tag:theconversation.com,2011:/us/topics/pape-20866/articlespape – The Conversation2023-07-23T15:18:04Ztag:theconversation.com,2011:article/2090742023-07-23T15:18:04Z2023-07-23T15:18:04ZPortugal, Philippines, France : comment les JMJ éclairent les différentes pratiques de la laïcité<p>Les <a href="https://eglise.catholique.fr/jmj-journees-mondiales-jeunesse/jmj-2023-lisbonne/">Journées mondiales de la jeunesse</a> (JMJ), qui se déroulent cette année du 25 juillet au 6 août 2023 à Lisbonne, ont bénéficié d’un soutien significatif des pouvoirs publics portugais.</p>
<p>Le <a href="https://24.sapo.pt/atualidade/artigos/161-milhoes-de-euros-e-o-valor-estimado-para-realizar-a-jmj-em-lisboa">cumul des subventions</a> versées à la fois par le gouvernement et les municipalités de Lisbonne et de Loures, qui accueillent les cérémonies de ce <a href="https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-l-institut-pierre-renouvin-2021-2-page-189.htm">giga-événement organisé tous les deux ou trois ans par l’Église catholique</a> depuis 1987, dépasse les 80 millions d’euros.</p>
<p>À ces transferts financiers directs s’ajoutent la fourniture à titre gracieux de différentes prestations, notamment la création d’un plan de mobilité, ou le <a href="https://www.dn.pt/sociedade/cada-policia-deslocado-em-lisboa-vai-receber-4339-euros-por-dia-de-ajudas-de-custo--16535432.html">déploiement de forces de police</a> pour sécuriser l’événement. Comme au cours des éditions précédentes, ce soutien public d’une activité religieuse a divisé l’opinion publique.</p>
<h2>Le contribuable portugais doit-il payer pour l’organisation des JMJ de Lisbonne ?</h2>
<p>Concernant les JMJ de Lisbonne, l’utilisation de l’argent du contribuable a suscité des critiques qui ont connu leur acmé fin janvier 2023, quand les médias ont relayé <a href="https://www.publico.pt/2023/01/25/local/noticia/altar-cinco-milhoes-vao-caber-duas-mil-pessoas-bispos-padres-cantores-musicos-2036353">l’information</a> selon laquelle la mairie allait dépenser plus de 5 millions d’euros pour construire l’estrade destinée à la veillée et à la messe finales avec le pape François.</p>
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<p>Dans un contexte où les moins de 35 ans, à qui est destiné l’événement, sont les premières victimes de l’inflation, des <a href="https://setemargens.com/jmj-discutem-se-os-milhoes-mas-nao-se-ouvem-os-proprios-jovens/">voix se sont élevées</a> pour dire que, plutôt que de servir à une fête éphémère, cet argent aurait été mieux employé à aider les jeunes Portugais à financer leurs études. D’autres <a href="https://www.dn.pt/opiniao/laicos-de-meia-idade-15863951.html">commentateurs</a>, ainsi qu’une <a href="https://www.publico.pt/2023/01/27/sociedade/noticia/jmj-associacao-acusa-autarquia-nao-respeitar-principio-laicidade-estado-2036639">association de promotion de la laïcité</a>, ont dénoncé un manquement de l’État à son devoir de neutralité.</p>
<p>Les élus mis en cause, notamment le maire de Lisbonne Carlos Moedas, ont répondu que, comme pour <a href="https://eglise.catholique.fr/jmj-journees-mondiales-jeunesse/jmj-2011-madrid/">l’édition de Madrid en 2011</a>, l’investissement initial serait largement compensé par les <a href="https://sicnoticias.pt/especiais/jornada-mundial-da-juventude/2023-02-10-JMJ-custo-do-altar-palco-baixa-para-menos-de-metade-revela-Marcelo-43ed5a90">retombées économiques</a>. Les 1,5 million de participants attendus étant censés dépenser chacun 200 euros sur place, l’économie portugaise pourrait bénéficier d’un retour financier de 300 millions d’euros.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1675145275600523265"}"></div></p>
<p>Des arguments relatifs à <a href="https://www.famillechretienne.fr/39739/article/le-cout-des-jmj-de-lisbonne-fait-polemique-au-portugal">l’image de marque du Portugal sur la scène internationale</a> ont été mis en avant par le président de la République, Marcelo Rebelo. Les JMJ étant présentées comme porteuses d’un message de fraternité, l’impact positif en termes de cohésion sociale a aussi été souligné.</p>
<p>Sur le plan juridique, des professeurs de droit <a href="https://www.publico.pt/2023/01/27/sociedade/noticia/jornada-mundial-juventude-estado-laico-sao-dez-estadios-euro-versao-religiosa-2036683">ont affirmé</a> que le soutien apporté était tout à fait conforme à la législation. De fait, si la Constitution de 1976 affirme l’aconfessionnalité de l’État et sa séparation avec <a href="https://www.legirel.cnrs.fr/spip.php?article451">« les Églises et autres communautés religieuses »</a>, la <a href="https://www.legirel.cnrs.fr/spip.php?article452">Loi de la Liberté religieuse</a> (2001) et le <a href="https://www.legirel.cnrs.fr/spip.php?article453">nouveau Concordat</a> signé avec le Saint-Siège en 2004 mentionnent un principe de coopération entre les pouvoirs publics et les religions, qui tient compte de leur représentativité (ce qui avantage le catholicisme, 81 % des Portugais s’y déclarant affiliés), dans les domaines où elles ont des intérêts communs (la promotion des droits humains, le développement, les valeurs de paix, de liberté…).</p>
<p>Cela ménage la <a href="https://www.eurel.info/spip.php?rubrique1042">possibilité de financements</a>, ce que n’ont pas manqué de rappeler certaines personnalités catholiques au moment de la polémique sur le coût des JMJ. Selon leur interprétation de l’édifice juridique portugais, <a href="https://setemargens.com/laicidade-e-laicismo/">l’État est dans son rôle quand il soutient les JMJ</a>, en raison de leur impact social positif, au même titre que quand il contribue à financer des manifestations culturelles et sportives.</p>
<h2>Une question récurrente lors des préparatifs des JMJ</h2>
<p>Cette question du soutien apporté par l’État aux JMJ est intéressante du point de vue de l’étude des relations entre État et religions. Comme j’ai eu l’occasion de l’analyser dans le cadre d’une <a href="https://journals.openedition.org/assr/65134">recherche sur l’histoire globale des JMJ</a>, elle s’est posée lors de précédentes éditions, en des termes qui dépendaient non seulement du cadre législatif mais aussi de la culture politique nationale et de l’état de l’opinion publique.</p>
<p>Sur les huit éditions s’étant tenues sous le pontificat de Jean-Paul II (1978-2005), cinq ont été organisées dans des pays où le financement direct du rassemblement par l’État était possible, soit parce que le catholicisme, en tant que religion de la majorité de la population, bénéficiait d’un statut privilégié (Argentine en 1987, Espagne en 1989, Pologne en 1991, Italie en 2000), soit parce que la Constitution n’interdisait pas explicitement le financement d’activités religieuses par l’État (Canada, 2002).</p>
<p>Les trois autres éditions ont eu lieu dans des pays où un principe de séparation stricte empêchait au contraire tout financement direct (États-Unis en 1993, Philippines en 1995 et France en 1997).</p>
<h2>Laïcité prescrite, laïcité réelle</h2>
<p>L’étude concrète des préparatifs m’a amené à relativiser l’importance des dispositions constitutionnelles organisant les relations entre l’État et les organisations religieuses. Une séparation stricte en principe peut en effet cacher de nombreuses interactions.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/537270/original/file-20230713-29-l7my6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537270/original/file-20230713-29-l7my6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537270/original/file-20230713-29-l7my6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537270/original/file-20230713-29-l7my6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537270/original/file-20230713-29-l7my6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537270/original/file-20230713-29-l7my6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537270/original/file-20230713-29-l7my6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le pape Jean-Paul II et le cardinal Sin lors de la messe finale des Journées mondiales de la jeunesse à Manille en 1995.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/bd/JohnPaulIICardinalSin1995WYD.jpg/703px-JohnPaulIICardinalSin1995WYD.jpg?20220520232612">Ryansean071/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Aux Philippines, où la Constitution de 1987, qui a accompagné le retour de la démocratie, a proclamé, sur le modèle des États-Unis, l’impossibilité pour l’État d’utiliser l’argent ou les moyens publics pour soutenir un groupe religieux spécifique (<a href="https://www.officialgazette.gov.ph/constitutions/1987-constitution/">article VI, section 29-2</a>), le président (protestant) Fidel Ramos, décida de financer l’intégralité de la JMJ.</p>
<p>Un montage juridique fut échafaudé pour contourner la législation : le ministère du Tourisme versa des subventions à une association-écran dédiée à la jeunesse, qui transféra l’intégralité des sommes reçues aux organisateurs de l’événement. Le gouvernement prit en charge toutes les infrastructures, y compris celles qui étaient provisoires, comme le podium ou le système de sonorisation. Même les fleurs furent payées par le contribuable philippin.</p>
<h2>La séparation stricte n’exclut pas la coopération</h2>
<p>De telles libertés avec la loi ne semblent pas avoir été prises aux États-Unis ni en France. Cela dit, l’absence de transferts d’argent ne signifie pas que l’aide publique n’ait pas pu être aussi – voire plus – décisive que dans les pays autorisant le financement étatique des religions.</p>
<p>L’exemple de la France, où la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000508749">loi du 9 décembre 1905</a> stipule que la République « ne salarie ni ne subventionne aucun culte », l’atteste. Dans ce pays où les sphères de compétences de l’État sont très larges, le concours apporté par la puissance publique à la réussite des JMJ parisiennes de 1997 fut déterminant. Le ministère de la Défense mit à la disposition des organisateurs un certain nombre d’appelés du contingent qui purent consacrer leur service militaire à la préparation du rassemblement.</p>
<p>Il prêta <a href="https://www.liberation.fr/france-archive/1997/08/22/quatre-peches-dans-la-capitale-la-visite-du-pape-justifie-t-elle-toute-ces-prodigalites-de-l-etat_211970/">gracieusement du matériel</a> et mit à disposition une partie de ses casernes pour l’hébergement de pèlerins. Le ministère de l’Intérieur prit quant à lui en charge une grande partie de la sécurisation de l’événement. Quant au ministère des Affaires étrangères, il mit en place une procédure facilitant la participation de jeunes étrangers ayant besoin d’un visa pour venir en France, et couvrit les coûts de fonctionnement de l’un des trois centres de presse. Il soutint particulièrement, dans le cadre de la politique de coopération, la participation de jeunes Africains.</p>
<p>Cet engagement, efficacement coordonné par un <a href="https://theconversation.com/et-si-les-pros-de-levenementiel-religieux-inspiraient-la-campagne-de-vaccination-153035">comité interministériel mis en place par le gouvernement d’Alain Juppé</a>, fut prolongé après l’arrivée de Lionel Jospin à Matignon, à l’issue des élections législatives de juin 1997 qui avaient ramené la gauche au pouvoir. Les protestations de la part du camp laïque furent marginales, peut-être parce que les organisateurs avaient su donner une image positive d’un événement qui rassemblait pacifiquement des milliers de jeunes de différents pays.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/1R0zFz-WEm8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>On peut se demander si, l’un dans l’autre, les pouvoirs publics français, qui n’avaient versé aucune subvention directe, mais avaient structuré et organisé les efforts consentis par l’État pour faciliter le déroulement du rassemblement, n’ont pas rempli un rôle plus important que les pouvoirs publics portugais, qui ont affiché leur soutien à l’événement et financé son organisation, <a href="https://visao.pt/opiniao/2023-06-22-longa-jornada-para-o-desconhecido-opiniao-de-rui-tavares-guedes/">sans avoir mis en œuvre de planification globale des flux</a>.</p>
<p>Cette mise en perspective montre que les régimes de laïcité ne suffisent pas à prédire l’aide effective apportée par les États à la mise en place des événements religieux. Elle montre également que les opinions publiques tolèrent plutôt bien le soutien apporté par l’État ou les collectivités territoriales aux manifestations religieuses à condition que celles-ci soient organisées avec une certaine économie de moyens, et soient perçues comme alignées avec les valeurs de solidarité et d’hospitalité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209074/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Mercier a reçu des financements de l'Institut universitaire de France dans le cadre d'un projet "Jeunes, religions et mondialisations"</span></em></p>Lisbonne s’apprête à accueillir les JMJ, grand événement catholique rassemblant des centaines de milliers de personnes. L’État portugais participe au financement, ce qui suscite certaines critiques.Charles Mercier, Professeur des universités en histoire contemporaine, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1975482023-02-14T20:35:29Z2023-02-14T20:35:29ZBenoît XVI, une vie de quête intellectuelle et spirituelle<p>Disparu le 31 décembre 2022, Benoît XVI écrivait ces quelques lignes en 2006 dans son <a href="https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/elezione/documents/testamento-spirituale-bxvi.html">« testament spirituel »</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Depuis soixante ans, j’accompagne le chemin de la théologie, en particulier des sciences bibliques, et avec la succession des différentes générations, j’ai vu s’effondrer des thèses qui semblaient inébranlables, se révélant de simples hypothèses […] J’ai vu et je vois comment, à partir de l’enchevêtrement des hypothèses, le caractère raisonnable de la foi a émergé et émerge encore. Jésus-Christ est vraiment le chemin, la vérité et la vie – et l’Église, avec toutes ses insuffisances, est vraiment son corps ». </p>
</blockquote>
<p>Des propos qui résument la quête intellectuelle et spirituelle de toute une vie de chercheur.</p>
<p>La conviction du croyant est inébranlable et se résume ici à l’hommage au Christ par la reprise de ses propres paroles adressées à l’apôtre Thomas au soir de la Cène, selon l’évangile de Jean (<a href="https://www.aelf.org/bible/Jn/14">14,6</a>).</p>
<p>En bon disciple de Saint-Augustin, sur la doctrine duquel il a écrit sa première thèse, c’est un hommage au « Christ total », c’est-à-dire à la personne du Christ à qui l’Église est unie comme son corps, selon la doctrine paulinienne (<a href="https://www.aelf.org/bible/1Co/12">1 Co 12</a>). Mais cette conviction n’enferme pas le théologien dans un monde clos de certitudes. Pour lui, l’accueil dans la foi de la Révélation de Dieu conduit avant tout à « chercher Dieu et se laisser trouver par Lui », selon l’expression phare de son <a href="https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/speeches/2008/september/documents/hf_ben-xvi_spe_20080912_parigi-cultura.html">discours au Collège des Bernardins</a>.</p>
<h2>Le doute en partage</h2>
<p>Dans cette démarche, le chemin du croyant, non exempt de doutes, peut croiser celui de l’agnostique voire de l’athée : « ce qui arrive au croyant, aux prises avec les flots du doute, arrive également à l’incroyant, qui éprouve le doute de son incroyance » écrivait déjà le professeur Ratzinger dans son ouvrage <a href="https://www.qwant.com/?client=ext-firefox-sb&t=images&q=image+la+foi+chr%C3%A9tienne+hier+et+aujourd%27hui&o=0%3AE5D8CF33568891CF88F4F7CF16515979C6FC5C50">« La Foi chrétienne hier et aujourd’hui »</a>.</p>
<p>Plus encore : le doute, autre catégorie augustinienne, « qui empêche l’un et l’autre de se claquemurer dans leur tour d’ivoire, pourrait devenir un lieu de communion ».</p>
<p>Mais surtout, la foi chrétienne est accueil du Logos fait chair, selon l’expression trouvée, elle aussi, dans l’évangile de Jean (<a href="https://www.aelf.org/bible/Jn/1">1,14</a>). Or, le Logos est à la fois Dieu personnel et Raison créatrice. Dès lors, « <a href="https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/speeches/2012/may/documents/hf_ben-xvi_spe_20120503_gemelli.html">Religion du Logos, le christianisme ne relègue pas la foi au domaine de l’irrationnel, mais attribue l’origine et le sens de la réalité à la Raison créatrice, qui, dans le Dieu crucifié, s’est manifestée comme amour</a> ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508944/original/file-20230208-29-kqhhah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508944/original/file-20230208-29-kqhhah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508944/original/file-20230208-29-kqhhah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508944/original/file-20230208-29-kqhhah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508944/original/file-20230208-29-kqhhah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508944/original/file-20230208-29-kqhhah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508944/original/file-20230208-29-kqhhah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une photo prise entre 1962 et 1965 à Rome montre Josef Ratzinger (à gauche), alors professeur de théologie, avec le cardinal Joseph Frings de Cologne qui l’a choisi comme conseiller au Vatican.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AFP</span></span>
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<h2>Dialogue entre foi et raison</h2>
<p>La contemplation du Logos détermine le premier axe majeur de la recherche théologique de Ratzinger : le dialogue fécond entre foi et raison. Comme tout dialogue, il n’est pas à sens unique. Benoît XVI l’a par exemple exprimé à propos du rapport de la science et de la foi : « Science et foi possèdent une réciprocité féconde, presque une exigence complémentaire de l’intelligence du réel ». Cette fécondité réciproque exige du croyant de se souvenir que « ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu », comme le pontife l’a réaffirmé dans son <a href="https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/speeches/2006/september/documents/hf_ben-xvi_spe_20060912_university-regensburg.html">discours tant décrié à l’université de Ratisbonne</a>.</p>
<p>Elle exige en retour du philosophe ou du scientifique de ne pas exclure la question de Dieu, question ultime qui porte l’exigence tant de la recherche théologique que des sciences profanes et garde la raison de se fermer sur elle-même.</p>
<p>Ratzinger puisait à la pensée d’Henri de Lubac, dont l’ouvrage <a href="https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_2006_num_37_3_3535_t1_0428_0000_2"><em>Catholicisme</em></a> a profondément marqué son parcours, l’idée selon laquelle un humanisme athée se retournait contre l’homme. Le dialogue nécessaire entre foi et raison, exprimé souvent chez Ratzinger sous la forme de la relation entre Amour et Vérité, l’a conduit à explorer par exemple le rapport de la foi à la culture.</p>
<p>Ainsi, dans un <a href="https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/incontri/rc_con_cfaith_19930303_hong-kong-ratzinger_en.html">discours aux commissions doctrinales des diocèses d’Asie</a>, il cherche à montrer « le droit et la capacité de la foi chrétienne à se communiquer à d’autres cultures, à les assimiler et à se communiquer à elle ». Nourri de diverses cultures, le christianisme ne peut se confondre avec aucune.</p>
<p>Un autre thème découlant de ce premier axe – foi et raison – est celui de la théologie politique. Nous pouvons ici nous référer à un autre discours pontifical, exercice dans lequel Benoît XVI recueillait le fruit de réflexions antérieurement plus développées et nourries de lectures plus récentes. Il s’agit de son <a href="https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/speeches/2011/september/documents/hf_ben-xvi_spe_20110922_reichstag-berlin.html">discours au Bundestag en 2011</a>. Il y déclarait :</p>
<blockquote>
<p>« Contrairement aux autres grandes religions, le christianisme n’a jamais imposé à l’État et à la société un droit révélé, ni un règlement juridique découlant d’une révélation. Il a au contraire renvoyé à la nature et à la raison comme vraies sources du droit – il a renvoyé à l’harmonie entre raison objective et subjective, une harmonie qui toutefois suppose le fait d’être toutes deux les sphères fondées dans la Raison créatrice de Dieu. »</p>
</blockquote>
<h2>Sciences bibliques et théologie</h2>
<p>Le deuxième axe majeur de la pensée de Benoît XVI, également mentionné dans son testament spirituel, est la recherche du juste rapport entre sciences bibliques et théologie. Expert au Concile Vatican II, le théologien allemand livrait en 1969 un <a href="https://archive.org/details/commentaryondocu0005unse/page/n5/mode/2up">commentaire</a> d’une partie d’un des documents majeurs de ce Concile, la constitution pastorale Gaudium et Spes, commentaire dans lequel il revient sur l’état de la question du rapport entre exégèse et théologie pendant le travail conciliaire.</p>
