tag:theconversation.com,2011:/us/topics/noirs-66045/articlesNoirs – The Conversation2023-07-25T20:03:40Ztag:theconversation.com,2011:article/2093802023-07-25T20:03:40Z2023-07-25T20:03:40ZUn nouveau rapport laisse penser qu’aucun effort sérieux n’est déployé pour mettre fin au profilage racial à Montréal<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539373/original/file-20230725-17-ah5wvg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C5%2C1891%2C1247&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Service de Police de la Ville de Montréal aurait encore du chemin à faire pour éradiquer le profilage racial au sein de son organisation.</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span></figcaption></figure><p>Un nouveau rapport accablant <a href="https://spvm.qc.ca/upload/02/Rapport_final_2e_mandat.pdf">que vient de rendre public le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) sur le profilage racial à Montréal</a> laisse penser que la Ville et ses forces de police <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1990437/spvm-interpellations-dagher-montreal-police">ont renoncé à lutter contre le problème</a>.</p>
<p>Mise à jour d’une étude réalisée en 2019, le rapport rédigé par quatre chercheurs indépendants engagés par le SPVM a révélé que les taux de profilage racial étaient identiques ou supérieurs à ceux enregistrés quatre ans plus tôt. En effet, les personnes noires, autochtones et arabes sont encore particulièrement susceptibles d’être interpellées par les forces de l’ordre.</p>
<p>Ainsi, le rapport souligne les problèmes non seulement du SPVM, mais aussi de l’administration municipale qui a promis depuis longtemps de mettre fin au profilage racial.</p>
<p>Le problème du profilage racial <a href="https://canadiandimension.com/articles/view/robyn-maynard-police-violence-legacy-of-racial-and-economic-injustice">remonte aux prémices de la surveillance policière</a> en Amérique du Nord. Cependant, il attire davantage l’attention du public depuis 10 ou 15 ans.</p>
<h2>L’histoire du profilage racial à Montréal</h2>
<p>Montréal est une ville marquée par une <a href="https://www.ledevoir.com/societe/791858/manifestation-contre-le-profilage-racial-et-le-projet-de-loi-14-a-montreal">longue histoire de manifestations contre la violence et le racisme policiers</a>. La mort de <a href="https://www.ledevoir.com/societe/791858/manifestation-contre-le-profilage-racial-et-le-projet-de-loi-14-a-montreal">Fredy Villanueva</a>, tué par la police dans un parc en 2008, a déclenché des rassemblements de grande envergure. La tournure des événements a pris une telle ampleur, en partie parce que le drame s’est produit au cœur d’une campagne de maintien de l’ordre incroyablement raciste dans un quartier du nord-est de la ville.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme pleure dans une poignée de mouchoirs" src="https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=575&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=575&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=575&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Lilian Villanueva, mère de Fredy Villanueva, réagit au rapport du coroner sur la mort de son fils lors d’une conférence de presse en 2013 à Montréal. Villanueva a été abattu par la police dans un parc de Montréal en 2008.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Ryan Remiorz</span></span>
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<p>Un <a href="https://www.cdpdj.qc.ca/fr/publications/profilage-racial-et-discrimina-1">rapport long et accablant</a> de la Commission des droits de la personne du Québec sur le profilage racial a suivi en 2011, tandis qu’une série de rapports plus courts ont été publiés au cours des cinq années suivantes.</p>
<p>Bien que ces manifestations et ces rapports aient interpellé le SPVM, la lutte contre le profilage racial incombe, en fin de compte, aux entités gouvernementales qui encadrent la police, notamment la Ville de Montréal.</p>
<p>La première véritable intervention de la Ville face aux critiques grandissantes à l’endroit du SPVM a été d’organiser une <a href="https://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=6877,142735375&_dad=portal&_schema=PORTAL">grande consultation publique</a> sur le profilage racial en 2017. La consultation a permis à un grand nombre d’organismes communautaires, d’activistes et de chercheurs d’<a href="https://doi.org/10.1080/02722011.2020.1831139">appeler à une réforme de la police</a>.</p>
<p>Parmi ces revendications figuraient le renforcement du contrôle et de la discipline au sein de la police, l’abolition des interpellations policières arbitraires et le transfert partiel du budget de la police à des initiatives de sécurité centrées sur la communauté.</p>
<p>La Ville a refusé ces demandes, mais a pris une mesure sans précédent en <a href="https://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/PAGE/COMMISSIONS_PERM_V2_FR/MEDIA/DOCUMENTS/DOCCONSULT_20170519.PDF">demandant au SPVM de réaliser une analyse des interpellations policières par groupe racial</a>, un indicateur clé du profilage racial. Le SPVM a répondu favorablement à la demande et engagé rapidement les trois chercheurs indépendants pour la rédaction d’un rapport.</p>
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<img alt="Un manifestant vêtu d’un parka brandit une pancarte dénonçant le profilage racial par la police" src="https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des gens participent à une manifestation à Montréal en février 2021 et demandent justice pour un homme noir qui a été arrêté à tort par la police et emprisonné pendant six jours ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span>
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<h2>À quand des mesures ?</h2>
<p>D’une certaine manière, la Ville a repoussé le moment d’agir. Les Montréalais ont été informés que <a href="https://ocpm.qc.ca/sites/default/files/pdf/P100/8-27_Rapport_Armony-Hassaoui-Mulone.pdf">des mesures concrètes seraient décidées après une évaluation plus détaillée du problème, mais que des initiatives seraient prises prochainement</a>.</p>
<p>Entre-temps, une nouvelle administration municipale est entrée en fonction. Valérie Plante a été élue mairesse et son parti, Projet Montréal, a remporté une majorité de sièges lors des élections de novembre 2017. Après l’élection, la <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/montreal/montreal-police-report-fail-address-racial-profile-1.4416461">mairesse a annoncé</a> que la lutte contre le « profilage social et racial » constituerait une priorité pour son administration.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme aux cheveux bruns fait des gestes avec ses mains alors qu’elle parle dans un microphone" src="https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La mairesse de Montréal Valérie Plante s’exprime lors d’une conférence de presse à Montréal en août 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span>
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</figure>
<p>L’analyse des interpellations policières promise en 2017 a finalement été achevée en 2019. Communément appelée <a href="https://spvm.qc.ca/upload/Rapport_Armony-Hassaoui-Mulone.pdf">rapport Armony</a>, l’étude a conclu que les personnes noires et autochtones étaient plus de quatre fois plus susceptibles que les personnes blanches d’être interpellées par la police, tandis que les personnes arabes l’étaient deux fois plus.</p>
<p>Lorsqu’on examine les données en fonction du genre, soulignaient également les auteurs, on observait que les femmes autochtones étaient 11 fois plus susceptibles d’être interpellées que les femmes blanches.</p>
<p>Une fois l’évaluation terminée, la Ville se devait d’agir. Cependant, plutôt que de tenir compte des revendications de la communauté, l’administration de Projet Montréal a investi ses espoirs dans une nouvelle politique d’interpellation policière.</p>
<p>La politique, instaurée en juillet 2020, précise que les interpellations policières ne doivent pas être discriminatoires et qu’elles doivent se fonder sur des « faits observables » qui justifient l’interpellation. Cette politique a été largement critiquée à l’époque, car elle ne faisait que reprendre les dispositions antidiscriminatoires de la Charte canadienne des droits et libertés.</p>
<p>De nombreuses personnes (<a href="https://montrealgazette.com/opinion/opinion-new-montreal-police-policy-wont-stop-racial-profiling">y compris moi-même</a>) ont également fait remarquer que la police pouvait toujours trouver des « faits observables » pour justifier une interpellation motivée par d’autres critères discriminatoires.</p>
<h2>Soutien à la police</h2>
<p>Depuis 2020, l’administration de Valérie Plante a vanté à plusieurs reprises la politique d’interpellation policière comme un antidote efficace au profilage racial. Par exemple, Plante a cité la politique en février 2023, alors qu’elle était appelée à témoigner dans le cadre d’un recours collectif contre la Ville et le SPVM pour profilage racial.</p>
<p>Évoquant la politique, <a href="https://www.noovo.info/nouvelle/action-collective-pour-profilage-racial-temoignage-de-la-mairesse-de-montreal.html">elle a attesté</a> que son équipe était « très proactive et travaillait dur sur le profilage racial ».</p>
<p>Ce récit, déjà contesté, a été totalement discrédité lorsque le rapport actualisé sur le profilage racial a été publié en juin 2023.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un homme noir chauve fait des gestes pendant qu’il parle" src="https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Dan Philip, président de la Ligue des Noirs du Québec, répond à une question lors d’une conférence de presse à Montréal en 2019 après qu’un juge ait autorisé un recours collectif contre la Ville pour profilage racial.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Paul Chiasson</span></span>
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</figure>
<p><a href="https://spvm.qc.ca/upload/02/Rapport_final_2e_mandat.pdf">Ce rapport</a> indique que les personnes noires sont aujourd’hui 3,6 fois plus susceptibles d’être interpellées par la police que les personnes blanches (une légère baisse par rapport à 2019), les personnes arabes sont 2,6 fois plus susceptibles d’être interpellées (une légère hausse) et les personnes autochtones sont maintenant six fois plus susceptibles d’être interpellées (une forte hausse). </p>
<p>Si quiconque s’attendait à un mea culpa de la part de la Ville concernant ses maigres efforts pour lutter contre le profilage racial, il y a de quoi être déçu, comme je le suis. Valérie Plante, qui a reconnu avoir été choquée par le rapport de 2019, n’a pas encore commenté publiquement les nouvelles conclusions.</p>
<p>Son collègue Alain Vaillancourt, membre du comité exécutif et responsable de la sécurité publique, s’est contenté de <a href="https://www.ledevoir.com/societe/793501/malgre-un-rapport-extremement-critique-le-spvm-maintient-les-interpellations-policieres">dire qu’il soutenait le directeur de la police de la ville, Fady Dagher</a>, et qu’il se sentait « comfortable » avec son projet visant à changer la « culture » du SPVM. </p>
<p>Dagher a notamment refusé d’appliquer le moratoire sur les interpellations recommandé par les quatre chercheurs et s’est plutôt engagé à se concentrer sur l’amélioration du recrutement et de la promotion des policiers racisés, une <a href="https://doi.org/10.1080/02722011.2020.1831139">mesure en vigueur au SPVM depuis 1991</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1672250179611684864"}"></div></p>
<p>La réponse de la Ville au problème du profilage racial semble avoir franchi une nouvelle étape. Après avoir retardé la prise de mesures en 2017 et mis en œuvre une nouvelle politique plusieurs ont jugé inefficace en 2019, la Ville semble se contenter de laisser le problème entre les mains du directeur de la police renoncer à son rôle de supervision de la police au nom de la population.</p>
<p>Dans une ville ayant une longue histoire de manifestations contre la violence et le racisme policiers, je ne m’attends pas à ce que cette position soit acceptée par la population.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209380/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ted Rutland ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La réponse de la Ville de Montréal au nouveau rapport de la SPVM sur le profilage racial démontre peu de volonté de changer les choses.Ted Rutland, Associate professor, Geography, Planning and Environment, Concordia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1999052023-02-21T17:45:30Z2023-02-21T17:45:30ZPour lutter contre le racisme, mieux comprendre le mot « nègre »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/511383/original/file-20230221-28-d6ho1t.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C8%2C787%2C584&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Toussaint Louverture. </span> <span class="attribution"><span class="source">Bibliothèque publique de New York via Wikimedia</span></span></figcaption></figure><p>La France vient de lancer son nouveau plan national de lutte contre le racisme, <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/un-nouveau-plan-national-contre-la-haine-et-les-discriminations">l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine</a>.</p>
<p>Ce plan intervient un an après la <a href="https://www.france.tv/documentaires/societe/3013303-noirs-en-france.html">diffusion du documentaire <em>Noirs en France</em></a> et environ un mois après la sortie du film <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=289236.html"><em>Tirailleurs</em></a> et d’un ouvrage sur <a href="http://www.philippe-rey.fr/livre-Histoire_globale_de_la_France_coloniale-559-1-1-0-1.html"><em>L’histoire globale de la France coloniale</em></a> mettant le pays des Lumières face à des moments sombres de son passé et de son identité de peuple.</p>
<p>Alors qu’une récente étude montre que 91 % des personnes noires en France métropolitaine <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/02/15/racisme-91-des-personnes-noires-en-metropole-se-disent-victimes-de-discrimination_6161879_3224.html">se disent victimes de discriminations</a>, l’attention est ici portée sur la manière de se nommer, de désigner l’autre et sur un point aveugle de cette lutte qui nécessite, pour être efficace dans la durée, <a href="https://www.cairn.info/seismes-identitaires-trajectoires-de-resilience--9782367177007.htm">d’interroger différents héritages identitaires des siècles passés</a> et de s’inspirer de <a href="https://www.cairn.info/seismes-identitaires-trajectoires-de-resilience--9782367177007.htm">ce qui se passe en dehors de l’Hexagone</a>.</p>
<h2>De l’autre côté de l’Atlantique</h2>
<p>Au moment où l’Amérique du Nord réédite, comme chaque février, le <a href="https://www.moishistoiredesnoirs.com/">Mois de l’histoire des Noirs</a> en mettant notamment en avant la contribution des Noirs à l’histoire de l’humanité dans l’idée de lutter contre le racisme et les préjugés, le risque est grand, dans le même temps, de renforcer [l’ethnocentrisme, de maintenir l’idéologie raciale et] l’essentialisation des Noirs en fantasmant qu’ils forment un bloc homogène face aux Blancs mis dans le même panier de colons agresseurs et racistes. Comme l’écrit Amin Maalouf dans <a href="https://www.grasset.fr/livres/les-identites-meurtrieres-9782246548812"><em>Les identités meurtrières</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« Naître noir à New York, à Lagos, à Pretoria ou à Luanda n’a pas la même signification, on pourrait presque dire qu’il ne s’agit pas de la même couleur, du point de vue identitaire ».</p>
</blockquote>
<p>Cependant, si <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-journal-des-idees/des-mots-et-des-choses-3314130">« mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde »</a>, ne pas les nommer n’améliore guère la situation. Ainsi en est-il du mot « nègre » qui, dans la lutte contre le racisme, résonne différemment dans les consciences selon les contextes et les références historiques.</p>
<p>En Amérique du Nord, le terme – « nigger » ou « negro » en anglais – est frappé d’interdit dans la société <a href="https://luxediteur.com/catalogue/panique-a-luniversite/">comme à l’université</a>. Dans le milieu francophone européen et antillais, le poète et homme politique martiniquais Aimé Césaire le revendique. <a href="https://www.albin-michel.fr/negre-je-suis-negre-je-resterai-9782226158789">« Nègre je suis, nègre je resterai »</a>. Quant à l’écrivain afro-américain <a href="https://laffont.ca/livre/i-am-not-your-negro-edition-francaise-9782221215043/">James Baldwin</a> qui a vécu entre les continents américain et européen, il crie haut et fort au « Blanc » : « Je ne suis pas un/votre nègre. Je suis un homme ».</p>
<p>À quelle conception du « nègre » font-ils respectivement référence ? La projection du regard (du) « Blanc » ou la Négritude revendiquée avec de nouveaux signifiés imprévisibles ? De quoi ce vocable est-il le nom dans l’histoire de l’Humanité ?</p>
<h2>Étant donné un nègre, qu’y a-t-il derrière ?</h2>
<p>Dans le langage courant, le mot <em>nègre</em> renvoie à un esclave, à la peau dite noire à qui tout un système esclavagiste, colonialiste, impérialiste et capitaliste <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/un-monde-en-negre-et-blanc-aurelia-michel/9782757880050">a enlevé son humanité</a>. Être traité de « nègre », de « sale nègre », de « nigger » ou de « negro » sonne alors comme une insulte raciste adressée non seulement à la personne mais à tous les descendants d’esclaves. Les représentations du réel changent de sens selon les univers linguistiques, culturels ou religieux.</p>
<p>Selon la <a href="https://www.scienceshumaines.com/ferdinand-de-saussure-reinvente-la-linguistique_fr_12153.html">linguistique saussurienne</a>, signifiant et signifié peuvent entretenir un dialogue de sourds pendant longtemps. Ainsi le mot <em>noir</em> peut-il, dans l’imaginaire, renvoyer à la saleté, au péché et le mot <em>blanc</em> tantôt à la neige, au coton, à la pureté, au vide, tantôt à une catégorie d’humains ou à une métaphore du pouvoir.</p>
<p>En espagnol, le mot <em>negro</em> signifie « noir » et non pas nègre. En France, le terme peut être utilisé dans un contexte familier à l’instar de frérot ou cousin, comme on le voit dans la série télévisée <em>En place</em> mettant en scène la candidature à la présidence française d’un citoyen noir.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande annonce de la série En place, de Jean-Pascal Zadi.</span></figcaption>
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<p>Dans ses ouvrages <a href="https://maisonhenrideschamps.ht/product/marrons-du-syllabaire"><em>Les marrons du Syllabaire</em></a> et <a href="https://books.google.fr/books/about/Les_marrons_de_la_libert%C3%A9.html?id=iywJAQAAIAAJ&redir_esc=y"><em>Les marrons de la liberté</em></a> l’historien haïtien Jean Fouchard a montré comment les esclaves de Saint-Domingue ont pu travestir les signifiants culturels, religieux, idéologiques des colons (langue, religion, style de vie, race…) <a href="https://www.decitre.fr/ebooks/bonjour-et-adieu-a-la-negritude-9782402618359_9782402618359_1.html">non seulement pour s’affranchir du « déguisement ontologique »</a> en noir et blanc de l’entreprise coloniale mais aussi pour retrouver leur liberté en tant qu’êtres humains.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-enquete-devoile-les-ressentis-des-personnes-victimes-de-racisme-199114">Une enquête dévoile les ressentis des personnes victimes de racisme</a>
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<p>Si le <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/anthologie/code-noir">Code Noir</a> de Colbert a pu faire du « nègre » un « bien meuble » (art. I, 1685) déshumanisé, une lecture étymologique africaine en fait de « l’eau qui coule dans le sable » ou encore un « symbole de fécondité » qui amène le médecin et poète haïtien Joël Desrosiers à déduire <a href="https://www.decitre.fr/livres/theories-caraibes-9782890316492.html">« que tous les hommes de la terre sont nègres »</a>.</p>
<p>Ce dernier sens permet de comprendre que face à un « nègre » qui se fait insulter se tient toujours un autre « nègre » qui s’ignore, qui méconnaît ou qui a oublié qu’il était « nègre » parce que probablement frappé par une amnésie collective, une ignorance, un traumatisme identitaire de longue durée, voire une cécité ontologique qui sont à la fois <a href="https://www.cairn.info/seismes-identitaires-trajectoires-de-resilience--9782367177007.htm">producteurs et produits de la colonisation et de l’esclavage</a>.</p>
<h2>Quand nègre signifie « être humain »</h2>
<p>Si les recherches en paléontologie ont définitivement prouvé au XX<sup>e</sup> siècle que les ancêtres de toute l’humanité <a href="https://www.tallandier.com/livre/breve-histoire-des-origines-de-lhumanite/">avaient la peau foncée</a>, l’histoire d’Haïti, première République noire et <a href="https://boutique.arte.tv/detail/les_routes_de_l_esclavage">« premier État moderne »</a>, avait déjà dépoussiéré le mot <em>nègre</em> de ses scories esclavagistes, coloniales et idéologiques.</p>
<p>Haïti a montré au monde entier que derrière le nègre comme insulte et astuce de domination se cache aussi et d’abord un homme libre, un être humain à part entière.</p>
<p>Au lendemain de la proclamation de l’Indépendance d’Haïti le 1<sup>er</sup> janvier 1804, la « race noire » devient un « terme générique synonyme d’"être humain" si bien qu’un Blanc – par exemple Billaud-Varenne, transfuge de la Révolution française – une fois arrivé en Haïti <a href="https://boutique.arte.tv/detail/les_routes_de_l_esclavage">peut être appelé « nègre’ »</a> dans le sens d’être humain comme on l’entend en Haïti. Car en créole haïtien, le mot <em>nèg</em> (masculin) ou <em>nègès</em> (féminin) désigne un homme ou une femme sans distinction de couleur.</p>
<p>L’historien et homme politique Leslie Manigat <a href="https://books.google.fr/books/about/Les_deux_cents_ans_d_histoire_du_peuple.html?id=LHDPAAAACAAJ&redir_esc=y">faisait d’ailleurs remarquer</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Pour l’haïtien, De Gaulle est un grand “nègre” tout comme Mao Tse Toung est un grand “nègre”. »</p>
</blockquote>
<p>Le qualificatif « grand » accentue une certaine hauteur de vue pour un peuple, une certaine vision pour la condition humaine en général.</p>
<h2>« De Gaulle est un grand nègre »</h2>
<p>Dire « De Gaulle est un grand nègre » incarne alors la réconciliation du blanc et du noir, la rencontre des temps anciens et contemporains, d’Haïti et de la France mais surtout le projet de retissage de la diversité de l’humanité qui devrait être central dans la lutte contre le racisme.</p>
<p>Lieu de traitement de la violence historique et du traumatisme identitaire, <a href="https://revue.alarmer.org/tenebres-de-lesclavage-lumieres-de-la-revolte-une-lettre-de-victor-hugo-a-exilien-heurtelou-1860/">qualifié de « lumière » pour l’humanité par Victor Hugo</a> et de <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/Mercier_Louis/Contribution_Haiti_histoire/Contribution_Haiti_histoire.docx">« mère de l’Amérique » par Louis Mercier</a>, Haïti incarne ce symbole de fécondité dans sa capacité à faire émerger le désir de liberté chez tous les êtres humains sans distinction.</p>
<p>Il a insufflé cet élan chez nombre de peuples du monde, de l’Amérique latine aux pays africains, de l’Allemagne à la France mais aussi des États-Unis, à qui Haïti a prêté main forte dans des luttes pour la <a href="https://books.google.fr/books/about/Les_deux_cents_ans_d_histoire_du_peuple.html?id=LHDPAAAACAAJ&redir_esc=y">reconnaissance de sa pleine humanité à chaque être humain</a>.</p>
<p>La négritude qui a fait son apparition dans les années 50 à Paris, s’est mise debout <a href="https://www.decitre.fr/ebooks/bonjour-et-adieu-a-la-negritude-9782402618359_9782402618359_1.html">pour la première fois en Haïti</a>. En effet, à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, les premières réponses scientifiques et argumentées aux thèses racistes et antisémites du Comte de Gobineau envers les Noirs et les Juifs (entre 1853 et 1855) sont apportées par trois voix haïtiennes : Louis Joseph Janvier (<em>L’Egalité des races humaines</em>, 1884), Anténor Firmin (<a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k84229v.r=de+l%E2%80%99%C3%A9galit%C3%A9+des+races+humaines,+anthropologie+positive.langFR"><em>De_l’égalité des races humaines</em></a>, 1889) et Hannibal Price (<a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/price_hannibal/rehabilitation_race_noire_haiti/rehabilitation_race_noire_haiti.html"><em>De_la réhabilitation de la race noire par la république d’Haïti</em></a>, 1898).</p>
<h2>Traiter le trauma racial</h2>
<p>La lutte contre le racisme nécessite ainsi de revisiter certaines références historiques et de traiter le <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/17456916221120428">trauma racial</a> qui a affecté des générations entières de Blancs et de Noirs. Parler de <a href="https://theconversation.com/quest-ce-quune-personne-racisee-trois-definitions-pour-eclairer-le-debat-189996">« personnes racisées »</a> aujourd’hui en ne pointant que les Noirs ou les « minorités », c’est occulter tout un pan du problème à traiter.</p>
<p>Si on continue au XXI<sup>e</sup> siècle à associer « nègre » à une couleur de peau dévalorisée, ou à une quelconque infériorité au point de le frapper d’interdit, peut-être faut-il rappeler, avec les paléoanthropologues, l’origine génomique de l’humanité. En visite officielle à Kinshasa en 1975, le président Valéry Giscard d’Estaing <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1975/08/09/les-discours-m-giscard-d-estaing-solidariser-nos-developpements-mutuels_3100089_1819218.html">avait prononcé ces mots</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’Afrique a jadis donné naissance à l’humanité. Elle lui apporte aujourd’hui, elle lui réserve encore pour demain, des trésors de fraternité, de beauté et de vie. Je rends témoignage à l’africanité de la famille humaine. »</p>
</blockquote>
<p>Rendre témoignage à l’africanité de la famille humaine est un préalable dans la lutte contre le racisme, <a href="https://bourgoisediteur.fr/catalogue/l-origine-des-autres/">afin de rassembler les « différentes versions de nous-mêmes »</a>. La lutte doit passer par l’élaboration du trauma racial de la maternelle à l’université, dans la société comme dans les lieux de soin. En France, elle ne peut pas faire l’impasse sur les relations franco-haïtiennes ni sur cette « certaine idée de la France » qu’avait le Général de Gaulle.</p>
<p>Quelle que soit la région du monde, les États devraient s’inspirer à la fois de la paléontologie mais aussi de l’histoire globale d’Haïti ou de l’expérience de « grands nègres ou négresses » comme le général Jean-Jacques Dessalines, Toussaint Louverture, Nelson Mandela ou Simone Veil. Revisitant leurs histoires respectives, ils pourraient par la même occasion participer à éclairer certains points aveugles de/dans l’identité de l’Homme car quand on parle des Noirs, <a href="https://drive.google.com/file/d/1ActWJfKEYJyNN00_QnBbzzD90MV7haOU/view">on parle en même temps des Blancs et de toute l’humanité</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199905/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Daniel Derivois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le mot « nègre », dans la lutte contre le racisme, résonne différemment selon les contextes et les références historiques.Daniel Derivois, Professeur de psychologie clinique et psychopathologie. Laboratoire Psy-DREPI (EA 7458), Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1981932023-02-14T20:33:14Z2023-02-14T20:33:14ZConversation avec Henry Louis Gates Jr. : les traditions africaines dans les Églises noires américaines<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/509841/original/file-20230213-26-wapjoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=18%2C0%2C2048%2C1361&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Concert de gospel au Williams College (Williamstown, Massachusetts), 23&nbsp;avril 2016.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Williams College/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p><em>Henry Louis Gates Jr. est professeur de littérature et d’études afro-américaines à l’Université Harvard, où il dirige le <a href="https://hutchinscenter.fas.harvard.edu/">Hutchins Center for African and African American Research</a>. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages sur l’origine, l’histoire et la culture des Noirs américains. Par ailleurs, il est aussi le producteur de plusieurs séries documentaires diffusées sur PBS, dont <a href="https://www.pbs.org/weta/finding-your-roots">« Finding Your Roots »</a> (2012), très populaire aux États-Unis. <a href="https://www.laboretfides.com/ch_fr/index.php/shop/black-church.html">« Black Church. De l’esclavage à Black Lives Matter »</a> (2023) est son premier livre traduit en français.</em></p>
<p><em><a href="http://canthel.shs.parisdescartes.fr/erwan-dianteill/">Erwan Dianteill</a>, professeur d’anthropologie à l’université Paris Cité, où il a fondé le <a href="http://canthel.shs.parisdescartes.fr/">Centre d’anthropologie culturelle (Canthel)</a>, l’interroge sur l’impact que les cultures africaines ont eu par le passé, et ont encore, sur les États-Unis et, spécialement, sur les Églises dites « noires ».</em></p>
<hr>
<p><strong>ED :</strong> Dans les années 1940, un <a href="https://www.annualreviews.org/doi/10.1146/annurev.anthro.30.1.227">célèbre débat</a> a opposé les sociologues <a href="https://www.asanet.org/e-franklin-frazier/">Edward Franklin Frazier</a> et <a href="https://www.library.northwestern.edu/libraries-collections/herskovits-library/about-melville-herskovits.html">Melville Herskovits</a> : le premier pensait que les cultures africaines avaient été complètement effacées avec l’esclavage, tandis que le second retrouvait un héritage africain chez les Noirs des Amériques. Quelle est votre position sur cette question ?</p>
<p><strong>HLG :</strong> Il est totalement faux de dire que le <a href="https://www.cairn.info/etre-esclave%20--9782707174093-page-103.htm">Passage du milieu</a> (c’est-à-dire la traversée de l’Atlantique par les esclaves noirs) aurait créé une <em>tabula rasa</em> culturelle. Herskovits avait raison. Les gens qui étaient dans ces navires ont apporté aux Amériques leur système métaphysique, leurs goûts culinaires, leurs langues et, bien sûr, leur musique, leur modèle de type <a href="https://www.ableton.com/en/blog/afriqua-presents-principles-of-black-music-call-response/">« call and response »</a> – autant d’éléments fondamentaux pour la culture expressive afro-américaine. Les mots ont survécu, la syntaxe, la grammaire ont survécu. Et la religion aussi.</p>
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<p><strong>ED :</strong> Quand le christianisme s’est-il vraiment implanté chez les Noirs des colonies britanniques ?</p>
<p><strong>HLG :</strong> Nous ne savons pas grand-chose des premières années de culte des 388 000 Afro-Américains venus directement d’Afrique avant 1808, année qui marque la fin du commerce atlantique vers les États-Unis. Ce n’est qu’avec le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_r%C3%A9veil">Great Awakening</a>, c’est-à-dire l’expansion du méthodisme, un christianisme plus expressif et moins lettré, vers 1740, que les Noirs ont été évangélisés. Avant, il y avait de grands débats sur cette question dans les Églises chrétiennes blanches.</p>
<p>Chaque année, je montre à mes étudiants un <a href="https://religioninamerica.org/rahp_objects/the-negros-and-indians-advocate-suing-for-their-admission-into-the-church/">pamphlet publié par Morgan Godwin</a>, un prêtre anglais de la première moitié du XVII<sup>e</sup> siècle qui se décrivait comme l’avocat des Noirs et des Indiens. Son argument était que ces gens devaient être convertis parce qu’ils avaient une âme. C’est l’une des choses que j’ai écrites dans mon <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674244269">livre sur les Cahiers de Bordeaux</a>. Morgan Godwin écrivait : « Je sais que ces gens sont des êtres humains parce qu’ils savent lire et écrire, et qu’ils ont la “risibilité”, c’est-à-dire la capacité de rire. »</p>
<p>Pour autant, Morgan Godwin ne s’opposait pas à l’esclavage. Il plaidait pour le salut des esclaves au ciel, mais pas pour leur liberté sur Terre. En fait, il dit explicitement que les convertir ne signifie pas les libérer, car la Bible dit très clairement que les serviteurs doivent obéir à leur maître. Elle ne dit pas que le salut signifie que les esclaves doivent être libérés. Les anglicans ont donc commencé à convertir les esclaves à contrecœur. Les Quakers ont très tôt déclaré que l’esclavage était une abomination, mais il n’y a pas beaucoup d’Afro-Américains qui sont devenus Quakers. C’est vraiment au moment du Grand Réveil, à partir de 1740, que les méthodistes et les baptistes ouvrent leurs portes aux Noirs, qui se convertissent en nombre record.</p>
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<p><strong>ED :</strong> Selon l’historien <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2006-1-page-97.htm">W. E. B. Du Bois</a>, la prédication, la musique et la frénésie sont les trois caractéristiques de la religion noire américaine après l’esclavage. Pourtant, vous montrez qu’il existe aussi une tradition lettrée dans la religion noire américaine. Par exemple, Bilali Mohammed (1760-1855 environ), un esclave musulman dont vous parlez, a été enterré avec un Coran et un cahier de treize pages écrites de sa main. Les Kongo déportés aux Amériques étaient christianisés, et certains étaient certainement déjà alphabétisés. De plus, il y avait aussi des « érudits oraux » au sein de la culture orale en Afrique de l’Ouest (griots, babalawo, bokono). L’Église noire serait-elle aussi l’héritière de cette tradition, plus interprétative qu’expressive, puisqu’il existe des intellectuels religieux noirs américains depuis le XVIII<sup>e</sup> siècle par exemple <a href="http://www.bworldconnection.tv/library/personnages/richard-allen-un-pere-fondateur-noir">Richard Allen</a>, fondateur de l’Église épiscopale méthodiste africaine (AME) ?</p>
<p><strong>HLG :</strong> Il est vrai qu’un grand nombre de Noirs ont embrassé une forme de religion émotionnelle dans les Églises baptistes et méthodistes. Mais il y avait effectivement une religion noire plus réfléchie, avec différentes formes théologiques dans l’Église noire. Prenons l’exemple de <a href="https://scafricanamerican.com/honorees/bishop-daniel-alexander-payne/">Daniel Payne</a>, un évêque de l’AME. Il est né libre, à Charleston, en Caroline du Sud. C’était un théologien très conservateur. Il est élu évêque en 1852 et convainc l’Église de fonder <a href="https://wilberforce.edu/about-wilberforce/">l’université Wilberforce</a>, la plus ancienne des universités historiquement noires de notre pays, fondé par des Afro-Américains. Il en deviendra le premier président afro-américain. Or, il désapprouvait fortement le culte traditionnel africanisé. Il était opposé aux <a href="https://doi.org/10.1093/acprof:oso/9780195304039.003.0006">formes de culte du Saint-Esprit imprégnées de traditions africaines</a>. Il y voyait le culte du Diable. Les gens dansaient, bougeaient et pleuraient, ils invoquaient le Saint-Esprit… Mais pour lui, ils invoquaient le Diable ! Un jour, il a sauté de sa chaire et s’est écrié : « Stop, stop, vous adorez le Diable ! » Il pensait que c’était du paganisme. Il fallait qu’ils s’assoient en ligne et chantent les hymnes. […]</p>
<p>La religion a façonné tous les aspects de l’expérience des Noirs et de leur participation à la société américaine au sens large. L’Église noire était le centre d’un monde dans un monde, un monde derrière <a href="http://xroads.virginia.edu/%7Eug03/souls/defpg.html">« le voile »</a>, pour reprendre la métaphore de Du Bois. Nos ancêtres ont reproduit le monde dont ils étaient exclus. La meilleure chose à faire dans cette terrible situation est d’empêcher votre oppresseur de définir qui vous êtes. C’est ce qu’ils ont fait, et c’est le monde que je célèbre dans mon livre sur l’Église noire.</p>
<p><strong>ED :</strong> Une dernière question, concernant la source africaine de l’Église noire. Vous avez consacré un livre important à <a href="https://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1998_num_100_1_4730">Eshu, le dieu trublion des Yoruba et des Fon</a>. Vous montrez que le « signifying », c’est-à-dire le double sens, l’ironie, le discours indirect, le jeu de mots, est une caractéristique essentielle de la culture noire. Trouvez-vous un équivalent de cette rhétorique dans l’Église noire ?</p>
<p><strong>HLG :</strong> Les protestants ont diabolisé Eshu. Donc Eshu n’a pas eu la chance de se manifester dans l’Église. Il n’est pas devenu la figure du Saint-Esprit. Ce serait un lien logique, puisque le Saint-Esprit fait le lien avec les autres composantes de la Trinité et aussi avec les hommes, mais cela ne s’est pas produit. Le protestantisme a oblitéré les formes de médiation qui caractérisaient les dieux dans les religions africaines et les saints dans le catholicisme romain. Dans le protestantisme, on peut parler directement à Dieu. On n’a pas besoin de médiateur ; or Eshu est précisément le médiateur entre les humains et les dieux. Le seul endroit où Eshu a survécu, c’est dans le monde séculier à travers les modes de « signifying » et grâce au personnage de <a href="https://www.jstor.org/stable/438217">« Signifying Monkey »</a>. Qu’en pensez-vous, puisque vous avez consacré un <a href="https://www.rfi.fr/fr/emission/20121125-michele-chouchan-co-auteure-eshu-dieu-afrique-nouveau-monde-editions-larousse">ouvrage à cette divinité avec Michèle Chouchan ?</a></p>
<p><strong>ED :</strong> Certainement ; mais la conception du Diable dans la religion populaire noire ressemble quand même un peu à celle d’Eshu, debout à la croisée des chemins…</p>
<p><strong>HLG :</strong> Oui, il se trouve indubitablement à ce carrefour avec Robert Johnson, le chanteur de blues. C’est le Diable à la croisée des chemins, et c’est clairement l’héritage d’Eshu.</p>
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<p><em>Une version longue de cet entretien a été publiée <a href="https://www.cargo.canthel.fr/henry-louis-gates-jr/">sur le site du Canthel</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198193/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Erwan Dianteill ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les esclaves amenés d’Afrique dans les colonies américaines étaient porteurs de traditions spirituelles qui ont par la suite imprégné les Églises noires des États-Unis.Erwan Dianteill, Anthropologue, Directeur du Centre d’Anthropologie Culturelle (CANTHEL), Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1794912022-03-21T20:06:50Z2022-03-21T20:06:50ZLa première juge noire à la Cour suprême des États-Unis peut-elle changer la donne ?<p>C’est un moment historique et sans doute l’un des points saillants que l’on retiendra de la présidence Biden : l’image du président entouré de deux femmes noires, sa vice-présidente Kamala Harris et Ketanji Brown Jackson. C’est cette dernière que le président américain a choisie <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/26/stephen-breyer-juge-progressiste-a-la-cour-supreme-va-se-retirer-selon-plusieurs-medias-americains_6111112_3210.html">pour succéder au juge Stephen Breyer</a>. Sa candidature a commencé à être examinée par la commission judiciaire du Sénat ce lundi ; cet <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1155477/article/2022-03-21/etats-unis-ketanji-brown-jackson-juge-noire-nommee-la-cour-supreme-doit">examen</a> durera jusqu’à jeudi prochain.</p>
<p>Comme Joe Biden s’y était engagé durant sa campagne, il a nommé une « femme noire »,la <a href="https://www.ladepeche.fr/2022/02/25/etats-unis-qui-est-ketanji-brown-jackson-la-juge-afro-americaine-tout-juste-nommee-a-la-cour-supreme-10135010.php">première appelée à siéger dans cette institution</a> qui fut entièrement masculine jusqu’en 1981 et n’a connu, depuis sa création en 1789, que deux juges noirs sur 115 : au très progressiste <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Thurgood_Marshall">Thurgood Marshall</a> (qui siégea de 1967 à 1991) a succédé sur ce qui est implicitement « le siège noir de la Cour » le très conservateur <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Clarence_Thomas">Clarence Thomas</a>, toujours en place aujourd’hui. La cour, composée de neuf juges, a compté au total quatre femmes, dont trois actuellement en poste (deux progressistes, Elena Kagan et Sonia Sotomayor, et une conservatrice, Amy Barrett).</p>
