tag:theconversation.com,2011:/us/topics/poisons-66409/articlespoisons – The Conversation2023-08-03T21:33:44Ztag:theconversation.com,2011:article/2098422023-08-03T21:33:44Z2023-08-03T21:33:44ZLa sinueuse histoire des remèdes aux morsures de serpent<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/537589/original/file-20230715-82493-nlny8l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C926%2C669&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Aujourd’hui, plus question d'aspirer le venin en cas de morsure de serpent.</span> <span class="attribution"><span class="source">State Library of NSW / Hood</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>En Australie comme dans d’autres endroits où vivent ces reptiles, l’été est traditionnellement la saison des morsures de serpents, car à cette époque leur activité s’accroît, tout comme celle des êtres humains. Fort heureusement, le nombre de décès résultant d’une rencontre avec ces animaux est aujourd’hui remarquablement bas. Mais cela n’a pas toujours été le cas.</p>
<p>Bien que les statistiques de la période coloniale soient très peu fiables, il semblerait qu’en Australie, entre 1882 à 1892, on enregistrait chaque année aux alentours de 11 décès suite à des morsures de serpents. Depuis lors, la population du continent est passée de 2,2 millions à 24,3 millions. Pourtant, chaque année entre 2001 et 2013, en moyenne, deux victimes seulement sont décédées suite à une rencontre avec un serpent.</p>
<p>Si les améliorations des transports, des communications et des services d’ambulance ont contribué à cette diminution du nombre de morts, les progrès en matière de premiers secours et de moyens médicaux disponibles pour contrer les venins de serpent ont également joué un rôle.</p>
<h2>À l’époque coloniale, des remèdes complexes</h2>
<p>La prise en charge de John Brownn suite à une envenimation (injection de venin), durant l’année 1868, illustre bien la complexité des remèdes de l’époque coloniale, ainsi que l’énergie du désespoir qui animait ceux qui les mettaient en œuvre. Chef de gare de son état, John Brown officiait à la gare d’Elsternwick lorsque des travailleurs des chemins de fer victoriens lui ont lancé le cadavre d’un serpent brun qu’ils venaient de tuer. </p>
<p>Soit le serpent n’était pas tout à fait mort, soit Brown a effleuré ses crochets lorsqu’il a frappé le corps du reptile « dans un geste d’énervement ». Toujours est-il que le chef de gare a rapidement montré des symptômes d’envenimation : vomissements, faiblesse physique, puis paralysie suivie de coma. Sa mort semblait inévitable.</p>
<p>Le chef de gare fut transporté précipitamment à Balaclava (dans la banlieue de Melbourne). Là, le chirurgien George Arnold lui posa un garrot sur le bras avant de découper le site de la morsure, espérant ainsi éliminer le venin. Il versa ensuite de l’ammoniac (un produit chimique dangereux, utilisé aujourd’hui pour le nettoyage) sur la plaie afin de neutraliser tout venin restant, puis encouragea Brown à boire 175 ml de cognac pour stimuler sa circulation sanguine.</p>
<p>Le médecin agita aussi des sels sous son nez, puis appliqua en cataplasme une sorte de pommade pâteuse à base de moutarde, sur ses mains, ses pieds et son abdomen, afin de soulager la congestion interne. Des chocs électriques furent aussi administrés au malheureux chef de gare pour le stimuler, tandis que, chancelant et semi-conscient, il était promené de long en large afin qu’il reste éveillé – et en vie. Malgré tous ces efforts, son état continua de se détériorer.</p>
<p>Arnold fit alors venir en urgence le seul professeur de médecine de la colonie, <a href="http://adb.anu.edu.au/biography/halford-george-britton-3693">George Halford, de l’Université de Melbourne</a>. Celui-ci accepta à contrecœur d’utiliser sur Brown son nouveau remède contre les morsures de serpent. Il ouvrit une veine du bras du chef de gare et lui injecta de l’ammoniac directement dans le sang. Ce dernier reprit rapidement connaissance, ce qui amena un autre médecin à affirmer que « l’injection d’ammoniac avait sauvé la vie de l’homme » (un conseil : ne tentez pas cela chez vous).</p>
<h2>Nommez votre poison</h2>
<p>Si bon nombre des interventions de 1868 nous semblent aujourd’hui étranges, voire dangereuses, prises dans leur contexte historique, elles avaient néanmoins un sens. Le traitement administré à John Brown suivait en effet un schéma bien connu, appliqué en Australie des années 1800 aux années 1960. Il faut savoir que jusqu’au milieu du XX<sup>e</sup> siècle, les traitements mis en œuvre pour lutter contre les morsures de serpent alternaient entre trois approches fondamentales.</p>
<p>La plupart des colons européens, ainsi que les membres de nombreuses cultures autochtones, considéraient le venin comme un « poison » externe se déplaçant à travers le corps. C’est ce qui explique que des mesures « physiques » telles que le garrot ou la succion étaient courantes : elles visaient à expulser le venin ou limiter sa circulation.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/154020/original/image-20170124-8067-n1jkov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/154020/original/image-20170124-8067-n1jkov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/154020/original/image-20170124-8067-n1jkov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/154020/original/image-20170124-8067-n1jkov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/154020/original/image-20170124-8067-n1jkov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/154020/original/image-20170124-8067-n1jkov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1144&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/154020/original/image-20170124-8067-n1jkov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1144&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/154020/original/image-20170124-8067-n1jkov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1144&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les personnes qui étudiaient les morsures de serpent n’hésitaient pas à recourir à l’auto-expérimentation, quitte à se mettre en danger.</span>
<span class="attribution"><span class="source">State Library of NSW</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Une deuxième catégorie de remèdes, allant des cataplasmes de moutarde aux injections d’ammoniac, cherchait à s’opposer aux effets néfastes du venin dans le corps, à le contrer, souvent en stimulant la fonction cardiaque et la circulation sanguine.</p>
<p>Enfin, la troisième approche consistait à neutraliser directement le venin lui-même, par exemple en versant de l’ammoniac sur la morsure.</p>
<p>Jusqu’aux années 1850, les mesures physiques ont dominé. Puis, durant les 50 années suivantes, ce fut l’apogée des traitements d’opposition. Lorsque l’ammoniac intraveineux de Halford tomba en disgrâce (car il semblait ne pas fonctionner), il fut remplacé, dans les années 1890, par des injections d’un autre poison notoire : la strychnine. Initialement plus populaire que l’ammoniac, ce poison végétal hautement toxique a fini par être accusé d’avoir tué plus de patients qu’il n’en aurait sauvés.</p>
<p>Au final, le remède colonial le plus populaire, tant auprès des praticiens que des patients, était de boire d’abondantes quantités d’alcool, en particulier du cognac…</p>
<p>La troisième approche, la neutralisation directe du venin, était à la base à la fois de « remèdes » populaires très prisés en Australie et d’une nouvelle technologie, « l’antivenin », développée dans les années 1890.</p>
<h2>La lente émergence des antivenins</h2>
<p>Aujourd’hui, les antivenins sont généralement créés en injectant du venin à des chevaux, ce qui provoque chez eux une réponse immunitaire. Les anticorps qu’elle induit sont ensuite purifiés à partir du sang des animaux, pour être ultérieurement injectés aux patients mordus par les serpents produisant ce venin. </p>
<p>(<em>le premier antivenin a été mis au point <a href="https://www.revuebiologiemedicale.fr/images/Biologie_et_histoire/349_BIO_HIST_CALMETTE.pdf#page=4">en 1893 par le médecin et bactériologiste français Albert Calmette</a>, ndlr</em>)</p>
<p>En Australie, la gestation des antivenins a été lente. Le premier d’entre eux, ciblant le venin de serpent noir, a été développé en 1897. En 1902, un antivenin expérimental contre le serpent tigre a été élaboré. Mais les antivenins sont des produits difficiles à produire, à distribuer et à stocker. Ils se sont également révélés difficiles à administrer, provoquant parfois des réactions allergiques graves et potentiellement mortelles (chocs anaphylactiques). </p>
<p>En conséquence, ce n’est qu’en 1930 que <a href="https://discovery.wehi.edu.au/timeline/snakebite-antivenom">l’antivenin contre le serpent tigre</a> a été commercialisé sur le marché australien. D’autres injections ont ensuite suivi, ciblant un plus large éventail d’espèces de serpents. Mais l’antivenin « polyvalent », efficace contre plusieurs sortes de venins, n’a émergé qu’à partir du milieu des années 1950.</p>
<p>Dans le même temps, d’autres mesures de premiers secours étaient encore administrées, tels que la pose de garrots ou l’application sur la morsure de cristaux de Condy dans l’espoir d’inactiver le venin (du permanganate de potassium, utilisé pour nettoyer les plaies).</p>
<h2>Deux sempiternelles questions</h2>
<p>La prise en charge des morsures de serpent ne s’est stabilisée sous sa forme actuelle qu’à partir des années 1980. Deux développements clés ont joué un rôle : la mise au point de tests rapides permettant d’identifier le venin injecté, et le développement d’une nouvelle stratégie de premiers secours.</p>
<p>Le scientifique <a href="https://www.mja.com.au/journal/2002/177/3/struan-keith-sutherlandao-mb-bs-md-dsc-fracp-frcpa">Struan Sutherland</a> a été un pionnier de la « technique d’immobilisation sous pression ». Afin de ralentir la propagation du venin, il recommande d’enrouler étroitement un bandage autour de la région mordue, d’ajouter une attelle et de minimiser les mouvements.</p>
<p>Éviter de laver ou d’inciser le site de la morsure laisse par ailleurs la possibilité de récupérer ultérieurement un échantillon de venin, ce qui en facilite l’identification et permet de choisir l’antivenin le plus approprié.</p>
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<p>Les méthodes de prise en charge contemporaines sont cependant encore en cours d’évaluation. Les venins et les traitements mobilisés actuellement continuent en effet à poser divers défis aux cliniciens, notamment en raison des réactions graves qu’ils peuvent provoquer et des dommages à long terme qui peuvent résulter d’une envenimation.</p>
<p>Aujourd’hui comme en 1868, deux questions demeurent cruciales après une morsure de serpent : était-ce réellement un serpent dont le venin est mortel, et si tel est le cas, l’animal en a-t-il injecté suffisamment pour tuer ?</p>
<hr>
<p><strong><em>Pour en savoir plus :</em></strong></p>
<ul>
<li>Les recommandations sur la <a href="https://www.ameli.fr/assure/sante/urgence/morsures-griffures-piqures/morsure-serpent">conduite à tenir en cas de morsure de serpent</a> sur le site de l’Assurance Maladie.</li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/209842/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Peter Hobbins a reçu un Australian Postgraduate Award afin entreprendre son doctorat sur le sujet des morsures de serpent dans l'Australie coloniale. Il est le Merewether Fellow 2016 à la State Library of New South Wales (ce qui implique des recherches sur un sujet similaire).</span></em></p>Les traitements des morsures de serpent ont beaucoup évolué depuis deux siècles. Si les plus anciens nous semblent étranges aujourd’hui, ils avaient un sens dans le contexte historique de l’époque.Peter Hobbins, Head of Knowledge, Australian National Maritime Museum and Honorary Affiliate, University of SydneyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1839962022-06-05T16:19:23Z2022-06-05T16:19:23ZDans les Caraïbes, des microalgues qui engendrent des intoxications alimentaires<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/466405/original/file-20220531-24-30gkws.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1280%2C850&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La consommation de certaines espèces de poissons (ici un barracuda) contaminées par des toxines synthétisées par des microalgues peut provoquer des cas de ciguatera, une intoxication alimentaire.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://image.ifremer.fr/data/00543/65520/">Marc Taquet/Ifremer</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>La ciguatera, aussi appelée « gratte », est l’intoxication alimentaire d’origine non bactérienne la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0041010109004590?via%3Dihub">plus répandue</a> à travers le monde.</p>
<p>Elle survient suite à la consommation d’organismes marins (poissons et invertébrés) contaminés par des toxines de microalgues (algues microscopiques) appartenant au genre <em>Gambierdiscus</em>.</p>
<h2>Ciguatera et microalgues</h2>
<p>Ces microalgues sont des dinoflagellés (groupe de microalgues) benthiques, qui ont besoin d’un support pour se développer (rochers, algues, cordages, plastiques…).</p>
<p>C’est généralement à la suite de perturbations environnementales des récifs coralliens ayant perdu leur capacité de résilience (comme dans les cas de blanchissement) que s’installent des macrophytes (algues macroscopiques ou plantes supérieures aquatiques) propices au développement de dinoflagellés épiphytes (vivant fixés sur des végétaux) tels que <em>Gambierdiscus</em>. Ces dinoflagellés peuvent également proliférer sur des substrats inertes d’origine anthropique (cordes, plastiques immergés).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/466395/original/file-20220531-18-5hbo9i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/466395/original/file-20220531-18-5hbo9i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/466395/original/file-20220531-18-5hbo9i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/466395/original/file-20220531-18-5hbo9i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/466395/original/file-20220531-18-5hbo9i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/466395/original/file-20220531-18-5hbo9i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/466395/original/file-20220531-18-5hbo9i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cellule de <em>Gambierdiscus</em> (diamètre : 85 µm) observée au microscope électronique à balayage.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nicolas Chomérat/Ifremer</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Précédemment restreinte aux régions tropicales, l’aire de répartition de <em>Gambierdiscus</em> s’étend depuis les années 2000 vers les régions subtropicales et tempérées.</p>
<p>Le changement climatique global, l’absence de traitement des eaux de ballasts et la dégradation du milieu marin sont autant de conditions à l’origine des <a href="https://www.novapublishers.com/wp-content/uploads/2020/08/978-1-53617-888-3.pdf">problèmes sanitaires, socio-économiques et écologiques</a> liés aux épisodes de ciguatera.</p>
<p>À ce jour, le <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7999458/">genre <em>Gambierdiscus</em> comprend 18 espèces</a> formellement décrites, qui possèdent des caractéristiques morphologiques et génétiques distinctes, et présentent des toxicités et des profils toxiniques différents.</p>
<p>Actuellement, des composés identifiables à des ciguatoxines (toxines impliquées dans le syndrome de la ciguatéra) n’ont été retrouvés que dans le Pacifique, notamment chez <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0041010109002955"><em>G. polynesiensis</em></a>.</p>
<p>Ces toxines deviennent problématiques quand elles sont intégrées dans le <a href="https://www.milieumarinfrance.fr/Nos-rubriques/%C3%89tat-du-milieu/Reseaux-trophiques">réseau trophique</a>. Par le processus de bio-amplification, la concentration en ciguatoxines augmente à chaque niveau trophique pour atteindre de fortes concentrations chez les prédateurs supérieurs (comme chez les carangues et les barracudas), les rendant impropres à la consommation.</p>
<p>De plus, des phénomènes de bio-transformation interviennent et les composés sont modifiés dans les organismes marins. Cela rend leur étude particulièrement complexe, car les composés présents chez les poissons peuvent être bien différents de ceux produits par les dinoflagellés.</p>
<p>Les ciguatoxines étant thermostables (elles ne sont dégradées ni pendant la congélation ni lors de la cuisson), la consommation de poisson contaminé expose la population humaine à un risque sanitaire.</p>
