tag:theconversation.com,2011:/us/topics/portugal-46396/articlesPortugal – The Conversation2024-03-17T15:33:02Ztag:theconversation.com,2011:article/2257022024-03-17T15:33:02Z2024-03-17T15:33:02ZLe Portugal, théâtre à son tour d’une percée de l’extrême droite<p>Depuis sa création le 19 avril 2019, le parti <a href="https://www.courrierinternational.com/une/enquete-chega-le-parti-qui-veut-mettre-le-feu-la-politique-portugaise-mais-qui-brule-de">Chega !</a> (« Assez ! », CH) n’en finit plus d’obtenir des scores en hausse : une première entrée au Parlement avec un député (son leader André Ventura) aux élections législatives d’octobre 2019 ; 2 députés <a href="https://www.ritimo.org/Portugal-Chega-un-parti-d-extreme-droite-present-dans-le-systeme-politique">à l’Assemblée législative de la Région autonome des Açores</a> en octobre 2020 ; puis <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/3206">12 députés au Parlement national aux élections législatives de 2022</a>, avec près de 7,38 %.</p>
<p>Ce 10 mars 2024 se sont déroulées au Portugal des <a href="https://theconversation.com/portugal-elections-sous-haute-tension-221186">élections législatives anticipées</a> au cours desquelles Chega a considérablement amélioré son score en recueillant pas moins de 18,06 % des voix, quadruplant ainsi le nombre de ses députés au Parlement, qui passe de <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/portugal-la-percee-d-andre-ventura-s-explique-en-grande-partie-par-sa-tolerance-zero-en-matiere-d-immigration-20240313">12 à 48</a>. CH représente aujourd’hui la troisième force politique au Portugal, derrière les deux grands partis de centre droit (79 sièges) et de centre gauche (77).</p>
<h2>Un salazarisme décomplexé ?</h2>
<p>« Nous sommes un groupe de gens ordinaires, pas une élite ; des gens qui souffrent du système actuel. » C’est ainsi que Ventura <a href="https://brasil.elpais.com/brasil/2019/12/12/internacional/1576187485_020229.html">présentait</a> sa formation politique lors de sa création en 2019. Aujourd’hui, l’objectif affiché de Chega ne serait pas – du moins d’après ses dires – de réhabiliter le salazarisme mais, avant tout, de s’insérer dans la <a href="https://theconversation.com/en-pologne-aux-pays-bas-et-ailleurs-en-europe-les-multiples-visages-des-populismes-de-droite-radicale-218664">vague populiste de droite</a> qui, depuis plusieurs années, un peu partout en Europe, profite à de nombreuses formations de ce camp. Les deux visées n’étant pas antinomiques, André Ventura, non sans une certaine habileté, s’emploie, en jouant sur les ambiguïtés, à attirer le plus de voix possible.</p>
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<p>Il existe une certaine proximité entre André Ventura (né en 1983) et <a href="https://www.cairn.info/la-dictature-de-salazar-face-a-l-emigration--9782724612714-page-99.htm">António de Oliveira Salazar</a> (1889-1975), qui <a href="https://laviedesidees.fr/Fernando-Rosas-art-durer-fascisme-Portugal">dirigea le Portugal d’une main de fer de 1932 à 1968</a>. Curieuse coïncidence, André Ventura eut comme l’ancien dictateur une vocation de séminariste (mais courte, puisqu’elle ne dura qu’une année) et devint également par la suite, comme lui, professeur de droit. Pour autant, malgré une appréhension commune du monde formulée dans le slogan « Dieu, patrie, famille » auquel Ventura ajoute le mot « travail », il ne tient pas à apparaître comme l’incarnation de la continuité de Salazar.</p>
<p>Ainsi, en 2023, il ne se rendit pas à Vimieiro, dans le district de Viseu où naquit Salazar, lors de l’implantation du CIEN (Centre d’interprétation de l’État nouveau), occupé qu’il était par sa campagne électorale… ou ne tenant pas à s’afficher comme partisan inconditionnel d’un personnage qui demeure <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2021/04/25/salazar-et-le-salazarisme-la-posterite-politique-dun-dictateur/">controversé dans le pays</a>, pour le moins pour une partie de la population, et à propos duquel il a notamment déclaré : « la plupart du temps, Salazar n’a pas résolu les problèmes du pays et nous a fait prendre beaucoup de retard à maints égards. Il ne nous a pas permis d’avoir le développement que nous aurions pu avoir, surtout après la Seconde Guerre mondiale », ajoutant : « Pas besoin d’un Salazar à chaque coin de rue, il faut un André Ventura à chaque coin de rue. »</p>
<p>Pourtant, en dépit de ces déclarations, Ventura tient à séduire la partie de l’électorat nostalgique de <a href="https://www.cairn.info/revue-pole-sud-2005-1-page-39.htm">« l’État nouveau »</a>. En effet, chaque fois qu’il le peut, il présente le 25 avril 1974 – jour de la <a href="https://www.rtbf.be/article/la-revolution-des-oeillets-que-fete-exactement-le-portugal-le-25-avril-11187709">Révolution des Œillets</a>, dont on fêtera prochainement le cinquantième anniversaire – comme la source de tous les maux de la société portugaise.</p>
<p>Dans l’un de ses discours au Parlement, en 2022, il prend la défense des forces de sécurité, selon lui déconsidérées et rendues « muettes » depuis ce jour-là, et termine son allocution en les comparant à des « héros ». Dans un <a href="https://www.bing.com/videos/riverview/relatedvideo?q=discurso+de+andr%c3%a9+ventura&mid=3BFB91F7F5513B583E593BFB91F7F5513B583E59&FORM=VIRE">autre de ses discours</a>, le 25 novembre 2023, il joue sur la date, proposant d’institutionnaliser désormais celle du <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1990/11/27/il-y-a-quinze-ans-au-portugal-la-chute-d-otelo-de-carvalho_3985464_1819218.html">25 novembre 1975</a>, jour qui s’est soldé par la victoire des militaires modérés lesquels, selon lui, ont mis fin à la révolution politique et ont conduit à la normalisation démocratique du pays. Il se pose également en défenseur du peuple, à qui il veut rendre sa « dignité » ; il entend notamment remettre à l’honneur les travailleurs en donnant la priorité aux nationaux et incite à faire revenir au pays les jeunes expatriés.</p>
<p>Certains observateurs soulignent que si Ventura n’est pas à proprement parler « salazariste », il n’hésite pas à <a href="https://sicnoticias.pt/programas/reportagemsic/2021-04-01-Andre-Ventura-nao-e-um-salazarista-mas-apropria-se-do-discurso-de-Salazar-d3d78e3f">évoquer l’imaginaire salazariste</a>. En effet, il reprend à son compte les fondements de l’idéologie de l’État nouveau : il place la famille au centre de la société et, dès 2020, il affiche sa foi catholique – autre pilier du salazarisme –, se montrant volontiers à l’Église en compagnie de son épouse Dina.</p>
<p>Lors de sa campagne de 2022, Ventura <a href="https://www.rtp.pt/noticias/eleicoes-legislativas-2022/chega-quer-15-dos-votos-e-ser-terceira-forca-em-portugal_es1375346">s’était engagé</a> à combattre la corruption supposément encouragée par le PS alors au pouvoir. Son slogan mis en avant à cette occasion, et toujours d’actualité aujourd’hui, appelle à « limpar » (<em>nettoyer</em>) le Portugal – un écho, peut-être pas involontaire, au souhait de « régénérer » le pays pour lancer une ère nouvelle qu’avait formulé Salazar à ses débuts…</p>
<h2>Après le Portugal, des visées européennes ?</h2>
<p>Chega fait siennes les thématiques de l’immigration et de l’insécurité, qui se trouvent aussi au cœur des programmes de plusieurs de ses alliés européens. Dès 2020, la formation portugaise a rejoint, au Parlement européen, le groupe <a href="https://fr.idgroup.eu/">Identité et Démocratie</a> (ID), où siègent notamment la Lega italienne, le Rassemblement national français et l’AfD allemande, et aspire à jouer le rôle d’un « pont » pour <a href="https://observador.pt/especiais/chega-na-europa-ventura-fica-na-familia-politica-de-le-pen-e-que-ser-ponte-para-uniao-das-direitas/">l’union des droites</a> souhaitant à long terme réunir tous les patriotes en un même groupe.</p>
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<p>L’argument de campagne pour 2024 a changé par rapport à ceux des campagnes précédentes, mais cela ne veut pas dire qu’il est plus modéré. Auparavant, Ventura se focalisait sur la stigmatisation de la communauté tzigane et promettait de réduire les acquis sociaux et de procéder à des coupes importantes du RSI (revenu d’insertion) ; désormais, il s’en prend moins aux droits sociaux et, conformément aux programmes de ses camarades d’ID, il <a href="https://rr.sapo.pt/fotoreportagem/politica/2024/03/05/como-o-discurso-do-chega-mudou-e-o-que-isso-diz-da-sua-estrategia/368696/">concentre ses attaques</a> sur l’immigration musulmane et sur « l’idéologie du genre » les adaptant toutefois à son pays. Le Portugal connaît dernièrement une <a href="https://www.jn.pt/2856889709/numero-de-imigrantes-em-portugal-quase-duplica-em-10-anos/amp/">forte immigration</a> (121 000 immigrants en 2022, 118 000 en 2023) ; un tiers des nouveaux arrivants proviennent du Brésil mais la plupart des autres arrivent d’autres pays hors UE, notamment d’Inde. Sur les questions sociétales, Ventura semble surtout adapter son discours aux circonstances. En 2020, il se prononce en faveur du mariage entre personnes de même sexe, déclarant à ce sujet qu’il ne verrait <a href="https://www.publico.pt/2020/11/15/politica/noticia/andre-ventura-defende-casamento-gay-critica-salazar-atrasounos-muitissimo-1939288">aucun inconvénient à ce que son fils soit homosexuel</a> ; mais le 16 décembre 2023, il s’insurge contre un <a href="https://vivreleportugal.com/actualite/les-enfants-peuvent-choisir-leur-sexe-nouvelle-loi-soutenue-par-les-socialistes/">projet de loi du PS</a> « visant à garantir le respect de l’autonomie, de la vie privée et de l’autodétermination des enfants et des adolescents qui traversent des transitions d’identité sociale et d’expression de genre », affirmant que ce texte <a href="https://fb.watch/qOS-ciqmWG/?">« mettrait en péril les enfants »</a>.</p>
<p>Durant la campagne des législatives, Ventura <a href="https://www.bbc.com/portuguese/articles/cg695nxk7xko">s’est positionné comme le promoteur d’un contrôle plus strict de l’immigration</a>, en voulant créer un crime de « séjour illégal sur le sol portugais » et imposer des quotas annuels d’entrée des étrangers en fonction « des qualifications des immigrants et des besoins du marché portugais ». Estimant qu’on ne « peut pas vivre dans un pays où tout le monde entre sans contrôle ni critère, sans savoir pourquoi il entre et à quoi il sert », il balayait d’un revers de main les accusations de racisme et de xénophobie, affirmant souhaiter <a href="https://www.bbc.com/portuguese/articles/cg695nxk7xko">« une immigration décente, mais pas incontrôlée »</a>.</p>
<h2>Quelle place dans le nouveau paysage politique ?</h2>
<p>Pour l’heure, les négociations pour former un nouveau gouvernement ont commencé. Le chef de file de la droite, Luis Montenegro, qui a remporté les législatives, a d’ores et déjà annoncé qu’il ne souhaitait pas travailler avec Chega. <a href="https://fr.euronews.com/2024/03/11/les-elections-au-portugal-laissent-le-pays-dans-lincertitude-quant-a-son-avenir-politique">De son côté, Ventura a déclaré</a> qu’il était prêt, pour participer au gouvernement, à abandonner certaines de ses propositions les plus controversées comme la castration chimique pour les délinquants sexuels et les peines de prison à vie. Il affirme que, sans sa participation au gouvernement, le Portugal plongera dans une crise politique majeure : son ralliement permettrait à une coalition de droite et d’extrême droite de gouverner ; sans cela, le Parlement étant très divisé, le pays sera difficilement gouvernable.</p>
<p>En politique, tout est possible… Et si les adversaires d’hier devenaient les alliés de demain ? Quoi qu’il en soit, Chega a désormais les yeux tournés vers l’échéance des élections européennes de juin prochain, où le parti compte encore bien accroître ses scores…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225702/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benjamin Rojtman-Guiraud est membre du Conseil municipal de la Ville de Maxéville (54)</span></em></p>Le Portugal a longtemps été une exception en Europe : l’extrême droite y réalisait des scores nettement plus faibles qu’ailleurs. Mais la donne a changé avec les législatives du 10 mars dernier.Benjamin Rojtman-Guiraud, Doctorant en Science politique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2211862024-01-21T14:41:25Z2024-01-21T14:41:25ZPortugal : élections sous haute tension<p>« Ah ! les affaires, quelle eau trouble, empoisonnée et salissante ! », écrit Émile Zola en 1898 dans son roman <em>Paris</em> peu après le scandale du canal de Panama, au moment de s’engager dans la tempête de l’affaire Dreyfus. Comme un écho lointain, le premier ministre portugais Antonio Costa martèle « évidemment » – « obviamente ! » – en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/07/portugal-le-premier-ministre-antonio-costa-a-demissionne-eclabousse-par-un-scandale-de-corruption_6198745_3211.html">annonçant sa soudaine démission</a> le 7 novembre 2023.</p>
<p>« Évidemment », une fois considéré, non sans dignité, que ses fonctions ne sont pas compatibles avec la moindre suspicion mettant en cause son intégrité dans une sombre affaire de corruption où seraient impliqués certains de ses proches, dont son chef de cabinet et l’un de ses principaux conseillers, sans compter son propre ministre des Infrastructures. « Évidemment », puisque des écoutes téléphoniques, diligentées par le ministère public, semblent l’attester.</p>
<p>Sauf que, une fois la démission annoncée et la décision prise dans la foulée par le président de la République de convoquer des élections législatives anticipées, les chefs d’accusation s’avèrent flous. L’affaire des écoutes téléphoniques révèle même une <a href="https://www.lejdd.fr/international/portugal-vise-par-un-scandale-de-corruption-le-premier-ministre-demissionnaire-victime-dune-confusion-de-nom-139632">confusion de noms</a> entre le chef du gouvernement et son ministre de l’Économie, Antonio Costa Silva.</p>
<p>Procureure générale de la République portugaise depuis 2018, Lucília Gago en sort ébranlée. D’aucuns laissent entendre que l’affaire fait « pschitt », avec beaucoup de bruit pour rien. Une affaire en « eau trouble, empoisonnée et salissante », à l’arrière-goût amer, propice à toutes les interrogations et inquiétudes quant à l’issue du scrutin programmé le 10 mars prochain.</p>
<h2>Pourquoi voter de nouveau ?</h2>
<p>« C’est une étape qui se clôt », a précisé le premier ministre en annonçant sa démission, mettant un terme à huit années de présidence du Conseil. Avant de préciser quelques jours plus tard qu’il n’occuperait plus de charges publiques au Portugal, renonçant également à sa fonction de secrétaire général du Parti socialiste qu’il exerçait depuis 2014. De fait, c’est une page qui se tourne avec l’effacement contraint de la personnalité politique phare de la vie politique portugaise des dix dernières années, par ailleurs figure de proue de la social-démocratie européenne.</p>
<p>Alors qu’Antonio Costa avait remporté haut la main les élections législatives anticipées en janvier 2022, le PS obtenant la majorité absolue des sièges au Parlement, comment en est-on arrivé là ?</p>
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<p>La démission du premier ministre s’inscrit dans un climat fortement dégradé depuis fin 2022, sous l’ombre portée du <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/au-portugal-le-tapgate-provoque-une-crise-au-sommet-de-letat-1942058">« TAPgate »</a>, la compagnie aérienne nationale en voie de privatisation dont le nom a été accolé à divers scandales et démissions au sein du gouvernement. Dont celle, le 4 janvier 2023, de Pedro Nuno Santos, influent ministre des Infrastructures et du Logement, pour couvrir sa secrétaire d’État, ancienne salariée de la TAP accusée d’avoir perçu une importante indemnité lors de son départ de la compagnie.</p>
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<figcaption><span class="caption">Antonio Costa démissionne après une enquête pour corruption.</span></figcaption>
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<p>À la fin du printemps 2023, le successeur de Pedro Nuno Santos, João Galamba, est déjà sur la sellette, en raison de <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/au-portugal-la-gauche-rattrapee-par-ses-demons-76BOYBUMMZC65GMEHQLWII2ME4/">son rôle jugé équivoque</a> dans l’attribution de juteuses concessions pour l’exploration de lithium – <a href="https://blog.leslignesbougent.org/portugal-riche-grace-au-lithium/">l’une des grandes richesses du Portugal de demain</a> – lorsqu’il était secrétaire d’État à l’Énergie. Antonio Costa refuse alors de démettre Joao Galamba de ses fonctions, comme le réclame pourtant avec vigueur le président de la République Marcelo Rebelo de Sousa, professeur de droit et président du PSD (parti social-démocrate, centre droit) de 1996 à 1999, élu début 2016 et réélu en 2021 dès le premier tour.</p>
<p>C’est le début d’une séquence qui s’est refermée début novembre avec la démission du premier ministre. Une séquence qui souligne les limites d’une cohabitation, souvent montrée en exemple depuis 2016, entre un chef de l’État et un chef du gouvernement de sensibilités politiques différentes. Et qui illustre toutes les ambiguïtés de la nature d’un régime qualifié le plus souvent de semi-présidentiel depuis <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire/1804">l’adoption de la Constitution en 1976</a> et, avec <a href="https://www.theses.fr/2001PA010327">l’apparition du fait majoritaire en 1987</a>, de « mixte parlementaire-présidentiel » ou de « premier-présidentiel », voire de « parlementariste à correction présidentielle ».</p>
<p>Par son droit de veto suspensif et, surtout, de dissolution de l’Assemblée de la République – la chambre unique du Parlement portugais –, le chef de l’État dispose de pouvoirs constitutionnels importants qui lui permettent de peser dans le jeu politique. Et cela, d’autant plus lorsque le président de la République se révèle particulièrement habile et visible sur la scène médiatique, comme c’est le cas de Marcelo Rebelo de Sousa.</p>
<p>Avec la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/30/portugal-le-premier-ministre-socialiste-antonio-costa-obtient-une-nette-victoire-electorale-mais-sans-majorite-absolue_6111627_3210.html">majorité absolue</a> obtenue par le Parti socialiste en janvier 2022, lors d’élections législatives anticipées suite à la mise en minorité du gouvernement d’Antonio Costa sur le vote du budget 2022, l’espace politique et médiatique du chef de l’État s’était mécaniquement réduit.</p>
<p>La décision de celui-ci de recourir à de nouvelles élections législatives anticipées s’inscrit dans ce contexte de tension institutionnelle et médiatique, alors qu’un autre choix était possible : celui d’accepter la démission du premier ministre en nommant une personnalité issue du parti disposant de la majorité au Parlement, comme cela avait été le cas à l’été 2004 et début 1981.</p>
<h2>Un choix risqué</h2>
<p>En ouvrant cette nouvelle séquence électorale, deux ans seulement après les précédentes législatives, le chef de l’État a opté pour la solution de retourner aux urnes malgré <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/10/portugal-des-elections-legislatives-convoquees-apres-la-demission-du-premier-ministre_6199240_3210.html">l’avis réservé du Conseil d’État</a> le 9 novembre. C’est le choix d’un vote démocratique pour donner aux électeurs la possibilité de s’exprimer et de clarifier la situation, non sans arrière-pensée politique peut-être : le président espère probablement que le scrutin permettra de remettre en selle le PSD.</p>
<p>Mais c’est un choix risqué au regard du contexte qui a conduit à la démission du chef du gouvernement, sur fond de ténébreuse affaire de favoritisme, sinon de corruption, dont la justice n’a pu établir pour l’heure la véracité. Cette discordance des temps judiciaire, politique et médiatique renforce le climat de défiance à l’égard d’une classe politique souvent pointée du doigt, avec les effets en cascade de ces scandales de corruption.</p>
<p>Ces <em>spillover effects</em> érodent la confiance dans les institutions, tout en nourrissant un sentiment délétère d’impunité. Entre classement sans suite comme dans <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/portugal-l-instruction-de-l-affaire-de-l-ex-premier-ministre-socrates-touche-a-sa-fin-20210409">l’affaire José Socrates</a> au printemps 2021 – après sept ans d’instruction, les charges de corruption active pesant sur l’ancien premier ministre (PS) de 2005 à 2011, incarcéré en 2014 et 2015, ont été abandonnées – et <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/03/26/affaire-petrobras-retour-sur-les-trois-annees-qui-ont-marque-le-bresil_5100932_3222.html">syndrome Lava Jato</a> qui, dans le cas brésilien, a montré tous les dangers depuis la <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/08/31/bresil-la-presidente-dilma-rousseff-destituee_4990645_3222.html">destitution de la présidente Dilma Rousseff</a> à l’été 2016, perçue comme un coup d’État judiciaire ayant ouvert la voie à l’extrême droite et Jair Bolsonaro, entre « business as usual » et « catch me if you can », l’opinion publique oscille, déboussolée et désenchantée.</p>
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<figcaption><span class="caption">José Socrates mis en cause et arrêté dans une affaire de corruption.</span></figcaption>
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<p>Autant dire qu’avec l’émergence en 2019 du parti d’extrême droite <a href="https://www.ritimo.org/Portugal-Chega-un-parti-d-extreme-droite-present-dans-le-systeme-politique">Chega</a>, le choix de recourir à de nouvelles élections se fait sous haute tension. Le parti fondé et dirigé par André Ventura, jeune transfuge du PSD élu député en octobre 2019, a rapidement occupé l’espace médiatique et pesé sur la recomposition de la droite, alors que le Portugal avait <a href="https://theconversation.com/portugal-le-pays-qui-dit-nao-a-lextreme-droite-125472">longtemps été épargné par l’onde de droite radicale populiste</a> observée ailleurs en Europe.</p>
