idéologiques – communisme <em>versus</em> monde libre – constituaient les éléments qui rendaient visible la rupture et, du côté soviétique et chinois, des facteurs de propagande et d’enrégimentement.</p>
<p>La guerre actuelle est d’ailleurs tout sauf froide – pensons aux <a href="https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/?destination=%2fnews%2fmonkey-cage%2fwp%2f2018%2f04%2f09%2fthe-war-in-ukraine-is-more-devastating-than-you-know%2f%3f&utm_term=.44539fe51ba8">10 400 morts du conflit en Ukraine</a> et aux <a href="https://www.reuters.com/article/us-mideast-crisis-syria/syrian-observatory-says-war-has-killed-more-than-half-a-million-idUSKCN1GO13M">centaines de milliers de victimes de celui en Syrie</a>, mais elle ne repose plus aussi nettement sur une opposition aussi lisible des systèmes. Elle n’est plus soutenue par une doctrine lourde, celle du communisme, mais par une idéologie plus invasive, indirecte, profonde et instrumentale. La Guerre froide opposait deux visions du monde, mais chacune entendait l’organiser et, formellement, le communisme n’imaginait pas en détruire l’ordre.</p>
<p>Celle que nous connaissons fait certes toujours fond sur une opposition, mais celle-ci sépare un système fondé sur la coopération et le droit et un autre qui entend mettre à bas les principes mêmes de son organisation. Le système soviétique bafouait les droits sur une grande échelle, mais faisait semblant d’y être attaché, et son programme affiché était d’ordre économique et social. Ce que la Russie actuelle promeut n’a rien à voir avec un tel projet, mais a l’<a href="https://www.huffingtonpost.fr/404/?error=not_found&url=%2Fnicolas-tenzer%2Fvladimir-poutine-guerre-russe-syrie-change-ordre-du-monde-XXI-e-siecle%2F">éradication des droits et des libertés pour objectifs premiers</a>.</p>
<p>Pour compléter la vision proposée par Francis Fukuyama en 1992 – <a href="https://www.newyorker.com/magazine/2018/09/03/francis-fukuyama-postpones-the-end-of-history">qu’il a par la suite corrigée</a> –, il est vrai que le capitalisme a triomphé dans le monde après la chute du Mur et n’a plus de concurrent idéologique sérieux, mais le libéralisme politique et culturel a bien toujours un ennemi – et cet ennemi marque des points.</p>
<h2>Une entente ad hoc entre dictatures et régimes illibéraux</h2>
<p>Ce qui se dessine devant nos yeux est une forme d’entente <em>ad hoc</em>, pas nécessairement durable, entre des dictatures et des régimes illibéraux, à la fois soucieux de se prémunir contre toute tentative d’empiètement sur leur politique intérieure au nom des droits et de pousser des avantages tactiques à court terme.</p>
<p>Le propre des dictatures est le plus souvent de ne pas avoir le long terme pour horizon et de préserver les intérêts immédiats d’un clan au pouvoir. Sans grande puissance forte capable de les contenir en partie, ils acquièrent une latitude d’action. Les ententes tactiques entre la Russie, voire l’Iran, et la Turquie, ou encore Moscou et Riyad, et désormais Le Caire, la réadmission de la Syrie d’Assad au sein de la Ligue arabe, vont dans ce sens. Le retrait des États-Unis pousse ces pays à tous les possibles retournements d’alliance.</p>
<p>La mansuétude envers le projet de Nouvelles routes de la Soie poussé par la Chine – <a href="https://www.belfercenter.org/publication/china-deepens-militarization-one-belt-one-road-initiative">qui pourrait donner prétexte à des interventions militaires « de protection »</a> – et le silence assourdissant sur la <a href="https://www.lemonde.fr/long-format/article/2018/11/09/au-xinjiang-en-chine-sur-la-trace-des-ouigours-disparus_5381215_5345421.html">répression sur une grande échelle des Ouighours</a>, comme la <a href="https://theconversation.com/debat-comment-parler-avec-la-russie-de-poutine-97005">difficulté à combiner envers Moscou</a> fermeté stratégique et absence de concessions dans le domaine économique, installent dans le jeu mondial des puissances qui ne raisonnent pas en fonction de la « normalité » propre aux schémas géopolitiques classiques.</p>
<h2>Moscou et Pékin, des schémas contrastés</h2>
<p>Moscou et Pékin offrent ici des schémas contrastés. La Russie constitue aujourd’hui la <a href="https://www.huffingtonpost.fr/nicolas-tenzer/3-decisions-pour-contrer-le-danger-russe-et-mettre-fin-a-la-faillite-strategique-des-democraties_a_23388382/">première menace systémique</a> pour l’ordre mondial en termes d’atteintes à la sécurité et de capacité de destruction des principes de liberté et de droit. C’est une puissance essentiellement négative qui joue contre l’ordre international – y compris par ses <a href="https://theconversation.com/how-russias-un-vetoes-have-enabled-mass-murder-in-syria-103565">vetos au Conseil de sécurité des Nations unies</a> –, mais ne peut le régenter et l’organiser. Le poids diplomatique de Moscou au sein de l’organisation de New York est de fait faible. C’est aussi une puissance qui sera d’ici vingt ans, voire avant, rattrapée par la réalité de sa <a href="https://www.theguardian.com/business/2017/jul/05/there-is-little-reason-to-be-cheerful-about-russias-growth-prospects">puissance économique en déclin accéléré</a>.</p>
<p>La Chine, au contraire, joue à fond le système international et ambitionne clairement, profitant du retrait de Washington, de devenir une <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/sep/24/china-starts-to-assert-its-world-view-at-un-as-influence-grows">puissance de référence au sein du système des Nations unies</a>. En même temps, elle affirme de plus en plus son projet idéologique de rupture avec les principes liés aux droits de l’homme au sein même d’un univers fondé sur des règles et le droit. Elle combine les éléments classiques de revendication territoriale, notamment en <a href="https://www.japantimes.co.jp/opinion/2018/09/17/commentary/world-commentary/china-expands-control-south-china-sea/#.XCZchtThCt8">Mer de Chine du Sud</a>, et de sécurisation de ses approvisionnements énergétiques et en matières premières, et une offensive idéologique.</p>
<p>Elle pourrait ne pas s’opposer, si cela advient, à une réunification des deux Corées, car elle considère que <a href="http://www.koreaherald.com/view.php?ud=20170818000575">Séoul est déjà suffisamment dépendante de Pékin</a> pour ne pas la craindre stratégiquement, tout en tirant de cette réunification de substantiels avantages économiques, mais elle affrontera toute tentative de s’opposer à son idéologie. <a href="https://www.reuters.com/article/us-asean-summit-myanmar-china/china-offers-myanmar-support-over-rohingya-issue-after-us-rebuke-idUSKCN1NL02W">La Chine rejoue devant le nettoyage ethnique, voire le génocide, des Rohingyas</a>, en soutenant le régime birman et en <a href="https://www.usip.org/publications/2018/09/chinas-role-myanmars-internal-conflicts">refusant toute condamnation de ses crimes</a> et de sanctions dans le cadre des Nations unies, ce que faisait <a href="https://www.theguardian.com/world/2017/oct/24/russia-uses-veto-end-un-investigation-chemical-attacks">Moscou devant les crimes contre l’humanité</a> du régime Assad.</p>
<p>Beaucoup s’interrogent depuis longtemps sur ses objectifs réels : devenir une puissance économique dominante ayant soumis sa zone d’intérêts et gagné un accès libre à toutes les richesses du monde, ou bien s’affirmer à l’horizon 2049 – date symbolique – comme première puissance mondiale de plein exercice ? Certains signes montrent que la seconde hypothèse devient plus probable.</p>
<h2>Les combattants de la liberté n’ont pas dit leur dernier mot</h2>
<p>Le sujet principal aujourd’hui est d’évaluer l’effectivité potentielle des mouvements qui s’opposent à ces menaces pour notre sécurité et pour nos valeurs et sur la possibilité de surgissement de ce que j’avais ici même appelé une <a href="https://theconversation.com/nos-sombres-temps-et-linternationale-de-la-liberte-77223">Internationale de la liberté</a>.</p>
<p>D’abord, oui, ces tendances existent. Des <a href="http://time.com/longform/democrat-midterm-strategy/">mouvements de « résistance » aux États-Unis</a> aux protestations contre les atteintes aux libertés fondamentales en <a href="https://edition.cnn.com/2018/12/18/europe/hungary-protests-orban-intl/index.html">Hongrie</a> ou en <a href="https://www.reuters.com/article/us-eu-poland/thousands-protest-as-polish-president-signs-judicial-appointments-law-idUSKBN1KG2HY">Pologne</a>, de la <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/0302401231051-en-allemagne-les-verts-ont-le-vent-dans-le-dos-2213262.php">montée des Verts en Allemagne</a>, qui parviennent à limiter la poussée de l’AfD, aux protestations <a href="https://apnews.com/ee262256e46446ae8019a640af379d3d">contre le régime de Poutine</a> en Russie, des <a href="https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/?destination=%2fnews%2fmonkey-cage%2fwp%2f2018%2f12%2f28%2frecent-protests-in-sudan-are-much-more-than-bread-riots%2f%3f&utm_term=.3fb77844de96">protestations de rue au Soudan</a> à la résilience de la révolution syrienne, des <a href="https://www.theguardian.com/politics/2018/oct/20/70000-demand-new-brexit-vote">défilés contre le Brexit</a> aux progrès, certes fragiles, de la démocratie en <a href="https://foreignpolicy.com/2018/11/07/armenias-democratic-dreams/">Arménie</a>, en <a href="https://freedomhouse.org/article/reform-ethiopia-turning-promise-progress">Éthiopie</a> et en <a href="https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/?destination=%2fnews%2fmonkey-cage%2fwp%2f2018%2f07%2f20%2fhow-new-governments-deal-with-old-elites-matters-more-than-you-might-expect%2f%3f&utm_term=.e43889bfb8de">Tunisie</a>, les contrefeux sont nombreux.</p>
