tag:theconversation.com,2011:/us/topics/prospective-32327/articlesprospective – The Conversation2024-01-16T16:23:25Ztag:theconversation.com,2011:article/2209922024-01-16T16:23:25Z2024-01-16T16:23:25ZRéimaginer des horizons politiques en Israël/Palestine<p>Aux heures les plus sombres, tentons d’écouter les rossignols qui chantent encore, qu’on les dénomme <em>balâbil</em> (en arabe) ou <em>zmirim</em> (en hébreu). Alors que les massacres et les bombardements engendrent leurs cortèges de morts, de souffrances, de haines et d’appels à la vengeance dans l’espace israélo-palestinien et au-delà, il est indispensable de poser – une énième fois – la question du règlement politique d’un conflit dont les racines remontent à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>Le mantra de la « solution à deux États »</h2>
<p>Durant ces trente dernières années, la <a href="https://www.cairn.info/israel-palestine-une-guerre-sans-fin--9782200633691-page-135.htm">« solution à deux États »</a> s’est transformée d’un dispositif politique contesté mais envisageable au moment de la signature des accords d’Oslo (1993) à un outil rhétorique <a href="https://www.cairn.info/moyen-orient--9791031803364-page-193.htm">déconnecté des réalités de terrain</a>, qui ne cesse pourtant d’être réitéré comme un leitmotiv par les acteurs de la diplomatie internationale. Mais de <em>quelle</em> solution à deux États parle-t-on ?</p>
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<p>Comme <a href="https://doi.org/10.3917/pe.133.0011">l’affirmait l’intellectuel palestinien Sari Nusseibeh en 2013</a> – et comme l’ont affirmé bien d’autres avant et après lui –, la création de deux États selon les frontières « de 1967 » (lignes du cessez-le-feu qui, à l’issue de la guerre israélo-arabe de 1948-1949, dessinèrent les contours de la Cisjordanie annexée par la Jordanie et de la bande de Gaza contrôlée par l’Égypte) n’est plus une option réaliste, notamment à cause de la <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/israel/israel-palestine-comment-la-colonisation-juive-a-torpille-la-solution-a-deux-etats-6b4d4922-7288-11ee-a00f-d55111ba52f2">colonisation juive massive en Cisjordanie</a> depuis la conquête israélienne de 1967.</p>
<p>On peut aisément avancer qu’elle ne l’a jamais été : la discontinuité territoriale entre la Cisjordanie et la bande de Gaza empêche de penser sérieusement un État palestinien dans ces espaces, avant même de prendre en considération le <a href="https://journals.openedition.org/bcrfj/6291">morcellement interne de la Cisjordanie</a> impulsé par les accords d’Oslo (zones A, B, C) puis par les dispositifs de contrôle israéliens mis sur pied lors de la seconde Intifada (2000-2005).</p>
<h2>Pragmatisme et référendum populaire</h2>
<p>Adoptons une perspective pragmatique. La population qui vit entre la Méditerranée et le Jourdain – dans un territoire deux fois plus petit que la Suisse – a été multipliée par 20 en un siècle, atteignant aujourd’hui 15,3 millions d’individus – grosso modo 50 % de Juifs et 50 % d’Arabes.</p>
<p>Cinq générations successives ont été traversées par le conflit. Combien de générations devraient encore en subir les effets dévastateurs ? Les Israéliens ne « retourneront » pas en Russie, en Pologne, en Allemagne, en Irak, au Yémen, au Maroc ou en Iran, pas plus que les Palestiniens qui vivent encore en Israël/Palestine de nos jours ne s’exileront en Égypte, en Jordanie, au Liban ou en Arabie saoudite. Moins que la quantité des ressources foncières et hydriques disponibles, c’est <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Eau-et-conflits-dans-le-bassin-du-Jourdain.html">leur répartition et leur appropriation</a>, clairement favorables à Israël, qui posent problème.</p>
<p>La violence insoutenable de la séquence entamée le 7 octobre 2023 et, plus structurellement, le déni de reconnaissance politique et les violations de droits que subissent les Palestiniens depuis le début du mandat britannique (1920-1948), mais aussi le sentiment de menace existentielle qui pèse sur une société israélienne isolée au sein d’un environnement arabe hostile, doivent conduire à imaginer des solutions concrètes, inévitablement fondées sur le compromis.</p>
<p>Le plus grand défi est l’adhésion d’une majorité d’Israéliens et de Palestiniens à la possibilité d’un dialogue, sinon à une vision commune. Sari Nusseibeh et Ami Ayalon s’étaient heurtés à cet obstacle en 2003 dans le cadre de leur initiative <a href="https://web.international.ucla.edu/institute/article/5056">« The People’s Voice »</a> visant à recueillir un million de signatures de part et d’autre en soutien à la solution classique à deux États ; ils en avaient obtenu un dixième à l’époque. Mais les immenses dégâts causés par le conflit, dans le quotidien aussi bien que sur la longue durée, ne pourraient-ils pas convaincre une masse critique de la nécessité d’un compromis politique, pour enfin vivre en paix sur cette terre si (trop ?) riche d’histoires, de cultures et d’énergies humaines ?</p>
<p>Imaginons un référendum populaire organisé par une instance internationale auprès des Israéliens et des Palestiniens. Les votants, qui devraient remplir deux conditions pour participer au référendum (détenir la citoyenneté israélienne ou palestinienne <em>et</em> résider entre la Méditerranée et le Jourdain), seraient invités à se prononcer en faveur de l’une des deux options suivantes : un État multiconfessionnel et trilingue dans l’ensemble de l’espace israélo-palestinien ou deux États distincts fondés sur l’ethnicité (arabe/juive).</p>
<p>Le Royaume-Uni, l’Allemagne et les États-Unis joueraient un rôle central dans cette instance internationale au vu de leurs responsabilités historiques respectives dans la genèse du conflit arabo-sioniste puis israélo-palestinien : le premier par son soutien précoce au sionisme, avant la chute de l’Empire ottoman (déclaration Balfour de 1917) et plus encore durant la majeure partie de l’époque mandataire ; la seconde en raison de la conception et de la mise en œuvre du génocide juif par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, puis de son appui inconditionnel à l’État d’Israël ; les derniers par leur soutien constant à leur allié israélien au Moyen-Orient. La participation de l’Égypte et de la Jordanie à cette instance serait précieuse en tant qu’États arabes voisins qui partagent la triple expérience d’avoir participé aux guerres contre Israël jusqu’aux années 1970, occupé des territoires palestiniens (1948-1967) et <em>in fine</em> signé des traités de paix (même froide) avec Israël.</p>
<h2>L’option d’un État multiconfessionnel et trilingue</h2>
<p>Si elle était retenue, l’option d’un seul État multiconfessionnel (judaïsme, islam, christianisme ; religions druze, samaritaine et bahaïe) doté de trois langues officielles (hébreu, arabe, anglais) consacrerait comme priorité, pour la plupart des habitants, le fait de coexister dans un cadre politique commun et d’avoir accès à la totalité du pays, de la Galilée boisée au nord jusqu’à la pointe sud du désert du Néguev en passant par les collines et les plaines du centre.</p>
<p>Il s’agirait alors de rejeter délibérément le cadre conceptuel d’un État « binational », <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/etat-federal-unique-binational-ces-pistes-oubliees-pour-mettre-fin-au-conflit-entre-israel-et-palestine_6265413.html">souvent évoqué</a>, pour dégager l’espace israélo-palestinien de l’ethnicité étouffante (judéité/arabité) à laquelle les politiques étatiques et les relations sociales l’ont souvent réduit depuis des décennies.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1745128369824391331"}"></div></p>
<p>Ni « Israël », ni « Palestine », mais un nouveau nom à imaginer et un régime nécessairement démocratique pour garantir, entre autres libertés, les libertés de croyance, de pensée et de culte, ainsi que l’égalité de tous les citoyens devant la loi. Cet État aurait Jérusalem pour capitale.</p>
<p>Les avantages de cette solution seraient nombreux, parmi lesquels la liberté de mouvement pour toutes et tous sur l’ensemble du territoire, la taille raisonnable de cette entité politique, la variété de ses climats et de ses ressources, l’évitement du casse-tête que constitue le tracé de nouvelles frontières internes.</p>
<p>Le coût principal lié à la mise en place d’un tel État serait, pour les Israéliens et les Palestiniens, de renoncer à des symboles nationaux fondés sur une seule religion et/ou une seule langue, tout en préservant leurs histoires singulières. Cette nouvelle communauté de citoyens devrait s’accommoder de référentiels plus souples, permettant une pluralité d’identités reconnues, voire des formes d’hybridation, ce qui serait facilité par le <a href="https://doi.org/10.1080/13670050.2018.1452893">bilinguisme arabe/hébreu</a> existant déjà parmi une frange non négligeable de la population en Palestine et en Israël.</p>
<p>Si au sein de certains milieux palestiniens et israéliens, des prises de position et des actions en faveur d’un seul État démocratique se développent depuis plusieurs années (<a href="https://onestatecampaign.org/en/">One Democratic State Campaign</a>, <a href="https://www.zochrot.org/articles/view/286/en">Zochrot</a>), ces initiatives restent pour le moment très minoritaires ; elles postulent souvent la mise en œuvre intégrale du droit au retour des réfugiés palestiniens en se référant à la résolution 194 de l’ONU (décembre 1948), alors que le nombre d’individus enregistrés comme tels a plus que sextuplé en 75 ans. Nous y reviendrons plus bas.</p>
<h2>Deux États à base ethnique ?</h2>
<p>L’option alternative consisterait en une variation de la solution « classique » à deux États. Cimenté par l’ethnicité, chacun des États arabe et juif devrait toutefois bénéficier d’une continuité territoriale interne et d’un accès direct à la mer Méditerranée. Ces contraintes vitales impliqueraient un axe frontalier ouest-est plutôt que le puzzle à six pièces envisagé par l’ONU dans son <a href="https://www.un.org/unispal/document/auto-insert-208958/">plan de partage de novembre 1947</a>, dessiné principalement selon les zones de peuplement de la minorité juive (à l’époque un tiers de la population et 7 % de la propriété foncière). Dans un souci de viabilité, l’État du sud jouirait d’une superficie plus étendue pour compenser les inconvénients du Néguev désertique, moins propice à l’agriculture, à l’habitat et aux activités industrielles que le reste du pays.</p>
<p>La capitale des deux États serait une <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Jerusalem-la-fin-d-une-ville-sacree.html">Jérusalem</a> partitionnée, dont les lieux saints – voire l’ensemble de la veille ville – seraient placés sous une tutelle internationale, combinant ainsi une souveraineté locale sur la plupart des quartiers de la ville avec un mécanisme international régulant l’accès des fidèles et des visiteurs à l’Esplanade des Mosquées/Mont du Temple, au Mur des Lamentations et à l’Église du Saint-Sépulcre.</p>
<p>Informés du futur tracé des frontières, les habitants de l’actuel espace israélo-palestinien auraient la possibilité, avant la proclamation des deux États, de choisir leur lieu de résidence et la citoyenneté correspondante. Cette configuration permettrait aux nationalismes palestinien et israélien de s’incarner chacun dans un État souverain ; elle présenterait aussi l’avantage de laisser le choix du régime politique à l’appréciation des acteurs locaux.</p>
<p>Elle supposerait toutefois des concessions et des défis importants. Outre le format réduit de chacun des deux États, cette option impliquerait des remaniements démographiques et toponymiques pour, d’une part, permettre aux gens de choisir l’État sous la juridiction duquel ils entendent vivre et, d’autre part, hébraïser ou arabiser les noms de localités et de régions selon qu’ils sont situés au sein de l’État à majorité juive ou de son homologue arabe. Ces <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520234222/sacred-landscape">transformations toponymiques</a> semblent possibles dès lors que l’on considère les strates historiques, lointaines et proches, d’arabisation et d’hébraïsation de cet espace (respectivement VII<sup>e</sup>-VIII<sup>e</sup> siècles et années 1950), qui ont abouti à la succession ou à la coprésence de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1068/d2613">toponymes dans les deux langues</a> pour nombre de sites.</p>
<p>Enfin, ces États à base ethnique devraient renoncer à toute revendication d’exclusivité sur les lieux saints de Jérusalem. Le risque de guerre entre deux États aux idéologies religieuses et/ou nationalistes exacerbées, aux appétits territoriaux non assouvis et aux régimes politiques potentiellement différents serait élevé.</p>
<h2>Les réfugiés palestiniens</h2>
<p>Quel serait alors le sort des plus de <a href="https://theconversation.com/quelle-conscience-politique-deux-memes-ont-les-jeunes-palestiniens-en-exil-161547">5 millions de réfugiés palestiniens</a> qui vivent hors d’Israël/Palestine, principalement au Liban, en Syrie et en Jordanie ? Plusieurs options devraient leur être proposées, tant il est insensé que ce statut de réfugié, imaginé en 1949 par l’UNRWA comme temporaire – notamment en vertu du droit au retour des Palestiniens voté par l’Assemblée générale de l’ONU un an plus tôt –, se transmette de génération en génération depuis 75 ans.</p>
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<p>S’inspirant des négociations israélo-palestiniennes les plus avancées dans l’histoire du conflit (<a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_2002_num_48_1_3698">sommet de Taba en 2001</a>), restées lettre morte, trois options pourraient être sérieusement méditées, qu’il y ait un ou deux États en Israël/Palestine : le « retour » des réfugiés dans l’espace israélo-palestinien ; leur intégration réelle et durable dans la société d’accueil via l’acquisition de la citoyenneté ; leur émigration vers un pays tiers.</p>
<p>Dans tous les cas, et préalablement à la création d’un État multiconfessionnel ou de deux États à base ethnique, l’actuel État d’Israël devra reconnaître sa responsabilité historique dans l’exode de 750 000 Palestiniens en 1948-1949 et la dépossession foncière et bancaire d’un plus grand nombre encore, qu’ils soient devenus des réfugiés externes ou des déplacés internes (minorité palestinienne détentrice de la citoyenneté israélienne). Cette reconnaissance officielle, qui devrait aussi englober l’exil de 300 000 Palestiniens en 1967 et être accompagnée d’une indemnisation financière, est incontournable pour commencer à tourner la page d’un <a href="https://www.persee.fr/doc/gazar_0016-5522_1995_num_169_1_3358_t1_0316_0000_2">« passé qui ne passe pas »</a>. Quant aux Israéliens résidant à l’étranger, ils se verraient proposer la nationalité de l’État unique ou de l’un des deux États ethniques, selon les résultats du référendum.</p>
<p>En tant qu’historienne, il n’est pas dans mes habitudes, ni généralement dans celles de ma profession, d’adopter une posture prescriptive. Restituer et analyser les réalités passées des sociétés humaines, toujours complexes et insaisissables dans leur totalité, en se gardant de « prédire » le passé en fonction d’une fin connue d’avance, exige déjà un travail passionnant et une certaine dose d’humilité. Les pistes de réflexion formulées dans ce bref article peuvent paraître utopiques dans un monde fissuré par la montée en puissance des intérêts géopolitiques nationaux et la prééminence des rapports de force sur le droit international tel qu’incarné par l’ONU. Mais si les sciences humaines et sociales peuvent apporter des éclairages et des idées aux décideurs et aux militants, un petit pas aura été franchi dans l’ouverture de nouveaux horizons politiques au Proche-Orient.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220992/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Iris Seri-Hersch ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le système actuel ne peut pas garantir un avenir de paix pour les Israéliens et les Palestiniens. Alors, quelles options ? Faut-il envisager un État unique ou deux États ? Et selon quelles modalités ?Iris Seri-Hersch, Maîtresse de conférences - Histoire contemporaine du monde arabe - Département d'études moyen-orientales (DEMO), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2204382024-01-05T21:09:21Z2024-01-05T21:09:21Z2024, l’année des Européens ?<p>L’année est encore jeune mais les risques se multiplient déjà pour les Européens. À en croire les euro-pessimistes, 2024 sera sombre pour les tenants d’une Europe forte et autonome : le nouveau Parlement issu des <a href="https://elections.europa.eu/fr/">élections européennes de juin 2024</a> sera dominé par les souverainistes ; le soutien à l’Ukraine est remis en question par les égoïsmes nationaux ; la solidarité budgétaire entre États membres sera mise à l’épreuve par l’élaboration du prochain cadre financier pluri-annuel ; et une éventuelle nouvelle présidence Trump dégraderait profondément le lien transatlantique et donc la cohésion des Occidentaux en Eurasie.</p>
<p>Et si ces risques multiples constituaient, en réalité, des occasions de renforcer l’Europe ? Paradoxalement, 2024 ne peut-elle pas être l’année des Européens ?</p>
<h2>Parlement européen : mettre (enfin) les souverainistes au travail</h2>
<p>Les élections européennes, qui se déroulent tous les cinq ans, constituent le jalon institutionnel et politique le plus important pour la vie du continent. Ce sont elles qui détermineront la composition du seul organe supranational directement élu par les eurocitoyens.</p>
<p>Au vu des récents <a href="https://www.politico.eu/europe-poll-of-polls/european-parliament-election/">sondages</a>, la question n’est plus de savoir si, en juin, le Parlement verra ou non une progression des souverainistes ; il s’agit de se préparer à une situation où un rôle déterminant sera joué par des partis traditionnellement eurosceptiques : le Rassemblement national français, les <em>Fratelli d’Italia</em> alliés à la Ligue, le Fidesz hongrois, etc. Les deux grands mouvements politiques pro-européens – les sociaux-démocrates et les démocrates-chrétiens – sont si affaiblis que l’élection d’eurodéputés socialistes ou Les Républicains en France est incertaine.</p>
<p>Les récents <a href="https://www.touteleurope.eu/institutions/elections-europeennes-2024-qu-indiquent-les-sondages-pour-la-france/">sondages</a> annoncent une progression des groupes Identité et Démocratie et Conservateurs et Réformistes européens, qui regroupent les partis eurocritiques, eurosceptiques, anti-européens ou souverainistes du continent. Certes, le PPE devrait rester premier groupe en nombre de sièges au Parlement européen, les S&D devraient rester deuxièmes, et les centristes de Renew Europe troisième. Toutefois, ces trois groupes verraient tous leur nombre de sièges baisser, tandis que ID et les CRE verraient le leur <a href="https://www.euractiv.fr/section/elections/news/europeennes-2024-la-droite-limite-la-casse-la-gauche-radicale-et-les-nationalistes-progressent-selon-nos-projections/">augmenter</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lextreme-droite-au-parlement-europeen-ou-le-renard-dans-le-poulailler-194216">L’extrême droite au Parlement européen, ou le renard dans le poulailler</a>
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<p>Faut-il se résigner à voir le Parlement puis la Commission affaiblis et même paralysés par une vague anti-européenne ? Faut-il redouter une apathie politique durant toute la prochaine mandature ? L’espoir contraire est pourtant autorisé, malgré l’effacement des grands architectes de l’Union, symbolisé par la mort récente de <a href="https://theconversation.com/jacques-delors-le-premier-dirigeant-politique-europeen-220442">Jacques Delors</a>. En effet, les différents partis eurosceptiques seront sommés d’agir en raison même de leur propre succès. Les eurocitoyens toléraient l’inaction vitupérante tant que les partis souverainistes constituaient une minorité bruyante ; mais une série de victoires souverainistes au Parlement contraindront ces partis à prendre position et donc à agir concrètement.</p>
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<p>Jouer un rôle de premier plan au Parlement européen sera, pour ces partis, un test de sérieux politique : s’ils se refusent à s’unir en groupes cohérents et s’ils dédaignent de proposer des mesures concrètes, ils ne parviendront pas à obtenir les présidences de commission et le bilan politique dont ils ont besoin pour continuer à se « notabiliser ». De même que Giorgia Meloni est devenue instantanément <a href="https://www.robert-schuman.eu/questions-d-europe/723-un-an-de-gouvernement-meloni-un-chemin-tortueux-mais-resolu-vers-l-europe">pro-européenne</a> avec son accession à la présidence du conseil italien, de même les partis souverainistes seront contraints soit de se mettre au travail, soit de ruiner eux-mêmes leur crédibilité. On ne peut attendre un enthousiasme européiste de la part de ces partis. Mais on est en droit de prévoir une conversion rapide au pragmatisme institutionnel.</p>
<h2>Budget européen : développer les solidarités et revoir les priorités</h2>
<p>Le premier test de crédibilité du prochain Parlement et de la Commission qui en découlera (en partie) sera de contribuer à l’élaboration du cadre financier pluriannuel de l’Union. C’est là que les partis souverainistes doivent être explicitement mis au pied du mur. S’ils exigent une Union au service des citoyens, ils ne pourront pas reprendre purement et simplement le mantra des États membres autoproclamés « frugaux ».</p>
<p>Une réduction des dépenses européennes signifierait encore moins de protection des frontières par <a href="https://theconversation.com/frontex-une-administration-decriee-dans-la-tourmente-183468">FRONTEX</a>, encore moins de capacités allouées au <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/qu-est-ce-que-le-fonds-europeen-de-defe,encoremoinsdefondsstructurelsnse/">Fonds européen de Défense</a> et encore moins de soutien aux populations bénéficiaires des plans de relance et de résilience nationaux adoptés pour répondre aux crises économiques liées à l’épidémie de Covid-19.</p>
<p>Autrement dit, une vague souverainiste au Parlement mettra ces partis dans l’obligation de proposer de véritables priorités budgétaires au service des populations européennes. À défaut, ils se discréditeront.</p>
<h2>Élargissement : affirmer sa puissance</h2>
<p>Le deuxième test de crédibilité concernera l’élargissement en cours avec <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/292425-lue-decide-douvrir-les-negociations-dadhesion-avec-lukraine-et-la-mo">l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Moldavie et l’Ukraine</a> en décembre dernier. Rendu presque inévitable avec l’invasion russe de 2022, ce processus crée de fortes interférences dans la façon dont l’Union influence ses marches, dans les Balkans, en mer Noire et dans le Caucase.</p>
<p>Là encore, les Européens peuvent soit rechigner à tenir parole, irriter les États candidats anciens ou récents et miner ainsi leur prestige à leurs frontières ; soit au contraire faire de nécessité vertu et revisiter complètement leurs méthodes de discussion avec les États candidats.</p>
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<p>Placer les <a href="https://www.touteleurope.eu/les-pays-candidats-a-l-adhesion-europeenne">neuf candidatures</a> sous le signe du rapprochement géopolitique permettra de continuer à se montrer exigeant en matière d’<a href="https://www.touteleurope.eu/le-glossaire-de-l-europe/acquis-communautaire/">acquis communautaire</a> sans aborder l’élargissement uniquement d’un point de vue juridique et technocratique. Si, durant la prochaine mandature européenne, les discussions sont conduites uniquement dans la perspective de renforcer l’influence de l’Europe au sud et à l’est, les irritants pourront être considérablement réduits. Si la famille européenne se montre résolument accueillante du point de vue politique, on peut être plus patient du point de vue juridique et budgétaire.</p>
<h2>Politique extérieure : en attendant Trump</h2>
<p>2024 s’annonce-t-elle comme une année blanche pour la géopolitique de l’Europe dans la mesure où tout sera suspendu à l’élection américaine de novembre et aux nominations du prochain président (ou de la prochaine présidente) de la Commission européenne, du nouveau président (ou de la nouvelle présidente) du Conseil européen, et du prochain haut représentant (ou de la prochaine haut représentante) pour la politique extérieure ? Au moment même où le président chinois <a href="https://www.youtube.com/watch?v=W7W-67dzm3g">durcit le ton envers l’Europe</a>, où le président russe <a href="https://theconversation.com/russie-quand-vladimir-poutine-entre-en-campagne-220089">prépare sa réélection</a> et réitère ses déclarations condescendantes et agressives envers l’UE et où les « transatlantiques » perdent du terrain à Washington, l’Europe sera-t-elle aux abonnés absents en attendant des nominations qui ne surviendront qu’après l’été ?</p>
<p>Le premier semestre 2024 présente au contraire des occasions inespérées pour les Européens sur la scène internationale : le <a href="https://www.liberation.fr/international/amerique/la-visite-a-washington-de-volodymyr-zelensky-ne-suffit-pas-a-sortir-laide-americaine-a-lukraine-de-limpasse-20231213_CX7IKAJRFZFUJJEZ75BLVPYVPA/">recul de l’administration Biden sur le dossier ukrainien</a> ouvre la possibilité pour Bruxelles de montrer les fruits d’une décennie de soutien à Kiev, éclipsée par l’attention portée à la communication de l’administration américaine et de la présidence Zelensky.</p>
<p>C’est au premier semestre 2024 que les grands soutiens bilatéraux de l’Ukraine – Allemagne, Pologne, France, baltes – doivent souligner leur bilan (sanctions sans précédent, soutien décennal, etc.). Plus radicalement, la perspective d’une nouvelle présidence Trump doit être analysée comme une bonne nouvelle pour l’autonomie stratégique européenne. Si elle se concrétise, elle soulignera de nouveau que le lien transatlantique et l’OTAN ne peuvent suffire à protéger les Européens contre les dangers internationaux qui pèsent sur eux.</p>
<p>Si les risques s’accumulent pour les Européens en 2024, les occasions peuvent, elles aussi, se multiplier, pour peu qu’elles soient identifiées, saisies et exploitées. 2024 peut être l’année des Européens, à condition qu’ils ne s’installent pas dans l’attente.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220438/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Confrontée à la montée des partis eurosceptiques à l’intérieur et aux pressions russes, chinoises et américaines à l’extérieur, l’UE pourra-t-elle connaître un sursaut salvateur ?Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2106642023-08-24T17:01:49Z2023-08-24T17:01:49ZQuel avenir pour l’Ukraine ? Un exercice de prospective<p>À mesure que la guerre russe en Ukraine se prolonge, l’unité entre Kiev et ses alliés occidentaux, souvent soulignée dans nos médias, pourrait progressivement s’éroder si les opinions publiques occidentales <a href="https://edition.cnn.com/2023/08/04/politics/cnn-poll-ukraine/index.html">étaient gagnées par la fatigue de la guerre</a> et si l’Ukraine peinait à faire des avancées significatives sur le terrain <a href="https://www.wsj.com/articles/ukraine-war-counteroffensive-frontlines-russia-add3e4e4">face à des positions militaires russes fortement enracinées</a>. On constate déjà aujourd’hui que l’incertitude plane sur les intentions des différents protagonistes du clan occidental. Les nombreux retournements de situation de court terme, comme la mort de l’oligarque russe et patron de la compagnie militaire privée Wagner <a href="https://theconversation.com/wagner-groups-yevgeny-prigozhin-reportedly-died-in-private-jet-crash-if-confirmed-it-wouldnt-be-first-time-someone-who-crossed-putin-met-a-suspicious-demise-212168">Evgueni Prigojine</a>, contribuent également à la confusion et à l’incertitude quant à l’issue de ce conflit.</p>
<p>Dans ce contexte, <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-20684-0_9">l’analyse prospective</a>, mêlée de références historiques, peut nous aider à envisager les différents futurs possibles du pays.</p>
<p>Pour cela, il convient d’identifier les éléments les plus importants (les forces motrices, dans le langage de la prospective) pour l’issue du conflit. Dans le cas de l’Ukraine, on en distingue deux principaux. D’abord, la question de l’intégrité territoriale du pays : les autorités de Kiev et leurs partenaires sont-ils prêts à accepter l’éventualité d’une Ukraine fragmentée, ou bien le contrôle ukrainien sur l’ensemble du territoire sera-t-il, aux yeux des uns comme des autres, une condition absolue pour mettre fin au conflit ? Ensuite, l’orientation politique de Kiev : le conflit aboutira-t-il à un arrimage durable de l’Ukraine au camp occidental, ou au contraire à l’adoption d’un statut de neutralité ?</p>
<p>L’examen de ces deux questions clés permet de mettre en évidence quatre scénarios, mutuellement exclusifs, qui représentent des futurs possibles de l’Ukraine : celle-ci pourrait s’orienter vers un devenir comparable dans une certaine mesure soit à celui de la RFA de l’après-guerre, soit d’Israël, soit de Hong Kong, soit de la Finlande.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/541517/original/file-20230807-15835-1t5a54.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/541517/original/file-20230807-15835-1t5a54.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=570&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/541517/original/file-20230807-15835-1t5a54.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=570&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/541517/original/file-20230807-15835-1t5a54.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=570&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/541517/original/file-20230807-15835-1t5a54.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=716&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/541517/original/file-20230807-15835-1t5a54.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=716&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/541517/original/file-20230807-15835-1t5a54.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=716&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les quatre options possibles.</span>
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<h2>L’épineuse question de l’intégrité territoriale</h2>
<p>Si Kiev finissait par reconquérir l’ensemble de son territoire et par obtenir une ferme garantie de sécurité ultérieure de la part de ses alliés occidentaux, on entrerait dans une réalité similaire à celle que connaît aujourd’hui Israël (ou Taïwan, bien que l’île ne soit pas reconnue comme un État indépendant) : le camp occidental offrirait à l’Ukraine des garanties de sécurité significatives qui permettraient au pays de protéger sa souveraineté.</p>
<p>Ces garanties pourraient ressembler à l’aide militaire et économique, ainsi qu’au soutien politique que les États-Unis accordent actuellement à <a href="https://www.state.gov/u-s-security-cooperation-with-israel/">Israël</a> et à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/29/etats-unis-joe-biden-annonce-une-aide-militaire-de-345-millions-de-dollars-a-taiwan_6183790_3210.html">Taïwan</a>. D’ailleurs, l’écosystème politico-économique israélien, marqué par une collaboration très étroite entre investisseurs, ingénieurs et responsables militaires, est parfois <a href="https://www.economist.com/europe/2023/02/23/ukraines-tech-entrepreneurs-turn-to-military-matters">cité en exemple</a> par les autorités ukrainiennes, qui y voient un modèle à répliquer.</p>
<p>Mais ce scénario pourrait aussi avoir sa propre singularité : l’Ukraine, certes avec l’aide de ses alliés, aurait alors infligé une déroute incontestable à l’armée russe, ce qui lui conférerait une légitimité politique et militaire accrue au sein du camp occidental, comme l’a expliqué le général Michel Yakovleff.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1678664109737361409"}"></div></p>
<p>Cependant, les <a href="https://www.bbc.com/afrique/articles/ce7e9p8rrzlo">tensions</a> que l’on a pu observer notamment entre Joe Biden et Volodymyr Zelensky <a href="https://theconversation.com/lotan-et-lukraine-ou-va-t-on-apres-le-sommet-de-vilnius-210022">au dernier sommet de l’OTAN</a> démontrent les limites de l’alignement stratégique entre Washington et Kiev face à la puissance nucléaire qu’est la Russie.</p>
<p>Sur la question de <a href="https://www.washingtonpost.com/national-security/2023/07/13/zelensky-ukraine-nato-invitation/">l’adhésion à l’OTAN</a> et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, les positions ne sont pas strictement identiques : à l’inverse de Kiev, tant Washington que les Européens pourraient se satisfaire d’un scénario dans lequel l’Ukraine réaliserait des avancées territoriales significatives sans pour autant reconquérir l’ensemble des régions qu’elle a perdues. </p>
<p>De même, et en bonne partie pour permettre à Vladimir Poutine de ne pas perdre la face, les Américains pourraient chercher à favoriser une « simple » adhésion de l’Ukraine à l’UE, plutôt qu’à l’OTAN, comme l’a <a href="https://www.youtube.com/watch?v=BhocUmNKDFI">explicitement dit</a> le sénateur démocrate du Delaware Chris Coons, montrant ainsi que dès lors qu’il s’agit de prendre des engagements de long terme, Washington pourrait préférer une piste purement européenne plutôt que transatlantique. Du point de vue d’un certain nombre de responsables à Washington, la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/guerre-en-ukraine-poutine-a-lance-le-deploiement-d-armes-nucleaires-tactiques-en-bielorussie">menace de l’utilisation d’armes nucléaires tactiques</a> de la part de Moscou pourrait ainsi être contenue.</p>
<p>Un tel scénario impliquerait la fragmentation de l’Ukraine, à l’image de celle de <a href="https://foreignpolicy.com/2023/07/10/ukraine-nato-west-germany-vilnius/">l’Allemagne</a> au lendemain de la guerre. Elle permettrait au camp occidental de soutenir le développement d’une vraie démocratie en Ukraine, notamment en aidant les autorités du pays à <a href="https://www.lepoint.fr/monde/l-autre-guerre-de-zelensky-10-08-2023-2531193_24.php">lutter contre la corruption</a>. Ce scénario n’exclut pas des velléités de revanche de la part de Kiev, qui pourrait espérer sa propre réunification à terme.</p>
<h2>La menace de la fatigue du reste de l’Occident</h2>
<p>Il ne faut cependant pas exclure que la fatigue de la guerre puisse atteindre les opinions publiques occidentales, et par voie de transmission, leurs décideurs politiques, dont Joe Biden, qui fait face <a href="https://www.wsj.com/articles/ukraines-stalled-offensive-puts-biden-in-uneasy-political-position">à une échéance politique capitale l’année prochaine</a>.</p>
<p>Au moment où les difficultés économiques pèsent sur les populations européennes, l’importance stratégique que les capitales occidentales ont accordée à l’Ukraine pourrait perdre de sa vigueur. La guerre a déjà déstabilisé le secteur agricole de l’Europe de l’Est, menant la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie à <a href="https://www.economist.com/europe/2023/04/27/a-spat-over-farming-bodes-ill-for-ukraines-future-european-prospects">suspendre</a> leurs importations alimentaires en provenance d’Ukraine en avril dernier (avant qu’elles ne reprennent en juin). Les alliés occidentaux pourraient aussi éprouver des difficultés logistiques à soutenir l’Ukraine militairement : la <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/ukraine-derriere-la-penurie-de-munitions-les-failles-de-lindustrie-europeenne-20230710_B3QGTDQEBREGJPZTTJ5ATE57NM/">pénurie de munitions</a> au niveau international, qui explique pourquoi tant les Européens que les Américains peinent à approvisionner l’Ukraine, pourrait influencer l’issue du conflit.</p>
<p>La volonté politique des États-Unis, dans les faits, <a href="https://twitter.com/EHunterChristie/status/1676324983033790470">est également plus floue</a> que les déclarations politiques déterminées de l’administration Biden laisseraient penser. La <a href="https://www.nbcnews.com/news/world/former-us-officials-secret-ukraine-talks-russians-war-ukraine-rcna92610">révélation</a> de pourparlers secrets entre Washington et Moscou portant sur la fin du conflit montre bien que la possibilité de négociations avec la Russie <a href="https://www.foreignaffairs.com/ukraine/russia-richard-haass-west-battlefield-negotiations">n’est en rien exclue</a> par les États-Unis.</p>
<p>La réalité que connaîtrait l’Ukraine pourrait dès lors dépendre de l’importance de ses reconquêtes territoriales et des pressions occidentales qui pourraient forcer le pays à négocier.</p>
<p>Si l’Ukraine parvenait à reconquérir une majeure partie de son territoire, mais devait accepter un compromis avec la Russie, un scénario semblable à celui de la neutralité finlandaise, qui a duré de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la <a href="https://theconversation.com/finlande-une-nouvelle-ere-203576">récente adhésion de Helsinki à l’OTAN</a> pourrait s’imposer au pays : l’intégrité territoriale viendrait au prix de son non-alignement.</p>
<p>Au contraire, si l’Ukraine ne parvenait pas à reconquérir une majeure partie de son territoire, et subissait même des pertes supplémentaires, notamment parce que les Occidentaux venaient à abandonner le pays à son sort, Moscou serait en position de force pour imposer ses intérêts sur le terrain et pour continuer de déstabiliser le pays. Toutes choses égales par ailleurs, un scénario à la <a href="https://theconversation.com/hong-kong-la-fin-du-principe-un-pays-deux-systemes-139280">Hong Kong</a>, où une démocratie est aux prises avec la volonté d’une dictature, se ferait alors jour.</p>
<h2>Au-delà des scénarios, quelles leçons ?</h2>
<p>Les leçons que l’on peut tirer d’un tel exercice de prospective peuvent dépendre du point de vue que l’on adopte. Certaines d’entre elles s’imposent à tous les protagonistes.</p>
<p>La première concerne le rôle que les garanties de l’OTAN peuvent jouer. Force est de constater que les garanties que les capitales occidentales pourraient offrir à Kiev ne s’inscrivent pas exclusivement dans le cadre de l’Alliance atlantique, contrairement à ce que les discussions de court terme peuvent laisser penser (et à ce que l’exemple taïwanais suggère). </p>
<p>Les garanties d’ordre politique et économique (notamment par le <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/07/12/g7-joint-declaration-of-support-for-ukraine/">biais du G7</a>) ainsi que des engagements officiels qui mettent l’accent sur la raison d’être du soutien occidental à l’Ukraine, au moment où la légitimité du système démocratique à économie de marché est mise en question, peuvent également jouer un rôle de garde-fou en inscrivant l’Ukraine durablement dans le camp occidental. En d’autres termes, une réelle feuille de route politique pour l’Ukraine qui dépasse les querelles intestines quant à l’adhésion du pays à l’OTAN jouerait un rôle significatif et peut-être non moins crédible qu’une intégration officielle à l’Alliance.</p>
<p>Encore faut-il, cependant, que les alliés occidentaux jugent le bénéfice de leur engagement en Ukraine suffisamment stratégique et justifié par rapport à l’alternative de voir émerger aux frontières de l’Europe une nouvelle Finlande ou un nouveau Hong Kong. Dans l’immédiat, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/08/21/livraison-d-avions-de-combat-a-l-ukraine-l-occident-franchit-le-pas_6186023_3210.html">l’annonce de la fourniture de F16 à Kiev</a> va dans ce sens.</p>
<p>Mais ce conflit, qui est devenu une guerre d’attrition, pourrait rendre ce type d’engagement de plus en plus difficile pour des décideurs occidentaux qui devront faire face à la fatigue de leurs opinions publiques. Moscou pourrait gagner en détermination. C’est pourquoi le risque d’une nouvelle Finlande ou d’un nouveau Hong Kong continue de planer sur l’Europe.</p>
<p>L’issue du conflit dépendra largement des dynamiques politiques européennes qui mettront dans la balance les bénéfices de ces engagements envers l’Ukraine et le coût de ce risque d’une nouvelle Finlande ou d’un nouveau Hong Kong. Cette lecture politique du conflit pourrait ainsi influencer la perception que les alliés européens ont d’eux-mêmes et du rôle qu’ils s’imaginent jouer sur le plan international à l’avenir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210664/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jeremy Ghez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À ce stade, quatre « modèles » se dégagent pour l’avenir de l’Ukraine. Certains sont nettement plus souhaitables que d’autres pour les autorités de Kiev.Jeremy Ghez, Professor of Economics and International Affairs, HEC Paris Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1999192023-02-17T15:34:22Z2023-02-17T15:34:22ZUkraine : trois scénarios de rupture<p>Faut-il se préparer au pire ? Pour l’Ukraine ? Pour la Russie ? Et pour l’Europe tout entière ? Si le pire n’est jamais certain, le « déjà-vu » n’est pas nécessairement le plus probable. Avec ce conflit hautement évolutif, il ne faut exclure ni les ruptures majeures, ni les catastrophes inattendues. La guerre en Ukraine n’est pas finie. Mais rien ne dit qu’elle continuera comme elle a commencé.</p>
<p>Un an après le début de l’invasion russe, plusieurs scénarios probables se profilent (nous les avons <a href="https://theconversation.com/ukraine-trois-scenarios-pour-la-suite-et-la-fin-du-conflit-198093">détaillés</a>) : celui d’une reconquête par l’Urkaine de la partie est de son territoire ; celui de succès russes tangibles dans le sud et le nord du pays ; enfin, celui d’un conflit non résolu mais meurtrier de grande ampleur déstabilisant durablement la sécurité collective européenne.</p>
<p>Ces scénarios probables n’épuisent pourtant pas le champ des possibles.</p>
<p>Des scénarios de rupture doivent être également envisagés, sur un mode exploratoire, car la guerre d’Ukraine a multiplié les surprises tactiques et stratégiques : l’offensive russe a surpris les états-majors européens ; la résistance ukrainienne a pris de court les autorités russes ; l’unité européenne a battu en brèche les anticipations, etc. La guerre en Ukraine ne demande pas seulement la prospective des évolutions probables ; elle exige l’anticipation des ruptures possibles.</p>
<h2>Le scénario Mannerheim ou la partition forcée de l’Ukraine</h2>
<p>La hiérarchie militaire de Moscou estime au départ que quelques jours suffiront pour obtenir une victoire totale. Son attaque, visant à récupérer un ancien territoire de l’empire tsariste, lui vaut une très large condamnation internationale. La guerre est dure, la résistance adverse très déterminée. Malgré un bilan humain, économique et diplomatique très lourd, Moscou réussit à faire main basse sur une partie du territoire adverse.</p>
<p>Ce scénario est « bien connu » en Russie : c’est celui de la guerre de Finlande, il y a presque 85 ans.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/finlande-1939-tchetchenie-1994-ukraine-2022-pourquoi-les-guerres-russes-se-ressemblent-elles-181730">Finlande 1939, Tchétchénie 1994, Ukraine 2022 : pourquoi les guerres russes se ressemblent-elles ?</a>
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<p>Lors de la <a href="https://www.cairn.info/1940-la-guerre-detraquee--9782700703252-page-85.htm">guerre d’Hiver (novembre 1939–mars 1940)</a>, l’URSS avait attaqué la Finlande, laquelle avait <a href="https://www.herodote.net/6_decembre_1917-evenement-19171206.php">obtenu son indépendance de la Russie fin 1917</a>, peu après la prise du pouvoir par les bolcheviks. L’agression soviétique fait suite à l’échec de la négociation soviéto-finlandaise au sujet de la création d’un espace tampon protégeant la ville de Saint-Pétersbourg ; elle découle également du Pacte Molotov-Ribbentrop, qui faisait entrer la Finlande dans la zone d’influence soviétique.</p>
<p>L’agression soviétique avait provoqué <a href="http://lhistoireenrafale.lunion.fr/2016/12/13/14-decembre-1939-lurss-expulsee-de-sdn/">l’exclusion de l’URSS de la Société des nations</a>. En dépit d’une résistance acharnée, à un contre quatre, et parfois bien moins, et du fait de l’épuisement de stock de ses munitions, Helsinki fut contrainte de céder une région essentielle de son territoire, la Carélie. La conclusion du <a href="http://pcf-1939-1941.blogspot.com/2013/08/traite-de-paix-sovieto-finlandais-du-12.html">Traité de Moscou</a>, signé à l’issue d’une <a href="https://www.secondeguerre.net/articles/evenements/es/39/ev_russofinlandais.html">guerre terrible</a> et meurtrière, doit beaucoup à l’autorité du maréchal finlandais <a href="https://finland.fi/fr/vie-amp-societe/mannerheim-soldat-president-homme-de-paix/">Mannerheim</a>, qui a appelé ses troupes à accepter de douloureuses concessions, lesquelles devaient néanmoins confirmer la souveraineté et l’indépendance de la Finlande.</p>