<p>Avec ses 12 députés à l’Assemblée (sur 230) et les 7,5 % de suffrages obtenus aux législatives de janvier 2022, Chega ne peut que viser plus haut, les sondages le créditant de plus de 15 % d’intentions de vote – soit, avec la représentation proportionnelle, au moins une trentaine d’élus au Parlement. Plus encore que l’immigration, le principal carburant de ce parti est la dénonciation de <a href="https://www.tdg.ch/crise-politique-au-portugal-l-affaire-des-liasses-de-billets-dope-l-extreme-droite-421113087741">« la corruption des élites »</a>. Chega appelle à une grande lessive, qui devrait commencer par le Parti socialiste. Des affiches grand format sont placardées dans les rues en 2023 ; André Ventura y apparaît en « chevalier blanc » de la démocratie avec comme slogan « Le Portugal a besoin d’un grand nettoyage ».</p>
<h2>Une majorité introuvable ?</h2>
<p>Face à ce danger, les deux principaux partis de gouvernement, PS et PSD, s’organisent. Le PS tente de tourner la page d’un Antonio Costa resté très actif, avec <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/portugal/portugal-pedro-nuno-santos-remporte-les-primaires-du-parti-socialiste-dbbedae3-24c6-4ac3-9928-b9b7a3d285d4">l’élection mi-décembre</a> de son nouveau secrétaire général Pedro Nuno Santos, 46 ans, ancien ministre des Relations avec le Parlement (2015-2019), puis des Infrastructures et du Logement (2019-2022).</p>
<p>Élu avec près des deux tiers des suffrages au terme d’une primaire interne l’ayant opposé à un candidat plus centriste, Pedro Nuno Santos entend bien succéder à Antonio Costa comme premier ministre et incarner la stabilité. Il a rapidement réorganisé le PS, dont le solide ancrage local constitue un précieux atout, sans exclure une nouvelle alliance à gauche avec le Bloco de Esquerda (Bloc de Gauche), en revitalisant l’idée d’une nouvelle <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2017/10/DARCY/58001"><em>geringonça</em></a>, ce « bidule brinquebalant » qui avait fonctionné entre 2015 et 2019.</p>
<p>Quant au PSD, en proie depuis 2015 à une crise de leadership et aux coups de boutoir de Chega, il tente d’incarner l’espoir à droite d’un retour au pouvoir, suite à sa « victoire volée » d’octobre 2015, quand la coalition PSD-CDS (Centre démocratique et social) était arrivée en tête sans pouvoir gouverner, mise en minorité à l’Assemblée suite au vote d’une motion de censure par l’ensemble des forces de gauche, donnant naissance à la <em>geringonça</em>.</p>
<p>Ces nouvelles élections législatives, deux ans après l’échec de janvier 2022, semblent donner à la droite une occasion inespérée de reprendre l’ascendant. Sous la direction de son <a href="https://lepetitjournal.com/lisbonne/politique-luis-montenegro-president-psd-portugal-339241">nouveau président élu à l’été 2022</a>, Luís Montenegro, le PSD a opté pour la solution d’une nouvelle coalition avec le CDS, absent au Parlement depuis 2022, et le petit Parti populaire monarchiste (PPM), revitalisant la légendaire « Alliance démocratique », vainqueur des élections fin 1979 autour de <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1980/12/06/francisco-sa-carneiro-le-gout-de-l-autorite_2808335_1819218.html">Francisco Sá Carneiro</a>, leader charismatique du centre droit, nommé premier ministre avant de disparaître tragiquement dans un accident d’avion en décembre 1980.</p>
<p>On le voit bien, c’est la solution des alliances qui est privilégiée pour tenter d’obtenir une majorité à l’Assemblée. En l’état, aucun parti ne paraît en mesure de recueillir seul une majorité claire, sinon absolue. Si, à gauche, la voie d’une nouvelle <em>geringonça</em> semble s’esquisser, à droite l’épouvantail Chega pèse sur la recomposition de cette famille politique.</p>
<p>Malgré les <a href="https://www.euractiv.fr/section/elections/news/vers-une-coalition-des-partis-pour-isoler-lextreme-droite-au-portugal/">dénégations de son président</a>, d’aucuns suspectent le PSD de ne pas exclure une alliance avec Chega, afin de réunir une majorité parlementaire pour gouverner. Avec comme précédent le cas de l’assemblée régionale des Açores où deux conseillers Chega avaient <a href="https://rr.sapo.pt/noticia/politica/2020/11/24/acores-bolieiro-cita-sa-carneiro-na-tomada-de-posse-e-reconhece-exigente-missao/216069/">fourni l’appoint en 2020</a> pour faire basculer au PSD cette région autonome.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Santiago Abascal, leader du parti d’extrême droite espagnol Vox et Andre Ventura, leader du parti d’extrême droite portugais Chega, durant la campagne des élections législatives portugaises de 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/voxespana/51814205056">Flickr</a></span>
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</figure>
<p>Entre normalisation rapide et lutte pour l’hégémonie, Chega a déjà débauché quelques élus du PSD, cherchant à s’affirmer comme le principal parti de droite, « l’unique chemin pour battre le socialisme au Portugal », comme l’a de nouveau déclaré son président André Ventura, réélu avec plus de 98 % des voix lors de la sixième convention nationale de sa formation les 13 et 14 janvier 2024.</p>
<h2>25 avril toujours ?</h2>
<p>Avec pour toile de fond les commémorations du 50<sup>e</sup> anniversaire de la <a href="https://editionschandeigne.fr/revue-de-presse-sous-less-oeillets-le-revolution/">Révolution des Œillets</a> en avril prochain, ces élections sont bien sous haute tension. Certains acquis du 25 avril 1974 – à commencer par la Constitution « marxiste maçonnique » de 1976 – sont clairement dans le viseur de Chega, dont le président vient de déclarer que le choix se fera entre « le Portugal de 2024 », qu’il prétend incarner, et « le Portugal de 1974 », celui de Pedro Nuno Santos.</p>
<p>Nul doute que le système politique portugais peut de nouveau se révéler « résilient », malgré – ou peut-être grâce à – un <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Abstention-comment-sen-sortent-autres-pays-europeens-2021-06-21-1201162352">taux d’abstention élevé</a>, un faible intérêt pour la politique et le <a href="https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/monnaie-surevaluee-vieillissement-desindustrialisation-ce-que-le-portugal-dit-de-lue">vieillissement de l’électorat</a>.</p>
<p>Nul doute également que la société portugaise se révèle <a href="https://migrant-integration.ec.europa.eu/news/portugal-survey-finds-public-increasingly-tolerant-migrants_en">l’une des plus ouvertes à l’immigration</a>, comme l’ont rappelé les enquêtes de European Social Survey en 2023. Chega et Ventura peuvent connaître un revers analogue à <a href="https://www.lepoint.fr/monde/l-espagne-brise-l-envol-de-l-extreme-droite-en-europe-24-07-2023-2529349_24.php">celui de Vox</a> et de Santiago Abascal en Espagne lors des législatives de juillet 2023.</p>
<p>Mais le vote du 10 mars pourrait se révéler un pari risqué si, faute de majorité parlementaire, la stabilité qui a dominé la vie politique portugaise depuis une quarantaine d’année, était remise en cause. Née du 25 avril, la démocratie a montré jusqu’ici sa solidité. Alors, « 25 de Abril sempre ! » (25 avril toujours !) ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221186/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yves Léonard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au Portugal, les législatives anticipées de mars s’annoncent serrées, la gauche cherchant à conserver le pouvoir face à un centre droit qui devra composer avec la montée de l’extrême droite.Yves Léonard, Membre du Centre d'histoire de Sciences Po et chercheur associé à l’université de Rouen-Normandie, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2135872023-10-10T21:15:56Z2023-10-10T21:15:56ZVivre l’Ukraine en exil, son héritage culturel dans la peau<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/548307/original/file-20230914-26-xll2gm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C613%2C342&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Tatouage de vychyvanka sur le cou de Marguerita, à Lisbonne.
</span> <span class="attribution"><span class="source">A. Desille</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Nous sommes dans un studio de tatouage à Lisbonne, au Portugal, en novembre 2022. L’artiste tatoueuse, exilée ukrainienne, presse son aiguille sur la peau de la nuque de Marguerita, une jeune femme elle aussi ukrainienne, qui s’est offert ce tatouage pour ses 18 ans. Dans son sac, elle a rangé la chemise traditionnelle (ou « vychyvanka »), brodée par son arrière-grand-mère et qui a inspiré ce motif.</p>
<p>Marguerita vit depuis sa naissance à Amadora, une ville de la banlieue de Lisbonne où je réalise un projet de recherche depuis 2021. La première fois que j’ai rencontré Marguerita, elle m’a raconté les jours qui ont suivi l’invasion de l’Ukraine, et l’urgence qu’elle a ressentie d’aider ses compatriotes. Aidée de sa mère, elle a organisé une collecte de dons à Amadora – qui comptait avant le début de la guerre 700 résidents et résidentes originaires d’Ukraine. Lors de cette collecte, la maire d’Amadora, Carla Tavares, l’a approchée et lui a proposé de l’aide : Marguerita a obtenu un local pour entreposer les dons. L’organisation de l’aide s’est par la suite institutionnalisée et la mairie a systématisé la collecte, mais Marguerita est devenue une figure emblématique de la ville d’Amadora.</p>
<h2>Les débuts de l’immigration ukrainienne au Portugal</h2>
<p>Depuis les années 2000, les personnes ukrainiennes figurent parmi les populations migrantes majoritaires du Portugal. D’abord <a href="https://journals.openedition.org/rccs/1340">employées temporairement dans la construction, l’industrie et l’agriculture</a>, ces populations se sont installées plus durablement : leurs familles les ont rejointes au Portugal, les demandes de nationalité portugaise se sont multipliées, et <a href="https://www.om.acm.gov.pt/documents/58428/179693/Estudo_Comun_3.pdf/5467ed94-e4b8-42a2-844f-7f1926dec708">elles ont ouvert leurs propres commerces ou ateliers</a>).</p>
<p>La crise économique qui a durablement affecté le sud de l’Europe à partir de 2008 a <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-41776-9_11">ralenti l’immigration ukrainienne au Portugal</a>, mais, avant que la guerre n’éclate, les autorités portugaises recensaient encore <a href="https://www.pordata.pt/portugal/populacao+residente+estrangeira+segundo+os+censos+total+e+por+pais+de+nacionalidade-3786">27 195 résidents ukrainiens au Portugal</a>. Au printemps 2023, le Portugal avait déjà octroyé une protection temporaire à <a href="https://www.dn.pt/sociedade/potecoes-temporarias-concedidas-por-portugal-a-ucranianos-diminuiram-16236026.html">59 000 exilés ukrainiens</a>.</p>
<p>Marguerita est née au Portugal, mais elle se revendique ukrainienne :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis née ici [au Portugal], mais je n’ai pas à m’y adapter. Je peux m’adapter à la vie quotidienne, OK. Mais mon sang est ukrainien. Mon sang est hérité des générations précédentes, et il vient de ces terres. » (entretien avec Marguerita, 2022, traduction de l’autrice)</p>
</blockquote>
<p>Bien avant la guerre, et comme nombre d’Ukrainiens et d’Ukrainiennes de la <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s12134-023-01064-2">diaspora</a>, Marguerita était déjà fortement impliquée dans la sauvegarde et la reconnaissance du patrimoine ukrainien. Élève à l’école ukrainienne le week-end, joueuse de l’instrument traditionnel ukrainien bandura, collectionneuse de vychyvankas, elle voit ce patrimoine fortement mis à l’épreuve dès le début du conflit.</p>
<p>Alors que son anniversaire approche, Marguerita décide d’imprimer sur son corps ce patrimoine national, diasporique, et aussi familial.</p>
<h2>Faire vivre ailleurs sa culture dominée</h2>
<p>Suite à des <a href="https://www.unesco.org/en/articles/damaged-cultural-sites-ukraine-verified-unesco">attaques russes sur des sites culturels ukrainiens</a>, le ministre de la Culture en Ukraine a dénoncé un <a href="https://www.euronews.com/culture/2022/09/13/its-cultural-genocide-ukraines-culture-minister-trying-to-salvage-the-countrys-artifacts">« génocide culturel »</a> en septembre 2022. Des <a href="https://www.unesco.org/en/articles/unesco-supports-culture-emergencies-through-heritage-emergency-fund">fonds d’urgence sont débloqués pour soutenir la culture ukrainienne</a>.</p>
<p>En parallèle, les autorités ukrainiennes ainsi que certaines institutions culturelles européennes encouragent le boycott de la culture russe : en Ukraine, ce boycott est la <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/dec/07/ukraine-calls-on-western-allies-to-boycott-russian-culture">continuité d’une « décolonisation » de la culture et d’une affirmation de l’identité ukrainienne entamée depuis quelques années en réponse à la domination russe</a> tandis que, pour les <a href="https://www.huffingtonpost.fr/culture/article/guerre-en-ukraine-faut-il-continuer-de-boycotter-le-monde-culturel-russe_193711.html">institutions culturelles européennes ou nord-américaines qui ont déprogrammé des artistes russes</a>, ces sanctions sont perçues comme un moyen de pression pendant la guerre.</p>
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<p>La décision de Marguerita s’inscrit dans un mouvement plus large, constaté depuis le début de la guerre aussi bien en Ukraine qu’au sein de la diaspora. En effet, face à l’agression russe, de nombreuses personnes choisissent de <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/may/03/it-symbolises-resistance-ukrainians-get-tattoos-to-back-war-effort">se faire tatouer des symboles de leur pays</a>, et notamment des inscriptions en langue ukrainienne ou des images du folklore ukrainien. </p>
<p>La <a href="https://sociologica.unibo.it/article/view/15272/14825">chercheuse Kateryna Iakovlenko</a> raconte ainsi que l’artiste Olia Fedorova s’est tatoué « Souviens-toi qui tu es » en ukrainien sur son bras. Le tatouage comme acte de patrimonialisation n’est pas l’apanage des personnes ukrainiennes, et la pratique se multiplie dans de nombreux groupes diasporiques, allant même jusqu’à <a href="https://books.google.pt/books?hl=pt-PT&lr=&id=9pdREAAAQBAJ">l’incorporation de cendres de défunts dans le tatouage</a>.</p>
<p>Comme toujours décidée à mettre en valeur les compétences des femmes ukrainiennes qui l’entourent, Marguerita se tourne vers une artiste tatoueuse en exil, accueillie depuis son arrivée au Portugal dans un studio du centre de Lisbonne. Elle m’a invitée à passer la journée au studio avec elles où j’assiste à l’impression du tatouage basée sur la vychyvanka brodée par son arrière-grand-mère. J’ai pris des clichés que je lui ai envoyés le lendemain. Elle en a utilisé quelques-uns pour illustrer sa page Instagram, et a accompagné les photos de ce texte en portugais et en ukrainien :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne sais pas si je vois ça comme un tatouage, parce que pour moi c’est beaucoup plus que ça, je sens que d’une certaine manière il faisait déjà partie de mon corps. » (« Não sei se vejo isto como tatuagem, porque para mim é muito mais, sinto que de certa maneira já fazia parte do meu corpo », publié en novembre 2022, traduction de l’autrice)</p>
</blockquote>
<p>C’est comme si le tatouage avait transpiré, plutôt qu’avait été imprimé. Patrimoine incarné.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213587/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Amandine Desille est membre associée de l'UMR-Passages à l'Université de Bordeaux, et chercheuse postdoctorale à l'université de Lisbonne. Elle est membre de INTEGRIM Lab, une organisation non lucrative fondée à Bruxelles.
La recherche effectuée à Amadora entre avril 2021 et juin 2022 a été financée par l'ICM, programme Localacc. </span></em></p>Une image pour comprendre comment, de la diaspora aux réfugiés, on peut faire vivre sa culture quand on est loin de sa terre d’origine.Amandine Desille, Post doctorante géographe à l'Université de Lisbonne et membre associée de l'UMR-Passages, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2090742023-07-23T15:18:04Z2023-07-23T15:18:04ZPortugal, Philippines, France : comment les JMJ éclairent les différentes pratiques de la laïcité<p>Les <a href="https://eglise.catholique.fr/jmj-journees-mondiales-jeunesse/jmj-2023-lisbonne/">Journées mondiales de la jeunesse</a> (JMJ), qui se déroulent cette année du 25 juillet au 6 août 2023 à Lisbonne, ont bénéficié d’un soutien significatif des pouvoirs publics portugais.</p>
<p>Le <a href="https://24.sapo.pt/atualidade/artigos/161-milhoes-de-euros-e-o-valor-estimado-para-realizar-a-jmj-em-lisboa">cumul des subventions</a> versées à la fois par le gouvernement et les municipalités de Lisbonne et de Loures, qui accueillent les cérémonies de ce <a href="https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-l-institut-pierre-renouvin-2021-2-page-189.htm">giga-événement organisé tous les deux ou trois ans par l’Église catholique</a> depuis 1987, dépasse les 80 millions d’euros.</p>
<p>À ces transferts financiers directs s’ajoutent la fourniture à titre gracieux de différentes prestations, notamment la création d’un plan de mobilité, ou le <a href="https://www.dn.pt/sociedade/cada-policia-deslocado-em-lisboa-vai-receber-4339-euros-por-dia-de-ajudas-de-custo--16535432.html">déploiement de forces de police</a> pour sécuriser l’événement. Comme au cours des éditions précédentes, ce soutien public d’une activité religieuse a divisé l’opinion publique.</p>
<h2>Le contribuable portugais doit-il payer pour l’organisation des JMJ de Lisbonne ?</h2>
<p>Concernant les JMJ de Lisbonne, l’utilisation de l’argent du contribuable a suscité des critiques qui ont connu leur acmé fin janvier 2023, quand les médias ont relayé <a href="https://www.publico.pt/2023/01/25/local/noticia/altar-cinco-milhoes-vao-caber-duas-mil-pessoas-bispos-padres-cantores-musicos-2036353">l’information</a> selon laquelle la mairie allait dépenser plus de 5 millions d’euros pour construire l’estrade destinée à la veillée et à la messe finales avec le pape François.</p>
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<p>Dans un contexte où les moins de 35 ans, à qui est destiné l’événement, sont les premières victimes de l’inflation, des <a href="https://setemargens.com/jmj-discutem-se-os-milhoes-mas-nao-se-ouvem-os-proprios-jovens/">voix se sont élevées</a> pour dire que, plutôt que de servir à une fête éphémère, cet argent aurait été mieux employé à aider les jeunes Portugais à financer leurs études. D’autres <a href="https://www.dn.pt/opiniao/laicos-de-meia-idade-15863951.html">commentateurs</a>, ainsi qu’une <a href="https://www.publico.pt/2023/01/27/sociedade/noticia/jmj-associacao-acusa-autarquia-nao-respeitar-principio-laicidade-estado-2036639">association de promotion de la laïcité</a>, ont dénoncé un manquement de l’État à son devoir de neutralité.</p>
<p>Les élus mis en cause, notamment le maire de Lisbonne Carlos Moedas, ont répondu que, comme pour <a href="https://eglise.catholique.fr/jmj-journees-mondiales-jeunesse/jmj-2011-madrid/">l’édition de Madrid en 2011</a>, l’investissement initial serait largement compensé par les <a href="https://sicnoticias.pt/especiais/jornada-mundial-da-juventude/2023-02-10-JMJ-custo-do-altar-palco-baixa-para-menos-de-metade-revela-Marcelo-43ed5a90">retombées économiques</a>. Les 1,5 million de participants attendus étant censés dépenser chacun 200 euros sur place, l’économie portugaise pourrait bénéficier d’un retour financier de 300 millions d’euros.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1675145275600523265"}"></div></p>
<p>Des arguments relatifs à <a href="https://www.famillechretienne.fr/39739/article/le-cout-des-jmj-de-lisbonne-fait-polemique-au-portugal">l’image de marque du Portugal sur la scène internationale</a> ont été mis en avant par le président de la République, Marcelo Rebelo. Les JMJ étant présentées comme porteuses d’un message de fraternité, l’impact positif en termes de cohésion sociale a aussi été souligné.</p>
<p>Sur le plan juridique, des professeurs de droit <a href="https://www.publico.pt/2023/01/27/sociedade/noticia/jornada-mundial-juventude-estado-laico-sao-dez-estadios-euro-versao-religiosa-2036683">ont affirmé</a> que le soutien apporté était tout à fait conforme à la législation. De fait, si la Constitution de 1976 affirme l’aconfessionnalité de l’État et sa séparation avec <a href="https://www.legirel.cnrs.fr/spip.php?article451">« les Églises et autres communautés religieuses »</a>, la <a href="https://www.legirel.cnrs.fr/spip.php?article452">Loi de la Liberté religieuse</a> (2001) et le <a href="https://www.legirel.cnrs.fr/spip.php?article453">nouveau Concordat</a> signé avec le Saint-Siège en 2004 mentionnent un principe de coopération entre les pouvoirs publics et les religions, qui tient compte de leur représentativité (ce qui avantage le catholicisme, 81 % des Portugais s’y déclarant affiliés), dans les domaines où elles ont des intérêts communs (la promotion des droits humains, le développement, les valeurs de paix, de liberté…).</p>
<p>Cela ménage la <a href="https://www.eurel.info/spip.php?rubrique1042">possibilité de financements</a>, ce que n’ont pas manqué de rappeler certaines personnalités catholiques au moment de la polémique sur le coût des JMJ. Selon leur interprétation de l’édifice juridique portugais, <a href="https://setemargens.com/laicidade-e-laicismo/">l’État est dans son rôle quand il soutient les JMJ</a>, en raison de leur impact social positif, au même titre que quand il contribue à financer des manifestations culturelles et sportives.</p>
<h2>Une question récurrente lors des préparatifs des JMJ</h2>
<p>Cette question du soutien apporté par l’État aux JMJ est intéressante du point de vue de l’étude des relations entre État et religions. Comme j’ai eu l’occasion de l’analyser dans le cadre d’une <a href="https://journals.openedition.org/assr/65134">recherche sur l’histoire globale des JMJ</a>, elle s’est posée lors de précédentes éditions, en des termes qui dépendaient non seulement du cadre législatif mais aussi de la culture politique nationale et de l’état de l’opinion publique.</p>
<p>Sur les huit éditions s’étant tenues sous le pontificat de Jean-Paul II (1978-2005), cinq ont été organisées dans des pays où le financement direct du rassemblement par l’État était possible, soit parce que le catholicisme, en tant que religion de la majorité de la population, bénéficiait d’un statut privilégié (Argentine en 1987, Espagne en 1989, Pologne en 1991, Italie en 2000), soit parce que la Constitution n’interdisait pas explicitement le financement d’activités religieuses par l’État (Canada, 2002).</p>
<p>Les trois autres éditions ont eu lieu dans des pays où un principe de séparation stricte empêchait au contraire tout financement direct (États-Unis en 1993, Philippines en 1995 et France en 1997).</p>
<h2>Laïcité prescrite, laïcité réelle</h2>