<p>Les combattants de la liberté n’ont pas dit leur dernier mot ; les « printemps arabes » n’ont pas complètement disparu et, plus pragmatiquement, on voit les pays européens capables de jouer la <a href="https://www.economist.com/europe/2018/09/21/eu-leaders-are-united-on-brexit-but-divided-on-migration">carte de l’unité</a> sur les négociations relatives au Brexit et <a href="https://www.consilium.europa.eu/en/press/press-releases/2018/12/21/russia-eu-prolongs-economic-sanctions-by-six-months/pdf">reconduire les sanctions contre la Russie</a> en raison de sa guerre en Ukraine. Trump ne restera pas éternellement au pouvoir et il ne saurait être exclu qu’un nouveau Président revienne sur la tendance isolationniste et de désengagement qui pointait dès avant le 9 novembre 2016. On ne saurait non plus enterrer la relation transatlantique et son Alliance.</p>
<p>Même Poutine ne restera pas éternellement au pouvoir et une nouvelle génération pourrait prendre en considération les intérêts de la Russie à une stratégie coopérative. <a href="https://www.politico.eu/article/6-post-cold-war-taboos-europe-must-now-face-merkel-macron-trump-nato-eurozone-reform/">L’Allemagne aussi pourrait sortir</a> de sa torpeur stratégique à la faveur de l’absence de fiabilité américaine et l’<a href="https://www.iss.europa.eu/content/strategic-autonomy-towards-%E2%80%98european-sovereignty%E2%80%99-defence">« autonomie stratégique »</a> européenne s’esquisser plus concrètement.</p>
<h2>Les conditions du redressement</h2>
<p>Mais à cette évolution favorable, il est des conditions. <a href="https://plus.lesoir.be/151308/article/2018-04-15/syrie-discuter-avec-la-russie-mais-quelles-conditions">La première est de nommer les risques</a>. En ne le faisant pas, les dirigeants occidentaux courent le danger que le monde devienne encore plus obscur et paradoxalement dangereux, et que toute lutte contre ces risques devienne impossible en raison des oppositions de l’opinion.</p>
<p>La deuxième condition subséquente est de ne pas rester au milieu du gué : les demi-arrangements – notamment avec la Russie, l’Arabie saoudite, la Chine et la Turquie – sont une stratégie de demi-habiles. Ils conduisent à perdre sur tous les tableaux : ils suscitent le mépris de nos adversaires qui se sentent autorisés à tout et la défiance de ceux qui auraient pu nous soutenir. Précisément, parce que nous sommes dans un contexte de guerre idéologique, il est primordial de nommer les termes de celle-ci. On ne peut ni <a href="https://www.huffingtonpost.fr/nicolas-tenzer/en-participant-a-la-coupe-du-monde-nous-blanchissons-les-crimes-de-poutine_a_23457027/">disjoindre économie et sécurité</a>, ni implicitement nier cette menace comme le faisait récemment publiquement un responsable politique, pourtant de la majorité, qui désignait, comme par réflexe, le terrorisme islamiste comme notre seul adversaire.</p>
<p>D’où une troisième condition : nous devons être totalement cohérents dans les valeurs que nous défendons. Nous ne pouvons, d’un côté, mettre en avant le caractère universel des droits de l’homme, et, d’un autre côté, user de circonlocutions envers des États qui les détruisent et les relativisent. C’est une question de principes et de cohérence, mais aussi de <a href="https://theconversation.com/les-droits-de-lhomme-au-coeur-de-la-politique-de-securite-une-perspective-realiste-56102">sécurité bien comprise</a>.</p>
<p>Une quatrième condition, opérationnelle, est indispensable : il nous faut consolider les alliances existantes et en construire d’autres. Cela vaut d’abord au sein de l’Union européenne et de l’Europe plus globalement où il faut éviter que certaines nations fassent cavalier seul. Au-delà, nous devons construire au niveau européen les conditions d’un engagement sécuritaire plus large.</p>
<h2>La responsabilité des intellectuels</h2>
<p>Enfin, nous devons comprendre que les menaces internationales, sécuritaires et idéologiques, se combattent aussi chez nous. Sans revenir ici sur les <a href="https://theconversation.com/la-guerre-de-linformation-russe-pour-une-reponse-globale-60762">stratégies de guerre de désinformation</a>, il est avéré que le discours de dénigrement de l’Europe, des valeurs de droit et de liberté, ou <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/pacte-de-marrakech-une-entreprise-de-delegitimation-du-systeme-international_2054852.html">encore de haine anti-migrants</a> et les tentatives de déstabilisation des démocraties jouent dans le sens de nos ennemis qui les renforcent en sous-main.</p>
<p>Les frontières entre l’interne et l’externe ont sauté à nouveau et une partie des citoyens agissent comme si la politique intérieure se jouait en vase clos. C’est aussi la responsabilité des intellectuels qui n’ont pas failli de mettre en lumière la manière dont <a href="https://www.fiia.fi/en/publication/tackling-democratic-vulnerabilities-in-the-post-truth-era">nous fragilisons sans le savoir nos démocraties</a> – ce qui est, pour certains États, aussi un but de guerre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/109270/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Tenzer est président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique (CERAP), un think tank français neutre politiquement et indépendant de tout parti et groupe d'intérêts, et directeur de la revue Le Banquet.</span></em></p>Que les perspectives du monde soient assez lugubres pour l'année 2019 relève du lieu commun. On peut toutefois tenter de dessiner les quelques leviers dont nous disposons encore.Nicolas Tenzer, Chargé d'enseignement International Public Affairs, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1024402018-09-03T20:52:29Z2018-09-03T20:52:29ZRéformer l’OMC pour sortir de la crise du multilatéralisme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/234410/original/file-20180831-195322-1t3o6z8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C1%2C985%2C544&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le prochain sommet du G20, qui se tiendra fin 2018 en Argentine, entend s'atteler à la relance des négociations multilatérales et à la réforme de l'OMC. </span> <span class="attribution"><span class="source">Alexey Struyskiy</span></span></figcaption></figure><p>On assiste, depuis quelque temps, à un regain d’intérêt pour l’<a href="https://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/whatis_f.htm">OMC</a>, l’Organisation mondiale du commerce. En atteste la publication récente de deux rapports : le <a href="http://www.cae-eco.fr/Avis-de-tempete-sur-le-commerce-international-quelle-strategie-pour-l-Europe">premier</a> du Conseil d’analyse économique en France, et le <a href="https://www.bertelsmann-stiftung.de/en/publications/publication/did/review-wto-organizational-performance/">second</a> de la fondation allemande Bertelsmann Stiftung. Ils portent, selon une approche et des visées différentes, sur les enjeux de politique et de gouvernance du système commercial international.</p>
<p>Parmi les raisons de ce regain d’intérêt : l’enlisement des négociations du <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01399235">cycle de Doha</a> pour le développement, les attaques de l’administration Trump à l’encontre de l’institution allant jusqu’à menacer d’en sortir – et plus globalement contre le multilatéralisme –, les propositions de réformes portées par cette même administration, ainsi que les mesures de politique commerciale engagées, selon des motifs différents, à l’encontre de la Chine, de l’UE et de la Turquie. Les dynamiques post-crise financière de 2008 ne sont pas non plus étrangères à la situation. Elles ont en effet conduit à une exacerbation des concurrences et des rivalités interétatiques. Exacerbation amplifiée par la multiplication des accords commerciaux bilatéraux et régionaux.</p>
<h2>Triple mise en échec</h2>
<p>Depuis 2012, le <a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0421-le-ralentissement-du-commerce-mondial-une-rupture-structurelle-porteuse-d-incertitudes">ralentissement du commerce mondial</a> a aussi remis en cause l’un des postulats centraux de la globalisation : la libéralisation des échanges est source de croissance, de création de richesse, d’emploi et de bien-être ; elle améliore la productivité globale des facteurs et, en retour, assure le développement du plus grand nombre.</p>