<p>Ce syndrome <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4824207/">rarement fatal</a> toucherait chaque année au moins <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/0742841393902179">25 000 personnes</a> dans le monde, une estimation qui ne représenterait que <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1773035X14724037">20 % du nombre réel de cas</a>, compte tenu de la variabilité des symptômes (plus de 170 rapportés) liés à cette intoxication.</p>
<h2>La ciguatera aux Antilles</h2>
<p>Le <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1773035X14724037">bassin caribéen</a> est la deuxième région au monde la plus touchée par la ciguatera, après l’océan Pacifique.</p>
<p>Aux Antilles, elle se manifeste généralement par des <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5367029/">symptômes</a> gastro-intestinaux (nausées, vomissements, douleurs abdominales, diarrhées). Ils peuvent être accompagnés ou suivis de troubles neurologiques (démangeaisons, sensations de brûlure au contact d’objets froids, céphalées, fatigue) qui sont moins observés que dans les autres foyers de la ciguatera. Bien que les <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-018-21373-2">symptômes cardiovasculaires</a> les plus fréquemment observés soient des hypotensions et bradycardies, la proportion de ces derniers varie d’une étude à l’autre.</p>
<p>Des études épidémiologiques ont montré que la répartition des taux d’incidence de la ciguatera n’est pas homogène dans cette région : sa prévalence est plus forte dans les îles du nord de l’arc antillais que celles au sud, la <a href="https://www.dcbd.nl/sites/default/files/documents/Olsen%201984%20Ciguatera%20in%20Eastern%20Caribbean.pdf">Martinique étant la zone charnière</a>.</p>
<p>Les taux d’incidence annuels entre 1996 et 2006 excédaient 15 cas/10 000 habitants au niveau de l’épicentre (zone de plus forte prévalence), qui s’étend des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0041010110000978">Iles Vierges à Montserrat</a>, alors que le taux annuel le plus élevé dans la zone de faible prévalence était de 0,67 cas/10 000 habitants entre 2012 et 2018 et concernait la <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02083290/document">Martinique</a>.</p>
<p>Dans les Antilles françaises, les cas de ciguatera font l’objet de déclaration systématique auprès de l’Agence Régionale de la Santé.</p>
<p>Récemment, le taux d’incidence annuel de la ciguatera en <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-018-21373-2">Guadeloupe</a> a fortement augmenté, atteignant 1,43 cas/10 000 habitants entre 2013 et 2016, ce qui représente une augmentation d’un facteur 5 en 10 ans.</p>
<p>Cette augmentation pourrait être due à la consommation de nouvelles espèces potentiellement vectrices de la ciguatera (comme les <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-018-21373-2">barbarins</a>), qui ne figurent pas sur la liste des espèces à risque.</p>
<p>Les espèces interdites sont variables d’un pays voire d’une région à l’autre.</p>
<p>Ainsi, il existe depuis 2002 un <a href="https://www.guadeloupe.ars.sante.fr/ciguatera-informations">arrêté préfectoral en Guadeloupe</a> encadrant la pêche et la commercialisation de certaines espèces de poissons. Dans cet arrêté, 15 espèces de poissons sont répertoriées comme étant les plus ciguatoxiques.</p>
<p>La pêche et la vente de certaines espèces sont interdites en tous lieux et quel que soit le poids des spécimens capturés, alors que pour d’autres les restrictions ne concernent que la zone de pêche ou le poids des individus pêchés.</p>
<p>À l’inverse, il n’existe à ce jour aucune restriction en <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1568988318301732">Martinique</a>, bien que le taux d’incidence de la ciguatera ait été <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02083290/document">multiplié par 3</a> en 10 ans.</p>
<p>Des <em>Gambierdiscus</em> observés sur le littoral de cette île pourraient expliquer en partie les cas d’intoxications <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02083290/document">survenus localement</a>, remettant alors en question la croyance locale quant à l’origine des poissons ciguatoxiques en Martinique.</p>
<h2>Carmina, un projet pour le bassin caribéen</h2>
<p>La ciguatera étant en lien étroit avec la dégradation des écosystèmes marins, l’étude de cette intoxication doit être appréhendée selon l’approche <a href="https://www.anses.fr/fr/content/one-health"><em>One Health</em></a> (« Une seule santé »).</p>
<p>Malgré la présence du risque ciguatérique dans les Caraïbes, peu d’études récentes menées à grande échelle ont porté conjointement sur l’étude de la diversité, la toxicité et les profils toxiniques des <em>Gambierdiscus</em>. C’est dans ce contexte qu’a émergé le projet Carmina.</p>
<p>Le projet Carmina est un projet scientifique financé par l’<a href="https://www.afd.fr/fr">Agence française du Développement</a>, qui a pour objectif d’étudier la diversité et la toxicité des microalgues responsables de la ciguatera dans le bassin caribéen.</p>
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<img alt="Pays impliqués : Antigua et Barbuda, France, Trinité-et-Tobago, Venezuela, Colombie, Panama, Costa Rica, Guatemala, Mexique, Cuba, Jamaïque" src="https://images.theconversation.com/files/466399/original/file-20220531-16-qbdttn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/466399/original/file-20220531-16-qbdttn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/466399/original/file-20220531-16-qbdttn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/466399/original/file-20220531-16-qbdttn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/466399/original/file-20220531-16-qbdttn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/466399/original/file-20220531-16-qbdttn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/466399/original/file-20220531-16-qbdttn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pays caribéens impliqués dans le projet Carmina, financé par l’Agence Française du Développement (AFD).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Aurélie Boisnoir & Nicolas Chomérat/Ifremer</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>En collaboration avec les laboratoires de la <a href="https://www.noaa.gov/">NOAA</a> et de <a href="https://www.anses.fr/fr/content/one-health">l’Anses</a>, les équipes de <a href="https://wwz.ifremer.fr/">l’Ifremer</a> ambitionnent d’améliorer les connaissances sur les microalgues associées à la ciguatera pour permettre une meilleure gestion du risque dans cette région.</p>
<p>Les espèces ciblées dans cette étude sont celles appartenant au genre <em>Gambierdiscus</em>, mais aussi celles des genres <em>Fukuyoa</em> et <em>Coolia</em>. En effet, des métabolites synthétisés par <em>Gambierdiscus</em> ont été retrouvés chez certaines espèces des genres <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1568988320301323"><em>Fukuyoa</em> et <em>Coolia</em></a>, laissant supposer qu’elles pourraient elles aussi contribuer à la survenue de la ciguatera.</p>
<p>Ce projet, qui implique 11 états caribéens, a débuté en mai 2022 et permettra de renforcer la coopération scientifique sur la thématique de la ciguatera, qui pourrait prendre de l’ampleur dans les années à venir.</p>
<p>Les premiers résultats de cette étude seront présentés lors d’une réunion d’avancement qui aura lieu en 2023 en Martinique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183996/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurélie Boisnoir a reçu des financements de l'Agence Française du Développement (AFD). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Nicolas Chomerat a reçu des financements de l'Agence Française de Développement (AFD). </span></em></p>La ciguatera est une intoxication alimentaire causée par des toxines synthétisées par des algues microscopiques. Elle pourrait émerger dans de nouvelles régions en raison du changement climatique.Aurélie Boisnoir, Chercheure en écologie et physiologie des microalgues tropicales, IfremerNicolas Chomerat, Chercheur en taxinomie et systématique des microalgues marines, IfremerLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1799932022-03-27T17:27:26Z2022-03-27T17:27:26ZArmes chimiques : de quoi s’agit-il ?<p>Sur les zones de conflits, les armées disposent de deux types d’armes : celles dites conventionnelles, et d’autres dites « non conventionnelles ». Incluses dans la classification des armes de destruction massive, elles regroupent les armes nucléaires, radiologiques, bactériologiques et chimiques – des <a href="https://www.un.org/disarmament/fr/amd/armes-chimiques/">poisons potentiellement mortels qui peuvent être disséminés sous forme de gaz, d’aérosols ou de liquides</a>.</p>
<p>Pour ces armes « NRBC », l’impact peut être très étendu et frapper de manière indiscriminée et incontrôlée tant les troupes que les civils. Ce qui renforce le sentiment de vulnérabilité.</p>
<p>Ces caractéristiques des armes chimiques en font donc aussi des instruments de terreur. Elles ne blessent pas seulement le corps : le risque, diffus, souvent imperceptible, nuit tout autant à la santé mentale des soldats et des populations menacées.</p>
<h2>Caractéristiques des agents chimiques</h2>
<p>Il existe <a href="https://www.icrc.org/fr/document/cinq-choses-savoir-sur-les-armes-chimiques-ces-tueuses-implacables">quatre types d’agents chimiques</a> :</p>
<ul>
<li><p>Les agents suffocants ou asphyxiants (chlore, phosgène…). Ils provoquent une irritation des voies respiratoires et endommagent les poumons en y causant la formation d’œdème (ils se remplissent de liquide).</p></li>
<li><p>Les agents sanguins (cyanure d’hydrogène, chlorure de cyanogène gazeux, etc.) Ce sont des poisons puissants et à action rapide et diverse. Ils peuvent bloquer la respiration au niveau des cellules et, partant, empêcher le fonctionnement des organes vitaux. Ils peuvent également attaquer des enzymes, ces protéines qui catalysent presque toutes les réactions biologiques du corps. Ce qui paralyse la synthèse des molécules utilisées comme source d’énergie, et entraîne des vomissements, des vertiges, une perte de conscience et la mort.</p></li>
<li><p>Les agents vésicants (ypérite sulfureuse, ou gaz moutarde, la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lewisite">léwisite</a>…) Profondément irritants, ils brûlent et endommagent la peau, les yeux, les muqueuses – comme à l’intérieur des poumons – et d’autres tissus du corps.</p></li>
<li><p>Les agents neurotoxiques ou innervants, qui sont divisés en deux groupes : les agents de la série V (pour venimeux) et les agents de la série G (car produit à l’origine par IG Farben, en Allemagne). (<em>Le Novitchok entre dans cette catégorie, ndlr</em>)</p></li>
</ul>
<p>Ces deux groupes désactivent des enzymes essentielles du système nerveux, ce qui entraîne une perte du contrôle de son corps, des convulsions et la mort par paralysie respiratoire. Même en faible concentration, ils peuvent blesser en provoquant essoufflement, déficience visuelle, etc.</p>
<p>Au sein de la série V, l’<a href="https://www.cdc.gov/niosh/ershdb/emergencyresponsecard_29750005.html">agent le plus connu est le VX</a>, poison mortel qui pénètre dans le corps par contact avec la peau. Les autres sont les VE, VM, VG et V-gas. Les informations détaillées sur leurs caractéristiques, qui permettraient de travailler à s’en prémunir, sont peu disponibles en littérature ouverte.</p>
<p>L’utilisation de l’agent VX comme poison a été largement débattue après le <a href="https://www.theguardian.com/world/2017/feb/24/kim-jong-nam-north-korea-killed-chemical-weapon-nerve-agent-mass-destruction-malaysian-police">meurtre de Kim Jong-nam</a>, le demi-frère du dirigeant nord-coréen Kim Jong‑un, en février 2017 en Malaisie.</p>
<p>Les agents de la série G comprennent notamment les gaz soman (GD), sarin (GB) et tabun (GA). Ils provoquent principalement la mort suite à leur inhalation.</p>
<p>En mars 1995, une <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0234967">attaque au sarin perpétrée dans le métro de Tokyo</a> par la secte Aum Shinrikyo a fait douze morts et un millier de blessés. Plus de 5 000 personnes ont dû se faire soigner suite à cet événement.</p>
<h2>Un usage désormais officiellement interdit</h2>
<p>(<em>La <a href="https://www.opcw.org/fr/propos/histoire">Première guerre mondiale</a>,rappelle l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, qui a vu être déversées plus de 124 000 tonnes de chlore, gaz moutarde, etc., a laissé plus d’un million de soldats marqués à vie. 90 000 autres sont morts dans des circonstances terribles au combat. Autant d’horreur qui ont poussé à la réflexion et la rédaction de plusieurs protocoles visant à bannir leur usage, ndlr</em>)</p>
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<img alt="Des soldats aveuglés, yeux bandés, se tiennent en file indienne. Photo noir et blanc d’époque" src="https://images.theconversation.com/files/454430/original/file-20220325-25-1caa0d6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/454430/original/file-20220325-25-1caa0d6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/454430/original/file-20220325-25-1caa0d6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/454430/original/file-20220325-25-1caa0d6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/454430/original/file-20220325-25-1caa0d6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=467&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/454430/original/file-20220325-25-1caa0d6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=467&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/454430/original/file-20220325-25-1caa0d6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=467&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’utilisation des gaz lors de la Première Guerre mondiale a causé des ravages (soldats anglais de la 55ᵉ division aveuglés par une attaque à Ypres, dans les Flandres, en avril 1918).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Photo de Thomas Keith Aitken (Second Lieutenant), collections of the Imperial War Museums</span></span>
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</figure>
<p>Le <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1989_num_35_1_2892">protocole de Genève</a>, qui a été signé en 1925, interdit l’utilisation d’armes chimiques (et biologiques) à la guerre… Ce qui n’a toutefois pas empêché que certaines soient employées ensuite. Si les gaz et leurs ravages sont le plus souvent associés à la Première Guerre mondiale, des usages plus récents sont ainsi toujours identifiés lors de conflits.</p>
<p>En 2017, la Croix-Rouge a annoncé que des civils à Mossoul, en Irak, <a href="https://www.nytimes.com/reuters/2017/03/04/world/middleeast/04reuters-mideast-crisis-mosul-chemical.html">avaient été exposés à des agents vésicants</a> lors des combats entre les combattants de l’État islamique et les forces irakiennes soutenues par les États-Unis. (<em>Leur <a href="https://www.who.int/fr/news/item/05-04-2017-who-alarmed-by-use-of-highly-toxic-chemicals-as-weapons-in-syria">utilisation est aussi débattue en Syrie</a>, ndlr</em>)</p>
<p>Les contrôles internationaux des exportations réglementent la vente d’équipements utilisés pour leur production à grande échelle. Il est donc assez difficile d’acquérir des matières premières à cet usage. Or la plupart des agents chimiques ne se trouvant pas dans la nature, leur obtention passe par une synthèse industrielle et un investissement certain si l’on veut une production de masse.</p>
<p>Cependant, cette technologie est désormais disponible pour une large part d’agents chimiques. Et le matériel permettant leur fabrication à petite échelle peut être acheté auprès d’enseignes non spécialisées.</p>
<h2>Les impacts des armes chimiques</h2>
<p>Les armes chimiques, notamment sous forme de gaz, sont particulièrement effrayantes. Il n’existe en effet pas encore de moyen de lutter contre les nuages de gaz, et certains produits sont capables de traverser le caoutchouc naturel, rendant ainsi les protections inutiles.</p>
<p>De plus, la plupart des quatre types d’agents sont invisibles, insipides, inodores, silencieux et insidieux – ce qui démultiplie encore l’aura de terreur qui les entoure.</p>
<p>Néanmoins, certains ont des odeurs typiques, que soldats et civils pourraient être formés à reconnaître. Par exemple, l’ypérite sent l’ail, le cyanure d’hydrogène l’amande amère, le phosgène le foin fraîchement coupé et la léwisite le géranium.</p>
<p>Mais en présence d’un nuage chimique, les soldats ne peuvent qu’attendre que le gaz s’éloigne – et espérer que leurs masques et respirateurs vont être efficaces. Si bien qu’ils développent parfois une <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/1603385">« phobie du masque à gaz »</a>, ou un sentiment de claustrophobie, lorsqu’ils portent des masques de protection.</p>