<p>L’étude concrète des préparatifs m’a amené à relativiser l’importance des dispositions constitutionnelles organisant les relations entre l’État et les organisations religieuses. Une séparation stricte en principe peut en effet cacher de nombreuses interactions.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/537270/original/file-20230713-29-l7my6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537270/original/file-20230713-29-l7my6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537270/original/file-20230713-29-l7my6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537270/original/file-20230713-29-l7my6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537270/original/file-20230713-29-l7my6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537270/original/file-20230713-29-l7my6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537270/original/file-20230713-29-l7my6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le pape Jean-Paul II et le cardinal Sin lors de la messe finale des Journées mondiales de la jeunesse à Manille en 1995.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/bd/JohnPaulIICardinalSin1995WYD.jpg/703px-JohnPaulIICardinalSin1995WYD.jpg?20220520232612">Ryansean071/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Aux Philippines, où la Constitution de 1987, qui a accompagné le retour de la démocratie, a proclamé, sur le modèle des États-Unis, l’impossibilité pour l’État d’utiliser l’argent ou les moyens publics pour soutenir un groupe religieux spécifique (<a href="https://www.officialgazette.gov.ph/constitutions/1987-constitution/">article VI, section 29-2</a>), le président (protestant) Fidel Ramos, décida de financer l’intégralité de la JMJ.</p>
<p>Un montage juridique fut échafaudé pour contourner la législation : le ministère du Tourisme versa des subventions à une association-écran dédiée à la jeunesse, qui transféra l’intégralité des sommes reçues aux organisateurs de l’événement. Le gouvernement prit en charge toutes les infrastructures, y compris celles qui étaient provisoires, comme le podium ou le système de sonorisation. Même les fleurs furent payées par le contribuable philippin.</p>
<h2>La séparation stricte n’exclut pas la coopération</h2>
<p>De telles libertés avec la loi ne semblent pas avoir été prises aux États-Unis ni en France. Cela dit, l’absence de transferts d’argent ne signifie pas que l’aide publique n’ait pas pu être aussi – voire plus – décisive que dans les pays autorisant le financement étatique des religions.</p>
<p>L’exemple de la France, où la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000508749">loi du 9 décembre 1905</a> stipule que la République « ne salarie ni ne subventionne aucun culte », l’atteste. Dans ce pays où les sphères de compétences de l’État sont très larges, le concours apporté par la puissance publique à la réussite des JMJ parisiennes de 1997 fut déterminant. Le ministère de la Défense mit à la disposition des organisateurs un certain nombre d’appelés du contingent qui purent consacrer leur service militaire à la préparation du rassemblement.</p>
<p>Il prêta <a href="https://www.liberation.fr/france-archive/1997/08/22/quatre-peches-dans-la-capitale-la-visite-du-pape-justifie-t-elle-toute-ces-prodigalites-de-l-etat_211970/">gracieusement du matériel</a> et mit à disposition une partie de ses casernes pour l’hébergement de pèlerins. Le ministère de l’Intérieur prit quant à lui en charge une grande partie de la sécurisation de l’événement. Quant au ministère des Affaires étrangères, il mit en place une procédure facilitant la participation de jeunes étrangers ayant besoin d’un visa pour venir en France, et couvrit les coûts de fonctionnement de l’un des trois centres de presse. Il soutint particulièrement, dans le cadre de la politique de coopération, la participation de jeunes Africains.</p>
<p>Cet engagement, efficacement coordonné par un <a href="https://theconversation.com/et-si-les-pros-de-levenementiel-religieux-inspiraient-la-campagne-de-vaccination-153035">comité interministériel mis en place par le gouvernement d’Alain Juppé</a>, fut prolongé après l’arrivée de Lionel Jospin à Matignon, à l’issue des élections législatives de juin 1997 qui avaient ramené la gauche au pouvoir. Les protestations de la part du camp laïque furent marginales, peut-être parce que les organisateurs avaient su donner une image positive d’un événement qui rassemblait pacifiquement des milliers de jeunes de différents pays.</p>
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<p>On peut se demander si, l’un dans l’autre, les pouvoirs publics français, qui n’avaient versé aucune subvention directe, mais avaient structuré et organisé les efforts consentis par l’État pour faciliter le déroulement du rassemblement, n’ont pas rempli un rôle plus important que les pouvoirs publics portugais, qui ont affiché leur soutien à l’événement et financé son organisation, <a href="https://visao.pt/opiniao/2023-06-22-longa-jornada-para-o-desconhecido-opiniao-de-rui-tavares-guedes/">sans avoir mis en œuvre de planification globale des flux</a>.</p>
<p>Cette mise en perspective montre que les régimes de laïcité ne suffisent pas à prédire l’aide effective apportée par les États à la mise en place des événements religieux. Elle montre également que les opinions publiques tolèrent plutôt bien le soutien apporté par l’État ou les collectivités territoriales aux manifestations religieuses à condition que celles-ci soient organisées avec une certaine économie de moyens, et soient perçues comme alignées avec les valeurs de solidarité et d’hospitalité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209074/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Mercier a reçu des financements de l'Institut universitaire de France dans le cadre d'un projet "Jeunes, religions et mondialisations"</span></em></p>Lisbonne s’apprête à accueillir les JMJ, grand événement catholique rassemblant des centaines de milliers de personnes. L’État portugais participe au financement, ce qui suscite certaines critiques.Charles Mercier, Professeur des universités en histoire contemporaine, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1827292022-05-19T19:27:56Z2022-05-19T19:27:56ZTimor oriental : une démocratie tenace, 20 ans après l’indépendance<p>Le Timor oriental – officiellement Timor Leste –, qui a proclamé son indépendance le <a href="https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2009/10/default-title-36">20 mai 2002</a>, offre vingt ans plus tard une lueur d’espoir ténue mais rare et réconfortante dans un monde bien sombre, gangrené par le déclin de la démocratie et la montée du national-populisme autocratique sous toutes les latitudes.</p>
<p>Premier pays à acquérir son indépendance au XXI<sup>e</sup> siècle, il est en effet résolument resté dans le <a href="https://redtac.org/asiedusudest/2020/05/14/le-timor-oriental-un-etat-democratique-en-construction/">camp des démocraties</a>, malgré ses énormes handicaps de départ, les conflits récurrents qui ont marqué sa vie politique et les <a href="https://www.letelegramme.fr/une/timor-oriental-un-etat-pacifie-face-au-defi-de-son-developpement-31-12-2012-1960144.php">difficultés économiques</a> durables rencontrées au fil des ans. Les principales sources concordent toutes pour confirmer ce bilan positif.</p>
<h2>Une remarquable performance démocratique</h2>
<p>Ainsi, dans le <a href="https://freedomhouse.org/countries/freedom-world/scores">classement annuel sur la liberté</a> dans le monde établi par <em>Freedom House</em>, le Timor oriental est le seul pays d’Asie du Sud-Est considéré comme entièrement libre en 2021 avec un score de 72, alors que l’Indonésie, le grand voisin sous la botte duquel il a vécu pendant près d’un quart de siècle, de 1975 à 1999, arrive en deuxième position mais loin derrière, avec un score de 59, le cantonnant dans la catégorie des pays partiellement libres.</p>
<p>En termes de liberté de la presse, le Timor oriental est aussi en tête des pays de la région <a href="https://rsf.org/fr/classement">selon <em>Reporters sans Frontières</em></a> qui lui attribue en 2022 un indice de 81,9 et une 17<sup>e</sup> place mondiale, loin devant l’Indonésie, à la 117<sup>e</sup> place avec 49,2.</p>
<p>Cette performance remarquable est corroborée par le fait que le pays vient de tenir la quatrième élection présidentielle au suffrage universel de son histoire en <a href="https://www.rfi.fr/fr/en-bref/20220420-timor-oriental-jos%C3%A9-ramos-horta-remporte-l-%C3%A9lection-pr%C3%A9sidentielle">réélisant à sa tête</a> le 19 avril dernier <a href="https://fr.humanrights.com/voices-for-human-rights/ramos-horta.html">José Ramos Horta</a>, l’infatigable porte-parole de la cause indépendantiste sur la scène internationale pendant toute la durée de l’occupation indonésienne, prix Nobel de la paix en 1996, ministre des Affaires étrangères de 2002 à 2006, premier ministre de 2006 à 2007 et déjà président du pays de 2007 à 2012.</p>
<iframe frameborder="0" marginheight="0" marginwidth="0" scrolling="no" src="https://sites.ina.fr/nobel-de-la-paix/export/player/I19084371/360x270" width="100%" height="450" allowfullscreen=""></iframe>
<p>Ayant obtenu 62,1 % des voix contre 37,9 % à <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2017/03/20/01003-20170320ARTFIG00242-timor-oriental-les-ex-guerilleros-s-affrontent-dans-les-urnes.php">Francisco Guterres</a>, le président sortant auquel il était opposé au second tour d’une consultation qui s’est déroulée sans anicroche aucune, avec une participation de 75 % des quelque 860 000 Timorais en âge de voter au sein d’une population de 1,3 million de personnes, il a pris ses fonctions à l’occasion de ce 20<sup>e</sup> anniversaire de l’indépendance.</p>
<h2>Le passé colonial du Timor oriental</h2>
<p>Le fait que le Timor oriental soit toujours une démocratie, même si elle est imparfaite et non exempte d’âpres luttes de pouvoir, constitue un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/06/comment-le-timor-oriental-est-devenu-un-petit-miracle-democratique_5507192_3210.html">petit miracle</a>. Les difficultés auxquelles le pays a été confronté au cours de son histoire sont en effet immenses et auraient fort bien pu l’entraîner dans la direction opposée, sur la voie de l’autoritarisme et de la dictature.</p>
<p>Colonisé dès le début du XVI<sup>e</sup> siècle par le Portugal, première puissance européenne arrivée en Insulinde dans la course aux épices avec la prise de Malacca en 1511, le Timor a en effet subi la <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/timor-oriental/2-histoire/">double malédiction</a> d’être soumis à la domination d’une métropole en déclin et d’un pays vite devenu pauvre. Le Portugal n’a donc pratiquement rien fait pendant plus de quatre siècles pour développer cet arrière-poste le plus éloigné de son empire colonial. Quand il l’a brutalement abandonné à son sort en 1974, à la suite de la <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/revolution-des-oeillets-il-y-a-45-ans-un-putsch-abolissait-la-dictature-au-portugal-20190424">révolution des œillets</a> ayant renversé la dictature de Salazar à Lisbonne, la lutte pour le pouvoir a – comme partout ailleurs dans les colonies lusitaniennes de la Guinée-Bissau à l’Angola et au Mozambique – déclenché un conflit entre des forces politiques antagonistes en pleine période de guerre froide.</p>
<p>C’est le <a href="https://www.britannica.com/topic/Revolutionary-Front-of-Independent-East-Timor">FRETILIN</a> (Front révolutionnaire de Timor oriental indépendant), aux sympathies marxisantes, qui a rapidement pris le dessus et proclamé l’<a href="https://www.sciencespo.fr/mass-violence-war-massacre-resistance/fr/document/trois-siacles-de-violences-et-de-luttes-au-timor-oriental-1726-2008.html">indépendance de la République démocratique du Timor oriental</a> le 28 novembre 1974.</p>
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<figcaption><span class="caption">« East Timor independence : a short history of a long and brutal struggle » (<em>The Guardian</em>, 30 août 2019).</span></figcaption>
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<p>L’Indonésie voisine, à laquelle appartient la partie occidentale de l’île, dirigée depuis 1966 par le régime militaire dictatorial et viscéralement anticommuniste du général Suharto, ne pouvait pas accepter cette menace. Le 7 décembre 1975, l’<a href="https://www.monde-diplomatique.fr/mav/49/A/55565">armée indonésienne envahissait le Timor oriental</a>, avec l’<a href="https://ips-dc.org/east_timor_us_gave_green_light_to_invasion/">aval des États-Unis</a> (dont le président Gerald Ford, accompagné du secrétaire d’État Henry Kissinger, avait visité Jakarta la veille !), et l’approbation tacite de l’Australie qui tremblait, six mois après la chute de Saïgon, à l’idée de voir une tête de pont aux sympathies communistes prendre racine à une heure d’avion de Darwin.</p>
<h2>L’occupation militaire indonésienne</h2>
<p>Les combattants pour l’indépendance se replient alors dans les zones montagneuses de l’île, à partir desquelles ils vont mener une farouche guérilla contre l’occupant. Malgré leur résistance, l’Indonésie annexe en juillet 1976 le Timor oriental, qui devient sa 27<sup>e</sup> province.</p>
<p>Pendant près d’un quart de siècle, l’armée indonésienne va faire <a href="https://www.amnesty.org/fr/documents/asa21/006/1985/fr/">régner une terreur aveugle</a> dans sa nouvelle province et commettre une litanie de crimes de guerre et contre l’humanité <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1999/10/CHOMSKY/3310">encore impunis à ce jour</a>. Cela va se solder par la mort de quelque 200 000 personnes, un tiers de la population, tuées par les armes ou décédées à cause des exactions, des maladies et de la famine.</p>
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<figcaption><span class="caption">Timor-Leste : Petit, lointain et au cœur de préoccupations stratégiques (Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine, 1ᵉʳ mai 2020).</span></figcaption>
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<p>Mais le gouvernement de Jakarta va aussi consacrer d’importantes ressources financières pour promouvoir le développement de la province, en investissant dans l’éducation, la santé ou les infrastructures, afin de gagner le cœur des habitants – sans succès du fait de la répression atroce qui sévit.</p>
<p>Puis, dans la foulée de la crise financière asiatique de 1997-1998, le régime autoritaire indonésien s’effondre et <a href="https://www.erudit.org/en/journals/ei/1900-v1-n1-ei3075/703958ar.pdf">Suharto démissionne</a> en mai 1998, laissant le pouvoir à <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/indonesie-l-ex-president-habibie-est-mort-a-83-ans_2097008.html">Bacharuddin Jusuf Habibie</a>, son vice-président. Devant la révolte qui s’étend et amène l’archipel au bord de l’implosion, ce dernier adopte dans l’urgence toute une série de réformes de type démocratique parmi lesquelles la décision courageuse d’organiser un <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-reportage-de-la-redaction/il-y-a-22-ans-le-timor-oriental-votait-pour-son-independance-malgre-la-campagne-de-terreur-orchestree-par-l-indonesie-7832702">référendum d’autodétermination au Timor oriental</a> pour que la population choisisse entre l’indépendance ou l’autonomie au sein de la République d’Indonésie.</p>
<h2>L’indépendance du Timor oriental supervisée par l’ONU</h2>
<p>Le référendum aura bien lieu le 30 août 1999, avec la participation enthousiaste de 98,6 % de l’électorat, qui décidera à une énorme majorité de 78,5 % d’<a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1999/09/05/le-timor-oriental-a-vote-massivement-en-faveur-de-l-independance_3572771_1819218.html">opter pour l’indépendance</a>.</p>
<p>Rendue furieuse par ce résultat, l’armée indonésienne et ses supplétifs locaux vont alors déchaîner une <a href="https://www.levif.be/international/timor-leste-le-souvenir-est-encore-vif-mais-les-est-timorais-ont-la-volonte-de-se-tourner-vers-le-futur/">véritable stratégie de terre brulée</a> afin de rendre aux Timorais leur petit pays dans le pire état possible. Cela fera encore près de 1 400 morts et entraînera le déplacement de 400 000 réfugiés.</p>
<p>Pour faire cesser ces exactions, l’ONU se décidera enfin à envoyer une force armée d’interposition et organisera une <a href="https://peacekeeping.un.org/sites/default/files/past/etimor/etimor.htm">mission civile pour la préparation de l’indépendance</a> (UNTAET) qui supervisera notamment les élections présidentielles organisées en avril 2002 dont sortira vainqueur <a href="http://timor-leste.gov.tl/?p=3&lang=en">Kay Rala Xanana Gusmão</a>, le chef charismatique du FRETILIN, qui avait été arrêté en 1992 et <a href="https://www.liberation.fr/planete/1999/02/10/un-pas-vers-la-liberte-pour-le-leader-timorais-xanana-gusmao-doit-quitter-sa-prison-de-djakarta-pour_264610/">libéré de sa prison</a> de Jakarta en 1999. C’est lui qui présidera aux cérémonies de la proclamation d’indépendance du Timor oriental le 20 mai 2002.</p>
<h2>Les rivalités entre les cinq principaux leaders</h2>
<p>Le fait que ce petit pays isolé au bout du monde soit resté dans le camp de la démocratie depuis son indépendance est d’autant plus méritoire que la vie politique a été marquée par de graves conflits et que les principaux problèmes économiques auxquels il est confronté n’ont pas été réglés.</p>
<p>Sur le plan politique, ce sont les <a href="https://journals.openedition.org/echogeo/13241">rivalités entre cinq des principaux leaders</a> du combat pour l’indépendance – Xanana Gusmão, José Ramos Horta, Mari Alkatiri, Francisco Guterres et José Maria Vasconcelos – qui ont été au centre du jeu. Ils se sont en effet combattus, allié et succédé aux postes de président et de premier ministre depuis 2002.</p>
<p>Une première crise grave a <a href="https://www.lalibre.be/international/2006/06/26/le-premier-ministre-se-retire-pour-desamorcer-la-crise-BJ6ME3NJCZEBLH7JOKBTSTVH3Y/">éclaté dès 2006</a> entre le séduisant héros national et président Xanana Gusmão et son ombrageux premier ministre <a href="https://www.letemps.ch/monde/mari-alkatiri-lhomme-toutes-divisions-timororiental">Mari Alkatiri</a> à propos de l’épineux problème de la démobilisation des forces armées révolutionnaires. Elle s’est soldée par la démission de ce dernier, remplacé par <a href="https://ramoshorta.com/">José Ramos Horta</a>, qui a ensuite été élu à la présidence en 2007 alors que Xanana Gusmão, en rupture avec le FRETILIN dirigé par Mari Alkatiri, créait son propre parti, le CNRT (Congrès National pour la Reconstruction Timoraise) et s’emparait au terme des élections législatives de 2007 du poste de premier ministre, qu’il occupera jusqu’en 2015.</p>
<h2>Une vie politique encore mouvementée</h2>
<p>Mais l’événement le plus grave qui aurait pu entraîner le pays dans une guerre civile et mettre un terme à la démocratie survient en février 2008, quand un quarteron de rebelles de l’armée, mécontents du sort réservé aux anciens combattants, organise un <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2008-02-12-Confusion-a-Timor">attentat contre le tandem exécutif</a>, dans lequel <a href="https://www.britannica.com/biography/Jose-Ramos-Horta">Ramos Horta</a> est grièvement blessé. Il survivra, terminera son mandat et briguera en 2012, en candidat indépendant, un second mandat présidentiel, comme le lui permet la constitution.</p>
<p>Mais il ne se qualifiera pas pour le second tour qui verra José Maria Vasconcelos, soutenu par le CNRT de Xanana Gusmão, <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2012/04/17/l-ex-guerillero-taur-matan-ruak-elu-president-du-timor-oriental_1686394_3216.html">battre</a> Francisco Guterres, le candidat du FRETILIN dirigé par Mari Alkatiri. En 2017, Francisco Gutteres prendra sa revanche et <a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20170325-timor-oriental-defis-nouveau-president-francisco-guterres-lu-olo-figure-resi">sera élu président</a>, cette fois-ci avec le soutien du CNRT et de Xanana Gusmão, qui, après s’être fâché avec José Maria Vasconcelos et avoir démissionné de son poste de premier ministre en 2015, tente un rapprochement avec le FRETILIN.</p>
<p>Toutefois, dès 2018, le conflit entre les deux grands partis politiques rivaux et leurs leaders respectifs, Mari Alkatiri et Xanana Gusmão, resurgit et débouche en 2020 sur la mise à l’écart de ce dernier et la <a href="https://missionsetrangeres.com/eglises-asie/demission-de-taur-matan-ruak-premier-ministre-est-timorais-apres-limpasse-de-sa-coalition-face-au-budget-2020/">démission de tous les ministres issus du CNRT</a> du gouvernement dirigé par José Maria Vasconcelos, laissant le pouvoir exécutif au FRETILIN, rendu impuissant face à un Parlement dominé par l’opposition.</p>
<h2>Le problème du développement économique</h2>
<p>Depuis lors, la situation politique du pays est <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2021/01/20/timor-oriental">restée bloquée</a>, entravant notamment l’adoption du budget, ce qui a empêché l’adoption des décisions urgentes requises pour développer une économie vulnérable qui a <a href="https://www.macaubusiness.com/east-timor-parliament-approves-urgent-measures-to-respond-to-covid-19-crisis/">beaucoup souffert de la pandémie de Covid-19</a>, prise entre la flambée du virus en Indonésie et la fermeture hermétique de l’Australie.</p>
<p>Or les problèmes économiques ne sont pas simples à résoudre car les opportunités du Timor oriental sont réduites. Possédant d’importantes <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/06/timor-oriental-un-territoire-convoite_5507291_3210.html">réserves de pétrole et de gaz</a>, le pays a vécu de cette rente depuis son indépendance mais il est victime de la malédiction des ressources naturelles – que les Anglo-Saxons désignent par le terme <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/syndrome-hollandais-dutch-disease-effet-de-groningue"><em>Dutch Disease</em></a> – et peine à diversifier son économie.</p>
<p>L’exploitation des nouvelles réserves en hydrocarbures découvertes en mer de Timor et rendue possible par la <a href="https://redtac.org/asiedusudest/2020/02/17/le-timor-et-laustralie-la-valse-des-traites-petroliers-sacheve-t-elle/">signature en 2018 d’un traité de partage des eaux territoriales</a> enfin équitable avec l’Australie risque d’aggraver encore la situation de déséquilibre et de dépendance économique du pays.</p>
