tag:theconversation.com,2011:/us/topics/relations-commerciales-85544/articlesrelations commerciales – The Conversation2022-11-13T16:38:35Ztag:theconversation.com,2011:article/1925322022-11-13T16:38:35Z2022-11-13T16:38:35ZLes commerciaux sont-ils tous des escrocs ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/489789/original/file-20221014-21-eflzbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4000%2C2801&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Menteurs, prêts à tout pour vendre… les commerciaux souffrent trop souvent d’une image négative.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Peggy / Pixabay</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les commerciaux souffrent trop souvent d’une <a href="https://www.researchgate.net/publication/263471151_A_Cross-Cultural_Investigation_of_the_Stereotype_for_Salespeople_Professionalizing_the_Profession">image négative</a> : menteurs, bonimenteurs, cupides, prêts à tout pour vendre et ce dans la plupart des pays du globe. C’est l’image par exemple de Michael Scott dans la série <em>The Office</em>, prêt à enivrer un partenaire pour le pousser à signer un contrat de vente. Ce stéréotype semble quasi mondial.</p>
<p>Certains diront « business is business », c’est la loi des affaires et c’est au consommateur d’être vigilant. À l’heure où les préoccupations sont croissantes sur les questions de développement durable, où l’on parle de plus en plus de responsabilité sociale des entreprises et où l’on vante les bienfaits des bilans ESG (environnements, sociaux et de gouvernance), il semble cependant légitime de se poser la question : est-il possible d’avoir une éthique de la vente et si oui, pourquoi et comment ?</p>
<p>Au-delà des questions de morale, il existe dans la littérature scientifique un certain <a href="https://www.jstor.org/stable/40471960">consensus</a> indiquant que les pratiques commerciales éthiques se sont toujours avérées plus rentables que celles qui ne l’étaient pas. Cela est d’autant plus vrai si l’on s’inscrit dans une optique de long terme et donc de gestion de la relation client.</p>
<p>Nos <a href="https://www.researchgate.net/publication/263471151_A_Cross-Cultural_Investigation_of_the_Stereotype_for_Salespeople_Professionalizing_the_Profession">travaux</a> montrent, eux, un effet bénéfique du point de vue de la main-d’œuvre : plus l’entreprise se soucie d’éthique, plus les commerciaux performants sont incités à rester. Autrement dit, un bon climat éthique est un excellent dispositif pour limiter le <em>turnover</em> et fidéliser les meilleurs. Étant donnés les taux de rotation qui peuvent exister dans la fonction commerciale et les <a href="https://www.actionco.fr/Thematique/rh-1217/Breves/Des-commerciaux-encore-plus-difficiles-recruter-garder-367625.htm">difficultés de recrutement</a> du secteur, il semble ainsi qu’investir dans le respect d’une certaine approche éthique revient pour une entreprise à faire d’une pierre deux coups.</p>
<h2>Une fois seul, la tentation est grande</h2>
<p>Auprès de 132 commerciaux français issus de multiples entreprises, nous nous sommes donc intéressés à la relation, mainte fois étudiée, entre la performance et le turnover des commerciaux. Même si certains travaux ne parviennent pas à mettre en évidence de relation significative entre ces deux variables, la plupart concluent à l’existence d’une relation négative : plus la performance est faible, plus le turnover est élevé.</p>
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<p>Nos conclusions dressent un tableau un peu plus complexe. La relation entre ces deux variables semble en fait modérée par le climat éthique. Plus les commerciaux sont performants, plus ils ont tendance à vouloir quitter l’entreprise en cas de climat éthique faible. D’autant qu’ils ont, du fait de leurs résultats, une forte employabilité sur le marché du travail et que leur sont proposés de belles opportunités dans d’autres entreprises, concurrentes ou non, mais présentant un climat éthique favorable.</p>
<p>Les moins performants, au contraire, auront tendance à rester dans leur entreprise actuelle, car peu ils seront peu demandés sur le marché du travail. Pour atteindre une certaine performance, ils s’accommoderont en outre plus facilement d’un moindre climat éthique.</p>
<h2>Une fois seul, la tentation est grande</h2>
<p>Comment néanmoins instaurer ce climat éthique qui attire les salariés les plus brillants ? En raison de la singularité du métier, la chose ne semble pas évidente de prime abord.</p>
<p>L’une des caractéristiques des commerciaux est, en effet, pour beaucoup d’entre eux d’avoir une double indépendance : physique, nombre d’entre eux étant sur le terrain, et surtout psychologique. Seuls face au client ou à l’acheteur, ils doivent trouver des solutions, répondre aux questions et parfois faire face aux pressions. Il est donc facile et tentant, dans certaines situations, de « s’arranger » et ainsi de s’engager dans des comportements que l’on qualifiera de peu ou pas éthiques.</p>
<p>Plusieurs outils simples peuvent cependant facilement être actionnés afin de favoriser l’éclosion d’un climat vertueux tels que la fixation de quotas adaptés et atteignables. Il est clairement prouvé que plus ceux-ci sont élevés, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.2753/PSS0885-3134270404">plus la tentation du vice est grande</a>.</p>
<h2>Attention aux incitations</h2>
<p>Plutôt que de retenir des quotas dits de « production », et donc de vente, mieux vaut proposer des quotas sur des items de nature plus qualitative, la satisfaction client par exemple, ou des appréciations sur des comportements clés à adopter ou à maitriser durant le processus de vente. Un <a href="https://pubsonline.informs.org/doi/10.1287/orsc.4.4.617">contrôle fort</a> et un encadrement étroit avec des indicateurs plutôt subjectifs est préférable, d’un point de vue éthique, à un contrôle plus centré sur les résultats. L’enjeu, au-delà, c’est aussi le maintien voire le renforcement de la relation client.</p>
<p>Dans la même veine, les <a href="https://www.lefigaro.fr/vie-bureau/2012/01/13/09008-20120113ARTFIG00869-commerciaux-les-concours-de-vente-ont-toujours-la-cote.php">concours et autres challenges de ventes</a> lancés par un très grand nombre d’entreprises peuvent également rapidement <a href="https://www.researchgate.net/publication/283910802_Le_comportement_non-ethique_des_vendeurs_durant_un_concours_de_vente_L%E2%80%99effet_mediateur_du_climat_ethique_percu_du_concours">déraper</a>. Surtout si l’on ne prend pas garde à fixer des objectifs adaptés à une vision éthique et cohérente avec la stratégie de l’entreprise.</p>
<p>Est plus largement en question le package de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/remuneration-46217">rémunération</a> et de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/motivation-60842">motivation</a> des commerciaux. Nombre de travaux montrent par exemple qu’il est, d’un point de vue éthique toujours, préférable de privilégier une rémunération fixe plutôt qu’une rémunération variable avec des commissions reposant notamment sur les ventes.</p>
<h2>Gardien et garde-fous</h2>
<p>Il faut aussi mentionner le rôle clé du dirigeant, ce dernier pouvant être à la fois l’initiateur mais également le promoteur et le gardien de l’esprit éthique de l’entreprise. Exemplaire, il montrera la voie à ses collaborateurs moins enclins dès lors à s’aventurer sur des chemins tortueux. Son attention sur ces questions semble d’ailleurs devoir porter <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.2753/PSS0885-3134270404">dès le recrutement</a> de son équipe.</p>
<p>Cependant, ces actions peuvent ne pas suffire. Il faut enfin évoquer la pertinence pour l’entreprise de se doter d’un code ou d’une charte éthique, élément clé pour favoriser l’émergence d’un climat positif. En quelques lignes vont être formalisées les grandes règles de comportements auxquelles pourront se référer les commerciaux en cas de doute ou d’interrogation sur certaines pratiques. Cette formalisation de l’éthique est un garde-fou important pour non pas supprimer tout comportement non éthique mais du moins les limiter.</p>
<p>Certes, il ne sera pas possible d’éviter à 100 % les actions déviantes de ses commerciaux, mais la mise en œuvre de quelques dispositifs simples peut être d’une grande aide. <a href="https://theconversation.com/fr/topics/vente-36296">Vente</a> et <a href="https://theconversation.com/fr/topics/ethique-20383">éthique</a>, ce n’est pas un oxymore.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192532/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Fournier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Malgré les stéréotypes, la réponse est bel et bien non, en particulier pour ceux qui obtiennent les meilleurs résultats.Christophe Fournier, Professeur des Universités, IAE de Montpellier, Montpellier Recherche Management, Membre du Business Science Institute, Président AUNEGe, IAE MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1775952022-03-01T20:12:23Z2022-03-01T20:12:23ZChine et États-Unis : comment en est-on arrivé là ?<p>Il y a vingt ans, la Chine entrait dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC). De nombreux stratèges et décideurs occidentaux, dont <a href="https://www.iatp.org/sites/default/files/Full_Text_of_Clintons_Speech_on_China_Trade_Bi.htm">Bill Clinton</a>, alors président des États-Unis, espéraient que cette officialisation de la position du géant asiatique au sein de la mondialisation pousserait Pékin vers la voie de la réforme et de la libéralisation, tant sur le plan économique que politique.</p>
<p>Sur le second, elle n’a pas eu lieu. Sur l’aspect économique, intégration et interdépendance ont pu assez largement caractériser la relation sino-américaine jusqu’en 2008. Les deux géants mondiaux semblent cependant vouloir désormais sciemment organiser leur divorce, en dissociant leurs chaînes de production et en faisant le choix de technologies et de normes de plus en plus différentes.</p>
<p>En témoigne notamment la stratégie chinoise de <a href="https://www.scmp.com/economy/china-economy/article/3110184/what-chinas-dual-circulation-economic-strategy-and-why-it">« double circulation »</a>, aspiration de Pékin à développer son marché intérieur afin de réduire sa dépendance sur le reste du monde. En témoigne également la réticence, voire l’opposition, dans un certain nombre de pays occidentaux d’accepter les équipements 5G de Huawei.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-enjeux-geopolitiques-de-la-5g-146494">Les enjeux géopolitiques de la 5G</a>
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<p>Ce scénario de divorce ou de découplage économique peut être un non-sens sur le plan économique, mais correspondre à une véritable volonté politique de la part de Washington et de Pékin. C’est ce scénario que nous avons exploré dans le cadre d’un <a href="https://amchamfrance.org/wp-content/uploads/2021/12/Economic-Decoupling-Our-New-Reality.pdf">Livre blanc</a> proposé par la Chambre américaine de commerce à Paris et par HEC Paris. Nous en résumons ici les principaux enjeux.</p>
<h2>Rationaliser des décisions politiques</h2>
<p>Les raisons avancées pour expliquer l’exacerbation de la rivalité entre la Chine et les États-Unis diffèrent évidemment de part et d’autre du Pacifique. L’argument souvent entendu sur la rive asiatique met l’accent sur la guerre commerciale lancée dès son élection par Donald Trump. À cet argument s’oppose l’analyse occidentale du <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/aer.103.6.2121">choc qu’a représenté l’entrée de la Chine dans l’OMC</a>. D’après <a href="https://www.cnbc.com/2020/01/30/china-trade-deficit-has-cost-us-3point7-million-jobs-this-century-epi-says.html">certaines estimations</a>, l’effet de la concurrence des biens chinois a eu des conséquences sévères sur les salaires et l’emploi manufacturier en Europe et aux États-Unis. Près de quatre millions d’emplois auraient ainsi été détruits aux États-Unis entre 2001 et 2020.</p>
<p>Cela a sans doute nourri la défiance des opinions publiques et a pu conduire à un sentiment d’<a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/aer.103.6.2121">ambivalence</a> vis-à-vis de la mondialisation et du libre-échange, notamment en Occident et notamment vis-à-vis de la Chine. Elle explique aussi cette volonté d’indépendance, exprimée par la Chine avec sa stratégie de <a href="http://www.xinhuanet.com/english/2021-01/11/c_139659492.htm">double circulation</a>, et par les États-Unis avec une volonté de plus en plus affirmée du pouvoir politique américain de <a href="https://www.voanews.com/a/us-congress-considers-bills-to-boost-competition-with-china/6416247.html">s’affranchir de sa relation avec son rival asiatique</a>.</p>
<p>Les pressions nationales et d’opinions exprimées dans le débat public viendraient alors rationaliser ces décisions politiques.</p>
<p>Loin de les entraver, les nouveaux outils numériques de digitalisation et de localisation de la production participent de ce mouvement en le rendant plus indolore, du moins à court terme. Communément rangés sous l’étiquette de <a href="https://www.weforum.org/about/the-fourth-industrial-revolution-by-klaus-schwab">« quatrième révolution industrielle »</a>, ils permettent de simplifier et de réduire les coûts des processus de production – grâce par exemple, à l’impression en trois dimensions qui contribuera à localiser davantage la production.</p>
<p>À terme, les appels à davantage d’indépendance – ou de « souveraineté » pour reprendre le terme préféré des pouvoirs publics – pourraient induire des transformations sur lesquelles il sera difficile de revenir à court terme. La recherche d’efficacité et de synergies laisserait ainsi place à la nouvelle logique de résilience, d’autonomie et d’indépendance. Avec un coût économique énorme pour les entreprises et les ménages.</p>
<h2>Une logique, deux limites</h2>
<p>Malgré des espoirs légitimes d’un éventuel retour à la normale post-pandémie, il est difficile d’ignorer ces mutations amorcées avant même la pandémie qui pourraient s’avérer irréversibles. L’exemple de la transformation des chaînes de production est saisissant.</p>
<p>Elles ont longtemps cherché à exploiter les avantages comparatifs de chaque point du globe. La logique économique sous-jacente était (et reste pour un certain nombre d’observateurs) imparable puisqu’il s’agissait de réduire les coûts le plus possible et de diversifier les risques auxquels les producteurs doivent faire face.</p>
<p>Cette logique fait face à deux limites désormais. La première est de nature écologique : un nombre grandissant d’économistes s’accordent sur le fait qu’imposer un <a href="https://www.ubscenter.uzh.ch/en/news_events/events/2021-11-09_sustainability_and_climate_change.html">prix aux émissions de carbone</a> constituera un pilier fondamental dans toute stratégie de lutte contre le changement climatique. Or, une fois ce prix du carbone intégré dans les coûts de production, rien ne permet de dire que les chaînes de valeurs internationalisées permettent de les réduire.</p>
<p>S’y ajoute la question de la diversification du risque et à l’efficacité économique : ces chaînes de valeur internationalisées dépendent d’une multitude de points critiques qui peuvent représenter autant de vulnérabilités pour un producteur qui en dépend. C’est ce qui mène un certain nombre d’entreprises à adopter une <a href="https://hbr.org/2021/05/the-strategic-challenges-of-decoupling">stratégie dite « China + 1 »</a> qui vise à ne plus dépendre que d’un fournisseur et d’un théâtre de production critique comme la Chine et de diversifier ses sources d’approvisionnement.</p>
<h2>Stratégies et soupçons</h2>
<p>La bataille des normes constitue un autre moteur de transformation dans la mesure où elle pourrait réduire l’interdépendance des économies. L’exemple du secteur des télécommunications et de la 5G, est parlant.</p>
<p>L’avance technologique et économique dont disposait le géant du secteur Huawei, qui a quasiment quadruplé son chiffre d’affaires mondial entre 2013 et 2020, aurait pu et dû suffire à consacrer l’entreprise chinoise comme le fournisseur mondial évident et incontestable. Mais la persistance de doutes quant aux liens qu’entretient Huawei avec Pékin et le rôle central que l’entreprise jouerait dans les réseaux de télécommunications des pays qu’elle équipe a nettement pesé dans la balance et a empêché l’instauration de cette norme unique.</p>
<p>En cause notamment la loi sur le renseignement national de la Chine en 2017 qui déclare que les citoyens du pays ont le devoir de contribuer à l’effort de renseignement de la Chine, brouillant ainsi la frontière entre les acteurs privés chinois et le gouvernement. À cela s’ajoute aussi le fait que les pouvoirs publics occidentaux ont souvent soupçonné Huawei d’inclure dans ses équipements des logiciels espions susceptibles de collecter des informations sensibles. Ces préoccupations d’ordre stratégique et sécuritaire sont d’autant plus significatives que des soupçons pèsent sur le rôle que pourrait jouer une entreprise étrangère comme Huawei dans une cyberattaque d’envergure si elle avait accès au cœur d’un réseau de télécommunication.</p>
<p>Ce scénario de découplage n’est qu’hypothétique mais les preuves de l’élan dont il dispose ne manquent pas. La possibilité de ce divorce sino-américain pèserait ainsi sur la manière dont le reste du monde, Europe en tête, réinvente son rapport aux deux géants et sur la définition d’une autonomie qui ne serait plus que militaire et politique, mais aussi économique et stratégique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177595/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jeremy Ghez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La logique économique des avantages comparatifs semblait indiscutable au moment où la Chine entrait à l’OMC. Un livre blanc récemment publié tente d’expliquer sa remise en cause.Jeremy Ghez, Professor of Economics and International Affairs, HEC Paris Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1737602022-01-02T17:26:02Z2022-01-02T17:26:02ZLa Jordanie : acteur clé pour la Chine au Moyen-Orient<p>Peuplée de 10 millions d’habitants, la Jordanie, qui se trouve au cœur du Proche-Orient, fonde traditionnellement sa politique étrangère sur <a href="https://www.senat.fr/ga/ga90/ga90.html">trois piliers</a> : – alliance avec les États-Unis ; paix avec Israël ; coopération renforcée avec les États du Golfe.</p>
<p>La relation avec la Chine devrait donc <em>a priori</em> être reléguée à un rang plus secondaire pour le pays. Pourtant, les deux États partagent des points de vue et des intérêts communs sur la manière de lutter contre le terrorisme international ainsi qu’à propos du développement de projets ambitieux, notamment dans le nucléaire civil.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-nouvelle-route-de-la-soie-une-strategie-dinfluence-mondiale-de-la-chine-75084">La nouvelle route de la soie, une stratégie d’influence mondiale de la Chine</a>
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<p>Il y a près d’un an, à Amman, la capitale jordanienne, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, se disait déjà prêt à <a href="https://www.mfa.gov.cn/ce/cesn/fra/xwdt/t1795892.htm">renforcer la coopération bilatérale</a> dans le cadre du développement des Nouvelles routes de la soie. Ainsi, la relation sino-jordanienne, d’abord fondée sur le commerce, s’élargit aux spectres politique et diplomatique.</p>
<p>Un rapprochement qui s’explique par le fait que Pékin a bien compris que la Jordanie demeurait un <a href="https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_2000_num_67_1_4624_t1_0206_0000_4">État singulièrement stable</a> et déterminant dans la diplomatie régionale, malgré des vulnérabilités réelles (elle a été heurtée de <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20211129-covid-19-dans-le-nord-de-la-jordanie-une-nouvelle-%C3%A9pid%C3%A9mie-fulgurante">plein fouet par la pandémie</a> et fait face à un <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00411839/document">afflux majeur</a> de réfugiés, principalement d’origine palestinienne (deux millions de personnes, présentes souvent <a href="https://www.cairn.info/revue-a-contrario-2016-2-page-17.htm">depuis plusieurs décennies</a>), et, plus récemment, syrienne (1,3 million de personnes depuis 2011).</p>
<h2>Des jalons pour l’histoire</h2>
<p>En pleine guerre froide, alors que Mao Zedong ne <a href="https://www.puf.com/content/Chine_et_terres_dIslam">ménageait pas son soutien</a> aux Palestiniens contre Israël, dont Pékin avait déjà critiqué l’intervention à Suez (1956), la diplomatie chinoise amorce une première inflexion.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/chine-israel-une-relation-dans-lombre-de-la-rivalite-sino-americaine-169660">Chine-Israël : une relation dans l’ombre de la rivalité sino-américaine</a>
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<p>Nous sommes en 1970. <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Septembre-noir.html">L’écrasement des <em>fedayins</em> palestiniens</a> par le pouvoir jordanien est condamné, mais Zhou Enlai, alors responsable de la politique étrangère chinoise, sait aussi que le soutien à la résistance palestinienne risque de mettre la République populaire de Chine en porte-à-faux par rapport aux <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1956_num_2_1_1229">principes qu’elle préconise officiellement</a> (respect de la souveraineté et la non-ingérence dans les affaires d’autrui).</p>
<p>C’est dans ce contexte que Pékin décide de <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Entretien-avec-Thierry-Kellner-Que.html">nouer des relations diplomatiques avec Amman</a>, en 1977. Hussein II de Jordanie est reçu cinq ans plus tard à Pékin à la tête d’une délégation de la Ligue arabe. Deng Xiaoping, successeur de Mao Zedong, entend ainsi rappeler son attachement au respect de la souveraineté des États.</p>
<p>Pékin sait aussi la relation privilégiée que la Jordanie entretient avec Israël, allié des États-Unis. Bien qu’ayant été dépossédée de la protection des lieux saints du Hedjaz après la conquête en 1924 par les Saoud, la <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Hussein-et-la-famille-Hachemite.html">famille hachémite</a> conserve par ailleurs une aura considérable dans le monde arabe.</p>
<p>La « séduction » chinoise dans le monde arabe opère et convaincra, en avril 1978, l’Égypte de signer un <a href="https://www.actes-sud.fr/node/14597">accord militaire avec Pékin</a>. Historiquement, la relation sino-jordanienne a ainsi permis un redéploiement des initiatives diplomatiques chinoises à travers le Proche-Orient.</p>
<p>Depuis, la présence de Pékin et de ses entreprises dans la région n’a cessé de croître. Que ce soit dans le domaine stratégique ou économique, les initiatives chinoises sont coordonnées par un envoyé spécial pour le Moyen-Orient (actuellement Zhai Jun, diplomate chevronné, arabisant et <a href="https://theconversation.com/chine-iran-une-convergence-durable-160842">ancien ambassadeur en France et en Libye</a>), lequel est la courroie de transmission entre l’ensemble des ambassadeurs chinois opérant sur la zone et Xi Jinping lui-même, preuve s’il en fallait que le chef de l’État chinois accorde une attention particulière à cette région comme à ses prolongements géographiques.</p>
<p>Il s’agit bien sûr d’assurer à la Chine le maintien de ses approvisionnements énergétiques, mais aussi d’éviter que le monde musulman chinois ne soit impacté à son tour par l’essor des mouvements djihadistes.</p>
<h2>Une coopération renforcée : économie et diplomatie</h2>
<p>En lien avec les opérations d’influence de Pékin et de ses <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/routes-de-la-soie">« Nouvelles routes de la soie »</a>, Xi Jinping et le roi de Jordanie, Abdallah II, ont signé en 2015 un <a href="https://www.mfa.gov.cn/ce/cema/fra/zgxw/t1295924.htm">partenariat stratégique</a>.</p>
<p>Pour la Chine, cet accord était le moyen de prendre davantage pied dans la région, à partir d’Amman, dans un contexte stratégique marqué notamment par la guerre en Syrie et les violences djihadistes de l’EI. Pour les Jordaniens, il répondait à une volonté de diversification des partenaires économiques, en lien avec leur plan <a href="https://www.open-diplomacy.eu/blog/chine-diplomatie-portefeuille-moyen-orient-xi-jinping-elhamahmy">Vision 2025</a>. À l’instar des plans ou des « visions » développées au Qatar ou en Arabie saoudite, la Jordanie envisage à travers ce plan, une transformation de son économie, de son mix énergétique et des projets d’infrastructures.</p>
<p>Ainsi, la Chine est progressivement devenue une puissance majeure (d’abord économiquement) dans la région, avec des objectifs stratégiques évidents. Qu’elle entende conforter cette politique sur le long terme ne fait aucun doute. Pour cela, elle dispose de nombreux atouts. À terme, les reconstructions de la Syrie et du Liban vont <a href="https://theconversation.com/la-tentation-chinoise-du-liban-149677">renforcer sa présence</a>. Le Liban demeure un point d’entrée essentiel pour l’ensemble de la région : les pays du Levant tels que la Jordanie, la Syrie ou l’Irak, mais aussi les pays du Golfe, dépendent aussi de leurs relations commerciales avec le Liban. Or, 73 % des importations du pays dépendant de la voie maritime, le lien du Liban à la mer est essentiel. Il repose sur le dynamisme d’une infrastructure clé, le port maritime. Précisément ce que la Chine convoite.</p>
<p>Sur un autre plan, le renforcement de la coopération de la Chine avec la Jordanie dans le domaine du <a href="https://theshiftproject.org/article/electricite-nucleaire-asie-moyen-orient/">nucléaire civil</a> semble avoir déjà porté ses fruits puisque l’Arabie saoudite voisine se dit à son tour intéressée par un projet similaire. De même, la problématique du dessalement de l’eau intéresse aussi la Jordanie, qui est l’un des pays les <a href="https://www.rts.ch/decouverte/monde-et-societe/monde/la-problematique-de-l-eau-en-jordanie/9587423-les-sources-deau-en-jordanie.html">plus lacunaires en eau au monde</a>. Plusieurs observateurs s’inquiètent de la <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/La-Jordanie-un-pays-a-la-vulnerabilite-hydrique-exponentielle-1-2-Le.html">situation structurelle de sécheresse</a>.La Jordanie connaît une des <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1260821/en-jordanie-la-secheresse-menace-les-cultures-et-lacces-a-leau-potable.html">plus graves sécheresses de son histoire</a> et le pire est à venir. Les précipitations pourraient continuer de chuter et la température moyenne continuer <a href="https://fr.timesofisrael.com/le-dereglement-climatique-pour-rechauffer-les-liens-entre-israel-et-la-jordanie/">d’augmenter fortement</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Jordanie : les défis monumentaux de la gestion de l’eau, France 24, 9 avril 2021.</span></figcaption>
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<p>Enfin, outre la coopération sino-jordanienne dans ces différents secteurs d’activités, le lien entre les deux pays s’affirme aussi au sein des cadres diplomatiques et institutionnels, avec, au mois de juillet de l’année dernière, le neuvième <a href="https://www.fmprc.gov.cn/fra/wjb/zzjg/xybfs/xgxw/202007/t20200709_10194290.html">Forum sur la coopération sino-arabe</a>, coprésidé par les deux pays.</p>
<p>Très dépendante des flux de financement externes, lesquels sont exposés à la conjoncture internationale et aux tumultes d’un environnement régional en mutation, la Jordanie essaie de multiplier les initiatives diplomatiques pour être moins vulnérable en matière d’énergie, et ce, dans un contexte où les finances publiques du pays se dégradent.</p>
<p>Cet <a href="https://www.revueconflits.com/jordanie-relations-internationales-israel-etats-unis-pauvrete-abdallah-tigrane-yegavian/">« État tampon »</a> devrait bénéficier pour cela du soutien de bailleurs étrangers, notamment chinois. Les importations chinoises de Jordanie se sont élevées à un total de <a href="http://french.xinhuanet.com/2019-12/17/c_138636253.htm">356 millions de dollars</a> en 2019, avant la pandémie de Covid-19. De même, les autorités chinoises se félicitaient à la même période du projet de centrale électrique utilisant du pétrole de schiste d’Attarat (en construction) et annonçaient une <a href="http://french.xinhuanet.com/2019-12/17/c_138636253.htm">participation de 1,6 milliard de dollars dans sa construction</a>.</p>
<p>Ce projet, phare pour la diplomatie chinoise au Moyen-Orient, contribuerait à réduire les coûts d’énergie de la Jordanie, créer de l’emploi localement et stimulerait les échanges en matière d’ingénierie entre Amman et Pékin. Pour autant, il n’y pas à ce jour d’avancées significatives. La pandémie et le processus d’enfermement du régime chinois sur lui-même suggèrent une recomposition des relations, des projets initiés et, plus largement, de sa politique étrangère.</p>
<p>En atteste le volet sanitaire dans la lutte contre la pandémie : la Jordanie a déjà fait l’objet de <a href="http://french.xinhuanet.com/2021-04/26/c_139906631.htm">plusieurs livraisons de vaccins de la société Sinopharm</a>. Ces dons sont la partie émergée du volet commercial d’opérations plus larges entreprises par la Chine, qui tente grâce à eux de <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2020/04/02/chine-oms-coronavirus/">légitimer et relancer</a> le projet des « nouvelles routes de la soie ». Ainsi, en 2020, la Chine est devenue le <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2020/12/22/le-commerce-exterieur-de-la-jordanie-au-premier-semestre-2020">premier fournisseur de la Jordanie</a> (15 % du marché) tandis que, dans le même temps, les importations en provenance de Chine se sont réduites en raison des perturbations liées à la pandémie et au contexte politique dégradé.</p>
<p>Enfin, la coopération sino-jordanienne en matière de sécurité et de ventes d’armes reste discrète mais substantielle. Que ce soit avec la <a href="http://www.eastpendulum.com/2-nouveaux-pays-rencontre-drone-ch-4">livraison de drones</a> ou avec les échanges entre services de sécurité, Pékin a aussi construit, via son réseau diplomatique, une position d’influence – d’abord pour assurer la sécurité de ses intérêts.</p>
<p>N’en demeure pas moins que la Jordanie continuera d’être un <a href="https://www.capitmuscas.com/produit/la-chine-face-au-monde-une-puissance-resistible/">terrain d’affrontement</a> entre les pôles de puissance régionaux et extrarégionaux (Israël, États-Unis, Chine, Russie, etc.). En cela, Amman conservera son aura singulière et ancienne, espace de diplomatie du Moyen-Orient pour comprendre le monde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173760/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du FDBDA.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Allié proche des États-Unis depuis des décennies et acteur majeur du Moyen-Orient, la Jordanie entretient pourtant d’importants liens avec la Chine.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1715182021-11-18T21:50:25Z2021-11-18T21:50:25ZL’intérêt croissant de la Chine pour Madagascar<p>Si la relation entre la République populaire de Chine et Madagascar est ancienne, elle s’est rapidement développée au cours de ces dernières années, pour des raisons à la fois économiques et stratégiques.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2011-4-page-261.htm">En 1958</a>, un Consulat général de la République populaire de Chine a été ouvert à Tananarive, avant d’être élevé au rang d’ambassade en 1960. Un premier accord commercial verra le jour en 1963, suivi d’un épanouissement relatif des échanges bilatéraux. Les deux pays ont plus récemment (2017) établi un partenariat global de coopération, et signé, la même année un <a href="https://www.fmprc.gov.cn/zfhzlt2018/fra/zfgx_5/jmhz/t1496543.htm">Mémorandum d’entente</a> sur la promotion conjointe des Nouvelles Routes de la soie.</p>
<p>Depuis 2015, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de Madagascar. Les échanges commerciaux entre les deux pays dépassaient <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/MG/le-commerce-exterieur-de-madagascar-en-2017">6 milliards d’euros en 2018</a>. La présence d’une diaspora chinoise déjà ancienne et les potentialités de l’île ont accru l’intérêt de Pékin pour cette région de l’ouest de l’océan Indien. Il est vrai que, avant la pandémie de Covid-19, l’économie malgache se trouvait sur une trajectoire ascendante. Après une longue période d’instabilité politique et de grandes difficultés économiques, la dynamique s’était accélérée, pour atteindre en 2019 une croissance <a href="https://www.banquemondiale.org/fr/country/madagascar/overview">estimée à près de 5 %</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"749876442037575684"}"></div></p>
<p>Ces tendances n’éclairent que partiellement la réalité économique, sociale et politique du pays, qui se caractérise par une dette importante, un regain de pauvreté et une dégradation manifeste de l’investissement. 75 % de la population vivaient toujours sous le seuil international de pauvreté de 1,90 dollar en 2019 – un taux nettement supérieur à la moyenne régionale de 41 %.</p>
<p>En 2020, les échanges avec la Chine représentaient <a href="http://mg.mofcom.gov.cn/article/chinanews/202102/20210203037418.shtml">18,1 % du commerce extérieur total de Madagascar</a>. Marquée par une forte asymétrie, la relation Chine-Madagascar illustre la façon dont la RPC s’impose comme une puissance diplomatique, commerciale et militaire <a href="https://www.capitmuscas.com/produit/la-chine-face-au-monde-une-puissance-resistible/">dans les pays émergents et en développement</a>, proposant un cadre international alternatif à l’ordre onusien et occidental.</p>
<h2>Une relation emblématique des rapports entre Pékin et les pays pauvres</h2>
<p>On les appelle, en malgache, les <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1964_num_10_1_1755">Sinoa Gasy (littéralement « Chinois malgaches »)</a> : ce sont ces métis issus, pour beaucoup, de familles cantonaises contraintes à se déplacer plus à l’ouest tandis que l’immigration chinoise <a href="https://chine.in/guide/hakka-peuple_1887.html">hakka</a> s’établissait (dès le XIX<sup>e</sup> siècle, voire avant) sur les îles de la Réunion et de Maurice. Ils représentent 0,1 % de la population totale qui, elle, atteint les 27 millions d’habitants.</p>
<p>Beaucoup d’hommes d’affaires ayant réussi leur implantation, parfois antérieure au XIX<sup>e</sup> siècle, jouent un rôle essentiel dans la diplomatie informelle et en tant que médiateurs entre les nouveaux entrepreneurs chinois et les autorités malgaches. La nomination du <a href="https://www.cgcc.org.hk/en/member_detail/HUI+Chi-ming">Dr. Hui Chi Ming</a>, milliardaire influent, en tant que consul honoraire de Madagascar à Hongkong sous l’ancienne présidence (2002-2009) de Marc Ravalomanana, et la participation active encore à ce jour de cet homme influent dans les affaires économiques de l’île montrent l’importance de ces relations de réseau.</p>
<p>En termes de réalisations, et parmi les plus visibles, <a href="https://www.madagascar-tribune.com/La-premiere-phase-des-travaux-terminee.html">l’aéroport d’Ivato, la route (RN 2) reliant Moramanga</a> (ancien épicentre de l’insurrection malgache en 1947 contre la puissance coloniale française) à <a href="https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Andranonampango&action=edit&redlink=1">Andranonampango</a>, la construction du Centre hospitalier universitaire d’Anosiala ou le développement de la mission médicale chinoise constituent les projets phares réalisés (en partie) depuis ces dernières décennies avec l’aide de la Chine.</p>
<p>Pékin a également <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20191005-accord-cooperation-agriculture-chine-madagascar">apporté son expertise au secteur agricole malgache</a> par l’amélioration de la culture du riz avec des semences hybrides ou la promotion de l’agribusiness. La relation culturelle n’a pas été oubliée puisqu’en novembre 2008 a été inauguré un Institut Confucius, le cinquième en Afrique après ceux du Kenya (2004), du Rwanda (2005), du Zimbabwe et de l’Égypte (2006).</p>