<p>Ratzinger fait le constat d’un manque. Les évêques réunis en Concile étaient convaincus que l’Église avait un message à transmettre aux hommes de leur temps, et que ce message devait être fondé dans l’Écriture. Seulement, la seule exégèse dont les évêques disposaient alors était l’historico-critique, c’est-à-dire la recherche aussi précise que possible des éléments de contexte, événementiels et littéraires, permettant une meilleure connaissance du sens des textes bibliques, dont le corpus s’étend sur plusieurs siècles.</p>
<p>Or, par exigence méthodologique, cette exégèse cantonne l’Écriture dans le passé. De ce fait, la référence à l’Écriture semblait cantonner l’Église dans le passé, ou alors, en cherchant à être l’Église du temps présent, celle-ci risquait d’être infidèle à son identité, forgée plus de 1500 ans en arrière. Le Concile a cherché à sortir de cette impasse en initiant une lecture de l’Écriture dans l’unité du texte biblique et « dans la tradition vivante de toute l’Église », inspirée par l’Esprit-Saint.</p>
<p>En attendant, cette attention au rapport entre exégèse et théologie, vu comme un enjeu crucial pour la mission de l’Église, a habité constamment l’esprit de Joseph Ratzinger. Nous en voyons la trace dans les premières pages de son ouvrage <a href="https://catholicapedia.net/Documents/cahier-saint-charlemagne/documents/C1017_B16_Jesus_88p.pdf">« Jésus de Nazareth »</a>, publié en 2007 sous la double signature Joseph Ratzinger/Benoît XVI, dont il parle comme « le fruit d’un long cheminement intérieur ».</p>
<p>Le pape théologien salue l’avènement dans les années 1970 de l’exégèse canonique « qui vise à lire les différents textes en les rapportant à la totalité de l’Écriture unique ».</p>
<p>Pour Benoît XVI, l’exégèse canonique, sans discréditer l’historico-critique, comble le manque constaté lors du Concile Vatican II. Mais plus encore, ce qui fait l’actualité toujours renouvelée des écrits bibliques, c’est l’Église qui à la fois en est nourrie et en est le sujet vivant : « Le peuple de Dieu – l’Église – est le sujet vivant de l’Écriture, et en elle les paroles bibliques sont toujours du présent. Ce qui implique évidemment que ce peuple admet lui-même qu’il se reçoit de Dieu et, pour finir, du Christ incarné, qu’il accepte aussi d’être organisé, dirigé, orienté par Lui ».</p>
<p>Ainsi, comme pour le dialogue foi et raison, le juste rapport entre exégèse et théologie prend sa source dans le Christ Jésus, le Verbe fait chair, et y renvoie. Joseph Ratzinger, devenu Benoît XVI, rappelle d’abord que la recherche théologique est indissociable de la personne de Jésus de Nazareth, que l’Église reconnaît comme vrai Dieu et vrai homme, révélateur du Dieu unique.</p>
<p>Son génie aura été de discerner les enjeux fondamentaux de la théologie depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale jusqu’à la première décennie du XXI<sup>e</sup> siècle, période de confrontation de l’Église à la sécularisation accélérée de l’Europe et aux échanges multiculturels et plurireligieux au niveau mondial.</p>
<p>Les deux axes de sa pensée incitent au renouveau constant de la réflexion intraecclésiale à partir de l’Écriture reçue comme Parole vivante et à un effort constant de dialogue pour l’Église et ses multiples interlocuteurs. Il aura témoigné que la théologie est une discipline scientifique toujours en mouvement, scrutant inlassablement les mystères de Dieu, du monde et de l’homme qu’il a créé, sans jamais pouvoir les maîtriser.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197548/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Brice de Malherbe ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Disparu le 31 décembre 2022, Joseph Aloisius Ratzinger, qui fut le pape Benoît XVI, a été un infatigable théologien, en constante quête intellectuelle et spirituelle.Brice de Malherbe, Président de la Faculté Notre-Dame de Paris, Collège des Bernardins, Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1700502021-10-21T21:12:03Z2021-10-21T21:12:03ZBonnes feuilles : « Des soutanes et des hommes »<p><em>Alors que le publication du <a href="https://www.ciase.fr/rapport-final/">rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église</a> dresse un état des lieux accablant des violences sexuelles au sein de l’Église catholique française en évoquant un phénomène « massif » et « systémique », Josselin Tricou, qui a lui-même participé à l’<a href="https://presse.inserm.fr/en/sociologie-des-violences-sexuelles-au-sein-de-leglise-catholique-en-france-1950-2020-une-enquete-inserm-pour-eclairer-le-rapport-de-la-ciase/43884/">enquête de l’Inserm</a> fait paraître une enquête sociologique sur la masculinité des prêtres catholiques. Extraits choisis.</em></p>
<hr>
<p>Dès le début de son pontificat, le corps de Jean-Paul II avait été mis en valeur à travers la diffusion par le service de presse du Vatican de photographies d’avant son élection – reprises et commentées par les médias du monde entier – où on le voyait faire du ski ou encore se raser en pleine nature. C’était un corps viril qui était présenté au public. Jusque dans la mise en scène médiatisée de sa maladie et de son agonie, il est apparu comme combatif.</p>
<p>Cette image d’un corps résistant, y compris dans l’épreuve, n’était-elle pas en congruence avec le grand récit du pape vainqueur du communisme ? Jean Paul II n’était-il pas aussi celui qui a su remettre en état de marche un catholicisme en crise depuis la fin des années 1960 et, ce faisant, incarner une <a href="https://www.maremagnum.com/libri-antichi/europe-revue-mensuelle-n-32-miguel-de-unamuno-la-virilite-de/148878646">« virilité de la foi »</a> retrouvée ? Cette représentation a sans doute été construite par contraste avec – et peut-être pour contrer – celle d’un Paul VI (pape de 1963 à 1978) qui, au contraire, fut décrit sur la fin de sa vie comme un intellectuel distant, impuissant à mettre un terme à la <a href="https://doi-org.inshs.bib.cnrs.fr/10.3917/dec.renne.2021.01.0534">« crise catholique » des années 1960-1970</a>, et, qui fut dénoncé par certains médias – y compris catholiques – comme un homosexuel torturé.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Jean-Paul II fait du ski dans les montagnes des Abruzzes à l’est de Rome en janvier 1981" src="https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Jean-Paul II, au centre habillé en noir, fait du ski dans les montagnes des Abruzzes à l’est de Rome, janvier 1981.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.aleteia.org/slideshow/en-images-saint-jean-paul-ii-comme-vous-ne-lavez-jamais-vu-1451/16/">Bettman/AFP</a></span>
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<p>Ces quelques remarques sur les papes antérieurs à ceux de la période qui nous intéresse dans ce livre servent à convaincre la lectrice ou le lecteur – dont le regard est possiblement imprégné par une sorte de catholic gaze.</p>
<p>[…]</p>
<h2>Le « catholic gaze »</h2>
<p>Le « catholic gaze » (« to gaze » signifie « regarder fixement », « contempler ») est inscrit dans la culture occidentale, de la même façon qu’ il existe un <a href="https://www.debordements.fr/Plaisir-visuel-et-cinema-narratif">« male gaze »</a> regard hétérosexuel érotisant et objectifiant le corps des femmes, critiqué <a href="https://www.binge.audio/podcast/les-couilles-sur-la-table/male-gaze-ce-que-voient-les-hommes/?uri=male-gaze-ce-que-voient-les-hommes%2F">ces récentes années</a> notamment dans les arts visuels.</p>
<p>J’utilise ainsi l’expression « catholic gaze » pour évoquer la construction historique d’un regard collectif catholique dégenrant en partie et désexualisant le corps des clercs en le sacralisant, alors même que l’aspect genré (la masculinité), mais aussi sexualisé (les préférences sexuelles supposées) du pape, comme de tout prêtre, apparaissent bel et bien comme un enjeu politique et communicationnel à l’ère médiatique.</p>
<p>Non pas que ces aspects ne l’étaient pas auparavant, mais cet enjeu apparaît démultiplié dès lors que la communication institutionnelle se voit redoublée par le travail d’interprétation que produisent les médias du monde entier. En ce sens, si le genre – tant comme structure sociale que comme performance individuelle – a toujours été <a href="https://www.persee.fr/doc/grif_0770-6081_1988_num_37_1_1759">« une façon première de signifier les rapports de pouvoir »</a>, la mise en place d’un nouveau régime de l’information de masse et, plus encore, la dynamique récente de politisation des questions de genre et de sexualité dans l’espace public – appelée <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/linversion-de-la-question-homosexuelle-2/">« démocratie sexuelle »</a> par Éric Fassin – exercent une pression sur l’Église catholique.</p>
<h2>Le genre devient un enjeu dans la représentation politique</h2>
<p>Cette pression apparaît encore renforcée par le grand mouvement de dévoilement de <a href="https://www.ciase.fr/rapport-final/">violences sexuelles</a> commises par ses représentants. Or, une telle dynamique conduit nécessairement le pape, mais aussi tous les membres du clergé, à redoubler de réflexivité sur la manière dont ils vivent et performent leur genre et leur sexualité. Elle infléchit également les regards extérieurs portés sur leur atypie en la matière, d’autant plus que l’« exculturation » croissante du catholicisme en Occident – c’est-à-dire la déliaison à laquelle on assiste depuis les années 1950-1960 entre la <a href="https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_2003_num_83_4_1053_t7_0495_0000_2">culture catholique</a> et l’univers civilisationnel qu’elle a contribué à façonner pendant des siècles – joue en faveur d’une multiplication des manières d’appréhender une identité sacerdotale à la fois raréfiée dans la réalité et exotisée, voire dévaluée dans les représentations sociales.</p>
<p>Dès lors, on observe dans le cas des clercs de l’Église catholique ce que le chercheur <a href="https://journals.openedition.org/gss/2686?lang=en">Clément Arambourou</a> note, s’agissant des individus cherchant à incarner des rôles de pouvoir dans le champ politique, à savoir que « ce qui relève des rapports de genre et de sexualité ne ressortit plus au domaine de l’évidence », mais constitue désormais « un des enjeux du travail de représentation politique ».</p>
<h2>L’aveuglante évidence du masculin sacerdotal</h2>
<p>En interrogeant la masculinité des prêtres, j’ai adopté et appliqué, une perspective de genre sur un objet particulièrement bien étudié par ailleurs, mais le plus souvent dans des perspectives <em>genderblind</em> – aveugles au genre. Si le statut des prêtres et religieux catholiques a inspiré des analyses fondamentales pour la sociologie, de <a href="https://www.lisez.com/livre-de-poche/economie-et-societe/9782266132442">Max Weber</a> à <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1971_num_12_3_1994">Pierre</a> <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1982_num_43_1_2159">Bourdieu</a>, il a également suscité un nombre non négligeable d’enquêtes sociologiques en tant que telles.</p>
<p>La masculinité des prêtres n’a été qu’effleurée par la sociologie du catholicisme et totalement ignorée par la sociologie du genre. Il faut dire qu’<a href="https://ojs.uclouvain.be/index.php/emulations/article/view/4423">études de genre</a> et <a href="https://www.cairn.info/encyclopedie-critique-du-genre--9782707190482-page-559.htm">sociologie des religions</a> – du catholicisme surtout – se sont longtemps ignorées. Mais plus encore, le « catholic gaze » fonctionnait encore il y a peu, dans l’Église bien sûr, mais aussi dans la société française malgré sa sécularisation avancée, et chez nombre de sociologues à certains égards.</p>
<p>L’idéal sacerdotal continuait à projeter son ombre portée sur les représentations contemporaines. Et la sociologie du catholicisme, tout particulièrement, semblait en ce sens atteinte par une sorte de persistance rétinienne, témoignant, en retour, de la force d’imposition de cet idéal par l’institution ecclésiale.</p>
<h2>Un angle mort de la sociologie du catholicisme</h2>
<p>L’analyse de la masculinité afférente à cet idéal sacerdotal a donc longtemps été un angle mort de la sociologie du catholicisme. À titre d’exemples, les <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Vocation_(La)-2270-1-1-0-1.html">deux derniers</a> <a href="https://www.puf.com/content/Pr%C3%AAtres_diacres_la%C3%AFcs">travaux sociologiques d’envergure</a> sur le clergé catholique français ne cessent de la croiser et de la recroiser sans jamais l’aborder frontalement.</p>
<p>Même en 2012, quand je commence à soumettre à l’évaluation d’universitaires mon projet de thèse à l’origine de cet ouvrage, certain·e·s me rétorquent encore que je devrais plutôt m’intéresser à la place des femmes dans l’Église. C’est dire la rémanence de l’aveuglante évidence du masculin, cet objet longtemps resté le <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-marges_du_masculin_exotisation_deplacements_recentrements_maxime_cervulle_patrick_farges_anne_isabelle_francois-9782343075037-48481.html">« neutre invisible »</a> et construit comme tel par un androcentrisme généralisé, y compris dans le regard des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/sous_les_sciences_sociales_le_genre-9782707154507">sciences sociales</a>.</p>
<p>Pourtant, objectiver les enjeux contemporains touchant à la masculinité sacerdotale, soit la masculinité censée être incarnée par les agents de l’appareil catholique romain, c’était affronter une des rares institutions occidentales qui oppose encore une fin de non-recevoir à toutes revendications d’égal accès des femmes aux postes de pouvoir.</p>
<p>A contrario, la majorité des grandes institutions se sont converties bon gré mal gré à l’égalité des sexes, fût-ce à reculons. Il apparaissait dès lors difficile de ne pas apercevoir le <a href="https://journals.openedition.org/sdt/16426?lang=en">« plafond de vitrail »</a> (l’équivalent religieux du fameux « plafond de verre ») désormais imposé explicitement aux femmes par l’Église catholique romaine sans justifications convaincantes et son envers, le maintien de l’homosociabilité du corps clérical et sa <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/15431">patriarcalité</a> décomplexée.</p>
<p>Il faut reconnaître néanmoins, qu’une fois certains enjeux de ma recherche explicités – notamment la potentielle <a href="https://doi-org.inshs.bib.cnrs.fr/10.3917/dec.renne.2021.01.0534">« fonction de placard »</a> que peut recouvrir la prêtrise, c’est-à-dire la fonction de dissimulation, voire de protection pour des hommes non-hétérosexuels en contexte hétéronormatif –, l’évidence d’appliquer un tel prisme sautait aux yeux de mes interlocteur·trice·s.</p>
<p>Mais jusque-là, dans la plupart des cas, la masculinité sacerdotale apparaissait consubstantielle à l’institution catholique. Elle était à leurs yeux tout à la fois omniprésente et cachée. C’est bien en ce sens, et avec humour, quel’anthropologue <a href="http://docplayer.fr/138345880-Notes-pour-une-definition-sociologique-des-categories-de-sexe.html">Nicole-Claude Mathieu</a> écrivait en 1971, même si son propos visait au-delà de la seule Église :</p>
<blockquote>
<p>« La catégorie homme se caractérisait, tel le Christ dans l’hostie, par une présence réelle mais cachée. »</p>
</blockquote>
<p>Or c’est aujourd’hui une prise de conscience qui s’est diffusée au-delà d’un petit cercle de chercheuses et militantes féministes, y compris au sein d’un public croyant.</p>
<h2>Le catholicisme, un « bougé » du genre</h2>
<p>C’est que la structuration institutionnelle du catholicisme produit une variante de la manière dont les sociétés occidentales distinguent et ordonnent les sexes et les sexualités. Ce « bougé » catholique du genre – comme on dit d’une photographie floue – est lié au double paradoxe qu’induit l’idéal sacerdotal que l’Église a imposé à ses clercs, <a href="https://journals.openedition.org/assr/3345">« qui dicte leur conduite et la justifie à leurs propres yeux »</a></p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=956&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=956&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=956&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1201&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1201&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1201&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Ce texte est issu de l’ouvrage « Des soutanes et des hommes. Enquête sur la masculinité des prêtres » qui vient de paraître aux PUF.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Alors que l’Église se présente plus que jamais comme la grande défenseuse de la complémentarité des sexes et de la vocation universelle à l’hétérosexualité des êtres humains, elle a institutionnalisé deux modèles de masculinités : celle du laïc marié correspond à ce discours et se trouve donc présentée comme naturelle ; celle des prêtres échappe « surnaturellement » à cette vocation universelle et à la division entre les rôles de sexes traditionnels. Rien que par cette pratique, l’Église vend la mèche – comme le dirait Bourdieu – sur cette naturalisation qu’elle opère en discours.</p>
<p>Par ailleurs, et tout aussi paradoxalement, l’Église institutionnalise ce faisant une hiérarchie des masculinités inversée par rapport à celle qui structure les sociétés dans lesquelles elle s’imbrique : elle fait prévaloir sur la masculinité laïque jugée normale la masculinité sacerdotale pourtant atypique au regard des modèles culturellement dominants de masculinité.</p>
<p>Or, dans le regard de nos contemporain·e·s, ce « bougé » du genre est de plus en plus perçue comme étrange. Il est devenu un « trouble dans le genre », pour reprendre le fameux titre de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/trouble_dans_le_genre-9782707150189">Judith Butler</a>. C’est sa plausibilité même qui est remise en cause aujourd’hui au sein des sociétés occidentales.</p>
<hr>
<p><em><a href="https://www.puf.com/content/Des_soutanes_et_des_hommes">« Des soutanes et des hommes. Enquête sur la masculinité des prêtres »</a>, de Josselin Tricou, est paru le 22/09/2021 aux Presses universitaires de France</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170050/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Josselin Tricou a reçu des financements de l'Université Paris 8 pour mener à bien sa recherche dans le cadre d'un contrat doctoral.</span></em></p>Après une enquête au sein de l'Eglise catholique française, Josselin Tricou nous livre les Bonnes feuilles de son ouvrage qui explore un impensé des études sociologiques : la masculinité des prêtres.Josselin Tricou, Maître assistant en sociologie, Université de LausanneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1688842021-09-30T18:17:25Z2021-09-30T18:17:25ZLes Jésuites, ou l’histoire mouvementée d’une congrégation catholique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/424057/original/file-20210930-12-uph75s.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=80%2C2%2C1767%2C1434&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La voûte de l'église Saint-Ignace (Rome), Andrea Pozzo, 1691-1694.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Andrea_Pozzo#/media/Fichier:Sant'Ignazio_-_affresco_soffitto_-antmoose.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Homme de guerre repenti après une grave blessure lors d’un siège en 1521, Ignace de Loyola part étudier à Paris. En 1534, il y fonde – avec le navarrais François-Xavier et le Savoyard Pierre Favre – un ordre, avec une bande d’étudiants qui veut œuvrer à une plus grande gloire de Dieu dans un monde déchiré par les affrontements entre catholiques et réformés. L’Ordre naissant <a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/apostolat/4601">se donne un but apostolique</a> et missionnaire. Ils prennent le nom de Compagnie de Jésus et obéissent à une règle. Cette priorité induit un investissement intellectuel et la recherche de méthodes d’apostolat renouvelées. Arme intellectuelle du catholicisme romain, le Pape mobilise immédiatement les jésuites comme théologiens de service au <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Concile_de_Trente">Concile de Trente</a>.</p>