<p>Si la nomination de Ketanji Brown Jackson est confirmée, il y aura pour la première fois quasi-parité avec quatre femmes (trois progressistes et une conservatrice) et cinq hommes. Trois représentants des minorités siégeront alors à la Cour suprême : Clarence Thomas, l’Hispanique Sonia Sotomayor et cette première femme noire. Joe Biden souhaite que la juridiction suprême ressemble un peu plus au peuple américain, ce qui devrait être le cas malgré les critiques immédiates du camp conservateur.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1500844897678598148"}"></div></p>
<h2>La critique identitaire</h2>
<p>Avant même que le nom de la candidate retenue par le président soit connu, les Républicains et la droite trumpiste ont commencé à brandir l’accusation de « choix identitaire », de discrimination positive et de système de quotas, critiquant <em>a priori</em> la compétence supposée insuffisante de la candidate pas encore nommée. Le sénateur Ted Cruz, qui sera candidat à la présidentielle en 2024 s’il le peut et qui siège à la commission judiciaire du Sénat, a dénoncé la « politique identitaire » des Démocrates. Il a souligné qu’il était inadmissible de réserver une place à la Cour à une femme noire, quand celles-ci ne représentent que 6 % de la population.</p>
<p>Pourtant, des présidents républicains récents avaient eux aussi, en quelque sorte, procédé à des nominations sur des critères qui ne se limitaient pas à la seule compétence (<em>phrase de transition ajoutée, est-ce OK ?</em>) : Ronald Reagan s’était engagé à désigner la première femme à la Cour suprême, ce qu’il fit en <a href="https://www.presidency.ucsb.edu/documents/remarks-announcing-the-intention-nominate-sandra-day-oconnor-be-associate-justice-the">nommant en 1981 la juge Sandra Day O’Connor</a>. De même, Donald Trump avait « réservé » la <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/amy-coney-barrett-pro-armes-pro-vie-une-juge-aux-antipodes-de-ruth-baden-ginsburg-376973">candidature d’Amy Coney Barrett</a> de façon à disposer d’une candidate femme s’il était amené à nommer celle qui succéderait à l’icône de la lutte pour l’égalité et les droits des femmes <a href="https://theconversation.com/ruth-bader-ginsburg-une-vie-de-combats-146605">Ruth Bader Ginsburg</a>, et personne à droite n’y trouva rien à redire.</p>
<p>Puis, dès que le nom de Ketanji Brown Jackson a été connu, une deuxième accusation s’est ajoutée. Ses adversaires ne peuvent guère remettre en cause les qualités de la candidate : âgée de 51, elle affiche un CV impeccable qui commence à Harvard, se poursuit par le poste très convoité d’assistante judiciaire (<em>law clerk</em>) du juge Stephen Breyer (auquel elle est appelée à succéder) puis par un siège à la Cour d’appel du District de Columbia, vivier et tremplin dont sont issus trois membres actuels de la Cour, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Juge_en_chef_des_%C3%89tats-Unis#:%7E:text=Le%20juge%20en%20chef%20des,Cour%20supr%C3%AAme%20des%20%C3%89tats%2DUnis."><em>Chief Justice</em></a> John Glover Roberts, Clarence Thomas et Brett Kavanaugh. Mais les conservateurs trouvent un autre angle d’attaque : Jackson serait une gauchiste poussée par <a href="https://theconversation.com/what-is-dark-money-5-questions-answered-118310">l’argent secret (<em>dark money</em>)</a> de la gauche radicale.</p>
<p>Il est vrai que le groupe <a href="https://demandjustice.org/about/"><em>Demand Justice</em></a> a financé des publicités <a href="https://www.politico.com/news/2020/09/29/demand-justice-seven-figure-ad-buy-scotus-fight-422886https://demandjustice.org/confirmkbj/">contre Amy Coney Barrett</a> et en faveur de juges progressistes. Cependant, les montants sont loin des millions de dollars dépensés par le tandem <em><a href="https://fedsoc.org/about-us#Background">Federalist Society</a></em>/ <a href="https://judicialnetwork.com/about/"><em>Judicial Crisis Network</em></a>, les deux lobbies favorables aux juges de droite.</p>
<p>La <em>Federalist Society</em>, créée dans les années 1980 pour contrer la « dérive gauchiste » des juridictions fédérales (selon la droite), est devenue un acteur puissant. Dotée de ressources financières considérables, elle a joué un rôle central dans la sélection des juges désignés par Donald Trump. L’ancien président lui avait alors littéralement sous-traité la tâche essentielle de contrôler la « pureté idéologique » des candidats.</p>
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<p>Avec <em>Judicial Crisis Network</em>, elle a dépensé des sommes énormes pour pousser les trois candidats conservateurs entrés à la Cour sous Trump : Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett. Pour cette dernière, nommée huit jours après le décès de Ruth Bader Ginsburg, à quelques jours de l’élection de novembre 2020 et passée en force au Sénat, les <a href="https://apnews.com/article/donald-trump-amy-coney-barrett-elections-us-supreme-court-courts-800810431929326355c9ef0a78bfee40">deux organisations ont financé</a> 5,3 millions de dollars de publicités télévisées et 2,9 millions de dollars de publicités numériques.</p>
<h2>Quel impact ?</h2>
<p>Les enjeux sont à la fois considérables et limités. D’un côté, la nomination de la candidate présentée par Joe Biden ne changera pas l’équilibre de la Cour qui resterait composée de six conservateurs et trois progressistes. Mais, de l’autre, la juge que l’on appellera peut-être un jour par ses initiales KBJ comme RBG (pour Ruth Bader Ginsburg), apportera à la Cour, en raison de son profil, une vraie diversité de perspectives sur des questions ignorées ou délaissées par des hommes blancs issus de l’aristocratie juridique blanche.</p>
<p>Mariée à un homme blanc issu de la haute société descendant des <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/les-mythes-fondateurs-des-etats-unis-le-mayflower-les-puritains-debarquent">Pèlerins du Mayflower</a> et mère d’enfants métis majeurs, elle a <a href="https://lesactualites.news/nouvelles/en-tant-que-defenseur-public-ketanji-brown-jackson-a-aide-des-clients-que-dautres-evitaient/">défendu certains des prisonniers de Guantanamo</a>. Elle connaît le système pénal, non comme procureur (comme plusieurs membres actuels de la Cour) mais comme avocat de la défense (<em>public defender</em>).</p>
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<p>Elle peut se mettre à la place d’un inculpé noir et pauvre, d’autant qu’elle a aussi siégé à la commission bi-partisane sur la détermination des peines (<em>Sentencing Commission</em>). À cette fonction, elle a contribué à réduire la disparité existant entre les lourdes peines encourues pour possession de crack et celles, plus légères, pour usage de cocaïne, les détenteurs de la première tendant à être noirs alors que les consommateurs de cocaïne étaient plutôt blancs. Et donc, accuse la droite, la juge Jackson sera « soft on crime », laxiste envers les criminels.</p>
<p>Et elle serait aussi la seule, avec la juge Sonia Sotomayor, à avoir siégé en juridiction de première instance avant de devenir juge d’appel. Les deux femmes comprennent ce qu’est réellement un procès, ce travail qui implique d’écouter les témoins, les experts et d’effectuer le travail de fond nécessaire pour la rédaction d’un jugement qui n’est pas simplement un exercice abstrait et philosophique sur la signification de la Constitution ou de la loi.</p>
<p>Et ce n’est pas anodin lorsque l’on constate que la Cour suprême évacue régulièrement et avec désinvolture les 150 ou 200 pages d’un jugement de première instance argumenté en profondeur pour se ranger aux côtés d’une cour d’appel qui infirme sans guère motiver. Ce fut le cas, par exemple, dans l’affaire <a href="https://www.justice.gov/crt/case-document/veasey-v-perry-court-appeals-decision">Veasey vs. Perry</a>, en 2015 : le Texas avait adopté une loi prétendument destinée à lutter contre la fraude électorale mais qui était discriminatoire à l’encontre des Afro-Américains et des Hispaniques. La juridiction de première instance a interdit la mise en œuvre des dispositions en raison de leur caractère discriminatoire. Mais la cour d’appel du cinquième circuit a bloqué cette interdiction, et la Cour suprême, saisie en procédure d’urgence, s’est rangée à la position de la cour d’appel. Ne prêtant aucune attention aux arguments développés en première instance.</p>
<p>Peut-être la nouvelle juge, si elle est confirmée, pourra-t-elle convaincre quelques-uns de ses collègues qu’un jugement de première instance représente un gros travail qui permet une analyse en profondeur et devrait être pris en compte.</p>
<h2>Des enjeux centraux</h2>
<p>Les nominations et confirmations par le Sénat sont devenues des enjeux centraux. Les décisions de la Cour touchent en effet à tous les domaines de la vie politique, sociale et économique et les juges, nommés à vie, sont choisis de plus en plus jeunes. Depuis 1972, seules deux juges sur 17 étaient âgées de plus de 55 ans le jour de leur confirmation, Ruth Baren Ginsburg et Sonia Sotomayor. Les candidats sont aujourd’hui de plus en plus nommés avant 50 ans, comme John Roberts, Elena Kagan, Neil Gorsuch ou Amy Coney Barrett.</p>
<p>Avant 1970, le mandat moyen d’un juge suprême était inférieur à 15 ans. Depuis, il est supérieur à 25 ans. En raison de l’espérance de vie qui a augmenté et de leur jeune âge au moment de leur accession à la juridiction suprême, les « nouveaux » pourront sans doute siéger 35 ans, prolongeant les préférences idéologiques des présidents qui les ont nommés.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1305357753511280640"}"></div></p>
<p>Clarence Thomas, le deuxième Noir à la Cour, avait 43 ans à sa nomination par George H. Bush. Il siège depuis trente ans et il ne partira que lorsqu’un président républicain sera élu. Car, compte tenu des enjeux et de la polarisation, il est désormais impensable qu’un juge quitte la Cour (sauf s’il décède) avant qu’un président de la bonne couleur idéologique n’accède à la Maison Blanche et puisse donc le remplacer par un successeur ayant la même vision que lui.</p>
<h2>Une Cour devenue très puissante</h2>
<p>Au fil du temps, la Cour s’est octroyé divers pouvoirs dont celui, central, de se prononcer sur la constitutionnalité des lois et des actes du président, dès la décision <a href="https://www.greelane.com/fr/sciences-humaines/probl%c3%a8mes/marbury-v-madison-104792/"><em>Marbury v. Madison</em> de 1803</a>. Son pouvoir de <em>judicial review</em> est large, qui intervient <em>a posteriori</em> sur les lois mais aussi les décrets du président ou ceux pris par les agences fédérales, ce qui fait d’elle un acteur central. D’autant que le Congrès paralysé par le blocage partisan est de nos jours incapable d’adopter la moindre loi, que ce soit sur l’immigration, la réforme de la police ou la protection du droit de vote.</p>
<p>Ce qui amène les présidents à agir de plus en plus par voie de décrets. Seulement, ceux-ci sont soumis au contrôle du pouvoir judiciaire, qui s’est transformé en « super-législateur », ce qui n’est pas son rôle et accroît encore les enjeux.</p>
<p>Au fil du temps, la Cour a aussi obtenu que le Congrès lui permette de choisir les affaires dont elle traite (entre 50 et 70 chaque année), ce qui permet aux groupes de pression divers, par exemple ceux qui militent un port d’armes illimité ou contre le droit à l’avortement, de monter des stratégies judiciaires pour obtenir le résultat qu’ils souhaitent.</p>
<p>En conséquence, le choix d’un juge est devenu l’acte le plus important d’une présidence. En nommant trois candidats à la Cour suprême, Donald Trump est parvenu à modifier la physionomie et la philosophie de celle-ci pour au moins une génération.</p>
<h2>Une Cour libérée…</h2>
<p>C’est d’autant plus vrai que la Cour actuelle s’affranchit des règles et critères traditionnellement acceptés qui limitaient son rôle. En principe, la Cour n’intervient que s’il s’agit d’uniformiser la jurisprudence lorsqu’il existe un conflit d’interprétation entre plusieurs cours d’appel régionales (<em>circuit courts</em>), ce qu’on appelle « circuit split ». Mais la Cour ne respecte plus cette retenue que prônaient les conservateurs quand la majorité à la Cour était progressiste.</p>
<p>Même attitude vis-à-vis de la règle du précédent (<em>stare decisis</em>), fondement du droit de <em>common law</em>, en vertu de laquelle les juridictions inférieures sont tenues de se conformer à la jurisprudence de la Cour. Et la Cour a tout intérêt à respecter ses propres précédents et à ne pas pratiquer trop de revirements non justifiés, sauf à affaiblir sa crédibilité et le poids juridique et politique de ses décisions.</p>
<p>Or, il existe à la Cour une majorité de cinq juges déterminée à en finir avec les précédents qui ne correspondent pas aux priorités politiques de leur camp. Quel que soit le prix pour la crédibilité de la Cour. On parle ici du droit à l’avortement, des mécanismes de protection du droit de vote contre la discrimination ou, plus insidieuse mais tout aussi dangereuse, de la doctrine jurisprudentielle <em>Chevron</em> qui valide les délégations de pouvoirs aux agences fédérales comme l’EPA (agence de protection de l’environnement) ou la FDA (agence des médicaments). Des revirements sur ces questions signifieraient une profonde remise en cause de la démocratie et de l’État administratif honni par les Républicains en raison de ses réglementations de protection des consommateurs, des salariés et du climat.</p>
<p>Quoi qu’il arrive, on peut s’attendre à un ballet bien orchestré, devenu classique depuis le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1111824/cour-supreme-nomination-etats-unis-avortement-archives">rejet de la candidature de Robert Bork</a> par les Démocrates en 1987. On sait que l’on n’apprendra rien de nouveau sur les positions de la candidate lors de son audition devant la commission judiciaire du Sénat. Les Démocrates, par des questions accommodantes, s’efforceront de lui faciliter la tâche. Les Républicains essaieront de la piéger et de la présenter comme une gauchiste qui fera passer ses préférences personnelles avant la règle de droit.</p>
<p>Les trois sénateurs républicains qui siègent à la commission judiciaire voudront se faire remarquer et accroître leur visibilité en vue de leur éventuelle candidature à la présidentielle de 2024. Il faut donc s’attendre à des attaques en règle. Mais l’establishment du parti ne devrait pas bloquer la procédure (ce qu’il pourrait faire en refusant de siéger car cela empêcherait d’atteindre le quorum nécessaire pour entériner la nomination). Mais tout n’est pas gagné pour la candidate car il faut néanmoins que la totalité des 50 sénateurs démocrates votent pour elle. Il suffirait d’un dissident ou d’un malade pour que sa candidature échoue…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179491/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne E. Deysine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En proposant la candidature à la Cour suprême de la progressiste noire Ketanji Brown Jackson, Joe Biden prend une décision dont les effets se feront encore sentir bien après la fin de son mandat.Anne E. Deysine, Professeur émérite juriste et américaniste, spécialiste Etats-Unis, questions politiques, sociales et juridiques (Cour suprême), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1703032021-10-20T19:30:06Z2021-10-20T19:30:06ZColin Powell ou la dualité d’un destin américain<p>Colin Powell savait quelle était sa place dans l’histoire américaine.</p>
<p>L’ancien secrétaire d’État (l’équivalent américain du ministre des Affaires étrangères en France) – <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20211018-colin-powell-ancien-secr%C3%A9taire-d-%C3%A9tat-am%C3%A9ricain-est-mort-famille">qui est décédé</a> le 18 octobre 2021, à 84 ans, à la suite de complications liées au Covid-19 – était un pionnier : il fut le premier conseiller à la sécurité nationale noir de l’histoire des États-Unis (1987-1989), le premier chef d’état-major interarmées noir (1989-1993) et, également, le premier noir à devenir secrétaire d’État (2001-2005).</p>
<p>Mais son <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/133242/my-american-journey-by-colin-powell-with-joseph-e-persico/">« voyage américain »</a> – titre de son autobiographie de 2003 – est plus que l’histoire d’un seul homme. Sa mort est l’occasion de réfléchir à l’histoire des hommes et des femmes noirs américains dans l’armée et à la place des Afro-Américains dans le gouvernement.</p>
<p>Plus profondément, il évoque aussi ce que signifie être un Américain, et les paradoxes auxquels Colin Powell – en tant que patriote et homme noir – a été confronté tout au long de sa vie et de sa carrière.</p>
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<p>Je suis un <a href="https://www.brandeis.edu/facultyguide/person.html?emplid=7f443ffde35747ba69faca210faff07145fab78c">spécialiste des études afro-américaines</a> et j’écris actuellement un livre sur l’intellectuel des droits civiques <a href="https://www.liberation.fr/debats/2019/11/20/du-bois-l-oeuvre-au-noir_1764563/">W.E.B. Du Bois</a>. Lorsque j’ai appris le décès de Powell, je me suis immédiatement souvenu de ce que Du Bois appelait la <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2006-1-page-97.htm">« double conscience »</a> de l’expérience afro-américaine.</p>
<p>Comme le dit Du Bois <a href="https://www.theatlantic.com/magazine/archive/1897/08/strivings-of-the-negro-people/305446/">dans un article de 1897</a> et plus tard dans son livre classique de 1903, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/les_ames_du_peuple_noir-9782707151063"><em>Les âmes du peuple noir</em></a>, cette « sensation particulière » est propre aux Afro-Américains : </p>
<blockquote>
<p>« On sent qu’on est deux : un Américain, un Noir ; deux âmes, deux pensées, deux aspirations non conciliées ; deux idéaux en guerre dans un corps sombre, dont seule la force tenace l’empêche de se déchirer. »</p>
</blockquote>
<p>Ce concept décrit avec force Colin Powell, que ce soit en tant que soldat, militaire de carrière ou homme politique.</p>
<h2>Ce que <em>servir</em> signifie</h2>
<p>À première vue, la vie de Colin Powell semble réfuter la formulation de Du Bois. Beaucoup voyaient en lui la preuve même qu’il était possible d’être à la fois noir et Américain à part entière, une double identité qui, selon Du Bois, impliquait une tension permanente.</p>
<p>Il existe un récit selon lequel Powell <a href="https://www.jstor.org/stable/3843957">a su, grâce à sa carrière militaire, « transcender » la problématique raciale</a> et devenir l’un des hommes les plus puissants du pays. De ce point de vue, il représente la <em>success-story</em> américaine ultime. Mais cette manière de voir les choses est pour le moins discutable. L’histoire de Colin Powell est exceptionnelle, mais il n’est pas l’avatar d’une Amérique « aveugle à la couleur » et post-raciale.</p>
<p>L’armée américaine a longtemps été considérée comme un moyen pour les Afro-Américains, en particulier les jeunes hommes, de sortir de la pauvreté. Beaucoup ont décidé, à l’issue de leur service militaire, de faire carrière dans l’armée.</p>
<p>Lorsque Colin Powell, fils d’immigrants jamaïcains <a href="https://bronx.news12.com/bronx-raised-colin-powell-leaves-behind-a-legacy-in-nyc">élevé dans le Bronx</a>, s’est engagé dans l’armée, les Afro-Américains y avaient déjà une longue histoire, depuis les <a href="https://www.francebleu.fr/emissions/france-bleu-collector/hommage-aux-buffalo-soldiers-icones-de-l-oppression-noire">« Buffalo Soldiers »</a> qui ont servi dans l’Ouest américain, les Caraïbes et le Pacifique Sud après la guerre civile jusqu’aux <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Tuskegee_Airmen">Tuskegee Airmen</a> de la Seconde Guerre mondiale.</p>
<p>Powell s’est engagé en 1958, dix ans après la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Executive_Order_9981">déségrégation des forces armées</a>. Mais l’armée était – <a href="https://apnews.com/article/us-military-racism-discrimination-4e840e0acc7ef07fd635a312d9375413">et est toujours</a> – une institution caractérisée par un racisme structurel. C’était vrai quand Powell l’a rejointe et c’est toujours le cas aujourd’hui.</p>
<hr>
<p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/larmee-americaine-vivier-du-supremacisme-blanc-149058">L’armée américaine : vivier du suprémacisme blanc ?</a>
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</em>
</p>
<hr>
<p>De ce fait, en tant que militaire noir Powell a sans doute été confronté à cette interrogation : que signifie servir un pays qui ne vous sert pas ?</p>
<p>Soldat pendant la guerre du Vietnam, Powell se démarquait des nombreux leaders noirs <a href="https://fr.mcny.org/story/harlem-hanoi-dr-king-and-vietnam-war">qui condamnaient l’action des États-Unis</a> en Asie du Sud-Est.</p>
<p>Alors que Mohamed Ali <a href="https://mrmondialisation.org/mohamed-ali-contre-le-pouvoir/">se demandait pourquoi</a> il devait « revêtir un uniforme et partir à 10 000 miles de chez lui pour lâcher des bombes et des balles sur des “Brown People” » à une époque où « ceux que l’on nomme les “nègres” de Louisville sont traités comme des chiens et se voient refuser les droits de l’homme les plus basiques », Powell gravissait les échelons de l’armée.</p>
<p>Cela permet d’expliquer pourquoi, malgré ses incontestables succès, son héritage en tant que leader noir est paradoxal. Son identité soulève des questions sur ce que signifie être Afro-Américain, et sa carrière dans l’armée peut amener à se demander pourquoi il servait un pays qui a toujours été hostile aux personnes non blanches, en son sein et dans le monde.</p>
<p>Ainsi, en 2002, le militant et chanteur <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/harry-belafonte/">Harry Belafonte</a>, s’interrogeant sur la loyauté de Powell envers le système américain, est allé jusqu’à le comparer à un « esclave de maison », en une <a href="https://www.theguardian.com/film/2002/oct/11/news">déclaration particulièrement polémique</a>.</p>
<p>Powell reconnaissait les réalités du racisme aux États-Unis, tout en estimant que celui-ci ne devait pas être vu comme un obstacle insurmontable ni amener les Afro-Américains à remettre en question leur américanité. Dans un <a href="http://americanradioworks.publicradio.org/features/blackspeech/cpowell.html">discours</a> prononcé le 14 mai 1994 à la cérémonie de remise des diplômes de l’université Howard, il enjoignait ainsi aux diplômés d’être fiers de leur héritage noir, mais de l’utiliser comme « une pierre sur laquelle nous pouvons construire, et non comme un endroit où se retirer ».</p>
<p>Et puis, il y a ses affiliations politiques. Il a été conseiller à la sécurité nationale de Ronald Reagan et chef d’état-major interarmées sous George H. W. Bush. Or les politiques intérieures conduites par ces deux présidents avaient un effet dévastateur sur les communautés noires du pays, se traduisant par <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=1995">l’incarcération massive d’hommes et de femmes noirs</a>, et leurs <a href="https://www.irp.wisc.edu/publications/focus/pdfs/foc52b.pdf">politiques économiques</a> supprimaient les services publics dans les zones à faibles revenus.</p>
<p>Mais, bien sûr, la plus grande controverse à laquelle Colin Powell a été mêlé s’est produite en février 2003. Ce fut sans doute l’un des épisodes les plus lourds en conséquence de sa vie politique.</p>
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<p>Alors secrétaire d’État de George W. Bush, Powell <a href="https://www.parismatch.com/Actu/International/Colin-Powell-Ma-presentation-tres-mediatique-restera-comme-une-tache-sur-ma-reputation-1764550">a plaidé devant le Conseil de sécurité des Nations unies</a> en faveur d’une action militaire contre l’Irak, affirmant à tort que Saddam Hussein avait accumulé des armes de destruction massive. Cette accusation était infondée, et la guerre dans laquelle l’homme d’État noir a contribué à engager les États-Unis a lourdement marqué son héritage.</p>
<h2>Une existence compliquée</h2>
<p>La « double conscience » de Colin Powell, pour reprendre l’expression de Du Bois, s’est manifestée plus tard, dans sa décision, en 2008, de <a href="https://www.france24.com/fr/20081019-le-republicain-colin-powell-soutient-barack-obama-etats-unis-election">soutenir Barack Obama</a> comme candidat à la présidence plutôt que son <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/la-presidentielle-americaine-2008/20081020.OBS6663/soutien-de-powell-a-obama-pas-une-surprise-pour-mccain.html">ami républicain et militaire, John McCain</a>.</p>
<p>En Obama, Powell voyait <a href="https://www.cnn.com/2008/POLITICS/10/19/colin.powell/">« une figure réformatrice »</a> pour les États-Unis et sur la scène mondiale. En le soutenant, il a préféré la signification historique (doter les États-Unis de leur premier président noir) à la loyauté envers son ami et son parti politique.</p>
<p>Son éloignement vis-à-vis du parti républicain s’est accentué avec l’émergence de Donald Trump et il s’est opposé de <a href="https://www.lefigaro.fr/international/etats-unis-colin-powell-denonce-les-mensonges-de-donald-trump-20200607">plus en plus vivement</a> à ce dernier, qui, de son côté et comme nombre de ses partisans, considérait Powell comme une sorte de traître.</p>
<p>Le considérer comme tel revient à ignorer l’histoire.</p>
<p>Powell était un patriote et il incarnait les « deux idéaux en guerre dans un seul corps sombre » évoqués par Du Bois. Pour qu’il puisse atteindre les sommets qu’il a atteints, il lui a fallu faire preuve d’une opiniâtreté sans faille et, peut-être, surmonter bien plus d’obstacles que n’ont dû le faire ses prédécesseurs blancs.</p>
<p>En Amérique, être Noir et patriote est – comme Du Bois l’a laissé entendre il y a plus d’un siècle, et comme la vie de Powell en témoigne – une affaire très compliquée, voire douloureuse.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170303/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Chad Williams ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Colin Powell, par sa carrière militaire et politique, fut un pionnier pour les Afro-Américains. Mais plus qu’un symbole d’intégration, il était celui de la complexité de l’identité noire américaine.Chad Williams, Samuel J. and Augusta Spector Professor of History and African and African American Studies, Brandeis UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1627192021-06-17T14:27:58Z2021-06-17T14:27:58ZLes racines – très anciennes – du racisme anti-Noir dans le monde arabe<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/406838/original/file-20210616-22-1w6kfoo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=28%2C28%2C3098%2C2067&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les Noirs constituent un pourcentage important de la population arabe mondiale.
</span> <span class="attribution"><span class="source">(Brett Jordan/Unsplash)</span></span></figcaption></figure><p>Dans les pays à dominante arabe « blanche », les Noirs arabes sont sous-représentés et largement invisibles. Ils sont également <a href="https://csalateral.org/forum/cultural-constructions-race-racism-middle-east-north-africa-southwest-asia-mena-swana/introduction-el-zein/">écartés des institutions politiques, universitaires, artistiques et religieuses</a>. Les deux termes ne s’excluent pourtant pas l’un l’autre : certains Noirs sont arabes et certains Arabes sont noirs.</p>
<p>En tant qu’intellectuel arabe en Occident – je suis professeur de langue et de littérature arabes à l’Université de Waterloo – m’exprimer sur le racisme anti-noir dans le monde arabe me place dans une position délicate.</p>
<p>Jusqu’à récemment, le sujet était tabou dans la société arabe. En 2004, cette situation a commencé à changer lorsque le critique culturel bahreïni Nader Kadhim a publié en arabe un <a href="https://www.almadasupplements.com/view.php?cat=7831">livre</a> portant sur l’image des Noirs dans l’imaginaire arabe médiéval, et que je traduis en ce moment en anglais afin de sensibiliser l’Occident à leur situation.</p>
<p>Le racisme anti-Noir dans le monde arabe n’est pas un phénomène détaché du contexte mondial. Depuis la mort de George Floyd, le mouvement « Black Lives Matter » s’est répandu dans le monde entier, et les Arabes noirs y voient une occasion <a href="https://www.csmonitor.com/World/Middle-East/2020/0622/Voicing-solidarity-against-US-racism-Arabs-expose-scourge-at-home">d’alerter l’opinion publique</a> sur l’oppression dont ils sont victimes quotidiennement.</p>
<h2>Les racines du racisme arabe</h2>
<p>Nader Kadhim a créé le terme al-istifraq, ou « africanisme », pour décrire l’étude de la manière dont les Arabes noirs sont perçus, imaginés et représentés dans les écrits arabes. Son livre souligne les éléments fondamentaux qui caractérisent ce discours.</p>
<p>L’africanisme part du constat que les récits arabes classiques et médiévaux – notamment la littérature de voyage, les livres de géographie, d’astronomie, d’astrologie, d’histoire, de théologie, les biographies, les sciences marines, la philosophie et la médecine ancienne – représentent tous les Noirs en tant qu’inférieurs. Aujourd’hui encore, cette représentation péjorative est présente dans de <a href="https://scenearabia.com/Life/Arab-Anti-Blackness-Racism-and-the-Violence-that-Doesn-t-Get-A-Hashtag">nombreux aspects de la culture arabe moderne</a>.</p>
<p>Selon la théorie de Nader Kadhim, cette image négative découlerait de trois courants : (1) la conception anthropologique controversée selon laquelle la culture – y compris la religion, la langue, les lois et les valeurs – définit ce que signifie être humain ; (2) le <a href="https://press.princeton.edu/books/paperback/9780691123707/the-curse-of-ham">récit biblique de Noé et la malédiction de son fils Cham</a> – dont la peau aurait été plus foncée – condamnant ses descendants à la servitude ; et (3) la <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/bulletin-of-the-school-of-oriental-and-african-studies/article/abs/world-in-arab-eyes-a-reassessment-of-the-climes-in-medieval-islamic-scholarship/86BB53AF4BBC155B0FCECB8A7D83A089#">théorie des sept climats du philosophe grec Ptolémée</a>, selon laquelle l’emplacement géographique d’une personne détermine sa race – la proximité du soleil « cuirait » les humains selon une échelle du cru au brûlé.</p>
<h2>La diffamation des Arabes</h2>
<p>En 2014, j’ai présenté un article intitulé <em>Waiting for Obama : The Forgotten Black in Iraq</em> lors d’un symposium à l’Université York intitulé <em>Home and Land, Transnationalism, Identity and Arab Canadians</em>. L’article démontrait comment le discours raciste et discriminatoire des Irakiens déstabilise la conception de la patrie chez les Afro-Irakiens.</p>
<p>Durant la période de questions, un romancier arabe réputé a nié l’existence du racisme anti-noir dans le monde arabe. Par la suite, il est venu me trouver pour me demander : « Pourquoi dénigrez-vous notre culture ? »</p>
<p>En mai dernier, j’ai animé un événement intitulé <a href="https://uwaterloo.ca/culture-and-language-studies/news/deconstructing-africanism-image-black-people-arab-imaginary"><em>Deconstructing Africanism : the Image of Black People in the Arab Imaginary</em></a> autour du livre de Nader Kadhim. L’une des principales préoccupations exprimées par le public arabe était que l’activité insistait sur le côté raciste de leur culture. Après l’événement, une connaissance qui y avait participé m’a appelé pour me demander : « Pourquoi étaler ainsi nos travers ? »</p>
<p>J’ai réfléchi pour savoir si c’était mon intention de dépeindre ma propre culture de manière négative. Pas vraiment, mais je reconnais que d’autres Arabes puissent le percevoir ainsi.</p>
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<figcaption><span class="caption">La conférence de Nader Kadhim sur la négritude et les racines du racisme anti-Noir dans la culture arabe.</span></figcaption>
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<h2>Aérer le linge sale</h2>
<p>Je viens de Bassora, en Irak, où la majorité des Arabes sont « blancs » comme moi. Quelques années après avoir déménagé au Canada, j’ai commencé à me renseigner sur le racisme en Occident. J’ai également subi un changement d’identité raciale, en passant d’« Arabe blanc » à « personne de couleur ». Cette reconfiguration raciale, très nouvelle et très personnelle, m’a amené à réfléchir au racisme qui affecte la communauté noire de Bassora.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les Irakiens noirs de Bassora militent pour une meilleure représentation politique et davantage d’inclusion.</span></figcaption>
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<p>Certains Irakiens ne sont même pas conscients que des Irakiens noirs sont présents dans leur pays depuis des siècles. Le racisme disséminé à l’encontre des Afro-Irakiens déstabilise leur sentiment d’appartenance.</p>
<p>Pour répondre à ce racisme, j’ai entrepris d’explorer les racines du racisme anti-noir dans ma culture et j’ai découvert qu’il est même plus ancien que l’Islam. J’ai commencé à écrire, à traduire et à documenter le patrimoine culturel des Arabes noirs, mais je me heurte sans cesse à des résistances. Certains Arabes refusent de reconnaître qu’il puisse y avoir du racisme dans leur propre communauté.</p>
<p>Ce travail de sensibilisation comporte certains risques personnels, dont celui d’être considéré comme un « comprador », un complice en quelque sorte, qui agirait pour le compte des institutions occidentales. Ce qui pourrait entraîner mon exclusion complète des cercles intellectuels de la diaspora arabe et faire de moi une cible dans mon pays d’origine. Je ressens une tension entre la célébration de la richesse et de la beauté de ma culture (j’ai créé un festival culturel arabe annuel) et la dénonciation de ses travers.</p>
<p>La ligne est très mince entre le fait de militer pour la justice raciale et d’en rajouter quant à la diabolisation des Arabes. Et en effet, dévoiler des aspects moins reluisants pourrait être nuisible. Cependant, en tant qu’intellectuel canado-irakien jouissant de certains privilèges, j’estime qu’il est de mon devoir de les utiliser en faveur de la justice raciale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162719/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Amir Al-Azraki bénéficie d'un financement de la subvention Explore de l'Université de Waterloo/Conseil de recherche en sciences sociales et humaines.</span></em></p>Les Arabes noirs font face au racisme et à la discrimination dans l’ensemble du monde arabe. Exposer ce racisme anti-Noir est un travail difficile, mais essentiel.Amir Al-Azraki, Assistant Professor, Arabic language and literature, Renison University College, University of WaterlooLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1610222021-05-17T18:55:51Z2021-05-17T18:55:51ZEsclavage : ce que les États-Unis peuvent apprendre de l’Afrique en matière de réparations<p>Quelque 156 ans après l’abolition officielle de l’esclavage, un vote <a href="https://www.nytimes.com/2021/04/14/us/politics/reparations-slavery-house.html">adopté le 14 avril</a> par la commission judiciaire de la Chambre des représentants des États-Unis pourrait conduire à la création d’une commission de 15 personnes, chargée de présenter des « excuses nationales » pour l’esclavage, d’étudier ses effets à long terme et de soumettre des recommandations au Congrès sur la manière d’indemniser les Afro-Américains.</p>
<p>Tout projet de loi fédéral sur les réparations a de grandes chances d’être rejeté en raison de l’opposition des Républicains ; il s’agit toutefois de la plus grande avancée depuis qu’un projet de loi similaire a été introduit il y a plus de 30 ans. Ainsi, la représentante démocrate du Texas Sheila Jackson Lee y voit une étape nécessaire sur le « chemin de la justice réparatrice ».</p>
<p>Alors que les États-Unis débattent des réparations pour les descendants de l’esclavage, l’examen de la pratique de certains pays africains en la matière pourrait aider à dégager une voie à suivre, selon <a href="https://www.colgate.edu/about/directory/kkonadu">mes recherches sur l’histoire et la diaspora africaines</a>.</p>
<h2>Les réparations incomplètes de l’Afrique du Sud</h2>
<p>Aux États-Unis et dans le monde, les arguments en faveur des réparations tournent principalement autour des compensations financières. Mais un examen plus approfondi des efforts de réparation actuels illustre les limites des programmes axés uniquement sur cet aspect.</p>
<p>En Afrique du Sud, Nelson Mandela et son parti, le Congrès national africain (ANC), ont créé une <a href="https://www.justice.gov.za/trc/">Commission vérité et réconciliation</a> (CVR) en 1995, dès leur arrivée au pouvoir. Cette commission a enquêté sur les violations des droits humains commises durant près de cinq décennies d’apartheid, alors que le système législatif imposait des lois ségrégationnistes et perpétuait la violence raciste.</p>
<p>La commission a mis en place un programme de réparations, recommandant dans <a href="https://www.justice.gov.za/trc/report/">son rapport final de 2003</a> que les victimes de l’apartheid reçoivent chacune l’équivalent d’<a href="https://www.law.cornell.edu/wex/south_african_truth_commission">environ 3 500 dollars US sur six ans</a>. Mais la commission a stipulé que seules les personnes qui avaient témoigné devant elle des injustices de l’apartheid – soit environ 21 000 personnes – pouvaient y prétendre, alors que quelque 3,5 millions de Sud-Africains noirs ont souffert sous le <a href="https://www.history.com/topics/africa/apartheid">régime de l’apartheid</a>.</p>
<p>Le successeur de Mandela, Thabo Mbeki, a effectué un <a href="https://www.nytimes.com/2003/04/16/world/south-africa-to-pay-3900-to-each-family-of-apartheid-victims.html">versement unique</a>, de 3 900 dollars, en 2003. Depuis, les gouvernements sud-africains n’ont effectué aucun paiement supplémentaire aux personnes ayant témoigné ou à d’autres victimes de l’apartheid. Aucun des gouvernements de l’après-Mandela n’a non plus jugé les responsables du système de l’apartheid. La structure du pouvoir qui a soutenu l’apartheid est restée <a href="https://www.strifeblog.org/2021/02/05/the-struggle-continues-khulumani-support-group-and-reparations-in-south-africa/">largement intacte</a>.</p>
<p>L’Afrique du Sud est la <a href="https://www.cnn.com/2019/05/07/africa/south-africa-elections-inequality-intl">société la plus inégalitaire du monde</a>, selon la Banque mondiale. Les Blancs constituent la majorité des élites riches, tandis que la moitié de la population noire sud-africaine vit dans la pauvreté. Le fait d’<a href="https://www.jstor.org/stable/3557322">ignorer les dommages sociaux et économiques</a> plus larges causés par l’apartheid – les inégalités de revenus, les terres non restituées saisies par les Blancs, les infrastructures communautaires médiocres – a empêché des millions de personnes ayant subi des violences d’être considérées comme des victimes. Elles ne recevront peut-être jamais de réparations.</p>
<h2>L’effort sous-financé de la Sierra Leone</h2>
<p>À peu près au même moment où l’Afrique du Sud a créé sa Commission vérité et réconciliation, la Sierra Leone, pays d’Afrique de l’Ouest, a entrepris un effort similaire pour <a href="https://www.justiceinfo.net/en/43710-reparations-in-sierra-leone-news-from-the-periphery-of-transitional-justice.html">faire face aux conséquences de ses dix années de guerre civile</a>. La guerre civile en Sierra Leone, qui a duré de 1991 à 2002, a tué au moins 50 000 personnes et en a déplacé 2 millions d’autres. En 2004, la Commission vérité et réconciliation a recommandé des <a href="https://www.un.org/press/en/2004/ecosoc6140.doc.htm">mesures de réparation pour les survivants</a>.</p>
<p>Elle a recommandé des allocations, des soins de santé gratuits et des avantages en matière d’éducation pour les amputés, les personnes gravement blessées, les veuves de guerre et les survivants de violences sexuelles. Les gouvernements de Sierra Leone ont longtemps ignoré ces recommandations mais, en 2008, la pression exercée par la plus grande organisation de survivants du pays, l’Amputee and War-Wounded Association, et une subvention de 3,5 millions de dollars du Fonds de consolidation de la paix des Nations unies, ont relancé cet effort.</p>
<p>Cependant, au lieu de mettre en œuvre les mesures de réparation plus complètes préconisées par la CVR, le gouvernement de la Sierra Leone a versé en 2008 à chacun des 33 863 survivants enregistrés un paiement unique de 100 dollars. Les Nations unies ont par la suite accordé quelques petits paiements, des prêts et des formations professionnelles à d’autres survivants au cours des années suivantes.</p>
<p>Après avoir interrogé des survivants de la guerre civile en Sierra Leone, <a href="https://www.hsfk.de/fileadmin/HSFK/hsfk_downloads/prif129.pdf">l’Institut de recherche sur la paix de Francfort</a> a conclu en 2013 que le programme de réparation de la Sierra Leone avait échoué. Il a pointé du doigt le nombre élevé de victimes, le financement limité et les épidémies de santé publique comme Ebola qui ont rendu les réparations moins prioritaires.</p>