<p>Mais, en réalité, les entreprises chinoises sont actives et présentes <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2011-4-page-261.htm">dans tous les secteurs économiques de l’île</a> : agriculture (où les opérateurs chinois ont tissé un solide réseau de collecte pour l’exportation vers la Chine – épices, vanille, girofle, café, cacao, bois… et distribuent des matériels agricoles fabriqués en Chine) ; pêche (la China National Fisheries Corp, CNFC, a ainsi annoncé dans le secteur de la pêche à la crevette, il y a déjà plus de dix ans, la prise de contrôle de <em>Somapêche</em>, qui appartenait au Japonais <em>Maruha Group</em> depuis quarante ans) ; l’énergie ; le ciment ; le pétrole ; les mines et gisements de fer comme à Soalala (la plus importante réserve du pays) exploitée par le consortium chinois Wuhan Iron and Steel Corporation (WISCO) ; le textile enfin. Sans <a href="https://www.jeuneafrique.com/749835/economie/trafic-de-bois-de-rose-vers-la-fin-de-limpunite-a-madagascar/">compter l’exploitation, le plus souvent opaque, du bois de rose</a> et les domaines sucriers. Pékin a su renouveler et diversifier son aide (et donc sa présence) à Madagascar en utilisant différents instruments (assistance technique, prêts bonifiés…).</p>
<p>La brutalité des entreprises chinoises et de leurs représentants, dans la manière de gérer le personnel malgache, a créé une <a href="https://www.lepoint.fr/monde/a-madagascar-la-forte-presence-chinoise-passe-de-plus-en-plus-mal-18-12-2016-2091370_24.php">animosité grandissante au sein de la population</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"811526638626144257"}"></div></p>
<p>L’ensemble de ces activités témoignent de la spécificité des relations entre la Chine et les sociétés des pays en développement : les exportations se concentrent autour de quelques produits, essentiellement des matières premières ; la corruption est quasi structurelle ; et la fourniture d’équipements (des infrastructures aux équipements médicaux) <a href="https://www.mfa.gov.cn/ce/cemg/fra/zxxx/t1909727.htm">entre dans la relation diplomatie-négoce</a>.</p>
<h2>Vers un engagement durable de la Chine dans cette région du monde ?</h2>
<p>L’île se trouve à un « carrefour stratégique » et la présence de la Chine dans l’océan Indien nécessite de nombreux relais.</p>
<p>Pour Pékin, il est crucial d’être présent dans cette région par laquelle passent les <a href="https://www.fdbda.org/2020/06/le-collier-de-perles-chinois-expansion-et-obstacles/">routes maritimes reliant l’Asie orientale au Moyen-Orient et à l’Afrique</a>. Ces routes sont d’une grande importance aux yeux de la RPC : c’est par elles que transitent les matières premières (pétrole et ressources minières) qu’elle achète, et les biens manufacturés qu’elle vend à l’UE, laquelle représente l’un de ses principaux marchés d’exportation. L’océan Indien est, de fait, devenu l’un des centres de gravité des échanges maritimes et de la croissance mondiale.</p>
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<figcaption><span class="caption">Indo-Pacifique : nouveau centre du monde ? Le Dessous des cartes (Arte, 6 octobre 2021).</span></figcaption>
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<p>Pour Madagascar, pays le plus asiatique de l’Afrique, il s’agit là d’une opportunité. Ici, plus qu’ailleurs, la maritimisation des enjeux économiques a profondément modifié les équilibres géopolitiques, créant et entretenant des risques et menaces transnationales allant du terrorisme à la piraterie, des flux criminels aux atteintes à l’environnement et à la biodiversité. Le déficit de sécurité maritime s’explique en partie par la <a href="https://hal.univ-reunion.fr/hal-03327615/document">faiblesse structurelle des forces navales malgaches</a> et, jusqu’à très récemment, par une quasi-absence de coopération régionale dans le domaine maritime.</p>
<p>Madagascar possède 5 000 kilomètres de côtes, 111 120 kilomètres carrés de mer territoriale et environ un million de kilomètres carrés de Zone économique exclusive. Malgré ces différents atouts et potentiels, la marine malgache et ses diverses forces militaires et de sécurité <a href="https://lexpress.mg/01/03/2021/antsiranana-un-nouveau-souffle-pour-la-marine-nationale/">ne sont pas suffisamment dimensionnées</a> face aux enjeux régionaux dans cette immense zone maritime, traversée par la pluralité de problématiques citées précédemment. Le don fait par la Chine de <a href="https://www.lactualite.mg/politique/183-securite-maritime-cinq-navires-surveiller-1-200-000-km2/">deux vedettes patrouilleurs, en 2017</a>, coïncide sans doute pour Madagascar avec une volonté d’amorcer une politique de défense davantage portée sur la maîtrise de son immense espace maritime.</p>
<p>Le contentieux qui l’oppose à la France concernant les <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/11/15/iles-eparses-la-france-ne-respecte-ni-la-geographie-ni-l-histoire-ni-le-droit-international_6019283_3212.html">îles Éparses</a>, situées plus au nord, montre toutefois son incapacité, pour l’heure, à s’imposer par la force dans ce domaine.</p>
<p>Plus généralement, après son indépendance en 1960, Madagascar a tourné le dos, dans une certaine mesure, aux routes maritimes la reliant au continent africain et aux autres îles de l’océan Indien. Aussi, pour rattraper son retard, Madagascar mise désormais davantage sur une politique d’intégration et de coopération maritime tous azimuts.</p>
<h2>L’enjeu maritime et gazier</h2>
<p>Les relations entre Pékin et Tananarive se complexifient aujourd’hui avec la <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/oceans-et-mondialisation/articles-scientifiques/espace-indopacifique-geopolitique">recomposition des enjeux stratégiques dans l’ensemble du bassin Indien</a> : présence de l’Inde, mais aussi du Japon, de la Corée du Sud, de l’Europe ou encore des États-Unis…</p>
<p>En témoigne la mise en place sur son territoire, depuis 2019, du <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2016-7-page-99.htm">Centre régional de fusion d’informations maritimes</a> (CRFIM). Complété par le <a href="https://www.crimario.eu/2017/07/16/les-seychelles-ouvrent-deux-centres-de-partage-dinformation-maritime/">Centre de coordination opérationnelle basé aux Seychelles</a>, il offre désormais à Madagascar un rôle central et international dans les opérations de surveillance maritime. Il s’intègre par ailleurs pleinement dans la <a href="https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/11151/2050_aims_srategy.pdf">Stratégie maritime intégrée africaine 2050</a> qui vise à assurer une sécurité globale pour le libre acheminement du fret et la lutte contre la pollution des espaces maritimes.</p>
<p>Madagascar joue un rôle de pont entre le programme des Nouvelles Routes de la soie et le continent africain. Ce pays occupait déjà̀ une place certaine dans la Route de la soie antique, en raison de sa position géographique. Avec la récente découverte d’un <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2021/04/15/le-canal-du-mozambique-un-espace-geocritique/">gisement considérable de gaz exploitable dans le canal du Mozambique</a>, Madagascar, située à moins de 400 kilomètres du continent africain, pourrait à terme gagner en importance (flux et infrastructures) au niveau régional.</p>
<p>Cette découverte constitue une opportunité de développement, mais aussi un risque sans précédent. Le gisement est <a href="https://pubs.usgs.gov/fs/2012/3039/contents/FS12-3039.pdf">évalué</a> en <a href="https://pubs.usgs.gov/fs/2012/3039/contents/FS12-3039.pdf">2012 à plus de 440 000 milliards de mètres cubes de gaz naturel et 13,77 milliards de barils de gaz naturel liquide</a>, soit l’équivalent des réserves de la mer du Nord ou du golfe Persique. Il est identifié à Madagascar et aux Seychelles tandis qu’au Mozambique et en Tanzanie il est déjà en phase de production.</p>
<p>Les énergies renouvelables suscitent un certain enthousiasme sur les marchés financiers. Dans les prochaines décennies, elles pourraient atteindre environ 30 % du mix énergétique (demeure la question des installations et de la nature des investisseurs…). Le gaz, présenté comme une « énergie propre », pourrait prendre une valeur d’<a href="https://www.lepoint.fr/afrique/la-nouvelle-geopolitique-de-l-ocean-indien-03-02-2021-2412550_3826.php">énergie de transition</a>. Signe des temps : la compagnie française Total y investit massivement.</p>
<p>Du point de vue de la régionalisation dans la mondialisation, cette institutionnalisation par la maritimisation <a href="https://politika.mg/16391/">se confirme</a>. L’émergence économique de l’Afrique du Sud est l’un des moteurs de l’émergence énergétique mozambicaine, par exemple. Les investissements de la <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ei/2018-v49-n3-ei04602/1059936ar/">route de la soie maritime chinoise</a> passent depuis quelques années par le Mozambique et la Tanzanie (non sans difficultés, notamment liées aux dettes). Madagascar, dans cette interaction régionale, se retrouve une fois de plus au centre des préoccupations géostratégiques de cette région du monde. Une réalité qui n’a pas échappé à l’œil de Pékin…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171518/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du FDBDA.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La position géographique de l’île, plus encore que son potentiel économique, explique le rapprochement bilatéral initié par Pékin.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1710282021-11-02T18:03:18Z2021-11-02T18:03:18Z« Guerre de la pêche » entre Londres et Paris : les leçons de l’Histoire<p>Le différend qui oppose le Royaume-Uni à la France au sujet des territoires de pêche s’est dernièrement intensifié. Le jeudi 28 octobre, les autorités françaises ont <a href="https://www.lefigaro.fr/international/brexit-paris-pret-au-combat-pour-ses-pecheurs-face-a-londres-20211028">saisi un chalutier britannique</a>. Londres a immédiatement réagi en convoquant l’ambassadrice de France.</p>
<p>Cet épisode survient dans un contexte marqué par des tensions croissantes autour des <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/la-grande-bretagne-et-l-ue/licences-de-peche-post-brexit-on-vous-explique-la-nouvelle-passe-d-armes-entre-la-france-et-le-royaume-uni_4829241.html">licences de pêche</a>, que les bateaux français doivent désormais, du fait du Brexit, obtenir pour avoir le droit de continuer de travailler dans les eaux britanniques. Face aux nombreux rejets de demandes de licences dont se plaignent les pêcheurs normands (notamment à Jersey), le gouvernement français a menacé de soumettre les entreprises de pêche britanniques à une bureaucratie harassante, voire d’interdire aux chalutiers anglais l’accès aux ports de l’Hexagone, et même de couper l’alimentation électrique des îles anglo-normandes.</p>
<p>De son côté, le gouvernement britannique a menacé de prendre des mesures de rétorsion et a mis des navires de la Royal Navy en état d’alerte, au cas où les pêcheurs français tenteraient de bloquer ces îles. Les discussions visant à résoudre le problème n’ont jusqu’ici <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/01/licences-de-peche-post-brexit-londres-demande-a-paris-de-retirer-ses-menaces_6100568_3210.html">pas permis d’aboutir à une solution définitive</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1454095992123498507"}"></div></p>
<p>Ces événements font suite à des affrontements antérieurs lors des négociations sur le Brexit, mais ils s’inscrivent aussi dans une histoire plus longue. La comparaison la plus évidente pourrait être les <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/caa7600258901/guerre-de-la-morue-a-l-abordage">« guerres de la morue » des années 1950 et 1970</a>, durant lesquelles le Royaume-Uni tenait le rôle inverse. À l’époque, l’Islande avait mis fin à un accord antérieur et exclu les pêcheurs britanniques des eaux territoriales islandaises.</p>
<p>En réalité, les conflits relatifs à la pêche remontent à bien plus loin encore. Un rappel de l’histoire de ces disputes autour des eaux territoriales et de l’accès aux ressources maritimes peut nous aider à comprendre pourquoi ces questions restent encore étroitement liées à l’identité nationale moderne – et pourquoi les deux gouvernements ont réagi de manière aussi spectaculaire.</p>
<p>Au début des années 1600, par exemple, la république des Sept Provinces Unies des Pays-Bas possédait la <a href="http://expositions.bnf.fr/marine/arret/06.htm">plus grande flotte de pêche d’Europe</a>. Un avocat écossais, William Welwod, <a href="http://name.umdl.umich.edu/A14929.0001.001">a écrit</a> que la surpêche effectuée par cette flotte en mer du Nord menaçait les stocks marins de la région – un argument qui a donné à Londres un prétexte pour défier la domination néerlandaise et récupérer une partie des précieuses ressources. Les intérêts des dirigeants britanniques étaient, en l’occurrence, plus économiques qu’écologiques. Ils ont donc essayé d’imposer de nouvelles licences et taxes aux <a href="https://www.ledevoir.com/societe/le-devoir-de-philo-histoire/595156/les-britanniques-et-la-mer-du-xviie-siecle-au-brexit">navires de pêche néerlandais</a>. Mais les efforts de la Royal Navy – à l’époque sous-financée, mal équipée et inefficace – pour faire appliquer cette politique se sont révélés largement insuffisants. Plus agiles et rapides, les navires hollandais pouvaient littéralement se permettre de tourner autour de leurs poursuivants britanniques.</p>
<h2>La « mer fermée »</h2>
<p>Au XVII<sup>e</sup> siècle, les Britanniques et les Néerlandais se sont fait la guerre trois fois pour la suprématie commerciale et maritime. Les politiques de pêche s’inscrivaient donc dans le cadre d’un conflit plus large autour de la souveraineté maritime. C’est de ce débat qu’est né le droit international moderne.</p>
<p>Le conflit a commencé avec la publication en 1609 de <a href="http://diue.unimc.it/e-library/mer_fr.pdf"><em>Mare liberum</em></a> (De la liberté des mers) par l’avocat et diplomate néerlandais <a href="https://www.herodote.net/Le_plus_fort_n_a_pas_tous_les_droits-synthese-2168.php">Hugo Grotius</a>. Dans ce texte, il proclame que personne ne peut contrôler la mer ou empêcher les autres de pêcher et de commercer. Ce livre était à l’origine destiné à l’empire portugais, qui tentait d’empêcher les Néerlandais de commercer dans l’océan Indien. Mais ses idées ont également été suscité une levée de boucliers en Grande-Bretagne.</p>
<p>Encouragés par les <a href="https://www.highlandtitles.fr/2018/02/la-maison-stuart-les-monarques-decosse/">monarques Stuart</a>, William Welwod et d’autres auteurs, dont l’avocat et député <a href="http://www.droitphilosophie.com/article/lecture/ouverture-presentation-de-john-selden-45">John Selden</a>, ont répondu à Grotius pour défendre les eaux territoriales de la Grande-Bretagne. L’influent ouvrage de John Selden, <a href="http://expositions.bnf.fr/lamer/grand/106.htm"><em>Mare Clausum (Traité sur la politique de la mer)</em></a>, remet en question les affirmations d’Hugo Grotius et s’appuie sur des exemples historiques pour démontrer que les États ont le droit de revendiquer des parties de la mer.</p>
<p>Remontant jusqu’aux Romains et aux Grecs, l’avocat britannique mentionne aussi des États qui lui sont contemporains, comme Venise, et a fouillé dans l’histoire de l’Angleterre médiévale pour trouver des précédents appropriés, mais souvent douteux, notamment du temps du roi saxon Alfred au IX<sup>e</sup> siècle. John Selden fait grand cas du programme de construction navale lancé par Alfred, mentionné dans diverses chroniques saxonnes, mais <a href="https://doi.org/10.1111/1095-9270.12421">celui-ci était très probablement exagéré</a>.</p>
<p>La culture populaire a elle aussi participé d’une réécriture de l’histoire pour justifier les revendications britanniques sur la mer. La célèbre chanson <a href="https://www.youtube.com/watch?v=rB5Nbp_gmgQ">« Rule, Britannia ! »</a>, qui est scandée chaque année lors de la dernière soirée du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Proms">festival des Proms</a>, a été écrite au XVIII<sup>e</sup> siècle dans le cadre <a href="https://ota.bodleian.ox.ac.uk/repository/xmlui/bitstream/handle/20.500.12024/K030406.000/K030406.000.html">d’une mascarade de cour</a> qui dépeignait Alfred (encore une fois, de manière plutôt douteuse) comme un héros naval, censé mettre la Grande-Bretagne sur la voie de son destin maritime.</p>
<p>Ces idées étaient bien sûr facilement manipulables à des fins de <em>realpolitik</em>. Lorsque les Néerlandais ont à leur tour tenté d’interdire aux Britanniques de commercer dans l’océan Indien, les négociateurs anglais ont cité les écrits d’Hugo Grotius <a href="https://archive.org/details/sovereigntyofsea00fultiala">à leurs homologues néerlandais</a> (parmi lesquels, ironiquement, se trouvait Grotius lui-même).</p>
<h2>L’ouverture</h2>
<p>Au XVIII<sup>e</sup> siècle, ces différends ont abouti à un large accord sur les eaux territoriales en Europe (la <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/271409-les-oceans-ont-ils-des-frontieres">« limite des trois milles »</a>, basée sur la portée d’un coup de canon), ainsi qu’à l’acceptation générale du principe de la liberté de la mer.</p>
<p>Tout au long des XVIII<sup>e</sup> et XIX<sup>e</sup> siècles, avec l’expansion de l’empire britannique et la recherche agressive de nouveaux marchés, le gouvernement anglais a adopté l’idée de la liberté des mers. Bien que les dirigeants du pays n’aient pas abandonné l’idée des eaux territoriales, ceux qui interrompaient le commerce britannique, généralement au nom de leur propre souveraineté maritime, étaient qualifiés de « pirates » et souvent <a href="https://doi.org/10.1017/S0165115311000301">détruits</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/429716/original/file-20211102-13-dj9qqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/429716/original/file-20211102-13-dj9qqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429716/original/file-20211102-13-dj9qqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429716/original/file-20211102-13-dj9qqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429716/original/file-20211102-13-dj9qqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429716/original/file-20211102-13-dj9qqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429716/original/file-20211102-13-dj9qqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429716/original/file-20211102-13-dj9qqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte de l’Empire britannique en 1886.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Forgemind Archimedia/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Ces préoccupations ont <a href="https://popsciences.universite-lyon.fr/le_mag/lepineux-compromis-du-partage-des-oceans/">resurgi au cours du XXᵉ siècle</a>, à la fois en <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2015-1-page-56.htm">raison du développement d’armes d’une portée supérieure</a> à trois miles et de l’importance croissante de l’accès au pétrole et aux autres ressources naturelles sous-marines.</p>
<p>Certains pays ont revendiqué des eaux territoriales s’étendant jusqu’à 200 miles en mer. La Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982 (influencée, en partie, par les guerres de la morue) <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ei/1985-v16-n4-ei3023/701927ar.pdf">visait à résoudre certaines de ces questions</a> mais plusieurs nations, dont les États-Unis, ne l’ont jamais ratifiée officiellement.</p>
<p>Si le différend actuel sur la pêche reprend à certains égards des arguments exprimés par le passé, il existe aussi une différence importante. Aux XVII<sup>e</sup> et XVIII<sup>e</sup> siècles, la pêche <a href="https://www.heritage.nf.ca/articles/en-francais/exploration/18e-siecle-peche.php">était économiquement vitale</a> pour la Grande-Bretagne. En 2019, le secteur ne représente plus que <a href="https://www.bbc.co.uk/news/46401558">0,02 % de l’économie nationale</a>. Il dépend également de la coopération avec l’Union européenne, puisque près de la moitié des prises annuelles du Royaume-Uni y sont exportées.</p>
<p>La position intransigeante des gouvernements britannique et français dans ce conflit peut donc sembler excessive. Elle reflète toutefois le statut symbolique permanent de la pêche et de la souveraineté maritime, un statut qui a fait l’objet de débats répétés depuis au moins le XVII<sup>e</sup> siècle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171028/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Richard Blakemore ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour mieux comprendre la passe d’armes actuelle entre le Royaume-Uni et la France sur les droits de pêche, un détour par l’Histoire s’impose.Richard Blakemore, Associate Professor in Social and Maritime History, University of ReadingLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1696602021-10-25T17:49:46Z2021-10-25T17:49:46ZChine-Israël : une relation dans l’ombre de la rivalité sino-américaine<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/427269/original/file-20211019-13-1h7vo3m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C0%2C3811%2C2155&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les rapports entre la Chine et Israël ne peuvent pas se comprendre sans tenir compte de ceux que chacun de ces deux pays entretient avec les États-Unis.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-illustration/china-usa-america-israel-realistic-three-1338986876">motioncenter/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Relation ancienne que celle <a href="https://www.persee.fr/doc/assr_0335-5985_1999_num_106_1_1089_t1_0126_0000_4">entre les communautés juives et la Chine</a> (notamment à Kaifeng, dans le centre du pays, où <a href="https://www.myjewishlearning.com/article/the-jews-of-kaifeng-chinas-only-native-jewish-community/">réside depuis 1 000 ans</a> une communauté juive). Une relation encore complexifiée par les enjeux, hier, de la guerre froide, aujourd’hui, de la rivalité sino-américaine, avec en toile de fond un problème récurrent et fréquemment soulevé par la diplomatie chinoise : la question palestinienne, ce dernier sujet étant aussi ancien que la politique chinoise du monde arabe.</p>
<p>Toutefois, l’été dernier, Pékin a explicitement proposé sa médiation dans le <a href="https://www.fmprc.gov.cn/fra/wjb/zzjg/yzs/xgxw/t1876621.shtml">conflit qui oppose les Palestiniens à l’État hébreu</a>. Une façon, diront ses détracteurs, de détourner l’attention et les critiques occidentales des exactions commises par les autorités de la RPC à l’égard des musulmans ouïgours dans le Xinjiang…</p>
<p>Ce qui est sûr, c’est que le <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2020/07/07/chine-et-terres-dislam-enjeux-pour-de-nouvelles-grammaires-internationales/">poids croissant de la Chine au Moyen-Orient</a> fait d’elle un acteur de plus en plus notable sur le plan politique, et que la part des échanges économiques israélo-chinois n’a cessé de croître au cours de ces dernières années, suscitant inquiétudes à Washington et, aussi, <a href="https://www.jpost.com/edition-fran%C3%A7aise/diplo-monde/alerte-%C3%A0-lespionnage-chinois-317662">parmi les services de sécurité et de renseignement israéliens</a>.</p>
<h2>Une histoire ancienne et singulière</h2>
<p>Nombre de survivants des camps de la mort se souviennent que la Chine a été pour de nombreux Juifs une <a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2021/02/Asia-Focus-156-.pdf">terre de refuge durant la Seconde Guerre mondiale</a> (et même dès les années 1930, notamment à Shanghai). C’est dans le sillage de la <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/geoconfluences/doc/etpays/Chine/Chine-2-Scient.htm">présence britannique</a>, bientôt suivie d’un afflux de réfugiés d’Europe de l’Est, que Shanghai, principalement, reçut une <a href="https://www.fayard.fr/histoire/histoire-de-shanghai-9782213609553">vague importante d’immigrés juifs</a>. La plupart fuyaient la montée de l’antisémitisme. Ils furent une vingtaine de milliers originaires d’Autriche, de Pologne, de Russie ou de Lituanie à s’installer dans le district de Hongkou à Shanghai, jouxtant la présence japonaise.</p>
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<p>Les autorités chinoises pratiquaient alors une politique de la main ouverte vis-à-vis de ces hommes et de ces femmes que l’Europe persécutait. Malgré <a href="https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/article/polish-jewish-refugees-in-the-shanghai-ghetto-19411945">l’occupation japonaise de Shanghai</a>, ces communautés surmontèrent les difficultés de la période. Elles durent d’abord leur survie à un extraordinaire réseau d’entraide et à la générosité de puissants hommes d’affaires établis dans la ville depuis plusieurs décennies. D’entre tous, <a href="https://www.nytimes.com/2014/10/05/travel/the-man-who-changed-the-face-of-shanghai-.html">Victor Sassoon</a> (1881-1961) joua le rôle le plus important. Bien qu’issu d’une famille sépharade de Mésopotamie (Irak actuel), ses relations à travers la ville s’avérèrent d’un précieux recours pour ces familles ashkénazes ayant fui la révolution bolchévique puis le nazisme.</p>
<p>De simples anonymes ou de grandes personnalités comme le <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Alfred_Wittenberg">violoniste Alfred Wittenberg</a> (1880-1952) ou le <a href="https://www.jstor.org/stable/20184469">compositeur Wolfgang Fraenkel</a> (1897-1983) se réfugièrent à Shanghai. Ils furent à l’origine de la formation d’un très grand nombre de musiciens au conservatoire de Shanghai parmi lesquels <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Tan_Shuzhen">Tan Shuzhen</a> (1907-2002), Li Minqiang (1936) ou Sang Tong (1923). D’autres, comme la <a href="https://stringfixer.com/fr/Ruth_Weiss_(journalist)">journaliste Ruth Weiss</a> (1908-2006), par sympathie marxiste, s’engagea aux côtés <a href="https://data.bnf.fr/fr/12183187/agnes_smedley/">d’Agnes Smedley</a> (1892-1950) dans la défense des communistes chinois. Elle s’établit à Shanghai où elle rencontra <a href="https://www.fayard.fr/histoire/sun-yat-sen-9782213031903">Song Qingling (1893-1981), la veuve du révolutionnaire Sun Yat-sen</a> (1866-1925) – ainsi que l’écrivain Lu Xun (1881-1936). Plus radical fut le <a href="https://www.noemiegrynberg.com/jakob-rosenfeld-le-medecin-juif-viennois-devenu-heros-militaire-de-la-revolution-communiste-chinoise/">médecin Jacob Rosenfeld</a> (1903-1952), qui rejoignit l’Armée Populaire de Libération et sauva dans le nord-ouest du pays des centaines de vies humaines. On le surnomma le général Luo. Un hôpital situé dans la province du Shandong et inauguré par l’ancien président Hu Jintao, en 2006, porte désormais son nom.</p>
<p>Dès la proclamation de la République populaire de Chine (1949), l’ébauche d’une relation diplomatique entre Pékin et Tel-Aviv est esquissée. En dépit des démarches de <a href="https://www.airuniversity.af.edu/Portals/10/ASPJ_French/journals_F/Volume-05_Issue-2/Shai_f.pdf">l’ambassadeur David Hacohen auprès de son homologue Yao Zhong-ming à Rangoon</a>, capitale de la Birmanie, la guerre froide entrave la concrétisation de cette reconnaissance entre les deux États. La guerre de Corée, conjuguée aux fortes réticences de l’administration Truman, bloque les négociations. Il faudra attendre près de quatre décennies pour qu’elles <a href="https://www.cairn.info/histoire-d-israel--9782262030872.htm">reprennent enfin</a>.</p>
<p>Entre-temps, la Chine de Mao Zedong entendra promouvoir une « troisième voie » contre les puissances coloniales française et britannique, mais aussi contre Israël, vigoureusement critiqué pour son intervention à Suez en 1956. L’intégration de la Chine au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU (1971) d’une part, la normalisation des relations sino-américaines (1979) de l’autre contribuent largement à un changement de cap diplomatique. En 1992, fin de la guerre froide aidant, Pékin <a href="https://www.cairn.info/la-politique-internationale-de-la-chine--9782724611571-page-359.htm">normalise ses relations diplomatiques avec Israël</a>. Les deux pays développeront dès lors ses relations commerciales, mais aussi des interactions dans le domaine des technologies. La Chine y perçoit une possibilité de diversifier ses partenariats technologiques, tandis qu’Israël verra l’occasion d’étendre une forme singulière de son influence en Asie.</p>
<h2>Partenariat commercial et technologique et inquiétudes de Washington</h2>
<p>La normalisation des relations entre Israël et la Chine a été portée par un personnage aussi discret qu’important, l’homme d’affaires <a href="https://www.lesechos.fr/2009/08/saul-eisenberg-lami-israelien-des-chinois-475008">Saul Eisenberg</a>. Ce dernier opéra à un rapprochement entre Pékin et Tel-Aviv dès la fin des années 1980 et participa à initier le développement des échanges commerciaux entre les deux pays.</p>
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<p>Dès lors, ces échanges n’ont cessé de s’amplifier : ils dépassaient <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/759070a0-6187-4e71-bf79-0e23de125a17/files/687abfb7-c025-440a-95e0-9edd21cd80b6">11 milliards de dollars en 2019</a> contre 50 millions de dollars en 1992. La Chine est actuellement le troisième partenaire commercial d’Israël (avec près de 5 milliards de dollars de biens exportés en 2019). Rapidement, dans une logique de rattrapage technologique, les intérêts chinois pour Israël vont se concentrer sur l’écosystème de l’innovation. Les échanges vont aller assez loin, au point d’inquiéter les services spéciaux israéliens mais aussi le <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/israel-les-investissements-chinois-dans-le-collimateur-1204214">partenaire américain</a>.</p>
<p>L’enjeu est évidemment considérable pour l’avenir des relations sino-israéliennes. Plus de <a href="https://www.rand.org/pubs/research_reports/RR3176.html">1 000 entreprises israéliennes</a> sont impliquées dans la coopération technologique avec la Chine. Les entreprises chinoises ont massivement investi en Israël dans de nombreux domaines allant des <a href="https://jamestown.org/program/recent-trends-in-sino-israeli-relations-bely-lasting-warm-ties/">transports et des infrastructures portuaires</a> à l’agroalimentaire ainsi que dans les télécoms, les puces ou encore le cloud.</p>
<p>L’aménagement des tunnels du Carmel, le développement des ports de Haïfa et d’Ashdod ou la construction du métro léger de Tel-Aviv comptent parmi les réussites chinoises les plus visibles dans l’État hébreu. Bien qu’Israël ne soit pas un partenaire officiel du projet des « Nouvelles Routes de la Soie », les autorités israéliennes ont adhéré à la Banque asiatique des Investissements pour les Infrastructures dès 2015 tandis que des start-up chinoises ont investi dans ce haut lieu de la haute technologie promu par Israël qu’est la <a href="https://israelvalley.com/2020/09/02/histoire-hightech-disrael-la-silicon-wadi-les-premiers-pas/">« Silicon Wadi »</a>.</p>
<p>D’après <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/03068374.2016.1170491?journalCode=raaf20">certains experts</a>, depuis 2010, la Russie et Israël constituent les principaux exportateurs de systèmes d’armes pour des missiles balistiques destinés à la Chine. Un fait qui ne cesse d’inquiéter Le Pentagone. Déjà en l’an 2000, l’administration américaine s’était fermement opposée à l’exportation de <a href="https://www.haaretz.com/1.5231008">son système Phalcon</a>, obligeant Tel-Aviv à compenser cette interdiction par des largesses financières. Cinq ans plus tard, ce sont les drones <a href="https://www.haaretz.com/1.4925244"><em>Harpy killer</em></a> que Washington interdisait à Tel-Aviv d’acheminer vers Pékin.</p>
<p>Dans les faits, cette coopération sino-israélienne n’a cessé de prendre de l’ampleur et tout particulièrement dans le domaine civil (par l’intermédiaire des grandes sociétés chinoises – Huawei, Alibaba… mais aussi de sociétés articulées à des provinces chinoises).</p>
<p>Que ce soit dans le secteur des télécommunications ou celui de l’agriculture, ces relations répondent à des besoins très réels comme les <a href="https://www.hortidaily.com/article/9244864/china-and-israel-draw-a-new-chapter-in-smart-agriculture/">techniques d’irrigation</a> des sols pour limiter l’assèchement et la dégradation des terres arables, un problème bien connu dans les agricultures des deux pays.</p>
<p>Comment ces relations vont-elles évoluer dans le contexte post-Benyamin Nétanyahou ? Elles font débat au plus haut niveau de l’État hébreu. Ainsi, Yosef Meir Cohen, directeur du Mossad (2016-2021), <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2021/07/06/israels-growing-ties-china-are-testing-its-relationship-with-us/">déclarait récemment</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne vois pas ce que les Américains veulent des Chinois. Si quelqu’un le sait, qu’on me le dise… La Chine n’est pas opposée à nous et nous ne sommes pas son ennemi. »</p>
</blockquote>
<h2>La stratégie du lotus</h2>
<p>Concernant la Chine, Israël semble faire preuve d’un solide pragmatisme. Après tout, le gouvernement israélien sait que Pékin <a href="https://theconversation.com/chine-iran-une-convergence-durable-160842">entretient des relations étroites avec l’Iran</a>, ennemi juré de l’État hébreu. La signature d’accords entre Téhéran et Pékin confirme les choix stratégiques d’Israël au Moyen-Orient : recomposition des relations (affichées ou plus discrètes dans le cadre des <a href="https://fmes-france.org/wp-content/uploads/2020/11/Les-accords-Abraham.pdf">Accords d’Abraham</a>), rapprochement avec l’Azerbaïdjan (et la Turquie) et maintien de la relation spéciale avec Washington, tout en entretenant des rapports étroits avec la Russie et l’Inde. Israël sait aussi que <a href="https://theconversation.com/chine-arabie-saoudite-a-lassaut-de-lor-noir-167205">l’Arabie saoudite a opéré un rapprochement important avec la Chine</a> et que Riyad n’est pas insensible au sort des Palestiniens…</p>
<p>Côté chinois, la volonté d’établir des relations de proximité avec des partenaires proches des États-Unis, que ce soit Israël ou la Turquie, s’apparente fort à la « stratégie du lotus ». Cette parabole, pour les disciples de Sun Zi, désigne la capacité d’un chef de guerre avisé à positionner ses troupes d’élite au cœur même du dispositif adverse, là où l’ennemi est vulnérable par orgueil, et de les faire éclore, tels les pétales de la fleur de lotus, pour le submerger et sanctuariser ainsi les zones convoitées. <a href="https://www.reuters.com/article/us-israel-usa-5g-china-idUSKCN25A2CF">L’évincement de Huawei et de la 5G du marché israélien</a> il y a quelques mois serait-il déjà le signe toutefois d’un revirement ? Paradoxalement, et plus que jamais, la relation sino-israélienne semble dépendre chaque jour davantage des tensions entre les deux puissances rivales du siècle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169660/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du FDBDA.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Chine est aujourd’hui le troisième partenaire commercial d’Israël. Une proximité que Washington, allié stratégique de Tel-Aviv, ne voit pas nécessairement d’un bon œil…Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1633822021-07-04T17:18:51Z2021-07-04T17:18:51ZLes nouvelles relations économiques entre l’UE et la Chine<p>L’Union européenne a récemment adopté son nouveau programme-cadre de recherche et d’innovation, intitulé <a href="https://www.horizon-europe.gouv.fr/">« Horizon Europe »</a>. Celui-ci prévoit de financer une action stratégique originale : « Upgrading independant knowledge on contemporary China in Europe ». L’objectif est de soutenir des travaux de chercheurs en sciences sociales qui permettront de décrypter la Chine pour permettre des échanges et collaborations sécurisés en matière commerciale entre acteurs du monde socio-économique ; c’est-à-dire des échanges qui ne seront pas victimes de stratégies, traditions ou politiques chinoises méconnues et gênantes en matière commerciale.</p>
<p>La Chine a changé et n’est plus le « pays en développement » parfois décrit dans le passé. En dehors de son importance dans les échanges commerciaux avec l’Europe, elle constitue un acteur avec lequel les relations se sont intensifiées dans les domaines de la recherche et développement ou dans celui des technologies. Pour l’UE, la Chine est à la fois un partenaire et un concurrent économiques, et un rival ou une alternative en <a href="https://ecfr.eu/paris/publication/definir_la_rivalite_systemique_leurope_et_la_chine_au_dela_de_la_pandemie/">matière de système et de gouvernance</a>.</p>
<h2>Les objectifs du partenariat</h2>
<p>L’objectif premier de l’UE est d’être unie face au géant chinois. En mars 2019, la Commission européenne a publié un <a href="https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/communication-eu-china-a-strategic-outlook.pdf">plan stratégique vis-à-vis de la Chine</a> comprenant des actions concrètes comme, par exemple :</p>