<p>En outre, lorsque les soldats sont incapables d’éviter ces situations anxieuses, ils peuvent devenir nerveux, paniqués, irrationnels ou subir des changements de leur personnalité, se sentir détachés d’eux-mêmes. Par exemple, ils peuvent enlever leur masque à gaz ou courir sans se soucier de rien. Il s’agit de symptômes courants chez les anciens combattants et les civils souffrant de <a href="http://www.ptsd.va.gov/professional/PTSD-overview/Dissociative_Subtype_of_PTSD.asp">syndrome de stress post-traumatique</a> (PTSD).</p>
<p>La terreur qu’elles provoquent est partie intégrante de la composante psychologique des armes chimiques. Les soldats peuvent ressentir un sentiment accru de stress et de peur d’une attaque chimique juste en voyant l’artillerie, les avions, missiles ou autres systèmes pouvant servir à leur diffusion.</p>
<p>Cette angoisse due à l’insaisissabilité des gaz peut amener les soldats à penser, à tort, que des symptômes bénins de stress, d’anxiété et de maladies infectieuses mineures (écoulement nasal, éruptions cutanées, ampoules, irritation oculaire, essoufflement et diarrhée) <a href="http://www.kcl.ac.uk/kcmhr/publications/assetfiles/cbrn/Jones2008-psychologicaleffectsofchemicalweapons.pdf">sont les signes précoces d’exposition à des agents chimiques</a>.</p>
<h2>Se protéger face aux agents chimiques</h2>
<p>Le fait qu’un usage reste possible malgré l'interdiction impose aux armées de penser à la protection de leurs soldats. Au fil des conflits et de l’évolution de la connaissance des agents chimiques, de nombreuses techniques sont apparues.</p>
<p>Lors de la guerre du Golfe de 1991, les troupes américaines se protégeaient ainsi à l’aide d’équipements tels que des masques à gaz, des casques, des gants en caoutchouc, des sur-vêtements de combat (ou BDO, pour « battle-dress over-garment »), des cagoules et des sur-bottes. (<em>La France dispose de ses <a href="http://www.opex360.com/2019/05/24/les-equipements-des-militaires-francais-contre-les-risques-nrbc-seront-bientot-tous-remplaces/">propres équipements de protection</a>, ndlr</em>)</p>
<p>Le BDO est une combinaison (manteau et pantalon) composée d’une couche intérieure de mousse de polyuréthane imprégnée de charbon destiné à absorber et piéger les agents chimiques, et d’une couche extérieure de coton avec des marques de camouflage. S’il confère une bonne protection, le port du BDO limite considérablement la capacité de combat – surtout s’il est porté longtemps.</p>
<p>BDO et cagoules associées provoquent une hausse rapide de la température corporelle, ce qui augmente ensuite le risque de coup de chaud et d’épuisement (dans le désert notamment). Les gants en caoutchouc limitent le sens du toucher et la capacité à effectuer des manipulations délicates. Les masques à gaz réduisent également la capacité à parler, entendre et voir.</p>
<p>Mais, comme les militaires l’ont réalisé dès le premier conflit mondial, si les masques à gaz avec respirateurs protègent le plus souvent les voies respiratoires et les yeux, certains agents comme le gaz moutarde sont capables de les traverser.</p>
<p>Pendant la Première Guerre mondiale, les Allemands ont utilisé de la poudre de blanchiment pour traiter les surfaces de peau attaquées. Cette méthode n’était pas optimale du fait de la quantité de produit nécessaire. De plus, les boîtes de poudre représentaient un fardeau supplémentaire à porter.</p>
<p>L’application de crème protectrice avant une attaque s’est également avérée inefficace, car elle n’offrait pas un rempart durable. Les unités mobiles américaines de bain, destinées à décontaminer les soldats, semblaient également inefficaces, car trop peu nombreuses et très lourdes.</p>
<p>Un autre angle de défense contre les attaques chimiques consistait en un système de détection portable sur le champ de bataille. Comme de nombreux agents chimiques sont inodores, les troupes avaient besoin d’un détecteur automatique et d’un système d’alarme pour les avertir à temps et leur permettre de mettre leur masque à gaz à temps.</p>
<p>Néanmoins, le détecteur présentait plusieurs faiblesses majeures. Il ne fonctionnait pas à des températures inférieures au point de congélation, pouvait tomber en panne de batterie et nécessitait un entretien fréquent.</p>
<p>Tout ceci donne aux armes chimiques un statut particulier. S’il a été prouvé qu’elles n’ont pas d’impact décisif sur l’issue d’un conflit, leur effet psychologique (sur les soldats comme sur les populations civiles) fait qu’elles continuent à être employées – au moins comme menace. Elles ont ainsi davantage une efficacité comme arme de terreur ou tactique (pour frapper un secteur déterminé limité) que comme armes de destruction massive stricto sensu.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179993/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mutti Anggitta ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le risque chimique est dans tous les esprits. Classés armes de destruction massive, les gaz frappent les corps et terrifient les populations. Quels sont leurs effets ? Peut-on s’en protéger ?Mutti Anggitta, Analis Utama Keamanan dan Perempuan, Laboratorium Indonesia 2045Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1642732021-09-27T14:42:17Z2021-09-27T14:42:17ZDans les mines du Congo, des femmes enceintes et des enfants vivent dangereusement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/423365/original/file-20210927-21-1if13uz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C5%2C988%2C658&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des femmes et des enfants, dans le village de Lukonga, em République démocratique du Congo. Déplacés par les conflits armés, vulnérables, ils se retrouvent à travailler dans des mines de fortune, dans des conditions très précaires.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>À l’abri des regards, en République démocratique du Congo, des femmes, parfois enceintes, et des enfants, travaillent dans des mines « informelles », dans des conditions dangereuses, inhalant des produits toxiques, pour des salaires de misère.</p>
<p>Pourtant, au moment de son indépendance en 1960, les secteurs minier et agricole faisaient de la République démocratique du Congo (RDC) <a href="http://congomines.org/reports/1162-les-ressources-naturelles-en-republique-democratique-du-congo-un-potentiel-de-developpement">« le deuxième pays industrialisé d’Afrique »</a>.</p>
<p>Soixante et un an plus tard, ses ressources naturelles sont exploitées en grande partie artisanalement et anarchiquement, et <a href="https://www.radiookapi.net/2015/10/15/actualite/economie/rdc-8-habitants-sur-10-vivent-sous-le-seuil-de-pauvrete-absolue">au moins 80 % de la population vit dans la pauvreté absolue</a>. Ces <a href="https://www.investindrc.cd/fr/Ressources-naturelles-et-profil-geographique">richesses</a> mettent en évidence des défis structurels majeurs et exacerbent les conflits et les inégalités sociales.</p>
<p>Je suis chercheur affilié au Centre for Human Rights and Legal Pluralism de l’Université McGill. Mes travaux portent sur le lien entre les ressources naturelles et l’activisme des groupes armés en RDC. Dans une <a href="https://theconversation.com/une-centaine-de-groupes-armes-seme-le-chaos-au-congo-130100">précédente publication dans <em>La Conversation Canada</em></a>, j’ai expliqué les motivations et les sources de financement de la centaine des groupes armés qui sèment le chaos à l’est de la RDC. Cette fois, je veux mettre en lumière la situation des femmes et des enfants qui participent à l’extraction de l’or, qui est un de moyens que ces groupes armés utilisent pour financer leurs activités.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/423342/original/file-20210927-25-12cwqwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/423342/original/file-20210927-25-12cwqwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/423342/original/file-20210927-25-12cwqwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/423342/original/file-20210927-25-12cwqwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/423342/original/file-20210927-25-12cwqwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/423342/original/file-20210927-25-12cwqwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/423342/original/file-20210927-25-12cwqwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des soldats des Forces de défense congolaises inspectent les lieux d’une attaque près de la ville d’Oicha, à 30 km de Beni, en République démocratique du Congo, en juillet 2021. Des centaines de groupes armés sèment le chaos en RDC et utilisent l’exploitation de mines d’or pour se financer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Al-hadji Kudra Maliro)</span></span>
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<h2>Une législation innovante</h2>
<p>En 2018, la RDC a profondément modifié son code et son règlement miniers pour, entre autres, bonifier l’encadrement des exploitants artisanaux, améliorer les droits de la personne et assurer les meilleures conditions de travail dans les sites miniers.</p>
<p>Alignée sur les normes internationales pour assurer la traçabilité et la certification des minerais, la <a href="http://congomines.org/reports/1845-journal-officiel_-reglement-minier-revise-par-le-decret-n-18-024-du-08-juin-2018-textes-coordonnes">nouvelle législation minière</a> interdit le travail des femmes enceintes et des enfants dans les mines.</p>
<p>L’obligation des exploitants miniers de restaurer le milieu après extraction, la diminution de la période de stabilisation fiscale de dix à cinq ans et l’annulation des anciennes conventions minières sont également prévues, si bien que toutes les entreprises minières sont désormais soumises au code minier.</p>
<h2>40 kg sur les dos des femmes enceintes</h2>
<p>Mais dans la réalité, sur le terrain, les conditions de travail dans les sites miniers demeurent préoccupantes. La présence de nombreuses femmes, parfois enceintes, ainsi que d’enfants à la recherche des minerais est remarquable dans les sites miniers du Sud-Kivu, notamment. Cette main-d’œuvre est appréciée par les exploitants miniers parce qu’elle est peu coûteuse. Mais ces femmes et ces enfants mettent leur vie et leur santé en péril.</p>
<p>Les femmes préparent la nourriture pour les creuseurs, transportent les bagages, puisent l’eau, pilent les pierres (quartz), lavent le sable. De nombreuses, parmi elles, s’adonnent à la prostitution.</p>
<p>Elles reçoivent un dollar américain pour un sac de 40 kg transporté sur leur dos, sur une distance de près de quatre kilomètres. La même somme est payée pour une bassine d’environ 10 Kilos de quartz pilés. Les gérantes des restaurants ou des bistros — y compris celles qui sont commises au lavage des minerais — sont en grande partie autonomes, <a href="https://www.freetheslaves.net/wp-content/uploads/2015/03/KivuReport-web626-FRENCH.pdf">mais non exemptes d’abus sexuels</a>.</p>
<p>Leurs fonds ne suffisent pas à démarrer une activité commerciale et à prospérer. Dans les carrés de Kamituga/Mwenga, notamment dans les sites Calvaire et Nero chanda, l’eau utilisée pour le lavage du sable est réputée polluée de mercure. Ce dernier permet d’extraire rapidement l’or de l’amalgame après le chauffage. Certaines femmes travaillent à perte, car une vaste somme de déchets lavés ne contient pas d’or.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/423363/original/file-20210927-25-15e9zvr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/423363/original/file-20210927-25-15e9zvr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1068&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/423363/original/file-20210927-25-15e9zvr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1068&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/423363/original/file-20210927-25-15e9zvr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1068&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/423363/original/file-20210927-25-15e9zvr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1342&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/423363/original/file-20210927-25-15e9zvr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1342&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/423363/original/file-20210927-25-15e9zvr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1342&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des femmes en plein travail dans le site minier Calvaire à Kamituga, dans le territoire de Mwenga, dans la province du Sud-Kivu, en RDC.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Emmanuel Habasheka</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Contaminées au mercure</h2>
<p><a href="https://www.thelancet.com/pdfs/journals/lanplh/PIIS2542-5196(20)30057-7.pdf">Les travaux dirigés par Donna Mergler</a>, au Canada, en avril 2020, permettent d’affirmer que l’empoisonnement au mercure tue silencieusement les femmes et l’ensemble de la communauté.</p>
<p>Le sol, les rivières y compris les poissons pêchés localement (à Kamituga et dans d’autres zones minières au Sud-Kivu) sont intoxiqués. Plusieurs femmes et filles souffrent de douleurs lombaires et d’infections vaginales chroniques. Elles avortent ou mettent au monde des enfants avec des malformations. D’autres ne sont pas alitées, mais elles souffrent des symptômes liés à ce produit, <a href="https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/1699337/mercure-mort-prematuree-grassy-narrows-ontario-ottawa-turtle-mergler-etude">notamment des problèmes neurologiques, de motricité ou encore d’apprentissage</a>.</p>
<p>Les femmes et les filles qui pilent les quartz sont soumises au contrôle systématique à la fin de leur journée de travail, des pratiques qui incluent le toucher vaginal et annal. Elles ont également des problèmes pulmonaires et oculaires associés à l’absence de matériel de protection contre les impacts, et la poussière. Appelées « creuseuses sans bêche », les travailleuses du sexe reçoivent des miettes d’or — poussière d’une valeur de 5 à 10 dollars USD — en échange de leurs services.</p>
<p>Le gain gagné est en grande partie dépensé pour la survie, ou pour l’alcool, la drogue et le maquillage. Elles sont à risque d’avortements, de grossesses non désirées et d’infections sexuellement transmissibles, dont le VIH/sida.</p>
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<img alt="XXX" src="https://images.theconversation.com/files/410682/original/file-20210710-25-1r15jwd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/410682/original/file-20210710-25-1r15jwd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1068&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/410682/original/file-20210710-25-1r15jwd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1068&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/410682/original/file-20210710-25-1r15jwd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1068&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/410682/original/file-20210710-25-1r15jwd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1342&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/410682/original/file-20210710-25-1r15jwd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1342&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/410682/original/file-20210710-25-1r15jwd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1342&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des femmes surnommées Hulux (4x4) transportent des quartz dans le site minier Calvaire à Kamituga, dans le territoire de Mwenga, au Sud-Kivu, en RDC.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Emmanuel Habasheka</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Des esclaves ignorées</h2>
<p>Les communautés et particulièrement les femmes et les filles sont pour la plupart inconscientes des risques qu’elles encourent, mais surtout, <a href="https://blogs.worldbank.org/fr/voices/dans-le-secteur-minier-les-femmes-unissent-leurs-efforts-pour-ameliorer-leur-situation">elles n’ont pas d’autres choix pour survivre</a>.</p>
<p>Ce sont des personnes vulnérables, des déplacées qui ont abandonné leur milieu de vie en raison de l’insécurité. D’autres ont été expulsées de leurs zones par des instances gouvernementales à la demande des exploitants industriels. Il y a également les filles qui tombent enceintes précocement, les femmes rejetées après avoir été violées par des inconnus, les anciens enfants soldats et les orphelins.</p>
<p><a href="https://reliefweb.int/report/democratic-republic-congo/rapport-mi-parcours-du-groupe-d-experts-sur-la-r-publique-d-2">Selon le récent rapport des experts des Nations-Unies sur le Congo</a>, les groupes armés y compris leurs dépendants et certains militaires du gouvernement exploitent illicitement des ressources naturelles, notamment l’or et le coltan, dans les zones des conflits. La ruée vers ces richesses est actuellement l’une des raisons de <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20191025-rdc-raisons-violences-minembwe-kivu">la « guerre par rébellions interposées entre le Rwanda et le Burundi »</a> dans les moyens et hauts plateaux d’Uvira, Mwenga et Fizi au Sud-Kivu.</p>