<p>Les nouveaux équilibres de puissance, issus de la crise, complètent le tableau d’une triple mise en échec économique, écologique et sociale de la globalisation produite par l’institutionnalisme libéral durant ces quatre dernières décennies. De surcroît, le travail de crise a amené à la prise de conscience que la globalisation et le paradigme libre-échangiste, qui lui sert de matrice, s’avèrent incapables de répondre aux enjeux économiques, environnementaux et sociaux qui se posent (réduction de l’inégalité globale, perte de biodiversité, décarbonisation, etc.).</p>
<h2>Quelle nouvelle architecture du commerce et de l’investissement internationaux ?</h2>
<p>C’est pourquoi une réforme de l’OMC paraît aujourd’hui indispensable. Le président Emmanuel Macron a d’ailleurs appelé à établir une <a href="https://fr.reuters.com/article/topNews/idFRKCN1IV1VG-OFRTP">première feuille de route</a> à l’occasion du sommet du <a href="https://www.g20.org/en">G20 de Buenos Aires</a>, en Argentine, qui se déroulera les 30 novembre et 1<sup>er</sup> décembre 2018.</p>
<p>Il semble en effet nécessaire de réfléchir à une nouvelle architecture du commerce et de l’investissement internationaux (NACII) : aujourd’hui, les liens structurels, réglementaires et de politique économique entre commerce international et investissement direct étranger, comme entre les avantages comparatifs des nations et les avantages compétitifs des firmes, n’ont jamais été aussi profonds. Il convient en conséquence de penser les deux simultanément, et de sortir d’une gouvernance en silo qui maintient l’investissement, la concurrence et la finance en dehors de l’OMC.</p>
<p>De plus, les <a href="https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/">objectifs de développement durable des Nations unies</a> (ODD) retiennent une approche intégrée des enjeux économiques, sociaux et environnementaux tout en posant les bases de la finalité d’une NACII : le développement durable. Cela implique des politiques commerciales favorables à l’inclusion sociale, à la protection de l’environnement, à la décarbonisation de l’économie mondiale ou, dans une moindre mesure, des politiques qui n’aggravent pas les problèmes sociaux et environnementaux.</p>
<h2>Une nouvelle OMC nécessairement <em>bottom-up</em></h2>
<p>Cette NACII prendrait appui sur une rénovation du système commercial multilatéral et de son institution de régulation, en l’occurrence l’OMC. Mais, l’OMC étant une organisation conduite par ses membres, toute proposition imposée <em>par le haut</em> ou qui leur échapperait serait vouée à l’échec. Aussi, la NACII ne peut être que <em>bottom-up</em>. De même, la règle du consensus empêche toute réforme remettant en cause les acquis institutionnels du système commercial, particulièrement le statut de pays en développement. Enfin, la NACII ne devra pas se limiter à une réforme de la gouvernance de l’institution, mais ouvrir le débat sur les modalités et, surtout, les finalités des négociations commerciales internationales en cours.</p>
<p>Dans les chantiers à ouvrir, il conviendrait d’abord de consolider la fonction « forum de discussion » de l’OMC afin que cette dernière ne se réduise pas à uniquement à une enceinte de négociation pour la libéralisation des échanges. L’OMC se doit d’être un lieu de discussion et d’expertise – y compris contradictoires – sur toutes les questions liées au triptyque libéralisation-réglementation-résolution des différends. C’est ce qui constitue son cœur de métier.</p>
<p>Le second chantier d’une gouvernance repensée renvoie à la différenciation entre les États membres. La distinction « pays développés » d’un côté, « pays en développement » et « pays les moins avancés » de l’autre, date du siècle dernier. L’économie mondiale est désormais plus hétérogène, hétérogénéité structurelle et institutionnelle qui doit être retranscrite dans la NACII. Cela implique d’ouvrir un débat sur les critères de différenciation entre les pays membres, garantie d’une meilleure efficacité.</p>
<h2>Repenser la distinction entre les États membres</h2>
<p>La question de la différenciation cristallise les positions à l’OMC. La majorité des États membres l’associe en effet à une réduction des droits pouvant aboutir à une remise en cause du traitement spécial et différencié. Pour que cela ne soit pas le cas, il conviendrait de penser la différenciation non pas en termes géopolitiques ou stato-centrés, mais en fonction de propriétés structurelles, commerciales et sectorielles propres à la substance de l’accord négocié. Le compromis sur les critères de différenciation spécifique à l’accord serait établi avant le lancement de la négociation.</p>
<p>L’<a href="https://www.wto.org/french/news_f/news17_f/fac_31jan17_f.htm">Accord sur la facilitation du commerce</a>, entré en vigueur en février 2017, offre l’exemple d’un traitement spécial et différencié pensé en des termes non stato-centrés. Avantage de cette évolution : elle serait à même de garantir les flexibilités sectorielles et géopolitiques revendiquées par les membres de l’OMC. De plus, si le dossier de la différenciation s’accompagne d’une réflexion sur des critères de compensation et de nouveaux principes de solidarité, c’est-à-dire un traitement spécial et différencié repensé entre les membres, ce sera la garantie d’une meilleure équité dans la gouvernance.</p>
<h2>Revoir les dispositions des accords</h2>
<p>Plus généralement, la réforme de certaines dispositions des accords de l’OMC s’impose. Les règles de l’OMC datent de 1995. Or, durant ce quart de siècle, la globalisation a radicalement transformé l’économie politique mondiale. Pour mener à bien cette réforme, trois chantiers sont envisageables :</p>
<ul>
<li><p>Tout d’abord, une réforme des règles dérogatoires et d’exemption. Les articles <a href="https://www.wto.org/english/res_e/booksp_e/gatt_ai_e/art20_e.pdf">XX du GATT</a> et <a href="https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/26-gats.pdf">XXI de l’AGCS</a>, qui portent respectivement sur les tarifs douaniers et le commerce des services, devraient s’ouvrir aux nouveaux enjeux qui mettent le libre-échange en défaut. Il en va de la soutenabilité du système. C’est pourquoi une référence explicite au travail décent, aux changements climatiques, et à la perte de biodiversité devrait figurer dans tous les accords de l’OMC. On pourrait envisager l’adoption d’une dérogation expérimentale, en vue de permettre aux membres qui le souhaitent d’expérimenter des politiques commerciales compatibles avec les impératifs climatiques. Ce que le langage de l’OMC traduit par adopter un <em>waiver</em> climatique, avec une clause d’extinction progressive pour éviter que ne se mette en place un protectionnisme climatique.</p></li>
<li><p>Ensuite, réformer l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires. Objectif : rendre les subventions sur les énergies renouvelables, celles relatives à la décarbonisation, ou celles liées au traitement des externalités environnementales non actionnables. La <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/rulesneg_f/fish_f/fish_f.htm">négociation sur les subventions à la pêche</a> pourrait par exemple servir de modèle.</p></li>
<li><p>Enfin, investir les négociations sur les biens et services environnementaux, celles probables sur la concurrence, et sur la facilitation de l’investissement. Là encore, ces négociations doivent viser clairement la réalisation du développement durable. On peut regretter que l’OMC demeure aujourd’hui en retrait par rapport aux Objectifs de développement durable des Nations unies. Le commerce ne doit pas être conçu uniquement comme un facilitateur des ODD, mais aussi comme un accélérateur. Pour se faire, une dérogation ODD allant jusqu’à 2030 pourrait être introduite dans les accords les plus significatifs : l’agriculture durable, l’<a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/trips_f/trips_f.htm">Adpic</a> et le transfert de technologies vertes, les mesures concernant les investissements et liées au commerce, ou encore l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires. Nous n’avons pas tant besoin d’un accord sur la facilitation de l’investissement que d’un accord sur la facilitation de l’investissement durable. Celui-ci pourrait comporter, à titre d’exemple, des clauses incitatives au transfert et à l’adoption de technologies sobres en carbone, ou des clauses de soutien à l’adaptation aux changements climatiques.</p></li>
</ul>
<h2>Rénover le multilatéralisme économique</h2>
<p>Le contexte actuel démontre toute l’importance d’un système commercial multilatéral fondé sur des règles. Tout comme l’enlisement du cycle de Doha et le blocage institutionnel, voulu par certains membres, illustrent les risques de conflictualité, de fragmentation et de défaillance systémique que fait peser sur l’économie mondiale un multilatéralisme dysfonctionnel. Par conséquent, une rénovation du multilatéralisme est nécessaire en vue de le consolider et de remettre les politiques commerciales multilatérales au centre de la régulation de l’économie globale.</p>