<ul>
<li><p>Défendre les objectifs des Nations unies en matière de droits de l’homme, de paix et de sécurité ;</p></li>
<li><p>S’engager dans la baisse des émissions de CO<sub>2</sub> pour le climat (la Chine étant à la fois le premier émetteur, un constructeur de centrales de charbon dans d’autres pays, mais aussi le pays qui investit le plus dans les énergies renouvelables) ;</p></li>
<li><p>S’entendre avec la Chine pour assurer la paix et la sécurité dans des zones ou pays où Pékin a une influence comme l’Iran, la Corne de l’Afrique, la Corée du Nord ou encore le golfe d’Aden. Les conflits potentiels sont nombreux, y compris en mer de Chine ;</p></li>
<li><p>Trouver une réciprocité dans les échanges commerciaux en évitant le protectionnisme ou les soutiens excessifs aux industries locales (en passant par le biais de l’OMC), tout comme les difficultés liées à la propriété de l’État sur certaines entreprises ;</p></li>
<li><p>Tenir compte dans les marchés publics non pas du seul critère du prix, mais aussi de l’environnement de travail ;</p></li>
<li><p>Renforcer la sécurité liée aux nouvelles technologies (comme la 5G) pour éviter le piratage et l’espionnage.</p></li>
</ul>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1301854195709095936"}"></div></p>
<p>Le but de ce plan est d’adopter à l’égard de la RPC une approche moins « naïve », plus pragmatique et plus réaliste, sans pour autant céder à la surenchère, l’escalade ou la guerre commerciale. L’équilibre est donc difficile à trouver. Mais il est vrai que sur chacun des points ci-dessus, les exemples abondent d’échecs européens. Globalement, la Chine a capté de nombreux marchés en adoptant des règles de fonctionnement qui lui ont permis d’exercer une <a href="https://www.challenges.fr/economie/la-concurrence-deloyale-chinoise-dans-le-viseur-de-l-ue_763381">« concurrence déloyale »</a>. Pour maintenir ses échanges avec Pékin, l’Union européenne doit donc adopter une stratégie plus offensive.</p>
<h2>Les leçons du passé</h2>
<p>Historiquement, les premières relations diplomatiques se sont établies en 1975. Un premier plan de partenariat stratégique a été adopté en 2003. D’autres ont suivi, jusqu’au récent plan <a href="https://eeas.europa.eu/archives/docs/china/docs/eu-china_2020_strategic_agenda_en.pdf">« EU-China 2020 Strategic Agenda for Cooperation »</a>, adopté en 2013.</p>
<p>Celui-ci, aujourd’hui remplacé par de nouveaux objectifs, restait très politique et peu économique. Les domaines traités portaient sur la paix, sécurité, l’information, l’urbanisation, le climat, le progrès social, la culture, l’éducation… Certes, les grands secteurs comme le transport, l’aéronautique, l’énergie, l’agriculture et plus généralement la science et l’innovation étaient aussi abordés, mais souvent de façon succincte pour indiquer que les deux entités coopéreront et développeront des « initiatives conjointes » (laboratoires conjoints, échanges de données, etc.).</p>
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<p>Finalement, il semble au bout de quelques années que cela se soit fait au profit de la Chine. L’exemple du développement de l’aéronautique ou des biotechnologies en Chine montre que les pays occidentaux ont plus perdu que gagné, aussi bien en termes de parts de marché que de transfert technologique.</p>
<p>Au début des années 2000, la France a par exemple vendu des centaines d’Airbus A320 lors de contrats signés pendant des visites officielles, avec comme contrepartie la production et l’assemblage en Chine avec transfert de connaissances. Aujourd’hui, la China Commercial Aircraft Corporation est capable de <a href="https://www.deplacementspros.com/transport/lavion-de-ligne-chinois-c919-certifie-en-2021">produire un nouvel avion C919</a>, qui sera directement concurrent de l’Airbus A320. Le certificat de navigabilité pourrait arriver cette année et près d’un millier de commandes ont déjà été passées.</p>
<h2>Les relations et instruments d’aujourd’hui</h2>
<p>Par ailleurs, malgré ces plans stratégiques, les relations économiques restent tributaires des événements liés à l’actualité.</p>
<p>Même si le dernier plan évoque la situation du Xinjiang (région autonome ouïghoure), quelques paroles en conférence de presse peuvent détériorer les relations. Récemment, les <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/ue/l-union-europeenne-s-entend-sur-des-sanctions-contre-la-chine-pour-le-traitement-des-ouighours-7190079">sanctions européennes liées au sort des Ouïghours</a> ont provoqué la colère de la Chine, laquelle a réagi par des <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20210322-ou%C3%AFghours-en-r%C3%A9ponse-%C3%A0-l-ue-la-chine-sanctionne-dix-europ%C3%A9ens">contre-sanctions</a> qui peuvent aller au-delà de la sphère diplomatique et se solder par la remise en cause d’accords commerciaux et notamment de l’<a href="https://trade.ec.europa.eu/doclib/press/index.cfm?id=2237">« Accord global sur les investissements »</a>. Or, ces avancées sont cruciales sur le plan économique. Par exemple, les entreprises allemandes (Volkswagen, Siemens, BMW) ou françaises (banques notamment) en attendent beaucoup.</p>
<p>Par ailleurs, la Chine reste très ferme sur sa volonté de mettre en œuvre sa fameuse « Belt and Road Initiative », et les pays d’Europe de l’Est se trouvent sur le chemin. D’ailleurs, les relations avec l’Union européenne sont souvent dénommées « 17+1 » (ou 16+1) en comptant les pays de l’Est comme un seul, ce qui permet à la Chine de négocier directement avec eux.</p>
<p>D’autres différends sur la 5G et Huawei ou sur l’origine du Covid viennent également perturber ces relations. Les Européens Nokia et Ericsson pourraient fournir à l’UE les infrastructures de la 5G, mais Huawei est mieux placé sur le plan qualité/prix. Aussi, au-delà de ces questions économiques, les choix politiques entrent en compte, notamment en ce qui concerne les <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_20_1378">conditions de sécurité</a>, comme celles liées à la protection des données ou au risque d’espionnage. Avec le langage diplomatique, on indique que l’UE ne s’oppose à aucune entreprise mais doit éviter la dépendance vis-à-vis de fournisseurs à risques… La Chine, elle, y voit un protectionnisme déguisé.</p>
<p>Malgré tout, les échanges commerciaux sont importants : l’UE est la deuxième puissance commerciale et le plus grand exportateur de produits et services. À eux trois, la Chine, l’Europe et les États-Unis représentent 46 % du commerce international de marchandises en 2019. Les échanges de biens (exportations et importations) de l’UE avec le reste du monde représentent environ 15 % du commerce mondial. Pour les biens, les premiers partenaires de l’Europe en matière d’exportation sont les États-Unis (406 milliards) puis la Chine (210 milliards), et en matière d’importation la Chine (394 milliards) puis les États-Unis (267 milliards) d’après Eurostat :</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/408152/original/file-20210624-15-kvybl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/408152/original/file-20210624-15-kvybl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/408152/original/file-20210624-15-kvybl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=687&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/408152/original/file-20210624-15-kvybl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=687&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/408152/original/file-20210624-15-kvybl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=687&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/408152/original/file-20210624-15-kvybl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=863&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/408152/original/file-20210624-15-kvybl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=863&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/408152/original/file-20210624-15-kvybl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=863&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Chine UE.</span>
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</figure>
<p>En matière commerciale, la Commission européenne négocie les accords de libre-échange avec le reste du monde, mais les États membres ont leur mot à dire, à travers le Conseil de l’UE (consulté) et le Parlement (qui dispose d’un droit de veto). L’objectif officiel de l’UE est fixé dans le <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A12016E206">Traité de Fonctionnement de l’Union européenne</a> qui précise dans son article 206 :</p>
<blockquote>
<p>« L’Union contribue, dans l’intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres. »</p>
</blockquote>
<p>De ce fait, la politique économique avec la Chine est tournée, comme pour d’autres zones géographiques (Canada, Japon…) vers des négociations visant le développement des échanges et non le protectionnisme. Néanmoins, l’UE s’est dotée d’outils de défense contre les pratiques déloyales avec un droit de la concurrence très poussé. Les exemples de sanctions contre des firmes américaines (géants du numérique) sont emblématiques de ce pouvoir.</p>
<p>En outre, l’UE a intégré à sa nouvelle <a href="https://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2021/february/tradoc_159438.pdf">stratégie commerciale</a> adoptée en février 2021 appelée « Trade policy review : An open, sustainable and assertive trade policy » le respect des accords de Paris sur le climat et le respect des normes européennes (environnementales par exemple). Sans viser explicitement la Chine, ces règles sont un moyen d’orienter la politique économique. </p>
<p>Elles s’accompagnent d’instruments de défense commerciale cités précédemment. L’antidumping en est l’exemple type. Un produit est considéré comme bénéficiant de dumping lorsque son prix de vente en Europe est inférieur au prix dans le pays exportateur. Cette pratique qui vise à capter des marchés afin de se retrouver en position dominante est souvent reprochée à la Chine. La législation européenne vise donc aujourd’hui à accélérer la prise de décision avant qu’il ne soit trop tard car les marchés et prises de parts évoluent très vite.</p>
<p>Un exemple récent peut être cité avec les <a href="https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/defense-commerciale-les-instruments-europeens/">chaussures en cuir importées de Chine</a>. En 2006, pour contrer ce dumping, l’UE a pris des mesures radicales en appliquant des droits de douane de 19,4 % aux exportateurs chinois au motif qu’ils bénéficiaient de subventions étatiques contraires aux règles de l’OMC.</p>
<p>Pour conclure, l’UE entend montrer sa force dans ses relations économiques avec la Chine. Pour cela, en plus des discussions bilatérales, elle s’efforce de jouer un rôle moteur au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en donnant un rôle de négociateur à la Commission pour l’ensemble des États membres et s’exprimer d’une seule voix lors de la négociation de traités commerciaux, au lieu de se ranger derrière les États-Unis ou de partir en ordre dispersé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163382/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane Aymard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Face à la montée en puissance de la Chine, l’Union européenne cherche à la fois à ménager ce partenaire majeur et à ne pas le laisser agir totalement à sa guise. Un équilibre difficile.Stéphane Aymard, Ingénieur de Recherche, La Rochelle UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1568072021-03-18T23:36:19Z2021-03-18T23:36:19ZL’Australie face à la Chine : la montée des tensions<p>L’Australie et la Chine ont multiplié les accords et les contrats commerciaux, diplomatiques et culturels entre le début des années 2000 et le milieu des années 2010, période de la <a href="https://www.cairn.info/la-politique-internationale-de-la-chine--9782724618051-page-67.htm">montée en puissance diplomatique et économique</a> de la Chine en Asie-Pacifique. Pékin a progressivement <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/vin-peche-comment-la-chine-accentue-la-pression-commerciale-sur-laustralie-1293436">investi la zone</a> dans les secteurs minier, agricole et gazier, et développé de nouveaux réseaux de diasporas, actifs dans les universités, le commerce et le tourisme.</p>
<p>L’Australie occupe une <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2012-4-page-18.htm">place toute particulière</a> dans la vision de Pékin : par sa position stratégique dans la zone Asie-Océanie-Pacifique (avec une ouverture sur l’Antarctique), par son appartenance à l’alliance « Five Eyes » (qui regroupe les services de renseignement de l’Australie, du Canada, de la Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni et des États-Unis), par ses richesses minières (fer, charbon, plomb, zinc, cuivre, diamants et uranium), gazières et agricoles, et enfin, par l’attrait qu’exercent ses universités renommées. Économiquement tournée vers l’Asie, notamment la Chine (mais aussi vers le Japon, l’Inde et l’Asean), l’Australie reste toutefois liée aux États-Unis et à l’Occident <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2015-1-page-117.htm">pour les questions militaires et stratégiques</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1291027987660451840"}"></div></p>
<p>Alors que l’Australie comme la Chine ont adhéré au <a href="https://theconversation.com/la-chine-au-coeur-de-la-plus-grande-zone-de-libre-echange-de-la-planete-150313">Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP)</a>, vaste accord de libre-échange associant davantage encore Canberra à l’avenir économique de l’Asie, le découplage entre intérêts économiques et stratégiques ne cesse de s’accentuer et la <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/l-australie-regrette-la-deterioration-inutile-de-ses-relations-avec-pekin-20201124">détérioration sensible des relations sino-australiennes</a> apparaît comme le symptôme d’un tournant dans les rapports de force qui s’engagent plus largement entre la Chine et l’Occident.</p>
<p>L’Australie est le seul pays de l’OCDE à avoir connu une croissance positive depuis deux décennies. L’essor économique de l’Asie-Pacifique, tiré par la croissance chinoise et les perspectives de développement commercial, a procuré à l’Australie le sentiment d’une <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/la-chine-accentue-ses-represailles-commerciales-pour-faire-plier-laustralie-1269338">montée en puissance régionale</a>. En 2017, 30 % des exportations australiennes étaient <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/la-chine-ralentit-ses-investissements-en-australie-1007587">destinées à la Chine</a>. Le secteur minier et l’industrie extractive, le tourisme (1,4 million de visiteurs annuels) et les échanges universitaires (30 % des étudiants étrangers sont chinois) ont connu un véritable boom entre 2005 et 2015. Depuis 2007, la Chine est le premier partenaire commercial de l’Australie.</p>
<p>De plus, la Chine poursuit une stratégie d’influence et d’implantation sur l’île-continent. <a href="https://www.senat.fr/rap/r16-222/r16-222_mono.html">Le port de Darwin</a>, dans le nord du pays, est sous pavillon chinois pour une concession de 99 ans. <a href="https://www.aspistrategist.org.au/the-australian-secret-intelligence-service-spying-for-australia/">Plusieurs parlementaires australiens</a> sont accusés de corruption au profit de la Chine, ce à quoi s’ajoutent plusieurs procédures en cours de jugement contre des activités d’espionnage de Pékin concernant la vie politique intérieure de l’Australie, des intérêts stratégiques vitaux et des affaires d’intelligence économique. De nombreuses voix en Australie s’inquiètent de la montée en puissance militaire de la Chine en Asie, alors que les routes maritimes dont dépend le pays sont en partie bornées par les installations chinoises en <a href="https://www.aspi.org.au/report/chinese-investment-port-darwin-strategic-risk-australia">Asie du Sud-Est, en Océanie et dans l’océan Indien</a>.</p>
<p>Canberra cherche donc à diversifier et à renforcer sa présence en Asie-Pacifique par le <a href="https://www.senat.fr/rap/r16-222/r16-222_mono.html">développement de partenariats</a> avec le Japon, l’Inde, l’Union européenne, les États-Unis, mais aussi plusieurs États d’Asie du Sud-Est. Ce revirement stratégique passe par une <a href="https://www.aspi.org.au/opinion/china-will-be-surprised-how-long-it-took-us-act-foreign-investment-laws">augmentation de son budget de défense et la modernisation de sa sous-marinade</a>, et par sa présence renforcée dans des architectures stratégiques et de sécurité comme le concept <a href="https://asiepacifique.fr/indo-pacifique-le-maritime-marianneperondoise/">« Indopacifique »</a>.</p>
<h2>Dilemme de sécurité et avenir économique de l’Australie en Asie</h2>
<p>Depuis la Seconde Guerre mondiale, les gouvernements australiens successifs se sont fidèlement engagés dans toutes les interventions militaires décidées par les États-Unis.</p>
<p>Le positionnement géographique de l’Australie, <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2012-4-page-18.htm">aux antipodes du monde occidental</a>, la met à proximité immédiate des puissances asiatiques et, d’entre toutes, la Chine, dont les revendications territoriales se font de plus en plus pressantes dans les mers de Chine orientale et méridionale. Un <a href="https://www.asie21.com/tag/livre-blanc-de-la-politique-etrangere-australienne-2017-2027/">Livre blanc de la politique étrangère australienne 2017-2027</a> a été publié en novembre 2017, dans lequel les auteurs montrent que les États-Unis conserveront leur suprématie militaire, mais aussi que la forte dépendance de l’économie australienne envers la Chine s’accroîtra alors que « les intérêts, les valeurs et les systèmes politiques et juridiques sont différents ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1343955370310594560"}"></div></p>
<p>La Chine constitue une forte source d’inquiétude et d’incertitude pour la conduite de la politique étrangère de Canberra. De plus, une nouvelle législation destinée à lutter contre l’ingérence et l’espionnage a été rendue publique en décembre 2017 (notamment pour prévenir et interdire les dons aux partis politiques et la compromission de personnalités politiques).</p>
<p>Enfin, Canberra entend, on l’a dit, jouer un rôle majeur dans le concept « Indo-Pacifique » et opérer un <a href="https://www.aspistrategist.org.au/after-abe-where-to-for-australias-quasi-alliance-with-japan/">rapprochement stratégique avec le Japon et l’Inde</a> (les deux acteurs majeurs de la zone) et avec l’UE. Le premier ministre Scott Morrison souhaite renforcer la présence australienne en Océanie (confortant son influence historique) et contrer la poussée économique et diplomatique de Pékin dans la zone (l’Australie et Vanuatu sont en négociation pour un traité de sécurité en lien avec le projet chinois d’implanter une base dans l’archipel océanien).</p>
<p>L’architecture du <a href="https://thediplomat.com/2019/03/us-asia-strategy-beyond-the-quad/">Quadrilatère de sécurité, <em>The</em> <em>Quad</em></a> (États-Unis, Japon, Australie et Inde) est, dans ce sens, perçue comme un moyen militaro-stratégique de diluer la présence chinoise dans la zone bi-maritime, comme le rappellent les exercices navals de novembre 2020 <a href="https://www.scmp.com/week-asia/politics/article/3108312/australia-sends-signal-china-it-rejoins-us-japan-and-india">dans la région des Malabars</a> afin d’équilibrer par des modes de gouvernance démocratique le régime autoritaire de Pékin. La signature d’une <a href="https://www.scmp.com/week-asia/politics/article/3110244/japan-and-australia-agree-military-pact-eye-chinas-influence">alliance militaire entre Canberra et Tokyo</a> s’inscrit dans cette logique : il s’agit de diversifier la relation par trop exclusive que chacune de ces alliances entretient avec Washington.</p>
<p>Les <a href="https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3122274/us-secretary-state-antony-blinken-discusses-china-related">récents échanges</a> entre Anthony Blinken et les représentants du <em>Quad</em> montrent que le secrétaire d’État américain accorde une grande importance à cette coopération stratégique. Le dialogue et les partenariats se complètent par une <a href="https://www.frstrategie.org/publications/autres/evolution-equilibres-zone-asie-pacifique-quelles-consequences-pour-nos-interets-quelles-reponses-quels-partenaires-privilegier-2017">modernisation de la marine australienne</a> en lien direct avec les industries de défense occidentales. La construction de douze sous-marins océaniques (Barracuda) <a href="https://www.meretmarine.com/fr/content/naval-group-signe-le-contrat-cadre-du-programme-des-sous-marins-australiens">par le groupe français Naval Group</a>, les <a href="https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3122416/france-sends-warships-south-china-sea-ahead-exercise-us-and">exercices communs</a> avec les marines française, japonaise, américaine et indienne témoignent des ambitions et des choix stratégiques de Canberra.</p>
<p>La question des droits de l’homme et la radicalité des positions prises par Pékin ne sont pas étrangères à cette évolution. Ainsi, l’opinion australienne s’est récemment émue de l’arrestation arbitraire de l’une de ses ressortissantes d’origine chinoise, <a href="https://www.scmp.com/week-asia/politics/article/3121015/cheng-lei-australian-journalists-arrest-china-causes-concern">Cheng Lei</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1358698599882792962"}"></div></p>
<p>Cette diplomatie des otages de plus en plus ostensiblement pratiquée par les autorités chinoises, notamment à l’encontre de pays européens comme la <a href="https://atlantico.fr/article/decryptage/comment-la-suede-s-est-retrouvee-sur-la-ligne-de-front-entre-l-ue-et-la-chine-emmanuel-lincot">Suède</a>, a provoqué en Australie une vague de sinophobie, encore accrue par la <a href="https://www.policyforum.net/exclusion-is-not-the-answer-to-counter-coronavirus/">Covid-19</a> et par les soupçons d’espionnage pesant sur des <a href="https://www.scmp.com/week-asia/politics/article/3121400/chinese-spying-fears-revived-security-probe-australian">étudiants chinois dans ses universités</a>. Mentionnons également, à cet égard, le cas <a href="https://www.abc.net.au/news/2016-11-20/how-many-spies-does-china-have-in-australia/8041004">d’un transfuge des services spéciaux chinois</a> travaillant au sein de la cellule en charge de la répression des adeptes du Falungong dans le monde, ayant fui vers l’Australie et qui aujourd’hui témoigne de son expérience et des méthodes des services du régime, ou encore les intimidations récurrentes à l’endroit d’un chercheur australien de l’ASPI (Australian Strategic Policy Institute) <a href="https://www.nytimes.com/2018/02/06/opinion/beijing-chinese-australians-censorship.html">Alex Joske</a>.</p>
<p>S’ajoute le problème que pose la dépendance de l’économie australienne vis-à-vis de la Chine. <a href="https://www.courrierinternational.com/article/brouille-entre-la-chine-et-laustralie-rien-ne-va-plus">Les mesures de rétorsion</a> qui ont été prises de part et d’autre sont loin d’apaiser ces tensions. L’Australie a notamment <a href="https://portail-ie.fr/short/2608/laustralie-futur-vainqueur-de-la-guerre-commerciale-avec-la-chine">exclu</a> le géant chinois des télécoms Huawei du déploiement du réseau 5G sur l’immense île-continent et a demandé une enquête indépendante sur l’origine de la Covid-19. Réciproquement, la Chine, premier partenaire commercial de l’Australie, a pris des mesures à l’encontre de Canberra en <a href="https://asialyst.com/fr/2020/12/01/crise-chine-australie-valeur-exemple-reste-monde/">suspendant les importations d’un grand nombre de produits agricoles</a>.</p>
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<p>Même si Scott Morrison a insisté sur le fait que des pays comme l’Australie ne devraient pas être contraints de choisir leur camp entre Washington et Pékin, les faits restent têtus : la Chine est <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/l-exemple-australien-nous-demontre-que-lorsque-nous-commercons-avec-la-chine-il-ne-faut-pas-ceder-a-la-naivete-20201223">l’un des plus gros clients de l’Australie</a>. En outre, la Chine a la capacité de bloquer l’Australie dans ses approvisionnements en terres rares, si nécessaires au développement de sa très haute technologie ; risque majeur qui incite désormais Canberra à exploiter de nouveaux gisements, en <a href="https://www.scmp.com/economy/china-economy/article/3122060/chinas-rare-earth-export-curbs-push-australian-miner-fast">Afrique</a>, notamment.</p>
<h2>La fin de l’innocence</h2>
<p>Cette crise commerciale sino-australienne est porteuse d’enseignements qui vont bien au-delà des rivages du Pacifique. Ils valent aussi pour les Européens qui pourraient à leur tour, et à leurs dépens, apprendre que commercer avec la Chine n’est pas la même chose que commercer avec le Canada.</p>
<p>La Chine est un pays hors normes et ne distingue en rien la nature économique de ses démarches, lesquelles s’accompagnent d’une visée systématiquement politique. En somme, l’Australie se retrouve à <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/face-au-defi-chinois-lue-est-en-train-de-reorienter-ses-dispositifs-de-protection">l’avant-garde de défis qui se posent également aux Européens</a>. Outre la liste des contentieux qui font potentiellement écho à ceux rencontrés par l’Australie, la nature de leurs relations respectives avec la Chine s’avère profondément asymétrique. Par exemple, le secteur des marchés publics de la Chine reste fermé. Les entreprises européennes ne sont toujours pas traitées sur un pied d’égalité dans les appels d’offres publics – un marché qui, en Chine, représente chaque année des centaines de milliards de dollars.</p>
<p>La Chine refuse d’ailleurs de signer <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/gproc_f/gp_gpa_f.htm">l’Accord sur les marchés publics</a> de l’Organisation mondiale du commerce. L’Europe n’a pas non plus réussi à faire accepter à Pékin la création d’un tribunal pour le règlement des litiges entre investisseurs. De plus, les clauses qui égalisent les règles du jeu entre les deux parties ont peu de chance de régler le problème des subventions indirectes, qui sont généralisées en Chine.</p>
<p>Les accords sur les investissements signés à <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Accord-UE-Chine-brique-vers-lautonomie-strategique-lEurope-2021-01-22-1201136353">l’arraché entre Bruxelles et Pékin</a>, le 30 décembre 2020, et que le Parlement européen mettra deux années à le ratifier ou non, laissent songeurs quant à la réalité de l’application et des bénéfices envisagés. Ils ne comprennent pas d’engagement important à propos du travail forcé et de la liberté d’association.</p>
<p>Les difficultés auxquelles l’Australie est confrontée face à la Chine nous rappellent avec force que lors-que nous commerçons avec Pékin, nous ne devons pas céder à la naïveté. L’Australie s’est souvent confrontée à la Chine : en <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/02185370701731077 ?journalCode=rasi20&">1989 sur le dossier des droits humains après le massacre de la place Tianan-men</a>, en 2006 sur des aspects sécuritaires liés aux problèmes de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/10357710701531511">libre navigation et de rapprochement avec Taïwan</a> ; et, plus ré-cemment, en 2009, à la suite de la décision des autorités australiennes d’<a href="https://aus.thechinastory.org/archive/rebiya-kadeer-incident/">accorder un vi-sa</a> à la dissidente ouïghoure Rebiya Ka-deer, alors que <a href="https://aus.thechinastory.org/archive/kevin-rudd-and-australia-china-relations/">Kevin Rudd</a>, parfait sinisant, était premier ministre. Droit dans ses bottes, il avait déjà su tenir tête à la puissance chinoise par sa liberté de ton. Il faut dire qu’il avait été formé à bonne école, son professeur à Canberra ayant été le <a href="https://www.lalibre.be/international/kevin-rudd-tel-que-se-le-rappelle-son-professeur-simon-leys-51b896a6e4b0de6db9b0f388">sinologue belge Simon Leys</a>…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156807/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du FDBDA.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si l’économie australienne est de plus en plus dépendante de la Chine, les relations politiques entre les deux pays sont, elles, de plus en plus tendues…Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1563322021-03-14T17:23:05Z2021-03-14T17:23:05ZChinafrique : le temps des problèmes<p>Popularisé par l’expression <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/afrique-continent-sous-influence-33-chinafrique-lhegemonie-contestee">Chinafrique</a>, le développement météorique de la <a href="https://www.cairn.info/revue-geoeconomie-2015-3-page-139.htm">présence chinoise en Afrique</a> depuis vingt ans fait partie des nouvelles réalités géopolitiques.</p>
<p>La Chine est le premier partenaire commercial et le premier bâtisseur du continent, ainsi que le premier bailleur bilatéral de nombreux pays africains. Elle n’est en revanche qu’un modeste investisseur en Afrique et seulement son cinquième fournisseur d’armes… mais demain, peut-être, son <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/vaccin/covid-19-la-chine-fournit-lafrique-en-vaccins_4304807.html">premier fournisseur de vaccin anti-Covid</a>.</p>
<p>Alors que quelques pays (Angola, Soudan, Zimbabwe, etc.) et quelques secteurs (hydrocarbures, minerais, etc.) lui ont servi de portes d’entrée économique au début du siècle, en 2021 les entreprises de la RPC sont présentes dans tous les domaines, de l’exploitation forestière à la banque en passant par l’énergie. Répandus du Sénégal au Lesotho, les intérêts chinois sont maintenant extrêmement diversifiés.</p>
<p>Cependant, au bout de vingt ans, la « success story » remarquable et remarquée de la Chine en Afrique a des conséquences qui posent problèmes.</p>
<h2>Le risque de la dépendance</h2>
<p>Le risque de dépendance économique à l’égard de la Chine est mis en évidence par la question de la dette, qui est sur l’agenda international depuis l’<a href="https://www.banquemondiale.org/fr/topic/debt/brief/covid-19-debt-service-suspension-initiative">Initiative pour la suspension du service de la dette publique bilatérale</a>.</p>
<p>Déclenchée par la pandémie de Covid-19, la récession mondiale accentue les difficultés financières de certains pays africains, rendus déjà vulnérables par un endettement élevé. En 2021, à l’exception de la Grenade, <a href="https://www.imf.org/external/pubs/ft/dsa/dsalist.pdf">tous les pays en situation de surendettement sont africains</a>. Or la résolution de ce problème passe désormais obligatoirement par Pékin. En effet, entre 2000 et 2018, 50 pays africains sur 54 ont emprunté à la Chine sous des formes diverses. En 2018, la RPC détenait près de 21 % des encours de la dette publique externe du continent, une grande partie de ces prêts concernant des infrastructures dont la pertinence et le coût interrogent parfois (chemin de fer, ports, routes, centrales énergétiques, etc.).</p>
<p>Néanmoins, l’endettement des pays africains envers la Chine est variable. Celle-ci est le premier bailleur bilatéral de certains d’entre eux tels que la Zambie (elle détient 29 % de sa dette extérieure), l’Éthiopie (32 %), l’Angola (39 %), le Congo-Brazzaville (43 %) et Djibouti (70 %). Pour ces pays, le salut dépend de Pékin. Dès 2020, ils se sont tournés vers le gouvernement chinois pour demander un moratoire, voire une annulation d’une part de leur dette. Ainsi l’Angola, dont la dette chinoise atteint environ 20 milliards, et le Kenya ont obtenu un moratoire – de trois ans pour le premier et de six mois pour le second.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1251518232734785537"}"></div></p>
<p>Toutefois, ces moratoires ne sont qu’une solution temporaire et ces pays ont besoin de restructurer leur dette pour faire face à une crise économique durable.</p>
<p>Là encore, leur dépendance à l’égard de la politique chinoise est totale. Si la Chine a approuvé l’Initiative pour la suspension du service de la dette publique bilatérale, elle reste <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/editoriaux-de-lifri/lafrique-questions/lenjeu-dettes-publiques-afrique-une#:%7E:text=La%20Banque%20mondiale%20estime%20que,d%E2%80%99un%20quart%20de%20si%C3%A8cle">réticente</a> à l’idée de rejoindre autrement qu’en observateur le Club de Paris, qui est le forum des créanciers souverains définissant les règles générales de gestion et de restructuration de la dette. Or y adhérer implique pour la Chine, d’une part, de soumettre la gestion de sa dette bilatérale à des règles multilatérales et, d’autre part, d’instiller de la transparence dans ses prêts, dont les conditions sont généralement opaques.</p>
<p>La querelle sur la définition du périmètre des banques chinoises publiques et privées est largement une diversion par rapport à cette question beaucoup plus stratégique. En effet, beaucoup suspectent des dettes cachées et des <a href="https://www.lepoint.fr/afrique/covid-19-l-afrique-centrale-sous-le-couperet-de-sa-dette-envers-la-chine-19-11-2020-2401808_3826.php">conditions financières défavorables</a>. Si l’opacité des prêteurs chinois a généralement bénéficié aux gouvernements emprunteurs, elle risque maintenant de se retourner contre eux.</p>
<h2>La double migration</h2>
<p>L’un des paradoxes de la Chinafrique est la double migration. Pendant les vingt dernières années, non seulement des millions de Chinois ont découvert la route de l’Afrique mais les Africains ont aussi découvert la route de la Chine. Mais comme les autres relations sino-africaines, cette double migration est asymétrique : plusieurs millions de Chinois résideraient actuellement en Afrique (entre 300 et 500 000 rien qu’en <a href="https://chinaafricaproject.com/podcasts/podcast-chinese-community-south-africa-barry-van-wyk/">Afrique du Sud</a>) tandis que seulement entre 300 et 400 000 Africains vivraient en Chine. Si des immigrés chinois sont présents dans tous les pays africains, en revanche les Africains sont très majoritairement concentrés en Chine dans la ville de <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/les-africains-de-guangzhou-1150122">Guanghzou</a> (Canton) et, plus particulièrement, dans le quartier de Xiaobei.</p>
<p>Migrants chinois et africains ont la même motivation : tirer profit de l’intense commerce qui s’est développé entre leurs deux mondes. S’il y a de plus en plus d’étudiants africains en Chine, la majorité de cette communauté est constituée de commerçants-migrants. Depuis vingt ans, se forment progressivement des communautés d’immigrés dans les deux sens qui font partie de ces nouvelles guildes de marchands créées par la mondialisation. Des « Chinatowns » se créent dans les capitales africaines tandis que Guanghzou a son <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/av19lebailfr.pdf">« Little Africa »</a>.</p>
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<p>Ces communautés marchandes transcontinentales se structurent et s’organisent pour défendre leurs intérêts. Elles créent leurs associations, leurs chambres de commerce et nouent des relations avec les pouvoirs locaux. Elles s’efforcent, par exemple, de se policer elles-mêmes afin d’éviter l’intervention des autorités locales.</p>
<p>Cependant, le développement de ces nouvelles guildes qui sont les passerelles du capitalisme globalisé n’est pas exempt de problèmes : concurrence économique, immigration irrégulière, insécurité et racisme réciproque. L’équilibre entre concurrence et complémentarité économiques est délicat à trouver. Les commerçants africains qui s’approvisionnaient en Chine sont maintenant concurrencés sur leur marché par leurs homologues chinois installés en Afrique, qui ont un accès direct aux usines chinoises. Par ailleurs, cette concurrence ne se limite pas à l’économie formelle. En effet, à l’inverse d’autres diasporas d’affaires sur le continent (Libanais, Indiens, etc.), les migrants chinois investissent aussi la partie la plus pauvre et la plus pourvoyeuse d’emplois de l’économie africaine : le secteur informel. Par exemple, l’artisanat minier africain, qui est massivement informel, est de plus en plus concurrencé par de modestes entreprises minières chinoises qui pratiquent l’exploitation semi-mécanisée.</p>