<h2>Réparations par le biais des tribunaux</h2>
<p>Dans d’autres pays africains, les survivants des atrocités coloniales ont demandé réparation par le biais des tribunaux.</p>
<p>En 2013, des <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/africa/mau-mau-british-empire-kenya-rebellion-independence-boycott-2017-election-a7474716.html">survivants kényans</a> ont saisi les tribunaux britanniques pour demander des réparations. Le gouvernement britannique a reconnu que « les Kényans ont été soumis à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements aux mains de l’administration coloniale » et a accepté de verser 19,9 millions de livres sterling – 27,6 millions de dollars – en compensation à quelque 5 000 survivants âgés. Mais le gouvernement a bloqué les paiements, et les <a href="https://www.justiceinfo.net/en/42789-colonial-crimes-kenyans-un.html">Kényans ont ensuite exigé plus que ce qui avait été offert</a>.</p>
<p>En Allemagne, une action en justice similaire visant à obtenir des réparations pour le massacre des Hereros par les Allemands en 1904-1908 dans la Namibie coloniale reste <a href="https://www.dw.com/en/namibia-germany-reparations/a-54535589">controversée</a>. Les négociations se poursuivent.</p>
<h2>Repenser les réparations à travers l’Afrique</h2>
<p>Des groupes représentant des nations africaines et caribéennes ont proposé d’autres façons de penser l’esclavage colonial et la violence raciale à l’origine de ces efforts de réparation.</p>
<p>En 2019, l’Union africaine – un organe politique régional composé de 55 pays africains – a défini la <a href="https://au.int/sites/default/files/documents/36541-doc-au_tj_policy_eng_web.pdf">justice réparatrice</a> comme la réparation des « pertes subies » dans toutes les circonstances où les droits de l’homme ont été violés. Cela inclut les réparations financières – le document politique met l’accent sur le soutien matériel à la reconstruction des maisons et des entreprises endommagées par des régimes coloniaux oppressifs. Mais il appelle également les pays membres à penser au-delà de l’argent et à envisager des mesures de réparation visant à guérir les traumatismes et à instaurer une justice sociale plus large.</p>
<p>Une grande partie de la réflexion de l’Union africaine s’aligne sur le <a href="https://caricomreparations.org/caricom/caricoms-10-point-reparation-plan/">plan de réparation en 10 points</a> de la Commission des réparations de la Caricom, basée dans les Caraïbes et établie en 2013. Ce plan prévoit l’annulation de la dette des pays des Caraïbes fondée sur l’esclavage colonial et le droit pour les descendants d’Africains du monde entier de retourner dans une patrie africaine, s’ils le souhaitent, par le biais d’un programme de réinstallation soutenu par la communauté internationale.</p>
<p>Pour ces groupes, les réparations ne sont pas seulement une question d’argent – c’est un plaidoyer pour une restauration collective, pour récupérer quelque chose au nom de ceux qui ont perdu leur force travail ou leur vie au profit de puissants gouvernements et institutions blancs.</p>
<p>À travers l’esclavage et la domination coloniale, l’Afrique a perdu une partie de sa population. Mais le continent a également perdu une main-d’œuvre qualifiée, de la créativité et des innovations. Ces avantages ont été transférés aux sociétés coloniales – et leur récupération reste en jeu pour l’Afrique et les descendants d’Africains dans le monde entier.</p>
<hr>
<p><em>La traduction vers la version française a été assurée par le site <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/">Justice Info</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161022/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kwasi Konadu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Aux États-Unis, la Chambre des représentants recommande la création d’une commission sur les réparations à verser aux descendants d’esclaves. Se tourner vers l’Afrique peut indiquer une voie à suivre.Kwasi Konadu, John D. and Catherine T. MacArthur Endowed Chair and Professor, Colgate UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1592512021-05-06T18:26:29Z2021-05-06T18:26:29ZLe dilemme gambien sur les cosmétiques dépigmentants et sa résonance avec le mouvement Black Lives Matter<p>L’utilisation de produits destinés à blanchir ou à éclaircir la peau (dépigmentation), qui contiennent fréquemment des ingrédients toxiques (comme le mercure ou l’hydroquinine), est associée à des <a href="http://www.melaninfoundation.org/fr/index.php">effets secondaires néfastes pour la santé</a>.</p>
<p>Ces produits sont toutefois largement employés <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6692088/#:%7E:text=Dans%20les%20pays%20d%E2%80%99Asie,4%2C10%2C11%5D.">dans bon nombre de pays d’Asie et d’Afrique</a>, ce qui constitue un <a href="https://www.jeuneafrique.com/662925/societe/la-depigmentation-volontaire-un-probleme-de-sante-publique-mais/">problème de santé publique croissant</a>. En Afrique, selon les pays, entre 25 et 77 % de femmes (largement majoritaires parmi les utilisateurs) sont concernées, <a href="https://www.contrepoints.org/2019/02/08/336663-peut-on-resoudre-le-probleme-de-la-depigmentation-avec-une-loi">selon l’OMS</a>.</p>
<h2>L’actualité gambienne</h2>
<p>Ce sujet a récemment fait la une en Gambie, où le Parlement a <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/03/23/en-gambie-les-deputes-rejettent-l-autorisation-de-la-depigmentation_6074155_3212.html">refusé</a> d’abroger une loi de 1996 qui interdit l’usage de produits éclaircissants. La demande d’abrogation, déposée par le gouvernement du président Adama Barrow, reposait sur le constat que l’existence de cette loi permet trop souvent à des hommes d’abuser sexuellement des femmes ayant illégalement recours à la dépigmetation en les menaçant, si elles refusent de céder, de les dénoncer aux autorités. Cette demande d’abrogation n’a été soutenue que par 10 députés pour 23 contre, les partisans de loi d’interdiction condamnant la dépigmentation à la fois pour des questions morales, religieuses et sanitaires.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1285645486469382149"}"></div></p>
<p>En Gambie, cette loi prohibitive s’accompagne d’amendes pour les contrevenants (souvent des femmes à faible pouvoir d’achat), et s’applique dans un contexte marqué par l’existence d’un important marché informel, comme c’est souvent le cas en Afrique, et par une faible résonance des campagnes de prévention visant à signaler les dangers dont ces produits peuvent être porteurs pour le bien-être physique et psychologique des consommateurs. Les utilisatrices, pour la plupart peu éduquées et mal informées sur les effets néfastes de la dépigmentation, cherchent en utilisant ces produits à se conformer à des modèles de beauté délétères, notamment pour <a href="https://www.un.org/africarenewal/magazine/april-2019-july-2019/paying-high-price-skin-bleaching*">accroître leur valeur sur le marché matrimonial</a>.</p>
<h2>Un héritage colonial</h2>
<p>En France, un <a href="https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/composition-des-cosmetiques-lexigence-dune-information-claire-des-consommateurs">rapport</a> de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes indique que 60 % des produits blanchissants pour la peau contrôlés en 2018 contenaient des ingrédients dangereux pour la santé. C’est deux fois plus qu’en 2009. En 2009 déjà, la Mairie de Paris <a href="https://sante.lefigaro.fr/article/depigmentation-60-des-cremes-eclaircissantes-contiennent-des-produits-dangereux/">estimait</a> que 20 % des femmes d’origine africaine résidant en Île-de-France utilisaient des produits éclaircissants. Dix ans plus tard, la question prend de l’ampleur au niveau mondial, notamment <a href="https://www.irishtimes.com/news/world/africa/black-lives-matter-puts-focus-on-skin-bleaching-in-africa-and-asia-1.4286559">dans le contexte du mouvement Black Lives Matter</a>.</p>
<p>Comme nous l’avons montré <a href="https://theconversation.com/pour-les-marques-black-lives-matter-vraiment-142055">ici</a> les multinationales productrices de ces crèmes sont assises sur un marché stratégique (4,8 milliards de dollars en 2017, projeté à 8,9 milliards d’ici à 2027). Certaines participent à diffuser l’idée que les peaux blanches ou claires sont belles et propres, reproduisant d’anciens stéréotypes raciaux et sociaux. Le phénomène n’est pas nouveau : Nivea a <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2017/10/23/une-publicite-pour-une-creme-eclaircissante-de-nivea-qualifiee-de-raciste_a_23252237/">essuyé des critiques</a> à plusieurs reprises, notamment du fait d’une publicité diffusée au Ghana en 2017 dont la tagline était « maintenant que j’ai une peau visiblement plus claire, je me sens plus jeune ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"922574220357402624"}"></div></p>
<p>Au Moyen-Orient, le slogan <a href="https://www.lci.fr/societe/video-white-is-purity-la-publicite-de-nivea-accusee-de-racisme-qui-ulcere-les-internautes-2044186.html">« White is purity »</a> (La blancheur est pureté), là aussi diffusé par Nivea, avait également provoqué une controverse. Dans cette région, comme en Afrique et en Asie, des décennies de discours de cet ordre utilisés comme leviers de communication des marques de cosmétiques ont participé à l’internalisation de schèmes de beauté engendrant une insatiable recherche de conformation.</p>
<p>Certaines <a href="https://www.ajol.info/index.php/rrias/article/view/44933">études post-coloniales</a> montrent à quel point les normes de beauté sont imprégnées des perceptions dominantes issues du colonialisme toujours à l’œuvre pour coder la blancheur comme qualité esthétique et signe de supériorité sociale. Le marketing nourrit l’aspect aspirationnel. D’ailleurs, on retrouve, sur la question des cheveux et du défrisage, les mêmes dynamiques de mises en danger par la composition des produits et rituels potentiellement dangereux (soude, formol) dans un contexte de valorisation sociale du cheveu lisse (jugé propre, à la différence du cheveu frisé, perçu comme négligé).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"779651721731596289"}"></div></p>
<h2>L’effet BLM</h2>
<p>Dernièrement, ces questions sont devenues de plus en plus politiques sous l’effet de l’activisme croissant des consommateurs – une dynamique qu’a amplifiée le mouvement Black Lives Matter. Des militants anti-racistes ont souligné que les publicités mettant en scène des femmes noires avaient presque systématiquement recours à des actrices au teint éclairci. Ce faisant, ces visuels réactivaient la course à l’éclaircissement comme norme de beauté valorisée au travers de campagnes pourtant dites inclusives. Plus de 16 000 personnes ont signé une <a href="https://www.change.org/p/unilever-ban-fair-lovely">pétition en ligne</a> demandant qu’Unilever arrête de fabriquer un produit éclaircissant, Fair & Lovely. Certains ont <a href="https://twitter.com/Anjalicious01/status/1268821909514436615">accusé l’entreprise d’hypocrisie</a> quand son directeur général, Alan Jope, a tweeté, dans l’effervescence ayant suivi la mort de George Floyd : « Le racisme systémique et l’injustice sociale doivent être éradiqués. Les entreprises ont un rôle essentiel à jouer dans la création d’une société équitable qui ne tolère pas l’intolérance. »</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1267545558975209473"}"></div></p>
<p>Les <a href="https://twitter.com/MariannesNoires/status/1277173822576304128?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1277173822576304128%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.marianne.net%2Fnode%2Fadd%2Farticle">critiques</a> subies par une marque comme L’Oréal pour avoir <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/racisme-l-oreal-annonce-supprimer-certains-mots-comme-blanchissant-de-ses-produits_2129409.html">annoncé</a> la suppression des termes « blanchissant » ou « éclaircissant » révèlent que les consommateurs souhaitent une réelle transformation des pratiques, pas un changement cosmétique. Les hashtags comme #pullitdown après le scandale Nivea en Afrique visant à dénoncer le discours de marques internationales dévalorisant le teint noir, s’intensifient, faisant écho au marché global.</p>
<p>Dans le même temps, le succès de la marque Fenty, lancée par la chanteuse Rihanna en 2017, a bouleversé les codes en promouvant l’acceptation de toutes les beautés par la création d’une gamme de fond de teint de <a href="https://www.thinkwithgoogle.com/intl/fr-fr/futur-du-marketing/management-et-culture-d-entreprise/diversite-et-inclusion/avec-fenty-beauty-rihanna-eveille-les-consciences-sur-la-beaute-pour-toutes/">plus de 40 teintes (désormais 50)</a> pour correspondre aux attentes des consommatrices mal servies. L’industrie lui a dès lors emboîté le pas.</p>
<p>Est-ce à dire que la prise de conscience est suffisante ? Une visite dans n’importe quelle boutique de cosmétiques en Afrique, dans les Caraïbes ou en Asie invite à en douter. On découvre aisément sur les étalages des produits licites que les consommatrices savent identifier comme éclaircissants sous des vocables comme « antitaches » ou « uniformisant » (toning) du fait de composantes mises en avant comme les acides de fruits (AHA) ou la vitamine C. Ces produits exigent aussi de ne pas s’exposer au soleil. Or on trouve massivement en Afrique des produits à indice de protection solaire 100, pensés pour les peaux très pâles intolérantes au soleil…</p>
<p>Pour revenir au cas gambien, la loi qui prohibe l’usage des produits éclaircissants entraîne un recours à des pratiques devenues clandestines, potentiellement dangereuses. Le souhait de revenir sur cette loi concerne, on l’a dit, les externalités négatives liées non pas à l’usage du produit mais au chantage exercé par des hommes qui réclament des faveurs sexuelles, menaçant dans le cas contraire de dénoncer les femmes contrevenantes. C’est un problème de justice sociale lié au genre. Comme nous l’avons montré dans différents travaux notamment en <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/10253866.2018.1512250">Ouganda</a> ou en <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1509/jppm.15.146">République dominicaine</a>, pour régler un tel problème, une loi interdisant les produits éclaircissants ne peut suffire. Il convient de combiner plusieurs approches : démantèlement des stéréotypes, facilitation d’accès à la justice et à l’éducation, sans oublier l’empowerment individuel des femmes de façon à ce qu’elles ne soient plus dépendantes du marché matrimonial.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159251/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nacima Ourahmoune ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une récente décision du Parlement gambien sur la question des produits dépigmentants invite à s’interroger sur cette pratique encore très répandue en Afrique, mais aussi dans les Caraïbes et en Asie.Nacima Ourahmoune, Professeur / Chercheur/ Consultant en marketing et sociologie de la consommation, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1602042021-05-04T17:36:34Z2021-05-04T17:36:34ZLes cent jours de Kamala Harris : une vice-présidente sur tous les fronts<p>Loin d’être réduite à une fonction symbolique, la vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris, est sur tous les fronts pour mettre en œuvre l’agenda de l’administration Biden en matière de politique intérieure comme extérieure.</p>
<p>Sa voix est décisive au Sénat, dont elle est la présidente. Elle aurait pu l'être lors de <a href="https://www.letemps.ch/monde/etape-decisive-senat-approuve-plan-relance-1900-milliards-dollars-joe-biden">l’adoption du plan de relance</a> de 1 900 milliards de dollars si un sénateur républicain ne s'était pas désisté. Kamala Harris ne sera pas, pour Joe Biden, ce que Mike Pence était pour Donald Trump. Elle n’est pas, en effet, cantonnée à un rôle de figuration consistant à récolter des fonds pour le parti ou à rassurer, encore moins à flatter, le président. Dès le départ, Harris a été impliquée dans les gros dossiers de la Maison Blanche. L’exécutif américain, qui se veut à l’image de l’Amérique, <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/joe-biden/etats-unis-joe-biden-et-son-administration-feminine-et-feministe_4269195.html">multiculturel et féminisé</a>, entend promouvoir l’expertise. Et cette expertise réside aussi, précisément, dans cette diversité. Biden, <a href="https://time.com/5956887/biden-race/">poussé et convaincu par un militantisme de terrain intersectionnel</a>, a souhaité s’entourer, pour gagner et pour gouverner, d’une pluralité de compétences et de regards sur la société.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1387904620069015553"}"></div></p>
<p>Kamala Harris l’incarne de manière emblématique. Ancienne procureure de Californie, elle suit avec le président Biden le procès de Derek Chauvin, le policier reconnu coupable du meurtre de George Floyd, et dont la sentence sera connue le 25 juin prochain. Ils ont tous deux <a href="https://www.courrierinternational.com/article/video-lemouvant-appel-de-joe-biden-et-kamala-harris-la-famille-de-george-floyd-apres-le">accompagné la famille de la victime</a> et travaillent de concert à un <a href="https://www.congress.gov/bill/116th-congress/house-bill/7120">projet de réforme de la police et de la justice</a> pour combattre le racisme systémique.</p>
<h2>Lutter contre toutes les inégalités</h2>
<p>Dans les grands plans de relance comme dans la gouvernance du pays, Biden et Harris, qui se définissent comme des partenaires, entendent cibler les populations les plus vulnérables aux inégalités et discriminations : emploi, salaire, accès à l’emprunt, à la santé, aux études supérieures, à la garde d’enfants… les femmes et les minorités ethniques (en particulier les Afro-Américains), sont souvent les plus concernées.</p>
<p>Lorsque Kamala Harris – qui, dans son <a href="https://www.nationalheraldindia.com/international/kamala-harris-victory-speech-full-text">discours de victoire</a> en novembre dernier, a rappelé le rôle des femmes, et notamment des femmes noires, dans la construction de l’Amérique – <a href="https://www.nytimes.com/2021/02/18/us/politics/women-pandemic-harris.html">déclare en mars</a> que « l’économie ne pourra véritablement repartir que lorsque les femmes pourront pleinement y participer », elle met en mots un objectif de prise en compte des inégalités de genre et d’origine dans la gestion de la Covid-19.</p>
<p>Symone Sanders, la porte-parole de la vice-présidente Harris (et qui fut la porte-parole de son homonyme Bernie Sanders lors de la campagne de 2016), a, de fait, <a href="https://www.pbs.org/wnet/amanpour-and-company/video/symone-sanders-on-bidens-plans-to-address-racial-inequality/">rappelé</a> que le nouvel exécutif souhaitait adopter une approche systémique en matière de lutte contre ces inégalités. Non pas pour oublier les autres populations, mais au contraire pour promouvoir un universel plus inclusif car ce qui s’adresse aux plus fragiles s’adresse à toutes et à tous, à l’instar des allocations familiales exceptionnelles déployées dans le premier plan de relance et destinées <em>in fine</em> à plus de 90 % des enfants américains.</p>
<p>La vice-présidente est aussi, comme Joe Biden, la VRP de l’<a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2021/03/31/fact-sheet-the-american-jobs-plan/">American Jobs Plan</a>, le grand projet de rénovation des infrastructures : les deux têtes de l’exécutif se sont rendues en Caroline du Nord il y a peu et d’autres États les accueilleront bientôt.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1384450810302504960"}"></div></p>
<p>Il s’agit d’expliquer en quoi des milliers d’emplois durables, dans l’économie verte, devraient être créés et, globalement, d’être plus pédagogiques et de mieux communiquer sur l’action politique en cours que pendant l’ère Obama. Harris chemine également le pays pour parler d’équité dans l’accès à l’eau, de combat contre la pauvreté infantile, d’éducation pour toutes et tous. Elle rencontre élu·e·s, associations, groupes militants. Au <a href="https://nihrecord.nih.gov/2021/02/19/vice-president-visits-nih-complete-covid-vaccination">National Institutes of Health</a>, elle a rendu un hommage appuyé aux femmes noires scientifiques et rencontré l’une d’elles, l’immunologiste <a href="https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=10158767832637923&id=24413227922&__tn__=-R">Kizzmekia Corbett</a>, qui a participé à la création du vaccin Moderna. Avec Joe Biden, elle a salué, lors de la Journée internationale des droits des femmes, le rôle des femmes dans l’histoire du pays et <a href="https://www.defenseone.com/policy/2021/03/biden-nominates-two-women-lead-combatant-commands/172531/">promu deux générales quatre étoiles</a>.</p>
<h2>Contre l’entre-soi du pouvoir</h2>
<p>Joe Biden a par ailleurs <a href="https://www.latribune.fr/depeches/reuters/KBN2BG30K/usa-biden-charge-harris-de-travailler-avec-le-mexique-sur-les-flux-de-migrants.html">confié à Kamala Harris</a> l’épineux dossier des négociations avec les pays d’Amérique centrale concernant l’immigration clandestine – un dossier dont il avait lui-même eu la charge lorsqu’il était le vice-président de Barack Obama.</p>
<p>Harris doit obtenir une réduction des flux migratoires vers la frontière sud des États-Unis en échange d’un accroissement de l’aide humanitaire et de l’aide au développement économique. C’est ce qui se joue en ce moment avec le Guatemala, où elle se rendra en juin, et qui sera bientôt sur la table avec le Honduras et le Salvador. Elle <a href="https://edition.cnn.com/videos/politics/2021/04/25/kamala-harris-intv-immigration-role-mexico-northern-triangle-countries-biden-bash-sotu-vpx.cnn">vise</a> la coopération, le dialogue avec les responsables politiques mais aussi les associations locales de ces trois pays, dont étaient originaires la moitié des immigrés illégaux tenant de franchir la frontière américaine en mars dernier. Comme il fallait s’y attendre, les Républicains la <a href="https://edition.cnn.com/2021/04/01/politics/kamala-harris-migration-border/index.html">prennent pour cible</a> et l’accusent de laxisme.</p>
<p>Les prérogatives de la vice-présidente ne s’arrêtent pas là en matière de politique étrangère et de leadership américain : Harris est ainsi impliquée dans la gestion multilatérale des grandes crises planétaires – environnementale, sanitaire ou économique – et s’est, à ce titre, déjà <a href="https://www.washingtontimes.com/news/2021/feb/18/wheres-biden-veep-takes-solo-calls-foreign-leaders/">entretenue avec plusieurs dirigeants étrangers</a>. Elle va également diriger le <a href="https://edition.cnn.com/2021/05/01/politics/kamala-harris-chair-national-space-council/index.html">Conseil national de l’espace</a>, en se concentrant notamment sur la cybersécurité des actifs des États-Unis dans l’espace, la promotion de l’enseignement des sciences, de l’ingénierie et des mathématiques, les liens entre conquête spatiale et développement durable.</p>
<p>La pandémie a renforcé l’urgence d’appréhender la société à partir d’une perspective tenant compte des questions de <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2020-0229_FR.html">genre</a> et d’<a href="https://www.letemps.ch/sciences/coronavirus-sattaque-davantage-aux-minorites">origine</a>. Le choix, par le nouvel exécutif, d’un agenda programmatique fondé sur les besoins de toutes et de tous va de pair avec une <a href="https://blogs.mediapart.fr/marie-cecile-naves/blog/010221/la-democratie-selon-biden-inclusion-equite-et-expertise">rupture avec le traditionnel entre-soi dans la prise de déci-sion</a>. La vice-présidente des États-Unis donne à voir qu’une femme noire peut s’occuper de tous les sujets au plus haut niveau de responsabilités. La page Trump se tourne aussi de cette façon.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160204/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Cécile Naves est membre de l'IRIS.</span></em></p>Le rôle central que Kamala Harris, vice-présidente des États-Unis depuis cent jours, joue dans l’administration Biden montre que sa nomination ne se limite absolument pas à sa dimension symbolique.Marie-Cécile Naves, Docteure en science politique, chercheuse associée au CRI Paris, Learning Planet Institute (LPI)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1590772021-04-28T18:08:23Z2021-04-28T18:08:23ZLes réformes électorales menacent-elles la démocratie des États-Unis ?<p>Quelques mois à peine après les victoires historiques des Démocrates aux élections présidentielles et sénatoriales dans l’État de Géorgie, son gouverneur républicain, Brian Kemp, a promulgué une loi qui <a href="https://www.courrierinternational.com/article/etats-unis-apres-leurs-defaites-en-georgie-les-republicains-changent-les-regles-electorales">réécrit largement les règles électorales de l’État</a>.</p>
<p>Le texte a provoqué un <a href="https://www.lapresse.ca/international/etats-unis/2021-03-26/georgie/la-loi-censee-rendre-les-elections-plus-sures-souleve-un-tolle.php">tollé</a>. Les <a href="https://apnews.com/article/joe-biden-race-and-ethnicity-georgia-voting-rights-elections-b5c6611e3233633dde10397eed56bbfb">Démocrates</a>, les <a href="https://www.forbes.com/sites/alisondurkee/2021/03/30/civil-rights-groups-including-aclu-naacp-sue-georgia-over-voting-law/">défenseurs des droits civiques</a> et les <a href="https://www.npr.org/2021/04/06/984829983/black-leaders-say-big-georgia-companies-need-to-speak-out-nationally-on-voter-la">leaders afro-américains</a> ont accusé les Républicains de s’attaquer au droit de vote en cherchant à limiter le vote par correspondance et l’accès aux urnes, notamment pour les électeurs noirs qui votent traditionnellement pour les démocrates.</p>
<h2>Une controverse nationale</h2>
<p>Des entreprises de premier plan, comme <a href="https://www.businessinsider.fr/us/apple-united-delta-coke-companies-against-georgia-voting-law-elections-2021-4">Coca-Cola ou Delta</a>, ont condamné l’adoption de la loi, et la Major League de baseball a <a href="https://www.vox.com/2021/4/3/22365408/mlb-all-star-game-atlanta-explained-voter-suppression-bills">délocalisé le All-Star Game 2021</a> dans le Colorado. Le président Biden est allé jusqu’à y voir une loi pire que « Jim Crow », ces lois de ségrégation raciale promulguées par les législatures des États du Sud, dont faisait partie la Géorgie, de la fin du XIX<sup>e</sup> siècle aux années 1960. Une exagération qui rappelle les <a href="http://www.spherecpp.fr/parler-a-la-trump-le-concept-dhyperbole-veridique">hyperboles véridiques</a> de Donald Trump.</p>
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<p>À leur tour, les Républicains ont accusé les Démocrates de jouer la carte de la race, et Biden de propager des mensonges alors que celui-ci a été épinglé par les <a href="https://www.marseillenews.net/les-verificateurs-du-washington-post-critiquent-biden-pour-les-revendications-de-la-loi-electorale-en-georgie-georgia.html">vérificateurs du <em>Washington Post</em></a> pour avoir répété que la nouvelle loi électorale modifiait les horaires de vote, ce qui est faux. Certaines contre-vérités, comme la <a href="https://www.politifact.com/factchecks/2021/mar/26/charles-schumer/charles-schumer-misleads-georgia-voting-legislatio/">fin du vote anticipé le week-end</a>, correspondant à des clauses <a href="https://www.businessinsider.fr/us/georgia-gop-absentee-early-voting-restrictions-sunday-black-voters-2021-2">initialement envisagées</a> par les Républicains mais finalement abandonnées dans la version définitive, ont également été énoncées.</p>
<p>Une lecture détaillée de <a href="https://www.legis.ga.gov/api/legislation/document/20212022/201121">cette loi</a> en montre toute l’ambiguïté. Ainsi, elle garantit l’existence d’urnes de dépôt des bulletins (<em>drop boxes</em>) pour le vote anticipé, mises en place avec les <a href="https://www.wabe.org/state-election-board-defends-georgia-election-extends-rules-governing-drop-boxes-early-processing/">dispositions d’urgence de 2020</a> dans le contexte de l’épidémie de Covid-19, mais elle en limite le nombre. Autre exemple : la loi exige dorénavant un numéro d’identification pour les votes par correspondance. Or, aux États-Unis, il n’y a pas de carte d’identité nationale (fédérale) et les populations les plus pauvres n’ont pas forcément de permis de conduire.</p>
<p>Ces lois d’identification des électeurs sont donc souvent <a href="https://www.aclu.org/other/oppose-voter-id-legislation-fact-sheet">perçues comme particulièrement discriminatoires</a> sur le plan racial. Toutefois, en Géorgie, un <a href="https://www.nytimes.com/2021/04/02/us/politics/georgia-voting-law-annotated.html">numéro de sécurité sociale</a> (que possèdent presque tous les Américains) suffira. De plus, et de façon contre-intuitive, la <a href="https://www.annualreviews.org/doi/10.1146/annurev-polisci-051215-022822">recherche universitaire</a> tend à montrer que ces lois d’identification n’ont qu’un effet faible ou négligeable sur la participation électorale. Elles sont également <a href="https://fivethirtyeight.com/features/americans-oppose-many-voting-restrictions-but-not-voter-id-laws/">soutenues par une majorité d’Américains</a>, pourtant opposés aux autres restrictions du droit de vote.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1375442555022704641"}"></div></p>
<p>Trois clauses, cependant, sont particulièrement problématiques : la réduction de la période pendant laquelle un électeur peut demander un bulletin, l’interdiction de distribuer de la nourriture ou de l’eau aux personnes faisant la queue pour voter et, surtout, les nouveaux pouvoirs donnés à l’Assemblée générale de Géorgie (majoritairement républicaine) pour contrôler la commission électorale de l’État (<em>State Election Board</em>) et remplacer les administrateurs électoraux locaux. Cette clause est la plus emblématique d’un <a href="https://www.nytimes.com/2021/04/06/upshot/georgia-election-law-risk.html">potentiel abus de pouvoir</a>, même si certains garde-fous existent bien.</p>
<p>Pour comprendre la signification politique de cette loi, il faut aller au-delà du texte et regarder le contexte. Selon les Républicains, cette loi judicieusement appelée <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Election_Integrity_Act_of_2021">« Loi sur l’intégrité des élections de 2021 »</a> était nécessaire pour <a href="https://www.npr.org/2021/04/09/985474722/georgia-secretary-of-state-says-new-voting-law-restores-confidence">« restaurer la confiance »</a>. Elle valide donc implicitement l’idée que la présidentielle de 2020 n’a pas été intègre. Si elle a été signée par le gouverneur républicain Brian Kemp, qui avait pourtant <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/trump-kemp-call-georgia/2020/12/05/fd8d677c-3721-11eb-8d38-6aea1adb3839_story.html">résisté aux pressions de Donald Trump</a> qui lui demandait de ne pas reconnaître la victoire de Biden, c’est qu’il doit <a href="https://www.nytimes.com/2021/04/08/us/politics/brian-kemp-trump-georgia.html">redorer son blason, après être devenu un paria</a> au sein de son propre parti – du fait, précisément, de son opposition à Trump au plus fort de la période post-électorale.</p>
<p>Cette validation implicite du mensonge de Donald Trump est au cœur de la stratégie républicaine, résumée par le slogan : <a href="https://rslc.gop/wp-content/uploads/2021/04/election-integrity-best-practices-final-v20210405.pdf">« rendre plus facile le vote, et plus difficile la triche »</a>. Mais quelle triche ? Les faits ont largement démontré qu’il n’y a pas eu de fraude, en <a href="https://www.ajc.com/politics/no-fraud-georgia-audit-confirms-authenticity-of-absentee-ballots/QF2PTOGHLNDLNDJEWBU56WEQHM/">Géorgie</a> ou <a href="https://lukeford.net/blog/wp-content/uploads/2021/03/fraud_extended_public.pdf">dans le reste du pays</a>.</p>
<p>Il y aurait <a href="https://www.brennancenter.org/our-work/research-reports/voting-laws-roundup-march-2021">plus de 360 projets de loi similaires</a>, parfois plus radicaux, dans 47 États, projets particulièrement bien avancés <a href="https://www.nytimes.com/2021/04/01/us/texas-voting-restrictions.html">au Texas</a>, en <a href="https://www.nbcnews.com/politics/elections/arizona-republicans-push-new-laws-limit-mail-voting-n1261328">Arizona</a> ou dans le <a href="https://www.politifact.com/factchecks/2021/apr/02/michael-macdonald/mich-gops-proposed-election-law-changes-would-make/">Michigan</a>. Ce mensonge persistant ne fait qu’accroître la polarisation du pays : plusieurs mois après les résultats, alors que Trump insiste sur le fait que la loi de Géorgie <a href="https://www.usatoday.com/story/news/2021/04/07/trump-georgia-election-law-too-weak-attacks-kemp-raffensperger/7123560002/">ne va pas assez loin</a>, une <a href="https://www.reuters.com/article/us-usa-politics-disinformation-idUSKBN2BS0RZ?taid=606af4c8a0a3570001acce1f&utm_campaign=trueAnthem:+Trending+Content&utm_medium=trueAnthem&utm_source=twitter">majorité de Républicains</a> continuent de croire que l’élection leur a été volée.</p>
<h2>Un impact sur les relations entre le business et le monde politique</h2>
<p>Cette politisation du processus électoral pourrait également accélérer une refonte des alliances traditionnelles entre le monde politique et celui des affaires. Déjà, à la suite de la remise en cause du résultat des élections de novembre et de la tentative d’insurrection au Capitole, certaines grandes compagnies avaient mis <a href="https://www.washingtonpost.com/business/2021/01/19/gop-corporate-pac-funding/">fin à leur soutien financier aux Républicains</a>. En Géorgie, de grandes entreprises comme <a href="https://news.delta.com/ed-bastian-memo-your-right-vote">Delta</a> ou <a href="https://www.coca-colacompany.com/media-center/georgia-voting-legislation">Coca-Cola</a> qui, nous l’avons dit, ont condamné publiquement la loi électorale avaient pourtant <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/georgia-voting-law-backlash/2021/04/11/3074ef34-9893-11eb-a6d0-13d207aadb78_story.html">participé en coulisse</a> à son élaboration (en ayant des échanges avec les leaders politiques par le biais des Chambres de commerce) et permis notamment d’exclure les propositions les plus controversées. Des centaines de grands patrons ont récemment signé une <a href="https://www.nytimes.com/2021/04/14/business/dealbook/ceos-voting-rights.html">tribune dans le <em>New York Times</em></a> dénonçant les atteintes au droit de vote dans plusieurs États tandis que d’autres se sont abstenus.</p>
<p>Si, dans ce contexte de polarisation, les grandes marques doivent choisir un camp, face à la <a href="https://www.nytimes.com/2021/03/30/business/dealbook/georgia-voting-boycotts.html">menace de boycott</a>, mais également à la pression de <a href="https://www.washingtonpost.com/technology/2021/01/08/twitter-trump-dorsey/">leurs employés</a> et de leurs investisseurs, elles choisiront celui qui satisfait au mieux leurs intérêts. L’accord, tacite, entre les grandes entreprises et le parti républicain (réductions d’impôts et déréglementation contre dons pour les campagnes électorales) pourrait ne pas survivre à la vague populiste anti-establishment qui submerge le parti.</p>
<p>C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le <a href="https://nymag.com/intelligencer/2021/03/marco-rubio-amazon-union-alabama-oped-woke-capital.html">soutien du républicain Marco Rubio aux syndicats</a> dans leur conflit avec Amazon, ou les accusations de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cancel_culture">culture de l’annulation</a> (cancel culture) par le gouverneur Kemp suite à la délocalisation de la All-Star Game ou aux menaces de boycott de la Géorgie par certaines entreprises. À l’inverse, le chef des Républicains au Sénat, Mitch McConnell, a menacé les entreprises qui s’opposent à la loi électorale de Géorgie de représailles si elles ne <a href="https://www.washingtonpost.com/nation/2021/04/07/mitch-mcconnell-georgia-citizens-united/">restent pas en dehors de la politique</a>. L’ironie étant qu’il a passé sa longue carrière à se battre pour que les <a href="https://www.nytimes.com/2021/04/07/us/mitch-mcconnell-voting-rights-bill.html">entreprises participent à la vie politique</a> précisément au nom de la <a href="https://www.politico.com/story/2010/01/pols-weigh-in-on-citizens-united-decision-031798">liberté d’expression garantie par le Premier amendement</a>… Quant à Donald Trump, il en <a href="https://www.axios.com/trump-calls-for-boycott-of-more-companies-over-georgia-voting-law-5fbed298-f08f-43e7-87dd-86ed4f4a0712.html">appelle lui aussi à leur boycott</a>.</p>
<p>Bien entendu, cela ne veut pas dire que les entreprises vont nécessairement se précipiter chez les Démocrates, notamment si Joe Biden met à exécution <a href="https://www.washingtonpost.com/business/2021/04/12/corporate-tax-voting-rights-business/">son plan d’augmenter les impôts sur les entreprises</a> pour financer l’investissement dans les infrastructures. Le monde des affaires est en fait divisé et <a href="https://www.economist.com/business/2021/04/14/ceo-activism-in-america-is-risky-business">l’activisme politique du patronat est une affaire risquée</a>.</p>
<h2>La vraie menace pour la démocratie : le redécoupage des circonscriptions</h2>
<p>Pourtant, aussi médiatiques que soient ces lois de réformes électorales, elles sont l’arbre qui cache la forêt. Le remaniement partisan des circonscriptions électorales (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Gerrymandering"><em>Gerrymandering</em></a>), en <a href="https://nymag.com/intelligencer/2021/04/georgia-voting-laws-democrats-gerrymandering-hr1.html">Géorgie</a>, comme <a href="https://nymag.com/intelligencer/2021/04/georgia-voting-laws-democrats-gerrymandering-hr1.html">ailleurs</a>, est objectivement une <a href="https://theconversation.com/republicans-didnt-lose-big-in-2020-they-held-onto-statehouses-and-the-power-to-influence-future-elections-150237">plus grande menace</a> pour le fonctionnement démocratique états-unien. S’il est utilisé par les deux partis, les Républicains en avaient fait une véritable stratégie en 2010 (baptisée <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/REDMAP">REDMAP</a>). Le recensement décennal, dont les <a href="https://www.brennancenter.org/our-work/research-reports/2020-census-population-and-apportionment-data-explained">premiers résultats</a> viennent d’être publiés, permettra à nouveau aux États de redessiner leurs circonscriptions, ce qui pourrait avoir un impact sur la représentation démocratique pour la prochaine décennie. Cette arme pourrait peut-être même permettre au parti républicain de <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2021/apr/11/putin-style-democracy-republicans-gerrymandering-electoral-map-democrats-census">reprendre le contrôle de la Chambre des Représentants sans gagner une seule voix</a> de plus qu’en 2020, et sans limiter l’accès aux urnes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/397080/original/file-20210426-19-nsmk4l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/397080/original/file-20210426-19-nsmk4l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=466&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/397080/original/file-20210426-19-nsmk4l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=466&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/397080/original/file-20210426-19-nsmk4l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=466&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/397080/original/file-20210426-19-nsmk4l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=586&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/397080/original/file-20210426-19-nsmk4l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=586&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/397080/original/file-20210426-19-nsmk4l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=586&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Comment voler une élection ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.fairvote.org/new_poll_everybody_hates_gerrymandering">FairVote.org</a></span>
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</figure>