<p>En 1548, les <a href="https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2005-2-page-71.htm"><em>Exercices d’Ignace</em></a> promeuvent le jugement de l’intériorité par le moyen d’un dialogue avec un maître de sagesse pour concevoir sa façon d’être chrétien en son siècle. Ces « techniques de soi » fondent le discernement jésuite, d’où leur rôle actif dans la direction spirituelle.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/423991/original/file-20210930-20-16zw2f8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/423991/original/file-20210930-20-16zw2f8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/423991/original/file-20210930-20-16zw2f8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/423991/original/file-20210930-20-16zw2f8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/423991/original/file-20210930-20-16zw2f8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/423991/original/file-20210930-20-16zw2f8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/423991/original/file-20210930-20-16zw2f8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">papillon publicitaire, Manrèse (Clamart), 1951.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archives jésuites de la Province d’Europe occidentale francophone, Vanves.</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>En France, depuis le milieu du XIX<sup>e</sup> siècle, le choix de proposer des retraites variées dans leur durée, et donc adaptées au monde moderne, une publicité efficace et le soutien de la hiérarchie, promeut Clamart comme un lieu majeur de l’accompagnement spirituel des catholiques.</p>
<p>Les formes de l’apostolat s’étoffent au fil du temps. Au tournant des années 1960, Aimé Duval use de la guitare pour chanter dans les grandes salles de spectacle l’amour de Dieu et vendre des milliers de disques.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/HicsAZHTI1c?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Dès la fondation de <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20210212-radio-vatican-la-voix-du-pape-f%C3%AAte-ses-90-ans">Radio Vatican</a> en 1931, les jésuites <a href="https://www.mulino.it/isbn/9788815272942">délivrent le message chrétien</a> en de multiples langues.</p>
<p>En 1934, Friedrich Muckermann alerte, « Le moment est crucial pour l’Église. Des Droits de l’humanité sont en péril. », le jésuite est rappelé à l’ordre, il ne peut pas parler contre la politique du Pape. Certains succombent à l’attrait de Vichy et au mea culpisme de 1940, dont les autorités de la Compagnie. D’autres fournissent les armes intellectuelles de la résistance chrétienne et interrogent le primat de l’obéissance sur les valeurs évangéliques à l’exemple <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/1519423-yves-de-montcheuil-philosophe-et-theologien-je--etienne-fouilloux-mediasevres">d’Yves de Montcheuil</a>, fusillé au Vercors.</p>
<p><a href="https://esprit.presse.fr/article/fouilloux-etienne/les-armes-de-l-esprit-temoignage-chretien-1941-1944-par-renee-bedarida-31654">Les <em>Cahiers du Témoignage chrétien</em></a> de Pierre Chaillet sont imprimés illégalement et sans l’accord de sa tutelle ecclésiale, ce qui est interdit à tout clerc, dès l’automne 1941. À Vatican II, Augustin Bea, Karl Rahner, John Courtnay Murray et d’Henri de Lubac illustrent ce rôle renouvelé d’influence et de référence de la Compagnie. L’américain Murray est un protagoniste essentiel du texte sur la liberté religieuse de 1965, <a href="https://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_decl_19651207_dignitatis-humanae_fr.html"><em>Dignitatis Humanae</em></a>, qui promeut la tolérance, la reconnaissance d’un droit à la croyance de toutes les expressions spirituelles et un dialogue avec les athées.</p>
<p>Le jésuite selon Ignace devait être un homme de grande culture humaine et théologique dans le but d’être apôtre. La quête de la science n’est pas une fin mais un moyen inféodé à un objectif religieux. Des jésuites s’illustrent dans l’élaboration de dictionnaires – ou comment convaincre sans maîtriser la langue, dans le cadre de missions à l’étranger – et dans les sciences : le mathématicien, Christopher Clavius au XVI<sup>e</sup> siècle, le polygraphe et esprit universel Athanasius Kircher et l’astronome Matteo Ricci au XVII<sup>e</sup> siècle, le paléontologue Teilhard de Chardin au XX<sup>e</sup> siècle. </p>
<p>Dans les années 1960-1970, des jésuites comme Michel de Certeau participent aux courants les plus novateurs des sciences humaines, sémiologie, psychanalyse, histoire et sociologie. Il s’agit de repenser la théologie et l’exégèse, les conditions de la foi et les apports de la tradition dans un monde de plus en plus sécularisé. S’ils participent à cet essor, ils échouent à catholiciser ces « nouvelles » disciplines : ces nouvelles approches soulignent en effet le poids des structures jusque dans le langage, dévoilent le système de signes qui s’impose à tous parfois même de façon inconsciente, au moment où dans l’Église et la Compagnie s’élabore un humanisme chrétien.</p>
<p>À l’activité missionnaire et intellectuelle s’ajoute rapidement l’enseignement. Au XVIII<sup>e</sup> siècle, l’Europe, l’Inde et l’Amérique Centrale et du Sud comptent environ 600 établissements qui sont la providence des parents en quête d’études solides et d’orthodoxie spirituelle. L’attention à la pédagogie sanctifie le savoir et accorde une grande place à la science moderne, ce qui renforce leur succès. S’y jouent du théâtre et des musiques religieuses, s’y publient des ouvrages pour la jeunesse qui doivent christianiser tout en moralisant et moraliser tout en évangélisant. La Compagnie de Jésus s’associe durablement à la formation des élites.</p>
<p>Les jésuites incarnent le <a href="http://ceias.ehess.fr/index.php?4987">voyage et le martyr</a>. <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Xavier">François Xavier</a> traduit en tamoul le Credo, les dix Commandements et le Pater Noster. De la Chine au Paraguay, les marges du catholicisme attirent la Compagnie avec succès (les Indes) ou en échouant (le Japon). Les partisans d’une adaptation aux coutumes et usages locaux affrontent les défenseurs d’un christianisme pleinement orthodoxe, jusqu’au refus en 1704 de rites propres à chaque pays par le Vatican.</p>
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<p>En 1978, une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Inculturation">« Lettre sur l’inculturation »</a> du Général Pedro Arrupe promeut l’adaptation à la sensibilité de la culture d’accueil. En Indonésie, des danses traditionnelles sont introduites durant l’offertoire et même des sacrifices de buffles lors de grandes cérémonies. Alors qu’encore au XIX<sup>e</sup> siècle, la Compagnie vend des esclaves aux États-Unis (Rachel L. Swarns, « Catholic Order Pledges $100 Million to Atone for Slave Labor and Sales », <em>New York Times</em>, 15 mars 2021), au XX<sup>e</sup> siècle, l’attention aux populations locales, au départ à but de conversion, est réinterprétée comme un rejet de l’exploitation coloniale. </p>
<p>En 1952, la pièce de Fritz Hochwälder, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Sur_la_Terre_comme_au_ciel_(pi%C3%A8ce_de_th%C3%A9%C3%A2tre)"><em>Sur la terre comme au ciel</em></a>, aborde les déchirements de conscience lors des suppressions des missions au Paraguay du XVIII<sup>e</sup> siècle : « Dieu veut que ce monde change. Et nous, les jésuites du Paraguay, nous l’avons changé. […] Aussi longtemps que j’aurai la force de respirer, de crier et de combattre – vous me trouverez du côté des pauvres, des faibles, des opprimés ! », affirme un des Pères.</p>
<p>Un film, <em>Mission</em>, de Roland Joffé, dont la musique (« Sur la terre comme au ciel ») est signée Ennio Morricone, incarne ce nouveau regard sur les missions jésuites, et obtient la Palme d’or en 1986.</p>
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<h2>Griefs et fantasmes</h2>
<p>Un vaste catalogue de griefs et de fantasmes associés aux jésuites mêle duplicité, obsession du pouvoir, domination secrète, affairisme, et obéissance absolue à une puissance étrangère. Le jésuite est perçu comme fourbe.</p>
<p>Les histoires drôles reflètent l’image qui colle à sa peau :</p>
<blockquote>
<p>« Un jésuite demande son chemin pour se rendre à la cathédrale. Le passant lui répond : Oh ! je ne crois pas que vous puissiez y arriver. C’est tout droit. »</p>
</blockquote>
<p>Ce qui fait la gloire de la Compagnie fait aussi sa légende noire. Leur vœu « à la manière d’un cadavre », qui exprime leur parfaite obéissance au pape, y participe largement.</p>
<p>Si dans les histoires drôles, le Bénédictin est toujours savant, le Trappiste creuse sa tombe, le Jésuite, lui, est rusé : « Au temps des rois mages, les couvents ont envoyé un représentant auprès de l’enfant Jésus. Le bénédictin s’écrie : – Seigneur, voici l’encens de notre connaissance. Le dominicain : – Seigneur, voici l’or de notre parole. Et le franciscain : – Seigneur, voici la myrrhe de notre pauvreté. Pendant ce temps, le jésuite glisse à l’oreille de Joseph : – Confiez-nous le petit. Nous en ferons quelque chose ».</p>
<p>En littérature aussi, le jésuite est néfaste chez Voltaire (1759), accapareur chez Eugène Sue (1844-1845) et Wilkie Collins (1881), comploteur chez Umberto Eco (2011). Dans sa <em>Montagne magique</em> (1924), Thomas Mann oppose le défenseur de la raison et du progrès, le franc-maçon Settembrini, au jésuite mystique Naphta dans de vaines agitations face à la mort qui rode.</p>
<p>Le <a href="http://ceias.ehess.fr/index.php?4987">despotisme éclairé et les Lumières</a> contestent le rôle de la Compagnie. En 1759, le Portugal et ses colonies les chassent. En 1763, Louis XV les proscrit. En 1767, l’Espagne les expulse. En 1773, la Papauté les supprime. Événement unique, un Ordre religieux est détruit par l’autorité même qui l’avait fondée. Le profond enracinement social et culturel des jésuites permet sa reconstitution après 1814. En 1957, la Compagnie compte 34 000 jésuites. Presque le quart est américain. La Compagnie ne se projette plus de l’Europe vers le monde, cette réelle internationalisation se concrétise dans l’élection de l’Argentin François, premier pape jésuite de l’histoire en 2013.</p>
<p>Il fallait plus qu’une blessure pour donner naissance à un Ordre religieux. Mais elle incarne le poids du siècle dans un projet spirituel et intellectuel d’apostolat confronté depuis aux aléas de l’histoire.</p>
<hr>
<p><strong>Pour aller plus loin :</strong></p>
<p><em>Étienne Fouilloux et Frédéric Gugelot (dir.), <a href="https://journals.openedition.org/rhr/8893">« Jésuites français et sciences humaines (Années 1960) »</a>, Lyon, Chrétiens et sociétés, 2014.</em></p>
<p><em>Frédéric Gugelot, <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03041575">« Une maison jésuite de retraite, Manrèse à Clamart »</a>, in Pierre Antoine Fabre, Patrick Goujon et Martín M. Morales (dir.), La Compagnie de Jésus des Anciens Régimes au monde contemporain (XVIII<sup>e</sup>-XX<sup>e</sup> siècles), Institutum Historicum Societatis Iesu, École française de Rome, 2020, p.607-622.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168884/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Gugelot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En 1534, Ignace de Loyola fonde à Paris la Compagnie de Jésus, un ordre nouveau qui se donne un but apostolique et missionnaire.Frédéric Gugelot, Professeur d'Histoire contemporaine, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1530352021-01-13T18:14:37Z2021-01-13T18:14:37ZEt si les pros de l’événementiel religieux inspiraient la campagne de vaccination ?<p>Quels rapports entre un grand rassemblement religieux et la campagne de vaccination de masse contre la Covid-19 ? A priori aucun.</p>
<p>Pourtant, ayant étudié <a href="https://www.bayard-editions.com/religions-et-sciences-humaines/religions/religion-et-societe/leglise-les-jeunes-et-la-mondialisation-une-histoire-des-jmj">l’histoire des Journées mondiales de la jeunesse</a> (JMJ), gigantesques rencontres religieuses, qui tous les deux ou trois ans depuis 1985, font converger des pèlerins de 16 à 35 ans autour du pape, je repère deux caractéristiques communes à ces dispositifs :</p>
<ul>
<li><p>le besoin de gérer des flux importants de personnes et de matériels sur une période courte ;</p></li>
<li><p>la nécessité de susciter l’adhésion pour qu’un maximum d’individus participent.</p></li>
</ul>
<p>L’analyse des JMJ, en particulier, celle qui a eu lieu à Paris en <a href="https://eglise.catholique.fr/actualites/dossiers/jmj-de-paris-1997-notre-dossier-special/">1997</a>, pourrait-elle, dès lors, alimenter la réflexion sur la manière dont la vaccination en cours peut être organisée en France ?</p>
<h2>Privilégier une approche interministérielle</h2>
<p>L’Église catholique, organisatrice de la JMJ d’août 1997, sollicita le gouvernement, non seulement parce que l’accueil de Jean‑Paul II, leader religieux mais également chef d’État du Vatican, relevait de la République française, mais aussi parce que, comme toute manifestation d’ampleur, elle posait des questions de sécurité, de maintien de l’ordre et de gestion des foules qui concernaient la puissance publique.</p>
<p>Il y avait également, en raison de la dimension internationale, des enjeux liés à l’image de la France à l’étranger.</p>
<p>Le premier ministre Alain Juppé accepta de mettre en place un comité interministériel, directement rattaché à lui, pour coordonner l’action des administrations et organismes publics concernés par ces questions. Il en confia l’animation au <a href="https://www.liberation.fr/portrait/1996/10/16/philippe-morillon-61-ans-ancien-chef-de-la-forpronu-aide-les-sdf-dans-une-communaute-charismatique-l_186720">général Philippe Morillon</a>.</p>
<p>Cet ancien commandant des forces armées de l’ONU lors de la guerre en Bosnie, lui-même catholique pratiquant, interpréta son rôle de manière large : au-delà des enjeux de sécurité et de diplomatie, il fit son possible pour, dans le respect du cadre laïc, faciliter la tâche des organisateurs, en leur ouvrant les portes des différents ministères et collectivités territoriales.</p>
<p>Leur concours logistique (et non financier, pour cause de laïcité) permit le bon déroulement de la manifestation. Tout en regrettant que certains fonctionnaires « suite aux procès et mises en examen des dernières années » aient fait une « lecture plutôt tatillonne des textes sans chercher à s’adapter aux circonstances particulières », Morillon parvint à harmoniser les initiatives d’acteurs aux cultures très différentes.</p>
<p>Pour la campagne de vaccination, on peut se demander si ce modèle de gouvernance ne serait pas plus pertinent qu’un pilotage par le seul ministère de la santé. C’était d’ailleurs l’option qui avait été choisie, avec succès, par Édouard Philippe quand il avait nommé Jean Castex, jusqu’alors délégué interministériel aux grands événements sportifs, <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/coronavirus-jean-castex-le-vice-premier-ministre-qui-prepare-le-deconfinement-3962916">coordinateur interministériel pour la stratégie de déconfinement</a>.</p>
<p>Cela faciliterait sans doute la mise en synergie de la perspective sanitaire avec les autres approches (<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/01/06/vaccins-le-gouvernement-a-essaye-de-cacher-une-faillite-logistique-par-une-communication-maladroite_6065314_3232.html">logistiques</a>, <a href="https://www.europe1.fr/societe/axel-kahn-pointe-une-tres-importante-erreur-strategique-sur-la-vaccination-en-france-4015333">communicationnelles</a>…) nécessaires à la réussite de l’opération. Cela permettrait aussi vraisemblablement de mobiliser davantage les ressources existantes au sein du service public (plutôt que de faire appel à des <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/pour-sa-strategie-vaccinale-le-gouvernement-a-sollicite-4-cabinets-prives_fr_5ff6d39ac5b64e568bf4863f">cabinets privés</a>), tout en facilitant la coopération avec les acteurs non étatiques.</p>
<h2>Conjuguer professionnalisme et engagement bénévole</h2>
<p>La JMJ de Paris entraînait de nombreux défis logistiques : 1,5 million de repas de qualité devaient notamment être distribués sur cinq jours, avec des ressources limitées.</p>
<p>En coopération non plus avec les pouvoirs publics mais avec le groupe Sodexho (aujourd’hui <a href="https://start.lesechos.fr/innovations-start-up/top-start-up/5-choses-que-vous-ignorez-sans-doute-sur-sodexo-1178286">Sodexo</a>), les organisateurs inventèrent un dispositif original permettant de limiter le temps de service des repas, de rejoindre les pèlerins tantôt sur le site des grands rassemblements, tantôt dans leurs multiples lieux d’hébergement, tout en limitant le recours à un personnel salarié qui était majoritairement en vacances, et qu’ils n’avaient de toute façon pas les moyens de rémunérer.</p>
<p>La nourriture fut préparée et distribuée dans des « unités mobiles de restauration », c’est-à-dire des petits camions frigorifiques transportant des denrées, du matériel pour réchauffer les plats et un stand de distribution.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/378353/original/file-20210112-23-92fked.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/378353/original/file-20210112-23-92fked.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/378353/original/file-20210112-23-92fked.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/378353/original/file-20210112-23-92fked.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/378353/original/file-20210112-23-92fked.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/378353/original/file-20210112-23-92fked.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/378353/original/file-20210112-23-92fked.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Schéma d’une unité mobile de restauration (documentation Sodexho)</span>
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<p>L’unité était dirigée par un responsable Sodexho, assisté par dix jeunes pèlerins bénévoles, dont l’un avait été préalablement formé par les organisateurs.</p>
<p>Malgré les résistances initiales d’une partie des salariés du géant de la restauration collective, la formule se révéla efficace, et adaptée à une configuration qui nécessitait de la souplesse et de la réactivité. La supervision par un professionnel garantit la qualité et le respect des normes sanitaires, l’engagement des volontaires apporta une forme de dynamisme et de gratuité.</p>
<p>Cette hybridation des logiques du monde de l’entreprise, et du monde du bénévolat, déjà testée lors des précédentes éditions, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=L-AmL5eQXkU">notamment à Denver en 1993</a>, fut jugée enrichissante par les salariés et les syndicats de Sodexo.</p>
<p>Elle permit à l’organisation des JMJ de démultiplier à moindre coût sa capacité de distribution des denrées et de rejoindre les jeunes disséminés dans toute l’Île-de-France. Parmi les jeunes bénévoles, l’implication dans la distribution des repas pouvait répondre à une soif d’expérience spirituelle, le service du prochain étant dans la religion chrétienne un moyen d’accès à Dieu.</p>
<p>Elle relevait également d’un processus d’<a href="https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2013-3-page-25.htm"><em>empowerment</em></a>, c’est-à-dire d’acquisition de nouvelles capacités d’agir, non seulement sur le cours du rassemblement, mais aussi sur leur future trajectoire professionnelle.</p>
<p>Plus que la transposition de certaines de ces solutions techniques et logistiques, c’est l’implication des volontaires qui peut être inspirante par rapport à l’enjeu sanitaire actuel.</p>
<p>Dans la lutte contre l’épidémie, les citoyens « lambda », et notamment les jeunes, ont été appelés à jouer un rôle essentiellement passif.</p>
<p>Dans la communication gouvernementale, leur contribution devait principalement consister à <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/presse/article/coronavirus-plus-que-jamais-pour-sauver-des-vies-restez-chez-vous">rester chez eux</a>, à cesser leurs activités et à diminuer leurs contacts, avec les <a href="https://www.u-bordeaux.fr/Actualites/De-l-universite/Best-of-2020/Comprendre-l-impact-de-l-epidemie-de-coronavirus-sur-le-bien-etre-et-la-sante-mentale">conséquences psychologiques</a> que l’on connaît.</p>
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<figcaption><span class="caption">Solidarité dans les quartiers nords de Marseille, avril 2020.</span></figcaption>
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<p>Impliquer ceux qui le souhaiteraient dans les tâches non médicales des futurs vaccinodromes (l’accueil et l’orientation du public par exemple), pourrait constituer une opportunité non seulement de répondre à un besoin ponctuel de personnel, mais aussi de valoriser une générosité qui s’était spontanément exprimée, surtout lors du premier confinement, par de multiples actions solidaires.</p>
<p>Plus largement, cela permettrait sans doute de ranimer une forme d’optimisme, en permettant aux citoyens d’avoir prise sur le cours des événements. Une mobilisation générale pour la campagne de vaccination contribuerait sans doute par ailleurs à réparer une cohésion nationale mise à mal par les épreuves de 2020.</p>
<h2>Susciter une dynamique à partir du noyau des convaincus</h2>