<p>C’est d’autant plus le cas que cela implique la construction d’infrastructures portuaires et routières pour lesquelles la Chine est bien évidemment prête à lui octroyer les crédits requis qui risquent de l’endetter durablement. Et les perspectives de diversification dans l’agriculture, largement dominée par la <a href="https://journals.openedition.org/com/191">production de café</a>, principale denrée d’exportation du pays, ou dans le tourisme, sont limitées et n’offrent pas assez d’emplois à une population très jeune, dont 70 % est âgée de moins de 30 ans, beaucoup de Timorais devant donc s’expatrier pour gagner leur vie et faire vivre leur famille.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1468252983926263812"}"></div></p>
<p>Car la pauvreté affecte toujours <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SI.POV.NAHC ?locations=TL">40 % des Timorais</a> et reste surtout très répandue dans les campagnes où ils vivent encore pour 70 % d’entre eux et où les problèmes de santé et de malnutrition sont responsables d’une mortalité maternelle et d’un taux de rachitisme des enfants très élevés. Les <a href="https://fr.unesco.org/countries/timor-leste">besoins en matière d’éducation</a> ne sont pas moindres, avec un taux d’analphabétisme toujours très haut (35 %), alors que 45 % des jeunes n’ont pas accès à l’éducation secondaire.</p>
<p>Bref, beaucoup reste à faire pour assurer une vie meilleure à la population timoraise et éviter qu’elle ne commence à être déçue des promesses non tenues de la démocratie et soit séduite à terme, comme ailleurs dans la région et dans le monde, par les sirènes du national-populisme.</p>
<h2>Quel avenir pour le Timor oriental après l’élection de José Ramos Horta ?</h2>
<p>L’<a href="https://www.swissinfo.ch/fre/toute-l-actu-en-bref/ramos-horta-remporte-l- %C3 %A9lection-pr %C3 %A9sidentielle-au-timor-oriental/47530528">élection de José Ramos Horta</a> le 20 avril 2022 à la présidence est sûrement la meilleure chance pour sortir le pays de l’ornière politique et y relancer une dynamique démocratique. Ayant toujours gardé son indépendance envers les deux grands partis du FRETILIN et du CNRT, il est le <a href="https://www.nouvelles-du-monde.com/ramos-horta-doit-trouver-un-equilibre-pour-faire-avancer-le-timor-leste/">moins mal placé</a> des cinq dirigeants historiques, tous septuagénaires comme lui, qui se sont livrés depuis vingt ans au petit jeu de chaises musicales qui commence à affaiblir la démocratie timoraise.</p>
<p>Élu comme candidat indépendant mais avec le soutien du CNRT de Xanana Gusmão, qui reste l’homme le plus populaire et le plus influent du pays, il doit désormais s’assurer une majorité au Parlement en formant une coalition gouvernementale qui associera aussi les plus petits partis dirigés par des leaders politiques plus jeunes comme <a href="https://www.parlamento.tl/node/866">Armanda Berta dos Santos</a>, la dirigeante du KHUNTO, arrivée en troisième position au premier tour de la présidentielle, avec 8,7 % des suffrages.</p>
<p>En fait, il devrait avoir à cœur d’être l’artisan d’une transition politique et du passage de témoin aux représentants de cette nouvelle génération dont il est temps qu’elle arrive au pouvoir. Pour ce qui est de l’économie, il faudra aussi trouver des compromis entre ceux qui, comme lui, sont partisans de la réalisation des grands projets pétroliers et d’une collaboration étroite avec la Chine, au risque d’envenimer les relations avec les États-Unis et l’Australie, et les autres, qui sont favorables à une plus grande diversification et à la recherche d’une indépendance économique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Timor-Leste’s Inclusion in Asean Membership Could Begin After March 2022 (EAC News, 15 février 2022).</span></figcaption>
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<p>Tous sont en revanche d’accord pour que le Timor oriental <a href="https://asia.nikkei.com/Editor-s-Picks/Interview/East-Timor-s-president-elect-says-Asean-membership-a-top-priority">rejoigne enfin les rangs de l’Asean</a>, ce qui romprait son grand isolement, stimulerait les investissements et accélérerait son développement. Incidemment, cela permettrait aussi de renforcer le camp de la démocratie au sein d’une association où elle n’est pas majoritaire. Le fait que Dili ait réussi à établir de très bonnes <a href="https://journals.openedition.org/conflits/401 ?lang=en">relations avec Jakarta</a>, en dépit des souffrances atroces que l’Indonésie a infligées à la population, largement grâce à l’admirable capacité de pardon de personnalités aussi magnanimes et tolérantes que Ramos Horta et Xanana Gusmão, devrait faciliter cette adhésion.</p>
<p><a href="https://thepressfree.com/jose-ramos-horta-declare-une-victoire-eclatante-a-lelection-presidentielle-au-timor-leste/">Déclarant</a> qu’il avait reçu son mandat de la nation « dans une démonstration écrasante de l’engagement de notre peuple envers la démocratie », le nouveau président semble confiant sur ses possibilités d’apaiser les divisions du passé. Interrogé à ce sujet après son élection, il a répondu :</p>
<blockquote>
<p>« Je ferai ce que j’ai toujours fait tout au long de ma vie… Je poursuivrai toujours le dialogue, patiemment, sans relâche, pour trouver un terrain d’entente et des solutions aux défis auxquels ce pays est confronté. »</p>
</blockquote>
<p>Tout ce que l’on peut souhaiter à cette petite nation exemplaire pour son 20<sup>e</sup> anniversaire est qu’il y arrive et que le Timor oriental continue à progresser sur le chemin de la démocratie et de la prospérité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182729/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Luc Maurer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après avoir obtenu l’indépendance, survécu aux crimes de guerre de l’Indonésie, et réussi à maintenir son régime démocratique, le Timor Leste saura-t-il aussi vaincre ses problèmes économiques ?Jean-Luc Maurer, Professeur honoraire en études du développement, affilié au Albert Hirschman Center on Democracy, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1783352022-03-22T19:44:08Z2022-03-22T19:44:08ZCe que change l’accord de coopération sécuritaire entre le Maroc et Israël<p>Le 24 novembre dernier, le Maroc et Israël ont signé un <a href="https://information.tv5monde.com/info/le-maroc-et-israel-signent-un-accord-de-cooperation-securitaire-433753">accord de coopération sécuritaire</a>. Cet accord, qui prévoit un volet sur la coopération dans l’industrie militaire, pourrait donner un avantage technologique et militaire au Maroc <a href="https://www.liberation.fr/international/le-maroc-signe-un-accord-securitaire-avec-israel-et-irrite-lalgerie-20211126_C2BKJKTKJVGX5KOZ42WQ2PHUZM/">par rapport au voisin algérien</a>, d’autant que son budget militaire (12,8 milliards de dollars) pourrait surpasser celui de l’Algérie dès 2022.</p>
<p>L’accord fait suite <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/13/resurgence-du-conflit-israelo-palestinien-les-nouveaux-allies-arabes-d-israel-sur-la-corde-raide_6080102_3210.html">aux accords d’Abraham</a> de novembre 2020 qui avaient scellé les relations diplomatiques entre Rabat et Tel-Aviv en échange de la reconnaissance par l’administration Trump de la <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/conflit-du-sahara-occidental-la-reconnaissance-de-la-souverainete-marocaine-par-trump-n-rien">« marocanité » du Sahara occidental</a>. Depuis, Rabat a aussi créé une <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/02/22/le-maroc-cree-une-region-militaire-a-sa-frontiere-avec-l-algerie_6114729_3212.html">nouvelle région militaire</a> le long de sa frontière orientale avec l’Algérie, augmentant ainsi la présence d’armes et de soldats des deux côtés de la frontière.</p>
<p>La signature de l’accord a encore dégradé les rapports, déjà très tendus, entre le Maroc et l’Algérie. En août dernier, Alger a <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20210824-l-alg%C3%A9rie-rompt-ses-relations-diplomatiques-avec-le-maroc-ministre-alg%C3%A9rien-des-affaires-%C3%A9trang%C3%A8res">rompu ses relations diplomatiques</a> avec Rabat, suite à une escalade d’incidents émanant du Makhzen (le pouvoir marocain). Parmi ces incidents, on retrouve notamment les écoutes d’officiels algériens à l’aide du <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/07/23/l-algerie-condamne-l-utilisation-par-le-maroc-de-pegasus-et-se-dit-profondement-preoccupee_6089282_3212.html">logiciel espion israélien Pegasus</a> ou l’appel de l’ambassadeur du Maroc aux Nations unies en faveur de <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210719-les-propos-d-un-responsable-marocain-sur-la-kabylie-f%C3%A2chent-l-alg%C3%A9rie">l’autonomie de la Kabylie</a> – une ligne rouge pour Alger.</p>
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<p>Analyser l’accord israélo-marocain à travers le seul prisme algéro-marocain serait toutefois une erreur d’appréciation. En réalité, les pays du pourtour méditerranéen, à commencer par l’Espagne, sont eux aussi concernés.</p>
<h2>La bonne image internationale du Maroc va-t-elle s’éroder ?</h2>
<p>Jusqu’à présent, le Maroc a <a href="https://www.maghreb-intelligence.com/parlement-francais-le-maroc-constitue-un-pole-de-stabilite-malgre-la-persistance-de-tensions-socio-economiques/">bénéficié d’une image d’allié fiable</a> auprès de la communauté internationale, en dépit du fait qu’il soit le <a href="https://www.20minutes.fr/monde/2997127-20210312-premier-producteur-mondial-haschich-maroc-veut-legaliser-cannabis-therapeutique">premier exportateur mondial de cannabis</a> et que son occupation du Sahara occidental depuis le retrait de l’Espagne de ce territoire en 1975 soit <a href="https://www.icj-cij.org/en/case/61">illégale au regard du droit international</a>.</p>
<p>La nouvelle <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/maroc/le-maroc-achete-un-systeme-de-defense-israelien-en-pleine-tension-avec-l-algerie_4857375.html">coopération militaire</a> en devenir entre Rabat et Tel-Aviv pourrait bien changer la donne.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le ministre israélien de la Défense Benny Gantz au Maroc pour une visite historique (France 24, 24 novembre 2021).</span></figcaption>
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<p>En effet, enhardi par ses nouvelles relations avec Israël et, par ricochet, avec Washington, le Maroc pourrait bien se montrer encore plus agressif dans son <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/tensions-entre-lespagne-et-le-maroc-sur-la-question-du-sahara-occidental-1320094">face-à-face avec l’Espagne</a>.</p>
<p>Rappelons que, avant même la signature de cet accord, le Makhzen n’avait pas hésité, en mai 2021, à envoyer près de 8 000 jeunes Marocains, dont des bébés, inonder l’enclave espagnole de Ceuta, ce qui avait incité les autorités espagnoles à dénoncer une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/20/migrants-a-ceuta-l-espagne-accuse-le-maroc-d-agression-et-de-chantage_6080868_3210.html">« agression » et un « chantage »</a>. Selon bon nombre d’observateurs, cette opération marocaine était avant tout due à la <a href="https://ecfr.eu/article/this-time-is-different-spain-morocco-and-weaponised-migration/">volonté du pouvoir de Rabat de faire diversion</a> auprès de sa propre population, en proie à de <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/02/18/nous-n-avons-plus-aucun-revenu-l-arret-de-la-contrebande-plombe-l-economie-du-nord-du-maroc_6070448_3212.html">graves difficultés socio-économiques</a>.</p>
<p>Comme le soulignait justement le politologue José Ignacio Torreblanca dans le quotidien espagnol <a href="https://www.elmundo.es/opinion/2021/05/18/60a3e4a2fc6c83a70e8b4575.html"><em>El Mundo</em></a>, rappelant le précédent de la <a href="https://www.lopinion.ma/Marche-Verte-Chronologie-d-une-epopee-fondatrice-du-patriotisme-marocain_a20489.html">« marche verte » de 1975</a>, lorsque 350 000 civils et militaires marocains avaient, déjà, marché jusqu’au Sahara occidental afin de l’occuper, le Makhzen n’en était pas à son coup d’essai dans son utilisation de sa population à des fins de politique nationale et de renforcement du trône.</p>
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<figcaption><span class="caption">Crise migratoire Maroc/Espagne : retour au calme à Ceuta, tensions entre Rabat et Madrid, France 24, 21 mai 2021.</span></figcaption>
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<p>Cette crise des migrants rappelait aussi que l’interdépendance créée par la globalisation peut être détournée et utilisée comme une stratégie de <a href="https://ecfr.eu/special/connectivity_wars/">« guerre de connectivité »</a> au lieu de contribuer au développement. La Turquie de Recep Erdogan avait utilisé les <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/les-migrants-sont-devenus-les-armes-de-guerre-non-letales-du-regime-turc-estime-le-politologue-ahmet-insel_3849539.html">mêmes méthodes</a> en laissant passer des milliers de migrants en Europe, exerçant ainsi une pression sur les pays européens mais démontrant aussi l’interdépendance entre l’UE et la Turquie. Plus près de nous, les sanctions économiques imposées à la Russie par l’UE, les États-Unis et les Nations unies soulignent elles aussi que la globalisation a rendu les pays profondément interdépendants et donc, aussi, plus vulnérables.</p>
<p>Les Espagnols, qui n’ont pas oublié par ailleurs l’intrusion d’éléments militaires marocains [sur l’île espagnole de Perejil en juillet 2002], ne sont pas les seuls à avoir eu maille à partir avec Rabat ces dernières années. Ce fut également, et récemment encore, le cas des <a href="https://www.lefigaro.fr/international/d-ou-vient-la-crise-diplomatique-entre-l-allemagne-et-le-maroc-20210304">Allemands</a> et des Français, qui auraient eux aussi été <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/l-enquete-des-matins-du-samedi/scandale-pegasus-l-embarras-francais-vis-a-vis-du-maroc">espionnés par le Maroc à l’aide du logiciel Pégasus</a>.</p>
<h2>La nécessaire mise à jour du logiciel géopolitique européen</h2>
<p>L’incident de Ceuta en mai 2021 avait mis en évidence « la réalité d’un pouvoir à l’inquiétante régression autoritaire » comme l’avait souligné à l’époque l’éditorial du journal <em>Le Monde</em>, qui invitait à <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/05/21/crise-des-migrants-a-ceuta-il-est-temps-de-sortir-d-une-certaine-naivete-dans-le-regard-porte-sur-le-maroc_6081001_3232.html">« sortir d’une certaine naïveté dans le regard porté sur le Maroc »</a>.</p>
<p>Les différentes <a href="https://www.bladi.net/maroc-manifestations-accord-militaire-israel,88495.html">manifestations dans les rues marocaines</a> condamnant la venue au Maroc du ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, en novembre dernier, révèlent, pour leur part, un profond fossé entre le peuple et le palais royal. Illustration de ce fossé : des manifestants sont allés jusqu’à <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-oWBzmp0FGg">jeter des pierres sur un portrait géant de Mohammed VI</a>. Geste impensable au Maroc il y a encore peu !</p>
<p>Les <a href="https://lvsl.fr/repression-des-mouvements-du-rif-par-letat-marocain-aux-origines-de-la-fracture/">manifestations</a> récurrentes pour la liberté et la dignité, dans la région du Rif, économiquement délaissée par le pouvoir central de Rabat, pourraient elles aussi s’accentuer. La réponse des autorités marocaines consistant à multiplier les poursuites et les arrestations contre les manifestants ne fait que renforcer le mouvement, qui ne plie pas. Plus encore, la nouvelle alliance avec Israël risque fort d’être la goutte qui fait déborder le vase, non seulement pour le Rif mais pour de nombreux Marocains, aux yeux desquels ce rapprochement entre Rabat et Tel-Aviv constitue une <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210513-le-maroc-embarras%C3%A9-par-les-manifestations-anti-isra%C3%A9liennes-dans-le-pays">trahison de la cause palestinienne</a>. La continuation des manifestations du Rif pourrait bien <a href="https://www.courrierinternational.com/article/maroc-la-revolte-du-rif-sinvite-la-fete-du-tron">déstabiliser le trône chérifien</a> et susciter une répression sanglante, qui déboucherait inévitablement sur une vague de migration marocaine vers l’Europe.</p>
<p>Sur le plan régional, l’accord avec Israël risque également d’avoir des conséquences importantes. Le Maroc étant mieux armé et donc davantage susceptible d’entrer dans un conflit militaire, même minime, <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2021/12/26/le-risque-en-2022-dun-conflit-entre-lalgerie-et-le-maroc/">avec l’Algérie</a> ou avec le Front Polisario au Sahara occidental, le Maghreb, mais aussi le Sahel et l’Afrique francophone dans sa globalité, pourraient se voir entraînés dans une spirale d’instabilité dont les ondes de choc se feront sentir jusqu’au cœur de l’Europe à moyen et long terme. Car une déstabilisation de l’Afrique du Nord aura pour conséquence inévitable une vague migratoire vers l’Europe d’une ampleur jamais vue précédemment. De plus, du fait de l’importance de la communauté franco-maghrébine vivant en France, un conflit armé algéro-marocain, même de basse intensité, ne pourrait que se répercuter dans l’Hexagone.</p>
<p>Par ailleurs, cet armement marocain aux portes de l’Europe qui <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20211204-spain-concerned-about-israel-morocco-rapprochement/">inquiète Madrid</a> risque aussi de créer des tensions diplomatiques et des divisions au sein même de l’Union européenne entre les pays qui soutiennent systématiquement Rabat, comme la France, et d’autres, comme l’Allemagne, qui souhaiteraient voir plus de fermeté vis-à-vis du Maroc.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1368864229382578177"}"></div></p>
<p>Si leur attention est actuellement rivée sur l’Ukraine, il serait sans doute judicieux pour les Européens, et spécialement pour la France, de s’interroger si la <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2011/04/26/la-diplomatie-de-connivence-de-bertrand-badie_1513006_3260.html">politique de connivence</a> décrite par le politologue Bertrand Badie est toujours justifiée à l’égard du Maroc. Paris, tout spécialement, pourrait se positionner comme un interlocuteur et un partenaire crédible dans tout le Maghreb s’il mettait un terme à son soutien inconditionnel à l’occupation marocaine du Sahara occidental. Une évolution qui serait d’autant plus utile que, à l’heure où les Européens cherchent une alternative au gaz russe, <a href="https://www.algerie360.com/lalgerie-peut-elle-remplacer-le-gaz-russe-en-europe/">l’Algérie</a> peut se révéler un allié précieux dans ce domaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178335/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Abdelkader Abderrahmane est senior researcher a I'institut d'études de sécurité (ISS) et non-resident fellow au sein de l'Atlantic Council. </span></em></p>Cet accord, qui renforce le Maroc face à l’Algérie, a fait naître quelques inquiétudes dans plusieurs pays d’Europe.Abdelkader Abderrahmane, Senior researcher, Institute for Security StudiesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1581702021-04-06T18:40:26Z2021-04-06T18:40:26ZDébat français sur l’euthanasie : leçons d’Allemagne, du Portugal et d’Espagne<p><em>Texte écrit en collaboration avec Éva Stahl, étudiante à Sciences Po Paris.</em></p>
<hr>
<p>La pandémie a rappelé avec force le tabou de la mort. La mort doit être évitée, elle est un échec ultime, et mérite notre indignation. Mais est-ce la mort elle-même qui est un problème, ou bien ses causes inacceptables et ses conditions qui nous paraissent inhumaines ? Le débat est en cours, notamment au niveau législatif, dans plusieurs pays européens, y compris en France.</p>
<p>Alors que l’Assemblée nationale <a href="https://www.lepoint.fr/politique/la-difficile-question-de-l-euthanasie-entre-enfin-en-debat-au-parlement-23-03-2021-2418989_20.php">se prépare à débattre</a> (à partir du 8 avril 2021) de quatre nouvelles propositions de loi relatives à la fin de vie (après que le <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/le-senat-rejette-la-proposition-de-loi-ps-pour-le-droit-a-mourir-dans-la">Sénat en a rejeté une</a>), trois autres pays européens vivent des révolutions dans leur rapport à la mort et à la possibilité de prendre des décisions dans ce domaine. L’Allemagne, le Portugal et l’Espagne ont récemment repensé le rapport entre la mort volontaire et le droit. Leurs expériences posent des défis intellectuels, moraux et juridiques fascinants.</p>
<h2>De quoi est-il question, exactement ?</h2>
<p>Les propositions de loi françaises parlent toutes d’<em>assistance médicalisée active à mourir</em>. Il s’agit d’une évolution du vocabulaire : les formules <em>euthanasie</em> et <em>suicide assisté</em> ne semblent plus exprimer de façon adéquate la demande du patient et sa relation avec le médecin, même si elles sont encore parfois citées pour préciser les différences techniques entre les procédures.</p>
<p>Le processus de mourir est regardé en face, et c’est bien sa solitude jusqu’à présent assumée qui n’est plus perçue comme une nécessité. La mort médicalement assistée se présente non seulement comme une mort choisie et sans souffrances, mais surtout comme un départ qui peut être accompagné par des proches, réunis au chevet du malade.</p>
<p>Il existe plusieurs définitions de l’euthanasie. Celle dont il est question ici est qualifiée d’<em>active</em> : il s’agit d’une mort douce donnée par le médecin (le plus souvent par injection d’un produit létal) à la demande explicite du patient. Ce dernier se trouve parfois dans l’impossibilité physique de se donner la mort lui-même, mais il peut aussi <em>préférer</em> être accompagné par le médecin dans ses derniers moments. Quant au suicide assisté, il s’agit de la possibilité offerte au patient de se donner la mort seul, grâce à un produit sûr prescrit par un médecin (une boisson létale), accompagné ou non par un médecin.</p>
<p>Toutes les propositions de loi récemment déposées à l’Assemblée souhaitent encadrer ces deux procédures. La première a été avancée par <a href="http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl20-131.html">Marie-Pierre de la Gontrie</a>, juriste et sénatrice, membre du Parti socialiste. Élaborée avec l’aide de <a href="https://www.admd.net/">l’Association pour le droit de mourir dans la dignité</a>, elle a été inscrite à l’ordre du jour au Sénat juste après la mort de <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2021/03/08/la-mort-de-paulette-guinchard-kunstler-ancienne-secretaire-d-etat-aux-personnes-agees_6072339_3382.html">Paulette Guinchard-Kunstler</a> début mars 2021. </p>