<p>Un projet de loi fédéral appelé <a href="https://www.congress.gov/bill/117th-congress/house-bill/1">« For the People Act »</a> (<em>ou _H.R. 1</em>), qui vise à limiter le gerrymandering, mais aussi à étendre les droits de vote et à réduire l’influence de l’argent en politique a été <a href="https://apnews.com/article/house-passes-sweeping-voting-rights-bill-88088175552f13a8e3f6f25d7bc45f6c">voté par la Chambre il y a quelques semaines</a>, sur des lignes partisanes. Bien qu’<a href="https://www.vox.com/22346812/voting-rights-bill-hr1-for-the-people-act">imparfait</a>, ce projet de loi est perçu comme une menace par les Républicains et par des groupes de pression, comme celui <a href="https://www.newyorker.com/news/news-desk/inside-the-koch-backed-effort-to-block-the-largest-election-reform-bill-in-half-a-century">du milliardaire Charles Koch</a>. Il a toutefois peu de chances de devenir loi, du moins tant que les règles du Sénat permettent d’utiliser <a href="https://theconversation.com/fact-check-us-lelection-senatoriale-en-georgie-va-t-elle-determiner-la-presidence-biden-152539">l’obstruction</a> (<em>fillibuster</em>) pour <a href="https://theconversation.com/fact-check-us-lelection-senatoriale-en-georgie-va-t-elle-determiner-la-presidence-biden-152539">bloquer un vote à majorité simple</a>, le déficit démocratique existant également au sein du Sénat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159077/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une loi électorale controversée vient d’être adoptée en Géorgie. Les débats qui l’entourent reflètent le combat acharné que se livrent les deux grands partis pour peser sur les procédures de vote.Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1571642021-03-16T19:14:16Z2021-03-16T19:14:16ZMort de George Floyd : une condamnation historique dans une société divisée<p>Si le décès de George Floyd, le 25 mai 2020, a eu un tel retentissement aux États-Unis et <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20200606-manifestations-le-monde-entier-rend-hommage-%C3%A0-george-floyd">dans le monde</a>, c’est en raison du caractère insupportable de la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=vksEJR9EPQ8">vidéo</a> d’un policier blanc, Derek Chauvin, qui, tranquillement, les mains dans les poches, maintient son genou sur le cou d’un homme noir, menotté et plaqué au sol pendant <a href="https://www.usatoday.com/story/news/2021/04/19/derek-chauvin-trial-closing-arguments-kenosha-and-austin-shooting-suspects-arrested-nasa-monday-news/7281337002/">9 minutes et 29 secondes</a>. Et ce, malgré les supplications de ce dernier qui, avant de perdre connaissance, a réussi à prononcer ces mots qui, par la suite, seront repris par des manifestants un peu partout sur la planète : « Je ne peux pas respirer. »</p>
<p>Près de dix mois plus tard, Derek Chauvin – qui a été limogé de la police au lendemain du drame, incarcéré cinq mois puis remis en liberté sous caution dans l’attente de son jugement – vient d'être jugé pour meurtre devant un tribunal de Minneapolis. Après plusieurs semaines de procès, il a finalement été déclaré <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/20/mort-de-george-floyd-le-policier-derek-chauvin-reconnu-coupable-de-meurtre-par-le-jury_6077467_3210.html">coupable</a> des trois chefs d’accusation pour lesquels il comparaissait. </p>
<h2>Une affaire exceptionnelle</h2>
<p>Les conséquences immédiates de la mort de George Floyd et de la diffusion de l’enregistrement vidéo des faits effectué par des passants ont été un nombre historique de manifestations dans tout le pays (<a href="https://www.nytimes.com/interactive/2020/07/03/us/george-floyd-protests-crowd-size.html">entre 15 et 25 millions</a> de personnes) rassemblant des Américains de <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2020/06/24/recent-protest-attendees-are-more-racially-and-ethnically-diverse-younger-than-americans-overall/">toutes origines ethniques et souvent jeunes</a>. Ces défilés ont parfois été accompagnés de violences et de destructions, notamment à <a href="https://www.nytimes.com/2020/07/03/us/minneapolis-government-george-floyd.html">Minneapolis</a> ou à <a href="https://edition.cnn.com/2020/07/25/us/portland-stabbing-protest-tear-gas/index.html">Portland</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/bEDuXnXPcqY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Autre record historique : les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/12/la-famille-de-george-floyd-obtient-27-millions-de-dollars-de-dommages-et-interets_6072955_3210.html">27 millions de dollars</a> de dommages et intérêts versés par la ville de Minneapolis à la famille de George Floyd qui met fin aux poursuites au civil que celle-ci avait engagées contre la municipalité.</p>
<p>Le caractère exceptionnel de l'affaire est également souligné par la décision du juge d’autoriser les caméras lors d'un procès au pénal, faisant ainsi exception aux règles normalement en vigueur dans le Minnesota. Décision prise au regard de l’intérêt manifeste du public et des limitations liées au coronavirus : une situation que le juge qualifie de <a href="https://www.washingtonpost.com/business/2021/03/07/courttv-trial-chauvin-floyd/">« pas seulement anormale, mais tout à fait unique »</a>. Ce procès a également vu <a href="https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/?next_url=https%3a%2f%2fwww.washingtonpost.com%2fnation%2f2021%2f04%2f11%2fderek-chauvin-trial-thin-blue-line%2f">se fissurer le « mur bleu »</a>, ce mur du silence corporatiste construit par le refus traditionnel des policiers de condamner l’un de leurs collègues. </p>
<p>Enfin, la condamnation d’un policier est une chose extrêmement rare. La plupart du temps, les policiers sont poursuivis pour meurtre à la suite de fusillades où ils peuvent invoquer la menace d’un danger pour leur vie ou celle d'autres personnes - que cette menace soit avérée ou non.</p>
<p>Comme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=4sWGSJsLo8A">l’a dit Joe Biden</a> à la suite du verdict :</p>
<blockquote>
<p>« Un tel verdict est également beaucoup trop rare pour un très grand nombre de personnes. Il semble qu'il ait fallu une convergence unique et extraordinaire de facteurs. »</p>
</blockquote>
<h2>Des chefs d’inculpation défavorables à la défense</h2>
<p>Derek Chauvin a été reconnu coupable des trois chefs d’inculpation :</p>
<p>Le plus sérieux est le <a href="https://www.revisor.mn.gov/statutes/cite/609.19">meurtre (<em>murder</em>) au second degré</a>, à savoir l’accusation d’avoir « causé la mort d’un être humain sans intention de la donner, tout en infligeant ou en tentant d’infliger intentionnellement des lésions corporelles à la victime ».</p>
<p>Le moins grave est <a href="https://www.revisor.mn.gov/statutes/cite/609.205">l’homicide (<em>manslaughter</em>) involontaire au second degré</a>, qui consiste à causer la mort par négligence.</p>
<p>Le troisième chef d’accusation, tardivement accepté par le juge, est le <a href="https://www.revisor.mn.gov/statutes/cite/609.195">meurtre au troisième degré</a>, à savoir « un acte éminemment dangereux pour autrui et dénotant un esprit dépravé, sans égard pour la vie humaine, causant la mort d’une autre personne sans intention de la donner » – une catégorie qui n’existe que dans trois États dont le Minnesota. Ce dernier chef d’accusation se situe entre les deux premiers en termes de gravité et il offre une nouvelle possibilité aux jurés de trouver un compromis dans leur verdict en cas de désaccord.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1266441911793049603"}"></div></p>
<p>Le juge ne devrait pas annoncer la sentence avant plusieurs semaines. Chauvin risque jusqu'à 40 ans de prison pour meurtre au second degré, jusqu'à 25 ans pour meurtre au troisième degré et jusqu'à 10 ans pour homicide involontaire.</p>
<h2>Une sélection des jurés délicate</h2>
<p>La sélection des 12 jurés et des 4 remplaçants, également télévisée, a commencé le 8 mars. C’était un processus particulièrement délicat : il fallait en effet s’assurer de l’impartialité du jury dans une affaire qui était au cœur de l’actualité depuis plusieurs mois.</p>
<p>Il ne s’agissait donc pas de trouver des jurés qui n’en ont pas entendu parler, ce qui serait impossible, mais qui pouvaient démontrer une certaine forme d’impartialité.</p>
<p>Les jurés potentiels ont dû remplir un <a href="https://int.nyt.com/data/documenttools/george-floyd-derek-chauvin-jury-questions/4c54ccb3edf65018/full.pdf">questionnaire de 14 pages</a> et être interrogés par les deux parties, qui peuvent demander au juge de les récuser. Plusieurs <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2021/mar/09/george-floyd-derek-chauvin-trial-jury">l’ont été</a>, principalement en raison d’opinions trop négatives sur l’accusé. Le juge a dû veiller à ce que le jury soit représentatif, notamment dans une affaire où la question raciale est essentielle, dans un comté qui compte à peu près <a href="https://www.census.gov/quickfacts/hennepincountyminnesota">14 % de Noirs</a>. Sur les <a href="https://www.npr.org/sections/trial-over-killing-of-george-floyd/2021/04/20/989149400/what-we-know-about-the-jurors-in-the-chauvin-trial">douze jurés</a>, six étaient blancs, quatre étaient noirs et deux s'identifiaient comme multiraciaux. Cinq sont des hommes et sept des femmes. </p>
<h2>Au cœur du procès : la cause de la mort de George Floyd</h2>
<p>La défense a concentré son argumentation sur l’idée que Chauvin a agi comme <a href="https://apnews.com/article/us-news-trials-death-of-george-floyd-racial-injustice-us-supreme-court-8ee9b9b218e92faa434d241ef55f5488">« un officier de police raisonnable »</a>, une expression utilisée pour une justification légale de l’usage de la force depuis l’arrêt <a href="https://www.oyez.org/cases/1988/87-6571">Graham v. Connor (1989)</a> de la Cour suprême qui en définit les normes. </p>
<p>Les deux autopsies, l’une effectuée à la demande de la famille Floyd et <a href="https://fr.scribd.com/document/464472105/Autopsy-2020-3700-Floyd">l’autre par le comté de Hennepin</a> (le chef-lieu de Minneapolis), concluent à un homicide mais <a href="https://fivethirtyeight.com/features/the-two-autopsies-of-george-floyd-arent-as-different-as-they-seem/">diffèrent sur des détails et sur les mots choisis</a>.</p>
<p>La première conclut à une mort par une asphyxie, tandis que la seconde indique des facteurs multiples. La défense cherchera à convaincre les jurés que George Floyd est en fait décédé à cause des <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/mort-de-george-floyd/etats-unis-george-floyd-avait-il-pris-plus-de-deux-fois-la-dose-mortelle-de-fentanyl_4073407.html">méthamphétamines et des opioïdes</a> qui ont été trouvés dans son organisme, ainsi que des problèmes de santé sous-jacents.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1267732944782872577"}"></div></p>
<p>Contrairement à ce que l’on voit dans les fictions, il est souvent difficile d’établir la cause d’une mort, comme le soulignent les experts <a href="https://fivethirtyeight.com/features/the-two-autopsies-of-george-floyd-arent-as-different-as-they-seem/">consultés par le <em>Washington Post</em></a>. Et cela, d’autant qu’une asphyxie ne résulte pas nécessairement d’un traumatisme physique. Toutefois, il aurait été difficile de convaincre le jury qu’il n’y avait pas matière pour une condamnation de meurtre au troisième degré. Chauvin a en effet refusé de tenter de ranimer George Floyd <a href="https://www.nytimes.com/2020/05/31/us/george-floyd-investigation.html">comme le proposait l’un de ses collègues</a>, rejeté <a href="https://www.firerescue1.com/off-duty/articles/video-off-duty-ff-pleads-with-minneapolis-police-to-assess-george-floyd-qpHAGleuOb2wnlB4/">l’aide d’une pompière</a> qui se trouvait sur les lieux, en dehors de son service, avant l’arrivée d’une ambulance, et a maintenu son genou sur la victime alors qu’elle était inconsciente. Tout cela est visible sur les enregistrements vidéo des faits. D’où <a href="https://nymag.com/intelligencer/article/derek-chauvin-trial-everything-you-need-to-know.html">l'argument final</a> de la plaidoirie de l’accusation aux jurés :</p>
<blockquote>
<p>« Vous pouvez en croire vos yeux, mesdames et messieurs. C'était ce que vous pensiez que c'était. C'était ce que vous avez vu. C'était un homicide. »</p>
</blockquote>
<h2>Une opinion publique divisée</h2>
<p>Selon un <a href="https://eu.usatoday.com/story/news/politics/2021/03/05/americans-trust-black-lives-matter-declines-usa-today-ipsos-poll/6903470002/">sondage Ipsos/USA Today</a>, en juin dernier, 60 % des Américains qualifiaient la mort de Floyd de « meurtre ». Ils n'étaient plus que 36 % à le faire encore à la veille du procès (64 % des Noirs mais seulement 28 % des Blancs), même si une majorité de Blancs (54 %) et de Noirs (76 %) pensaient qu’il devait y avoir une condamnation. Un <a href="https://today.yougov.com/topics/politics/articles-reports/2021/04/07/derek-chauvin-most-americans-believe-guilty">sondage plus récent</a> montre que si une majorité d’Américains estimaient que Derek Chauvin devait être reconnu coupable du meurtre de George Floyd, la question divisait les sympathisants républicains, dont seuls 31 % pensaient qu’il devait être condamné. </p>
<p>La différence d’opinion entre les Blancs et les Noirs quant aux solutions semble par ailleurs se creuser : aujourd’hui, 75 % des Noirs, contre seulement 42 % des Blancs, font confiance à Black Lives Matter pour promouvoir la justice raciale. Dans le même temps, 77 % des Blancs, contre seulement 42 % des Noirs, font confiance à la police locale à ce sujet.</p>
<p>L’une des raisons de la perte de confiance envers « BLM » chez les Blancs (-8 points par rapport à juin, là aussi) mais aussi chez les Noirs (-12 points) tient en bonne partie au discrédit apporté par le slogan mal formulé et très <a href="https://news.gallup.com/poll/316571/black-americans-police-retain-local-presence.aspx">impopulaire chez les Blancs comme chez les Noirs</a> « Cessez de financer la police » (<a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Defund_the_police"><em>Defund the Police</em></a>), utilisé par les plus radicaux des manifestants.</p>
<p>Une autre raison, plus évidente encore, est liée aux émeutes et aux destructions qui ont émaillé certaines manifestations consécutives à la mort de Floyd. Bien que très minoritaires, puisque selon une analyse de données, les violences ont concerné moins de <a href="https://acleddata.com/2020/09/03/demonstrations-political-violence-in-america-new-data-for-summer-2020/">5 % des manifestations</a>, elles ont nettement marqué l’opinion.</p>
<h2>La guerre des récits entre la droite et la gauche</h2>
<p>Alors que les médias de gauche ont eu tendance <a href="https://www.npr.org/2021/03/10/975769781/how-media-coverage-of-the-george-floyd-story-plays-into-his-accused-killers-tria">à minimiser les dommages matériels</a> causés lors de ces rassemblements, d’autres ont couvert les violences de façon disproportionnée.</p>
<p>Selon une <a href="https://www.signal-ai.com/blog/media-bias-in-the-coverage-of-george-floyd">étude</a> récente, Fox News a ainsi fait le lien avec les émeutes dans 60 % de ses reportages traitant de George Floyd. C’est tout un <a href="https://theconversation.com/ce-que-la-mort-de-george-floyd-et-ses-consequences-disent-de-lamerique-139776">récit alternatif de la situation</a> qui est mis en place par une certaine droite américaine. Il s’agit par exemple d’inverser les rôles et de <a href="http://www2.hawaii.edu/%7Ekent/BlamingtheVictimGlobally.pdf">blâmer la victime</a> en mettant en cause son utilisation de drogue, comme le fait le populaire animateur conservateur de Fox News <a href="https://www.foxnews.com/opinion/tucker-carlson-george-floyd-death-what-media-didnt-tell-you">Tucker Carlson</a>, ou bien de tracer de fausses équivalences entre Black Lives Matter et le Ku Klux Klan, comme le fait son collègue de la même chaîne <a href="https://www.huffingtonpost.ca/entry/sean-hannity-black-lives-matter-kkk_n_5628ff2ee4b0ec0a38936571 ?ri18n=true">Sean Hannity</a>, ou encore de minimiser le problème des violences policières à quelques cas isolés, comme <a href="https://edition.cnn.com/us/live-news/george-floyd-protests-05-31-20/index.html">l’avait fait Robert O’Brien</a>, le conseiller à la Sécurité nationale de Donald Trump.</p>
<p>L’affaire Floyd et les manifestations qu’elle a déclenchées a bien sûr été l’un des grands sujets de la campagne présidentielle américaine, les deux candidats n’hésitant pas à <a href="https://www.leparisien.fr/international/trump-evoque-george-floyd-lors-d-une-intervention-sur-l-emploi-et-s-attire-une-polemique-06-06-2020-8330844.php">invoquer le nom de la victime</a> chacun à sa façon et l’un des aspects importants du vote <a href="https://www.nytimes.com/2020/11/07/us/black-lives-matter-protests.html">pour un cinquième des électeurs</a>.</p>
<p>Suite à ce procès, le président a promis de se battre pour le projet de loi sur la réforme de la police, baptisé précisément <a href="https://judiciary.house.gov/uploadedfiles/george_floyd_jpa_2021_fact_sheet_.pdf">« George Floyd Justice in Policing Act »</a>. Les Démocrates à la Chambre des Représentants l’ont approuvé en 2020 et à nouveau en 2021, mais il a peu de chances d’obtenir les 60 voix nécessaires à son adoption au Sénat (où les Républicains disposent de 50 sièges sur 100) dans sa version actuelle. Ce texte <a href="https://www.vox.com/2021/3/3/22295856/george-floyd-justice-in-policing-act-2021-passed-house">vise notamment</a> à réduire l’immunité dont bénéficient les policiers en cas d’abus, à les obliger à porter des caméras filmant leurs interventions ou encore à interdire les prises d’étranglement comme celle qui a coûté la vie à George Floyd.</p>
<p>La situation est d’autant plus compliquée qu’il existe plus de 18 000 forces de police aux États-Unis au niveau fédéral, des États, des comtés et des municipalités. Les solutions devront donc venir du terrain, en termes de formation policière et de prise de conscience des préjugés inconscients des hommes et femmes en uniforme. Un travail de longue haleine auquel <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=ImlHzwNgJVM">se sont déjà attelés</a> certains anciens policiers.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157164/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’affaire George Floyd a été à la fois tragiquement banale et exceptionnelle par ses conséquences.Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1498672020-11-11T17:32:30Z2020-11-11T17:32:30ZAvant Kamala Harris : ces femmes noires qui ont visé la Maison Blanche<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/368669/original/file-20201110-17-14ctao6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3574%2C2395&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Kamala Harris, d'origine jamaïcaine et indienne, deviendra la 20 janvier 2021 la vice-présidente des États-Unis.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Pavlo Conchar/SOPA Images/LightRocket via Getty Images</span></span></figcaption></figure><p>La future vice-présidente des États-Unis est la <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/i-am-who-i-am-kamala-harris-daughter-of-indian-and-jamaican-immigrants-defines-herself-simply-as-american/2019/02/02/0b278536-24b7-11e9-ad53-824486280311_story.html">fille américaine d’immigrés jamaïcains et indiens</a>.</p>
<p>La <a href="https://www.nytimes.com/video/us/politics/100000007442400/biden-trump-presidential-election.html">victoire annoncée de Joe Biden sur Donald Trump</a> signifie que la sénatrice Kamala Harris s’apprête à devenir la première femme vice-présidente du pays et la première personne noire à occuper le poste de vice-président. Harris est <a href="https://theconversation.com/with-kamala-harris-americans-yet-again-have-trouble-understanding-what-multiracial-means-145233">également d’origine indienne</a>, ce qui fait de l’élection de 2020 un véritable jalon pour deux communautés « de couleur ».</p>
<p>Harris n’est pas la première femme noire à avoir aspiré à la vice-présidence dans l’histoire américaine. La journaliste afro-américaine et militante politique californienne Charlotta Bass s’est présentée à la vice-présidence en 1948 <a href="https://www.aaihs.org/charlotta-bass-for-vice-president-americas-two-parties-and-the-black-vote/">sur le ticket du Parti progressiste</a>.</p>
<p>Avant de devenir la colistière de Biden, Harris a été son adversaire lors des primaires présidentielles démocrates. Elle est l’une des nombreuses femmes noires américaines à avoir <a href="https://www.thoughtco.com/black-women-who-have-run-for-president-4068508">brigué la plus haute fonction du pays</a> en dépit des nombreux obstacles qu’elles eurent à surmonter.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/368171/original/file-20201109-13-tq4ith.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C253%2C3600%2C2139&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/368171/original/file-20201109-13-tq4ith.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/368171/original/file-20201109-13-tq4ith.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/368171/original/file-20201109-13-tq4ith.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/368171/original/file-20201109-13-tq4ith.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/368171/original/file-20201109-13-tq4ith.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/368171/original/file-20201109-13-tq4ith.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pendant le premier discours de Kamala Harris en tant que 49e vice-président élu des États-Unis, le 7 novembre 2020 à Miami, en Floride.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/haitian-american-supporters-of-the-democratic-party-listen-news-photo/1229530998?adppopup=true">Johnny Louis/Getty Images</a></span>
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<h2>Des mains qui autrefois cueillaient le coton…</h2>
<p>Dans l’histoire des États-Unis, les Afro-Américains ont longtemps été dans l’impossibilité de s’approcher du pouvoir politique, du fait de l’esclavage d’abord, puis des <a href="http://jumelage.org/francais/les-lois-jim-crow/">lois Jim Crow</a> et de diverses mesures visant à empêcher les Noirs d’exercer pleinement leurs droits civiques et, spécialement, le droit de vote.</p>
<p>La tâche a été particulièrement ardue pour les femmes noires. Les femmes n’ont obtenu le droit de vote aux États-Unis qu’en <a href="https://www.nps.gov/articles/african-american-women-and-the-nineteenth-amendment.htm">1920</a>, et même à cette époque, les Noirs – y compris bien sûr les femmes – ne pouvaient toujours pas voter dans la plupart des États du Sud. Dans les années 1960, les femmes noires ont largement <a href="https://theconversation.com/the-hidden-history-of-black-nationalist-womens-political-activism-89695">contribué à la création du mouvement des droits civiques</a>, mais elles ont été tenues à l’écart des postes de direction.</p>
<p>J’aborde ces questions lors des cours de politique gouvernementale et de politique des minorités que j’enseigne en tant que <a href="https://scholar.google.com/citations?user=V8VhlpAAAAAJ&hl=en">professeur de sciences politiques</a>. Mais j’explique dans le même temps à mes étudiants que, malgré tout, les femmes noires des générations passées ont été nombreuses à caresser des ambitions politiques et même à obtenir certains succès dans ce domaine. Comme l’a dit le révérend Jesse Jackson en 1984 à propos de la montée en puissance des <a href="https://www.nytimes.com/1984/02/10/us/jackson-tells-alabama-it-will-never-be-the-same.html">électeurs noirs au siècle dernier</a>, « des mains qui autrefois cueillaient le coton élisent désormais le président du pays ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/351166/original/file-20200804-16-zpao3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/351166/original/file-20200804-16-zpao3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/351166/original/file-20200804-16-zpao3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/351166/original/file-20200804-16-zpao3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/351166/original/file-20200804-16-zpao3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/351166/original/file-20200804-16-zpao3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/351166/original/file-20200804-16-zpao3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Joe Biden, lui-même ancien vice-président, a pleinement conscience de l’importance de cette fonction.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/presumptive-democratic-presidential-nominee-former-vice-news-photo/1227818356?adppopup=true">Mark Makela/Getty Images</a></span>
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<p>Aujourd’hui, des <a href="https://theconversation.com/americas-black-female-mayors-face-dual-crises-of-covid-19-and-protests-but-these-women-are-used-to-uphill-battles-140415">maires noires</a> dirigent plusieurs des plus grandes villes américaines, dont Atlanta, Chicago et San Francisco. Des femmes noires sont <a href="https://www.latimes.com/nation/la-na-seattle-portland-chiefs-20180816-story.html">chefs de police</a>, <a href="https://www.nbcwashington.com/news/local/virginia-democrat-runs-to-become-first-black-woman-governor-in-us/2336934/">candidates au poste de gouverneur</a> et, de plus en plus souvent, <a href="https://www.cawp.rutgers.edu/women-color-elective-office-2019">élues au Congrès</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, les femmes noires – qui, longtemps, n’étaient pas autorisées à voter pour élire le président, sans même parler de concourir à la fonction suprême du pays – voient l’une des leurs à un pas du Bureau ovale.</p>
<h2>« Inaptes » pour le poste ?</h2>
<p>Kamala Harris est une Démocrate qui a été procureur général de Californie, puis sénatrice. Son appartenance partisane tend plutôt à faire d’elle une exception : historiquement, la plupart des candidates noires à la présidence se sont présentées en tant qu’indépendantes.</p>
<p>En 1968, Charlene Mitchell, 38 ans, originaire de l’Ohio, est devenue la première femme noire à se présenter à la présidence, en tant que communiste. Comme de nombreux autres Afro-Américains nés dans les années 1930, elle a rejoint le parti communiste en raison de <a href="https://www.thecrimson.com/article/1968/11/5/charlene-mitchell-pbtbhe-frederick-douglas-book/">l’importance que celui-ci accorde à l’égalité des races et des sexes</a>. Les femmes noires communistes ont <a href="https://www.peoplesworld.org/article/communists-and-the-long-struggle-for-african-american-equality/">dénoncé</a> les lois Jim Crow, les lynchages et les pratiques injustes dans le monde du travail affectant les hommes et les femmes de toutes les couleurs de peau.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/352378/original/file-20200811-13-1chj8s8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt=" Charlene Mitchell" src="https://images.theconversation.com/files/352378/original/file-20200811-13-1chj8s8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/352378/original/file-20200811-13-1chj8s8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=818&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/352378/original/file-20200811-13-1chj8s8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=818&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/352378/original/file-20200811-13-1chj8s8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=818&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/352378/original/file-20200811-13-1chj8s8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1028&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/352378/original/file-20200811-13-1chj8s8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1028&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/352378/original/file-20200811-13-1chj8s8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1028&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Charlene Mitchell, première candidate noire à la présidence des États-Unis.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/4/4c/Charlene_Mitchell.jpg/176px-Charlene_Mitchell.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>La campagne présidentielle de Mitchell, qui était axée sur les <a href="https://www.aaihs.org/a-black-woman-communist-candidate-charlene-mitchells-1968-presidential-campaign/">droits civiques et la lutte contre la pauvreté</a>, était probablement vouée à l’échec dès le départ. En 1968, de nombreux États n’ont <a href="https://diva.sfsu.edu/collections/sfbatv/bundles/220770">pas autorisé les communistes à voter</a>. Les médias, du <a href="https://www.aaihs.org/a-black-woman-communist-candidate-charlene-mitchells-1968-presidential-campaign/"><em>Boston Globe</em> au <em>Chicago Tribune</em></a>, ont été nombreux à juger Mitchell inadaptée au poste qu’elle briguait <a href="https://www.aaihs.org/a-black-woman-communist-candidate-charlene-mitchells-1968-presidential-campaign/">parce qu’elle était à la fois noire et femme</a>. Mitchell n’a finalement récolté que <a href="https://www.jofreeman.com/politics/womprez.htm">1 075 voix</a>.</p>
<p>Parmi les autres candidates noires indépendantes à la présidence figurent l’activiste communautaire <a href="https://nursingclio.org/2016/11/08/rosie-the-riveter-for-president-margaret-wright-the-peoples-party-and-black-feminism/">Margaret Wright</a>, qui s’est présentée sous l’étiquette du Parti populaire en 1976, et <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/obituaries/politics-obituaries/8788002/Isabell-Masters.html">Isabell Masters</a>, une enseignante qui a créé son propre parti, appelé Looking Back, et qui s’est présentée en 1984, 1992 et 2004.</p>
<p>En 1988, la psychologue Lenora Fulani est devenue la première femme et la première Afro-Américaine à se présenter à la présidence dans chacun des 50 États. Se présentant comme indépendante, elle a récolté <a href="https://awpc.cattcenter.iastate.edu/directory/lenora-b-fulani/">plus de votes lors d’une élection présidentielle américaine que toute autre femme candidate avant elle</a>. L’enseignante Monica Moorehead, du <a href="https://www.ourcampaigns.com/CandidateDetail.html?CandidateID=4227">Workers World ticket</a>, a concouru à la présidence en 1996, 2000 et 2016.</p>
<p>En 2008, l’année où Barack Obama a été élu président, Cynthia McKinney, une ancienne représentante américaine de Géorgie, était candidate du <a href="https://www.gp.org/">Parti Vert</a>. Et en 2012, Peta Lindsay s’est présentée avec un programme plus à gauche que celui du président Obama, sur le ticket du <a href="https://www.pslweb.org/about">Parti pour le socialisme et la libération</a>.</p>
<p>Une seule femme noire a brigué l’investiture républicaine : Angel Joy Charvis, une conservatrice religieuse de Floride, qui a expliqué, en présentant sa candidature en 1999, vouloir « <a href="https://www.orlandosentinel.com/news/os-xpm-1999-03-24-9903240069-story.html">recruter une nouvelle espèce de Républicains</a> ».</p>
<h2>Incorruptible et indépendante</h2>
<p>Toutes ces candidates noires à la présidence étaient peu connues. Mais en tant que première femme noire membre du Congrès, Shirley Chisholm avait derrière elle des années d’expérience dans la fonction publique et bénéficiait d’une notoriété nationale lorsqu’elle est devenue la première Noire américaine et la première femme à briguer l’investiture démocrate à la présidence en 1972. Le slogan de sa campagne était <a href="https://theundefeated.com/features/shirley-chisholm-unbought-and-unbossed-presidential-campaign-poster-cover-stories/">« Unbought and Unbossed »</a> (que l’on pourrait traduire par « Incorruptible et indépendante »).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/351167/original/file-20200804-20-1gcru4z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/351167/original/file-20200804-20-1gcru4z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/351167/original/file-20200804-20-1gcru4z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/351167/original/file-20200804-20-1gcru4z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/351167/original/file-20200804-20-1gcru4z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/351167/original/file-20200804-20-1gcru4z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/351167/original/file-20200804-20-1gcru4z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Shirley Chisholm annonce sa candidature à l’investiture démocrate à la présidentielle de 1972.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/representative-shirley-chisholm-of-brooklyn-announces-her-news-photo/3240579?adppopup=true">Don Hogan Charles/New York Times Co. via Getty Images</a></span>
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</figure>
<p>Shirley Chisholm, qui a <a href="https://theundefeated.com/features/shirley-chisholm-unbought-and-unbossed-presidential-campaign-poster-cover-stories/">financé elle-même l’essentiel de sa campagne</a>, s’est concentrée sur les <a href="https://www.nytimes.com/2019/07/06/sunday-review/shirley-chisholm-monument-film.html">droits civiques et la lutte contre la pauvreté</a>.</p>
<p>Elle a rapidement fait l’objet d’attaques sexistes véhémentes. Un <a href="https://www.nytimes.com/1972/06/25/archives/the-short-unhappy-life-of-black-presidential-politics-1972-black.html">article du New York Times de juin 1972</a> la qualifie ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« [Elle n’est] pas belle. Son visage est osseux et anguleux, son nez large et plat, ses yeux petits presque comme des perles, son cou et ses membres décharnés. Ses dents saillantes expliquent probablement en partie son zézaiement perceptible. »</p>
</blockquote>
<p>Chisholm n’a guère été soutenue par les électeurs noirs et les femmes, et n’a <a href="https://web.archive.org/web/20141111182057/http://www.uic.edu/orgs/cwluherstory/jofreeman/polhistory/chisholm.htm">remporté aucune primaire</a>.</p>
<p>Les femmes noires qui ont suivi les traces de Chisholm, du Congrès aux primaires présidentielles démocrates, y compris <a href="https://www.haverford.edu/college-communications/news/carol-moseley-braun-presents-views-government-democratic-party">Carol Moseley Braun, sénatrice de l’Illinois</a> et Harris elle-même, n’ont guère connu plus de succès. Harris a compté parmi les premiers candidats démocrates aux primaires de 2020 à <a href="https://www.cnn.com/2019/12/03/politics/kamala-harris-ends-presidential-bid/index.html">se retirer de la course, en décembre 2019</a>.</p>
<h2>Les défis auxquels sont confrontées les femmes noires</h2>
<p>Pourquoi ces candidatures, et celles des <a href="https://www.washingtonpost.com/nation/2020/08/12/bass-kamala-first-black-vp/">autres femmes noires</a> qui visaient de hautes fonctions, ont-elles échoué ?</p>
<p>Dans la plupart des cas, les candidates noires à la présidence n’ont pas pu aller jusqu’au bout de leurs campagnes électorales. Et celles qui l’ont fait ont éprouvé des difficultés à récolter des fonds.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/368361/original/file-20201109-17-g989hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/368361/original/file-20201109-17-g989hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/368361/original/file-20201109-17-g989hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/368361/original/file-20201109-17-g989hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/368361/original/file-20201109-17-g989hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/368361/original/file-20201109-17-g989hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/368361/original/file-20201109-17-g989hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/368361/original/file-20201109-17-g989hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Fresque murale, œuvre de l’artiste Danielle Mastrion, au Shirley Chisholm State Park, ouvert en 2019 à Brooklyn, New York.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Catesby Holmes</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Leurs candidatures n’ayant <a href="https://www.washingtonpost.com/outlook/2020/03/03/losing-primary-candidates-still-influence-race/">pas été prises au sérieux</a> par les médias, elles ont eu du mal à faire entendre leur message. Historiquement, les candidates noires à la présidence n’ont reçu <a href="https://theconversation.com/how-strategic-bias-keeps-americans-from-voting-for-women-and-candidates-of-color-145906">aucun soutien réel de la part d’un segment quelconque des électeurs américains</a>, y compris les Afro-Américains et les femmes. En général, les gens – même ceux qui auraient pu être encouragés par l’idée que quelqu’un qui leur ressemblait puisse aspirer à la Maison-Blanche – <a href="https://www.smithsonianmag.com/smithsonian-institution/unbought-and-unbossed-when-black-woman-ran-for-the-white-house-180958699/">pensaient qu’elles ne pouvaient pas gagner</a>.</p>
<p>En tant que vice-président ayant joué un rôle majeur durant les deux mandats de Baracj Obama, Joe Biden sait ce que cette fonction implique. En Kamala Harris, il a choisi une femme qui non seulement l’a aidé à remporter l’élection, mais qui est également prête à gouverner.</p>
<p>2020 restera comme une année charnière pour les Afro-Américains, les Américains d’origine asiatique et les femmes – autant de catégories qui ont été si longtemps exclues de tant d’aspects de la vie politique américaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/149867/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sharon D. Wright Austin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avant Kamala Harris, d’autres femmes de couleur se sont portées candidates aux plus hautes fonctions aux États-Unis. Coup de projecteur sur les plus remarquables de ces pionnières.Sharon D. Wright Austin, Professor of Political Science, University of FloridaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1488412020-11-03T19:43:27Z2020-11-03T19:43:27ZLes afro-descendants belges et la question de la reconnaissance<p>Les manifestations antiracistes à la suite de la mort de George Floyd, tué fin mai 2020 par des policiers blancs aux États-Unis, ont apporté un souffle nouveau à la lutte contre le racisme et contre l’exclusion que subissent encore les Noirs à travers le monde.</p>
<p>En Belgique, si les premières actions ont consisté à prendre pour cible, à vandaliser ou encore à <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/on-continue-a-deboulonner-les-statues-au-tour-de-celles-de-leopold-ii-en-belgique_3982343.html">déboulonner les statues de Léopold II</a>, ancien roi des Belges, c’est parce que, pour les manifestants, la question noire dans ce pays nécessite à la fois un retour sur l’histoire coloniale belge en Afrique des Grands Lacs et ses divers héritages contemporains.</p>
<p>On comprend donc pourquoi, suite à ces manifestations et à l’occasion de la soixantième année de l’indépendance de la RDC, le roi des Belges a exprimé ses <a href="https://www.bbc.com/afrique/region-53232803">« plus profonds regrets pour les blessures »</a> infligées aux Congolais durant la colonisation. On comprend aussi pourquoi, dès le 17 juillet 2020, le Parlement belge a décidé de faire <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20200818-commission-pass%C3%A9-colonial-belge-besoin-temps-selon-historiens">« la paix avec son passé colonial »</a> en mettant en place une commission spéciale chargée de mener « l’enquête et le débat sociétal à ce sujet » et d’établir « une commission de vérité et réconciliation ».</p>
<p>Pour avancer efficacement sur la question noire en Occident, il faudra cesser de la penser comme un phénomène homogène. Il faudra comprendre comment elle se décline dans chaque pays. L’un des enjeux de la lutte décoloniale devient dès lors celui de la reformulation des idéaux politiques spécifiques autour desquels les luttes devraient se cristalliser au niveau national.</p>
<p>Dans cet article, j’essaie de formuler l’un de ces idéaux de la lutte des afro-descendants noirs et métis pour le cas spécifique de la Belgique en m’inspirant de « Caoutchouc-Rouge – Rouge Coltan », un film d’animation de <a href="https://www.babelio.com/auteur/Jean%E2%80%91Pierre-Griez/218606">Jean‑Pierre Griez</a> qui interroge « le lien entre la violence de la colonisation belge du Congo et les violences extractivistes contemporaines ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande annonce de <em>Caoutchouc rouge, rouge coltan</em>.</span></figcaption>
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<p>Le film pose deux problèmes majeurs. Le premier est lié au sens de la continuité mécanique que le film semble établir entre l’exploitation du caoutchouc à partir de la fin du XIX<sup>e</sup> siècle et l’extraction du coltan au début du XXI<sup>e</sup> siècle – deux temporalités tout à fait différentes. Le deuxième problème est celui du sens de la revendication de l’identité congolaise de la part des afro-descendants qui n’ont pas la nationalité congolaise.</p>
<p>Toute tentative de résolution de ces deux problèmes, celui de la continuité et de l’identité, nous mène à penser nécessairement les afro-descendants belges comme une communauté et minorité politique belge qui devrait lutter pour sa reconnaissance juridique, une reconnaissance constitutionnelle à l’instar des autres communautés en Belgique. Cette reconnaissance ouvre à la question de la mise en place de dispositifs spécifiques qui visent les afro-descendants en vue de l’égalisation des conditions de vie des Belges.</p>