<p>Cette rénovation devrait s’atteler à traiter les déséquilibres commerciaux globaux tels que l’ultra-mercantilisme et l’expansionnisme commercial. Ces déséquilibres sont en effet à l’origine, en partie, d’une concurrence destructrice, d’une pression sociale et écosystémique préjudiciable à l’ensemble des acteurs. Le système gagnerait à mettre en place des disciplines relatives aux stratégies de sur-promotion des exportations et aux excédents commerciaux excessifs. Dans un contexte de surcapacités structurelles, le risque protectionniste n’est finalement ni le plus urgent à traiter, ni le plus dangereux.</p>
<p>Dans le sillage de cette rénovation figure la réflexion sur le compromis globalisation-développement. La seule stratégie de la croissance tirée par les exportations ne peut plus être le fondement de ce compromis. Il s’agirait plutôt de viser l’amélioration des capacités productives en vue du développement durable. Si la question de la différenciation est correctement traitée, celle de la rénovation du traitement spécial ne devrait pas poser trop de problèmes du point de vue opérationnel et technique.</p>
<p>Autre rénovation à engager : le recours à des accords de « masse critique » en parallèle des accords multilatéraux par consensus, et des accords plurilatéraux. Dans une économie globale hétérogène et différenciée, il n’y a aucune raison que l’OMC se limite à un modèle unique de coopération commerciale. Un multilatéralisme à géométrie variable, tant du point de vue géopolitique que sectoriel, est tout à fait envisageable.</p>
<p>Cette option doit d’autant plus être envisagée que les négociations concernent de moins en moins l’accès réciproque aux marchés, et de plus en plus les conditions de fonctionnement et de régulation des marchés. Ce type de négociation a plus de chance d’aboutir lorsque les discussions regroupent un nombre limité de pays aux préférences convergentes et, mais cela n’est pas une condition, au niveau de développement comparable. L’intérêt d’accords de « masse critique » (ou minilatéraux), c’est leur inscription dans la norme multilatérale mais aussi leur dimension évolutive puisqu’ils demeurent ouverts à de nouveaux membres. L’institutionnalisation d’un minilatéralisme pourrait donc constituer une réponse à la prolifération des accords commerciaux régionaux et bilatéraux ainsi qu’un moyen d’avancer sur les questions dites OMC+ et OMC-extra. Évidemment, si cette option venait à se concrétiser, des procédures de compensation en cas de marginalisation de certains pays seraient à prévoir.</p>
<h2>La voie régionale de la NACII</h2>
<p>Il existe 459 <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/region_f/region_f.htm">accords commerciaux régionaux</a> (ACR) et préférentiels notifiés à l’OMC, auxquels s’ajoutent quelques 2 600 traités bilatéraux d’investissement. Par conséquent, la voie régionale ne peut être négligée. D’autant plus que l’on assistera, à terme, à une multilatéralisation du régionalisme. Certains pays investissent en effet actuellement dans les ACR avec l’objectif de créer une convergence d’intérêts et de préférences en vue, justement, de futures négociations multilatérales. À cela s’ajoute la vague actuelle d’ACR dits de <a href="https://www.lesechos.fr/20/10/2015/lesechos.fr/021418267703_pascal-lamy-----le-traite-transatlantique-est-un-accord-de-troisieme-generation--.htm">3ᵉ génération</a> qui, dans une large mesure, est consacrée à la coopération réglementaire internationale.</p>
<p>Il s’agirait de faire des accords commerciaux régionaux et bilatéraux un laboratoire institutionnel pour de nouveaux principes organisant la coopération économique internationale : les communs, la soutenabilité, ou des principes innovants de compensation internationale.</p>
<p>Toutefois, la négociation d’accords commerciaux multipliant les volets ou thématiques non-commerciales ne semble pas être la voie à privilégier. Cela reviendrait à soumettre les objectifs non-commerciaux (promotion du travail décent, inclusion sociale et genrée, protection de l’environnement, défense de la biodiversité, décarbonisation de l’économie, etc.) à la logique commerciale et libre-échangiste. L’option d’inclure dans l’accord commercial des références juridiquement contraignantes aux traités internationaux existant et régulant les enjeux clés de la globalisation semble plus prometteuse, surtout si elle s’accompagne de clauses conditionnelles « pré-ratification ». L’accord de libre-échange visera ainsi le « mieux-disant » social et environnemental.</p>
<p>Le contexte actuel est propice à une réflexion renouvelée sur la gouvernance commerciale internationale. Ce texte se veut une modeste contribution en vue d’une nouvelle architecture du commerce et de l’investissement internationaux qui interroge, non seulement la gouvernance de l’OMC, mais également la finalité du libre-échange multilatéral et régional.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102440/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mehdi Abbas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’enlisement du cycle de Doha et les dynamiques économiques post-crise 2008 ont considérablement affaibli l’OMC. Comment l’institution peut-elle se réformer ? Voici quelques pistes.Mehdi Abbas, Maître de conférence, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1002752018-07-24T19:53:12Z2018-07-24T19:53:12ZMultilatéralisme : lever le « masque des fictions profitables »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/228464/original/file-20180719-142414-qka1wx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=42%2C21%2C1790%2C745&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Port de commerce.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f2/photo/9894908203/6f04a914f3/">Magic Life Gallery/Visualhunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les dernières décisions de politique commerciale prises par l’administration Trump de taxer les importations européennes et <a href="https://bit.ly/2Lmga6I">chinoises</a> vers les États-Unis suscitent inquiétudes et réprobations. Elles s’agrègent aux attaques contre le multilatéralisme à l’ONU, sur le climat, en matière de sécurité collective et, bien entendu, commercial.</p>
<p>À ce niveau, les États-Unis ne sont pas les seuls à avoir érodé le système commercial multilatéral. L’UE est en effet la championne en matière d’accords commerciaux bilatéraux, préférentiels et régionaux, ces « termites » (<a href="https://bit.ly/2uwKHFi">J. Bhagwati</a>) qui n’ont eu de cesse de saper l’édifice multilatéral.</p>
<p>Face à la montée des tensions et au retour des logiques agressives de défense des intérêts nationaux beaucoup d’observateurs en appellent aux <a href="https://bit.ly/2NtVSW7">vertus du multilatéralisme</a>, bien entendu rénové pour tenir compte des réalités nouvelles de l’économie internationale, et de proposer des solutions <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/07/05/pour-la-creation-d-un-systeme-bi-monetaire-mondial_5326411_3232.html">plus ou moins infaisables</a>.</p>
<p>Au-delà de l’aspect formel d’une coopération à trois et plus, qu’en est-il réellement du multilatéralisme économique et de l’idéal de coopération à laquelle ils renverait ?</p>
<h2>Le multilatéralisme commercial et ses arrières-pensées</h2>
<p>Le multilatéralisme commercial prend forme dans la réforme de la politique commerciale américaine de 1934 entreprise par l’administration Roosevelt. Le <a href="https://bit.ly/2wil7q6"><em>Reciprocal Trade Agreement Act</em></a> constitue, avant toute chose, une tentative d’élargissement des exportations américaines fondée sur une norme de réciprocité dans l’échange.</p>
<p>Ainsi, c’est en utilisant le bilatéralisme que les États-Unis entendent contrecarrer la tendance au repli des nations sur leurs Empires à l’époque. Cette démarche sera au cœur de la mort-née <a href="https://bit.ly/2zOLgPL">Organisation internationale du commerce</a>, puis du GATT. Ils auront, pour se faire, le souci de construire un édifice fondé sur le droit, certes du plus fort, mais sur le droit tout de même !</p>
<p>Ce que l’on présente comme le parangon de la coopération internationale est avant toute chose un projet américain de reconstruire les relations économiques internationales conformément à leurs intérêts et permettant la sortie, sans risques majeurs pour les États-Unis, d’une économie de guerre en état de surproduction. Un projet dont la finalité était d’articuler besoin de reconstruction en Europe et en Asie à la nécessité de redéploiement de l’appareil industriel américain.</p>