<p>Paulette Guinchard-Kunstler fut une députée PS, secrétaire d’État aux personnes âgées dans le gouvernement Lionel Jospin et vice-présidente de l’Assemblée nationale. Elle souffrait du syndrome cérébelleux, une maladie neurodégénérative incurable. Elle a décidé de se rendre en Suisse, où le suicide assisté est autorisé, pour y mourir – en faisant en même temps de son décès un geste militant en faveur de la modification de la <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/prises-en-charge-specialisees/findevie/ameliorer-la-fin-de-vie-en-france/article/loi-fin-de-vie-du-2-fevrier-2016">loi française sur la fin de vie</a>, qui ne permet pas au médecin d’abréger intentionnellement la vie de la personne qui souffre. Le cœur de la proposition <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/le-senat-rejette-la-proposition-de-loi-ps-pour-le-droit-a-mourir-dans-la">a été rejeté</a> par la Haute Chambre le 11 mars, et son auteure l’a donc retirée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1369896515087577089"}"></div></p>
<p>Les quatre propositions suivantes ont été déposées par des députés de tous bords politiques, et semblent avoir toutes la même motivation : encadrer des pratiques soutenues par la grande majorité des Français (<a href="https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/ethique/euthanasie-96-des-francais-y-sont-favorables">96 %</a> d’entre eux seraient favorables à l’euthanasie d’après un sondage d’avril 2019) et les rendre non seulement accessibles, mais aussi transparentes et contrôlables.</p>
<p>Le premier projet, qui sera débattu le 8 avril 2021, a été soumis en 2017 par le professeur d’histoire et membre du groupe Libertés et territoires (divers gauche) <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b0288_proposition-loi">Olivier Falorni</a>. Cette même année 2017, l’aide-soignante <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b0517_proposition-loi">Caroline Fiat</a> (FI) a déposé son texte. Deux autres ont été présentés en 2021, par la juriste <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3755_proposition-loi">Marine Brenier</a> (LR) et par le médecin <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3806_proposition-loi">Jean‑Louis Touraine</a> (LREM).</p>
<p>Les projets diffèrent par la tonalité de l’exposé de leurs motifs – ils insistent particulièrement sur l’inégalité devant les conditions de mourir (FI), sur l’absence de moyens juridiques (LR), sur les mauvaises conditions de la mort assistée en France (LREM) ou sur le fait que le droit de mourir relève de « la liberté ultime » (Falorni). Ils sont toutefois tous d’accord sur le fond : si une personne, adulte et capable, souffrant d’une maladie grave, incurable et en phase avancée, exprime le désir de mourir, elle devrait avoir le droit d’être aidée activement par un médecin. Plusieurs projets insistent sur le côté actif, parfois sans préciser – volontairement – s’il s’agit d’une simple prescription d’un comprimé ou d’une boisson létale (pour le suicide assisté), ou d’une injection d’une telle substance (pour l’euthanasie). Les souffrances citées dans les projets ne doivent pas être nécessairement physiques – il peut s’agir de souffrances psychiques qui rendent la vie insupportable.</p>
<p>Tous les projets proposent également différents moyens de s’assurer que le patient ne subit pas de pressions, que sa décision est réellement autonome, et que son état de santé ne laisse pas espérer une amélioration. Ces moyens incluent notamment la consultation de médecins indépendants, de membres de l’entourage qui n’ont aucun intérêt moral ou matériel au décès et, quand cette précaution a été prise, la lecture des <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F32010">directives anticipées</a> laissées par le malade s’il n’est pas en mesure de s’exprimer. La création d’une commission de contrôle est également prévue, tout comme l’assurance de l’accès universel aux soins palliatifs et l’existence d’une clause de conscience pour le médecin.</p>
<p>Les différences entre les projets sont minimes. Ils ne copient pas les projets internationaux – par exemple, contrairement à la <a href="https://www.justifit.be/b/droit-euthanasie-belgique/">loi belge</a>, ils excluent tous l’application de la loi aux mineurs. Cette relative unanimité des projets devrait d’ailleurs conduire à l’élaboration d’un texte commun reflétant le soutien massif des citoyens français à une nouvelle législation. Mais cette perspective est pour l’instant lointaine : le 8 avril, quelques députés LR, <a href="https://www.la-croix.com/Euthanasie-3-000-amendements-deposes-Assemblee-compromettant-adoption-2021-04-03-1301149218">qui ont déposé 3 000 amendements</a> au texte d’Olivier Falorni, risquent de bloquer l’examen même du projet. Pourtant, le soutien à la tenue de ce débat est transpartisan au sein de l’Assemblée, comme en témoigne une tribune de 270 députés <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/lappel-de-270-deputes-sur-la-fin-de-vie-nous-voulons-debattre-et-voter-4036064">publiée le 4 avril</a>.</p>
<p>Le projet d’<a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b0288_proposition-loi">Olivier Falorni</a> a la spécificité d’avoir été co-écrit avec l’écrivaine <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/la-derniere-lettre-danne-bert-euthanasiee-lundi-en-belgique-3452399">Anne Bert</a> qui, souffrant de sclérose latérale amyotrophique, a choisi en 2017 de partir en Belgique pour y bénéficier de l’euthanasie. Dans son dernier livre, <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/le-tout-dernier-ete-9782213705521"><em>Le tout dernier été</em></a>), elle invite à « apprendre à penser la mort », et témoigne de ses motivations. L’exposé des motifs du projet qui sera débattu à l’Assemblée le 8 avril contient une lettre d’Anne Bert, qui précise notamment :</p>
<blockquote>
<p>« Non, la loi française n’assure pas au malade son autodétermination et elle n’est pas garante d’équité. Chaque équipe médicale agit, <em>in fine</em>, selon ses propres convictions et non selon les vôtres. »</p>
</blockquote>
<p>Ce même exposé souligne aussi que « le droit à l’euthanasie ne s’oppose pas aux soins palliatifs », contrairement à ce qui est <a href="https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/Leuthanasie-soins-palliatifs-sont-ils-compatibles-2018-11-28-1200986030">souvent affirmé</a>.</p>
<p>Si les projets de loi cités insistent sur le rôle actif du médecin, c’est parce qu’ils jugent insatisfaisante la procédure connue sous le nom d’<em>euthanasie passive</em>. Cette dernière assume qu’il est parfois permis de suspendre le traitement et de permettre à un patient de mourir sans pour autant prendre de mesures directes visant à abréger sa vie. Elle semble de facto autorisée par la loi en vigueur en France depuis <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000446240?r=Kd28XBu5rt">2005</a> ou <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/prises-en-charge-specialisees/findevie/ameliorer-la-fin-de-vie-en-france/article/loi-fin-de-vie-du-2-fevrier-2016">2016</a>, et en Allemagne, via des arrêts de la Cour fédérale de justice (BGH), depuis <a href="https://www.hrr-strafrecht.de/hrr/3/96/3-79-96.php3">1996</a>.</p>
<p>Toutefois, plusieurs voix se sont élevées contre cette distinction jugée hypocrite. Le philosophe américain James Rachels pense par exemple que puisqu’il s’agit dans les deux cas de provoquer la mort du patient, ce qui diffère est la méthode, et non pas le fond. Dans le cas de la procédure active, on s’assure que le patient ne souffre pas, et dans la procédure passive on le laisse mourir faute de soins, ce qui peut <a href="https://www.nejm.org/doi/pdf/10.1056/NEJM197501092920206">sembler plus cruel</a>. Si l’on accepte la possibilité d’arrêter l’acharnement thérapeutique, on devrait permettre aussi la fin de vie plus apaisée, comme dans le contexte de l’euthanasie active.</p>
<h2>L’actualité ibérique</h2>
<p>Depuis une vingtaine d’années, le Portugal a voté une série de lois dont la modernité surprend. D’abord, en 2001, la <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2016-2-page-151.htm">dépénalisation de toutes les drogues</a>. Puis, en 2007, ce pays pourtant catholique a légalisé <a href="https://www.scielo.br/scielo.php?pid=S0102-311X2020001300502&script=sci_arttext&tlng=en">l’accès à l’avortement</a>. Enfin, en janvier 2021, son Parlement <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/01/29/au-portugal-le-parlement-legalise-l-euthanasie_6068124_3210.html">a voté en faveur</a> de l’accès à l’euthanasie et au suicide assisté, en reprenant un projet de loi de février 2020 proposé par la gauche, les écologistes et les libéraux (136 voix pour, 78 contre, et 4 abstentions).</p>
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<p>Quelques semaines plus tard, en mars 2021, la Cour constitutionnelle a pourtant temporairement bloqué la loi, à la demande du président Marcelo de Sousa qui la trouvait <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/18/au-portugal-la-cour-constitutionnelle-annule-la-loi-autorisant-l-euthanasie_6073641_3210.html">imprécise</a>. Les juges ont noté qu’ils comprenaient bien l’existence d’une tension, au sein de la Constitution, entre le devoir de protéger la vie et le respect de l’autonomie personnelle, tout en reconnaissant que cette tension peut être traitée à l’aide des moyens législatifs. </p>
<p>La loi sur l’euthanasie n’est donc <a href="https://www.jn.pt/nacional/lei-da-eutanasia-chumbada-pelo-constitucional-13459769.html">pas contraire à la Constitution <em>a priori</em></a>. Néanmoins, dans sa formulation actuelle, elle ne définit pas assez clairement la notion de « souffrance intolérable », laquelle serait pourtant au moins partiellement déterminable à l’aide des critères médicaux. Les députés se pencheront donc sur le texte, en y ajoutant très probablement le critère de la « maladie terminale », qui exclurait notamment de la loi les personnes handicapées. Notons que cette dernière limitation n’existe pas en Belgique et aux <a href="https://www.alliancevita.org/2017/11/leuthanasie-aux-pays-bas-2-2/">Pays-Bas</a> : dans ces deux pays, les personnes lourdement handicapées peuvent demander une aide à mourir, et celle-ci peut être acceptée.</p>
<p>Au même moment (18 mars 2021), en Espagne, le Parlement <a href="https://www.ieb-eib.org/fr/actualite/fin-de-vie/euthanasie-et-suicide-assiste/espagne-la-depenalisation-de-l-euthanasie-entre-les-mains-du-senat-1945.html">a approuvé définitivement</a> la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté (202 voix pour, 141 contre et 2 abstentions). La loi, qui entrera en vigueur en juin, ne précise pas si la personne qui formule la demande doit être en fin de vie. Il faut en revanche qu’elle souffre « d’une maladie grave et incurable ou d’une maladie grave, chronique et invalidante » provoquant « des souffrances intolérables ».</p>
<p>Aussi bien au Portugal qu’en Espagne, des mouvements d’opposition existent. Plusieurs organisations militant pour un accès plus large aux soins palliatifs – qui diminuent la douleur – maintiennent que ces derniers suffisent face à la souffrance potentielle de la fin de vie. Néanmoins, le soutien populaire à cette mesure est important dans les deux pays. Au Portugal, <a href="https://www.lusa.pt/article/UsrRdIrU_ZwTiNeR6mVBbTMSZM5iuSI1/portugal-over-half-favour-euthanasia-survey">plus de 50 %</a>de la population veut une législation permettant l’euthanasie ; en Espagne, le soutien atteint <a href="https://elpais.com/sociedad/2021-03-18/espana-aprueba-la-ley-de-eutanasia-y-se-convierte-en-el-quinto-pais-del-mundo-en-regularla.html">87 %</a>.</p>
<h2>L’Allemagne entre droits fondamentaux et absence du droit</h2>
<p>En Allemagne, la question de a légalisation de l’euthanasie active, appelée « aide à mourir », <em>Sterbehilfe</em> (le mot <em>Euthanasie</em> n’est plus utilisé à cause des précédents historiques), se pose bien moins aujourd’hui que celle du suicide assisté. Interdit en décembre 2015 à travers <a href="https://www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Entscheidungen/DE/2015/12/rk20151221_2bvr234715.html">l’article 217 du code pénal</a>, il est revenu, de façon inattendue, sur le devant de la scène. Cette fois-ci, toutefois, ce n’est pas le Bundestag qui s’est prononcé, mais la <em>Bundesverfassungsgericht</em>, la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe.</p>
<p>Le 26 février 2020, la Cour de Karlsruhe <a href="https://www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Entscheidungen/DE/2020/02/rs20200226_2bvr234715.html">a déclaré</a> que l’interdiction de l’aide à un individu pour mettre fin à sa vie est anticonstitutionnelle. Ce jugement revient de facto à légaliser la procédure du suicide médicalement assisté dont l’interdiction va, aux yeux des juges, à l’encontre du <a href="https://www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Pressemitteilungen/DE/2020/bvg20-012.html">droit fondamental à disposer de soi-même</a> (<em>Selbstbestimmungsrecht</em>). Aujourd’hui, et selon la loi, chaque citoyen allemand a le droit de demander une aide médicale au suicide à tout moment de sa vie, et pas seulement en cas de maladie incurable. Si le droit à disposer de soi-même se trouve au centre de la Constitution allemande (<a href="https://www.bundestag.de/resource/blob/189762/f0568757877611b2e434039d29a1a822/loi_fondamentale-data.pdf">article 2</a>) et domine depuis de longues années le principe de non-abandon, c’est en partie pour protéger la population d’une quelconque rechute totalitaire. Le fait que chaque citoyen ait le droit de décider librement du déroulement de sa vie, sans ingérence de quiconque (et surtout pas de l’État), est l’une des conditions du processus de <a href="https://www.cairn.info/usages-de-l-oubli%20--%209782020100502-page-49.htm">reconstruction nationale allemande</a>.</p>
<p>La décision de la Cour de Karlsruhe a été <a href="https://www.zeit.de/politik/deutschland/2020-02/paragraf-217-bundesverfassungsgericht-kippt-sterbehilfe-gesetz">vivement critiquée</a> – on craignait notamment la banalisation du suicide. Or il n’y aucune raison de croire que l’autorisation du suicide assisté ferait augmenter le nombre de cas. En Suisse, pays où l’aide au suicide est autorisée depuis 1942, une <a href="https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/sante/etat-sante/mortalite-causes-deces/specifiques.assetdetail.3902306.html">étude de 2016</a> montre que le nombre de suicides (tous types confondus) comptabilisés par an a clairement diminué entre 1995 et 2003 et reste stable depuis, alors qu’en parallèle, celui des suicides assistés a fortement progressé, notamment entre 2008 et aujourd’hui. Le nombre total de suicides violents continue donc à diminuer.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1004511611166646272"}"></div></p>
<p>Certaines craintes sont infondées, mais le malaise persiste. Un an plus tard, la décision juridique de la Cour de Karlsruhe demeure un espace vide. L’interdiction est levée, mais aucune loi encadrant les pratiques n’est pour l’instant prévue. La question de l’achat de médicaments (<em>pentobarbital</em> notamment) nécessaires a été posée au ministre de la Santé plutôt conservateur Jens Spahn (CDU), mais reste non résolue.</p>
<p>Il existe trois associations qui peuvent aider la personne en souffrance : la <a href="https://www.dghs.de/">Société allemande pour la mort humaine</a>, l’association <em>Dignitas</em> Allemagne (la branche allemande de la célèbre association suisse, dont 43 % de clients <a href="http://www.dignitas.ch/images/stories/pdf/statistik-ftb-jahr-wohnsitz-1998-2019.pdf">viennent d’Allemagne</a> et l’association <a href="https://www.deutschlandfunkkultur.de/gewerbliche-sterbehilfe-wir-haben-eine-vernuenftig.1008.de.html ?dram :article_id=486253"><em>Sterbehilfe</em></a> de l’ancien sénateur de Hambourg pour la justice, Roger Kusch. Elles ont aidé depuis février 2020 une centaine de personnes, de façon plutôt artisanale, sans véritablement disposer de codes de conduite reconnus, le jugement de la Cour de Karlsruhe <a href="https://www.sueddeutsche.de/politik/sterbehilfe-suizid-medizin-bundesverfassungsgericht-1.5197390">ne précisant pas les détails</a>. </p>
<p>Deux projets de loi ont été déposés par les députés libéraux et de gauche d’un côté et par les Verts de l’autre, en <a href="https://www.lto.de/recht/hintergruende/h/sterbehilfe-neuregelung-gesetzentwuerfe-abgeordnete-aerzte-freier-wille-minderjaehrige-toedliche-medikamente-beratung/">janvier 2021</a>. Ils visent à encadrer davantage la procédure (en précisant que sont concernées uniquement des personnes adultes, et que le médecin prescripteur doit avoir eu les moyens de s’assurer de la liberté de la prise de décision), à former du personnel, à définir les réglementations relatives à la publicité des institutions concernées, et à mettre en place des mesures renforcées en matière de prévention des suicides.</p>
<p>Les deux projets différent sur un point important : faut-il réserver la procédure exclusivement à des personnes gravement malades ? Les Verts pensent que la question devrait être posée et que l’État devrait y répondre par avance ; l’autre proposition de loi laisse ouverte cette possibilité à toute personne qui en fait une demande libre et consciente. Dans tous les cas, le temps d’attente serait imposé, et le médecin pourrait refuser de faire l’ordonnance demandée.</p>
<h2>Reprise de contrôle en temps de pandémie ?</h2>
<p>Cet engouement européen – même s’il s’agit souvent de projets de loi qui ont commencé à être rédigés bien avant la pandémie – témoigne de la volonté de reprendre le contrôle sur sa vie, et sur les conditions de sa mort.</p>
<p>L’une des violences les plus insupportables de la pandémie de Covid-19 est celle de la solitude des victimes âgées, mourant isolées dans les Ephad et dans des hôpitaux. L’aide médicale à la mort, qu’il s’agisse de l’aide au suicide ou de l’euthanasie, permet de faire sortir de la solitude de la fin de vie. S’éteindre entouré par des proches, au moment voulu, ne semble pas être cette mort médicalisée que tant craignaient, mais un moment où les humains se confrontent ensemble à leur finitude.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158170/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anna C. Zielinska ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que l’Assemblée nationale s’apprête à examiner plusieurs projets de loi sur l’euthanasie, que nous apprend l’exemple des pays européens qui ont récemment légiféré sur la question ?Anna C. Zielinska, MCF en philosophie morale, philosophie politique et philosophie du droit, membre des Archives Henri-Poincaré, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1507122020-12-03T20:12:10Z2020-12-03T20:12:10ZTourisme et pandémie en Europe : les campagnes de pub se réinventent<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/372500/original/file-20201202-22-sii981.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=25%2C4%2C2807%2C1274&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un spot publicitaire espagnol pour faire patienter les touristes, quand il n'était pas possible de voyager. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=iU2Ot4dewO4&ab_channel=Spain">Youtube</a></span></figcaption></figure><p>Alors que nos déplacements de loisirs sont grandement affectés par la pandémie de Covid-19 – payons-nous cet automne le prix de la « fenêtre » ouverte en été ?- les instances chargées de la promotion touristique n’ont cessé d’œuvrer, depuis avril dernier, pour préparer le retour des touristes. Cet été, plusieurs pays d’Europe ont mis en place des campagnes qui visaient à encourager le tourisme intérieur, avec un message unanime : « inutile d’aller loin pour voir de belles choses et être dépaysé ».</p>
<p>En France, chaque région y est allée de son slogan : « Votre été en Pays de la Loire », « Bretagne, le dépaysement proche de chez vous », « Évadez-vous près de chez vous » pour la Vendée qui se comparait à l’Irlande, ou encore « Pour les vacances je pense Hauts de France ». Certaines régions ou villes organisent des concours pour offrir des vacances sur leurs terres, comme cela a été le cas dans l’Indre, en Charente et Charente-Maritime.</p>
<p>Le slogan/hashtag « <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Na8AnufJZrQ">Cet été je visite la France</a> » a été massivement diffusé sur les réseaux, faisant écho à la façon dont la presse française avait pointé du doigt les chiffres catastrophiques liés au début de la pandémie dans les pays du Sud, principalement en Espagne et Italie ; la situation n’était guère plus rassurante en France, mais on nous invitait à la sillonner. Finalement, il semblerait que le nombre de vacanciers ait baissé cet été : 53 % des Français sont partis en vacances contre 71 % l’an dernier, mais <a href="https://www.adn-tourisme.fr/premier-bilan-sur-la-saison-touristique-2020/">94 % ont choisi la France</a>.</p>
<h2>Rester dans la course</h2>
<p>Malgré le regain de ce tourisme dit domestique, soi-disant plus sûr et « patriote » (les vacances, un effort national pour le sauvetage du pays), les données ne sont pas bonnes : le chiffre d’affaires du tourisme a chuté de 50 % en France, de près de 40 % en Italie, on parle en Espagne d’un nombre de touristes cinq fois inférieur à celui de 2019 ; quant au Portugal moins touché par la pandémie, le pays a vu son activité touristique baisser de 60 %.</p>
<p>Les pratiques touristiques ont été, sont et seront donc contraintes d’évoluer, de même que les messages promotionnels qui les encouragent : ils tentent petit à petit, au fil des campagnes postées sur les réseaux, de maintenir en haleine les touristes étrangers. Ainsi, pendant le confinement, alors qu’il fallait s’occuper, en plus du sport dans le salon, des apéros en visioconférence, l’aspect culturel n’a pas été laissé de côté. Toutes sortes d’initiatives émanant de divers lieux culturels et destinations touristiques ont fleuri, dans l’espoir de retrouver les visiteurs une fois la crise passée. Pour nourrir le désir de voyager, des visites de <a href="https://www.geo.fr/voyage/coronavirus-10-musees-a-visiter-en-ligne-200242">musées</a>, de monuments, d’hôtels et même de plages étaient possibles grâce à la 3D, en étant confortablement installé sur son canapé. Les initiatives privées ou officielles, menées depuis les instances locales, régionales et nationales se sont alors accumulées. Leur succès est encore difficile à mesurer, mais les <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/tourisme/tourisme-le-succes-des-voyages-immobiles_4200509.html">initiatives se multiplient</a>, sans doute dans l’espoir qu’une fois la pandémie passée, ces excursions virtuelles débouchent sur de vrais voyages.</p>