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<p>Certains cercles dirigeants de Kiev sont-ils en train de préparer l’opinion nationale à perdre une partie du territoire du pays afin d’éviter un alourdissement du bilan humain pour les Ukrainiens, ce qui correspondrait à une sorte de <a href="https://oliverboydbarrett.substack.com/p/the-mannerheim-moment">« moment Mannerheim »</a> ?</p>
<p>En décembre, le chef d’état-major des armées Valeri Zaloujny a <a href="https://www.economist.com/zaluzhny-transcript">demandé aux Occcidentaux</a> de fournir à l’Ukraine dès que possible 300 chars, 600-700 véhicules de combat d’infanterie et 500 obusiers. En dépit de <a href="https://www.francebleu.fr/infos/international/guerre-en-ukraine-l-allemagne-donne-son-feu-vert-a-la-livraison-de-chars-leopard-a-kiev-9866990">l’annonce</a> de la livraison des chars Leopard de fabrication allemande, des Abrams américains et des Challenger 2 britanniques, il n’est pas certain que ces armes soient livrées à temps pour contenir une nouvelle offensive russe. En outre, une diversité de matériels engendre pour une armée des difficultés logistiques : les besoins ne sont pas les mêmes ; l’approvisionnement en pièces détachées est plus compliqué à organiser ; le temps de formation, incompressible, retarde d’autant l’effectivité du renfort armé.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1603461462298591232"}"></div></p>
<p>En cas de reculs ukrainiens sur le terrain, le président Zelensky serait probablement tenu responsable par l’opinion publique des difficultés militaires, et l’armée deviendrait la valeur refuge d’une grande partie de la société. Les multiples <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230124-en-ukraine-plusieurs-hauts-responsables-d%C3%A9missionnent-dans-un-scandale-de-corruption">démissions et limogeages</a> des dernières semaines, sur fond de scandales de corruption, sont peut-être une manifestation de sourdes luttes intestines qui n’ont pas encore émergé, mais qui bouillonnent de manière sous-jacente.</p>
<p>Tout cela pourrait aboutir à une rupture dans la posture stratégique constante de l’Ukraine. Celle-ci consentirait, en partie peut-être sous la pression de ses partenaires, à une réduction de son territoire internationalement reconnu en 1991, en échange de garanties de sécurité.</p>
<h2>Le scénario de l’emploi de l’arme électromagnétique</h2>
<p>Tandis que se déroule dans le Donbass la sanglante <a href="https://www.huffingtonpost.fr/international/article/guerre-en-ukraine-la-bataille-de-bakhmout-nouveau-point-de-bascule-du-conflit_214106.html">bataille de Bakhmout</a>, l’état-major ukrainien anticipe depuis plusieurs semaines la possibilité d’une puissante nouvelle offensive russe, pas seulement dans le Donbass, mais aussi depuis le Nord. Il ne s’agirait pas d’une attaque des seules forces biélorusses ; en dehors de quelques supplétifs et spécialistes sur des profils déterminés, l’apport armé de Minsk <a href="https://apnews.com/article/russia-ukraine-putin-estonia-moscow-belarus-ee8b2557d1c1cfc031261bc282a96e6b">serait faible</a>.</p>
<p>En revanche, une véritable rupture serait le déclenchement d’une nouvelle offensive russe depuis (et avec) la Biélorussie. Cette attaque viserait Kiev, qui ne se situe qu’à 150 km de la frontière… à moins que l’objectif ne soit d’empêcher la livraison des armes occidentales, en se positionnant à la frontière polono-ukrainienne. Que le but fixé soit l’un ou l’autre (ou les deux), les Russes pourraient faire exploser une <a href="https://www.forbes.com/sites/jamesbroughel/2022/11/18/would-putin-launch-an-electromagnetic-pulse-attack-against-ukraine/">bombe à impulsion électromagnétique</a> de forte ampleur près de Lviv, la grande ville de l’ouest de l’Ukraine, située à proximité de la frontière polonaise.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1590789191645990921"}"></div></p>
<p>Les effets seraient dévastateurs pour la suite de la guerre. En effet, en libérant une onde électromagnétique très brève et de forte amplitude, une telle explosion rendrait les appareils électroniques inopérants à plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde. Un cadre adéquat pour lancer une offensive dans un brouillard stratégique, et prendre l’armée ukrainienne à revers.</p>
<p>Un tel développement pourrait aussi entraîner des effets secondaires significatifs pour les voisins polonais et baltes, ainsi que pour les livraisons d’armes. Un moindre approvisionnement en armes, couplé à une fatigue des opinions publiques européennes, constituerait une rupture qui affaiblirait nettement le camp ukrainien. Le plus sûr moyen d’y arriver serait encore de <a href="https://www.ft.com/content/d6ecbf62-f26d-401f-936b-e5bd85f25c06">faire exploser une bombe atomique non au sol, mais en haute altitude</a>.</p>
<h2>Le scénario de l’escalade incontrôlée, jusqu’au nucléaire ?</h2>
<p>L’historien australien Christopher Clark a <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2014-1-page-216.htm">montré</a> comment un enchaînement de décisions a pu déboucher sur la Première Guerre mondiale, sans qu’aucun acteur n’ait recherché la guerre en première intention. Cette peur de l’escalade incontrôlée explique sans doute en partie la politique prudente de l’Allemagne vis-à-vis du conflit russo-ukrainienne, d’Angela Merkel à Olaf Scholtz.</p>
<p>Le scénario de l’escalade se nourrit d’abord des discours et des idées. La surenchère verbale constitue un véritable « piège rhétorique », qui contraint les acteurs : la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-reportage-de-la-redaction/de-stalingrad-a-l-ukraine-la-reference-permanente-du-pouvoir-russe-a-la-deuxieme-guerre-mondiale-9527673">référence récurrente à la « Grande guerre patriotique »</a> côté russe alimente une vision eschatologique du conflit : c’est la survie même de la Russie qui serait en jeu, ce qui implique que le recours au nucléaire, en dernière instance, doit être envisagé.</p>
<p>Au-delà de la rhétorique, les livraisons d’armes à l’Ukraine nourrissent évidemment cette escalade. Progressivement, les premières livraisons ont permis d’envoyer des armes soviétiques, puis des armes de type OTAN. La livraison des canons HIMARS et des Caesar a coïncidé avec la préparation de la <a href="https://theconversation.com/lukraine-contre-attaque-jusquou-190288">contre-offensive ukrainienne réussie de l’automne</a>. Il est parfaitement logique pour l’Ukraine de demander un soutien en armement toujours plus important. Après les tanks, la prochaine étape ne serait-elle pas d’envoyer des <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/113458-000-A/zelensky-demande-des-avions-de-combat-aux-europeens/">avions</a> ?</p>
<p>Dans cette situation, on observe des deux côtés une foi en la victoire et un profond effroi quant à la perspective d’une défaite : pour la Russie, une défaite contribuerait à déconsidérer le régime et pourrait conduire à sa chute, voire au démantèlement du pays ; pour le camp d’en face, une défaite signifierait non seulement la fin du rêve d’arrimage à l’ouest de l’Ukraine, mais aussi une humiliation de l’OTAN, ce qui pourrait inciter la Russie, et d’autres acteurs comme la Chine, à déclencher d’autres attaques dans un avenir prévisible.</p>
<p>Quand pour toutes les parties engagées, la victoire apparaît possible et la défaite catastrophique, faut-il craindre le risque d’un va-tout nucléaire ? Ce qui est certain, c’est que la période actuelle est celle de la <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/repenser-les-choix-nucleaires-benoit-pelopidas">« vulnérabilité nucléaire »</a>, une notion qui permet de prendre en compte la dimension matérielle du risque nucléaire (il n’y a pas de protection contre des explosions nucléaires, délibérées ou accidentelles), mais également du rôle de la chance, trop souvent occulté par la croyance dans la sûreté et la contrôlabilité parfaite de ces systèmes d’armes (en dépit des risques d’accident et de manipulation à distance).</p>
<p>Cette peur avait été très présente lors des <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/08/28/zaporijia-une-centrale-nucleaire-au-c-ur-de-la-guerre_6139267_3244.html">combats autour de la centrale de Zaporijia</a> en août 2022, mais la menace de l’utilisation d’une arme nucléaire tactique est aussi <a href="https://theconversation.com/le-chantage-nucleaire-de-vladimir-poutine-178095">régulièrement agitée</a> dans les moments de difficulté par les autorités russes, afin d’impressionner l’opinion publique européenne. L’emploi en Ukraine d’une telle arme ne pourrait pas laisser les États-Unis sans réaction, <a href="https://www.rand.org/pubs/perspectives/PEA2510-1.html">sans qu’ils aillent pour autant jusqu’à une riposte nucléaire</a> contre le territoire russe. Il n’en reste pas moins que nous serions dans une situation inédite et face à un danger paroxystique.</p>
<p>Ces trois scénarios de rupture, dont aucun n’apparaît positif pour l’Ukraine, n’ont pas aujourd’hui une probabilité forte. Mais les risques qu’ils comportent sont si considérables, spécialement pour les deux derniers, qu’il est indispensable de les avoir à l’esprit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199919/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Au-delà des trois scénarios les plus probables – victoire russe, victoire russe, enlisement –, la guerre en Ukraine pourrait réserver des surprises stratégiques qu’il convient d’évaluer.Florent Parmentier, Secrétaire général du CEVIPOF. Enseignant à Sciences Po. Chercheur-associé au Centre HEC Paris de Géopolitique, Sciences Po Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1980932023-01-24T19:09:17Z2023-01-24T19:09:17ZUkraine : trois scénarios pour la suite (et la fin ?) du conflit<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/505782/original/file-20230123-51865-8bd7ue.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C5760%2C3819&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La ville de Borodianka (Ukraine), après des bombardements aériens russes en mai 2022. La guerre ne baissera probablement pas d’intensité en 2023.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/borodyanka-ukraine-may-28-2022-houses-2164158987">Adrey Sarysamkov/shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Près d’un an après le déclenchement de l’opération militaire russe contre l’Ukraine, le 24 février 2022, quelles sont les évolutions possibles du conflit dans les mois qui viennent ? La difficulté de la prospective est particulièrement marquée pour ce conflit car les « surprises » militaires, diplomatiques et stratégiques ont été nombreuses.</p>
<p>D’un côté, la combativité des forces ukrainiennes, le <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/12/21/quels-sont-les-pays-qui-ont-le-plus-aide-l-ukraine-financierement-depuis-le-debut-de-la-guerre_6126677_4355774.html">soutien</a> de l’UE et des États-Unis à Kiev, les difficultés <a href="https://www.revuepolitique.fr/attaque-russe-contre-lukraine-des-revers-logistiques-encore-mal-apprehendes/">logistiques</a> et <a href="https://regard-est.com/larmee-russe-mise-en-difficulte-par-le-conflit-en-ukraine">tactiques</a> des forces armées russes ont pris Moscou de court. D’un autre côté, la <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/10/30/comment-l-economie-russe-resiste-au-choc-des-sanctions_6147934_3234.html">résistance de l’économie russe aux sanctions</a>, <a href="https://www.iss.europa.eu/content/how-big-storm-assessing-impact-russian%E2%80%93ukrainian-war-eastern-neighbourhood">l’ampleur des migrations ukrainiennes vers l’Europe</a>, le blocage des instances de l’ONU ainsi que le soutien mesuré de la Chine, de l’Inde et de plusieurs pays d’Afrique à la Russie ont surpris les chancelleries occidentales.</p>
<p>Trois scénarios majeurs sont aujourd’hui envisageables.</p>
<h2>Scénario 1 : un revers russe caractérisé</h2>
<p>Sur le plan militaire, les forces armées de Moscou lanceraient une nouvelle offensive sur Kiev, comme en <a href="https://theconversation.com/larmee-russe-sest-retiree-du-nord-de-kiev-defaite-ou-repli-tactique-180620">février 2022</a>, ainsi que sur le bassin du Don (le Donbass, dont une large partie se trouve toujours aujourd’hui sous le contrôle des Ukrainiens) et sur la province de Kherson afin d’essayer d’obtenir un succès éclatant aux yeux de la population russe.</p>
<p>Mais ces attaques échoueraient. La Russie perdrait de nombreux hommes et une grande partie des quatre provinces ukrainiennes <a href="https://theconversation.com/annexions-russes-de-territoires-ukrainiens-un-air-de-deja-vu-192288">illégalement rattachées à la Fédération de Russie</a> en septembre 2022. Elle constaterait que son objectif stratégique initial (le changement de régime à Kiev) s’est soldé par un échec. L’Ukraine reprendrait des bastions russes dans le Bassin du Don et ferait mouvement vers la Crimée.</p>
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<p>Plusieurs facteurs pourraient consacrer cette défaite russe. Sur le plan intérieur, la mobilisation et l’entraînement des réservistes se heurteraient à plusieurs limites : nouvelle <a href="https://kyivindependent.com/uncategorized/forbes-russia-700-000-people-have-left-russia-since-mobilization-began">fuite des mobilisables hors du territoire russe</a> ; incapacité du commandement russe à <a href="https://information.tv5monde.com/info/russie-des-mobilises-pas-ou-peu-formes-ni-equipes-expriment-leur-mecontentement-475131">entraîner efficacement les nouvelles recrues</a> ; épuisement de la Base industrielle et technologique de Défense (BITD) russe ; montée en puissance des <a href="https://www.foreignaffairs.com/russian-federation/sanctions-russia-are-working">effets des sanctions occidentales</a> sur le budget de la Fédération ; crise dans les cercles dirigeants russes, notamment au niveau du ministère de la Défense.</p>
<p>En Ukraine, la réalisation de ce scénario est subordonnée à plusieurs conditions : la résistance de la présidence ukrainienne à l’usure de la guerre, sa capacité à remporter les élections législatives de l’automne 2023, la poursuite de l’aide militaire américaine et européenne à un niveau compatible avec la consommation inévitable de matériels de guerre sur les champs de bataille, et la capacité à tenir plusieurs fronts en même temps. Le chef d’état-major ukrainien, Valeri Zaloujny, a exprimé un <a href="https://www.economist.com/zaluzhny-transcript">certain nombre de souhaits en décembre</a> : 300 chars, 600-700 véhicules de combat d’infanterie, 500 obusiers pour la victoire.</p>
<p>Enfin, sur le plan international, ce scénario suppose que la Russie perde la position de force que lui a conférée en 2022 la hausse des prix des produits énergétiques. Il faudrait pour cela que ses clients développent des sources d’approvisionnement alternatives, ce qu’ils ont <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/eu-gas-supply/">déjà commencé à faire</a>.</p>
<p>L’horizon de ce scénario favorable à l’Ukraine serait l’ouverture de négociations de cessez-le-feu puis de paix.</p>
<p>Toutefois, si la défaite russe est d’ampleur, un désordre politique interne pourrait paralyser le <em>leadership</em> russe et instaurer à Moscou un chaos privant le pays de la capacité à s’engager réellement dans des négociations. Pour que de telles négociations soient couronnées de succès, il conviendrait donc tout à la fois que la Russie considère la guerre comme durablement perdue, et qu’elle conserve une chaîne de commandement efficace. Deux points redoutablement durs à traiter seraient le sort de la Crimée et l’avenir de la <a href="https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/news/neuf-allies-de-lotan-soutiennent-ladhesion-de-lukraine/">candidature de l’Ukraine à l’OTAN</a>. En somme, ce scénario serait l’extrapolation des contre-offensives ukrainiennes réussies d’août à octobre 2022.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1569023233239695362"}"></div></p>
<h2>Scénario 2 : un succès tangible pour la Russie</h2>
<p>Le scénario inverse consisterait en une série de succès militaires pour la Russie à partir de la fin de l’hiver. Par exemple, la Russie réussirait à reprendre l’essentiel de la province de Kherson, menacerait directement Kiev en pénétrant dans ses faubourgs à partir de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/live/2022/12/19/guerre-en-ukraine-en-direct-la-russie-et-la-bielorussie-vont-renforcer-leur-cooperation-dans-tous-les-domaines-declare-vladimir-poutine_6154994_3210.html">Biélorussie</a> et reprendrait une progression marquée vers le sud-ouest en direction d’Odessa. La réalisation de ce scénario découlerait de plusieurs hypothèses, la principale étant l’épuisement humain et matériel des forces armées ukrainiennes.</p>
<p>Du côté russe, cela supposerait la réussite de plusieurs actions pour le moment infructueuses. Notamment, la mobilisation réalisée à l’automne 2022 serait efficace en matière d’entraînement et correctement utilisée sur le plan tactique. Et les chaînes logistiques russes résisteraient aux difficultés d’approvisionnement sur trois fronts majeurs (Nord sur Kiev, Est dans le Donbass et Sud en direction de Kherson). L’armée russe a déjà disposé de centres logistiques à plus de 80 km de la ligne de front, soit une distance hors de portée des HIMARS, tirant les leçons de la contre-offensive ukrainienne.</p>
<p>Ces succès déboucheraient sur une victoire nette de la Russie en Ukraine : les annexions illégales dans l’est seraient consolidées, le gouvernement de Kiev (fragilisé et possiblement renversé en raison de l’offensive russe) serait issu de négociations de paix et prendrait une orientation plus ou moins ouvertement pro-russe, l’ouest du pays revendiquerait une forte autonomie avec le soutien de la Pologne, etc. L’objectif stratégique de la Russie serait ainsi atteint : disposer d’une zone tampon avec l’OTAN.</p>
<p>Du côté ukrainien, ce scénario du pire pourrait gagner en crédibilité si plusieurs évolutions se constatent : usure des forces armées, <a href="https://www.rts.ch/info/monde/13426712-en-ukraine-larmee-recrute-jusque-dans-les-supermarches.html">insuffisance du nombre de nouvelles recrues</a>, diversité trop forte des livraisons d’armes internationales, engendrant des difficultés à articuler les différents dispositifs ; fragilisation de la présidence Zelensky à l’approche des élections législatives de l’automne 2023 sous la pression d’un « parti de la paix » ou au contraire de nationalistes réclamant un pouvoir plus fort ; incapacité à conserver et accroître le soutien des Occidentaux, par exemple en raison d’un maximalisme stratégique visant la défaite complète de la Russie, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/24/en-ukraine-des-affaires-de-corruption-ebranlent-le-gouvernement_6159085_3210.html">la découverte de détournements de fonds</a> ou tout simplement du fait de la « fatigue » des opinions occidentales et de leur volonté de se recentrer sur des questions politiques internes.</p>
<p>Sur le plan international, ce scénario suppose un maintien des cours et des <a href="https://www.euractiv.fr/section/energie/news/poutine-veut-reorienter-les-exportations-energetiques-russes-de-leurope-vers-lasie/">exportations de produits énergétiques russes vers l’Asie</a> (Chine et Inde au premier chef) ; une stratégie de prix de la part des puissances gazières ; une mobilisation des réseaux diplomatiques russes pour montrer que le pays n’est isolé qu’à l’Ouest ; un appui marqué de la Chine face à l’influence américaine ; une perte d’influence dans l’UE des gouvernements les plus favorables à l’Ukraine, notamment en Europe du Nord (législatives finlandaises en février) et en Pologne (élections générales à l’automne 2023). Un tel scénario serait favorisé par une crise à Taïwan ou au Moyen-Orient qui absorberait l’attention des États-Unis, déjà fortement polarisés dans leur politique intérieure.</p>
<h2>Scénario 3 : un conflit qui s’enlise</h2>
<p>Un troisième type d’évolution pour ce conflit pourrait être caractérisé par l’incapacité des deux protagonistes à prendre l’ascendant sur l’autre sur une période de plusieurs années.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/a8CsX9Og82I?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Il se manifesterait par une stabilisation (violente et meurtrière) des grandes lignes de front sur les positions actuelles mais des batailles régulières pour des localités d’importance secondaire, des nœuds routiers, des verrous fluviaux ou des ponts. Par exemple, les forces armées russes pourraient être tentées de reprendre l’offensive par le nord en direction de Kiev avec des succès limités et de concentrer leurs efforts sur la consolidation des parties du Donbass contrôlées ou contrôlables par elles.</p>
<p>De son côté, l’Ukraine pourrait essayer de pousser ton avantage à partir de Kherson vers le sud afin de menacer le bastion criméen à l’horizon d’août 2023. Ce scénario n’exclut pas – loin de là – des combats intensifs, des changements de zones de contrôle et des succès limités de part et d’autre. Mais l’équilibre général du conflit ne serait pas modifié, la Russie continuant à contrôler 15 % à 20 % du territoire ukrainien dans des zones essentielles (Crimée, Donbass, région de Kharkiv) et l’Ukraine démontrant sa capacité à résister sur le long terme.</p>
<p>Plusieurs facteurs pourraient se conjuguer pour faire advenir cette situation. Un « plateau » pourrait être atteint dans l’aide militaire occidentale à l’Ukraine en raison de l’état des stocks et de la nature des armements envoyés sur le front. La combativité ukrainienne pourrait demeurer sans pour autant produire les effets spectaculaires de la fin de l’été 2022 en raison d’une « courbe d’apprentissage » du côté russe, notamment dans l’articulation entre les différentes armées et les autres forces (milices Wagner, <em>Kadyrovtsy</em>).</p>
<p>Côté russe, ce <em>statu quo</em> violent pourrait advenir en raison des limites structurelles de l’outil militaire manifestées en 2022 : rigidité tactique, logistique déficiente, étirement des fronts et des chaînes d’approvisionnement, limites des ressources humaines, culture du mensonge dans les administrations publiques, etc.</p>
<p>Des facteurs exogènes pourraient conduire à un pourrissement militaire et diplomatique. Aucun des deux protagonistes n’est en mesure de faire accepter à sa propre population et à son propre réseau d’alliances l’entrée en négociation sur la base du rapport de force militaire actuel. Pour la Russie, aucun succès indiscutable n’a été remporté ; pour Kiev, l’intégrité territoriale reste à restaurer. Entrer en négociation serait un aveu d’échec pour Vladimir Poutine et le mettrait à risque. Accepter de discuter serait pour Volodymyr Zelensky un renoncement qui lui ferait perdre le soutien très large dont il bénéficie aujourd’hui à l’intérieur et à l’extérieur : un autre leadership devrait se mettre en place, et serait vraisemblablement moins soucieux de compromis en raison des coûts irrécupérables de cette guerre.</p>
<p>Dans cette option, l’Ukraine deviendrait en 2023 un <a href="https://theconversation.com/trente-ans-apres-leffondrement-de-lurss-ces-etats-fantomes-qui-hantent-lespace-post-sovietique-174140">nouveau conflit non résolu de l’espace post-soviétique</a>, mais de grande envergure. Cela n’empêcherait pas un durcissement des hostilités, notamment contre les populations civiles ou les prisonniers, bien au contraire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198093/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Présentation des conditions nécessaires à la réalisation des trois principaux scénarios envisageables : un succès russe, une victoire ukrainienne ou un enlisement durable.Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Florent Parmentier, Secrétaire général du CEVIPOF. Enseignant à Sciences Po. Chercheur-associé au Centre HEC Paris de Géopolitique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1785892022-03-04T21:38:09Z2022-03-04T21:38:09ZUkraine : que veut vraiment Vladimir Poutine ?<p>On croyait la « stratégie de la terre brûlée » purement défensive par nature. Cette pratique militaire devient-elle aujourd’hui offensive ? En tout cas, c’est elle que les forces russes semblent aujourd’hui mettre en œuvre en Ukraine. Loin de cibler uniquement les infrastructures militaires, elles attaquent désormais les <a href="https://observers.france24.com/fr/europe/20220302-kharkiv-l-%C3%A9picentre-de-la-ville-bombard%C3%A9">centres-villes</a>, les <a href="https://en.lb.ua/news/2022/03/04/9961_okhtyrka_combined_heat_power.html">centrales électriques</a> et même <a href="https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/energie/centrale-bombardee-par-les-russes-le-site-de-zaporijjia-point-cle-du-reseau-electrique-ukrainien_AV-202203040109.html">nucléaires</a> ainsi que les <a href="https://www.politico.eu/article/russia-bomb-destroy-refugee-train-route-ukrainie-railway/">réseaux</a> routier et ferroviaire du pays.</p>
<p>Alors que la « deuxième campagne d’Ukraine » s’engage, plus dure et plus massive, une question fondamentale s’impose : quel est l’objectif stratégique réel de la Russie ?</p>
<p>S’agit-il seulement de renverser le gouvernement pour garantir la neutralité militaire du pays comme le clament les pouvoirs publics russes sous le vocable de <a href="https://www.ladepeche.fr/2022/02/24/conflit-russie-ukraine-demilitarisation-e-denazification-de-lukraine-comment-poutine-a-justifie-loperation-militaire-10131026.php">« dénazification et démilitarisation »</a> ? S’agit-il de le conquérir, de l’occuper (en tout ou partie), de <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/03/03/la-russie-envahit-elle-l-ukraine-pour-ses-ressources-naturelles_6116020_4355770.html">s’approprier ses ressources</a> puis, éventuellement de <a href="https://www.bfmtv.com/replay-emissions/bfmtv-repond-a-vos-questions/la-russie-veut-elle-annexer-l-ukraine-bfmtv-repond-a-vos-questions_VN-202201250239.html">l’intégrer</a> dans un ensemble confédéral avec la Fédération de Russie, la Biélorussie ? Ou bien s’agit-il tout simplement de détruire ses infrastructures, de le <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-un-million-de-refugies-ont-fui-le-pays-en-une-semaine-selon-l-onu_4990358.html">vider d’une partie de ses habitants</a> et de le rendre invivable ?</p>
<p>Aujourd’hui, trois stratégies s’ouvrent à la Russie en Ukraine : la finlandisation forcée ; la terre brûlée offensive ; et la résurrection de la « Nouvelle Russie ».</p>
<h2>Scénario 1 : la « finlandisation forcée »</h2>
<p>L’« opération militaire spéciale » déclenchée le 24 février au matin par la Russie avait deux buts avoués : changer le régime à Kiev et démilitariser le pays.</p>
<p>En termes de propagande, le pouvoir russe avait choisi de justifier son offensive par la nécessité de « dénazifier » le pays et de le priver des moyens militaires de réaliser le <a href="https://theconversation.com/putins-claims-that-ukraine-is-committing-genocide-are-baseless-but-not-unprecedented-177511">« génocide »</a> qu’il aurait déjà commencé à perpétrer depuis huit ans vis-à-vis des habitants russophones des deux républiques sécessionnistes du Donbass. Par-delà l’habillage idéologique, aussi incertain que scandaleux, les autorités de Moscou semblaient donc annoncer une première campagne d’Ukraine limitée à des objectifs stratégiques ambitieux mais réalistes : renverser militairement le régime actuel et créer un ordre constitutionnel et gouvernemental favorable à la Russie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1496704134103408648"}"></div></p>
<p>Plusieurs actions semblaient soutenir cette doctrine : les premières frappes avaient visé <a href="https://www.leparisien.fr/international/ukraine-la-russie-dit-avoir-detruit-75-installations-militaires-dont-12-aerodromes-24-02-2022-OXHCHJRMYJA6FK7TGSFHL3QJGE.php">avant tout des cibles militaires</a>, l’offensive dans le Bassin du Don (Donbass) se déroulait dans une zone déjà <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2015/04/05/01003-20150405ARTFIG00134-avril-2014-avril-2015-la-lente-descente-aux-enfers-de-l-est-ukrainien.php">meurtrie par les combats en 2014</a> et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/02/25/guerre-en-ukraine-les-troupes-russes-avancent-vers-kiev-le-monde-s-inquiete_6115164_3210.html">Kiev</a> était l’objectif prioritaire des forces russes.</p>
<p>Quelques jours après le déclenchement de la guerre, on pouvait encore croire que l’usage de la force militaire serait concentré sur les centres de décision et de commandement civils et militaires.</p>
<p>Le but stratégique aurait été de décapiter l’Ukraine actuelle et ainsi de la soumettre pour en faire un satellite désarmé, sans oublier d’empocher au passage des gains territoriaux économiquement et stratégiquement appréciables sur la mer Noire et dans le Donbass. Autrement dit établir une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/02/02/crise-ukrainienne-l-hypothese-de-la-finlandisation-ou-la-neutralite-obligee_6111937_3232.html">« finlandisation »</a> par la force : après avoir combattu l’URSS dans la <a href="https://www.secondeguerre.net/articles/evenements/es/39/ev_russofinlandais.html">Guerre d’Hiver (1939-1940)</a> et la <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/guerres-traces-m%C3%A9moires/fronts-de-guerre/la-%C2%AB%C2%A0guerre-de-continuation%C2%A0%C2%BB-sovi%C3%A9to-finlandaise-25-juin-1941-19-septembre-1944">Guerre de Continuation (1941-1944)</a>, la Finlande avait conservé durant la guerre froide un régime non communiste tout en inscrivant une <a href="https://www.jstor.org/stable/44600287">neutralité stricte dans sa Constitution</a>.</p>
<p>La finlandisation forcée de l’Ukraine est encore évoquée aujourd’hui dans les discours des autorités russes.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’intégralité de la déclaration de Vladimir Poutine au 8ᵉ jour de la guerre en Ukraine, BFM TV, 3 mars 2022.</span></figcaption>
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<p>Mais cette option semble de moins en moins crédible, en raison de l’ampleur et du tempo de ce qu’on peut appeler la <a href="https://theconversation.com/ukraine-la-guerre-ne-fait-que-commencer-178198">deuxième campagne d’Ukraine</a>. Désormais, les troupes russes mènent une offensive généralisée et s’installent dans une campagne rendue longue par la résistance de la population civile. La finlandisation devient de moins en moins crédible à mesure que la guerre suscite un rejet profond de la Russie parmi les Ukrainiens. Le destin de l’Ukraine serait alors d’être satellisée par les armes.</p>
<h2>Scénario 2 : la stratégie de la terre brûlée et la négation de l’Ukraine</h2>
<p>Aussi bien <a href="https://www.herodote.net/15_septembre_1812-evenement-18120915.php">lors de la campagne de Russie de Napoléon 1ᵉʳ</a> que <a href="https://bibliotheques.paris.fr/2016/doc/SYRACUSE/598267/operation-terre-brulee-de-la-volga-a-la-vistule-decembre-1942-aout-1944">durant l’invasion allemande démarrée en 1941</a>, le pouvoir russe avait choisi de placer les envahisseurs devant un territoire dévasté et vidé de sa population. Mais c’était alors une posture défensive destinée à étirer à l’extrême les chaînes logistiques de l’ennemi et à le diluer dans l’immensité de l’empire tsariste/de l’Union soviétique.</p>
<p>Aujourd’hui, cette stratégie se fait offensive. Détruire la plupart des infrastructures de l’Ukraine fait pleinement partie des options militaires pour la Russie.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bombing and fighting in Ukraine’s capital Kyiv – BBC News, 1ᵉʳ mars 2022.</span></figcaption>
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<p>Qu’elles soient accidentelles ou intentionnelles, ces destructions ont changé la nature de la campagne militaire russe. Désormais, cette campagne rend les <a href="https://www.paris-normandie.fr/id283672/article/2022-03-02/guerre-en-ukraine-kiev-les-civils-terres-dans-des-caves-face-loffensive-russe">conditions de vie des civils</a> plus que difficiles : insupportables et invivables. Tout se passe comme si l’Ukraine n’était plus seulement confrontée à une prise de contrôle hostile par la conquête, mais à un début de destruction.</p>
<p>Le mouvement est aggravé par la <a href="https://www.npr.org/2022/03/02/1084100763/1-million-refugees-fled-ukraine">fuite des populations</a> loin des combats. La guerre en Ukraine ne vise plus à assurer à la Russie le contrôle des ressources et de la population d’un État voisin considéré comme hostile. La guerre vide le pays de ses habitants (du moins dans certaines zones) et réduit à néant les ressources qui le rendent gouvernable et habitable.</p>
<p>Si bien qu’on peut s’interroger : devant la résistance ukrainienne des premiers jours, le Kremlin a-t-il abandonné l’ambition d’un « simple » Blitzkrieg (guerre éclair) visant à changer la donne politique à Kiev ? Redoutant le spectre d’un enlisement militaire face à la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/03/guerre-en-ukraine-a-long-terme-on-voit-mal-comment-l-armee-russe-pourrait-se-sortir-du-piege-d-une-guerilla-generalisee_6115995_3210.html">guérilla annoncée des Ukrainiens</a>, a-t-il entrevu la possibilité d’une nouvelle guerre d’Afghanistan ? De 1979 à 1989, les troupes soviétiques avaient en effet consumé leurs forces dans un combat perdu d’avance contre les mouvements de résistance en Asie centrale. Pour conjurer le spectre de l’Afghanistan, la Russie a-t-elle choisi d’appliquer une stratégie de la « terre brûlée » à l’Ukraine – non pas pour la protéger d’un envahisseur venu de l’ouest comme en leur temps Napoléon ou Hitler, mais pour la soumettre à sa propre volonté ?</p>
<p>Outre la façon – toujours incertaine – dont les opérations militaires se déroulent, d’autres indications soutiennent ce scénario, notamment certains éléments des discours officiels. En effet, la propagande russe <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-du-mercredi-23-fevrier-2022">nie désormais la spécificité de l’identité nationale ukrainienne</a>. Vladimir Poutine a répété qu’à ses yeux Ukrainiens et Russes ne constituaient qu’un <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/russes-et-ukrainiens-sont-un-seul-peuple-ce-que-les-ecrits-de-poutine-disent-de-ses-visees_2167365.html">même peuple</a>. La stratégie de la « terre brûlée » réaliserait cette vision en vidant l’Ukraine de ceux de ses habitants qui redoutent les troupes russes. En somme, elle contribuerait à une prophétie autoréalisatrice qui se formulerait ainsi : « l’Ukraine, c’est la Russie ». Mais l’Ukraine serait alors réduite à un champ de ruines dépeuplé. Le destin de l’Ukraine serait alors l’anéantissement.</p>
<h2>Scénario 3 : la nouvelle Russie et le rêve de la Grande Catherine</h2>
<p>Au vu des opérations actuellement en cours, un scénario médian est encore crédible, entre finlandisation forcée et politique de la terre brûlée.</p>
<p>Si on l’inscrit dans la durée, la deuxième campagne d’Ukraine procède par mitage progressif du territoire. En 2014, la Fédération de Russie avait d’une part annexé la Crimée sans réaliser une campagne militaire officielle et de grande ampleur et, d’autre part, mutilé l’intégrité territoriale de l’Ukraine en soutenant des mouvements séparatistes dans le Donbass. Elle avait ainsi privé le gouvernement de Kiev de sa souveraineté sur une grande partie de sa frontière orientale et sur une partie non négligeable de son sol. La <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20220221-vladimir-poutine-reconna%C3%AEt-l-ind%C3%A9pendance-des-s%C3%A9paratistes-prorusses-en-ukraine">reconnaissance</a> de l’indépendance des deux Républiques autoproclamées de Lougansk et Donetsk puis la pénétration officielle de troupes russes sur le territoire ukrainien prolongent et amplifient cette tendance.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Novorossia » : connaissez-vous la géopolitique selon Poutine ? (L’Obs, 2 septembre 2014).</span></figcaption>
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<p>Pour le moment, les gains territoriaux réels de la Russie se cantonnent à l’espace que la tsarine Catherine II avait appelé la <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/europe/Nouvelle-Russie.htm">« Nouvelle Russie »</a>. Ces territoires du sud de l’Ukraine vont de Donetsk à l’est à Odessa à l’ouest et comprennent les abords de la Crimée.</p>
<p>Face aux difficultés d’une campagne militaire de grande ampleur en raison de la taille des territoires et de l’opposition des populations civiles, les stratèges russes pourraient-ils se résoudre à empocher des gains territoriaux limités à cette vaste zone méridionale de l’Ukraine ?</p>
<p>Cela présenterait l’avantage pour Moscou de contrôler à la fois le littoral de la mer Noire et les <a href="https://lareleveetlapeste.fr/guerre-en-ukraine-la-russie-met-la-main-sur-des-ressources-inestimables-et-indispensables-pour-leurope/">ressources minières et agricoles du Bassin du Don</a>. Que ces territoires soient annexés ou non par la Russie, cela présenterait un avantage stratégique certain par rapport à la finlandisation : l’Ukraine indépendante serait réduite à un État croupion, privé des deux tiers de son territoire et de ses centres économiques, dépourvu de littoral et d’accès à la mer et entourée par les troupes russes. Dans ce cas, la « Nouvelle Russie » consacrerait la mutilation définitive de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine.</p>
<h2>Trois destins… dont l’Ukraine ne veut pas</h2>
<p>Face à l’ampleur et à la dureté de la nouvelle campagne que mène la Russie sur son territoire, l’Ukraine se voit placée devant trois destins qu’elle rejette depuis son indépendance : elle refuse aussi bien d’être satellisée que d’être annihilée ou de devenir un État croupion assiégé.</p>
<p>Qu’un autre destin s’ouvre à elle nécessite qu’il ne soit pas décidé seulement à Moscou.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178589/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À moins d’un brusque recul russe, trois options sont aujourd’hui envisageables : la finlandisation de l’Ukraine, sa destruction quasi totale ou son amputation de ses territoires du sud et de l’est.Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1746242022-01-17T19:37:14Z2022-01-17T19:37:14ZLaboratoires pharmaceutiques : une industrie, aujourd’hui encore, plus réactive que prospective<p>Dans un récent ouvrage, l’épidémiologiste Jean-David Zeitoun nous rappelle que nous avions perdu de vue le fait que l’amélioration de la santé humaine et l’accroissement de l’espérance de vie étaient <a href="http://www.denoel.fr/Catalogue/DENOEL/Document/La-Grande-Extension">davantage des anomalies que des règles</a> établies à l’échelle de l’évolution.</p>
<p>Cette <em>grande extension</em> de notre espérance de vie n’a en effet commencé que fort récemment, autour du milieu du XVIII<sup>e</sup> siècle en Occident. Les effets progressifs, discontinus mais mutuellement bénéfiques de la désinfection, d’une meilleure alimentation, des progrès de la médecine et des découvertes scientifiques de l’industrie pharmaceutique ont, depuis lors, permis de faire progresser la durée de vie de 50 ans voire davantage dans les pays développés.</p>
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<figcaption><span class="caption">Jean-David Zeitoun présente son livre <em>La grande extension</em> (Librairie Mollat, octobre 2021).</span></figcaption>
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<p>Or, nous alerte Jean-David Zeitoun, nous assistons aujourd’hui à un tassement voire aux prémices d’une possible diminution de l’espérance de vie, expliquée par l’émergence de deux types de méta-problèmes : les risques comportementaux d’une part (tabagisme, mauvaise alimentation, sédentarité parmi d’autres) et les risques environnementaux d’autre part (pollution, réchauffement climatique, déforestation, agriculture extensive notamment). À l’origine de nombreuses maladies chroniques, ces deux facteurs majeurs rendent désormais probable un recul de la santé humaine.</p>
<h2>Organisations apprenantes</h2>
<p>Pourtant, de l’aveu même de certains spécialistes ou hauts responsables du secteur de la santé, il ne se passe, au fond, qu’encore peu de choses en matière d’analyse prospective en santé.</p>
<p>Si l’attention des acteurs se concentre, assez logiquement aujourd’hui, sur la sécurité logistique et les veilles technologiques et règlementaires, elles restent beaucoup moins systématiques sur l’analyse de signaux faibles ou les <a href="https://hbr.org/1985/09/scenarios-uncharted-waters-ahead">scénarios géopolitiques et sociétaux</a> comme cela peut être le cas dans l’énergie, ou encore le <a href="https://www.definitions-marketing.com/definition/cahier-de-tendances/">décodage de tendances socioculturelles</a> à bas bruit dans la mode ou la communication média par exemple.</p>
<p>Par nature, la grande majorité des industriels réfléchissent en réalité davantage à la façon de pouvoir répondre le plus rapidement possible à des phénomènes émergents (exploitation) plutôt que d’anticiper des phénomènes complexes et multifactoriels sur le temps long (exploration).</p>
<p>À titre d’illustration et selon nos informations, plusieurs laboratoires ont décidé d’arrêter leurs recherches sur le SARS-CoV-1 au moment où le virus a disparu, sans beaucoup plus d’anticipation.</p>
<p>Pour utiliser une terminologie académique, on pourrait dire que les industries de santé représentent des <a href="https://ocottray.medium.com/organisation-ambidextre-manager-les-changements-%C3%A9volutifs-et-radicaux-77616a280781">organisations plus apprenantes qu’ambidextres</a>. Dans le cas du Covid-19, les <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/12/23/vaccin-anti-covid-les-raisons-de-ce-record-de-vitesse_6064337_3244.html">outils de séquençage à haut débit</a> auront ainsi permis aux chercheurs de passer de la simple publication du virus à l’obtention de son génome détaillé en moins de 10 jours. Pour mémoire, il aura fallu 18 mois pour isoler le virus du sida et deux années supplémentaires pour en obtenir la séquence génétique complète…</p>
<p>Il est finalement peu surprenant que la veille autour des aspects macro-sociétaux et des pandémies soit l’apanage d’organismes publics, nationaux voire supranationaux, de fondations ou de think tanks indépendants du secteur industriel (Organisation mondiale de la santé, Biomedical Advanced Research and Development Authority, Gates Foundation, etc.) établis sur l’idée même d’observatoires indépendants, renseignés, en large partie abstraits des notions d’investissements, de prise de risque et de profitabilité.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1457826851276169222"}"></div></p>
<p>A contrario, les contraintes de la <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2011-2-page-13.htm">financiarisation des industries de santé</a> en cours depuis le début des années 2000, imposent aux acteurs des pratiques, des techniques et des logiques de rentabilité plus immédiates malgré les montants consacrés à la mise en place de solutions thérapeutiques innovantes et l’indéniable ampleur des investissements dédiés à la R&D (de <a href="https://theconversation.com/les-big-pharma-sont-ils-vraiment-des-ogres-financiers-170230">13 à 25 % de leur chiffre d’affaires sur prescription</a> selon les laboratoires).</p>
<p><iframe id="E1z3g" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/E1z3g/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>La financiarisation des entreprises de la santé peut s’expliquer en partie par le fait que la productivité de cette R&D et l’augmentation des risques assumés par les acteurs privés ne sont nullement prises en considération par les acteurs publics. Il n’empêche que les impératifs de rentabilité empêchent, en partie, les industriels de poursuivre l’analyse prospective par la mise en place de solutions thérapeutiques capables de répondre à certaines des menaces importantes qui se font jour – aujourd’hui déjà – à l’instar de l’antibio-résistance, parmi d’autres.</p>
<h2>700 000 décès par an</h2>
<p>De quoi s’agit-il ? Chacun sait désormais que les bactéries exposées aux antibiotiques sont capables de développer des mécanismes de défense toujours plus efficaces contre les traitements proposés. Petit à petit, les antibiotiques ne sont plus à même de traiter les infections dues à des bactéries devenues résistantes.</p>
<p>La résistance aux antibiotiques est <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/prevention-en-sante/les-antibiotiques-des-medicaments-essentiels-a-preserver/des-antibiotiques-a-l-antibioresistance/article/l-antibioresistance-pourquoi-est-ce-si-grave">l’une des plus grandes menaces sanitaires à venir</a>. Elle peut toucher n’importe qui, à tout âge et dans n’importe quel pays. On estime que la résistance bactérienne est responsable aujourd’hui de 700 000 décès par an dans le monde.</p>
<p>Les conséquences de ce phénomène sont doubles et laissent entrevoir des lendemains difficiles et une <a href="https://www.inserm.fr/wp-content/uploads/2020-01/inserm-pprantibioresistance.pdf">bataille toujours plus ardue contre les résistances bactériennes</a> dont sont bien évidemment conscients les industriels :</p>