<p>D’une part, cette minorité prend conscience de sa situation et du sens de sa lutte à partir d’un retour dans l’histoire des rapports violents entre la Belgique et le Congo depuis plus d’un siècle et la manière dont cette violence s’est prolongée dans leur patrie, la Belgique. D’autre part, la reconnaissance de cette minorité afro-descendante suppose un triple engagement de la Belgique face à la <a href="https://www.kbs-frb.be/fr/Virtual-Library/2017/20171121_CF">violence qui traverse leur quotidien en Belgique</a> (symbolisée, dans le film, par les statues de Léopold II dans l’espace public), face à leur histoire (symbolisée par le caoutchouc) et face à leurs autres parties situées en Afrique des Grands Lacs (symbolisées par le coltan).</p>
<p>Trois idées ressortent avec force dans le film : la violence (post-)coloniale, le <a href="https://www.lepoint.fr/culture/nadia-yala-kisukidi-nous-devons-rebatir-l-afrique-d-alger-a-cape-town-12-11-2017-2171712_3.php">retour</a> en Afrique et l’interruption politique.</p>
<h2>La violence (post-)coloniale</h2>
<p><em>Caoutchouc rouge, rouge coltan</em> raconte l’histoire de Abo Ikoyo, une jeune Belgo-Congolaise de 17 ans.</p>
<blockquote>
<p>« [Abo] n’a jamais connu son père, disparu à l’est de la RDC à l’aube des années 2000. Alors, quand la prof propose un parcours sur les traces du passé colonial, elle replonge dans l’histoire méconnue de sa famille : la résistance acharnée d’un aïeul et d’un peuple contre les horreurs de l’époque léopoldienne, l’apartheid et le racisme du colonialisme ordinaire, le pillage des ressources, un arrière-grand-père chauffeur personnel de Patrice Lumumba, une guerre dévastatrice pour le coltan et autres minerais du sang. »</p>
</blockquote>
<p>Dans le film, Abo se présente comme une Belgo-Congolaise. Elle cherche à s’approprier la nationalité congolaise, la double nationalité n’étant pas acceptée au Congo. Et pourtant, Abo a besoin de se nommer congolaise. Elle sait qu’il est impossible d’être uniquement et exclusivement belge lorsqu’on est noir ou métisse en Belgique. Elle a compris que, dans les faits, les personnes de sa couleur n’avaient pas de place en Belgique et, lorsqu’elles en avaient une, elle était périphérique.</p>
<p>Les Noirs et afro-descendants belges subissent un <a href="https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/general/la-belgique-moins-violente-mais-aussi-raciste-que-les-etats-unis/10233001.html">racisme silencieux mais systémique et à grande échelle</a> : agression physique, harcèlement, exclusion, discrimination à l’emploi et au logement, profilage discriminatoire par la police et d’autres formes de violence.</p>
<p>Beaucoup d’associations contre le racisme sont unanimes sur le fait que le problème du racisme est une <a href="https://www.unia.be/fr/articles/en-belgique-la-couleur-de-peau-est-toujours-un-obstacle">plaie qui gangrène la Belgique</a> mais dont on ne veut surtout pas parler.</p>
<p>Tout ceci est pourtant paradoxal pour un pays où la différence est reconnue et sérieusement considérée : les Flamands, les Wallons, les germanophones, sont autant de communautés pour lesquelles la Belgique essaie de considérer les particularités, les histoires, les blessures et de mettre en place des politiques de soin. Mais ce souci de soin ne vaut pas pour les afro-descendants, ces sujets auxquels le royaume doit pourtant beaucoup.</p>
<p>Ce refus de prendre soin des afro-descendants rappelle malheureusement comment, depuis la fin du XIX<sup>e</sup> siècle au moins, la Belgique a pris <a href="https://www.unia.be/fr/a-propos-dunia/historique-dunia">l’habitude de discriminer et de violenter ceux qui étaient noirs de peau</a>. La place périphérique qu’expérimentent les afro-descendants en Belgique n’a pas produit que de la discrimination. Elle a aussi produit leur absence dans les sphères de pouvoir, leur oubli dans les principaux débats publics, l’ignorance de leurs problèmes spécifiques. C’est ce rejet qui a mené Abo, comme d’autres afro-descendants belges, sur le chemin du retour.</p>
<h2>Retour en Afrique et construction d’une identité spécifique</h2>
<p><em>Caoutchouc rouge, rouge coltan</em> est un cri. Le film montre que ce qui a mené Abo à raconter son histoire, c’est cette lourdeur qui l’entoure lorsqu’elle se balade dans son propre pays, la Belgique. Abo ne comprend pas pourquoi les statues des bourreaux des Congolais qui parsèment sa ville n’ont pas été déboulonnées à l’instar de ceux de chefs nazis dont il n’existe quasiment plus de traces dans les villes européennes.</p>
<p>Comment comprendre ce paradoxe ? Que faire de ces choses qui nous rappellent instamment que nous sommes différents dans notre propre pays, que nous n’avons pas les mêmes droits ? Que nous sommes certes Belges et Européens mais toujours de seconde zone ? Le royaume ne l’explique jamais aux afro-descendants. Ceux-ci doivent retourner au Congo pour tout comprendre.</p>
<p>Mais ce retour n’est pas à considérer comme l’expression d’une obsession identitaire. Il n’est pas non plus un privilège. Il s’agit au contraire d’une volonté de se reconstruire, de se soigner, de retrouver la dignité. Il s’agit aussi d’un acte éminemment politique qui marque la singularité des afro-descendants et qui les institue en tant que communauté et minorité belge.</p>
<p>En d’autres termes, pour que les afro-descendants puissent comprendre leur place en Belgique, ils doivent retourner en Afrique. C’est seulement à partir de là qu’ils peuvent comprendre comment, historiquement, l’appât du gain (ici, le caoutchouc) a mené Léopold II et ensuite la Belgique à produire la hiérarchie des races et comment cela s’est répercuté dans le présent des afro-descendants en Belgique. L’Afrique représente ici ce lieu de restauration – à défaut d’une Belgique qui présente leurs bourreaux en héros ; qui n’enseigne pas leur histoire ; qui <a href="https://www.revuepolitique.be/archives-letat-belge-a-t-il-peur-de-son-histoire-coloniale/">interdit l’accès à leurs archives</a> ; et qui <a href="https://bruxelles-panthere.thefreecat.org/?p=4566">criminalise leurs tentatives de retrouver la dignité</a>.</p>
<p>La singularité des Noirs et des métis afro-descendants belges se trouve donc derrière cette nécessité de retourner en Afrique, c’est-à-dire de retourner dans l’histoire de la Belgique pour comprendre pourquoi celle-ci les a lâchés. Cette singularité explique aussi la nécessité de se battre sans relâche pour interrompre le discours de normalité, d’homogénéité de la communauté politique, d’harmonie d’une nation.</p>
<h2>Interruption politique et reconnaissance juridique</h2>
<p>Le film est l’un de ces moments intenses d’interruption politique. Il constitue donc une autre brique qui s’ajoute à la longue et lente constitution de la communauté politique noire et métisse en Belgique. Mais une telle lutte a des conséquences : elle fait de ces afro-descendants des Congolais, Rwandais et Burundais à part entière qui sont désormais concernés par la violence de la Belgique contre leurs autres patries qui se situent en Afrique des Grands Lacs.</p>
<p>C’est cela qui dédouble leur lutte. La lutte des afro-descendants belges devient à la fois une lutte contre le racisme et l’exclusion qu’ils subissent en Belgique et une lutte contre tout positionnement paternaliste et néocolonial de la Belgique en Afrique des Grands Lacs. Voilà pourquoi ces afro-descendants dénoncent aujourd’hui l’exploitation du caoutchouc et l’extraction du coltan – deux métaphores qui symbolisent la complicité et le silence de la Belgique.</p>
<p>Pour finir, en interrogeant le lien entre la violence coloniale et les violences extractivistes à la fois anciennes et contemporaines, ce film constitue une contribution à la consolidation d’une communauté politique noire et métisse en Belgique. Il s’attaque au refus, pour la Belgique, de penser une nation plurielle où les particularités des Noirs et des métis devraient être sérieusement considérées ; c’est-à-dire juridiquement reconnues. Cette reconnaissance implique des droits spécifiques pour l’égalisation des conditions matérielles de vie des Belges. Une telle mesure ne serait pas d’ordre identitaire ; elle relèverait de l’idéal démocratique et irait dans le sens de la consolidation d’une nation qui a oublié certains de ses filles et fils.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148841/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aymar Nyenyezi Bisoka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans leur quête de reconnaissance, les afro-descendants belges doivent interroger les liens entre la violence de la colonisation belge du Congo et les violences extractivistes contemporaines.Aymar Nyenyezi Bisoka, Chargé de cours, Université de MonsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1452772020-10-28T15:10:10Z2020-10-28T15:10:10ZLe « meme », une arme de résistance pour les Afro-Américains<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/365073/original/file-20201022-16-19uj4u0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C52%2C4970%2C3211&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestation contre le racisme en souvenir de George Floyd le 7 juin 2020, à Rome, en Italie. Un homme brandit une pancarte disant « I can't breathe » (Je ne peux pas respirer). Cette phrase est devenu emblématique de la lutte des Noirs contre la violence policière.</span> <span class="attribution"><span class="source">shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.huffpost.com/entry/johnniqua-charles-you-about-to-lose-your-job_n_5eeb68dbc5b645146c2363bd?">Johnniqua Charles</a>, une sans-abri de la ville de Dillon, en Caroline du Sud, ne se doutait pas qu’un rap improvisé lors de son arrestation allait devenir l’hymne de plusieurs manifestations antiviolence policière aux États-Unis et ailleurs dans le monde.</p>
<p>Rappelons les faits. Le 5 févier dernier, cette femme de 27 ans se fait interpeller par Julius Locklear, un gardien de sécurité voulant l’arrêter pour intrusion dans un restaurant où la femme prétendait venir sur les lieux pour chercher des effets personnels. Charles se met à chanter et danser une chanson impromptue « You about to lose you job » à répétition en mise en garde.</p>
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<figcaption><span class="caption">iMarkkeyz x DJ Suede The Remix God – Lose Yo Job.</span></figcaption>
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<p>Depuis, cette arrestation est devenue un <em>meme</em>, soit un court sketch, une chanson ou une image abondamment partagés sur Facebook, Instagram, Reddit, Twitter, ou YouTube. Le meme est viral, car il emballe, divertit et sert de commentaire social et politique.</p>
<p>Le phénomène touche à plusieurs des thèmes importants que l’on retrouve dans les pratiques émergentes des communautés culturelles et minoritaires dans les médias sociaux en 2020. Le meilleur exemple : la recrudescence des revendications de la communauté noire à la suite de la mort de Georges Floyd et qui a donné lieu à l’expression « I can’t breathe » du mouvement Black Lives Matter.</p>
<p>Il y a plusieurs moyens de résistance utilisés par la population noire et ses alliés, dont les manifestations contre la brutalité policière aux États-Unis. L’été 2020 en a été un moment catalyseur. Mais l’exemple de cette femme se défendant d’une arrestation a été un des meilleurs moyens de résistance et de communication de la situation des Afro-Américains.</p>
<p>Mes recherches sur la culture dans les médias sociaux tels que la <a href="https://georgetown.app.box.com/s/mofzim17n50m16kdhu0y00ejv0f4i65p">Révolution verte iranienne sur Twitter de 2009</a>, Black Twitter, et la <em>cancel culture</em>, m’ont amené à explorer le phénomène du meme comme outil de résistance.</p>
<h2>La réponse des plus démunis</h2>
<p>L’arrestation de Johnniqua Charles est un exemple de la manifestation du pouvoir envers une personne défavorisée <a href="https://www.latimes.com/sports/story/2020-05-31/lebron-james-reacts-george-floyd-sports-racism-lakers">dérangeant l’ordre social</a>. Elle est perçue par la majorité blanche de la société américaine comme « l’autre ».</p>
<p>La réponse des plus démunis aux injustices se transforme ainsi bien souvent en <em>memes</em>. Ceux-ci traversent les frontières culturelles et les classes sociales. Le <em>meme</em> déshumanise souvent son sujet en puisant à fond dans la misère de ce dernier, encourageant la moquerie. Mais cette moquerie devient aussi une arme pour l’individu désarçonné, comme ça été le cas pour cette jeune itinérante.</p>
<h2>Le chant de résistance</h2>
<p>Trouvant son arrestation injuste, la jeune femme s’y oppose en chantant. Il devient une forme d’opposition, de contestation et de résistance qui reflète les mêmes stratégies utilisées par les anciens esclaves américains. Ce sont ces chants de résistance qui ont donné naissance à la musique <a href="https://blackexcellence.com/black-gospel-songs/">gospel</a>, au <a href="https://folklife.si.edu/talkstory/2016/tell-it-like-it-is-a-history-of-rhythm-and-blues">rythm & blues</a>, au <a href="https://www.nytimes.com/2020/09/03/arts/music/jazz-protest-academia.html">jazz</a>, et récemment, au <a href="https://inthesetimes.com/article/hip-hop-black-lives-matter-kendrick-lamar-janelle-monae">rap et au hip-hop</a>.</p>
<p>Cette musique de résistance vient de l’Amérique noire, perçue par l’Amérique blanche comme « l’autre », mais il serait bien difficile aujourd’hui de la séparer de la culture dominante nord-américaine.</p>
<p>Dans le cas de l’arrestation de Johnniqua Charles, le gardien de sécurité, Julius Locklear, n’a pu s’empêcher de trouver la prestation drôle et d’en perdre son sérieux. L’acte de la jeune femme a fonctionné puisqu’elle a été relâchée et le gardien de sécurité a reçu un avertissement. Il a lui-même ensuite publié le <a href="https://www.facebook.com/julius.locklear.7927/posts/197076461488191">vidéo sur Facebook</a>.</p>
<h2>La culture de la remédiation</h2>
<p>Le rap de Johnniqua Charles a lancé un mouvement basé sur le mot-clic <a href="https://twitter.com/search?q=%23YouAboutToLoseYoJob&src=typeahead_click">#YouAbouttoLoseYoJob</a> (« Tu es sur le point de perdre ta job », phrase qu’elle répète dans sa chanson). Le gardien, représentant du pouvoir, a choisi de partager la vidéo contestant son autorité au reste de la planète.</p>
<p>Le message a aussi été rediffusé sur <em>Twitter</em> par des membres de <em>Black Twitter</em>, un groupe informel d’utilisateurs noirs de la plate-forme.</p>
<p>Ce dévoilement initial a été récupéré au début du mois de juin par des DJ. Ces derniers ont repris le clip original, ont refait un montage avec des <em>beats</em> et un peu de musique, créant de façon instantanée un message viral audiovisuel réactualisant ainsi une vidéo policière vieille de quatre mois.</p>
<p>Marshall McLuhan parlait de culture de la <a href="https://www.futurelearn.com/courses/reading-digital/0/steps/16851">remédiation</a> (une théorie ensuite élaborée par Jay David Bolter and Richard Grusin) pour parler de cette pratique consistant à récupérer d’anciens contenus et les intégrer dans des nouveaux montages pour créer des contenus originaux où d’anciens contenus sont récupérés et intégrés.</p>
<p>D’autres, comme <a href="https://hls.harvard.edu/faculty/directory/10071/Benkler/">Yochai Benkler</a>, professeur à <a href="https://www.harvard.edu/">Harvard</a> spécialisé dans les théories du bien commun et du partage sur Internet, parle de la culture de convergence, où le public se rapproprie les contenus, faisant fi des contraintes de propriété intellectuelle dans son élan de création. Les divers morceaux de vidéos utilisés dans le montage des <a href="https://www.instagram.com/remixgodsuede/">DJ Suede the Remix God</a> et <a href="https://www.imarkkeyz.com/">iMarkkeyz</a> et le chant original de Charles sont utilisés sans compensation des droits d’auteurs.</p>
<p>Ainsi, la culture de masse n’est plus générée que par des créateurs d’Hollywood, Detroit, et Nashville, mais aussi par des amateurs. C’est l’émergence de la culture participative telle que définie par Henry <a href="http://henryjenkins.org/aboutmehtml">Jenkins</a>, professeur à la University of Southern California <a href="https://www.usc.edu/">USC</a> spécialisé dans l’étude de la création culturelle des fans.</p>
<p>Le résultat le plus inusité de ce nouveau montage où Johnnika Charles résiste à son arrestation, chantant au gardien de sécurité qu’il va perdre son emploi, est l’utilisation dorénavant du chant comme un hymne de résistance par plusieurs manifestants critiquant le pouvoir de la police envers des cibles prédéterminées.</p>
<p>Plusieurs, comme le candidat au Congrès américain Hakeem Jeffries, utilisent maintenant le meme pour avertir le <a href="https://twitter.com/hakeem_jeffries/status/1274331633605382148">président Trump qu’il perdra bientôt son poste !</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/145277/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hervé Saint-Louis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il y a plusieurs moyens de résistance utilisés par la population noire et ses alliés, dont les manifestations, mais le « meme » semble en voie de devenir l’arme la plus efficace.Hervé Saint-Louis, Professeur adjoint en médias emergents, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1466102020-10-08T17:47:53Z2020-10-08T17:47:53ZComment la série « Watchmen » réinvente la genèse du super-héros<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/359121/original/file-20200921-22-1b7lmn4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C12%2C713%2C391&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Will Reeves (Hooded Justice).</span> </figcaption></figure><p>Le 20 septembre 2020, <em>Watchmen</em> (HBO, 2019) triomphe lors de la 72<sup>e</sup> édition des Emmy Awards (équivalent des Oscars pour la télévision américaine) en remportant onze prix au total (si l’on ajoute les prix dans des catégories techniques remis plus tôt), dont ceux de la meilleure minisérie, du meilleur second rôle masculin (Yahya Abdul-Mateen II – Dr. Manhattan) et de la meilleure actrice dans une minisérie (Regina King – Sister Night) et celui du meilleur scénario pour l’épisode 6 : « This Extraordinary Being ». Ce dernier marque un tournant dans la construction de la série en réinvestissant le passé du comic book. En effet, il offre une <em>origin story</em> à l’un des personnages les plus discutés du comic book d’origine (Alan Moore) : Hooded Justice.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/359171/original/file-20200921-24-214tw3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/359171/original/file-20200921-24-214tw3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=944&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/359171/original/file-20200921-24-214tw3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=944&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/359171/original/file-20200921-24-214tw3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=944&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/359171/original/file-20200921-24-214tw3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1186&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/359171/original/file-20200921-24-214tw3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1186&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/359171/original/file-20200921-24-214tw3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1186&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Hooded Justice dans le comic book.</span>
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<p>Dans la série, le spectateur suit le personnage d’Angela Abar (Sister Night), une ancienne policière qui prend une identité super-héroïque pour combattre le crime dans la ville de Tulsa en Oklahoma. Les premiers épisodes élaborent une intrigue autour d’une mystérieuse organisation de suprématistes blancs appelée « La 7<sup>e</sup> cavalerie ». Dans le sixième épisode, Angela Abar s’injecte une dose importante d’un produit appelé « Nostalgia » qui lui donne des hallucinations lui permettant d’expérimenter les souvenirs de son grand – père. Non seulement Angela va comprendre que son grand-père est le premier super – héros de l’histoire américaine, mais surtout que sa transformation est le résultat d’une injustice sociale et raciale fondamentale.</p>
<h2>Une figure héroïque aux prises avec l’héritage raciste des États-Unis</h2>
<p>Aborder le passé de Will Reeves (Hooded Justice) permet de revisiter l’histoire de l’Amérique, et notamment de ses pages les moins glorieuses et les moins connues (la série débute par l’émeute de Tulsa en 1921 où une foule d’Américains blancs attaquèrent les habitants de la communauté afro-américaine).</p>
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<figcaption><span class="caption">Watchmen : Episode 6 Promo | HBO.</span></figcaption>
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<p>Le personnage de Will Reeves est un enfant survivant des émeutes qui devient policier dans une Amérique gangrenée par le racisme. Alors qu’il pense changer les choses en intégrant la police, Will déchante très vite quand ses collègues le lynchent et simulent sa pendaison après qu’il ait arrêté un homme blanc. Errant de manière extatique dans les rues avec la corde au cou, Will assiste à une agression et la cagoule qui fut le symbole de son lynchage, devient le premier « masque » de super-héros de l’histoire, alors que ce dernier dissimule son visage pour intervenir sans risquer d’être reconnu.</p>
<p>Dans une interview de 2017 accordée au journal brésilien <em>Folha de Sao Paulo</em>, Alan Moore, scénariste des comics <em>Watchmen</em>, abordait l’origine des super-héros, en mettant en exergue le parallélisme avec le film de David W. Griffith, qui consacrait le suprématiste comme un héros, remettant par-là en question l’origine du super-héros et son rôle dans la culture populaire :</p>
<blockquote>
<p>« Mis à part quelques personnages non blancs (et quelques créateurs non blancs), ces personnages et bandes dessinées emblématiques restent des fantasmes suprémacistes de la race blanche. Je pense même qu’on peut voir en <em>Naissance d’une Nation</em> le premier film de super-héros américain, et le point d’origine de tous ces capes et masques. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/359180/original/file-20200921-14-1v4hod9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/359180/original/file-20200921-14-1v4hod9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/359180/original/file-20200921-14-1v4hod9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/359180/original/file-20200921-14-1v4hod9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/359180/original/file-20200921-14-1v4hod9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/359180/original/file-20200921-14-1v4hod9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/359180/original/file-20200921-14-1v4hod9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Will Reeves (Hooded Justice), « This Extraordinary Being » (S1E06).</span>
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<p>Obsédé par cette idée de Moore, Lindelof réinvestit cette analyse en consacrant à Watchmen une mythologie alternative où le premier super-héros naît d’un traumatisme du racisme, de la ségrégation et du Ku Klux Klan. Symboliquement, la cagoule de Reeves ressemble à celle des membres du KKK, sauf que celle-ci est noire, comme une réponse symbolique. Lindelof inscrit donc son propos dans les idées de Moore en offrant une brillante réécriture des origines d’un genre :</p>
<blockquote>
<p>« Le premier super-héros des États-Unis était un Noir, portant un masque pour dissimuler sa couleur de peau, qui protégeait les minorités des injustices d’un système profondément vicié. Ses successeurs deviendront les marionnettes de ce même système, et le visage triomphant d’une Amérique sclérosée, rongée par ses propres morsures. Cet être extraordinaire n’est ni plus ni moins que l’histoire oubliée d’une appropriation culturelle masquée. »</p>
</blockquote>
<p>Pourtant à l’origine de la vocation de tous les autres héros, Will est obligé de dissimuler son identité et de maquiller son visage de poudre pour apparaître « blanc » dans une Amérique gangrenée par le racisme, inversant ainsi le Black Face omniprésent dans <em>Naissance d’une nation</em>.</p>
<p>L’épisode s’achève par la déchéance intérieure de Will à l’origine d’un genre nouveau mais incapable de faire exister son combat aux yeux des autres. Le genre super – héroïque naît donc des injustices raciales du XX<sup>e</sup> siècle mais c’est en raison de ces mêmes injustices que l’histoire de Will est oubliée.</p>
<h2>La série en résonnance avec le contexte politique</h2>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1307857000852680705"}"></div></p>
<p>Lors de la cérémonie des Emmy Awards de 2020, l’équipe a dédié sa récompense aux victimes du massacre d’au moins 300 Noirs par des émeutiers blancs à Tulsa (Oklahoma) en 1921, évènement narré dans la série, et qui fait échos aux mouvements de protestation contre la violence raciale aux États-Unis suite à la mort, le 25 mai 2020, de George Floyd, un Afro-Américain de 46 ans. « Le seul moyen d’éteindre les incendies est de les combattre tous ensemble », a lancé le créateur Damon Lindelof, en recevant le prix de la meilleure minisérie.</p>
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<figcaption><span class="caption">72nd Emmy Awards : Watchmen Wins for Outstanding Limited Series.</span></figcaption>
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<p>Regina King a quant à elle profité de sa récompense pour appeler tous les spectateurs à se mobiliser en vue de l’élection présidentielle du 3 novembre. « Vous devez voter. Je serais indigne de ne pas mentionner cela, en tant que membre d’un show aussi visionnaire que <em>Watchmen</em> », a proclamé la comédienne qui joue le rôle d’Angela Abar. En s’exprimant avec un tee-shirt à l’effigie de Breonna Taylor, une Américaine noire tuée par la police et devenue l’un des symboles du mouvement Black Lives Matter, l’actrice insiste une fois de plus sur la portée politique de la minisérie.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ETHv9fZhfx8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">72nd Emmy Awards : Regina King Wins for Outstanding Lead Actress in a Limited Series or Movie.</span></figcaption>
</figure>
<p>La dimension politique est au cœur du projet sériel de Damon Lindelof, qui explique dans une interview vouloir explorer le passé pour mieux comprendre la situation actuelle de l’Amérique :</p>
<blockquote>
<p>« Je pense que nous sommes en pleine crise de racisme en ce moment, et cette série parle de ce malaise alarmant. Dans une série traditionnelle de super-héros, on aurait les bons se débarrassant des méchants. Mais avec Watchmen, je voulais montrer que l’on ne se débarrasse pas aussi facilement du racisme et des suprémacistes. Nous vivons véritablement à une époque de chaos et cela va nous prendre du temps pour nous en remettre… si l’on peut s’en remettre. »</p>
</blockquote>
<p>La force de cet épisode est de redéfinir un genre par le prisme du réel. C’est en cela que l’œuvre d’Alan Moore a donné une crédibilité aux super-héros, en y insérant une relecture sociologique et géopolitique d’un siècle ponctué de tragédie pour l’humanité. L’œuvre de Moore est souvent considérée comme une fiction en phase avec son époque, celle de l’Amérique reaganienne des années 1980. La série de Damon Lindelof s’inscrit non seulement dans cette continuité en prenant le pouls d’une Amérique divisée par une présidence d’un nouveau genre mais elle effectue aussi un travail fondamental de mémoire sur le racisme aux États-Unis.</p>
<hr>
<p><em>Cette contribution s'appuie sur l'article de recherche de Frédéric Aubrun et Vladimir Lifschutz, « <a href="http://journals.openedition.org/narratologie/10401">Morphologie du récit super-héroïque à l'épreuve de la transmédialité : du médium bédéique à la série, que sont nos héros devenus ?</a> », publié en septembre 2020 dans les Cahiers de Narratologie.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146610/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Aubrun est membre du centre de recherche Marge (EA 3712), rattaché à l'Université Lyon 3 : <a href="https://marge.univ-lyon3.fr">https://marge.univ-lyon3.fr</a>. L’équipe, interdisciplinaire, regroupe des spécialistes de littératures et d’Info-com (sections 09, 14, 13 et 71 du CNU).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Vladimir Lifschutz est membre du centre de recherche Marge (EA 3712), rattaché à l'Université Lyon 3 : <a href="https://marge.univ-lyon3.fr">https://marge.univ-lyon3.fr</a>. L’équipe, interdisciplinaire, regroupe des spécialistes de littératures et d’Info-com (sections 09, 14, 13 et 71 du CNU).</span></em></p>« Watchmen » (HBO, 2019) offre une origin story à l’un des personnages les plus discutés de l’œuvre originale : Hooded Justice. Sa transformation est le résultat d’une injustice sociale et raciale.Frédéric Aubrun, Enseignant-chercheur en Marketing digital & Communication au BBA INSEEC - École de Commerce Européenne, INSEEC Grande ÉcoleVladimir Lifschutz, Enseignant en arts du spectacle option audiovisuelle, Université Jean-Moulin Lyon 3, Université Jean-Moulin Lyon 3Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1463152020-09-27T16:13:42Z2020-09-27T16:13:42ZNouveaux mouvements antiracistes : importation américaine ou modèle européen ?<p>Ces derniers mois, suite à la nouvelle explosion du mouvement <em>Black Lives Matter</em> aux États-Unis, nous avons assisté à une série de mobilisations et de manifestations antiracistes <a href="https://www.politico.eu/article/us-style-civil-rights-protests-come-to-europe-george-floyd-black-lives-matter/">dans plusieurs villes européennes</a>. Si les luttes contre le racisme structurel et systémique sont nécessaires, il faut également se demander à quel point (et comment) ces revendications s’articulent en Europe.</p>
<p>Cela interroge aussi les effets potentiels d’un éventuel copié-collé en Europe de modèles, cadres d’analyses et d’action issus des débats américains sur la <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674008243">fracture raciale constitutive de cette société</a>.</p>
<p>Assistons-nous réellement à la <a href="https://www.kcl.ac.uk/news/abolishing-racism-the-global-black-lives-matter-revolt">mondialisation d’un nouveau mouvement antiraciste</a> ?</p>
<p>Tous les pays du monde n’ont pas été touchés par le mouvement. En Europe, la mobilisation a été variable d’un pays à l’autre.</p>
<p>En même temps, il serait insensé, voire tendancieux, d’affirmer que les mobilisations en Europe ne sont rien d’autre qu’une importation d’une question raciale spécifique au contexte américain. Cela revendrait à nier l’existence du racisme structurel dans nos sociétés et partant, à tenter d’affaiblir, voire de délégitimiser le combat antiraciste.</p>
<h2>Une nécessaire contextualisation</h2>
<p>Les revendications d’un mouvement complexe et hétérogène tel que <em>Black Lives Matter</em> (BLM) doivent être contextualisées dans des sociétés profondément différentes de la société américaine, et pas seulement du point de vue de la relation entre la composition ethnoraciale de la population et l’appareil de sécurité de l’état.</p>
<p>Soyons clairs, nous parlons, aux USA comme en Europe, de sociétés qui présentent depuis très longtemps des <a href="https://www.euractiv.com/section/non-discrimination/news/beyond-the-us-police-brutality-structural-racism-are-a-problem-in-europe-too/">sérieux problèmes d’inégalité et de discrimination</a> déterminés par les caractéristiques personnelles des individus. Mais la couleur de peau est l’une de ces caractéristiques, à côté d’autres éléments tels que la nationalité, le genre, le statut socio-économique, etc., avec lesquels elle interagit.</p>
<h2>La police tue beaucoup plus fréquemment aux États-Unis qu’en Europe</h2>
<p>Prenons la violence policière, le facteur qui a déclenché des mobilisations et des manifestations dans différentes régions du monde au cours des derniers mois. C’est un phénomène interpellant, qui existe indéniablement aussi dans le contexte européen. Cependant, les chiffres montrent que la police tue beaucoup plus fréquemment aux États-Unis qu’en Europe, et cela même si on neutralisait la variable ethnoraciale.</p>
<p>Par exemple, les <a href="https://theconversation.com/why-do-american-cops-kill-so-many-compared-to-european-cops-49696">données disponibles</a> s les plus récentes montrent qu’il y a 3,42 tirs de police mortels par million d’habitants aux États-Unis, contre 0,187 au Danemark, 0,17 en France et 0,133 en Suède, pour citer les trois premiers pays européens dans ce classement.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/why-do-american-cops-kill-so-many-compared-to-european-cops-49696">Why do American cops kill so many compared to European cops?</a>
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<p>Si on la prend en compte, on peut dire que les Noirs des États-Unis ont plus de probabilité que les Noirs d’Europe de subir des violences policières.</p>
<p>Bien sûr, le problème de profilage racial et de harcèlement de communautés spécifiques existe <a href="https://fra.europa.eu/en/news/2020/stop-racist-harassment-and-ethnic-profiling-europe">aussi en Europe</a>. Mais en Europe, en général, la violence policière est perçue dans le débat public comme étant moins lié à la « race » qu’au sens américain.</p>
<p>Les cas de brutalités policières envers les minorités racisées restent une horrible récurrence dans nos sociétés, et elles ne touchent pas que les afrodescendants ou les descendants des immigrés maghrébins.</p>
<h2>Des brutalités policières très diverses</h2>
<p>De nombreuses tragédies le prouvent, comme <a href="https://www.lalibre.be/belgique/judiciaire/affaire-mawda-le-proces-debute-jeudi-a-mons-5f2819629978e2322ff8caf8">l’affaire Mawda</a>, fillette kurde de 2 ans tuée par un policier en mai 2018 en Belgique, ou encore le décès de Jozef Chovanec suite à une intervention de la police de l’aéroport de Charleroi, toujours en Belgique.</p>
<p>À cette occasion une policière impliquée fut filmée <a href="https://www.lesoir.be/319915/article/2020-08-19/deces-de-jozef-chovanec-laeroport-de-charleroi-la-policiere-qui-effectue-le">faisant fièrement le salut nazi</a> à côté de la victime qui agonisait sous le genou d’un autre policier.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/42HQvabmDP8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Mawda, deux ans, tuée par la police lors d’une course poursuite sur une autoroute belge en 2018.</span></figcaption>
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<p>En France, si les jeunes d’origine africaine (Maghrébins ou Noirs) sont particulièrement ciblés par la police comme le rapportait le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/03/le-defenseur-des-droits-denonce-la-discrimination-systemique_6041628_3224.html">défenseur des droits</a> en juin 2020, la brutalité policière s’est aussi exercée <a href="https://www.liberation.fr/france/2019/11/18/gilets-jaunes-violences-policieres-la-preuve-par-l-image_1764177">contre les « gilets jaunes »</a>, et même <a href="https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/violences-policieres-nouvelle-polemique-apres-l-interpellation-musclee-d-une-soignante-7800610171">contre le personnel hospitalier</a> lors de leurs grandes manifestations de 2019.</p>
<p>La police est donc violente et tue aussi en Europe, mais le phénomène est vécu de manière plus transversale qu’aux USA. Cela vaut non seulement pour l’opinion publique, mais aussi pour les milieux militants et la société civile.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/358791/original/file-20200918-14-xk1yhv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/358791/original/file-20200918-14-xk1yhv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/358791/original/file-20200918-14-xk1yhv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/358791/original/file-20200918-14-xk1yhv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/358791/original/file-20200918-14-xk1yhv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/358791/original/file-20200918-14-xk1yhv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/358791/original/file-20200918-14-xk1yhv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le débat sur la violence policière en Europe porte notamment sur les questions de répression du droit de manifester.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luca Manunza/Instagram</span></span>
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<p>L’accent est plus souvent mis sur la question de la répression du droit de manifester ou, en tout cas, sur l’usage illégitime de la force <a href="https://www.erudit.org/en/journals/ref/2016-v22-n1-ref02603/1037170ar.pdf">envers des classes sociales spécifiques</a>, plutôt qu’exclusivement envers des populations définies par l’origine ethnique ou raciale. Dans ce sens, le débat européen est historiquement plus articulé sur le plan idéologique, car il concerne d’une manière générale le <a href="https://paris-luttes.info/la-police-une-ethnographie-11911?lang=fr">rôle de la police dans la société capitaliste</a>.</p>
<h2>Il manque encore un leadership noir structuré en Europe</h2>
<p>Il faut aussi tenir compte du fait qu’il y a une nette différence dans la composition ethnoraciale des élites aux USA et en Europe. L’une des grandes contradictions des États-Unis est précisément d’être un pays où la ségrégation raciale de fait reste très importante en dépit de son abolition légale, tout en affichant des élites noires dans différents secteurs de la société, ce qui est moins courant ailleurs en Europe.</p>
<p>Pour donner un exemple, les <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/aug/29/eu-is-too-white-brexit-likely-to-make-it-worse">institutions de l’UE sont en grande majorité blanches</a>. Il n’y a pas de membres noirs à la Commission, et il n’y a que trois députés noirs sur 751 au Parlement.</p>
<p>En ce qui concerne plus particulièrement le leadership politique, il existe depuis longtemps aux USA, héritage du <a href="https://www.biography.com/people/groups/civil-rights-activists">civil rights movement</a> et de ses dérivés, comme l’illustrent parmi tant d’autres les figures de Al Sharpton ou de John Lewis disparu en août dernier.</p>
<p>Mais il n’est pas encore très présent les sociétés européennes où la représentation politique au sens large des minorités racisées n’en est qu’à ses débuts.</p>
<p>Les communautés d’origine subsaharienne, en particulier, restent tristement invisibles et <a href="https://kisa.org.cy/wp-content/uploads/2015/08/book_-_people_of_african_descent_-_final-21.pdf">rencontrent d’énormes résistances</a>, parfois même des réactions violentes, lorsqu’elles tentent de s’organiser politiquement, comme l’a démontré, il y a quelques années, le cas tragique des <a href="https://www.nazioneindiana.com/2010/02/01/i-mandarini-e-le-olive-non-cadono-dal-cielo/">travailleurs agricoles de Rosarno</a> en Italie du Sud.</p>
<h2>De nouvelles forces politiques en formation</h2>
<p>Cependant, bien qu’il ne soit pas encore structuré, un nouveau leadership est en formation. Des femmes noires jouant actuellement un rôle moteur en n’hésitant pas à manier un langage radical et parfois provocant pour tenter de gagner une visibilité et d’exercer une influence sur l’agenda politique. On pense ainsi à <a href="https://www.rtbf.be/info/societe/detail_la-vie-des-noirs-compte-moins-en-belgique?id=10517466">Mireille Tsheusi-Robert</a> en Belgique.</p>
<p>Mais ce leadership n’occupe pas encore des positions de pouvoir dans les institutions politiques, et les élites traditionnelles rechignent à leur faire de la place.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/358331/original/file-20200916-14-ytg3cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/358331/original/file-20200916-14-ytg3cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/358331/original/file-20200916-14-ytg3cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/358331/original/file-20200916-14-ytg3cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/358331/original/file-20200916-14-ytg3cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/358331/original/file-20200916-14-ytg3cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/358331/original/file-20200916-14-ytg3cz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Rosarno, Italie. Les tentatives d’instaurer un leadership noir se heurtent souvent à une opposition violente dans de nombreux pays européens.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luca Manunza/Instagram</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>Par ailleurs, un ensemble de forces politiques insensibles à certaines questions, voire explicitement racistes, est présent et vivant presque partout en Europe. Du <em>Rassemblement national</em> français à la <em>Lega</em> italienne, les partis de la droite populiste et xénophobe sont désormais bien établis dans tous les états européens, ou même majoritaires comme dans le cas de Viktor Orban en Hongrie.</p>