<h2>Faire patienter les touristes</h2>
<p>En Espagne, l’organisme <a href="https://www.tourspain.es/es-es">Turespaña</a> ne cesse depuis les années 80 de promouvoir le tourisme à coups de spots diffusés dans plusieurs langues. Depuis quelques années, <a href="https://www.youtube.com/user/spain">sa chaîne YouTube</a> est continuellement actualisée et le confinement n’a pas empêché les mises à jour, plus régulières que d’autres pays comme la France, l’Italie ou le Portugal. Accompagner les touristes potentiels tout au long du confinement et dans la langue maternelle de chacun d’entre eux avait pour but à entretenir la flamme.</p>
<p>Ainsi, le premier spot diffusé en temps de pandémie, mi-avril, incitait la population à rester à la maison : on y voyait alors une famille confinée qui jouait, coloriait, dormait, applaudissait à la fenêtre, appelait ses proches. Le message était clair et était proposé en espagnol, en français, en anglais, en allemand et en italien : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ZAIK-nGe3VA">« España te espera, quédate en casa »</a> – <a href="https://www.youtube.com/watch?v=5SosyhHnAfI">« L’Espagne vous attend, aujourd’hui restez chez vous »</a>. Quelques semaines plus tard, dans une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=W_OyDdmc4PA">autre vidéo</a>, une jeune femme se replongeait dans ses souvenirs de voyage : toutes sortes de monuments et de paysages défilaient à vive allure, comme un pêle-mêle visant à faire patienter le spectateur : c’était le teaser de ses prochaines vacances en Espagne.</p>
<p>L’étape suivante, en juin, avec les spots <a href="https://www.youtube.com/watch?v=k4uma4NllZQ">« Nunca dejes de soñar »</a> et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=iU2Ot4dewO4">« 10 motivos para visitarnos »</a>, encourageait cette fois-ci à planifier son voyage. On y voyait alors entre autres une crique secrète, un chemin à travers la forêt, la ruelle d’un village blanc, la Pedrera de Barcelone, des lieux prêts à accueillir des touristes, des lieux plutôt déserts, et, de fait, protégés – les endroits très fréquentés ayant particulièrement mauvaise presse…</p>
<h2>Faire rêver les étrangers</h2>
<p>Les spots précédemment cités ont été réalisés en espagnol et dans d’autres langues. Au contraire, la série suivante était uniquement destinées aux étrangers : il fallait les inciter à retrouver l’Espagne. Ainsi, « Revenir en Espagne » mettait en avant ce retour des touristes en insistant sur la répétition : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=6w95BE_67cI">« Redécouvrir notre histoire »</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=q4_aRfWrXTM">« Caresser à nouveau le soleil avec votre swing »</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gWXOSaPCVgs">« Apprécier à nouveau les saveurs uniques de notre cuisine »</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=R77M5xYwTs0">« Sillonner à nouveau la mer et le ciel »</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Tv49nVcqURY">« Respirer à nouveau la brise marine »</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0QDa0njpeR4">« Ressentir des lieux pleins de lumière »</a>.</p>
<p>Sans voix off, ces spots se centrent sur les sensations : bruits de la nature, de rire, de paella qui cuit, d’oiseaux qui chantent, de cloches d’église qui sonnent, le tout encore une fois dans des lieux vides d’autres touristes.</p>
<p>Si l’on regarde ce qu’on fait les autres pays, les choses sont différentes en termes de quantité de vidéos réalisées et de public visé. En France, le spot de promotion qui mettait en scène des blogueurs français a été traduit en anglais, mais les hashtags associés ne laissaient pas présager un fort tourisme étranger à ce moment-là : #Until we meet again #abientot, #seeyousoon. Au Portugal, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Y7j3cvtWnOE&t=12s">« Visita a tua terra »</a> s’adressait dans un premier temps aux habitants (juin 2020) avant qu’une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=tbP70gJlcy0">version multilingue</a> ne sorte en octobre. On y voyait des touristes de différentes nationalités, reprenant la chanson <em>Only you</em> : c’était une véritable déclaration d’amour au Portugal, ici personnifié. Comme dans les spots espagnols, les endroits présentés apparaissaient déserts, même si le message final « Only you can continue to make us the best Destination in the world » (« vous seul pouvez continuer à faire de nous la meilleure destination au monde ») rappelait le succès du pays, et l’esprit de compétition qui règne dans le secteur touristique.</p>
<h2>Faire revenir les « habitués »</h2>
<p>On remarque alors que les spots espagnols – et le portugais – ne cherchent pas forcément à séduire de nouveaux voyageurs : ils demandent à ceux qui ont l’habitude de venir, de revenir, pour soutenir ces destinations affectées par la crise sanitaire. Avant, les touristes avaient besoin d’un ailleurs pour s’épanouir et maintenant, à l’inverse, ce sont les destinations qui ont besoin des touristes : c’était déjà le cas avant la pandémie, mais à présent cela est dit en toute honnêteté, ou en tout cas cela devient un argument marketing. Cette tendance se perçoit aussi dans les spots réalisés à l’échelle régionale ou locale : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=4hWfKPdb3NI">« Andalucía tiene ganas de ti – L’Andalousie a envie de vous »</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=nt_Ct4VeStY">« Barcelona visits you »</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=4kegvhfsk1Q">« Sin ti Madrid es menos Madrid – Madrid, sans vous, n’est plus Madrid »</a>.</p>
<p>Le paradigme a donc changé : la destination a besoin de son touriste et lui déclare son amour – avant c’était l’inverse – et le touriste manque à la ville. Cela contraste avec la <a href="https://www.lesinrocks.com/2017/09/02/actualite/actualite/tourismophobie-quand-le-tourisme-de-masse-suscite-un-vent-de-revolte-en-europe/">tourismophobie ambiante</a> – mais pas institutionnelle, à quelques exceptions près – dont on parlait tant avant la pandémie.</p>
<p>Dans cette « nouvelle normalité », pour reprendre l’expression consacrée de l’autre côté des Pyrénées, le tourisme devient une déclaration d’amour et de fidélité faite à une destination. C’est même peut-être un acte solidaire et politique, mais c’est aussi une pratique qui se veut rassurante, d’où l’importance de revenir là où on a l’habitude d’aller.</p>
<h2>Un nouveau foyer</h2>
<p>Dans l’ère pré-covid, on a vanté les charmes de l’Espagne en mettant en avant l’exotisme de son mode de vie, la douceur de son climat, la beauté de ses plages, la grandeur de ses monuments, l’ambiance de ses soirées, la sympathie de ses habitants, les innovations de sa gastronomie. Après avoir vendu l’Espagne comme une différence, comme une nécessité (« I need Spain » en 2010), comme une part de nous-mêmes (« Spain is alive in you », « Spain is a part of you » en 2017 et 2018), elle est finalement vendue comme un nouveau foyer. Cela permet d’anticiper le moment de sortir de sa véritable maison, et de limiter les craintes. Car il a pu – et il pourra – être difficile de quitter de nouveau sa maison, ce lieu où l’on a dû davantage apprendre à vivre quand la vie à l’extérieur n’était plus possible. Ce lieu que l’on a visité, en long, en large et en travers : souvenons-nous alors des parodies de guides de voyage qui circulaient sur les réseaux sociaux : <a href="https://www.robertsau.eu/guide-du-routard-une-blague-virale/"><em>Le Routard, Votre appartement édition 2020</em></a> et le <a href="https://twitter.com/lonelyplanet_es/status/1238492670768623620?s=20"><em>Lonely Planet Casa</em></a> illustré d’un appétissant pain fait maison en couverture</p>
<p>Aujourd’hui, on vend une Espagne rassurante, le confort s’étant érigé depuis le premier confinement comme une notion essentielle sur laquelle surfent plusieurs secteurs : quelle marque de vêtements n’a pas développé une ligne « maison » avec vêtements d’intérieur <em>comfy</em> en pilou-pilou ? Il en va de même pour le tourisme : aller hors des sentiers battus n’est plus la priorité, le temps semble être à présent à la douceur et à la création d’une relation privilégiée, d’amour presque si l’on s’attarde sur le vocabulaire employé, avec le lieu de ses vacances.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150712/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ivanne Galant ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avec la pandémie, les pratiques touristiques ont été, sont et seront contraintes d’évoluer, de même que les messages promotionnels qui les encouragent.Ivanne Galant, Docteure en études hispaniques, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1254722019-10-29T19:31:54Z2019-10-29T19:31:54ZPortugal : le pays qui dit « não » à l’extrême droite<p>Après avoir subi une <a href="https://www.cairn.info/revue-pole-sud-2005-1-page-39.htm#">dictature militaire de 1933 à 1974</a>, le Portugal est redevenu une démocratie <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/revolution-des-oeillets-il-y-a-45-ans-un-putsch-abolissait-la-dictature-au-portugal-20190424">il y a maintenant quarante-cinq ans</a>. Durant toutes ces années, le pays a toujours été épargné par la montée en puissance de l’extrême droite constatée dans plusieurs de ses voisins européens. Les récentes élections législatives tenues le 6 octobre 2019 n’ont pas infirmé la tendance. Le Parti socialiste (PS) a obtenu <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Le-Portugal-vote-socialiste-Antonio-Costa-grand-favori-2019-10-06-1301052315">36,65 % des voix contre 27,90 % pour le Parti social-démocrate (PSD, droite)</a>. L’extrême droite, de son côté, n’a ramassé que des miettes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1180993594942984193"}"></div></p>
<h2>Une mouvance politiquement marginale</h2>
<p>Chega ! (« Assez ! », CH), qui va faire son entrée au parlement, est un tout jeune parti qui a vu le jour en avril 2019. Dans ses <a href="https://www.publico.pt/2019/01/26/politica/opiniao/chega-partido-populista-extremadireita-portugal-1859410">statuts</a>, il se définit comme un mouvement « conservateur, nationaliste et défenseur de la démocratie libérale ». Lors des élections européennes de mai 2019, il se trouve sur la liste « Basta ! » qui regroupe de nombreux partis populistes de droite et n’attire que 1,49 % des suffrages. Après cet échec, le CH se retire de cette liste et retrouve son indépendance. Aux élections législatives d’octobre 2019, il récolte 1,30 % des voix, ce qui lui permet d’obtenir un siège sur les 230 que compte le parlement.</p>
<p>Un autre parti d’extrême droite a concouru aux dernières élections législatives : le Parti national rénovateur (PNR), créé en 2000, dont le logo s’inspire de celui du Front national et dont le slogan, « Nação e Trabalho » (Nation et Travail), n’est pas sans évoquer les devises d’autres partis ou régimes extrémistes. Il a dû se contenter de 0,30 % des suffrages. Avec 1,60 % des suffrages à eux deux, ces partis ne peuvent absolument pas peser dans le débat politique.</p>
<p>Ajoutons que le PNR – contrairement à Chega, qui vient à peine d’être créé – a été confronté au suffrage universel à de nombreuses reprises, mais sans jamais connaître le moindre succès probant. Présent aux élections législatives de 2002, 2005, 2009, 2011, 2015 et 2019, il n’a jamais dépassé la barre symbolique des 1 %. Pourtant, cette formation s’est toujours inscrite dans la tradition des partis d’extrême droite européens, prônant le retour au modèle de la « famille traditionnelle » (l’un des thèmes chers à Salazar), le rétablissement du service militaire obligatoire pour « défendre la nation portugaise », la réduction massive de l’immigration ou encore la priorité nationale accordée aux Portugais en matière d’emploi ou de prestations sociales. <a href="https://www.terra.com.br/amp/noticias/mundo/isolada-extrema-direita-de-portugal-enfrenta-dificuldades-em-eleicao,d5458eaad7e47dde4a2139950a399324uuyext0k.html">En manque de visibilité</a>, le PNR a essayé d’afficher <a href="https://revistaforum.com.br/global/partido-de-extrema-direita-que-comemorou-vitoria-de-bolsonaro-tem-03-dos-votos-em-portugal/">son amitié et son soutien au président Bolsonaro</a>, sans que cette posture ne lui permette d’effectuer une percée dans les urnes. Même la grande réunion des <a href="https://fr.euronews.com/amp/2019/08/11/une-conference-regroupant-des-mouvements-d-extreme-droite-au-portugal">mouvements d’extrême droite européens qui s’est déroulée à Lisbonne en août</a> n’a pas permis aux partis locaux de gagner quelques points dans les sondages.</p>
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<figcaption><span class="caption">Reportage d’Euronews sur le rassemblement de l’extrême droite européenne à Lisbonne, le 11 août 2019.</span></figcaption>
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<p>Il est intéressant de noter que ce pays qui, rappelons-le, a été dirigé par l’extrême droite durant l’Estado Novo, est gouverné sans discontinuer depuis 1974 par des partis dits traditionnels (à savoir de centre gauche ou de centre droit). Quelques formations d’extrême droite ont bien essayé d’émerger en se présentant comme des nostalgiques du « salazarisme », mais leurs scores électoraux ont toujours été insignifiants.</p>
<p>Pourtant, en dépit de ces faibles résultats, Chega ! et le PNR n’ont pas manqué, dès leur création, d’utiliser les mêmes <a href="https://www.wort.lu/pt/portugal/a-extrema-direita-chega-a-portugal-5cb05cfcda2cc1784e341d57">recettes idéologiques</a> qui ont fonctionné dans d’autres pays, à commencer par des positions fermement hostiles à l’immigration et aux musulmans, et une critique virulente voire violente visant l’Union européenne.</p>
<p>Ces thématiques n’ont guère fait recette auprès de l’opinion publique. Aux dernières législatives, l’abstention fut élevée (45,40 %), ce qui profite traditionnellement aux formations d’extrême droite, mais ni le PNR ni Chega ! n’ont réussi à en profiter.</p>
<p>À l’heure où l’on observe en Europe, depuis maintenant quelques années, une montée en puissance des partis d’extrême droite (principalement en Autriche, en France, en Allemagne, en Italie, en Grèce…), le Portugal, lui, ne semble pas vaciller. Malgré un contexte politique instable au sortir de la Révolution des Œillets de 1974, et malgré la profonde crise économique qui a frappé le pays en 2010, l’extrême droite n’a jamais réussi à s’imposer comme un acteur de poids sur la scène politique nationale. Comment expliquer que son discours ait si peu d’effet sur l’électorat ? Le Portugal serait-il un modèle viable contre l’ascension de l’extrême droite ?</p>
<p>L’incapacité du PNR ou de Chega ! à exister sur la scène nationale s’explique tout d’abord par le fait que le Portugal, qui était pourtant au bord de la faillite en 2011, se porte mieux. En effet, depuis 2013, la <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Monde/Le-miracle-economique-Portugal-essai-transformer-2019-10-06-1201052404">croissance n’a eu de cesse d’augmenter</a>. Le fait que les indicateurs économiques soient positifs a sans aucun doute empêché l’extrême droite de tirer profit de la crise.</p>
<p>Même si la forte abstention constatée lors des dernières élections législatives ne doit pas être prise à la légère, il n’en demeure pas moins que la confiance des citoyens envers la classe politique <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/06/legislatives-au-portugal-antonio-costa-vainqueur-mais-sans-majorite-absolue_6014454_3210.html">n’est pour le moment pas remise en question</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/298134/original/file-20191022-117981-srfmb7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/298134/original/file-20191022-117981-srfmb7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=229&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/298134/original/file-20191022-117981-srfmb7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=229&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/298134/original/file-20191022-117981-srfmb7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=229&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/298134/original/file-20191022-117981-srfmb7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=288&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/298134/original/file-20191022-117981-srfmb7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=288&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/298134/original/file-20191022-117981-srfmb7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=288&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Affiche du PNR reprenant un visuel du parti d’extrême droite suisse Union démocratique du centre (UDC).</span>
<span class="attribution"><span class="source">PNR</span></span>
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<h2>L’immigration, un cheval de bataille peu porteur</h2>
<p>De plus, les thèmes choisis par l’extrême droite portugaise ne suscitent pas un grand intérêt dans la population. Prenons par exemple le sujet de l’immigration. En Autriche ou en France, les partis d’extrême droite surfent abondamment sur ces questions, encore plus depuis la crise migratoire, et arrivent à obtenir de bons scores. Au Portugal, l’immigration ne clive pas autant que chez ses voisins européens. Avec une économie qui repart et une natalité faible, <a href="https://www.lequotidien.lu/a-la-une/le-portugal-le-pays-deurope-qui-veut-davantage-de-migrants/">il est vital pour le Portugal d’attirer des immigrés</a>. </p>
<p>Comme à plusieurs reprises au cours de son histoire, le pays a connu une forte émigration après <a href="https://www.liberation.fr/planete/2014/02/03/l-exode-portugais_977523">l’éclatement de la crise économique en 2010</a> et s’est vidé de ses forces vives. Le gouvernement a d’ailleurs mis en place un <a href="https://www.rtl.fr/actu/conso/comment-le-portugal-et-la-pologne-cherchent-a-attirer-les-emigres-7798389959/amp">programme</a> qui prévoit des aides spécifiques de plusieurs milliers d’euros et des exemptions fiscales pour inciter les Portugais vivant à l’étranger à revenir. </p>
<p>Les Portugais ont toujours été habitués à ces flux migratoires, à l’inverse de leurs voisins européens ; quant aux <a href="http://agenciabrasil.ebc.com.br/en/internacional/noticia/2018-06/brazilians-make-biggest-foreign-community-portugal">immigrés, souvent lusophones, en provenance des anciennes colonies africaines portugaises ou du Brésil</a>, ils sont généralement mieux intégrés.</p>
<h2>Le morcellement de l’extrême droite</h2>
<p>Autre élément, à l’inverse de pays tels que la France ou l’Autriche où les thèses défendues par l’extrême droite se sont invitées dans le débat politique, l’extrême droite portugaise n’a jamais été en mesure d’influencer le débat. En partie parce qu’elle n’a jamais su se fédérer en un seul et même bloc pour tenter de conquérir le pouvoir. La liste « Basta ! » a vite volé en éclats au lendemain du scrutin des européennes de mai dernier. Trop attachés à leur indépendance respective, le PNR et Chega ! n’ont pas souhaité fusionner pour tenter d’obtenir un score plus important. </p>
<p>Le problème de l’extrême droite au Portugal est qu’il y a « des partis » d’extrême droite et non pas « un » parti d’extrême droite. Cette mouvance est divisée entre de nombreux petits partis radicaux qui ne pèsent pas individuellement et ne risquent pas de mettre à mal les partis traditionnels. Nuno Canas Mendes, professeur de sciences politiques à l’Université de Lisbonne, affirme ainsi que seul un parti d’extrême droite uni aurait une <a href="https://veja.abril.com.br/mundo/sem-risco-de-eleger-a-extrema-direita-portugal-vai-as-urnas-neste-domingo/">chance de remporter des élections</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/298136/original/file-20191022-60730-15gspnv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/298136/original/file-20191022-60730-15gspnv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/298136/original/file-20191022-60730-15gspnv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/298136/original/file-20191022-60730-15gspnv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/298136/original/file-20191022-60730-15gspnv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/298136/original/file-20191022-60730-15gspnv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/298136/original/file-20191022-60730-15gspnv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des manifestants brandissent des pancartes proclamant « Le Portugal aux Portugais » et « Le Portugal contre l’islam » lors d’un rassemblement devant le parlement portugais à Lisbonne le 15 septembre 2015. Les manifestations de ce type peinent à attirer plus de quelques dizaines de personnes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Patricia De Melo Moreira/AFP</span></span>
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<p>Ainsi, le Portugal semble pour le moment à l’abri d’une arrivée de l’extrême droite au pouvoir, tant la bipolarisation entre le PS et le PSD paraît durablement installée dans la vie politique. À l’heure actuelle, les « candidatures de témoignage » auxquelles s’adonnent les partis d’extrême droite portugais, élection après élection, se révèlent largement contre-productives.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125472/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benjamin Rojtman-Guiraud est Conseiller municipal d'opposition Les Républicains de la Ville de Maxéville. </span></em></p>Alors que l’extrême droite s’impose dans le paysage politique de nombreux pays d’Europe, elle reste réduite à la portion congrue au Portugal. Comment expliquer ce phénomène ?Benjamin Rojtman-Guiraud, Doctorant en Sciences politiques, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1177802019-05-24T15:19:04Z2019-05-24T15:19:04ZLes Européens votent, entre indifférence et sentiment d'incompétence<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/276368/original/file-20190524-187179-1eamhj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Près de 400 millions d'Européens de 28 pays sont appelés aux urnes jusqu'à dimanche pour élire les membres du parlement européen.