<ul>
<li><p>La résistance aux antibiotiques compromet les progrès de la médecine moderne. Sans antibiotiques efficaces pour prévenir et traiter les infections, les transplantations d’organes, les chimiothérapies et certaines interventions chirurgicales seront entravées. Les maladies résistantes aux antibiotiques pourraient ainsi engendrer environ 10 millions de décès par an d’ici 2050 et rapidement devenir la <a href="https://www.who.int/fr/news/item/29-04-2019-new-report-calls-for-urgent-action-to-avert-antimicrobial-resistance-crisis">principale cause de mortalité dans le monde</a>.</p></li>
<li><p>Lorsqu’une infection ne peut plus être traitée par un antibiotique de première intention, des médicaments plus coûteux doivent alors être administrés. La prolongation de la durée de la maladie due à la résistance bactérienne augmente les coûts et la charge financière globale du traitement. La résistance aux antibiotiques pourrait ainsi causer des dommages économiques équivalents à ceux de la crise financière de 2008-2009. Selon l’OMS, la résistance aux antimicrobiens pourrait faire basculer jusqu’à <a href="https://www.who.int/fr/news/item/29-04-2019-new-report-calls-for-urgent-action-to-avert-antimicrobial-resistance-crisis">24 millions de personnes dans l’extrême pauvreté</a> d’ici 10 ans.</p></li>
</ul>
<p>Or, même si la mise à disposition de nouvelles classes d’antibiotiques, ciblant les germes multi-résistants, devrait naturellement être considérée comme une mesure d’urgence, on constate que de moins en moins d’antibiotiques innovants sont aujourd’hui commercialisés sur le marché. La rentabilité souvent faible de la production et de la commercialisation des antibiotiques en est la cause première.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/440012/original/file-20220110-27-17cjjs0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440012/original/file-20220110-27-17cjjs0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440012/original/file-20220110-27-17cjjs0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440012/original/file-20220110-27-17cjjs0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440012/original/file-20220110-27-17cjjs0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440012/original/file-20220110-27-17cjjs0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440012/original/file-20220110-27-17cjjs0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Selon l’OMS, jusqu’à 24 millions de personnes dans le monde pourrait basculer dans l’extrême pauvreté en raison de la résistance aux antibiotiques.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Antibiotic_resistant_bacteria.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Sans soutien ni financements publics, le coût de développement d’un antibiotique, estimé à plus d’un milliard et demi de dollars, reste souvent prohibitif pour des acteurs privés tenus de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0168851017302002?via%3Dihub">générer un retour sur investissement suffisant</a>. C’est pourquoi de nombreuses entreprises pharmaceutiques renoncent à se lancer dans le développement de traitements antibiotiques, préférant <a href="https://www.nature.com/articles/d41586-020-02884-3">diriger leurs efforts vers des aires plus rentables</a> et des besoins plus immédiats, l’oncologie par exemple.</p>
<h2>Un ensemble de paramètres à considérer</h2>
<p>Face à ces risques, comme nous avions pu le montrer dans un <a href="https://thechoice.escp.eu/tomorrow-choices/how-can-big-data-help-to-understand-apprehend-and-control-a-pandemic/">récent article</a>, gouvernants, acteurs de santé publique, personnel médical et hospitalier, médecins de ville et pharmaciens de proximité tireraient profit de la modélisation fine et prospective, via des solutions de big data, d’un ensemble de paramètres, résultat d’une combinatoire de données de santé et de données extrinsèques plus générales, parmi lesquelles :</p>
<ul>
<li><p>Les changements écologiques, climatiques et l’exploitation intensive des terres arables.</p></li>
<li><p>Les déplacements de population, le tourisme mondial (affaires ou agrément), le transport de marchandises et les mouvements migratoires.</p></li>
<li><p>Des facteurs socio-démographiques tels que la densité des populations, la pauvreté, l’hygiène et l’alimentation.</p></li>
<li><p>L’insuffisance ou l’application erronée des mesures de santé publique.</p></li>
</ul>
<p>Pour autant, qu’ils ne soient ni techniques ni médicaux, la prise en compte et la maîtrise de ces facteurs extrinsèques sont également indispensables à l’analyse et la caractérisation d’une maladie infectieuse. Et quand bien même semblent-ils marginaux de prime abord, chacun d’eux est absolument instrumental, favorisant l’émergence et la propagation des maladies infectieuses.</p>
<p><em><strong>A lire aussi</strong> : notre <a href="https://theconversation.com/fr/topics/serie-planet-pharma-113837">série internationale « Planet pharma »</a></em></p>
<p>De notre analyse ressort une conclusion sans équivoque : afin d’appréhender le processus pandémique de façon efficace et prospective, en vue de le bloquer le plus tôt possible, il devient impératif d’adopter une démarche analytique interdisciplinaire reposant sur le partage de données abondantes, hétérogènes, complexes, multifactorielles, essentiellement non structurées qui permettent aux acteurs publics et privés de mettre en place un système de veille et d’alerte plus efficace des phénomènes épidémiologiques à l’échelle planétaire.</p>
<p>Autrement dit, identifier l’émergence d’une maladie nouvelle et prédire sa capacité à se transformer en pandémie, requiert le travail conjoint de professionnels de santé associé à l’expertise d’autres corps de métier (sociologues, économistes, climatologues, géopolitologues notamment) que les industriels de la santé ne connaissent ni ne convoquent par manque de proximité professionnelle et de relations suivies.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174624/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Jallat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Par nature, les acteurs du secteur sont plus enclins à suivre les évolutions technologiques et règlementaires que les tendances macro-sociétales.Frédéric Jallat, Professeur de marketing, directeur scientifique du mastère spécialisé en management pharmaceutique et des biotechnologies , ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1693332021-10-19T18:43:04Z2021-10-19T18:43:04ZPrésidentielle française : ces candidats qui conduiraient une politique « pro-russe »<p>Alors que la <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2021/11/30/election-presidentielle-eric-zemmour-annoncera-sa-candidature-a-la-mi-journee-selon-son-entourage_6104129_6059010.html">candidature d’Éric Zemmour</a> vient d’être officialisée et que Marine Le Pen, Jean‑Luc Mélenchon et Nicolas Dupont-Aignan sont déjà entrés dans la course présidentielle, il est intéressant d’imaginer ce que serait la politique que l’une de ces personnalités conduirait vis-à-vis de Moscou si elle venait à être élue en mai prochain.</p>
<p>En effet, au-delà de leurs divergences, tous ces responsables ont en commun un rejet de la ligne dure adoptée par la France et l’UE vis-à-vis de la Russie, expriment (à divers degrés) leur respect envers Vladimir Poutine et prônent un rapprochement significatif entre Paris et le Kremlin. Ils développent des positions que François Fillon, le candidat de la droite lors de la précédente élection présidentielle, <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2016/11/22/fillon-et-la-russie-une-relation-profonde-et-ancienne_5035506_4854003.html">avait déjà tenues</a>.</p>
<h2>Un tropisme pro-russe relativement répandu</h2>
<p>Les vues de Zemmour (parfois présenté comme <a href="https://www.nouvelobs.com/election-presidentielle-2022/20211031.OBS50484/le-kremlin-vote-zemmour.html">le candidat préféré du Kremlin</a>), Le Pen et Dupont-Aignan n’ont, il est vrai, rien de très original dans une France de droite fascinée par le poutinisme (en 2018, 27 % des Français avaient une une <a href="https://harris-interactive.fr/opinion_polls/limage-de-la-russie-et-des-russes-aupres-des-francais/">bonne opinion du chef de l’État russe</a>, mais ce ratio s’élevait à 35 % parmi les sympathisants Républicains et 50 % parmi ceux du Rassemblement national).</p>
<p>Au-delà, la vision des trois candidats de droite, mais aussi celle de Jean-Luc Mélenchon, reposent sur une conception de l’histoire récente selon laquelle la Russie, sortie vaincue et affaiblie de la guerre froide, a été <a href="https://www.challenges.fr/tribunes/l-europe-a-delaisse-et-humilie-la-russie_93906">humiliée par les Occidentaux</a> et se trouve aujourd'hui environnée de menaces dont l’OTAN est la principale. Loin d’être l’agresseur, elle est la victime d’un complot que les Anglo-Saxons ont ourdi et qui visent à empêcher l’union du continent européen.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1027642740170018816"}"></div></p>
<p>Tous considèrent que la France doit se rapprocher de Moscou, dans une logique gaulliste cherchant une <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/l-europe-de-l-atlantique-a-l-oural-843631.html">Europe unifiée « de l’Atlantique à l’Oural »</a>. Vladimir Poutine est décrit comme un « patriote » russe qui n’est pas, selon le mot amusant d’Éric Zemmour, un « premier ministre suédois » mais un partisan de la Realpolitik tout doit sorti des conceptions courantes du XIX<sup>e</sup> siècle. Tous semblent songer à un axe franco-russe qui modifierait la géopolitique mondiale en réduisant le poids des États-Unis. Tous critiquent l’expansion de l’OTAN, la politique de l’Union européenne et, notamment, les <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/ukraine-crisis/history-ukraine-crisis/">sanctions</a> édictées en 2014 pour répondre à l’annexion de la Crimée.</p>
<h2>Quelles mesures concrètes la France pourrait-elle prendre ?</h2>
<p>Dans le cas encore hypothétique où cette politique serait mise en œuvre, elle ne manquerait toutefois pas de se heurter à de nombreuses difficultés. La levée des sanctions, qui devrait être décidée par le Conseil européen à l’unanimité, n’aurait rien d’évident. La France rejoindrait le groupe encore minoritaire des États de l’UE qui y sont (la Hongrie) ou y ont été hostiles, tels que l’Italie (avant l’arrivée au pouvoir de Mario Draghi), la Slovaquie (sous le règne du populiste Robert Fico), la Grèce (d’Alexis Tsipras), Chypre, Malte ou la Bulgarie. En ne les respectant pas à titre national, Paris ferait plaisir à ses exportateurs (<a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/RU/les-relations-commerciales-bilaterales-franco-russes">sixième fournisseur de la Russie</a>, la France a vu sa part de marché reculer de 3,7 % en 2014 à 3,5 % en 2020) mais ouvrirait un nouveau conflit avec Bruxelles et ses partenaires européens.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1061275578651828224"}"></div></p>
<p>D’autres mesures d’apaisement vis-à-vis de la Russie, par exemple le retrait du <a href="http://www.opex360.com/2020/07/03/otan-larmee-de-terre-revient-en-lituanie-avec-5-chars-leclerc-et-14-vbci/">contingent français déployé dans les pays baltes</a> au titre des mesures dites de réassurance de l’OTAN (la « présence avancée renforcée » créée après 2014), auraient un grand impact pour Moscou. Mais elles heurteraient évidemment beaucoup les États orientaux, anciens satellites soviétiques (Roumaine, Tchéquie) ou ex-républiques de l’URSS (Baltes), qui y verraient la confirmation des soupçons de complaisance envers la Russie qu’ils ne cessent de nourrir chaque fois qu’est évoquée l’actuelle politique de dialogue franco-russe. La Pologne du PIS, alliée pourtant naturelle d’un président français conservateur sur les sujets sociétaux, en <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2017-7-page-141.htm">ferait un <em>casus belli</em></a>.</p>
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<p>Des gestes diplomatiques audacieux pourraient être envisagés, par exemple la reconnaissance de l’annexion de la Crimée par la France, de manière unilatérale. Outre qu’elle romprait le consensus européen (et nous brouillerait pour toujours avec l’Ukraine), une telle décision contreviendrait au droit international que la France défend, et notamment au respect de la souveraineté des États et à la non-ingérence dans leurs affaires intérieures. Elle isolerait Paris au sein du camp occidental mais également à l’Assemblée générale des Nations unies qui a <a href="https://www.un.org/press/fr/2018/ag12108.doc.htm">condamné</a> à plusieurs reprises cette modification par la force des frontières internationales (par exemple en <a href="https://undocs.org/fr/A/RES/75/192">décembre 2020</a> dans une résolution adoptée par 63 pays, 17 ayant voté contre, 63 s’étant abstenus). </p>
<p>Nombre des proches alliés de la Russie (de la Biélorussie à la Chine) n’ont d’ailleurs pas reconnu cette annexion (celle-ci a été seulement reconnue, à ce jour, par l’Afghanistan (via une déclaration d’Hamid Karzaï en 2014), la Corée du Nord, Cuba, le Kirghizistan, le Nicaragua, le Soudan (avant l’actuelle transition), la Syrie et le Zimbabwe).</p>
<p>En désespoir de cause, on pourrait envisager des concessions aux Russes sur d’autres théâtres que l’Europe. En Syrie, Paris pourrait renouer avec Bachar Al-Assad. Une position nouvelle qui romprait avec une <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/syrie/syrie-comprendre-la-position-de-la-france/">« diplomatie des valeurs »</a> qui, bon an mal an, ancrait depuis 2011 Paris dans le camp occidental. Dans le dossier iranien, la France pourrait quitter ce même camp et appuyer la Russie, <a href="https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20210413-la-russie-et-l-iran-font-front-commun-face-aux-occidentaux-sur-le-nucl%C3%A9aire-iranien">partenaire traditionnel de Téhéran</a>, faisant fi de la non-prolifération. En Afrique, nous pourrions nous réjouir de la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/05/26/l-emprise-russe-en-republique-centrafricaine-inquiete-paris_6081521_3212.html">présence russe en République centrafricaine</a>, voire inviter les mercenaires de Wagner à <a href="https://www.bbc.com/afrique/region-58790498">nous succéder au Mali</a>. Mais, sans même évoquer la perte d’influence dont seraient porteuses de telles décisions, nous perdrions ce faisant le soutien des Européens et celui, crucial, des Américains.</p>
<h2>Une complexe révolution diplomatique</h2>
<p>Au fond, semblable au <a href="https://books.openedition.org/pur/132780?lang=fr">rapprochement entre la France et l’Autriche opéré par le cardinal de Bernis en 1756</a>, cette nouvelle alliance franco-russe serait une véritable « révolution diplomatique ». Elle se traduirait par la remise en question de la plupart des positions de politique étrangère adoptées par la France depuis plusieurs décennies. Elle nous isolerait de bon nombre de nos partenaires européens, rendrait probablement difficile notre maintien dans l’OTAN (quel en serait le sens ?), et dégraderait notre alliance, déjà entamée par l’affaire <a href="https://fr.euronews.com/2021/09/18/aukus-paris-rappelle-ses-ambassadeurs-en-australie-et-aux-etats-unis">Aukus</a>, avec les États-Unis. Elle pousserait paradoxalement les États atlantistes, le Royaume-Uni mais sans doute aussi l’Allemagne, à rechercher plus encore la protection de Washington.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1217732525843501056"}"></div></p>
<p>S’il semble difficile à mettre en pratique, le tropisme pro-russe de plusieurs candidats français à la présidentielle fait en revanche écho à l’évolution générale des relations internationales en ce début de décennie 2020. La politique américaine semble désormais tout entière tournée vers <a href="https://asialyst.com/fr/2021/09/10/risque-conflit-courage-strategique-biden-xi-telephonent-premiere-7-mois-chine-etats-unis/">l’affrontement avec la Chine</a>. Dès lors, la Russie devient une pièce de cette vaste partie d’échecs, une puissance dont la coopération peut être recherchée par Washington. Plusieurs décisions récentes de l’administration américaine (l’acceptation d’un <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/le-traite-nucleaire-new-start-prolonge-de-cinq-ans-entre-washington-et-moscou-1287163">prolongement du traité New Start</a>, la <a href="https://www.bfmtv.com/economie/replay-emissions/le-monde-qui-bouge/levee-des-sanctions-americaines-contre-le-gazoduc-nord-stream-2-satisfaction-de-berlin-et-moscou_AV-202105200478.html">levée des sanctions contre Nord Stream 2</a>, de possibles discussions sur <a href="http://www.opex360.com/2021/10/01/washington-negocie-lacces-a-des-bases-russes-en-asie-centrale-pour-deventuelles-operations-en-afghanistan/">l’utilisation de bases russes en Asie centrale</a> pour des frappes anti-terroristes en Afghanistan) montrent une volonté de dialogue avec Moscou.</p>
<p>Mais la politique américaine ne peut pas être le miroir des décisions françaises, notre pays ne jouant plus dans la même catégorie de puissance. La question du moment est donc moins celle d’une alliance franco-russe, que le géant moscovite trouvera toujours moins attractive qu’une discussion avec les États-Unis, que celle de la place de la France dans la vaste tectonique des plaques du nouvel affrontement sino-américain. Rappelons-nous du mot de Zhou Enlai au sujet de la Chine dans la guerre froide russo-américaine : « Que les éléphants se battent ou fassent l’amour, c’est toujours l’herbe qui est écrasée. » Est-ce le moment de quitter l’éléphant pour marcher sur l’herbe ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169333/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Lagane ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Plusieurs candidats déclarés à la présidentielle française souhaitent un rapprochement avec la Russie. Concrètement, quelles formes une telle politique prendrait-elle ?Guillaume Lagane, Maître de conférences, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1656512021-08-04T17:36:16Z2021-08-04T17:36:16Z« Un monde nouveau » : Écoutez l’émission sur les perspectives du régime de Vladimir Poutine<p>La Constitution russe interdisant à un individu d’effectuer plus de deux mandats présidentiels de suite, on s’attendait à ce que Vladimir Poutine (élu en 2012 et réélu en 2018, après avoir déjà exercé cette même fonction de 2000 à 2008) passe la main à l’issue de son mandat actuel, en 2024.</p>
<p>C’était sans compter avec l’ingéniosité législative du régime. Début 2020, une série d’amendements à la Constitution est annoncée. Ces amendements comportent des dispositions sociales, politiques et sociétales. La Douma, totalement dominée par Russie unie, le parti du pouvoir, les adopte sans ciller. Mais, surprise, une disposition supplémentaire est ajoutée au dernier moment : la remise à zéro du nombre de mandats de Vladimir Poutine, qui sera donc considéré en 2024 comme n’importe quel autre citoyen et aura le droit de se représenter – et en cas de victoire, de concourir une nouvelle fois à sa propre succession en 2030, pour demeurer au Kremlin jusqu’en 2036. Il aura alors 84 ans.</p>
<p>Alors, la Russie sera-t-elle encore gouvernée par le même homme pour les quinze années à venir ? C’est la question à laquelle nous avons tenté d’apporter quelques éléments de réponse dans le cadre de l’émission « Un monde nouveau » sur France Inter. Le régime paraît solide et l’opposition muselée, mais le mécontentement gronde et, avant de se projeter sur 2024, 2030 et 2036, il convient déjà de suivre de près les législatives qui auront lieu en septembre prochain…</p>
<p>Ne manquez pas l’épisode <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/un-monde-nouveau/francois-gemenne-et-enki-bilal">ici</a>.</p>
<p>Et pour aller plus loin, lisez notre dossier.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/russie-du-parti-dominant-au-parti-presque-unique-161021">Russie : du parti dominant au parti (presque) unique ?</a></h2>
<h2><a href="https://theconversation.com/debat-le-vent-tourne-t-il-pour-vladimir-poutine-156171">Débat : le vent tourne-t-il pour Vladimir Poutine ?</a></h2>
<h2><a href="https://theconversation.com/le-poutinisme-a-lepreuve-des-sportifs-pro-navalny-154360">Le poutinisme à l’épreuve des sportifs pro-Navalny</a></h2>
<h2><a href="https://theconversation.com/que-veulent-les-manifestants-en-russie-155173">Que veulent les manifestants en Russie ?</a></h2>
<h2><a href="https://theconversation.com/un-moment-navalny-pour-letat-de-droit-en-russie-154590">Un « moment Navalny » pour l’État de droit en Russie ?</a></h2>
<h2><a href="https://theconversation.com/russie-apres-la-constitution-eltsine-la-constitution-poutine-142597">Russie : après la « Constitution Eltsine », la « Constitution Poutine » ?</a></h2>
<h2><a href="https://theconversation.com/russie-les-faux-semblants-du-scrutin-constitutionnel-142106">Russie : les faux semblants du scrutin constitutionnel</a></h2>
<h2><a href="https://theconversation.com/reforme-de-la-constitution-russe-le-triomphe-des-valeurs-traditionnelles-136741">Réforme de la Constitution russe : le triomphe des valeurs traditionnelles</a></h2>
<h2><a href="https://theconversation.com/que-veut-vraiment-vladimir-poutine-130225">Que veut vraiment Vladimir Poutine ?</a></h2>
<img src="https://counter.theconversation.com/content/165651/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Découvrez une sélection d’articles de la rédaction pour mieux comprendre l’évolution récente du régime russe et les sentiments d’une population moins docile qu’on le croit souvent.Grégory Rayko, Chef de rubrique International, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1635332021-08-03T19:40:31Z2021-08-03T19:40:31ZLe « vol du temps » : questions pour sortir indemne de la pandémie<p>« Extinctions en cascade, maladies, sécheresses, montées des eaux… les effets du changement climatique s’accélèrent et deviendront de plus en plus évidents au cours de ces prochaines décennies, d’après le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) », rapporte un <a href="https://sciencepost.fr/giec-changement-climatique-avenir-humanite/">article de SciencePost</a>, publié peu après la diffusion d’un projet de rapport de l’organisation particulièrement alarmant par l’AFP, en juin dernier.</p>
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<p>La pandémie du Covid-19, au regard de ce qui nous attend, semble tout à la fois dérisoire et cataclysmique. Que n’avons-nous pas su saisir des <a href="https://www.franceinter.fr/environnement/les-catastrophes-naturelles-ont-double-en-20-ans-sous-l-effet-du-rechauffement-climatique">drames précédents</a> ? Quels enseignements pouvons-nous tirer de cette crise, de nos difficultés à y faire face, que ce soit sur les scènes nationales ou globalisées ? Il est aujourd’hui indispensable d’oser regarder en face ce qui nous sidère à tel point que nous préférons faire l’autruche pour éviter de nous heurter à une violente prise de conscience, alors que nous nous trouvons déjà au cœur de l’urgence.</p>
<p>Comme le dit Julie Hermesse dans un <a href="https://www.editions-academia.be/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=66524">ouvrage collectif</a> d’anthropologues sur la pandémie :</p>
<blockquote>
<p>« Ce n’est qu’en considérant que le pire est définitivement certain qu’il est possible de trouver une solution ou une bifurcation. […] L’émergence de la Covid-19 et sa propagation ne constituent-elles pas un point de rupture historique qui nous permettrait d’éviter un fatum apocalyptique d’ordre tant socio-économique qu’écologique ? »</p>
</blockquote>
<p>Si une seule leçon devait être tirée de cette année singulière, c’est bien celle de <a href="https://www.lci.fr/sante/coronavirus-epidemie-covid-19-pourquoi-la-france-est-en-penurie-de-masques-ffp2-2148489.html">notre impréparation</a>. Effrayante, mais peut-être salutaire, impréparation. Réveil indispensable face aux enjeux environnementaux et à la dégradation des conditions d’existence sur l’ensemble de la planète. Notre système économico-politique a montré ici non seulement ses failles, sa violence, ses limites, mais aussi son incapacité à gérer le monde en devenir et les catastrophes dont le présent et l’avenir sont et seront émaillés. Comme l’énonce le militant écosocialiste Daniel Tanuro dans <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/trop_tard_pour_etre_pessimistes">son essai</a> <em>Trop tard pour être pessimistes !</em> :</p>
<blockquote>
<p>« La pandémie est un événement historique parce qu’elle jette une lumière crue sur les inégalités et l’incapacité des membres de « l’élite » autoproclamée à assurer la protection de tous.tes »</p>
</blockquote>
<h2>Ce que l’anthropologie politique peut pour nous</h2>
<p>Dans un ouvrage intitulé <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-dans_l_oeil_de_la_pandemie_face_a_face_anthropologique_jacinthe_mazzocchetti_pierre_joseph_laurent-9782806106070-70095.html"><em>Dans l’œil de la pandémie. Face à face anthropologique</em></a>, paru cette année, nous nous sommes attelés à ces interrogations depuis une position singulière, celle de la discipline anthropologique : nous nous y questionnons sur la manière dont l’<a href="https://www.puf.com/content/Georges_Balandier_un_anthropologue_en_premi%C3%A8re_ligne">anthropologie politique</a>, articulant les dimensions locales et globales <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807302143-introduction-l-anthropologie-du-politique">avec une attention particulière aux rapports sociaux</a> peut nous aider à comprendre les bouleversements vécus, à penser autrement ce qui nous arrive, à saisir comment les populations font face dans leur diversité, et à penser l’avenir.</p>
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<p>Notre réponse se décline en trois niveaux. L’importance <a href="https://journals.openedition.org/sociologie/1767">d’ethnographier</a>, tout d’abord, c’est-à-dire littéralement de garder trace de façon précise et systématique de cette période singulière. Décrire le quotidien « par le bas », observer depuis nos places d’anthropologues et de citoyens, directement touchés dans nos corps, nos vies professionnelles et privées, nos familles, raconter les oublié·e·s, leur donner la parole afin de saisir les troubles tout autant que les débrouilles et les résiliences.</p>
<p>Nous nous sommes en particulier intéressés à la transformation des relations sociales au travers des mises à distance que sont les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/11/coronavirus-le-port-du-masque-defigure-le-lien-social_6039261_3232.html">masques</a> et les écrans, à l’accroissement des inégalités préexistantes, ainsi qu’aux effets de sidération et de colère. Ceux-ci ont pour conséquences notables l’exacerbation des sentiments de défiance et le <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/11/17/l-epidemie-de-covid-19-revelatrice-de-la-poussee-des-theories-complotistes-en-france_6060009_823448.html">basculement vers le complotisme</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/relations-sociales-le-numerique-peut-il-compenser-le-manque-dechanges-directs-158984">Relations sociales : le numérique peut-il compenser le manque d’échanges directs ?</a>
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<p>Mais l’anthropologie, c’est aussi comparer à partir d’études de cas fouillées, trianguler pour saisir la complexité et en ce cas précis, aller au-delà des chiffres pour comprendre le poids des contextes et des représentations sociales dans les arbitrages réalisés dans chaque pays entre santé et économie.</p>
<p>Enfin, les cadres de pensée de l’anthropologie politique nous permettent une approche plus globale, visant à réinscrire la pandémie et sa gestion dans une analyse sociétale critique. Chaque période de crise est porteuse de mutations, de changements. Tenter de les repérer, c’est se donner les moyens de ressentir les lignes de force du monde en devenir. L’ouvrage, en plus de proposer une photographie complexe de nos vécus, présente une réflexion sur les potentiels scénarios de sortie de crise, en prenant conscience qu’elle n’est probablement que le <a href="https://www.cairn.info/revue-natures-sciences-societes-2015-3-page-226.htm">sommet de l’iceberg des catastrophes</a> à venir en lien avec les changements climatiques, la montée des inégalités, le vieillissement. Le prix du statu quo (augmentation de la dette, des inégalités, de la défiance, des modes de gouvernement autoritaires…) donne crûment à voir la nécessité de transformation radicale de nos manières d’être.</p>
<h2>La pandémie, révélatrice du « vol du temps » capitaliste</h2>
<p>Le philosophe Pierre Zaoui, dans un <a href="https://www.cairn.info/revue-vacarme-2010-4-page-29.htm">article</a> intitulé « Le capitalisme comme vol du temps », s’interroge sur trois types de temporalités suspendues par notre mode de production et de vie capitaliste : « l’utopie, l’immédiat et l’horizon de l’histoire ». Voici donc ce qui nous est volé et nous empêche, non pas de ruser et d’agir, mais de comprendre et d’imaginer. Vol du temps de l’utopie, vol de la possibilité de déconstruire le discours du <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/l-inenarrable-effet-t-i-n-a-883065.html">TINA (There Is No Alternative)</a> – slogan politique couramment attribué à Margaret Thatcher lorsqu’elle était Première ministre du Royaume-Uni. Car il est indispensable de rêver grand pour se projeter à nouveau dans un autre mode de vie que celui de la prédation. Nous avons besoin de petits et de grands récits qui nous portent et ouvrent nos imaginaires.</p>
<p>Si <a href="https://www.rts.ch/info/culture/10485413-catastrophe-climatique-surveillance-guerres-les-dystopies-ont-la-cote.html">l’imaginaire dystopique fleurit</a>, ainsi que les pensées de l’effondrement et les mouvements survivalistes, leurs points communs sont bien souvent l’impossibilité de sortir du gouffre dans lequel nous sommes pris et l’incapacité à inventer un lieu radicalement autre. Lieu qui ne serait ni celui des travers du monde contemporain poussés à leur paroxysme, ni des modalités de survie en situation de catastrophe annoncée. Si l’une des grandes forces des récits dystopiques est de nous confronter au pire, confrontation – comme énoncée en début d’article – indispensable, ils participent à rendre l’imaginaire, ici entendu en termes à la fois politiques et littéraires, prisonnier de la pensée unique. Ce qui se cauchemarde ou se rêve ne trouve plus d’autre lieu que celui dans lequel nous vivons.</p>
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<p>Vol du temps de l’immédiateté, ensuite. L’enjeu, ici, serait de retrouver le sens de l’urgence, de reprendre conscience que tous les événements ne s’équivalent pas en termes de temporalité d’action, mais aussi d’impact sociétal, de sortir de la course effrénée qui nous empêche de penser et de poser des choix qui ne soient pas uniquement court-termistes.</p>
<p>À ce titre, la pandémie aura tout de même permis un <a href="https://esprit.presse.fr/actualites/sebastian-roche/le-coronavirus-l-exception-et-la-culture-politique-des-elites-42766">certain retour de l’immédiateté</a>. Confrontés à l’épidémie, agir vite est une obligation. Chose exceptionnelle, les conséquences de l’inaction portent sur <a href="https://www.cairn.info/revue-pole-sud-2006-2-page-71.htm">l’horizon temporel des élus</a>, sur leurs mandats et leurs responsabilités. En cela, la pandémie a remis en marche forcée les sociétés. Pourtant, la Covid-19 ne fait que replacer le problème dans une question de perspective : perspective immédiate pour la pandémie, de long terme pour les questions de justice sociale, d’environnement, de climat. La responsabilité alors peut être postposée, faute de conscience de l’immédiateté de ces urgences.</p>
<p>Vol du temps de l’histoire, enfin. Le nez dans le guidon, nous sommes pris dans la course infernale des échéances, des évaluations et des crises incessantes. Cet enchaînement ininterrompu nous coupe d’une analyse globale d’une part, <a href="https://www.cairn.info/introduction-a-la-socio-histoire--9782707147233.htm">socio historique</a>, de l’autre, qui nous permettrait de penser l’avenir. Pourtant, un diagnostic, même rapide, même partiel, de l’état du monde ne peut nous mener qu’à la constatation d’autres catastrophes à venir et à la nécessité de cesser d’être attentistes.</p>
<p>Malgré les mises en garde du GIEC, notamment, qui révèlent au monde le dérèglement climatique et ses conséquences, dans ce domaine, l’inaction ou l’action ne semblent pas avoir d’impact notoire à l’échelle d’un mandat politique. Prises dans une <a href="https://www.lemonde.fr/tant-de-temps/article/2017/01/06/nicole-aubert-nos-societes-ont-cree-des-individus-a-flux-tendus_5058551_4598196.html">logique anhistorique et court-termiste</a> qui isole les problèmes, incapables de formuler des réponses qui ne soient pas locales face à ces questions globales, les sociétés contemporaines se retrouvent en incapacité d’anticiper, de penser et d’agir sur les dérèglements sociaux, économiques et environnementaux en cours, et sur leurs conséquences multiples.</p>
<h2>Le virus, un salutaire coup de fouet ?</h2>
<p>Dès lors, comment la pandémie, entre traumatisme et coup de semonce, peut-elle nous permettre d’inverser ces dynamiques de « vol du temps » ? D’une part, à travers une conscientisation de la nécessité de revaloriser les recherches scientifiques, y compris celles menées en sciences humaines et sociales, qui nous amènent à proposer des <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03036192/document">scénarios de sortie de crise</a> complexes, mais réalistes, au sein desquels les populations ne sont pas oubliées dans leurs disparités en termes de vécus, mais surtout en termes sociologiques (différences de genre, de classe, d’âge, ethnoraciales…).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1351501333879279616"}"></div></p>
<p>Un retour du sens de l’urgence dans les politiques publiques, déjà amorcé lors de la pandémie, est également crucial. Il suppose d’une part une <a href="https://www.lefigaro.fr/decideurs/emploi/metiers-du-grand-age-300-000-postes-seront-necessaires-dans-les-prochaines-annees-selon-brigitte-bourguignon-20210512">revalorisation des métiers de service</a> (santé, éducation, culture…), et d’autre part un <a href="https://www.francetvinfo.fr/meteo/climat/temoignages-c-est-carrement-deprimant-des-fonctionnaires-en-charge-de-la-lutte-contre-le-dereglement-climatique-disent-leur-depit_4654199.html">refinancement des secteurs publics</a>. La fulgurance de la pandémie a contraint les décideurs à agir. Ils ont été confrontés à l’impuissance de l’humanité et à des arbitrages majeurs entre l’économie et la protection de la population. La crise sanitaire a ainsi, potentiellement, jeté les bases d’une pensée politique qui articulerait justice sociale, sécurité, climat, vieillissement et migration.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163533/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jacinthe Mazzocchetti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pierre-Joseph Laurent ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’anthropologie politique peut nous aider à utiliser les leçons tirées de la pandémie pour traiter les autres grandes urgences de notre temps.Jacinthe Mazzocchetti, Professeure d'anthropologie, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Pierre-Joseph Laurent, Professeur en anthropologie, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1612562021-05-20T18:12:12Z2021-05-20T18:12:12ZNeutralité carbone : que retenir du nouveau rapport de l’AIE ?<p>Alors que les États sont de plus en plus nombreux à annoncer leurs objectifs de neutralité carbone, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) vient de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=WQ5HsTyU_5Q">dévoiler les trajectoires qui permettraient d’atteindre, ou non, cet objectif</a> au niveau mondial, d’ici 2050.</p>
<p>Quels sont les principaux enseignements de ces nouvelles prévisions réalisées à la demande de la présidence de la COP26, qui se tiendra en novembre 2021 à Glasgow ?</p>
<h2>La « neutralité carbone », pour réduire et absorber les émissions de GES</h2>
<p>La lutte contre le réchauffement climatique repose sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre GES (CO<sub>2</sub> en tête) via une baisse massive de la consommation des énergies carbonées (charbon, pétrole et gaz) ; elle repose aussi sur le développement des puits de carbone, avec l’augmentation des capacités de stockage des forêts et des sols, ainsi que sur le déploiement de technologies de captage et stockage du CO<sub>2</sub>.</p>
<p>La combinaison de ces deux actions doit permettre d’atteindre le « zéro émission nette » (la neutralité carbone), en ramenant les émissions de GES engendrées par l’activité humaine au niveau auquel elles sont « retirées » de l’atmosphère et absorbées par les puits.</p>
<p>Ces activités deviendraient alors « climatiquement neutres », permettant une stabilisation des températures au niveau mondial, comme le préconise le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/401901/original/file-20210520-23-1e9o2xg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/401901/original/file-20210520-23-1e9o2xg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/401901/original/file-20210520-23-1e9o2xg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/401901/original/file-20210520-23-1e9o2xg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/401901/original/file-20210520-23-1e9o2xg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/401901/original/file-20210520-23-1e9o2xg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/401901/original/file-20210520-23-1e9o2xg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La centrale solaire de Plopsa Coo, en Belgique. Développer la production d’énergie renouvelable et préserver les puits de carbone naturels, comme les forêts, aide à décarboner les activités humaines.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Plopsa_Coo#/media/Fichier:Coo_(Stavelot)_-_Plopsa_Coo,_centrale_solaire_(01).JPG">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Plusieurs futurs énergétiques possibles</h2>
<p>Avec sa nouvelle publication du <a href="https://www.iea.org/reports/net-zero-by-2050"><em>World Energy Outlook « Atteindre le zéro émission nette d’ici 2050 »</em></a>, l’AIE décrit les trajectoires possibles des émissions de CO<sub>2</sub> jusqu’en 2050, selon trois scénarios.</p>
<ul>
<li><p>Le scénario le moins intense en termes d’effort de réduction correspond au scénario tendanciel (« laisser faire ») : il traduit la trajectoire des émissions si l’action politique reste figée au niveau actuel. L’objectif de cette projection étant de montrer quel serait l’impact futur du manque d’ambition climatique.</p></li>
<li><p>Le scénario intermédiaire (« développement durable »), décrit les projections d’émission de CO<sub>2</sub> si les États mettent en application les politiques nécessaires pour atteindre leurs objectifs. Ce scénario présente une trajectoire compatible avec les seuils de températures fixés par l’Accord de Paris – soit une hausse maximale des températures moyennes mondiales limitée à + 2 °C.</p></li>
<li><p>Enfin, un nouveau scénario apparaît dans le rapport annuel de l’AIE : le « zéro émission nette », le plus audacieux pour le système énergétique global.</p></li>
</ul>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1394518259261710337"}"></div></p>
<h2>Le scénario ZEN, zéro émission nette</h2>
<p>Ce nouveau scénario dessine le chemin à suivre d’ici 2050 pour atteindre la neutralité carbone nécessaire, toujours selon le cadre fixé par le GIEC, afin de <a href="https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/IPCC-Special-Report-1.5-SPM_fr.pdf">limiter le changement climatique à 1,5 °C</a>.</p>
<p>Alors que le scénario tendanciel n’aurait aucun effet sur l’évolution des émissions de CO<sub>2</sub> en 2030, le scénario « zéro émission nette » indique un potentiel de réduction de 45 %. À l’horizon 2050, selon les modèles de prévision de l’AIE, ce scénario permettrait d’atteindre la neutralité carbone.</p>
<figure class="align- zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/401841/original/file-20210520-23-9fbekg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/401841/original/file-20210520-23-9fbekg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/401841/original/file-20210520-23-9fbekg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/401841/original/file-20210520-23-9fbekg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/401841/original/file-20210520-23-9fbekg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/401841/original/file-20210520-23-9fbekg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/401841/original/file-20210520-23-9fbekg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/401841/original/file-20210520-23-9fbekg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Émissions de CO₂ liées à l’énergie et aux processus industriels ; et potentiels de réduction dans les scénarios WEO 2020, trajectoire 2015-2030.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.iea.org/reports/net-zero-by-2050">World Energy Outlook/AIE</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’exercice prospectif du scénario « zéro émission nette » d’ici 2050 identifie la feuille de route suivante pour le secteur de l’énergie.</p>
<h2>Du côté de la demande en énergie</h2>
<p>Une baisse significative de la demande d’énergie (-8 % par rapport à aujourd’hui), malgré une population qui continue de croître.</p>
<p>Cette baisse est obtenue en jouant sur la consommation, grâce à la sobriété, résultat de changements de comportements en particulier dans le secteur du transport (par exemple, bannir les vols de moins d’une heure, privilégier le vélo pour de courtes distances plutôt que la voiture, ou réduire de 7 km/h la vitesse du trafic routier) ; <a href="https://theconversation.com/energie-climat-la-transition-est-elle-vraiment-en-panne-en-france-154963">grâce aussi à l’efficacité énergétique</a> qui devrait partout portée à son maximum.</p>
<h2>Du côté de l’offre en énergie</h2>
<p>En ce qui concerne l’offre énergétique, le scénario suppose une électrification massive des systèmes : la demande d’électricité aura doublé d’ici 2050 et serait produite à 90 % à partir de renouvelables (avec une dominante pour le solaire), et à 10 % à partir du nucléaire qui verrait sa production et sa capacité mondiales doubler.</p>
<p>De nouvelles technologies et usages seront nécessaires et se déploieront grâce à un effort massif d’innovation : la demande pour le vecteur énergétique hydrogène serait multipliée par six et jouerait un <a href="https://theconversation.com/electricite-hydrogene-le-duo-gagnant-pour-decarboner-les-systemes-energetiques-156828">rôle complémentaire à l’électricité</a>.</p>
<figure class="align- zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/401843/original/file-20210520-17-1941hw7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/401843/original/file-20210520-17-1941hw7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/401843/original/file-20210520-17-1941hw7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=766&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/401843/original/file-20210520-17-1941hw7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=766&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/401843/original/file-20210520-17-1941hw7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=766&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/401843/original/file-20210520-17-1941hw7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=963&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/401843/original/file-20210520-17-1941hw7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=963&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/401843/original/file-20210520-17-1941hw7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=963&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le scénario « zéro émission nette ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.iea.org/reports/net-zero-by-2050">World Energy Outlook/AIE</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’arrêt de tout nouveau projet dans les fossiles</h2>
<p>Au niveau des équipements et usages, l’AIE prévoit notamment que 60 % des véhicules devront être électriques d’ici 2030 et 50 % des camions d’ici 2035.</p>
<p>Les ventes de chaudières au fioul devraient être interdites dès 2025 et 50 % des bâtiments existants auront été rénovés de façon efficace en 2040.</p>
<p>L’une des conclusions les plus remarquées de ce dernier rapport de l’AIE est la suivante : en conséquence directe des trajectoires énergétiques impliquées par le scénario « zéro émission nette », les États et les entreprises doivent immédiatement cesser de procéder au développement de nouveaux gisements d’énergies fossiles et, au contraire, se reporter massivement sur les énergies bas carbone, pour un niveau de 4 100 milliards d’euros par an… soit plus du double de l’actuel !</p>