<p>Ce projet trouve son origine dans les premières discussions, entamées dès 1941, américano-britanniques (l’économie qui « se sait et se veut dominante » et celle qui « ne peut se déshabituer de l’être » pour reprendre les mots de F. Perroux). Ces discussions portaient sur les conditions d’octroi d’une aide américaine à l’effort de guerre britannique. Après la <a href="https://bit.ly/2A06nOW">Charte de l’Atlantique</a> proclamée par Roosevelt (1941) et la Déclaration des Alliés (1942), les discussions portent sur l’ordre économique d’après-guerre.</p>
<p>Elles aboutissent à l’Accord d’aide economique mutuelle (<em>Mutual Aid Agreement</em>) signé le 23 février 1942 dans lequel figure l’Article VII. L’originalité de cet article – qui contient l’ADN de l’ensemble de l’architecture de Bretton Woods – est de poser que les contreparties des contributions américaines ne consisteront pas en des remboursements ou à l’imposition de conditions contraignantes (le précédent catastrophique du Traité de Versailles est dans toutes les mémoires). Les contreparties sont définies en termes d’engagements normatifs en matière de politique commerciale.</p>
<p>Pour la première fois dans l’histoire du capitalisme, les conditions des échanges internationaux sont régies par des textes, proposés par l’économie dominante et ratifiés par les autres États. Il en sera de même concernant le système des paiements, le système de financement et de reconstruction, autant de dispositifs de financement des débouchés.</p>
<h2>L’économie dominante est toujours favorable au libre‑échange</h2>
<p>Le multilatéralisme est, en fait, l’internationalisation des intérêts et préférences états-uniennes dans un contexte de reconstruction d’un monde en ruine où une économie concentre la quasi-totalité des ressources nécessaires à cette reconstruction.</p>
<p>Les théories de la stabilité hégémonique ou du leadership stratégique ou bienveillant offrent une explication, voire une justification ou légitimation, à la domination américaine. Elles nous rappellent cette vieille réalité qui traverse toute l’œuvre de F. Braudel, I. Wallerstein ou P. Bairoch, l’économie dominante est toujours favorable au libre-échange et au multilatéralisme, ce qu’avaient, en des termes plus économiques, très bien analysés A. Smith, K. Marx et F. List.</p>
<p>À cela s’ajoute le pragmatisme de la diplomatie économique, désormais multilatérale, des États-Unis. L’échec de l’OIC en offre un exemple en matière d’organisation des échanges internationaux. C’est ce même pragmatisme qui fera que, confronté à la pénurie de dollars, les États-Unis vont, par une simple lettre en 1947, s’engager à acheter et à vendre de l’or au taux de 35$ de l’once, officialisant le fait que le système monétaire international est concrètement un « système dont l’étalon était le dollar » (Denizet), et surtout qu’il fonctionne plus grâce à cette lettre qu’aux statuts du FMI.</p>
<p>De même, la <a href="http://www.banquemondiale.org/fr/who-we-are/ibrd">Banque internationale pour la reconstruction et le développement</a> (BIRD) va très vite changer de nature face à l’ampleur de la reconstruction européenne qui sera, par ailleurs, à l’origine du lancement du Plan Marshall (1948).</p>
<p>Il faudrait également mentionner le rôle tenu par la guerre de Corée dans la relance de l’économie américaine (qui connaissait un sérieux ralentissement économique en 1949) et, bien plus que le Plan Dodge, ses effets sur le développement du Japon qui comprend rapidement l’intérêt pour sa croissance et sa participation à la globalisation.</p>
<p>Schéma qui se reproduira plus tard durant la guerre du Vietnam dont on oublie qu’elle est à l’origine du développement du conteneur, vecteur déterminant de la mondialisation bien plus que les développements successifs de la théorie du libre-échange et autres formalisations des économistes. Avec la guerre du Vietnam la conteneurisation s’étend à l’Asie-Pacifique (Japon, Taiwan, Hong Kong, Singapour et Australie).</p>
<h2>Paradoxe : pour la première fois, l’économie mondiale est multilatérale</h2>
<p>Ces dernières années sont marquées par une évolution des rapports de richesse et de puissance dans l’économie mondiale. Cette dernière est désormais moins asymétrique qu’en 1944 (Bretton Woods) ou 1995 (création de l’OMC). Simultanément, les États-Unis prennent conscience des contradictions sociales et économiques de plus de cinq décennies d’une globalisation, qu’ils ont eux-mêmes initiée.</p>
<p>La capacité des États-Unis – et du G7 – à multilatéraliser leurs préférences s’est amoindrie. Outre ce nouvel équilibre en gestation, il manque une vision ou un projet tel que celui porté par l’administration Roosevelt et son Secrétaire d’État <a href="http://cordellhull.com/biography_fr/">Cordell Hull</a> ; un projet, qui chaque fois que cela était nécessaire, s’est adapté de façon <em>ad hoc</em> aux contraintes tant internes que systémiques.</p>
<p>Paradoxalement, il est possible de considérer que pour la première fois, l’économie mondiale est multilatérale. C’est-à-dire que les pays sont, collectivement, mis face à la responsabilité, voire la nécessité, d’élaborer des règles communes, partagées et acceptées, régissant les relations économiques internationales.</p>
<p>Il s’agit, par conséquent, d’innover en matière de construction de règles, de faire place à l’hétérogénéité des préférences et des intérêts ; au pluralisme juridiques ; de re-hiérarchiser les valeurs autour desquelles se construisent les régimes internationaux et de rénover les principes d’ordre des rapports économiques et politiques internationaux.</p>
<p>Il s’agit d’élaborer des actions concertées, de trouver de nouveaux principes de solidarité internationale, d’élaborer des mécanismes de compensation internationale, bref construire une économie mondiale praticable (<em>workable global economy</em>). Ni le marché, ni la concurrence ne sont en mesure de le faire, la tâche est gigantesque d’autant que « la tragédie est aujourd’hui collective » (A. Camus).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/100275/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mehdi Abbas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que les décisions de Donald Trump remettent en cause de nombreuses règles du commerce international, retour historique sur la fabrication du concept de multilatéralisme des échanges.Mehdi Abbas, Maître de conférence, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/987362018-07-01T20:34:46Z2018-07-01T20:34:46ZAccord sur le nucléaire iranien : l’Union européenne malgré et contre l’allié américain<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/224963/original/file-20180626-112598-1h82mj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C0%2C1267%2C781&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Lors de négociations à Vienne, en avril 2015.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/4/4a/Negotiations_about_Iranian_Nuclear_Program_-_the_Ministers_of_Foreign_Affairs_and_Other_Officials_of_the_P5%2B1_and_Ministers_of_Foreign_Affairs_of_Iran_and_EU_in_Lausanne.jpg/1280px-thumbnail.jpg">US State Department/Wikimedia</a></span></figcaption></figure><blockquote>
<p>« L’Union européenne regrette profondément l’annonce par le Président des États-Unis du retrait de l’accord conjoint sur le plan d’action […]. L’UE est déterminée à travailler avec la communauté internationale pour le préserver » (<a href="http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2018/05/09/declaration-by-the-high-representative-on-behalf-of-the-eu-following-us-president-trump-s-announcement-on-the-iran-nuclear-deal-jcpoa/">Federica Mogherini</a>, Haute représentante de l’UE pour la politique étrangère, 9 mai 2018)</p>
</blockquote>
<h2>Un électrochoc diplomatique pour l’UE</h2>
<p>Depuis les grands débats qui avaient émaillé la relation transatlantique sous les administrations de George W. Bush (2001-2009), rarement l’Union européenne (UE) n’aura été aussi franche dans son opposition diplomatique à une décision de son partenaire étatsunien que ces dernières semaines.</p>
<p>Suite à l’annonce par le président Donald Trump de sa décision de retirer les États-Unis de l’<a href="https://www.iaea.org/newscenter/focus/iran">accord conjoint sur le nucléaire iranien</a>, et de rétablir les sanctions en place avant l’accord, institutions européennes et États membres cherchent à limiter les impacts diplomatiques et stratégiques néfastes de ce choix unilatéral, d’en prévenir les <a href="https://theconversation.com/iran-lunion-europeenne-peine-a-trouver-la-parade-pour-contourner-trump-96965">conséquences négatives pour l’UE et ses entreprises</a>, mais aussi de sauver l’accord lui-même.</p>
<p>Cet activisme diplomatique s’accompagne d’une tonalité inhabituellement critique envers les États-Unis, comme lorsque le Président du Conseil européen Donald Tusk a déclaré :</p>
<blockquote>
<p>« Au regard des dernières décisions de Donald Trump, on pourrait même penser : avec des amis comme cela, qui a besoin d’ennemis ? Mais franchement, l’UE devrait être reconnaissante. Grâce à lui, nous sommes débarrassés de toute illusion. Nous réalisons que si nous avons besoin d’une main aidante, c’est au bout de notre bras que nous la trouverons ».</p>