<h2>Des indicateurs catastrophiques</h2>
<p>En RDC, <a href="https://www.cd.undp.org/content/rdc/fr/home/sustainable-development-goals/goal-5-gender-equality.html">41 % des femmes sont analphabètes et occupent des emplois non rémunérés</a>. Plus de <a href="https://zoom-eco.net/developpement/rdc-le-taux-danalphabetisme-seleve-a-291-gouvernement-et-unesco-mobilises-contre-ce-fleau/">7 millions d’enfants et d’adolescents n’étudient pas</a> et il y a près de 50 ans <a href="https://www.cncd.be/IMG/pdf/cwbci_afrique2.pdf">que le taux brut de scolarisation pour le secondaire stagne autour de 20 %</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/423341/original/file-20210927-15-18kiwos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/423341/original/file-20210927-15-18kiwos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/423341/original/file-20210927-15-18kiwos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/423341/original/file-20210927-15-18kiwos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/423341/original/file-20210927-15-18kiwos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/423341/original/file-20210927-15-18kiwos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/423341/original/file-20210927-15-18kiwos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des gens ayant fuit Goma à la suite d’une irruption volcanique attendent la distribution d’aliments, en mai 2021, à Sake. La pauvreté extrême et le manque d’éducation font de la RDC un des pays avec l’indice humain de développement le plus faible de la planète.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Moses Sawasawa)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Plusieurs adolescents et adolescentes ont des charges énormes, même si la loi interdit à toute personne âgée de moins de 18 ans de travailler. Plusieurs sont déjà parents. <a href="https://www.radiookapi.net/emissions-2/2008/07/11/kinshasa-celebration-de-la-journee-mondiale-de-la-population">Seulement 9 % des Congolais recourent à la contraception</a> pour éviter ou limiter les naissances, l’accès aux contraceptifs est compliqué pour les célibataires et <a href="https://globalpressjournal.com/africa/democratic-republic-of-congo/drc-married-women-receive-preferential-access-birth-control/fr/">l’autorisation du mari est requise pour les femmes mariées</a>.</p>
<h2>Un État défaillant</h2>
<p>Le besoin de se nourrir et de supporter leurs dépendants pousse donc les plus vulnérables à rejoindre les sites miniers ou les groupes armés actifs dans la zone. Aucune loi ne détermine à quelle période de la grossesse la femme ne peut travailler dans un site minier. Elle est notamment muette sur la possibilité d’exiger le test de grossesse pour recruter une femme dans un site minier.</p>
<p>Certaines femmes enceintes camouflent leur état. D’autres recourent à des compromis (corruption, avances sexuelles, retenue de la rémunération, corvée) et parviennent à travailler jusqu’à l’accouchement, sans carte de creuseur. Les visites des sites miniers prévues par la loi sont quasi absentes.</p>
<p>Les quelques inspecteurs formés par l’Organisation mondiale de migration sont insuffisants et n’ont pas des ressources nécessaires pour couvrir tous les chantiers miniers.</p>
<p>Il est évident que l’exploitation artisanale des ressources naturelles de la RDC a des incidences négatives sur la sécurité et les droits fondamentaux de la personne, particulièrement des femmes et des enfants. Les coutumes, les lois, la défaillance du secteur éducatif et de l’autorité de l’État congolais en sont les principales causes. Les groupes armés et la crise sanitaire due à la Covid-19 exacerbent la situation.</p>
<p>Les réformes législatives en vigueur ne sont pas réellement mises en application. Elles ne permettent pas aux personnes vulnérables de s’affranchir de la servilité dans les sites miniers.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164273/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valentin MIGABO ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des centaines de groupes armés sèment le chaos en RDC et se financent par l’exploitation des mines. Ils utilisent des femmes et des enfants comme main-d’œuvre bon marché, au péril de leur santé.Valentin MIGABO, Searcher, McGill UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1452072020-08-31T19:08:18Z2020-08-31T19:08:18ZLa mémoire empoisonnée de la Russie : aux origines de l’affaire Navalny<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/355333/original/file-20200828-22-awpnya.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=32%2C1%2C866%2C505&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Funérailles d'Anastassia, l'épouse d'Ivan le Terrible, en 1560, très probablement morte empoisonnée, comme l'indique peut-être la coupe qu'elle tient à la main.</span> <span class="attribution"><span class="source">Chronique illustrée d'Ivan le Terrible, ou Chronique des Visages, vers 1570. Département des manuscrits, Bibliothèque nationale de Russie, Saint-Pétersbourg.</span></span></figcaption></figure><p>Lundi 24 août, vers 16 heures, l’hôpital berlinois de la Charité rend son diagnostic tant attendu : Alexeï Navalny, célèbre opposant de Poutine qui, quatre jours plus tôt, avait été victime d’un grave malaise dans l’avion le ramenant de Sibérie, <a href="https://www.letemps.ch/monde/lopposant-alexei-navalny-presente-traces-dempoisonnement">« présente des traces d’empoisonnement »</a>. À l’heure où ces lignes sont écrites, la toxine utilisée n’a pas encore été nommée, mais la famille à laquelle elle appartient (inhibiteur de cholinestérase) n’est pas sans rappeler les poisons de type Novitchok, dont on a beaucoup parlé dans le cadre de <a href="https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Sciences/Affaire-Skripal-quest-gaz-Novitchok-2018-03-25-1200926471">l’affaire Skripal</a>, en mars 2018, ce qui ne laisse pas beaucoup de doute sur <a href="https://www.abc.net.au/news/2018-03-14/only-russia-could-be-behind-uk-poison-attack-toxin-inventor-says/9546298">l’implication de l’État russe</a> – et c’est l’hypothèse de cet article.</p>
<p>Les questions que l’on se pose désormais sont de savoir <a href="https://theconversation.com/alexe-navalny-critique-le-kremlin-depuis-longtemps-sil-a-ete-empoisonne-pourquoi-maintenant-144875">pourquoi cet empoisonnement ne s’est pas produit plus tôt</a> et, surtout, pourquoi le poison a été privilégié plutôt qu’une balle, étant donné qu’il s’agit d’une « carte de visite » qui, a priori, trahit son commanditaire.</p>
<p>À tort ou à raison, le diagnostic des médecins allemands nous conforte dans l’idée que le poison tient une place de choix auprès des agents secrets russes, bien plus que chez le <a href="https://www.grasset.fr/livres/leve-toi-et-tue-le-premier-9782246821397">Mossad</a> et la <a href="http://www.nouveau-monde.net/livre/?GCOI=84736100839520">CIA</a>, organisations bien connues pour leur propension aux assassinats ciblés. Pour tenter de comprendre cette situation, il faut avoir à l’esprit, d’une part, que les services secrets occupent une position centrale dans le système de gouvernance poutinien et que celui-ci, d’autre part, forme ce que j’appelle un <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2017-7-page-231.htm">« État-mémoire »</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1298140505038102533"}"></div></p>
<p>Depuis longtemps déjà, l’histoire est mise au service du politique en Russie ; de nombreux dirigeants russes ont vécu obsédés par le passé, passé qu’ils ont cherché à réécrire, <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt16gz7bf">dans les livres et dans les têtes</a>, pour tenter de <a href="https://helda.helsinki.fi//bitstream/handle/10138/311802/Memory_Politics_in_Contemporary_Russia.pdf">l’exorciser, le revivre ou le changer</a>. Cette tendance s’est <a href="https://bookshop.org/books/bringing-stalin-back-in-memory-politics-and-the-creation-of-a-useable-past-in-putin-s-russia/9781498591522">considérablement renforcée sous les derniers mandats de Poutine</a>. La clé du drame qui s’est joué le jeudi 20 août tient selon moi à cette « mémoire empoisonnée » de Vladimir Poutine, elle-même le produit d’une « culture des poisons » dont les trois grandes strates sont la Russie d’Ivan IV, l’URSS stalinienne et l’URSS brejnévienne (quand le KGB était dirigé par Andropov) que je vais rapidement évoquer maintenant.</p>
<h2>Les poisons dans la culture politique russe, des tsars à Staline</h2>
<p>L’empoisonnement a sans doute été la forme la plus ancienne de l’assassinat, et les anciens Slaves en ont fait usage comme les autres proto-nations. Le déclin de l’État kiévien, à partir du milieu du XI<sup>e</sup> siècle, se traduit par la multiplication des luttes, souvent fratricides, aggravées par l’absence de règles claires de succession. L’usage du poison tend alors à se multiplier. Citons à cet égard la mort du premier prince de la cité de Moscou, Iouri Dolgorouki, le 15 mai 1157, à la suite d’un festin, empoisonné par des boyards kiéviens rivaux.</p>
<p>Les princes russes empoisonnent, mais sont aussi empoisonnés. C’est sur ordre de l’empereur byzantin Constantin X que meurt Rostislav, grand-prince de la cité de Tmoutarakan (dans l’actuelle région de Krasnodar), le 3 février 1066, lui aussi après un festin bien arrosé.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/355203/original/file-20200827-22-1gz3ifh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/355203/original/file-20200827-22-1gz3ifh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=340&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/355203/original/file-20200827-22-1gz3ifh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=340&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/355203/original/file-20200827-22-1gz3ifh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=340&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/355203/original/file-20200827-22-1gz3ifh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=427&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/355203/original/file-20200827-22-1gz3ifh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=427&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/355203/original/file-20200827-22-1gz3ifh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=427&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’empoisonnement du grand-prince Rostislav Vsevolodovitch.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://runivers.ru/gal/gallery-all.php?SECTION_ID=19638&ELEMENT_ID=585754">Manuscrit de Radziwiłł (début du XVᵉ siècle)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les deux siècles et demi de domination mongole, dont on connaît la cruauté, n’arrangent pas les choses. En 1246, Iaroslav III, chef de la principauté de Vladimir-Souzdal, décède quelques jours après être revenu de Saraï, la capitale de la Horde d’Or (État mongol qui contrôle la Russie), où il avait bu du vin empoisonné de la main du <em>khan</em> lui-même…</p>
<p>L’utilisation des poisons atteint son paroxysme sous Ivan IV, dit le Terrible (1533-1584). Au cours de la première grande « purge » de l’histoire politique russe, l’Opritchnina (1565-1572), le premier tsar laisse libre cours à sa passion pour la torture et le meurtre, à grand renfort de toxiques. L’empoisonnement de Vladimir de Staritsa, cousin du tsar et son ami d’enfance, début 1566, est un exemple connu. Empoisonneur, Ivan IV est aussi un tsar qui vit dans la peur des toxiques, soupçonnant les boyards d’avoir empoisonné sa mère, Elena Glinskaïa, à l’âge de trente ans, le 3 avril 1538 (accusation non confirmée en dépit de résidus d’arsenic et de mercure dans ses ossements), et surtout sa première femme, la tsarine Anastassia Romanova, le 7 août 1560, à l’âge de vingt-neuf ans (empoisonnement plus plausible que le précédent), drame qui a <a href="https://journals.openedition.org/res/387">certainement aggravé sa folie meurtrière</a>.</p>
<p>Staline cultive la mémoire d’Ivan IV, un dirigeant dont la cruauté était selon lui justifiée. Il s’emploie à <a href="https://www.palgrave.com/gp/book/9780333656846">réécrire son histoire</a>, notamment <a href="https://www.bloomsbury.com/us/ivan-the-terrible-9781860645600/">au cinéma</a>, mais s’en inspire probablement aussi dans l’usage des poisons. Lénine avait été fasciné par l’idée (fausse) que les balles qui l’avaient visé au cours de <a href="https://fr.rbth.com/art/histoire/2017/08/30/un-jour-dans-lhistoire-une-tentative-dassassinat-de-lenine_831002">l’attentat de 1918</a> contenaient du curare ; il avait donc donné l’ordre en 1921 de créer un « laboratoire des poisons », appelé plus tard « Laboratoire-X », entre autres. Mais c’est Staline qui va <a href="https://www.booktopia.com.au/kgb-s-poison-factory-volodarsky-boris/book/9781848325425.html">conférer à ce laboratoire ses lettres de noblesse</a>, notamment sous la direction de <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite/2007/07/18/01001-20070718ARTFIG90026-les_empoisonneurs.php">Grigori Maïranovski</a>, connu pour avoir pratiqué des expériences sur les prisonniers soviétiques pendant la guerre, ce qui lui a valu le surnom, peu enviable, de « Mengele de Staline ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1296560283998134275"}"></div></p>
<p>Les poisons sont d’abord employés contre des adversaires du régime à l’étranger, au cours d’« opérations spéciales » orchestrées par un agent légendaire, <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/missions-speciales-memoires-du-maitre-espion-sovietique-pavel-soudoplatov-pavel-et-anatoli-soudoplatov/9782020218450">Pavel Soudoplatov</a> puis, avec la montée de la Terreur, de plus en plus contre ceux de l’intérieur.</p>
<p>Ils peuvent cibler des monarchistes réfugiés à l’étranger, comme le <a href="https://editions-syrtes.com/extraits/lenlevement-general-koutiepov/">général Koutepov</a>, drogué puis enlevé à Paris en janvier 1930, et qui serait mort sur le bateau le ramenant en Russie des suites de l’injection de morphine faite pour le kidnapper. Ils visent aussi les ennemis de Staline, le plus connu étant Trotski, pour lequel on envisage d’abord l’empoisonnement, avant de le liquider à coups de piolet, au Mexique, en 1940.</p>
<p>Les poisons sont également destinés aux agents secrets soviétiques accusés de « trahison ». En février 1938, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Abram_Slutsky">Abram Sloutski</a>, responsable du département « renseignement étranger » du NKVD, serait mort empoisonné par des gâteaux imbibés d’acide prussique, poison plus connu sous le nom de cyanure, pour faire croire à une crise cardiaque. Cette mort « douce » et « discrète » est privilégiée par rapport à un procès à grand spectacle, car Sloutski bénéficie d’une réputation de tchékiste irréprochable. Enfin, les victimes de Maïranovski comptent aussi des personnalités étrangères parmi lesquelles <a href="https://www.government.se/contentassets/9c4e0d48f38b428d894eb5fa55c883c8/raoul-wallenberg---report-of-the-swedish-russian-working-group">Raoul Wallenberg</a>, célèbre diplomate suédois soupçonné par Staline d’être un agent double au service du renseignement allemand et américain, qui serait mort dans les locaux du laboratoire des poisons en juillet 1947.</p>
<h2>KGB un jour, KGB toujours</h2>
<p>Vladimir Poutine, né en 1952, a été recruté par le KGB au milieu des années 1970. Il y est resté jusqu’à la dissolution de l’organisation, en octobre 1991. Agent du contre-espionnage à Leningrad, puis agent à Dresde, en RDA, il n’a pas été directement mêlé, en l’état actuel de nos connaissances, à des affaires d’empoisonnement. Il n’en demeure pas moins que le futur président russe a exercé ses talents au KGB au cours de ce que l’on peut qualifier d’« âge d’argent » des services secrets soviétiques (l’« âge d’or » étant les années 1930-1940), quand le KGB pensait avoir « le monde à ses pieds », pour reprendre le titre original de l’ouvrage de Christopher Andrew, <a href="https://www.wilsoncenter.org/event/the-world-was-going-our-way-the-kgb-and-the-battle-for-the-third-worldnewly-revealed-secrets">_The World Was Going Our Way°</a>, traduit en français par <a href="https://www.histoire-politique.fr/index.php?numero=1&rub=comptes-rendus&item=245"><em>Le KGB à l’assaut du Tiers-monde. Agression, corruption, subversion</em>, Fayard, 2008</a>. Une époque où les assassinats ciblés étaient toujours pratiqués et le développement des poisons a connu des progrès spectaculaires. Poutine est donc tout à la fois un héritier de la vaste « culture des poisons » de Staline et de celle d’Andropov (qui a dirigé le KGB de 1967 à 1982).</p>