<h2>Une base pour les négociations à venir</h2>
<p>Même si l’exercice prospectif réalisé par l’AIE reste marqué de fortes incertitudes, il a le mérite de mettre en évidence deux points essentiel : d’abord l’écart entre les intentions et les actions mises en œuvre par les États ; et aussi la voie à suivre pour « sauver le climat ».</p>
<p>Cette proposition pourra ainsi servir de base aux négociations préparatoires de la prochaine COP26 en Écosse.</p>
<p>Le défi climatique et les challenges associés sont immenses ; seule une coopération internationale permettant des changements radicaux pourra permettre de relever un tel défi. Mais la feuille de route existe désormais pour cette ambition.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161256/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Dans son nouveau rapport, l’Agence internationale de l’énergie propose une feuille de route pour atteindre d’ici 2050 la neutralité carbone.Carine Sebi, Professeure associée et coordinatrice de la chaire « Energy for Society », Grenoble École de Management (GEM)Patrick Criqui, Directeur de recherche émérite au CNRS, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1559692021-03-03T17:56:17Z2021-03-03T17:56:17ZPression foncière, verdissement, révolution cellulaire : les ingrédients de l’agriculture de demain<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/387461/original/file-20210303-15-1sn556l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/MOwl8X32SNI">Ngobeni Communications/Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Covid-19 oblige, le Salon international de l’agriculture n’aura pas eu d’édition 2021… mais les sujets de débat et d’interrogation autour du devenir agricole ne manquent pas !</p>
<p>L’agriculture connaît des mutations rapides qui questionnent sur ses possibles évolutions : quels sont les tendances émergentes et les scénarios prospectifs que l’on peut imaginer pour un secteur qui semble peser peu en matière d’emploi mais dont l’importance est majeure dans notre quotidien et notre économie ?</p>
<p>Ce travail de prospective n’a rien de la cartomancie : il s’appuie <a href="http://www.laprospective.fr/methodes-de-prospective.html">sur des outils et des méthodes logiques</a>, rationnelles, permettant de dégager des « futurs probables ». Un des éléments clés de la discipline consiste à prendre en compte les signaux faibles présents, dont certains sont annonciateurs de possibles évolutions, voire de révolutions.</p>
<p>Tout l’enjeu étant d’arriver à distinguer, parmi ces signaux, ceux vecteurs de changements importants. En complément, une analyse portant sur l’historique et les tendances lourdes du présent permet de dessiner des pistes et tendances probables.</p>
<p>C’est la combinaison de tous ces points qui permet d’esquisser des scénarios prospectifs pour le futur.</p>
<h2>Une seule planète (en surchauffe)</h2>
<p>Parmi les premiers éléments concernant l’évolution de l’agriculture, certains font consensus.</p>
<p>Il y a d’abord la dimension démographique : nous serons, selon les estimations de différents organismes, autour de 10 milliards d’humains sur la planète en 2050 (entre 9 et 12 milliards <a href="https://population.un.org/wpp/">selon la fourchette retenue</a>). Cela va évidemment constituer un défi en matière de production et de logistique ; mais cela représente aussi une opportunité pour nombre d’acteurs agricoles et de filières agroalimentaires. Une sorte de garantie d’un marché mondial en progression régulière.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/8-milliards-dhumains-sommes-nous-trop-nombreux-sur-terre-81225">8 milliards d’humains : sommes-nous trop nombreux sur Terre ?</a>
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<p>Dans ce contexte, un des défis prévisibles concerne un possible goulet d’étranglement côté production. On sait que l’augmentation de la population implique une urbanisation croissante, avec un étalement qui se produit souvent au détriment des terres agricoles (c’est le phénomène d’<a href="https://www.cerema.fr/fr/actualites/artificialisation-sols-quelle-dynamique">« artificialisation des sols »</a>). La France perdrait ainsi l’équivalent d’un département <a href="https://www.science-et-vie.com/nature-et-enviro/urbanisation-contre-terres-agricoles-la-france-en-pleine-guerre-des-sols-41853">tous les 10 ans</a>.</p>
<p>La conséquence est facilement imaginable : comment nourrir plus d’humains alors que la <a href="http://www.fao.org/3/CA1553FR/ca1553fr.pdf">ressource en terres diminue</a> ? Si <a href="https://theconversation.com/fr/topics/agriculture-urbaine-25614">l’agriculture urbaine ou verticale</a> peut apporter des réponses, celles-ci restent toutefois partielles face à la demande globale.</p>
<p>Autre élément majeur : le réchauffement climatique et son cortège d’effets perturbateurs pour les écosystèmes. Certaines régions vont devenir de plus en plus arides alors que d’autres seront gagnées par une inéluctable montée des eaux. Cette situation aura pour double conséquence une pression foncière accrue (il faudra bien reloger les populations) et des terres arables perdues ou rendues impropres à la production agricole. <a href="http://www.fao.org/3/a-i6881f.pdf">Selon la FAO</a>, cela pourrait entraîner à terme une modification de notre mix alimentaire, avec davantage de protéines végétales consommées et moins de protéines animales.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1231979600294694912"}"></div></p>
<h2>Des champs plus verts</h2>
<p>Autre élément tangible : la conscience écologique, qui progresse et s’invite désormais dans les programmes politiques et les orientations agricoles. Il en résulte un « verdissement » des politiques du secteur (à l’image du <a href="https://ec.europa.eu/info/food-farming-fisheries/sustainability/sustainable-cap_fr">Green Deal de la prochaine PAC</a>) et des objectifs plus ou moins contraignants, associés à une demande de produits plus respectueux de l’environnement de la part des consommateurs.</p>
<p>Pour le dire de façon caricaturale (une large palette de pratiques existant), les cultures de type bio vont continuer leur progression. On peut s’en féliciter tout en ayant conscience que cela peut parfois impliquer une baisse des rendements ou une plus grande variabilité de la production. La volatilité des marchés agricoles, tant côté volume que prix, demeurera ainsi certainement une problématique essentielle.</p>
<p>Dans un <a href="https://agriculture.gouv.fr/telecharger/109015?token=97bdecb42c925fd3441c17479801f7b42842834dea845118593e9af75f8fcfc1">document paru en 2020</a>, le ministère de l’Agriculture avait envisagé quatre scénarios prospectifs à ce sujet, en fonction de l’articulation entre écologie, libéralisation des marchés agricoles et circuits de production/distribution. Une ligne de crête se dessine, à condition de jouer sur quelques paramètres importants : l’évolution des pratiques culturales des agriculteurs, une évolution des habitudes de consommation (au niveau des circuits et des produits) et un nouvel équilibre productif à trouver entre volumes/prix/types de production.</p>
<h2>La « révolution cellulaire » est-elle en marche ?</h2>
<p>Ces différents scénarios nous conduisent à évoquer une tendance émergente dans le domaine agricole, qui dessine peut-être un virage important. Alors que l’agriculture connaît des évolutions techniques continues (on améliore les semences, les machines, le travail humain), une possible révolution scientifique émerge, en lien avec des tendances sociétales nouvelles.</p>
<p>Il s’agit de « l’agriculture cellulaire », fruit de différentes innovations scientifiques permettant de proposer, par exemple, de la viande ou du lait de synthèse. En 2013, un premier steak est produit en laboratoire… au coût exorbitant de 45 000 euros ! Depuis, les avancées se sont multipliées et l’on a vu <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/12/02/singapour-autorise-la-vente-de-viande-artificielle-une-premiere-mondiale_6061926_3244.html">apparaître fin 2020 à Singapour</a> les premiers morceaux de poulet de synthèse, développés par Eat Just et vendus autour de 60 dollars.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1122718732143464455"}"></div></p>
<p>À l’heure actuelle, ce sont près de 500 sociétés, en général des start-up, qui travaillent sur des projets de produits alimentaires de synthèse : viande (Future Meat, Mosa Meat, Just, Aleph Farm, Memphis Meats), lait (Remilk), glaces (Perfect Day), produits associant légumineuses et viandes, etc.</p>
<p>De nombreux entrepreneurs de renom – dont beaucoup de la Silicon Valley à l’image de Sergey Brin (Google) ou de Bill Gates – ne s’y trompent pas et se sont rués dans ce secteur, pensant avoir découvert un nouvel eldorado. Les investissements affluent, accélérant le développement de cette agriculture de synthèse.</p>
<p>Pour certains, il s’agit d’une solution potentiellement magique aux problèmes et goulets d’étranglement évoqués plus haut. D’autres y voient une <a href="https://www.inrae.fr/actualites/viande-vitro-voie-exploratoire-controversee">fuite en avant technologique</a> qui ne résout pas tous les problèmes, notamment ceux relatifs au réchauffement climatique (il faut beaucoup d’énergie pour produire des aliments de synthèse) ou à la production de masse (les laboratoires ne sont pas encore en mesure de produire de façon industrielle) ; le passage à l’échelle (la « scalabilité ») du modèle semble encore illusoire.</p>
<p>Dans la perspective de cette agriculture cellulaire, nous pourrions nous passer à la fois des terres agricoles et des paysans qui les exploitent. Une sorte d’agriculture « hors sol », faite en labos et salles blanches.</p>
<p>Assisterons-nous dans les prochaines années, les prochaines décennies, à un basculement impulsé par cette révolution technologique ? Sachant qu’une autre bataille se jouera dans les rayons et étals de supermarchés : les consommateurs seront-ils prêts en effet à faire évoluer leur alimentation en soutenant, par leurs achats, une agriculture technologique et moins « terrienne » ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155969/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Xavier Hollandts ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans un secteur agricole en plein questionnement face aux défis conjugués du changement climatique et des attentes sociétales, des tendances se dessinent.Xavier Hollandts, Professeur de stratégie et entrepreneuriat, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1532442021-02-21T17:21:58Z2021-02-21T17:21:58ZQuel cadre juridique pour les conflits spatiaux de demain ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/385029/original/file-20210218-17-1cgmzte.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C20%2C6968%2C4526&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Quelles normes juridiques pourraient s'appliquer en cas de conflit dans l'espace ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-illustration/military-spaceship-shoots-down-enemy-satellite-1793468578">3DSculptor/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Pourquoi s’interroger sur la pertinence de <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2016-6-page-80.htm">l’application du droit de la guerre dans l’espace</a> ? Pourquoi envisager d’appliquer un droit qui a été écrit pour protéger, sur Terre, des civils lors d’un conflit armé, à un espace pour l’instant non peuplé et apparemment pacifique ?</p>
<p>Voilà des questions auxquelles nous sommes souvent confrontés en tant que chercheurs en droit. Devrions-nous pour autant nous résigner et attendre qu’il soit trop tard pour soupirer « ah si nous avions su, nous aurions encadré ces opérations spatiales afin de protéger la population civile » ?</p>
<p>Il y a encore quelques années, vu les difficultés d’accès à l’espace, il était encore possible de ne pas chercher à s’interroger sur ces questions. Mais la donne a changé. Il serait absolument hypocrite aujourd’hui de mettre des œillères et de ne pas vouloir admettre que nous sommes témoins d’avancées technologiques inouïes, pour ne pas dire de <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/le-spatial-a-l-heure-de-l-innovation-de-rupture.N692784"><em>ruptures technologiques</em></a> qui invitent à envisager une activité spatiale de plus en plus dense et, donc, à envisager la transformation de cet espace pacifique en nouveau théâtre d’opérations potentiellement conflictuelles.</p>
<p>Face à un contexte qui change, que devons-nous faire ? Devons-nous rester attachés à ces <a href="https://www.unoosa.org/pdf/publications/STSPACE11F.pdf">Traités internationaux</a> bien-pensants (et bien pensés à l’époque où ils l’ont été) qui prônent la paix plutôt que la guerre, sans oser remarquer qu’ils ont besoin aujourd’hui d’une réactualisation pour rester efficaces ? Envisager leur réactualisation, ou leur accompagnement par d’autres outils juridiques, ce n’est pas les renier, ce n’est pas les décrédibiliser. Au contraire, il nous semble que, comme pour tout ce à quoi l’on tient, nous nous devons de les entretenir pour pouvoir continuer de les voir rayonner, encore, pour plus longtemps… jusqu’aux prochains besoins d’adaptation. Il semblerait que dans ce contexte de <a href="https://www.futura-sciences.com/sciences/definitions/new-space-new-space-16591/">« New Space »</a> nous ne puissions pas nous contenter d’espérer que les faits s’adaptent au droit, mais plutôt que nous devrions admettre que le droit doit s’adapter à eux.</p>
<p>Comme souvent, les analogies avec un sujet que l’on connaît sont plus parlantes. Prenons le cas de l’émergence de l’industrie automobile, dont les signes avant-coureurs remontent à quelque 150 ans.</p>
<p>En 1873, <a href="https://histoire-image.org/fr/etudes/premieres-automobiles-mors-1898">l’apparition de la première automobile</a> va bouleverser la relation des hommes au temps et à l’espace. Il s’agit de <em>L’Obéissante</em>, une voiture à vapeur imaginée par un fondeur de cloches manceau, Amédée Bollée (1844-1917). En 1886, l’Allemand Carl Benz <a href="https://www.imagesdoc.com/blog/questions-histoire/qui-a-invente-la-premiere-voiture-et-quand-meline-10-ans#:%7E:text=En%201886%2C%20l%E2%80%99Allemand%20Karl,consid%C3%A9r%C3%A9%20comme%20la%20premi%C3%A8re%20automobile">équipe un tricycle d’un moteur à explosion</a> fonctionnant au pétrole. Ce tricycle, qui dispose d’une boîte de vitesse, atteint 15 km/h.</p>
<p>À cette époque, dans ce contexte particulier, aurait-il été incongru de penser pouvoir atteindre des vitesses de 300km/h en automobile ? Certainement. Une loi interdisant de traverser les centres-villes à plus 50 km/h aurait-elle été risible ? Sans doute. En revanche, s’il avait fallu répondre à ces mêmes questions des années plus tard, disons dans les années 2000, après la terrible annonce d’un accident mortel de la circulation causé par un chauffard qui filmait son excès de vitesse lors de sa collision avec un couple de retraités, les réponses à ces deux questions auraient-elles été les mêmes ? Assurément non. Nous aurions répondu qu’il aurait fallu en principe empêcher qu’une telle tragédie puisse se produire.</p>
<p>Il en va de même s’agissant de l’espace et de la pertinence de se questionner sur l’applicabilité du droit de la guerre.</p>
<h2>La fiction</h2>
<p>Dans la saga <a href="https://starwars.fandom.com/fr/wiki/Star_Wars_%C3%A9pisode_IV_:_Un_Nouvel_Espoir">Star Wars, l’Épisode IV</a> nous donne une idée de l’importance d’encadrer par le droit international humanitaire (DIH) les opérations militaires lors d’un conflit armé.</p>
<p>Un chef de guerre, le Seigneur Tarkin, menace la Princesse Leia de détruire la planète d’origine de cette dernière si elle ne lui révèle pas la géolocalisation d’une base rebelle.</p>
<blockquote>
<p>« Tarkin : […] en voyant notre puissance, ils capituleront sans hésiter… C’est un peu vous qui avez déterminé le choix de la planète qui servira d’exemple. Étant donné que vous refusez si noblement de nous dire où se trouve la base rebelle. Alors je choisis de tester les capacités de destruction de mes armes sur votre bonne planète d’Alderaan.</p>
<p>Leia : Non ! Alderaan est pacifique, nous n’avons pas d’armes, il est impossible de…</p>
<p>Tarkin : Vous préférez un autre objectif, un objectif militaire ? Alors dites où est la base. Répondez. Je suis las de poser cette question. Alors pour la dernière fois… avouez, où est la base rebelle ?_ »</p>
</blockquote>
<p>Comme la réponse de la princesse n’a pas donné satisfaction au chef militaire, sa menace a été mise à exécution, et la planète d’Alderaan – qui ressemble à s’y méprendre à notre Terre – totalement réduite à néant.</p>
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<p>Bien heureusement, ceci n’est qu’une fiction, et notre droit et ses défenseurs font en sorte que cela le reste. Le DIH défend le principe que les moyens et méthodes de guerre ne sont pas illimités. Toute attaque doit respecter au moins <a href="https://www.croix-rouge.fr/La-Croix-Rouge/Droit-International-Humanitaire/5-principes-fondamentaux">cinq principes fondamentaux</a> d’humanité, de distinction, de précaution, de proportionnalité et enfin, d’interdiction des maux superflus et des souffrances inutiles.</p>
<h2>La réalité</h2>
<p>Depuis des siècles, l’idée de voyager dans l’espace fait rêver les Hommes, des plus petits aux plus grands. Les États, quant à eux, rêvent de domination spatiale, c’est-à-dire de disposer de la capacité à maîtriser de façon souveraine l’accès à l’espace, la mobilité dans ce milieu et son exploitation à des fins de puissance.</p>
<p>Cette perspective de <a href="https://theconversation.com/lespace-pour-tous-ou-seulement-pour-quelques-uns-143020">« conquête spatiale dominante »</a> soulève des problématiques et interrogations d’ordre géopolitique, notamment dans les domaines de la défense et du droit.</p>
<p>La première est de savoir s’il existe un « droit de l’espace » qui conditionne son exploitation ou un « droit à l’espace » qui permettrait aux Hommes d’y œuvrer comme bon leur semble.</p>
<p>La réponse est (semble ?) assez nette : le droit <strong>de</strong> l’espace existe <a href="https://treaties.un.org/Pages/showDetails.aspx?objid=0800000280128cbd&clang=_fr">au moins depuis les années 1960</a>. Il a pour principes la liberté d’exploitation et d’exploration de l’espace, mais l’usage de l’espace et des autres corps célestes doit être pacifique et se faire dans l’intérêt de l’Humanité tout entière. Ce droit est donc écrit en termes flous, ce qui nous permet de lui conférer tantôt une connotation stricte, tantôt une connotation permissive.</p>
<p>Sachant cela, comment interpréter les opérations spatiales militaires <a href="https://www-cairn-info.docelec.u-bordeaux.fr/revue-defense-nationale-2020-10-page-31.htm">dont témoigne de plus en plus l’actualité</a> :</p>
<p>doit-on trouver absurde d’évoquer le sujet d’une guerre de l’espace et de ses conséquences pour les Terriens ? Ces questions nous amènent à la deuxième problématique que nous évoquerons ici : quel droit pourrait s’appliquer lors d’un conflit spatial avéré ?</p>
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<p>Cette question suscite des réponses variées, que l’on peut sommairement regrouper en deux grandes tendances. Il y a ceux qui pensent qu’un Conflit Armé International spatial (CAIs) relève de la pure science-fiction et qu’ainsi le droit de la guerre (Droit international humanitaire, DIH) n’a pas vocation à être étudié ici ; c’est le cas des rédacteurs des Conventions de Genève qui visaient à l’époque les domaines terrestres, maritimes et aériens, mais jamais le spatial ; voir aussi les exemples donnés <a href="https://digital-commons.usnwc.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1717&context=ils">ici</a>. Puis il y a ceux qui pensent le <a href="https://www-cairn-info.docelec.u-bordeaux.fr/revue-defense-nationale-2020-10-page-77.htm">contraire</a></p>
<p>Nous pourrions en rester à ce constat, un peu fataliste. Mais, cette fois-ci, <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/en-2021-le-cnes-sera-sur-le-front-militaire.N1045844">l’actualité nous impose</a></p>
<p>d’anticiper la réponse. Et pour cela, il faut répondre à la question suivante : <a href="http://www.fondation.univ-bordeaux.fr/wp-content/uploads/2020/10/2020-10-CHAIRE-DEF-AERO-Chloe-DUFFORT-itw.pdf">aujourd’hui, sommes-nous dans une situation de paix ou dans une situation de conflit(s) dans l’espace</a>, qui le cas échéant, doivent être encadrés ?</p>
<p>Pour y répondre, il s’agit de faire un peu de prospective, assurément, mais sur des éventualités dont on peut légitimement imaginer qu’elles pourraient bientôt se concrétiser.</p>
<h2>Quelques enjeux juridiques immédiats</h2>
<p>L’espace apparaît comme un <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2016-6-page-99.htm">enjeu stratégique fort</a> pour les puissances d’aujourd’hui et de demain. Des investissements colossaux y sont consacrés par les États mais aussi, et c’est un fait remarquable, par des <a href="https://www.wedemain.fr/inventer/spacex-devient-la-premiere-entreprise-privee-a-transporter-des-humains-dans-lespace/">entreprises privées</a>. Cette évolution aura d’importantes <a href="https://www.open-diplomacy.eu/blog/espace-operations-militaires-laurent">conséquences</a> pour l’avenir de l’Humanité. Celles-ci ne seront pas nécessairement synonymes de drame planétaire, mais tout ce qui se déroulera dans l’espace aura un impact direct sur les conflits terrestres et de fait, sur les « méthodes de guerre ».</p>
<p>L’un des aspects majeurs tient à la difficulté à distinguer les opérations militaires des opérations civiles dans l’espace – et, en filigrane, d’identifier la cible à atteindre lors d’un conflit armé dans l’espace tout en respectant les principes du Droit international humanitaire. Comment obtenir un avantage militaire conséquent tout en préservant les biens spatiaux à caractère civil ?</p>
<p><a href="https://www.open-diplomacy.eu/blog/droit-espace-duffort">La dualité inhérente aux opérations spatiales</a> pose de nombreux problèmes au regard de l’application des principes inhérents à la « conduite des hostilités » au sens du DIH. À commencer par cette question fondamentale : à partir de quand une opération spatiale doit-elle être considérée comme hostile ? Car ce n’est qu’à partir de ce moment précis que l’application du DIH pourra s’envisager, pour régir ce que l’on pourrait qualifier alors de CAIs. Avant cette qualification, le DIH n’a pas vocation à s’appliquer, et c’est la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/274821-principe-dinterdiction-du-recours-la-force-et-exceptions#:%7E:text=L%E2%80%99article%202%20%C2%A7%204%20de%20la%20Charte%20prohibe%20en,les%20buts%20des%20Nations%20unies%22.">règle de l’interdiction du recours à la force (Charte des Nations unies, Article 2§4)</a> qui doit dominer.</p>
<p>En tout état de cause, les faits montrent que l’intérêt politique et militaire commande que l’on soit dans le <a href="https://www.defense.gouv.fr/actualites/la-vie-du-ministere/implantation-du-centre-d-excellence-otan-ceo-pour-l-espace-a-toulouse">contrôle de l’espace</a> plus que dans sa conquête. La conquête qui passe aujourd’hui par le tourisme spatial ou autres aventures d’exploration (hormis les explorations scientifiques étatiques) relève plus de l’apanage des entreprises privées qui spéculent sur d’éventuelles retombées économiques (<em>SpaceX, Starlink, Blue Origin</em>).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1360152990909358083"}"></div></p>
<p>Le contrôle de l’espace quant à lui, est primordial pour accéder à la supériorité militaire et donc sécuritaire.</p>
<p>D’abord, l’espace est un endroit où transitent toutes les données géostratégiques et techniques pouvant être liées à une attaque pendant un combat terrestre aérien et naval (<em>data transmission</em>). Cette domination spatiale permet d’observer tout ce qui s’anime et se décide sur Terre. Ce qui offre une supériorité tactique décisive à la partie au conflit qui est une puissance spatiale. En ce sens, l’espace est devenu fonctionnel à partir du début des années 1950 – plus précisément, depuis la période de la Guerre froide.</p>
<p>Ensuite, la nouveauté, c’est que de fonctionnel, <a href="https://www.open-diplomacy.eu/blog/droit-espace-duffort">l’espace devient un théâtre opérationnel</a>, si bien que certains considèrent qu’il est le « nouveau champ de bataille ». C’est-à-dire que les puissances spatiales envisagent des attaques qui prendraient naissance dans l’espace et/ou qui auraient pour conséquences la neutralisation d’objectifs militaires dans l’espace (un satellite par exemple). Tout récemment, le 29 décembre 2020, lors de la <a href="https://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/lancement-reussi-du-satellite-d-observation-militaire-cso-2">mise en orbite d’un satellite d’observation militaire français, le CSO-2</a>, la ministre des Armées a expliqué que cette opération participait à « la modernisation de nos capacités spatiales de défense, déterminantes pour la souveraineté nationale et l’autonomie stratégique de l’Europe ».</p>
<h2>La difficile (mais non impossible) application du DIH</h2>
<p>La présence en orbite de satellites dotés d’outils d’observation de pointe signifie que, dans le cadre d’une attaque, la partie utilisant ces équipements se montrerait plus précise lors du ciblage – et, de ce fait, serait mieux à même de respecter les principes du droit des conflits armés. Toutefois, pour ce type d’opérations, le militaire dépend de l’opérateur civil, notamment des ingénieurs du Centre national des études spatiales (CNES) par exemple, pour la manœuvrabilité des satellites militaires français et européens.</p>
<p>Les principes du DIH évoquent le respect de la distinction et de la proportionnalité dans l’attaque, mais une fois de plus, dans cet exemple, il semble difficile d’appliquer ces principes. Distinguer les biens à caractère civil des objectifs militaires lorsqu’un satellite est la cible est un exercice complexe, mais déterminer la proportionnalité inhérente aux conséquences de ce ciblage semble impossible vu l’utilisation duale qui est faite des satellites – pour les usages civils et militaires – (sachant que cette responsabilité pèse sur les épaules de celui qui a pour ambition de mener l’attaque).</p>
<p>Qui plus est, pour que ce droit soit applicable, il faut qualifier juridiquement le conflit armé spatial. C’est-à-dire démontrer qu’il existe, en apportant les preuves matérielles, intentionnelles et personnelles de ce conflit. Sans quoi les auteurs des attaques ne seront pas contraints aux respects des principes évoqués précédemment.</p>
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<p>Tout l’enjeu ici est de rattacher des faits et des intentions (les attaques spatiales) qui, hier, relevaient de la fiction, à des règles de droit pensées pour des actions concrètes (des actes hostiles commis sur des théâtres conventionnels, mettant en péril la vie de la population civile). Le tout, afin d’envisager un futur apaisé pour une Humanité qui, bien que ne vivant pas pour l’instant, à proximité de ce nouveau champ de bataille (l’espace), dépend grandement des interactions entre celui-ci et la Terre. Et qui est donc sujette à en subir des conséquences dommageables au cas où les risques de conflits se réaliseraient : <em>quid</em> d’une attaque spatiale touchant des satellites indispensables à la connexion et au contrôle d’Internet <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/informatique/en-floride-une-cyberattaque-contre-l-eau-potable_151663">pour de nombreux individus</a> ?</p>
<h2>L’adaptabilité du DIH</h2>
<p>Ainsi donc, l’espace nous est accessible. La seule « frontière » à atteindre ne se calcule pas tant en distance à parcourir qu’en progrès techniques à réaliser. La seule limite, c’est donc celle qui est imposée par l’ingéniosité de l’Homme pour développer des technologies toujours plus innovantes.</p>
<p>Il ne faut pas grand-chose pour que l’ambition de l’Homme combinée à ses rêves soit néfaste pour tout ce qui l’entoure. Car « toute la substance de l’ambition n’est que l’ombre d’un rêve » (W. Shakespeare, <em>Hamlet</em>). Tout ce que nous voyons aujourd’hui au sujet de l’espace s’inscrit parfaitement dans cet ordre d’idées. Les Hommes ont pour ambition de concrétiser des projets nébuleux, des expériences montées à partir d’une rêverie collective ancestrale. Nous sommes témoins d’avancées permises par les ruptures technologiques de notre temps, nous sommes à l’aube de grandes premières et nous pourrions, peut-être, nous en réjouir. Néanmoins, il faut veiller à ce que ces ambitions anciennes, si elles se concrétisent, restent l’ombre des rêves humains, sans qu’elles ne viennent assombrir leur futur même.</p>
<p>Et pour cela, dans le cadre d’un conflit armé, même spatial, nous avons le DIH, qui est un droit coutumier et donc adaptable à tous types de contextes, et d’apparence moins contraignante qu’un Traité international. Le DIH, tel que <a href="https://www.icrc.org/fr/publication/4231-international-humanitarian-law-comprehensive-introduction">défini</a> par le Comité international de la Croix-Rouge, « a pour vocation de restreindre les moyens et les méthodes de guerre que peuvent employer les parties à un conflit et de garantir que les personnes qui ne participent pas ou ne participent plus directement aux hostilités soient protégées et traitées avec humanité ». En un mot, le DIH rassemble les règles de droit international qui définissent des normes minimales d’humanité devant être respectées dans toute situation de conflit armé. N’est-ce pas une excellente chose ? Ne rêverions-nous pas d’une telle flexibilité pour anticiper tout un tas de risques dans la vie ?</p>
<p>Demandez à une future mariée quelle serait sa réaction si lors du dernier essayage de sa robe, il lui était proposé de prendre l’option « adaptation, en cas de risque de modification du contexte physique actuel », avec la garantie que l’effet produit par le modèle initial soit le même…</p>
<p>Nous croyons à l’applicabilité du DIH en cas de modification du contexte pacifique actuel dans l’espace. Tout comme la future mariée, nous sommes soulagés de pouvoir envisager cette option. La seule différence entre elle et nous, c’est que nous accepterons que ce soit uniquement pour le meilleur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153244/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Chloé Duffort ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les principes du droit humanitaire international pourront s’appliquer à d’éventuels conflits qui pourraient, à l’avenir, surgir dans l’espace.Chloé Duffort, Doctorante, Chaire Défense & Aérospatial, Sciences Po BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1519412021-01-06T19:22:03Z2021-01-06T19:22:03ZLe cosmisme : une mythologie nationale russe contre le transhumanisme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/376642/original/file-20201225-17-hixhep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C4%2C2822%2C1409&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le tableau d'Ilia Glazounov « Russie éternelle » (Musée Glazounov, Moscou) exprime un certain nombre d'idées chères aux propagateurs contemporains du cosmisme, notamment l’alliance de la modernité soviétique et des valeurs traditionnelles de l’empire russe.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://ru.wikipedia.org/wiki/%D0%92%D0%B5%D1%87%D0%BD%D0%B0%D1%8F_%D0%A0%D0%BE%D1%81%D1%81%D0%B8%D1%8F#/media/%D0%A4%D0%B0%D0%B9%D0%BB:Photo_of_Ilia_Glazuov's_paint_%22Timeless_Russia%22_.jpg">Wikipédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2018/12/FAURE/59320">cosmisme</a>, un mouvement intellectuel complexe situé à la lisière de la théologie et de la prospective scientifique, né il y a près de 150 ans, a de nouveau le vent en poupe en Russie. Une partie de l’élite du pays y voit une réponse typiquement russe au transhumanisme supposément triomphant en Occident. Qu’est-ce donc que le cosmisme, et comment se diffuse-t-il aujourd’hui en Russie ?</p>
<h2>Brève histoire du cosmisme, de l’Empire à la Fédération de Russie en passant par l’URSS</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/376643/original/file-20201225-17-1bf2iei.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376643/original/file-20201225-17-1bf2iei.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376643/original/file-20201225-17-1bf2iei.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=667&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376643/original/file-20201225-17-1bf2iei.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=667&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376643/original/file-20201225-17-1bf2iei.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=667&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376643/original/file-20201225-17-1bf2iei.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=838&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376643/original/file-20201225-17-1bf2iei.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=838&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376643/original/file-20201225-17-1bf2iei.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=838&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Léonid Pasternak, <em>Portrait de Nikolaï Fiodorov</em>.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pasternak_fedorov.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, le penseur russe <a href="https://blogs.univ-tlse2.fr/slavica-boutique/produit/revue-n47-le-cosmisme-russe-ii-nikolai-fiodorov/">Nikolaï Fiodorov</a> (1829-1903) défendait une conception profondément morale et chrétienne de la science. Il imaginait que l’humanité puisse utiliser le progrès technologique pour atteindre le salut universel. Les avancées scientifiques devaient servir à ressusciter les ancêtres, atteindre l’immortalité, transformer la nature humaine vers sa divinisation, enfin, conquérir et réguler le cosmos.</p>
<p>À sa suite, des scientifiques russes de renom – comme le précurseur de la cosmonautique <a href="https://fr.rbth.com/tech/2013/09/24/cinq_idees_de_constantin_tsiolkovski_qui_anticiperent_la_conquete_spatia_25781">Constantin Tsiolkovski</a> (1857-1935) ou le fondateur de la géochimie <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/vladimir-vernadski-genial-precurseur-des-ecosystemes-136018">Vladimir Vernadski</a> (1863-1945) – ont poursuivi sa vision futuriste et spirituelle du progrès technique.</p>
<p>Dans les années 1970, un groupe d’intellectuels soviétiques se passionne pour les thèses ésotériques de ces auteurs et les rassemble sous le nom de « cosmisme russe ». Hétérodoxe par rapport à l’idéologique communiste officielle, le cosmisme suscite pourtant l’intérêt d’académiciens ainsi que de membres haut placés de l’establishment politique et militaire. Ainsi du lieutenant-général Alekseï Savine, directeur de l’<a href="https://en.topwar.ru/22184-voyskovaya-chast-10003-ekstrasensy-na-strazhe-mira.html">unité secrète 10003</a> chargée des recherches sur l’utilisation militaire de phénomènes paranormaux de 1989 à 2003. Il développa, à partir de sa lecture de Vernadski, les principes d’une science du monde extraterrestre, la <a href="https://brill.com/view/book/edcoll/9789004366671/B9789004366671_012.xml">noocosmologie</a>. De même, en 1994, Vladimir Roubanov, secrétaire adjoint du Conseil de sécurité de Russie et ancien directeur du département analytique du KGB, proposait d’utiliser le cosmisme comme fondement de « l’identité nationale de la Russie ».</p>
<p>Aujourd’hui encore, le cosmisme sert de source d’inspiration aux idéologues en <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/cahier_3.pdf">quête d’une idée nationale pour la Russie post-soviétique</a>. L’héritage de la pensée cosmiste est particulièrement revendiqué par un think tank conservateur proche du pouvoir, le <a href="https://izborsk-club.ru/">Club d’Izborsk</a>, créé en 2012.</p>
<h2>Le Club d’Izborsk : le cosmisme comme idéologie nationale russe</h2>
<p>Ce groupe réunit une cinquantaine d’universitaires, journalistes, personnalités politiques, entrepreneurs, religieux ou encore ex-militaires autour d’une ligne impérialiste et anti-occidentale. Soutenu en partie par des financements provenant de l’administration présidentielle, le Club a pour objectif de définir une idéologie pour l’État russe. Dans cette optique, il conçoit la science comme un champ de bataille idéologique, au sein duquel la Russie doit opposer sa propre <a href="https://izborsk-club.ru/18825">« mythologie technocratique »</a> au modèle de développement occidental. </p>
<p>Ce dernier est grossièrement associé au « transhumanisme », concept derrière lequel les idéologues du Club d’Izborsk rangent tant les avocats explicites du transhumanisme comme Elon Musk que toute forme de pensée qui déroge à leur vision de la société traditionnelle telle que le féminisme, la mondialisation ou encore le développement durable. Si certains <a href="https://turingchurch.net/maximum-jailbreak-and-the-legacy-of-stephen-hawking-3a5773b9e6df">penseurs transhumanistes occidentaux identifient Fiodorov</a> comme le prophète de leur quête d’immortalité, le Club d’Izborsk défend au contraire le caractère spécifiquement russe du cosmisme et son lien primordial avec la <a href="https://izborsk-club.ru/15978">« mission historique »</a> du peuple russe.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1294693663210000385"}"></div></p>
<p><a href="https://izborsk-club.ru/magazine_files/2020_06.pdf">Le numéro de novembre 2020 de la revue du Club d’Izborsk</a> s’attelle à démontrer l’opposition entre cosmisme et transhumanisme. Le transhumanisme est présenté comme le prolongement du progressisme évolutionniste, visant à émanciper l’individu des contraintes de la nature humaine par son hybridation avec la machine. Le cosmisme, au contraire, est décrit comme une quête eschatologique de spiritualisation de l’humanité, guidée par une interprétation littérale des promesses bibliques de résurrection. Si les auteurs du Club d’Izborsk critiquent la foi scientiste dans l’amélioration technique de l’homme, ils refusent aussi la technophobie bioconservatrice ou écologiste. Le cosmisme leur sert ainsi de fondement à une idéologie syncrétique, qu’ils intitulent <a href="https://izborsk-club.ru/16343">« traditionalisme technocratique »</a>, et qui allie modernité technologique et conservatisme religieux.</p>
<p>Cette idéologie permet de faire la synthèse des héritages de l’histoire russe en revendiquant à la fois la puissance technologique et industrielle de l’Union soviétique et les valeurs traditionnelles orthodoxes de la Russie tsariste. Plus encore, le président du Club d’Izborsk, Aleksandr Prokhanov, écrivain et rédacteur en chef du journal d’extrême droite <a href="https://www.rferl.org/a/26534846.html"><em>Zavtra</em></a>, emploie la formule <a href="https://izborsk-club.ru/magazine_files/2017_04.pdf">« cosmisme-léninisme »</a> pour soutenir que le sens profond de l’utopisme industrialiste de Lénine émanait de la « doctrine des cosmistes russes » et la prolongeait. La réinvention de l’héritage cosmiste produit ainsi un récit national unifié qui répond à la volonté du régime de Vladimir Poutine d’oblitérer les conflits mémoriels en affirmant l’« <a href="http://en.kremlin.ru/events/president/news/17118">indivisibilité</a> » et la « <a href="http://en.kremlin.ru/events/president/news/16752">continuité</a> » de l’histoire russe.</p>
<p>Par ailleurs, le cosmisme est promu par les membres du Club d’Izborsk comme fondement d’un <a href="https://izborsk-club.ru/magazine_files/2020_06.pdf">« nouveau projet global de développement alternatif que la Russie pourrait exprimer et proposer »</a>. Le mariage de la science moderne et du traditionalisme politique vise ici à contredire les théories occidentales classiques de la modernisation, qui prévoient que le développement économique entraîne la convergence des sociétés vers un même modèle politique de démocratie libérale. À contre-courant du libertarianisme et du cosmopolitisme qu’ils attribuent à la Silicon Valley, les idéologues du Club font l’apologie de la modernisation stalinienne, emmenée par un État autoritaire et une économie dirigiste et collectiviste.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1281916262990385155"}"></div></p>
<p>En remplacement de l’idéal déchu de la société bolchevique, le cosmisme permet de renouveler une conception impérialiste et messianiste de la finalité de la science. Les grands projets scientifiques promus par le Club (exploration spatiale et sous-marine, développement de l’Arctique, recherche sur l’amélioration des capacités humaines) ont ici partie liée avec la défense de la <a href="https://izborsk-club.ru/18825">« civilisation » russe et de sa « sécurité spirituelle »</a>. La science devient ainsi le vecteur de réalisation du « rêve russe », qui doit s’exporter et se substituer au rêve américain en opposant au transhumanisme les <a href="https://izborsk-club.ru/18514">« idéaux du cosmisme russe » et d’une « science spirituelle »</a>.</p>
<h2>Une vision de plus en plus partagée aux plus hauts échelons du pouvoir</h2>
<p>Le Club d’Izborsk est inséré dans des réseaux de pouvoir influents qui lui permettent de propager ses idées. En juillet 2019, le président du Club <a href="http://duma.gov.ru/news/45809/">Aleksandr Prokhanov était ainsi invité au Parlement</a> pour présenter son film « La Russie – nation du rêve », dans lequel il promouvait sa vision d’une mythologie nationale scientifique et spirituelle. Le Club d’Izborsk est également proche de figures clés des élites conservatrices – l’oligarque monarchiste <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/konstantin-malofeev-veut-transformer-le-conseil-mondial-du-peuple-russe-en-assemblee-constituant">Konstantin Malofeev</a> ou encore Dmitri Rogozine, le directeur de l’Agence spatiale Roscosmos. Enfin, il a ses entrées au cœur du complexe militaro-industriel. Témoin de ces liens, un bombardier stratégique porteur de missiles Tupolev Tu95-MC <a href="https://izborsk-club.ru/3728">fut baptisé du nom du Club</a>, « Izborsk », en 2014.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"610804586312372225"}"></div></p>
<p>En outre, les références au cosmisme imprègnent les discours des plus hautes autorités. Valeri Zorkine, le président de la Cour constitutionnelle, <a href="https://rg.ru/2019/05/16/zorkin-priverzhennost-vernoj-filosofii-prava-pozvoliaet-tvorit-dobro.html">citait récemment</a> un fervent propagateur du cosmisme, Arseni Gulyga (1921-1996), pour inciter à élargir le sens de la destinée commune du peuple russe, inscrite dans le préambule de la Constitution, à une signification globale tournée vers le « salut universel ».</p>
<p>Le cosmisme s’érige ainsi en mythologie nationale qui répond aux deux impératifs du régime russe actuel : la course à la puissance et la définition d’un imaginaire politique alternatif à la modernité occidentale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151941/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Juliette Faure ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le cosmisme, une théorie qui mêle foi en la science et traditionalisme religieux, sert de source d’inspiration aux idéologues russes conservateurs en quête d’une idée nationale.Juliette Faure, Doctorante en science politique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1511282020-12-02T19:24:09Z2020-12-02T19:24:09ZConversation avec Marie-Cécile Naves : « Joe Biden hérite d'une Amérique très polarisée »<p><em>À l’occasion des <a href="https://tribunesdelapresse.org/">Tribunes de la Presse 2020</a>, Marie-Cécile Naves, chercheuse associée au Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI) et directrice de recherche à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques), dresse les perspectives d’un pays qui demeure divisé et s’interroge, entre autres, sur les marges de manœuvre possibles pour le nouveau président Joe Biden.</em></p>
<p><strong>Joe Biden a remporté 306 grands électeurs. Donald Trump, qui n’a toujours pas reconnu officiellement sa défaite, vient enfin d’autoriser ses équipes à préparer la transition. Peut-on dire qu’une page se tourne ? Donald Trump a-t-il profondément marqué les États-Unis ?</strong></p>
<p>Une page se tourne puisque l’une des principales motivations des électeurs de Joe Biden était l’anti-trumpisme. Avec un discours de bienveillance et de solidarité, Joe Biden a fait une campagne anti-Trump. Tout va aussi dans ce sens à présent qu’il a gagné – les conseillers et ministres nommés, ainsi que le programme dévoilé. Le président élu a un projet axé notamment sur la défense des populations les plus fragiles, l’exact contraire de son prédécesseur. La page se tourne également du côté de la scène internationale. Les États-Unis vont de nouveau collaborer avec les partenaires traditionnels qui sont les leurs. Il reste que Donald Trump a bien évidemment marqué les États-Unis. Il les marquera encore sans doute pendant les mois et les années à venir. Chose importante à préciser, il a obtenu 12 millions de votes de plus qu’en 2016. Cela montre une véritable adhésion et un engouement de la part d’une grande partie de la population envers ce projet néofasciste. De plus, le milliardaire « tient » le parti républicain. Le trumpisme va résister et perdurer au-delà de la présidence de Donald Trump.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1324218802045915137"}"></div></p>