<p>Ce dernier point supposerait cependant que la vaccination devienne un objectif partagé par les Français qui n’étaient, fin décembre 2020, que <a href="https://www.leparisien.fr/societe/covid-19-seuls-40-des-francais-prets-a-se-faire-vacciner-pire-taux-du-monde-selon-un-sondage-29-12-2020-8416529.php">40 % à accepter de se faire vacciner</a>.</p>
<p>Sur ce plan également, l’observation de la JMJ de Paris peut être instructive. Dans sa phase préliminaire, une proportion dérisoire de la population cible avait l’intention de participer : à l’ouverture de l’événement, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1997/08/15/l-eglise-s-inquiete-du-faible-nombre-de-francais-inscrits-aux-jmj_3784562_1819218.html">on comptait 70 000 inscrits</a> français, soit 0,5 % des 18-35 ans vivant dans l’hexagone.</p>
<p>Lors de la veillée finale, ils étaient 700 000, soit 5 % de cette tranche d’âge, un chiffre supérieur aux 2 % de jeunes catholiques pratiquants, ce qui surprit les <a href="https://www.leparisien.fr/societe/dans-le-retro-en-1997-le-succes-inattendu-des-jmj-a-paris-28-06-2016-5922551.php">observateurs et l’Église catholique elle-même</a>.</p>
<p>La dynamique d’agrégation, qui permit la multiplication par dix des participants, reposa sur la mobilisation initiale d’un noyau de jeunes catholiques fervents. Certains, avant le départ, réussirent à convaincre des amis ou des membres de leur famille de se joindre à eux, provoquant une contagion par capillarité.</p>
<p>Une fois rassemblés à Paris, leur dynamisme juvénile suscita la bienveillance et parfois le ralliement de certains riverains, culturellement catholiques mais éloignés de l’Église.</p>
<p>La couverture médiatique de la rencontre, et la retransmission télévisée de cérémonies donnant à voir une foule de jeunes heureux, fraternels et pacifiques, eut un effet d’entraînement qui alimenta l’effet boule de neige. Au-delà des motivations religieuses, le rassemblement rejoignait le besoin de communion d’individus en manque de liens.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’effervescence JMJ en 1997.</span></figcaption>
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<p>Les logiques de l’émotion religieuse ne sont pas celles qui doivent sous-tendre une campagne de vaccination, mais cet épisode suggère qu’il pourrait être pertinent de cibler, parallèlement aux personnes prioritaires, les Français les plus impatients.</p>
<p>Une fois vaccinés, les seconds pourraient contribuer à convaincre les premiers, souvent hésitants, en communiquant leur enthousiasme dans leurs réseaux, via notamment les <a href="https://www.lepoint.fr/sante/etats-unis-les-vaXXIes-selfies-des-vaccins-envahissent-les-reseaux-sociaux-01-01-2021-2407851_40.php">« vaXXIᵉs »</a>.</p>
<p>Leur interview par les médias, qui suscitent la méfiance mais dont l’influence sociale demeure fondamentale, démultiplierait l’effet d’adhésion à un dispositif qui a besoin, pour réussir, d’être coordonné par le gouvernement tout en s’appuyant sur les multiples ressources de la société civile.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153035/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Mercier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les festivals organisés par les jeunes catholiques pourraient bien être utiles à ceux qui orchestrent les campagnes de vaccination.Charles Mercier, Maître de conférences HDR en histoire contemporaine, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1520402020-12-17T20:32:49Z2020-12-17T20:32:49ZPeut-on être contre l’immigration et pour l’héritage chrétien ?<p>Certains leaders politiques confrontent le public à un dilemme. D’une part, ils veulent préserver l’héritage chrétien en Europe. Mais d’autre part, ils rivalisent d’idées pour accueillir le moins d’étrangers possible. Comment expliquer cette incohérence ?</p>
<p>Il est possible que ces politiques, notamment de droite, méconnaissent l’héritage chrétien. Lorsque le <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2017-1-page-3.htm">Pape François défend les migrants</a>, leurs voix se lèvent pour dire qu’il serait un <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2017/09/01/01016-20170901ARTFIG00059-le-pape-francois-est-il-de-gauche.php">pape « de gauche »</a>.</p>
<p>Or, depuis 70 ans, tous les papes ont défendu non seulement les migrants mais aussi un droit à l’immigration.</p>
<h2>Le Vatican serait-il de gauche ?</h2>
<p>Parfois, le Vatican s’est avéré plus visionnaire que l’Organisation des Nations unies. En 1948, la <a href="https://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/">Déclaration universelle des droits humains</a> a consacré l’émigration comme droit fondamental :</p>
<blockquote>
<p>« Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien. »</p>
</blockquote>
<p>Cette formule ne mentionne pas le droit d’entrer dans un pays qui n’est pas le sien. Mais quatre ans plus tard, le Pape Pie XII (1939-1958) interroge cette imprécision.</p>
<p>Dans son <a href="https://w2.vatican.va/content/pius-xii/it/speeches/1952/documents/hf_p-xii_spe_19521224_natale.html">message de Noël 1952</a>, Pie XII considère qu’elle aboutit à ce que :</p>
<blockquote>
<p>« Le droit naturel de toute personne de ne pas être empêchée d’émigrer ou d’immigrer soit pratiquement annulé, sous prétexte d’un bien commun faussement compris. »</p>
</blockquote>
<p>Pie XII pense que l’immigration est un droit naturel mais l’associe à la pauvreté. Il demande aux gouvernements de faciliter la migration des travailleurs et de leurs familles vers « des régions où ils trouveraient plus facilement les vivres ».</p>
<p>Il déplore la « mécanisation des consciences » et demande d’assouplir « en politique et en économie, la rigidité des vieux cadres des frontières géographiques ».</p>
<p>Son successeur, le Pape Jean XXIII (1958-1963) prolonge cet argument dans deux encycliques (<a href="http://w2.vatican.va/content/john-xxiii/fr/encyclicals/documents/hf_j-xxiii_enc_15051961_mater.html"><em>Mater et magistra</em></a>, 1961 et <a href="http://w2.vatican.va/content/john-xxiii/fr/encyclicals/documents/hf_j-xxiii_enc_11041963_pacem.html"><em>Pacem in terris</em></a>, 1963). Alors que Pie XII pensait aux seules personnes nécessiteuses, Jean XXIII vise désormais toute personne qui « espère trouver ailleurs des conditions de vie plus convenables pour soi et pour sa famille » (<a href="http://w2.vatican.va/content/john-xxiii/fr/encyclicals/documents/hf_j-xxiii_enc_11041963_pacem.html"><em>Pacem in terris</em></a>, 106).</p>
<p>Avec Paul VI (1963-1978), le devoir chrétien de servir les travailleurs migrants se fait plus pressant. Dans une encyclique de 1965, il rappelle :</p>
<blockquote>
<p>« L’impérieux devoir de nous faire le prochain de n’importe quel homme et, s’il se présente à nous, de le servir activement : qu’il s’agisse de ce vieillard abandonné de tous, ou de ce travailleur étranger, méprisé sans raison. » (<a href="http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_const_19651207_gaudium-et-spes_fr.html"><em>Gaudium et spes</em></a>)</p>
</blockquote>
<p>Jean Paul II (1978-2005) multiplie les paroles favorables à l’immigration. Son discours pour la Journée mondiale des migrants de 1995, consacré aux <a href="http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/messages/migration/documents/hf_jp-ii_mes_25071995_undocumented_migrants.html">Migrants en situation irrégulière</a>, rappelle que :</p>
<blockquote>
<p>« L’Église considère le problème des migrants en situation irrégulière dans la perspective du Christ, qui est mort pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés (cf. Jn 11, 52), pour accueillir les exclus et rapprocher ceux qui se sont éloignés, pour intégrer toutes les personnes dans une communion qui n’est pas fondée sur l’appartenance ethnique, culturelle et sociale. »</p>
</blockquote>
<p>Le Pape François ne défend donc pas les immigrés parce qu’il serait « de gauche », mais parce qu’il est au sommet d’une institution dont la raison d’être est « d’agir en continuité avec la mission du Christ ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1207944495058358274"}"></div></p>
<h2>Libre circulation : un héritage chrétien ancien</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/375177/original/file-20201215-23-12797x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/375177/original/file-20201215-23-12797x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/375177/original/file-20201215-23-12797x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=745&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/375177/original/file-20201215-23-12797x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=745&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/375177/original/file-20201215-23-12797x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=745&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/375177/original/file-20201215-23-12797x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=937&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/375177/original/file-20201215-23-12797x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=937&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/375177/original/file-20201215-23-12797x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=937&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le dominicain Francisco de Vitoria a défendu la liberté de circulation sur des bases théologiques questionnant certains aspects de la colonisation espagnole.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.wikiwand.com/fr/Francisco_de_Vitoria">Wikiwand</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La défense chrétienne de la liberté de circulation va bien au-delà de notre époque.</p>
<p>Au XVI<sup>e</sup> siècle, le théologien dominicain <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Francisco_de_Vitoria">Francisco de Vitoria</a> (1483–1546) soutient que la liberté de circulation est un droit naturel.</p>
<p>C’était après la découverte de l’Amérique. La Couronne espagnole y avait établi sa domination, en édictant en 1512 les premières « Lois des Indes ». À l’époque où les jeunes dominicains se préparent pour un travail de missionnaire dans le Nouveau monde, Vitoria enseigne encore à l’Université de Paris. Puis, en retournant à l’Université de Salamanca, il est travaillé par des questions juridiques : de quel droit les Espagnols sont-ils en Amérique ? Et quels sont les droits des Indiens qui y habitent ?</p>
<p>En cherchant la réponse à ces questions, Vitoria pose les fondations du droit international. Dans ses <a href="https://en.wikisource.org/wiki/De_Indis_De_Jure_Belli"><em>Leçons sur les Indiens et sur le droit de guerre</em></a> (1539), il conteste aux Espagnols le droit d’assujettir les Indiens, qu’il voit comme propriétaires de leurs terres.</p>
<p>Mais ces droits n’autorisent pas les Indiens à empêcher les Espagnols, ou quiconque d’autre, « d’aller et vivre aux Indes ».</p>
<p>Vitoria défend la liberté de circulation sur des bases théologiques. D’une part, il tire de la <em>Genèse</em> l’idée que la terre a été donnée en partage à tous :</p>
<blockquote>
<p>« Au commencement du monde, alors que tout était commun, il était permis à chacun d’aller et de voyager dans tous les pays qu’il voulait ». La division des terres, survenue entre nations, ne saurait « empêcher les rapports des hommes entre eux. »</p>
</blockquote>
<p>D’autre part, Vitoria voit dans l’<em>Ecriture</em>, qui prône l’amour du prochain, la preuve que « l’amitié entre les hommes est de droit naturel » et qu’il est « contre nature d’éviter la société d’hommes innocents ». La liberté de circulation repose donc sur « le droit de société et de communication » propre au genre humain.</p>
<p>Sans cette liberté, les gens ne peuvent se rencontrer, nouer des amitiés, communiquer ou faire du commerce. On trouve, chez Vitoria, une justification chrétienne du libre-échange.</p>
<h2>Un principe de liberté</h2>
<p>Le christianisme conduit Vitoria vers un principe de liberté : chacun est libre de voyager et de s’installer partout dans le monde, à la seule condition de ne pas nuire à autrui.</p>
<p>Aux uns, la liberté ne donne pas droit à commettre des violences ou à priver autrui de ses biens. Aux autres, la propriété des terres donne droit de se gouverner soi-même, sans empêcher l’arrivée et l’installation d’autrui.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/375178/original/file-20201215-13-1k2j0ew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/375178/original/file-20201215-13-1k2j0ew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/375178/original/file-20201215-13-1k2j0ew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/375178/original/file-20201215-13-1k2j0ew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/375178/original/file-20201215-13-1k2j0ew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/375178/original/file-20201215-13-1k2j0ew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/375178/original/file-20201215-13-1k2j0ew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le penseur Vitoria tire de la Genèse (dans la Bible) l’idée que la terre a été donnée en partage à tous.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/genesis-mosa%C3%AFque-iconographie-2435989/">Dimitris Vestikas/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La position de Vitoria ne plut pas au pouvoir. En 1539, après la publication des <em>Leçons</em>, l’empereur Charles Quint adressa une lettre au monastère dominicain de Salamanca. Il y exprimait son inquiétude de voir un membre de la congrégation remettre en question les droits de l’Espagne sur le « Nouveau monde ».</p>
<p>Quatre siècles plus tard, Vitoria inspira les politiques. Ses principes du libre accès à la mer, du libre-échange et de l’auto-détermination des peuples furent intégrés dans le plan en <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Quatorze_points_de_Wilson">Quatorze Points de Wilson</a>. Ce plan devait mettre fin à la Grande Guerre et fonder la Société des Nations.</p>
<p>Aujourd’hui, l’inspiration chrétienne de Vitoria ne motive plus les politiques. La liberté des mers, qui veut qu’« en vertu du droit des gens, les navires puissent accoster partout », est refusée même aux navires engagés dans le <a href="http://www.europarl.europa.eu/doceo/document/B-9-2019-0154_FR.html">sauvetage de vies humaines en Méditerranée</a>.</p>
<p>Quoi de plus étonnant que ces <a href="https://www.votewatch.eu/en/term9-motions-for-resolutions-search-and-rescue-in-the-mediterranean-motion-for-resolution-vote-resolution.html">politiques qui affirment défendre l’héritage chrétien</a> mais qui agissent pour le ruiner ?</p>
<h2>Pas d’héritage chrétien sans l’accueil de l’étranger</h2>
<p>L’accueil de l’étranger est un devoir si important pour le chrétien, qu’il en conditionne le salut. Dans l’Évangile, Mathieu fait dire à Jésus que c’est l’un des critères du jugement dernier. Ceux qui auront accueilli l’étranger recevront « en héritage » le royaume de Dieu. Les autres auront le châtiment éternel :</p>
<blockquote>
<p>« Car j’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’ai eu soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas vêtu ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité. » (Mathieu, 25 : 42-43)</p>
</blockquote>
<p>De fait, pourquoi l’accueil de l’étranger fait-il partie des critères énumérés par Jésus ?</p>
<p>L’étranger est au cœur de la révolution du Nouveau Testament. Certes, on retrouve des injonctions à l’hospitalité aussi bien dans l’Ancien que le Nouveau Testament. C’est une hospitalité exigeante :</p>
<blockquote>
<p>« Vous traiterez l’étranger comme l’un des vôtres ; vous l’aimerez comme vous-mêmes. » (Lévitique 19 :34)</p>
</blockquote>
<p>et inconditionnelle :</p>
<blockquote>
<p>« Exercez l’hospitalité sans murmures. » (Pierre 4 :9)</p>
</blockquote>
<p>Mais la révolution qu’opère le Nouveau Testament est de doter le christianisme d’une aspiration universelle : de par leur origine commune, tous les êtres humains sont des frères.</p>
<p>L’identité chrétienne se juge à l’aune de cette foi en l’universalité :</p>
<blockquote>
<p>« Nous connaissons que nous aimons les enfants de Dieu, lorsque nous aimons Dieu. » (Jean 5 :2)</p>
</blockquote>
<p>Par ce message, le christianisme parvient à effacer la distinction entre étrangers et proches :</p>
<blockquote>
<p>« Ainsi, vous n’êtes plus étrangers, ni hôtes de passage, mais seulement des frères. » (Éphésiens 2 :19)</p>
</blockquote>
<p>En cela, Jésus est apparu comme subversif.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152040/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les politiques pensent pouvoir préserver l’héritage chrétien en Europe tout en demeurant hostiles à l’accueil des étrangers. Il est possible qu’ils méconnaissent l’héritage chrétien.Speranta Dumitru, Maitre de Conférences, Université Paris CitéClément Mougombili, Doctorant, chargé de cours, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1514662020-12-15T18:03:12Z2020-12-15T18:03:12ZDu pape Grégoire XIII à Joe Biden, les stratégies politiques se répètent<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/373382/original/file-20201207-23-wye4c3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=33%2C50%2C5606%2C3703&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le président-élu Joe Biden quitte l'église catholique romaine St. Joseph, le samedi 5 décembre 2020, à Wilmington, au Delaware.</span> <span class="attribution"><span class="source">Photo AP/Andrew Harnik</span></span></figcaption></figure><p>Le matin du 2 novembre dernier, jour d’élections aux États-Unis, Joe Biden s’est rendu à l’église Saint-Joseph de Wilmington, au Delaware, ainsi qu’au cimetière, pour se recueillir sur les tombes de sa première femme et de deux de ses enfants.</p>
<p>Ce programme aux allures de pèlerinage constitue peut-être sa prière ultime pour la victoire électorale qu’il espérait ce jour-là. Si sa foi est bien réelle – et l’objectif n’est pas d’en discuter ici – on ne peut nier qu’elle a été savamment orchestrée pour draper le candidat démocrate d’une aura positive durant la campagne.</p>
<p>Plusieurs vidéos publicitaires ont souligné la piété du chef démocrate. Dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=KZFnTb225uc"><em>Principles</em></a>, on le montre en compagnie du pape François ou discourant dans une église ; dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-A2Z0ZQKQWs"><em>A Man Guided by Faith</em></a>, une paroissienne de son village natal le décrit comme un dévot modèle. Joe Biden a d’ailleurs souligné sa ferveur religieuse dans son discours de victoire, le 7 novembre, où il cite la Bible sans ambages.</p>
<p>Rappelons que le <a href="https://theconversation.com/the-underappreciated-yet-critical-catholic-vote-in-the-2020-us-presidential-election-147150">vote catholique</a> a valu à Donald Trump les trois États-clés des Grands Lacs (Michigan, Pennsylvanie et Wisconsin) à l’élection de 2016, ce qui expliquerait une telle mise en avant de sa foi. Si Trump ne semble pas faire preuve d’une grande piété, <a href="https://www.nytimes.com/2020/09/25/us/politics/catholic-voters-trump-biden.html">il insiste beaucoup sur la position antiavortement du Parti républicain pour rallier lui aussi cette portion de l’électorat</a>.</p>
<h2>De Grégoire XIII à Joe Biden</h2>
<p>De nombreux politiciens et hommes d’église de haut rang ont usé de la foi à des fins démagogiques à l’instar de l’actuel président élu. Mes recherches sur le mécénat des cardinaux dans la Rome du XVI<sup>e</sup> siècle m’ont permis d’examiner fréquemment ce type de comportement, notamment chez le pape Grégoire XIII, qui a régné de 1572 à 1585.</p>
<p>Dans sa biographie du pontife publiée en 1596, l’auteur Marcantonio Ciappi soutient qu’il récitait des litanies dès son réveil et se rendait ensuite dans sa chapelle privée pour assister à la messe et faire des oraisons. Même si le pape était réellement un fervent dévot, l’ostentation de sa piété, qui s’explique par le contexte religieux contemporain, permet de replacer la conduite de Joe Biden dans un spectre historique plus large.</p>
<h2>Réforme et Contre-Réforme</h2>
<p>En 1517, le frère augustinien allemand Martin Luther proclame son opposition aux abus perpétrés par l’Église avec la publication des <a href="https://philosophie.cegeptr.qc.ca/2017/10/500e-anniversaire-de-laffichage-des-95-theses-de-luther-2017/">95 Thèses</a>, ce qui marque le début de la Réforme protestante. Ses idées se propagent rapidement dans le nord de l’Europe, encourageant les caricatures qui dénigrent l’office papal.</p>
<p>Lucas Cranach l’Ancien représente par exemple, en 1545, le <a href="https://pennrare.wordpress.com/2012/09/17/woodcut-sauritt-des-papsts-after-lucas-cranach-the-elder-used-by-christian-rodinger-the-elder-of-magdeburg-of-the-pope-riding-a-sow-holding-steaming-excrement/">pontife chevauchant une truie et bénissant des excréments</a> alors que Melchior Lorch le transforme peu de temps après en <a href="https://artsandculture.google.com/asset/the-pope-as-wild-man-melchior-lorch/WgF9GhARkcrWFw">monstre sanguinaire recouvert d’une toison hideuse et crachant du feu</a>.</p>