</blockquote>
<p>Ou encore lorsque Federica Mogherini a déclaré à plusieurs reprises :</p>
<blockquote>
<p>« L’accord sur le nucléaire n’est pas un accord bilatéral et il n’appartient à aucun pays isolément d’y mettre fin unilatéralement. »</p>
</blockquote>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/WJpjUS1SL24?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Si les acteurs européens montrent un tel activisme à sauver cet accord, c’est que par-delà les enjeux économiques ou de sécurité objectifs en présence, l’UE joue aussi sur ce dossier sa crédibilité et sa légitimité d’acteur international, tant du point de vue des autres acteurs internationaux (États tiers, organisations internationales) qu’à l’intérieur de ses frontières (citoyens, entreprises, etc.).</p>
<h2>Un compromis durement arraché</h2>
<p>Dans ses conditions d’élaboration comme dans son contenu, l’accord sur le nucléaire iranien incarne une certaine façon de penser et faire de la politique internationale à laquelle l’UE est attachée et contribue largement, comme sur d’autres enjeux tel le changement climatique.</p>
<p>Comme l’a rappelé, à de nombreuses reprises Federica Mogherini, le JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action, le nom anglais de l’accord) est un accord multilatéral. Un accord multilatéral, car négocié et signé par plusieurs parties aux intérêts, attentes et positions différentes mais dont il incarne le point de rencontre, de compromis durement arraché.</p>
<p>Un accord ensuite <a href="http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/2231(2015)">endossé au niveau des Nations unies</a> à travers la résolution 2231 lui conférant une légitimité plus globale. Le mérite de cet accord, ses faiblesses éventuelles aussi, en reviennent à tous les protagonistes qui avaient su, après de longues et complexes années de négociations, parvenir à un accord à Vienne le 14 juillet 2015 : les signataires officiels de l’accord bien entendu – États-Unis, Iran, Russie, Chine, France, Royaume-Uni, Allemagne -, mais aussi des organisations internationales comme l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), pour son rôle dans la vérification de la mise en œuvre de l’accord.</p>
<h2>Un accord symbolique pour la diplomatie européenne</h2>
<p>Dans cet effort collectif, l’UE avait déployé une énergie et des qualités de négociation remarquées, à travers des acteurs de sa Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) comme la Haute représentante et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE). Elle était apparue utile dans sa capacité à opérer une médiation entre des intérêts et injonctions contradictoires, dans la recherche patiente et laborieuse d’un compromis, c’est-à-dire d’une solution qui sans être idéale pour aucun des signataires serait acceptable par chacun d’entre eux.</p>
<p>Sans lui être entièrement redevable et imputable, l’accord sur le nucléaire iranien doit beaucoup à l’UE, et incarne ce qu’elle entend être et faire dans le champ diplomatique international : un vecteur de promotion d’un ordre international régulé par le multilatéralisme et le droit, un médiateur entre des intérêts contradictoires, un facteur de stabilisation et d’apaisement des tensions et risques internationaux.</p>
<p>Ces caractéristiques de la diplomatie de l’Union, qui en constituent des forces et des marqueurs indéniables, sont aussi le reflet de ses faiblesses et défis intrinsèques : l’UE n’est pas un acteur international aussi cohérent que des États, elle ne constitue pas une <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2013-1-p-83.htm">puissance au sens classique du terme</a> comme les États-Unis ou la Chine. Et la diplomatie européenne, reposant en grande partie sur des mécanismes et dispositifs intergouvernementaux et interinstitutionnels complexes, est elle-même le résultat de compromis (entre États membres, entre institutions européennes, entre États membres et institutions européennes, etc.).</p>
<p>En soutenant un ordre international normatif, multilatéral et où les différends se règlent par autre chose que des rapports de force directs et confrontations armées, l’UE reproduit sur la scène internationale, par nécessité ou par vertu, ses propres atouts et faiblesses. La décision de Donald Trump sur le JCPOA est une attaque frontale contre cette vision européenne du monde et contre l’essence même de la politique étrangère commune.</p>
<h2>Un test pour la cohérence et la cohésion de l’UE</h2>
<p>Si l’annonce du retrait des États-Unis du JCPOA a produit un électrochoc diplomatique pour les Européens, c’est aussi parce qu’il réinterroge l’utilité et la crédibilité de l’UE elle-même en tant qu’acteur international : le cadre européen est-il utile ou approprié pour défendre les intérêts des Européens, quels qu’ils soient ?</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/LFMoQ50PiAI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le défi actuel soulevé par la décision des États-Unis est à la fois diplomatique – sauver un accord multilatéral stratégique, contribuer à la lutte contre la prolifération et à la stabilisation du Moyen-Orient -, et économique : prévenir les conséquences des nouvelles sanctions américaines sur les entreprises européennes.</p>
<p>L’accord sur le nucléaire iranien est ainsi un test important pour la capacité de l’UE à agir en acteur international global cohérent et utile. L’Union s’est progressivement dotée, au gré des décennies d’intégration européennes, d’outils couvrant l’ensemble des leviers d’action extérieure (commerce, coopération et aide au développement, politique étrangère, diplomatie, outils de gestion militaire et civile des crises, etc.), en plus de ses politiques intérieures (marché intérieur, politiques de cohésion économique et sociale, etc.)</p>
<p>La cohérence entre ces différentes politiques est nécessaire à une défense efficace des intérêts et valeurs de l’UE sur la scène internationale. Dans le champ de la sécurité et de la défense, le concept d’<a href="https://www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2016-1.htm">approche globale</a> a notamment tenté de rendre compte de ce besoin de mise en cohérence des différents outils d’action extérieure de l’UE.</p>
<p>Le cas iranien est un test plus large pour l’UE, imposant aux institutions européennes une capacité à élaborer une réponse à la fois commerciale et diplomatique, règlementaire et politique, et confirme à quel point enjeux diplomatiques, stratégiques et économiques peuvent être fortement interconnectés.</p>
<p>Il représente un test pour la cohérence et la cohésion d’une UE dont la nature, en tant qu’acteur international, s’est construite par l’accumulation de strates et ajouts successifs de compétences davantage que dans un plan d’ensemble prédéfini.</p>
<h2>La diplomatie du « en même temps », un équilibre délicat</h2>
<p>La relation transatlantique (entre UE et États-Unis) a toujours joué un rôle spécifique dans ce contexte. Les Européens existent-ils – collectivement mais de façon distincte des États-Unis – sur la scène internationale ? L’épisode ouvert par l’annonce du retrait des États-Unis du JCPOA est un nouveau test qui apportera des éléments de réponse à cette interrogation presque aussi ancienne que la construction européenne elle-même.</p>
<p>Sur les fronts diplomatiques comme stratégique et économique, l’UE œuvre actuellement sur l’Iran à la fois malgré et contre son partenaire américain. Sauver un accord multilatéral remis en cause par les États-Unis et prévenir les dommages diplomatiques et stratégiques potentiels de cette décision, protéger les entreprises européennes contre les retombées négatives de cet épisode sont, aujourd’hui, des priorités des institutions européennes.</p>
<p>Sans remettre en cause ni l’Alliance atlantique dont la plupart des États de l’UE sont aussi membres, ni les coopérations transatlantiques pratiques dans des domaines comme la lutte contre le terrorisme, l’UE œuvre bien aujourd’hui contre une décision de son principal partenaire historique, cherchant à la contourner et en minimiser les impacts négatifs.</p>
<p>Équilibre délicat s’il en est que cette nouvelle diplomatie européenne du « en même temps » : les Européens cherchent à se prémunir et à protéger le monde des errements de leur allié tout en <a href="http://europa.eu/rapid/press-release_MEX-18-4085_en.htm">préservant cette alliance</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’Union européenne est pleinement attachée à la mise en œuvre continue, intégrale et effective du JCPOA, tant que l’Iran respecte également ses obligations. Dans le même temps, l’Union européenne s’engage également à maintenir la coopération avec les États-Unis, qui restent un partenaire et un allié clé. »</p>
</blockquote>