<p><strong>Vous dressez le portrait d’une Amérique fracturée ; or Joe Biden souhaite « être un président qui rassemble et non qui divise ». Pourquoi l’Amérique est-elle tant divisée ? Joe Biden pourra-t-il vraiment être le président de tous les Américains ?</strong></p>
<p>Joe Biden veut guérir son pays (« heal the country ») et le réunifier. Évidemment, ce ne sera pas un homme providentiel. Il ne pourra pas le faire tout seul, surtout si le Sénat reste à majorité républicaine. Il reste deux sièges à pourvoir, le 5 janvier prochain. L’enjeu est de taille. Si le Sénat n’est pas de la couleur politique du président, même à un siège près, celui-ci aura de grandes difficultés à faire passer ses grandes réformes législatives. Mais si le pays est divisé, cela ne date pas de Donald Trump. Certes, il a soufflé sur les braises, en attisant l’extrême droite, en stigmatisant certaines populations, en ayant des propos ouvertement racistes et misogynes, mais la droitisation du parti républicain s’est amplifiée depuis vingt ans. De plus, le pays est très polarisé sur le plan politique, avec un dialogue difficile entre les Démocrates et les Républicains. Ainsi, les accords bipartisans, les lois votées par les deux partis sont de plus en plus difficiles à faire passer.</p>
<p><strong>Dans votre dernier livre, <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-la-democratie-feministe-reinventer-le-pouvoir-148380"><em>La démocratie féministe</em></a>, vous expliquez que les femmes sont nécessaires au renouveau démocratique. Après avoir choisi Kamala Harris comme colistière durant la campagne, Joe Biden continue de former une équipe paritaire et diverse. Pensez-vous que les prochaines années confirmeront cette tendance ?</strong></p>
<p>Pour que le projet d’émancipation, notamment des femmes, se concrétise, il faut maintenir le triptyque suivant : représentativité, manière de gouverner et programme. Biden montre une <a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/etats-unis-joe-biden-nomme-quatre-femmes-des-postes-cles-pour-redresser-leconomie">volonté de parité dans son équipe</a>, ce qui est un profond contraste avec celle de Trump, ostensiblement très masculine et blanche. Pour le nouveau président, ceux et celles qui gouvernent doivent être à l’image de la société américaine. Par ailleurs, ce sont des gens très compétents qui connaissent parfaitement les sujets. On peut donner l’exemple de l’Afro-Américaine Linda Thomas-Greenfield, la future ambassadrice américaine à l’ONU. L’équipe de communication de Biden sera <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/11/30/joe-biden-feminise-integralement-son-equipe-de-com_1807183">intégralement composée de femmes</a>. Le programme ira-t-il dans le sens des droits des femmes (santé, accès à l’avortement, égalité salariale, lutte contre les violences, etc.) ? C’est probable, mais n’oublions pas qu’il s’agit d’un pays fédéral. Washington ne décide pas de tout.</p>
<p><strong>La Covid-19 ravage les États-Unis. Le pays compte à peu près 13 millions de cas et plus de 270 000 décès. Alors que Donald Trump a été vivement critiqué sur sa gestion de la crise sanitaire, quelle stratégie le président élu pourra-t-il mettre en place dans ce domaine ?</strong></p>
<p>Joe Biden a un discours de protection. Il encourage tout le monde à porter un masque, à respecter la distanciation physique et il appelle à la prudence, notamment pour les personnes vulnérables. Ensuite, il a nommé un conseil scientifique autour de lui, composé de treize experts. Cela confirme qu’il souhaite, sur ce sujet comme sur d’autres, s’appuyer sur la science pour guider ses politiques publiques. Il a recréé un conseil scientifique comme celui installé lors de la crise Ebola par Obama en 2014, puis supprimé en 2017 par Trump. Par ailleurs, Biden a également le désir de travailler en bonne intelligence avec les États fédérés sur la Covid. D’une part, ce sont eux qui ont le plus de pouvoir en matière de mesures « contraignantes » sur la population et, d’autre part, le président élu entend activer la possibilité de débloquer des fonds fédéraux pour les accompagner. Il y a, pour le moment, une impulsion, de l’ordre du discours, et de la prise d’exemple.</p>
<p><strong>La politique étrangère de Donald Trump a été en rupture totale avec celle de son prédécesseur, Barack Obama. De quelle manière, selon vous, Joe Biden va-t-il se positionner sur le plan international ?</strong></p>
<p>Sur le plan international, pour la plupart des commentateurs, le ton va changer ! On ne sera plus dans le registre de la menace, de l’insulte, des volte-face, ou du bluff. Le lien avec les partenaires traditionnels, notamment les démocraties occidentales, va sans doute se renforcer, alors que Donald Trump semblait faire davantage confiance aux dictateurs.</p>
<p>Sur le fond, cependant, on ne s’attend pas à d’énormes bouleversements, en particulier avec l’Europe qui vient de décider de mettre en place une taxe sur les GAFAM. Cela risque même de donner lieu à des discussions houleuses avec l’équipe de Joe Biden. Vis-à-vis de la Chine, les relations ne devraient pas beaucoup changer. Le bras de fer va continuer sur les aspects commerciaux et sera même plus offensif sur les questions relatives aux nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle, la 5G et la gestion des données personnelles – domaine où la Chine est considérée comme une menace aux États-Unis.</p>
<p>Quant au Moyen-Orient, là non plus, <a href="https://theconversation.com/quelle-politique-pour-ladministration-biden-au-moyen-orient-150681">il ne faut pas s’attendre à un changement notable</a>. Israël a compris qu’il n’aurait plus de chèque en blanc de la Maison Blanche, notamment concernant la colonisation. Le gros sujet sera l’Iran. Il est très probable que Joe Biden relance le dialogue international pour rétablir un nouvel accord sur la non-prolifération nucléaire.</p>
<p>Dernier sujet majeur, donc : le retour du multilatéralisme, c’est-à-dire le retour d’une coopération internationale, par exemple un probable retour des États-Unis dans les accords de Paris sur le climat, dans l’OMS et l’Unesco, mais aussi les enjeux militaires avec l’OTAN ou commerciaux avec l’OMC. Les Américains voudront prendre le « lead ».</p>
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<p><strong>Concernant les accords de Paris sur le climat, les États-Unis vont-ils être de précieux alliés dans la lutte contre le réchauffement climatique et comment vont-ils s’y prendre ? La nomination de John Kerry comme envoyé pour le climat est-elle significative ?</strong></p>
<p>Ce nouveau poste est inédit car Kerry aura aussi le rang de ministre. Il s’agit d’un signal fort. Les États-Unis sont prêts à travailler collectivement avec les autres partenaires mondiaux. Ce qu’ils vont faire va aussi dépendre des rapports de force politiques à Washington. Encore une fois, un Sénat républicain empêcherait les démocrates de mettre en place une grande réforme écologique, par exemple un « green new deal » comme souhaité par Alexandria Ocasio-Cortez et la jeunesse militante. Par ailleurs, les enjeux autour de l’industrie de l’énergie et notamment du pétrole sont énormes sur le plan économique. Ces secteurs industriels ont des lobbies extrêmement puissants pour financer les campagnes électorales. En termes électoraux, c’est un défi pour les démocrates dans certains territoires clés.</p>
<p><strong>Beaucoup de perspectives donc, mais, comme vous l’avez expliqué, encore faut-il que Joe Biden puisse travailler en collaboration avec le Sénat…</strong></p>
<p>Les États-Unis étant très polarisés, il ne faut pas s’attendre à ce que Biden ait les mains libres dans un Sénat à majorité conservatrice. Cependant, il a un passé d’homme de compromis. Il connaît bien et a <a href="https://www.lopinion.fr/edition/wsj/usa-2020-adversaires-amis-joe-biden-mitch-mcconnell-detiennent-cle-228901">déjà travaillé</a> avec Mitch McConnell, le chef de la majorité républicaine au Sénat, qui, sans aucun doute, va être un « dur à cuire » et c’est un euphémisme. Trump, par ailleurs, continuera d’être très influent, aussi bien au sein du Parti républicain qu’en dehors. Il sera intéressant de voir comment Trump va nourrir tout un récit de la désinformation autour de l’illégitimité du président Biden. Ce sont des choses assez terrifiantes qui se profilent car l’objectif de Trump est, à des fins lucratives, de faire fructifier sa « marque », son « branding », d’entretenir une influence, un soft power dont le socle sera de fragiliser un peu plus la démocratie et ses institutions.</p>
<p><em>Propos recueillis par Lou Surrans et Mathilde Muschel, étudiantes du master journalisme de l’Institut de Journalisme de Bordeaux Aquitaine (IJBA)</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151128/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Cécile Naves est membre de l'IRIS. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marie-Christine Lipani ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Réconcilier les Américains, promouvoir les droits des femmes, reprendre le fil d’une politique étrangère que son prédécesseur a profondément marquée : Joe Biden n’aura pas la tâche aisée.Marie-Christine Lipani, Maitre de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication habilitée à diriger des recherches à l'Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA), Université Bordeaux MontaigneMarie-Cécile Naves, Docteure en science politique, chercheuse associée au CRI Paris, Learning Planet Institute (LPI)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1506812020-11-29T17:52:19Z2020-11-29T17:52:19ZQuelle politique pour l’administration Biden au Moyen-Orient ?<p>L’arrivée de Joe Biden à la tête des États-Unis entraîne une redéfinition de la politique américaine au Moyen-Orient. Des <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/united-states/2020-01-23/why-america-must-lead-again">inflexions de fond</a> sont attendues ; pour autant, le président élu ne semble pas inscrire son engagement dans une rupture totale par rapport aux choix politiques de son prédécesseur.</p>
<p>Selon l’adage « Policy is People », il est essentiel de connaître la composition définitive de l’équipe que va former Biden avant de tirer des conclusions trop tranchées sur le contenu de la politique moyen-orientale de la nouvelle administration. L’expérience Trump a illustré une nouvelle fois que le président ne peut se prévaloir d’un rôle sans partage en matière de politique étrangère : une pluralité de conseillers interviennent dans ce domaine et les opinions ne sont pas unanimes en ce qui concerne sa conduite. Les <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20201123-etats-unis-joe-biden-annonce-les-premiers-noms-de-la-future-%C3%A9quipe-dirigeante">nominations annoncées</a> de Tony Blinken au département d’État, de Jake Sullivan à la direction de la Sécurité nationale, et d’Avril Haines à la tête du renseignement national, tous proches collaborateurs de Biden, portent pour l’instant à croire que la tendance qu’imprimera la nouvelle équipe à la politique américaine dans la région sera en phase avec les déclarations d’intention de Joe Biden et de sa vice-présidente, Kamala Harris, ainsi qu’avec leurs prises de position publiques sur certains dossiers.</p>
<h2>Soutien attendu à Israël</h2>
<p>Sur l’épineux dossier israélo-palestinien, l’équipe Biden ne remettra sans doute pas en cause les acquis de la politique du fait accompli initiée sous l’administration précédente, à commencer par le <a href="https://www.lapresse.ca/international/etats-unis/2020-04-29/joe-biden-dit-qu-il-maintiendra-l-ambassade-des-etats-unis-a-jerusalem-s-il-est-elu">transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem</a>) et la reconnaissance de l’<a href="https://www.jns.org/senior-campaign-official-says-biden-would-keep-golan-heights-recognition/">annexion par Israël du plateau du Golan</a>. La ligne défendue par Kamala Harris, partisane déclarée d’Israël, en est le garde-fou principal.</p>
<p>« <a href="https://www.timesofisrael.com/5-jewish-things-to-know-about-us-vice-president-candidate-kamala-harris">Plutôt Aipac que JStreet</a> » – autrement dit, plus proche de l’American Israel Public Affairs Committee, groupe de pression défendant les intérêts de la droite dure israélienne, que de l’organisation rassemblant des membres du Congrès et de la communauté juive américaine favorables à la solution à deux États –, elle a publiquement réaffirmé l’engagement de Joe Biden à maintenir un « soutien inconditionnel à Israël » et à garantir sa « <a href="https://www.middleeasteye.net/news/kamala-harris-pledges-unconditional-support-israel">supériorité militaire qualitative</a> ».</p>
<p>L’amitié, le soutien et l’admiration de Harris pour Israël s’enracinent dans son histoire personnelle. La vice-présidente <a href="https://www.timesofisrael.com/radical-left-try-again-on-israel-vp-elect-harris-may-be-to-right-of-biden">l’évoque volontiers</a> : dans sa jeunesse, elle a milité au sein du Jewish National Fund, organisation-sœur américaine du <a href="https://www.kkl-jnf.org/about-kkl-jnf/">KKL</a>, qui est une association israélienne en charge de planter des arbres sur les ruines des villages palestiniens et qui se trouve engagée, selon <em>Haaretz</em>, dans des batailles juridiques pour <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/.premium-jnf-working-to-evict-palestinian-family-from-east-jerusalem-1.5630218">faire expulser des familles palestiniennes de Jérusalem-Est</a>. L’engagement personnel de Harris emporte la conviction que, lors du mandat qui s’ouvre, la défense des intérêts sécuritaires d’Israël continuera de représenter la priorité de Washington, bien plus qu’une juste résolution de la question palestinienne.</p>
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<p>De surcroît, bien que Joe Biden n’ait pas d’alchimie personnelle avec Benyamin Nétanyahou, qui vient de perdre un <a href="https://theconversation.com/lelection-de-joe-biden-vue-disrael-149706">ami intime en la personne de Donald Trump</a>, il n’en demeure pas moins un allié et « grand ami d’Israël », comme l’a déclaré le premier ministre israélien lui-même dans un <a href="https://www.leparisien.fr/international/presidentielle-americaine-netanyahou-felicite-biden-grand-ami-d-israel-et-remercie-trump-08-11-2020-8407216.php">tweet de félicitations au nouveau président élu</a>. Sa proximité moins grande avec Nétanyahou ne suffit donc pas à considérer qu’il reviendra sur les décisions de son prédécesseur. Néanmoins, et dans la mesure où Biden, conformément à la position traditionnelle du Parti démocrate, se déclare en <a href="https://fr.timesofisrael.com/biden-dit-au-roi-de-jordanie-etre-desireux-de-soutenir-une-solution-a-2-etats">faveur de la « solution des deux États</a> », il pourrait être enclin à rouvrir le consulat américain à Jérusalem-Est, à <a href="https://www.trtworld.com/middle-east/un-agency-for-palestinians-hopes-biden-will-restore-funding-41295">rétablir la participation des États-Unis au budget de l’UNRWA</a> et à réaffirmer son soutien à l’Autorité palestinienne, qui a d’ores et déjà annoncé la <a href="https://in.reuters.com/article/israel-palestiniens-idFRKBN27X2DB">reprise de sa coopération sécuritaire avec Israël</a>.</p>
<p>Pour autant, les <a href="https://www.middleeasteye.net/news/us-election-2020-joe-biden-will-not-condition-aid-israel-campaign-adviser-says">propos</a> du futur secrétaire d’État de Joe Biden, Tony Blinken, accréditent l’hypothèse du maintien inconditionnel de l’aide militaire américaine à Israël. Le président du groupe JStreet reconnait lui-même que le <a href="https://fr.timesofisrael.com/j-street-sapprete-a-proner-une-reintegration-dans-laccord-nucleaire-iranien/">« retour à une approche équilibré sur Israël »</a> ne figure pas au rang des priorités de Biden.</p>
<p>L’intellectuel américano-palestinien Rachid el-Khalidi, professeur à Colombia, estime dans son livre <a href="https://news.wttw.com/2013/04/25/brokers-decei"><em>Brokers of Deceit : How the U.S. Has Undermined Peace in the Middle East</em></a> qu’il s’agit là d’une constante de la politique conduite par Washington. Selon lui, derrière le discours en trompe-l’œil sur la solution des deux États, toutes les administrations américaines successives ont cautionné la politique du fait accompli et exercé des pressions sur la partie palestinienne pour l’amener à négocier dans les conditions les plus désavantageuses.</p>
<h2>Un retour à l’accord de 2015 sur l’Iran ? Pas si simple…</h2>
<p>Sur le volet des relations avec l’Iran, Biden s’inscrit dans la continuité de Barack Obama, dont il partage la conviction que pour contrer la montée en puissance de la Chine, il est nécessaire d’atténuer les tensions avec Téhéran. Or un réchauffement des relations américano-iraniennes implique préalablement de trancher la question du retour des États-Unis dans l’accord sur le nucléaire de 2015 ou de le renégocier pour y inclure des restrictions sur le programme balistique iranien. Rappelons que lorsque les États-Unis ont signé le JCPOA en juillet 2015, l’Iran était affaibli par les sanctions, ostracisé sur la scène internationale et acculé en Syrie.</p>
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<p>La convergence entre l’Arabie saoudite et la Turquie sur le terrain syrien a donné naissance à l’Armée de la Conquête qui mène une <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20150425-syrie-prise-jisr-al-choughour-idlib-bastion-regime-assad">série d’offensives victorieuses dans le Nord</a>, et prend Jisr Choughour et Idlib, progressant jusqu’à Sahl el Ghab, aux portes de Lattaquié. En très mauvaise posture, les alliés du régime syrien en appellent à l’implication militaire de la Russie qui intervient finalement en septembre 2015 pour inverser la vapeur.</p>
<p>Avec l’entrée en action de Moscou, non seulement Damas et ses alliés reprennent du terrain mais Téhéran exploite le contexte pour accroître sa présence militaire en Syrie (c’est plus qu’un renforcement du soutien militaire au régime syrien). Afin de contrer le développement de ce potentiel militaire de l’Iran en Syrie, lsraël initie alors la stratégie des « Operations between Wars » et mène, de l’aveu même de l’ancien chef d’état-major interarmées israélien Gadi Ezeinkot, <a href="https://www.israelhayom.com/2019/01/13/eizenkot-israel-has-attacked-thousands-of-targets-in-syria/">« des milliers d’attaques »</a> contre les Iraniens en Syrie, sans parvenir à freiner cette dynamique.</p>
<p>Dès lors, la dimension balistique apparaît comme un problème central car la dissuasion iranienne modifie les règles du jeu stratégique sur le terrain, comme l’a illustré en juin 2019 l’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/13/la-marine-americaine-assiste-deux-navires-attaques-dans-le-golfe-d-oman_5475675_3210.html">attaque par Téhéran de deux pétroliers dans le détroit d’Ormuz</a>.Il est donc peu plausible que la nouvelle administration, dans un contexte géopolitique transformé, accepte un simple retour à l’accord de 2015. Mais reste à savoir si Biden fera montre de flexibilité tactique en levant les sanctions et en acceptant dans un premier temps le cadre du JCPOA pour renégocier par la suite, ou s’il énoncera dès le départ fermement les grands paramètres d’un nouvel accord (qui comportera donc des restrictions imposées au programme balistique iranien). De son côté, l’Iran est résolument opposé à l’idée d’une renégociation, faisant toutefois connaître sa disposition <a href="https://www.arabnews.fr/node/33086/monde-arabe">à revenir « automatiquement » au respect intégral de ses engagements du JCPOA</a> en cas de levée des sanctions.</p>
<h2>Inquiétudes à Riyad</h2>
<p>Concernant l’Arabie saoudite et les Émirats, la différence d’approche est claire entre Trump et Biden. Tandis que le premier s’est illustré dans le choix inédit et remarqué de <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2017/05/20/pourquoi-trump-a-choisi-larabie-saoudite-pour-son-premier-depla_a_22097037/">visiter Riyad</a> immédiatement après son élection, le second a, dans une critique aux accents déplaisants, qualifié durant sa campagne l’Arabie saoudite d’<a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2020-11-10/apres-l-indulgence-de-trump-riyad-face-a-la-fermete-proclamee-de-biden.php">« État-paria »</a>.</p>
<p>Les déclarations de Biden scellent donc une détérioration réelle de la relation avec les Saoudiens et Émiratis qui <a href="https://spectator.us/whistleblower-andy-khawaja-micropayments/">ont financé la campagne</a> de Trump en 2016 et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/12/elections-americaines-les-pays-du-golfe-craignent-un-nouvel-obama_6059462_3210.html">craignent un retour à la vision d’Obama</a>. Le lâchage par ce dernier des régimes de Moubarak et de Ben Ali, pourtant alliés de Washington, <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2016-4-page-18.htm">son acceptation des Frères musulmans</a> ainsi que <a href="https://www.liberation.fr/planete/2009/03/20/la-main-tendue-d-obama-a-l-iran_547398">sa main tendue à l’Iran</a>, ont constitué de sérieux sujets de préoccupation pour Riyad.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1326033391851102209"}"></div></p>
<p>La volatilité du contexte stratégique a ainsi conduit l’Arabie saoudite à développer ses liens avec Moscou et Pékin, principaux concurrents des États-Unis, une situation nouvelle qui pourrait ouvrir la voie à une diversification des partenariats. Biden n’a aucune sympathie pour le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salmane et ses positions belliqueuses, et exprime <a href="https://inthesetimes.com/article/joe-biden-yemen-war-saudi-arabia-presidential-election-foreign-policy">son opposition à la guerre au Yémen</a> ; pour autant, le partenariat stratégique avec Riyad, qui traduit également la prégnance des <a href="https://merip.org/2020/06/the-defense-industrys-role-in-militarizing-us-foreign-policy/">intérêts du complexe militaro-industriel</a>, dans l’élaboration de la politique étrangère américaine, reste solide.</p>
<h2>L’Irak, la Syrie et le Liban vus à travers le prisme iranien</h2>
<p>Pour ce qui est de l’Irak, le nouveau président américain apparaît comme une figure problématique : partisan de l’intervention américaine en 2003, il a également été l’instigateur d’un <a href="https://www.nytimes.com/2007/07/30/world/americas/30iht-letter.1.6894357.html">plan pour la partition</a> du pays en trois États. Aujourd’hui, en dépit de l’importance que revêt Bagdad sur l’échiquier régional, dans un contexte de rivalité sino-américaine et de priorité donnée à l’endiguement de la puissance chinoise, un désengagement militaire de la région semble inéluctable, même si la question divise profondément l’establishment américain. Malgré une <a href="https://www.fr24news.com/fr/a/2020/08/trump-reaffirme-son-intention-de-retirer-toutes-les-troupes-americaines-dirak.html">intention maintes fois réitérée</a> par Donald Trump, la crainte que le vide laissé par un retrait américain soit comblé par l’Iran a jusqu’ici empêché la concrétisation de cette décision.</p>
<p>Aussi, sur la politique que conduira Biden en Irak, les orientations ne se dessinent pas encore de façon claire. Mais il est en revanche certain que, dans la perspective des négociations avec l’Iran, les Américains devront conserver une capacité de nuisance en s’ouvrant à de nouvelles forces y compris au sein de la Marjaïya, la plus haute autorité religieuse chiite, pour contrer l’influence iranienne. Depuis la chute du régime de Saddam Hussein, cette autorité tient un rôle prépondérant au sein de la communauté chiite irakienne. C’est sur pression de la Marjaïya que les forces américaines ont accepté la tenue d’élections législatives en 2005. En 2014, dans le contexte de l’offensive de l’EI sur Mossoul, cette autorité émet une fatwa sur le « djihad défensif » qui conduit un million de chiites à se porter volontaires pour combattre le groupe.</p>
<p>L’approche américaine du dossier syrien demeure la grande inconnue, mais elle pèsera également lourdement sur les perspectives de négociations avec l’Iran. Si Washington entend renouer le dialogue avec Téhéran, il le fera en appuyant sur les points de faiblesse de ce dernier, notamment la Syrie. Pour les États-Unis, il demeure indispensable de refouler l’influence régionale de l’Iran ; or, jusqu’ici, la bataille menée par Trump pour affaiblir le potentiel militaire de Téhéran a été un échec patent. Il est fort probable que l’offensive se poursuive sous l’administration Biden qui, tout en cherchant à négocier, entendra également mettre en difficulté l’Iran sur le terrain syrien. La <a href="https://www.lecommercedulevant.com/article/29903-les-enjeux-de-la-loi-cesar">loi César</a>, qui prévoit notamment le gel de l’aide à la reconstruction et des sanctions contre le régime de Damas et toutes les personnes et entreprises collaborant avec celui-ci, demeure dans cette optique un instrument incontournable pour maintenir la pression sur le pouvoir de Bachar Al-Assad.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1329752622656614401"}"></div></p>
<p>Enfin, vis-à-vis du Liban, la posture américaine pourrait se révéler moins intransigeante sous la nouvelle administration. La ligne adoptée par Trump se résumait par « étrangler le Liban pour étrangler le Hezbollah », mais cette politique s’est avérée totalement <a href="https://libnanews.com/les-sanctions-contre-le-hezbollah-non-productives-emmanuel-macron-a-donald-trump/">contre-productive</a> comme l’a fait remarquer en août dernier Emmanuel Macron à son homologue américain. La nouvelle administration pourrait marquer sa différence en revenant à une politique de pression plus ciblée contre le Hezbollah… même s’il est encore bien tôt pour démêler les intentions de la politique concrète qui sera mise en œuvre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150681/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quelle politique Joe Biden conduira-t-il à l’égard des pays du Proche et du Moyen-Orient ? Ce tour d’horizon montre qu’il ne fera pas systématiquement l’inverse de son prédécesseur.Lina Kennouche, Doctorante en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1464252020-09-23T17:31:06Z2020-09-23T17:31:06ZSystèmes d’armes létales autonomes : y aura-t-il un Terminator tricolore ?<p>« Terminator ne défilera pas au 14 juillet », promettait Florence Parly le 5 avril 2019, alors qu’elle présentait la <a href="https://www.defense.gouv.fr/salle-de-presse/discours/discours-de-florence-parly/discours-de-florence-parly-ministre-des-armees_intelligence-artificielle-et-defense">stratégie</a> du ministère des Armées en matière d’intelligence artificielle. Ainsi signifiait-elle la décision française de ne pas développer de systèmes d’armes létales autonomes (SALA).</p>
<p>Ces technologies, que les médias appellent volontiers <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/armee-et-securite/robots-tueurs-dans-l-armee-le-chef-militaire-doit-pouvoir-reprendre-la-main-a-tout-moment-preconise-un-rapport-parlementaire_4052555.html">« robots tueurs »</a>, ont été <a href="https://www.esd.whs.mil/Portals/54/Documents/DD/issuances/dodd/300009p.pdf">définies</a> en 2012 par le Département de la Défense américain comme « des systèmes d’armes qui, une fois activés, peuvent sélectionner et attaquer des cibles sans autre intervention d’un opérateur humain ».</p>
<h2>Des robots sur le champ de bataille</h2>
<p>De fait, l’autonomisation des systèmes d’armes se développe à la faveur des progrès en intelligence artificielle (IA) et en robotique permis par la <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/la-quatrieme-revolution-industrielle-a-t-elle-reellement-commence-1001568">« quatrième révolution industrielle »</a>.</p>
<p>Si les SALA n’existent pas encore, des prototypes sont développés par un certain nombre d’États – au premier rang desquels la Chine, la Corée du Sud, les États-Unis, Israël, le Royaume-Uni et la Russie – et devraient être de plus en plus répandus dans la décennie à venir. Pourraient alors apparaître sur le champ de bataille des armes capables de déterminer si et quand ouvrir le feu, dans un environnement changeant et imprévisible, sans qu’un opérateur doive indiquer et valider chaque action. Déjà, la Corée du Sud a déployé le long de la frontière intercoréenne un <a href="https://www.amnesty.fr/controle-des-armes/actualites/robots-tueurs--play-it-now">robot sentinelle</a> qui peut repérer des cibles et décider seul de tirer – bien qu’il n’ait encore jamais été utilisé de la sorte.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1284178728919105537"}"></div></p>
<p>S’il n’est bien sûr pas question que les robots se régissent par leurs propres lois, comme l’indiquerait l’étymologie du mot grec « αυτονόμος » (<em>autonomos</em>), plusieurs degrés d’autonomie se font jour. Le premier degré conserve un humain <em>dans la boucle</em> décisionnelle, pour conduire le système. L’homme peut aussi être <em>sur la boucle</em> : le système agit alors seul, mais sous la surveillance d’un opérateur qui peut reprendre le contrôle à tout moment. Enfin, le niveau d’autonomie le plus élevé, où l’humain demeure <em>hors de la boucle</em>, signifierait que plus aucun contrôle ne serait maintenu.</p>
<p>Le développement des SALA suscite un intérêt militaire soutenu, au point que certains estiment qu’ils pourraient donner lieu à une <a href="https://www.liberation.fr/futurs/2015/07/28/la-troisieme-revolution-apres-la-poudre-et-l-arme-nucleaire_1355372">nouvelle révolution des techniques de la guerre</a>. Ces systèmes s’annoncent en effet plus rapides, plus endurants et plus coordonnés que les soldats. Alors que la réduction du format des armées oblige à restreindre les effectifs, que la tolérance aux pertes humaines faiblit et que l’évolution accélérée des technologies se prête à l’élaboration de systèmes pouvant suppléer voire remplacer l’homme, les « robots tueurs » s’annoncent particulièrement attractifs pour les armées.</p>
<h2>Une opposition de principe</h2>
<p>Dans cette perspective, les États écartant la possibilité de développer des armes autonomes risqueraient non seulement d’accuser un retard technologique mais aussi de subir un déclassement stratégique qui serait difficile à combler. Pourtant, la France indique depuis 2013 qu’elle ne compte pas se doter de telles technologies, tant elle prend au sérieux les enjeux éthiques, juridiques, opérationnels et technologiques qu’elles soulèvent.</p>
<p>En effet, l’émergence des armes autonomes donne lieu à un vif débat, initié par des dizaines d’organisations non gouvernementales, alliées en 2012 sous la bannière de la <a href="https://www.stopkillerrobots.org/?lang=fr"><em>Campaign to Stop Killer Robots</em></a> pour revendiquer la mise en œuvre d’un traité les interdisant de façon préventive.</p>
<p>Ce mouvement craint que les SALA soient incapables de se conformer au droit international humanitaire – notamment à ses principes de précaution, de distinction, et de proportionnalité ; qu’ils se révèlent incompatibles avec le droit à la vie et le respect de la dignité humaine ; et que leur utilisation engendre un abaissement du seuil d’entrée en conflit et une dilution des responsabilités en cas d’exaction.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/qiJTq11kqdw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Consciente de ces enjeux, la France a initié en novembre 2013 les premières discussions multilatérales sur les SALA à l’ONU, et présidé la première réunion sur le sujet à la <a href="https://www.un.org/disarmament/fr/le-desarmement-a-geneve/convention-sur-certaines-armes-classiques/">Convention sur certaines armes classiques</a> en mai 2014. Depuis 2016, elle a participé à toutes les réunions du <a href="https://cd-geneve.delegfrance.org/Groupe-d-Experts-Gouvernementaux-GGE-2019">groupe d’experts gouvernementaux</a> sur la question, dont l’objectif est d’« explorer et de se mettre d’accord sur les recommandations possibles et sur les options liées aux technologies émergentes dans le domaine des SALA ». En mars 2018, le président Macron révélait au magazine américain <a href="https://www.wired.com/story/emmanuel-macron-talks-to-wired-about-frances-ai-strategy/"><em>Wired</em></a> qu’il était « catégoriquement opposé » à ce qu’un robot dispose de l’initiative d’ouvrir le feu.</p>
<p>En novembre 2018, lors du premier <a href="https://parispeaceforum.org/2018/11/14/bringing-together-global-governance-actors-for-3-days-a-major-challenge-successfully-met/">Forum de Paris sur la Paix</a>, initié et porté par la France, le Secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres a <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/armee-et-securite/robots-tueurs-l-onu-va-t-elle-interdire-les-rarmes-autonomes_3044717.html">appelé</a> les États à interdire ces armes « politiquement inacceptables et moralement révoltantes ».</p>
<h2>Des ambitions ambivalentes</h2>
<p>Pourtant, dans les enceintes de négociations internationales, la France ne défend pas l’élaboration d’un traité d’interdiction préventive des SALA. En avril 2019, dans le discours cité au début de cet article, Florence Parly balayait même les appels à les prohiber, tout en assurant que « la France refuse de confier la décision de vie ou de mort à une machine qui agirait de façon pleinement autonome et échapperait à tout contrôle humain ». Là réside l’ambivalence de la position française, qui s’oppose à l’emploi éventuel d’armes entièrement autonomes, sans pour autant défendre un moratoire sur leur développement.</p>
<p>La France, comme l’Allemagne et le Royaume-Uni, semble vouloir mettre en œuvre un « endiguement contrôlé ». Elle estime en effet que le droit de la guerre suffit à encadrer les SALA, et appelle de ses vœux des négociations ; mais elle envisage davantage un code de conduite qu’un traité d’interdiction.</p>
<p>Lors de la dernière réunion du groupe d’experts gouvernementaux sur les SALA à l’ONU, la délégation française a en effet rappelé que la signature d’un accord juridiquement contraignant, déconnecté de la réalité industrielle et capacitaire, des États serait contre-productive, puisqu’un tel texte risquerait d’une part de ne pas être respecté, et d’autre part de freiner les progrès technologiques dans les domaines civils de l’IA et de la robotique – dans lesquels la France s’efforce de compter, en témoigne sa stratégie d’<a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/270333-lintelligence-artificielle-au-service-de-la-defense">« intelligence artificielle au service de la défense »</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1065488897638129664"}"></div></p>
<p>D’ailleurs, si le <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/37225-donner-un-sens-lintelligence-artificielle-pour-une-strategie-nation">rapport Villani sur l’IA</a>, remis en mars 2018, proposait la création d’un observatoire de non-prolifération des armes autonomes, il ne se prononçait pas sur l’éventualité d’un traité international juridiquement contraignant à leur sujet.</p>
<p>Cet été, les députés Claude de Ganay et Fabien Gouttefarde ont présenté à la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale un <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_def/l15b3248_rapport-information">rapport d’information</a> sur les SALA. Ils y incitent la France à appuyer l’adoption d’une réglementation internationale contraignante, tout en prônant un accroissement de la recherche dans le domaine de l’autonomie des systèmes « dans le respect des valeurs et de l’encadrement juridique, en continuité des discussions dans le cadre de l’ONU ».</p>
<h2>Pour un leadership français en la matière</h2>
<p>En 2017, la France a proposé avec l’Allemagne une <a href="https://cd-geneve.delegfrance.org/Declaration-conjointe-de-l-Allemagne-et-de-la-France-sur-l-evolution-des">déclaration</a> politique juridiquement non contraignante, qui affirme l’applicabilité du droit de la guerre aux SALA, la nécessité d’un contrôle humain significatif et l’impossibilité de déléguer la décision létale à un système. Elle rappelle en outre que les États sont tenus d’examiner au stade de leur conception la licéité des armes nouvelles qu’ils développent ou acquièrent.</p>
<p>L’encadrement des armes létales autonomes était à l’ordre du jour lors d’une réunion publique du Conseil de sécurité de l’ONU, le 27 mai 2020. Nicolas de Rivière, le représentant permanent de la France, a clos cette rencontre en <a href="https://onu.delegfrance.org/Les-civils-sont-la-cible-d-une-violence-inacceptable">rappelant</a> l’enjeu constitué par les SALA et en saluant les « progrès » permis par les discussions à la Convention sur certaines armes classiques, qui ont produit des « principes directeurs ». En effet, les réunions du groupe d’experts gouvernementaux ont abouti à l’adoption de <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/la-france-et-les-nations-unies/l-alliance-pour-le-multilateralisme/11-principes-sur-les-systemes-d-armes-letaux-autonomes/">onze principes</a> devant présider au développement des SALA.</p>
<p>Mary Wareham, la coordinatrice de la « Campaign to stop killer robots », a immédiatement rétorqué sur Twitter que si les principes peuvent aider à faire progresser la compréhension collective de ces armes, seul un nouveau traité international est en mesure de protéger les civils de la menace que représentent les SALA.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1265688261369958400"}"></div></p>
<p>Le récent <a href="https://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-642-notice.html">rapport</a> du Sénat sur le système de combat aérien du futur (SCAF) présente l’IA comme un « pilier transversal » du programme. Il insiste toutefois sur les enjeux éthiques et juridiques que soulèvent les usages militaires de l’IA, et appelle à relancer les discussions internationales sur l’autonomie des systèmes d’armes pour « faire aboutir un cadre juridique clair, conforme à l’éthique et aux principes du droit international humanitaire ». Dans la même veine, le récent rapport de l’Assemblée nationale sur les SALA souligne qu’un engagement international est « à portée de main » et qu’il appartient à la France d’être moteur sur la question.</p>
<p>Dans un entretien au <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2015/08/03/noel-sharkey-lorsque-des-machines-repondront-a-des-algorithmes-secrets-personne-ne-pourra-predire-l-issue-d-un-conflit_4710098_1650684.html"><em>Monde</em></a>, le roboticien Noel Sharkey, pionnier du mouvement <em>Stop Killer Robots</em>, a ainsi résumé la situation :</p>
<blockquote>
<p>« La France nous a apporté une aide très utile, les progrès sont là mais il reste encore un long chemin à parcourir. »</p>
</blockquote>
<p>Il reste que si la France consent à se soumettre seule à un moratoire sur les SALA, comme le Parlement européen y a <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20180906IPR12123/le-parlement-europeen-s-eleve-contre-les-robots-tueurs">enjoint</a> les États de l’UE, elle s’exposerait à un retard capacitaire irrattrapable, et prendrait le risque d’être défaite sur le champ de bataille de demain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146425/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laure de Rochegonde a reçu des financements de l'ANRT. Elle est membre de l'Institut français des relations internationales. </span></em></p>Pour l’heure, la France refuse de fabriquer des systèmes d’armes létales autonomes (SALA). Mais elle ne soutient pas pour autant un moratoire sur leur développement.Laure de Roucy-Rochegonde, Chercheuse au Centre des études de sécurité de l'Institut français des relations internationales, Doctorante au Centre de Recherches Internationales de Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1457722020-09-10T18:38:55Z2020-09-10T18:38:55ZProspective : la Covid-19 n’a pas entamé la crédibilité des praticiens<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/356917/original/file-20200908-20-n4pqpx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C2%2C949%2C631&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les entreprises peuvent s’appuyer sur l’expertise des commissaires aux comptes pour surmonter les difficultés engendrées par la crise. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/en/photo/1432559">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Au début de la crise sanitaire de la Covid-19, les responsables de la prospective dans les différentes organisations ont craint que leurs activités soient dénigrées. Les praticiens de l’anticipation s’attendaient à entendre : « est-ce que vous l’avez vu arriver cette crise ? Avez-vous prévu ses effets ? », etc.</p>
<p>Or, ce ne fut pas le cas. C’est ce qu’il ressort de notre recherche conduite au sein du laboratoire LIRSA du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) en collaboration avec l’ANVIE (Association nationale de valorisation interdisciplinaire de la recherche en sciences humaines et sociales auprès des entreprises) auprès de responsables de prospective d’une trentaine de grandes organisations privées et publiques au début du mois de juillet 2020 (étude en cours de publication).</p>
<p>Les résultats de l’enquête indiquent d’abord que la prospective n’a pas été particulièrement critiquée durant cette période. Pour les organisations qui ont des pratiques de prospective régulières – 60 % de notre échantillon – le constat est partagé. Comme le résume un répondant :</p>
<blockquote>
<p>« La crise de la Covid-19 a renforcé l’intérêt de réfléchir large sur les conséquences » et « traverser une crise de cette ampleur remet la prospective et le besoin d’intégrer l’incertain à l’honneur ».</p>
</blockquote>
<p>Pour les organisations qui ont des pratiques de prospective plutôt épisodiques – autour de 40 % de notre échantillon – c’est l’indifférence qui a prévalu, sans critique particulière.</p>
<h2>Belle résistance</h2>
<p>Pour deux tiers des répondants, de nouveaux travaux de prospective ont même été lancés durant cette période de mars 2020 à juillet 2020. Ces nouvelles études ont été commanditées dans la majorité des cas par les dirigeants. Ceux-ci se sont tournés vers les services de prospective le plus souvent « moins pour gérer l’urgence de cette crise que pour procéder aux pivotements stratégiques imposés », comme en témoigne un praticien interrogé dans l’étude.</p>
<p>En parallèle de ces nouveaux travaux, les trois quarts des organisations interrogées ont poursuivi les réflexions de prospective programmées avant la crise, voire les ont accélérées selon nos répondants. Quelle belle preuve de la résistance de la prospective en temps de crise !</p>
<p>Ces entreprises privées et ces institutions publiques pratiquant de longue date les exercices de prospective ont ainsi veillé à maintenir dans la plupart des cas les budgets et les équipes, qui ont d’ailleurs été très rarement en chômage partiel, montrant en cela la priorité accordée à ces activités d’anticipation.</p>
<p>Dans les mois qui viennent, 7 organisations interrogées sur 10 ont prévu de préserver leurs moyens au service du temps long et de l’action. Côté méthodes, ces départements et services de prospective ont réussi à maintenir la part prépondérante des approches participatives malgré les circonstances qui ont imposé de conduire les réflexions à distance.</p>
<h2>Esquisser le « monde d’après »</h2>
<p>Nous avons en outre demandé aux personnes interrogées dans le cadre de cette enquête quels sujets d’exploration des avenirs possibles les occuperont dans les prochains mois… C’est « le monde d’après » qui occupe la première place. En effet, comme le souligne un répondant :</p>
<blockquote>
<p>« La crise renforce le besoin d’anticipation et de scénarisation des mondes d’après, et la nécessité de promouvoir le dialogue avec la « société » autour de ces sujets »</p>
</blockquote>
<p>Deuxième thème de travail prioritaire dans les mois à venir pour plus de trois quarts des personnes interrogées en charge des réflexions sur le futur : le développement durable et l’environnement.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/356910/original/file-20200908-24-11a45ht.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/356910/original/file-20200908-24-11a45ht.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356910/original/file-20200908-24-11a45ht.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356910/original/file-20200908-24-11a45ht.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356910/original/file-20200908-24-11a45ht.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356910/original/file-20200908-24-11a45ht.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356910/original/file-20200908-24-11a45ht.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356910/original/file-20200908-24-11a45ht.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Extrait des réponses du questionnaire « La prospective au temps du Covid-19 », juillet 2020</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les plans de relance annoncés à l’échelle nationale et européenne et leurs colorations vertes n’y sont pas pour rien ! Mais au-delà de ces effets des politiques mises en place pour tenter de résister à la crise de la Covid-19, la chute d’activité sans précédent de secteurs comme ceux de la mobilité, du tourisme, de l’aéronautique, etc. – réputés sans risque et à croissance quasi assurée – ont accéléré et intensifié de façon très nette la prise en compte des enjeux de développement durable dans les projets de relance et de développements futurs.</p>