<p>Le futur président russe entend certainement parler, aux cours qu’il suit à l’Académie du KGB à Moscou, de diverses « affaires mouillées » (formule désignant les assassinats extrajudiciaires perpétrés par le Service), parmi lesquelles l’empoisonnement au thallium d’un transfuge de la GRU (Direction principale du renseignement, les services secrets de l’armée), <a href="https://www.atlasobscura.com/articles/nikolai-khokhlov-kgb-paranormal">Nikolaï Khokhlov</a>, en septembre 1961 (qui a échoué).</p>
<p>Pour Poutine, qui rêve alors de faire carrière en tant qu’agent à l’étranger, l’empoisonnement est pleinement justifié – après tout, Khokhlov était un « traître » et n’a que ce qu’il mérite (le parallèle avec <a href="https://www.liberation.fr/planete/2006/11/24/alexandre-litvinenko-empoisonne-par-du-polonium_5634">Litvinenko, empoisonné en 2006 au polonium</a>, s’impose de lui-même). Plus tard, il apprend sans doute l’existence des « grandes affaires », comme l’empoisonnement en 1978 de deux dissidents bulgares, <a href="https://www.letemps.ch/monde/miracule-parapluie-bulgare">Vladimir Kostov</a>, à Paris, et surtout de <a href="https://www.leparisien.fr/international/empoisonnement-quand-un-opposant-de-l-urss-mourait-du-coup-du-parapluie-bulgare-18-03-2018-7614729.php">Gueorgui Markov</a>, à Londres, à l’aide d’un poison particulièrement toxique, la ricine, dissimulée dans un parapluie. Une affaire qui fera grand bruit et marquera l’imaginaire collectif. Il est aussi, à n’en pas douter, au fait de <a href="https://www.rferl.org/a/poisonings-assassination-and-a-coup-the-secret-soviet-invasion-of-afghanistan/30347141.html">l’empoisonnement du dirigeant communiste afghan Hafizullah Amin</a> que le KGB soupçonne de trahison, empoisonnement raté, lui aussi, mais qui n’empêche pas l’invasion de l’Afghanistan de se dérouler comme prévu, fin décembre 1979.</p>
<p>Et il n’y a pas que les affaires d’empoisonnement à l’étranger : affecté au contre-espionnage et à la lutte contre les dissidences, Poutine sait certainement que le poison peut aussi être utilisé, principalement à des fins d’avertissement, contre ceux qui s’entêtent un peu trop contre le régime.</p>
<p>L’affaire la plus connue est l’empoisonnement de l’écrivain <a href="http://eprints.nottingham.ac.uk/11582/1/363647.pdf">Vladimir Voïnovitch</a>, à Moscou, en juin 1975, à l’aide de cigarettes empoisonnées (le dissident qui survit est par la suite exilé). Il est aussi probable que Poutine ait été au courant de l’existence des nombreux instituts de recherche travaillant pour le KGB et la GRU au développement des poisons, lointains héritiers du « Laboratoire-X ». Les recherches sur ce qu’on appellera le <a href="https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/data/20715/reader/reader.html#!preferred/1/package/20715/pub/29709/page/4">Novitchok</a> » débutent au début des années 70 au sein d’un institut situé dans la commune de Chikhany, dans la région de Saratov (les recherches sur les poisons, notamment les gaz, ont quant à elles débuté dans les années 1920, quand l’URSS collaborait secrètement avec l’Allemagne de Weimar). Dans le contexte de la rivalité avec les États-Unis, les Soviétiques cherchent alors à produire une arme plus puissante que le gaz innervant VX.</p>
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<p>L’ensemble de ces éléments forme la « matrice mémorielle » de Vladimir Poutine et de son entourage proche soupçonné de connivence dans les affaires d’empoisonnement. Ainsi, l’on se doit de mentionner Evguéni Prigojine, surnommé « le cuisinier de Poutine », à l’origine de la « Fabrique des trolls » de sinistre réputation, ennemi déclaré d’Alexeï Navalny qui l’a plusieurs fois <a href="https://www.themoscowtimes.com/2019/03/06/moscow-parents-sue-catering-firm-putins-chef-over-mass-poisoning-a64716">pris pour cible dans ses enquêtes</a> et qu’il a <a href="https://www.20minutes.fr/monde/russie/2846859-20200826-proche-controverse-poutine-promet-ruiner-opposant-navalny">promis de ruiner s’il survivait</a>. Prigojine, qui a aussi mis au point une unité de mercenaires intervenant à l’étranger, le groupe Wagner, s’est ainsi vu accuser, par un de ses anciens collaborateurs, d’avoir <a href="https://www.occrp.org/en/other-articles/9039-prigozhin-s-men-in-syria">expérimenté des poisons en Syrie</a>. Pour ces nostalgiques de l’URSS, les empoisonnements sont autant d’avertissements au monde, une manière d’inspirer la crainte et le respect, les poisons servant de ce point de vue de substituts à l’arme nucléaire qui n’a plus aujourd’hui la même image effrayante qu’elle avait à l’époque de la Guerre froide.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/145207/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Andreï Kozovoï ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’empoisonnement de l’opposant Alexeï Navalny s’inscrit dans une histoire longue de plusieurs siècles : des tsars à nos jours, le poison a été l’une des armes privilégiées des dirigeants russes.Andreï Kozovoï, Maître de conférences en histoire russe, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1448752020-08-22T12:33:22Z2020-08-22T12:33:22ZAlexeï Navalny critique le Kremlin depuis longtemps. S’il a été empoisonné, pourquoi maintenant ?<p>Alexeï Navalny, l'un des principaux leaders de l’opposition en Russie, <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Russie-lopposant-Alexei-Navalny-entre-vie-mort-2020-08-20-1201109971">est actuellement entre la vie et la mort</a> après avoir été apparemment empoisonné en Sibérie. À la demande de sa famille, il a été <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/l-opposant-russe-alexei-navalny-transfere-en-allemagne-a-bord-d-un-avion-medicalise_4081953.html">transféré samedi matin en Allemagne</a> à bord d’un avion médicalisé à l’issue d’un <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/vladimir-poutine/diagnostic-incertain-tensions-diplomatiques-lettre-a-vladimir-poutine-on-vous-raconte-les-24-heures-de-bras-de-fer-autour-de-du-transfert-medical-d-alexei-navalny_4081347.html">bras de fer</a> de plus de 24 heures avec les autorités russes, qui ne voulaient pas autoriser son transfert, affirmant qu’il était intransportable (une affirmation contestée par l’entourage de l’opposant, qui a affirmé que les réticences des officiels russes étaient dues à la <a href="https://www.euronews.com/2020/08/21/poison-is-part-of-putin-s-policy-says-alexei-navalny-associate">volonté de dissimuler le fait que Navalny avait été empoisonné</a>).</p>
<p>À Tomsk, des sympathisants <a href="https://www.reuters.com/article/us-russia-politics-navalny-comment/my-death-wouldnt-help-putin-kremlin-critics-parting-remark-idUSKBN25G216">lui auraient demandé</a>, la veille du jour où il est tombé malade, pourquoi il n’était pas encore mort.</p>
<p>Il a répondu que sa mort ne servirait pas les intérêts de Poutine car elle ferait de lui un martyr.</p>
<h2>Qui est Alexeï Navalny ?</h2>
<p>L’opposant, qui a fait l’objet de <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2017/05/02/97001-20170502FILWWW00272-navalny-dit-avoir-perdu-80-de-vision-a-un-oeil.php">nombreuses attaques au fil des ans</a>, est le principal leader de l’opposition russe. Âgé d’à peine 44 ans, cet avocat moscovite s’est fait connaître avec ses posts de blog dénonçant la corruption.</p>
<p>Il est ensuite passé à la vitesse supérieure, transformant son activisme sur les réseaux sociaux en organisation financée de façon participative, le <a href="https://fbk.info/english/navalny/">Fonds de lutte contre la corruption</a>, qui publie fréquemment des vidéos sur YouTube et des rapports bien ficelés sur la corruption de haut niveau qui entache le gouvernement russe.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/qrwlk7_GF9g?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">En 2017, « Vous n’avez pas le droit de l’appeler Dimon », l’une des enquêtes les plus retentissantes du Fonds de lutte contre la corruption, met en évidence la fortune colossale de Dmitri Medvedev (ancien président et premier ministre russe). Les sous-titres français sont disponibles dans les paramètres de la vidéo.</span></figcaption>
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<p>Ouvertement opposé à Vladimir Poutine, c’est lui qui, en une formule qui a depuis fait flores, a qualifié le parti au pouvoir, Russie Unie, de <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2013/04/more-than-half-of-russians-say-putins-party-are-crooks-and-thieves/275398/">« parti des voleurs et des escrocs »</a>. Il s’est également porté candidat à la mairie de Moscou en 2013 (récoltant officiellement 27 % des suffrages, un score qu’il a jugé largement inférieur à son résultat réel, <a href="https://www.theguardian.com/world/2013/sep/09/alexei-navalny-recount-moscow-election">exigeant sans succès un recomptage des voix</a>) et a tenté de défier Poutine à l’élection présidentielle de 2018, mais il a été <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-42479909">déclaré inéligible</a> en raison d’une condamnation pour corruption dont le caractère politique laisse peu de doutes.</p>
<p>Pour faire vivre son mouvement, il a créé un vaste réseau de bureaux dans toute la Russie et dirige actuellement le parti politique <a href="https://www.rferl.org/a/russia-navalny-new-political-party/29237240.html">Russie du futur</a>, qui n’est toujours pas enregistré.</p>
<p>L’homme ne fait pas l’unanimité. Certaines de ses prises de position sont critiquées par des membres de l’opposition moscovite, notoirement divisée, et notamment <a href="https://www.themoscowtimes.com/2014/10/16/navalny-wouldnt-return-crimea-considers-immigration-bigger-issue-than-ukraine-a40477">son soutien à l’annexion de la Crimée</a> ainsi que <a href="https://www.politico.eu/article/5-things-you-need-to-know-about-alexei-navalny/">ses liens avec les nationalistes</a>.</p>
<p>Mais il ne fait aucun doute que ses opinions et son militantisme lui ont valu l’attention des autorités. Il a été emprisonné à plusieurs reprises sur la base d’accusations d’ordre administratif et son <a href="https://www.themoscowtimes.com/2018/06/29/navalny-brother-free-3-5-years-prison-a62047">frère a été incarcéré</a> durant trois ans. Il a également été perquisitionné à de nombreuses reprises et a reçu de <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/2017/05/02/alexei-navalny-accuses-kremlin-involvement-green-dye-attack/">la teinture verte au visage</a>, ce qui a endommagé sa vue.</p>
<p>Ces derniers mois ont été marqués par une nette intensification de la pression mise par les autorités. En juillet, Navalny a été <a href="https://www.reuters.com/article/us-russia-politics-navalny/kremlin-critic-navalny-says-fines-force-him-to-close-anti-corruption-foundation-idUSKCN24L1KZ">obligé d’annoncer</a> la fermeture de sa fondation en raison des lourdes amendes qui lui avaient été infligées.</p>
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<p>Ce militantisme n’empêche toutefois pas Navalny d’employer sur les <a href="https://www.instagram.com/navalny/?hl=en">réseaux sociaux</a> un ton étonnamment léger et d’afficher une vie normale, comme en témoignent ses photos prises en famille ou le montrant en train de faire son jogging dans un parc de Moscou.</p>
<p>Il est incontestable qu’il est l’un des hérauts d’une nouvelle génération de Russes ne craignant pas de critiquer le régime et qui, après un siècle de bouleversements cauchemardesques, aspirent à vivre dans un « pays normal ».</p>
<p>Cette normalité ne sera atteinte que si la Russie renonce à sa posture rétrograde et post-impériale héritée de la Guerre froide, et devient un pays tourné vers l’avenir, désireux de se doter d’écoles, d’infrastructures et de systèmes de santé dignes de ce nom.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/russie-les-faux-semblants-du-scrutin-constitutionnel-142106">Russie : les faux semblants du scrutin constitutionnel</a>
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<h2>Poutine fait face à de nombreux défis</h2>
<p>L’empoisonnement présumé de Navalny survient à un moment critique pour Poutine et le Kremlin. Depuis l’élection de 2018, la popularité du président, en net déclin, a atteint en mai dernier le niveau <a href="https://www.themoscowtimes.com/2020/05/06/putins-approval-rating-drops-to-historic-low-poll-a70199">historiquement bas</a> de 59 %, selon un institut de sondage indépendant.</p>
<p>La pandémie de coronavirus a accéléré cette chute, le virus ayant <a href="https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2020-05-19/how-vladimir-putin-s-russia-bungled-the-coronavirus">mis en lumière</a> l’état déplorable des services de santé dans tout le pays. On a vu récemment une illustration de cette « lassitude envers Poutine » dans l’Extrême-Orient russe, où la décision du Kremlin de mettre le gouverneur en prison <a href="https://www.theguardian.com/world/2020/jul/25/huge-anti-kremlin-protests-erupt-in-russias-far-east">a déclenché des manifestations monstres</a> le mois dernier.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/354015/original/file-20200821-14-1rbrgd3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/354015/original/file-20200821-14-1rbrgd3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/354015/original/file-20200821-14-1rbrgd3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/354015/original/file-20200821-14-1rbrgd3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/354015/original/file-20200821-14-1rbrgd3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/354015/original/file-20200821-14-1rbrgd3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/354015/original/file-20200821-14-1rbrgd3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ces dernières semaines, des milliers de personnes ont manifesté contre Poutine à Khabarovsk, dans l’Extrême-Orient russe.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Igor Volkov/AP</span></span>
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<p>Le Kremlin a réagi à cette popularité en berne en lançant une vaste <a href="https://theconversation.com/reforme-de-la-constitution-russe-le-triomphe-des-valeurs-traditionnelles-136741">réforme constitutionnelle bien orchestrée</a> destinée à renouveler le soutien de la population à Poutine et à son régime.</p>
<p>Dans le même temps, la répression contre l’opposition s’est durcie. On a notamment assisté à une <a href="https://echo.msk.ru/blog/rumyantsev/2693671-echo/">purge des principaux professeurs de droit constitutionnel</a> de l’une des universités les plus prestigieuses de Moscou.</p>
<p>En outre, un <a href="https://theconversation.com/belarus-le-debut-de-la-fin-pour-loukachenko-144588">mouvement de protestation généralisé</a> s’est répandu dans la Biélorussie voisine – l’un des alliés indéfectibles de la Russie – à la suite de soupçons d’élections truquées. Plus de <a href="https://www.voanews.com/europe/hundreds-thousands-march-belarus">200 000 personnes ont manifesté</a> la semaine dernière pour exiger la démission du président Alexandre Loukachenko.</p>
<p>En plus d’avoir galvanisé un grand nombre de jeunes Russes, qui demandent les mêmes changements dans leur pays, ce mouvement contestataire a probablement semé la panique au Kremlin, où les manifestations massives sont perçues comme une menace existentielle pour le contrôle qu’exercent les dirigeants sur le système politique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/354016/original/file-20200821-16-1i50s7n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/354016/original/file-20200821-16-1i50s7n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/354016/original/file-20200821-16-1i50s7n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/354016/original/file-20200821-16-1i50s7n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/354016/original/file-20200821-16-1i50s7n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/354016/original/file-20200821-16-1i50s7n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/354016/original/file-20200821-16-1i50s7n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Loukachenko en a appelé à Poutine pour qu’il intervienne en Biélorussie et l’aide à se maintenir au pouvoir.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Mikhail Klimentyev</span></span>
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<h2>Qui a pu empoisonner Navalny ?</h2>
<p>Difficile, dans ce contexte, de savoir qui est responsable de l’empoisonnement présumé de Navalny.</p>
<p>S’il s’agit bien d’un empoisonnement, il s’inscrit indubitablement dans la série des <a href="https://www.nytimes.com/2020/08/20/world/europe/navalny-poison-russia-kremlin.html">« maladies » douteuses</a> qui affectent les individus perçus comme une menace par l’État russe.</p>