<p>Si l’UE entend aujourd’hui « sauver l’ordre mondial », assumer ses responsabilités internationales et protéger ses acteurs économiques, elle doit le faire en partie malgré et contre l’actuelle administration américaine.</p>
<h2>Le défi de l’autonomisation</h2>
<p>Cette situation n’est pas inédite, et rappelle des débats transatlantiques de la période post-11 septembre 2001, lorsque les Européens cherchaient tout à la fois à œuvrer à la lutte contre le terrorisme aux côté des États-Unis, tout en luttant contre des dérives de l’administration de George W. Bush symbolisées par le recours à l’unilatéralisme ou le triomphe d’une vision jugée excessivement militaire des conditions de la sécurité internationale.</p>
<p>Souvent pensé et débattu sous l’angle des capacités militaires brutes, cet enjeu de l’autonomisation de l’UE sur la scène internationale revêt aussi une dimension politique fondamentale dont la crise actuelle sur le dossier iranien est symbolique : celle de la capacité des Européens à articuler, si et lorsqu’ils le peuvent et le doivent, une action et un discours communs mais différenciés de ceux des États-Unis au niveau international.</p>
<p>Il n’est jamais trop tard : ce défi était, parmi d’autres, une des motivations ayant prévalu à la mise en place progressive de la PESC depuis le Traité de Maastricht qui date… de février 1992.</p>
<hr>
<p><em>Cet article est republié dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/98736/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>En dehors de son affiliation principale, Bastien Nivet est aussi chercheur associé à l'Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) et enseignant à Sciences Po.</span></em></p>Si les Européens montrent un tel activisme à sauver cet accord, c’est que l’UE joue aussi sur ce dossier sa crédibilité et sa légitimité d’acteur international.Bastien Nivet, Docteur en science politique (École de management), Pôle Léonard de VinciLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/978932018-06-19T19:00:24Z2018-06-19T19:00:24ZCommerce international : le multilatéralisme était mort-vivant, Trump l'achève<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/223786/original/file-20180619-126534-1b0o2ag.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C2986%2C1540&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les échanges bilatéraux, futur du commerce international ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/gas-tanker-transporting-liquid-natural-by-322905989">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le dernier sommet du G7, ou plutôt du G8-1, puisque la Russie en est exclue depuis quelques années, suite à son implication dans le conflit ukrainien, s’est réuni tout récemment au Québec. Donald Trump y a tenu toutes ses promesses en matière de coups d’éclats. On avait déjà eu droit à ses hésitations savamment orchestrées à la veille de l’événement, puis à la désormais célèbre « photo souvenir » le montrant fermement en opposition avec la Chancelière allemande. Sa volte-face sur la signature du communiqué final a achevé de torpiller un « accord » de façade qui de toute façon n’aurait guère tenu dans le temps. Seul point d’accord entre les membres de ce G« 6+1 » : le multilatéralisme commercial est en profonde crise. Mais est-ce une nouveauté ?</p>
<h2>Un multilatéralisme mal en point</h2>
<p>Du côté des six, les regards se sont naturellement portés sur la nouvelle politique commerciale américaine. Ils y voient l’origine des difficultés actuelles, et pas uniquement au niveau commercial. Côté « plus un », en revanche, il s’est agi de dénoncer l’instrumentalisation des institutions multilatérales comme l’OMC. Selon les États-Unis, certains États membres ne chercheraient plus à négocier des accords durables, mais uniquement à obtenir par le biais du mécanisme de règlement des différends ce qu’ils n’ont pu obtenir auparavant par la négociation. Les <a href="https://theconversation.com/refonder-lomc-pour-sortir-de-la-crise-vers-un-multilateralisme-a-geometrie-variable-97648">propositions américaines</a> visent d’ailleurs à éviter cette situation, déjà clairement identifiée <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11558-014-9188-2">par les spécialistes du multilatéralisme</a>. Ce qui ne les empêche pas de faire exactement la même chose actuellement avec la mise en place des tarifs sur l’acier et l’aluminium…</p>
<p>Tout ceci donne l’impression qu’avant la victoire de Donald Trump, la coopération internationale multilatérale était non seulement encore bien vivante, mais qu’elle demeurait également efficace pour réguler la mondialisation et la hausse inévitable des interdépendances qu’elle a engendrée. Or, rien n’est moins sûr. Un rapide retour sur la notion même de multilatéralisme montre que ce dernier était déjà bien mal en point depuis au moins une décennie.</p>
<p>Cela ne signifie pas pour autant que la responsabilité des États-Unis dans la situation actuelle est à minorer : en effet, ce nouveau bilatéralisme américain pourrait porter le coup de grâce au multilatéralisme.</p>
<h2>Une initiative américaine reposant sur cinq piliers</h2>
<p>En matière commerciale, on fait remonter l’avènement de la logique multilatérale au changement de nature de la <a href="https://www.jstor.org/stable/2706771?casa_token=F3fU6r3hg7oAAAAA:gulWeyVKJWw_ByoNqgDIeyA5CZzoyV6lWCCktnfNJf_zaGpeI00JQevwgk3NdK8XOpfCxpJSwpBOMlQ8a8lZ9nFtQS527lhKIqH3SQISR5K5MUwXxv0&seq=1#page_scan_tab_contents">politique commerciale des États-Unis, qui a débuté dans les années 1930</a>. Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’ordre commercial mondial a été très fortement influencé par la volonté américaine d’appuyer la libéralisation commerciale sur le droit international et sur des institutions le garantissant.</p>
<p>Bien plus que sur le fait de <a href="https://www.cairn.info/feuilleter.php?ID_ARTICLE=DEC_GRAZ_2010_01_0027">« coordonner les politiques nationales dans des groupes de trois États ou plus »</a>, le multilatéralisme s’appuie sur des principes universels, formant cinq piliers qui soutiennent l’OMC encore aujourd’hui :</p>
<ul>
<li><p>principe de non-discrimination : cette non-discrimination est non seulement externe (clause dite de la <a href="https://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/tif_f/fact2_f.htm">« nation la plus favorisée »</a> : une faveur accordée à un pays doit l’être à tous les autres membres de l’OMC), mais aussi interne (clause dite du <a href="https://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/tif_f/fact2_f.htm">« traitement national »</a> : dans un pays, le traitement des produits étrangers et nationaux doit être identique). Cette non-discrimination implique l’égalité de traitement entre tous les partenaires commerciaux et ne supporte que quelques exceptions dans le cadre de l’OMC, comme la possibilité de signer des accords de commerce régionaux ;</p></li>
<li><p>règle de la transparence : celle-ci impose à chaque État de rendre publiques toutes les mesures relatives à sa politique commerciale, afin d’aider ses partenaires commerciaux à mieux évaluer leur impact.</p></li>
<li><p>principe de réciprocité tarifaire : sa mise en place avait pour but d’approfondir la libéralisation commerciale de deux façons. Par le jeu des concessions tarifaires réciproques tout d’abord, et par de possibles mesures de rétorsion ensuite, dans le cas d’une éventuelle hausse unilatérale de tarifs douaniers. Ce principe inscrit dans le droit international la possibilité d’augmenter les tarifs en contrepartie d’une politique commerciale non coopérative ;</p></li>
<li><p>principe de flexibilité : les fondateurs de l’ordre commercial d’après-guerre ont considéré que des exceptions aux trois principes précédents pouvaient se justifier temporairement, pour peu qu’elles soient légitimes. Toute une série d’exceptions, comme les clauses de sauvegarde, existent d’ailleurs en matière commerciale.</p></li>
<li><p>principe du consensus en matière de décisions : bien qu’à l’OMC les États membres sont censés prendre leurs décisions sur la base d’un vote où chacun d’eux dispose d’une voix et d’une seule, dans les faits la voie consensuelle a toujours été privilégiée.</p></li>
</ul>
<p>Ces principes, malgré les difficultés de mise en œuvre et notamment malgré la hausse de mesures non tarifaires comme les quotas ou les subventions à l’exportation, ont été assez efficaces pour faire baisser de manière importante les tarifs douaniers, avant la création de l’OMC, et même après. Mais ils semblent néanmoins de plus en plus difficilement applicables, notamment depuis la crise de 2008. C’est pourquoi l’hypothèse d’une mort clinique du multilatéralisme bien antérieure aux tensions actuelles a émergé.</p>
<h2>Le multilatéralisme est un mort-vivant : quelques indices</h2>