<p>En réaction, le clergé catholique émet des directives en ce qui concerne le comportement des prélats lors du concile de Trente (débuté en 1545 et terminé en 1563). La nouvelle image de l’Église passe par la démonstration que ses membres faisaient preuve des vertus qu’elle enjoint de respecter. La piété devient un critère de sélection des candidats à la tiare pontificale et plusieurs cardinaux aspirant au titre entreprennent de faire valoir la leur par les arts. En résultent de nombreux décors destinés à des institutions religieuses, mais aussi des fresques à même les murs de leurs palais.</p>
<h2>Une lignée de papes exemplaires</h2>
<p>Pour respecter les recommandations concernant l’ostentation de la richesse, Grégoire XIII visite la villa de campagne du cardinal Marco Sittico Altemps plutôt que de se faire construire sa propre résidence d’été comme ses contemporains.</p>
<p>Toutefois, il faut se détromper : la villa, localisée dans le haut lieu de retraite du clergé à Frascati et nommée « Mondragone » en l’honneur du pontife dont l’emblème est le dragon, devient en fait une véritable villa papale. Des activités administratives y sont tenues – c’est d’ailleurs là qu’est scellé l’établissement du calendrier grégorien – et des invités de marque y sont reçus.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/373658/original/file-20201208-22-98fn3z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/373658/original/file-20201208-22-98fn3z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/373658/original/file-20201208-22-98fn3z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/373658/original/file-20201208-22-98fn3z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/373658/original/file-20201208-22-98fn3z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/373658/original/file-20201208-22-98fn3z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/373658/original/file-20201208-22-98fn3z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La Villa Mondragone, à Frascati, en Italie, où le pape Grégoire XIII se rendait pour recevoir des invités de marque et remplir diverses tâches administratives.</span>
<span class="attribution"><span class="source">de l’auteure</span></span>
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<p>L’édifice détient ainsi des fonctions promotionnelles, tout comme ses décors. Ceux de la chapelle, peints par Guidonio Guelfi, en 1576, sont consacrés à saint Grégoire le Grand (pape de 540 à 604). Tel que démontré dans le troisième chapitre de <a href="https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/13773">mon mémoire de maîtrise</a>, c’est grâce à la représentation du récit de son homonyme, mais aussi grâce à la substitution du portrait de son prédécesseur par celui de Grégoire XIII dans les épisodes dépeints sur les murs, que l’artiste suggère l’association de Grégoire XIII avec ce pape précurseur exemplaire.</p>
<p>Fréquent dans les cycles décoratifs de la Renaissance – pensons simplement aux <a href="http://www.museivaticani.va/content/museivaticani/fr/collezioni/musei/stanze-di-raffaello.html">Chambres de Raphaël au Vatican</a> – ce procédé permet à Grégoire XIII de se présenter, à l’instar de Grégoire le Grand, comme un pontife idéal dont le règne restaurera l’âge d’or du christianisme.</p>
<p>Joe Biden a utilisé une stratégie similaire dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=xiLR4sCgvnc">son tout premier discours en tant que président élu</a>, affirmant que sa présidence s’inscrirait dans la suite de celles de Franklin D. Roosevelt, John F. Kennedy et Barack Obama. Reculant jusqu’au New Deal de 1932 à titre de comparaison pour valoriser ses projets de loi à venir, il rejoue le stratagème grégorien.</p>
<h2>L’humilité du Sauveur</h2>
<p>Dans la chapelle de la villa Mondragone, Grégoire XIII est aussi représenté, priant le Christ nouveau-né dans <em>L’adoration des bergers</em> qui figure au-dessus de l’autel. Si ce procédé illustre la piété que le prélat s’attribue, il met aussi en scène son humilité.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’œuvre « L’adoration des bergers », dans laquelle Grégoire XIII est représenté priant le Christ nouveau-né.</span>
<span class="attribution"><span class="source">de l’auteure</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Plus fréquemment associés aux rois mages dans l’iconographie de l’adoration de l’enfant – comme dans la <a href="https://journals.openedition.org/cem/13519#tocto1n3">Chapelle des mages du Palais Médicis à Florence</a>, les mécènes affichent leur humilité par le choix de s’identifier aux bergers. Cette prise de position constitue un outil de valorisation évident dans le contexte suivant le concile de Trente. Grégoire XIII se montre ainsi au service de son peuple et contrecarre les critiques d’abus intentées au clergé lors de la Réforme.</p>
<p>« Et maintenant, ensemble – sur les ailes de l’aigle – nous entamons l’œuvre que Dieu et l’histoire nous ont demandé d’accomplir », a clamé Joe Biden à la fin de son discours de victoire. Même si la formule ne paraît de prime abord pas très humble, Joe Biden emboîte le pas à Grégoire XIII en s’identifiant comme l’élu divin (et non seulement le gagnant d’un vote électoral).</p>
<p>Il se positionne également tel un messie (« Nous devons restaurer l’âme de l’Amérique ! ») dont l’action extirpera les États-Unis de la noirceur dans laquelle Donald Trump les a plongés. La mise en scène de la foi de Joe Biden aura-t-elle fait oublier aux fervents catholiques la position démocrate proavortement qu’ils n’appuient pas ?</p>
<p>On ne peut que penser que la stratégie a été gagnante : près de 500 ans après son utilisation par Grégoire XIII, Joe Biden arrache peut-être grâce à elle les Grands Lacs à son adversaire républicain et devient le sauveur attendu des États-Unis. <em>God bless America</em> !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151466/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fannie Caron-Roy a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines du Gouvernement du Canada et de l'Université de Montréal. </span></em></p>Durant la campagne présidentielle, Joe Biden a usé de sa foi à des fins électoralistes. Cette stratégie n’est pas nouvelle. Elle remonte aussi loin qu’au pape Grégoire XIII !Fannie Caron-Roy, Doctorante en histoire de l'art, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1413822020-07-08T21:45:53Z2020-07-08T21:45:53ZDébat : Comment la spiritualité peut nous aider à penser la crise<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/346402/original/file-20200708-3983-1s14of5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C0%2C1006%2C702&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vassily Kandinsky, Composition 8, 1923.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.guggenheim-bilbao.eus/fr/expositions/kandinsky-dans-son-contexte">Guggenheim Bilbao</a></span></figcaption></figure><p>Dans les cercles au pouvoir, la tentation est grande de répondre aux urgences de la crise actuelle en s’appuyant sur les paradigmes anciens. Déjà le Commissariat général à la Stratégie et à la Prospective (CGSP), a publié en avril 2020 une note « Pour un après soutenable » qui, tout en faisant un appel urgent à des contributions, s’est déjà fortement positionnée <a href="https://www.strategie.gouv.fr/publications/covid-19-un-apres-soutenable-sept-questions-preparer-demain">sur la base d’une conception post-moderne, c’est-à-dire « non englobante », du monde</a>.</p>
<h2>Un changement d’épistémologie</h2>
<p>Il ne s’agit pas de nier tout l’intérêt d’une pensée qui a eu le mérite de montrer les limites de la rationalité moderne et qui a cherché à intégrer la notion d’incertitude dans ses conceptions interprétatives. Mais on peut s’interroger sur le fait que la consultation n’ait pas été plus représentative des courants de pensée existant en France et dans le monde.</p>
<p>À un moment où il est question de remodeler dans un sens plus juste la mondialisation, la vision du polyèdre du pape François, cette figure géométrique qui permet de penser à la fois l’unité du monde et la diversité des identités, <a href="https://www.la-croix.com/Journal/Polyedre-2017-09-04-1100874054">pourrait apporter beaucoup à la réflexion</a>.</p>
<p>Son encyclique <a href="http://www.vatican.va/content/francesco/fr/encyclicals/documents/papa-francesco_20150524_enciclica-laudato-si.html"><em>Laudato si</em></a>, qui porte sur la protection de la « maison commune » dans un esprit de justice sociale, a rayonné bien au-delà des 2 milliards de chrétiens.</p>
<p>La conscience spirituelle qui émane de ce texte signale l’avènement d’une pensée plus ample (« Tout est lié ») fondée sur des observations concrètes et précises. C’est pourquoi elle dispose de recommandations très pratiques. Elle révèle surtout que l’évolution de la doctrine sociale de l’Église catholique s’est opérée selon une logique œcuménique <a href="https://www.amazon.fr/Parler-Cr%C3%A9ation-apr%C3%A8s-Laudato-si/dp/2227496843">que l’on retrouve également en France</a> et chez un grand nombre de leaders religieux de la planète.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/de-la-necessaire-evolution-de-la-conscience-pour-faire-face-a-la-crise-mondiale-141379">De la nécessaire évolution de la conscience pour faire face à la crise mondiale</a>
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<p>Il est vrai que ce texte parle aussi de Dieu, le grand tabou de l’épistémologie moderne et le grand absent de l’épistémologie post-moderne. Pourtant, comme le savent la plupart des penseurs de la complexité, la conscience fonctionne selon différents niveaux qui sont structurés de façon intégratrice.</p>
<p>C’est la raison pour laquelle un certain nombre de personnalités telles que Edgar Morin ou Nicolas Hulot ont salué sans crainte cette encyclique. Ajoutons que la notion même d’un Dieu comprise comme une réalité personnelle, s’auto-révélant selon différentes consciences de soi et capable d’aimer au-delà de soi-même est une réalité à la fois transcendante et immanente, divine et humaine.</p>
<p>Dieu n’est donc ni violent malgré ce que croient les penseurs modernes ni inexistant comme le disent les penseurs post-modernes. Il est source de sens et de salut. L’exercice de discernement que fait le pape François, à l’écoute des évènements du monde et de la Parole de Dieu, atteste du caractère universel de la révélation judéo-chrétienne, source de liberté pour tout homme, croyant ou non, en qui peut être reconnue une dimension spirituelle.</p>
<h2>Epistémologies classique, moderne, post-moderne et spirituelle</h2>
<p>La vision qu’on peut avoir de l’économie n’a rien de neutre. Elle révèle une conscience classique si on s’appuie sur les thèses d’Adam Smith, moderne si on se situe en continuation de la pensée de John Maynard Keynes, post-moderne si on se dit l’héritier de Milton Friedman, spirituelle si on adhère notamment aux idées de Kate Raworth. Ceci suppose qu’on dispose d’une connaissance approfondie des horizons de sens portés par ailleurs par la pensée de Kepler, de Newton, de Heisenberg et de Nicolescu, ou par la créativité de Rembrandt, Matisse, Kandinsky et Chagall.</p>
<p>Michel Foucault était conscient de cette nécessité. En 1966 il fit le récit dans <em>Les Mots et les Choses</em> du passage au XVII<sup>e</sup> siècle de l’épistémologie symbolique à l’épistémologie conceptuelle. Il fut en mesure de le faire car lui-même avait pris distance à l’égard de la pensée kantienne et commençait à élaborer un troisième type d’épistémologie, une archéologie du savoir post-moderne fondée sur les notions de finitude, de rupture, de différence et d’incertitude. La conscience moderne, pour lui, présentait l’immense faiblesse de reposer sur la notion de continuité et donc de tradition figée.</p>
<p>Cette épistémologie « archéologique » de Michel Foucault a elle-même été contestée depuis une trentaine d’années par une nouvelle représentation du monde que l’on qualifie de spirituelle dans la mesure où celle-ci vise à réconcilier l’intelligence du monde, de l’humanité et de la divinité.</p>
<p>Cette épistémologie est centrée sur la conscience et cherche à associer les différentes cristallisations de la conscience classique, moderne, post-moderne et spirituelle. Le paradigme spirituel peut aussi être qualifié de « pluriversel » selon l’expression de l’anthropologue Alain Caillé, l’un des rédacteurs du <em>Manifeste du convivialisme</em>. Ce terme de pluriversalisme permet pour lui « de critiquer tous les relativismes communautaristes au nom de l’exigence d’une certaine universalité, et, réciproquement, de critiquer tous les universalismes abstraits <a href="https://journals.openedition.org/lectures/20059">au nom de leur fermeture à l’altérité et à la pluralité des voies de l’universel »</a>.</p>
<p>La nouvelle épistémologie transdisciplinaire et synthétique reconnaît la personne humaine dans toutes ses dimensions et relations. Elle est à la fois traditionnelle en ce qu’elle identifie une raison créatrice supérieure à l’intelligence humaine et aussi nouvelle car elle représente un bouleversement par rapport à la conscience moderne.</p>
<p>Tandis que cette dernière avait chassé la personne humaine de toute position de centralité dans le champ du savoir, on constate aujourd’hui que des théories nouvelles, en physique ou en biologie <a href="https://www.cairn.info/revue-anthropologie-des-connaissances-2017-3-page-503.htm">font de la personne humaine le cœur même de la conscience de l’univers et de l’histoire</a>.</p>
<h2>Une synthèse intégratrice</h2>
<p>En définitive, la conscience spirituelle propose une nouvelle conception d’un universel qui soit en même temps commun et personnel, qui soit relié à une histoire ne s’arrêtant pas à 1789 tout en étant ouvert aux appels de l’avenir, qui embrasse les niveaux de conscience classique, moderne et post-moderne et qui permette la libre expression des personnes et des communautés auxquelles ils sont attachés (familiale, associative, nationale, européenne, internationale).</p>
<p>Elle souhaite l’émancipation des individus comme les Modernes, mais elle leur rappelle que la liberté n’est pas seulement une capacité de choisir, elle est aussi un appel à servir le bien commun y compris par des comportements tels que la sobriété. Elle est donc personnaliste. La liberté ne s’arrête pas là où commence celle des autres. L’homme s’autolimite parce que sa conscience lui indique ses responsabilités.</p>
<p>Cette conscience spirituelle intègre aussi le sentiment d’incertitude des post-modernes. Mais si cette attitude critique à l’égard du rationalisme et du scientisme peut être justifiée, elle ne doit pas pour autant remettre en question la possibilité de la foi qui dispose quant à elle, comme l’écrit Jean‑Marc Ferry dans <em>La raison et la foi</em>, de <a href="https://alliance-europa.eu/fr/publication/jean-marc-ferry-la-raison-et-la-foi-une-philosophie-de-la-religion/">ressources supérieures à la seule rationalité conceptuelle</a>.</p>
<p>Les Églises et les principales traditions religieuses l’ont-elles aussi compris en s’engageant résolument au sein du <a href="https://www.museeprotestant.org/notice/la-conference-missionnaire-mondiale-edimbourg-1910/">mouvement œcuménique</a> depuis <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/Monde/Le-pape-limam-dAl-Azhar-signent-document-commun-fraternite-2019-02-04-1201000248">plus d’un siècle</a>.</p>
<p>Les experts contemporains réunis par France Stratégie qui invoquent avec raison un « devoir d’imagination » pourraient bénéficier des apports de la nouvelle épistémologie spirituelle. D’autant qu’ils font preuve d’ouverture et de désir sincère de trouver des voies efficaces vers le bien commun. Si gouverner c’est choisir, l’État aura tout intérêt à bénéficier, à l’heure des choix douloureux, des ressources morales de la conscience spirituelle.</p>
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<p><em>Cet article est le second d’une série de trois analyses dans le cadre d’une réflexion du Collège des Bernardins sur le thème : « Examen de conscience. Penser demain ». Un webinaire a été organisé le <a href="https://www.collegedesbernardins.fr/node/25738/">jeudi 2 juillet 2020 de 18 à 19h</a>, afin de nourrir la réflexion.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141382/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Comme le savent la plupart des penseurs de la complexité, la conscience fonctionne selon différents niveaux qui sont structurés de façon intégratrice. La spiritualité peut en faire partie.Antoine Arjakovsky, Historien, Co-directeur du département «Politique et Religions», Collège des BernardinsJean-Baptiste Arnaud, Docteur en théologie, Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1328802020-04-26T18:52:48Z2020-04-26T18:52:48ZComment les prêtres mariés vivent leur rupture avec l’Église<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/329764/original/file-20200422-47784-1ugwort.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C26%2C1153%2C648&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Renoncer à la vocation constitue l'une des transitions les plus brutales qui puisse exister. </span> <span class="attribution"><span class="source">Gina Smith / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Un vif débat sur le mariage des prêtres anime aujourd’hui l’Église. Fin 2019, des centaines d’évêques latino-américains et amérindiens, réunis au Vatican, ont proposé de <a href="https://www.lepoint.fr/religion/ordonner-pretres-des-hommes-maries-la-revolution-venue-d-amazonie-27-10-2019-2343727_3958.php">lever cette interdiction</a>. Mais le pape François a <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/religion/le-pape-reaffirme-son-attachement-au-celibat-des-pretres-sauf-cas-exceptionnels_2114683.html">renoncé</a> en février 2020 à ouvrir cette perspective.</p>
<p>Le célibat des prêtres catholiques reste en effet un point central du droit canon. Le prêtre qui y renonce s’éloigne de fait de l’Église et s’expose à une mise à l’écart cinglante de la communauté. Il s’agit même de l’une des transitions les plus brutales qui puisse exister : en renonçant à leurs vocations, les prêtres perdent à la fois leurs emplois, mais aussi leurs professions et bien souvent leurs réseaux professionnels, familiaux et amicaux.</p>
<p>Pour mieux comprendre cette rupture induite par la rencontre amoureuse et ses conséquences, nous avons rencontré 30 prêtres mariés avec lesquels nous avons conduit des entretiens d’une durée de 45 minutes à deux heures.</p>
<p>Nos résultats permettent de dégager trois profils d’ex-prêtres, qui montrent tous que, même dans un contexte défavorable, voire hostile, la capacité d’un être humain à se redéfinir personnellement comme professionnellement demeure importante.</p>
<p>Ces trois profils correspondent à trois stratégies : se cacher, critiquer les critiques, et enfin communiquer pour faire évoluer les représentations.</p>
<h2>« Déçu de moi-même »</h2>
<p>La première stratégie, se cacher, traduit une volonté de développer la relation amoureuse en autonomie, le temps de pouvoir envisager les modalités pratiques de l’éloignement de l’Église. Ici la rupture avec l’Église est conçue à regret, tant le prêtre apprécie son travail mais sait ne pas pouvoir le faire en étant en couple. Comme en témoigne un prêtre interviewé :</p>
<blockquote>
<p>« Je sais que la direction que cela m’amène à prendre va peiner beaucoup de monde. Je pense ici à plusieurs prêtres comme à mes paroissiens. Je suis déçu de moi-même. »</p>
</blockquote>
<p>L’impulsion provient généralement d’un évènement structurant. Deux cas apparaissent ici. Le premier est celui d’une dégradation de la santé du prêtre ou de sa compagne :</p>
<blockquote>
<p>« À force de faire des efforts pour se cacher, cela use les corps et les esprits. J’ai eu un pépin cardiaque qui m’a fait me dire que je ne pouvais pas continuer comme cela. Il fallait partir. »</p>
</blockquote>
<p>Le second est la découverte de la relation :</p>
<blockquote>
<p>« Nous avons croisé un paroissien alors que nous étions à la terrasse d’un café sans aucune raison de l’être… La nouvelle s’est ensuite propagée. »</p>
</blockquote>
<p>Là le prêtre ne peut rien faire d’autre que partir. La rupture est crainte.</p>
<p>Ici, l’expérience de prêtres étant partis dans des conditions comparables ne l’incite pas à l’optimisme :</p>
<blockquote>
<p>« Je me souviens d’un prêtre qui a dû partir dans l’urgence. L’évêque ne lui a même pas laissé l’occasion d’annoncer son départ à ses paroissiens. Il est parti dans la nuit avec sa conjointe qui travaillait dans une école dont on l’a chassée. De telles conditions vous font réfléchir. »</p>
</blockquote>
<p>Partir signifie ici perdre aussi son logement :</p>
<blockquote>