<p>Leur influence a un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/07256868.2016.1235099">impact important sur le débat public</a>, ce qui conduit parfois à minimiser la question des discriminations raciales.</p>
<p>En Italie, par exemple, les masses sont peu sensibilisées à ces questions, et les leaders de la droite qui critiquent les mouvements ont la partie facile en proposant le contre-slogan « all lives matter ». Ce sont les mêmes qui, paradoxalement, étaient prêts il y a quelques mois à abandonner des milliers de migrants en haute mer, et de les priver de leurs droits fondamentaux sur la vague du nationalisme la plus exclusiviste.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/UEj-YKsfO08?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Ceux qui aujourd’hui crient le contre-slogan « all lives matter », sont les mêmes qui étaient prêts à abandonner les migrants en mer il y a quelques mois.</span></figcaption>
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<p>Dans d’autres contextes nationaux ou régionaux, la sensibilité aux questions de discrimination raciale est plus grande et le leadership noir en formation a enfin plus d’écho.</p>
<h2>Une réouverture des débats</h2>
<p>En Belgique, la <a href="https://www.politico.eu/article/thousands-protest-racism-in-brussels-as-us-black-lives-matter-movement-sweeps-europe/">mobilisation</a> qui a résulté du mouvement <em>BLM</em> a conduit à la réouverture du débat sur l’histoire coloniale du pays, une question toujours latente, mais jamais résolue dans la sphère publique et politique. Le débat sur la période coloniale et sur la situation post-coloniale <a href="https://www.editions-academia.be/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=41631">a longtemps été impossible</a>.</p>
<p>Il est devenu aujourd’hui inévitable à un point tel que suite aux manifestations dans la foulée de <em>BLM</em> et aux mobilisations des militants décoloniaux, une <a href="https://plus.lesoir.be/307851/article/2020-06-17/une-commission-parlementaire-sur-le-passe-colonial-belge-des-la-rentree">commission parlementaire sur le passé colonial</a> a vu le jour. Elle rassemble tant des experts académiques que des militants.</p>
<p>On remarque un scénario similaire en France et au Royaume-Uni, où le mouvement a eu pour effet de remettre en cause les perspectives ethnocentriques, avec des manifestations <a href="https://www.theguardian.com/uk-news/2020/jun/14/the-day-bristol-dumped-its-hated-slave-trader-in-the-docks-and-a-nation-began-to-search-its-soul">fortement iconoclastes</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/vCGKkeRsczs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Mireille Tsheusi-Robert, militante belge d’origine congolaise en entretien avec le site ArtFusion.</span></figcaption>
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<p>Certains mouvements antiracistes et décoloniaux, portés par des leaders plus ou moins influents dans le débat public européen ont été certes rendus plus visibles par les différentes manifestations qui ont agité l’espace nord-américain depuis quelques années.</p>
<p>Cependant, y voir un simple copié-collé du mouvement américain pose des problèmes fondamentaux.</p>
<h2>Aller au-delà de la rhétorique de l’intersectionnalité</h2>
<p>Tout d’abord, le phénomène risque d’occulter la <a href="https://books.google.be/books?id=pWXWlFiRnH4C&pg=PA30&dq=Racism+and+Anti-Racism+in+Europe&hl=it&sa=X&ved=2ahUKEwjs_K_6uPrrAhWHsKQKHYC3AvQQ6AEwBnoECAgQAg#v=onepage&q=Racism%20and%20Anti-Racism%20in%20Europe&f=false">pensée antiraciste</a> qui s’est développée dans le contexte européen au cours des trois dernières décennies. Or il est nécessaire de repenser les principes du mouvement <em>BLM</em> en revoyant les concepts de domination et de discrimination non pas individuellement, mais dans leur intersection.</p>
<p>Il nous parait indispensable de pouvoir représenter réellement les différents facteurs de discrimination d’ordre individuel, physique, culturel ou socio-économique et en même temps éviter toute hiérarchie entre eux. Soit, aller <a href="https://journals.openedition.org/cedref/827">au-delà de l’intersectionnalité</a> comme simple rhétorique pour englober réellement toutes les variables (race, classe, genre) tant dans les analyses que dans les modes d’action et de revendication.</p>
<p>Si cet effort ne persiste pas, la portée politique globale d’un mouvement tel que <em>BLM</em> risque d’être fortement affaiblie et il deviendra difficile de mobiliser une masse critique qui puisse avoir un impact structurel et durable sur les inégalités qui affectent nos sociétés et sur le racisme structurel en Europe.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146315/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Affirmer que les mobilisations antiracistes en Europe ne sont qu’un copié-collé de mouvements américains revient à nier leur combat et leur marque de fabrique.Marco Martiniello, Research Director FNRS Director, Centre d’Etude et des Migrations (CEDEM) Directeur de l'IRSS,Faculté des Sciences Sociales, Université de Liège, Université de LiègeAlessandro Mazzola, Post-doc Research Fellow, Sociologist, Guildhall School, City of London Corporation, Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1419102020-07-07T21:38:33Z2020-07-07T21:38:33ZSéries américaines : comment les héroïnes noires se sont imposées<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/346088/original/file-20200707-194396-rm3ttw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=55%2C9%2C1473%2C862&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Tessa Thompson dans Dear White People.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.allocine.fr/film/fichefilm-225928/photos/detail/?cmediafile=21170976">Allociné</a></span></figcaption></figure><p>C’est dans les années 70, portées par les mouvements noirs-américains, que les héroïnes noires commencent à apparaître sporadiquement dans un storytelling jusqu’alors majoritairement blanc. Elles rompent radicalement avec le premier rôle d’une afro-américaine dans une série de type sitcom, Ethel Waters, dans <em>The Beulah Show</em> (1950-1954) en <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Mammy_archetype_in_the_United_States">domestique stéréotypée</a>, aux connotations racistes.</p>
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<p>En 1968, l’épisode « Plato’s stepchildren » de <em>Star Trek</em> marque les esprits avec le premier baiser interracial <a href="https://youtu.be/lThvEsP5-9Y">entre le capitaine Kirk et le lieutenant Uhura</a>. La Cour Suprême vient alors tout juste de légaliser le mariage interracial. Dans <em>Mannix</em> (1967 à 1975), Gail Fisher, qui interprète Peggy Fair, l’ingénieuse secrétaire du détective privé, devient la première actrice noire à remporter un Emmy et deux Golden Globes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/346085/original/file-20200707-38-bxizil.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/346085/original/file-20200707-38-bxizil.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/346085/original/file-20200707-38-bxizil.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/346085/original/file-20200707-38-bxizil.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/346085/original/file-20200707-38-bxizil.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/346085/original/file-20200707-38-bxizil.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/346085/original/file-20200707-38-bxizil.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Entre eux, un baiser légendaire.</span>
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<p>Il faudra cependant attendre 2015 pour que l’Emmy du premier rôle soit décerné à Viola Davis pour <em>Murder</em>. Celle-ci profitera de la remise de prix pour évoquer « la ligne invisible » séparant les actrices noires des premiers rôles.</p>
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<h2>La montée en puissance des femmes fortes</h2>
<p>Dans les séries des années 2010, Olivia Pope (Kerry Washington) dans <em>Scandal</em>, Annalise Keating (Viola Davis) dans <em>Murder</em>, Miranda Bailey (Chandra Wilson) dans <em>Grey’s Anatomy</em>, Michonne (Danai Gurira) dans <em>Walking Dead</em>, Maeva Millay (Thandie Newton) dans <em>Westworld</em>, Regina King (Angela Abraham) dans <em>Watchmen</em> incarnent toutes des héroïnes volontaires, courageuses et combatives dans des univers fort différents.</p>
<p>Ces pionnières sont à relier au <a href="https://yard.media/blaxploitation-la-genese-du-hip-hop/">mouvement de la blaxploitation</a> qui mettait en avant des héroïnes noires fortes, dont Pam Grier a été l’icône dans <em>Coffy</em> (1963) ou <em>Foxy Brown</em> (1974) – Quentin Tarentino rendra hommage au genre et à l’actrice dans <em>Jackie Brown</em>, en 1997. Leurs descendantes ont la même énergie et la même détermination, tout en s’insérant dans les nouveaux codes fictionnels des héroïnes contemporaines, <a href="https://www.buzzfeed.com/fr/shylawatson/41-des-femmes-noires-les-plus-badass-qui-nous-ont">plus indépendantes, moins systématiquement sexualisées et plus « badass »</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/GCc99Gh-IEM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Elles s’inscrivent également dans une représentation plus large des personnages féminins, grâce à la concurrence des plates-formes et au succès de créatrices comme Shonda Rhimes (<em>Grey’s Anatomy, Scandal</em>) ou Jenji Kohan (<em>Weeds, Orange Is the New Black</em>).</p>
<p>La multiplication de ces figures féminines interroge aussi leur émancipation véritable. Ici et là apparaissent en effet des indices qui pointent les difficultés à sortir des stéréotypes.</p>
<h2>La lutte contre les injonctions et les stéréotypes</h2>
<p>Souvent insidieuses, les injonctions esthétiques le sont davantage encore pour les héroïnes noires, notamment avec le défrisage et le blanchiment. Ces sujets, longtemps restés tabous, commencent à être exposés. <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/une-vie-une-oeuvre/frantz-fanon-l-homme-qui-interroge-1925-1961">Ils font écho aux écrits de Frantz Fanon</a> selon lequel les peuples colonisés ayant fini « par intégrer les discours de stigmatisation, le sentiment d’être inférieurs » en sont venus à « mépriser leur culture » et à intériorise une mauvaise image d’eux-mêmes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/346091/original/file-20200707-194401-1oinamn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/346091/original/file-20200707-194401-1oinamn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/346091/original/file-20200707-194401-1oinamn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/346091/original/file-20200707-194401-1oinamn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/346091/original/file-20200707-194401-1oinamn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/346091/original/file-20200707-194401-1oinamn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/346091/original/file-20200707-194401-1oinamn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Kerry Washington dans Scandal.</span>
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<p>Ainsi dans <em>Scandal</em>, Olivia Pope (Kerry Washington) doit avoir les cheveux parfaitement lissés pour travailler à La Maison Blanche. Dans <em>Murder</em>, Annalise Keating, toute puissante avocate, enlève sa perruque seulement lorsqu’elle s’effondre de chagrin.</p>
<p>Ces injonctions capillaires sont de plus en plus souvent dénoncées. Dans <em>Little Fires everywhere</em>, Kerry Washington déconstruit l’icône Olivia Pope avec ses cheveux au naturel. Dans <em>Dear White People</em>, la jeune Coco, avide d’intégration, souffre le martyre pour ses extensions.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/346092/original/file-20200707-30-1hd53q9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/346092/original/file-20200707-30-1hd53q9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/346092/original/file-20200707-30-1hd53q9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/346092/original/file-20200707-30-1hd53q9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/346092/original/file-20200707-30-1hd53q9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/346092/original/file-20200707-30-1hd53q9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/346092/original/file-20200707-30-1hd53q9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Kerry Washington, les cheveux au naturel dans la série Little fires everywhere.</span>
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<p>Apparu au milieu des années 2000, le mouvement nappy (<em>natural and happy</em>) revendique la sortie de cette prison intériorisée. En 2009, la chanteuse glamour Solange Knowles arrête le tissage et fait le buzz. Oprah Winfrey <a href="https://youtu.be/Vr14-23FxLk">s’empare de ce rapport douloureux</a>. Les <a href="https://www.terrafemina.com/article/cheveux-crepus-pourquoi-il-faut-lire-trop-crepus-d-aurelie-louchart_a348842/1">ventes de produits défrisants dégringolent entre 2008 et 2015</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-colorisme-et-les-cremes-eclaircissantes-ces-legs-invisibles-de-la-colonisation-82699">Le colorisme et les crèmes éclaircissantes : ces legs invisibles de la colonisation</a>
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<p>Il en va différemment du colorisme qui instaure une hiérarchie valorisant les peaux plus claires au détriment des plus foncées. Présent dans des castings <a href="http://www.slate.fr/story/188469/series-televisees-afro-americaines-colorisme-casting-discrimination-peau-claire-representations">sous prétexte de toucher un large public</a>, les séries commencent à en parler.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/346093/original/file-20200707-194409-p23gv2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/346093/original/file-20200707-194409-p23gv2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/346093/original/file-20200707-194409-p23gv2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/346093/original/file-20200707-194409-p23gv2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/346093/original/file-20200707-194409-p23gv2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/346093/original/file-20200707-194409-p23gv2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/346093/original/file-20200707-194409-p23gv2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/346093/original/file-20200707-194409-p23gv2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La showrunneuse à succès Shonda Rhimes (au centre).</span>
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<p>Issa Rae se joue de cette discrimination avec un <a href="https://youtu.be/QNeoV4Wb_DI">casting de carnations foncées et y fait de nombreuses références dans <em>Insecure</em></a>). Samantha White, l’héroïne métisse de <em>Dear White People</em> souffre de sa double identité en se voulant exclusivement afro-américaine. Et dans <em>Little Fires Everywhere</em>, la blanche Lezzie trouve la jeune Pearl si jolie qu’elle se dit certaine du métissage de cette dernière…</p>
<p>En France, une autre forme de classification s’opère, privilégiant les carnations plus foncées, <a href="https://www.babelio.com/livres/Maiga-Noire-nest-pas-mon-metier/1041590">clichés de l’Afrique de la colonisation</a>.</p>
<h2>La figure récurrente des mères</h2>
<p>La forte représentation de la figure maternelle qui défend sa progéniture jusqu’à l’étouffement inspire la fiction. Le personnage de la mère afro-américaine comporte deux stéréotypes. Il y a d’une part ce personnage volubile, plutôt enrobé, parfois habillé de couleurs criardes qui parcourt les black sitcoms de <em>The Jeffersons</em> à <em>My Wife and Kids</em>. Exaspérée par ce stéréotype, dans <em>Dear White People</em>, Coco est horrifiée de voir sa mère bruyante, en tenue bariolée, débarquer à l’université.</p>
<p>La seconde figure récurrente associe la communauté noire à la criminalité : ou la mère s’interpose en rempart pour protéger ses enfants, ou elle est elle-même chef de gang…</p>
<p>Ainsi dans <em>Weeds</em>, Heylia James (Tony Patano), à tête d’un trafic de drogue familial, veut jalousement garder son fils au sein du gang.</p>
<p>Cette figure devient redoutable dans <em>Orange Is the New Black</em> avec Vee (Lorraine Toussaint). Mère de substitution, elle parvient à soumettre à son pouvoir aussi bien Taysstee (Danielle Brooks) que d’autres détenues noires pour régner le marché de contrebande de la prison.</p>
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<h2>De l’expression politique aux silences des invisibles</h2>
<p>Femmes fortes, déterminées, troubles : l’individualisation des parcours de toutes ces héroïnes raconte aussi les difficultés à se faire une place lorsqu’on est une femme noire. L’histoire sociopolitique est plus rarement racontée sur un plan fictionnel. Cependant <em>Dear White People</em> ou <em>Mrs. America</em> explorent de nouvelles voies.</p>
<p>En abordant la bataille pour la ratification de l’Equal Rights Amendement, <em>Mrs America</em> parle d’un mouvement féministe protéiforme, traversé de vécus différents et porté par des figures peu représentées à l’écran. Ainsi, citons Gloria Steinem ou Shirley Chisholm, la première femme noire à siéger au Congrès et à se porter candidate pour l’élection présidentielle en 1972.</p>
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<p>La question de <a href="https://www.cairn.info/revue-diogene-2009-1-page-70.html">l’intersectionnalité</a> se pose en filigrane, interroge les divisions et les incompréhensions entre communautés discriminées.</p>
<p><em>Dear White People</em>, l’émission de radio du campus de animée par Samantha, propose un point de vue multiple <a href="https://www.franceculture.fr/societe/privilege-blanc-origines-et-controverses-dun-concept-brulant">sur le privilège blanc</a>, la difficulté du vivre ensemble, les limites de la discrimination positive, de l’engagement, et les tentations du repli sur soi. Les personnages sont partagés entre la volonté de parvenir à un équilibre et le découragement, la parole qui cherche et le silence, porteur d’une autre forme de violence.</p>
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<p>Car les impasses sont nombreuses. <em>Orange Is the New Black</em> les détaille au cœur de la prison. Hispaniques, afro-américaines, blanches, asiatiques : les clans se regroupent avec plus ou moins de succès dans un environnement où la pression économique le dispute au délabrement social. Suite à un accident tragique, la communauté de prisonnières oscille entre l’émeute et le silence. Quand l’omerta l’emporte, elle annule tout espoir de justice ou de réhabilitation.</p>
<h2>De la vigilance à l’espérance</h2>
<p>On reste frappé par la richesse et la diversité de ces héroïnes afro-américaines. Toutefois, il faut contextualiser leur présence au regard <a href="https://socialsciences.ucla.edu/wp-content/uploads/2019/02/UCLA-Hollywood-Diversity-Report-2019-2-21-2019.pdf">d’une production encore très peu inclusive</a>. La polémique lancée sur les « Oscar so white » en 2016 <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2016/02/27/polemique-diversite-oscar-changement_n_9337970.html">par Spike Lee et Jada Pinkett-Smith</a> reste d’actualité.</p>
<p>En France, les <a href="https://www.csa.fr/content/download/253625/722870/version/1/file/CSA%20-%20Rapport%20au%20Parlement%20bilan%202013-2018.pdf">chiffres du CSA</a> montrent la pauvreté du paysage et des rôles proposés aux personnes issues de la duversité : « Noire n’est pas mon métier » proclamaient 16 comédiennes au Festival de Cannes en 2018.</p>
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<p>Cependant, répercutée par les réseaux sociaux, une vigilance accrue s’observe quant aux stéréotypes comme <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2015/oct/08/stereotype-angry-black-girls-racial">celui de la femme noire en colère</a> ou de <a href="https://youtu.be/puXGMDVNAtg">« l’amie noire »</a>. Le blanchiment des actrices <a href="https://www.blackmoviesentertainment.com/Polemique-Kerry-Washington-victime-d-un-blanchiment-de-la-peau_a1411.html">sà la une des magazines suscite sarcasmes et protestations</a>.</p>
<p>Il reste donc bien des chemins à explorer encore tout en veillant à ce que la segmentation marketing des plates-formes ne débouche sur de nouvelles ghettoïsations fictionnelles.</p>
<p>Mais nous préférerons conclure <a href="https://laloidesseries.lalibre.be/2018/10/22/issa-rae-ex-reine-du-web-sur-les-traces-doprah-winfrey-et-shonda-rhimes-au-mipcom/">sur le succès <em>d’Insecure</em></a> et l’analyse de sa créatrice : « c’est bien la preuve que tous ceux qui disaient qu’une série de ce type était trop clivante ou destinée à un public trop restreint avaient totalement tort. Même les Blancs en ont marre de regarder des séries dans lesquelles il n’y a que des Blancs. »</p>
<p>Voici une forme de persuasion douce, non dénuée de malice, qui incite à croire, à travers une héroïne attachante et « insecure », en des lendemains meilleurs pour toutes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141910/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Monika Siejka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Apparues dans les années 1970, les héroïnes noires se sont peu à peu imposées dans le paysage audiovisuel.Monika Siejka, Enseignante Chercheuse en storytelling et marketing, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1416282020-07-01T17:44:42Z2020-07-01T17:44:42Z« Privilège blanc » : quels mots pour quelles luttes ?<p>Fin mai 2020, le meurtre de George Floyd lors d’une interpellation par des policiers de Minneapolis suscite de vastes manifestations, aux États-Unis et ailleurs. En France, cet homicide dénoncé comme raciste trouve un écho particulier, alors que le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/10/violences-policieres-le-comite-adama-maintient-la-pression-sur-le-gouvernement_6042363_3224.html">Comité pour Adama</a> appelle à différents rassemblements au cours du mois de juin. Ces protestations, qui revendiquent un égal traitement pour toutes les vies humaines, croisent un mouvement de dénonciation des <a href="https://selp.eu/non-classe/violences-policieres/">violences policières</a>, notamment depuis la répression des manifestations de « gilets jaunes ».</p>
<p>Une expression se fait alors remarquer dans différentes tribunes signées par des intellectuels, mais également dans des messages postés sur les réseaux sociaux, ou au cours d’interviews de personnalités politiques : « privilège blanc ».</p>
<p>Dans le présent article, il ne s’agit pas de retracer <a href="https://www.franceculture.fr/societe/privilege-blanc-origines-et-controverses-dun-concept-brulant">l’histoire de l’expression</a>. Il s’agit encore moins de trancher sur le bien-fondé du terme « privilège blanc » : le linguiste cherche avant tout à analyser des enjeux, et à soulever des questions posées par la langue et ses usages, dans des contextes historiques déterminés.</p>
<h2>« Privilège blanc » : une expression conflictuelle</h2>
<p>Dès son surgissement, ce terme fait l’objet de débats. <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/lettres-d-interieur/lettres-d-interieur-04-juin-2020">L’écrivaine Virginie Despentes</a> prend la défense de ce mot lors d’une lettre ouverte où elle interpelle ses « amis blancs qui ne voient pas où est le problème ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Qo-sUWFZ4Z0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Dans cette lettre, rédigée après la manifestation en soutien à Adama Traoré, Virginie Despentes s’adresse à « ses amis blancs qui ne voient pas où est le problème », elle dénonce le déni du racisme et explique en quoi « être blanc » constitue un privilège.</span></figcaption>
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<p>La <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/06/16/l-expression-de-privilege-blanc-n-est-pas-denuee-de-pertinence-pour-penser-le-contexte-francais_6042984_3232.html">sociologue Claire Cosquer</a> estime que, malgré ses limites, l’expression « privilège blanc » n’est pas totalement dénuée de pertinence pour penser le contexte français. À l’opposé, des féministes telles que <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-d-ali-baddou/l-invite-d-ali-baddou-12-juin-2020">Caroline Fourest</a> ou <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/elisabeth-badinter-privilege-blanc-racises-c-est-la-naissance-d-un-nouveau-racisme_2128325.html">Elisabeth Badinter</a> se rejoignent pour rejeter fermement le terme « privilège banc », dont elles estiment qu’il conduit à abandonner un idéal universaliste au profit de revendications catégorielles et identitaires.</p>
<h2>Le langage, une arme pour combattre les inégalités ?</h2>
<p>Avant d’être un objet de polémiques dans les médias français, l’expression « privilège blanc » est un terme qui accompagne des combats pour l’égalité et la justice, contre des discriminations systémiques et un racisme institutionnalisé. Elle est un <a href="http://www.slate.fr/story/95643/antiracisme-privilege-blanc">terme revendiqué</a>, en lien avec des prises de position. En ce sens, l’expression « privilège blanc » témoigne d’un phénomène très caractéristique des usages du langage : tout engagement est inextricablement lié à des mots, dont les acteurs politiques et sociaux s’emparent pour promouvoir leur cause et défendre un point de vue.</p>
<p>Les <a href="http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/slogan/">slogans</a> (« Justice pour Adama », « Police partout, justice nulle part », etc.), dont on connaît bien la fonction de ralliement et d’interpellation dans l’espace public, participent bien entendu de cet usage mobilisateur du langage. À côté des formes traditionnelles du slogan, sont apparus certains usages du hashtag qui en reprennent le double objectif de mise en visibilité et de mobilisation. Ainsi en est-il de <a href="https://www.contretemps.eu/black-lives-matter-keeanga-yamahtta-taylor/"><em>#BlackLivesMatter</em></a>, dans ce même domaine de la lutte des afro-américains pour la justice et l’égalité, ou de <a href="http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/metoo/"><em>#MeToo</em></a> dans le domaine des luttes féministes.</p>
<p>Mais, plus largement, au-delà des slogans et des hashtags, c’est le vocabulaire dans son ensemble qui fait l’objet d’un travail permanent dans l’action collective et les mobilisations sociales.</p>
<p>Certains collectifs féministes promeuvent des termes qui visent à mettre en relief les différentes formes de domination qui pèsent sur les femmes, et à faire prendre conscience de la <a href="https://www.agirparlaculture.be/luttes-feministes-et-batailles-semantiques-anne-cha">dimension construite</a> des relations entre les femmes et les hommes. Sont alors mis en avant, par exemple, des mots tels que « féminicide », « charge mentale », « mansplaining » (mecsplication), « manspreading » (étalement masculin) et « womancrossing ».</p>
<p>Tous ces termes, dont certains sont des emprunts à l’anglais, et qui ont dans tous les cas une dimension néologique (nouvelle forme, nouveau sens, etc.), visent à penser les objets de la lutte, et à faciliter la prise de conscience. L’ensemble de ce travail sur le vocabulaire et les concepts est considéré comme indissociable de l’action elle-même. Et, en effet, s’engager sur une cause passe nécessairement par le <a href="https://www.agirparlaculture.be/alice-krieg-planque-lutter-au-sujet-du-langage-fait-partie-du-combat-ideologique/">fait de travailler les mots</a> qui sont en rapport avec cette cause.</p>
<p>Mais le sens des mots échappe souvent à ses utilisateurs : les expressions, les mots d’ordre, les formules, les slogans circulent, prenant au passage des inflexions nouvelles dont il est difficile d’évaluer la portée et les effets.</p>
<p>C’est en partie la trajectoire du terme « privilège blanc », dont il n’est pas certain qu’il conserve dans l’espace discursif français des années 2020 les vertus de conscientisation et d’émancipation que projetaient à travers lui les <a href="https://laviedesidees.fr/Racisme-structurel-et-privilege-blanc.html">militants antiracistes américains des années 1970-80</a>.</p>
<h2>Le poids des mots dans la lutte contre les discriminations</h2>
<p>La langue, comme système de signes pris dans des usages, n’est pas neutre, qu’il s’agisse de l’expression « privilège blanc » ou d’autres. Le sens des mots n’est jamais stable, ni fixé une bonne fois pour toutes : les mots changent de sens en fonction de ceux qui les utilisent, en fonction des époques, en fonction de leur succès dans l’espace public, en fonction des événements qu’ils désignent à un moment donné, etc.</p>
<p>Ici, cette circulation du sens est doublée d’une traduction d’une langue à l’autre, ce qui rend les significations encore plus touffues, confuses et problématiques. Le terme « privilège blanc » résonne étrangement en France, et, dans tous les cas, il résonne très différemment de la manière dont « white privilege » (ou « white skin privilege ») peut faire sens aux États-Unis. Il en est de même dans le domaine des luttes féministes, où « male privilege » fait sens dans les discours militants anglophones, alors que « domination masculine » est plus aisément compréhensible en France – même si, bien sûr, par définition, il ne signifie pas exactement la même chose.</p>
<p>Un mot prend place dans un contexte historique donné. Aux États-Unis, l’organisation et les jugements sociaux s’inscrivent aujourd’hui encore dans le prolongement d’un <a href="https://theconversation.com/la-mort-de-george-floyd-et-celle-du-reve-americain-139750">système esclavagiste puis ségrégationniste</a> qui formalisait les <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/les-interminables-combats-pour-legalite-aux-etats-unis-24-le-supremacisme-blanc-le-mal-persistant-de">droits supérieurs accordés aux blancs</a>. La situation française, marquée par l’héritage colonial, ne saurait être réellement éclairée par le passé ségrégationniste américain.</p>
<p>Par ailleurs, un mot arrive dans les discours avec une certaine signification. En langue française, un <a href="http://atilf.atilf.fr/tlf.htm">« privilège »</a> est notamment un avantage exorbitant, un droit exceptionnel, une prérogative injustifiée : un « privilège » est alors quelque chose qu’il faut abolir. Or, sur le thème qui nous occupe ici, le « privilège » serait plutôt ce qui devrait être généralisé à tous. La sémantique de la langue française semble ainsi peu propice à l’accueil du terme « privilège blanc ».</p>
<p>De surcroît, un mot est souvent marqué par l’histoire de ses usages. Dans le lexique politique français, le mot « privilège » renvoie notamment à « l’abolition des privilèges » votée <a href="https://www.futura-sciences.com/sciences/questions-reponses/histoire-revolution-il-passe-nuit-4-aout-1789-5603/">dans la nuit du 4 août 1789</a>, par laquelle l’Assemblée constituante met fin au système féodal. Là encore, le parallèle a tout l’air d’une mauvaise rencontre : l’expression « abolition des privilèges » vient télescoper l’expression « privilège blanc », occasionnant une difficulté supplémentaire d’acclimatation de ce mot au cadre français.</p>
<h2>Quand le choix des expressions fait débat</h2>
<p>Le terme « privilège blanc », parce qu’il met en avant le seul critère racial, élude la multitude d’autres critères (âge, sexe, accent, orientation sexuelle, état de santé, etc.), qui dans certaines situations peuvent être plus déterminants.</p>
<p>La notion <a href="https://avril21.eu/2018/12/04/les-mobilisations-feministes-sur-internet-entre-luttes-anti-hegemoniques-et-reproduction-des-rapports-sociaux-de-domination/"><em>d’intersectionnalité</em></a>, qui malgré ses limites rappelle au moins que différents types de discriminations peuvent s’entrecroiser et se superposer, est ainsi contrariée par la notion de « privilège blanc », qui semble poser la couleur de peau (« blanchité », « whiteness ») comme facteur ultime d’explication des rapports sociaux.</p>
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<figcaption><span class="caption">Existe-t-il un privilège blanc en France ? La question, qui fait encore débat, est étudiée par Ary Gordien, chercheur au CNRS.</span></figcaption>
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<p>L’expression « privilège blanc », comme d’autres formulations avant et après elle, pourrait au moins avoir le mérite de susciter le débat.</p>
<p>Récemment encore, plusieurs rapports et résultats d’enquête, comme le rapport annuel de la <a href="https://www.cncdh.fr/fr/publications/rapport-2019-sur-la-lutte-contre-le-racisme-lantisemitisme-et-la-xenophobie">CNCDH</a>, le rapport de <a href="https://www.hrw.org/fr/report/2020/06/18/ils-nous-parlent-comme-des-chiens/controles-de-police-abusifs-en-france">Human Rights Watch</a> et l’étude du <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/rapports/2020/06/discriminations-et-origines-lurgence-dagir">Défenseur des Droits</a>, ont rappelé à quel point des discriminations systémiques marquent insidieusement les rapports sociaux. Dans une multitude de contextes (emploi, logement, relations avec la police, etc.), « l’égalité » que proclame la devise républicaine est de toute évidence un horizon vers lequel des efforts considérables doivent encore être menés.</p>
<p>Il reste à savoir si l’expression « privilège blanc », avec ses effets de sens clivants et sa rhétorique identitaire, est la plus à même de porter les combats pour l’égalité dans la solidarité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141628/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alice Krieg-Planque ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>D’où vient l’expression « privilège blanc » ? Est-elle la plus à même de porter les combats pour l’égalité et la solidarité ? Réponses de linguiste.Alice Krieg-Planque, Maîtresse de conférences en Sciences de l'information et de la communication, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1412182020-06-29T19:12:57Z2020-06-29T19:12:57ZDéboulonner des statues n’a pas le même sens pour les ex-colonies que pour les anciens empires<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/343182/original/file-20200622-54985-ll0q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C7%2C5184%2C3437&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Monument au capitaine Cook à Hyde Park (Sydney, Australie).</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les débats en cours dans le monde entier autour des statues, des monuments commémoratifs et des noms de lieux issus d’un passé raciste et impérial ont une signification particulière pour l’<a href="https://www.stuff.co.nz/national/121861371/should-new-zealand-be-officially-renamed-aotearoa">Aotearoa-Nouvelle-Zélande</a>.</p>
<p>Cet ancien avant-poste colonial est confronté à un double fardeau : la commémoration de personnages historiques peu recommandables, et le fait qu’ils ont été importés d’ailleurs. En examinant tout cela, l’on s’exerce à examiner les fondements mêmes de l’histoire coloniale. L’ironie de ce débat contemporain est d’autant plus grande qu’il vient d’outre-mer.</p>
<p>Les manifestations du mouvement « Black Lives Matter » aux États-Unis ont replacé la question au centre de l’attention générale. Leur écho, en Aotearoa-Nouvelle-Zélande, a jusqu’à présent touché un restaurant nommé d’après le célèbre marchand d’esclaves du Pacifique <a href="https://www.stuff.co.nz/national/121772817/akaroa-restaurant-named-after-notorious-slave-trader-seeks-new-name">Bully Hayes</a>, un pub nommé en l’honneur du capitaine Cook et une statue d’un protagoniste des <a href="https://www.frogs-in-nz.com/Infos-voyageurs/Histoire-de-Nouvelle-Zelande/Les-guerres-maories-du-19eme-siecle">guerres maories</a>, Andrew Hamilton, dans la ville qui a pris son nom.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1271291132970860545"}"></div></p>
<p>Comme en Australie, l’héritage autrefois incontesté de James Cook a été remis en question : après avoir jeté les bases de la colonisation, il avait commencé à renommer des lieux – dont beaucoup restent à ce jour nommés ainsi – et à effacer les savoirs et les noms locaux.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-faut-il-deboulonner-les-statues-140760">Débat : Faut-il déboulonner les statues ?</a>
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<p>Au Royaume-Uni, le mouvement qui a commencé par jeter dans le port de Bristol une statue du marchand d’esclaves Edward Colston a donné lieu à la naissance d’une organisation visant à « déboulonner les racistes » et ayant créé sa propre <a href="https://www.toppletheracists.org/">carte interactive</a>. Après que la statue de l’esclavagiste Robert Milligan a été déboulonnée, le maire de Londres, Sadiq Khan, a ordonné un recensement des monuments de la capitale britannique. Le parti Māori a fait la même <a href="https://www.scoop.co.nz/stories/PO2006/S00097/maori-party-calls-for-inquiry-into-colonial-monuments-statues-and-names.htm">demande</a> en Aotearoa-Nouvelle-Zélande.</p>
<h2>Le passé impérial est partout</h2>
<p>Vandaliser ou déboulonner des statues n’est pas chose nouvelle. Érigées en tant que marqueurs du pouvoir et de la domination dans un territoire, elles représentent les idées et les actions des personnes commémorées. Il n’est donc pas surprenant qu’au fur et à mesure que les régimes changent, les noms de lieux sont modifiés et les statues renversées. Les monuments déboulonnés, qui représentaient les figures de Staline, de Lénine et de Saddam Hussein attestent de ruptures historiques, au XX<sup>e</sup> siècle, de ces sociétés avec le passé.</p>
<p>En Aotearoa-Nouvelle-Zélande, les monuments commémoratifs des personnages coloniaux les plus brutaux ne sont que la partie visible de l’iceberg. Il s’agit d’un territoire truffé de marqueurs coloniaux – une nation où la culture impériale britannique est imprimée dans le paysage comme un élément fondamental de la colonisation.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/341763/original/file-20200615-65908-1vxhhb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/341763/original/file-20200615-65908-1vxhhb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/341763/original/file-20200615-65908-1vxhhb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/341763/original/file-20200615-65908-1vxhhb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/341763/original/file-20200615-65908-1vxhhb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/341763/original/file-20200615-65908-1vxhhb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/341763/original/file-20200615-65908-1vxhhb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nettoyage de graffitis sur une statue du capitaine Cook à Randwick, Sydney, 15 juin 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Joel Carrett/AAP</span></span>
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<p>Certains noms de lieux Māori ont pu subsister, mais la plupart d’entre eux ont été remplacés par des noms faisant référence à des personnes et des lieux du vieux continent. Les héros britanniques étaient célébrés pour le rôle qu’ils avaient joué dans la conquête et la domination impériales, et souvent dans la soumission des Māoris, comme <a href="https://www.noted.co.nz/currently/currently-history/marmaduke-nixons-statue-isnt-the-problem-its-how-we-overlook-maori-history">Marmaduke Nixon</a> dont la statue se trouve à Ōtāhuhu, Auckland. Les noms de personnalités de l’Empire britannique comme Thomas Picton (dont certains rappellent aujourd’hui la <a href="https://www.stuff.co.nz/national/121799217/calls-to-rethink-name-picton-as-history-emerges-of-cruel-slaveowner">face sombre</a>) et Edward Eyre ont été donnés à des lieux, et c’était la règle plutôt que l’exception. De même, les colons qui ont reproduit les valeurs impériales ont été particulièrement commémorés.</p>
<p>Mais l’agitation actuelle n’est pas seulement un feu de paille d’une génération qui se réveille, comme l’a laissé entendre le vice-premier ministre <a href="https://www.stuff.co.nz/national/politics/300033874/winston-peters-unimpressed-with-outcry-over-colonial-statues">Winston Peters</a>. La tempête se prépare depuis une dizaine d’années, visant des personnages historiques dont l’héritage est perpétué jusqu’à présent, la campagne <a href="https://rmfoxford.wordpress.com/">« Rhodes Must Fall »</a> en Afrique et en Grande-Bretagne et la destruction de statues confédérées aux États-Unis comptant parmi les manifestations antiracistes les plus largement médiatisées.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1271286866407383040"}"></div></p>
<h2>Effacer l’histoire ou la réécrire ?</h2>
<p>Les arguments pour et contre le démontage des statues et le changement des noms des lieux sont forts. D’un côté, il y a ceux qui affirment que ces traces du passé sont blessantes, non pertinentes et qu’elles ne représentent pas la diversité contemporaine. De l’autre, il y a ceux qui craignent que l’effacement de ces preuves historiques ne comporte un risque de voir se répéter l’histoire. Selon ces derniers, en séparant le passé du présent, nous pouvons admettre que le comportement des personnalités statufiées a été répréhensible tout en estimant que ce comportement doit être considéré dans le contexte de son époque, et non pas effacé parce qu’il heurte les sensibilités modernes.</p>