<p>De ce fait, la concurrence commerciale donne parfois lieu à des <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20181005-trois-personnels-chinois-societe-miniere-tues-centrafrique-sosso-nakombo-kadei">violences</a>, voire des émeutes localisées, et un sentiment antichinois se développe <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/01/04/en-ouganda-la-colere-des-petits-marchands-face-a-l-invasion-des-chinois_5405061_3212.html">dans les milieux populaires</a>. Des gouvernements ont même dû adopter des réglementations interdisant certains secteurs d’activités aux étrangers. Les réussites individuelles de Chinois en Afrique sont scrutées <a href="https://southerntimesafrica.com/site/news/stina-wu-entrepreneur-or-rent-seeker">avec suspicion</a> et il est mal venu de franchir certaines limites. Si le dynamisme des Chinois d’Afrique est toléré dans l’économie, il ne l’est pas en politique, comme l’a montré le tollé public causé par l’entrée d’une Sud-Africaine d’origine chinoise au Parlement en janvier dernier.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1355067231466631168"}"></div></p>
<p>En écho, les Africains en Chine sont aussi parfois perçus avec suspicion. Après une période de politique d’immigration « business friendly », en 2013 le gouvernement chinois a durci sa législation sur les résidents étrangers. Par ailleurs, en avril 2020, la lutte contre la pandémie de Covid-19 et la forte anxiété sociale consécutive ont conduit à une vague brutale de <a href="https://www.lepoint.fr/afrique/covid-19-sale-temps-pour-les-africains-de-canton-13-04-2020-2371166_3826.php">discrimination contre les Africains à Guangzhou</a> et révélé le racisme anti-africain latent mais <a href="https://www.hrw.org/news/2021/02/18/covid-blackface-tv-chinas-racism-problem-runs-deep">constamment nié par les autorités chinoises</a>. En effet, les incidents de Guangzhou, qui ont eu un large écho dans les opinions publiques africaines, s’inscrivent dans un <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/china-quarterly/article/abs/antiblack-racism-in-postmao-china/862AF22CB97347DD0EF289792919640B">climat de racisme ancien</a> qui a trouvé son porte-voix avec les <a href="https://www.huffingtonpost.fr/fabrice-d-almeida/racisme-internet-chine_b_6690256.html">réseaux sociaux</a>. En définitive, sur fond de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14649365.2018.1514647?journalCode=rscg20">stéréotypes racistes dans les perceptions sino-africaines</a>, la question de la sécurité de ces communautés-passerelles entre les deux continents se pose de manière de plus en plus pressante.</p>
<h2>Le développement d’une économie prédatrice transcontinentale</h2>
<p>Le développement d’échanges illicites est la face cachée de l’essor du commerce sino-africain.</p>
<p>Les produits illicites (drogues, espèces protégées, contrefaçons, etc.) et les produits licites commercialisés de manière illicite (bois, minerais, etc.) circulent dans le sillage des échanges légaux entre la Chine et l’Afrique. Dans la première catégorie, ces dernières années les <a href="https://www.terrafemina.com/societe/international/articles/6076-braconnage--les-elephants-dafrique-craignent-la-chine.html">espèces protégées</a> ont fait la une : la demande du marché chinois a conduit à une hausse des prix et donc du braconnage qui met en danger certaines espèces (le cours de l’ivoire brut en Chine avait atteint 1 900 euros le kilo à la mi-2014). La question du commerce de l’ivoire étant devenue une controverse internationale, les autorités chinoises ont fini par <a href="https://www.nationalgeographic.fr/animaux/2018/01/la-chine-interdit-totalement-le-commerce-de-livoire">l’interdire</a> en 2018. Mais au-delà des éléphants et des rhinocéros, il y a bien d’autres espèces moins emblématiques chassées en Afrique pour le marché chinois, comme les <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/03/28/pourquoi-les-chinois-veulent-la-peau-des-anes-africains_5101859_3212.html">ânes</a> ou les <a href="https://globalstory.pangolinreports.com/">pangolins</a>.</p>
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<p>Si les espèces protégées sont exportées d’Afrique vers la Chine, les contrefaçons prennent la route inverse : l’Afrique constitue actuellement l’un des principaux marchés d’écoulement des contrefaçons chinoises, notamment de <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/niaufre_le_trafic_de_faux_medicaments.pdf">médicaments</a>.</p>
<p>Les produits licites commercialisés de manière illicite proviennent des secteurs extractifs comme la pêche, l’exploitation pétrolière et minière et la foresterie. En effet, certains de ces secteurs font l’objet de standards internationaux tandis que d’autres peuvent avoir des impacts dangereux sur les populations et l’environnement. En l’absence de contrôles sérieux par les États africains, certaines entreprises chinoises développent des <a href="https://www.wathi.org/arnaque-sur-les-cotes-africaines-la-face-cachee-de-la-peche-chinoise-et-des-societes-mixtes-au-senegal-en-guinee-bissau-et-en-guinee-aprapam/">pratiques prédatrices</a>. Ce faisant, elles incarnent le capitalisme sauvage globalisé.</p>
<h2>Vers un rééquilibrage des relations sino-africaines ?</h2>
<p>La prise de conscience du risque de dépendance économique à travers le problème de la dette, des défis de la double migration (le racisme, le rejet de l’autre) et du développement d’une économie prédatrice dans l’ombre des échanges légaux suscite des interrogations tant du côté chinois que du côté africain.</p>
<p>Après la lune de miel, les relations de la Chine avec des gouvernements africains tiédissent. Certains d’entre eux n’ont pas hésité à annuler de grands contrats (Tanzanie, Sierra Leone, Gabon, etc.) tandis que l’image de la Chine dans l’opinion publique africaine pâlit doucement. Selon l’<a href="https://afrobarometer.org/sites/default/files/africa-china_relations-3sept20.pdf">Afrobarometer</a>, en 2020 59 % des sondés estimaient que l’influence de la Chine dans leur pays était positive, contre 63 % en 2015.</p>
<p>Les problèmes spécifiques de la Chinafrique qui émergent traduisent un besoin de régulation des relations multiformes entre ces deux partenaires. Jusqu’à présent, la gestion de ces problèmes a le plus souvent été unilatérale. À l’avenir, la Chine et les pays africains vont devoir mettre en place des mécanismes de coopération pour gérer ces problèmes, faute de quoi leur relation risque de se dégrader lentement mais sûrement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156332/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Vircoulon est membre de Global Network against Transnational Organised Crime. </span></em></p>Au cours des vingt dernières années, les relations sino-africaines n’ont cessé de se renforcer. Mais, dernièrement, on constate une méfiance accrue des deux côtés.Thierry Vircoulon, Coordinateur de l'Observatoire pour l'Afrique centrale et australe de l'Institut Français des Relations Internationales, membre du Groupe de Recherche sur l'Eugénisme et le Racisme, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1544582021-02-11T20:31:18Z2021-02-11T20:31:18ZLa Thaïlande aimantée par la Chine<p>Si le <a href="https://theconversation.com/mainmise-chinoise-croissante-sur-le-laos-146465">Laos</a> sépare géographiquement la Chine de la Thaïlande, ces deux pays ne semblent pas moins, et chaque année davantage, proches dans leurs choix de coopération.</p>
<p>Signe de ce rapprochement : en 2017, avant la pandémie, <a href="https://www.scb.co.th/en/personal-banking/stories/lifestyle-chinese-travel-thailand.html">10 millions de touristes chinois avaient visité la Thaïlande</a>. Dès 2003, Bangkok et Pékin avaient signé un accord bilatéral de libre-échange. Six ans plus tard, la Chine était devenue le troisième investisseur (<a href="https://www.nordeatrade.com/se/explore-new-market/thailand/investment">derrière le Japon et Singapour, qui se disputent la première place</a>) dans ce pays de 70 millions d’habitants. Elle a <a href="http://french.xinhuanet.com/2020-10/15/c_139443120.htm">particulièrement investi</a> dans les domaines de l’agroalimentaire, de l’exploitation minière et de l’industrie chimique.</p>
<p>Le déplacement du ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi à Bangkok, en <a href="https://www.fmprc.gov.cn/fra/wjb/zzjg/yzs/xgxw/t1825205.shtml">octobre dernier</a>, avait pour but de créer une synergie entre les stratégies chinoise et thaïlandaise pour renforcer la <a href="http://french.xinhuanet.com/2020-10/15/c_139443120.htm">coopération</a> entre la région de la Grande Baie chinoise Guangdong-Hongkong-Macao et le Corridor économique oriental de la Thaïlande, dans le cadre du projet des Nouvelles Routes de la soie. À la clé, une série d’accords favorisés par le ralliement des deux États au <a href="https://theconversation.com/la-chine-au-coeur-de-la-plus-grande-zone-de-libre-echange-de-la-planete-150313">Partenariat économique régional global (RCEP)</a>, et qui leur permettra sans doute d’intensifier leurs échanges, y compris dans les domaines stratégique et <a href="https://www.thailande-fr.com/politique/106731-la-chine-envisage-une-implantation-militaire-en-thailande">militaire</a>.</p>
<p>L’axe Pékin/Bangkok n’est pas sans susciter des inquiétudes en Asie du Sud-est, particulièrement auprès de la jeunesse thaïlandaise (et plus largement du sud-est asiatique et taïwanaise) qui, <a href="https://thediplomat.com/2020/05/will-the-milk-tea-war-have-a-lasting-impact-on-china-thailand-relations/">sur les réseaux sociaux</a>), n’hésite pas à <a href="https://lepetitjournal.com/bangkok/les-tensions-entre-la-chine-et-lasie-du-sud-est-embrasent-twitter-278413">dénoncer</a> cette collusion naissante entre deux régimes autoritaires.</p>
<h2>Une coopération à l’échelle du sous-continent</h2>
<p><a href="https://asialyst.com/fr/2020/11/03/thailande-manifestations-democratie-monarchie/">Régime monarchique</a>, la Thaïlande a longtemps favorisé ses échanges économiques avec les États-Unis et le Japon. Mais la création de l’Asean d’une part, l’émergence de la Chine de l’autre l’ont conduite à partir des années 1970 au choix d’une politique étrangère marquée par la <a href="https://theconversation.com/asie-du-sud-est-et-asie-centrale-deux-laboratoires-strategiques-de-lexpansion-chinoise-137295">recherche systématique d’une neutralité et d’un équilibre avec ses différents partenaires</a>. Pékin a toujours su <a href="https://asialyst.com/fr/2020/10/24/chine-mene-offensive-charme-asie-sud-est-japon-embuscade/">s’appuyer sur Bangkok à l’échelle de l’Asean</a> pour le développement des relations commerciales ou le règlement des différends et litiges territoriaux.</p>
<p>C’est dans ce contexte que Pékin a proposé (dès les années 2000) à ses voisins du sud-est asiatique de coopérer davantage dans le cadre du programme <a href="https://www.adb.org/publications/greater-mekong-subregion-economic-cooperation-program-overview"><em>Greater Mekong Subregional Economic Zone</em></a>. Mis en place par la Banque asiatique du développement, il confère à Kunming, capitale régionale du Yunnan, un <a href="https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2010-1-page-52.htm">rôle clé</a> comme <em>hub</em> interrégional entre le sud de la Chine et les zones riveraines les plus proches. Cette interconnexion est favorisée par le ferroviaire (les villes chinoises seront reliées en TGV à Singapour via Bangkok) ; en outre, le développement du numérique et de la 5G va largement concerner le Laos, le Myanmar, le Vietnam et la Thaïlande, c’est-à-dire un marché de 300 millions de personnes.</p>
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<p>Dans cette configuration, la coopération avec la Thaïlande s’avère des plus cruciales. Elle s’est accélérée après le <a href="https://asiepacifique.fr/junte-militaire-thailande-chine-arnaud-dubus/">putsch survenu dans ce pays en 2014</a>, lequel s’est traduit par une militarisation grandissante de l’État. L’attraction chinoise s’est alors renforcée. Ainsi, le tronçon TGV entre Nakhon Ratchasima et Bangkok, soit 253 kilomètres de voies, sera réalisé par une entreprise d’État chinoise et opérationnel en 2023. Il sera connecté successivement à Vientiane (capitale du Laos) puis à Kunming.</p>
<p>Cette interconnexion triangulaire Thaïlande/Laos/Chine a également une dimension fluviale. Le développement de barrages pour subvenir à la gigantesque consommation d’électricité chinoise déborde très largement sur la partie avale des fleuves nés en Chine (Mékong, Irrawaddy, Salouen, fleuve Rouge). Il n’est pas sans <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/09/07/barrages-sur-le-mekong-quand-les-chinois-ouvrent-les-vannes-c-est-un-geste-politique_6051322_3244.html">perturber</a> les écosystèmes, les richesses halieutiques du fleuve et les sociétés locales avales, jusqu’à susciter de très importants bouleversements dans les prochaines années. L’aménagement du Mékong à la frontière du Laos et de la Thaïlande permettra, en effet, le passage de cargos chinois de 500 tonnes. En amont, le passage de navires de 150 tonnes reliant Kunming à Luang Prabang sur un trajet de 630 kilomètres est d’ores et déjà possible.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1302966277984718849"}"></div></p>
<p>La coopération entre les deux pays s’est étend aussi <a href="https://pmb.cereq.fr/doc_num.php?explnum_id=4578">au domaine universitaire</a>. Plus de 30 000 étudiants chinois étudient en Thaïlande chaque année, et 20 000 étudiants thaïlandais en Chine. Cet afflux s’appuie sur un précédent multiséculaire : la <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Chine/ChineScient.htm">présence en Thaïlande d’une importante diaspora chinoise</a>, et tout particulièrement celle issue des régions méridionales comme le Guangdong, le Fujian et l’île de Hainan. En témoignent les temples dédiés à Guanyu (saint patron des commerçants), Mazu (protecteur des marins) et Guanyin (nom chinois donné à la déesse bouddhiste de la miséricorde) des districts respectivement de Khlong San, Bang Rak et de Thonburi de la métropole de Bangkok. La plupart ont été édifiés sous la dynastie Qing (1644-1911) et les <a href="https://www.leseditionsdupacifique.com/fr/catalogue/encyclopedie-de-la-diaspora-chinoise/">communautés chinoises y représentent aujourd’hui entre 10 et 14 % de la population</a>.</p>
<p>Proximité de la langue et conversion au bouddhisme ont permis à beaucoup d’entre eux de s’assimiler à la société thaïe, au point même de <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ei/2001-v32-n4-ei3087/704349ar.pdf">vouloir changer leur nom chinois d’origine</a>. On ne compte plus ces élites marchandes versées dans les deux cultures. Des réseaux de marchands aux élites politiques, la société thaïlandaise constitue dans une large mesure une synthèse diasporique chinoise en Asie du Sud-Est. De <a href="https://asialyst.com/fr/2018/10/25/pourquoi-touristes-chinois-se-ruent-sur-thailande/">l’hôtellerie à la restauration</a> en passant par les <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2010-1-page-57.htm">réseaux mafieux de prostitution</a>, par la construction ou par l’agriculture, la part de la diaspora chinoise est fondamentale.</p>
<p>Au plus haut sommet de l’État, la <a href="https://www.fmprc.gov.cn/fra/wjdt/wjhd/t1706777.shtml">princesse Sirindhom</a>, qui maîtrise parfaitement le mandarin, s’est vu remettre par les autorités chinoises la médaille de l’amitié pour sa traduction de nombreux romans chinois en langue thaïe. Ces atouts participent d’un rapprochement encore plus déterminant pour l’avenir : la <a href="https://thediplomat.com/2019/09/china-thailand-military-ties-in-the-headlines-with-new-shipbuilding-pact/">vente d’armements chinois</a>.</p>
<h2>Vente d’armes et dialogue stratégique dans la périphérie chinoise</h2>
<p>En moins de deux décennies, la RPC s’est imposée comme un <a href="https://journals.openedition.org/conflits/121">marchand d’armes majeur en Asie</a>. Au premier rang de ses clients figurent le Pakistan, le Cambodge, le Bangladesh et la Thaïlande. Les premiers chars d’assaut chinois du type VT-4, sur une commande totale de 28 engins, ont été <a href="https://centreasia.eu/la-diplomatie-chinoise-de-larmement-en-asie-du-sud-est-florence-geoffroy/">livrés en octobre 2017</a> dans le cadre d’un contrat se montant à 4,9 milliards de bahts (126 millions d’euros). Des commandes pour vingt tanks supplémentaires ont été passées fin 2018.</p>
<p>Ces chars d’assaut chinois vont remplacer les tanks américains M-41 achetés il y a quarante ans. 34 véhicules de l’avant-blindé chinois du type VN-1 ont également été commandés pour une somme de 2,3 milliards de bahts (60 millions d’euros). Dans ces deux cas de figure, l’une des conditions de la vente est l’établissement en Thaïlande d’unités de production de pièces détachées pour la maintenance de ces engins militaires. Trois usines ont été planifiées, une pour l’armée de terre à Nakhon Ratchasima (Nord-Est), une pour l’armée de l’air à Nakhon Sawan (Nord) et une pour la marine près de la base navale de Sathahip (Est), ce qui pourrait être un facteur clé pour pérenniser l’approvisionnement en armements chinois de la Thaïlande. Cette dernière usine devrait surtout servir à la <a href="https://thediplomat.com/2019/09/china-thailand-submarine-deal-in-the-headlines-with-keel-laying-ceremony/">maintenance des trois sous-marins chinois S26T de la classe Yuan</a> dont l’achat pour un total de 36 milliards de bahts (931 millions d’euros) a été décidé par le gouvernement thaï en 2017.</p>
<p>L’achat des sous-marins à la Chine a provoqué la colère d’une large partie de la jeunesse thaïlandaise. Alors que la <a href="https://asialyst.com/fr/2020/07/25/coronavirus-pauvrete-installe-thailande/">pandémie impacte lourdement et durablement l’économie du pays</a> (chute des exportations et mise à l’arrêt du tourisme), l’achat de matériel militaire (très couteux) n’apparaissait pas comme une priorité. La transaction a d’ailleurs été retardée à la <a href="https://asia.nikkei.com/Politics/Turbulent-Thailand/Thailand-shelves-Chinese-submarine-deal-after-public-backlash">demande</a> de Prayut Chan-O-Cha, premier ministre et ministre de la Défense. Quoi qu’il en advienne, cet achat de sous-marins par Bangkok suscite plusieurs interrogations stratégiques : quels usages dans des eaux assez peu profondes ? L’avenir nous dira si la Thaïlande est reléguée au rang de prestataire de la Chine dans le domaine des armements ou si, au contraire, elle est amenée à devenir à son tour un exportateur d’armes stratégiques conséquentes en soi.</p>
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<p>Au-delà des achats d’armements chinois, une série d’exercices militaires conjoints sino-thaïlandais ont contribué à renforcer les relations militaires bilatérales : un exercice aérien, <a href="https://thediplomat.com/2020/04/flankers-vs-gripens-what-happened-at-the-falcon-strike-2015-exercise/">« Falcon Strike »</a> en novembre 2015 ; un exercice naval conjoint, <a href="https://thediplomat.com/tag/thailand-china-blue-strike/">« Blue Strike »</a>, en mai-juin 2016 (cet exercice avait connu sa première édition en 2010) ; et des manœuvres conjointes des armées de terre, qui ont commencé dès 2007 avec l’exercice « Strike ». Ce rapprochement militaire avec la Chine vise à contrebalancer les exercices menés conjointement par l’armée thaïe et celle des États-Unis dans le cadre des opérations <a href="https://thediplomat.com/2020/03/cobra-gold-2020-americas-strategic-shift-in-southeast-asia/">« Cobra Gold »</a> ou encore celles engagées au mois de mars dernier au large des îles Andaman. La Chine y était invitée par l’envoi d’un commando. Cette participation avait valeur de symbole mais ne doit guère faire illusion dans le climat général de détérioration qui oppose Washington à Pékin dans cette partie du monde. Elle ne saurait, non plus, remettre en cause le choix du gouvernement thaïlandais de privilégier durablement sa relation avec la Chine.</p>
<p>Alors que les relations sino-indiennes se détériorent et que Delhi entend se rapprocher du Vietnam sur le plan stratégique ou par l’exploitation du pétrole off-shore au sud de la mer de Chine, l’entente affichée par les dirigeants de Pékin et de Bangkok s’apparente d’ores et déjà à une alliance de revers et donne ainsi accès à la Chine à des pratiques militaires dans des eaux régionales d’une importance majeure.</p>
<p>Les exercices bilatéraux et multilatéraux offrent un avantage politique à la RPC : ils permettent à l’Armée populaire de libération (APL) de <a href="https://thediplomat.com/2016/05/thailand-to-buy-battle-tanks-from-china/">démontrer ses capacités croissantes</a>, de communiquer ses positions, d’améliorer ses capacités dans des domaines tels que les opérations de mobilité, la logistique, les procédures et les tactiques. Enfin, ils permettent à <a href="https://www.scmp.com/news/asia/southeast-asia/article/3040311/how-china-replacing-us-thailands-main-defence-partner-and">l’APL de renforcer la coopération régionale en matière de sécurité</a>. </p>
<p>Le risque de <a href="https://www.defense.gouv.fr/content/download/545816/9326502/file/OBS %202016-03 %20Asie %20du %20Sud %20Est %20FACAL %20Les %20groupes %20islamistes %20radicaux %20en %20Asie %20du %20Sud-Est.pdf">radicalisation islamiste dans le sud de la Thaïlande</a> est réel et nécessite une coopération de la même ampleur que celle engagée plus au nord par la Chine dans la lutte contre les narcotrafics (malgré une ancienne porosité des frontières et une collusion des réseaux criminels de chacun des deux États). Elle permet à Bangkok de diversifier ses partenariats et de tenir compte du rôle grandissant exercé par la Chine dans la région, si l’on en juge par l’attitude de Pékin se refusant de condamner de coup de la junte militaire au Myanmar.</p>
<p>La voix de l’Union européenne reste à définir tant du point de vue commercial que stratégique, à l’heure où <a href="https://www.iss.europa.eu/sites/default/files/EUISSFiles/Brief%203 The%20Indo-Pacific_0.pdf">plusieurs États de l’Union</a> avancent sur la <a href="https://www.lowyinstitute.org/the-interpreter/outlines-european-policy-indo-pacific">définition d’un concept commun pour l’Indo-pacifique</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154458/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du FDBDA.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Traditionnellement proche des États-Unis et du Japon, la Thaïlande se rapproche désormais de la Chine sur de nombreux plans.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1517832020-12-17T19:36:19Z2020-12-17T19:36:19ZLe Caucase, chaînon majeur du projet chinois des Routes de la soie<p>Troublante cécité des médias : le récent conflit entre <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/tout-comprendre-au-conflit-entre-l-armenie-et-l-azerbaidjan-dans-le-haut-karabakh_2135653.html">l’Arménie et l’Azerbaïdjan</a> au Haut Karabagh n’aura guère été suivi d’une réflexion stratégique sur les enjeux pétroliers de la région, pas plus que sur la « diplomatie des tubes » – une diplomatie à laquelle la <a href="https://www.huffingtonpost.fr/didier-chaudet/la-chine-dans-le-caucase--du-sud_b_7672574.html">Chine</a> n’est évidemment pas étrangère.</p>
<p>Par les alliances de revers qui s’y nouent et par les tactiques de contournement qui y sont mises en œuvre, le Caucase est révélateur des tensions qui opposent les puissances régionales et mondiales. Cette région de transit est aujourd’hui non seulement la chasse gardée de la Russie mais aussi une zone tampon. Les États limitrophes actuels (Turquie, Iran…) cherchent à y accroître leur influence, si ce n’est en prendre le contrôle dans une logique impériale. L’Union européenne – qui a longtemps espéré, en vain, voir la construction du <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2011-1-page-47.htm">gazoduc Nabucco</a> – en a été évincée. En revanche, la Chine, qui espère intégrer à terme Ankara et Téhéran à ses projets eurasiens, ne cesse de gagner du poids en Azerbaïdjan et dans l’ensemble du Caucase.</p>
<h2>Le « Grand jeu » au pays de l’or noir</h2>
<p>Si le Caucase est associé dans l’imaginaire russe à <a href="https://www.fayard.fr/histoire/la-russie-et-la-tentation-de-lorient-9782213638126">l’esprit d’aventure</a>, ses puits de pétrole, essentiellement présents dans la région de Bakou (la capitale de l’Azerbaïdjan), ont été l’un des grands enjeux de la Seconde Guerre mondiale et, spécialement, de la bataille stratégique de Stalingrad, cette ville en <a href="https://historyimages.blogspot.com/2012/03/hitlers-drive-to-caucasus.html">contrôlant l’accès</a>. Avec la découverte, en 1999, des <a href="https://www.euro-petrole.com/azerbaidjan-le-champ-de-shah-deniz-entre-en-production-n-f-931">nouveaux gisements de Shah Deniz, en mer Caspienne</a>, cet enjeu n’a pas perdu de son acuité.</p>
<p>Objet de toutes les convoitises, l’Azerbaïdjan, indépendant depuis la fin de l’URSS en 1991, est dirigé par un régime clanique autoritaire, les Aliev (Geïdar Aliev a été président de 1993 à sa mort en 2003 ; son fils Ilham Aliev, qui lui a succédé, est toujours au pouvoir aujourd’hui). Chiite, majoritairement turcophone, sa population (quelque 10 millions de personnes) fait l’objet d’une attention soutenue de l’Iran et la Turquie, si bien que le pays est dans une certaine mesure le théâtre de <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/renouveau-de-lislam/">leurs oppositions religieuses</a> et de leur concurrence politique. Même si l’on vante souvent, à Bakou, au nom du panturquisme, le principe d’« une nation, deux États », dans les faits l’Azerbaïdjan n’est pas totalement aligné sur Ankara et tente de jouer un subtil jeu de bascule avec l’ensemble de ses voisins.</p>
<p>En 2008, la guerre livrée par Moscou à la Géorgie a donné un coup d’arrêt définitif au circuit emprunté par le gazoduc Nabucco, ce qui a renforcé le rôle de la Turquie comme hub inter-régional. Dans ce cadre, l’Azerbaïdjan et la Turquie mettent en commun leurs ambitions énergétiques pour proposer leur propre projet de transport appelé <a href="http://www.petrole-et-gaz.fr/le-gazoduc-transanatolien-tanap-pret-pour-son-premier-transport-de-gaz-14200/">TANAP</a>, un gazoduc qui acheminera le gaz azerbaïdjanais vers l’Europe via la Turquie.</p>
<p>Soutenu par les <a href="https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_2004_num_69_1_1277">États-Unis</a>, qui y voient une façon de contourner à la fois la Russie et l’Iran, ce gazoduc trans-anatolien reprend les bases de Nabucco en s’appuyant sur les fondations du trajet Bakou-Tbilissi-Erzurum déjà existant et propose à son tour un flux d’environ 30 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an. Relié au <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/un-nouveau-gazoduc-pour-approvisionner-leurope-depuis-le-caucase-1269018">gazoduc trans-adriatique TAP</a>, qui va de la frontière gréco-turque à l’Italie en passant par l’Albanie (et achemine 10 milliards de mètres cubes par an), ce projet forme dès lors le dénommé <a href="https://dgap.org/en/research/publications/southern-gas-corridor-and-south-caucasus">Southern Gas Corridor</a>. Il entérine depuis le mois d’octobre dernier la volonté de l’UE de réduire sa dépendance au gaz naturel russe.</p>
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<p>Problème : en raison des différents projets menés depuis bientôt trente ans, les réserves énergétiques de l’Azerbaïdjan <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/L-Azerbaidjan-pays-pivot-des-enjeux-energetiques-dans-le-Caucase-2-2.html">pourraient se tarir plus vite que prévu</a>. Bakou pourrait alors s’appuyer à long terme sur les réserves du Turkménistan, autre pays de la Caspienne. Mais les réserves de ce pays sont aujourd’hui monopolisées par la <a href="https://www.oxfordenergy.org/wpcms/wp-content/uploads/2018/07/Lets-not-exaggerate-Southern-Gas-Corridor-prospects-to-2030-NG-135.pdf">Chine et l’Inde</a>, toujours plus avides d’énergie. Misant sur la <a href="https://www.lepoint.fr/economie/convention-sur-le-statut-de-la-mer-caspienne-signee-par-ses-cinq-pays-riverains-13-08-2018-2243169_28.php">récente législation internationale relative au statut particulier de la mer Caspienne</a> (2018), censée faciliter le partage territorial de cette étendue d’eau pour relancer l’idée d’un gazoduc transcaspien reliant ses infrastructures aux gisements turkmènes, l’Azerbaïdjan sera probablement obligé d’acheter du gaz russe pour respecter ses engagements de livraison aux Européens, en attendant que l’hypothèse de ce projet se confirme. La situation est donc des plus complexes, y compris sur le plan des rapports de forces puisque l’Azerbaïdjan est équipé en <a href="https://oilprice.com/Energy/Energy-General/Whats-Behind-The-Azerbaijan-Armenia-Conflict.html">armements américains et israéliens mais aussi, dans une moindre mesure ; russes</a>, et tente par ailleurs d’établir une coopération à géométrie variable avec tous ces acteurs.</p>
<p>Il existe tout d’abord une <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_49111.htm">coopération avec l’OTAN</a>, laquelle a mollement appelé la Turquie à plus de réserve dans son soutien militaire à l’Azerbaïdjan contre l’Arménie. Mais la participation de l’Azerbaïdjan aux <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20200921-caucase-2020-grandes-man%C5%93uvres-militaires-le-sud-la-russie">exercices militaires « Caucase 2020 »</a>, lancés à l’initiative de Moscou, dans le fil des participations passées (Zapad en 2017, Vostok en 2018 et Tsentr en 2019), est d’une tout autre ampleur. Nombre de pays de l’espace eurasiatique <a href="http://www.observateurcontinental.fr/?module=articles&action=view&id=2009">y ont pris part</a>, notamment la Chine, ainsi que l’Iran, le Pakistan ou le Myanmar. Plus de 12 000 soldats ont été engagés dans ces manœuvres se déroulant parallèlement à celles – plus modestes (900 hommes à peine) – entreprises plus au nord <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-russie-rassemble-ses-allies-avec-des-manoeuvres-militaires-tous-azimuts-24-09-2020-2393480_24.php">entre Russes et Bélarusses</a>. Pékin enverra notamment plusieurs avions de transport Y-20, ceux qui ont participé à des opérations logistiques pour des livraisons de matériel aussi bien en Chine qu’auprès de certains de ses voisins.</p>
<p>Ces exercices confirment l’importance que ces différents acteurs de l’Eurasie accordent à leur interaction stratégique dans une région située au carrefour de l’Occident et de l’Orient, où se rencontrent cinq voisinages contestés – européen, russe, turc, iranien, centrasiatique.</p>
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<p>Pour la Chine, le Caucase est l’un des maillons essentiels de la <a href="https://www.revuepolitique.fr/guerre-et-paix-au-caucase-du-sud/">« ceinture » des nouvelles routes de la Soie</a>. L’intérêt porté par Pékin à cette région est assez périphérique jusqu’au début des années 1990 et la chute de l’URSS. Par la suite, dans le prolongement de <a href="https://jeunes-ihedn.org/wp-content/uploads/2018/06/SENGAGERPARLAPLUME_2_web.pdf">sa poussée diplomatique et commerciale en Asie centrale</a>, et dans le cadre de la redéfinition de ses relations avec la Russie, la Chine développera une influence tous azimuts dans l’ensemble des pays du Caucase reprenant le même modus operandi que <a href="https://www.cairn.info/la-politique-internationale-de-la-chine--9782724618051.htm">dans les pays en développement</a> : investissements dans les infrastructures et l’extraction des ressources naturelles, proximité avec les élites politiques et les milieux d’affaires, mais aussi rapprochement avec les milieux de la sécurité et de la défense.</p>
<p>Au sein de <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/organisation-de-cooperation-de-shanghai-ocs">l’Organisation de coopération de Shanghai</a>, dominée par la Chine, les États du Caucase se voient conférer le statut de « partenaires de discussion ». Pékin y a développé, depuis plus de quinze ans, divers programmes de formation et d’échanges académiques et militaires (formations universitaires, officiers des diverses armées, etc.). En outre, les réseaux de diasporas (issus des régions de Wenzhou et du sud de la Chine) sont présents dans des secteurs aussi variés que <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/russieneivisions/chine-pays-deurope-orientale-caucase-sud-un-entrisme">l’immobilier, la restauration, la confection ou dans le secteur agricole</a>. En 2019, afin de renforcer les liens économiques, <a href="http://french.peopledaily.com.cn/Chine/n3/2019/0524/c31354-9581105.html">l’Arménie et la Chine prévoyaient de supprimer les obligations de visa pour leurs ressortissants réciproques</a>. La crise du coronavirus et la fermeture de la Chine ont temporairement mis fin à cette idée.</p>
<p>Dans le sillon du vecteur diplomatique et commercial du projet <em>Belt and Road Initiative</em>, la Géorgie a accueilli un <a href="https://fr.euronews.com/2017/12/05/la-georgie-se-voit-en-maillon-essentiel-des-routes-de-la-soie">forum sur les « nouvelles routes de la soie » en 2017</a>, rassemblant plusieurs milliers de personnes autour des thèmes de zones franches, de construction portuaire et d’infrastructures de transport, de la place de la Géorgie dans le Caucase et en Eurasie, etc.</p>
<h2>Mort cérébrale du Groupe de Minsk et échappatoire chinoise</h2>
<p>Les manifestations de puissance de la Turquie ne cessent de rappeler que la doctrine « zéro problème avec les voisins » prônée par l’ancien ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu a vécu. Les confrontations avec ses partenaires de l’OTAN, dont la France, sont désormais la règle. L’écrasement de l’Arménie au Haut-Karabagh est non seulement une victoire de la Turquie (guerre de haute intensité, usage massif de drones turcs, de mercenaires syriens et des troupes azerbaïdjanaises en supériorité numérique face à l’armée arménienne) mais aussi une réponse cinglante de Recep Tayyip Erdogan à l’incapacité de l’Occident et du Groupe de Minsk à trouver une solution à cette crise. Leur volonté, depuis près de trente ans, de maintenir le statu quo au Haut-Karabagh, dans un environnement stratégique par ailleurs changeant, n’est évidemment plus tenable. Dont acte : la Chine pourrait, à terme, transformer la région par des plans d’investissements massifs (ou plutôt des prêts) que la Russie n’est pas en mesure de proposer.</p>
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<p>Ainsi, des <a href="https://www.huffingtonpost.fr/didier-chaudet/la-chine-et-le-caucase-du-nord-consolidation-des-liens-sino-russes_b_7672400.html">infrastructures touristiques en Ingouchie</a> (2015) à la signature d’un traité de <a href="https://www.asie21.com/produit/chine-caucase-georgie-la-troisieme-voie-est-chinoise/">libre-échange avec la Géorgie</a> (2016), la Chine crée une dynamique caucasienne à laquelle l’Azerbaïdjan adhère en augmentant <a href="https://tradingeconomics.com/azerbaijan/exports/china/crude-oil-petroleum-bituminous-minerals">ses exportations de pétrole</a> à destination de Pékin. L’intensification des échanges sino-azerbaïdjanais confirme <a href="https://www.scmp.com/economy/china-economy/article/3099044/chinese-investment-azerbaijan-win-win-both-countries">l’intérêt des autorités de Bakou pour le projet des « Nouvelles Routes de la soie</a> ». Vu de Pékin, le Caucase et l’Azerbaïdjan en son centre apparaissent comme le dernier chaînon manquant d’une stratégie eurasiatique globale déployée par la RPC. L’isthme caucasien est non seulement le plus sûr <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/11/18/la-chine-fait-son-entree-dans-le-caucase-du-sud_5216778_3232.html">raccourci entre l’Asie et l’Europe</a> ; c’est également une zone dont le contrôle sécurise l’avancée de la Chine en Asie centrale mais aussi en Iran, où elle a signé en juin dernier des accords commerciaux de 400 milliards (étalés sur plusieurs années), suivis d’accords militaires. En cela, la région est le théâtre des rivalités entre les puissances du XXI<sup>e</sup> siècle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151783/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est Délégué général du FDBDA.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Chine renforce progressivement son influence dans les pays du Caucase. Cette zone en proie à de nombreuses turbulences est en effet un élément essentiel du projet des Nouvelles routes de la soie.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1502172020-11-19T23:29:08Z2020-11-19T23:29:08ZL’UE a-t-elle de bonnes raisons de se réjouir de l’élection de Joe Biden ?<p>À l’annonce de l’élection de Joe Biden comme 46e président des États-Unis, le soulagement était palpable dans les capitales européennes. Il est vrai que sous le tandem Obama-Biden (2008-2016), les États-Unis considéraient toujours les Européens comme des alliés, ce qui n’était plus le cas lors de la présidence Trump (2016-2020).</p>