<p>Le propre de cette crise systémique unique est d’avoir été à la fois un « un accélérateur des mutations en cours celles relatives à la mobilité, au travail, à l’usage du digital » (extrait de réponse) et d’avoir projeté sur le devant de la scène des sujets quasi absents des radars d’observation de l’avenir : les pandémies bien sûr, mais aussi la frugalité, l’immobilité, la surconsommation touristique, etc.</p>
<p>En troisième position thématique pour 60 % des répondants : la gestion de crise et la résilience. Au même niveau de préoccupation, dans une perspective plus interne aux organisations, les sujets de prospective des ressources humaines avec les évolutions fortes du travail, des compétences, de l’emploi induits par la crise sont aussi dans le peloton des sujets de prospective à venir pour les répondants.</p>
<h2>Donner un cap</h2>
<p>Au-delà de ces thématiques de travail, c’est la contribution de la prospective à la gestion des risques qui sera dans les mois à venir le principal terreau des travaux sur le futur, comme nous l’indique un responsable interrogé :</p>
<blockquote>
<p>« La crise a montré l’intérêt de réfléchir large sur des conséquences que nous n’aurions pas cru possibles sauf dans des scénarios fictifs… cela renforce la probabilité de survenance de ces scénarios et l’intérêt de mesurer les impacts de ces scénarios ».</p>
</blockquote>
<p>Pour 57 % des personnes interrogées, il s’agira demain de trouver un équilibre entre travaux de court terme et de moyen terme. Préserver la réflexion à long terme sera un défi dans cette crise qui dure, et d’ailleurs, 39 % de responsables pensent que c’est la prospective à bout portant qui dominera dans les mois qui viennent.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/356911/original/file-20200908-18-w6756b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/356911/original/file-20200908-18-w6756b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356911/original/file-20200908-18-w6756b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356911/original/file-20200908-18-w6756b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356911/original/file-20200908-18-w6756b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356911/original/file-20200908-18-w6756b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356911/original/file-20200908-18-w6756b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356911/original/file-20200908-18-w6756b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Extrait des réponses du questionnaire « La prospective au temps du Covid-19 », juillet 2020</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est aussi à notre avis le principal défi auquel devront faire face les praticiens de la prospective, convaincre les décideurs de la nécessité de voir loin à long terme pour se donner un cap dans et au-delà des turbulences.</p>
<p>Nous laisserons le mot de la fin sur la place de la prospective en temps de Covid-19 en citant une des personnes interrogées :</p>
<blockquote>
<p>« les Madames Irma ont fait florès en mode flash solitaire et médiatique, là où la prospective conduit des réflexions documentées, collaboratives et rigoureuses, indispensables pour les modes d’action innovants ».</p>
</blockquote>
<hr>
<p><em>L’enquête dont les résultats sont présentés dans cet article a été réalisée avec le soutien de Noémie Wiroth, auditrice du Master 2 Prospective, innovation et transformation du CNAM.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/145772/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Régine Monti Tessier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Loin des reproches attendus concernant l’incapacité à anticiper la crise, la discipline a connu un regain d’intérêt : les professionnels ont été mobilisés pour esquisser les scénarios post-crise.Régine Monti Tessier, Professeur associé Chaire de prospective et développement Durable Equipe Innovation, chercheur au LIRSA (EA 4603), Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1453392020-09-03T20:00:38Z2020-09-03T20:00:38ZLa 5G, une nouvelle phase de la révolution digitale – mais plutôt pour 2025-2035<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/356058/original/file-20200902-20-mc15g2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C44%2C5982%2C3556&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Que va changer la 5G ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/eYwn81sPkJ8">Jack Sloop / Unsplash </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Entre le 20 septembre et le 30 septembre 2020 seront lancées en France les enchères sur les <a href="https://www.arcep.fr/actualites/les-communiques-de-presse/detail/n/5g-15.html">fréquences de la 5G</a>. Entre enthousiasme et crainte, les tensions entre les promoteurs et les détracteurs sont fortes. La 5G peut-elle être une révolution, à court, moyen, long terme ?</p>
<h2>La 5G en quelques mots</h2>
<p>La 5G est la cinquième génération en matière de réseau de téléphonie mobile. Elle repose sur une technologie cellulaire à haut débit. Il s’agit d’une norme internationale sur laquelle tout le monde s’est accordé. <a href="https://www.cigref.fr/wp/wp-content/uploads/2020/01/Cigref-5G-Anticipation-Opportunites-Influence-sur-architectures-janvier-2020.pdf">Elle permettra d’offrir un service « sans couture » à l’échelle planétaire</a>.</p>
<p>Stricto sensu, la <a href="https://www.cigref.fr/wp/wp-content/uploads/2020/01/Cigref-5G-Anticipation-Opportunites-Influence-sur-architectures-janvier-2020.pdf">5G apporte une amélioration d’un facteur 10 par rapport à la 4G, tant pour le débit que pour le temps de latence</a>. Le débit concerne la quantité de données. Le temps de latence désigne la rapidité de transit d’une donnée entre le moment où elle est envoyée et celui où elle est reçue. Débit et latence vont permettre une instantanéité des échanges. Dans un premier temps, on pourra faire ce que l’on fait aujourd’hui avec son smartphone, mais beaucoup plus rapidement.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/355611/original/file-20200831-24-h150lm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/355611/original/file-20200831-24-h150lm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=247&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/355611/original/file-20200831-24-h150lm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=247&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/355611/original/file-20200831-24-h150lm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=247&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/355611/original/file-20200831-24-h150lm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=311&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/355611/original/file-20200831-24-h150lm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=311&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/355611/original/file-20200831-24-h150lm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=311&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Temps de latence en fonction des usages potentiels.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.cigref.fr/wp/wp-content/uploads/2020/01/Cigref-5G-Anticipation-Opportunites-Influence-sur-architectures-janvier-2020.pdf">CIGREF</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le moteur majeur du développement de la 5G restera au démarrage les limites de la 4G et les problèmes d’encombrement de la bande passante auxquels nous faisons déjà face. Néanmoins, ce sont les nouveaux usages potentiels qu’elle rend possibles qui vont dans un second temps servir de locomotive. En effet, la 5G offre une capacité à connecter un nombre croissant d’objets aux humains et d’objets ensemble. On annonce <a href="https://www.bpifrance.fr/A-la-une/Actualites/Internet-mobile-la-5G-connexion-du-futur-45999">1 million d’objets connectés au km²</a>. La 5G représente une « potentialité » technologique… ce qui ne dit rien de ce qui peut réellement se passer. Par exemple, en 2013, <a href="https://www.zdnet.com/article/the-internet-of-things-and-big-data-unlocking-the-power/">on prévoyait 50 milliards d’objets connectés en 2020</a>, mais fin 2019, on avait seulement <a href="https://www.iot-now.com/2020/05/20/102937-global-iot-market-to-grow-to-1-5trn-annual-revenue-by-2030/">7,6 milliards d’objets connectés</a>, si on exclut les ordinateurs et les smartphones.</p>
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<figcaption><span class="caption">La 5G c’est aussi une promesse de nombreuses applications dans le domaine de la santé (Source T-Mobile).</span></figcaption>
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<h2>De la difficulté à appréhender l’influence future des technologies</h2>
<p>Quand on cherche à appréhender l’impact d’une technologie, on surestime les changements induits à court terme en se laissant influencer par des effets de mode. <a href="https://www.tallandier.com/livre/big-bang-blockchain/">On nous annonce depuis quelques années que la blockchain révolutionnerait la finance</a>. On attend toujours.</p>
<p>Mais si on surestime la vitesse de diffusion des innovations à court terme, on sous-estime par contre les transformations induites par les technologies à plus long terme – c’est le <a href="https://books.google.fr/books/about/The_road_ahead.html?id=hwXvAAAAMAAJ&redir_esc=y">paradoxe relevé par Bill Gates</a>. Les bouleversements induits peuvent être très profonds au sein de la société.</p>
<h2>2010-2020 : 4G, une réelle révolution sociétale</h2>
<p>Pour mieux comprendre la dynamique de la révolution 5G, il est indispensable de comprendre la dynamique des quatre révolutions télécoms précédentes : <a href="https://www.researchgate.net/figure/The-evolution-from-1G-to-5G_fig1_333574433">1G, 2G avec EDGE et GSM, 3G et 4G</a> constituent des révolutions très lentes. La 3G, qui a émergé au niveau recherche dans les années 1990, a fait l’objet de <a href="https://annenberg.usc.edu/sites/default/files/2015/08/11/The_Peculiar_Evolution_of_3G_Networks_Institutional_Logic_Politics_and_Property_Rights.pdf">premières offres commerciales en 2001 un peu partout dans le monde</a>. Elle a pris une bonne quinzaine d’années pour arriver à son apogée, période durant laquelle le monde bascule du téléphone filaire au smartphone.</p>
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<figcaption><span class="caption">La 5G va débloquer des applications de réalité virtuelle bloquée par les problèmes de débit en 4G : exemple, l’immersion totale en réalité virtuelle dans Google Earth.</span></figcaption>
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<p>De même, les <a href="https://www.academia.edu/38394302/_ebook_4G_LTE_LTE_Advanced_for_Mobile_Broadband_pdf">premières offres commerciales de la 4G apparaissent entre 2009 et 2011, après 10 ans de recherche</a>. À cette époque, l’iPhone était sorti il y a à peine 3 ans et Apple nous initiait à un tout nouvel objet : la tablette. On n’avait encore jamais entendu parler d’Uber, lancé en 2009, de Airbnb lancé en 2008 ou de Netflix qui était tout juste en train de tester le streaming. 10 ans après, on mesure la distance avec ces années 2010 et les profondes transformations de notre paysage quotidien. La 4G a été une vraie révolution sociétale. Il n’est donc pas exclu que la 5G puisse bouleverser aussi notre quotidien en seulement 10 ans.</p>
<p>En réalité, les transformations observables aujourd’hui ne sont pas dues seulement à la 4G, mais à la convergence de la 4G, du streaming, du cloud et du wifi. D’une part, cette convergence a révolutionné notre façon de nous informer, d’acheter, d’échanger, de regarder la télévision. D’autre part, elle a rendu la « révolution cloud » possible : le secteur informatique dans les entreprises <a href="https://www.cairn.info/revue-gerer-et-comprendre-2018-3-page-13.htm">s’est renouvelé complètement avec de nouvelles manières de stocker et d’analyser les données</a>. Une simple PME de 20 personnes peut « louer » aujourd’hui une intelligence artificielle pour quelques heures en fonction de ses besoins.</p>
<h2>2025-2035 : la 5 G, une nouvelle phase de la mutation digitale</h2>
<p>La 5G, elle, a émergé dans la recherche <a href="https://www.researchgate.net/figure/The-evolution-from-1G-to-5G_fig1_333574433">au milieu des années 2010</a>. Il existe déjà quelques offres commerciales <a href="https://www.arcep.fr/nos-sujets/la-5g.html">dans quelques pays</a>, souvent d’ailleurs à l’échelle seulement d’un quartier restreint : États-Unis, Corée du Sud, Chine, Espagne, Italie, Allemagne, Royaume-Uni et Suisse. <a href="https://www.arcep.fr/cartes-et-donnees/nos-publications-chiffrees/experimentations-5g-en-france/tableau-deploiements-5g.html">En dehors de quelques expérimentations</a>, en France, <a href="https://www.arcep.fr/actualites/les-communiques-de-presse/detail/n/5g-15.html">on en est simplement aujourd’hui à la négociation des fréquences avec les opérateurs</a> pour une ouverture commerciale à la fin de l’année 2020 voire au début de l’année 2021.</p>
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<figcaption><span class="caption">Exemple d’un projet qui pourrait potentiellement démarrer avec l’arrivée de la 5G : au lieu d’écouter la radio, le chauffeur d’une voiture autonome va s’immerger dans une réalité virtuelle utilisant les mouvements de la voiture.</span></figcaption>
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<p>Néanmoins, les opérateurs télécoms installent plutôt une 4G+ qu’une « vraie 5G » en continuant à utiliser le cœur des réseaux 4G tout en ajoutant petit à petit des antennes 5G. Les nouveaux smartphones 5G pourront bénéficier de cette première avancée dès cette année. Les opérateurs n’annoncent la « vraie 5G », ou <em>5 G Standalone</em>, avec une infrastructure réseau dédiée, qu’à l’horizon 2023-2025. En effet, les investissements nécessaires sont colossaux. L’apogée de la 5G est donc plutôt pour 2035, sauf accélération inattendue. Il est d’ailleurs possible que la 4G et la 5G cohabitent encore un bon moment. La 5G permettra de faire converger les autres réseaux et jouera le rôle d’un <a href="https://www.cigref.fr/wp/wp-content/uploads/2020/01/Cigref-5G-Anticipation-Opportunites-Influence-sur-architectures-janvier-2020.pdf">réseau des réseaux</a>.</p>
<p><a href="https://arxiv.org/pdf/1902.10265.pdf">La 6G émerge déjà dans le monde de la recherche</a>, mais il faudra compter au moins une dizaine d’années pour un démarrage.</p>
<p>Comme pour la 4 G, ce n’est pas la 5 G qui va révolutionner le monde, mais une convergence technologique qui va d’abord se faire sentir dans les entreprises : le « cloud distribué », ou <em>edge computing</em>, c’est-à-dire le <a href="https://www.cigref.fr/wp/wp-content/uploads/2020/01/Cigref-5G-Anticipation-Opportunites-Influence-sur-architectures-janvier-2020.pdf">stockage et l’analyse des données au plus proche de l’utilisation et des besoins</a>, l’intelligence artificielle, la réalité augmentée et la réalité virtuelle (qui étaient bloquées par les débits limités de la 4 G), la robotisation ainsi que l’industrie des objets connectés. Toutes ces technologies vont se nourrir les unes des autres progressivement pour amplifier les potentialités de la transformation digitale.</p>
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<figcaption><span class="caption">CES 2020 : quels projets seront rendus possibles par la 5G pour rendre nos villes plus intelligentes et écologiques.</span></figcaption>
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<p>Potentiellement, cette convergence pourrait apporter des solutions innovantes dans les <a href="https://www.institutsapiens.fr/wp-content/uploads/2020/07/5G-au-service-de-la-sant%C3%A9-22-juillet.pdf">domaines de la santé</a>, de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0306261919316599">l’énergie</a>, de la <a href="https://lindustrie40.fr/category/reseau-5g/">production industrielle</a>, de la <a href="https://www.zonebourse.com/cours/action/SWISSCOM-AG-2955930/actualite/Swisscom-la-5G-dans-la-recherche-pour-la-securite-publique-et-pour-les-clients-commerciaux-29622690/">sécurité publique</a>, de <a href="https://www.mckinsey.com/industries/automotive-and-assembly/our-insights/development-in-the-mobility-technology-ecosystem-how-can-5g-help#">la mobilité</a> comme de la formation et de <a href="https://newsroom.intel.com/wp-content/uploads/sites/11/2018/10/ovum%E2%80%93intel%E2%80%935g%E2%80%93ebook.pdf">l’entertainment</a> entre autres. La course entre les acteurs a déjà commencé <a href="https://www.cnetfrance.fr/news/huawei-sous-embargo-les-principales-dates-de-la-controverse-39880841.htm">comme l’illustre la guerre économique qui entoure Huawei</a>.</p>
<h2>Quels freins à la 5G ?</h2>
<p>En prospective, pour appréhender les transformations futures, il faut non seulement s’intéresser à la dynamique que peuvent créer les nouveaux usages, mais aussi aux facteurs qui peuvent freiner l’adoption des nouvelles technologies. Le frein majeur au développement de la 5G sera sociétal. Des craintes d’un nouvel ordre sont apparues avec la révolution 4 G, et elles sont en train de s’amplifier avec l’arrivée de la 5G.</p>
<p>Encore plus qu’aujourd’hui, on pourra tout connaître en permanence de nos faits et gestes tant en tant que citoyens, usagers, patients ou consommateurs. Quelles limites voudront nous donner à cette intrusion potentielle continue dans nos vies privées ? Les débats ne font que commencer, portés par des associations et des collectifs qui dénoncent une <a href="https://collectif-accad.fr/site/la-5g-et-la-societe-de-surveillance/">future société de surveillance</a>. Corollaire à cette connexion permanente, les <a href="https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-l-union-europeenne-pointe-les-risques-de-la-5g-en-cybersecurite-76721.html">risques de cybersécurité, de cybercrimes et de cyberterrorisme</a> risquent d’être décuplés. <a href="https://www.phonandroid.com/5g-tout-savoir-reseau-futur.html">Les défaillances techniques peuvent aussi avoir des répercussions plus fortes</a> étant donné le nombre d’objets connectés possibles.</p>
<p>Les dangers pour la santé font également polémiques. La 5G utilise des ondes à haute fréquence qui sont très locales. <a href="https://www.anses.fr/fr/content/la-technologie-5g">Les antennes vont donc se multiplier</a>. Pour l’instant, les <a href="https://www.inserm.fr/actualites-et-evenements/actualites/ondes-electromagnetiques-faut-il-craindre-5g">études ne démontrent ni un effet nocif ni un effet inoffensif</a>. Mais pour prendre un temps de recul, <a href="http://www.5gappeal.eu/">180 scientifiques et médecins de 37 pays différents</a> ont déjà demandé à l’Union européenne un moratoire. Des régions en France comme la <a href="https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/la-corse-dit-non-a-la-5g-20200803">Corse</a> ou d<a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/07/02/le-deploiement-de-la-5g-se-heurte-a-la-poussee-des-preoccupations-ecologiques_6044908_3234.html">es élus de grandes villes en font autant</a>.</p>
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<p>Enfin, la 5G est-elle « meilleure » ou « pire » pour la planète que la 4G ? <a href="https://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/reseaux-du-futur-empreinte-carbone-numerique-juillet2019.pdf">Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui tirent la sonnette d’alarme sur la pollution digitale énergivore qui se développe</a>. <a href="https://www.cigref.fr/wp/wp-content/uploads/2020/01/Cigref-5G-Anticipation-Opportunites-Influence-sur-architectures-janvier-2020.pdf">La 5G est potentiellement meilleure, car elle correspond à des rayonnements ciblés sur mesure contrairement à la 4G qui diffuse son rayonnement en continu sur un ensemble géographique</a>. Elle serait également plus économe en énergie. Néanmoins, de nombreux experts sont prudents : l’explosion potentielle des usages et des objets connectés peut très bien limiter ces deux avantages. Ici aussi, la société va devoir faire des arbitrages.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/145339/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valery Michaux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La vraie révolution 5G ne commencera que dans quelques années… poussée par des applications innovantes, mais freinée par toutes les craintes engendrées par la révolution digitale.Valery Michaux, Enseignant-Chercheur - HDR, Neoma Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1399182020-06-17T17:36:37Z2020-06-17T17:36:37ZLes frontières à l’ère de l’intelligence artificielle, du changement climatique et des pandémies<p>L’ordre économique mondial est basé sur des modèles de croissance favorisant les échanges internationaux. Il a été, ainsi, largement façonné depuis plus d’un demi-siècle par les termes mondialisation, globalisation, libéralisation financière, décloisonnement, commerce international, coopération et coalition, flux des capitaux, mobilité.</p>
<p>Ces politiques de développement ont permis d’améliorer le bien-être social et contribué à générer des facteurs de croissance à travers le globe. Mais des questions de base demeurent non résolues. Il s’agit notamment de la pauvreté, des inégalités sociales, de la sous-alimentation, de l’accès aux soins sanitaires et de plusieurs autres défis démographiques et sociaux.</p>
<h2>Le retour de la frontière</h2>
<p>La crise actuelle, causée par la plus grave pandémie de l’histoire contemporaine, vient rappeler l’importance cruciale d’une coopération internationale réelle et effective. Elle invite également à une nouvelle réflexion sur le rôle de l’État. Les pénuries d’équipements médicaux, les limites des capacités de la couverture sanitaire et l’inefficacité des voies de distribution alimentaire suscitent une véritable remise en question de la soutenabilité du modèle suivi dans de nombreux pays au cours des dernières décennies. Pourtant, ce modèle réduit sans cesse les prérogatives de l’État au nom de l’application de la doctrine libérale.</p>
<p>Dans un monde profondément marqué par les inégalités et par la disparité de la distribution des ressources économiques, l’interdépendance est un facteur déterminant de la mondialisation, qui restera toujours un pilier du développement. Toutefois, la fermeture des frontières, les mouvements de rapatriement des étrangers et la fermeture des espaces aériens laissent présager que le monde contemporain – si souvent présenté comme un monde sans frontières dépassant la définition de base des délimitations géographiques – n’est en réalité pas prêt à affronter des défis mondiaux nécessitant une réponse et une synergie universelles. Dès lors, une nouvelle définition de la notion de frontière paraît s’imposer.</p>
<p>Le retour au premier plan, dans le débat public, de la question de la frontière est l’un des faits politiques majeurs de la crise due à la pandémie de Covid-19. Celle-ci a révélé les limites d’un modèle régi par les principes de dérégulation des échanges et de liberté totale de circulation.</p>
<p>La maladie a mis en exergue deux réflexes contradictoires. Le premier se traduit par une course effrénée vers l’importation de médicaments et de masques pour protéger sa propre population. L’autre consiste à entraver la circulation des humains pour empêcher la propagation de la pandémie.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/342250/original/file-20200616-23235-1l3tpl5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/342250/original/file-20200616-23235-1l3tpl5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/342250/original/file-20200616-23235-1l3tpl5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/342250/original/file-20200616-23235-1l3tpl5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/342250/original/file-20200616-23235-1l3tpl5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/342250/original/file-20200616-23235-1l3tpl5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/342250/original/file-20200616-23235-1l3tpl5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des travailleurs tunisiens bloqués en Libye s’apprêtent à retourner chez eux en raison de la pandémie de la Covid-19.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fathi Nasri/AFP</span></span>
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<p>Ainsi, les frontières sont envisagées par certains comme une protection des communs, et la relocalisation des activités comme une manière de lutter contre le grand déménagement du monde. D’autres prennent pour prétexte la dénonciation de la mondialisation pour prôner la fermeture des frontières et justifier le rejet de l’immigration.</p>
<p>Sur le vieux continent, l’irruption du Covid-19 a mis entre parenthèses l’Europe sans passeport. C’est ainsi, à titre d’exemple, qu’après avoir déclaré le 11 mars que les fermetures de frontières ne sont pas la réponse adéquate, la chancelière Angela Merkel décidait cinq jours plus tard la <a href="https://www.liberation.fr/direct/element/lallemagne-fermera-lundi-ses-frontieres-avec-lallemagne_110572/">fermeture quasi-totale</a> de ses liaisons avec la France, le Danemark, le Luxembourg, la Suisse et l’Autriche. L’idéal d’une Europe sans frontières se trouve sérieusement ébranlé au point que certains redoutent une <a href="https://theconversation.com/schengen-a-lepreuve-du-coronavirus-134267">cassure définitive de l’esprit Schengen</a>.</p>
<p>De son côté, le président américain avait <a href="https://techcrunch.com/2020/03/20/u-s-closes-mexican-border-to-all-non-essential-travel-due-to-coronavirus-crisis/">annoncé</a> le 20 mars, alors que les USA ne déploraient que 150 morts, de nouvelles restrictions au passage de la frontière avec le Mexique, faisant clairement le lien entre migrations et Covid-19. Des mesures similaires seront prises postérieurement avec le <a href="https://edition.cnn.com/travel/article/us-canada-border-coronavirus/index.html">Canada</a>, ce qui n’a pas empêché le pays de franchir récemment la barre des <a href="https://www.france24.com/fr/20200527-covid-19-les-%C3%A9tats-unis-passent-la-barre-des-100-000-morts">100 000 morts</a>.</p>
<h2>Les défis futurs et l’importance de l’inclusion économique</h2>
<p>La théorie des cycles économiques longs (nous nous référons principalement aux travaux de <a href="https://www.cairn.info/revue-innovations-2004-1-page-9.htm">Kondratieff</a> (1929)) et les scénarios des futurs possibles (qui présentent les réponses envisageables aux grands défis climatiques mais aussi sanitaires) alertent les décideurs et la communauté internationale sur la possibilité d’un passage à un <a href="https://www.bilan.ch/economie/kondratieff_la_crise_jusqu_en_2020_#:%7E:text=Les%20secousses%20de%202008%20n,pour%20y%20voir%20plus%20clair.&text=Les%20th%C3%A9ories%20de%20Nikola%C3%AF%20Dimitrievitch,d%E2%80%99une%20aura%20de%20myst%C3%A8re.">nouveau cycle économique après 2020</a>.</p>
<p>Prenant la suite du dernier cycle commencé à partir de 1950, le nouvel ordre s’appuierait sur un appel à la mise en place d’une économie inclusive basée sur une transition digitale et verte et assurant une nouvelle relation entre l’Homme et la nature, mais aussi renforçant l’accointance entre l’économique, le social et l’environnemental. Il est entre autres crucial de dépasser les externalités négatives de la croissance économique actuelle.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/cHz5b1CKkzA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Les grandes tendances dressant les scénarios d’avenir possibles suggèrent l’urgence d’une réponse collective et harmonieuse permettant de juguler les défis multiples du monde à venir : augmentation du nombre de « réfugiés » fuyant les changements climatiques, épuisement des ressources naturelles, mutations des métiers sous l’effet de l’intelligence artificielle et du probable <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/sciences/l-intelligence-artificielle-pourrait-mettre-50-de-l-humanite-au-chomage_1763475.html">nouveau chômage</a> que celle-ci engendrera, hausse de la cybercriminalité, expansion des nanotechnologies et évolution globale de l’éthique d’utilisation et d’intégration des technologies avancées.</p>
<p>Les efforts de la communauté internationale destinés à définir des conventions, à l’image de la <a href="https://www.apc-paris.com/cop-21">COP21</a> et de l’Agenda des Nations unies autour des <a href="https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/">Objectifs pour le Développement durable</a>, visent à instaurer des facteurs de synergie et des orientations universelles communes, encourageant fortement la coopération. À titre d’exemple, dans leur définition de l’<a href="https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/globalpartnerships/">objectif 17</a>, les Nations unies stipulent que</p>
<blockquote>
<p>« des partenariats efficaces entre les gouvernements, le secteur privé et la société civile sont nécessaires pour un programme de développement durable réussi. Ces partenariats inclusifs construits sur des principes et des valeurs, une vision commune et des objectifs communs qui placent les peuples et la planète au centre, sont nécessaires au niveau mondial, régional, national et local. »</p>
</blockquote>
<h2>L’Intelligence artificielle peut-elle favoriser l’inclusion ?</h2>
<p>En réponse à ces défis et marasmes annoncés, la mobilité de l’être humain, à côté d’un tracking plus standardisé des échanges de toute nature, s’impose. Comment peut-on sécuriser et faciliter cette mobilité alors qu’existent des problèmes d’accès aux données à côté de la divergence de définition d’identité et d’immatriculation d’un pays à l’autre ? Le problème est plus important du côté de l’être humain du fait des multiples nouvelles tendances et évolution économique tel que l’inclusion financière mais aussi, la cybercriminalité et surtout le grand besoin d’un registre de santé universel.</p>
<p>Aujourd’hui, dans un monde connecté, l’intelligence artificielle pourrait faciliter ces efforts de coopération, à travers des solutions d’identification universelles. De la reconnaissance faciale à la reconnaissance de l’iris, des solutions biométriques émergentes viennent dépasser les failles des empreintes digitales et peuvent offrir des solutions futuristes aux problèmes de mobilité de l’Homme dans des conditions d’extrême danger, et renforcer la coopération sur la voie d’une économie inclusive et d’une meilleure équité sociale nationale et universelle. Ces solutions peuvent être utilisées pour remplacer l’usage des supports de reconnaissance et d’identification ordinaires dans le cadre d’algorithmes respectant l’éthique et les données personnelles.</p>
<p>Certes, la fermeture des frontières comme réponse aux grands risques de contagion d’une pandémie a bien prouvé ses fondements. Il n’en demeure pas moins qu’une meilleure coordination, la standardisation des actions et le renforcement des facteurs de synergie au sens global s’imposent aujourd’hui plus que jamais. Les discussions des mesures de déconfinement et des actions mitigées, d’un pays à l’autre, d’ouverture d’espace des frontières et d’acceptation de l’autre, sont désormais le grand argument de ce besoin d’harmonie, de standardisation et des protocoles universels. L’intelligence artificielle pourra fortement les faciliter à travers un système d’identification universel basé sur des solutions de reconnaissance intelligentes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139918/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’intelligence artificielle peut-elle jouer un rôle positif dans le fameux « monde d’après » le Covid-19, notamment dans le domaine délicat de la mobilité humaine par-delà les frontières nationales ?Amira Kaddour, Professeur associé en finance, Université de CarthageLotfi Hamzi, Professeur en géopolitique, Neoma Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1395752020-06-15T20:29:07Z2020-06-15T20:29:07ZLe jour d’après : Briser trois mythes sur l’état du monde après la pandémie<p>Décideurs et penseurs s’accordent pour affirmer que la pandémie du Covid-19 transformera radicalement et durablement le monde dans lequel nous vivons. Évènement majeur, à l’instar des moments clés de l’histoire récente tels que la chute du mur de Berlin ou les attentats du 11 septembre 2001, ses conséquences politiques et économiques ne seront véritablement visibles qu’à long terme.</p>
<p>Les écrits se multiplient pour alerter sur les risques et plaider pour des orientations politiques, laissant apparaître les luttes idéologiques à l’œuvre dans les différentes capitales. D’aucuns distordent les perceptions sur trois évolutions clés : le monde post-coronavirus marquerait la victoire de l’autoritarisme sur la démocratie ; il favoriserait la recrudescence des États faibles ou faillis ; il accélérerait le déclin de l’ordre libéral et renforcerait la compétition entre les grandes puissances. Ces théories continuent de voir le monde à travers les yeux de <a href="https://www.persee.fr/doc/bude_1247-6862_1972_num_31_4_3490">Thucydide pour qui l’épidémie de la « peste » d’Athènes</a>, au V<sup>e</sup> siècle avant notre ère, conduisit à un cataclysme et à une désintégration sociétale.</p>
<p>À rebours de ces discours, l’objectif de ce texte est d’effectuer une estimation des changements à venir en fonction des tendances actuelles et des connaissances scientifiques sur les raisons pour lesquelles les pandémies peuvent susciter des dynamiques plus positives.</p>
<h2>Mythe n° 1 : la revanche de l’autoritarisme sur la démocratie</h2>
<p>Une idée reçue qui prend de l’ampleur ces temps-ci est que les <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/covid-19-les-autoritaires-vont-ils-lemporter-sur-les-democraties">régimes autoritaires</a> seraient mieux armés pour lutter contre la propagation de la pandémie. Certes, pris de panique et insuffisamment préparés, certains gouvernements ont dû prendre des mesures radicales, contraires aux valeurs de la démocratie libérale, <a href="https://theconversation.com/union-europeenne-la-frontiere-comme-antidote-a-lepidemie-134844">fermant les frontières</a>, restreignant les échanges, confinant les populations. Certains hommes politiques, à l’instar de <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/orban-a-cree-la-premiere-coronadictature-du-monde-selon-ce-specialiste-de-lue_fr_5e85fa56c5b60bbd73509448">Viktor Orban en Hongrie</a>, ont instrumentalisé la crise pour accentuer la dérive autoritaire en renforçant un pouvoir devenu absolu pour un temps indéterminé.</p>
<p>Cependant, n’oublions pas que la crise actuelle a été provoquée par un régime autoritaire. Malgré des avertissements constants, la Chine n’a pas pris les mesures nécessaires pour réguler les marchés d’animaux aux conditions sanitaires déplorables où sont nés plusieurs virus graves des dernières décennies. Le régime chinois a également manipulé les informations, censuré les premiers médecins qui avaient détecté le virus et a retardé l’édiction de mesures qui s’imposaient, favorisant ainsi la diffusion de la maladie non seulement en Chine, mais aussi à travers le monde entier.</p>
<p>Par contraste, les régimes démocratiques voisins comme le <a href="http://www.lavie.fr/actualite/monde/taiwan-japon-coree-du-sud-ces-democraties-d-asie-qui-tiennent-le-virus-en-respect-13-05-2020-106225_5.php">Japon, la Corée du Sud et Taiwan</a> ont réussi à limiter l’expansion de l’épidémie, non pas en concentrant le pouvoir ou en niant le danger, mais en privilégiant la transparence et en suivant les prescriptions d’organismes scientifiques autonomes, afin de faciliter l’acceptation par la population d’un sacrifice commun difficile. Une étude de <a href="https://www.economist.com/graphic-detail/2020/02/18/diseases-like-covid-19-are-deadlier-in-non-democracies"><em>The Economist</em> publiée en février</a> tend à démontrer que les démocraties font mieux : le taux de mortalité provoqué par les maladies épidémiques y est plus faible que dans les États non démocratiques.</p>
<p>Même si quelques régimes autoritaires ont réussi à développer des systèmes de santé efficaces – à l’instar de la Chine, de <a href="https://theconversation.com/cuba-face-au-coronavirus-dans-lile-et-dans-le-monde-135455">Cuba</a> et de l’Arabie saoudite, il est désormais bien établi que l’absence de démocratie a des effets <a href="https://www.thelancet.com/journals/lanpub/article/PIIS2468-2667(20)30030-X/fulltext">désastreux sur la prévention, le contrôle et le traitement des épidémies</a>. Pour assurer la santé de la population en période d’épidémie, <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=950879">il convient au contraire</a> d’établir de nouvelles normes de responsabilité publique, de renforcer la capacité des citoyens à exprimer des désaccords et des doléances, de rendre les informations librement disponibles, de coopérer au niveau international et de développer la recherche scientifique indépendante.</p>
<h2>Mythe n° 2 : davantage d’États faillis</h2>
<p>Les États faibles ou faillis souffrent d’un triple déficit : d’autorité, de légitimité et de capacité. Ils peuvent dès lors constituer une menace pour la sécurité internationale. D’aucuns soutiennent que la crise sanitaire pourrait balayer sur son passage ces <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/04/03/coronavirus-les-experts-du-quai-d-orsay-redoutent-le-coup-de-trop-qui-destabilise-l-afrique_6035470_3212.html">États incapables de protéger leur population</a>. En réalité, cette crise met aussi en exergue la vulnérabilité des États perçus comme solides : les puissances européennes manquent cruellement de masques, de tests, de matériels médicaux, etc. Mais rien ne garantit que les conséquences de la pandémie soient uniformément négatives pour l’État.</p>
<p>Les rancunes, divisions et affiliations ethno-politiques ont été <a href="https://biepag.eu/wp-content/uploads/2020/05/BiEPAG-Les-Balkans-occidentaux-au-temps-de-la-pand%C3%A9mie-mondiale-FR.pdf">mises de côté en Bosnie-Herzégovine</a> pour lutter plus efficacement contre la pandémie. Milorad Dodik, le chef des Serbes de Bosnie et avocat de la sécession de la <em>Republika srspka</em>, a lui-même appelé à un effort uni. Face à une crise provenant de l’extérieur, plutôt que fabriquée par les élites politiques locales, les institutions étatiques se révèlent cruciales pour limiter la propagation du virus, ce qui nécessite une prise de décision conjointe. Il est probable que ce moment soit de courte durée : les tensions ethno-politiques pourraient revenir, les élites continuant à instrumentaliser les nationalismes. Cette pandémie démontre toutefois que les divisions peuvent être surmontées pour le bien commun et que l’action d’une structure institutionnelle légitime est nécessaire pour assurer la sécurité.</p>
<p>Par ailleurs, les capacités de ces États sont souvent mal évaluées, notamment en Afrique, en raison des difficultés à mesurer des fonctionnements complexes et différents. En conséquence, on néglige souvent que la flexibilité, l’inventivité et l’adaptabilité combinées à des initiatives intelligentes permettent aux sociétés d’être résilientes, plus efficaces et de sortir de la crise plus rapidement qu’attendu. Ces politiques intelligentes se font parfois par mimétisme grâce à la diffusion des bonnes pratiques, mais aussi grâce à une meilleure préparation des structures ayant eu affaire à d’autres épidémies infectieuses telles qu’Ebola récemment.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/covid-19-le-retour-de-letat-en-afrique-139627">Covid-19, le retour de l’État en Afrique ?</a>
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<p>Un simple coup d’œil sur les scènes nationales présentes et passées permet de constater que les développements institutionnels les plus profonds ont été précédés par des <a href="https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante1-2012-1-page-35.html">crises et scandales sanitaires</a>. Ces crises poussent l’État à développer ses capacités, à créer et gérer des organisations complexes et spécialisées, à mobiliser ses ressources et, enfin, à renforcer son pouvoir de contrôle sur l’usage de la contrainte. Les populations elles-mêmes se tournent vers les entités étatiques pour les protéger, renforçant ainsi la légitimité et la raison d’être de celles-ci : la pandémie contribue donc à accroître les fonctions sécuritaires de l’État wébérien, faisant de la sécurité sanitaire un bien public et une mission régalienne.</p>
<h2>Mythe n° 3 : la fin de l’ordre international libéral</h2>
<p>La crise peut paraître propice au repli sur soi, au renforcement des mouvements nationalistes et à l’intensification de la compétition entre grandes puissances. Les premiers réflexes semblent en apparence donner raison aux tenants de cette vision. Pour eux, l’interdépendance rend les États plus vulnérables et crée davantage de problèmes qu’elle n’apporte de solutions. Cependant, cette forme de protectionnisme engendre des coûts considérables et se révèle à long terme néfaste pour tout le monde. <a href="https://www.lapresse.ca/debats/opinions/202005/25/01-5274963-la-tentation-du-protectionnisme-les-indeniables-benefices-des-echanges-et-des-avantages-compares.php">La fermeture des marchés augmente les coûts</a> des produits et empêche de lutter efficacement contre la pandémie, menace à terme les intérêts des États et contribue à dégrader profondément les relations interétatiques.</p>
<p>En réalité, si l’on sort du flux quotidien de l’actualité pour prendre un peu de recul en mobilisant nos savoirs, il n’y a aucune raison logique de penser que l’ordre post-coronavirus serait moins libéral et se déplacerait vers l’Est. Pour qu’une telle transformation se réalise, il faudrait que la crise actuelle décime largement les ressources de la puissance américaine – inégalée à ce jour – tout en épargnant celles de la Chine, et que de surcroît la puissance émergente se positionne radicalement contre l’ordre international qui prévaut.</p>
<p>De fait, la crise actuelle prouve le caractère profondément interconnecté du monde. L’interdépendance implique avant toute chose de construire et d’intensifier l’infrastructure globale de coopération multilatérale. Des initiatives sont prises, un peu partout dans le monde, pour coordonner la réaction à la pandémie.</p>
<p>Des formes (in)formelles et transnationales de coopération ont émergé pour aider les hôpitaux à faire face à l’afflux de malades, gérer la recherche sur la pandémie, partager les informations essentielles et lancer des fonds de secours. Les <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2020/05/04/how-international-organizations-are-stepping-up-respond-pandemic/">organisations internationales se mobilisent</a> pour répondre à la pandémie. La solidarité européenne se met en route, les États s’entraident.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1268045972212416512"}"></div></p>
<p>L’UE a commencé à prendre des mesures pour <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/05/19/plan-de-relance-europeen-l-allemagne-prete-a-un-geste-de-solidarite-sans-precedent_6040087_3234.html">relancer l’économie</a> durement touchée. Le G20 prépare un <a href="http://www.rfi.fr/fr/afrique/20200520-dette-quatre-pays-ont-obtenu-moratoire-club-paris-mali-g20">plan d’aide aux pays en développement</a>. L’Inde, quant à elle, a pris l’initiative d’élaborer une <a href="https://www.theweek.in/news/world/2020/03/15/with-saarc-video-call-india-leads-regional-response-to-coronavirus-pandemic.html">réponse régionale commune</a> avec les autres pays de l’Asie du Sud. L’Assemblée générale de l’ONU a approuvé par consensus début avril une résolution <a href="https://apnews.com/7ebca40e0e9135b44459b99476077c1a">appelant à la coopération internationale</a> et au multilatéralisme.</p>
<p>Cette situation rappelle que les acteurs internationaux rationnels sont incités à privilégier des actions multilatérales susceptibles de déboucher sur de meilleurs résultats. Le monde a réalisé de grandes choses dans le passé en travaillant ensemble – l’<a href="https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/223060/WER5520_148-148.PDF">éradication de la variole</a> en est un exemple du domaine des maladies infectieuses. Un simple détour par l’histoire démontre que de nouveaux modes de coopération internationale succèdent aux grandes situations de crise : le « comité d’hygiène » de la SDN, ancêtre de l’OMS, est né suite à la grippe espagnole.</p>