<p>D’autres encore considèrent la profanation des monuments commémoratifs comme du vandalisme commis par des individus désireux de remplacer le passé par de la propagande. Dans le même temps, un « lobby du patrimoine » veut préserver les statues en tant que formes d’art et s’abstient de toute considération critique sur la manière dont elles représentent la structure des sociétés passées ou présentes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/vandalisme-et-deboulonnage-de-statues-memorielles-lhistoire-a-lepreuve-de-la-rue-140761">Vandalisme et déboulonnage de statues mémorielles : l’histoire à l’épreuve de la rue</a>
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<p>Enfin, prenant la menace personnellement, une droite militante et réactionnaire cherche à protéger et à défendre les statues et les noms de lieux.</p>
<p>À moins que la nature n’intervienne, comme ce fut le cas lors du tremblement de terre de Canterbury qui a <a href="http://www.stuff.co.nz/the-press/opinion/4863323/A-natural-break-from-our-colonial-past">détruit</a> un certain nombre de vestiges de l’époque coloniale, quelle est la voie à suivre ?</p>
<h2>Le contexte fait tout</h2>
<p>Une solution consiste à reconnaître ces monuments comme un élément inconfortable de l’histoire et à les déplacer dans des musées et des parcs à statues. Là encore, la solution n’est pas nouvelle. Des statues de la défunte reine Victoria ont fini dans un musée du Québec, un centre commercial de Sydney et dans un entrepôt indien. À Gisborne, une statue de James Cook a été déplacée.</p>
<p>Cela permet de discuter de cet héritage tout en le faisant entrer dans l’histoire. Ainsi des parcs à statues, avec des panneaux d’interprétation et des graffitis favoriseraient la poursuite des discussions. C’est également une pratique courante – on le voit au <a href="https://blogs.lse.ac.uk/lseih/2019/06/20/coronation-park-and-the-forgotten-statues-of-the-british-raj/">Coronation Park</a> à New Delhi, par exemple.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1271613014362349568"}"></div></p>
<p>La révision des noms de rues et de lieux est plus délicate car les noms coloniaux sont partout, bien que la promotion des noms de lieux māoris gagne rapidement du terrain.</p>
<p>Mais en se contentant de reproduire le déboulonnage de certains responsables bien connus de la violence coloniale, Aotearoa-Nouvelle-Zélande risque de prendre du retard par rapport à ce qui se fait déjà ailleurs. Le soleil se couche peut-être une fois de plus sur l’Empire britannique, mais c’est encore l’ancien empire qui mène la charge. Dans cette partie du monde, la remise en cause des monuments et des noms de lieux questionne les fondements mêmes des sociétés colonisatrices et l’évolution des relations entre les races. Or ce passé impérial là n’est pas le nôtre, et nous devrons faire les choses différemment ici.</p>
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<p><em>La traduction vers la version française a été assurée par le site <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/">Justice Info</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141218/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Katie Pickles ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En Australie et en Nouvelle-Zélande comme ailleurs, jeter à bas des monuments et changer les noms de lieux rendant hommage au passé colonial ne suffira pas à régler le problème du racisme.Katie Pickles, Professor of History at the University of Canterbury, University of CanterburyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1403942020-06-16T20:49:24Z2020-06-16T20:49:24ZPaul Robeson, l’acteur afro-américain qui vint au secours des mineurs anglais<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/341915/original/file-20200615-65956-1okqcmr.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C2%2C1454%2C782&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Paul Robeson chante pour des mineurs écossais, en 1959. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=B0bezsMVU7c">Youtube, capture d'écran. </a></span></figcaption></figure><blockquote>
<p>« Ne sommes-nous pas tous noirs dans la fosse ? » (réplique du film « The Proud Valley », 1940).</p>
</blockquote>
<p>Au moment où des manifestions et des émeutes antiracistes ont lieu aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en France, notamment, souvenons-nous comment l’Afro-américain Paul Robeson s’est lancé, dans les années 1930-1950, dans le combat pour défendre les mineurs anglais en quête de justice sociale.</p>
<p>Fils d’un esclave libéré, Paul Robeson est né à Princeton (New Jersey) en 1898. Diplômé en droit de l’Université de Columbia, <a href="https://footballfoundation.org/hof_search.aspx?hof=1339">footballeur évoluant dans la National Football League</a>, acteur – en 1930 il joue dans <em>Othello</em> de Shakespeare –, chanteur – son interprétation de « Old man River » est mondialement connue –, il devint un activiste politique au contact des « prolétaires » britanniques et un militant antiraciste. Celui qui bâtit sa carrière dans une Amérique ségréguée est la première véritable star noire de l’histoire. C’est à la fin des années 1920 qu’il tisse, par le plus grand des hasards, ses premiers liens avec la classe ouvrière anglaise, quasi exclusivement blanche à cette époque.</p>
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<p>Un soir d’hiver 1929, alors qu’il <a href="https://www.criterion.com/films/29035-show-boat">fait partie de la troupe de la comédie musicale <em>Show boat</em></a> qui se donne au Royal Theatre à Londres, Paul Robeson croise une chorale de mineurs gallois de la vallée de Ronddha, victimes de la longue grève de 1926 et de la crise, dont les membres crient leur faim dans les rues de la capitale. Il rejoint la manifestation sur-le-champ.</p>
<p>Il partira, par la suite, chanter pour leurs familles à Cardiff, à Neath et à Aberdare. Cette rencontre fortuite, est à l’origine d’une longue fraternité avec les mineurs du Pays de Galles, un bassin minier dans lequel il revient régulièrement. Le 22 septembre 1934, <a href="http://search.digido.org.uk/?id=llgc-id%3A1492250&query=*&query_type=full_text&page=748">alors qu’il donne un récital au Pavilion à Caernarfon</a> (), la nouvelle de l’explosion au cours de laquelle <a href="http://www.clwydfhs.org.uk/miscellanea/gresford-disaster.htm">266 mineurs ont trouvé la mort à Gresford, près Wrexham</a> lui parvient. Il décide de faire don de son cachet à la caisse de secours créée pour venir en aide aux veuves et aux orphelins des victimes de la catastrophe.</p>
<p>Dans <em>The Proud Valley</em> (1940), un film réalisé par Penn Tennyson et produit par les célèbres Ealing Studios, l’acteur joue le rôle d’un marin déserteur afro-américain qui <a href="https://www.walesartsreview.org/wales-on-film-the-proud-valley-1940/">erre dans une vallée minière galloise à la recherche d’un travail</a>. Le chef du chœur des mineurs qui l’entend chanter se propose de l’accueillir au sein de la petite communauté, dont les membres n’ont jamais vu un homme de couleur. Certains d’entre eux sont surpris, d’autres jugent que dans la fosse tout le monde est noir et l’adoptent.</p>
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<p>Quelques années plus tard, le 13 mai 1949, il est l’invité de la section écossaise du Syndicat national des mineurs (NUM). La visite commence par un après-midi à la Houillère de Woolmet, à Danderhall, dans les environs d’Édimbourg, dans laquelle travaillent près de 1000 ouvriers. Robeson est accompagné par un représentant de la compagnie et un dirigeant syndical. Au cours du repas, pris avec les travailleurs à la cantine, ceux-ci lui demandent de chanter. Choisie pour l’occasion la célèbre folksong « I dreamed I saw Joe Hill last night », <a href="https://www.britannica.com/biography/Joe-Hill">dédiée à un syndicaliste américain accusé de meurtre et exécuté en 1915</a>, remporte un succès unanime auprès de ce public conquis à l’avance. Dans la soirée le baryton, dont la voix est considérée comme étant l’une des plus belles de son temps, donne un grand concert dans la prestigieuse <a href="https://www.scotsman.com/whats-on/arts-and-entertainment/video-folk-hero-paul-robeson-entertains-miners-edinburgh-1461254">salle du Usher Hall à Édimbourg</a>. Arrivés de partout, par le rail et par la route, plusieurs milliers de mineurs sont là pour écouter leur « camarade » afro-américain, venu de loin soutenir la cause des ouvriers anglais opprimés.</p>
<p>Ceux-ci lui seront très fidèles. Lorsqu’en 1950 son passeport lui est retiré par les autorités américaines, lorsqu’accusé d’appartenir au Parti communiste américain, il témoigne devant la House Committee on Un-American Activities, le 12 juin 1956, les mineurs gallois sont parmi les protestataires.</p>
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<p>Ils s’efforcent de faire du lobbying auprès du gouvernement américain, en faveur de leur frère de combat noir américain. Bien que devenu une vedette internationale, connu notamment pour avoir interprété les hymnes chinois, russe et bien d’autres encore, pour avoir tourné des dizaines de films, Robeson est toujours victime de ségrégation raciale dans son pays. Il ne peut donc pas être physiquement présent le 5 octobre 1957 au Grand Pavilion de Porthcawl.</p>
<p>C’est installé dans un studio à New York qu’il chante, <a href="https://www.itv.com/news/wales/2017-10-05/a-remarkable-man-celebrating-paul-robesons-transatlantic-broadcast-to-welsh-miners-60-years-ago/">par le truchement du téléphone, pour les 5 000 personnes réunies à cette occasion</a>. Accompagné par la chorale du village de Treorchy, il interprète l’hymne national gallois. Enfin en 1958, après que son passeport lui a été rendu, Robeson retrouve une nouvelle fois les mineurs gallois, pour une série de récitals à Porthcawl le 5 octobre, à Cardiff le 4 novembre, à Swansea le 23, ainsi qu’au National Eisteddfod – une compétition d’origine barde qui se tient chaque année et qui regroupe plusieurs milliers de participants, ainsi que des <a href="http://search.digido.org.uk/?id=llgc-id%3A1502729&query=*&query_type=full_text&page=321&img_id=7">dizaines de milliers de spectateurs – à Ebbw Vale</a>.</p>
<p>Le souvenir de <a href="https://www.francemusique.fr/jazz/jazz-culture-paul-robeson-un-homme-du-tout-monde-63455">cet homme exceptionnel</a>, mort très affaibli en 1976 à l’âge de 77 ans, est toujours présent au Pays de Galles. Une grande exposition a été organisée en 2001 à Pottypride, un petit village creusé dans la pierre le long de la rivière Taff. En octobre 2015, l’homme avec lequel les mineurs partageaient le même combat contre l’exploitation et le même idéal de justice est de nouveau à l’honneur dans cet ancien bourg minier, là où des hommes ont été, jour après jour, condamnés à travailler confinés au fond, comme le sont aujourd’hui encore les gueules noires dans plusieurs mines de Silésie Pologne, <a href="https://rmx.news/article/article/covid-19-cases-surge-in-poland-s-silesia-12-mines-to-be-closed">où l’épidémie de Covid-19 sévit dangereusement</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140394/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Diana Cooper-Richet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>A la fin des années 1920 Paul Robeson tisse, par le plus grand des hasards, ses premiers liens avec la classe ouvrière anglaise, quasi exclusivement blanche à cette époque.Diana Cooper-Richet, Chercheur au Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1407612020-06-15T20:26:58Z2020-06-15T20:26:58ZVandalisme et déboulonnage de statues mémorielles : l’histoire à l’épreuve de la rue<p>La vague de soulèvements qui fait suite à la mort de George Floyd a pris ces derniers jours une tournure particulière qui se manifeste par la convocation du passé esclavagiste et colonial de l’Occident au banc des accusés. Le vent de contestation souffle sur les statues à l’effigie de certaines personnalités en lien avec ce passé. Ainsi, on assiste aux États-Unis comme en Europe à des actes de vandalisme et de déboulonnage de statues de certaines figures emblématiques de l’histoire occidentale.</p>
<p>Dans plusieurs États américains, Christophe Colomb, accusé d’avoir provoqué le génocide des Amérindiens par sa découverte de l’Amérique, est depuis quelques jours une cible. Les statues de l’explorateur sont soit décapitées (à Boston), soit arrachées de leur socle (à Saint-Paul) avant d’être jetées dans un lac (à Richmond). En Europe, des personnalités historiques ont connu le même sort. Dans la ville d’Anvers en Belgique, la statue de Léopold II a été déboulonnée en raison des exactions de ce dernier lors de la colonisation du Congo. À Bristol, en Angleterre, c’est la statue en bronze d’Edward Colston, un marchand d’esclaves de la fin du XVII<sup>e</sup> siècle, qui a été déboulonnée, piétinée avant d’être noyée.</p>
<p>Au-delà des revendications antiracistes affichées, les actes actuels de vandalisme, de déboulonnage et de destruction de statues ont un point commun : évacuer des lieux publics une mémoire historique contestée. Ces actes s’effectuent donc sur fond de remise en question de l’histoire « officielle » en opposition à une « autre » histoire que la rue revendique d’écrire, ou du moins de mettre en exergue. Loin d’être anodine, cette situation réveille la question de la fabrique de l’histoire, surtout dans des circonstances de représentation en objet mémoriel de certains personnages historiques dans l’espace public. En réactualisant sans cesse la question de qui fait ou écrit l’histoire, la présence de statues mémorielles dans les lieux publics est aux prises avec les événements historiques tels que l’historien les conçoit.</p>
<p>L’exemple qui illustre le mieux cette problématique est la destruction des deux statues à l’effigie de Victor Schœlcher (1804-1893) lors de la journée de commémoration de l’abolition de l’esclavage en Martinique le 22 mai dernier, peu avant la vague de contestations relative à la mort de George Floyd.</p>
<h2>Le paradoxe de Schœlcher</h2>
<p>L’étonnement peut être grand face au cas des statues de Victor Schœlcher quand on sait que la mémoire collective, appuyée par les manuels scolaires, a retenu le nom de Schœlcher comme celui qui a aboli l’esclavage en 1848. Alors pourquoi les auteurs des actes de vandalisme s’en sont pris à Schœlcher <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/aime-cesaire/discours-17dec1982.asp">qu’Aimé Césaire lui-même a qualifié d’humaniste, de militant des droits de l’homme et de socialiste</a> ?</p>
<p>La destruction des deux statues de Saint-Pierre et de Fort-de-France est revendiquée comme un refus d’associer des faits historiques à la gloire d’une seule personne. Les actes concernant l’objet mémoriel à l’effigie de Victor Schœlcher ont connu d’autres tentatives par le passé, toujours sur fond d’un argument brandi comme un étendard : <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/venaient-statues-deboulonnees-victor-schoelcher-838768.html">il s’agit d’une œuvre de propagande</a> érigée au détriment d’autres acteurs noirs qui ont contribué, bien avant l’Alsacien, à l’abolition de l’esclavage.</p>
<h2>L’abolition de l’esclavage, une mémoire falsifiée ?</h2>
<p>Pour comprendre la teneur de cet argument, il faut considérer <a href="https://journals.openedition.org/insitu/10298">l’histoire de l’abolition de l’esclavage sur une longue durée</a>. Le rôle joué par Victor Schœlcher en raison de son statut de sous-secrétaire d’État aux colonies pendant le gouvernement provisoire de la II<sup>e</sup> République est décisif dans l’abolition définitive de l’esclavage. Toutefois, la prise en compte de la seule date de 1848 contient le risque d’étriquer la longue histoire de la lutte abolitionniste. Il faut rappeler qu’une première abolition eut lieu en février 1794 avant d’être supprimée en 1802 sous l’Empire. Malgré cette suppression, l’abolition définitive de 1848 entretient des liens étroits avec les actions entreprises préalablement par différents acteurs dont les Afrodescendants.</p>
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<p>L’aboutissement de la première abolition est souvent imputé à l’insurrection de Saint-Domingue (aujourd’hui République de Haïti) d’août 1791 pendant laquelle le personnage de Toussaint Louverture s’est illustré par le rôle de premier plan joué dans la seule révolte des esclaves qui a réussi. Cependant, la lutte pour l’abolition s’est déroulée sur d’autres fronts que celui des combats armés. Sur le terrain de la lutte <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Gens_de_couleur_libres">pour l’égalité des droits entre les Blancs et les affranchis ou les libres de couleur</a>, en Métropole comme dans les Antilles, on compte de nombreux Afrodescendants dont l’action a contribué de la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle jusqu’au milieu du XIX<sup>e</sup> à l’abrogation de l’esclavage. On retient les principaux noms de Joseph Georges Boisson (1766-1812), d’Étienne Mentor (1771-date inconnue) et de Jean‑Baptiste Belley (1746-1805). Le portrait qu’Anne-Louis Girodet de Roucy-Trioson a fait de ce dernier l’a rendu plus célèbre que ces deux autres compères députés de Saint-Domingue. Parmi ces figures, il faut particulièrement faire mention d’une femme, Jeanne Odo (1680-1797), dont les sources <a href="https://thepublicarchive.com/?p=2717">rapportent l’action abolitionniste se distinguant à la force de son âge avancé, 114 ans</a>.</p>
<h2>L’idolâtrie des faits historiques</h2>
<p>C’est la mise en lumière de ces personnages noirs que revendiquent les tombeurs des statues de Victor Schœlcher en réfutant le traitement européo-centré de l’histoire de l’esclavage que l’érection des objets mémoriels dans l’espace public tend à plus valoriser que l’acte des Afrodescendants.</p>
<p>Ayant en mémoire l’épisode martiniquais, et <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/racisme-esclavage-quelles-statues-posent-probleme-en-france_fr_5ee33163c5b6b13c3bdb5d35">face aux appels à déboulonner la statue de Colbert</a>, initiateur du Code noir, Emmanuel Macron a déclaré dans son allocution du 14 juin 2020 que « la République n’effacera aucun nom ou aucune trace de son histoire ».</p>
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<p>L’édification de l’histoire comme objet de mémoire crée ainsi des rapports de force aux prises avec des tendances doctrinales, qu’elles soient identitaires ou politiques. Les élans passionnels qui gouvernent la validité d’une mémoire plus qu’une autre interrogent la finalité de l’histoire et la légitimité de ceux qui la font. Ils supposent de considérer qu’au-delà des faits identifiables, il y a un ordre caché, une logique supérieure à l’œuvre dans l’histoire. Pour ne pas céder facilement à cette démarche, Nietszche nous invite dans la <em>Seconde Considération inactuelle</em> (1874) à nous insurger contre ce qu’il appelle « l’idolâtrie des faits historiques ». « Ne pas courber l’échine » devant la prétendue « puissance de l’histoire » est l’attitude à laquelle convoque le philosophe afin de ne pas ériger telle idée, tel fait, tel personnage en doctrine historique.</p>
<h2>Les hommes font-ils l’histoire ?</h2>
<p>Les faits auxquels nous assistons ces derniers jours ne sont pas nouveaux. L’histoire ancienne comme récente a souvent fait assister à des actes de vandalisme voire de destruction d’objets mémoriels, généralement pour des raisons de refus de leur légitimité par une frange de la population. Ceci est encore plus manifeste quand ces objets à caractère symbolique sont placés à la vue de tous dans l’espace public.</p>
<p>Face à certains sujets sensibles comme celui de l’esclavage, les autorités politiques prennent parfois les devants en réécrivant l’histoire. À ce titre, la ville de Bordeaux a été poussée à se pencher sur son passé négrier en installant des plaques explicatives dans certaines rues <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/culture-africaine/la-ville-de-bordeaux-face-a-son-passe-negrier_3731931.html">portant des noms d’esclavagistes ainsi qu’une sculpture dans les jardins de l’hôtel de ville afin de poursuivre un travail mémoriel</a>.</p>
<p>Ainsi, les faits historiques, sans qu’ils ne changent intrinsèquement, se font et se refont au gré des époques, des enjeux et de l’évolution des consciences. Puisque ce sont les hommes qui font l’histoire, parfois dans des conditions qu’ils ont eux-mêmes choisies, Kant nous invite à lire la suite des événements historiques réels à l’aune d’un idéal raisonnable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140761/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Erick Cakpo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>On assiste aux États-Unis comme en Europe à des actes de vandalisme et de déboulonnage de statues de certaines figures emblématiques de l’histoire occidentale.Erick Cakpo, Historien, chercheur, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1402022020-06-11T17:16:05Z2020-06-11T17:16:05ZAu Brésil, la double peine des employées de maison face à la pandémie<p>Avec des centaines de milliers de cas, <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2020/world/americas/brazil-coronavirus-cases.html">touchant toutes les classes sociales</a>, le Brésil est devenu au cours des dernières semaines <a href="https://thehill.com/policy/international/americas/499460-brazil-has-worlds-highest-coronavirus-death-toll-for-first-time">l’un des pays les plus durement frappés par la crise du coronavirus</a>. Mais dans les premières semaines de la pandémie, la maladie a tout particulièrement touché un profil de personnes spécifique : les employés domestiques (des femmes pour la plupart), infectés par leur employeur.</p>
<p>Le premier cas de Covid-19 confirmé dans l’État de Bahia, au nord-est du Brésil, était une femme récemment rentrée d’Italie. Elle a alors transmis le virus à sa domestique, qui a à son tour infecté <a href="https://www.correio24horas.com.br/noticia/nid/mae-de-domestica-infectada-e-terceiro-caso-confirmado-de-coronavirus-na-bahia/">sa propre mère de 68 ans</a>.</p>
<p>Le 17 mars, une <a href="https://www.bbc.com/portuguese/brasil-51982465">« doméstica » de 62 ans est décédée</a> du Covid-19 à Rio de Janeiro. Son employeur, positif au coronavirus, avait lui aussi voyagé en Italie.</p>
<p>Les employées de maison constituent une <a href="https://brazilian.report/society/2020/02/17/economy-minister-paulo-guedes-domestic-worker-brazil/">figure centrale au Brésil</a>, une main-d’œuvre qui dans l’ombre fait fonctionner la société. La majorité des foyers brésiliens de classe moyenne et supérieur, ainsi que beaucoup de foyers de classes moyennes et populaires, emploient une « empregada doméstica ». Le Brésil compte ainsi 209 millions d’habitants et 6 millions d’employées domestiques, <a href="https://www.ibge.gov.br/estatisticas/sociais/trabalho/9171-pesquisa-nacional-por-amostra-de-domicilios-continua-mensal.html">selon le gouvernement</a>.</p>
<p>La crise sanitaire braque les projecteurs sur cette énorme force de travail, habituellement invisible.</p>
<h2>Très exposées et sans filet de sécurité</h2>
<p>Les « maids » brésiliennes gagnent en moyenne 113 euros par mois – moins que le salaire minimum –, bien que le <a href="https://www.estadao.com.br/blogs/jt-seu-bolso/2012/03/23/baixa-renda-gasta-mais-com-empregada/">salaire</a> et les conditions de travail varient beaucoup selon la classe sociale.</p>
<p>Certaines d’entre elles habitent chez leurs employeurs, et travaillent généralement toute leur vie pour une même famille. D’autres sont payées au mois, et se déplacent quotidiennement pour venir travailler. Il existe également des employées à la journée qui servent plusieurs foyers, à l’image des femmes (et hommes) de ménage en France.</p>
<p>La tradition de l’aide-domestique remonte à l’abolition de l’esclavage en 1888, comme je l’ai analysé dans une <a href="https://www.springer.com/br/book/9783030332952">étude récente sur l’évolution des employées de maison brésiliennes et leur rôle dans la société</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/338062/original/file-20200527-20237-1jb6wf8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/338062/original/file-20200527-20237-1jb6wf8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/338062/original/file-20200527-20237-1jb6wf8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/338062/original/file-20200527-20237-1jb6wf8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/338062/original/file-20200527-20237-1jb6wf8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/338062/original/file-20200527-20237-1jb6wf8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/338062/original/file-20200527-20237-1jb6wf8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/338062/original/file-20200527-20237-1jb6wf8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Raimunda, employée de maison à Rio de Janeiro, compte sur l’aide du gouvernement pour s’en sortir le temps de la pandémie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/raimunda-a-self-employed-housekeeper-poses-for-a-photo-at-news-photo/1215149757?adppopup=true">Bruna Prado/Getty Images</a></span>
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<p>À l’abolition de l’esclavage au Brésil, le gouvernement livra à eux-mêmes un million de Noirs, condamnés à s’en sortir par leurs propres moyens alors qu’ils n’avaient jusqu’ici pas de ressources propres. 99 % des Afro-Brésiliens étaient illettrés, selon le <a href="https://biblioteca.ibge.gov.br/index.php/biblioteca-catalogo?view=detalhes&id=225487">recensement national de 1890</a>. La plupart d’entre eux ont donc pris des emplois subalternes, et les femmes noires ont été largement reléguées aux travaux domestiques, essentiellement dans des foyers blancs.</p>
<p>Aujourd’hui, les femmes noires <a href="https://www.ipea.gov.br/portal/images/stories/PDFs/TDs/td_2528.pdf">constituent encore la majorité des « domésticas » du Brésil</a> – 63 % en 2018. Cette forme de travail est si explicitement racialisée au Brésil qu’en 1994, le futur président brésilien Fernando Henrique Cardoso <a href="https://www1.folha.uol.com.br/fsp/1994/5/31/brasil/18.html">déclara à des journalistes</a> qu’il avait « un pied dans la cuisine » pour signaler ses origines métisses.</p>
<p>Ces jours-ci, avoir les deux pieds dans la cuisine implique d’être exposé à un risque de Covid-19 disproportionné.</p>
<p>En avril, le <a href="https://valor.globo.com/brasil/noticia/2020/04/11/coronavrus-mais-letal-entre-negros-no-brasil-apontam-dados-da-sade.ghtml">ministre de la Santé rapportait</a> que les Afro-Brésiliens représentaient un quart des personnes hospitalisées pour une forme grave de la maladie causée par le coronavirus et environ un tiers des décès dus au Covid-19 (alors qu’ils ne constituent que 7 à 8 % de la population totale). À São Paulo, l’épicentre de la pandémie au Brésil, les autorités ont récemment fait savoir que les habitants noirs avaient <a href="https://saude.estadao.com.br/noticias/geral,em-sp-risco-de-morte-de-negros-por-covid-19-e-62-maior-em-relacao-aos-brancos,70003291431">62 % de risques de mourir du Covid-19 de plus</a> que l’ensemble de la population.</p>
<p>Les employées de maison brésiliennes, quelle que soit leur couleur de peau, sont tout particulièrement vulnérables à la crise. Elles ne disposent généralement d’aucune garantie d’emploi, parcourent de longues distances pour aller travailler <a href="https://oglobo.globo.com/sociedade/covid-19-mais-letal-em-regioes-de-periferia-no-brasil-1-24407520">et perçoivent des revenus très faibles</a> ; elles ont donc un accès limité à une protection de santé de qualité.</p>
<p>Tous les lits de réanimation des hôpitaux publics de <a href="https://www1.folha.uol.com.br/cotidiano/2020/05/doze-capitais-tem-mais-de-80-de-leitos-publicos-de-uti-ocupados.shtml">5 des 26 États du pays</a> – Pará, Maranhão, Rio de Janeiro, Pernambuco et Ceará – sont occupés ou le seront prochainement, selon les autorités locales. Tandis que les patients atteints du Covid-19 les plus aisés peuvent payer pour être <a href="https://epoca.globo.com/sociedade/coronavirus-ricos-de-belem-escapam-em-uti-aerea-de-colapso-nos-hospitais-da-cidade-1-24412850">transportés dans des hôpitaux privés, à São Paulo ou à l’étranger</a>, les Brésiliens plus pauvres ne peuvent compter que sur un système de santé public déjà surchargé.</p>
<h2>Catastrophe économique</h2>
<p>Outre les exposer physiquement à la pandémie, la crise rend les travailleurs domestiques brésiliens très vulnérables sur le plan économique.</p>
<p>Environ 4,3 millions des 6 millions de « domésticas » brésiliennes sont employées de <a href="https://www.ibge.gov.br/estatisticas/sociais/trabalho/9171-pesquisa-nacional-por-amostra-de-domicilios-continua-mensal.html">façon informelle</a>, ce qui signifie qu’elles ne sont pas enregistrées auprès du gouvernement. Elles ne bénéficient pas par conséquent du droit du travail, qui garantit un salaire mensuel minimum de 157 euros et 30 jours de congés payés.</p>
<p>Depuis début mars, <a href="https://noticias.uol.com.br/ultimas-noticias/bbc/2020/04/22/conoravirus-no-brasil-39-dos-patroes-dispensaram-diaristas-sem-pagamento-durante-pandemia-aponta-pesquisa.htm">39 % d’entre elles</a> ont été congédiées. Elles font partie des <a href="https://exame.com/economia/taxa-de-desemprego-no-brasil-pode-dobrar-por-covid-19-diz-salim-mattar/">15 à 20 millions de Brésiliens qui seront</a> au chômage d’ici à juillet, selon <a href="https://valorinveste.globo.com/mercados/brasil-e-politica/noticia/2020/03/27/desemprego-vai-explodir-no-brasil-com-coronavirus-a-duvida-e-o-tamanho-da-bomba.ghtml">différentes projections</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/338059/original/file-20200527-20260-17fx0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/338059/original/file-20200527-20260-17fx0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/338059/original/file-20200527-20260-17fx0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/338059/original/file-20200527-20260-17fx0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/338059/original/file-20200527-20260-17fx0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/338059/original/file-20200527-20260-17fx0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/338059/original/file-20200527-20260-17fx0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/338059/original/file-20200527-20260-17fx0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les Brésiliens font la queue devant une banque à Rio de Janeiro pour obtenir une aide gouvernementale du fait de la pandémie, le 18 mai 2020.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/people-wearing-protective-masks-wait-in-line-while-news-photo/1213500787?adppopup=true">Bruna Prado/AFP</a></span>
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<p>Bien que le <a href="https://mpt.mp.br/pgt/noticias/nota-tecnica-no-4-coronavirus-1.pdf">Bureau du procureur fédéral du travail</a> recommande officiellement de garantir aux employées domestiques un congé payé pour rester chez elles pendant la pandémie, seules 39 % des travailleuses régulières et 48 % des travailleuses journalières en ont effectivement bénéficié, selon l’<a href="https://www.bbc.com/portuguese/brasil-52375292">institut de sondage Locomotiva</a>.</p>
<p><a href="https://www.bol.uol.com.br/noticias/2020/05/07/apos-criticas-governo-do-para-limita-servico-domestico-durante-lockdown.htm">Certains</a> États du Brésil ont <a href="https://fenatrad.org.br/2020/05/13/fenatrad-e-sindomestico-ma-solicitam-a-revisao-do-decreto-que-coloca-o-servico-domestico-como-essencial-no-maranhao/">inclus l’emploi domestique</a> dans la liste des services essentiels, permettant aux employées de maison de continuer à travailler – en supposant que leurs <a href="https://www.bbc.com/portuguese/brasil-52375292">employeurs continuent à les rémunérer</a>.</p>
<h2>Réseaux de solidarité</h2>
<p>La détresse des travailleurs domestiques est l’une des nombreuses inégalités brésiliennes mises en lumière par la pandémie.</p>
<p>Le Congrès a voté en mars une aide autorisant un revenu de base d’urgence de 90 euros par mois pour les personnes nouvellement sans emploi, y compris les travailleurs informels. Jusqu’ici, toutefois, un peu moins de la moitié des <a href="https://caixanoticias.caixa.gov.br/noticia/20795/auxilio-emergencial-clique-aqui-para-ver-os-ultimos-numeros">55 millions de personnes qui l’ont sollicitée</a> l’ont reçue, en raison d’une mauvaise mise en œuvre et de retards bureaucratiques. L’absence d’accès Internet couplée à d’autres facteurs liés à la pauvreté pourraient par ailleurs <a href="https://redepesquisasolidaria.org/wp-content/uploads/2020/05/boletim5.pdf">empêcher plusieurs millions de personnes de solliciter cette aide</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/338060/original/file-20200527-20229-1ao3r7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/338060/original/file-20200527-20229-1ao3r7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/338060/original/file-20200527-20229-1ao3r7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/338060/original/file-20200527-20229-1ao3r7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/338060/original/file-20200527-20229-1ao3r7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/338060/original/file-20200527-20229-1ao3r7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/338060/original/file-20200527-20229-1ao3r7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/338060/original/file-20200527-20229-1ao3r7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Un hôpital de campagne pour les patients du Covid-19 installé à Manaus, au Brésil, était à pleine capacité le 21 mai 2020.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/nursers-work-at-the-intensive-treatment-unit-at-the-news-photo/1214464053?adppopup=true">Andre Coelho/AFP</a></span>
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<p>Ces employées brésiliennes souffrent de la pandémie, mais pas en silence. <a href="https://fenatrad.org.br">Fenatrad</a>, une fédération qui unit les travailleuses domestiques, se bat contre les décrets d’État qui intègrent les domestiques aux services essentiels, en insistant plutôt pour que cette population à haut risque bénéficie d’un congé payé.</p>
<p>Début mai, la Cour suprême brésilienne <a href="https://congressoemfoco.uol.com.br/judiciario/stf-reconhece-covid-19-como-doenca-ocupacional-e-permite-autuacao-de-empresas/">a demandé</a> que le Covid-19 soit qualifié de maladie professionnelle afin de permettre aux travailleurs d’obtenir une compensation. La décision s’applique aux employées de maison.</p>
<p>Les communautés ont également créé leurs propres initiatives de base pour soutenir les travailleurs domestiques. Une campagne de dons <a href="https://www.esolidar.com/en/crowdfunding/detail/6-adote-uma-diarista-durante-o-coronavirus-covid19?lang=br">« Adoptez une femme de ménage quotidienne »</a> est en cours dans la favela de Paraisópolis à São Paulo – un bidonville qui jouxte un quartier de classe supérieure – pour inciter les personnes qui en ont les moyens à soutenir les femmes de ménage de la région.</p>
<p>Et signe de la remarquable mobilité sociale du Brésil <a href="https://theconversation.com/as-brazil-tilts-rightward-lulas-leftist-legacy-of-lifting-the-poor-is-at-risk-65939">encouragée dans les années fastes du début du XXIᵉ siècle</a>, la première génération d’enfants de domestiques ayant fait des études universitaires <a href="https://www.theguardian.com/global-development/2020/may/05/for-the-lives-of-our-mothers-covid-19-sparks-fight-for-maids-rights-in-brazil-coronavirus">a lancé une pétition Change.org</a> demandant aux employeurs d’accorder à leurs mères des congés payés, de leur verser une avance sur leurs vacances et d’isoler les employées résidentes qui présenteraient un risque élevé de Covid-19. Ils ont également ajouté une option de dons <a href="https://www.instagram.com/pelavidadenossasmaes/">pour soutenir les domestiques vulnérables</a>.</p>
<p>« Les domestiques font partie d’un groupe de travailleurs qui représente le Brésil », peut-on lire dans la pétition, qui invite toutes les personnes élevées par des « domésticas » à se joindre à leur cause. À ce jour, plus de 90 000 personnes ont signé la pétition, <a href="https://www.facebook.com/cartamanifesto/posts/103226661321138 :0 ?__tn__=K-R">« pour la vie de toutes nos mères »</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140202/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mauricio Sellmann Oliveira ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les employées domestiques comptent parmi les premières victimes du Covid-19 au Brésil. Bon nombre d’entre elles se retrouvent aujourd’hui sans emploi, parfois sans aucune ressource.Mauricio Sellmann Oliveira, Visiting Scholar, Dartmouth CollegeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1398872020-06-04T18:04:24Z2020-06-04T18:04:24ZMort de George Floyd : des images traumatisantes de sinistre mémoire<p>Lorsqu’<a href="https://www.nytimes.com/article/ahmaud-arbery-shooting-georgia.html">Ahmaud Arbery</a> a été abattu, le coup de feu qui lui a coûté la vie a eu un écho retentissant dans son quartier, en Géorgie.</p>
<p>J’ai regardé plusieurs fois la vidéo de son meurtre. Chaque fois, mon regard est d’abord attiré par la foulée apparemment insouciante du jeune jogger noir arrêté dans sa course par deux hommes blancs dans un pick-up blanc. Puis j’observe Gregory McMichael (64 ans) et son fils Travis (34 ans), ses assaillants. Je savais qu’ils avaient déclaré soupçonner le jeune homme d’être l’auteur d’un cambriolage commis dans leur quartier et avoir décidé de procéder eux-mêmes à son arrestation.</p>
<p>Sur la vidéo, on peut voir le joggeur soudainement bloqué par le véhicule des deux hommes. S’ensuit une altercation puis des coups de feu à bout portant <a href="https://gbi.georgia.gov/press-releases/2020-05-21/ahmaud-arbery-murder-investigation">tirés par l’arme de Travis McMichael</a>.</p>
<p>Mon regard se porte ensuite sur les grands arbres, peut-être la dernière chose qu’a vue Ahmaud Arbery avant de s’écrouler. Combien de ces mêmes arbres, ai-je pensé, ont-ils été témoins de lynchages comme celui-ci ? Combien de ces lynchages ont-ils été photographiés, infligeant une ultime humiliation aux mourants ?</p>
<h2>Des lynchages modernes</h2>
<p>L’utilisation du mot <a href="https://www.thenation.com/article/society/ahmaud-arbery-lynching/">lynchage</a> pour décrire le meurtre d’Ahmaud Arbery, le 23 février 2020, peut sembler choquante mais beaucoup de Noirs m’ont dit que sa mort, suivie quelques jours plus tard par celle de <a href="https://www.vox.com/2020/5/13/21257457/breonna-taylor-louisville-shooting-ahmaud-arbery-justiceforbre">Breonna Taylor</a> et maintenant de <a href="https://www.newyorker.com/news/daily-comment/the-death-of-george-floyd-in-context">George Floyd</a> – des meurtres commis par des policiers – ravivait le long passé ségrégationniste des États-Unis, quand des Blancs pouvaient impunément tuer des Noirs.</p>
<p>Ce qui est peut-être encore plus <a href="https://www.nytimes.com/2015/06/24/magazine/racisms-psychological-toll.html">traumatisant</a>, c’est la facilité avec laquelle ces morts sont accessibles en ligne. Dans mon nouveau livre, <a href="https://global.oup.com/academic/product/bearing-witness-while-black-9780190935535"><em>Bearing Witness While Black : African Americans, Smartphones and the New Protest #Journalism</em></a>, j’appelle les Américains à cesser de regarder sans retenue ces images de meurtres de Noirs.</p>
<p>Ces vidéos filmées avec des téléphones portables, où l’on voit des hommes se comporter en justiciers et des interpellations policières virer au meurtre, devraient être considérées comme des images de lynchage, avec la réserve solennelle et la prudence qui s’imposent. Pour comprendre le changement qui s’est opéré par rapport aux images, il est utile, selon moi, d’examiner comment et pourquoi nous nous sommes habitués à regarder mourir les Noirs aux États-Unis.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/338309/original/file-20200528-51449-4tbgaq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/338309/original/file-20200528-51449-4tbgaq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/338309/original/file-20200528-51449-4tbgaq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/338309/original/file-20200528-51449-4tbgaq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/338309/original/file-20200528-51449-4tbgaq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/338309/original/file-20200528-51449-4tbgaq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/338309/original/file-20200528-51449-4tbgaq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/338309/original/file-20200528-51449-4tbgaq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La police face à des manifestants à Minneapolis après la mort de George Floyd, le 25 mai 2020.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/police-officers-stand-in-a-line-while-facing-protesters-news-photo/1215628250">Stephen Maturen/AFP</a></span>