<p>Pour autant, le retour de Joe Biden au pouvoir est-il si favorable aux Européens ?</p>
<h2>De l’URSS comme ennemi commun aux divergences sur le climat</h2>
<p>Commençons par un dossier fondamental : la lutte contre le changement climatique. Les Européens se réjouissent du <a href="https://www.facebook.com/joebiden/photos/on-day-one-ill-rejoin-the-paris-agreement-and-then-rally-the-world-to-push-our-p/10157381578471104/">retour annoncé des États-Unis dans les Accords de Paris</a>. Il ne faudrait pas oublier, pour autant, que ces Accords de Paris, signés en 2016 et souvent présentés comme une grande victoire pour l’humanité entière, ont surtout consisté à tenter de réparer les conséquences du désastreux <a href="https://www.lemonde.fr/le-rechauffement-climatique/article/2009/12/19/la-bilan-decevant-du-sommet-de-copenhague_1283070_1270066.html">sommet de Copenhague de 2009</a> sur le climat. À Copenhague, Barack Obama et le premier ministre chinois Wen Jiabao avaient <a href="https://www.actu-environnement.com/ae/news/conclusion_conference_compenhague_9232.php4">enterré le protocole de Kyoto</a> qui faisait, depuis 1997, la fierté des Européens. Lors du sommet climatique de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Protocole_de_Kyoto">Kyoto</a>, un grand nombre de pays industrialisés s’étaient engagés sur la voie d’un mécanisme mutuellement contraignant de réduction des gaz à effet de serre. Les accords de Paris ont pérennisé cet abandon. </p>
<p>Copenhague – un sommet tenu, soulignons-le, alors que Joe Biden était le vice-président des États-Unis –, marque le début d’une dissonance entre les alliés américains et européens sur la manière de voir et d’orienter la mondialisation, ces derniers promouvant une régulation par des normes juridiques multilatérales si possible contraignantes et à vocation mondiale. C’est de ce moment que date la focalisation américaine sur sa relation de compétition et d’interdépendance avec la Chine et l’apparition de l’idée d’une sorte de G2 de fait. L’accord sino-américain sur le dos des Européens à Copenhague témoigne aussi du recul de la recherche d’un intérêt global dans les motivations des puissances mondiales, et de la montée du <a href="https://www.cairn.info/le-reflux-de-l-europe--9782724614619-page-49.htm">souverainisme</a>, c’est-à-dire, selon Zaki Laïdi, d’une absence de vision globale du monde et d’une action surtout motivée par l’intérêt particulier (national). La fin des années 2000 révèle une divergence entre une Union européenne universaliste et des États-Unis travaillés par un souverainisme déjà au pouvoir en Chine, en Russie, en Turquie et sur le point d’y parvenir en Inde et au Brésil.</p>
<p>Les années 2008-2016 doivent ainsi nous alerter sur la future administration Biden : bien qu’attaché au multilatéralisme, aux alliances et à l’idée d’une responsabilité mondiale des États-Unis, le duo Obama-Biden a dans les faits souvent négligé cette dernière pour se centrer sur les intérêts de la société et de l’économie américaines : dollar sous-évalué, <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/sanctions-contre-liran-le-cauchemar-des-entreprises-francaises-144617">procès</a> intentés à des dirigeants d’entreprises européens dans le cadre de l’embargo visant l’Iran, <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Entreprises/Airbus-coup-dune-enquete-corruption-%C3%89tats-Unis-2018-12-20-1200990935">mise en accusation d’Airbus</a>…</p>
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<p>Rien de neuf, cela dit. Dans les crises des années 1970, l’administration du président Nixon et de son secrétaire d’État Kissinger prit une <a href="https://www.franceculture.fr/geopolitique/truman-nixon-obama-les-rapports-tortures-entre-les-etats-unis-et-leurope">série de décisions unilatérales peu soucieuses des intérêts des Européens</a> (notamment dans les secteurs monétaire et commercial). Toutefois, durant la guerre froide (1947-1991), face à l’impérialisme soviétique, Américains et Européens étaient toujours, <em>in fine</em>, d’accord sur l’essentiel. La convergence des intérêts américains et européens était alors très forte : ils avaient un ennemi commun, l’URSS.</p>
<p>Aujourd’hui, et c’est heureux, ni les Européens ni les Américains n’ont plus d’ennemis – au sens classique d’un État représentant pour eux un danger existentiel. La Chine est un adversaire commun ; c’est tout de même différent. Et les acteurs qui se déclarent plus ou moins ouvertement ennemis des Occidentaux utilisent les « armes des faibles » : le terrorisme (Daech, Al-Qaïda), ou le conflit asymétrique ou gelé dans le voisinage de l’Europe (des conflits entretenus par la Russie en Ukraine et en Transcaucasie ; par la Turquie à Chypre, en Libye et au Karabakh ; par l’Iran en Palestine et au Liban). Avec le retour d’une administration démocrate, le pouvoir de nuisance de ces acteurs est de nature à renforcer le lien transatlantique car il s’en prend aux valeurs qu’Américains et Européens ont en commun.</p>
<p>Trump, depuis 2016, avait <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1237247/entre-trump-et-les-europeens-quatre-ans-de-desamour.html">détourné</a> les États-Unis de cette communauté de valeurs avec les Européens : c’est sans précédent depuis 1941. Peut-être cela se reproduira-t-il au XXIe siècle, l’avenir le dira. Mais pas durant le mandat de Joe Biden. Avec lui, les États-Unis vont <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20201107-joe-biden-pr%C3%A9sident-le-retour-multilat%C3%A9ralisme-made-in-usa">réinvestir les institutions multilatérales</a> et l’OTAN <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/20201115-joe-biden-et-l-otan">ne sera plus « en état de mort cérébrale »</a>. Rappelons que le « pivot vers l’Asie » qu’avait enclenché l’administration Obama ne l’avait pas empêchée de <a href="https://www.voaafrique.com/a/obama-annonce-le-deploiement-de-1000-soldats-amercains-en-pologne-dans-le-cadre-de-l-otan/3409190.html">renforcer le flanc oriental de l’OTAN face aux nuisances russes</a>, ni de déployer <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20170110-afrique-barack-obama-heritage-etats-unis-diplomatie">Africom</a>, le commandement militaire de l’armée américaine en Afrique décidé en 2007, gage d’une coopération étroite avec les Européens dans le renseignement et la logistique militaires en particulier. Barkhane, l’opération militaire française au Sahel, en témoigne.</p>
<h2>Pour une Conférence eurasiatique sur la sécurité commerciale</h2>
<p>Il n’en demeure pas moins que les Européens devront, avec Biden, affirmer leurs intérêts et leur vision du monde avec fermeté, habileté et ténacité, dans la mesure où le président américain nouvellement élu défendra ceux de son pays – d’autant plus âprement s’il n’a <a href="https://www.lefigaro.fr/elections-americaines/un-programme-impossible-a-appliquer-sans-un-senat-allie-pour-biden-20201105">pas de majorité au Sénat</a>. Pour rester un pôle mondial et autonome, les Européens ne peuvent plus compter sur une convergence avec les États-Unis dans plusieurs domaines cruciaux : <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/etats-unis-europe-chine-japon-le-match-des-energies-843391.html">l’énergie</a>, le <a href="https://www.cairn.info/revue-l-europe-en-formation-2017-1-page-111.htm">changement climatique</a>, le <a href="https://www.connaissancedesenergies.org/afp/les-etats-unis-moins-dependants-du-petrole-etranger-200108">Moyen-Orient</a>… Ils étaient déjà engagés avec eux dans un <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/273926-etats-unis-union-europeenne-de-la-competition-la-defiance">bras de fer structurel dans les secteurs agricole, aéronautique, spatial et de l’économie numérique</a>.</p>
<p>Avec Biden, les Européens seront à nouveau en capacité d’impliquer les Américains à leurs côtés face à la volonté de nuisance de la Russie de Poutine. Mais ils devront en échange continuer à se <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/armement-la-pologne-ce-pays-europeen-qui-achete-made-in-usa-a-tour-de-bras-841555.html">fournir</a> grandement auprès de l’<a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2017/12/11/l-industrie-de-l-armement-plus-prospere-que-jamais_5227888_3234.html">industrie de défense américaine</a> et à prendre à leur charge un <a href="http://www.senat.fr/rap/r18-626/r18-6263.html">financement croissant de l’OTAN</a> – c’est le prix à payer pour cet héritage au long cours devenu très lourd de la fragmentation de l’industrie de défense en Europe.</p>
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<p>Trump a mené une guerre commerciale en même temps contre les <a href="https://www.lopinion.fr/edition/wsj/guerre-commerciale-face-a-chine-trump-mene-coalition-refractaires-187859">Chinois</a> et contre les <a href="https://www.lavoixdunord.fr/698842/article/2020-01-22/donald-trump-menace-l-europe-d-une-guerre-commerciale">Européens</a>, par souverainisme et par nationalisme. Face à l’objectif chinois défini dès Deng Xiaoping de faire de la Chine le plus grand marché du monde en même temps qu’une puissance exportatrice, les intérêts européens et américains sont pourtant bien plus convergents que divergents. D’autant que chacune des deux entités est le principal partenaire commercial de l’autre. Sous Biden, les Européens pourront conforter leur nouvelle approche à l’égard de la Chine (qualifiée de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/20/la-commission-europeenne-appelle-enfin-un-chat-un-chat-et-la-chine-un-rival-systemique_5438531_3232.html">« rival systémique »</a> depuis mars 2019) en négociant à leur profit avec les Américains cette convergence stratégique. Ce faisant, les Européens pourraient harmoniser, bien plus qu’ils ne le font aujourd’hui, leurs différentes visions des relations avec la Chine, en cédant beaucoup moins qu’auparavant aux sirènes des « nouvelles routes de la soie », des sommets et des voyages bilatéraux à Pékin et des <a href="https://www.fdbda.org/2020/01/le-format-171-un-outil-au-service-de-la-politique-europeenne-de-pekin-defiant-lue/">sommets « 17+1 »</a> qui divisent les Européens entre eux.</p>
<p>À propos de cohésion diplomatique, les Européens devraient se souvenir avec quel talent ils ont piloté l’improbable processus d’Helsinki (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, 1973-1975) au moyen duquel ils ont habilement <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2013-3-page-55.htm">imposé leur agenda</a> tant à l’URSS de Brejnev qu’à l’Amérique de Nixon. Les 35 pays signataires s’engageaient en effet à respecter les frontières et la souveraineté de tous les autres, à proscrire l’ingérence, à promouvoir la coopération et les échanges culturels, scientifiques et universitaires entre eux et à garantir les droits de l’homme.</p>
<p>C’est pourquoi l’Union européenne devrait prendre l’initiative d’une Conférence eurasiatique sur la sécurité commerciale qui se déroulerait sur plusieurs années. Il s’agirait de promouvoir des relations économiques équitables et régulées dans tous leurs aspects entre tous les pays du continent eurasiatique (y compris l'Océanie) plus les États-Unis et le Canada. Les Européens seraient dans leur zone d’excellence : la négociation multilatérale, le droit, la concertation, la capacité à lier ensemble plusieurs points de vue et une pluralité d’intérêts et de dossiers, de pays de toutes tailles et de toutes cultures, la promotion des échanges et de l’ouverture équitables, du progrès et du développement. Une telle initiative contraindrait les 27 et leurs partenaires de l’Espace économique européen à définir entre eux des positions communes sur tous les sujets de discussion.</p>
<p>L’administration Biden, qui se voudra l’héritière de celles de Wilson et de Roosevelt, et qui se donnera pour ambition d’ordonner la mondialisation, ne pourra refuser. Le gouvernement de Xi Jinping, qui ne cesse de plaider pour le dialogue et les forums de tous types pendant qu’il poursuit ses objectifs unilatéraux avec détermination, non plus.</p>
<p>Ce serait sortir par le haut de la <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Monde/LOrganisation-mondiale-commerce-menacee-paralysie-2019-12-09-1201065275">paralysie de l’OMC</a>, et une manière de reconnecter la diplomatie climatique avec le monde réel de l’économie et de la compétition entre États. Et d’amener la Russie, la Turquie et l’Iran dans le jeu multilatéral global à travers leur point faible : l’économie.</p>
<p>L’élection de Biden est une opportunité pour les Européens… à la condition qu’ils attirent les Américains sur le terrain de jeu où ils sont talentueux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150217/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La victoire de Biden ouvre pour les Européens une fenêtre d’opportunité : ils pourraient lancer une Conférence eurasiatique sur la sécurité commerciale, qui rassemblerait l’UE, Washington et Pékin.Sylvain Kahn, Professeur agrégé, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1503132020-11-18T21:34:22Z2020-11-18T21:34:22ZLa Chine au cœur de la plus grande zone de libre-échange de la planète<p>Le 15 novembre dernier, 15 pays d’Asie-Pacifique (les 10 pays de l’Asean, la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande) ont <a href="https://www.reuters.com/article/us-asean-summit-rcep-signing/asia-forms-worlds-biggest-trade-bloc-a-china-backed-group-excluding-u-s-idUSKBN27V03O">entériné</a> la création d’une zone de libre-échange d’une importance majeure dans le système international : le Partenariat régional économique global (<em>Regional Comprehensive Economic Partnership</em>, RCEP). Un partenariat qui rassemble plus de 30 % de la population mondiale et où l’on retrouve donc la Chine… mais ni l’Inde, ni les États-Unis ni l’Europe.</p>
<p>Après une décennie de discussions, depuis le lancement d’une initiative à Bali en 2011, Pékin semble donc avoir réussi à mettre en œuvre une <a href="https://www.atlande.eu/references/636-dictionnaire-de-la-regionalisation-du-monde-9782350305066.html">intégration régionale économique accélérée</a> en Asie-Pacifique.</p>
<p>Cette intégration <a href="https://theconversation.com/huawei-en-ordre-de-bataille-face-aux-sanctions-americaines-144590">confirme le découplage</a> entre intérêts économiques et axes stratégiques. Car nombre des États du RCEP sont hostiles à Pékin, et certains d’entre eux ont même pris explicitement position pour le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/13/l-indo-pacifique-une-alliance-xxl-pour-contrer-la-chine_6059641_3210.html">projet Indo-Pacifique</a> dominé par les États-Unis et visant à contrer <a href="https://www.fdbda.org/2020/06/le-collier-de-perles-chinois-expansion-et-obstacles/">l’expansionnisme militaire chinois</a>.</p>
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<p>La signature du RCEP est, d’abord, la conséquence du <a href="https://www.letemps.ch/monde/donald-trump-retire-etatsunis-traite-libreechange-transpacifique">retrait américain du Trans-Pacific Partnership</a> (TPP) en 2017, lequel a largement profité à la Chine, lui offrant sur un plateau une place écrasante en Asie-Pacifique. Mais sans régulation ni mécanismes autres qu’économiques, pourtant nécessaires étant donné les <a href="https://theconversation.com/asie-du-sud-est-et-asie-centrale-deux-laboratoires-strategiques-de-lexpansion-chinoise-137295">disparités abyssales entre ses membres</a>, cette région, qui devient plus que jamais le <a href="https://www.senat.fr/rap/r13-723/r13-723-syn.pdf">centre de gravité du monde</a>, n’échappera ni aux tensions ni aux risques de conflits. Certes, le RCEP dopera assurément, un temps, la croissance et les investissements. Mais ensuite ?</p>
<h2>Un accord de libre-échange très important… et assez rudimentaire</h2>
<p>Si les négociations ont été assez longues, ce qui est normal lorsque plusieurs États engagent des pourparlers sur des sujets compliqués (avec la géopolitique en toile de fond), le <a href="https://asiatimes.com/2020/11/india-has-good-reason-to-reject-the-rcep/">retrait de l’Inde à la fin de l’année 2019</a> et la limitation de l’accord au libre-échange de produits ne doivent pas écarter les logiques économiques initiées par les États d’Asie du Sud-Est dès 2011. Les négociations, lancées en 2013, viennent donc d’aboutir à la signature à Hanoï (du fait de la présidence du Vietnam à l’Asean), et en visioconférence, de cet accord <a href="https://www.dfat.gov.au/trade/agreements/not-yet-in-force/rcep/rcep-text-and-associated-documents">structuré en 20 chapitres</a>.</p>
<p>Cet accord commercial, le plus grand au monde, <a href="https://www.la-croix.com/Economie/RCEP-lAsie-cree-grosse-zone-libre-echange-monde-2020-11-15-1201124673">concentre 30 % du PIB de la planète</a>. Selon les <a href="https://www.ft.com/content/2dff91bd-ceeb-4567-9f9f-c50b7876adce">professeurs Pétri et Plummer, de l’université Johns Hopkins</a>, le texte, qui prévoit de diminuer les tarifs douaniers (à hauteur de 90 %) appliqués à la plupart des produits échangés entre les pays signataires, permettra à ceux-ci d’accroître leur PIB de 0,2 %.</p>
<p>Le RCEP augmentera les flux économiques entre pays partenaires et aboutira, dans un temps très court (d’ici deux à cinq ans), à la mise en place de <a href="https://www.cairn.info/revue-le-journal-de-l-ecole-de-paris-du-management-2012-6-page-30.htm">normes communes</a>. Des normes promues par Pékin, qui voit là une occasion en or de tester et de mettre en place un système normatif <a href="https://asiasociety.org/policy-institute/rcep-agreement-another-wake-call-united-states-trade">dans son environnement régional proche</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1142768158559760384"}"></div></p>
<p>Tandis que les <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-chine-est-le-pays-le-plus-protectionniste-vis-a-vis-de-leurope-1029884">mesures protectionnistes prises par Pékin</a> concernant son propre marché incitent les entreprises occidentales mais aussi japonaises à quitter la RPC, le RCEP va pousser les entreprises étrangères à implanter dans cet espace périphérique de plus en plus d’unités de production pour bénéficier de tarifs douaniers privilégiés et, ainsi, rester compétitives dans la région. Cette année, l’Asie dans son ensemble va générer plus de 50 % de l’ensemble du PIB mondial. Rappelons que ce ratio <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/pekin-signe-le-plus-grand-accord-commercial-de-la-planete-avec-14-pays-dasie-1265006">n’atteignait pas 20 % en 1980</a>.</p>
<p>La périphérie chinoise se voit ainsi conférer, et sur un périmètre étendu, le statut d’une « Zone économique spéciale » – ce qui permet à la RPC de sanctuariser encore davantage ses intérêts dans son environnement régional proche. Ce réaménagement de l’espace lui assure une <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/kevin-sneader-le-covid-creusera-l-ecart-entre-la-chine-et-le-reste-du-monde-20201113">emprise sans précédent sur un marché asiatique riche des potentialités</a> qui lui sont offertes par plus de 2 milliards de consommateurs.</p>
<h2>L’Asie du Sud-Est en questions</h2>
<p>Cet accord n’a pas été initié par la Chine, mais par les <a href="https://asean.org/asean-hits-historic-milestone-signing-rcep/">pays de l’Asean</a>, désireux de tirer profit de leur contexte géographique et économique intermédiaire, entre le bassin Pacifique et Indien d’une part, les pôles de puissances économiques d’Asie du Nord-Est (Chine–Japon–Corée du Sud) et ceux d’Océanie (Australie et Nouvelle-Zélande) d’autre part. Mais au sein du RCEP, leur poids économique sera <a href="https://thediplomat.com/2020/06/asean-must-make-the-best-of-its-new-centrality-in-chinas-diplomacy/">largement inférieur à celui de la Chine</a>. Ce cadre sera un atout stratégique pour la RPC, qui y mêlera diplomatie publique multilatérale et négociations bilatérales concrètes, et usera pleinement de la forte dépendance économique des pays d’Asie à son égard.</p>
<p>De son côté, Taiwan a <a href="https://www.taipeitimes.com/News/front/archives/2020/11/16/2003746988">fait savoir</a> que sa diplomatie poursuivrait ses efforts en vue de rejoindre le nouveau format du TPP (le <a href="https://www.dfat.gov.au/trade/agreements/in-force/cptpp/Pages/comprehensive-and-progressive-agreement-for-trans-pacific-partnership">CPTPP</a>, qui lie le Japon, l’Australie, Brunei, le Canada, le Chili, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour et le Vietnam) afin de réduire l’impact qu’aura pour l’île la signature du RCEP, dont Taiwan ne fait pas partie. Cet impact sera particulièrement sensible pour les industries pétrochimiques et textiles taïwanaises, <a href="https://taiwaninfo.nat.gov.tw/news.php?unit=53&post=189057">a estimé</a> la ministre taïwanaise de l’Économie Wang Mei-hua.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1328280248794968064"}"></div></p>
<p>Toutefois, 70 % des exportations taïwanaises vers les pays signataires du RCEP sont des produits technologiques déjà exemptés de droits de douane en vertu de l’accord sur les technologies de l’information signé en 1996 dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (dont Taiwan est membre de plein droit) et <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/inftec_f/inftec_f.htm">élargi en 2015</a>. Les entreprises taïwanaises, a-t-on ajouté au ministère de l’Économie, ont en outre eu le temps de s’adapter à un environnement concurrentiel déjà marqué par des accords bilatéraux de libre-échange conclus entre les pays de l’Asean et la Chine, la Corée, le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Les spéculations vont désormais bon train pour savoir si les <a href="https://www.lopinion.fr/edition/international/etats-unis-joe-biden-veut-mettre-en-place-normes-commerciales-229245">États-Unis de Joe Biden</a> finiront à leur tour par rejoindre le CPTPP.</p>
<p>Par ailleurs, cette configuration économique et financière permet de poser la question de la <a href="https://www.ft.com/content/77075422-b6f9-11ea-8ecb-0994e384dffe">concurrence des places financières en Asie</a> et celle <a href="https://www.taipeitimes.com/News/editorials/archives/2020/10/19/2003745402">du statut potentiel de Taiwan</a> à cet égard.</p>
<h2>Une victoire institutionnelle et surtout fonctionnelle pour la Chine</h2>
<p>La signature du RCEP est une première pour la Chine et témoigne du cadre évolutif de sa politique étrangère, qui contraste avec son immobilisme en matière de gouvernance intérieure. En cela, le régime de Pékin, manie avec pragmatisme <a href="https://www.fdbda.org/2020/05/la-resistible-ascension-de-la-chine-pt-1-un-regime-mutant/">tactique économique libérale et autoritarisme politique</a></p>
<p>La Chine pourrait asseoir encore plus son influence économique et industrielle, en déployant de nouvelles chaînes de production dans cette vaste zone, en particulier en Asie du Sud-Est. Conjoncturellement, alors que l’économie mondiale est fortement ralentie, le <a href="https://www.imf.org/en/News/Articles/2020/11/12/sp111220-managing-director-remarks-at-caixin-summit?cid=em-COM-789-42279">FMI annonçait récemment</a> que la Chine afficherait une croissance à 1,9 % cette année et projette 8,2 % pour 2021.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1316688191454351360"}"></div></p>
<p>À terme, l’enjeu est aussi politique et stratégique. Une présence renforcée de Pékin dans ce vaste espace géoéconomique lui assure une position dominante, malgré les initiatives américaines dans l’« Indo-Pacifique » et la consolidation de coopération entre le Japon, l’Inde, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. De plus, le RCEP ne limitera pas les effets des sanctions commerciales et technologiques américaines visant la Chine. Cependant, l’appareil industriel de Pékin y trouvera une <a href="https://www.scmp.com/economy/china-economy/article/3110022/chinas-marginal-rcep-gains-will-not-offset-trade-war-impact">opportunité d’approvisionnements et de débouchés</a>.</p>
<h2>Quid du concept Indo-Pacifique ?</h2>
<p>Malgré la dégradation des relations bilatérales (Chine-Australie ou Chine-Japon), accélérée par les conséquences géopolitiques de la pandémie de Covid-19, plusieurs partenaires des États-Unis ont signé cet accord de libre-échange qui profite à Pékin.</p>
<p>L’intégration dans cet accord commercial de pays industrialisés et proches de Washington tant en matière industrielle et économique que militaire (Japon, Corée du Sud, Australie et Nouvelle-Zélande) ne va pas sans contredire les objectifs stratégiques et sécuritaires du concept américain « Indo-Pacifique », plus précisément <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2020/10/23/chine-etats-unis-une-histoire-sous-la-contrainte-ou-les-rivalites-du-temps-present/">Free and Open Indo-Pacific</a>.</p>
<p>Si le <a href="https://www.asie21.com/2018/03/01/tableau-militaire-de-la-region-indopacifique/">déploiement militaire américain</a> qui vise à contenir les capacités de projection et d’expansion chinoises est important dans la zone, et de mieux en mieux articulé à plusieurs pays signataires du RCEP, l’intégration fonctionnelle du libre-échange, où la Chine domine et dominera, montre les limites du recours à l’outil militaire face à la logique de guérilla géoéconomique permanente entretenue par Pékin.</p>
<p>Les brevets, les marchandises, l’influence économique et les réseaux d’affaires chinois, puissamment soutenus par le régime (entreprises d’État, réseau diplomatique, collusion des milieux d’affaires et politiques) sont <a href="https://www.fdbda.org/2020/06/la-resistible-ascension-de-la-chine-pt-3-un-hegemon-partiel-pour-un-monde-trop-grand/">autant de points tactiques acquis à Pékin</a> dans cette vaste zone qui recoupe intérêts européens, américains, indiens, japonais etc. Le renforcement du <a href="https://asia.nikkei.com/Politics/International-relations/Quad-drills-Australia-to-join-India-US-and-Japan-at-Malabar"><em>Quad</em></a> (<em>Quadrilateral Security Dialogue – États-Unis, Japon, Inde et Australie</em>) pourrait être à bien des égards inopérant. Jeffrey Wilson, chercheur au think tank australien ASPI, évoque même une <a href="https://www.aspistrategist.org.au/rcep-will-redraw-the-economic-and-strategic-map-of-the-indo-pacific/">reconfiguration économique et stratégique majeure en Asie-Pacifique</a>.</p>
<p>Non seulement, le RCEP vient sanctuariser la puissance industrielle et commerciale chinoise, mais il va aussi accélérer la contestation du réseau d’alliances militaires et économiques des États-Unis. En somme, le commerce vient perturber le spectre de la puissance stratégique. D’ailleurs, l’Inde, qui fait de la Chine la priorité de sa politique étrangère (à travers son dispositif sécuritaire vis-à-vis du Pakistan, mais aussi le développement de ses liens économiques, militaires et diplomatiques avec l’Asie du Sud-Est, le Japon et l’Australie), pourrait, de manière versatile, <a href="https://asia.nikkei.com/Opinion/India-s-return-to-RCEP-is-in-everyone-s-interests">rejoindre le RCEP</a>. Rappelons que l’Inde est membre de l’Organisation de Coopération de Shanghai, institution initiée par la Chine, au sein de laquelle se trouve le Pakistan.</p>
<p>Le 15 novembre 2020 signe officiellement le début d’une intégration fonctionnelle en Asie-Pacifique qui se complète aux autres initiatives dominées par Pékin : Organisation de coopération de Shanghai, projet BRI, <a href="http://www.chinatax.gov.cn/eng/britacom.html">BRITACOM</a>, <a href="https://cqegheiulaval.com/les-enjeux-politiques-et-economiques-de-la-baii/">BAII</a>, etc. La géoéconomie asiatique, polarisée sur la Chine, demeurera longtemps un facteur stratégique des recompositions de l’ordre international.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150313/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du FDBDA</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quinze pays de la zone Asie-Pacifique, parmi lesquels la Chine, viennent de créer une zone de libre-échange immense, regroupant 30 % de la population mondiale. Un atout de plus pour Pékin.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1488312020-10-27T22:22:16Z2020-10-27T22:22:16ZDonald Trump et la diplomatie chinoise des États-Unis : un tournant irréversible ?<p>Le mandat de Donald Trump aura été marqué par le bras de fer qu’il a engagé avec la Chine sur les relations commerciales et technologiques. Une confrontation dont les commentateurs retiennent volontiers plusieurs épisodes clés. À commencer par ce fameux dîner du 6 avril 2017 à Mar-a-Lago, lorsque le président américain annonça à son homologue chinois, entre la poire et le fromage, qu’il venait de <a href="https://www.lemonde.fr/syrie/article/2017/04/07/washington-fait-volte-face-sur-le-conflit-syrien_5107234_1618247.html">frapper la Syrie de Bachar Al-Assad</a>, pourtant soutenu par Pékin. Une semaine plus tard, il employait <a href="https://www.nytimes.com/2017/04/13/world/asia/moab-mother-of-all-bombs-afghanistan.html">« la mère de toutes les bombes »</a> en Afghanistan, avertissement sur les capacités technologiques et militaires américaines explicitement adressé à la Chine comme à la Corée du Nord. Trois ans plus tard, <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Etude-l-elimination-du-general-Soleimani-exorciser-1979-Divorce-irakien.html">c’est le général Soleimani, l’un des hommes forts du régime iranien</a> – lui aussi proche de la Chine –, qui était éliminé par une frappe américaine.</p>
<p>En outre, par <a href="https://theconversation.com/faire-du-bruit-a-lest-et-frapper-a-louest-ta-wan-aux-avant-postes-des-strategies-chinoises-135380">son soutien inconditionnel à Taïwan</a> comme par sa volonté d’<a href="https://www.lefigaro.fr/international/2018/06/12/01003-20180612ARTFIG00071-sommet-de-singapour-que-contient-l-accord-trump-kim.php">écarter la Corée du Nord de l’emprise chinoise</a>, Donald Trump aura imprimé un tournant à l’histoire de la diplomatie américaine vis-à-vis de la Chine. La dureté des positions prises par Washington au cours de ces dernières années se maintiendra quel que soit le verdict des urnes dans les prochains jours, même si <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/10/23/etats-unis-le-retour-de-l-amerique-version-biden_6057114_3210.html">Joe Biden</a> passe pour être a priori plus conciliant <a href="https://asiatimes.com/2020/10/biden-might-de-escalate-china-tech-war/">vis-à-vis de la Chine</a>.</p>
<h2>Un affrontement inéluctable ?</h2>
<p>La présidence Trump aura vu Washington conduire une offensive sans précédent contre la Chine, dans le ton comme dans les actes. La réorientation de la politique commerciale américaine (depuis 2017) est structurée autour de la concurrence stratégique avec la RPC. Alors que l’<a href="https://www.brookings.edu/opinions/assessing-u-s-china-relations-under-the-obama-administration/">administration Obama</a> cherchait à mettre en place la « bonne distance » avec la Chine et à pratiquer la « retenue stratégique », l’administration Trump, elle, a systématiquement <a href="https://lelephant-larevue.fr/numero/?n=-29">durci le rapport de force</a>.</p>
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<p>Les relations entre les deux grandes puissances mondiales sont complexes et <a href="https://www.policycenter.ma/sites/default/files/Nardon_EtatsUnis_face_Chine_2017.pdf">marquées par une forte interdépendance</a>, qui se manifeste dans quatre domaines essentiels : économique, militaire, technologique et culturel. L’affrontement est moins commercial que géopolitique. Les États-Unis, première puissance économique avec un PIB en 2018 de 20 000 milliards de dollars, sont depuis deux décennies <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2020/10/23/chine-etats-unis-une-histoire-sous-la-contrainte-ou-les-rivalites-du-temps-present/">rattrapés par la Chine</a> dont le PIB était de 13 000 milliards de dollars la même année, plaçant Pékin en deuxième position mondiale. Si la croissance chinoise se tasse autour de 5,5 % à 6 % par an, ses réserves restent importantes (2 500 à 3 000 milliards de dollars) et sa diplomatie économique puissante. Pékin détient en outre près de 30 % de la dette américaine. Alors que les États-Unis sont tout à la fois un modèle envié et un rival évident pour de nombreux Chinois, l’affrontement sino-américain est-il inéluctable ?</p>
<p>Ce qui est sûr, c’est que Donald Trump s’est entouré d’une équipe d’experts, d’idéologues et de fins connaisseurs de la Chine, parmi lesquels <a href="https://www.lefigaro.fr/international/matthew-pottinger-l-influent-m-chine-de-donald-trump-bete-noire-du-regime-20200907">Matthew Pottinger</a>. Ce dernier est connu pour être le tenant d’une ligne dure dans les négociations commerciales. Plus encore, avec la crise sanitaire du coronavirus et l’année électorale, Trump a entériné une doctrine (initiée par le vice-président Mike Pence) de <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2018/12/09/la-grande-peur/">« nouvelle guerre froide »</a> contre Pékin, créant un front anti-Chine au sein duquel on retrouve les <a href="https://www.lowyinstitute.org/the-interpreter/pence-china-reviving-neoconservative-dream">néo-conservateurs</a>.</p>
<p>En Europe, on a glosé dans un premier temps, non sans ironie, sur les bénéfices électoraux que Trump tenterait d’engranger en vue de sa réélection pour un second mandat en défendant l’industrie agro-alimentaire par le biais de l’instauration de quotas visant à réduire les importations en provenance de Chine. C’est l’arbre qui cache la forêt. Car très vite, la question, beaucoup plus lucrative, de la 5G est mise en avant. Pressions et admonestations montent d’un cran. <a href="https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2018/12/06/32001-20181206ARTFIG00096-une-haute-responsable-du-geant-chinois-huawei-arretee-au-canada.php">La fille du fondateur de Huawei est arrêtée</a>, accusée de malversations. Les Européens sont <a href="https://www.latribune.fr/technos-medias/telecoms/huawei-les-etats-unis-continuent-de-mettre-la-pression-sur-l-europe-839936.html">priés de renoncer</a> aux offres du géant défendu par Pékin tandis que <a href="http://english.hani.co.kr/arti/english_edition/e_business/965615.html">Coréens et Taïwanais se retirent du marché chinois</a>, privant de manière massive la Chine de composants essentiels à la production de semi-conducteurs. Composants que Pékin n’est pas encore en mesure de produire seule.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1271363936542171136"}"></div></p>
<p>Tout le monde a lu <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/histoire-et-geopolitique/geopolitique-et-strategie/vers-la-guerre_9782738147028.php"><em>Le piège de Thucydide – Vers la guerre</em></a>. Selon son auteur, Graham Allison, la guerre – dans la majorité des cas – ne peut être évitée dès lors qu’une <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/graham-allison-les-etats-unis-et-la-chine-se-dirigent-tout-droit-vers-la-guerre-20190503">puissance émergente vient défier la puissance régnante</a>. Ce champ théorique nourrit les réflexions stratégiques de part et d’autre du Pacifique. La crise du coronavirus n’a en rien atténué les scénarios de guerre. La décennie 2020 laisse entrevoir un enfermement toujours plus tenace dans le script du « Piège de Thucydide ». La rivalité entre l’Amérique et la Chine continuera de redessiner l’ordre international, les alliances, les institutions et les règles.</p>
<h2>Paix impossible, guerre incertaine</h2>
<p>L’élection de Donald Trump n’a pas fondamentalement modifié la cartographie des alliances stratégiques américaines en Asie. De ce point de vue, la continuité est nette avec la <a href="https://www.defense.gov/Newsroom/Speeches/Speech/Article/628246/reagan-defense-forum-the-third-offset-strategy/"><em>Third Offset Strategy</em></a> annoncée fin 2014 par Chuck Hagel, alors secrétaire à la Défense de Barack Obama, qui visait à surclasser les capacités chinoises par une <a href="https://www.frstrategie.org/publications/defense-et-industries/third-offset-strategy-americaine-2016">vaste initiative capacitaire</a>. Depuis 2017, le retour en force des <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2012-3-page-139.htm">théories de Mackinder sur le « contrôle de l’île-monde »</a>, à savoir l’Eurasie, imprègne la politique étrangère américaine.</p>