<p>« La hiérarchie ne souhaite pas que le prêtre marié demeure dans sa paroisse. Le départ est donc source de perte d’emploi et de logement. Je devrai donc me reposer que sur les revenus de ma conjointe et en plus on devrait déménager. »</p>
</blockquote>
<p>Pour autant, le poids des circonstances le conduit à partir, quelles que soient les conditions matérielles.</p>
<h2>« L’Église a tout faux ! »</h2>
<p>La seconde stratégie voit le prêtre rentrer en opposition avec l’Église. Ici, il n’y a aucun regret comme avec le premier cas. Le prêtre est très critique, comme l’illustre par exemple ce verbatim :</p>
<blockquote>
<p>« L’Église nous conduit à voir la femme comme un danger alors que c’est tout l’inverse. C’est une opportunité de développement. L’Église a tout faux ! »</p>
</blockquote>
<p>Au contraire, pour lui la conjointe a une influence positive sur la qualité de la pratique professionnelle de prêtre :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai été un bien meilleur prêtre depuis que je suis avec Ursula*. Elle m’a ouvert à des réalités que mon isolement ministériel ne me permettait pas de cerner. J’ai pris conscience d’avoir été abusé par l’Église. »</p>
</blockquote>
<p>La critique peut être encore plus radicale lorsque certains relient cet interdit avec les scandales récents de pédophilie :</p>
<blockquote>
<p>« Ne pas prendre en charge la sexualité des êtres humains, c’est s’exposer à des dérives comme prendre des personnes ayant des perversions. »</p>
</blockquote>
<p>Un autre élément conduit à intensifier la colère du prêtre : l’hypocrisie de certains de ses collègues :</p>
<blockquote>
<p>« Plusieurs donneurs de leçons ne sont pas eux-mêmes exempts de tout reproche. Au contraire, nombreux sont ceux qui entretiennent des relations avec des paroissiennes sur la durée et qui dans le même temps condamnent ceux qui font la même chose. »</p>
</blockquote>
<p>Cette hypocrisie, les prêtres n’en veulent pas :</p>
<blockquote>
<p>« Il est hors de question que nous vivions avec Chantal* une relation clandestine pendant des années. Cela n’est pas possible. Je ne pourrais pas accepter de lui faire subir cela ! »</p>
</blockquote>
<p>Ici les couples se distinguent des autres cas où la conjointe comme le prêtre envisagent une relation clandestine sur la durée. Là ce n’est pas envisagé.</p>
<p>Ce profil débouche sur un équilibre psychique assumé. En effet, le prêtre marié ne se définit plus comme prêtre. Son éloignement avec l’Église est total :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne suis plus prêtre. Je n’ai pas besoin de l’Église pour avoir une relation avec Dieu. »</p>
</blockquote>
<h2>« On peut aider les autres sans être prêtre »</h2>
<p>Le dernier profil voit se dégager un prêtre qui privatise son action professionnelle. Il estime ne plus avoir besoin de l’Église pour faire ce qu’il apprécie. La relation avec sa conjointe apparaît comme un signe de Dieu, comme en témoigne en interviewé :</p>
<blockquote>
<p>« Dieu a mis sur mon chemin Odette*. Je ne vois pas pourquoi je devrais m’opposer à sa venue. Je ne me suis pas questionné outre mesure car je ne voyais pas le problème. »</p>
</blockquote>
<p>Face à cette rupture jugée inévitable, le prêtre se prépare en demandant des formations, ou encore en mobilisant ses paroissiens pour améliorer son employabilité. Le départ étant anticipé, il ne donne pas lieu à un surinvestissement émotionnel :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis parti le cœur léger car je savais que je continuerais à faire ce que je voulais faire : aider les autres. On peut très bien aider les autres sans être prêtre. »</p>
</blockquote>
<p>Pour autant, alors que les deux autres profils ne cherchent pas à avoir de relations avec l’Église après leur départ, l’ex-prêtre reste ici en lien avec elle en développant une militance envers les potentiels prêtres pouvant souhaiter quitter cette institution. Les expressions de cet engagement peuvent prendre des formes diverses. Le prêtre va par exemple s’engager dans des associations d’anciens prêtres pour obtenir une meilleure retraite.</p>
<p>Dans quelques cas, les ex-prêtres témoignent publiquement ou écrivent des livres retraçant leur parcours de vie. Cependant, cet engagement connaît des limites. Plusieurs soulignent qu’une trop grande notoriété peut entraîner des inconvénients qu’ils ne veulent pas vivre ou faire vivre à leurs proches :</p>
<blockquote>
<p>« Je témoignerais bien mais j’ai peur de ce que cela pourrait signifier pour ma femme et ma fille. Toutes deux sont dans une école catholique et je pense que cela n’arrangerait pas les choses. »</p>
</blockquote>
<p>Bref, plus ça change, moins ça change…</p>
<p>Pour conclure, soulignons que le cas extrême des prêtres mariés peut être élargi à l’ensemble des salariés en situation de reconversion professionnelle. Il met en effet en évidence la capacité à pouvoir se reconstruire après une rupture. Faire le deuil de son identité professionnelle précédente peut en effet aboutir au meilleur, comme rebondir dans une profession souhaitée, mais cela empêche une remise en cause profonde de son activité et de son sens.</p>
<p>En cela, les prêtres qui font le choix du mariage apparaissent condamnés à reconstruire entièrement non seulement leur identité professionnelle, mais aussi le sens de celle-ci.</p>
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<p><em>Les prénoms ont été changés.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132880/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Certains se cachent, tandis que d’autres anticipent cette étape particulièrement brutale que constitue une renonciation à la vocation.Emmanuel Abord de Chatillon, Professeur, Chaire Management et Santé au Travail, CERAG, INP Grenoble IAE, Grenoble IAE Graduate School of ManagementFrançois Grima, Professeur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Pauline de Becdelièvre, Maître de conférence/ enseignant-chercheur, École Normale Supérieure Paris-Saclay – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1145732019-04-01T19:34:53Z2019-04-01T19:34:53ZLe pape François au Maroc : migrations, prosélytisme et Jérusalem<p>Le voyage que le pape François 1<sup>er</sup>, chef spirituel de quelque 1,3 milliard de catholiques à travers le monde, a effectué au Maroc les 30 et 31 mars, est historique à plus d’un titre. C’était le premier au Maghreb d’un pape venu d’un pays du Sud, d’Argentine en l’occurrence, et le second que le Maroc accueille en 34 ans, depuis la visite de Jean‑Paul II en 1985, mettant ainsi ce pays (musulman à plus de 99 % de sa population) en première ligne du dialogue inter-religions au sein du monde arabo-musulman.</p>
<h2>Le Maroc, François et la question migratoire</h2>
<p>La rencontre entre François 1<sup>er</sup> et Mohamed VI, roi du Maroc, auréolé du titre de « Commandeur des croyants », se veut être, de part et d’autre, un signe autant de dialogue apaisé que de refus du terrorisme sous toutes ses formes – surtout après les <a href="https://theconversation.com/de-christchurch-a-utrecht-le-terrorisme-est-la-domination-par-la-panique-113935">attaques contre deux mosquées en Nouvelle-Zélande</a> perpétrées deux semaines plus tôt (le 15 du même mois) – que de rapprochement des points de vue au sujet de la question des migrations.</p>
<p>Un sujet sur lequel le Maroc s’est mis sur le devant de la scène sur le continent en prenant en charge la <a href="https://www.lepoint.fr/afrique/maroc-l-observatoire-africain-des-migrations-la-solution-panafricaine-12-12-2018-2278697_3826.php">Commission « Migration » de l’Union africaine</a>, et sur le plan intérieur, en adoptant depuis la fin de l’année 2013 une <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/11/02/maroc-la-seule-politique-migratoire-coherente-de-l-europe-c-est-mettre-la-pression-sur-les-pays-de-transit_5377982_3212.html">« nouvelle politique migratoire »</a> a priori plus respectueuse des droits de l’homme.</p>
<p>Or, sur ce même thème, le pape prône en toute occasion plus d’humanité et de générosité de la part tant des pays d’accueil que de transit.</p>
<p>Il était d’ailleurs attendu avec de grands espoirs par les quelques 60 000 à 80 000 migrants vivant au Maroc ou cherchant à joindre l’Europe à partir de ses côtes.</p>
<h2>Oui à la liberté religieuse, non au prosélytisme</h2>
<p>Cette visite avait également suscité l’espoir des minorités chrétiennes au Maroc – près de 30 000 personnes – dont les Marocains convertis, qui demandent à pouvoir bénéficier pleinement de la liberté de culte telle qu’inscrite dans la Constitution marocaine. En effet, son article 3 – adoptée en 2011 – stipule :</p>
<blockquote>
<p>« L’islam est la religion de l’État, qui garantit à tous le libre exercice des cultes ».</p>
</blockquote>
<p>Mais, si le code pénal marocain ne prévoit pas la peine de mort pour les apostats de l’islam, contrairement par exemple aux Émirats arabes unis (que le Pape a visités en janvier 2019), il n’en reste pas moins que cette liberté est admise uniquement pour les « Marocains non musulmans ». Ce qui vide l’article correspondant d’une grande partie de son sens.</p>
<p>Ce sujet reste, de fait, extrêmement sensible et fait peser une forte menace sur nombre de Marocains : si la conversion volontaire n’est pas considérée comme un crime, le prosélytisme peut valoir une peine de six mois à trois ans de prison.</p>
<p>Selon la loi marocaine est puni de cette peine :</p>
<blockquote>
<p>« quiconque emploie des moyens de séduction dans le but d’ébranler la foi d’un musulman ou de le convertir à une autre religion, soit en exploitant sa faiblesse ou ses besoins, soit en utilisant à ces fins des établissements d’enseignement, de santé, des asiles ou des orphelinats ».</p>
</blockquote>
<p>Face à cette menace, une <a href="http://www.francesoir.fr/actualites-societe-lifestyle/les-chretiens-marocains-appellent-au-respect-de-la-liberte-de-culte">coordination de chrétiens marocains</a> a exprimé de nouveau son souhait, à l’occasion de la venue du Pape au Maroc, que ce pays « assume sa diversité religieuse ».</p>
<p>Cette même coordination avait fait sa première sortie officielle, en 2017, en déposant un cahier de doléances auprès du CNDH (Conseil national des droits de l’homme, dont le président est désigné par le roi). Parmi ces doléances, la possibilité pour les Marocains convertis au christianisme d’opter pour le mariage civil, à défaut d’un mariage à l’église ; la liberté d’exercer leur culte dans les temples et églises, celle d’appeler leurs enfants par des noms chrétiens, ou encore d’inhumer les morts selon leur tradition.</p>
<h2>La prudence du pape François</h2>
<p>Si l’entente entre Mohamed VI et le pape peut être totale s’agissant de la nécessité du dialogue inter-religions ou de l’accueil des migrants, il est délicat pour François 1<sup>er</sup> de s’immiscer dans les affaires intérieures du Maroc. Et la question de la liberté réelle du culte en fait partie pour nombre de responsables marocains, comme c’est le cas pour l’ensemble des libertés d’ordre politique pour lesquelles le Maroc fait l’objet de critiques tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur.</p>
<p>De fait, à l’occasion d’une visite de la grande cathédrale de Rabat, lors de la seconde journée de sa visite au Maroc, le pape s’est exprimé sur la question du prosélytisme. Il a mis en garde contre toute tentation visant à renforcer les rangs de la communauté chrétienne. En cherchant de toute évidence à ne pas contredire l’interprétation officielle de l’article 3 de la Constitution, mais en refroidissant les espoirs des Marocains convertis, il a ainsi expliqué que « l’important n’était pas d’être nombreux mais d’illustrer très concrètement les enseignements de l’Église ». Puis <a href="https://www.leconomiste.com/flash-infos/proselytisme-ce-qu-en-dit-le-pape">il a ajouté</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les chemins de la mission ne passent pas par le prosélytisme, qui conduit toujours à une impasse ».</p>
</blockquote>
<p>Toutefois, lors de sa première intervention en terre marocaine, le samedi 30 mars, <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/03/30/au-maroc-le-pape-francois-plaide-pour-la-liberte-de-conscience-et-la-liberte-religieuse_5443594_3212.html">François 1ᵉʳ avait déclaré devant le roi</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La liberté de conscience et la liberté religieuse – qui ne se limitent pas à la seule liberté de culte mais qui doivent permettre à chacun de vivre selon sa propre conviction religieuse – sont inséparablement liées à la dignité humaine ».</p>
</blockquote>
<h2>L’enjeu commun de Jérusalem</h2>
<p>Sur un registre moins attendu, le roi Mohammed VI, président du Comité Al Qods (Jérusalem), et le pape François ont signé, le même jour au Palais Royal à Rabat, un communiqué commun qu’ils ont qualifié, <a href="https://www.atlasinfo.fr/Le-Roi-Mohammed-VI-et-le-pape-Francois-signent-l-Appel-d-Al-Qods-Jerusalem_a99295.html">« l’Appel d’Al Qods »</a> visant à conserver et à promouvoir le caractère spécifique multi-religieux, la dimension spirituelle et l’identité particulière de la ville sainte.</p>
<p>Ce texte, qui semble constituer une critique directe de la décision prise par les États-Unis d’Amérique de transférer leur ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem au printemps 2018 – insiste sur « l’unicité et la sacralité de Jérusalem–Al Qods Acharif ».</p>
<p>Dans ce sens, les deux signataires avancent :</p>
<blockquote>
<p>« Nous pensons important de préserver la Ville sainte de Jérusalem–Al Qods Acharif comme patrimoine commun de l’humanité et, par-dessus tout pour les fidèles des trois religions monothéistes, comme lieu de rencontre et symbole de coexistence pacifique, où se cultivent le respect réciproque et le dialogue ».</p>
</blockquote>
<p>Puis ils expriment le souhait que « dans la ville sainte soient garantis la pleine liberté d’accès aux fidèles des trois religions monothéistes et le droit de chacune d’y exercer son propre culte ».</p>
<p>Un tel appel est, de toute évidence, destiné à réduire les tensions autour de la ville de Jérusalem et, partant, des territoires palestiniens occupés par l’armée israélienne. Or ces tensions sont considérées au Maroc, comme dans le reste du monde arabo-musulman, comme le carburant qui alimente depuis de nombreuses années la radicalisation et la violence au Moyen-Orient, au Maghreb mais aussi au-delà, en Europe entre autres.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/114573/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mehdi Lahlou est responsable du projet européen GREASE (Université de Rabat), chargé du Maroc et de la Tunisie.</span></em></p>La visite effectuée par le pape François au Maroc le week-end dernier met ce pays en première ligne du dialogue inter-religions au sein du monde arabo-musulman.Mehdi Lahlou, Chercheur associé à l'INSEA Rabat, Université Mohammed V de RabatLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1033802018-09-17T22:35:59Z2018-09-17T22:35:59ZAbus sexuels : la réforme de l’Église ne peut plus attendre<p>Entre le rapport du Grand Jury publié au mois d’août 2018 en Pennsylvanie (USA), celui en Allemagne en septembre, l’affaire Barbarin en France, la démission du <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/Monde/nouvelles-accusations-dabus-sexuels-contre-cardinal-Theodore-McCarrick-2018-07-24-1200957325">cardinal McCarrick</a> aux États-Unis, celles des 34 évêques chiliens, les scandales en Irlande, les affaires autour des abus sexuels se multiplient dans l’Eglise catholique.</p>
<p>Et il n’y a pas de raison de croire que le mouvement de dévoilement s’arrête. D’autant que si, pour l’instant, la crise se cantonne aux pays disposant d’une opinion publique forte, apte à peser sur les autorités ecclésiales et politiques pour exiger la transparence (enquêtes journalistiques, pétitions, tribunes, procès), les autres n’ont pas de raison d’être épargnés à terme.</p>
<h2>Une Église sans voix</h2>
<p>Même si tout se mêle, les périodes chronologiques – en <a href="https://lemonde.fr/ameriques/article/2018/08/14/etats-unis-plus-de-300-pretres-accuses-de-pedophilie_5342454_3222.html">Pennsylvanie</a>, l’enquête a porté sur une durée de 70 ans de 1940 à 2010, pour l’Allemagne de 1946 à 2014 –, les types de crimes ou d’atteintes, il est possible de prévoir une double expansion, géographique d’abord et institutionnelle enfin. La crise s’amplifie et l’Église catholique est sans voix. Pour comprendre ce silence, il faut dégager un aspect qui peut expliquer pourquoi l’institution ecclésiale a tant de mal à cerner la crise et à la dépasser.</p>
<p>Car c’est la structure même de l’Église qui est remise en cause. Peu importe que les multiples dénonciations mêlent crimes contre enfants et harcèlement, dénoncent ceux qui ont agi et ceux qui ont protégé, ou fermé les yeux. Seule la justice doit démêler les responsabilités pénales, quand elle le peut encore.</p>
<p>Pour l’institution elle-même, le mal est fait. La confiance est rompue. C’est son fonctionnement qui a permis à de tels crimes de se dissimuler et de se perpétuer. Aucun évêque, archevêque, cardinal et donc pape qui puisse être épargné, non par culpabilité personnelle, mais par responsabilité générale.</p>
<h2>La fin du Concile de Trente</h2>
<p>Au fond, ce sont les choix faits par le <a href="https://www.herodote.net/13_decembre_1545-evenement-15451213.php">Concile de Trente</a>, au XVI<sup>e</sup> siècle, de s’appuyer sur le clergé pour accomplir la réforme catholique et la reconquête spirituelle de l’Europe après le développement des Réformes protestantes qui est bousculé par cette crise.</p>
<p>Déjà alors l’indignité des clercs participait des espérances de réforme et conduisit le pape Paul III Farnèse à épurer le Sacré Collège. En 1536, il convoque un concile général. Le choix qui est alors fait de renouveler la discipline cléricale conduit à rejeter toute conception protestante du sacerdoce – le sacerdoce universel donné à tous par le baptême – et à exalter le prêtre.</p>
<p>Cette revalorisation de la mission apostolique du clerc s’accompagne d’une réelle reprise en main de la discipline. Ce concile renforce la hiérarchie, mais si le clerc exerce un charisme de fonction, il doit être exemplaire.</p>
<blockquote>
<p>« Rien n’instruit davantage et ne porte plus continuellement les hommes à la piété et aux saints exercices que la vie et l’exemple de ceux qui sont consacrés au saint ministère. » (Concile de Trente, session XXII).</p>
</blockquote>
<h2>Église enseignante et église enseignée</h2>
<p>Ce choix fut un succès indéniable promouvant l’image d’un clerc modeste, zélé, pieux, saint de vie, un prêtre donné. Le modèle semble maintenant ébranlé. Condamner tel ou tel et multiplier les dénonciations d’abus personnels ne pourra pas répondre aux enjeux d’une telle crise.</p>
<p>Comment, en effet, accepter la distinction, si profondément ancrée dans le catholicisme, entre Église enseignante et Église enseignée, si la première se révèle défaillante, et même parfois criminelle ?</p>
<p>Comment vont réagir les croyants face à ce déferlement de révélations ? Par le dégoût, par le déni ? Il est actuellement difficile de voir la traduction des prises de conscience. Va-t-on voir se multiplier les départs, plus ou moins discrets, les changements de confessions ou de religions, les demandes de débaptisation sur le modèle de réaction d’Argentins après le rejet d’une loi en faveur de l’avortement ? Ou une recomposition ecclésiale ?</p>
<p>La crise est profonde. Elle ne remet pas en cause le catholicisme, mais une certaine forme d’Église catholique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/103380/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Gugelot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment accepter la distinction, si profondément ancrée dans le catholicisme, entre Église enseignante et Église enseignée, si la première se révèle défaillante, et même parfois criminelle ?Frédéric Gugelot, Professeur d'Histoire contemporaine, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/772222017-05-06T00:03:11Z2017-05-06T00:03:11ZUn catholicisme otage de la campagne présidentielle<p>Genou délibérément dénudé de Marine Le Pen sur son affiche de campagne pour le deuxième tour en signe de résistance au machisme islamique, polémique sur l’<a href="http://www.rtl.fr/actu/politique/presidentielle-2017-pourquoi-l-uoif-s-est-retrouvee-au-coeur-des-debats-7788362811">appel de l’UOIF</a> à voter en faveur d’Emmanuel Macron, débat au sein de la « cathosphère » déclenché par le refus de l’épiscopat de s’opposer au vote FN et les appels au « tout sauf Macron » de la Manif pour tous ou au « ni-nisme » de Sens commun : l’entre-deux-tours aura confirmé, s’il en était besoin, la place que tient la religion dans la campagne des présidentielles.</p>
<h2>La repolitisation du religieux</h2>