<p>Parmi les exemples les plus connus, citons l’utilisation probable de l’agent neurotoxique Novitchok par les services de sécurité russes pour <a href="https://www.bbc.com/news/uk-48801205">empoisonner Sergueï Skripal et sa fille Ioulia</a> à Salisbury, au Royaume-Uni, en 2018.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/354014/original/file-20200821-20-8wl06m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/354014/original/file-20200821-20-8wl06m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/354014/original/file-20200821-20-8wl06m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/354014/original/file-20200821-20-8wl06m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/354014/original/file-20200821-20-8wl06m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/354014/original/file-20200821-20-8wl06m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/354014/original/file-20200821-20-8wl06m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une femme tient une pancarte proclamant « Navalny a été empoisonné » lors d’une manifestation à Saint-Pétersbourg le 20 août 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Anatoly Maltsev/EPA</span></span>
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<p>D’autres cas d’empoisonnement potentiels sont moins connus. Toujours en 2018, l’un des principaux membres du groupe contestataire Pussy Riot, Piotr Verzilov, <a href="https://www.newyorker.com/news/our-columnists/we-now-know-more-about-the-apparent-poisoning-of-the-pussy-riot-member-pyotr-verzilov">semble également avoir été empoisonné</a>.</p>
<p>Et si le fait de transformer Navalny en martyr <a href="https://foreignpolicy.com/2020/08/20/why-putin-might-be-hoping-navalny-survives-his-poisoning/">ne semble pas arranger le Kremlin en ce moment</a>, il est possible que l’attaque soit le fait d’éléments incontrôlés au sein de la sécurité de l’État, menacés par les révélations anticorruption de Navalny. Comme <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/2020/08/20/navalny-poison-riddle-points-toxic-kremlin-politics/">l’a dit</a> un commentateur britannique :</p>
<blockquote>
<p>« Qu’est-ce qui est le plus effrayant, un État qui tue ou un État incapable de maîtriser ses tueurs ? »</p>
</blockquote>
<p>S’il s’avère qu’il s’agit d’un empoisonnement, il est peu probable que nous sachions un jour avec certitude qui l’a ordonné. Mais le message adressé à ceux qui critiquent le régime actuel est effrayant. Et il rappelle, de façon lugubre, à la prochaine génération russe qu’elle ne vit pas (encore) dans un « pays normal ».</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Catherine Biros pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144875/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>William Partlett ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Voilà bien longtemps qu’Alexeï Navalny est dans le viseur des autorités, car il ne cesse de dénoncer la corruption qui règne parmi les officiels russes.William Partlett, Associate Professor, The University of MelbourneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1323392020-02-27T19:43:22Z2020-02-27T19:43:22ZLe secret autour des armes biologiques, amplificateur de tous les fantasmes<p>Selon une <a href="https://www.washingtontimes.com/news/2020/jan/26/coronavirus-link-china-biowarfare-program-possible/">rumeur qui circule sur Internet</a>, le coronavirus <a href="http://www.inrs.fr/actualites/epidemie-pneumonies-coronavirus.html">SARS-CoV-2</a>, à l’origine de l’épidémie de COVID-19, aurait une origine humaine. Il résulterait d’expérimentations sur des germes ou de <a href="https://www.factcheck.org/2020/02/baseless-conspiracy-theories-claim-new-coronavirus-was-bioengineered/">manipulations génétiques</a> ayant abouti à un <a href="https://www.zerohedge.com/geopolitical/coronavirus-contains-hiv-insertions-stoking-fears-over-artificially-created-bioweapon">virus « chimère »</a>. Ces thèses conspirationnistes s’appuient sur le fait que l’unique laboratoire de recherche biologique classé P4 en Asie est situé à Wuhan et qu’il bénéficie d’un niveau de sécurité maximale.</p>
<p>D’autres rumeurs répandent l’idée que le germe aurait été transmis accidentellement par un chercheur contaminé ou <a href="https://twitter.com/ezracheungtoto/status/1228637753941753857">par des animaux</a> ayant servi à des expériences <a href="http://archive.ph/JrGmY">qui se seraient échappés</a>. S’il semble évident que l’institut de virologie de Wuhan n’a pas de vocation militaire et que le SARS-CoV-2 <a href="https://foreignpolicy.com/2020/01/29/coronavirus-china-lab-mortality-virology-wuhan-virus-not-bioweapon/">n’est pas une arme biologique</a> ayant « fuité », la frontière entre recherche biologique à usage civil ou militaire n’est pas aussi claire et définitive qu’il y paraît. Des indicateurs fiables permettent de déterminer si un pays s’est lancé ou non dans un programme de production d’armement biologique ; or, jusqu’à présent, la <a href="https://bookstore.gpo.gov/products/china-military-power">Chine ne semble pas concernée</a>.</p>
<h2>Le crime peut parfois être récompensé</h2>
<p>Bien plus que les programmes nucléaires, les programmes d’armements biologiques sont marqués par le plus grand secret depuis la Seconde Guerre mondiale. Les premiers sont expérimentés et mis au point par les <a href="https://www.albin-michel.fr/ouvrages/la-guerre-bacteriologique-9782226041197">Japonais de l’unité 731</a>. Dès 1937, les équipes du colonel Ishii, surnommé <a href="https://mondesasiatiques.wordpress.com/2018/10/10/9-octobre-1959-deces-de-ishii-shiro-le-mengele-japonais/">« le Mengele japonais »</a>, utilisent <a href="https://tinyurl.com/sq7l7wl">des prisonniers de guerre comme cobayes</a>. Ils leur infligent de grandes souffrances qui débouchent presque toujours sur la mort.</p>
<p>Ces pratiques, qui impliquaient bien entendu le secret absolu, établirent les bases technologiques de tous les programmes d’armement biologique actuels. Lors de leurs expérimentations, les Japonais s’aperçurent que les germes sont difficiles à utiliser : ils sont à la fois fragiles et incontrôlables. Leurs divers essais, que ce soit par des avions épandeurs, des bombardements aériens avec des puces infestées ou des bombes chargées de bacilles se révélèrent d’abord décevants. Par la suite, ils furent en mesure d’affiner leurs techniques et d’obtenir des résultats. Plutôt que de faire subir aux Japonais les foudres de la justice pour leurs crimes de guerre, les <a href="https://apjjf.org/-Christopher-Reed/2177/article.pdf">Américains</a> et les <a href="https://books.google.fr/books?id=4ydd-hC1GlQC&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false">Soviétiques</a> préférèrent réutiliser leurs compétences, dans le secret le plus absolu, afin de faire passer leurs propres programmes biologiques au stade industriel.</p>
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<h2>Le secret, toujours le secret</h2>
<p>Ce secret est une constante de la guerre biologique. Ainsi en 1942, une épidémie de tularémie, une maladie incapacitante, éclate d’abord dans les rangs de l’armée allemande, puis dans toute la région du Caucase. Pour <a href="https://www.senscritique.com/livre/La_guerre_des_germes/483900">Kanatjan Alibekov</a> – également connu sous le nom de Ken Alibek, qui fut dans les années 1980 le directeur adjoint de Biopreparat (le principal organisme soviétique de production d’armes biologiques) –, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un épisode de guerre biologique qui a mal tourné. Malheureusement, aucun document ne peut en attester.</p>
<p>Dès 1946, les autorités américaines <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/lhistoire-secrete-des-guerres-biologiques/9782221112144">s’essaient à un effort de transparence</a>. Pour cela, elles décident de lever le voile sur leurs recherches effectuées pendant la guerre. Le moment paraît favorable : chercher des moyens peu conventionnels pour vaincre des ennemis immoraux comme les nazis et les Japonais semble alors justifiable. Mais la réaction de l’opinion publique fut hostile, la peur immémoriale des grandes épidémies refaisant immédiatement surface.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=854&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=854&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=854&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1073&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1073&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/317050/original/file-20200225-24668-2gy6bm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1073&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Affiche de propagande chinoise de l’époque de la guerre de Corée : « Vaccinez tout le monde pour écraser la guerre bactériologique menée par l’impérialisme américain ! »</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Allegations_of_biological_warfare_in_the_Korean_War#/media/File:1950s_Chinese_propaganda_poster_against_American_biowarfare.jpg">Wikipedia</a></span>
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<p>Dès 1950 et suite à la publication du <a href="https://books.google.fr/books?id=MQMGhInCvlgC&pg=PA24&lpg=PA24&dq=committee+on+chemical+biological+warfare+stevenson&source=bl&ots=bGuEAzJHnb&sig=ACfU3U0HlHN7fyx-65wrpax4b_KOhqhtGg&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiIl6GdrurnAhUR1RoKHZ5zCvkQ6AEwAnoECAYQAQ#v=onepage&q=committee%20on%20chemical%20biological%20warfare%20stevenson&f=false">rapport Stevenson</a>, les recherches reprennent dans le plus grand secret. En 1952, lors de la guerre de Corée, <a href="https://www.yorku.ca/sendicot/ReplytoColCrane.htm">des épisodes infectieux suspects</a> surviennent parmi les Nord-Coréens. Une commission d’enquête internationale du Conseil exécutif du Conseil mondial de la Paix, organisation indépendante soutenue par les Soviétiques, relève <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1999/07/ENDICOTT/3116">des indices</a> laissant imaginer de possibles expérimentations de guerre biologique menées par l’armée américaine. À ce jour, aucun document n’a permis de prouver <a href="https://www.livrenpoche.com/l-arme-biologique-microbes-virus-et-terrorisme-e647380.html">cette supposée implication</a>.</p>
<p>Ce secret s’est confirmé lors des recherches menées par les Américains dans les années 1960 où ceux-ci disséminèrent dans plusieurs villes des États-Unis des germes dits inoffensifs. Ces expérimentations provoquèrent néanmoins un certain nombre d’hospitalisations pas toujours bénignes. Ces faits ne furent dévoilés que bien plus tard, ce qui n’est pas sans lien avec l’explosion de thèses complotistes dans ce domaine.</p>
<h2>Comment les États-Unis renoncèrent à la guerre biologique</h2>
<p>Les années 1960 sont une période particulière pour les États-Unis. Les multiples révélations liées à la guerre du Vietnam et aux différents programmes militaires ébranlent la confiance de l’opinion publique. La découverte de <a href="https://www.nytimes.com/1975/09/20/archives/army-discloses-3-new-coverups-concealed-cause-of-deaths-from-rare.html">plusieurs accidents survenus dans les laboratoires militaires de Fort Detrick</a>, le principal centre de production de germes militarisés, lève un voile sur le programme de guerre biologique. Parallèlement, le grand public apprend que des tests d’épandage de germes ont eu lieu dans le Pacifique. <a href="https://2001-2009.state.gov/r/pa/ho/frus/nixon/e2/83597.htm">Le 25 novembre 1969, Richard Nixon</a> décide qu’à l’âge de la dissuasion nucléaire, il est temps de renoncer officiellement à concevoir et à produire des armes biologiques offensives.</p>
<p>En 1972, plus d’une centaine de pays, dont les grandes puissances, <a href="https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/INTRO/450">signent une convention</a> sur l’<a href="https://www.un.org/disarmament/fr/amd/armes-biologiques/">interdiction de développement, de production et de stockage des armes biologiques et toxines et de leur destruction</a>. Mais ce traité comporte <a href="https://www.icrc.org/fr/doc/resources/documents/misc/57jnpa.htm">deux failles essentielles</a>. Tout d’abord, il ne prévoit pas de mécanisme de vérification. D’autre part, il n’établit pas de différence nette entre les recherches dites offensives et défensives. En d’autres termes, une nation peut continuer à faire des recherches sur des virus ou des bactéries qui pourraient éventuellement être utilisés comme des armes de guerre si elle est en mesure de justifier qu’elle cherche à se prémunir d’une attaque biologique ennemie ou de l’apparition d’une épidémie naturelle. En revanche, ce traité proscrit de manière claire la production massive de germes à usage militaire. Aujourd’hui, la Russie, les États-Unis et la Chine, entre autres, s’appuient sur cette zone grise afin de mener des recherches militaires très discrètes sur les germes.</p>
<h2>Le vaste programme soviétique d’armes bactériologiques</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=967&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=967&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=967&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1216&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1216&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/317056/original/file-20200225-24690-1pa24hr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1216&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Couverture de la traduction française (2001) du livre de Ken Alibek par en 1999 chez Random House aux États-Unis sous le titre « Biohazard ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Presses de la Cité</span></span>
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<p>À partir de la fin des années 1970 et jusqu’en 1991, l’URSS va développer les armements biologiques à un niveau jamais atteint auparavant. Sous l’égide de la 15<sup>e</sup> direction militaire et de Biopreparat, un organisme prétendument dédié à la production de vaccins et médicaments, entre 30 et 60 000 personnes développent et produisent d’importantes quantités d’agents infectieux. Pour Ken Alibek (l’ancien directeur adjoint de BioPreparat, déjà cité), les Soviétiques sont alors en mesure de <a href="https://www.nonproliferation.org/wp-content/uploads/npr/alibek63.pdf">produire suffisamment de germes</a> pour éradiquer l’espèce humaine. L’URSS étant en infraction avec la convention de 1972 sur les armes biologiques, ce programme est totalement secret. De par son étendue, il permet de situer une frontière nette entre des nations effectuant des recherches pas toujours irréprochables et des pays produisant de manière massive des agents infectieux. Le secret sur ce programme est tel qu’en 1979, lorsque survient un <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520229174/anthrax">accident</a> qui provoque la mort d’une centaine de personnes, les autorités soviétiques réussissent à faire croire à l’opinion qu’il s’agit d’une épidémie naturelle liée à la consommation de viande avariée. La vérité ne sera <a href="https://www.researchgate.net/publication/15224942_The_Sverdlovsk_anthrax_outbreak_of_1979">connue qu’en 1992</a> grâce à la chute de l’URSS. De toute évidence, un programme d’une telle ampleur ne pouvait se dérouler sans quelques accidents qui virent plusieurs cas de contamination accidentelle ainsi que des fuites d’animaux utilisés pour les expérimentations.</p>
<p>Les chercheurs soviétiques ont également été les premiers à créer des <a href="https://www.aphis.usda.gov/animal_health/vet_biologics/publications/notice_05_23.pdf">virus chimères</a> par manipulation génétique. Ils réussirent ainsi à créer un virus apte à déclencher une maladie auto-immune dévastatrice dans laquelle le système immunitaire de l’organisme infecté détruit ses propres organes. Si Ken Alibek fit défection en 1992, ses révélations sur l’ampleur du programme soviétique <a href="https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1999_num_64_2_4864_t1_0404_0000_1">ne furent dévoilées au grand public qu’en 1998</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">De nouvelles armes biologiques : les virus issus de manipulations génétiques.</span></figcaption>
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<h2>Une menace plus subtile qu’il n’y paraît</h2>
<p>Aujourd’hui, les <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2005-1-page-137.htm">manipulations génétiques sur les germes</a> sont très accessibles, surtout grâce aux <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/lhistoire-secrete-des-guerres-biologiques/9782221112144">techniques de fabrication in vitro</a> permettant la synthèse de longs fragments d’ADN à partir de données informatiques.</p>