<p>Les liens de défense et de sécurité avec le Japon, la Corée du Sud, Taiwan et plusieurs pays d’Asie du Sud-est (Vietnam compris) ont été renforcés par le déploiement du <a href="https://www.defnat.com/pdf/cahiers/Les%20deux%20Cor%C3%A9e.pdf">système antibalistique THAAD (<em>Terminal High Altitude Area Defence</em>)</a> en Corée du Sud (mars 2017) afin de prévenir d’éventuels tirs de missiles nord-coréens. Les exercices militaires, manœuvres et autres <a href="https://thediplomat.com/2020/07/the-risk-of-too-many-freedom-of-navigation-operations/"><em>Fonops</em> (<em>Freedom of Navigation Operations</em>)</a> se sont multipliés en mer de Chine. Des navires de guerre y ont été déployés, y compris des <a href="https://www.lapresse.ca/international/etats-unis/2020-07-04/deux-porte-avions-americains-en-exercices-en-mer-de-chine-meridionale.php">porte-avions</a>, de même que des installations de détection et d’interception. Les liens stratégiques et militaires avec les partenaires d’Asie-Pacifique s’inscrivent dans le cadre global du concept « Indopacifique », plus précisément <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2020/06/14/lindo-pacifique-libre-et-ouvert-itineraire-dune-representation-de-tokyo-a-washington/"><em>Free and Open Indo-Pacific</em></a>, où l’on retrouve les alliés des États-Unis – Japon, Corée du Sud, Taiwan, Australie, Nouvelle-Zélande, France, quelques pays d’Asie du Sud-Est, l’Inde et le Royaume-Uni –, le tout constituant aux yeux de Pékin un parfait encerclement de la RPC dans son environnement régional.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1283054973522149378"}"></div></p>
<p>De son côté, la Chine peut aussi s’appuyer sur quelques partenaires : la Corée du Nord dans une certaine mesure, le Cambodge (point d’appui stratégique au cœur de l’Asie du Sud-Est), le Sri Lanka (point d’appui dans l’océan Indien face à l’Inde) et le Pakistan (qui dispose de l’arme nucléaire). L’ouverture d’une base militaire chinoise à <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/10670564.2019.1704994?journalCode=cjcc20">Djibouti</a> en 2017 témoigne d’une volonté d’expansion qui nourrit l’inquiétude étasunienne. Même si les capacités et l’expérience militaires des États-Unis restent encore nettement supérieures à celles des Chinois, la présence militaire accrue de ces derniers en Asie-Pacifique et leur influence sur les pays riverains remettent progressivement cette supériorité en cause. Enfin, les <a href="https://media.defense.gov/2020/Sep/01/2002488689/-1/-1/1/2020-DOD-CHINA-MILITARY-POWER-REPORT-FINAL.PDF">modernisations</a> militaires chinoises (spatial, cyber, nucléaire, marine, aviation, balistique, applications de l’intelligence artificielle et quantique) provoquent des incertitudes stratégiques à Washington.</p>
<h2>Autonomisation chinoise et containment américain</h2>
<p>Dans un discours prononcé il y a quelques semaines pour célébrer le <a href="http://www.chine-info.com/french/Rs/Ec/20201019/366174.html">quarantième anniversaire de la création de la zone économique spéciale de Shenzhen</a>, Xi Jinping a appelé à une autonomie complète de la Chine en matière de high tech. Le développement du <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/le-futur-yuan-digital-au-service-de-la-souverainete-chinoise-20201002">Yuan digital</a> pour concurrencer l’hégémonie du dollar est une manifestation de l’obsession du contrôle projeté à l’international. De leur côté, les États-Unis ont procédé à une accélération de leur politique de <em>containment</em> de la Chine depuis 2017. En atteste la <a href="https://www.whitehouse.gov/articles/new-national-security-strategy-new-era/">National Security Strategy of the United States of America (2017)</a> et la <a href="https://www.whitehouse.gov/wp-content/uploads/2020/05/U.S.-Strategic-Approach-to-The-Peoples-Republic-of-China-Report-5.20.20.pdf">publication de la stratégie chinoise des États-Unis au mois de mai dernier</a>.</p>
<p>Quelle que soit l’issue de la présidentielle américaine, l’Europe doit se préparer à subir les contrecoups de l’affrontement entre les deux puissances, qui est appelé à durer. Que Joe Biden ou Donald Trump soit élu, une chose est certaine : l’époque, consécutive à la fin de la guerre froide, où le leadership américain sur la planète était indiscuté, a pris fin.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148831/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du FDBDA.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avec Donald Trump, Washington s’est engagé dans un vaste bras de fer avec la Chine. Cette confrontation géopolitique est sans doute appelée à durer.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1464652020-10-11T16:44:06Z2020-10-11T16:44:06ZMainmise chinoise croissante sur le Laos<p>En février dernier, le déplacement à Vientiane, capitale du Laos, du ministre chinois des Affaires étrangères <a href="https://www.fmprc.gov.cn/fra/zxxx/t1749497.shtml">Wang Yi</a> a donné à Pékin l’occasion d’afficher son souhait de renforcer ses liens avec l’un de ses voisins les plus importants en Asie du Sud-Est. Réciproquement, le Laos, dans un jeu d’équilibre subtil, semble vouloir jouer la carte chinoise pour tenir à distance le Vietnam, lequel – avec l’aide de l’Union soviétique durant la guerre froide – a longtemps cherché à en <a href="https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1991_num_32_1_2469_t1_0117_0000_4">faire son vassal</a>. Bien que n’ayant aucun accès à la mer, le Laos apparaît comme la clé de voûte de l’équilibre régional. Un pays convoité s’il en est et qui a plus d’un atout en main, dont sa participation active à l’Asean, un ensemble régional de poids constitué de 650 millions d’habitants pour un PIB régional approchant les 3 000 milliards de dollars.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/362570/original/file-20201008-16-qc3im3.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/362570/original/file-20201008-16-qc3im3.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/362570/original/file-20201008-16-qc3im3.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=645&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/362570/original/file-20201008-16-qc3im3.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=645&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/362570/original/file-20201008-16-qc3im3.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=645&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/362570/original/file-20201008-16-qc3im3.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=811&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/362570/original/file-20201008-16-qc3im3.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=811&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/362570/original/file-20201008-16-qc3im3.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=811&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Laos#/media/Fichier:LaosCarte.gif">Wikipedia</a></span>
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<p>Enclavé, le Laos est aussi le pays le plus montagneux de la péninsule indochinoise (Birmanie, Cambodge, Laos, Malaisie, Singapour, Thaïlande, Vietnam). Sa position spécifique au cœur de la péninsule lui a toutefois permis, au cours des siècles, de bénéficier d’une situation dynamique de carrefour et de tirer profit des réseaux d’échanges et de commerce qui, dès le premier millénaire de l’ère chrétienne, reliaient par de nombreuses routes caravanières la Chine et l’Asie du Sud-Est.</p>
<p>Les marchands chinois empruntaient les routes commerciales qui s’étendaient des frontières orientales du Tibet jusqu’aux provinces méridionales de la Chine (Sichuan, Yunnan, Guizhou et Guangxi). Le Royaume <em>Lan Xang</em> (littéralement : « du Million d’éléphants »), connaît son apogée entre le XV<sup>e</sup> et le XVII<sup>e</sup> siècle. L’arrivée des puissances occidentales à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle bouleverse les équilibres régionaux et fait du Laos un territoire hautement stratégique, scellant le destin tragique d’un pays considéré alors par beaucoup comme un véritable paradis aux mœurs douces et pacifiées par le bouddhisme Theravada. Le protectorat français, puis les guerres du Vietnam qui s’ensuivent, le marquent durablement. C’est dans ce contexte qu’apparaissent les premières vagues migratoires chinoises à destination du Laos, <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/la1953.htm">devenu indépendant en 1953</a>. Dès les années 1950, les Chinois se regroupent en communautés et deviennent des acteurs majeurs de la vie économique du pays. Par ailleurs, durant toute la période de la guerre froide, le Vietnam entretiendra des <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/histoire-et-geopolitique/geopolitique-et-strategie/histoire-du-monde-se-fait-en-asie_9782738148773.php">« relations spéciales » avec le régime communiste en place à Vientiane</a>, mais son influence est aujourd’hui largement dépassée par celle de la Chine, extrêmement active en Asie du Sud-Est.</p>
<h2>Une présence économique chinoise renforcée</h2>
<p>Alors que la Chine est elle-même un pays pauvre, confronté à une gigantesque famine (Grand Bond en avant), Pékin prêtera au Laos, au début des années 1960, un montant de 4 millions de dollars pour le développement du pays. Cette aide s’inscrit aussi dans la rivalité qui se joue entre la RPC et l’Union soviétique. Durant toute la fin de la guerre froide et jusqu’à l’ouverture progressive du territoire chinois (dont les espaces transfrontaliers), la Chine conservera une influence politique et financière à Vientiane.</p>
<p>En réalité, si la Chine n’est pas totalement absente du Laos entre 1979 et 1989 (elle normalisera ses relations avec Vientiane en 1989), c’est la crise financière et économique de 1997 qui va permettre à Pékin de reprendre solidement pied dans ce pays.</p>
<p>La période de turbulences que traverse à la fin des années 1990 la Thaïlande, dont le Laos est très dépendant économiquement, oblige Vientiane à chercher d’autres partenaires afin de diversifier ses relations économiques. L’activisme diplomatique de Pékin dès les années 1980 et 1990, visera en priorité son environnement proche pour développer les relations diplomatiques et commerciales, afin d’asseoir son hégémonie régionale. Ce rapprochement avec Pékin s’est traduit par les visites des chefs d’État Khamtay Siphandone en Chine (juillet 2000) et Jiang Zemin au Laos (novembre 2000). La culture communiste que partagent dirigeants laotiens et chinois en facilite la fréquence, même si la classe politique laotienne, profondément <a href="https://www.rfa.org/english/news/laos/laos-corruption-assembly-2019-11252019114844.html">corrompue</a>, ne semble faire que peu de cas de la brutalité avec laquelle se font les transformations économiques non maîtrisées du pays <a href="https://thediplomat.com/2016/09/laos-reform-or-revolution/">aux dépens d’une part croissante de la population</a>.</p>
<p>Depuis, les visites des gouvernants dans les deux pays se succèdent à un rythme soutenu, et l’on assiste à partir du Yunnan à une pénétration économique chinoise importante, surtout dans le nord du pays, sujet à des <a href="https://thediplomat.com/2010/12/laoss-chinese-gamble/">trafics illicites</a> (drogue, prostitution, armes, jeux…). Des villes comme <a href="https://www.liberation.fr/planete/2015/10/19/le-gouvernement-a-vendu-le-nord-du-laos-a-la-chine_1403150">Namtha ou Oudomxay</a>, qui ont prospéré grâce à la construction d’autoroutes et de diverses infrastructures par les Chinois, sont devenues de véritables villes chinoises. Les idéogrammes sont partout, et c’est le chinois mandarin qui est parlé en majorité.</p>
<p>Une économie aux mains de groupes criminels et mafieux chinois s’est largement développée entre les années 1990 et surtout 2000, ce qui a été rendu possible par une corruption endémique. Exemple éloquent : la <a href="https://www.liberation.fr/planete/2015/10/19/le-gouvernement-a-vendu-le-nord-du-laos-a-la-chine_1403150">ville (nouvelle) de Boten</a>, en pleine zone du Triangle d’or, a vu casinos, prostitution, trafics de drogue (surtout de synthèse) et d’armes à feu de petit calibre littéralement exploser dans le cadre d’une concession à un groupe chinois pour une durée de 99 ans. Suite à diverses affaires criminelles, le gouvernement de la province du Yunnan mettra fin de ce contrat en 2011. Le casino et quelques activités seront relancés plus discrètement.</p>
<p>Dans cette zone frontalière qu’est le Nord, le gouvernement laotien a multiplié l’ouverture de <a href="https://www.areion24.news/2019/01/21/le-laos-va-t-il-peut-il-basculer-definitivement-dans-la-sphere-geopolitique-et-geoeconomique-chinoise/">zones économiques spéciales (ZES)</a>, dynamisant ainsi les échanges au point où l’on évalue à plus de 40 % les projets économiques (ressources minières, hôtellerie, caoutchouc, électricité…) dont la Chine est à l’initiative. Pékin, avec ses entreprises d’État, a largement investi dans la construction de <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/09/07/barrages-sur-le-mekong-quand-les-chinois-ouvrent-les-vannes-c-est-un-geste-politique_6051322_3244.html">barrages sur les cours d’eau au Laos</a>. Mais plus que tout, c’est le futur réseau ferroviaire panasiatique intégré dans l’initiative des « Nouvelles routes de la soie » (<em>Belt and Road Initiative</em> ou <em>BRI</em>) qui, à terme, pourrait bouleverser l’économie régionale. La China Railway Group Limited est à la manœuvre et pousse notamment pour la construction du vieux projet de liaison Kunming-Bangkok-Singapour. Celui-ci se répartit en trois axes principaux : l’un à l’Ouest vers la Birmanie (corridor occidental), l’autre à l’Est vers le Vietnam et le Cambodge et le dernier au centre, traversant le Laos et la Thaïlande.</p>
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<p>En Asie du Sud-Est continentale, le corridor Chine-Indochine de la BRI se raccorde au programme <em>Greater Mekong Subregion</em> (GMS), dans la partie péninsulaire de l’Asie du Sud-Est, où la Chine cherche à développer le fret ferroviaire et maritime pour accéder plus facilement à l’océan Indien.</p>
<p>Dans ce contexte, le Laos apparaît comme un pivot géostratégique qui permet non seulement de pénétrer en direction de l’Asie du Sud-Est et de renforcer les interconnexions routières et ferroviaires de la région, mais aussi de contourner la mer de Chine méridionale, région aux tensions chaque jour plus vives, et les détroits vitaux, Malacca notamment.</p>
<p>La route ferroviaire traversant le nord du Laos doit permettre, d’une part, de réduire les coûts de transport intra-laotien et, d’autre part, d’assurer le transport du fret entre les provinces chinoises de l’intérieur et les marchés étrangers de l’Asie du Sud-Est (Thaïlande, Malaisie, Singapour). Le Laos pourra ainsi passer d’une condition de <em>land-locked</em> à celle de <em>land-linked</em>, d’État « enclavé » à « carrefour » reliant les pays de l’Asie du Sud-Est au Yunnan. Faisant fi des frontières, le projet ferroviaire, doublé d’une autoroute, positionnerait le pays au centre d’un réseau transnational de transports et d’échanges.</p>
<p>Les ambitions de Vientiane dans sa stratégie de désenclavement ne s’arrêtent pas là. N’ayant pas de débouchés maritimes, le Laos investit massivement dans le développement des infrastructures du port vietnamien de Vung Ang, ce qui fera de ce dernier à terme un port laotien extraterritorial. C’est une façon aussi, pour Vientiane, de rééquilibrer son partenariat avec la Chine car ce que redoute le gouvernement laotien c’est de tomber dans une <a href="https://books.openedition.org/irasec/1186?lang=fr">dépendance de la dette</a> vis-à-vis de son immense voisin chinois, chaque année davantage accusé de néo-colonialisme. Pékin possède déjà près de la moitié de la dette extérieure du Laos et même si du point de vue des relations commerciales bilatérales, la balance est excédentaire avec la Chine, le Laos cherche désormais à diversifier ses appuis et ses débouchés.</p>
<h2>Le « Partenariat économique régional global » et l’avenir de la région</h2>
<p>Alors que venait de se conclure à Bangkok, en <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/11/05/la-position-privilegiee-de-l-asie-du-sud-est-dans-la-guerre-commerciale-chine-etats-unis_6018048_3232.html">novembre de l’année dernière</a>, le sommet de l’Asean auquel avaient participé les premiers ministres chinois, indien et japonais, ainsi que le secrétaire au Commerce américain Wilbur Ross, l’incertitude restait de mise pour l’économie de l’Asie-Pacifique.</p>
<p>Les dix pays membres de l’Asean avaient beau s’être « engagés » à signer prochainement le « Partenariat économique régional global » (RCEP) – qui associerait six autres pays dont la Chine, le Japon et l’Inde –, ce traité était loin d’être acquis et la reprise post-Covid de l’activité économique reste à ce jour très lente. L’achèvement et la signature rapide du RCEP ont buté sur une hostilité croissante de l’Inde (celle-ci s’est d’ailleurs depuis <a href="https://asia.nikkei.com/Economy/Trade/India-s-absence-looms-over-progress-on-RCEP-Asian-trade-deal">retirée des négociations</a>). La Chine est, en revanche, favorable à la constitution de ce qui pourrait devenir la plus grande zone de libre-échange de la planète. Cet accord est vu par beaucoup d’observateurs comme un accord alternatif à l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Accord_de_partenariat_transpacifique">Accord de partenariat transpacifique</a> (TPP), suite à l’annonce de l’abandon de ce dernier par l’administration Trump.</p>
<p>Le projet viserait principalement à une réduction des droits de douane, avec pas ou peu d’ouverture des marchés publics, d’harmonisations des normes ou encore de conventions sur le droit du travail ou de l’environnement. Les 15 parties aux négociations représentent 30 % de la population mondiale et un peu moins de 30 % du PIB mondial. Le Laos y voit des <a href="https://www.lecourrier.vn/la-signature-du-rcep-va-aider-a-la-reprise-post-coronavirus/810884.html">opportunités et des marchés</a> qui l’aideront à s’intégrer plus profondément aux chaînes d’approvisionnement régionales ; une urgence pour un pays où la pandémie de la Covid-19 a fait <a href="https://thediplomat.com/2020/06/an-uncertain-future-for-laos/">bondir le chômage à 25 %</a>.</p>
<p>Avec un PIB d’environ <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/PagesInternationales/Pages/ad9f9a9e-a02c-40a8-8584-368021c74a94/files/267e149c-f048-4736-a6ea-3a51528b792c">18 milliards de dollars en 2018</a> et 7 millions d’habitants, le Laos demeure très dépendant de son voisin chinois (Pékin reste le premier investisseur avec environ plus des 40 % des IDE et plus de 50 % des dettes bilatérales). L’asymétrie des relations avec Pékin continuera de marquer les relations bilatérales. Le déploiement chinois à la fois dans le domaine des infrastructures, de l’agriculture (dépossession et dégradations des terres arables), de l’exploitation du bois, de l’eau et des minerais, en plus d’une population croissante, nourrit une méfiance croissante du peuple laotien. Le changement d’équipe gouvernementale qui a vu, à partir de 2016, l’actuel président Bounnhang Vorachitt remplacer Choummaly Sayasone, semble répondre à ce mécontentement grandissant, et donner des gages aux partisans d’un rapprochement plus rééquilibré avec le Vietnam.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146465/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du FDBDA.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La situation du Laos fait de ce pays de 7 millions d’habitants un carrefour commercial de l’Asie du Sud-Est, ce qui attire évidemment la convoitise du grand voisin chinois.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1470752020-09-30T17:31:39Z2020-09-30T17:31:39ZRépublique populaire de Chine : l’anniversaire de tous les dangers<p>En ce 1<sup>er</sup> octobre, jour anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine en 1949, Xi Jinping s’apprête à prononcer un grand discours qui adressera, une fois de plus, un satisfecit général à la nation sur fond de <a href="http://www.eastpendulum.com/#">défilé martial</a>. Mais la RPC se trouve dans un isolement diplomatique grandissant et la société chinoise se lézarde, conséquence d’une crise économique sans précédent provoquée par la pandémie.</p>
<p>Le chômage est <a href="https://thediplomat.com/2020/06/how-china-can-avert-an-employment-crisis/">endémique</a> et le pays est en proie à une <a href="https://asialyst.com/fr/2020/09/18/chine-menace-crise-alimentaire-symptome-virage-gauche-xi-jinping">grave pénurie alimentaire</a>). <em>Last but not least</em> : les troubles ethniques aux marges (Mongolie intérieure, Tibet, Xinjiang) s’ajoutent aux risques de conflits avec <a href="https://theconversation.com/chine-inde-mefiance-par-temps-de-pandemie-136149">l’Inde</a> et <a href="https://theconversation.com/faire-du-bruit-a-lest-et-frapper-a-louest-ta-wan-aux-avant-postes-des-strategies-chinoises-135380">Taïwan</a>.</p>
<h2>La présidence belligène de Xi Jinping</h2>
<p>La paranoïa structurelle et la <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2020/05/14/la-resistible-ascension-de-la-chine-pt-1-un-regime-mutant/">concentration du pouvoir autour de Xi Jinping</a> se sont continuellement exacerbées depuis son arrivée au pouvoir en 2013. Sa posture conciliante vantant l’attachement de son pays aux principes du multilatéralisme comme au développement écologique (une posture chaque jour infirmée par la pollution des <a href="https://fr.theepochtimes.com/principale-source-de-plastique-retrouve-oceans-provient-cours-deau-de-chine-1040171.html">océans</a> et des sols et par la <a href="https://fr.theepochtimes.com/des-militants-et-des-experts-preoccupes-par-les-activites-de-deforestation-menees-par-la-chine-en-afrique-1208784.html">déforestation que la RPC met en œuvre sur tous les continents</a>) ne doit en rien faire illusion.</p>
<p>D’une part, Xi Jinping a, en quelques mois, ruiné le crédit à l’international dont la Chine s’était progressivement mise à bénéficier depuis le lancement des réformes de Deng Xiaoping à partir de 1979, et accéléré une <a href="https://theconversation.com/les-lecons-de-la-tournee-europeenne-du-ministre-chinois-des-affaires-etrangeres-145293">forme nouvelle d’isolement diplomatique</a>. La crise de Hongkong a d’ailleurs rappelé avec force que la culture politique du PCC n’a pas changé d’un iota depuis les massacres de Tiananmen (1989). La Chine est entrée dans une phase qui, à terme, pourrait être comparable à celle de l’Iran dans l’association délétère d’une <a href="https://nationalpost.com/news/politics/china-steps-up-use-of-hostage-diplomacy-in-international-relations-experts">diplomatie des otages</a>, de la propension de ses représentants à menacer sans ménagement leurs interlocuteurs (comme en <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/fake-news-et-agressivite-les-multiples-derapages-de-l-ambassadeur-de-chine-en-france_2123806.html">France</a>, en <a href="https://thediplomat.com/2020/09/how-will-china-respond-to-the-czech-senate-presidents-visit-to-taiwan/">Tchéquie</a> ou en <a href="https://www.theguardian.com/australia-news/2020/may/03/china-and-australia-how-a-war-of-words-over-coronavirus-turned-to-threats-of-a-trade-war">Australie</a>) et <em>in fine</em> de l’accélération de son isolement qui pourrait se révéler aussi dommageable pour la RPC que pour l’ensemble de ses partenaires.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1300417768957841409"}"></div></p>
<p>D’autre part, la Chine est animée d’un puissant sentiment de revanche face à l’Occident. C’est même <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2020/05/23/la-resistible-ascension-de-la-chine-pt-2-drole-de-guerre-et-colosse-aux-pieds-dargille/">l’un des piliers de sa stratégie d’hégémonie</a>. Pékin est longtemps passé maître dans l’emploi d’un double langage que les opinions occidentales ont su enfin percer à jour. Les intentions prédatrices de cet État-Parti, les <a href="https://www.lefigaro.fr/international/la-diplomatie-chinoise-des-loups-combattants-20200604">déclarations bellicistes de diplomates</a> et de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/09/21/la-chine-sur-le-pied-de-guerre_6052984_3232.html">médias nationaux</a>, ainsi que les <a href="https://www.rtbf.be/info/monde/detail_la-chine-simule-en-video-l-attaque-d-une-base-americaine-une-premiere-c-est-la-diplomatie-du-loup-combattant?id=10589299">intimidations militaires</a> ne se sont pas atténuées, si bien que les Européens ont fini par en saisir la menace.</p>
<p>Les grandes instances internationales sont désormais, pour beaucoup d’entre elles, sous l’influence de Pékin. Loin d’en réfréner l’action, <a href="https://theconversation.com/organisations-internationales-le-spectre-dune-hegemonie-chinoise-se-concretise-136706">l’ONU</a> est devenue, malgré elle, le <a href="https://asialyst.com/fr/2020/09/26/coronavirus-climat-comment-trump-xi-jinping-etrilles-onu/">porte-voix</a> du régime. Cette situation est pourtant réversible.</p>
<h2>« Un État seul n’est jamais en bonne compagnie »</h2>
<p>Ce constat, signé Paul Valéry, s’applique tout à fait à la Chine d’aujourd’hui. Sa diplomatie a fait naufrage.</p>
<p>La RPC s’est rapprochée de pays à risques (<a href="https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3102896/us-china-relations-north-korea-nuclear-talks-opportunity">Corée du Nord</a>, <a href="https://www.pakistantoday.com.pk/2020/09/11/strategic-dimensions-of-close-china-pakistan-relations/">Pakistan</a>, <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/pourquoi-le-mysterieux-traite-entre-l-iran-et-la-chine-inquiete-tant-20200728">Iran</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/07/25/l-expansion-militaire-chinoise-trouve-un-point-d-appui-au-cambodge_5493306_3210.html">Cambodge</a>, <a href="https://theconversation.com/la-birmanie-objet-de-toutes-les-attentions-chinoises-en-asie-du-sud-est-145264">Myanmar</a>…), d’une santé déjà fragile et dont l’insolvabilité se retournera inévitablement contre elle.</p>
<p>Son partenariat avec la <a href="https://www.lejdd.fr/International/josep-borrell-face-a-leurope-la-russie-la-chine-et-la-turquie-veulent-changer-les-regles-du-jeu-3988324">Russie</a>, dans ses prolongements turcs en Méditerranée comme au Moyen-Orient, accroît la fracture qui oppose des logiques impériales à celles des États-nations que Pékin convoite car ils sont encore riches et possèdent des <a href="https://www.cnccef.org/wp-content/uploads/2020/04/CCE-CHINE-Covid-19-VEILLE-TECHNOLOGIQUE-SUR-LES-INNOVATIONS-EN-CHINE-V1.3-FR-200407.pdf">capacités technologiques</a> qu’elle ne maîtrise pas. <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/economie/nicolas-baverez-l-archipelisation-du-monde-20200913">Les cartes sont par ailleurs rebattues</a> puisque les <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/signature-de-l-accord-israel/emirats-le-15-septembre-a-la-maison-blanche-20200908">Émirats du Golfe reconnaissent à présent Israël</a> tandis que l’ensemble des pays musulmans non arabes se tournent à la fois vers Moscou et Pékin.</p>
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<figcaption><span class="caption">Reportage de la télévision officielle chinoise, 15 juin 2019.</span></figcaption>
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<p>Pendant ce temps, une sorte d’endiguement de la Chine est mis en place par la puissance américaine, spécialement en Asie orientale où la RPC est déjà contenue jusqu’à ces avant-postes que sont le Japon, Taïwan et le Vietnam. Donald Trump a, en effet, décidé de renforcer les liens des États-Unis avec chacun de ces pays. C’est un choix stratégique. Qu’il soit réélu ou non, Donald Trump a une vision pour les États-Unis. Il se projette sur un temps long qui, bien au-delà de sa personne, signe un coup d’arrêt à la permissivité dans les choix qui caractérisaient ceux de ses prédécesseurs concernant la Chine. Sa personnalité, mais aussi les membres de <a href="https://www.lefigaro.fr/international/matthew-pottinger-l-influent-m-chine-de-donald-trump-bete-noire-du-regime-20200907">son entourage proche</a>, n’y sont pas étrangers. Le contraste avec la France est de ce point de vue saisissant.</p>
<h2>Quelle politique chinoise pour la France ?</h2>
<p>Il n’y a pas de sinologue à l’Élysée depuis l’élection d’Emmanuel Macron. En revanche, le choix a été fait jusqu’à très récemment, et curieusement assumé par les néo-gaullistes (de Jacques Chirac à Jean‑Pierre Raffarin), de concéder à la Chine un statut d’exceptionnalité – et ce, dans tous les domaines. Que ce soit sur la question des droits de l’homme, les <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2020/06/22/leurope-et-la-chine-deux-singularites-anciennes-dans-un-monde-neuf/">transferts de technologies</a>, le pillage d’informations confidentielles dans les industries et les laboratoires français, la répression contre les individus… On peut raisonnablement s’interroger sur ces largesses.</p>
<p>Dans le même temps, Taiwan est resté l’angle mort des diplomaties française et européenne. À tort. Car s’il est un point où la France et l’Europe sont attendues, c’est bien celui de la démocratie. Et il a plus d’une fois été démontré que l’alliance entre démocraties peut rapporter davantage qu’une alliance entre des démocraties et une dictature. Mais n’est-il déjà pas trop tard ? Les ambassades chinoises, dans l’ensemble du monde occidental, ont tissé leur toile. S’appuyant sur des associations aux appellations iréniques, elles peuvent désormais <a href="https://jamestown.org/program/the-ccps-united-front-network-in-sweden/">mobiliser les diasporas</a>, influencer des décisions, <a href="https://jamestown.org/program/the-china-u-s-exchange-foundation-and-united-front-lobbying-laundering-in-american-politics/">recourir à des lobbys</a>, voire porter chez l’adversaire des coups s’apparentant à des <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2016/09/04/manifestation-a-paris-de-la-communaute-chinoise-contre-le-racisme-envers-les-asiatiques_4992321_3224.html">insurrections urbaines</a>, comme récemment à Paris.</p>
<p>Le <a href="https://www.tallandier.com/auteur/kai-strittmatter/">Front uni</a> (organe du PCC agissant notamment à l’international en matière de propagande et de subversion) qui siège à deux pas du pouvoir central pékinois est devenu nettement plus actif au cours de ces dernières années : renseignement, subversion, instrumentalisation de la diaspora et des opinions publiques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1277923935380783104"}"></div></p>
<p>Une démocratie ne peut tolérer les campagnes de déstabilisation ou les menaces que font peser les autorités chinoises sur des familles tibétaines ou ouïgours <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/en-france-des-ouighours-sous-la-pression-des-autorites-chinoises-1303169">réfugiées en France</a> ou dans le reste de l’Union européenne, et demain à l’encontre de ressortissants taiwanais ou hongkongais. Les moyens de coercition existent. L’État et ses représentants vont-ils oser y recourir ?</p>
<h2>Bruits de bottes en Asie</h2>
<p>En parallèle de la gestion de crise de la Covid-19, le Parti-État s’est livré à une démultiplication des gesticulations militaires tout autour de sa périphérie territoriale, spécialement dans trois espaces : à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/21/la-chine-multiplie-les-demonstrations-de-force-face-a-taiwan_6053028_3210.html">Taiwan</a>, en mer de Chine méridionale et enfin dans la zone frontalière avec l’Inde.</p>
<p>Depuis la fin août, Pékin a intensifié ses intimidations à l’encontre de Taiwan. Mi-septembre, la Chine populaire ne reconnaît plus la ligne médiane dans le détroit de Taïwan et <a href="https://twitter.com/HenriKenhmann/status/1307202405964996610">fait décoller</a> successivement plusieurs avions de combat (J-10, J-11), chasseurs bombardiers (J-16), bombardiers stratégiques (H-6) et avions de lutte anti-sous-marine (YQ-8), alors que ses navires entourent l’île. Le scénario d’une prise de l’île par les troupes communistes n’a jamais été aussi plausible.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1308735569309167616"}"></div></p>
<p>En Inde et dans l’espace maritime au sud de la Chine, les tactiques sont similaires. Le déploiement de <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/defense/le-rafale-decolle-en-inde-et-vise-l-europe_726617">Rafale depuis l’Inde</a> et de navires américains fait contrepoids à la tactique chinoise. Si la guerre n’a jamais été aussi proche depuis l’ouverture économique chinoise, la situation en interne est probablement bien plus chaotique qu’il n’y paraît.</p>
<h2>Une situation économique préoccupante</h2>
<p>Premièrement, Xi Jinping promeut un supposé nouveau schéma économique appelé <a href="https://www.leventdelachine.com/vdlc/numero-29-2020/la-circulation-duale-nouveau-paradigme-economique/">« double circulation »</a>. Ce système devrait favoriser la <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/en-chine-le-danger-dune-reprise-a-deux-vitesses-1238205">consommation intérieure et le développement à l’international des technologies chinoises</a>, tout en réduisant la dépendance extérieure (chaînes d’approvisionnement). Ce sujet n’est en réalité pas nouveau. L’ancien tandem Hu Jintao–Wen Jiabao avait déjà promu l’idée d’une transition vers la consommation intérieure. Le ralentissement économique interne, la chute de la demande internationale et la guerre économique, en plus du confinement, ont provoqué un <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/le-pib-chinois-en-repli-de-6-8-contraction-inedite-20200417">recul sans précédent du PIB chinois</a>. La difficile relance de l’économie privilégie sans surprise les géants nationaux et <a href="https://www.leventdelachine.com/vdlc/numero-32-2020/la-chine-se-decide-a-jouer-franc-jeu/">incite de manière autoritaire</a> le secteur privé à collaborer (y compris à l’international) avec le Parti-État.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1300582278326878208"}"></div></p>
<p>Deuxièmement, le bras de fer sino-américain dans le domaine des technologies, en particulier des <a href="http://emag.directindustry.com/chinas-quest-for-semiconductors-a-battlechip-strategy/">semi-conducteurs</a>, affecte durement l’économie de la RPC et sa puissance stratégique. La Chine est, en effet, fortement dépendante de la disponibilité des composants. Le scénario d’une « récupération » de Taiwan par la force s’expliquerait en partie par le sujet des semi-conducteurs : l’île possède en la matière des savoir-faire et des technologies (destinées entre autres aux États-Unis), <a href="https://www.usine-digitale.fr/article/la-chine-debauche-les-ingenieurs-de-tsmc-pour-tenter-de-devenir-un-leader-dans-les-semi-conducteurs.N994994">notamment avec l’entreprise TSMC</a>. Le récent <a href="https://www.reuters.com/article/us-huawei-tech-china-fire/fire-at-huawei-facility-in-southern-china-put-out-no-casualties-local-government-idUSKCN26G1AN">incendie majeur du centre de R&D de Huawei</a> à Dongguan (proximité de Shenzhen) est un coup dur supplémentaire pour le géant chinois.</p>
<p>Plus la Chine avance dans son expérience de puissance au sein du système international, plus le double phénomène de rigidité/fermeture en interne et d’expansion prédatrice en externe se manifeste. N’oublions pas que ce pays qui vient de fêter son 71<sup>e</sup> anniversaire a annoncé depuis longtemps sa volonté de posséder la <a href="https://www.leventdelachine.com/vdlc/numero-32-2020/la-chine-se-decide-a-jouer-franc-jeu/">première armée au monde</a> en 2049, pour ses cent ans. Il est vital pour l’Europe et le monde de veiller à ce que Pékin ne s’impose pas comme un modèle, que ce soit par la force ou par la ruse.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147075/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du Fonds de dotation Brousse dell'Aquila.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La RPC célèbre son 71ᵉ anniversaire dans une ambiance délétère. En difficulté sur les plans économique et diplomatique, elle envisage des opérations armées d’envergure, notamment contre Taiwan.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1426062020-07-17T12:39:40Z2020-07-17T12:39:40ZTaxe aux frontières, une réponse nécessairement européenne<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/347140/original/file-20200713-58-1mspo03.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C14%2C4792%2C3176&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment limiter les émissions de gaz à effet de serre sans perturber les relations commerciales entre l’Europe et le reste du monde&nbsp;?