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<h2>Des images omniprésentes de la mort d’Afro-Américains</h2>
<p>Chaque période de terreur contre les Afro-Américains – esclavage, lynchage et violences policières – s’accompagne d’une image emblématique.</p>
<p>La plus connue, concernant l’esclavage, est une <a href="https://www.history.com/news/whipped-peter-slavery-photo-scourged-back-real-story-civil-war">photo de 1863</a> montrant, sur le dos de « Whipped Peter », un enchevêtrement de cicatrices provoquées par des coups de fouet.</p>
<p>Parmi les images de lynchage les plus célèbres, une <a href="https://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=129025516">photo de 1930</a> montre une foule rassemblée devant les corps de Thomas Shipp et Abram Smith à Marion, dans l’Indiana. Un Blanc au regard fou apparaît au bas du cliché, le doigt tendu vers les corps pendus. Une image qui a inspiré à Abel Meeropol le poème <a href="https://www.biography.com/news/billie-holiday-strange-fruit">« Strange Fruit »</a>, que Billie Holiday a ensuite chanté dans le monde entier.</p>
<p>Vingt-cinq ans plus tard, en 1955, les photos du corps mutilé d’<a href="http://100photos.time.com/photos/emmett-till-david-jackson">Emmett Till</a> sont devenues la pierre angulaire culturelle d’une nouvelle génération. Ce garçon de 14 ans a été battu, torturé puis tué d’une balle dans la tête et jeté dans une rivière par des Blancs après qu’une femme blanche l’avait accusé de l’avoir sifflée. Elle a admis plus tard avoir menti.</p>
<p>Tout au long du XX<sup>e</sup> siècle, et jusqu’à aujourd’hui, les brutalités policières contre les Noirs ont également été immortalisées par les médias. Les Américains ont regardé les forces de l’ordre, d’abord dans les journaux télévisés du soir puis sur leurs téléphones portables, <a href="https://www.loc.gov/item/2014645234/">utiliser des canons à eau</a> contre de jeunes manifestants pour les droits civiques, <a href="https://www.amazon.com/Story-Birmingham-Rights-Movement-Photographs/dp/1464404178">lâcher leurs bergers allemands</a>, manier <a href="https://www.npr.org/sections/codeswitch/2015/03/06/390943835/photographer-helped-expose-brutality-of-selmas-bloody-sunday">leurs matraques</a> lors de marches pacifiques et tirer sur des hommes, des femmes et des enfants noirs au Taser.</p>
<p>Lors des interviews que j’ai réalisées pour mon livre, de nombreux Noirs m’ont dit porter en eux cette spirale historique de violence contre leurs ancêtres. C’est la raison pour laquelle il leur est extrêmement douloureux de regarder les versions modernes de ces crimes odieux.</p>
<p>D’autres pensent que les vidéos qui circulent ont pour but d’éduquer le public sur les relations interraciales aux États-Unis. Je crois que ces documents tragiques peuvent en effet servir à cela, mais cela demandera des efforts.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/337712/original/file-20200526-106815-f764c8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/337712/original/file-20200526-106815-f764c8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/337712/original/file-20200526-106815-f764c8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=804&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/337712/original/file-20200526-106815-f764c8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=804&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/337712/original/file-20200526-106815-f764c8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=804&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/337712/original/file-20200526-106815-f764c8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1010&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/337712/original/file-20200526-106815-f764c8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1010&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/337712/original/file-20200526-106815-f764c8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1010&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">En 1922, la NAACP fait publier une série d’annonces pleine page dans le <em>New York Times</em> pour réveiller les consciences sur les lynchages.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://historymatters.gmu.edu/d/6786">New York Times</a></span>
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<h2>Exhumer les « archives secrètes »</h2>
<p>Au début du XX<sup>e</sup> siècle, lorsqu’un lynchage était commis, certaines des premières organisations de défense des droits civiques du pays diffusaient largement les images à leur disposition, afin de sensibiliser l’opinion à l’atrocité de ces actes, en les publiant dans des magazines et des journaux noirs.</p>
<p>Une fois que l’image avait atteint son pic de diffusion, elle était généralement retirée et classée dans des « <a href="https://books.google.com/books?hl=en&lr=&id=teHcibtMYBUC&oi=fnd&pg=PA299&dq=%22shadow+archive%22">archives secrètes</a> », dans une salle de rédaction, une bibliothèque ou un musée. L’objectif, en stoppant sa diffusion, était de redonner du sérieux et du respect à la consultation de ces images.</p>
<p>La NAACP, l’association américaine pour la promotion des gens de couleur, a souvent utilisé cette technique. En 1916, par exemple, elle a publié dans son magazine <a href="https://theundefeated.com/features/the-waco-horror/"><em>The Crisis</em></a> une photo terrifiante de Jesse Washington, un jeune garçon de 17 ans pendu et brûlé à Waco, au Texas.</p>
<p>Résultat : les adhésions ont monté en flèche, Noirs et Blancs voulant contribuer à lutter contre ces exactions comme ils le pouvaient. L’argent a permis à la NAACP d’acheter des <a href="https://www.gilderlehrman.org/history-resources/spotlight-primary-source/lynching-america-ca-1926">pleines pages</a> d’annonces très coûteuses dans le <em>New York Times</em> afin de faire pression sur les responsables politiques et faire adopter une loi contre les lynchages.</p>
<p>Si la NAACP existe encore aujourd’hui, aucune image de victimes de lynchage n’apparaît sur son site Internet, ni sur sa page Instagram. Dans son <a href="https://www.naacp.org/latest/naacp-issues-statement-murder-ahmaud-arbery/">communiqué sur le meurtre d’Ahmaud Arbery</a>, elle s’est abstenue de republier la vidéo glaçante qui circulait. Cette retenue témoigne d’un respect dont les médias et les utilisateurs des réseaux sociaux n’ont pas fait preuve.</p>
<h2>Un deux poids, deux mesures des plus curieux</h2>
<p>Selon les détracteurs des archives secrètes, il est très compliqué, une fois qu’une photo est publiée sur Internet, d’empêcher qu’elle soit utilisée sur de futures publications. </p>
<p>C’est faux. Les images de la mort de Blancs sont <a href="https://www.theverge.com/2019/12/16/21021005/google-youtube-moderators-ptsd-accenture-violent-disturbing-content-interviews-vid%C3%A9o">régulièrement supprimées</a>.</p>
<p>Il est difficile de trouver en ligne, par exemple, les images des fusillades ayant fait de nombreuses victimes blanches. On honore la mémoire des morts du massacre de l’école élémentaire de Sandy Hook en 2012 ou du festival de musique de Las Vegas en 2017, par d’<a href="https://www.cnn.com/2017/12/14/us/sandy-hook-newtown-shooting-victims-profiles/index.html">émouvants portraits</a>.</p>
<p>Je pense que les meurtres de Noirs filmés avec des téléphones portables devraient faire l’objet du même traitement. À l’instar des générations de militants qui utilisaient ces images sur une durée limitée – dans le but unique de lutter pour la justice sociale —, les médias et les réseaux sociaux d’aujourd’hui devraient retirer rapidement les images en ligne.</p>
<p>Les suspects du meurtre d’Ahmaud Arbery ont été arrêtés. Les policiers de Minneapolis impliqués dans la mort de George Floyd ont été licenciés et mis en examen. Les vidéos ont joué leur rôle : scandaliser l’opinion.</p>
<p>Mais la diffusion d’images tragiques à la télévision, en lecture automatique sur les sites Internet et les réseaux sociaux ne sert plus l’<a href="https://www.washingtonpost.com/national/this-was-supposed-to-go-away-the-battle-to-shape-how-the-world-viewed-ahmaud-arberys-killing/2020/05/22/089916b8-98f6-11ea-89fd-28fb313d1886_story.html">objectif de justice sociale</a> et relève de la pure exploitation.</p>
<p>La comparaison des vidéos des meurtres d’Ahmaud Arbery et de George Floyd avec les photos de lynchage nous invite à traiter les images intelligemment, avec respect et prudence. Nous pouvons, si nous le souhaitons, partager les derniers instants de ces êtres assassinés, ne pas les laisser disparaître seuls dans le silence des arbres.</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Karine Degliame-O’Keeffe pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139887/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Allissa V. Richardson ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis des siècles, des Noirs sont tués impunément aux États-Unis. Les images de cette violence témoignent d’un manque de respect vis-à-vis des morts et risquent de traumatiser ceux qui les regardent.Allissa V. Richardson, Assistant Professor of Journalism, USC Annenberg School for Communication and JournalismLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1397502020-06-03T17:27:00Z2020-06-03T17:27:00ZLa mort de George Floyd et celle du rêve américain<p>La mort de George Floyd, le 25 mai dernier à Minneapolis, n’est que le dernier en date d’une longue série de drames comparables. L’un des aspects les plus douloureux de cette litanie de tragédies est sans doute le fait que chacune d’entre elles éloigne davantage le rêve américain, fondé sur la possibilité pour chacun de vivre libre et de rechercher le bonheur, de la réalité.</p>
<p>Retour sur la douloureuse histoire des Noirs américains, devenus des citoyens à part entière après la fin de la ségrégation dans les années 1960, mais souvent encore considérés comme des citoyens de second ordre dans les faits…</p>
<h2>De l’esclavage à l’égalité politique</h2>
<p>Dans la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/us1776.htm">Déclaration d’indépendance de 1776</a>, Thomas Jefferson avait mis en avant trois principes directeurs de la nouvelle démocratie américaine à venir : le droit à la vie, le droit à la liberté et le droit au bonheur. Bien qu’influencée par la Révolution française, la révolution américaine n’a pas intégré l’égalité et la fraternité au nombre de ses valeurs fondatrices. Les esclaves emmenés d’Afrique ont été comptabilisés (à hauteur de <a href="https://www.theusconstitution.org/news/understanding-the-three-fifths-compromise/">trois cinquièmes</a>)pour déterminer le nombre des représentants à élire pour désigner la composition de la <a href="https://books.google.fr/books/about/Birth_of_the_Nation.html?id=J99nf-htEIEC&redir_esc=y">première Chambre basse</a>, mais ils n’ont pas eu le droit de vote, pas plus que les femmes. C’est le début de l’injustice politique et de la discrimination raciale et sexuelle.</p>
<p>Le 19<sup>e</sup> amendement voté en 1920 finit par accorder aux femmes le droit de vote, mais pas une égalité de fait. La proposition de loi <a href="https://www.equalrightsamendment.org/">« Equal Rights Amendment »</a> introduite en 1971 n’a pas pu devenir le 28<sup>e</sup> amendement de la la Constitution à ce jour, face à la <a href="http://www.revue-rita.com/dossier-12/equal-rights-amendment-pres-d-un-siecle-de-sur-vie-d-un-combat-pour-l-egalite-salian-sylla.html">résistance conservatrice</a>. La non-reconnaissance de la contribution des mathématiciennes noires américaines aux recherches de NASA mise en évidence dans le film <em>Hidden Figures</em> (2016) illustre parfaitement ce que Kimberlé Crenshaw qualifie d’« intersectionnalité ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/HXdM8yqiD_o?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Abraham Lincoln signe la <a href="http://www.aude.gouv.fr/proclamation-d-emancipation-abraham-lincoln-1863-a8801.html">proclamation de l’émancipation des esclaves</a> en 1863, mais l’abolition de l’esclavage se fera au prix d’une guerre violente. Le <a href="https://www.britannica.com/topic/Thirteenth-Amendment">13ᵉ amendement</a> donne la liberté aux esclaves en 1865 et le <a href="https://www.britannica.com/topic/Fourteenth-Amendment">14ᵉ</a> leur confère la citoyenneté en 1868. Mais le test d’alphabétisme en vigueur dans plusieurs États freine leur accès effectif au droit de vote. Le film <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gRZe0nyex-U"><em>Twelve Years A Slave</em></a> sorti en 2013 montre bien la violence extrême – physique, sexuelle, verbale et morale – dont furent victimes les Afro-Américains. De 1876 à 1965, les <a href="https://www.encyclopedia.com/history/united-states-and-canada/us-history/jim-crow-laws">lois Jim Crow</a> instaurent un régime paradoxal d’égalité politique combiné dans le sud avec la ségrégation raciale. Les militants du <a href="http://www.rfi.fr/fr/ameriques/20130826-usa-etats-unis-segregation-noirs-racisme-martin-luther-king-lois-jim-crow-ku-klux-klan-face-obscure-amerique">Ku Klux Klan</a> qui ont émergé à cette époque persistent encore sous une forme plus ou moins clandestine. Dans l’arrêt <a href="https://www.doc-du-juriste.com/droit-public-et-international/libertes-publiques/commentaire-d-arret/cour-supreme-americaine-plessy-vs-ferguson-1896-brown-vs-board-457648.html"><em>Plessy v Ferguson</em></a> en 1896, la Cour suprême déclare légale la doctrine de « separate but equal », qui n’était qu’une expression politiquement acceptable de l’apartheid.</p>
<p>Le discours <a href="https://www.jeuneafrique.com/168911/politique/i-have-a-dream-le-texte-int-gral-en-fran-ais-du-discours-de-martin-luther-king/">« Je fais un rêve »</a> prononcé par Martin Luther King le 28 août 1963, qui renvoyait à la tradition biblique et à une vision transcendante de la Constitution, se révèle prophétique quand on revisite ses avertissements à la lumière de ce qui se passe aujourd’hui.</p>
<blockquote>
<p>« Il n’y aura ni repos ni tranquillité en Amérique jusqu’à ce qu’on ait accordé au peuple noir ses droits de citoyen. Les tourbillons de la révolte ne cesseront d’ébranler les fondations de notre nation jusqu’à ce que le jour éclatant de la justice apparaisse. »</p>
</blockquote>
<p>La Cour suprême a mis fin à la doctrine « séparés mais égaux » par son arrêt rendu dans l’affaire <a href="https://www.lepetitjuriste.fr/larret-brown-v-board-of-education-entre-droit-sciences-sociales/"><em>Brown v the Board of Education of Topeka</em></a> en 1954. L’adoption du <a href="http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=1396">Civil Rights Act en 1964</a> et les politiques d’<a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2010/01/18/l-experience-de-la-discrimination-positive-aux-etats-unis_1293336_3224.html"><em>affirmative action</em></a> allaient corriger les torts du passé. L’arrivée de Barack Obama au pouvoir en 2008 et sa réélection en 2012 envoyaient un signal au monde : l’Amérique semblait enfin tourner la page honteuse de son histoire.</p>
<h2>Basculement dans le racisme décomplexé à l’ère Trump</h2>
<p>L’élection de Donald Trump a brusquement changé la donne. Craignant que leur situation allait empirer, certains membres de la diaspora africaine, notamment des Afro-Américains dont les racines se trouvaient au Ghana, sont <a href="https://www.bbc.com/news/av/world-africa-50256582/i-have-a-culture-i-have-a-people-i-belong-why-these-african-americans-are-going-back-to-ghana">« rentrés » en Afrique</a>. Le slogan de Trump, « Make America Great Again », sous-entend que la présidence de Barack Obama a été néfaste pour l’Amérique. Sa mansuétude envers les <a href="https://www.lci.fr/international/un-an-apres-charlottesville-trump-ne-condamne-toujours-pas-les-neonazis-2095498.html">groupuscules qui prônent la suprématie blanche</a> ne fait pas de doute, tout comme son soutien à d’autres représentants de la droite la plus dure comme les <a href="https://www.lepoint.fr/monde/etats-unis-trump-renouvelle-son-soutien-a-la-detention-d-armes-09-08-2019-2329122_24.php">lobbyistes du port d’armes</a> ou les militants anti-avortement. </p>
<p>Sa réaction à la crise du Covid-19 a été à l’avenant, puisqu’il a commencé par dénoncer un <a href="https://theconversation.com/donald-trump-les-maux-et-les-mots-du-virus-136530">« virus chinois »</a> avant de <a href="https://theconversation.com/face-au-covid-19-le-federalisme-a-geometrie-variable-de-donald-trump-137348">s’en prendre aux gouverneurs démocrates</a> ayant mis en place des mesures de confinement, ce qui a incité des citoyens conservateurs à <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/etats-unis-des-militants-armes-contre-le-confinement_3945157.html">descendre dans la rue, avec des armes, pour protester contre le confinement</a>.</p>
<p>C’est dans cette atmosphère de violence latente qu’intervient la mort de George Flyod, des mains d’un policier <a href="https://www.lci.fr/international/derek-chauvin-le-policier-imis-en-cause-dans-la-mort-de-george-floyd-avait-deja-fait-l-objet-de-18-signalements-2155132.html">qui avait été mis en cause pour son comportement dix-huit fois</a>. Les émeutes qui secouent l’Amérique ne sont pas seulement la conséquence de cet événement qui apparaît plutôt comme la dernière goutte qui a fait déborder la vase de la violence systémique. En 2013, la mort de l’adolescent <a href="https://edition.cnn.com/2013/06/05/us/trayvon-martin-shooting-fast-facts/index.html">Trayvon Martin</a> en Floride avait abouti à la naissance du mouvement <a href="https://blacklivesmatter.com/">« Black Lives Matter »</a>.</p>
<p>Depuis, <a href="https://www.dailyherald.com/discuss/20200530/editorial-after-so-many-police-outrages-floyd-killing-a-further-indictment-of-attitudes-on-race">plusieurs hommes noirs ont été tués par la police dans des circonstances similaires</a>, par exemple <a href="https://www.lesinrocks.com/2015/04/11/actualite/actualite/caroline-du-sud-derriere-la-mort-de-walter-scott-lombre-de-la-segregation/">Walter Scott en Caroline du Sud</a> en 2015 et <a href="https://www.20minutes.fr/monde/2247039-20180331-mort-alton-sterling-vais-degommer-salope-nouvelle-video-choc-policiers">Alton Sterling en Louisiane</a> en 2016, sans parler des <a href="https://deathpenaltyinfo.org/policy-issues/innocence/description-of-innocence-cases">bavures judiciaires</a> qui envoient régulièrement à tort des hommes noirs dans le couloir de la mort.</p>
<h2>La trahison des valeurs américaines</h2>
<p>Ceux qui sont outrés par le sort de George Floyd seront peut-être taxés de « laxisme idéologique » puisque la victime avait passé cinq ans en prison pour vol avec violence et essayait de faire passer un faux billet de 20$ pour un vrai. Mais qu’il soit ou non un délinquant, il va de soi que George Floyd ne devait pas mourir sans procès équitable.</p>
<p>Dès 1896, le juge Harlan avait affirmé que la Constitution <a href="http://chnm.gmu.edu/courses/nclc375/harlan.html">ne prête pas attention à la couleur de la peau</a>. Lors de l’examen de l’affaire <a href="https://supreme.justia.com/cases/federal/us/408/238/"><em>Furman v Georgia</em> (1972)</a>, l’avocat de l’accusé, Anthony Amsterdam, avait souligné le fait que les accusés noirs étaient plus souvent condamnés à mort que les accusés blancs.</p>
<p>Malgré des siècles d’efforts, l’imaginaire populaire perçoit encore largement tout Afro-Américain comme un criminel en puissance. Les candidats à la présidence ne peuvent plus ignorer fait que la mort, la discrimination et le malheur sont en train de transformer le rêve américain en un cauchemar pour une partie de leurs compatriotes. La voix étouffée de George Floyd dit tout haut l’indicible violence qui accable les personnes de couleur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139750/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Geetha Ganapathy-Doré a reçu des financements de l'université Paris 13 - Sorbonne Paris Nord et de l'Université Paris Nanterre pour des manifestations scientifiques qu'elle a organisées pour le compte de l'association SARI (Société d'activités et de recherches sur le monde indien) qu'elle préside.</span></em></p>L’histoire de l’esclavage et de la ségrégation dont les Noirs ont fait l’objet pendant des siècles permet de mieux comprendre la mort de George Floyd et les émeutes qui se sont ensuivies.Geetha Ganapathy-Doré, Maîtresse de conférences HDR en anglais, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1397762020-06-01T17:21:27Z2020-06-01T17:21:27ZCe que la mort de George Floyd et ses conséquences disent de l’Amérique<p>La <a href="https://www.washingtonpost.com/nation/2020/05/30/video-timeline-george-floyd-death/?arc404=true">vidéo</a> de la <a href="https://www.sudouest.fr/2020/05/27/etats-unis-un-homme-noir-george-floyd-meurt-etouffe-lors-d-une-interpellation-par-quatre-policiers-blancs-7515874-4803.php">mort de George Floyd</a> à Minneapolis a choqué le monde entier.</p>
<p>Aux États-Unis, elle a suscité une <a href="https://edition.cnn.com/us/live-news/george-floyd-protests-05-31-20/index.html">profonde indignation et des manifestations de protestation véhémentes</a>.</p>
<p>Pourtant, loin de générer l’unité nationale, cet événement met surtout en exergue les profondes divisions raciales qui continuent de fracturer le pays. Poids du passé esclavagiste et ségrégationniste, impunité policière, discours agressifs du président Trump et de ses soutiens, politisation maximale de chaque événement violent… La combinaison de tous ces aspects crée un cocktail détonant dont l’Amérique constate aujourd’hui les effets.</p>
<h2>Un racisme endémique</h2>
<p>D’aucuns pourraient être surpris : les <a href="https://www.nofi.media/2017/02/jim-crow/35768">lois ségrégationnistes Jim Crow</a> n’existent plus, et un <a href="https://www.20minutes.fr/monde/269294-20081103-barack-obama-premier-president-noir-etats-unis">Noir a exercé les plus hautes fonctions de 2008 à 2016</a>. Pourtant, le racisme demeure endémique et systémique aux États-Unis.</p>
<p><a href="https://www.ladepeche.fr/2020/05/31/qui-est-derek-chauvin-lofficier-de-police-de-44-ans-incrimine-dans-la-mort-de-george-floyd,8911253.php">Derek Chauvin</a>, le policier qui a tué George Floyd, avait fait l’objet de <a href="https://www.nytimes.com/2020/05/30/us/derek-chauvin-george-floyd.html">17 plaintes pour faute professionnelle</a> : aucune n’avait donné lieu à la <a href="http://www.ci.minneapolis.mn.us/www/groups/public/@mpd/documents/webcontent/wcmsp-224705.pdf">moindre sanction disciplinaire</a>. Une vidéo prise sous un autre angle de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=oejaHE5jUaA">l’arrestation de M. Floyd</a> montre également la complicité active des autres officiers de police présents sur place. Malgré l’émoi suscité par ces vidéos, il aura fallu cinq jours de manifestations pour que <a href="https://www.nytimes.com/2020/05/29/us/minneapolis-police-george-floyd.html">Chauvin soit finalement inculpé</a>, et lui seulement, à date.</p>
<p>Le département de police de Minneapolis est également visé depuis longtemps par de nombreuses plaintes pour usage excessif de la force, <a href="https://www.nytimes.com/2020/05/27/us/minneapolis-police.html">en particulier de la part de résidents noirs</a>, sans conséquence jusqu’ici. Un <a href="https://www.nytimes.com/2020/05/30/us/derek-chauvin-george-floyd.html">problème récurrent</a> dans le pays, <a href="https://mappingpoliceviolence.org/cities">comme le montrent certaines statistiques</a>. Pourtant, de nombreux hommes politiques, majoritairement blancs, continuent de nier l’existence d’un racisme systémique au sein des forces de police du pays. Par exemple, Robert O’Brien, le conseiller à la Sécurité nationale de Donald Trump, <a href="https://edition.cnn.com/us/live-news/george-floyd-protests-05-31-20/index.html">parlait dimanche de « quelques cas isolés »</a>.</p>
<p>La mort de Floyd rappelle tragiquement que ces « incidents isolés » s’inscrivent en réalité dans une <a href="https://www.9news.com.au/world/deaths-in-police-custody-list-usa/d5ee217c-396f-4de8-a0a6-1719e278f354">longue série</a> d’hommes et de femmes noirs non armés tués par des policiers blancs <a href="https://www.washingtonpost.com/graphics/investigations/police-shootings-database/">dans tout le pays</a>). À tel point que chaque famille afro-américaine a, depuis longtemps, intégré le fait qu’elle doit avoir une conversation avec ses enfants (<a href="https://www.npr.org/local/309/2019/08/27/754459083/having-the-talk-expert-guidance-on-preparing-kids-for-police-interactions">« the talk »</a>), pour les <a href="https://gawker.com/what-black-parents-tell-their-sons-about-the-police-1624412625">préparer aux interactions avec la police</a> – une conversation rendue <a href="https://www.wusa9.com/article/features/race/george-floyd-killing-leads-to-family-racism-talks/65-c7904ce0-f7d3-4ddc-b206-b822b3aadabe">plus nécessaire encore depuis la mort de George Floyd</a>.</p>
<h2>Le paradoxe du Minnesota</h2>
<p>Une arrestation qui tourne mal peut arriver n’importe où. Le Minnesota n’est pas un État conservateur du <a href="http://countrystudies.us/united-states/geography-14.htm">Sud profond</a>. Il se trouve dans le Midwest et est connu pour sa <a href="https://www.startribune.com/why-is-minnesota-more-liberal-than-its-neighboring-states/569326221/">tradition sociale-démocrate et progressiste</a>, particulièrement dans l’agglomération prospère des villes jumelles (<a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/minneapolis-saint-paul/">« Twin Cities »</a>) de Saint-Paul et Minneapolis, devenues des modèles de réussite économique. Certains parlent même du <a href="https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2015/03/the-miracle-of-minneapolis/384975/">« miracle de Minneapolis »</a>. Le Minnesota cultive une image de courtoisie (le fameux <a href="https://www.startribune.com/where-does-the-term-minnesota-nice-come-from-and-what-does-it-mean/502474301/">« Minnesota nice »</a>) et a été <a href="https://eu.sctimes.com/story/news/local/2018/02/27/u-s-news-minnesota-second-best-state-nation-behind-iowa/378424002/">classé deuxième</a> dans une liste des États où il fait le mieux vivre aux États-Unis en 2019.</p>
<p>Mais derrière la courtoisie affichée, se cache une tout autre réalité : l’agglomération des Twin Cities est aussi classée <a href="https://minnesota.cbslocal.com/2019/11/06/twin-cities-ranked-as-4th-worst-place-for-black-americans/">quatrième pire endroit pour les Noirs américains</a>, dont les <a href="https://www.twincities.com/2016/04/29/minnesotas-racial-disparities-worsening-why-and-why-it-matters/">revenus y sont plus faibles que dans les années 1970</a>, alors que la situation économique des blancs s’y est améliorée depuis la crise de 2008. De plus, Minneapolis affiche le <a href="https://www.mappingprejudice.org/what-are-covenants/index.html">plus faible taux d’accession à la propriété des Afro-Américains de tout le pays</a>. Ce faible taux de propriétaires noirs est, en partie, le fruit d’une discrimination officielle au logement (au travers de « conventions raciales » surnommées les <a href="https://www.pbs.org/video/jim-crow-of-the-north-stijws/">Jim Crow du Nord</a>) qui a perduré jusqu’en 1953, l’accession à la propriété étant un facteur important d’<a href="https://www.citylab.com/equity/2020/01/minneapolis-history-housing-discrimination-mapping-prejudice/604105/">accumulation de richesse au fil des générations</a>. L’arrivée de <a href="https://www.liberation.fr/planete/2014/01/14/minneapolis-des-somaliens-tres-polices_972754">nombreux réfugiés somaliens dans les années 1980 et 1990</a> n’a fait qu’accentuer cette situation, faisant même naître un <a href="https://www.nytimes.com/2019/06/20/us/politics/minnesota-refugees-trump.html">sentiment anti-immigrés</a> chez certains blancs.</p>
<p>Les plus progressistes, qui se montrent ouverts à la culture afro-américaine, ne sont pourtant guère conscients de cette réalité. Cela fait partie de ce que certains experts ont appelé le <a href="https://www.mncompass.org/trends/insights/2015-03-01-minnesota-paradox">paradoxe du Minnesota</a>, parfaitement illustré par la phrase de l’ancien basketteur professionnel Jalen Rose : <a href="https://www.thebiglead.com/posts/jalen-rose-i-wish-america-loved-black-people-as-much-as-they-love-black-culture-01e9gjvxta6n">« J’aimerais que les gens aiment les Noirs autant qu’ils aiment la culture noire.</a>“</p>
<h2>Un gouvernement qui encourage les violences policières</h2>
<p>À cette situation locale tendue s’ajoute, depuis trois ans, un gouvernement fédéral qui donne carte blanche aux forces de l’ordre, en assumant par exemple une inaction avérée dans les poursuites ou enquêtes en matière de droits civils liées aux accusations de mauvaise conduite de la police (lire les enquêtes de <a href="https://www.vox.com/policy-and-politics/2016/11/16/13640540/trump-obama-police-brutality">Vox</a> et du <a href="https://www.nytimes.com/2020/05/29/us/politics/justice-department-civil-rights-george-floyd.html"><em>New York Times</em></a>).</p>
<p>Et puis, il y a la rhétorique de Donald Trump. Le président a ouvertement encouragé la violence policière, y compris dans un discours <a href="https://factba.se/transcript/donald-trump-speech-ms13-law-enforcement-july-28-2017">devant une organisation de forces de l’ordre</a>, où il conseille aux policiers de ne pas protéger la tête des suspects quand ils les font rentrer dans leur voiture. Il a également <a href="http://www.phoenixnewtimes.com/news/sheriff-joe-arpaio-gets-pardon-from-donald-trump-9606956">gracié</a> un shérif, <a href="https://www.lemonde.fr/donald-trump/article/2017/08/26/trump-gracie-le-tres-controverse-sherif-arpaio_5176747_4853715.html">Joe Arpaio</a>, reconnu coupable de nombreuses fautes professionnelles, y compris des négligences criminelles et des violations des droits de suspects se trouvant en garde à vue.</p>
<p>Enfin, la semaine dernière, tout en défendant la mémoire de George Floyd, il annonce, <a href="https://twitter.com/realDonaldTrump/status/1266231100780744704">dans un tweet</a>, qu’il veut envoyer les militaires dans le Minnesota, suggérant de « tirer » pour stopper les émeutes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1266231100780744704"}"></div></p>
<blockquote>
<p>« Cette RACAILLE déshonore la mémoire de George Floyd, et je ne laisserai pas faire cela. [Je] viens juste de parler au gouverneur Tim Walz et lui ai dit que l’armée est à ses côtés tout du long. Au moindre problème, quand les pillages démarrent, les tirs commencent. Merci ! »</p>
</blockquote>
<p>Cette apologie de la violence, où Trump insinue que le vol devrait être puni de mort, sera d’ailleurs délibérément <a href="https://www.journaldemontreal.com/2020/05/29/twitter-masque-un-tweet-de-trump-faisant-lapologie-de-la-violence">masquée par Twitter</a>.</p>
<p>Or, comme cela a été abondamment commenté, le président reprend ici une expression historique à connotation raciste qui <a href="https://www.nouvelobs.com/l-amerique-selon-trump/20200529.OBS29494/quand-les-pillages-demarrent-les-tirs-commencent-pourquoi-cette-phrase-de-trump-a-un-lourd-passe-historique.html">a contribué aux violences en 1968</a>. Il a d’ailleurs tenté bien maladroitement de faire <a href="https://www.nbcnews.com/politics/politics-news/trump-gambles-splitting-biden-s-base-riot-rhetoric-n1218341">marche arrière</a>, toujours <a href="https://twitter.com/realDonaldTrump/status/1266434153932894208">sur Twitter</a>, quelques heures plus tard. De même, son allusion dans un <a href="https://twitter.com/realDonaldTrump/status/1266711223657205763">autre tweet</a> aux « chiens méchants » qui seraient lâchés sur les manifestants si ceux-ci franchissaient les barrières érigées devant la Maison Blanche <a href="https://www.vox.com/policy-and-politics/2020/5/30/21275643/trump-george-floyd-protests-vicious-dogs-civil-rights">évoque bien évidemment les tactiques utilisées contre les manifestants pour les droits civiques</a> dans les années 1960.</p>
<h2>Un président raciste ?</h2>
<p>Les accusations de racisme à l’encontre de Donald Trump ne datent pas d’hier, <a href="https://www.nytimes.com/2016/08/28/us/politics/donald-trump-housing-race.html">y compris sur le plan légal</a>. L’une des affaires qui permet le mieux de comprendre ce qu’il y a derrière sa rhétorique actuelle est sa prise de position contre cinq jeunes hommes noirs accusés d’avoir battu et violé une femme blanche qui faisait son jogging dans Central Park en 1989. Trump avait alors dépensé environ 85 000 dollars pour placer une <a href="https://parismatch.be/culture/series/280310/quand-donald-trump-exigeait-la-peine-de-mort-pour-les-cinq-de-central-park">annonce pleine page</a> dans quatre journaux demandant l’exécution des accusés :</p>
<blockquote>
<p>« Je veux haïr ces meurtriers et je le ferai toujours. On devrait les forcer à souffrir. […] Je ne cherche pas à les psychanalyser ou à les comprendre, je cherche à les punir… Je ne veux plus comprendre leur colère. Je veux qu’ils comprennent notre colère. Je veux qu’ils aient peur. »</p>
</blockquote>
<p>Or en 2002, les <a href="https://www.vox.com/policy-and-politics/2019/6/18/18684217/trump-central-park-5-netflix">« Cinq de Central Park »</a> ont été disculpés par des preuves ADN et par les <a href="https://www.nytimes.com/2002/12/20/nyregion/convictions-and-charges-voided-in-89-central-park-jogger-attack.html">aveux du véritable auteur</a>. Pourtant, non seulement Trump n’a pas reconnu l’erreur judiciaire, mais il a continué à suggérer qu’ils devraient bien être coupables de quelque chose en <a href="https://twitter.com/realDonaldTrump/status/325982969040879620">2013</a>, en <a href="https://www.nydailynews.com/new-york/nyc-crime/donald-trump-central-park-settlement-disgrace-article-1.1838467">2014</a> et même, depuis qu’il est <a href="https://www.nytimes.com/2019/06/18/nyregion/central-park-five-trump.html">président, en 2019</a>.</p>
<h2>Un récit inversé</h2>
<p>L’une des <a href="https://books.google.ca/books ?id=xdf2QupEaHgC&redir_esc=y">tactiques des plus répandues du discours raciste</a> consiste à renverser le récit et <a href="http://www2.hawaii.edu/%7Ekent/BlamingtheVictimGlobally.pdf">blâmer la victime</a> qui ose se rebeller. Ainsi, en 2017, Donald Trump accuse la star du football <a href="https://www.europe1.fr/sport/un-joueur-de-football-americain-divise-les-etats-unis-trump-sen-mele-2833307">Colin Kaepernick</a> d’« anti-patriotisme » pour s’être agenouillé pendant l’hymne national d’avant-match pour protester contre les violences policières envers les Noirs. Il appelle les propriétaires de la NFL, dans un langage d’une violence incroyable, à <a href="https://www.nbcsports.com/bayarea/49ers/trump-anthem-protesters-get-son-b-field">« faire sortir ce fils de pute du terrain immédiatement. Dehors. Il est viré. Il est viré »</a>.</p>
<p>De même, en 2015, Sean Hannity, célèbre animateur sur Fox News et proche de Donald Trump <a href="https://www.huffingtonpost.ca/entry/sean-hannity-black-lives-matter-kkk_n_5628ff2ee4b0ec0a38936571 ?ri18n=true">accuse le mouvement « Black Lives Matter » d’être « raciste » et équivalent au Ku Klux Klan</a>.</p>
<p>Et cette semaine, Tucker Carlson, lui aussi animateur sur Fox News et soutien affirmé de Donald Trump, a émis des <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=zFCco0Fe9oE">doutes sur les causes de la mort</a> de George Floyd. Il a également montré des pancartes dans les vitrines de certains magasins à Saint-Paul qui disaient « entreprise appartenant à des Noirs », présentant ces inscriptions comme des preuves du racisme des manifestants (puisque les propriétaires noirs estimaient que leurs locaux ne seraient pas pris pour cibles dès lors que la foule serait informée qu’ils n’appartiennent pas à des blancs).</p>
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<p>Il s’en est ensuite pris à un universitaire noir de Princeton (remarquant au passage qu’il avait un « travail avec un salaire si élevé et si peu d’exigences réelles » qu’il pouvait « s’habiller comme un Lord britannique »), qu’il a accusé de justifier la violence puisqu’il avait rappelé le contexte dans laquelle celle-ci s’inscrivait.</p>
<p>Pourtant, on peut à la fois condamner la violence et comprendre, comme le <a href="https://www.crmvet.org/docs/otheram.htm">disait Martin Luther King</a> lors des émeutes de la fin des années 1960, que « les étés d’émeutes de notre nation sont causés par les hivers de retard de notre nation. »</p>
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<p>Particulièrement depuis la présidence Obama, le renversement du récit consiste, pour une certaine droite américaine, à se présenter comme la <a href="https://www.salon.com/2017/02/12/trumps-supporters-believe-a-false-narrative-of-white-victimhood-and-the-data-proves-it/">première victime</a> d’un système médiatico-judiciaire injuste, en <a href="https://www.washingtonpost.com/outlook/2019/10/23/why-trump-used-lynching-metaphor/">reprenant parfois le langage des minorités noires</a>. Pour <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=a-eNzaVheA0">Laura Ingraham, également sur Fox News</a>, c’est d’ailleurs parce que Donald Trump a été lui-même victime d’injustices qu’il comprend la situation des Afro-Américains :</p>
<blockquote>
<p>« Et à nos concitoyens afro-américains, je dis ceci : étant donné sa propre expérience avec un FBI hors de contrôle, d’une enquête injuste, compte tenu de tout le travail de réforme de la justice pénale, le président Trump sait à quel point l’application de la loi peut être empoisonnée et hors de contrôle. »</p>
</blockquote>
<h2>La politisation de la violence</h2>
<p>Pour une grande partie de la droite américaine, les violences sont simplement la faute de « démocrates progressistes » qui, <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=o2lfW3LY6FY">selon l’avocat de Trump et ancien maire de New York Rudolph Guiliani</a> sont des « idiots qui laissent les criminels sortir de prison, qui fixent des cautions pour les meurtriers [et sont] incapables d’assurer la sécurité ». Il faut dire que les maires des grandes villes sont généralement démocrates et parfois même issus des minorités. Pour les démocrates, en revanche, les violences sont dues à des éléments extérieurs comme des gangs de suprémacistes blancs, qui profitent de l’anarchie pour créer davantage de chaos (voir <a href="https://www.nbcnews.com/news/us-news/live-blog/george-floyd-death-minneapolis-protests-live-updates-n1217886/ncrd1219396">MSNBC News</a>, <a href="https://www.thedailybeast.com/right-wing-race-war-wannabes-could-make-george-floyd-police-protests-go-nuclear">DB</a>, <a href="https://www.vice.com/en_ca/article/pkyb9b/far-right-extremists-are-hoping-to-turn-the-george-floyd-protests-into-a-new-civil-war">Vice</a>). Quant à Donald Trump, il les attribue aux <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/01/mort-de-george-floyd-trump-cible-la-mouvance-antifa-qu-il-veut-classer-comme-organisation-terroriste_6041360_3210.html">« antifas »</a>, militants d’extrême gauche, qu’il <a href="https://edition.cnn.com/2020/05/31/politics/trump-antifa-protests/index.html">désigne comme terroristes</a>, ou bien entendu les médias qui, selon lui, fomentent la haine et l’anarchie.</p>
<p>Bref, en cette année électorale, tout le monde voit donc derrière les manifestations ce qui l’arrange, sans apporter de preuve, afin de faire d’une situation complexe un récit simple et binaire à son avantage. Il est, à ce stade, difficile de prévoir qui va bénéficier électoralement de cette situation. Une <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/american-political-science-review/article/agenda-seeding-how-1960s-black-protests-moved-elites-public-opinion-and-voting/136610C8C040C3D92F041BB2EFC3034C/core-reader">analyse de l’impact des protestations violentes de 1968</a> montre que celles-ci ont sans doute provoqué un déplacement du vote des blancs vers les républicains et ont fait basculer l’élection. Toutefois, c’est un républicain qui est à la tête de l’État, pas un démocrate ; et c’est généralement le président qui est tenu responsable des grandes crises nationales. Reste à voir si le récit victimaire et accusatoire de Donald Trump et de ses alliés, concernant les tensions raciales, les émeutes ou le coronavirus convaincra l’ensemble de l’électorat blanc qui l’a soutenu en 2016…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139776/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si la mort de George Floyd a suscité une réaction aussi vive aux États-Unis, c’est parce qu’elle s’inscrit dans un contexte délétère largement alimenté par le président et ses soutiens.Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.