<p>Entre l’affaire du burkini et la participation de plusieurs candidats LR aux offices du 15 août, le ton avait été donné, à l’été 2016, dès avant l’entrée en campagne des primaires de la droite et du centre. Cette repolitisation du religieux – qui ne semble pas être <a href="http://www.ipsos.fr/decrypter-societe/2017-03-22-presidentielle-2017-place-religion-et-laicite-dans-l-election-presidentielle">du goût de la majorité des Français</a> – n’a d’ailleurs pas manqué de susciter quelques mouvements d’humeurs chez certains des candidats. On se souvient du « fichez-moi la paix avec votre religion ! » de Jean‑Luc Mélenchon à l’adresse de Marine Le Pen.</p>
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<p>Que la question religieuse apparaisse dans une campagne présidentielle n’est pas en soi nouveau : l’islam et la laïcité comptent depuis le début des années 2000 parmi les thématiques incontournables des programmes et engagements des candidats. Rappelons-nous la polémique sur le halal dans la campagne de 2012 et la radicalisation de Nicolas Sarkozy sur la sujet dans l’entre-deux tours.</p>
<p>Comme on pouvait s’y attendre, l’islam et ses dérives radicales comptent en 2017 parmi les enjeux phares depuis les primaires, un enjeu à partir duquel les candidats ont cherché à se démarquer les uns des autres, même si sous l’<a href="https://theconversation.com/la-droitisation-des-valeurs-de-la-droite-francaise-69379">effet d’une droitisation</a> du débat, l’écart de positionnement s’est singulièrement rétréci.</p>
<h2>Le « vote catho » attise les convoitises</h2>
<p>L’inédit dans la repolitisation de la question religieuse vient d’ailleurs. Il réside dans les convoitises sans précédent suscitées par le prétendu vote catholique. Bien que les votes des électeurs catholiques soient ventilés sur tout le spectre d’options politiques et qu’il est malaisé de cerner le poids de la variable religieuse dans le choix des électeurs concernés, la croyance dans l’existence d’un tel vote l’a imposé comme l’un des paramètres clefs de la campagne.</p>
<p>À l’évidence, il y a ici une conséquence de la mobilisation catholique contre le mariage pour tous dont Sens commun constitue l’un des sous-produits politiques. Ce dernier s’est profilé comme le représentant d’un électorat catholique susceptible de faire la différence dans les urnes. Une partie des électeurs de confession catholique sont ainsi devenus malgré eux, quels que soient leur ancrage politique et leur position sur ladite loi, l’objet d’un marchandage politique auprès des candidats de la droite contre un éventuel retrait de la loi Taubira. <a href="http://lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/04/26/les-electeurs-catholiques-de-fillon-ecarteles-pour-le-second-tour_5117530_4854003.html">La chimère d’un « vote catho »</a> – étant entendu par là un vote homogène en faveur de la droite – a d’autant mieux fonctionné que, comme cela a été <a href="http://www.esprit.presse.fr/actualites/yann-raison-du-cleuziou/succes-de-francois-fillon-le-vote-ou-les-votes-catholiques-486">mis en évidence par Yann Raison du Cleuziou</a>, nombre de médias l’ont souvent reprise à leur compte.</p>
<p>Le succès inattendu de François Fillon aux primaires rallié par Sens commun a pu sembler – au vu de l’importante mobilisation des catholiques pratiquants en sa faveur – valider cette lecture. L’analyse serrée d’Hervé Le Bras et de Jérôme Fourquet invite pourtant à relativiser cette lecture : le candidat a bénéficié d’un soutien important au sein de la catégorie des catholiques pratiquants, qui ne représente qu’un segment du catholicisme. Mais <a href="https://jean-jaures.org/nos-productions/la-guerre-des-trois-la-primaire-de-la-droite-et-du-centre">il n’y a pas eu de « surmobilisation » catholique</a> à son égard.</p>
<p>Qu’on ait ici affaire à une « bulle médiatique », comme l’a écrit Yann Raison du Cleuziou ou à une « illusion d’optique » comme le défend Hervé Le Bras, n’empêche pas que cette repolitisation de l’enjeu catholique ait été diablement efficace à en juger par les déplacements qu’elle a générés. Le plus spectaculaire est sans doute la manière dont les candidats se sont mis, tour à tour, à publiciser leurs convictions (ou absences de convictions) religieuses, comme si décliner son identité en matière religieuse allait désormais de soi.</p>
<p>Le rapport à la religion des personnalités politiques n’avait bien sûr rien d’un mystère auparavant. On savait que de Gaulle allait à la messe. Nul n’ignorait la spiritualité déiste d’un François Mitterrand ou l’ancrage protestant d’un Michel Rocard. Mais les choses restaient dans l’implicite, à l’exception de quelques personnalités politiques, telles que Christine Boutin, qui tentaient de faire fond sur son positionnement catholique. Ce code de conduite a été singulièrement bousculé.</p>
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<p>C’est François Fillon, qui a ouvert le bal en rompant dans son livre <em>Faire</em>, publié en 2015, avec la discrétion dont il avait fait montre jusque-là sur ses convictions religieuses. L’affichage de sa catholicité a été constant : de sa participation à la fête de l’Assomption à l’abbaye de Solesmes cet été à sa visite à la vierge du Puy-en-Velay à la veille du premier tour, en passant par ses déclarations de « gaulliste, de surcroît chrétien ». Sans oublier la croix arborée par sa porte-parole, Valérie Boyer, dont on a peine à penser qu’elle ait été tout à fait fortuite.</p>
<h2>Assaut de bonne catholicité</h2>
<p>Mais François Fillon n’a pas été le seul à miser sur l’électorat catholique. La captation de cet électorat a constitué un enjeu pour les finalistes des primaires de la droite. Les deux candidats ont fait assaut de « bonne catholicité ». Alain Juppé n’a ainsi pas hésité à faire référence au pape pour disqualifier le catholicisme rétrograde de son adversaire et faire valoir sa sensibilité plus sociale. Emmanuel Macron, dont l’électorat a découvert qu’il s’était converti au catholicisme à l’âge de 12 ans, lui a emboîté le pas, lorsque durant le week-end pascal, <a href="http://www.la-croix.com/France/Politique/Emmanuel-Macron-Francois-Fillon-envoient-messages-catholiques-2017-04-17-1200840110">à l’occasion d’une visite d’un centre d’hébergement du Secours catholique</a> à Paris il a, à son tour, taclé François Fillon sur le terrain religieux :</p>
<blockquote>
<p>« Être catholique, c’est défendre les droits des plus pauvres, ce n’est pas se battre pour retirer des droits à des hommes et des femmes. »</p>
</blockquote>
<p>Les candidats aux primaires de gauche n’ont pas été en reste dans ce « grand déballage religieux » dénoncé Vincent Peillon. Nombreux sont ceux, en effet, qui ont décliné leur positionnement personnel par rapport à la religion. La plupart ont certes fait acte de distance avec celle-ci. Mais certains – tel <a href="http://www.famillechretienne.fr/politique-societe/presidentielle-2017/presidentielle-2017-rencontre-avec-benoit-hamon-215733/portrait-benoit-hamon-breton-et-fier-de-ses-origines-215740">Benoît Hamon</a> – ont revendiqué l’héritage malgré l’éloignement de la foi de leur enfance et se sont mis, eux aussi, à faire référence au pape François.</p>
<p>De manière plus inattendue encore, on a entendu <a href="http://www.famillechretienne.fr/politique-societe/presidentielle-2017/je-suis-de-culture-catholique-je-connais-la-maison-!-212179">Jean‑Luc Mélenchon</a>, dont on a découvert le passé d’enfant de chœur, évoquer avec respect « la brûlure de la foi ». Malgré son anti-cléricalisme revendiqué, le candidat de La France insoumise s’est prévalu de convergences avec le Pape sur le terrain de la lutte contre la pauvreté. Marine Le Pen n’a pas fait exception, elle non plus. Tout en se déclarant profondément croyante, elle a marqué sa distance avec l’institution catholique à laquelle elle reproche de trop se mêler de politique.</p>
<h2>La droite n’a pas le monopole du vote catholique</h2>
<p>Cette manière qu’ont eue la plupart des candidats de faire état, <em>a minima</em>, de leur socialisation catholique n’est évidemment pas totalement dénuée de calculs électoralistes. Si tel est le cas, c’est qu’ils ont saisi que le catholicisme était loin de constituer l’apanage des électeurs de droite et que des conquêtes étaient possibles dans d’autres segments du catholicisme. Auraient-ils retenu les <a href="http://www.la-croix.com/Religion/France/Qui-sont-vraiment-catholiques-France-2017-01-11-1200816414">enseignements livrés par de récents travaux sociologiques faisant voler en éclat l’assimilation simpliste des catholiques</a> à un électorat de droite, <em>a fortiori</em> lorsqu’ils sont pratiquants (curseur d’analyse de moins en moins pertinent) ?</p>
<p>Quoi qu’il en soit, le premier tour de la présidentielle est à cet égard instructif. Avec 56 % des voix catholiques se partageant entre Fillon (28 %), Dupont-Aignan (6 %) et Marine Le Pen (22 %), il a certes incontestablement montré le tropisme catholique pour la droite, <em>a fortiori</em> chez les catholiques les plus pratiquants. Mais s’arrêter à ce seul constat, bien connu de la sociologie électorale, serait incomplet.</p>
<p>Tout d’abord, cette prédominance de droite ne doit pas faire oublier que non seulement <a href="http://www.pelerin.com/A-la-une/Sondage-exclusif-Vote-et-religions">22 % des électeurs de confession catholique</a> ont apporté leur suffrage à Emmanuel Macron, mais aussi 14 % à Jean‑Luc Mélenchon, et 4 % à Benoît Hamon.</p>
<p>Ensuite, ce premier tour a clairement montré qu’il existait différentes variantes du catholicisme de droite. Ce dernier est partagé entre d’une part une orientation démocrate-chrétienne séduite lors de la primaire par Juppé et aujourd’hui par Macron, d’autre part par une droite catholique traditionaliste et héritière de Maurras encline à donner ses voix à Debout la France ou au FN, et enfin une droite républicaine incarnée par un François Fillon qui n’a finalement drainé que 28 % des catholiques, quels que soient leur degré d’engagement.</p>
<h2>Les lignes de fractures se multiplient</h2>
<p>La défaite de François Fillon a laissé orpheline une bonne partie des catholiques conservateurs et, parmi eux les pratiquants, qui lui avaient largement apporté leurs suffrages. Mais ceci est également vrai, quoique dans une moindre mesure, du côté gauche de l’échiquier et notamment parmi les électeurs catholiques qui ont voté Jean‑Luc Mélenchon et Benoît Hamon.</p>
<p>Depuis les résultats du premier tour, le débat sur le report des voix fait rage au sein du catholicisme français dont les lignes de fractures se multiplient. Ce débat est exacerbé par le <a href="http://www.lavie.fr/religion/catholicisme/que-retenir-du-message-des-eveques-de-france-pour-l-entre-deux-tours-24-04-2017-81633_16.php">refus de l’épiscopat</a> de se prononcer clairement contre le FN, à la différence de 2002. L’enjeu pour les évêques, qui se sont contentés de donner des éléments de discernement et d’en appeler aux consciences individuelles, n’est certes plus le même. Il était plus aisé de préconiser un ralliement à Chirac qu’à un candidat qui, pour beaucoup incarne, la continuité avec le quinquennat qui a légalisé le mariage entre partenaires de même sexe et une posture progressiste sur les questions de PMA et de fin de vie. Sans compter que les suites politiques données à la Manif pour tous ont profondément divisé le corps épiscopal.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/168095/original/file-20170505-21024-1xd9bfu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/168095/original/file-20170505-21024-1xd9bfu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/168095/original/file-20170505-21024-1xd9bfu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/168095/original/file-20170505-21024-1xd9bfu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/168095/original/file-20170505-21024-1xd9bfu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/168095/original/file-20170505-21024-1xd9bfu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/168095/original/file-20170505-21024-1xd9bfu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Christine Boutin (ici en 2013) a rallié le FN sans hésiter.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/stanjourdan/8523269862/in/photolist-dZaZbE-dZ5gHR-ocRLNP-8ak1XK-89kHc9-oeVZqz">Stan Jourdan/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>La décision de Christine Boutin de rallier le Front national, le « tout sauf Macron » de la présidente de la Manif pour tous, et de son ancienne égérie, Frigide Barjot, le ni-ni de Sens commun n’ont pas changé la donne, bien que quelques évêques soient sortis de la langue de bois pour en appeler explicitement à un vote anti-FN.</p>
<p>On assiste, en revanche, depuis le 24 avril, à un déferlement d’appels de personnalités, clercs ou laïcs, et de mouvements catholiques en faveur d’un vote Macron. Chacun y va de sa tribune, lettre ouverte, pétition tandis que les médias chrétiens – progressistes et conservateurs – jouent un rôle important dans l’animation du débat en cours. Beaucoup parmi ces appels émanent du catholicisme de gauche, tels que la <a href="http://latribunedessemaines.fr/lettre-ouverte-a-la-manif-pour-tous/">lettre ouverte de Jérôme Vignon</a> (l’un des anciens présidents des Semaines Sociales de France), et Bernard Devert, président d’Habitat et humanisme, la tribune du père Christian Delorme ou encore, l’<a href="http://www.temoignagechretien.fr/articles/edito-pourquoi-tc-votera-macron">éditorial de la rédactrice de <em>Témoignage Chrétien</em></a>.</p>
<p>De nombreuses voix du catholicisme de droite font écho. À commencer par certains des protagonistes de la Manif pour tous – <a href="http://www.famillechretienne.fr/politique-societe/presidentielle-2017/jean-christophe-fromantin-je-vote-aujourd-hui-macron-pour-choisir-demain-mon-adversaire-217675">tel le maire de Neuilly (DVD) Jean‑Christophe Fromantin</a> – qui ne se reconnaissent ni dans le positionnement de Ludovine de La Rochère ni dans celui de Sens commun.</p>
<h2>Dédiabolisation du FN et discrets appels du pied d’Emmanuel Macron</h2>
<p>Entre les deux présidentiables, la question religieuse continue d’affleurer. C’est toutefois davantage la question musulmane qui occupe le premier plan, comme l’ont montré, lors du débat télévisé du 3 mai, les invectives de Marine Le Pen sur le prétendu penchant communautariste d’Emmanuel Macron et ses liens – tout aussi fantasmés – avec l’UOIF.</p>
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<p>Les adresses à l’électorat catholique ont été davantage confiées à leurs lieutenants ou gardes rapprochées. Au FN, c’est surtout Marion Maréchal–Le Pen qui est montée au créneau en chevauchant le thème de la « marchandisation de l’humain » et faisant miroiter la promesse de l’abrogation de la loi Taubira au profit d’un Pacs amélioré. C’est, de <a href="http://www.famillechretienne.fr/politique-societe/presidentielle-2017/edouard-tetreau-emmanuel-macron-n-est-ni-francois-hollande-ni-pierre-berge-217391">manière plus discrète</a>, que le candidat d’En Marche ! a envoyé des signaux aux catholiques – un éventuel moratoire sur toutes les questions touchant au début et à la fin de vie – par le truchement de la presse confessionnelle.</p>
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<p>Cette levée de boucliers catholique contre les adeptes du « tout sauf Macron », les <a href="http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/05/03/l-eglise-catholique-plus-divisee-que-jamais-avant-le-second-tour-de-la-presidentielle_5121273_4854003.html">violentes critiques adressées à la Conférence épiscopale de France</a> témoignent de résistances tenaces à l’égard d’une mise en équivalence des candidats FN et d’En Marche !, ou du vote en faveur de l’extrême droite. Mais seule l’analyse des résultats du second tour nous permettra de mesurer dans quelle mesure cette mobilisation aura permis ou non d’endiguer la dédiabolisation du FN au sein du catholicisme – dédiabolisation à laquelle contribuent, en dépit de quelques voix dissidentes, l’épiscopat et la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=CLu6aka7qUM">surprenante euphémisation du Pape François</a> qualifiant le FN de « droite forte ».</p>
<p>Quoi qu’il en soit, s’il est une leçon électorale à retenir de cette présidentielle, qui pourrait bien laisser des cicatrices durables au sein d’un catholicisme français aussi divisé que la société française, c’est que « le » vote catholique existe moins que jamais.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/77222/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claire de Galembert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis le premier tour, le débat sur le report des voix fait rage au sein du catholicisme français dont les lignes de fractures se multiplient. « Le » vote catholique n’est-il pas une chimère ?Claire de Galembert, Sociologue CNRS, École Normale Supérieure Paris-Saclay – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/487082015-10-09T05:09:59Z2015-10-09T05:09:59ZPontifex in America, ou l’art de se taire (aussi) en chemin<p>Les voyages pourraient être pensés, pour les chrétiens, et peut-être pour quelques autres, comme une façon de disséminer la parole, les voies répandant la voix. Une lecture du christianisme établit d’ailleurs un lien entre les chemins empruntés par Paul de Tarse, saint Paul, ses lettres et sa parole, fondatrices d’un christianisme institué. Les voyages apostoliques, précisément ceux du pape catholique, ne dérogent pas à cette pratique de communication cheminante.</p>
<p>Se rendre à Cuba et aux États-Unis, fin septembre, c’est mettre en œuvre une portée communicationnelle du voyage, non seulement parce qu’il est rencontre de publics qui se constituent à cette occasion, mais parce que les médias, qui paraissent être un miroir, en élargissent l’audience, lui donnent une portée, à la croisée du politique et des enjeux sociaux et écologiques.</p>
<h2>Pasteur miséricordieux</h2>
<p>Le récent voyage du pape catholique aux États-Unis, au siège des Nations unies et à Cuba, ne déroge pas à cette règle. Il le starifie, mais en fait aussi une figure témoin porteuse du “message chrétien”. Ce déplacement s’inscrit aussi dans la lignée des voyages pontificaux. <a href="https://theconversation.com/les-etats-unis-terre-de-mission-sensible-pour-le-pape-48133">Inaugurés par Paul VI à Jérusalem</a> (en 1964), entre deux sessions du concile Vatican II, ils ont été largement développés par Jean Paul II, qui a ainsi donné une audience mondiale à la personne du pape.</p>
<p>D’un point de vue religieux, les voyages pontificaux s’inscrivent dans une dimension de pastorale (le soin des croyants), qui veut que le clerc en charge d’un groupe de chrétiens aille à leur rencontre, afin de produire l’émulation « communicationnelle » qui régénérera leur foi. C’est en effet de la parole administrée, de la lecture entretenue que s’animent une foi et une confession religieuse qui n’existerait pas sans ces formes de « communication » réitérées, créant une bulle de langage et d’expérience, partagée en communauté : « Un petit cercle. Un petit cercle de mots, de prières […], de prescriptions morales », dit le pape François de façon critique, en reprenant les termes de son interlocuteur, dans son « salut aux étudiants » du Centre culturel père Felix Varela, à Cuba, le 20 septembre.</p>
<p>Le voyage pastoral, médiatisé et commenté, saisi par l’arène médiatique et par les enjeux politiques, fait circuler la communication pontificale du pape François, réputée si « simple ». Le geste « simple » du pape François est, avant tout, un geste de pasteur miséricordieux qui figure le désintéressement et le don du dieu chrétien.</p>
<h2>« Guider les âmes »</h2>
<p>À voir des stratégies conçues un peu partout par des spécialistes (tel <a href="http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Greg-Burke-un-nouveau-communicant-pour-le-Vatican-_NP_-2012-06-25-823040">Greg Burke</a> au Vatican), et à penser en termes de stratégie de communication, on en oublierait presque que le christianisme catholique possède lui-même un art roué de la communication distillé dans ce qu’il appelle « la pastorale ». La pastorale, issue linguistiquement d’une parabole de Jésus sur l’art de guider les brebis – pratique à laquelle Michel Foucault a consacré de fortes analyses (notamment dans le tome IV de <em>Dits et écrits</em> et dans la conférence « Sexualité et pouvoir » donnée en 1978), consiste dans l’art de conduire les troupeaux, de « guider les âmes ». Soit une forme de communication politique et sociale, mais « spirituelle », c’est-à-dire discursive, mentale et culturelle.</p>
<p>Cet art de la communication mobilise les sentiments et les affects (compassion, attention à l’autre, effets de l’exigence, culpabilité…), mais aussi le corps. Il fait du porteur de la parole un témoin supposé exemplaire : il « incarne » (comme le dit François Cooren, dans <em>Manières de faire parler</em>, publié en 2013) la parole portée, invitant à sa duplication. Il s’agit ainsi de témoigner de l’amour et de la bienveillance – si tel est le sens que l’époque donne au message chrétien – censés illustrer et témoigner de la bonté du dieu chrétien.</p>