<p>Différencier les recherches civiles des recherches militaires est relativement difficile. Les manipulations génétiques sur les virus ou les bactéries permettent de mieux comprendre leur fonctionnement. L’administration Bush Junior a ainsi défendu la <a href="https://www.newscientist.com/article/dn4318-us-develops-lethal-new-viruses/">conception de nouveaux virus offensifs</a> afin de permettre la conception de mesures défensives efficaces. En ce qui concerne la Chine, on sait qu’elle a eu dans les années 1980 une importante activité de production de germes militarisés qu’elle a par la suite abandonnée, d’autant plus qu’elle a signé en 1984 la convention sur les armes biologiques. Il est cependant fort probable que, comme les États-Unis et la Russie, la Chine effectue des recherches sur des germes à vocation militaire dans la plus grande discrétion, une constante dans ce domaine.</p>
<h2>Le complotisme a de beaux jours devant lui</h2>
<p>Comme le montre l’histoire des armements biologiques, les accidents peuvent survenir à tout moment, les germes étant invisibles. Ainsi Ken Alibek <a href="https://www.decitre.fr/livres/la-guerre-des-germes-9782258053458.html">cite sa propre expérience</a> où, jeune directeur de laboratoire, il s’infecta. Ayant marché accidentellement sur un bouillon de culture, il passa par un sas de décontamination ; cela ne fut pas suffisant. Contaminé à la tularémie, le médecin qu’il était sut immédiatement reconnaître le mal qui l’affectait et se traiter avant que la maladie ne fasse des ravages. De la même façon, les témoignages révélant la fuite d’animaux contaminés après des expériences sont nombreux. Évidemment, les niveaux de sécurité actuels sont bien plus élevés, mais les germes ont une capacité surprenante à se répandre. Les thèses conspirationnistes ne sont pas près de s’évanouir dans un domaine où règne l’opacité la plus absolue. Néanmoins, l’inquiétude du grand public à l’égard de ces recherches, qu’elle s’exprime de manière rationnelle ou non, ne peut qu’inciter les chercheurs à renforcer des mesures de sécurité plus que nécessaires dans un domaine hautement sensible.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132339/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric Martel-Porchier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les thèses conspirationnistes affirmant que le coronavirus serait d’origine militaire naissent du secret absolu qui entoure les programmes d’armes biologiques conduits par divers États dans le monde.Eric Martel-Porchier, Docteur en Sciences de Gestion/Chercheur associé au LIRSA, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1137722019-03-26T21:33:21Z2019-03-26T21:33:21ZPourquoi et comment le datura contamine-t-il les denrées alimentaires ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/265883/original/file-20190326-36252-2au4vi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C2044%2C1318&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La belle corolle blanche du datura cache une violente toxicité.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:DATURA_STRAMONIUM_-_GUIXERS_-_IB-615.JPG">Isidre blanc/Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le 11 mars 2019, la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) a publié sur son site un <a href="https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/avis-rappel-haricots-verts-tres-fins-surgeles-1kg">avis de rappel</a> de haricots surgelés contaminés par le datura (<a href="http://www.infloweb.fr/datura-stramoine"><em>Datura stramonium</em></a>). Plusieurs hypermarchés ont <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/consommation/apres-leclerc-carrefour-rappelle-des-lots-de-haricots-verts-surgeles-pouvant-etre-contamines-6260902">rappelé des lots</a> suite à cette communication.</p>
<p>C’est la seconde fois en quelques mois que cette plante toxique fait l’objet d’alertes : en janvier <a href="http://realitesbiomedicales.blog.lemonde.fr/2019/03/15/du-risque-dintoxication-apres-ingestion-de-datura-lherbe-du-diable/">25 personnes avaient été intoxiquées en Martinique</a> après avoir consommé de la farine de sarrasin contaminée qui avait fait l’objet d’un avis de rappel de la DGCCRF <a href="https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/avis-rappel-farine-sarrasin-complete-biologique-et-specialites-au-sarrasin-pates">en novembre 2018</a>. Retour sur les raisons qui sous-tendent la contamination de certaines denrées et pas d’autres.</p>
<h2>Une plante particulièrement toxique</h2>
<p>Botanistes, vétérinaires et médecins s’accordent pour définir le datura comme une plante particulièrement toxique. Cette toxicité (qui, comme c’est souvent le cas pour les « plantes à poison », lui confère également des vertus médicinales), provient du fait que toutes ses parties (fleur, feuille, graine, sève) contiennent d’importantes teneurs en <a href="http://ori-oai.u-bordeaux1.fr/pdf/2009/DUNET_JULIE_2009.pdf#page=19">alcaloïdes</a>. Certains, comme l’<a href="https://www.vidal.fr/substances/431/atropine/">atropine</a> ou la <a href="https://www.vidal.fr/substances/3966/scopolamine/">scopolamine</a>, sont utilisés pour la lutte contre l’asthme, les névralgies, les spasmes. Il s’agit d’antagonistes de l’<a href="http://lecerveau.mcgill.ca/flash/capsules/articles_pdf/acetylcholine.pdf">acétylcholine</a>, un neurotransmetteur qui joue entre autres un rôle dans l’activité musculaire et les fonctions végétatives (respiration, battements du cœur, salivation, etc.). </p>
<p>Ces alcaloïdes sont responsables des <a href="http://www.centres-antipoison.net/cctv/rapport_cctv_datura_stramonium_v6_2010.pdf">symptômes</a> générés par l’intoxication au datura : augmentation du diamètre de la pupille (mydriase), hallucinations, tachycardie, confusion mentale, sécheresse des muqueuses. Il n’existe actuellement <a href="https://www.anses.fr/en/system/files/RCCP2008sa0221.pdf">pas de valeurs seuil officielles</a> pour la scopolamine et l’atropine dans l’alimentation. Chaque année, plusieurs dizaines de cas d’intoxication au datura sont recensés, généralement <a href="http://www.centres-antipoison.net/cctv/rapport_cctv_datura_stramonium_v6_2010.pdf">sans conséquence grave</a>, les complications les plus importantes survenant lors de l’ingestion volontaire de datura (à visée récréative). Les cas recensés d’intoxication accidentelle mentionnent aussi l’ingestion par les enfants de graines issues du fruit de datura, une capsule épineuse assez esthétique et parfois présente dans les bouquets secs. </p>
<p>On soulignera que le datura n’est pas la seule plante adventice (se dit d’une espèce sauvage qui pousse dans les champs) toxique ou ayant un effet sur la santé ; la morelle noire est à la fois <a href="http://www.vegetox.envt.fr/">commune et donnée comme toxique</a>. D’autres végétaux sont aussi suivis, notamment par les réseaux sentinelles, du fait de leur fort pouvoir allergisant. C’est notamment le cas de <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/sante-et-environnement/risques-microbiologiques-physiques-et-chimiques/especes-nuisibles-et-parasites/ambroisie-info/">l’ambroisie à feuilles d’armoise</a> ou de <a href="http://www2.agroparistech.fr/IMG/pdf/Flesch_Francoise_Plantes_9.12.09.pdf">la berce du Caucase</a>.</p>
<h2>Une large aire de répartition</h2>
<p>Le datura fait partie des plantes annuelles estivales que l’on trouve de façon sporadique dans presque toute la France, mais il se développe plus facilement dans le Sud. Cette espèce invasive, originaire d’Amérique centrale (Mexique), est en effet thermophile : elle apprécie les températures chaudes. Le datura pousse sur le bord des routes et les friches, mais il pénètre aussi les terres cultivées, où il peut devenir localement abondant s’il est mal maîtrisé. Et c’est là que le bât blesse.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/265064/original/file-20190321-93036-mgcpcx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/265064/original/file-20190321-93036-mgcpcx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/265064/original/file-20190321-93036-mgcpcx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/265064/original/file-20190321-93036-mgcpcx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/265064/original/file-20190321-93036-mgcpcx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/265064/original/file-20190321-93036-mgcpcx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/265064/original/file-20190321-93036-mgcpcx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pied de Datura stramonium dans un champ de carotte en Allemagne. Lorsque la plante est développée, il n’est en général pas difficile de la repérer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:20111006Karottenfeld_Hockenheim4.jpg">Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Dans les champs, le développement végétatif luxuriant du datura le rend concurrentiel des cultures estivales, notamment des maïs, sojas, tournesols et productions maraîchères. Le datura a ainsi pu profiter de la monoculture de maïs et du déploiement des tournesols pour progresser depuis le Sud (Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Provence) jusqu’en Poitou-Charentes, Centre et Val-de-Loire. Son aire de répartition s’étend maintenant jusqu’en Picardie et Nord Pas-de-Calais.</p>
<p>On pourrait supposer qu’avec le réchauffement climatique, les espèces printanières et estivales comme le datura trouvent plus régulièrement des conditions favorables à leur développement. Néanmoins, les suivis effectués ne corroborent pas ce sentiment ; si tendance il y a alors elle <a href="https://vigilanses.anses.fr/sites/default/files/VigilansesN5_Datura_0.pdf">ne peut expliquer seule une augmentation des cas d’intoxication</a>. Le problème ne tient pas tant à une densité beaucoup plus importante dans les parcelles qui étaient déjà contaminées qu’à une extension géographique du datura, ce qui engendre la sensation d’une situation en progression, plus préoccupante. </p>
<h2>Comment le datura entre-t-il dans la chaîne alimentaire ?</h2>
<p>En France, les lots problématiques retirés du marché concernent surtout des farines de sarrasin (aussi appelé blé noir) contaminées par des graines de datura, ainsi que des surgelés ou conserves de légumes polluées par des fragments de plante. Pourquoi ces deux familles de denrées alimentaires, assez différentes, sont-elles davantage touchées que d’autres ? La biologie et l’écologie du datura peuvent nous éclairer sur ce point.</p>
<p>Le datura apprécie les températures élevées, et ses germinations s’échelonnent entre le printemps et l’été. Parallèlement, elle est sensible au gel, ce qui lui interdit les cultures d’hiver. C’est pourquoi blé, orge et colza en sont généralement indemnes. Le datura affectionne en revanche les cultures semées entre avril et septembre. On le retrouve donc dans les cultures de soja, de tournesol ou de maïs, parfois à de fortes densités. </p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/265881/original/file-20190326-36264-13meg7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/265881/original/file-20190326-36264-13meg7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/265881/original/file-20190326-36264-13meg7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/265881/original/file-20190326-36264-13meg7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/265881/original/file-20190326-36264-13meg7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/265881/original/file-20190326-36264-13meg7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/265881/original/file-20190326-36264-13meg7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/265881/original/file-20190326-36264-13meg7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Comparaison de 5 graines de datura noires, crénelées et en forme de rein, à du sarrasin. Si la distinction visuelle est aisée, une simple grille peine à les séparer par tamisage.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Agroécologie, Dijon</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Dans ce cas de figure, il ne pose généralement pas de problème sanitaire pour l’être humain, car les graines de soja, de tournesol ou de maïs excèdent très largement la taille des semences produites au sein de la capsule du datura. Les grilles utilisées pour la récolte font facilement le tri. De même, en culture de pomme de terre, la récolte concernant les seuls tubercules, il n’y a pas non plus de risque de contamination. </p>
<p>En cultures légumières, les choses se corsent. Le datura est en effet à floraison quand se fait la récolte de certains légumes verts. Les épinards, les haricots et flageolets sont plus particulièrement sujets à ce que des fragments de la plante, tous toxiques, soient inclus par inadvertance. Il peut alors s’avérer difficile de distinguer un fragment végétal de haricot d’un fragment de datura…</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/265904/original/file-20190326-36260-8nzj0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/265904/original/file-20190326-36260-8nzj0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/265904/original/file-20190326-36260-8nzj0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/265904/original/file-20190326-36260-8nzj0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/265904/original/file-20190326-36260-8nzj0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/265904/original/file-20190326-36260-8nzj0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/265904/original/file-20190326-36260-8nzj0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/265904/original/file-20190326-36260-8nzj0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Extraction de la base de données Pestobserver comptabilisant les avertissements agricoles et Bulletins de la santé du végétal traitant des cultures légumières et dans lesquels le mot ‘datura’ apparaît.</span>
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<p>En France, le sarrasin est également victime du datura, car il est semé du printemps à l’automne, souvent comme une seconde culture de fin de saison. S’il est récolté pour ses grains, il peut se retrouver synchrone avec la maturité du datura. La taille du datura devrait permettre de le repérer et de l’éliminer en amont de la moisson, mais la distinction devient d’autant plus difficile que les plantes sèchent. Le millet se retrouvera dans une situation similaire à celle du sarrasin, toutefois cette céréale reste relativement peu utilisée en alimentation humaine dans notre pays, et la couleur des graines diffère franchement.</p>
<h2>Des intoxications en recrudescence ?</h2>
<p>Il est difficile d’infirmer ou confirmer une recrudescence des problèmes d’ingestion involontaire de la plante toxique. Comme l’ensemble de la flore des champs, le datura fait l’objet d’observations, notamment au sein du réseau d’épidémio-surveillance végétale, service donnant lieu à des notes hebdomadaires d’information, plutôt à destination des professionnels. Il n’existe toutefois pas de plan de surveillance spécifique pluriannuel sur lequel s’appuyer pour objectiver l’état stable ou en recrudescence de la plante.</p>
<p>Savoir si les gens et les animaux s’intoxiquaient davantage autrefois mériterait une exploration plus poussée. Une chose est certaine : la surveillance de la qualité sanitaire de notre alimentation s’est fortement améliorée au cours des dernières décennies, notamment du fait de la multiplication des contrôles. La capacité démultipliée de détection amène, avec le principe de précaution, à retirer les lots potentiellement problématiques. Cette situation pourrait avoir entraîné l’apparition d’un biais de perception chez des consommateurs de plus en plus préoccupés par les atteintes potentielles à leur santé, notamment via leur alimentation. </p>
<p>Toutefois, l’intensification des pratiques agricoles et des échanges mondiaux, qui s’est accompagnée d’une augmentation des volumes, peut aussi avoir rendu plus aléatoire et difficile le tri en amont de l’arrivée à l’usine. Les usines de conserves sont équipées de trieurs optiques discernant bien les seuls légumes, mais rien ne ressemble plus à une tige de haricot qu’une tige d’une autre espèce végétale et les trieurs automatiques ne savent pas (encore) faire la distinction…</p>
<p><a href="https://theconversation.com/pour-en-finir-avec-les-pesticides-il-faut-aussi-des-agriculteurs-dans-les-champs-106978">L’industrialisation en cours de l’agriculture</a> peut intensifier ce risque, tout comme l’adoption généralisée du numérique peut venir le limiter, aux champs (grâce au développement de l’imagerie de détection des adventices dans le couvert végétal) comme dans la chaîne de conditionnement (grâce à un gain de sensibilité permettant de distinguer les impuretés botaniques).</p>
<h2>Des pratiques qui contribuent à entretenir les risques</h2>