<h2>Vers une meilleure coopération internationale ?</h2>
<p>La coopération n’est certes pas automatique : pour que chaque État joue son rôle, il doit s’assurer que les autres feront de même. Dans les faits, une puissance ascendante telle que la Chine défend certains aspects du libéralisme intergouvernemental et économique. Elle est surtout opposée au libéralisme politique susceptible de menacer la légitimité de son régime autoritaire. Pour ces raisons, il est probable que l’ordre international libéral soit préservé et consolidé dans certains domaines, en particulier la santé et l’économie. Le renforcement des capacités mondiales de résistance aux maladies infectieuses et le redressement économique global passent par des traités et accords multilatéraux, par les organisations internationales et les institutions qui font les règles et normes, surveillent leur respect, résolvent les problèmes, et fournissent des biens publics mondiaux.</p>
<p>En ce sens, loin d’accroître les rivalités de puissance, l’hégémon américain est incité à reprendre sa place de leader sur la scène mondiale et à s’engager activement en faveur de la coopération car cela lui permettra 1) de limiter l’impact du coronavirus, d’en sortir plus rapidement, de se prémunir et de mieux lutter contre les pandémies à l’intérieur de ses frontières ; et 2) de maintenir sa place dominante à long terme dans le monde, en reproduisant l’écart qui sépare sa position de celle de ses rivaux potentiels. Même si elles demeurent modestes à ce stade, l’assistance et l’aide américaine aux institutions multilatérales telles que le FMI ont été revues à la hausse. Et lorsque Donald Trump a décidé de suspendre le financement de l’OMS, il a aussi souligné la nécessité de <a href="https://www.lopinion.fr/edition/international/oms-pas-d-argent-americain-reforme-menace-donald-trump-217552">réformer l’organisation</a> pour la rendre plus efficace.</p>
<p>Malgré l’imprévisibilité de l’administration Trump et ses <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/16/trump-et-l-oms-un-jeu-dangereux_6036778_3232.html">préoccupations électorales de court terme</a>, il est plausible que les États-Unis sortent progressivement d’une compréhension isolationniste de l’approche « America first » pour exercer de nouveau leur leadership et leur influence sur le monde en soutenant la gouvernance globale. Les États-Unis demeureront une puissance globale, et la pandémie du coronavirus leur rappelle qu’elles ont toujours des « intérêts globaux ».</p>
<p>La pandémie n’effacera pas les défis préexistants. Ils persisteront dans le monde post-coronavirus. Les conflits n’ont pas cessé et les tensions subsisteront. Il est peu probable que les différences de visions sur certains aspects de l’ordre international soient effacées. Cependant, cette situation nous rappelle l’existence de jeux à somme positive. Tout le monde gagne à y coopérer. En renforçant les autres, on assure en retour sa propre sécurité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139575/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ardijan Sainovic ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À l’encontre de l’alarmisme ambiant, de nombreux signes laissent penser que des changements positifs sont possibles à long terme.Ardijan Sainovic, Chercheur postdoctoral au Centre Emile Durkheim, Sciences Po BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1389832020-05-24T17:04:44Z2020-05-24T17:04:44ZDébat : Il n’y aura pas de nouvel ordre international post-pandémique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/336384/original/file-20200520-152292-im6xp7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C15%2C5200%2C2904&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La compétition entre les grandes puissances ne changera pas de nature du fait de la pandémie.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-illustration/concept-great-power-competition-flags-painted-1708171471">LukeOnTheRoad/shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>L’analyse des conséquences géostratégiques de la pandémie de Covid-19 a donné lieu à des centaines d’articles. Certains s’étaient empressés d’appuyer l’idée d’une nouvelle donne internationale, voire d’un changement radical des équilibres entre puissances. Tantôt pessimistes – renforcement des frontières, montée en puissance des régimes dictatoriaux et populistes, menaces pour le libre-échange –, tantôt optimistes – solidarité accrue, consolidation du cadre multilatéral, globalisation non point arrêtée, mais mieux maîtrisée –, ils péchaient, <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2020/04/09/tenzer-coronavirus/">comme nous l’avons déjà montré</a>, par déterminisme et inférences hâtives, accordant peu de poids à la faculté de décision des démocraties.</p>
<p>Plutôt que de rupture, <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/annee-rat-consequences-strategiques-crise-coronavirus-2020">d’autres analystes</a>, à notre sens <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/le-covid-19-est-il-un-game-changer-geopolitique">plus prudents</a> et <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/12/le-coronavirus-et-l-avenement-de-la-diplomatie-carnivore_6039376_3232.html">plus avisés</a>, perçoivent plutôt une poursuite de plusieurs tendances existantes, exacerbées toutefois, quel qu’en soit le sens, par la profonde crise économique, sociale et politique qui résultera inévitablement de la pandémie.</p>
<p>Ces tendances menaient déjà, avant la crise, à des situations de rupture. La pandémie peut avoir pour effet de conduire à des points de non-retour, non pas en tant que telle, mais parce que les dirigeants mondiaux risquent de consacrer leur attention à des phénomènes liés au traitement de la crise post-pandémique plutôt qu’aux <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/point-de-vue-le-covid-19-n-pas-gele-le-monde-d-avant-mais-revele-ses-dangers-6830459">éléments d’apparente permanence qui peuvent se révéler plus ravageurs</a>. Ou, pour le dire autrement, ils auront peut-être plus tendance à soigner les nouvelles maladies qu’à traiter un mal chronique d’une létalité plus grande à moyen terme.</p>
<h2>Les loups ne sont pas devenus des agneaux</h2>
<p>S’il devait y avoir une différence de perspective majeure entre les régimes démocratiques et les autres, elle résiderait sans doute dans l’objet principal de leur attention. Les dirigeants démocratiques ont eu comme souci quasi exclusif depuis février ou mars de lutter contre la pandémie et d’en prévenir les effets en amont sur la société et sur l’économie. Ils ont aussi eu pour préoccupation d’aider autant que possible, quand ils le pouvaient, d’autres États frappés du même mal. Au niveau européen, au-delà des controverses justifiées sur l’ampleur des mesures et le niveau de solidarité, ils ont œuvré à maintenir une cohésion européenne et à atténuer les effets de la crise sur les pays les plus vulnérables. Leur horizon était celui-là. S’il est approuvé par les autres États membres, le <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/05/18/la-france-et-l-allemagne-proposent-un-plan-de-relance-europeen-de-500-milliards-d-euros_6040040_3234.html">plan franco-allemand de relance économique du 18 mai 2020</a> sera ainsi un signe majeur de la robustesse des institutions et du projet européen.</p>
<p>Les dictatures ont sans doute, à des degrés divers, tenté de répondre à la pandémie, mais cela fut loin d’être leur seule préoccupation. La Chine comme la Russie ont non seulement profité de la crise pour renforcer leurs <a href="https://www.dw.com/en/disinformation-and-propaganda-during-the-coronavirus-pandemic/a-52970643">actions de propagande</a> contre les démocraties libérales, (<a href="https://www.nytimes.com/2020/04/17/world/asia/coronavirus-china-xi-jinping.html">pour la première, avec une agressivité nouvelle</a>), mais aussi <a href="https://thehill.com/opinion/international/498239-putin-pressured-by-global-crises-yet-finds-ways-to-exploit-them">tenté d’avancer leurs pions sur l’échiquier international</a>.</p>
<p>Moscou a continué, quoique avec une intensité plus faible, <a href="https://www.osce.org/permanent-council/452431?download=true">ses attaques dans le Donbass</a>. Elle a également persisté dans son offensive révisionniste sur le plan historique en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/04/28/la-russie-accuse-la-finlande-de-genocide-durant-la-seconde-guerre-mondiale_6038010_3210.html">attaquant cette fois-ci la Finlande</a> et en tentant de <a href="https://www.nytimes.com/2020/04/27/world/europe/russia-historian-stalin-mass-graves.html">réduire au silence les historiens</a> qui continuent de vouloir faire toute la lumière sur les crimes de Staline. Malgré des propos plus critiques qu’auparavant <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/05/07/les-petits-signaux-d-impatience-de-moscou-a-l-encontre-de-damas_6038946_3210.html">tenus par certains proches du Kremlin à l’égard du régime d’Assad</a>, mais <a href="https://www.trtworld.com/magazine/what-s-behind-pro-putin-media-attacks-on-syria-s-assad-regime-35689">qu’il ne saurait être question de surinterpréter</a>, rien n’indique que le Kremlin ait renoncé à aider Damas à reconquérir, au prix de crimes de guerre, l’ensemble de la province d’Idlib.</p>
<p>Quant à Pékin, outre ses <a href="https://www.rferl.org/a/ex-envoy-bildt-questions-serbia-and-hungary-use-of-china-card-amid-covid-19-crisis/30525795.html">actions d’influence en Serbie</a> et en <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/04/02/coronavirus-l-offensive-de-charme-de-la-chine-en-afrique_6035332_3212.html">Afrique</a>, elle a entrepris d’<a href="https://www.nytimes.com/2020/04/25/opinion/china-hong-kong-coronavirus.html">accroître son emprise sur Hongkong</a>, violant ouvertement les <a href="https://www.washingtonpost.com/world/asia_pacific/one-country-one-system-the-week-that-china-shredded-its-promise-on-hong-kong/2020/04/24/247fb3e6-7001-11ea-a156-0048b62cdb51_story.html">principes constitutionnels</a> qui garantissaient son autonomie. Ses <a href="https://www.ft.com/content/3a3a4235-3c4c-4a55-80e6-2a584960583d">menaces à l’endroit de Taïwan</a> se sont aussi intensifiées.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1246967335249903616"}"></div></p>
<p>Sur le plan intérieur, les deux régimes, à l’instar d’autres dictatures, ont continué leur <a href="https://www.hrw.org/news/2020/04/03/how-authoritarians-are-exploiting-covid-19-crisis-grab-power">offensive contre les dissidents et les organisations de défense des droits de l’homme</a>.</p>
<p>La même répression meurtrière a continué en Syrie et en Iran. Le régime algérien a lui aussi profité de la crise pour <a href="https://www.franceculture.fr/politique/en-algerie-la-repression-est-quotidienne-malgre-le-confinement">renforcer sa répression contre ses opposants</a> et le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/04/15/coronavirus-en-turquie-une-amnistie-massive-exclut-les-prisonniers-politiques_6036659_3210.html">régime turc en a fait de même</a>. La Hongrie a adopté des <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/une-couronne-pour-le-roi-comment-viktor-orban-fait-du-covid-19-une-arme-politique">lois d’exception liberticides</a> et le parti au pouvoir en Pologne a poursuivi son offensive contre les valeurs de la société ouverte et l’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/05/14/le-pouvoir-polonais-s-apprete-a-prendre-le-controle-de-la-cour-supreme_6039623_3210.html">indépendance de la justice</a>. Et qui prête attention à la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/05/06/en-birmanie-une-guerre-ignoree-redouble-de-violence_6038782_3210.html">guerre qui s’intensifie entre l’armée birmane</a>, susceptible selon l’ONU d’avoir commis des crimes de guerre, et les guérilleros de l’Arakan Army, ou encore aux persécutions continuelles des Rohingyas, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/05/05/des-refugies-rohingya-internes-sur-une-ile-submersible-du-golfe-du-bengale_6038702_3210.html">dépourvus de tout havre d’accueil</a> ?</p>
<p>La faiblesse ou l’absence de réaction de la plupart des démocraties et la propension ancienne à minimiser la portée systémique des attaques conduites par certains régimes dictatoriaux n’augurent pas d’un monde démocratique plus courageux ni plus intelligent.</p>
<h2>Le multilatéralisme n’est pas une promenade de santé</h2>
<p>Une deuxième idée, fréquemment entendue, consiste à dire que la pandémie devrait avoir pour effet de <a href="https://www.worldpoliticsreview.com/articles/28731/it-s-time-for-a-new-multilateral-framework-to-address-covid-19">conforter le multilatéralisme</a>, tant au niveau européen – plan de secours massif <em>et</em> de solidarité – que mondial – de l’<a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/politique-africaine/covid-19-l-idee-d-une-annulation-de-la-dette-des-pays-africains-portee-par-le-senegal-fait-son-chemin_3914449.html">effort pour le développement</a> avec une potentielle annulation de la dette africaine jusqu’au perfectionnement de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), largement critiquée pendant la crise en raison de sa <a href="https://foreignpolicy.com/2020/04/02/china-coronavirus-who-health-soft-power/">sensibilité aux sirènes de Pékin</a>. Les exhortations vaines, auxquelles la période présente échappe encore moins, sont toujours trop faciles. On peut aussi <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/29/l-onu-symbole-du-desordre-mondial_6038075_3232.html">défendre le principe de l’ONU</a> – les maux de l’organisation sont moins dus à elle-même qu’aux États – sans tomber dans des objurgations qui ne peuvent, de manière réaliste, produire des résultats.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1254869467533914112"}"></div></p>
<p>Sans doute le rappel est-il banal, mais les organisations internationales sont le lieu de rapports de forces, les intentions malignes qui en sont à l’origine et le mal pouvant en résulter étant d’intensité variable. Elles sont toujours le lieu de marchandages, plus ou moins dignes, entre États.</p>
<p>À un premier niveau, on trouve les rivalités d’intérêt économique et, de manière indissociable, les considérations de politique intérieure – chaque dirigeant agissant légitimement en fonction des perceptions de ses électeurs, même s’il peut aussi contribuer à les changer. C’est particulièrement ce qui se passe au sein de l’Union européenne.</p>
<p>À un deuxième niveau, les États tentent d’exercer sur ces institutions une influence indirecte et souvent peu visible, que ce soit pour faire valoir leurs principes, <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/29969-expertise-internationale-au-coeur-diplomatie-et-cooperation-du-xxi-siecl">pour bien se positionner sur des appels d’offres</a>, pour faire avancer une négociation ou par simple souci de démontrer leur puissance sur la scène internationale. Cela n’est <em>a priori</em> ni anormal ni scandaleux dès lors qu’il n’y a ni corruption ni violation des principes de ces organisations. Les intentions peuvent faire l’objet d’une critique politique, non pas la tentative d’influence en elle-même.</p>
<p>À un troisième niveau, un État peut chercher à se servir d’une organisation internationale pour tenter soit, par des pressions, de légitimer une politique contestable, soit de dissimuler certains de ses méfaits (ou empêcher la réaction de ce qu’on appelle par commodité la « communauté internationale »), soit encore de délégitimer, de faire pression sur, ou de marginaliser un État adversaire.</p>
<p>À un quatrième niveau, le plus grave, un État peut chercher à rendre une organisation internationale inopérante dans ce qui est le cœur de sa mission en <a href="https://www.reuters.com/article/us-syria-security-un/russia-backed-by-china-casts-14th-u-n-veto-on-syria-to-block-cross-border-aid-idUSKBN1YO23V">bloquant ses résolutions</a>, en violant les décisions supposément conjointes et <a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2020/01/russia-veto-denies-millions-of-syrian-civilians-essential-aid-amid-humanitarian-disaster-in-idlib/">entravant l’action</a>.</p>
<p>Or, tout indique que la crise du Covid-19 n’a pas effacé ces tendances, mais les a renforcées. Les enjeux d’image, les préoccupations liées à une crise économique et sociale sévère et la guerre de l’information devraient plutôt annoncer de nouveaux troubles pour ces organisations. Les puissances démocratiques devront en tenir compte à la fois en se montrant plus promptes au compromis entre elles et plus résolues, ensemble, dans l’affrontement avec celles qui ne le sont pas.</p>
<h2>L’Europe reste un nain géostratégique</h2>
<p>La réalité du monde d’aujourd’hui est d’ores et déjà la rivalité, sinon le conflit, entre les pouvoirs – réalité que certains ont tout fait pour dissimuler soit par irénisme, soit par lâcheté, soit par complicité avec les puissances révisionnistes. Cette réalité ne va que s’accentuer demain. Devant la pandémie, l’Europe a tantôt marqué une conscience de cette réalité par des déclarations claires, <a href="https://www.consilium.europa.eu/en/press/press-releases/2020/04/30/declaration-by-the-high-representative-josep-borrell-on-behalf-of-the-european-union-on-malicious-cyber-activities-exploiting-the-coronavirus-pandemic/">notamment sur les cyber-menaces</a>, tantôt montré une propension à les mettre de côté, notamment en <a href="https://www.nytimes.com/2020/04/24/world/europe/disinformation-china-eu-coronavirus.html">édulcorant un rapport sévère sur la propagande chinoise</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1248549776968343553"}"></div></p>
<p>Demain sera un test de robustesse pour l’Europe, d’abord bien sûr pour sa <a href="https://www.euractiv.com/section/economy-jobs/news/eu-leaders-agree-plans-for-unprecedented-stimulus-against-pandemic/">cohésion dans la mise en œuvre de mesures de solidarité</a> et dans sa capacité à <a href="https://www.hrw.org/news/2020/04/22/civil-society-organizations-urge-council-urgently-take-hungarian-covid19-response">faire respecter l’État de droit</a>, mais aussi pour son <a href="https://www.huffingtonpost.fr/nicolas-tenzer/devant-lurgence-historique-leurope-geopolitique-est-la-seule-reponse_a_23683715/">affirmation comme puissance</a>. Sur ce plan-là, les nouveaux dirigeants des institutions de l’UE ont des <a href="https://www.ecfr.eu/article/commentary_how_the_coronavirus_threatens_a_geopolitical_europe">progrès à accomplir</a> et ils n’ont pas traduit dans les faits – malgré les <a href="https://www.euractiv.com/section/politics/news/von-der-leyen-vows-a-green-digital-geopolitical-eu-in-davos/">proclamations d’Ursula von der Leyen</a> et <a href="https://www.project-syndicate.org/commentary/embracing-europe-s-power-by-josep-borrell-2020-02/french ?barrier=accesspaylog">Josep Borrell</a> – leur ambition, selon les termes de la présidente de la Commission, de parvenir à une « Europe géopolitique ».</p>
<p>Une telle ambition requiert certes d’abord une cohésion entre les 27 et il ne faudrait pas que certains pays, potentiels maillons faibles comme <a href="https://foreignpolicy.com/2020/03/30/russia-china-coronavirus-geopolitics/">l’Italie</a>, se laissent aller à une forme de complaisance envers Moscou, notamment en <a href="https://euobserver.com/foreign/145376">demandant une levée des sanctions</a> ou en estimant qu’une forme de réengagement avec le régime de Poutine est possible, ou <a href="https://www.belfercenter.org/publication/europe-needs-china-strategy-brussels-needs-shape-it">envers Pékin</a>, en reprenant, après la pandémie, le <em>business as usual</em> avec la Chine. Une politique plus bienveillante envers Taïwan serait de ce point de vue un signal positif fort. Une telle orientation doit aussi se traduire dans notre politique à l’égard des pays candidats ou potentiellement tels. Une politique plus engageante envers la Serbie est certainement nécessaire, mais elle doit être conditionnelle dans son orientation : entre Moscou et <a href="https://theconversation.com/la-chine-et-les-balkans-occidentaux-un-ancrage-a-la-peripherie-de-lue-137039">Pékin</a>, d’un côté, l’Europe de l’autre, il faudra choisir.</p>
<p>L’Europe est surtout attendue dans une politique sans ambiguïté devant les principales menaces, celle des régimes russe et chinois. On attend principalement d’elle un soutien sans faille à l’Ukraine agressée ainsi qu’à la Géorgie qui n’a pas recouvré les 20 % de son territoire <em>de facto</em> annexés par Moscou. On souhaite qu’elle <a href="https://www.ft.com/content/ae0b560c-5e03-11ea-ac5e-df00963c20e6">dénonce les crimes de guerre</a> commis par le régime de Poutine à côté de celui d’Assad plutôt que de s’alarmer de l’<a href="https://foreignpolicy.com/2020/03/05/refugees-turkey-europes-morality-is-dying-at-the-greek-border/">afflux des réfugiés sur son sol</a> sans en traiter les causes. Si elle a adopté une position ferme en demandant qu’une <a href="https://www.newsweek.com/eu-chief-china-join-investigation-coronavirus-origins-probe-important-whole-world-1501366">enquête indépendante soit menée sur la manière dont la Chine a traité la pandémie</a> qui s’est déclarée sur son sol, elle devrait se montrer moins chiche dans son soutien aux protestataires de Hongkong et faire entendre sa voix sur le <a href="https://www.aspi.org.au/report/uyghurs-sale">traitement des Ouïghours</a>. Enfin, la crise du Covid-19 est l’occasion pour elle de tenir compte des risques liés à sa dépendance dans les secteurs-clés de son économie (matériel médical, <a href="https://www.euractiv.com/section/circular-economy/news/meps-push-for-raw-materials-focus-in-eus-new-industrial-strategy/">terres rares et produits électroniques</a> pour la Chine, <a href="https://www.ft.com/content/4cfd4b1e-43eb-11e9-b83b-0c525dad548f">gaz pour la Russie</a>), mais aussi de l’offensive de Pékin sur les <a href="https://www.courrierinternational.com/long-format/enquete-quand-internet-sera-chinois">normes de l’Internet</a>.</p>
<h2>Relation transatlantique et autonomie stratégique</h2>
<p>Pour l’Europe comme pour les pays démocratiques en général, il est impossible de concevoir une politique qui permette de s’affranchir de la menace de dictatures offensives à la fois en dehors de la relation avec les États-Unis et sans être capable de la dépasser. Cette réalité paradoxale – être alliés et différents – dépasse de loin les aléas posés par l’inconstance et l’inconsistance de la présidence Trump. La pandémie n’a pas fait disparaître le besoin conjoint d’Europe et des États-Unis dans le dossier ukrainien : le format de Minsk, irremplaçable un moment pour conjurer le pire – et les accords de Minsk sont la <a href="https://www.consilium.europa.eu/en/policies/sanctions/ukraine-crisis/">base juridique des sanctions envers la Russie</a> –, n’est plus adéquat pour avancer davantage, car il ne contient pas en lui-même suffisamment de leviers pour faire pression sur le Kremlin et n’inclut pas la Crimée.</p>
<p>Sur la Chine plus encore, les tentatives visant à limiter notre dépendance par rapport à son marché et à répondre à son influence tant au sein des organisations internationales que dans certaines zones, y compris l’Afrique, ne peuvent qu’être vouées à l’échec sans une coordination étroite avec Washington <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2020/05/china-global-influence-who-united-states/611227/">qui devra investir plus, intellectuellement, dans ces organisations</a>. Nous n’avons pas besoin d’une stratégie unique, certes, mais au moins d’une stratégie conjointe. Les États-Unis sont nécessaires à l’Europe pour affaiblir et dissuader les principales menaces, mais nous devrons acquérir la capacité d’agir seuls lorsque les Américains ne nous suivront pas – cela pourrait être le cas de plus en plus au Moyen-Orient, car on ne voit pas aujourd’hui <a href="https://www.brookings.edu/blog/order-from-chaos/2020/03/20/the-quiet-reformation-of-bidens-foreign-policy/">Joe Biden, s’il est élu, remettre en cause la doctrine Obama</a> de non-intervention en Syrie.</p>
<p>Quel que soit le prochain président américain, et au-delà de zones de sous-développement indignes, les États-Unis resteront aussi la première puissance mondiale et ils ont montré leur capacité, malgré une <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2020/mar/28/trump-coronavirus-politics-us-health-disaster">gestion calamiteuse de la pandémie</a>, à s’engager dans un <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-accord-historique-sur-un-gigantesque-plan-de-relance-de-l-economie-americaine_3883765.html">plan de soutien massif à l’économie qui leur permettra de rebondir</a>. Ils pourront demain contribuer à tirer la croissance mondiale. Demain, un président américain éclairé pourra comprendre que si l’Europe peut être légitimement considérée comme concurrente de l’Amérique, un pôle de développement plus fort et équilibré de ce côté de l’Atlantique est plus dans l’intérêt de Washington, stratégiquement et technologiquement, qu’une impossible cogestion par un duopole sino-américain. L’Europe devra montrer qu’elle en a aussi conscience.</p>
<h2>La globalisation, ni menacée ni maîtrisée</h2>
<p>Là aussi, remarque triviale sans doute, c’est, par-delà les menaces premières des puissances antilibérales, dans l’organisation de la globalisation que gît le problème déterminant. Autant la question de la <a href="https://www.aspistrategist.org.au/democracies-need-alliances-to-secure-vital-supply-chains/">dépendance vis-à-vis de certaines puissances hostiles</a> et de leurs investissements dans les économies européennes doit être traitée fermement, autant la globalisation ne saurait être arrêtée. Un tel arrêt porterait des risques majeurs pour notre prospérité et le développement de l’ensemble des pays. Les exigences liées à la préservation de l’environnement exigent des disciplines dans les échanges, non leur remise en cause. La globalisation rend urgente la mise en œuvre de normes sans doute plus contraignantes en termes sociaux, environnementaux et de droits humains – et aussi de tourisme responsable –, non la limitation du commerce mondial. Elle exige d’autres pratiques entrepreneuriales, notamment en matière fiscale, <a href="https://www.bfmtv.com/economie/facebook-le-coup-de-pression-fiscal-de-thierry-breton-a-mark-zuckerberg-1916743.html">avec une lutte moins timide contre les paradis fiscaux</a>, qui participent aussi de la criminalisation d’une partie de la finance internationale, non pas la renationalisation des entreprises.</p>
<p>Au-delà des risques économiques que poserait une tendance irrépressible à la déglobalisation, les risques en termes d’esprit public seraient potentiellement les plus ravageurs. Outre les vertus intrinsèques des échanges intellectuels et personnels, des voyages et de la simple conscience de la pluralité du monde, une telle tendance alimenterait les peurs, l’illusion de l’autosuffisance et le renfermement sur une insularité de la pensée, indifférente, égoïste et racornie. En même temps qu’elle tuerait les vertus d’empathie et de solidarité, elle fermerait la porte au projet d’universalisme et de cosmopolitisme qui a aussi besoin de la matérialité du monde pour s’incarner. Et rien ne serait pire, peut-être, de ce point de vue, que la concordance d’une mondialisation économique, commerciale et financière, inévitable et nécessaire, et d’une démondialisation des âmes. C’est parce que la première doit être mieux organisée afin de protéger notre sécurité et nos valeurs que la mondialisation des esprits, qui est aussi mondialisation des impératifs de liberté, doit être mieux défendue.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138983/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Tenzer est est président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique (CERAP), un think tank français neutre politiquement et indépendant de tout parti et groupe d'intérêts.</span></em></p>Le monde d’après l’épidémie ne sera pas radicalement différent de celui d’avant. La crise ne fait qu’exacerber des tendances préexistantes.Nicolas Tenzer, Chargé d'enseignement International Public Affairs, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1387452020-05-15T19:14:14Z2020-05-15T19:14:14ZPenser l’après : des forts plus forts dans un monde affaibli<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/335425/original/file-20200515-138654-83g5xs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La crise sanitaire et économique favorise l’émergence d’un monde plus dur et plus inégalitaire, dominé par les jeux d'équilibre entre la Chine et les États-Unis.
</span> <span class="attribution"><span class="source">inimalGraphic/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Alors que le <a href="https://www.lci.fr/international/coronavirus-le-grand-confinement-la-crise-de-2020-du-covid-19-a-desormais-un-nom-2151154.html">« Grand Confinement »</a> touche à sa fin en <a href="https://blogs.imf.org/2020/05/12/emerging-from-the-great-lockdown-in-asia-and-europe/">Asie et en Europe</a>, on annonce partout que <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-plus-rien-ne-sera-jamais-plus-comme-avant-1187673">« plus rien ne sera comme avant »</a>. Dans l’économie mondiale et dans les relations internationales, la crise du Covid-19 aurait fait advenir « un autre monde ». Pour les uns, la pandémie et la récession auraient déclenché une <a href="https://institutdelors.eu/evenement/green-recovery-post-covid-19-european-or-national-strategies/">prise de conscience en faveur de la décroissance, de la protection de l’environnement</a> et des souverainetés nationales. Pour les autres, la crise constituerait l’acte de décès de la mondialisation et du multilatéralisme. Elle marquerait même le <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/coronavirus-les-etats-unis-et-la-chine-risquent-un-choc-politique-leurope-risque-son-existence_fr_5e9ee93ac5b6a486d07f3386">début d’un chaos général dominé par la Chine</a>.</p>
<p>Toutefois, la crise actuelle bouleverse-t-elle réellement les rapports de force antérieurs, sur le plan géopolitique et géoéconomique ? N’exacerbe-t-elle pas plutôt des tensions préexistantes ? Ne révèle-t-elle pas des rapports de force latents ?</p>
<p>Un monde neuf naît-il sous nos yeux ? Sans doute pas. Nous voyons plutôt l’émergence d’un monde plus dur et plus inégalitaire où les plus puissants sont affaiblis mais résistent mieux, tandis que les plus faibles sont, eux, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/04/20/jean-yves-le-drian-ma-crainte-c-est-que-le-monde-d-apres-ressemble-au-monde-d-avant-mais-en-pire_6037128_3210.html">durablement affaiblis</a> et risquent l’effondrement.</p>
<p>Le « monde d’après » connaîtra non pas un bouleversement mais un durcissement.</p>
<h2>Une crise darwinienne : vers une Grande Divergence entre États</h2>
<p>En politique comme en économie, les crises majeures ont généralement <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-les-trois-effets-du-covid-19-sur-les-relations-internationales-1197493">trois effets</a> : elles révèlent des phénomènes passés inaperçus ; elles accélèrent la transformation des rapports de force ; et, parfois, elles détruisent l’ordre ancien.</p>
<p>Les crises actuelles sont à la fois sanitaires, économiques, budgétaires et politiques. Elles ont déjà produit ces effets. Mais elles ont des conséquences bien différentes des crises du XX<sup>e</sup> siècle comme les deux Guerres mondiales, la Grande Dépression ou encore la vague de décolonisations. Toutes ces évolutions historiques avaient transfiguré les relations internationales : elles avaient transféré l’hégémonie politico-économique de certains États installés ou <em>ruling powers</em> (Allemagne, France, Royaume-Uni, Japon) à d’autres États en essor ou <em>rising powers</em> (les États-Unis, l’URSS, puis les Tigres asiatiques). Ces métamorphoses géopolitiques avaient également fait apparaître de nouvelles puissances : l’Inde unifiée et indépendante en 1947, la Chine communiste et pacifiée en 1949, l’Égypte nassérienne après la crise de Suez en 1956 puis, après la crise de 1998, les BRICS.</p>
<p>La série de crises en cours déclenche des bouleversements, mais ils ne sont pas de cette nature. Bien entendu, tous les États sont frappés à des degrés divers par la pandémie. Qu’ils soient développés, émergents ou en développement, tous pâtissent d’une récession générale estimée par le FMI à <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/04/14/coronavirus-le-fmi-predit-une-recession-mondiale-historique-avec-un-recul-de-la-croissance-estime-a-3-en-2020_6036559_3234.html">environ 3 % du PIB mondial</a>. Mais tous n’ont pas les mêmes capacités de rebond, de résilience ou de reprise. Autrement dit, pour paraphraser <em>Les Animaux malades de la peste</em> – « Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés » –, tous les États affrontent le même présent d’affaiblissement économique mais ils ne se préparent pas tous le même futur de reprise. Et leurs trajectoires respectives pourraient bien diverger à l’occasion de l’incertain déconfinement, du lent rétablissement et de la lointaine reprise.</p>
<p>La crise actuelle est d’ores et déjà proprement darwinienne : les États les moins solides seront encore plus pénalisés que les autres. En effet, dans le monde qui s’annonce, les positions relatives des États seront déterminées par la solidité de leurs colonnes vertébrales étatiques. Juguler la pandémie et répondre à la crise économique nécessite des pouvoirs publics efficaces ; dès lors, les pays dotés d’institutions solides, <a href="https://jean-jaures.org/nos-productions/suede-non-confines-mais-confiants">administrativement, budgétairement et politiquement</a>, sont mieux en mesure de résister et de profiter du retour à l’activité. Facteur aggravant de la Grande Divergence qui s’annonce : alors même que la pandémie <a href="https://news.un.org/fr/story/2020/04/1065812">réclamerait un effort supplémentaire de coopération internationale</a>, le multilatéralisme se voit encore plus accusé d’inefficacité. Or, le multilatéralisme est explicitement conçu comme une barrière à la divergence entre États.</p>
<p>On pourrait penser que les crises actuelles précipitent le retour du monde du XIX<sup>e</sup> siècle régi par l’affrontement entre puissances nationales. En réalité, nous ne revenons pas deux siècles en arrière mais nous sommes brutalement projetés dans l’avènement du monde du XXIe siècle où l’affrontement entre la Chine et les États-Unis domine la scène internationale, où le multilatéralisme et le libre-échange sont sapés et où l’Union européenne tâtonne pour prendre un rôle géopolitique.</p>
<p>En un mot, la crise actuelle est profondément inégalitaire à l’intérieur de chaque société, au sein de chaque région et sur la scène mondiale : les États les plus puissants sont affaiblis au même titre que les plus faibles mais ils sont mieux à même de garantir leur résilience et d’organiser leur rebond.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/335433/original/file-20200515-138615-1e4dh3m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/335433/original/file-20200515-138615-1e4dh3m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/335433/original/file-20200515-138615-1e4dh3m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/335433/original/file-20200515-138615-1e4dh3m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/335433/original/file-20200515-138615-1e4dh3m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=629&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/335433/original/file-20200515-138615-1e4dh3m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=629&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/335433/original/file-20200515-138615-1e4dh3m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=629&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des États puissants affaiblis, mais capables de rebondir. Ce ne sera pas le cas des États plus faibles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">inimalGraphic/Shutterstock</span></span>
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<h2>La « ré-étatisation du monde » à marche forcée</h2>
<p>Depuis la fin de 2019, en quelques mois, en quelques semaines, le monde s’est affaibli, l’économie s’est appauvrie et les relations internationales se sont tendues. Cette dynamique a consacré le grand retour des États-nations sur la scène politique nationale, régionale et internationale. Là encore, il s’agit d’une accélération et non d’une disruption ou d’une rupture. C’est bien une ré-étatisation et non une étatisation qui est réalisée.</p>
<p>Après les épidémies – heureusement circonscrites – du SARS de 2002 à 2004 en Asie et en Amérique du Nord et d’Ebola en 2014-2015 en Afrique de l’Ouest, la maladie est redevenue un acteur majeur des relations internationales. Le bilan médical du Covid-19 est d’une ampleur inédite au XXIe siècle : le virus a <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/05/05/coronavirus-age-mortalite-departements-pays-suivez-l-evolution-de-l-epidemie-en-cartes-et-graphiques_6038751_4355770.html">contaminé plus de 4,3 millions de personnes dans le monde et a causé près de 300 000 décès</a>. La pandémie est mondiale <em>stricto sensu</em>, avec 180 pays touchés. Ce sont les phénomènes biologiques qui ont en quelques semaines pris le devant de la scène géopolitique.</p>
<p>Les mesures prophylactiques décidées par les États ont causé en quelques semaines une récession mondiale. Ces perspectives macroéconomiques défavorables laissent déjà entrevoir une hausse massive du chômage, sans doute à hauteur de <a href="https://theconversation.com/etats-unis-la-reouverture-pour-endiguer-lexplosion-du-chomage-138360">14 % de la population active aux États-Unis</a> et de <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/conjoncture/coronavirus-une-forte-hausse-du-chomage-est-attendue-dans-les-prochaines-semaines-1203038">10 % dans l’UE</a>. Le commerce international est en contraction nette <a href="https://news.un.org/fr/story/2020/04/1066152">(de 13 % à 32 % pour 2020 selon l’OMC)</a>. Quant à la situation sociale, elle risque de se dégrader au point de replonger dans la pauvreté les populations qui, en Asie, en étaient sorties à la faveur de la mondialisation. Des risques sévères de remous politiques intérieurs menacent à l’horizon : la défiance envers les pouvoirs publics, la dégradation de la situation matérielle des couches populaires et l’aggravation des inégalités internes pourraient déboucher sur de véritables troubles.</p>
<p>En limitant les déplacements, en stoppant l’appareil productif, en entravant le commerce, l’État « biopolitique », pour reprendre <a href="https://www.revue-elements.com/biopolitique-du-coronavirus-1-la-lecon-de-michel-foucault/">l’expression de Michel Foucault</a>, a eu pour priorité la préservation de la vie biologique au détriment explicite de la santé économique. C’est ce qui a entraîné un accroissement massif, rapide et indispensable de l’action économique de l’État.</p>
<p>Ainsi, les plans de soutien aux entreprises, aux salariés et à l’économie sont en essor constant. Aux États-Unis, les allégements fiscaux, les garanties apportées par les pouvoirs publics et les subventions directes s’élèvent chaque jour plus haut, en valeur absolue et en proportion du PIB, faisant redouter le <a href="https://www.cato.org/blog/epidemic-red-tape">retour du <em>Big Government</em></a>. De même, les institutions de l’UE ont porté leur effort financier à des sommes considérables au vu du PIB de l’Union (voir infra). Et il en va ainsi dans toutes les économies ou presque : l’intervention publique est massive et a augmenté de plusieurs points de PIB en quelques semaines. Sur les scènes politiques et dans les mondes économiques nationaux, l’État fait son grand retour : l’État « médecin » et l’État « gendarme » qui ont ordonné et surveillé les politiques de confinement ont été épaulés par l’État-Providence capable de soutenir les chômeurs et par l’État-interventionniste capable de mobiliser les finances publiques pour soutenir l’économie.</p>
<p>Cette « ré-étatisation du monde » a une incidence directe sur le cours des relations internationales : la nouvelle centralité de l’État creuse des inégalités. Qui a un État robuste doté de ressources (fiscales, budgétaires, médiatiques, administratives) importantes peut lutter contre les effets de la crise bon an mal an. Mais qui a un État déjà affaibli ou inefficace risque l’effondrement intérieur et la marginalisation internationale. La façon dont des États moyens mais administrativement efficaces comme Singapour, <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/coronavirus-bras-de-fer-tendu-entre-loms-et-taiwan-sous-loeil-furieux-de-pekin-1193934">Taïwan</a> ou la <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/en-asie-de-plus-en-plus-de-gouvernements-tentes-par-la-distanciation-economique-avec-la-chine-1202338">Corée du Sud</a> ont réagi démontre l’importance de la puissance étatique. En revanche, la lenteur et la désorganisation chronique de l’administration indienne a entravé le traitement de l’épidémie et de la crise par New Delhi.</p>
<p>Certains États tireront parti de la crise pour renforcer leurs positions à la faveur de l’affaiblissement des autres. Ce sera le cas des deux puissances déjà dominantes à l’entrée dans la crise : la <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/en-asie-de-plus-en-plus-de-gouvernements-tentes-par-la-distanciation-economique-avec-la-chine-1202338">République populaire de Chine</a> et les États-Unis d’Amérique. Pour ces puissances mondiales aussi, la crise a des effets cruels. Mais elles ont mobilisé leurs immenses ressources militaires, médiatiques, diplomatiques, technologiques et scientifiques pour gagner du terrain sur plusieurs théâtres stratégiques et économiques.</p>
<h2>Du G2 sino-américain au « piège de Thucydide »</h2>
<p>Dans la Grande Divergence entre États actuellement en cours, les deux superpuissances contemporaines sont simultanément frappées de plein fouet. Mais elles durcissent déjà leurs positions respectives en vue de la phase de reprise. <a href="https://blogs.mediapart.fr/pascalboniface/blog/010420/la-crise-du-coronavirus-va-t-elle-profiter-la-chine">Pékin</a> et Washington sont déterminés à se tailler la part du lion dans un « gâteau » géoéconomique dont la taille s’est réduite.</p>
<p>Ainsi, la RPC a opéré en six mois une mue remarquable, étonnante et paradoxale. Foyer de l’épidémie et suspectée de désinformation, elle a <a href="https://theconversation.com/la-chine-se-reve-en-premiere-puissance-sanitaire-mondiale-134278">tenté de devenir une superpuissance sanitaire</a> en déployant une <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/05/07/chine-la-diplomatie-des-masques-a-echoue_1787727">« diplomatie des masques »</a> ». Mise en accusation, elle essaye de faire porter la responsabilité à l’Occident et aux États-Unis, les taxant d’inconséquence, de négligence et d’impéritie, <a href="https://www.reuters.com/article/us-health-coronavirus-china-usa-idUSKBN22E0C4">comme la vidéo virale <em>Once Upon A Virus</em> qu’elle a diffusée le montre sans détour</a>. Elle a <a href="https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/le-contrat-social-chinois-en-peril.html">révélé l’ampleur de ses ambitions</a> en passant à la diplomatie du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/04/30/chine-la-diplomatie-du-loup-combattant_6038290_3210.html">« loup combattant »</a>, autrement dit à une tactique agressive, destinée à discréditer ses rivaux. La puissance chinoise ne sortira pas de la crise seule car son économie est trop dépendante des exportations vers l’UE et les États-Unis. Mais elle met d’ores et déjà à profit ses réserves financières et ses capacités d’investissement pour lancer des offensives de rachats dans les économies affaiblies, acquérir des parts de marché et profiter de sa légère avance en matière de déconfinement. Les PME de niches en difficulté et les États en détresse budgétaire comme le Laos et le Cambodge sont des cibles de choix.</p>