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://image.shutterstock.com/image-photo/miniature-business-people-on-map-600w-369100844.jpg">kirill_makarov / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Pour contourner le problème, le prix « Nobel » d’économie 2018 William Nordhaus avance la piste du « dividende carbone ». Autrement dit, un prix du carbone unique, dissuasif et croissant dans le temps, appliqué aussi bien aux produits d’importation qu’à la production locale. Au-delà des gains écologiques, cette approche aurait l’avantage de miser sur les vertus de la coordination européenne plutôt que sur une politique protectionniste défensive.</p>
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<p><a href="https://open.spotify.com/episode/5rCU8Zg5uSiqiFThF42Oi0?si=5h8MXJuXR_in3HHKukBp1Q"><img src="https://images.theconversation.com/files/237984/original/file-20180925-149976-1ks72uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=268&fit=clip" width="268" height="82"></a>
<a href="https://podcasts.apple.com/au/podcast/taxe-aux-fronti%C3%A8res-une-r%C3%A9ponse-n%C3%A9cessairement-europ%C3%A9enne/id1516230224?i=1000485282789"><img src="https://images.theconversation.com/files/233721/original/file-20180827-75984-1gfuvlr.png" alt="Listen on Apple Podcasts" width="268" height="68"></a></p>
<hr>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/316809/original/file-20200224-24655-nzeb7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/316809/original/file-20200224-24655-nzeb7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/316809/original/file-20200224-24655-nzeb7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/316809/original/file-20200224-24655-nzeb7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/316809/original/file-20200224-24655-nzeb7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/316809/original/file-20200224-24655-nzeb7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/316809/original/file-20200224-24655-nzeb7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/316809/original/file-20200224-24655-nzeb7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>La preuve par trois : les experts de The Conversation déclinent 3 aspects d’une question d’actualité en 3 épisodes à écouter, à la suite ou séparément ! Dans cette série, Julien Pillot, enseignant-chercheur à l’INSEEC School of Business & Economics, revient sur trois propositions formulées par la convention citoyenne pour le climat : la controversée limitation de la vitesse maximale autorisée sur autoroutes, les mécanismes d’incitations pour les véhicules propres et le projet de taxe aux frontières</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/142606/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Pillot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comme l’a montré l’économiste William Nordhaus, fixer au niveau de l’UE un prix du carbone unique, dissuasif, et croissant dans le temps apparaît comme une solution nettement plus efficace.Julien Pillot, Enseignant-Chercheur en Economie et Stratégie (Inseec U.) / Pr. et Chercheur associé (U. Paris Saclay), INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1421022020-07-07T21:39:08Z2020-07-07T21:39:08ZFace à l’offensive chinoise, l’Europe voit rouge<p>Les responsables chinois n’ont eu de cesse, depuis de longs mois, d’affirmer leur souhait d’établir une coopération plus étroite avec l’Europe. Mais contrairement à ces vœux de bonne entente, l’épidémie de Covid-19 a fait basculer les rapports entre Pékin et l’UE au niveau le plus bas depuis l’établissement officiel des relations diplomatiques entre les deux pays, il y a 45 ans.</p>
<p>Le <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/international-summit/2020/06/22/">sommet annuel UE-Chine, qui s’est déroulé par vidéoconférence le 22 juin</a>, n’a pas donné lieu à la célébration attendue. À l’inverse, il a mis en évidence des divergences irréconciliables sur des questions telles que la nouvelle loi de sécurité nationale de Hongkong, la cybersécurité et les droits de l’homme. En outre, aucune avancée n’a été enregistrée sur le front économique, la Chine n’ayant pas répondu à l’appel de l’UE à finaliser un accord commun sur l’investissement dont le besoin se fait cruellement sentir, et qui traiterait des questions des subventions et des marchés publics.</p>
<p>La coopération sur d’autres sujets critiques tels que le changement climatique, la gouvernance mondiale (y compris la réforme de l’Organisation mondiale du commerce) et le développement durable semble se limiter à de simples éléments de langage. Même la collaboration sino-européenne sur l’élaboration d’un vaccin contre le Covid-19 reste modeste.</p>
<h2>Quand l’Europe durcit le ton</h2>
<p>Au lieu d’un communiqué final sino-européen conjoint, deux déclarations divergentes ont été publiées le 22 juin à la suite du sommet. Tandis que le président chinois Xi Jinping <a href="http://en.people.cn/n3/2020/0623/c90000-9703028.html">insistait</a> sur le fait que la Chine « veut la paix et non l’hégémonie », la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/ue/sommet-ue-chine-bruxelles-rappelle-pekin-ses-promesses-sur-le-commerce-et-avertit-sur-hong-kong-6878723">souligné</a> que « pour l’UE, la relation avec la Chine est à la fois l’une des plus importantes sur le plan stratégique et l’une des plus complexes » et que cette relation n’était « pas facile ».</p>
<p>Ces commentaires sont révélateurs : les Européens ont fait le choix d’une nouvelle approche envers la Chine, plus défensive, voire conflictuelle. En fait, les responsables politiques de l’UE n’ont peut-être pas le choix en cette période post-Covid-19. Le pouvoir chinois est <a href="https://theconversation.com/non-le-coronavirus-ne-favorise-pas-encore-la-montee-dun-sentiment-pro-chine-en-europe-136157">largement perçu par les opinions publiques européennes</a> comme le premier responsable de la gravité de la pandémie. Selon un <a href="https://institute.global/sites/default/files/2020-06/Tony%20Blair%20Institute%2C%20China%27s%20Role%20in%20the%20World.pdf">récent sondage</a>, 60 % des habitants du Royaume-Uni et de la France, et 47 % des Allemands considèrent le gouvernement chinois comme un acteur international néfaste, et leur opinion s’est encore dégradée au cours de la pandémie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1251478083523293184"}"></div></p>
<p>Contrairement à la précédente crise financière (2008-2010), qui avait donné lieu à de multiples rachats effectués par des entreprises d’État chinoises en Europe du Sud, cette fois-ci les Européens ne semblent pas obnubilés par l’idée d’attirer d’éventuels investissements directs étrangers (IDE) en provenance de la RPC. Les investisseurs chinois n’y sont pas non plus disposés en l’état actuel des choses : la part de la Chine dans l’ensemble des IDE dans les pays de l’UE est inférieure à 3 %.</p>
<p>De plus, la <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/sante/coronavirus-le-materiel-de-protection-venu-de-chine-est-parfois-de-mauvaise-qualite_2122604.html">controverse qui s’est déclenchée autour de l’assistance médicale chinoise</a> au plus fort de la pandémie a encore accru la confusion et incite les responsables européens à plus de méfiance envers Pékin.</p>
<h2>La Chine, de partenaire à « rivale systémique » de l’Europe</h2>
<p>Au début de l’année, les fonctionnaires de Bruxelles <a href="https://www.bilan.ch/economie/lue-prepare-deux-sommets-avec-la-chine-entre-crainte-et-interet">espéraient encore</a> que l’Allemagne accueillerait à Leipzig un sommet des dirigeants à 27+1 en présence de Xi Jinping, qui couronnerait la chancelière Angela Merkel comme la seule personnalité politique européenne de haut rang capable de gérer la Chine.</p>
<p>Angela Merkel a longtemps cherché avant tout à trouver un terrain d’entente avec les dirigeants chinois, tout en formulant de temps à autre de légères critiques à leur égard. Cela a beaucoup à voir avec les <a href="https://www.cairn.info/revue-allemagne-d-aujourd-hui-2020-1-page-82.html">relations commerciales équilibrées entre les deux pays</a>. Depuis des années, les machines-outils et les véhicules automobiles allemands sont très demandés dans une Chine en pleine croissance, ce qui augmente la rentabilité de nombreuses entreprises industrielles allemandes. Certains experts <a href="https://carnegieendowment.org/2020/03/25/germany-s-strategic-gray-zone-with-china-pub-81360">estiment</a> que la réticence de la chancelière à se confronter à Pékin risque de saper l’élan de l’UE en faveur de la mise en œuvre d’une politique commune envers la Chine et de perpétuer une situation où les États membres veillent principalement à leurs propres intérêts, souvent au détriment d’un front européen commun. Pour l’instant, le sommet de Leipzig a été reporté à une date inconnue.</p>
<p>Ces trois dernières années, l’UE s’est toutefois engagée dans une approche plus ferme à l’égard de la Chine. Elle souhaite une meilleure coordination et une meilleure défense collective sur les questions économiques, y compris les investissements étrangers directs, les aides publiques et les transferts de technologie. Non seulement la Commission européenne a créé un <a href="https://ec.europa.eu/france/news/20190305/nouveau_reglement_filtrage_investissements_etrangers_fr">nouveau mécanisme de filtrage des IDE</a>, qui sera opérationnel en octobre, mais elle a également publié des <a href="https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2020/FR/COM-2020-50-F1-FR-MAIN-PART-1.PDF">lignes directrices sur la technologie 5G</a> ainsi qu’un <a href="https://ec.europa.eu/france/news/20200617/subventions_etrangeres_marche_interieur_fr">Livre blanc sur les aides d’État, en particulier venant de pays extérieurs à l’UE</a>. En outre, elle a lancé une <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_18_5803">stratégie de connectivité</a> dans l’espoir d’offrir une alternative européenne à l’initiative chinoise « Belt and Road ».</p>
<p>L’année 2019 avait été considérée par beaucoup comme un <a href="https://carnegieendowment.org/2020/02/19/eu-and-china-in-2020-more-competition-ahead-pub-81096">tournant</a> dans les relations bilatérales de l’UE avec la Chine, avec la publication en mars d’une <a href="https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/communication-eu-china-a-strategic-outlook.pdf">communication stratégique UE-Chine</a> qui qualifie notamment la Chine de « rivale systémique ».</p>
<p>Le sommet virtuel entre Xi Jinping et Ursula von der Leyen a donc finalement eu lieu, mais l’absence de progrès a accentué le sentiment de frustration des dirigeants européens, suite à une importante campagne de propagande de la part de Pékin pour promouvoir ses politiques, y compris sa gestion de la pandémie, par le biais des réseaux sociaux et des sites web des ambassades de Chine en Europe. Cette <a href="https://eeas.europa.eu/delegations/china/76401/eu-hrvp-josep-borrell-coronavirus-pandemic-and-new-world-it-creating_en">« bataille des récits »</a> a été ouvertement évoquée par le Haut représentant pour les Affaires étrangères Josep Borrell à plusieurs reprises. Un <a href="https://euvsdisinfo.eu/fr/mise-a-jour-du-rapport-special-du-seae-breve-evaluation-des-recits-et-elements-de-desinformation-circulant-a-propos-de-la-pandemie-de-covid-19-coronavirus-mise-a-jour-2-22-avril/">rapport spécial sur la désinformation</a> a même été produit par le Service européen pour l’action extérieure. Dans sa récente déclaration, Mme von der Leyen a également fait allusion aux préoccupations croissantes de la Commission concernant les « cyber-attaques contre les systèmes informatiques et les hôpitaux ».</p>
<h2>Une approche transatlantique commune face à la Chine est-elle possible ?</h2>
<p>Même si le discours de Bruxelles à l’égard de la Chine s’est musclé, l’UE est encore loin, en la matière, de la <a href="https://theconversation.com/washington-pekin-une-nouvelle-guerre-froide-139924">ligne très dure adoptée par l’administration Trump</a>, car celle-ci s’est accompagnée de sanctions et de restrictions commerciales à l’encontre des entreprises chinoises sur le sol américain, dont Huawei. Le langage de Washington n’est peut-être pas très diplomatique, mais il reflète bien l’approche partagée par les deux grands partis américains, qui a conduit les alliés des États-Unis – y compris une majorité d’Européens – à repenser leur approche face à l’essor de la Chine.</p>
<p>De part et d’autre de l’Atlantique, il est peu probable que des changements majeurs dans ce domaine se produisent d’ici à l’élection présidentielle de novembre. Si le Démocrate Joe Biden est élu président, on peut s’attendre à une certaine évolution qui pourrait conduire à l’élaboration d’un dialogue transatlantique sur le sujet, et peut-être à terme d’une approche conjointe. Quant à la Chine, elle considère en fin de compte ses relations avec les États-Unis comme sa priorité numéro un, ce qui explique l’attentisme actuel de Pékin dans ses échanges avec Bruxelles.</p>
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<p><em>Une version anglaise de ce texte a été publié par l'Institut italien d'études politiques internationales (ISPI).</em></p>
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<p><em>Cet article est republié dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/142102/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Le Corre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Longtemps indulgents vis-à-vis de la Chine, les Européens se montrent depuis peu plus fermes. La conduite de Pékin lors de la pandémie de Covid-19 et son intransigeance générale y sont pour beaucoup.Philippe Le Corre, Spécialiste des questions chinoises et asiatiques, chercheur associé à la Harvard Kennedy School et au John K. Fairbank Center for Chinese Studies à Harvard, Fellow-in-residence, Paris Seine Initiative (Institute of Advanced Studies), professeur invité, ESSEC Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1399832020-06-23T20:50:04Z2020-06-23T20:50:04ZObjets connectés, un pari pas toujours gagnant pour les clients<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/342443/original/file-20200617-94078-dgpmrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=179%2C29%2C4812%2C3293&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans le monde de l’Internet des objets, un produit a plus de valeur si ses fonctionnalités évoluent et s’enrichissent avec le temps.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://image.shutterstock.com/image-photo/on-office-man-using-his-600w-376467346.jpg">PopTika / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Alors que la PlayStation 5 vient <a href="https://www.tomsguide.fr/ps5-ce-que-lon-sait-de-la-prochaine-console-de-sony/">à peine d’être dévoilée</a>, il est probable que ses acheteurs devront, avant de pouvoir y jouer, s’armer de patience pour y faire toutes les mises à jour d’usage.</p>
<p>Même si par nature l’industrie du jeu vidéo se prête particulièrement à cette tendance, l’imbrication croissante des logiciels dans les produits physiques n’épargne a priori aucun secteur.</p>
<p>Notre vie quotidienne est ainsi de plus en plus imprégnée d’objets connectés, allant des <a href="https://theconversation.com/montres-connectees-lheure-de-la-revolution-na-pas-encore-sonne-113216">montres</a>, frigos, micro-ondes, voitures… jusqu’aux <a href="http://coolnews.fr/listes/les-10-objets-connectes-les-plus-improbables/52">plus improbables</a>, dont les <a href="https://www.frandroid.com/marques/xiaomi/635257_voici-les-toilettes-connectees-de-xiaomi">toilettes</a> ! Si ces produits apportent d’indéniables avantages, il est cependant important de s’interroger également sur les limites et les contraintes qui les accompagnent.</p>
<h2>Un marché en croissance et porteur de promesses</h2>
<p>Le marché des objets connectés grand public (communément qualifié d’Internet des objets – ou <a href="https://ieeexplore.ieee.org/abstract/document/5307747">IoT pour Internet of Things</a>) est évalué à <a href="https://www.statista.com/statistics/976313/global-iot-market-size/">248 milliards de dollars en 2020</a>, avec une estimation à 1 567 milliards à l’horizon 2025. Discutables, ces chiffres n’en révèlent pas moins une tendance lourde de connectivité des objets du quotidien.</p>
<p>En effet, outre des objets naturellement dépendants de logiciels (ordinateurs, smartphones, tablettes, liseuses numériques, etc.), tout bien matériel est aujourd’hui susceptible d’être connecté.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-objets-connectes-nouveaux-fetiches-du-monde-moderne-108311">Les objets connectés, nouveaux fétiches du monde moderne</a>
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<p>Côté entreprises, cela transforme profondément les <a href="https://hbr.org/2014/11/how-smart-connected-products-are-transforming-competition">dynamiques concurrentielles</a>. Côté consommateurs, nous vivons dans un monde dans lequel les fonctionnalités de produits aussi simples qu’un <a href="https://www.miroir-connecte.net/">miroir</a> ou un <a href="https://www.on-mag.fr/index.php/video-hd/news/18796-miliboo-lance-un-canape-connecte-et-immersif-notamment-dedie-aux-amateurs-de-home-cinema-et-de-jeux-video">canapé</a> peuvent évoluer et en <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S109499681730035X">accroître la valeur d’usage</a> au fil du temps.</p>
<p>Cette connectivité, et l’évolutivité qui en résulte, génèrent de multiples avantages : programmation et automatisation (pour des volets, des luminaires, etc.) qui facilitent la vie, gains de temps, dépannage à distance, etc. Sans compter que ces perfectionnements progressifs sont supposés diminuer la fréquence de remplacement des produits et induire des gains écologiques substantiels.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/342439/original/file-20200617-94070-1lzvh4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/342439/original/file-20200617-94070-1lzvh4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/342439/original/file-20200617-94070-1lzvh4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/342439/original/file-20200617-94070-1lzvh4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/342439/original/file-20200617-94070-1lzvh4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=467&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/342439/original/file-20200617-94070-1lzvh4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=467&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/342439/original/file-20200617-94070-1lzvh4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=467&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La domotique consiste à centraliser le contrôle des différents systèmes de la maison (chauffage ou prises électriques par exemple) pour notamment permettre des gains d’énergie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://image.shutterstock.com/image-photo/woman-using-smart-wall-home-600w-774151222.jpg">goodluz/Shutterstock</a></span>
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<p>Alors qu’il était auparavant nécessaire de racheter la nouvelle version d’un produit qui ne pouvait être mis à jour, le client peut maintenant bénéficier d’améliorations constantes – voir par exemple les casques intra-auriculaires sans fil de la marque Jabra dont la récente mise à jour en a enrichi <a href="https://www.theverge.com/21273578/jabra-elite-75t-customizable-controls-mysound-hearing-test-now-available">l’ergonomie et les fonctionnalités</a>.</p>
<h2>Le risque d’une expérience initiale dégradée</h2>
<p>Cependant, tout n’est pas rose au pays des produits connectés. Avant de bénéficier de ces améliorations futures, les clients doivent aussi être prêts à vivre tout d’abord une expérience de consommation dégradée. Ceci n’est pas un problème lorsque l’entreprise est transparente sur ce point et permet au consommateur de choisir en connaissance de cause.</p>
<p>Ainsi, certains achètent volontairement un produit dont la valeur d’usage n’est pas optimale, mais dont le fabricant promet qu’elle sera accrue au fur et à mesure. Cela est courant sur les plates-formes de financement participatif (ou crowdfunding) comme Kickstarter, Ulule ou KissKissBankBank, sur lesquelles les clients achètent des produits dont ils savent qu’ils seront mis à jour ensuite pour leur permettre d’en profiter pleinement.</p>
<p>Par exemple, les acheteurs du petit robot éducatif <a href="https://fr.ulule.com/winky-robot/">Winky</a>, dont le but est d’initier les enfants à la programmation, savaient en le commandant sur Ulule qu’ils recevraient une version non finalisée, laquelle serait ensuite dotée de modules complémentaires via des mises à jour de l’application.</p>
<p>Mais toutes les entreprises n’ont pas le même degré de transparence quant au niveau d’aboutissement initial de leur offre. Qu’il s’agisse d’une démarche volontaire ou que cela soit lié à des problèmes de développement imprévus, le résultat est finalement le même pour le client commandant un produit dont il ne peut que partiellement bénéficier.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-6CaChEcRF4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéo de la chaîne M6 présentant le robot éducatif et évolutif Winky.</span></figcaption>
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<p>Ainsi, les acquéreurs de la Volkswagen ID3 recevront en septembre 2020 un véhicule dont le système d’infotainment (infodivertissement) et d’affichage tête haute ne seront au mieux activés <a href="https://www.theverge.com/2020/6/11/21288572/volkswagen-id3-ev-delay-software-vw-herbert-diess">qu’à la fin de l’année</a> – ce qu’ils ignoraient à la commande.</p>
<h2>Attention aux mauvaises surprises ultérieures</h2>
<p>Ceci nous amène en outre à souligner la capacité qu’ont dorénavant les entreprises de limiter leurs produits après leur vente. En effet, certains peuvent être dégradés, voire devenir totalement inutilisables. Ils perdent alors tout ou partie de la valeur d’usage pour laquelle les clients ont payé. Ceci entraîne alors des phénomènes de <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/08876041011072546/full/html">codestruction de valeur</a> dommageables pour les clients. Pareils cas se sont multipliés ces dernières années.</p>
<p>C’est par exemple le cas de <a href="https://www.pocket-lint.com/fr-fr/maison-connectee/actualites/amazon/140903-qu-est-ce-que-amazon-echo-look-et-comment-cela-fonctionne-t-il">l’Echo Look</a>, une caméra à activation vocale doublée d’un haut-parleur commercialisée par Amazon mi-2017 au prix de 200 dollars. Couplé à une application et à un système d’intelligence artificielle alimenté par des spécialistes de la mode, cet appareil se voulait un assistant personnel donnant des conseils de style sur la base des photos ou vidéos prises par les utilisateurs.</p>
<p>Après l’avoir enrichi de <a href="https://www.theverge.com/2018/2/7/16984218/amazons-echo-look-collections-feature-curated-content-vogue-gq">nouvelles fonctionnalités</a> courant 2018, Amazon a cependant annoncé en mai que le <a href="https://www.amazon.com/gp/help/customer/display.html?ots=1&nodeId=201602230&tag=theverge02-20#GUID-1CDA0A16-3D5A-47C1-9DD8-FDEDB10381A3__SECTION_E5708F0A410A44289D9F719B97CC55A2">service s’arrêterait</a> le 24 juillet 2020. À cette date, l’appareil sera alors totalement inutilisable et bon à jeter, ce qui au passage ne joue pas en faveur de l’argument écologique évoqué plus haut (même si Amazon incite explicitement à les <a href="https://www.amazon.com/gp/help/customer/display.html?ots=1&nodeId=201602230&tag=theverge02-20#GUID-1CDA0A16-3D5A-47C1-9DD8-FDEDB10381A3__SECTION_E5708F0A410A44289D9F719B97CC55A2">recycler</a>).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1266670942597480448"}"></div></p>
<p>Au-delà du cas de l’arrêt du produit ou de son support, l’intégration logicielle donne aussi au producteur un niveau de contrôle supérieur sur les usages des clients. Ceci peut lui permettre de capter une part de valeur plus importante, voire même de la capter à plusieurs reprises – par exemple, dès que le produit change de propriétaire.</p>
<p>L’entreprise Tesla a, à cet égard, défrayé la chronique à de multiples reprises. En juin 2019, par exemple, ce constructeur de véhicules électriques a informé des clients ayant acheté une Model 3 Standard Range (mais livrée avec la configuration logicielle de la version Model 3 Standard Range Plus) d’une <a href="https://electrek.co/2019/06/07/tesla-downgrading-model-3-standard-range-software-offer-upgrade/">mise à jour vers la version de base</a> pour laquelle ils avaient payé.</p>
<p>Le véhicule perdrait alors 10 % de son autonomie, ainsi que de nombreux services tels que le streaming de musique embarqué, la navigation avec visualisation du trafic en direct ou encore les sièges chauffants. Après y avoir goûté sans les avoir demandées, les clients souhaitant conserver ces fonctionnalités devaient débourser pas moins de 4 500 dollars.</p>
<p>Quelques mois plus tard, c’est un <a href="https://jalopnik.com/tesla-remotely-removes-autopilot-features-from-customer-1841472617">client ayant acheté une Tesla d’occasion</a> lors d’une vente aux enchères qui eut la désagréable surprise de constater que le fabricant en avait retiré, sans aucune notification préalable, les options de pilote automatique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1227577546579075073"}"></div></p>
<p>À la suite d’un audit à distance de la voiture, le constructeur avait détecté que le propriétaire n’avait pas payé pour cette option, qu’il a donc retirée via une mise à jour (l’affaire, très médiatisée, s’est finie par une communication de Tesla indiquant qu’il s’agissait d’une erreur et la <a href="https://www.theverge.com/2020/2/13/21136699/tesla-autopilot-used-model-s-owner-restored-assistance-features">remise en fonction de l’autopilot</a>).</p>
<p>Le monde de connectivité dans lequel nous sommes rentrés est donc porteur de très nombreux avantages, mais ceux-ci ne doivent pas nous faire perdre notre esprit critique à leur égard ; tout comme il est important d’intégrer les <a href="https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/Publications/Vie-pratique/Fiches-pratiques/objets-connectes">risques de piratage</a> des objets connectés qui peuvent les accompagner et impliquent de prendre certaines précautions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139983/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>S’ils nous facilitent grandement la vie, ces produits reposent souvent sur des modèles économiques susceptibles d’engendrer de mauvaises surprises lors de leur utilisation.Loïc Plé, DIrecteur de la Pédagogie - Associate Professor, IÉSEG School of ManagementDidier Calcei, Professeur associé en Innovation & Entrepreneuriat, South Champagne Business School (Y Schools) – UGEILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1399242020-06-10T18:19:54Z2020-06-10T18:19:54ZWashington-Pékin : une nouvelle guerre froide ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/340671/original/file-20200609-21186-1gvz9el.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C1861%2C799&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-vector/trade-war-conflict-around-5g-network-1463234867">Bakhtiar Zein/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>En pleine crise du Covid-19, Donald Trump n’a rien trouvé de mieux que de <a href="https://theconversation.com/donald-trump-les-maux-et-les-mots-du-virus-136530">qualifier la maladie de « virus chinois »</a>, de blacklister un nombre croissant d’entreprises chinoises et d’interdire – privilège de l’<a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/extraterritorialite-du-droit-americain-le-grand-hold-up-832113.html">extraterritorialité</a> – à des entreprises étrangères utilisant des composants jugés stratégiques de travailler avec elles.</p>
<p>Ces décisions sont venues compléter un arsenal de mesures protectionnistes prises par les États-Unis depuis 2018 ; mais, cette fois, on a franchi un pas, si bien que certains responsables de la République populaire de Chine (RPC) n’hésitent pas à parler de <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-chine-se-dit-prete-a-une-nouvelle-guerre-froide-avec-les-etats-unis-24-05-2020-2376702_24.php">nouvelle guerre froide</a>. Comment en est-on arrivé là ? Et quel impact cette situation peut-elle avoir sur l’économie mondiale ?</p>
<h2>La soudaine montée en puissance de la Chine</h2>
<p>L’expansion exceptionnelle de la RPC dans l’économie mondiale (de moins de 1 % du commerce mondial en 1978 à plus de 14 % en 2017) et l’accumulation d’excédents commerciaux exceptionnels et de réserves financières hors du commun (qui représentent près de deux fois celles de son suivant immédiat le Japon) exaspèrent depuis longtemps les États-Unis et les incitent à chercher les moyens de réduire ces déséquilibres.</p>
<p>Du côté chinois, on assiste à un changement radical d’attitude depuis l’arrivée de Xi Jinping à la présidence en 2013. Alors que Deng Xiaoping (au pouvoir de 1978 à 1992) avait insisté sur la discrétion et l’humilité d’apparence, la Chine s’affirme désormais comme un nouveau leader du monde, proposant un nouveau modèle de société face à un Occident qu’elle juge en perte de vitesse et décadent.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1082306654673297414"}"></div></p>
<p>Emblématiques de cette ambition, les <a href="http://www.cepii.fr/BLOG/bi/post.asp?IDcommunique=642">projets pharaoniques des nouvelles Routes de la soie</a> placent la Chine au centre du système de relations internationales renouant avec l’antique vision de l’empire de Chine comme centre du monde. Puis il y a les projets industriels déclinés dans le rapport <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/01/27/technologies-la-chine-reve-d-autarcie_5415335_3234.html">« Made in China 2025 »</a> qui sélectionnent une dizaine de secteurs clés du futur développement industriel de la Chine pour atteindre un niveau élevé d’autosuffisance : le pays devra faire baisser la part de ses importations de composants et matériaux de base de 60 à 30 % pour devenir en 2035 une grande nation innovante, passée du statut d’« usine du monde » à celui de « grande puissance industrielle » maîtrisant la recherche, l’innovation et la production de biens à forte valeur ajoutée.</p>
<p>Ces ambitions provoquent des réactions de plus en plus virulentes des États-Unis qui associent les énormes excédents commerciaux de la Chine à une concurrence déloyale au détriment de l’emploi américain. Ils l’accusent d’utiliser les excédents financiers qui en résultent pour financer la création de méga-entreprises d’État ou soi-disant privées ; de se servir des projets de Routes de la soie pour détourner les réseaux commerciaux internationaux à son profit ; et enfin de copier (sinon de pirater) les technologies américaines. Aujourd’hui, la Chine est considérée par les États-Unis comme un <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/l-amerique-selon-trump/20180129.OBS1409/c-est-officiel-le-pentagone-designe-la-chine-comme-adversaire-des-etats-unis.html">adversaire stratégique</a>.</p>
<p>Nous ne revenons pas ici sur l’ensemble des mesures protectionnistes prises depuis 2017 par les États-Unis, ni sur leur hostilité systématique au multilatéralisme comme moyen de résoudre les conflits et d’organiser la coopération entre nations, ni sur leur préférence pour un bilatéralisme où leur puissance leur permet d’imposer leurs choix. Nous nous focalisons sur le conflit Washington-Pékin et, en particulier, sur ce qui se trouve au centre de ce conflit et suscite les attaques les plus virulentes de l’administration Trump, à savoir les secteurs de la révolution numérique, notamment les télécommunications et les composants électroniques stratégiques qui ont conduit au bannissement de Huawei.</p>
<h2>Lorsque <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674237544">« la déréglementation tourne au délire »</a></h2>
<p>Une question s’impose : comment est-il possible qu’en matière d’équipements de télécommunications, les États-Unis soient incapables d’opposer leur propre capacité industrielle et technologique à celle d’un pays en développement (la Chine a un <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicator/NY.GDP.PCAP.CD">PIB par tête</a> équivalent à celui de la Thaïlande qui est encore un pays en développement) ?</p>
<p>La première raison est à chercher du côté de la politique de déréglementation imposée par l’administration américaine à l’époque de Reagan afin de démanteler les monopoles industriels comme ceux du transport aérien (1977-1980), de l’énergie, des services financiers (1980-1991) ou des <a href="https://www.springer.com/gp/book/9780792379577">télécommunications</a> (1996) (ce dernier monopole était partagé entre ATT pour l’international et NTT pour le marché intérieur).</p>
<p>Le but affiché était d’accélérer la diffusion des nouvelles technologies, d’intensifier la concurrence, de baisser les prix et, <em>in fine</em>, d’accroître les profits en augmentant les volumes (si la déréglementation du transport aérien a provoqué un bouleversement incroyable de l’industrie, elle a permis de multiplier l’activité de transport aérien à une échelle inconnue jusqu’alors ; et les grandes compagnies qui dominent aujourd’hui n’existaient pas il y a vingt ans et sont de toutes origines, assurant un état concurrentiel féroce). La politique de déréglementation s’est ensuite étendue à toute l’Europe de l’Ouest, le Royaume-Uni de Margaret Thatcher en tête. Les effets de ces politiques ont été considérables et leur impact très variable : il fut parfois plus destructeur que créateur, en particulier dans le secteur des télécommunications.</p>
<p>Dans ce secteur, l’objectif premier était d’accélérer la convergence entre les technologies Internet, la création de nouveaux services de qualité en ligne et les télécommunications. En 1994, Lucent (héritière d’AT&T), Motorola et Northern Telecom (Nortel), trois entreprises nord-américaines, dominent le marché mondial. Les marchés européens sont fragmentés en marchés nationaux, dominés par un acteur national quasi unique dont les prestations et les prix sont administrés.</p>
<p>Avec la déréglementation, on assiste dans un premier temps à une prolifération de nouveaux acteurs, puis à la naissance de la bulle Internet du début des années 2000 avec un surinvestissement massif des opérateurs télécom dans le réseau 3G. L’éclatement de la bulle Internet entraîne une chute des chiffres d’affaires des équipementiers en 2002 (de plus de 50 % pour Lucent) qui provoque la disparition par faillite et/ou fusion d’un grand nombre de fabricants d’équipements.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/LRFe5R6xZbg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>En 2011, Ericsson est devenu le leader mondial de la 4G, suivi de Huawei, Alcatel et Nokia. En 2016, Nokia absorbe Alcatel Lucent. Aujourd’hui, Huawei domine de loin le secteur avec 120 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2019 dont plus de 50 milliards réalisés dans les équipements, 54 % dans les smartphones. Huawei a acquis une avance décisive dans la fourniture des antennes de la 5G où seuls Ericsson et Nokia avec 25 milliards de CA chacun sont présents de manière significative. Enfin, Huawei investit en R&D trois fois plus que ses concurrents.</p>
<h2>La menace stratégique chinoise et le pouvoir d’extraterritorialité des USA</h2>
<p>Au temps de la révolution numérique, qui s’appuie largement sur le potentiel des nouveaux réseaux de télécommunication, il est assez naturel de considérer cette activité comme critique et stratégique. De fait, un peu partout dans le monde, les États sont amenés à soutenir et à réglementer son déploiement et son utilisation. Le problème nouveau provient du fait que l’entreprise dominante des équipementiers est chinoise et qu’elle est proche du gouvernement de Pékin – elle s’est d’ailleurs <a href="https://www.abebooks.fr/9787119111681/Jinping-Governance-China-Volume-Two-711911168X/plp">engagée à obéir aux directives du Parti communiste</a>, ce qui pourrait mettre en danger la sécurité des États où elle intervient. Des exemples de détournement (d’espionnage) des informations empruntant ses systèmes ont déjà été <a href="https://www.institutmontaigne.org/publications/leurope-et-la-5g-le-cas-huawei-partie-2">mis à jour</a>.</p>
<p>La réaction de l’Administration américaine à la perspective de voir Huawei dominer l’installation de la 5G aux États-Unis a été brutale. Il ne s’agit plus d’augmentation des tarifs douaniers ou de limitations quantitatives, mais de <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/donald-trump-signe-un-decret-pour-exclure-huawei-du-marche-americain-des-telecoms.N843140">l’exclusion pure et simple de Huawei du marché américain des équipements télécom</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1128957178088443904"}"></div></p>
<p>L’Administration Trump ne veut pas se contenter de cette exclusion et fait pression sur les pays alliés pour qu’ils interdisent à leur tour l’utilisation des équipements 5G de Huawei (l’<a href="https://www.challenges.fr/high-tech/l-australie-exclut-huawei-et-zte-de-son-marche-de-la-5g_608241">Australie</a> et le <a href="https://www.ouest-france.fr/high-tech/telephonie/au-japon-les-telephones-huawei-et-zte-seront-desormais-interdits-6115193">Japon</a> ont déjà adopté des mesures similaires ; les <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/01/05/le-cas-huawei-met-l-europe-sous-pression_6024847_3234.html">pays d’Europe</a> semblent vouloir limiter le recours aux équipements de Huawei à la périphérie de leurs infrastructures).</p>
<p>Dans la foulée, Washington cherche à exclure au moins quatre autres entreprises chinoises du marché américain. La Commission fédérale des communications (FCC) américaine a <a href="https://www.zdnet.fr/actualites/washington-cible-de-nouveau-des-operateurs-chinois-39902815.htm">ordonné</a> le 24 avril 2020 à quatre filiales d’entreprises d’État chinoises – China Telecom, China Unicom, Pacific Networks et ComNet – de démontrer qu’elles ne sont pas soumises au contrôle du gouvernement de Pékin, sous peine de retrait de licence d’opération aux États-Unis. Le Bureau de l’Industrie et de la sécurité (BIS) du ministère américain du Commerce a <a href="https://www.skadden.com/insights/publications/2020/05/bureau-of-industry-and-security">annoncé</a> le 28 avril un durcissement des contrôles des règles d’exportation de certaines technologies sensibles vers la Chine, de peur qu’elles soient utilisées par les forces armées chinoises (la définition d’un « utilisateur final militaire basé en Chine » inclut les entreprises privées chinoises et les entreprises d’État ayant des liens avec l’Armée populaire de libération.. Les restrictions à l’exportation couvriront certains matériaux, les produits chimiques, les micro-organismes, les toxines, le traitement des matériaux, la conception, le développement et la production électroniques, les ordinateurs, les télécommunications, les capteurs et les lasers, les technologies marines, les systèmes de propulsion, les véhicules spatiaux et les équipements connexes.</p>