Le taux d'abstention est souvent élevé, et des campagnes encouragent les citoyens à aller voter, comme ici à la station de métro Luxembourg, à Bruxelles. </span> <span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Virginia Mayo</span></span></figcaption></figure><p>Les 432 millions de citoyennes et citoyens européens en âge de voter <a href="https://theconversation.com/europeennes-cinq-infos-indispensables-avant-daller-voter-117637">élisent le Parlement européen depuis jeudi et jusqu'à dimanche 26 mai.</a> Quarante ans <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Union_europ%C3%A9enne">après les premières élections</a>, ce scrutin est le plus souvent considéré par les partis et les électeurs eux-mêmes <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/05/03/les-elections-europeennes-eternelles-mal-aimees_5457599_3232.html">comme une élection de second rang</a>, de moindre importance que celles qui se jouent au niveau national.</p>
<p>Pour les partis, elles constituent un moyen de tester l’état des forces en présence. Pour les électeurs, elles permettent un vote d’expression puisque sans conséquence visible sur le choix du gouvernement. Cela favorise les petits partis et plus généralement ceux de l’opposition, d’autant plus qu’il s’agit d’un scrutin à la proportionnelle. C’est donc souvent l’occasion de voter « avec son cœur » ou « avec ses pieds ». </p>
<p>Plus généralement, ces élections tendent à attirer moins d’électeurs que les scrutins de « premier ordre » comme les législatives.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/276372/original/file-20190524-187165-157f33y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/276372/original/file-20190524-187165-157f33y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/276372/original/file-20190524-187165-157f33y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/276372/original/file-20190524-187165-157f33y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/276372/original/file-20190524-187165-157f33y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/276372/original/file-20190524-187165-157f33y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/276372/original/file-20190524-187165-157f33y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La leader française d'extrême droite Marine Le Pen répond aux journalistes après une conférence de presse à Henin-Beaumont, dans le nord de la France, vendredi. Les sondages suggèrent que le parti de Le Pen figurera parmi les deux premiers. Les élections européennes sont souvent l'occasion pour les électeurs de voter « avec leur cœur » ou « avec leurs pieds ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Michel Spingle</span></span>
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<h2>Intérêt mitigé</h2>
<p>En attendant le soir du 26 mai <a href="https://www.marianne.net/politique/quelle-heure-connaitra-t-le-resultat-des-elections-europeennes-dimanche">où les résultats seront connus</a>, un certain nombre de constats peuvent déjà être établis. </p>
<p>Une fois encore, les campagnes se sont concentrées sur les enjeux nationaux, à la limite de l’illisibilité du fait du très grand nombre de listes : pas moins de 17 au Portugal, 34 en France et 41 en Allemagne ! </p>
<p>Par ailleurs, l’abstention s’annonce probablement aussi importante que lors des élections précédentes. À quelques semaines du scrutin, <a href="http://www.europarl.europa.eu/at-your-service/files/be-heard/eurobarometer/2019/parlemeter-2019/report/en-parlemeter-2019.pdf">seuls 53% des citoyennes et citoyennes se disaient plus ou moins certains d’aller voter</a>.</p>
<p>Comment comprendre ce peu d’intérêt ? Dans le cadre d’une enquête menée de mars à mai 2019 par les membres <a href="http://www.restep.ca">du réseau de recherche RESTEP</a>, pilotée par moi-même, nous avons rencontré différents groupes de citoyens et citoyennes en France, en Belgique et au Portugal. </p>
<p>Sans prétendre à la représentativité, les discussions au sein de ces groupes aux profils divers (étudiant.es, jeunes sans diplômes, jeunes diplômés en recherche d’emploi, employée.es des secteurs publics et privés, seniors, etc) offrent cependant un éclairage singulier. Elles permettent de saisir les sentiments de compétence ou d’incompétence face à la politique, les façons de raisonner, et de comprendre ce qui fait ou ne fait pas sens pour les citoyens quand ils parlent de l’intégration européenne et ce qui compte pour eux au moment d’aller voter… ou non.</p>
<h2>Des citoyens conscients de la campagne, mais ne se sentant pas compétents</h2>
<p>Interrogés sur la campagne européenne, l’ensemble des participants, à l’exception des séniors, concèdent une certaine passivité par rapport à l’actualité européenne. Tous expriment un sentiment d’incompétence fort, c’est-à-dire la sensation de ne pas être en mesure de se prononcer sur les enjeux électoraux par manque d’information, par manque de temps, ou par manque d’intérêt. </p>
<p>En Belgique, la campagne est perçue comme apathique et sans contenu. En France, un certain nombre d’électeurs expliquent leur manque d’intérêt par leur manque de confiance en leurs propres compétences pour évaluer les différentes alternatives politiques au niveau européen. </p>
<p>D’autres l’expliquent par les caractéristiques mêmes de la campagne jugée excessivement polarisante et réductrice. Cela fait écho aux séniors portugais qui déplorent le ton et le manque de contenu de la campagne. Les partis préfèrent axer leurs stratégies sur les questions domestiques et les attaques personnelles. Le <a href="https://journals.openedition.org/ress/2990">caractère de second ordre des élections européennes</a>, que les politologues analysent depuis longtemps, est donc évident pour les électeurs eux-mêmes dans les trois pays, au travers notamment des campagnes menées par les partis politiques.</p>
<h2>Une profonde défiance vis-à-vis du politique et des médias</h2>
<p>Ce qui ressort de ces discussions, quelle que soit la génération ou le niveau de diplôme des participants, c’est avant tout une profonde méfiance envers les médias d’abord, et les élites politiques ensuite. </p>
<p>Les propos recueillis confirment des analyses déjà anciennes sur la perception des élites comme corrompues, éloignées de la réalité et des institutions politiques généralement opaques. Les médias traditionnels sont eux perçus comme sensationnalistes, accentuant à dessein les antagonismes politiques, au mieux occultant les enjeux d’importance, au pire manipulant carrément les perceptions de leurs audiences. </p>
<p>Face à ce rejet des institutions traditionnelles de la démocratie représentative, beaucoup soulignent que ce sont les citoyens eux-mêmes qui doivent s’emparer de ces enjeux et apporter des solutions, particulièrement chez les plus jeunes.</p>
<h2>Une campagne loin des vraies affaires… européennes</h2>
<p>Lorsqu’on demande aux citoyens de quels enjeux la campagne devrait parler, ils placent l’<a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1169826/motion-urgence-climatique-catherine-mckenna-trudeau">urgence climatique </a>en premier. De manière surprenante, la crise économique semble loin et les questions de chômage, de la monnaie unique ou de la dette sont peu évoquées. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/276371/original/file-20190524-187172-1c96ywn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/276371/original/file-20190524-187172-1c96ywn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/276371/original/file-20190524-187172-1c96ywn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/276371/original/file-20190524-187172-1c96ywn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/276371/original/file-20190524-187172-1c96ywn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/276371/original/file-20190524-187172-1c96ywn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/276371/original/file-20190524-187172-1c96ywn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation pour le climat à Bruxelles, vendredi le 24 mai. Des rassemblements sont organisés dans plusieurs pays de l'Union européenne pour exiger une action plus dure contre le réchauffement climatique, une des priorités des citoyens.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Francisco Seco</span></span>
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<p>En revanche, les inégalités, à différentes échelles, reviennent dans toutes les discussions. Beaucoup déplorent par ailleurs que les enjeux proprement européens, tels que la politique fiscale et la politique de défense (au Portugal), le modèle économique de l’Europe (en France et en Belgique), le fonctionnement des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Institutions_de_l%27Union_europ%C3%A9enne">institutions européennes </a> ne soient pas traités dans la campagne.</p>
<p>Au final, un constat alarmant pour la démocratie, tant nationale qu’européenne.</p>
<h2>Des élections de second ordre… pour vrai</h2>
<p>Il ressort de ces instantanés plusieurs choses. </p>
<p>D’une part, les élections européennes de 2019, traitées comme des élections de second ordre par les partis, à coup de campagnes exclusivement nationales, sont bien perçues comme telles par les citoyens. </p>
<p>Pour beaucoup la polarisation croissante de l’offre politique, la difficulté d’acquérir de l’information et l’orientation exclusivement nationale des partis justifient leur manque d’intérêt et accentuent leur sentiment d’incompétence politique. Dès lors, comment blâmer les citoyens pour leur manque d’engagement alors que la très grande majorité des partis ne se saisissent pas des enjeux. Ils préfèrent mener leur campagne sur des oppositions binaires sans lien avec l’UE (pour ou contre le gouvernement national, contre l’extrême droite, etc). </p>
<p>Tant que les partis ne seront pas prêts à prendre des risques et à se saisir des questions européennes, il parait illusoire d’attendre des citoyennes et des citoyens européens qu’ils et elles se mobilisent et se sentent réellement investis pour ce scrutin.</p>
<p><em>Cet article a été écrit avec la collaboration de Céline Belot, Hélène Caune, Anne-Marie Houde, Morgan Le Corre Juratic, et Damien Pennetreau</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/117780/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les résultats présentés dans cet article sont le fruit d’une entreprise collective, néanmoins, les propos n’engagent que leurs auteur.es. Cette recherche a bénéficié d'un financement du Fonds de Recherche Société et Culture du Québec et a été menée dans le cadre du réseau RESTEP. Le RESTEP est un réseau de recherche international réunissant des chercheur.e.s de sept universités européennes et canadiennes, dirigé par Laurie Beaudonnet et Frédéric Mérand (Université de Montréal) et financé par le volet ‘activités Jean Monnet’ du Programme Erasmus + de la Commission européenne. La présente recherche est dirigée par Laurie Beaudonnet (Université de Montréal, Directrice scientifique du Centre Jean Monnet de Montréal). Les responsables locales pour chaque pays sont Céline Belot (CNRS-Pacte) pour la France, Virginie Van Ingelgom (FNRS – UC Louvain) pour la Belgique, et Marina Costa Lobo (Institut des Sciences Sociales – Université de Lisbonne) pour le Portugal.
</span></em></p>Les élections européennes sont souvent perçues comme de seconde importance par les électeurs, et souvent l’occasion de voter « avec son cœur » ou « avec ses pieds ».Laurie Beaudonnet, professeure de science politique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/991702018-07-03T20:13:22Z2018-07-03T20:13:22ZLes dilemmes de l’Organisation internationale pour les migrations<p>Le 29 juin a eu lieu l’élection du nouveau directeur de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). <a href="https://www.iom.int/news/un-migration-agency-select-next-director-general-friday">Trois candidats étaient en lice</a> : l’Américain Ken Isaacs, le Portugais Antonio Vitorino et la Costaricaine Laura Thompson, actuelle directrice adjointe de l’OIM. Réuni à Genève, le Conseil de l’OIM, composé des représentants de 171 États, a élu <a href="https://www.iom.int/news/antonio-manuel-de-carvalho-ferreira-vitorino-elected-new-director-general-un-migration-agency">Antonio Vitorino</a> au poste de directeur général de cette organisation intergouvernementale.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225780/original/file-20180702-116135-b343jj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225780/original/file-20180702-116135-b343jj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=714&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225780/original/file-20180702-116135-b343jj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=714&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225780/original/file-20180702-116135-b343jj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=714&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225780/original/file-20180702-116135-b343jj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=897&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225780/original/file-20180702-116135-b343jj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=897&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225780/original/file-20180702-116135-b343jj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=897&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Antonio Vitorino, le nouveau patron de l’OIM.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/e/ea/Ant%C3%B3nioVitorino.png/512px-Ant%C3%B3nioVitorino.png">Lusa Agência de Notícias/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Antonio Vitorino, ancien Commissaire européen, a été ministre au sein du gouvernement portugais du premier ministre socialiste Antonio Guterres, actuel Secrétaire général des Nations unies. Il sera le dixième directeur de cette organisation.</p>
<p>Parmi ses neuf prédécesseurs, huit sont <a href="https://www.iom.int/dg-and-ddg">des citoyens des États-Unis</a>. Antonio Vitorino ne sera donc que le second directeur non-américain de l’histoire de cette organisation. Étant donné la grande proximité historique et politique entre l’OIM et le gouvernement américain, son élection – et la non-élection du candidat américain Ken Isaacs – est un véritable événement.</p>
<h2>L’épouvantail Ken Isaacs</h2>
<p>La campagne pour la direction de l’OIM a été marquée par les <a href="https://www.kenisaacs.com/">controverses autour de Ken Isaacs</a>, le candidat choisi par Donald Trump. Humanitaire de formation, Ken Isaacs travaille pour l’<a href="https://www.samaritanspurse.org/">association chrétienne évangélique Samaritan’s Purse</a>, active dans le développement et les réponses aux situations de crise.</p>
<p>Surtout, il a tenu d’innombrables propos pour le moins problématiques. Selon lui, les droits ne proviennent pas des États, <a href="https://www.letemps.ch/monde/ken-isaacs-candidat-controverse">mais de Dieu</a>. Il a qualifié l’islam de religion « violente » et a affirmé que, dans la guerre en Syrie, la <a href="http://www.france24.com/fr/20180507-ken-isaacs-candidat-controverse-oim-organisation-internationale-migrations-trump-islam">priorité devait aller aux réfugiés chrétiens</a>. À l’instar de l’actuelle administration américaine, <a href="https://edition.cnn.com/2018/05/08/politics/kfile-ken-isaacs-presser-answer/index.html">il ne croit pas au changement climatique</a>, alors que la plupart des spécialistes s’accordent sur les liens entre migrations et réchauffement de la planète.</p>
<p>Des rumeurs avaient fait état de la volonté de plusieurs cadres de l’OIM de démissionner afin de ne pas avoir à travailler sous sa direction. À l’heure où l’administration Trump sépare les enfants migrants de leurs parents et les place dans des cages, la possible proximité entre le gouvernement américain et le directeur de la principale organisation internationale dans le domaine des migrations ne pouvait en effet manquer de susciter la perplexité.</p>
<p>D’autres rumeurs ont fait état d’un possible renoncement de Ken Isaacs, mais il n’en a rien été et l’administration américaine a continué de le <a href="https://www.whitehouse.gov/briefings-statements/statement-press-secretary-ken-isaacs/">soutenir vigoureusement</a>.</p>
<h2>Une convergence d’intérêts politiques</h2>
<p>Il reste à savoir quelles seront les conséquences de cette élection sur les relations entre l’OIM et les États-Unis. Cette relation est d’abord affaire de budget. En 2016, le gouvernement américain a financé cette organisation <a href="https://www.state.gov/documents/organization/267550.pdf">à hauteur de 477 millions de dollars</a> : les USA sont ainsi le plus gros contributeur et leur apport représente environ un <a href="https://www.cfr.org/article/funding-united-nations-what-impact-do-us-contributions-have-un-agencies-and-programs">tiers du budget total</a>.</p>
<p>Autant dire qu’il est difficile pour cette organisation de contester les orientations du gouvernement américain. Malgré les polémiques, dans un contexte où l’administration Trump n’a pas hésité à <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/jan/14/trump-cut-millions-united-nations-agency-palestinian-refugees">réduire drastiquement le financement de certaines agences internationales</a>, la plupart des observateurs prévoyaient donc l’élection du candidat américain Ken Isaacs.</p>
<p>Mais dans ce cas précis, les rapports entre l’OIM et les États-Unis s’inscrivent dans une histoire spécifique et une convergence d’intérêts politiques. L’OIM fut créée en 1951 sous le nom de <em>Provisional Intergovernmental Committee for the Movements of Migrants from Europe</em>. Sa mission était de résoudre le problème de ce qu’on appelait alors la « surpopulation » en Europe, c’est-à-dire la situation de toutes les personnes déplacées par la Seconde Guerre mondiale.</p>
<p>Les États-Unis finançaient alors la reconstruction de l’Europe avec le Plan Marshall et voyaient ces personnes comme des obstacles à la reprise économique, et comme des facteurs d’instabilité politique, susceptibles d’être attirés par la propagande communiste. Il convenait donc de les déplacer vers d’autres contrées. Entre 1952 et 1960, l’OIM aida plus d’un million de personnes à quitter l’Europe, notamment vers l’Amérique latine et l’Australie.</p>
<h2>Hors du système des Nations unies</h2>
<p>La tâche de venir en aide aux personnes déplacées par la guerre aurait pu échoir au Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), lequel avait été créé à peine une année avant l’OIM. Mais les États-Unis étaient sceptiques à l’égard du HCR. Dans un contexte de début de Guerre froide, il le soupçonnait d’être sous influence communiste. De plus, la Convention de Genève sur les réfugiés prévoyait avant tout la protection des personnes déplacées, alors que les États-Unis se souciaient plutôt de leur déplacement effectif vers d’autres régions.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225784/original/file-20180702-116147-12bhpf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225784/original/file-20180702-116147-12bhpf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225784/original/file-20180702-116147-12bhpf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225784/original/file-20180702-116147-12bhpf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225784/original/file-20180702-116147-12bhpf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225784/original/file-20180702-116147-12bhpf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225784/original/file-20180702-116147-12bhpf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des déplacés au Sud-Soudan pris en charge par le HCR (ici en 2012).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/dfid/6972528722">DFID/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>C’est pourquoi l’OIM fut placée hors du système des Nations unies. Cela signifiait notamment qu’elle n’était pas contrainte par le cadre normatif fixé par la Charte des Nations unies et la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948. Aujourd’hui, cette rivalité entre le HCR et l’OIM est toujours d’actualité : là où le premier protège les réfugiés sur place, la seconde se préoccupe moins de leurs droits et davantage de les déplacer ou de les contenir là où les gouvernements le souhaitent.</p>
<h2>Un prestataire de services en pleine croissance</h2>
<p>Après une histoire chaotique, l’OIM s’est massivement développée depuis les années 1990. En 1998, l’ONU comptait 188 États membres, mais l’OIM seulement 67. Vingt ans plus tard, en 2018, cette dernière en compte bientôt 171, contre 193 pour l’ONU. L’OIM dispose de plus de 400 bureaux dans 150 pays, pour un budget (en 2017) de 1,614 milliards de dollars, et de plus de 10 000 employés, dont la très grande majorité sont « sur le terrain ».</p>
<p>L’OIM a également massivement diversifié ses activités. Dans la plupart des cas, elle fonctionne comme un prestataire de services : les gouvernements la paient pour effectuer des tâches de gestion des migrations qu’ils externalisent ainsi à une agence spécialisée.</p>
<p>Il s’agit, par exemple, d’organiser les retours dits « volontaires » de migrants : aux quatre coins de la planète, l’OIM prend en charge des migrants en situation irrégulière et, moyennant une aide financière et quelques pressions psychologiques, leur propose de rentrer « volontairement » dans leur pays d’origine – ce qui est moins coûteux et plus présentable que de les expulser par la force.</p>
<p>L’OIM organise également des programmes de migration de main d’œuvre, gère des centres d’accueil ou de détention pour migrants, aide les gouvernements à réformer leur appareil législatif, lutte contre la traite et le trafic d’êtres humains, organise des services médicaux dans les lieux de détention, forme des douaniers, des garde-frontières, etc.</p>
<h2>Impliqué dans le contrôle des migrations</h2>
<p>Dans un contexte où les politiques migratoires des États sont largement axées sur la lutte contre l’immigration irrégulière, l’OIM est inévitablement impliquée dans des tâches de contrôle des migrations, voire dans le « sale boulot » que les gouvernements lui délèguent.</p>
<p>Cela l’expose à de nombreuses critiques. En 2003, <a href="https://www.amnesty.org/download/Documents/108000/ior300112003en.pdf">Amnesty International</a> affirma que l’OIM appliquait sa politique de « retour volontaire » à des personnes qui auraient dû bénéficier de la protection accordée aux réfugiés, les exposant ainsi à de graves risques dans leur pays d’origine. <a href="http://pantheon.hrw.org/legacy/backgrounder/migrants/iom-submission-1103.pdf">Human Rights Watch</a>, de son côté, s’alarma de la propension de l’OIM à enfermer des migrants dans des centres fermés, les privant ainsi de certains droits fondamentaux.</p>
<p>En 2013, le <a href="http://repository.un.org/bitstream/handle/11176/272693/A_68_283-FR.pdf?sequence=4&isAllowed=y">Rapporteur de l’ONU sur les droits des migrants</a> a exprimé des doutes quant au respect par l’OIM des droits des migrants et des réfugiés. Des activistes plus radicaux ont également lancé une campagne contre l’OIM, accusée d’être un mercenaire dans la guerre que les États livrent aux migrations irrégulières.</p>
<h2>Face à l’échec des politiques actuelles</h2>
<p>Cela n’a pas empêché l’OIM de prospérer et de devenir, en 2016, une <a href="https://www.iom.int/news/iom-becomes-related-organization-un">organisation apparentée aux Nations unies</a>. Depuis, l’OIM se présente comme « l’organisme des Nations unies chargé des migrations ». Ce rapprochement s’inscrit dans le cadre d’un ambitieux effort pour instaurer une approche multilatérale des questions migratoires.</p>
<p>Dans un contexte de crise des migrations en Méditerranée, l’ONU a proposé un <a href="https://www.un.org/sg/fr/content/sg/articles/2018-01-11/towards-new-global-compact-migration">Pacte mondial sur les migrations</a>, actuellement en cours de négociations, et dont le but est de promouvoir des politiques plus équilibrées en la matière.</p>
<p>L’OIM est la cheville ouvrière de ces négociations. Antonio Vitorino s’est déclaré favorable <a href="http://graduateinstitute.ch/home/research/research-news.html/_/news/corporate/2018/antonio-vitorino-global-compact">aux efforts de l’ONU en la matière</a>, tandis que l’une des premières décisions de l’administration Trump a, au contraire, été de <a href="https://www.nytimes.com/2017/12/03/world/americas/united-nations-migration-pact.html">s’en retirer</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225785/original/file-20180702-116120-11wj10k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225785/original/file-20180702-116120-11wj10k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225785/original/file-20180702-116120-11wj10k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225785/original/file-20180702-116120-11wj10k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225785/original/file-20180702-116120-11wj10k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225785/original/file-20180702-116120-11wj10k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225785/original/file-20180702-116120-11wj10k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Opération Triton en Méditerranée (juin 2015).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/99/LE_Eithne_Operation_Triton.jpg/640px-LE_Eithne_Operation_Triton.jpg">Irish Defence Forces/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
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<p>Le dilemme est évident. En tant qu’organisation internationale et apparentée au système de l’ONU, l’OIM devrait œuvrer à des politiques migratoires dans l’intérêt de tous les États, respectueuses des droits fondamentaux, ainsi que des autres impératifs de la communauté internationale (lutte contre le changement climatique, développement, prévention des conflits, etc.).</p>
<p>Mais en tant qu’agence historiquement proche des États-Unis et des pays développés, et dans la mesure où elle dépend financièrement de ces États, l’OIM est au service de leur objectif de fermeture des frontières, dont les effets délétères sont innombrables : décès de migrants, inflation des réseaux de passeur, violations des droits fondamentaux, coopération avec des pays où l’État de droit inexistant, etc.</p>
<p>Il s’agit maintenant de savoir comment le nouveau directeur de l’OIM abordera ces défis, et comment cette organisation se positionnera face aux enjeux hautement sensibles que soulèvent les flux migratoires aujourd’hui. Face à la complexité de la question et à l’échec des politiques actuelles, le monde a sans aucun doute besoin d’une organisation spécialisée sur ce sujet. Mais il est à craindre que les contraintes qui pèsent sur l’OIM l’empêchent malheureusement de jouer ce rôle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/99170/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’OIM fonctionne comme un prestataire de services : les gouvernements la paient pour effectuer des tâches de gestion des migrations qu’ils externalisent ainsi à une agence spécialisée.Antoine Pécoud, Professeur de sociologie, Université Sorbonne Paris NordMariette Grange, Chercheuse, Global Detention ProjectLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/898042018-01-14T20:45:08Z2018-01-14T20:45:08ZÀ quoi sert le contrôle des chômeurs ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/201399/original/file-20180109-36025-370ks2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Agence Pôle emploi Dijon Nord., le 24 mars 2016.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/poleemploi/27033277873/in/album-72157637156196696/">Julien Faure, Pôle emploi/Flickr</a></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2018 dont The Conversation France est partenaire.</em></p>