<p>Dans la période qui s’ouvre, les États-Unis ont, eux, pris du retard sur bien des plans. Initialement négligents sur le plan prophylactique, les pouvoirs publics n’ont pas empêché un bilan humain très lourd et ont ainsi subi un certain discrédit international. Durant la première phase de la crise, la présidence Trump a privilégié le repli de l’Amérique en <a href="https://www.humanite.fr/trump-decide-dune-fermeture-selective-des-frontieres-686193">fermant les frontières</a>. Elle a renoncé à montrer la voie et donc à exercer le <a href="http://www.slate.fr/story/190371/covid-19-reprise-economique-europe-modele-resilience"><em>leadership</em> mondial dans cette crise</a>. Les États-Unis sont pourtant habitués, depuis un siècle, à prendre l’initiative et à fixer leur cap ; ils l’ont fait lors des précédentes catastrophes stratégiques et économiques. Peut-on en conclure que la pandémie minera durablement la place du pays sur la scène internationale ? Ses capacités de réaction ne doivent pas être sous-estimées. L’économie américaine est résiliente : elle a été prompte à détruire des emplois mais saura rapidement les recréer une fois la reprise amorcée. Il en va de son caractère structurellement pro-cyclique. De même, au niveau international, si les États-Unis paraissent temporairement affaiblis, ils se sentent, eux, encore plus engagés dans la rivalité avec la Chine et prêts à répondre à l’offensive lancée par celle-ci. En 2017, Trump avait fondé sa candidature sur le refus de la dépendance à l’égard de Pékin. En 2018, sa présidence s’était poursuivie par un relèvement des droits de douane et par un protectionnisme assumé conduisant à une « guerre commerciale ». Est-il si néfaste pour le président-candidat en campagne de s’afficher comme <a href="https://www.lavoixdunord.fr/752947/article/2020-05-14/donald-trump-menace-de-rompre-toute-relation-avec-la-chine">l’opposant explicite de Xi Jinping</a> ? Les États-Unis pourront surprendre durant les mois qui viennent par leur capacité à mobiliser leurs ressources de tout type afin de retrouver leur place.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/335416/original/file-20200515-138639-ogh8z3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/335416/original/file-20200515-138639-ogh8z3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/335416/original/file-20200515-138639-ogh8z3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/335416/original/file-20200515-138639-ogh8z3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=428&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/335416/original/file-20200515-138639-ogh8z3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=538&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/335416/original/file-20200515-138639-ogh8z3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=538&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/335416/original/file-20200515-138639-ogh8z3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=538&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un monde tiraillé entre la Chine et les États-Unis.</span>
<span class="attribution"><span class="source">inimalGraphic/Shutterstock</span></span>
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<p>Les tensions sino-américaines donnent le ton de la période : une rivalité préexistante s’accentue à la faveur de la crise, précipite un virage nationaliste de part et d’autre et accélère la rupture des deux grandes puissances avec le multilatéralisme. Sur le plan international, la crise écarte durablement la perspective d’un G2 sino-américain qui supplanterait le G7, le G8 et le G20 comme institution de direction des affaires du monde. En fait, l’évolution internationale actuelle concrétise la perspective du <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/le-tour-du-monde-des-idees-du-jeudi-21-fevrier-2019">« piège de Thucydide »</a> – autrement dit, elle hâte l’affrontement entre la Chine et les États-Unis.</p>
<p>L’accélération donnée par la crise a conduit à une clarification : le monde qui vient sera crûment dominé par cette gigantomachie sino-américaine.</p>
<h2>L’Union européenne, de la résilience au leadership ?</h2>
<p>En Europe également, la crise a précipité des évolutions à l’œuvre depuis une décennie sans les bouleverser.</p>
<p>Dans les premiers temps, elle a ravivé les démons de la discorde. L’Italie s’est considérée abandonnée par l’Europe au moment où le bilan s’élevait à près de 1 000 décès par jour, alors qu’elle s’était déjà jugé <a href="https://www.humanite.fr/trump-decide-dune-fermeture-selective-des-frontieres-686193">oubliée</a> par Bruxelles lors des crises migratoires de 2015-2016. De manière générale, le fossé entre un « Nord cigale » et un « Sud fourmi » s’est manifesté. Quand les <a href="https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/le-budget-de-lunion-europeenne-non-a-lobsession-du.html">discussions budgétaires se sont engagées</a> pour le nouveau cycle de programmation financière de l’Union, les oppositions se sont affirmées entre les « États frugaux » (Allemagne, Pays-Bas, Suède), partisans d’une décrue du déjà modeste budget commun, et les États du Sud et de l’Est, avocats d’une plus grande ambition et donc d’une plus grande cohésion. La controverse sur l’émission d’obligations émises par la Commission européenne, les fameux « coronabonds », atteste de cette dissension interne.</p>
<p>Mais l’arbre du débat interne (<a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-crise-du-coronavirus-cree-la-zizanie-en-europe-1189992">médiatisé à dessein par les Pays-Bas</a>) ne doit pas cacher la forêt du consensus fondamental. Peu à son aise en matière sanitaire, l’Europe s’est révélée réactive en matière financière, budgétaire et économique, suspendant le Pacte de stabilité et de croissance quelques jours après le début de la pandémie en Europe, déclenchant à travers la Banque centrale européenne un <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/la-banque-centrale-europeenne-se-reunit-en-urgence-1186717">plan de rachat</a> de dettes privées et publiques historique par son montant (1 000 milliards d’euros au total en 2020), activant le Mécanisme européen de stabilité pour <a href="https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/covid-19-jusqu-a-240-milliards-d-euros-de-credit-pour-les-pays-en-difficulte-en-zone-euro-844373.html">240 milliards d’euros</a> de prêts fournis aux États, mettant sur pied le mécanisme <a href="https://www.courrierinternational.com/article/economie-avec-le-plan-sure-leurope-tente-de-donner-une-reponse-solidaire-la-crise">SURE</a> de 100 milliards d’euros pour soutenir les États membres dans leur indemnisation du chômage partiel et programmant des prêts de la part de la Banque européenne d’investissement. Les institutions européennes ont repris le flambeau de l’État-Providence forgé et rôdé tout au long de <a href="http://www.slate.fr/story/190371/covid-19-reprise-economique-europe-modele-resilience">son histoire politique</a>.</p>
<p>Modèle de résilience, l’Europe aborde la fin du déconfinement sensiblement affaiblie par la pire récession de son histoire mais <a href="https://theconversation.com/debat-leurope-doit-elle-vraiment-nous-faire-honte-136031">pas nécessairement en position défavorable</a>, tant son expérience des plans de sauvetage est longue.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/335420/original/file-20200515-138615-9ndg7q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/335420/original/file-20200515-138615-9ndg7q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/335420/original/file-20200515-138615-9ndg7q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/335420/original/file-20200515-138615-9ndg7q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/335420/original/file-20200515-138615-9ndg7q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/335420/original/file-20200515-138615-9ndg7q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/335420/original/file-20200515-138615-9ndg7q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Face à la crise, une Europe pas forcément en position défavorable.</span>
<span class="attribution"><span class="source">inimalGraphic/Shutterstock</span></span>
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<p>Une opportunité géopolitique pourrait même se manifester pour elle : entre un leadership chinois qui ne fédère pas et un <em>leadership</em> américain qui se dérobe pour le moment, l’UE pourrait saisir l’occasion de passer à une autre étape de son action internationale, par exemple via les mécanismes d’aide publique au développement, comme elle a commencé à le faire.</p>
<h2>De la crise du multilatéralisme aux risques de décrochage</h2>
<p>Si les puissances établies sont affaiblies mais résilientes, le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/24/le-multilateralisme-a-l-epreuve-du-coronavirus_6037600_3232.html">multilatéralisme</a> et les États qui en bénéficiaient sont, eux, exposés à un risque de décrochage majeur.</p>
<p>Le multilatéralisme du système des Nations unies est entré dans la crise sous le feu des critiques et risque d’en sortir en lambeaux. Au moment même où la coopération médicale est le plus nécessaire, l’agence spécialisée des Nations unies chargée de la santé, l’Organisation mondiale de la santé (<a href="https://www.liberation.fr/direct/element/les-mensonges-chinois-et-laveuglement-de-loms_112366/">OMS</a>) a été constamment au centre d’un affrontement entre puissances. Critiquée par la présidence Trump pour son coût pour le contribuable américain, elle a été accusée d’avoir endossé les positions chinoises et d’avoir ainsi trahi sa mission historique de lutte contre les pandémies. Symptôme du « chacun pour soi » de la crise de ce printemps, les États-Unis ont <a href="https://www.lefigaro.fr/international/les-etats-unis-suspendent-brutalement-leur-contribution-a-l-oms-20200415">suspendu leur contribution financière au budget de l’OMS</a>.</p>
<p>Alors que le multilatéralisme était (difficilement) né des crises précédentes – les deux Guerres mondiales avaient respectivement conduit à la création de la Société des Nations et de l’ONU, et la crise financière de 2008-2009 avait renforcé le poids du G7 et du G20 –, la crise actuelle contribue à le laminer. Elle consacre un Grand Repli où les instances de résolution des différends et les outils de coordination sont par principe en butte au soupçon. Dans une terrible prophétie auto-réalisatrice, la crise du multilatéralisme accroît ses inefficacités et alimente sa critique.</p>
<p>Or plusieurs régions bénéficient directement du multilatéralisme, l’Afrique au premier chef. Dans la deuxième partie du XX<sup>e</sup> siècle, c’est dans le cadre de l’ONU et des institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale) que les jeunes États indépendants s’étaient affirmés sur la scène internationale. Et c’est là que les programmes d’aide au développement (non exempts de lacunes) avaient été mis en place. La critique du multilatéralisme et la raréfaction des ressources budgétaires disponibles pour l’action extérieure risquent de réduire considérablement le soutien public à l’essor de l’Afrique.</p>
<p>Sur ce continent où les infrastructures médicales sont aussi réduites que les statistiques épidémiologiques fiables, <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/covid-19-en-afrique-le-pire-est-a-venir-1197102">nul ne sait encore quelle est l’étendue réelle de la pandémie</a>. Mais la récession mondiale touchera nécessairement ses économies les plus dynamiques (Éthiopie, Afrique du Sud). La division par trois des cours mondiaux des hydrocarbures <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/editoriaux-de-lifri/lafrique-questions/covid-19-sahel-pandemie-lente-impacts-multiples">affectera particulièrement l’Algérie et le Nigéria</a>. Dépourvus d’administrations rompues à l’exercice des plans de relance, ces États abordent la crise économique en position particulièrement défavorable car la relance ne pourra venir que du secteur privé – endommagé – et de l’économie internationale – paralysée.</p>
<p>Pour l’Afrique, le décrochage économique pourrait se doubler d’un découplage stratégique. Alors que les guerres au Sahel et en Libye accaparaient l’attention des diplomates et des militaires, ces conflits perdurent mais sont devenus périphériques, laissés à leur propre sort. Comme le montre le cas de l’Afrique, le monde pourrait désormais se structurer entre des zones où la lutte contre la pandémie est la priorité et d’autres où elle est secondaire et où restera donc latente pendant des années.</p>
<p>Ces dernières risquent fort de se trouver en état de relégation sanitaire, puis économique et politique. Ce qui pourrait avoir des effets sur les flux migratoires Sud-Nord – reste à savoir lesquels. Pour mémoire, depuis 2015 l’Union européenne doit son accroissement démographique aux migrations. Tenter de véritablement fermer les frontières extérieures de l’UE aux foyers migratoires et pandémiques aurait des effets accélérateurs sur l’effacement démographique relatif de l’UE. Cela passerait en outre par un durcissement des moyens consacrés à cette politique, affaiblissant davantage encore les postures morales de l’UE.</p>
<h2>De la « réétatisation » du monde à la Grande Divergence</h2>
<p>Dans les crises actuelles, bien des incertitudes sont encore à lever. Ainsi, l’<a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/leconomie-iranienne-subit-une-recession-severe-1160187">Iran est mis en grande difficulté</a> par l’ampleur de la pandémie, les remous sociaux, l’effondrement des cours des hydrocarbures et le durcissement de la présidence Trump. De même, la <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/editoriaux-de-lifri/russie-face-un-triple-defi-reforme-constitutionnelle-chute-prix">Russie</a> mobilise les réserves financières de ses deux fonds souverains pour subventionner l’économie mais ne semble pas avoir de plan de relance en raison même des faiblesses structurelles de son modèle économique. En effet, la baisse des cours des hydrocarbures souligne de nouveau à quel point les ressources publiques et la prospérité de la population dépendent d’une seule et même variable. Et le Brésil est en proie à une crise politique intérieure qui s’accentue du fait des choix de gestion de l’épidémie.</p>
<p>Malgré ces incertitudes, plusieurs conséquences des crises sont déjà confirmées : la compétition pour la reprise dans un monde globalement appauvri sera d’autant plus féroce que l’activité sera rare. Dans cette lutte, les puissants d’avant la crise (Chine et États-Unis) sont en ordre de bataille pour défendre leurs intérêts à la faveur de l’affaiblissement généralisé de l’économie internationale. Et, de manière générale, la « réétatisation du monde », on l’a dit, confère aux États résilients un avantage comparatif sur les autres États moins familiers avec les politiques de santé publique, les plans de relance et l’intervention publique en matière socio-économique.</p>
<p>La crise multiforme de 2020 n’est pas grosse d’un nouveau monde. Elle rend le monde existant plus âpre, plus brutal et plus inégalitaire. </p>
<hr>
<p><em>Cet article est republié dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138745/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La crise actuelle affaiblit les pays du monde entier. Mais ceux qui étaient initialement les mieux lotis seront moins durement affectés que les autres. Le monde de demain sera donc plus inégalitaire.Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1384712020-05-15T15:32:21Z2020-05-15T15:32:21ZPenser l’après : La géopolitique du monde qui vient<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/334644/original/file-20200513-156629-12j20e0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=43%2C10%2C7206%2C3500&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-illustration/blue-abstract-hi-speed-internet-technology-406800601">Titima Ongkantong/shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>L’acuité de la nature historique du coronavirus vient en grande partie de la triple conjonction de l’instantanéité de son impact, des conséquences de son amplitude mondiale et de l’évidence de sa nature transformatrice.</p>
<p>Avec une célérité et une certitude rarement combinées de la sorte dans les relations internationales, un consensus palpable a vu le jour à la fois au sein des sociétés de ce monde et entre celles-ci : tout a déjà changé, et tout va changer encore plus.</p>
<p>Certes, l’histoire nous apprend qu’il faut toujours relativiser l’emphase sur la nouveauté, notamment lorsque l’on se trouve encore dans l’œil du cyclone et que les précédents de crises mondiales trop souvent oubliées, <a href="https://graduateinstitute.ch/communications/news/brief-international-history-pandemics">pandémies inclues</a>, sont légion.</p>
<p>Pour autant, cette crise donne objectivement le « la » d’une nouvelle phase dans la grammaire de la sécurité internationale. Elle le fait d’abord en confirmant une tendance émergente : <a href="https://www.sipri.org/media/press-release/2019/stockholm-security-conference-opens-unpredictable-new-normal">l’imprévisibilité</a> est désormais la donne principale de cette architecture évolutive de la sécurité globale.</p>
<h2>La fin de l’« après-11 Septembre »</h2>
<p>Depuis quelques années déjà, cette notion d’incertitude avait été reconnue comme fondamentale, mais cette indétermination demeurait par trop abstraite et associée principalement aux questions de cybersécurité (à savoir, notre absence de contrôle sur les nouvelles technologies ajoutée à notre foi aveugle en leur <a href="https://www.theguardian.com/books/2018/jun/30/new-dark-age-by-james-bridle-review-technology-and-the-end-of-the-future">« solutionnisme »</a>) et aux crises politiques (c’est-à-dire les questionnements sur l’origine géographique du « prochain foyer de tensions » guidés par l’habitude à ne les voir venir que de certaines destinations). Le « bouleversement Corona » donne aujourd’hui corps à cette notion d’une façon nouvelle. Il la dote d’une réelle difficulté, à la fois opérationnelle et intellectuelle, face à une matérialisation intime de l’inattendu.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/334646/original/file-20200513-156675-1y8evs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/334646/original/file-20200513-156675-1y8evs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/334646/original/file-20200513-156675-1y8evs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/334646/original/file-20200513-156675-1y8evs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/334646/original/file-20200513-156675-1y8evs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/334646/original/file-20200513-156675-1y8evs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/334646/original/file-20200513-156675-1y8evs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-vector/safety-concept-closed-padlock-on-digital-692351653">Titima Ongkantong/Shutterstock</a></span>
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<p>De même, l’après-Corona met palpablement fin à ce trop long après-11 Septembre dans lequel le monde se trouve vaguement logé depuis près de deux décennies. Durant ces dix-neuf années, la kyrielle des insécurités mondiales est demeurée, d’une façon ou d’une autre, sous <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2011/09/09/l-ombre-portee-du-11-septembre_1569228_3232.html">l’ombre portée</a> de cet <a href="https://journals.openedition.org/terrain/1888">« évènement absolu »</a> qui avait ouvert le siècle de façon si dramatique. Ni la guerre d’Irak en 2003, ni le printemps arabe de 2011, ni la guerre en Syrie entamée la même année, ni l’épisode de l’État islamique en 2013-2017, ni l’annexion de la Crimée en 2014 ou l’élection à la présidence des États-Unis de Donald Trump en 2016 n’avaient délogé le prisme « après-11-Septembre ». Et ce, parce qu’à un titre ou à un autre, ces développements étaient tous apparus dans le sillage déstabilisant du 11-Septembre. On peut désormais dire que – précédé par la peur d’un virus électronique en 1999 (Y2K, le bug de l’an 2000) et suivi par un virus du système respiratoire en 2020 – <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2020/04/its-not-september-12-anymore/609502/">l’après-11 Septembre a pris fin</a> à la veille de son vingtième anniversaire, même si cette période a légué son indélébile apport ultrasécuritaire à l’ère suivante.</p>
<h2>Le renforcement des États</h2>
<p>Au-delà des aspects médicaux, quelles seront les formes géopolitiques de ce nouveau moment-charnière qui est en train de naître sous nos yeux ? S’il est trop tôt pour répondre clairement, si l’on doit se garder de tout déterminisme historique et s’il faut insister sur la nature évolutive de ce processus, quatre grandes dimensions se dessinent néanmoins déjà : le renforcement d’un étatisme à tendance autoritariste marquée ; l’approfondissement de la militarisation du monde ; la normalisation de la surveillance ; et le jaillissement d’une vague de contre-mondialisation.</p>
<p>Premièrement, de par le monde, armée et police à l’appui, l’entité étatique a clairement réaffirmé son autorité à l’occasion de la crise actuelle, intervenant comme sauveur et supra-décideur, mais aussi de façon punitive comme on l’a vu en Inde, au Kenya, aux États-Unis, en France et ailleurs. Les états d’urgence, régimes d’exception et proto-états de siège ont été investis avec trop de facilité, voire d’enthousiasme à peine voilé, par des gouvernements trouvant dans cette situation inattendue des échappatoires aux demandes de justice auxquels ils font face régulièrement. Au-delà des bureaucraties ragaillardies et aux décideurs pères-fouettards, la situation d’exception a donné une plus grande amplitude aux États déjà engagés dans une dérive autoritariste – comme la <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/04/03/en-hongrie-la-derive-autoritaire-continue_1783975">Hongrie de Viktor Orban</a>, les <a href="https://www.france24.com/fr/20200402-coronavirus-le-pr%C3%A9sident-philippin-menace-de-faire-abattre-les-contrevenants-%C3%A0-l-ordre-de-confinement">Philippines de Rodrigo Duterte</a> ou le <a href="https://theconversation.com/face-a-sa-gestion-de-crise-au-bresil-le-pouvoir-de-bolsonaro-ebranle-136158">Brésil de Jair Bolsonaro</a> – et l’arpenteur autocratique se trouve de fait de nouvelles destinations sociales. Repoussant les limites de ses propres excès et la violence faite à l’État de droit aux États-Unis <a href="https://responsiblestatecraft.org/2020/04/26/william-barr-much-more-than-just-a-lawyer/">sous son mandat</a>, le président Donald Trump a ainsi pu déclarer, le 13 avril, que son autorité est <a href="https://apnews.com/ba9578acf23bdb03fd51a2b81f640560">« totale »</a>.</p>
<p>Il y a de fortes chances que cette dynamique de recentrage dirigiste – entamée avant la crise du coronavirus et renforcée à cette occasion – va perdurer et s’amplifier. Elle le fera d’autant plus qu’elle a été aujourd’hui rationalisée presque partout par une demande populaire de protection. Apeurées, les sociétés s’interrogeront de moins en moins sur le bien-fondé et sur la recevabilité démocratique de ces mesures et de ces avanies asseyant de loin en loin l’infantilisation des citoyens – aujourd’hui grondés par des policiers leur délivrant lecture de civisme dans les quartiers huppés et <a href="https://edition.cnn.com/2020/04/26/europe/coronavirus-france-inequality-intl/index.html">bastonnades en zones de pauvreté</a>.</p>
<p>Si, ensuite, <a href="https://www.opendemocracy.net/en/state-building-vs-intervention-or-how-not-to-help/">l’interventionnisme des années 1990</a> et les guerres de l’après-11 Septembre ont favorisé la prolifération des logiques martiales, la pandémie actuelle va, en tout état de cause, continuer à approfondir ce <em>pattern</em> d’injonctions d’obéissance. La réponse à l’épidémie de Covid-19 est logiquement venue s’inscrire dans ce contexte martial – le président français Emmanuel Macron avertissant que son pays était <a href="https://www.youtube.com/watch?v=N5lcM0qA1XY">« en guerre »</a> – parce que les dynamiques internationales avaient été travaillées de la sorte depuis près de trente ans. Toutes les crises pourront dorénavant être perçues sous ce prisme réducteur et manichéen de « guerre » – en vérité, elles le sont déjà et la rhétorique guerrière a mondialement pris le pas sur la diplomatie.</p>
<p>Cette ubiquité étatique et cette martialité – qui <a href="https://www.reporter.lu/coronavirus-europe-la-tentation-de-letat-durgence/">ne remettent pas en cause le néolibéralisme</a> de la majorité de ces États mais le déclinent – pourront, dès lors, être accompagnées, voire devancées, par une <a href="https://www.newyorker.com/tech/annals-of-technology/can-we-track-covid-19-and-protect-privacy-at-the-same-time">surveillance</a> étendue des citoyens géolocalisés. Installée comme une norme mondiale de moins en moins contredite, celle-ci va venir ajouter une dimension de « nécessité » en sus de l’argument d’utilité sociale déjà largement avancé. Quelque convention onusienne pourra suivre et, de même, le diktat du rendement primera.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/334657/original/file-20200513-156625-q6bhxs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/334657/original/file-20200513-156625-q6bhxs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/334657/original/file-20200513-156625-q6bhxs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/334657/original/file-20200513-156625-q6bhxs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/334657/original/file-20200513-156625-q6bhxs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/334657/original/file-20200513-156625-q6bhxs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/334657/original/file-20200513-156625-q6bhxs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-vector/binary-circuit-board-future-technology-blue-1034089948">Titima Ongkantong/Shutterstock</a></span>
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<p>Il sera surtout de plus en plus difficile d’établir une empreinte et un suivi de ces pratiques introduites dans la <a href="https://apnews.com/fa0a3f060e3c19d5dfe157e6d880c48c">violence</a>, l’urgence et <a href="https://www.letemps.ch/economie/contre-virus-tentation-pistage-smartphone">sans consultation parlementaire</a>, comme l’ont déjà fait la <a href="https://www.nytimes.com/2020/03/01/business/china-coronavirus-surveillance.html">Chine</a>, <a href="https://www.bbc.com/news/health-52134452">Israël</a>, la <a href="https://edition.cnn.com/2020/03/29/europe/russia-coronavirus-authoritarian-tech-intl/index.html">Russie</a> et la Corée du Sud avec le pistage des citoyens, la digitalisation des restrictions de mouvement, l’exigence de reconnaissance faciale et d’autres innovations, encore et toujours au nom de la sacro-sainte sécurité. <a href="https://www.vox.com/2020/3/11/21166621/coronavirus-quarantines-legal-constitution-new-rochelle">L’ambiguïté constitutionnelle</a> des situations et l’illisibilité de certains cas permettront, on peut l’imaginer, la mise en quarantaine pour des raisons non médicales. Comme ces mesures seront mises en application par le biais de technologies faillibles (et manipulables), les dangers pour le citoyen de se retrouver dans des situations littéralement kafkaïennes augmenteront significativement. Au vrai, pourquoi, doit-on s’interroger, le futur a-t-il été régulièrement imaginé sur le mode de la dystopie au cours du siècle dernier, de René Barjavel à Margaret Atwood en passant par Aldous Huxley, Philip K. Dick, Pierre Boulle et Ira Levin ?</p>
<h2>Vers une contre-mondialisation ?</h2>
<p>Il faut sans doute tempérer. Cette implication des États n’a-t-elle pas des effets bénéfiques ? Ne vient-elle pas protéger le tissu social ? L’État n’est-il pas dans son rôle ? La technologie ne facilite-t-elle pas nos vies ?</p>
<p>À l’évidence, les mesures de soutien à la population sont partout les bienvenues, notamment pour résorber une précarité accrue ; de même, la réorganisation et le bon fonctionnement des espaces d’interaction sont indéniablement nécessaires à l’ordre social. Pour autant, il ne faudrait pas naïvement se voiler les yeux sur le fait que la période historique actuelle est marquée par le fossé grandissant entre, d’une part, des étatismes suffisants qui n’ont pas fini de s’épuiser et, d’autre part, des sociétés, au Nord comme au Sud, de plus en plus déroutées face à ces discours et ces <a href="https://chronik.fr/etat-et-technologie-la-sainte-alliance-contre-nos-libertes.html">pratiques tutélaires envahissantes</a> – désormais aseptisées, digitalisées et <a href="https://theconversation.com/dans-les-cites-le-sentiment-dinjustice-sintensifie-avec-le-confinement-137135">racialisées</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, l’État redéployé ne remporte pas l’adhésion autant qu’il la reçoit simplement par forfait. Aussi, la crise du coronavirus pourra, enfin, fort probablement donner naissance à une vague de contre-mondialisation. Une telle vague ne sera pas nécessairement le fait idéologisé d’altermondialistes déjà actifs depuis fort longtemps, mais peut-être plus le résultat d’un nouveau moment de fatalisme partagé – paradoxalement mondialement – quant aux limites de l’interdépendance. Le sentiment est en train de naître, suivi bientôt de pratiques. Ce phénomène peut créer au sein des sociétés des vulnérabilités existentielles et non pas simplement économiques.</p>
<p>La conviction croissante voulant que « tout-échange-n’est-pas-forcément-bon » se traduira en un renforcement des logiques de désunion internationale et de protectionnisme national. À l’image de l’État autoritariste consolidé, cette <em>fermeture du monde</em> viendra somme toute s’inscrire dans la logique préexistante des forteresses à protéger en Europe et des murs à bâtir en Amérique, mais aussi des systèmes à enceindre et cadenasser en Russie, en Chine ou aux Émirats arabes unis. L’impérieux besoin de prémunir « notre » nation contre les menaces protéiformes venues de l’extérieur s’installera partout comme un thème politique récurrent, freinant sensiblement la coopération internationale.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/334648/original/file-20200513-156679-xlty46.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/334648/original/file-20200513-156679-xlty46.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/334648/original/file-20200513-156679-xlty46.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/334648/original/file-20200513-156679-xlty46.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/334648/original/file-20200513-156679-xlty46.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/334648/original/file-20200513-156679-xlty46.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/334648/original/file-20200513-156679-xlty46.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-vector/safety-concept-closed-padlock-on-digital-1157160430">Titima Ongkantong/Shutterstock</a></span>
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<p>Le monde de l’après-Corona définira ses propres caractéristiques. Et c’est ici que réside fondamentalement la nouveauté, puisqu’il le fera en restant précisément fidèle à sa logique d’inconstance. Aussi, l’on ne peut encore présager de celles-ci ; dans une chute fameuse Paul Valéry écrivait en 1960 que « l’imprévu lui-même est en voie de transformation et l’imprévu moderne est presque illimité ».</p>
<p>Ce vecteur de l’inconnu fera que la géopolitique de l’après-corona sera <a href="https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2020-04-29/covid-19-oil-collapse-is-geopolitical-reset-in-disguise">plus sociale</a> que politique. Traversée d’hybridité, forme de <a href="https://www.e-ir.info/2015/12/30/technological-innovation-and-diffusion-consequences-for-ir/">laboratoire de gouvernance contemporaine hiérarchisée</a>, elle <a href="https://theintercept.com/2020/05/08/andrew-cuomo-eric-schmidt-coronavirus-tech-shock-doctrine/">lie déjà les expérimentations militaires « lointaines » et les tests sociaux « proches »</a>. À l’image des personnages du roman de José Saramago <em>Ensaio sobre a cegueira</em> (<em>L’aveuglement</em>, 1997) frappés d’une inexplicable épidémie de cécité et qui sombrent dans les tensions, la suspicion, l’hostilité, la malveillance et l’égoïsme, les États eux-mêmes pourront rejouer ce <a href="https://www.letemps.ch/culture/temps-loup-michael-haneke-imagine-une-humanite-apres-catastrophe">temps du loup</a> sur la scène mondiale, cimentant la polarisation ambiante.</p>
<p>« À quelque chose malheur est bon », veut l’adage, lui aussi ancien. Gageons alors qu’au sein même de cette instabilité et de cet inconnu, et afin de vivre et non pas simplement survivre, il naîtra également certainement de cette crise une meilleure compréhension de notre relation au monde, ainsi qu’une humilité et une générosité dans l’entraide qui font cruellement défaut à une scène internationale où la justice et la sagacité se font rares. Pour l’heure, on ne saurait néanmoins ignorer les signes renforcés du virus d’une Orwellisation de la géopolitique toujours plus sensible. </p>
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<p><em>Cet article est republié dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138471/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Étatisme autoritariste, aggravation de la martialité, banalisation de la surveillance et contre-mondialisation émergente risquent de marquer la nouvelle scène internationale.Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou, Professor of International History, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1384942020-05-14T18:40:40Z2020-05-14T18:40:40ZLe football en 2050 : le stade d’après<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/334490/original/file-20200512-82370-11otxrd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=122%2C0%2C4171%2C2285&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/virtual-reality-experience-technologies-future-1452776927">Sergey Nivens/shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Trente ans déjà avant le coronavirus, qui a tant bouleversé nos vies, nos villes et nos stades, la tragédie d’Hillsborough en Angleterre (quand 96 personnes ont trouvé la mort le 15 avril 1989, lors d’un match de FA Cup, dans le vétuste stade d’Hillsborough à Sheffield) et le <a href="https://www.jesip.org.uk/uploads/media/incident_reports_and_inquiries/Hillsborough%20Stadium%20Disaster%20final%20report.pdf">rapport du juge Taylor</a> qui s’était ensuivi avaient engendré un <a href="https://www.cairn.info/l-architecture-la-ville-et-la-securite--9782130578864.htm">profond mouvement de construction et de rénovation de stades de football</a> prenant en compte les nouvelles normes de sécurité, souvent en s’éloignant des centres-villes.</p>
<p>Il en était ressorti une nette amélioration de la qualité construite des stades et une attention nouvelle pour l’expérience des supporteurs (confort de vision et d’assise, restauration, connectivité, etc.) en contrepartie d’un appauvrissement certain des ambiances.</p>
<p>Les gestionnaires des stades post-Taylor avaient déjà une sainte horreur des supporteurs radicaux qui recherchaient le contact physique de leurs congénères afin de faire masse. <a href="https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-sport/20140406.RUE3044/drame-de-hillsborough-25-ans-de-menage-dans-les-stades-anglais.html">Les tribunes debout avaient été fermées ou réduites en capacité, les prix des places s’étaient envolés, les contrôles de sécurité renforcés tout au long du déplacement des supporteurs depuis chez eux jusqu’à la place qui leur était assignée dans le stade</a>.</p>
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<p>À partir d’<a href="https://stade.hypotheses.org/">études comparatives menées entre la France et le Brésil</a>, ce texte imagine les effets potentiels de la pandémie sur le football, son économie et ses stades en 2050.</p>
<h2>2020, année zéro</h2>
<p>L’économie du football était déjà un colosse aux pieds d’argile lorsque le coronavirus a surgi, signant sa mise à mort, en 2019-2020. Les stades français et brésiliens étaient de moins en moins remplis, les salaires des joueurs disproportionnés par rapport à l’économie réelle, les recettes des clubs dépendantes de la manne des « droits télé ».</p>
<p>Les conflits entre diffuseurs, clubs et ligues au sujet des droits de retransmission avaient fini par se régler sous l’égide des gouvernements, mais le mal avait été fait. Les faillites de clubs s’enchaînèrent, les compétitions internationales se déréglèrent à chaque pandémie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1242764173370462208"}"></div></p>
<p>Trente ans après, la nouvelle économie globale du football – mais il va est peu ou prou de même pour les autres grands sports collectifs – est organisée en trois mondes peu perméables les uns aux autres : les ligues fermées, les « championnats nationaux » et les compétitions amateurs semi-clandestines.</p>
<h2>Des ligues fermées avec loges et images de synthèse</h2>
<p>Les plus riches clubs professionnels d’Europe ont fait sécession pour devenir des « franchises ». Ils ont quitté leurs ligues et fédérations nationales pour créer une compétition sur invitation, une <a href="https://www.lequipe.fr/Football/Article/L-epopee-de-la-ligue-des-champions-5-5-vers-une-ligue-fermee/1132962">ligue fermée</a>, évitant l’incertitude sportive et financière des relégations. En France, seuls Paris, Lyon et Marseille ont été cooptés. L’UEFA et la FIFA ont vainement cherché à garder la main sur le projet. Le consortium gérant cette « ligue des étoiles » est basé dans un paradis fiscal des Caraïbes, au grand dam de la Suisse et des finances des pays concernés.</p>
<p>En Amérique du Sud, une telle ligue existe aussi, qui regroupe principalement des franchises de Rio, São Paulo et Buenos Aires.</p>
<p>Le huis clos est devenu la règle. L’économie de ces ligues dépend presque exclusivement des droits de retransmission et du merchandising. En conséquence, les franchises ont abandonné leurs stades devenus obsolètes pour construire des arenas ou « stades-studios ». Ces équipements d’un nouveau type sont entièrement clos et couverts. Ils ne comportent pas de tribune mais des loges, louées au match ou à l’année à des sponsors. Ces loges sont cloisonnées les unes par rapport aux autres et comportent selon leur niveau de prestation des salons privatifs, balcons extérieurs permettant de voir le match en live, bars, restaurants, hôtels, salles de jeux vidéo, cinémas, saunas, chapelles ou night-clubs.</p>
<p>Des articles dérogatoires aux lois interdisant les « rassemblements de plus de 1 000 personnes dans les espaces publics et les équipements recevant du public » permettent de considérer la seule loge dans le calcul du public et autorisent de ce fait ces stades-studios à dépasser parfois les 10 000 « invités VIP ».</p>
<p>Le côté opposé à ces loges est couvert d’une <a href="http://www.francsjeux.com/2020/05/06/en-coree-du-sud-le-sport-dapres-se-vit-deja-au-present/61669">bâche où sont diffusées des images de foules</a>. Les premières années, les diffuseurs puisaient dans les images d’archives des grands matchs, mais bientôt les couleurs des maillots et les noms des franchises évoluant, il avait fallu se résoudre à produire de simples images de synthèse de fans. Des fonds sonores rappelant les ambiances survoltées des ultras accompagnent la diffusion des spectacles sportifs. Les matchs sont divisés en tiers-temps afin de maximiser les plages de publicité. Certains jeunes supporteurs adultes n’ont pas souvenir d’avoir vu leur équipe dans un stade et se moquent de la nostalgie de leurs parents évoquant les ambiances des stades d’antan. Comment regretter ce que l’on n’a pas connu ?</p>
<h2>Des « championnats nationaux » de seconde zone</h2>
<p>Les vieux championnats nationaux existent encore mais ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Ne subsiste souvent en Europe et Amérique du Sud qu’une seule division professionnelle. Au Brésil, les championnats régionaux ont perduré, sans les grandes équipes des franchises. La plupart des clubs des divisions inférieures ou des petites villes ont tout simplement disparu. Il s’agit toujours officiellement de championnats avec un système de relégation-promotion avec les championnats amateurs régionaux, mais les matchs de barrage laissent généralement peu d’espoir aux équipes de ces derniers.</p>
<p>Ces compétitions peinent à atteindre l’équilibre. Ils sont diffusés par les chaînes publiques ou de petites chaînes câblées. L’argent manque pour payer les meilleurs joueurs qui espèrent être draftés par une franchise de ligue fermée, sans frais de transfert pour les clubs formateurs.</p>
<p>Les stades ont une capacité d’accueil limitée par la loi, soit 1 000 spectateurs par tribune maximum. Les tribunes populaires continuent d’avoir des gradins debout mais c’est un public sous contrôle, chaque personne devant se tenir à 1,5 mètre de son voisin. Des bandes blanches au sol indiquent le carré alloué à chacun. Le port du masque est interdit pour l’efficacité des contrôles. Les caméras de reconnaissance faciale permettent de repérer les « rapprochements corporels illégaux » et d’envoyer un SMS d’alerte à la première incartade. À la seconde, la carte d’abonné, nécessaire pour assister au match, est désactivée pour une durée déterminée par arrêté préfectoral (les associations représentatives des groupes ultras demandent depuis des années que cette décision privative des libertés soit prise par un juge avec possibilité de recours).</p>
<p>La tribune d’honneur, réservée aux sponsors, officiels et médias, bénéficie d’un traitement de faveur. Les places y sont assises et la distance de 50 centimètres entre chaque siège est rendue possible par le port du masque (pas souvent respecté, il faut bien le dire).</p>
<p>Les anciens stades des franchises ont tous été remis aux collectivités locales. À elles de gérer la friche sportive et l’éventuelle démolition… La procédure de mise en concurrence en vue de la passation du contrat de concession d’exploitation du Stade de France a été déclarée infructueuse à plusieurs reprises à partir de 2025. L’État a géré seul le stade pendant dix ans avant de jeter l’éponge. C’est la plus grande friche sportive du pays. Les matchs internationaux se déroulent désormais à huis clos, dans les stades-studios des franchises…</p>
<p>Certains stades n’ont dû leur survie qu’à leur rôle d’hôpitaux de campagne pendant la pandémie. Leurs immenses espaces clos font des « stades-hôpitaux » des centres de rassemblement et de tri des malades lors des pics épidémiques comme lors des Covid-26, Covid-33 et Covid-45.</p>
<p>Certains grands groupes de santé privés ont fini par acheter club et stade quand ils étaient bien localisés, en ne gardant qu’une seule tribune pour construire à la place des autres gradins des bâtiments hospitaliers (blocs opératoires et chambres) ainsi que des immeubles de standing rapportant d’importants bénéfices.</p>
<h2>Des championnats amateurs semi-clandestins</h2>
<p>Une partie des fans s’est détournée des ligues fermées et « championnats nationaux ». Ils suivent les championnats amateurs et semi-clandestins qui fleurissent dans les interstices de la ville régulière : les <em>clandés</em> français et <em>clandestinos</em> brésiliens. Ces championnats n’appartiennent à aucune ligue officielle. Ils poussent comme les champignons et disparaissent aussi vite. Des équipes s’affrontent lors de matchs en 7x7 ou 5x5. Les joueurs se contactent par messagerie cryptée et décident ensemble d’un lieu et d’une heure pour le match, sans arbitre. Il s’agit souvent d’une plage, d’une pelouse de parc public (un retour aux sources en quelque sorte), d’un parking de supermarché, voire d’une aire d’autoroute pour les rencontres interurbaines.</p>
<p>Les dimensions de l’aire de jeu ne sont pas standardisées mais dictées par l’espace qui les accueille. Terre battue et goudron sont plus fréquents que les beaux gazons. Les rencontres du championnat se déroulent sans journée régulière et dans un ordre aléatoire. Le championnat se termine quand toutes les équipes se sont affrontées une fois.</p>
<p>Les matchs n’arrivent pas toujours à leur terme car les descentes de police sont fréquentes pour infraction aux lois sur les rassemblements et les mesures sanitaires… sauf quand certaines équipes sont elles-mêmes composées de membres des forces de l’ordre.</p>
<p>L’argent a commencé à circuler très tôt dans certains de ces championnats avec la résurgence d’un « amateurisme marron ». Il faut dire que les affluences sont loin d’être négligeables lors des grandes rencontres, comme les derbys entre quartiers. Les paris d’argent sont fréquents, souvent contrôlés ici par les groupes ultras ou les écoles de samba, là par les gangs des favelas ou les paramilitaires. Certaines entreprises, le monde de la mode et les grandes franchises commencent à s’intéresser au phénomène.</p>
<p>Il se dit que l’économie actuelle du football à trois étages est bien fragile.</p>
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<p><em>Ce texte est publié simultanément dans la collection <a href="https://www.pug.fr/store/page/278/le-virus-de-la-recherche">« Le virus de la recherche »</a>, une initiative de l’éditeur PUG en partenariat avec The Conversation et l’Université Grenoble Alpes.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138494/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>En 2050, les effets des pandémies que le monde aura connues d’ici là se seront ajoutés aux tendances déjà à l’œuvre aujourd’hui dans le monde du ballon rond, créant un football à trois vitesses.Jean-Michel Roux, Urbaniste, Maître de conférences, Université Grenoble Alpes (UGA)Cristiane Rose de S. Duarte, Professeure du Programme d`Études Doctorales en Architecture, Universidade Federal do Rio de Janeiro (UFRJ)Elson M. Pereira, Coordinateur du Laboratório Cidade e Sociedade Département des géosciences, Universidade Federal de Santa Catarina (UFSC)Natalia de Melo, Urbaniste, Chercheuse associée, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.