<p>Cette communication, qui figure ici « la miséricorde » du dieu chrétien (soit l’amour malgré le péché), se fait ainsi relais, par le geste, d’un don premier d’autant plus imaginable et représentable qu’il est ainsi montré, et fait l’objet d’un tel « témoignage ». Le geste « simple » du pape François est avant tout un geste de pasteur miséricordieux qui figure le désintéressement et le don : « Je suis venu ici en tant que pasteur, mais avant tout comme un frère, pour partager votre situation et la faire mienne », dit-il aux détenus de la prison Curran-Fromhold, à Philadelphie, le 27 septembre.</p>
<h2>« Faire sortir l’Église catholique d’elle-même »</h2>
<p>Le pape François poursuit, à cette occasion, sa critique de « l’autoréférentialité » chrétienne (au Madison Square Garden, le 25 septembre), car « quand une religion devient un petit cercle, elle perd le meilleur de ce qu’elle a, elle perd sa réalité d’adorer Dieu » (Cuba, le 20 septembre). « Nous voulons être une Église qui sert, qui sort de chez elle, qui sort de ses temples, qui sort de ses sacristies, pour accompagner la vie, soutenir l’espérance […], qui sorte de la maison pour établir des ponts, abattre les murs, semer la réconciliation […], qui sache accompagner toutes les situations ‘‘embarrassantes’’ de nos gens, engagés dans la vie, la culture, la société, pas en nous retirant mais en cheminant avec nos frères » (Cuba, messe du 22 septembre). Il rappelle à cet égard que « le fait religieux – la dimension religieuse – n’est pas une sous-culture, il fait partie de la culture de n’importe quel peuple et de n’importe quelle nation. » (Philadelphie, rencontre pour la liberté religieuse avec la communauté hispanique, le 26 septembre).</p>
<h2>« L’argent trempé dans du sang »</h2>
<p>Lors de ce voyage outre-Atlantique, le pape a aussi développé un discours proprement politique. Il a ainsi encouragé l’établissement d’accords internationaux (<a href="http://www.francetvinfo.fr/monde/vatican/pape-francois/direct-regardez-le-discours-du-pape-devant-l-assemblee-generale-de-l-onu_1099417.html">aux Nations unies</a>, à New York, le 25 septembre dernier) et appelé à une solution politique en Colombie ou à l’accueil des migrants. Le pape François a aussi condamné les « atrocités brutales, perpétrées même au nom de Dieu et de la religion », évoquant les « rudes épreuves liées aux conséquences négatives des interventions politiques et militaires qui n’ont pas été coordonnées entre les membres de la communauté internationale ».</p>
<p>Le pape a, en outre, demandé l’adoption de l’agenda 2030 pour le développement durable, et condamné « le phénomène du narcotrafic [qui] provoque la mort de millions de personnes », formant « une structure parallèle qui met en péril la crédibilité de nos institutions ». Enfin, le pape François a condamné les ventes d’armes « pour de l’argent ; l’argent […] trempé dans du sang », et réclamé devant le Congrès américain, la veille, l’abolition de la peine de mort.</p>
<p>Au-delà de ce discours proprement politique, le souverain pontife a développé un discours social issu – il le revendique – de la doctrine de l’Église catholique, comme lorsqu’il évoquait, devant le président Obama, « les millions de personnes vivant dans un système qui les a marginalisés ». L’affirmation d’un « bien commun » est revenue dans plusieurs discours, ainsi que la promotion du « rêve » créateur d’action, dans la lignée de Martin Luther King.</p>
<h2>« Dieu pleure »</h2>
<p>Le souverain pontife n’a pas hésité à aborder de front le scandale, vif aux États-Unis, des clercs pédophiles (« presque un sacrilège »), rencontrant les victimes (au séminaire <a href="http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/A-Philadelphie-le-pape-rencontre-des-victimes-de-pretres-pedophiles-2015-09-27-1361723">Saint Charles Borromée, à Philadelphie</a>, le 27 septembre) et s’adressant en ces termes aux évêques : « Le fait que des personnes qui étaient chargées de la protection affectueuse de ces enfants les aient violés et leur aient porté de graves préjudices continue de me couvrir de honte. Dieu pleure. Les crimes et les péchés des abus sexuels sur des mineurs ne peuvent être maintenus plus longtemps sous secret […], je promets que tous les responsables rendront compte. » On a, ici, une apparente sortie de la culture du secret et de la complicité que l’on attribue à l’Église catholique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/97647/original/image-20151007-7333-pq9j8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/97647/original/image-20151007-7333-pq9j8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/97647/original/image-20151007-7333-pq9j8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/97647/original/image-20151007-7333-pq9j8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/97647/original/image-20151007-7333-pq9j8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/97647/original/image-20151007-7333-pq9j8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/97647/original/image-20151007-7333-pq9j8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Pape François à Philadelphie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/136276495@N07/21152077694/in/photolist-ye8VLJ-yehkvk-zbZVGx-zbatNZ-yTDyEn-yehrQe-za8s2E-yehumM-zbarfx-yTDAVK-yehsVk-zbZPrM-yehmmt-zbamqc-yTDENz-yTDEWR-zbaqFg-yTDAcR-ye8Wjs-yTDAKK-ye8UKL-ye8ZTb-zbZMjR-zbanSk-yTxHPh-ye92tA-zbapdg-zbZNsH-yTDvSP-za8tS3-zbZRv6-yehvaa-z8RuNo-zbZKKi-yehqxz-ye8V65-z8RwKE-yTDAje-yTyCTb-za8p9q-z8RtWJ-yTDx4B-yTDBgp-zbZT2H-yTywj9-zbZSHg-zbZRrP-yTyxp5-za8xW5-z8RB4u">Jeffrey Bruno/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>La communication du pape François lors de son voyage « apostolique » américain s’adapte aux lieux qu’il traverse, et à ses interlocuteurs. C’est une communication fragmentée qui demande une recomposition pour être pleinement comprise et resituée dans le cadre de la doctrine catholique – traditionnelle – qu’il professe sous une forme vive, simple et franche. Il plaide ici pour la défense de la nature, « notre maison commune », encourage là l’accueil des immigrés et des migrants, indique que le destin des murs qu’on leur oppose est de tomber.</p>
<p>Le pape insiste, ailleurs, sur l’attention portée aux jeunes et aux personnes âgées, dénonce le drame du chômage qui bloque l’entrée des jeunes dans la vie, et critique une société tout entière tournée autour du « shopping », soit la marchandisation de tout, y compris de la religion. Il voit dans les réseaux socionumériques la trace de la solitude avide d’un <em>like</em> ou des <em>followers</em> qui l’en tireront provisoirement. Et surtout, il défend la famille – thème central du voyage – en lien avec la <a href="http://fr.radiovaticana.va/storico/2014/03/25/2015__rencontre_internationale_des_familles_%C3%A0_philadelphie/fr1-784627">8<sup>e</sup> Rencontre mondiale des familles qui se tient à Philadelphie</a>. Et « la vie ».</p>
<h2>Jésus, un « homeless »</h2>
<p>La parole est partout de compassion, attentive aux pauvres. Le ton est surplombant et allusif au Congrès américain ou aux Nations unies, simple et quotidien avec les simples. Aux sans-abri, il déclare que « Le Fils de Dieu est entré dans ce monde comme un ‘‘homeless’’ » (<a href="http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Du-Congres-a-l-ONU-d-un-discours-du-pape-Francois-a-l-autre-2015-09-25-1360892">à la paroisse St-Patrick</a>, le 24 septembre). Il remercie les religieuses de leur dévouement, parle de la mission du pasteur aux évêques… On a donc une communication variée qui tient un seul discours, mais en répartit les fragments selon les lieux d’interlocution.</p>
<p>Cette « communication » – qui est peut-être davantage « communication (de) » l’amour, l’espérance, la miséricorde, etc. – que « communication (à) » – se joue aussi dans les silences et dans ce qui n’est pas dit. Le terrorisme se disant islamique n’est pas condamné à Ground Zero (seules les victimes évoquées), le capitalisme n’est pas directement dénoncé au Congrès américain (seul le soin des démunis est évoqué). Par empêchement, et semble-t-il du fait d’incidents, les dissidents ne sont pas reçus à Cuba, le socialisme n’y est pas condamné…</p>
<p>Il y a donc un art – jésuite ?, casuistique ?, d’intelligence des situations ? – de ne pas dire là où il ne faut pas le dire. En ce sens, et en ces lieux, ce pape n’est pas (systématiquement) direct et provocateur, comme lors de son <a href="http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Pape-Francois-le-texte-integral-du-discours-des-15-maladies-2014-12-24-1258379">discours à propos de la vie spirituelle de la Curie romaine</a> (le 22 décembre 2014) aurait pu le laisser penser. Il y a, pour reprendre l’expression de l’abbé Dinouart, un « art de se taire » qui fait aussi partie de la communication pontificale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/48708/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Douyère ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les voyages du pape sont autant d’occasions de communiquer par la parole, mais aussi par ses silences. Le déplacement récent de François aux États-Unis et à Cuba n’a pas dérogé à la règle.David Douyère, Professeur de sciences de l'information et de la communication, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/481332015-09-25T11:06:16Z2015-09-25T11:06:16ZLes États-Unis, terre de mission sensible pour le pape<p>La visite du pape François aux États-Unis, qui a débuté le 22 septembre, représente à ce jour le voyage le plus difficile de son pontificat. En jeu : le « problème américain » du souverain pontife, c’est-à-dire la distance culturelle et idéologique existant entre les jésuites argentins, plutôt engagés sur le plan social, et les dirigeants de l’Église catholique américaine, plutôt conservateurs.</p>
<p>Car François n’est pas seulement le <a href="http://www.lesoir.be/207071/article/actualite/monde/2013-03-13/francois-1er-premier-pape-non-europeen">premier pape non européen</a>. Il est aussi le premier pape depuis le concile <a href="http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/index_fr.htm">Vatican II</a> (1962-1965), qui a « ouvert l’Église sur le monde », à n’avoir jamais mis les pieds aux Etats-Unis, même avant de devenir souverain pontife. Il est, enfin, le premier pape originaire d’Amérique latine : un point qui n’est pas sans importance aux yeux des catholiques américains. Comme le montrent, entre autres, les écrits de <a href="http://www.nationalreview.com/article/419933/parsing-popes-ecology-encyclical-its-about-lot-more-climate-change-george-weigel">George Weigel</a>, ces derniers ont tendance à se considérer comme membres de l’Église la plus jeune et la plus dynamique du catholicisme mondial et à se percevoir comme représentatifs du reste du monde.</p>
<p>Le catholicisme d’Amérique latine incarnant un mélange de diverses traditions européennes et sud-américaines, un pape latino-américain ne peut donc que remettre en question ces prétentions américaines. Mais si vous n’êtes ni catholique, ni chrétien, ni expert en religion, pourquoi s’intéresser à la <a href="http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2015/09/22/visite-historique-du-pape-aux-etats-unis_4766356_3222.html">visite du pape François aux États-Unis</a> ? Et d’ailleurs, que signifie cette fascination médiatique (comme le montrent les derniers numéros de <em>Newsweek</em>, du <em>Time</em>, de <em>People</em> et du <em>New Yorker</em>) pour ce voyage pontifical ?</p>
<h2>L’invention des voyages pontificaux</h2>
<p>Tout d’abord, il faut noter que si l’histoire de l’Église est longue, celle des voyages pontificaux ne l’est pas. D’ailleurs, il n’existe aujourd’hui, à ma connaissance, aucune étude de qualité retraçant leur histoire.</p>
<p>Au Moyen Âge et au début de l’époque moderne, les papes voyageaient, mais uniquement en cas d’urgence ou pour fuir une menace. Un exemple : le conclave de 1799-1800 s’est tenu à Venise, et non à Rome, suite à l’invasion des troupes de Napoléon. Et en 1848, le pape Pie IX a également dû fuir la cité du Vatican en raison des révolutions dans les États italiens. Il n’est retourné à Rome qu’en 1850.</p>
<p>Ce n’est qu’en 1964 qu’a eu lieu <a href="http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/1964-Paul-VI-en-Terre-sainte-un-pelerinage-fondateur-2014-05-23-1155175">le premier voyage pontifical</a>, tel qu’on l’entend aujourd’hui : Paul VI se rend en Terre sainte. Mais les déplacements ne sont devenus une partie intégrante de la fonction pontificale qu’avec Jean-Paul II. Soit il y a moins de 40 ans.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/96190/original/image-20150925-16039-12pnesm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/96190/original/image-20150925-16039-12pnesm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/96190/original/image-20150925-16039-12pnesm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/96190/original/image-20150925-16039-12pnesm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/96190/original/image-20150925-16039-12pnesm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=695&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/96190/original/image-20150925-16039-12pnesm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=695&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/96190/original/image-20150925-16039-12pnesm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=695&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jean-Paul II à Varsovie en 1979.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/sidnegail/8557851869/in/photolist-e3eeda-99Es49-99BnMR-99EccL-99Ee3Y-99BamF-99EfLN-99EdMA-99Ei3Q-99Edqb-99BgfM-99B7Hn-99EsN3-99EcAh-99EiL1-99Edt5-99EdDy-99B5PP-99EoX3-99Eghu-99Ed9o-99BeGg-9NBBMn-9NGKrb-9NDZCz-9NGYu8-99Eh4o-99BaMH-99Enbm-chS8zf-chSaKd-99Erjo-99Emvj-99Bs2x-99Eqno-99EozW-99EjoL-99BpPV-99BqxV-99Bop4-99Bdpe-99Bd3V-99Bp3z-99Bhon-99EtvE-99Euv5-dpdp6V-dpdyMs-bEvM2q-9M2DZZ">Sidne Ward/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>L’exemple de Jean-Paul II, qui a effectué 104 voyages au cours de son pontificat, est fondateur. Il peut toutefois être trompeur quand on cherche à évaluer l’importance politique de ces visites. En effet, le premier voyage de Jean-Paul II <a href="http://www.ina.fr/video/CAB7900798101">en Pologne, en 1979</a>, s’inscrivait clairement dans le contexte des bouleversements politiques qui ont mené, une décennie plus tard, à la chute du communisme en Europe de l’Est.</p>
<p>Par la suite, Jean-Paul II a effectué d’autres voyages qui ont marqué les esprits, comme celui à Cuba en 1998. Mais ces visites sont restées de nature symbolique et n’ont pas entraîné de réel changement politique.</p>
<h2>Un été de préparation</h2>
<p>De la même façon, le voyage de François aux États-Unis ne modifiera sûrement pas la façon de penser des catholiques américains, et encore moins l’extrême polarisation du débat politique dans ce pays. Mais le message économique de François est en désaccord profond avec la tradition capitaliste américaine.</p>
<p>La doctrine sociale du catholicisme a, bien sûr, toujours été méfiante vis-à-vis de l’idéologie libérale. Mais avec <a href="http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Texte-integral-de-l-encyclique-sur-l-ecologie-humaine-du-pape-Francois-2015-06-18-1324989">l’encyclique de François sur l’environnement</a>, « Laudato Si », l’Église a renforcé sa critique vis-à-vis de la nature impitoyable des forces du marché et de leur impact négatif sur la création, tout en soulignant une préoccupation croissante vis-à-vis du changement climatique.</p>
<p>Cependant, les papes ne légifèrent pas sur l’économie : ils ne font que mettre en exergue les valeurs et les principes qui devraient inspirer toute société respectant – et pas seulement en théorie – la vie de tous les êtres humains. Les enseignements sociaux de l’Église catholique se transmettent donc via des principes généraux censés être mis en pratique par les croyants. Mais comment les fidèles américains appliquent-ils ces enseignements ?</p>
<p>Les catholiques américains (progressistes comme conservateurs) ont
toujours été très jaloux de leur autonomie. Cela n’a pas échappé aux différents papes : en 1899, « l’Américanisme » – mouvement qui professait la nécessité d’adapter le catholicisme à l’Amérique – était ainsi qualifié d’« hérétique » par le Vatican.</p>
<p>Malgré tout, la culture américaine possède une incroyable capacité à absorber toutes les autres. Et il est indéniable que la culture des catholiques aux Etats-Unis a été transformée. Aucun pape ne pourra changer cela, et surtout pas – ce qui n’est pas sans importance – un pape qui n’est pas aussi à l’aise en anglais que ses prédécesseurs, bien qu’il ait passé tout l’été à étudier en préparation de ce voyage.</p>
<h2>Des relations diplomatiques… depuis 1984</h2>
<p>Mais en définitive, pourquoi ce voyage pontifical est-il intéressant, voire crucial ?</p>
<p>La première raison est aussi la plus évidente : François offre aux catholiques, et à tous les autres, l’idée qu’il existe une autre « voie » permettant de se comprendre et de mieux percevoir ce qui nous divise et ce qui nous unit.</p>
<p>Le catholicisme d’aujourd’hui plaide en effet contre le « monisme », c’est-à-dire contre la domination d’une philosophie et d’une tradition spirituelle unique. Car le catholicisme romain n’est pas qu’une Église : il se considère lui-même comme « un » monde culturel et géopolitique en soi. Voire comme « le » monde d’avant la sécularisation moderne. Et ce voyage pontifical aux États-Unis symbolise la rencontre du chef de l’Église catholique avec l’Amérique, c’est-à-dire avec le leader mondial de sa « contrepartie » : la modernité, le capitalisme et le pluralisme.</p>
<p>La seconde raison, sans doute la plus importante, est de prêter attention à ce qui est en train de se passer durant ce voyage. Le 24 septembre, François s’est adressé au Congrès américain. Or l’idée même que le pape, un catholique romain, chef de l’État du Vatican, puisse parler devant le Congrès aurait semblé inconcevable à la plupart des Américains il y a à peine 30 ans.</p>
<p>Ce n’est qu’en 1984 que les États-Unis et le Vatican ont établi des relations diplomatiques sous l’égide de Ronald Reagan. Et ce dernier aurait été bien étonné de voir le successeur de Jean-Paul II, pape anti-communiste, accepter un crucifix fait d’une faucille et d’un marteau, comme François l’a fait durant son voyage en Bolivie un peu plus tôt cette année.</p>
<h2>Un catholicisme mondial plus américain qu’italien</h2>
<p>Désormais, le catholicisme fait partie intégrante de la culture américaine. Regardez par exemple la Cour suprême : six de ses neuf juges sont catholiques. Au regard de l’ancienne identité exclusivement protestante de l’Amérique, le changement est énorme.</p>
<p>En réalité, le catholicisme mondial est devenu, en quelques années, bien plus américain qu’il ne l’était auparavant. Et il est même, aujourd’hui, bien plus américain qu’italien. Les enseignements de l’Église catholique sur la liberté religieuse et la démocratie ou encore la sensibilité nouvelle du Vatican concernant le rôle des femmes au sein de l’Église sont arrivés jusqu’à Rome via l’expérience des catholiques aux États-Unis.</p>
<p>Ainsi c’est un théologien jésuite américain, <a href="http://ncronline.org/books/2015/09/how-church-turned-toward-religious-freedom">John Courtney Murray</a>, qui a dirigé la rédaction du texte de Vatican II sur la liberté religieuse, approuvé en 1965 (en 1954, le Vatican lui avait demandé ne plus écrire sur le sujet). Enfin, il faut souligner que l’influence du Vatican sur les États-Unis (et vice-versa) ne peut se percevoir que sur une longue période de temps, se comptant en années, si ce n’est en décennies. Il est ainsi peu probable qu’on voit ces changements apparaître avant la prochaine élection présidentielle aux États-Unis.</p>
<p>Mais ces changements auront bien lieu. Et suivre de près cette visite est sans doute la seule façon de comprendre comment ils vont se dessiner. Et c’est ce qui compte – que vous soyez catholique, Américain ou rien de tout cela.</p>
<p><em>La <a href="https://theconversation.com/why-should-we-care-about-pope-francis-visit-to-the-us-47799">version originale</a> de cet article a été publiée sur The Conversation US.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/48133/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Massimo Faggioli ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La visite du pape François aux États-Unis est l’une des plus cruciales de son pontificat. En quelques années, le catholicisme américain a pris une place centrale au Vatican.Massimo Faggioli, Associate Professor of Theology; Director, Institute for Catholicism and Citizenship, University of St. ThomasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.