<p>Dans le domaine des composants électroniques, Washington cherche à étendre ses prohibitions, suscitant l’inquiétude des professionnels du secteur. Plus grave encore est la tentation d’interdire aux entreprises américaines ou étrangères travaillant avec des composants ou des logiciels américains jugés sensibles toute exportation depuis les États-Unis. L’entreprise taïwanaise TSMC, leader mondial des fonderies de composants électroniques de pointe, qui maîtrise la technologie des gravures les plus fines, se voyant menacée de représailles si elle continuait de fabriquer des composants pour les smartphones Huawei, a <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/tsmc-ne-prend-plus-de-commandes-de-huawei.N965721">renoncé à poursuivre cette coopération</a>. De plus, l’administration américaine fait pression pour que TSMC réalise un investissement majeur (on cite le chiffre de 12 milliards de dollars) aux États-Unis afin de garantir la sécurité de ses approvisionnements en composants et d’atteindre une certaine autosuffisance.</p>
<h2>Les conséquences</h2>
<p>Selon certains auteurs, la réaction de Pékin aurait pour effet d’accélérer les progrès de la Chine vers une autosuffisance stratégique complète. Ainsi Huawei, face à la menace qui pèse sur TSMC, <a href="https://www.comptoir-hardware.com/actus/business/41594-le-fondeur-chinois-smic-a-la-releve-de-tsmc-et-a-la-rescousse-de-hisilicon-.html">se retourne vers le Chinois smic</a> qui semble avoir des compétences similaires, et pour les composants 5G elle s’appuie sur une de ses filiales, Hisilicon. Selon d’autres auteurs, on surestime les progrès accomplis par la Chine, notamment <a href="https://www.cigionline.org/publications/competing-artificial-intelligence-chips-chinas-challenge-amid-technology-war">dans le domaine de l’intelligence artificielle</a> : l’argument repose sur l’idée que la Chine est capable de combler certains retards dans le domaine de la production industrielle mais est encore loin de pouvoir rivaliser dans le domaine du software qui s’annonce décisif, notamment dans la 5G.</p>
<p>Y a-t-il un risque d’extension non contrôlée du conflit ? Une nouvelle guerre froide menace-t-elle ? Le terme paraît tout à fait excessif, pour au moins deux raisons majeures : le degré d’interpénétration économique des deux économies est trop important, comme le montrent les mille milliards de dollars de dette américaine détenus par la Chine, ou encore le fait que General Motors vend et produit plus de véhicules en Chine qu’aux États-Unis. L’autre facteur tient au dynamisme de la demande intérieure chinoise, notamment pour les produits innovants : la demande de smartphones de marque Huawei a progressé de plus de 34 % en 2019 et le marché intérieur chinois représente plus de 60 % des ventes de Huawei. De part et d’autre, on a déjà vécu plusieurs épisodes de très fortes tensions, mais, au-delà des gesticulations, on a toujours su éviter le pire.</p>
<p>Le conflit Washington-Pékin, doublé de l’impact de la pandémie, révèle la fragilité du système économique mondial et conduit à un recul de la mondialisation. Les investisseurs internationaux vont chercher à fortement réduire leur exposition au risque chinois ; <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2014-3-page-23.htm">c’est déjà le cas des Japonais et des Coréens</a>.</p>
<p>De même, les gouvernements voudront renforcer la sécurité de leurs approvisionnements en soutenant la relocalisation de certaines industries jugées stratégiques, notamment en matière médicale. Il faudrait sans doute réformer les règles de ce système ; pour y parvenir, il serait crucial que les États-Unis et l’Europe, qui ont des intérêts communs, s’entendent sur les buts d’une réforme acceptable pour tous. Cependant, l’agenda électoral américain et le conflit commercial entre Boeing et Airbus rendent des progrès sur ce dossier <a href="https://insidetrade.com/trade/hogan-pessimistic-about-us-talks-election-approaches">très peu probables pour cette année</a>…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139924/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Fouquin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le secteur des télécommunications se trouve au cœur du conflit économico-politique qui oppose les États-Unis à la Chine.Michel Fouquin, Professeur d'Economie à la Faculté de Sciences Sociales et Économiques (FASSE) , Conseiller au CEPII, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1397802020-06-03T17:26:33Z2020-06-03T17:26:33ZAvant de demander un prêt, choisissez bien la date dans le calendrier<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/338833/original/file-20200601-95042-1kdfn8x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=663%2C34%2C5087%2C3449&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour remplir leurs objectifs commerciaux, les banquiers ont tendance à octroyer plus de prêts à l’approche des clôtures comptables.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/husband-wife-sign-loan-agreement-home-1448561546">Panumas Yanuthai / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Faut-il demander un prêt en décembre plutôt qu’en janvier ? La question peut sembler incongrue puisque les décisions des banquiers sont supposées être prises en fonction de la situation de l’emprunteur et des caractéristiques du projet financé, et ne devraient nullement prendre en compte le mois de la demande.</p>
<p>Mais, ce serait oublier que les banquiers sont aussi des êtres humains : ils ont tendance à être influencés par le calendrier et la politique commerciale de leur entreprise.</p>
<h2>Quand le moral du banquier va, tout va</h2>
<p>Tout d’abord, les banquiers peuvent être soumis à des biais comportementaux qui influencent leurs décisions d’octroi de prêt. De nombreuses études en finance comportementale ont montré que les investisseurs sur les marchés boursiers étaient soumis à de <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-financial-and-quantitative-analysis/article/seasonality-in-the-cross-section-of-stock-returns-the-international-evidence/449422A711AB698236AD46F6BA7414D6">tels biais</a>. Leur humeur peut générer des anomalies calendaires.</p>
<p>Par exemple, on observe l’existence d’un « effet week-end », avec des rendements d’actions plus élevés en fin de semaine. Ceci pourrait s’expliquer par la déprime du retour au travail le lundi en comparaison de la bonne humeur avant la fin de semaine.</p>
<p>De façon similaire, plusieurs études ont montré de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/016517659190173I">meilleurs rendements boursiers</a> avant les vacances ou durant les vacances religieuses qui peuvent là encore s’expliquer par la bonne humeur des investisseurs.</p>
<p>Ces biais comportementaux des investisseurs sur les marchés boursiers peuvent tout aussi bien s’observer chez les banquiers. Ainsi, les périodes associées à une meilleure humeur des banquiers s’accompagneraient d’un octroi plus aisé de prêts.</p>
<p>Ensuite, les banquiers peuvent être soumis à des motifs financiers et vouloir remplir les objectifs fixés par leur hiérarchie. Il s’agit ici de l’hypothèse de <em>trade loading</em> observée dans de nombreux secteurs économiques.</p>
<h2>Viser plutôt la fin du trimestre</h2>
<p>Le trade loading se définit généralement comme la pratique d’offrir des réductions aux clients à la fin du trimestre afin de remplir les objectifs trimestriels. Dans le cas des banques, cela signifie que pour atteindre les objectifs trimestriels (ou annuels) les banquiers sont incités à augmenter le volume des prêts lors du dernier mois du trimestre (en particulier du dernier trimestre) pour atteindre ces objectifs.</p>
<p>La conséquence en serait un octroi plus facile de prêts sur ces périodes.</p>
<p>C’est en tout cas ce que peut laisser penser le graphique ci-dessous.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/338824/original/file-20200601-95059-ojslyh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/338824/original/file-20200601-95059-ojslyh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/338824/original/file-20200601-95059-ojslyh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/338824/original/file-20200601-95059-ojslyh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/338824/original/file-20200601-95059-ojslyh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/338824/original/file-20200601-95059-ojslyh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/338824/original/file-20200601-95059-ojslyh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Évolution du taux d’octroi de prêts à la consommation en moyenne selon le mois de l’année.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Base de données Peer-to-Peer Lending, U.S</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce graphique est issu d’une <a href="https://ideas.repec.org/p/lar/wpaper/2020-02.html">étude</a> sur les prêts à la consommation aux particuliers. Il présente le taux d’acceptation pour chaque mois, c’est-à-dire le pourcentage de chances qu’a chaque demande de prêt d’être acceptée.</p>
<p>On voit clairement que les mois qui ont les taux d’acceptation les plus élevés sont, par ordre croissant, mars, juin, septembre et décembre, soient les mois de fin de trimestre. Par ailleurs, décembre présente le taux d’acceptation le plus élevé de toute l’année (37 % comparativement à mars par exemple où nous sommes aux alentours de 15 %). Ceci confirme bien la présence de trade loading.</p>
<p>Il est également intéressant de noter que la même étude montre un résultat similaire en ce qui concerne les taux d’emprunt. En effet, ceux-ci sont moins chers en fin de trimestre et tout particulièrement en décembre.</p>
<p>Décembre semble donc être le mois avec le taux d’acceptation le plus fort à un taux plus faible.</p>
<h2>Éviter les comportements opportunistes</h2>
<p>Si ces résultats sont vrais pour les particuliers, qu’en est-il des entreprises ? Peuvent-elles également bénéficier de cet effet de trade loading ?</p>
<p>Une <a href="https://www.ieseg.fr/wp-content/uploads/2012/03/2020-ACF-05.pdf">seconde étude</a> semble le confirmer. En analysant le marché des prêts aux entreprises, cette étude démontre que décembre est le mois où les chances de voir son prêt accepté sont les plus grandes, et ce quelles que soient les caractéristiques de l’emprunteur et de son projet.</p>
<p>Pour les prêts aux entreprises, le montant obtenu par l’entreprise est également plus élevé à la fin du trimestre et à la fin de l’année : le troisième mois de chaque trimestre est associé à un montant plus important que les deux autres, tandis que le quatrième trimestre reste associé à un montant plus élevé que les trois précédents.</p>
<p>Les incitations des banquiers à remplir leurs objectifs trimestriels et annuels les conduisent à adopter des conditions de prêt plus favorables à ces moments de l’année. À demande de prêt égale, les banques accepteraient plus facilement de faire un prêt, pratiqueraient un taux d’intérêt plus faible, accorderaient des montants plus importants à la fin de chaque trimestre et à la fin de chaque année.</p>
<p>Ce résultat est riche d’enseignements pour les emprunteurs et pour les banques. Le savoir devient ainsi un levier de négociation intéressant pour les emprunteurs, particuliers ou entreprises.</p>
<p>Par ailleurs, l’influence de facteurs sans rapport avec la qualité du dossier sur l’acceptation du prêt peut aboutir à de mauvaises décisions de prêt qui peuvent se révéler coûteuses pour les banques. Elles devraient donc veiller à corriger les mécanismes incitatifs qui favorisent le trade loading.</p>
<p>D’ici là, demandez plutôt un prêt en décembre qu’en janvier.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139780/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les entreprises et les particuliers ont tout intérêt à contacter leur banque en fin de trimestre, et surtout au mois de décembre.Laurent Weill, Professeur d'Economie et de Finance, Université de StrasbourgAurore Burietz, Professeur de Finance, LEM-CNRS 9221, IÉSEG School of ManagementJérémie Bertrand, Professeur de finance, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1372952020-05-03T17:46:17Z2020-05-03T17:46:17ZAsie du Sud-Est et Asie centrale : deux laboratoires stratégiques de l’expansion chinoise<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/332117/original/file-20200502-42913-ycjxto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C25%2C5668%2C3166&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Navires de guerre sur fond de drapeau chinois.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/warships-on-background-flag-china-prcs-1679306527">FOTOGRIN/shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Que ce soit en <a href="https://warontherocks.com/2020/04/same-as-it-ever-was-chinas-pandemic-opportunism-on-its-periphery/">Asie du Sud-Est</a> ou en <a href="https://www.novastan.org/fr/kazakhstan/un-article-chinois-appelle-a-rendre-a-la-chine-le-territoire-du-kazakhstan-le-kazakhstan-proteste/">Asie centrale</a>, l’expansion chinoise suscite des résistances. Or ces deux régions sont vitales pour le projet BRI (Belt and Road Initiative) mis en œuvre par Pékin.</p>
<p><a href="https://www.irsem.fr/data/files/irsem/documents/document/file/1081/EtudeIRSEM14Finale.pdf">En mer de Chine méridionale</a> comme dans les régions arides <a href="https://jeunes-ihedn.org/wp-content/uploads/2018/06/SENGAGERPARLAPLUME_2_web.pdf">d’Asie centrale, peu peuplées mais riches en ressources minérales et hydrocarbures</a>, Pékin renoue avec une tradition impériale diluant l’idée de frontière, en opposition au modèle d’État-nation. Puissance continentale, la Chine se projette sur mer comme sur terre, par avancées progressives de relais démographiques et infrastructurels, maillant à terme le territoire.</p>
<h2>La diplomatie du « pourtour », dite « de bon voisinage »</h2>
<p>La diplomatie régionale initiée par Pékin à partir des réformes de 1979 se donne pour objectif premier d’achever le règlement des délimitations territoriales et des frontières, puis d’assurer une dynamique commerciale croissante avec chaque pays voisin (via la diaspora chinoise et l’ouverture progressive des frontières avec, de part et d’autre, des zones franches). Dès les années 2000, la RPC, renforcée par son adhésion à l’OMC, va déployer une <a href="https://www.cairn.info/la-politique-internationale-de-la-chine--9782724618051-page-67.htm?contenu=plan">« diplomatie du pourtour »</a>. Elle cherche alors à stabiliser ses relations avec son environnement régional terrestre et maritime. Depuis 2013 et le lancement du projet BRI, la formule « diplomatie de bon voisinage » s’articule peu à peu à une prééminence chinoise retrouvée. La RPC s’investit toujours plus dans les mécanismes régionaux de coopération économique et de sécurité. Depuis les années 1990, elle est à la fois le moteur d’une <a href="https://journals.openedition.org/confins/9056?file=1">intégration économique régionale</a> à travers une politique commerciale offensive et l’arbitre de potentiels conflits régionaux par le retour affirmé de sa souveraineté territoriale.</p>
<h2>La mer de Chine du sud : catalyseur des tensions et des velléités stratégiques chinoises</h2>
<p><a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/la-chine-est-devenue-une-puissance-maritime-1036047">L’intérêt de la Chine pour la mer est contemporain de son insertion dans la mondialisation et de la construction de sa marine de guerre et marchande</a>. Segment d’une des plus importantes routes maritimes, la mer de Chine méridionale est aujourd’hui un laboratoire stratégico-militaire où la Chine domine, dans la continuité des thèses de <a href="https://thediplomat.com/2011/01/liu-huaqing-rip/">Liu Huaqing</a>, fondateur de la stratégie navale de la Chine actuelle.</p>
<p>La poldérisation et la militarisation (en contradiction avec le discours de Xi Jinping à la Maison Blanche en 2015) se sont accélérées en 2016 avec l’installation de systèmes d’écoute et d’interception, de bases radar, de centres de brouillage et d’armements défensifs anti-navires, et la mise en place d’une bulle d’interdiction dans la zone. Les îles Mischief, Fiery Cross, Woody ou de Subi accueillent ces types d’installations militaires. Ces îlots servent de base de lancement aux <a href="https://www.navyrecognition.com/index.php/news/defence-news/2018/may-2018-navy-naval-defense-news/6190-china-deploys-yj-12b-and-hq-9b-missiles-on-south-china-sea-islands.html">missiles antinavires YJ-12B et sol-air HQ-9B ou encore de base d’où peuvent rayonner les bombardiers à capacité nucléaire H-6K</a>. Ces installations permettent à la Chine de parfaire une <a href="https://www.geostrategia.fr/cinq-mythes-du-deni-dacces/">bulle de déni d’accès (A2/AD)</a>. De plus, la base de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2017/01/13/en-chine-une-base-secrete-de-sous-marins-en-baie-de-yalong_5062235_3210.html">sous-marins nucléaires à Hainan</a> vise à contrer une éventuelle intervention des États-Unis en soutien aux Philippines voire au Vietnam. <a href="https://www.areion24.news/2019/03/19/les-sous-marins-chinois-et-la-transformation-du-theatre-indopacifique/4/">La force stratégique chinoise pourrait lancer un plus grand nombre de têtes depuis la mer de Chine du Sud</a> où, fait significatif, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/04/30/chine-la-diplomatie-du-loup-combattant_6038290_3210.html">Pékin a érigé le statut des îles occupées en districts administratifs</a> relevant de l’autorité de la province de Haïnan.</p>
<p>En une vingtaine d’années, la militarisation accélérée de l’espace maritime, la contestation de la liberté des mers et <a href="https://journals.openedition.org/perspectiveschinoises/7421">l’association de milices, de gardes-côtes, de la marine chinoise et des groupes pétroliers chinois</a> a permis une expansion de la RPC en mer de Chine du Sud qui n’a pu être contenue ni par les États riverains, ni par la diplomatie et les marines occidentales, japonaise ou taïwanaise. Pour Pékin, c’est une victoire militaire en temps de paix, sanctuarisant une zone tampon, ses richesses halieutiques et en hydrocarbures.</p>
<p>Des heurts et des intimidations se répètent dans le sud de la mer de Chine entre Chinois et <a href="https://theconversation.com/faire-du-bruit-a-lest-et-frapper-a-louest-ta-wan-aux-avant-postes-des-strategies-chinoises-135380">Taïwanais</a>, <a href="https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3080559/beijing-moves-strengthen-grip-over-disputed-south-china-sea">Américains</a>, <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-27403851">Vietnamiens</a> ou encore <a href="https://www.theguardian.com/world/2016/jul/12/philippines-wins-south-china-sea-case-against-china">Philippins</a> sur fond de litiges territoriaux. Fondamentalement, c’est la souveraineté des <a href="https://amti.csis.org/scs-features-map/">îles Spratleys et Paracels (plus quelques autres confettis à l’instar de Pratas ou Scarborough)</a>, revendiquées par le Brunei, la Malaisie et les Philippines, le Vietnam ou encore l’Indonésie, qui reste le principal point de discorde avec Pékin. La Chine, au nom de sa prévalence culturelle et historique, et contre le droit international, s’approprie la quasi-totalité de la mer de Chine du Sud, grande comme la Méditerranée. La position de Pékin est défendue par Moscou et quarante autres pays, lesquels s’opposent au règlement juridique du conflit en <a href="https://www.theguardian.com/world/2016/jul/12/philippines-wins-south-china-sea-case-against-china">mer de Chine du sud par la Cour de La Haye</a>.</p>
<p>Dans un cadre plus large, cette opposition révèle une divergence d’appréciation entre Washington et Pékin, chacun étant engagé dans une guerre de mots et de postures d’où ne surgit aucun espoir de règlement des différends.</p>
<p>Dans ce contexte tendu où la probabilité d’une escalade est réelle, chacun évalue ses chances et les risques encourus. Pour le Vietnam, dont l’histoire récente rend le rapprochement avec les États-Unis délicat, la voie est encore plus étroite. Récemment, sous la pression chinoise, <a href="https://www.areion24.news/2019/10/15/face-a-la-chine-le-vietnam-recherche-la-cooperation/">Hanoi a renoncé à deux projets d’exploration pétrolière majeurs au large de Vung Tao</a>. Le dernier en date, découvert en 2009, porté par Petro Vietnam, Mubadala (Abou Dhabi) et l’Espagnol Repsol (51,75 % des parts) est celui du champ pétrolier et gazier « Ca Rong Do », dans le Bloc 07/03. Couvrant 4915 km<sup>2</sup>, et situé à 440 km des côtes (237 nautiques, donc hors ZEE vietnamienne, contrairement à ce que disent les médias), il a été déclaré économiquement viable en 2013. Mais Pékin, qui considère que le gisement se trouve dans les eaux chinoises, s’oppose à sa mise en exploitation. Ces différends ont provoqué, à partir de 2014, une <a href="https://www.lesechos.fr/2014/05/le-vietnam-en-proie-a-une-violente-poussee-anti-chinoise-282716">poussée anti-chinoise au Vietnam</a> qui a commencé par des manifestations soutenues par le gouvernement puis dégénéré en émeutes.</p>
<p>En retour, le <a href="https://www.questionchine.net/la-puissance-militaire-chinoise-et-le-rearmement-de-l-asie?artpage=3-3">Vietnam et l’ensemble des pays de la région</a> ont assez rapidement pris la mesure de la montée en puissance navale de Pékin. Le déploiement de troupes d’infanterie de marine indonésienne sur les <a href="https://www.asie21.com/2020/01/21/indonesie-chine-tensions-autour-des-natuna/">îles Natuna</a> est clairement un signe d’opposition à Pékin. Les capacités navales et militaires vietnamiennes ont augmenté au cours de ces dernières années comme l’illustre la commande de six sous-marins Kilo 636 à la Russie en 2009. Ces sous-marins ont été livrés et sont aujourd’hui opérationnels. Cette acquisition est majeure et implique également celle, annoncée à partir de 2015, de 50 missiles de croisière d’attaque terrestre 3M14E. S’y ajoute le rapprochement entre le Vietnam et les États-Unis, qui se traduit par le soutien de <a href="https://theconversation.com/les-iles-militarisees-en-mer-de-chine-du-sud-la-partie-emergee-de-la-puissance-de-frappe-de-pekin-97946">l’US Navy et de nombreuses missions FONOPS</a>. La logique pour le Vietnam est celle de la recherche d’une capacité dissuasive. Que la Russie – rejointe en cela par l’Inde – prête main-forte au Vietnam en dit long aussi sur la versatilité des relations diplomatiques dans cette partie de l’Asie. Cette observation peut être faite également en Asie centrale.</p>
<h2>Asie centrale : extension de la conquête pékinoise de l’Ouest, craquelures et sinophobie montante</h2>
<p>La Chine et la Russie partagent dans cette région un même objectif : limiter la présence américaine en Asie centrale (les bases aériennes américaines en Ouzbékistan et au Kirghizistan ont été respectivement fermées en 2005 et 2014), en Afghanistan et même au Moyen-Orient. Les interactions entre les puissances russe et chinoise au niveau international répondent également à leur souhait de contrecarrer les forces centrifuges qui les animent. Le succès de leurs projets respectifs – <a href="https://www.novastan.org/fr/decryptage/louzbekistan-se-rapproche-toujours-plus-de-lunion-economique-eurasiatique/">Union économique eurasiatique (UEE)</a> pour la Russie et BRI pour la Chine –, fondamentalement concurrents, dépend pour une bonne part de <a href="https://thediplomat.com/2020/04/the-belt-and-road-after-covid-19/">l’après Covid-19</a>, et de la sécurisation de régions musulmanes en proie à une forte instabilité.</p>
<p>Si <a href="http://www.inalco.fr/sites/default/files/asset/document/organisation_de_cooperation_de_shanghai_ocs.pdf">l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS)</a>, dont le siège du Centre de lutte anti-terroriste se trouve à Tachkent, capitale de l’Ouzbékistan, permet une coopération entre ses membres en matière de contre-terrorisme, l’effondrement de Daech et ses conséquences – le retour de plusieurs centaines de combattants djihadistes daghestanais et ouïghours respectivement au Caucase et au Xinjiang – laissent présager un développement de nouveaux foyers de crise, auxquels la Russie mais aussi la Chine seront directement confrontées, soit au cœur même de leurs territoires respectifs, soit à la périphérie de l’Asie centrale avec laquelle les deux États possèdent une longue frontière commune.</p>
<p>Au reste, un <a href="https://thediplomat.com/2019/10/why-is-anti-chinese-sentiment-on-the-rise-in-central-asia/">sentiment de sinophobie</a>, d’abord latent puis de plus en plus ouvert, commence à gagner l’ensemble des populations locales. La répression des Ouïghours en Chine continue de nourrir l’hostilité à l’égard de Pékin. Le <a href="https://www.novastan.org/fr/kazakhstan/le-president-kazakh-en-visite-a-pekin-sur-fond-de-sentiment-anti-chinois/">ressentiment anti-chinois</a> prend une ampleur sans précédent, nourri par des préoccupations économiques, notamment l’accès à la terre et la prédation chinoise dans l’économie du Kazakhstan. Récemment, la publication d’un <a href="https://www.reuters.com/article/us-kazakhstan-china/kazakhstan-summons-chinese-ambassador-in-protest-over-article-idUSKCN21W1AH">article sur le site Sohu.com</a> a valu à l’ambassadeur chinois une convocation chez le ministre des Affaires étrangères du Kazakhstan.</p>
<p>Stratégiquement cruciale aux yeux de Pékin pour ses approvisionnements en hydrocarbures et en minerais et pour l’espace disponible qu’elle représente, l’Asie centrale s’insère dans le prolongement de l’expansion territoriale chinoise depuis la région du Xinjiang. Entreprises d’État, nouvelles diasporas, entrepreneurs, paysans et petits commerçants investissent progressivement l’Asie centrale en continuité avec la <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2006-3-page-257.htm">politique dite de « développement de l’Ouest » initiée par Pékin dès la fin des années 1990</a> pour siniser et maîtriser le territoire du Xinjiang (entre autres), marge non-Han de la RPC. Corridors, routes, tubes sont aussi importants que les immenses réserves de terres cultivables destinées aux besoins colossaux de la Chine.</p>
<p>Ajoutons qu’à ces deux espaces géographiques pourrait être ajoutée la région sino-russe où l’on constate également une montée des tensions qui remet en question le supposé axe stratégique Pékin-Moscou et leurs modèles post-impériaux dans leurs confins réciproques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137295/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du Fonds de dotation Brousse dell'Aquila.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Chine cherche à accroître son emprise sur l’Asie du Sud-Est et sur l’Asie centrale, ce qui suscite un mécontentement croissant des opinions et de certains États de ces deux régions.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1364542020-04-16T19:35:53Z2020-04-16T19:35:53ZLe Canada a besoin des États-Unis pour lutter contre le coronavirus<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/328456/original/file-20200416-192698-52ggtb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le personnel médical se prépare à l’ouverture du Centre d’évaluation pour la COVID-19 à l’aréna du parc Brewer, à Ottawa, en mars 2020.
</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Justin Tang</span></span></figcaption></figure><p>La crise du Covid-19 révèle que la plupart des pays sont vulnérables aux ruptures dans les chaînes internationales d’approvisionnement en produits médicaux essentiels à la lutte contre le coronavirus.</p>
<p>Le Canada n’y fait pas exception, comme le montre la récente controverse causée par le président américain <a href="https://www.lesoleil.com/affaires/3m-dit-avoir-recu-lordre-de-washington-de-cesser-dexporter-des-masques-n95-17206f2b87f7101695de6e8803a4f81a">Donald Trump lorsqu’il a demandé à la société 3M de cesser d’exporter des masques au Canada</a> afin de s’assurer que les États-Unis n’en manquent pas.</p>
<p>Même si le problème a été résolu rapidement et que <a href="https://www.rcinet.ca/fr/2020/04/07/volte-face-de-trump-le-canada-recevra-ses-millions-de-masques-n95-de-3m/">l’on continue l’acheminement de masques 3M au Canada</a>, il est intéressant d’examiner la dépendance du Canada vis-à-vis des États-Unis pour tous les produits médicaux.</p>
<p>Nous avons étudié les <a href="https://comtrade.un.org/">informations publiées par COMTRADE</a>, une base de données gérée par les Nations unies qui suit le commerce bilatéral pour près de 200 pays et 5 000 catégories de produits. Certaines catégories sont plus vastes que les produits précis pour lesquels nous voulions des renseignements, mais elles ont l’avantage d’offrir des données comparables sur le plan international.</p>
<h2>Masques pour professionnel</h2>
<p>Les masques pour les professionnels de la santé, tels que le désormais célèbre N95, sont essentiels dans la lutte contre le Covid-19, mais ceux qu’on utilise au Canada sont généralement importés. Dans les données de COMTRADE, on les trouve dans les catégories « appareils respiratoires et masques à gaz » et « masques de protection dépourvus de mécanisme ».</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/325713/original/file-20200406-151304-1caw080.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/325713/original/file-20200406-151304-1caw080.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/325713/original/file-20200406-151304-1caw080.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/325713/original/file-20200406-151304-1caw080.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/325713/original/file-20200406-151304-1caw080.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/325713/original/file-20200406-151304-1caw080.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/325713/original/file-20200406-151304-1caw080.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/325713/original/file-20200406-151304-1caw080.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Un masque 3M, dont les travailleurs de la santé ont désespérément besoin, est présenté à Mississauga, en Ontario, le 3 avril.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Nathan Denette</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En 2018, le Canada a importé pour environ 126 millions de dollars et exporté pour 54 millions de dollars de masques pour professionnels. Parmi ceux-ci, 90 % venaient des États-Unis. Ce chiffre comprend les exportations directes vers le Canada de masques produits aux États-Unis et les réexportations de masques fabriqués dans d’autres pays qui transitent par les États-Unis.</p>
<p>Le Canada importe ces masques depuis une poignée de pays, ce qui explique l’inquiétude de nos autorités quand le président Trump a menacé de freiner les exportations de ces produits. Les États-Unis et le Canada ont finalement <a href="https://www.lapresse.ca/international/etats-unis/202004/06/01-5268290-la-compagnie-americaine-3m-pourra-exporter-des-masques-medicaux-au-canada.php">conclu un accord</a> qui maintient le commerce des masques, mais les décisions imprévisibles de l’administration Trump pourraient concerner d’autres marchandises essentielles à l’avenir.</p>
<h2>Produits Covid-19</h2>
<p>L’OMC <a href="https://www.wto.org/english/news_e/news20_e/rese_03apr20_e.pdf">a récemment publié</a> une liste de produits indispensables dans la lutte contre le Covid-19. Nous avons suivi 75 de ces produits dans les données de COMTRADE. Appelons-les « produits Covid-19 ».</p>
<p>Au Canada, les produits Covid-19 représentaient 3,9 % des importations totales en 2018, contre 5,8 % aux États-Unis. Dans cette liste, on trouve des médicaments, des produits immunologiques, des instruments médicaux, chirurgicaux ou dentaires et des produits en plastique, parmi lesquels, certains types de masques. La liste des importations de produits Covid-19 diffère d’un pays à l’autre, ce qui reflète les différentes structures de production.</p>
<p>Si l’on se concentre sur la balance commerciale (la différence entre les exportations et les importations), les deux pays ont eu un déficit commercial avec le reste du monde – plus d’importations que d’exportations – pour les produits Covid-19 en 2018.</p>
<p>De nombreux produits Covid-19 font l’objet d’un commerce bilatéral entre les États-Unis et le Canada. En 2018, 54 % de l’ensemble des importations canadiennes de produits Covid-19 provenaient des États-Unis alors que le Canada ne représentait que 6 % des importations américaines de ces mêmes produits. Dans l’ensemble, le Canada a enregistré un déficit commercial avec les États-Unis pour ces produits (bien que ce ne soit pas le cas lorsqu’on considère l’ensemble des biens manufacturés).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/325720/original/file-20200406-79380-80bp9z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=600%2C680%2C2736%2C1776&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/325720/original/file-20200406-79380-80bp9z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/325720/original/file-20200406-79380-80bp9z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/325720/original/file-20200406-79380-80bp9z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/325720/original/file-20200406-79380-80bp9z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=556&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/325720/original/file-20200406-79380-80bp9z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=556&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/325720/original/file-20200406-79380-80bp9z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=556&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le 27 mars, des travailleurs de la santé traversent la rue pour entrer dans le centre de dépistage de le Covid-19 à Montréal.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Ryan Remiorz</span></span>
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</figure>
<p>La dépendance du Canada à l’égard des États-Unis ne se limite pas aux masques pour professionnels. Plus de 75 % des importations canadiennes pour 32 produits Covid-19 proviennent des États-Unis. Certains de ces produits ne sont que rarement exportés par le Canada, ce qui laisse supposer que le pays ne pourrait pas facilement remplacer l’offre étrangère par une production nationale.</p>
<p>Parmi ces produits, on trouve des médicaments contenant de la pénicilline, des plaques photographiques et des films pour radiographies, de la verrerie de laboratoire, d’hygiène ou de pharmacie, des seringues, des aiguilles et des cathéters.</p>
<p>De l’autre côté, il n’y a que quatre produits Covid-19 (le peroxyde d’hydrogène, souvent utilisé comme antiseptique, certains types de médicaments qui contiennent des antibiotiques ou des vitamines et des savons) pour lesquels au moins 30 % des importations américaines proviennent du Canada. Compte tenu de sa dépendance pour un grand nombre de produits Covid-19, le Canada ne peut se permettre une escalade des hostilités commerciales avec les États-Unis.</p>
<p>Cependant, la situation n’est peut-être pas aussi sombre que les chiffres semblent le suggérer.</p>
<h2>Des masques en public</h2>
<p>Lorsqu’ils commenceront à rouvrir les activités, divers gouvernements <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1691473/coronavirus-agence-sante-publique-conseille-masques-non-medicaux">pourraient continuer à recommander</a> aux citoyens le port du masque dans les magasins ou les transports en commun. Le Canada, et le Québec en particulier, possède une solide industrie textile qui <a href="https://www.lapresse.ca/covid-19/202003/29/01-5267032-sur-le-pied-de-guerre-pour-produire-masques-et-blouses-quebecois.php">pourrait facilement produire des masques</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/326936/original/file-20200409-187418-1s480ea.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/326936/original/file-20200409-187418-1s480ea.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/326936/original/file-20200409-187418-1s480ea.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/326936/original/file-20200409-187418-1s480ea.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/326936/original/file-20200409-187418-1s480ea.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/326936/original/file-20200409-187418-1s480ea.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/326936/original/file-20200409-187418-1s480ea.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le 27 mars, des gens assis dans un abribus à Toronto portent des masques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">THE CANADIAN PRESS/Nathan Denette</span></span>
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<p>Le Canada est aussi un important fournisseur pour certains produits nécessaires à la lutte contre le coronavirus aux États-Unis, comme l’a récemment souligné le <a href="https://www.ledevoir.com/politique/canada/576440/justin-trudeau-sert-un-avertissement-aux-etats-unis">premier ministre Justin Trudeau</a>.</p>
<p>Parmi ceux-ci, on trouve la pulpe de cèdre rouge utilisée pour la fabrication de blouses et de masques médicaux et qui est principalement produite par <a href="https://www.fr24news.com/fr/a/2020/04/avant-jc-usine-double-sa-production-et-expedie-de-la-pate-medicale-vers-le-sud-malgre-linterdiction-dexporter-aux-etats-unis.html">Harmac Pacific</a> en Colombie-Britannique.</p>
<p>Les données de COMTRADE montrent également que le Canada fournit aux États-Unis certains produits que ceux-ci n’exportent pas beaucoup et ne produisent que rarement. Il s’agit notamment d’antibiotiques autres que la pénicilline, de stérilisateurs à usage médical, chirurgical ou pour laboratoire ainsi que d’électrocardiographes.</p>
<p>En temps de crise, il est plus facile d’assurer des livraisons rapides, lorsque nécessaire, avec des partenaires commerciaux proches géographiquement et avec lesquels on a une relation de confiance. Pour ces raisons, le maintien de rapports harmonieux entre le Canada et les États-Unis est important pour les deux pays.</p>
<p>Bien qu’on ait résolu rapidement la controverse autour des masques 3M, cet épisode demeure une illustration éloquente de la nécessité pour le Canada de trouver des compromis avec son voisin du sud en ce qui concerne le commerce de produits Covid.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136454/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Florian Mayneris reçoit un financement du Conseil de recherche en sciences humaines.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Julien Martin reçoit un financement du Conseil de recherche en sciences humaines.</span></em></p>L'affaire du masque 3M, bien que résolue rapidement, a montré de façon frappante que le Canada doit trouver des compromis avec les ÉU sur le commerce de produits utilisés durant la crise actuelle.Florian Mayneris, Associate professor, Université du Québec à Montréal (UQAM)Julien Martin, Associate professor, ESG UQAM, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.