<p><em>Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a></em></p>
<hr>
<p>Le contrôle des chômeurs s’invite régulièrement <a href="http://lemde.fr/2DcxVyK">dans le débat public</a>. C’est le cas en France à l’occasion de la réflexion gouvernementale sur le renforcement du contrôle de la recherche d’emploi. Cette question polarise les opinions : pour les uns cette politique est souhaitable car elle favorise un retour plus rapide à l’emploi et permet une chasse aux fraudeurs ; pour les autres <a href="http://www.huffingtonpost.fr/hadrien-clouet/4-problemes-que-pose-le-controle-des-chomeurs_a_23323544/">elle est erronée</a> car l’action publique doit être focalisée sur le soutien aux chômeurs et éviter tout risque de stigmatisation de ces victimes de la pénurie d’emplois.</p>
<p>Que sait-on des dispositifs de contrôle et de sanctions ? Quelle est leur efficacité sur l’accès à l’emploi ? Quelles sont leurs conséquences, voulues ou non ? Finalement, quelle est leur légitimité ?</p>
<h2>Les chômeurs ont toujours été contrôlés</h2>
<p>La <a href="http://bit.ly/2Ddcn4X">notion de recherche d’emploi</a> joue un rôle central dans la naissance du chômage et sa différenciation par rapport à la pauvreté, au tournant des XIX<sup>e</sup> et XX<sup>e</sup> siècles. Pour être reconnu comme chômeur il n’est pas suffisant d’être sans emploi, il faut manifester sa volonté de travailler. Dès lors, comment apprécier cette volonté, mesurer sa force, estimer sa sincérité ? Comment <a href="http://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1994_num_35_1_4311">trier entre les chômeurs</a> involontaires et désireux de travailler, et les fainéants, paresseux ou profiteurs ?</p>
<p>Avec les premières institutions de placement et d’indemnisation, c’est l’obligation de recherche un emploi qui devient l’élément clé : tout chômeur a le devoir de rechercher un emploi, est soumis à des contrôles, et subit éventuellement des sanctions, variables selon les époques.</p>
<p>La situation actuelle n’est pas différente : le code du travail définit les droits et les devoirs des chômeurs.</p>
<p>Les droits sont conçus pour protéger ceux qui connaissent une situation peu enviable et dévalorisée ; ils consistent en un soutien institutionnel en vue de faciliter l’accès à l’emploi et en une indemnisation du préjudice (qui ne couvre qu’un peu plus de la moitié des chômeurs inscrits à Pôle emploi).</p>
<p>Les devoirs sont définis comme une contrepartie de cette protection ; ils imposent des obligations exigibles et vérifiables de recherche d’emploi, et de réponse aux convocations. La tendance contemporaine, soutenue par la stratégie européenne pour l’emploi, est à l’activation des chômeurs, au renforcement de leurs obligations, des contrôles comme des sanctions. Les expériences des chômeurs en sont transformées, et la recherche d’emploi tend à envahir et supplanter le chômage.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/201395/original/file-20180109-36019-15mxcgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/201395/original/file-20180109-36019-15mxcgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/201395/original/file-20180109-36019-15mxcgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/201395/original/file-20180109-36019-15mxcgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/201395/original/file-20180109-36019-15mxcgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/201395/original/file-20180109-36019-15mxcgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/201395/original/file-20180109-36019-15mxcgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/201395/original/file-20180109-36019-15mxcgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dans une agence Pôle emploi (Chennevières-sur-Marne).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/poleemploi/33546705976/in/photolist-T7pCWm-m3eSW6-bboqLF-q7KH11-dsJJfa-66i5rz-atg2qh-dsJRHj-7KUvXb-dsJMER-66nmLJ-g9VS5v-dsJH8n-ncm7ia-h8XW7T-h8XQKk-YEHxXE-dnwooP-h8Wjay-TaYk9n-SYzTyR-hju5ix-nKNUFf-h8Y4gJ-22mthTp-h8X2m3-e5ZVeM-fmS9kg-h8WUKp-pZWiAE-WvAKVX-VViYz7-DHXeoK-cQpTSC-dSA8py-9VW5qD-dsJJQZ-avJowm-dsJLjM-85WGBL-dsJV4y-dsJM2Z-dsJLH6-8qwAnV-85WF7f-dsJWRm-7sYJ7B-h8Sgnt-fn7ji7-7sYAqP">Pôle emploi/Flickr</a></span>
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<h2>Les formes de contrôles sont très variées</h2>
<p>Le contrôle des chômeurs est une constante historique, qui répond <a href="https://www.cairn.info/sociologie-des-chomeurs--9782707148926.htm">au soupçon d’immoralité ou de fraude</a> à l’égard de ceux qui vivent de la protection sociale. Mais comment contrôler, et avec quelle intensité ? Comment définir un équilibre entre devoirs et droits ? Les exemples européens montrent qu’il n’existe pas de consensus sur cet équilibre, par de convergence dans le calibrage des contrôles et les sanctions. Le rapport entre devoirs et droits est affaire de préférences, de valeurs, d’idéologies, d’appréciations, qui varient selon les individus, les groupes sociaux, les époques, les sociétés et leurs politiques de lutte contre le chômage.</p>
<p>Chaque pays a son système spécifique, les conditions d’indemnisation (couverture des chômeurs, calcul du montant des allocations, durée de versement) étant elles-mêmes différentes. La Grande-Bretagne a un <a href="http://bit.ly/2CYK39B">dispositif très strict</a>, combinant un engagement écrit du chômeur indemnisé précisant les démarches qu’il doit faire et le nombre d’heures qu’il doit y consacrer chaque semaine, un contrôle des preuves de recherche d’emploi lors d’entretiens bimensuels avec un conseiller, et un arrêt du versement des allocations en cas de manquement sans « bonne raison ». Ce système a entraîné le non-versement de 132 millions de livres (environ 150 millions d’euros) d’allocations en 2015, selon un rapport officiel.</p>
<p>En <a href="http://bit.ly/2CV7dwQ">Allemagne</a>, les chômeurs signent un « contrat d’insertion » définissant leurs obligations de façon moins précise, et prévoyant des sanctions, modulées selon des paramètres comme l’âge ou la durée de chômage. Au <a href="http://bit.ly/2Fj2XWb">Portugal</a>, les chômeurs indemnisés ont des obligations assez lâches : prouver qu’ils cherchent activement un emploi, accepter un poste convenable (en référence à leur ancien emploi) ou suivre une formation professionnelle correspondant à leur profil. En cas de non-respect de ces règles, ils risquent de perdre leurs indemnités.</p>
<p>L’obligation de produire des preuves d’une recherche active d’emploi est commune à tous les pays. Mais ce qui est exigible peut être codifié ou non, formalisé dans un contrat ou non, détaillé ou non. La recherche active d’emploi est donc conçue de manière différente, et l’appréciation des manquements est très variable, tout comme la fréquence des opérations de contrôle (par entretien plus ou moins espacés, ou par vérification continue du compte en ligne du chômeur comme au Danemark). Les sanctions sont aussi hétérogènes, car le versement du revenu de remplacement peut être affecté de manière graduelle ou non, partielle ou non, provisoire ou définitive. De plus, les conseillers et agents des institutions de l’emploi ont des marges d’appréciation très différentes selon les pays, en termes de contrôle comme de sanctions.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/201396/original/file-20180109-36016-1pfeliv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/201396/original/file-20180109-36016-1pfeliv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/201396/original/file-20180109-36016-1pfeliv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/201396/original/file-20180109-36016-1pfeliv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/201396/original/file-20180109-36016-1pfeliv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/201396/original/file-20180109-36016-1pfeliv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/201396/original/file-20180109-36016-1pfeliv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/201396/original/file-20180109-36016-1pfeliv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Panneau en Belgique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/fdecomite/7000126105/">fdecomite/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>L’efficacité du contrôle n’est pas établie</h2>
<p>La mesure de l’efficacité du contrôle de la recherche d’emploi est délicate. La méthode habituelle consiste à comparer deux groupes de chômeurs, avant et après un changement de législation. Il s’agit de mesurer les effets sur les comportements de recherche d’emploi d’une menace, nouvelle, de sanction au regard d’une période où la menace était moindre : un contrôle accru active-t-il les chômeurs et les conduit-il à sortir du chômage ?</p>
<p>Le paradigme sous-jacent est <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-ires-2016-2-page-3.htm">celui d’une rationalité du chômeur</a>, dont le système de préférences serait modifié par un renforcement des contrôles : pour éviter une sanction plus menaçante, il est incité à prospecter plus activement, à réduire ses prétentions professionnelles, et à abaisser son salaire de réservation en dessous duquel il n’est pas rationnel d’accepter un emploi.</p>
<p>Il est malaisé de repérer des résultats convergents, conformes à cette modélisation. Il est en effet difficile d’identifier des situations permettant de comparer les comportements de recherche d’emploi avant et après un changement de règles de contrôle. Aussi les cas analysés sont disparates : ils portent sur des programmes très différents (sanction temporaire ou non, progressive ou non), sur des catégories de chômeurs hétérogènes (jeunes ou non, de courte durée ou non, avec ou sans diplôme) et concernent des contextes contrastés (marché du travail dynamique ou non, niveau élevé de chômage ou non).</p>
<p>Se dégage néanmoins une tendance à la réduction de la durée d’indemnisation et à l’accroissement des sorties du chômage. Cela signifie que le renforcement du contrôle a des effets. Mais pas qu’il est efficace, car les emplois obtenus sont souvent de faible qualité, et que l’accès à l’emploi n’est pas la seule voie de sortie, puisqu’un resserrement des contrôles provoque aussi – et parfois plus- des passages à l’inactivité. De même, l’intensification de la recherche qui est observée se résume souvent à un surcroît de démarches réalisées pour les besoins du contrôle et non dans l’espoir de décrocher enfin un emploi.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/201393/original/file-20180109-36031-30kjf8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/201393/original/file-20180109-36031-30kjf8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/201393/original/file-20180109-36031-30kjf8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/201393/original/file-20180109-36031-30kjf8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/201393/original/file-20180109-36031-30kjf8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/201393/original/file-20180109-36031-30kjf8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/201393/original/file-20180109-36031-30kjf8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/201393/original/file-20180109-36031-30kjf8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dans une rue de Laon (02) en 2013.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/26948815@N03/9778375226/in/album-72157635436623014/">CHAMPARDENNAISAXONAIS/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<h2>Le contrôle pénalise les chômeurs en difficultés</h2>
<p>D’autres approches, qui ne réduisent pas les comportements de recherche d’emploi à des arbitrages rationnels, montrent que l’intensification des contrôles a des effets différenciés et renforce les inégalités entre chômeurs. On sait de longue date que les chômeurs ne sont pas égaux face à la recherche d’emploi, d’abord parce que celle-ci est une activité dépendante de la durée de chômage.</p>
<p>Par définition, la recherche d’emploi expose à des échecs récurrents, et ceux-ci s’accumulent d’autant plus quand le chômage dure. Alors il devient difficile de maintenir ses efforts et d’entretenir sa motivation. À l’inverse les doutes se multiplient, les espérances de gains s’effondrent, le découragement s’installe parfois jusqu’au renoncement.</p>
<p><a href="http://bit.ly/2CWxyvo">Aussi les chômeurs de longue durée</a> sont-ils vulnérables face au contrôle, alors qu’ils représentent plus de 40 % des chômeurs inscrits à Pôle emploi, et qu’ils ont une employabilité (probabilité d’accès à l’emploi) affaiblie et qui continue de se dégrader.</p>
<p>Le <a href="http://bit.ly/2CIqH4q">renforcement des contrôles</a> pénalise aussi les chômeurs qui recherchent autrement, et ont des difficultés pour produire des preuves tangibles de recherche d’emploi. Les rares enquêtes qualitatives auprès de chômeurs radiés pour insuffisance de recherche d’emploi montrent que cette recherche d’emploi officielle n’est pas adaptée à tous les profils de chômeurs.</p>
<p>Les démarches formelles permettent de mettre en valeur certaines qualités comme les diplômes, les expériences consistantes, les parcours cohérents, qui peuvent être aisément exhibées dans des CV et lettres de candidature. À l’inverse ces mêmes supports mettent en lumière les carences ou lacunes, tels un âge élevé, une longue période de chômage, un parcours discontinu, une absence de diplôme, une origine ethnique.</p>
<p>Aussi les chômeurs confrontés à ces difficultés tendent à délaisser une recherche d’emploi inadaptée pour privilégier d’autres démarches, moins formelles : prospection directe, concentration sur des territoires limités, réalisation de dépannages ponctuels, acceptation de tâches à l’essai parfois sur un mode informel. Ils investissent des petits réseaux pour tenter d’y faire reconnaître d’autres qualités informelles, comme la fiabilité, la rapidité, la confiance. Cette recherche d’emploi ne peut guère être attestée, car elle laisse peu de traces tangibles et qu’elle débouche parfois sur des petits jobs informels. Les chômeurs les moins employables ou stigmatisés par les méthodes de la recherche d’emploi formelle sont ainsi désavantagés par le renforcement des contrôles.</p>
<p>Aussi faut-il intégrer dans les débats sur le contrôle des chômeurs, les effets induits par les manières de mesurer et évaluer la recherche d’emploi. Cela conduit à interroger l’évidence selon laquelle ce sont les moins actifs et les moins méritants qui sont sanctionnés. Car les contrôles désavantagent avant tout ceux qui sont le plus en difficultés dans la quête d’un emploi : ceux qui sont découragés par la durée de leur chômage et peinent à y croire encore, ceux qui cherchent les moyens de ne pas exposer leurs lacunes et de démontrer leurs qualités informelles. Dès lors, le renforcement des contrôles risque d’accentuer les inégalités entre chômeurs, transformant les inégalités face aux chances d’obtenir un emploi en inégalités face aux chances de se maintenir dans le statut de chômeur. Il y a là matière à réflexion.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/89804/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Didier Demazière ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Que sait-on des dispositifs de contrôle et de sanctions ? Quelle est leur efficacité sur l’accès à l’emploi ? Quelles sont leurs conséquences, voulues ou non ? Finalement, quelle est leur légitimité ?Didier Demazière, Sociologue, directeur de recherche au CNRS (CSO), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/868942017-11-20T20:49:46Z2017-11-20T20:49:46ZCiel jaune et soleil rouge : l’ouragan Ophélia décrypté<p>L’ouragan Ophélia qui a frappé les îles britanniques mi-octobre a transporté dans son sillage une série de phénomènes inhabituels, qui ont affecté la qualité de l’air dans plusieurs pays d’Europe.</p>
<p>Le lundi 16 octobre, les habitants du sud de l’Angleterre et de la Bretagne ont passé la journée sous un ciel couleur sépia-orangé ; les nombreuses photos qui ont circulé sur les réseaux sociaux ont montré une ambiance digne de celle du film de science-fiction <em>Interstellar</em>, dans lequel la mauvaise gestion des terres cultivables rend l’atmosphère pleine de poussières. Plusieurs compagnies aériennes ont rapporté que leurs vols ont été déroutés ou qu’elles ont dû faire atterrir leurs avions après avoir senti une étrange odeur de brûlé <a href="http://www.bbc.com/news/uk-england-41639386">envahir le cockpit</a>.</p>
<p>Le lendemain matin, mardi 17 octobre, ce fut au tour des habitants de la Belgique et des Pays-Bas de noter que le ciel arborait une couleur qu’on voit plus souvent au coucher qu’au lever du soleil. Le soleil était rouge-orangé et chose rare : on pouvait même l’observer à l’œil nu quand il était déjà haut dans le ciel, car il y avait comme un voile opaque empêchant les rayons de briller. Quelques jours plus tard, les habitants d’Estonie ont eu la surprise de voir <a href="https://report.az/en/interesting/black-rain-observed-in-tallinn-due-to-hurricane-ophelia/">tomber une pluie noire</a>, chargée de poussières de cendres.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"921084657222942720"}"></div></p>
<h2>Des phénomènes rares</h2>
<p>Tous ces phénomènes sont liés : les vents violents associés à l’ouragan Ophélia ont transporté de grosses quantités de poussières de sable arrachées du Sahara d’une part, et une épaisse fumée provenant des feux très intenses qui ont sévi dans le nord du Portugal et à l’ouest de l’Espagne d’autre part.</p>
<p>Si les transports de sable haut dans l’atmosphère depuis le Sahara sont relativement fréquents sous nos latitudes – et on peut l’observer quand il retombe avec la pluie sur les pare-brise des voitures –, un transport de fumée sur une aussi longue distance est très rare. Avec les moyens actuels dont disposent les scientifiques pour l’étudier, on peut préciser la chronologie des évènements, les kilomètres parcourus, et les conditions qui ont permis son émergence.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/193229/original/file-20171103-1032-10mp53x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/193229/original/file-20171103-1032-10mp53x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/193229/original/file-20171103-1032-10mp53x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/193229/original/file-20171103-1032-10mp53x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/193229/original/file-20171103-1032-10mp53x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/193229/original/file-20171103-1032-10mp53x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/193229/original/file-20171103-1032-10mp53x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/193229/original/file-20171103-1032-10mp53x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Image visible prise par le sondeur MODIS à bord du satellite Terra le 16 octobre 2017, qui montre le cœur de la tempête et le transport de poussières de sable et de fumée.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.severe-weather.eu/news/sun-in-parts-of-uk-and-france-blocked-out-the-smoke-from-wildfires-in-spain-and-portugal/">NASA Terra/MODIS</a></span>
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<p>Mais d’abord : pourquoi le ciel ocre et le soleil rouge ?</p>
<p>La couleur du ciel dépend de la présence de molécules, de particules et de gouttelettes dans l’atmosphère, qui sont des obstacles pour le rayonnement du soleil, qui est alors diffusé et atténué. La lumière solaire est composée de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel (du violet jusqu’au rouge, pour la partie de son rayonnement en lumière visible).</p>
<p>Le ciel nous apparaît comme bleu car la <a href="http://www.meteo.org/phenomen/cielbleu.htm">lumière bleue</a> a la plus courte longueur d’onde et est plus sujette à la diffusion. C’est la raison pour laquelle un ciel très bleu n’est observé qu’en montagne (moins de pollution et moins de vapeur d’eau), et il virera au blanc s’il y a des <a href="http://www.futura-sciences.com/planete/dossiers/climatologie-nuages-tout-genre-differencier-545/">nuages</a> (diffusion de toutes les couleurs sur les gouttelettes d’eau).</p>
<p>Plus le ciel est chargé en particules fines, plus la diffusion augmente. Les composantes verte et jaune de la lumière sont alors affectées jusqu’à ce que finalement, la seule lumière que nous puissions voir soit le rouge orangé. Donc les plus beaux levers et couchers de soleil sont observés quand le ciel est chargé de particules !</p>
<h2>Du Portugal à l’Estonie</h2>
<p>À la suite d’un épisode de sécheresse historique, les incendies d’octobre au Portugal et en Galice ont été encore plus virulents que ceux rapportés au début de l’été. Outre le fait que des dizaines de personnes y ont perdu la vie ou ont été blessées, des quantités importantes de territoire ont été réduites en cendres.</p>
<p>À partir des images à haute résolution <a href="http://modis-fire.umd.edu/index.php">fournies par les satellites</a> qui permettent de suivre les feux actifs et les surfaces brûlées, il a été établi que ces incendies ont été les plus importants depuis au moins quinze ans. Les vents violents associés à l’ouragan ont décuplé l’intensité des flammes conduisant à des phénomènes comme les tornades de feux.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/va45FpEKcZ4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Des tornades de feu repérées au Portugal (Net 7 News, octobre 2017).</span></figcaption>
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<p>Mais pour expliquer comment les fumées se sont propagées si vite et si loin, il faut faire intervenir la pyroconvexion. Il s’agit de nuages spécifiques (les pyrocumulonimbus) qui se forment au-dessus des incendies violents, ayant une grande extension verticale et présentant une forme d’enclume, et qui vont <a href="http://journals.ametsoc.org/doi/pdf/10.1175/2010BAMS3004.1">injecter des masses d’air chargées de fumée épaisse</a> très rapidement de la surface vers des altitudes entre dix et vingt kilomètres. Ces fumées seront ensuite transportées au gré des vents, loin de leur zone d’émission. Plusieurs pyrocumulonimbus ont été observés par satellite dans les zones de feux en octobre.</p>
<p>Quand la végétation brûle, il s’en dégage des particules (carbone suie) mais aussi une série de gaz, en particulier le monoxyde de carbone (CO) qui résulte de la combustion incomplète, et bien connu comme un tueur domestique silencieux dans le cas des chauffe-eau domestiques mal réglés.</p>
<p>Ce gaz invisible à l’œil nu, inodore et incolore, les satellites infrarouges peuvent le traquer. L’instrument IASI qui vole à bord du satellite Metop <a href="http://iasi-chem.aero.jussieu.fr/coEurope2017.htm">a suivi ce phénomène</a> de transport de fumée exceptionnel durant toute sa traversée de l’Europe et des concentrations abondantes de ce polluant ont été mesurées. Après un passage au-dessus du Benelux et un tour jusqu’en Suède, le panache de fumée est passé au-dessus des pays baltes (où la pluie a emporté avec elle vers le sol une partie des cendres) et a terminé sa course aux frontières de l’Asie, parcourant ainsi plus de 8000 kilomètres.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/193228/original/file-20171103-1008-1ndnr66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/193228/original/file-20171103-1008-1ndnr66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/193228/original/file-20171103-1008-1ndnr66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/193228/original/file-20171103-1008-1ndnr66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/193228/original/file-20171103-1008-1ndnr66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/193228/original/file-20171103-1008-1ndnr66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/193228/original/file-20171103-1008-1ndnr66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Panaches de monoxyde de carbone observé par l’instrument IASI deux fois par jour à bord du satellite Metop. La couleur rouge indique des concentrations élevées.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Maya George/LATMOS</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Sous étroite surveillance</h2>
<p>Pour compléter ces mesures par satellite, les scientifiques disposent aussi d’instruments basés au sol qui, en utilisant des <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Ceilometer">techniques lidar</a>, peuvent fournir une estimation de la hauteur du panache et de sa composition. L’instrument basé à Bruxelles a montré que le panache de poussières de sable a survolé la capitale une douzaine d’heures avant celui de la fumée, à une <a href="https://www.meteo.be/meteo/view/fr/33827817-Du+sable+et+de+la+fumee.html">altitude autour de 3 kilomètres</a>.</p>
<p>Enfin, le modèle atmosphérique Copernicus Atmospheric Monitoring Service (CAMS), qui se nourrit de toutes les données disponibles pour établir des cartes des différents polluants au-dessus de l’Europe, a aussi confirmé qu’en Angleterre le panache était composé <a href="http://atmosphere.copernicus.eu/news-and-media/news/saharan-dust-and-smoke-over-france-and-uk">essentiellement de poussières de sable</a> avec un peu de cendres, tandis que les vents ont préférentiellement poussé les fumées au-dessus de l’Europe.</p>
<p>Pour conclure, l’Europe dispose actuellement d’une série d’observations basées au sol, <a href="https://www.iagos.org/">embarquées à bord d’avions de ligne</a>, et fournies par les satellites, qui, couplées à des simulations numériques, permettent de suivre et de prédire les déplacements des panaches de pollution pour alerter les populations quant à la qualité de l’air que nous respirons.</p>
<p>De tels évènements sont rares et, en général, la pollution est locale et essentiellement liée au trafic automobile. Ce n’est en revanche pas le cas pour les pays en voie de développement dans lesquels <a href="http://www.ipcc-nggip.iges.or.jp/public/gl/pdfiles/fren4-3.pdf">40 % des résidus de culture</a> sont brûlés dans les champs, ce qui induit une pollution importante et qui peut affecter les régions environnantes jusqu’à des distances lointaines, sans alertes préalables pour protéger les populations.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86894/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cathy Clerbaux received funding from CNES (Centre National d'Etudes Spatiales) to support scientific research related to her satellite analysis activity.</span></em></p>Mi-octobre 2017, une partie des Européens se retrouvaient sous un ciel orangé. Un phénomène rare décrypté grâce aux observations des scientifiques.Cathy Clerbaux, Directeur de recherche au CNRS, laboratoire LATMOS, Institut Pierre Simon Laplace (IPSL), Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.