<p>Plusieurs indices étayent l’idée que le multilatéralisme commercial est, depuis longtemps, une sorte de zombie institutionnel, un corps mort possédant l’apparence de la vie. Le premier est que le nombre d’accords de commerce régionaux (ACR) a littéralement explosé, et ce au moment même où les nombreux accords donnant naissance à l’OMC sont entrés en vigueur, en 1995. Aujourd’hui, <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/region_f/region_f.htm">284 ACR sont notifiés</a> à l’OMC. Cette explosion a été accompagnée de l’explosion toute aussi spectaculaire du nombre d’accords bilatéraux d’investissement (plus de 3300 en vigueur aujourd’hui !).</p>
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<figcaption><span class="caption">Retour sur vingt ans de multilatéralisme selon l’OMC.</span></figcaption>
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<p>Au-delà de la seule question de leur nombre, la nature de ces accords s’est profondément modifiée avec le temps. Ceux-ci sont désormais en lien avec des dimensions non commerciales de l’activité économique. Ils traitent des questions relatives à la sécurité, aux normes… Ils visent par ailleurs de plus en plus l’interconnexion des économies nationales, <em>via</em> notamment les chaînes de valeur globales, en particulier grâce à la fin des obstacles à l’intérieur des frontières qui visent soit l’harmonisation des règles internes d’un pays à l’autre, soit leur mise en compatibilité (comme les règles sanitaires, les règles d’origine ou voire même les règles sociales). Par exemple, l’accord entre le Canada et l’Union européenne (<a href="http://www.ieim.uqam.ca/IMG/pdf/eurd88_deblock.pdf">Accord économique et commercial global</a>) introduit des dispositions permettant la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles, ce qui est une innovation notable. Le principe de la réciprocité devient dès lors de plus en plus difficile à respecter, tant les négociations se doivent de rentrer dans des détails réglementaires et techniques de plus en plus pointus.</p>
<p>Second indice : l’OMC a de plus en plus de difficultés à faire négocier ses membres en son sein, voire à faire respecter ses principes de base en cas de différend commercial. Cette institution n’est pas supranationale. Elle est pilotée par ses membres <a href="https://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/tif_f/org1_f.htm">(members-driven)</a>, et s’ils ne souhaitent pas négocier, il lui est très difficile de les inciter à le faire. Or, depuis 2003, le cycle actuel de négociation (dit cycle de Doha pour le développement) traîne en longueur. Cela est essentiellement lié au fait que les pays du Sud refusent de libéraliser davantage leurs marchés publics si ceux du nord ne jouent pas le jeu en matière agricole.</p>
<p>Plus grave encore, lorsqu’un différend entre deux membres conduit l’un d’eux à obtenir le droit à des représailles tarifaires, il n’est pas rare dans les faits que celles-ci ne soient pas mises en place effectivement, ou tout bonnement qu’il soit quasiment impossible de le faire. Par exemple, les représailles qu’envisage le Canada avant même le résultat du différend qui l’oppose aux États-Unis concernant les <a href="https://theconversation.com/pour-comprendre-la-crise-des-importations-americaines-dacier-et-daluminium-93184">sur-tarifs sur l’acier et l’aluminium</a> concernent bien sûr ce secteur, mais aussi des produits comme le papier toilette, le ketchup, ou la moutarde. Les supporters canadiens du mondial de foot russe n’ont qu’à bien se tenir : ils devront payer plus cher pour manger leurs mets préférés devant les matchs à partir du 1<sup>er</sup> juillet…</p>
<p>Troisième indice : les mutations profondes de l’économie mondiale. Celles-ci expliquent les difficultés rencontrées par l’approche multilatérale. Un énorme rééquilibrage du poids économique et commercial a eu lieu au sein des grandes économies, dû notamment à la montée en puissance de la Chine. Le pays, qui fait de plus en plus peur aux pays riches, pèse désormais 17 % du commerce mondial. Le déploiement de sa nouvelle stratégie (<a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/04/05/le-plan-made-in-china-2025-vise-par-les-taxes-americaines_5280977_3234.html">« Made in China 2025 »</a>) s’accompagne d’une volonté de montée en gamme technologique et de renouvellement des routes commerciales, les Nouvelles routes de la soie.</p>
<p>Ces mutations s’expliquent aussi par l’augmentation grandissante des services et du numérique dans les échanges mondiaux, notamment au sein des chaînes de valeur globales que pilotent les grandes firmes transnationales : 60 % des échanges commerciaux sont générées en leur sein. Il ne s’agit pas vraiment de commerce inter-national, et le cadre interétatique devient dès lors moins pertinent pour rendre compatibles toutes les stratégies desdites firmes. On voit ainsi fleurir à la fois le concept de gouvernance globale et des initiatives mêlant autorités publiques et acteurs privés, qui traduisent cette mutation.</p>
<p>Dernier indice suggérant que le multilatéralisme est mort-vivant depuis longtemps : la mondialisation commerciale marque le pas depuis quelques années. S’il devient de moins en moins coûteux d’exporter, <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/radiographie-dun-monde-ouvert/00084846">il devient de plus en plus coûteux d’exporter loin</a>.</p>
<h2>Vers le retour d’un bilatéralisme prédateur ?</h2>
<p>La frustration des grandes puissances commerciales peut alors expliquer pourquoi elles ont cherché à passer par la voie bilatérale ou régionale, en négociant puis signant des accords de commerce dont la portée universelle était inexistante <em>a priori</em>. Certains revendiquent d’ailleurs cette méthode pour <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/jep.30.1.95">accélérer le processus de libéralisation commerciale</a>, et ce même si le libre-échange est un échec sur de nombreux points (il protège souvent uniquement les grands pays de la concurrence internationale ; il fragilise les petites économies en cas de crise du fait de la spécialisation qu’il implique ; il fait disparaître dans bien des cas des pans entiers de l’industrie nationale sans permettre à leurs travailleurs de retrouver un emploi aussi rémunérateur).</p>
<p>Cette voie avait ainsi mené à la négociation de méga-accords régionaux comme le <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/03/07/le-partenariat-transpacifique-relance-sans-washington_5266925_3234.html">Partenariat TransPacifique</a> ou à des accords sectoriels comme <a href="https://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/Rapport_numerique_dans_accords_commerciaux_internationaux.pdf">celui sur les services</a>. Sur ce point, depuis le début des années 2000, les États-Unis étaient même devenus les leaders incontestés en la matière, en développant des nouvelles générations d’accords commerciaux. Puis est survenue l’élection de Donald Trump, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2018/01/ZAJEC/58242">qui a profondément changé la donne</a>.</p>
<h2>Vers un commerce international prédateur ?</h2>
<p>Il semble de plus en plus clair que Donald Trump cherche à modifier la nature même du <a href="https://theconversation.com/trump-le-mercantilisme-et-le-dollar-un-cocktail-hautement-explosif-97638">bilatéralisme américain</a>. Ce qui, à terme, pourrait définitivement remettre en cause toute coopération internationale commerciale fondée sur l’universalité et le droit (sans présager du sens de cette coopération, que ce soit la poursuite de la libéralisation ou son reflux), deux piliers pourtant fondateurs de la puissance américaine d’après-guerre.</p>
<p>Cette situation n’est pas sans rappeler, hélas, une politique commerciale oubliée par la plupart des analystes de l’économie : celle de l’<a href="https://www.cambridge.org/core/journals/international-organization/article/multilateralism-the-anatomy-of-an-institution/AB34548F299B16FDF0263E621905E3B5#">Allemagne hitlérienne</a>. Ce régime invoquait lui aussi la « réciprocité » avec ses « partenaires » commerciaux, mais dans une logique clairement prédatrice, visant à augmenter sa puissance économique et politique. La coopération internationale passait aussi par des accords monétaires ou d’investissement clairement à l’avantage de l’Allemagne.</p>
<p>Reste à espérer que la Chine, dans sa volonté d’<a href="https://www.humanite.fr/chine-loffensive-internationale-du-yuan-656081">internationalisation du Renmibi</a>, n’ait pas les mêmes intentions que les États-Unis de Trump. On aurait alors une véritable coalition d’intérêts entre les deux premières puissances mondiales, dont l’objet serait de reconstruire un ordre commercial international prédateur, à leur seul avantage.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97893/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Grégory Vanel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le dernier sommet du G7 n’a pas sonné le glas du multilatéralisme : celui-ci était déjà mort-vivant. Il révèle en revanche la tentation du retour vers un bilatéralisme prédateur d’une autre époque…Grégory Vanel, Professeur Assistant, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.