<p>Au-delà de l’extension d’aire « naturelle » du datura, certaines pratiques peuvent favoriser sa dissémination. Ainsi, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail a constaté que 30 à 50 % des lots de graines de tournesol et de mélanges de graines à destination des oiselleries sont <a href="https://www.anses.fr/fr/system/files/ALAN2015SA0076.pdf">contaminés par du datura</a>. Sans doute de peu d’impact sur les oiseaux, cette information est préoccupante, car ce sont autant de sources de dispersion récurrente et à longue distance dans l’environnement. Les <a href="https://www.cabi.org/isc/FullTextPDF/2008/20083327890.pdf">mélanges pour jachère faune sauvage</a> seraient aussi des sources de différentes contaminations botaniques.</p>
<p>Par ailleurs, malgré le risque d’intoxication, différentes espèces et variétés de datura sont également toujours proposées en jardinerie du fait de la qualité esthétique de la fleur. Certains sites de jardinage ont même pu aller jusqu’à proposer d’introduire sciemment le datura dans les parcelles maraîchères, dans l’espoir de contenir certains insectes ravageurs herbivores. Cette pratique, dont l’efficacité n’a jamais été avérée, a pu accroître le nombre de situations ou le datura s’est retrouvé en contact direct avec des cultures maraîchères destinées à l’alimentation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/113772/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Xavier Reboud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Régulièrement, le risque d’intoxication par ingestion d’aliments contaminés par le datura défraie la chronique. Comment expliquer cette récurrence ?Xavier Reboud, Chercheur en agroécologie, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1111162019-02-14T00:31:19Z2019-02-14T00:31:19ZÀ la rencontre de ces Boliviens qui supportent l’arsenic<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/258865/original/file-20190213-181609-1cdok2e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C0%2C3025%2C1702&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Autour du lac Poopó, situé à 3700 m d'altitude dans l'Altiplano bolivien, les concentrations en arsenic sont particulièrement élevées.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/green_lava/3333205269/">green_lava/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>L’environnement des populations qui vivent sur les rives du lac Poopó, dans l’Altiplano, en Bolivie, est fortement contaminé par l’arsenic. Dans l’eau de certains puits, sa concentration peut être 50 fois supérieure aux normes de l’OMS. Or l’arsenic est un <a href="http://www.societechimiquedefrance.fr/arsenic.html">poison violent</a>, dont les effets se manifestent même à très faible dose (ce qui en a fait le condiment privilégié de <a href="http://www.lefaitmedical.ch/fr/articles/l-arsenic-poison-d-hier-toxique-d-aujourd-hui-69-476">nombre d’empoisonneurs au fil des siècles</a>).</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/259037/original/file-20190214-1717-170nqca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/259037/original/file-20190214-1717-170nqca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=906&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/259037/original/file-20190214-1717-170nqca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=906&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/259037/original/file-20190214-1717-170nqca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=906&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/259037/original/file-20190214-1717-170nqca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1139&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/259037/original/file-20190214-1717-170nqca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1139&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/259037/original/file-20190214-1717-170nqca.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1139&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Aux abords du lac Uru Uru, à quelques kilomètres au nord du lac Poopó.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/viajebolivia/6739428371/in/dateposted/">www.viajealcorazondebolivia.org/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>L’ingestion chronique d’arsenic provoque <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048969718348289">des cancers</a>, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048969718348289">des maladies cutanées, dégrade l’appareil cardio-vasculaire, les reins</a>, et peut favoriser la survenue d’un diabète. Chez les enfants, certaines études rapportent également un effet délétère sur le développement intellectuel, ainsi qu’une immunotoxicité préoccupante, en particulier lorsque la qualité microbiologique de l’eau est mauvaise.</p>
<p>Pourtant malgré la consommation d’une eau fortement contaminée, ces populations ne semblent souffrir d’aucun de ces symptômes. Comment est-ce possible ? La réponse réside dans leur capacité hors du commun à détoxifier ce dangereux poison. L’un des groupes ethniques concernés, les Urus, est particulièrement doué dans ce domaine.</p>
<h2>140 millions de personnes concernées par la pollution à l’arsenic</h2>
<p>Naturellement présent dans la croûte terrestre et les minerais de nombreuses régions de la planète, l’arsenic peut contaminer les nappes phréatiques suite à l’érosion ou l’altération des sols, notamment en cas d’exploitation minière. Il risque alors d’entrer dans la chaîne alimentaire, via l’eau des puits ou les aliments, notamment le riz et autres céréales.</p>
<p>La consommation d’une eau contaminée à l’arsenic est un problème de santé publique qui concerne environ <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048969718348289">140 millions de personnes de par le monde</a>.</p>
<p>Dans les pays industrialisés, en dehors des rares cas d’utilisations de puits ou de forages privés non contrôlés employés pour l’alimentation en eau, le risque sanitaire lié à l’arsenic est considéré comme négligeable. De nombreuses techniques sont en effet disponibles pour l’éliminer de l’eau potable : oxydation, coagulation, échanges d’ions, filtrations sur membranes… Dans certains cas, une simple dilution par le mélange de deux sources d’approvisionnement différentes permet d’abaisser la concentration pour respecter la <a href="https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/arsenic">valeur guide de l’OMS</a>, définie à 10 microgrammes d’arsenic par litre d’eau (µg/L).</p>
<p>Le risque persiste toutefois dans les pays défavorisés, car la présence d’arsenic dans l’eau n’est pas toujours connue, et son traitement est rarement accessible, notamment dans les communautés rurales. Les régions volcaniques et les zones aurifères sont particulièrement touchées, du fait de la présence fréquente d’arsenic dans les sous-sols. Le problème est d’autant plus grave qu’il n’existe aucun seuil sous lequel consommer des eaux arséniées ne serait pas toxique. Pour cette raison, la norme pour l’eau potable a constamment évolué depuis le milieu du vingtième siècle, devenant toujours plus exigeante.</p>
<p>Aux États-Unis, l’arsenic est l’un des premiers éléments chimiques pour lequel une réglementation fut établie au début des années 1940, dans le cadre des échanges inter-États. En 1958, l’OMS considérait que la concentration admissible ne devait pas dépasser 200 µg/L d’eau de boisson. Cette limite est passée à 50µg/L en 1963, puis 10 µg/L en 1993. C’est la valeur qui a été adoptée pour la réglementation française en 2001. Certains pays ont un temps envisagé d’abaisser la norme à 5µg/L, mais ont reculé devant le coût engendré pour les agences de traitement de l’eau, et donc pour les consommateurs.</p>
<h2>Un environnement contaminé</h2>
<p>Les rives du lac Poopó, situé à près de 3700 m d’altitude au sud-ouest de la Bolivie, sont peuplées par des communautés rurales constituées de plusieurs groupes éthiques.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/258887/original/file-20190213-181615-16nfvmu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/258887/original/file-20190213-181615-16nfvmu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/258887/original/file-20190213-181615-16nfvmu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/258887/original/file-20190213-181615-16nfvmu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/258887/original/file-20190213-181615-16nfvmu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/258887/original/file-20190213-181615-16nfvmu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/258887/original/file-20190213-181615-16nfvmu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/258887/original/file-20190213-181615-16nfvmu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Entre le 12 avril 2013 et le 15 janvier 2016, le lac Poopó s'est réduit comme peau de chagrin.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://earthobservatory.nasa.gov/images/87363/bolivias-lake-poopo-disappears">Nasa</a></span>
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<p><a href="https://www.geo.fr/voyage/bolivie-el-alto-la-revanche-des-indiens-aymara-169223">Aymara</a> et Quechuas partagent les mêmes villages, et sont impliqués dans l’agriculture, notamment du quinoa. Les <a href="https://blog.nationalgeographic.org/2013/09/12/dna-research-reveals-uros-people-of-peru-and-bolivia-to-have-distinctive-genetic-ancestries/">Urus</a> constituent quant à eux une ethnie minoritaire de pêcheurs aux origines anciennes, assez distincte des deux autres groupes sur le plan génétique. <a href="https://nyti.ms/2jSoxWu">Leur situation est difficile</a>, car ces dernières années, <a href="https://www.geo.fr/environnement/le-lac-poopo-lun-des-plus-grands-de-bolivie-est-sur-le-point-de-disparaitre-193849">le lac Poopó s’assèche</a>, en raison non seulement d’une longue période de sécheresse, mais surtout de la pression de l’agriculture sur la ressource en eau.</p>
<p>Les populations locales se procurent leur eau potable grâce à des puits traditionnels superficiels ou des puits tubulaires peu profonds. Or dans cette région, les eaux souterraines sont naturellement très minéralisées, riches en lithium, bore et parfois arsenic. Malheureusement, La Bolivie ne disposant pas de cartographie de la qualité chimique de l’eau en ce qui concerne l’arsenic, les habitants consomment une eau qui en contient des concentrations variables, pouvant atteindre jusqu’à 50 fois la norme OMS en vigueur.</p>
<p>Pour évaluer l’exposition des habitants, on dose les concentrations des dérivés d’arsenic dans leurs urines. Cette mesure montre qu’autour du lac Poopó, l’eau n’est probablement pas la seule source de contamination de la population. Dans certains villages, des apports secondaires pourraient provenir des légumes cultivés dans la région sur des sols très minéralisés. De plus, dans cette région aride, l’hypothèse d’une contamination aggravée par les aérosols et les poussières n’est pas à exclure. Les sols contaminés par des sources naturelles ou par l’activité minière, intense dans la région, sont en effet fortement érodés par le vent.</p>
<p>Cette situation est d’autant plus préoccupante que l’impact sanitaire n’est pas évalué, car le suivi médical de ces communautés rurales reste élémentaire.</p>
<p><iframe id="tc-infographic-373" class="tc-infographic" height="400px" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/373/e58a06bfdb6cc03161b419f84f78ace8324dce5d/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Des générations d’adaptation à l’arsenic</h2>
<p>La consommation, pendant plusieurs années, d’une eau contaminée par l’arsenic entraîne une intoxication appelée <a href="https://www.who.int/water_sanitation_health/diseases/arsenicosis/fr/">arsénicisme</a>. Celle-ci se traduit notamment par une dépigmentation de la peau, ainsi que l’apparition de plaques rugueuses sur la paume des mains et la plante des pieds. Les vaisseaux sanguins de ces derniers, ainsi que ceux des jambes, peuvent également être affectés, sans compter les autres effets sur la santé : cancers, hypertension, diabète…</p>
<p>Les populations des rives du lac Poopó ne sont pas les seules à être exposées à l’arsenic en Amérique du Sud. C’est aussi le cas de celles de certains villages du nord de l’Argentine. Or, chez ces dernières, aucun des symptômes cutanés habituels des intoxications à l’arsenic n’a été observé. Selon les chercheurs suédois qui ont étudié le cas argentin, il pourrait s’agir d’un cas d’adaptation au poison : au fil des générations, le corps des habitants serait devenu de plus en plus apte à éliminer l’arsenic.</p>
<p>La situation est-elle la même sur les rives du lac Poopó ? Pour le savoir, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048969718348289?via%3Dihub">nous avons mesuré les teneurs en arsenic et dérivés de l’arsenic</a> des urines de 201 femmes vivant dans dix villages disséminés autour du lac Poopó. Nous nous sommes focalisés sur les femmes, car les hommes, qui quittaient souvent les villages pour aller chercher du travail ailleurs, ne subissaient pas la même exposition à l’arsenic.</p>
<h2>Un métabolisme très efficace</h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/258919/original/file-20190214-1758-xd3p3h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/258919/original/file-20190214-1758-xd3p3h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=677&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/258919/original/file-20190214-1758-xd3p3h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=677&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/258919/original/file-20190214-1758-xd3p3h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=677&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/258919/original/file-20190214-1758-xd3p3h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=850&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/258919/original/file-20190214-1758-xd3p3h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=850&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/258919/original/file-20190214-1758-xd3p3h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=850&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">De l’arsenic sous forme minérale.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Arsenic-24481.jpg">Robert M. Lavinsky/Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Dans l’environnement, l’arsenic se trouve sous diverses formes minérales (ou « inorganiques »). C’est sa forme la plus toxique, et également la plus difficile à éliminer pour notre organisme. Si nous en absorbons, notre foie le modifie chimiquement, permettant ainsi à notre corps de s’en débarrasser plus facilement, via les urines. Cet arsenic modifié, devenu « organique », existe sous deux formes, dont l’une est moins toxique et plus facile à éliminer que l’autre.</p>
<p>Les analyses menées chez les riveraines du lac Poopó ont montré que leur métabolisme était particulièrement efficace pour éliminer l’arsenic. Dans leurs urines, la proportion de la forme chimique moins toxique dépasse souvent 80 %, alors qu’elle n’est que de 60 ou 65 % ailleurs, dans d’autres populations. Point intéressant à souligner : chez les femmes urus, ces mécanismes de détoxification, qui sont contrôlés par des gènes connus, semblaient encore plus efficaces que chez les femmes quechuas et aymaras. Des recherches génétiques sont en cours pour comprendre les raisons précises de cette différence entre les communautés. Elle trouve peut-être son origine dans le fait que les Urus, implantés sur les rives du lac depuis plus longtemps que les autres, ont eu plus de temps pour s’adapter à leur environnement ?</p>
<p>Quoi qu’il en soit, le métabolisme très performant des riverains du lac Poopó expliquerait pourquoi leurs mains et leurs pieds ne portent aucune manifestation cutanée d’intoxication à l’arsenic, tout comme ceux des habitants des villages contaminés du nord de l'Argentine. Et ce, alors que ces symptômes sont typiques de ces niveaux d’exposition à l’arsenic dans d’autres régions du globe.</p>
<p>Cette découverte étonnante ne signifie pas pour autant que l’arsenic n’a pas d’effet sur la santé des habitants des rives du lac Poopó, mais plutôt que dans ces régions andines de Bolivie, la toxicité liée à des expositions chroniques à l’arsenic doit être évaluée avec plus de précision qu’ailleurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/111116/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jacques Gardon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En Bolivie, les riverains du lac Poopó vivent dans un environnement contaminé par l’arsenic. Pourtant, ils ne présentent pas les symptômes généralement liés à une telle pollution. Pourquoi ?Jacques Gardon, Médecin épidémiologiste, Directeur de Recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.